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L'ANALOGIE SELON PLOTIN

Author(s): Jean-Louis Chrétien


Source: Les Études philosophiques , JUILLET-DÉCEMBRE 1989, No. 3/4, L'ANALOGIE
(JUILLET-DÉCEMBRE 1989), pp. 305-318
Published by: Presses Universitaires de France

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L'ANALOGIE SELON PLOTIN

Qu'en est-il de l'analogie pour Plotin ? Celui dont toute la pen


tend à s'accomplir en se renonçant par un retour amont à l'au
de l'être peut-il faire droit à une quelconque forme de l'analog
l'être ? De fait, aucun traité de l'analogie ne figure parmi les Ennêa
même si le mot n'en est pas absent. Etablissant avec une fermeté
ménagements une rapide histoire de la théorie de l'analogie, le P. Pe
Descoqs, dans ses Institutiones metaphysicae generalis , affirmait q
ne s'était vraiment constituée qu'au xnie siècle, Aristote n'en
point considéré le véritable poids, et les autres penseurs grecs,
Plotin, n'en ayant parlé que sporadiquement. Panca inveniuntur
Plotinum...1. Sous le regard critique d'un Rutten, ce peu s'évan
même jusqu'à ne rien laisser : « Toute analogie, qu'elle soit de
portion ou d'attribution, se réduit chez Plotin à une pure homonymi
La rareté de l'emploi du mot analogia par Plotin semble confirm
jugements expéditifs. Le Lexicon plotinianum de Sleeman et Pollet n
relève, dans toutes les Ennèade s, que dix-sept fois la présence. A ti
de comparaison, un mot comme ikhnos> trace, lequel n'est pas d
langue grecque des plus fréquents, et n'est pas par ailleurs le titre
question philosophique, est employé une soixantaine de fois par Plo
Et en effet, il a pour lui force de parole majeure, si l'être n'est
trace de l'Un (V, 5,5) ou si l'âme et la vie sont des traces de l'e
(VI, 7, 20). Certes, la rareté de l'emploi d'un mot ne saurait d'au
façon prouver qu'un concept n'est pas central ou qu'une que
n'est pas présente. L'index souvent ne montre rien, pas plus qu

i. Institutiones..., t. I, p. 212, Paris, 1925.


2. C. Rutten, Les catégories du monde sensible dans les « Enneades » de Plotin , Paris, 1961

Les Etudes philosophiques , n° 3-4/1989

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3o6 Jean-Louis Chrétien

fournit de topographie de l'intelligi


y ait une occurrence. Il demeure qu
seulement le terme est rare, mais
les lieux où il figure sont très dispe
toujours considérables philosophiq
Une comparaison avec Proclus se m
Dans la centième proposition de ses
que toutes les monades impartic
beni analogon )> et poursuit : « Dès
leur tour d'un caractère unique, à sa
to hen analogian ), sous ce rappor
l'Un. »3 Jamais Plotin ne parle d'un
verbis sinon dans un seul passage où
à propos du point et de la monade,
(VI, 9, 5). Un seul des emplois qu'i
toujours au pluriel, comme un m
nous instruit (au sujet du Bien), c
tions, les connaissances des choses q
lons » (VI, 7, 36)*. Comme Pierre H
sage, souvent considéré comme u
et de la via negationis , distingue cl
ce qui conduit vers lui (poreuousi
qui mène au Bien et transporte e
parmi les voies5. Cette distinction
le savoir s'intègre au cheminement,
prement voie. Au demeurant, ces «
dans une énumération ne sont ni
phrase est en effet bien peu au re
de force et d'équilibre, que donn
chapitre décisif de la Théologie plato
ment à la République et au Parmeni
voie négative, qu'il définit ainsi :
voir le premier principe par le m
par la ressemblance avec lui de ce qu
par le moyen des négations sa trans
des êtres. »6 La voie négative corres
met en évidence que l'Un n'est rie

3. Trad. Troni Hard, Paris, 1965, p. 120; é


ouvrage d'ensemble qui soit à la mesure du gé
a consacré des pages pénétrantes à sa doctrin
Metaphysik, Frankfurt, 1965, p. 153 sq.
4. Pour ce traité, nous citons la traduction e
1988. Nous traduisons les autres citations.
5. Cf. aussi P. Aubenque, Néoplatonisme et
Trouillard, Les Cahiers de Fontenay , 1981, p.
6. II, 5, éd. P. Saffrey-Westerink, Paris, 19

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U analogie selon Pio tin 307

analogique correspond à la conversion (èp


de la ressemblance avec le principe pr
est venue à l'existence une monade an
l'ensemble de la série qui lui est unie le r
les ordres de dieux. Et cette ressembl
conversion de tous les êtres vers lui. Ces êtres non seulement donc
procèdent de là, mais encore retournent vers le principe premier; et
la procession de tous les êtres nous a révélé la remontée vers le premier
principe par le moyen des négations, leur conversion la remontée par
le moyen des analogies. »7 La suite précise en quoi l'analogie sauve-
garde la transcendance du premier principe, ce qu'indiquait déjà que
la ressemblance fût fondée sur la conversion, et non l'inverse. Ainsi
se constitue le traité des noms de l'ineffable, sans transgresser son inef-
fabilité : le nom d'Un est une image (eikôn) de la procession de tous
les êtres, le nom de Bien une image de leur conversion. Ils sont comme
des agalmata , des images sacrées, dont chacune est solidaire d'une façon
de remonter vers le premier. L'analogie est associée au Bien comme la
négation à l'Un8. Sans citer expressément Proclus, Marsile Ficin reprendra
la même thèse dans son commentaire sur le Philèbe de Platon9. Délivrant
le nom du Bien et nous délivrant à lui, éclairée par la conversion qui
assimile, la voie analogique selon Proclus est rigoureusement fondée.
Y a-t-il dans les Ennéades un tel fil conducteur ?
S'agissant d'un autre aspect de la pensée de l'analogie, sa portée
cosmologique et cosmogonique, celle que nomme le Time en faisant
de l'analogie « le plus beau des liens » (31 C), par lequel seulement le
monde est monde (32 C), la même différence entre Plotin et Proclus
semble aussi s'imposer. Plotin évoque librement cette page du Timée
dans un traité où l'analogie est surtout étudiée comme fondement de
la mantique pour conclure d'une manière curieusement hypothétique :
« Peut-être est-ce le sens de cette parole : l'analogie maintient toutes
choses ensemble » (III, 3, 6). Proclus, dans son commentaire du Timée ,
livre un véritable traité de l'analogie cosmique, où il définit rigoureu-
sement les divers sens mathématiques et physiques de V analogia, médite
son rôle et sa portée10.
Comment comprendre que l'analogie, promise à un tel destin dans
le platonisme ultérieur11, semble ne briller dans les Ennéades que par
son absence ? Faut-il en chercher la cause dans l'insistance de Plotin
sur l'apophase et le retranchement comme accès à l'Un ? S'il s'agit en

7. Ibid ., p. 38.
8. II, 6, p. 42.
9. Cf. Marsilio ricino, The Philebus commentary , éd. M. Allen, London, 1975, p. 107 :
« Quod quidem unum dicitur ut super eminet omnia ; bonum ut se per omnia porrigit. Ut ergo unum
esty per negationes a Platone in Parmenide investigatur ; ut bonum est , per comparationes ab eodem
in libro de Kepublica sexto. »
10. Cf. la trad, du P. Festugière, t. III, p. 36-86. Paris, 1067.
il. Cf. p. ex. sur Denys les travaux du P. Roques ou de V. Lossky.

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}o8 Jean-Louis Chrétien

effet de « voir le principe par le p


le dernier chapitre des Ennéades se
à l'Un est au-delà de toute analog
l'entende comme ressemblance à tr
ou comme rapport et proportion
lumière même? « Comment cela
dit une conclusion célèbre (V, 3,
analogique : « Mais évite surtout
tu verras sa trace, et non lui-mêm
admirablement dans le traité sur le
le bien est une avec le dépouillem
cente, comme ceux qui montent v
quitter leurs défroques, et faire
voit seul à seul, selon le même mot
A cette apophase radicale s'ajou
est une pensée de la médiation, d
Plotin ne leur accorde pas du tout
que ses successeurs. « Rien n'est loin
et cela vaut en tout ordre, comm
rapports de l'idée et de la matière, P
un mot vide de sens, et que la mati
khothen) en contact avec l'idée, s
(VI, 5, 8). Ce n'est pas du tout loi
les intermédiaires ne sont pas nom
Tout débat semble clos lorsqu'o
fois entre analogie et homonymie :
Plotin, se demandant s'ils sont les m
ligible, ne le concède que « par anal
L'expression revient sous une form
loin (VI, 3, 5). Elle sert d'appui à
de l'équivocité13. Il demeure que,
nymie a bien des formes, et ne d
rapports précis des homonymes1
notait, là où les analogues ne son
voques et des équivoques, ils sont
nent le plus16. Il demeure surtou
terme homonymie dans un sens un
la parfaite équivocité, deux chos
(VI, i, 12). Toutefois, même dans
damentům in re et une quelconqu
du même nom : une totale dissem

12. Cf. aussi IV, 8, 5.


13. C'est le cas dans les op. cit. de C. Rut
14. Physique, VII, 4, 240 A, 21-25.
15. Disputationes metaphysicae , 28, 3, 20.

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U analogie selon P lotin 309

(ni, 6, 12). Et Plotin peut parler d'hom


dictoires, dont l'un exclut l'analogie et
sion. Ainsi lorsque Plotin demande si
terme homonyme s'agissant du divin
formellement en posant de l'un à l'aut
d'imitation, qu'il illustre par l'analyse
voix, dans l'âme, avant l'âme) (I, 2, 3)
à un acte premier dont il procède et qu'i
ordre propre, exclut ici l'homonymie
vocité). Mais lorsque, dans un autre tr
(to d%èn) est synonyme ou homonyme,
dans la mesure où le vivre se dit en plus
miers, des seconds, et ainsi de suite, l
autres et sont l'image les unes des autr
correspond (I, 4, 3). Que la même struc
dans un cas, et la fasse nier dans l'autre
fonds sur la seule présence du terme. La
pas ne pas ne se poser à partir de telle
n'y est pas présent. Elle prend dès lors t
recension des emplois d 'analogia^ solid
aveugle. Que Plotin lui-même ait nommé
sance du Bien et dans la constitution du
à partir des seules phrases où il le fait. Q
des noms que nous appliquons à des êt
Comment peut-on parler de vie et de
degrés de l'être ? Cela suppose-t-il une
Pour Plotin, être et beauté sont convert
sont être et vivre (IH, 6, 6; III, 8, 8), et
du beau et d'une analogie de la vie équ
de l'être.
Pour le platonicien qu'est Plotin, la beauté, par l'amour qu'elle
suscite et qui seul la discerne, nous élève vers le Bien, et elle semble
pouvoir être une de ces analogies qui sur lui nous instruisent. Les
anabasmoiy les degrés que Plotin mentionne de pair avec les analogies
renvoient du reste au Banquet (211 C) où Platon décrit l'élévation de
beauté en beauté hôsper epanabasmois khrômenon , comme en se servant
d'échelons. Pour que se puisse une telle élévation, il faut qu'il y ait
une quelconque communauté entre les divers sens de la beauté et que
la beauté ne soit pas totalement équivoque. Or le traité sur les genres
de l'être affirme l'homonymie de la beauté ici et là, dans le sensible
et dans l'intelligible (VI, 3, 16). Et le premier traité sur le beau demande :
« Est-ce par un seul et même beau que toutes les choses sont belles,
ou bien la beauté est-elle autre dans le corps, et autre ailleurs ? Et quelles
sont ces beautés ou quelle est cette beauté ? » (I, 6, 1). La pensée ploti-
nienne de la matière paraît devoir conduire à l'équivocité radicale.

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3 io Jean-Louis Chrétien

Non seulement la matière ne reçoit


des êtres, mais elle ne fait que semb
elle n'a rien et paraît tout avoir. D
même la comparaison avec le refl
dans ce cas il y a bien une ressemblan
ce qui n'est pas vrai pour le « jouet f
qui apparaît ou feint d'apparaître dan
Plotin menace du destin de Narcisse
En voulant saisir son beau simulac
profondeur du courant et disparut
vers les « images, traces et ombres
les prend pour des beautés vérita
son âme et non plus par son corps, e
dans le Hadès, vivant avec des ombr
dans l'autre (I, 6, 8). L'attachement
en nous vouant à l'apparence nous
par aveugler. A s'en tenir à ces analy
dans le sensible que de rire dans l
du beau, et Plotin ne serait pas plato
Ce que nie Plotin toutefois, ce n'es
le sensible, mais que la beauté com
et devenue matérielle. Même la beau
chose d'incorporel (VI, 3, 16). Le te
lequel Plotin désigne les reflets tro
la matière est susceptible d'un sens
ratif. Toute vie joue. Pour déployer
et la multiplicité, la vie ne se lass
jouets vivants, beaux et de belle f
même terme de jouet que Plotin, d
la beauté d'ici par rapport à la beau
la beauté d'ici en s'en satisfaisant,
qui en ont eu la réminiscence, et i
tant qu'elle est un fruit et un jouet
l'admirable début du traité sur la co
cisément, même le jeu n'a pour f
Que la beauté sensible soit un jouet
un refus de l'équivocité. Mais avec un
rement n'est pas d'user de jouets,
beauté joue en eux et avec eux, m
étaient des jouets. L'erreur de Narc
simulacre sur l'eau ? Pour Plotin, elle
poursuivi « en ignorant d'où il ven

16. Su r le statut de la matière, cf. notre étu


réflexion, V, 1984.

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U analogie selon V lotin 311

est de n'avoir pas vu qu'il était beau, q


beauté, et non ce reflet qu'il prenait po
aurait pu remonter de la beauté du ref
celle du corps reflété à la forme incorpo
forme à ce qui rayonne dans la forme.
L'égarement de Narcisse, qu'un refle
de l'attachement à la seule beauté apparai
sion platonicienne vers la vision de l'id
tement supérieur à celui de la beauté d
belles occupations. Or il y a pour Plotin
Toute vie active est selon lui enchante
Tout rapport avec l'autre est ensorcelle
plation est agoeteutos , désenchantée, dél
tiges. Au regard de cette thèse, Plotin
ne faut-il pas dire que les actions qu'on
tissent au beau, échappent elles aussi à l'e
point le cas, ne faudrait-il pas dire que
enchantée, puisqu'elle est contemplation
que seul celui qui accomplit ces actions en
sans les confondre avec le beau véritab
S'il s'attache à ces actions mêmes, il n'e
beau ». Lui aussi est perdu par un sem
semblant, par sa nature même, nous a
(IV, 4, 44). Bien que la beauté des actio
les yeux du corps, et semble spirituellem
nous emprisonner davantage dans le se
que la vision joueuse de ce qui se joue
travers eux. Elle n'offre pas le même
ce qui ne dépend que de nous, et peut no
d'avoir déjà atteint ce qui est sérieuse
jouer avec cela porte plus d'un péril. Là c
jusque dans le corps le jeu suprême de
est l'enjeu.
L'amour est la preuve et l'épreuve de l'analogie du beau. Il repousse
toute équivocité, puisque si l'amour comporte plusieurs possibilités,
il n'a néanmoins pour Plotin qu'une seule essence17. Il transporte et
transfère des analogata du beau à Yanalogum princeps . Ce transport non
seulement nous élève d'un degré de l'être à un autre, il révèle leur
communication, leurs entrecroisements et leurs chiasmes. Pour Plotin,
en effet, l'on peut à bon droit transférer d'un plan de l'être à un autre
ce que déjà l'amour d'un beau corps ou d'un beau visage nous découvre,
et ce transfert est fondé dans l'être même. L'intelligible n'est la vérité

17. Cf. notre étude L'amour du neutre, Exercices de la patience , 6, 1985.

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312 Jean-Louis Chrétien

du sensible que parce qu'il en est


visage suffit à nous transporter dan
la pensée « paresseuse » des gnos
entier ne suffit pas à mouvoir. Qui
« n'a ni compris les choses d'ici (
là-haut (les intelligibles) » (H, 9,
sensations d'ici sont des pensées
sensations claires » (VI, 7, 7). Ce c
plotinienne du désir, de l'amour et
l'affirmation qu' « il n'y a pas de r
et le sensible » pour Plotin20.
L'amour est vision, et Plotin s
(III, 5, 5). Voir est ici recevoir, et
qui est vu devient intérieur. Nou
tant qu'elle reste au-dehors, il fa
produire en nous sa propre diath
(V, 8, 2). La diathèse du beau est
ne voyons en vérité la beauté qu
qu'à proportion de cette blessure
vérité que là où nous voyons la b
même (I, 6, 4). Ici comme ailleurs
trop vite. La réverbération de la
pas d'une transverbération par l
sensible de ses yeux suppose que l
déjà blessé. La vision du sensible
lui ce qui provient d'ailleurs. Elle
trouver que là où les sensations
ne peuvent servir d'analogies que
l'analogie du beau. En témoigne
Ennèade où Plotin, alors qu'il évo
l'intelligible, s'appuie sur la passio
sensible : « C'est ce dont témoign
se trouve dans quelqu'un qui s'arrête à
celui-là n'aime pas encore. Mais lo
sible, il produit lui-même en lui-m
partie indivisible de l'âme, alors l
voir l'aimé, c'est seulement afin d'a
se dessèche. Mais s'il prenait con
aller au-delà, vers ce qui est plus inf
lui-même qu'il désirerait. Car ce d
c'était, à partit d'une faible lueur,

18. Cf. Le feu selon Plotin, Siècle, 4, 198


19. Le P. Vincenzo Cilento a bien souligné l
antignostica , Firenze, 1971, p. 268.
20. P. Aubenque, op . cit., p. 68.

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U analogie selon V lotin 313

(VI, 7, 33)21. S'il y avait équivocité du b


beauté non sensible n'avaient rien de comm
de l'amour qui nous porte vers l'une ou
pourrait être blessée de cette façon de
yeux du corps. Si faible, si obscure, si
selaos amudrou ), celle que la forme de l'a
à l'amant, c'est déjà vers cette grande
trace qu'elle le porte et le transporte. S
qu'il aime ou désire trop, mais qu'il ne
amour et de son désir, cet amour et ce
instant les siens. Que la vision de la form
rieure forme de l'aimé montre le mouv
analogie et de cette anagogie du beau. O
ment de l'amour n'est guère éloignée d
analogies qui nous instruisent sur le B
il les nomme (VI, 7, 36), Plotin écrit :
à l'Un) il avait été conduit par l'instructio
fixé dans le beau, et jusque-là il pensait,
Ces méditations et ces descriptions im
du beau. Elle peut se définir comme une
sèque, en des termes qui ne sont pas ceux
à ce que sa pensée suppose. La beauté se
divers plans de l'être conformément à ce
Elle n'est pas pure équivocité, sans que
tifier les manifestations. La question dif
quel est, dans cette analogie, 1 'analogům
parfaite et totale par rapport à laquelle
telles, par dépendance et participation de
est-elle celle du Bien ou celle du Nous ? J
elle ?
La beauté première, à laquelle rien ne manque, source et modèle
de toute autre beauté est celle du nous , identique pour Plotin au monde
intelligible (V, 8, 8; VI, 7, 31). Le premier principe lui-même est au-delà
de la beauté. Dès son premier traité, où pourtant la position de la ques-
tion n'a pas une fermeté aussi grande que par la suite, Plotin situe le
Bien au-delà du beau identique à l'intelligible : du Bien, le beau est,
littéralement, le « problème » ( probeblemenon ) , ce qu'il place en avant
de soi et devant soi, comme si la beauté séparait encore (I, 6, 9). Ce qui
est avant l'intelligible ne veut pas même être beau (V, 8, 8). Le Bien
est plus ancien que le beau et antérieur à lui (V, 5, 12). Regarder vers
l'Un, c'est regarder au-dessus et au-delà du beau (VI, 9, 11). Mais si
la beauté proprement dite est convertible avec l'esprit et l'être, si le
nous est le terme et la source de l'analogie du beau, elle provient de

21. Trad. P. Hadot légèrement modifiée, p. 170.

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314 Jean-Louis Chrétien

l'Un qui ne l'est pas et ne l'a pas,


La beauté première est l'être premie
ment parlant. L'analogie du beau c
qui seule peut se renoncer pour l
à l'Un, mais au seul lieu depuis leq
lui la faille du don.
Toute pensée d'un néant fondateur, qui donne ce qu'il n'a pas et
n'est pas ce qu'il donne, a ses apories, ses ambiguïtés et ses tentations.
Celle de Plotin n'y échappe pas, et il lui arrive de nommer l'Un beauté
en tant qu'il produit la beauté et donne à la beauté d'être elle-même.
Ainsi est-il dit « beauté au-dessus de la beauté » (kallos huper hallos),
« beauté qui rend beau » ( kallos kallopoion )> « principe et fin de la beauté »
(VI, 7, 32). Uepekeina ou le huper platonicien oscille toujours entre
éminence et néant. Une pensée de l'éminence ferait du premier Y ana-
logům princeps de la beauté, mais, malgré certaines formules, elle est
interdite par les thèses les plus constantes de la métaphysique de Plotin.
La pensée plotinienne de la vie peut permettre de confirmer et de
préciser cette analogie d'attribution coextensive à l'être que la beauté
manifeste déjà. Dans l'important chapitre, cité plus haut, où Plotin
envisage successivement que le vivre soit un sunônumon , puis qu'il faille
le prendre homonumôs , il entend montrer que le bonheur est dans la
vie, mais comme son acte même, et non comme ce qui s'ajouterait à
l'être ainsi qu'une qualité acquise (I, 4, 3). Le bonheur n'a rien d'exté-
rieur à la vie, pas plus qu'il ne suppose quoi que ce soit d'extérieur à
cette vie même. L'exposé de la synonymie de la vie a surtout une fonc-
tion critique par rapport à d'autres thèses sur le bonheur, qui ne par-
viennent pas à rendre compte de ce en quoi il est vie, et aboutissent
à des incohérences. Si le terme vie était synonyme, en tout cas, tous les
vivants auraient la même aptitude au bonheur, en tant que leur serait
présent quelque chose d'un et de même (hen ti kai tauton ). Conduit à
ce propos à parler ď « espèce de la vie » (eidos ds(phs)> Plotin précise :
« Je ne l'entends pas comme opposée dans la division par la raison,
mais au sens où nous disons un terme antérieur et l'autre postérieur. »
Le terme exclu par Plotin, antidièirèmenon , est défini par Aristote au
treizième chapitre des Catégories : il vise des espèces qui sont ensemble,
ou simultanées par nature, entre lesquelles il n'existe pas de subordi-
nation22. Dans sa traduction anglaise, A. H. Armstrong glose justement
le hèmeis par un « nous, platoniciens »23. Cela manifeste que les espèces
de la vie se disent selon un ordre diversifié qui va donner son contenu

22. Cf. trad. Tricot, Paris, 1969, p. 71 : « Par opposés l'un à l'autre dans la division,
j'entends les termes qui sont opposés selon la même division; par exemple, l'ailé est simul-
tané au pédestre et à l'aquatique. Ces termes sont opposés dans la division, quand ils pro-
viennent du même genre, car l'animal est divisé en des espèces comme l'ailé, le pédestre
et l'aquatique; aucune d'elles n'est antérieure ni postérieure. »
23. Oxford, 1976, p. 179 (t. I).

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U analogie selon P lotin 315

à ce qu'il appelle ensuite son homonym


se disent par dépendance, dérivation et p
première, parfaite et totale qui est la
l'intelligible lui-même. « Tous les viva
cipe, mais ils ne vivent pas d'égale faç
soit la vie première et la plus parfaite »,
là analogie d'attribution, et non point éq
l'homonymie de la vie (111,7, I]0- Wer
titre une ontologische Analogie , qui por
semblance24. Elle y prend également
mais l'essentiel demeure l'ordre de dér
mière. Deux affirmations très nettes, par
de l'équivocité est intenable : « Toute vie
même l'inférieure » ou la déficiente (I
qu'elle soit, ne cesse pas d'être vie » (V
sance de l'être à l'autre, la vie, même s
ne s'arrache jamais à cette communaut
L'analogie et l'ordre de la vie corr
diverses puissances de la pensée. Les V
pourraient servir d'épigraphe à bien d
est une pensée (pasa d%oe noesis tis ),
l'autre, de la même façon que la vie (...) L
la seconde vie pensée seconde, la dern
8, 8). Et Plotin fait remarquer que si l'
vie, mais non pas dans la pensée, c'est qu
l'être de la vie, et son identité avec la pe
noesis , et même une phutikè noesis y ma
et la conséquence de la pensée analogi
convertit et se retourne vers la puissa
contempler. En se déployant et en se m
mais jamais ne s'enténèbre. Elle est co
vie, cesse aussi l'être proprement dit. Le
parcourir, dans un sens comme dans l'au
de la vie, depuis la vie première qu'est le
Image et ressemblance (indalma hai homo
de l'âme se multiplie (V, 3, 8-9). Médi
« amphibie », elle mène une double vie
(IV, 8, 4). Tournée vers l'intelligible, e
qu'il peut recevoir d'activité : « L'âme
choses, et celles d'en haut et celles d'en
vie » (III, 4, 3). Que cette vie soit doub
cité, que ce soit le même être qui ait pou

24. Plotin, Über Ewigkeit und Zeit , Frankfurt, 196

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3 1 6 Jean-Louis Chrétien

mener, portant le déploiement de la v


le refus de l'équivocité.
Tout comme lorsqu'il s'agit de la bea
princeps se pose. La première vie et
nous lui-même, où il n'est rien qui ne v
de cette vie première que tous les autr
qu'ils peuvent en recevoir ou dont ils
jamais toute ressemblance avec le m
expressément que l'Un est au-dessu
III, 9, 9; V, 3, 1 6...). Donner la vie n'e
L'Un la donne sans l'avoir ni l'être. E
ne donne pas la sienne propre, mais fa
et moins parfaite. Certes, comme pou
d'user de formules ambiguës, et d'é
Ainsi, comme Heidegger fera une cr
Yhoion d%oe de l'Un, ainsi que de son hoio
(VI, 8, 7). Si analogie il y a ici, c'est
impropre, seulement métaphorique o
est d'attribution intrinsèque et s'arrêt
l'analogie de la vie est solidaire de la
se convertir : elle n'inclut pas l'Un.
décisive, dit en effet : « De tout cela i
en un autre sens il n'est pas principe (
revient toujours au fondement. Ell
dérobe à tout rapport de fondation.
l'analogie, ce qui ne signifie pas que
même la faille au-delà de laquelle nous
ohne Warum .
L'excès ou le surcroît de l'Un vis-à-vis de l'être n'a rien d'un sup-
plément : il ne peut se dire ou se traduire par un manque ou un défaut
dans ce qui se différencie de lui. En étant au-delà de l'essence, l'Un
est aussi au-delà de l'autosuffisance, èpêkeina autarkeias (V, 3, 17). L'au-
tarcie caractérise la vie plénière, parfaite et accomplie de l'esprit, à
laquelle rien ne manque et à laquelle rien ne saurait s'ajouter. Lors-
qu'il arrive à Plotin de dire que l'Un se suffit à lui-même, il faut le
comprendre de façon uniquement négative : il n'a pas besoin d'autre
chose. Mais il n'a pas non plus besoin de soi, et c'est ce qui le distingue
du nous : ce qui est second « se suffit à soi-même, mais a besoin de soi-
même » (V, 3, 13). Toute plénitude est en peine de soi, c'est pourquoi
rien ne lui fait défaut quand elle se détient elle-même. La pensée de la
pensée, la pensée de soi manifeste pour Plotin un être en peine ou en

25. De telles expressions devraient inquiéter la présentation scolaire des « trois hypo-
stases » de Plotin. En quel sens l'Un peut-il faire nombre avec les êtres ? En quel sens est-il
« le premier » ? En quel sens peut-on dire : un, deux, trois ? Cf. VI, 8, 10 et 11.

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U analogie selon P lotin 317

quête de soi, qui ne peut surgir que l


nous manque. Le Bien ne se tourne pas
de la vie parfaite, premier terme de
De part en part la vie ne cesse de se tr
l'intelligible, où chaque être se fait le
fois unique et totale. « Toutes choses l
est ciel, et la mer, et les animaux, les pl
« chacun a tout en lui, et voit tout dans
est tous les astres, et chaque astre est le
La pensée plotinienne du feu est un exem
du sensible, et de son chiasme fondam
rang d'idée, mais l'idéal est déjà savour
7, 12). Les splendeurs que le mythe fi
la terre supérieure, avec son blanc plus b
parfaitement pures, sont par Plotin rigo
et vivent de la vie de l'intelligible. Le ch
d'attribution, est plus décisif que l'an
Plotin utilise parfois à ce propos (VI,
dans les rapports de l'intelligible et d
rapports dont les termes mêmes ne co
Cette vie unique et diversifiée de l'in
se pénètre, constitue la source et le m
monde sensible lui-même, Yanalogia so
tout conspire et soit sympathique, se
physique stoïcienne, fonde l'analogie
dans les Ennéades , le terme analogia se
d'un traité sur la providence, où la quest
nation est abordée. Pour Plotin, la div
de sémiologie, et non d'étiologie. Que les
les événements n'implique point qu'ils en
écrit Plotin, « n'est pas égale comme selo
un autre lieu, selon l'analogie » (III, 3
d'un unique vivant, dont l'unité n'emp
sa fonction et son acte propres, plus o
« syntaxe » organique. L'analogie de la
sera ailleurs symphonique ou harmoni
même, car « de tous les sons et de tou
pour ainsi dire une seule voix de l'être v
façon de vivre » (mia tou d%ôiou hoion p
L'unité d'un vivant est unisson, qu'en
rares philosophes. Que la vie joue imp
et musicale (III, 2, 17). La dispensation
logie suit l'ordre et la hiérarchie des
tous le même bien, mais le reçoivent à p
cependant cet ordre est comparable à

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3 18 Jean-Louis Chrétien

vivant. L'analogie de proportionnal


bution.
Si la providence s'étend à tout de c
sensible ne peut s'isoler ni se retranc
possible, comme le montre le chap
logie sémiologique, par laquelle les
des autres, renvoie à une analogie
est telle que ce que le pire est au pir
exemple, ce que l'œil est à l'œil, l
autre chose, et, si l'on veut, ce que l
à l'injustice » (III, 3, 6). Mais cette
pense selon le vivant (cf. II, 3, 5-6
de la vie, meilleures ou pires, plus
en définitive à l'analogie d'attribu
du tout sensible (TV, 4, 32 et 35) f
mais cette sumpatheia elle-même est
ligible, et n'est possible que par l'ana
à l'intelligible26.
L'analogie du beau et l'analogie d
comme analogie de l'être. L'analog
nier, à la vie première et plénière,
Mais l'être comme origine est lui-m
propre plénitude. Cet être donné à
les autres dons et le foyer d'une com
et de l'acte se déployant analogiquem
rien, n'ayant rien, ce donateur ne
se donner à soi en se tournant ver
L'absence de commune mesure en
qu'on a et le don de ce qu'on n'est
à l'autre, interdit de faire entrer l'U
La voie de l'analogie s'achève à la fail
de l'origine de l'être. C'est là qu'il
(cf. V, 3, 17; V, 5,4...). Le prix de
aucune voie ne s'ouvre, où aucune
tout ce qui nous recouvrait, il s'ag
de soi - pour tomber dans la haut

Jean-Louis Chr

26. Cf. P. Vincenzo Cilento, Saggi su Plotino,


Note sur la signification de la notion ďimage che
1983, p. 4 sq.
27. Ces pages sont la version abregee d une
tiers, en février 1987, sur l'invitation de MM
de leur accueil.

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