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A nalyse de pratique enseignante


en FLE/S

M ém ento pour une ergonom ie didactique en FLE


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© L’Harmattan, 2007
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan 1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-03465-5
EAN : 9782296034655
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M arion P esch eu x

A nalyse de pratique enseignante


en FLE/S

M ém ento pour une ergonom ie didactique en FLE

L’Harmattan
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ACTION ET SAVOIR - Série CLES


Dirigée par Jean-Marie Barbier.

ACTION ET SAVOIR - Série CLES est une collection d’outils de


recherche s’adressant à des professionnels et à des chercheurs
intéressés par la théorisation de l’action dans différents champs de
pratiques, et par les rapports entre construction des activités et
construction des sujets.

Déjà paru

Bernard HILLAU, Un lexique raisonné de la compétence.


Fragments de praxéologie, 2006.
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SOMMAIRE

Introduction 11

PARTIE 1 : ANALYSE DE PRATIQUE 17

Préambule : La « pratique » 21

Chapitre 1 :
L’analyse de pratique et les théories de l’apprentissage
et du développement. Aperçus enneurobiologie 29
Piaget et l'abstraction réfléchissante 30
Ochanine et l'image opérative 32
Vergnaud et l’invariant opératoire 33
Vygostki et la médiation 35
Bruner et l’étayage 36
Flavell et la métacognition 38
Aperçus en neurobiologie : la conscience et le soi autobiographique 42
En résumé 44

Chapitre 2 : L’analyse de pratique en Sciences Humaines 47


Ricœur et le récit 47
L’analyse de pratique et les Sciences Sociales 51
Analyse de pratique et Sciences du Langage 60
L’analyse de pratique dans les analyses du travail
(ergonomie, psychologie du travail, didactique professionnelle) 68

Chapitre 3 : L’analyse de pratique en Formation d’Adultes 77


Définitions 77
Effets attendus 80

Chapitre 4 : L’analyse de pratique en Formation d’Enseignant de FLE 89


L ’analyse de pratique fait-elle partie de la didactique ? 90
L’analyse de pratique et les débats fondateurs de la didactique du FLE 95
Le programme « didactologique » et
La place de l’analyse de pratique enseignante en FLE 104
Dispositifs d’observation 123
Finalité et destinataire de l’analyse de pratique 124
Lien entre analyse de pratique enseignant et
analyse de pratique apprenant 126
8

PARTIE 2 : UNE DEMARCHE D’ANALYSE DE PRATIQUE 129

Préambule : « Les outils » 129

Chapitre 5 : L’analyse de pratique, de la règle à la régularité 131


La programmation, outil de la conceptualisation enseignante 131
Programmation et analyse de pratique, de la règle à la régularité 135
Quelques rappels 137

Chapitre 6 : La démarche 141


Phase pré-activc : programmations didactique et méthodologique
Programmation didactique
Etape 1. Type d ’institution 144
Etape 2. Type de public 145
Etape 3. Langue maternelle : langues et interlangue 147
Etape 4, Support matériel de la tâche 156
Etape 5. Type de tâche (oral, écrit...) 158
Etape 6. Connaissances délivrées 161
Etape 7. Compétences mobilisées par la tâche 162
Etape 8. Finalités et objectifs de la tâche 166
Etape 9. Prérequis de l’apprenant pour la tâche 172

Programmation méthodologique
Etape 10. Consignes et actes de l’enseignant 173
Etape 11. Déroulement de la tâche pour l’apprenant 196
Etape 12. Matériel et installation à prévoir 204

Phase interactive : réalisation d’un cours (Étape 13) 204

Phase post-active après l’expérimentation


Etape 14. Public réel et comparaison 205
Etape 15. Consignes et actes de l’enseignant 206
Étape 16. Déroulement réel de la tâche pour l’apprenant 225
Étape 17. Atteinte des objectifs 233
Étape 18. Synthèse finale 234

Conclusion 237

Bibliographie 241
Remerciements 249
Index thématique 251
Index des auteurs 253
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« Voici brièvement mes difficultés :


je n’ai jamais vu les élèves, je sais juste qu’ils vont être nombreux -
Je n’ai aucune idée de leur niveau -
J’ai juste à ma disposition dans mes affaires une carte routière de la
France, des photographies et des cartes postales,
je n’ai pas encore le manuel car je viens d’arriver : je ne connais ni son
contenu, ni le numéro de l’Unité que les élèves sont en train de
travailler avec leur professeur, donc aucune préparation didactique et
méthodologique.
A cela, ajoutons trois professeurs venant s’installer dans la salle, pour
assister à ma prestation, parmi lesquels le professeur de « french » qui
forme au 0-level. »
Coralie A .
Mémoire de Maîtrise FLE, 1999
« L ’enseignement du « french » au Cameroun :
l’expression dans les grands groupes »

« Le passage de l’enseignante novice vers l’enseignante « experte » se


finalise dans le cadre de ce mémoire par une réflexion sur le savoir
d’action. Ce savoir de la pratique effectuée que je portais en moi
depuis un bon moment a été très difficile à extraire et à verbaliser, ce
savoir a longtemps résisté à l’analyse...»
Tatiana S.
Mémoire de Maîtrise FLE, 2000
« Épistémologie du savoir enseignant :
utilisation des supports en classe de FLE »

J ’éprouvais un sentiment de fatigue et d ’effroi à sentir que tout ce temps si long


non seulement avait, sans une interruption, été vécu, pensé, sécrété par moi,
qu ’il était ma vie, qu ’il était moi-même, mais encore que j ’avais à toute minute
à le maintenir attaché à moi, q u ’il me supportait, moi, juché à son sommet
vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer. La date à laquelle
j ’entendais le bruit de la sonnette du jardin de Combray, si distant et pourtant
intérieur, était un point de repère dans cette dimension énorme que je ne me
savais pas avoir.
Marcel Proust
Le temps retrouvé
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INTRODUCTION

Ce livre s’adresse avant tout à des étudiants se formant à l’enseignement


du Français Langue Étrangère ou Seconde. Il vise à fournir des outils de
formalisation des savoirs de l’enseignant en FLE sur ses pratiques, et la
démarche d'analyse de pratique est le moyen que l’on se propose de détailler
dans ces pages.
Les thèmes qui se rencontrent dans ces lignes sont, entre autres, au
carrefour de la didactique du FLE et de la formation d’enseignant, et leur origine
peut expliquer ce croisement. A l’origine des préoccupations et des outils qui
sont exposés par la suite se trouvent, d’une part, un parcours professionnel
d ’enseignant et de formateur, d’autre part, un goût personnel pour la recherche
d ’un temps «retrouvé», le temps de l’acte, ou plutôt, des actes, qu’en tant
qu’enseignant on effectue mais que l’on croit oublier - que l’on oublie tout en
étant attaché aux expériences de rencontre avec des élèves ou des étudiants,
enfants ou adultes, et dont on aimerait plus souvent comprendre les tenants et
aboutissants. Plus encore, selon moi, le temps « retrouvé » trouve une saveur
particulière dans le discours qui le construit. Je dis bien : « construit » et non :
« reconstruit », parce que je crois que sans cette mise en mot, il n ’y aurait pas de
vraies retrouvailles, et que l’élaboration discursive construit le monde de
l’expérience autobiographique, en sémantique et en pragmatique.
De la formation d’adultes en entreprise à la formation linguistique et
cognitive de primo-arrivants, le point commun a été pour l’auteur de ces lignes
la recherche de la compréhension des mécanismes d’enseignement/
apprentissage par l’étude des productions linguistiques. Cette appellation -
enseignement/apprentissage -, bien que fourre-tout, présente cependant
beaucoup d’avantages : elle rend compte de l’interaction entre les deux parties -
au moins - dans une salle de cours. Elle rend compte aussi de la difficulté à
retrouver sinon le temps, du moins un temps de l’activité enseignante dans une
masse d’impressions et de faits, temps à décrire ou revivre pour comprendre et
progresser. Comme, dans ce parcours professionnel, le constat que la
verbalisation des expériences occupait la place centrale, produisant le matériau
premier à partir duquel l’analyse pouvait s’engrener, l’étude de la langue et
l’enseignement en Sciences du Langage m ’ont conduite à rencontrer alors - je
devrais plutôt dire retrouver - l’enseignement des langues, déjà expérimenté
avec un public étranger, La rencontre avec des enseignants de FLE, novices ou
expérimentés dans le cadre des Maîtrises puis des Masters de FLE, a été par la
suite l’occasion de mettre en œuvre, pour leur professionnalisation, les
pratiques, les démarches et les outils d’analyse que j ’avais éprouvés en
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formation d’adulte. Le fait de dire sa pratique est donc le point central de cette
démarche.
Ce livre est né de l’envie de faire se rencontrer, dans le champ de
l’enseignement de la langue, deux domaines pour moi familiers mais qui me
semblaient peu en contact : celui de la recherche en didactique du FLE et celui
de la recherche en formation des adultes, spécialement à propos de cet objet
« étrange » qu’est le savoir du praticien sur sa pratique. Autant la didactique du
FLE avait, me semble-t-il, réussi à délimiter en moins de trente ans, à force de
débats internes et externes, son champ de réflexion et ses finalités, ses arrières-
plans théoriques et le statut des concepts utilisés, autant me semble-t-il, ses
outils de recherche sur son objet, l ’acte d ’enseignement du français comme
langue étrangère, avaient encore intérêt à emprunter à d ’autres disciplines déjà
pourvues, telles que la sociologie, la psychologie du travail et l’ergonomie,
toutes disciplines ayant elles mêmes fourni la formation des adultes. En outre,
s’agissant de l ’enseignement d ’une langue étrangère, la question du recueil
d ’observables ou d’expériences didactiques comme indicateurs tant de
l’enseignement que du processus d’apprentissage d’une langue renvoie aux
relations qu’entretient la didactique du FLE avec la recherche en acquisition des
langues. Ces deux disciplines ont en commun le besoin de recueillir des
observables et de l’expérience didactique : « L’accès aux deux types de données
(observables et expérience) passe par des voies différentes. Les observables
supposent des recueils par prélèvements d’échantillons dans divers contextes
naturels ou expérimentaux, grâce notamment à des enregistrements suivis de
transcriptions pour l’oral et à des collections de documents scripturaux pour
l’écrit.
L’expérience transparaît à travers les multiples discours des divers
protagonistes de la pratique didactique : récits, descriptions, théorisations
ponctuelles ou globales, explications, polémiques, ainsi que par l’observation
extérieure des fonctionnements didactiques. » (Py, 2000 : 399). Ces multiples
discours se prêtent en fait à deux types d’études : d’une part, l’étude des
conditions de leur production et de leur signification dans la relation
pédagogique, pour la formation des enseignants de langue - et c’est ce qui
occupe maintenant cet ouvrage -, d’autre part, l ’étude des productions
linguistiques qu’ils fournissent - énoncés, expressions, lexèmes -, qui font
l’objet d’autres recherches, dont on ne parlera pas ici. Dans ce dernier cas, les
productions linguistiques sont des objets d’étude pour la théorie linguistique,
dans le premier cas, ce sont des matériaux pour la compréhension de la
communication didactique en FLE. Une brève digression est alors utile pour
exposer le positionnement adopté dans les réflexions qui vont suivre.
Deux préoccupations animent ma démarche : une préoccupation pour la
description de la langue, ou plus précisément pour la théorie linguistique,
notamment au travers des théories sémantiques linguistiques, et une
préoccupation pour l’ergonomie de la didactique de la langue. C ’est bien
entendu de cette dernière qu’il sera question dans ces lignes, mais pour autant, il
ne me paraît pas possible d’analyser sa pratique enseignante en FLE sans

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disposer d’un cadre théorique linguistique sur lequel s’appuyer. Tl me paraît


indispensable d’orienter l’enseignant en formation qui lirait cet ouvrage vers
l’approfondissement de son cadre théorique de référence en matière de
description de la langue, ne serait-ce que pour disposer d’une structure
conceptuelle pour « lire » les interlangues de ses apprenants.
Pour moi, théorie linguistique et ergonomie didactique sont les deux
cadres d ’une réflexion sur la langue en tant qu’objet d’enseignement, et si seul
le second est développé dans ce travail, il n’est cependant pas dissociable de
l’ancrage linguistique. En fait, la tentative d’ergonomie didactique qui s’expose
ici s’inscrit dans le cadre d’une « linguistique interrogée » (Besse, 1991 : 180),
c’est-à-dire un versant de la linguistique qui considère les problèmes que pose
spécifiquement la langue à la communication didactique qui la prend pour objet
et pour moyen. Si « interrogation de la langue » il y a, c’est donc un
questionnement de la théorie linguistique - ou corps d'hypothèses internes à la
langue - par l’ergonomie didactique - ou corps d’hypothèses externes à la langue
-, comme dans de nombreuses démarches scientifiques en Sciences Humaines.
Le recueil des actes enseignants ou recueil d’expérience est au centre
d ’enjeux de recherches institutionnelles, qu’elles soient en didactique du FLE ou
en acquisition des langues, mais aussi en formation et professionnalisation des
enseignants de langue. L ’analyse de pratique, qui est un des outils de ce recueil,
est aussi un outil d’autoformation pour l’enseignant de langue, et ainsi, la
rencontre entre des enjeux d’ordre collectif et des enjeux individuels justifiait
l’entreprise qui consistait à proposer un mémento d’analyse de pratique à
l’enseignant de FLE. Un mot au passage sur la notion de mémento. Selon les
dictionnaires, il s’agit d’une part d’un ouvrage où sont résumées les parties
essentielles d’une question ou d’une science (Lexis Larousse), ce qui laisserait
supposer que ce qui suit est constitué de données “objectives” sur le sujet, ou à
tout le moins intersubjectivement partagées par la communauté de la didactique
du FLE ; comme l’approche constructiviste et cognitive de la formation
imprègne les propos qui composent cet ouvrage, ce qui constitue indéniablement
un biais personnel, qui sera justifié et argumenté, on peut difficilement
considérer que l’ouvrage mérite le terme de memento dans cette acception, sauf
si Vessentiel réfère aux choix subjectifs de l’auteur. D’autre part, un memento
est une note destinée à rappeler le souvenir d’une chose passée ou à faire, un
aide-mémoire, et dans ce cas, la sélectivité de la mémoire dont l’aide est
proposée ici est tout à fait justifiée : il s’agit bien de mes choix en matière de
guidage des étudiants-enseignants de FLE, autrement dit d’un parcours
« fléché » pour la réflexion sur la pratique.
Quant au public auquel s’adresse le livre, j ’ai déjà dit qu’il s’agissait
d’enseignants en formation mais il faut encore préciser que selon leurs goûts, ils
peuvent souhaiter comprendre les arrières-plans théoriques et disciplinaires qui
sous-tendent la démarche d’analyse de pratique, et dans ce cas, ils se limiteront à
la première partie de l’ouvrage, ou ils peuvent souhaiter disposer de fiches,
grilles, tableaux, aide-mémoire, bref, d’outils afin d’organiser la recherche de
leur temps « perdu » - au sens de Proust ! -, et dans ce cas, ils peuvent se

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focaliser sur la seconde partie du livre. Pour l’enseignant non natif, mes prises
de positions en faveur d’un enseignement ergonomique qui laisse le champ à
l’expression et à la prise en compte d’activités cognitives et de concep­
tualisation de la part de l’apprenant peut paraître quelque peu imprégnée de la
culture pédagogique occidentale des cinquante dernières années. Il n’est pas
dans mes intentions de faire adopter aux enseignants des comportements
contraires aux pratiques éducatives de leur pays d’origine, mais plutôt d’éclairer
des ouvertures possibles pour l’enseignant : prendre le temps de connaître les
modes de fonctionnement de ses apprenants peut à terme gagner du temps, et il
ne me paraît pas incompatible avec la tenue d’un programme traditionnel ; de
même pour avoir guidé des classes de soutien en FLS, le temps passé à réfléchir
avec les apprenants sur leurs propres productions et à en tirer des enseignements
m’a toujours paru profitable à terme.
L’ouvrage est divisé en deux parties, la première constituant la justification
théorique de l’analyse de pratique par la présentation de quelques référents
théoriques, la seconde s’efforçant de fournir une démarche de réflexion structurée et
itérative des différentes étapes d’une analyse de pratique attachée à un cours de
FLE : il s’agit bien ici non pas de décrire l’ingénierie de formation que constituerait
la mise en place d’une démarche complète d’analyse de pratique, mais d’inventorier
les questions que pourrait se poser un enseignant qui prépare puis analyse un de ses
cours, par exemple sur une heure, ou au plus, sur deux séances d’une heure. Nous
visons donc ici la préparation didactique et méthodologique d’un cours et son retour
réflexif pour un enseignant de FLE.
La première partie définira tout d’abord les notions qui désignent les
objets de l’analyse de pratique : la pratique, l ’action, Y activité, Y habitus. Puis
on justifiera en psychologie cognitive l’approche constructiviste de
l’apprentissage qui a été la nôtre en abordant l’apprentissage des enseignants de
FLE à travers l’analyse de leurs pratiques. Les chapitres suivants proposeront en
Sciences Humaines en général, puis en formation des adultes, les questions et
les finalités et quelquefois les outils que les disciplines ont élaborés autour de
l’analyse de pratique. Enfin, seront abordées les questions du statut que pourrait
avoir l’analyse de pratique en didactique du FLE, notamment dans le cadre du
débat, malheureusement encore non dépassé entre applicationnisme et
implicationnisme.
La didactique du FLE a besoin des deux approches, et il apparaît que si
l’analyse de pratique est un outil privilégié de la démarche qui tire des
implications à partir de constats de terrain, il appartient au praticien réflexif d’en
tirer les connaissances nécessaires pour appliquer en retour la théorie
linguistique de façon fonctionnelle. C ’est à la lettre suivre une démarche mettant
en relation hypothèses externes - constats de terrain - et hypothèses internes -
théories linguistiques - au sujet de la langue comme objet d’enseignement.
La seconde partie propose tout d’abord de considérer les outils présentés,
par la suite, comme des jalons dans un cheminement de réflexions préactives de
l’enseignant qui se fixe des règles préalables à son action, puis postactives,
c’est-à-dire qui, l’activité enseignante s’étant déroulée, cherche, au moyen de

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l’analyse, des régularités éventuelles survenues dans l’interactivité. Le long


chapitre 6 est alors l’inventaire de questions posées à l’enseignant dans sa
préparation didactique et méthodologique aux étapes 1 à 13 comme autant de
points de repère à revoir lors de son retour réflexif aux étapes 14 à 18. Ces 18
étapes ne sont pas détaillées de façon identique : les questions posées constituent
dans tous les cas une sorte de «manuel » de l’analyse de pratiques, et dans
certains cas, des « mémentos » au second sens du terme qui a été défini plus
haut : les questions renvoient à des thèmes débattus en didactique du FLE, et
qu’il ne semblait pas possible d’ignorer ; c’est pourquoi ces thèmes ont été
résumés et exposés surtout dans la perspective d ’orienter l’enseignant qui
analyse sa pratique vers plus de précision dans ses réflexions.
Un point est essentiel à souligner : de très nombreuses citations sont présentes
tout au long de l’ouvrage. Comme signalé plus haut, le sujet de ce livre est au
croisement de deux disciplines, la didactique du FLE et la formation des adultes. Le
sujet en lui-même - la démarche d’analyse de pratique - est un sujet largement traité
par les chercheurs en formation d’adultes et l’approche didactologique a connu
d’abondantes publications. Ce livre revendique seulement d’avoir tenté d’outiller la
formation des enseignants de FLE avec des moyens bien connus par ailleurs. Tl était
donc difficile de ne pas rendre hommage aux travaux déjà réalisés. En outre, ce livre
étant destiné à des enseignants en formation, il nous a paru utile, par cette
abondance de citations, d’orienter, voire de donner envie au lecteur, d’aller vers les
« bons auteurs » en lui donnant la possibilité de rencontrer quelques parcelles - mais
seulement quelques-unes -, des réflexions qu’ils ont apportées en la matière.

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P A R T IE I

ANALYSE DE PRATIQUE

Cette partie a pour objet Yactivité d’analyse de pratique, activité conçue


comme un outil de formation professionnelle, notamment des enseignants de
langue. Dans cette optique on donnera une définition provisoire du terme
« analyse de pratique » enseignante en FLE : celui-ci est une démarche de
l’enseignant de FLE qui prend pour objet d’étude sa pratique, c’est-à-dire des
activités d’enseignement qu’il a réalisées ; cette étude peut s’effectuer soit dans
le cadre d’une formation, par exemple à FUniversité en France, soit de façon
autonome, et mobilise des « outils » de réflexion, tels des questionnements ou
des grilles qui peuvent donner lieu soit à des échanges oraux avec un formateur,
soit à des « mémoires ». De nombreux autres secteurs économiques et sociaux
utilisent ainsi l’analyse de pratique pour développer les compétences de leurs
acteurs : industrie, services, enseignement et, ce faisant, constituent des terrains
d ’étude pour différentes disciplines qui analysent tant les dispositifs (i.e. les
moyens et outils mis en œuvre par l’analyse de pratique) que ses effets sur les
individus (i.e. les évolutions psychologiques et sociales) : sciences sociales,
recherche sur la formation des adultes, ergonomie, psychologie du travail,
didactique professionnelle, didactique des langues. Développer l’analyse de
pratique dans l’enseignement du FLE demande d’inscrire cette activité -
formative pour les enseignants - dans ce contexte global, afin de laisser toute
possibilité au lecteur, concerné par l’enseignement du FLE, d’approfondir et de
poursuivre les quelques pistes qui seront évoquées dans cette partie, pistes qui,
naturellement, ne sont pas exhaustives. Lorsque nous utilisons le mot « piste »,
nous signifions aussi bien les outils et résultats des recherches des disciplines
évoquées que leurs concepts théoriques : outils, résultats, concepts sont
susceptibles d’éclairer l’usage de l’analyse de pratique dans la formation des
enseignants de FLE. 11 sera donc nécessaire de définir préalablement ce que
recouvre le concept de «pratique», objet d’une analyse. Dans un préambule à
cette partie, nous verrons que ce concept désigne tout d’abord un objet fuyant :
l’activité humaine ; qu’il est sous tendu par une opposition séculaire et
fondamentale entre théorie et pratique; qu’il appelle d’autres concepts,
opérationnels dans la formation professionnelle, notamment le couple tâche-activité
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toute logique, nous aurions dû inclure la recherche en Formation des adultes


ainsi que la didactique du FLE dans le chapitre générique consacré à l ’analyse
de pratique dans les Sciences Humaines, chapitre 2, Nous avons préféré les
présenter séparément : considérant que l’analyse de pratique enseignante en FLE
comme un outil de formation d’enseignant de langue, il nous a paru nécessaire
de mettre en avant d’une part le fait que cette activité relève des dispositifs
appartenant à la Formation des Adultes, d’où le chapitre 3, « L ’analyse de
pratique et la recherche en formation des adultes » ; d’autre part, qu’elle se
rattache plus spécifiquement encore au champ de la didactique du FLE/S, d’où
le chapitre 4, « L ’analyse de pratique et la didactique du FLE », qui lui est
consacré. L’analyse de pratique est, à l’évidence, une activité de caractère
transdisciplinaire, ce qui à la fois constitue son intérêt : possibilité d’emprunts et
d ’enrichissement, et sa limite ; la pratique enseignante de langue (LE/LS)
comporte un contexte et une finalité spécifiques à l’enseignement d’une langue,
spécificité à laquelle toute activité d’analyse de pratique doit s’adapter ; c’est ce
que les grilles proposées en Partie II tenteront de prendre en compte.
Concernant l’analyse de pratique en Sciences Humaines, le chapitre 2
commencera à s’attacher à la notion de « récit», telle que Ricœur la présente,
pour signaler l’effet de la mise en mot de son vécu par un sujet. Cette notion est
ainsi souvent reprise par les disciplines évoquées ensuite. L ’analyse de pratique
est donc une activité de mise en forme, et de mise en récit, qui comporte les trois
dimensions de la « Mimesis » développées par Ricœur: «préfiguration»,
« configuration », « refiguration » de l’expérience du sujet. De même qu’il nous
paraît indispensable de considérer l’analyse de pratique comme susceptible
d ’effets au plan cognitif sur les représentations mentales des enseignants en FLE
notamment (cf. chapitre 1), de même, l’analyse de pratique nous paraît un
moyen pour l’enseignant de configurer/reconfïgurer, au sens que définit le
philosophe, son expérience et, partant, de se professionnaliser. En conséquence,
les paragraphes suivants présenteront la façon dont la sociologie, les Sciences du
Langage, les analyses du travail - ergonomie, psychologie du travail, didactique
professionnelle - envisagent l’analyse de pratique, et ce, à chaque fois, sous trois
aspects : la définition ou la description qu’elles donnent de l’analyse de pratique
dans leur champ ; le but poursuivi par la mise en œuvre de l’analyse de pratique
dans ce champ ; enfin, les outils mobilisés. Par la suite, le chapitre 3 portera, au
sein des Sciences Humaines, sur les descriptions, finalités et outils de l’analyse
de pratique dans le champ de la formation des adultes. Enfin, le chapitre 4
abordera la façon dont la Didactique du FLE traite de l’analyse de pratique.

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20
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PRÉAMBULE

LA « PRATIQUE »

Une « pratique » fuyante ?

Dans le domaine de la formation des adultes, Barbier constate que si l’on


interroge un groupe de professionnels sur la définition qu’ils donnent de la
notion de pratique, elle est définie tantôt comme la mise en œuvre d’une
intention, tantôt comme un algorithme d ’opérations à suivre pour obtenir un
résultat, tantôt comme une accoutumance : « la notion dans son usage courant
semble davantage privilégier des phénomènes d’accompagnement des pratiques
plutôt que ce qui ferait la spécificité des pratiques elles-mêmes. » (J.-M. Barbier,
1996b : 31; j ’ai souligné les mots qui seront repris). Ces définitions se font
l’écho des trois principales entrées du mot pratique (n. f.) dans le Trésor de la
Langue Française :
1- activité qui vise à appliquer une théorie : on retrouve ici la notion
d ’intention, évoquée par les professionnels cités par J.-M. Barbier ;
2- fait d'exercer une activité particulière, de mettre en oeuvre les règles, les
principes d'un art ou d'une technique ; fait de suivre une règle d'action, d'y
conformer sa conduite ; apparaît ici l’idée d ’un algorithme à suivre ;
3- manière habituelle d'agir, comportement habituel : l’accoutumance évoquée
plus haut.
Il se trouve que ces trois composantes font de la pratique un objet commun
aux disciplines qui seront étudiées aux chapitres 2, 3 et 4. Toujours est-il que ces
composantes ne décrivent pas ce en quoi consiste ou comment s'incarne la pratique,
mais d’une part, son au-delà (l’intention), d’autre part son cadre prescriptif
(l’algorithme à suivre), enfin une sorte à'évaluation (l’accoutumance) : on constate
que la « pratique » n’est pas au centre des définitions données puisque l’on définit
plutôt, empruntant l’expression à P. Vermersch les « satellites » de la pratique. La
« pratique », envisagée de façon globale, a des définitions qui la fuient, peut-être
parce que la réalité qu’elle recouvre est, on le verra en abordant les notions sous-
jacentes d'action et d'activité, elle-même fuyante.

Un couple d ’opposés : theorie/pratique

Ce qui est récurrent dans les définitions de différents dictionnaires (« vise à


appliquer une théorie ») et qui explique l’une des difficultés de l’analyse de la
pratique, est la tradition-nelle opposition théorie-pratique, leur « bipolarisation » :
- « à la théorie seraient associés les principaux attributs sociaux accordés au
langage et notamment au langage conceptualisé et écrit : stabilité, universalité,
22

dissociation possible par rapport aux situations et aux sujets sociaux, possibilité
d ’appropriation, de cumul et de transmission, etc. ;
- à la pratique seraient associés au contraire les attributs sociaux des activités de
transformation du monde : contingence, particularité, indissociabilité par rapport
aux situations et aux sujets sociaux, non-communicabilité » (Barbier, Galatanu,
2004:12).
Là réside l’un des obstacles ou l’une des résistances à l’Analyse de
pratique : en fonction de la posture d’étude que l’on se donne ou du point de vue
que l’on privilégie, on est conduit à négliger l’autre pôle ; non moins que le
« théoricien », le « praticien » hiérarchisera positivement la place qu’il occupe
lorsqu’il étudie les faits humains.
On notera qu’avec cet arrière-plan épistémologique, analyser une
pratique, et dans le cas précis, celle de l’enseignement du FLE, ne va pas de soi,
au seul plan des valeurs attachées traditionnellement et quasi spontanément aux
deux pôles théorie et pratique. En effet, D. Schön (1996) détaille les éléments
de l’opposition traditionnellement mis en avant : du côté de la théorie, se
trouveraient la rigueur, la rationalité, la simplicité, la certitude, la stabilité, la
généralité et, enfin, la théorie apporterait toujours des solutions. À l’autre bout,
la pratique oppose à la rigueur sa pertinence, à la rationalité la débrouillardise et
l’intuition, à la simplicité la complexité des situations singulières, à la certitude
l’incertitude, et apporterait, pour l’essentiel, des problèmes... Prenant le contre-
pied de cette vision traditionnelle des deux termes, Schön affirme que la
pratique professionnelle est à la fois un processus de résolution de problème et
un processus de construction de problème parce que, pour transformer une
situation problématique en un problème tout court, un praticien doit dégager le
sens d ’une situation qui semblait n’en avoir aucun. Or, ce en quoi consiste la
construction du problème ou la construction du sens du problème n ’est pas
technique, c’est, pour Schön, une précondition pour l’emploi de techniques.
Pour l ’auteur, il y a un « savoir caché dans l’agir professionnel », savoir que le
praticien doit précisément penser et reconstruire. Or, ce savoir « caché dans
l’agir » a pour propriété d’être incorporé aux gestes - Schön reprend ici l’idée de
Piaget selon laquelle l’action est un savoir autonome, qui sera présentée plus
loin - et de ne se révéler à la conscience que de façon fugace. En fait, il y aurait
deux temps de réflexion pour le praticien : un temps de réflexion en cours
d’action, pendant lequel cette réflexion se concentre de façon interactive sur les
résultats de l’action et l’action elle-même, et un temps de réflexion sur l’action,
suite à l’événement, questionnant la compréhension et l’efficacité de Faction.
C’est ainsi que, pour Schön, lorsque le praticien réfléchit sur l ’action, il devient
un chercheur dans un contexte de pratique.
C’est bien là ce que tente de proposer toute activité d’analyse de
pratique : transformer par exemple l’enseignant en chercheur de sa propre
pratique, parce que la réflexion fait partie de ses activités en tant que praticien.
Plus encore, pour l’auteur, c’est à partir de la pratique qu’il est possible d’édifier
«une théorie du cas particulier». Si l’on transpose sur le plan de la formation
des enseignants de langue, on constate que la demande faite le plus souvent aux

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mémoires de Master première année, suite à un stage, est précisément de partir


de pratiques de classes et, les analysant à posteriori, d’en dégager une
conceptualisation ou une théorisation, qui peut alors se confronter aux
théoriciens en didactique du FLE. L ’opposition théorie/pratique est, on le voit, à
la fois un frein en terme de valorisation sociale, mais aussi un moteur en terme
de démarche de formation. Mais la notion de pratique offre encore d’autres
aspects problématiques : elle se définit comme une activité humaine et, comme
telle, soulève bien des questions chez les chercheurs en psychologie cognitive
ou en ergonomie cognitive. On considérera que la pratique, conformément à sa
définition1, est une activité elle-même composée d’actions (Léontiev 1974 : 289) :
l’existence d’une distinction entre entité constituée - Yactivité et entité constitutive -
Yaction, nous amène à traiter successivement de leur analyse.

La pratique comme « activité »

Concernant tout d’abord Y activité, on rencontrera inévitablement un autre


couple de notions, sans opposition, mais à distinguer soigneusement. La
psychologie du travail, la psychologie ergonomique et d’une façon générale,
sous leur influence, toute discipline étudiant le travail humain s’accordent pour,
à la fois, distinguer et coupler activité et tâche, c’est-à-dire penser l’une par
rapport à l’autre. J. Leplat (1997 : 4-6) rappelle que la notion d’activité est
souvent associée à celle de tâche. Ainsi : « L’activité est celle d’un sujet (dit,
dans ce domaine, agent ou opérateur) qui a ses propres fins, qu’il poursuit en
même temps que celles assignées par la tâche. ». Plus précisément, « l’activité
dépend de l’agent (conditions internes) qui l’exécute et de la tâche (but(s),
conditions externes : techniques, organisationnelles, sociales, etc.) ». Pour le
psychologue du travail, il faut envisager de façon conjointe tâche et agent par
les caractéristiques de leur « couplage » : « les conséquences de l’activité
agissent rétroactivement sur elle en fonction de leur adéquation aux objectifs
poursuivis par l’agent, d’une part, et fixés par la tâche, d’autre part ». L ’idée
essentielle à retenir pour l’auteur est qu’il existe une réalité dynamique à trois
facettes, Y agent, la tâche, et Y activité, qui sont liées par des interactions
complexes : « l’activité dépend de l’agent et de la tâche, et plus précisément du
couplage de ceux-ci. Mais l’activité modifie aussi l’agent, la tâche et leurs
relations [...] trois composantes qui se codéterminent de manière dynamique ».
Ainsi, analyser la pratique enseignante implique la prise en compte de ces trois
composantes, avec la difficulté, inhérente aux Sciences Humaines, du repérage
des interactions spécifiques entre elles, agent, tâche, activité. Dans le cas de
l’enseignant de FLE/S, l’analyse de pratique peut s’attacher à relever non
seulement les interactions entre le but (ou objectif pédagogique), les conditions
externes (institution, matériel, public, etc.) - c’est-à-dire les composantes de la
tâche - et Yagent- enseignant qui influent sur Y activité, mais aussi ce que
Yactivité fait à Yagent au plan de ses connaissances et de ses représentations, et

1 « fait d ’exercer une activité particulière ».

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pour finir, ce qu’elle oblige à modifier dans la tâche, c’est-à-dire les buts, les
supports, les consignes, etc. Cette interdépendance entre l’activité propre à
l’agent et la tâche donnée par l’environnement est celle qui lie le caractère
prescriptif de la tâche et la réalité de l’activité. Pour Leplat (1997 : 18), la tâche
est communément définie comme « un but à atteindre dans des conditions
déterminées » et note que la tâche peut avoir plusieurs buts, éventuellement
conflictuels et que les buts peuvent être plus ou moins explicitement et
opérationnellement définis. Quant aux conditions, elles sont à entendre de
manière très générale comme tout ce qui contribue à moduler l’activité de
l’agent ou « qui est censé la moduler quand on ne peut le démontrer ! » Ces
conditions externes sont d’ordre physique, technique, organisationnel, social,
économique, etc. Cet ensemble de visées et de conditions externe à l’agent
fournit une sorte de cadre prescriptif pour l’activité, prescription dont s’écarte
nécessairement l’activité, inscrite dans la réalité. Or, analyser une pratique,
notamment la pratique enseignante et plus spécifiquement en FLE, renverra à la
question de la relation et de l’écart entre ce qui était planifié (entre autres dans
une préparation didactique ou méthodologique), autrement dit la tâche prescrite
(qu’elle l’ait été par l’institution, la méthode, le manuel ou encore par
l’enseignant lui-même par anticipation), et l'activité, avec les ajustements
réciproques entre apprenants et enseignant lors de l’interaction en classe de
langue. Autrement dit, la notion de pratique comme activité réelle oblige à
prendre en compte dans son analyse le rapport qu’elle entretient avec le prescrit,
c’est-à-dire la programmation prépédagogique. C ’est précisément ce à quoi
s’attacheront les outils qui seront présentés en deuxième partie de l’ouvrage.

La pratique comme « action »

Du côté de l ’action, comme composante de Y activité, un autre problème


cognitif s’offre à l’analyse. Pour Piaget (1974a : 275) « l’un des deux principaux
résultats de nos recherches [...] est de nous montrer que l’action à elle seule
constitue un savoir autonome », ce que P. Vermersch paraphrasera en soulignant
que l’action est, pour une bonne part, une connaissance autonome et contient par
construction une part de savoir-faire en acte, c’est-à-dire non conscient.
Autrement dit, toute action comporte une part implicite dans sa réalisation,
précisément pour celui qui l’effectue (Vermersch 1994 : 18). Cet implicite, dû à
l’autonomie de l’action vis-à-vis de la conscience, est une source de difficulté
pour l’analyse de pratique. De fait, l’expérience d’enseignant ou de formateur
montre la difficulté que présente pour un sujet le fait d’évoquer une situation
précise de travail, avec les actions effectuées à un instant donné : sans l’étayage
d ’observations complémentaires, ce n’est qu’avec une motivation affirmée et un
guidage approprié que la reconstitution de la scène originelle a des chances de se
produire. De même, l’enseignant de FLE qui, lors d’une formation, est amené à
échanger sur sa pratique, rencontre les mêmes difficultés d’évocation que
l’apprenant de FLE qui tente de conceptualiser le cheminement qu’il a suivi
dans une production orale ou écrite ; dans les deux cas, enseignant en formation

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et apprenant, l’effort que constitue la recherche en mémoire d’une action


réalisée est un indice de la difficulté d’accéder à cette connaissance autonome
qu’est devenue cette action même. Mais c’est aussi pour la même raison que
l’analyse de pratique, l’analyse de l’enchaînement des actions, dans une activité
humaine, et d’enseignement de langue en particulier, est possible et fertile : pour
Piaget Y action est «un pouvoir déjà considérable», où «pouvoir» est à
comprendre pratiquement dans son sens premier, puisque la chose qui est « en
puissance » n’est autre que la prise de conscience qui tire son origine de l’action.
En effet, souligne Piaget à propos de l’action-« savoir autonome », « s’il ne
s’agit que d’un ‘savoir-faire’ et non pas d’une connaissance consciente au sens
d ’une compréhension conceptualisée, il constitue néanmoins la source de cette
dernière, puisque la prise de conscience est presque sur tous les points en retard,
et souvent de façon très sensible, sur ce savoir initial qui est donc d’une
efficacité remarquable, bien que ne se connaissant pas lui-même » (Piaget
1974a: 275). L ’obstacle à l’analyse réside dans le fait que ce savoir ne se
connaît pas lui-même, mais l’intérêt de l’action est d’être la source d’une
« compréhension conceptualisée ». On rappellera en effet que, pour Piaget, dans
l’apprentissage, « réussir » à résoudre une situation problème et « comprendre »
comment on a réussi sont deux temps du processus cognitif qui peuvent être
décalés: ce n’est pas parce que j ’accomplis avec succès une action que je
comprends les raisons, les facteurs et les conditions de cette réussite. La
compréhension peut intervenir bien après que l’activité se soit déroulée, et, au
delà, la prise de conscience, c ’est-à-dire la conceptualisation de cette
compréhension - qui devient alors « compréhension conceptualisée » - peut
intervenir ultérieurement. Il se peut donc qu’une « compréhension
conceptualisée » puisse être travaillée sur la base de ce savoir-pouvoir autonome
qu’est Y action. Rien ne dit d’ailleurs que toute action ne donne pas lieu à une
conceptualisation spontanée. Ceci serait en théorie possible : pour Barbier
(1996c : 16), l’action est à la fois « une organisation d’activités singulière » pour
un acteur donné, c’est-à-dire un choix individuel d’agencement de son activité
par un sujet, une intervention sur un processus déjà en cours -une fois encore,
un choix délibéré, conscient ou non, de régulations du processus, et peut
s’accompagner de « fonctions de mise en représentation de ces actions ». Ces
fonctions de mise en représentation ne sont autres que des productions et des
transformations de représentations mentales qui surviennent chez ceux qui
s’engagent dans l’action. Elles ont pour objet l’activité elle-même et son
organisation, les sujets eux-mêmes et enfin, leur rapport à l’environnement.
Toutes ces représentations mentales sont un processus continu, avant, pendant et
après l’action. On pourrait donc concevoir qu’il y a, à travers ces
représentations, un processus de conceptualisation à l’œuvre, attaché à la
compréhension de faction. Pour résumer ce qui précède, la notion de pratique,
comprise comme une activité, présente à celui qui souhaite l’analyser, entre
autre, deux types de problème : en tant qu’activité réelle d’un sujet, elle est à
rapporter à une prescription dont elle s’écarte - et cet écart est à considérer
comme source de réflexion - ; en tant qu’enchaînement d’actions spécifiques,

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une pratique donnée est constituée de connaissances autonomes, à la fois


difficiles d’accès et source de connaissances conscientisables. Pour finir ce
parcours succinct de la notion, un élément de caractérisation fait encore défaut,
celui de l’inscription de la pratique dans un champ social donné et le fait qu’elle
procède d ’un habitus donné.

Pratique et Habitus

On définira alors avec Barbier (1996b: 31) une pratique «comme un


processus de transformation d’une réalité en une autre réalité, requérant
l’intervention d’un opérateur humain». Pour l’auteur, cette définition conduit,
pour spécifier une pratique, à une définition de son résultat, c’est-à-dire à
interroger le type de réel qu’elle transforme (« réalité mentale, matérielle,
composante identitaire, etc. ») et à interroger la nature de la transformation - i.e.
«plus-value, valeur ajoutée» qu’elle apporte. Ainsi, l’inscription dans un
champ social demande à l’étude d’une pratique, quelle qu’elle soit, de
s’intéresser aux participants à cette action, aux transfonnations que la pratique
peut apporter à tous les participants dans une telle interaction sociale. Dans le
cas d’une pratique d’enseignement du FLE, notamment, analyser la pratique
d ’un enseignant donné devrait demander de s’intéresser aux modifications, aux
effets que produit l’enseignement sur l’acquisition de la langue, et devrait
demander également à l’analysant, au professeur de questionner son habitus
d ’enseignant. On rappellera la définition que donne Bourdieu de Yhabitus
(Bourdieu in Leplat 1997: 144) : « système de dispositions durables et
transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme
structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et
organisateurs de pratique et de représentations qui peuvent être objectivement
adaptées à leurs buts sans supposer la visée consciente de fins et la maîtrise
expresse des opérations nécessaires pour les atteindre ». Ces structures sont
«collectivement orchestrées sans être le produit de l’organisation d’un chef
d ’orchestre ». Une des particularités de Yhabitus est son indépendance par
rapport au contexte d’une action donnée : « histoire incorporée, faite nature, et
par là oubliée en tant que telle, Yhabitus est la présence agissante de tout le
passé dont il est le produit : partant il est ce qui confère aux pratiques leur
indépendance relative par rapport aux déterminations extérieures du présent
immédiat ». La pratique est ce qui, par cette définition, est non questionné, car
son déroulement ne suppose pas la conscience des fins, structurée qu’elle est par
un tel principe générateur, collectif et historique. D’une certaine façon, on
retrouve là un autre aspect de l ’autonomie de l ’action, cette fois-ci sur le plan
des représentations sociales et non plus cognitives comme chez Piaget. Plus
précisément, comme tout champ social, le champ de l’enseignement exerce sur
ses acteurs « une pédagogie multiforme ayant pour effet de leur faire acquérir
les savoirs indispensables à une insertion correcte dans les rapports sociaux
constitutifs du champ considéré » (Accardo,1997 : 115), et en l’occurrence, sur
les enseignants eux-mêmes. Le contexte de cette « pédagogie multiforme » est

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constitué de leur propre expérience d’apprenants, des savoirs disciplinaires


qu’ils enseignent, des modèles pédagogiques qui les ont formés. Le produit de
cette pédagogie est l’habitus, qui génère la pratique d’enseignant. Cette
« inculcation » sociale, « consiste à faire naître chez un agent donné, dans des
conditions objectives données, une disposition générale et fondamentale à
reproduire un certain type de pratique chaque fois que l’agent se trouvera dans
des conditions objectives reproduisant les conditions sociales initiales » (id. :
16). C ’est cette reproduction de pratique que peut questionner l’analyse de
pratique enseignante : repérer des invariants dans des situations d’enseignement
données permet, en les réévaluant, soit de les reconduire, soit de les améliorer.
Par ailleurs, Yhabitus n’est pas une structure figée une fois pour toutes, et les
dispositions d’un praticien ont suffisamment de souplesse pour lui permettre
« une relative improvisation dans ses réponses en fonction des propriétés
singulières de la situation vécue» (id. : 120): on trouvera dans la pratique
enseignante un exemple-type d’activité requérant souplesse et improvisation en
contexte. Un des points qui nous intéressera ici est que ce « chef d’orchestre
invisible » qu’est Y habitus, cet ensemble de dispositions tend à la fois à persister
au-delà des conditions objectives dans lesquelles il s’est formé et à ne proposer
qu’un canevas d’actions. Cette double caractéristique laisse place à deux types
de maîtrise de la part de l’acteur qui possède un certain niveau de maîtrise de sa
pratique : une maîtrise pratique et une maîtrise symbolique. La première est
« une aptitude à adopter les stratégies conformes (à la logique du champ, à la
position occupée dans le système) sans le secours de la pensée réfléchie et
explicite. ». Ce type de maîtrise s’applique à « une foule innombrable de choses
que nous savons faire parce que nous avons appris à les faire, et au sujet
desquelles nous n’avons jamais eu à nous interroger. ». Il n’est pas possible en
effet de réfléchir au moindre de nos actes parce que l’attention requise pour ce
faire limiterait notre action et son efficacité. La maîtrise symbolique de la
pratique, pour sa part, s’origine dans une situation nouvelle et exige une réponse
dont le principe n’est pas déjà inscrit dans notre habitus ; l’obligation de quitter
le plan du vécu, c’est-à-dire la maîtrise pratique de la pratique, nous amène à
nous situer au plan du conçu, celui de la maîtrise symbolique de la pratique :
«maîtriser symboliquement la pratique, c’est devenir capable d’engendrer des
pratiques non spontanées qui obéissent à des règles explicites, à des
raisonnements formels. Ce sont les insuffisances, les lacunes, les échecs de la
maîtrise pratique de la pratique qui suscitent le passage à la maîtrise symbolique
et rationnalisée » (Accardo, 1997 : 164).
Analyser la pratique enseignante reviendrait à effectuer ce passage d’une
maîtrise pratique à une maîtrise symbolique de la pratique ; dans le cas de
l’enseignant du FLE, quitter le plan vécu d’une situation de classe donnée avec
un certain type de public, pour comprendre et concevoir de nouvelles
perspectives d’actions, et, pratiquement, de nouvelles actions enseignantes,
répondrait à une rationalisation - au sens où la raison y a sa part - voire une
professionnalisation de la pratique enseignante. Puisque la pratique est si
fuyante, si peu valorisée, si autonome, si peu réfléchie, quelles peuvent être les

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finalités qui conduisent un praticien ou un chercheur à l ’étudier malgré tout?


Au terme de ce rapide parcours de la notion de pratique, il semble que se posent
deux questions :

Pourquoi faire de l ’analyse en pratique en FLE ?

Comment faire de l’analyse de pratique en FLE ?

Quelques réponses viennent d’ores et déjà d’être suggérées : faire de


l’analyse de pratique vise à acquérir des savoirs, or, la pratique est non
seulement une source de savoir mais un savoir en lui-même ; la pratique est liée
à une identité cognitive et sociale qu’elle contribue à édifier, et son analyse peut
rendre consciente cette identité et la développer. Dans les chapitres 1 à 4, nous
allons tenter de préciser et approfondir les finalités que donnent à l’analyse de
pratique différentes disciplines en Sciences Humaines, dont la didactique du
FLE, et du même coup, nous allons parcourir quelques-uns des moyens ou des
concepts utilisés par ces disciplines pour analyser la pratique, c’est-à-dire en fait
tenter de répondre à la deuxième question «Comment faire de l’analyse de
pratique en FLE ? »

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CHAPITRE I

L ’ANALYSE DE PRATIQUE
ET LES THÉORIES DE L ’APPRENTISSAGE
ET DU DÉVELOPPEMENT,
APERÇUS EN NEUROBIOLOGIE

Ce chapitre a pour objet d’adosser l’analyse de pratique aux théories de


l’apprentissage et du développement issues de Piaget et Vygostki, et qui
irriguent non seulement les recherches et les applications en pédagogie, mais
aussi les recherches et applications en formation d’adultes, c’est-à-dire dans le
champ des Sciences Humaines. En effet, on peut considérer qu’analyser sa
pratique pour un enseignant fait partie d’un processus de formation continue,
c’est-à-dire qu’il accompagne ou suscite un certain type d’apprentissage,
spécifique au métier d’enseignant. Il ne sera pas question d’exposer en détail les
théories mentionnées qui sont, en principe, connues des enseignants, et en tout
cas, présentées dans nombre de formations d’enseignant ou de formateur, mais
de relever comment ces théories peuvent éclairer les points du processus
d ’apprentissage de l’enseignant en formation sur lesquels l’analyse de pratique
peut opérer : après tout, il n ’est pas interdit d’appliquer à des enseignants en
formation les notions piagetiennes et vygostkiennes communément déployées à
propos de leurs propres apprenants. Il sera donc ici question de composantes du
processus d’apprentissage - qu’il s’agisse de l ’abstraction réfléchissante chez
Piaget, de l ’image opérative d’Ochanine, du schème chez Vergnaud, de la
médiation chez Vygostki, de Y étayage chez Bruner, enfin de l’activité
métacognitive chez Flavell : le processus d’apprentissage dont nous nous
occupons ici étant celui de l’enseignant, devenu apprenant, dans une démarche
réflexive d’analyse de pratique. Les outils qui seront présentés en seconde partie
s’efforceront de prendre en compte, voire de rendre explicites ces concepts dans
l’activité d’analyse de pratique. En outre, il est important de mentionner ici les
réflexions contemporaines en neurobiologie, parce que les composantes du
processus d’apprentissage - abstraction réfléchie, image opérative - semblent
trouver leur substrat au niveau neurologique. Or, tous les psychologues
mentionnés dans ce chapitre considèrent comme possible une conscientisation,
plus ou moins précise, de tout ou partie de ces processus. Leurs théories sont
issues de recherches développées au cours des cinquante dernières années par
l’observation extérieure et l’expérimentation sur des comportements externes
des organismes étudiés. Or, les notions d’interaction entre un sujet et un objet
semblent aujourd’hui trouver une confirmation dans la mise en évidence de
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1’« inscription corporelle de l’esprit » - pour reprendre l’expression de Varcla et


al. (1993) - par les travaux d’équipes comme celle de A. Damasio aux États-
Unis, Ainsi, nous verrons que les «images » ou « représentations » qu’un
humain se fait de son environnement sont indissociables de la conscience qu’il a
d ’être le siège de ces « images ». C ’est bien de la conscience que traitent
aujourd’hui certains neurologues, et c’est de prise de conscience que nous
parlent les psychologues du développement depuis au moins un demi-siècle, au
travers d’une activité de verbalisation de l’action propre à un sujet.

PIAGET ET L’ABSTRACTION RÉFLÉCHISSANTE

Les travaux rapportés dans son ouvrage La Prise de conscience (Piaget


1974a : 9) concernent d’une part des enfants, afin « d’établir ce dont l’enfant est
conscient en ses propres actions et notamment ce qu’il remarque des régulations
dont elles témoignent » et d’autre part, « se place exclusivement au point de vue
des conduites, des actions matérielles aux opérations ». La réflexion présente
s’applique à des adultes, et non à des conduites d’enfants, et à leur verbalisation
à propos de leurs actions. Cependant, la description de la prise de conscience de
Piaget incite à porter notre attention sur ce processus cognitif qui va « de la
périphérie au centre », qui lie le sujet à l’objet.

Sujet et objet
Pour Piaget, « la connaissance procède à partir, non pas du sujet, ni de
l’objet, mais de l’interaction entre les deux » (Piaget 1974a : 263). Dans le cas
de l’action enseignante, et en admettant de façon réductrice que l’on puisse
considérer l’enseignant comme sujet et la situation de classe comme objet, la
connaissance que l’enseignant peut en avoir provient donc de son interaction
avec elle, elle ne vient ni de la seule connaissance qu’il a de lui-même, ni de
celle de ses étudiants seuls. La complexité est donc grande au regard de
l’ensemble des facteurs en jeu, et par conséquent des données, ou indices, à
prendre en compte dans une démarche réflexive.

Intériorisation et abstraction réfléchissante


Pour Piaget, si l’on se place du point de vue de l’action matérielle pour
passer à la pensée en tant qu’intériorisation des actes « la prise de conscience
procède de la périphérie au centre ». En effet, l’hypothèse est que « la prise de
conscience, partie de la périphérie (buts et résultats), s’oriente vers les régions
centrales de l’action lorsqu’elle cherche à atteindre le mécanisme interne de
celle-ci : reconnaissance des moyens employés, raisons de leur choix ou de leur
modification en cours de route, etc. ». Un des points notables pour Piaget est
que « la connaissance procède à partir non pas du sujet, ni de l’objet, mais de

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31

l’interaction entre les deux ». Ceci s’exprime par le schéma suivant, où P est
périphérique par rapport tant au sujet (S) qu’à l’objet (O).

À partir de P, la prise de conscience s’oriente vers les mécanismes


centraux C de l’action du sujet. De même, la prise de connaissance de l’objet
s’oriente vers les propriétés intrinsèques de cet objet : « ainsi par un va-et-vient
entre l’objet et l’action, la prise de conscience se rapproche par étapes du
mécanisme interne de l’acte et s’étend donc de la périphérie P au centre C. »
(J. Piaget, 1974a : 264). Cette représentation du processus d’acquisition de
connaissance par un sujet tendrait à orienter l’analyse de pratique de
l’enseignant, dès les premiers stades de l’analyse, vers la reconnaissance des
éléments constitutifs de la « périphérie » - but et résultat. Si l’on considère qu’il
s’agit d ’une interaction entre 1’« objet-classe » et le «sujet-enseignant», alors la
pose d'objectifs pédagogiques est fonction du public, et le résultat est le produit de
l’interaction entre la consigne et l’activité des apprenants et s’exprime sous forme
d'observables : productions écrites ou orales de l’enseignant et des apprenants. Au
cours de ce processus, le « réfléchissement » de l’action s’opère par abstractions
successives, par « paliers », que Piaget décrit en deux phases, dont la seconde
intéresse particulièrement l’analyse de pratique : l’abstraction empirique et
l’abstraction réfléchissante. L'abstraction empirique s’attache aux « observables sur
l’action en tant que processus matériel », mais dans le cas de Y abstraction
réfléchissante, Piaget estime qu’elle peut devenir consciente « notamment quand
le sujet compare deux démarches qu’il a effectuées et cherche ce qu’elles ont en
commun ». Dans ce cas, on parlera même d'abstraction réfléchie « ce participe
passé indiquant le résultat du processus «réfléchissant» (Piaget 1974a: 274).
La formation de cette abstraction réfléchie est un mécanisme consistant en
« opérations à la seconde puissance, donc en opérations nouvelles mais
effectuées sur les opérations antérieures », et « montre assez qu’il s’agit une fois
de plus d ’abstractions à partir du palier précédent, mais composées et enrichies
selon des combinaisons non réalisées jusque-là (ibid. : 278) ». L ’analyse de
pratique pourrait donc viser soit l’initiation d’un processus d’abstraction
réfléchie, soit sa verbalisation. Le processus d’acquisition de connaissances
trouve une autre description sous forme de représentation mentale, ou « image
opérative » chez Ochanine.

31
32

OCHANINE ET L ’IMAGE OPÉRATIVE

Pour Ochanine, qui a inspiré nombre de réflexions dans le domaine de


l’ergonomie et de la psychologie du travail, celui qui agit forme des « images »
pendant son action. L’image est définie comme « un certain complexe
informationnel rapporté à un objet. Il existe des possibilités de voir un même
objet de différentes manières », et l’auteur considère qu’il y a deux fonctions de
l’image : la fonction cognitive et la fonction opérative. Dans la fonction
cognitive « l’image sert de connaissance, elle nous permet de refléter le monde
tel qu’il est ». Puis, pour la seconde fonction, « il y a des images opératives qui,
elles, accomplissent une fonction régulatrice » qu’Ochanine décrit ainsi : « celui
qui agit ne reflète pas pendant l’action un objet dans toute la complexité de ses
propriétés, de ses attributions. Il actualise de son acquis informationnel les
seules informations qui sont pertinentes, qui correspondent à l’objectif de
l’action donnée (surtout pour un opérateur soumis à des contraintes de temps) »
(Ochanine, 1978 : 63). Par conséquent, les deux caractéristiques de cette image
sont d’une part d’être « laconique » : l’image ne contient que ce qui est
indispensable pour l’action et elle est simplifiée au maximum. D’autre part,
cette image opère une « déformation fonctionnelle » qui, pour l’auteur, consiste
dans le fait que ce qui l’emporte pour l’action, ce qui a une pertinence, « c’est ce
qu’on voit en grand, ce qui est plus saillant dans l’image - tandis que les autres
caractères de l’objet sont vus comme un fond sur lequel se dessine ce qui est
important. On a tendance à accentuer ce qui est important. [...] L’image est une
réplique déformée de l’objet ». Cette accentuation de Vimportant dans une tâche
par l’image opérative est utile dans les situations de travail qui demandent une
action rapide, et accordent peu de droit à l’erreur. Pour identifier cette « image
opérative », Ochanine et les chercheurs de l’Institut de psychologie de Moscou
ont, d’une part, mis au point des expérimentations qui permettent
d ’« examiner » l’image opérative de manière externe, soit par l’enregistrement
et l’analyse des conditions de l’action de l’opérateur humain, soit par des
« introspections parlées » à propos de celles-ci, c’est-à-dire les expressions
verbales des sujets. Tl semble que l ’on ait affaire ici au résultat d’un processus
de type abstraction, au sens de Piaget. Dans cette perspective, l’image opérative
présente donc un côté positif : la pertinence au regard d ’une action donnée, mais
aussi un côté négatif, la possible sclérose de l’image : « imaginez un opérateur
qui travaille ainsi pendant 20 ans, il a une image hautement opérative de l’objet,
il ne commet pas d’erreur, seulement hélas, cette image est sclérosée, c’est une
manière unique de voir les choses à l’exclusion de toutes les autres. Cette
incapacité de l’opérateur de penser le système dans toute sa complexité compte
tenu de la variabilité de l’environnement, de situations, une situation imprévue
peut survenir qui demande d’autres informations qu’il n’a pas ou qu’il n’arrive
pas à actualiser va entraîner des erreurs ou des échecs dans son comportement »
(Ochanine, 1978 : 69). Si alors on considère que 1’« objet » qui suscite 1’« image
opérative » est par exemple une séquence dans le cours de langue d’un
enseignant FLE, selon l’objectif et/ou l’intention de celui-ci, il n’actualise dans

32
33

cette situation que les seules informations pertinentes à son objectif. Si dès lors
on réalise une observation doublée d’une « introspection parlée », autrement dit
une des formes de l’analyse de pratique, sur la situation vécue, il est possible de
préciser l’image opérative ou l’ensemble de ces images opératives qu’il se
donne de la situation, c’est-à-dire la sélection et le type de « déformation
fonctionnelle » qu’il opère sur son action. Cette dernière peut être pertinente et
permettre une action efficace, mais, aussi elle peut être sclérosée. L’analyse de
pratique, si elle aboutit à la production d’information sur l’action vécue, peut
être le révélateur tant des savoirs faire efficaces que des savoirs faire sclérosés.
L’analyse de pratique ne se contente pas de révéler des composantes de l’action
du sujet, elle les livre à un jugement d’efficacité, à une médiation sociale. Cette
médiation sociale est jugée constitutive de toute analyse de pratique, tant par les
psychologues que par les didacticiens. Pour Vergnaud, disciple de Piaget,
faction s’accompagne de conceptualisation, et peut être réfléchie par la
présence d’un tiers.

VERGNAUD ET L’INVARIANT OPÉRATOIRE

Pour Vergnaud, ce que l’on trouve au fond de l’action, c’est la


conceptualisation :
« Au début n ’est pas le verbe, encore moins la théorie. Au début est
l ’action, ou mieux encore l’activité adaptative d ’un être dans son
environnement. C ’est par l ’action que commence la pensée : plus
exactement et plus complètement par l’action, la prise d’information sur
l’environnement, le contrôle des effets de l’action, et la révision
éventuelle de la conduite ».

Prolongeant la pensée de Piaget, son élève origine la pensée dans l’action


parce que rien ne serait possible sans la représentation, c’est-à-dire « la
formation en pensée d’objets, de propriétés, de relations, de transformations, de
circonstances, de conditions, de relations fonctionnelles de ces objets entre eux et
avec l’action. Pour tout dire, rien ne serait possible sans conceptualisation »
(Vergnaud, 1996 : 275). Mais cette conceptualisation, intrinsèque à toute action,
il peut être important de l’expliciter : « la conceptualisation sous-jacente à
l’action ne se suffit pas toujours à elle-même, elle est profondément transformée
lorsqu’elle est explicitée, débattue, et organisée en un système cohérent de
concepts, de principes et d’énoncés, c’est-à-dire lorsqu’elle prend une forme
théorique ». Cette conceptualisation est ce qui permet de régler une action en
fonction des caractéristiques particulières de la situation à laquelle on s’adresse,
à un moment donné. Et cette manière de régler notre action constitue ce que
Piaget a appelé un schème. Vergnaud définit le schème notamment par les trois
traits suivants qui le constituent :

• Le schème est « une totalité d yn a m iq u e fo n c tio n n e lle » c ’est-à-dire « une


unité identifiable de l’activité du sujet, qui correspond à un but identifiable » ;

33
34

• Le schème est « une organisation invariante de la conduite p o u r une classe


donnée de situations'». Ainsi, le schème concerne une classe de situations, et
celle-ci peut être identifiée et caractérisée, au moins partiellement. Le point
essentiel réside dans le fait que ce qui est invariant, c’est l’organisation de la
conduite, et non la conduite elle-même.

Un schème est formé de plusieurs catégories d’éléments, et notamment


des invariants opératoires (Vergnaud 1996: 283-285). Les invariants
opératoires consistent en des « concepts-en-acte » et des « théorèmes en acte »
qui permettent de sélectionner et interpréter l’information pertinente dans une
situation et de la traiter. Ainsi, « le schème qui s’adresse à une classe de
situations bien identifiées comporte tous les invariants opératoires nécessaires à
la reconnaissance des objets présents dans ces situations et des propriétés et
relations qui sont nécessaires à l’évocation des règles d’action pertinentes,
compte tenu du but ». D’une certaine façon, 1’« image opérative » d’Ochanine
possède des traits proches de l’invariant opératoire, tel que défini par Vergnaud :
reconnaissance d’objet présent dans des situations, reconnaissance des
propriétés et relation pertinentes nécessaires aux règles de conduite. On retrouve
une mise en représentation des objets liés aux actions, représentation limitée et
orientée autour de ce qui est pertinent pour l’action. Une fois encore, le point
important, pour l’analyse de pratique, est le fait que ce savoir est difficile à
expliciter et à communiquer : « l’ingénieur est à peine mieux en état d’en rendre
compte que l’ouvrier. La même idée s’applique à tous les professionnels
expérimentés : ils ne sont que faiblement en mesure de traduire en explications
claires leurs pratiques professionnelles ». Ceci est un fait constatable en
formation continue : les professionnels de toute origine arrivent difficilement à
préciser la variété des pratiques qu’ils maîtrisent et la façon dont ils les adaptent
aux conditions, nécessairement différentes, qui se présentent ; « ils sont
faiblement conscients des décisions et des jugements implicites sur lesquels
reposent leur action » (Vergnaud, 1996 : 284). L’exemple de l’entraînement des
sportifs de haut niveau mène l’auteur à souligner ainsi que l’apprentissage d’un
savoir faire efficace s’accompagne du regard des entraîneurs, des
enregistrements vidéo, des commentaires critiques, ainsi que des prises de
conscience après coup des sportifs. Analyser la pratique des professionnels
s’inscrit dans le prolongement des recherches de la psychologie cognitive,
animées par l’hypothèse qu’il faut mettre en scène et analyser les occasions de
cette adaptation qu’est l’acquisition de connaissance (Vergnaud, 1996 : 277).
Cette notion de mise en scène des occasions d’adaptation, dans le but de
comprendre le processus d’acquisition de connaissance pourrait recouvrir au
moins deux types de situations d’analyse de pratique. D’une part, une situation
d’analyse de pratique fondée et focalisée sur / ’écart entre une action planifiée,
préalablement «m ise en scène» - et ici, c ’est la préparation didactique et
pédagogique à laquelle on peut penser dans le cadre de formation d’enseignants
- et l’activité réalisée en vraie grandeur; la «m ise en scène», informée
préalablement par des retour de pratique précédentes, ayant pour fonction de

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formuler a priori les conditions de réalisation des interventions de l’enseignant


et les conditions favorisant l’enseignement du FLE. Une préparation didactique
et méthodologique peut être un ensemble de scénarios à tester, à partir de
l’anticipation des réactions et des difficultés potentielles des apprenants. D ’autre
part, une action « mise en scène », une simulation de cours par exemple dans le
cas de l’analyse de pratique enseignante, avec la réalisation in vitro d’un cours
pendant la formation de l’enseignant. Dans tous les cas de figure, on voit
apparaître ici un tiers dans l’action : jusqu’ici, il était question du praticien et de
son action en relation avec une situation donnée ; voici apparaître dans l’analyse
de pratique le rôle essentiel de la médiation sociale.

VYGOSTKI ET LA MÉDIATION

Comme Piaget, Vygostki traite du développement de l’enfant, mais il est


aussi possible de relever des pistes de réflexions portant sur le fonctionnement
psychologique de l’adulte. Certains propos de Vygostki lui-même pourrait y
inciter : à propos du développement des concepts chez l’enfant, il signale que
1’« on voit constamment l’adulte passer d’une pensée conceptuelle à une pensée
concrète [...] à une pensée de transition» (Vygostki, 1985: 191), pourtant
caractéristique des enfants. Bien plus, « les pseudo-concepts ne constituent pas
l’apanage exclusif de l’enfant. Dans la vie de tous les jours notre pensée opère
aussi très souvent par pseudo-concepts ». Or, le développement des concepts
passe par l’activité, cette activité étant liée pour Vygostki à la médiation sociale.

L’activité chez Vygostki


Pour le psychologue soviétique, l ’activité pratique humaine, que nous
avons tenté de définir en introduction, est conçue comme un lien entre le monde
externe et la conscience (Moro, Rodriguez, Schneuwly, dans Rivière, 1990 : 8) :
« pour Vygostki, l’activité n’était pas la réponse ou le réflexe seulement, mais
elle implique également une composante de transformation du milieu à l’aide
d ’instruments. Le concept d’activité était très étroitement lié à celui de
médiation. ».
Les auteurs qui présentent la pensée de Vygostki abordent ainsi la notion
de médiation : « l’emploi d’outils et de moyens représente, à la fois, le
développement d’un système de régulation de la conduite réflexe (tout en ne se
confondant pas avec elle) et l’unité essentielle de construction de la
conscience ». Pour les auteurs, les outils, les instruments sont nécessaires à la
construction de la conscience parce qu’ils permettent « la régulation de la
conduite elle-même et de la conduite des autres, au travers des signes, qui sont
les outils qui médiatisent la relation de l’homme avec les autres et avec soi-
même» (Rivière, 1990 : 70). Cette régulation de la conduite par les instruments
est une médiation, mais au moyen de signes dont ils sont porteurs, liés aux
pratiques sociales. Ainsi, l’activité considérée comme mobilisatrice

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d ’instrument, et ceux-ci étant eux-mêmes le support de signes partagés avec


d ’autres acteurs, la médiation apparaît avec les mots-signes qui accompagnent
l’activité.

Mots et concepts
Vygostki prend le langage comme un des moyens ou des instruments de
la communication sociale. « La communication, fondée sur la compréhension
rationnelle et sur la transmission intentionnelle de la pensée et des expériences
vécues, exige immanquablement un certain système de moyens, dont le
prototype était, est et restera toujours le langage humain, né du besoin de
communiquer dans le processus de travail » (Vygostki, 1985 : 38, 39). Dans ce
moyen qu’est le langage en tant que système, le mot représente une
généralisation cachée : « tout mot déjà généralise, et sous l’angle psychologique
la signification du mot est avant tout généralisation ». Or, cette généralisation
est, pour Vygostki, un acte verbal de la pensée, parce que la signification du mot
est un acte de généralisation qu’effectue la pensée. Le psychologue insiste sur le
fait que « la communication suppose nécessairement la généralisation et le
développement de la signification du mot ». À son tour, « la généralisation devient
possible avec le développement de la communication ». Quant au concept en lui-
même « sous l ’angle psychologique, le concept est à n’importe quel stade de son
développement un acte de généralisation ». Ainsi, pour Vygostki « les concepts, qui
se présentent psychologiquement comme des significations de mots, se
développent. L’essence de leur développement est avant tout le passage d’une
structure de généralisation à une autre. Toute signification de mot est une
généralisation quel que soit l’âge ». Ici, intervient un lien fondamental entre
concept et m ot: « le mot est presque toujours prêt lorsque le concept l’est»
(ibid. : 211,212), Si donc on considère que la communication est un facteur de
généralisation ou de développement de la signification des mots, si, en outre, le
concept est le produit d’un acte de généralisation préparant pour ainsi dire
l’apparition du mot, il devient alors intéressant de mettre en œuvre des
dispositifs de communication à partir de l’activité afin que cet instrument de
médiation sociale qu’est le langage favorise le processus de généralisation et de
conceptualisation. Ce dispositif de communication autour de l’activité qu’est
l’analyse de pratique demande aussi en outre un certain type d’accompagnement
vis-à-vis du praticien qui s’analyse, sous la forme d’un étayage.

BRUNER ET L’ ÉTAYAGE

Dans ses recherches sur le développement de l’enfant, qui inspireront de


nombreux courants pédagogiques ainsi que la fonnation des enseignants eux-
mêmes, Bruner s’attache à démontrer l’importance de l’interaction sociale mère-
enfant dans l’acquisition du langage. Pour Bruner, il y a un postulat fort selon
lequel « le langage est le prolongement de l’action en coopération,

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prolongement spécialisé et conventionnalisé » (Bruner 1983: 211). En


particulier, « le développement du langage chez les humains n’évolue pas
seulement dans le sens d’un affranchissement par rapport au contexte et à
l’action qui l’accompagne » : on retrouve ici l’idée vygostkienne de médiation-
affranchissement du contexte par la parole. En outre, pour Bruner, le
développement du langage aboutit aussi à une situation dans laquelle
l’utilisateur peut détourner son attention de son environnement immédiat pour la
faire porter sur ce qui est dit plutôt que sur ce qui se fait et se voit : « le langage
devient ainsi un instrument puissant parce qu’il appelle sélectivement l’attention
sur les traits de l’environnement représentés » (Bruner 1983 :71). Or, l’attention
étant « une routine d’extraction de caractéristiques », routine dans laquelle il y a
va-et-vient constant entre les caractéristiques sélectionnées de la situation et la
totalité des éléments de la situation en cause, l’interaction au moyen du langage
est doublement un moyen de détacher l ’attention de l’action elle-même :
premièrement par la présence d’un tiers, deuxièmement par l’emploi du langage
afin d ’accompagner l’action.
Concernant ce deuxième point et le rôle du langage, Bruner insiste sur
l’importance de cet outil « qui lui permet de prendre de la distance vis-à-vis de
ses actes, que ceux-ci soient linguistiques ou non ». Pour Bruner, c’est la forme
de la conscience qu’on appelle la « réflexion » depuis Platon. Le langage est
privilégié parce qu’il permet non seulement la prise de conscience, mais aussi la
communication et les relations sociales (Bruner 1983 : 287).
Concernant le premier point et la présence d’un tiers, ainsi que son rôle
dans l’analyse conjointe de l’action, Bruner rappelle un des sujets centraux de la
réflexion de Vygostki : la zone proximale de développement. Celle-ci est « la
distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à
travers la façon dont l’enfant résout les problèmes seul et le niveau de
développement potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont
l’enfant résout des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec
d ’autres enfants plus avancés» (Vygostki in Rivière, 1990: 94). Vygostki
précise que l’apprentissage humain présuppose « une nature sociale et un
processus par lequel les enfants grandissent dans la vie intellectuelle de ceux qui
les entourent » (in Bruner 1983 : 287). Pour Bruner, c’est précisément le double
aspect du langage, en tant qu’instrument à la fois de pensée et de
communication, qui rend possible les processus d’apprentissage assisté entre
enfants ou entre enfants et adultes (op. cit. ibicL). Or, le processus
d ’apprentissage assisté entre enfants et adultes est un processus de tutelle.
Cette tutelle est l’ensemble des moyens grâce auxquels un adulte ou un
« spécialiste » vient en aide à quelqu’un qui est moins adulte ou spécialiste que
lui : « c’est le type ordinaire de la situation de tutorat dans laquelle l’un des
membres ‘connaît la réponse’, et l’autre ne la connaît pas, qui ressemble plutôt
aux ‘travaux pratiques’ dans lesquels le moniteur seul « sait comment faire »
(Bruner, 1983 : 261). Cette situation de tutorat est celle que joue le formateur dans
la formation des enseignants et son « étayage » est constitutif du processus de
développement de l’enseignant-apprenant. Autrement dit, si l’auto formation fait

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partie des processus naturels de formation de l’enseignant, l ’appui du formateur


constitue un autre élément incontournable de ce dernier, d’une part dans l’optique
d ’une verbalisation des pratiques enseignantes - de ¡’analyse conjointe de l’action
qui permet d’objectiver celles-ci -, d’autre part, dans l’optique d’une prise de
conscience métacognitive de la part de l’enseignant qui se forme. En effet, que ce
soit chez Vygostki ou chez Bruner, il est question de généralisation au moyen du
langage, dans un processus d’apprentissage assisté. C’est ici définir la finalité de
l’analyse de pratique. Mais qu’en est-il de cette généralisation à partir de
l’activité ? Une des approches de ce procès cognitif de généralisation est
développée par Flavell.

FLAVELL ET LA MÉTACOGNITION

Les chercheurs Noël, Romainville et Wolff ont développé le modèle de


Flavell, père du concept de métacognition ; celui-ci la définit ainsi :

« La métacognition fait référence à la connaissance qu’on a de ses propres


processus cognitifs et de leurs produits, ou de ce qui est relié, par
exemple, les propriétés différentes des informations ou des données
pertinentes pour leur apprentissage. La métacognition se rapporte entre
autres choses, au contrôle actif à la régulation et à l’orchestration de ces
processus en fonction des objets cognitifs et des données sur lesquelles ils
portent, habituellement pour servir un objectif ou un but concret » (1976,
in N oël et al., 1995).

Avant de critiquer et préciser le concept, B. Noël et al. (1995) constatent


un engouement pour celui-ci, lié au développement des sciences cognitives, qui
visent à explorer la « boîte noire » qu’est le cerveau. Cet engouement est aussi
lié, selon eux, aux changements observés dans les pratiques éducatives et dans
les objectifs qu’elles poursuivent et notamment l’intérêt accordé aux pratiques
d ’autoévaluation. Nous évoquerons ces changements au plan éducatif, mais
d ’ores et déjà, on peut en dire qu’elles encouragent l ’apprenant à analyser les
processus cognitifs qu’il met en œuvre dans ses propres structures mentales et
les bénéfices qu’il en retire en termes de résultat cognitif (compréhension,
rétention,...). Ce processus «réfléchissant» est donc revendiqué comme outil
d ’éducation par les acteurs de ce champ. La métacognition comme
« connaissance que l’on a de ses propres processus cognitifs » n ’est autre qu’un
processus d’abstraction réfléchissante tel que défini par Piaget, mais qui prend
pour objet le fonctionnement mental lui-même et non le contenu des
connaissances. Si l’on transpose à l’apprentissage du FLE, dans la didactique de
l’écrit par exemple, en approche globale de la lecture, l’apprenant qui
s’interroge sur le contenu d’un texte exerce des opérations mentales sur un
contenu, extérieur à lui-même ; si, ensuite, l’enseignant propose un exercice de
conceptualisation portant sur le cheminement de l’apprenant-lecteur du texte
français dans ses opérations de compréhension, on parlera alors de

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métacognition, parce que l’opération mentale est effectuée sur les propres
opérations mentales de l’apprenant et non plus sur le contenu du texte lu.
Plus précisément, Noël e t al. proposent de classer les « opérations
métacognitives » produisant des connaissances, selon un modèle en trois axes,
reproduit intégralement ci-après pour son intérêt au regard des réflexions sur les
activités de c o n c e p tu a lis a tio n en FLE, qui sera abordée en Partie TI (Besse et
Porquier 1991; Besse 1992) :

Opérations métacognitives produisant des connaissances


(Noël et alii, 1995)

Les auteurs définissent trois axes qui seront illustrés à la fois par l’exemple de
l’activité apprenante et par celui de l’activité enseignante :

- Le m ode métacognitif : Y a p p ren a n t met à plat son fonctionnement cognitif,


le décrit, l’analyse ou le conceptualise sans y apporter son approbation ou sa
désapprobation (descriptif)- Il peut également évaluer, émettre un jugement
positif ou négatif (mode évaluatif)- Par exemple, en FLE, dans un exercice de
conceptualisation, l ’apprenant peut soit décrire les étapes qui Font mené à
produire telle phrase soit évaluer cette démarche. Du côté de l ’en seig n a n t de
FLE en formation, le mode métacognitif d e s c r ip tif est l’épisode de l’analyse
de pratique au cours duquel il narre son activité enseignante et le mode
évaluatif, les modalités évaluatives qu’il emploie et qui accompagnent cette
narration.

- U activité métacognitive : avec l ’exp licita tio n , l ’a p p re n a n t détaille des


éléments isolés de sa cognition. Par exemple en FLE, il peut énumérer les
étapes de la démarche pour produire une phrase. Du côté de l ’en seig n a n t en
formation, l’activité d’explicitation métacognitive prend place pendant une

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analyse de pratique lorsqu’il détaille les réflexions qu’il s ’est faites soit dans
la préparation didactique, soit pendant le cours ; lors de Y analyse, l ’a p p ren a n t
établit des relations entre plusieurs éléments de sa cognition, par exemple
l’étudiant de langue met en relation sa production, son résultat et une des
étapes de sa démarche utile pour l’atteinte du résultat. Du côté de l ’en seig n a n t
en formation, lors de l’analyse métacognitive, il met en relation entre elles les
réflexions explicitées précédemment : les hypothèses sur la production
attendue en classe, l ’exécution de la consigne et le constat qu’il fait à chaud
de l’exécution de la tâche par les apprenants ; enfin en c o n cep tu a lisa tio n ,
l ’a p p re n a n t abstrait de différentes situations analysées des règles générales
applicables à plusieurs contextes. En FLE, il relie différentes situations
d’écrit, les champs lexicaux rencontrés et les règles qu’il a appliquées pour
mobiliser ces champs lexicaux. Pour l’enseignant en formation, il s ’agit de
relier différentes situations, différents supports et différents publics pour
abstraire les « invariants » de son activité - pour reprendre la notion
développée par Vergnaud.

- L 'objet. L ’a p p ren a n t de langue peut d 'a b o r d réfléchir sur son propre


fonctionnement cognitif : un acte cognitif passé (comment a-t-il pris note au
cours précédent ?) en cours ou futur ; il peut également s ’interroger sur les
variables qui influencent son fonctionnement cognitif (la variété de ses façons
d’apprendre dans des contextes différentes, l’impact du fonctionnement
cognitif des autres étudiants de langue sur le sien.

L ’enseignant en formation réfléchit sur ses propres activités cognitives


dans la préparation du cours ou pendant le cours, sur les éléments de
l’environnement de son cours. Au sein du courant des méthodes pédagogiques
dit d ’« éducabilité cognitive», courant qui s’intéresse depuis les années 1940
aux processus d’acquisition de connaissance de façon privilégiée par rapport aux
connaissances elles-mêmes (Chartier et Lautrey, 1992 ; Delannoy et al., 1992 ;
Feuerstein R. et al. 1991 ; Gardou 1995, Loarer et al. 1995 : 1-16 ; Noël 1991 ;
Pinard 1992; Romainville 1993; Trocmé-Fabre, 1994), la plupart des
méthodes d’éducation cognitive soulignent l’importance des processus
métacognitifs. Les objectifs de ces méthodes sont de doter les sujets en
stratégies générales - métacognitives - qui doivent leur permettre de mieux gérer
leur activité cognitive afin de la rendre plus efficace. 11 s’agit de favoriser la
prise de conscience par le sujet de son activité mentale et, dans la mesure où la
prise de conscience conduit à une conceptualisation de l’activité mentale
(« c’est-à-dire à une connaissance non seulement explicitée mais aussi
relativement abstraite » Loarer et al., op. cit.), elle est un facteur susceptible de
faciliter le transfert des stratégies d’un domaine à l’autre. Ces méthodes suivent
en cela les réflexions de Piaget que nous avons évoquées, et estiment que la
prise de conscience conduit aussi à un contrôle volontaire de l’activité mentale :
« sous réserve suffisante des ressources attentionnelles le contrôle volontaire
peut permettre des activités plus soutenues et plus systématiques » (Loarer et al.
1995 : 9 ; 176, 177). Mais les auteurs ajoutent que ce contrôle consomme lui
aussi des ressources attentionné! les qui de ce fait, cessent d’être disponibles

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pour la résolution de tâches. Pour Delannoy et al. (1992 : 37) la prise de


conscience par celui qui apprend des mécanismes qu’il met en œuvre offre
quatre intérêts :
- elle lui permet de « récupérer » les stratégies gagnantes, auxquelles il a recours
inconsciemment dans les domaines où il réussit, pour les utiliser ensuite
consciemment dans les domaines où il échouait jusque-là ; dans le cas de la
formation d’enseignant de FLE, la connaissance de ses propres stratégies
contribue à sa professionnalisation, qui sera abordée au chap. 3,
- la prise de conscience lui donne les moyens de modifier ses stratégies et
démarches, c’est-à-dire de porter son attention précisément sur la source de ses
difficultés, sur la raison de ses échecs ; chez l’enseignant de FLE l’analyse de
pratique qui favorise l’activité métacognitive favorise aussi l’auto-correction et
l’auto-formation,
- elle améliore sa motivation : c’est lui qui est important, c’est à lui qu’on
s’intéresse, c’est lui qui est actif ; l’analyse de pratique en formation
d ’enseignant le met de façon explicite au centre du processus formateur,
- enfin elle donne un recul critique, une distanciation, une décentration et une
maîtrise de soi qui correspondent pour une large partie aux objectifs de
professionnalisation des enseignants.
Cette activité métacognitive est facilitée par la présence d’un médiateur.
Aumont et Mesnier dans L ’acte d ’apprendre (1995 : 204), reprenant ici les
réflexions de Bruner sur l’interaction de tutelle et le rôle du langage, déjà
évoqué chez Vygostki, insistent sur son rôle dans l’émergence des processus de
métacognition. Cette analyse ne peut s’opérer sans son intervention, sous deux
formes :

- « le médiateur facilite une identification des stratégies utilisées (par une


verbalisation ou par tout autre moyen d’expression) pour favoriser le passage
de l ’action à son abstraction et sa généralisation,
- il met également en œuvre une régulation des conduites d ’apprentissage en
invitant les apprenants à l’analyse des écarts entre ce qui est produit et ce qui
était attendu.
Ces incitations du médiateur vont aider le sujet à la constitution d’un savoir
conscient sur les conditions de cette réussite, savoir indispensable au transfert
de la compétence acquise à d’autres situations ».

À travers la présentation des recherches en matière d’apprentissage, nous


venons d ’évoquer plusieurs hypothèses de travail, mais notamment deux. La
première concerne le processus d’acquisition de connaissance, c’est-à-dire la
façon dont un organisme humain/le sujet « construit » sa représentation de ce
qui l’environne (« schème », «concept») avec ou sans l’aide d’autrui ; la
seconde concerne la possibilité de prise de conscience de ce processus
(« abstraction réfléchie », « métacognition »). Ces hypothèses sont d’ordre
essentiellement psychologique. Il se trouve que, sur le plan biologique ou
neuronal, c’est-à-dire, sur le plan corporel, la recherche s’intéresse de plus en
plus au phénomène de conscience et de conscience de soi.

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APERÇUS EN NEUROBIOLOGIE :
LA CONSCIENCE ET LE SOI AUTOBIOGRAPHIQUE

Ce paragraphe a pour objectif de signaler que nombre de théories et


d ’hypothèses en psychologie semblent trouver des confirmations dans l’étude du
système neuronal de l’être humain. L ’intérêt de certains chercheurs en
neurobiologie pour la compréhension du phénomène de conscience n’est pas si
récent qu’il y paraît mais semble, enfin, trouver une certaine légitimité. On
renverra pour plus de précision sur les sciences cognitives et l’interaction avec
la neurobiologie à Andler (1992), Damasio (2002), Varela et al. (1993). Pour
commencer, la conscience sera définie comme l’intuition ou le sentiment
immédiat qu’on a de son existence et de celle du monde extérieur, ou encore
comme la représentation que l’on se fait de quelque chose (Lexis). A propos de
la conscience, Antonio Damasio, directeur du département de neurologie de
l’Université de l’Iowa, après avoir signalé L ’erreur de Descartes (1995, Odile
Jacob), se pose deux questions à partir de l’étude de lésions cérébrales ou
d ’activités cérébrales accrues ou affaiblies (je souligne) :

1- « D u point de vue de la neurobiologie, le premier problème c ’est de


découvrir comment le cerveau forme des [...] images visuelles, auditives,
tactiles, et ainsi de suite, images qui sont mises pour n ’importe quel objet,
n’importe quelle relation, concrète ou abstraite, n ’importe quel mot ou
n’importe quel signe. » (2002 : 21)
2- « Il s ’agit de savoir comment, parallèlement au fait d’engendrer des
configurations mentales d’un objet, le cerveau engendre aussi un sentim ent de
so i dans l ’acte de connaître. [...] il faut comprendre comment les images d’un
objet et de la matrice complexe des relations, réactions et plans qui s ’y
rattachent sont ressentis comme la propriété mentale indubitable d’un
propriétaire automatique qui est en fait, un observateur, quelqu’un qui perçoit,
qui connaît, qui pense, et qui est aussi un acteur potentiel. » (2002 : 23)

Ce que vise le chercheur, c’est une « anatomie de la conscience », au sens


où il s’agit de localiser dans les réseaux neuronaux où et comment se font les
« configurations neuronales », substrat des « images » représentant tout objet
connaissable (y compris le fonctionnement cognitif du sujet, y compris le
« sentiment de soi »), c’est-à-dire en fait « la clé qui nous ouvre les portes d’une
vie soumise à examen » (ibid. : 14). Pour Damasio (ibid. : 34), la conscience se
définit comme l’élaboration d’une connaissance relative à deux faits :
1- « l’organisme est impliqué dans la mise en relation avec un objet quelconque,
2- l’objet qui se trouve dans la relation est la cause d’un changement dans
l’organisme ».
La relation du sujet avec un objet quelconque opère un changement dans
l’organisme, changement à la source de la formation de configurations
neuronales, elles-mêmes matrices d’« images » (ibid. : 405). La description du
processus de formation des images par Damasio retrouve des termes semblables
à celle de Piaget, à propos de la connaissance : « Nous construisons des images

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quand nous entrons en relation avec des objets (des personnes, des lieux, des
rages de dents) selon un mouvement qui va de l’extérieur à l’intérieur du
cerveau [...] », formulation proche de « la prise de conscience procède de la
périphérie vers le centre » (cf. ici, chapitre 1 paragraphe « Piaget et l’abstraction
réfléchissante»). Par suite, il semble que l’activité mentale soit essentiellement
fondée sur les images, ou « représentations », et ces images constituent la
conscience. Celle-ci n’est pas monolithique, elle serait constituée (à nouveau je
souligne) d’une part par la conscience-noyau qui « dote l’organisme d’un
sentiment de soi relativement à un moment, maintenant, et relativement à un
lieu, ici. La portée de la conscience noyau est le ici et maintenant », d ’autre part,
et à l’inverse « l’espèce complexe de conscience que j ’appelle conscience-
étendue, dote l’organisme d’un sentiment élaboré de soi - une identité et
une personne, vous ou moi, rien de moins - et place cette personne en un point
du temps historique individuel, avec une riche connaissance immédiate du
passée qu’elle a vécu, comme du futur qu’elle a anticipé, et avec une
connaissance aiguë du monde qu’elle côtoie », À ces deux sortes de conscience
correspondent deux sortes de Soi pour Damasio (ibid. : 29-32) : « le sentiment
de soi qui émerge dans la conscience noyau est le Soi central, une entité
transitoire, sans cesse recréée pour chacun des objets avec lesquels le cerveau
interagit ». Nous aurions donc, avec le Soi central, la source d’information, issue
de l’ici-et-maintenant des actions et des pratiques en relation avec
l’environnement, sur laquelle la deuxième sorte de Soi se bâtit. Du fait de cet
ancrage dans une relative immédiateté et instabilité de la connaissance, il n’y
aurait donc rien d’étonnant à ce que nous n ’y ayons pas accès facilement,
comme cela a été signalé en Préambule. Cependant, c’est à partir de ce Soi
central que se développerait l’autre Soi : « [...] notre notion traditionnelle du Soi
a trait à l’idée d’identité, et correspond à une collection non transitoire de faits et
de manières d’être uniques qui caractérisent une personne. Le terme que j ’utilise
pour cette entité est le Soi-autobiographique. 11 dépend de souvenirs
systématisés et situations où la conscience noyau était occupée à connaître les
caractéristiques les plus invariantes de la vie d’un organisme - de qui vous êtes
issus, où et quand vous êtes nés, vos goûts et dégoûts, votre nom, etc. J’emploie
le terme de mémoire autobiographique pour désigner le compte-rendu organisé
des principaux aspects biographiques d ’un organisme. » Le Soi
autobiographique, reposant sur ce type de mémoire, disposerait donc, sous
forme d ’abord de configurations neuronales, puis peut-être d’« images », de
comptes-rendus organisés des aspects biographiques d’un sujet. C ’est cette
notion de « biographie », qu’on pourrait qualifier de biographie neuronale, qui
permettrait de valider les hypothèses proposées par les psychologues que nous
avons évoqués plus haut : d’une part, l’hypothèse selon laquelle des
représentations des objets de connaissance se forment chez le sujet connaissant
rencontrerait une réalité sous la forme d’« images » formées par des
configurations neuronales ; d’autre part, l’hypothèse selon laquelle parmi ces
objets de connaissance, se trouvent les éléments les plus quotidiennement
autobiographiques du sujet, rencontrerait de son côté la réalité d’un Soi

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autobiographique, ou plus exactement d’un « compte-rendu organisé d’aspects


biographiques du sujet». Nous avons donc là des pistes de réflexion qui
justifient l’intérêt pour l’étude de la conscience, notamment à travers l’analyse
des pratiques.

EN RÉSUMÉ

À condition de transférer les réflexions qui concernent le développement


des enfants sur l’apprentissage en général, un facteur privilégié de
développement de l’acquisition de connaissance est d’une part la prise en
compte des représentations « opératives » des praticiens sur leur pratique,
(images opératives ou invariants opératoires), c’est-à-dire la reconnaissance
d ’une forme de « conceptualisation » dans l’action ; d’autre part, la recherche de
l’explicitation de ces représentations ; enfin, la croyance que le rôle d’un tuteur,
présent ou absent, est cruciale pour une mise en représentation, autrement dit
pour « contraindre », comme dirait Bruner, le praticien à la parole. Cette
interaction sociale au moyen du langage peut être faite soit en cours d’action - et
l’on est dans un cadre interlocutif proche de l’interaction de tutelle mère-enfant -
, le langage accompagnant l’action, soit elle est faite en différé, et le langage
commente alors l’action en décalage : l’accompagnement du tuteur permet de
conduire vers l’abstraction et la conceptualisation de l’action. Cet
accompagnement de l’apprenant de la «périphérie» de l’action vers
l’abstraction s’effectue « écologiquement », au sens de Bruner, par un ensemble
d ’attitudes d’étayage qui soutiennent et guident l’analyse de pratique. Sur un
autre plan, le plan neurobiologique, tant les représentations de l’action que les
représentations de l’acteur dans cette action, autrement dit la conscience,
trouvent leur source dans la construction de configurations neuronales, issue de
l’interaction avec le milieu, et constituent le Soi, et notamment le Soi
autobiographique représentant des phénomènes de conscience étendue, au sens
que lui donne Damasio. L’analyse de pratique enseignante en FLE peut donc
viser l’accompagnement de l’enseignant dans la compréhension de son activité :
quelles sont les « images opératives », quels sont les « schèmes », voire les
« invariants opératoires » qu’il mobilise dans son activité de classe, pour des
situations données ? Par l’étayage d’un formateur et d’un outillage conceptuel,
l’analyse de pratique peut constituer le cadre d’une activité métacognitive pour
l’enseignant, ce que l’on nommera en didactologie du FLE, la démarche de
conceptualisation-théorisation. Sur ces bases, il faudrait préciser à présent trois
éléments constitutifs de cette interaction langagière, car jusqu’ici, sont apparus
des interlocuteurs quelque peu désincarnés :
- un premier point consisterait à définir qui sont les acteurs d’une interaction
langagière ayant pour visée l’explicitation de la pratique : un pair, un tuteur, présents
ou absents ; quels rôles ont-ils l’un par rapport à l’autre ;

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- un second point consisterait à définir quelles formes peut prendre cette


interlocution, avec quel support : observation, « introspection verbalisée », échange
oral, échange écrit : y a-t-il simultanéité ou décalage dans le temps ? ;
- un dernier point consisterait à préciser enfin tout un ensemble de thèmes autour
de la finalité de cette interaction : à quoi donne lieu cet échange, du point de vue
des acteurs ? S ’agit-il d’une « simple » mise à plat assistée des actions ou d’une
évaluation, et adressée à qui, l’analysant ou le, les analystes, pour reprendre la
terminologie psychanalytique ?

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CHAPITRE 2

L ’ANALYSE DE PRATIQUE
EN SCIENCES HUMAINES

L’objectif dans ce chapitre est de présenter :


- des définitions ou des descriptions d’activités dénommées ou identifiées
comme analyses de pratique en Sciences Humaines,
- les buts et/ou finalités qui leur sont assignés,
- les outils ou les formes qu’elles prennent dans ce contexte.
Le choix de présenter des courants appartenant à certaines des Sciences
Humaines est motivé par l’envie d’ouvrir à d’autres champs disciplinaires
l’analyse de pratique enseignante en FLE, tout en pointant sur les
préoccupations de ces disciplines, lorsque ces préoccupations présentent des
analogies avec les démarches de formation d’enseignants FLE. Afin d’introduire
les différents points de vue sur l’analyse de l’activité humaine, et parce que
Ricœur a été souvent l’inspirateur de chercheurs de ces domaines, quelques-unes
de ses propositions à propos du récit seront rappelées au paragraphe suivant.
Tous ces thèmes seront, la plupart du temps, sous-jacents dans les travaux des
disciplines que nous parcourrons alors.

RICŒUR ET LE RÉCIT

« L ’action est en quête de récit» (Ricœur, 1983 : 113). Lors de notre


introduction à la première partie, nous avons tenté de définir la notion de
pratique par rapport à celle à'action. L’action dont on cherche à rendre compte,
que l’on veut analyser, serait donc, du point de vue du philosophe, une histoire en
puissance. Ricœur fait bien la distinction entre récit de fiction et historiographie -
« l’intentionnalité historique vise des événements qui ont effectivement eu lieu »
(op. cit. 123) - et seule Y historiographie nous intéressera ici.
Et en l’occurrence, « nous n ’avons pas d’accès aux drames temporels de
l’existence en dehors des histoires racontées à leur sujet par d’autres ou par
nous-mêmes» (op. c i t : 113). C ’est ce processus de narration que l’auteur
détaille et qui peut inspirer des débuts de réponse aux trois questions posées en
introduction à ce chapitre : quels acteurs participent à cet échange d’analyse de
pratique, quelle forme et quelle finalité a-t-elle ? Pour commencer, le
programme de Ricœur dans la première partie de Temps et Récit se décline en
trois points, trois Mimesis : la mise en récit ou en intrigue est la mimesis d’une
action, autrement dit, le récit a une fonction mimétique. Mais loin de mimer la
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réalité au sens reproductif - à supposer que ce soit possible -, Ri cœur distingue


trois mimesis : la première « renvoie à la pré-compréhension familière que nous
avons de l’ordre de l’action», la seconde correspond « à l’entrée dans le
royaume de la fiction », enfin, la troisième est « une configuration nouvelle par
le moyen de la fiction de l’ordre pré-compris de l’action » (o p . cit. 13). « Nous
suivons donc le destin d ’un temps préfiguré à un temps refiguré par la médiation
d ’un temps configuré » (o p . cit. 87).

Le récit comme agencement de faits


L’intention d’analyser une action pour autrui ou d ’en faire le récit,
supposerait une «pré-compréhension familière» de l’action réalisée, et l’on
trouverait ici sur un plan ontologique une analogie avec le résultat d’une
abstraction ou d’une conceptualisation faite à partir d’une action, telles que
rencontrées dans les approches cognitives : autrement dit, ce que je décris peut-
être pour la première fois pour autrui m ’était d’une certaine façon familier ; par
suite, le fait d’élaborer par le langage la narration de ce qui fut aboutit à
l’édification d’un nouvel ordre. « Je vois dans les intrigues que nous inventons
le ‘moyen privilégié par lequel nous re-configurons notre expérience temporelle’
[...] » (o p . cit. 13).
Pour remplir ce programme, Ricœur, à partir de Saint Augustin, cherche
« un site pour les choses futures et passées en tant qu’elles sont racontées et
prédites », et les situent, avec ce dernier, dans l’esprit : « Narration, dirons-nous,
implique mémoire, et prévision implique attente. Or, qu’est-ce que se souvenir ?
C’est avoir une image du passé. Comment est-ce possible ? Parce que cette
image est une empreinte laissée par les événements et qui reste fixée dans
l’esprit» (op. cit. 27). La question de Y être du temps est ce qui anime Saint
Augustin et Ricœur la commente en insistant sur la notion de la mesure de ce
temps, et notamment du passé du temps : « Au nom de quoi proférer le bon droit
du passé et du futur à être en quelque façon ? Encore une fois, au nom de ce que
nous disons et faisons à leur propos. Or, que disons-nous et que faisons-nous à
cet égard? Nous racontons des choses que nous tenons pour vraies [...] et
raconter c’est ‘discerner par l’esprit’, cernere», (op. cit. 25). En définitive, et le
point nous importe ici « ce que l’on mesure, ce ne sont pas les choses futures ou
passées, mais leur attente et leur souvenir» (op. cit. 40). En d’autres termes, le
récit d ’expérience est la « mesure » du souvenir des choses passées, issue
d ’une « empreinte » laissée par les événements: le fait qu’un récit soit une
mesure de ce à quoi il renvoie, et le fait que ce qui apparaît dans le récit est le
souvenir (et non les choses elles-mêmes) va avoir des répercutions sur la façon
de concevoir l’analyse de l’activité humaine dans le champ des Sciences
Elumaines, comme on le verra plus loin. Par exemple, si l’analyse de pratique
n ’est que la mesure d’un souvenir et ne restitue pas l’action elle-même, à quoi
bon engager un tel effort ? Or, l’illusion qui consiste à voir dans les récits
d ’expérience le fac-similé d’un vécu a été largement dénoncée par les Sciences
Humaines depuis plus d’un siècle. Alors, que faut-il attendre d’un récit

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d ’expérience, point de départ d’une analyse de pratique ? Précisément, pour


Ricœur, après Aristote, un « agencement des faits » : « L ’imitation ou la
représentation est une activité mimétique en tant qu’elle produit quelque chose,
à savoir précisément l’agencement des faits par la mise en intrigue » (op. cit.
59). Ce passage est extrêmement important puisque la notion d'action trouve là
une nouvelle définition: « il ne faut pas hésiter à comprendre l’action [...]
comme le corrélât de l’activité mimétique régie par l’agencement des faits (en
système). [...] L’action est le «construit» de la construction en quoi consiste
l’activité mimétique » (op. cit. 60). La représentation de l’action est une activité
mimétique dans un sens très particulier : lorsque je raconte mon action à autrui,
je la réordonne, je la construis par un agencement des faits. Il n ’est ici pas
question de mensonge ou de tromperie. Il est un fait que raconter, c’est recréer,
et re-créer, c’est, peu ou prou, organiser les faits au plan narratif ou discursif (cf.
chapitre 2, paragraphe « Analyse de pratique et Sciences du Langage ») - et non
réorganiser, puisque avant le récit, il n’y a pas d ’action.
Pour l’instant, une des conséquences de cet agencement des faits est que
« l’intrigue doit être typique» parce que l’intelligibilité du récit porte sur « la
connexion en tant que telle établie entre des événements, bref, sur l’acte
judicatoire de ‘prendre ensemble’. Penser un lien de causalité, même entre des
événements singuliers, c’est déjà universaliser» (op. cit. 69). En effet, il suffit
de se livrer à une analyse de pratique avec un professionnel, qu’il soit
enseignant ou non, pour voir se créer, dans et par le récit, d’une part des liens de
causalité entre différents faits et d’autre part de l’universel ou du moins de la
généralité (qu’on pourra considérer en didactologie comme un début de
conceptualisation ; cf. chapitre 4, paragraphe « conceptualiser et théoriser »). Or,
cette généralité provient de l’ordonnance des faits dans leur mise en intrigue. De
plus, composer l’intrigue, c’est faire surgir « l’intelligible de l’accidentel, l’universel
du singulier, le nécessaire ou le vraisemblable de l’épisodique » (op. cit. 70).

Mimesis I : sémantique et évaluation de l’action


Dans la première mimesis, l’auteur du récit témoigne d’une compétence
particulière : « la composition de l’intrigue est enracinée dans une pré­
compréhension du monde de l’action : de ses structures intelligibles, de ses
ressources symboliques et de son caractère temporel. [...] s’il est vrai que
l’intrigue est une imitation d’action, une compétence préalable est requise : la
capacité d’identifier l’action en général par ses traits structurels ; une
sémantique de l’action explicite cette première compétence ». En effet, la
première compétence requise pour composer l’intrigue est d’identifier la
sémantique de l ’action, c’est-à-dire le réseau conceptuel autour de l’action (op.
cit. 88) : les buts, des motifs, des agents responsables, qui représentent une
compréhension de ce qu’est une action, une familiarité avec ces différents
termes (qui fait quoi, pourquoi, etc.). De plus, pour Ricœur, si imiter, c’est
élaborer une signification articulée de l’action, une compétence supplémentaire
est requise : « l’aptitude à identifier ce que j ’appelle les médiations symboliques

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de l’action » {op. cit. 88). L’action est déjà articulée dans des signes, des règles,
des nonnes : « elle est dès toujours symboliquement médiatisée. » Et en
l’occurrence, le symbolisme n ’est pas dans l’esprit, n ’est pas une opération
psychologique destinée à guider l’action, mais «une signification incorporée à
l’action et déchiffrable sur elle par les autres acteurs du jeu social». Nous
retrouvons ici, comme chez Bruner, le thème de la médiation symbolique opérée
par le langage. Le point essentiel est que ce symbolisme est incorporé à
l’action : selon le contexte il peut être interprété différemment, mais, pour
Ricceur, « les symboles sont des interprétants internes à l’action » (op. cit. 92).
Ce repérage symbolique ne s’arrête pas là et ici survient une description de la
Mimesis 1 qui semble répondre à l’une des questions posées en introduction à ce
chapitre : quelle finalité pour l’analyse de pratique ? En fait, la finalité de la
médiation symbolique par le langage est Y appréciation, c’est-à-dire une
préférence morale, avec des degrés de valeur attribués tant aux actions qu’aux
agents eux-mêmes. Autrement dit, repérer l’action c’est en même temps repérer
les symboles de l’action ; c’est parce qu’il y a des constituants symboliques dans
une action qu’elle peut se définir comme telle, mais en outre, ce système
symbolique qui lui est inhérent est lié à une évaluation sociale. En didactique du
FLE, si je choisis telle séquence de mon cours de langue afin d’en faire le récit
et l’analyse, c ’est parce que j ’y repère un système de symboles que je décide de
partager avec autrui ; par exemple, je peux décider d’examiner les consignes que
je donne, parce que je pense qu’elles sont représentatives à la fois de ma
pratique et de ma formation en tant qu’enseignant. De plus, mes consignes, en
tant que système de symboles, ont une valeur axiologique, car elles sont à la fois
une sélection que j ’opère dans l’ensemble des possibilités de formulation de
consignes, et ce, au nom d’une évaluation préalable de ma part, et aussi des
données susceptibles d’être soumises à une évaluation par des tiers.

Mimesis II : configurer l’action


Pour Ricœur, l’intrigue est médiatrice: «entre des événements ou des
incidents individuels, et une histoire prise comme un tout ». En fait, « elle
transforme les événements en une histoire ». Dans cette démarche, un événement
reçoit sa définition de sa contribution au développement de l ’intrigue. En outre,
une histoire doit organiser les événements dans « une totalité intelligible, de telle
sorte qu’on puisse toujours demander ce qu’est le « thème » de l’histoire ». Ceci
constitue une configuration à partir de succession d’événements, et ce processus
de configuration à partir d’événements est en lui-même un acte réflexif. Grâce à
cet acte réflexif, l’intrigue entière peut se traduire en une «pensée», qui n ’est
autre que son thème {op. cit. 105). Dans le cas du récit de pratique de l’enseignant
en FLE, une analyse de ses consignes peut configurer des successions
d ’événements - par exemple, des séquences de production écrite par les
apprenants - et dégager un « thème », c’est-à-dire des récurrences dans la façon de
donner la consigne dans ce type d’activité de classe.

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Mimesis III : une co-production


Chez Ricœur, « le texte est un ensemble d’instructions que le lecteur
individuel ou le public exécutent de façon passive ou créatrice. Le texte ne
devient œuvre que dans l’interaction entre texte et récepteur» (op. cit. : 117).
L’événement complet, « c’est non seulement que quelqu’un prenne la parole et
s’adresse à un interlocuteur, c’est aussi qu’il ambitionne de porter au langage et
de partager avec autrui une expérience nouvelle ». Ainsi, ce que reçoit le lecteur,
c’est, avec le sens de l’œuvre, l’expérience qu’elle porte au langage. Dès lors, si
l’analyse de pratique produit du récit, lors d’une interaction entre praticien et
médiateur, ce récit construit l’expérience elle-même, puisque, sans cet échange,
l’action serait restée non dite, comme inexistante. Ceci a pour conséquence de
donner vie à l’expérience pratique et, pour le narrateur, de devoir s’y référer par
la suite. En reprenant l’exemple d’une analyse de ses consignes par l’enseignant
de FLE, la prise de conscience de celles-ci en fait des repères, définis dans
l’interaction avec le formateur, par rapport auxquels se situer, soit en les
reconduisant, soit en les changeant. Cette idée de co-construction d’expérience
par le récit va parcourir les Sciences Humaines, et pour commencer, la
Sociologie.

L’ANALYSE DE PRATIQUE ET LES SCIENCES SOCIALES

Dans un sens générique, le terme d’analyse de pratique peut désigner


toutes sortes d’enquêtes relevant de la Sociologie et ayant pour but premier de
recueillir de l’information sur l’activité de sujets. En didactique du FLE
l’analyse de pratique envisagée désigne un outil de formation d’enseignants
mais constitue aussi une démarche d ’investigation de la part d’un professionnel
de l’enseignement sur sa propre activité, avec l’aide d’autrui, c’est-à-dire une
enquête. Or, de toute enquête en Sciences Humaines, on peut penser qu’elle est
un simple artefact, un simple outil interposé entre le chercheur, ou l’analysant,
et l’expérience vécue, sans effet sur cette réalité ni sur le chercheur. Cette
croyance est fréquente, même si la lecture de P. Ricœur nous informe de la
c o n fig u r a tio n de l’expérience par le récit. Elle inclut deux présupposés :
- le premier consiste à croire que la procédure d’investigation d’un professionnel
sur sa propre activité serait un moyen de révéler un « déjà-là », d’opérer une
rétrospective des événements passés, en bref, pour l ’enseignant de FLE, par
exemple, de se remémorer ses cours, « tels qu’ils sont » ;
- l’autre présupposé recouvre la croyance selon laquelle l’investigation aurait
pour acteur, auteur et destinataire le praticien, seul protagoniste à considérer
dans la procédure.
D’un point de vue épistémologique, ces deux présupposés sont depuis
longtemps mis à mal par les chercheurs, notamment dans le courant de la
sociologie compréhensive, ce qui sera abordé au paragraphe suivant. En effet,
l’analyse de pratique, en tant qu’elle constitue un (auto) questionnement d’un

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praticien sur son activité, n’est pas plus une reconstitution du passé ou un acte
solitaire que ne l’est toute enquête de type sociologique. Elle consiste plutôt en
l’élaboration d’une représentation, par l’acteur lui-même, de son activité.
Présenter l’analyse de pratique en Sciences Sociales reviendra ainsi à signaler
l’apport et les questions soulevées, entre autres, par le courant de la sociologie
compréhensive à toute démarche d’analyse de l’activité humaine, tout en
essayant de répondre aux interrogations initialement posées : au regard de la
discipline considérée, quel type d’activité correspond à l’analyse de pratique,
avec quels moyens, et avec quelles finalités, ouvertes ou implicites.

Les projets de la sociologie et la sociologie compréhensive


Saisir le fait humain, tel est le but de la sociologie, science des faits
sociaux humains (considérés comme un objet d’étude spécifique), des groupes
sociaux en tant que réalité distincte de la somme des individus qui les
composent. Mais faut-il saisir le fait humain comme a c ti o n , c o m p o r te m e n t ,
s tr u c tu r e , ou m a n ife s ta tio n d’une loi physique ? Au fondement de la sociologie
compréhensive, Max Weber définit la sociologie comme la science qui se
propose de comprendre par interprétation l’activité sociale « et par là
d’expliquer causalement son déroulement et ses effets» (Weber 1921 dans
Pharo 1993 : 18). L’activité est un comportement humain « quand et pour autant
que l’agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif». Et l ’a c tiv ité
s o c ia le est « l’activité qui, d’après son sens visé par l’agent ou les agents se
rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son
déroulement » (ib id . 15). La question qui se pose alors est celle du s e n s , ce sens
étant placé dans le cadre de l’intersubjectivité humaine. Il a deux acceptions :
soit le sens réellement visé par les agents, soit une « typification »
conceptuellement construite par l’agent à propos de l’action, en d’autres termes,
la typification est une catégorisation de l’action et non une simple description.
Or, l’observateur extérieur de l’action opère cette typification, puisqu’il n’est
pas à l’origine du sens réel. En conséquence, pour qu’il y ait interprétation non
arbitraire de l’action, il faut que l’observateur qui produit une interprétation de
l’action rencontre le sens réel visé par l’acteur. Par exemple dans le cadre d’une
observation de classe par un formateur, ce dernier perçoit et interprète les
actions de l’enseignant en les rangeant dans des catégories pratiques pour sa
propre compréhension, des « types » d’enseignement (magistral, non magistral,
participatif, etc.), mais il lui faut ensuite, lors de l’analyse de pratique de
l’enseignant observé, confronter ces catégories à ce que l’enseignant lui-même
visait dans son action, au moyen d’un échange. Ceci conduit à une première
remarque touchant le deuxième des présupposés évoqués plus haut, celui de
l’unicité de l’acteur et de l’auteur de l’analyse de pratique : en fait, dans
l’analyse de l’action, il faut une « rencontre » entre un analysant, celui qui
analyse sa propre activité et celui à qui l’analyse est adressée, ce qui apparaît
chez Ricœur. Que celui à qui s’adresse le récit de pratique soit présent ou
absent, l’attribution d’un sens à l’action est le résultat d’une interprétation. Or,

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qui dit interpréter dit tisser les liens de cause à effet. Ainsi, le projet de la
sociologie compréhensive, selon son fondateur Max Weber, met en lumière le
fait que ce que l’acteur pose dans son récit de pratique comme moyens-fins,
pourra être interprété par son interlocuteur comme cause-conséquence. Les
catégories des deux partenaires, celui qui raconte et celui qui reçoit, ne sont pas
les mêmes, parce que la lecture de chaque micro-action qui est faite par le
récepteur d’un récit de pratique est empreinte d’un déterminisme très marqué,
déterminisme qui veut voir dans toute action une orientation vers une fin, donc
la présence de causalités, non toujours voulues ni perçues par les acteurs eux-
mêmes.
Cela étant, malgré cette distorsion possible dans l’échange entre acteur et
observateur, dans une analyse de pratique professionnelle d’enseignant, voir
l’enchaînement entre moyens et fins sous l’aspect cause-conséquence est une
façon de recadrer l’action afin d’en faire une compétence de l’enseignant (La
distorsion remplit alors une fonction sociale, dans la professionnalisation de
l’enseignant, cf. chapitre 2). En substance, la compréhension du sens de l’action
par l’agent est un construit : toute analyse de pratique est une tentative de
comprendre l’action, une construction qui n ’a pas pour vocation de révéler un
« déjà-là » ; l’analyse de pratique n’est pas « transparente » vis-à-vis de l’action
réalisée et le premier des présupposés évoqué plus haut, l’illusion rétrospective,
ne tient plus.

Les problèmes de l’analyse de l’action :


comment en rendre compte ? Avec quels moyens ?
Il sera tenté de préciser, par le biais des problèmes que pose l’analyse de
l’action à la sociologie, quels sont quelques-uns des moyens et des techniques
de cette analyse (le paragraphe suivant s’attachant aux finalités ou aux effets de
ces outils). L’action pose des problèmes pratiques à l’analyse, déjà exposés en
Introduction: opacité de l’action «préréfléchie», hiérarchisation des pôles
théorie-pratique dans la pensée occidentale, tension entre activité réelle/tâche
prescrite chez l’acteur. Il faut à présent faire un bref détour par quelques
techniques d’enquêtes utilisées en Sciences Sociales afin de dégager les
obstacles complémentaires que la mise en œuvre de ces techniques soulève à
elle seule. De nouveau, le présupposé qui voit le produit de l’enquête comme
une rétrospective du réel vécu se trouve remis en cause.
On renverra le lecteur pour de plus amples détails aux ouvrages de Quivy
et Van Campenhoudt (1988), Blanchet (1991), Ghiglione et Matalon (1985),
Ghiglione, Matalon et Bacri (1985), Kaufmann (1996) : ces auteurs présentent
de façon détaillée et pédagogique les démarches, méthodes et outils utilisés
couramment dans la recherche en Sciences Sociales. Seule la démarche
classique de recherche dans sa globalité sera ici évoquée comme référence à
l’analyse qui suivra, ainsi que quelques éléments constitutifs de trois des outils
essentiels à la recherche en Sciences Humaines. L’intérêt de la présentation,

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même succincte, de cette démarche, est qu’elle présente certaines similitudes


avec celle de l’analyse de pratique, même si cette dernière s’attache à des
activités moins vastes que celles des acteurs sociaux généralement étudiées : en
l’occurrence, ici, il ne s’agit pas d’étudier les comportements généraux de
certaines strates sociales, mais spécifiquement les actions singulières que des
enseignants de FLE effectuent dans leurs classes. Dans les deux cas, il est
nécessaire de se fixer un point de départ sous la forme d’un questionnement
(pourquoi étudier un tel sujet et de quel point de vue ; quelle question anime la
recherche ?), ensuite d’approfondir le sujet par une phase exploratoire (si l’on
étudie la consigne en classe de langue, quelle est la littérature sur le sujet ?), puis
de réaliser des observations et des enquêtes sur la pratique de classe, enfin, de
traiter l’information recueillie.

Une démarche classique de recherche en Sciences Sociales


Nous nous inspirons ici d’une formalisation à but pédagogique de
l’ouvrage de Quivy et Campenhoudt : cette présentation a été conçue par les
formateurs du CNAM ayant la responsabilité de la formation d’adultes, en tronc
commun de premier cycle, aux méthodes d’investigation en Sciences Sociales.
Pour dérouler une démarche qui vise à comprendre un phénomène, on peut
dénombrer sept étapes ; en regard de ces sept étapes, apparaîtront leurs
correspondances dans l’analyse de pratique en didactique du FLE (voir
également le paragraphe « Rôle de la formation et du formateur d’enseignants »
au chapitre 4 sur la démarche de conceptualisation en didactologie). On
signalera que l’analyse de pratique proprement dite constitue ici la dernière
étape.

/. La p re m iè re éta p e co n siste p o u r le ch erch eu r à se p o sitionner, à cla rifier ses


représentations su r le su je t q u 'il a ch o isi d ’étudier : quelle en est l ’origine, quels
so n t les m odèles intuitifs déjà p ré se n ts d a n s l ’esp rit du chercheur.
Dans le cas de la formation (initiale ou continue) d ’enseignants de FLE, la mise en
place de séances d’analyse de pratique de classe commencera par faire expliciter
aux enseignants les différentes représentations qu’ils se font de leur pratique, ainsi
que les activités qu’ils pensent maîtriser ou au contraire celles qu’ils veulent
améliorer. Ceci permettra, lors de l’analyse proprement dite, de confronter cette
dernière à ces représentations à priori, et donc, de favoriser une prise de conscience.2

2. Il f a u t ensuite fo r m u le r une question d e d ép a rt e t e n visa g er d es hypothèses, en v isa n t


la clarté, la fa isa b ilité de l ’enquête, la p e rtin e n c e d e la question p osée.
Dans le cas de la formation à la didactique du FLE, ce sont les pratiques susceptibles
d’être améliorées qui feront l’objet d’un questionnement : si l’enseignant s ’intéresse
aux consignes en classe de langue, comment déterminer la façon d’administrer la
consigne, selon les types de public ? Si c ’est la grammaire qui l ’interroge, sera-t-elle
inductive ou déductive, explicite ou implicite ?

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3. L o rs de l ’étape 3, on s'e ffo rc e ra d ’a p p ro fo n d ir le sujet, c ’est à d ire d e fa ir e des


rech erches bibliographiques, des entretiens exploratoires, de ren co n trer d es experts
du su je t ou d es tém oins.
Cette étape n’est pertinente que dans le cas de la rédaction de mémoire
professionnalisant en didactique du FLE : il s ’agit de mettre l ’analyse de pratique,
qui fait l ’objet des trois étapes suivantes, en regard d’écrits ou de témoignages de
spécialistes sur la pratique analysée.

4. D a n s un quatrièm e tem ps, il est utile de co n stru ire un e p ro b lém a tiq u e, des
hyp o thèses explicatives en relation avec la question d ’enquête, et d e ch o isir l ’outil
le p lu s approprié.
En FLE, cette étape est complémentaire à l ’étape 2 : lors de celle-ci on se pose des
questions sur la pratique de classe, mais également, l’enseignant ne peut manquer
d’émettre soit des hypothèses interprétatives, soit des hypothèses d ’action.

5. L ’étape suivante demande de construire des outils d ’enquête, avec la définition


d ’indicateurs, et de tester les outils.
Dans la formation à la didactique du FLE, il s ’agit de définir aussi précisément que
possible le segment de pratique que l’on veut analyser et comment on veut
l ’analyser : par entretien à posteriori et/ou par observation avec un pair ou un
tuteur ; quelle grille de questionnement ou d’observation se donne-t-on ? Quelles
sont les données que l ’on recueille en particulier - paroles/discours, gestes/
mouvement, etc. des enseignants/apprenants - c ’est-à-dire les « indicateurs » de
l’activité qui vont être analysés ?

6. L ’a va n t-d ern ière étape est celle du recu eil d es inform ations, de la réalisation de
l ’en q u ête a u près d ’un é c h a n tillo n ; elle d em a n d e d e p r é v o ir la fo r m e d e la
restitution.
À ce stade, l’analyse de pratique enseignante FLE consiste, tout en réalisant une
activité de classe, à recueillir les données sous une forme déterminée à l’étape
précédente.

7. E nfin, la sep tièm e e t dernière étape est celle de l ’a n a lyse des données, de leur
interprétation, d e leur restitution et de l ’évaluation de la dém arche.
Il s’agit ici du cœur de l’analyse de pratique : à partir des données recueillies dans
Faction, l’analysant et son formateur et/ou ses pairs étudient les différents
« indicateurs » recueillis.

Dans la réalité, en formation d’enseignant, l’analyse de pratique peut être


faite de façon moins structurée que ce qui précède. Lorsqu’elle repose sur
l’évocation par l’enseignant d’activités passées, mais qui n’ont pas été ciblées
dès l’origine comme matériau d’analyse, ce qui est analysé peut être très divers
et d ’un niveau de précision moindre : l’important dans ce cas étant la mise en
place de la démarche réflexive chez l’enseignant. Dans les deux dernières
étapes, sont utilisées des techniques d’enquête : observation, questionnaire ou
entretien ; seul ce dernier sera développé dans ces lignes, en tant qu’outil
privilégié des analyses de pratique commun aux Sciences Sociales. Dans

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3. L o rs de l ’étape 3, on s'e ffo rc e ra d ’a p p ro fo n d ir le sujet, c ’est à d ire d e fa ir e des


rech erches bibliographiques, des entretiens exploratoires, de ren co n trer d es experts
du su je t ou d es tém oins.
Cette étape n’est pertinente que dans le cas de la rédaction de mémoire
professionnalisant en didactique du FLE : il s ’agit de mettre l ’analyse de pratique,
qui fait l ’objet des trois étapes suivantes, en regard d’écrits ou de témoignages de
spécialistes sur la pratique analysée.

4. D a n s un quatrièm e tem ps, il est utile de co n stru ire un e p ro b lém a tiq u e, des
hyp o thèses explicatives en relation avec la question d ’enquête, et d e ch o isir l ’outil
le p lu s approprié.
En FLE, cette étape est complémentaire à l ’étape 2 : lors de celle-ci on se pose des
questions sur la pratique de classe, mais également, l’enseignant ne peut manquer
d’émettre soit des hypothèses interprétatives, soit des hypothèses d ’action.

5. L ’étape suivante demande de construire des outils d ’enquête, avec la définition


d ’indicateurs, et de tester les outils.
Dans la formation à la didactique du FLE, il s ’agit de définir aussi précisément que
possible le segment de pratique que l’on veut analyser et comment on veut
l ’analyser : par entretien à posteriori et/ou par observation avec un pair ou un
tuteur ; quelle grille de questionnement ou d’observation se donne-t-on ? Quelles
sont les données que l ’on recueille en particulier - paroles/discours, gestes/
mouvement, etc. des enseignants/apprenants - c ’est-à-dire les « indicateurs » de
l’activité qui vont être analysés ?

6. L ’a va n t-d ern ière étape est celle du recu eil d es inform ations, de la réalisation de
l ’en q u ête a u près d ’un é c h a n tillo n ; elle d em a n d e d e p r é v o ir la fo r m e d e la
restitution.
À ce stade, l’analyse de pratique enseignante FLE consiste, tout en réalisant une
activité de classe, à recueillir les données sous une forme déterminée à l’étape
précédente.

7. E nfin, la sep tièm e e t dernière étape est celle de l ’a n a lyse des données, de leur
interprétation, d e leur restitution et de l ’évaluation de la dém arche.
Il s’agit ici du cœur de l’analyse de pratique : à partir des données recueillies dans
Faction, l’analysant et son formateur et/ou ses pairs étudient les différents
« indicateurs » recueillis.

Dans la réalité, en formation d’enseignant, l’analyse de pratique peut être


faite de façon moins structurée que ce qui précède. Lorsqu’elle repose sur
l’évocation par l’enseignant d’activités passées, mais qui n’ont pas été ciblées
dès l’origine comme matériau d’analyse, ce qui est analysé peut être très divers
et d ’un niveau de précision moindre : l’important dans ce cas étant la mise en
place de la démarche réflexive chez l’enseignant. Dans les deux dernières
étapes, sont utilisées des techniques d’enquête : observation, questionnaire ou
entretien ; seul ce dernier sera développé dans ces lignes, en tant qu’outil
privilégié des analyses de pratique commun aux Sciences Sociales. Dans

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Ricœur (cf. supra), celui de l’interprétation : la plupart du temps, l’objet du


sociologue n ’est pas une action sociale en train de se faire, c’est une action
passée, déjà « reconfigurée », c’est-à-dire interprétée par les acteurs eux-
mêmes : s’il y a excès de sens dans les enquêtes, c’est à la fois par la quantité
des informations mais aussi par la nature de celles-ci. Comme, en outre, ces
interprétations sont formulées dans un échange entre chercheur et enquêté, elles
donnent lieu à leur tour, de la part de l’enquêteur, à interprétation nouvelle : « il
ne semble pas y avoir logiquement de fin à ce processus » (Dubet, 1990 : 187).
L’illusion d’une rétrospective d’action est donc ici explicitement dénoncée. En
d ’autres termes, l’analyse de son activité par un enseignant ne peut donc
permettre de retrouver le cours exact de l’action, mais produit une interprétation
dès son origine. Alors, dira-t-on, à quoi bon analyser sa pratique, si, non
comptant d’accéder difficilement à la réalité vécue, la démarche ne produit que
des interprétations ? Précisément, nous verrons que cette interprétation a une
valeur sociale, spécialement en Formation d’Adulte. Analyser la pratique
consisterait plutôt, en toute connaissance de cause, à prendre comme point de
départ des faits et gestes professionnels et de porter attention au récit qui
s’élabore sur ce pré-texte, à cette troisième mimesis, porteuse d’informations
pour le praticien comme pour l ’accompagnateur, mais d’informations sur le
praticien, non sur la pratique.
Au sein du courant de la sociologie compréhensive, la sociosémantique
peut intéresser les analystes des activités professionnelles en formation, parce
qu’elle s’attache au « rapport de l’action à ses descriptions » ou encore au
« rapport du faire et du dire » (Pharo, Quéré, 1990 : 8) et aussi parce qu’elle
questionne « le statut de l’action comme réalité observable » (ibid. : 10). Ce type
de sociologie tente de développer la notion de sémantique de l ’action. La
sémantique de l’action n’est pas seulement une propriété du discours sur
l’action : « elle conditionne le sens de l’action et, par là, contraint le discours et
résiste, comme le fait la réalité, aux descriptions qu’on donne de l’action. ». En
fait, pour ces sociologues, l’action comporte une objectivité particulière, d ’ordre
sémantique ou conceptuel. Ce type de sociologie ferait du fait social, non pas
une chose, mais un fa it sémantique ; ce fait sémantique s’apparente à l’origine à
une action porteuse de sens, et cela lui confère le statut intrinsèque de
métalangage, propre à tout langage descriptif : « l’action n’est jamais un ‘fait
brut’ ; elle incorpore toujours de la pensée, et c’est cela qui rend problématique
sa description » (Pharo, 1990 : 269, 270). Ceci malgré tout est un des arguments,
selon nous, en faveur de l’analyse de pratique : celle-ci prend pour origine, par
exemple en formation à la didactique du FLE, une pratique de classe, qui, en
elle-même, est déjà un fa it sémantique, parce qu’elle est chargée de signification
pour l’enseignant, qu’elle soit implicite ou explicite. À son tour, l’analyse à
propos de cette pratique cherche à cerner cette sémantique originelle, au risque,
bien entendu de l’enrichir par « excès de sens ». Mais quoi qu’il en soit, le seul
fait que l’analyse de pratique de classe dirige l’attention de l’analysant vers des
fragments de sa pratique contribue à valider celle-ci et à la charger de
significations susceptibles de faire progresser l’enseignant en formation. Plutôt

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alors que de renoncer à toute analyse de l’activité, au prétexte que la réalité des
choses ne serait qu’effleurée, on peut envisager cette démarche comme un
processus de mise à jour ou de clarification des significations que l’enseignant
attribue à ses pratiques, et ce, afin de les faire évoluer.

Les effets de l’analyse de l’action :


médiation, intention, appropriation, jugement
Analyser la pratique a de nombreux effets sur le praticien, parmi lesquels
ceux de la m é d ia tio n sociale qui en est le centre, ceux de la mise en lumière de
V in te n tio n de l’agent - on pourrait dire que ceci recouvre en partie la sémantique
de l’action -, ceux de Y a p p r o p r ia tio n par l’acteur de son expérience, enfin, ceux
du j u g e m e n t opéré sur l’action, jugement qui fait partie de cette sémantique de
l’action.

La médiation
L’analyse de l’activité est une situation duelle : un analysant et un
analyste se rencontrent autour d’une pratique. Il s’agit d’une interaction, dont on
a déjà débattu plus haut, mais il faut préciser que celle-ci est en partie réglée par
des normes. E. Goffman a largement analysé les R ite s d ’i n te r a c tio n , auxquels
n ’échappe pas la démarche d’analyse de pratique par un sujet avec l’aide d’un
accompagnateur : « le fonctionnement de l’ordre de l’interaction peut aisément
être envisagé comme la conséquence de systèmes de conventions déontiques, au
sens de règles de base d’un jeu, des conditions du code de la route ou des règles
de syntaxe d’un langage » (Goffman dans Pharo 1993 :148). Dans le cadre de
ces « conventions déontiques », l’analyse de l’activité est une médiation parce
que le praticien ne dispose pas de son intention comme d’un contenu de l’esprit
directement accessible. Pour Quéré, (1990 : 106-108), le praticien découvre son
intention en même temps qu’il analyse sa pratique avec le concours des autres :
« l’action n ’est pas un mouvement d’extériorisation d’une intériorité déjà
constituée. Au contraire l’intériorité se forme par réappropriation, internalisation
et formulation des actions et expressions publiques ». En d’autres termes,
analyser l’action introduit une organisation et des médiations « là où on ne
supposait que de la transparence et de l’immédiateté ». Pour l’auteur, la
subjectivité de l’acteur n’accède à elle-même qu’en ayant recours à des
médiations sociales, des symboles, des concepts. Comme chez Ricœur, c’est
parce que le récit est a d r e s s é à u n tie r s qu’il permet de « configurer » et de
reconfigurer l’expérience.

L’intention
Si l’on reprend le projet de sociologie compréhensive de Weber, qui
consistait à mettre à jour les finalités de l’action, le sociologue pourra considérer
alors « comme intentionnel tout comportement qui sera décrit comme guidé par

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de la pensée ou des états mentaux ». L’intentionnalité est un état mental ou une


attitude qui se porte sur un contenu, chez Conein, (1990 : 313), faisant appel à la
notion d ’« aboutness » de Searle (1984 : 15). Pour l’auteur «une action n’est
pas ce qu’on a fait, sans plus. Une action est ce qu’on a fait en le voulant, soit en
le voulant absolument, soit parce qu’on la croyait le moyen d’un but qu’on
voulait ». L ’action est un nœud d’attitudes intentionnelles qui ne peuvent
épouser l’action réellement faite.
Dans l’analyse de l’action, son caractère intentionnel est configuré dans
des explications et des justifications qui rationalisent l’action « sous une
description» (Quéré, 1990: 87). On remarque ici que, pour une partie des
sociologues, il y a une possibilité pour que le discours expose l’intention de
l’acteur, intention dont est tissée son action. En termes d’analyse de pratique,
cette hypothèse ne peut qu’inciter à affiner l’analyse dans le but de connaître si
et comment une quelconque intention était présente dans l’action réalisée, et
particulièrement dans une séquence d’enseignement, par exemple en langues.

L’appropriation
Poussant plus loin les effets de 1’« intervention » sociologique, c’est-à-dire
de l’enquête, le sociologue (Quéré, 1990: 103-105) traite les explications, les
descriptions et les justifications « comme une activité d’appropriation et
d ’articulation d’un sens accompli ou d’une intention incarnée dans l’espace
public ». Le processus d’appropriation implique la participation d’un partenaire
d ’interaction qui prend part à la spécification des traits identifiants d’une
intention-dans-l’action, ou encore est une activité concertée. L’appropriation, une
fois de plus, est une opération de configuration, d’organisation des perceptions, et
une démarche de reconnaissance par l’acteur et ses partenaires dans l’analyse.
L’appropriation va au-delà du constat ou de la saisie perceptive, elle est déjà une
prise de position favorable ou défavorable par rapport à une p r o p o s itio n
d ’appropriation issue du processus d’analyse de pratique.
Dans la formation à la didactique du FLE, la verbalisation des expériences
de classe constitue un moyen de prise en main par l’enseignant en formation de sa
progression professionnelle, un moyen d’appropriation.

Le jugement
Un autre des problèmes conceptuels attachés à l’action, mais aussi un des
effets de la démarche d’analyse de pratique, est le fait que celle-ci articule deux
dimensions : l’individuel et le collectif, Thévenot (1990: 39) déroule un
inventaire des termes se rapportant à l’action individuelle pour la justifier
(« intention », « désir », « croyance », « volonté », « rationalité »), et des termes
de l’activité collective, relevant pour leur part de la légitimation sociale
(« communauté », « normes », « loi », « accord », « maxime », « légitimité »).
L’intérêt précisément de l’analyse de l’activité est qu’elle pose le problème de
sa justification, mais en même temps celui de son identification, deux opérations

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qui procèdent d’un jugement. Pour le sociologue, il faut « l’arrêt d’un jugement
délimitant les contours d’une action, identifiant ce qu’il advient », et il signale
que pour développer une « théorie de l’action » une tâche prioritaire est
d ’étudier « l’opération consistant à sélectionner ce qui importe, aux dépens de ce
qui n ’est pas significatif. » (ibid. : 46). Il faut donc reconnaître des formes
d ’action, les qualifier, les rapprocher, ne serait-ce que pour identifier l’action,
mais au-delà, pour juger de sa pertinence.

En résumé
Si nous avons choisi d’exposer la sociologie compréhensive dans ce
paragraphe, c’est qu’au plan épistémologique, la discipline posait depuis
longtemps des questions inhérentes à toute analyse de l’action, questions
directement utiles à la mise en place de dispositifs de formation à la didactique
du FLE, par l’analyse des pratiques de classe. Ces questions touchent :
• l’objet réellement étudié: s’agit-il de l’action ou d’un métalangage de
l’action ? En l’occurrence, on considérera ici avec la sociologie compréhensive,
que l’analyse de pratique qui se concrétise dans une verbalisation est une
création de métalangage sur l’action,
• les techniques utilisées : dans tous les cas de figure, l’étude des avantages et
des inconvénients conduit à renoncer à l’idéal d’un outil de recueil non
« invasif », c’est-à-dire qui ne modifierait pas « la réalité » des actions
effectuées par l’agent,
• les effets inhérents à l’exploration de l’action : qu’on le veuille ou non, faire de
l’analyse de pratique consiste à charger la pratique originelle d’intention, de
jugement, et à entamer un processus d’appropriation, tremplin pour des
utilisations ultérieures.
Nous tenterons d’expliquer dans la Partie II, pourquoi ces raisons, à elles
seules, justifient la mise en œuvre de l’analyse de pratique dans le domaine de la
formation d’enseignant à la didactique du FLE. Pour l’heure, nous avons
constaté que l’analyse de l’activité produisait une sorte de métadiscours sur
l’action. Poursuivant notre exploration des disciplines concernées par ce type
d’analyse, seront maintenant abordées les disciplines qui ont justement pour
objet le discours.

ANALYSE DE PRATIQUE ET SCIENCES DU LANGAGE

Pour l’instant, nous avons considéré l’analyse de pratique comme outil de


formation d’enseignants de Français Langue Etrangère. L’analyse de pratique
telle qu’envisagée dans ce paragraphe ne touche ni à la didactique des langues à
proprement parler, ni à l’acquisition du langage, deux champs d’étude
appartenant aux Sciences du Langage. Elle ne sera pas non plus abordée comme
un objet d’étude pour les Sciences du Langage (on renverra le lecteur à
l’ouvrage de Ducrot et Schaeffer (1995), qui présentent les différents types de

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récits étudiés par les Sciences du Langage, incluant les récits de pratique : dans
le cadre de la Narratologie, elles étudient le récit porté par un texte littéraire ou
non littéraire, ou le récit non fictionnel ; dans le cadre de l’étude du texte, elles
étudient les récits d ’expériences personnelles). En quoi l’analyse de pratique
enseignante intéresse-t-elle les Sciences du Langage, et plus exactement, en quoi
les Sciences du Langage peuvent-elles apporter quelque chose à notre
connaissance de l’analyse de pratique enseignante, notamment en FLE ? Du
point de vue du praticien qui analyse son activité avec l’aide d’un formateur,
quels sont les éléments susceptibles d’apporter un éclairage pertinent sur la
démarche d’analyse de pratique dans les réflexions de la Linguistique ?
Deux apports complémentaires seront distingués dans ce paragraphe :
1- un éclairage sur le cadre d ’interlocution auquel participent et que
construisent l’enseignant-praticien et le formateur : ceci pour permettre une
certaine prise de conscience de la position des partenaires dans cette démarche,
au sein d ’une « formation discursive » spécifique.
2- un éclairage sur les mécanismes communicatifs et langagiers mobilisés par la
prise de parole, notamment du praticien : que présente-t-il de lui-même et
comment se présente-t-il dans son discours ? Ceci peut mettre en lumière
comment celui qui analyse sa pratique se « met en scène » pour autrui au moyen
du langage.
Concernant la place de l’analyse de pratique dans la discipline étudiée, ici
les Sciences du Langage, on constate qu’elle n’est pas un objet d ’étude pour la
linguistique, mais que cependant, cette dernière prend pour objet les discours
tenus sur les pratiques sociales. Au plan linguistique, nous allons tenter de
préciser ce qui est susceptible d’enrichir notre compréhension de l’analyse de
pratique, au travers des discours qu’elle produit.

Le cadre d’interlocution de l’analyse de pratique


L’analyse de pratique étant un dispositif ayant pour objet l’activité
enseignante en FLE et mettant en relation deux interlocuteurs (au moins) dont
l’un explicite son activité et ce, dans le cadre d’une formation professionnelle,
tous les éléments sont réunis pour discerner une « formation discursive »
(Foucault 1969 : 53), c’est-à-dire une régularité entre des objets, des concepts,
des choix thématiques et des types d ’énonciation (l’énonciation étant définie
comme acte de production d’un énoncé par un locuteur dans une situation de
communication, Riegel et a l, 1997 : 575).
Pour D. Maingueneau (1991 : 28) les « formations discursives » sont des
ensembles d’énoncés produits dans le cadre d’institutions qui contraignent
fortement l ’énonciation ; ils fixent des enjeux historiques, sociaux, intellectuels,
possèdent une valeur pour une collectivité, et supposent une conviction partagée
par une communauté, qu’ils suscitent et renforcent tout à la fois.
Ainsi, en appliquant l’analyse du discours aux discours sur la pratique, les
Sciences du Langage caractérisent l ’espace social concerné par cette pratique -
par exemple la didactique du FLE - par ses productions discursives. En outre,

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elle caractérise le locuteur de ce discours, l’enseignant de FLE en l’occurrence,


au plan de ses productions linguistiques dans un contexte social donné. Tl peut
donc être intéressant d’étudier comment ces disciplines caractérisent tant
l ’espace social du discours didactique au sein duquel se situe le discours
d’analyse de pratique que Y acteur enseignant dans cet espace, d’autant que l’un
et l’autre se déterminent réciproquement : l’espace impose un certain type de
discours à l’acteur et l’acteur construit l’espace social par sa parole. Ainsi, on
mettra en rapport espace (ou champ) social de pratique et champ discursif, c’est-
à-dire le cadre social et le discours qui s’y tient. Galatanu décrit les rapports
entre champ de pratique et champ discursif, au moyen du schéma suivant. Dans
chaque partie du schéma, est indiqué ce à quoi elle correspond dans le cas d’une
situation d’enseignement.
63

discipline (dont le FLE). On définira la communication didactique comme


« l ’ensemble des échanges verbaux et non-verbaux, qui ont lieu en situation
d ’enseignement et/ou de formation, visant explicitement l’appropriation des
savoirs et dans beaucoup de cas, explicitement aussi, l’acquisition de
compétences». (Galatanu, 1996a : 103, 104). L’analyse de pratique appartient
donc à la communication didactique, parce que les échanges qui s’y déroulent
visent la compréhension et Y appropriation (au sens sociologique - voir supra),
des savoirs enseignants, en situation de formation d’enseignant. Dans la seconde
colonne de gauche, les lieux sociaux que sont les écoles, les universités
élaborent un genre de discours qui leur est propre, et qui dépend du champ
social et du champ discursif plus global auquel il appartient : ce genre est
éducatif, instructif, et caractérise tout un ensemble d ’actes discursifs se
déroulant dans ce champ social, issus de la pratique (colonne du milieu), dont
les discours des enseignants en classe, tels les consignes, les ordres, etc.
• D’autre part à droite, se trouvent les dimensions descriptives qu’apporte
l’analyse du discours en Sciences du Langage sur ces discours : l’organisation
énonciative, avec les formes linguistiques présentes dans ces derniers, c’est-à-
dire entre autres, l’indice de « tension » ou de prise en compte de l’interlocuteur
dans le discours (par exemple dans les consignes des enseignants, le « vous »
adressé aux apprenants), les modalisations ou « valeurs » portées par les mots et
choisies par les locuteurs (par exemple dans les évaluations des enseignants, les
encouragements ou les critiques), tous étant des indices de la façon dont les
interlocuteurs se présentent dans leur parole. En particulier, dans l’analyse de
pratique, l’enseignant de FLE en formation verbalisera son expérience en
utilisant des formes linguistiques « contraintes » par le lieu social où il se trouve
au moment de l’énonciation de son discours.
Les relations entre champ de pratique et discours peuvent être encore
précisées avec l’approche psycho-sociolinguistique de P. Charaudeau (1992:
644 ; 1995) qui porte sur le fait que les deux interlocuteurs peuvent en fait
assumer dans ce cadre, deux types de personnages :

Sujet
interprétant

Êtres de parole mis en scène


dans l ’acte de communication réalisé

Dans le «circuit externe», c ’est-à-dire la situation de communication


observable, sont présents des êtres sociaux, liés aux conditions de production du
discours : par exemple, dans le cas d’une analyse de pratique enseignante en
FLE au moyen de la parole, les interlocuteurs sont des êtres sociaux,
l’enseignant de FLE et son formateur, le premier étant de façon privilégiée (mais

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pas exclusivement) le sujet communicant, le second le sujet interprétant. Dans


le « circuit interne », c’est-à-dire le discours comme mise en scène/présentation
de soi à l’autre, apparaissent alternativement dans l’échange de paroles, tout
ensemble, un sujet énonciateur et un sujet destinataire dans le discours de
chaque être social : par exemple, lorsqu’il explicite sa pratique, l’enseignant
(être social du « circuit externe ») peut se présenter sous un certain aspect (sujet
énonciateur) dans son discours ; cet aspect est conditionné par les
caractéristiques qu’il attribue à son destinataire (sujet destinataire) au sein même
de ce discours, et ce, par le choix des formes linguistiques spécifiques qu’il
utilise.
Les Sciences du Langage permettent de penser l’existence des deux
champs et de les relier : d’une part, celui de la pratique, de l’expérience vécue,
et d’autre part, celui la pratique langagière à propos de l’expérience. Cette
pratique langagière conduit les locuteurs à prendre des postures énonciatives qui
ne sont pas « transparentes » à l’expérience, parce qu’elles constituent un
« filtre » linguistique pour accéder à celle-ci. Or, une fois le cadre interlocutif de
l’analyse de pratique défini, en quoi nous intéresse-t-il ? Pour commencer, en
formation d’adultes, il s’inscrit dans un genre discursif (Maingueneau 1995b :
8), celui des discours relevant de la « didacticité ». Pour Moirand (1992 : XIX),
la didacticité s’exprime à travers :
• une situation où l’un des partenaires possède un savoir supérieur à celui de
l’autre, savoir réel ou supposé, savoir qu’il est obligé de faire partager à
l’autre,
• une fonction : f a i r e c r o i r e , f a i r e f a i r e , f a i r e q u e l ’o n s a c h e
• l’utilisation de procédures de définition, d’exemplification, d’explication,
de clarification.
Chez Beacco et Moirand, (1995 : 39), les discours relevant de la
didacticité sont généralement « des reformulations des discours-sources d’une
discipline particulière vers des publics moins savants » ; dans le cas des discours
tenus en analyse de pratique, il n’est pas rare de rencontrer des citations de
discours savants par l’analysant, qui les reformule en se les appropriant, ainsi
que d ’autres reformulations par celui qui l’accompagne. Seront ici relevés deux
des axes de réflexion linguistique susceptibles de servir notre connaissance de
l’analyse de pratique comme interaction langagière. D’une part, le fait que les
discours relevant de cette didacticité mobilisent une intention de FAIRE SAVOIR ;
il s’agit pour l’enseignant qui analyse son activité en formation de FAIRE SAVOIR
à son interlocuteur ce qu’il a vécu (N. B. : de même le formateur est mandaté
par l’institution pour FAIRE FAIRE cette analyse). D’autre part, cet acte de FAIRE
SAVOIR prend des formes linguistiques qui lui sont spécifiques et souvent
repérables, ce que ne manque pas de faire le linguiste qui analyse le discours. Or
précisément, les formes repérables sont attachées à cet « événement » que
constitue l’énonciation d’un discours (Ducrot, 1984). 11 y a donc dans la
production des discours sur la pratique enseignante, des formes linguistiques qui
caractérisent l’énonciation spécifique à cet exercice, et qui révèlent les

64
65

mécanismes communicatifs et linguistiques que l’analyse de pratique mobilise


chez l’analysant et le formateur. Ce sont eux que nous examinerons ici.

Quelques mécanismes communicatifs et langagiers de


l’analyse de pratique
Pour les Sciences du Langage, l’événement que constitue Vénonciation
mobilise nombre de formes linguistiques que la Théorie de l’Enonciation étudie
depuis Bally (Bally 1952 ; Benveniste 1976 ; Ducrot, 1984 ; Kerbrat-Orrechioni,
1980 ; Galatanu, 1996b). Il est intéressant de placer le discours d’analyse de
pratique dans la perspective énonciative parce qu’elle peut révéler les
compétences discursives de l’analysant, et plus particulièrement ses
compétences argumentatives, destinées non seulement à son interlocuteur
(FAIRE SAVOIR) mais aussi d’une certaine façon à lui-même. L ’argumentation
étant définie comme « l’ensemble des raisonnements par lesquels on déduit les
conséquences logiques d'un principe, d'une cause ou d’un fait, en vue de prouver
le bien-fondé d'une affirmation, et de convaincre », et la rhétorique
comme« l’ensemble de règles, de procédés constituant l'art de bien parler, de
l'éloquence » (TLF 2002), il faut reconnaître que les discours d’analyse de
pratique, tout en renvoyant à une expérience, n’en constituent pas moins une
représentation ou une symbolisation imprégnée de rhétorique. En effet,
l’analyse de pratique est un lieu d’interaction langagière et de présentation de
soi à l’autre, de présentation d’un sujet de parole par un sujet communicant,
c’est-à-dire d’un sujet fictif visant à influencer un autre sujet de parole, un sujet
destinataire, pour reprendre la catégorisation de Charaudcau. Cette présentation
de soi à l’autre dans un discours passe par des formes linguistiques dont nous
étudierons deux illustrations : la polyphonie énonciative et la modalisation.

Le je et la polyphonie énonciative :
mise en scène de l’analyse de pratique
En linguistique, l’Analyse du discours mobilise la notion de subjectivité
dans la langue et la notion de polyphonie pour rendre compte des mécanismes
de présentations discursives utilisés par les locuteurs. La notion de subjectivité
renvoie aux articles fondateurs de Benveniste qui introduit la notion de
« subjectivité dans la langue » (Benveniste, 1958 : 258) et, pour ne prendre que
l’exemple du pronom personnel je, le décrit ainsi : « A quoi donc se réfère-t-il ?
À quelque chose de très singulier, qui est exclusivement linguistique : je se
réfère à l’acte de discours individuel où il est prononcé, et il en désigne le
locuteur. [...] La réalité à laquelle il renvoie est la réalité du discours ». Il ne
s’agit pas ici de psychologie, mais de l’inscription du sujet parlant dans une
réalité de discours, cette réalité qui autorise ainsi un locuteur à mettre en scène
des énonciateurs différents. En définitive, le discours est porteur de marques de
présence du locuteur (je/nous) et de l’interlocuteur (,tu/vousj, qui sont des choix

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66

du locuteur. Par ailleurs, la notion de polyphonie trouve son origine chez C.


Bally, inspirateur de Bakhtine comme de Ducrot, qui envisage, par exemple, la
négation « non comme un acte descriptif mais comme un acte foncièrement
polémique : ‘La négation exprime [...] le refus d’assertion. Le soleil ne tourne
pas autour de la terre équivaut à « Je (on) nie, il est faux que le soleil tourne
autour de la terre’ (Bally in Durrer 1998 : 132,133) ». On constate ainsi avec
Moirand (1992 : 3), que « toute insertion dans un texte de segments empruntés à
d’autres (mots, citations, discours rapporté..) ressortit à cette capacité du sujet à
reprendre le déjà-dit, le déjà formulé par d’autres ». Peytard (1992 : 69 ; 76)
rappelle que le sens « se structure polyphoniquement » et que tout discours n’est
jamais premier. Repérer dans les discours les opérations de reprise, de
reformulation, de variation, d’ajustement du dit de l’autre et des autres au dit du
locuteur permet d’analyser comment en altérant le discours, on construit celui-
ci dans son identité.
Concernant le discours d’analyse de pratique tenu par un enseignant, la
linguistique pourra donc considérer dans son discours différentes formes qui
signalent ses choix de présentation (de lui-même) à travers l’utilisation qu’il fait
du discours des autres dans sa narration et son commentaire sur sa propre
activité. On ne peut manquer aussi de remarquer que ces altérations, ces
reformulations d’autres discours, ces discours rapportés qui sont autant
d ’arguments d’autorité dans un récit de pratique, sont avant tout étayés par la
force testimoniale qui réside dans le « j ’y étais», explicite ou implicite,
fondateur du récit de pratique, et dans certains cas, proche du « j ’y étais» du
témoin en matière judiciaire. Pour Dulong (1992), pragmatiquement, la formule
« j ’y étais» serait une sorte de promesse qui permet de questionner
l’énonciateur sur l’événement, et de déclencher l’éventualité d’une
contradiction. De plus, à la différence de la promesse qui lie celui qui promet à
une personne jusqu’à l’accomplissement de la chose promise, l’engagement pris
par la formule « j ’y étais » est pour Dulong, « un vœu que l’on prononce, une
qualité que l’on revêt, un changement d’état qui transcende la situation
d’interlocution. Le narrateur paie la crédibilité de son récit d’une dette
inaliénable dont le contenu n’est pas fixé d’avance. À cause de cette
indétermination, le futur du témoignage est ouvert, infini, tandis que celui de la
promesse ne nécessite que le moment de l’accomplissement» (Dulong, 1992 :
73 ; 75). Dans le cas du discours d’analyse de pratique, cette notion de
témoignage se traduit par des formes linguistiques polyphoniques observables,
c’est-à-dire des marques d’autres discours qui attestent la validité du contenu
discursif. Le discours sur la pratique, en tant que document testimonial, révèle
l’effet de l’analyse de pratique au moyen de la parole : élaborer un tel discours
consiste pour l’enseignant-praticien à forger un témoignage qu’il étaye en se
mettant en scène et en mentionnant d’autres voix que la sienne. L’analyse des
marques de ces voix autres peut informer le formateur sur la façon dont ce
locuteur construit son savoir sur sa pratique : ses référents, ce qui lui sert
d’autorité, etc. Un autre indice de la présence du locuteur dans son discours est
constitué par les modalités d’énoncés qu’il emploie.

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67

La modalisation et l’attitude vis-à-vis de la pratique et de


l’interlocuteur
On définira avec Riegel, Pellat, Rioul (1997 : 579) la notion de modalité
comme le résultat, la marque ou l’élément qui « exprime un certain type d’attitude
du locuteur par rapport à son énoncé ». Décrivant les marques de subjectivité dans
le langage, Kerbrat-Orrechioni dresse une catégorisation des substantifs, adjectifs,
verbes et adverbes «subjectifs» (1980 : 70-146). Pour Galatanu (1996b, 2000 :
49), la modalisation représente non seulement la marque de l’attitude du sujet
communiquant par rapport au contenu de son énoncé mais aussi par rapport à sa
fonction dans la modification de ses rapports avec son destinataire. Cette marque
traduisant une position prise par le locuteur à l’égard de ce qu’il dit et de sa
relation à l’interlocuteur est une évaluation du contenu propositionnel des énoncés
et se traduit par différentes attitudes modales que les mots peuvent traduire : ceux-
ci sont porteurs par exemple de valeurs de l’ordre du NÉCÉSSAIRE, du
POSSIBLE, de L’OBLIGATOIRE, de L’INTERDIT (valeurs ontologiques et
déontiques), de valeurs de l’ordre du SAVOIR ou du CROIRE (valeurs
épistémiques ou doxologiques), de jugements axiologiques (esthétique :
BEAU/LATD ; pragmatiques (UTTLE/TNUTTLE) ; hédoniques (AGRÉABLE/
DÉSAGRÉABLE), affectives (BON/MAUVAIS) ; éthiques (BIEN/MAL), et
d ’intentions (VOULOIR, DÉSIRER). Ce sont ces modalisations, ces évaluations
ou ces appréciations que l’on trouve dans les discours de la didacticité, et en
particulier dans les discours sur la pratique. Beacco et Moirand (1995 : 37)
soulignent que, par exemple, dans l’exposé d’une recherche dans une
communication entre pairs, Y appréciation surgit à différents moments. Exposer sa
recherche ou sa pratique comporte entre autres contenus, des informations
détenues par le locuteur sur l’état des connaissances du domaine, les travaux des
autres, ses difficultés, ses données recueillies: «dans ce cas, l’expression de
l’appréciation exprime moins la position du chercheur en tant qu’« individu » que
comme membre d’une communauté, et qui écrit, par conséquent sous l’autorité
énonciative de ses représentants archétypiques ». En adaptant cette description à
un enseignant en formation, qui communique avec un formateur au sujet de sa
pratique, il est facile de constater que l’enseignant porte une appréciation sur son
exposé et de ce fait, il modalise spécifiquement son discours : selon le fragment de
pratique rapporté, l’appréciation variera et se traduira par des formes linguistiques
modalisées ; dans sa description de pratique, le praticien, se conforme aux normes
de la communauté à laquelle il appartient et conforme en conséquence son
discours. Celui-ci en porte les marques linguistiques, qui peuvent alors être
étudiées comme les traces des choix qu’il effectue dans la construction discursive
de son expérience : certes, il y a conformité, mais elle est singulière, propre à
chaque locuteur. Cette singularité dans les marques linguistiques de modalisation
est de nature à cerner la spécificité de l’élaboration discursive de son expérience
par un individu donné. Ce type d’analyse n’est pas l’objet de notre travail, mais il
est mentionné afin d’indiquer des pistes de recherche sur les discours propres à
l’analyse de pratique.

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68

L’ANALYSE DE PRATIQUE DANS LES ANALYSES DU TRAVAIL


(Ergonomie, Psychologie du travail, Didactique professionnelle)

L’analyse de pratique sera envisagée du point de vue de disciplines ayant


toutes pour objet d’étude le travail humain. L ’activité enseignante étant une
activité humaine au travail, elle fait partie des champs d’investigation de ces
disciplines.
Pour commencer, une définition de la notion de travail sera proposée,
empruntée à Teiger (1993a : 78) : « le travail est une activité finalisée, réalisée
de façon individuelle ou collective par un homme ou une femme donné, dans
une temporalité donnée, située dans un contexte particulier qui fixe les
contraintes immédiates de la situation. Cette activité n ’est pas neutre, elle
engage et transforme en retour celui ou celle qui l’accomplit ». Cette définition
présente une particularité que l’on va retrouver tout au long de ce paragraphe, le
fait que, en ergonomie comme dans les disciplines connexes, le travail est à la
fois objectif qt objet, du fait du « double objectif de connaissance du travail et
d ’action sur le travail » (ibid.). Afin d’exposer l’usage de l’analyse de pratique
par ces disciplines, seront évoqués successivement leurs finalités, les objets au
centre de leur étude du travail, enfin les effets induits, voulus ou non, de la mise
en œuvre de l’analyse de pratique sur les praticiens. Si l’on choisit de présenter
ensemble les trois approches disciplinaires, c’est qu’il semble que le travail
demande une « Science Interdisciplinaire » (Teiger, 1993a : 93), préfigurée par
les rapports étroits qu’entretiennent déjà ces trois spécialités".

L’analyse de pratique et les fin a lité s : un outil et un objet

Les finalités
U ergonomie s’attache à l’étude des lois du travail, mais de façon plus
ouverte, la discipline vise la conception et l’aménagement des systèmes de
travail et en cela, on peut voir l’ergonomie comme « une science de l’action »
(Teiger 1995 : 15,17). La Société d’Ergonomie de Langue Française -SELF-,
donne l’ergonomie comme « l’ensemble des connaissances scientifiques
relatives à l’homme et nécessaires pour concevoir des outils, des machines et
des dispositifs qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité2

2 « L e travail e s t à la fo is u n e a c tiv ité fo rc é e , u n e a c tio n o r g a n is é e e t c o n tin u e , u n e ffe t p r o d u c te u r,


u n e a c tiv ité c r é a tric e d ’o b je ts et d e v a le u rs a y a n t u n e u tilité d a n s u n g ro u p e , u n e c o n d u ite d o n t le
m o tif p e u t ê tre p e rs o n n e l - g a in , a m b itio n , g o û t, p la is ir, d e v o ir - m a is d o n t l ’e f fe t c o n c e r n e le s
a u tre s h o m m e s ... C ’e s t u n e a c tio n a c c o m p lie , d e p lu s en p lu s , n o n p a r d e s in d iv id u s iso lé s, m a is
p a r d e s g r o u p e s d ’h o m m e s , a s s e m b lé s , r e c ru té s au d é p a rt p o u r d e s ra is o n s te c h n iq u e s , m a is
a s s o c ié s e n s u ite d a n s u n e r é a lité d e ra p p o rts h u m a in s d iv e rs e e t c o m p le x e , o ù j o u e to u te la v a rié té
d e s s tru c tu re s s o c ia le s e t d e s s e n tim e n ts s o c ia u x : l ’é q u ip e , l ’e n tre p ris e e t ses h ié ra rc h ie s , le
s y n d ic a t, la p ro fe s s io n , l ’a p p a rte n a n c e (e t le s e n tim e n t d ’a p p a rte n a n c e ) à u n e ré g io n , à u n e n a tio n ,
à u n e ra c e , (e t le u rs c o n tre p a rtie s é v e n tu e lle s ) ; le s o p in io n s so c ia le s , le s c ro y a n c e s r e lig ie u s e s , la
c o n s c ie n c e d e c la sse , le s a m itié s et le s in im itié s p e rs o n n e lle s » (M e y e rs o n in L e p la t, 1997 : 9 3 ).

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69

et d’efficacité». Au-delà, la SELF élargit l’étude ergonomique «aux aspects


symboliques des dispositifs et des outils, à l ’environnement organisationnel, aux
communications, connaissances et représentations des travailleurs, et en
étendant les critères à la santé prise dans son acception la plus large ». 11 s’agit
« d ’adapter le travail à l’homme et non l’homme au travail». Pour Teiger
(1993a: 76; 77 ; 86) la position de l’ergonomie vis-à-vis du travail, et en
conséquence l’usage qu’elle fait de l’analyse de pratique, a évolué en quarante
ans depuis Y évaluation du résultat de l’activité (ce que fait l’opérateur, sa
performance), à la description du comment il le fait et de ce qu’il sait, enfin à
Y interprétation du pourquoi il le fait, de ses modes de raisonnement, de
planification de l’activité. Ceci fait de l’ergonomie, comme de la sociologie, une
discipline d’interprétation, avec des questionnements épistémologiques déjà
évoqués précédemment. Mais, en outre, l’action ergonomique consiste
essentiellement à opérer, en partant de l’activité des sujets, « un déplacement
des points de vue, un changement de regard, une déconstruction des
représentations stéréotypées » (Teiger, 1993b : 325 ; voir aussi Falzon, Teiger
1995). Ceci peut renouveler l’approche tant de la conception des systèmes
techniques et organisationnels que de la formation des personnes. Comme nous
le verrons aussi en formation d’adultes, s’affirme ici une intention délibérée
d ’agir et de transformer le praticien dont l’activité est analysée. Une sorte de
maïeutique est sous-jacente au questionnement vis-à-vis du praticien, parce
qu’elle l’amène à découvrir « ce qu’il ne sait pas qu’il sait ». Les psychologues
du travail ont également porté un regard sur les objectifs de l’ergonomie, si
voisine de leurs travaux, tout en définissant leur place. Leplat (1997 : 3) propose
de considérer l’analyse psychologique de l’activité comme une composante de
l’analyse ergonomique, cette dernière intégrant d ’autres voies d’analyse :
physiologique, sémiologique, sociologique, etc. et elle s’en distinguerait
cependant par le fait qu’elle ne vise pas la transformation des situations.
Enfin, la didactique professionnelle a pour but d’analyser le travail en vue
de la formation des compétences professionnelles (Pastré 1999), et se situe « à
l’intersection et dans l’héritage de deux courants théoriques : la psychologie
cognitive ergonomique d’une part, la didactique (notamment la didactique des
maths et des sciences,) d’autre part». Elle emprunte les concepts et les
méthodes d’analyse du travail à l’ergonomie cognitive. Mais, pour Pastré, au
lieu de focaliser l’attention sur les caractéristiques singulières d’une situation
(tâche et activité, cf. le préambule au chapitre 1), la perspective est élargie, « en
introduisant une dimension développementale (le développement des
compétences et la construction de l’expérience tout au long de la vie
professionnelle) et une dimension épistémologique ». Cette dernière résulte du
fait que pour le didacticien, une situation professionnelle possède une structure
conceptuelle qui en fait à la fois quelque chose de compréhensible et de
transformable rationnellement (Pastré, 1999: 1). Par exemple, on parlera de
didactique professionnelle « à propos de la formation sur simulation, en
désignant par là une didactique dont l’objet est l’apprentissage de la maîtrise de
situations professionnelles, et non l’apprentissage des savoirs portant sur ces

69
70

« contribuerait au processus de ‘codage linguistique’ des actes de travail »


(Teiger, 1993b: 333), et donc, une fois de plus, contribue à la prise de
conscience de l’acteur et à sa formation.
Si l’on a développé ici les outils déployés par l’analyse de l’activité par
les trois disciplines, c’est qu’il semble que ce répertoire de techniques pourrait
inspirer l’analyse de pratique enseignante en FLE. Mais l’analyse de l’activité
est également un objet d’étude pour les disciplines qui l’utilisent.

L’analyse de pratique comme objet


Si l’analyse de pratique se transforme en objet, c’est qu’il est possible de
l’utiliser à des buts de formation : faire réaliser des analyses de postes dans
l’entreprise en étant encadré par l’ergonome formateur, faire référence à des
exemples concrets à l’aide d’images vidéo, faire des exercices en classe, des
présentations d’études de poste par les participants, faire faire des hypothèses de
conception de poste de travail, tout en donnant des consignes différentes sur les
moyens de recueil de données à différents sous-groupes afin de mettre en
commun et de réaliser à quel point il est important de concilier plusieurs types
de recueil de données pour faire le diagnostic d’un poste (Montreuil, 1995 : 35­
37). En l’occurrence, l’analyse de pratique est non seulement un moyen
d’analyser sa pratique, mais aussi une « matière » à apprendre, avec ses finalités
et ses moyens, puisque la formation inclura par exemple un exercice d’analyse
« guidée » de son travail, des apports de connaissance par des ergonomes, des
« travaux pratiques » en salle et en situation de travail (Teiger et Laville, 1991 :
57). Contribuer à faire de l’analyse de l’activité un objet d’étude dans la
didactique du FLE, au même titre que dans les disciplines orientées vers
l’analyse du travail, telle est l’intention qui anime nos réflexions, et nous
tenterons dans la partie II de montrer les raisons et les démarches qui rendent
possible un tel positionnement. Reste à savoir plus précisément sur quels
éléments de l’activité de travail porte ce recueil d’information.

Les o b jets d’étude de l’analyse de pratique en ergonomie,


psychologie, didactique
L’activité humaine au travail est ce qu’étudient les chercheurs dans les
champs évoqués. La notion d'activité a été définie en introduction à cette partie,
mais en fait, que regarde-t-on précisément lorsqu’on analyse la pratique en
ergonomie, en psychologie du travail, en didactique professionnelle ? Au point
de départ, on peut analyser :
• des activités gestuelles ;
• des prises d’information avec une distinction entre information extéroceptive,
venant de l’extérieur, et informations proprioceptives qui viennent des
mouvements et attitudes même du praticien (Ombredane et Faverge, 1955 : 10) ;
• des régulations de processus ;

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71

• des processus de pensée : « travailler, c’est mettre en action des formes de


pensée, utiliser des algorithmes ou des heuristiques, employer des techniques et
stratégies, prendre des décisions » (Faverge, 1972 : 9).
Comme Y activité est le résultat d’un couplage entre une tâche prescrite et
l ’agent qui la prend en charge (cf. Introduction), l’activité peut être envisagée
dans deux perspectives : dans la perspective de la tâche ou dans la perspective
de l’agent. Leplat (1997 : 17-56) précise que dans la perspective de la tâche, on
peut examiner les étapes et les facteurs techniques et organisationnels de
transposition de la tâche, depuis la tâche à réaliser jusqu’à la représentation que
s’en fait l’agent; dans la perspective de l’agent, on examinera le rôle des
compétences dans la réalisation de la tâche, la personnalité, la motivation, les
mécanismes d’ajustement réciproques de la tâche à l’agent, la « charge mentale
de travail » et l’efficience.

Objets de la Psychologie du travail


Pour le psychologue du travail, ce qui est étudié dans l’analyse de
pratique, ce peut être le « milieu intérieur » du travail et le sens de l’action. Le
sens de l’action, c’est « le rapport de valeur que le sujet instaure entre cette
action et ses autres activités possibles» (Clôt, 1993 : 106), en d’autres termes
« travailler, c’est réussir à faire ce qu’on fait en fonction de ce qu’on pourrait
faire », et partant, il s’agit pour le psychologue de repérer « les grammaires
d ’une action qui cherche à minimiser ses coûts physiques et cognitifs afin de se
rendre disponible pour d’autres activités ». Pour Clôt (id. : 105), cette économie
des gestes est « au principe d’une sorte d’instrumentation anonyme de
l’action », et fait du travail « non seulement un acte de déformalisation des
prescriptions mais, à contre-courant, également une source d’organisation du
milieu». Cette déformalisation et cette réorganisation du milieu de l’activité se
traduit de façon observable par des traces matérielles dans « une pellicule
d’objets qui sont les témoins matériels de cet impalpable milieu intérieur ».
Du petit carnet au graphique, de l’aide-mémoire au plan, du livre de
consigne à la « bible » du service, tous sont les documents où se trouve
consignée la recherche d’efficience de la part de l’acteur : « mémoire objectivée,
c’est en partant d’eux qu’on peut remonter le cours de l’activité. [...] Ils ouvrent
un accès privilégié au milieu intérieur de l’activité » (ibid.). Ainsi, l’analyse de
pratique comme analyse d’activité de travail pourra s’intéresser, dans le cas de
la pratique enseignante en FLE, non seulement au sens que l’enseignant donne à
ses actes en cours de langue - c’est-à-dire au rapport de valeur qu’il instaure
entre ceux-ci et les autres actes possibles-, mais aussi aux observables ou
éléments tangibles qui jalonnent son activité : fiches, supports, notes
intermédiaires, grilles de préparation didactique, etc. afin d’avoir accès par leur
intermédiaire au cœur de l’activité.
Si l’enseignant n’est pas toujours capable d’expliciter sa pratique, les
objets dont il se sert peuvent, eux, parler en son nom.

73
72

Objets de l’Ergonomie
Pour l’ergonome, l’accent est mis sur : 1) les composantes cognitives, 2) la
signification de l’action pour le sujet, 3) le « langage dans le travail » et 4) le
« langage sur le travail » - dans le sens ou « langage » est employé pour
« discours » Ces deux derniers étant du point de vue de la discipline des accès
privilégiés aux deux premiers (Teiger, 1993 : 82). Les discours sont, une fois de
plus, comme en sociologie, les accès à l’expérience vécue, et l’analyse de pratique
enseignante permet, par le discours partagé, de produire des significations, voire des
représentations de composantes cognitives de l’enseignant qui analyse sa propre
pratique dans une classe de langue (cf. n°l ci-dessus).

Objets de la Didactique professionnelle


Enfin, pour la didactique professionnelle qui s’origine en partie dans les
travaux déjà évoqués de Ochanine et de Vergnaud et dans la notion de schème et
d ’invariant opératoire, l’analyse de l’activité peut justement étudier l’apparition
et le développement des « concepts pragmatiques » qui font partie de la
représentation que facteur se fait de la situation : « les invariants opératoires
qui structurent l’activité deviennent des concepts pragmatiques au niveau de la
représentation» (Samurçay, Pastré, 1995: 14). Ces concepts pragmatiques
possèdent les trois dimensions qui sont :
• l’ensemble des situations où un concept donné trouve sens,
• l’ensemble des invariants qui rendent le concept opératoire, et
• l’ensemble des signifiants dans lesquels ce concept peut s’exprimer (Vergnaud, 1991).
Plus simplement, comme la connaissance est d’abord une adaptation et
que la théorie ne vient qu’ensuite (Pastré 1999), cette adaptation humaine est à
base de schèmes et de concepts, c’est-à-dire qu’elle implique nécessairement
une référence à la réussite et une référence au vrai. Autrement dit, le concept
pragmatique que le didacticien cherche à découvrir est bâti par le sujet lui-
même à partir de sa pratique et de ses expériences, qui sont autant d’indicateurs
lui permettant de juger de son efficacité. On suppose ainsi que l’acteur se
constitue une classification des situations rencontrées, des données pertinentes et
qu’il est capable d’attribuer des signifiants à ces ensembles, par exemple au
travers de l’analyse de pratique. Dans le cas de l’enseignement du FLE, on
suppose que l’enseignant, dès qu’il acquiert de l ’expérience, classifie,
consciemment ou non, les types de situations de classes rencontrées, selon des
critères qui lui sont propres. Parce qu’il attribue des signifiants à ces situations - il
peut les nommer, ou nommer les critères -, il est capable de mettre en œuvre des
concepts pragmatiques, c’est-à-dire des modes d’activités adaptés à ces situations.
Ces modes d’activités adaptés, c’est bien cela que l’analyse de pratique enseignante
cherche à expliciter : ce faisant, elle permet à l’enseignant de langue, comme à tout
praticien analysant son activité, de mieux s’analyser et de mieux se connaître, voire
de se perfectionner. Ceci constitue un des effets de la mise en place de l’analyse de
pratique, effets que nous allons envisager à présent.

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73

Les effets de l’analyse de pratique pour l’ergonome, le


psychologue, le didacticien
Quelles que soient la finalité ou les intentions d’une intervention dans une
de ces disciplines, elles s’accordent toutes à reconnaître, voire utiliser et
valoriser les effets induits par la mise en place d’analyse de pratique. Parmi ces
effets, il y a naturellement la construction de savoirs théoriques par les
chercheurs menant les investigations auprès des acteurs et nous avons vu au
paragraphe précédent sur quels objets portaient ces savoirs : gestes et
représentations attachés à l’activité. Mais du côté des praticiens impliqués dans
l’analyse de l’activité, deux catégories d’effets imbriqués sont généralement
reconnues, et que l’on retrouve bien entendu dans l’analyse de pratique
enseignante en FLE. Intentionnellement ou non, la mise en œuvre d’analyse de
pratique provoque et/ou vise le développement des compétences et les
métacompétences des praticiens, et par voie de conséquence, l’affirmation de
l’identité de ceux-ci. Ainsi, la fonction formatrice de l’analyse de pratique est
explicitement revendiquée dans le cas de l’Ergonomie (Teiger, Laville, 1991).
En l’occurrence, l’activité observée par la discipline donne lieu à une
connaissance qui « n’est pas un donné, mais un construit, un objet à constituer et
à reconstituer avec les intéressés eux-mêmes ». Pour Teiger (1993b : 85), c’est
dans le dialogue et par la confrontation des points de vue que se construit peu à
peu la représentation de l’activité et de ses processus sous-jacents. Ce point est
aussi particulièrement important dans le cas de la didactique professionnelle, qui
nous intéresse spécialement, puisqu’elle concerne notamment la formation des
enseignants, en visant la maîtrise des concepts pragmatiques propres à ce
métier. Pour Samurçay et Pastré (1995 : 29), «une formation centrée sur les
concepts pragmatiques a toutes les chances de placer les opérateurs dans leur
« zone de proche développement ». En s’appuyant ainsi sur Vygostki, les
auteurs signalent combien l’identification, par les professionnels, des données et
concepts pertinents à une situation donnée lors d’une formation, est de nature à
faciliter la maîtrise et le développement de leur compétence. Plus encore, selon
Pastré (1999), «on ne peut pas utiliser pour les situations le paradigme
curriculaire qui est d’usage pour la transmission des savoirs ». Pour lui
« l’essentiel de la didactisation consiste à combiner l’apprentissage par
l’exercice de l’activité et l’apprentissage par l’analyse de cette même activité »,
et pour ce faire, « c’est l’ingénierie didactique, c’est-à-dire la construction
d ’outils (objets, exercices, études de cas) qui facilitent l’accès des apprenants à
la conceptualisation de la situation ». Plus précisément, il y a production de
représentation avant, pendant et après l’activité, ces représentations étant
chargées de jugement. Teiger souligne bien qu’« il y a intrication de la
dimension opératoire et de la dimension axiologique de l’action» et que les
jugements portés sur la situation sont généralisés assez facilement à une classe
de situation et rendent les prises de décision plus économiques en termes de coût
cognitif.

75
74

Quant aux métacompétences produites par l’analyse de pratique, elles


sont définies, en Psychologie du travail par Leplat (1997 : 41) comme des
connaissances que l’agent possède sur ses propres compétences - « compétence
qui se prend elle-même pour objet ». Pour l’Ergonomie (voir Teiger, 1995 : 84 ;
Falzon, 1994), qui développe la réflexivité, les métaconnaissances seront
définies comme le savoir de l’opérateur sur les caractéristiques de son propre
fonctionnement cognitif (Valot, Grau, Amalberti, 1993 : 275). Ces
métaconnaissances se structureraient sur deux niveaux : un niveau
« stratégique » de planification de l’activité, et un niveau procédural où
l’opérateur possède un ensemble de procédures qui servent au contrôle de
l’activité en situation. Dans le cas de la Didactique du FLE, on peut imaginer
que l’enseignant, soit en planification préalable, soit en classe de langue, élabore
des stratégies, qu’ensuite il contrôle au moment du face à face : c’est ce que
l’analyse de pratique peut révéler et qui sera développé plus avant en Partie II.
Ces métaconnaisances sont évolutives et dépendent des connaissances sur
l’exécution des procédures, sur leur efficacité, et sur la qualité du choix des
stratégies. Ce que reconnaissent Valot et al. (1993 : 290), comme en Didactique
professionnelle, c’est l’intérêt de développer ces métacompétences : le parcours
formatif devrait inclure 1) la réalisation d’une activité, 2) un discours de l’acteur
sur celle-ci avec une identification des métaconnaissances dans le contrôle de
l’activité, enfin 3) une généralisation de ces mécanismes à travers d’autres
opérateurs et d’autres situations.
Ce dernier point, la généralisation, est une composante du processus de
professionnalisation des acteurs au travail, puisque le professionnel est en fait un
expert de son activité, capable de dégager des règles générales et ensuite de les
adapter à la singularité des situations en contexte. Or, parler de
professionnalisation, c’est entrer dans le champ de la Formation professionnelle,
champ faisant l’objet de nombreuses recherches disciplinaires et
transdisciplinaires que nous allons aborder à présent. Au sein des activités de la
formation professionnelle nous rencontrerons bien sûr la formation à la
didactique du FLE auprès des enseignants : leur formation est un des objets de la
recherche de ce champ, et à ce titre, il est nécessaire de penser l’analyse de
pratique des enseignants de langue comme l’un des outils de formation, comme
s’inscrivant dans un arrière plan qui dépasse la discipline du FLE, et qui
l’éclaire.

76
75

CHAPITRE 3

L’ANALYSE DE PRATIQUE
EN FORMATION D’ADULTES

Tl s’agit ici de présenter d’une part les définitions, ou descriptions, de


l’analyse de pratique proposées dans le champ de la Formation d’adultes,
d ’autre part les effets attendus ou reconnus de l’analyse de pratique, en tentant
de détailler les points d’application de ces effets, c’est-à-dire ce sur quoi porte
l’analyse de pratique et la nature de ces effets.

DÉFINITIONS

« La formation d’adultes »
Nous emprunterons ici largement aux travaux du Centre de Recherche sur
la Formation (CRF) du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM-
Paris), et, concernant la «form ation», Barbier (1996b : 44) la définit comme
« un champ de pratiques spécialisé dans la production de nouvelles capacités ou
de nouvelles dispositions transférables dans d’autres champs ». Nous allons
donc nous intéresser, dans l’analyse de pratique, à ce qui permet précisément la
production de nouvelles capacités et leur transfert.

« L’analyse de pratique »
Il est considéré initialement que l’analyse de pratique est surtout un outil
de formation notamment pour des adultes disposant déjà d’une expérience
professionnelle. Pour Barbier (1996b : 27) l’analyse des pratiques apparaît
comme un outil pour l’action et pour la recherche par la prise en compte du réel
vécu « grâce à une activité d’intelligibilité et/ou de finalisation des situations
concrètes ». L’auteur rappelle que la plupart des nouveaux modes d’organisation
du travail (démarche de qualité, démarche de projet, collectifs de travail sont en
effet le plus souvent fondés sur une activité individuelle ou collective « de
mentalisation, de formalisation des processus productifs par ceux-là mêmes qui
les réalisent », et requièrent pour cela des outils intellectuels permettant leur
approche. Cet outil de formation s’est particulièrement développé depuis les
années 1970, accompagnant la mise en place de nouvelles formes de formations
(Barbier 1996c: 10; Barbier, Boru, Berton 1996) liées particulièrement au
monde de l’entreprise. Les auteurs signalent les évolutions concernant le monde
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de la formation, avec le développement de formations intégrées à l’action et au


travail, l’utilisation explicite de démarches d’écriture, de formalisation et de
recherche à des fins de formation et de développement, de construction de
dispositifs articulant les acquisitions en situation de formation et les acquisitions
en situation de travail, et l’individualisation des parcours (Barbier 1996c : 3). Au
sein de ces nouvelles formes de formation, les voies utilisées sont diverses, et
parmi celles-ci, Barbier (1996c : 34) relèvent cinq d’entre elles :

• « l’auto-analyse du travail ou des pratiques, que l’on peut définir comme


une activité réflexive conduite par un opérateur individuel ou collectif sur le
processus même de travail dans lequel il est engagé et sur ses rapports à
l ’environnement. Cette activité prend, selon les cas, la forme d’une
explicitation ou d’une description, d’une analyse au sens strict ou d ’une
évaluation. Elle suppose des opérations mentales et des opérations de
communication non pas seulement au sein de l ’action, mais sur l’action elle-
même et l’action située [...] ;
• la formation-action, [...] que l’on peut définir comme la transformation en
occasions de formation de situations de résolution de problèmes « en vraie
grandeur» par les acteurs mêmes qui y sont confrontés, avec l’appui
d’accompagnateurs. Cette transformation suppose notamment une activité de
formalisation individuelle et/ou collective de la perception de la situation
d’action (.setting ) et de l’évolution possible de cette action (so lv in g ) [...] ;
• l’écriture sur les pratiques professionnelles, qui, à l’activité mentale de
mise en objet de la pratique, ajoute une dimension de communication en
différé qui permet un moindre contrôle par le sujet des conditions de
réception de son discours, et qui renforce donc les phénomènes d’exposition
de soi et leurs enjeux [...] ;
• l’ingénierie des pratiques ou la production d’outils personnalisés, qui
consiste à placer explicitement des praticiens ou des opérateurs dans une
position leur permettant de participer au processus de définition ou de
redéfinition des objectifs et des moyens de leur action (individuelle ou
collective) et à son évaluation ;
• la recherche-formation ou la recherche-action qui se propose de faire
produire des savoirs par les acteurs mêmes qui sont censés les détenir et les
mobiliser ».

Dans chacun de ces cas, ces démarches demandent aux formés/apprenants


une activité intellectuelle sur et à partir des actions ou des situations concrètes,
et de produire des savoirs à partir de leur pratique, quelquefois en privilégiant la
prise en compte des significations accordées par les acteurs à leur action et en
recherchant des outils conceptuels qui soient générateurs de savoirs. Certains
parleront alors de « grammaire de l’expérience » comme explicitation des savoirs
pratiques propres à un domaine (Tochon 1996 : 267). Cette grammaire peut alors
être la cible d’une objectivation, c’est-à-dire d’une « activité d’explicitation liée à
la verbalisation réfléchie de l’expérience qui vient de se produire et de
l’expérience à venir; l’objectivation met en langage les objets propres à
l’expérience », et cette objectivation peut prendre deux formes, selon l’auteur :

78
77

une « objectivation intrinsèque » propres au praticien et une « objectivation


extrinsèque », opérée par un chercheur. Il est intéressant de relever au passage
que la notion d’objectivation a été développée au Québec par le Ministère de
l’Education pour désigner un questionnement systématique propre à susciter la
métacognition (Tochon, op. cit.). « Explicitation », « mentalisation », « objectivation »,
toutes ces démarches passent par l’expression et par la mise en représentation par
l’acteur de son action. Sous-jacente à ces démarches, la réflexion de l’acteur sur son
action renvoie aux notions d’« abstraction réfléchissante » et d’« abstraction
réfléchie » de Piaget, que nous avons présentées en Préambule à la Partie I. En
d ’autres termes, l’analyse de pratique, ou plutôt les analyses de pratique, tout en
représentant une des formes contemporaines que prennent des dispositifs de
formation d’adultes inscrits dans une réalité sociale, sont fondées sur un ressort
individuel, sur l’expression d’un processus réflexif pris en charge par des
individus. (Nous verrons au plan des effets ce que cette conjonction social-
individuel a comme conséquence au plan de la formation des compétences et de
l’identité au paragraphe suivant.) Il ne serait pas possible de cerner ces démarches
sans évoquer ce qu’elles impliquent, c’est-à-dire une certaine « épistémologie de
l’agir professionnel», une «nouvelle épistémologie de la pratique» plaçant
l’individu-praticien au centre d’un processus de recherche.

Pour une épistémologie de la pratique


Schôn, auteur du « Praticien réflexif» (1994 : 40 ; 1996 : 201) décrit ce
en quoi consiste la pratique réflexive telle qu’il l’entend : réfléchir en cours
d’action et sur l’action. D’une part, la réflexion en cours d’action est exprimée
par des phrases comme « penser en marchant », « garder sa présence d’esprit »
et « apprendre en faisant », qui suggèrent que parfois nous pensons à ce que
nous faisons, et qu’au cours de tels processus, « la réflexion tend à se concentrer
de façon interactive sur les résultats de l’action, sur l’action elle-même et sur le
savoir intuitif implicite dans l’action». D’autre part, la réflexion sur l’action
concerne les praticiens qui dans la relative tranquillité qui suit un événement,
repensent à un de leurs projets ou à une des situations qu’ils ont rencontrées et
qui se demandent « quelle sorte de compréhension ils avaient pour s’en
occuper». Pour Schôn (1996: 207; 208), «quand quelqu’un réfléchit sur
l’action, il devient un chercheur dans un contexte de pratique. Il ne dépend pas
des catégories découlant d’une théorie et d’une technique préétablies, mais il
édifie une nouvelle théorie du cas particulier. ». Les enjeux de l’analyse de
pratique sont tout entiers dans cette représentation d’un praticien « chercheur
dans un contexte de pratique ». En entamant ce type de démarche, le praticien
enseignant de FLE par exemple, entame une recherche. Or, dans les filières de
formation initiale à la didactique du FLE à l’Université, notamment au niveau
des Masters de première année ou des Maîtrises, le mémoire de stage demande à
l’étudiant le plus souvent un effort non seulement de description de la pratique,
mais aussi une recherche en compréhension, par une conceptualisation ou
théorisation, qui prend appui sur des questions issues de la pratique. La
démarche est donc déjà constituée dans le domaine de la didactique du FLE.

79
78

Pourtant, elle ne va pas toujours de soi. À ceci, une raison semble


essentielle à Schôn. Tl adosse sa revendication d’une pratique réflexive à une
critique, celle d’un couple d’opposés théorie-pratique, déjà évoqué, qui
interpelle particulièrement l’enseignement du FLE. On retrouvera des échos de
cette opposition et de cette valorisation de la théorie par rapport à la pratique
dans les débats opposant Linguistique Appliquée et Impliquée, que nous
aborderons au chapitre 4, Ainsi, la désignation de l’enseignement du FLE par le
terme de Linguistique Appliquée, prise de façon traditionnelle, semble
correspondre à cette description, tant en ce qui concerne la didactisation du
savoir sur la langue française comme langue cible, que l’application de théories
cognitives ou communicatives. La séparation théorie-pratique est donc très
présente dans les réflexions de la Didactique du FLE. Cependant, le dispositif de
formation initiale des enseignants de FLE, par son mémoire de Master de
première année, est un outil qui, d’ores et déjà, permet de surmonter cette
opposition. Qu’en est-il alors des effets de cette recherche sur celui qui s’y livre,
dans un contexte de pratique?

EFFETS ATTENDUS
Comme dans toute formation, il serait ambitieux de prévoir tous les effets
de celle-ci sur les participants ; néanmoins, force est de constater que les
institutions qui engagent des formations, et notamment lorsqu’elles mobilisent
des analyses de pratique, en attendent au moins deux effets : l’un sur les savoirs
et compétences, l’autre sur la construction de l’identité professionnelle. Il nous
faut dans un premier temps définir les savoir/compétences ainsi visés, puis nous
examinerons la double attente des institutions, enfin, les effets eux-mêmes de
l’analyse de pratique sur les individus.

Effets attendus : points d’application de l’analyse de pratique


L’analyse de pratique s’applique bien à l’activité d’individus, mais
qu’est-elle censée faire évoluer en ces individus au plan strictement cognitif?
Une réponse est d’ores et déjà présente chez Piaget : le savoir. Ceci est relayé
par Schôn: «un savoir autonome», «un savoir caché dans l’agir
professionnel », «une connaissance autonome». Analyser sa pratique a ainsi
pour cible un savoir ou des connaissances, c’est-à-dire un ensemble de
composantes propres à un individu donné. Or, c’est sur l’activité d’un sujet, sa
pratique, que « pèse la charge de l’élaboration des connaissances à partir des
situations» (Astier 1999: 88). Savoirs, connaissances, compétences, tels sont
les termes couramment évoqués par les programmes de formation ou
d ’enseignement. Les chercheurs n’ont pas manqué de relever la relative
indifférenciation de ceux-ci dans leur emploi, ainsi que la polysémie de chacun
d’entre eux, et en conséquence, ils ont proposé des définitions (Barbier 1996c ;
Barbier Galatanu 2004). 11 est utile d’en restituer quelques-unes dans ces lignes.

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Des savoirs
Ce à quoi s’applique l’analyse de pratique, ce que cette activité réflexive
cherche à faire advenir sont des « savoirs d’action ». Dans un premier temps, on
notera que la définition de savoirs renvoie à « des énoncés propositionnels associés
de façon relativement stable à des représentations ou des systèmes de
représentations sur le monde et sa transformation, faisant l’objet d’une
reconnaissance sociale et d’un contrôle se situant dans le registre de la validité
épistémique (vrai/faux), pragmatique (efficace/inefficace), et considérés comme
susceptibles d’être investis dans des activités de pensée, de communication, ou
de transformation de l’environnement » (Barbier, Galatanu, 2004 : 42). Ainsi,
pour qu’il y ait savoir, il faut qu’il y ait des énoncés, mais ce qui intéresse
l’analyse de pratique, ce sont des énoncés opératifs, c’est-à-dire des énoncés
« associés à des représentations relatives à des séquences d’opérations
susceptibles d’être engagées pour assurer une transformation possible du
monde » et « qui apparaissent dans le contexte direct d’activités de
transformation du réel, supposant de la part de ceux qui y sont impliqués une
activité supplémentaire de prise de conscience, d’explicitation et de mise en
m ots» (Barbier, 1996b: 15). En transposant à l’enseignement du FLE, on
considérera que pour l’enseignant en activité dans sa classe, les différentes
situations produisent des savoirs à propos d’une part, des « opérations » que sont
les interactions enseignant-apprenant, et d’autre part, des « matériaux » que sont
les supports, manuels et conditions matérielles de l’environnement enseignant. Les
facteurs de stabi 1ité/variabilité des opérations et des matériaux sont donc très
nombreux à analyser. En outre, s’agissant d’une situation de communication
didactique, on peut se demander quelle est la part des « savoirs de routine », des
« savoirs procéduraux » ou des « savoirs d’action » dans l’expérience, et surtout si,
malgré leur imbrication il est possible de les distinguer dans l’analyse. Ceci
constitue l’une des difficultés de l’analyse de pratique.

Des compétences
En ce qui concerne la notion de « compétences », elle sera définie par le
fait qu’elle renvoie à « des constructions représentationnelles et discursives,
inférées pour le présent à partir d’actions situées et parvenues à leurs fins,
attribuées à des sujets individuels et/ou collectifs, souvent décrites en termes de
combinaisons de ressources préexistantes » (Barbier, Galatanu, 2004 : 64 ;
Barbier, 1996c : 14). Les auteurs précisent bien que les compétences n’ont pas
le caractère d’entités psychologiques et sociales sur lesquelles il serait possible
d ’élaborer des constructions représentationnelles et discursives parce qu’elles
sont e lle s -m ê m e s des constructions représentationnelles et discursives produites
dans le cadre d’interactions entre acteurs sociaux : « Il n’existe pas de
compétence qui ne soit dite, représentée ou communiquée par les acteurs à
propos d’autres acteurs ou d’eux-mêmes ». Une des conséquences importantes
pour les deux auteurs est notamment que ces compétences, ces constructions

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80

représentationnelles font fréquemment l’objet d’un « processus de


naturalisation » aussi bien dans le discours savant que dans le discours social.
Autrement dit, dès qu’un discours est produit par un sujet à propos d’une action
qu’il a accomplie, les représentations que ce discours comporte sont considérées
le plus souvent comme « naturelles », comme déjà là, alors que ces
représentations sont le produit de la mise en discours par le sujet. Tant l’effet de
naturalisation des savoirs énoncés dans une analyse de pratique que le fait que
ces savoirs sont le produit d’une mise en mot est intéressant pour la formation,
notamment celle des enseignants de langue. En effet, si l’enseignant qui analyse
sa pratique a tendance à considérer comme « naturel » le savoir qu’il énonce, il
pourra ainsi s’appuyer sur lui pour progresser, comme élément objectivé de ses
compétences ; par ailleurs, la mise en mot qui produit des savoirs est à elle seule
un argument en faveur des dispositifs d’analyse de pratique. A ce stade, il est utile
de mentionner l’étude réalisée par V. Lang sur la professionnalisation des
enseignants en général depuis plus de vingt ans en France. La caractérisation des
compétences comme étant liées à la pratique est largement étudiée par Lang,
notamment à travers l’évolution des représentations sur les savoirs professionnels
des enseignants, en particulier du secondaire : avant 1980, vue par l’institution, la
compétence professionnelle de l’enseignant repose fondamentalement sur la
maîtrise de ce qu’il enseigne et sur la qualité de son activité intellectuelle, la
maîtrise des connaissances étant posée comme condition nécessaire et suffisante
de la manière de les enseigner (Lang, 1999 : 87). Mais Lang souligne aussi que les
années 1980 voient basculer la formation professionnelle initiale du modèle de
l’homme cultivé à celui de praticien : « est privilégiée l’adaptation active aux
conditions d’exercice, renversant les priorités de la période précédente entre
formation académique et formation professionnelle, abandonnant la référence à
l’agrégation comme seul modèle d’excellence professionnelle » (op. cit. 89).
Soulignant la norme pédagogique idéale qu’est la leçon, l’auteur rappelle par
exemple que la préparation de la leçon visait pour l’enseignant « à surmonter
deux types d’obstacles principaux : l’expérience directe, d’une part, concrète et
immédiate, trop complexe, impénétrable, dont l ’élève ne voit et ne retient que les
aspects anecdotiques, l’instabilité de l’enfant, d’autre part » (op. cit. 90). Il
explicite ensuite les présupposés fondamentaux qui justifient l’impossibilité de
concevoir alors les pratiques enseignantes comme de véritables savoirs
professionnels spécifiques, comme source de compétences enseignantes
reconnues tant par les enseignants eux-mêmes que par l’institution. Ces
présupposés sont au nombre de cinq (V. Lang 1999 : 93) :
I. les seuls contenus, en soi intéressants suffisent à créer une motivation des
apprenants ;
II. la seule maîtrise des savoirs disciplinaires, suffisante pour construire une
leçon (parce que l’organisation de celle-ci relève principalement d ’une
logique des contenus) est un postulat ;
III. la possibilité, à l ’école, de « neutraliser » les singularités des individus et
en conséquence d’ignorer l’hétérogénéité des élèves, (même si, de fait, les
enseignants s ’adaptent à un niveau moyen de la classe) est une certitude ;

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81

IV. un autre postulat réside dans le fait de penser que, parce que la raison est
universelle, le cheminement intellectuel du maître, s’il est authentique, ne peut
que susciter le cheminement identique des élèves ;
V. enfin, le postulat selon lequel il suffit à l’élève d’imiter pour apprendre,
parce qu’imiter va de soi.

Ces postulats sont remis en cause à partir du moment où le public de


l’enseignement secondaire a changé, et alors le centre de gravité du métier se
déplace de la maîtrise des contenus à celle de la situation, toujours singulière,
d ’apprentissage de ces contenus. « Les modèles de formation traditionnels sont
obsolètes » (Lang, 1999 : 104). Dans le cas de l’enseignement du FLE, il semble
que l’éclosion de l’approche communicative et des méthodes qui en découlent
ait anticipé quelque peu le mouvement de l’enseignement en général. En effet, la
parution du Niveau Seuil en 1976 a proposé de considérer que parler une langue,
c’est apprendre à utiliser cette langue, et que la salle de cours est peut-être l’un
des espaces où l’interaction langagière entre apprenants et entre apprenants et
enseignant permet cet usage, même simulé : cet accent mis sur la
communication en classe de langue, avec l’inédit qui s’y déroule paraît
coïncider avec cette nouvelle conception de la pratique enseignante, orientée
vers l’analyse des situations de classe. En résumé, l’analyse de pratique a pour
objet des savoirs détenus, (par exemple par les enseignants en formation),
savoirs opératifs, constitutifs de compétences professionnelles et susceptibles de
reconnaissance sociale, mais également d’affirmation identitaire.
Reconnaissance sociale comme affirmation identitaire sont ainsi deux des effets
visés par la mise en place dans différentes institutions de dispositifs d’analyse de
pratique.

Effets attendus : la double nature de ces effets


En prenant toujours une approche globale de la formation des adultes,
quel que soit le champ professionnel, on adoptera ici encore une fois le point de
vue des chercheurs du CRF, qui soulignent à plusieurs reprises le double registre
sur lequel les démarches de type Analyse de pratique au sein des formations
fonctionnent depuis plus de vingt ans, et ce, de façon de plus en plus affirmée :
« [.,,] dans ces nouvelles formes de formation, l’engagement dans une action
de transformation du réel est considéré comme délibérément inducteur d’une
transformation identitaire, lorsqu’il est doublé d’une activité de production de
représentation et de savoirs sur et à partir de cette action. L ’acte de travail
devient acte de formation lorsqu’il s ’accompagne d’une activité d’analyse,
d’étude ou de recherche sur lui-même. La production de savoirs par
l ’apprenant est alors utilisée comme outil direct de production de compétence,
alors que traditionnellement dans les systèmes d’enseignement et de
formation, les transformations identitaires souhaitées sont considérées comme
devant être obtenues pour l’essentiel soit par mise à disposition —
appropriation de savoirs extérieurs, soit par mise en exercice des savoirs
appropriés » (Barbier, 1996c : 3).

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Ce constat de la création d’espaces et de temps en partie consacrés à


l’analyse de pratique par les institutions et les acteurs, et faisant d’une pierre
deux coups s’affirme dans le passage suivant :

« Toutes ces interventions éducatives ont un point commun : elles peuvent être
caractérisées comme l ’ouverture d’espaces spécifiquement conçus et organisés
autour d’une double intention de production de bien ou de services (ou de
transformation de l’environnement physique et/ou social) et le développement
des compétences investies dans cette même production [...]. L’hypothèse
centrale fondant l’ouverture de ces espaces est bien sûr l’hypothèse qu’il est
possible de transformer de manière conjointe l’acteur et l ’action, l’opérateur et
l ’opération, le praticien et la pratique, le travailleur et le travail » (Barbier,
ibid).

Sur la base de ce constat, il serait alors possible de ne considérer l’analyse


de pratique que sous l’aspect d’un outil soumis d ’une part à une mode
pédagogique, d’autre part, à une demande sociale imposées par les institutions
en général, sorte de dispositif de double contrainte : analyser sa pratique révèle
au sujet en formation ses propres compétences, mais dans le même temps les
révèle à l’institution demanderesse, qui peut alors en faire une utilisation
soumise à ses propres intérêts ; (se) dévoiler à soi-même ses savoirs en acte,
c’est aussi (se) dévoiler aux yeux du monde professionnel, et risquer une
instrumentalisation extrinsèque de ses savoirs, un usage non souhaité par le
détenteur de ces compétences. On touche ici une autre des résistances possibles
à une démarche d’analyse de pratique. Ont déjà été envisagés des obstacles liés
à l’autonomie du savoir de l’action, c’est-à-dire des facteurs cognitifs, puis des
obstacles liés à une vision axiologisante du couple théorie-pratique, c’est-à-dire
des obstacles épistémologiques ; il faut en outre prendre en compte des facteurs
d ’ordre social et psychologique impliqués par le double registre sur lequel joue
l’analyse de pratique : la production de compétences et l’affirmation identitaire.

Effets de l’analyse de pratique : production de compétences


Seul le champ de l’enseignement sera ici abordé, toujours avec le bilan
opéré en 1999 par Vincent Lang de la professionnalisation des enseignants. La
notion de professionnalisation est définie par l’auteur, en suivant Bourdoncle,
comme processus de constitution d’une professionnalité, c’est-à-dire qu’elle
« vise à une maîtrise pratique et à un certain de gré de rationalisation du procès
de travail » (Lang 1999 : 29). Quant à la notion de professionnalité, elle peut se
définir comme l’ensemble des compétences correspondant à un exercice
professionnel et comme la caractéristique de l’exercice d’un métier donné,
« renvoyant à la nature plus ou moins élevée et rationalisée des savoirs et des
capacités utilisés dans l’exercice professionnel» (Bourdoncle, dans Lang, 1999:
26). Cette insistance des définitions de la professionnalisation sur la rationalisation
de l’activité spécifique à un secteur donné met bien en lumière un des aspects de
l’analyse de pratique en tant qu’outil de professionnalisation. On pourra dire que la

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« professionnalisation » consiste à pouvoir tenir un discours sur ses propres


compétences. Ce faisant, l’analyse de pratique remplit une fonction non seulement
de mobilisation, mais aussi de construction des sujets qui s’y engagent. En effet, si
l’analyse de pratique a bien pour point d’application les savoirs d’action qui rentrent
dans la construction des compétences autour d’actions situées - ce que nous avons
envisagé au paragraphe précédent -, elle peut avoir aussi pour effet la construction
de « compétences à générer des compétences » : l’habitude réflexive est une méta-
compétence, un méta-savoir, une sorte de système expert individuel ou d’auto­
évaluation dynamique qui permet à l’individu d’abstraire de l’activité réalisée et
analysée des diagnostics, provisoires, et des plans d’action, fragmentaires ; pour les
auteurs, ceci explique le recours aux méthodes d’éducabilité cognitive, abordées au
chapitre 1 (paragraphe « Flavell et la métacognition »). Or, construire des
compétences chez les professionnels d’un secteur donné fait aujourd’hui partie des
processus de production, qu’il s’agisse d’industrie ou d’enseignement: «activités
cognitives et potentiel d’implication affective sont présentés en fait comme
composantes directes du processus de production» (ibid.). Très précisément
d’ailleurs, dans l’enseignement, Lang retrace l’émergence de référentiels de
compétences. Ceux-ci esquissent une image nouvelle de la professionnalité, en
rupture avec les définitions qu’en donnait l’institution jusqu’aux années 1970, en
l’inscrivant d’abord dans un nouvel horizon :

« enseigner est une pratique qui ne se réduit pas à la maîtrise de contenus


disciplinaires, dans l ’enseignement primaire comme dans le secondaire ; cette
pratique ne va pas de soi, n ’est pas spontanément partagée par toute personne
en charge d ’éducation ; il existe des savoirs et des savoirs faire spécifiques,
adaptés aux missions nouvelles de l’appareil éducatif ; ces savoirs sont
centrés sur l’efficience professionnelle ; cette efficience relève de la
responsabilité et de la prise de décision des acteurs engagés dans l’action ; à
terme l ’ensemble des enseignants doit mettre en œuvre ces compétences pour
atteindre les objectifs quantitatifs fixés par la loi. [...] Dans cette perspective,
certains référentiels insistent fortement sur le développement d ’attitudes
réflexives, sur les capacités à analyser, évaluer, et réguler les pratiques
professionnelles, en fonction des publics et du contexte, mais aussi sur la
position éthique nécessaire à l’exercice professionnel» (Lang, 1999: 151,
152). ~

Il est à noter au passage que ces attitudes réflexives s’appuient sur les
travaux de D. Schôn, mais, au-delà, Vincent Lang rappelle que, dès les années
1990, dans de nombreux IUFM, l’accent est mis sur des dispositifs d’analyse de
pratique. Ainsi, la « production de compétence » est un processus présentant un
caractère plutôt paradoxal, déjà évoqué précédemment : l’instrumentalisation
par une institution des compétences se fonde sur une démarche assumée et
entreprise par un individu donné, prenant pour objet sa propre activité,
autrement dit, sur une démarche constructrice de l’identité de cet individu. Au
bout du compte, pour des motifs très différents, tous les acteurs peuvent avoir à
tirer parti de l’analyse de pratique. Au croisement de ces deux registres, celui de

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84

la demande institutionnelle et celui du besoin éventuel de praticiens, Lang


signale une grille de lecture de l’activité enseignante qui met en lumière les
contraintes auxquelles cette activité est soumise, et qui fonde la reconnaissance
du savoir faire de l’enseignant :

« W, Doyle (1986) a mis en évidence le fait que l’enseignement est un


processus soumis à un ensemble de contraintes fortes dont les caractéristiques
sont la m u ltid im en sio n n a iité, qui renvoie à la diversité des registres de
l ’activité et des événements, la sim u lta n éité de ces événements et actions,
l ’im m édiateté, car l’action n ’attend pas, l ’im prévisibilité de ce qui peut
survenir, la visibilité, qui souligne la dimension publique de l’activité, chaque
action de l’enseignant étant observée et interprétée par les élèves, l’historicité,
qui souligne la continuité et la dynamique de la relation dans la classe, source
d’un m o d u s vivendi. » (Lang, 1999 : 169)

Toutes ces caractérisations de l’activité enseignante sont des facteurs qui


contribuent à forger la compétence de l’enseignant et il semble clair que, si
l’analyse de pratique aide l’enseignant de FLE à articuler, in vivo, la prise en
compte de la multidimensionnaiité, le traitement de la simultanéité et de
Vimmédiateté des actions à entreprendre, l’aptitude au jeu avec l ’imprévu,
l’organisation de la visibilité en classe de langue, l’institution ne pourra que
mieux reconnaître ses compétences. L’analyse de pratique est en outre un
facteur de la construction et de l’affirmation de l’identité professionnelle et,
quelquefois, personnelle.

Effets de l’analyse de pratique au plan de l’affirmation


identitaire
« Affirmation identitaire » renverra ici à la définition contrastive qu’en fait
Barbier par rapport à d’autres formes d’évolution individuelle provoquées par des
processus de formation, et s’appuie sur la notion d’identité, définie comme : « une
construction mentale et discursive que les acteurs sociaux opèrent autour d’eux-
mêmes ou autour d’êtres sociaux avec lesquels ils sont en contact, dans une situation
ayant pour enjeu immédiat dominant la relation qu’ils entretiennent» (Barbier
1996a: 12). Le même auteur insiste sur le côté «construction mentale» de
l’identité : celle-ci est

« un ensemble de composantes représentationnelles (contenus de conscience


en mémoire de travail ou en mémoire profonde), opératoires (compétences,
capacités, habiletés, savoirs et maîtrises pratiques, etc.), et affectives
(dispositions génératrices de pratiques, goûts, envies, intérêts, etc.) produit
par une histoire particulière et dont un agent est le support et le détenteur à un
moment donné de cette histoire. [.,.] L ’identité comme produit des actions et
des expériences antérieures d’un agent individuel et collectif. Tout se passe en
effet comme si ces expériences ou actions antérieures laissaient un certain
nombre de traces, de sédiments qui contribuent à la formation des identités.

86
85

Ces traces et ces sédiments sont d ’autant plus riches que ces pratiques sont
plus variées et qu’elles s ’accompagnent de phénomènes représentationnels et
affectifs plus intenses » (Barbier, 1996b : 40).

La notion d’identité qui nous intéressera dans ses lignes est celle
d ’« identité pour soi » définie comme identité « subjective » de Soi (Dubar,
1995 ; 1996 : 43). Le point qui sera ici retenu comme effet possible de l’analyse
de pratique en formation d’enseignant, est le fait que le travail réflexif, scion
l’objectif fixé et les outils utilisés, pourra s’attacher tant à des savoir faire et des
savoirs d ’action, qu’à des affects et plus vraisemblablement à l’imbrication des
uns et des autres. Or, l’analyse de pratique, en tant qu’outil de formation
d ’enseignant, est un outil au service de leur apprentissage, que cet apprentissage
soit celui du métier d’enseignant ou d’une « professionnalité » accrue. En tant
qu’outil d ’apprentissage (apprentissage au sens de Piaget), l’analyse de pratique,
par laquelle les actions antérieures et l’histoire, même fragmentée, du sujet peut
être retrouvée, pourrait être considérée comme une démarche déstabilisante, parce
que susceptible de remettre en cause aussi bien des « théories professées » sur
l’action (Schôn, 1996b : 212), que des valeurs et des croyances, mais elle peut
aussi être considérée comme une démarche enrichissante, par la récupération de
savoirs cachés. Dans les faits, l’analyse de pratique a lieu le plus souvent dans un
espace de formation, c’est-à-dire dans un espace protégé pour celui qui
l’entreprend; cet espace lui permet d’expérimenter ces nouvelles manières de
penser et d’agir : Bourgeois (1996 : 33) souligne que la formation doit constituer
pour lui une «scène» où il peut se permettre d’emprunter, d’essayer d’autres
manières de voir le monde et d’agir, d’en expérimenter provisoirement les
conséquences sur autrui (les acteurs avec lesquels il interagit au sein de l’espace
de formation) sans que cela porte à conséquences dans la vie réelle : « c’est la
métaphore de la situation de formation comme scène de théâtre, comme aire de
jeu, comme laboratoire, comme réalité virtuelle (c’est comme la réalité, ce n ’est
pas la réalité). ». L’analyse de pratique, si elle s’amorce dans le cadre d’un
espace protégé en formation, est cependant un outil que l’enseignant en
formation peut réinvestir au quotidien dans sa pratique. L ’essentiel est d’avoir
temporairement le regard de pairs, non engagé dans un contexte institutionnel, et
qui permet de prendre le recul nécessaire. Ainsi, l’analyse de pratique mise en
œuvre dans un espace de formation par exemple en Didactique du FLE, peut
avoir pour effet de structurer l’identité professionnelle enseignante, tout en
développant ses compétences : dans les deux cas, ces effets sont obtenus par la
mise en mot de l’expérience des acteurs. Cette mise en mot est, on l’a remarqué
tout au long de ces chapitres, une constante des dispositifs, qu’il s’agisse de
sociologie, de linguistique, de disciplines étudiant le travail ou de formation
professionnelle. Elle n’est autre qu’une façon de formaliser des expériences qui,
autrement, resteraient tues, voire inconscientes. L ’enjeu est donc, pour
l’enseignant en recherche de perfectionnement de sa pratique quotidienne, si ce
n’est en recherche tout court, de se doter d’outils pour opérer ce renforcement
du savoir qu’il détient sur ses propres gestes professionnels.

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Ces traces et ces sédiments sont d ’autant plus riches que ces pratiques sont
plus variées et qu’elles s ’accompagnent de phénomènes représentationnels et
affectifs plus intenses » (Barbier, 1996b : 40).

La notion d’identité qui nous intéressera dans ses lignes est celle
d ’« identité pour soi » définie comme identité « subjective » de Soi (Dubar,
1995 ; 1996 : 43). Le point qui sera ici retenu comme effet possible de l’analyse
de pratique en formation d’enseignant, est le fait que le travail réflexif, scion
l’objectif fixé et les outils utilisés, pourra s’attacher tant à des savoir faire et des
savoirs d ’action, qu’à des affects et plus vraisemblablement à l’imbrication des
uns et des autres. Or, l’analyse de pratique, en tant qu’outil de formation
d ’enseignant, est un outil au service de leur apprentissage, que cet apprentissage
soit celui du métier d’enseignant ou d’une « professionnalité » accrue. En tant
qu’outil d ’apprentissage (apprentissage au sens de Piaget), l’analyse de pratique,
par laquelle les actions antérieures et l’histoire, même fragmentée, du sujet peut
être retrouvée, pourrait être considérée comme une démarche déstabilisante, parce
que susceptible de remettre en cause aussi bien des « théories professées » sur
l’action (Schôn, 1996b : 212), que des valeurs et des croyances, mais elle peut
aussi être considérée comme une démarche enrichissante, par la récupération de
savoirs cachés. Dans les faits, l’analyse de pratique a lieu le plus souvent dans un
espace de formation, c’est-à-dire dans un espace protégé pour celui qui
l’entreprend; cet espace lui permet d’expérimenter ces nouvelles manières de
penser et d’agir : Bourgeois (1996 : 33) souligne que la formation doit constituer
pour lui une «scène» où il peut se permettre d’emprunter, d’essayer d’autres
manières de voir le monde et d’agir, d’en expérimenter provisoirement les
conséquences sur autrui (les acteurs avec lesquels il interagit au sein de l’espace
de formation) sans que cela porte à conséquences dans la vie réelle : « c’est la
métaphore de la situation de formation comme scène de théâtre, comme aire de
jeu, comme laboratoire, comme réalité virtuelle (c’est comme la réalité, ce n ’est
pas la réalité). ». L’analyse de pratique, si elle s’amorce dans le cadre d’un
espace protégé en formation, est cependant un outil que l’enseignant en
formation peut réinvestir au quotidien dans sa pratique. L ’essentiel est d’avoir
temporairement le regard de pairs, non engagé dans un contexte institutionnel, et
qui permet de prendre le recul nécessaire. Ainsi, l’analyse de pratique mise en
œuvre dans un espace de formation par exemple en Didactique du FLE, peut
avoir pour effet de structurer l’identité professionnelle enseignante, tout en
développant ses compétences : dans les deux cas, ces effets sont obtenus par la
mise en mot de l’expérience des acteurs. Cette mise en mot est, on l’a remarqué
tout au long de ces chapitres, une constante des dispositifs, qu’il s’agisse de
sociologie, de linguistique, de disciplines étudiant le travail ou de formation
professionnelle. Elle n’est autre qu’une façon de formaliser des expériences qui,
autrement, resteraient tues, voire inconscientes. L ’enjeu est donc, pour
l’enseignant en recherche de perfectionnement de sa pratique quotidienne, si ce
n’est en recherche tout court, de se doter d’outils pour opérer ce renforcement
du savoir qu’il détient sur ses propres gestes professionnels.

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87

CHAPITRE 4

L’ANALYSE DE PRATIQUE EN FORMATION


D’ENSEIGNANT DE FLE

Ce chapitre a pour objet d’examiner la façon dont l’analyse de pratique


enseignante se situe dans la didactique du FLE. L ’idée est de tenter de trouver
des passerelles entre les disciplines évoquées précédemment et le FLE du point
de vue de l’utilisation de l ’analyse de pratique. Il ne s’agit pas là de juger
l’analyse de pratique enseignante en FLE au regard des usages des autres
disciplines, ce qui ne ferait qu’alimenter un débat interdisciplinaire déjà
abondant et que l’on présentera plus loin, mais de repérer si et comment la
didactique du FLE fait un usage spécifique des techniques d’analyse de
pratique : les analogies ou les rapprochements n ’ont d’autres fonctions que
d ’enrichir les moyens de formation des enseignants de FLE. Mais en fait,
l’analyse de pratique enseignante relève-t-elle de la didactique FLE ? Pour tenter
d ’y répondre, ce chapitre sera organisé en six étapes : afin de situer l ’analyse de
pratique enseignante en FLE, la première étape « L’analyse de pratique fait-elle
partie de la didactique ? » s’efforcera de rappeler succinctement un certain
nombre de définitions de termes liés à la « didactique » du FLE. Mais comme
ces termes sont les révélateurs d’enjeux et de débats au sein de la discipline, une
deuxième étape « L’analyse de pratique et les débats fondateurs de la didactique
du FLE » s’attachera à évoquer la nature de ces discussions : applicationnisme/
implicationnisme, théorie/pratique, Linguistique Appliquée/didactique/didac-
tologie. C’est pourquoi sera brièvement retracée aussi dans cette partie
l’évolution des revendications « praticiennes » de certains didacticiens du FLE
depuis 20 ans, et il apparaîtra que l’analyse de pratique est un objet de discours
fréquent et encore programmatique. Dans une troisième étape « Le programme
‘didactologique’ et la place de l’analyse de pratique enseignante en FLE », il
sera tenté de voir le cahier des charges, c’est-à-dire le contenu revendiqué pour
l’analyse de pratique. Dans une quatrième étape « Dispositifs d’observation »,
quelques exemples de dispositifs relevant de l’analyse de pratique des
enseignants de langue seront mentionnés et c’est à la lumière des exemples
présentés que, en cinquième partie «Finalité et destinataire de l’analyse de
pratique », la question de la finalité et des destinataires de l’analyse de pratique
sera posée. 11 en découlera dans une sixième et dernière étape « Lien entre
l’analyse de pratique enseignante et l’analyse de pratique apprenante » une piste
de réflexion qui tente d’articuler l’analyse de pratique enseignante en FLE et
l’analyse de pratique apprenante (la « conceptualisation » en cours de FLE),
cette dernière pouvant être en quelque sorte un des indices d’évaluation
88

formative des enseignants de FLE. En premier lieu, quelques questions se


posent : l’analyse de pratique fait-elle partie de la didactique, est-elle une
pédagogie, une simple méthode ou une méthodologie, relève-t-elle en fait d’une
didactologie ?

L’ANALYSE DE PRATIQUE FAIT-ELLE PARTIE DE LA


DIDACTIQUE ? DÉFINITIONS PRÉALABLES

Les définitions qui suivent n’ont pas pour ambition d’être exhaustives,
elles tentent surtout de placer ces définitions comme des jalons ou des témoins
de l’évolution de la didactique du FLE, et de situer la démarche d’analyse de
pratique enseignante dans un certain arrière-plan non seulement disciplinaire
mais aussi idéologique et épistémologique.

L’analyse de pratique est-elle une pédagogie ?


Dans le Trésor de la Langue Française, « Pédagogie » est définie
comme : « la science de l'éducation des jeunes, qui étudie les problèmes
concernant le développement complet (physique, intellectuel, moral, spirituel)
de l'enfant et de l'adolescent » - définition traditionnelle, mais qui invoque déjà
la notion de développement, propre à toute démarche de formation - et, par
extension, comme « l’ensemble des méthodes dont l'objet est d'assurer
l'adaptation réciproque d'un contenu de formation et des individus à former».
L’adaptation réciproque d’un contenu de formation et d’individus peut passer
également par une réflexion sur des actions passées, et à ce titre, l’analyse de
pratique est donc une pédagogie. Dans le Dictionnaire de Didactique des
Langues (Galisson, Coste, 1976, voir aussi Cuq et Gruca 2002: 48), la
pédagogie est définie comme un « terme très général s’appliquant à tout ce qui
concerne les relations maître-élève en vue de l’instruction ou de l’éducation de
l’enfant ou de l’homme » et comporte deux acceptions (nous soulignons certains
termes) : la première : « discipline qui relève d’une réflexion philosophique et
psychologique sur les finalités et les orientations des actions à exercer en
situation d’instruction ou d’éducation, sur (et par) l’enfant et sur (et par)
l’homme ». L’analyse de pratique est bien alors une réflexion, à tout le moins
d ’ordre psychologique, sur les finalités et les orientations des actions qui ont été
menées dans une classe, qu’elle soit de langue ou non. La seconde : « action
pratiquée constituée par l’ensemble des conduites de l’enseignant et des
enseignés dans la classe. Le terme de pédagogie peut alors se définir comme
choix et mise en œuvre d’une méthode, de procédés et de techniques en fonction
d ’une situation d’enseignement ». Dans cette perspective, lors d’une formation de
formateur, l’analyse de pratique est bien un procédé utilisé par le formateur pour
faire progresser son public, celui-ci étant constitué d’enseignants en formation.
On peut donc ici dire que, de même que dans les disciplines évoquées aux
chapitres précédents, l’analyse de pratique est un outil pédagogique.

90
89

L’analyse de pratique fait-elle partie des outils de la


didactique du FLE ?
En 1976, le Dictionnaire de Didactique des Langues (voir aussi Besse
1992 : 11) cernait la «Didactique» par deux tendances, qui en faisaient un
synonyme : soit de méthodologie de l’enseignement des langues, soit de
linguistique appliquée, c’est-à-dire une discipline recouvrant l’ensemble des
approches scientifiques de l’enseignement des langues et constituant un lieu de
synthèse entre les apports différents de la linguistique, de la psychologie, de la
sociologie, de la pédagogie. Cette définition nous conduit donc à relever la
définition de la « Linguistique Appliquée » dans le même dictionnaire, qui
insiste sur la distinction entre d’une part linguistique et linguistique appliquée à
l’enseignement des langues et d’autre part linguistique appliquée à
l’enseignement des langues et méthodologie de l’enseignement des langues.
Plus précisément, les auteurs signalent une évolution dans la linguistique
appliquée à l’enseignement des langues qui, dite de première génération, s’est
transformée en linguistique appliquée de seconde génération ; au sein de celle-ci
une nécessaire séparation se dessine entre une dimension réellement applicative
de la linguistique, qui ne traite que ce qui est du ressort de la linguistique et
s’occupe du «quoi enseigner?», et une dimension méthodologique de
l’enseignement des langues, impliquant pédagogie, psychologie, sociologie,
technologie, liées aux Sciences de l’Education, et s’occupant du « comment
enseigner ? ». Cette dernière « se charge de la mise en forme pédagogique des
matériaux que la linguistique appliquée lui fournit, en élaborant des méthodes et
des manuels, à l’aide de procédés et de techniques qui ne sont pas
nécessairement propres à l’enseignement des langues » (ibid.). Dès lors que l’on
choisit ce cadre définitoire pour situer l’analyse de pratique, il est difficile de la
classer soit dans l’une soit dans l’autre des définitions. À bien y réfléchir,
l’analyse de pratique enseignante en FLE constitue assurément une
méthodologie de formation de formateur en langue, qui implique pédagogie,
psychologie, sociologie, technologie pour sa mise en œuvre et son
interprétation, mais elle produit indubitablement des effets en retour sur le
«quoi enseigner». L’analyse de pratique n ’est assurément pas de la
linguistique, mais elle est l’un des éléments décisifs du choix des contenus
linguistiques eux-mêmes : toute pratique est susceptible de valider ou invalider
le contenu d’une séquence de cours en fonction du support, du public, etc.,
c’est-à-dire de tout facteur issu de la situation de classe. Cette réflexion nous
conduit à considérer cette dichotomie « linguistique appliquée »/« méthologie »
comme très réductrice, voire non pertinente tant au regard de la réalité de la
classe de langue qu’au regard des théories sociologiques et psychologiques
appliquées à l’enseignement (cf. l’analyse de pratique en Formation des adultes
au chapitre 3). Ce point de vue n’est pas nouveau, et n’est que l’écho de débats
qui seront évoqués plus loin. Mais à son tour, qu’en est-il du terme

91
90

« méthodologie » ? Les définitions qui précèdent nous conduisent à préciser les


définitions de méthodologie et de méthode.

L’analyse de pratique est-elle une méthode ?


Une méthodologie ?
- Une méthode ?
Citant toujours Galisson Coste (1976), une des acceptions de méthode,
hors celle qui renvoie à des manuels, est celle d’une somme de démarches
raisonnées, basées sur un ensemble cohérent de principes ou d ’hypothèses
linguistiques, psychologiques, pédagogiques, et répondant à un objectif
déterminé. Pour les auteurs, on ne peut valablement parler de « méthode » que
lorsqu’il y a adéquation entre : les objectifs, les principes, les procédés et les
techniques. L’analyse de pratique est à l’évidence une méthode parce qu’elle
comporte une somme de démarches raisonnées, fondées sur des principes, ces
démarches et ces principes ayant été exposés au chapitre précédent : pour les
démarches, il s’agit de différentes techniques d’investigations - entretiens,
observations, etc. -, pour les principes et les finalités, il s’agit de produire des
savoirs qui permettent aux individus qui s’y livrent de développer leurs
compétences et d’affirmer leur identité professionnelle.
Cela étant, le terme « méthode » est souvent employé en didactique du
FLE pour désigner les manuels de langue, puisqu’ils sont dépositaires d’une
certaine « méthode » pour apprendre le FLE, appartenant à un des courants de la
didactique du FLE : méthode directe, audio-orale, etc. Dans cette acception, que
l’on va retrouver dans la définition de méthodologie, l’analyse de pratique n ’a
pas sa place. L ’emploi de méthode dans ce sens sera donc signalé par des
guillemets.

- Une méthodologie ?
Pour le Dictionnaire de Didactique des Langues de 1976, il existe deux
acceptions du terme : dans la première acception, la « méthodologie » est
l’analyse des «m éthodes» (i.e. méthodes des manuels de langue) dans leurs
finalités, leurs principes, leurs procédés et leurs techniques. Cette analyse peut
déboucher sur la confrontation des différents choix de chacune, et devrait porter
essentiellement sur l’ensemble des principes qui constituent les fondements
théoriques des « méthodes » et la justification de tout ce qui fait leur existence.
Dans ce cas, la « méthodologie » - que nous appellerons ici Méthodologie 1 -
serait une démarche d ’analyse comparative de «m éthodes», quant à leurs
principes. Dans la seconde acception, la « méthodologie » serait l’ensemble des
principes et des hypothèses qui sous-tend l’élaboration d’une « méthode ». La
méthodologie de l’enseignement des langues serait une discipline charnière qui
prendrait appui sur : la linguistique, pour ce qui est de la matière à enseigner ; la

92
91

psychologie et la pédagogie et la sociologie, pour ce qui concerne l’adaptation


de la matière à enseigner au public visé ; la technologie pour ce qui touche
l’appareillage destiné à faciliter et à rentabiliser le travail de l’enseignant et de
l’enseigné. Dans ce cas, la « méthodologie » - que nous appellerons ici
Méthodologie 2 - serait le principe organisateur d’une « méthode » donnée, que
la Méthodologie 1 se charge d’analyser. En 1986, Besse (1986 : 7) introduit,
dans un numéro des Etudes de Linguistique Appliquée, une réflexion sur la
conception de la méthodologie de l’enseignement/apprentissage des langues
secondes ou étrangères qui recouvre l’étude rationnelle des manuels et des
méthodes, les secondes inspirant et justifiant les premiers. Pour lui, la
« méthodologie » a donc pour objet deux discours bien distincts bien
qu’étroitement dépendants l’un de l’autre : celui qui est destiné - plus ou moins
médiatement à travers l’enseignant - aux apprenants potentiels d’une L2 et celui
qui est destiné aux enseignants. Le premier peut être succinctement caractérisé
comme un discours pédagogique. Nous l’appellerons ici Méthodologie 3, et
considérerons que ce type de définition renvoie pratiquement au contenu et à
l ’organisation d’un cours de FLE, qu’ils soient présents dans un manuel ou dans
la planification propre de l’enseignant. Le second discours est un discours sur et
autour des manuels visant à expliquer, justifier, préciser leurs présupposés
didactiques et leurs choix pédagogiques. C’est essentiellement un métadiscours
sur le précédent qui se trouve dans les préfaces des manuels, dans leur « livre du
maître » et plus largement dans les articles et ouvrages qui traitent des
hypothèses (linguistiques, psychologiques, éducatives, sociologiques,
pédagogiques) constitutives des méthodes et sous-jacentes aux manuels. Nous
trouvons ici une acception de la méthodologie qui prend pour objet la
Méthodologie 2 et en fait l’analyse, il s’agirait alors de la Méthodologie 1. Dans
le même numéro de la revue des Etudes de Linguistique Appliquée, R. Galisson
(1986: 50) propose une description de la méthodologie qui introduit
explicitement de nouveaux éléments dans la réflexion méthodologique : la
méthodologie constituerait l’un des fondements de la mise en œuvre
pédagogique des contenus d’enseignement, ce qui rejoint ce que nous avons
appelé Méthodologie 2, mais ces fondements seraient établis à partir d’une étude
systématique des acteurs en présence et des moyens disponibles. Comme
vraisemblablement les enseignants sont parmi les acteurs, il y a là une
recommandation à analyser leurs pratiques, et cette simple recommandation
propose une extension de ce que nous avons appelé Méthodologie 1, c’est-à-dire,
une démarche d’analyse. On retrouve en 2000, une définition (Galisson, Puren,
2000 : 120, 121), qui reprend cette proposition d’extension de la Méthodologie 1
en la définissant comme un « domaine de réflexion didactique concernant les
manières d’enseigner/apprendre. Cette question du « comment » se trouve être la
question la plus complexe, c’est-à-dire celle dont la réponse oblige à prendre en
compte la totalité du champ didactique, et c’est pourquoi elle est le lieu privilégié
de la théorisation interne à la didactique ». En résumé, la terminologie utilisée
dans les définitions mentionnées ci-dessus permettrait d’envisager trois
acceptions du terme :

93
92

• une Méthodologie 1, démarche analytique susceptible de comparer différentes


«m éthodes», mais aussi leurs principes, c’est-à-dire de les mettre à jo u r;
susceptible également de questionner, voire de remettre en cause, à partir des
données de terrain, ces principes et ces « méthodes » ; il s’agit ici d’un
métadiscours sur les « méthodes » et les « pratiques » ;
• une Méthodologie 2, principe organisateur de chaque « méthode », et objet
d ’étude de la Méthodologie 1 ;
• une Méthodologie 3, contenu et organisation propre à une « méthode »
donnée, produit de la Méthodologie 2.
Au regard de ces définitions, l’analyse de pratique s’inscrit dans une
Méthodologie 1, parce qu’il s’agit d’une démarche d ’analyse et qu’elle s’appuie
sur des pratiques, sans négliger la connaissance des principes organisateurs de
ces pratiques. Par ailleurs, l’analyse de pratique déploie elle-même une
méthodologie d’analyse, parce que les démarches qu’elle mobilise sont fondées
sur des principes issus des Sciences Sociales, Psychologiques, etc. Au
demeurant, la Méthodologie 1 en tant que métadiscours sur les méthodes
pédagogiques est au cœur de débats épistémologiques et idéologiques présents
dès 1970. L’un des points de discussion est apporté en 1985 par R. Galisson, qui
propose la fondation de ce qu’il appellera une « didactologie ».

L’analyse de pratique serait-elle un outil de didactologie des


langues ?
Pour Galisson (1986 : 51), « la didactique devient didactologie quand le
didacticien réfléchit sur sa pratique, en fait, - ou tente d’en faire - le discours. Et
la didactologie est nécessaire pour bien comprendre l’opération
d’enseignement/apprentissage, et mieux enseigner. Comme dans toute œuvre
humaine, il s’établit un rapport dialectique entre pratique et théorie. Tout
didacticien doit être un peu didactologue, s’il veut garder suffisamment de
distance par rapport à son enseignement ». Pour les promoteurs de la discipline
(Galisson, Puren, 2000 : 76), « la nouvelle venue se veut à l’écoute de la base, à
la disposition de ceux qui vivent quotidiennement et créativement les réalités de
la classe. Son ambition est de combler le fossé du mépris qui sépare la théorie de
l’action ». On retrouve ici l’opposition théorie/pratique, déjà évoquée avec les
travaux de Schôn. D’une certaine façon, les auteurs prennent radicalement
position en faveur de la pratique, au risque de rejeter tout apport de la part des
« théories ». Mais l’enjeu est d’importance, et l’on ne peut que constater que la
didactique du FLE reprend, en instaurant ce débat, les préoccupations de
l’ensemble des Sciences Humaines que nous avons parcouru au chapitre
précédent. En effet, la didactologie cherche à rendre compte de la complexité
des faits et à « assumer le réel », et elle s’attache à la contextualisation, « en tant
que pratique de décloisonnement systématique de l’espace étudié» pour
« rétablir le contexte pour retrouver le complexe » {op. cit. 77). La didactologie
est une démarche pragmatique « qui part de l’observation de l’objet d’étude,

94
93

passe par la problématisation en contexte, puis la théorisation interne, c’est-à-


dire la construction d’une réponse spécialement adaptée au problème » et par
conséquent, « s ’installe dans la proximité et vise la particularité» (ibid.). Ce
cheminement met en lumière d’une part un processus de réflexion - la
« conceptualisation » -, d’autre part, des produits : les concepts didactiques, tout
ceci étant ancré dans la pratique. Ces notions seront développées plus avant au
paragraphe « Le programme didactologique et la place de l’analyse de pratique
enseignante en FLE », mais il importe de souligner d’ores et déjà que, pour les
auteurs, théorie et exploitation de la théorie sont traitées de concert et prises en
charge par les mêmes acteurs (Galisson, Puren, 2000 : 82), autrement dit,
l’analyse d’une pratique par celui qui l’exerce est assumée par celui-ci et lui sert
de matériau dans sa formation et dans la connaissance de l’activité
professionnelle, c’est-à-dire du processus d’enseignement/apprentissage du
FLE. À ce titre, l’analyse de pratique répond bien au programme didactologique,
proposé il y a vingt ans. Au demeurant, et malgré le jugement de Cuq et Gruca
(2000 : 71) à propos de l’appellation « didactologie » - susceptible, selon eux,
d ’obscurcir la compréhension du champ disciplinaire du FLE -, il est bon de
rappeler les débats épistémologiques propres au champ de l’enseignement du
FLE - débats toujours actuels -, au sein desquels s’inscrit toute mise en œuvre
d ’une analyse de pratique enseignante.

L’ANALYSE DE PRATIQUE ET LES DÉBATS FONDATEURS DE


LA DIDACTIQUE DU FLE

Que faire des questions que l’on se pose dans sa pratique ? Telle semble
bien être une des problématiques majeures du FLE dès les années 1980. « Tl n ’est
que temps pour les praticiens de dire non à l’autoritarisme, à l’orthodoxie et au
système, temps de battre en brèche le légitimisme des chercheurs patentés, temps
de prendre la parole, de cesser de croire, pour vouloir et pour savoir » (Galisson,
1982 : 67 ; Galisson, Puren, 2000). Cette parole militante vient donc témoigner en
faveur de la « pratique ».
Cette prise de position a pour point de départ d’un côté les problèmes et les
critiques que rencontre la « méthodologie », aux sens de Méthodologie 2 et 3 que
nous lui avons donnés (cf. chapitre 3), et d’un autre côté, l ’opposition
traditionnelle théorie/pratique. Ces deux aspects seront donc évoqués à présent,
parce qu’ils constituent à la fois l’arrière plan et la justification essentiels de la
mise en œuvre d’une analyse de pratique enseignante, en FLE comme dans de
nombreuses autres disciplines.

Critiques et problèmes de la m éthodologie en didactique du FLE


Un numéro des ELA expose de façon explicite et extensive de nombreuses
critiques à la didactique du FLE en 1986, et c’est le contenu de la Méthodologie
qui se trouve questionné, dans tous les sens du terme. On relèvera ici les

95
94

critiques qui lui sont adressées, en constatant leur actualité plus de quinze ans
après : nombre d’écrits contemporains continuent de revendiquer la prise en
compte du terrain dans la réflexion didactique.
Deux types de critiques sont adressées à la « Méthodologie » : des
critiques concernant les besoins et le vécu des enseignants et des critiques
concernant le flou conceptuel de la discipline.

Problèmes et critiques touchant le vécu des enseignants

Absence de prise en compte des activités réelles de classe


Pour Besse, en 1986 (1986: 8,9), la méthodologie - au sens de
Méthodologie 1 et 2, c’est-à-dire : analyse des principes et principe organisateur
des « méthodes » - ne s’intéresse pas directement à ce qui se passe hic et nunc
dans les classes de L2, et n’apporte que peu de choses sur ce qui constitue la
dimension fondamentale du discours didactique : la relation enseignant-
enseignés. Le discours didactique est un discours second reformulant un
discours fondateur, comme un sous-produit du discours scientifique. Une dérive
est stigmatisée par l’auteur qui signale que la « méthodologie » s’identifie avec
métadiscours du discours linguistique scientifique, alors qu’il fut un temps où
elle consistait en un art d ’enseigner les langues, un « ensemble de
connaissances et de règles d’actions nécessaires à l’exercice d’un métier». Il
réclame alors pour celle-ci une prise en compte des connaissances de terrain :
« le discours méthodologique ne parvient que rarement à articuler
rationnellement les principes dont il se réclame et les pratiques d’enseignement/
apprentissage sur lesquelles il porte ». Ceci est à l’origine de l’échec à comparer
ou à valider expérimentalement les « méthodes ». Pour l’auteur, les résultats
n ’ont jamais indubitablement prouvé la supériorité globale de l’une d’entre elles
(concernant les quatre habiletés : comprendre, parler, lire, écrire) parce que les
protocoles expérimentaux mis en place reposent sur des hypothèses
insuffisamment travaillées. A titre d’exemple, Besse (ibid. 12) pointe le fait que
ce qui oppose la méthode dite grammaire-traduction à la méthode dite audio­
orale, ou une classe dite d’immersion à une classe qui est supposée ne pas l’être
« n ’est pas théoriquement assez clair - c’est-à-dire reconstruit rationnellement en
hypothèses explicitant, hiérarchisant, coordonnant les paramètres mis en jeu -
pour que les résultats valident scientifiquement l’une plutôt que l’autre ». Besse
verra dans ces carences un « stade pré-scientifique » de la méthodologie.
Dans la même ligne, Dabène (1986: 32) réaffirme «une certaine
conception de la didactique des langues qui s’interdit toute coupure entre
réflexion spéculative, hypothèses de recherche et gestes quotidiens de la salle de
classe ; et qui ne s’accomplit véritablement que lorsque quelque chose change
dans une pratique ». L’auteur dénonce la situation paradoxale d’une didactique
des langues qui s’élabore ailleurs que dans ses champs d’application. Il constate
aussi, et malgré la promotion de l’approche didactologique, un écart entre le
discours de celle-ci et la « stagnation remarquable des pratiques de classes
quotidiennes », en signalant que la formation des enseignants dans les

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95

programmes de formation initiale en FLE - licences de Lettres Modernes,


Sciences du Langage, Langues Vivantes, et Maîtrise FLE - confond
systématiquement formation et valorisation de la recherche. En effet, sur le plan
des contenus de ces formations, en 1986, « la description ou l’analyse de l’objet
à enseigner, la langue, tient lieu de théorie de l’apprentissage » (ibid. : 34). En
l’occurrence, l’auteur préconise de revenir à des données « observables ». Plus
récemment, pour Germain (1999 : 172), le peu de données empiriques émanant
de la classe de langue étrangère ou seconde explique en grande partie le
piétinement actuel de la didactique des langues : « autrement dit, comme il
n ’existe pas à l’heure actuelle de données sur la façon dont procèdent les
enseignants de L2 dans leurs salles de classe, il est à peu près impossible de
pouvoir bâtir une théorie adéquate de l’enseignement des langues ». Si l’on se
base sur l’ensemble de ces constats, on constate un certain décalage, en terme
d ’évolution, entre l’ergonomie, la didactique professionnelle, la recherche en
formation professionnelle telles que nous les avons présentées au chapitre
précédent, et la didactique du FLE/S : bâtir une/des théories adéquates des
différents types d’enseignement/apprentissage dans le cadre de la formation
d ’opérateurs en industrie a été l’objet de ces disciplines depuis les quarante
dernières années, avec la production d’un corpus de concepts, de notions, de
dispositifs utiles tant pour les opérateurs, les commanditaires d’étude que les
chercheurs. La raison des avancées de ces disciplines sur le plan de la
connaissance des mécanismes d’enseignement/apprentissage professionnel est
sans doute à chercher du côté de la reconnaissance précoce que leur champ
d ’étude était constitué par des pratiques, et qu’analyser les pratiques était au
cœur d’améliorations concrètes et de gains de productivité dans les systèmes
d ’organisation.

Insuffisance de prise en compte des facteurs de Vapprentissage


et du processus d'apprentissage
L’objet de la démarche didactique est bien l’apprentissage d’une L2. Or,
pour Besse (1986 : 9), la « méthodologie » ne s’intéresse pas à ce qu’on appelle
la langue de l ’apprenant, aux facteurs biopsychologiques et socio-culturels qui
conditionnent cet apprenant et l’enseignant, ou à la planification éducative dans
laquelle s’inscrit inévitablement tout enseignement/apprentissage : « nous ne
savons rationnellement encore que peu de choses sur ce que les processus
d’enseignement et d’apprentissage d’une L2 ont de spécifique : en quoi ils se
distinguent, par exemple, de ceux caractéristiques de l’enseignement/
apprentissage d’une L1 ou de tout enseignement/apprentissage». Et l’auteur
d ’amorcer un débat que nous préciserons au paragraphe suivant : cette ignorance
serait due au fait que psychologues et spécialistes des sciences de l’éducation
présupposent que la spécificité de l’apprentissage d’une langue étrangère
n ’existe pas ou qu’elle est relativement secondaire - tout en cherchant à élaborer
des théories de l’apprentissage ou de l’enseignement quasi indépendantes de ce
qui est enseigné/appris... Et cette ignorance serait aussi due au fait que les

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linguistes, à l’opposé, considèrent que l’essentiel est ce qui est à enseigner/


apprendre, c’est-à-dire des contenus linguistiques ; le reste, c’est-à-dire
l’enseignement/apprentissage, n ’étant qu’une affaire de « transmission » ou de
«pédagogie». Besse (1986:15) cite Grandcolas concluant une revue des
travaux anglo-saxons portant sur le « teacher-talk » (le « parler enseignant »
dans les classes de L2), qui observe que « de l’avis même des auteurs, [s’ils] ont
bien réussi à isoler et à décrire les facteurs de 1'input, [ils] n ’ont pas mis en
valeur comment ces facteurs facilitent ou gênent l’apprentissage ». De plus, ces
travaux qui s’intéressent au comment on enseigne/apprend une L2 ne tiennent en
général guère compte des moyens méthodologiques qui, dans la classe,
déterminent au moins partiellement cet enseignement/apprentissage. En outre,
les travaux menés à partir de l’hypothèse chomskyenne du Langage Acquisition
Device - tendant à montrer que quel que soit l’ordre dans lequel les données
langagières sont présentées, qu’il s’agisse d’une L1 ou d’une L2, leur
intériorisation grammaticale se fait toujours dans le même ordre - se sont avérés
trop fragiles. C ’est pourquoi, pour Besse, ces recherches - sur les interlangues et
sur le discours de la classe de L2 - gagneraient sans doute à être « croisées »
avec les recherches méthodologiques plutôt qu’à leur être substituées.

Négligence des besoins des enseignants


Autre critique : l’urgence de prendre en compte les besoins des
«usagers» de la didactique, c’est-à-dire les enseignants, et notamment, pour
Dabène (1986 : 38), les enseignants allophones : « il faudrait [...] se recentrer sur
l’enseignant et se préoccuper moins de nouvelles avancées que de leur impact et
de leur pertinence sur les terrains où s’enseigne et s’apprend le français ». Cette
remarque vient à un moment où le modèle de « communication authentique »,
prôné dès les années 1970 a de quoi inquiéter les enseignants, comme le
remarque Galisson (1982 : 53), dans la mesure où ce modèle dépouille
l’enseignant des marques les plus évidentes de son savoir et de son pouvoir,
parce que l’objectif communicatif relativise la leçon traditionnelle comme
dispositif pédagogique et l ’exercice d’application comme outil de contrôle. On
notera donc ici avec intérêt la démarche des didacticiens de se (re) centrer sur
l’enseignant. Comme, presque dans le même temps, suite aux travaux de
disciples de Piaget, la didactique générale appelle à se centrer sur l’apprenant, il
est compréhensible que l’enseignant se sente un peu perdu. Cependant, la
centration sur les acteurs d’une activité professionnelle telle que l’enseignement
du FLE relève bien d’une approche « compréhensive » (Puren, 2003), approche
naturellement développée au sein des Sciences Elumaines. Nous tenterons de
prouver que l’analyse de pratique enseignante, en se centrant directement sur le
travail enseignant, et précisément parce qu ’elle se centre sur l’enseignant, est un
moyen qui permet à celui-ci de mieux se centrer sur l’apprenant (cf. Partie Tl).

98
97

Des notions floues


Besse (1986 : 11) dénonce d’une part les flottements terminologiques et les
imprécisions conceptuelles dont fourmillent nombre de discours didactiques
quand ils abordent les aspects méthodologiques de l’enseignement/apprentissage
des L2. Pour lui, on se borne le plus souvent à reprendre les termes-notions dont
usent ordinairement les praticiens, sans toujours savoir à quelles pratiques précises
ils se réfèrent et sans chercher à lever les ambiguïtés dont ils sont porteurs comme
toutes les dénominations courantes. Il affirme clairement que la méthodologie est
loin d’être « épistémologiquement rigoureuse » et il assure que le terrain
méthodologique est encore largement en friche. Tout aussi sévère, Dabène (1986 :
34) dénonce aussi les notions flottantes et incantatoires, telles que :
« enseignement/apprentissage des langues » ; « apprentissage formel, informel » ;
« approche communicative, fonctionnelle», etc. De fait, puisque l’enseignement
du FLE, comme toute formation, est un champ de pratique, on voit mal comment
développer des notions sans passer par une étude minutieuse des activités et des
acteurs de ce champ. Produire des notions ou des concepts en didactique du
FLE/S présente donc les mêmes difficultés que tout dispositif de formation, du fait
même de son objet : la pratique. Toutes les critiques qui précèdent vont ainsi
alimenter des débats internes à la didactique du FLE/S.

Des débats sous-jacents


Ces débats appartiennent à l’histoire et au développement de la
Didactique du FLE (Galisson Coste 1976, article « Linguistique Appliquée » ;
Galisson 1986 : 40-50 ; Galisson Puren 2000 : 68-71) et ne seront relevées que
les discussions animant toujours ce champ disciplinaire, échos de débats plus
généraux dans les Sciences Humaines.

Théorie/pratique
Retrouvant ici des querelles séculaires, la conception de la relation
théorie/pratique est, comme dans les autres disciplines, axiologisée selon le
point de vue où l’on se place. Deux points de vue s’opposeraient : la conception
positiviste de la connaissance comme représentation de la réalité et la
conception pragmatiste de la connaissance comme confrontation avec la réalité
(Galisson Puren, 2000 : 35). Autrement dit, dans le cas de la didactique du FLE,
d ’un côté, la représentation de la réalité, c’est-à-dire une conceptualisation du
réel, notamment d’ordre linguistique, de l’autre, la pratique conçue comme
champ d ’application ou moyen au service de la théorie linguistique. Or en fait,
en matière d’enseignement d’une langue étrangère, le réel entremêle d’une part
des productions linguistiques, indicateurs sur l’état de la langue entre deux
langues, L1 et L2, ou interlangue, issues d’une mise en fonctionnement de cette
langue, et d’autre part, des interactions didactiques au moyen desquelles sont
élaborées les productions linguistiques. Ainsi, dans le matériau issu du réel, se

99
98

trouvent imbriqués des produits ou objets linguistiques, et des processus


générateurs de ces objets. Quel est alors en didactique le statut épistémologique
des données d’observation de l’enseignement dans les classes, par rapport au
statut des données d’observation concernant le fonctionnement de la langue ?
(Puren, 1999: 133). Le problème traditionnel de l’opposition théorie/pratique
est ainsi celui du rapport entre des théories et des pratiques, c’est-à-dire du choix
du cadre théorique à mettre en lien avec la multidimensionalité des pratiques -
produits et processus -, et aussi, par voie de conséquence, des réductions
théoriques à opérer pour comprendre les différentes dimensions des observables
de terrain. Réduire la ou les théories à des concepts simplifiés ou limités en
nombre implique des renoncements, prix à payer pour une démarche
compréhensive au sens sociologique du terme : toute une théorie ne peut pas
nécessairement rendre compte de tout le réel. Or, en fait de théorie, deux
espaces institutionnels théoriques fondamentaux se rencontrent sur le terrain de
l’enseignement des langues : le cadre de la linguistique et le cadre de
l’extralinguistique, eux-mêmes composés de disciplines, courants, composantes,
(socio-linguistique, psychologie, sociologie, didactique, pédagogie, ethnologie,
etc.). Deux questions se posent donc à celui qui aborde le champ de la
didactique du FLE : le choix de l’espace institutionnel théorique, puis celui des
réductions à effectuer et ce, selon les disciplines. En outre, ce réel pose une autre
question, celle de la singularité des pratiques : dans les disciplines relevant des
Sciences Humaines, la singularité des pratiques est non seulement reconnue
mais insérée dans une véritable épistémologie (cf. chapitre 3 ), puisqu’il s’agit
dans la plupart de ces disciplines d’élaborer une théorie du cas particulier. Or,
si on s’intéresse aux pratiques singulières, on peut craindre de résoudre au coup
par coup des problèmes particuliers, et de transformer la discipline en
suggestions de pratiques ponctuelles, sans fondements théoriques et sans
cohérence, globale ou locale, ce qui constitue un risque (Galisson Puren, 2000 :
9). Manifestement, pour de nombreuses disciplines en Sciences Humaines,
l’analyse de la singularité, au lieu d’être un risque, est la condition de la
«configuration» et de la théorisation de l’expérience au travail. On peut se
demander pourquoi en FLE/S un tel point de vue ne pourrait être adopté. En
particulier, si la multidimensionalité et la singularité sont des caractéristiques
intrinsèques de la pratique enseignante, ce n’est qu’au travers de celles-ci que
peuvent être traitées les productions linguistiques et les processus didactiques de
la classe de langue, comme l’Ergonomie le fait ; c’est ce qui se passe lorsque, à
travers un corpus d’observables, elle tente de rendre compte tant de la tâche,
c’est à dire ce qui est de l’ordre du prescrit - et en l’occurrence, en FLE, il
s’agirait des règles prescrites de mise en fonctionnement de la langue (ou
linguistique) - que de Y activité, c’est-à-dire, ce qui est du domaine du réel - et en
l’occurrence, des actes enseignants et des actes apprenants dans la mise en
fonctionnement de la langue (ou communication didactique). Certains
didacticiens des langues (Germain 1999 : 172) militent en faveur de
l’élaboration d’une théorie de l’enseignement des langues :

100
99

• « Sans théories, les résultats des recherches empiriques en didactique des


langues demeureront épars, sans liens, non organisés rationnellement.
Comment unifier les données provenant à la fois de la linguistique, de la
psychologie de l’apprentissage, de la sociolinguistique, de la pragmatique, de
l ’ethnographie de la communication, de la technologie éducative, de la
recherche en acquisition des langues, des recherches curriculaires, de la
recherche en salle de classe, des sciences de l ’éducation ?
• Sans théorie, comment interpréter de manière appropriée les données
recueillies empiriquement ? Sans principe de sélection, on ne saurait
distinguer le pertinent du non pertinent.
• Sans théorie, comment hiérarchiser les nombreuses variables de la
didactique des langues ? Quels concepts sont fondamentaux ? périphériques ?
Quels sont les liens entre les concepts ?
• Sans théorie, comment élaborer des programmes satisfaisants de formation
des maîtres de langue ? En l’absence de théorie, où trouver le principe
organisateur d ’une solide formation des maîtres ?
• Sans théorie, la didactique des langues est condamnée à demeurer une
profession sans prestige, du moins tant que seront associés entre eux les
concepts de prestige social et de scientificité ».

On voit donc se dessiner ici des itérations entre théorie et pratique,


susceptibles de conduire à élaborer des savoirs en didactique du FLE/S. Mais
cette opposition entre théorie et pratique est F arrière-plan d’un débat propre au
FLE/S et comportant des enjeux institutionnels qu’il convient de rappeler :
l’opposition entre applicationnisme et implicationnisme.

Applicationnisme/implicationnisme :
linguistique appliquée - didactique/ didactologie
L’exposé du débat empruntera encore largement à deux des auteurs qui
ont particulièrement remis en cause la domination de la théorie sur la pratique
dans le champ de l’enseignement des langues. Galisson et Puren (2000 : 88)
distinguent deux catégories de disciplines susceptibles de régir l’enseignement
du FLE : des disciplines « théorétiques » et des disciplines « praxéologiques »
ou d’intervention qui s’opposent selon eux, de façon irréconciliable, et ils
prennent parti : « nous sommes en présence d’un théorécisme suffisant, mou et
facile ». Dans la « discipline théorétique », on considère la théorie comme une
fin en soi, aussi celle-ci n’a-t-elle pas à intervenir sur le terrain ; au contraire, la
« discipline praxéologique » a vocation d’intervenir sur le terrain, et de
concevoir des actions, elle prône l’action en vue d’agir sur le réel. (id. : 84 ;
119). Du côté de la théorie, 1’« applicationnisme » ou linguistique appliquée, du
côté de lapraxéologie, 1’« implicationnisme » et la didactologie.

Applicationnisme, linguistique appliquée, didactique du FLE


Pour les auteurs (2000 : 120), « Vapplicationnisme en didactique repose
sur une épistémologie réductionniste : l’enseignement et l’apprentissage des

101
100

langues pourraient être définis scientifiquement à partir de la description du


fonctionnement de la langue telle que nous la fourniraient la linguistique et la
sociolinguistique, et des mécanismes mentaux d’apprentissage de la langue tels
que nous les fourniraient la psycholinguistique. Dans ce qu’on a appelé la
‘linguistique appliquée’, la théorie informe directement la pratique, celle-ci étant
conçue comme une simple application voire une dégradation de la théorie » ; les
disciplines telles que la linguistique et la psychologie de l’apprentissage sont
considérées comme des « théories de référence ». On retrouve donc ici les
débats théorie-pratique, mis en cause par les réflexions de D. Schôn (cf. chapitre
3). Une vision applicationniste est réductionniste en ce sens qu’elle tend à
délester les problèmes de ce qui les rend insolubles dans l’absolu, à les ramener
à leur expression la plus simple et à éluder la complexité des faits (ibid, 77).
Cette vision est responsable de la déficience de l’écoute de terrain, puisque la
théorie est déjà là et empruntée hors du champ spécifique de l’apprentissage
d ’une Langue étrangère. Cette théorie court-circuite une phase majeure de la
recherche qui est la problématisation, et empêche toute recherche d’entendre et
de saisir la demande spécifique et complexe du terrain. S’ensuit un classement
et un commentaire qui range du côté applicationniste tant la linguistique
appliquée que la didactique, cette dernière étant pourtant catégorisée comme
discipline « praxéologique », mais dévoyée : pour Calisson et Puren (id. : 79),
« la didactique est restée au milieu du gué, parce qu’elle n’a pas voulu rompre le
cordon ombilical avec la linguistique, qu’elle considère toujours comme la
discipline mère des langues vivantes à l’école». Rappelons que ce portrait, très
sévère, mais dont on saisira les raisons en considérant les implications
institutionnelles sous-jacentes, est brossé aussi en 1986, lorsque Besse caractérise le
discours « méthodologique » de l’époque, de dogmatique et descriptif, et exprimant
de façon péremptoire des principes empmntés à diverses théories non didactiques
(linguistiques, psychologiques, sociologiques, philosophiques). Ainsi, les
didacticiens de L2 sont « encore des autodidactes d’un domaine qu’ils ont tendance
à considérer comme un simple terrain d’application de leur spécialité d’origine »
(Besse, 1986: 12, 13).

Implicationnisme, didactologie
Le terme, forgé à partir du concept de linguistique impliquée, par
opposition à la linguistique appliquée, recouvre une démarche dans laquelle « la
pratique d’enseignement rencontre ses propres problèmes, pose ses propres
questions et s’adresse pour résoudre les uns et répondre aux autres, aux théories
élaborées par d’autres disciplines considérées désormais comme « disciplines
contributoires » » (Galisson Puren, op. cit. : 119, 120). Cette démarche se fonde -
je souligne - sur « une épistémologie pragmatique où l’on s’intéresse moins à la
théorie comme produit qu’au processus constant de théorisation, et où l’on
considère qu’une théorisation interne à la didactique est possible directement à
partir des données empiriques fournies par / ’observation des pratiques
d ’enseignement et d’apprentissage ; sur une épistémologie complexe adaptée à la
complexité fondamentale de son objet, à savoir le processus

102
101

d ’enseignement/apprentissage d’une langue-culture». Exemple de cette


démarche, la didactologie, qui se veut à l’écoute de la base, à la disposition de
ceux qui vivent quotidiennement et créativement les réalités de la classe, ne
dispose pas d’une théorie construite au départ, pas déjà là, mais à construire
(Galisson, Puren 2000 : 76, 77 ; Galisson 1986 ; 1982).

Arrière-plans et conséquences institutionnelles du débat


Les auteurs dénoncent le frein et le danger que représente
l’applicationnisme pour le développement de la didactique-didactologie du FLE
à l’Université et dans les IUFM. Les promoteurs de la didactologie s’opposent
au théorécisme à l’Université par la lutte contre l’emprise des disciplines de
référence - linguistique, etc. : aujourd’hui, dans certains départements de FLE
des universités, la filière FLE est dirigée par des spécialistes qui font
quelquefois de ces disciplines des passages obligés pour les étudiants de second
et troisième cycles en FLE. Cette lutte au sein de l’institution universitaire entre
« théorécisme » et « praxéologie » (si on l’étiquette ainsi), est en effet
préoccupante : comme celle-ci est une des voies de passage pour la formation
des futurs enseignants de FLE/S, on ne peut que déplorer une opposition dont
les futurs praticiens enseignants risquent de faire l’expérience à leurs dépends. À
l’inverse, pour Galisson et Puren, (2000 : 83), dans les IUFM, les inspecteurs
généraux, forts de leur influence sur le terrain, ont édifié des « bastions » et
poussent les futurs enseignants à rejeter les théories « savantes » des
spécialistes, pour mettre en œuvre des recettes, qui, ayant fait leurs preuves une
fois pour toutes, seraient généralisables aux cas de figure les plus divers. Quoi
qu’il en soit d’un côté comme de l’autre, le tableau qui est dressé semble
montrer qu’il y a réduction de la pratique au profit des théories, ou réduction de
la pratique à l’apprentissage de routines, et dans ce dernier cas,
vraisemblablement réduction de la théorie au profit de la pratique, si l’on suit la
description en IUFM. Dans le premier cas (réduction de la pratique au profit des
théories linguistiques), certes, le risque d’occulter la prise en compte des
indicateurs sur l’interaction didactique spécifique au FLE est majeur, et propre à
limiter la professionnalisation des enseignants de langue ; cependant, on ne
saurait négliger l’importance de la formation des enseignants de langue aux
théories linguistiques, puisque pour enseigner une langue, l’enseignant doit
pouvoir disposer d’un cadre descriptif de celle-ci, quitte à le personnaliser.
Inversement dans le second cas, (réduction des théories linguistiques à
l’apprentissage de routines pratiques), limiter la formation linguistique des
enseignants de langue présente également un risque dans le développement de
leurs compétences didactiques; et cependant, l’acquisition de «routines»
pédagogiques peut être une première étape sécurisante dans la formation
d’enseignants débutants. On voit donc que les enjeux institutionnels recouvrent
en fait des questions pratiques fondamentales dans la formation d’enseignants de
langue, et partant, des questions tout aussi fondamentales sur l ’objet langue en
tant q u ’objet d ’enseignement. Autrement dit, pour enseigner une langue telle
que le FLE, théorie linguistique et ergonomie didactique sont, de fait,

103
10 2

indispensables mais, pour l’heure, manifestement non réconciliées au sein des


institutions. L’analyse de pratique relève d’une ergonomie attachée à la
communication didactique en classe de FLE, ayant deux objets : les productions
linguistiques d’une part, à étudier au regard des théories linguistiques, les
processus didactiques d’autre part, à étudier au regard de leur contribution
spécifique dans l ’élaboration des productions linguistiques. La question est, en
fait, de trouver un juste milieu. Il nous semble donc que toute position binaire,
telles que celles désignées dans les deux champs institutionnels cités plus haut,
Université et IUFM, mais aussi celles des deux catégories d’opposants,
applicationnistes comme implicationnistes, s’interdit l’acquisition de
connaissances propres à la faire progresser, pour peu que celles-ci soient issues
du clan réputé adverse. Pour sa part, en s ’opposant aux « théorécisme », le
programme didactologique demande d’aller sur le terrain pour en retirer ce que
les disciplines qui analysent le travail visent depuis longtemps : des savoirs.
Qu’en est-il alors de ce programme, et quel peut être le rapport entre l’analyse
de pratique, outil d’observation, et l’approche didactologique ?

LE PROGRAMME « DIDACTOLOGIQUE » ET LA PLACE DE


L’ANALYSE DE PRATIQUE ENSEIGNANTE EN FLE

L’étiquette « didactologie » désigne une didactique qui pratique le retour


d ’expérience systématique pour bâtir son savoir. L’analyse de pratique
enseignante est un dispositif de retour d’expérience, dans la définition que nous
en avons donnée : « outil de formation, qui consiste, à travers des observations
et des verbalisations produisant des discours de praticiens sur leur activité,
recueillis par des moyens matériels (vidéo, magnéto, grilles, etc.) et humains, à
expliciter l’activité professionnelle réalisée par un praticien d’un secteur donné.
Dans ce cas, elle est mise en œuvre avec l’aide d’un formateur ou un chercheur.
Elle a en vue la médiation, par un accompagnant, entre les savoirs cachés dans
l’action et leur détenteur, Y appropriation de ces savoirs par celui-ci, la mise à
jour des intentions du praticien, enfin le(s) jugem ents) porté(s) sur l’action ; ces
quatre éléments sont coproduits du fait de l’interaction praticien-accompagnant.
La démarche d’analyse de pratique viserait la formalisation des compétences
professionnelles, et l’affirmation iden-titaire professionnelle des formés ». On
précisera alors : ce que l’analyse de pratique n ’est pas ; les questions en suspens
dans l’enseignement du FLE, qui sont autant de programmes de recherche pour
le retour d’expérience ; les éléments principaux du programme didactologique ;
/ ’observation de terrain considérée comme point de départ de la démarche ; sur
la base de cette observation, conceptualisation et théorisation ; enfin, la
formation des enseignants comme point clé du développement d’une pratique
réflexive.

104
10 3

Ce que l’analyse de pratique n’est pas


Bien que le présent ouvrage se donne comme finalité de cerner ce qu’est
l’analyse de pratique enseignante en FLE/S, il est nécessaire de préciser que
l’analyse des discours de classe de langue ne constitue pas une analyse de
pratique. Le discours est pour l’analyse de pratique un matériau et non un objet
d ’étude, parce que son objet d’étude spécifique est la pratique (cf. chapitres
précédents). Ainsi, toute analyse du discours au sens de Maingueneau (1995b),
prenant comme matériau les productions langagières en classe de langue, et
ayant pour objet le discours et non pas la pratique, ne constitue pas une
démarche relevant de l’analyse de pratique. Cependant, l’analyse des « teacher’s
talks » (parlers enseignants), de même que les travaux de Cicurel (1985), qui ne
procèdent pas d’une démarche d’analyse de pratique, peuvent fournir des
résultats susceptibles d’informer les praticiens. Ainsi, l’analyse de pratique
effectuée par des praticiens pourrait inclure un recueil des productions
langagières de classe de langue afin que l’enseignant puisse analyser sa façon
d ’entrer en relation avec ses apprenants et leurs réactions.

Des questions en suspens


Spécifique à l’enseignement du FLE, l’expérience fournit un matériau
comportant des productions linguistiques et en même temps, nous l’avons vu,
les processus qui les génèrent. Dans l’expérience enseignante, la pratique
considère l’objet « langue » non comme un objet de recherche, c’est-à-dire non
dans une visée d’intelligibilité, mais comme un objet d’enseignement et
d ’apprentissage, c’est-à-dire avec une visée finalisante - langue-cible -, et sous
l’aspect des problèmes que sa (ou ses) description(s) pose au processus cognitif
et culturel d’apprentissage. Et parmi les questions que pose l’expérience, vient
celle de l’évolution de cet objet, la langue-qui-s’apprend, sous l’effet de la
pratique enseignante de la langue-qui-s’enseigne. Cette évolution désigne le
résultat transitoire et toujours instable du processus d’apprentissage qu’on
appelle interlangue (cette notion sera largement détaillée en seconde partie).
Cette langue intermédiaire est présente dans les productions linguistiques
qu’élabore l’interaction didactique entre enseignant et apprenant, et témoigne
donc bien de l’objet langue en tant qu’objet d’enseignement et d’apprentissage.
Ainsi, on peut s’interroger de différentes façons, et ces interrogations sont
programmatiques d’une recherche « didactologique » :
• comment passer d’analyses (statiques) du discours de la classe de L2 aux
processus qui provoquent l’évolution de ce discours et partant les progrès de
l’apprentissage ?
• est-ce que la progression d’enseignement a une incidence ou non sur les
erreurs des apprenants, sur leurs interlangues successives ? l’analyse de pratique
enseignante peut, suite à cette question, avoir comme horizon d’interpréter les
données recueillies dans la classe afin d’émettre des hypothèses sur les liens
entre « progression » et erreurs ;

105
104

• en quoi le fait de traduire ou non, de donner des explications grammaticales ou


non, d ’utiliser des documents authentiques ou non, change-t-il ou non le
discours de la classe ?
• pourquoi les explications grammaticales ne suffisent-elles pas à assurer une
maîtrise aisée de la L2, et pourquoi néanmoins de nombreux étudiants ne
peuvent-ils s’en passer bien qu’il soit un fait d’expérience qu’on peut acquérir
une L2 sans y avoir recours ;
• des erreurs sont provoquées par des processus analogiques « naturels »
d ’appropriation de la L2, mais il en est d’autres qui le sont par les exercices
mêmes que l’enseignant fait pratiquer, lesquels et pourquoi ?
Ces questions qui préoccupent Besse (1986: 15, 16; 1991: 181),
amènent Calisson à introduire une « pédagogie interrogative », interrogative non
seulement des praticiens de la discipline, mais aussi des autres disciplines
(1982 : 34). En conclusion de leur Grammaires et didactique des langues, Besse
et Porquier (1991 : 263) posent une question centrale qui est celle du rapport
entre les descriptions pédagogiques et ce qui se passe effectivement dans la
classe et chez les apprenants. Ce qui se passe effectivement dans la classe, c’est
bien là le matériau de toute analyse de pratique, et la question du rapport entre le
« prescrit » et le « réel » nous ramène aux préoccupations qui sont au cœur des
disciplines étudiant le travail. Quels sont alors quelques-uns des éléments du
programme didactologique ?
r

Eléments généraux du programme didactologique


La paternité de l’étiquette « didactologique » revenant à R. Galisson, nous
continuerons d’étudier ses propositions.

Réintroduire le facteur humain


Il faut, dit l’auteur (Galisson, 1982 : 32), réintroduire la dimension
humaine de l’enseignant parce qu’en formation initiale et continue tout se passe
comme si la matière et la méthode étaient jugées en mesure d’assumer seules le
jeu complexe des transactions et des médiations entre maître et élèves, et comme
si le facteur humain était tenu pour intangible, ou négligeable. Or, rappelle-t-il, la
qualité de l’enseignant tient au moins à sa maîtrise de la matière enseignée et des
procédures employées, qu’à sa qualité d’homme. C’est donc cette attention aux
autres et à leur devenir qu’il convient d’exercer, et « c’est à la réflexion
pédagogique d’aiguiser l’écoute de celui qui a pour mission d’enseigner et
d ’éduquer». L’auteur réclame entre autres que non content d’enseigner une
matière, il convient d’éduquer les apprenants : ceci suppose donc pour
l’enseignant de maîtriser non seulement la linguistique, mais aussi de porter son
attention sur le comportemental, le sien et celui des apprenants. Il faut rappeler
que cette évolution demandée à l’enseignant de langue est strictement
contemporaine de celle qui semble rendre caduques les seules compétences de
contenu chez l’ensemble des enseignants, comme on le voit dans l’étude de Lang

106
105

(cf. chapitre 3) : il est demandé de déplacer le centre de gravité du métier, de la


maîtrise de la matière enseignée à celle de la situation qui implique le facteur
humain. Au passage, on notera, dans le cas du FLE, que la prise en compte du
facteur humain ne demande pas de se passer de compétences linguistiques : le
risque de la bipolarisation matière/situation peut induire l’exclusion de l’une au
profit de l’autre, et, partant, d’appauvrir les compétences de l’enseignant, dans un
sens ou dans l’autre. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un modèle pédagogique se révèle
réducteur et insuffisant face à certains besoins des apprenants - ici, communiquer
dans une langue étrangère - qu’il faut le remplacer par un autre modèle présentant
les mêmes inconvénients à l’égard d’autres de ces besoins - communiquer en
respectant les notions de « normes », « correction », « interprétabilité »,
« acceptabilité » ; il est probable que la voie médiane soit, comme en toute chose,
la bonne. Toujours est-il que la prise en compte du facteur humain dans la
communication didactique fait partie du cahier des charges de toute analyse de
pratique, par un recueil d’indicateurs ou d’observables de ses composantes.

Réintroduire la pédagogie en didactique du FLE et conscientiser les


pratiques enseignantes : une linguistique « interrogée »
Pour Calisson (1982 : 27 seq.), il faut faire retour à la pédagogie telle que
définie par A. Léon : « ensemble de disciplines qui ont pour objet de situer tout
fait éducatif (institutionnel, comportemental,...) dans l’ensemble de ses
conditions (historiques, politiques, sociales, biologiques, etc. ». On a donc
affaire à une vision « ensembliste » de la perspective didactologique. Dans cette
ligne, Besse (1991 : 180) demande à la didactique d’intégrer conceptuellement à
son projet scientifique non seulement la littérature, la linguistique, la civilisation
de la L2, qui constituent le bagage académique traditionnel de tout professeur de
langue, mais aussi la pédagogie parce qu’« il n’est pas d’humaine création sans
quelque mémoire des connaissances et des règles d’action élaborées par nos
prédécesseurs, et qu’il n’est pas de « transmission » sans respect des pratiques
qui l’assurent ». Pour lui, tout professeur de langue devrait avoir une véritable
culture de ces connaissances, de ces règles d’action, sans lesquelles il ne peut
méthodiquement exercer son métier. En outre, pour de nombreux didacticiens,
cette culture doit se doubler d’une démarche de prise de conscience ou de
réflexivité de la part de l’enseignant (Flament-Boistrancourt 2001 : 79 ; Besse et
Porquier, 1991 : 262; Castellotti, de Carlo, 1995 : 138 ; 141-2, 151 seq. ;
Calisson, 1982 : 61 ). On peut, ajuste titre, parler de « linguistique interrogée »,
que Besse (ibid.) appelle de ses vœux pour remplacer la « linguistique
appliquée » : celle-ci est une observation et une analyse méthodique de ce qui se
passe, selon les pratiques suivies, quand on enseigne/apprend une langue, « afin
de mieux cerner les présupposés et les conséquences linguistiques et autres de
ces pratiques, et de parvenir ainsi à les reconstruire théoriquement dans un
ensemble conceptuel qui leur donne une cohérence qu’elles n’ont pas toujours ».

107
106

Un chantier de recherche qui a 20 ans


La proposition est alors d’ouvrir un chantier de recherche sur les pratiques
et les recettes scolaires, sur les procédures qui composent la trame de fond de la
classe de langue (Galisson, 1982 : 60). On notera incidemment qu’avec les
rencontres entre Didactique des Langues Etrangères (DLE) et Recherche sur
l’Acquisition des Langues (RAL), le programme est plus que jamais d’actualité :
la Recherche sur l’Acquisition des Langues repose en partie sur le recueil
d ’observables, et la DLE s’appuie sur Y expérience pratique de l’enseignant ou
de l’élève, et la mise en relation de cette expérience et de ces observables est la
première condition du dialogue entre RAL et DLE (Py, 2000 : 397 ; 399). Le but
de ce chantier de recherche est une approche compréhensive - au sens de la
sociologie compréhensive évoqué au chapitre 5 - et non plus explicative : il
s’agit de comprendre les pratiques didactiques en tant que relevant d ’actes
conscients assumés par des acteurs ayant une intention d’enseignement/
apprentissage et non à expliquer les pratiques didactiques en tant que causes ou
conséquences échappant pour l’essentiel à la conscience des acteurs (Galisson,
Puren, 2000 : 34). Pour les concepteurs du programme didactologique, la visée
est «globalisante », parce que c’est l ’ensemble des problèmes gérés en temps
réel par l’enseignant et l’apprenant qui doivent être pris en compte. Enfin,
décrire, analyser, interpréter, comprendre le processus d’enseignement/
apprentissage de la langue-culture vise à l ’orienter ou le modifier pour
l’améliorer, et c’est ce qui fait de la didactique des langues une discipline
d’intervention, orientée vers l’action. C’est également ce type d’orientation qui
est donné à l’analyse des pratiques au travail que nous avons rencontré au
chapitre précédent : intervenir sur l’activité et sur les actions des praticiens.

Partir de l’observation de terrain

Que faut-il observer ?


Le programme didactologique se trouve confronté aux mêmes questions
que les disciplines qui étudient l’homme au travail, le choix des observables. La
multiplicité et la diversité des composantes de la classe est grande, et la
sélection des données dépendra évidemment des finalités, des hypothèses et des
moyens de la recherche entreprise. 11 n ’y a pas de réponse toute faite à ces
questions mais on peut illustrer la difficulté de l’approche didactologique en
parcourant quelques-uns des objets de l’observation de terrain : ceux-ci sont
autant d’ouvertures ou de points de vue pour le didacticien ou le praticien
désireux d’entreprendre une analyse de la pratique enseignante.

Observer la « situation » de classe ?


La classe de langue fournit des données empiriques correspondant aux
informations de tout type concernant aussi bien le processus d’enseignement que

108
107

celui d ’apprentissage, qu’il s’agisse de la langue ou de la culture. Mais comment


définir en FLE/S la « situation » et quelles données empiriques repérer ?
Pour Galisson et Puren (2000: 125) la situation d’enseignement/
apprentissage constitue un « ensemble complexe » de paramètres influant sur le
processus d’enseignement/ apprentissage :
1 - formation, expérience, personnalité et état d’esprit de l ’enseignant et de
chacun des apprenants ;
2 - degré de motivation et de maturité des apprenants ;
3 - enseignement plus ou moins intensif, exolingue ou endolingue ;
4 - conditions matérielles ;
5 - contexte social et institutionnel, etc.

Si l’on considère ces paramètres pertinents au regard de leur rôle sur


l’enseignement, reste à se donner des indicateurs de ces paramètres, c’est-à-dire
les données empiriques à relever. On voit que se mélangent, parmi ces
paramètres, des éléments propres aux acteurs (1 à 3) et des éléments contextuels
(4 et 5) (quelques lignes plus loin, les auteurs font d’ailleurs de la notion de
« situation » un synonyme de contexte, d’environnement, de milieu). Intégré à la
situation, le «dispositif» est alors l’ensemble des paramètres de la situation
d ’enseignement/apprentissage intentionnellement mis en place par l’enseignant
(ex. : travail de groupe, ensemble de tâches programmées avec leurs objectifs,
leurs supports, leur durée de réalisation, dictionnaires en consultation, etc). Cet
éventail de paramètres à recueillir montre à quel point il était important pour le
programme didactologique à ses débuts de démontrer l’ampleur de la tâche elle-
même au regard de la prééminence d’approches exclusivement axées sur la
langue.

Observer les comportements de l’enseignant ?


Pour certains, ce sont les enseignants dont il faut préférentiellement
observer la pratique à partir de l’analyse des travaux, mémoires, copies
d ’examen d’enseignants ou de futurs enseignants de FLE. Dabène (1986 : 35)
estime qu’ils constituent un corpus irremplaçable plus urgent à explorer que les
productions d’apprenants. Dabène fait porter l’attention sur la formation initiale
ou continue des enseignants de FLE non natifs en France, qui représente
plusieurs dizaines de milliers d’individus, séjournant en France d'un mois à
plusieurs années et offre à la didactique du FLE un terrain d’expérimentation
irremplaçable. Plus généralement, au plan des conduites et les pratiques
enseignantes, Galisson, (1982 : 59) propose de repérer une sorte de noyau dur de
pratiques pérennes - « solides facteurs de stabilité, mais aussi d’inertie », celles-
ci permettant d’éclairer le praticien sur les mécanismes de son comportement, de
l’amener à voir clair en lui-même et à changer vraiment sa manière de faire
quand le besoin s’en manifeste. Ceci rejoint donc la revendication pour une
pratique réflexive, évoquée plus haut, qui peut se fonder sur l’observation.
Encore faut-il savoir ce qu’il y a lieu d’observer dans le travail didactique. Pour

109
108

ce faire, on peut commencer par découper ce travail et l’on peut considérer qu’il
se déroule en trois temps :
• le pré-méthodique, qui est une thésaurisation de matériaux et des
informations nécessaires à l’émergence ultérieure de la méthode ;
• le méthodique, construction de la méthode proprement dite ;
• le post-méthodique, mise en œuvre et adaptation de la méthode dans une
classe et par un enseignant donné (Calisson, 19 8 2 : 45).

Une autre façon de décrire la pratique didactique comporte aussi trois temps,
légèrement décalés par rapport aux précédents (Dargirolles, 1999 : 144) :
• une phase pré-active de planification qui sert d ’aide-mémoire, de mode
d’emploi ou de guide, avec pour fonction principale de s ’adapter aux
particularités de chaque situation de classe ;
• une phase inter-active, autre forme de planification qui peut se faire entre
deux leçons ou entre deux moments de la classe en fonction de ce qui vient de
se passer ; elle relève du court terme et de l’immédia te té.
• une phase post-active permet d’établir un bilan sur lequel l’enseignant
s’appuiera pour sa planification pré-active suivante.

Les chercheurs constatent que tout enseignant s’appuie sur sa


planification précédente pour construire (phase post-active à phase pré-active),
modifier (phase pré-active à phase inter-active) ou analyser (phase inter-active à
phase post-active) son enseignement. Ainsi, ces trois types de planification
forment un système en boucle, chacune étant en interrelation avec la précédente.
11 y a, en outre, une conciliation difficile entre planification différée et
planification immédiate : dans la phase pré-active, l’enseignant doit anticiper en
organisant les contenus (le temps est fictif) ; dans la phase inter-active au
contraire, l’enseignant est en relation constante avec les élèves et doit imaginer,
dans l’immédiateté, des stratégies d’enseignement pour que les contenus à
transmettre soient assimilés en temps réel. C ’est en définitive ce type de
structuration qui sera exposé dans les grilles de la seconde partie afin de
structurer l’analyse de pratique, en considérant que la phase post-active est le
lieu de l’analyse de pratique, et en prenant en compte les anticipations de la
phrase préactive et les réalisations de la phase interactive.

Observer les apprenants ?


Il faudrait aussi «observer» les apprenants eux-mêmes. Pimsleur et
Quinn (dans Besse et Porquier, 1991 : 179) demande que l’objectif de
recherches se déplace de la langue vers le sujet apprenant, du matériel
pédagogique à l’individu destiné à l’assimiler : « mieux nous comprendrons
comment les étudiants apprennent, mieux nous enseignerons ». Prolongeant
cette vision, Besse et Porquier (1991 : 179) constatent que tout enseignement de
langue suppose et met en jeu une certaine représentation du fonctionnement de
cette langue mais aussi de son apprentissage. Les conceptions, les idées, les
croyances sur la façon d ’apprendre et de faire apprendre une langue sont

110
109

souvent peu explicitées et jouent un rôle important dans son enseignement :


«une théorie et une pratique de l’enseignement des langues impliquent non
seulement une théorie du langage et une théorie de l’apprentissage mais aussi
une articulation entre l’une et l’autre ». On considérera que la théorie du langage
et la théorie de l’apprentissage constituent le corps de prescriptions faites à
l’enseignant tandis que leur articulation par son activité dans la classe
constituent le réel : si l’on se souvient que l’analyse de pratique au travail
consiste à articuler une connaissance de l’acteur en activité et une connaissance
de la tâche (cf. chapitre 2), on comprendra que le programme didactologique
s’apparente aux démarches que nous avons déjà envisagées, puisque analyser le
travail enseignant en FLE/S consistera à tenter précisément de comprendre
l’articulation entre le prescrit et le réel. Or, comme la relation didactique
constitue l’activité même de l’enseignant de langue, elle implique une
observation des apprenants.

Observer rinteraction de classe ?


Kramsch (1991 : 17, 18) insiste sur la nécessité de l’observation de
l ’interaction en classe de langue, parce que l’élaboration de discours est un
processus de nature interactive, au cœur de la classe de langue et que, pour elle,
apprendre à communiquer c’est acquérir la connaissance des conventions qui
régissent le processus de communication. Ces conventions sont acquises dans et
par l’interactivité de la classe, celle-ci contribuant également à la construction
du sens. Cette construction est liée elle-même d’une part à des transactions
verbales et d’autre part à des interprétations mutuelles. Kramsch rappelle que
pour Breen et Candlin, la négociation du sens passe par trois processus, situés
précisément au sein d’une classe de langue : 1 - interprétation des signaux
donnés par un texte ou un locuteur (recenser les faits, identifier le thème,
s’engager cognitivement et affectivement dans la recherche d ’une
compréhension mutuelle) ; 2 - expression/production d’un sens nouveau ; 3 -
négociation entre sens perçu et sens reconstruit. En conséquence, les quatre
facultés : compréhension écrite, compréhension orale, expression écrite,
expression orale, seraient les quatre moyens observables par lesquels la capacité
de mener un discours se montre et se développe. Si alors le discours en classe de
langue est conçu comme processus interactif, il est normal que l’intérêt porté par
ce que Kramsch appelle la « linguistique didactique » à l’interaction et à la
négociation dans la construction du discours réhabilite la classe de langue
comme lieu privilégié d’observation et d’expérience. Cette classe n’est plus
seulement considérée comme la salle de répétition d’une action qui ne reçoit son
sens véritable que dans le pays où la langue est parlée ; la classe même, avec sa
variété de discours, son réseau complexe d’interactions entre l’enseignant et le
groupe et entre chacun des membres du groupe, ses rapports de force et ses
sphères d ’influence, la multiplicité de ses intentions et de ses perceptions, ses
impératifs didactiques et ses compromis personnels, est, pour l’auteur, un
microcosme où la langue étrangère s’apprend et s’utilise d’abord comme

111
110

instrument de socialisation et d’acculturation : « c ’est dans la classe que l’élève


apprend à élargir son horizon linguistique, personnel et social et à tester sa
capacité à assumer temporairement une identité étrangère » (Rramsch, 1991 : 8).
Pour elle, l’authenticité de la classe de langue provient de son double rôle
d ’observatoire et de laboratoire dans un processus de communication entre
apprenants et enseignants.
Kramsch ajoute que la classe de langue, avec ses multiples variables :
réalité psychologique et sociale, procédures pédagogiques, activités scolaires,
est un milieu de communication naturelle potentielle, où les participants
s’efforcent d’intégrer ces variables dans un processus d’interaction : « la classe
offre l’occasion unique d’observer et de développer consciemment des stratégies
d ’interaction entre l’individu et le groupe. Elle est à elle-même sa meilleure
source de matériel didactique ». Parmi les observables, elle insiste non
seulement sur le comportement verbal de l’émetteur mais sur celui du récepteur
d ’un message, car c’est par la négociation que les deux interlocuteurs
s’accordent sur son interprétation. (Kramsch 1991 : 36, 37). Mais ceci pose
d ’autres problèmes : citant les travaux de Ryan et Anderson en 1983 sur
l’évaluation de l’apprentissage en milieu scolaire, C. Kramch signale que si les
tentatives faites pour saisir la nature de l’enseignement et de l’apprentissage
dans le cadre de la classe ont échoué jusqu’à présent, c’est parce que les
éducateurs n ’ont pas identifié la plus petite unité significative de l’interaction de
classe (Kramsch, 1991 : 68) : « Par exemple au cours d’une leçon, l’enseignant
aura posé 12 questions. Mais ces questions étaient-elles justifiées : étaient-elles
adressées à la bonne personne ? Quel était leur but ? Etaient-elles formulées
clairement? Qu’est-ce qui a précédé ces questions? Qu’est-ce qui les a
suivies ? ». Toutes ces questions demandent une étude précise des pratiques de
classe, et nous rejoignons ici tout particulièrement l ’affirmation de l’auteur:
« aucune décision pratique ne peut être prise concernant le discours de classe,
avant qu’on ait observé et analysé la réalité interactionnelle de la classe de
langue» (id. : 1991 : 45). À supposer alors qu’un choix d’observables ait été
effectué, il faut ensuite les recueillir, puis conceptualiser à partir de ceux-ci et
théoriser : en quoi consiste donc ces étapes dans un cadre de didactologie ?

Conceptualiser et théoriser
Pour Besse, il s’agit de reformuler le plus rationnellement possible une
partie des discours empiriques issus de la pratique : « il s’agit de
reconceptualiser l’expérience qu’en ont (eu) ses praticiens, de la reconstruire
abstraitement en hypothèses qui soient « falsifiables » dans les classes » (Besse,
1982: 13). Dans tous les cas, le courant didactologique s’accorde pour
rechercher une théorisation interne à la didactique des langues ; cette
« intemalité » est en quelque sorte fondée sur l’analyse de la pratique, parce que
la pratique enseignante est un produit interne à la discipline de l’enseignement

112
111

du FLE, et non une théorie ou un produit conceptuel issu d’un autre champ que
celui de l’enseignement du FLE.

Un processus de conceptualisation à partir de la pratique


Au plan du processus de conceptualisation, il peut être entendu de deux
façons différentes : une première acception renvoie à l ’explicitation et à la prise
de conscience de règles linguistiques par un apprenant en L2 (cf. Besse et
Porquier, 1991), et elle sera envisagée plus loin. On retiendra ici l’acception
suivante. Le travail de conceptualisation concerne l’enseignant-didacticien et
peut être utilisé dans le domaine de la méthodologie par la prise de conscience
de modes d’enseignement ou d’apprentissage, et dans celui de la formation par
la réflexion sur le processus de formation (Galisson, Puren, 2000). La
conceptualisation implique l’utilisation d’un métalangage spécifique et permet
d ’adopter par rapport à l’objet étudié - l’activité d’enseignement - une position
« méta » (métalinguistique, métaculturelle, métaméthodologique, méta-
fonnative). Défini par son déroulement, le processus de conceptualisation se
réclame d ’une démarche inductive, et consiste :
a) à condenser les données empiriques par sélection, centration, simplification,
abstraction et transformation ;
b) à les présenter sous forme de matrice, de graphiques, diagrammes et tableaux
de manière à tirer des conclusions et passer à l’action ;
c) enfin à élaborer/vérifier ces conclusions par un travail approfondi de
reproduction d’un résultat dans un autre ensemble de données et/ou par des
discussions entre collègues visant à développer un consensus intersubjectif.
Cette démarche s’inspire des méthodes d’analyse qualitative en matière
de recherche en Sciences Sociales. Plus précisément, la démarche est décrite en
8 étapes, partant du terrain à des fins d’observation (étapes 1, 2, 3), s’en écarte
pour théoriser (étapes 4, 5, 6) et revient au terrain pour intervenir sur les bases
de la théorie élaborée à cet effet (7, 8) (Galisson Puren : 2000 : 121).
Nous reproduisons ci-après presque intégralement les étapes du processus
de conceptualisation proposées par les auteurs afin de les commenter en situant
l’analyse de pratique.1

1- « Observation : première approche en vue d ’apprivoiser l’objet d’étude (ce


à quoi la recherche s ’intéresse). Consiste à porter une attention méthodique
sur cet objet pour en préciser les contours et les limites, en interpréter les faits
saillants, en démêler les enjeux en identifier les problèmes ».
Commentaire :
Ici la notion d’objet peut recouvrir une infinité d’éléments de la situation
de classe, depuis l’enseignant jusqu’aux apprenants, en passant par tous les
constituants de leur comportement et de leur interaction. Ces objets d’étude (par
exemple, 1’« administration de la consigne », « l’introduction du Projet en classe
de FLE », etc.) pour être circonscrits, doivent être décrits au moyen de
matériaux et d’indices - les observables (paroles, gestes, écrits). Il semble que

113
11 2

cette étape corresponde à ce qu’en Sciences Sociales on appelle l’observation


« ouverte », c’est-à-dire un recueil d’observations non restreintes par des
théories ou des hypothèses préalables ; celle-ci s’oppose donc à l’observation
dite « fermée », étayée pour sa part sur de telles théories ou hypothèses. C’est
cette dernière que nous retrouverons plus loin à l’étape 5. Il y a lieu cependant
de signaler ici que cette démarche se heurte aux difficultés inhérentes aux
Sciences Humaines : elle prône une démarche inductive, c’est-à-dire une
démarche qui part du singulier de la situation dans toute sa complexité et sa
richesse, pour aller vers le général (étapes 2 à 6). Dans la réalité, même si l’on
arrivait à recueillir un maximum d’observables sans poser de théorie préalable
sur une situation de classe donnée, l’objet d’étude et la sélection des matériaux
se fondent toujours sur une théorie implicite propre à chaque observateur, qu’il
soit chercheur ou praticien ; on renverra pour ce débat à l’ouvrage, déjà cité, de
Quivy et Campenhoudt (1988). Il conviendrait ici d’intégrer dans la démarche
une étape que nous avons mentionnée au chapitre 2, celle qui consiste pour
l’observateur, à clarifier ses positions et représentations dans les choix qu’il
opère : comment a-t-il défini son « objet », pour quelle raison, etc., c’est-à-dire
clarifier les présupposés qui animent son observation. C ’est en partie ce que
veulent dire les auteurs de la démarche lorsqu’ils parlent d’enjeux. Cette étape
d ’observation semble donc fournir une partie du matériau nécessaire à une
analyse ultérieure de la pratique de classe. On voit qu’elle conditionne la
poursuite de la démarche : à l’évidence, ne pourront être analysés que les
matériaux recueillis à cette étape. Nous reviendrons plus loin sur les problèmes
épistémologiques liés à l’observation, phase clef de la démarche didactologique.

2- « Formulation : démarche d’écriture propre à transformer les interrogations


du chercheur en un libellé de sujet à la fois concis et précis, couvrant
l ’ensemble de l ’étude et témoignant les intentions de l ’auteur. La formulation
du sujet peut évoluer en cours d ’ouvrage, elle n’en est pas moins essentielle,
parce qu’elle tisse le fil d ’Ariane qui guide le chercheur, l’empêche de se
perdre et parce que l’expérience prouve que les sujets mal ficelés donnent
rarement lieu à des recherches de qualité ».
Commentaire :
Ceci constitue la première marche vers l’abstraction à partir de la pratique
puisqu’il s’agit de mettre par écrit un fil directeur. Il semble qu’on n’insistera
jamais assez sur l’importance de la formulation écrite dans le processus de
conceptualisation de la pratique enseignante. Les enseignants, en tant que
praticiens, sont détenteurs d’un savoir « caché » (ne serait-ce, pour l’enseignant
débutant, que celui de sa première expérience) ; la construction d’un savoir
maîtrisé passe par la formulation verbale de l’expérience pour lui permettre de se
dégager du savoir préréfléchi caché dans l’agir professionnel (cf. chapitre 1
paragraphe « Intériorisation et abstraction réfléchissante »).3

3- « Contextualisation : une étape caractéristique de la didactologie, ayant


pour but de situer l’objet d ’étude dans son environnement spatiotemporel et
de répertorier les facteurs multiples qui le déterminent. C’est en le

114
11 3

contextualisant que le chercheur réalise tout à la fois : la complexité du dit


objet, donc l’impossibilité de conduire une recherche qui prétendrait en tirer
les enseignements universels, et l’obligation de n ’en dégager modestement
que des conclusions singulières, relatives et provisoires. La contextualisation
est un travail de longue haleine et de grande attention qui consiste à
interroger, parmi les huit catégories éducatives [sujet (apprenant), objet
(langue-culture), agent (enseignant), groupe, (groupe classe), milieu institué
(école), milieu instituant (société), espace (physique et humain), temps
(chronologique et climatique)] qui composent la matrice de référence
disciplinaire [...] celle dont l’influence est la plus sensible sur l’objet
d’étude »,
Commentaire :
Avec 1’« interrogation » qui est au cœur de la « contextualisation » -
interrogation de l’influence sur l’objet d’étude des 8 facteurs mentionnés - nous
sommes au cœur du processus d’analyse de pratique. Tl s’agit ici de trouver les
indices des liens entre les facteurs cités et l’objet de recherche, et cette
« interrogation » est un travail d'interprétation systématique : tous les facteurs
et tous les matériaux recueillis doivent être envisagés. Par exemple, si l’objet
d ’étude est Vadministration de la consigne par tel enseignant en classe de
langue, l’institution où il exerce, sa propre formation, son public, le temps
imparti pour les cours, etc., contraignent-ils directement ou non sa façon de
donner les consignes ? En tout état de cause, mettre en relation des facteurs et un
objet est une autre façon d’émettre des hypothèses, c’est-à-dire des réponses
anticipées à des questions que le chercheur se pose. Nous retrouvons ici l’une
des difficultés de la méthode inductive : si un grand nombre d’« observable » a
été recueilli, sans explicitation des présupposés de l’observateur comment être
sûr de tisser des liens pertinents ? Dans cette démarche, on fait l’hypothèse que
la pertinence elle-même se construit en chemin, et que la mise en relation d’un
observable donné avec un facteur donné amènera l’observateur à formuler - ou
non - une interprétation.

4- « Problématisation : processus désignant le passage d’un produit empirique (le


problème) à un produit conceptualisé: la problématique, ( [...c ’est-à-dire] « le
passage du particulier au général) ; le problème n’est plus lié à la personne de
l’enseignant, à tel ou tel apprenant ou encore à telle situation, mais au processus
d’enseignement/apprentissage lui-même; le passage du concret à l'abstrait; le
passage de la juxtaposition à la liaison - le problème n’est plus isolé, mais relié à
d'autres problèmes dans la même problématique ».
Commentaire :
Cette étape correspond d’une certaine façon aux trois étapes de la
recherche en Sciences Sociales (cf. chapitre 2) - étape 2, questionnement,
hypothèses ; étape 3, recherche bibliographique et exploration ; étape 4,
problématisation).5

5- « Investigation : démarche consistant à choisir ou à construire, puis à mettre en


œuvre les méthodes et les outils propres à satisfaire aux exigences du type de

115
114

recherche entrepris ; ex. : méthode descriptive, méthode analytique, méthode


documentaire, méthode expérientielle (Galisson 1994) »
Commentaire :
Ceci correspond aux étapes 5 et 6 de la démarche de recherche en
Sciences Sociales, déjà mentionnées, et consiste donc en une observation, cette
fois-ci « fermée », c’est-à-dire contrainte par les apports de la formulation, de la
contextualisation et de la problématisation.

6- « Conceptualisation-théorisation : deux processus complémentaires qui


conduisent à l’élaboration de deux produits également complémentaires : la
conceptualisation élabore les concepts et c ’est avec des concepts que la
théorisation élabore une théorie [...]. »
Commentaire :
Le contenu de cette étape correspond globalement à ce qui est demandé
dans les mémoires de Maîtrise - ou Master 1 - de FLE/S dans le cursus
universitaire français, lorsqu’il s’agit de confronter une expérience de stage aux
théories et concepts du champ didactique du FLE/S.
1- « Intervention : réponse aux questions posées, mise en actes, sur le terrain,
des propositions élaborées au cours des phases précédentes. Intervention n ’est
pas synonyme d’ingérence. Le didactologue n ’impose pas, il propose, il
suggère, parce qu’il sait que rien ne peut changer dans le domaine sans le
consentement et la participation active des acteurs de terrain ».
2- « Validation : démarche permettant de vérifier sur le terrain, auprès de
ceux qui les ont mises en œuvre, si les actions suggérées ont produit les (des)
effets ou les (des) résultats attendus. Alors que l ’évaluation mesure des
réalisations, la validation rend également compte des réactions et des
intentions des utilisateurs potentiels vis-à-vis des actes qui leur sont suggérés
[..,]. Les théories non adoptées par les acteurs de terrain, légitimes
destinataires, ou les actions induites de ces théories et qui ne répondent pas à
leur attente, perdent en effet tout crédit » (Galisson Puren, 2000 : 122)
Commentaire :
Ce retour au terrain déborde l’analyse de pratique telle que nous
l’envisageons ici, mais constitue la finalité de celle-ci. Ces étapes correspondent
au processus expérimental fondé sur l’observation de l’activité de travail, propre
aux disciplines ergonomiques, qui propose et met en place des modifications de
dispositifs dans l’activité de travail.
Concernant la théorisation, les deux auteurs de La Formation en question,
source de ces extraits, ont une vision élargie de celle-ci. On a vu qu’une
démarche inductive était revendiquée pour le processus de conceptualisation, et
également, à l’étape 6, que « la conceptualisation élabore des concepts et c’est
avec les concepts que la théorisation élabore une théorie ». En même temps, les
auteurs regroupent dans la notion de théorisation :
1) l’élaboration de concepts à partir de données empiriques,
2) l’application de concepts pour l’interprétation de données empiriques, et
pour eux, ces deux opérations inverses correspondent à ce que l’on appelle
communément la conceptualisation,

116
115

3) les différentes formes de manipulation et articulation de concepts


aboutissant à des « configurations conceptuelles ».

Si effectivement l’acception numéro 1 est la version « inductive » de la


théorisation-conceptualisation, la deuxième acception, « l’application de
concepts pour l’interprétation de données empiriques » est non seulement de
type hypothético-déductif mais aussi explicatif, c’est-à-dire à l’opposé des
revendications compréhensives de la démarche ; autrement dit, les auteurs ne
seraient donc pas opposés aux vertus « explicatives » des concepts a priori. En
fait, les deux démarches sont étroitement imbriquées dans les réflexions de
l’enseignant, comme dans celles de tout chercheur dans le domaine des Sciences
Humaines : induction et déduction se complètent dans l’approche des
phénomènes observés. Plus radicalement, on peut aussi partir non plus d’une
approche préconstruite, mais réflexive (Dargirolles, 1999 : 150) par le passage
d ’une utilisation d’outils d’observation préconstruits à la construction d’outils
par les stagiaires eux-mêmes en cours de formation. En effet, les grilles
d ’observation a priori peuvent être établies à partir de théories de l’éducation
souvent impuissantes à décrire la diversité des situations auxquelles les
stagiaires sont confrontés. Dans ce cas, il faut en fait passer de « l’observation-
reproduction antérieure » à une « observation réflexion » souvent déstabilisante
pour le futur enseignant qui cherche des repères sécurisants et attend souvent
des recettes pédagogiques. L’utilisation d’outils d’observation dont le stagiaire
est le concepteur le réintroduit en tant que sujet réel actif, ce qui rejoint la
posture que les ergonomes ou les psychologues du travail font adopter aux
acteurs dont ils étudient l’activité. Il est alors admis que la réalité est une
reconstruction personnelle du réel à un moment donné. Le fait de choisir quoi
observer en fonction de ses propres intérêts et de ses propres objectifs n’est plus
un obstacle épistémologique - celui des présupposés implicites de l’observateur/
acteur, mais la condition d’une formation qui n’est plus homogène d’un stagiaire
à l’autre, mais personnalisée.

L ’analyse de pratique est un moment du processus,


un processus dans le processus
Nous considérerons qu’elle correspond dans son contenu aux étapes 1, 2,
3 et 5 du processus de conceptualisation des didactologues. Analyser sa pratique
consiste ainsi à :
* observer une activité enseignante en classe de FLE/S (étape 1 ci-
dessus),
• formaliser le plus souvent possible les interrogations issues des
observations (étape 2 ci-dessus),
* interroger les facteurs susceptibles d’influencer les activités
observées (étape 3),
• approfondir l’investigation et le recueil des observables (étape 5).

117
116

En tant que moment d’un processus de conceptualisation, la démarche


d ’analyse de pratique consiste en un recueil d’observables et en l’interrogation
de ces observables, mais a pour arrière-plan l’explicitation des présupposés de
l’acteur/observateur, la problématisation qui l’anime et la finalité opérationnelle
qu’il vise. Présupposés, problématique et finalité sont les conditions du recueil
d ’observables qu’est l’analyse de pratique, mais ne sont pas l’analyse de
pratique. Nous nous intéresserons ici aux outils et méthodes de l’analyse de
pratique mais pas à ceux qui servent à formaliser présupposés, problématique et
finalité. Pour autant, il n’est pas possible d’analyser sa pratique sans passer par
cette formalisation/explicitation. Cette formalisation pose à nouveau la question
du cadre épistémologique de l’observation.

Epistémologie sous-jacente à l ’observation en classe de langue,


et positionnement de l ’analyse de pratique
La visée de l’observation de classe de langue peut être descriptive,
normative (prescriptive ou évaluative) ou formative (Puren, 1999: 133).
L’observation peut être utilisée soit dans un cadre « applicationniste », c’est-à-
dire, comme on l’a vu plus haut, qui fait de la théorie, qu’elle soit
extradidactique - c’est-à-dire sociologique, psychologique, etc. - ou
intradidactique, le guide de la pratique, soit dans un cadre « implicationniste »,
qui fait à l’inverse découler la théorisation de la pratique. En outre, pour
l’auteur, l’observation peut se faire dans la perspective de l ’objet de
connaissance (la langue, dans notre cas) ou dans la perspective des sujets de
l’enseignement-apprentissage (enseignant ou apprenant). Enfin, l’observation
peut avoir deux projets : l’un descriptif pour décrire les pratiques « telles
qu’elles apparaissent », l’autre normatif pour juger ces pratiques en fonction de
règles préétablies. En étudiant alors les différents types d’observations résultant
de la combinaison de ces différents critères, Puren repère deux types
d ’observations à la fois proprement didactiques et non normatives, qui
rejoignent le projet de l’analyse de pratique : une observation qui, tout en
s’appuyant sur des théories - mais d’ordre intradidactique - recherche par
exemple les traces de différentes « méthodologies constituées » de référence
FLE dans les pratiques d’un enseignant, ou les caractéristiques des différentes
méthodes d’apprentissage d’un élève en fonction des théories de
l’apprentissage ; par ailleurs, une observation comme processus de réflexion et
de construction théorique à partir des descriptions des pratiques d’enseignement/
apprentissage, et dans laquelle les théorisations produites sont spécifiquement
didactiques, comme lorsqu’un didacticien observe des classes dans le but de
dégager des invariants didactiques.
L’analyse de pratique se rapporte en partie à cette dernière configuration,
parce qu’il s’agira bien de tenter de dégager des « invariants didactiques » -
« invariants opératoires » ou « concepts pragmatiques » en Didactique
Professionnelle. Dans les deux cas d’observation, l’observateur est le praticien
lui-même, et ce qui est recherché par l’analyse de sa pratique est dans un

118
117

premier temps une meilleure connaissance de celle-ci, dans un second temps,


une évolution. Purcn souligne la nature fondamentalement ambigüe de
l’observation particulièrement lorsqu’elle est utilisée comme moyen de
formation initiale des enseignants : « elle vise à fournir aux stagiaires des
éléments pour leur propre théorisation didactique, mais elle est en même temps
organisée nécessairement sur la base des théories didactiques de ces
formateurs ». Formation à l’appréhension de la complexité dans les objets et
matériaux de toute recherche, l’observation est porteuse d’une contradiction à la
fois inévitable et féconde : elle oblige à une « récursivité constante » entre
théorie et pratique, autrement dit des itérations constantes entre données
d ’observation et théories disponibles, en créant des articulations souvent inédites
entre les deux. Encore faut-il, souligne l’auteur, que les formateurs tiennent non
seulement compte de cette récursivité théorie-pratique, mais qu’ils en fassent
prendre conscience à leurs stagiaires lors de formation d’enseignant par
l’observation de classes.
Au plan épistémologique, la conséquence de cette intrication des
démarches inductives et déductives, quel que soit le point de départ, est une
nécessité d’auto-observation : « il n ’existe, face à tant de complexité, qu’un seul
mécanisme interne de sécurité à faire fonctionner à tout prix de manière
permanente et collective aussi bien chez les enseignants que chez les formateurs
et les didacticiens : s ’observer soi-même ! » (Puren 1999: 140). Il semble
effectivement inévitable que l’observation s’adosse à des théories ne serait-ce
qu’implicites. Mais, on l’a sans doute assez précisé aux chapitres précédents, ce
qui est au centre de l’analyse est la pratique : la récursivité semble possible dès
lors que le praticien explicite ses propres présupposés didactiques et
pédagogiques au cours de l’analyse de pratique, et se dote d’outils
d ’objectivation de la pratique, afin de disposer d’un matériau ayant un statut
équivalent aux théories qu’il professe dans sa réflexion. La « récursivité »
demandée par Puren peut être prise en charge par des formes d’observation
relevant de l’ethnométhodologie, selon Kramsch, qui sont caractérisées
notamment par le fait qu’elles s’efforcent d’établir une certaine congruence
entre les perceptions des observateurs et celles des participants, soit par des
comptes rendus rétrospectifs, soit par des questionnaires servant de guide à
l’observation, et elles sont basées sur des données récupérables (enregistrements
magnétophone/magnétoscope, transcriptions) (Kramsch 1991 : 48). Pour
l’auteur, « la connaissance des perceptions et des intentions des participants est
essentielle si l’on veut comprendre le sens du discours de classe ». On retiendra
ici la nécessité d’intégrer la connaissance des intentions et des perceptions dans
l’analyse de ses pratiques par un enseignant, à commencer par les siennes
propres, puis celles de ses apprenants. Cependant, il est évident que le praticien,
s’il est son seul analyste, introduit des biais que la meilleure des grilles
d ’(auto)observation ne peut éviter. « L’analyse aura donc besoin d’observations
par plusieurs observateurs ou ‘triangulation multiple’ pour obtenir un certain
degré d’exactitude ». D ’où l’importance du formateur ou du tuteur en formation
d ’enseignant. Celui-ci joue également un rôle non négligeable dans la

119
118

production de concepts, produits de l’ensemble de la démarche, et qui


remplissent un rôle central dans la connaissance que l’enseignant a de son
activité, c’est-à-dire dans la formation de ses compétences.

Le produit de la conceptualisation : le concept


Le processus de conceptualisation permet d’élaborer une compréhension
de l’activité enseignante et ceci se traduit entre autres par la production de
concepts didactiques. Ces concepts sont une représentation mentale symbolique
d ’un ensemble de données factuelles ou interprétatives à partir de la réalité de
classe, et ils permettent des manipulations intellectuelles qui sont économiques
sur le plan cognitif pour l’enseignant ou le chercheur (Galisson et Puren (2000 :
117). Les données empiriques sont la source des concepts, mais ont
l’inconvénient de résulter de la complexité des situations de classe ; multiples,
diverses, variables, hétérogènes, interreliées, aléatoires et contradictoires, non
objectivables, ces données sont la manifestation de ce qu’étudient, hors
didactique du FLE/S, les chercheurs dans le champ de la formation des adultes :
la singularité spécifique des activités éducatives ou formatives (dans lesquelles
l’observateur est souvent impliqué dans l’observation des données et où cette
observation a un effet sur celles-ci). Faisant fond sur cette singularité pour
produire de la régularité, ou plutôt de la généralisation, l’élaboration de
concepts est un des objectifs de la démarche didactologique. Nous envisagerons
succinctement quels types de concepts sont décrits par les didactologues, et la
fonction de ces concepts.

Concepts et fonction des concepts


Un concept est de premier degré si ses éléments sont des données
empiriques, telles que la « forme linguistique », définie comme une réalité
d ’ordre lexical (un mot), syntaxique (une structure) et morphologique (une
forme verbale). Un concept est de second degré s’il regroupe d’autres concepts,
telle 1’« intégration didactique » qui est définie comme le fait de faire réaliser un
certain nombre d’activités didactiques - par exemple : sélection, distribution,
présentation, explication, exercisation, évaluation - à partir d’un « support de
base » - un écrit littéraire -. En outre, il y a des concepts isolés, qui
correspondent soit à un processus de conceptualisation en cours à portée
minimale, soit à une « configuration conceptuelle globale », c’est-à-dire une
théorie d’ensemble de la relation entre processus d’enseignement et processus
d ’apprentissage qui correspondrait à un produit de conceptualisation achevé ci
portée maximale (Galisson et Puren (2000: 37). Les didactologues, en
considérant qu’une fonction essentielle des concepts propres à la Didactique des
langues-culture est d’accueillir dans des ensembles « suffisamment larges et
flous » des données empiriques marquées par la complexité fondamentale de
leur domaine, ne font rien d’autre que signaler la fonction de dénomination que
remplissent les concepts pour l’observateur de toute activité humaine. Ainsi, les
concepts permettant sous la forme compacte d’une phrase simple, d’énoncer et

120
119

de comprendre des phénomènes très complexes, comme par exemple la relation


entre une «form e linguistique» (concept de premier degré), l’activité de
« répétition », et la « situation d’enseignement/apprentissage » (concept de
second degré), servent à « encapsuler » les problématiques décelées sur le
terrain tout en prenant en compte la complexité du champ de pratique.

Question posée par ces définitions de concepts :


r in variance de la pratique
Si le concept « forme linguistique », renvoie à des faits linguistiques, le
concept « répétition » renvoie pour sa part à des pratiques de classe, et le
concept « motivation » renvoie à des réalités psychologiques ; ces concepts sont
donc eux-mêmes de nature hétérogène parce qu’ils appartiennent à un large
éventail de cadres de réflexion. Concernant la pratique enseignante, on peut se
demander si ce type de concept peut en rendre compte. Ils peuvent sûrement
recouvrir en partie des concepts de type « concepts pragmatiques » au sens de
Pastré (cf. chapitre 2). Mais il n’est pas précisé si l’activité de dénomination (en
quoi consiste la conceptualisation enseignante) correspond à une recherche de
régularités significatives de l ’activité enseignante,. Ces régularités sont, en
didactique professionnelle, on le rappelle, les invariants opératoires ou
« théorèmes en acte » ; ils permettent de sélectionner et interpréter l’information
pertinente dans une situation et de la traiter, c’est-à-dire de reconnaître des
objets présents dans ces situations, et des propriétés et relations nécessaires à
l’évocation de règles d’action pertinentes, compte tenu du but poursuivi.
En fait, les auteurs insistent sur le fait que ces configurations concep­
tuelles sont des « machines à réfléchir », des « moulins à idées ». Par exemple,
un enseignant qui s’interroge sur les raisons pour lesquelles ses élèves ne
parviennent pas à assimiler une structure grammaticale introduite, expliquée et
travaillée comme les autres, cherchera la faille dans la méthode qu’il a utilisée,
en passant en revue des catégories a priori d’analyse : théorie, objectif,
situation, support, évaluation, etc. ; c’est-à-dire à partir de ces catégories pour
« décoder » sa pratique, mais non à partir de cette dernière, porteuse
d’indicateurs sur les régularités qui l’animent. Bien entendu, ce faisant,
l’enseignant pourra malgré tout repérer des régularités, mais elles ne semblent
pas au centre de ce dispositif de conceptualisation. Dans ce cas, il semble que la
démarche soit plutôt de type diagnostique, et de type hypothético-déductive -
puisque partant de catégories d’analyse a priori - et non purement inductive
comme on pourrait le penser initialement. Le lien entre concepts et invariants est
aussi une des préoccupations de Germain (cf. supra) qui demande une
théorisation de l’enseignement des langues, ne serait-ce que pour hiérarchiser les
nombreuses variables de la didactique des langues, et pour définir les concepts
fondamentaux/périphériques et leurs liens. Or, pour ce faire, qui dit théorie dit
régularités. C’est pourquoi l’équipe de recherche ASHILE de l’Université du
Québec à Montréal cherche des régularités ou des constantes dans
l’enseignement d’une L2 : « l’enseignement d’une L2 pourrait peut-être reposer

121
120

sur quelques invariants ». Faisant écho aux travaux de didactique


professionnelle, la didactique du FLE/S s’avise de la possibilité de dégager un
certain nombre de régularités « en creusant sous la surface des phénomènes
observés », de manière à contribuer à bâtir une éventuelle théorie de
l’enseignement d’une L2.

Enjeux
La démarche de conceptualisation du programme didactologique en FLE
est véritablement une avancée théorique et pratique en didactique des langues et
se révèle indispensable aux praticiens, comme dans de nombreux autres
domaines de professionnalisation enseignante. Une des difficultés du débat
didactologique depuis les années 80 est d’obtenir un consensus de la part des
chercheurs sur une définition claire des concepts en DLE au niveau
terminologique et, au delà, épistémologique (Dargirolles, 1999 : 149). Pour elle,
au delà de la connaissance de la structure sous-jacente à l ’enseignement d’une
L2, le problème de définition des concepts didactiques a des enjeux
institutionnels forts puisque la description des invariants de structure de l’acte
d ’enseignement permettrait de fonder une épistémologie de la didactique des
langues étrangères et d’obtenir ainsi une reconnaissance par la communauté
scientifique. Cette reconnaissance, naturellement, serait la marque de
l’autonomie de la didactique du FLE/S en particulier par rapport aux disciplines
dites « mères » ou « sources » (linguistiques, psychologiques, sociologiques,
etc.).

Rôle de la formation et du formateur d’enseignant


Le développement d’observations descriptives du terrain oblige à repenser
la formation des enseignants et renouvelle la réflexion sur les formations
initiales et continues. La professionnalisation des enseignants est un enjeu de
société et passe par des pratiques réflexives en formation. Cette réflexivité
même pourrait rapprocher chercheurs et praticiens.

La formation
Une formation développant une « approche cognitive » de l’observation
(Dargirolles, 1999 : 151) consisterait pour les stagiaires à élaborer et utiliser des
outils d ’observation par eux-mêmes. Cette approche initierait entre autres, deux
choses. La première étant la prise de conscience, au fur et à mesure du
déroulement de la formation, de la complexité de l’enseignement
/apprentissage : apprendre à nommer, décrire, analyser les données recueillies
sur le terrain à partir des situations observées ; la seconde étant de théoriser à
partir de l’observation - « se former à la pratique de la théorisation » (Galisson,
Puren 2000 : 40) -, ceci permettant de comprendre que l’appréhension des
pratiques de classe ne peut se faire sans un minimum de connaissances
théoriques. En terme de modalité, qu’il s’agisse de formation initiale ou

122
121

continue, plusieurs composantes peuvent être intégrées, et l’étude réalisée sur la


formation des enseignants de langue par Castelloti et de Carlo (1995) est
révélatrice des besoins des enseignants en matière de réflexivité au sein d’un
dispositif formatif : la conduite de projet au sein d’un groupe de pair permettrait
la confrontation et l’échange ; la formation par la recherche permettrait de
s’interroger sur les motivations des choix et priorités opérés sur les terrains de
pratique, elle s’appuierait sur l’observation de classe et la discussion entre
collègues, puis organiserait la mise en commun des connaissances et des
résultats. Le programme qui se dégage de l’enquête place ainsi l’enseignant au
centre d ’un dispositif qui demande de définir, outre le contenu spécifique de la
formation d’enseignant de langue, le rôle des formateurs qui l’animent.

Rôle du formateur
Le rôle du formateur ne se réduit donc pas à la transmission de
connaissances. Le formateur devient à la fois un facilitateur et un guide de
formation, qui agira sur les deux temps de l’approche cognitive qui était
évoquée plus haut. Le formateur peut ainsi encadrer l’observation de la
complexité des pratiques et accompagner le processus de conceptualisation
enseignante afin de permettre aux stagiaires de s’approprier eux-mêmes leur
objet de connaissances, et d’autre part, assumer un rôle de médiateur entre les
savoirs, les discours scientifiques et les enseignants. Les chercheurs insistent sur
cet aspect (Dargirolles, op. cit. ; Castelloti, de Carlo, op. cit ; Altet, Paquay,
Perrenoud, 2002), ce qui pose en conséquence la question de la formation de
formateur qui ne sera pas abordée ici, et à laquelle la démarche d ’analyse de
pratique proposée dans la dernière partie de l’ouvrage peut apporter quelque
éclairage.

DISPOSITIFS D ’OBSERVATION

Une enquête spécifique serait nécessaire pour inventorier les dispositifs


d ’observation existants aujourd’hui pour la formation des enseignants de FLE. Il
est utile de se reporter aux réflexions de Françoise Dargirolles sur « L’évolution
de la conception de l’observation de classes en didactiques des langues
étrangères» (1999), consacrées à l’observation en classe de langue. On se
contentera ici de distinguer deux catégories de dispositifs :
- des observations pour et par des chercheurs (Kramsch, 1991 : 38 ; Canelas-
Trevisi, 2003 ; Porquier, Rosen, Fléberlé-Dulouard, 2003 ; Rivière, 2003 ;
Germain, 1999 : 171-187 ; Pambianchi, 1999 : 189-207) ;
- des observations pour et par des enseignants (Wringe, 1999 : 253 ; Stirman-
Langlois, Waendendries, 1999 : 214 ; Lèbre, 1999).

123
12 2

FINALITÉ ET DESTINATAIRE DE L’ANALYSE DE PRATIQUE

À qui profite l’analyse de pratique :


centration sur l’enseignant, centration sur l’apprenant ?
L’activité d’analyse de pratique professionnelle des enseignants se
développe paradoxalement à une époque où la centration sur l’apprenant
apparaît fréquemment dans tous les discours didactiques. D’un côté, l’attention
de l’enseignant doit se porter sur les faits et gestes des apprenants pour mieux
les comprendre et les accompagner, et tout en même temps, il lui est demandé
d ’être attentif à ses propres faits et gestes. Cette centration sur l’enseignant
(Dabène 1986 : 34) a pour finalité, dans l’analyse de pratique, la création d’une
mémoire de l ’enseignement, et le destinataire ou bénéficiaire immédiat de
l’analyse de pratique est l’enseignant lui-même et au delà l’ensemble des
enseignants et didacticiens. Par exemple, pour Besse (1992 : 182), des
techniques utilisées en classe, telles que la paraphrase ou le discours rapporté, ne
peuvent être considérées seulement comme des pratiques pédagogiques
générales, mobilisées dans tout type de disciplines, mais, étant spécifiques de la
didactique des langues, doivent y être intégrées, en tant que savoir propre, parce
que sur le plan épistémologique, ce savoir pratique n’est pas différent de ceux
qui constituent le bagage académique traditionnel de tout professeur de langue :
littérature, linguistique, civilisation de la L2. Le déplacement du centre de
gravité du procès d’enseignement/apprentissage vers l’apprenant peut avoir pour
effet une réaction de rejet de la part des enseignants. A titre d’exemple, du point
de vue de l’enseignant, la «pédagogie par objectif» qui travaille en amont de
l’acte formatif pourrait avoir pour limite éventuelle de définir précisément ce
que l’apprenant doit savoir en fin de cursus (demander son chemin dans la rue,
montrer qu’il a compris et remercier, répéter la question autrement si la
personne absorbée n ’a pas saisi, etc.) mais sans rien dire sur les moyens pour y
parvenir. En outre, le modèle de communication authentique peut inquiéter
l’enseignant, dans la mesure où il le dépouille à la fois des marques évidentes de
son savoir (ne faisant plus de leçon, il n’affiche plus ce qu’il sait) et de son
pouvoir (l’abandon de l’exercice, à la fois outil d’apprentissage et outil de
contrôle, lui retire une partie de ses prérogatives d éjugé (Galisson, 1982 : 47,
53). La centration sur l’enseignant est aussi le fait de courants de recherche
antérieurs à 1970 aux États-Unis qui ont pu considérer implicitement que
l’apprentissage des élèves est essentiellement influencé par l’enseignement et
que d ’autre part, une cause produit un effet directement et immédiatement
observable : à un stimulus correspond une réponse, ce qui ne tient pas compte de
l’ensemble des facteurs en présence, aussi bien externes aux partenaires de
l’interaction qu’internes (motivation, etc.). A partir de 1970, les chercheurs
s’intéressent alors au teacher thinking, démarche qui implique notamment
d ’observer une classe en s’intéressant à l’intentionnalité de l ’enseignant et de
clarifier les présupposés (tant de l’observateur que de l’observé) qui ont des

124
12 3

effets sur la pratique (Dargirolles (1999 : 142 ; 145). Après 1990, les recherches
menées par Germain et son équipe au Canada se font à partir d’observations
empiriques du terrain, et se centrent sur la compréhension du processus
d ’enseignement de la langue étrangère, processus continu de prise de décisions
(Germain, 1996 : 7) : le résultat de ces recherches sera présenté dans la seconde
partie de cet ouvrage.

Finalité
Pour tenter de définir la finalité de l’analyse de pratique en didactique du
FLE, on pourra considérer qu’elle présente les mêmes caractéristiques que toute
analyse de pratique, dans le champ de la didactique du FLE/S : centrée sur
l’enseignant, elle fournit une médiation entre les actes réalisés et la pensée, elle
vise à repérer l’intentionnalité de l’acteur, à favoriser Y appropriation de ses
connaissances pratiques par celui-ci et à forger son jugement (cf. chapitre 3). Par
ailleurs, on ne saurait négliger que l’observation de classe et la conceptualisation
peuvent conduire à l’identification de schèmes - organisation invariante de la
conduite pour une classe donnée de situation - et d ’invariants opératoires -
reconnaissance des objets présents dans les classes de situation et de celles de
leurs propriétés nécessaires à l’évocation de règles d’action adaptées au but visé
(cf chapitre 1) - ; ces schèmes et invariants sont spécifiques aux actes
enseignants visant l’apprentissage du FLE/S et leur conscientisation fait partie
des effets cognitifs recherchés en formation professionnelle. Si alors il est utile
de distinguer, comme le fait Puren (2002, non publié), les finalités de l’analyse
de pratique selon son utilisation en psychanalyse, en sciences de l’éducation, en
formation professionnelle (« comprendre et s’approprier les représentations, les
normes et les valeurs de la profession ») et en didactique et méthodologie des
langues (« faire découvrir les problématiques fondamentalement liées au
processus d’enseignement/apprentissage de la langue-culture»), on peut
néanmoins tenter de formuler la finalité de l’analyse de pratique en FLE/S de la
façon suivante :
Pour un enseignant donné, l’analyse de pratique vise l ’appropriation des
schèmes d ’action et des invariants opératoires q u ’il mobilise, propres à
l’interaction de classe, interaction organisée par lui-même et ayant pour but
l’acquisition du FLE/S par ses apprenants. Dans la démarche d’analyse de la
pratique, il tente d’identifier ses intentions et d’exercer un jugement d ’efficacité
sur ses actes enseignants par rapport aux indices d ’apprentissage de la langue
chez ses élèves.
Ces indices d’apprentissage témoignent de stratégies d’apprentissage.
Pour peu que l’on s’autorise à considérer que les schèmes sont des stratégies
d ’enseignement, ces stratégies d’enseignement tiennent compte des stratégies
d ’apprentissage (Galisson,1982 : 45). Il faut alors considérer le lien qui unit les
unes et les autres, et prendre en compte le fait que les schèmes d’action des
praticiens interagissent avec les schèmes d’action des apprenants de langue.

125
124

LIEN ENTRE ANALYSE DE PRATIQUE ENSEIGNANT ET


ANALYSE DE PRATIQUE APPRENANT

Dans cette dernière partie, on développera une piste de réflexion qui tente
d ’articuler l’analyse de pratique enseignante en FLE et l’analyse de pratique
apprenante, c’est-à-dire l’exercice de « conceptualisation » en cours de FLE,
cette dernière pouvant être en quelque sorte une évaluation formative des
enseignants de FLE (Pescheux 2002). En effet, l’exercice de « concep­
tualisation », parce qu’il consiste en l ’explicitation par l ’apprenant lui-même de
ce q u ’il fa it lorsqu’il apprend, avec le guidage de l ’enseignant, permet à
l’enseignant de connaître les pratiques apprenantes par ceux-là même qui les
réalisent et d’évaluer en partie l’effet de son action. Cette activité de classe de
langue sera développée dans la deuxième partie de cet ouvrage, et seule
l’existence du lien entre la pratique apprenante et pratique enseignante par le
biais de cette activité sera développée dans ces lignes.
Liées dans l’interaction de classe, pratique apprenante et pratique
enseignante sont liées également spécifiquement en FLE par les quelques points
suivants (Besse 1986 : 15) : les énoncés produits dans une classe de L2 sont de
nature métalinguistique et ce qui est clair pour les participants à l’interaction,
enseignants comme apprenants, c’est qu’il s’agit de parler, et de parler aussi à
propos de la langue ; l’origine des « fautes » incite à corriger autrement que par
une simple sanction ou par répétition de la bonne réponse ; l’interlangue d’un
apprenant ou même d’un groupe peut être analysée comme une langue - ou
langue/grammaire transitoire entre L1 et L2 -, et elle est l’indice de processus
qui provoquent l’évolution et les progrès de l’apprentissage ; la progression
d ’enseignement a probablement une incidence sur les erreurs des apprenants, et
sur leurs interlangues successives ; le fait de traduire ou non, de donner des
explications grammaticales ou non, d’utiliser des documents authentiques ou
non change le discours de la classe. Il s’agit alors d’envisager les problèmes de
compréhension/production non en termes d’objectifs globaux à atteindre, mais
de capacités à mettre en œuvre dans des situations de communication précises.
Pour Galisson, (1982 : 63-65) les enseignants de langues étrangères auraient
besoin de confronter et d’ajuster leurs pratiques à leurs connaissances, d’affiner,
de diversifier leurs conduites de classe pour l’acquisition de la langue, parce que
l’expérience didactique est particulièrement sensible à la multiplicité et à
l’hétérogénéité des facteurs en cause, ces facteurs étant entre autres (Py, 2000 :
401) : « l’instabilité des connaissances (sans laquelle l’apprentissage serait tout
simplement impossible), leur dépendance par rapport au contexte, les
imbrications multiples entre compétences linguistiques et stratégies
d ’apprentissage ou de communication, entre stratégies cognitives universelles,
ethnométhodes de résolution de problèmes et stratégies conjoncturelles, l’action
de l’étayage pédagogique sur les comportements des apprenants, l’hétérogénéité
des microsystèmes et des divers niveaux d’organisation des unités ».
Une théorie et une pratique de l’enseignement des langues impliquent non
seulement une théorie du langage et une théorie de l’apprentissage mais aussi

126
125

une articulation entre l’une et l’autre non encore constituées à ce jour. En bref,
la question serait : comment gérer les relations entre méthodologies
d’enseignement et méthodologies d’apprentissage? (Besse et Porquier, 1991 :
179; Galisson Puren, 2000: 4 1 ; 53). Cette articulation entre pratique
enseignante et apprenante passe entre autres par l’activité métalinguistique ou
métacognitive des apprenants, spontanée ou provoquée, et révèle comment ils
appréhendent et traitent à leur manière les descriptions grammaticales sous-
jacentes aux exercices et aux tâches, et comment ils les adaptent à leurs propres
conduites et stratégies d’apprentissage. Une « conscientisation de
l’apprentissage» de la part des apprenants et des enseignants, et pour ces
derniers, la conscientisation des apprentissages qu’ils cogèrent et de leurs
propres stratégies d’enseignement, dépend en grande partie de la façon dont
l’enseignant lui-même conçoit cet enseignement et l’assume : une théorisation
de la discipline implique une réflexion empirique sur les pratiques
d ’enseignement et d’apprentissage et sur leurs relations avec le savoir
métalinguistique (Besse et Porquier, 1991 : 260). Autrement dit, analyser la
pratique enseignante impliquerait d’analyser systématiquement la pratique
apprenante. Or, qui dit analyser, présuppose de recueillir dans un premier temps
de l’information sur cette pratique ; l’analyse de pratique enseignante FLE
pourrait avoir parmi ses finalités l’analyse des pratiques apprenantes en classe,
et élaborer des outils de collecte d’information sur ces pratiques apprenantes en
classe. L’articulation entre pratique d’apprenant et pratique d’enseignant est
encore soulignée par de Salins (2000 : 424) lorsqu’elle compare les approches
dans le domaine de l’acquisition d’une langue étrangère et dans la didactique de
la langue : le didacticien procède par « auto-observation participante » et a
besoin de voir et d’entendre son interlocuteur-apprenant, mais surtout d’interagir
avec lui, pour percevoir et apprécier ses progrès. Si l’on se rappelle les
recommandations de Schôn (« quand quelqu’un réfléchit sur l’action, il devient un
chercheur dans un contexte de pratique »), l’enseignant est un chercheur dans un
contexte de pratique et son interaction avec les apprenants est sa source
d ’information principale pour sa compréhension de la pratique apprenante, et
partant, de sa pratique enseignante. Nous allons tenter à présent de préciser quelle
démarche et quels outils l’enseignant peut mobiliser. C ’est la forme d’un guide et
mémento qui sera proposée en deuxième partie, au chapitre 5.

127
126
127

P A R T IE II

UNE DEMARCHE D’ANALYSE DE PRATIQUE

Préambule : « Les outils »

Dans les deux chapitres qui vont suivre une démarche d’analyse de
pratique propose de fournir des outils de réflexion et d’action à l’enseignant en
formation. Ces « outils » sont classiques en formation d’enseignant et leur
formalisation dans ces pages est le produit de travaux réalisés dans trois champs
d’intervention didactique et pédagogique. Dans le champ des Sciences de
l’éducation, la formation d’enseignants à la médiation cognitive au Centre de
Formation Continue de Paris V par Alain Moal en 1996-97 est à la source des
«grilles» méthodologiques portant sur la scénarisation de l’action en classe.
Dans le champ de la formation d’enseignants en Maîtrise FLE, à l’Université de
Nantes, les différentes étapes de préparation et d’analyse de pratique de cours
qui vont être énumérées font l’objet de dossiers de validation de cours et d’autre
part de partie de mémoire de stage. Dans ce même contexte, ces documents ont
été conçus et développés comme des outils pédagogiques de formation
d’enseignant. Enfin, dans le champ de la formation en ligne et à distance, les
étapes que l’on va présenter constituent un module de Master 1 FLE, à valider
dans le cadre de l’Université Virtuelle des Pays de Loire (UVPL) depuis 2003,
regroupant quatre universités : Le Mans, Angers, Nantes, Tours.
Le chapitre 5, premier des deux chapitres, en est tout à la fois
l’introduction et l’explication. En effet, la démarche d’analyse de pratique
intervient la plupart du temps après coup, après l’activité enseignante. 11 paraît
naturel que la pratique précède son analyse, que le matériau d’analyse soit
produit avant que se produise l’analyse. Or, la démarche qui est proposée inclut,
outre la phase post-active, c’est-à-dire la phase de réflexion a posteriori, aussi la
phase pré-active, c’est-à-dire la phase de programmation didactique et
méthodologique. 11 ne s’agit ni d’une dérive ni de présenter une version
supplémentaire de méthodologie de préparation de cours, mais plutôt d’inciter
l’enseignant en formation ou autoformation à programmer son analyse de
pratique comme on programme une observation, en lui suggérant de porter son
128

attention sur certains points de passage « obligés ». Le chapitre 5 a donc pour


objet de justifier cette proposition méthodologique en l’appuyant sur les notions
de règle en matière de conduite et de régularité en matière de pratique.
Le chapitre 6 présente les différentes étapes de la démarche, de la
programmation didactique à la synthèse finale après analyse, soit 12 étapes de
programmation et 4 étapes d’analyse. Ce chapitre a été conçu d’une part comme
une sorte de manuel, d’autre part, comme un mémento d’apports théoriques sur
certaines des étapes de la démarche. L’aspect manuel apparaît dans le descriptif
de chacune des 18 étapes. L’aspect mémento est présent dans certaines des
étapes afin d’apporter à l’enseignant les arrières plans théoriques qui sous-
tendent la réflexion. Ce chapitre peut donc être utilisé comme un guide à
parcourir, à suivre, et bien entendu à transgresser dans le cheminement de la
pratique enseignante.

130
129

CHAPITRE 5

L’ANALYSE DE PRATIQUE,
DE LA RÈGLE À LA RÉGULARITÉ
« The m ore I study, the m ore know. The m ore I
know, the m o re fo rg e t. The m ore I fo rg et, the less
I know , So, w h y stu d y ? »

Ce chapitre se déroulera en trois temps. Dans un premier temps, sera


défendue l’idée d’utiliser la programmation didactique non pas seulement
comme outil de planification, mais comme outil de retour d’expérience,
permettant à l’enseignant de conceptualiser à partir de ce qu’il s’était tout
d ’abord prescrit de faire, puis de ce qu’il a réellement fait. Dans un second
temps, les notions de règle et de régularité seront définies, comme constitutives
de la démarche d’analyse de pratique telle qu’elle est proposée ici : si la
programmation didactique est une formalisation des règles de conduite à adopter
prévision-nellement dans un cours, les informations qu’elle inventorie sont aussi
des indicateurs à observer dans le repérage des régularités éventuelles de la
pratique. Enfin, dans un dernier temps, on rappellera quelques indications
proposées par les didacticiens, et qui situent la programmation et l’analyse de
pratique dans une perspective semblable.

LA PROGRAMMATION, OUTIL DE LA CONCEPTUALISATION


ENSEIGNANTE

La programmation didactique est un des satellites de la Communication


Didactique, qu’on définira comme « l ’ensemble des échanges verbaux et non
verbaux qui ont lieu en situation d’enseignement et/ou de formation, et visant
explicitement l’appropriation des savoirs et, dans beaucoup de cas, l’acquisition
de compétences, par exemple, en Français Langues étrangères, où la compétence
de communication est explicitement visée », (Galatanu, 1996 : 103) : « c’est un
espace social d’influence, à travers des échanges où le pouvoir du savoir
s’exerce explicitement, sans rendre pour autant redondantes les stratégies de
séduction qui rapprochent l’acte d ’enseignement de l’acte artistique, politique,
médiatique ». L’auteur distingue :
1 - La communication didactique : échanges qui visent explicitement la
transmission, la compréhension, et l ’appropriation des savoirs, c ’est-à-dire
tous les échanges qui concernent l’acte d’enseignement ou, comme on disait
autrefois : l’instruction.
130

2 - La communication pérididactique : tous les autres échanges dans Lunité


spatio-temporelle d’enseignement ou de formation.
3 - La programmation prépédagogique, qui nous intéresse ici, et constituée de :
• la p ro g ra m m a tio n d id a ctiq u e , avec la préparation et l’élaboration des
contenus d’enseignement ;
• la p ro g ra m m a tio n m éth o d o lo g iq u e , avec la préparation des tâches et
activités, l ’élaboration des méthodes, stratégies et procédés d’ensei­
gnement, autrement dit, les choix de modalité de réalisation de l’acte
d ’enseigner.

Ce sont ces deux étapes que nous détaillerons dans le chapitre suivant et
qui sont conçues comme des outils au service de la conceptualisation
enseignante, au sens de la didactologie. Ceci peut paraître paradoxal si l’on s’en
tient à une définition stricte de la notion de « programmation » comme mode
d'élaboration et de définition d'un programme, où « programmer » équivaut à
planifier, organiser une suite d’opérations. Dans le domaine du FLE, le mot
renvoie à l’enseignement programmé, ou aussi à la notion de «progression».
Dans chacun de ces cas, l’idée est celle d’une programmation séquentielle,
découpage de contenu disciplinaire, orientée principalement vers des
« contenus » et planificatrice.
On peut alors opposer cette conception de la programmation didactique à
celle d ’une programmation comme scénarisation de l’action enseignante,
orientée vers la conceptualisation enseignante et la préparation au retour
d ’expérience. C’est cette dernière conception que nous développerons ici. Les
étapes, programmation didactique et méthodologique, sont concrétisées par des
« grilles ». Le terme de « grille » est sujet à de nombreux débats, déjà évoqués
en première partie. Pour certains (Stirman-Langlois, Waendendries, 1999 : 214),
donner une grille au départ reviendrait à donner des clés, alors que l’on attend au
contraire des stagiaires qu’ils construisent eux-mêmes la leur, qui devient ainsi
la trace de leur conceptualisation : « la procédure, heuristique, consiste à
découvrir, identifier et nommer des paramètres puis à prendre conscience de
leurs relations ». Cependant, on a choisi de conserver le terme et les outils
« grilles » par commodité et parce que l’expérience de formation des enseignants
de FLE dans la filière universitaire montrait que, contrairement à ce qu’on
pourrait en craindre, elles ne présentaient pas de caractère véritablement
« modélisant » ou inhibiteur pour la créativité des enseignants en formation. Ces
« grilles » sont des inventaires ouverts d ’informations repérables en phases pré­
active, inter-active et post-active d’enseignement du FLE (les définitions de ces
phases ont été données au chapitre 4), autrement dit, sont conçues comme des
moyens à la fois de planifier, observer et analyser les pratiques : dans quelle
institution se déroule le cours, avec quel public, avec quels supports, quels
objectifs, quelles consignes, etc., étapes ou « points de passage » qui seront
détaillés au chapitre 6. Il est clair que le fait qu’elles soient de simples
inventaires de points de passage fait de ces grilles des outils pratiques, mais à
coup sûr, « fourre tout ». C’est pourquoi elles peuvent être plus efficacement
utilisées avec le guidage d’un formateur, à condition qu’il suscite de la part des

132
131

enseignants en formation les réflexions indispensables aux nécessaires itérations


entre les différents « points de passage » : itérations entre support et objectifs,
entre objectifs et besoin du public, etc., c’est-à-dire un questionnement sur la
cohérence entre ces différents éléments ; à un support donné pour un public
donné peut correspondre un objectif adapté, différent de celui qui s’adresse à un
autre type de public, etc. C ’est précisément l’ensemble des itérations en phase
pré-active, puis post-active qui peut être la source d’une conceptualisation de la
part de l’enseignant en formation. On rappellera (cf. partie I, chapitre 4) que le
travail de conceptualisation concerne l’enseignant-didacticien et peut être utilisé
dans le domaine de la méthodologie par la prise de conscience de modes
d ’enseignement ou d’apprentissage et dans celui de la formation par la réflexion
sur le processus de formation,
La conceptualisation implique l’utilisation d’un métalangage spécifique et
permet d’adopter par rapport à l’objet étudié - l’activité d’enseignement - une
position «m éta» (métalinguistique, métaculturelle, méta-méthodologique,
métaformative). Défini par son déroulement, le processus de conceptualisation
est une démarche inductive. Les grilles que nous utilisons dans le cadre de la
formation d’enseignants, et en particulier dans le champ de la didactique du
FLE, sont donc des outils utilisables dans les différentes phases de la démarche
didactologique, visant l ’acquisition d’un habitus réflexif chez l’enseignant.
L’important en l’occurrence, au delà des points de passage inventoriés, et que
l’on pourrait très certainement modifier, est la conduite d’une réflexion qui
confronte les différents choix possibles de programmation en phase pré-active,
puis d ’une réflexion qui confronte les actes réalisés en classe de langue à cette
programmation et leur cohérence interne dans la singularité de la situation de
classe en phase post-active ; ce faisant, on espère que cet habitus réflexif
permettra de réagir de façon adaptée en phase inter-active, par l’accumulation de
répertoires de jugements sur Faction réalisés dans ces deux phases. Les deux
grilles sont adaptables par chacun en fonction de ses besoins. D’une part, elles
n ’ont aucune volonté d’exhaustivité - exhaustivité impossible, s’agissant
d ’interactions humaines en contexte ; d’autre part, elles visent à donner une base
de départ très grossière a minima pour les enseignants totalement débutant afin
de préparer leur cours et d’avoir un outil de réflexion a posteriori, et à fournir un
outil général de mise en relation entre les deux phases, pré-active et post-active.
L’effet recherché n’est pas de faire appliquer les grilles proposées en l’état. On
rejoindra Castelloti et de Carlo (1995 : 138) en cherchant à « développer en eux
une attitude qui leur permette, le moment venu, de prendre du recul et d’adopter
un regard critique vis-à-vis de leur propre pratique, d’être capable de chercher,
seuls ou en commun, des outils propices au développement d’une réflexion
théorique qui se fonde sur des problèmes concrets ». D’ailleurs, dans le cadre de
l’enseignement en Maîtrise FLE ou Master de première année à l ’Université, de
nombreux étudiants n’ont encore aucune expérience de terrain. L’enquête
réalisée par Castelloti et de Carlo met en particulier en lumière les remarques des
enseignants de langues sur les carences de la formation initiale et notamment sur
« l ’indifférence des cursus universitaires vis-à-vis de toute problématique

133
13 2

professionnelle», et le fait que, dans l’enquête, «nombre d’enseignants ont


rappelé l’angoisse de la première fois où la tête pleine d’espoir, ils se sont
retrouvés devant un groupe d’élèves qui ne correspondait pas du tout à l’image
idéalisée qu’ils s’étaient construite ». Dans les travaux que nous avons guidés
dans un cadre universitaire, il n ’était bien entendu pas question de pouvoir
pallier l’absence d’une observation prolongée du terrain pour les débutants,
puisque en particulier les cours commencent avant les stages obligatoires en
Maîtrise/Master 1. Cependant, les grilles proposées et le dispositif mis en place
ont pour but de créer un réflexe d’auto-observation participante en fournissant
d ’entrée de jeu des moyens d’appréhender la situation de classe : les grilles qui
vont être présentées sont conçues pour réaliser des cours en vraie grandeur et
pour analyser a posteriori ce qui s’est réellement passé. Elles présentent donc un
intérêt tout à fait limité si on ne les conçoit que comme des guides de préparation
de cours. Cette itération des réflexions sur la pratique, que ce soit au stade pré­
actif ou post-actif, est donc fléchée ou guidée par des grilles et s’effectue dans le
courant du premier semestre de Maîtrise/Master 1, au cours d’un travail en
équipe. Or, « dans un métier qui condamne à l’isolement, la mise en commun
des pratiques et du vécu représente un point de départ irremplaçable pour la
maturation individuelle », (Castelloti et de Carlo, op. cit. : 114). Dans le cadre du
cursus universitaire que nous avons expérimenté, le travail en groupe fait
apparaître des regroupements divers (débutants entre eux ; expérimentés entre
eux, mélange des deux), et permet précisément de valoriser les différences lors
de la présentation des travaux de sous-groupe en grand groupe. Cette
présentation est aussi l’occasion d’organiser des observations de classe
réciproque entre collègues, suivies de discussions, d’analyse et d’éventuelles
propositions de remédiation.
Enfin, il n’est pas rare que le dispositif de formation à l’analyse de
pratique adopté dans le cours de cette Maîtrise/Master 1 débouche sur la mise au
point soit de matériaux, soit d’activités pédagogiques réutilisables et réutilisées
effectivement par les futurs stagiaires, ou encore permette la remise en cause de
support ou d’activités utilisées de nombreuses fois par des étudiants déjà
expérimentés, désireux de questionner ces matériaux en les soumettant à
l’expérimentation de moins expérimentés qu’eux. Dans notre optique, les
enseignants deviennent « chercheurs dans un contexte de pratique ». En fait, il
s’agit de permettre à l’enseignant en formation à la fois de bien distinguer d’une
part ce qui est du domaine de la règle (ou théorie) qu’il applique, ou qu’il
s’applique, dans sa préparation didactique - qui est une auto-prescription - ;
d ’autre part ce qui est du domaine de la régularité qu’il peut constater s’il
observe sa pratique de classe ; enfin d’articuler ces deux composantes dans son
activité professionnelle.

134
13 3

PROGRAMMATION ET ANALYSE DE PRATIQUE, DE LA


RÈGLE A LA RÉGULARITÉ

Rapport entre rè g le et ré g u la rité en programmation


didactique
La notion de règle a historiquement partie liée avec la notion de norme et
de contrainte, comme la règle morale, la règle juridique ou la règle du jeu. Ces
contraintes sont des sortes de modèles, dont Laks (1996 : 124) fait la critique
dans un ouvrage consacré aux relations entre langage et cognition. Toutes les
règles sont des consignes, des règlements, qui en tant qu’instances externes,
organisent et contraignent normativement les pratiques. Elles ont un caractère
explicite et juridique de contraintes socialement édictées et socialement
maintenues qui conduit à les distinguer des règles pratiques qui restent le plus
souvent implicites ou inconscientes de la part du praticien. Le point essentiel est
qu’elles sont reconstruites par l’observateur comme principe organisateur d’une
conduite ou d’un comportement régulier. Or, cette distinction entre règles
juridiques (ou quasi juridiques) existant indépendamment de toute pratique et
règles reconstruites par un observateur pour décrire et expliquer la régularité
des pratiques est particulièrement importante pour le débat qui nous occupe dans
la relation entre programmation comme « modèle à appliquer » et
programmation comme repérage de régularités dans la pratique. Déconstruire la
notion de règle implique d’abord de dénouer le lien singulier qui unit cette
notion à celle de régularité. Ce qui se livre dans l’observation des pratiques, ce
ne sont pas des règles mais bien des régularités. Laks (op. cit.) souligne
d ’emblée que la régularité elle-même est de l’ordre de l’observé, non de
l’observable. LV extraction des régularités » suppose une visée synoptique qui
annule le temps de l’action et son contexte spécifique pour rapprocher et classer
des comportements (partiellement) semblables, autrement dit une
conceptualisation de la part de l’enseignant qui pratique l’auto-observation
participante. La reconstruction des régularités implique donc déjà une opération
analytique et taxinomique, susceptible de faire apercevoir sous la diversité
apparente des comportements la récurrence d’une structure stable : « bref, la
régularité n’appartient pas aux pratiques elles-mêmes, mais est reconstruite ex­
post par l’observateur qui tente d’en rendre raison » (Laks, ibid ). Par ailleurs,
l’auteur souligne que la nécessité de la règle pour raisonner la régularité n’est
pas une nécessité logique, autrement dit, il est utile de bien identifier et
différencier ce qui est du domaine de la règle de ce qui appartient aux régularités,
fussent-elles des constructions a posteriori. On peut certes expliquer des
régularités par des règles et l’on peut constituer des règles à partir de régularités
opératoires, mais leur lien n ’est certainement pas exclusivement celui de cause à
conséquence. Le schéma qui suit tente de synthétiser autour de la programmation
didactique les deux démarches qui articulent et différencient règles et régularité. À
partir de la « théorie », à gauche et se dirigeant vers la droite, la « pratique », les

135
134

flèches pleines indiquent une démarche qu’on pourrait qualifier d’applicationniste,


au sens de la didactologie, c’est-à-dire qui consiste à appliquer des règles, qu’elles
soient grammaticales, lexicales, orthographiques, ou encore pédagogiques, dans le
cadre d’une classe de langue. Ou encore, de façon plus étroite, à appliquer, mettre
en œuvre une programmation en suivant toutes les « instructions » que
l’enseignant s’est auto-administré. Les flèches en pointillé qui partent de la
«pratique» indiquent à l’inverse plutôt une démarche implicationniste, c’est-à-
dire inductive, qui, partant des informations de la pratique, tente de conceptualiser,
de repérer les régularités et d’en induire des règles pratiques, au sens de Laks. Ces
règles pratiques, à leur tour, peuvent, avec vérification et épreuve dans le temps,
forger des règles, au sens de normes. Ce schéma tente donc de montrer la place de
pivot que peut assumer la programmation didactique, si on l’oriente vers l’analyse
des pratiques.

OBSERVATEUR OBSERVÉ

136
135

QUELQUES RAPPELS

Concernant la recherche de régularités susceptibles d’informer et de


former l’enseignant, de Salins (2000 : 424) rappelle que le didacticien procède
par « observation participante », à la manière des ethnographes de la
communication. Il s’agit d’une perspective holistique, interactionnelle et
communicative, où le didacticien veut découvrir quelles activités, quelles
pratiques sont susceptibles de développer des automatismes et des routines
expressives facilitant la prise de parole. Pour structurer l’observation de la
pratique, Dargirolles (1999 : 143, voir aussi Kramsch, 1991: 67, 68), après avoir
retracé les évolutions de la conception de la classe de langue, présente le
développement du courant de recherches « teacher thinking » dans lequel
l’acquisition des connaissances par les enseignants et le contexte de leur utilisation
sont considérés comme centraux, et qui opèrent de ce point de vue une distinction
entre professeurs novices et experts. Et la distinction, bien connue en ergonomie,
entre novices et experts, apparaît dans le fait qu’une planification trop rigide
comporte le risque de bloquer l’interaction et les demandes des apprenants : ceci
est une évidence pour un professeur expérimenté, mais pas pour un novice.
Celui-ci cherche avant tout la sécurité en reproduisant au plus près la
planification différée qu’il a mise au point.
Au contraire, les experts ont un accès plus rapide aux connaissances
pertinentes et font davantage usage de l’abstraction (Dargirolles, op. cit). Ils
utilisent des routines ayant précédemment prouvé leur efficacité, ce qui leur
permet de dégager du temps pour prendre en compte des situations ou des
problèmes particuliers ; leur planification est plus rapide et mieux organisée et
bien souvent communiquée aux apprenants ; ils possèdent un regard critique sur
le matériel pédagogique, qu’ils utilisent aussi de manière plus souple en fonction
de leurs propres représentations de la discipline enseignée, de la formation reçue
ou de leurs expériences personnelles, ce qui les différencie des novices, qui
suivent pas à pas leurs manuels. Cette définition de l’expert peut servir de guide
pour la définition des compétences à développer en formation initiale et continue
des enseignants de langue, et les réflexes et comportements qu’elle comporte
sont précisément ceux que l’exercice de l’analyse de pratique cherche à
développer (Dargirolles, 1999 : 143).
Les recherches sur la connaissance des enseignants ont ainsi permis de
distinguer plusieurs types de connaissances : la connaissance abstraite d’un
domaine particulier et l’organisation de cette connaissance, puis la transposition
de cette connaissance en actes pédagogiques. En d’autres termes, la
connaissance de la matière à enseigner et l’organisation de cette connaissance
joueraient un rôle primordial sur l’organisation de la pensée de l’enseignant, et
cette organisation influe sur la manière dont l’enseignant la transpose en actes
pédagogiques. Il appartient donc à l’observation et à l’analyse de pratique qui
l’accompagne de mettre en lumière ces processus. En outre, l’utilisation de
nouveaux outils d’observation (technique du rappel à haute voix, de l’entretien
d ’explicitation, grilles élaborées par les stagiaires) réintroduit l’enseignant-

137
136

observateur en tant que sujet réel actif. La subjectivité est réintroduite et


reconnue comme partie intégrante du processus de formation. « On admet ainsi
que la réalité n’est qu’une reconstruction personnelle du réel à un moment
donné. Le caractère mouvant et changeant des éléments constitutifs d’une classe
de langue est admis. » (Dargirolles 1999 : 150).
La « démarche fonctionnelle » que propose aux enseignants Moirand pour
se préparer au cours n’est naturellement pas propre à l’enseignement du FLE, ni
même à l’enseignement des langues, mais traverse les problématiques de la
didactique de toutes les matières. En particulier, de nombreuses formations de
formateurs et d’enseignants sont basées sur le schéma réflexif général que
présente l’auteur, et qu’elle applique à l’apprentissage de la communication en
classe de langue ; il va de soi que la démarche réflexive de l’enseignant porte sur
l’ensemble des cours qu’il est amené à délivrer en classe de langue. Selon cette
démarche, l’enseignant peut réfléchir, avant de commencer son cours et tout au
long de son enseignement, sur les paramètres de la situation d’enseignement à
laquelle il participe afin de bâtir son programme en fonction de cette situation et,
s’il adopte une « méthode » particulière, afin de l’adapter, de la compléter, de la
« subvertir » en conséquence : « il s’agit, devant une situation d’enseignement/
apprentissage dans laquelle on se trouve impliqué en tant que participant
(apprenant d’un côté et matériaux, enseignant, institution de l’autre étant les
quatre « acteurs » en présence) de décrire et d’analyser les différents paramètres
de cette situation. A qui, où et quand on va enseigner, ce que l ’on va enseigner,
pourquoi, comment, quand et où l ’on va l ’enseigner » (Moirand, 1990 : 44).
Ici, une distinction importante est à faire entre situation de classe et
situation réelle : il s’agit d’analyser des situations de classe dans lesquelles sont
parfois simulées des situations réelles. Si l’on se réfère au chapitre « Approche »
(1976 :18) du Niveau Seuil, il est question de simuler par exemple une situation
de demande d’information à la Poste, et c’est cette simulation qui fera l’objet de
l’analyse avec les apprenants et de sa propre analyse par l’enseignant. Les étapes
de la démarche fonctionnelle sont résumées dans le schéma de l’auteur, que nous
reproduisons parce qu’il recoupe en partie les étapes que nous envisagerons au
chapitre 6.

138
137

ÉVALUATION EXTERNE

Moirand (1990 : 44) précise naturellement que tout schéma est par nature
réducteur et qu’une démarche fonctionnelle « réflexive » suppose des remises en
question incessantes, des retours en arrière, des sauts en avant, ce qui veut dire
qu’il n ’y a pas de chronologie imposée dans les étapes envisagées : les trois
cadres extérieurs « tournent » autour de la classe avant et tout au long du cours.
Dans le chapitre qui va s’ouvrir à présent, nous aurons l’occasion de reprendre

139
138

quelques-uns des éléments de ce schéma, éléments que l’on retrouve aussi chez
Galisson et Puren (2000 : 51), qui proposent d’analyser par exemple une
situation dans laquelle les élèves n’arrivent pas à assimiler une structure
grammaticale déjà introduite, expliquée et travaillée. La « grille » conceptuelle,
c’est-à-dire de conceptualisation enseignante, comporte :

• les théories : l’enseignant se demandera si le type de description linguistique


auquel il a eu recours pour faire conceptualiser le fonc-tionnement de la
structure et pour construire les exercices est adéquat ;
• les objectifs : il se demandera s ’il n ’a pas introduit trop tôt cette structure
dans la progression de son cours, ce qui fait que les apprenants manquent de la
motivation et /ou des moyens linguistiques qui seraient nécessaires à son
réemploi ;
• les situations (d’enseignement/apprentissage) : il se demandera s ’il n’a pas
expliqué et fait travaillé initialement cette structure à un moment où les
apprenants manquaient particulièrement de concentration (en fin de semaine,
ou la veille de vacances, ou à une heure qui précédait ou suivait un contrôle de
mathématiques...) ;
• les matériels : il se demandera si la structure n’a pas été introduite dans un
contexte (dialogue ou texte) qui oriente les apprenants sur des hypothèses
erronées concernant son fonctionnement ;
• l’évaluation : il se demandera combien exactement parmi les apprenants
maîtrisent cette structure et à quel niveau (en reconnaissance, en
compréhension du mécanisme, en application, en production dans le cadre
d’exercices a d hoc, en situation d’expression personnelle spontanée) et il
envisagera de faire les tests correspondants ;
• les pratiques : il se demandera s ’il n’a pas expliqué la structure étrangère de
manière tout à fait différente de celle dont le professeur de langue maternelle
ou d ’une autre langue étrangère explique le fonctionnement d’une structure
parallèle dans ces langues ; ou encore s ’il n’a pas utilisé, pour le faire, une
terminologie inconnue des élèves.

Naturellement, aucun questionnement ne peut prétendre être exhaustif, et


la démarche que nous allons présenter n’échappe pas à cet écueil... Il
appartiendra donc au praticien de compléter par son propre questionnement.

140
139

CHAPITRE 6

LA DÉMARCHE

Dans ce chapitre est présentée en 18 étapes une démarche d’analyse de


pratique qui, cela a déjà été signalé en Introduction, se présente à la fois :
• sous la forme d’une sorte de manuel détaillant des étapes : parmi les étapes, à
titre d ’exemple on trouvera dans la programmation didactique, la description du
public, étape 2, etc ; parmi les étapes de la phase post-active, la comparaison
entre consignes prévues et réalisées (étape 15) ; à chaque étape, un guide pour la
formulation de l’analyse à réaliser mérite l’appellation de manuel par le style
« directif» qu’on a choisi d’utiliser dans ses lignes («vous définirez » ; « vous
identifierez », etc.) ;
N. B. 1 : il est clair que le lecteur a le droit de ne pas lire, de ne pas faire, bref,
a tous les droits, mais cette allocution a paru utile pour rendre compte du
caractère pragmatique de la consigne ;
• sous la forme d’un mémento - pour certaines étapes, on a tracé les arrières
plans conceptuels ou théoriques qui peuvent être travaillés ; ce travail peut
consister : soit en une analyse de pratiques recueillies, à la lumière des concepts ;
soit dans la précision accrue du recueil d’observation à réaliser grâce aux pistes
fournies là encore par les théories ou les concepts de didacticiens ;
N. B. 2 : de nombreux extraits sont cités ; il n ’est pas en notre pouvoir de
mieux dire ce que les auteurs ont déjà dit, et en outre, il est à espérer que
l’enseignant en formation soit suffisamment intéressé par ces fragments pour
aller lire les auteurs dans le texte original.

Comment utiliser ce chapitre ?


À l’instar des Sciences Sociales, la didactique des langues et en particulier
du FLE, peut pratiquer deux types d’observation : l’une, dite « ouverte » - c’est-
à-dire sans grille préalable, et destinée précisément à fournir des données à la
suivante, dite « observation fermée », celle-ci avec grilles. Dans la démarche qui
suit, les deux types d’observation sont possibles, puisque les « grilles »
suggérées sont d’une part des cadres très généraux de rassemblement des
informations, d’autre part, sont liées les unes aux autres de façon systémique : il
n ’y a pas de séquentialité dans la programmation pré-active (étapes 1 à 12), pas
plus que dans l’analyse post-active - étapes 14 à 18. L ’enseignant peut planifier
son activité dans les étapes 1 à 12 en commençant par l’étape de son choix, de
même que dans les étapes 14 à 18. En outre, chaque étape («public»,
«consignes», etc.) englobe un ensemble très vaste de décisions ou d ’actions.
L’objectif ici n ’est pas, dans un premier temps, de focaliser l’attention de
140

l’enseignant en formation sur une granularité très poussée d’observation ; il


s’agit avant tout d’inventorier les points clefs de la programmation et de
l’observation d’une pratique dans son ensemble, afin de créer un habitus réflexif
orienté vers ces points. Nous espérons bien que la curiosité naturelle et la
sensibilité des enseignants les conduiront à préciser leur auto-analyse bien au-
delà de ce qui est proposé dans ces lignes. C’est aussi la raison pour laquelle à
certaines étapes sont présentés quelques travaux ou réflexions portant sur des
éléments, activités ou concepts qu’intègre l’étape en question, afin d’orienter sur
des pistes de travail plus précises.
En outre, dans les étapes développant un mémento, les pistes de réflexion
proposées sont choisies en fonction des préférences théoriques qui ont été
exposées en Partie I ; autrement dit, même si les thèmes généraux des étapes
(«institution», «langue maternelle», «objectifs», «prérequis», «consi­
gnes », etc.) sont relativement consensuels en didactique, les commentaires et les
citations choisies sont nécessairement de parti pris : il appartiendra à chaque
lecteur de diversifier ses sources. La phrase pré-active comporte 12 étapes :

Étape n°l = Préparation Didactique 1 :


type d ’institution où se déroule votre cours

Étape n° 2 = Préparation Didactique 2 :


type de public auquel s ’adresse votre cours

Étape n° 3 = Préparation Didactique 3 :


langue maternelle du public et niveau L1 et L2

Étape n°4 = Préparation Didactique 4 :


support matériel de la tâche

Étape n° 5 = Préparation Didactique 5 :


type de tâche/activité (oral, écrit,...)

Étape n °6 = Préparation Didactique 6 :


connaissance délivrée (spécifique ou générale)

Étape n° 7 = Préparation Didactique 7 :


compétences mobilisées dans la tâche

Étape n° 8 = Préparation Didactique 8 :


finalités, objectifs de la tâche

Étape n° 9 = Préparation Didactique 9 :


prérequis de l ’apprenant pour la tâche

Étape n° 10 = Préparation méthodologique 1 = déroulement p


consignes et actes enseignants

142
141

Étape n° 11 = Préparation méthodologique 2 :


déroulement de la tâche pour l ’apprenant, difficultés rencontrées

Étape n° 12 = Préparation méthodologique 3 :


matériel et installation à prévoir

Étape n° 13 = Vous réalisez un cours de FLE à partir de votre préparation


(étapes 1 à 12)

Étape n°14 = Après le déroulement réel :


public réel + niveau L1 et L2 : comparez avec étapes 2 et 3

Étape n°15 = Après le déroulement réel :


- consignes et actes enseignants réels : comparez avec étape 10
- matériel utilisé : comparez avec étape 12

Étape n°16 = Après le déroulement réel :


- déroulement de la tâche pour l’apprenant : comparez avec étape 11
- compétences chez l’apprenant : comparez avec étape 7

Étape n°17 = après le déroulement réel ;


- finalités et objectifs réels : comparez avec étape 8

Étape n°18 et fin = étape réflexive :


- analyse et synthèse entre prévu et réel

CONCLUSION : décisions post-actives

143
14 2

ÉTAPE N° 1 - Préparation Didactique 1


TYPE D ’INSTITUTION OU SE DÉROULE VOTRE COURS

CONSIGNE ;
Vous faites un cours avec vos apprenants ou avec des volontaires
Vous enseignez actuellement en Université, Centre de langues, Association
pour l ’intégration, Alliance Française, Lycée, etc., la liste n ’est pas exhaustive ;
vous allez peut-être choisir d’analyser un de vos cours : vous précisez donc ici
le type d ’institution d ’enseignement où vous exercez, ainsi que le program m e,
les fin a lité s e t les objectifs de celle-ci, tous facteurs qui conditionnent votre
enseignement

ATTENTION :
Vous avez la possibilité de ne remplir cette étape qu ’après que vous ayez
imaginé avec quel public (Étape nc:2) vous pouvez travailler, l’activité et le
support que vous avez choisis (Étapes n°4 et n°5). Vous pouvez ainsi faire des
allers-retours pour affiner votre choix.
Cette étape a pour but de concentrer l ’attention sur les facteurs institutionnels
rencontrés dans la pratique, afin d’en mesurer l ’impact éventuel sur celle-ci aux
étapes 14 à 18.

Exemple
Association de quartier pour l’insertion de primo-arrivants en France ; Alliance
Française... ; Lycée bilingue... ; Classe d’accueil... ; Centre de langues à l ’Université... ;
etc. Chez Moirand (1990: 46), se demander quelle est l ’institution, c ’est chercher à
déterminer : son statut (institut de formation et/ou institut d’utilisation, pour reprendre les
formulations de Richterich et Chancerel 1977, établissement public ou privé, national ou
international, etc.) et ses ressources (moyens matériels, financiers, et... humains -
enseignants, techniciens, secrétaires) ; ses dem andes, et par le biais par exemple d’une
analyse de contenu des programmes : ses propres objectifs (l’institution a tendance à
définir les besoins des apprenants à partir de ses propres objectifs), ses attitudes face aux
apprenants, aux enseignants, aux méthodes, la représentation qu’elle a d’une compétence
de communication et des moyens d’enseignement pour y parvenir, et ses habitudes
d ’organisation, de contrôle et d’évaluation, sans sous-estimer dans ces données
l’importance des contraintes d’ordre politique et idéologique1.

1 L’institution conditionne largement la situ a tio n d e c o m m u n ic a tio n dans laquelle s’exerce la pratique de
l’enseignant (Charaudeau, 1992) : la situ a tio n d e co m m u n ica tio n étant d ’ordre psychosociale, externe à l’acte
de langage, et qui en constitue les conditions de réalisation, elle se décrit par des caractéristiques physiques
(partenaires, canal), identitaires (sociales, psychologiques, relationnelles), contractuelles (échanges ou non,
rituels et rôles attendus), tous éléments tributaires de l’institution dans laquelle elle est inscrite.

144
14 3

ÉTAPE N° 2 - Préparation Didactique 2


TYPE DE PUBLIC AUQUEL S’ADRESSE VOTRE COURS

CONSIGNE ;
Vous allez préciser ici l’âge, l’origine culturelle et sociale, et toute
information concernant votre public et qui pourra vous informer sur ses
besoins, ses attentes, etc.- s a u f le niveau de langue en L l et FLE, q ui fa it
l ’o b jet de l ’étape su iva n te (E ta p e n °3 ), e t ses prérequis, q u i fo n t l ’o b jet de
l'É ta p e n °9 .

ATTENTION :
Cette étape est bien sûr liée au support (Étape n°4) et à l’activité à laquelle
vous pensez (Étape n°5) ; ces trois éléments - p ublic, activité, su p p o rt - sont
interdépendants dans votre choix, puisque tous les supports et toutes les
activités ne conviendront pas à tous les publics, selon leur niveau, leurs
a tte n te s , vos com pétences et vos p ré fé re n ce s : tous ces paramètres sont à
prendre en compte dans votre réflexion.

Exemple
• Adolescents d’origine : thaïlandaise, algérienne, colombienne
• Garçons
• Filles, etc.

Type de public
Vous pouvez entre autres vous demander :
- quelle est son identité : âge, sexe, situation familiale, statut social, ressources, etc.
- mais aussi ses m otivations.
En outre, et ce qui est d ’une certaine importance pour l’apprentissage :
• quelles im ages il se fait de ses besoins en langue, c ’est-à-dire de ses « manques »,
• quelles images il a de sa compétence de communication à l’arrivée, ou visée,
• quelles a ttitudes il a face à :
» la langue visée et
• envers ceux qui la parlent,
• quelles rep résentations il s ’est construites à propos :
• de l’apprentissage des langues,
• de son propre apprentissage et
• de ses expériences antérieures d ’apprentissage,
• quelles sont :
• ses connaissances,
• ses domaines d ’expérience et
• ses habitudes d ’apprentissage

Toutes ces données devraient entrer en ligne de compte dans le choix des
stratégies d’enseignement (Moirand 1990 : 46). Par ailleurs, elles sont non seulement
utiles avant le début du cours pour permettre à l’enseignant de mieux se représenter son
public, mais tout au long du parcours d ’enseignement, parce qu’elles sont évolutives. Il

145
144

n ’est pas non plus indifférent que les apprenants eux-mêmes soient conscients de leurs
représentations et de leurs attitudes, et puissent éventuellement s ’exprimer sur ces sujets.
En effet, selon la théorie de Tolman (in Gaonac’h, 1991 : 71,72), la nature des
acquisitions dépendrait dans une large mesure des objectifs que se fixe l’élève, qui ne
sont pas toujours explicités. Les objectifs dont nous parlons ici sont ceux de l’apprenant,
et non les objectifs pédagogiques de l’enseignant, qui seront traités à l’étape 8. Il se peut
que les objectifs réels des apprenants soient des objectifs « scolaires » et non
« linguistiques » : faire plaisir au professeur en répétant des productions dont on est sûr
qu’elles apporteront un jugement approbatif. En conséquence, clarifier et négocier des
objectifs ponctuels et globaux est donc une nécessité liée d ’une part aux aspects
relationnels dans la classe, et d ’autre part, une nécessité liée à la simple efficacité de ce
qu’on y fait. Pour reprendre la terminologie de Tolman, toute activité étant par nature
orientée, les caractéristiques et l ’efficience des traces qu’elle peut laisser à titre
d ’acquisitions dépendent en grande partie de la possibilité qu’a l ’élève de trouver la
confirmation que le résultat de cette activité est en correspondance avec son orientation.

146
145

ÉTAPE N° 3 - Préparation Didactique 3


LANGUE MATERNELLE DU PUBLIC ET NIVEAU L1 et L2

CONSIGNE :
Vous précisez ici la langue L1/maternelle de vos apprenants, éventuellement
s ’ils possèdent une ou d’autres L2 que le français, et lesquelles. Vous précisez
ici le niveau :
- dans la langue L1/maternelle : a-t-il été déjà scolarisé dans sa langue d ’origine
ou pas et jusqu’à quel niveau ; possède-t-il l’écrit dans celle-ci
(lecture/écriture) ; ceci vous informera sur son expérience, ses connaissances, et
ses habitudes linguistiques et métalinguistiques passées : celles-ci sont des
facteurs qui favoriseront - ou non - l’apprentissage de la L2/FLE (ex. : si un
apprenant ne possède pas l’écrit dans sa propre langue, cela constitue un objectif
ou une difficulté/contrainte pour vous, l’enseignant) ;
- en français, en vous rapportant aux niveaux « classiques » des manuels (I, II
ou III) ou à d ’autres échelles du même type si vous les possédez.

ATTENTION :
Il vous faudra tenir compte des connaissances linguistiques de vos apprenants,
réels ou imaginés, notamment en p ré p a ra tio n d id a ctiq u e dans le choix des
supports et activités (Étapes 4 et 5). dans la fixation des objectifs de la tâche
(Etape n°8) ; des prérequis liés à la tâche (Etape 9). aussi dans toute la
p rép a ra tio n p é d a g o g iq u e (Etapes 10 à 12),

Ce qui est attendu à cette étape :


Une démarche de questionnement qui met en relation le public (Etape 2), ses
connaissances linguistiques (Étape présente 3) et tous les choix qui vont suivre
en préparation didactique dans le choix des supports et activités, dans la fixation
des objectifs de la tâche, les prérequis liés à la tâche, et aussi dans toute la
préparation pédagogique, comme on vient de le rappeler.

Exemple
LM : Thaïlandais, écrit et parlé ;
Français : oral et écrit niveau 1
Scolarisation dans les pays d’origine : ............................ OUI/NON
Type de scolarisation : classe................................................................
Culture scolaire d ’origine : cours magistral/non magistral............

LANGUES ET INTERLANGUE

Tenter d’identifier le niveau de l ’apprenant en L1 et L2 renvoie d’une part à des


évaluations préalables de type normatif (cf. étape 8, objectifs), d’autre part à la prise en
compte de la connaissance m é ta lin g u istique des apprenants - i. e. peuvent-ils, et
comment, décrire ces langues -, tant en L1 qu’en L2, ou tout du moins à la formation
d ’hypothèses par l’enseignant sur cette connaissance. Or, le niveau de connaissance de la
L1 et de la L2, ainsi que la nature de la connaissance métalinguistique, sont des indices

147
146

de Y in terla n g u e de l’apprenant, c ’est-à-dire du système intériorisé de règles que s ’est


forgé l’apprenant à un moment donné à propos de la L2. Comme ce système est évolutif
et sensible à l’activité d ’enseignement, il n’est pas inutile d ’inscrire cette étape
d’évaluation linguistique dans la perspective de Y interlangue, d’autant que les étapes 10
(consignes prévues de l’enseignant), 11 (déroulement prévu de la tâche pour
l ’apprenant), 15 (activité réelle de l ’enseignant) et 16 (déroulement réel de la tâche pour
l ’apprenant) correspondent aux interactions communicatives enseignants/apprenants,
prévues ou réelles, qui vont fournir toute sorte de matériaux de type productions orales
ou écrites, c ’est-à-dire des indices de l’état de cette interlangue.
Seront ici proposées successivement des définitions : (1) de l’interlangue ainsi
que le statut épistém ologique, (2) de celle-ci en didactique du FLE ; ensuite on abordera
la production d 'e rre u rs (3) comme étant constitutive de la formation d’un dialecte
idio syn cra sique (4) de l ’apprenant ; ce dialecte est considéré le produit d’une g ra m m a ire
interne (5), structurant ce systèm e sym b o liq u e (6) qu’est en fait l ’interlangue. Ce système
est le fait de p ro cessu s et de stra tég ies (7) d ’apprentissage de la L2, et en définitive, leur
prise en compte a des conséquences p o u r l ’en seig n em en t (8).

1) Définitions du concept

Si l’on prend l’histoire de l’apparition de la notion dans des ouvrages de DDLE,


on constate tout d ’abord que le mot est absent en 1976 du D ictio n n a ire de D id a ctiq u e
des L angues. On trouve seulement à l’article « Grammaire » une acception qui
correspond à ce que l’on appellera interla n g u e : système intériorisé par le locuteur-
auditeur d’une langue et lui permettant de produire et de comprendre les phrases de cette
langue. Cette acception référerait à la base même de ce que les grammairiens et
linguistes cherchent à décrire, à codifier ou simuler ; elle correspond à ce que Chomsky
appelle, non pas grammaire (terme qu’il réserve à la description donnée par le linguiste),
mais co m p étence du sujet parlant. Cuq et Gruca (2002 : 346) relaient cette approche de
l’interlangue par la notion de g ra m m a ire : du point de vue didactique, la grammaire est
pour eux une activité double :
• le résultat de l’activité heuristique qui permet à l’apprenant de se construire
une représentation métalinguistique organisée de la langue qu’il étudie ;
• le guidage par l ’enseignant de cette activité en fonction de la représentation
métalinguistique organisée qu’il se fait de la langue qu’il enseigne,
et c ’est la première de ces deux définitions qui se rapporte à l ’interlangue.
Le terme de grammaire est aussi utilisé par Boyer et al. (1990 : 55, 214) et
Castelloti et de Carlo 1995 : 51), qui posent comme synonymes g ra m m a ire
d 'a p p ren tissa g e de l’apprenant, et g ra m m a ire intériorisée (qui est la connaissance
effective des apprenants, à un stade quelconque donné de leur apprentissage). Chez tous
les auteurs cités, cette grammaire de l ’interlangue de l’apprenant se manifeste dans les
productions des apprenants, dans leur adéquation au fonctionnement de la langue-cible
comme dans les erreurs. Besse et Porquier signalent que dans l'appropriation d’une
langue étrangère on admet que, très tôt dans l’apprentissage, les étudiants acquièrent
« une certaine intuition de ce qui est grammaticalement possible et de ce qui ne l’est pas
à l’intérieur de microsystèmes de la langue-cible. Cette intuition, observable dans toute
classe de langue, peut être considérée comme le résultat de l’activité épilinguistique
(c ’est-à-dire une structuration non consciente des données, selon une expression d’A.
Culioli) de l’apprenant dans l’organisation des données langagières de la langue-cible
qu’on lui a présentées. » (Besse et Porquier op. cit. 113 ; voir aussi Moirand 1992 : 38 ;

148
147

Santacroce 2000 : 437). Cette activité épilinguistique est observable à travers les
productions verbales intermédiaires ou stabilisées (dans le cas de « fossilisation
d ’erreurs») des apprenants, et ceci autoriserait donc à s ’interroger sur leur prise en
compte dans la constitution des programmes d’enseignements (Beacco 2001 : 4).
L’interlangue est déterminée par les descriptions auxquelles l ’apprenant est exposé et par
les pratiques de classe, mais aussi par sa langue maternelle et les autres langues connues
de lui ; il semble également que sa conscience linguistique et les représentations qu’il se
fait de la grammaire jouent un rôle dans la constitution de cette grammaire intériorisée.
On rappellera alors que la connaissance par l’enseignant de ces représentations est
envisagée à l’étape 2. On peut rencontrer diverses appellations de l’interlangue :
« système approximatif, compétence transitoire, dialecte idiosyncrasique, système
intermédiaire, interlangue, système approximatif de communication, langue de
l ’apprenant, ou système approché » (Besse et Porquier, en renvoyant aux travaux de
Frauenfelder, Noyau, Perdue, Porquier 1991 : 216).

2) Statut épistémologique de l’interlangue

Pour certains auteurs (Carlo 2000 : 440) la linguistique d e l ’interla n g u e est une
discipline à part entière. 11 est alors demandé à la didactique des langues de prendre en
compte la description de l’interlangue comme ne relevant pas d ’une linguistique
appliquée mais d’une théorie linguistique. Cette notion d ’interlangue est partagée par la
didactique des langues (DDL) et par la recherche sur l’apprentissage des langues (RAL).
Cette dernière aurait tendance à donner à la notion d ’interlangue une interprétation
su b sta n tia liste (Py 2000 : 401), c ’est-à-dire à représenter les connaissances de
l ’apprenant en L2 comme d ’authentiques variétés de langues naturelles, susceptibles de
descriptions linguistiques au sens usuel de l’expression. Mais en fait, l ’expérience
didactique amène à tempérer cette représentation par la multiplicité et l ’hétérogénéité
des facteurs en cause, ce qui amènerait la recherche actuelle à donner la préférence à une
version heuristique de cette notion, c ’est-à-dire qui a une certaine utilité dans la
découverte des faits de l’apprentissage des langues.

3) L’erreur comme moyen d’apprentissage

Gaonac’h retrace la genèse de la prise en compte de l’erreur d ’un point de vue


pédagogique, point de vue qui cesse de considérer Y erre u r comme une fa u te . En effet,
une évolution importante dans le statut théorique et pratique attribué aux erreurs dans le
cours de l’apprentissage d’une L2 est sensible durant les années 1970. Corder, faisant
référence aux travaux de Chomsky, propose une hypothèse générale qui rejette le
caractère aléatoire des erreurs. Auparavant, la position behavioriste est qu’une bonne
méthode doit conduire à un apprentissage sans erreur. L ’objectif de Corder (in Gaonac’h,
1991 : 123) est de prendre en compte les hypothèses chomskyennes sur l’acquisition de
la L 1 , et d’en examiner la pertinence éventuelle en ce qui concerne l ’acquisition d’une
L2. Malgré des conditions d’acquisition différentes, notamment en matière de
motivation, il est postulé que l’adulte a une capacité d ’acquisition de même nature que la
prédisposition innée qui dans la théorie de Chomsky est la base de l’acquisition de toute
langue, L1 ou L2. On peut dès lors considérer qu’existe une identité des procédures et
stratégies qui président à l’acquisition de toute langue, L1 ou L2, même si la mise en
œuvre de ces procédures et stratégies se fait dans des conditions différentes. Les erreurs
lin guistiques de l ’en fa n t en L J so n t co n sid érées com m e des indices d ’un p ro cessu s a c tif

149
148

d ’acquisition : c ’est, entre autres, leur caractère systématique qui conduit à cette
hypothèse. Pour Corder, les erreurs sont une manifestation d’un état du développement
langagier de l’enfant ; elles permettent, à ce titre, de décrire la « connaissance » de la
langue par l’enfant (sa « grammaire » au sens chomskyen) à un stade donné. Le caractère
systém a tiq u e de certaines erreurs en L2, souvent proches des erreurs relevées chez les
enfants en L l, doit être lié à la présence d’un systèm e, c ’est-à-dire d ’une compétence
transitoire (différente de la compétence du locuteur de la langue-cible), et non à des aléas
de performance. Le relevé et l’analyse des erreurs doivent permettre à l ’enseignant et au
chercheur de déterminer où en est l’apprenant. Ceci confère aux erreurs un statut
essentiel dans le développement des acquisitions langagières : leur évaluation est pour
l’apprenant l’occasion d’infirmer des hypothèses sur le fonctionnement de la langue
qu’il apprend. La production d’erreurs est un mode fondamental d’apprentissage :
« l’apprentissage des langues est une activité d’ordre cognitif de traitement de
données et de formation d’hypothèses. Ce point de vue considère les phrases
idiosyncrasiques de l ’apprenant comme autant de manifestations d’hypothèses
fausses. Lorsque l ’apprenant aura été exposé à plus de données, et qu’il les
aura traitées, soit par l’observation directe, soit à l’aide d’explications du
professeur, [...] l’interaction entre celles-ci et les hypothèses de départ lui
permettra de formuler de nouvelles hypothèses plus conformes aux faits
linguistiques de la langue-cible » (Corder 1971, in Gaonac’h, op. cité).

Au delà, les erreurs peuvent être considérées comme des composantes d’un dialecte
idiosyncrasique, d’une langue provisoire et personnelle, propre à l’apprenant.

4) Un dialecte idiosyncrasique

Gaonac’h (1991 : 125) souligne que l’hypothèse de régularité et de systématicité


liées aux étapes d ’acquisition d ’une langue conduit à parler de « dialectes
idiosyncrasiques » : il s ’agit de systèmes de langue dont les règles sont propres à celui
qui parle ce dialecte. Mais, parmi d’autres dialectes idiosyncrasiques (le langage
poétique, le discours des aphasiques, le langage des enfants en L l), ceux des apprenants
en L2 posséderaient les caractéristiques suivantes :
• « ils sont par nature instables, puisque liés à des étapes transitoires destinées
à être remises en cause par la confrontation à la réalité linguistique. Ceci pose
deux difficultés : la première concerne la possibilité de co nnaître la nature
des acq u isitio n s concernées ; la seconde concerne la possibilité de d écrire de
tels dialectes ;
• le « programme interne » à l’origine des systèmes transitoires est considéré
par Corder comme un « itinéraire naturel d ’acquisition des différents aspects
de langue-cible », un processus naturel de développement de la connaissance
implicite ;
• les dialectes idiosyncrasiques des apprenants ne peuvent être décrits ni à
travers le système de règle de la L l, ni à travers le système de règles de
langue-cible ; ils partageraient des traits de chacun des systèmes. Aussi
Corder n ’exclut-il pas le rôle possible des interférences dans le
développement d’un système transitoire qui peut être considéré comme
composé de trois sous-systèmes :
• une partie du système de la L l ;
• une partie du système de la langue cible ;

150
149

• un système de règles n’appartenant ni à l’un ni à l’autre de ces deux systèmes,


donc spécifique du dialecte idiosyncrasique constitué à un moment donné. »

Le statut et l’importance relative de ces sous-systèmes hypothétiques ont fait


l ’objet de nombreuses études théoriques et empiriques, notamment au début des années
70 dans le cadre d’une ‘confrontation’ entre l ’analyse contrastive et l ’analyse des erreurs
liée à la notion d’interlangue {Gaonac’h, 1991 : 125,126; voir aussi Cuq et Gruca,
2002 : 111). Ce dialecte repose sur des stratégies d’apprentissage, et il est lié à la
constitution d’une grammaire intériorisée.

5) Une gram m aire intériorisée

Besse et Porquier (1991 : 10,11) commentent la notion de g ra m m a ire intériorisée


en la critiquant : « cette dénomination (proche de celle adoptée par N. Chomsky) n’est
pas satisfaisante en ce qu’elle laisse entendre que la grammaire pourrait exister en dehors
des sujets qui la possèdent, mais elle correspond assez bien à ce qui se passe quand il
s ’agit d’intérioriser la grammaire d’une langue étrangère ». Pour les auteurs, c’est un
phénomène proprement humain encore assez mal connu, d’ordre biogénétique et
psychosocial, qui n ’est pas accessible directement, mais seulement à partir de ses
manifestations externes, normales ou pathologiques (troubles du langage, comme
l’aphasie, certaines amnésies, la surdité, etc.). « Grammairiens et linguistes travaillent
essentiellement à partir de deux types de manifestations de la grammaire intériorisée :
d ’une part, les productions orales ou écrites des sujets qui sont censés la posséder,
d ’autre part, l’aptitude intuitive que ces mêmes sujets ont pour porter des jugements sur
la plus ou moins grande grammaticalité ou acceptabilité de ces productions (il f a i t fr o id e
est agrammaticale, j e su is fr o id e est grammaticale mais n’est acceptable que dans des
contextes particuliers) ». Cette grammaire intériorisée est acquise au sein de la
communauté de naissance du locuteur ou dans une communauté étrangère pour le
migrant par exemple. Cette grammaire n’est acquise qu’au cours de multiples
interactions communicatives avec des sujets qui la possèdent déjà, et elle appartiendrait
le plus souvent à la langue maternelle de ces sujets. Les auteurs, citant Corder (« il s ’agit
d ’une connaissance implicite du système de la langue acquise par un processus
inconscient de traitement de données, de formation et vérifications d’hypothèses »),
signalent qu’une grammaire intériorisée relève à la fois de l’inné et de l ’acquis. Elle
relève de l’inné en ce sens que tout enfant est apte à acquérir n ’importe quelle langue s ’il
vit au milieu de ceux qui la parlent. Ce qui conduit à faire l’hypothèse qu’il existe bio-
génétiquement, en chaque être humain, une « programmation génétique », lui permettant
d ’acquérir indifféremment n ’importe quelle langue connue, et que celle-ci présente en
conséquence des traits très généraux, universels qui constituent une partie de leur
grammaire intériorisée. Cette grammaire intériorisée relève de l’acquis en ce sens que ce
dispositif génétique ne se développe qu’au sein d’une communauté langagière donnée, et
selon les règles et les normes propres à cette communauté. « Une grammaire intériorisée
est aussi à la fois individualisée et collective. Individualisée, en ce qu’elle est à la base
des idiolectes, c ’est-à-dire de l ’ensemble des variantes (phonétiques et lexicales surtout,
mais aussi morphosyntaxiques) propres à un sujet ; collective en ce qu’elle présente des
caractéristiques communes à l’ensemble des sujets qui en font usage. » Besse et Porquier
( ib id .). Cette grammaire intériorisée est ce qui structure ce que l’on peut considérer
comme un véritable système symbolique de signes, qui mérite le nom, à tout le moins,
d ’inter langue.

151
150

6) Un systèm e sym bolique de signes

De fait, de nombreux auteurs utilisent indifféremment le terme de grammaire


intériorisée ou d ’interlangue (chez Cicurel, 1985 : 60, on rencontre le terme de
«patrimoine métalinguistique » du public, c ’est-à-dire l’ensemble des connaissances
métalinguistiques possédées par ce dernier). Là où l’analyse d’erreurs opère
essentiellement sur des productions, éventuellement sur des erreurs de compréhension,
l ’étude des interlangues porte non seulement sur des performances, c ’est-à-dire des
productions observables, mais sur les compétences sous-jacentes et sur la façon dont
elles sont activées dans les performances. Pour Besse et Porquier (o p . cit : 126) le
principal objectif de l’étude des interlangues est de décrire les grammaires intériorisées à
travers les activités langagières qui les manifestent, pour en caractériser les spécificités,
les propriétés et les modalités de développement. D ’une part, ces interlangues répondent
aux critères servant à caractériser une langue : système symbolique de signes, double
articulation, systématicité, variabilité, intelligibilité, et d’autre part elles présentent des
traits spécifiques qui les différencieraient des langues naturelles : instabilité,
perméabilité, fossilisation, régression, simplification ou complexification, et qui
renvoient à son caractère évolutif.

Complexification/simplification
« L’apprenant sélectionne à sa manière, dans les données langagières qui lui sont
fournies, des schèmes et des formes qui serviront de repères et de matériaux pour le
montage de sa grammaire intériorisée >> {Besse et Porquier op. cit. 224). Une interlangue
serait un système simplifié de la langue cible, mais cette considération conduirait à nier ou
à ignorer sa complexité interne. Ce qui caractériserait une interlangue, c ’est la
complexification progressive - sauf fossilisation ou éventuelle régression - et le processus
de complexification que reflètent la nature et l’évolution de ses règles internes. « D ’autre
part, on peut observer dans les productions écrites ou orales des phénomènes de
simplification apparente : retour à des formes d’interlangue rudimentaires, non-application
de sous-règles présumées connues, imputables à des stratégies adaptatives de formulation
ou de communication, mobilisées en fonction de contraintes ou d’enjeux « institutionnels »
(éluder les difficultés, réduire le risque d’erreurs) ou de conduites pragmatiques, où
l’efficacité communicative prend le pas sur la correction formelle des énoncés ».

Perméabilité
La perméabilité de l ’interlangue viendrait de l’intériorisation de règles nouvelles en
relation avec le système intériorisé de la langue maternelle, sans qu’on puisse le déceler
dans la performance, sauf en termes de variabilité ou d’interférences occasionnelles
manifestes. Mais la perméabilité peut jouer en sens inverse, dans des cas où les productions
en langue maternelle comportent des traces d’une langue étrangère, phénomène souvent
observé chez les bilingues ou après un long séjour en milieu de langue étrangère. Cette
perméabilité observable dans la performance, et constitutive de l’apprentissage,
s ’expliquerait par la coexistence de deux systèmes intériorisés, l’un stabilisé, l’autre
transitoire et évolutif. En résumé, les travaux portant sur l’interlangue suggèrent que les
connaissances intermédiaires constituent des systèmes quantitativement et qualitativement
différents des systèmes visés par l ’apprentissage : « une interlangue n’est p a s une simple
distorsion ou réduction de la langue » (Alber et Py, 1986 : 79). En outre, pour Py (2002 :
401) la notion d ’interlangue postule un effort vers la construction d ’une sorte de rationalité
et d ’intelligibilité linguistique, et cet effort est un processus plus qu’un résultat.

152
151

7) Un processus et des stratégies


Il s ’agit ici d ’attirer l’attention des enseignants qui analysent leur pratique, et, en
conséquence, les productions langagières de leurs apprenants en interaction avec eux, sur
les processus susceptibles d’expliquer les productions orales ou écrites, en tant que
produits d’une interlangue. Pour Selinker {in Gaonac’h 1991 : 126-129), la formation
d’une inter langue proviendrait de la mise en œuvre d’un certain nombre de processus :
• des transferts d’éléments de la L1 ;
• un transfert d ’apprentissage : certaines productions résultent de la présence
de procédures d ’entraînements spécifiques, d’exercices, par exemple en
anglais, l’utilisation systématique du pronom anglais HE (et non SHE) dans
les exercices, les manuels ou dans les énoncés du professeur ;
• des stratégies d’apprentissage, par exemple en cas de prise de conscience par
l ’apprenant d ’une non-compétence dans un domaine particulier de la langue-
cible ;
• des stratégies de communication : la simplification systématique du système
de la langue-cible, par exemple, permet souvent d’établir une communication
minimale avec des locuteurs natifs ;
• surgénéralisation des règles de la langue-cible.

La combinaison de ces processus peut aboutir à la fossilisation des compétences


de l ’apprenant (l’interlangue est figée si ses stratégies de communication induisent
l’apprenant à penser qu’il connaît suffisamment le système de la langue-cible pour
communiquer). Plus précisément, l’interlangue est le produit d ’interférences :
l’interférence se produit non pas entre deux systèmes linguistiques mais entre un système
linguistique déjà acquis (la L l) et un système provisoire partiel, autrement dit, entre ce
que l’apprenant connaît déjà de l’une et de l’autre (Porquier, 1977 : 27). Il y a un intérêt
pédagogique certain à tenir compte de l’activité du sujet apprenant et du caractère
évolutif de l’interférence lié à la dynamique de l’apprentissage, en relevant précisément
les productions qui signalent cette dynamique. L ’interlangue procède par sélection et
reconstruction parce que le traitement qu’un apprenant applique aux informations dont il
dispose correspond à une réorganisation singulière de celles-ci et propre à chaque sujet.
Ces opérations s ’ajoutent à celles, déjà évoquées de simplification et de
complexification, pour lesquelles on renverra à Porquier (1977 : 32,33). Par ailleurs, ce
n ’est pas un processus, mais une m ultip licité de p ro c e ssu s qui est en jeu dans
l’interlangue et qui cohabite. L’interlangue est le résultat d ’une activité mentale. Celle-ci
répond à une double contrainte : des limites des capacités de traitement, (qui impliquent
une réduction de la charge mentale telle que seuls certains aspects de la langue sont pris
en compte à un moment donné de l’acquisition) ; la nécessité d’expression et de
communication, qui conduit à utiliser au maximum les aspects repérés, et donc
éventuellement à en reconstruire le statut linguistique (Gaonac’h, 1991 : 145, 146).
L’auteur propose de considérer qu’on peut trouver des phénomènes proches, dans
l’acquisition d ’une L2 et d ’une L l, du fait qu’une partie des tâches à réaliser est
identique. Mais l ’identité des objets à acquérir (du point de vue des contenus formels)
n ’est pas suffisante pour expliquer ces rapprochements et c ’est l ’activité de l’apprenant
qui est le facteur prépondérant de l’acquisition. Il faut donc rendre compte de la présence
simultanée de processus identiques et de processus différents. L’interlangue est aussi
constituée de routines. Parmi les stratégies utilisées notamment par les débutants en L2
et relevées par les chercheurs, Gaonac’h (o p . cit. : 149) mentionne par exemple

153
15 2

l’utilisation de formules toutes faites, de « routines », apprises et reproduites comme des


unités. « Ce peuvent être des routines socialement établies (« what’s your name ? ») ou
des ensembles réutilisés tels quels sans tenir compte de leur statut syntaxique (par
exemple : « do you » comme marqueur interrogatif dans « what do you doing ? »). Ces
routines permettent de répondre à des contraintes de communication lorsque la
compétence linguistique n ’est pas suffisante. Enfin, l ’interlangue est aussi largement le
résultat de croyances e t p réju g és m étalinguistiques. Le thème des croyances et des
attitudes vis-à-vis du langage et des apprentissages est, entre autres, abordé par Gaonac’h
(op. cit. 150) et Besse et Porquier (1991 : 109). Le premier souligne que l’élève lui-
même est un théoricien de l’acquisition des L2, en ce sens qu’il possède et met en œuvre
une certaine conception de ce qu’il faut faire pour apprendre une langue ; or, cette
conception n’est pas nécessairement compatible avec celle(s) développée(s) par la
méthode et/ou le professeur.
Chez Besse et Porquier, tout apprenant qui a reçu une formation grammaticale a
des sortes de « cribles métalinguistiques » au travers desquels et au moyen desquels est
perçue consciemment, souvent de manière faussée ou erronée, l ’organisation de la
langue-cible : « ces cribles métalinguistiques sont, le plus souvent, des ensembles
hétérogènes de préjugés langagiers, de stéréotypes linguistiques, de connaissances
grammaticales, de jugements idéologiques acquis et appris avec la langue de départ,
particulièrement lors de son apprentissage en milieu scolaire ». Les fragments de
description grammaticale propres à chaque apprenant, souvent élaborés à l’insu du
professeur, peuvent constituer des obstacles à l’apprentissage : « l ’apprenant élaborera
silencieusement des règles incertaines sur les éléments de langue-cible qu’il apprend
parce qu’il cherchera à y retrouver les catégories grammaticales et les règles qu’il a
apprises dans et sur sa langue de départ ».

8) Conséquences pour l’enseignant

Ceci a des conséquences essentielles pour l’enseignant. Pour Py (2000 : 401)


l’apprenant est en droit d’attendre de son partenaire natif, l’enseignant, qu’il traite les
inévitables « opacités sémantiques » de ses énoncés et les autres infractions aux normes,
non pas comme le résultat d ’une incompétence de sa part à lui, apprenant, mais plutôt
comme un échec des procédures d’interprétations de son partenaire. En particulier,
l’effort du professeur d’attribuer un sens au moins virtuel aux essais de l ’apprenant,
même s ’ils ont l’apparence de l ’incohérence, résulte de sa croyance dans l ’existence
d’une interlangue à laquelle, lui, enseignant, n ’a pas directement accès. De même, Boyer
et al, (1990 : 214) déduisent les conséquences pédagogiques résultant de la
reconnaissance d ’une interlangue sur le plan de la recherche en acquisition des langues.
La notion d’interlangue oblige à considérer les productions de l’apprenant non pas
exclusivement en relation à la langue-cible, mais comme le résumé d’un processus
d’intériorisation, au cours duquel l’apprenant élabore ses propres règles et construit
progressivement sa compétence. Ainsi, les écarts repérés dans les productions
d’apprenants par rapport au fonctionnement dans la langue-cible sont à considérer
comme des indices de l’activité du sujet apprenant. La question qu’on peut alors
légitimement se poser est s ’il est possible pour l’apprenant d’expliciter les théories ou les
règles qu’il se forge dans l’apprentissage de la langue.

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Pour Besse et Porquier (o p . cit. 260) l’activité métalinguistique ou « méta­


cognitive » des apprenants, qu’elle se manifeste spontanément ou soit repérée par des
procédures empiriques, révèle comment ils appréhendent et traitent à leur manière les
descriptions grammaticales sous-jacentes aux exercices et aux tâches, et les adaptent à
leurs propres conduites et stratégies d’apprentissage. Il y a donc, d’une part, une analyse
des interlangues par les chercheurs et, d’autre part, une activité métacognitive des
apprenants eux-mêmes. Santacroce (2000 : 434) insiste aussi sur cette activité qui
consiste à apprendre à apprendre, en évoquant une démarche « ascendante » de la part de
l’apprenant, c ’est-à-dire de l’apprenant vers le savoir, opposé à la démarche
« descendante » qui consiste en général en didactique à proposer un certain type de
savoir grammatical (descriptions grammaticales spécifiques) à un public particulier et
dans une situation d ’apprentissage programmatique (sélection préalable des données,
organisation d’une progression grammaticale, stratégie d ’étayage).

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ÉTAPE N° 4 - Préparation Didactique 4


SUPPORT MATÉRIEL DE LA TÂCHE

CONSIGNE :
Choisissez le support (matériel ou non) qui servira pour effectuer la tâche/exercice
demandé à vos apprenants. Toutes les sources sont autorisées : manuels de FLE ou
autres, documents authentiques, documents papiers ou audio-visuel, documents déjà
existants ou à créer, etc.

ATTENTION :
Pour le choix de ce support, en préparation didactique , il vous faudra tenir compte :
des connaissances linguistiques (Etape 6) de vos apprenants - réels ou imaginés -, du
choix des tâches possibles à partir du support (Étape 5) ; des objectifs possibles de la
tâche (Étape 81 ; ce support va demander des prérequis (Étape 9 ) en fonction des
éléments linguistiques qu’il comporte ; le choix de ce support aura des conséquences
dans toute la préparation pédagogique (Étapes 10 à 12).

Exemple
> Pages 5 à 8 du P e tit P rince, Saint-Exupéry, Livre de Poche.
> Manuel P a n o ra m a 2, unité 4, page X, exercice Z.
> Publicité parue dans l ’E xpress du XX.ZZ.YY n°AA, page W.
P Un document que vous fabriquez expressément pour le cours.

Support de la tâche

Moirand (1990 : 48) suggère de démarrer la démarche par un recueil de


documents « dans leur fonctionnement réel », recueil facile à réaliser si l’on rassemble
des annales d’examens, des consignes écrites de matériels professionnels, des
questionnaires d’embauche, etc., mais plus délicat dès qu’il y a enregistrement dans des
situations d’oral de face à face. Ce recueil peut demander des moyens techniques peu
onéreux (photocopies), mais peut également impliquer pour l’oral l ’utilisation de la
vidéo. Il suppose que l ’on tienne compte, pour l’oral également, des interactions non
seulement entre natifs mais aussi entre natifs et étrangers si l’on veut proposer aux
apprenants des exemples de stratégies de communication « réalistes » et des moyens
«authentiques» d’évaluation. Plusieurs paramètres devraient intervenir lors du choix
des matériaux d ’enseignement :

• certaines données de la description de la situation d ’enseignement,


• besoins et motivations des apprenants,
• demandes de l’institution,
• ressources des uns et des autres, etc.
• analyses des situations de communication visées par l’apprentissage
et enfin :
• réactions des apprenants « en train d’apprendre » à partir de ces matériaux.

156
155

L’enseignant procédera à deux types d’analyses :


1- Analyse de leurs contenus linguistiques, communicatifs, thématiques et
idéologiques, et mise en lien de ces contenus avec les données recueillies sur
les apprenants et notamment avec l’image qu’ils ont de leurs capacités
communicatives futures. Il arrive, en effet, que l ’on puisse utiliser une partie
de ces matériaux à condition toutefois de modifier les activités proposées,
compte tenu des caractéristiques du public. Mais, d’une manière générale,
Moirand estime plus satisfaisante que l’enseignant fabrique lui-même une
partie des matériaux d’enseignement à partir desquels les apprenants vont se
construire leur apprentissage, et s ’il s ’agit d ’enseigner/apprendre à
communiquer en langue étrangère, qu’il utilise largement des enregis­
trements, textes et documents authentiques choisis en fonction des paramètres
évoqués.
2- Analyse prépédagogique dont la fonction est double :
a) mieux comprendre comment fonctionne un texte oral ou écrit à ses
différents niveaux :
• sociolinguistique,
• pragmatique,
• sémantique,
• logique,
• syntaxique,
• morphologique,
• phonétique,
• typographique,
• iconique...
b) contribuer à la mise au point de stratégies d’enseignement appropriées à
ces composantes du document, et aptes à aider les apprenants à
développer, face à des discours étrangers, les compétences nécessaires à
leur compréhension et/ou à leur production.

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ÉTAPE N° 5 - Préparation Didactique 5


TYPE DE TÂCHE (oral, écrit,...)

CONSIGNE :
Vous indiquez ici le type de tâche que vous envisagez de faire réaliser à vos
apprenants.
Compréhension orale ; Compréhension écrite (Lecture) ;
Production orale ; Production écrite ; etc.
Vous pouvez apporter plus de précision, en évoquant dans ses grandes lignes ce
qui doit selon vous se passer dans le cours, mais sans entrer d ans le détail : vous
établirez le « scénario » détaillé de ce que vous êtes censé faire et dire, et de ce que
les apprenants sont censés réaliser dans la phase de préparation pédagogique, aux
Étapes 10. 11. et 12,

ATTENTION :
Pour le choix de la tâche, en préparation didactique , il vous faudra tenir compte :
du support (Étape 4L des connaissances linguistiques (Étapes 3 et 61 de vos
apprenants ; des objectifs possibles de la tâche (Étape 8) ; cette tâche va demander
des pré-requis (Étape 9) liés à son déroulement, et il vous faudra peut-être alors
faire des aller-retour entre cette étape et P étape de préparation méthodologique
n °l 1 (déroulement de la tâche pour l’apprenant) pour mieux les cerner ; le choix de
cette tâche aura des conséquences dans la prép a ra tio n péd a g o g iq u e aux Étapes 10
(Consignes et actes enseignants) et 12 (Matériel et installation à prévoir).

Exemple
1. Compréhension écrite du texte après lecture globale : tâche en sous-
groupe
2. Production orale à partir d’un jeu de rôle ; etc.

Tâches de l’enseignant/tâches de l’apprenant ?

La notion de tâche pourrait être envisagée selon l ’acteur de celle-ci : tâche pour
l ’enseignant ou tâche pour l ’apprenant. En effet, une approche canadienne conceptualise le
rôle de l ’enseignant selon les fonctions de son intervention : Kramsch mentionne (1991 :
64, 67) l’étude réalisée au Canada ( International A ssociation f o r the Evaluation o f
E d u ca tio n a l A chievem ent, IEA), qui voit des tâches et des décisions, sur la base d’analyses
ethnométhodologiques, c ’est-à-dire d’observation de pratiques réelles d’enseignant en
situation. Ces indications sont à visée prescriptive pour l’enseignant : la description de
l’interaction enseignant/apprenant conduit à mettre au point des principes de formation des
enseig n a n ts , mieux adaptés à la réalité complexe de la classe (voir Étape 10). Mais ici, la
notion de tâche désignera ce qui est demandé à Y a pprenant par l ’enseignant. Il s ’agit donc
de tâches pour l’apprenant, tâches envisagées par l ’enseignant. On rappellera ici qu’il s ’agit
bien de la notion de « tâche » telle que la définissent les ergonomes et les psychologues du
travail : le descriptif d’ensemble d ’actions prescrites (voir Partie I). C ’est ce qui distingue
ici la préparation didactique, à cette étape 5, de la description que vous ferez en préparation
méthodologique, à l’étape 11 : à l’étape 11, vous tenterez d ’im aginer la façon dont

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l’apprenant exécutera la tâche, c ’est-à-dire son activité au sens ergonomique ; bien qu’à
l’étape 11 il ne s ’agisse pas de réalité, puisque vous ne la décrirez qu’en phase post-active
à l’étape 16, après le déroulement du cours, elle se distingue néanmoins de l’étape 5,
présente, qui concerne ce que l’apprenant d o it faire.

Compression et expansion

Pour Cuq et Gruca (2002 : 54,55), l ’enseignant peut être considéré comme un
didacticien et un praticien en charge, au point de vue méthodologique, du guidage, dans
un cadre institutionnel, de deux «procédures» accompagnant l’appropriation de la
langue (cette dernière étant la réunion de l’apprentissage et de l’acquisition) : la
procédure de com pression et la procédure à 'e xp a n sio n :
« La compression est une procédure méthodologique2 d’enseignement qui
consiste à prendre en compte le fait que l’acte didactique s ’effectue sous des
contraintes de temps, de lieu et de matériaux dont la caractéristique principale
est d’être réduits par rapport aux éléments non didactiques dont ils sont
abstraits ».

Ainsi, l’enseignement est formaté par des contraintes de temps, de heu et de


matériaux qui obligent à opérer une réduction des éléments idéologiques, sociaux,
économiques, techniques, de la culture de la langue enseignée ; par exemple, du point de
vue de l’enseignement, la fabrication et la mise en œuvre d’un exercice sont des actes de
compression. La compression implique une procédure méthodologique symétrique,
qu’ils dénomment « expansion » :
« L ’expansion est la procédure méthodologique qui permet de faire des
savoirs ou des activités didactiques des savoir-faire non didactiques.
L ’expansion n ’est pas une capacité psychologique. C ’est, pour l’apprenant par
exemple, une procédure d ’apprentissage fondée sur une plus ou moins grande
conscientisation de l’activité didactique en tant qu’activité d ’appropriation. ».

Un exercice, par exemple, n’a d ’intérêt que s ’il a une finalité externe à la situation
d’apprentissage, et constitue une activité d’expansion. Les procédures de compression et
d’expansion sont celles qui assurent « le passage de la société à la classe et de la classe à
la société ». Pour les auteurs, « le travail de didactisation consiste pour le maître à
compresser ses savoirs pour en faire des informations opératoires qui, traitées par
l’apprenant au moyen d ’outils théoriques, deviendront pour lui des savoirs authentiques
si elles se manifestent par des savoir-faire. C ’est cette opération que nous appelons co­
construction des savoirs ». On retrouve ici les échos des deux démarches proposées par
Besse et Porquier (1991 : 182), qui opposent l’enseignement guidé et l’apprentissage
naturel, non guidé : « pour enseigner une langue, on part des descriptions de cette langue
pour en structurer l’enseignement et l’apprentissage, de façons diversifiées selon les
différentes variables prises en compte ». En conséquence, « si l ’enseignement des
langues tente de reproduire, d’imiter ou de simuler les situations, les conditions et les
démarches d’appropriation naturelle d’une langue étrangère, il ne peut les reconstituer
dans le cadre même où il opère et qui le contraint : ‘ce qui est difficile ce n’est pas
d’apprendre des langues étrangères, mais de les apprendre en classe’ (G. Kennedy), Il
s ’agit donc moins d’imiter le naturel que de tenter d’en comprendre les mécanismes

2 Cuq et Gruca distinguent trois niveaux de Didactique des Langues Etrangères : métadidactique ou théorique,
méthodologique, technique.(2002 : 8,9).

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profonds pour les mobiliser ou les activer dans des stratégies pédagogiques appropriées,
susceptibles de faciliter l’apprentissage » : la compression est ici au service de
l’expansion qu’elle est sensée faciliter.

Authenticité des tâches/authenticité des documents

Dans une perspective communicative, Moirand (1990: 52) rappelle que


« l ’authenticité du document ne débouche pas forcément sur des activités ni sur des
tâches authentiques : lire un tract en classe n ’implique pas le même projet que dans la
réalité et le tract n’a donc pas les mêmes fonctions communicatives ; comprendre une
conversation enregistrée n’est pas la même chose que d’y assister dans la réalité ». A
l’inverse, des tâches peu authentiques a p r io r i (au sens où on ne les rencontre pas en
dehors de la classe) peuvent déboucher sur des activités authentiques et/ou de la
communication authentique : reconstituer par exemple l’ordre de déroulement d ’une
conversation ou d’un texte à partir des morceaux prédécoupés et distribués dans le
désordre à différents sous-groupes d ’apprenants oblige ceux-ci à demander des
informations (il s ’agit ici d’une fonction de communication authentique) soit à
l’enseignant, soit aux autres apprenants. « C’est pourquoi mieux vaut privilégier
l’authenticité des activités ou des fonctions de communication mises en œuvre par les
tâches que celles des documents. »

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ÉTAPE N° 6 - Préparation Didactique 6


CONNAISSANCES DÉLIVRÉES

CONSIGNE :
Vous indiquez ici le type de contenus délivrés dans le support que vous avez
prévu :
• s ’agit-il d’informations g én éra les , c ’est-à-dire ayant trait à la vie quotidienne,
à la vie en société, à la vie et au fonctionnement de la société et de ses divers
aspects ordinaires, etc. : en bref qui traitent de sujets concernant tout être
humain, sans spécialisation dans un domaine disciplinaire ou professionnel
spécifique ?
ou bien
* s ’agit-il de contenus qui impliquent en particulier un vocabulaire spécialisé
dans un domaine disciplinaire ou p ro fessionnel donnés : juridique, médical,
technique, scientifique, etc. ?

ATTENTION :
Il vous faut ici étudier votre support (Étape 4) et/ou le thème choisi, afin de
repérer s’il contient en tout ou partie des contenus de type spécialisé.
Si tel était le cas, demandez-vous si la tâche prévoit que les apprenants (Etape 2.
type de public) et Étape 3. niveau LM et L2 possèdent et/ou mobilisent le
vocabulaire qui y est rattaché ou même présent ?
Si oui, demandez-vous si vous l’avez prévu dans la tâche (Étape 5. type de tâche
et/ou Étape 11. déroulement de la tâche pour l’apprenant), et comment ? Quelles
conséquences cela a-t-il pour votre action pédagogique (Étape 10) ?
Il se peut aussi qu’aucun contenu spécifique ne soit présent, et ne requière donc
aucune réflexion pour aménager la tâche.

Exemple
> Connaissances générales : vocabulaire du quotidien (alimentation,
orientation, etc.) ;
> Vocabulaire spécialisé : lexique de l ’économie et de la finance (pour
des étudiants étrangers en économie).

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ETAPE N° 7 - Préparation Didactique 7


COMPÉTENCES MOBILISÉES PAR LA TÂCHE

CONSIGNE :
Vous indiquez ici les compétences spécifiques de l’apprenant que votre tâche et son
support (Étape 5 et Étape 4) vont mobiliser. La compétence de communication dans
une langue comporte un certain nombre de composantes, imbriquées les unes aux
autres (voir ci-après : sémio-linguistiques, référentielles, discursives, pragmatiques,
ethnoculturelles). Mais pour vraiment préciser ces notions de COMPETENCE DE
COMMUNICATION, ainsi que ses composantes, vous lirez Boyer H., Butzbach
M., Pendanx M., 1990, Moirand, S., 1990.
ATTENTION :
Parmi les (quatre ou cinq) compétences, toutes ne sont pas mobilisées de la même
manière par une activité et un support donnés : il vous faut ici étudier la tâche et son
support (Étape 4) en vous efforçant de savoir s ’ils ne sollicitent pas plus
spécialement l’un d’entre elles : par exemple, une tâche de lecture d ’un support
comportant un vocabulaire nouveau va demander dans un premier temps à
l ’apprenant de mobiliser la compétence sém iolinguistique ; un jeu de rôle va
demander, une fois lancé, de mobiliser ses compétences socio-pragm atique et
d iscursives , etc. Il vous faut ici repérer les compétences que demande la tâche que
vous avez choisie afin de savoir si votre public (Étape 21, dispose de celles-ci, et si
son niveau de langue L 2 (Étape 3) lui permet de les utiliser ; enfin, si cette tâche
demande certains prérequis (Étape 91. Ceci vous interrogera à nouveau sur les
conditions pédagogiques (Étape 10. Consignes enseignant ; Étape 11, déroulement de
la tâche pour l’apprenant) qui permettront au mieux de mobiliser ces compétences.

Des compétences

En premier lieu on rappellera la définition que nous avons adoptée de la notion de


co m p éten ce : elle renvoie à des constructions représentationnelles e t d iscu rsives ,
inférées à partir d’actions situées et parvenues à leurs fins, attribuées à des sujets (voir
Partie I, chapitre 3). S ’agissant donc d ’une inférence de la part d’observateur ou de sujet
à partir de la production de comportement, et ce, dans un contexte social et éducatif
impliquant le repérage de co m p éten ces voire la production de compétences, divers types
de compétences sont souvent attendues de la part de l’apprenant. Les énoncés sur les
compétences sont donc des énoncés produits par des observateurs didacticiens-
chercheurs et/ou enseignants, à partir d’une part du recueil de productions langagières,
d’autre part, de comportements attendus, bref, de présupposés théoriques.

Le Cadre Européen Commun de référence pour l’enseignement des langues

Disponible depuis 2000, ce document élaboré par le Conseil de l’Europe comporte


tout au long de ses chapitres des indices, des seuils, des paramétrages des compétences
attendues de tout apprenant d’une langue vivante. On retrouvera en son sein de nombreuses
approches des compétences, approches que nous rappelons succinctement ici.

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Une compétence de communication


Le postulat de l’existence d ’une telle compétence est issue de travaux de la
sociolinguistique américaine des années 1960, - (« discipline qui se propose d’étudier la
langue plutôt dans son contexte social, à partir du langage concret plutôt qu’à partir des
seules données de l’introspection » ; Ducrot, Schaeffer, 1995 : 143) -, plus précisément
de l ’ethnographie de la communication. Ce domaine de recherche, issu de la tradition
anthropologique, a pour objet d’étude de ce que Hymes a appelé la com pétence
c o m m u n ica tive , soit l’ensemble des règles sociales qui permet d ’utiliser de façon
appropriée la compétence grammaticale, (in Ducrot, Schaeffer, op. cit. 146).
Chez Cuq et Gruca (2002 : 149), les quatre compétences que sont :
(a) compréhension de l’oral,
(b) compréhension de l’écrit,
(c) expression orale et
(d) expression écrite,
plutôt de type c o g n itif et p ro cédural, sont attachées à la compétence de communication,
à laquelle ils rajoutent :
(e) la compétence d ’évaluation, compétence transversale: « e n effet, toute
communication implique évaluation. Quand on parle, quand on écrit, l’auditoire ou les
lecteurs évaluent notre production. Quand on lit ou quand on écoute, on évalue la
production des autres ». Et comme au fur et à mesure que progressent les compétences
de compréhension et d’expression, progresse aussi la compétence d’évaluation, « il est
bon que l’enseignant prévoie des activités qui la mettent en évidence tout au long du
parcours de l’apprenant ».

Ensuite, selon les auteurs, la compétence de communication se laisse décomposer


en quatre ou cinq compétences. On note chez Kramsch (1991 : 83) la référence aux travaux
de 1980 de Canal e et Swain qui comporte quatre éléments :
• une compétence linguistique, c ’est-à-dire la connaissance des aspects
grammaticaux, lexicaux et phonologiques de langue et la capacité de manier
ces aspects pour former des mots et des phrases. La compétence linguistique
n’est pas connaissance des règles, mais capacité de les appliquer.
• une compétence so cio -lin g u istiq u e qui consiste à savoir quoi dire à quel
moment, dans quelle situation et comment le dire. Cette compétence est la
connaissance des règles socio-culturelles de convenance. Elle doit faire partie
d’un enseignement qui vise à rendre l’apprenant capable de communiquer
avec des natifs et donc d ’apprendre d’eux, mais elle inclut avant tout la
capacité de choisir et de négocier les rôles qui conviennent à un apprentissage
interactionnel dans la classe même.
• une compétence d iscu rsive qui a trait au ménagement du discours : discours
avec des natifs en milieu naturel (reconnaître de sujet d ’une émission de radio,
d’un texte écrit, inférer les intentions d ’un interlocuteur, saisir des
significations globales et de détail), mais avant tout, discours avec les autres
membres de la classe (quand et comment prendre la parole, comment diriger
la discussion).
• une compétence stra tég iq u e ou capacité de compenser les déficiences des
trois autres compétences. En effet, personne ne connaît jamais toutes les
règles de grammaire d’une langue, ni toutes les conventions socioculturelles
de son usage, ni ne peut saisir parfaitement les intentions d’un interlocuteur

163
1 62

dans un discours donné. Que fait l’apprenant s ’il a oublié un mot de


vocabulaire ou la forme correcte d’un verbe ? S ’il n ’est pas sûr de la manière
convenable de s ’adresser à quelqu’un, s ’il a besoin de temps pour réfléchir
sans perdre son tour de parole, s ’il n’a pas été compris de son interlocuteur ?
Les stratégies « de sauvetage » linguistiques, sociolinguistiques et discursives
qu’on a observées chez les apprenants en milieu non-scolaire sont également
nécessaires en situation d ’acquisition dans la classe » {Kramsch 1991 : 83).

Moirand (1990 : 20) retrace également le parcours de la notion et propose la


combinaison de quatre composantes (pour Boyer, Pendanx, Butzbach 1990: 48, on
trouve cinq composantes, l’ethnoculturel s ’ajoutant aux autres) :
• une composante linguistique, identique à celle de Kramsch ;
• une composante discursive, c ’est-à-dire la connaissance et l ’appropriation
des différents types de discours et de leur organisation en fonction des
paramètres de la situation de communication dans laquelle ils sont produits et
interprétés ;
• une composante référentielle, c ’est-à-dire la connaissance des domaines
d’expériences et des objets du monde et de leurs relations ;
• une composante socio-culturelle, c ’est-à-dire la connaissance et
l’appropriation des règles sociales et des normes d’interaction entre individus
et les institutions, la connaissance de l’histoire culturelle et des relations entre
les objets sociaux.

Moirand souligne que, lors de l’actualisation de cette compétence de


communication dans la production et l’interprétation des discours, ces différentes
composantes semblent toujours toutes intervenir mais à des degrés divers. Ce qui est
particulièrement intéressant pour la préparation didactique qui nous occupe, c ’est le fait
de supposer, avec l’auteur, l’existence de phénomènes de com pensation entre ces
composantes, dès qu’il y a manque pour l’une d’entre elles : « Ces phénomènes, qui font
partie de l’intervention directe du sujet (avec ses caractéristiques psychosociales) dans la
production de ses discours et dans son interprétation du discours des autres ainsi que
dans la propre perception du monde, relèverait en fait de ses stratégies de discours, c ’est-
à-dire de stratégies individuelles de communication. Enseigner à communiquer amènera
donc à s ’interroger sur ces stratégies ainsi que sur le rôle des différentes composantes de
la compétence de communication dans la production et l’interprétation des énoncés ».
D ’où l’intérêt de faire figurer ces composantes dans la préparation didactique de
l'enseignant, afin qu’il se donne les moyens de repérer les types de stratégies de
communication de ses apprenants.
En outre, Cuq et Gruca (op. cit. 151) soulignent que l’analyse du rôle de ces
différentes composantes de la compétence de communication, dans la réception comme
dans la production, permet d’instaurer des progressions et de mettre en place des
activités d ’utilisation « authentique » de la langue, qui engagent les apprenants à mettre
réellement en œuvre leurs diverses connaissances dans des situations de communication
de plus en plus complexes. Cela étant, on peut se demander avec Vigner quel est le
niveau de compétence que l’on souhaite faire atteindre en français par les élèves : est-ce
celui du locuteur natif ou bien s ’agit-il d ’une compétence spécifique, liée aux besoins et
usages du français dans le pays ? « Dans les langues dites maternelles (le terme de
langue nationale ou de langue de scolarisation semble en fait plus approprié), le niveau
atteint peut-il être considéré comme satisfaisant ? Autrement dit, à côté du facteur

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allogène, n’y aurait-il pas des facteurs plus généraux concernant l’appropriation par les
élèves des langues de scolarisation ? » Pour Vigner, l’idéal du locuteur adulte, cultivé,
natif du pays, modèle du locuteur fort, est en fait rarement atteint, car il ne répond jamais
complètement ni aux besoins immédiats des apprenants, ni aux conditions effectives
d ’enseignement du français. De fait, le modèle du locuteur bilingue semble plus
conforme aux réalités et besoins de l ’apprentissage. « Le locuteur bilingue manifeste
toujours un déséquilibre entre les deux langues, avec une répartition des compétences qui
peut s’organiser selon certains temps d’usage » (Vigner, 2001 : 19, 20).

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ÉTAPE N° 8 - Préparation Didactique 8


FINALITÉS ET OBJECTIFS DE LA TÂCHE

CONSIGNE :
Vous indiquez ici ce à qu o i doit a b o u tir , pour l ’apprenant, l ’accomplissement de
la tâche que vous avez choisie. Exprimé d ’une façon générale, il s ’agit des
«o b jectifs» de la tâche. La notion d ’o b je c tif a été largement définie dans des
ouvrages en didactique générale et en didactique des langues. On peut distinguer
les notions de « finalités », d’« intention pédagogique », de « but », d’« objectif
général », d’« objectif spécifique », d ’« objectif opérationnel » En particulier,
vous lirez Hameline D., 1979, L es objectifs p é d a g o g iq u e s, Editions ESF, pages 97
à 100, et vous pourrez utilement, chez vous, faire les exercices des pages 101 à
105, ainsi que ceux de l’ouvrage de Mager R. F., [2000], C om m ent définir les
o b jectifs p éd a g o g iq u e s , Dunod. D ’après cette lecture, vous veillerez :
• d’une part, à distinguer au moins trois niveaux dans votre réponse :
• le niveau des fin a lité s : celui-ci concerne plus spécifiquement l ’ensemble du
programme de langue dans une année donnée, pour une institution donnée, et
rarement une tâche donnée, comme dans votre cas ; cependant, vous pouvez
imaginer et spécifier dans quelle finalité générale s ’inscrivent les objectifs que
vous identifiez pour la tâche ;
• le niveau des objectifs généraux de la tâche ;
• le niveau des objectifs opérationnels de la tâche.
• d’autre part, pour les objectifs , à les exprimer en termes de capacités des
apprenants : « au terme de la tâche, l’apprenant être capable de.......»

ATTENTION :
Pour la fixation des finalités et objectifs, vous analyserez votre support (Etape 4) et
la tâche (Étape 5) que vous avez choisis en explicitant quels sont les comportements
observables et formulés dans des termes non équivoques qui sont les indices de
l ’atteinte des objectifs par l ’apprenant. Ceci, en fonction du support (Étape 4 ). de la
tâche (Étape 51. de votre public (Étape 21. de ses prérequis (Étape 9). va avoir des
conséquences sur toute la préparation méthodologique (Étape 10. consignes ; Étape
11, déroulement pour l’apprenant ; Étape 12. matériel à prévoir).__________________

Exemple
Un jeu de rôle « Chez les commerçants » (boulanger, supérette, boucher,
journaux, etc.).
Finalité :
• rendre les apprenants autonomes dans l’achat de produits alimentaires
Objectif général : les apprenants seront capables
• de demander des renseignements sur les produits aux commerçants
Objectifs opérationnels : à la fin de la séance les apprenants seront capables :
• d’utiliser à l’oral les formules interrogatives : (pouvez-vous ?/ qu’est-ce
que... etc.) ;
• selon le type d’interrogation : totale (OUI/NON) ou partielle, et ce, au moins
deux fois pour chaque type de produit demandé.

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FINALITÉS, OBJECTIFS GÉNÉRAUX, OBJECTIFS OPÉRATIONNELS


Cette étape est l’une des plus délicates de la préparation didactique et nous
aborderons d’une part des d éfin itio n s des notions que recouvre la terminologie utilisée,
les d éb a ts que soulève la fixation d’objectifs - non seulement dans le cadre de la
didactique du FLE, mais en didactique d’une façon générale -, enfin les p ersp ectives
pédagogiques offertes par la pose d’objectifs de la part d’un enseignant vis-à-vis de ses
apprenants et de sa propre pratique.

Formuler différents niveaux d’objectifs : quelques définitions

On consultera l’ouvrage de R. F. Mager (2000), C om m ent définir des objectifs


p é d a g o g iq u e s, mais on retiendra ici principalement la démarche de D. Hameline.
Hameline (1979 : 97 ; 98 ; 100) définit les différents niveaux d’« objectifs » formulables,
et que nous vous proposons d’adopter dans cette préparation didactique : les « finalités »,
les « buts », les « objectifs généraux », les « objectifs opérationnels » :
• « Une fin a lité est une affirmation de principe à travers laquelle une société
(ou un groupe social) identifie et véhicule ses valeurs. Elle fournit des lignes
directrices à un système éducatif et des manières de dire au discours sur
l'éducation ».
• « Un b u t est un énoncé définissant de manière générale les intentions
poursuivies soit par une institution, soit par un groupe, soit par un individu, à
travers un programme ou une action déterminés de formation [...]. Il répond à
la question « qu’est-ce que l’on veut ? ». Hameline ajoute que si les finalités
sont de l’ordre du désir ou du vœu, les buts comportent déjà des éléments
d’analyse, des besoins et des tâches ; les buts sont circonscrits à un champ ou
à un programme particulier, alors que les finalités s ’imposent à une institution
tout entière.
• « Un o b je c tif g é n éra l est un énoncé d ’intentions pédagogiques décrivant, en
termes de capacité de l’apprenant, l’un des résultats escomptés d’une
séquence d’apprentissage. [...] Il ne s ’agit plus de répondre seulement à la
question « qu’est-ce qu’on veut ? » mais d ’y adjoindre la question : « qu’est-
ce qu’on peut ? » ». L’auteur distingue ensuite les objectifs généraux
terminaux ou intermédiaires, que l’on ne développera pas dans ces lignes.
• « Un o b je c tif sp écifiq u e ou o p éra tio n n el est issu de la démultiplication d’un
objectif général en autant d ’énoncés rendus nécessaires pour que quatre
exigences « opérationnelles » soient satisfaites :
• décrire de façon univoque le contenu de l’intention pédagogique,
•décrire une activité de l ’apprenant identifiable par un comportement
o b serva b le ,
• mentionner les conditions dans lesquelles le comportement souhaité doit
se manifester,
• indiquer à quel niveau doit se situer l’activité terminale de l’apprenant et
quels critères serviront à évaluer le résultat ».

Complétant alors les apports de Hameline dans le cadre du FLE, Richterich (in
Cuq et Gruca, op. cit. 1 3 6 )précise que les «objectifs d’apprentissage» donnent des
informations qui peuvent porter sur le sens, l ’intention, le contenu, l’aboutissement de
l ’acte d’apprendre et qui reflètent les in teractions des apprenants ou groupes

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d ’apprenants avec leur environnement : il semble que cet ajout porte essentiellement sur
ce que Hameline appelle les objectifs généraux, car dans cette énumération, à part
« l’aboutissement de l’acte d’apprendre », des indicateurs et des critères d’obtention
d’objectifs opérationnels ne sont pas précisés. Néanmoins, la question du repérage de ce
qui, dans « les interactions des apprenants » témoigne de l ’atteinte d’un objectif, est
posée. Si l ’on se place dans l ’optique fonctionnelle et communicative qui est celle de
Moirand (1990), on peut cerner les situ a tio n s dans lesquelles les apprenants ont à utiliser
en priorité la langue étrangère (situation professionnelle, situations touristiques,
situations académiques, etc. ; situations d’oral en face à face, situations d’oral en réunion
de groupe, situation de lecture, situations de communication épistolaire, situations
d ’examen, etc,). Pour elle, il s ’agit donc dV ob jectifs situ a tio n n els » qui devront ensuite
être exprimés en termes d’analyse de la communication (interactions, actes de parole,
gestes, règles de cohérence, etc.). Reprenant à leur tour Hameline, Cuq et Gruca (o p . cit.
208) distinguent :
* les objectifs spécifiques qui combinent une attitude et un contenu particulier et
limité, comme par exemple, se présenter, demander son chemin ; l’ensemble de
ces objectifs compose les objectifs généraux ;
• les objectifs opérationnels qui résultent de la décomposition des objectifs
spécifiques et qui reformulent ceux-ci en fonction de l’évaluation : ils
définissent à la fois un comportement attendu ou une performance, les
conditions dans lesquelles cette performance doit se réaliser et les critères d’un
niveau de performance acceptable ; par exemple, écrire une lettre de candidature
en respectant des contraintes énoncées (en-tête, formule d’attaque de la lettre,
motivation, expériences passées, salutations finales, etc.).

Dès lors, par rapport à quelle(s) référence(s) fixer ces différents niveaux
d ’objectifs ? Dans le cas du FLE, et d ’une façon très large, on considérera avec Moirand
(1990: 51) qu’il s ’agit pour l’enseignant de recueillir des informations sur les
apprenants, les enseignants et l’institution (pour l ’auteur, d’ailleurs, ces trois acteurs de
la situation d’enseignement peuvent également participer à ces investigations effectuées
sur eux-mêmes ou sur les deux autres, par exemple, par la mise au point par les
apprenants d’une échelle destinée à évaluer l’image qu’ils ont de la langue qu’ils veulent
- ou doivent - apprendre). Ces investigations fournissent une image globale de la
situation d’enseignement et permettent de poser des compromis entre ce que sont et ce
que semblent vouloir les apprenants, les demandes et les contraintes de l’institution, ce
que peuvent faire enfin les enseignants, en bref, de poser des objectifs en cours de
langue, reflets de ces compromis.

Des débats : behaviorisme menaçant et oubli des besoins des apprenants ?

La notion d’objectifs pédagogiques en langue étrangère a été souvent rapportée à


la taxinomie de Bloom (in Gaonac’h, 1991 ; Cuq et Gruca, 2002 ; Kramsch 1991), aux
Etats-Unis, où l’enseignement par objectifs trouve son point de départ dans le concept
behavioriste d ’objectifs de comportement. Le fait qu’il s ’agisse de formuler des repères
de comportements observables peut alors faire perdre de vue les capacités et les besoins
des apprenants, non observables par nature, et transformer l’enseignement en une gestion
rationnelle de production de comportements. Pointant les critiques adressées à la
pédagogie par objectifs, Hameline rappelle dans son ouvrage qu’on reproche à celle-ci
de concevoir l’enseignement et la formation en termes de rationalité et de gestion : « la

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néo-directivité incluse dans la pédagogie par les objectifs s ’établit sur un pari néo­
rationaliste : la production de l’humain est quelque chose qui se contrôle, qui se planifie,
qui s ’organise, qui s ’ordonnance, qui se rentabilise. Elle est affaire de stratèges et de
gestionnaires ». Il juge ceci comme une régression menaçante, mais elle n’est pas fatale
pour peu que l ’on voit, au travers de la terminologie qu’il propose, qu’il s ’agit de se
doter d’indices observables ; ce ne sont que les indices d’une ca p a cité postulée chez
l ’apprenant ; d’où la formulation canonique des « objectifs » : « être capable de... ».
Quant aux besoins des apprenants, Moirand (1990 : 46) rappelle qu’il est devenu
banal, depuis les premiers travaux du Conseil de l’Europe, de faire précéder la définition
des objectifs d ’un programme de langue d ’une analyse des besoins langagiers. Elle
soulève l’opposition épistémologique apparente entre la démarche de fixation d ’objectifs
et la démarche de recueil des besoins, mais souligne que le besoin, même entouré des
adjectifs « subjectif », « objectif », « ressenti », et accompagné des notions connexes de
d em a n d e, d 'a tte n te et de désir, est insuffisant à lui seul pour décrire l’ensemble des
paramètres d’une situation d ’enseignemenfiapprentissage. En outre, il n’est pas inutile de
se souvenir que le besoin est un objet construit, c ’est-à-dire le résultat d’un choix de la
part de celui qui étudie le besoin de l ’apprenant, et que l’identification des besoins est
souvent un leurre qui peut faire croire qu’on donne la parole à celui qui apprend.
S ’informer sur son public, ses attentes, est indispensable pour l’enseignant, mais la
notion de besoin peut être à l’origine à 'a p r io r i de la part de l’enseignant qui l’empêche
d’être attentif aux indices que toute interaction avec ses apprenants lui apportent sur
leurs attentes, leur demande et leur capacité d ’atteindre les objectifs envisagés.

Pourquoi formuler des objectifs :


perspectives en auto-évaluation de l’apprenant et de l’enseignant

Schwartz (dans Hameline 1979 : 17) prend parti en faveur de la fixation


d ’objectifs pédagogiques dans l’enseignement et dans la formation en présentant, a
co n tra rio , les inconvénients d e l ’abstention : « ne pas expliciter ses objectifs, ne pas les
discuter avec les étudiants amènent ces derniers à s ’en définir qui sont souvent sans
rapport avec ce que vise l ’enseignant. Cela ne serait ni choquant, ni malsain, si l ’étudiant
ne cherchait en fait d’objectif, à ‘plaire’ au professeur, à se conformer à ses attentes ».
Pour B. Schwartz, ne pas rédiger, ne pas formuler avec précision les objectifs se traduit
très souvent par une « uniformité », une « monotonie » de l’enseignement. En fait, il y va
du «projet d’apprentissage» (Berbaum, 1991 : 27), voire du projet d’enseignement.
Dans le premier cas, l’apprenant peut disposer d’outils d’auto-évaluation, dans le second,
c ’est l’enseignant qui peut s ’auto-évaluer. Hameline (1979 : 36) insiste sur le fait qu’en
formulant les contenus de la formation en termes de ca p a cités term inales des apprenants,
le formateur fournit à ces derniers un instrument de contrôle qu’ils pourront utiliser, de
leur propre initiative, au fur et à mesure que se déroulera la formation et que s ’affirmera
progressivement leur propre compétence. D ’autre part, en fin de formation, ils
disposeront d’un instrument d’évaluation rétroactive des « promesses » qu’on leur avait
faites. Du côté de l’enseignant, l’énoncé d’objectifs pourra être testé et critiqué à la
lumière de sa pratique. Hameline indique sa position, qui est également la nôtre dans cet
ouvrage, qui consiste à faire que « les praticiens de l’éducation deviennent les
théoriciens de leur pratique » :
« Les praticiens de l’éducation, en tant que corps social, ont tout intérêt à faire
eux-mêmes la théorie de leur pratique sans laisser à d’autres corps sociaux
(scientifiques, politiques...) l’exclusivité de l ’approche théorique de l ’éducation

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[...]. C ’est une bonne chose que les praticiens de l’éducation soient capables de
rechercher la rationalité dans les actions volontaires. L’aspect volontariste de
l’éducation moderne est évident. Quand on parle de ‘faire apprendre1, il s ’agit
bien d’un processus de transformation qui n’est pas spontané mais dirigé : il
s ’agit bien d’agir sur le système pour lui faire produire les effets escomptés. [...]
On peut ainsi relever que des praticiens de l’éducation ont à développer, entre
autres capacités, les capacités suivantes :
• analyser les situations concrètes singulières où ils sont acteurs ;
• prendre les distances nécessaires pour se détacher d’une appréhension
« impressionniste » et « émotionnelle » des données ;
• faire usage d’instruments d’enregistrement, de déchiffrage, d’interprétation
et d ’évaluation des données ;
• s ’approprier des concepts théoriques et les rendre opérationnels pour des
praticiens [...] ;
• critiquer le discours pédagogique « spontané » ;
• faire usage au moment opportun, de la « lecture » appropriée de leur propre
situation pédagogique ;
• utiliser la pensée systémique dans l’analyse des situations pédagogiques et
particulièrement identifier et formuler des objectifs pédagogiques. » (1972 :
39,40).

On retrouve ici quelques unes des exigences exprimées par Galisson dans le
programme didactologique dans l ’enseignement des langues : dans l’optique qui est la
nôtre, les objectifs, loin de n ’ètre que des contraintes « rationalisantes » - ce
qu’indéniablement ils peuvent être, sont à considérer non seulement comme l ’un des
moments, l ’un des gestes essentiels de la pratique enseignante en phase de
programmation prépédagogique, et donc à inclure dans l ’analyse de leur formulation,
mais également comme l’un des outils au service des apprenants et au service des
praticiens, comme potentiellement « théoriciens de leur pratique » ; on retrouve là
également les recommandations institutionnelles relevées par Lang dans la
professionnalisation des enseignants (cf. Partie I, chapitre 3). Si l’on suit Hameline, être
théoricien de sa pratique, c ’est évaluer celle-ci au regard d ’objectifs préalablement
formulés. Or, ces objectifs sont formulés en termes de capacité de l’apprenant en
interaction avec l ’enseignant ; de là à envisager la fixation des objectifs pédagogiques
comme un moment de la pratique évaluative non seulement des apprenants mais des
enseignants eux-mêmes, il n’y a qu’un pas, que nous franchirons. Ainsi, parler
d’objectifs, c ’est envisager leurs utilisations, en premier lieu, l ’évaluation des
apprenants, dans un second temps, l’auto-évaluation des enseignants.
En premier, la notion d ’évaluation comme détermination de la valeur des
productions langagières d es apprenants par un enseignant FLE sera ici employée dans
un sens relativement limitatif : si l ’on regarde l ’index de l ’ouvrage de Daniel Hameline
(1979: 197), il y a quatorze entrées pour «évalu ation » ( évaluation , évaluation
certificative, critériée, critérielle, diagnostique, explicite, fo rm a tiv e , im plicite,
im provisée, instituée, norm ative, som m ative, d es objectifs, d u p rocessus, du p ro d u it).
Parmi celles-ci, seules les évaluations critériées (« quand on ne compare pas l’apprenant
aux autres, mais qu’on détermine par la référence à des critères si, ayant atteint tel
objectif, il est en mesure de passer aux apprentissages ultérieurs »), explicites ou
im plicites (« est explicite une situation présentée ouvertement comme évaluatrice, par
exemple [...] une mise à l’épreuve »), et éventuellement fo rm a tiv e s (« son but prioritaire

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est de fournir immédiatement à l’apprenant une information utile sur son progrès ou ses
lacunes et les moyens de remédier à ces dernières »), à l’exclusion des évaluations
n o rm a tives (« confrontation à une moyenne ») et som m atives (« intervenant en fin de
formation sous une forme globale, tardive et lacunaire), seront prises en compte ici : il
s ’agit pour l’heure d’analyser la pratique enseignante, et il n’est pas encore sûr que
l ’évaluation normative et sommative soient de nature à rendre compte des effets des
pratiques enseignantes.
Ensuite, dans le cadre d’une analyse de pratique d’enseignement FLE, nous
considérerons que l’évaluation de son action p o u r l ’en seig n a n t est la mise en relation des
productions langagières des apprenants au cours d ’une tâche ou d ’un cours avec les
objectifs pédagogiques qu’il a fixés (Pescheux 2002), d ’où le double intérêt de la
fixation d’objectifs dans une préparation didactique. Une question surgit souvent de la
part des étudiants en formation à propos de la pose d’objectifs : faut-il ou non les
expliciter aux apprenants ? On retiendra à cet égard les observations de Cicurel (1985)
sur les stratégies de l ’enseignant qui opère une « maïeutique métalinguistique » et
n ’affiche pas toujours directement tous ses objectifs, au nom d ’une théâtralisation de la
présentation des savoirs. Cependant, on prendra le parti de la transparence, puisque la
plupart du temps l’apprenant intervient pour déterminer l ’objectif de l’activité dans
laquelle il s ’engage (Holec in Cuq et Gruca 2002 : 135) :
• « lorsque l’objectif n ’est pas explicité par l’enseignant ou que l’explication
fournie n ’est pas entendue, l’apprenant 1’« invente », le construit à partir de sa
perception de la situation d’apprentissage ;
• lorsque l ’objectif est explicité, l’apprenant intègre, internalise l ’explicitation
fournie et reconstmit l’objectif à partir de l’interprétation qu’il fait de
l ’explicitation : par cette opération, il transforme l’information qu’il reçoit en
connaissance opératoire susceptible d’orienter son activité ; c ’est une opération
nécessaire : sans elle, l ’information reçue reste à l’état de connaissance
‘intellectuelle’ externe, et n’a aucune incidence sur le comportement
d’apprentissage ».

La définition des objectifs peut donc apparaître comme un objet à construire à


l ’intérieur du co n tra t d idactique, et clarifier et négocier les objectifs ponctuels et
globaux est une nécessité liée à la simple efficacité de ce qu’on fait dans la classe.
(Gaonac’h, 1991 : 72 ; Cuq et Gruca, op, cit. 138). Ainsi, si nous nous rapportons aux
fonctions d ’étayage que repère Bruner (voir ci-après étape 10) dans l'in tera ctio n de
tutelle, et que l’on élargit à celle qui touche l’enseignant et l’apprenant, on constate que
la fonction d’« enrôlem ent » consiste pour le « tuteur » à engager l ’intérêt et l’adhésion
de l’apprenant envers les exigences de la tâche. Or la proposition d ’un horizon ou d ’un
objectif peut contribuer à solliciter cette adhésion. De même, poser des objectifs
implique plus ou moins implicitement la « réduction des degrés de liberté » parce que
cette fonction d’étayage implique une simplification de la tâche par réduction du nombre
des actes requis pour atteindre la solution, c ’est-à-dire, implique de proposer aux
apprenants un but mobilisant des enchaînements d ’actes compatibles avec leurs capacités
initiales : on oublie souvent que si la pose d’objectifs peut être un puissant outil de
négociation entre enseignant et apprenant dans la classe, ce peut être aussi un outil de
guidage cognitif tout aussi pertinent.

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ÉTAPE N° 9 - Préparation Didactique 9


PRÉREQUIS DE L’APPRENANT POUR LA TÂCHE

CONSIGNE :
Vous indiquez ici les connaissances et/ou compétences que doit déjà posséder
l ’apprenant pour être capable d’effectuer la tâche que vous lui demandez :
autrement dit, ce qu’il doit déjà savoir ou ce qu’il doit déjà être capable de faire
a va n t d’entamer la tâche.
Ces prérequis sont donc des connaissances/compétences préalables, et ne sont donc
pas à inclure dans les objectifs propres à la tâche (Étape 8) : si les prérequis (ces
connaissances préalables) sont certes mobilisés dans la tâche et si ils contribuent à
atteindre les objectifs, la tâche n’a cependant pas pour objectif de les faire acquérir,
parce que ces connaissances préalables sont une des conditions de réalisation de la
tâche.
P a r exem ple , les prérequis pour réaliser un jeu de rôle qui consisterait pour
l ’apprenant à demander son chemin - dont Y o b je c tif serait alors de mobiliser le
vocabulaire concernant les orientations spatiales qui vient d’être présenté dans le
cours - pourraient être de posséder déjà certaines formulations de l’interrogation ou
certaines formules de politesse.

ATTENTION :
Pour identifier les prérequis, vous partez de la tâche (Étape 5) et du support (Étape
4) en vous demandant ce que la tâche demande comme connaissance pour la
comprendre et la réaliser, et ce que le support demande pour en prendre
connaissance.
Une fois que vous aurez cerné ces prérequis, revenez sur le public à l’Étape 2 et à
l’Étape 3. et voyez si l’âge, l ’origine et le niveau correspondent à ces prérequis.

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ÉTAPE N° 10 - Préparation Méthodologique 1


CONSIGNES ET ACTES DE L’ENSEIGNANT

CONSIGNE :
Vous indiquez ici la succession des consignes (= « instructions ») que vous allez
donner pour faire réaliser la tâche aux apprenants, ainsi que les actions que vous
allez effectuer pour accompagner ces consignes et les activités des apprenants
(= distribuer des documents, aider tel apprenant, reformuler ou faire préciser la
consigne, etc.). À ce stade, il s ’agit du scénario p révisio n n el de votre activité
d ’enseignant, de ce que vous anticipez de faire. A p rès l ’expérim entation (Étape 13t.
vous réviserez (peut-être) ce scénario pour l’améliorer dans la perspective de le
réutiliser ultérieurement. Pour l ’instant, il s ’agit de p révisio n s. Vous écrivez donc ici
ce que vous comptez dire, dans les termes mêmes que vous allez employer - la
formulation d’une consigne induit toujours des effets qui lui sont propres, et
différents d’une autre formulation. Vous imaginez ce que vous allez fa ir e au fur et à
mesure du déroulement de la tâche de façon « idéale ».
Vous préciserez en particulier autant que faire se peut :
1 si la/les consignes sont données verbalement ou par écrit,
2 si elles sont données en langue maternelle LM/L1 (si vous la connaissez) ou en
L2/français, et à quel moment,
3 si les communications sont en LM ou L2 et à quel moment,
4 si c ’est vous qui donnez les consignes ou si vous les faites découvrir - et
comment - aux apprenants,
5 si ces consignes sont suivies d’exemples, à l’oral, ou d ’illustrations sous forme
de documents, gestes, schémas, etc....

ATTENTION :
Vous pourrez « scénariser » votre cours en formulant vos consignes et vos actions à
partir de deux types d’informations essentielles :
• l’ensemble des éléments de la préparation didactique (Étapes 1 à 9) : connaissance du
public, de son niveau de langue, du support, des objectifs, des prérequis, qui constituent
des contraintes vis-à-vis de ce que vous pouvez dire ou faire,
* les difficultés éventuelles rencontrées par l’apprenant dans le déroulement de la
tâche d’après votre anticipation (Étape 11). qui vont influer sur vos actions. À cette
étape, vous pouvez donc, dans l’ordre :
1- partir de vos choix aux Étapes 1 à 9.
2- décrire vos prévisions d’action « idéales » ici, à l’Étape 10,
3- passer à la rédaction de l’Étape 11 (déroulement de la tâche pour l’apprenant)
4- revenir ici, à l’Étape 10. compléter vos prévisions d’action en fonction du
déroulement de la tâche pour l’apprenant/Étape 11,
et ce, autant de fois que nécessaire.

Nous entrons ici dans la première étape de la préparation méthodologique, c ’est-


à-dire en fait, la phase de préparation qui consiste à opérer des choix dans les méthodes
pédagogiques à mettre en œuvre dans le cours. Ces types de méthodes dépendent, bien
entendu, de principes méthodologiques explicités ou non (méthode directe, audio-orale,
SGAV, fonctionnelle, communicative), et en sont le reflet. Mais plus précisément, il

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s ’agit ici par exemple d’imaginer le déroulement d’une heure de cours, mieux, de
s ’imaginer en train de faire le cours ; c ’est donc une scénarisation ou écriture d’un script,
comme au théâtre : lorsque vous serez dans la classe de langue, les choses ne se
dérouleront vraisemblablement pas de la façon attendue, mais ce scénario est un « fil
rouge », ou selon les goûts en matière de métaphore, une « colonne vertébrale » ou un
« garde-fou ». En tout état de cause, il est le témoin de ce qu’en phase pré-active vous
pensiez de vos apprenants, de vous-même et des contenus pertinents à délivrer ; les
écarts qui ne manqueront pas de se produire dans la réalité vont vous permettre, en phase
post-active, de réévaluer vos représentations, objectivées par cette préparation
méthodologique. A cette étape, cinq types de commentaires ou rappels théoriques seront
proposés. Puisqu’il s’agit d ’activités que vous, en tant qu’enseignant, voulez effectuer,
on situera d ans un p re m ie r tem ps ces activités dans une perspective vygostkienne :
l ’enseignant est un partenaire dans le développement cognitif de l’apprenant, et opère
une médiation sociale entre ce dernier et le savoir. En outre, cette médiation prenant la
forme d’une tutelle vis-à-vis de l ’apprenant, Bruner définit les fonctions d’étayage que
déploie le tuteur dans l’interaction visant l ’acquisition des connaissances. D ans un
se co n d tem ps, plus spécifiquement, on évoquera l ’une des tâches qui incombe à
l’enseignant, et par laquelle sont structurées les activités entrant dans le scénario d ’un
cours, celle qui consiste à répartir le contenu des connaissances, en d ’autres termes, la
conception de la progression. D a n s un troisièm e tem ps, comme tout enseignement se
déroule dans le cadre d ’une communication didactique, on tentera de cerner trois
questions propres à l ’interaction en classe de langue qui se posent à l’enseignant dans
cette phase pré-active : quel est le rôle de l ’interaction en classe de langue - objet ou
outil ? doit-on utiliser la langue maternelle lorsqu’on la possède ? enfin, qu’en est-il de
l ’utilisation de la consigne ? D ans un quatrièm e tem p s , la grammaire étant une des
spécificités de la classe de langue et étant transversale à toute activité pédagogique,
quelle position adopter : expliciter ou non ? Enfin, dans un d ern ier tem ps, quelles
conséquences peut-on tirer de ces différents éclairages en ce qui concerne le rôle de
l’enseignant ?

Actes et consignes enseignants : rôle dans le développement (Vygostki) et


l’interaction de tutelle (Bruner)

Les actes des enseignants au sein d ’une classe peuvent être considérés, si l’on
adopte la vision de L. Vygostki, comme des médiations entre le monde - en langue, des
connaissances culturelles et linguistiques - et les apprenants. A. Rivière (1990: 94)
rappelle que pour Vygostki « l’humanisation se réalise dans des contextes interactifs
dans lesquels les personnes qui entourent l’enfant ne sont pas des objets passifs ou de
simples juges de son développement, mais des compagnons actifs qui guident, planifient,
régulent, déterminent, etc. le comportement de l ’enfant. Ce sont des agents du
développement ». Vygostki qualifie de « niveau proximal de développement »
l’ensemble des activités que l’enfant est capable de réaliser avec l ’aide, la collaboration
ou le guidage d’autres personnes. Il différencie le « niveau proximal du développement »
du « niveau actuel du développement » lequel correspond à des cycles évolutifs menés à
terme et qui se définit par l’ensemble des activités que l’enfant est capable d’effectuer
par lui-même sans le guidage et l’aide d’autres personnes. À partir de ces définitions se
situe le concept vygosktien de zo n e p ro x im a le du développem ent : « ce n ’est pas autre
chose - dit-il - que la distance entre le niveau actuel du développement, déterminé par la
capacité de résoudre indépendamment un problème, et le niveau proximal du

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développement déterminé par la capacité de résoudre un problème sous le guidage d ’un


adulte ou en collaboration avec un autre compagnon plus capable » (Vygostki,
1934/1985 : 289). On considérera avec Rivière, (1990 : 94) qu’à la différence du niveau
actuel du développement qui ne permet qu’une caractérisation rétrospective du
développement, ce concept rend possible une définition p ro sp e c tiv e de ce dernier, et son
importance pratique est ainsi plus grande, parce qu’entre autres, elle implique l’activité
de celui qui guide l ’apprenant. La prise en compte d ’une différence entre ce que l’élève
ou l’étudiant peut faire seul et ce qu’il peut faire accompagné est à la source de
nombreuses possibilités d ’actions de la part de l ’enseignant, et partant, de pratiques à
développer et analyser. (Voir aussi Etapes 8 - objectifs, 9 - prérequis, 11 - déroulement
prévu de la tâche par l’apprenant, 15 - déroulement réel de la tâche pour l’apprenant).
Parmi ces possibilités d’actions, Bruner désigne certaines d ’entre elles d ’interaction de
tutelle c ’est-à-dire l’interaction par laquelle un adulte ou un « spécialiste » vient en aide
à quelqu’un qui est moins adulte ou spécialiste que lui (Bruner, 1983 : 261).
L’intervention d’un «tuteur» «comprend une sorte de processus d’étayage qui rend
l ’enfant ou le novice capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche ou
d ’atteindre un but qui auraient été, sans cette assistance, au delà de ses possibilités»
(1983 : 263). Ce que nous vous proposons ici, après que vous aurez imaginé vos
interventions ainsi que la forme des consignes que vous envisagez, est de repérer dans
celles-ci à quels types d’étayage, selon Bruner, vous avez recours. Ces fonctions
d’étayage sont au nombre de six (les citations de Bruner renvoient toujours à 1983 : 277­
2 7 9 ): '
1. L ’enrôlem ent - « La première tâche évidente du tuteur est d’engager l’intérêt et
l’adhésion du « chercheur » envers les exigences de la tâche ».
2. La réduction des degrés de liberté - « Cela implique une simplification de la
tâche par réduction du nombre des actes constitutifs requis pour atteindre la
solution. »
3. L e m aintien de l ’orientation - « les débutants s ’attardent et rétrogradent vers
d’autres buts, étant donné les limites de leurs intérêts et de leurs capacités. Le
tuteur a pour charge de les maintenir à la poursuite d’un objectif défini. Cela
comprend pour une part le fait de maintenir l’enfant « dans le champ » et pour
une autre part, le déploiement d ’entrain et de sympathie pour maintenir sa
motivation. [...] Le tuteur efficace maintient l ’orientation également en faisant
que cela vaille la peine pour le débutant de risquer un pas de plus ».
4. L a signalisation des caractéristiques d éterm in a n tes - « Un tuteur signale ou
souligne par de multiples moyens les caractéristiques de la tâche qui sont
pertinentes pour son exécution. Le fait de les signaler procure une information
sur l’écart entre ce que l’enfant a produit et ce que lui-même aurait considéré
comme une production correcte ».
5. L e co n trô le d e la fru stra tio n - « Il devrait y avoir une maxime du genre :
« La résolution de p ro b lè m e d evra it être m oins p érilleu se ou éprouvante avec
un tuteur que sa n s lui » ; que cela soit obtenu en « sauvant la face » pour les
erreurs commises ou en exploitant le « souhait de faire plaisir » de celui qui
apprend ou en utilisant d ’autres moyens n’a qu’une importance mineure. Le
risque majeur est de créer une trop grande dépendance à l’égard du tuteur ».
6. L a dém onstration - « La démonstration ou « présentation de modèles » de
solutions pour une tâche, si l’on observe attentivement, exige
considérablement plus que la simple exécution en présence de l ’élève. Elle
comporte souvent une « stylisation » de l’action qui doit être exécutée et peut

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comprendre Pachèvement ou même la justification d ’une solution déjà


partiellement exécutée par l ’élève lui-même. En ce sens, le tuteur « imite »
sous une forme stylisée un essai de solution tenté par l’élève (ou considéré
comme tel) dans l’espoir que le débutant va alors 1’« imiter » en retour sous
une forme mieux appropriée.

Dans la même perspective, Feuerstein, professeur à l’Université de Bar-Illel à


Jérusalem, a développé sa théorie de la médiation durant une période allant de 1950 à
1963, au cours de laquelle, examinant des enfants d’origine juive, hébergés dans des
camps en France et les préparant pour leur émigration vers Israël, il constate des troubles
massifs du fonctionnement intellectuel et académique. Dans le même temps, travaillant
avec l’école piagétienne de Genève, il constate de grandes différences de performance
avec les enfants de Genève sur des tâches cognitives de type piagétien ou du type de
celles construites par A. Rey (d’après F. Ruph, 1996: 21). Afin de remédier à ces
fonctions cognitives déficientes, Feuerstein développe alors un programme
d ’expériences d ’a p p ren tissa g e m éd ia tisé , demandant la médiation d ’un tiers ; cette
interaction dans l ’apprentissage est pour lui responsable de deux phénomènes majeurs :
la modifiabilité et la diversité - « l’être humain modifie et diversifie sa structure
cognitive d ’une façon radicale qui affectera sa capacité d ’apprendre et de s ’adapter à des
situations plus complexes et peu familières » (Feuerstein in Ruph 1996 : 23). Parmi les
douze paramètres que l ’auteur inventorie comme favorisant l’apprentissage médiatisé,
cinq d ’entre eux seront évoqués ici, d ’une part à cause de la similitude de certains avec
les fonctions d’étayage de Bruner, d ’autre part, parce qu’ils concernent non seulement
une interaction destinée, comme dans le cas des apprenants de Feuerstein, à remédier à
des déficiences cognitives, ce qui n ’est pas nécessairement le cas des apprenants de
FLE/S (!), mais tout type d’interaction d’ordre pédagogique (les citations de R. Feurstein
sont toujours tirées de Ruph) (1996 : 24).
1. In tentionnalité et récip ro cité
(Ce paramètre est proche de la fonction d ’étayage «enrôlem ent» chez
Bruner.) « Le contenu de l ’interaction [...] est façonné par Y intention de
transmettre à l ’autre non seulement le stim u lu s particulier, l ’activité ou la
relation, mais aussi de partager cette intention avec son récipiendaire. « Je
veux q u e tu vois c e ci ; alors j e le fa is p lu s g ro s ». « J e veux que vous
en tendiez ce q u e j e dis ; a lo rs j e le dis fo rte m e n t ». « J e veux qu e vous voyiez
l ’o rdre d a n s leq u el les événem ents se déroulent, a lors j e rép ète m es p e n sé e s
p lu sie u rs fo is ». La réciprocité est un moyen pour transformer une intention
implicite en un acte explicite, volontaire et conscient [...d e la part de
l’apprenant...].
2. Transcendance
Aller au delà des buts de l’interaction. Faire qu’un individu acquière une
habileté ou le rendre compétent dans un domaine de connaissance est le but de
l ’interaction entre [...] le professeur et l’élève. L’intention de faire en sorte
qu’il se sente compétent, cependant, transcende clairement le but immédiat de
l ’habileté ou de l ’acquisition de la compétence. [...] La médiation de la
transcendance transforme le but immédiat en élargissant son horizon de telle
façon qu’il inclut des buts plus lointains ».
3. M édiation du se n tim e n t de com pétence
« la compétence n’implique pas nécessairement un sentiment de compétence
[...], la production de ce sentiment requiert l ’intervention d’un médiateur

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humain qui interprète la maîtrise et la compétence et les transforme en


conscience et sentiment de compétence ».
4. M édiation d e la régulation et du co n trô le du co m portem ent
« La médiation de la régulation du comportement crée la souplesse et la
plasticité nécessaires pour transformer l’individu relativement à l’inhibition
comme à l ’initiation. Elle accélère le comportement en orientant l’individu
vers l’autoréflexion, elle fournit le fe e d -b a c k nécessaire aux décisions
portant sur la pertinence ou la non-pertinence de certains comportements, le
moment opportun, le rythme et l’adaptation à une situation particulière. La
médiation de la régulation du comportement met l ’emphase sur la création
des éléments cognitifs prérequis qui, avec le support d’une auto-réflexion
métacognitive, crée la tendance à adopter un mode raisonné d’adaptation ».
Et à l ’inverse, l’auteur donne comme exemple : « l’enseignant qui est
principalement concerné par le « produit » de son étudiant encourage très
peu le contrôle cognitif du comportement. Il montre trop souvent des signes
d’impatience avec les processus de « pensée », qu’il considère comme des
signes d ’un manque de maîtrise chez l ’enfant qui manifeste une hésitation à
répondre immédiatement à un défi d’apprentissage ; l’enseignant passe alors
la parole à un répondant plus efficient. Cela désavantage et frustre l’individu
plus « réfléchi ». Le comportement impulsif, incontrôlé devient alors la
norme dans la classe ».
5. M édiation de la recherche, de lafixa tio n et de l ’atteinte de buts « le fait, pour un
individu, de rechercher un but et de s ’efforcer de l’atteindre nécessite
l’élargissement de sa sphère d’expérience en l’amenant à entrer dans un monde
qui est au delà de la réalité sensorielle immédiate. [...] Le résultat d’une vie sans
but se manifeste par [...] une incapacité à différer un comportement impulsif au
profit de l’atteinte d’un but plus lointain d’une plus haute priorité ».

Ces deux derniers critères de médiation sont proches des deux fonctions
d’étayages chez Bruner que sont la réduction des degrés de liberté et le maintien de
l’orientation, par la fixation de buts atteignables et consciemment posés. Quittant ces
réflexions pédagogiques à portée générale et revenant à présent dans le cadre précis de la
didactique du FLE, un des premiers actes de l ’enseignant en phase préactive est de
rép a rtir les contenus d e co n n a issa n ce dans le temps, et par suite, d ’envisager plus en
détail ses interventions dans le cours.

Répartition des contenus/Progression

Moirand (1990 : 53) préfère éviter le terme de « programmation », qu’elle juge


« trop technocratique et un peu prétentieux », et réserve le terme de progression aux
seuls apprenants. Cependant, et parce qu’on ne peut tout introduire à la fois, une
répartition des contenus est en effet inévitable, qui provient du processus de
« compression » (voir Etape 5 - type de tâche). Pour Moirand, il semble vain de trop
affiner une répartition des unités minimales des contenus d’enseignement sans s ’appuyer
sur la progression des apprenants. En revanche, on peut envisager des répartitions de
« macro-unités d’enseignement » :
• « des répartitions situationnelles : soit en proposant des événements de
communication où dans un premier temps, toutes les interactions sont
« prévisibles » avant d’envisager des interactions non prévisibles [ ,..] ;

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• des répartitions discursives : soit on tient compte, à partir d ’une analyse en


niveau d’unités communicatives (événement, transaction, échange, acte), d’un
allongement des différents « moments » : de plus en plus d’actes dans les
échanges, de plus en plus d’échanges dans l’ouverture, de plus en plus de
transaction dans un événement ; soit on tient compte, à partir d’une analyse
sociologique, des conditions de production des discours dans le champ du
domaine considéré afin d’envisager une répartition « représentative »,
répartition que l ’on combinera aux données d ’analyse linguistique sur les types
de discours : partir du descriptif, puis du narratif avant d’aborder l’argumentatif,
le critique, le polémique intégré au descriptif et/ou au narratif
• des répartitions p é d a g o g iq u es : proposer aux apprenants sur le même type de
document, des tâches de plus en plus complexes, impliquant des activités de
plus en plus diversifiées, etc. »

Pour l ’auteur, les trois types de répartitions, situationnelles, discursives et


pédagogiques, pourront bien entendu se combiner et être toujours remises en cause par la
progression des apprenants, si on les effectue a p rio ri. Moirand (1990 : 57) souligne que
« l’objectif de l’enseignant est d’abord de favoriser une exposition des apprenants à un
maximum d ’échantillons de langue étrangère, ensuite de les aider à structurer ces
données en leur proposant des tâches mettant en jeu des activités faisant appel aux
opérations linguistiques et cognitives diversifiées, enfin d ’évaluer et de leur faire évaluer
leur compétence de communication par comparaison de leurs propres productions avec
les échantillons présentés, avec des productions de natifs ou d’autres apprenants et avec
leurs productions antérieures ». Pour ce faire, elle distingue, dans les actions
enseignantes, celles qui relèvent de :
• m acro-stratégies relevant d ’une méthodologie globale d ’enseignement :
méthodologie audio-visuelle, etc.
• m icro -stra tég ies cherchant à organiser des procédures d’enseignement/
apprentissage permettant la production d’énoncés en communication :
• le travail en groupe;
• les techniques de créativité ;
•les techniques de simulation et de jeux de rôles ;
• les méthodes actives [...enquête, journal ] ;
• travail individuel autogéré.
• exercices (en fait, tout dans une classe de langue est exercice, destiné à ce
que les apprenants exercent leur compétence de communication en langue
étrangère ou un aspect de cette compétence), dans lesquels les stratégies
précédentes vont se matérialiser : par exemple, lors d’activités de
compréhension, des exercices de repérage mettant en jeu des opérations
d’identification, de catégorisation ; des exercices de recomposition (d’images,
de textes, de dialogues ou de grilles à remplir) mettant en jeu des opérations de
classement, de hiérarchisation ; des exercices « lacunaires » (lacunes à remplir
dans un texte, sur un graphique, une image) mettant en jeu des opérations de
mise en relation ; lors d’activités de production, des exercices
« pragmalinguistiques », mettant en jeu des opérations d’énonciation et des
règles inter-actionnelles ; des exercices de narration mettant en jeu des
opérations de repérage dans le temps et l’espace ; des exercices de description
(d’images, de graphiques, etc.) mettant en jeu des opérations de détermination,

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de hiérarchisation, de qualification ; des exercices de contraction mettant en jeu


des opérations de regroupement (Moirand 1990 : 58).

Cuq et Gruca (2002 : 189) relèvent par ailleurs que la progression de


l’enseignement/apprentissage, animée, sinon décidée, par l ’enseignant est aujourd’hui
p o lyc e n tré e : soit sur la matière enseignée, soit sur l ’enseignant, soit sur l ’instrument
éducatif, soit sur la méthode, soit sur l’objectif à évaluer. Cette polycentration est bien ce
qui sous-tend la structuration de la préparation didactique et méthodologique qui sont
proposées ici. Quoi qu’il en soit, dans la progression peuvent être intégrées diverses
tâches de l’enseignant, telles que celles-ci (Kramsch, 1991 : 64, 67) :
• « Tâches écologiques, qui consistent en la création d’un milieu écologique
favorable, incluant une réflexion préactive sur les caractéristiques du groupe
cible, des décisions à long terme sur l ’arrangement topographique de la classe
et des élèves, sur le sujet à enseigner, le matériel et les activités, les consignes,
les règles didactiques et administratives ;
• Tâches didactiques, qui affectent directement l ’activité cognitive et affective
des apprenants. Elles consistent par exemple à faire connaître aux apprenants
les objectifs de l’apprentissage, à leur présenter l’information et le matériel, à
les leur faire apprendre, à en contrôler l’apprentissage et à informer les
apprenants de leurs progrès. Ces décisions sont prises à court terme, au niveau
préactif et interactif.
• Tâches administratives, qui assurent le bon comportement des apprenants.
Elles consistent à établir les règles de discipline, à maintenir le courant
d’activité et à intervenir dans les cas de mauvaises conduites. Ces tâches
portant sur le comportement manifeste des apprenants, les décisions sont
prises ici au niveau interactif. »

La répartition des contenus étant envisagée, l’anticipation des interactions


communicatives lors de la classe elle-même amène à se poser quelques questions, dont
les suivantes.

L’interaction en classe : outil ou objet ? quel usage faire de la LM ? quel est


l’impact de la consigne ?

L’appropriation de la L2 se fait dans une interaction, qu’elle soit «naturelle» ou


« institutionnelle ». Quel que soit le cadre, il y a interaction, il y a interlocution. On a donc
besoin de décrire l ’activité langagière d ’apprentissage afin de la comprendre.

L’interaction en classe : outil ou objet ?


Cet objet, l’activité langagière, est étudié par nombre de disciplines, des Sciences
du Langage à l ’ethnologie, en passant entre autres par la sociologie, la philosophie du
langage, la psychologie, etc. De ces études, et pour ne prendre que la partie qui nous
intéresse, la partie didactique des langues, on peut faire découler deux catégories
d’utilisation pour l’enseignement : les connaissances que le didacticien a de l’activité
langagière dans la langue-cible peuvent être enseignées aux apprenants, afin qu’ils
s ’approprient, à terme, les rituels sociolangagiers propres à cette langue. Ce fut
l’entreprise du N iveau Seuil, à partir duquel de nombreux manuels furent conçus, autour
notamment de la notion d ’actes de langage. Ce n ’est pas cette utilisation didactique qui
nous intéresse ici. Le savoir sur l ’interaction langagière est alors un contenu

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d ’en seig n em en t (autrement dit, il structure un contenu d’enseignement). Ensuite, les


connaissances que le didacticien a de l ’activité langagière lui permettent de comprendre
ce qui se passe dans les interactions en classe de langue, et il aménage sa classe en
fonction d’une part des interactions réelles et d’autre part, de ce que les savoirs qu’il
possède lui disent. Le savoir sur l’interaction est alors un outil d e p rép a ra tio n et
d ’a n a lyse de séq u en ce pédagogique. C’est sous cet angle que nous considérerons donc le
concept d ’activité langagière apprenante. Il nous semble important pour l ’enseignant de
distinguer à quelle finalité il destine sa connaissance des interactions langagières : s ’agit-
il d’un contenu, ou s ’agit-il d ’un outil d’animation? L ’un n ’excluant pas l’autre, à
condition justement d’identifier la fonction que le savoir sur l’interaction doit remplir
dans ses choix pédagogiques.

Situation et stratégies de communication


Moirand (1990 : 33-34) souligne que si les théories linguistiques sur l ’interaction
(Austin et Searle, puis Hymes et Goffman, Grice, Ducrot, Flahault, Récanati) permettent
de décrire celle-ci de façon décontextualisée, elles sont encore relativement peu
appliquées pour expliquer les stra tég ies de com m unication des apprenants, et partant, la
compréhension par l’enseignant de l’impact de ses interventions en classe. Cependant,
l’importance de la prise de conscience de la spécificité des différentes situations de
communication à la fois par l ’enseignant et par l’apprenant est un facteur essentiel de
l’apprentissage de la langue. Ainsi, Gaonac’h souligne les aspect « structuraux » du
langage (1991 : 78), c ’est-à-dire les différents aspects linguistiques, mais aussi
paralinguistiques, la situation d’interlocution et la situation spatio-temporelle dans
laquelle s ’insère cette activité. « La prise en compte de la ‘globalité’ des activités de
langage ne se fait donc pas uniquement au niveau formel des structures linguistiques
proprement dites, mais aussi par la globalisation des acquisitions relatives à l ’ensemble
des conduites reliées au langage». Concernant alors l’acquisition des com pétences de
com m u n ication chez l’adulte, Gaonac’h (ibid. : 183) signale les facteurs impliqués :
« Le réseau d ’interaction au sein duquel on est impliqué, le type d’activité de
langage auquel on participe, la structure locale du discours (cohérence obligée
des phrases proches), les variations socio-linguistiques (liées au bilinguisme, à
la présence de dialectes ou de registres de langue), l’existence d’attitudes
prescriptives par rapport au langage... Le défaut d’observation de certaines de
ces contraintes conduit à des difficultés de communication, à la rupture de
celle-ci, ou aussi fréquemment à des situations sociales négatives : beaucoup
d’étrangers paraissent « impolis » du fait de la non-maîtrise des compétences
de ce type ».

En conclusion, l’auteur tire un certain nombre d’enseignements : « l ’acquisition


des compétences de communication suppose une maîtrise minimale du code linguistique.
Mais celle-ci ne peut être considérée comme suffisante : à compétence linguistique
égale, la compétence communicative peut présenter des variations importantes. Une
relation existe cependant entre les deux : la corrélation est plus forte quand la
compétence linguistique augmente, et la maîtrise du code linguistique en L2 favorise le
transfert de la compétence communicative de la L1 à la L2, et de manière générale,
l’acquisition des compétences communicatives en L2. ». En outre, il lui semble que
l’existence d’une relation fonctionnelle entre « communicatif » et code linguistique soit
un facteur déterminant d ’une acquisition efficace de l’un et l’autre de ces aspects. Et
notamment, il souligne l’importance de certaines compétences, qui nous semblent

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pouvoir être développées par l’enseignant dans l’interaction: «Certaines conditions


favorisent sans doute l’acquisition interdépendante des aspects structuraux et
communicatifs de la langue : compétence métacognitive et métalinguistique, attitude par
rapport au langage, matériau pédagogique». Ceci demande donc à l’enseignant
d ’orienter son intervention dans le sens qui favorise la mobilisation de ces compétences,
par exemple dans le guidage d’exercices de conceptualisation. Plus globalement,
Gaonac’h a cette formule :
« On n ’apprend pas une langue, mais des situations de langage : la variété des
activités de langage conduit à la mise en œuvre d’une variété de compétences.
L’efficacité des différents aspects de la compétence de communication n ’est
pas liée de manière absolue à une compétence abstraite, mais dépend
largement des conditions dans lesquelles ils doivent être mobilisés, et tout
particulièrement des objectifs visés dans le comportement global qui fait appel
à eux. L ’analyse précise des tâches en L2 et de leurs contraintes
psycholinguistiques doit constituer un objectif primordial de la recherche.
Analyser, du point de vue cognitif des tâches comme la traduction simultanée
ou consécutive, la compréhension orale ou écrite, la transcription, etc., doit
permettre de mieux comprendre le rôle des composantes de la compétence de
communication et leurs interrelations » {op. ait. 201),

Il nous paraît important de souligner encore une fois le rôle de l’enseignant


dans la préparation didactique, c ’est-à-dire dans l ’analyse des tâches qu’il donne à
faire aux apprenants (voir étape 5), avec les implications qui en découlent pour ses
actions et consignes sur le processus cognitif des apprenants, processus mobilisés par
leurs compétences de communication.

Conversation endolingue et scripts


D ’autres paramètres sont mis en lumière à travers le m o d èle tra d itio n n el de la
co m m u n ica tio n , celui de la théorie de l’information, (avec un émetteur, un récepteur, un
canal, un code et un message dans un contexte) par Alber et Py (1986 : 79). Les auteurs
soulignent les particularités de la communication exolingue, où, pour que le code défini
remplisse sa fonction, il doit répondre au moins à trois conditions :
(a) il est également maîtrisé par chacun des deux interlocuteurs ;
(b) chaque interlocuteur est conscient de cette double maîtrise : il sait que l’autre
utilise effectivement le même code que lui et compte sur cette utilisation ;
(c) le code préexiste entièrement à l’instance communicative qu’il rend possible.

Or, il apparaît cependant qu’aucune de ces conditions n’est en principe satisfaite


dans une conversation entre un alloglotte et un natif. Le cas de la condition (a) est
évident: l ’alloglotte s ’appuie sur une interlangue, et non sur la langue du natif elle-
même. Poursuivant, les auteurs développent alors les comportements des interlocuteurs
pour se comprendre, nous fournissant ainsi un éventail des activités que les apprenants et
les enseignants effectuent pour se comprendre dans l’interaction. Les auteurs estiment
que « la condition (b) constitue une spécification possible du principe de Grice selon
laquelle une interaction (conversationnelle ou non) n ’est possible que si chaque
participant a la conviction que l’autre est disposé à coopérer. Or, cette conviction
implique notamment l’assurance et le postulat que l’autre va bien utiliser le même code
et ne donnera pas aux mots, par exemple, un sens différent et inattendu [ce que les
auteurs appellent le néocodage] ». La conviction de la possibilité de coopération se

181
180

manifeste de manière particulièrement visible dans le parler bilingue : le locuteur, en


procédant à des emprunts ou à des calques, affiche sa propre compétence bilingue et en
attribue ipso fa c to une identique à son interlocuteur : ces deux actes sont inséparables
pour autant qu’il y ait bien coopération. Pour les auteurs, la satisfaction des conditions
(a), (b) et (c) représente une situation idéale qui n ’est probablement pas réalisable
lorsque le code est une langue naturelle et, de plus, ils considèrent qu’il n’y a pas de
conversation effectivement endolingue [note : pour atteindre réellement le pôle
endolingue, il faut sortir des langues naturelles ; la communication homme/machine est
vraiment endolingue]. Comme une conversation purement exolingue n ’est guère
concevable, Alber et Py situent toute conversation quelque part le long d’un axe qui joint
les deux pôles idéaux endolingue et exolingue :

en d olin gu e ^ ^ ex o lin g u e

11 semble que des déplacements le long d’un axe endolingue/exolingue se


produisent parfois au cours d ’une même conversation. Si l’on adopte ces réflexions en
tant qu’enseignant qui se prépare à l’interaction en imaginant comment intervenir, alors
il est nécessaire d’accepter les erreurs, tâtonnements qui se produiront nécessairement au
cours de cette conversation didactique. Faisant appel aux études des
ethnométhodologues, les auteurs rappellent alors l’existence de sc én a rio s , sortes de
schèmes qui orientent les pratiques communicatives des acteurs sociaux et qui sont aussi
synomymes de scripts. Les chercheurs (R. C. Schank et R. P. Abelson, in Bloch e t al.
1997), dans un travail consacré à la simulation sur ordinateur de la compréhension du
langage, tentent de rendre compte de la façon dont un individu parvient à comprendre,
sans difficulté apparente, des textes dont le caractère principal est d ’être elliptique. Le
sc rip t est un groupement, ordonné dans la mémoire, d ’informations correspondant à une
suite stéréotypée d’actions se manifestant dans une situation bien connue : cette suite
d’actions est appropriée aux seules situations bien apprises et comprises, exécutée quasi
automatiquement, et repose sur une économie de traitement cognitif qui permet
l’activation, la récupération et le guidage avec un minimum d’efforts de temps et/ou
d’investissement attentionnel. Il existerait des « protoscripts » (scrip ts génériques ou
prototypiques) composés à partir de séries de traits communs à une classe donnée de
contextes, et qui permettraient de déclencher et de guider les séquences d ’actions
adaptées à un contexte. Par exemple le sc rip t participe à la conduite d’interactions
dialogiques, par la référence qu’il fournit de classes de situation à tout locuteur dans une
interaction pour s’y situer. Mais Alber et Py précisent que l’existence de scénarios ne
garantit pas le succès de la communication dans la mesure où plus d’une définition existe
pour chaque situation, notamment en fonction des rôles et des statuts, et que l’incertitude
des partenaires relative aux attentes réciproques étant plus grande dans les échanges
interculturels, « bricolage interactif et improvisation conjoncturelle » jouent alors un rôle
capital dans la communication. Par ailleurs, cette incertitude est très souvent comblée par
des stéréotypes et des représentations toutes faites qui font écran à un ajustement
véritable des interactants et conduit plutôt à des formes de juxtapositions fondées sur des
présupposés respectifs. Si on pratique une micro-analyse de la conversation exolingue,
elle se caractérise essentiellement par un partage inégal du code communicatif utilisé
dans l’interaction, c ’est-à-dire une asymétrie entre les interlocuteurs : sentiment
d’infériorité/supériorité, d’indifférence, de mépris, d’attention excessive allant jusqu’à la
perte de sa propre assurance linguistique (Alber et Py, 1986 : 82-83). C’est alors que les
auteurs proposent de considérer les activités collectives de production du sens et, par

182
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conséquent, une bonne partie de l’activité de l’apprenant tout autant que de l’enseignant :
« Nous postulerons que la réussite communicative en situation d’asymétrie linguistique
dépend donc d ’un travail accru d’intelligibilisation fondé sur la coopération des
interlocuteurs, accompagné d’une répartition fonctionnelle des tâches entre le partenaire
linguistiquement fort et le partenaire linguistiquement faible ». Examinant les processus
utilisés par les interlocuteurs, Alber et Py rappellent le rôle de la sim plification pour se
comprendre, et préfèrent globaliser les processus d’ajustement réciproques par la notion
de fa c ilita tio n (reformulation par exemple, balayage paradigmatique) et ce, sous deux
formes : l’a u tofacilitation « consiste à se faciliter à soi-même le travail de verbalisation
ou, plus généralement, la participation à une conversation » ; l'h étéro fa cilita tio n , elle, a
pour fonction de faciliter ce travail à l’interlocuteur.
Dans cet esprit de coopération, Kramsch (1991 : 84-85), citant Tarone, considère
les stratégies de communication comme l ’effort mutuel de deux interlocuteurs pour
s ’accorder sur une signification dans les situations où les structures sémantiques
nécessaires ne semblent pas être partagées. Les conditions qui rendent ces stratégies
possibles sont les suivantes :
• le locuteur désire communiquer une signification X à un auditeur ;
• le locuteur pense que la structure linguistique ou sociolinguistique requise
pour communiquer cette signification ne lui est pas accessible ou n ’est pas
partagée avec l’auditeur ;
• le locuteur décide d’éviter le problème (c ’est-à-dire communiquer la
signification X) ou d’essayer de communiquer X par d ’autres moyens. Le
locuteur cesse de chercher des alternatives lorsqu’il devient clair que sa
signification est partagée.

Les alternatives offertes au locuteur sont, par exemple :


• Paraphrase, c ’est-à-dire approximation, invention de mots nouveaux,
circonlocution ;
• Emprunts : traduction, co d e-sw itch in g ou insertion d ’éléments de la langue
maternelle, adaptation d’un mot de langue maternelle à la langue étrangère,
requête d ’assistance, mime ;
• Evitement. Le locuteur évite de parler de choses pour lesquelles il ne connaît
pas les structures linguistiques, soit en gardant le silence, soit en changeant de
sujet. Un apprenant, par exemple, s ’abstiendra de parler de problèmes de
pollution s ’il a de la difficulté à prononcer les « r » et les « 1 », ou bien il ne
parlera pas de ce qui lui est arrivé hier s ’il n ’est pas sûr des formes du passé
composé. Le locuteur peut aussi éviter certaines formes grammaticales en
utilisant des formes apparentées.

S ’ajoutant à ces stratégies interactionnelles dans la classe, et considérant que leur


mobilisation constitue un exercice, faisant de l ’interaction un outil de formation, on peut
alors se demander le statut de la langue maternelle au cours de ces échanges.

Utilisation de la langue maternelle


Qu’elle soit utilisée par l’enseignant, lorsqu’il le peut, ou par les apprenants, il est
intéressant de parcourir les différentes raisons pour lesquelles cette LM est mobilisée.
Pour Kramsch (1991 : 72-74 ; voir aussi Puren, Bertocchini, Costanzo, 1998 : 73), il y a
des utilisations « protestataires » de la LM, et d ’autres « positives » :

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1 - L’interaction en langue étrangère est conçue comme un exercice purement


formel. Le dialogue enseignants-apprenants a pour but unique l’exercice de
certaines structures grammaticales ou lexicales. Par contraste, la langue
maternelle est perçue comme véhicule de tout ce qui est communication
véritable ou message important. Pour l ’enseignant : remarques tactiques,
explications de grammaire ou informations culturelles, maintien de la
discipline, organisation du cours, digressions, apartés. Pour les élèves :
demandes de précision, complaintes, requêtes, communications à voix basse.
2 - L’interaction est traitée comme « une séance de répétition où les acteurs
apprennent un rôle d’après un scénario écrit à l’avance dans la langue-cible
pour une représentation ultérieure donnée à un autre moment en un autre
lieu ». Dès que les acteurs redeviennent eux-mêmes, le langage authentique
redevient la langue maternelle.
3 - L’interaction est considérée par les élèves comme un exercice d’autorité
établissant la supériorité du professeur sur les élèves. Cette supériorité
s ’exprime par la maîtrise de la langue étrangère et le contrôle thématique et
procédural du discours scolaire. Placés dans un état de perpétuelle infériorité
linguistique et d’impuissance discursive vis-à-vis du maître, les élèves
utilisent leur langue maternelle pour contrebalancer l’autorité perçue du
discours étranger qui leur est imposé.
4 - L’interaction est vue comme l’obligation d’adopter un comportement
étranger. Les apprenants doivent se défaire pour un temps d’une identité qui
leur est familière pour en endosser une qui leur semble étrange et qui risque
de les rendre étrangers à eux-mêmes. Ils cherchent donc à s ’en distancier en
utilisant leur propre langue, surtout dans les apartés avec leurs pairs. Ce
comportement schismatique se retrouve dans toutes les pédagogies centrées
sur l ’enseignant ou perçues comme telles par les apprenants. Il prend la forme
soit du bavardage en langue maternelle (chuchotement, apartés), ou du refus
de répondre en langue étrangère, soit du mutisme et de l’absence de
participation.

À côté de cet usage protestataire, on trouve cependant des utilisations positives de


la langue maternelle :
1 - Quand l ’interaction est perçue comme une négociation de sens entre les
membres du groupe, les déficiences lexicales sont compensées par des
transferts ou par des emprunts directs à la langue maternelle {« code­
switching »). Ici, l’emploi de la langue maternelle a sa place parmi les
nombreuses stratégies de communication ou de production nécessaires à
l’emploi interactif d’une langue. Ces stratégies sont utilisées aussi bien par les
élèves que le maître désireux de ne pas interrompre le rythme du discours par
de longues explications ou paraphrases en langue étrangère.
2 - L’interaction est ressentie comme interprétation et compréhension mutuelle.
Le message devient si important que la langue maternelle vient remplacer
temporairement la langue étrangère, ressentie comme un obstacle. Ceci peut
arriver dans des discussions échauffées en classe ou dans les continuations de ces
mêmes discussions en dehors de la classe.
3 - L’interaction est comprise comme une construction de discours en
collaboration. L’interaction devenant elle-m ême objet d’observation et de
réflexion pour les participants (maître et élèves), la langue maternelle est

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utilisée comme métalangage pour décrire et analyser les processus interactifs


qui ont contribué à l’élaboration du discours en langue étrangère.

En vue des considérations ci-dessus, Kramsch suggère de reformuler la question :


«quel rôle la langue maternelle doit-elle jouer dans l'apprentissage d ’une langue
étrangère ? » sous la forme : « dans quelle mesure la langue maternelle peut-elle faciliter
l’interaction naturelle en langue étrangère ? ». C’est bien au regard de cette interrogation
que nous avons tenu à mentionner ces différents cas de figure, afin que, dans sa préparation
méthodologique, l’enseignant se demande d’une part à quel cas peut se rattacher ce qui se
passe effectivement aujourd’hui dans sa classe et, d’autre part, comment il souhaite
orienter ses consignes concernant l’utilisation de la LM - compte tenu des contraintes de
son institution : l’autoriser sans condition ; l’autoriser, en régulant ou en instituant un jeu
qui l’autorise selon les moments ; l’interdire totalement, etc. Poursuivant les hypothèses
qui se présentent à vous - enseignant - dans votre préparation méthodologique, comment
allez vous « administrer » les consignes, et plus fondamentalement, qu’est-ce qu’une
consigne en termes d ’acte enseignant ?

Consigne et actes enseignants


On rappellera le caractère injonctif et culturellement marqué de la consigne en
classe, notamment de langue : dans le Larousse (L exis ), c’est un « ordre permanent donné à
quelqu’un et s’appliquant à une situation définie. ». Ses synomymes sont recom m andation
et instruction ; et ce dernier renvoie à un « ordre de service adressé par un supérieur à ses
subordonnés en vue de leur préciser la conduite à tenir », définition par laquelle le
caractère asymétrique de l ’interaction est clairement signalé. En psychologie (Bloch et al.
1997), la consigne est une « explication par laquelle un expérimentateur décrit verbalement
à un sujet le but et les conditions de l’expérience à laquelle il est appelé à participer. La
consigne comporte généralement une triple description de la situation, du comportement
attendu du sujet et des objectifs qui lui sont assignés ». On a donc ici tous les éléments
qu’un enseignant est susceptible de délivrer aux apprenants, en tout ou partie, selon son
choix, traduits dans les objectifs pédagogiques (étape 8) et les exigences de la tâche et du
support (étapes 4 et 5).

N. B. important : retrouvant ici d ’une part la description des conditions de l’activité, la


description de la situation (étapes 4 et 5 en partie), le comportement attendu (étape 11 à
venir), l’enseignant qui nous lit peut se demander si la réflexion qui lui est demandée ne
fait pas double emploi avec des éléments qu’il a déjà formulés auparavant. En réalité, il
est normal de rencontrer un chevauchement des éléments méthodologiques, spécialement
à cette étape, puisqu’elle n’est autre que la scénarisation de la présentation au public des
décisions faites au préalable. En outre, le fait de passer en revue, sous un angle différent
(ici, du point de vue de la communication réelle) des items déjà formulés ne peut
qu’aider à les valider ou à les préciser. De fait, nous sommes ici au cœur de la démarche
proposée, qui, nous le rappelons, est un processus réflexif : tous les paramètres (/. e. les
étapes) peuvent être questionnés au fur et à mesure de l’avancée de la préparation, et
affinés. Pour Cuq et Gruca (2002: 131) la valeur asymétrique et hiérarchisée des
consignes doit être planifiée dans le contrat didactique. C ’est dire à la fois que
l’enseignant a tout intérêt à réfléchir à deux fois en préparant ses consignes et également
à expliciter auprès des apprenants son in ten tio n , comme on l’a signalé précédemment à
propos des « critères de médiation » de Feuerstein. En ce qui concerne la consigne en
tant que problème interculturel, les auteurs soulignent aussi qu’un étudiant étranger en

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184

France doit intégrer une série d’éléments propres à notre culture scolaire tout autant que
l ’enseignant français dans un pays étranger ; pour l’étudiant, il peut arriver qu’il la
reçoive et s ’en croie engagé à titre p e rso n n e l , et non en tant qu’apprenant, d’où parfois
des stratégies de détournement, voire de rejet de la tâche proposée. Nous rejoindrons
alors les auteurs qui proposent, pour éviter ces situations, d’aider les étudiants à prendre
conscience des divers aspects d ’une consigne et de la difficulté d ’en proposer qui soient
convenables, en leur faisant rédiger des consignes. Une autre approche qui, comme la
précédente, dépend de la culture didactique des apprenants, consiste en proposant un
support de leur demander d ’émettre des hypothèses sur le contenu de la consigne qui
l’accompagne. Poursuivant, Cuq et Gruca rappellent la dimension proprement cognitive
de la consigne et citent Beaucourt, pour qui le décodage de la consigne est une opération
complexe qui s ’effectue à trois niveaux « saisie du message, compréhension du but et
estimation des procédures à mettre en œuvre pour l ’effectuation de la tâche». C ’est
pourquoi la rédaction de la consigne devrait être très explicite : « le lexique doit être
précis, la morphosyntaxe simple et permettant d’identifier rapidement, avec le minimum
de doutes, les différentes propositions et informations contenues ». Mais ici encore,
l ’activité de classe qui consiste à découvrir le but de l ’enseignant peut être un objectif en
soi. De ces réflexions apparaît à nouveau la nécessité pour l’enseignant de tenter de
penser ou d’identifier la Zone Proximale de Développement qu’il peut viser pour ses
apprenants, parce que c ’est à partir d’elle qu’il peut définir les mots qui guideront les
apprenants dans l’effectuation de la tâche. De ceci découle un constat quelque peu
paradoxal qui tend à faire de la consigne, ou tout acte de parole directif de l ’enseignant,
avant tout une co ntrainte que lui impose son rôle (Cicurel, 1986 : 104-106) : « Juge de la
parole produite, ch ef de chœur des élèves, tout donne à penser que le professeur possède
un pouvoir discrétionnaire. En réalité, chacun de ses privilèges se double d’une servitude. [...]
Le «maître de la classe» est soumis à un protocole didactique d’une telle ampleur qu’il
pourrait tout aussi bien être qualifié de « serviteur». [...] Les « obligations de service» de
l’enseignant semblent être les suivantes :
• Tout enseignant commence son cours en annonçant ce qu’il va faire
(a u jo u r d ’h ui n ous allons voir, n ous co m m en ço n s u n e n o u velle leçon) ;
• Il balise son discours d’énoncés faisant référence à un savoir acquis comme
s ’il fallait marquer des pauses avant d’aller plus loin, s ’assurer que les troupes
suivent, qu’elles avancent au même pas (vous sa vez déjà, rappelez-vous, nous
avons vu la sem a in e dernière...) ;
• L’enseignant sent la nécessité de récapituler, afin de marquer ce qu’il pense
devoir être su de tous ;
• Il donne une information d’ordre « métapédagogique » en indiquant ce qu’il
est important de retenir, hiérarchisant ainsi les contenus enseignés (ça, vous
d evez le sa vo ir : c ’e st im p o rta n t !) ;
• Il a recours à des procédures de théâtralisation du savoir. Il diffère les
réponses aux questions, fait semblant de ne pas savoir ( j ’ai m al entendu, j e
vous dis qu e j e suis so u rd e).

Cette mise en scène du langage est particulièrement accentuée dans un cours de


langue. Et Cicurel de conclure à ce stade: « le discours pédagogique est une parole
improvisée se moulant dans une forme didactique préexistante constituée par des procédures
d’enseignement comme le rappel de ce qui est connu, l’anticipation sur ce qui va être
reconnu, les récapitulations, etc. ». Ainsi, le recueil et l’analyse de ses propres productions
par l’enseignant peuvent lui permettre de repérer si et comment il manie l’une ou l’autre des

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formes de consignes que l’on vient d’évoquer, voire d’en trouver de nombreuses autres. Dans
une optique d’intelligibilité générale de la consigne, on relèvera les recherches de Rivière
(2002) portant sur la façon dont, en classe d’accueil par exemple, la consigne peut être un
« lieu d’inscription d’une co-construction de la culture éducative ». L’auteur repère en
particulier la structuration thématique et actionnelle de ce qu’elle appelle « l’interaction
prescriptive » : selon les classes ou les publics, il peut être intéressant pour l’enseignant de
repérer quelles alternances interactionnelles se produisent entre lui et les apprenants autour de
l’administration de la consigne (lecture de consigne écrite - consigne source - suivie de
l’indication d’éléments de l’exercice par l’enseignant ; puis de la production attendue par les
apprenants ; d’une reformulation de consigne par l’enseignant ; de l’indication d’une
contrainte par l’enseignant, etc.). L’étude de ces alternances est de nature à mieux cerner la
façon dont les apprenants perçoivent les consignes et aussi à moduler l’administration de
celles-ci en fonction des observations réalisées. Enfin, une autre question que peut se poser
l’enseignant concerne la formulation des règles en matière de grammaire.

Grammaire explicite ou grammaire implicite ?

Le mot g ra m m a ire délimite trois acceptions sensiblement différentes (Besse et


Porquier, 1991 : 11 ) :
1 - un principe d ’organisation interne, propre à une langue donnée, qui est un
quasi-synomyme de la n g u e , (langue maternelle) ;
2 - l ’étude ou la connaissance réflexive des régularités, règles ou normes
caractéristiques d’une langue autrement dit « l’explicitation plus ou moins
méthodique de ce fonctionnement ». Ceci relèverait d’activités métalinguistiques ;
3 - un point de vue particulier sur le savoir grammatical propre à une langue,
une école de pensée particulière, une théorie sur le fonctionnement des
langues : grammaire traditionnelle, grammaire g é n é ra tiv e , grammaire
indienne, autrement dit, la méthode d ’explicitation suivie, et relèverait aussi
d’activité métalinguistique,

La g ra m m a ire dont nous parlons dans ce paragraphe relève des deux dernières
catégories, et la question pédagogique qu’elle soulève est de déterminer si l’on doit
ou non expliciter ces règles et ces savoirs sur la langue. Ce débat repose sur deux
co n cep tio n s de l ’apprentissage de la langue, conceptions à partir desquelles découlent
les deux voies didactiques entre lesquelles opérer un choix pour l’enseignant.

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Deux conceptions de l’apprentissage


Il existe en didactique des langues deux convictions opposées (Besse et Porquier
1991 : 73, 74) : « selon certains didacticiens, l’intériorisation d’une grammaire étrangère
dans une classe peut se faire selon des processus analogues à ceux qui assurent
l ’intériorisation de la grammaire de la langue maternelle, ou encore celle d ’une langue
étrangère acquise par « contact » prolongé avec ceux qui la parlent, d’autres sont
persuadés, au moins en ce qui concerne les adolescents et les adultes, que
l ’intériorisation d ’une grammaire étrangère dans une classe se fait nécessairement selon
des processus différents de ceux qui déterminent l’intériorisation « naturelle » des
grammaires maternelles et étrangères ». Aucune argumentation ou expérimentation
décisive n’est venue, jusqu’à maintenant les départager, parce qu’il n’y a pas encore
aujourd’hui de certitudes quant à la manière dont on acquiert une langue maternelle ou
étrangère. Ces convictions ont conduit à deux projets didactiques divergents : dans le
premier cas, on cherche à reproduire ou à créer en classe des conditions d ’appropriation
aussi proches que possible de celles des langues naturelles. L’imitation, la répétition,
l ’association, la communication, l ’interaction sont les supports de cet apprentissage, et
c ’est une grammaire im plicite qui est mise en place ; dans le second cas, on mise plutôt
sur la réflexion, le raisonnement, la formation intellectuelle, et c ’est une grammaire
exp licite qui est proposée.

Grammaire explicite, induction et déduction


Pour Galisson et Coste (1976), Besse et Porquier (1991), la grammaire explicite
est fondée sur l ’exposé et l ’explication des règles par le professeur, suivis d ’applications
conscientes par les élèves. Il s ’agit de l ’enseignement d’une description grammaticale de
la langue-cible en s ’appuyant expressément sur le modèle métalinguistique qui la
construit, en utilisant le métalangage terminologique sous sa forme originale ou
simplifiée. Ceci implique un apport d ’informations métalinguistiques par le professeur et
suscite une prise de conscience par les étudiants de cette information. L’exposé et
l ’explication peuvent suivre l ’observation et la manipulation des formes étrangères,
donc, la démarche peut être d éd u ctive (de la règle aux exemples qui l ’illustrent), ou
inductive (des exemples à la règle qui a présidé à leur sélection). Les didacticiens
partisans de cette démarche, inductive ou déductive, postulent que l’apprentissage
d ’éléments d’une description grammaticale de la langue-cible favorise ou accélère
l’intériorisation des régularités décrites.

Grammaire implicite, induction et déduction


La grammaire implicite, rappellent les mêmes auteurs, ne demande l ’explicitation
d ’aucune règle et élimine le métalangage, tout en s ’appuyant essentiellement sur une
manipulation systématique d ’énoncés et de formes qui conduit vers la maîtrise d’un
fonctionnement grammatical. L’un des soucis principaux des créateurs de
l’enseignement implicite (les auteurs des premières méthodes audio-orales américaines
structuralistes) a été le choix, l’organisation et la progression de la matière linguistique à
faire acquérir, l’exercice structural étant considéré comme l’exercice-type de cette
démarche’. Ainsi, la pratique guidée de certaines régularités doit conduire l ’étudiant à
induire la règle qui les organise, cette règle pouvant alors être explicitée et l ’on revient à
une grammaire inductive explicite, ou demeurer implicite - grammaire inductive

3Pour les définitions des méthodes structurales, on renverra à Boyer e t al. 1990, Besse 1992, Cuq et Gruca
2002 entre autres.

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implicite, comme dans l’exercice structural. Quoi qu’il en soit, ces méthodes
présupposent ou imposent toujours un certain modèle métalinguistique, même si la
terminologie métalinguistique est censurée. La différence entre Y exp licite et Y im p licite
résiderait alors, selon Candelier, dans le fait que, pour la première, « la règle apparaît
forcément au niveau de la conscience >> des apprenants, alors que pour la seconde « on
ne peut avoir de certitude à ce sujet» puisque la prise de conscience n’est pas
manifestée. C’est donc un des critères dans la préparation méthodologique qui peut être
pris en compte dans le choix ou non d’une explicitation grammaticale.

Pour un « enseignement grammaticalisc du FLE »


Nous rejoindrons ici les propos des didacticiens favorables à l’explicitation, à un
m o m en t d o n n é , de la grammaire, pour des raisons tenant essentiellement aux cultures
pédagogiques d’apprenant. Cuq et Gruca {2002 : 344) considèrent l ’aspect géographique
des choses, et constatent des positions très partagées entre des traditions scolaires et
universitaires d’enseignement des langues {pays de l ’est de l ’Europe, pays germaniques,
pays hispaniques, Chine, Japon...) qui continuent de faire une grande confiance à la
grammaire, et le monde anglo-saxon et le Nord de l’Europe où se trouvent les partisans
les plus farouches de méthodologies dégrammaticalisées : « En France, même si le
discours est généralement favorable à une méthodologie de type communicatif, la réalité
de la classe et des manuels montre des parties beaucoup plus nuancées. [...] De fait,
l’expérience montre que quand la priorité accordée au sens devient un dogme, elle est
source de fossilisation des erreurs les plus courantes, d’où, depuis une dizaine d ’années,
un attrait nouveau pour la form e». Ainsi, selon leur culture pedagogique d ’origine,
certains apprenants ne saisissent pas la finalité grammaticale des exercices structuraux :
ils n ’ont pas l ’impression de faire de la grammaire parce qu’on n ’utilise pas de
terminologie spécialisée dans une démarche de grammaire implicite pure. De nombreux
étudiants, en formation de première année de Master français, ayant voulu tester une
démarche toute communicative dans leurs stages en Europe de l’Est ou en Chine, par
exemple, se sont trouvés confrontés de ce fait à des difficultés et des incompréhensions
de la part de leurs élèves, adultes ou non. De plus, l ’approche implicite/inductive requiert
beaucoup de clarté et de méthode chez le professeur pour être acceptée des apprenants :
qu’une transformation soit faite avec maladresse ou pas assez suivie d ’exemples, que
l’enseignant manque de logique dans un découpage morpho-syntaxique, et l ’élève ne
peut induire la règle qu’il était censé découvrir et intérioriser » {Rivenc-Chiclet dans
Besse et Porquier, 1991 (op. cit. 86), Que ce soit chez Besse et Porquier, qui suggèrent
de donner le plus vite possible aux étudiants les mots, expressions, constructions relevant
de la langue-cible qui leur permettront de parler de celle-ci, c ’est-à-dire la terminologie
métalangagière {entre autres, « parce qu’elle rend possible dans la classe une certaine
« métacommunication » en langue étrangère sur l’objet même d ’enseignement/
apprentissage et sur les interactions que suscitent ces deux processus »), chez Cuq et
Gruca {op. cit, 345) : « quant à nous, notre conception de l ’enseignement guidé en classe
de langue nous fait de longue date plaider non pas pour un enseignement de la
grammaire mais pour un en seig n em en t g ra m m a tica lisé d u F L E , où l’activité
grammaticale joue un rôle important dans la procédure de compression. [...] L’important
pour les élèves c ’est donc de considérer la grammaire comme une sorte d’échafaudage
qui aide à la construction de la compétence linguistique, et non comme un savoir tout
fait, à régurgiter à la demande », ou enfin chez Vigner {2001 : 65, 66) : « les premières
étapes de la maîtrise de la langue se feront donc, avec des publics scolaires de niveau
primaire, par le moyen d’une grammaire im plicite [...] Le passage à un enseignement

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exp licite de la grammaire pourra alors s ’opérer [et elle] sera d’autant plus pertinente
qu’elle s ’adressera à des élèves qui disposent d’une expérience du français plus
longue »), l ’explicitation grammaticale semble être nécessaire, à condition de lier sa
mise en œuvre : d’une part, aux « potentialités métalinguistiques des étudiants auxquels
on s ’adresse » (Besse et Porquier) ; d’autre part, à des objectifs de fonctionnalité vis-à-
vis d’un contexte communicatif donné {Cuq et Gruca) ; enfin, à des exercices de
conceptualisations, permettant de travailler à la fois la correction des erreurs et
l ’argumentation dans la communication didactique. Pour finir, au plan pratique de la
formulation même des éléments grammaticaux, et, partant, de la scénarisation qui nous
occupe dans cette préparation méthodologique, Cicurel signale que la grande diversité
des procédés d ’enseignement de la grammaire ne nous permet pas de faire une
récapitulation de tous les moyens adoptés par l ’enseignant pour «parler grammaire».
Cependant, elle met à jour des tendances générales car chaque problème grammatical va
engendrer une manière différente de procéder. Ces stratégies pédagogiques dépendent du
public d’apprenants, de la formation de l ’enseignant et de la nature du fait linguistique à
expliquer. On peut toutefois avoir la certitude de rencontrer les procédés suivants :
• la répétition de l’énoncé à expliquer ou la substitution de l’une de ses parties ;
• l’énonciation de la règle sous une forme souvent extrêmement simplifiée ;
• l’observation des formes et leur manifestation ;
• l’utilisation de la question, soit pour faire découvrir le fonctionnement d’un aspect du code,
soit pour faire réutiliser la structure étudiée ;
• le recours à l’exemple pour montrer le fonctionnement d’une structure ;
• l’utilisation d’un langage paragrammatical prenant en compte le niveau linguistique et
métalinguistique des apprenants.
« Ces divers procédés ne se rencontrent pas dans un ordre immuable. Ce sont les
circonstances ou les habitudes pédagogiques de l’enseignant qui vont privilégier l ’un ou
l ’autre d’entre eu x » (Cicurel: 1986: 71). Ainsi, si à cette étape de préparation
méthodologique l’enseignant formalise précisément les paroles même qu’il compte
utiliser, il sera en mesure, lors de son retour réflexif en phase post-active, de constater les
écarts et surtout de découvrir ses « façons de faire » préférées et/ou efficaces.

CONSÉQUENCES POUR LE RÔLE DE L’ENSEIGNANT

La plupart des didacticiens actuels cernent le profil de l’enseignant de FLE comme


un formateur et un conseiller, « qui doit bien sûr avoir des connaissances sur la langue et
son fonctionnement, mais surtout savoir conduire un groupe et gérer des programmes, et
surtout savoir ce qu’est l’apprentissage auto-dirigé », (Holec dans Cuq et Gruca, 2002 :
140) et insistent sur la conception aujourd’hui « plus éclatée » de l’enseignant, qui n’est
plus détenteur de savoir, mais co-constructeur de savoir et facilitateur de l’appropriation de
ce savoir par les apprenants.

Un homme/femme orchestre
L’image de l’enseignant, et à fortiori de son formateur, comme exclusivement
« transmetteur » de savoir a vécu, même si les pratiques sont encore loin de refléter ce
changement. Pour Boyer, Butzbach, Pendanx (1990 : 228) si l’on examine le profil de
l ’enseignant idéal, celui-ci apparaît de plus en plus comme « un homme/femme orchestre,
connaisseur des mécanismes d’apprentissage d’une langue seconde, philologue, linguiste
mais aussi psychopédagogue, animateur ou artiste, capable d’analyser des situations
d ’enseignement/apprentissage, fin négociateur et évaluateur des processus enclenchés et

190
189

disposant d’un matériel de plus en plus diversifié, pour ne pas dire sophistiqué
méthodologiquement ». Il est demandé à l’enseignant(e) de savoir choisir, sélectionner ou
fabriquer certains de ses outils, de ne pas craindre l’erreur, de connaître le moteur et les
processus de l’apprentissage, et en outre, (comme d’ailleurs dans cet ouvrage !)
d ’expérimenter et rendre compte de ces expériences et de ces outils, en étant « réflexif ».
En fait, cette vision, plus qu’un idéal ou une utopie, peut plutôt être comprise comme un
programme de développement personnel et professionnel de l ’enseignant. Ainsi, on
adoptera la définition de Boyer et al. (o p . cit.) : l ’enseignement est une tentative de
médiation organisée entre l’objet d ’apprentissage et l’apprenant. C’est cette médiation qui
peut être appelée « guidage ». Le terme est souvent repris, et chez Cuq et Gruca (2002 :
118), «dans cette relation, l’enseignant est la partie guidante et l’apprenant la partie
guidée. ». Il est important de souligner que les auteurs reprennent la position de H. Holec,
concernant l’auto-apprentissage (ou encore auto-enseignement, ou auto-guidage, qui
suppose que « l ’apprenant acquière progressivement la capacité de prendre les décisions
qui concernent son apprentissage »). Se retrouvent donc dans le domaine du FLE des
réflexions et des partis pris déjà envisagés ailleurs : la notion de médiation et de guidage,
ainsi que l’auto-apprentissage en FLE s’ancre dans des théories fondatrices du courant de
l’éducation cognitive (cf. chapitre 1), et on trouve ici des échos de cette représentation de
l’apprenant comme acteur de son apprentissage, avec l’étayage d ’un « tuteur ».

A propos du « guidage »
De Salins (2000 : 425) pointe sur la « mission d’intervention » du didacticien sur
les apprentissages et introduit, dans cette perspective, l’interlocution : pour elle,
l’essentiel, dans la perspective didactique, c ’est de comprendre comment on peut, par
l’interlocution, amorcer une relation communicative valorisante pour les membres de la
classe, tout en leur fournissant des ressources langagières suffisamment riches, où seront
découverts des repères significatifs susceptibles d’étayer, de modifier et d’améliorer, au
fur et à mesure des séances, leurs compréhensions/productions verbales : « En fait, le
didacticien guide, mais surtout accompagne, l’apprentissage des significations. C ’est
pourquoi, au cours des interactions de classe, toute preuve de « compréhension » est
alors considérée comme un signe positif du déclenchement de l’acquisition, même si
parallèlement, les productions verbales restent longtemps imparfaites ».
Une fois de plus, le rôle des actes enseignants dans l ’apprentissage est souligné,
incluant les actes de langage dans l ’interlocution entre enseignants et apprenants - et
notamment les consignes qui font l ’objet de la réflexion à cette étape de préparation
méthodologique : il est donc important de les formuler en phase pré-active autant que
faire se peut. On pourrait penser que la notion de guidage renvoie à une pédagogie
behavioriste au sens étroit, mais on rappellera la précision que Gaonac’h apporte au
crédit de l’approche behavioriste : « l’apprentissage [est] au contraire la constitution de
comportements nouveaux, de par une activité de l’élève dont les tenants et les
aboutissants sont soigneusement contrôlés» (Gaonac’h 1991 : 30). Or, c ’est bien à la
facilitation de comportements nouveaux que s ’intéresse l ’enseignant, et ces « tenants » et
« aboutissants » de l’activité apprenante sont constitués par le dispositif pédagogique
choisi et l’activité guidante de l ’enseignant : il appartient à celui-ci de se doter des
moyens d’observation de sa propre activité comme de celle des élèves, à minima en les
prévoyant/imaginant.

191
190

Un lien enseignement-apprentissage
Le programme qui est aujourd’hui proposé à l’enseignant est de se rendre conscient,
du mieux qu’il peut, des liens qui se tissent entre le processus d’enseignement dont il
organise la mise en œuvre dans sa classe et le processus d ’apprentissage de ses élèves. Ceci
passe par de nombreuses dispositions concrètes et par la posture qu’il adopte en tant
qu’enseignant. L’impact de cette appréhension du processus d’apprentissage sur la pratique
d ’enseignant est aussi relevée par Castellotti et de Carlo (1995 : 52, 53) ; voir aussi Rivers
(1990 : 49, 50) :
« La conscience des phénomènes évoqués [processus d’apprentissage]
entraîne des conséquences pédagogiques spécifiques, dont les plus
importantes devraient constituer matière à réflexion dans la formation des
enseignants :
1 - une atmosphère chaleureuse et tolérante est une condition indispensable à
l’apprentissage ;
2 - les tâches à accomplir doivent exploiter des aptitudes multiples et
mobiliser des capacités différentes ;
3 - les contenus proposés doivent être suffisamment riches pour permettre aux
apprenants d’y projeter leur expérience ;
4 - les activités de compréhension doivent occuper une grande place dans le
curriculum , parce que l’exposition à une quantité importante de langue
authentique donne la possibilité aux élèves d’apprendre ce qui n’est pas
enseigné de façon explicite par l’enseignant ;
5 - les erreurs ne doivent plus être considérées comme des écarts à redresser,
mais comme des hypothèses formulées par l ’apprenant à un certain stade de
son interlangue ;
6 - la responsabilité de l’apprentissage est partagée entre l’apprenant et
l ’enseignant ;
7 - l’enseignant devra concentrer son attention sur le processus
d’apprentissage plutôt que sur les résultats ;
8 - les résultats atteints par les élèves seront nécessairement différents entre
eux et aucun ne correspondra exactement à ce qui a été enseigné.

Ce sont là des principes généraux que l’on peut recommander de suivre aux
enseignants dans leur formation ou auto-formation, mais il est encore possible de
préciser leur rôle, si l’on fait un parallèle entre leur pratique et celle d’autres spécialistes,
que nous avons déjà présentés en Partie I : les ergonomes.

Un enseignant-ergonome ; un ergonome « cognitif»


Tout d ’abord, le terme ergonom e est emprunté à Gaonac’h (1991 : 150), qui
décrit la multiplicité des stratégies de l’apprenant, en fonction des contraintes des tâches
proposées en classe de langue, en particulier lorsque des contraintes cognitives de la
tâche sont importantes (exemple de la traduction simultanée). Mais pour rendre compte
des facteurs qui déterminent les « contraintes de la ou des tâches » proposées, il faudrait
au chercheur ainsi qu’à l’enseignant faire un inventaire, fort difficile, selon lui, à partir
de nombreuses observations. Or, en l’occurrence, recueillir des observations est
précisément l’enjeu de notre préparation méthodologique, de même qu’inventorier et
analyser les rôles des différents facteurs dont l’enseignant a assuré la mise en scène. Cet
inventaire des différents facteurs est à lui seul un programme de recherche, que
Gaonac’h définit comme « une taxonomie des tâches, ou une ergonom ie m entale

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191

appliquée aux situations scolaires ». Cette ergonomie est encore du domaine du futur
mais il propose deux pistes :
• l’une portant sur la notion même de « situation » appliquée aux apprentissages
institutionnalisés, qui reste d’un grand flou : la nature des interactions, le degré
d’initiative de l ’élève, la tolérance grammaticale, la relation sens-forme, les
contraintes cognitives associées aux contraintes linguistiques ne sont pour
l ’auteur actuellement définies que de manière très empirique ;
• l’autre incluant dans les « contraintes de la tâche », l’élève lui-même, la manière
dont il perçoit et conçoit la tâche lui-même parce que « l’élève lui-même est en
quelque sorte un théoricien de l’acquisition des L2 ».

Ainsi, il s ’agit de prendre en compte la nature des situ a tio n s d ’acquisition et la


nature des activités m entales liées aux acquisitions : cela revient à analyser les
acquisitions langagières à travers les activités de langage qui leur servent de
support (Gaonac’h 1991 : 154). Dans cette analyse, il y a matière à élaborer une
exploration méthodique des cours, voire à élaborer des préparations didactiques et
méthodologiques en opérant des choix d ’activités, choix informés par les retours des
phases post-actives qui ont précédé cette nouvelle phase pré-active. En particulier, le
recueil et l’étude des comportements des apprenants en réponse aux actes et consignes
enseignantes est une source de réflexion pour l’ajustement de l’activité enseignante en
classe : « ces comportements peuvent servir d’indices des difficultés de mise en œuvre de
cette compétence centrale qu’est la régulation du discours» (Gaonac’h 1991 : 204). Très
précisément, pour Cicurel (1985 : 90) une sensibilisation à la spécificité du discours de la
classe de langue peut s ’opérer par le biais d ’une analyse que les enseignants feraient à
partir de leurs propres classes ou à partir de classes qu’ils auraient observées et
enregistrées. Or, cette analyse a tout à voir avec les observations auxquelles se livrent
d ’ordinaire les ergonomes sur l’activité d’opérateurs au travail, à la différence qu’en FLE,
au lieu d’opérateurs, il s ’agit, pour l’enseignant-ergonome, d’apprenants se livrant à des
exercices d’acquisition de la langue. L ’idée développée ici est que le fait d’être l’ergonome
du travail de l’apprenant rend l ’enseignant, dans son analyse de pratique, ergonome de sa
propre activité.

Un métier « préfabriqué » et « improvisé » :


préparer, se préparer mais inventer
Cicurel : « En fin de compte, est-on capable de dire de quoi est fait le m étier
d’enseignant de langue, reproducteur et producteur de discours ? » Elle souligne que
l’enseignant dans sa classe émet une parole sur mesure, façonnée pour l’autre, une parole
qui s ’invente au fil de la parole des participants :
« à quoi est comparable le métier d’enseignant, à celui du musicien de jazz qui
ne peut improviser avec les autres musiciens du groupe que parce qu’ils ont
tous connaissance d ’un canevas commun ou plus modestement, à celui de
créateur de vêtements de prêt-à-porter qui dessine et coupe à partir de tissus et
couleurs imposés, avec un outillage et un budget contraignants? [...]
l’enseignant gère des fragments préfabriqués dans les intervalles desquels se
glisse une parole improvisée et par là, imprévisible. » (Cicurel 1986 : 110).

On pourrait ajouter à ces comparaisons celle de l ’improvisation théâtrale, qui


n’est possible que parce que précisément l ’acteur dispose préalablement à la
représentation, d’un répertoire d ’actes et de gestes qu’il a déjà éprouvés. La préparation

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méthodologique n ’a d ’autres visées que de formaliser les intentions et le répertoire de


l’enseignant pour en offrir la trace, après improvisation. Trace après trace, la maîtrise,
même partielle, de certaines actions ou schéma d’action enseignante peut s ’installer
consciemment.

Un point de vue décentré : la « boussole du médiateur »


Comme on l’a déjà souligné, l’articulation pratique enseignante/pratique apprenante
est au cœur des réflexions en didactologie. Il s ’agit précisément de cette articulation dont
traite, pour la questionner en didactique générale, Aumont et Mesnier, qui mettent en
lumière, à l’occasion de leur tentative d’éclairer « l’acte d’apprendre », certains aspects de
la pratique enseignante. C’est à ces auteurs (1995 : 24, 25) qu’on empruntera les
conceptions que de nombreux didacticiens et pédagogues développent à propos des « actes
d ’enseigner » et des « actes d’apprendre ». Les auteurs dénoncent le modèle
d ’enseignement/apprentissage de type linéaire, c ’est-à-dire de transmission :

S a vo ir -> E n s e ig n a n t-> élém en ts de sa vo ir exp o sé p a r l ’E. -> élèves

et lui oppose un autre modèle issu des années 1970, le triangle pédagogique, repris et
développé par Houssaye :

élève

E n s e ig n e r

Pour Houssaye, toute situation pédagogique s ’articule autour de trois pôles savoir-
professeur-élève(s), mais, fonctionnant sur le principe du tiers exclu, les modèles
pédagogiques qui en naissent sont centrés sur une relation privilégiée entre deux de ces
termes : Enseigner exclut l’Élève, Apprendre exclut l’Enseignant, Former exclut le Savoir.
Pour Aumont, Mesnier ce triangle fait apparaître « la combinatoire sommairement
dualiste » qui sévit dans le système d’enseignement et pourrait un jour céder la place à une
relation contractuelle de l ’enseignant et de l ’apprenant leur permettant à l’école de «jouer
le jeu » à tour de rôle tandis que l’autre serait « au mort » : « l’élève a l’habitude d’être
« au mort », silencieux et intéressé par le cours dans le meilleur des cas. Mais l ’enseignant
peut-il accepter un tel rôle ? » (Aumont, Mesnier 1995 : 27). Tentant de répondre à cette
question, les auteurs signalent que le « mort » dans le jeu de bridge représente une place
d ’observateur attentif. « N ’intervenir qu’à bon escient, laisser l’apprenant autonome dans
sa relation à l’objet d ’apprentissage et accepter la perte de pouvoir conduirait l’enseignant
à se tenir ‘à bonne distance’ de toute relation fusionnelle avec son savoir ou avec

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1 93

l’apprenant pour opérer un travail de triangulation : ‘quand l’enseignant se sent exclu, c ’est
qu’il n’accepte pas la relation directe de l’apprenant au savoir et il se croit dépossédé.’
(ibid .). Mais un positionnement est suggéré par les méthodes d’éducation cognitive que
nous évoquerons à l’étape suivante, et est indiqué par une flèche sur le triangle de
Houssaye :

apprenant

Savoir Enseignant

Cette flèche, comme l’aiguille d ’une boussole, indique l ’orientation de l’activité


de l ’enseignant: c ’est la relation entre l ’apprenant et le savoir qui «aim an te» les
interventions et l’attention de l’enseignant, et non l ’apprenant seul, ni le savoir seul.
Cette métaphore de la « b o u sso le du m éd ia teu r » peut aider l’enseignant à situer vers
quel objet sont dirigés ses actes, s ’il se pose la question : « lors de tel acte (consigne,
remarque, information, geste, etc.), quel était 1’« objet » que je visais : l’apprenant en
tant qu’individu, le savoir en lui-même ou l ’apprenant dans son acte d’apprendre ? »
Naturellement, il n ’y a pas de « bon » positionnement, parce que l ’aiguille de la
« boussole » bouge en fonction de la position de l ’enseignant, de son public, du
programme, etc., mais elle peut faire prendre conscience de tendances dans la pratique
enseignante, et par conséquent, aider à moduler ces tendances en fonction des situations.
L’étape suivante propose alors à l’enseignant d’imaginer comment l’apprenant réalise la
tâche qu’il lui présente.

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ETAPE N° 11 - Préparation Méthodologique 2


DÉROULEMENT DE LA TÂCHE POUR L’APPRENANT

CONSIGNE ;
• SUCCESSION DES ACTIONS DE L’APPRENANT
Vous indiquez ici la su ccessio n des actes de l’apprenant pour effectuer la tâche :
par exemple, pour analyser un texte publicitaire selon une consigne donnée,! 1) il
lui faut écouter la consigne, (2) il pourra parcourir et lire (éventuellement) le
titre, puis (3) repérer tel ou tel indice pour comprendre l’objet de la publicité, (4)
formuler, pour lui-même des hypothèses quant à ce contenu à partir de ces
indices, (5) écrire ses hypothèses, individuellement ou en sous-groupe et/ou (6)
discuter avec ses collègues soit en LM soit en français, (7) répondre soit
individuellement soit en sous-groupe, soit en LM soit en français, etc. Chacune
de ces étapes peut elle-même être détaillée, cela dépend de la tâche.

* DIFFICULTES RENCONTREES DANS CE DEROULEMENT


En faisant ce scénario de l’activité de l ’apprenant dans la tâche, vous allez
nécessairement rencontrer des étapes où des difficultés peuvent survenir. Il vous
appartient de tenter de les imaginer, et d’en indiquer ici la nature, compte tenu du
public, de son niveau de langue, du support, enfin de l ’objectif de la tâche. En
reprenant l’exemple de l’analyse de la publicité, il se peut que compte tenu du
niveau de langue des apprenants et du texte contenu dans la publicité, ils ne
connaissent pas tous les éléments du vocabulaire de ce texte : quels sont alors les
mots susceptibles de poser problème ?

ATTENTION :
Pour pouvoir imaginer ou anticiper comment les apprenants sont susceptibles de
« réagir » à votre tâche et vos consignes, nous vous conseillons de fa ire
in tég ra lem ent la tâche vous-m êm e en a n a lysa n t les étapes par lesquelles vous
passez. Comme vous êtes enseignant de français, voire un locuteur natif, vous ne
pouvez naturellement imaginer toutes les difficultés possibles et naturellement,
cette démarche est biaisée au départ. Mais le seul fait de faire soi-même la tâche
met souvent en lumière des imprécisions, des erreurs ou des lacunes au niveau des
objectifs fixés à la tâche (Etape 8L au niveau de la définition des prérequis ( Etape
9), de la connaissance du niveau de langue des apprenants (Étape 3). au niveau de
la formulation des consignes (Étape 10). Ainsi, lorsque vous avez identifié ces
difficultés potentielles, il vous faut ensuite revenir à l’Étape 10 (Consigne et actes
enseignants), afin de modifier vos consignes et vos actions et/ou de rajouter les
consignes et actions que vous prévoyez pour a id er l ’a p p re n a n t à su rm o n ter ces
difficultés.

À cette étape, le point de vue adopté est celui d’un enseignant qui tente, de sa
position d’enseignant, et avant le cours, d’anticiper les réactions de ses apprenants,
tandis qu’à l’étape 16, après expérimentation, il s ’agira pour lui de rapporter ce qu’il a
observé dans le déroulement réel de son cours, tant de la part de ses apprenants que de la
sienne. Certes, les comportements imaginés ont peu de chance d ’être les mêmes que
ceux qui vont se manifester, et cette anticipation est utile avant tout à l ’enseignant pour

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195

se créer une représentation d e ses apprenants. En conséquence, on suppose ici qu’il a


besoin en phase préactive de se remémorer quelques notions susceptibles d’éclairer son
point de vue : un enseignant qui se met à la place des apprenants. Parmi les notions qui
nous paraissent à retenir dans cette réflexion, les notions de co n flit co g n itif ’ d ’édu ca b ilité
cognitive, et dans le domaine du FLE, celui de co n ceptualisation, peuvent orienter
l ’attention de l ’enseignant sur des points spécifiques de processus d ’acquisition de
connaissance, plutôt que sur la seule exécution des consignes ou le « bon résultat » aux
exercices proposés. L’idée est, sans perdre de vue le contenu du cours, de centrer son
attention sur l’activité d ’apprentissage de la langue.

« Difficultés » et conflit cognitif

Les notions d 'action - pour l’apprenant -, et de d ifficu lté, renvoient à l’activité


d ’apprentissage en tant que processus cognitif, c ’est-à-dire d’acquisition de
connaissances. Or, ce processus, si l’on adopte une perspective piagétienne, est un
processus de construction par le sujet de ses propres connaissances et comprend lui-
même deux mécanismes, Y assim ilation et V accom m odation, dont nous rappellerons la
définition à l ’étape 16 (on conseillera ici la lecture, a m ínim a, de l ’ouvrage de Bourgeois
et Nizet, 1997 : 33, 34). En outre, la rencontre entre une tâche quelquefois nouvelle pour
l’apprenant et ses connaissances préalables peut générer un conflit c o g n itif ou so c io ­
co gnitif, source de déséquilibre c o g n itif (ibid : 55, 5 6 / La notion de co n flit c o g n itif
désigne le fait que de nouveaux éléments à assimiler viennent à entrer en conflit avec les
structures de connaissances préalables de l’apprenant (par exemple, une exception
grammaticale à la règle à laquelle elle devrait être soumise). Deux types de déséquilibres
peuvent, selon Piaget, se produire, l’un résultant d’une « opposition » ou « résistance »,
l ’autre résultant de lacunes rendant impossible l’accueil de la nouvelle observation. La
régulation de ce conflit peut s ’opérer selon deux modalités : dans un cas, l’apprenant - ou
l ’organisme - tend à retrouver l’état de connaissance précédent, dans l ’autre, il recherche
un équilibre nouveau et meilleur que le précédent, bref, il réaménage ses connaissances
préalables. Il est possible que, lors du déroulement de son activité, l’apprenant ait des
difficultés : celles-ci peuvent se traduire par des hésitations, des questions, des silences,
des erreurs, des tâtonnements, en bref, de nombreux indices de recherche de solution.
Les difficultés, ainsi décrites, sont donc des observables du cheminement de l ’apprenant,
et éventuellement, elles peuvent exprimer des conflits entre des connaissances préalables
et les exigences de la tâche proposées, c ’est-à-dire un conflit cognitif ou plus
précisément socio-cognitif, puisqu’il se déroule dans une classe, contexte d ’activités
réalisées dans une « société » d ’apprenants. L ’anticipation des difficultés induites par la
tâche, la consigne, le support que vous proposez fait donc partie de votre préparation
méthodologique, et ce, dans une double optique. D ’une part, celle de l’aménagement ou
du réaménagement de la tâche par vos soins, soit à cette étape pré-active, soit dans
l ’instantanéité du cours : simplification, découpage, modification des consignes,
réorganisation de l ’activité ; ceci renvoie à l’évaluation par vos soins de la Zone
Proximale de Développement des apprenants, que nous avons défini à l’étape
précédente. Mais d ’autre part, et si l’on suppose, toujours avec Piaget, l ’existence d’une
activité réflexive - inconsciente ou non - de la part de l’apprenant, alors, il est important
que l’enseignant fasse non seulement un scénario du déroulement global de la tâche pour
l’apprenant, mais aussi de l’envisager, dans la mesure du possible, plus finement sous
l ’angle des différentes opérations mentales que la tâche assignée peut susciter. Par

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exemple, en didactique du FLE, Boyer et al. (1990 : 164) inventorient des


activités/actes/opérations d’apprentissage :
• Repérage, identification, discrimination, déstructuration ;
• Recherches d’indices, établissement et vérification d’hypothèses ;
• Combinatoire, créativité ;
• Reformulation, élaboration de paraphrase, traductions ;
• Transcodages : oralisation, transcription ;
• Mémorisation et reproduction, mise en relation, comparaison, classification ;
• Évaluation (linguistique), auto-correction ;
• Conceptualisation, explication,
qui sont autant d’« opérations m entales», appliquées à l’apprentissage d ’une langue
étrangère, mais vraisemblablement transversales par rapport à l ’ensemble des différentes
tâches rencontrées par un sujet. Ainsi, vous pouvez tenter d’imaginer laquelle de ces
opérations peut être mobilisée par la tâche que vous demandez, la façon dont vous la
spécifiez, etc., ou tout autre que vous imaginez en simulant l ’exécution de votre tâche.
Il s ’agit bien ici pour l’enseignant de se décentrer, sachant que « les apprenants
restent les destinataires d ’un produit fini qu’ils n’ont pas contribué à construire et avec
lequel ils ne sont donc pas entrés en relation » (Aumont, Mesnier 1995 : 27). En ce qui
concerne l ’attention p o rté e au su jet a p p renant, Aumont et Mesnier rappellent différents
courants qui ont inspiré les pratiques pédagogiques en général dans le sens de la
différen cia tion p é d a g o g iq u e depuis les années 1975 : le Travail Autonome, la Pédagogie
de Soutien, les Groupes de Niveau, la Pédagogie Différenciée, la Gestion Mentale.
Rejoignant les critiques de Philippe Meirieu, les auteurs soulignent un des biais de ces
méthodes : « la centration du maître sur l ’apprenant ne remet pas en cause sa
magistralité, ni la méthode de transmission-réception qui demeure la sienne. Tout se
passe comme si celle-ci n’était pas en cause dans les difficultés scolaires des élèves. On
reste dans une démarche de transmission intégrée et la relation autonome de l ’apprenant
au savoir relève de l’implicite. [...] Aucune allusion n ’est faite à une autre organisation de
la classe que celle habituellement pratiquée en grand groupe. L’enseignement collectif
s’inscrit dans la droite ligne du dialogue préceptoral maître-disciple, sans que soit évoqué
l’intérêt de l’apprentissage collectif, au moins par petits groupes de pairs ». Pour les auteurs,
ce qui est important est la relation personnelle de l’apprenant à l’objet d’apprentissage, et
dans ces méthodes, il est encore occulté. Cependant, le processus d’apprentissage est mis au
centre de la pratique enseignante de façon radicale par certains courants pédagogiques qui
s’intéressent essentiellement au processus cognitif : Féducabilité ou l’éducation cognitive.

L’cducation « cognitive »

De nombreux enseignants et fonnateurs voient dans l’éducation cognitive le moyen


de rendre l’éducation plus efficace et de sortir ainsi de la crise de l’enseignement et de la
formation. Ce courant a vu éclore plus d’une trentaine de méthodes dites d ’« éducabilité
cognitive», et Ton renverra pour l’histoire de leur développement à Loarer et al. (1995) et
Delannoy et al. (1992), et pour l’écho qu’elles ont eu en FLE à Puren (2003), au travers du
paradigme « cognitif ». Les trois postulats de Téduction cognitive sont présentés par
Delannoy étal. (1992 : 10) :
• le premier postulat implique qu’on prenne en compte explicitement les
processus cognitifs (ou opérations mentales) qui sont à l’œuvre dans un
apprentissage (perception, mémoire et traitement de l ’information) ; les
processus cognitifs renvoient, d’une part, à la variété des tâches auxquelles est

198
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confronté un sujet en situation d’apprentissage : compréhension d’un


message, élaboration d’une action, résolution d ’un problème, et d’autre part
aux opérations mentales que ce sujet devra mettre en œuvre pour « entrer en
mémoire » un message, traiter l’information, la transformer en plan d’action,
réguler cette action au fur et à mesure par la pensée ;
• le second postulat complémentaire du premier est que, si ces processus n ’ont
jamais été bien mis en place, ou s ’ils se sont sclérosés par manque de pratique
ou d ’entraînement, ils peuvent être « é v e illé s » ou « r é v eillé s» par des
méthodes appropriées ; c ’est en ce sens qu’il y aurait éducabilité ; pour les
auteurs, le pari de l ’éducabilité de l’intelligence va à l’encontre d’une
approche innéiste qui prétend qu’après l’heure, ce n’est plus l’heure, et la
réalité professionnelle vécue par de nombreux adultes fait qu’ils sont
confrontés, par nécessité à de nouvelles tâches ; or, l ’adaptation, réussie dans
la plupart des cas, démontre qu’un adulte est « éducable » ;
• le troisième postulat consiste en l’affirmation que les opérations mentales
sont transversales, c ’est-à-dire sont communes à tous les savoirs, sous-
jacentes à tous les apprentissages, et traversent les champs disciplinaires.

Ces positions épistémologiques sur le processus d ’acquisition de connaissances


ont donné lieu à de nombreux débats, non encore éteints, et qu’il n’est pas pertinent de
résumer ici (voir aussi Ruph, 1999, Lafortune e t al. 1996), mais il nous paraît cependant
intéressant de signaler les apports de ce courant à la vision qu’un enseignant peut avoir
de ses apprenants. L ’éducabilité cognitive repose sur des méthodes qui visent à
accompagner l’apprenant à :
• la prise de conscience d ’opérations mentales à mettre en jeu ;
• l ’intériorisation de la tâche, la mentalisation de ses éléments ;
• émettre des hypothèses lorsque ça « coince » ;
• l’entraînement à la pratique de stratégies efficaces de résolutions de
problèmes (Delannoy e t al. 1992 : 11).

Des échos de ces méthodes se trouvent dans les préceptes de Wong-Fillmore issus
de l ’observation d’enfants (5-7 ans) hispanophones en situation d’acquisition de l’anglais
par immersion (dans Kramsch 1991 : 33 ; voir aussi Gaonac’h 1991 : 194) :
« Stratégies cognitives :
• supposez que ce qui se dit est en liaison avec la situation ou l’activité en
cours, méta-stratégie : devinez ;
• repérez quelques expressions que vous comprenez, et commencez à parler ;
• repérez ce qui se répète dans les expressions que vous connaissez ;
• utilisez au maximum ce que vous avez acquis ;
• consacrez vos efforts au plus important, gardez les détails pour plus tard ».

L’enseignant en phase pré-active peut donc, à cette étape de préparation


méthodologique, envisager toutes sortes de stratégies qu’utilisent ses apprenants à
l’occasion des tâches qu’il leur propose, et plus particulièrement faire des hypothèses sur
les mécanismes cognitifs que chaque composante de la tâche est susceptible de mobiliser
chez l’apprenant. Ce faisant, l’enseignant se livre à une tâche d’ergonomie cognitive telle
que Gaonac’h nous l’a suggérée (cf. étape 10). Parmi les activités auxquelles peut se
livrer l’apprenant, et faisant suite à un exercice ou une exposition de règle, l’exercice de
conceptualisation est précisément une occasion de favoriser et d’observer la prise de

199
198

conscience par l’apprenant de ses stratégies. Il peut donc être intéressant de l’envisager en
phase préparatoire.

La conceptualisation métalinguistique

La c o n cep tu a lisa tio n , définie comme une réflexion appliquée par les apprenants
aux différents domaines de la langue (la syntaxe, la morphologie, le lexique, la
phonétique, le discours), et aboutissant à la prise de conscience de régularités,
d ’organisations ou de règles (Calisson Puren, 2 0 0 0 : 118), a pour objectif, par des
pratiques tour à tour communicatives et cognitives (celles-ci s ’appuyant ou non sur une
explication), d’aider les apprenants à structurer conceptuellement ce qu’ils ont pratiqué,
interactivement ou « par routine », dans les étapes précédentes (Besse, 1992 : 168, 169).
Ces exercices ont été proposés dès la fin des années soixante d ’abord pour des étudiants
avancés, puis pour des étudiants débutants. Besse (ibid. : 116) précise que l’exercice de
conceptualisation suppose qu’on parte d’un corpus d’exemples produits par les étudiants
en fonction de la compétence qu’ils ont acquise et en relation avec le microsystème
morpho-syntaxique ou sémantico-pragmatique sur lequel on veut travailler :
« Il suppose que le professeur ne cherche pas à amener les étudiants à la règle
ou à la conceptualisation qui est la sienne ou celle de la description
grammaticale à laquelle il se réfère, mais que les étudiants é la b o re n t eux-
m êm es non pas cette règle ou conceptualisation particulière mais une règle et
une conceptualisation en fonction d’une part de leur compétence en L1 et de
celle en voie d’acquisition en L2, d’autre part, des concepts et opérations
métalinguistiques (de la ou des théories grammaticales) qu’ils ont appris lors
de leur scolarisation en L l, enfin du consensus qui se dégage des discussions
entre étudiants pour admettre telle règle ou formulation plutôt que telle
autre. »

Très spécifiquement, l’exercice de conceptualisation est une « tâche » que le


groupe classe devrait effectuer seul : le professeur est présent et décide des phrases qui
sont grammaticales en L2, mais ce n’est pas à lui de fournir la solution ou une solution,
c ’est au groupe à l’élaborer lui-même. En effet, ceci rejoint les postulats de l’éducation
cognitive, parce que c ’est ce travail d ’élaboration et non la solution choisie qui est
bénéfique pour l ’apprentissage. Besse et Porquier décrivent aussi la conceptualisation en
décomposant les étapes possibles (1991 : 113, 114, 115) :
• le professeur prend prétexte d’une erreur grammaticale régulièrement
commise par certains étudiants mais non pratiquée par d ’autres (ce qui peut
indiquer que ces derniers ont déjà intériorisé le microsystème dans lequel
s ’inscrit l’erreur) ; ceci suppose que l’enseignant conserve des traces de ces
erreurs au fil des séances ;
• le professeur demande aux étudiants de produire des phrases incluant la
difficulté grammaticale et les aide à regrouper celles qui sont correctes et
celles qui ne le sont pas ; son rôle ici est celui d ’un animateur qui note ;
• on constitue ainsi un corpus non présélectionné par le professeur (c ’est une
différence essentielle avec les démarches de grammaire inductive) ;
• les étudiants formulent alors, dans leur métalangue, une hypothèse sur le
fonctionnement correct, ou éventuellement erroné, du microsystème ;
• l’hypothèse, dans son explicitation première ou remaniée à la suite d’échanges
entre étudiants, est testée par essais de production de phrases ;

200
199

• si le test est positif, l’explicitation est considérée comme une règle


provisoire, modifiable selon les acquis ultérieurs, de la description
grammaticale ;
• si le test est négatif, c ’est-à-dire si l’hypothèse conduit à produire des
phrases a-grammaticales, on modifie la formulation, on recherche une autre
hypothèse, ou bien on convient qu’il n’existe pas de solution explicite
satisfaisante au problème posé.

Ainsi, on peut, avec Viselthier (2001 : 197-211), recueillir au travers de productions


écrites, par exemple, qui fournissent des traces réutilisables facilement :
• un ensemble de données immédiatement exploitables par les apprenants,
susceptibles de leur servir de base d ’auto-pilotage au cours de leur
apprentissage à venir ;
• un retour d’information pour l’enseignant quant au déroulement de son
enseignement linguistique lui permettant de l ’infléchir, si nécessaire, dans
une direction particulière ;
• un ensemble de données attestant du développement de l ’acquisition de la
langue chez chaque apprenant et permettant de détecter la présence d ’une
prise de conscience métalinguistique, de manière à constituer un corpus qui
ferait l’objet d’un travail de recherche ultérieur.

Viselthier, à la lumière des écrits de Vygostki, est persuadé pour sa part que
l’apprenant automatise d ’autant mieux les faits de langue qu’il est soutenu dans son
apprentissage par un travail de réflexion sur la langue, l’incitant à découvrir les réseaux
autour desquels la langue s ’organise et à transformer le savoir qu’il acquiert en véritables
savoir-faire, ce qui est la démarche évolutive de son interla n g u e :
« Je souhaitais les amener à exercer une activité réflexive leur permettant de
comprendre les mécanismes de la langue, de les stocker en mémoire à long
terme en les codant par un discours personnel qui donne accès à
l’intériorisation des données, mais aussi de réutiliser correctement, grâce à
une grammaire intérieure disponible à tout moment comme un logiciel
informatique, une connaissance particulière aussi aisément qu’ils le feraient
en L l. [...] Aucune auto-censure ne devait exister à ce niveau, car toute
tentative d ’explication ou de justification même maladroite, est bénéfique à
l’ensemble du groupe et permet à chacun de progresser, ne serait-ce que parce
qu’elle permet de relativiser son point de vue. »

On voit que les réflexions que l’enseignant peut mener à cette étape de
préparation méthodologique s ’appuient sur des connaissances qu’il a déjà inventoriées
au cours de sa préparation didactique, à l’étape n°3 par exemple - qui tente de définir le
niveau de langue des apprenants, en référence à la notion d ’interlangue. C ’est bien le
développement de cette dernière qui est en jeu dans les activités cognitives des
apprenants, et l’exercice de conceptualisation est bien de nature à accompagner son
évolution. Ceci repose sur un certain nombre de convictions, ou présupposés, que nous
allons expliciter.

201
200

Réflexion métalinguistique et métacognitive


De nombreux didacticiens du FLE rejoignent ici les convictions des tenants de
l’éducation cognitive: pour Besse et Porquier (1991: 113, 114, 115) la prise de
conscience par l’apprenant (guidée par l’enseignant) de ses propres intuitions sur le
système de la langue étrangère facilite l ’acquisition. Ces intuitions sur la langue forgent
un métalangage qui, pour les auteurs, n’est pas dissociable d ’un certain m odèle
m éta lin g u istiq u e , ou du moins, d ’un certain point de vue métalinguistique, celui hérité de
leur « passé grammatical », à partir duquel ils perçoivent et organisent, consciemment ou
non, les données de la langue-cible. Ce qui revient à dire que les apprenants qui n ’ont
pas eu de formation grammaticale durant leur scolarité sont souvent moins aptes (et
moins intéressés) à mener des exercices de conceptualisation. Mais quelle que soit
l’origine des apprenants, cependant, pour Besse et Porquier (ibid. : 77), dans
l ’expérience de la langue maternelle nous entretenons constamment « une activité
métalinguistique latente qui nous permet d’évaluer à tout moment l’effet ou l’impact,
potentiels ou réels, de nos productions et de celles des autres, leur conformité ou non
conformité avec les normes et représentations que nous avons de la langue utilisée », et
probablement aussi dans l ’apprentissage d’une autre langue. Concernant l’apprentissage
de la grammaire, Courtillon (2001 : 155) souligne que c ’est le nombre et la qualité des
activités destinées à rendre l’étudiant conscient de ses choix : « car chacun sait que la
compétence grammaticale s’acquiert au cours de la production, à condition qu’elle soit
suivie d ’un regard critique du locuteur sur ses propres productions (c’est ce qu’on
appelle « la stratégie d ’auto-évaluation »). Auto-évaluation et conceptualisation, il s ’agit
dans les deux cas d’opérer une réflexion sur des productions langagières en classe,
autrement dit, de développer un certain type d’activité métalinguistique et métacognitive.
En ce qui concerne le métalinguistique, la classe de langue est le lieu privilégié de ce
type de discours : près de quatre-vingts pour cent des énoncés auraient un caractère
métalinguistique marqué. Par suite, un lien entre activité métalinguistique et
métacognitive a des conséquences en termes d’activité de classe, dans lesquelles Besse
et Porquier (1991 : 254, 255) voient au moins trois implications didactiques des notions
d ’activité mentale et de programme cognitif :
• l’apprentissage d’une langue implique un entraînement aux tâches
d’apprentissage et plus largement aux opérations cognitives d ’utilisation du
langage. Ce sont les processus, non les activités « terminales », à quoi il faut
entraîner les apprenants ; cet entraînement requiert l’intégration des types
d’opérations à travers des tâches diversifiées. C ’est en un sens, ce que
signifie « apprendre à apprendre » ;
• la recherche et l’adéquation des tâches en usage dans l’apprentissage des
langues étrangères par rapport aux schèmes d’action et aux opérations
effectivement mobilisées dans l’utilisation de la langue est une recherche
didactique à elle toute seule ;
• les approches ou les techniques pedagogiques de nature à développer ou
mobiliser les capacités profondes d ’attention ou d’effort mental latentes
chez l ’individu constituent à leur tour un programme de recherche
pédagogique spécifique.

Nous pensons donc que l’enseignant-praticien réflexif, dans les questions qu’il se
pose à l’occasion de cette préparation méthodologique, n’est autre qu’un chercheur dans
un contexte de pratique. Il s ’agit en fait d’une ergonomie cognitive ou d ’une

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psychopédagogie dont le programme reste encore à formaliser : « Les exercices scolaires


correspondent à différentes activités de communication, qui n’ont pas les mêmes
exigences cognitives et psycholinguistiques. Un des objectifs d’une psycho-pédagogie
cognitive du langage devrait être de décrire ces exigences (comme l’a fait la psychologie
du travail), autrement dit de procéder à une « analyse des tâches >> du point de vue des
processus cognitifs impliqués (Gaonac’h, 1991 : 158)». Enfin, Kramsch soulève un
point qui peut être élargi à toute activité métalinguistique et conceptualisatrice, et qui
touche l’attitude de l’enseignant et ses représentations en ce qui concerne son rôle dans
la classe : pour elle (1991 : 87), la prise de conscience et la discussion collective des
processus d ’interaction ne peuvent être bénéfiques que si elles sont menées dans l’esprit
d ’une pédagogie qui donne priorité à l’échange et à la négociation. Utilisées comme
exercices didactiques ou dans un esprit compétitif de contrôle des aptitudes, elles
risquent d’être soit inutiles et décourageantes pour l ’enseignant, soit néfastes à
l ’interaction de classe : « il incombe à l ’enseignant, soucieux d’introduire des formes
naturelles de discours dans la classe, d’être conscient des difficultés possibles et de ne
s ’engager dans cette voie qu’après s ’être préparé lui-même à changer de discours et de
rôle au sein du groupe. En effet, une réflexion métalangagière met à jour les choix qu’a
l’enseignant dans le dosage des éléments didactiques et des éléments naturels de son
discours ». C ’est éventuellement à une remise en cause de ses propres choix que toute
préparation méthodologique peut conduire un enseignant. Les grilles que nous utilisons
dans le cadre de la formation d’enseignants depuis une dizaine d’années, et en particulier
dans le champ de la didactique du FLE sont donc des outils utilisables dans les
différentes phases de la démarche didactologique. L ’important en l ’occurrence, au delà
des points de passage inventoriés et que l ’on pourrait très certainement modifier, est la
conduite d’une réflexion qui confronte les actes réalisés en classe de langue à cette
programmation et leur cohérence interne dans la singularité de la situation de classe en
phase post-active ; ce faisant, on espère que cet habitas réflexif permettra de réagir de
façon adaptée en phase interactive, par l’accumulation de répertoires de jugements sur
l’action réalisés dans ces deux phases.

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202
203

ÉTAPE N° 14
APRÈS L’EXPÉRIMENTATION

• PUBLIC RÉEL
• COMPARAISON AVEC ÉTAPES 2 et 3

CONSIGNE :
Vous indiquez ici le public réel et son niveau dans la langue maternelle et en
français que vous avez constaté en faisant le cours.
Vous revenez aux étapes 2 (type de public) et 3 (LM et L2) et vous comparez :
constatez-vous un écart entre ce que vous attendiez et la réalité ou non ?
Si oui, cela a-t-il modifié dans l’interaction de classe ce que vous aviez prévu
dans vos préparations didactiques et méthodologiques ? Quel élément en
particulier et de quelle façon ?
Quelle leçon en tirez-vous ?

ATTENTION :
Il se peut que le type de public vous ait obligé à modifier entre a u tres, pendant
la classe, vos objectifs (Étape 8). votre support (Étape 4 ). vos consignes (Étape
10). Passez en revue ce qui a été touché par un public « inattendu » (Étapes 1 à
9) et (Étapes 10 à 12)

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ÉTAPE N° 15
APRÈS L’EXPÉRIMENTATION

CONSIGNES ET ACTES DE L’ENSEIGNANT


COMPARAISON AVEC ÉTAPE 10 (préparation méthodologique 1)
MATÉRIEL ET INSTALLATION UTILISÉS

CONSIGNE :
Vous indiquez ici ce que vous avez réellement fait pendant T expérimentation.
Ceci sera d’autant plus facile si vous avez recueilli des données : soit
enregistrements, soit notes à posteriori, etc. Si vous avez transcrit tout ou
partie de la séance, vous pouvez mieux analyser ce qui s ’est passé et utiliser
alors quelques-uns des concepts ou outils descriptifs présentés aux étapes
précédentes. Vous reprenez ensuite ce que vous aviez envisagé aux Étapes 10
et 11. et vous comparez. Vous indiquez ici les différences ou les écarts par
rapport à ce qui était prévu. Vous essayez d’expliquer les raisons précises de
ces différences, ce qui a fait que vous avez été obligé de vous adapter au réel.

ATTENTION :
Pour expliquer les différences, vous allez bien naturellement parcourir les
éléments qui ont contribué à modifier vos prévisions : déroulement réel de la
tâche par les apprenants (Étape 161. évaluation imprécise ou erronée des
objectifs (Étape 81. etc., utilisation inattendue du support par les apprenants
par rapport à ce qui était prévu (Étape 111, disponibilité du matériel en réalité
par rapport à ce qui était prévu {Étape 12 de la préparation didactique) et ce
n ’est pas exhaustif.

À cette étape, comme l ’enseignant (vous) dispose des données de son expérience,
surtout s ’il a pu noter ce qui s ’est passé, voire enregistrer le cours, il dispose d ’un
matériau d’auto-analyse. Il peut questionner d’une part les différences entre ce qui était
prévu aux étapes 10 et 11, en phase préactive, d’autre part ce qu’il a fait au regard des
différents éléments des grilles d’analyse des activités enseignantes fournies par des
didacticiens. On examinera les points suivants, traitant de l’activité enseignante :
1 - les « Activités Didactiques » globales, identifiées par le groupe ASHILE ;
2 - la conduite des échanges, tant verbaux que paraverbaux ou non-verbaux ;
3 - les types de discours dans l ’interaction didactique : « e n s e ig n é » ; «régulateur»;
« métalinguistique » ;
4 - l’improvisation métalinguistique ;
5 - le traitement des erreurs ;
6 - le questionnement d ’explicitation par l’enseignant, par exemple dans des exercices de
conceptualisation.
La liste n’est pas exhaustive et souligne des points pertinents dans notre approche
du rôle l’enseignant «ergon om e». Elle ne constitue qu’un outil pour permettre à
l’enseignant conduisant son analyse de pratique d ’ouvrir des pistes de repérages de son
activité. Les activités que l’on peut analyser en premier vont de séquences englobant
plusieurs actions à des micro-actions telles que des questions. Un premier niveau
d’analyse sera global et permettra à l’enseignant une première identification ou

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205

dénomination des grandes catégories d’actions qu’il lui était possible de réaliser. La
façon dont il les a exécutées, c ’est-à-dire les critères d’évaluation et son jugement
d ’efficacité, ne sont pas vraiment envisagés, mais rien ne l’empêche de s ’y livrer. Nous
proposons à ce stade de mettre des mots sur des parties de sa séquence de cours, au titre
de premier repérage. Cela étant, l ’analyse pourra s ’arrêter à ce stade si besoin est ;
autrement, pour préciser et affiner son analyse, il pourra alors passer aux paragraphes
suivants. Quant aux « grilles » proposées, il faut signaler le caractère hétérogène de leur
rassemblement dans ces pages. Il ne s ’agit pas plus d ’un inventaire que de prescriptions
d’analyse : chaque organisme de formation d ’enseignant de langue en France et à
l’étranger ayant sans aucun doute ses propres grilles, il n ’était pas dans la visée de ce
travail d ’en faire le comparatif exhaustif. Plus spécifiquement, celles qui sont présentées
ci-après répondent à l’intention d’aider l’enseignant à identifier par « mots-clefs » des
phases d’activités réalisées pendant un cours. Or, ces « activités-clefs », chaque
enseignant peut les dénommer soit d’une façon qui lui soit propre, soit en important dans
son auto-analyse la terminologie des manuels ou des « méthodes constituées »
(« exposition », « exercitation » etc.). En l’occurrence, il nous paraît préférable qu’il se
forge ses propres représentations parce qu’une maîtrise accrue de son métier passe en
particulier par le fait de maîtriser une mise en mot personnalisée de son activité. Quoi
qu’il en soit, toute grille rencontrée en formation d’enseignant est bonne à prendre, à
partir du moment où elle est un support de réflexion adapté à ses préférences.

« Activités Didactiques » globales

Pour commencer, on proposera de considérer comme base de grille d ’analyse un


travail qui n’est pas conçu à cet effet, mais qui est le résultat, à l ’inverse, d ’observations
de classes dans de nombreux pays. Tl peut permettre à l’enseignant de langue, dans une
première approche essentiellement, de se référer à une typologie d ’activité constatée sur
différents terrains. Ainsi, pour rendre compte de l’activité réelle de l’enseignant en
classe, les travaux du groupe ASHILE (Analyse de la Structure Hiérarchisée de
l’Enseignement d’une Langue Etrangère), réalisés à Montréal, Pékin, Kyoto, Sydney, au
Portugal, en Norvège, Allemagne, Angleterre et USA, sous la direction de Germain
(1999: 179,180), ont pour but la recherche des régularités ou invariants dans
l ’enseignement d’une langue étrangère. Reposant sur la diversité et le volontariat des
enseignants observés, la collecte comporte selon les enseignants, 15 à 100 heures
consécutives d’enregistrement et d’entretiens a p o ste rio ri avec l’enseignant. Elle conduit
de façon inductive à effectuer une analyse séquentielle, dans laquelle apparaissent des
unités d’observation, c ’est-à-dire toute Activité Didactique (AD) ayant pour fonction de
faire apprendre (présenter, pratiquer, etc.). Ce qui peut intéresser notre analyse de
pratique est de relever les critères de découpage parce qu’ils sont transposables à cette
étape postactive. Ainsi, le découpage/repérage des types d’activité se fait :
• au niveau des discours :
• repérage des mots-charnières (O K , Bon, m a in ten a n t nous allons p a s s e r ; p o u r
com m encer, n ous a llo n s ; voilà p o u r ...) ;
• des types d’interactions enseignants/élèves : tours de parole, prises de parole,
» et à partir des entretiens des enseignants à posteriori ; dans notre cas, c ’est l’opinion que
vous avez sur les articulations qui se sont produites.
• au niveau gestuel :
• déplacements,

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206

• gestes de l’enseignant (pose le livre, arrête de marcher, passe au tableau,


regroupement des élèves, etc.).
» au niveau des contenus :
• exercices pratiques => point de grammaire.
En terme de résultat, le groupe ASHILE repère sept Activités Didactiques :

Présentation
• Exposé magistral
• Explication, etc.
Pratique
• Jeu de rôle
• Jeu
• Simulation
• Ecoute (dialogue)
• Production écrite
Exploitation
• Questions-réponses
Transposition
• Usage de la langue dans la vie (je)
Révision
Correction
Vérification
Activité organisationnelle
• Présences
• Distribution copies, annonce sorties
• Maintien de l ’ordre
• Accueil observateur
Germain (1999 : 179,180)

Ces dénominations d ’activités didactiques peuvent donc servir de base pour


identifier des pratiques, si toutefois elles conviennent à l ’enseignant. Une autre
dimension de l’étude, et qui n ’est pas ici prise en compte, est le séquencement des
activités et le fait que certains invariants apparaissent : les enchaînements entre activités
ne sont pas aléatoires et l ’étude précise les logiques qui y président. On renverra donc à
sa lecture en pointant sur le fait que l’enseignant peut également repérer son propre
séquencement et réfléchir à son efficacité.

Conduite des échanges : verbal, non verbal, paraverbal

Revenant alors à des outils spécifiquement conçus pour analyser des pratiques
enseignantes, on mentionnera les grilles d’évaluation des pratiques de classe, utilisées en
formation d ’enseignant à l’Alliance Française de Paris (Stirman-Langlois,
Waendendries, 1999 : 226) et qui montrent comment affiner l’observation des actes
enseignants par un groupe de tuteurs, au fur et à mesure de trois phases de mise en
situation des enseignants en formation. Nous ne mentionnerons qu’un tableau
récapitulatif des étapes d’analyse, qui ne donne naturellement qu’un aperçu succinct de
l ’important travail de tutorat qui soutient cette démarche. Trois dimensions d’observation
sont prises en compte : la façon dont sont conduits les échanges d’un point de vue verbal,
le comportement paraverbal et non-verbal, enfin les « techniques de classe », telles les

208
207

consignes et les explications. Chacune des dimensions est à nouveau détaillée selon une de
ses composantes, puis une critérisation est proposée : fréquence, variété, clarté, etc.

l eres pratiques 2es pratiques 3es pratiques


1- Conduite des
échanges :
• Écoute .................. Écoute
• Animation---------- + capacité à se mettre en
retrait,
+ distribution de parole,
• Guidage + sollicitations/relances
(sollicitations + (faire dire),
feed back) -------- + feed-back (évaluer) : + variété,
fréquence ; pertinence, + amplification.
+ discours adapté au
groupe.
2- Comportement :
• Paraverbal.......... + volume de la voix, + modulation,
+ débit. + articulation.

• Non verbal------- + Déplacements,


+ gestuelle/mimique,
+ regards.

3- Techniques de
classe : + clarté,
• Consignes --------- + renforcement : + économie.
vérification/
reformulation.
• Explications------- + opportunité + variété et choix des
+ qualité, techniques,
+ vérification de la + économie.
compréhension. +variété des techniques,
• Corrections-------- + opportunité, + économie.
+ qualité.

(Stirman-Langlois, Waendendries, 1999)

Dans ce tableau, on relèvera plusieurs éléments d’observation qui peuvent être


développés, en particulier les chapitres «Conduite des échanges» et «Techniques de
classe ».

Conduite des échanges et techniques de classe


On peut préciser l’analyse au travers de grilles d’observation complémentaires
(Kramsch 1991 : 69-71), qui permettent de faire le lien entre l ’activité enseignante et
l’activité des apprenants, et qui portent sur l’observation et l ’évaluation de la qualité de
l’interaction dans les différentes activités de la classe de langue : les activités non-
p é d a g o g iq u es (arrangement du mobilier, présentations au début du cours, etc.) et les

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208

(explicites ou implicites) telles que : exercice structural,


activités p é d a g o g iq u e s
(imitation substitution), traduction, description, récit, démonstration, jeux de rôle, jeux,
rapports, conversation dirigée, discussion, questions/réponses, dictée, écoute, lecture à
haute voix, chant, récitation (poèmes, dialogues), présentation de nouveau matériel,
conversation libre, problèmes à résoudre, etc. L’observation peut porter sur
l ’organisation des participants ; s ’agit-il d ’activité :
* de classe entière : une activité centrale ; interaction entre le maître et le
groupe dans son ensemble, ou entre le maître et des élèves individuels ;
élèves/élèves ou élève/classe entière : conversation entre élèves ou activités
centrées sur démonstration d’élève (un élève dans le rôle du maître ou
faisant un rapport ; saynète jouée par les élèves devant la classe) ;
* en chœur : les élèves répètent en chœur ce que dit le maître ;
* de travail de groupe : même tâches pour tous les groupes ou tâches
différentes suivant les groupes ;
* de travail individuel ;
* de travail individuel/de groupe : certains élèves travaillent en groupe,
d’autres font du travail individuel.

Chaque activité est analysée selon plusieurs critères communicatifs d’où sont tirés
ces exemples :
1 - L ’usage de la langue étrangère par enseignant et apprenants. La langue
étrangère est-elle uniquement objet d ’apprentissage ou est-elle aussi
instrument d ’acquisition ?
2 - L ’initiative dans les prises de parole. Les apprenants ne parlent-ils que
quand on leur donne la parole ou bien parlent-ils spontanément ?
l ’observation porte sur le nombre :
a) de questions,
b) de commentaires initiés spontanément par les apprenants.
3 - Les écarts d’information (« information gap »). L’information requise ou
échangée est-elle rituelle, c ’est-à-dire prévisible, ou bien est-elle nouvelle
pour les participants ? (pseudo-questions dont le locuteur connaît déjà la
réponse ou bien véritables requêtes d ’information : expression, négociation
et interprétation du sens voulu par le locuteur ?) La réponse serait-elle la
même quelque soit l’interlocuteur, ou bien y a-t-il plusieurs réponses
possibles ?
4 - Choix de structures : les apprenants doivent-ils répondre avec un code
restreint (répétition, substitution, transformation, lectures à haute voix, etc.)
ou bien ont-ils la liberté du choix ? (description d ’une image, vocabulaire
limité par l’image et la nature de la tâche ; récit d’une histoire lue ou
entendue avec obligation d ’employer un vocabulaire particulier, ou récit
libre, conversation libre).
5 - Corrections-réparations : l’accent est-il mis sur la correction de la forme ou
sur le sens de la communication ?
6 - Des échanges : l’interaction est-elle limitée à des échanges de longueur
minime (« bien », « c ’est ça » / paraphrase de l’énoncé précédent) ou y a-t-il
coopération dans la construction thématique du discours (expansions,
commentaires, développements, etc.) ?

210
209

Plus précisément encore, l’enseignant peut examiner sa flexibilité d’interaction


sous les aspects suivants (Stevick dans Kramsch, op. cit. 98) :
• « Quelles sont les attitudes de mes élèves vis-à-vis des natifs de la langue
enseignée, vis-à-vis de l’apprentissage de cette langue, du cours, de la pression
exercée par les parents, éducateurs, système scolaire ?
• Quel degré de contrôle, quel degré d’initiative est exercé par moi, par mes
élèves ?
• Dans quelle mesure les élèves exercent-ils leur initiative dans un esprit de
collaboration et d ’interdépendance ?
• Quels signaux tacites est-ce que je donne au delà de mes paroles ? (est-ce
que, par exemple j ’invite les élèves à prendre l’initiative, mais je montre que
je n’aime pas qu’ils contribuent ?)
• Est-ce que j ’échange de temps en temps mon rôle de maître pour le rôle
d’interlocuteur naturel ? Par quel comportement est-ce que je signale le
passage d’un rôle à un autre ?
• Dans quelle mesure mon sens critique envers moi-même et ma performance
de maître sert-il de modèle aux élèves pour développer leur propre sens
critique vis-à-vis de leur performance ?
• Quelle liberté mes élèves ont-ils de parler ouvertement en classe de leurs
réactions au cours, à la langue étrangère, de ce qui les intéresse, les ennuie,
les irrite, les inquiète, à propos du genre d’apprentissage dans lequel ils sont
engagés ? »

On pourrait préciser les « rituels métacommunicatifs », inspirés de Cicurel, avec


les différentes fonctions d’information, d’animation, d’évaluation que remplit
l ’enseignant. C’est ce qui est fait, dans une autre institution, avec un autre outil, le
vidéogramme utilisé à l ’UFR de didactique du FLE à Paris III Sorbonne-Nouvelle,
notamment en licence mention FLE (Lèbre, 1999 : 238 -2 4 0 ) :
• Les échanges vont-ils de l’enseignant vers les apprenants ? Des apprenants
vers l’enseignant ?
• En dehors des échanges verticaux, existe-t-il des échanges horizontaux entre
apprenants ?
• En ce qui concerne les manières de corriger : la correction est-elle
immédiate ou différée, c ’est-à-dire à la fin d’une activité ou lors d’une
séance ultérieure, en proposant à partir des erreurs des apprenants une
réflexion collective donnant lieu à des activités de conceptualisation ?

À partir du vidéogramme, il est proposé aux futurs enseignants de travailler avec


un tableau à plusieurs entrées où sont distinguées la nature des points corrigés, les
techniques explicatives, les acteurs de l ’explication. On voit donc que des grilles peuvent
être créées à l ’infini, et il appartient à chaque enseignant de se constituer ses propres
critères. A cet égard, s ’il travaille seul, il lui manquera le retour de pairs ou de tuteurs.
De nombreux ouvrages de didactique proposent de façon explicite ou non des schémas
d ’observation et d ’analyse, dans quelques cas, avec des orientations de « corrigés », qui
permettent au lecteur qui pratique une auto-formation de se confronter à quelques
réponses. Ainsi, Puren, Bertocchini, Costanzo, 1998 proposent non seulement des
questionnements sur les alternatives choisies par les enseignants dans leur conduite de
classe - le simple fait de lister les potentialités fait prendre conscience des variétés de
voies pédagogiques possibles, mais aussi des corrigés correspondant aux différentes

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210

étapes d’analyse didactique suggérées. Ceci ne peut pallier l’absence d ’une interaction
formative, mais permet à l’enseignant de se comparer à d ’autres pratiques. En outre,
reprenant le tableau de l’Alliance Française, il est en particulier un point d’observation
dont le recueil et l ’interprétation sont assez délicats : le comportement p a ra v e rb a l et
non-verbal. Pour sa part, le paraverbal, à savoir la voix et les caractéristiques de celle-ci
(débit, rythme, intonation, etc.) fait l’objet de types de recherches spécifiques, qui ne se
focalisent pas nécessairement sur le paraverbal dans l’enseignement des langues , et qui
nécessitent des enregistrements et un codage spécifique avant interprétation : l ’analyse
demande donc à l’observateur de posséder les outils pour ce faire. Il paraît raisonnable
de considérer que d’autres données d’observation sont plus accessibles tant pour le
recueil que pour l’interprétation. Même le non verbal qui, selon Ferrao-Tavares (1999 :
154), recouvrirait : la proxémie (l’utilisation que l’enseignant et les apprenants font de
l ’espace, les distances et les déplacements dans cet espace), le temps, la kinésie (les
orientations du corps, les postures, les gestes, les mimiques, les regards, les sourires,
« les indices ayant valeur de communication qui ne manquent jamais dans tout contexte
qui est le théâtre d’une interaction » (Watzlawick, 1972 : 60), même celui-ci demande
l ’enregistrement vidéo, suivi d’une confrontation ou d’une auto-confrontation, voire
d ’une auto-confrontation croisée, afin d’interpréter les raisons et finalités de ces
comportements. Ils sont donc d’un intérêt essentiel puisqu’ils constituent une des traces
des interactions avec les apprenants, mais demeurent pour l’instant des données
d’analyse difficiles à manier. On a donc ici à faire à des approches plus fines des
activités de classe, et qui reposent la plupart du temps sur une appréciation non pas
individuelle mais collective, entre tuteurs et enseignants, voire entre enseignants en
formation. Cette dimension collective est essentielle à l ’analyse de pratique mais
l ’enseignant qui, seul, fait retour sur sa pratique, peut s ’inspirer des domaines
d ’observation pour orienter sa réflexion. Même si ces grilles sont destinées à un dialogue
entre tuteur enseignant et enseignant en formation, les critères qu’on y trouve sont de
nature à orienter tout enseignant dans son « auto-observation participante ».

Analyser les pratiques discursives de l’enseignant dans l ’interaction


didactique

D’une façon plus générale, on peut rappeler que les éléments d ’observation dans
la classe portent sur une interaction d id a ctiq u e et que ce sont les différentes
composantes de cette interaction qui peuvent, chacune à leur tour, ainsi que leurs
relations, être l’objet d’une analyse par l’enseignant. C’est bien dans la perspective de
favoriser les progrès de ses apprenants que l’enseignant qui analyse sa pratique cherche à
améliorer celle-ci, et c ’est Y interaction qui fournit des éléments propices à la réflexion.
Besse (1992 : 139) inscrivant l’interaction notamment dans la filiation de la notion
d 'a c te de lan g a g e rappelle qu’ainsi comprise l’action langagière ne peut être le fait du
seul locuteur, même placé dans les circonstances appropriées ; elle suppose
confrontation et coopération entre les interlocuteurs, ce qui ne peut se faire sans mettre
en jeu les rapports interpersonnels et sociaux et que « pour réussir une interaction
langagière il faut, à quelque degré, s ’y engager affectivement et cognitivement, et il faut
engager, au moins symboliquement, son moi profond, social et culturel ». Par suite, tout
d iscours dans la classe est le résultat d’une processus coopératif à plusieurs niveaux
entre au moins deux interlocuteurs, processus de construction et de reconstruction de
significations à l’origine individuelles, qu’on ajuste progressivement, par négociation, au
sein d’un réseau d’interactions personnelles et sociales. Ainsi, ces interactions se

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traduisent par des échanges discursifs qui présentent des caractéristiques, susceptibles
d’être l’objet d’une analyse encore plus fine de l’activité enseignante. On rappellera ainsi
que les études concernant le discours des enseignants - « teacher talk » - (cf. Grandcolas,
1986 : 117), invitent les enseignants à étudier ces types de discours, cela afin de réguler
leur propre performance. Mais au delà, au moins trois caractéristiques des discours de
l ’interaction didactique sont intéressantes à repérer dans l’analyse de l ’activité
enseignante : ce sont des discours « enseignés », mais aussi des discours « régulateurs »,
enfin des discours de nature métalinguistique.

Discours enseigné et discours régulateur : des ambiguïtés


Pour commencer par les deux premières caractéristiques, pour Kramsch (1991 :
8), les discours de classe sont de deux sortes qui se recoupent :
* le premier est un discours « étranger » qui forme le contenu de
l ’apprentissage et que les élèves s ’efforcent d’acquérir ; c ’est un discours
enseigné ; il a un aspect constitutif, porte sur le contenu de l ’enseignement,
ses objectifs pédagogiques, son traitement didactique et son évaluation ; il
est l’expression directe du cursus et de la politique pédagogique choisie ; de
ce discours, on est toujours plus ou moins conscient, ce qui n’est pas le cas
du second cas ;
* le second est un discours qui sert à ménager cet apprentissage, c ’est-à-dire le
dialogue entre maître et élèves, didactique à certains moments, « naturel » à
d’autres ; c ’est le discours didactique ou de l ’interaction entre maître et
élèves ; il a un aspect régulatif, et a trait au mécanisme même de
l ’interaction et pour l ’auteur, on tend à sous-estimer l’importance de celui-ci
et son effet sur l’apprentissage.

A partir de cette distinction, une autre base de grille d’analyse est concevable en
croisant les règles imposées par le maître au plan du thèm e du discours, c ’est-à-dire ce
sur quoi porte le discours (aspect constitutif), avec l ’activité, c ’est-à-dire la variété des
procédures, règles ou routines qui règlent la conduite du discours (aspect régulatif) (cf.
Van Lier dans Kramsch 1991 : 62) :
1 - «T hèm e libre, activité libre, c ’est-à-dire «parlez de tout ce que vous
voulez, de la manière que vous voulez ». Exemple : petite conversation,
discussion de groupe sur thème choisi par les élèves.
2 - Thème dirigé, activité libre, c ’est-à-dire « certaines informations doivent
être échangées». Exem ples: annonces, directives, explications, exposés,
travaux de groupe sans supervision, discussion à plusieurs sur thème donné.
3 - Activité dirigée, thème dirigé, c ’est-à-dire « certaines informations doivent être
échangées de telle et telle manière selon des règles précises ». Exemple : exercice
structural, interview, rapport, résumé, débat.
4 - Thème libre, activité dirigée, c ’est-à-dire, « telle et telle chose doit être dite
selon telle et telle règle. Suivez les règles et tout ira bien ». Exemples :
exercice oral de répétition ou de substitution, travail dirigé, jeux de rôles
dirigés, jeux à règles précises ».

Avec une telle approche, il s ’agirait ici de diagnostiquer la nature des règles
proposées par l’enseignant dans le discours constitutif et la nature de l ’activité discursive
ainsi que leur combinatoire. Or, la classe de langue est à considérer comme un lieu
privilégié d’observation et d’expérience (Kramsch, op. cit. 36). Elle n ’est plus seulement

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la salle de répétition d ’une action qui ne reçoit son véritable sens que dans le pays où la
langue est parlée ; Kramsch réclame une « pédagogie de la communication » qui devrait
être une pédagogie des rapports interpersonnels s ’exprimant à travers les processus
d’interaction et de discours : de ces processus apprenants et enseignants doivent prendre
conscience. Ainsi, revenant à notre analyse post-didactique, en ce qui concerne
l ’enseignant, nous pensons que dans l ’analyse de sa pratique, il a tout intérêt à tenter de
repérer les deux types de discours produits lors d’un cours ainsi que leur articulation et
leur justification tant linguistique que pédagogique. Au bout du compte, on peut insister
(à la suite de Curran, in Kramsch 1991 : 78) sur la nécessité pour apprenant et enseignant
de prendre conscience de leurs responsabilités vis-à-vis l’un de l’autre, et non seulement
vis-à-vis de la matière à enseigner ou à apprendre. L’enseignant est, tout autant que les
apprenants un « client » dont les apprenants sont à leur tour les « conseillers ». En
analysant sa propre pratique discursive en classe, il lui est possible de repérer les
« conseils » que lui donnent les apprenants, par l’étude de leurs propos non seulement
dans les discours à objet linguistique (du premier type), mais aussi et surtout dans les
discours régulateurs de l ’interaction (du second type).

Discours didactique et métalangage enseignant :


dénomination et paraphrase ; conceptualisation grammaticale
L’activité métalinguistique étant l’activité langagière qui prend pour objet la
langue, elle est spécifique à la classe de langue. Or, c ’est bien le contexte institutionnel
qui détermine le mode de fonctionnement de la parole. Quel que soit le cas de figure, le
mode de fonctionnement de la parole est préréglé (Cicurel 1985 : 16), et enseignants
comme apprenants intériorisent des restrictions linguistiques liées aux exigences de la
situation de communication. D ’un côté, l ’enseignant s ’adapte au niveau de langue de ses
élèves : pour se faire comprendre, il modifie son débit, le rythme de ses questions, son
intonation. Et Cicurel parle ici d’un « souci métalinguistique » de l’enseignant qui
surveille sa parole dans le but de maintenir une communication satisfaisante avec son
groupe. Par ailleurs, l ’apprenant lui aussi restreint sa parole, d ’une part, parce qu’il a les
limites de sa propre compétence linguistique, avec des hésitations, des corrections, des
interruptions, d’ordre « métalinguistique » dans la mesure où elles portent sur le code
mais aussi sur les rituels communicatifs de la classe. C ’est bien parce qu’il y a
interaction à propos de la langue et au moyen de cette langue, que l ’interaction peut
avoir pour objet ses propres productions : « parler de la langue ou parler la langue »
(Cicurel, 1985 : 23-32) :
• dans le premier cas - parler de la langue -, où la compréhension des textes
écrits ou oraux fait place soit à des discours explicitement métalinguistiques
(terminologie ou règles de grammaire), soit à un discours métalinguistique
non spécialisé (comportant des termes comme d ire , c o m p ren d re , répéter
etc.),
• dans le second cas - parler la langue -, où l’on fait semblant d’avoir à
communiquer, par des actes de parole simulés - dont la valeur illocutoire est
de vérifier et d’informer autrui qu’on est à même de réaliser
linguistiquement cet acte de parole, où l’on emploie aussi l’autonymie.

L’emploi de la langue est en soi producteur d ’objets linguistiques, susceptibles


d ’être commentés de façon métalinguistique. Plus précisément, l’enseignant peut inclure
dans les « grilles >> l’identification des opérations métalinguistiques les plus fréquentes
qu’il utilise afin de guider ses apprenants. Développer ces opérations ou en varier les

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modalités fait partie des pratiques susceptibles d’accompagner l’apprentissage de façon


adaptée aux apprenants : selon les difficultés rencontrées, les niveaux de langue ou le
type de relation engagé par l’enseignant, un mode plutôt qu’un autre peut être adéquat.
On se reportera pour plus de détails à l’ouvrage de Cicurel (1985), notamment par
exemple aux fiches telles que celle de la page 42 ou de la page 118 {à condition d'avoir
ou de se donner les moyens d’enregistrer et de transcrire), qui permet d’analyser en
première approche une séquence d’interaction, et qui inspire directement nos suggestions
de repérage du discours métalinguistique. En particulier, avec la d é n o m in a tio n ,
l’enseignant nomme les choses en donnant le mot étranger ; avec la p a ra p h ra se, il
explique le signe inconnu par traduction intralinguale ou reformulation, ou par une
d éfinition, en ayant recours au contexte ou par le biais d ’un exemple. Dans le cas de la
dénomination, trois cas peuvent se produire :
• soit donner alors un signe correspondant au référent, s ’il est ignoré ou lors
de l’usage erroné d ’un terme (« m ia u ler au lieu de crier ») ;
• soit donner une façon plus précise de désigner un référent lorsque les
apprenants utilisent une expression qui ne soit pas inexacte, mais imprécise
(des « a nnonces p o u r appartem ents » / d es « a nnonces im m obilières ») ;
• soit désigner le référent par le signe en langue étrangère qui lui correspond
lorsque les apprenants découvrent le référent à travers une représentation
iconique, la perception d’un objet ou d’une situation.

En ce qui concerne la p a ra p h ra se (voir Besse 1992), qui se définit comme


l ’ensemble des énoncés qui, utilisés dans le même type de communication et la même
situation de discours que l ’énoncé de départ, traduit sensiblement la même intention de
communiquer ou a la même valeur d’information pour un auditeur compétent, on
pourrait distinguer les paraphrases paradigmatiques (ou de substitution) et les
paraphrases syntagmatiques (ou d’expansion).
1 - Les paraphrases paradigmatiques. Elles s ’excluent mutuellement dans le
même contexte mais pourraient se remplacer les unes par les autres. On peut
distinguer :
• des paraphrases synonymiques (soucis/problèm es)
• des paraphrases antonymiques (d ’o ccasion/pas neuf)
2 - Les paraphrases syntagmatiques. Elles complètent ou prolongent l ’énoncé
de départ. Elles peuvent apparaître dans le même contexte que l ’énoncé
source. ( Q u ’est-ce que ça veut d ire tentative, est-ce q u 'ils f o n t exp lo ser la
p ré fe c tu re ? N on, on a d é co u vert l ’explosif) (Cicurel, op. cit. 48).

Ensuite, dans la d é fin itio n , le mot à expliquer est extrait de son contexte d’origine
et accompagné d’introducteurs métalinguistiques : « sorte de », « personne qui », « acte
de », « celui qui », etc. Deux catégories de définitions peuvent être distinguées : les
définitions relationnelles et les définitions substantielles (Galisson 79) :
• les définitions relationnelles renvoient au « mot de base » ou « racine » du terme
à définir (« il échoue/échec » ; « séductrice/ du verbe séduire »), si les apprenants
sont susceptibles de connaître cette racine ;
• les d éfin itio n s su b sta n tielles comportent un signifié voisin et des différences
spécifiques (« coquin, c ’est quelqu ’un q ui est m alin, au d ép a rt c ’est su rto u t
p o u r les enfants »).

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Par ailleurs, l’enseignant peut se référer à un e situation pour expliquer le terme


inconnu au moyen d ’un contexte proposé, y compris le contexte de la classe (« s i vous
a llez d ans le m étro et q u e vous n ’a v e z p a s de ticket, vous êtes un fraudeur » ; « barbu » ?
Q u ’est-ce qu e ça veut d ire ? I l y a un bon exem p le ici. Q ui est-ce q ui est barbu ici ?),
Cicurel op. cit. Au-delà du discours métalinguistique, le co m p o rtem en t m éta lin g u istiq u e
tout entier de l ’enseignant dans son approche de la grammaire en classe peut être
observé. C’est ce que demande Vrhovac (2002) aux apprenants croates du français, dans
une recherche dont la finalité est d’étudier la relation entre la conscience linguistique et
la compétence grammaticale des apprenants de français langue étrangère. Comme il se
trouve qu’en Croatie, l’enseignement des éléments morphosyntaxiques dans les classes
de français langue étrangère des apprenants adolescents s ’effectue dans la plupart des cas
par des activités de concep tu a lisa tio n s grammaticales, l’auteur étudie en particulier, à
travers des questionnaires auprès des apprenants, le comportement que l ’enseignant
adopte le plus souvent lorsqu’il explique les nouvelles formes et structures de la langue
française, il fixe les nouvelles formes et structures de la langue française, il corrige les
fautes à l ’oral et à l’écrit. Le questionnaire proposé par Vrhovac aux apprenants
constitue un bon exemple de grille d ’analyse spécifique sur la pratique enseignante de la
grammaire, qui pourrait fort bien être auto-administrée ; voici un de ces questionnaires,
adapté pour les besoins de notre propos, dans lequel chaque enseignant peut tenter de se
reconnaître ou d’explorer d’autres voies (adapté de Vrhovac) :

• En expliquant les nouvelles formes et structures grammaticales :


• l’enseignant stimule pour trouver seul les nouvelles formes et structures
dans le texte, découvrir et décrire leurs caractéristiques et formuler les
règles à la fin et/ou
• à partir du texte sur lequel les apprenants ont travaillé, l’enseignant extrait
la nouvelle forme ou la nouvelle structure grammaticale, pose des
questions sur sa forme et son emploi et à la fin formule la règle lui-même ;
et/ou
• l’enseignant dit à l’avance de quelle forme ou structure il s ’agit, puis
donne quelques exemples sur la formation et l’emploi de cette structure,
[...].
■ Les apprenants font les exercices de façon à découvrir eux-mêmes les fautes
dans les énoncés erronés et à les corriger.
■ L’enseignant demande de se servir de la terminologie française en expliquant
les règles de formation et d’emploi d ’une forme ou d’une structure
grammaticale.
■ Quand une faute est commise pendant la communication :
■ l’enseignant corrige immédiatement,
■ l’enseignant dit que l’apprenant a fait une faute et attend que les
apprenants corrigent,
■ l’enseignant dit où la faute est commise et attend que les apprenants
corrigent eux-mêmes,
■ l ’enseignant rappelle la règle grammaticale et attend que les apprenants
corrigent eux-mêmes.
■ Quand les apprenants font une erreur dans la rédaction :
■ l’enseignant souligne seulement la faute,
■ l’enseignant souligne la faute et la corrige dans la marge,_________________

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■ l ’enseignant ne souligne pas la faute et indique à côté de type de faute.


■ L’enseignant extrait du contexte les fautes les plus fréquentes des rédactions,
les analyse et :
■ demande que les apprenants découvrent seuls où est commise la faute et la
corrigent,
■ explique où la faute est commise et corrige les erreurs.

On remarquera ici dans les cinq dernières questions l’importance du tra item en t de
l ’erreu r - ou faute -, qui sera développée plus loin.

Improvisation métalinguistique
Enfin, dans le cas où l’enseignant n’aurait pas prévu une explication méta­
linguistique, il lui arrive de procéder à des improvisations, qu’il est utile de noter si
possible « à chaud », c ’est-à-dire pratiquement après le cours. À cet égard, on
s ’intéressera aux recherches ex abrupto de Héberlé-Dulouard, Porquier, Rosen (2002)
sur l ’im provisation m éta lin g u istiq u e dans la classe de langue étrangère, qui soulève le
problème de fournir des explications instantanées, en réponse à des questionnements
imprévus, d ’où improvisation ou ajournement de la réponse : « Par exemple, dans un
cours de français langue étrangère, à la question posée par un(e) apprenant(e) :
« P o u rq u o i est-ce qu ’on d it ça a été p o u r dire ça va au p a ssé ? On ne d it p a s c ’est
allé ? ». De telles questions viennent souvent échapper à la démarche de progression
planifiée par l’enseignant(e), et au cadre de l’activité en cours. Elles sont déstabilisantes
à plusieurs titres (programme, compétence linguistique, face) ». L’étude s ’attache à
observer comment procèdent les enseignants, et notamment à questionner :
• la nature de la pratique réflexive qui détermine et structure leurs actions et
éventuellement leurs réponses, suscitées par l ’activité réflexive, consciente
ou infra-consciente de l’apprenant(e) ;
• l’apport de tels épisodes à la restructuration respective des grammaires de
l’apprenant et de l’enseignant et de leurs représentations métalinguistiques.

On voit donc l ’intérêt pour l’enseignant d’effectuer dans la mesure du possible un


relevé de ses activités de classe, sinon une observation en règle : la pratique réflexive
peut lui apporter tant sur le plan du développement de son aisance en classe que sur le
plan de son interaction avec ses apprenants, et, partant, de son efficacité.

Le traitement des erreurs

Comme cela a été évoqué à l’étape 3 - Langue Maternelle des apprenants -, l’erreur
sera considérée comme l’indice de la construction du savoir linguistique et
métalinguistique de l’apprenant ; le savoir efficace, rappellent Cuq et Gruca (2002 : 353),
n ’est pas le résultat d’un transfert de données d’un individu à un autre, mais d’une
activité structurante de l’apprenant : « Il s ’agit d’une volonté d’organiser les données de
l’observation pour en déduire des fonctionnements opératoires et réutilisables en cas de
confrontation ultérieure à un problème comparable. C’est donc une activité intellectuelle
de prise de conscience d’un fonctionnement linguistique et de formulation
métalinguistique ». On ne reviendra pas ici sur les liens entre erreurs et interlangue qui
ont été présentés à l’étape 3. Il est symptomatique de constater qu’en 1976, le
D ictio n n a ire de D idactique d es la n g u es , pour l’entrée « Erreur », renvoyait à « faute »,

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terme qui, lui-même, désigne divers types d’erreurs ou d ’écarts par rapport à des normes,
elles-mêmes diverses. Les auteurs signalaient d’ailleurs qu’une conscience plus fine de
la diversité des usages sociolinguistiques conduisait à considérer avec une certaine
relativité la notion de faute. Ainsi, il faudrait distinguer les « fautes » tenant à une
méconnaissance ou à une connaissance incomplète ou inexacte des règles de la langue, et
qui présentent généralement un caractère systématique (application de règles
inadéquates, phénomènes d’interférences, etc.) permettant de mettre à jour des
« systèmes de fautes » et de mieux en diagnostiquer l ’origine et la cohérence. Ceci nous
renvoie à la notion d’interlangue, déjà évoquée. Or les théories de l’apprentissage
peuvent donner plus ou moins d’importance à la faute (Galisson Coste, 1976 : 215, 216).
L’analyse des erreurs (A.E.) a donné lieu à de nombreuses recherches, dont, en 1977,
Porquier fait un premier bilan, en affirmant Y utilité de cette pratique : « Elle sert à
décrire, expliquer et corriger les erreurs (orientation didactique) ; d’autre part, elle aide à
mieux comprendre les processus et les stratégies d’apprentissage des langues étrangères
(orientation psycholinguistique) ». L’auteur met en lien le traitem ent de l ’erre u r e t la
p o s e d ’o b jectifs p éd a g o g iq u e s (on se reportera à l ’étape 8) : « un aspect fondamental de
l ’apprentissage institutionnel, c ’est l ’attitude des enseignants et des apprenants vis-à-vis
de l’erreur, c ’est-à-dire la conception qu’ils en ont, et ses incidences sur les résultats. De
cela dépend pour beaucoup la réussite objective d ’un cours de LE selon qu’il existe ou
non un consensus explicite ou implicite là-dessus entre enseignant et apprenant, et aussi
selon que l’appréciation et la correction des erreurs sont clairement reliées ou non aux
objectifs d ’apprentissage » (Porquier 1977 : 30). Concernant des recommandations de
m éthode d ’identification d es erre u rs , qui nous intéressent à cette étape de retour sur les
actes enseignants, Porquier propose des repères, non exclusifs, pour émettre des
jugements de conformité ou d’adéquation :
• le système de la LE ;
• les normes sociolinguistiques (variétés sociolinguistiques) ;
• la communication (degré d ’intelligibilité en fonction des situations, des
types de discours et des interlocuteurs) ;
• l ’in p u t (soit la norme pédagogique, soit en situation naturelle) ;
• l’apprentissage (systèmes intermédiaires individuels, paliers et progression
d’apprentissage, facteurs psychologiques divers).

11 insiste sur le fait que :


• le recours à l’apprenant lui-même s ’avère souvent nécessaire en cas de
production libre ;
• l ’analyse elle-m ême dépend :
• du type de production et
• des conditions de production, et plus précisément
• du type d ’activité langagière (mode d’expression : orale ou écrite,
traduction, test, etc.) ;
• du degré (objectif et subjectif) de contrainte et de liberté ;
• du type de texte et de discours ;
• du contenu thématique ;
• de la situation de communication (authentique ou simulée, etc.).

Ces éléments font partie des points envisagés dans les différentes étapes de cette
démarche d’analyse de pratique, et ils peuvent donc chacun être questionnés. Porquier
attire l’attention sur l ’interprétation d e l ’erreu r et ses incidences : nature lexicale ou

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phonétique, ponctuelle ou globale, ainsi que sur le fait qu’elle peut s ’effectuer en
colla b o ra tion avec l ’a p p ren a n t : « Corder (1973) a montré que l’analyse des systèmes
intermédiaires requiert des données « textuelles » ( textual da ta ) ‘intuitives’ ( intuitional
data). Les premières s ’obtiennent par l’examen détaillé d’une ou de plusieurs
productions d ’un individu au même stade, de façon à reconstituer les règles et le système
de règles qu’il y utilise et qui sont à l ’origine d’erreurs et de non-erreurs. Ces données
restant souvent insuffisantes, il faut alors recueillir auprès du locuteur lui-même d’autres
données complémentaires au moyen de diverses techniques d V elicitation », inspirées de
celles utilisées pour les enquêtes linguistiques et les enquêtes sur l’acceptabilité, et aussi
de celles pratiquées dans les recherches sur l’acquisition du langage maternel : « an
elicitation p ro c e d u re is a n y p ro c e d u re w hich causes a learner to m a ke a ju d g m e n t a b o u t
the g ra m m a tic a l a ccep ta b ility o f a fo rm o r p ro v o k e s him into g e n e ra tin g a linguistic
response » (op. cit. 37). Ce type de procédure repose sur un questionnement de la part de
l ’enseignant qui demande une technique à 'e xp lic ita tio n spécifique, qui sera abordée au
dernier paragraphe. Porquier (op. cit. 40) argumente enfin pour une didactique des
erreurs et des procédures didactiques qui consiste à :
• partir des productions des apprenants, soit par le biais d ’un relevé -analyse
d’erreurs préalable, soit directement dans la classe ;
• accepter les erreurs comme reflétant les compétences transitoires et comme outil
de manipulation ou de réflexion sur le système de la langue ;
• mettre en jeu la compétence intermédiaire des apprenants, leur intuition
grammaticale, leur capacité d’auto-correction et d’inter-correction ;
• limiter le rôle de l ’enseignant à celui d’un observateur et d ’un facilitateur
d’apprentissage, servant de témoin (et non déjugé) pour la correction formelle
et l ’intelligibilité des énoncés et pour la conceptualisation.

Ceci évoque la proposition de travail de Lamy, la « pédagogie de la faute »,


inspiré de Henri Frei dès 1929 : « partir des productions, fautives ou non, proposées par
les élèves, les prendre en considération comme objets de réflexion, les comparer à la
norme, comme on compare des éléments également susceptibles d’être analysés. Non
seulement parce que cela rassure les élèves, mais aussi parce qu’ils prennent ainsi
conscience des jalons de leur apprentissage, qu’ils voient en quoi il est systématique et
comment ils sont dans le système de la langue. Les manipulations de ce type doivent, en
fait, partir d ’erreurs provisoires qui éclairent le système de la langue » (Lamy in Boyer et
a l , 1990 : 215). L’exercice de conceptualisation, qui a été présenté à l’étape préactive -
étape 10 -, peut découler directement de cette prise en compte ou analyse des erreurs. En
ce qui concerne alors l’action de l ’enseignant, on peut considérer que la correction et
l'exp lica tio n de l ’erreu r sont susceptibles d’améliorer l’appropriation des formes
correctes. Ainsi, les modes d’intervention sur les erreurs peuvent être de différentes
natures, inspirées de Cuq et Gruca (2002 : 351,352) :
1 - « on ne peut et on ne doit pas tout corriger à chaque fois : cela brimerait
par trop l’élan communicatif qu’il faut par ailleurs sauvegarder. La
correction peut être ciblée sur les points choisis au préalable par l’enseignant
et sur lesquels il veut focaliser la séance ou la séquence ;
2 - il y a, si l’on peut dire, faute et faute : c ’est-à-dire que l’enseignant est bien
souvent tenté de corriger des formes seulement parce qu’elles
n’appartiennent pas à sa propre représentation de la langue. La perception de
la norme que chacun de nous se fait donne des frontières floues au correct,
au grammatical, à l’acceptable. Il est important de tenir compte de

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218

l’adéquation des formes produites à la situation et au style de


communication ;
3 - le volume et le type des interventions correctives peuvent dépendre du
contrat didactique passé avec les apprenants. Très souvent, les termes en
seront fortement marqués par les éléments culturels des cocontractants ;
4 - une perception correcte des phases intermédiaires d’apprentissage doit
permettre à l ’enseignant d ’adapter ses corrections en tenant compte des
acquis des apprenants. Rien n ’est plus démotivant que de reprendre toujours
un apprentissage de zéro, comme si l’on n ’avait jamais rien appris. La
politique du verre à moitié plein est préférable à celle du verre à moitié
vide !
5 - de la libre expression non reprise à la correction explicite, il y a toute une
gamme d’interventions possible : mimiques, demandes de reformulation ou
de clarification, incitation à l ’auto-correction, affirmation d’incompré­
hension, utilisation du métalangage, etc. »

Dans l ’analyse de sa pratique en cette phrase post-active, l ’enseignant peut donc


se questionner :
• sur le point (1) : quels sont les points sur lesquels il a focalisé ses corrections et
pourquoi, en relation avec ses objectifs et les apprenants ? A-t-il improvisé et selon quels
critères (cf. paragraphe précédent : l’improvisation métalinguistique) ?
• sur le point (2) : quels étaient ses critères de correction ? Sa représentation de la langue,
l’adaptation des formes au style de communication ?
• sur le point (3) : quel est le contrat de communication passé avec les apprenants au
sujet des corrections, et a-t-il été respecté ?
• sur le point (4) : a-t-il tenu compte des phases intermédiaires d’apprentissage des
apprenants, en « dosant » les corrections selon le stade où ils se trouvent ?
• sur le point (5) : quels modes d’intervention a-t-il utilisé, en relation par exemple avec
la grille d’analyse pédagogique (cf. paragraphe précédent) ?

Plus globalement, il semble que le concept d’« erreur » n ’a pas encore acquis ses
lettres de noblesse en classe de langue, alors que le rôle de l ’enseignant est considéré par
de nombreux didacticiens comme une médiation entre l ’apprenant et ses productions
langagières, non pour corriger, mais pour en accompagner la compréhension.

M é d ia tio n e t tr a n sitio n
Cette médiation est rendue possible dans l’espace de la classe, considéré comme
esp a ce tra n sitio n n el (Santacroce, 2000 : 436) c ’est-à-dire un espace protégé qui permet à
l ’apprenant d’expérimenter de nouvelles connaissances, linguistiques dans le cas qui
nous occupe (Bourgeois 1996: 33). Cette expérimentation est propice aux erreurs
linguistiques, dans la mesure où il est autorisé - et il arrive - que la « félicité
communicationnelle » soit prise en défaut : pour Santacroce (2000 : 436),
l’incompréhension partielle ou totale génère une recrudescence de l’activité
métalinguistique susceptible à son tour de combler un déficit communicationnel. C’est
cette activité métalinguistique, stimulée par la reconnaissance de futilité des erreurs, qui
permet le développement d’une « grammaire transitionnelle » par l’enseignant avec les
apprenants :
« Pour être plus précis, il nous faut évoquer les deux moteurs d’une démarche
transitionnelle ; d ’une part l ’échec communicationnel relatif, d’autre part

220
219

l’impossibilité de réduire les difficultés rencontrées à un schème explicatif


définitif, ce dont nous rendons compte par l’expression métaphorique de
lan gue contrariante. C’est parce qu’aucune théorisation ne peut être
totalement satisfaisante que les représentations grammaticales sont
susceptibles d ’évoluer, jusqu’à ce que les productions orales et écrites
permettent une communication réussie en LC. 11 faut signaler enfin que l’écart
prévisible entre la félicité communicationnelle subjective des apprenants et la
complexité des normes linguistiques objectives et subjectives, que
l’enseignant de langue peut partiellement mesurer, autorise ce dernier à
induire, si nécessaire, des procédures de traitement de l’information
grammaticale visant à accroître la difficulté linguistique et métalinguistique.
Une grammaire transitionnelle n’a pas à chercher bien loin des procédures de
traitement des données discursives et métadiscursives : elles sont déjà là. Il
n’y a rien à appliquer, il y a à utiliser des dispositions préalables » (Santacroce
2000 : 437). ’

L’exploitation par l ’enseignant des seuls matériaux de la classe et l ’induction de


difficultés linguistiques évoque les notions de conflit cognitif et de zone proximale de
développement, développées à l ’étape 11 (déroulement de la tâche pour l’apprenant),
dans la mesure où il tire partie des indices qui lui permettent d ’identifier s’il y a conflit
entre des connaissances préalables et des nouvelles informations et où il aménage la
tâche en fonction des erreurs produites. La « grammaire transitionnelle >>de Santacroce
constitue une démarche « ascendante » plutôt que « descendante » de l ’apprentissage de
la langue. La démarche descendante étant pour l ’auteur la démarche dominante qui
consiste à proposer d ’abord un certain type de savoir grammatical (descriptions
linguistiques spécifiques) et faire appliquer, en quelque sorte « cautionner » ce savoir par
les apprenants, autrement dit une démarche applicationniste. La démarche ascendante,
entre autres par le traitement des erreurs et par l’exercice de conceptualisation, crée des
points de rupture qui permettent d’élaborer ponctuellement des « hypothèses
grammaticales transitoires » sur des productions langagières considérées comme
problématiques (Santacroce, 2000 : 436). La proposition de l’auteur d’une gra m m a ire
tra n sitio n n elle en classe de langue repose sur des opérations de base auxquelles peuvent
se livrer les apprenants et l’enseignant conjointement :
• trier,
• comparer,
• déduire,
• induire,
• comparer.

Les va-et-vient entre les données, les hypothèses spontanées et les propositions
théoriques amorcent un mouvement caractéristique des approches hypothético-
déductives. Une telle démarche didactique, qualifiée de tra n sitio n n elle parce qu’elle est
instable, ne vise ni à décrire des faits grammaticaux objectifs, ni à imposer une ou des
descriptions linguistiques particulières, mais « à accompagner un raisonnement
linguistique naturel qui forge un métalangage transitoire et suit une progression en partie
imprévisible que nous qualifierons de progression intuitionnelle, liée aux aléas, ratages
et réussites dans la communication exolingue en milieu institutionnel. » L’auteur
demande alors à l ’enseignant d ’évoluer conjointement dans les élaborations
conceptuelles explicites des apprenants et d ’aider à reproblématiser les fragments

221
220

théoriques transitionnels. Ce travail « transitionnel », c ’est-à-dire de pédagogie qui


accueille, identifie explicitement et accompagne, sans les éviter, les productions
linguistiques erronées et instables - mais transitoires -, des apprenants, est probablement
l ’un des objets d’étude les plus intéressants pour l’enseignant et pour la didactique des
langues, dans une perspective didactologique. Mais cette approche n ’est pas nouvelle.
Besse (2001) ancre dans les propositions de Comenius, Jan Amos Komensky (1630),
dont il cite des passages, la confirmation de ses propositions de 1970 notamment en
matière de conceptualisation, en y voyant toujours aujourd’hui une « utopie éducative ».
Pour Comenius, « les lois de la Didactique naturelle » sont violées quand « on enseigne
d ’abord les règles dans l’abstrait» avant de les éclairer par des exemples, alors qu’il
faudrait « n’apprendre aucune langue à partir de la grammaire », ou du moins « donner
les exemples avant la règle ». Plus précisément, « toute langue doit être apprise (d ’abord)
par l ’usage plus que par les règles », c ’est-à-dire « qu’il faut l ’enseigner (d’abord) en la
faisant parler », l ’élève devant d ’abord l’entendre, ensuite la lire, la copier, et faire « des
essais d’imitation écrits, oraux, le plus souvent possible ». Pour Comenius, « toutes les
langues peuvent ( ...) s ’apprendre par une même et unique méthode » : elle consiste donc
à faire pratiquer aux élèves, de manière très intensive, un usage prégrammaticalisé de la
L2, avant de l’éclairer par un nombre réduit de remarques grammaticales comparant
celle-ci à leur L1 (et/ou à la première L2 antérieurement apprise), en ayant recours,
autant que possible, au métalangage qu’ils ont déjà appris à propos de cette (ou de ces)
langue(s). On assiste donc à une démarche inductive, partant des productions
linguistiques et opérant des comparaisons, toutes caractéristiques de la démarche
transitionnelle évoquée plus haut. L ’enseignant peut donc relever si, dans ses actes et
consignes en classe de langue, il a ou non suivi une telle démarche, et, sans pour autant
adhérer à celle-ci, expliciter d ’abord pour lui-même, les raisons de ses choix. Encore
faut-il pouvoir et savoir focaliser son attention sur les points pertinents dans les discours
des apprenants, afin de les accompagner ou de les guider dans l’explicitation de leurs
hypothèses ; encore faut-il poser les « bonnes » questions au bon moment. Il est donc
nécessaire de posséder quelques outils communicatifs en matière de questionnement
dans une interaction didactique. Il est possible de faire appel à des techniques éprouvées
dans des contextes d’analyse du travail, en ergonomie ou en psychologie du travail, tel
l'en tretien d ’explicitation. Dans cette perspective, l ’enseignant devient donc un
chercheur qui accompagne l ’apprenant ou les apprenants à verbaliser les processus ou les
activités qui les ont menés à produire tel ou tel énoncé ; cet énoncé étant considéré soit
comme correct soit comme problématique, il s ’agit, dans l’exercice de conceptualisation,
de tenter de connaître les raisonnements par lesquels les apprenants sont parvenus à
produire l ’énoncé étudié. Comme il s ’agit de raisonnements non nécessairement
conscients, il est donc difficile d’y avoir accès spontanément.

AIDE À L’EXPLICITATION/CONCEPTUALISATION DES ACTIVITÉS


D’APPRENTISSAGE

Dans le champ de l’analyse du travail, les techniques du questionnement


d’explicitation sont diverses, et l ’on présentera l ’une d’entre elles, en renvoyant à d’autres
auteurs pour une vision plus large de cette technique (Theureau, 1997 ; Blanchet 1991). On
se contentera ici d ’indiquer les buts et l’objet de l’entretien d’explicitation au sens de
Vermersch (1994 ; 1997).
L ’entretien d ’explicitation est composé d’un ensemble de techniques qui visent
à permettre au formateur, ou à tout professionnel, de :

222
221

1 - S’informer, En particulier sur la manière dont l’interviewé a réalisé une tâche


particulière, dans un but de recherche (ergonomie, didactique, résolution de
problème), de soutien ou de remédiation pédagogique (analyse des erreurs), de
perfectionnement ou d’entraînement (professionnel, sportif, musical), de bilan,
d’orientation.
2 - Aider l ’autre à s ’auto-informer. Pédagogie de la prise de conscience, aide à
l ’appropriation de l’expérience, complément de la pédagogie des situations.
3 - Former l’autre à s ’auto-informer. Pédagogie du fonctionnement
métacognitif.

L’objet de l’entretien d’explicitation est la m ise en m ot a posteriori de l ’action, et


dans le cas de la verbalisation des raisonnements qui ont amené un apprenant à produire
un énoncé :
1 - la dimension vécue singulière de Faction plutôt que ses aspects
conceptuels, généralisants, schématiques ou ses aspects imaginaires, créatifs
ou émotionnels ;
2 - la dimension procédurale de l ’action plutôt que les seuls aspects déclaratifs
(savoirs théoriques, raisons) ou les aspects intentionnels (buts, finalités)
(Vermersch 1994 : 32).

Il n’est pas possible dans le cadre de cet ouvrage de développer les techniques de
questionnement, souvent spécifiques au champ de la formation d’adulte ou à la didactique
professionnelle, mais il est important de mentionner quelques-unes des caractéristiques de
ce questionnement à un enseignant qui souhaiterait le mettre en œuvre, dans l ’optique
d ’une activité de conceptualisation. Ainsi, dans la formation des enseignants, comme
d ’ailleurs dans celles des formateurs, la maîtrise ou tout du moins la connaissance de ses
propres façons de questionner peut aider à développer des compétences proprement
pédagogiques : la façon de poser des questions en classe est ainsi un des observables qui peut
faire l’objet d’une analyse de la part de l’enseignant à cette étape post-active. En termes de
démarche, et entre autres composantes, l’entretien d’explicitation s’attache donc à :
1 - la verbalisation de l’action vécue ;
2 - faire référence à une tâche réelle et spécifiée (tel exercice qui vient d’être
réalisé en classe ou telle situation de communication vécue par
l ’apprenant) ;
3 - focaliser sur l’action plutôt que sur le contexte, l’environnement, les
circonstances ou les jugements, les opinions, les commentaires ;
4 - vérifier que, au moment où il s ’exprime, l’apprenant est en évocation du
vécu de son action spécifiée ; c ’est-à-dire qu’il « revit » la situation ;
5 - aider à l’accès de la mémoire concrète ; ne pas solliciter la mémoire
consciente, désamorcer tout enjeu et toute tension visant un effort conscient
de rappel, chercher l ’accès sensoriel.

Techniquement, enfin, ce type d ’entretien :


• évite d ’induire le conscientisé : « quoi », plutôt que « pourquoi »,
• utilise des questions descriptives « comment », « qu’est-ce que »,
• questionne les gestes observés pendant l’évocation,
• identifie l’action, les enchaînements, maîtrise la « granularité » de la
description de l ’action (i.e. : finesse de description).

223
222

En termes de régulation de la communication, l’entretien demande entre autres


choses de :
1 - proposer un contrat de communication ;
2 - à la fois canaliser l’attention sur les processus à décrire et la non
directivité ;
3 - respecter des principes éthiques : le respect de la personne, des limites du
rôle de l ’enseignant.

Il n ’est pas question ici de suggérer à l’enseignant de se lancer dans un


questionnement d’explicitation sans avoir reçu un minimum de formation, mais plutôt de
mettre en lumière quelques-uns des éléments constitutifs de cette technique, et, partant,
dans l’analyse de pratique, de tenter d ’identifier si l’enseignant met intuitivement et/ou
spontanément ces techniques en œuvre. En conclusion, à cette étape, d ’innombrables
questions peuvent se poser à l’enseignant, et le degré de précision de l’analyse dépend
évidemment des objectifs qu’il fixe à l’analyse autant que des objectifs pédagogiques de
son cours ; et bien entendu, de ce qu’il a pu recueillir comme données dans sa pratique.
Mais pour l’beure, il a été question à cette étape de ses propres actes ; il manque bien
évidemment maintenant les réalisations des apprenants en interaction avec lui, ce qui fait
l’objet de l’étape 16,

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223

ÉTAPE N° 16
APRÈS L’EXPÉRIMENTATION

• DÉROULEMENT DE LA TÂCHE POUR L ’APPRENANT


• COMPÉTENCE MOBILISÉES PAR L’APPRENANT
• COMPARAISON AVEC ÉTAPE 7 et ÉTAPE 11

CONSIGNE :
• Vous indiquez ici :
• ce que les apprenants ont réellement fait dans l’expérimentation
(déroulement) et
• le type de compétences qu’il vous semble avoir mobilisé en réalité, et ce, à
partir des données que vous avez recueillies. Si vous avez fait des
transcriptions d’un enregistrement ou pris des notes, vous pouvez mieux
analyser les comportements.
• Vous reprenez ensuite vos prévisions de l’Étape 11 en préparation
méthodologique (déroulement de la tâche pour l ’apprenant) et de l ’Étape 7
(compétences m obilisées par la tâche) en préparation didactique et vous comparez
le prévu et le réel.
• Vous indiquez ici les différences ou les écarts par rapport à ce qui était prévu.
• Vous essayez de vous expliquer ensuite les raisons précises de ces différences,
ce qui a fait que les apprenants n’ont pas réalisé la tâche comme prévu.

ATTENTION :
Pour expliquer les différences, vous allez bien naturellement parcourir tous les
éléments qui ont contribué à modifier vos prévisions : vos modifications de
consignes i Étape 151. une évaluation imprécise ou erronée des objectifs (Étape 8.
etc.), un public différent de ce qui était prévu (Étape 14). une évaluation inadaptée
des compétences demandées par la tâche dans la réalité (Étape 7). et ce n ’est pas
exhaustif.

POURQUOI REVENIR SUR L’ACTIVITÉ APPRENANTE

Même s ’il est artificiel de séparer l ’activité apprenante de l ’activité


d ’enseignement, l ’analyse s ’attachera à cerner les actions des apprenants dans ce qu’elles
ont d’observable : écrites non seulement sur papier mais au tableau ou sur tout support
disponible ; orales avec prise de note, enregistrement, ou reconstitution a p o ste rio ri par
l’enseignant (Schôn reconnaît celle-ci comme une donnée de l’analyse du praticien). Il
n ’est donc pas possible ici de commenter tous les actes possibles des apprenants en
interaction avec les actes enseignants, et on s ’efforcera plutôt d ’éclairer les données
recueillies par l’enseignant au regard des recherches sur les processus d’apprentissage
qui sous-tendent les productions des apprenants. La notion d 'a p p ren tissa g e sera située,
de façon classique, par rapport à la théorie de Piaget puis, dans un second temps, les
questions qui relient les notions d ’acquisition et d ’a p p ren tissa g e des langues seront
présentées pour les enjeux didactiques qu’elles supposent. En fait, ce qui peut intéresser
au premier chef l’enseignant, ce sont des stra tég ies d ’apprentissage, dont il peut postuler

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224

l’existence pour expliquer justement les actes de ses apprenants, et qui seront abordées
ensuite ; leur mobilisation s ’étayant sur des processus dits de « bas » ou de « haut »
niveau dans l’acquisition de la langue. En final, ces recherches ont aussi à tenir compte,
voire à développer, la conscience m éta co g n itive ou conceptualisante des apprenants pour
apporter des contributions à la compréhension et à l’accompagnement de leur activité.

APPRENTISSAGE : ASS1MILATION/ACCOMMODATION

De nombreux didacticiens, non seulement en FLE, ont utilisé les notions


d ’a ssim ilation et à ’a cco m o d a tio n de Piaget en les transposant au phénomène
d’« appropriation » linguistique. On se contentera ici de rappeler ce que recouvrent les
deux notions afin d’en souligner les conséquences en termes de compréhension pour
l’enseignant (cf. Bourgeois et Nizet, 1996). L’assimilation consiste en l’intégration d’un
nouvel élément dans les structures de connaissances préalables du sujet sans que cela
provoque la destruction de ces structures d’accueil. Ceci suppose qu’il existe d ’une part
un sujet apprenant, qui construit son savoir, au sens constructiviste de Piaget et que,
d’autre part, des structures préalables soient en place pour accueillir le nouvel élément. Il
est par exemple indispensable qu’une compétence référentielle en L1 soit en place pour
accueillir le nouveau mot de vocabulaire, correspondant à l ’objet désigné, en L2.
L’accommodation est au contraire l’incorporation d’un nouvel élément dans une
structure d’accueil du sujet avec modification de celle-ci, ce qui sera le cas si la
compétence référentielle, n’étant pas en place en Ll, un nouveau vocabulaire est
présenté en L2 : il faudra à l’apprenant « accommoder », c ’est-à-dire modifier sa vision
du monde afin que cette dernière incorpore l’objet inconnu désigné par le mot nouveau.
Ceci demande également de considérer le sujet comme construisant sa connaissance par
l’alternance et/ou la superposition de ces deux processus. Dans le cadre du FLE, Besse et
Porquier (1991 : 243, 244) considèrent que le processus global d’appropriation consiste à
appréhender, à traiter et à stocker des données langagières fournies par le milieu (par
exposition à la langue étrangère) et à les adapter à la connaissance antérieure, par
assim ila tio n et accom m odation, et proposent le schéma suivant :

Exposition ^ Saisie —>• Intégration —>• Connaissance Intériorisée


données

ASSIMILATION _____ ^
M---------- ACCOMODATION

APPROPRIATION

Pour les auteurs, la sa isie est un traitement perceptif, sous forme explicite, implicite ou
mixte, des matériaux fournis par l’exposition, et repose en partie sur l ’attente perceptive.
Elle comporte une part de contrôle interne, parfois verbalisé, le plus souvent tacite. Mais
quoi qu’il en soit, la saisie est déjà structurante, c ’est-à-dire qu’elle résulte d’une a c tiv ité ,
consciente ou non, volontaire ou non, du sujet sur les objets de connaissance. Ensuite,
Y in tégration correspondrait pour Besse et Porquier à V assim ilation et à
l'a cco m m o d a tio n et l ’intégration mettrait enjeu des opérations cognitives diverses, telles
que la généralisation ou l ’inférence, qui organiseraient le matériel saisi en relation avec
la connaissance intérieure, soit par restructuration de celle-ci, soit par adaptation à celle-

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ci du matériel en cours de traitement, les deux processus étant complémentaires. Enfin,


les auteurs soulignent un point qui paraît essentiel à l’appropriation d’une langue :
l’apprentissage implique deux niveaux d’activité cognitive : l’une consistant à traiter et à
s ’approprier du langage, l’autre à s ’adapter - et à adapter le premier - aux contraintes
institutionnelles d ’apprentissage, c ’est-à-dire, en bonne partie, aux stratégies
d ’enseignement ( o p . cit. 247). En tout cas, l’expérience individuelle est considérée
comme un prérequis de l’apprentissage et si l ’on suit Piaget, les stimuli proposés par
l ’enseignant sont réélaborés de façon autonome par chaque élève, en fonction de ses
connaissances préalables ; en outre, ce processus n’est pas déterminé par ce qu’on a
décidé de lui enseigner, mais par ce qu’il est prêt à apprendre à ce moment particulier de
sa formation, (Dakin dans Castelloti et de Carlo 1995 : 51). La façon dont l’apprenant va
mobiliser ses connaissances préalables semble dépendre de toute façon de facteurs
individuels (cf. aussi Moirand 1990 : 60). Au plan de l’analyse de pratique, on pourra
alors renvoyer l ’enseignant à l ’étape 9 - prérequis de l ’apprenant avant la tâche -, afin de
confronter les actions réelles des apprenants avec ce qu’il avait envisagé comme
« connaissances préalables » à l ’activité didactique prévue : si des difficultés sont
survenues ou si l’activité n ’a pu être menée à bien, peut-être que ces préalables n ’étaient
pas en place, ou inversement, peut-être l ’activité telle qu’elle était prévue n ’était pas
adaptée aux connaissances préalables des apprenants. Ce qu’il conviendra de vérifier en
faisant retour au type de public (étape 5).

ACQUISITION VS APPRENTISSAGE

La distinction entre acquisition et apprentissage est instaurée depuis les travaux


de Krashen (Besse et Porquier, 1991 : 75 ; Moirand 1990 : 42 ; Gaonac’h 1991 : 152 ;
Carlo 2000 ; Kramsch 1991 : 23 ; Galisson et Puren 2000 : 116). Dans le tableau suivant
sont comparées les caractéristiques généralement avancées pour distinguer les deux
processus dans l ’appropriation d ’une langue étrangère. Au-delà, ces caractéristiques ont
des conséquences non négligeables dans le domaine des recherches et de la didactique.
Ainsi, pour commencer, les deux processus seraient totalement différents et exclusifs
l’un de l’autre, et seraient définis par ces différents traits :

Acquisition A pprentissage

Processus • Naturel, spontané,


cognitif autonome * Artificiel, contraint
• Imprégnation • Réception
• Inconscient/subconscient • Conscient
• « Sentiment » de la langue • Jugement grammatical
• Orienté signification • Orienté formes
• Non réflexif • Connaissance réflexive = le
« Monitor » (contrôle linguistique
conscient)
• Règles intériorisées • Règles explicitées
implicites

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Contexte Natifs Non natifs


d ’appropriation Jeunes enfants Adultes
Langue maternelle => Langue étrangère
multiples interactions
verbales
Conséquence « Recréer » les contextes d ’acquisition
pour => « bain de langue » lors de séjour à
l’enseignement l ’étranger.
de la LE (par
exemple)

On renverra aussi à Holec pour qui il est nécessaire de faire une stricte distinction
entre trois termes, et qui articule sans les séparer acquisition et apprentissage ; d’une
part :
• « le processus cognitif, interne (« covert »), largement sinon totalement
involontaire, qui conduit l ’apprenant d ’une seconde langue d’un stade de
départ de non-compétence communicative dans cette langue à un stade de
compétence plus ou moins étendue [...], c ’est le processus d ’acquisition ;
d ’autre part :
• la démarche observable (« overt ») volontaire et consciente par laquelle
l’apprenant s ’engage dans une série d’activités dont l’objectif est de
déclencher, alimenter, mener à son terme le processus d’acquisition, c ’est
l’apprentissage ; et enfin
• l’enseignement, démarche par laquelle quelqu’un qui n ’est pas l’apprenant
s’engage dans une série d ’activités dont l’objectif ne peut être, par la force
des choses, que de créer un environnement d’apprentissage pour l’apprenant
qui a recours à ce « service ».

Pour l ’auteur, il ressort de cette triple distinction que l’enseignement se définit en


fonction de l’apprentissage et l’apprentissage en fonction de l’acquisition, et c ’est
l’analyse du processus d’acquisition qui fournit en premier les indications permettant de
poser quelques jalons (Holec 1986 : 56). On peut considérer aujourd’hui que si la
pertinence des concepts de Krashen n’est pas remise en cause, cependant les critères de
distinction entre des processus conscients et subconscients sont peu clairs, et en tout cas
difficilement opérationnalisables {Gaonac’h 1991 : 152). Critiquant cette conception
d ’« étanchéité » entre les deux processus, Besse et Porquier estiment que, si d ’un point
de vue heuristique il est légitime et utile de postuler une distinction entre acquisition et
apprentissage, il n ’en va pas nécessairement de même d’un point de vue didactique :
« la dichotomie acquisition/apprentissage rend mal compte de ce qu’on peut
observer en classe de langue : il n ’y a pas vraiment de solution de continuité
entre ces deux processus, et toute acquisition y implique un certain
apprentissage. L’appropriation de langue étrangère s’y développe à travers des
processus qui mêlent constamment les deux processus krashéniens : l’activité
métalinguistique constante de l’enseignant et [...] de nombreuses pratiques
réputées implicites, simplement parce qu’elles ne font pas appel à un discours
grammatical spécialisé » (Besse et Porquier 1991 : 79).

228
227

La critique se retrouve chez Moirand (1990 : 42, 43) :


« Travaillant dans un pays dont il ne connaît pas la langue, un apprenant peut,
tout en acquérant des capacités communicatives élémentaires au contact de
natifs, se servir de dictionnaires, de grammaires et d’outils de référence qui
vont l ’aider à « formaliser » son acquis ; n ’habitant pas un pays où l ’on parle
la langue qu’il veut ou doit apprendre, un apprenant peut, sans suivre de cours
de langue, utiliser des données « naturelles » (ém issions de radio ou de
télévision, films sous-titrés, conversations avec des natifs, etc.) pour
compléter un apprentissage personnel plus « conscient » reposant sur des
matériaux auto-didactiques (méthode A ssim il par exemple) ainsi que sur des
grammaires, dictionnaires,etc. [...] Il semble donc que nombre de situations
soient mixtes avec une part d’acquisitions (connaissances implicites,
inconscientes) et une part d ’apprentissages (connaissances explicites,
conscientes). »

L ’idée de mixité des deux processus est proche de l’idée de c o n tin u u m , et certains
chercheurs pensent aussi qu’il n ’y a pas de raison sérieuse de postuler une différence de
nature et que l’on pourrait à la limite faire l’économie de l ’un des deux termes (Carlo
2000; Santacroce, 2000 : 435), La question théorique de savoir s ’il existe vraiment, au-
delà des moyens mis en œuvre, une différence fondamentale entre apprendre et acquérir
pour s’approprier une langue étrangère semble davantage du ressort des psychologues et
des psycholinguistes que des didacticiens. Comme Cuq et Gruca (2002 : 110), et jusqu’à
plus ample informée, nous ferons de la différence entre apprentissage et acquisition une
différence d’ordre méthodologique : une différence dans les circonstances où la situation
d’appropriation, parmi lesquelles la didactique des langues, choisit prioritairement la
première pour terrain d’étude. On peut alors tenter de cerner l ’activité d ’appropriation de
façon plus précise. Certaines des composantes de cette activité ont particulièrement de
l’importance dans l’élaboration de l’apprentissage.

STRATÉGIES D’APPRENTISSAGE

Véronique (2000 : 408) rappelle que la Recherche en Acquisition des Langues


(RAL) envisage l ’apprenant comme un locuteur pourvu de « stratégies », qui lui
permettent d ’alimenter ses connaissances et de résoudre ses difficultés de
communication en langue étrangère. Ce point de vue semble rejoindre le constructivisme
piagétien dont nous avons parlé au paragraphe précédent. La question que peut alors se
poser l ’enseignant, qui examine les productions de ses apprenants, porte sur la nature de
ces stratégies. Plusieurs typologies ont été proposées :
• stratégies d 'a p p ren tissa g e : l’inférence, la mémorisation, la répétition
mentale, l’association, l’analogie, etc. (Frauenfelder et Porquier dans
Véronique 2000 : 408) ;
• stratégies de com m unication : la paraphrase, la circonlocution, la
simplification, les mimes,
• stratégies de :
• m ise en œ uvre des connaissances (« knowledge-based stratégies » : les
circonlocutions et les créations lexicales, etc.) vs
• de contrôle (« control based stratégies » : faire face à un déficit dans le
répertoire de l’apprenant ou à un échec de communication) (Byalistock et
Sharwood Smith dans Véronique 2000 : 408).

229
228

Constitutives des stratégies, de nombreuses opérations, sinon simultanées, du


moins se succédant très rapidement se déroulent dans les activités d ’apprentissage.
Gaonac’h (o p . cit. 170) rappelle que certaines de ces opérations exigent beaucoup
d ’attention de la part du sujet alors que d’autres peuvent être accomplies de manière
automatique. Ainsi, on pourrait distinguer dans le cas de l ’appropriation d ’une langue :
• des opérations de « haut niveau » : sémantiques, socio-linguistiques,
textuelles... ; et
• des opérations de « bas niveau », référentielles, lexicales, morpho­
syntaxiques, phonologiques, graphiques.

Il s ’agit donc, dans tout processus cognitif en général, de développer la capacité


d ’a u to m a tiser le p lu s p o ssib le les o p érations d e bas n iveau pour accorder le m axim um
d ’attention au x niveaux supérieurs, dont dépend le contrôle du système et son
adéquation aux objectifs de la tâche. Or, la spécificité essentielle de la situation
d ’acquisition d’une L2 paraît justement être que plusieurs facteurs concourent à
perturber ce fonctionnement hiérarchisé :
• l’attention de l’apprenant est souvent attirée sur des opérations de bas
niveau, en raison de ses attitudes d’apprentissage ou de contraintes
pédagogiques ;
• il se produit plus souvent des interruptions liées à l’insuffisance de certaines
opérations, en particulier de bas niveau : les opérations de haut niveau sont
alors plus sollicitées, sans que soit réalisée cependant une véritable
interaction fonctionnelle entre les différents niveaux ;
• la mise en œuvre des opérations de haut niveau peut être elle aussi soumise à
un réapprentissage : le « transfert » des capacités de haut niveau de la L1 à
la L2 ne va pas toujours de soi. (Gaonac’h, op. cit. 203).

Ces typologies reposent sur une vision de l’apprentissage et de l’apprenant qui


implique que l’on s’intéresse davantage au procès d’appropriation et que l’enseignant se
considère comme un animateur qui favorise l’acquisition par tous les moyens. C’est ainsi
que se retrouve ici le rôle de l’interaction de tutelle, selon Bruner, qui a été commenté à
l ’étape 10, comme favorisant l’aménagement des tâches d’appropriation des
connaissances. En outre, parmi les stratégies de l ’apprenant, les chercheurs en FLE
rencontrent à nouveau des « métastratégies », que nous avons évoquées à de nombreuses
reprises. La métaconnaissance, développée en psychologie cognitive, c ’est-à-dire la
connaissance qu’on a des processus enjeu dans son propre fonctionnement mental est en
œuvre, par exemple dans le cas de la mémoire. Gaonac’h reprend les recherches de
Flavell, que nous avons présentées (cf. Partie I) en considérant à son tour que le
développement de ces capacités métamnémoniques joue un rôle essentiel sur l’ensemble
du développement cognitif. La question qui reste posée tient à l ’intérêt mais aussi à la
difficulté de mettre en œuvre, voire de guider une activité métacognitive, par exemple
dans les exercices de conceptualisation: « d e même l ’appel au métacognitif ou au
métalinguistique dans le cours d ’une activité (réflexion sur la tâche en cours, ou sur les
moyens linguistiques de la mener à bien) peut jouer une rôle positif dans la mise en
œuvre de cette activité mais peut aussi interférer avec elle » (Gaonac’h, ibid. : 202).
Les conséquences qui découlent de ces recherches sur l ’action de l’enseignant sont les
suivantes : on peut considérer les pratiques d’apprentissage comme les signes
observables des stratégies d’apprentissage et suggérer à l ’enseignant qui analyse sa
pratique de tenter d’évaluer, au travers de l’observation des productions des apprenants.

230
229

dans quelle mesure il propose des activités susceptibles de générer des stratégies de plus
en plus autonomes. En effet, un apprentissage conscientisé et autonomisé d ’une langue
étrangère, et en particulier de la grammaire de cette langue, dépendrait en grande partie
de la façon dont l’enseignant lui-même le conçoit, ainsi que d’une réflexion empirique
sur les pratiques d’enseignement et d ’apprentissage et sur leurs relations avec le savoir
métalinguistique (Besse et Porquier (o p . cit. 260). À titre d ’exemple, on relèvera avec
intérêt l’enquête réalisée par Vrhovac (2002) qui demande aux apprenants de se situer
par rapport à la liste suivante des comportements d’apprentissage possible. Cette liste
peut largement donner matière à réflexion à tout enseignant, et au-delà, l’aider à se poser
des questions sur les stratégies d ’apprentissage et, en conséquence, ses propres stratégies
d ’enseignant :
• J’apprends d’abord les règles grammaticales, ensuite je fais les exercices à
partir des exemples présentés.
• D ’abord je fais les exercices ensuite j ’apprends les règles grammaticales.
• Je n ’apprends pas les règles grammaticales, je fais seulement les exercices.
• J’apprends les règles grammaticales sur mes notes seulement.
• Je cherche l ’explication des règles grammaticales dans d’autres livres aussi,
comme par exemple la grammaire française, le dictionnaire, les manuels et le
cahier d’exercice de l’école primaire.
• Pour comprendre la forme et l’emploi des formes grammaticales et des
structures de la langue française, je les compare avec les formes et les
structures identiques croates. [...]
• La règle grammaticale m ’aide à comprendre la façon dont les formes et les
structures grammaticales sont formées et employées.
• Les règles grammaticales formulées en français me rendent la compréhension
de la formation et de l’emploi de nouvelles structures plus difficiles. [...]
• Si, en faisant un exercice, j ’ai fait une erreur, je relis la règle pour comprendre
où j ’ai fait cette erreur et pourquoi je l’ai faite. [...]
• Quand l’enseignant me demande quelle erreur j ’ai faite, je suis capable de le
lui expliquer.
• Je ne reconnais pas la faute jusqu’au moment où l’enseignant attire mon
attention sur la faute [...] (Vrhovac, 2002).

D ’autres témoignages d’apprenants sont étudiés à partir de journaux


d ’apprentissage par Klinger, qui s ’attache particulièrement à la réflexion
métalinguistique et à la démarche contrastive dans l’enseignement/apprentissage d’une
langue distante de L1 : français/japonais. L’auteur pratique une méthode d’enseignement
directe et communicative, et relève, dans l’exemple qui suit, les remarques des étudiants
sur l’enseignement du verbe être en français et japonais :
• « Je confonds les verbes desu et arimasu qui ont le même sens que le verbe
être. Au début je pensais que desu traduisait c ’est mais ça traduit aussi être
et j ’ai eu des problèmes dans mon partiel quand il y avait des adjectifs ».
• « J’ai du mal à voir que l ’ordre des mots en japonais est inversé. [...] Ce
n’est pas le même ordre qu’en français et en anglais. Ça n ’a pas posé de
problèmes à d ’autres étudiants mais à moi oui et j ’aurais préféré le savoir
avant de commencer. »
• « Le professeur ne donne pas assez d’explications grammaticales. Cette
langue est trop loin du français et j ’ai mis du temps à comprendre la
différence entre ga et wa. Elle a fini par nous l’expliquer et cette fois j ’ai

231
230

compris. Je n ’aime pas tâtonner. Pourquoi est-ce qu’elle n’explique pas tout,
tout de suite ? Je n ’ai pas appris l’anglais comme ça. On faisait de la
grammaire. Elle aurait pu présenter toutes les particules d’un coup, ça m ’a
perturbée de voir qu’il y en avait autant. » [...] (Klinger, 2002)

Il est certain que ceci constitue un matériau très riche et d’une exploitation
délicate : tant de facteurs sont en jeu qu’il appartient à chaque enseignant de porter
l’attention selon ses centres d’intérêt mais aussi en cohérence avec ses objectifs
pédagogiques, le public et l’institution. La régulation des interprétations sur les activités
apprenantes, comme celles portant sur les activités de l ’enseignant, repose sur la
recherche de cohérence entre toutes les étapes qui ont été déroulées jusqu’à présent.

232
231

ÉTAPE N° 17 - APRÈS L’EXPÉRIMENTATION

• ATTEINTE DES OBJECTIFS


• COMPARAISON AVEC ÉTAPE S

CONSIGNE ;
Vous indiquez ici si les objectifs prévus en Étape 8 vous semblent atteints en tout
ou partie, et quels sont les objectifs qui en réalité sont atteints, selon vous.
Vous analysez les raisons des écarts entre le prévu et le réel, en passant en revue
des facteurs déjà envisagés : public, tâche, consignes et actes enseignants réels,
déroulement réel pour les apprenants, etc., aux étapes précédentes.

Évaluer les apprenants : s’évaluer ?

A cette avant-dernière étape, il s ’agit de comparer les productions ou les résultats


obtenus aux objectifs envisagés, voire communiqués ou négociés avec les apprenants.
D ’une certaine façon il s ’agit d’une « évaluation » par l’enseignant de sa pratique, mais
d’une évaluation de type fo r m a tif dans son parcours de professionnalisation. Elle peut
aussi s ’appuyer sur les résultats des pratiques d ’évaluation des apprenants. Ceux-ci ne
font pas l ’objet de la présente réflexion mais, cependant, il est à noter que Castelloti et de
Carlo (1995 : 100), examinant les formations d’enseignants de langue, et plus
particulièrement les Plans Académiques de Formation, posent la question essentielle de
l’évaluation : p o u rq u o i éva lu er ; pour faire apparaître quoi ? En fonction de quels
objectifs, et avec quels élèves ? Selon l’enquête des auteurs, les enseignants se
demandent ce qu’ils doivent évaluer : si les productions des élèves représentent le niveau
d’interlangue atteint à un moment de leur apprentissage, l’évaluation ne peut avoir qu’un
rôle de diagnostic sur le travail à faire de la part de l’enseignant et de l’apprenant. Ainsi,
recueillir et évaluer les productions d’apprenants permet de disposer d’indices sur l’état
de la grammaire d ’apprenants telle qu’elle est, apparaît au contact avec la grammaire de
l’enseignant dans un cours donné : relier les intentions pédagogiques, la nature du public
et l ’activité pédagogique peut donc favoriser des hypothèses interprétatives sur les effets
de Faction pédagogique, et, partant, on peut considérer que l’évaluation de l’apprenant
est une évaluation de l’enseignant qui peut fournir des indications à propos des
alternatives pédagogiques fonctionnelles par rapport à l ’état de cette grammaire
d’apprenant.

233
232

ÉTAPE N° 18 - ÉTAPE FINALE

• ANALYSE ET SYNTHÈSE DES COMPARAISONS PRÉCÉDENTES


• LEÇONS À TIRER
• CONCLUSIONS

CONSIGNE :
Vous pouvez formaliser ici un récapitulatif des analyses réalisées aux étapes
14. 15. 16. 17.
Vous indiquez quelles seraient, selon vous, les leçons à retirer de ces
expériences pour l ’avenir.
Vous pouvez tirer des conclusions à partir de ces expériences mais aussi des
lectures que vous avez effectuées.

CONCLUSION DE LA PARTIE II

Moirand (1990 : 47) :


« Se demander qui est l'enseignant , c ’est au-delà d’une analyse de son statut et de son
rôle dans l’institution (comment est-il perçu ?) faire le bilan de ses connaissances, de
ses expériences, des formations reçues et des possibilités d’auto-formation et de
recyclage, c’est s’interroger (tout enseignant peut le faire lui-même) sur l ’image qu’il a
de ses apprenants, de la langue qu’il enseigne, sur la représentation qu’il se fait de la
communication et de la manière dont on apprend à communiquer, c’est réfléchir enfin
sur ses habitudes d’enseignant, ses stratégies d’enseignement, ses capacités à écouter et
à observer les apprenants. »

Au-delà de l’exercice qui consiste à répondre aux questions que pose chacune des
étapes, les outils qui ont été proposés doivent rendre compte de deux réalités qui ont été
envisagées en introduction à cette Partie : d’une part, la façon dont la règle - qu’on
s ’impose en programmation didactique - est mise en œuvre dans la classe, d ’autre part,
les régu la rités émergentes constatées dans la pratique. Ainsi, la démarche analytique qui
vient d’être déroulée et, peut-être, utilisée par le lecteur, ne doit pas cacher deux
perspectives qui dépassent le cheminement pointilliste des dix-huit étapes attachées à un
cours spécifique. La première perspective, à un premier niveau, qu’on pourrait qualifier
de d ia ch ro nique, concerne un type d ’analyse intra-pratique et individuel : elle consiste à
comparer l ’avant et P après, le prévu/prescrit et le réel, la phase pré-active et la phase
post-active au niveau du cours X d’un enseignant donné. Elle procède d’une auto­
évaluation, à court terme, de l ’action de l ’enseignant, et elle constitue une première
étape. Cette perspective a pour visée la correction ou la rectification de décisions et de
comportements attachés à une séquence particulière de cours, en référence à la règle
d ’action qui était prévue - même pour l’ignorer ou la transgresser. La seconde
perspective, de deuxième niveau, que l’on pourrait qualifier de synchronique, concerne
un type d’analyse inter-pratique et individuel. Elle s’appuie sur des analyses réalisées
dans la perspective précédente, diachronique et intra-pratique, et vise à comparer entre
elles les pratiques des enseignants. Elle a lieu dans le long terme, et permet de repérer

234
233

des régularités au sein d’activités différentes et des différences au sein d’activités


semblables. Elle permet une modification plus profonde de la pratique de l’enseignant et
touche aux représentations qu’il a de lui-même, de son métier, de son public, de
l ’institution, etc. Cette perspective peut ensuite s ’étoffer si l ’enseignant confronte ses
représentations à des théories susceptibles de les recadrer, de mettre en relief des
éléments auxquels il n ’attachait pas d’importance : la démarche est ici une
conceptualisation, telle que l ’envisageait la didactologie et telle qu’elle apparaît dans la
démarche comparatiste actuelle (Puren, 2003). Cette catégorisation des perspectives est
évidemment réductrice puisqu’il ne saurait y avoir l ’une sans l ’autre, et que l ’enseignant
qui se contenterait d ’analyser les données au plan diachronique aurait déjà en lui,
consciente ou non, une perspective synchronique. Cette catégorisation, cependant,
permet de nommer des démarches de pensées potentielles : il s ’agit ici d ’ouvrir l ’analyse
de l’activité professionnelle enseignante à une progression dans le temps ; il s ’agit de
s ’inscrire dans une visée développementale, au sens de Vygostki. Ces deux perspectives,
diachroniques et synchroniques, peuvent aussi être mises en commun avec d ’autres
enseignants. Dans le premier cas, les rapprochements entre enseignants à propos des
écarts entre leur programmation et leurs pratiques réelles autour d’un cours semblable
ouvrent la possibilité de modifier les façons d ’agir de chacun. Dans le second cas, le
rapprochement entre des « s ty le s » d ’enseignants différents est aussi à l ’origine de
remises en cause tant des « règles » d ’action propres à chacun que de leurs
« régularités », voire de leurs routines. Ainsi, les outils proposés trouvent leur valeur non
dans leur utilisation en tant que planification et contrôle de l ’action mais dès lors qu’il y
a confrontation des conceptualisations qu’ils suggèrent avec d’autres conceptualisations,
y compris celles d ’un même enseignant. Les dix-huit étapes qui viennent d’être
parcourues sont donc un point de départ.

235
234
235

CONCLUSION

Parvenu au terme de cet exposé, il est nécessaire d’envisager deux types


d ’évaluation d’une démarche telle que celle-ci. On tentera d’une part de rendre
plus explicites les liens qui unissent les deux parties de cet ouvrage en vérifiant
que les outils d’analyse de pratique de la Partie II (i.e. : les différentes étapes de
réflexion en programmation de l’action enseignante en FLE) s’inscrivent dans
les perspectives de l’analyse de pratique telles qu’elles sont envisagées par les
différentes disciplines qui l’utilisent (Partie I). On s’efforcera, d’autre part, de
situer plus justement le statut des outils proposés. L’ensemble des dix-huit
étapes de cette démarche d’analyse de pratique est-il : un inventaire somme
toute raisonné de bonnes pratiques, un aide-mémoire à contenu consensuel pour
enseignant en formation ? L’un des instruments que peut privilégier
l’implicationnisme en FLE ? Ou encore, et plus justement, un objet dont les
propriétés, le maniement et les effets sont encore à étudier avec minutie ?

L ’outil et ses perspectives conceptuelles


Si l’analyse de pratique en général est un des moyens par lequel différents
champs disciplinaires parviennent à rendre compte d’aspects variés de l’action
humaine, la démarche d’analyse dans cet ouvrage permet-elle aussi d’aborder
ces aspects ? Elle procède d’une « abstraction réfléchissante » au sens de Piaget
puisqu’elle part de la périphérie de l’action, c’est-à-dire de l’observation de
l’interaction entre l’enseignant et la situation de classe par un processus d’aller-
retour afin de conceptualiser, autrement dit, de progresser dans la prise de
conscience par l’enseignant des mécanismes qui animent son action :
représentation de son public, de ses objectifs, des processus d’apprentissage, etc.
La recherche de régularités émergentes dans son action se rapproche de la quête
d ’invariants opératoires : ces régularités sont repérables au niveau des
intentions, des prises d’informations, des décisions d’action, constitutifs des
invariants opératoires (cf. Partie 1, chapitre 1). Comme dans toute analyse de
pratique, la démarche consiste à verbaliser sous forme de description ou de
narration prospective ou rétrospective l’activité d’enseignement ; par exemple, la
scénarisation aux étapes 10 et 11 des actions enseignantes et apprenantes
constitue une configuration des deux types d’action, au sens de Ricoeur, de
même que le rapport à postériori des activités réelles aux étapes 15 et 16 est
constitutif d’une refiguration de l’événement observé ; le fait que le récit de
pratique soit adressé non seulement à soi mais à autrui, comme cela a été évoqué
en conclusion de la Partie II avec les comparaisons des perspectives
diachroniques et synchroniques entre pairs, constitue un agencement de faits
susceptible non seulement d’une appropriation mais aussi d’un jugement social.
236

Appropriation et jugement d ’efficacité sont ainsi un des effets des discours de la


pratique constaté par les Sciences Sociales (Partie I, chapitre 2). Dans le
domaine de la didactique du FLE, la centration de l’analyse de pratique sur
l’enseignant contribue à réajuster le point de vue de la recherche sur l’activité
d’enseignement/apprentissage, par le seul fait de nommer et recueillir des
observables, même grossiers, de l’activité enseignante (Partie T, chapitre 4) : de
même que, sous prétexte de « centration sur l’apprenant », 1’« acte d’apprendre »
est souvent peu étudié, de même l’«acte d’enseigner» constitue un objet de
connaissance encore insuffisamment étudié de notre point de vue. (C’est d’ailleurs
sur cet « acte d’enseigner » que ce premier constat rejoindra la seconde question
qui sera abordée tout à l’heure, celle des savoirs d’action de l’enseignant de FLE/S
dans l’analyse de pratique).
Ce parcours succinct des échos qu’il est possible de percevoir entre l’outil
présenté en deuxième partie et les arrière-plans conceptuels qui l’animent en
première partie pourrait se poursuivre, mais en fait, toute analyse de pratique,
pour peu qu’elle se dote d’un cheminement formel et d’un guidage par un
formateur, présent ou à distance, procède de ces concepts. En final, la démarche
qui a été présentée n’est qu’une illustration des possibilités d’analyse de
l’activité enseignante en FLE, et ce qui nous intéresse en définitive est plutôt le
statut de l’analyse de pratique, dans le cas de la didactique du FLE. La question
serait alors : que peut-on apprendre, ou attendre, de la mise en œuvre de la
démarche présente (ou de tout autre du même type) ? En posant cette question, le
point de vue sur l’analyse de pratique la limite implicitement à son rôle d’outil :
quelle est en fait l’efficacité de l’outil lorsqu’il s’agit de connaître l’activité
enseignante ? Et l’on répondra de façon classique par l’efficacité de l’utilisateur :
quels que soient le questionnement et le dispositif d’analyse de pratique,
l’efficacité repose sur celui qui le met en œuvre. L’on renverra alors sur une autre
question d’« outillage », celle du formateur d’enseignant, du dispositif de
formation, etc. Ce serait négliger un autre point de vue sur l’analyse de pratique,
celui qui la prend pour objet.

Statut de l ’analyse de pratique : outil ou objet


Les disciplines analysant le travail, telles l’ergonomie, la psychologie, la
sociologie du travail et la didactique professionnelle considèrent l’analyse de
pratique comme un objet de connaissance. Tl a été souligné que l’analyse de
pratique est non seulement un moyen d’analyser sa pratique, mais aussi une
« matière » à apprendre, avec ses finalités et ses moyens. Contribuer à faire de
l’analyse de l’activité un objet d’étude dans la didactique du FLE, au même titre
que dans les disciplines orientées vers l’analyse du travail, telle était l’intention
qui animait nos réflexions. L’analyse de pratique en tant qu’objet demande non
seulement des recueils de données innombrables et cumulatifs pour chaque
champ de pratique, et notamment en didactique du FLE, mais aussi un point de
vue bien spécifique. De ce point de vue, ce n ’est pas tant l’efficacité de
l’instrument qui importe - ce qui reviendrait à poser la question : l’analyse de
pratique permet-elle de développer des connaissances utiles, des compétences

238
237

vraies, c’est-à-dire réinvestissables par l’individu dans une institution, etc., que
la nature des productions et des effets de l ’analyse de pratique. Avant déjuger si
les savoirs supposés produits par l’analyse de pratique valent l’investissement en
formation qu’elle demande, encore faut-il cerner ces « connaissances »,
« compétences », « savoirs », etc., encore faut-il étudier à la fois les dispositifs
constitutifs des différentes démarches d’analyse de pratique et étudier avec une
visée descriptive les productions et les effets d’une démarche donnée. Or, dans
la démarche qui a été présentée, l’intention d’étayer l’activité enseignante, si elle
n ’est pas à visée modélisante, est cependant finalisante : il s’agissait de
progresser dans son métier d’enseignant de FLE ; notre démarche demande à
l’enseignant de produire de nombreuses verbalisations sur son action afin de la
mieux maîtriser. Ce qui est en soi important. Mais chemin faisant, il est
vraisemblable que l’enseignant qui « convertit ses pratiques en savoirs »
(Barbier, Galatanu 2 0 0 4 : 18) découvre que les seules énonciation et
dénomination de ses actions désignent des savoirs inédits jusque-là, autrement
dit, des « savoirs d’action », des savoirs portant sur 1’« acte d ’enseigner » que
nous évoquions plus haut. Ce sont précisément ces types de savoirs et leur
condition de production - le cadre interlocutif de l’analyse de pratique - qui nous
paraissent à étudier, au moins tout autant que leur transfert dans de futures
activités par Faction de formation ou d’auto-formation.

De l ’analyse de pratique au « lexique de l ’acte d ’enseigner » en FLE


Étudier l’analyse de pratique comme un objet consisterait donc entre
autres à étudier et décrire les productions de cet objet. Sans qu’il soit possible
dans le cadre de ce travail de développer cet axe de recherche, il est
probablement nécessaire de franchir maintenant une étape suivante dans le
développement d’une didactologie du FLE/S ou plus exactement d’une
ergonomie de la didactique du FLE/S : celle qui consisterait à étudier les savoirs
d ’action que produit toute analyse de pratique et propres au champ de
l’enseignement de FLE. Si l’on considère que les savoirs d’action sont des
« énoncés relatifs à la génération de séquences actionnelles construites et
considérées comme efficaces » par les enseignants eux-mêmes, aborder
l’analyse de pratique en tant qu’objet d’étude pourrait consister entre autres, à
étudier en recherche didactique le contenu des discours, les énoncés qui ont été
produits en répondant aux dix-huit étapes de la démarche présentée. Etudier ces
énoncés consisterait notamment à les considérer comme porteurs d’un « lexique
d ’intervention » (Barbier, Galatanu, 2 0 0 4 : 32) sur l’action enseignante en FLE,
comme un vocabulaire à propos de l’intervention de l’enseignant, autrement dit,
un lexique de F« acte d’enseigner»; ce lexique étant lié au contexte
d ’énonciation de l’analyse de pratique au moment où elle s’effectue, c’est-à-dire
l’enseignement d’une langue. L’analyse de pratique en tant qu’objet pourrait
donc être décrite, entre autres, par les savoirs d ’action qu’elle permet de
produire, c’est-à-dire par un lexique des interventions propres à l’enseignement
d ’une langue étrangère ou seconde, telle le français.

239
238

Au-delà, à cette ergonomie didactique resterait la tâche de dégager la


spécificité des savoirs d’action de l’enseignant de FLE/S au regard de l’objet
pédagogique, comme nous l’avions suggéré en Introduction. En particulier, au
regard de la langue, les savoirs d’action liés à l’évolution des apprenants
intéressent tout particulièrement la didactique du FLE/S. Or, l’évolution
pédagogique, en tant qu’indicateur de l’état d’appropriation de la langue, est
aussi un matériau utile à l’étude de la langue, comme langue-que-l’on-décrit.
Ergonomie didactique et théorie linguistique pourraient alors s’articuler, sans
doute de façon surprenante, au travers de ces savoirs d’action.

240
239

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R e m e r c ie m e n t s

Ce livre n’aurait probablement pas vu le jour si Olga Galatanu n’avait pas


suggéré, puis encouragé avec confiance, amitié et persistance ce projet
d ’écriture.

Tout ce qu’il doit aussi au Centre de Recherche sur la Formation du


CNAM transparaît sans doute dans les premiers chapitres car ma formation
initiale en Sciences Humaines est largement redevable à l’accueil et à l’écoute
de Jean-Marie Barbier et à la pépinière de chercheurs qu’il anime au C. R. F.

Au plan de l’éducabilité cognitive, François Ruph, depuis le Québec, a été


un guide précieux.

Et puis, même si la démarche semble faire double emploi avec la


bibliographie, je tiens à exprimer ma gratitude à l’égard de tous les auteurs cités,
parce qu’un ouvrage tel que celui-ci est aussi, selon le mot de Cioran, un
« exercice d ’admiration ».

Cet exercice d’écriture a été également accompagné de multiples façons


par Josette Beauvillain, Joëlle Toledano, Marie-Françoise Chesnais, Sylvie
Wojciechowski-Goulard.

Enfin, s’il est d’une grande banalité de dire qu’on a beaucoup appris de
ses étudiants, je ne peux que remercier : Peggy, Sarah, Sara, Tatiana, Elena,
Julien, Loïc, Corinne, Lucie, Jana, Nadège, Odile, Eliana, Coralie, Isabelle,
Yann et beaucoup d’autres que je ne peux tous citer mais que je n ’oublie pas.
Leurs interrogations et leur créativité ont alimenté mon intérêt pour écrire ces
pages qui leur sont adressées.
248
249

I n d e x t h é m a t iq u e

A b stra c tio n ré flé c h ie 2 9 , 3 1 , 4 1 , 7 9 É v a lu a tio n 2 1 , 3 8 , 4 5 , 4 9 , 5 0 , 5 5 , 6 2 , 63,


A b stra c tio n r é flé c h is s a n te 18, 2 9 , 3 0 , 3 1 , 3 8 , 6 7 , 7 8 , 8 5 , 8 9 , 1 1 2 , 1 1 6 , 1 2 0 , 121, 126,
4 3 , 7 9 , 114, 2 3 7 1 3 9 , 1 4 0 ,1 4 4 , 1 4 7 ,1 4 8 , 1 5 0 , 1 5 6 , 1 6 3 ,
A c tiv ité ré e lle 1 8 ,2 4 , 2 5 , 5 3 , 148, 2 0 7 16 8 , 16 9 , 17 0 , 1 7 1 , 1 9 7 , 198, 2 0 2 , 2 0 6 ,
A c tiv ité p r e s c rite 18 2 0 7 , 2 0 8 , 2 0 9 , 2 1 1 ,2 1 3 , 225, 2 3 3 , 234,
A p p lic a tio n n is m e 8 9 , 101, 103 237
A p p ro p ria tio n 2 2 , 5 8 , 5 9 , 6 0 , 6 3 , 8 8 , 104, E x p lic ita tio n 3 9 , 4 4 , 7 0 , 7 1 , 7 8 , 7 9 , 8 1 , 113,
106, 125, 1 3 1 , 1 4 8 , 159, 164, 165, 179, 1 1 5 , 1 1 8 , 1 2 6 , 1 3 7 , 1 7 1 , 187, 1 8 8 , 189,
188, 190, 2 1 9 , 2 2 3 , 2 2 6 , 2 2 7 , 2 2 8 , 2 2 9 , 190, 2 0 0 , 2 0 1 ,2 0 6 , 2 1 9 , 222, 2 2 3 ,2 2 4 ,
2 3 0 , 2 3 7 , 2 3 8 ,2 4 0 226,
A u to -é v a lu a tio n 8 5 , 16 9 , 17 0 , 2 0 2 , 2 3 4 G é n é ra lis a tio n 3 6 , 3 8 , 4 1 , 7 6 , 120,
A u to fo rm a tio n 13, 18, 3 7 , 129 H a b itu s 14 , 18 , 2 6 , 2 7 , 13 3 , 14 2 , 2 0 3
C o g n itif 18, 19, 2 4 , 2 5 , 3 0 , 3 8 , 3 9 , 4 0 , 71, Im p lic a tio n n is m e 14, 8 1 , 1 0 1 , 1 0 2 , 2 3 7
7 3 , 7 5 , 7 6 , 8 0 , 8 4 , 105, 120, 150, 163, In te ra c tio n 11, 18, 2 3 , 2 4 , 2 6 , 2 9 , 3 0 , 31,
171, 174, 1 7 7 , 1 8 1 , 1 8 2 , 192, 197, 198, 36, 37, 41, 4 2 , 4 4 , 45, 51, 56, 58, 59,
19 9 , 2 0 2 , 2 0 3 , 2 2 1 , 2 2 7 , 2 2 8 , 2 3 0 6 2 , 6 4 , 8 1 , 8 3 , 8 8 , 9 9 , 103, 104, 105,
C o g n itio n 3 9 , 4 0 , 135 1 1 1 ,1 1 2 ,1 1 3 ,1 2 4 ,1 2 5 ,1 2 6 ,1 2 7 ,1 3 3 ,
C o n c e p ts 12, 18, 3 3 , 5 8 , 6 1 , 6 9 , 74, 7 5 , 9 5 , 1 3 7 , 1 5 0 , 1 5 1 , 1 5 3 , 1 5 6 , 1 5 8 ,1 6 3 ,1 6 4 ,
9 7 , 9 9 , 100, 101, 1 1 6 , 1 1 7 , 118, 120, 1 6 7 , 1 6 8 , 1 6 9 , 1 7 0 , 1 7 1 , 174, 1 7 5 , 176,
121, 122 , 1 4 1 , 1 4 2 , 2 0 0 ,2 0 6 , 2 2 8 ,2 3 8 1 7 7 , 1 7 9 , 1 8 0 , 1 8 1 , 1 8 2 , 1 8 3 , 1 8 4 , 185,
C o n c e p tu a lis a tio n 2 3 , 2 5 , 3 3 , 3 8 , 3 9 , 4 0 , 4 4 , 1 8 7 ,1 8 8 ,1 8 9 ,1 9 1 ,1 9 3 , 203, 206, 207,
4 8 , 4 9 , 5 4 , 7 5 , 7 9 , 8 9 , 9 5 , 9 9 , 1 0 4 , 113, 2 0 9 , 2 1 0 , 2 1 1 ,2 1 2 , 2 1 3 , 2 1 4 ,2 1 5 ,2 1 7 ,
114, 116, 117, 120, 122, 125, 126, 131, 2 2 2 ,2 2 4 ,2 2 5 ,2 2 8 , 2 30, 237
132, 133, 1 3 5 , 140, 1 9 9 , 2 0 0 , 2 0 1 , 2 1 1 , In tro s p e c tio n p a rlé e 33
214, 2 2 2 ,2 3 0 I n v a ria n t 18, 2 7 , 3 3 , 3 4 , 4 0 , 4 3 , 4 4 , 7 4 , 118,
C o n fig u ra tio n 18, 19, 4 2 , 4 3 , 4 4 , 4 8 , 5 0 , 5 1 , 1 2 1 , 1 2 2 ,1 2 5 ,2 0 7 , 2 0 8 , 2 3 7
5 9 , 100, 1 1 7 , 1 1 8 , 120, 1 2 1 ,2 3 7 Ju g em en t 33, 34, 39, 58, 59, 60, 67, 7 1 , 75,
C o n s c ie n c e 18, 2 2 , 2 4 , 2 5 , 2 6 , 3 0 , 3 1 , 3 4 , 35, 8 8 , 9 5 , 104, 1 2 5 , 133, 146, 1 5 1 , 154,
37, 38, 4 0 , 4 1 , 4 2 , 43, 4 4 , 5 1 ,5 4 , 61, 72, 2 0 3 , 2 0 7 , 2 1 8 , 2 2 3 , 2 2 7 , 2 3 7 ,2 3 8
8 1 , 8 6 , 1 0 8 , 113, 1 1 9 , 1 2 2 , 132, 133, M é d ia tio n 18, 2 9 , 3 3 , 3 5 , 3 6 , 3 7 , 4 8 , 4 9 , 50,
149, 153, 177, 180, 186, 188, 189, 192, 5 8 , 8 8 , 104, 1 0 6 , 125, 129, 1 3 4 , 174,
195, 199, 2 0 0 , 2 0 1 , 2 0 3 , 2 1 1 , 2 1 4 , 2 1 6 , 1 7 6 , 177, 1 8 5 , 1 9 1 ,2 2 0 , 2 2 3
2 1 7 ,2 1 8 ,2 1 9 ,2 2 3 ,2 2 6 , 237 M é ta c o g n itio n 3 8 , 3 9 , 4 1 , 7 9 , 85
D é v e lo p p e m e n t 2 9 , 3 0 , 3 5 , 3 6 , 3 7 , 3 8 , 4 4 , M é ta c o g n itif (v o ir M é ta c o g n itio n )
5 0 , 6 9 , 7 4 , 7 5 , 7 8 , 84, 8 5 , 9 0 , 9 9 , 103, M im e s is 19 , 4 7 , 4 8 , 4 9 , 5 0 , 5 1 , 57
104, 122, 133, 137, 150, 152, 174, 175, M o tiv a tio n 2 4 , 4 1 , 5 6 , 7 3 , 1 0 9 , 1 2 1 , 123,
186, 197, 198, 2 0 1 , 2 1 0 , 2 1 7 , 2 2 0 , 2 2 1 , 1 2 4 , 1 4 0 , 1 4 5 , 149, 1 5 6 , 1 6 8 , 175
2 3 0 , 2 3 5 ,2 3 9 O b je c tifs p é d a g o g iq u e s 3 1 , 146, 1 6 6 , 167,
D id a c to lo g ie 4 4 , 4 9 , 5 4 , 9 0 , 9 4 , 9 5 , 1 0 1 , 102, 1 6 8 , 1 6 9 , 1 7 0 , 171, 185, 2 1 3 , 2 1 8 , 2 2 4 ,
104, 1 1 2 ,1 1 4 , 1 3 2 , 1 3 6 , 194, 2 3 5 ,2 3 9 232
E n tre tie n 5 5 , 5 6 , 7 0 , 7 1 , 9 2 , 137, 2 0 7 , 2 2 2 , O b s e rv a tio n 12, 2 4 , 2 9 , 3 3 , 4 5 , 5 2 , 5 4 , 5 5 ,
2 2 3 ,224 7 0 , 8 8 , 8 9 , 9 2 , 9 4 , 1 0 0 , 102, 1 0 4 , 107,
E rg o n o m ie 12, 13, 17, 19, 2 3 , 3 2 , 6 8 , 6 9 , 7 0 , 1 0 8 , 1 0 9 , 1 1 1 , 1 1 3 , 1 1 4 , 1 1 5 , 1 1 6 , 117,
7 2 , 74, 7 5 , 7 6 , 88, 9 7 , 100, 103, 104, 1 1 8 , 1 1 9 , 1 2 0 , 1 2 2 , 1 2 3 , 125, 1 2 7 , 1 2 9 ,
137, 192, 193, 199, 2 0 2 , 2 2 2 , 2 2 3 , 2 3 8 , 1 3 4 , 1 3 5 , 1 3 7 , 1 4 1 , 1 4 2 , 150, 158, 171,
2 3 9 ,240 1 8 0 , 1 8 4 , 1 8 7 , 188, 190, 192, 193, 197,
É ta y a g e 18, 2 4 , 2 9 , 3 6 , 3 7 , 4 4 , 126, 155, 171, 199, 2 0 7 , 2 0 8 , 2 0 9 , 2 1 0 , 2 1 2 , 2 1 3 , 2 1 7 ,
1 7 4 ,1 7 5 , 1 7 6 , 177, 191 2 3 0 ,2 3 7
250

R é c it 12, 19, 4 7 , 4 8 , 4 9 , 5 0 , 5 1 , 5 2 , 5 3 , 5 6 , S a v o irs d ’a c tio n 8 1 , 8 5 , 8 7 , 2 3 8 ,2 3 9 , 2 4 0


5 7 ,5 8 ,6 1 ,6 6 ,2 1 0 , 237 S c h è m e 2 9 , 3 3 , 3 4 , 4 1 , 4 4 , 7 4 , 125, 152,
R e fig u ra tio n 1 9 ,2 3 7 1 8 2 ,2 0 2 ,2 2 1
R é flé c h is s e m e n t 3 1 S é m a n tiq u e d e l ’a c tio n 4 9 , 5 7 , 58
R é f le x if (v o ir R é fle x io n ) S o c io lo g ie c o m p ré h e n s iv e 5 1 , 5 2 , 5 7 , 5 8 ,
R é fle x io n 9, 12, 13, 14, 15, 17, 2 2 , 2 5 , 2 9 , 6 0 , 108
3 0 , 32, 3 5 , 3 7 , 3 9 , 4 0 , 4 1 , 4 4 , 5 6 , 6 1 , 6 4 , T â c h e 17, 2 3 , 2 4 , 3 2 , 4 0 , 4 1 , 5 3 , 6 0 , 6 2 , 6 9 ,
7 1 , 7 2 , 7 9 , 8 0 , 8 9 , 9 0 , 9 1 , 9 3 , 9 6 , 102, 7 3 , 1 0 0 , 1 0 9 , 111, 1 3 2 , 1 4 2 , 143, 147,
106, 113, 1 1 7 , 1 1 8 , 119, 121, 122, 123, 1 4 8 , 1 5 3 , 1 5 5 , 1 5 6 , 158, 159, 1 6 0 , 161,
126, 127, 1 2 9 , 1 3 0 , 133, 134, 142, 145, 1 6 2 , 1 6 6 , 1 6 7 , 1 7 1 , 172, 173, 1 7 4 , 175,
161, 177, 1 7 9 , 1 8 2 , 184, 185, 186, 188, 1 7 6 , 1 7 7 , 1 7 8 , 1 7 9 , 181, 1 8 5 , 1 8 6 , 192,
191, 192, 1 9 3 , 1 9 4 , 197, 200, 201, 202, 1 9 3 , 1 9 5 , 1 9 6 , 1 9 7 , 198, 199, 2 0 0 , 2 0 2 ,
203, 207, 211, 212, 219, 230, 231, 233, 203, 204, 206, 210, 221, 223, 225, 227,
237, 238 230, 233, 240
R è g le 14, 2 1 , 2 7 , 3 4 , 4 0 , 58, 65, 71, 76, 96, T h é o rie 12, 13, 14, 17, 18, 2 1 , 2 2 , 2 3 , 2 5 ,
100, 107, 1 1 3 , 1 1 8 , 121, 125, 130, 131, 29, 33, 4 2 , 53, 60, 65, 79, 80, 84, 87,
134, 135, 1 3 6 , 1 5 0 , 151, 152, 153, 154, 8 9 , 9 1 , 9 4 , 9 5 , 9 7 , 9 9 , 100, 1 0 1 , 102,
163, 164, 1 6 8 , 1 7 8 , 179, 187, 188, 189, 1 0 3 , 1 0 4 , 1 1 3 , 1 1 4 , 117, 118, 1 1 9 , 120,
190, 197, 1 9 9 , 2 0 0 , 2 1 3 , 2 1 4 , 2 1 6 , 2 1 7 , 1 2 1 , 1 2 2 , 1 2 6 , 1 3 4 , 1 3 5 , 1 4 0 , 1 4 1 ,1 4 6 ,
2 1 8 ,2 1 9 , 2 2 2 ,2 2 7 , 2 3 1 ,2 3 4 , 2 3 5 1 4 9 , 1 5 4 , 1 6 9 , 1 7 6 , 180, 181, 1 8 7 , 191,
R é g u la rité 15, 6 1 , 1 2 0 , 1 2 1 , 1 2 2 , 1 3 0 , 131, 2 0 0 ,2 1 8 ,2 2 5 ,2 3 5 ,2 4 0
134, 135, 1 3 6 , 1 3 7 , 150, 187, 188, 2 0 0 , T h é o ris a tio n 12, 4 4 , 7 9 , 9 3 , 9 5 , 100, 117,
2 0 7 , 2 3 4 , 2 3 5 ,2 3 7 1 1 8 , 1 1 9 , 1 2 1 , 1 2 2 , 1 2 7 , 221
R e p ré s e n ta tio n 18, 19, 2 3 , 2 5 , 2 6 , 3 0 , 3 1 , 3 3 , T ra v a il 9 , 12, 13, 17, 18, 19, 2 3 , 2 4 , 2 5 , 32,
3 4 , 4 i, 4 2 , 4 3 , 4 4 , 49, 52, 54, 65, 69, 74, 36, 4 1, 56, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73,
7 5 , 7 9 , 8 1 , 8 2 , 8 3 , 8 6 , 9 9 , 110, 114, 120, 74, 76, 7 7 , 78, 83, 84, 86, 87, 88, 93,
125, 137, 1 4 4 , 1 4 5 , 146, 148, 149, 162, 9 6 , 9 8 , 100, 1 0 4 , 108, 109, 1 1 0 , 111,
174, 182, 1 8 4 , 1 9 3 , 1 9 7 , 2 0 3 , 2 0 7 , 2 1 5 , 1 1 3 , 1 1 5 , 1 1 6 ,1 1 7 , 133, 134, 1 4 0 , 141,
217, 2 1 9 , 2 2 0 ,2 2 1 ,2 3 4 , 235, 237 1 4 2 , 1 5 1 , 1 5 8 , 1 5 9 , 176, 178, 1 8 2 , 183,
S a v o ir 9, 11, 12, 2 2 , 2 4 , 2 5 , 2 6 , 2 7 , 2 8 , 3 3 , 193, 195, 198, 2 0 0 , 201, 207, 2 0 8 , 210,
34, 41, 4 2 , 4 9 , 63, 64, 66, 67, 69, 70, 72, 2 1 1 ,2 1 3 ,2 1 9 ,2 2 2 ,2 2 9 , 2 3 3 ,2 3 8 ,2 3 9
7 5 , 76, 7 8 , 7 9 , 8 0 , 8 1 , 8 2 , 8 3 , 8 4 , 8 5 , 8 6 , T u te lle 3 7 , 4 1 , 4 4 , 1 7 1 , 1 7 4 ,2 3 0
8 7 , 8 8 , 9 2 , 9 5 , 9 8 , 9 9 , 102, 104, 109, V e rb a lis a tio n 11, 3 0 , 3 1 , 3 8 , 4 1 , 5 9 , 6 0 , 78,
114, 123, 124, 127, 131, 155, 159, 162, 8 8 , 1 0 4 , 1 8 3 , 2 2 3 ,2 3 9
163, 171, 172, 179, 180, 186, 187, 189, Z o n e (d e P ro c h e D é v e lo p p e m e n t) 75
190, 191, 194, 195, 199, 201, 212, 217,
221, 222, 223, 226, 229, 231, 238, 239,
240

252
251

In d e x d e s a u t e u r s

A lb e r J .- L . 152, 1 8 1 , 182, 183 F e rra o -T a v a re s C . 180


A s tie r P . 80 F e u e rste in R . 4 0 , 1 7 6 , 185
A u m o n tB . 4 1 , 1 9 4 ,1 9 8 F la m e n t-B o is tra n c o u rt D . 107
A u stin J.-L . 18 0 G a la ta n u O . 2 2 , 6 2 , 6 3 , 5 7 , 8 0 , 8 1, 1 3 1 , 2 3 9
B a lly C . 6 5 , 6 6 G a lis s o n R . 9 0 , 9 2 , 9 3 , 9 4 , 9 5 , 9 8 , 9 9 , 100,
B a rb ie r J.-M . 7 7 , 7 8 , 8 0 , 8 1 , 8 3 , 8 4 , 8 6 , 8 7 , 1 0 1 , 1 0 2 , 1 0 3 , 106, 107, 1 0 8 , 1 0 9 , 110,
239 1 1 3 , 1 1 6 , 1 2 0 , 122, 124, 1 2 5 , 1 2 6 , 1 2 7 ,
B e a c c o J .- C .6 4 , 6 7 , 149 1 4 0 , 170, 1 8 8 , 2 0 0 , 2 1 5 , 2 1 8 , 2 2 7
B e n v e n is te E . 65 G a o n a c ’h D . 146, 1 4 9 , 1 5 0 , 1 5 1 , 153, 154,
B e rto c c h in i P . 183, 2 1 1 1 6 8 , 1 7 1 , 1 8 0 , 1 8 1 , 1 9 1 , 1 9 2 , 1 9 3 , 199,
B e s s e H . 13, 3 9 , 9 1 , 9 3 , 9 6 , 9 7 , 9 8 , 9 9 , 102, 2 0 3 ,2 2 7 ,2 2 8 ,2 3 0
106, 107, 1 1 0 , 1 1 2 , 113, 124, 126, 127, G a rd o u C. 4 0
148, 149, 1 5 1 , 1 5 2 , 154, 155, 159, 187, G e rm a in C . 9 7 , 1 0 0 , 1 2 1 , 123, 125, 2 0 7 ,
188, 189, 1 9 0 , 2 0 0 , 2 0 2 , 2 1 2 , 215, 222, 208
2 2 6 , 2 2 7 , 2 2 8 ,2 3 1 G o ffm a n E . 5 8 , 180
B lo c h H . 1 8 2 ,1 8 5 G ra n d c o la s B . 9 8 , 2 13
B o u c h e ix J.-M . 71 G ru c a I. 9 0 , 9 5 , 1 4 8 , 1 5 1 , 1 5 9 , 1 6 3 , 164,
B o y e r H . 14 8 , 1 5 4 , 1 6 2 , 1 6 4 , 1 9 0 , 1 9 1 , 198, 1 6 7 , 1 6 8 , 1 7 9 , 1 8 5 , 186, 1 8 9 , 1 9 0 , 191,
219 2 1 7 ,2 1 9 ,2 2 9
B ru n e r J. 18, 2 9 , 3 6 , 3 7 , 3 8 , 4 1 , 4 4 , 5 0 , 171, H a m e lin e D . 1 6 6 , 1 6 7 , 168, 1 6 9 , 170
174, 175 , 1 7 6 , 1 7 7 ,2 3 0 H é b e rlé -D u lo u a rd B . 1 2 3 , 2 1 7
B u tz b a c h M . 1 6 2 , 1 6 4 , 190 H o le c H . 1 7 1 , 1 9 0 , 1 9 1 ,2 2 8
C a rlo C. 107, 123, 1 3 3 , 134, 148, 149, 192, K ra m s c h C . 1 1 1 , 1 12, 1 1 9 , 1 5 8 , 163, 164,
227, 2 2 9 , 233 168, 183, 185, 199, 2 0 3 ,2 0 9 ,2 1 3 , 214,
C a s te llo ti V . 1 2 3 , 1 3 3 , 134, 1 4 8 , 2 2 7 ,2 3 3 227
C h a n te c la ir A . 71 L a c o m b le z 7 0
C h a ra u d e a u P . 6 3 , 6 5 , 144 L a fo rtu n e L. 19 9
C h a rtie r D . 4 0 L a n g V . 8 2 , 8 4 , 8 5 , 8 6 , 1 0 6 , 170
C ic u re l F. 10 5 , 1 5 2 , 1 7 1 , 1 8 6 , 1 9 0 , 1 9 3 ,2 1 1 , L a u tre y J. 4 0
2 1 4 ,2 1 5 ,2 1 6 L a v ille A . 7 2 , 75
C lo t Y . 7 1 ,7 3 L e G ra n d J.-L . 56
C o n e in B . 59 L è b re M . 1 2 3 ,2 1 1
C o n s e il d e l ’E u ro p e 1 6 2 , 169 L e p la t J. 2 3 , 2 4 , 2 6 , 6 9 , 7 1 , 7 3 , 7 6
C o s ta n z o E . 18 3 , 2 1 1 L o a re r E . 4 0 , 198
C o s te D . 9 0 , 9 2 , 9 9 , 1 8 8 ,2 1 8 M a g e r R .- F . 1 6 6 ,1 6 7
C u q J.-P . 9 0 , 9 5 , 1 4 8 , 1 5 1 , 159, 164, 167, M a in g u e n e a u D . 6 1 , 6 4 , 105
168, 171, 1 7 9 , 185, 186, 189, 190, 191, M e s n ie r P .- M . 4 1 , 1 9 4 , 198
2 1 7 ,2 1 9 , 2 2 9 M o ira n d S. 6 4 , 6 7 , 1 3 8 , 1 3 9 , 1 4 4 , 1 4 5 , 148,
D a b è n e M . 9 6 , 9 8 , 9 9 , 1 0 9 , 124 1 5 6 , 1 5 7 , 1 6 0 , 1 6 2 ,1 6 4 , 1 6 8 , 1 6 9 , 177,
D a rg iro lle s F . 1 1 0 , 1 1 7 , 122, 1 2 3 , 1 2 5 , 137, 1 7 8 , 1 7 9 , 1 8 0 ,2 2 7 ,2 2 9 , 2 3 4
138 M o n tre u il S. 72
D e la n n o y C . 4 0 , 4 1 , 1 9 8 , 199 N oël B . 3 8 ,3 9 ,4 0
D u b a r C. 87 O e h a n in e D . 18, 2 9 , 3 1, 3 2 , 3 4 , 7 4
D u b et F. 56 O m b re d a n e A . 72
D u c r o t O . 6 0 , 6 4 , 6 5 , 6 6 , 163, 180 P a m b ia n c h i G . 123
F a lz o n P. 6 9 , 76 P a s tré P . 6 9 , 7 4 , 7 5 , 121
F a v e rg e J.-M . 7 2 , 73 P e n d a n x M . 1 6 2 , 1 6 4 , 190
252

P e s c h e u x M . 7 0 , 126, 171 R o s e n E . 1 2 3 ,2 1 7
P e y ta rd J . 6 6 R u p h F. 175, 1 7 6 , 199
P h a ro P. 52, 5 7 , 58 S a lin s d e , G .-D . 1 2 7 , 137, 191
P ia g e t J. 18, 2 2 , 2 4 , 2 5 , 2 6 , 2 9 , 3 0 , 3 1 , 3 2 , S a n ta c ro c e M . 149, 1 5 5 , 2 2 0 ,2 2 1 , 2 2 9
33, 35, 38, 4 0 , 42, 4 3 , 79, 80, 87, 98, S c h a e ffe r J.-M , 6 0 , 163
197, 2 2 5 , 2 2 6 , 2 2 7 , 2 3 7 S c h ò n D .-A . 2 2 , 7 9 , 8 0 , 8 5 , 8 7 , 9 4 , 102,
P in a rd A . 40 1 2 7 ,2 2 5
P in e a u G , 56 S e a rle J.-R . 59
P o r q u ie r R . 3 9 , 106, 1 0 7 , 1 1 0 , 1 1 3 , 1 2 3 , 127, S tirm a n -L a n g lo is 1 2 3 , 1 3 2 , 2 0 8 ,2 0 9
148, 149, 1 5 1 , 1 5 2 , 153, 154, 155, 187, T e ig e r C . 6 8 , 6 9 , 7 0 , 7 1 , 7 2 , 7 4 , 7 5 , 76
188, 189, 2 0 0 , 2 0 2 , 2 1 7 , 2 1 8 , 219, 226, T h é v e n o t L . 59
227, 228, 229 T o c h o n F -V . 7 8 , 7 9
P u re n C. 9 3 , 9 4 , 9 5 , 9 8 , 9 9 , 100, 101, 102, T ro c m é -F a b re H . 4 0
103, 108, 109, 1 1 4 , 116, 118, 119, 120, V e rg n a u d G . 18, 2 9 , 3 3 , 3 4 , 4 0 , 74
122, 125, 127, 1 4 0 , 183, 198, 200, 211, V e rm e rs c h P. 2 1 , 2 4 , 7 1 , 2 2 2 , 2 2 3
227, 235 V é ro n iq u e D . 2 2 9
P y B . 12, 108, 1 2 6 , 149, 1 5 2 , 1 5 4 , 181, 182, V ig n e r G . 1 6 4 , 165, 189
183 V is e lth ie r B . 201
Q u é ré L . 5 7 , 5 8 , 59 V y g o s tk i L . 18, 2 9 , 3 5 , 3 6 , 3 7 , 3 8 , 4 1 , 7 5 ,
R ic œ u r P. 19, 4 7 , 4 8 , 4 9 , 5 0 , 5 1 , 5 2 , 5 7 , 58 1 7 4 , 1 7 5 , 2 0 1 ,2 3 5
R iv e rs W . 192 W a e n d e n d rie s 1 2 3 , 132, 2 0 8 , 2 0 9
R iv iè re A . 3 5 , 3 7 , 1 2 3 , 1 7 4 , 1 7 5 , 187 W a tz la w ic k 2 1 2
R o m a in v ille M . 3 8 , 4 0 W r in g e C . 123

254
253

Mise en page
Sylvie Wojciechowski-Goulard
Alise
47120 Sainte-Colombe de Duras
254

L’Harmattan, I talia
V iaD e g li A rtisti 15 ; 10124 Torino

L’Harmattan Hongrie
K ônyvesbolt; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest

L’Harmattan Burkina Faso


Rue 15.167 Route du Pô Patte d ’oie
12 BP 226
O uagadougou 12
(00226) 50 37 54 36

Espace L'Harmattan Kinshasa


Faculté des Sciences Sociales,
Politiques et A dm inistratives
BP243, KIN XI ; U niversité de Kinshasa

L’Harmattan Guinee
A lm am ya Rue KA 028
En face du restaurant le cèdre
OKB agency B P 3470 Conakry
(00224) 60 20 85 08
harm attanguinee@ yahoo.fr

L’Harmattan Cote d ’Ivoire


M. Etien N ’dah A hm on
Résidence Karl / cité des arts
Abidjan-C ocody 03 BP 1588 Abidjan 03
(00225) 05 77 87 31

L’Harmattan Mauritanie
Espace El K ettab d u livre francophone
N D472 avenue Palais des Congrès
BP 316 N ouakchott
(0 0 2 2 2 )6 3 25 980

L’Harmattan Cameroun
BP 11486
Yaoundé
(00237) 458 67 00
(00237) 976 61 66
harm attan cam@ y ahoo. fr
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