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française d'onomastique
Benramdane Farid, Yermeche Ouerdia. Symbolisme, nom propre et oralité. Le cas de l'Algérie. In: Le nom propre a-t-il un
sens ? Actes du Colloque d’onomastique d’Aix-en-Provence (juin 2010) Paris : Société française d'onomastique, 2013. pp. 73-
85. (Actes des colloques de la Société française d'onomastique, 15);
https://www.persee.fr/doc/acsfo_0000-0000_2013_act_15_1_1156
Farid Benramdane
Université Ibn Badis, Mostaganem, chef de projet CRASC
Ouerdia Yermeche
ENS de Bouzaréah, Université d'Alger, maître de recherche associée CRASC
L’usage du nom propre dans ses réalisations les plus usuelles, en l’occurrence, les
toponymes et les anthroponymes, dans les pays méditerranéens, se déclinent diffé¬
remment selon qu’ils relèvent du registre oral ou du registre écrit. Les catégorisa¬
tions théoriques brillamment élaborées dans la sphère occidentale se heurtent à
leur degré d’opérationnalité dans des sociétés à tradition orale, à l’exemple de la
société maghrébine.
Nous soumettrons à notre analyse l’usage simultané de deux dénominations diffé¬
rentes et différenciées pour une seule entité référentielle.
La décantation oral/écrit dans le domaine onomastique qui, contrairement à la
pensée linguistique classique de type occidental, reflète non pas une variante de l’une
ou de l’autre facette de l’entité nommée mais une autre vision du monde et un décou¬
page de l’univers cognitif consacré par cette dualité.
A partir de données empiriques, à la fois linguistiques et anthropologiques, nous
présenterons une analyse de l’usage et du sens des noms propres, toponymes et
anthroponymes, en contexte maghrébin et, particulièrement, algérien. Les intentions
sociales, les stratégies dénominatives et redénominatives et leurs stratégies séman¬
tiques, les contextes historiques serviront à comprendre et à interroger autrement les
différents ressorts à la base d’un essai de conceptualisation du sens du nom propre
dans une société à tradition orale, soumise de manière cyclique à de fortes tensions
historiques et socioculturelles de colonisation/décolonisation/recolonisation.
73
Farid Benramdane, Ouerdia Yermeche
50 % des toponymes1 observés et dans seulement 20 % des anthroponymes (Yermeche,
2008). Il se retrouve dans les noms relatifs à la faune, la flore, au relief, à l’eau, aux
éléments cosmogoniques ainsi que dans de nombreux sobriquets et noms honori¬
fiques. Les influences étrangères sont multiples. Dans l’antiquité, le fonds phénico-
punique qui est assimilé à l’arabe est difficilement perceptible dans les noms propres.
On le retrouve notamment dans des noms de plantes tels que « ouselmoun, remane,
aghanim, aguelmim », de divinités « Hamou, Baali » et de construction « kirat »...
La couche gréco-latine est peu perceptible avec seulement 0,25 % des noms
étudiés tels que des anthroponymes Lemi, Skander (forme locale d’ Alexandre) ; la
faune: Falkou; la flore: Oulmou Kerrouche; les objets: Kind, Bordji \ les noms du
calendrier Julien : Fourar ; et des éléments du corps humain: Kebouchi.
Durant la période latine, on constate la création de formes nominatives originales
propres à l’Afrique romaine appelées « gentilices exotiques », tels que mentionnés
par Jean-Marie Lassère (Lassere, 1987, cité par Yermeche, 2008). Celles-ci se présen¬
tent sous la forme de noms hybrides constitués d’un nom berbère auquel s’ajoute un
nom romain : Gaia Horius. Il est relevé également une latinisation des dénominations
berbères par différents procédés tels que la traduction, le rajout du suffixe latin -is au
nom berbère : Zruman/Zrumanis, ou du suffixe berbère -an : MSNSN/Massinissa ou
encore la troncation du nom berbère par la suppression de sa finale : YWGR TN/Yugurtha.
Dans le même temps, s’opère également une berbérisation des noms latins par une
adaptation/substitution phonétique. Les formes latines en -us deviennent par substi¬
tution des formes berbères avec les suffixes ouche/èche/iche. Ainsi Marius devient
Maaouche', Aurélius évolue en Allouche ; Andréus se transforme en Driouche;
Memmius se prononce Mammeche ; Claudius se mute en Gadouche et Amadeus
devient Hammadouche (cf. Yermeche, 2008).
Le fonds hébraïque est significatif dans l’onomastique algérienne avec 2,30 % des
noms étudiés.
Il se compose essentiellement de noms bibliques: Elias (Elisée), Ayoub (Job),
Younes (Jonas), Youcef (Joseph), Zakaria (Zacharie), Moussa (Moïse), Ma’ata
(Matthieu), Meriem (Marie).
A partir du VIIe siècle, avec la conquête musulmane, l’onomastique algérienne va
connaître une arabisation massive de son stock lexical. Les noms de souche arabe
constituent désormais une composante importante du patrimoine local, en toponymie,
mais surtout en anthroponymie (50 %). Cet apport est constitué essentiellement
d’un vocabulaire religieux (noms théophores en ‘abd « serviteur de », allah, eddine
« religion » et rebbi /rabbi avec le même sens véhiculé par l’hébreu rab < rabbin :
Herzellah ; Razkallah, Djaborebbi, Talebrebbi, Abdelkafi, Abed Rabbou, Chamsed-
dine, Daoudeddine. Un autre vocabulaire, profane celui-ci, relatif à tous les domaines
de la vie (faune, flore, objets...) de souche arabe est également bien présent dans
l’onomastique algérienne et/ou maghrébine (cf. Yermeche, 2008).
1 au
F. Benramdane,
l’eau:
l’homme,
23 novembre
unedeapproche
l’habitat,
2010,lexicométrique
2010. du
Actes
« La
relief
toponymie
en etvoie
de de
»,l’eau.
publication.
de l’ouest
dansHaut
Colloque
Commissariat
algérien:
international
de l’homme,
à l’Amazighité/CRASC.
Le nom
de l’habitat,
propre maghrébin:
duOran,
reliefDu
et 21
de
74
Symbolisme, nom propre et oralité
L’occupation espagnole a donné lieu à l’introduction dans l’onomastique
algérienne de quelques noms d’origine hispanique qui représentent seulement 0,32 %
des noms observés dans notre corpus d’anthroponymes. Ce sont essentiellement des
noms géographiques: Ghenouchi, El Korso, Randi ; des noms d’activités profes¬
sionnelles Koucha : « boulangerie, four », de « races » « Mouro »; d’états Tchikou,
Blanci ; des noms décrivant des caractéristiques physiques ou morales Longo et des
expressions Basta (cf. Yermeche, 2008).
L’onomastique algérienne est également marquée par l’apport turc, présent
de manière substantielle dans l’anthroponymie citadine, dont l’apport est évalué à
2,50 % du corpus analysé. Cet apport est constitué essentiellement de noms de pays
et d’origine tels que Lazougli, Matti, Morsli, des titres et métiers Bey, Bacha, Khodja,
Barbara. Des marques grammaticales telles que le suffixe « dji » ont été également
intégrées à la langue arabe pour construire des noms de métiers artisanaux comme
Khfafdji, Qahwadji, Hemamdji » ou des qualificatifs comme Qmardji...
2 Benet,
ou de famille.
1 937 : 73» : « Les indigènes algériens étaient donc presque tous dépourvus du nom patronymique
3 La loi de 1 882 sur l’état civil des indigènes musulmans de l’Algérie qui se présente comme un « moyen
d’affermir l’autorité de la France dans ce pays », édictait les procédures de choix ou d’attribution
du patronyme et imposait l’adjonction d’un patronyme aux prénoms et surnoms par lesquels était
antérieurement connu chaque indigène (article 1).
4 L’article 14 insiste sur le caractère obligatoire du port et de l’usage du nom patronymique et sur
l’interdiction à partir de la date d’homologation du patronyme, de nommer les individus par « d’autres
dénominations que celles portées dans leurs cartes d’identité, sous peine d’amende ».
5 Ageron, 1 968 : 1 78, cité par Yermeche, 2008 : « Dans la pratique d’ailleurs les musulmans n’adoptèrent
leurs « nouveaux noms » (qu’on appelait nekara dans l’Ouest, neqma dans l’Est) que pour l’usage
administratif, et continuèrent bien entendu à porter entre eux, leur nom musulman authentique, lequel
d’ailleurs restait inscrit au verso de la carte d’identité en caractères arabes. C’est pourquoi la plupart
des musulmans ont conservé jusqu’à nos jours le souvenir de leur véritable dénomination familiale. »
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Farid Benramdane, Ouerdia Yermeche
procédés, la colonisation créa une rupture aussi bien dans la reproduction de l’ordre
spatial que dans l’ordre généalogique de jadis » (Atoui, 1998: 169), par la mise en
place d’une nouvelle configuration généalogique. L’introduction du système patro¬
nymique consacre la rupture avec le système onomastique traditionnel et consacre
P« emprise du national sur le nominal » (Lapierre, 2001). A partir de ce moment-là,
la définition traditionnelle de la personne par le nasab la rattachant au lignage de son
père, grand-père et arrière-grand-père, fait ainsi place à une identité « personnelle »
où le nom et le patronyme suffisent à situer la personne dans sa société sans plus
recourir à sa filiation paternelle qui témoignait, à sa manière, en faveur de l 'agnatisme.
(Borrmans, 1977 : 74)
6 Benet, 1937: .1: «L’œuvre, elle-même, malgré ses difficultés a été rapidement poursuivie. La
constitution de l’état civil a été achevée dans les territoires du nord en 1895, c’est-à-dire en 13 ans à
peine. »
7 Fabre, 1998 : 54 : « dans la première (phase), le droit est dominé par l’usage, alors que dans la seconde
(phase), l’usage est dominé par le droit. Ce glissement est important dans la mesure où il montre une
mainmise progressive de l’état sur une institution qui était à l’origine un phénomène social ».
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Symbolisme, nom propre et oralité
Avec la loi sur l’état civil, la nomination de type agnatique, patrilinéaire et tribal
va céder la place à une nomination de type patronymique. Les schèmes de nomina¬
tion traditionnels vont être remplacés, du moins dans l’administration, par le système
patronymique.
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Farid Benramdane, Ouerdia Yermeche
notamment les lois du cantonnement du 16 juin 1851, celle du sénatus-consulte de
1863 et de 1873 ainsi que les lois sur l’état civil, l’administration coloniale impose
un cadre français à une réalité algérienne. L’autorité coloniale, consciente de l’impor¬
tance du nom et du culte des origines perpétué à travers les ethnies8 va renommer les
personnes et les lieux9, en niant les noms autochtones des tribus10 - lesquels symbo¬
11
lisaient toute
l l’histoire
a et l’identité
b de la communauté-et
ir briser
t le cadre afin
d’anéantir tout lien de cohésion. Il s’agissait, selon le rapport du Senatus Consult
sur les Hannancha du 2 mars 1867, de disloquer les tribus12 fondatrices de la société
algérienne qui constituaient à leurs yeux « de véritables petits états ayant chacun leur
origine, leur histoire, leur intérêt politique13. Il s’agit purement et simplement, sur
un plan onomastique, « d’effacer toute référence à un passé, d’où pourrait surgir des
sentiments nationalistes et de ne rappeler aux habitants aucun souvenir militaire ou
religieux, dont on pourrait tirer parti, dans un but de révolte » (Atoui, 1 998 : 1 69). Pour
neutraliser les tribus qui constituaient le paradigme fondateur de l’organisation sociale
et une constante du processus d’identité et d’identification des populations locales, les
autorités coloniales françaises se sont attelées à une « refonte d’une société » et à une
assimilation d’une population tout entière par une « assimilation onomastique14 ». La
perte de la filiation lignagère entraîne une perte de l’identité, de la solidarité et de la
cohésion qui caractérisent le groupe. Plus explicite, Atoui souligne :
8 Atoui, 1 998 : 1 69: « La puissance coloniale a bien saisi l’importance de la dénomination et l’importance
du mythe des origines symbolisé par le nom que porte la tribu, car étant à la base de sa cohésion. »
9 Akin, 1999 : 35: « Lieu d’affirmation identitaire, la dénomination est aussi lieu d’exercice du pouvoir.
Elle est conditionnée par les rapports de force, soumise à des contraintes, obéit à des règles sociales et
culturelles. »
îo Atoui, 1998 : 171: « De 4229 tribus et fractions de tribus avant la colonisation, (d’après le répertoire
alphabétique des tribus et fractions de tribus de l’Algérie par F. Accardo, 1 879), il ne restait qu’environ
1448 douars après l’application du Sénatus-consulte, soit le 1/3. »
il Bourdieu, 1970: 25 : La tribu est « l’unitééconomiquedeproductionetdeconsommation,unitépolitique
au sein de la confédération qui est le clan, unité religieuse [...]. C’est les liens de consanguinités qui
constituent l’archétype de tout lien social et où même les relations de parenté constituent le modèle de
relation économique. »
12 Cheriguen, op. cit. p. 35, ajoute que « la réduction des droits de propriété traditionnels au seul droit
français constitue pour les autochtones une expropriation et une destruction sociale et culturelle
(donc onomastique) sans commune mesure avec celles connues dans le passé, une agression d’autant
plus grave qu’elle est faite à brève échéance et s’est attaquée aux fondements même de la société
traditionnelle. »
13 R. Galissot, 1 978, cité par Atoui, op. cit. p. 1 72 : « Elles étaient la patrie, la nation. . . avec ses petites
frontières, sa petite administration, ses petites alliances et sa petite vanité nationale. »
14 Lapierre, 2001, «L’emprise du national sur le nominal», chap. 6, dans Le patronyme: histoire,
anthropologie, société, op. cit., p. 2: Le dessein de toute entreprise coloniale qui touche aux noms
propres d’un peuple n’est-il pas de « fonder ou refonder autoritairement et arbitrairement une nation
homogène, sur la base d’une langue unique, au mépris des populations qui la composent, dont le passé
et la culture sont déniés et dont les droits sont bafoués » ?
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Symbolisme, nom propre et oralité
territoriale, la tribu perd sa cohésion, sa structure ; par la perte de son nom, elle perd son
identité, sa solidarité, puisque les individus ne se reconnaissaient plus dans le même
ancêtre-éponyme, et ne se sentent plus solidaires entre eux (Atoui, 1998 : 38).
15 officiers
de
Lacheraf,
méprisd’abord,
1998:
colonial169:
puis
ou «les
policier
L’état
administrateurs
civil
frisantde l’humiliation
notre
de commune
pays a délibérée
étémixte
artificiellement
dans
de vastes
les territoires
établi dans
collectivités
soumis
une
humaines.
perspective
à l’autorité
Les
militaire ou civile ont été lâchés dans cette affaire comme dans une partie de plaisir pour mauvais
sujets en goguette, forgeant des patronymes fantaisistes, en imposant d’autres de caractères infamant,
faisant assaut de honteuse émulation dans l’insulte à la mémoire des ancêtres d’humbles ressortissants
algériens astreints, chez eux, à l’obligation de se faire inscrire à l’état civil. »
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Farid Benramdane, Ouerdia Yermeche
par les commissaires d’enquête, consistait à donner, à partir d’une lettre alphabétique
attribuée à un douar, autant de noms patronymiques que nécessaires16. Ce système
en vertu duquel tous les habitants de tel village devaient adopter des noms patronymiques
commençant par la lettre A, ceux du village voisin choisir des noms de famille ayant
pour initiale le B et ainsi de suite : C-D-E-F-G-H-I etc. jusqu’à la lettre Z en faisant
le tour de l’alphabet. Il suffisait à la gendarmerie ou à la police ou à la commune
mixte coloniale d’avoir affaire à un nom suspect commençant par l’une de ces lettres
alphabétiques pour qu’aussitôt on identifie le village de la personne arrêtée et que joue,
selon le cas, la peine individuelle ou la terrible responsabilité collective concernant plus
particulièrement les « délits » forestiers, de pacage ou d’atteinte non prouvée aux biens
des colons français. (Lacheraf, 1998 : 170).
C’est ce qui fait dire à M. Lacheraf que l’état civil en Algérie17 a été une véritable
« organisation militaire et concentrationnaire de l’espace et de ses habitants »
(Lacheraf, 1998: 171). Le cas le plus traumatisant18 est, sans conteste, l’attribution
de la mention dévalorisante SNP, « sans nom patronymique », aux personnes les plus
récalcitrantes19. Les personnes porteuses du nom SNP sont symboliquement confinées
à l’anonymat et se voient de fait dépersonnalisées20 et exclues de la sociabilité.
La transcription dans la langue du colonisateur a également été un facteur impor¬
tant de transformation/altération par francisation des noms algériens, d’autant que
la loi du 23 mars 1882 ne prévoyait pas de normes graphiques adaptées aux spécifi¬
cités linguistiques des langues locales (arabe et berbère21). La dénomination de type
classificatoire, la démultiplication des noms de famille (les membres d’une même
famille se sont vus affublés de noms différents ou orthographiés différemment) et
l’attribution pure et simple de noms français ou francisés ont contribué à déstructurer
et à dénaturer le système anthroponymique traditionnel en faisant éclater à terme la
16 propres
Lacheraf,familiaux
d’Algériens,
1998
soit: 160:
d’inventorier,
imposés,
« de autoritairement
donner
de collectivement
classer àdesleurs
villages
des patronymes
habitants
entiers
de Aselon
à Zinfamants
»l’ordre àalphabétique
un très granddesnombre
noms
17 Milliot L., dans la préface au livre de Benet, 1937 : 1, affirme que « l’état civil est une institution de
police - au sens large de l’expression-sa réglementation comporte, en effet, un ensemble de mesures
destinées à assurer la protection des personnes et des biens. »
18 Freud, 1977, trouve que «bon nombre de troubles que présentent les névrosés proviennent de leur
attitude à l’égard de leur nom propre et Lacan dans Subversion du sujet affirme que « le névrosé est au
fond un sans-nom. » cité par Nusinovici, 1992 : 99.
19 Ageron, 1998 : 169 : « La collation des noms fut systématique et partant de là, tous les abus, tous les
excès furent possibles, allant jusqu’à attribuer des noms grotesques et injurieux et au-delà à nommer
l’individu par un sans nom patronymique » (SNP), excluant ainsi de fait certaines personnes de la
société dans laquelle elle évolue. »
20 Encyclopaedia Universalis, 1998, « Si être, à la manière humaine, c’est être nommé, on comprend
qu’ inversement l’«anonymisation » soit une technique de déshumanisation. [...] Si être objet dans
un monde humain, c’est avoir un nom, le « sans-nom » ou l’innommable est aussi l’informe, le non-
identifiable, le vertigineux, l’angoissant, le sans visage. Le nom est l’équivalent langagier du visage,
comme le visage est l’équivalent perceptible du nom ».
21 Ce n’est qu’une année après que cette question de la transcription est évoquée dans le décret du 1 3 mars
1883, qui dans son article 20, énonce que « les noms actuels des indigènes, ceux de leurs descendants
et les noms patronymiques sont transcrits en français, d’après les règles de transcription déterminées
par le gouvernement général de l ’Algérie en conseil de gouvernement ».
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Symbolisme, nom propre et oralité
structure sociale. Toutes ces pratiques énoncées ci-dessus ont eu pour conséquence le
brouillage de la filiation et la perte définitive des repères identitaires onomastiques par
une perte de la continuité généalogique22. Instauré par une administration étrangère
et transcrit dans une langue étrangère, l’état civil est le produit d’une manipulation
du système anthroponymique traditionnel à un double niveau, symbolique et formel,
d’abord par l’imposition d’un système de nomination calqué sur le modèle français
qui faisait fi des paradigmes fondateurs de l’anthroponymie autochtone, ensuite par
l’attribution arbitraire de nouvelles formes anthroponymiques souvent injurieuses et
dégradantes pour leurs porteurs.
22 Benet, cité par Milliot, 1 937, Z. ’état civil en Algérie, Alger, p. 1 02.
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Farid Benramdane, Ouerdia Yermeche
déterminé par tel ou tel autre nom? Questionnement essentiel au fondement de la
relation anthropo-toponymique qui, en Algérie, présente un intérêt particulier et dont
bon nombre d’études en font une problématique majeure23.
Le sens des noms propres de tribus, de lieux et de personnes prend naissance dans
le sentiment des locuteurs. Il n’est pas d’origine scientifique, dans la mesure où il
provient dans le cas d’espèce qui nous intéresse, dans une partie, d’une confrontation
entre une matrice ethnolinguistique forgée par la praxis historique et des préjugés
ethnocentriques, construits administrativement et qui croient, à l’évidence, en la
supériorité de leurs systèmes de nomination, qui, forcément, doit passer par la dévalo¬
risation des autres : la constitution de l’état civil « (était) et (devait) être un œuvre
de dénationalisation, l’intérêt de celui-ci était de préparer la fusion et de franciser
plus résolument encore les patronymes indigènes pour favoriser les mariages mixte »
(Ageron, 1968: 183).
Cette entreprise « épi-onomastique », menée à l’échelle de toute une société a été,
sur un plan opératoire, à la base d’une série de dérèglements dont souffre encore
jusqu’à présent la société algérienne.
C’est sur un plan diachronique qu’il faut comprendre les ultimes et extrêmes
ressources de préservation de cette matrice ethnolinguistique modelée dans sa dimen¬
sion sémantique par la praxis historique, au travers de modalités discursives précises.
Toutes les catégories onomastiques (ethnonymie, anthroponymie, hagionymie,
toponymie...) sont intimement liées au système social, lequel observe si bien
Bourdieu, « est conçu selon le modèle de la généalogie qui, au moins idéalement,
permet aux groupes ramifiés et dispersés de se découvrir des ancêtres communs. [. . .]
La logique onomastique n’est autre chose que la structure sociale projetée dans le
passé et par-là rationalisée et légitimée » (Bourdieu, 1974 : 87).
Toute la difficulté réside, dans de tels contextes, dans la forme et la position du
problème, dans un domaine, pour reprendre la réflexion de Siblot « où il n’existe ni
données pures, ni données parfaitement objectives. Seul l’examen du cadre épisté¬
mologique limite le risque de confusion entre données perceptives et données du
problème » (Siblot, 1999, 2001 : 22-23).
La dé/nomination linguistiquement différente et historiquement différenciée d’une
même entité réalise une décantation sémantique identitaire et identificatoire, avec des
visées communicatives fondamentalement opposées, cristallisée dans la dichotomie
écrit/oral.
Peut on parler, dans ce cas, s’interroge Benramdane, de « vérité orale » et de
« vérité écrite » de la réalité onomastique (2002 : 69) ?
Il répond en appelant les remarques suivantes :
- Le degré de fonctionnalité : dans un processus de re/dé/dénomination, la problé¬
matique posée est au centre de la fonctionnalité ou du degré de fonctionnalité
effective du code écrit dans une société à tradition orale et à l’inscription onomas¬
tique de sa charge symbolique dans le marché des échanges sociolinguistiques.
- Signe et symbole : dans le contexte décrit dans notre contribution, le nom propre
fonctionne et s’érige comme un rempart symbolique, un ensemble de convictions
et de croyances, à la base d’une dynamique identitaire de résistance historique et
culturel, la triangulation espace/personne/signe onomastique est très historisée.
24 A. Dauzat, Les noms de lieux. Origine et évolution, Paris, Éditions Delagrave, 1957.
83
Farid Benramdane, Ouerdia Yermeche
c’est le symbole qui l’emporte sur le signe. C’est un symbole-totalité. Une totalité,
comme le dit si bien Jacques Berque quand il parle des « Identités collectives et
sujets de l’histoire » (Berque, 1978), non une superposition ou un agrégat, une
totalité forgée historiquement par une pratique sociale, renforcée par le caractère
oral des transactions langagières dominantes, donc plus enclines à la flexibilité et
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