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Il récuse successivement les cinq fondements possibles de la Nation que d’autres penseurs
évoquent : la race, la langue, la religion, les intérêts et la géographie.
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A ses yeux, la nation ne dépend ni d'une race particulière, car « au principe des nations
on substitue alors celui de l'ethnographie », ni d'une langue: « n'abandonnons pas, dit-il, ce
principe fondamental que l'homme est un être raisonnable et moral avant d'être parqué dans
telle ou telle langue », ni d'une religion , ni d'intérêts économiques partagés , ni encore de la
géographie.
Pour citer une fois encore l’auteur, « L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa
langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes.
Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience
morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les
sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime,
elle a le droit d'exister. Si des doutes s'élèvent sur ses frontières, consultez les populations
disputées. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la question. »
Ainsi, la race en tant que fondement d’une nation est une imposture pour Renan, car
les races pures n’existent pas ou n’existent plus depuis des millénaires. Tout en rappelant son
amour pour l’ethnographie (il était en effet adepte d’une certaine vision raciale de
l’humanité1) il refuse que cette science serve politiquement.
La langue n’est pas non plus un des fondements de la Nation, elle invite la réunion des
hommes qui la parle mais elle ne les y oblige pas. En effet, la Suisse est multilingue mais
uninationale, c’est selon lui aussi le cas de la Belgique de l’époque.
En 1769, Herder envisage une Nation allemande à partir de la langue. C’est la tradition
linguistique qui permettra la formation d’une Nation, d’un peuple, d’un « Volk». C’est ainsi
que naît une conception allemande de la Nation, Volkstum, selon une idée de rassemblement
de tous les Hommes ayant une langue commune, une même culture et une même origine
ethnique (génie national). Les philosophes allemands vont être influencés par la philosophie
des Lumières, et accueillirent avec enthousiasme la Révolution française. Mais en voyant
dans chaque nation le résultat d'une culture propre qui se transmet dans le temps, une sorte
d'héritage s'imposant, par exemple, à travers une langue maternelle, Herder ouvre
incontestablement une perspective très différente de celle présentée, un siècle plus tard par
Ernest Renan.
Si Ernest Renan oppose aux conceptions allemandes des contre-exemples tels que la
Suisse et la Belgique qui dérogent à l'unité de langue et de coutume, les allemands montrent
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« L’inégalité des races est constatée », L’avenir de la science – pensée de 1848
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que les thèses de la nation-personne et de la « volonté générale » impliquent l'oppression des
minorités récalcitrantes.
Les historiens français de l’époque se veulent des rassembleurs de tous les français
autour de la mémoire collective, leur passé, et des combattants face à l'adversaire allemand.
La nation allemande constituée et l'annexion de l'Alsace-Lorraine transformeront le plus
grand nombre des intellectuels français, en particulier les historiens, en porte-parole de la
communauté nationale Fustel de Coulanges par exemple, tout comme Ernest Renan.
Ce dernier met en avant la thèse de la « volonté collective » pour s'opposer à la thèse des
historiens allemands.
Une évolution similaire s'est faite jour chez les historiens allemands, avec par exemple
Mommsen ou Fichte qui écrivit son Discours à la Nation allemande durant l’occupation de
l’Allemagne par les troupes napoléoniennes. Les historiens allemands évoquent des données
« objectives » pour justifier que ces territoires font partie de la nation allemande : l'unité de la
langue, des coutumes, voire de la race. C'est cette crispation autour de ces définitions qui a
justifié l'idée qu'il y avait une définition française et une définition allemande de la nation,
bien distinctes et incompatibles.
Enfin pour Renan, la Nation est « un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de
l'individu est une affirmation perpétuelle de la vie ».
Ce concept de nation élective se défini comme une association volontaire d’individus
ayant comme objectifs de se donner ou de se lier à un État. Autrement dit, Renan montre
implicitement que l’État constitue le cadre dans lequel ces individus sont regroupés. Quand il
dit qu’ « une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit
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d'être consulté, c'est l'habitant », c’est une allusion à peine voilée2 une fois encore au cas de
l’Alsace-Lorraine à qui le droit à l’autodétermination a été refusé au Traité de Francfort.
Mais Renan ne magnifie pas pour autant le concept de nation qu’il a ici définis.
Comme il le dit lui-même, « Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont
commencé, elles finiront. »
Conclusion
Dans Qu’est-ce qu’une nation ?, Ernest Renan expose donc une conception originale
de l’idée de nation. Pour lui, « la nation est un plébiscite de tous les jours », elle est le
résultat de la volonté des hommes et femmes qui, porteurs « d’un riche legs de souvenirs »,
et vivant dans « le consentement actuel », veulent manifester pour l’avenir, leur « désir de
vivre ensemble ».
Il faut donc se souvenir que cette théorie s’enracine dans un contexte historique et un
héritage particulier et étudier la conception dite raciale de la nation que l’on présente
souvent comme contradictoire.
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Comme selon la formule prononcée par Gambetta en 1872 à propos de l’Alsace-Lorraine « Y penser toujours,
n’en parler jamais ».