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MOHAND OU YAHIA KHERROUB

MANUEL DE TRADUCTOLOGIE
Introduction

Ce manuel se veut un guide pratique aux étudiants inscrits en Master


et en Doctorat de Traduction avec ses différentes spécialités. Dans un
premier temps, il devrait permettre à l’étudiant de comprendre la
traduction dans l’histoire ainsi que sa place au sein des différentes
civilisations. Ceci nous permettra de revisiter l’Egypte ancienne avec les
Scribes, le Moyen Âge européen avec les traducteurs-martyrs sans oublier
la contribution des Arabes anciens. Puis, dans sa deuxième partie, le
manuel braquera le projecteur sur les approches les plus imposantes dans
le domaine de la traductologie : des approches linguistiques de la
traduction, des approches fonctionnelles et autres. Les fondements de
chacune seront présentés, parfois de manière succincte parfois en
profondeur, selon leur importance et leur richesse. Une liste de référence,
dont une partie est extensive, viendra clôturer l’étude.

2
Chapitre I : La traduction et la Traductologie : évolution

Lorsqu’on parle de traduction, l’on ne peut contourner son histoire ni


celle de la science qui en a fait son objet d’étude, la traductologie en
l’occurrence. Nous tenterons dans ce qui suit de retracer brièvement
l’histoire de l’une et de l’autre en nous arrêtant sur les moments les plus
importants de leur évolution.

1- Aperçu historique de la traduction (www.ulaval.ca/)

L’histoire de la traduction se perd dans la nuit des temps (Mathieu


GUIDERE, 2008 : 21). Il est quasiment impossible de définir exactement
son commencement. Néanmoins quelques manuscrits et découvertes
archéologiques nous permettent d’en savoir un peu sur son évolution.

1-1- Mythe de la Tour de Babel

On admet de manière symbolique, pour ne pas dire mythique, que la


Traduction est née suite à la fin de l’unité linguistique. Une fin entraînée
par le châtiment divin qui s’est traduit par la destruction de la Tour de
Babel, comme réponse à l’orgueil des Humains l’ayant construite en vue
d’escalader le ciel (La Genèse 11, 1-32).

Aussi lointaine que fût la civilisation babylonienne, l’on ne peut


affirmer qu’elle fut la mère de la de la Traduction étant donné que celle-ci
remonte bien loin dans l’Histoire de l’Humanité comme l’atteste beaucoup
d’historiens et archéologues.

3
1-2- L’Antiquité

Les découvertes réalisées au cours des deux derniers siècles par des
explorateurs au Moyen Orient, berceau des civilisations, témoignent de
l’ancienneté de la Traduction, une activité vitale pour l’Homme ancien et
moderne. Divers objets témoignent de l’existence du métier de traducteur
chez les Egyptiens, avec notamment le rôle joué par les Drogmans, et
chez les Mésopotamiens dès 3000 av. J.-C. Il en est effectivement
question dans certaines légendes, et des tablettes faisant office de
grammaires et glossaires multilingues qui ont été découvertes au cours de
recherches archéologiques et ce, comme l’attestent par exemple le code
juridique de Hammourabi (rédigé en écriture cunéiforme et en langue
akkadienne), l’épopée assyrienne de Gilgamesh en Mésopotamie (écrite
en akkadien et comportant deux versions, hittite et hourrite) ou encore la
pierre de Rosette (écrite elle aussi en trois langues : en hiéroglyphes, en
démotique, et en grec ancien) découverte en Egypte par François
Champollion en 1799 et datant de 196 av. J.-C. Ce sont les Scribes qui
exerçaient ce métier, et leur travail demeurait grandement lié à des
fonctions officielles et administratives.

Par ailleurs, dans l’Antiquité gréco-romaine, la Bible fut un des


premiers ouvrages à être traduits. En 384 apr. J.-C., Saint-Jérôme se voit
confier par le pape Damase la mission de constituer une nouvelle version
latine de la Bible. Saint-Jérôme part en ermitage à Bethléem et travaille à
cette traduction à partir des textes hébreux et grecs jusqu’à sa mort, en 420
apr. J.-C. La Vulgate, ainsi nommée la nouvelle version, restera longtemps

4
considérée comme une des meilleures traductions bibliques, une œuvre qui
vaudra à Saint-Jérôme le titre de Saint Patron des traducteurs. En
s’opposant à la traduction littérale, Saint-Jérôme avait dit : « Depuis ma
jeunesse, ce ne sont pas les mots, mais les idées que j’ai traduits » (Michel
BALLARD, 1992 : 48 cité par Delphine CHARTIER, 2012 : 43).

Saint-Jérôme fut inspiré par le grand orateur grec Cicéron qui


déconseillait aux traducteurs de procéder littéralement. Il tenait à l’esprit
du texte à traduire, pas aux mots dont il est fait (Delphine CHARTIER,
2012 : 42). En revanche, d’autres traducteurs, théologiens surtout, s’étaient
montrés favorables à la littéralité. A leur tête le rabbin juif Philon qui
pensait que la langue de l’Homme est incapable de contenir la parole
divine, traduire donc librement la parole divine signifiait transmettre
uniquement le sens compris alors que traduire littéralement permettrait de
préserver l’intégralité du sens même s’il n’est pas entièrement saisi. Les
théologiens n’étaient pas les seuls à préconiser le courant littéral en
traduction. Il y avait aussi des écrivain ou philosophes à l’instar de Boèce.

1-3- Le Moyen Âge

Durant le Moyen Âge, l’activité de traduction fut réduite au


minimum. Le latin fut une langue universelle, le besoin de traduire vers
celle-ci ne s’était pas fait sentir. Même s’il fallait répondre aux exigences
de la communauté chrétienne à travers le monde, qui n’était pas forcément
latine, par la traduction, l’Eglise romaine y voyait une hérésie et ce,
pendant très longtemps (Idem : 45). Des traducteurs furent brûlés. Une
pratique qui se poursuivit d’ailleurs jusqu’à la Renaissance avec
5
l’assassinat de William Tyndale en Angleterre (1536) et Etienne Dolet en
France (1546).

Cependant, plus tard, notamment après la reprise par les Chrétiens de


la ville de Tolède en Espagne vers 1085, la traduction, fut autorisée.
L’Ecole de Tolède, héritage des Musulmans repoussés d’Andalousie, fut
un centre de rayonnement, à l’instar de l’Ecole de Baghdad. La traduction
d’œuvres arabes scientifiques et philosophiques vit alors le jour. Les
traducteurs y prenaient de la liberté histoire de les adapter à la société
occidentale et chrétienne (Delphine CHARTIER, op. cit. : 44).

1-4- Les Arabes

Après la chute de l’Empire romain sous les invasions de l’empire


ottoman, les Arabes deviennent les principaux dépositaires du savoir
gréco-romain qu’ils ont su conserver par le biais des traductions effectuées
par des érudits musulmans à l’image d’Ibn Rushd et ou de non
musulmans comme Hunayn Ibn Ishaq et son fils Ishaq Ibn Hunayn.

La langue d’arrivée en fut souvent le syriaque, qui était une langue


dominante aux côtés du Grec dans les pays avoisinant l’Arabie, tel que
l’Irak ancien. C’est pourquoi le calife omeyyade Khalid bnu Yazid
(petit-fils de Moawya bnu Abi Soufiane), en vue de redorer le blason de la
langue arabe en matière de traduction, avait sollicité l’aide de quelques
érudits égyptiens qui maîtrisaient l’arabe et qu’il fit d’ailleurs venir en
Arabie pour leur faire traduire vers l’arabe des ouvrages rédigés en copte
et grec (Joëlle REDOUANE, 1981 : 5), moyennant argent et or. Cette

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politique d’encouragement se prolonge d’ailleurs jusqu’à l’époque
abbasside, sous le règne du calife Ma’moun (fils de Haroun Rachid).

1-5- Le temps des débats houleux

Réveillés du sommeil léthargique dans lequel ils sont sombrés durant


le Moyen Âge, les Européens se remettent enfin sur les rails du
développement. C’était la Renaissance à partir des cendres gréco-
romaines. Ils se mirent alors à traduire, de la langue arabe essentiellement,
la découverte de l’imprimerie aidant, vers les langues vernaculaires du
vieux continent. Mais, c’est là que les traductions de mauvaise qualité
virent le jour sous l’impulsion d’un engouement presque sans bornes et
démesuré.

Le résultat en fut des débats enflammés entre partisans de la


traduction libre et adeptes de la traduction littérale, entre les tenants de
l’intraduisibilité et ceux qui croient en la traduisibilité, entre ceux
considérant la traduction comme une science et ceux n’y voyant qu’un art
… des débats qui ont duré dans le temps et qui vont à jamais marquer
l’histoire de la traduction.

Néanmoins, le débat qui a le plus fait parler de lui c’était celui de la


traduction littéral VS traduction libre. Si les Arabes anciens ne l’ont pas
connu, c’était durant le moyen âge européen qu’il a atteint son apogée. En
effet, chacun des deux courants avait ses défenseurs et les diatribes se sont
échangées de manière systématique entre les deux camps. Cependant, l’on
remarque bien que les tenants de la liberté et de la création se sont montrés
plus ou moins acharnés, animés de la volonté d’en finir avec la littéralité,
7
héritage de l’Eglise catholique et du Moyen Âge. Parmi les meilleurs
défenseurs de la traduction libre nous pouvons citer : des religieux,
protestants essentiellement, tels que Jean Calvin et Martin Luther et des
hommes de lettres à l’instar de Léonardo Bruni, Jaques Amyot, Etienne
Dolet, Malherbe, et Nicolas Perrot d’Ablancourt. Ce dernier fut
d’ailleurs à l’origine du phénomène des « Belles Infidèles ». La traduction
littérale, elle aussi, était défendue par des littéraires à leur tête Joachim Du
Bellay (auteur du livre « Défense et illustration de la langue française »)
et Madame Dacier mais, surtout, par nombre de religieux qui étaient pris
par la nostalgie du Moyen Âge, âge d’or de l’Eglise catholique. Lemaistre
de Sacy, traducteur de la bible et membre de Port-Royal, en fut le plus
distingué.

Les dix-huitième et dix-neuvième siècles, furent le temps de


l’apaisement puisque le débat entre les Anciens et les Modernes a
largement reculé. La question du « comment traduire » ne se posait
désormais plus avec la même acuité que durant les 15ème, 16ème et 17ème
siècles.

1-6- La Traduction et l’Informatique

La première moitié du vingtième siècle a permis l’émergence d’une


réflexion traductologique visant à mettre en place des principes qui
guideront l’activité traduisante. Walter Banjamin a été l’un des théoriciens
qui a marqué cette phase de l’histoire de la traduction et de la
traductologie.

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C’est plutôt la deuxième moitié du même siècle qui fut le théâtre de
plusieurs courants traductologiques menés par Antoine Berman, Georges
Steiner, Henri Meschonnic, Maurice Pergnier, Georges Mounin, Danica
Seleskovitch, Marianne Lederer, Jean Delisle, pour ne citer que ceux-là, et
qui ont fait à la traduction une place parmi les disciplines modernes.

Par ailleurs, les approches linguistiques de la Traduction qui ont


suscité de grands espoirs durant les années 60 quant à la possibilité de
recourir à la machine pour réaliser toutes nos traductions ont vite montré
leurs limites.

On a fini par réaliser que la nouvelle machine, qui a révolutionné la


vie de l’Homme, ne peut finalement pas remplacer le cerveau de celui-ci.
En termes de Traduction, les dimensions culturelle, contextuelle, spatio-
temporelle, psychique … du discours, dont la compréhension est une
condition sine quoi non pour traduire, ne peuvent être cernées par
l’ordinateur. Ce dernier se contente de puiser dans les glossaires
multilingues qui lui sont programmés (mot-à-mot).

Ce fut un désespoir pour certains, linguistes et logiciens, mais un


soulagement pour d’autres, nombre de théoriciens de la Traduction qui ont
assisté à l’éloignement de la menace de voir l’Homme supplanté par la
machine.

Aujourd’hui, on parle de plusieurs formes de traduction automatique.


L’Homme n’en fait plus un concurrent mais plutôt un allié : il s’en sert
pour ménager quelques uns de ses efforts et gagner plus de temps,
notamment dans le secteur économique.
9
2- Evolution de la Traductologie : perte de repères ou
classification difficile ?

Les ouvrages où il est question de l’histoire de la Traductologie ne se


sont à ce jour pas entendus, du moins pour la plupart d’entre eux, sur le
cours qu’a pris cette science à la fois si jeune et si ancienne, jeune puisque
ce sont les travaux de A. Eugène NIDA qui ont marqué officiellement sa
naissance et ancienne parce que les réflexions traductologiques, aussi
disparates fussent elles, remontent aux Grecs et Arabes anciens. On en
retrouve plus d’une chronologie. La raison en est essentiellement la
divergence dans la manière dont les théories et leurs méthodologies sont
envisagées : chacun accordait de l’importance à une approche au détriment
de l’autre. Les repères s’estompent et la classification est loin d’être aisée.

Quand on parle de l’histoire de la Traductologie on pourrait recenser


nombre de chronologies dont trois sont majeures (GUIDERE, 2008 : 92-
93) :

2-1- George STEINER

Ce théoricien herméneute de la Traduction divise l’histoire de la


traductologie en quatre phases : empirique, philosophique, scientifique et
herméneutique (REDOUANE, 1985, et GUIDERE, 2008).

La phase empirique, où le rôle du traducteur est déterminant,


commencerait vers l’an 46 av J.C. avec Cicéron (dont la préférence de
traduire le sens s’oppose à la conception de Horace qui préconisait la
traduction des mots) et son Célèbre précepte « ne pas traduire Verbum pro
10
Verbo »1 et se terminerait avec les travaux de Friederich
SCHLEIERMACHER réuni en grande partie dans son ouvrage
intitulé « Des théories de la traduction » publié en 1813.

C’est une période très longue comparée aux autres. Elle a connu
beaucoup de traducteurs éminents à l’instar de : Jaques Amyot, Etienne
Dolet, Leonardo Bruni, Martin Luther et Saint-Jérôme (Saint Patron des
traducteurs).

Au cours du Moyen Âge en Europe, deux types de traduction


coexistaient : traduction verticale (du Grec/Latin vers les langues
vernaculaires européenne) et traduction horizontale (entre les langues
européennes, en dehors du Grec et du Latin). Cependant, contrairement à
ce que préconisaient l’école de Tolède et celle de Bagdad, les Européens
de cette époque faisait intervenir une troisième langue intermédiaire.

Le 16ème siècle fut celui du bouillonnement littéraire. Jean DU


BELLAY en était préoccupé par l’amalgame entretenu à ce moment-là
entre traduction littéraire et création artistique pure.

Le siècle suivant, alors que la prolifération des œuvres traduites


atteint son apogée vers 1640, vit naître les « Belles infidèles ». Durant le
même siècle, le « processus de la traduction » fit l’objet d’une étude
traductologique menée par Alexander Fraser TYTLER.

Durant la deuxième phase, qui fut philosophique, le traducteur ainsi


que sa profession se retrouvèrent à jamais rabaissés. En effet, l’empire

1
Ne pas traduire mot par mot.

11
britannique a mis la traduction au service de la colonisation
(REDOUANE, 1985). De plus, le poète anglais Shelley pensait que la
traduction ne sert qu’à remplir les vides entre les moments d’inspiration.
De même que pour l’Anglais H. Belloc, la traduction n’est qu’un art
subsidiaire et un dérivatif au moment où André Gide la considérait plutôt
comme l’auxiliaire de la critique …

Cette phase fut également marquée par la domination de l’approche


sourcière et de la littéralité. Ce fut l’époque de Walter Benjamin, de Paul
VALERY, d’Ezra Pound et d’autres théoriciens. Elle s’arrêterait aux
travaux de VALERY Larbaud dont l’ouvrage « Sous l’invocation de Saint-
Jérôme » fut publié en 1946.

La fin de la seconde guerre mondiale marqua le début de la troisième


époque de la traduction qui fut scientifique et ce, avec notamment les
travaux de l’Américain A. Eugène NIDA. La traduction littéraire est
désormais concurrencée par la traduction technique, fruit du
développement technologique. La deuxième moitié du vingtième siècle a
connu plusieurs théories et approches de la traduction. Par ailleurs, les
développements des travaux linguistiques et informatiques ont nourri les
espoirs de mettre en place des logiciels de traduction (traduction
automatique).

La quatrième phase qui est, selon George STEINER, herméneutique


est une forme de retour à la deuxième phase qui était philosophique. On se
mettrait ainsi alors à redécouvrir les philosophes herméneutes anciens tels
que W. Benjamin, GADAMER, SCHLEIERMACHER et autres pionniers.
12
Autrement dit, STEINER est convaincu que la phase scientifique est
révolue et que les réponses aux problèmes de la traductologie sont à
apporter par la philosophie, une philosophie vue autrement, d’un œil
herméneutique.

2-2- Henri MESCHONNIC

Celui-ci envisage l’évolution de la traductologie en trois moments :


unité-mot, unité-groupe et unité-texte (GUIDERE, 2008). C’est-à-dire qu’à
travers l’Histoire, l’Homme, pour traduire, considérait d’abord le mot
comme point de départ (l’époque du moyen âge et de la littéralité) puis, la
phrase/le groupe (la naissance des théories linguistiques de la traduction)
et enfin le texte (avec l’avènement des théories fonctionnelles de la
traduction).

2-2- Jean-René LADMIRAL

Comme George STEINER, LADMIRAL envisage l’histoire de la


traductologie en quatre étapes et qui sont celles : d’avant-hier (normative),
d’hier (descriptive), d’aujourd’hui (productive, comparée à une boîte à
outils) et de demain (inductive) (voir LADMIRAL, 1997).

Durant les deux premières phases, la Traductologie ferait allégeance


à la linguistique normative, rappelant la logique de Port Royal puis la
linguistique saussurienne. La troisième étape est transitoire, alors que la
dernière serait proprement scientifique puisque s’orientant vers les
neurosciences.

13
3- Réflexions traductologiques : une série de dichotomies
(voir : GUIDERE, 2008 : 22-37)

L’histoire de la Traductologie, tel qu’on le peut le constater à travers


les différentes étapes de son évolution retracées par les uns et les autres,
est profondément marquée par une série de dichotomies dont l’évidence ne
laisse pas indifférent. En voici les plus importantes :

3-1- Traduisible Versus Intraduisible

L’idée que la traduction soit une opération impossible a longtemps


marqué les esprits des traducteurs, religieux, littéraires et linguistes. Ce fut
entre autres un débat qui opposait les traducteurs aux non traducteurs,
essentiellement sur le Vieux Continent, et qui a rendu par la suite
controversée l’existence même de la traduction et de la traductologie.

3-2- Art Versus Science

Ce fut un autre débat qui découla de celui portant sur « la possibilité


ou pas de traduire ». C’étaient ceux-là même qui pensaient que la
traduction en tant telle, c’est-à-dire comme une opération voire une
science autonome, est inexistante qui rangeaient cette activité humaine
dans le tiroir des arts. Leur argument de taille fut le suivant : l’Histoire a
retenu les noms d’éminents traducteurs à l’image de : Saint-Jérôme, Ishaq
Inb Hunain, Cicéron et tant d’autres qui n’ont pas étaient formés en
traduction, à proprement parler. En d’autres termes, la traduction est
donnée à certains, pas pour tous : il s’agirait d’un don.

14
3-3- Auteur Versus Lecteur / Fidélité Versus Liberté / Le Mot
Versus l’Idée / La Lettre Versus l’Esprit / Contenant Versus
Contenu / Correspondance Versus Equivalence / Signification
Versus Sens / Source Versus Cible

Les huit dichotomies précitées renvoient toutes à une même réalité :


l’opposition entre les tenants de la traduction littérale et les partisans de la
traduction libre. En effet, la traduction littérale est d’obédience sourcière,
autrement dit, elle est orientée vers le texte-source, son auteur et la culture
véhiculée par la langue de ce texte. Elle opère donc par correspondance.
Alors que la traduction libre est plutôt cibliste, c’est-à-dire elle se
préoccupe de la culture-cible, procède par équivalence et cherche à
répondre aux attentes du lecteur.

3-4- Sacré Versus Profane

La traduction des Saintes Ecriture était le type de traduction qui


dominait une bonne partie du moyen âge européen. On ne peut contester le
fait que cela soit dû à l’hégémonie de l’Eglise catholique qui avait alors la
mainmise sur tous les domaines de la vie. Cependant, à la Renaissance
européenne, tout comme la littérature et les arts, la traduction abandonne le
sacré au profit du profane. Ce fut la naissance de la traduction dite profane.
Celle-ci ne manquera pas de rivaliser la traduction sacrée et finira même
par lui prendre le dessus.

15
3-5- Traduction Versus Imitation

La traduction libre prônée par certains traducteurs était parfois allée


au-delà des limites de la traduction. Elle mettait parfois tout à la
disposition du lecteur sans trop se soucier des vraies intentions de l’auteur.
L’équivalence alors cède la place à l’adaptation. C’est là justement qu’on
ne parle plus de traduction mais d’imitation. Pour le cas du français, par
exemple, Joachim DU BELLAY, dans son ouvrage « Défense et
illustration de la langue française » publié en 1549, s’oppose à l’approche
initiée par Nicolas Perrot d’ABLANCOURT en ce sens que le second
cherche à enrichir la langue française en procédant à l’adaptation alors
que le premier, plutôt conservateur, défend la même langue en s’opposant
l’intégration de tournures étrangères, fussent-elles grecques ou latines.

3-6- Littéraire Versus Scientifique

La Renaissance en Europe marqua la fin de l’hégémonie


ecclésiastique et, par là même, la fin de la domination de la traduction
sacrée. La traduction profane vît le jour et fut essentiellement littéraire.
Mais, la Révolution industrielle, le Siècle des lumières et, plus tard, le
progrès technique ont donné naissance à la traduction technique qui
demeure jusqu’à présent le type le plus exercé des traductions.

3-7- Traduction Versus Interprétation

Depuis bien longtemps maintenant, l’on distingue entre la traduction


orale, appelée « interprétation » et traduction écrite appelée telle quelle ou
parfois abrégée en « traduction ».
16
3-8- Théorie Versus Pratique

A l’instar de toute discipline, la Traduction se présente en deux


volets : théorique et pratique. La théorie de la traduction est constituée de
l’ensemble des réflexions menées dans le cadre d’une science globale
appelée : Traductologie. Quant à sa pratique, elle se manifeste
principalement par la didactique de la traduction. Il faut reconnaître que les
liens entre les deux ne sont pas très tissés, de manière que la théorie serve
toujours de référence à la pratique.

3-9- Humain Versus Automatique

L’ordinateur, qui a révolutionné la vie de l’Homme à partir des


années soixante, a touché aussi la traduction. Les linguistes ont beaucoup
fait pour mettre en place des logiciels de traduction. Leurs efforts sont
relativement couronnés de succès. Cependant, la traduction automatique
effectuée par l’ordinateur se fait de manière machinale, sans recours au
contexte et autres aspects extra-linguistiques. Ce qui fait que les erreurs
faites par la machine exigent l’intervention humaine. A présent, l’Homme
s’appuie sur la machine de plusieurs façons dont deux procédés sont
importants : il traduit et se fait ensuite aider par un logiciel de traduction,
on parle alors de traduction humaine assisté par ordinateur (T.H.A.O.) ou
alors il fait traduire sont texte par l’ordinateur puis il procède à un travail
de révision/correction, c’est ce qu’on appelle la traduction automatique
assistée par l’Homme (T.A.A.H.).

17
Chapitre II : Approches, modèles et théories de la Traduction

On parle d’approche en traductologie lorsqu’un ou plusieurs théoriciens


de la traduction envisagent le phénomène traductionnel d’un point de vue
particulier. Les réflexions développées voguent alors sur une orbite
définie. C’est pourquoi l’on parle, par exemple, d’approche
sociolinguistique, textuelle, pragmatique ou herméneutique de la
traduction. Quand ces approches, dont beaucoup restent à l’état de
gestation, se consolident et murissent, elles deviennent des théories. Les
modèles, eux, sont des réflexions directement mises en pratique, à l’instar
des techniques de traduction suggérées par J. P. VINAY et J.
DARBELNET ou encore les deux modèles de traduction en opposition
permanente : la traduction littérale, d’obédience sourcière, et la traduction
libre, d’orientation cibliste.

1- Les approches linguistiques

La traduction est devenue une activité très répandue au cours du 20 ème


siècle. Beaucoup de linguistes s’y sont intéressés de plus près. La
traductologie est alors associée aux différents travaux et disciplines de la
linguistique et en demeurera largement dépendante pendant longtemps.
Chaque linguiste appréhende ainsi la traduction à partir des postulats,
méthodologie et orientation de sa propre spécialité, au sein de la
linguistique. Il y a eu de ce fait les approches sociolinguistique,
structuraliste, textuelle et autres de la traduction.

18
C’est ainsi que le phénomène du « génie de la langue » est désormais
mis en valeur. Aussi le concept de l’«équivalence » occupe-t-il alors les
devants de la scène traductologique, venu contrecarrer le procédé de
« transcodage » qui fut à l’origine des faux-sens, contresens et non sens
rencontrés dans les traductions qualifiées de « médiocres ». Les linguistes-
théoriciens, tels que Roman JAKOBSON, Georges MOUNIN, John C.
CATFORD, Andrei FEDOROV ou encore Susan BASSNET, ont tenté
d’apporter des solutions aux difficultés rencontrées en traduction, chacun
à sa manière mais ils sont tous partis d’un tel aspect de la langue ou tel
autre : le « mot », la « phrase » ou encore le « texte » (GUIDERE, 2008 :
42). Autrement dit, même différentes et restreintes, ces visions-là sont
toutes d’obédience linguistique.

1-1- L’approche de la stylistique comparée

J. P. VINAY et J. DARBELNET considèrent la traduction comme une


activité auxiliaire de la linguistique. Ces deux linguistes canadiens ont mis
en place un modèle de traduction qui a révolutionné la pratique de la
traduction et qui a servi de référence pendant presque un demi siècle. C’est
un modèle basé sur la stylistique comparée des deux langues en présence à
l’acte du traduire, l’anglais et le français pour leur cas. C’est pourquoi ils
mettent en avant le concept d’équivalence.

VINAY et DARBELNET ont arrêté sept procédés de traduction


qu’ils rangent dans deux catégories : les procédés directs (l’emprunt, le
calque et la traduction littérale) et les procédés obliques (la transposition,
la modulation, l’équivalence et l’adaptation).
19
L’« équivalence » est un concept important pour VINAY et
DARBELNET. Cependant, il n’est pas aussi cher pour eux que celui de
l’« unité de traduction » dont il ont beaucoup parlé dans leur ouvrage
célèbre « Stylistique comparée du français et de l’anglais » publié en
1958. En effet, les deux linguistes définissent l’unité de traduction comme
étant le «plus petit segment de l’énoncé dont la cohésion des signes est
telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparément » (J. P. VINAY et J.
DARBELNET cités par GUIDERE, 2008 : 44). Ils distinguent même
quatre types d’unité de traduction : « les unités fonctionnelles » qui ont les
mêmes fonctions grammaticales, « les unités sémantiques » qui ont le
même sens, « les unité dialectiques » qui renvoient à un même
raisonnement et « les unités prosodiques » qui renferment une même
intonation.

Cependant, cette distinction a fait l’objet de plusieurs critiques,


notamment celle émanant de l’Ecole de Paris. Ainsi, SELESKOVITCH et
LEDERER, fondatrices de la théorie interprétative de la traduction,
préfèrent-elles parler d’« unité de sens » au lieu d’« unité de traduction ».
Selon elles, les unités de sens jaillissent de la rencontre entre un savoir
linguistique, explicite ou co-texte, et un savoir extra-linguistique, implicite
ou vouloir dire, (Danica SELESKOVITCH et Marianne LEDERER, 1984
et Marianne LEDERER, 1994).

Il se trouve que même les procédés de traduction définis par VINAY


et DARBELNET n’ont pas échappé à la critique car se situant au niveau
de la phrase alors que nous traduisons des discours. Marianne LEDERER

20
affirme que les techniques de traduction établies par VINAY et
DARBELNET servent plutôt à décrire les traductions qu’à les améliorer.
Ainsi donc, les sept procédés précités suivent l’opération traduisante au
lieu de la précéder (LEDERER, 1994 : 131-133).

1-2- L’approche de la linguistique théorique

Les années soixante furent marquées par l’essor de la linguistique en


général et du structuralisme en particulier. Toute la réflexion
traductologique en fut presque entièrement dépendante. Nombre de
linguistes, à l’instar de Georges MOUNIN, envisageaient la traduction
comme une activité purement linguistique. Ainsi fallait-il que les
traducteurs soient d’abord linguistes pour que leur profession aspire à
devenir une science à part entière. Georges MOUNIN, dans son ouvrage
« Les problèmes théoriques de la traduction » appréhende la traduction
comme un « contact de langue » (MOUNIN, 1963 : 3-9). Pour lui, pas de
science de traduction en dehors de la linguistique. Il se positionne même
en défenseur de cette science naissante contre un certain nombre de
traducteurs qui, selon lui, considèrent la traduction comme un art.

Quelques linguistes ont déjà précédé Georges MOUNIN dans ses


affirmations, c’est le cas par exemple de Roman JAKOBSON. Des
traducteurs aussi ont cru avant lui au caractère linguistique de la
traduction, à leur tête Andrei FEDOROV (MOUNIN, 1963 :13).

Abordant les niveaux lexical et syntaxique, MOUNIN énumère dans


son ouvrage précité les difficultés d’ordre linguistique qui entravent
l’opération traduisante. Pour lui, les solutions ne peuvent être que de la
21
même nature que ces obstacles, c’est-à-dire linguistique, d’où la nécessité
d’une théorie linguistique de la traduction. Autrement dit, toute réflexion
traductologique devrait chercher ses réponses dans la linguistique
théorique, le structuralisme.

Par ailleurs, la linguistique théorique a tenté de développer la


traduction automatique. MOUNIN, lui, l’a fait à travers son étude des
« unités sémantiques minima » (MOUNIN, 1963 : 95-112).

1-3- L’approche de la linguistique appliquée

Contrairement à la linguistique contrastive/différentielle qui aide à


l’apprentissage des langues étrangères, la linguistique appliquée est plutôt
utile dans l’étude des langues de manière générale ainsi que leur
enseignement. La traduction, elle, est présente dans les deux disciplines.

CATFORD explicite dans le sous-titre de son ouvrage publié en 1965


(A linguistic Theory of Translation – Essay in Applied Linguistics), qu’il
fonde ses réflexions sur la linguistique appliquée dans la mesure où la
traduction, pour réussir, devrait passer par l’étude de la langue de départ.
Cependant, une fois dans la langue d’arrivée, une analyse comparative
s’impose pour retrouver les équivalents dans cette langue-là. D’où le
concept d’ « équivalence » d’une part et le besoin de recourir à la
linguistique comparée d’autre part. D’ailleurs, CATFORD lui-même
reconnait que la traductologie doit être rattachée à cette discipline
(CATFORD, 1965 : 20, cité par GUIDERE, 2008 : 46).

Par ailleurs, CATFORD distingue deux types de traduction :

22
- Traduction « intégrale » (Full) qui s’oppose à la traduction
« partielle » (Partial), puisque procédant par équivalence
(Translation equivalence) et se basant sur des syntagmes plutôt que
sur de simples mots.

- Traduction « totale » (Total) qui s’oppose à la traduction


« restrictive » (Restricted) car exhaustive en ce sens qu’elle concerne
le langage pas les usages particuliers de celui-ci.

Critique : on ne peut en aucun cas parler de traduction totale étant


donné qu’elle est impossible à réaliser …

De plus, l’approche de CATFORD, quoique prônant l’équivalence,


opère sur la langue pas sur la parole, procède plus par correspondance
formelle que par équivalence proprement dite.

1-4- L’approche sociolinguistique

Cette approche est initiée aux Etats-Unis durant les années 1960 par
LABOV et autres. Elle est ensuite développée par Maurice PERGNIER
(auteur de « Les fondements sociolinguistiques de la traduction », publié
en 1978).
PERGNIER envisage la traduction en trois acceptions :

- Résultat, travail achevé.

- L’opération, processus.

- Travail de « Comparaison » entre deux idiomes, mis en parallèle.

23
Maurice PERGNIER, sans nier les apports de la linguistique,
considère que les recherches traductologiques menées dans le cadre de la
linguistique pure sont restrictives. Selon lui, la traduction, une activité
sociale par excellence, devrait être appréhendée dans une approche plus
large : la sociolinguistique. Autrement dit, la traduction s’enfonce dans de
nombreux domaines et fait appel à l’interdisciplinarité, dépassant ainsi les
frontières érigées par la linguistique. La sociologie constituerait alors une
des disciplines les plus proches de la traduction et une des sources
d’enrichissement notamment en matière de différences socioculturelles qui
entravent parfois l’opération traduisante (GUIDERE, 2008 : 47).

2- L’approche de l’équivalence dynamique

C’est à Eugène NIDA, bibliste américain, que l’on attribue les


premières recherches en Traductologie, du moins explicitement. Il prône
au milieu des années cinquante l’équivalence dynamique qu’il oppose à la
correspondance formelle. Il favorise la première en ce sens qu’elle tâche
de rendre les dimensions sémantique et culturelle, au-delà du cadre
purement linguistique du texte à traduire. NIDA initie sa démarche dans un
cadre religieux, quand il travaillait sur la traduction de la Bible. Il tente
ensuite de la généraliser sur l’ensemble des textes auxquels le traducteur
peut être confronté : littéraire, scientifique, juridique, économique …

3- L’approche herméneutique

Herméneutique vient du mot grec « hermêneuein » qui signifie


« comprendre » ou « expliquer ». L’Allemagne fut le principal pays qui

24
accueillit ce courant. GADAMER, HEGEL et HIDEGGER furent parmi
les principaux philosophes herméneutes. Les Romantiques allemands2, tel
que Frédéric SCHLEGEL, s’en inspirent pour créer un courant consistant
en une méthode d’interprétation. La première réflexion herméneutique en
traduction remonte à Friedrich SCHLEIERMACHER. Il pense que le
traducteur devrait se projeter à la place de l’auteur, se mettre « dans sa
peau » pour mieux saisir ses intentions.
L’idée de l’herméneutique en traduction fut ensuite reprise par George
STEINER. Celui-ci envisage le processus de traduction en quatre phases :
- Elan de confiance : supposer d’emblée que le texte à traduire
véhicule du sens.
- Agression : attaquer le texte, y faire une incursion et le vider de son
contenu.
- Incorporation : se faire sien ce contenu et l’emporte comme « butin
de guerre ».
- Restitution : rétablir l’équilibre en rendant à la langue-culture de
départ et celle d’arrivée, chacune ce qui lui appartient. Autrement
dit, « faire justice ».
Dans les phases deux et trois, le traducteur se montre actif voire
conquérant alors que dans la première et la quatrième il est plutôt paisible.
En tout cas, pour STEINER, « paix » ou « guerre » sont justifiées et ne
sont d’ailleurs que deux faces d’un même acte qui s’appelle « traduire »
(STEFANINK, 2000).
2
Poètes et conteurs du début du 19e siècle ayant ouvert leur pays (l’Allemagne) à l’universalité ; ils
se distinguaient par leur amour du rêve et du mystère, leurs œuvres parfois fragmentaires et étaient
voyageurs pour beaucoup d’entre eux.
25
4- L’approche idéologique (GUIDERE, 2008 : 50-52)

On a souvent posé la question suivante en traduction : « comment


distinguer culture/vision du monde de l’idéologie ? ». C’est une question
souvent assimilée à la politique de manière générale et au colonialisme en
particulier. La question de la censure chez les régimes dictatoriaux est
aussi évoquée.

Sans adhérer à une quelconque idéologie, un certain nombre de


théoriciens de la traduction abordent le sujet de la traduction à partir d’une
réflexion pourtant idéologique. C’est-à-dire qu’ils sont partis d’un constat
idéologique.

Ainsi, Antoine BERMAN, par exemple, distingue entre deux types de


traductions :

- « Traductions ethnocentriques », repliée sur elles-mêmes et sur la


culture cible.

- « Traductions hypertextuelles », celles qui privilégient l’ouverture


sur d’autres textes et les cultures du monde.

L’on peut qualifier les premières de traductions fermées voire racistes


dans certains cas. Alors que les secondes seraient plutôt universelles et
humaines.

PENROD, quant à lui, distingue deux tendances :

- « Naturalisation » : approche cibliste.

- « Exotisation » : approche sourcière.


26
On peut lire en filigrane de l’approche de BERMAN et de celle de
PENROD le vieux débat sur la « fidélité » en traduction : celui de la liberté
et de la littéralité en traduction. Cependant, ce débat se trouve cette fois-ci
frappé par le sceau de l’idéologie.

Par ailleurs, quelques penseurs communistes ont tenté de mettre la


traduction au service de leur idéologie. C’est ainsi par exemple que Lénine
a toujours conseillé, surtout pour un intellectuel enfermé en prison, de
traduire une œuvre dans un sens puis de la retraduire dans un autre,
histoire de l’adapter de mieux en mieux à la société.

Karl MARX, pour sa part, considère la traduction comme une


activité dialectique dans laquelle la langue source représente la « thèse »,
la langue cible « l’antithèse ». La synthèse, la traduction donc, viendra les
réunir en symbiose (n’est-ce pas là un des idéaux du communisme ?).

Sur un autre volet, Henri MESCHONNIC a accusé Eugène NIDA


d’avoir caché son côté protestant dans son concept de l’équivalence
dynamique, sachant que le catholicisme est beaucoup plus attaché à la
lettre en terme de traduction. Alors que les traducteurs protestants sont
préoccupés par le sens des versets.

5- L’approche poétologique

Dans son ouvrage Un art en crise (1982), Efim ETKIND évoque les
difficultés que rencontre la traduction poétique. Celle-ci, voire même les
autres types de traduction, souffre à cause de l’absence de critique. Le

27
champ est ainsi libéré aux traductions « qui trompent le lecteur » (Efim
ETKIND 1982 : 28, cité GUIDERE, 2008 : 53).

ETKIND se situe clairement du côté de Paul VALERY qui prônait la


restitution de la forme d’un poème, ses vers, sa rime ainsi que sa
prosodie et ce, contrairement à Charles BAUDELAIRE qui pensait qu’on
ne peut rendre un poème que par une prose rimée en se focalisant, bien
entendu, sur son contenu.

Pour ETKIND, le poème est un tout. Il faudrait le prendre en tant que


tel. Distinguer son fond de sa forme serait fatal pour sa traduction. Mieux
encore, ETKIND pense que la traduction poétique constitue un art ; c’est
pourquoi il n’y a pas lieu de chercher à rendre le poème de départ, mais
essayer d’en créer un autre qui en soit équivalent. Autrement dit, il faudrait
devenir soi-même artiste, soi-même poète.

A une éventuelle critique pour infidélité, ETKIND estime que la


trahison serait en amont : « le langage est une infidélité par rapport au
mental […] » (idem). Il ne faudrait pas selon ETKIND se sentir prisonnier
du poème-texte de départ mais procéder à une véritable re-création.

Il distingue ainsi quatre types de traduction poétique :

- La traduction en prose d’information : traduction d’un poème en


prose, qui n’est pas une œuvre d’art.

- La traduction en prose artistique : traduction d’un poème en prose


visant à en reproduire la dimension artistique sans trop se soucier de
la rime ni du rythme.
28
- La traduction versifiée d’information : traduction d’un poème en vers
de type intermédiaire, qui n’existe pas de façon autonome par
rapport à l’original.

- La traduction artistique en vers : traduction d’un poème en vers, qui


donne lieu à une œuvre autonome de l’originale en ce sens qu’il
s’agit d’une recréation.

6- L’approche textuelle

Dans son ouvrage L’analyse du discours comme méthode de traduction


(1984), Jean DELISLE propose une méthode de traduire basée sur le
« texte ». C’est une méthode qui prend en compte un certain nombre de
paramètres que recouvre le texte à traduire : registre de langue, l’aspect
culturel des deux langues de traduction, le genre du texte, son type, sa
relation avec d’autres texte (intertextualité) … ; paramètres qui aident le
traducteur à mieux cerner le sens du texte, au-delà de sa simple dimension
linguistique.

Par ailleurs, Robert LAROSE propose dans son ouvrage Théories


contemporaines de la traduction (1994) un modèle qui voudrait en finir
avec l’ancienne dichotomie source/cible. Un modèle qui intégrerait les
deux approches les considérant complémentaires, d’où son nom « modèle
intégratif ». Selon LAROSE, il ne s’agit pas de savoir s’il faut traduire
littéralement ou librement mais de savoir comment traduire exactement.
Pour ce faire, il suggère que la traduction soit « téléologique », c’est-à-dire
ayant une finalité : le respect des deux textes en présence (l’original et sa
traduction). LAROSE, pour l’évaluation des traductions propose le
29
concept de la traductométrie : une méthode consistant à critiquer les
traductions en faisant ressortir leur asymétrie, approximation ainsi que le
gain et la perte par rapport à leurs textes originaux.

7- L’approche sémiotique

La sémiotique, ou sémiologie, est l’étude des signes (de nature verbale,


picturale, musicale …) et des systèmes de signification.

Dans On Linguistic Aspects of Translation (Aspects Linguistiques de


Traduction, 1959), Roman JAKOBSON envisage la traduction d’un point
de vue sémiotique. Il parle ainsi d’une traduction intersémiotique qui
consiste à traduire un texte fait de signes verbaux par des signes non
verbaux. C’est un type général auquel JAKOBSON associe deux autres
purement linguistiques, verbaux : intralinguistique (traduction à l’intérieur
d’une même langue) et interlinguistique (traduction à proprement parler).

Guidon TOURY, dans Translation. A Cultural Semiotic Perspective


(1986), ramène la classification de JAKOBSON à deux types généraux :

- Traduction intrasémiotique, qui consiste à reformuler à l’intérieur


d’un même code sémiotique.

- Traduction intersémiotique, qui renfermerait la traduction


interlinguistique et la traduction intralinguistique (il y a lieu de
signaler que celui-ci devrait aussi faire partie du type précédant, si
on suit la logique de TOURY)3.

3
C’est nous qui soulignons.

30
8- L’approche communicationnelle

Depuis les études saussuriennes sur le langage, la langue fut considérée


pendant très longtemps comme un simple outil de communication.
Pour beaucoup de linguistes, depuis WEAVER jusqu’à JAKOBSON, la
langue n’est qu’un canal de transmission entre les individus. Telle est donc
la fonction de la langue et du langage : servir la communication.

Cette conception va être mise au profit du développement d’un courant


traductologique par, entre autres théoriciens de la traduction, Basil
HATIM et Ian MASON qui vont s’inspirer des fonctions du langage
définies d’abord par BÜHLER et développées ensuite par JAKOBSON.
Dans leur ouvrage Discourse and the Translator (1990), HATIM et
MASON appréhendent la traduction comme étant un processus de
communication (GUIDERE, 2008 : 61) et le traducteur comme étant un
communicateur. Leur objectif par cette approche est de réduire le fossé
entre théorie et pratique de la traduction et ce, en rattachant la réflexion
théorique sur la traduction à la communication qui est une pratique
quotidienne.

Ils ramènent les problèmes de la traduction, sinon du processus de la


traduction, au nombre de trois :

- La compréhension du texte source (sens linguistique, sens


encyclopédique et sens intentionnel de l’auteur)

31
- Le transfert de sens (reproduire le sens linguistique, grammatical et
lexical, et le sens de l’auteur dont la dimension rhétorique avec
l’implicite qu’elle peut renfermer)

- L’évaluation de la traduction (la lisibilité, le respect du génie de la


langue d’arrivée et la réalisation de l’objectif escompté par le
traducteur) ;

Centrant leurs recherches sur la communication, HATIM et MASON,


en mettant en relief l’importance du traducteur dans l’opération
traduisante. Ainsi, ouvrent-ils la voie à une approche qui va être basée sur
la pragmatique.

9- L’approche pragmatique

C’est de la pragmatique linguistique qu’il est ici question. On aurait


donc pu l’insérer dans les approches linguistiques de la traduction déjà
mentionnées. Cependant on a préféré en parler juste après l’approche
communicationnelle dont elle découle.

La pragmatique linguistique consiste donc à étudier le langage en


situation de communication. Elle fait intervenir la dimension humaine
longtemps négligée par les études structuralistes. C’est une discipline qui
repose amplement sur la notion du « contexte ». Elle fut initiée par John
AUSTIN dans son fameux ouvrage How to do Things with Words (1962)
(Quand dire c’est Faire) où il distingue les actes de langage en trois
catégories (locutoire, illocutoire et perlocutoire). Cette distinction fut
reprise et « revue » par John SEARLE (Acte de Langage Directs,

32
véhiculant un Sens Littéral/ Acte de Langage Indirects, renfermant un Sens
Non Littéral). Dans la même optique, Paul GRICE distingue l’« Enoncé
Constatif » de l’« Enoncé Performatif ».

Au côté de la dimension contextuelle, le sens « implicite » est, lui


aussi, une notion clé en pragmatique linguistique. Ces deux paramètres
intéressent (ou devrait intéresser ?), de manière naturelle, le traducteur
puisqu’il a à traduire le sens (explicite et implicite) ; de plus, ce sens-là, il
ne peut l’appréhender que dans un contexte et ne le redire que dans un
contexte. L’expérience l’a toujours démontré : la traduction des énoncés
« orphelins » au lieu des « messages » contextualisés débouchent souvent
sur des « faux sens », « non sens » et « contresens ».

Ceci a bien été compris par quelques traductologues à l’instar de Mona


BAKER et Leo HICKEY qui ont appliqué quelques réflexions de la
linguistique pragmatique à la traduction. Cependant, il s’est avéré que cette
approche ne s’applique pas aisément sur tous les types de texte,
notamment ceux qui ne reflètent pas explicitement la personnalité de
l’auteur ou qui dont le sens se livre sans recours important au contexte et
où l’implicite est réduit au minimum, le texte technique étant pour cela le
meilleur exemple.

10- L’approche cognitive

Les sciences cognitives regroupent six disciplines en interaction


permanente : philosophie, linguistique, psychologie, anthropologie,
informatique et neurosciences. Elles s’intéressent au processus mental de
l’être humain. La traduction elle-même est considérée comme telle par un
33
certain nombre de traductologues qui y voient un processus en deux phases
pour certains (compréhension et reformulation) ou, pour d’autres, en trois
étapes (réception, analyse et restitution). Quoi qu’il en soit, la traduction
ainsi envisagée, demeure une activité essentiellement cognitive qui fait
intervenir les facultés mentales du traducteur : mémoire, intelligence,
réflexes, lecture, parole et écriture.

Dans le cadre des six sciences susmentionnées, on trouve deux


disciplines qui mettent nettement en œuvre ces facultés-là : la linguistique
et la psychologie. C’est pourquoi la psycholinguistique, discipline
intermédiaire, combinée aux neurosciences, constitue le support
méthodologique le plus propice à l’approche cognitive de la traduction.

L’approche cognitive (KRINGS, LÖRSCHER, …) de la traduction a


développé des méthodes d’investigation dont la plus connue est celle des
TAPs (Think Aloud Protocols : Protocoles de réflexion à haute voix) qui
prend, à son tour, deux formes : introspection et observation. Dans le
premier cas, le traducteur ou l’interprète décrit ce qu’il fait au moment de
traduire/interpréter. L’observation, elle, consiste à surveiller, de loin, le
comportement du traducteur/interprète. On trouve aux côtés des TAPs un
autre procédé qui est aussi important : le Translog. Celui-ci a pour objectif
principal d’enregistrer le processus de traduction humain sous forme de
fichier informatique qui sera ensuite mis au service de la traduction
automatique.

Parmi les outils dont se sert l’approche cognitive on peut citer :

34
- Etude de certains aspects comportementaux tels que la gestuelle, le
mouvement des yeux, la voix (débit, rythme, ton …).

- Utilisation de questionnaires élaborés

- L’imagerie mentale en vue d’étudier les zones du cerveau sollicitées


au moment de traduire/interpréter (GUIDERE, 2008 : 63-65).

L’objectif de l’approche cognitive est de mieux comprendre le


processus de la traduction, les phases qui la jalonnent et de mettre ces
informations au service de la pratique traductionnelle.

11- Théories de la traduction

11-1- La théorie interprétative/du sens

La théorie interprétative fondée par l’Ecole de Paris (E.S.I.T.) ramène


le processus de la traduction à trois phases : compréhension, reformulation
et vérification.

Nous pouvons résumer les fondements de la théorie du sens en ce qui


suit : tout est interprétation, vouloir dire, implicite versus explicite, savoir
partagé, bagage/complément cognitif, déverbalisation versus
reverbalisation, correspondance versus équivalence, synecdoque/entropie
et unité de sens.

35
Tout est interprétation

On ne peut traduire sans interpréter4 : il faut d’abord comprendre,


saisir le sens/le vouloir dire de l’auteur avant de penser à le rendre dans
la langue cible car, selon cette théorie, c’est le sens qu’il faut rendre et
que s’il n’est pas saisi au préalable, les mots du texte source à eux seuls
ne suffiront pas (Voir : SELESKOVITCH et LEDERER, 1984 et
LEDERER, 1994)

Mieux encore, interpréter c’est traduire et traduire c’est interpréter,


à condition de prendre, bien entendu, les deux concepts dans leur
acception large et philosophique. Autrement dit, traduire/interpréter, au-
delà de la traduction proprement dite5, est un acte naturel et présent dans
toutes les phases de la communication : l’interlocuteur, en phase
d’émission, se traduit soi-même pour l’autre et, en phase de réception, il
se traduit l’autre pour soi-même.

Vouloir dire

Comme l’approche herméneutique, la théorie interprétative suggère


que le sens ne se livre pas immédiatement. Avant de traduire, le
traducteur doit se faire interprète, il doit dégager le sens du texte, c’est-à-
dire « le vouloir dire » de l’auteur. Et c’est ce sens-là qu’il doit traduire.

Les fondateurs de la théorie du sens recommandent donc, pour bien


traduire, d’aller au-delà des mots du texte, de ses significations. Ils

4
Un ouvrage d’ailleurs co-écrit par SELESKOVITCH et LEDERER édité en 1984 porte un titre
révélateur dans ce sens : « Interpréter pour traduire ».
5
Nous dirions : traduction interlinguistique, pour reprendre le concept de JAKOBSON.
36
proposent d’aller en quête du sens. Et, pour le cerner justement, le
vouloir dire de l’auteur en est la source. Pour y arriver, le traducteur est
invité à s’appuyer sur les facteurs extra-linguistiques du texte à traduire :
le contexte, la dimension culturelle, l’implicite …

Implicite versus explicite

Le sens implicite constitue le socle même de la théorie interprétative


de la traduction. Le traducteur est tenu de se pencher aussi bien sur la
partie implicite de l’énoncé que sur sa partie explicite. Les deux formes
d’expression vont toujours ensemble et « la formule qui restituera le sens
dans l’autre langue devra s’inspirer tout autant de l’implicite de l’original
que de son explicite » (SELESKOVITCH, 1976 : 23). La théorie du sens
ne dresse pas un inventaire des tournures implicites (c’est peut-être le
rôle de la linguistique et de la rhétorique), ni ne propose des stratégies
spécifiques pour les traduire. Néanmoins, on pourrait lui accorder qu’elle
est la seule théorie qui a tant insisté sur la dimension implicite du
discours et son importance.

Savoir partagé

Durant nos conversations, il nous arrive souvent de finir les phrases de


nos interlocuteurs. L’agencement des mots, les gestes qui les
accompagnent, le ton de la voix, l’attitude de la personne qui parle, et
même le lieu de la discussion nous aident à deviner la suite attendue de
l’énoncé (RICHAUDEAU : 1981).

37
C’est SPERBER et WILSON, auteurs de La théorie de la pertinence,
qui ont étudié le phénomène en le baptisant « stratégie de l’interprète » :
« La stratégie de l’interprète est ce qui nous permet d’anticiper sur ce que
va dire un locuteur, de terminer son énoncé avant lui » (REBOUL et
MOESCHLER, 1998 b : 48). Elle « repose sur la notion du savoir
partagé » (LEDERER, 1994 : 53).

Pour parler du savoir partagé, il est de deux sortes :

- Cognitif encyclopédique, regroupant les connaissances de la réalité


objective 6 partagées entre les individus qui communiquent.
- Cognitif contextuel, concernant l’ensemble des circonstances qui
caractérisent l’énoncé ou le discours (SELESKOVITCH, 1976 : 92).
En fait, les deux types du savoir partagé sont aussi importants l’un que
l’autre pour réaliser de bonnes traductions. Ils font partie intégrante de
leurs processus. Une traduction « recherchée », voulant être fidèle et
visant, par delà tout, à prolonger la chaîne de la communication humaine
ne peut s’en passer.

Bagage/complément cognitif

La saisie du sens à traduire ne peut jamais se construire sur vide.


Pour l’appréhender, le traducteur-récepteur recours à un vécu cognitif et
affectif, que LEDERER définit par le terme de « bagage cognitif »
(LEDERER, 1994: 37). L’interprétation du sens d’un texte devient
possible grâce à « la mise en contact du bagage cognitif du récepteur

6
Connaissances d’ordre scientifique, géographique et autres.

38
avec les mots du texte qui servent quasiment de détonateur, et
déclenchent ce jaillissement du sens. La “compréhension” d’un nouvel
élément de vécu – et la lecture d’un texte en fait partie – consiste à
mettre ce nouveau vécu en rapport avec des expériences vécues
similaires et de l’évaluer par rapport à ce fond de vécu existant dans la
mémoire » (voir : Bernd STEFANINK, 2000).

En d’autres termes, le complément cognitif est le savoir partagé, tel


que défini en haut, combiné à des connaissances nouvelles mais non
personnelles qui viennent compléter la dimension linguistique. Ces
connaissances extra-linguistiques sont assimilées par la lecture du texte à
traduire, grâce en partie au contexte.

Déverbalisation versus reverbalisation

C’est l’acte essentiel à la saisie du sens, par lequel le traducteur


transcende le niveau des mots pour s’approprier le sens d’un texte, qu’il
devra ensuite reverbaliser dans la langue cible, en tenant compte des
spécificités du récepteur (sa langue, sa culture, etc.).

Pour ré-exprimer le contenu d’un texte émis en langue A dans la


langue B, le traducteur devrait « le séparer soigneusement de l’enveloppe
verbale première pour le recouvrir de l’enveloppe appropriée dans l’autre
langue » (SELESKOVITCH, 1976 : 38). Sans quoi le traducteur se
mettra à rendre des significations au lieu du sens.

39
Equivalence versus correspondance

L’on ne peut poser la problématique de signification/sens sans


évoquer celle de correspondance/équivalence. Les deux dichotomies
renvoient presque aux mêmes réalités. En fait, l’apparition du terme
« équivalence » en traductologie est venue au gré de la volonté d’évacuer
le vieux débat entre les tenants de la traduction littérale et les défenseurs
de la traduction libre en ouvrant, du coup, une nouvelle perspective.
Au milieu des années cinquante, E. NIDA propose deux types
d’équivalence : formelle et dynamique. Il définit la première comme étant
linguistique et se basant sur la langue en tant que système (selon la
définition des structuralistes) et orientée vers le texte de départ, sa langue,
son auteur et sa culture. Quant à la seconde, il la considère pragmatique, se
basant sur le discours ou la parole et orientée vers le texte d’arrivée, son
lecteur et sa culture (LAROSE, 1989 : 77-79). Plus tard, au début des
années quatre-vingt, Peter NEWMARK emboîte le pas à son prédécesseur
en distinguant :
1- traduction sémantique, linguistique et encyclopédique, orientée vers
l’auteur et interdit d’apporter des corrections ou améliorations au
texte original. C’est exactement l’équivalence formelle de NIDA.
2- traduction communicative, plutôt fonctionnelle et pragmatique,
privilégiant au contraire le lecteur en langue d’arrivée (idem : 184-
190).
Au fil du temps, le terme « équivalence » a pris en traductologie une
connotation précise. Il s’agit d’une traduction rendant le plus fidèlement
possible le sens d’un texte, les émotions et les aspects culturels qu’il recèle
40
… le code linguistique se retrouve, quant à lui, au second plan. Ce qui
équivaut, à peu près, à l’équivalence dynamique de NIDA. Le terme
« correspondance » a remplacé celui d’ « équivalence formelle » et toute
autre appellation synonyme. C’est du moins ce que l’on peut lire dans les
travaux de SELESKOVITCH et LEDERER
En somme, pour la théorie interprétative, un bon traducteur doit
procéder par équivalence non pas par correspondance. L’opération
traductionnelle devrait être orientée aussi bien vers le texte source avec
toutes ses dimensions, que vers le texte cible en tenant en compte du
public visé, son mode de vie, sa culture, ses attentes et ses aspirations.

Synecdoque/entropie
Si l’on considère de plus près la notion de « génie de la langue », l’on
constatera vite qu’elle est indissociable de ce que LEDERER nomme par
« Synecdoque ». LEDERER emprunte à la rhétorique classique le terme de
« synecdoque » dans son étude pionnière Synecdoque et traduction (1976)
et l’applique à la traduction (RYDNING, 2004). Elle confère cependant à
cette figure de style une propriété conceptuelle, et démontre que le
principe de désignation au niveau de la langue, consistant à prendre un
aspect caractéristique d’un concept pour transmettre la totalité du concept,
est également applicable au niveau du discours, où un trait saillant d’une
idée sert à transmettre l’idée entière. LEDERER observe que « ce procédé
est sans cesse appliqué, de manière parfaitement normale et tout à fait
inconsciente par tous les locuteurs dans tous les types de discours »
(LEDERER, 1976 : 14). La synecdoque est donc un procédé qui sert à
référer à un tout au moyen de la partie.
41
C’est, donc, à LEDERER que revient le mérite d’avoir la première
remarqué les retombées du procédé synecdoquien (RYDNING, idem) sur
la traduction. Tout comme chaque langue choisit différemment les traits
saillants qui servent à désigner objets et concepts, les idées dans le
discours sont évoquées au moyen de certains traits propres à la langue
d’arrivée. Traduire en se contentant de transposer les traits saillants de la
langue de départ risque non seulement de nuire à l’intelligibilité de la
traduction, mais plus grave encore, de fausser le sens. Le remède suggéré
pour rendre justice au sens exprimé dans l’énoncé original est d’actualiser
les traits saillants de la langue d’arrivée en fonction de la logique
d’expression de celle-ci (ibidem).

Unité de sens

L’unité de sens est à comparer, dans une certaine mesure, au


morphème : celui-ci est l’unité minimale de signification en morphologie,
celle-là est l’unité minimale de traduction7.

Analysons ensemble la définition plus ou moins technique de l’unité


de sens que donnent SELESKOVITCH et LEDERER, qui ont eu à notre
connaissance le mérite d’avoir ouvert cette piste de réflexion et qu’elles
ont formulée sur la base de leurs expériences professionnelles en tant
qu’interprètes de conférences : « […] les unités de sens se manifestent
matériellement sous forme d’un certain nombre de mots, la longueur de la
chaîne dépendant de la capacité de la mémoire immédiate et ne dépassant
donc jamais de beaucoup six ou sept mots, soit en gros trois secondes »
7
C’est nous qui comparons.

42
(SELESKOVITCH et LEDERER, 1984 : 40). Par ailleurs, il y a lieu de
distinguer l’unité de sens de l’unité de traduction proposée par VINAY et
DARBELNET) (voir supra).

11-2- La théorie de l’action

C’est une théorie développée en Allemagne par Holz-MÄNTTÄRI en


1984. Elle est orientée vers des objectifs purement professionnels. La
traduction, dans cette optique, est envisagée d’un point de vue purement
pragmatique.

La théorie de l’action pour la traduction, ou théorie actionnelle de la


traduction, repose largement sur la théorie de l’action et celle de la
communication. Elle vise à faire ressortir les difficultés d’ordre culturel
que rencontre le traducteur dans sa tentative de mettre en contact des
professionnels, économistes, experts, hommes d’affaires … d’horizons et
d’origines différents.

Pour MÄNTTÄRI, le texte source n’a pas de valeur en soi en dehors


de l’objectif que se fixe le traducteur. Le texte source n’a de fonction que
dans la langue cible, une fonction (valeur ?) qui prendra son importance
avec la satisfaction du « client » au service duquel le traducteur mettra en
œuvre toutes ses compétences et envers lequel il entretient une éthique non
des moindres. C’est pourquoi le traducteur, selon MÄNTTÄRI, est appelé
à changer de stratégie suivant la fonction du texte qui va être déterminée
par le client et selon les contraintes auxquelles va se soumettre le
traducteur (les délais, la rémunération, le thème du texte, …). Sa devise :

43
être à l’écoute du client et capable de surmonter les différences culturelles
des deux langues, source et cible).

Ce qui est reproché à MÄNTTÄRI, notamment par NEWMARK, se


résume au moins à deux points :

- le traducteur n’est pas toujours décideur de sa traduction (il doit souvent


se conformer aux intentions de l’auteur)

- la théorie actionnelle de la traduction est trop orientée vers le monde du


business alors qu’il ne représente qu’une partie infime dans l’univers de la
profession (GUIDERE, 2008 : 71-72).

11-3- La théorie du Skopos

Skopos : visée, finalité ou fonction du texte. Théorie initiée par Hans


VERMEER à la fin des années 70. Elle est en partie le résultat de
l’évolution de la linguistique structurale vers la linguistique de texte
(Bernd STEFANINK, 2000). Katharina REISS rejoint la théorie vers 1984
et l’enrichit avec sa typologie textuelle (texte informatif, texte esthétique et
texte appellatif), sachant que chacun des trois types requiert une/des
stratégie(s) de traduction spécifique(s) (idem) dont le traducteur doit
prendre conscience en vue de transmettre la dimension dominante du texte
dans la langue d’arrivée. La théorie du skopos se démarque nettement des
approches linguistiques de la traduction. C’est l’une des théories
fonctionnelles les plus connues dans domaine traductologique. Néanmoins,
l’on reproche à cette théorie d’être trop cibliste.

44
11-4- La théorie du jeu

GORLÉE (GUIDERE, 2008 : 74-75) compare l’opération de


traduction à un puzzle mais souvent à un jeu d’échecs. Selon elle, chacun
d’entre eux est régis par des règles à respecter pour que la « partie » soit
bien menée à terme. Dans le jeu d’échecs, les joueurs se mettent en face et
s’affrontent en se pliant aux règles de ce jeu universel. Dans le cas de la
traduction, le traducteur s’oppose à l’auteur. Cependant et contrairement
au cas du jeu d’échecs, là, le premier est actif et le deuxième est passif. De
plus, GORLÉE, en procédant à une telle comparaison, réduit le processus
de la traduction à une opération basique dénuée de facteurs émotionnels,
psychologiques et idéologiques qui peuvent s’y interférer. Cela étant, sans
compter l’absence ou presque du caractère ludique dans la traduction
puisque l’on ne prend pas toujours du plaisir en traduisant !

11-5- La théorie du Polysystème (GUIDERE, 2008 : 75-76)

Le polysystème est une théorie basée sur la littérature, on y parle


plutôt de « littérature traduite » au lieu de traduction proprement dite.
C’est un procédé initié par ITAMAR Even-Zohar entre 1970 et 1980 et
développé par Guideon TOURY. Il est appréhendé comme un ensemble
hiérarchisé de système. En d’autres termes, la littérature traduite est un
« sous-système » faisant partie d’un système plus large : le système
littéraire, qui est en soi un système dépendant d’un système culturel global.
Chaque système culturel global (national) regroupe les systèmes politique,
économique, juridique, religieux …

45
C’est ainsi que la traduction, sinon la littérature traduite, est soumise
d’abord au système littéraire (chaque littérature nationale a ses propres
spécificités qui devraient orienter les traductions). Ensuite, le système
culturel global, par sa ligne politique ou économique, par ses croyances et
pratiques religieuses, par les coutumes qu’il renferme … « autorise » ou
« condamne » une telle manière de traduire ou une telle autre et la
« juge ».

11-6- La théorie socioculturelle

Peter NEWMARK distingue deux types de traduction : traduction


linguistique et traduction communicative. Selon lui, il faudrait favoriser la
seconde car elle prendrait en compte, par delà tout, la dimension culturelle
en ce sens qu’elle veille à transmettre (communiquer) l’empreinte
socioculturelle du texte source en l’adaptant à la langue/culture cible.
Selon NEWMARK, ce serait une traduction qui rejette l’attachement
aveugle à la langue, attachement prôné par le premier type puisque ne se
préoccupant que de la dimension verbale/linguistique du texte à traduire.

Par ailleurs, on serait tenté de comparer la dichotomie de NEWMARK


à celle de NIDA (correspondance formelle / équivalence dynamique) ou
encore à celle de l’Ecole de Paris (Correspondance / équivalence). La
tentation est en effet fondée étant donné que le duel entre « la lettre » et
l’ « esprit », vieux comme le monde, n’est pas prêt à plier bagages !

46
Références

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Universitaires de Lille, 1992.

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http://www.ulaval.ca/langulaire/histoire_trad.html (Consulté le :
11/03/2008).

50
Table des matières

Chapitre I : La Traduction et la Traductologie : évolution ----------------- 03

1- Aperçu historique de la traduction ------------------------------------------ 03

1-1- Mythe de la Tour de Babel ------------------------------------------------ 03

1-2- L’Antiquité------------------------------------------------------------------- 04

1-3- Le Moyen Âge --------------------------------------------------------------- 05

1-4- Les Arabes ------------------------------------------------------------------- 06

1-5- Le temps des débats houleux ---------------------------------------------- 07

1-6- La Traduction et l’Informatique ------------------------------------------ 08

2- Evolution de la Traductologie : perte de repères ou classification


difficile ? --------------------------------------------------------------------------- 10

2-1- George STEINER ----------------------------------------------------------- 10

2-2- Henri MESCHONNIC ----------------------------------------------------- 13

2-2- Jean-René LADMIRAL ---------------------------------------------------- 13

3- Réflexions traductologiques : une série de dichotomies ----------------- 14

3-1- Traduisible Versus Intraduisible ------------------------------------------ 14

3-2- Art Versus Science---------------------------------------------------------- 14

3-3- Auteur Versus Lecteur ----------------------------------------------------- 15

3-4- Sacré Versus Profane ------------------------------------------------------- 15

3-5- Traduction Versus Imitation ----------------------------------------------- 16


51
3-6- Littéraire Versus Scientifique --------------------------------------------- 16

3-7- Traduction Versus Interprétation ----------------------------------------- 16

3-8- Théorie Versus Pratique---------------------------------------------------- 17

3-9- Humain Versus Automatique --------------------------------------------- 17

Chapitre II : Approches, modèles et théories de la Traduction------------- 18

Les approches linguistiques ----------------------------------------------------- 18

L’approche de la stylistique comparée----------------------------------------- 19

L’approche de la linguistique théorique --------------------------------------- 21

L’approche de la linguistique appliquée --------------------------------------- 22

L’approche sociolinguistique --------------------------------------------------- 23

2- L’approche de l’équivalence dynamique----------------------------------- 24

3- L’approche herméneutique--------------------------------------------------- 24

4- L’approche idéologique ------------------------------------------------------ 26

5- L’approche poétologique ----------------------------------------------------- 27

6- L’approche textuelle ---------------------------------------------------------- 29

7- L’approche sémiotique ------------------------------------------------------- 30

8- L’approche communicationnelle -------------------------------------------- 31

9- L’approche pragmatique------------------------------------------------------ 32

10- L’approche cognitive -------------------------------------------------------- 33

11- Théories de la traduction ---------------------------------------------------- 35

11-1- La théorie interprétative/du sens ---------------------------------------- 35


52
11-2- La théorie de l’action ----------------------------------------------------- 43

11-3- La théorie du Skopos ------------------------------------------------------ 44

11-4- La théorie du jeu ----------------------------------------------------------- 45

11-5- La théorie du Polysystème ----------------------------------------------- 45

11-6- La théorie socioculturelle------------------------------------------------- 46

Références ------------------------------------------------------------------------- 47

Table des matières ---------------------------------------------------------------- 51

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