Les mystères
de la vie de Jésus
Michelle K. Borras
IMAGE DE L A C O U V E RT U R E
Rome. La mosaïque a été réalisée par le père Marko Ivan Rupnik et les
Centre Aletti.
Les mystères
de la vie de Jésus
Michelle K. Borras
Table des matières
« O grand mystère ! »
1 « C’est ta face, Seigneur, que je cherche »
4 « Le mystère qui dépasse toute compréhension »
Un mystère joyeux
11 « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous »
14 « Quel échange admirable ! »
Un mystère lumineux
17 « Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux »
19 « Tu as gardé le meilleur vin pour la fin »
21 « Ceci est mon corps, donné pour vous »
Un mystère douloureux
25 « J’ai soif ! »
28 « Si le grain de blé… »
Un mystère glorieux
33 Le sceau de l’Alliance
36 L’Ascension et la Pentecôte
39 « L’Esprit et l’Épouse disent Viens ! »
43 Sources
48 L’auteur
« C’est ta face, Seigneur, que je cherche,
ne me cache pas ta face » (Psaume 26, 9)
1
étudiante qui résume bien cette aspiration à une beauté et à
un amour qui nous dépassent :
2
Quelqu’un n'avait d’abord eu soif de nous. Et soudain,
quelque chose s’éveille en nous, comme l’antique prière que
le pape Benoît XVI cite, demandant à Dieu de se montrer à
tous ceux qui le cherchent : « Mon âme a soif de toi ; après toi
languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » (Psaume 62, 2).5
Quelqu’un a d’abord eu soif de nous. En un sens, c’est tout
l’Évangile chrétien. Dieu est déjà parfait en lui-même et
pourtant, « son cœur s’émeut pour nous, il se penche sur
nous »6 à tel point qu’il a choisi de se faire homme. Au cœur
de la foi chrétienne, se trouve le Dieu qui ne nous a pas
seulement créés. Il a été si ému par notre souffrance que
« dans le Christ, Dieu est descendu au plus profond de l’être
humain, jusque dans la nuit de la haine et de l’aveuglement,
jusqu’à l’obscurité de l’éloignement de l’homme vis-à-vis de
Dieu, pour y allumer la lumière de son amour »7.
Comme la jeune étudiante à Vienne, tous, nous espérons
sans vraiment savoir ce que nous espérons. Notre âme est
comme la terre aride et altérée. Un grand nombre d’entre
nous sont tentés de recouvrir leur aspiration, de l’étouffer ou
simplement de l’oublier, parce qu’elle ne semble pas pouvoir
être jamais comblée. Comme les païens qui venaient parfois
prier dans la cour du Temple de Jérusalem – ou comme bien
des personnes de nos jours qui n’ont pas encore la foi – nous
attendons, insatisfaits par les « dieux, [les] rites et [les]
mythes » que nous nous sommes fabriqués. Nous continuons
de désirer « le Saint et le Grand, même si Dieu reste pour
[nous] le « Dieu inconnu » (cf. Actes 17, 23) »8.
Ce « Dieu inconnu » s’est abaissé pour nous montrer son
visage. Il est entré dans une relation d’amour avec nous, se
liant à nous pour toujours.
3
Lorsque cela s’est produit, la terre entière fut remplie de
« la grande réalité, pleine, que nous attendons tous »9. Elle
fut remplie de la puissance de Dieu qui a pris la forme de la
pauvreté. Elle fut remplie de l’humilité avec laquelle il
mendie notre amour.10
Devant cette révélation, nous devenons soudain capables
d’accepter notre quête de Dieu et la « nostalgie qui se cache
en elle ».11 Nous découvrons alors que notre désir ne disparaît
pas, mais qu’il est au contraire transformé, rempli
d’admiration devant la beauté qui est apparue parmi nous.
Notre tentation de désespérer dans « ce temps d’absence de
Dieu » devient un regard émerveillé sur Celui qui est présent.
Jésus est Dieu et l’homme unis dans une alliance
irrévocable. En sa personne, il lie le ciel et la terre. Face à son
amour – par la naissance du Fils de Dieu, sa mort et sa
résurrection au milieu de nous – nous nous comprenons
soudain nous-même. Nous comprenons que, pendant tout
ce temps, celui qui est notre commencement et notre fin,
notre origine et notre destinée, espérait que nous espérions
en lui.
4
surprendre à ce moment-là : « Alors, laissant dans la barque
leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite »
(Marc 1, 20).
Dans ce maître qui les appelait, Jacques et Jean ont entrevu
quelque chose qu’ils avaient attendu toute leur vie, avec le
peuple fidèle d’Israël.
Pendant trois ans, ils ont regardé Jésus prier, enseigner,
guérir, chasser les démons, nourrir les foules et calmer le
vent et les vagues. Un jour, qui fut inoubliable, avec Pierre,
ils le virent transfiguré sur le Mont Thabor, son visage
brillant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la
lumière. Ils entendirent la voix de Dieu le Père, qui trouve sa
joie dans son Fils et ils tombèrent face contre terre saisis
d’une grande crainte (cf. Matthieu 17, 1 sq).
Ces frères savaient qu’il y avait quelque chose de grand
dans cet homme qu’ils ne comprenaient pas, et qu’il méritait
leur fidélité et leur amour. Et, en le suivant jour après jour,
ils ont découvert que quand ils priaient les anciens psaumes
d’Israël, les paroles étaient remplis d’une lumière nouvelle et
encore indéfinissable : « Tu es beau, comme aucun des enfants de
l’homme, la grâce est répandue sur tes lèvres […] que les peuples te
rendent grâce » (Psaume 45, 3 et 18).
Le plus jeune des deux frères, Jean, a dû repenser souvent
à ce premier moment au bord du lac, lorsqu’il a laissé ses
filets et son père pour se lancer dans l’aventure à la suite de
Jésus. Pourtant, même pendant ces trois années passées à
côté de Jésus, Jean ne pouvait pas imaginer qu’un jour, il se
tiendrait sur la colline de l’exécution, regardant son maître
mourir dans une longue agonie sur la croix. Il ne pouvait pas
savoir que, lorsqu’il verrait le corps de son ami dans la tombe,
5
les paroles qu’il avait apprises enfant auraient soudain revêtu
un sens infiniment plus grand que celui qu’elles avaient
auparavant : « C’est ta face, Seigneur, que je cherche ; ne me cache pas
ta face » (Psaume 27, 8-9).
Toutes les catégories de pensée qui leur étaient familières
allaient éclater pour Jacques et Jean, les fils de Zébédée,
rassemblés avec les autres disciples perdus et effrayés après
la mort de Jésus. Aucun d’eux n’auraient pu avoir le moindre
pressentiment que leur maître, qui était mort, allait se
trouver au milieu d’eux et leur donner sa paix.
À peine une semaine plus tard, une nuit de pêche sans
résultat, avec quelques autres disciples, allait se conclure avec
des filets remplis à craquer, après qu’un inconnu se tenant
sur la plage leur avait dit de lancer leurs filets vides de l’autre
côté du bateau.
Jean, dont la vue et l’ouïe s’étaient peu à peu accordées à
la voix et à la silhouette de l’Amour, s’était exclamé : « C’est
le Seigneur ! » (Jean 21, 7).
Leur maître qui, sur la plage, offrait aux disciples du
poisson grillé et du pain rompu de ses propres mains, était
quelqu’un qu’ils connaissaient intimement et pourtant, ils ne
le connaissaient presque pas. C’était l’ami, mais aussi l’inconnu
devant qui ils n’osaient pas parler. « Aucun des disciples n’osait
lui demander : « Qui es-tu ? » (Jean 21, 12). C’était trop évident,
et en même temps trop incompréhensible. Il était trop plein
du mystère de Dieu.
Au cours des quarante jours que Jésus passa avec eux après
Pâques, leur découvrant les Écritures, les apôtres comprirent
de plus en plus profondément qu’une vie entière ne suffirait
pas pour réfléchir sur ce qu’ils avaient vu de leurs yeux et
6
touché de leurs mains (cf. 1 Jean 1,1). Car cet homme, qui était
né comme un enfant désarmé et qui avait vaincu la mort,
était le Fils de Dieu fait homme. Jésus n’était pas simplement
« beau, comme aucun des enfants des hommes » (psaume 45,
3). Il était la beauté même venue habiter parmi les hommes.
Il était « le Seigneur tout-puissant du ciel et de la terre, [qui]
avait choisi de s’incarner, cachant sa gloire sous le voile de
notre chair, pour nous révéler sa bonté (cf. Tite, 3, 4) »12.
Quand les apôtres se sont dispersés pour proclamer
jusqu’aux confins de la terre la Bonne nouvelle de la vie, de
la mort et de la résurrection de Jésus-Christ par lesquelles
nous étions rachetés, ils savaient, avec tous ceux qui crurent
à cause d’eux, que la vie de Jésus contient un mystère. En
fait, sa vie est le « grand mystère » qui unit le ciel et la terre
(cf. Éphésiens 5, 32). Ce mystère n’est pas quelque chose
d’irrationnel ou qui ne peut pas être connu ; au contraire, il
contient des profondeurs insondables. Il révèle le Dieu qui
« a tant aimé le monde » (Jean 3, 16) qu’il s’est lié à sa créature
pour toujours. Et en nous montrant notre destinée et notre
salut, la vie du Fils de Dieu incarné révèle la pleine « vérité
sur l’homme »13.
Depuis que le Fils de Dieu « s’est abaissé » (Philippiens 2,
8), pour naître comme un homme et pour mourir pour
l’humanité sur une croix, l’émerveillement de l’Église devant
le geste de charité incompréhensible de Dieu a grandi. Plus
les apôtres ont laissé l’expérience de Pâques éclairer leur
cœur et leur esprit, plus ils sont devenus conscients que la
vie de leur maître les dépassait infiniment. Comme un
amoureux qui ne peut jamais contempler suffisamment
longtemps le visage de celle qu’il aime, ils sont revenus sur
7
ce qu’ils avaient vu, entendu et touché pour le contempler
avec un cœur rempli d’émerveillement.
Le pape Jean-Paul II, successeur des temps modernes des
apôtres, nous rappelait que vingt siècles n’ont pas diminué
cet émerveillement ni nullement rendu la contemplation de
la vie de Jésus-Christ moins nécessaire pour les hommes et
les femmes d’aujourd’hui. Tout ce qu’est l’Église et tout ce
qu’elle fait « sera déterminé par la capacité des chrétiens à
entrer dans la « parfaite connaissance du mystère de Dieu,
du Christ, en qui sont cachés tous les trésors de sagesse et de
connaissance » (Colossiens 2, 2-3) »14.
8
9
« Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous »
(Jean 1, 14)
11
En son sein, puis dans ses bras, à sa naissance, la Vierge
Marie a reçu le Verbe par qui le monde a été fait (cf. Jean 1, 3).
Le mystère de la vie de son fils allait remplir de plus en plus sa
propre vie avec le temps. Il remplirait aussi la vie des disciples
de Jésus. Et tous les peuples et nations, de toutes langues,
contempleraient un jour le Roi de l’univers ressuscité
(cf. Daniel 7, 14). Mais la contemplation de Jésus-Christ par
tous les croyants demeure enracinée dans le premier regard
émerveillé posé par Marie sur le Verbe incarné.
La deuxième personne de la Sainte Trinité est descendue
du ciel comme la pluie sur la terre desséchée, mais elle était
aussi un fruit de cette terre.16 Petit enfant dans les bras de
Marie, il est venu en tant que Dieu qui « nous a montré son
visage et ouvert son cœur » comme « le pont, qui met vraiment
Dieu et l’homme en contact direct »17. Dans la paisible
salutation de l’ange et dans la pauvreté de l’étable à Bethléem,
la mère de Jésus fut le premier témoin de « l’admirable union
de la nature divine et de la nature humaine dans l’unique
Personne du Verbe »18.
L’événement presque caché de l’Incarnation contenait
quelque chose d’infiniment plus grand et plus pur que tout
le reste dans la création. Comme Marie commença à le
comprendre imperceptiblement à partir du moment où
l’Esprit la couvrit de son ombre (cf. Luc 1, 35), cet enfant, cet
homme qui allait prêcher, souffrir, mourir et ressusciter,
« n’est pas seulement décrit comme le Fils de Dieu, il est le
Fils »19. Par sa simple présence, il nous communique l’Amour
qu’est Dieu lui-même. Comme l’a dit Jésus à ses disciples, il
nous montre le visage du Père.20
12
En regardant son enfant nouveau-né, Marie contemplait
le mystère qui deviendrait le cœur de la foi de l’Église.
Comme l’expliquait Jean-Paul II, « vraiment le Verbe « s’est
fait chair » et […] il a assumé toutes les dimensions de
l’humain, sauf le péché (cf. Hébreux 4,15). Dans cette
perspective, l’Incarnation est véritablement, de la part du Fils
de Dieu, une kénose, un « dépouillement » de la gloire qu’il
possède de toute éternité (cf. Philippiens 2,6-8; 1 Pierre 3,18) »21.
Les Pères de l’Église ont souvent affirmé que Dieu s’est
fait pauvre pour que nous puissions devenir riches : « c’est
seulement parce que le Fils de Dieu est devenu vraiment
homme que l’homme peut, en lui et à travers lui, devenir
réellement fils de Dieu »22.
En contemplant cet enfant qui, seul, nous révèle
pleinement Dieu, nous commençons à comprendre quelque
chose du Dieu qui nous a fait un tel don de lui-même. Nous
pressentons ce pour quoi Dieu est venu à nous non par la
force mais dans la pauvreté, et avec tant de douceur que les
rois se sont agenouillés pour l’adorer (cf. Mt 2, 11). Et nous
devinons la vie d’amour qui est en Dieu et qui nous est
ouverte.
L’apôtre Jean a finalement trouvé les mots pour exprimer
cet événement insurpassable qui l’avait rempli d’émer-
veillement, comme Marie. Cet événement merveilleux
remplit encore la contemplation de tous les croyants : « Et le
Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons
vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils
unique, plein de grâce et de vérité » (Jean 1, 14).
13
« Quel échange admirable ! »
14
Dans une homélie de Noël, le pape Benoît explique qu’en
Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, nous apprenons
finalement ce que signifie être humain :
L’ange avait dit aux bergers : « Voilà le signe qui vous est donné :
vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une
mangeoire » (Luc 2, 12 ; cf. 16). Le signe de Dieu, le signe qui est
donné aux bergers et à nous, n’est pas un miracle bouleversant.
Le signe de Dieu est son humilité […] Comme nous désirerions,
nous les hommes, un signe différent, un signe imposant,
irréfutable du pouvoir de Dieu et de sa grandeur. Mais son signe
nous invite à la foi et à l’amour et, en conséquence, nous donne
l’espérance : ainsi est Dieu […] Il nous invite à devenir semblables
à lui […] Quand nous le voyons, lui, le Dieu qui est devenu enfant,
notre cœur s’ouvre. Dans la liturgie de la Sainte Nuit, Dieu vient
à nous en tant qu’homme, afin que nous devenions vraiment
humains.25
15
« Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ;
quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix
de l’époux, et il en est tout joyeux. » (Jean 3, 29)
17
et « l’a porté en descendant dans le Jourdain »29. Ainsi, Jésus
« inaugure son activité publique en prenant la place des
pécheurs. Il l’inaugure en anticipant la croix » 30.
Ce moment, où le Fils incarné s’est abaissé dans les eaux
qui symbolisaient la mort, fut celui de la confirmation de la
mission de Jésus. Jésus a été envoyé dans ce temps « où la
terre des âmes est aride » 31, afin d’y révéler le visage du Dieu
qui est Amour.
Jean-Baptiste vit l’Esprit descendre et demeurer sur celui
qui était envoyé pour ramener le monde à Dieu (cf. Jean 1, 32).
Et pendant un instant, le dernier et le plus grand des
prophètes de l’Ancienne Alliance entendit la voix du Père
(cf. Marc 1, 11). Cet homme qui avait passé sa vie à préparer la
voie du Seigneur, entraperçut l’ineffable communion qui est
Père, Fils et Saint-Esprit unis dans l’amour.
Par ses lèvres et par sa vie, Jean-Baptiste avait exprimé la
prière séculaire de son peuple : « Berger d’Israël […] resplendis
[…] que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ! » (Psaume 79, 2-4).
Dans l’homme de Nazareth qui était venu demander le
baptême, le Berger d’Israël se manifestait comme le Dieu qui
est « amour par nature » et qui se livrait complètement dans
ce monde souffrant.32
L’art religieux a saisi ce moment où Jean-Baptiste
comprend soudain. Au long des siècles, peintures et icônes
le représentent indiquant Jésus, son doigt tendu signifiant
sans paroles ce qu’il proclamait : « Voici l’Agneau de Dieu ! »
(Jean 1, 36). Regardez celui qui est venu ! Regardez celui qui
prend sur lui tous les péchés du monde ! À ce mystérieux cri
de reconnaissance, deux des disciples du Baptiste réagissent :
« Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent
Jésus » (Jean 1, 37).
Jean-Baptiste avait enseigné à ses disciples le désir
18
contenu dans les psaumes. Ils l’avaient entendu prononcer
les paroles des prophètes. Et bien que la promesse ait semblé
loin d’être réalisée, ils savaient que Dieu avait fait le serment
d’aimer son peuple inconstant : « En ce jour-là je conclurai à
leur profit une alliance […] Je ferai de toi mon épouse pour
toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit
[…] et tu connaîtras le Seigneur » (Osée 2, 20-22).
Les disciples – la tradition identifie l’un d’eux comme
André – ne pouvaient pas pénétrer le mystère contenu dans
leur nouveau maître. Pourtant, quelque chose en eux
pressentait la raison de la plénitude de joie de leur vieux
maître. « Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux », avait
dit Jean-Baptiste en se référant à Jésus par un titre qu’Israël
réservait à son Berger et Seigneur.33 « Quant à l’ami de
l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est
tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite. » (Jean 3, 29).
Le temps de l’absence de Dieu était au moins devenu un
temps de la présence de Dieu. La lumière de l’amour divin
avait commencé à briller des profondeurs de notre nuit.
19
passion et au suaire de sa Résurrection, tout dans la vie de
Jésus est signe de son mystère »34.
Il a fallu du temps pour que la perception des disciples
s’ajuste à la lumière éclatante de cet amour. Au commencement
de leur vie avec Jésus, ils eurent besoin de Marie pour les aider.
Plus tard, l’apôtre Jean rappela que Marie, Jésus et ses
disciples avaient participé à un mariage à Cana en Galilée
(cf. Jean 2, 1). Comme tous les mariages pour le peuple
d’Israël, celui-ci contenait des échos de l’alliance que Dieu
avait établie entre lui-même et le peuple qu’il aimait. Dans
cette alliance, comme dans celle des noces célébrées par leurs
amis, Marie vit ce qui manquait. Incarnant la foi d’Israël,
l’amour avait déjà rendu son regard limpide. Elle dit à Jésus :
« Ils n’ont plus de vin » (Jean 2, 3).
Les nouveaux mariés n’ont pas simplement honte parce
qu’il n’ont plus rien à offrir à leurs invités. Nous avons tous
honte parce qu’il nous manque le vin de l’amour de Dieu.
Nous avons rompu l’alliance que Dieu avait établie avec nous
et nous n’avons plus rien à lui offrir. Il nous manque la seule
chose qui donne la joie. Les rires se sont tus en nous, nous
laissant inféconds et sans vie.
En réponse à la remarque de Marie, Jésus sembla la
repousser, par des paroles mystérieuses qui annoncent déjà
le temps de ses souffrances. « Mon heure n’est pas encore
venue » (Jean 2, 4). Toutefois, les disciples l’ont entendue
donner des instructions aux serviteurs qui représentent tout
le peuple fidèle d’Israël et nous-mêmes : « Tout ce qu’il vous
dira, faites-le ! » (Jean 2, 5). On remplit d’eau six jarres de pierre
jusqu’au bord. On apporta une louche au maître de la fête. Dès
qu’il l’eût goûtée, il se tourna avec étonnement vers le marié
et s’exclama : « Tout le monde sert le bon vin en premier et,
lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais
20
toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant » (Jean 2, 10).
Les yeux et le cœur des disciples s’ouvrirent tout grand.
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit.
C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses
disciples crurent en lui » (Jean 2, 11). Bien sûr, ils ne
comprenaient pas encore tout son mystère. Mais alors que
leurs yeux commençaient à s’abreuver à sa lumière, ils
s’engageaient à tâtons dans le mystère de notre rédemption.
Dieu avait changé l’eau de notre humanité en vin de sa
divinité. Au milieu du peuple de Dieu inconstant et de
l’humanité inconstante, Dieu lui-même était venu pour être
la fidélité qui guérirait l’alliance rompue. Lui, le véritable
époux aux noces du Créateur avec sa création, avait « gardé
le bon vin jusqu’à maintenant ».
Jean-Baptiste avait déclaré : « Celui à qui appartient
l’épouse, c’est l’époux » (Jean 3, 29). Aujourd’hui encore,
l’Église inclut la manifestation du Seigneur aux nations, son
baptême et le miracle de Cana dans la même prière de
louange : « Aujourd’hui, l’Église est unie à son Époux : le
Christ, au Jourdain, la purifie de ses fautes, les mages
apportent leurs présents aux noces royales, l’eau est changée
en vin, pour la joie des convives, alléluia »35.
21
ils entrevirent la majesté de cet amour. Frappés de stupeur,
ils murmuraient : « Qui est-il donc, celui-ci ? » (Marc 4, 41).
Mais malgré cela, « ils n’avaient rien compris » (Marc 6, 52).
Ils ont certainement connu des moments d’illumination.
Pénétré d’une lumière qui venait du Père, Pierre s’est exclamé
au nom des Douze : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant »
(Matthieu 16, 16). Pendant de rares moments privilégiés,
sur le Mont Thabor, Pierre, Jacques et Jean allaient devenir
une image de l’Église future, qui « contemple le visage
transfiguré » du Christ comme « l’Épouse devant l’Époux, elle
participe à son mystère, elle est entourée de sa lumière»36.
Mais même alors, les apôtres redescendirent de la montagne,
une fois encore perdus dans leur incapacité à comprendre.
L’ « heure » de Jésus, à laquelle il avait fait allusion à Cana,
n’était pas encore venue. Les disciples n’avaient pas encore vu
la pleine révélation de l’Amour. Pourtant, depuis qu’ils avaient
entraperçu la gloire de Jésus dans le miracle de Cana, cette
heure était inéluctable. Leur maître, « le visage déterminé,
prit la route de Jérusalem » (Luc 9, 51), là où les prophètes
étaient morts, et les disciples suivirent en tremblant.
Avec ses disciples rassemblés dans la ville sainte, la nuit où
Judas partit pour le trahir, Jésus leur permit d’être les
témoins de sa prière intime avec son Père : « Père l’heure est
venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie » (Jean 17, 1).
C’était l’heure de l’amour de Dieu – le moment où le Fils de
Dieu allait être livré aux pécheurs pour nous racheter et nous
révéler le visage de Dieu. Cette nuit-là, en transformant en
son corps et en son sang le pain qu’il rompit pour eux et le
vin qu’il leur offrit, Jésus fit de sa mort imminente un acte
d’amour. « Ma vie […] nul ne peut me l’enlever » dit-il
(Jean 10, 17-18). Il l’a donnée librement pour le monde – et
par-dessus tout, pour l’amour de son Père.
22
Quand Jésus institua l’Eucharistie, la nuit qui précédait sa
mort, ses disciples commencèrent à percevoir toute la
largeur et la profondeur contenues dans le signe dont ils
avaient été les témoins à Cana. Ils ne le savaient pas alors,
mais l’eau transformée en vin pour la fête des noces leur
indiquait cette soirée et les trois jours qui suivront. Car
quand Jésus guérit l’alliance rompue, c’est avec son corps
rompu. Quand il donne le vin de « l’alliance nouvelle et
éternelle »37 qui lie Dieu et l’homme, c’est en versant son sang.
Le pape Benoît explique que dans l’Eucharistie, Jésus nous
donne la nourriture dont l’homme a vraiment besoin : « la
communion avec Dieu lui-même38» . Il nous donne le bon vin
véritable, « le calice rempli du vin de son amour […]
L’Eucharistie est plus qu’un repas, c’est une fête pour des
noces. Et ces noces sont enracinées dans le don que Dieu fait
de lui-même, jusqu’à la mort »39. Dans l’Eucharistie, nous
voyons « le lien que [Jésus] voulut établir », par sa mort et sa
résurrection, « entre lui-même et nous, entre sa propre
personne et l’Église »40.
Sous le regard étonné de onze de ses apôtres, le Fils de Dieu
rendit grâce au Père. Puis, bénissant, rompant et leur donnant
le pain, il se donna totalement par amour pour l’humanité
(cf. Marc 14, 22). « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites
cela en mémoire de moi […] Cette coupe est la nouvelle
Alliance en mon sang répandu pour vous » (Luc 22, 19-20).
Ce sont les paroles de la Nouvelle Alliance. Ce sont les mots
d’un amour qui est plus fort que la mort. Et même s’ils
introduisaient dans cette « nuit » chaotique où la haine a
semblé triompher (cf. Jean 13, 30), ces paroles nous montrent
aussi clairement que le mystère de l’Incarnation du Verbe est
le mystère d’un amour insondable. C’est le mystère de la
lumière de Dieu.
23
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas… » (Jean 12, 24)
« J’ai soif ! »
25
abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la
croix » (Philippiens 2, 8). Ailleurs, saint Paul indique le même
insondable mystère de solidarité avec les pécheurs que
Jean-Baptiste avait entrevu au Jourdain : « Celui qui n’a pas
connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin
qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu »
(2 Corinthiens 5, 21).
Quand nous contemplons avec Marie et Jean le Christ qui
« est mort pour nos péchés conformément aux Écritures »
(1 Corinthiens 15, 3), nous nous trouvons face aux con-
séquences de l’Incarnation. En se joignant à sa création, le
Fils de Dieu a pris sur lui toute notre destinée. Il a même pris
sur lui la soif d’un monde qui souffre de son éloignement
vis-à-vis de Dieu, qu’il s’est infligé lui-même. Et même la mort.
Pendant des siècles, le peuple fidèle d’Israël a eu soif de
Dieu comme une terre sèche (cf. Psaume 62, 2). Ils priaient :
« Ma gorge brûle. Mes yeux se sont usés d’attendre mon
Dieu » (Psaume 68, 3).
Toute l’humanité était assoiffée parce par notre péché, nous
avions rejeté la source de notre vie. Nous nous étions protégés
contre un Dieu qui est Amour. Et pourtant, notre souffrance
en « ce temps d’absence de Dieu42» n’était rien par rapport au
terrible cri que Marie et Jean entendirent au pied de la croix.
« Jésus, sachant que tout était accompli, dit (pour accomplir
les Écritures) : « J’ai soif ! » (Jean 19, 28).
L’homme torturé, en train de mourir, avait soif d’eau, mais
aussi d’amour. Il était assoiffé de notre amour, parce qu’il
était venu pour épouser l’humanité. Et bien qu’il fût « vrai
Dieu né du vrai Dieu… de même nature que le Père »43, il était
aussi assoiffé de Dieu. Jean n’aurait pas pu imaginer un tel
26
emploi – ou accomplissement – des paroles des psaumes
lorsque le Fils de Dieu cria sa soif à son Père : « Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Psaume 22, 1 ;
Marc 15, 34).
En entendant cela, Jean a compris, d’une certaine façon.
Ces paroles avaient été écrites pour ce jour-là. Elles avaient
été priées au long des siècles afin que Jésus puisse récapituler
en lui-même toute soif humaine de Dieu, toute souffrance
et tout abandon. Ces paroles avaient été transmises de
génération en génération pour que, lorsque le Fils les reprit
pour exprimer à son Père sa soif, sa souffrance et son
abandon, nos paroles puissent devenir des paroles divines d’un
amour indéfectible et inégalable.
« Père, en tes mains je remets mon esprit », s’est écrié Jésus
(Luc 23, 46). Enfin, « inclinant la tête », il remit l’Esprit qui liait
le Père et le Fils (cf. Jean 19, 30). Il fit même de sa mort une
révélation de l’indéfectible communion d’amour qu’est Dieu.
Quand un centurion romain transperça le côté de Jésus
avec une lance, Jean, Marie et le centurion lui-même virent
du sang et de l’eau (signes de la divinité et de l’humanité du
Christ) jaillir sur la terre altérée. L’alliance était établie. Elle
ne serait jamais rompue. L’époux divin nous avait vraiment
aimés « jusqu’au bout » (Jean 13, 1).
Même le centurion, un incroyant qui ne connaissait ni les
psaumes ni les prophètes, reconnut cette humilité rayonnante
et vit la gloire de cet amour : « Le centurion qui était là en face
de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment,
cet homme était Fils de Dieu ! » (Marc 15, 39).
27
« Si le grain de blé… »
28
acte d’amour pleinement libre, au nom de tous les êtres
humains, consentait douloureusement au sacrifice qui
portait la rédemption du monde. Nous sommes invités à
fixer notre regard avec Marie sur Jésus crucifié, en laissant le
mystère remplir nos yeux, notre cœur et notre esprit.
En 2007, le pape Benoît XVI encouragea ses compatriotes
pèlerins à contempler le crucifix dans un sanctuaire marial
en Autriche. Il expliqua que les bras tendus de Jésus
représentent en premier « le geste de la Passion, avec lequel
il se laisse clouer pour nous, pour nous donner sa vie » .
Pourtant, a poursuivi le pape, c’est « en même temps
l’attitude de l’orant, une position que le prêtre prend » . C’est
le geste de celui qui a offert le monde à son Père dans un acte
d’amour parfait. « C’est enfin pourquoi, a dit le pape, les bras
étendus du Crucifié sont également un geste d’étreinte, par
lequel il nous attire à lui »47.
Le monde a été reçu en vérité et dans la tendresse. Le Fils
de Dieu a révélé le « véritable amour » qui « ne peut donner
moins que lui-même »48. Parce que Dieu est une communion
d’Amour qui « veut se répandre »49, le Fils est descendu dans
la souffrance, et même l’enfer de notre solitude. La douceur
de sa venue a ouvert la voie à l’extrême impuissance de la
croix et de la mort. Lorsque cela s’est produit, la descente de
Dieu dans le monde aride s’est révélée être un mystère de la
fécondité de l’amour.
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste
seul », a dit Jésus à ses disciples. « Mais s’il meurt, il porte
beaucoup de fruits » (Jean 12, 24). Nous percevons déjà le
« fruit » de la mort du Christ chez ceux qui sont debout au
pied de la croix. Avec Marie, se tenaient d’autres qui avaient
29
commencé à participer à sa foi et à son amour : Jean, Marie-
Madeleine, Marie, femme de Clopas, Salomé, et même le
centurion qui a pressenti la grandeur devant lui. Ils furent
les témoins du don du sang et de l’eau jaillissant sur la terre
altérée et aride.
« L’eau était le symbole du baptême et le sang, de la sainte
Eucharistie », écrivit saint Jean Chrysostome au quatrième
siècle. « C’est de ces deux sacrements que l’Église est née »50.
De nos jours, le cardinal Ratzinger a exprimé le même
mystère de la fécondité de la mort du Christ : « L’Église tire
son origine du côté ouvert du Christ mourant ».51
30
31
« Tous, d’un même cœur, étaient assidus
à la prière […] avec Marie la mère de Jésus »
(Actes 1, 14)
Le sceau de l’alliance
33
personne indivisible […] Je me suis endormi sur la croix, et la
lance a pénétré dans mon côté, à cause de toi qui t’es
endormi dans le paradis et de ton côté, tu as donné naissance
à Ève. Mon côté a guéri la douleur de ton côté »55.
Les yeux d’Adam, les yeux des hommes, s’étaient affaiblis
dans l’attente du salut de Dieu (cf. Psaume 69, 3). Mais quand
son Sauveur est venu pour faire sortir les âmes des justes du
royaume des morts, ces yeux furent remplis d’étonnement.
C’est précisément au sommet de son impuissance dans la
mort que le Christ a montré à Adam le ciel ouvert : « Le lit
nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et
les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur
sont ouverts. »56. En son Seigneur, devenu sa descendance,
le père de la race humaine a vu la vie même de Dieu ouverte
à l’homme.
Personne, pas même nos premiers parents, ni Marie, ni
aucun des disciples, n’a vu le moment où Jésus a été ressuscité
des morts par le Père. Personne ne l’a vu confirmé comme le
« Fils de Dieu dans la puissance », dans la pleine effusion de
l’Esprit de Dieu (cf. Romains 1, 4). Seule l’ « éblouissante » nuit
« aussi claire que le jour »57, fut témoin de la consommation
de l’alliance entre Dieu et sa créature. L’Église loue encore la
« nuit vraiment bénie » entre le Samedi saint et le Dimanche
de Pâques, « O Nuit bienheureuse, où se rejoignent le ciel et
la terre, où s’unissent l’homme et Dieu ! »58. À la résurrection
de Jésus-Christ, c’est de sa – notre – chair ressuscitée, glorifiée,
que l’Esprit de Dieu fit irruption dans le monde.
Bien des années après, toujours émerveillé, Jean écrivait :
« Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que
les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient
34
verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au
milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » (Jean 20, 19).
Les disciples terrifiés ne comprirent pas, et ils ne
pouvaient pas comprendre. Mais eux qui avaient perdu toute
raison de se réjouir, « se réjouirent en voyant le Seigneur »
(Jean 20, 20). Puis, dans un don d’une intimité insurpassable,
leur Dieu qui était aussi leur frère leur donna l’amour qui lie
le Père et le Fils. « Recevez l’Esprit-Saint », dit-il (Jean 20, 23).
Soufflant sur eux de son souffle humain, il leur donna le
sceau de l’alliance.
Ce jour-là, au comble de l’étonnement, ils ne pouvaient pas
réfléchir à ce que signifiait un tel don. Ce n’est que quelques
jours plus tard que les apôtres commencèrent à saisir
imparfaitement ce qui s’était produit au milieu d’eux. Leurs
yeux commencèrent à s’ouvrir à l’amour ineffable contenu
dans la résurrection de leur Seigneur.
L’incarnation du Verbe est davantage qu’un mystère de la
charité de Dieu. La vie, la mort et la résurrection du Fils de
Dieu sont un mystère d’amour réciproque. Jésus a prononcé
le « oui » définitif de Dieu à sa créature et le « oui » définitif
de la créature à Dieu. Sa mère a dit « oui » à l’ange,
consentant sans parole pour nous tous à la mort du Christ
sur la croix.
Lorsque sept des disciples rencontrèrent le Seigneur
ressuscité après avoir pêché toute la nuit en vain (Jean 21, 3),
la lumière de la compréhension commença lentement à se
lever sur eux. « L’homme ne vit pas de pain » seulement, ni
même simplement d’être aimé. « Dans l’essence de son
humanité, il vit d’être aimé et de pouvoir aimer »59.
« Simon, m’aimes-tu ? », demanda avec douceur Jésus à
35
Pierre sur le rivage (Jean 21, 16). Trois fois, Jésus posa cette
question à l’homme qui avait enfoui dans son cœur la honte
insupportable d’avoir renié trois fois son Seigneur. « Oui,
Seigneur, tu sais que je t’aime », répondit Pierre. Celui qui
avait été choisi, pour être le berger du troupeau du Seigneur,
répondit à la fois pour lui-même et pour les autres. Un triple
« oui » pour son triple reniement : c’est le cadeau que lui fit
le Seigneur en ce lumineux matin de Pâques. Après tout,
le Fils de Dieu est venu afin que nous puissions être libres
pour aimer.
Dans cet émerveillement du chef des apôtres, dont le
péché avait été pardonné, l’Église saurait à jamais qu’elle a
été lavée dans le sang de l’Agneau.
L’Ascension et la Pentecôte
36
au Dieu trine. Tous leurs sens étaient remplis de sa présence
(cf. 1 Jean 1, 1). Enfin, sur cette mystérieuse promesse qu’il
serait avec eux jusqu’à la fin du monde (cf. Matthieu 28, 20),
Jésus monta au ciel vers son Père.
Le jour de l’Ascension, les disciples virent l’indissolubilité
de l’alliance que Dieu avait établie avec toute l’humanité.
Dans le Christ ressuscité, un homme avec notre chair et
notre visage est entré dans la vie de la Trinité. Le Fils de Dieu
ne perdrait jamais la nature humaine qu’il avait prise sur lui.
Dieu ne serait jamais infidèle à la réponse d’amour de sa
créature. Dans cette divine fidélité, qui ouvrait le ciel au
monde et le monde au ciel, les disciples virent davantage
qu’un mystère joyeux, lumineux ou douloureux. La vie tout
entière de Jésus, de sa conception à son Ascension au ciel, est
un mystère de la gloire de Dieu.
Cette gloire était si puissante et cet amour si grand qu’ils
ne pouvaient que remplir toute la création. « Allez dans le
monde entier proclamer l’Évangile à toute la création », avait
ordonné Jésus (Marc 16, 15).
Les disciples ne pouvaient pas s’appuyer sur leur propre
pouvoir pour obéir. Pendant dix jours après que leur maître
était monté au ciel, « tous, d’un même cœur, étaient assidus
à la prière […] avec Marie la mère de Jésus » (Actes 1, 14). Avec
la femme dont ils partageaient maintenant la foi et l’amour,
ils priaient, attendaient et écoutaient. « Ce que le Père avait
promis » viendrait (Actes 1, 4). C’est du ciel, cette fois-ci, que
le Seigneur ressuscité leur enverrait l’Esprit qui lie le Père et
le Fils.
Quand arriva enfin le jour de la Pentecôte, l’Esprit vint sur
eux comme des « langues de feu » qui consumèrent leur
37
crainte (Actes 2, 3). Il éclaira leur intelligence, leur montrant
les profondeurs infinies contenues dans les mystères de la
vie de leur Seigneur. Ce « feu intelligent [...] qui transforme,
rénove et créé du nouveau dans l’homme »60 transforma ces
hommes en « envoyés », ou « apôtres ». Il les rendit capables
de communiquer à toutes les cultures et tous les peuples ce
dont ils avaient été témoins en Jésus.
Surtout, le don de l’Esprit fit de ce petit groupe de disciples
une communion sur la terre qui reflétait la communion
trine de Dieu. Au long des âges, les croyants reviendraient
sans cesse à ce qui s’était passé à la Pentecôte. Ils
contempleraient les apôtres rassemblés en prière avec Marie,
soudain remplis de l’Esprit de Dieu. Car à ce moment précis,
ce petit groupe de croyants, qui était le fruit de la mort du
Christ, est devenu – pour le monde entier – l’Église, le signe
visible et efficace du Dieu qui est Amour. L’unité de Dieu
dans la communion avait pénétré et transformé les premiers
chrétiens. Avec Marie au milieu d’eux, telle le cœur aimant
et priant de l’Église, ils sont devenus le sacrement du salut
du monde.61
Bien avant la venue du Christ, Dieu avait promis, par le
prophète Joël : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de
chair » (Joël 3, 1). Dans les disciples et dans la Mère qui leur
enseignait comment recevoir le don de Dieu, les psaumes et
les prophètes étaient accomplis. Ces premiers croyants,
remplis de la joie du Saint-Esprit, étaient les premiers fruits
de l’humanité rachetée. Ils étaient le signe que le Fils était
donné et que l’Esprit était répandu pour que tous les peuples
de tous les temps et de toutes les nations puissent être
attirés dans la vie de la Trinité.
38
« L’Esprit et l’Épouse disent : ‘Viens !’ »
39
souffrance cache une joie radieuse car nous vivons au temps
de l’alliance.
Comme Marie, qui a été emportée au ciel, et comme les
onze apôtres65 qui sont morts avant lui, Jean savait cela.
Toute sa vie, il ne put s’empêcher de témoigner du mystère
qu’il avait rencontré dans la vie de son Seigneur. Lorsque
Jean, âgé, fut banni sur l’île grecque de Patmos pour avoir
proclamé l’Évangile, les yeux qui s’étaient autrefois
émerveillés devant la gloire du Seigneur à Cana, qui avaient
pleuré au calvaire et regardé, ébahis, la tombe vide,
s’ouvrirent grand d’étonnement une fois encore. L’apôtre qui
avait été aimé et qui aimait a vu la fécondité de l’alliance.
La vision rapportée dans le livre de l’Apocalypse a été
accordée à Jean pour les croyants de son temps, qui souffraient
de terribles persécutions, et pour tous les croyants à venir.
« J’ai vu un agneau debout, comme égorgé », écrit-il, à la fois
beau et terrible. Et devant l’Agneau, « une foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations,
tribus, peuples et langues » laissant s’exprimer leur louange
et leur adoration (Apocalypse 7, 9). Dans une vision de fin des
temps, Jean vit l’humanité rachetée transfigurée, rassemblée
devant le trône de Dieu.
« Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau »,
entendit-il à travers une voix angélique (Apocalypse 19, 9). Le
fruit du don que le Seigneur avait fait de lui-même était
l’épouse – tous ceux pour lesquels Marie avait répondu son
« oui » à l’ange. Peut-être Jean a-t-il compris lorsqu’il a vu
l’Église descendre du ciel comme une belle ville, comme « une
épouse parée pour son mari » (cf. Apocalypse 21, 2). Autrefois,
il avait laissé ses filets et son père pour suivre l’époux d’Israël.
40
Maintenant il avait le privilège de voir la joie de Dieu pour
son alliance.
Jean a entendu la voix familière s’écrier, remplie de joie :
« C’est fait. Moi, je suis l’alpha et l’oméga, le commencement
et la fin » (Apocalypse 21, 6). Le Seigneur du temps et de
l’histoire, qui avait rempli le regard de Jean, avait le visage de
son maître et ami. Jésus-Christ, l’unique médiateur, est
l’alliance nouvelle et éternelle entre Dieu et l’homme.
Le monde a été aimé. Dieu a gardé toutes ses promesses.
Pourtant le désir ardent d’Israël et du monde entier n’a pas
été éliminé par la venue du Fils de Dieu. Comme Jean l’a
appris dans sa vision, ce désir a été purifié, transformé, élargi
et approfondi pour devenir la prière aimante de l’Église dans
l’attente de son Seigneur. À la fin du livre de l’Apocalypse,
nous entendons : « L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! » (22,
17). Jean redit encore, à l’avant-dernier verset de toute la
Bible, « Viens, Seigneur Jésus ! » (Apocalypse 22, 20).
Jésus est venu, et il vient. Il a espéré pour nous que nous
pourrions vivre dans l’espérance. D’une certaine manière,
l’Église n’a jamais quitté la pièce où les apôtres étaient
rassemblés avec Marie, à la Pentecôte. Même après que
l’Église est allée dans le monde entier pour répondre à
l’ordre du Seigneur, elle attend dans l’amour et l’espérance.
Jusqu’au jour de sa manifestation finale dans la gloire, « en
union avec la Vierge-Mère, l’Église, comme l’Épouse, se
tourne continuellement vers son divin Époux… « Viens ! »…
L’Esprit, en effet, est donné à l’Église afin que, par sa
puissance, toute la communauté du Peuple de Dieu, dans sa
diversité et ses multiples manifestations, persévère dans
l’Espérance, « car notre salut est objet d’espérance »66.
41
***
42
Sources
3 Otto Neubauer, « Does the World Still Move the Heart of the
5 Cf. ibid.
janvier 2012.
14 Ibid., 24.
2008.
43
Sources (suite)
44
33 Cf. Isaïe 54, 5 : « Car ton époux, c’est Celui qui t’a faite, son nom est
34 CEC, 515. Tout voilait et révélait à la fois le Dieu qui s’était abaissé
par amour.
Seigneur.
39 Ibid.
transformer ».
45
Sources (suite)
septembre 2007.
Notre traduction.
catéchumènes, III.
52 CEC, 635.
53 CEC, 633.
56 Ibid.
est ressuscité d’entre les morts ! C’est d’elle qu’il est écrit : la nuit
sera aussi claire que le jour, éblouissante est la nuit pour moi, et
pleine de bonheur. »
58 Ibid.
cit. 151.
46
60 Benoît XVI, Méditation pendant la première Congrégation
62 Credo de Nicée.
avoir trahi Jésus. Ainsi, le nombre des apôtres fut ramené à douze.
47
L’auteur
« Catholic Information Service » est une marque déposée des Chevaliers de Colomb.
48
Série sur la nouvelle évangélisation
4ÈME PARTI E « AI M ER EN AC T E E T E N V É R I T É »
13 Libres en vue de quoi ?
14 La justice : La dignité du travail
15 La justice : L’Évangile de la vie
— Pape Jean-Paul II