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Introduction
• « Sans personnage, point de roman » (Anthony Burgess). « Un roman,
c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin » (Stendhal). Certes, il
y a une différence entre personnage et personne : l’un renvoie à la création
littéraire, l’autre au réel. Mais quand le lecteur est plongé dans un roman, il
arrive souvent que, pour lui, les personnages deviennent personnes et reflè-
tent, comme un vrai miroir, l’image de la société dans laquelle il vit.
• La seule fonction du personnage de roman est-elle, dès lors, de refléter la
société dans laquelle il vit ? Une telle perspective ne présente-t-elle pas
quelques dangers ? Le romancier, en créant son personnage, ne peut-il
avoir d’autres buts ?
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1. Le projet de peinture de la société
• Conception dominante dans la deuxième moitié du XIXe siècle, illustrée
par les textes du corpus.
• Le personnage est un condensé des caractères de son groupe social ou
de la société dans laquelle il vit : idée tirée des romanciers réalistes, de Zola
et des naturalistes.
Certains romanciers, notamment ceux du mouvement réaliste, ont pour but de
jouer le rôle de « témoins », sans toutefois se prétendre historiens. Ainsi, Balzac
souhaitait être le « secrétaire de la société française », « faire concurrence à l’état
civil » et écrire « l’histoire […] des mœurs ».
Si l’on assigne au roman cette mission, il devient logique de gommer le plus
possible les traces de fiction dans les personnages créés : en leur donnant
un nom – Mme Vauquer dans Le Père Goriot –, un milieu et un décor minu-
tieusement calqués sur la réalité – une pension comme il y en avait
beaucoup à Paris –, une existence sociale, le romancier fait son œuvre de
« peintre de la réalité ». Le roman se lit alors comme un témoignage auquel
le lecteur peut trouver de l’intérêt. En lisant Le Rouge et le Noir, on lit aussi
une Chronique de 1830… et l’on peut s’intéresser à la peinture d’une
époque passionnante dont le personnage est une pièce maîtresse.
• Le romancier part d’éléments du réel social…
Le romancier s’appuie sur le réel, qui lui fournit la base de son personnage.
Ainsi, Stendhal s’inspire de la vie d’un certain Berthet, précepteur et
assassin véritable, pour créer son Julien Sorel. Balzac, dans son avant-
propos de La Comédie humaine, donne les secrets de la création :
« Souvent il est nécessaire de prendre plusieurs caractères semblables pour
arriver à en composer un seul […] La littérature se sert du procédé
qu’emploie la peinture qui […] prend les mains de tel modèle, le pied de tel
autre, la poitrine à celui, les épaules de celui-là. »
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→ Un personnage dont les actes et les pensées sont au moins en partie
déterminés par la documentation (roman historique, roman réaliste ou natu-
raliste) ou l’introspection (roman autobiographique : trilogie de Jules Vallès).
• Par l’insertion dans un milieu et une société largement décrits
– Apogée de cette conception chez les naturalistes : cela correspond à un
projet didactique et idéologique : imiter en littérature la méthode expérimen-
tale, introduire dans la création des personnages les découvertes récentes
des lois de l’hérédité.
– Zola propose des personnages qui pourraient être ses contemporains,
personnages produits de leur milieu social et familial.
– Méthode mise en œuvre : enquête approfondie, sur le terrain, person-
nages reflet du réel. Arbre généalogique des personnages, tares héréditaires
(folie, alcoolisme), caractéristiques régionales ou professionnelles.
– Permanence de cette conception au début du XXe siècle.
Exemples : Proust, dans À la recherche du temps perdu, cherche aussi à rendre
compte de l’évolution de milieux sociaux à travers une galerie de personnages
mondains.
À l’opposé de l’échelle sociale, Céline dans Voyage au bout de la nuit fait
passer son héros de l’horreur de la Première Guerre mondiale aux grandes
villes américaines avant de le réinstaller dans les quartiers pauvres de la
banlieue parisienne.
3. Pourquoi le personnage de roman
doit-il refléter la société dans laquelle il vit ?
C’est le principe de Zola en général, parce qu’il veut décrire une société.
• Pour décrire une société, tout simplement : cas où la peinture sociale a
plus d’importance que le personnage et son histoire ; le personnage devient
alors uniquement une image, un symbole de son groupe social.
Exemples : Rastignac, ambitieux bien intégré dans son temps ; Nana, reflet
de la corruption de l’époque.
• Pour créer l’illusion de la réalité et permettre l’identification et l’intérêt
Également dans les romans fondés sur l’identification lecteur/personnage
ou adhésion lecteur/univers décrit : romans historiques, romans policiers,
romans biographiques ou autobiographiques.
• Pour agir sur le réel : le roman engagé
Efficacité de cette volonté du romancier de serrer le réel social au plus près
pour agir sur la société : héros de Malraux engagés dans l’action politique
révolutionnaire (La Condition humaine : début de la révolution chinoise avec
insurrection à Shanghai).
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Une part majeure du roman français repose sur des personnages réalistes,
ancrés dans un milieu social.
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Le personnage de roman, même ancré dans un milieu social, reflète-t-il tou-
jours la société dans laquelle il vit ?
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→ illusion littéraire de réalisme, qui est nécessaire pour que le roman inté-
resse, en persuadant le lecteur qu’il a affaire à un univers réel.
• Mais au fond, du point de vue de la création littéraire, on pourrait dire que
la société dans un roman est faite pour mettre en valeur les traits principaux
du personnage que l’auteur veut créer.
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Cependant, ne pas en rester à cette vision trop réductrice. Refléter la
société n’est pas l’unique fonction du personnage de roman qui a – peut et
doit avoir – d’autres fonctions.
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2. Refléter l’être humain :
permettre au lecteur d’observer de « l’humain »
Dépasser le simple reflet de la société pour prendre une dimension humaine
universelle.
a. Faire accéder à la connaissance du cœur humain
• Pour intéresser le lecteur, le personnage de roman doit dépasser ce cadre
éphémère de la société où il vit et comporter une part d’humanité univer-
selle qui nous permet de nous reconnaître en lui. Zola : « Au bout, il y a la
connaissance de l’homme. »
• Le plaisir de la lecture est alors d’une autre nature et ressemble à celui du
sociologue, du psychologue ou, à l’extrême, du biologiste : « J’ai cherché,
écrit Zola, à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions,
les poussées de l’instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite
d’une crise nerveuse. […] Mon but a été un but scientifique » ; « […] J’ai
simplement fait sur deux corps vivants le travail analytique que les chirur-
giens font sur des cadavres. » (préface de Thérèse Raquin)
• Parfois ce n’est pas la société qui intéresse le romancier, mais l’univers
qui sert de cadre à l’histoire et révèle l’homme.
Exemples : La Peste, de Camus : ce n’est qu’en apparence que les person-
nages reflètent une société ; en fait, il s’agit de donner des cas de condition
humaine au sens large ; les personnages de La Condition humaine de
Malraux ; cf. le titre de l’œuvre de Balzac : La Comédie humaine.
b. Accéder au mythe : le « type » humain, une part de vérité humaine
• Le personnage, souvent emprunté au réel, mais imaginé et reconstruit par la
tradition à plusieurs reprises, peut perdre aussi de sa réalité et devenir intem-
porel, prendre une dimension mythique. De la combinaison de ces morceaux
de réel et de l’imaginaire naissent des personnages plus vrais que leurs
modèles réels, qui accèdent au rang de « types ». Le nom d’un tel personnage
devient un nom commun, il devient symbolique, représentatif d’un type humain,
d’une partie d’humanité (Vautrin, Rastignac dominant Paris, fin du Père Goriot).
• Balzac, dans sa Comédie humaine, affirme avoir été souvent « obligé
d’atténuer la crudité de la nature. […] L’événement qui a servi de modèle [au
Père Goriot] offrait des circonstances affreuses, et comme il ne s’en pré-
sente pas chez les Cannibales ; le pauvre père a crié pendant vingt heures
d’agonie pour avoir à boire, sans que personne arrivât à son secours. […]
Ce vrai-là n’eût pas été croyable. » Le personnage romanesque ne reflète
pas la société, il la dépasse pour créer non le réel, mais le vrai.
Exemples : le Père Goriot (l’amour paternel prêt à tous les sacrifices, senti-
ments intemporels) ; des Grieux dans Manon Lescaut, c’est la passion sans
bornes.
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c. Servir de point de repère et de comparaison
pour mieux nous dévoiler à nous-mêmes
Le personnage fictif, bien éloigné du réel ou de toute société réelle, peut
conduire au même effet, mais par un détour : ainsi la lecture se fait par
comparaison avec notre propre monde.
Exemple : les personnages de Fahrenheit 451, qui se transforment en biblio-
thèque ambulante dans une forêt, n’ont rien de réel et relèvent de la totale
fiction. Mais la distance qui nous sépare de ces êtres nous pousse à les
comparer à nous et à jeter un nouveau regard sur nous-mêmes et le monde
qui nous entoure. Rôle des utopies.
3. Incarner une idée : le porte-parole du romancier ?
Personnage qui incarne une idée, lui sert de support et se fait le porte-
parole de son créateur. Il prend une portée argumentative et est proche du
personnage d’apologue.
Exemples : Jean Valjean dans Les Misérables ; les personnages dans La
Peste de Camus, au service de l’intention didactique de l’auteur (comment
réagir devant le mal dans le monde ?) ; L’Alchimiste de Coelho.
4. Devenir une œuvre d’art
Au-delà de toute « utilité », le personnage a pour fonction de participer à la
création d’une œuvre d’art.
• La création d’un personnage, par le travail de l’écriture, vise à faire de lui une
véritable œuvre d’art. Balzac : « Vous eussiez dit d’une toile de Rembrandt. »
• Pour Balzac, la réalité est poétique, doit créer une illusion, comme le
théâtre ; comme Corneille qui évoque l’illusion comique (= du théâtre),
Balzac écrit La Comédie humaine (cf. Shakespeare : « Le monde entier est
un théâtre et tous, hommes et femmes, n’y sont que des acteurs »).
→ L’art, et non le réel.
Conclusion
La fonction du personnage de roman ne doit pas se réduire à refléter la
société dans laquelle il vit, sous peine de perdre de son intérêt ; il a une
mission plus vaste et plus variée : donner au lecteur un moyen de s’évader
mais aussi de mieux se connaître en tant qu’homme.
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