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Les économistes ont, durant longtemps, réduit la firme(l’entreprise) à un simple agent économique
individuel, confondu avec la personne de son propriétaire- l’entrepreneur-, dont le seul objectif est la
maximisation du profit par le biais de la fonction de production-consistant à transformer des inputs en
outputs. Selon cette approche-au fondement néoclassique-, le marché-défini comme le mécanisme de
coordination des échanges par le mode des prix-, offre à cette dernière toutes les conditions optimales
pour la réalisation de son objectif, étant donné son caractère concurrentiel pur et parfait ; et
l’entrepreneur agit selon une rationalité complète (substantielle). Cette perception de la firme propre
aux économistes est dénommée approche par la « boite noire » dans la mesure où la nature ainsi que
l’organisation interne de cette dernière sont totalement ignorées dans leur analyse. Oliver Hart1
résume cette approche comme suit:
“Neoclassical theory views the firm as a set of feasible production plans. A manager presides over
this production set, buying and selling inputs and outputs in a spot market and choosing the plan that
maximizes owners' welfare”
Il faut attendre les années 1960 et 1970 et les travaux d’un certain nombre de théoriciens
(Berle&Means, Simon, Cyert&March...) pour assister à un véritable renouvellement de la conception
de la firme, dans une perspective managériale. Ces auteurs, à partir des limites des postulats
néoclassiques-notamment celles liées à la nature de la firme, la rationalité parfaite des agents et
l’objectif de la maximisation du profit-, ont construit des grilles d’analyse pertinentes qui dépassent la
vision réductionniste traditionnelle de la firme, pour tenter de rendre compte de sa réalité complexe.
Selon ces analyses, la firme est perçue comme un collectif ou une coalition d’acteurs aux intérêts
multiples voire contradictoires et où la gestion(le contrôle) est dissociée de la propriété. Ce qui amène
à reconsidérer l’objectif de la maximisation du profit, qui devient désormais celui de la satisfaction
des objectifs, étant donné la rationalité limitée des agents, et admettre l’existence d’autres objectifs
dans la firme tels que la recherche du prestige et du pouvoir pour les gestionnaires.
Les théories de la firme constituent donc un ensemble hétérogène de perspectives d’analyse, qui
tentent, sous diverses optiques (économiques et managériales), d’expliquer la réalité complexe de la
firme. La synthèse ci-après présente les principales théories de la firme.
1
An Economist's Perspective on the Theory of the Firm, Columbia Law Review, Vol. 89, No. 7, Contractual
Freedom in Corporate Law (Nov., 1989), pp. 1757-1774.
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1-De La firme dans la théorie économique néoclassique et ses limites aux nouvelles
théories managériales :
Selon la vision néoclassique, le marché est considéré comme l’unique mode de coordination
des activités économiques, par lequel des agents libres réalisent des transactions, dans des
conditions leur assurant l’optimum social. En effet, ces derniers sont parfaitement rationnels
et informés pour maximiser leurs utilités et satisfaire leurs objectifs, selon les conditions de
l’offre et de la demande(le mécanisme des prix).
Dans ces conditions, la firme, en tant qu’agent économique, est réduite à son propriétaire, et
perçue comme une simple fonction de production.
Ce n’est que vers les années 1930, et les travaux de Berle & Means, que l’on assiste aux
premières remises en causes de la conception traditionnelle de la firme. Selon ces derniers,
une tendance se dégage au sein des entreprises américaines, qui voit une nette séparation
entre propriété et gestion, laquelle va remettre en cause l’hypothèse d’un seul objectif de la
firme-la maximisation du profit-, les gestionnaires cherchant plutôt à maximiser d’autres
objectifs comme la croissance, le prestige ou le chiffre d’affaire (Baumol).
Cependant, c’est à partir des années 1960 que le renouvellement théorique autour de la firme
va connaitre son essor. Dans ce cadre, H.Simon établit que, dans des conditions
d’incertitude, les agents économiques ne sauraient appréhender toutes les alternatives
pour maximiser leur objectif, leur capacité de calcul étant naturellement limitée et leur
information imparfaite. Et à défaut de pouvoir maximiser leur utilité, ces derniers vont
donc choisir les options les plus satisfaisantes qui correspondent à leur niveau
d’aspiration. Ainsi donc, la rationalité substantive est-elle remplacée par la rationalité
limitée.
Dans une autre perspective, en rupture avec la conception néoclassique de la firme, les
tenants du courant behavioriste (Cyert &March) reconnaissent le caractère complexe de la
firme, en soutenant qu’elle est une coalition d’acteurs aux objectifs multiples et conflictuels,
où le processus de décision pour l’atteinte de l’objectif général résulte de négociation
entre les différents groupes qui la composent.
Et pour faire converger les différents groupes de la firme vers son objectif général, celle-ci
utilise des mécanismes et instruments sensés atténuer les divergences d’intérêt et résoudre les
problèmes. Ainsi la résolution des problèmes doit se faire par des priorités en matière
d’objectifs et la délégation de décision au niveau local (services ou départements).
Enfin pour imprimer une certaine stabilité organisationnelle à ce système, la firme utilise le
Slack organisationnel, une sorte d’excédent de ressources destiné à satisfaire aux exigences
des différents groupes, en cas de conflits.
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En s’intéressant au processus de décision organisationnel et au comportement de la firme, la
théorie behavioriste marque une rupture radicale avec la théorie néoclassique, en consacrant
cette dernière (la firme) comme objet d’étude à part entière.
Grace à la redécouverte de son article « the nature of the firm », rédigé en 1937, R.Coase va
poser les jalons de ce qui sera appelé par les économistes, la théorie économique de la firme.
En effet, dans son fameux article, Coase a remis en cause la conception de la firme comme
boite noire, en posant deux questions principales : la nature de la firme ; et la raison de son
existence.
Pour apporter des éléments de réponse à la première question, Coase reconnait que marché et
firme constituent deux modes de coordination économique alternatifs. Et la firme diffère
du marché par la nature de son mode de coordination basé sur une relation d’autorité ou la
hiérarchie. Dans cette dernière, c’est l’entrepreneur qui assure l’allocation des ressources par
l’autorité, dans le cadre d’une relation contractuelle.
Et pour ce qui est de la deuxième question, Coase explique que c’est l’existence des coûts de
transaction caractérisant les relations marchandes entre agents qui explique l’émergence de la
firme, comme mode de coordination économique alternatif.
Les analyses de R.Coase ont permis l’émergence d’un courant économique de la firme, dès
les années 1970, fondé sur une conception contractuelle. Ainsi la firme est perçue comme un
système de relations contractuelles (nœud de contrats), entre acteurs aux objectifs
divergents cherchant à maximiser leurs propres utilités, dans des conditions
d’asymétrie informationnelle. Dans ces conditions, il s’agit de trouver le mode
organisationnel ou contractuel qui soit le plus efficient- c’est- à- dire qui minimise les coûts
de transaction. Trois principales théories composent ce courant, à savoir : la théorie des coûts
de transaction ; la théorie des droits de propriété ; et la théorie de l’agence.
Cette théorie a été développée dans les années 1970 par O.Williamson. Elle s’inscrit dans les
prolongements de la théorie de Coase, puisqu’elle se fonde sur le concept de coûts de
transaction. Elle tente d’expliquer en particulier l’origine de ces coûts ainsi que les conditions
qui favorisent le choix de la firme comme mode optimal de gouvernance des activités
économiques.
Dans cette perspective, Williamson établit des hypothèses sur le comportement des agents et
les attributs des transactions.
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l’apparition de comportements opportunistes des agents, qui vont induire des coûts de
transaction. Selon Williamson, il existe des coûts Ex –Ante et des coûts Ex-Post.
Ensuite, Williamson émet des hypothèses sur les caractéristiques des transactions et des actifs
qui leur sont nécessaires. Ainsi, pour une transaction donnée, si un actif est jugé non
redéployable sans perte de valeur (coût), on dit qu’il est spécifique. D’autre part, l’incertitude
quant à la réalisation de la transaction est d’autant plus élevée que l’actif objet de celle-ci est
spécifique. Ce qui peut engendrer des coûts. Enfin, plus la fréquence de la transaction est
élevée, plus les agents contractants deviennent dépendants les uns des autres, et plus il y a
risque d’opportunisme.
Ainsi, pour une transaction qui n’exige pas des actifs spécifiques et dont la fréquence est
faible, le marché(le contrat classique) s’avère le mode de gouvernance le mieux adapté.
Dans le cas d’une transaction peu fréquente et exigeant des actifs spécifiques, le contrat
avec arbitrage s’impose.
Dans le cas d’une transaction très fréquente et exigeant des actifs peu spécifiques, le contrat
bilatéral ou personnalisé est le mieux adéquat.
Enfin, pour une transaction très fréquente et exigeant des actifs très spécifiques,
l’internalisation est le mode de gouvernance le plus approprié.
Selon la théorie des coûts de transaction, la firme apparait comme un système contractuel
particulier caractérisé par une relation d’autorité, par laquelle cette dernière a le pouvoir de
prendre des décisions pour adapter le contrat initial à des évènements non prévus par celui-ci.
Ce qui contribue à réduire le risque d’opportunisme.
Cette théorie a été initiée par Alchian & Demsetz dans les années 1970. Elle a pour objet
d’étudier l’influence des droits de propriété sur le comportement des individus et des
systèmes économiques. Elle se fonde sur les hypothèses de la rationalité substantive et la
maximisation des objectifs des agents ainsi que l’asymétrie informationnelle. Elle démontre
la supériorité de la propriété privée sur tous les autres types de propriété.
Pour les tenants de cette théorie, le marché est le mode de coordination économique le plus
efficient dès lors qu’il offre les incitations les plus fortes aux agents (sur le marché les agents
sont rémunérés proportionnellement à leur productivité). Cependant dans le cas d’une
production en équipe, il n’est pas possible d’évaluer la productivité marginale des agents
dans le résultat global. Celui-ci est le fait de l’équipe dans son ensemble (il résulte d’une
certaine coopération).Or cette situation peut générer des comportements de passager
clandestin-opportunisme chez des agents qui peuvent ne pas fournir assez d’efforts en
matière de travail et avoir une bonne rémunération. Pour pallier ce genre de problème,
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Alchian et Demsetz proposent un agent de contrôle qui, avec une rémunération, va assurer le
travail de contrôle des comportements et des performances (défini dans le cadre de droits) des
autres agents et auquel l’on octroie le droit de vendre ces droits. Et cet agent ne peut être que
le propriétaire ou l’entrepreneur de la firme individuelle ou classique. Ainsi cette forme
organisationnelle est-elle la plus efficiente, de par sa structure des droits de propriété qui
procure des incitations maximales à l’effort. Dans ces conditions, la firme est perçue comme
un ensemble de droits de propriété définis par des contrats2.
Cette théorie a été initiée dans les années 1970 par Jensen & Meckling. Elle s’inscrit dans les
prolongements de la théorie des droits de propriété. Elle s’intéresse à la nature des relations
contractuelles de la firme. Son objet d’étude c’est la relation d’agence entre agents aux
objectifs divergents, caractérisée par une asymétrie informationnelle. Elle analyse les
mécanismes incitatifs sensés réduire les coûts d’agence. Pour ces auteurs, la société par
action est l’organisation la plus efficiente.
Selon cette théorie, la firme est une fiction légale servant de cadre pour des contrats libres
entre individus.
Le problème pour cette théorie est la gestion de la relation d’agence-par exemple entre
actionnaires (principal) et dirigeants (agent), qui implique l’instauration d’un dispositif
d’incitation et de contrôle pouvant ramener ce dernier à se comporter conformément aux
intérêts du principal. Or ce dispositif est coûteux (coûts d’incitation et de surveillance ; coûts
d’obligation et coût résiduel). Il convient alors de gérer ces coûts de manière à les minimiser.
Divers modes sont appropriés pour cela : la division des décisions entre groupes de
gestionnaires pour éviter sa concentration au niveau d’un seul manager ; le contrôle par le
biais du conseil d’administration ; les incitatifs financiers comme les intéressements, les
stocks options, etc.
Cette approche a été initiée dans les années 1980 par plusieurs auteurs comme Winter &
Nelson et Penrose. Elle définit la firme comme un réservoir de compétences accumulées par
des processus d’apprentissages au cours de son évolution.
La question centrale à laquelle cette théorie s’attache à répondre est de savoir pourquoi les
firmes diffèrent-elles en matière de structure, de comportement et de performance et cela
durablement.
2
Benjamin Coriat et Olivier Weinstein, « Les théories de la firme entre « contrats » et « compétences » », Revue
d'économie industrielle [En ligne], 129-130 | 1er et 2ème trimestres 2010.
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C’est les compétences (aptitude à mobiliser des ressources pour une tâche donnée)
spécifiques et non transférables produites et accumulées par la firme qui expliquent sa
performance.