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Entre musique et langues, difficile de savoir qui est apparu en premier. « Dire et
chanter étaient autrefois la même chose », écrit Rousseau dans son Essai sur
l’origine des langues. Il y a quelques années, des chercheurs ont découvert le
plus ancien instrument de musique à ce jour, une flûte en os et en ivoire de…
35 000 ans, alors que l’Homme de Néandertal était encore présent sur la planète.
Charles Limb, médecin ORL à l’hôpital Johns Hopkins aux États-Unis et musicien
amateur de jazz, a longtemps cherché à savoir si les improvisations de jazz
pouvaient être considérées comme des conversations. L’image d’une discussion
animée entre musiciens qui s’interpellent tour à tour et se répondent mutuellement
est évocatrice. L’un entame une phrase avant de laisser un autre la compléter,
un dialogue naît, qui met en notes toute la gamme de nos émotions.
Mais justement, c’est bien là que le bât blesse. Car est-il possible d’affirmer que
la musique a un sens ? Certes elle stimule notre ouïe et provoque des impressions
traitées à leur tour par le cerveau comme des informations. Une recherche
scientifique menée par des chercheurs de l’Université de Liverpool met justement
en valeur le fait que musique et langage empruntent tous deux le même chemin
cérébral, ce qui suggérerait que notre cerveau interprète la musique comme une
langue. Pourtant, cet argument scientifique ne peut suffire à assimiler la musique à
un langage. Car celle-ci ne peut prétendre, à la différence du langage verbal,
transmettre une signification objective.
Dans sa nouvelle Funes ou la mémoire, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges met
en scène un personnage qui, suite à un accident, se retrouve doté de mémoire
absolue, incapable d’oubli. Seulement, dans cette totalité du souvenir, tout
langage devient impossible. Car pour nommer, il faut savoir oublier les
différences, sans quoi l’inadéquation entre une chose et le terme utilisé pour la
désigner devient un obstacle. Autrement dit, la force mais aussi l’imperfection du
langage réside dans son manque de singularité. C’est là que la musique vient
prendre le relais.
La musique ne possède pas un sens mais plutôt une tonalité affective, elle relève
de l’expression plus que de la signification, elle correspond au moment
subjectif de la communication tandis que le langage en serait le moment objectif.
Chaque langue est également habitée par un pouvoir d’expressivité, par une
histoire, une subjectivité qui en fait le reflet d’une culture spécifique et unique.
Les mots intraduisibles qui existent dans tous les idiomes prouvent que le réel n’est
jamais purement affaire d’objectivité, surtout lorsqu’il est capté par le
langage, mais toujours filtré par une sensibilité particulière, que ce soit celle
d’un individu, d’une culture ou d’une époque.
De même que l’on peut exprimer une émotion similaire par mille variations
musicales, toutes les langues recèlent des nuances infinies qui nous empêchent
de les considérer comme équivalentes ; une diversité linguistique qui reflète et
donne accès à la richesse de l’expérience humaine elle-même.