JEUDI 14 MAI 2020

76E ANNÉE– NO 23434

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

TOURISME : ÉTAT D’ALERTE AVANT LA SAISON D’ÉTÉ
▶ Alors que s’annonce la ▶ Voyagistes et autres ac­ ▶ Le premier ministre doit ▶ Corse, Charente­Mari­ ▶ La Commission euro­
période estivale, le secteur, teurs multiplient les plans présenter, jeudi 14 mai, time ou Pyrénées­Atlanti­ péenne promet également
qui compte pour 7,4 % du sociaux. Les restaurateurs un plan spécifique, mêlant ques : les collectivités des aides et appelle
PIB et emploie 2 millions estiment que la survie mesures d’urgence et territoriales multiplient à des protocoles stricts
de personnes, est sinistré d’un quart d’entre eux est projets d’investissements les initiatives pour sauver sur les lieux de vacances
en raison de l’épidémie menacée à long terme une industrie primordiale PAGE S 12- 13

MASQUES

DANS LES PAYS RICHES, LA PAUVRETÉ À DÉCOUVERT Des maires, de Paris à Nice,

continuent à militer pour ren­
dre le port du masque obliga­
toire dans les rues de leur ville
▶ La crise expose ▶ Les organisations PAGE 8
crûment les fragilités caritatives se
économiques, les trouvent confrontées MEDEF
inégalités sociales à une situation
et les failles sanitai­ inédite qui menace Geoffroy Roux de Bézieux
juge nécessaire un dispositif
res dont souffrent de s’aggraver de primes avant l’été
les Etats­Unis, PAG E S 2 -3 ET 20 -21 pour relancer la demande
l’Europe ou le Japon PAGE 1 0

ÉDUCATION
A Paris, un quart des écoliers
devraient rentrer en classe
et un enseignant sur deux
devrait être présent
PAGE 9

ÉNERGIES
Les énergies fossiles sont
touchées par la crise, mais
les renouvelables résistent
PAGES 14-15

PSYCHIATRIE
Les premières pathologies du
Distribution alimentaire à
confinement apparaissent,
Houston (Texas), le 19 avril. et les soignants redoutent une
G. NAKAMURA/REUTERS deuxième vague psychiatrique
PAGE 5

Idées Musique Justice Politique

La « poutinisation » La chanteuse L’affaire
de la diplomatie Flavia Coelho juge Tariq Ramadan Macron cherche 
chinoise inquiète le Brésil « au bord ou la bataille des à dépasser
le reste du monde de la dictature » réseaux sociaux
PAGE 25 PAG E 2 3 PAGE 18
les clivages pour 
sortir de la crise
LE REGARD DE PLANTU Le candidat à la présiden­
tielle avait évoqué une
« majorité de projet » pour
aller au­delà des divisions
politiques. L’élection
d’une majorité absolue
avait mis le concept en
sommeil ; le pouvoir, fra­
gilisé, réfléchit à quelques
thèmes pour élargir son
assise et préparer 2022
PAGE 6

1
ÉDITORIA L
BORIS JOHNSON, 
LE CONTRE­
EXEMPLE
P AG E 27

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 CORONAVIRUS
0123
2| JEUDI 14 MAI 2020

L’Europe face à ses nouveaux pauvres
La crise fait basculer
dans le dénuement
des milliers de citoyens
de l’ouest du continent.
Dans les pays les plus
touchés par le virus,
la demande d’aide
alimentaire s’est accrue
de 25 % à 30 %

P
our la première fois depuis sa
création en 1971, une équipe de
Médecins sans frontières
(MSF) intervient au Royaume­
Uni, une autre en Allemagne.
Dans la capitale britannique,
onze employés de l’ONG, en partenariat
avec un hôpital universitaire londonien,
fournissent ainsi depuis le 11 avril un sou­
tien médical et logistique aux sans­abri, de­
venus encore plus vulnérables avec la pan­
démie de Covid­19. Et cette aide inclut, dé­
sormais, des nouvelles populations qui ont
perdu leur emploi – ou un job précaire –
avec la fermeture des bars, restaurants et
commerces, et dont les conditions de loge­
ment, la promiscuité, sont devenues sour­
ces aggravantes de contamination.
« S’il est très inhabituel pour MSF de lancer
de grandes activités dans des pays à revenu
élevé, il est tout à fait normal que nous
apportions une aide humanitaire d’urgence
vitale là où elle est nécessaire », souligne
Rosamund Southgate, coordinatrice médi­
cale pour MSF au Royaume­Uni. Inédite
aussi, l’initiative prise depuis le 14 avril, à
Bruxelles, par le Parlement européen de
mettre à disposition sa cantine pour conce­
voir et délivrer 1 000 repas par jour aux per­
sonnes en difficulté, avant de faire de
même, quelques jours plus tard, à Stras­
bourg, et dans ses locaux au Luxembourg.
« Pour l’instant, en accord avec les municipa­
lités, ce dispositif est prévu jusqu’à fin juin, Distribution de biens de première nécessité,
mais sans doute sera­t­il prorogé jusqu’à fin le 22 avril, à Londres, dans une salle de
juillet, voire au­delà », avance Jaume Duch, spectacle de West Kensington. TOLGA AKMEN/AFP
porte­parole du Parlement européen.
La crise sociale et économique prend le re­
lais de la crise sanitaire, et elle n’épargne pas
les pays développés. Partout, en Europe ou
aux Etats­Unis, l’arrêt brutal d’activités lié Europe. Et dire qu’on pensait que ce chiffre été licenciées, des indépendants ont vu leurs Suisse. Ce sont des aides à domicile, des fem­
au confinement a fait basculer des milliers tomberait à 20 millions en 2020… » « CE SONT DES AIDES  activités réduites. Et même si le gouverne­ mes de ménage, des employés de restaurant
de personnes dans le dénuement, qui vien­ Dans la seule ville de Milan, épicentre de À DOMICILE, DES  ment néerlandais a pris certaines mesures, dont les petites économies ont fondu en peu
nent grossir les rangs des plus démunis. La l’épidémie en Italie, huit hubs de distribu­ comme, par exemple, la possibilité de repor­ de temps et qui basculent dans l’indigence. »
reprise progressive de l’activité ne devrait tion d’aide alimentaire organisés par une FEMMES DE MÉNAGE,  ter le paiement de certaines taxes, un nom­ Les répercussions de l’isolement et de l’ar­
apporter qu’un répit très limité, devant la multitude d’associations ont vu le jour ; à bre croissant de personnes aux Pays­Bas rêt d’activités ont été d’autant plus violentes
catastrophe annoncée dans le tourisme, les Barcelone et Madrid, en Espagne, les de­ DES EMPLOYÉS DE  sont obligées de recourir aux banques ali­ qu’elles ont eu lieu dans un contexte tendu,
spectacles ou la restauration. Conséquen­ mandes ont triplé, dont 40 %, selon Caritas mentaires. Et ce n’est qu’un début. Dans depuis la crise financière de 2008. « On ne
ces : les files s’allongent pour la distribution Madrid, provenant de personnes qui
RESTAURANT DONT  certaines villes, comme Amsterdam, cette peut pas dire qu’on partait de zéro. Avant l’épi­
d’aide alimentaire. Des coupons ont fait leur n’avaient jamais eu recours à ce type d’aide LES PETITES ÉCONOMIES  augmentation est déjà de 30 %. » démie, le budget européen aidait déjà 13 mil­
apparition. Et sur les sites des associations jusqu’ici ; dans le nord­est du pays, le jour­ A Londres, l’Olympia Center, une salle de lions de personnes à se nourrir grâce au Fonds
caritatives, les appels aux dons se font plus nal El Periodico de Aragon faisait état, au ONT FONDU EN PEU  spectacle située à West Kensington, a mis européen d’aide aux plus démunis [FEAD] »,
pressants. 6 mai, de 24 000 personnes secourues à ses locaux à disposition pour distribuer des indique Jaume Duch, porte­parole du Parle­
Saragosse et dans toute la région, un « chif­ DE TEMPS ET QUI  colis à 250 personnes par jour en moyenne. ment européen. Les moyens alloués aux
« LA CRISE SOCIALE EST DEVANT NOUS » fre qui ne cesse de croître ». BASCULENT DANS  Au bout d’un mois de confinement, la Food Etats par le FEAD, créé en 2014 et doté de
Dans un appel commun lancé fin avril, la En France, « nous sommes confrontés à la Foundation, au Royaume­Uni, a publié les 3,8 milliards d’euros, sont aujourd’hui una­
Fédération européenne des banques ali­ même situation », déplore le président de la L’INDIGENCE » résultats glaçants d’une étude réalisée du nimement jugés insuffisants.
mentaires (FEBA), Feeding America (FA) et Banque alimentaire, Jacques Bailet, qui cite 24 au 29 avril, selon laquelle 5 millions de « En Italie, selon des données récentes, nous
PATRICK WIELAND
The Global FoodBanking Network (GFN) se l’une des opérations menées fin avril dans Britanniques avec des enfants de moins de estimons que nous aurons une augmenta­
chef de projet chez MSF Suisse
disent engagées dans une « lutte massive » un lycée professionnel de Seine­Saint­De­ 18 ans se trouvaient alors en situation d’in­ tion de près de 1 million de pauvres, soit au
pour « nourrir un nombre toujours crois­ nis, au cours de laquelle « plus de 600 bénéfi­ sécurité alimentaire, soit le double du ni­ total près de 4 millions de personnes en situa­
sant de familles et de personnes », dans un ciaires ont reçu une aide alimentaire en veau établi par la Food Standards Agency tion de pauvreté absolue », affirme l’eurodé­
contexte d’autant plus difficile que « les moins de trois heures ». « Il est trop tôt pour en 2018. Parmi les 621 000 enfants qui putée (S&D) italienne Elisabetta Gualmini.
canaux de distribution alimentaire sont comprendre pleinement l’impact de la crise avaient accès à des petits déjeuners gratuits « L’introduction d’une forme de revenu mini­
perturbés par les interruptions de transport sur le revenu des ménages, mais on assiste à avant la crise, seuls 136 000 ont pu bénéfi­ mum à partir de 2016 avait réduit le nombre
et les mesures de quarantaine ». une énorme augmentation du chômage à la cier d’un substitut. de personnes dans le besoin avant la pandé­
« La crise sociale est devant nous, et d’ex­ suite des mesures prises pour ralentir la pro­ mie, mais aujourd’hui, ajoute­t­elle, le gou­
périence, nous savons qu’elle dure plus long­ pagation du Covid­19, note de son côté MOYENS JUGÉS INSUFFISANTS vernement s’apprête à adopter des mesures
temps. Si l’Europe de l’Est semble un peu l’eurodéputée (PPE, centre droit) irlandaise Associée à la distribution alimentaire menée d’urgence supplémentaires, en plus des
plus épargnée, en Italie, en France, en Espa­ Maria Walsh. Selon les dernières estimations à Genève, en Suisse, par l’association La Cara­ 80 milliards d’euros déjà débloqués. Jamais,
gne, en Belgique, la demande d’aide a déjà en avril, nous sommes passés en Irlande d’un vane de la solidarité, MSF est arrivée à la dans l’histoire italienne des cinquante der­
augmenté de 20 % à 25 %. En Grande­Breta­ taux de chômage modeste de 5,4 % à 28 %. » même conclusion sur la base d’un question­ nières années, il n’y avait eu une telle inter­
gne, c’est encore plus difficile. Partout, les « Même si les Pays­Bas ne sont jamais en­ naire distribué dans les longues files d’at­ vention financière de l’Etat. »
mises au chômage s’amoncellent », con­ trés dans un confinement complet comme tente qui se sont formées devant la patinoire En dépit des sommes colossales annon­
firme Jacques Vandenschrik, président de Italie ou en Espagne, l’économie a aussi olympique de la ville réquisitionnée pour cées par les gouvernements pour tenter
la FEBA, un réseau présent dans vingt­neuf considérablement ralenti, témoigne de son l’occasion. « Quarante pour cent des person­ d’endiguer les conséquences sociales et
pays européens. « Avant, poursuit­il, côté l’eurodéputée (S&D, centre gauche) nes présentes possédaient un travail mais économiques de l’épidémie, la situation ne
30 millions de personnes se trouvaient déjà néerlandaise Agnes Jongerius. Beaucoup avec des droits sociaux insuffisants, rapporte fait qu’empirer. 
en situation matérielle de pauvreté en de personnes avec des contrats flexibles ont Patrick Wieland, chef de projet chez MSF isabelle mandraud
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Les banques alimentaires débordées aux Etats­Unis
Trente millions d’Américains ont perdu leur emploi depuis la mi­mars, allongeant les files d’attente pour les distributions de nourriture
new york ­ correspondant
S i le maire de New York, Bill
de Blasio, a tergiversé avant
d’annoncer, finalement, la
fermeture des écoles de la ville
mi­mars, c’est qu’il avait un souci
majeur : l’alimentation des en­
fants des quartiers défavorisés,
qui n’ont parfois en guise de repas
que ce qu’ils reçoivent à l’école
publique. Chaque jour, quelque
9 000 employés de la mairie dis­
tribuaient 600 000 repas et
250 000 petits déjeuners dans
près de 2 000 établissements. Un
système a été mis en place pour
fournir des repas en dépit de la
fermeture des écoles : un repas à
emporter à 7 h 30 et 13 h 30, dispo­
nible dans toutes les écoles pour
tout enfant de moins de 18 ans.
La semaine suivante, la mairie a
basculé sur une organisation
comparable à celle adoptée pen­
dant la pause estivale : 450 points
de distribution dans des écoles
cibles, où la demande d’aide ali­
mentaire est forte et dans les
quartiers les plus défavorisés. Les
services de la ville ont fini par
Au Japon, les étudiants, les femmes et les CDD
payent le plus lourd tribut face à la crise
Avec déjà 15 % des Japonais sous le seuil de pauvreté, le pays voit ses inégalités s’accentuer
tokyo ­ correspondants
L e découragement se sent
dans la voix de cet homme
de 26 ans, employé à temps
partiel dans une chaîne de maga­
sins de produits électroniques, in­
terrogé par la chaîne de télévision
nationale NHK et dont le visage
est brouillé. Il a postulé pour une
trentaine d’emplois. Sans répon­
ses, il passe des journées sur Inter­
net. « Le boulot qu’on trouve, c’est
pour participer à des extorsions de
fonds par téléphone dont les victi­
mes sont des personnes âgées »,
raconte­t­il. Ces escroqueries – de­
mandes d’argent d’un « fils » en
« graves difficultés », proposition
de désinfection du logement – se
multiplient depuis la proclama­
tion de l’état d’urgence.
Le jeune chômeur dort dans des
cybercafés ouverts vingt­qua­
tre heures sur vingt­quatre et
relativement confortables pour y
passer la nuit. En 2018, plus de
4 000 personnes à Tokyo y lo­
geaient car ils sont meilleur mar­
ché qu’un hôtel. Pour l’instant, il
peut payer. « Après, c’est simple, ce
sera la rue », affirme­t­il. De toute
façon, les cybercafés ont été invi­
tés à fermer en raison de la pro­
miscuité qui y règne. Dès lors, il
rejoindra l’armée en déroute des
sans­abri qui bivouaquent dans
les parcs. Leur nombre augmente
déjà sensiblement, rapportent
des organisations qui leur distri­
buent de la nourriture.
Dans un pays où les personnes
vivant sous le seuil de pauvreté
(disposant de la moitié du revenu
médian, selon les critères de
l’OCDE) représentent 15 % de la
population, un taux élevé par rap­
port à la richesse nationale et aux
autres pays avancés, la question
de la pauvreté longtemps invisi­
ble ou pudiquement occultée
risque de ressurgir sous l’effet de
l’épidémie.
ajouter la distribution d’un dîner,
avec possibilité de menu végéta­
rien, halal, casher, etc., tandis que
les repas peuvent désormais être
retirés par les enfants ou les pa­
rents seuls.
Le dispositif s’inscrit dans une
mobilisation sans précédent de la
ville et de l’Etat de New York pour
distribuer de l’aide alimentaire à
la population. Le gouverneur,
Andrew Cuomo, a appelé à la mo­
bilisation des associations phi­
lanthropiques. Certes, l’Etat fédé­
ral a voté une allocation­chômage
inédite de 600 dollars (environ
552 euros) par semaine, mais les
méandres administratifs ont re­
tardé l’arrivée des indemnités.
La faim
Surtout, avec la disparition des
pourboires, les dizaines de mil­
liers de serveurs, coiffeurs, manu­
cures ou chauffeurs de taxi per­
dent une part majeure, voire es­
sentielle, de leurs revenus. Ainsi,
la demande a doublé dans la ville,
depuis le début de la crise du
Covid­19, a indiqué le gouverneur
Cuomo. Sur 8,5 millions de New­
EN 2018, 38 % DE LA  automobilistes à introduire leurs
POPULATION ACTIVE ÉTAIT 
SUR LE MARCHÉ DU 
TRAVAIL TEMPORAIRE
OU PRÉCAIRE
Depuis la mi­février, les queues
s’allongent devant les agences
pour l’emploi. Ce ne sont pas uni­
quement des chômeurs. Des pa­
trons de petits commerces, de
restaurants ou de PME attendent
aussi pour remplir les formulai­
res leur permettant de grappiller
les indemnités débloquées pour
le maintien de l’emploi. L’Etat
prend en charge les quatre cin­
quièmes des salaires des em­
ployés des entreprises qui ont
cotisé à l’assurance­chômage. En
raison de la multiplication des
documents à fournir, la procé­
dure traîne : selon le ministère de
la santé et du travail, depuis le
14 février, sur 190 000 demandes
qui ont été déposées pour obtenir
cette prise en charge, 2 500 ont été
examinées et 300 acceptées.
Etat d’urgence prolongé
Le gouvernement a décrété la
prolongation de l’état d’urgence
jusqu’à la fin mai. Des centaines
de petites entreprises ont fermé
et des dizaines de milliers de per­
sonnes sont sans travail. L’épidé­
mie accuse les inégalités sociales
d’un Japon riche où la précarité
sans couverture sociale adéquate
est cependant le lot de beaucoup.
En 2018, 38 % de la population
active étaient sur le marché du
travail temporaire ou précaire.
Les femmes seules, divorcées ou
âgées comptent pour plus de la
moitié. « Bien sûr, j’ai peur en
étant constamment en contact
avec des clients », témoigne cette
Yorkais, 1,1 million étaient jugés
en insécurité alimentaire, aux­
quels il convient d’ajouter les
500 000 personnes au moins qui
ont perdu leur emploi.
Avant la crise, le département
de l’agriculture estimait que 11,1 %
des ménages étaient en insécu­
rité alimentaire : 6,8 % souffrent
d’un régime alimentaire de mau­
vaise qualité et doivent sacrifier
les dépenses de nourriture à leurs
factures de santé ou leurs loyers,
par exemple, tandis que 4,3 % su­
bissent une très grande insécu­
rité alimentaire, nouveau vocable
pour désigner la faim. L’insécu­
rité alimentaire s’élève à 28 %
pour les femmes élevant seules
des enfants, 21 % pour les Afro­
Américains et 16 % pour les His­
paniques. Ce taux, qui avait bondi
à 15 % après la crise financière de
2008, avait retrouvé son niveau
d’avant­crise. Les enfants sont
mieux protégés que les adultes
grâce aux écoles : « seuls » 7,1 %
des ménages comptent un enfant
au moins en insécurité alimen­
taire (0,6 % pour la très grande
insécurité alimentaire).
femme de 61 ans qui aide les
tickets de parking dans la ma­
chine d’un magasin d’alimenta­
tion d’un quartier aisé à Tokyo,
« mais, j’ai de la chance d’avoir
encore un travail ». Elle préfère
garder l’anonymat en raison de
l’embarras créé par cette situa­
tion exceptionnelle.
Avec la crise, des millions de
travailleurs en contrat à durée
déterminée non renouvelé, d’in­
dépendants et de précaires sou­
vent payés à la journée risquent
de se retrouver sur le pavé. C’est
déjà le cas de beaucoup. Selon les
médias, certains n’osent pas dire
à leur famille qu’ils ont perdu
leur travail et partent le matin
pour l’agence pour l’emploi puis
passent la journée dans un café
avant de rentrer le soir.
Tous sont victimes de l’effon­
drement de secteurs entiers de
l’économie, comme le tourisme :
le nombre de visiteurs étrangers
a plongé de 93 % en mars par
rapport au même mois en 2019.
Les guides interprètes indépen­
dants, dont beaucoup sont des
femmes, se retrouvent sans
revenu « pour six mois au moins »,
s’inquiète l’une de ces guides,
Yuriko Yoshizawa. Nombre de
PME du secteur de l’hôtellerie, de
la restauration et de la distribu­
tion, qui emploient les deux tiers
de la main­d’œuvre temporaire,
ont déposé leur bilan ou s’apprê­
tent à le faire.
Lorsque l’économie fonc­
tionne, la pléthore de travail à
temps partiel ou par intérim et
de petits boulots contribue à
réduire le chômage et constitue
pour les entreprises une source
de main­d’œuvre flexible et bon
marché – le salaire peut ainsi se
révéler inférieur jusqu’à 55 % à
celui d’un employé régulier pour
le même poste et souvent le
même temps de travail.
L’Amérique est habituée à ces
images extrêmement marquan­
tes, qui reviennent avec les crises.
Symbole des années 1930, les
soupes populaires existaient en
réalité depuis les années 1870,
lorsque le pays fut frappé par une
récession et qu’émergèrent les
premières associations de bien­
faisance. Les banques alimen­
taires sont apparues à la fin des
années 1960 et avaient connu un
retour lors de la crise financière
de 2008.
« J’avais presque honte »
Alors que plus de 30 millions
d’Américains ont perdu leur em­
ploi depuis la mi­mars, les files se
reforment : ce furent des centai­
nes de familles se présentant à la
distribution alimentaire hebdo­
madaire à Pittsburgh, ancienne
cité sidérurgique de Pennsylva­
nie, une file de voiture sur 3 kilo­
mètres à Sunrise en Floride, et les
6 000 véhicules sur un parking de
San Antonio, au Texas. Erica Cam­
pos, 42 ans, y était. Cette femme
n’a pas perdu son emploi, mais
elle élève seule ses deux enfants et
coronavirus | 3
Les jeunes qui finançaient
leurs études avec de petits bou­
lots ne sont pas épargnés par la
chute brutale de l’offre. Le syndi­
cat étudiant Seinen Union a mis
en place une ligne directe pour
aider ceux dont les emplois ont
été supprimés sans préavis ou
dont les heures de travail ont été
réduites. « Beaucoup sont traités
injustement parce qu’ils sont étu­
diants. Ils devraient bénéficier
d’un dédommagement », fait
valoir Niki Harada, président du
syndicat.
Les familles monoparentales
sont également en première li­
gne. Selon une enquête réalisée
début avril par l’association
Single Mama, 54 % des mères cé­
libataires ont vu leur revenu s’ef­
fondrer. « Nous ne mangeons pas
tous les jours comme il le faudrait
et bientôt, je ne pourrai plus faire
face aux dépenses quotidiennes ni
payer le loyer », s’inquiète une in­
térimaire. Qu’adviendra­t­il de
son fils si elle est atteinte du virus
et hospitalisée ? Rien n’est prévu.
Pas plus que pour un couple si les
deux parents doivent être hospi­
talisés : les crèches sont réticen­
tes pour accepter des enfants qui
pourraient être contaminés.
Pour endiguer la contagion, le
gouvernement appelle à une ré­
duction des contacts interper­
sonnels et préconise le travail à
domicile. Mais le télétravail n’est
possible que pour une certaine
LE TÉLÉTRAVAIL SE HEURTE  sur leur lieu de travail. Dans les
À DES PESANTEURS : TOUTE  grandes gares, comme celle de
UNE GÉNÉRATION ESTIME  en temps normal 3,5 millions de
QUE FAIRE ACTE DE  des deux tiers – mais il reste
PRÉSENCE EST LE PROPRE  important. 
DU BON EMPLOYÉ
son ex­conjoint, licencié soudai­
nement, ne peut plus lui verser
ses 1 200 dollars de pension ali­
mentaire, a­t­elle raconté à la ra­
dio NPR : « J’avais presque honte,
pour être honnête, de retirer de la
nourriture à la banque alimen­
taire, parce que quelqu’un aurait
pu regarder ma vieille Cadillac et
dire “qu’est­ce qu’elle fait là ?”. Mais
j’ai dû passer au­delà de ce mau­
vais sentiment de honte. Il n’y a pas
de honte à nourrir mes enfants. »
La demande double, triple, ou
même sextuple selon les cas.
Dans le même temps, l’arrivée
des dons se réduit, alors que les
chaînes de production agroali­
mentaires sont perturbées, que
des œufs sont détruits, du lait
renversé dans le Wisconsin pour
soutenir les cours tandis que to­
mates et légumes pourrissent en
Floride faute d’être récoltés.
La réponse adaptée suscite de
vifs débats. L’administration
Trump a voté quelque 3 milliards
de dollars d’aides pour acheter de
la nourriture aux agriculteurs et
aux entreprises agroalimentaires
afin de les reverser directement
catégorie de professions. Et dans
la plupart des entreprises, seuls
les employés sous contrat à du­
rée indéterminée peuvent y pré­
tendre, et une minorité (17 %) des
CDD, selon Persol Research and
Consulting, spécialisée dans la
gestion des ressources humaines
Le quotidien Asahi faisait ré­
cemment état du cas d’une
femme enceinte d’une trentaine
d’années en CDD qui doit faire
acte de présence dans un espace
où se côtoient une centaine de
personnes au coude­à­coude. Si
elle refuse, son contrat risque de
ne pas être renouvelé pour ab­
sence injustifiée…
Pas équipées
Le télétravail se heurte en outre
aux pesanteurs du système
managérial japonais : pour toute
une génération aujourd’hui
quinquagénaire, faire acte de
présence est le propre du bon
employé et les entreprises privi­
légient l’interaction directe entre
celui­ci et son chef de service.
Enfin, beaucoup de petites et
moyennes entreprises ne sont
pas équipées pour le travail à dis­
tance. D’autres habitudes entra­
vent la dématérialisation du tra­
vail : le papier reste la preuve qui
fait foi ; la démarche au guichet
d’une administration reste de
coutume et l’usage de tampons
officiels est nécessaire pour
l’authentification des actes.
Placés sous ce faisceau de con­
traintes, beaucoup de Japonais
continuent à prendre les trans­
ports en commun pour se rendre
Shinjuku, à Tokyo, où se croisent
voyageurs, le nombre est tombé
philippe mesmer
et philippe pons
aux « banques alimentaires, aux
organisations locales et religieu­
ses et aux autres organisations à
but non lucratif qui servent les
Américains “dans le besoin” ».
Une tribune publiée par le New
York Times et cosignée par Beto
O’Rourke, ancien prétendant à
l’investiture démocrate pour la
présidentielle de 2020, considère
qu’il s’agit d’une mauvaise politi­
que, estimant que les banques
alimentaires ne sont pas équi­
pées pour faire face à un tel afflux,
qu’elles concurrencent les petits
commerces et restaurants qui
font faillite par millions.
La tribune préconise le renfor­
cement des anciens foods stamps,
les bons alimentaires, qui per­
mettraient aux familles de s’ap­
provisionner immédiatement
dans les magasins de leur choix.
On ferait d’une pierre deux
coups : relancer les petits maga­
sins et subvenir aux besoins des
Américains sur le carreau. Las,
l’administration Trump n’en veut
pas, refusant de créer des alloca­
tions d’Etat. 
arnaud leparmentier
 0123
4 | coronavirus JEUDI 14 MAI 2020

Les manifestants anticonfinement Attaque contre un

hôpital de MSF à Kaboul
se soudent derrière Bolsonaro Le président afghan a ordonné la reprise des
combats contre les insurgés après l’assaut
Les partisans du président brésilien, dont certains appellent
à une intervention militaire, protestent contre le « faux virus »

rio de janeiro ­ correspondant traité de « Judas » par les foules, des militants du très médiatique
L e processus de paix lancé,
fin février, par un accord
entre talibans afghans et
Américains n’a pas arrêté la vio­
lence. Un commando armé de
ges de nourrissons évacués par
des soldats, certains enveloppés
dans des draps tachés de sang.
L’hôpital de Dasht­e­Barchi est
situé dans une zone habitée par la
« Bolsonaro ou le gouverneur de Sao Paulo, groupuscule des « 300 du Brésil », quatre à six hommes, selon les communauté chiite des Hazara,

I
ls sont dans la rue chaque
fin de semaine. Depuis
deux mois, et l’arrivée de la
pandémie due au coronavi­
rus, les manifestants « anticonfi­
nement » brésiliens battent le
pavé sans discontinuer. Samedi
9 mai encore, alors que le pays
recensait plus de 10 000 victimes
mortelles du Covid­19, ils étaient
plusieurs dizaines sur la place
des Trois­Pouvoirs de Brasilia,
drapés dans des bannières
auriverdes (vert et or, les cou­
leurs du drapeau brésilien), mo­
quant le « fake virus » et clamant
leur soutien inconditionnel au
président Jair Bolsonaro, « coro­
nasceptique » assumé.
Ces manifestants sont une mi­
norité, certes. Mais une minorité
bruyante, médiatique, ultra­
présente sur les réseaux sociaux,
capable de mobiliser dans toutes
les grandes villes, par centaines
et parfois davantage. Ainsi le di­
manche 3 mai : une grande
« marche » sur la capitale a réuni
plusieurs milliers de personnes,
acclamant Jair Bolsonaro face au
palais du Planalto. Un véritable
coup de force, célébré par les ma­
nifestants comme une « nouvelle
indépendance du Brésil ».
« On doit le défendre »
Leur priorité : le redémarrage de
l’économie et la réouverture des
commerces, fermés par une ma­
jorité des 27 gouverneurs du
pays. « On parle des morts du
coronavirus, mais qui parle des
patrons qui se suicident parce que
leur entreprise a fait faillite ?, s’in­
digne Ronaldo Cunha, 39 ans,
a fidélisé sa base
au maximum et
délégitimé toute
forme de discours
alternatif
au sien »
EDUARDO MELLO
politologue
chauffeur de VTC et manifestant
à Campo Grande (Etat de Rio). Les
gouverneurs ne veulent laisser
travailler personne. C’est absurde :
comment vais­je payer mes im­
pôts ? ! Ils nous condamnent à
mort ! », peste­t­il.
« Bolsonaro est aujourd’hui
menacé, on doit le défendre ! », en­
chaîne par téléphone Ronaldo
Magalhaes, 38 ans, militant du
groupe Activiste Patriote du
Brésil à Niteroi (près de Rio de
Janeiro). Selon lui, un véritable
coup d’Etat menacerait le prési­
dent. « Depuis le premier jour de
son mandat, il existe un plan pour
le destituer. Les représentants de
la vieille politique profitent de
l’épidémie pour le mettre à
exécution et reprendre le pou­
voir », croit­il savoir.
Dans la ligne de mire des mani­
festants, il y a la gauche « commu­
niste », les grands médias « pou­
belles », mais aussi les juges
« gangsters » du Tribunal su­
prême fédéral et, surtout, ces
politiques de droite, anciens sou­
tiens du président passés dans
l’opposition. Ainsi l’ancien mi­
nistre de la justice Sergio Moro,
Joao Doria, surnommé « Dictado­
ria », grimé en dictateur nord­co­
réen et affublé de la moustache
d’Adolf Hitler…
Tous sont soupçonnés par les
manifestants de préparer l’avè­
nement d’une dictature, contre
un « Bolsonaro, élu démocrati­
quement, symbole de nos libertés
individuelles », insiste Ronaldo
Magalhaes. Pour résister à un tel
péril, tout est bon, à commencer
par les excès. Ces dernières se­
maines, des bolsonaristes se sont
illustrés, dansant joyeusement
autour de faux cercueils, agres­
sant physiquement des infirmiè­
res et des journalistes, appelant
sur Internet à envahir le Congrès
ou les hôpitaux, voire à accro­
cher des rubans rouges aux
portes des personnes refusant de
retourner au travail…
« Minorité insignifiante »
Extravagant, le mouvement est
tout sauf spontané. Dans les ras­
semblements, on croise ainsi des
ministres, députés, blogueurs et
youtubeurs membres ou anima­
teurs de groupes ultraconserva­
teurs, souvent aguerris. « Tous
étaient déjà dans la rue en 2016,
lors de la destitution de Dilma
Rousseff, analyse la sociologue
Débora Messenberg Guimaraes,
de l’université de Brasilia. Depuis,
leur discours a empiré : ils s’assu­
ment aujourd’hui totalement et
affichent sans complexe leur rejet
des institutions démocratiques. »
Nombreux appellent donc sans
se cacher à une intervention mili­
taire pour sauver un « soldat »
Bolsonaro en péril. Ainsi en va­t­il
qui se définit comme une « milice
non violente » offrant à ses mem­
bres un inquiétant entraînement
« aux tactiques de guerre de l’infor­
mation ». Ses membres sont par­
fois armés et ses fondateurs se re­
vendiquent de l’héritage d’Olavo
de Carvalho, astrologue et gourou
de l’extrême droite, pour qui l’épi­
démie « n’existe pas ».
Parmi les manifestants, tous ne
sont pas sur une ligne aussi ex­
trême. Ceux qui appellent à une
intervention de l’armée « ne sont
qu’une minorité insignifiante »,
insiste par écrit Caique Mafra, ac­
tiviste de 26 ans à Sao Paulo, qui
dit « défendre la démocratie ». Le
coronavirus « est une menace très
grave qui évidemment existe et
cause des morts », ajoute­t­il. Lui­
même défend un « isolement
vertical », ne concernant que les
plus âgés, et se rend aux rassem­
blements muni d’un masque, par
précaution. Plusieurs manifes­
tants ont été contaminés par le
coronavirus.
Jusqu’où les protestataires
« anticonfinement » seront­ils
prêts à aller pour soutenir leur
président, représenté sur leurs af­
fiches en véritable saint ou en su­
per­héros de Marvel ? « Bolsonaro
a fidélisé sa base au maximum et
délégitimé toute forme de discours
alternatif au sien, analyse le poli­
tologue Eduardo Mello. Ses parti­
sans s’imaginent en guerre civile et
ont une mentalité d’assiégés, seuls
contre tous. Ils pensent que seul
Bolsonaro peut les protéger. Ils
croient à tout ce qu’il dit et le
suivront jusqu’au bout. » 
bruno meyerfeld
sources, a pénétré, mardi 12 mai,
dans l’hôpital Dasht­e­Barchi, à
l’entrée ouest de Kaboul. Comp­
tant une centaine de lits, celui­ci
est soutenu par Médecins sans
frontières (MSF), qui gère en direct
le service de maternité. Les com­
bats avec les forces de sécurité ont
duré quatre heures, jusqu’à la
mort des assaillants. Le bilan offi­
ciel provisoire faisait état, mardi
soir, de quatorze morts, dont
deux nouveau­nés, et de dizaines
de blessés. En réponse, le prési­
dent afghan, Ashraf Ghani, a or­
donné la reprise active des com­
bats contre les mouvements in­
surgés, faute d’avancées sur le ter­
rain de la réconciliation nationale.
L’attaque a débuté vers 10 heu­
res en deux temps, tout d’abord
une forte explosion puis des hom­
mes déguisés en policiers qui sont
entrés dans la cour de l’établisse­
ment en faisant feu et en lançant
des grenades. Une file de person­
nes était déjà formée à l’extérieur
afin de satisfaire aux mesures de
contrôle sanitaire prises pour lut­
ter contre le Covid­19. Plusieurs
ont été tuées ou blessées. D’autres
membres du commando auraient
pénétré dans l’enceinte par un
autre endroit.
Selon le ministère de la santé,
des mères, des enfants et du per­
sonnel soignant figurent parmi
les victimes. Une femme a été re­
trouvée abattue sur son lit à la ma­
ternité. Des personnes ont réussi à
fuir ou à se réfugier dans les abris
sécurisés. Des personnels afghans
de MSF ont également perdu la
vie. Les médias audiovisuels mon­
traient, mardi, en boucle, les ima­
qui est, de manière répétée, la ci­
ble des groupes affiliés à l’organi­
sation Etat islamique (EI). Ce quar­
tier pauvre de près de un million
de personnes bénéficie, avec cet
hôpital, de l’une des rares offres de
soins gratuites dans la capitale.
Des doutes sur la véritable cible
MSF s’est refusé, mardi, à tout
commentaire. Une prudence qui
s’expliquerait par l’existence de
doutes, exprimés par des sources
sécuritaires afghanes, sur la vraie
nature de la cible du commando,
qui aurait pu utiliser l’hôpital
comme passage pour atteindre
une maison mitoyenne abritant
des agents de renseignement oc­
cidentaux. Certains d’entre eux
auraient été vus participant au
combat contre les assaillants.
Néanmoins, cette attaque est un
nouveau coup dur pour MSF après
le bombardement, début octo­
bre 2015, de son hôpital à Kunduz,
dans le nord du pays, par un avion
américain, qui avait fait 42 morts.
Présente en Afghanistan depuis
1980, l’ONG avait dû cesser ses ac­
tivités entre 2004 et 2009 après
l’assassinat de cinq employés
dans la province de Badghis.
Pour assombrir ce mardi noir,
dans la province nord­est de Nan­
garhar, 24 personnes ont été tuées
et 68 autres blessées dans un at­
tentat­suicide commis lors des fu­
nérailles d’un chef de la police.
Sans que l’on sache si cela a un lien,
le chef régional de l’EI, Abou Omar
Khorasani, avait été arrêté lundi.
Les talibans ont démenti avoir
participé à ces deux attaques. 
jacques follorou

Wuhan souhaite tester ses En Inde, Modi annonce un plan

11 millions d’habitants
de relance de 246 milliards d’euros
W uhan ne veut rien laisser au ha­
sard : la ville, qui fut le premier
foyer de l’épidémie de Covid­19,
veut tester l’ensemble de sa population après
la découverte de six nouveaux cas en deux
tion des maladies, Wu Zunyou, a déclaré à la
chaîne nationale CCTV que tester la population
entière n’était « pas nécessaire » : « Les quartiers
qui n’ont pas de cas n’ont pas besoin de tester
chaque personne. » Il suggère plutôt une appro­
Le confinement a lourdement affecté l’économie indienne

new delhi, correspondante Le parti au pouvoir, le Bharatiya vient à contretemps, au moment

jours. Concrètement, l’objectif est peu réaliste
et, d’après les experts, peu utile, mais les diri­
geants de la métropole du centre cherchent
peut­être aussi à afficher leur efficacité, à dix
jours de l’Assemblée nationale du peuple qui
se tiendra à Pékin à partir du 22 mai, soit deux
mois et demi plus tard que prévu à cause de
l’épidémie. Cette surenchère illustre aussi la
difficulté à atteindre l’objectif de zéro cas,
alors que des nouveaux foyers épidémiques
continuent d’apparaître çà et là en Chine,
poussant les autorités locales à confiner à
nouveau des quartiers ou des villes entières.
A Wuhan, ce sont 5 000 habitants d’une rési­
dence du district de Dongxihu qui sont à nou­
veau en quarantaine. A l’origine de ce petit
foyer, un homme âgé de 89 ans qui aurait fait
une rechute, plus d’un mois après avoir appa­
remment présenté des symptômes bénins de
la maladie, a fait savoir la commission pour la
santé de la ville. Il a contaminé sa femme,
mais les quatre autres personnes infectées
n’ont pas eu de contact direct avec le couple.
Face au risque de nouvelle vague, les autori­
tés de la ville ont décidé de tester toute la
population. Les responsables des districts ont
reçu l’ordre de soumettre leur plan de bataille
mardi midi, d’après un document interne
diffusé par les médias locaux. « Tous les dis­
tricts doivent se préparer à conduire des tests
aux acides nucléiques sur l’ensemble de la
population dans une limite de dix jours »,
précise le texte officiel. D’après le magazine
économique Caixin, la campagne devrait être
échelonnée par districts.
Ce plan rappelle le goût des officiels chinois
pour les grandes campagnes systématiques,
mais sa validité est contestée par les experts,
même en Chine. L’épidémiologiste en chef du
Centre chinois pour le contrôle et la préven­
che ciblée. Pour dépister toute la population en Janata Party, a acclamé « le plus de la relance de l’activité, où les
si peu de temps, Wuhan devrait multiplier par
vingt ses capacités : la ville teste actuellement
50 000 à 60 000 personnes par jour, notam­
ment dans le cadre de la reprise du travail.
Jusqu’ici, ces tests avaient permis d’identi­
C’ est un chiffre spectacu­
laire. Le premier minis­
tre indien, Narendra
Modi, a annoncé, mardi 12 mai,
lors d’une allocution télévisée,
grand plan jamais mis en place par
l’Inde ». Il est trop tôt pour l’affir­
mer. Une partie de la somme an­
noncée inclut en fait des mesures
précédemment dévoilées par le
grands centres urbains vont avoir
besoin de main­d’œuvre. Appli­
quant les recettes du monde occi­
dental mais sans les filets de pro­
tection sociale dont sont dotés les
fier nombre de cas asymptomatiques, mais la un plan de 246,8 milliards gouvernement – 20 milliards pays développés, Narendra Modi
ville n’avait pas enregistré de cas symptoma­ d’euros, 10 % du PIB, pour relan­ d’euros pour assurer une aide aux était sous le feu des critiques.
tiques depuis trente­sept cer l’économie, ébranlée par l’épi­ pauvres – et par la banque centrale La crise sanitaire est intervenue
jours. Fin avril, la Commis­ démie de Covid­19. Mais il s’est – assouplissement du crédit et in­ alors que le pays traversait déjà
sion pour la santé de
LA VALIDITÉ  gardé de toute précision. La mi­ jection de liquidités. une crise économique majeure,
Wuhan a annoncé que DE CE PLAN  nistre des finances, Nirmala Si­ avec une croissance réduite à
1,03 million de personnes tharaman, devait détailler par la Pays littéralement figé moins de 5 % contre près de 9 %
avaient déjà été dépistées. EST CONTESTÉE  suite le contenu des mesures et Le sous­continent est à l’arrêt de­ deux ans plus tôt, un taux de chô­
Face au risque de faux né­ leur financement. puis le 25 mars, date à laquelle Na­ mage au plus haut, une baisse de la
gatifs, fréquents, deux pré­
PAR LES EXPERTS,  Narendra Modi a tout juste indi­ rendra Modi a imposé un confi­ consommation et une crise ban­
lèvements sont en général MÊME EN CHINE qué que ce plan baptisé « mission nement total de la population caire. Tous les indicateurs étaient
effectués en Chine, parfois pour l’Inde indépendante » sera (1,3 milliard d’habitants). Le pays dans le rouge. Le confinement, qui
à 24 heures d’intervalle. axé « sur la terre, le travail, les li­ s’est littéralement figé depuis a été assoupli depuis le 4 mai dans
Coût par personne : environ 180 yuans, quidités et la réglementation », de­ lors : les chantiers, les usines, les les zones non contaminées, de­
23 euros, soit un total de 1,8 milliard de yuans vra mener le pays vers « l’autosuf­ commerces, les transports, tous vrait s’achever le 17 mai au soir.
(234 millions d’euros) pour la ville pour tester fisance » et assurer les chaînes les petits métiers qui font vivre Sans doute s’achemine­t­on en­
sa population entière. d’approvisionnement locales. Le des millions d’Indiens se sont suite vers un déconfinement, sauf
La Chine prend très au sérieux le risque de premier ministre a affirmé que brusquement arrêtés. Les premiè­ dans les zones rouges comme le
deuxième vague, après avoir réussi à contrôler son plan économique bénéficie­ res victimes ont été les millions Maharashtra, l’Etat de Bombay, ou
presque totalement l’épidémie. De nouveaux rait à l’industrie, aux petites et de travailleurs migrants, privés de le Gujarat, les régions les plus tou­
foyers dans le nord du pays à Harbin, capitale moyennes entreprises, aux arti­ ressources et de logement. Le chées. Les chefs de gouvernement
de la province du Heilongjiang, ont amené les sans, aux agriculteurs, à la classe gouvernement a refusé, pendant régionaux souhaitent des mesu­
autorités à confiner les villes à nouveau. A la moyenne. Il a évoqué une ré­ des semaines, d’organiser leur res différenciées, en fonction du
frontière russe, où un foyer issu de cas impor­ forme du marché foncier et du transport vers leur village d’ori­ niveau de contamination.
tés depuis la Russie avait été découvert, les marché du travail. Ce qui est re­ gine, les abandonnant à leur sort. Officiellement, mais les chiffres
mesures sont en train d’être assouplies. La pro­ douté, c’est une remise en cause La plupart ne survivent que grâce sont très sous­estimés selon les
vince de Jilin a enregistré 114 cas de contami­ des droits en matière de protec­ à l’aide humanitaire. experts, l’Inde compte 70 000 cas
nation, dont six nouveaux mardi 12 mai. Dans tion des travailleurs et de l’envi­ Beaucoup ont tenté de rejoindre et près de 3 000 morts. Pour
la ville de Shulan, les écoles ont été fermées et ronnement, au nom de la relance. leur famille restée à des centaines l’heure, l’épidémie a relativement
les 630 000 habitants confinés chez eux, une Beaucoup d’Etats se sont déjà pré­ de kilomètres par leurs propres épargné le deuxième pays le plus
seule personne par foyer pouvant sortir pour cipités ces derniers jours pour moyens, à pied où à vélo. Le gou­ peuplé de la planète sur le plan sa­
faire les courses.  porter la semaine légale à soixan­ vernement s’est enfin résolu à nitaire. Mais elle a mis son écono­
simon leplâtre te­douze heures, contre quarante­ autoriser le départ de trains et de mie à terre. 
(shanghaï, correspondance) huit auparavant. bus. Mais cette initiative inter­ sophie landrin
0123
JEUDI 14 MAI 2020
La crainte d’une « deuxième vague » psychiatrique
Si le confinement n’a, jusqu’à présent, pas eu les effets nocifs redoutés, des troubles psychiques apparaissent
L’
hécatombe n’a pas eu
lieu en psychiatrie. Elle
était largement redou­
tée au début de l’épidé­
mie de Covid­19, dans les servi­
ces hospitaliers concernés et les
établissements spécialisés : « Nos
patients ont souvent des facteurs
de risques graves (surpoids,
diabète), et le respect des gestes
barrières n’est pas très facile pour
eux, alors on s’attendait à un
désastre, explique Raphaël
Gaillard, psychiatre à l’hôpital
Sainte­Anne, dans le 14e arron­
dissement de Paris. Mais ça n’a
pas du tout été le cas. »
Le phénomène n’a pas été quan­
tifié, mais la demi­douzaine de
psychiatres hospitaliers interro­
gés par Le Monde l’ont constaté,
comme le professeur Gaillard, qui
a fait ses propres statistiques :
« Dans un pôle comme le mien, qui
reçoit 12 000 personnes par an,
avec 150 hospitalisées en perma­
nence, on a eu au pic de l’épidémie
3 % des patients qui avaient des
symptômes [de Covid], contre 19 %
des soignants. »
Le tabac – les patients en psychia­
trie fument plus que la population
générale – est une piste pour expli­
quer ce décalage (la nicotine pour­
rait avoir un effet protecteur con­
tre le coronavirus). La chlorpro­
mazine en est une autre. L’hôpital
Sainte­Anne mène actuellement
des essais cliniques sur ce vieux
neuroleptique – utilisé dans le trai­
tement des troubles bipolaires et
de la schizophrénie – pour évaluer
ses éventuels effets protecteurs
face au Covid­19.
« Je suis complètement lessivée, comment vous expliquer ? »
Depuis le début de la crise due au Covid­19, les soignants peuvent confier leurs difficultés à des cellules d’écoute spécifiques
L e téléphone sonne et couvre
le brouhaha léger d’un Paris
qui s’apprête à se déconfi­
ner. Un chat, perché sur un piano
droit, remue une oreille. C’est de
son salon qu’Emmanuelle Gontier
décroche son téléphone. D’une
voix posée elle se présente ; à
l’autre bout du fil et à plusieurs
centaines de kilomètres, une
femme appelle au secours : « Je di­
rige un Ephad » sont ses premiers
mots. Depuis deux mois, ils sont
des centaines de soignants (infir­
miers, médecins, pharmaciens…)
à avoir cherché une oreille atten­
tive en composant la hotline des
cellules d’urgence médico­psy­
chologique (CUMP) internes aux
grands établissements de santé,
de l’AP­HP, ou d’associations exté­
rieures à l’hôpital comme Soins
aux professionnels en santé (SPS).
« Je suis complètement lessivée,
poursuit la voix éraillée de la direc­
trice, également infirmière, com­
Epidémie de Covid-19 : situation au 12 mai, 14 heures
DÉCONFINEMENT
Les départements classés en rouge :
où l’épidémie sévit avec le plus
de virulence et où la tension
hospitalière en réanimation
est importante
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University
Pour ce qui est des effets du
confinement et du contexte gé­
néral de peur lié au Covid­19 sur
le psychisme, il faudra égale­
ment patienter : personne ne dis­
pose de données épidémiologi­
ques complètes. Une première
enquête de Santé publique
France (SPF) menée auprès de
2 000 personnes et publiée le
7 mai donne un aperçu rapide de
l’impact de l’épidémie sur la
santé mentale du pays.
Un facteur de protection
Une semaine après l’instauration
du confinement, le 17 mars, la pré­
valence de l’anxiété chez les en­
quêtés était de 26,7 %, deux fois
plus que dans une enquête menée
en 2017 (13,5 %). La prévalence des
troubles du sommeil s’élevait à
66 % fin avril, contre moins de
50 % trois ans plus tôt. L’étude
montre également une hausse de
la consommation de psychotro­
pes au fil du confinement, passée
de 10,4 % des enquêtés début avril
à 13,7 % à la fin du mois.
En revanche, la prévalence de
l’anxiété a chuté au fil des semai­
nes, passant de 26,7 % à 18,1 % fin
avril. SPF en conclut que « le con­
finement, envisagé comme un
facteur de risque pour la santé
mentale, aurait plutôt agi pour
une majorité de la population
comme un facteur de protection
contre l’anxiété, en réduisant
efficacement le risque d’exposi­
tion au virus ».
Autre conséquence du confine­
ment, l’impact du Covid­19 sur la
santé mentale n’a pas été percep­
« Pour les
soignants,
formuler une
demande d’aide
est souvent
inimaginable »
MICHEL LEJOYEUX
psychiatre
ment vous expliquer ? J’ai le senti­
ment d’être entourée par une co­
quille de stress. Cela fait deux mois
que mon équipe et moi sommes
confinées avec les résidents. En
mars, j’animais un établissement
pour les personnes âgées, mais
sans contact avec l’extérieur, leur
dégradation est rapide. Mainte­
nant, je suis entourée de morts vi­
vants. Ce sont des personnes qu’on
m’a confiées, c’est ma responsabi­
DÉCÈS EN FRANCE
26 991
Paris
et départements
limitrophes
Guadeloupe
depuis le 1er mars
dont 17 003 à l’hôpital
Martinique et 9 988 en Ehpad
RÉAMINATION ET SOINS
Mayotte INTENSIFS
La Réunion
Guyane
771
18 mars
tible tout de suite dans les hôpi­
taux. « Il y a d’abord eu un mo­
ment d’extrême diminution de la
fréquentation des urgences psy­
chiatriques, notamment par peur
de venir consulter à l’hôpital », té­
moigne Michel Lejoyeux, res­
ponsable du département psy­
chiatrie et addictologie à l’hôpi­
tal Bichat (Paris 18e). « Les gens
ont été sidérés par l’ampleur de
l’événement, ce qui a peut­être en­
traîné une moindre fréquence de
certains troubles, ajoute Pierre
Vidailhet, psychiatre au CHU de
Strasbourg. Et puis la réorganisa­
tion des systèmes de soins a fait
que le système habituel était
moins accessible. »
Depuis la fin avril, les urgences
psychiatriques de nombreux hô­
pitaux retrouvent un rythme nor­
mal, et les pathologies du confine­
ment apparaissent, notamment
les bouffées délirantes aiguës de
patients affirmant être à l’origine
du Covid­19 ou en détenir le re­
mède. « Les idées délirantes em­
pruntent à l’air du temps, il n’est
pas étonnant qu’elles s’organisent
autour du virus, comme elles pour­
raient le faire autour d’un atten­
tat », note le professeur Gaillard,
qui s’étonne en revanche d’en
avoir constaté chez des patients
de plus de 45 ans et sans aucun
antécédent psychiatrique. « C’est
très atypique, observe­t­il. Habi­
tuellement, ces bouffées, c’est entre
15 et 30 ans. On ne comprend pas
très bien s’il s’agit de l’angoisse liée
au confinement, ou de l’effet du vi­
rus lui­même, qui pourrait donner
des symptômes neurologiques. »
lité. » Depuis début mai, les récits
d’épuisement professionnel, de
dépression sont pressants. « Les
appels se font de plus en plus gra­
ves, constate Michel Lejoyeux,
chef du service de psychiatrie et
d’addictologie de l’hôpital Bichat à
Paris et responsable de la hotline
Covid­19 de l’AP­HP. La fatigue, les
insomnies, avivent des souffrances
plus intenses, réactivent des trau­
mas intérieurs. Le stress ne protège
pas, il sensibilise. »
Depuis mars, la nature des ap­
pels a notablement évolué. « Dans
un premier temps, les angoisses
étaient liées à la transmission du
virus, observe Mme Gontier, et au
risque de le ramener chez soi et d’in­
fecter ses proches. » Un risque que
beaucoup de soignants sont prêts
à prendre, mais pas l’ensemble des
employés hospitaliers. Dans les
premières semaines du confine­
ment, 10 % des appels de la plate­
forme SPS venaient de personnels
HOSPITALISATIONS...
Personnes
hospitalisées
2 542 2 972 Nouvelles admissions
12 mai 18 mars
Il est trop tôt pour tirer des con­
clusions, mais les urgentistes ont
remarqué certains comporte­
ments. « J’ai vu des gens qui
avaient si peur qu’ils ne pouvaient
plus sortir de chez eux, qu’ils se la­
vaient tout le temps, etc., explique
Victor Pitron, psychiatre aux ur­
gences de la Pitié­Salpêtrière à
Paris. Certains ont fait des fixa­
tions sur des symptômes physi­
ques (mal au ventre, toux) qui
d’habitude seraient passés ina­
perçus. Si ça perdure, ça peut de­
venir un trouble psychiatrique à
part entière. » Autre particularité
de cette épidémie : « Beaucoup de
gens sont fragilisés par le fait de
n’avoir pu rendre visite à des pro­
ches en fin de vie ou aller à l’enter­
rement à cause du confinement. »
Phénomène majeur des deux
derniers mois, les ruptures de
traitement provoquées par le
confinement laissent craindre
des lendemains douloureux à
Matthieu Gasnier, psychiatre à
l’Hôtel­Dieu (Paris 4e) : « Du fait
de la difficulté de l’accès aux soins,
plein de personnes touchées par
des maladies chroniques ont dé­
compensé parce que, tout à coup,
elles n’ont pas eu un traitement
qu’elles devaient avoir, ou n’ont
plus bénéficié des soins de proxi­
mité qui les aidaient dans leur
maladie. »
Beaucoup de patients en psy­
chiatrie ont été renvoyés chez
eux en début de confinement. De
nombreux centres médico­psy­
chologiques (CMP) ont réduit la
voilure. Et le téléphone ne vaut
pas toujours un tête­à­tête avec
administratifs, paniqués à l’idée
de se rendre dans leur établisse­
ment de santé et d’être vecteur de
contagion pour leur famille.
Colères et frustrations
Après la peur vint la colère, début
avril. Si se porter en première ligne
fait partie de la mission, il faut
néanmoins être armé. « Les soi­
gnants n’acceptent pas la pénurie
d’équipement alors qu’ils doivent
quotidiennement prendre des ris­
ques », note Mme Gontier. « A la co­
lère liée au manque de matériel
s’ajoute l’observation de l’inorgani­
sation du gouvernement face à la
crise », poursuit Eric Henry, méde­
cin, président de l’association SPS,
spécialisée dans l’accompagne­
ment des soignants.
Enfin, une autre source de frus­
tration vient s’ajouter durant les
jours ensoleillés du printemps : le
manque de respect du confine­
ment « par des gens qu’on va re­
... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants
de 100 à 103
de 50 à 100
de 25 à 50
Moins de 25
21 595
journalières
670
Bilan quotidien
12 mai
coronavirus | 5
Les ruptures
de traitement
provoquées par
le confinement
laissent craindre
des lendemains
douloureux
un médecin qui sert de boussole.
« Il y a eu une diminution globale
des consultations en CMP, pour­
suit M. Gasnier. Mais les patients
et leurs troubles n’ont pas disparu.
On va probablement, avec le
déconfinement, avoir à traiter
une vague de patients qui ont été
moins bien soignés pendant le
confinement. On s’attend notam­
ment – c’est très théorique, car on
n’a pas assez de recul – à une
explosion des symptômes des
troubles du registre dépressif et
anxieux. »
Conduites addictives en hausse
L’addictologie, elle aussi, est au
cœur des inquiétudes. « Il y a une
grosse alerte sur ce sujet, souligne
Matthieu Gasnier. On constate
une augmentation assez nette des
conduites addictives, notamment
l’alcool. Le confinement ne crée
pas une dépendance, mais peut
aggraver une vulnérabilité, sur­
tout chez les personnes pour qui la
vie sociale et le travail étaient des
facteurs protecteurs. » « Environ
8 % de nos patients ont rechuté »,
affirme par exemple Eric Peyron,
trouver plus tard aux urgences », dit
un soignant. Peur, colère, incom­
préhension, le cocktail d’une souf­
france psychique se met en place.
Les permanences téléphoniques
sont anonymes et discrètes, « car,
pour les soignants, formuler une
demande d’aide est souvent inima­
ginable, analyse le professeur Le­
joyeux. Les soignants, ce sont eux,
et les médias en font des héros. Et
un héros ne s’effondre pas, d’où leur
difficulté à reconnaître pour eux­
mêmes une maladie physique ou
psychique ». Pourtant, il y a parfois
urgence à diagnostiquer le mal.
« Les personnes stressées transmet­
tent leur stress. Il faut donc mettre
un cadre pour protéger l’équipe qui
les entoure et eux­mêmes », souli­
gne Emmanuelle Gontier.
Les centres d’appels ne sont
pourtant pas des cabinets médi­
caux. « Nous ne faisons pas de thé­
rapie par téléphone », rappelle
Michel Lejoyeux. « Il s’agit d’un
psychiatre qui suit 200 personnes
au centre AddiPsy, à Lyon, et qui
estime par ailleurs « entre 10 % et
15 % » les patients avec qui le
contact a été perdu, et chez qui le
risque de rechute est fort. Cela dit,
il faut aussi noter que « 5 % à 6 %
des patients se sont sevrés au
cours du confinement ».
Car ce confinement n’a pas été
un drame dans tous les domaines
en psychiatrie. « Dans l’ensemble,
nos patients l’ont plutôt bien
vécu », explique même le docteur
Gaillard. « Par exemple, les pa­
tients qui souffrent de troubles
schizophréniques, moins sollicités
sur le plan social, se sont souvent
bien adaptés à l’isolement »,
constate Pierre Vidailhet. « Mais
ils vont avoir des problèmes quand
il va falloir ressortir, anticipe
Antoine Pelissolo, chef du service
de psychiatrie à l’hôpital Henri­
Mondor de Créteil (Val­de­
Marne). Leurs troubles initiaux
risquent d’être majorés par un
contexte très anxiogène. »
« Je pense que la vague psycho­
trauma va être aussi importante
que la vague infectieuse qu’on a
connue », redoute Pierre Philip, di­
recteur de la clinique du sommeil
du CHU de Bordeaux. Va­t­on alors
vers un engorgement des services
de psychiatrie ? Beaucoup le crai­
gnent, car la crise économique et
sociale est à l’horizon. « Et dans un
tel contexte, la psychiatrie est géné­
ralement ultrasollicitée, rappelle
Raphaël Gaillard. L’incertitude sur
l’emploi et sur les ressources va
avoir un impact majeur. » 
henri seckel
travail d’écoute. Nous devons iden­
tifier la demande de l’appelant.
Quelle est son angoisse, son inquié­
tude. Notre travail est souvent de
réorienter vers un autre interve­
nant : un médecin de prévention, le
médecin traitant, les ressources
humaines… », abonde Mme Gontier.
Parfois, quelques mots suffisent
pour trouver un second souffle.
Toujours au téléphone, l’infir­
mière raconte son quotidien : les
injonctions contradictoires des
autorités de santé, sa famille qui
lui manque, ses équipes « très
chouettes » et son dénuement face
à la tâche qu’elle s’est fixée. « Vous
ne pouviez pas faire mieux », la
rassure la psy.
« Il faut que j’arrive à me dire ça.
Ça m’a fait du bien de vous parler,
de mettre des mots », avoue l’infir­
mière. Sa pause de quinze minutes
se termine. Elle retourne dispen­
ser ses soins. 
éric nunès
EN EUROPE
Royaume-Uni
32 769 morts
49 décès / 100 000 hab.
Italie
30 911 morts
51 décès / 100 000 hab.
Espagne
26 920 morts
58 décès / 100 000 hab.
France
26 991 morts
40 décès / 100 000 hab.
Allemagne
7 738 morts
9 décès / 100 000 hab.
 0123
6 | coronavirus JEUDI 14 MAI 2020

Macron en quête de « dépassement »

Le chef de l’Etat espère se réinventer grâce au concept de « majorité de projet », brandi en 2017 puis abandonné

O
fficiellement, il n’est
pas question de se pro­
jeter dans « l’après ».
Ou en tout cas pas
encore. Alors que le déconfine­
ment vient de commencer et que
l’opposition guette le moindre
faux pas de l’exécutif, Emmanuel
Macron a demandé à son gouver­
nement de focaliser toute son at­
tention sur les aspects opération­
nels de cet exercice inédit. « Le vi­
rus a reculé. Mais il est toujours
là », a lui­même mis en garde le
chef de l’Etat, dimanche 10 mai sur
Twitter. « Il est trop tôt pour parler
du monde d’après, les pièces du
puzzle sont trop éparses », estime­
t­on à l’Elysée.
Le président de la République
en est persuadé : il n’aura d’ave­
nir politique qu’à la condition
que le pays recouvre un semblant
de vie normale. Mais il sait aussi
qu’il doit préparer la suite. Dans
les coulisses du pouvoir, une
autre partition est donc déjà en
cours d’écriture, celle de
l’« acte III » du quinquennat, qui
doit permettre à Emmanuel Ma­
cron de se projeter vers la pro­
chaine élection présidentielle.
Parmi les multiples options dis­
posées sur la table émerge un
concept en vogue lors de la cam­
pagne de 2017 mais remisé au pla­
card depuis : celui de la « majorité
de projet », c’est­à­dire le rassem­
blement d’élus issu de différents
horizons mais capables de s’en­
tendre sur un projet qui dépasse
les clivages traditionnels. Un
outil idoine pour sortir de la crise
du Covid­19 tout autant qu’une
arme de destruction massive des
oppositions en vue de 2022. Le président Emmanuel Macron, la ministre des armées, Florence Parly, et le premier ministre, Edouard Philippe, le 8 mai à Paris. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Argument de campagne
Le premier à l’avoir évoqué est M. Macron en mars 2017. Il en l’aile droite de la majorité tentent nouvelle fois détrousser par Em­ Français à témoin sur le dépasse­
Stéphane Séjourné, député euro­ avait même fait son slogan lors de « QUAND VOUS DISPOSEZ  de faire pencher la balance de leur manuel Macron, qui avait lui­ ment, car certains ne voudront pas
péen La République en marche la présentation de la campagne de DE LA MAJORITÉ ABSOLUE,  côté. « Le président doit retrouver même qualifié de « hold­up » son jouer le jeu en vue de 2022 », ajoute
(LRM) et ancien conseiller politi­ recrutement de ses candidats un espace politique plus grand, élection de 2017. Stéphane Séjourné.
que du chef de l’Etat. « Nous allons pour les législatives : « Construire VOUS N’ÊTES PAS INCITÉ  avec une vision et une ligne politi­ Depuis le début de la crise du co­ Seul bémol, la situation
devoir créer une nouvelle majorité une majorité de projet », avait­il que qui parlent à ses électeurs de ronavirus, la droite comme la d’aujourd’hui n’a plus rien à voir
de projet : la majorité de l’après­ écrit en tête de son discours, dans À ÉLARGIR VOTRE SOCLE » centre gauche de 2017 », estime gauche ne ménagent pas l’exécu­ avec celle de 2017. A l’époque, Em­
crise. C’est une refondation. Cela lequel il expliquait vouloir « s’af­ SACHA HOULIÉ Pierre Person, député (LRM) de tif, multipliant les déclarations manuel Macron était en position
doit être d’abord une méthode qui franchir des jeux d’appareils ». député (LRM) de la Vienne Paris et numéro deux du parti critiques et les demandes de com­ de force, face à un Parti socialiste
rassemble. C’est ce que le candidat Au final, le concept s’était avéré présidentiel. « On doit garder missions d’enquête. Malgré les usé par le mandat de François
Macron avait fait pendant l’élec­ un formidable argument de cam­ l’électorat de droite conquis depuis pressions et les procès en irres­ Hollande et une droite empêtrée
tion présidentielle : rassembler en pagne, permettant à Emmanuel 2017, croit au contraire un parle­ ponsabilité, le plan de déconfine­ dans les costumes de François
dépassant les clivages politiques », Macron de rassurer ceux qui dou­ faut retrouver, cette envie de mentaire réputé proche ment du gouvernement n’a pas Fillon. Aujourd’hui, le chef de
a expliqué, dans un entretien au taient de sa capacité à disposer construire des terrains d’entente. d’Edouard Philippe. On part de été voté par le Sénat, où le parti l’Etat se trouve dans une position
Point fin avril, celui qui a quitté d’une majorité à l’Assemblée na­ La crise du coronavirus nous trop loin pour espérer remonter la présidentiel est minoritaire. « On plus fragile. « Bien souvent, les op­
l’Elysée fin 2018 mais continue tionale pour soutenir sa politique. oblige à rebattre les cartes comme pente sur le plan environnemental sent que tout le monde pense déjà posants ne veulent pas servir de
d’œuvrer en coulisses pour Em­ Pour autant, il avait été ensuite le président avait su le faire lors de ou social. Il faut solidifier notre à 2022 et qu’on ne nous fera pas de béquille ou de caution à un pou­
manuel Macron. abandonné. Le parti présidentiel sa campagne. » socle de centre droit pour espérer cadeau », s’inquiète un stratège de voir qu’ils jugent en bout de course,
Ce concept de « majorité de pro­ étant majoritaire, il ne lui était Pour y parvenir, la majorité se passer le premier tour en 2022. » la majorité, qui dit ne pas croire à décrypte Chloé Morin, spécialiste
jet » fait partie du bréviaire de tous plus nécessaire de trouver des al­ dit prête à mettre sur la table un Seule certitude, ce n’est qu’une un hypothétique gouvernement de l’opinion auprès de la fonda­
les macronistes. En 2016 et 2017, liés, même de circonstance, pour certain nombre de propositions. fois ce travail programmatique d’union nationale. tion Jean­Jaurès. Début 2016, on
lors de la campagne pour l’élec­ faire adopter ses textes. « Quand « Il nous reste peu de temps pour effectué que la question des éven­ avait vu la tentative de [Manuel]
tion présidentielle, le candidat vous disposez de la majorité abso­ construire quelque chose d’ici à tuels partenaires avec lesquels « Clivages forts » Valls de tendre la main à [Jean­
d’En marche ! l’avait évoqué à plu­ lue, vous n’êtes pas incité à élargir 2022, il va nous falloir concentrer s’entendre doit être abordée, ex­ Pour tenter de forcer la main de Pierre] Raffarin sur l’emploi. Mais
sieurs reprises. « La situation dans votre socle. Cela a été trop épisodi­ l’action sur quelques thèmes et pliquent les stratèges de la Macro­ leurs oppositions, les macronis­ le pouvoir était alors trop faible
laquelle nous sommes aujourd’hui que depuis 2017 », regrette Sacha essayer d’obtenir le consensus le nie. Comprendre : pas question de tes comptent s’appuyer sur l’opi­ pour réussir à forcer des opposi­
est inédite : il y a une fracturation Houlié, député (LRM) de la plus large sur ces dossiers prioritai­ composer un nouveau gouverne­ nion, qui pousserait aux compro­ tions, qui avaient déjà 2017 en ligne
de la vie politique. Il faut donc cons­ Vienne. « On a un peu oublié le dé­ res », explique Gilles Le Gendre, ment sans savoir quelle politique mis. « La situation va rendre diffi­ de mire, à venir à son secours… »
truire une majorité de projet pour passement, abonde un élu proche président du groupe LRM à l’As­ mener. « Si on commence par par­ cile les positions idéologiques Il n’est d’ailleurs pas certain que
la renouveler », avait expliqué de l’Elysée. C’est cela qu’il nous semblée nationale. ler de casting, on n’y arrivera pas, tranchées, calcule Gilles Le Gen­ cette idée de « majorité de projet »
estime Stéphane Séjourné. Il faut dre. Les Français feront payer très soit encore désirée par l’opinion.
Rigorisme budgétaire d’abord analyser les conséquences cher toute attitude qui n’irait pas « Dans nos études, 64 % des Fran­
LRM met en avant la question sociale Sur les boucles WhatsApp de la
majorité, plusieurs suggestions
de la crise, voir ce que cela change
pour nous, discuter avec nos parte­
vers l’efficacité. » « Le président de
la République doit prendre les
çais se disent favorables à une
union nationale, ce qui n’a rien
La République en marche (LRM) appelle l’exécutif à davantage reviennent avec insistance, naires, et élaborer des propositions d’un plébiscite, et seulement 51 %
de « solidarité » et à aller « plus loin » dans l’action sociale pour la comme celle de « réarmer » le sys­ pour les deux ou trois ans qui vien­ pensent que cela pourrait être effi­
suite du quinquennat. Lundi 11 mai au soir, lors d’un bureau tème de santé ou de lancer un nent. » « Les rumeurs autour de l’ar­ cace. L’idée d’une majorité de pro­
exécutif qui a réuni les dirigeants du mouvement présidentiel, grand plan dépendance, avec la rivée d’untel ou d’untel au gouver­ « MACRON DOIT  jet n’a pas beaucoup de résonance
des « pistes » pour « penser l’après-crise » ont été présentées par prise en charge d’un cinquième nement n’ont aucun sens, les cho­ aujourd’hui. Les clivages n’ont au
un groupe de travail auquel a participé une dizaine de ministres, risque par la Sécurité sociale. Cer­ ses ne sont pas décantées », abonde RETROUVER  contraire jamais été aussi forts »,
coordonné par Jean-Marc Borello, un proche du chef de l’Etat tains verraient bien l’écologie de­ un proche d’Emmanuel Macron. pointe Bernard Sananès, prési­
réputé appartenir à l’aile gauche de la Macronie. LRM entend venir la ligne directrice de l’action « Si on décide de décaisser à tout­va UNE LIGNE POLITIQUE  dent de l’institut Elabe.
notamment réfléchir sur les « liens de solidarité entre les généra- gouvernementale, quand d’autres à l’issue de la crise, il faudra poser la QUI PARLE  Dans son allocution du 13 avril,
tions », par exemple avec la création d’un cinquième risque pour voudraient faire de la souverai­ question à ceux qui dirigent regardée par 37 millions de Fran­
couvrir la dépendance par la Sécurité sociale, un « capital jeune » neté, notamment industrielle, le aujourd’hui s’ils se sentent à l’aise À SES ÉLECTEURS  çais, Emmanuel Macron a assuré
ou une « prime à l’embauche pour la génération 2020 qui arrive nouveau mantra. « Sans culture et avec ça », nuance pour autant un que c’est « avec toutes les compo­
sur le marché du travail ». « La question sociale sera essentielle sans nature, on ne s’en sortira pas », député de l’aile gauche, évoquant DE CENTRE GAUCHE  santes de notre nation » qu’il en­
à la réussite de la fin du quinquennat, estime le numéro un du plaide le député (ex­LRM) de Mai­ sans le citer le rigorisme budgé­ tendait « dessiner ce chemin » de
parti, Stanislas Guerini. Il convient désormais d’aller plus loin en ne­et­Loire Matthieu Orphelin. taire des équipes de Matignon.
DE 2017 » « l’après ». Reste à savoir qui a
tirant les leçons de la crise et en tenant compte des nouveaux A ce petit jeu, de nombreux élus La difficulté ? Les oppositions PIERRE PERSON envie de cheminer à ses côtés. 
besoins qu’elle a mis en évidence. » issus de l’aile gauche comme de n’entendent pas se laisser une député (LRM) de Paris cédric pietralunga
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Floraison d’initiatives citoyennes pour « l’après »
L’aile gauche de la majorité et des ex­LRM s’appuient sur des plates­formes participatives
P
endant les huit semai­
nes de confinement, ils
ont eu le temps d’imagi­
ner ce fameux « monde
d’après ». Au terme de cette ré­
flexion, certains Français le sou­
haitent plus écologique, plus soli­
daire, plus sobre et plus démocra­
tique. Voilà ce qui ressort en tout
cas de la consultation citoyenne
« Le Jour d’après », lancée par
66 parlementaires à la fibre écolo­
gique et sociale issus de plusieurs
groupes, et dont les résultats sont
publiés mercredi 13 mai. Une dé­
marche qui s’inscrit dans un foi­
sonnement d’initiatives partici­
patives, visant à réfléchir à un
vaste plan de transformation de
la société et de l’économie pour
sortir de la crise du Covid­19.
Créée sous la houlette des dépu­
tés Matthieu Orphelin, un proche
de Nicolas Hulot qui a quitté la Ré­
publique en marche (LRM), et
Paula Forteza (elle aussi ex­LRM)
et du « marcheur » de l’aile gauche
de la majorité Aurélien Taché, la
plate­forme a enregistré, depuis le
4 avril, 26 000 inscriptions de
citoyens, mais aussi de syndicats
et d’associations, qui ont déposé
8 700 propositions.
Parmi les 50 propositions qu’ils
ont le plus votées, les citoyens se
prononcent d’abord en faveur
d’une autonomie sanitaire et
d’une réorientation « vers une so­
ciété du “care” » : ils appellent no­
tamment à relocaliser la produc­
tion de matériels et de produits
stratégiques de santé (gel, mas­
ques, etc.) et à revaloriser les salai­
res du personnel médical. Concer­
nant le travail, ils souhaitent mas­
sivement mettre en place un re­
venu universel à partir de 18 ans,
développer le télétravail, valoriser
les « métiers essentiels » (santé,
agriculture, recherche, etc.) et pla­
fonner les hauts salaires.
L’hôpital, une priorité nationale
Les citoyens ont aussi voté pour
une « végétalisation d’ampleur » de
l’alimentation en restauration col­
lective publique et privée, un sou­
tien aux circuits courts, la création
d’un enseignement obligatoire au
climat et à l’environnement ou en­
core le développement du vélo.
Enfin, concernant le financement
de cette reconstruction, ils sont fa­
vorables à l’abandon des subven­
tions publiques aux énergies fos­
siles, la mise en place d’une taxe
sur les transactions financières ou
encore la lutte contre l’optimisa­
tion et l’évasion fiscales.
« Il y a une volonté des citoyens
que la sortie de crise ne soit pas
qu’une relance économique, mais
un véritable changement de mo­
dèle de société », analyse Paula
Forteza, députée (non­inscrite)
des Français de l’étranger.
A partir de ces propositions, les
parlementaires du « Jour d’après »,
une quarantaine issus de la majo­
rité LRM et MoDem, mais aussi
des élus du Parti socialiste ou en­
core le sénateur Europe Ecologie­
Les Verts Ronan Dantec, ont éla­
boré 30 mesures autour de la
santé, de la sobriété, de la solida­
rité et de la souveraineté, qu’ils
s’engagent à porter politiquement
par l’intermédiaire de proposi­
tions de loi et d’amendements.
Ils veulent par exemple faire de
l’hôpital une priorité nationale, re­
valoriser de 200 euros par mois le
salaire des soignants, ouvrir
200 000 postes supplémentaires
en trois ans dans les établisse­
ments d’hébergement pour per­
sonnes âgées dépendantes (Eh­
pad) et les services d’aide à domi­
cile, mettre en place un grand plan
de rénovation énergétique des
coronavirus | 7
ÉLECTIONS MU NICIPALES
Les conseils élus au
premier tour installés
au plus tard le 28 mai
Les conseils municipaux élus
au premier tour des élections
municipales, le 15 mars, dans
30 139 communes seront ins­
tallés « au plus tard le jeudi
28 mai », a indiqué Edouard
Philippe, mardi 12 mai, à
l’Assemblée nationale. Une
ordonnance présentée mer­
credi en conseil des minis­
tres adaptera les règles de
quorum et de présence du
public. Le décret qui sera pu­
blié vendredi 15 mai « fixera
D’où la multiplication des pla­ modes de production et de faute de synthèse, empêchent de la date d’entrée en fonctions
« TOUT LAISSE À PENSER  tes­formes prenant le pouls des consommation. peser efficacement en politique ». des conseillers municipaux et
QUE LES CONTRIBUTEURS  citoyens, notamment dans les Si elles témoignent d’une vita­ « Ces démarches, très intéressan­ communautaires le lundi
milieux écologistes et solidaires. lité démocratique, ces nombreu­ tes, masquent les clivages politi­ 18 mai », a précisé le premier
SONT DES CITOYENS PLUS  « Notre nouvelle vie », « Nous les ses consultations citoyennes in­ ques (gauche­droite) et sociaux qui ministre. La première réu­
premiers », « Demain est près de terrogent quant à leur capacité à persistent dans la société sur le nion du conseil municipal,
ÉDUQUÉS ET URBAINS  chez vous », « reCOVery » rencon­ être traduites en actions politi­ soutien à la transition écologi­ qui permettra notamment
trent un certain succès : la consul­ ques, d’autant plus qu’elles coexis­ que », ajoute Maxime Gaborit, d’élire le maire et ses ad­
QUE LA MOYENNE » tation « Comment inventer tous tent avec la convention citoyenne sociologue et doctorant à l’uni­ joints, doit ensuite se tenir
LOÏC BLONDIAUX ensemble le monde d’après ? », pour le climat, qui a proposé versité Saint­Louis de Bruxelles. Il dans les cinq à dix jours sui­
professeur de science politique lancée le 10 avril par la Croix­ 50 propositions de sortie de crise juge en outre que le format des vant la date d’entrée en fonc­
Rouge française, le WWF France, mi­avril. Loïc Blondiaux voit plu­ consultations en ligne, plus parti­ tions des conseillers munici­
Make.org et le Groupe SOS, dont sieurs limites à leur portée politi­ cipatif que délibératif, « rend diffi­ paux, soit entre le samedi
bâtiments ou encore « aller vers le les résultats seront publiés le que : le manque de représentati­ cile l’élaboration de mesures 23 et le jeudi 28 mai. A partir
revenu universel » en commen­ 29 mai, a par exemple réuni vité des contributeurs, dont « tout articulées les unes avec les autres de là, les 154 conseils com­
çant par élargir le revenu de soli­ 100 000 participants, qui ont laisse à penser qu’il s’agit de ci­ qui permettraient d’avoir une munautaires entièrement
darité active (RSA) aux 18­25 ans. déposé 20 000 propositions ap­ toyens plus éduqués et urbains que véritable rupture ».  constitués pourront égale­
Officiellement, les responsables pelant essentiellement à protéger la moyenne », et « la polyphonie et audrey garric ment élire leurs exécutifs,
de la majorité disent accueillir de l’environnement et à repenser les l’horizontalité des opinions qui, et alexandre lemarié au plus tard le 8 juin. – (AFP.)
manière positive le travail mené
par « Le Jour d’après ». « Je ne vois
pas d’un mauvais œil de formuler
des propositions pour l’après », as­
sure le délégué général de La Répu­
blique en marche, Stanislas Gue­
rini. « La légitimité de cette démar­
che, je ne la conteste en aucun cas »,
abonde le patron des députés LRM,
Gilles Le Gendre, en se disant prêt à
« intégrer » au logiciel macroniste
des idées issues du collectif. NOUS RENFORÇONS LES MESURES
« Arrière-pensées politiques »
Mais cela ne les empêche pas de POUR VOUS GARANTIR DES COURSES
EN TOUTE SÉCURITÉ
formuler de sérieuses réserves vis­
à­vis de cette initiative. Aux yeux
de M. Guerini, le diagnostic du
« Jour d’après » n’est pas réaliste.
« Je suis réservé sur l’idée qu’il y
aurait une bascule dans le monde
de l’après­crise, décorrélée du
contexte actuel. Comme si on arri­
vait dans un monde sans Une régulation à l’entrée gère
contrainte et qu’on pouvait repartir
d’une feuille blanche », observe le
le flux des clients pour respecter
patron des « marcheurs », qui pré­ les gestes barrières
conise de « partir du réel pour ne
pas paraître déconnecté ». Une ma­
nière polie de dire que les proposi­
tions formulées par le collectif lui
paraissent quelque peu utopiques.
M. Le Gendre, lui, estime que
« des arrière­pensées politiques
existent » chez les promoteurs du
« Jour d’après », en lien avec le pro­
jet de création d’un neuvième
groupe à l’Assemblée nationale.
« Il y a des intersections » entre les Nos caisses
deux initiatives, selon lui. Le lan­ Du gel hydro- sont protégées Nos équipes
cement du « Jour d’après » étant alcoolique d’une vitre disposent
perçu comme une manière de
structurer le nouveau groupe en
est à votre et désinfectées de masques
préparation au Palais­Bourbon, disposition régulièrement et de gants
qui regrouperait des marcheurs
dissidents, tels Guillaume Chiche,
Aurélien Taché, Barbara Pompili
ou Emilie Cariou. Les cadres de la
majorité auraient préféré, enfin, Le marquage au sol facilite
1m min. 1m min.
le respect des distances de sécurité
|
que cette initiative soit coordon­
Année 2020 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622
née à l’intérieur de la majorité,
plutôt qu’en dehors. et les gestes barrières sont affichés
Au­delà des logiques partisanes, en permanence
le politologue Loïc Blondiaux voit
dans l’initiative une tentative de
relégitimation d’un travail parle­
mentaire plus que jamais con­
testé. « En recréant un espace de
dialogue avec les citoyens, il s’agit
de montrer que le Parlement conti­ Les respecter, c’est vous protéger,
nue de faire un vrai travail de re­
présentation et pas seulement de
chambre d’enregistrement », juge
protéger nos équipes et protéger les autres.
le professeur de science politique
à la Sorbonne (Paris­I). PLUS D’INFORMATIONS SUR LIDL.FR
Si le public est au rendez­vous,
c’est que, dans le même temps,
une partie croissante de la popula­
tion désire s’exprimer sur les poli­
tiques publiques. « Beaucoup de
citoyens ont le sentiment qu’un
changement de société ne pourra nous sommes engagés
pour vous, pour vos familles,
passer que par un changement ra­
dical des règles du jeu démocrati­
pour votre santé
que », avance­t­il, alors que les ci­
toyens du « Jour d’après » soutien­
nent par exemple l’expérimenta­
tion du tirage au sort dans les
institutions représentatives ou la
mise en place de référendums
d’initiative citoyenne.

8 | coronavirus
La droite engage la bataille de la légitimité
En endossant le rôle d’opposant « constructif », LR entend incarner l’alternative à Emmanuel Macron
J
ean­Pierre Raffarin, amou­
reux de l’empire du Milieu,
aimait à le répéter : en chi­
nois, crise signifie danger et
opportunité. Une traduction
qui, pour certains au sein de la
droite française dont est issu l’an­
cien premier ministre, prend de
plus en plus de sens. Car, chez Les
Républicains (LR), ils sont de plus
en plus nombreux à s’interroger,
et même à commencer à y croire :
et si, dans le danger de la pire épi­
démie que la France ait connu ces
dernières années, leur parti avait
trouvé la possibilité de s’affirmer
comme une potentielle alterna­
tive à Emmanuel Macron ?
Eux qui ont essuyé coup sur
coup deux échecs historiques lors
de l’élection présidentielle de 2017,
puis des européennes de 2019.
Eux qui ont, depuis maintenant
trois ans, du mal à exister, ont
aujourd’hui l’impression d’être
plus entendus, plus présents sur la
scène politique tricolore. Voire,
comme le dit Brice Hortefeux,
eurodéputé et ancien ministre de
l’intérieur de Nicolas Sarkozy,
« d’avoir trouvé un couloir de
nage ». Lui qu’on disait pessimiste
sur sa famille politique estime
qu’elle a, ces dernières semaines,
offert « le visage d’une opposition
positive ». « Sans surenchère », la
droite a, selon lui, été « responsa­
ble » en votant « ce qu’il fallait ».
« Efficacité des exécutifs locaux »
De fait, au début du confinement,
le parti a voté les textes instau­
rant l’état d’urgence sanitaire ou
modifiant la loi de finance. Il a
formulé des propositions, très
vite sur les questions économi­
ques, puis plus tard sur le déconfi­
nement. Car, si elle est dans l’op­
position, la formation de la rue
Vaugirard a vu nombre de ses
électeurs faire défection vers le
parti présidentiel. Pour espérer
un jour revenir au pouvoir, elle
doit apparaître comme le seul re­
cours à Emmanuel Macron : un
groupe composé de politiques
« responsables » capables de gou­
verner en temps voulu.
« Nous devons rassembler notre
famille politique en étant une op­
position qui soit toujours force de
proposition, assure ainsi Chris­
tian Jacob, président de LR, nous
avons voté 40 % des textes depuis
2017. Si nous assumons des points
d’accord, nous assumons aussi
Imposer le masque dans la rue, une gageure pour les maires
De Paris à Mougins, plusieurs édiles souhaitent rendre son port obligatoire dans l’espace public. Mais leur pouvoir est très encadré
P our éviter une reprise de
l’épidémie due au corona­
virus, faut­il rendre obli­
gatoire le port d’un masque dans
les rues ? Pour le déconfinement,
le gouvernement a choisi une
solution moins drastique : depuis
le 11 mai, le masque est imposé
dans les transports en commun,
seulement « recommandé »
ailleurs. Mais, de Paris à Nice en
passant par Mougins (Alpes­Ma­
ritimes), plusieurs maires sont en
train de relancer le débat. Pour
eux, les masques constituent une
arme clé, dont il convient d’utili­
ser toute la puissance. Ils regret­
tent que l’Académie de médecine,
qui en préconisait le port obliga­
toire dans tout l’espace public,
n’ait pas été entendue.
C’est en particulier l’avis d’Anne
Hidalgo. Le masque devrait être
obligatoire « dans toutes les rues
de notre ville », a écrit la maire
socialiste de Paris mardi 12 mai
sur Twitter, renouvelant une pro­
position transmise à Matignon
depuis plusieurs semaines. A ses
yeux, cette mesure barrière sup­
plémentaire pourrait, notam­
« Il s’est passé,
politiquement,
quelque chose
de plus favorable
à la droite
pendant ce
confinement »
BRICE TEINTURIER
directeur général
délégué d’Ipsos
nos désaccords en étant dans une
opposition frontale à chaque fois
que c’est nécessaire. » De son côté,
Damien Abad, député de l’Ain et
patron des élus du parti au Palais­
Bourbon, souhaite maintenir
l’image d’un « parti de gouverne­
ment capable de prendre des déci­
sions et de les assumer ». « Je tiens
à garder le cap d’une droite crédi­
ble », insiste­t­il.
Son homologue au Sénat, Bruno
Retailleau, rappelle qu’un parti
majoritaire dans une Assemblée
comme LR au Palais du Luxem­
bourg a des obligations : « Notre
position nous impose une respon­
sabilité puisque nous sommes en
mesure de faire adopter nos pro­
positions », précise­t­il.
Ancré depuis des dizaines d’an­
nées dans la vie publique fran­
çaise, LR est par ailleurs très pré­
sent dans les exécutifs locaux.
Nombre de maires et de prési­
dents de région, qui se sont illus­
trés lors de la crise en proposant
des masques ou en prenant en
main la gestion sanitaire de leurs
collectivités, sont issus de ses
rangs. Ou demeurent proches de
lui. C’est notamment le cas de
Jean Rottner, président de la ré­
gion Grand­Est, ou encore de
Valérie Pécresse en Ile­de­France
et de Xavier Bertrand dans les
Hauts­de­France. « La crise a mis
au grand jour le travail et l’utilité
des régions, veut croire un proche
de Mme Pécresse, Lesquelles ont
souvent des personnalités expéri­
mentées comme des anciens mi­
nistres à leur tête. »
« La nature a horreur du vide. La
crise a consacré l’efficacité des exé­
cutifs locaux qui ont pallié les
insuffisances du gouvernement »,
analyse, pour sa part, Xavier Ber­
trand qui se dit « capable d’aider
car au plus près de la population ».
ment, permettre de rouvrir les
parcs et jardins, sans que cela
entraîne trop de risques de propa­
gation du virus. Suggestion reje­
tée dans la minute par le gouver­
nement. « Non, nous n’ouvrirons
pas les parcs et jardins à Paris et en
Ile­de­France ainsi que dans les
autres régions classées rouges », a
tranché le ministre de la santé,
Olivier Véran, lors d’un déplace­
ment à Limeil­Brévannes (Val­de­
Marne). Pas question non plus
d’imposer le masque partout.
Au même moment, le maire
(Les Républicains) de Mougins
(Alpes­Maritimes), Richard Galy,
lui­même médecin, annonçait
avoir signé un arrêté rendant
obligatoire le port du masque
dans certains quartiers.
A Nice, le maire (LR) Christian
Estrosi souhaitait également im­
poser le masque « dans les espa­
ces publics et sur tout le territoire
niçois », comme promis lors
d’une conférence de presse ven­
dredi 8 mai. Mais le passage du
projet à la réalité s’est révélé ardu.
A compter du 11 mai, tous les
Niçois de plus de 11 ans étaient
Le député LR Damien Abad, à l’Assemblée nationale, le 28 avril. DAVID NIVIÈRE/AFP
« De Gaulle le disait : la politique,
ce sont des idées confrontées à la
réalité », évoque Bruno Retailleau.
Or, la réalité, la droite en serait
proche, selon lui, grâce à son an­
crage local. « C’est vrai qu’il s’est
passé, politiquement, quelque
chose de plus favorable à la droite
pendant ce confinement », recon­
naît Brice Teinturier, directeur gé­
néral délégué d’Ipsos, pour qui la
formation politique a trouvé sa
place en « proposant des solu­
tions » au niveau local.
Tirer régulièrement à vue
Aider le gouvernement certes,
mais le critiquer aussi abondam­
ment pour marquer la différence.
S’ils se sont montrés coopératifs
au début de la crise, les membres
de LR n’ont pas hésité à tirer régu­
lièrement à vue, notamment ces
dernières semaines, reprochant
même à l’exécutif une stratégie
censés devoir porter un masque
sur l’ensemble de la voie publi­
que, sous peine d’une amende de
35 euros. Problème : l’arrêté a été
immédiatement attaqué par la
Ligue des droits de l’homme,
dont l’avocate Mireille Damiano
était par ailleurs candidate de la
liste citoyenne et de gauche aux
municipales.
Pénurie d’équipements
Dans la nuit de dimanche à lundi,
quelques heures avant l’audience,
Christian Estrosi a préféré abroger
l’arrêté contesté. Les policiers mu­
nicipaux, présents en nombre sur
le terrain lundi pour le premier
jour du déconfinement, n’ont
donc pas pu contrôler les habi­
tants circulant sans masque. In­
terrogés par Le Monde, ils fai­
saient part de la confusion am­
biante, expliquant, un peu gênés,
que l’arrêté serait « illégal ».
Dans l’après­midi, Christian Es­
trosi a repris l’initiative. « Je ne
lâcherai rien pour protéger les
Niçois », a lancé l’élu sur Twitter,
avant de signer un nouvel arrêté
temporaire. Plus souple, ce texte
de déconfinement « ni faite ni à
faire ». Polémique autour de la
pénurie de masques, des tests, re­
tour à l’école jugé « mal orga­
nisé » : ils s’en sont donné à cœur
joie. Au point d’irriter parfois jus­
que dans les rangs même du
parti. « Certains ont tout de même
été dans l’opposition systématique
et ont fait de la politique au lieu
d’agir », regrette un bon connais­
seur de la maison.
D’autres ont regretté le soutien
trop publiquement affiché de
certaines personnalités LR pour
le docteur Didier Raoult et son
remède contre le Covid­19, dont
l’efficacité est aujourd’hui gran­
dement remise en cause par la
communauté scientifique.
« Quand on n’est pas médecin, on
devrait s’abstenir sur ce genre de
choses », tonne, lapidaire, un élu.
« Notre famille politique doit
montrer qu’elle peut aider plus que
Un élu peut
rendre le masque
obligatoire dans
certaines rues, à
certaines heures,
pour « raisons
impérieuses »
impose le port du masque seule­
ment dans les situations mar­
quées par « une incompatibilité
avec les exigences des règles de dis­
tanciation sociale ». Une troi­
sième version, plus durable, est
attendue après la promulgation
de la loi d’urgence sanitaire.
L’imbroglio niçois le montre : en
matière de masques, les maires
disposent d’une marge de
manœuvre limitée. Politique­
ment, d’abord, il était difficile de
forcer les habitants à se voiler le
visage tant que la France connais­
sait une dramatique pénurie
d’équipements. A Paris, les protec­
tions gratuites promises depuis
combattre. Ce qui doit faire la dif­
férence entre un parti de gouverne­
ment et une opposition stérile,
c’est le fait de pouvoir être un par­
tenaire en temps de crise. On at­
tend de nous une trêve des réflexes
politiques et qu’on puisse travailler
provisoirement tous ensemble. Ce
n’est en rien pour autant la fin des
convictions des uns et des
autres ! », estime pour sa part
l’eurodéputé Geoffroy Didier.
Pour Brice Hortefeux, nul pro­
blème dans cette stratégie. L’élu
s’attend à voir le chef de l’Etat
ressortir « les jambes sciées » de
cet épisode. En conséquence, il
serait bien mal avisé de lui « ser­
vir de béquille ». « Il y a les partis
béni­oui­oui, La République en
marche et le MoDem. De l’autre
côté, il y a ceux pour qui rien ne va
comme le Rassemblement natio­
nal et La France insoumise. Au
milieu, il y a nous. Nous sommes
des semaines par la Mairie arri­
vent seulement cette semaine.
Juridiquement, ensuite, le pou­
voir des élus est très encadré. Sta­
tuant en référé, le Conseil d’Etat a
fixé, le 17 avril, une ligne précise :
depuis l’état d’urgence sanitaire,
les maires doivent contribuer à la
bonne application des mesures
décidées par l’Etat, et « ne peuvent,
de leur propre initiative, prendre
d’autres mesures destinées à lutter
contre la catastrophe sanitaire ».
Impossible pour eux, donc, d’im­
poser le port obligatoire du mas­
que, « à moins que des raisons im­
périeuses liées à des circonstances
locales » rendent une telle mesure
« indispensable ». Et encore, seule­
ment si cette décision ne compro­
met pas « la cohérence et l’effica­
cité » de celles prises par le préfet.
« La situation est claire : il n’est
pas possible d’imposer le port du
masque de façon générale dans
toute une commune, résume Pa­
trice Spinosi, l’avocat de la Ligue
des droits de l’homme. C’est ainsi
que nous avons obtenu l’annula­
tion ou le retrait des arrêtés pris à
Sceaux [Hauts­de­Seine], Vic­en­
0123
JEUDI 14 MAI 2020
le seul parti qui s’oppose au gou­
vernement quand il fait fausse
route et qui propose des idées con­
crètes pour l’intérêt général : une
opposition qui sait proposer », ex­
plique le député du Loir­et­Cher
Guillaume Peltier, lequel estime
qu’Emmanuel Macron a pro­
noncé « l’oraison funèbre de sa
propre idéologie, celle de la
start­up nation, et a découvert les
mots travail ou encore patrio­
tisme ». Si la droite a trouvé sa
voie, pense­t­il, c’est qu’elle com­
mence à « entamer son rappro­
chement idéologique ».
Reste que cette ligne, le parti doit
encore la définir, trancher entre
ceux qui se disent sociaux et ceux
demeurés fidèles à une droite plus
libérale. Reste aussi à trouver celui
qui saura incarner sa famille
politique pour transformer une
opportunité en résultat. 
sarah belouezzane
Bigorre [Hautes­Pyrénées] et
Val­d’Isère [Savoie], et du premier
arrêté de Nice. » En revanche, un
maire peut tout à fait rendre le
masque obligatoire dans certaines
rues, à certaines heures, en le justi­
fiant par des « raisons impérieu­
ses », telles que l’impossibilité de
protéger autrement les habitants.
A Mougins, par exemple, l’ar­
rêté concerne uniquement cer­
tains secteurs géographiques « à
forte densité » et aux abords des
établissements « sensibles », où il
paraît difficile de garantir que
chacun restera à plus d’un mètre
de son voisin. Même logique à
Mandelieu­la­Napoule (Alpes­
Maritimes). L’arrêté pris le
20 avril, qui vise uniquement des
zones très fréquentées, semble
même particulièrement prudent.
Le mot « obligatoire » n’y figure
pas. Le masque y est simplement
« recommandé ». Les passants qui
n’en portent pas doivent s’en voir
offrir un. Ce n’est que s’ils refu­
sent alors de le mettre que les
agents peuvent verbaliser. 
denis cosnard
et sofia fischer (à nice)
0123
JEUDI 14 MAI 2020
A Paris, un retour
en classe sous
haute surveillance
Les écoles de la capitale devraient
accueillir une poignée d’élèves
seulement, à partir de jeudi
P
aris joue la montre − la
« sécurité », souffle­t­on
dans l’entourage de la
maire (PS) Anne Hi­
dalgo. Alors qu’un peu partout sur
le territoire des milliers d’écoles
ont rouvert leurs portes, mardi
12 mai, accueillant les premiers
enfants après deux mois de confi­
nement, la ville capitale, forte de
652 écoles et de 130 000 écoliers,
s’est donné deux jours de plus
pour être prête.
Et ce n’est pas de trop : à l’Hôtel
de ville, le recensement des « for­
ces vives » n’est pas encore « tota­
lement bouclé », reconnaît Patrice
Bloche, adjoint en charge de l’édu­
cation. Mais l’élu se veut opti­
miste : « On pourrait passer la
barre des 600 écoles ouvertes. »
Dans un entretien au Parisien
mardi 12 mai, le recteur de Paris,
Gilles Pécout, a promis l’accueil
de près d’un quart des écoliers
− 28 500 exactement. Et confirmé
les chiffres qui circulaient, déjà,
dans les rangs syndicaux : plus de
neuf écoles sur dix seraient prêtes
à rouvrir leurs portes. Et un peu
plus de un enseignant sur deux
devrait en reprendre le chemin.
« Equipe divisée »
De quoi positionner la capitale
parmi les « bons élèves » du dé­
confinement scolaire, quand, dé­
but mai, encore, la maire de Paris
s’illustrait parmi les édiles franci­
liens demandant au chef de l’Etat
un report de la rentrée ? Sur le pa­
pier, sans doute. Sur le terrain, on
se garde bien de crier victoire : à
J−2, en zone rouge, et alors que
tous les regards convergent vers
eux, les directeurs d’école se mon­
trent prudents. Y compris quand
l’ouverture de leur école ne pose
pas, a priori, de gros problème.
Que les enseignants et les agents
d’entretien répondent « présent ».
Et que les masques et le gel hy­
droalcoolique ont été livrés − ce
qui reste, ici ou là, à confirmer.
« Tu as le droit de discuter avec les copains, mais pas de les toucher »
L’école élémentaire Paul­Langevin, à Saint­Martin­d’Hères, dans l’Isère, a accueilli quarante élèves, mardi, dans une ambiance étrange
REPORTAGE
saint­martin­d’hères (isère) ­
envoyée spéciale
D rôle d’ambiance, mardi
12 mai au matin, dans
l’école élémentaire Paul­
Langevin de Saint­Martin­d’Hè­
res (Isère), qui accueille quarante
élèves (sur 165) pour la première
fois depuis deux mois. Les élèves
de CP entrent, un à un, et se met­
tent en rang le long du mur, sur les
marques tracées au sol. « Tu as le
droit de discuter avec les copains,
mais pas de les toucher », précise la
directrice, Maryline Leprince, au
petit Nathan qui traîne derrière
lui son cartable à roulettes.
Quelques minutes plus tard, de­
vant les toilettes des CP, Cora
Feray appelle ses élèves pour
qu’ils se lavent les mains, l’un
après l’autre. Les ennuis
commencent : Hugo a décidé de
suivre à la trace son frère Lucas.
Rappel à l’ordre immédiat. « C’est
mes triplés, ils sont mignons »,
confie l’enseignante en aparté.
Une fois installés en classe, les
élèves sont invités à dessiner au
feutre un « bon souvenir » du con­
finement. « Et si c’est pas intéres­
« Chez moi, quatre enseignants
sur cinq seront sur le pont jeudi, té­
moigne Hervé Lal, directeur
d’une maternelle dans le 11e ar­
rondissement ; le cinquième, à
temps partiel, continuera l’ensei­
gnement à distance. Pour ac­
cueillir 17 élèves seulement, contre
120 habituellement, ça devrait le
faire… » Des enfants de soignants,
d’enseignants, de commerçants,
d’employés de pompes funèbres,
de la SNCF et de la RATP pour l’es­
sentiel, détaille­t­il. Les enfants
en difficultés, autre « public prio­
ritaire », selon l’éducation natio­
nale, restent difficiles à appro­
cher. « A raison de quatre groupes
de quatre ou cinq enfants à pren­
dre en charge, l’équipe a finale­
ment assez peu de craintes sur le
plan sanitaire, relève Hervé Lal.
L’inquiétude est d’abord profes­
sionnelle : que faire, en maternelle,
avec un “protocole sanitaire” qui
nous prive d’interactions ? »
Dans l’école élémentaire
d’Adrien (il a requis l’anonymat),
dans le 18e arrondissement, on
ignorait encore, le 12 mai au soir,
si les grilles seraient ouvertes ou
fermées jeudi. « L’équipe est divi­
sée, raconte­t­il. Il y a les pro­
ouverture d’un côté, les anti de
l’autre… et beaucoup d’indécis. »
Lui­même se sent prêt à revenir et
à prendre en charge la poignée
d’élèves qui lui a été assignée :
quatre enfants seulement inté­
greraient son groupe, soit trois
1 MILLION
C’est le nombre d’écoliers concernés par la reprise des cours. Selon
le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, « d’ici à la fin mai,
l’objectif c’est que tous les élèves soient à un moment donné revenus
à l’école », avec priorité aux grande section, CP et CM2 ainsi qu’aux
élèves handicapés ou en risque de décrochage scolaire. Ce retour
en classe constitue « une amorce », a-t-il souligné sur BFM-TV mardi
12 mai, se disant « confiant » quant à la réouverture prochaine des
écoles qui n’ont pas repris immédiatement.
sant ? », s’inquiète Enzo, qui dessi­
nera finalement sa console de jeu.
« Maîtresse, j’ai pas mes trucs », gé­
mit Alan, le troisième triplé. Le
protocole sanitaire de l’éducation
nationale est formel sur ce point :
le prêt de matériel est proscrit en­
tre élèves, à moins de pouvoir dé­
sinfecter les stylos entre chaque
usage. « Hugo, prête tes feutres à
ton frère », ordonne l’enseignante.
A peu de choses près, l’activité
dessin était terminée pour Alan,
avant même d’avoir commencé.
« J’avais peur de mourir aussi »
Toute la journée, les enseignantes
de cette école prioritaire (REP)
rappelleront aux enfants les
distances à respecter, la manière
de bien se laver les mains, les jeux
de cour proscrits… Un décret sur
les « mesures générales » dans la
lutte contre le Covid­19, publié le
11 mai, a changé la règle sur les
masques : il est désormais prévu
que les enseignants en portent
systématiquement « en présence
des élèves », alors que le protocole
sanitaire de l’éducation nationale
le demandait uniquement lors­
que la distance d’un mètre ne
pouvait être respectée.
Dans une
école
primaire,
à Paris,
le 11 mai.
THIBAULT CAMUS/AP
fois moins que dans sa classe de
CP dédoublée. Son école, si elle
rouvre, le fera pour 30 enfants,
contre 280 avant le confinement.
Beaucoup d’écoles ouvertes
pour peu d’enfants accueillis,
est­ce la recette de cette reprise ?
En la matière, la Ville et le rectorat,
qui se sont longtemps renvoyé la
balle, assument des « seuils » en
deçà de ceux fixés à l’échelle natio­
nale − 15 enfants par classe en élé­
mentaire, 10 en maternelle. Le su­
jet aurait d’ailleurs créé « certaines
tensions » avec le ministre de l’édu­
cation, Jean­Michel Blanquer,
dit­on parmi les élus parisiens. Un
ministre qui, tout en défendant
une « rentrée progressive », plaide
déjà pour une montée en puis­
sance. « Il y a plus de risque à rester
chez soi qu’à aller à l’école », a­t­il af­
firmé sur Europe 1 le 11 mai.
Passer à la vitesse supérieure,
on ne peut pas se le permettre à
Paris, réagissent, en nombre, ces
« On s’est toujours dit qu’on le por­
terait toute la journée par sécu­
rité », précise Maryline Leprince.
Mais les règles sont nombreuses
et semblent surgir de nulle part au
fur et à mesure. « Par exemple, j’ai
touché les cartables, s’inquiète Cé­
line Scheffer, l’enseignante de
CM1­CM2. Je me désinfecte les
mains avant, après ou les deux ? »
Dans la plupart des classes, la
journée a commencé par un
rappel des nouvelles mesures
sanitaires. Chez les CP, cinq élèves
sur onze n’avaient pas entendu
parler des « gestes barrières ».
« On doit se laver les mains avec de
l’hydrogène », croit savoir Coralie,
en CE2. Chez les CM1­CM2, on a lu
la bande dessinée Coco le virus, le
« Les élèves sont
globalement
plus calmes,
ils parlent peu »
ANNE-LAURE
accompagnante
de trois élèves
en situation de handicap
enseignants : l’exiguïté des lo­
caux combinée à la circulation du
virus et à la problématique parti­
culière des transports en com­
mun justifient, en grande partie à
leurs yeux, un traitement « un
peu à part ». « Je prépare cette ren­
trée avec trois enseignantes sur
cinq mobilisées, raconte une di­
rectrice dans l’est de Paris. On
nous a donné une bombe de pein­
ture, une ficelle de 1 mètre, du
scotch jaune [pour marquer la dis­
tanciation sociale]… et à nous de
jouer. Ce que les parents ignorent,
c’est que quatre enseignantes ont
été malades, une a même été hos­
pitalisée. On revient de loin… Alors
oui, on ouvre pour 19 élèves seule­
ment, dit­elle, mais je n’en accepte­
rai pas plus tant qu’on n’aura pas
de soutien supplémentaire. »
« Besoins d’accueil pressants »
Qu’on puisse dire que des ensei­
gnants « manquent à l’appel » la
fait bondir. « Il y a encore l’école à
distance à prendre en charge pour
la majorité des élèves !, tempête­t­
elle. Et puis, pourquoi, nous ensei­
gnants, n’aurions­nous pas le droit
de tomber malades, d’avoir un pro­
che malade, ou plus simplement de
nous occuper de nos enfants ? »
Mélodie (elle a requis l’anony­
mat), enseignante dans le 18e ar­
rondissement, ne s’étonne pas
qu’on puisse pointer la profession
du doigt. Dans son école, sur
douze professeurs, un seul était
coronavirus expliqué aux enfants.
Sans surprise, plus les élèves sont
grands, mieux les règles ont été
comprises et intégrées.
Les plus âgés sont aussi ceux qui
s’ouvrent le plus sur ce qu’ils ont
vécu, ressenti et compris pendant
la crise sanitaire. Au tableau, Cé­
line Scheffer a tracé trois colonnes
pour les CM1­CM2 : les points posi­
tifs et négatifs du confinement, les
« peurs » que pourraient ressentir
les enfants. « J’ai de la chance
d’avoir une petite sœur, avance Da­
vid. Parce que ceux qui n’en ont pas,
ils ont dû s’ennuyer. » Piama n’est
pas de cet avis : sa sœur a profité
du confinement pour lui piquer
ses affaires, rapporte­t­elle, outrée.
Si la joie d’avoir pu passer du
temps avec ses proches revient
souvent, d’autres émotions sont
plus sombres. Agathe dit avoir fait
des cauchemars, Ally­Nour a peu
vu sa mère pendant plusieurs se­
maines… « Le président a dit qu’il y
avait eu beaucoup de morts en Ita­
lie, du coup, j’avais peur de mourir
aussi », confie­t­elle. Ailleurs dans
la classe, on soupire. S’il y a bien
une information que les autres
semblent avoir retenue, c’est que
« les enfants sont peu touchés »,
coronavirus | 9
« Que faire, en
maternelle, avec
un “protocole
sanitaire”
qui nous prive
d’interactions ? »
HERVÉ LAL
directeur d’école
volontaire pour revenir en classe.
« On nous a fermé les écoles du jour
au lendemain en nous disant qu’il y
avait péril dans la demeure. On
nous demande de reprendre quasi­
ment du jour en lendemain… Moi,
avec un bébé à la maison, deux mé­
tros à prendre jusqu’à la crèche, le
trajet en sens inverse à faire pour al­
ler travailler… Eh bien, c’est non. Je
continuerai l’école à distance ! »
Parmi les associations de pa­
rents d’élèves comme chez les
élus, on reconnaît des « besoins
d’accueil » devenant « pressants »
dans des familles où retravailler
s’impose. « On met des couples pa­
risiens bi­actifs en difficulté
aujourd’hui, et sans surprise, c’est
pour les mères que le sacrifice est le
plus grand, souligne Anne­Chris­
tine Lang, députée LRM. Je ne vois
pas pourquoi Paris, avec les res­
sources qui sont les siennes en ani­
mateurs, en locaux municipaux, en
parcs et en jardins, ne peut pas ac­
comme le rappelle l’enseignante.
« Les élèves sont globalement
plus calmes, ils parlent peu »,
remarque Anne­Laure, assistante
pour trois enfants à besoins parti­
culiers (AESH), qui souhaite
garder l’anonymat. Un silence lié
à « l’émotion de la reprise », mais
aussi au fait de retrouver les adul­
tes et certains camarades avec un
masque sur le nez. Chez les CE2,
un élève est sorti de classe en
pleurant. « Il m’a dit que ça lui
faisait bizarre de nous voir, la maî­
tresse et moi, avec le masque »,
rapporte Anne­Laure, qui suit cet
enfant au quotidien.
« C’est l’école à l’école »
Mais l’atmosphère feutrée est
aussi liée à un simple facteur
nombre : « Dans la classe des CE2,
d’habitude très dynamique, ils ne
sont que sept, au lieu de vingt­
cinq », souligne Anne­Laure. En
outre, certains enfants considé­
rés comme « perturbateurs » ne
sont pas revenus. La vie scolaire
pourra­t­elle reprendre son cours
normal dans ces conditions ? La
veille de l’arrivée des enfants, on a
conseillé aux enseignantes de
consacrer du temps aux retrou­
cueillir plus d’élèves autrement. »
Dans les rangs de la FCPE, on sait
que la déception de certains pa­
rents monte. « Il leur faut compren­
dre que cette rentrée tant attendue
n’est qu’une reprise a minima, ex­
plique Jean­André Lasserre de la
FCPE­Paris. Que leurs enfants ne re­
trouveront pas tout à fait leur en­
seignant ni tout à fait leurs cama­
rades. » « On leur a promis une ren­
trée sur la base du volontariat qui
n’en est pas vraiment une, souli­
gne, dans la même veine, Elisa­
beth Kutas, porte­parole du
SNUipp­FSU­Paris. A jouer les pa­
rents contre les enseignants, le gou­
vernement sème la zizanie. »
Dans l’école qu’il dirige près du
métro Stalingrad dans le 19e ar­
rondissement, Laurent Klein de­
vrait accueillir jeudi 34 enfants,
sur 163 inscrits. Et huit ensei­
gnants sur dix pour travailler en
binôme − l’un « dans les murs »,
l’autre à distance. « Dans dix jours,
on essaiera de faire venir d’autres
élèves, mais d’ici là, l’écrasante
majorité des parents nous dit
qu’elle attend de voir », témoigne
ce directeur.
Des enseignants se réservent la
possibilité d’user de leur droit de
retrait, jeudi, si, au niveau du net­
toyage des locaux notamment,
toutes les conditions n’étaient
pas réunies. De quoi relativiser un
peu les pronostics chiffrés avan­
cés par leur hiérarchie. 
mattea battaglia
vailles et à l’adaptation aux
nouvelles règles. Mais les élèves
reviennent à l’école « pour
apprendre », ont fait valoir plu­
sieurs membres de l’équipe.
« C’est le peu de normalité qu’il va
nous rester », juge Céline Scheffer.
Les enfants, eux, ont bien
compris que tout était différent.
« C’est l’école à l’école », fait remar­
quer Ilyes à l’heure du déjeuner,
par opposition à « l’école à la mai­
son » qu’il a connue pendant
deux mois. « Mais c’est quand
même moins bien qu’avant. »
Devant lui, Ilyes dispose de son
pot d’eau personnel, pour éviter
que d’autres enfants y touchent.
Certains inventent déjà des pa­
rades pour s’adapter à leur nou­
velle vie, comme Nathan, en CP,
qui sollicite une interview pour
raconter son confinement. « Je ré­
fléchis à de nouveaux jeux », ajou­
te­t­il. Un jeu du loup « sans con­
tact » prend forme dans sa tête,
même si les règles demandent à
être affinées. « On se cache et, dès
que le loup nous voit, on est gelé,
explique­t­il. Du coup, c’est le re­
gard qui compte, on n’a pas besoin
de se toucher. » Drôle d’école. 
violaine morin

10 | coronavirus
« Le véritable plan de relance doit être massif »
Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, pense que la baisse de l’activité durera « de nombreux mois »
ENTRETIEN
G
eoffroy Roux de Bé­
zieux, président du
Medef, plaide pour un
plan de relance « mas­
sif » de la part du gouvernement,
passant par un soutien à la com­
pétitivité des entreprises, seul
moyen, selon lui, pour que la crise
économique ne se transforme
pas en crise sociale.
Quand pensez­vous que la
France retrouvera une activité
économique « normale » ?
Il faudra sûrement de nombreux
mois, ne serait­ce que parce que les
mesures sanitaires vont peser sur
l’offre comme sur la demande.
Quand une chaîne automobile est
nettoyée à chaque changement
d’équipe, l’intervention prend une
heure ou deux et la capacité de
production diminue. Lorsqu’il y a
moins de monde qui entre dans
un magasin, le chiffre d’affaires
baisse. Plus globalement, malgré
l’épargne forcée qui s’est consti­
tuée durant le confinement, il
n’est pas sûr que les consomma­
teurs se précipitent pour dépenser
tout de suite, car la question de la
confiance dans l’avenir se posera.
Jugez­vous ces mesures sani­
taires trop contraignantes ?
Je ne juge pas les mesures sani­
taires, elles sont nécessaires. Mais
ce qui est sûr, c’est qu’elles entraî­
nent des surcoûts significatifs. Si
ceux­ci sont temporaires, les en­
treprises pourront les absorber.
Mais s’ils s’avèrent durables, une
réflexion devra être conduite, car
ils pourraient se traduire par un
surcroît d’inflation qui ne sera pas
supportable par tous les acteurs.
Que pensez­vous du choix
de l’exécutif de commencer
à réduire la voilure sur le
chômage partiel dès juin ?
On ne peut pas avoir des mil­
lions de Français payés par la col­
lectivité durant des mois. Mais di­
minuer le niveau de prise en
charge dès le 1er juin serait une er­
reur majeure parce que, dans une
quinzaine de jours, les entreprises
tourneront encore à un rythme
faible. Il faut maintenir en l’état le
dispositif de chômage partiel jus­
qu’à l’été. Puis, à la rentrée, imagi­
ner des mécanismes pour servir
de passerelle afin de garder les ef­
fectifs et les compétences. Car si
on arrête le chômage partiel, le ris­
que, c’est le chômage tout court.
Faut­il augmenter la durée
du travail ?
Je ne crois pas que la question se
pose de manière générale. La si­
tuation des entreprises va être très
différenciée selon les branches.
Le déconfinement renforce les inquiétudes sanitaires et économiques
La quatrième vague du baromètre Datacovid­Ipsos dessine une opinion anxieuse qui ne croit pas à une fin rapide de l’épidémie
E st­ce la perspective de se
trouver de nouveau face au
coronavirus ? Est­ce plutôt
le signe que la parole politique
peut être « performative », après le
discours incitant à la prudence
d’Edouard Philippe le 28 avril ?
Probablement un peu des deux.
Quoi qu’il en soit, le déconfine­
ment n’est pas qu’une liberté re­
trouvée, pour les Français. C’est un
océan d’inquiétudes.
L’épidémie de Covid­19 connaît
ainsi un net rebond (74 %,
+ 4 points), en tête des préoccupa­
tions de la population, selon le ba­
romètre élaboré par l’association
Datacovid avec l’institut Ipsos. Sa
quatrième vague permet d’analy­
ser le comportement des Français
face au virus durant la période du
Geoffroy Roux de Bézieux, au siège du Medef, à Paris, le 12 mai. MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR « LE MONDE »
Dans certains secteurs, la de­
mande peut être soutenue, mais
les contraintes sanitaires font que
la productivité baisse : c’est là que
la question du « travailler plus »
peut se poser, mais elle ne peut
l’être qu’avec les salariés et entre­
prise par entreprise.
Comment revaloriser toutes
les professions qui ont été
en première ligne durant
le confinement ?
A un moment où les entreprises
perdent énormément en profita­
bilité, augmenter les salaires va
s’avérer compliqué. Relancer une
politique massive et innovante
d’intéressement – ou de type
« prime Macron », c’est­à­dire an­
nuelle, défiscalisée et liée aux ré­
sultats, pour les petites entrepri­
ses –, c’est la bonne solution pour
revaloriser ces métiers.
Que répondez­vous à ceux
qui vous reprochent d’avoir
demandé, début avril, au gou­
vernement « un moratoire »
sur certaines mesures environ­
nementales ?
Nous demandions un délai al­
lant jusqu’à six mois pour la mise
en place d’une dizaine de décrets
prévus pour le 1er janvier 2021. Avec
le confinement, les entreprises ris­
quaient de ne pas être prêtes. No­
tre démarche a été interprétée – je
28 avril au 4 mai. Dans cette en­
quête d’opinion réalisée à partir
d’un vaste échantillon de 5 001
personnes représentatives de la
population française, les dernières
semaines avaient été marquées
par un chassé­croisé. Dans la liste
des préoccupations, les inquiétu­
des économiques remontaient,
tandis que les craintes sanitaires
fléchissaient doucement. Les car­
tes sont rebattues. Les angoisses
ne se croisent plus ; elles se com­
plètent. Elles grimpent en paral­
lèle. Les préoccupations concer­
nant le pouvoir d’achat (34 %,
+ 1 point) et le chômage (26 %,
+ 4 %) continuent de s’amplifier.
Le déconfinement n’entraîne
pas d’optimisme béat, loin s’en
faut. Ainsi, seuls 6 % des Français
le regrette – comme un renonce­
ment général du patronat à la tran­
sition écologique. Nous considé­
rons au contraire que l’urgence cli­
matique n’a pas disparu avec la
crise. D’où l’idée d’appliquer une
taxe carbone aux frontières de
l’Union européenne. Car, dans
beaucoup de métiers, produire
sans carbone coûte plus cher. C’est
pourquoi, sans aller jusqu’au pro­
tectionnisme, il est nécessaire de
rétablir des « boucliers » pour re­
mettre les produits européens à
égalité de concurrence.
Relocaliser des productions pa­
raît­il réalisable à court terme ?
La souveraineté économique
n’est plus un gros mot au Medef.
Pour autant, il ne s’agit pas de jeter
la mondialisation avec l’eau du
bain : on ne reviendra pas complè­
tement en arrière sur l’évolution
des chaînes de valeur. Mais cette
crise a montré qu’on est parfois
allé trop loin dans certains sec­
teurs stratégiques, et à l’intérieur
même des entreprises. Cela a un
coût : un masque produit en
France sera plus cher que son équi­
valent en Chine. On reproche à
l’industrie européenne d’avoir dé­
localisé, mais ce mouvement s’est
produit sous la pression des prix et
des clients, parce que la compétiti­
vité du site France n’était plus au
bon niveau. Il ne s’agit pas de pro­
estiment que cette levée des prin­
cipales restrictions de circulation,
à partir du 11 mai, est le signe d’une
épidémie « vaincue ». Les jeunes de
18 à 24 ans sont les plus nombreux
à vouloir y croire (15 %). Les hom­
mes (9 %) se montrent plus opti­
mistes que les femmes (4 %).
La crainte d’une deuxième vague
de la maladie est, de fait, dans pres­
que toutes les têtes. Ainsi, 33 % des
personnes interrogées estiment
qu’un rebond de l’épidémie « dans
les semaines à venir » est « très pro­
bable », et 55 % qu’il est « assez pro­
bable ». Le total (89 %) est sans ap­
pel. L’hypothèse d’un virus saison­
nier, qui pourrait être vaincu par
l’été et ses températures élevées,
convainc à peine plus. Seuls 4 %
pensent qu’il est « très probable »,
duire aussi bon marché qu’en Asie,
mais de trouver un juste milieu.
Le gouvernement a prévu de
présenter son plan de relance
à l’automne. Est­ce trop tard ?
Avant de parler de relance, il faut,
avant l’été, des mesures de reprise,
en stimulant la demande immé­
diate par des dispositifs « coup de
fouet » (prime pour le verdisse­
ment des véhicules électriques et
hybrides, Chèques­Vacances abon­
dés pour soutenir le tourisme en
France, aide au spectacle vivant…).
Bruno Le Maire y travaille déjà
dans trois filières : le tourisme,
l’automobile et l’aéronautique. Il
faudra sûrement aller plus loin,
par exemple dans le commerce
non alimentaire, pour que la de­
mande ne reste pas atone jusqu’à
la fin août. Mais le véritable plan
de relance doit être construit avec
nos partenaires européens et il
doit être massif. C’est donc logique
de le présenter à la fin de l’été.
Comment articuler le soutien
immédiat à la demande et la
politique de l’offre que vous at­
tendez du gouvernement ?
Les deux ne sont pas incompati­
bles. Le soutien à la demande doit
concerner les secteurs les plus af­
fectés, mais l’enjeu de long terme
est sur l’offre. Si on veut prendre
en compte les impératifs de reloca­
et 16 % « assez probable » que l’épi­
démie s’éteigne avec les beaux
jours. Ceux qui envisagent, dans
leur comportement quotidien, de
baisser la garde ne sont pas légion.
Seules 20 % des personnes interro­
gées disent qu’elles n’observeront
plus « systématiquement » les
« gestes barrières » (lavage de
mains, distances physiques…).
Crise sociale
Aux inquiétudes toujours vives
face à l’épidémie s’ajoute donc
aussi le florilège de peurs écono­
miques et sociales. Ainsi, 32 % des
Français disent que leur crainte du
chômage a « un peu » (18 %) ou
« beaucoup » (14 %) augmenté pen­
dant la période de confinement.
Parmi les personnes en recherche
« Il faut maintenir
en l’état
le dispositif de
chômage partiel
jusqu’à l’été »
lisation et de transition écologi­
que, il faut être plus compétitif. Ce
serait aussi l’occasion d’attaquer le
dossier des impôts de production
[taxe sur le chiffre d’affaires des en­
treprises], dans le cadre d’un arbi­
trage budgétaire global.
Moins d’impôts, plus de dé­
penses publiques, cela revient
à creuser le déficit…
C’est l’Etat qui, pour de bonnes
raisons, a fortement ralenti l’éco­
nomie. Il faut donc accepter que,
pendant un temps déterminé, les
déficits se creusent. L’endette­
ment des Etats va, certes, s’accroî­
tre. Mais sans relance massive, la
contraction de l’économie va en­
core amplifier l’endettement, car il
y aura moins de recettes fiscales.
Nous faisons le pari que c’est en re­
créant de la richesse qu’on rem­
boursera la dette, pas en laissant
l’économie s’effondrer.
Les plus aisés doivent­ils être
mis à contribution ?
d’emploi, l’angoisse de ne pas re­
trouver de travail est en progres­
sion chez 68 % des personnes in­
terrogées. Plus de la moitié des
étudiants (58 %) avouent aussi re­
douter, plus qu’avant, de rater
leurs études.
La gestion du budget familial
s’est aussi imposée comme une
préoccupation. La part de ceux qui
ont réussi à mettre de l’argent de
côté (un peu ou beaucoup) a chuté
de 8 points pendant le confine­
ment, passant de 59 % à 51 %. Ce dé­
crochage est particulièrement
marqué chez les agriculteurs (de
51 % à 29 %), chez les ouvriers (de
50 % à 37 %) et chez les professions
indépendantes (de 51 % à 39 %). Les
seuls à être épargnés sont logique­
ment les retraités.
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Ce sont des mesures à portée
symbolique. Si l’ISF était rétabli
par exemple, trois milliards
d’euros seraient dégagés, alors
même qu’on est sur un plan de re­
lance de 100 milliards d’euros. Il
s’agit d’un choix politique, de so­
ciété, qui vise à donner un signal,
mais en aucun cas un dispositif
d’équilibre fiscal. Et cela donnerait
un très mauvais signal.
Que faut­il faire en matière
de politiques d’emploi
et de formation ?
Dans les secteurs structurelle­
ment en sureffectif, il convient de
préserver les emplois et les com­
pétences ou de former les person­
nes à d’autres métiers. Il faut aussi
tout faire pour éviter une généra­
tion sacrifiée : 700 000 jeunes di­
plômés vont arriver sur le marché
du travail, à la rentrée. Il faut un sti­
mulus, qui pourrait prendre la
forme d’une prime à l’emploi ou
d’une baisse des charges.
Qu’en est­il des apprentis ?
Nous étions sur une très bonne
dynamique, avec un nombre iné­
galé de contrats d’apprentissage
signés. Cette dynamique est ralen­
tie parce que, face à l’ampleur de la
crise, les embauches sont gelées. Il
faut imaginer des modèles inno­
vants car c’est vital pour le pays.
Faut­il se préparer à une
déferlante de plans sociaux ?
Il y aura des licenciements, car
des entreprises vont faire faillite
ou vont voir leur modèle écono­
mique bouleversé, ce qui engen­
drera des sureffectifs. Mais les li­
cenciements représentent la der­
nière extrémité.
Craignez­vous une montée
de la colère contre le patronat ?
A l’échelon interprofessionnel,
nous avons échangé très souvent
avec les syndicats. Il en est allé de
même au sein des entreprises,
quelle que soit leur taille : les pro­
tocoles de reprise d’activité, dans
l’écrasante majorité des cas, sont
élaborés dans la discussion. Le dia­
logue social est intense. Le redé­
marrage de la production ne peut
pas intervenir contre les salariés :
s’ils ont peur, ça ne peut pas mar­
cher. Mais nous ne sommes pas à
l’abri d’une poussée de méconten­
tement. Si on assiste à des phéno­
mènes d’appauvrissement collec­
tif, il y aura des tensions sociales,
mais c’est justement pour éviter
que la crise économique se trans­
forme en crise sociale qu’il faut in­
vestir massivement. Et c’est main­
tenant qu’il faut le faire. 
propos recueillis par
raphaëlle besse desmoulières,
bertrand bissuel
et audrey tonnelier
Au total, 10 % de la population,
contre 4 % d’ordinaire, dit avoir dû
puiser dans ses économies pour
assurer les dépenses quotidien­
nes. Et une part importante des
sondés (41 %) assurent avoir perdu
des revenus à l’occasion de cette
crise sanitaire, en passe de devenir
une crise sociale. Les inquiétudes
économiques n’empêchent pas de
nombreux Français de se poser
des questions sur leur vie profes­
sionnelle. Le confinement a été un
séisme qui a bouleversé bien des
ordres établis. Ainsi, 28 % disent
avoir plus envie qu’auparavant
d’un « nouveau poste » ou d’un
« nouveau métier ». Ils sont aussi
28 % à penser plus sérieusement à
aller « travailler ailleurs ». 
pierre jaxel­truer
0123
JEUDI 14 MAI 2020 coronavirus | 11

La crise met en lumière la fragilité du football féminin

Dirigeants et sportifs s’inquiètent du devenir des équipes de femmes, qui dépendent souvent de clubs masculins

L
e 28 avril, la Division 1 fé­ que celui auquel doit faire face la
minine de football a pris Ligue 1 masculine, à laquelle la fin
la même direction que prématurée de la saison coûte
son homologue mascu­ quelque 240 millions d’euros de
line deux jours plus tard, celle de droits de retransmission télévi­
la sortie des terrains, avec l’arrêt suelle. Si ses matchs sont diffusés
définitif de la saison en cours, à en intégralité pour la première La joueuse
six journées du terme, pour cause fois cette saison, la Division 1 reste du Paris FC
d’épidémie de Covid­19. Le classe­ à des années­lumière d’une telle Gaëtane
ment final, sacrant les Lyonnaises manne : son diffuseur, Canal+, Thiney
(pour la quatorzième fois consé­ doit verser 1,2 million d’euros par (en rose),
cutive), a été entériné lundi 11 mai an jusqu’en 2023 à la FFF. lors d’un
par le comité exécutif de la Fédé­ Cela ne signifie pas pour autant match à
ration française de football (FFF), qu’à son échelle l’élite féminine domicile
organisatrice de ce championnat du football ne subira pas le con­ contre
dénué de statut professionnel. trecoup de cet arrêt forcé et pré­ Bondoufle
Cet arrêt n’a pas provoqué un maturé. Toute la question est de (Essonne),
choc financier de même ampleur savoir quelle en sera l’ampleur le 29 octobre 2
pour une activité qui n’a pas en­ 019. BÉATRICE
core bâti son modèle économi­ USSEGLIO/SAIF IMAGES
que et reste fragile, les équipes qui
LE CONTEXTE la composent étant majoritaire­
ment dépendantes de clubs mas­
culins de Ligue 1 ou de Ligue 2.
STATUT Or, ces derniers seront, peu ou
prou, touchés par la crise écono­
Les 250 footballeuses évoluant mique due à la pandémie de Co­
en Division 1 ont toutes le statut vid­19. Dès lors, quels arbitrages
amateur. 150 bénéficient de seront faits au moment où il fau­
contrats fédéraux, qui permet- dra, peut­être, s’engager dans des
tent leur rémunération en dépit économies ? Les 250 footballeuses
de ce statut, 55 % à temps plein, de D1 ne vont­elles pas en pâtir,
45 % à temps partiel. alors que 150 d’entre elles – celles
qui sont sous contrats fédéraux –
sont aujourd’hui inscrites dans le
STRUCTURES dispositif de chômage partiel ? « Notre politique restera la « 150 000 euros de subventions
« Les dirigeants « Demain, si malheureusement
Sur les douze équipes même. Essayer d’avoir une équipe publiques, 250 000 euros de mécé­ l’économie du football est tou­
qui composaient cette saison Elles ne sont plus « un gadget » compétitive en y mettant les nat et sponsoring, 150 000 euros verront toujours chée, et elle va l’être, il faudra faire
la Division 1, dix étaient « On peut craindre qu’avec la crise moyens. On a signé des joueuses, versés par la FFF, 100 000 euros de face. Peut­être que la saison pro­
intégrées à des structures les coupes budgétaires se fassent on recrute », assure Laurent Nicol­ recettes propres », et enfin,
probablement chaine il sera plus malin de miser
professionnelles masculines, de dans ce qui paraît le moins essen­ lin, le président de Montpellier, « 300 000 euros abondés par la le jeu féminin sur la formation que d’acheter de
Ligue 1 ou Ligue 2. Seul le club tiel, c’est­à­dire le football fémi­ club professionnel de Ligue 1, structure professionnelle ». grandes joueuses », poursuit celle
ASJ Soyaux-Charente était nin », avance Laurence Prudhom­ pionnier du football féminin au La dépendance à la section mas­
comme qui dirige désormais la section
100 % féminin. me­Poncet, professeure d’éduca­ début des années 2000. Le budget culine est donc relativement im­ un complément féminine du Paris FC (fusionnée
tion physique et sportive, auteure de l’équipe fluctue « entre 1,7 mil­ portante. « Sans Dijon en Ligue 1, avec celle de Juvisy en 2017).
caritatif »
BUDGETS de l’ouvrage Histoire du football
féminin au XXe siècle, (2019, L’Har­
lion et 1,9 million d’euros ». « Cela
ne représente pas un impact insur­
la section féminine n’existe pas, car
il n’y a malheureusement pas en­ MADELEINE PAPE
La situation pourrait, malgré
tout, se tendre pour certains des
Les clubs de la Division 1 fonc- mattan), rappelant que « les crises montable par rapport au budget core de modèle économique sociologue clubs 100 % féminins – et qui plus
tionnent avec des budgets ont tendance à révéler, à exacerber de notre club » [40 millions autour du football féminin », ad­ est amateurs – évoluant au sein
compris entre 500 000 euros les inégalités ». d’euros], avance Laurent Nicollin. met le président bourguignon. de l’élite. « Bien sûr que l’on est in­
et moins de 2 millions d’euros. « Il peut y avoir une inquiétude « Je pense qu’il y aura une aug­ elles restent soumises aux quiets », reconnaît Marilyn Fort,
Les deux exceptions sont légitime », reconnaît Olivier Del­ mentation de budget », annonce Miser sur la formation caprices des dirigeants, qui la vice­présidente de l’ASJ
l’Olympique lyonnais (OL) et le court, qui dirige Dijon Football même Olivier Delcourt en ce qui « Une épée à double tranchant. » verront probablement toujours le Soyaux, situé en banlieue d’An­
PSG : respectivement 7,5 mil- Côte­d’Or, présent en Ligue 1 mas­ concerne Dijon. « Si les droits télé­ C’est ainsi que la sociologue aus­ jeu masculin comme le principal goulême, qui figure dans cette
lions d’euros et entre 6 millions culine et en Division 1 féminine. visuels augmentent chez les gar­ tralienne Madeleine Pape, de et l’universel, et le jeu féminin catégorie. Avec un budget d’un
et 7 millions d’euros. « Cela dépendra finalement des çons (le nouveau diffuseur, Me­ l’université américaine North­ comme le complément caritatif ». montant de 750 000 euros, dont
présidents », ajoute­t­il. A la fédé­ diapro, doit verser 1,15 milliard western (dans la banlieue de Chi­ Un élément pourrait peser, et 600 000 consacrés à la D1, le club
SALAIRES ration, tout en se disant vigilante,
la vice­présidente, Brigitte Henri­
par an entre 2020 et 2024), j’en fe­
rai bénéficier les filles. L’objectif est
cago), décrit cette édification et
cette imbrication des équipes fé­
préserver les sections féminines
des contrecoups de la crise écono­
charentais a le projet de passer la
gestion de son équipe fanion en
Selon la FFF, le salaire moyen ques, ancienne internationale, de stabiliser mon équipe féminine minines au sein des clubs mique : un an seulement après la société commerciale.
des joueuses de Division 1 est veut croire au changement des au sein de l’élite », explique­t­il. masculins. D’un côté, « cela Coupe du monde organisée en
de 2 400 euros brut. Ce chiffre mentalités : « Femmes ou hom­ Cette saison, la section fémi­ donne aux femmes les codes d’ac­ France, qui a été un succès sportif Stratégie de développement
cache des disparités. Les salai- mes, c’est tout le monde du foot­ nine dijonnaise, neuvième du cès à la structure et aux ressour­ et d’audience, « cela ne serait pas « Le coronavirus va nous donner
res à l’OL et au PSG sont bien ball qui sera touché par cette crise championnat, et qui se main­ ces de ligues bien établies, bien sûr terrible pour l’image de faire des encore plus de fil à retordre pour
plus élevés : à Lyon, Ada mondiale. Après, ce qui est certain, tient pour la deuxième fois d’af­ pas au même degré que les hom­ économies sur les équipes fémini­ ce projet. Et puis, nos partenaires
Hegerberg, Ballon d’or 2018, c’est qu’aujourd’hui le football fé­ filée, affiche un budget qui se mes », analyse l’ancienne cou­ nes », relève Marie­Christine Ter­ pourront­ils encore investir ? »,
émarge à 35 000 euros par mois, minin n’est plus un gadget. Les pré­ monte à environ 950 000 euros, reuse de demi­fond. Mais d’un roni, qui fut la présidente de Ju­ s’interroge Marilyn Fort, qui
ce qui fait d’elle la joueuse sidents qui se sont engagés l’envi­ le septième de la D1. Olivier Del­ autre côté, ajoute­t­elle, si « cela visy, ex­club historique 100 % fé­ considère que, « en général, le
la mieux payée au monde. sagent sur le long terme. » court en détaille la composition : peut faciliter le développement, minin du football français. foot féminin n’est pas encore prêt
pour le professionnalisme. Cela
demande trop d’argent. Chez
« Il est déjà arrivé que les filles soient “sacrifiées”, cela pourrait se reproduire » nous, on se démène, on multiplie
les actions mais on n’attire pas les
sponsors ni le public ».
la sociologue béatrice barbusse, professionnalise, on assiste à la privati­ et des infrastructures. La crise peut­ confinement, afin de parvenir à un ac­ Une période de crise peut toute­
maîtresse de conférences à l’université sation des recettes, comme ce fut aussi elle accentuer ce type de situation ? cord sectoriel qui devrait être annoncé fois, aussi, être l’occasion de
Paris­Est­Créteil et secrétaire générale de le cas pour les championnats masculins. S’il est déjà arrivé que les filles soient – espérons­le ! – dans les mois à venir. bousculer les choses, d’accélérer
la Fédération française de handball, ana­ « sacrifiées », je ne vois pas pourquoi cela certains développements. Ainsi,
lyse les conséquences possibles, sur les C’est­à­dire ? ne se reproduirait pas en période de crise ! Le tennisman Roger Federer au début de l’année, conscient
sports féminins, de la crise due à l’épidé­ Dans un rapport de 2017, le Centre de La France refuse encore d’établir des bud­ a proposé la fusion des entités des manques dans le développe­
mie de Covid­19. « Cette période peut être droit et d’économie du sport établissait gets genrés. Or, ce que l’on ne peut pas masculine et féminine de son sport, ment économique de la pratique
favorable à l’émergence d’un “féminisme que les subventions publiques occu­ mesurer, on peut moins facilement le l’ATP et la WTA. Qu’en pensez­vous ? féminine du football de haut ni­
sportif” », avance celle qui fut présidente paient la part la plus importante des re­ voir… D’où l’importance pour les clubs de Est­ce une bonne chose ? Au regard de veau, Laurent Nicollin a créé l’As­
du club masculin de l’US Ivry (2007­2012) cettes, pour les championnats de France développer des liens avec leurs collectivi­ l’histoire, j’ai d’abord plutôt tendance à sociation du football profession­
et du Centre national pour le développe­ féminins de basket, handball et volley : tés locales et leurs partenaires privés. me méfier. Au début du XXe siècle, nel féminin (AFPF).
ment du sport (2015­2017). entre 49 % et 62 %, lors de la saison 2014­ quand les hommes n’ont pas voulu que Pendant la période de « chô­
2015. Pour les clubs de handball, par Faut­il s’attendre à une baisse les femmes fassent du sport, celles­ci mage forcé » due à l’épidémie de
La crise sanitaire s’accompagne exemple, la part la plus importante des des salaires ? ont créé leurs propres structures, et c’est Covid­19, cette structure et la fé­
d’une crise économique. Dans ce recettes provient maintenant des spon­ La situation est tellement incertaine alors que des championnats ont com­ dération se sont « vues » une fois
contexte, le sport professionnel sors privés : 40 % en moyenne dans leur que, de semaine en semaine, il est com­ mencé à se développer. Dans le cas du par semaine, comme le confie Bri­
féminin est­il menacé en particulier ? budget prévisionnel de la saison 2018­ pliqué de prévoir déjà la saison pro­ tennis, un argument rend quand même gitte Henriques. Au menu : « L’éla­
La crise va ajouter de la vulnérabilité là 2019. La billetterie aussi a augmenté, chaine. Bien évidemment, le risque est l’idée d’une fusion envisageable : l’éco­ boration d’une feuille de route sur
où il y en avait déjà. Le risque majeur est pour atteindre 15 %, ce qui lui donne une fort que la masse salariale diminue. En nomie du tennis féminin est déjà solide, cinq grands thèmes, notamment
lié à la récence du sport professionnel fé­ place intéressante. Parallèlement, la part handball, des clubs réfléchissent aux mo­ comme celle du tennis masculin. Si la stratégie globale de développe­
minin. Selon les clubs, tout sera fonction des subventions publiques a baissé et ar­ dalités d’une baisse généralisée, selon les deux forts fusionnent, pourquoi pas ! ment ou la question de la sécurisa­
de leur dépendance, plus ou moins rive à 36 %. Mais toujours aucune recette revenus initiaux des joueuses. Chez les tion des jeunes footballeuses en
grande, d’une part aux subventions pu­ liée aux retransmissions télévisuelles. handballeuses, lors de la saison précé­ Les crises sont parfois des accéléra­ formation et préformation. »
bliques, d’autre part aux sponsors privés. Pour le championnat féminin de hand­ dente, le salaire moyen était d’un peu teurs. Celle­ci pourrait­elle être l’oc­ Laurent Nicollin est prêt à se re­
Voire de leur dépendance au sport mas­ ball, c’est même l’inverse : jusqu’à l’arrêt plus de 2 960 euros brut par mois. Le sa­ casion d’un nouveau développement trousser les manches : « Coronavi­
culin, comme en football, où une grande de la saison, nous étions obligées de laire médian est de 2 650 euros environ, pour le sport féminin professionnel ? rus ou pas, on travaille. Il y a tout
partie des équipes de première division payer pour produire des diffusions [sur la ce qui signifie que quelques très hauts sa­ Je pense qu‘elle peut accélérer la prise un écosystème à créer : droits TV,
féminine bénéficient de la richesse de chaîne du Comité national olympique et laires tirent la moyenne vers le haut. de conscience des sportives et des diri­ sponsoring, contrat des jeunes
clubs professionnels masculins. sportif français, Sport en France] ! Le plus bas salaire descendait à geantes sur l’importance d’une meil­ joueuses ou efforts sur les structu­
1 500 euros, le plus haut montait à plus leure structuration de leurs champion­ res… C’est une belle aventure. »
Quel est aujourd’hui l’équilibre entre En 2016, un rapport remis au secré­ de 10 000. Mais, à l’inverse des hommes, nats. Et j’ai l’impression d’observer plus Une belle aventure qui n’a pris
financements publics et privés ? taire d’Etat chargé des sports souli­ les handballeuses n’ont pas encore de de solidarité, de sororité. Cette période que trop de retard et qu’il serait
Les mécanismes de professionnalisa­ gnait « des disparités au désavantage convention collective spécifique. En peut être favorable à l’émergence d’un dommage de renvoyer aux calen­
tion ont changé depuis une dizaine d’an­ des clubs féminins professionnels » handball, comme en basket, les jou­ « féminisme sportif ».  des grecques. 
nées. Au fur et à mesure qu’un sport se s’agissant des subventions publiques euses négociaient justement, avant le propos recueillis par adrien pécout anthony hernandez
 0123
12 | coronavirus JEUDI 14 MAI 2020

Le gouvernement
au chevet
du tourisme
Après avoir consacré plus de
10 milliards d’euros à son sauvetage,
le gouvernement prépare avec la
Caisse des dépôts un plan de relance

S’
il fallait une seule illustra­
tion des graves difficultés
que traverse le tourisme, à
l’arrêt pour cause d’épidé­
mie, on en aurait une venue
d’outre­Rhin : le voyagiste
allemand TUI a annoncé, mercredi 13 mai, la
suppression de quelque 8 000 postes dans le
monde, soit plus de 10 % de ses effectifs alors
que le groupe a perdu près de 800 millions
d’euros sur le seul trimestre écoulé.
Les difficultés dues à la pandémie n’épar­
gnent pas la France, première destination
mondiale avec 89,4 millions de touristes
en 2019. Le gouvernement est en train de
mettre la dernière main à un plan de relance
qui doit être dévoilé par le premier ministre,
Edouard Philippe, jeudi 14 mai, à l’issue d’un
comité interministériel du tourisme. Il
s’agira d’un « grand plan Marshall », indique
Olivier Sichel, directeur général adjoint de la
Caisse des dépôts et consignations (CDC), par
ailleurs patron de la Banque des territoires
au sein de l’institution de la rue de Lille, qui
va mobiliser 1,35 milliard d’euros. Les assu­
reurs proposent également d’apporter
150 millions d’euros, soit une première aide
de relance de 1,5 milliard d’euros.
AU RANG DE « PRIORITÉ NATIONALE »
« L’intervention de la Caisse des dépôts est
une brique dans un ensemble », indique Jean­
Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat au tou­
risme. De fait, le gouvernement est déjà
parti au secours des acteurs du tourisme en
leur consacrant déjà près de 10 milliards
d’euros. Les entreprises ont déjà ainsi béné­
ficié des mesures d’urgence de droit com­
mun : chômage partiel, report ou annula­
tion de charges, prêt garanti pas l’Etat
(6,2 milliards déjà préaccordés à 70 000 en­
treprises du tourisme) ; fonds de solidarité
élargi, le 1er juin, aux PME du secteur jusqu’à
20 salariés (10 actuellement) et réalisant jus­
qu’à 2 millions d’euros de chiffre d’affaires
(contre 1 million), tandis que le montant
maximal de l’aide sera porté de 5 000 euros
à 10 000 euros. Sans oublier Air France­
KLM. Outre un prêt garanti de 4 milliards
d’euros, la compagnie nationale a obtenu
une avance d’actionnaire de 3 milliards
d’euros de la part de l’Etat.
Dans son allocution du 13 avril, le prési­
dent de la République, Emmanuel Macron,
avait promis un plan spécifique en faveur
du tourisme, classé au rang de « priorité na­
tionale » comme d’autres secteurs dont la
survie est en jeu (automobile, transport aé­
rien…). La consommation touristique pèse
en effet 7,4 % du produit intérieur brut, em­
ploie deux millions de personnes et permet
d’alléger considérablement le déficit com­
mercial français.
A eux seuls, les 235 000 hôtels, restaurants,
cafés et boîtes de nuit en font travailler un
million. Ils ont plus que d’autres souffert du
confinement décrété mi­mars. Dans une
lettre ouverte au président de la République, faibles revenus, notamment les plus exposés nageur. « Nous travaillons à des mesures d’ur­
un collectif des métiers de la restauration dit SI LA CDC EST À LA  lors du pic de l’épidémie ; la poursuite des gence, mais aussi à un plan global qui per­
redouter que « plus de 25 % d’entre nous n’ar­ FOIS DANS SON RÔLE  mesures engagées dans certains domaines mette d’inventer une nouvelle offre sur le plan
rivent pas à survivre durablement à cette (thermalisme, montagne…) ou sur certains digital », explique Olivier Sichel au Monde.
crise », et réclame « un arsenal de mesures ET À LA MANŒUVRE,  territoires particuliers comme la Corse ou La CDC doit, selon lui, intervenir sur des
d’urgence temporaires », comme une baisse l’outre­mer. projets de toutes tailles, de l’association dé­
de 10 % à 5,5 % de la TVA. D’AUTRES  Mais c’est sur la mobilisation financière veloppant l’accrobranche jusqu’aux parcs
« La France doit rester sur le podium », as­ qu’Edouard Philippe est le plus attendu. La d’attractions. « Le plan d’investissement de
sure au Monde M. Lemoyne. Le plan se veut à
INVESTISSEURS  CDC et ses deux bras armés, la Banque des 1,35 milliard d’euros, avec des fonds propres,
la fois un remède à la crise actuelle et une ré­ INSTITUTIONNELS  territoires et la banque d’investissement est articulé avec Bpifrance, qui intervient plus
ponse aux défis qui existaient avant. Il s’or­ Bpifrance, auront un rôle central. Le tou­ en soutien aux entrepreneurs, et la Banque
ganisera autour de « quatre axes » : la valida­ SONT PLUS PRUDENTS  risme, où elle investit depuis les années des territoires, qui interviendra plus sur le
tion des protocoles sanitaires établis avec les 1950, est l’une de ses quatre priorités pour la financement des infrastructures. C’est un
professions pour assurer une reprise de l’ac­ – LES COMPAGNIES  reprise, avec l’habitat, le médico­social et la changement de dimension. »
tivité en toute sécurité ; le soutien au tou­ D’ASSURANCES transition énergétique. Elle en est à la fois Cette dernière doit mobiliser 800 millions,
risme social, assorti d’aides, à l’instar des financeur, exploitant (hébergement, remon­ « notamment dans le cadre de l’investisse­
Chèques­Vacances, accordées aux salariés à EN PARTICULIER tées mécaniques, parcs de loisirs…) et amé­ ment dans les infrastructures relevant du

Les départements se mobilisent pour soutenir le secteur

Les collectivités territoriales multiplient les initiatives pour tenter de faire repartir une industrie qui pèse lourd dans leur économie

A près deux mois de quasi­

arrêt du fait de la crise sa­
nitaire, les collectivités
territoriales se mobilisent pour es­
sayer de relancer le secteur du tou­
risme. Un secteur qui est une des
rares compétences partagées en­
tre les différentes collectivités : ré­
gion, département, intercommu­
nalité, commune. Les uns et les
autres agissent de concert pour ac­
compagner une reprise progres­
sive de l’activité et apporter une
bouffée d’air aux acteurs de la fi­
lière. Les initiatives foisonnent.
Pour certains départements,
l’addition s’annonce d’ores et déjà
salée. « Nous sommes forcément
inquiets », reconnaît Philippe
Martin, le président (PS) du con­
seil départemental du Gers, dont
l’activité touristique représente
environ 15 % du produit intérieur
brut. Les grands événements
culturels, comme Jazz in Marciac,
Tempo latino à Vic­Fezensac ou le
Festival de bandas à Condom, ont
été annulés. Perte sèche.
Département de tradition gas­
tronomique, le Gers défend l’idée
de la création d’un titre de paie­
ment afin d’accompagner le redé­
marrage pour les restaurateurs.
Un courrier, cosigné par plusieurs
départements et les régions Occi­
tanie et Nouvelle­Aquitaine, a été
adressé le 2 mai à Edouard Phi­
lippe. « Il faut que les gens aient
envie d’aller au restaurant. Ce se­
rait un titre, alimenté par les col­
lectivités, qui apporterait un sou­
tien ciblé à un secteur qui va être
durement touché, défend
M. Martin. La proposition a été
LE GERS DÉFEND L’IDÉE  time, l’Indre­et­Loire, la Mayenne
DE LA CRÉATION
D’UN TITRE DE PAIEMENT  de l’Allier, du Cantal, du Puy­de­
AFIN D’ACCOMPAGNER  aussi, de leur côté, monté des opé­
LE REDÉMARRAGE
POUR LES RESTAURATEURS
très bien reçue par l’UMIH [Union
des métiers et des industries de
l’hôtellerie]. J’en ai parlé à Bruno
Le Maire [ministre de l’économie].
Nous espérons que l’Etat entendra
notre demande. Sinon, nous som­
mes prêts à l’expérimenter sur
notre département. »
« Repos des héros »
Le département des Pyrénées­At­
lantiques, lui, a pris l’initiative du
« Repos des héros », une offre de
séjours touristiques, en associa­
tion avec les VVF, en soutien aux
personnels de santé et de sécurité
engagés dans la crise. D’autres dé­
partements ont suivi, comme la
Creuse, le Cher, la Charente­Mari­
ou le Var. La région Auvergne­
Rhône­Alpes et les départements
Dôme et de la Haute­Loire ont
rations de solidarité pour l’accueil
du personnel soignant de l’Assis­
tance publique­Hôpitaux de Pa­
ris. Tandis que la région Sud (Pro­
vence­Alpes­Côte d’Azur) met en
place des « chéquiers vacances »
pour ses salariés du secteur privé.
Une idée à laquelle travaille
aussi le département des Pyré­
nées­Atlantiques. « Ce n’est pas
encore finalisé, explique Jean­Jac­
ques Lasserre, le président (Mo­
Dem) du conseil départemental.
[Ce chéquier] sera destiné aux rési­
dents du département, sur critères
de revenu. » Le département va
être durement touché sur le plan
économique. « Tout le tourisme
côtier, sur la côte basque, du récep­
tif haut de gamme va voir son
chiffre d’affaires s’écrouler, craint
M. Lasserre. Mais c’est aussi le cas
pour les autres offres, plus popu­
laires, de l’intérieur du pays. Com­
ment faire face ? »
Le département négocie avec
l’UMIH et le secteur du bâtiment
et des travaux publics afin de pro­
poser aux salariés en mission sur
des chantiers, comme celui de la
fibre optique, un accompagne­
ment pour un hébergement dans
des structures hôtelières. « Il y
aura probablement, à partir de
cette crise, des pratiques conjonc­
turelles qui s’imposeront dans la
durée », estime M. Lasserre. Reste,
pour les Pyrénées­Atlantiques
comme pour les autres territoires
côtiers, la question majeure de la
réouverture des plages. « Les pré­
fets ont reçu la consigne de discu­
ter avec les maires, mais il faut
qu’il y ait un traitement identique,
plaide l’élu. Avec les Landes, nous
défendons une approche com­
mune auprès de l’Etat pour pou­
voir ouvrir le 2 juin, et peut­être
même avant. De toute façon, ça va
être dramatique sur le plan écono­
mique. Mais je crois quand même
dans les capacités de rebond. »
Avec 1,7 milliard d’euros de chif­
fre d’affaires annuel et 14 100 em­
plois, le tourisme est le premier
secteur économique de la
Charente­Maritime, qui figure sur
le podium des départements
français en nombre de nuitées,
aux côtés de l’Hérault et du Var.
« Tout est à l’arrêt, se désole Domi­
nique Bussereau, le président (di­
vers droite) du conseil départe­
mental. Les hôtels commencent à
rouvrir. Nous sommes en discus­
sion avec le préfet pour les cam­
pings et les locations touristi­
ques. » Ici aussi, plusieurs grands
festivals, comme les Francofolies
ou le festival de musiques ancien­
nes de Saintes, ont été annulés :
« Nous sommes en train de voir
ceux qu’on pourrait maintenir, en
restant sous la jauge des
5 000 spectateurs. »
L’inquiétude demeure quant à
la fréquentation de la clientèle
étrangère, notamment britanni­
que. Pourra­t­elle venir si les
liaisons aériennes sont interrom­
pues ? Il reste cependant un motif
d’espoir. En septembre, le Tour de
France séjournera pendant trois
jours en Charente­Maritime. « On
va jouer à fond là­dessus », promet
M. Bussereau. 
p. rr
0123
JEUDI 14 MAI 2020
tourisme associatif et social », explique le nu­
méro 2 de la CDC. « La question n’est pas seu­
lement celle du redémarrage, précise­t­il,
mais aussi des directions dans lesquelles il va
s’effectuer. » Il insiste sur un point fort, en
cohérence avec l’engagement de la caisse en
faveur des politiques environnementales :
« Nous aurons des exigences très fortes pour
un tourisme plus durable » quand il faudra
sélectionner les projets.
RETARD DANS LE DOMAINE DU NUMÉRIQUE
M. Sichel prévient qu’à la montagne « on ne
va pas faire du tout­ski » ; son objectif est, au
contraire, de « développer un tourisme toute
l’année ». La Banque des territoires va aussi
« s’intéresser beaucoup plus à des petits
projets qu’à des gros projets ». Même si la
caisse a décidé d’investir 10 millions d’euros
(sur un total de 100 millions) pour la cons­
truction d’un second Futuroscope dans la
Vienne, le chantier devra être zéro carbone,
et les bâtiments produire plus d’énergie
qu’ils n’en consomment. La CDC intervien­
dra avec les régions, qui sont compétentes
en matière de tourisme.
« L’autre dimension que nous allons encou­
rager, c’est celle du digital, ajoute M. Sichel.
Nous allons accompagner la création d’une
plate­forme agrégeant toutes les données sur
le tourisme pour proposer une offre accessible
à tous. » Le tourisme est un marché mondial,
et la France a pris du retard sur certains
concurrents dans le domaine du numérique,
reconnaît M. Lemoyne. Or, c’est un puissant
instrument pour développer l’attractivité de
la « destination France ».
Si la Caisse des dépôts est à la fois dans son
rôle et à la manœuvre, d’autres investisseurs
institutionnels sont plus prudents – les
compagnies d’assurances en particulier.
Elles n’en font pas assez pour soutenir le
tourisme, déplorent les professionnels et le
ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Sur
le 1,5 milliard d’euros promis pour accompa­
gner la reprise économique, elles n’envisa­
gent pas de lui consacrer plus de 150 mil­
lions. « Nous ne sommes pas à l’échelle », pré­
vient Jean­Baptiste Lemoyne, en indiquant
qu’en cas de refus des parlementaires très re­
montés sont prêts à passer par la loi pour les
contraindre à faire un effort financier
supplémentaire. 
jean­michel bezat
et patrick roger
Prudent, l’exécutif européen s’efforce
de cadrer au mieux la saison estivale
Parmi les pistes suggérées, la Commission préconise une ouverture progressive
des frontières entre pays présentant le même profil épidémiologique
bruxelles ­ bureau européen
A quoi ressembleront
donc nos vacances cet
été ? Le 12 avril, Ursula
von der Leyen recommandait
aux Européens « d’attendre avant
de faire des plans » dans un entre­
tien accordé au journal allemand
Bild am Sonntag. Huit jours plus
tard, la présidente de la Commis­
sion tentait de rectifier le tir, en
affirmant à l’hebdomadaire por­
tugais Expresso : « Je pense que
nous allons trouver des solutions
intelligentes pour avoir des vacan­
ces. » Mercredi 13 mai, l’exécutif
communautaire devait essayer
de donner du corps à cette décla­
ration, en publiant ses recom­
mandations aux Etats membres
en la matière.
En réalité, personne à Bruxelles
n’imagine sérieusement que la
saison touristique sera sauvée,
alors que la pandémie de Covid­19
est loin d’avoir disparu. Il est
d’ores et déjà acquis que les fron­
tières extérieures de l’Union
européenne (UE) resteront fer­
mées, ce qui prive mécanique­
ment les Vingt­Sept de 18 % de
leurs revenus touristiques. Quant
au tourisme d’un pays européen à
l’autre − qui représente 38 % du
chiffre d’affaires du secteur −, il
devrait être limité. Même la Com­
mission n’a pas l’air de croire que
les frontières, aujourd’hui quasi­
ment toutes fermées, seront lar­
gement rouvertes cet été.
Prudent, à en croire un docu­
ment que s’est procuré Le Monde,
l’exécutif européen préconise
Sur la plage que cela se fasse progressive­
de Donnant, ment, entre pays présentant le
à Belle­Ile­en­ même profil épidémiologique,
Mer, lundi ayant adopté des mesures pré­
11 mai. ventives similaires (confine­
THOMAS BRÉMOND ment, distanciation sociale…) et
POUR « LE MONDE » de manière proportionnée. Il s’est
engagé à publier une carte, qui
rendra compte, en temps réel, de
l’état d’avancée du Covid­19 par­
tout sur le Vieux Continent. En­
core faudrait­il que les Etats
membres lui fournissent des
données actualisées et compara­
bles, ce qui, à ce stade, n’a rien
d’évident…
La Corse envisage un passeport sanitaire
Chaque touriste devrait présenter un test de dépistage négatif avant d’embarquer pour l’île
bastia ­ correspondant
L es vacanciers devront­ils
présenter un greenpass (un
passeport sanitaire) avant
de poser le pied en Corse ? La me­
sure, voulue par le président du
Conseil exécutif Gilles Simeoni,
est, selon lui, la seule susceptible
de « préserver la santé des Corses
et sauver la saison touristique en
faisant de l’île une destination
confiance ». Mais l’idée de ce test
de dépistage négatif au Covid­19
que présenterait chaque voya­
geur avant d’embarquer pour l’île
de Beauté divise.
« On veut le risque zéro, on aura
le touriste zéro », prophétise Jean­
Charles Orsucci, maire (LRM) de
Bonifacio (Corse­du­Sud) et élu à
l’Assemblée de Corse. « La ques­
tion sanitaire reste primordiale et
les conditions de circulation de­
puis et à destination de l’île sont
toujours soumises à un contrôle
très strict, assure Franck Robine,
préfet de la Corse. Mais au plan
économique, la situation n’est pas
coronavirus | 13
« Ce ne sont pas des recomman­ restaurant, la distanciation so­
dations, mais des orientations », BRUXELLES S’EST  ciale devrait être la règle. Et les
tient à préciser un haut fonction­
naire, conscient du caractère plus
qu’aléatoire de l’exercice.
D’autant que rien n’oblige les
Etats membres à tenir compte des
ENGAGÉE À PUBLIER UNE 
CARTE QUI RENDRA 
COMPTE, EN TEMPS RÉEL, 
clients devraient être informés
des conditions dans lesquelles ils
seront accueillis.
Des recommandations frap­
pées au coin du bon sens, dont
conseils que leur prodigue certains pays sont pourtant ten­
Bruxelles. Ils ont d’ailleurs, au
DE L’ÉTAT D’AVANCÉE tés de s’écarter. Ainsi, la Grèce a
cours des dernières semaines, DU VIRUS PARTOUT SUR  fait savoir qu’elle souhaitait rem­
multiplié les annonces désordon­ plir le plus possible ses avions,
nées comme à la mi­mars quand LE VIEUX CONTINENT sans sacrifier de sièges. Mais sur­
ils avaient, les uns après les tout, insiste un conseiller de la
autres, fermé leurs frontières. Commission, en face des infras­
l’échalote européenne » et rap­ tructures touristiques, « il fau­
« Course à l’échalote » pelle que des milliers de ses con­ drait qu’il y ait, si nécessaire, les
Dernier épisode en date, l’Espa­ citoyens avaient été contaminés capacités de faire face à une re­
gne a fait savoir le 12 mai que cet hiver dans les stations de ski montée de l’épidémie ». Qu’il
toute personne arrivant sur son autrichiennes. s’agisse de tests, de moyens d’iso­
territoire de l’étranger serait mise Reste le tourisme intérieur, qui ler les nouveaux cas ou encore de
à l’isolement pendant quatorze représente 44 % des dépenses du lits d’hôpitaux.
jours. La France avait pris la secteur au sein de l’UE. Et dont la Plus concrètement, la Commis­
même décision il y a quinze jours, vigueur dépendra, bien entendu, sion encourage les compagnies
avant de se raviser partiellement, de la propagation du virus et de la aériennes à offrir des bons
en exonérant les résidents euro­ manière dont les gouvernements d’échange très attractifs aux pas­
péens de toute quarantaine. Ré­ géreront l’affaire, ici ou là. sagers qu’elles n’ont pas pu trans­
cemment, la Croatie et la Grèce Dans ce contexte pour le moins porter ces derniers mois, pour
ont, pour leur part, lancé l’idée de sombre, la Commission appelle cause de Covid­19 et de confine­
« passeports Covid­19 » qui per­ l’industrie du tourisme à prendre ment généralisé. Mais elle a rap­
mettraient à leur détenteur de toutes les précautions nécessai­ pelé que, si ceux­ci préféraient se
circuler librement. res pour éviter que les cas de faire rembourser, elles étaient en
Quant au chancelier autrichien, Covid­19 repartent à la hausse. Du devoir de répondre favorable­
Sebastian Kurz, il a évoqué une gel hydroalcoolique devrait être ment à leur requête, conformé­
ouverture des frontières avec « les mis à disposition des clients, par­ ment aux règles européennes en
pays qui connaissent autant de tout où cela sera possible, préco­ vigueur. Refusant ainsi d’accéder
succès que nous, comme l’Allema­ nise­t­elle. Les personnels de­ à une demande pressante du sec­
gne et la République tchèque ». vraient être protégés, à grand teur de l’aérien – avec le soutien
Avant que le ministre allemand renfort de masques ou de parois de nombreux Etats membres,
des affaires étrangères, Heiko en Plexiglas. Dans les trains, les dont la France – mis à terre par la
Maas, ne dénonce « une course à avions, sur la plage mais aussi au pandémie.
Compte tenu des enjeux (le tou­
risme représente 10 % du produit
Fragilisée, Brussels Airlines pourrait intérieur brut et 12 % des emplois
européens), Thierry Breton, le
supprimer un millier d’emplois commissaire au marché inté­
La compagnie aérienne belge SN Brussels Airlines, contrôlée par rieur, ferraille pour que le plan de
Lufthansa, a annoncé, mardi 12 mai, un grand plan de restructu- relance actuellement en prépara­
ration, qui devrait coûter leur emploi à 1 000 personnes, soit tion – il devrait être présenté le
environ 25 % des effectifs de la société. Dans l’immédiat, 22 des- 20 mai – fasse la part belle à ce
tinations seront supprimées. Les syndicats réclament la négocia- secteur. D’autant que les pays les
tion d’un plan permettant des départs à la retraite anticipés et plus touristiques, à savoir l’Italie,
des départs volontaires, ainsi que la suppression des contrats l’Espagne, la Grèce, le Portugal et,
temporaires. La direction se dit prête à des pourparlers, mais dans une moindre mesure, la
pourrait recourir à des licenciements secs. Elle réclamerait en France, sont aussi ceux que la ré­
outre davantage de flexibilité, notamment aux pilotes, tandis cession affecte le plus. Dans le dé­
que des primes, comme celles octroyées en cas de nuitées à bat entre le nord et le sud du con­
l’étranger, seraient remises en question. SN, créé sur les ruines tinent sur la forme que doit pren­
de la Sabena, déclarée en faillite en 2001, était déjà en phase dre la solidarité européenne, ce
de restructuration depuis 2019, afin d’augmenter sa marge serait là un élément de réponse. 
bénéficiaire à l’horizon 2022. virginie malingre
tenable plus longtemps. » La de la croissance locale, et de mar­ activité, très limitée depuis la mi­
crainte des acteurs et des pou­ quer le début d’un cercle vicieux. » mars. Corsica Linea, qui dessert les
voirs publics est que la chute du
tourisme (31 % du PIB local, près
de 3 milliards d’euros de recettes
annuelles, un emploi sur dix) en­
traîne une large part de l’écono­
Le tourisme « affinitaire », cons­
titué d’habitués de la Corse (20 %
du volume total) et de propriétai­
res de résidence secondaire – un
sujet épineux dans une île faisant
lignes entre Corse et continent et
dont la jauge est maintenue pour
l’instant, par traversée, à cent pas­
sagers munis de dérogation, anti­
cipe un éventuel retour à la nor­
mie. « Dans la mesure où nous face à une pénurie de logements –, male : balisage des parcours des
réinjectons 90 % de nos revenus lo­ pourrait permettre d’amortir les agences portuaires jusqu’à bord
calement, c’est inévitable si des me­ effets de la crise. Mais, pour Ka­ des navires, distribution de mas­
sures énergiques ne sont pas prises rina Goffi, présidente de l’Union ques obligatoires pendant la navi­
immédiatement », observe Jean­ des métiers et des industries de gation, désinfection des points de
Baptiste Pieri, hôtelier à Ajaccio. l’hôtellerie en Haute­Corse, « il y contact et des cabines, « pour pré­
aura forcément de la casse et nous server nos passagers et nos équipa­
« Il y aura forcément de la casse » mettrons cinq ans à nous en remet­ ges », explique Pasquine Albertini,
Fin mars, le nombre de deman­ tre, pour ceux qui y parviendront ». responsable de la communication
deurs d’emploi avait déjà crû de Les règles de distanciation, de de la compagnie maritime.
6,5 % dans la région, alors que désinfection préconisées par les « Mais ce qui pénalise tout le
commence la traditionnelle pé­ grands groupes hôteliers ? « Nous monde, déplore Pierre Mattei,
riode de recrutement qui s’étend menons des expériences dans des président de Corsica Ferries, c’est
jusqu’à mi­mai et offre établissements pilotes, assure la le manque de clarté, les messages
17 000 postes, dont 70 % sont oc­ jeune femme, propriétaire d’un brouillés. Nous ne sommes pas
cupés par des résidents. « Les effets établissement dans la Plaine compétents en matière sanitaire :
induits sont considérables, note orientale de l’île. Le coût est extrê­ qu’on nous dise comment procé­
Magali Bonnefont, chef du service mement élevé, en particulier pour der, à partir de quand, selon quel­
études et diffusion de l’Insee en la majorité de nos structures, à les modalités et nous serons opé­
Corse. La baisse des revenus risque dimension familiale. » rationnels. Pour le moment, c’est
de peser lourdement sur la Les opérateurs de transport anti­ de la navigation à vue. » 
consommation, principal moteur cipent une timide reprise de leur antoine albertini
 0123
14 | coronavirus JEUDI 14 MAI 2020

Des énergies
renouvelables
très résilientes
Alors que la crise liée au Covid­19 fait
chuter la production d’énergies d’origine
fossile, celle des renouvelables résiste
et devrait continuer à croître en 2020
Installation de panneaux solaires à San Diego (Californie), en octobre 2016. MIKE BLAKE/REUTERS

ANALYSE face à la « première vague », l’avenir reste in­

certain. D’après la commissaire euro­
La crise économique devrait aussi avoir
une influence sur le coût des emprunts, un
ciété plus résiliente, veut croire M. La Camera.
La seule question, c’est : ira­t­on assez vite
péenne à l’énergie Kadri Simson, la diminu­ élément décisif pour les grands projets de re­ pour atteindre les objectifs des accords de Pa­

U
n baril de pétrole dont le prix a
chuté de 70 % entre fin janvier et
avril ; une consommation éner­
gétique mondiale qui pourrait
diminuer de 6 % en 2020 – du jamais­vu de­
puis soixante­dix ans ; la demande mon­
diale de charbon en baisse de 8 % au pre­
mier trimestre par rapport au premier tri­
mestre de 2019… La mise à l’arrêt des écono­
mies, et notamment des transports, en
raison de la pandémie de Covid­19, a large­
ment ébranlé le secteur des énergies. A l’ex­
ception, au moins en partie, de celui des re­
nouvelables.
« Au milieu de crises sanitaire et économi­
que sans précédent, la chute de la demande
pour presque tous les principaux combusti­
bles est stupéfiante, déclarait, le 30 avril, Fa­
tih Birol, le directeur exécutif de l’Agence in­
ternationale de l’énergie (AIE). Seules les
énergies renouvelables se maintiennent. » Au
premier trimestre 2020, la production
d’électricité renouvelable a crû d’environ
3 % par rapport au premier trimestre 2019.
Depuis le confinement, la Belgique, l’Italie,
l’Allemagne, la Hongrie ou l’est des Etats­
Unis ont même connu des niveaux record
quant à la part des renouvelables dans leur
production d’électricité, sans que cela pro­
voque de difficultés en matière de réseaux.
Toujours selon les estimations de l’AIE, la
production de renouvelables devrait aug­
menter cette année de près de 5 % – contre
6 % en 2019 et 7 % en 2018. « Cette croissance
est plus faible que prévu avant la crise, pré­
cise l’agence. Une reprise rapide permettrait
de réaliser davantage de nouveaux projets. Si
la reprise était plus lente, les énergies renou­
velables continueraient toutefois de croître. »
Les énergies renouvelables sont­elles en
train de démontrer leur résilience à
l’épreuve du Covid­19 ? Si le secteur a fait
tion de l’installation de nouvelles capacités
pourrait atteindre 33 % en Europe en 2020.
Le cabinet d’études spécialisé Wood Mac­
kenzie a, lui, revu à la baisse de 17 % ses pré­
visions mondiales concernant le solaire.
L’installation de panneaux photovoltaï­
ques sur les toits de particuliers et de petites
et moyennes entreprises, qui a représenté
en 2019 un cinquième de toutes les nouvel­
les capacités renouvelables, est toujours
fortement ralentie.
WindEurope estime également que les
nouvelles éoliennes seront moins nombreu­
ses que prévu, en raison des perturbations
continues dans les chaînes d’approvisionne­
ment mondiales et européennes. « Il est diffi­
cile d’anticiper quelles seront les conséquen­
ces de ces difficultés sur les projets dans neuf,
douze ou dix­huit mois », a reconnu Philippe
Kavafyan, le président de la société d’éolien
offshore MHI­Vestas.
« Des questions d’emplois »
Parmi les facteurs qui détermineront le fu­
tur du secteur, les faibles prix des énergies
fossiles pourraient pousser des Etats à conti­
nuer de privilégier ces combustibles tradi­
tionnels. A en croire la Banque mondiale, le
baril de pétrole devrait se négocier à 35 dol­
lars en moyenne en 2020 et à 42 dollars seu­
lement en 2021. Les prix du gaz naturel et du
charbon pourraient, eux, chuter respective­
ment de 25 % et de 17 % cette année.
« Des gouvernements peuvent aussi décider
de poursuivre leurs subventions aux énergies
fossiles pour des questions d’emplois et de dé­
veloppement territorial, précise Marc­An­
toine Eyl­Mazzega, directeur du centre éner­
gie et climat de l’Institut français des rela­
tions internationales (IFRI). En Inde, par
exemple, les usines de charbon se trouvent
dans les Etats les plus pauvres. »
nouvelables. Wood Mackenzie estime ainsi
que jusqu’à 150 gigawatts de projets éoliens
et solaires pourraient être retardés ou annu­
lés au cours des cinq prochaines années en
Asie­Pacifique, la région la plus dynamique
en termes de nouvelles installations. « Les in­
dicateurs clés à surveiller incluent la crois­
sance de la demande d’électricité, les condi­
tions d’accès au crédit, la concurrence des
coûts entre énergies renouvelables et com­
bustibles fossiles, et le soutien du gouverne­
ment au marché des énergies renouvelables »,
résument les analystes.
Objectifs climatiques
Pour Francesco La Camera, le directeur géné­
« LA SEULE  ral de l’Agence internationale de l’énergie re­
QUESTION, C’EST :  nouvelable (Irena), ces éléments ne de­
vraient pas remettre en cause la croissance
IRA­T­ON ASSEZ VITE des renouvelables. En 2019, celles­ci ont re­
présenté près des trois quarts des ajouts de
POUR ATTEINDRE  capacités énergétiques dans le monde, rap­
pelait l’Irena fin avril 2020. « Les renouvela­
LES OBJECTIFS  bles ont bénéficié des politiques mises en
DES ACCORDS  place ces dernières années, mais la véritable
raison de cette tendance lourde, c’est le mar­
DE PARIS ? » ché », a déclaré M. La Camera au cours d’une
FRANCESCO LA CAMERA discussion organisée par le groupe de ré­
directeur général flexion américain Atlantic Council.
de l’Agence internationale Dans une note publiée le 28 avril, les ana­
de l’énergie renouvelable lystes de Bloomberg New Energy and Fi­
nance (BNEF) confirment « des améliora­
tions spectaculaires dans la compétitivité­
coût de l’énergie solaire et éolienne » : l’éolien
terrestre et le photovoltaïque solaire sont les
sources d’énergies les moins onéreuses pour
les nouvelles installations pour au moins les
deux tiers de la population mondiale.
« A long terme, le secteur des renouvelables
ne va pas être affecté par le prix du pétrole,
mais par ses atouts au plan économique ainsi
qu’au plan social, pour participer à une so­
ris [de 2015] ? » Pour maintenir le réchauffe­
ment sous la barre des 2 °C, les émissions de
CO2 devraient diminuer de 70 % d’ici à 2050.
Afin d’y parvenir, les investissements dans
les renouvelables devraient être rapidement
revus à la hausse et 80 % des sommes consa­
crées à l’énergie fléchées vers ce secteur, se­
lon les scénarios de l’Irena.
Les responsables politiques feront­ils ce
choix au moment de remettre sur pied leurs
économies ? L’administration Trump conti­
nue à supprimer des normes environnemen­
tales aux Etats­Unis. Le sauvetage des indus­
tries du pétrole et du charbon y apparaît
comme une priorité, observe l’IFRI, qui a éva­
lué les impacts sur le climat des premières
mesures de relance prises par une trentaine
de pays. En Chine, davantage de permis de
construction pour des centrales à charbon
ont été émis en mars qu’au cours de tout
2019. Le président brésilien Jair Bolsonaro a
exprimé son soutien aux industries fossiles,
et le Mexique a suspendu les opérations con­
cernant des projets d’énergies propres.
A l’instar de la Corée du Sud, l’Union euro­
péenne semble davantage déterminée à ne
pas réviser à la baisse ses objectifs climati­
ques et ce, même si ses membres sont divi­
sés. Kadri Simson a d’ailleurs affirmé, le
5 mai, que le secteur des énergies renouvela­
bles serait « au cœur du plan de la relance de
la Commission ». Au regard de cette évalua­
tion préliminaire, « un certain nombre de
gouvernements ne saisissent pas l’occasion
historique de mettre leurs pays et le monde
sur une voie plus durable, en s’appuyant sur
des solutions bas carbone compétitives et dis­
ponibles », déplore l’IFRI. « Une telle opportu­
nité ne se reproduira pas avant qu’il ne soit
trop tard pour arrêter les dégradations de l’en­
vironnement. » 
perrine mouterde

En France, le secteur appelle à « une accélération de la transition »

Les acteurs de l’éolien et du solaire estiment que leurs propositions doivent figurer au cœur du plan de relance

A lors que la consomma­

tion électrique a baissé
de 15 % à 20 % pendant le
confinement, la part des énergies
renouvelables dans le mix électri­
que a augmenté – elle a par exem­
ple été de 35 % en moyenne le
29 mars –, en raison de la priorisa­
tion de ces sources d’énergie dans
les réseaux et de bonnes condi­
tions météorologiques. « Nous
pouvons nous féliciter de la preuve
grandeur nature que la stabilité du
réseau électrique peut être garan­
tie avec une part significative
d’énergie renouvelable », a très fort besoin d’accélérer », af­
d’ailleurs salué, le 30 avril, la mi­
nistre de la transition écologique
et solidaire, Elisabeth Borne.
Si la production électrique à par­
tir de renouvelables n’a pas été af­
fectée par la crise liée au Covid­19,
les chantiers de construction de
parcs éoliens ou solaires, mis à
l’arrêt en mars, redémarrent pro­
gressivement depuis fin avril.
Mais les professionnels du sec­
teur, eux, regardent déjà vers
2028. Le décret d’application de la
programmation pluriannuelle de
l’énergie (PPE) a finalement été
publié le 23 avril, fixant les objec­
tifs énergétiques de la France
pour les huit prochaines années.
« Compte tenu des ambitions en
matière de renouvelables confir­
mées par la PPE et des retards gé­
nérés par la crise du Covid, il y a un
firme Pauline Le Bertre, déléguée
générale de France énergie éo­
lienne (FEE). « Sur le solaire, on est
scotché à moins de 1 gigawatt de
nouvelles capacités par an, alors
que c’est une énergie compétitive
et diffuse sur le territoire, renchérit
Daniel Bour, le président du syn­
dicat des professionnels de l’éner­
gie solaire Enerplan. Il faut que
l’on change de vitesse. »
La PPE prévoit que l’électricité is­
sue des renouvelables (hydroélec­
tricité, éoliennes terrestres, pho­
tovoltaïque, bioénergies, éolien­
nes en mer et énergies marines
renouvelables) représente 27 % du
mix énergétique (155 térawatts­
heure) en 2023 et entre 33 % et
36 % (210 à 227 TWh) en 2028. Fin
décembre 2019, la puissance du
parc n’était que de 53,6 gigawatts
et avait couvert 23 % de l’électri­
cité consommée l’an dernier.
Pour se donner une chance de
rattraper le retard, les acteurs du
secteur font pression afin que
leurs propositions soient jugées
encore plus prioritaires qu’avant
la crise et intégrées aux plans de
relance. Concernant l’éolien, FEE
appelle à la levée de certaines con­
traintes – par exemple liées à
l’existence de couloirs aériens
pour l’armée – afin d’avoir une
meilleure répartition des parcs
sur le territoire, et à respecter le
rythme des appels d’offres et des
délais d’instruction des dossiers.
« Conditions favorables »
La filière craint des retards sup­
plémentaires pour le développe­
ment de l’éolien en mer, le débat
public autour du projet au large
de la Normandie ayant notam­
ment été suspendu. « Même si le
gouvernement lance toutes les
études en mai et que le projet est
attribué d’ici à mi­2022, ce sera
trois ans après l’attribution du der­
nier projet au large de Dunker­
que », constate Jean­François Pe­
tit, le directeur général de RES, un
acteur historique du secteur.
La filière solaire a également tra­
vaillé à des recommandations qui
pourraient être mises en œuvre
rapidement. D’abord, réserver les
appels d’offres aux projets d’une
puissance de 1 mégawatt, contre
100 kilowatts actuellement, en
vue de donner une impulsion
forte aux petites installations. En­
suite, imposer que tous les bâti­
ments neufs soient « solarisa­
bles », c’est­à­dire conçus de sorte
que des panneaux solaires puis­
sent être facilement installés.
Enerplan plaide aussi pour une
remise à plat du fonctionnement
des appels d’offres et une simplifi­
cation de l’attribution des permis
de construire.
Fin avril, Elisabeth Borne et le
ministre de l’économie et des fi­
nances, Bruno Le Maire, ont dé­
fendu ensemble une « accéléra­
tion de la transition écologique »,
affichant leur volonté de ne pas
faire passer au second plan les ob­
jectifs de lutte contre le dérègle­
ment climatique.
« D’une certaine façon, nous
n’avons jamais eu des conditions
aussi favorables : la PPE est assez
engageante et le cadre réglemen­
taire a évolué, juge Jean­François
Petit. Mais il nous faut davantage
que des déclarations politiques, il
nous faut du concret. » Pauline Le
Bertre ne dit pas autre chose, ap­
pelant à une « concrétisation »
d’un potentiel affirmé « sur le pa­
pier ». « Encore plus qu’avant la
crise, la filière éolienne doit être au
cœur des “green deal” français et
européen », insiste­t­elle. 
p. mo.
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Des éoliennes devant la centrale de Neurath (Allemagne), en février 2014. INA FASSBENDER/REUTERS
PERTES & PROFITS | LEGAL & GENERAL
par phili pp e e s c a nd e
Un monde sans or noir ?
Fondé en 1836 pour fournir
des assurances­vie aux juris­
tes et avocats, Legal & General
est une institution de la City
de Londres, devenu
aujourd’hui le premier ges­
tionnaire d’actifs du royaume
et l’un des dix premiers au
monde avec sa filiale LGIM.
Discrète et bien élevée comme
il se doit dans la finance bri­
tannique, loin des Greta Thun­
berg et autres Greenpeace, qui
occupent l’espace médiatique.
Pourtant, elle est sortie de sa
réserve, mercredi 13 mai, pour
indiquer qu’en tant qu’action­
naire important du pétrolier
américain Exxon, elle allait
s’opposer à la réélection de
son PDG, Darren Woods, lors
de l’assemblée générale du
groupe, qui se tiendra le
27 mai. Motif : « manque
d’ambition stratégique sur le
changement climatique ».
Le pétrolier texan a l’habi­
tude de ferrailler contre les
environnementalistes qui
viennent régulièrement trou­
bler ses réunions d’actionnai­
res. Mais la révolte prend dé­
sormais de l’ampleur et tou­
che ses principaux
investisseurs. LGIM a investi
Les banques françaises engluées dans le schiste américain
Les quatre plus grands établissements de l’Hexagone ont alloué 24 milliards de dollars de financement aux entreprises du secteur en Amérique du Nord
C ertaines des plus grandes
banques françaises se
sont­elles fait piéger par la
bulle du gaz et du pétrole de
schiste ? Selon les données colli­
gées par un rapport des ONG Re­
claim Finance et Les Amis de la
Terre, publié mercredi 13 mai, les
quatre principaux établisse­
ments de l’Hexagone ont accordé
24 milliards de dollars (22,1 mil­
liards d’euros) de financement à
l’industrie du schiste nord­améri­
cain entre 2016 et 2019.
Société générale est, de très loin,
la banque la plus présente dans le
secteur, avec près de 11 milliards
de dollars de financements sur la
période. Viennent ensuite le Cré­
dit agricole (6 milliards), la BNP
(3,6 milliards) et le groupe Ban­
que populaire Caisse d’Epargne
(3,3 milliards). D’autres acteurs,
1 milliard de dollars (923 mil­
lions d’euros) en actions
Exxon, et d’autres financiers
ont déjà épousé cette cause,
comme le fonds de retraite de
l’Etat de New York. Désormais,
le pétrole sent le soufre,
même à Wall Street. Cela se re­
trouve dans l’écart de valori­
sation des compagnies pétro­
lières par rapport aux électri­
ciens spécialisés dans les
énergies renouvelables.
Durcissement des normes
La plupart des pétroliers ont
allumé des contre­feux, en dé­
voilant des trajectoires de ré­
duction de leurs émissions de
CO2. Les Européens Shell, BP et
Total ont ainsi annoncé qu’ils
atteindraient la neutralité car­
bone en 2050. Un objectif jugé
insuffisant et trop lointain
pour les défenseurs du climat,
d’autant qu’il est générale­
ment limité à la vertueuse Eu­
rope. Eux rêvent d’un monde
sans or noir, et avant 2050.
Est­ce possible ?
La réponse se trouve dans la
demande. S’il y a toujours des
consommateurs en 2070, il y
aura toujours du pétrole à
leur disposition. Même si les
comme Axa ou Rothschild & Co,
ont également engagé 12 mil­
liards de dollars ces trois derniè­
res années pour financer des en­
treprises actives majoritairement
dans le domaine du schiste.
La présence active de grandes
banques de l’Hexagone dans le
secteur depuis 2016 s’explique
par le renouveau des forages de
schiste en Amérique du Nord. La
maîtrise de cette technologie a
permis aux Etats­Unis de devenir
le premier producteur mondial
de pétrole et de gaz naturel. Mais,
depuis le départ, cette révolution
présente un point faible : les puits
forés avec la technologie de la
fracturation hydraulique produi­
sent beaucoup au début, puis dé­
clinent rapidement.
Afin de maintenir un bon ni­
veau de production, il faut donc
grandes multinationales
comme Exxon, Chevron, Shell
ou Total auront à cette date
disparu ou se seront conver­
ties totalement à l’énergie
verte, il restera la fourniture
des pays producteurs qui ven­
dent directement déjà plus
des deux tiers du pétrole de la
planète. Et ceux­là sont beau­
coup moins sensibles aux ar­
guments des activistes finan­
ciers de Londres ou de Wall
Street. Les pétroliers tablent
donc sur une production ré­
duite de moitié en 2050 par
rapport à celle d’aujourd’hui.
Pour l’Europe, qui aspire à la
neutralité carbone à cette
date, la clé pour aller au­delà
réside dans le durcissement
progressif de ses normes,
comme elle le fait dans l’auto­
mobile, et dans l’adoption
d’une taxe carbone qui renta­
bilise les technologies alterna­
tives comme les batteries
électriques ou l’hydrogène.
Avec l’espoir que l’effet d’en­
traînement soit suffisant
pour convaincre Indiens, Chi­
nois, Indonésiens ou Brési­
liens qu’un monde (presque)
sans pétrole n’est pas une uto­
pie. Une tâche immense. 
forer en permanence, ce qui exige
des investissements colossaux. Le
pétrole de schiste était rentable
avec un baril de pétrole à 50 dol­
lars ou plus. Mais la crise de l’or
noir provoquée par les mesures
de confinement prises au niveau
mondial a mis à bas ce modèle,
probablement pour longtemps.
« Encadrer les flux financiers »
Cette fragilité intrinsèque n’a pas
empêché les banques françaises
de financer, non seulement des
entreprises actives dans le forage,
mais aussi des infrastructures.
C’est en particulier le cas de So­
ciété générale, qui a accordé entre
2016 et 2019 des financements di­
rects à hauteur de 3,9 milliards de
dollars à des projets de gazoducs
et de terminaux de gaz. « Les scé­
narios de l’Agence internationale
La Norvège n’est pas encore
prête à passer à l’après­pétrole
Les ONG espéraient que le gouvernement de centre droit profiterait
de la crise pour amorcer un virage écologique
malmö (suède) ­
correspondante régionale
E n Norvège, le monde de
l’après­pétrole n’est pas
pour tout de suite. Face à la
chute marquée des cours de l’or
noir, provoquée par la pandémie
de Covid­19 et la guerre des prix
que se livrent la Russie et l’Arabie
saoudite, les ONG et les écologis­
tes espéraient que la pétromonar­
chie scandinave accélérerait sa
transition écologique. Ils vont de­
voir attendre.
Dirigé par la conservatrice Erna
Solberg, le gouvernement de cen­
tre droit est bien déterminé à sau­
ver ce qui reste « le moteur de l’éco­
nomie norvégienne », selon les
mots de la première ministre. Ce
secteur représente 20 % des inves­
tissements du pays, 30 % de ses
exportations, et 200 000 em­
plois. Il a permis à Oslo d’accumu­
ler plus de 10 000 milliards de
couronnes (environ 902 milliards
d’euros) dans le plus grand fonds
souverain du monde.
Avec 2 % de la production mon­
diale de pétrole, le royaume n’est
pas membre de l’Organisation
des pays exportateurs de pétrole
(OPEP). Toutefois, il a décidé de
suivre l’exemple du cartel, en di­
minuant sa production, pour ten­
ter d’enrayer la dégringolade des
prix du brut. La réduction portera
sur 250 000 barils par jour (soit
13 % de sa production) au mois de
juin, puis 134 000 barils, jusqu’en
décembre.
Selon les calculs de l’organisa­
tion Norsk Olje og Gass, qui repré­
sente les producteurs d’hydrocar­
bures en Norvège, les investisse­
ments pourraient reculer de 10 %
cette année et jusqu’à 20 % à 35 %
en 2022, avec des conséquences
graves pour l’emploi.
« Une occasion manquée »
Lors de la dernière décrue des
cours du brut en 2014, plus de
40 000 postes avaient disparu.
Cette fois, c’est l’ensemble de
l’économie nationale qui est tou­
chée. Conséquence du confine­
ment imposé depuis la mi­mars,
le taux de chômage est passé de
2,7 % fin février à 14,5 % début mai,
et le produit intérieur brut a
baissé de 6,4 % en mars.
Le gouvernement a donc pré­
senté le 30 avril un plan d’aide au
secteur. Au programme : des allé­
de l’énergie que la banque utilise
pour se piloter intègrent le rôle du
gaz, dont le gaz de schiste nord­
américain, pour participer à la
transition vers une économie bas
carbone dans certaines géogra­
phies. Celui­ci présente en effet une
meilleure efficacité environne­
mentale que le charbon pour la
production d’électricité », justifie
Société générale. Les accords de
Paris sur le climat, scellés en dé­
cembre 2015, dessinent pourtant
une trajectoire dans laquelle les
nouveaux forages d’hydrocarbu­
res devraient être proscrits.
Depuis, plusieurs banques fran­
çaises ont adopté des règles inter­
disant les investissements dans
ce domaine. Telle la BNP, qui s’est
engagée en 2017 à « cesser ses rela­
tions » avec tous ses acteurs, ce
qu’elle a fait aux Etats­Unis à par­
coronavirus | 15
LE SECTEUR  but mai, un tiers des personnes
REPRÉSENTE 20 %  interrogées souhaite ainsi que le
DES INVESTISSEMENTS 
DE LA PÉTROMONARCHIE 
SCANDINAVE, 30 %  qué. « Le pétrole et le gaz ont été
DE SES EXPORTATIONS,  pendant si longtemps la locomo­
ET 200 000 EMPLOIS
gements fiscaux, pour les inves­
tissements réalisés en 2020 et
2021, qui pourraient atteindre jus­
qu’à 100 milliards de couronnes
norvégiennes.
La ministre du pétrole et de
l’énergie, Tina Bru, a comparé ce
plan à « une injection dans le
bras », destinée à « poursuivre des
projets de développement sur le
plateau continental norvégien »,
afin de « sauvegarder des emplois
et de maintenir la compétitivité de
la Norvège, tout au long de la
chaîne de valeur » et de produire
des revenus « pour maintenir
l’Etat­providence ».
De son côté, la première minis­
tre a assuré que son gouverne­
ment tenait à « rendre l’économie
norvégienne moins dépendante
du pétrole », en promettant un
« plan de restructuration vert »,
d’ici à fin mai, sans en préciser les
détails. Mais elle a aussi fait re­
marquer qu’il était « vital d’assu­
rer que la crise ne résulte pas dans
un déclin tellement soudain et pro­
fond, qu’il mène à une perte d’ex­
pertise », dont la Norvège a besoin
« pour assurer la transformation
de son économie ».
Les ONG regrettent « une occa­
sion manquée » pour préparer
l’après­pétrole. « On sait qu’il faut
au minimum seize ans pour lan­
cer la production d’un nouveau
champ de pétrole, ce qui veut dire
que nous sommes en train de fi­
nancer des projets qui ne verront
pas le jour avant presque 2040,
malgré nos engagements en fa­
veur de l’accord de Paris », cons­
tate ainsi Karoline Andaur, secré­
taire générale de la branche lo­
cale de WWF.
« C’est un pari très risqué sur
l’avenir », complète Frode Pleym,
leader de Greenpeace en Norvège.
D’autant, ajoute­t­il, qu’une part
croissante des Norvégiens sou­
tient un changement de direc­
tir de mi­2018. Les Amis de la
Terre relèvent toutefois que sa fi­
liale de gestion d’actifs BNP Pari­
bas Asset Management y est tou­
jours exposée et ne compte en
sortir que fin 2020. Autre sujet
d’interrogation : BPCE est peu ac­
tive dans le secteur au niveau glo­
bal, mais très présente dans le fi­
nancement des entreprises les
plus dépendantes du schiste.
Interrogée par Le Monde, BNP
Paribas souligne que l’étude com­
pare des banques de tailles diffé­
rentes sur le marché américain.
Dans la mesure où elle est un gros
acteur aux Etats­Unis, sa part
dans le schiste est relative,
contrairement à Société générale.
« Dans le contexte actuel de crise
du prix du pétrole, on constate que
ce sont ces entreprises, peu diversi­
fiées, qui ne vont pas très bien. On
tion. Dans un sondage publié dé­
gouvernement prenne des mesu­
res aussi draconiennes pour lut­
ter contre le changement climati­
que que face à la pandémie.
Cependant, le virage est compli­
tive de notre économie, à la source
de notre fortune et de notre Etat­
providence, que nous avons du
mal à imaginer un avenir diffé­
rent », note Frode Pleym.
Il souligne l’habileté de l’indus­
trie, qui a réussi à imposer l’idée
que le pétrole norvégien, « le plus
propre du monde », était indis­
pensable à la transition énergéti­
que : « Cela fait rire n’importe qui à
l’étranger, mais une partie des
Norvégiens y croient », assure le
leader de Greenpeace.
Pression de l’industrie
Au cours des prochaines semai­
nes, les députés vont débattre de
la délimitation de la zone des gla­
ces en mer de Barents, au­delà de
laquelle le Parlement s’est engagé
à ne mener aucune activité d’ex­
traction. Dans leurs recomman­
dations au gouvernement, les
scientifiques avaient demandé
que son tracé actuel soit revu, au
profit d’une définition bien plus
restrictive. « De nouvelles études
montrent que la zone frontière
constitue un “point chaud” de bio­
diversité, très vulnérable à la
moindre pollution », explique Ole
Arve Misund, le directeur de l’Ins­
titut polaire.
Sous la pression de l’industrie
pétrolière, soutenue par les popu­
listes du Parti du progrès, Erna
Solberg a proposé un compromis,
le 24 avril. « La zone inclut
60 000 km2 de plus qu’actuelle­
ment, mais il manque 100 000 km2
par rapport à ce que nous deman­
dions », remarque Ole Arve Mi­
sund.
Déçues, les ONG comptent
poursuivre la lutte sur le champ
judiciaire. Fin avril, la Cour su­
prême du royaume a accepté
d’examiner la plainte de
Greenpeace et Natur og Ungdom
(« nature et jeunesse ») contre
l’Etat, qu’elles accusent de violer
la Constitution du pays et l’accord
de Paris en autorisant la prospec­
tion en mer de Barents. 
anne­françoise hivert
se dit donc, a posteriori, qu’écono­
mie et environnement se rejoi­
gnent », affirme BNP Paribas. Le
Crédit agricole a pour sa part opté
en 2015 pour une sortie progres­
sive des entreprises spécialisées
dans le schiste à l’horizon 2022,
sans pour autant s’interdire de fi­
nancer des infrastructures.
En 2011, la France a interdit les
forages de schiste sur le sol natio­
nal, et, en 2019, elle a inscrit dans
la loi le fait de ne plus donner de
garanties à l’export aux sociétés
travaillant dans le secteur. Pour
Lorette Philippot, des Amis de la
Terre, « il faut aller plus loin et être
cohérent : l’Etat doit encadrer les
flux financiers publics et privés à
destination des énergies fossiles, et
en particulier du schiste ». 
véronique chocron
et nabil wakim

16 | coronavirus
« Nous avons besoin de coopération et de bon sens »
Le ministre argentin de l’économie, Martin Guzman, négocie la restructuration de la dette nationale
ENTRETIEN
L’
Argentine, en proie à
une grave crise écono­
mique et sociale depuis
2018, négocie avec ses
créanciers privés la restructura­
tion d’une importante partie de sa
dette – 66 milliards de dollars sur
323 milliards (61 milliards d’euros
sur 298 milliards). L’offre du gou­
vernement prévoit une décote de
5,4 % sur le capital, de 62 % sur les
intérêts, et un moratoire de trois
ans sur les paiements. Martin
Guzman, le ministre de l’écono­
mie depuis décembre 2019, et ex­
chercheur à l’université Colum­
bia, à New York, craint un défaut
de paiement si aucun accord n’est
trouvé avant le 22 mai.
Les négociations entre l’Argen­
tine et ses créanciers privés
n’ont pas abouti à un accord à
la date prévue du 8 mai. Quels
sont les points de blocage ?
Notre priorité est d’obtenir un
accord durable, qui permette de
restructurer la dette de manière
compatible avec le retour d’une
croissance durable de l’Argentine.
Nous avons décidé de prolonger
l’échéance jusqu’au 22 mai. Cer­
tains créanciers ont accepté notre
offre, d’autres non. Nous es­
sayons de résoudre ces diffé­
rends, mais nous ne voulons pas
faire de promesses que nous ne
pourrons pas tenir, par exemple
payer des taux d’intérêt élevés
comme nous le demandent cer­
tains créanciers, alors que nous
n’en avons pas les capacités.
En plus, nous affrontons la crise
du Covid­19, ce qui aggrave notre
situation. Nous avions engagé un
processus de restructuration de la
dette dans un contexte déjà diffi­
cile, et nous continuons d’avancer
sur ce processus, sans remettre en
cause nos prévisions à moyen et
long termes. Nous avons présenté
une offre et sommes ouverts à des
propositions alternatives qui res­
pectent les contraintes auxquel­
les nous faisons face.
Que se passera­t­il si les négo­
ciations ne parviennent pas à
un résultat avant le 22 mai.
L’Argentine pourrait­elle entrer
en défaut de paiement ?
R É A SS U RAN C E
Covéa renonce au rachat
de Partner Re
Le leader français de l’assu­
rance­dommages Covéa re­
nonce à racheter pour 9 mil­
liards de dollars (8,3 milliards
d’euros) le réassureur Partner
Re à la holding financière
Exor, de la famille italienne
Agnelli, ont indiqué mardi
12 mai les parties concernées.
Le groupe mutualiste souhai­
tait négocier le prix à la
baisse, mais Exor a refusé.
T RA N S P O RT
CMA CGM obtient un
prêt de 1,05 milliard
d’euros garanti par l’Etat
Après la compagnie aérienne
Air France­KLM et les grou­
pes de distribution Fnac­
Darty et Castorama, c’est au
tour de CMA CGM d’obtenir
un prêt de 1,05 milliard
d’euros garanti par l’Etat, se­
lon le JO du 13 mai. – (AFP.)
I N D UST R I E
L’Oréal maintient
son dividende
L’Oréal prévoit de maintenir
en 2020 son dividende au ni­
veau de celui de 2019, et de ne
pas l’augmenter comme
prévu, a annoncé le groupe
mardi 12 mai. Jean­Paul Agon,
son PDG, renonce à une partie
de sa rémunération variable
au titre de 2020, soit une
baisse de 30 %.
A Buenos
Aires,
le 6 mai.
BLOOMBERG/
GETTY IMAGES
L’Argentine fait aujourd’hui face
à des conditions qui sont celles
d’un défaut de paiement virtuel.
Le « risque pays » est très élevé, et
les conditions d’accès au crédit
sont très mauvaises. Nous sou­
haitons revenir à une dette sup­
portable, avoir des conditions
permettant le retour de la crois­
sance, et obtenir une intégration
appropriée de l’Argentine sur les
marchés internationaux de cré­
dit. Plus tôt cela arrivera, mieux
ce sera pour toutes les parties
concernées.
Nous voulons éviter une situa­
tion de défaut de paiement tech­
nique, mais cela ne dépend pas
que de nous. Nous avons besoin
de collaboration, de coopération
et de bon sens de la part de nos
créanciers. Il faut savoir que 52 %
de nos enfants de moins de 14 ans
vivent sous le seuil de pauvreté.
Un mauvais accord entraînerait
davantage de pauvreté, d’inégali­
tés et de chômage.
L’Ile­de­France, havre privilégié des Français les plus aisés
Paris reste la ville préférée des très hauts revenus, qui prisent également la Haute­Savoie et la Côte d’Azur
P our croiser une personne
« à très haut revenu », c’est
d’abord en Ile­de­France
qu’il faut aller, puisque parmi le
1 % des Français les plus fortunés,
un sur deux y possède une rési­
dence. Paris reste la ville favorite
des privilégiés : 20 % des très
hauts revenus y vivent, mais 10 %
ont plutôt opté pour les commu­
nes cossues des Hauts­de­Seine,
le département le plus opulent de
l’Hexagone après la capitale.
Pour élargir les horizons, on
peut aussi orienter ses pas vers les
régions frontalières ou le littoral,
en suivant les conclusions d’une
note publiée par l’Institut natio­
nal de la statistique et des études
économiques (Insee), mardi
12 mai. La Haute­Savoie, limitro­
phe de la Suisse, compte 2 % de
ménages à très hauts revenus
parmi sa population, soit davan­
tage que les Alpes­Maritimes.
Avec 1,3 % de très riches « seule­
ment », la prestigieuse Côte
d’Azur fait jeu égal avec le discret
département de l’Ain (1,3 %), Lyon
et sa métropole (1,3 %) et le Haut­
Rhin (1,2 %), lui aussi voisin de la
Confédération helvétique.
« La géographie des riches n’est
pas homogène », souligne Gérard
Moreau, chef de la division des
Quel est le rôle du Fonds mo­
nétaire international dans ces
négociations, et où en sont
les discussions autour de la
restructuration de la dette de
l’Argentine auprès de l’institu­
tion (44 milliards de dollars) ?
Les premiers remboursements
au FMI doivent avoir lieu en 2021.
Nous devons d’abord rembourser
les créanciers privés, et c’est pour­
quoi nous négocions avec eux.
Mais nous avons une relation très
constructive avec le FMI, nous tra­
vaillons très bien ensemble. C’est
le FMI qui, le premier, a déclaré
que la dette argentine n’était pas
supportable, et ils ont produit ré­
cemment une note technique dé­
taillant les capacités de rembour­
sement de la dette par l’Argentine,
année par année. Ce document
nous est utile dans nos négocia­
tions avec les créanciers privés.
Nous travaillerons ensuite avec le
FMI pour obtenir un nouveau
programme, fondé sur les objec­
statistiques régionales et locales à
l’Insee. Après l’Ile­de­France, qui
caracole en tête avec plus de 1 % de
riches dans sa population, quatre
régions en comptent entre 0,75 %
et 1 % : Grand­Est, Auvergne­Rhô­
ne­Alpes, Provence­Alpes­Côte
d’Azur, ainsi que la Corse.
A l’inverse, la Bretagne ne sem­
ble guère attirer les grandes fortu­
nes, puisque c’est la région métro­
politaine la moins bien lotie en la
matière et la seule où moins de
0,55 % des ménages appartien­
nent à ce club très fermé. « Sans
doute parce que les inégalités y
sont moindres qu’ailleurs : il y a
moins de pauvres, mais aussi
moins de riches », tente d’expli­
quer M. Moreau.
Dans ce panorama, l’Insee rap­
pelle également à partir de quel
Au sein de
cette partie de
la population
très fortunée,
on ne trouve que
10 % de femmes
seules
tifs suivants : rétablir la stabilité
macroéconomique du pays, re­
trouver la croissance et garantir la
stabilité sociale.
Beaucoup de pays sont
confrontés à une crise de la
dette. Faut­il, comme l’ont
suggéré les Nations unies en
avril, mettre en place un nou­
veau cadre réglementaire
international de restructura­
tion des dettes souveraines ?
Le monde en a certainement be­
soin, mais cela n’aura pas lieu de
sitôt. De nombreux pays qui sont
en ce moment en difficulté doi­
vent trouver des solutions par
eux­mêmes dans le cadre régle­
mentaire actuel. Or le monde se
trouve à un moment charnière.
Les Etats doivent jouer un rôle im­
portant pour protéger leur sec­
teur privé menacé par la crise du
Covid­19. Cela signifie que l’on a
besoin de la coopération de tous,
et de manière responsable.
niveau de revenus on fait partie
de la caste des riches. Pour reven­
diquer l’appartenance au club du
1 % les plus aisés, il faut justifier de
revenus d’au moins 9 000 euros
par mois pour une personne
seule, ou 19 020 euros mensuels
pour un couple avec deux enfants
de moins de 14 ans.
Cas particulier de La Réunion
Un revenu par « unité de
consommation » supérieur à
268 350 euros annuels révèle, lui,
l’appartenance à la classe des « ul­
trariches », qui représente 0,1 %
de la population la plus fortunée.
Cela correspond à un revenu de
22 360 euros mensuel pour une
personne seule et 46 960 euros
pour un couple avec deux enfants
de moins de 14 ans. Globalement,
en France, rappelle Gérard Mo­
reau, le 1 % de ménages les plus
nantis gagnent 7 % des revenus
avant redistribution – ce qui cor­
respond à un niveau d’inégalités
bien inférieur à celui des Etats­
Unis, par exemple.
D’où provient cet argent ? En Ile­
de­France comme en Auvergne­
Rhône­Alpes, la richesse émane
majoritairement des revenus sa­
lariaux. Ces deux régions se dis­
tinguent d’ailleurs par leur forte
Ce n’est pas le moment d’affai­
blir les Etats à une période où ils
sont appelés à jouer un rôle si im­
portant, comme c’est le cas pour
l’Argentine. L’accord sur la dette
souveraine va avoir une inci­
dence sur l’avenir. Le problème ne
concerne pas seulement l’Argen­
tine. Toute crise non résolue peut
avoir des conséquences dans
d’autres pays. C’est l’opinion de
nombreux économistes.
Dans le cadre des négociations
sur la dette avec les créanciers
privés et le FMI, prévoyez­vous
des mesures d’austérité ou des
coupes budgétaires ?
Dans notre plan sur dix ans, l’Ar­
gentine s’engage à dégager un ex­
cédent budgétaire. Mais cela doit
être compatible avec la reprise
économique. Or les conséquen­
ces économiques de la pandémie
de Covid­19 vont être lourdes.
L’Etat a lancé des plans d’aide à
destination des secteurs les plus
concentration en sièges sociaux
d’entreprises et leur population
de cadres supérieurs ou diri­
geants aux rémunérations
confortables. Mais 20 % des riches
– professions libérales, chefs d’en­
treprise, artistes… – tirent leur
aisance d’activités non salariées,
contre 3 % seulement pour l’en­
semble des ménages. Les revenus
du patrimoine, mobilier ou im­
mobilier, prédominent chez 22 %
des riches.
De manière assez frappante, les
plus aisés ne vivent pas au même
endroit selon l’origine de leur
bonne fortune. On trouve plus fa­
cilement dans les grandes villes
des cadres dirigeants gratifiés de
confortables revenus salariaux,
mais leur présence se raréfie au
fur et à mesure que le tissu urbain
s’aère. En campagne, on croisera
plutôt de riches rentiers, dont les
revenus sont issus du patrimoine,
mobilier ou immobilier.
Les riches demeurent aussi en
outre­mer pour certains, comme
en témoigne la situation particu­
lière de La Réunion. L’île de l’océan
Indien compte 5 100 personnes vi­
vant dans des foyers à très hauts
revenus, soit 0,6 % de la popula­
tion, et leur aisance provient de
revenus non salariaux. « La part
0123
JEUDI 14 MAI 2020
« Le pays fait
aujourd’hui face
à des conditions
qui sont celles
d’un défaut
de paiement
virtuel »
vulnérables et des entreprises
pour permettre à l’économie de
repartir ; il doit verser des indem­
nités chômage et soutenir les sa­
laires. Ces mesures vont bien sûr
impliquer un déficit budgétaire
plus important que celui prévu
avant le début de la pandémie.
Certains économistes et mem­
bres de l’opposition ont criti­
qué la prolongation du confi­
nement, prévu jusqu’au 24 mai
à Buenos Aires et dans sa ban­
lieue. La détérioration de la
situation économique ne
met­elle pas aussi des vies
en danger ?
Nous avons défini trois princi­
pes pour surmonter cette crise. Le
premier, c’est que la santé des
gens est notre priorité absolue. Vu
la situation dans laquelle se trou­
vait l’Argentine, dont le système
de santé s’est détérioré ces derniè­
res années, nous avons décidé un
confinement strict afin de préve­
nir la circulation et l’expansion
du virus. Notre deuxième prin­
cipe est de défendre les plus fragi­
les. Et notre troisième, de préser­
ver nos entreprises.
Nous avons adopté un certain
nombre de mesures pour proté­
ger à la fois les personnes et les so­
ciétés. Le confinement a aussi été
rendu plus flexible ces dernières
semaines. Dans le même temps,
nous avons mis en place des pro­
tocoles de prévention très stricts
afin d’éviter que le virus se ré­
pande. Nous avons besoin d’avan­
cer à petits pas, c’est le plus pru­
dent, afin de sauvegarder à la fois
la santé des gens et l’économie. 
propos recueillis par
julien bouissou
et aude villiers­moriamé
(buenos aires,
correspondante)
des personnes réunionnaises avec
de tels revenus paraît donc élevée
au regard du retard de développe­
ment économique de l’île », note
l’Insee. « Le produit intérieur brut
par habitant y est en effet inférieur
de 26 % à la moyenne. »
A quoi ressemblent sociologi­
quement des ménages fortunés ?
Sur la photo de groupe, une fois
sur deux, le chef de famille (ou ré­
férent fiscal) a plus de 60 ans. Près
de quatre fois sur dix, il n’y a pas
d’enfant, alors que dans l’ensem­
ble de la population, la propor­
tion tombe à une fois sur quatre.
On compte 15 % d’hommes seuls,
alors que les femmes seules ne
sont que 10 % parmi cette partie
de la population.
Quant aux familles monopa­
rentales, elles restent l’exception
dans cet univers, puisqu’elles ne
sont que 4 % – plus de deux fois
moins que dans le reste de la po­
pulation. A toutes fins utiles,
l’Insee rappelle que, du fait du ba­
rème progressif de l’impôt sur le
revenu, les ménages les plus ri­
ches reversent 30 % de leurs reve­
nus sous forme d’impôts directs,
et même 35 % pour les plus aisés,
contre une moyenne de 15 % pour
l’ensemble de la population. 
béatrice madeline
0123
JEUDI 14 MAI 2020 management | 17
Pour les responsables des ressources CARNET DE BUREAU 
CHRONIQUE PAR ANNE RODIER

humaines, la crise ne fait que commencer Licenciement confiné :

Proches de l’épuisement, les DRH doivent désormais orchestrer le déconfinement
la double peine
D
epuis le début de la s’exclame Benoît Serre, vice­pré­ tances de représentation du per­
La profession

crise due au Covid­19,
Cécile Kebbal clôt
tous ses mails par
cette signature : « Je reste joigna­
ble par téléphone et mail 7/7. »
Donner de son temps sans comp­
ter ? La question ne se pose
même pas pour cette directrice
des ressources humaines (DRH)
énergique de la Manufacture
d’histoires Deux­Ponts. Cette im­
primerie implantée dans l’Isère
emploie 130 salariés, dont une
partie en télétravail depuis le dé­
but de la crise. Aux yeux de Cécile
Kebbal, nécessité fait loi : « Vu le
caractère exceptionnel de la situa­
tion, de ma propre initiative, j’ai
très vite dit que j’étais disponible à
tout moment pour répondre aux
inquiétudes des salariés. »
Alors qu’ils se lancent dans le
chantier du déconfinement, les
DRH demeurent sur tous les
fronts. Tenus de protéger la santé
des salariés tout en assurant la
poursuite de l’activité, ils doivent
malgré tout maintenir leur tête et
celle de l’entreprise hors de l’eau.
« Les DRH sont à 100 % à la
manœuvre depuis fin février ! »,
LES CHIFFRES
90 %
des responsables interrogés
se disent épuisés (+ 10 points
par rapport à février 2020), selon
l’enquête express réalisée début
avril par les éditions Tissot,
auprès de 160 professionnels
des ressources humaines.
82 %
se disent isolés (+ 15 points)
et 71 % ont des difficultés
à suivre les évolutions
réglementaires (+ 29 points).
sident de l’Association nationale
des DRH (Andrh). Une forte pres­
sion pèse sur leurs épaules.
A en croire une enquête express
réalisée du 2 au 7 avril par les édi­
tions Tissot auprès de 160 profes­
sionnels des ressources humai­
nes, pas moins de 90 % des son­
dés se déclarent proches de
l’épuisement. Le sujet est sensi­
ble : tenus à la réserve, plusieurs
DRH que nous avons sollicités ont
décliné notre demande ou requis
l’anonymat. « On est les oubliés de
la seconde ligne », soupire San­
drine (son prénom a été modifié),
la directrice des ressources hu­
maines d’une PME de 300 per­
sonnes, qui évoque une charge de
travail « assez impressionnante ».
Une myriade de textes
Elle a d’ailleurs répondu à notre
demande d’interview un diman­
che. « Il y a eu des tas de petits
trucs auxquels il a fallu apporter
des réponses et qui, mis bout à
bout, ont rallongé les journées,
renchérit Cécile, une autre DRH
(son prénom a également été
modifié) : intégrer les nouveaux
collaborateurs, faire livrer du ma­
tériel aux salariés en télétravail…
A chaque fois, il faut apporter une
solution nouvelle. »
Le casse­tête paraît sans fin.
« Les DRH doivent à la fois gérer
l’urgence et réfléchir au long
terme », souligne Marc François­
Brazier, de Deloitte Capital Hu­
main. De plus, « dans les groupes
internationaux, il faut prendre en
compte au niveau de chaque pays
le stade de la pandémie, les mesu­
res en place… » Dès les prémices
du confinement, les DRH ont été
tenus d’apporter des réponses
aux risques courus par les sala­
riés sur leur lieu de travail, alors
qu’eux­mêmes naviguaient à
vue : « Début mars, on a sollicité
la médecine du travail, qui n’était
pas du tout au fait de ce qu’il
table sur
un maintien
en télétravail en
vue d’un retour
à la normale
à la rentrée
fallait faire, témoigne Cécile Keb­
bal. Finalement, on a pris nous­
mêmes l’initiative d’acheter du gel
hydroalcoolique et de faire des
stocks de masques. »
Compliquant la situation, la
myriade de textes réglementai­
res et législatifs survenue depuis
le début du confinement n’était
pas toujours très claire : « Sur la
question du chômage partiel, ça
a été assez épouvantable, dé­
plore Benoît Serre. Les démar­
ches ont été fastidieuses et les ré­
ponses des Direccte [directions
régionales des entreprises, de la
concurrence, de la consomma­
tion, du travail et de l’emploi] ne
concordaient pas. »
Une gageure aussi pour les pe­
tites entreprises, qui n’ont pas
l’outillage juridique des grandes.
A la tête de l’agence digitale
Webqam, qui compte une cin­
quantaine de salariés, Vincent
Gallot a dû répondre lui­même
aux questions de ses collabora­
teurs : « Je pense être bien informé
par le biais des réseaux profes­
sionnels auxquels j’appartiens,
mais je peux comprendre que
ce soit compliqué pour un diri­
geant de TPE », dit­il.
Solitude et fatigue
A la charge de travail s’ajoute un
sentiment de solitude : selon le
sondage mené par les éditions
Tissot, 82 % des répondants se di­
sent isolés. « Les avis divergent
parfois avec la direction et les ins­
sonnel », explique Caroline Acs, la
directrice générale des éditions
Tissot. Sommés d’avoir réponse à
tout, les DRH se retrouvent quel­
quefois pris dans des injonctions
contradictoires. « C’est peut­être
lié au fait que nous sommes en té­
létravail, mais on se sent parfois
isolé au niveau des décisions »,
confirme Sandrine.
La fatigue ressentie par une
partie des responsables des res­
sources humaines s’inscrit dans
un malaise plus global : le taux de
professionnels insatisfaits dans
le baromètre des éditions Tissot,
qui sonde chaque année l’état
d’esprit des DRH, était élevé
avant même cette crise. « On sort
déjà de deux années très lourdes
au niveau de la réglementation »,
souligne Sandrine. Plusieurs évo­
quent en creux un manque de re­
connaissance.
Bientôt le bout du tunnel ? L’en­
semble des DRH interrogés esti­
ment que le plus gros du chantier
est derrière eux, même si le dé­
confinement suscite des inquié­
tudes : « Il faut qu’on pense aux
salles de réunion, à la restaura­
tion… On se pose mille questions »,
avoue Sandrine. « Avec la néces­
saire gestion des risques sanitai­
res et le devoir de précaution,
une épée de Damoclès pèse au­
dessus de leur tête », renchérit
Marc François­Brazier.
Les responsables des ressour­
ces humaines interrogés tablent
sur un maintien en télétravail
pour la majorité des collabora­
teurs, en vue d’un retour à la
normale à la rentrée. Mais,
« pour faire revenir les salariés,
encore faudrait­il qu’il y ait du
travail, s’alarme Cécile Kebbal.
Ma plus grande inquiétude, c’est
l’avenir. » Pour les DRH comme
pour l’ensemble des salariés, le
déconfinement est loin de signi­
fier la fin de la crise. 
catherine quignon
J
e vais probablement quitter cette boîte et chercher
ailleurs », confie Nathalie, sous le couvert de l’anony­
mat. A 52 ans, ingénieure d’études chez Hilti France, la
filiale de l’entreprise d’outillage pour le BTP fondée au
Liechtenstein en 1941, elle vient d’avoir la confirmation
de son licenciement par lettre recommandée, sans avoir pu
s’expliquer de vive voix avec son employeur, sans entretien
préalable. Début mars, « un matin, j’arrive, mon badge ne
fonctionnait plus », raconte­t­elle. Un courrier recommandé
la convoquant à un entretien préalable le 23 mars l’attendait
dans sa boîte aux lettres, qu’elle n’avait pas encore ouverte.
Mais le 16 mars, Emmanuel Macron annonçait aux Fran­
çais qu’ils devaient désormais rester confinés. Qu’allait de­
venir l’entretien préalable ? Tout le monde a commencé à se
réorganiser pour poursuivre le cours de l’activité à distance.
« L’employeur aurait dû vous convoquer à un entretien préa­
lable au sein de l’entreprise. Il doit cependant (…) s’assurer du
respect des gestes barrières et garantir la distanciation. Les
circonstances actuelles ne sont pas un motif, en soi, pour re­
porter ou annuler cet entretien. L’em­
ployeur, devait donc, sous réserve de l’ap­
NATHALIE  préciation souveraine des tribunaux, le
VA À L’ENTRETIEN  maintenir », répond l’inspection du travail.
Mais, à partir du 16 mars, la communica­
ET NE TROUVE  tion entre Nathalie et Hilti devient très
instable. Les échanges par courrier ou par
QUE LE GARDIEN  e­mail arrivent dans le désordre. Nathalie,
QUI LUI DIT QUE  confinée à Bezons (Val­d’Oise), reçoit
d’abord des courriers à son adresse de
LE SITE EST FERMÉ Courbevoie, où elle ne passe que tous les
trois jours. Hilti lui fait savoir par e­mail
que « les règles du confinement (…) rendent impossible la te­
nue de l’entretien physique [du 23 mars] » et l’invite « à faire
part de ses commentaires (…) par retour de courriel ».
« Un mail, ce n’est pas comme un entretien où, en fonction
de ce qu’ils me disent, je peux faire mes observations », dit­
elle. Et puis Nathalie se méfie des e­mails, alors, le 23 mars,
elle va à l’entretien, où elle ne trouve que le gardien qui lui
dit que le site est fermé. A sa demande, Hilti convoque
Nathalie à un second entretien le 14 avril, qui pourrait ne
pas se tenir si le confinement est maintenu, précise l’entre­
prise. L’entretien préalable n’aura jamais lieu et une lettre
recommandée lui confirmera son licenciement début mai.
La juriste d’Hilti France, contactée par téléphone, n’a pas ré­
pondu à nos sollicitations pour donner sa version des faits.
Si l’e­mail avec accusé de réception peut remplacer une
lettre recommandée pour convoquer le salarié à l’entre­
tien préalable, le débat contradictoire avec le soutien d’un
tiers est plus difficile à imaginer sous forme d’échange
de courriels. De nombreuses entreprises ont proposé la
visioconférence pour organiser l’entretien préalable. Il
serait regrettable que le confinement ait réduit les moyens
de défense des salariés. 

AVIS D’EXPERT  |  DROIT SOCIAL L’INNOVATION SOCIALE CONTRASTÉE

Etre délégué en période de distanciation physique

E M
n cette période de distanciation physique
obligée, comment les représentants du
personnel peuvent­ils prendre contact
avec des salariés pour accomplir leur mission ? Si
l’ordonnance du 1er avril 2020 s’est occupée du
fonctionnement du comité social et économi­
que (CSE) – visioconférence, messagerie instan­
tanée –, rien de tel concernant les délégués.
Un bon dialogue social sous forme d’intelli­
gence collective étant essentiel en ces temps de
déconfinement, comment concilier les règles
impératives d’urgence sanitaire avec la liberté
de circulation, dont bénéficie tout représentant
du personnel ? Hier, l’ouvrier ou la vendeuse
quittaient leur poste pour aller discuter avec
des salariés sur leur temps et leur lieu de travail.
Aujourd’hui, entre la banalisation du télétravail
et le chômage partiel, c’est moins évident.
Il n’existe pour autant aucun « vide juridique ».
Trois exemples l’indiquent. Pour le membre du
CSE quittant hier son poste pour aller dans les bu­
reaux prendre contact avec ses camarades, rien
de nouveau. Entre éclatement des sites et colla­
borateurs nomades, bien avant la pandémie, la
« liberté de circulation » de nombre de délégués
s’exerçait déjà grâce aux autoroutes de l’informa­
tion. Alors le délégué télétravailleur prendra ses
« heures de délégation » sur son temps de travail,
échangeant de chez lui par téléphone ou messa­
gerie instantanée. Il pourra même dépasser son
quota d’heures mensuel, car cette pandémie
constitue une « circonstance exceptionnelle ».
Le deuxième exemple expose la question du
principe de « libre circulation » (physique) en pé­
riode d’urgence sanitaire. Réponse avec l’ordon­
nance du tribunal judiciaire de Saint­Etienne
(Loire) du 27 avril 2020, saisi par un délégué syn­
dical CGT en télétravail s’étant vu interdire tout
accès à une usine en chômage partiel.
Le juge rappelle d’abord l’obligation générale
du strict respect des règles sanitaires : « La limita­
tion de la liberté de circulation des représentants
doit s’apprécier dans le cadre de l’ordre juridique éfiez­vous de mière partie de l’ouvrage, qui dé­
exceptionnel et provisoire résultant de l’état d’ur­ l’éloge unanime de crit le tournant néolibéral de l’in­
gence sanitaire limitant de façon générale la li­ l’innovation so­ novation sociale grâce à des
berté de circulation. » Le droit étant devenu la ciale : le consensus contributions sur l’Amérique du
science de la conciliation : les restrictions patro­ autour de sa virtuosité dérive de Nord, l’Asie et l’Europe.
nales « à cette liberté fondamentale étaient­elles la variété de représentations et de
proportionnées » ? En l’espèce non, car la com­ pratiques englobées sous cette Un gage de changement
munication syndicale sur la messagerie de l’en­ appellation. « Cette polysémie Expérimentations démocratiques
treprise était interdite (en l’absence d’accord col­ permet à de nombreux auteurs de œuvrant à la création de services
lectif, la loi autorise seulement le syndicat à dis­ se ranger sous une même ban­ d’utilité sociale, à la mobilisation
poser d’un panneau sur l’intranet). nière alors qu’ils ont des référen­ des sans­voix, à la mise en œuvre
Le tribunal ordonne donc à la société de déli­ ces et des orientations distinctes, des modalités alternatives de DU SOCIAL BUSINESS 
vrer au délégué un justificatif de déplacement voire divergentes », soulignent consommation, ou encore à des À L’ÉCONOMIE SOCIALE 
professionnel et une autorisation d’accéder à Maïté Juan et Jean­Louis Laville formes d’autogouvernement ci­ ET SOLIDAIRE
l’établissement. Mais en dans Du social business à l’écono­ toyen… la seconde version n’a pas sous la direction de Maïté
lui rappelant le « strict mie solidaire (Erès), un ouvrage disparu pour autant. « Très présen­
respect des conditions sa­
SI LE TÉLÉTRAVAIL  que la docteure en sociologie et le tes sur le terrain, les initiatives ci­
Juan, Jean-Louis Laville
et Joan Subirats. Erès,
nitaires imposées à tous SE DÉVELOPPE,  professeur au Conservatoire na­ toyennes sont délaissées au profit 336 pages, 28,50 euros
les salariés ». Rien de tional des arts et métiers dirigent de démarches plus managériales et
nouveau : sous peine de NOTRE CODE avec le professeur en sciences po­ pourtant beaucoup moins répan­
sanction disciplinaire, litiques Joan Subirats. dues. » Ce « déni de démocratie en
tout délégué doit se plier
DU TRAVAIL Deux acceptions contrastées de matière d’innovation sociale » est
aux règles de sécurité vi­ VA DEVOIR  l’innovation sociale se font face. développé dans la deuxième par­ elles interrogent le monopole de
sant tout le personnel : La première version, « qui peut tie de l’ouvrage. l’expert dans la production et la
badge, casque, gants… S’ADAPTER être qualifiée de faible », aménage Engagées dans une lutte pour validation du savoir. »
Troisième exemple, le système existant et valorise leur reconnaissance, ces initiati­ Les démarches de croisement
enfin : un délégué mis en chômage partiel à l’entreprise privée dans sa capa­ ves se heurtent « aux mécanis­ des connaissances entre acteurs
100 % sur une période donnée peut­il venir cité à trouver de nouvelles solu­ mes technocratiques dans la gou­ associatifs, scientifiques et politi­
dans l’entreprise ? Oui, si elle est en activité. Car tions aux problèmes de société. vernance des territoires, excluant ques pourraient contribuer à légi­
même si son contrat est suspendu (comme La seconde version affiche une les citoyens ordinaires du débat timer des actions collectives qui,
lorsqu’il est en congé), son mandat de représen­ visée transformatrice et prône, en public, ainsi qu’à des logiques sinon, restent négligées. Cette hy­
tant du personnel est maintenu. Mais il doit réaction à la démesure du capita­ d’évaluation quantitative qui ne pothèse d’une triangulation en­
respecter les règles d’urgence sanitaire. lisme marchand, une articulation permettent pas de mesurer fine­ tre acteurs, chercheurs et respon­
Si le télétravail se développe, notre code du inédite entre pouvoirs publics et ment leur utilité sociale ». La mise sables publics est explorée dans la
travail va devoir s’adapter en donnant aux syn­ société civile pour répondre aux en visibilité de ces expérimenta­ troisième partie. « A travers les
dicats un droit d’accès à la messagerie électroni­ défis écologiques et sociaux. De­ tions dépendrait alors de l’avè­ exemples locaux mentionnés se
que de l’entreprise. Mais dans le strict respect puis quelques années, des restric­ nement de nouvelles relations dessine une autre forme d’institu­
des règles de sécurité des systèmes d’informa­ tions budgétaires importantes entre science et société, aptes à tionnalisation de l’innovation so­
tion, et des lois informatique et libertés.  ont favorisé la première version. mettre en valeur la pluralité des ciale qui en fait non plus une com­
Cette « instrumentalisation de l’in­ formes de connaissance. « Les re­ posante de l’ordre néolibéral, mais
Jean­Emmanuel Ray, professeur à l’Ecole novation sociale par le néolibéra­ cherches participatives, en plein un gage de changement. » 
de droit de Paris­I­Panthéon­Sorbonne lisme » est détaillée dans la pre­ essor, peuvent jouer ce rôle car margherita nasi
18 | france
Affaire Ramadan : la bataille des réseaux sociaux
L’islamologue, soupçonné de viol, dispose de nombreux relais sur Internet capables d’influencer l’opinion
Q
uelques notes de
piano, le soleil et des
nuages. Puis ces mots,
doucement pronon­
cés. « Bonjour, que la
paix soit sur vous. » Sur Twitter,
lors du premier mois du confine­
ment, l’islamologue suisse Tariq
Ramadan s’est fendu de courtes
vidéos, en français et en anglais. A
chaque « chronique » son mot,
raconté devant un canapé ou une
bibliothèque. Il fut question de
« confiance » (20 mars), de « crise »
(25 mars), de « Dieu » (31 mars),
mais aussi d’« amour » (10 avril)
ou de « silence » (5 avril). « Le con­
texte particulier du confinement
me paraissait inviter à la réflexion
et au partage », explique­t­il au
Monde. Depuis le 24 avril, il a rem­
placé ces rendez­vous quotidiens
par une « rencontre avec le Co­
ran », où il revient sur des versets
du texte sacré.
Echanges exposés au grand jour
Outre ces prises de parole apai­
sées, relayées sur sa chaîne You­
Tube et son compte Facebook,
Tariq Ramadan a continué de
partager des articles sur l’affaire
judiciaire qui lui vaut quatre mi­
ses en examen pour viol. Le ton y
apparaît plus offensif. Entre deux
Tweet sur le « lâcher prise », le
4 avril, il dénonce ces « femmes
manipulées et manipulant la jus­
tice ». Un autre jour, il évoque le
« déshonneur judiciaire » et
retweete un message en sa faveur
où il est question de « complot ».
La crise due au coronavirus n’a
pas marqué de trêve. En parallèle
Bonnes Adresses
JAMES le couturier de l’homme
Le prêt-à-porter à votre mesure
Tailles
du 44 au 70
CARDIN - DIGEL
ZINS - BERAC, etc...
Les meilleurs
Vêtements de qualité pour homme
Du mardi au vendredi de 14 h 30 à 19 heures,
Samedi de 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 19 heures
53, rue d’Avron - 75020 PARIS - Tél. : 01.43.73.21.03
ef
RUBRIQUE BONNES AFFAIRES
POUR VENDRE,
VOULEZ-VOUS LE BON PLAN
OU LE MEILLEUR ?
ef
Professionnels ou particuliers,
valorisez vos services et bonnes affaires
auprès d’une clientèle 100% premium.
Le mercredi et le samedi,
Le Monde devient votre vitrine.
FORFAIT LIGNAGE FORFAIT MODULES
à partir de 65 €HT à partir de 300 €HT
marie-cecile.bernard@mpublicite.fr
de la bataille judiciaire que consti­ s’est constituée partie civile en
tue l’affaire Ramadan depuis plus janvier, a vu son identité révélée,
de deux ans se joue une guerre mi­avril, sur un site Internet. Là
des réseaux sociaux dans laquelle encore, Twitter est apparu comme
sont exposés au grand jour les un amplificateur de cette viola­
échanges entre certaines de ces tion manifeste de l’article 39 de la
femmes et leurs avocats, ou avec loi du 29 juillet 1881 sur la liberté
les journalistes. Les insultes cô­ de la presse, selon lequel il est, de­
toient les fausses captures d’écran puis une modification du texte
et les menaces. Sur Facebook ou en 2000, interdit de diffuser « des
Twitter, des comptes anonymes renseignements concernant l’iden­
offrent une caisse de résonance à tité d’une victime d’une agression
toutes les attaques. Parfois ou d’une atteinte sexuelles ».
même, les plaignantes se dispu­ Fort de ses 700 000 abonnés sur
tent publiquement entre elles. Twitter − ils sont 89 000 sur sa
Alors que Tariq Ramadan doit chaîne YouTube et 2 millions sur
comparaître devant la 17e chambre son compte Facebook −, Tariq Ra­
du tribunal judiciaire de Paris, le madan relaie les publications des
24 juin, pour avoir cité à 84 repri­ sites Reveilcitoyenmedia.com et
ses, dans son livre Devoir de vérité Affaireramadan.com. Sur ces pla­
(L’Archipel, 2019), l’identité de tes­formes aux mentions légales
« Christelle », qui l’accuse d’un viol incomplètes − impossible, donc,
à Lyon en 2009, les internautes, de savoir qui est derrière leur
souvent anonymes, ont amplifié création −, sont écrits des articles
le phénomène. Le prénom et le signés sous pseudonymes. Les
nom de cette femme ont été pu­ textes mentionnent des éléments
bliés des centaines de fois par une du dossier judiciaire, sans s’em­
myriade de sites et de comptes barrasser d’anonymiser les plai­
Twitter. Une autre plaignante, qui gnantes qui le souhaiteraient.
Des recherches menées sur le dark Net
Selon Le Parisien, un internaute, « Bidule7575 », a cherché, en
mars 2018, à se procurer sur le dark Net, un réseau parallèle du
Web, des informations sur l’identité de la deuxième plaignante,
« Christelle ». Dans son édition du 13 mai, le quotidien indique
que « Haurus », un policier du renseignement poursuivi par la jus-
tice pour avoir vendu des informations sensibles, avait été solli-
cité pour effectuer des recherches dans les fichiers de police con-
cernant la quadragénaire. Si « Bidule7575 » n’a pas été identifié,
au printemps 2018, le prénom de la plaignante et sa date de
naissance étaient dévoilés sur Le Muslim Post, un site ayant con-
sacré de nombreux articles à la défense de Tariq Ramadan.
Tarifs 01/01/20 Tél. : 01 57 28 29 94
1 parution Professionnels Particuliers
Forfait 5 lignes 65€ HT 65€ TTC
Forfait 10 lignes 110€ HT 110€ TTC
Reproduction interdite
Suite à mes prestations
BIJOUX télévisées sur le marché
de l’art, je vous propose
PERRONO-BIJOUX UN RENDEZ-VOUS
Costumes -------------- POUR VOS DEMANDES
Vestes Anciens. Occasions argenteries.
D’ESTIMATIONS,
Spécialisé successions
Pantalons Brillants. Pierres précieuses. J’ACHETE
Parkas Création & transformation Meubles Tableaux Pendules
réparations. Achats ventes.
Echanges sélectionné par le guide
Objets d’art & curiosités
Argenterie Livres anciens
Violons & Archets anciens
PARIS PAS CHER
--------------
Vins,
Art d’Afrique et d’Asie
Art décoratif du XXe s
Art d’Islam et d’Orient
OPÉRA : angle bd des Italiens Photos anciennes et d’artistes
Sérieux et discrétion
4, rue de la Chaussée d’Antin
assurés, déplacements
Tél : 01 47 70 83 61 Paris et Province.
PATRICK MORCOS
EXPERT
ANTIQUITÉS Affilié à la Compagnie
Nationale des Experts
06.07.55.42.30
morcospatrick@orange.fr
ACHAT AU DESSUS
DE VOS ESTIMATIONS
ACHÈTE
ET EXPERTISES
« ART D’ASIE » :
Mobilier de toutes époques
Pianos droits & à queue
Manteaux de fourrure
CHINE, JAPON Sacs à main & foulards de marques
Briquets Dupont, Cartier...
ET MOYEN-ORIENT
Bijoux anciens & contemporains
Services de table
06 07 55 42 30 Ménagères & argenteries
Tableaux anciens & contemporains
P. MORCOS Objets asiatiques : vases, assiettes
Bouddhas, corails, ivoires ...
EXPERT CNE
Livres anciens & contemporains
✶ Porcelaines et Bronzes Armes anciennes : sabres, fusils...
Sculptures & horlogerie
✶ Cristal de Roche Montres : Rolex, Cartier, Oméga,
✶ Corail et Ivoires Anc. Jaeger-LeCoultre, Longines, Lipe...
Vases Gallé, Daum, Lalique...
✶ Jade blanc et couleurs Tapis, tapisseries, lustreries...
✶ Cornes et Laques N’hésitez pas à nous contacter
MAISON CHARLES HEITZMANN
✶ Peintures et Tissus anc.
06 19 89 55 28
✶ Manuscrits et Estampes DÉPLACEMENTS RÉGULIERS
DEPLACEMENT ET GRATUITS SUR TOUTE LA FRANCE
Paiement comptant immédiat
PARIS – PROVINCE
charlesheitzmann@free.fr
morcospatrick@orange.fr www.antiquaire-heitzmann.fr
S’il nie toute opération concer­
tée sur les réseaux sociaux − « je
n’ai aucune stratégie numérique,
j’ai un souci de vérité » −, Tariq Ra­
madan assume le partage de ces
articles. « Il n’y a eu aucun respect
du secret de l’instruction dans mon
affaire et certains médias ont
publié des informations quasi­
ment toujours à charge, tronquées,
partielles, et souvent erronées, esti­
me­t­il. Sur les réseaux sociaux, je
relaie des faits et des articles dont
les médias ne rendent pas toujours
compte malheureusement. »
Attaques numériques
Les défenseurs des plaignantes,
eux, dénoncent la violence des
attaques numériques subies par
leurs clientes. « Je suis avocat
depuis cinq ans, et c’est la seule
affaire qui a déchaîné un tel défer­
lement, observe Jonas Haddad,
l’un des conseils d’Henda Ayari,
très présente sur les réseaux so­
ciaux, qui a porté plainte contre
Tariq Ramadan en octobre 2017.
Tous les jours, sur Twitter, j’ai des
mentions sur le sujet. Il n’y a pas
un jour sans qu’il y ait des insultes,
des menaces. Nous aussi, les avo­
cats, on s’en prend plein la tête. » Il
assure avoir déposé « des dizaines
de plaintes » à la suite d’insultes,
de menaces de mort, ou d’incita­
tions au viol visant sa cliente.
Eric Morain, qui défend « Chris­
telle », dénonce une « stratégie de
la terreur, destinée à faire pression
sur les plaignantes et à faire peur
aux potentielles plaignantes. Du
point de vue du harcèlement, on
est dans quelque chose de hors
norme ». Selon Me Haddad, « il y a
deux stratégies en une chez Rama­
dan. Dès que la stratégie judiciaire
connaît un accroc, il alimente et
déclenche immédiatement la stra­
tégie d’opinion. Dès qu’il se sent en
difficulté sur le plan judiciaire, il va
faire sortir une tribune de soutien,
se poser en martyr. »
L’intérêt de Tariq Ramadan pour
les réseaux sociaux ne date pas de
ses déboires judiciaires. L’islamo­
logue dispose d’une équipe de
« cinq personnes de confiance »,
moins fournie que par le passé,
Un risque accru de violences sexuelles
en France pour les femmes migrantes
La précarité des femmes originaires d’Afrique subsaharienne les
expose aux violences et au VIH en France, montre une étude de l’INED
E tre une femme migrante
augmente les risques
d’être victime de violences
sexuelles en France et d’y contrac­
ter le virus du sida. C’est le résultat
qu’ont établi des chercheurs dans
une étude publiée par l’Institut
national d’études démographi­
ques (INED), mercredi 13 mai. « On
a la preuve statistiquement irréfu­
table qu’il y a un lien entre insécu­
rité et violences sexuelles », assure
Julie Pannetier, l’une des auteurs,
maîtresse de conférences à l’uni­
versité Paris­Nanterre. « L’opinion
publique a été sensibilisée aux
violences sexuelles vécues par les
femmes migrantes dans les pays
de transit mais pas après la migra­
tion, poursuit­elle. Dans notre
étude, nous trouvons que ces
violences sont liées aux conditions
de vie en France et qu’il y a une
corrélation statistique entre les
violences sexuelles et l’infection
par le VIH en France. »
En interrogeant plusieurs cen­
taines de femmes immigrées ori­
ginaires d’Afrique subsaharienne
dans des centres de santé en Ile­
de­France, entre 2012 et 2013, les
auteurs de l’étude ont pu recons­
tituer avec précision leurs condi­
tions de vie en France et établir
que plus ces femmes sont en
« Sur Twitter,
il n’y a pas un
jour sans qu’il y
ait des insultes,
des menaces »
JONAS HADDAD
avocat d’Henda Ayari,
l’une des plaignantes
explique­t­il, pour alimenter ses
comptes Twitter et Facebook. Il en
suit de près les soubresauts
depuis une décennie. Dès 2010,
Internet bruisse d’accusations,
souvent anonymes, à son encon­
tre, sans le citer. Cette année­là,
« Christelle » crée un blog intitulé
« Mon intime conviction », repre­
nant le titre d’un livre du théolo­
gien publié en septembre 2009. Il
n’est pas nommé, mais les
comportements sexuels d’un
« Monsieur », « Monsieur Nous »,
ou « TR » sont évoqués, notam­
ment dans les commentaires.
A la même époque, une chaîne
YouTube, « Woman00woman »,
est créée par une ancienne maî­
tresse suisse de l’islamologue,
dans laquelle témoignent certai­
nes femmes qui disent avoir
connu le théologien intimement.
Tariq Ramadan s’en inquiète. Le
2 novembre 2010, il envoie un
mail à la Suissesse : « Tu ne veux
pas disparaître, ta vie est un
désert ? Cela va devenir un enfer. »
Les années suivantes, il multiplie
les menaces judiciaires pour at­
teinte à la vie privée. Les plai­
gnantes sont accusées de s’être
mises d’accord entre elles, après
s’être connues sur Internet.
Avec l’ouverture d’une enquête
judiciaire, fin 2017, les réseaux
sociaux sont devenus, plus que ja­
mais, un enjeu crucial dans la
bataille de l’opinion. Tariq Rama­
dan et ses soutiens le savent. En
février 2018, le compte Twitter
@freetariqram est créé pour de­
mander la libération du théolo­
gien, alors en prison. Depuis
l’automne 2018 et sa mise en
liberté, le compte n’a pas cessé
situation de vulnérabilité, en
particulier sans titre de séjour ou
sans logement stable, plus la fré­
quence des violences sexuelles
est élevée. « Le fait de changer
souvent d’hébergement au cours
d’une même année, avec des nuits
passées alternativement en héber­
gement d’urgence, chez des
connaissances et/ou dans la rue,
est associé à une probabilité plus
élevée de subir des violences
sexuelles », constate l’étude.
« Relations transactionnelles »
Parmi les femmes originaires
d’Afrique subsaharienne rencon­
trées en consultation de médecine
générale, les auteurs ont rapporté
qu’une sur cinq déclare avoir dû
changer souvent d’hébergement
depuis son arrivée en France. De
même, plus de la moitié d’entre
elles déclarent avoir été hébergées
pendant au moins une année par
un partenaire, une connaissance
ou de la famille. Et 43 % ont déclaré
avoir été au moins une année en
situation irrégulière.
« Les années où les femmes sont
en insécurité administrative ou
résidentielle sont aussi des années
où elles déclarent plusieurs parte­
naires sexuels, souligne Julie Pan­
netier. On l’explique par leur situa­
0123
JEUDI 14 MAI 2020
son activité et relaie des commu­
niqués de l’islamologue ou des
articles prenant sa défense et atta­
quant les plaignantes. Mais M. Ra­
madan nie toute participation à
des campagnes de harcèlement
numérique. « J’ai condamné les in­
sultes et les menaces à plusieurs re­
prises et je condamne toute atta­
que qui viserait » les plaignantes,
affirme­t­il, tout en continuant à
partager des publications hostiles
à leur égard et en déplorant « les
accusations totalement artificiel­
les de harcèlement dont j’aurais été
responsable ». « Les plaignantes
ont créé un site Lesplaignantes.
com qui, sous couvert d’être un es­
pace de dialogue, multipliait les at­
taques contre mes proches, ajoute­
t­il. Les nombreux propos tenus
par elles sur les réseaux sociaux
tombent, selon mes avocats, sous
le coup de la loi. Nous réfléchissons
donc à déposer une plainte. »
Pour Me Eric Morain, l’avocat de
« Christelle », les appels au calme
de M. Ramadan constituent « une
attitude de Tartuffe » : « Il est dans
toutes les boucles de harcèlement
des réseaux sociaux, qui dévoilent
les noms des plaignantes et font
des fausses captures d’écran, et
dans toutes ces boucles dans les­
quelles il est cité, il ne dit rien, il
retweete même, parfois. »
Dans un dossier judiciaire déjà
bien fourni, les attaques numéri­
ques réunies par les différentes
parties soulignent une atmos­
phère délétère. Sans certitudes
quant aux auteurs de cyberharcè­
lement, qui procèdent en meute
et masqués. « Sur les réseaux so­
ciaux, comme il n’y a aucun
contrôle, toutes les manipulations
sont possibles, observe Me Em­
manuel Marsigny, l’avocat de Ta­
riq Ramadan. Il appartient à
l’autorité judiciaire de faire les vé­
rifications minimales. Elle en a le
pouvoir, les moyens, les capaci­
tés. » Vu la montagne de données
qu’il faudrait analyser, rien n’est
moins sûr, alors que trois juges
travaillent depuis plus de
deux ans sur les accusations de
viol visant le théologien. 
yann bouchez
tion de pauvreté et la nécessité
d’accéder à un logement, à de la
nourriture, à des ressources, des
papiers… On montre aussi que ces
relations transactionnelles sont
des relations où les violences
sexuelles sont plus élevées. »
L’enquête montre par ailleurs
que les femmes infectées par le
VIH après leur migration « rap­
portent quatre fois plus souvent
avoir été victimes de rapports
sexuels forcés après la migration
que les femmes non infectées »,
soit 15 % pour les premières,
contre 3,5 % pour les secondes.
« Ce résultat ne permet pas d’affir­
mer que l’infection par le VIH est
directement liée aux rapports
sexuels forcés », souligne l’étude.
Toutefois, il montre que séroposi­
tivité, violences sexuelles et
précarité se mêlent dans le par­
cours de ces femmes.
En France, les femmes originai­
res d’Afrique subsaharienne
représentent 60 % des femmes
diagnostiquées séropositives au
VIH. « Les accès au logement et à
un titre de séjour sont des condi­
tions indispensables pour exercer
le droit à vivre sans violence et
sans atteinte à la santé »,
concluent les auteurs. 
julia pascual
0123
JEUDI 14 MAI 2020 carnet | 19
Mme Hélène Carré, Hélène Lacaze, Frédérique Legrand, Anne Cartier
Vincent et Isabelle Carré, née Reboul, son épouse, Et sa famille,
ses enfants son épouse, Thomas Legrand,
Caroline, son fils, ont la douleur d’annoncer le décès
et leurs familles,
en vente Le Carnet Emmanuelle et Marc, Les familles Dolléans, Gianni, de
Stéphane et Carol, Sauville, Legrand,
actuellement ont la grande tristesse de faire part ses enfants M. Peter SPRÜNKEN,
du décès de et leurs conjoints, ont la douleur de faire part du décès ancien professeur
K En kiosque Merci de nous adresser Alexandre, Maud, Julie, Alice, de à l’Ecole centrale de Paris, Supelec,
vos demandes par mail M. Bernard CARRÉ, Marie, Jade, Blanche, Joseph et l’ESTP, l’Ecole des cadres,
en précisant impérativement Arsène,
Réviser son bac IGC 64, ses petits-enfants, M. Rémi LEGRAND,
2020

votre numéro agrégé de philosophie, survenu le 3 avril 2020.

avec
HORS-SÉRIE

survenu le 7 mai 2020, à Bayonne. ont la tristesse de faire part du décès agrégé de l’Université,
TERMINALE, SÉRIES L ES S
de téléphone personnel, proviseur honoraire, Anne Cartier,
PHILOSOPHIE votre nom et prénom,
de
61, rue Crozatier,
Ses obsèques ont eu lieu ce 13 mai, 75012 Paris.
adresse postale et votre à Biarritz, dans l’intimité familiale.
Robert LACAZE, survenu le 6 mai 2020,
physicien, à l’âge de soixante-dix ans.
CAHIER
éventuelle référence
chercheur au CNRS,
SPÉCIAL

Pierre, Antoine et Olivier Veillon,

16 pages pour
se tester avant

d’abonnement.
le bac

helene.montrejaud@neuf.fr Un hommage lui sera rendu ses enfants

survenu le 7 mai 2020.
L’ESSENTIEL DU COURS

LES SUJETS CORRIGÉS

ultérieurement. et leurs conjointes,
L’équipe du Carnet
LES ARTICLES DU MONDE

LES TEXTES CLÉS

Versailles. Cézar, Charlotte, Juliette et Elsa,

En partenariat avec

reviendra vers vous La cérémonie se déroulera dans Auteur de Prémices et prémisses ses petits-enfants,
l’intimité familiale. de la démocratie directe (Editions
Hors-série dans les meilleurs délais. La famille de Librinova - 2019).
Cet avis tient lieu de faire-part. ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Pierre Christian CORNUET,
0123
HORS-SÉRIE
EMPLOI
IMMIGRATION
SANTÉ
carnet@mpublicite.fr officier de l’ordre national Arnay-le-Duc. Rouvres-en-Plaine.
Tous ceux qui l’ont aimée
Mme Françoise VEILLON,
MOBILITÉ
ÉLECTIONS du Mérite agricole, Chargey-les-Gray. Dijon. Issy-les- annoncent avec émotion le décès de
directeur de recherche à l’INRA, Moulineaux. survenu à l’âge de quatre-vingts ans.
AU CARNET DU «MONDE»
40 CARTES a la douleur d’annoncer son décès,
Francine de Lavigne Sainte Suzanne,
née Pagani,
Simonne LITVINE,
épouse de feu La cérémonie a lieu ce jeudi 14 mai
survenu à Versailles, le 21 avril 2020, Georges LITVINE, 2020, à 14 heures, au cimetière
POUR COMPRENDRE
LA
FRANCE Décès son épouse,
Violaine de Lavigne Sainte Suzanne, de Venon, dans l’intimité.
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. survenu au Bourget-du-Lac,
leur fille,
Albert et Anne-Marie Pagani, le 9 mai 2020. Cet avis tient lieu de faire-part.
Gurutzi ARREGUI AZPEITIA, Jacqueline, ses beaux-parents,
ethnologue, ethnographe, sa femme, Thierry et Lyliane Pagani, La famille exprime sa profonde
son beau-frère et sa belle-sœur, gratitude à Marie, Emmanuelle Remerciements
Hors-série Isabelle, et Céline, à Nathalie et aux docteurs
Christine Helary-Olivier,
elle a aimé le peuple basque comme sa fille, sa petite-cousine, Blake et Prévot. Rennes.
on aime un compagnon, Goian Bego. Paulette, Les familles Pagani, Monney
Maintenant,
& CIVILISATIONS

sa sœur, Et les familles proches et Danièle Ballèvre,

& C I V I L I S AT I O N S
N° 61
MAI 2020

Jean et Mikaëla, apparentées, Il nous son épouse,

Gurutzi vient de nous quitter Ses amis, Manque son
son frère et sa belle-sœur, Ses enfants,
L’AN 40 à Durango (Pays basque Sud), Indicible amour. Ses petits-enfants
QUAND TOUT SEMBLAIT PERDU
Les familles Lopez et Barroumères ont l’immense chagrin de faire part
à l’âge de quatre-vingt-trois ans, Et arrière-petits-enfants,
Ainsi que tous ses parents et amis, du décès de
après toute une vie de travail Mme Christine Ovadia,
consacrée à découvrir et à faire M. Jean de LAVIGNE son épouse, profondément touchés par les
ont l’immense douleur de faire part marques de sympathie et d’amitié
connaître la richesse du patrimoine Sainte SUZANNE, M. Jean Ovadia,
du décès de dit Jean Pierre de LAVIGNE, son frère, que vous leur avez témoignées
culturel de notre Pays basque. lors du décès de
CRASSUS MOYEN ÂGE
CHAQUE MOIS UN PRÉSIDENT
directeur honoraire Florence, Ariane, Julie, Guillaume,
Georges DOMERCQ,
LINCOLN
L’HOMME
LE PLUS RICHE
LA PESTE NOIRE
TRANSFORME
LE PRÉSIDENT
PRÉFÉRÉ DES
des Jeunesses Musicales de France, Nicolas et Benjamin,
M. Jean Marie BALLÈVRE,
DE ROME LES MENTALITÉS AMÉRICAINS

Avec toute notre reconnaissance ancien arbitre international membre du conseil d’administration ses neveux et nièces,
Mensuel et amitié. de rugby, du Festival d’automne à Paris, Rose et Eléonore, préfet honoraire,
depuis sa création,
chevalier chevalier de la Légion d’honneur, ses petites-nièces,
vous prient de trouver ici leurs
Collections Milla Esker. de la Légion d’honneur,
maire honoraire de Bellocq,
officier
de l’ordre des Arts et des Lettres, ont la tristesse de faire part du décès
de
sincères remerciements.

Alain Perreau, PF Urvoix,

son compagnon,
Annie Lacoste (†), Suzy Bastié,
Jacqueline Bastié-Aubenas,
ses sœurs,
Laurent Doldi, Sylvie, Florence,
Olivier, Véronique Aubenas, Anne
Lacoste,
ses neveux et nièces,
Elsa, Claire, Pauline, Gabrielle,
Inès, Alix et Marine,
ses petites-nièces,
Actuellement en vente, ont la très grande tristesse de faire
le volume n° 7 part du décès, dans sa quatre-vingt-
DE GAULLE sixième année, de
Yves BASTIÉ,
FEMMES
D’EXCEPTION médecin psychiatre,
ancien chef de service à l’hôpital
psychiatrique de Villejuif
et notre « oncle Yves »,
survenu à Paris, le 11 mai 2020.
Une cérémonie dans l’intimité
aura lieu au crématorium du
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Actuellement en vente,
le volume n° 11 COLETTE et sur : Maud Blanc-Fleury,
www.femmes-dexception.fr son épouse,
Bertille, Célestine et Loredanna,
ses filles,
La direction du Théâtre national
de Nice, dont il était le directeur
technique,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
survenu à Arnay-le-Duc, le 1er mai
survenu le 8 mai 2020, à Bellocq, L’Hermitage,
2020, à l’âge de quatre-vingt-seize M. Maurice OVADIA, Tél. : 02 99 64 12 49.
dans sa quatre-vingt-dixième année. ans.
survenu le dimanche 10 mai 2020,
Les obsèques auront lieu dans Les obsèques religieuses ont eu
lieu dans l’intimité familiale,
à l’âge de quatre-vingt-un ans. Souvenir
l’intimité.
en l’église de Chargey-les-Gray
(Haute-Saône). La cérémonie d’adieux s’est Le 12 mai 2017
La famille remercie très déroulée ce mercredi 13 mai, à 15 h 15,
chaleureusement toutes les Des cérémonies du souvenir au cimetière des Brosses, à L’Etang- Jacques SEILER,
seront organisées à Arnay-le-Duc, la-Ville (Yvelines). 17 avril 1934 - 12 mai 2017,
personnes qui partagent sa peine.
Chargey-les-Gray et Paris quand les
conditions sanitaires le permettront. Mme Christine Ovadia,
2, chemin de Roquépine. décidait de partir.
12, route de Saint-Nom,
64270 Bellocq. La famille tient à remercierle Résidence Les Hauts-Bois, Bât 5,
personnel de l’hôpital Local d’Arnay- Nous ne l’oublions pas.
idomercq@hotmail.com 78620 L’Etang-la-Ville.
le-Duc pour son dévouement et son christine.halphen@orange.fr
humanité. Laurette,
La famille de son épouse,
Cet avis tient lieu de faire-part Paris. Philippe et Carine,
Mme Ilfat FONTAINE, et de remerciements. ses enfants,
née MASRI, Mme Marie-Claude Payrau, Marc Rozenblat,
« Sans la musique, son épouse,
la vie serait une erreur. » Mme Emmanuelle Payrau,
son gendre,
Sacha, Tom et Nina,
a la douleur d’annoncer son décès, Nietzsche. sa fille
ses petits-enfants
survenu à Saint-Vallier-de-Thiey, et son époux, Jean-Philippe Sorba,
Francine de Lavigne, Wladimir et Maud Sorba, Ainsi que ses fidèles collaborateurs
le 7 mai 2020, à l’âge de quatre-vingt- 14, rue César Lavirotte,
ses petits-enfants, Et tous ses amis.
deux ans. 21230 Arnay-le-Duc.
fdl17@orange.fr M. Bernard Payrau,
Violaine de Lavigne, son frère
Une cérémonie aura lieu le samedi et son épouse, Christine Payrau,
12, impasse Les Jardins du Roy,
16 mai, à 10 h 30, suivie de la 21110 Rouvres-en-Plaine. Société éditrice du « Monde » SA
crémation dans l’intimité familiale. vdelavigne@hotmail.fr ont la tristesse de faire part du décès Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
de Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Crématorium de Cannes,
Sylvie Hubac, M. Jean-Pierre PAYRAU, Directeur de la rédaction Luc Bronner
Chemin de la Plaine de Laval, présidente expert-comptable Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
06150 Cannes. du Festival d’automne à Paris, et commissaire aux comptes Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction
Emmanuel Demarcy-Mota, honoraire, Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle
La famille directeur général, président d’honneur Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
de l’ordre des experts-comptables Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
Et la compagne de ont la tristesse d’annoncer le décès de Paris, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
de ancien conseiller de Paris, Rédaction en chef numérique
M. Christian GODET, chevalier Hélène Bekmezian
de l’ordre national du Mérite, Rédaction en chef quotidien
Jean Pierre de LAVIGNE, croix de la valeur militaire
Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
ont la douleur d’annoncer son décès, Franck Nouchi (Débats et Idées)
membre-fondateur avec étoile d’argent, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
survenu à Pessac, le 3 mai 2020, du Festival d’automne à Paris,
Gilles van Kote
à l’âge de soixante-dix-neuf ans. survenu le 8 mai 2020, Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Chef d’édition Sabine Ledoux
La cérémonie a eu lieu à Bordeaux- survenu le 1 mai 2020, à Arnay-le-
er Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Mérignac, le 11 mai, dans la stricte Duc (Côte-d’Or), à l’âge de quatre- Les obsèques auront lieu dans Photographie Nicolas Jimenez
intimité. vingt-seize ans. l’intimité familiale, en raison des Infographie Delphine Papin

Didier BLANC, circonstances actuelles. Directrice des ressources humaines du groupe

Emilie Conte
Ses obsèques se sont déroulées Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Il est inhumé à la Chartreuse dans l’intimité le 5 mai, à Chargey- Une cérémonie « in memoriam » Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
survenu à Nice, le 11 mai 2020. de Bordeaux. les-Gray (Haute-Saône). sera célébrée ultérieurement. Sébastien Carganico, vice-président

Actuellement en vente,
le vol. n° 11 LES CONSTANTES BULLETIN D’ABONNEMENT
UNIVERSELLES et sur : A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
www.collectioncosmoslemonde.fr
173EMQAD6M

En raison du contexte,nous avons suspendu

la vente de certaines collections chez
Soutenez une rédaction Je m’abonne à l’offre Quotidien + numérique du Monde Nom :
pendant 6 mois pour 169€ au lieu de 481€ (prix de vente au numéro).
les marchands. Elle reprendra dès que Prénom :
 6 quotidiens + tous les suppléments + M le magazine du Monde
possible. Nous vous présentons toutes de 500 journalistes partout dans le monde + l’accès à l’Edition abonnés du Monde.fr 7 jours/7. Adresse :
nos excuses pour ce désagrément. Code postal :

Je règle par : Localité :

Nos services Chèque bancaire à l’ordre de la Société éditrice du Monde E-mail :

*Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse

Carte bancaire (paiement sécurisé) @

en appelant le 03 28 25 71 71 (tarif d’un appel local) J’accepte de recevoir des offres du Monde OUI NON

Lecteurs ou de ses partenaires OUI NON

Quotidien + numérique
Bulletin à compléter et à renvoyer à :
Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9 Tél. :
K Abonnements
IMPORTANT : VOTRE JOURNAL LIVRÉ CHEZ VOUS PAR PORTEUR*

6 mois
Maison individuelle Badge Vigik : oui non Dépôt chez le gardien/accueil Dépôt
www.lemonde.fr/abojournal Immeuble Boîte aux lettres : Bât. N° spécifique
3 PA RENTOLOGIE
Le syndrome
Ronaldinho
Dans les yeux de votre enfant,
vous voilà doté de superpouvoirs.
Une hypertrophie du moi
qui peut vous pousser à vous
prendre pour le MBappé
du square d’à côté
SAMEDI 10 AOÛT 2019. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France
M Le magazine du Monde no 412. Supplément au Monde no 23197/2000 C 81975

LES COUCOUS

Digicode N° Nominative Collective Escalier N° le week-end

6
DU NUMÉRIQUE
C’est quoi
ton code ?
Ils squattent allègrement vos
abonnements Netflix et Spotify.
Le pire, c’est que c’est vous
métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

qui leur avez donné accès

à vos comptes

K Le Carnet du Monde
9 UN APÉRO AVEC
Bigflo et Oli

169E
Les deux frères n’ont pas le
temps de souffler. Un succès
qui ne se dément pas.
Rencontre avec les rappeurs
préférés des enfants

idées àIl Hollywood

était deux fois
DIMANCHE 27 - LUNDI 28 OCTOBRE 2019
MAGAZINE
MA
75E ANNÉE– NO 23264
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
Brad Pitt & Leonardo DiCaprio
SPÉCIAL DESIGN Saviano, Ferrante, Vargas Llosa, Rushdie… :
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
JAPONAIS « La cause des Kurdes nous concerne »
L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ
ENQUÊTE

Chômage: l’espoir d’une amélioration durable WEEK-END SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 67/69, AVENUE PIERRE MENDÈS FRANCE - 75707 PARIS CEDEX 13 - 433 891 850 RCS Paris - Capital de 124 610 348,70E. Offre valable jusqu’au 31/12/2020.
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

carnet@mpublicite.fr Lynchez
4
▶ Au troisième trimestre, ▶ Le reflux du nombre ▶ Ces résultats font écho à ▶ La montée en régime du ▶ L’exécutif et sa majorité

Les informations figurant dans ce formulaire sont destinées à la Société Editrice du Monde, responsable de traitement. Elles sont enregistrées et utilisées pour les finalités suivantes : gestion
SAMEDI 19 OCTOBRE 2019 - 75E ANNÉE - N O 23257 - 4,50 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
le nombre de demandeurs de chômeurs se confirme la bonne santé du marché plan gouvernemental de jugent atteignable
d’emploi sans aucune acti­ doucement. Il s’agit du travail. Jeudi, le réseau formation contribue aussi l’objectif d’un taux de

BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES

vité a diminué de 0,4%, du quatrième trimestre des Urssaf a fait état à cette baisse, encore fra­ chômage ramené à 7%
selon les chiffres publiés de baisse. Sur un an, la d’une «augmentation gile dans une conjoncture à la fin du quinquennat
vendredi 25octobre décrue est nette, à – 2,4% soutenue» des CDI internationale incertaine PAG E 1 0

▶ Jean­Claude Juncker,

de votre commande, de la relation client et des réclamations, et dans les cas où vous l’avez accepté, communication marketing par voie électronique du Monde et/ou de ses partenaires.
Géopolitique Le rêvemission
briséeuropéenne,
président de la Com­ 1
CHILI AUX SOURCES d’autonomie des Kurdes
et Boris Johnson, ÉDITORIAL
DE LA COLÈRE premier ministre
britannique,
▶ L’offensive turque ont an­ AMER COMPROMIS
▶ Le mouvement de contestation qui TURQUIE
noncé, syrien
dans le Nord­Est à Bruxelles, POUR L’EUROPE
marque un coup
jeudi d’arrêt
17octobre, avoir
dénonce les inégalités sociales a connu une

Conformément à la loi « Informatique et Libertés » du 06/01/1978 modifiée et au RGPD du 27/04/2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, d’opposition,
au projetconclu
politique
unduaccord sur
mobilisation historique à Santiago vendredi peuple apatride
PAG E 4
la sortie du Royaume­
PAG E S 1 6 À 1 9
la décision en juin 2016 des
SYRIE Uni de l’UE Britanniques de quitter l’UE
représente une régression
IRAK 1 ▶ Approuvé par les
ÉDITORIAL
Vingt­Sept, le texte
pour le continent et traduit
un échec collectif. Mais, ac­
ÉTERNELS LAISSÉS­
doit encore être va­
quise à 51,9 %, elle doit être
respectée. L’accord sur les mo­
POUR­COMPTE
lidé, samedi, par un dalités de ce départ, conclu
jeudi 17 octobre à Bruxelles,

à la portabilité des données et à la limitation des traitements, que vous pouvez exercer à l’adresse suivante, en joignant une photocopie de votre pièce d’identité : Le Monde – DPO –
PAG E 3 0
Parlement britanni­ prévoit une rupture nette, un
que qui reste Brexit plus dur que celui, flou,
qui avait été vendu aux élec­
extrêmement divisé
Lubrizol Corse
teurs. Mais, face à la menace

67/69, avenue Pierre Mendès France - 75707 Paris Cedex 13. Pour plus d’informations, consultez notre Politique de confidentialité sur le site www.lemonde.fr ou le site de la CNIL
www.cnil.fr
20 | horizons
Distribution de nourriture sur le parking du Maverick Center, une salle omnisports située à West Valley City (Utah), le 24 avril. RICK BOWMER/AP
Amérique aux pieds d’argile
L
e 4 mai, dans l’espace virtuel
que la diplomatie du coronavi­
rus impose désormais aux diri­
geants de la planète, Ursula von
der Leyen, la présidente de la
Commission européenne, an­
nonce le lancement d’un fonds mondial
pour la recherche d’un vaccin contre le Co­
vid­19. Parmi les nombreux chefs d’Etat et
de gouvernement réunis en mosaïque sur
l’écran face à elle, le premier ministre japo­
nais, Shinzo Abe, côtoie la chancelière alle­
mande, Angela Merkel, et l’on reconnaît le
secrétaire général de l’ONU, Antonio Guter­
res, non loin d’Emmanuel Macron. Un diri­
geant brille par son absence : le président
des Etats­Unis.
Donald Trump n’a pas jugé utile de partici­
per à cette opération internationale, qui réu­
nit dès son coup d’envoi 7,4 milliards
d’euros, ni même de s’y faire représenter. En
fait, il y a bien une participante américaine,
dont le visage s’affiche sur les écrans : Me­
linda Gates, coprésidente, avec son mari Bill,
de la fondation qui porte leur nom. Très ac­
tive dans le domaine de la santé publique, la
Fondation Gates annoncera le même jour
que ses dons pour la recherche sur le
Covid­19 s’élèvent à 300 millions de dollars.
Que la présence américaine à un sommet
mondial soit assurée par une philanthrope
privée, aussi riche soit­elle, et non par un diri­
geant politique, en dit long sur l’effacement
de la puissance américaine sur la scène diplo­
matique. La veille, Melinda Gates ne s’est
d’ailleurs pas privée de critiquer cette
absence : « Le manque de leadership des Etats­
Unis est extrêmement décevant, confie­t­elle
aux Echos. C’est pour cela que nous nous
sommes tournés vers l’Europe. »
Amorcé progressivement depuis le début
du XXIe siècle, le repli américain s’est accéléré
sous la présidence Trump. Le choc du corona­
virus l’a accentué. En l’espace de quelques se­
maines, Washington a tourné le dos à la com­
munauté internationale. En pleine pandé­
mie, Donald Trump a pris prétexte des
Inégalités sociales et raciales, système de santé
inadapté, désunion politique entre Etats… la crise
sanitaire jette une lumière crue sur les multiples
fragilités dont souffrent les Etats­Unis
manœuvres de Pékin à l’Organisation mon­
diale de la santé (OMS) pour suspendre la
contribution américaine – la plus impor­
tante de l’OMS. Un sénateur républicain du
Missouri, Josh Hawley, réclame même l’abo­
lition de l’Organisation mondiale du com­
merce (OMC) : son pays, dit­il, doit « recouvrer
sa souveraineté économique ».
LE VERNIS CRAQUE
Vu de l’extérieur, c’est la négation même du
modèle américain. Ce monde dont ils se
retirent, ce sont eux, les Etats­Unis, qui ont
en grande partie contribué à le modeler.
Mais si le Covid­19 a fait des dégâts partout,
son offensive aux Etats­Unis est particuliè­
rement cruelle : au­delà du bilan humain
– plus de 80 000 morts, 1,3 million de cas –,
elle révèle les failles profondes du système
économique, social et politique de la pre­
mière puissance mondiale.
Cette offensive, Donald Trump ne l’a pas
vue venir. Lorsque, le 4 février, il prononce
son troisième discours sur l’état de l’Union,
les mots claquent et les formules triompha­
les s’enchaînent. « En seulement trois ans,
dit­il au Congrès, nous avons brisé l’idée du
déclin américain, et nous avons refusé l’atro­
phie du destin de l’Amérique. Nous allons de
l’avant à un rythme qui était inimaginable il
y a peu de temps encore, et nous ne recule­
rons plus jamais. » Ce succès, pense­t­il, est
irrévocable : le pays vient de connaître son
128e mois d’affilée de croissance, le plus long
cycle jamais connu, le taux de chômage est
tombé à son plus bas niveau depuis près de
cinquante ans, Wall Street atteint des som­
mets historiques.
Deux semaines auparavant, un homme de
35 ans du comté de Snohomish (Etat de
Washington), revenu quelques jours plus tôt
de Wuhan, a été testé positif au coronavirus
SARS­CoV­2. C’est le premier cas confirmé
aux Etats­Unis. Mais, ce 4 février, Donald
Trump a les yeux rivés sur sa possible réélec­
« LA PROPAGATION  tion en novembre. Il ne peut imaginer que
DU COVID­19  cette première contamination constitue le
point de départ d’une crise sanitaire sans
CONSTITUE  précédent, qui va agir comme le révélateur
d’un modèle économique rongé par les iné­
UNE DÉFAITE  galités et un système sanitaire et social parti­
culièrement inadapté à ce choc.
TRÈS LOURDE,  Le vernis commence à craquer dès la procla­
DANS LAQUELLE  mation de l’état d’urgence, le week­end du
13 mars. A New York, le gouverneur de l’Etat,
L’ADMINISTRATION  Andrew Cuomo, et le maire de la ville, Bill de
Blasio, affrontent un dilemme : fermer ou non
TRUMP PORTE UNE  les écoles. Dans la ville qui compte le plus de
RESPONSABILITÉ  milliardaires au monde, ce n’est pas la perti­
nence sanitaire ou éducative de cette décision
ÉCRASANTE » qui les fait hésiter, mais ses risques sociaux.
Car, sur le million d’élèves des 1 700 écoles
THOMAS PHILIPPON
publiques de New York, 750 000 vivent au­des­
économiste
sous du seuil de pauvreté et un élève sur dix
est sans domicile fixe. Pour eux, l’école est
d’abord un lieu où ils sont assurés d’avoir un
repas par jour et où les services sociaux peu­
vent apporter un peu de soutien à des familles
très précaires. Conscients des enjeux,
MM. Cuomo et De Blasio résistent jusqu’au
dernier moment, mais, face à l’urgence sani­
taire, finissent par opter pour la fermeture.
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Deux images résument à elles seules l’am­
pleur des inégalités sur lesquelles la pan­
démie jette une lumière crue. D’abord, une
photo du producteur de musique et de films
David Geffen, postée le 28 mars sur son
compte Instagram, qui enflamme rapide­
ment les réseaux sociaux. On y voit son yacht
de 140 mètres au mouillage dans une crique
de la Grenade, accompagné de cette légende :
« Confiné pour éviter le virus. J’espère que tout
le monde est à l’abri. » L’autre, c’est celle de
trois lycéens de Phoenix (Arizona) décou­
verts par leur proviseur blottis sous une cou­
verture à l’abri de la pluie à l’extérieur de leur
établissement, fermé pour cause de Covid­19,
utilisant le réseau sans fil du lycée pour ter­
miner leurs devoirs faute de connexion In­
ternet à la maison.
INÉGALITÉS CARICATURALES
A New York, la situation frise la caricature,
avec un rapport d’un à quarante entre les
20 % les plus riches et les 20 % les plus pau­
vres, une situation similaire à celles de la
Namibie ou de la Sierra Leone. Au plus fort de
la crise sanitaire, le Bronx et le Queens, les
deux quartiers les plus pauvres, comptaient
deux fois plus de personnes contaminées
que Manhattan, où pourtant la densité de
population est la plus élevée, avant qu’une
partie des résidents aisés filent vers les pla­
ges des Hamptons ou la verdure de la vallée
de l’Hudson. Fin mars, les joueurs de l’une
des plus célèbres équipes de basket américai­
nes, les Brooklyn Nets, ont pu se faire tester
pour savoir s’ils avaient été contaminés, pen­
dant que des milliers de soignants se
voyaient refuser cette possibilité. Dans le
Michigan, 40 % des victimes du Covid­19
sont afro­américaines, alors que cette catégo­
rie constitue à peine 14 % de la population.
Mais c’est la vulnérabilité du système de
santé qui se révèle la plus désastreuse. « Dans
les classements internationaux sur la capacité
d’un pays à affronter une pandémie, les Etats­
Unis faisaient toujours partie du peloton de
tête avec l’Allemagne, qu’il s’agisse des réser­
0123
JEUDI 14 MAI 2020
ves stratégiques, des capacités industrielles
pour produire des traitements et du matériel,
de la qualité des laboratoires et des cher­
cheurs, remarque Thomas Philippon, écono­
miste à l’université de New York. La propaga­
tion du Covid­19 constitue pour le pays une
défaite très lourde, dans laquelle l’administra­
tion Trump porte une responsabilité écra­
sante. » Malgré les alertes répétées des servi­
ces de renseignement, malgré les deux à trois
semaines dont ils ont bénéficié par rapport à
l’Europe pour se préparer, les Etats­Unis se
sont fait surprendre par la pandémie. L’Etat
de New York déplore 1 300 morts du Covid­19
par million d’habitants – un taux trois fois
supérieur à celui de l’Italie.
Les faiblesses du système de santé améri­
cain ne sont pas nouvelles. Il coûte cher
– 11 000 dollars par habitant, 18 % du PIB –
pour des résultats très médiocres. L’espérance
de vie, qui ne cesse de baisser depuis quatre
ans, notamment à cause de la crise des opioï­
des, qui a fait des ravages dans la dernière dé­
cennie, est très inférieure à la plupart des pays
de l’OCDE, tandis que les taux de comorbidité
au Covid­19 (40 % des Américains sont obè­
ses, un sur trois souffre de diabète, un sur
deux de maladies cardio­vasculaires) sont
parmi les plus élevés du monde. Cet état sani­
taire est aggravé par le fait que les Etats­Unis
sont l’un des seuls pays au sein du monde
développé à ne pas imposer aux entreprises
un système d’indemnisation maladie.
Pourtant, depuis son élection en 2016, Do­
nald Trump n’a cessé de tailler dans les bud­
gets des agences de santé, tout en détrico­
tant l’Obamacare, le système d’assurance
mis en place par son prédécesseur. Résultat :
lorsque la pandémie se déclare, 30 millions
de personnes n’ont aucune couverture ma­
ladie, et la moitié de la population déclare
être sous­assurée. Cette situation empire à
une vitesse vertigineuse avec l’explosion du
chômage, car un Américain sur deux a une
assurance santé liée à son emploi. Pour Ga­
briel Zucman, économiste et professeur à
Berkeley, « cette crise illustre très clairement
les limites et l’absurdité du modèle, qui est
perpétué par le lobbying intensif des compa­
gnies d’assurance privées ».
ÉTAT DÉSUNI
Les Américains savaient tout cela. Mais,
lorsque les images des hôpitaux débordés
défilent sur leurs écrans, lorsque les réseaux
sociaux sont submergés par les témoigna­
ges déchirants d’infirmières privées de mas­
que et de médecins paniqués par l’absence
de respirateurs, lorsque les gouverneurs des
Etats doivent rivaliser pour s’approvision­
ner en équipement médical au lieu de s’en­
tre­aider, l’inadaptation de leur système
éclate au grand jour.
Les conséquences économiques de la crise
sanitaire aggravent encore le déséquilibre
structurel du système hospitalier, constitué,
pour l’essentiel, d’établissements à but lucra­
tif, qui accueillent les patients assurés auprès
de compagnies privées. Avec la montée du
chômage, les assurés sont de moins en
moins nombreux et l’on assiste à des faillites
d’hôpitaux en cascade, alors que, dans le
même temps, le secteur public n’a pas les
capacités pour accueillir les malades qui se
retrouvent sans assurance.
Alors que des files de 4 × 4 se forment
devant les banques alimentaires, prises d’as­
saut par des salariés licenciés du jour au len­
demain, la violence de la crise, sanitaire et
économique, plonge les intellectuels améri­
cains nostalgiques de l’ère pré­Trump dans
une impitoyable introspection. La gestion
erratique de l’épidémie par la Maison Blan­
che les étonne d’autant moins que ce prési­
dent a toujours fait preuve d’un profond
scepticisme à l’égard de la science. Donald
Trump passe successivement du déni à la
fanfaronnade, puis au discours guerrier, sans
jamais parvenir à donner l’impression qu’il
maîtrise la situation, et il place son gendre,
Jared Kushner, qui n’a d’autre qualification
qu’une brève expérience dans l’immobilier,
au centre du dispositif Covid­19. Pour de
nombreux analystes, les dysfonction­
nements, cependant, dépassent largement le
chaos du bureau Ovale.
« Alors que, sur le papier, les Etats­Unis ont
une énorme capacité d’action publique, l’in­
compétence choquante de la gestion du coro­
navirus a montré qu’elle ne servait à rien,
observe Yascha Mounk. La population est
trop divisée pour suivre les consignes de santé
publique. Les autorités sont beaucoup moins
efficaces qu’elles n’auraient dû. Et la Maison
Blanche est incapable d’organiser une riposte
coordonnée à la pandémie. » Ce politologue à
Harvard, auteur du Peuple contre la démocra­
tie (L’Observatoire, 2018), met le doigt sur un
élément crucial dans cette crise : la division
du peuple américain. Polarisés comme
jamais, les Américains, qui avaient fait
preuve d’une remarquable unité après les
attentats du 11 septembre 2001, se déchirent
aujourd’hui sur la question du déconfine­
ment et sur le débat qu’elle sous­tend : la
suprématie de la valeur économique sur la
valeur santé, ou la supériorité de la liberté
individuelle sur la sécurité collective.
En avril, encouragés à coups de Tweet par le
président Trump – « Libérez le Michigan ! »
« Libérez la Virginie ! » « Libérez le Minne­
sota ! » –, des manifestants protestent contre
le confinement décrété par le gouverneur de
leur Etat. A Denver, dans le Colorado, on les
voit s’opposer à des soignants en tenue verte
d’hôpital, auxquels ils crient : « Retournez en
Chine ! » A Lansing, capitale du Michigan, le
30 avril, des manifestants armés envahissent
le bâtiment du Parlement local pour protes­
ter contre le strict confinement imposé par la
gouverneure Gretchen Whitmer.
SIGNES EXTÉRIEURS DE RICHESSE
Là encore, cette fracture dans l’opinion n’est
pas apparue avec le Covid­19. Les séquelles de
la guerre d’Irak, après l’invasion du pays par
les forces américaines en 2003, ont rompu la
belle unité du 11­Septembre, puis celles de la
crise financière de 2008, dont les banquiers
se sont rapidement remis alors que la classe
moyenne plongeait, ont continué de semer
la division et la méfiance. Donald Trump a ra­
massé la mise en 2016 et n’a fait que souffler
sur les braises depuis. Dans le magazine The
Atlantic, le politiste Francis Fukuyama, rendu
célèbre par son livre intitulé La Fin de l’his­
toire et le dernier homme (1992), prédit que,
dans la lutte contre le Covid­19, c’est la con­
fiance dans le leadership et sa compétence,
bien plus que le clivage entre démocraties et
autocraties, qui détermineront le succès. Et,
dans le cas présent, ces critères ne sont pas à
l’avantage des Etats­Unis.
D’autant plus que l’une des caractéristi­
ques du système américain, le fédéralisme,
est elle aussi mise à l’épreuve. Faute d’un
président capable d’incarner le rassemble­
ment, les Etats se protègent les uns des
autres pour tenter de freiner la progression
de la maladie. L’Alaska et Hawaï mettent en
quarantaine les Américains arrivant du con­
tinent. Les citoyens se tournent vers leur
gouverneur, dans lequel les sondages mon­
trent qu’ils placent leur confiance bien plus
que dans le système fédéral.
La Californie, dont le gouverneur, Gavin
Newsom, a été le premier à décréter le confi­
nement de la population entière d’un Etat,
prend des allures d’Etat­nation. Gavin New­
som et son collègue de l’Etat de New York,
Andrew Cuomo, démocrate comme lui, de­
viennent des figures nationales, dont la ges­
tion de la crise est plus rationnelle. « Les gou­
verneurs ne doivent rien nous demander »,
proclame Jared Kushner. Ils retiendront la le­
çon. A la mi­mars, 16 Etats ordonnent le con­
finement, qui concerne alors la majorité de
La Silicon Valley, dernier pilier du modèle américain
Les géants des technologies ont accentué leur domination sur une économie en plein marasme
san francisco ­ correspondante
A aron Levie, l’une des figures de
la Silicon Valley, s’en étonnait
début mai. « En 2020, on conti­
nue à parler de ce qui devait changer le
monde en 2000 : les visioconférences, la
fin du papier, le commerce en ligne. La
différence est qu’il y a maintenant “un
impératif à le faire” », insiste le PDG de
Box, une société de logiciels dématéria­
lisés qui a vu la demande de services
sur le cloud exploser. « Et la technologie
est finalement prête », conclut­il.
La Silicon Valley était en quelque
sorte préparée au virus. Dès les pre­
miers cas de contamination, elle a ren­
voyé ses salariés chez eux. Deux mois
et demi plus tard, elle fait figure de der­
nier pilier – avec le dollar – d’un modèle
américain ébranlé.
Plus question de s’effrayer de l’addic­
tion aux écrans ; les réseaux sociaux
ont redoré leur blason. Un sondage
publié le 10 mars par la Knight Founda­
tion et Gallup indiquait que, pour 47 %
des Américains, les entreprises techno­
logiques créaient « plus de problèmes
qu’elles n’en résolv[ai]ent » (15 % seule­
ment se prononçaient pour l’inverse).
Mais, depuis le confinement, on les plé­
biscite. L’écran, c’est l’« apéro visio », les
« story­time » avec les grands­parents
interdits de visite, l’amplification de la
voix des personnels soignants plutôt
que de celle des provocateurs. « L’Inter­
horizons | 21
la population américaine. Il ne reste plus au sés dans les statistiques du chômage, simple­
président qu’à encourager rageusement les ment parce qu’ils avaient renoncé à chercher
opposants, en tapant sur son smartphone un poste par découragement ou pour raisons
depuis la Maison Blanche. de santé. « Si l’on avait un taux d’activité com­
Plus la crise avance, moins Donald Trump parable à celui d’avant la crise de 2008, le chô­
cache sa fébrilité quant à la reprise de l’acti­ mage serait plus du double des chiffres offi­
vité, alors qu’apparaît l’ampleur de la ciels », estime Véronique Riches­Flores.
catastrophe économique. Dans un contexte Diplomatique, politique, économique,
où la précarité de l’emploi et des salaires était social, sanitaire : sur tous les fronts, les fonde­
déjà importante, les Etats­Unis ont fait le ments du système américain se trouvent
choix, quand la pandémie a paralysé l’écono­ ainsi attaqués et se montrent d’autant plus
mie, de laisser les entreprises faire faillite et vulnérables qu’ils étaient déjà affaiblis. Pour
licencier. Tandis que les pays européens ont certains commentateurs, c’est bien le légen­
opté pour des mesures de chômage partiel daire exceptionnalisme américain qui se
en attendant que l’activité reparte, 33,5 mil­ trouve remis en cause. Auteur d’un livre
lions d’Américains ont perdu leur emploi. d’une grande lucidité publié en 2013, The
« C’est une option très risquée, car elle pour­ Unwinding (« Le défoulement », FSG, non tra­
rait se traduire par une reprise beaucoup plus duit), portrait d’une superpuissance dont le
lente qu’en Europe », estime Gabriel Zucman, modèle est usé et les acteurs livrés à eux­mê­
qui souligne le gâchis que représente la rup­ mes, George Packer vient de livrer au men­
« SI L’AMÉRIQUE  ture du lien entre un salarié et son entreprise. suel The Atlantic un verdict d’une sévérité
Pour Patrick Artus, chef économiste chez glaçante : « Nous vivons dans un Etat failli,
NE RENOUVELLE PAS  Natixis, « le gouvernement américain a fait la dit­il. La crise exigeait une réponse rapide,
SA CULTURE  bêtise d’utiliser les mêmes recettes que d’habi­ rationnelle et collective. Les Etats­Unis ont
tude », alors que la nature de cette crise est réagi comme le Pakistan ou la Biélorussie. La
POLITIQUE ET  très différente des précédentes. « Cette sou­ Russie, Taïwan et les Nations unies ont envoyé
daine montée du chômage peut déclencher de l’aide humanitaire à la puissance la plus
SES INSTITUTIONS,  une crise bancaire avec une hausse massive riche du monde – une nation réduite à men­
ELLE SE RÉVÉLERA  des défauts sur les crédits », s’inquiète­t­il. dier dans un chaos total. »
Déjà, avant la crise, quatre Américains sur dix Pour Yascha Mounk, qui porte un regard
INCAPABLE  étaient incapables de faire face à une dépense d’Européen sur le pays qui l’a adopté, « si
imprévue de 400 dollars, selon la Réserve l’Amérique ne renouvelle pas sa culture politi­
DE SERVIR  fédérale. Ce chiffre est en train d’exploser. que et ses institutions, elle se révélera incapa­
SES CITOYENS ET  C’est une autre fragilité du modèle améri­ ble de servir ses propres citoyens et d’agir en
cain qui est mise en évidence par l’irruption leader du monde libre ». Bien d’autres pen­
D’AGIR EN LEADER  du Covid­19. « Depuis pas mal d’années, la sent que cette mission de leadership est déjà
réussite de ce modèle se résume au succès de la sacrifiée, victime de l’hubris et des erreurs de
DU MONDE LIBRE » Silicon Valley, dont les entreprises emblémati­ jugement. Le Russe Andreï Kortounov, qui
YASCHA MOUNK ques vont ressortir renforcées de cette crise, dirige à Moscou un centre d’études sur les
politiste à Harvard souligne Thomas Philippon. Mais c’est un relations internationales, est convaincu que
modèle qui ne fonctionne plus pour les deux le mythe américain ne sortira pas indemne
tiers des Américains. » de la pandémie : « S’il y a un pays qui aurait dû
savoir faire face à cette crise, c’était bien les
« COMME LE PAKISTAN OU LA BIÉLORUSSIE » Etats­Unis, dit­il. C’est un revers majeur pour
Comme le notent Martha Ross et Nicole Bate­ leur image dans le monde. »
man, deux chercheuses de la Brookings Insti­ Attention à la démoralisation collective,
tution, dans une récente étude, 53 millions avertit Kurt Campbell, ex­responsable diplo­
d’Américains sont considérés comme « bas matique dans l’administration Obama,
salaires », avec une rémunération horaire aujourd’hui à la Fondation Carnegie, qui ne
médiane de 10,22 dollars. « Le dernier cycle de compte plus les fois où la théorie du déclin
croissance a finalement été très pauvre en américain a alimenté les hypothèses les plus
termes d’évolution des revenus et d’emploi », sombres. « Chaque fois, nous avons fait
relève l’économiste Véronique Riches­Flores, preuve d’une formidable capacité à rebon­
spécialiste des Etats­Unis. Ainsi, alors que les dir », souligne­t­il. C’est vrai. Les Etats­Unis
indices boursiers battaient record sur record, conservent quelques atouts et pas des moin­
le salaire horaire moyen ajusté de l’inflation dres, le dollar, la puissance militaire, la force
n’a pas bougé depuis 1973, tandis que le pou­ de l’innovation scientifique et technologi­
voir d’achat du salaire minimum fédéral que. Et tous les yeux de ceux qui veulent le
diminue depuis 1968. croire sont rivés, comme ceux de Donald
Même constat sur le taux de chômage, dont Trump, sur l’élection présidentielle du 3 no­
la baisse tient essentiellement à la faiblesse vembre. Mais, quel que soit le vainqueur, la
du taux de participation au marché du tra­ pente à remonter pour rétablir l’aura du mo­
vail. Avant que n’éclate la crise, 23 millions dèle américain sera rude. 
d’Américains âgés de 25 à 54 ans étaient sans sylvie kauffmann
emploi. La plupart n’étaient plus comptabili­ et stéphane lauer
net est­il redevenu gentil ? », s’interro­ gumentation théorique pour soutenir alors que la Big Tech contrôle déjà la
geait le New York Times le 1er avril. ce qu’il refusait, au nom de la liberté collecte et le stockage des données, la
De Netflix à Amazon, les géants des
technologies ont accentué leur domi­
nation sur l’économie. Non seulement
la pandémie leur a donné raison, mais
la transition s’est accélérée. Il n’est pas
d’expression : le retrait de certains
contenus de la plate­forme (en même
temps, il a accentué le mouvement de
consolidation de son pouvoir sur le
conseil d’administration entamé avant
robotique, l’intelligence artificielle, la
publicité et le commerce. A six mois
des élections, les ardeurs antitrust de
certains élus du Congrès – démocrates
comme républicains – n’en sont que
sûr que les consommateurs vont l’épidémie). Facebook et Twitter ont cen­ renforcées. Mais rares sont les experts
retourner dans les malls ou les cinémas suré le président du Brésil, Jair Bolso­ qui pensent que les Gafam font face à
multiplexes. Soixante­huit pour cent naro, qui recommandait le traitement à un vrai risque de démantèlement,
d’entre eux indiquent qu’ils éviteront l’hydroxychloroquine, une première alors que la dépendance de l’économie
les voyages non essentiels, même dans concernant un chef d’Etat. Jack Dorsey, à leurs outils s’est encore accrue.
le monde d’après, selon un sondage le PDG de Twitter, a, lui, promis un quart La Silicon Valley rêvait de changer le
Harris Poll. Les changements vont être de sa fortune – 1 milliard en actions de monde. Elle rêve de sauver l’Amérique
« significatifs et durables », prévoit Sun­ Square, sa compagnie de paiement – du virus. Apple et Google travaillent à
dar Pichai, le PDG de Google. pour la lutte contre le Covid­19. un système commun de traçage sur
Pour le premier trimestre, les Gafam smartphone qui devrait commencer à
ont affiché des bénéfices (10,8 milliards Ardeurs antitrust être introduit mi­mai. Selon les
de dollars pour Microsoft, + 22 %, Mais personne ne fait de triompha­ experts, il faudrait 60 % de téléchar­
4,9 milliards pour Facebook, + 102 %) lisme dans la Silicon Valley. Les projets gements volontaires pour garantir une
qui ont plus que rassuré les investis­ d’introduction en Bourse sont suspen­ certaine efficacité. Les premiers sonda­
seurs, alors que les secteurs de l’énergie dus. Les capital­risqueurs rétropéda­ ges montrent que la confiance n’est pas
ou des transports s’effondraient. Ama­ lent. Certaines des licornes historiques, revenue, même si les compagnies ont
zon a recruté 175 000 employés. Son comme Uber (3 700 emplois suppri­ assuré que les données resteraient
chiffre d’affaires a augmenté de 26 % en més) ou Airbnb (1 900 personnes, soit stockées sur l’appareil de l’usager.
trois mois. Classroom, la plate­forme 25 % des effectifs), voient leur modèle La Big Tech n’a pas fini de payer les
d’enseignement de Google, a vu le attaqué par l’arrêt quasi total des dépla­ excès des années d’exubérance. Dans
nombre d’utilisateurs doubler depuis cements. Les start­up des secteurs de la le New York Times, la chroniqueuse
début mars. « Nous venons d’assister à télémédecine, de la livraison de nourri­ Kara Swisher, une référence dans la Si­
deux ans de transformation numérique ture, de l’enseignement à distance, du licon Valley, note ainsi que les entre­
en deux mois », a remarqué Satya jeu se portent bien. Mais, en quelques prises technologiques ont encore
Nadella, le PDG de Microsoft, en pré­ semaines, plus de 6 000 salariés de la « resserré leur emprise sur nos vies ».
sentant les chiffres trimestriels. tech ont perdu leur emploi, selon une Dans le monde d’après, s’in­
Pour Facebook, la pandémie a été l’oc­ estimation du New York Times. quiète­t­elle, leur domination va être
casion d’une rédemption. Son patron, Le phénomène de concentration du « effrayante ». 
Mark Zuckerberg, a soudain trouvé l’ar­ pouvoir risque d’être encore accentué, corine lesnes
 CULTURE
22 |
Cannes 2021, nouvel horizon des producteurs
Les films de Paul Verhoeven, Bruno Dumont et Nadav Lapid, pressentis pour l’édition 2020, sont reportés
CINÉMA
I
l n’aura pas échappé aux
plus fins observateurs que,
dans le cortège enténébré de
l’annulation des festivals
estivaux, Cannes aura, une fois
de plus, détonné. La manifesta­
tion, qui devait se tenir du 12 au
23 mai, n’est à ce jour pas annulée,
du moins au sens plein que ce
mot recouvre, car la sélection
poursuit son cours, et sa direction
réfléchit à de « nouvelles formes »
que son délégué général, Thierry
Frémaux, s’est engagé à divulguer
le moment venu. Cannes confine
depuis lors au mystère médiéval.
Sonné debout, mais ceint de la foi
sacrée, son comité directeur con­
sulte tous azimuts, multiplie les
pistes, fait feu de tout bois.
Outre la tenue, assurée, d’un
Marché du film numérique du 22
au 26 juin, quelques conjectures
semblent se confirmer. Une asso­
ciation Cannes­Venise, aussitôt
démentie par le président de la
Mostra, mais qui semble revenir
en grâce nonobstant le peu de
certitudes qu’on peut avoir sur la
tenue de la manifestation ita­
lienne. Ou encore la création d’un
label Cannes 2020 qui accompa­
gnera, lors de leur exploitation
future, les films retenus par le
comité de sélection. Face à cette
situation un peu irréelle, les pro­
ducteurs et productrices des
films concernés se trouvent dans
une cruelle expectative, au seuil
d’une saison cinématographique
qui ressemble au Titanic (l’événe­
ment, hélas, pas le film).
Trois d’entre eux, porteurs
d’œuvres fortement pressenties
pour Cannes, ont accepté de nous
répondre à un moment épineux
de leur réflexion. Trois exemples
qui, pour appartenir à la catégorie
consacrée du film d’auteur,
n’en présentent pas moins des
modèles économiques et esthéti­
ques différents. Saïd Ben Saïd (SBS
Productions) pilote le vaisseau­
amiral, Benedetta, du Néerlandais
Paul Verhoeven, en compagnie
duquel il poursuit une collabora­
tion brillamment inaugurée avec
Elle (2016). Signé d’un auteur
internationalement établi (Robo­
cop, Basic Instinct…), budgété à
20 millions d’euros, distribué
par la maison Pathé, Benedetta
met en scène l’histoire d’une
nonne – interprétée par Virginie
Efira – condamnée en pleine épi­
démie de peste à être brûlée pour
homosexualité. On imagine le fris­
son hérétique qu’aurait fait courir
sur l’échine de la Croisette ce qu’il
ne faut pas craindre de nommer
« un film de confinement ».
Ni festival numérique ni label
Jean Bréhat (3B Productions)
accompagne, quant à lui, tou­
jours aussi fidèlement depuis
vingt ans, la nouvelle folie de
Bruno Dumont, Par un demi­clair
matin. Le plus grand inventeur
de formes du cinéma français à
l’heure où l’on écrit ces lignes
frappe depuis quelque temps là
où on ne l’attend pas – série
policière pataphysique avec P’tit
Quinquin (2014) ; satire vitriolée
de la bourgeoisie belle époque
avec Ma Loute (2016) ; film de
procès médiéval avec Jeanne
(2019). Notons au passage
qu’avec le feuilleton épidémi­
que, Coincoin et les Z’inhumains
(2018), il aura impeccablement
pris la mesure, révérence parler,
des merdes non répertoriées
qui commencent à nous tomber
sur la tête. Il revient cette année
avec une manière de roman­
photo qui semble vouloir faire
un sort à la présente déca­
dence médiatique, organisé
autour de la personne d’une jour­
naliste vedette interprétée par
Léa Seydoux. Avec 5 millions
d’euros de budget, c’est, matière
raréfiée dans l’art et essai, un
film dit « du milieu ».
« La tenue
de Venise
n’est pas assurée,
l’ouverture
des salles
est aléatoire »
SAÏD BEN SAÏD
SBS Productions
Judith Lou Lévy (Les Films du
bal) produit enfin Le Genou
d’Ahed, de l’Israélien Nadav Lapid.
Petit budget (1,2 million d’euros),
tournage économiquement et po­
litiquement tendu sur le plateau
du Golan, cette coproduction fran­
co­allemande aurait dû consacrer
en compétition cannoise l’essor
du plus stylé des réalisateurs israé­
liens, récipiendaire en 2019 de
l’Ours d’or à Berlin avec Synony­
mes. Quatrième long­métrage du
réalisateur, Le Genou d’Ahed pour­
suit la veine autobiographique et
politique qui le caractérise. Il y
croise la réaction d’un réalisateur
israélien confronté à la censure
désormais frontale que son gou­
vernement fait peser sur la créa­
tion indépendante avec l’affaire
Ahed Tamimi, cette jeune et impé­
tueuse activiste palestinienne qui
avait, en 2018, giflé un soldat israé­
lien, suscitant le regret d’un dé­
puté de la Knesset qu’on ne lui ait
pas au minimum tiré une balle
dans le genou.
Nonobstant le statut différent
de leurs films, aucun d’entre eux
ne semble tenté par une solution
alternative au Festival de Cannes
tel qu’en son jus ordinaire. Ni
marché ou festival numérique, ni
label, ni solution vénitienne ne
leur semblent en la circonstance
propices. Tous mettent résolu­
ment le cap sur 2021, une année
blanche (pour 2020), avec les per­
tes afférentes, leur semblant pré­
férable à tout autre solution. C’est
dire le poids à nul autre pareil de
Cannes dans le lancement d’un
film d’auteur. « Nous avons mon­
tré le film fin février et avons reçu
une réponse très positive. Ensuite,
l’attitude combative du festival
durant la pandémie m’a vraiment
aidé à tenir. J’ai cru dur comme fer
au report à la fin juin. Aujourd’hui,
nous avons néanmoins décidé,
avec le distributeur et le réali­
sateur, que nous allions attendre.
La tenue de Venise n’est pas assu­
rée, l’ouverture des salles est éga­
lement aléatoire. On parle du
15 juillet mais quel distributeur
prendra le risque de sortir un film à
cette date ? Tout porte à croire qu’il
faut faire une croix sur l’année
2020. Nous visons Cannes 2021 »,
explique Saïd Ben Saïd, qui vient
d’ailleurs d’annoncer officielle­
ment sur Twitter la sortie du film
au mois de mai 2021.
Berlin « très convoité »
Même analyse pour Jean Bréhat,
en version brut de décoffrage :
« Nous avons montré le film, pas
terminé, jeudi 30 avril. Pas de ré­
ponse pour l’instant. Je pense que le
festival est comme tout le monde
dans l’industrie : tout le monde
évite de poser sa tête sur le billot.
Dire qu’on annule c’est dire qu’on
est mort. Tout se jouera en 2021,
avec un Festival de Berlin, en février,
pour le coup très convoité, puis
Cannes dans la foulée, trois mois
plus tard. Tout dépendra donc de la
chaleur de l’accueil cannois… »
Judith Lou Lévy est une jeune
productrice qui monte, ayant pré­
senté à Cannes, en 2019, deux re­
marquables films, Zombi Child, de
Bertrand Bonello, et Atlantique,
de Mati Diop. Elle se démarque
pourtant de ses collègues plus
installés par une prudence qui n’a
d’égale que l’audace de son début
de carrière. Echaudée par un tour­
nage difficile avec un réalisateur
qui a dû se confiner, dès mardi
10 mars, désorientée par une pan­
démie qui menace de laisser sur
le carreau les sociétés les plus fra­
giles, elle n’avance plus qu’à pas
de loup. Approchée par le festival
voilà quelques mois – et alors
même que, de concert avec le
distributeur Pyramide, elle y vi­
sait une sélection –, elle n’a pas
aujourd’hui de film suffisam­
ment avancé pour être montré et
ne parvient plus à « établir une li­
gne claire » pour l’avenir.
Evoquant une situation déjà
dégradée avec « les distributeurs
en souffrance », « l’arrêt des pré­
achats de Canal+ », « les films qui
meurent en salle trop rapide­
ment », elle voit dans cette pan­
démie les prémices d’un avenir
encore assombri pour les indé­
pendants. Aussi bien sort­elle
son parapluie et décide­t­elle
d’avancer « très modestement »
jusqu’en 2021, rejoignant in fine
ses collègues dans l’intention de
« présenter Berlin et Cannes », as­
sertion qui, décryptée, signifie
que de l’inclination cannoise dé­
pendra l’inscription berlinoise.
Ce faisant, Judith Lou Lévy met le
doigt sur la grande crainte qui
parcourt aujourd’hui – à l’instar
de tous les secteurs de la société –
le cinéma français.
Saïd Ben Saïd, non moins in­
quiet en raison des enjeux consi­
dérables de son film, mais pro­
ducteur d’expérience et partisan
secret de la voie du tao, a lui fait
« Je pense
qu’il y aura
beaucoup
de morts
chez les
indépendants »
JEAN BRÉHAT
3B Productions
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Virginie Efira
interprète
une nonne
dans le film
de Paul
Verhoeven
« Benedetta »,
produit par
Saïd Ben Saïd.
GUY FERRANDIS/
SBS PRODUCTIONS
ses calculs : « Il va nous falloir
renégocier les frais avec nos parte­
naires financiers, chaînes de télévi­
sion et banques, ce combat n’est
pas gagné. J’ai calculé que ce re­
port nous coûtera probablement
120 000 euros. Par ailleurs, s’agis­
sant des droits internationaux,
nous étudions, à contrecœur, en
raison du marché sinistré, la pos­
sibilité de vendre le film à une pla­
te­forme pour tous les territoires
hormis la France et le Benelux,
avec une diffusion en même temps
que la sortie française. »
Jean Bréhat élargit le tableau,
sans mâcher ses mots : « Je pense
qu’il y aura beaucoup de morts
chez les indépendants. Nous avons
un gouvernement qui se moque
de la culture et qui veut soumettre
la création indépendante à une
logique de rentabilité, sans voir
l’apport symbolique considérable
que cette création rapporte à la
France. On nous dit que nous se­
rons aidés, mais, pendant la pan­
démie de Covid­19, les agios sur les
intérêts n’ont même pas été gelés
par les banques du cinéma, qui dé­
pendent de l’Etat. D’ailleurs, ce se­
ront les banques, comme d’habi­
tude, qui sortiront seules renfor­
cées de cette crise. »
Ces trois coups de sonde dans
une sélection, qui demeure à bien
des égards virtuelle, ne préjugent
évidemment pas de la manière
dont les autres candidats cannois
se détermineraient si celle­ci fi­
nissait par être annoncée un jour.
Tant d’inconnues demeurent en­
core suspendues sur le monde du
cinéma. Tout y est subordonné
au comportement d’un acteur
sorti d’on ne sait où et totalement
nul – le dénommé SARS­CoV­2 –,
qui, depuis quelques mois, mène
à la surprise générale une percée
extrêmement pénible. Il est à
craindre que personne ne respi­
rera ici bas tant que sa carrière ne
sera pas brisée. 
jacques mandelbaum
0123
JEUDI 14 MAI 2020
Flavia Coelho :
« Le Brésil
est au bord
de la dictature »
La chanteuse brésilienne confie
avoir écrit sa chanson la plus
virulente après l’élection de
Bolsonaro. Le clip sortira le 14 mai
ENTRETIEN
D
ans son quatrième al­
bum, DNA, paru à
l’automne 2019, Fla­
via Coelho, auteure,
compositrice et interprète brési­
lienne, signe une chanson parti­
culièrement corrosive à propos
de Rio de Janeiro, la ville où elle
est née en 1980 : Cidade perdida
(« ville perdue »). Elle en dresse un
sombre tableau, pointe la corrup­
tion, les embrouilles, la peur, le
crime organisé, le retour de la
censure… Le clip correspondant,
tourné dans une église désaffec­
tée de Clermont­Ferrand une se­
maine avant le confinement, une
succession d’images noires et de
scènes oppressantes, sera mis en
ligne le 14 mai. Flavia Coelho, la
radieuse, celle qui a enchanté
quasi tous les soirs la Toile avec
ses impromptus DJ sets diffusés
en direct sur sa page Facebook
(« Le live de la raison ») pendant le
confinement, s’y montre le re­
gard sombre, le doigt accusateur
et, pour la première fois, n’es­
quisse pas l’ombre d’un sourire.
« Cidade perdida » exprime
avec force vos indignations,
et vous y affichez une posture
qu’on ne vous connaissait
guère. Pourquoi ?
Cidade Perdida est sans doute la
plus violente et la plus virulente
Un village confisqué à ses habitants
Lacoste, cité médiévale, se meurt depuis que Pierre Cardin se l’est, en partie, appropriée
CYRIL CONTRE GOLIATH

L’ histoire est insensée et
méritait bien un film.
Celui que nous livrent le
réalisateur Thomas Bornot et
l’écrivain Cyril Montana relève
plus du reportage que du docu­
mentaire. Ce qui, sur quatre­vingt­
six minutes, a pour méfait d’étirer
le sujet et de le rendre fastidieux, à
force d’anecdotes et de considéra­
tions inutiles. On s’en accom­
mode néanmoins, tant la dite
histoire a de quoi fasciner, soule­
ver l’indignation, et générer un
suspense auquel on se laisse pren­
dre malgré les longueurs qui nous
en éloignent. Cyril contre Goliath
nous conte la belle et vilaine aven­
ture d’un village dont la vie se voit
confisquée par un seigneur. Un
récit contemporain dont les faits
se sont produits au début des
années 2000, au cœur du parc
naturel régional du Luberon.
A Lacoste (Vaucluse), précisé­
ment. Un petit village médiéval de
400 habitants, perché à flanc de
coteau et couronné d’un château
qui fut, au XVIIIe siècle, propriété
du marquis de Sade. L’esprit du di­
vin marquis ne s’est jamais tout à
fait éteint à Lacoste, où des artis­
tes sont longtemps venus se ren­
contrer et s’installer. Dans les an­
nées 1950, André Breton, Max
Ernst, Picasso, Man Ray, René
Char, puis d’autres encore, sculp­
chanson que j’ai écrite. Quand le
résultat de l’élection présiden­
tielle au Brésil est tombé, il y a un
an et demi [le 28 octobre 2018], ç’a
été comme si je recevais un coup
de poing en plein visage. J’ai passé
une semaine en dépression, en­
fermée dans mon appartement, à
Paris. J’avais commencé à écrire et
à composer les chansons de mon
nouvel album, DNA, j’y parlais de
la beauté qu’il y avait à connaître
ses racines, à savoir d’où l’on
vient, j’étais dans un esprit positif.
Et puis cette terrible nouvelle est
arrivée : l’élection de Jair Bolso­
naro, le candidat d’extrême
droite. J’ai dit merde, tout ce dont
j’ai eu peur toute ma vie se con­
firme. Ce que j’ai vécu pendant
mon enfance à Rio est alors re­
monté en moi, m’a littéralement
envahie : la violence, la corrup­
tion, les affaires, la pauvreté, les
inégalités.
Les Brésiliens ont choisi un pré­
sident d’extrême droite qui in­
carne tout cela. J’ai ressenti
comme une urgence le besoin
d’en parler. Quand je suis venue
m’installer à Paris, en 2006, je ne
souhaitais pas dire des choses né­
gatives sur mon pays, le dénigrer à
travers mes chansons. Mais après
le résultat de cette élection, je de­
vais dire les choses telles qu’elles
sont, avec les mots qui vont avec.
Je parle de la situation politique et
sociale à Rio, où Bolsonaro a créé
teurs, peintres, poètes, chorégra­
phes du monde entier. Auteurs et
créateurs italiens, espagnols, alle­
mands, hollandais, danois, norvé­
giens, américains se retrouvaient
alors dans les jardins, les rues et
les cours de Lacoste, pour échan­
ger, débattre et s’ébattre. Comme
nous le montrent les images d’ar­
chives, un vent de liberté et de
joyeuse fête régnait entre les murs
blonds de ce bourg médiéval.
Puis le temps a passé qui ne fait
de cadeau ni aux hommes ni aux
pierres. Tandis que les poètes
s’éteignaient, le château du mar­
quis, debout depuis le XIe siècle,
tombait en ruine. Un mécène se
présente alors. En 2001, Pierre
Cardin décide de l’acquérir et de le
restaurer. Il souhaite créer un fes­
tival d’art lyrique dans les carriè­
res voisines du château et faire de
Lacoste un « Saint­Tropez local de
la culture ». La promesse réchauffe
le cœur des habitants, paysans,
commerçants et artistes ayant
En 2001,
le couturier
souhaite faire
de Lacoste
un « Saint-Tropez
local
de la culture »
 CHEF­D'ŒUVRE           À  NE  PAS  MANQUER           À  VOIR           POURQUOI  PAS           ON  PEUT  ÉVITER
son fief, son « cabinet de la
haine », comme on l’appelle au
Brésil, mais ce que je dénonce
s’applique à l’ensemble du pays.
Comment est née cette
chanson, en plein choc
émotionnel ?
C’était très dur. J’ai dû remplir
trois cahiers pour l’écrire et on a
fait peut­être sept cents prises.
J’étais très triste. Je trouvais que les
mots n’étaient pas suffisamment
percutants. Je passais par des mo­
ments de doute et de peur. Quand
j’ai publié quelques extraits de
mon disque sur mon mur Face­
élu, depuis longtemps, domicile
au village. Aucun d’eux n’est en
mesure de suspecter le poison
dont elle est porteuse. Car Pierre
Cardin, comme il le dit lui­même,
collectionne « les maisons comme
d’autres les timbres ». Le million­
naire a les moyens d’acheter et de
convaincre ceux qui rechignent à
vendre. Progressivement, il étend
sa propriété, finit par posséder
une quarantaine de maisons, une
dizaine de boutiques et quarante
hectares de terres qu’il laisse vides
et inexploitées. Il refuse de louer
ou de mettre en gérance : trop de
tracas. Privé de son café et de ses
commerçants, et d’une partie de
ses habitants qui ont été déplacés,
Lacoste devient, au fait du prince,
un village­musée.
Né à Paris, Cyril Montana a passé
une grande partie de son enfance
et de son adolescence à Lacoste
avant de devenir un pur produit
de réussite sociale. Ecrivain ayant
fait fortune dans la communica­
tion, il a goûté à la gloire et au fric
facile. Un divorce et un contrôle
fiscal l’ont mis au bord du gouffre,
et ramené à Lacoste, pour lequel il
choisit de se battre. Il contacte le
réalisateur Thomas Bornot qui,
touché par « l’énergie, la candeur
et l’envie de faire bouger les cho­
ses » dont fait preuve l’écrivain, ac­
cepte de le suivre. Et lui emboîte le
pas, à chaque démarche qu’il en­
treprend auprès des instances ad­
ministratives et politiques, des or­
« Quand je suis
venue m’installer
à Paris, en 2006,
je ne souhaitais
pas dénigrer
mon pays
à travers
mes chansons »
ganismes de presse et des mé­
dias ; lors de sa longue traversée à
pied de la France pour sensibiliser
les gens à la cause qu’il défend ;
durant ses discussions avec les ha­
bitants qui confient leur histoire
et leurs désillusions, puis au fil
des longs jours où il tente de ren­
contrer Pierre Cardin. Celui­ci qui,
devant la caméra, explique : « Il y a
des gens intelligents ici, mais ils
n’ont pas cette envergure interna­
tionale que je possède, ils n’ont pas
le même niveau. »
Récit militant contre la confisca­
tion par un seul homme d’un vil­
lage à ses habitants, contre le pou­
voir individuel de l’argent qui nuit
à l’intérêt général, Cyril contre
Goliath n’avait pas besoin de ces
longues séquences où l’on voit
Cyril Montana en famille, entre
amis ou même seul face à ses dou­
tes et ses réflexions personnelles
de peu de portée. Des passages qui
tendent à diluer le propos et à
émousser sa force intrinsèque,
sans en absorber l’impact. Privé de
sa sortie en salle et en attendant
leur réouverture, le film est pro­
posé sur la plate­forme La Vingt­
cinquième heure. Histoire de ne
pas reporter à demain les ques­
tionnements sur le monde à venir
auquel ce récit nous confronte. 
véronique cauhapé
Documentaire français
de Thomas Bornot
et Cyril Montana (1 h 26).
book, il y a eu immédiatement
des réactions de gens d’extrême
droite au Brésil. Ils me traitaient
de sale gauchiste, me disaient que
je n’avais rien compris de mon
pays. Il faut que je me blinde
maintenant que le clip va sortir,
car ce type de réaction va affluer.
Ce titre a­t­il pour vous une
résonance encore plus forte
aujourd’hui ?
L’heure est grave au Brésil. Le
pays est au bord de la dictature. Je
n’ai jamais rompu les liens avec
mon pays. Je me tiens informée
en permanence. Depuis quelque
MUS IQU E
Le festival Rock en Seine
reporté à 2021
Rock en Seine, dernier grand
festival de l’été en France,
programmé fin août­début
septembre en région pari­
sienne, a été reporté à 2021
en raison des contraintes
liées à la pandémie de
Covid­19, ont indiqué, mardi
12 mai, les organisateurs. Ce
rendez­vous, prévu sur trois
jours (29­30 août ainsi que
le 1er septembre), avait réuni,
en 2019, près de 100 000
personnes au Domaine
national de Saint­Cloud.
« Les mesures sanitaires prises
dans le cadre de la crise
actuelle » ne « permettent
pas » la tenue de Rock en
Seine dans son format actuel,
exposent les organisateurs
dans un communiqué. Les
responsables de Rock en
Seine réfléchissent toutefois
à l’éventualité, autour des
dates du festival cet été, d’un
« projet incarné, sous une
forme originale et singulière
pour porter un message d’op­
timisme et de combat autour
du spectacle vivant », explique
le président de Rock en Seine,
Emmanuel Hoog. – (AFP.)
Une guitare de Kurt
Cobain mise en vente
à 1 million de dollars
La guitare utilisée par
Kurt Cobain lors de l’enregis­
trement du concert « Unplug­
ged » de Nirvana, en novem­
bre 1993 pour la chaîne
musicale américaine MTV, va
être proposée aux enchères,
les 19 et 20 juin, à Los
culture | 23
En mars,
à Paris.
VICTOR VAGH
temps, j’y passe la moitié de mes
journées et toutes les nuits, je ne
me couche pas avant deux heures
du matin pour appeler au Brésil,
attraper le plus d’informations
possible. J’écoute et je lis des inter­
views de gens qui font des décla­
rations importantes. Pas celles de
Bolsonaro, misogynes, racistes,
homophobes, un président qui
possède un vocabulaire de quatre
cent cinquante mots, soutient
toutes les positions et les mani­
festations des branches fascistes.
Un chef d’Etat continuant de nier
obstinément la gravité de la pan­
démie et qui veut à tout prix que
la population sorte de chez elle
pour aller travailler.
Votre nouvelle chanson, écrite
pendant le confinement et
sortie il y a quelques jours,
s’appelle « Bonne nouvelle ».
Ce serait quoi pour vous
une bonne nouvelle ?
Pour moi, ce serait que Bolso­
naro et toute son équipe déga­
gent. Je ne suis pas retournée au
Brésil depuis la sortie de mon al­
bum. Ici, en France, je me sens en
sécurité, je suis d’ailleurs en train
de faire les démarches pour ma
naturalisation. Tout ce qui arrive
au pays, cela me fait encore plus
croire en celui dans lequel je vis
actuellement, où l’on voit telle­
ment d’élans de solidarité depuis
le début de cette crise sanitaire
liée au Covid­19. Ma sœur vit à
deux pas du quartier qu’on ap­
pelle « le quartier des milices » à
Rio. Je tenais à aller y fêter les
70 ans de mon père en novembre,
mais je n’irai pas. 
propos recueillis par
patrick labesse
DNA, par Flavia Coelho,
1 CD Le Label/Pias.
Angeles, avec une estima­
tion de départ à 1 million de
dollars. La guitare semi­
acoustique, mise en vente
par la maison Julien’s
Auctions, est un modèle
rare, le D­18E, fabriqué par le
luthier américain Martin à
302 exemplaires seulement,
celle­ci en 1959. – (AFP.)
CORO NAVIRUS
Les artistes belges
appellent à l’aide
Pour eux, « le télétravail est
techniquement impossible » :
plusieurs centaines d’artistes
belges, d’Adamo à Angèle, en
passant par Cécile de France
et les frères Dardenne, en
appellent au monde politi­
que pour aider le secteur de
la culture mis en danger par
la crise due au Covid­19. La
première ministre belge,
Sophie Wilmès, a réagi, mardi
12 mai, à cet appel en promet­
tant de « renforcer le soutien »
des pouvoirs publics à un
secteur traversant « une pé­
riode particulièrement éprou­
vante ». Une réunion de crise
doit se tenir mercredi autour
de Mme Wilmès à propos d’un
possible assouplissement des
interdictions de rassemble­
ments. Dans une lettre
ouverte au gouvernement,
environ 300 musiciens, co­
médiens, cinéastes, produc­
teurs, chefs opérateurs, dan­
seurs et plasticiens réclament
« des mesures extraordinai­
res », prévoyant notamment
un revenu garanti pour cha­
cun d’ici à la reprise des tour­
nages et à la réouverture des
salles de spectacles. – (AFP.)
24 | télévision
Les extraordinaires capacités des arbres
Emmanuelle Nobécourt a enquêté au sein de laboratoires les plus en pointe qui étudient ces végétaux
FRANCE 5
JEUDI 14 - 20 H 50
DOCUMENTAIRE
L’
intelligence des arbres
titille les chercheurs
depuis quelques an­
nées, fait accentué par
la crise environnementale et re­
layé par l’engouement populaire,
palpable depuis le succès de La Vie
secrète des arbres, de Peter Wohl­
leben (Les Arènes, 2017, plus d’un
million d’exemplaires vendus en
France). De nombreux documen­
taires s’en sont d’ailleurs fait
l’écho depuis. Le Génie des arbres
se veut un cran au­dessus, de par
sa construction sur trois niveaux :
pédagogique, biomimétique (qui
s’inspire de la nature) et scientifi­
que – le documentaire n’appar­
tient pas à la case Science grand
format pour rien. Il y parvient,
malgré sa durée (quatre­vingt­
quinze minutes), lorsqu’il nous
permet de visiter les laboratoires
les plus en pointe et de décou­
vrir, parfois avec émerveillement,
leurs dernières avancées.
Bruno Moulia, agronome physi­
cien, nous ouvre les portes de
l’unité de recherche qu’il dirige
sur la physique et la physiologie
intégratives de l’arbre en environ­
nement fluctuant (PIAF), un des
rares laboratoires dévolus à l’arbre
dans le monde, située en Auver­
gne. Un titre aussi complexe que
Quand les retrouvailles familiales tournent au drame
Avec « Everybody Knows », l’Iranien Asghar Farhadi filme un thriller fascinant dans les vignobles espagnols
CINÉ + ÉMOTION
JEUDI 14 - 20 H 50
FILM
L aura (Penélope Cruz) re­
vient au village avec ses
deux enfants, mais sans
son mari, Alejandro (Ricardo
Darin), resté en Argentine, à l’oc­
casion du mariage de l’une de ses
sœurs. Elle y retrouve Paco (Javier
Bardem), ex­amant, acheteur de
la part de la propriété familiale
dont Laura avait hérité. Ces inter­
férences entre les transactions
amoureuses, juridiques et écono­
GRILLE N° 20 - 113
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 5
II
III
IV
V grille avec des chiffres
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 112
HORIZONTALEMENT I. Libre penseur. II. Ad. Ote. Ourse. III. Nippa. Déci.
IV. Tolstoï. Anar. V. Eta. Uns. Ci. VI. Ringardisées. VII. Ne. Rase-motte.
VIII. Cil. Sil. Ar. IX. Arrêta. Lesta. X. Uniformisées.
VERTICALEMENT 1. Lanterneau. 2. Idiotie. RN. 3. Plan. Cri. 4. Rops. Grief.
5. Etat. Aalto. 6. Pé. Ours. Ar. 7. Dindes. 8. Noé. Simili. 9. Suça. Soles.
10. Erin. Et. SE. 11. Us. Acétate. 12. Repriseras.
Un ficus plusieurs fois centenaire, dans le sud des Philippines. HAUTEVILLE PRODUCTIONS/FRANCE5
ses explications sont limpides,
tant ce chercheur sait transmettre
son émerveillement devant les fa­
cultés du règne végétal.
Il est vrai qu’elles sont nom­
breuses. Les arbres, capables de
pousser sur les terres les plus hos­
tiles, grandissent toute leur vie ;
ils fabriquent un matériau uni­
que, le bois ; ils transportent des
quantités d’eau phénoménales
miques, qui ont déjà tant servi au
cinéaste d’Une séparation et du
Passé, sont un temps cachées par
l’enthousiasme décontracté avec
lequel Asghar Farhadi filme une
fête familiale en Espagne. Every­
body Knows pourrait presque être
un film de famille chaleureux
avec, en prime, la lumière eupho­
risante de José Luis Alcaine.
A cela près que, bien avant que
ne s’abatte la catastrophe, Farhadi
dispose artistement les embûches
qui feront tomber ses personna­
ges. L’excitation des retrouvailles
masque à peine la résurgence des
7 8 9 10 11 12
– jusqu’à 3 000 litres par jour
pour le séquoia géant de Califor­
nie –, sans empiéter sur les be­
soins vitaux de leurs voisins.
Un système d’échange
Devant de telles prouesses, la ten­
tation est forte… « Et si on s’en ins­
pirait ? » C’est ce que l’on appelle le
« biomimétisme », porté notam­
ment par Janine Benyus, qui a
rancœurs. A la nuit tombée (la pre­
mière moitié du film se déroule
sur une journée), rien ne va déjà
plus, si bien que, lorsque l’on ap­
prend qu’Irene (Carla Campra), la
fille de Laura, a été enlevée,
Farhadi a déjà emmené son film
dans le crépuscule des regrets, des
remords et des soupçons.
Expier les fautes passées
On aura reconnu la structure d’A
propos d’Elly (un week­end entre
amis vire à l’enquête criminelle,
doublée du dévoilement de se­
crets intimes enfouis), le film qui a
HORIZONTALEMENT
I. Sales coups pour les tribuns et les
bavards. II. Dehors sous la Coupole.
A sa place sous la Coupole. III. Le so-
leil ne brille jamais pour lui. Haute-
ment. Dans la marge. IV. Complète-
ment discréditée. A négocier dans la
descente. V. Négation. Poussées beau-
coup trop loin. VI. Facilite les déplace-
ments du canon. Préposition. Sup-
port d’informations. VII. Compta sur.
Cours de Toscane. Risque la folie.
VIII. En Thuringe sur la Saale. Met les
verres à l’abri. Renforce l’accord.
IX. Producteur de sirop canadien.
Toujours grand dans les déplace-
ments. X. Garnit les rayons et donne
le choix.
VERTICALEMENT
1. Vraiment bon à rien. 2. Evitera frot-
tements et accrochages. 3. Mis de
côté. Suiveurs enthousiastes. 4. En
prend souvent plein la tête. Evite les
dérapages incontrôlés. 5. Structure
d’entreprise. Répara au foyer. Patron
normand. 6. Ensemble de caractères
binaires. Bramer. 7. Firent le bon
poids. 8. Dite ou chantée, elle est ly-
rique. Nettoyai les étoffes. 9. Sacrilège
quand elle est noire. Pour tout voir
dans notre intérieur. 10. Dans l’im-
médiat. Tête couronnée. Note.
11. L’Irlande libre. Elissa, princesse
tyrienne. 12. Assurait la division.
popularisé le terme dans un livre,
Biomimétisme. Quand la nature
inspire des innovations durables
(Harmonia Mundi, 2011). Elle
prône une société valorisant la
mutualisation plutôt que le rap­
port de force. Pour convaincre, elle
dégaine des arguments mercanti­
les. « Des arbres plantés près de
votre maison font baisser votre
facture de climatisation. »
assuré la renommée internatio­
nale de Farhadi. Des personnages
qui paraissaient inintéressants se
révèlent fascinants sous l’effet de
stimuli inattendus qui les obligent
à affronter autrement les con­
traintes ordinaires. Sur les bords
de la Caspienne, celles­ci avaient
pour noms interdits « religieux »,
« patriarcat ». Dans les vignobles
espagnols, l’argent règne. Il en
faut pour la rançon, il en faut pour
expier les fautes passées. C’est lui
qui défait peu à peu l’assurance
solaire de Laura, la superbe genti­
ment machiste de Paco, des exer­
SUDOKU
N°20­113
4 9
5 2 6 Chaque chiffre ne doit
1 3
7 2
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
& CIVILISATIONS
& C I V I L I S AT I O N
N 40T SEMBLAIT PERDU
L’AND
QUA TOU
CRASSUS
L’HOMME
LE PLUS RICHE
DE ROME
L’arbre est­il pour autant doté
d’une conscience, voire d’intelli­
gence ? Même si ses racines sont
capables de se frayer un chemin
pour trouver leur nourriture dans
un labyrinthe – lors du test du
même nom –, les études réalisées
par l’Italien Stefano Mancuso, in­
venteur du concept de neurobio­
logie végétale, sont controversées.
Le débat est relancé depuis que
les chercheurs ont mis au jour un
système d’échange entre les raci­
nes et leur environnement beau­
coup plus complexe qu’observé
jusqu’alors. Au point de parler
d’« Internet végétal », terme uti­
lisé dans Le Murmure de la forêt
(2019), documentaire de Freddie
Röckenhaus et Petra Höfer.
Ces questionnements ne doi­
vent pas masquer l’interrogation
vitale : entre déforestation inten­
sive, incendies et dérèglement cli­
matique, les arbres vont­ils survi­
vre à l’anthropocène ? A l’image,
un dragonnier de 800 ans, aux
Canaries, un pin ponderosa cen­
tenaire, et un mathusalem, le
doyen planétaire (5 000 ans), pin
Bristlecone de White Mountain,
en Californie… Comme pour
mieux rappeler l’urgence à pré­
server cette quasi­éternité. 
catherine pacary
Science grand format. Le Génie
des arbres, d’Emmanuelle
Nobécourt (Fr., 2020, 95 min).
cices que leurs interprètes maîtri­
sent à merveille. On n’est pas très
loin de certains auteurs de ro­
mans noirs américains, Jim
Thompson, par exemple. Il aurait
peut­être fallu que Farhadi sacrifie
tout à fait aux règles du film de
genre, à commencer par la conci­
sion, pour qu’Everybody Knows
soit une totale réussite. 
thomas sotinel
Everybody Knows, d’Asghar
Farhadi. Avec Penélope Cruz,
Javier Bardem, Ricardo Darin
(Iran, Esp., Fr. et It., 2018, 132 min).
5 7 6 3 4 1
3 2 8 5 7 9
1 9 4 6 8 2
7 4 2 4 5 7 9 8
7 3 9 1 5 6
9 1 8 6 1 2 3 4
6 5 7 8 1 3
4 1 3 9 2 7
4 3 9 8 2 4 6 5
2 Moyen
6Complétez toute la
9 1
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
7 seule fois par ligne,
9 6 par colonne et par
carré de neuf cases.
N° 61
MAI 2020
S
Chaque mois,
un voyage à travers
le temps et les grandes
civilisations à l’origine
de notre monde
PRÉSIDENT
CHAQUE MOIS UN
ÂGE
MOYENNOIRE LINCOLN CHEZ VOTRE
LA PESTE
TRANSFORME
ENT
LE PRÉSID
PRÉFÉRÉ DES
MARCHAND DE JOURNAUX
LES MENTALITÉS
AMÉRICAINS
0123
JEUDI 14 MAI 2020
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
JEUDI  14  MAI
TF1
21.05 Le Dîner de cons
Film de Francis Veber. Avec
Jacques Villeret, Thierry Lhermitte,
Francis Huster (Fr., 1997, 90 min).
22.35 Les Experts : Miami
Série. Avec David Caruso,
Emily Procter (EU, 2006).
France 2
21.00 Envoyé spécial
L’hôtel des confinés ;
Santé : la France désarmée ? ;
Une rentrée à haut risque ?
Magazine présenté par Elise Lucet.
22.45 Complément d’enquête
A qui profite la crise ?
Magazine présenté par
Jacques Cardoze.
France 3
21.05 La Faille
Film de Gregory Hoblit.
Avec Anthony Hopkins, Ryan Gosling,
Rosamund Pike (EU, 2007, 115 min).
23.00 Festival, quand
mon village résiste
Documentaire de Tom Graffin
(Fr., 2020, 55 min).
Canal+
21.00 Killing Eve
Série. Avec Sandra Oh, Fiona Shaw
(RU, 2020).
22.25 Shrill
Série. Avec Aidy Bryant,
Lolly Adefope (EU, 2019).
France 5
20.50 Le Génie des arbres
Documentaire d’Emmanuelle
Nobécourt (Fr., 2020, 95 min).
23.35 C à vous
Talk-show présenté par
Anne-Elisabeth Lemoine.
Arte
20.55 Au nom du père
Série. Avec Lars Mikkelsen,
Ann Eleonora Jorgensen
(Dan, 2018, 4 × 60 min).
0.55 Jonas
Téléfilm de Christophe Charrier.
Avec Félix Maritaud, Aure Atika
(Fr., 2018, 85 min).
M6
21.05 Why Women Kill
Série. Avec Lucy Liu, Ginnifer
Goodwin, Reid Scott (EU, 2019).
21.55 This Is Us
Série. Avec Mandy Moore, Justin
Hartley, Milo Ventimiglia (EU, 2017).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13. Tél. : 01-57-28-20-00
2 8 9
6 4 1 Abonnements par téléphone : de France 3289
7 5 3 (Service 0,30 ¤/min + prix appel) ; de l’étranger :
1 3 6 (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique :
8 2 4 abojournalpapier@lemonde.fr.
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
9 7 5
4 9 2 Courrier des lecteurs
5 6 8 Par courrier électronique :
3 1 7 courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Médiateur : mediateur@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
 IDÉES
0123
JEUDI 14 MAI 2020 | 25

Sandra Szurek La Chine est juridiquement

responsable de la pandémie
Pékin a manqué à ses obligations pour contenir
la maladie et a causé un préjudice à d’autres pays Entre autres, l’une des premières règles
coutumières consacrées en droit interna­
qui mérite réparation, estime l’universitaire tional, parce que tous les Etats y trouvaient
leur compte, est l’obligation qui leur est
faite de ne pas causer un préjudice à
d’autres Etats et à leurs ressortissants à
en attendre moins d’un membre perma­
nent du Conseil de sécurité, qui a ainsi
porté atteinte à la sécurité internationale,
dont la sécurité humaine est aujourd’hui
une dimension essentielle ?
Mais les autres Etats ont également leur
ration internationale, apporte l’aide néces­
saire aux Etats et corrige, ce faisant, leurs
trop grandes disparités de moyens. Appli­
qué aux pandémies, leur objectif serait
d’amener chaque Etat à se doter des procé­
dures et moyens adaptés et adéquats sur la

C
ette pandémie n’est pas un terrible
coup du sort à encaisser sans mot
dire. Le juriste se doit d’observer
la crise à travers le prisme du droit
international et en particulier d’une ins­
titution cardinale, la responsabilité. Il y en
a diverses acceptions et expressions.
Dans certaines circonstances, elles peu­
vent former une chaîne de responsabilités
dont il convient de tirer des enseigne­
ments et des perspectives.
Il est légitime de poser la question de la
responsabilité juridique internationale de
la Chine et de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS). C’est bien « the Wuhan virus »,
selon l’expression de Donald Trump, et n’en
déplaise à Xi Jinping, qui nous a frappés. On
peut avoir des doutes sur son origine. Il n’y
en a jamais eu sur le point de départ de l’épi­
démie. On en sait suffisamment aussi sur le
comportement de la Chine dès ses premiè­
res manifestations : minimisation du ris­
que, silence imposé aux lanceurs d’alerte,
voire leur emprisonnement. Si l’on ajoute à
ce comportement celui de l’OMS, que l’on
peut suspecter, au minimum, d’une
certaine lenteur à réagir, les mois perdus
ont conduit à la situation actuelle. L’une et
l’autre, dont on connaît par ailleurs les
liens, semblent bien avoir largement man­
qué à l’obligation de due diligence (« dili­
gence raisonnable ») qui leur incombait.
Avant d’envisager la responsabilité de
l’OMS, une enquête internationale sur son
action serait à mener rapidement. Au
minimum, toute organisation doit pou­
voir rendre compte de sa conduite dans
des circonstances aussi graves.
Les bases légales d’une éventuelle res­
ponsabilité de la Chine ne manquent pas.
partir du territoire étatique. Le recours à
une juridiction internationale se heurte
toutefois à des obstacles considérables.
Juridiquement, la première difficulté – et
sans doute la dernière – est qu’un Etat ne
pouvant y être attrait contre son gré, on
n’imagine pas la Chine y consentir. En
outre, politiquement, quels Etats y
seraient prêts ? Le droit est également
tributaire de la realpolitik.
Indemnisation à titre gracieux
Le droit international ménage cependant
d’autres voies. La Chine pourrait trouver
de son intérêt, au besoin sous la pression
internationale, de s’acquitter d’une indem­
nisation à titre gracieux – pourquoi pas par
constitution d’un fonds international
pour les victimes du Covid­19 ? Tout en
niant répondre à une quelconque obliga­
tion, les Etats y consentent parfois. Per­
sonne n’est dupe. Mais tout le monde fait
semblant, le premier objectif étant, avant
la justice, la paix internationale. Comment
C’EST BIEN « THE
WUHAN VIRUS »,
SELON L’EXPRESSION
DE DONALD TRUMP,
ET N’EN DÉPLAISE
À XI JINPING, QUI
NOUS A FRAPPÉS
part de responsabilité et ne sauraient se
défausser complètement sur la Chine.
Presque tous sont membres de l’OMS et te­
nus d’appliquer notamment le règlement
sanitaire international, avec, entre autres
obligations, celle de renforcer les systèmes
nationaux. Or, qu’a­t­on vu, ici ou là ?
Aucun plan d’ensemble, face à un risque
prévisible. Souvent, profusion de sommi­
tés médicales et insuffisance dramatique
de moyens, aggravée par l’apathie publi­
que devant les nouvelles venant de Chine.
Les Etats ont dû pourtant faire face et pro­
téger leurs populations. Après le sauve­
qui­peut, ils se sont parfois entraidés. Une
solidarité s’est également esquissée en fa­
veur des Etats africains les plus pauvres. En
somme, les Etats ont mis en œuvre, spon­
tanément, dans l’urgence et sans probable­
ment en avoir conscience, le mécanisme
de la responsabilité de protéger (R2P). Mais
trop tard et à un coût faramineux.
Dangerosité des régimes dictatoriaux
Lorsque la R2P a été consacrée par l’Assem­
blée générale des Nations unies dans sa
déclaration de 2005, on avait entendu
affirmer seulement le devoir des Etats de
protéger leurs populations des crimes
internationaux. Sa mise en œuvre en
Libye, avec recours à la force, l’a durable­
ment, sinon définitivement, discréditée.
Il n’en demeure pas moins qu’elle offre
un intérêt majeur si on veut avoir quelque
chance de ne pas revivre la même chose. La
R2P, comme démarche collective, vise à
définir les moyens et comportements
aptes à permettre aux Etats de protéger
leur population face à un risque donné.
Son premier volet est la prévention. Le
deuxième volet, en instaurant une coopé­
base d’un consensus international éclairé.
Quant au troisième volet, il pourrait être
utilement dévolu, par exemple, à l’échange
des connaissances, à la formation de per­
sonnels soignants nationaux, à un trans­
fert de savoir­faire médical, en coopéra­
tion entre l’ONU et l’OMS.
Face aux risques globaux, la sécurité hu­
maine est par nature une sécurité de soli­
darité, qui doit conjuguer un exercice res­
ponsable de la souveraineté et un multila­
téralisme coopératif et fonctionnel. Elle ne
peut être laissée au seul unilatéralisme
versatile ou négligeant des Etats.
Au début du siècle dernier, un éminent
juriste, Nicolas Politis, disait que l’indi­
vidu voyait le monde comme un prison­
nier derrière les barreaux de l’Etat. « Nous,
peuples des nations unies », qui encais­
sons maintenant des crises mondiales à
répétition, sommes­nous devenus égale­
ment leurs prisonniers ? Quelle est notre
part de responsabilité ? Le Covid­19 remet
aussi nos pendules à l’heure. Il administre
la preuve de la dangerosité des régimes
dictatoriaux avec leur culture du secret et
des populismes de tout poil avec leurs
dénis et fanfaronnades. Mais nos démo­
craties insatisfaisantes et imprévoyantes
n’en sortent pas indemnes non plus.
Au bout de la chaîne, à chacun de cher­
cher comment y remédier. 
Sandra Szurek est professeure émérite
à l’université Paris-Nanterre et
membre de la Société française pour
le droit international

Pierre Grosser « Pékin a l’impression de se faire voler sa victoire »

Face à l’ambition de la Chine, les Occidentaux ont adapté leur façon de traiter avec elle, mais ils doivent encore affiner leur stratégie, estime l’historien

ENTRETIEN recourir au vocabulaire de la multilatérales ne correspondent félicitait Xi Jinping pour sa gestion cée de cette crise. Entrons­ près de deux décennies, les ex­

H
istorien de formation,
Pierre Grosser est cher­
cheur au Centre d’histoire
de Sciences Po Paris.
Spécialiste de la guerre froide et
de l’Asie, il enseigne les relations
internationales et est l’auteur
de nombreux ouvrages, dont
L’histoire du monde se fait en Asie.
Une autre vision du XXe siècle
(Odile Jacob, 2017).
Comment analysez­vous
la réaction plus vive de
la Chine dans la polémique
sur les origines du virus
alors que les critiques à l’égard
de Pékin s’intensifient ?
L’offensive médiatique de Taï­
wan sur sa réussite face à l’épi­
démie et sur le comportement de
la Chine à l’Organisation mon­
diale de la santé compte autant
que la manière dont les Etats­
Unis rendent les dissimulations
chinoises responsables de la pro­
pagation de l’épidémie. Il était
question en février d’un « effet
Tchernobyl » sur le pouvoir
chinois – mais il n’y a pas de glas­
nost (« transparence ») en Chine
comme dans l’Union soviétique
de Gorbatchev. Désormais, on
parle d’une « poutinisation » de la
diplomatie chinoise. Sans même
« perte de face », la Chine a l’im­
pression de se faire voler sa vic­
toire. Une sorte de « syndrome
Sun Yang », ce nageur chinois
multimédaillé accusé de dopage.
Le président Macron a rejoint
les Etats­Unis et la
Grande­Bretagne en émettant
des critiques à l’égard de la
Chine. La Russie a plutôt pris
la défense de Pékin. Est­ce que
cela signifie que les membres
permanents du Conseil
de sécurité de l’ONU sont
incapables de s’entendre sur
une gestion multilatérale
de la lutte contre le virus ?
Le président a été prudent dans
ses déclarations sur la Chine de­
puis janvier, ce qui a sans doute
été utile lorsque l’épidémie a pris
de l’ampleur en France. L’in­
flexion que vous indiquez a servi,
à mon avis, à envoyer un signal
à la suite de Tweet peu diploma­
tiques venus de l’ambassade de
Chine, qui ont conduit à la convo­
cation de l’ambassadeur. La
France a été à l’initiative pour ac­
tionner la diplomatie de club des
grandes puissances, Conseil de sé­
curité et G7. La Chine semble tou­
jours indispensable pour faire
face aux défis globaux, même si
ses pratiques dans les enceintes
pas à ses discours – critique qui a
été jadis adressée aussi aux Etats­
Unis. Le Conseil de sécurité, où
la France joue son statut de
puissance, est paralysé par
l’affrontement sino­américain. Le
Covid­19 y sert à tester la détermi­
nation des deux pays.
Allons­nous vers
plus de crispations entre
les Etats­Unis et la Chine,
et leurs alliés respectifs ?
La crise intervient alors que les
tensions sino­américaines se sont
accrues depuis plus de deux ans.
Elle s’est rapidement inscrite dans
ce cadre. En janvier, quand Trump
L’ATTITUDE
ACTUELLE DE LA
CHINE DONNE
RAISON À CEUX QUI
AVAIENT ALERTÉ
SUR LA « MENACE
CHINOISE »
de l’épidémie, le sénateur de
l’Arkansas Tom Cotton pointait
déjà du doigt les laboratoires bio­
chimiques de Wuhan. La Chine a
attaqué deux mois plus tard,
désignant responsables les Améri­
cains venus en octobre 2019 aux
Jeux mondiaux militaires à Wu­
han. Le « blame game » (« c’est la
faute aux autres ») a connu depuis
une escalade. A quelques mois
de la présidentielle de novem­
bre 2020, l’administration Trump
semble chercher un bouc émis­
saire après plusieurs mois d’im­
préparation, tandis qu’une Chine
arrogante n’a pas voulu qu’on lui
vole son apparente victoire sur
l’épidémie, voire qu’on évoque
des « réparations ». Dix­huit ans
après George W. Bush, la sénatrice
du Mississippi Marsha Blackburn
vient de parler de « nouvel axe du
Mal », comprenant la Chine, la
Russie, l’Iran et la Corée du Nord.
La plupart des autres pays (et
l’Union européenne) sont tentés
de durcir le ton, mais sans pro­
voquer Pékin, et connaissent
des débats internes. L’attitude
actuelle de la Chine donne raison
à ceux qui avaient alerté sur la
« menace chinoise ».
Certains observateurs considè­
rent que la Chine sort renfor­
nous dans un siècle asiatique ?
Le basculement du monde vers
l’Asie­Pacifique est annoncé de­
puis les années 1980. Le moteur
était alors le Japon, c’est désor­
mais la Chine. Ce qui rend diffici­
les la « désimbrication » produc­
tive et commerciale, et tout rai­
dissement brusque à l’égard de
Pékin. Le régime communiste
veut fêter le centenaire de la fon­
dation du Parti en 2021 en mon­
trant comment il a redonné à
la nation chinoise sa place dans
le monde. Toute critique à son
égard est considérée comme un
moyen de freiner cet inévitable
succès et de faire revenir la Chine
dans une situation d’anarchie et
de soumission. Dans l’histoire ré­
cente, que ce soit pour l’Allema­
gne et l’Union soviétique, voire
pour les Etats­Unis, ce mélange
d’assurance sur le long terme et
d’insécurité permanente sur le
court terme a plutôt été explosif.
Comment peut­on traiter avec
un acteur aussi important
et opaque que l’est la Chine
en l’absence de confiance ?
Tous les pays doivent intégrer
la contrainte de la rivalité sino­
américaine – comme la possibi­
lité d’un modus vivendi entre
Washington et Pékin. Depuis
perts observent comment les
Etats d’Asie orientale s’efforcent
d’éviter un alignement trop os­
tensible sur Washington pour
éviter de mécontenter Pékin et
pour profiter du dynamisme
économique chinois. Les pays
européens commencent à adop­
ter ce type de gestion fine. Cela
ne les empêche pas de proclamer
une nouvelle fois que le réveil a
sonné, et donc que l’Europe doit
se réveiller, être unie et penser
stratégiquement.
Le modèle des premières an­
nées de la guerre froide est diffi­
cilement reproductible pour
établir un front occidental face à
la Chine. D’où ce sentiment
« d’en même temps », pour le­
quel les analystes aux Etats­Unis
utilisent le terme de « conga­
gement », mélange de « contain­
ment » (« endiguement ») et
d’« engagement ». Avec Bush et
surtout Trump, les Européens
ont découvert qu’ils ne connais­
sent pas si bien les Etats­Unis dé­
mocratiques où les médias sont
libres, et ils ne savent guère com­
ment influencer Washington.
Cette méconnaissance est en­
core plus vraie vis­à­vis de la
Chine communiste. 
propos recueillis par
gaïdz minassian
 0123
26 | idées JEUDI 14 MAI 2020

Marie Mendras Vladimir Poutine apparaît

comme un chef autoritaire en perte d’autorité
L
a Russie arrive en seconde position, der­
rière les Etats­Unis, en matière de progres­
sion quotidienne de l’épidémie. Selon les
données officielles, quelque 11 000 nou­
veaux cas de Covid­19 ont été enregistrés le
11 mai, pour un total qui dépasse les
220 000 personnes contaminées, et plus de
2 000 décès. Scientifiques et médecins assurent
que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés.
La méthode de décompte des décès écarte les
personnes qui souffraient aussi d’une autre pa­
thologie, les victimes hors hôpital sont rare­
ment comptabilisées, et les médias subissent un
contrôle strict des autorités.
Le gouvernement semble en plein désarroi, ce
qui provoque une forte anxiété au sein de la so­
ciété. L’économie stagne depuis des années et
l’arrêt de l’activité en mars laisse les acteurs éco­
nomiques et les ménages exsangues. L’inadé­
quation des politiques étatiques invite à s’inter­
roger : où est donc la fameuse « verticale du pou­
voir », censée gouverner la vaste Fédération de
Russie grâce aux oukases d’un président tout­
puissant ?
A la mi­mars, quand les premiers cas ont enfin
été reconnus, les autorités centrales ont sous­es­
timé le danger et n’ont pas proposé de réplique
rapide pour juguler l’épidémie. C’est le maire de
Moscou, Sergueï Sobianine, qui a pris l’initiative
de décréter le confinement dans la capitale le
30 mars.
Alors que la Russie se révèle comme l’un des principaux foyers
de la pandémie de Covid­19, le président semble incapable de mettre
le pays en ordre de bataille, analyse la politologue
à combattre le virus chez eux, sur le champ de tion d’une crise multidimensionnelle aux admi­
bataille national. nistrations et aux entreprises, sous contrôle du
Vladimir Poutine s’est adressé à la nation plu­ FSB et des forces de l’ordre, sans vraiment délé­
sieurs fois, d’abord moralisateur et détaché, guer ni orchestrer. La répression politique conti­
puis sombre et magnanime, en « octroyant » nue, par des juges qui condamnent « à distance ».
plusieurs semaines de congés confinés et payés Les grandes voix de l’opposition, reprises par de
(payés par qui ?, se demandent les tra­ nombreux sites et blogs, dénoncent l’incurie du
vailleurs…). Alors qu’on attendait un chef déter­ pouvoir. Le fameux « ordre poutinien » paraît in­
miné, c’est un homme anxieux et mal à l’aise capable de mettre le pays en ordre de bataille.
qui s’est exprimé devant les écrans de télévi­
sion. Le président a décidé de ne pas diriger le Les administrations locales en première ligne
combat contre la pandémie, et l’a dit claire­ Les chefs d’administrations provinciales et mu­
ment aux gouverneurs des 85 provinces de nicipales sont placés en première ligne, alors
Russie : à vous de gérer ! qu’ils ont presque tous été choisis pour leur
Il s’est retiré dans sa datcha présidentielle de loyauté sans faille et leur faible envergure, et
Novo­Ogarevo, dans les environs de Moscou. Il se n’ont pas les moyens de remplir leur mission.
tient à très grande distance et abandonne la ges­ Les informations fiables sur la propagation du
virus dans les provinces manquent, et les priori­
tés pour apporter soins et aides aux malades,
aux familles et aux personnes privées de reve­
nus ne sont pas explicitées. Les hôpitaux sont
pour la plupart livrés à eux­mêmes. Ils récla­
ment des médicaments, des protections pour
OÙ EST DONC les soignants et un soutien logistique. Or, les ad­
miques et sociales, déjà très marquées. La mé­
fiance envers « celui venu d’ailleurs » s’aiguise.
Les conséquences sont dramatiques pour les
millions de personnes vivant en Russie sans
passeport russe ni permis de résidence.
Les détracteurs affirment que le président n’a
endossé aucune décision pénible pour éviter de
perdre un peu plus la confiance des Russes. De­
puis l’impopulaire réforme des retraites et les
manifestations qui ont eu lieu dans toutes les
grandes villes de Russie à l’été 2018, le président
n’a jamais retrouvé le niveau de soutien dont il
bénéficiait précédemment. Dans un sondage de
fin avril, le Centre Levada souligne que 46 % des
personnes interrogées se disent satisfaites (con­
tre 48 % insatisfaites) de la réponse des autorités
à l’épidémie, un faible résultat dans une société
où critiquer est risqué.
La célébration du poutinisme triomphant a
tourné court. En début d’année, le Kremlin a fait
voter au pas de charge une loi de révision consti­
tutionnelle, signée par le président le 14 mars. Le
« vote d’approbation populaire », prévu le
22 avril, a été reporté sine die pour cause de pan­
démie. Ce coup de force a donné à Vladimir Pou­
tine la possibilité de briguer encore deux man­
dats de six ans, et de rester chef de l’Etat jus­
qu’en 2036. Tel est le paradoxe d’un système
dirigeant qui prétend au pouvoir sans limite,
alors qu’il ne sait pas assurer la protection de
140 millions de personnes, privées de visibilité

Un président anxieux et mal à l’aise

Au même moment, le petit show humanitaire
pour porter secours aux New­Yorkais, après les
Italiens, a vite tourné au fiasco. De l’avis des bé­
néficiaires, les matériels envoyés étaient ina­
daptés et n’ont pas été utilisés (la ville de New
York a quand même reçu une facture de
667 000 dollars à payer à l’Etat russe fin avril).
En Russie, l’opération de communication n’a
pas été appréciée, car les hôpitaux accueillaient
de plus en plus de malades et manquaient de
tout. Le Kremlin a montré qu’il continuait à
dribbler sur le terrain de la concurrence avec
l’Occident, alors que tous les Etats se préparaient
LA FAMEUSE ministrations municipales et régionales n’ont
pas de budget autonome pour leur prêter main­
sur leur avenir proche.
Contrairement aux idées reçues, le système
« VERTICALE forte. Chaque province prend des mesures, par­ Poutine n’est ni un Etat fort ni un Etat­provi­
fois appropriées, souvent inapplicables. Nijni­ dence. Un chef autoritaire en perte d’autorité,
DU POUVOIR » Novgorod a été la première région à imposer voilà un cas intéressant qui invite à bousculer la
l’autorisation de déplacement numérique, sou­ croyance en un effet d’aubaine de la pandémie
CENSÉE GOUVERNER mise à acceptation administrative. Le Tatarstan, pour les autoritarismes, alors que les démocra­
LA VASTE FÉDÉRATION la Tchétchénie, la province de Tcheliabinsk et ties y perdraient leur âme et leur légitimité. 
quelques autres ont fermé leurs frontières aux
DE RUSSIE GRÂCE déplacements et transports, contre l’avis du
gouvernement central.
AUX OUKASES Les familles attendent de l’aide des adminis­
D’UN PRÉSIDENT trations locales et de leurs employeurs, qui, à
leur tour, attendent le soutien de l’Etat. La crise Marie Mendras, politologue au CNRS
TOUT-PUISSANT ? actuelle contribue à creuser les inégalités écono­ et au CERI, enseigne à Sciences Po Paris

Fred Eboko, Laurent Vidal, lion d’habitants) et 132 543 en Europe (soit 179
par million d’habitants).
Aujourd’hui, quelques premières analyses
quant chaque communauté, chaque pan de
la société et de l’économie. Pour la plupart
des pays, les gestes barrières, la fermeture

David Williamson
pondèrent donc la catastrophe annoncée,
avec des pistes explicatives. Sont évoqués
une série de facteurs : un contact avec diver­
ses infections qui pourrait jouer un rôle pro­
des lieux de rassemblement, la distanciation
physique, l’isolement géographique des
zones touchées, le couvre­feu, le port systé­
matique du masque, ont été une réponse

Le catastrophisme, reflet
tecteur, des leçons tirées d’Ebola et du VIH,
un flux de voyageurs internationaux bien
moindre qu’en Europe, aux Etats­Unis et en
Asie, des mesures gouvernementales prises
logique, peut­être plus ordinaire qu’ailleurs,
combinée à un éventail de priorités complé­
mentaires, telle l’assistance alimentaire.
Finalement, l’Afrique illustre là un cas

de notre vision de l’Afrique

Alors que le pire était redouté pour le continent,
la mortalité liée au Covid­19 y est bien plus faible
qu’en Europe ou en Amérique, relèvent trois
chercheurs de l’Institut de recherche pour
le développement
le tout au cœur d’incertitudes qui jalonnent
la marche de cette pandémie. La bien­
pensance médiatique a oublié un truisme
que le Covid­19 met sèchement en lumière :
on ne meurt pas deux fois. Les populations
africaines sont plus jeunes que celles des
autres régions du monde. C’est le résultat
d’une tragédie banalisée : la faiblesse de l’es­
très tôt, ou encore une capacité de résilience,
d’adaptation et d’inventivité forte et éprou­
vée, elle­même liée à une série de facteurs
sociaux et environnementaux.
Idées reçues
Pourtant, persiste dans les médias l’idée que
la catastrophe (le mot est systématiquement
utilisé) va arriver. A défaut de l’hécatombe
attendue, la catastrophe sera nécessaire­
ment économique ou politique, ou les deux.
Une attente trop forte confine à un espoir, et
c’est cela qu’il faut contester.
D’un point de vue épidémiologique, les
d’école de la prégnance des idées reçues sur
les faits. Il se joue, spécifiquement dans le cas
du Covid­19, également la difficulté à penser
l’Afrique comme un acteur de la marche du
monde, au­delà d’un sujet d’observation et
d’inquiétude pour ceux qui dictent le tempo
de la mondialisation. Il y a là une grande
légèreté dans le raisonnement, voire une
forme de tromperie intellectuelle.
Ne versons pas dans un complotisme « à
l’envers » ni, et c’est peut­être plus grave,
dans une forme de paresse intellectuelle qui
empêche d’analyser les faits car ceux­ci
obligent à tordre le bras aux prénotions.

F
ace au Covid­19, de bonnes et de mau­
vaises raisons orientent la commune
déraison des projections alarmistes sur
l’Afrique, que précède la « réputation »
de ce continent. Il était donc attendu ou re­
douté que l’Afrique et ses systèmes de santé
« fragiles » soient le lieu d’une gigantesque
oraison funèbre. Cela relève simultanément
de l’histoire des pandémies du XXe siècle et
d’une curieuse absence de bon sens. Les rai­
sons d’avoir sonné l’alarme se heurtent à des
représentations de l’Afrique, de sa place dans
le monde, entre l’habitus du catastrophisme
et la paresse intellectuelle qui veut voir et
trouver l’Afrique à la place du mort. Comme si,
dans les représentations du monde, l’Afrique
était confinée dans le rôle du berceau de la
mort et des maux dont on ne guérit pas sans
intervention extérieure et « humanitaire ».
Retrouvez en ligne
Les raisons de craindre le pire sont nom­
l’ensemble de nos contenus breuses et les faits qui y résistent s’empilent,
pérance de vie. Cet indicateur morbide
devient un atout face au Covid­19, dont la
létalité chez les personnes âgées est une des
caractéristiques. Avantage ou conséquence
d’une tragédie, la situation du Covid­19
génère des discours saturés d’a priori, y
compris lorsque ces discours partent de
bons sentiments ou d’inquiétudes pavlo­
viennes. Il faut d’abord prendre acte des
faits et accepter l’évidence qui n’a pas l’air
d’aller de soi aux yeux du monde : les
Africains sont des êtres humains ordinaires.
Les anciens sont plus fragiles que les jeunes,
partout.
Après bientôt quatre mois d’épidémie liée
au coronavirus, l’Organisation mondiale de
la santé (OMS) révèle un nombre de décès
plus faible en Afrique que dans les pays euro­
péens ou en Amérique : 1 591 morts au
30 avril (soit 1,3 mort par million d’habi­
tants), alors qu’en Amérique on recensait
75 591 morts à la même date (soit 76 par mil­
faits sont têtus : « pour une fois », l’Afrique
n’est pas « accusée » d’être le foyer du virus,
comme pour Ebola ou le sida. La maladie y a
été importée et elle est plus brutale ailleurs
que sur ce continent. En effet, la propagation
du Covid­19 à partir des aéroports et des
grandes agglomérations telles que Le Caire,
Alger, Johannesburg, Lagos ou Abidjan est
singulièrement lente.
Si 45 pays d’Afrique sont aujourd’hui tou­
chés par la maladie, le nombre cumulé de dé­
cès, depuis la mi­avril, augmente plus lente­
ment que le nombre cumulé de nouveaux
cas, et le nombre de nouveaux cas progresse
plus lentement que le nombre de guérisons.
Ces indicateurs montrent que l’épidémie sta­
gne ou se résorbe, n’affectant qu’une mino­
rité de la population.
La mobilisation des Etats africains à l’alerte
Covid­19 lancée par la Chine et l’OMS a été an­
ticipée dans la majorité des pays. Cette mobi­
lisation a été générale et transversale, impli­
Espérons que le « monde d’après » voie plus
souvent le triomphe des raisonnements
rigoureux et des analyses objectives.
L’Afrique nous appelle ici et maintenant à
évaluer les coupes sombres des inégalités et
du passé sur la vie de ses habitants et à envi­
sager la résistance des corps amputés de la
sagesse des aînés que vise la spécificité ma­
cabre du Covid­19. Cette Afrique plurielle,
jeune, aux espérances incertaines, montre
également une vitalité certaine dont les
autres doivent prendre acte. Maintenant. 
Fred Eboko, politiste et sociologue,
Laurent Vidal, anthropologue,
et David Williamson, spécialiste
du climat, sont chercheurs à l’Institut
de recherche pour le développement (IRD)
0123
JEUDI 14 MAI 2020
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
La victoire chacun
dans son coin
I LE 8 MAI,
ls avaient pourtant respecté
les formes. Entretien télé­
phonique, congratulations
d’usage, tout paraissait sur
les bons rails. Mais, avec Donald
Trump, le déraillement n’est ja­
mais à exclure. Et c’est ce qui s’est
passé, le 8 mai. Du moins du
point de vue de Vladimir Poutine.
La veille, dans son compte
rendu de leur conversation, le
Kremlin avait souligné l’accord
des deux présidents sur « la signi­
fication historique, dans la
deuxième guerre mondiale, de l’al­
liance entre nos peuples, qui per­
mit de vaincre l’ennemi commun ».
Mais le 8 mai, à Washington, il n’a
plus été question d’alliés. Enfin, si,
mais seulement un, et pas celui
qu’attendait Moscou. Au cours
d’une brève cérémonie militaire,
le président Trump a rappelé que
les « Etats­Unis et la Grande­Breta­
gne [avaient] vaincu les Nazis ».
Tout seuls. Canadiens, Austra­
liens, Néo­Zélandais n’ont pas
jugé utile de réagir. Mais à Mos­
cou, où personne n’oublie que
27 millions de Soviétiques ont dis­
paru dans l’épreuve, le ministère
des affaires étrangères a exprimé
son « extrême indignation ».
La pandémie de Covid­19 ne
s’était pas contentée de provo­
quer l’annulation des cérémonies
publiques, prévues de longue
date, pour célébrer le 75e anniver­
saire de la victoire alliée sur l’Alle­
magne nazie, elle semble aussi
avoir perturbé les esprits de nos
dirigeants. Dis­moi qui tu com­
mémores, je te dirai qui tu es : l’ef­
fet de fragmentation de la crise
s’est, visiblement, étendu au
champ mémoriel.
Ce n’était pas le seul outrage
qu’allait affronter le président
Poutine qui, lui, avait prévu la
mère de toutes les commémora­
tions, le 9 mai sur la place Rouge –
la vingtième pour lui depuis qu’il
est au pouvoir. Emmanuel Ma­
cron et Xi Jinping étaient atten­
dus pour assister au défilé et ad­
mirer les dernières nouveautés
technologiques de l’armement
russe. Vladimir Poutine est sans
conteste celui à qui l’annulation
de ces festivités, au moment où le
virus s’emballe à Moscou, a le
plus coûté politiquement.
Des deux visages que présente
en Russie la « grande guerre pa­
triotique », l’épopée ou la tragé­
die, l’histoire officielle promue
par Vladimir Poutine a toujours
pris le parti de l’épopée, observe
l’historien Alexandre Semionov,
de Saint­Pétersbourg. Un mouve­
ment né en 2012 d’une initiative
citoyenne en Sibérie, le Régiment
immortel, favorisait, lui, la di­
mension tragique en privilégiant
les récits individuels des familles
des victimes. Identifiant rapide­
ment le danger, le Kremlin avait
récupéré le mouvement et,
en 2015, pour le 70e anniversaire
de la victoire, avait incorporé les
familles du Régiment immortel
au défilé officiel. Mais, cette an­
née, l’absence de parade a déplacé
l’activité du mouvement du Régi­
ment immortel sur Internet, où il
n’a ni limitation d’espace ni con­
traintes physiques. Et là, la tragé­
die l’emporte sur l’épopée.
S’il est un dirigeant qui ne s’em­
barrasse pas de ces subtilités, c’est
le voisin de Poutine, Alexandre
LE COVID­19 AURA  pas manqué de susciter. L’histoire,
AU MOINS ÉVITÉ  il y reviendra dimanche à Mont­
À MACRON DE  nel de Gaulle mena, le 17 mai 1940,
S’AFFICHER ENTRE  avant de devoir se replier face aux
POUTINE ET XI SUR LA  Panzer allemands. Le « souffle mé­
PLACE ROUGE LE 9 MAI
Tirage du Monde daté mercredi 13 mai : 143 428 exemplaires
0123 | 27
COVID­19 : 
BORIS JOHNSON, 
ministre, en dit long sur l’éternelle singula­ prise, c’est dire. Seul les cousins américains
LE CONTRE­
EXEMPLE
rité de nos voisins d’outre­Manche, mélange
de loyalisme, de sang­froid et de complexe
de supériorité. Le contraste met aussi en lu­
ont fait pire.
Au­delà du nationalisme que sait flatter à
merveille M. Johnson, au­delà de la con­
mière la propension des Français au déni­
grement, que celui­ci vise leurs dirigeants
ou eux­mêmes. Face à la pandémie, 66 %
fiance maintenue en des institutions sécu­
laires dont la reine incarne la pérennité, au­
delà de la vénération générale dans laquelle
des habitants de l’Hexagone estiment que les Britanniques de toutes opinions tien­
l’exécutif n’a « pas été à la hauteur », selon nent le Service national de santé (NHS) gra­
 
un sondage Odoxa. Mais ils sont à peine tuit, conquête de l’après­guerre, le « para­
moins nombreux – 61 % – à en dire autant doxe Boris » sur le coronavirus tient au ca­
À WASHINGTON, IL N’A  de leurs concitoyens, visant probablement lendrier politique. Le premier ministre ne
le manque de civisme « des autres ». sort ni de la jacquerie des « gilets jaunes » ni
PLUS ÉTÉ QUESTION  Personne ne comprend très bien, au de la bataille sur les retraites, mais d’un
Royaume­Uni même, pourquoi Boris John­ triomphe électoral censé délivrer ses conci­
D’ALLIÉS. ENFIN, SI, 
MAIS SEULEMENT UN, 
ET PAS CELUI 
I l n’avait pas préparé le pays à une pan­
démie, il a échoué à fournir des mas­
ques et des tests en temps utile et ali­
menté crainte et confusion en adressant
des messages contradictoires. Pourtant,
son reste si populaire alors que, avec
40 000 morts selon les statistiques officiel­
les, le pays enregistre la pire mortalité d’Eu­
rope, en particulier dans les maisons de re­
traite. Longtemps nonchalant, le premier
toyens de leur fièvre sur le Brexit.
Rien ne dit que l’apparente complaisance
des Britanniques résistera à un déconfine­
ment qui s’annonce cahoteux. Mais pour
l’heure, leur étonnant flegme ne peut que
QU’ATTENDAIT MOSCOU 66 % des électeurs ont une bonne opinion ministre se vantait encore début mars de donner à réfléchir à leurs voisins immé­
de lui, 58 % d’entre eux approuvent l’ac­ serrer la main des malades, il a pris des va­ diats, ces Français qui ne tiennent pas da­
Loukachenko, président de Biélo­ tion de son gouvernement et 50 % sont cances quand l’épidémie abordait l’Europe vantage en estime leurs dirigeants que
russie. Le 9 mai, en tenue militaire, même prêts à voter pour son parti. Le pre­ et a séché cinq réunions de crise. leurs semblables, autrement dit eux­mê­
coiffé d’une casquette stratosphé­ mier ministre britannique, Boris Johnson, Le plan de déconfinement qu’il a exposé mes. Pour le gouvernement, c’est un mes­
rique, M. Loukachenko a présidé à traverse la crise du Covid­19 avec une in­ dimanche 10 mai était si confus qu’il a fallu sage d’exigence, de rigueur et de transpa­
Minsk une parade à faire pâlir solente popularité, à faire pâlir d’envie en démentir certaines annonces dès le len­ rence, s’il veut être à la hauteur des attentes
d’envie les généraux russes et ver­ Emmanuel Macron. demain. Un déluge de critiques a suivi, des Français. Pour ces derniers, c’est une pi­
dir d’effroi les épidémiologistes de La propension des Britanniques à accorder venu aussi bien de l’opposition travailliste qûre de rappel sur le caractère exceptionnel
la planète. Beaucoup y ont vu un à leurs dirigeants le bénéfice du doute au que des conservateurs. Pour les Britanni­ de la crise, contre un autodénigrement
message de défi adressé à M. Pou­ moment où les Français accueillent avec ques, cela ne fait pas de doute : leur gouver­ vain et paralysant, un complexe d’infério­
tine, dont il se méfie des visées ex­ suspicion, voire colère, la moindre déclara­ nement a géré la crise plus mal que tous les rité qui risque de retarder la sortie du cau­
pansionnistes. tion de leur président ou de leur premier gouvernements européens, France com­ chemar collectif qu’est le Covid­19. 
Une solitude imposée
Le président biélorusse était pré­
sent, avec d’autres leaders d’an­
ciennes républiques soviétiques,
le 20 décembre 2019, lorsque
M. Poutine s’est lancé dans une
longue diatribe pour attaquer la
Pologne, qu’il accuse d’être res­
ponsable du déclenchement de la
deuxième guerre mondiale. L’of­
fensive révisionniste du Kremlin,
notamment en relativisant le
pacte Molotov­Ribbentrop et la
coopération entre Hitler et Sta­
line, puis plus récemment en
ouvrant une nouvelle bataille
mémorielle, cette fois avec la Fin­
lande, est surveillée avec inquié­
tude dans toute la région.
Berlin aussi avait prévu une
commémoration de grande en­
vergure : des milliers de jeunes
devaient venir du monde entier
pour entendre les leçons de l’his­
toire. Le président Frank­Walter
Steinmeier a finalement pro­
noncé un discours sur une place
vide, entouré de quatre chaises
espacées de deux mètres, occu­
pées par quatre personnages de
l’Etat, dont Angela Merkel. Cette
solitude imposée par la pandé­
mie, a­t­il dit, « nous renvoie un
bref instant à notre état d’esprit du
8 mai 1945. Les Allemands étaient
alors réellement seuls ».
L’affaire était plus simple pour
la reine d’Angleterre. Les Alliés,
elle les a mentionnés au passage
dans son allocution télévisée du
8 mai, ainsi que le Com­
monwealth. Mais pour la majo­
rité des Britanniques, comme le
montrent les sondages, cette
guerre, ce sont eux qui l’ont ga­
gnée – et ce n’est pas le Brexit qui
les en dissuadera. La reine avait à
l’époque 19 ans ; trois quarts de
siècle après, à l’heure du corona­
virus, elle en a retenu ce message :
« Ne désespérez jamais. »
Et à Paris ? La commémoration
de la victoire a été expédiée par
un dépôt de gerbes présidentiel
au Soldat inconnu, un message
posté sur le site de l’Elysée et un
drapeau tricolore flottant sur
Twitter. « Il n’y a pas eu un grand
souffle mémoriel pour cet anniver­
saire », reconnaît­on à l’Elysée. Et
puis, « les mémoires de la
deuxième guerre mondiale » en
Europe, « faire mémoire ensem­
ble », c’est toujours compliqué.
Le Covid­19 aura au moins évité
à Emmanuel Macron de s’afficher
entre Vladimir Poutine et Xi
Jinping sur la place Rouge le 9 mai
et les polémiques que cela n’aurait
cornet (Aisne), où un certain colo­
une audacieuse contre­attaque
moriel » de la Résistance, à défaut
de celui de la victoire. 