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en Chine ont considérablement remis en cause les idées,


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les savants chinois et occidentaux exprimaient depuis le début de
l'époque moderne. Pour tenter de tracer une chronologie probable
des systèmes de pensée, on s'appuyait sur l'histoire officielle et sur
la critique formelle des textes (grammaire, vocabulaire, style...) ;
on essayait d'en dégager, autant qu'il semblait possible, l'histoire
des concepts, les mouvements d'influence entre les nombreuses
écoles. Le résultat en était plus qu'aléatoire, comparable aux hypo-
thèses de Spinoza visant la paternité mosaïque de la Genèse avant
la découverte des sites de la mer Morte ou de Nag Hammadi.
Toute science des textes part d'à priori qu'on tenait nécessaire-
ment pour indubitables ; le problème est que tous les postulats
- ou peu s'en faut - étaient erronés. L'histoire chinoise ancienne
est plus une collection d'hagiographies de grands sages qu'un
manuel des systèmes doctrinaires. Quant aux analyses de formes,
elles ont abouti à des conclusions parfaitement contradictoires

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dont les découvertes récentes ont, dans une large mesure, montré
l'inanité, du moins le manque de crédibilité. Nous présenterons les
principales découvertes récentes qui ont bouleversé nos connais-
sances en matière d'histoire des textes et des doctrines. Nous nous
interrogerons sur les conséquences que ces nouvelles perspectives
ouvrent en nous forçant à appréhender différemment les systèmes
de pensée de l'Antiquité chinoise, matrice de la Chine classique et
moderne.
Plusieurs découvertes récentes de manuscrits inhumés avec
les défunts dans leur tombeau ont permis de reconsidérer les
chronologies des textes, celles des idées qu'ils expriment, ainsi
que la stratification complexe des systèmes devant déboucher, peu
après le début de l'Empire chinois, au IIIe siècle av. J.-C., sur les
grandes écoles de pensée qui dominèrent la vie intellectuelle et
politique. Chaque exhumation a mis à jour des objets, précieux ou
utilitaires, des mobiliers, des cadavres momifiés, et des ouvrages
écrits sur fiches de bambou, lamelles de bois ou tissus de soie.
C'est à certaines de ces œuvres que nous nous intéresserons ici
parce qu'elles ont révolutionné les conceptions qu'on se faisait jus-
qu'alors sur les deux principales doctrines de l'Antiquité : le confu-
cianisme et le taoïsme, sans compter l'histoire des sciences divina-
toires et autres.

Trois grands sites, trois ensembles


de textes

Les archéologues s'accordent pour reconnaître à trois site


de fouilles une importance tout à fait remarquable dans l'histoi
des textes et des idées : Mawangdui (au Hunan), Guodian (
Hubei) et Shanghai. Tous trois appartiennent d'ailleurs à ce qu
convenu d'appeler culturellement la Chine méridionale, par ra
port à la Chine du Nord qui, le long de la vallée du fleuve Jaun
vit se développer le cœur de la civilisation classique, en particuli
sous la dynastie des Zhou (XIe-IIIe siècles av. J.-C.). Chacun d'e
recelait ainsi plusieurs textes ou parties de textes, pour certai
déjà connus mais non datés, pour d'autres inconnus à ce jou

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Chaque découverte a débouché sur une exhumation minutieuse


des supports écrits particulièrement fragilisés par un séjour évi-
demment prolongé dans un milieu humide, soumis aux agressions
bactériologiques s'attaquant aux trois types de supports (bois,
bambou et soie). Les textes anciens étaient, en effet, transcrits sur
ces matériaux auxquels s'ajoutaient, très exceptionnellement, la
pierre et le métal (le bronze, pour l'essentiel).
Le grand site de Mawangdui a été découvert pendant la
Révolution culturelle, en décembre 1973, près de Changsha (au
Hunan). On y a exhumé un vaste tombeau datant de 168 av. J.-C.
(tombe n° 3), contenant entre autres merveilles une splendide
bannière peinte de sujets mythologiques et plus d'une vingtaine
de textes (scientifiques et philosophiques), dont une version du
Yijing, le « Classique des changements » (1) - le plus ancien
manuscrit du Yijing connu à ce jour -, une version encore inédite
du Daode jing, le « Classique de la Voie et de sa vertu » [ou « de
son efficience »], attribué à Lao Zi. Celle-ci possède la particularité
de présenter inversées les deux parties traditionnelles de ce livre
qui passe pour fondateur de l'école dite taoïste (du nom donné
par les bibliographes au début de l'Empire à ces sectateurs du tao
[dao]). On souligne que, dans cette version du classique, le dao est
jugé supérieur et antérieur à l'Un qui, dans les époques suivantes
sera souvent estimé comme, à la fois, assimilable au dao et sus-
ceptible de le générer. La tonalité est globalement celle d'une
volonté d'abolition de l'État, parfois dans une sorte d'aspiration
mystique. On observe également des différences dans l'ordre des
chapitres, ainsi que dans les graphies des caractères tracés sur la
soie (2). Des paragraphes sont inversés, d'autres non encore inté-
grés au texte, si l'on prend encore pour référence le texte cano-
nique tardif. D'autres textes, rattachés à l'école adverse de
Confucius, traitent des vertus propres à cette autre école dans des
œuvres qui ne nous étaient pas connues auparavant. L'ouvrage le
plus important a pour titre Wuxing pian , ou « Recueil des cinq
actes » [ou « cinq vertus »7, qui expose les principales valeurs confu-
cianistes, telles qu'elles étaient enseignées deux siècles environ
après la mort du Maître en 479 av. J.-C., et paraît dater (grâce à
d'autres preuves archéologiques) du IVe siècle av. J.-C. (3). Sans
entrer dans les détails, on y trouva aussi un texte taoïsant, un traité

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militariste et un extrait d'opuscule confucianiste jusqu'alors


inconnu. Enfin, last but not least , un vaste traité intitulé « Quatre
canons de l'empereur jaune », Huangdi sijing, d'inspiration partiel-
lement taoïste, de l'école dite Huang-Lao. Cette découverte boule-
versa les idées couramment conçues jusqu'alors à propos de l'his-
toire des deux grandes doctrines. Ainsi observa-t-on que certaines
idées de Confucius étaient alors devenues plus référentielles que
d'autres : les vertus d'humanité, d'équité, de respect des rites, de
sapience, de sainteté (sagesse) étaient considérées comme les
piliers de sa doctrine. Chez Confucius et son héritier idéologique
direct, Mencius (Meng Zi, IVe siècle av. J.-C.), d'autres choix
éthiques étaient préconisés avec un poids jugé au moins compara-
ble, telles l'étude, la piété filiale, le perfectionnement de soi. . . Ces
textes, largement méconnus (sauf par les titres de certains) permi-
rent de combler un chaînon manquant dans l'histoire du confucia-
nisme, depuis les origines (Ve siècle av. J.-C.) - en passant par
Mencius, puis Xun Zi (IVe et IIIe siècles av. J.-C.) - jusqu'à
l'époque où les textes ont été presque définitivement établis, au
début de la dynastie Han (après 206 av. J.-C.), grand moment
d'édition des œuvres antiques sur ordre impérial.
Le second site archéologique qui révolutionna les notions
jusqu'alors supposées assurées de la chronologie des textes fut
celui de Guodian (au Hubei), en 1993, les objets trouvés dans la
tombe n° 1 étant censés dater de la fin du IVe siècle av. J.-C. (4).
L'heureux défunt paraît bien avoir été un fin lettré dans la mesure
où la qualité et la quantité des œuvres dont il disposait pour son
long séjour dans l'autre monde ne laisse pas d'impressionner jus-
qu'aux archéologues. Les pilleurs de tombes, qui sont une plaie
dont la Chine souffrit depuis l'Antiquité, n'ont fort heureusement
eu ni l'idée ni peut-être la patience de creuser la terre argileuse jus-
qu'à cette considérable profondeur (5). La moisson d'œuvres fut
fort appréciable puisqu'on récolta de sept à huit cents tablettes de
texte (selon qu'on rattache telle partie de lamelle en bambou à telle
autre). Le texte le plus important y est le livre de Lao Zi qui, à cette
époque, ne porte pas encore de titre de Daodejing. Il y est dispo-
nible en trois copies dont les variantes ont fait, et font encore,
l'objet de nombreuses études. Plusieurs bonnes raisons à cela : le
déchiffrement des caractères n'est pas assuré, car les graphies avant

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l'unification impériale n'étaient pas uniformes d'un bout à l'autre


du pays. La lecture de nombre d'entre elles est d'ailleurs encore
fort problématique. Le découpage des phrases et des paragraphes,
donc celui des chapitres, est lui aussi très discuté. Cette incertitude
vaut d'ailleurs pour le texte canonique, dont on s'accorde à penser
qu'il est parfois édité en formant des suites logiques de chapitres
(la dernière phrase d'un chapitre introduisant la première du
suivant). Certes, ces trois versions archaïques sont ponctuées, cons-
tituant ainsi l'un des textes les plus anciennement ponctués connus
en Chine. Mais ces ponctuations sont elles-mêmes souvent fautives,
comme si le système n'était pas alors vraiment au point, plus utile
au copiste qu'au lecteur. Par ailleurs, le système d'écriture dans ces
anciennes époques était largement basé sur les « caractères d'em-
prunt », c'est-à-dire les mots se prononçant semblablement mais se
traçant différemment, comme si l'on écrivait veau pour vouloir dire
vos ou vaux. La question est alors de savoir si l'auteur, malgré le
copiste, voulait dire vos ou veau(x) ! Ces problèmes techniques
débouchent évidemment sur des questions qui intéressent plus le
philosophe et l'honnête homme, en Chine et en Occident : celles
de la constitution d'un des grands systèmes de pensée qui a traversé
l'histoire du pays jusqu'à nos jours. Il est bien difficile de comparer
des manuscrits qui, par définition, n'ont subi aucun travail éditorial
et une version dite canonique datant du début de l'Empire, publiée
et commentée par les meilleurs penseurs du temps et adeptes de
cette école de pensée. C'est pourtant la seule façon de tenter de
dessiner le mouvement d'évolution dans le lent processus de cons-
titution de la doctrine taoïste. Toutefois, lesdits manuscrits sont
parfois eux-mêmes en contradiction et ne présentent donc pas une
image unique et cohérente de la pensée du dao au IVe siècle av. J.-C.
Enfin, sur ces trois copies, une seule a véritablement une ampleur
conséquente ; les deux autres (surtout la troisième copie, dite C)
sont très brèves et ne permettent guère d'études statistiques fiables.
Les chapitres qui y sont préservés ne représentent que le tiers de
l'ensemble tel que formaté dans sa version canonique. Toutefois,
on doit souligner que tous les chapitres qui y sont copiés sur bam-
bou sont connus, sous une forme identique ou approchante, dans
la version classique. Ces copies du IVe siècle av. J.-C. ne compor-
tent pas de chapitres vraiment originaux. Ce qui est nouveau, c'est

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d'un part le style et d'autre part l'orientation idéologique d'une


doctrine en train de se constituer, de se chercher sans doute. Le fait
qu'on ait trouvé ces lamelles dans un site méridional est sans
aucun doute significatif de l'importance du taoïsme, dès ses débuts,
dans une terre excentrée, là où il naquit et prospéra, au moins
dans un premier temps.
Mais la plus grande part des manuscrits trouvés et déchiffrés
dans cette tombe relève de l'autre grande école de pensée : le
confucianisme, plus particulièrement à l'école de Zi Si. Ceci peut
apparaître plus compréhensible. Dès cette époque des Ve et
IVe siècles av. J.-C., les différents penseurs héritiers du Maître sont
relativement dominants, idéologiquement sinon numériquement,
voire politiquement parlant. Car le confucianisme (quoique le
terme n'existe pas, en tant que concept d'école, à cette époque-là)
se moule déjà parfaitement dans la pensée de la classe lettrée de
l'Antiquité. Ses notions phares de piété (envers le père comme
envers le prince), de fidélité-loyauté, de perfectionnement de soi,
d'étude, d'obéissance aux supérieurs et aux anciens, de promotion
des sages. . . sont autant de valeurs sûres que le pouvoir en place et
ses serviteurs ont tout intérêt à adopter et à entretenir, par intérêt
réciproque bien compris. Le taoïsme, qui conteste et met à bas tou-
tes ces notions, fait figure de repoussoir, sauf pour les lettrés reclus
chez eux, car exclus de la cour, qui rêvent d'un retour à une forme
de primitivité idéalisée que représente pour eux une vie, supposée
fidèle au dao, faite d'immersion dans les mouvements de la nature
conférée par le Ciel. L'un des textes, nommé Xing zi ming chu, « La
nature procède du destin [céleste] », aborde une question qui divisa
le mouvement confucianiste : la nature humaine est-elle sans orien-
tation morale originelle, telle que le Ciel [le destin, la « nature »
naturante] nous l'impose, ou bien est-elle « bonne » (Mencius dixit)
ou encore « mauvaise » (c'est l'opinion de Xun Zi) ? Le Xing zi
ming chu opte clairement pour le première hypothèse. C'est sur
quelques-uns de ces textes d'obédience confucianiste que nous
allons ci-après revenir plus en détail.
Le troisième site archéologique contenant des manuscrits
anciens est celui dit de Shanghai qui regroupe plusieurs manus-
crits découverts dans l'ancien État méridional de Chu - en 1994,
près de Hongkong - et regroupés en huit volumes par les soins

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du musée de Shanghai, sous la responsabilité de son directeur,


M. Ma Chengyuan. La publication, non encore achevée (tant il y a
matière à déchiffrer), date de ces toutes dernières années (2001-
2002 et suivantes) ; la parution en ouvrages et articles spécialisés
est donc entamée depuis très peu de temps et laisse une large place
aux débats, voire aux controverses. Nous ne nous attarderons pas
ici sur les querelles de spécialistes qui ne s'accordent pas sur le
rattachement de telle portion de texte à telle autre, moins encore
sur les disputes concernant le déchiffrage de nombreux caractères
douteux. Tous ces documents sont, pour l'heure, rattachés à l'école
confucianiste et datables du IVe siècle av. J.-C., ce qui constitue un
ensemble aussi riche potentiellement que celui de Guodian, plus
haut examiné. Certains textes sont d'ailleurs parallèles à ceux de
Guodian, ce qui permet évidemment d'enrichir la comparaison
entre diverses leçons d'une même œuvre. Citons surtout ici le Ziyi
parallèle dans les deux sites. Pointons enfin plusieurs parties du
Yijing, le « Livre des changements » (alors appelé Zhou yi, soit
« Changements des Zhou »), qui est d'un prodigieux intérêt en
raison de son antiquité. Toutes ces œuvres, dont beaucoup étaient
jusqu'alors inconnues, recèlent des propos attribués à Confucius
dont on ignorait l'existence et bien sûr la teneur. Ils modifient évi-
demment la perception qu'on peut avoir des opinions du Maître et
de ses disciples sur les grands thèmes qui constituent le socle du
système philosophique. Il faut y ajouter des poèmes, des pièces
musicales... qui donnent une idée de l'immensité de ces richesses
culturelles regroupées sous le titre générique de « Livre de Chu sur
bambou », Chu zhushu.
À l'heure où nous sommes, c'est assurément le site qui se
présente comme le plus prometteur pour les paléographes et les
historiens de la pensée de l'Antiquité. La publication en cours des
manuscrits, puis les traductions à venir (en chinois moderne, puis
en langues occidentales) seront évidemment d'un prodigieux inté-
rêt. C'est le grand savant chinois Li Ling qui est en charge de cette
tâche initiale gigantesque.
On observe qu'en dehors des deux célèbres versions du
Daodejing de Lao Zi, trouvées à Mawangdui et à Guodian, les aut-
res textes recensés dans ces tombes sont des œuvres confucianis-
tes (6). Certes le hasard joue là son rôle, mais si l'on exclut les

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œuvres proprement scientifiques exhumés de la terre de


Mawangdui, les traités ressortissent principalement à cette école de
pensée dès alors dominante idéologiquement dans le monde des
IVe et IIIe siècles av. J.-C.. Cette tendance n'a d'ailleurs fait que se
confirmer au début de l'Empire pour des raisons qui tiennent aux
choix politiques des premiers souverains deis Han. Ainsi dispose-
t-on d'une version assez ancienne du Lunyu, les « Entretiens » de
Confucius, trouvée dans un tombeau de Dingzhou (au Hebei), en
1973, sur un support lui-même daté de l'an 55 av. J.-C., inhumé
avec un prince de Zhongshan nommé de Liu Xiu (7).
Sans envisager de présenter ici l'ensemble des textes confu-
cianistes exhumés à Guodian, il nous semble intéressant, car
représentatif, d'offrir une première traduction française de certains
courts traités qui passent pour appartenir à cette école de Zi Si, le
petit-fils de Confucius, et proche de Mencius. Les plus importants
de ces traités sont « La Voie de Tang et de Yu », Tang Yu zhi dao,
« La Voie de la loyauté et de la confiance », Zhongxin zhi dao, « Le
duc Mu de Lu interroge Zi Si », Lu Mu gong tuen Zi Si, et « Échecs
et réussites dépendent des opportunités », Qiongdayishi (8).
Nous proposons ci-dessous une traduction de quelques-uns
de ces paragraphes. Il s'agit là d'une première tentative plus que
d'une version définitive, compte tenu de la grande incertitude qui
caractérise l'identification de nombre de ces caractères anciens.

1. Extraits de "La Voie de la loyauté


et de la confiance", Zhongxin zhi dao

[. . .] Le summum de la loyauté est d'être semblable à la terre qui


transforme les êtres sans jamais les blesser. Le summum de la confiance
est d'être semblable aux saisons qui surviennent nécessairement sans
jamais s'arrêter.
L'homme loyal ne trompe jamais [son prince] et l'homme de
confiance ne trahit jamais autrui. L'homme de bien agit de la sorte. Il
n'oublie pas les vivants et n'offense point les morts. Demeurer fidèle très
longtemps à ses engagements et n'en point changer constitue le summum
de la loyauté. Rester sincère envers la multitude et susciter son estime
constitue le summum de la confiance. Tout ceci signifie que le summum
de la loyauté est de ne jamais tromper [son prince] et que le summum de
la confiance est de ne trahir jamais autrui. Voilà ce que cela signifie.

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La plus grande loyauté est encore celle qui ne s'exprime pas et la


plus grande confiance est encore celle qui n'attend pas de réponse. La
terre est ce qui ne s'exprime pas mais suffit à nourrir les êtres. Le ciel est
ce qui n'attend pas de réponse mais peut relier tous les êtres entre eux.
Prendre pour modèles le ciel et la terre, c'est donc ce que signifie la
loyauté et la confiance. [. . .]
La loyauté est la matière même de la vertu d'humanité et la confiance est
le fondement même du sens du devoir. C'est la raison pour laquelle elles
ont jadis été acceptées comme telles par les barbares Man et Mo (9).

Les deux vertus de loyauté-fidélité et de confiance-digne de


foi forment une paire énoncée par Confucius en tant que valeurs
fondamentales des rapports sociaux. À ses yeux, la relation entre
le prince et ses ministres, et au-delà tous ses sujets, est basée sur
la confiance qu'inspire le seigneur et sur la loyauté que le vassal
doit en retour lui témoigner. Ce sont des vertus par essence nobi-
liaires, en un temps où leur pratique et leur efficacité tendaient à
s'estomper au profit de comportements plus immédiatement effica-
ces (traîtrises, renversements d'alliance et d'allégeance, cynisme
politique, etc.), préparant l'époque fort troublée des Royaumes
combattants (453-254 av. J.-C.) d'avant l'Empire (221 av. J.-C.). Ce
court texte - dont la version intégrale compte environ deux fois
plus de phrases que celles proposées ici - insiste sur cette relation
qu'il envisage comme le fondement même de l'éthique.
L'assimilation d'un comportement à celui de la terre et du ciel est
un cliché, courant dans les écrits de cette époque, destiné à le
faire passer pour « naturel ».

2. Extraits de "Le duc Mu de Lu


interroge Zi Si", Lu Mu gong wen Zi Si

Le duc Mu de Lu (10) interrogea Zi Si :


« Comment doit-on agir pour être qualifié de ministre loyal ? »
Zi Si répondit :
« Celui qui sait toujours montrer ses erreurs à son prince peut être
qualifié de ministre loyal. »
Le duc Mu ne fut pas satisfait de cette réponse et, le saluant les
mains jointes, congédia Zi Si.
Cheng Sunyi (11) fut ensuite reçu en audience par le duc Mu. Le
duc Mu lui dit :

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« Il y a peu, j'ai interrogé Zi Si pour savoir ce qu'était un ministre


loyal et ce dernier m'a répondu que seul celui qui savait toujours montrer
ses erreurs à son prince en était un. J'éprouve quelques doutes à cet
égard et ne puis accepter une telle proposition. »
Cheng Sunyi répondit :
« Comme ces paroles sont cependant judicieuses ! De nos jours, on
connaît bien quelques hommes qui sont morts pour leur seigneur, mais
guère d'hommes qui aient toujours su montrer ses erreurs à leur prince.
En effet, les hommes qui ont été jusqu'au sacrifice de leur vie pour leur
seigneur ont agi par appât pour les subsides ou pour un rang. Mais les
hommes qui ont toujours su montrer ses erreurs à leur prince ont pris
leur distance par rapport à ces subsides et au rang. Prendre ses distances
par rapport aux subsides et au rang par sens du devoir, n'était-ce pas le
cas pour Zi Si, selon ce que j'en sais ? » (12).

La critique actuelle voit dans ce court texte une œuvre


authentique de Zi Si, le petit-fils de Confucius. Elle pose bien toute
la question du rôle de conseiller, chère à Confucius en particulier
et aux lettrés en général. Faut-il obéir en tout lieu au prince ou, au
risque de sa vie, redresser ses erreurs ? La réponse du Maître, comme
celle de Zi Si, est sans ambiguïté : le ministre loyal est celui qui
recherche la bonne voie pour conduire la principauté et ose criti-
quer le prince autant qu'il est nécessaire au salut de l'État.

Les bibliothèques et leurs habitudes

Plusieurs conclusions sont à tirer des observations précéden-


tes et de la situation qui en découle.
Les découvertes archéologiques se sont multipliées depuis
quelques décennies et s'accélèrent ces dernières années. La
Révolution culturelle a correspondu à une première vague, les
années quatre-vingt-dix à une seconde, une troisième commence
qui débouchera sans nul doute sur la découverte de nouveaux
sites contenant eux-mêmes des textes encore inconnus ou trans-
crits dans des versions à nos yeux inédites. Ce mouvement d'en-
semble permet de reconstituer une large partie des
« bibliothèques » ayant existé dans la classe des lettrés des cours
féodales. Les bibliographies établies au début de l'Empire, sous les

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premiers Han, nous en ont laissé les titres, mais l'on sait que
l'autodafé décidé par le Premier Empereur a détruit un nombre
tout à fait considérable d'ouvrages appartenant aux écoles confu-
cianistes ou taoïstes, pour ne citer que les plus connues.
Les techniques de préservation des manuscrits sur bambou
permettent d'améliorer la lisibilité des éléments de textes conser-
vés dans les tombes. À l'exception des lamelles qui sont irrémédia-
blement détériorées, les autres sont bien mieux lues qu'elles ne
l'étaient jusqu'alors, en particulier dans l'immédiat après-guerre.
Les savoirs des paléographes permettent de mieux en mieux de se
constituer des glossaires de caractères archaïques, de différentes
provenances, et de présenter des hypothèses fiables de prononcia-
tion et de signification. La qualité du déchiffrement va donc statis-
tiquement en s'améliorant, gagnant bien évidemment en efficacité.
La grande diversité des découvertes démontre que les textes
inhumés représentaient autant de versions non uniformisées d'une
même œuvre. Chaque région, chaque principauté, chaque copiste
avait ses habitudes. Ceci confirme, en le démontrant, qu'il n'y avait
pas un texte originel servant de référence, mais, sans doute, et très
rapidement, de multiples versions qui dépendaient de la compré-
hension du transcripteur et des usages locaux, voire des habitudes
du copiste. Pas de textus receptus, donc pas de version canonique
avant une date très tardive (généralement le début de l'Empire,
c'est-à-dire plusieurs siècles après la première rédaction).
L'absence d'autorité morale ou politique définissant la bonne
lecture a eu pour conséquence qu'à l'éclatement des écoles philoso-
phiques en multiples « chapelles » groupées autour d'un maître se
sont ajoutées des incertitudes idéologiques précisément dues à ces
errances scripturaires. Dès les premiers siècles, il n'y avait pas un
texte de référence, mais des versions sans autorité présentant des
orientations doctrinaires variées et parfois contradictoires. L'histoire
des multiples écoles confucianistes après la mort du Maître (on pour-
rait presque parler de sectes, si ce terme n'était négativement connoté
aujourd'hui) témoigne du fait que chacun des petits maîtres s'empa-
rait d'un thème souvent peu approfondi par Confucius pour en faire
son étendard porteur d'une orientation nouvelle. C'est le cas, par
exemple, de la « nature humaine », xing, qui divisa si profondément
les héritiers de Confucius. L'incertitude de la transmission de ces tex-

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tes ajouta vraisemblablement à la confusion, à chaque nouvelle


génération, tout au long des siècles séparant la fin du Ve siècle av.
J.-C. (celui de la mort du Maître) de la fin du IIIe siècle av. J.-C.
(début de l'Empire et de la vulgatisation des grands textes).
La multiplicité des découvertes archéologiques et de ces tex-
tes qui gisent dans les tombeaux ouvre certes des perspectives
nouvelles qui amènent à reconsidérer l'histoire complexe des cou-
rants de pensée dans la Chine ancienne. Elle entraîne parallèlement
une relativisation de l'importance des textes et de leurs positionne-
ments multiples qui paraissent toujours se placer dans un contexte
de batailles d'écoles. De la pluralité des versions manuscrites
découle une autre relativisation : celle du texte lui-même, qu'aucun
concile n'a jamais défini comme plus « authentique » qu'un autre.
Jusqu'à un certain point, l'époque pré-contemporaine a vécu sur
l'illusion naïve du textus receptus, avec des variantes que propo-
saient les encyclopédies littéraires (surtout à l'époque des Tang)
qu'on préférait parfois au canon. Notre temps voit disparaître ce
mirage avec, pour corollaire, la quête du Graal d'un texte, forcé-
ment antérieur, qui serait plus véritable, puisque supposément fidèle
à la pensée originelle de l'auteur (mais quel auteur ? les textes
chinois sont tous anonymes, quoiqu'ils portent le nom de leur
inspirateur). Il faut, nous semble-t-il, adopter le point de vue de
Claude Lévi-Strauss sur les mythes : il n'y a que des variantes, point
d'original ; une « équivalence sans identité », comme disait Paul
Ricœur. Il a fallu des siècles de tâtonnements, bien souvent de
polémiques, aux grandes écoles de pensée chinoises avant que les
autorités politiques et bibliographiques de l'empire des Han ne
viennent imposer des normes éditoriales et idéologiques unificatri-
ces. Avant cela, c'était un temps de complexités et d'hésitations
dont nous avions hier encore trop peu conscience. Du fond de leur
tombe, ces livres nous interrogent sur l'idée que nous nous faisions
de la lente maturation d'une des grandes civilisations de l'écrit.

1. Voir Edward L. Shaughnessy, « A First Reading of the Mawangdui Yijing


Manuscript », Early China, 1 9, 1 994, p. 47-73.
2. Nous en avons proposé une étude et une traduction dans le Daode jing, « Classique
de la voie et de son efficience », Entrelacs, 2008, 281 p. On y compare la version
canonique du Daode jing à celles de Mawangdui et de Guodian (voir plus loin).
3. Voir Robin Yates, Five Lost Classics : Tao, Huanglao, and Yin-Yang in Han China,

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Des livres dans les tombes

New York, Ballantine Books, 1997, qui présente une traduction de ces textes trou-
vés à Mawangdui.
4. Voir notre présentation et une traduction partielle des deux principaux textes
taoïstes, dans la revue L'Infini, 90, 2005, p. 9-28.
5. Rappelons que les personnages ayant quelque statut et quelque bien (l'un allant
généralement avec l'autre) disposaient de tumulus comprenant une ou plusieurs
« chambres » remplies d'objets précieux censés leur permettre de vivre décemment
outre-tombe depuis la haute Antiquité. Les premiers philosophes prirent partie
pour (tel Xun Zi) ou contre (tel Mo Zi) cette débauche de luxe qui encourageait les
viols de sépultures et le pillage de richesses de toute nature.
6. On peut sans doute y ajouter la quatrième partie d'un ensemble hétérogène de
lamelles, dit Yucong 4, « Quatrième Collection de propos » (anonyme), qui passe,
chez certains auteurs, tel Li Ling, pour taoïsant. Mais cette orientation est contes-
tée et la composition même du texte, pourtant fort court, est sujette à caution. Il
s'agit du dernier recueil trouvé dans la tombe de Guodian.
7. Ce texte correspond à près de la moitié du Lunyu actuellement connu. Sa ver-
sion définitive n'a été déchiffrée et publiée qu'en 1997. Il en existe une traduction
anglaise par Roger T. Ames & Henry Rosemont Jr., The Analects of Confucius. A
Philosophical Translation. A New Translation Based on the Dingzhou Fragments
and Other Recent Archeological Finds, New York, Ballantine Books, 1998, 326 p.
8. Nous avons consulté les premières traductions de Wong Kwan-leung, Early
Confucianism: A Study of the Guodian Confucian Texts, University of Arizona,
2006. Notre traduction s'appuie sur les textes originaux tels que déchiffrés et
publiés dans l'édition officielle des œuvres de Guodian.
9. Les Man étaient des barbares méridionaux et les Mo des barbares septentrio-
naux. L'expression désigne l'ensemble des peuples non chinois. Confucius et ses
disciples pensaient que les plus grands sages et les plus grandes vertus étaient
capables de « civiliser » jusqu'aux barbares.
10. Seigneur de l'État de Lu (au Shandong), principauté où vécut Confucius, célèbre
pour ses entretiens avec divers conseillers, plus ou moins connus et avisés, dans la
littérature du temps. Il régna de 409 à 376 av. J.-C. Son nom est plusieurs fois men-
tionné par Mencius, le plus connu des héritiers de Confucius, auteur du Meng zi.
11. Personnage inconnu. Les tentatives d'identification avec d'autres conseillers de
cour de Lu à l'époque n'ont que peu d'intérêt dans ce cadre.
12. Outre l'incertitude de la lecture de certains caractères, on doit ici de surcroît se
confronter à la détérioration des lamelles de bambou qui nous prive de plusieurs
caractères.

■ Rémi Mathieu est directeur de recherche au CNRS et chargé de cours à l'université


Paris-Vil Denis-Diderot, ainsi qu'à l'ENS-SHS de Lyon. Il a publié de nombreux
ouvrages consacrés aux textes mythologiques, historiques et philosophiques de la
Chine ancienne ; il a récemment fait paraître un Confucius et un Lao-tseu.
Daodejing (Entrelacs, 2006 et 2008). Il a codirigé la publication du volume de la
« Bibliothèque de la Pléiade » consacré aux Philosophes taoïstes II (Huainan zi)
(Gallimard 2003) et prépare en coédition un volume de cette collection regroupant
les œuvres des philosophes confucianistes de l'Antiquité.

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