Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Emine İnanir
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Le « mythe de la peine »
Une approche sémiotique
© Association Pierre Belon | Téléchargé le 26/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.178.124.171)
1. P. BRUNELL, « Mythe et littérature », dans Mythe et littérature. Études présentées par Ernst
Leonardy (Louvain-la Neuve) (Université de Louvain. Recueil de travaux d’ histoire et de philo-
logie. 6e série. Fascicule 47), Bruxelles, 1994, p. 29-40.
2. J. M. LOTMAN, Semiosfera-Vnutri myslaslyashchich mirov (Sémiosphère-À l’ intérieur du
monde de l’ inquiétude), Moscou, 1999, p. 209.
10_Inanir_tel4_Layout 1 10/17/10 2:32 PM Page 146
châtiment, est une forme de « kasas » (esprit de vengeance), pratiqué dans les tra-
ditions primitives et qui s’est perpétué jusqu’à nos jours dans la société turque3.
Cette conclusion montre que Tezdjan voit la peine comme une stratégie de pensée
mythologique dans la mentalité spirituelle des Turcs, qui s’est transformée en un
« statut de foi primitive et de sagesse morale »4.
Dans « l’Encyclopédie des religions et des ontologies » la revanche par le sang
est vue comme l’un des thèmes les plus répandus tant dans le système primitif des
règles que dans le système des lois qui se développent fictivement. L’encyclopédie
mentionnée ci-dessus recommande que cette notion demeure dans ses limites
propres, c’est-à-dire la loi ethnologique, son principe essentiel. Selon ce principe
toute la famille (parfois un clan) est victime d’une attaque ou d’une poursuite par
une autre famille (un clan ou une tribu), lorsque l’un de ses membres a tué un
homme (ou qu’une femme a été violée) d’une autre famille ou d’un autre clan5.
Lorsque nous juxtaposons les deux définitions nous pouvons arriver à la
conclusion qu’elles recouvrent l’ancienne tradition turque de « kasas » (talion),
une variante de la peine, en rapport direct avec les rituels religieux, les facteurs
moraux et sociaux. Même si les sources concernent surtout les communautés pri-
mitives, « la vengeance par le sang » comme acte émotionnel est typique aussi dans
l’aristocratie européenne avant l’origine de la féodalité. Bloch dans sa «Feodal
Society », en décrivant cet acte, note de cette façon que les aristocrates, qui étaient
une minorité dans la société féodale, soulignaient la distinction entre eux-mêmes
© Association Pierre Belon | Téléchargé le 26/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.178.124.171)
Dans cette caractérisation réceptive le duel, comme élément d’une culture uni-
verselle (celui de la chevalerie), est aussi une sorte de revanche, en général «une
identification de soi à la figure mythique du héros tout-puissant »7, qui donne le
châtiment. Ceci confirme le concept de M. Black que les revanches par le sang et
les meurtres indiquent les différents croissant entre peuples et groupes différents8.
Le même auteur note que ce phénomène est largement étendu au Proche Orient
et dans les pays méditerranéens. Black parle de revanche par le sang seulement
comme d’un système social, légitime à l’intérieur de ses propres frontières.
Dans de nombreuses interprétations de la peine hors des frontières, comme
l’a souligné Black, la revanche par le sang, comme acte collectif commis au nom
de l’honneur d’une famille (d’un clan) et de la dignité personnelle, est comprise
par les sociologues comme un acte religieux rituel. La peine dans les commu-
nautés patriarcales traditionnelles avec la revanche par le sang est considérée
comme une action collective et sous cette forme elle se reflète dans la mentalité
patriarcale folklorique des peuples balkaniques, comme nous le verrons dans
quelques exemples.
De nombreux exemples concernant le programme et le modèle mytholo-
gique du système moral des peuples pourraient être découverts dans le
contexte de légendes, sagas et chroniques sur les tribus celtiques, arabes,
albanaises, grecques, turques, bulgares et slaves. Toutefois contrairement aux
rituels des Turcs et des Grecs, où est érigée une balance pour chaque action
bonne ou mauvaise, dans les rituels slaves nous pouvons voir comment des sy-
nonymes du concept de « peine » et des synonymes du concept de « sacrifice »
ont chevauché et se sont entrelacés. Des informations fournies à l’ occasion de
la rédaction de l’ histoire « Povest o zachale Moskvi » (Histoire sur les débuts de
Moscou) et de « Skazanie ob ubienii Daniila Suzdalskovo i o nachale Moskvi »
© Association Pierre Belon | Téléchargé le 26/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.178.124.171)
dans l’ombre de Gergana, demeurée loyale aux voix de « son premier amoureux
Nicolas » comme une légende mythologique, mêlée à un message en vers, a
atteint la forme d’ un chant folklorique. Dans un choc dramatique entre deux
caractères, un vizir turc qui tombe amoureux de Gergana et tente de la séduire
en lui offrant ses richesses incomparables et une jeune fille, demeurée fidèle à
son amour, à ses parents et à son mode de vie rurale idyllique, la jeune fille est
gagnante. Le vizir « laisse la fille s’ en aller libre », mais ses bonnes intentions ne
pouvaient pas effacer la punition (le présage de la « méchante nymphe noire »)
comme résultat de la violation des bases morales, – le bonheur montré au « dan-
gereux » temps de minuit, lorsque « les dragons, les spectres des dragons et les
fées » rodent. C’ est pourquoi une jeune fille condamnée à mort sera enmurée
dans une fontaine récemment construite.
Nous pouvons rencontrer souvent de semblables motifs sur le sacrifice
dans la construction, connu dans le folklore bulgare comme un motif de la
« fiancée emmurée ». L. Parpulova reconstruit l’ intertextualité sémiotique
complexe du motif du sacrifice dans la construction dans le processus de son
adaptation aux valeurs mythologiques religieuses bulgares11.
Le folkloriste bulgare Ivan Shishmanov, définissant la principale idée de la
saga sur la mort du frère ou du fiancé (qui désire punir sa fiancée, en prenant
sa revanche parce que le silence du tombeau a été violé), insiste aussi sur une
croyance religieuse largement répandue : le peuple mort n’ apporte ni pleurs ni
© Association Pierre Belon | Téléchargé le 26/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.178.124.171)
« Un Byzantin n’ est pas comme un Turc. Les maris turcs, sans rien recevoir
de leurs bien-aimées, leur donnent tout. Les Byzantins reçoivent tout de leurs
femmes et en retour ils ne leur donnent même pas leur amour. Les choses les
plus sacrées pour le Turc sont une arme, un cheval et sa femme. Ces trois choses
ne pouvaient être cédées (...). Mais le Turc est aussi jaloux de (...) et le sang est
versé... »15.
Des textes examinés pour cet espace de temps nous pouvons voir que la
13. Y. BIBINA, İstoriya na turskata literatura (Histoire de la litérature turque), vol. 1, Sofia,
2000, p. 68.
14. A. BINYAZAR, Dedem Korkut (2) (Mon grand-père Korkut), Milliyet Yayınları, İstanbul,
1973, p. 63.
15. A. Z. KOZANOGLU, Battal Gazi Destam (1) (Légende de Battal Gazi), Atlas k., İstanbul,
1985, p. 11-12.
10_Inanir_tel4_Layout 1 10/17/10 2:32 PM Page 150
En lisant les courtes histoires et les nouvelles courtes d’ Eline Pélin nous
pouvons être informés sur la passion mystique du Bulgare pour sa terre :
« Son visage a la couleur du grain de blé et son âme regarde le ciel, les
nuages et le ciel avec les espoirs et les craintes de leur mère, la terre... »19.
19. EL. PELIN, Povesti i razkazi (Courtes nouvelles et courtes histoires), izd. Pan, Sofia, 2000,
p. 140.
20. N. HAYTOV, Dünya poturunu çıkarıyor (Nouvelles sauvages), Bilgi yay., Ankara, 1972, p. 42.
10_Inanir_tel4_Layout 1 10/17/10 2:32 PM Page 152
21. B. MALINOVSKIY, Rol mifa v jizni. Magiya, nauka, religiya (Importance du mythe dans la
vie. Magie, science, religion), Moscou, 1998, p. 94-108.