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COMMON

KNOWLEDGE
Nancy M. Dixon
Nancy M. Dixon est Associate Professor of Administrative Sciences
à l'Université de Washington.

Editions Harvard Business School Press, 2000, 188 pages.

Avec le commentaire de Guillaume Franck, Professeur


de Management International à HEC.

Le transfert du savoir est un des leviers essentiels de la performance des

idées entreprises. Or, si celles-ci parviennent généralement à partager les con-


naissances, ce n’est pas le cas du savoir-faire, issu de l’expérience, qui
s'avère beaucoup plus difficile à transférer.

clés - L'analyse montre qu'il faut distinguer 5 principaux types


de transfert de savoir-faire :
– Pour transférer un savoir-faire simple à une équipe qui effectue un tra-
vail similaire, la solution la plus adaptée est de systématiser l'envoi
d'informations simples relatant chaque amélioration de savoir-faire.
Capitaliser sur – Lorsqu'un savoir-faire simple à expliquer est disséminé dans l'organisa-
tion, il faut créer des forums informatiques où chacun pourra interro-
les savoir-faire ger un expert, ou consulter les réponses à des questions précédemment
posées.
de l'entreprise. – Si une équipe veut capitaliser sur son expérience acquise lors d'un pro-
jet, elle doit s'imposer de tenir des réunions régulières de débriefing.
– Pour transférer un savoir-faire complexe d'une équipe à une autre, la
meilleure solution est d'organiser un contact direct entre individus
pour pouvoir adapter le savoir-faire à la situation spécifique.
– Enfin, pour capitaliser sur un savoir-faire stratégique à l'ensemble de
l'organisation, il faut s'appuyer sur un travail d'analyse de "cas réels"
par des spécialistes du savoir, capables d'en tirer les enseignements gé-
néraux.
- La démarche de transfert de savoir-faire doit être
institutionnalisée.
Si l'entreprise n'affiche pas sa volonté stratégique de développer les
transferts de savoir-faire, ces démarches risquent de se limiter à quelques
cas particuliers. C'est pourquoi il est utile de nommer un comité de pilo-
tage en charge de ce sujet.

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synthèse de l’ouvrage
1 Transférer possible de le décomposer en une
succession de tâches aisément in-
2 5 types
le savoir-faire telligibles, exprimables et facile- de transferts
ment copiables. On peut alors
Réussir à transférer s'appuyer sur des moyens informa-
tiques pour le transférer. A l'in-
- Le transfert proche
les savoir-faire au sein
de l'organisation est verse, le savoir-faire peut être com-
un enjeu clé. plexe. Soit parce qu'on ne peut pas La messagerie
l'exprimer aisément, soit parce électronique est l'outil
La gestion du savoir est au cœur qu'il est nécessaire de l'adapter idéal pour transférer
des priorités des entreprises. L'en- pour l'appliquer à un nouveau con- des savoir-faire simples
semble de l'organisation doit pou- texte. Dans ce cas, il faudra mettre entre équipes
voir tirer parti du savoir acquis au en œuvre d'autres moyens tels que comparables.
niveau d'un individu ou d'une des contacts personnels, des réu-
équipe. En effet, il est inutile de nions ou un travail d'analyse per- Certains savoir-faire, acquis par
réinventer les solutions à des pro- mettant d'expliciter le savoir-faire. une équipe, peuvent être aisément
blèmes déjà rencontrés par ailleurs. De même, le savoir-faire peut con- applicables par d'autres équipes
Il est bien plus efficace de chercher cerner une équipe bien identifiée. aux problématiques proches. L'en-
en permanence à améliorer ces so- Dans ce cas, on peut s'appuyer sur treprise doit alors encourager la
lutions. des échanges entre individus. diffusion rapide de ces savoir-faire
Alors que si le savoir-faire con- à l'ensemble des équipes conce-
Beaucoup d'entreprises ont cerne l'ensemble de l'organisation, rnées. Par exemple, si une unité de
commencé à mettre en place des il faudra mettre en place une diffu- production améliore un procédé
systèmes de gestion des connais- sion à large échelle des informa- de fabrication, l'entreprise doit
sances. Par exemple, dans la plu- tions. l'inciter à transmettre immédiate-
part des grandes organisations, les ment ce savoir-faire aux autres uni-
employés ont accès à des "bases de L'analyse montre qu'il faut dis- tés de production concernées.
données" dans lesquelles ils peu- tinguer 5 principaux types de L'enjeu est de transmettre l'in-
vent venir puiser des renseigne- transfert de savoir-faire (figure A) formation rapidement et directe-
ments techniques sur un produit qui requièrent chacun une appro- ment. C'est pourquoi la solution la
ou des informations concernant un che spécifique. Nous allons les dé- plus adaptée est de développer une
marché. Les transferts de connais- crire en détail. procédure de transfert fondée sur
sances "factuelles" se sont ainsi
considérablement améliorés, grâce
notamment au développement des A
moyens de communication infor- Les 5 types de transfert de savoir-faire
matiques.
Chacun des 5 transferts de savoir-faire nécessite d'être traité de façon
Cependant, on constate que très différenciée.
peu d'entreprise parviennent à
transférer les savoir-faire de façon Nature du savoir-faire Destination du transfert Type de transfert
satisfaisante. La tâche est en effet
beaucoup plus complexe : il ne Vers une autre Transfert
s'agit pas de communiquer de sim- équipe de travail proche
ples informations factuelles, mais Savoir-faire
de faire comprendre la "façon de simple
Vers l'ensemble Transfert
faire", de telle sorte que cette ex- de l'organisation d’expertise
pertise puisse être reproduite dans
un environnement différent.
L'étude de nombreuses entrepri-
ses montre que la plupart d'entre Vers la même équipe Transfert
elles commettent une erreur : elles dans le temps en série
tentent de mettre en place un sys-
tème unique de transfert de savoir. Savoir-faire Vers une autre Transfert
Pourtant, des approches radicale- complexe équipe de travail éloigné
ment différentes s'imposent selon
la nature du savoir-faire à transfé- Vers l'ensemble Transfert
rer et le destinataire. de l'organisation stratégique
Par exemple, le savoir-faire peut
être simple, c'est-à-dire qu'il est

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l'utilisation de la messagerie élec- nombre d’informations limité. elle est confrontée. Chez Ford, la
tronique (figure B). Ford a institu- Chez Ford, chaque correspondant direction d’usine valide l’adoption
tionnalisé cette démarche sous le reçoit 5 à 8 propositions pas se- des propositions des autres sites de
nom de « Best Practice Replica- maine, ce qui ne l’occupe que 1 à 2 production, après avoir étudié leur
tion ». Ce programme encourage heures. pertinence pour le contexte local.
les ingénieurs qui découvrent un
moyen d’améliorer la productivité • Transmettre les informations
à en informer systématiquement brièvement.
leurs homologues sur les autres si-
tes de production. Cette tâche fait
Comme le savoir-faire transmis
est facilement intelligible et que la
- Le transfert
désormais partie de leur routine de source et le destinataire ont des d’expertise
travail. Cela a permis à Ford de compétences similaires, les infor-
multiplier très rapidement les gains mations n’ont pas besoin d’être dé- Le savoir-faire des
de productivité dans l'ensemble de taillées. Les ingénieurs de Ford uti- experts peut être rendu
ses sites. lisent souvent la vidéo ou les
photos pour éviter un long des-
disponible à l’ensemble
Un tel système de transmission criptif. de l’entreprise grâce
de savoir-faire doit respecter les à des forums
principes suivants : • Rendre l’application des informatiques.
recommandations facultative. Certains savoir-faire sont dissé-
• Désigner un interlocuteur La démarche est d'autant mieux minés dans l'entreprise et rarement
unique. acceptée que les destinataires gar- utilisés, mais malgré tout simples à
Pour éviter la dispersion des in- dent une autonomie de déci- expliquer et à reproduire. Il s'agit
formations, il est nécessaire de sion. L’objectif n’est pas d’imposer souvent d'expertise technique.
nommer dans chaque équipe ou le savoir-faire d’autres équipes, L'enjeu est de permettre à une
sur chaque site un responsable des mais de proposer des solutions al- équipe confrontée à un problème
transferts de savoir-faire. Celui-ci, ternatives. Chaque unité peut ainsi qui dépasse ses compétences d'ac-
destinataire unique des messages étudier l’opportunité de mettre en céder aisément à cette expertise.
des autres unités, a pour mission de application le savoir-faire transmis Pour favoriser la diffusion de
sélectionner les informations utiles en fonction du contexte auquel ces savoir-faire, l'entreprise doit
et de les diffuser au sein de son
équipe. C'est aussi lui qui transmet
les informations de son unité à ses B
homologues. Dans chaque usine Le transfert proche
Ford, un ingénieur de production
est ainsi chargé de la diffusion des Cas de figure Principe Exemple
meilleures pratiques.
Le savoir-faire simple Envois de mails Une équipe est parvenue
• Organiser des rencontres qu’une équipe acquiert informant à réduire le temps
entre les correspondants.
Les correspondants de différen- est transféré vers des pratiques d'installation des freins
tes unités doivent se rencontrer ré- d’autres équipes qui novatrices. dans une usine de
gulièrement. En effet, l'utilisation effectuent des tâches construction automobile
des informations transmises dé- similaires. à Atlanta. Une autre équipe à
pend pour beaucoup de la crédibi- Chicago utilise ce savoir-faire
lité de celui qui les transmet. Il faut pour faire de même.
donc s'efforcer de nouer des rela-
tions de confiance entre les diffé-
rents interlocuteurs. Des contacts
personnels sont un moyen efficace C
pour cela. Par exemple, chez Ford, Le transfert d'expertise
les "responsables des meilleures
pratiques" se réunissent ré- Cas de figure Principe Exemple
gulièrement pour partager leurs
vues sur l’amélioration des procé- Le savoir-faire détenu Forums Un ingénieur demande
dés de fabrication. par les experts de informatiques de l’aide par e-mail
l’organisation est rendu d'échange pour résoudre un
• Se limiter aux informations disponible pour les d'informations problème de qualité
très pertinentes.
Cette démarche doit être perçue employés qui en ont entre experts de pâte à papier.
comme peu consommatrice de besoin dans l'ensemble et employés. Des experts, de 3 pays
temps. Elle doit donc se limiter aux de l’organisation. différents lui proposent
informations les plus utiles, ce qui des solutions.
suppose de ne transmettre qu’un

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constituer un groupe d’experts chez Buckman. Il a aussi pour tâche La meilleure façon de transférer
prêts à répondre aux questions d'archiver les réponses pour une le savoir-faire au sein d’une même
des autres membres de l’organisa- consultation ultérieure, ce qui li- équipe est de systématiser l'organi-
tion (figure C). La meilleure so- mite le nombre de requêtes. sation de réunions à l'issue de cha-
lution consiste à mettre en place que projet, voire de chaque étape
des forums d'échange sur le site • Encourager la « participation du projet (figure D). Chaque col-
intranet de l’entreprise. passive ». laborateur peut alors indiquer ce
Les laboratoires Buckman ont Enfin, il est indispensable de dif- qu'il a trouvé positif et négatif
formalisé l’accès à l’expertise tech- fuser largement les réponses aux dans la façon de procéder. Cela
nique grâce à des « techforums » requêtes. En effet, on a constaté permet de profiter immédiatement
qui permettent à chacun de joindre que même si peu d’employés effec- de l’expérience acquise.
des experts répartis dans le monde tuent des requêtes, beaucoup s’in- En 1994, l’armée américaine a
entier. Par exemple, le directeur forment des réponses et en tirent été envoyée en mission en Haïti
Asie de ce laboratoire, confronté à profit. C’est le cas chez Tandem, pour désarmer des villes rebelles. A
un problème de qualité de pâte à une filiale de Compaq, où seule- cette occasion, elle a systématisé la
papier en Indonésie, a lancé une ment 30% des employés effectuent tenue de réunions appelées “After
requête sur le forum. Grâce aux ré- des requêtes alors que 91% cher- Action Review”. Après chaque ex-
ponses venues de Suède, Nouvelle- chent des idées de solutions sur le périence de désarmement, les mili-
Zélande et du Mexique, il a pu forum. Le gestionnaire des forums taires se réunissaient pour tirer les
trouver rapidement une solution. de Buckman diffuse ainsi un ré- leçons de l’opération précédente.
sumé hebdomadaire des princi- Ainsi, ils ont pu signaler que les
On peut optimiser l'efficacité de paux sujets abordés pour chaque Haïtiens respectaient particuliè-
ces forums en veillant aux points thème. rement les femmes et qu’ils étaient
suivants : plus coopératifs à leur domicile
qu’à l’extérieur. L’armée a donc mis
• Segmenter les forums des femmes à la tête des groupes
par thème. militaires et négocié au domicile
Pour assurer la pérennité du sys-
tème et ne pas surcharger les ex-
- Le transfert "en série" des rebelles. Cela a largement faci-
lité et sécurisé la mission. Ils ont
perts de questions inutiles, il faut ainsi réussi à transférer le savoir-
mettre en place des forums théma- Des réunions faire acquis lors des premières mis-
tiques. Ainsi, les experts reçoivent de "débriefing" sions pour améliorer leur tactique
uniquement des requêtes qui relè- systématiques lors les missions suivantes.
vent de leur domaine de compé- permettent à une équipe
tence. Les laboratoires Buckman d'adapter son savoir- Pour que ces réunions soient
ont mis en place 24 « techforums » faire à des contextes productives, il est nécessaire de
structurés par secteurs d’activité : différents. respecter les principes suivants :
papier, cuir, etc.
Lorsqu'une équipe doit répéter • Se réunir très régulièrement.
• Créer une « carte du savoir- une tâche complexe dans des envi- Un gage de succès de ces réu-
faire » dans l’entreprise. ronnements différents, elle a tout nions est leur régularité. Elles doi-
On peut aussi mettre en place intérêt à se donner les moyens de vent faire partie de la routine, et
des « cartes du savoir-faire », sor- tirer parti du savoir-faire acquis au non se tenir uniquement lorsqu'un
tes d’organigrammes de l’expertise cours de chaque projet. L'enjeu est problème est survenu. Sinon, les
qui permet de localiser plus rapi- alors d'identifier les éléments de collaborateurs risquent de ne pas
dement les experts dans l’entre- savoir-faire qui seront utiles lors vouloir s'exprimer librement. BP va
prise. Chevron a été une des pre- des prochains projets. jusqu’à organiser 2 réunions par jour
mières entreprises à utiliser cet
outil, d’abord sur papier puis sur
l’intranet de l’entreprise avec des
D
liens directs vers les mails des ex- Le transfert "en série"
perts.
Cas de figure Principe Exemple
• Désigner un responsable
de la gestion de ces forums. L’expérience qu’une Réunions à la fin Une équipe remplace
Pour éviter que les experts ne re- équipe acquiert en de chaque mission un générateur dans
çoivent sans cesse les mêmes ques- effectuant une tâche impliquant l'ensemble une usine. Elle utilise
tions et ne se désintéressent des re- complexe est utilisée de l'équipe. le savoir-faire qu’elle a
quêtes, il faut nommer un par l’ensemble de
responsable de ces forums. Celui-ci acquis grâce à cette
l’équipe pour effectuer expérience pour remplacer
doit transmettre les questions aux la même tâche dans
experts compétents, veiller à ce le même générateur
environnement différent.
qu'une réponse soit apportée dans dans une autre usine.
un délai raisonnable – 24 heures

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sur les plates-formes de forage pour
chacune des 2 équipes de travail.
- Le transfert éloigné • Reposer sur un bénéfice
réciproque.
Les personnes qui acceptent
• Tenir des réunions de courte Transférer un savoir- d’en assister d’autres doivent elles-
durée. faire complexe à une mêmes apprendre de cette nou-
Ces réunions doivent durer peu autre équipe requiert velle expérience pour rester moti-
de temps pour ne pas être trop pe- de mettre des individus vées. Le problème posé doit donc
santes. Chez Bio-Tek, on les ap- en contact. être intéressant. Mais elles doivent
pelle “standing meetings” (réu- aussi trouver un intérêt à rencon-
nions "debout") pour montrer que Certains savoir-faire sont trop trer sur place d'autres personnes
les participants ont à peine le complexes pour être directement qui ont été confrontées au même
temps de s’asseoir. Il peut aussi être formulables et intelligibles. Ils sont problème.
utile d’établir un ordre du jour "dans la tête" de ceux qui le possè-
standard. Par exemple, les “After dent, mais ne peuvent pas se dé- • Institutionnaliser
Action Review” de l'armée améri- composer en étapes simples. C'est la démarche.
caine abordaient toujours ces ce que l'on appelle le savoir "ta- Pour que cette pratique se dif-
3 questions : que devait-il se pro- cite". C'est le cas, par exemple, de fuse dans l’entreprise, il faut lé-
duire ? qu’est-il arrivé en réalité ? l'interprétation des données re- gitimer cette démarche. Il est utile
pourquoi ? cueillies dans le but de décider de pour cela de lui donner un nom.
procéder ou non à un forage pé- Ainsi, les demandeurs n’ont pas
• Faire intervenir tous trolier. Dans ce cas, la principale l’impression de solliciter une faveur
les membres de l’équipe. difficulté consiste à traduire ce sa- mais de participer à une activité in-
Impliquer chacun est indispen- voir-faire et à l'adapter à chaque si- tégrée à la stratégie de l’entreprise.
sable pour deux raisons. Cela per- tuation spécifique pour que C'est la raison pour laquelle BP
met de montrer aux membres de l'équipe destinataire puisse s'en communique très largement sur
l’équipe que l’expérience de cha- inspirer. son programme «Peer Assist».
cun compte et qu’un individu peut La clé est alors de faire se ren-
être le seul à avoir noté un détail contrer des équipes habituellement • Définir des règles strictes
important. Cela est aussi utile pour éloignées (figure E). British Petro- d'application.
éviter de rejeter la responsabilité leum a ainsi développé un pro- Les cas dans lesquels l’assistance
d’une erreur sur les autres. gramme d'assistance appelé "Peer d'autres équipes peut être sollicitée
Assit", dont elle est convaincue doivent être clairement définis. Il
• Ne pas impliquer la qu'il lui donne un avantage con- est en effet coûteux pour l’entre-
hiérarchie dans ces réunions. currentiel important. Ce pro- prise que des employés délaissent
Ces réunions sont d'autant plus gramme permet à une équipe de leur poste pour aller en assister
productives que chacun se sent li- travail confrontée à un problème d’autres. BP a diffusé pour cela une
bre de parler de ses propres er- sur un site d’exploitation pétro- courte brochure qui rappelle les
reurs, ou de critiquer des décisions lière, de solliciter l’aide d'autres principes à respecter. Elle impose
de sa hiérarchie. Il est donc impor- équipes de la société qui ont déjà notamment de chiffrer le bénéfice
tant de tenir la hiérarchie à l’écart été confrontées à un problème si- potentiel et de vérifier qu’il est su-
de ces réunions. En particulier, il milaire. Ceux-ci se déplacent et as- périeur au déplacement et au coût
faut être clair sur le fait que les sistent l’équipe en difficulté pen- du temps passé.
comptes rendus de ces réunions ne dant quelques jours afin de
sont pas diffusés. Ainsi, il arrive résoudre ensemble le problème.
que l’armée américaine fasse re-
monter les comptes-rendus vers le
département formation, mais ja-
Développer un programme d’as-
sistance entre équipes nécessite de
- Le transfert
mais vers la hiérarchie directe. veiller aux éléments suivants : stratégique
Transférer un savoir-faire
E complexe à l'ensemble de
l'organisation requiert un
Le transfert éloigné travail d'analyse par des
Cas de figure Principe Exemple "spécialistes du savoir".
Le savoir-faire qu’une Programme Une équipe va assister Certains savoir-faire sont straté-
giques pour l'organisation. Il s'agit
équipe acquiert en faisant d'assistance une autre équipe qui de savoir-faire complexes dont la
une tâche complexe entre équipes. travaille sur un problème maîtrise est indispensable au suc-
est transféré vers d'autres d’exploitation pétrolière. cès de l'entreprise. Par exemple,
équipes qui font un Leur collaboration l'implantation dans un nouveau
travail similaire débouche sur des pays, les lancements de produits
dans l'organisation. solutions pertinentes. ou encore l'acquisition d'une en-
treprise. L'enjeu est de parvenir à

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diffuser ces savoir-faire complexes • Collecter les informations en • S'appuyer sur des études
à l'ensemble de l'organisation, sans temps réel. de cas.
pouvoir reposer sur des contacts Les spécialistes du savoir doi- Une façon particulièrement effi-
individuels. vent suivre l’avancement des pro- cace d'assurer un transfert de sa-
La meilleure façon de diffuser jets et noter les problèmes rencon- voir-faire stratégique est de conce-
ces savoir-faire stratégiques est de trés au quotidien. C'est une voir des "études de cas" ou
nommer des "spécialistes du sa- condition indispensable à une ana- "learning histories". Il s'agit de do-
voir", qui auront pour tâche de ras- lyse objective de la façon de pro- cuments relatant la façon dont une
sembler le savoir-faire dispersé céder. En effet, on constate que équipe a mené un projet à son
dans l’entreprise et de le traduire lorsque nous cherchons à nous terme, conçus de façon à ce que
en principes généraux (figure F). rappeler en détail un événement, chacun puisse en tirer des conclu-
BP a mis en place le « Knowledge nous nous laissons le plus souvent sions applicables à son cas spécifi-
Asset », une banque du savoir-faire influencer si nous en connaissons que. Ces études sont souvent le
qui regroupe l'état du savoir-faire l'issue. Nous négligeons ainsi cer- fruit d’une collaboration entre con-
de l'entreprise sur un nombre li- tains détails ou "arrangeons" la vé- sultants extérieurs et responsables
mité de sujets stratégiques. Elle est rité de façon à ce qu'elle corres- de la formation de l'entreprise.
alimentée par une équipe de spé- ponde mieux à notre perception de L’un des meilleurs exemples de
cialistes du savoir, qui rassemblent la situation. C'est pourquoi, en cas "learning history" est un document
des informations au cours d’entre- de conflit, le service de l'armée de 20 pages distribué en interne à
tiens et collectent des documents, américaine en charge de la diffu- 600 employés de BP, racontant
check-lists et outils. Puis ils sion des savoir-faire stratégiques comment une raffinerie a réduit ses
synthétisent et diffusent ces don- est informé en temps réel de l’évo- frais de maintenance de 1,5 mil-
nées, souvent venues de différents lution des événements. Il dispose lions de dollars. Plus de 150 autres
pays, pour faciliter la réalisation de ainsi d’éléments fiables en vue raffineries se sont depuis inspirées
projets futurs. d’analyses a posteriori. de ce projet.

Pour mener à bien leur mission, • Synthétiser plusieurs


les spécialistes du savoir devront expériences.
respecter les principes suivants : La plus grande difficulté de la
tâche des spécialistes du savoir est
3 Construire un
• Se concentrer sur les savoir- de tirer des conclusions générales système intégré
faire critiques. tout en rendant compte des spéci- de transfert
Comme ce type de transfert est ficités de chaque situation. C'est
relativement coûteux à mettre en pourquoi ils ont tout intérêt à illus- du savoir
œuvre, il ne peut concerner qu'un trer leurs conclusions de nombreux
nombre limité d’applications. Il exemples. C’est en comprenant les Les transferts de savoir-
faut donc déterminer quels sont les raisons du choix de certaines op- faire doivent faire partie
savoir-faire critiques nécessaires à tions lors de la restructuration d'une démarche
l’entreprise en fonction de ses prio- d’une filiale colombienne de BP d'entreprise.
rités stratégiques. BP a sélectionné, que l’équipe en charge de la res-
par exemple, les sujets suivants : tructuration au Venezuela a pu Les entreprises ont tout intérêt
restructuration, joint-venture, arrêt progresser. Cela bien que les situa- à institutionnaliser les transferts
d'une activité, etc. tions de ces 2 pays aient été très de savoir-faire. En effet, si cette
différentes. démarche n'est pas reconnue
comme stratégique pour l'entre-
prise, elle risque fort de se limiter
F à des actions sporadiques, liées à
la bonne volonté d'individus.
Le transfert stratégique Pour deux raisons :
– Ceux qui développent un sa-
Cas de figure Principe Exemple voir-faire ne prennent générale-
ment pas l'initiative de le com-
Le savoir-faire collectif Un spécialiste Une entreprise procède muniquer. Par peur de paraître
qu’utilise l’organisation du savoir collecte, à la restructuration d'une prétentieux, mais aussi par man-
pour effectuer une tâche synthétise et diffuse filiale au Nouveau Mexique. que d'outils de communication
complexe et stratégique les principes généraux Deux ans plus tard, adaptés.
est diffusé à travers des missions une autre équipe utilise – Ceux qui sont confrontés à un
problème hésitent souvent à
l’organisation. stratégiques. le savoir-faire acquis demander de l'aide. Par peur de
grâce à cette expérience gêner, par crainte de paraître
pour restructurer la filiale incompétent, ou encore parce
vénézuélienne. qu'ils ne savent pas à qui
s'adresser.

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G fert est adapté à chaque situation.
L'audit du savoir-faire dans l’entreprise Pour cela, il peut éditer un guide
recensant les principaux cas de fi-
b Déterminer de quels savoir-faire a besoin l'entreprise. gure et les méthodes de transfert
• Quels sont les différents types de savoir-faire existant dans l'organisation? recommandées. Mais il peut aussi
• Quels sont les savoir-faire les plus utilisés dans l'organisation ? servir d'organe de conseil auprès
• De quel savoir-faire ont besoin les équipes pour améliorer leur performance ? d'équipes confrontées à un pro-
blème spécifique.
b Déterminer quels transfert de savoir-faire mettre en place • Assurer le suivi du système.
en priorité. Enfin, le comité de pilotage doit
• Quelles procédures de partage existent déjà dans l'organisation ? contrôler l’efficacité des procédu-
• Quelles équipes sont les plus prêtes à partager et à recevoir du savoir-faire ? res mises en place, en veillant no-
• Quel savoir-faire peut fournir les plus fortes économies ? tamment à ce que les savoir-faire
transmis soient appliqués. Il pourra
b Tester l'environnement. ainsi initier des changements de
procédure lorsque cela est néces-
• Quelles sont les pratiques et les politiques qui peuvent faciliter ou empêcher saire. Il doit en outre contrôler la
les transferts de savoir-faire ? rentabilité du système.
• Quel intérêt peuvent trouver les actionnaires dans l'amélioration du partage
du savoir-faire ?
• Les concurrents de l'entreprise ont-ils une bonne capacité de partage
du savoir-faire ? •••

Pour institutionnaliser les dé- • Définir les priorités


marches de partage de savoir-faire, stratégiques. Les entreprises ont beaucoup à
l'idéal est de nommer un comité de L'audit du savoir doit permettre gagner à apprendre à transférer
pilotage qui a les responsabilités de définir quels savoir-faire sont efficacement le savoir-faire. C’est
suivantes : les plus critiques pour l'entreprise. aujourd’hui un moyen efficace
En fonction des priorités straté- d'acquérir un avantage concur-
• Conduire un audit du savoir giques, le comité pourra alors dé- rentiel. Pour cela, une règle fon-
dans l’entreprise. cider de lancer des démarches ins- damentale est de savoir adapter
Il faut notamment recenser les titutionnalisées de transfert de le processus de transfert à chaque
savoir-faire disponibles dans l'or- savoir. situation spécifique. Mais il est
ganisation et leur enjeu, quels ty- surtout essentiel de faire du par-
pes de savoir-faire manquent ac- • Proposer une assistance à la tage du savoir une démarche
tuellement à l'entreprise, ou mise en place des transferts de d'entreprise. C'est une condition
encore quels sont les transferts in- savoir-faire. indispensable à la pérennité du
formels existants dont on pourrait Le comité de pilotage a pour système.
tirer parti (figure G). rôle de clarifier quel type de trans-

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commentaire critique de l’ouvrage
Par Guillaume Franck,Professeur de Management International à HEC.

ommon Knowledge grés établit une hiérarchie des si- de ses propres erreurs ». Est-ce

C s’inscrit dans deux cou-


rants conceptuels : ce-
lui de l’apprentissage
organisationnel (Har-
vard), qui se focalise sur la capita-
lisation des savoirs et savoir faire à
tuations en fonction de leur com-
plexité, et y adapte les actions. De
même que dans une entreprise qui
lance l’évaluation 360°, l’outil fera
long feu si la culture interne n’est
pas déjà fortement sensibilisée au
bien réaliste chez nous ?
En conclusion, lire l’ouvrage fera
ouvrir les yeux à nos dirigeants.
Mettre en place la méthode pro-
posée ne saurait se déléguer. C’est
bien un projet de patron pour
travers l’entreprise, et celui des management de la performance et
core competencies (Michigan) à la qualité des entretiens d’évalua- changer radicalement son entre-
mettant en perspective les savoirs tion, le lancement du knowledge prise.
tacites transversaux à l’entreprise. management ne saurait s’appuyer
La problématique de ce partage uniquement sur des outils techni-
d’information renvoie au capital de ques et des bases de données. Il
savoir faire interne, ressource con- s’agit d’une démarche globale d’en-
currentielle non accessible aux treprise.
tiers. Les structures d’entreprise
évoluent vers des modèles matri- Si l’on ne peut reprocher à cet
ciels dans lesquels les relations de ouvrage d’être écrit pour des Amé-
travail sortent du cadre hiérarchi- ricains, le propos présente un dé-
que traditionnel et doivent se calage culturel avec la France. Bien
nourrir en permanence du capital que l’auteur aborde clairement la
de connaissances accumulées pour nécessité de susciter une culture
servir le client. interne de knowledge manage-
ment, le process proposé est très
Il s’agit d’un bon ouvrage de mé- formalisé. Nos compatriotes y sont
thode appuyé sur des illustrations –ils prêts ? Quel est le destin d’une
concrètes tirées de l’industrie et du telle démarche dans une culture où
conseil. Les différents types de sa- l’on « partage » beaucoup moins
voir faire sont identifiés de façon qu’aux Etats-Unis, où l’on a ten-
Bibliographie
claire avec des schémas aidant à dance à vouloir réinventer la roue • THE KNOWLEDGE CREATING
leur compréhension. La mé- pour prouver qu’on a une valeur COMPANY, Ikujiro Nonaka et
thodologie est convaincante et son ajoutée individuelle, où les chefs se Hirotaka Takeuchi, éd. Oxford
originalité de démythifier la solu- doivent d’en savoir plus que leurs University Press, 1995. (Manageris
tion par l’intranet, plus encore d’in- collaborateurs ? L’un des postulats- N°33b).
sister sur la nécessité de mettre en recommandations du livre est « ne
relation les connaissances à diffu- pas impliquer la hiérarchie dans les • WELLSPRINGS OF
ser avec la méthode de diffusion réunions pour avoir une grande KNOWLEDGE, Dorothy Leonard-
et le destinataire. Cette approche transparence dans la discussion de Barton, éd. Harvard Business School
« contingente » de systèmes inté- cas d’échecs et la reconnaissance Press, 1995. (Manageris N°35b).

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8 m • N°88a Common Knowledge

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