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HISTOIR

D ES

T V RCS

TOME SECOND
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HISTOIRE DES TVRC'S

SECOND TOME .

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DEI CONTENANT CE QVI SEST PASSE
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DANS CET EMPIRE DEPVIS LAN 1612 . AC


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IVSQVA LANNEE PRESENTE 1649.

Par F. E. du Mezeray MI
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AVEC LHISTOIRE DV SERRAIL

Par le S.“ BAVDIER.


EVENISE VIENNE
LES ILLVSTRATIONS SVRLHISTOIRE

DE CHALCONDYLE

Par BLAISE DE VIGENERE .

MALTE
Les deſcriptions etfigures des habits des
officiers et autres perſonnes de lEmpire
Turc.

EtlesTableaubč prophetiquesſur la ruine


diemesme Empire
RA
FORTIS ET
VINDEC NEC
N VLT

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VERSA . VICE :RESVRGAM
A PARIS ,

Chez CLAVDE SONNIVS,


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so DENYS BECHET, ruës Marques,
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auCompas d'or,
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a l'Escuau Solal.
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1680 .
1
1
33

A MONSEIG NEVR

MONSEIGNE VR

LE DVC

DE RICHELIE V

ONSEIGNEVR ,

En vous dediant ce ſecond volume de l'Hiſtoire des

Turcs , i'addreſſe en meſme temps des væux & des prieres

au Ciel pour luy demander que cette offrande ſoit un pre

Sage des merueilles que la Chreſtienté ſe promet de voſtre

Valeur , & que i'aye par auance erigé le premier trophée

des heureuſes viłtoires que vous aurez


remportées ſur les

Barbares. Et certes , feu Monſeigneur le Cardinal ayant

par la force incroyable de ſon esprit, fait reconnoiſtre celle de

la France à toutes les nations de l'Europe , il ne reſte plus

pour la gloire de l'auguſte nom de Richelieu ,que de luy faire

receuoir dansle Leuant les meſmes hommages qu'il a receus

dans tout l'Occident.Aulli eſtoit- ce la plus forte paſſion de


á jij
EPISTRE .

ce grand Heros que de reſtablir le Royaume de Ieſus- Chriſt

ſur les ruines del EmpireOthoman : Ceux qui ont eu l'hon

neur de l'approcher de pluspresſçauent bien qu'ilen auoit

dreſſé le projet dès l'heure meſme que le bon - heur de cét

Eſtat luy mit le gouuernement entre les mains ; que c'eſtoit

là le ſujet de ſes plusprofondes meditations, & que tout

ce qu'il faiſoit dans la Chreſtienté n'auoit point d'autre but,

que de la reünir toute par labbaiſſement de l'ambitieuſe

Maiſon qui la tient diuiſee , afin qu'elle puſt deſormais

tourner librement tous ſes efforts à la deſtruction des Infi

delles. Mais comme il eſtoit


ſur le point de luy moyenner une

paix inébranlable , & de chaſſer tous les malheurs de la

guerre ſur les terres de ses ennemis , le Ciel pleinement

Satisfait de ſes glorieux trauaux , mais non encare las de

nous chaſtier , l'appella au triomphe de l Eternité , & noas

laiſſa par ſa mort dans un embarras de peines , d'où rien

n'eſt capable de nous tirer que la fuitte de ſes conſeils.

Non ,MONSEIGNEVR , la conduite de la for

tune du grand Armand , non plus que la memoire deſes

belles actions , n'ont pas finy auec


ſa vie : elles ſubſiſtent en

core ,
elles regnent plus glorieuſement que iamais; & tous

les heureux ſuccez que la France a eus depuis , ſont en

quelquefaçon des effets de cette premiere cauſe ,& comme

des impreſſions que ce grand Mobile auoit donné aux

cet
affaires. De ſorte que nous auons ſujet de croire que

immortel & diuin Genie viuant & agiſant toujours en

vous auec la meſme force , vous inſpirera les meſmes pen

ſées qu'il auoit pour l'exaltation de la Foy, & que vous ne

manquerez pas de les accomplir auſi valeureuſement qu'il


les
EPIST R E.

les auoit fagementprojectées.Quand unegenereuſe ardeur

vous emporta ces années dernieres aux employs de voſtre

charge , il nous ſembla que vous alliez prendre poſſeſſion

des mers du Leuant , & y donner des arres à la Victoire

pour l'obliger par cette braue reſolution à ſuiure touſiours

voſtre Banniere .L'on vous vid de's l'aage de quinze ans,

au mépris des hyuers & des tempeſtes , combattre l'armée

nauale d'Eſpagne ſous ſes fortereſſes meſmes , faire fuir

Jon Admiral , prendre & couler à fonds ſes vaiſſeaux ,

& attaquer des riuages bordez d'ennemis. En effet, dans

tout ce voyage voſtre valeur parut ſi bien accompagnée de

la prudence & de toutes les qualitez qui font les grands

Capitaines , que ſi vous y eufiez trouué toutes choſes pa

reilles à voſtre conduite , la deffaite des Eſpagnols euſt eftė

voſtre coup d'eſſay , & la conqueſte de Naples le fruit

de vos premieres armes.Ainſi , MONSEIGNEVR ,

ſi le Roy , apres auoir aſſeuré la Paix à la Chreſtientė,

entreprenoit de faire la guerre au Mahometiſme , s'il ne

vouloit plus employer le titre de VICTORIEVX ,

qui luy eſt acquis dés le berceau , que pour faire éclater

celuy de Tres -Chreſtien : nous croyons qu'il vous choiſiroit

pour l'un des premiers Chefs d'une ſi ſainte entrepriſe , &

qu'il vous donneroit le commandement de ſes armées na

uales , qui n'eſt pas moins deû à voſtre merite qu'à voſtre

charge. Ce ſeroit lors que l'Eſprit bien -heureux de cét in

comparable Cardinal voſtre oncle , & la Pieté de cette

Ducheſe plus qu'Heroïque voſtre tante , obtenant du Ciel

tous les auantages que voſtre zele & voſtre vaillance luy

demanderoient auec iuſtice , vous feroient gagner des


E PISTRE .

victoires
, dont pas un Chreſtien ne refpandroit des larmes,

ſi ce n'eſtoit des larmes de ioye , & dont le triomphe ſe chan

teroit auec autant d'alegreſſe en Eſpagne comme en Fran

ce . Alors on vous verroit couurir tout l'Archipel du de

bris des flottes Othomanes, on vous verroit triomphant

dans Conſtantinople , eſcrafer la teſte de cette Puiſſance

formidable iuſques dans son thrône ; Alors vous briſeriez

en meſme temps l'orgueil de la Tyrannie & de l'Impieté,

vous tireriez d'une meſme main tour l'Orient de la fer

uitude e de l'erreur , e vous luy rendrież tout d'un

coup la liberté & la Religion , les deux plus grands biens

dont les hommes iouiſſent en ce monde. Ainſi , MON

SEIG NEVR , puiſſiez -vous un iour releuer les tro

phées de Saint Louys da de Godefroy de Boüillon ; ainſi

puiſſiez - vous eſtre la plus noble partie de cette Hiſtoire,

luy donner ſujet de compoſer un troiſiéme Volume qui

oblige les Chreſtiens à vous combler de louanges & de bene

diétions
. Ce ſont les veux de celuy , qui vous demande la

grace de ſe pouuoir dire auec reſpect


,

MONSEIGNEVR ,

Voſtre tres- humble & tres

obeïffant ſeruiteur,

MEZERAY .
I

no

HISTOIRE

DES TVR C.S.

LIVRE DIX - NE V FIEME.

E grand Seigneur Achmèt rebuté par le peu de progrez qu'il 1611 .


faiſoit contre le Perfan , s'eſtoit enfin relolu de n'eſſayer pas fur la fin .
I.
dauantage la mauuaiſe fortune de ce coſté-là ; & par le conſeil
de ſon grand Vizir auoit commencé vn traité de paix auec le
Paix faite en
Sophy, qui luy offroir des conditions ſi auantageuſes, qu'iln'a
tre le Turc &
uoit plus d'honneſtepretexte de luy cõtinuer la guerre. Autant lePerſan ,
que cette eſperance d'accommodement cauſoit de joye à ceux
qui ſuiuent la loy de Mahomet , autant donnoit- elle de tri
ſteſſe aux Chreſtiens voiſins de ce dangereux ennemy: Ils ap

prehendoient quecette redoutable puiſſance n’eſtant plus diuertie de ce coſté-là, ne Les Chrégies
leur ietraſt tout le faix de la guerre ſur les bras : car elle ne manquoit pas d'occaſion en font alate

de le faire ; & quand elle n'en euft euaucun ſujet, ils ſçauoient bien que cette nation mez,
barbare ne cherchciamais d'autre iuſtice à ſes armes que la force. Toutesfois , ſoit

qu'Achmet fuſt las de la guerre , ſoit que ſes finances fuſſent épuiſées, joint que d'ail
leurs l'année eſtoit fort quancée, il nemonſtra point qu'il euft deſſein de faire aucuns
preparatifs de guerre : ce qui rafſeura vn peula crainte qu'ils auoient conceuë; Et ce Turc cnpierci
grand Empire Turc ſe vid en paix de tous coſtez, horſmis que les galeres de Malthe, ment en paix
& celles du Duc de Florenceinquietoient touſiours les coſtes de l'Archipel.
Vignacour Grand-Maiſtre deMalthe, y auoit enuoyé cinq galeres auec douze cens
hõmes de guerre,pourexecuter vn deffein ſur Nauarrin. Cette place cſt dans la partie
Occidentale de la Morée:on la nommoit jadis Pylos,& c’eſt où regnoit lefage Neſtor
tant renomé chez lesPoëtes, qui pour ce ſujet l'appellent le vieillard Pylien. Vagueras
grand Commandeur de l'Ordre & chef de la langue de Prouence , en auoit la charge. Galeres de
Malthe prena
Come il faiſoit reconnoiſtre la deſcente qui ſe trouuoit tres-difficile ,vn des chaſteaux nent & pillent
de Nauarrin le deſcouurit & donna l’alarıne à toutle pays : de ſorte que toute la coſte Corinthe.
eſtant en peu de temps bordée de feux & de gens armez , il fut contraint de quitter
cette entrepriſe. Mais de peur qu'on ne luy'reprochaſt qu'il auoitmangé le biſcuit
ſans rien faire,il paſſa outreiuſques dans le dernier recoin de l’Archipel, où il en tenta
vne autre qui n'eſtoit pas moins hazardeuſe. Sur l'encolleure ou deſtroit de l'Iſthme
de la Morée ou Peloponneſe, eſt ſituée Corinthe ,autrefois la plus renommée ville
de Grece apres Athenes & Sparte , maintenant vne pauure bourgade preſque fans
defenſe : neantmoins qui a touſiours cette eſperance de ſe releuer quelque iour
à cauſe de ſon auantageuſe ſituation qui luy fait joindre le commerce des deux
mers , & pour la meſıne raiſon eſt encor habitéede quelques marchands . Le Che
ualier des Cremeaux qui deuoit commander en terre , ayant fait la deſcente vne nuit
à cinq milles de là auec huit cens hommes , ſe trouua le matin aux portes , & nonob
ftant la reſiſtance de quelques Turcs qui ſe preſenterenc deuant luy , donna dedans ,
& la ſaccagea. Il auoit auſſi enuie de forcer le chaſteau , où la meilleure partie des
Turcs s'eſtoit retirée ; mais la Morée eſtant vn pays li peuplé & fi aguçrry par les fre
Tome II . A
2 Hiſtoire des Turcs ,

1611. quentes courſes des galeres Chreſtiennes, qu'au moindre ſignal il s'y aſſemble dix ou
douze mille hommes dans demie heure , il ſe vid auffi- toft cnuelope de cous coſtez:
neantmoins il apporta vne fi grande diligence & vne fi courageuſe reſolution à fa
Braue retrai- retraite , que chargeant auec yne partie de ſes gens les plus eſchauffezde ces barbares ,
tandis qu'vne autre partie donnoit ordre à mettre ſon butin en ſeureté , il ſe rembara
qua à la veuëde tout ce monde là , emmenant cinq cens eſclaues.

Celles de NaVnpeu auparauant les galeres deNaples iointes à celles de Malche , auoient pillé
ples & de Mal- l'Iſe de Lango , autres fois appellée l'Iſle de Cos , plus celebre pour la naiſſance du
the pillent diuin Hippocrate, & pour la douceur de ſes vins , que pour ſon eſtenduë : mais ces
l'ille de Lan
go . ennemis & leurs attaques faiſoient ſi peu de bruit qu'ils n'interrompoient point le
repos du grand Seigneur , qui ſe diuertiſſoit ou pluftoit ſe ſaouloit des, voluptez de
ſon Serrail.

Pendant cette oyſiueté il donna audience au nouuel Ambaſſadeur de France qui


l'attendoit depuis vn mois . C'eſtoit Achilles deHarlay - Sancy Baron de Molle , en
Sancy
Saamballade uoyé en la place du Baron de Salignac , qui auoit finy ſa vie à Conſtantinople. La con
à Conſtanti. ſidération de ſon perc qui auoit ſi bien feruy l'Eſtat,non ſeulement de ſon eſpée & de.
pople , apres ſes ſoins, mais aufli de ſon bien , & l'inſtru &tion que ce ieune Seigneur auoit priſe des
Salignaco bonnes lettres, auſquelles il auoit fait grand progrez : auec celle que les voyages

en Italie & en Eſpagne luy auoient donnée , le firent choiſirpour.vne charge ſi diffi
cile & fi importante pour toute la Chreſtiencé, quoy qu'il n'euſt que vingt-cinq anys .
Il arriua à Conſtantinople au mois de Septembre, ayant paſſé par Raguſe & pris
ſon chemin par terre , & fat logé à Pera où logent tous les Ambaſſadeurs. C'eſt vne
choſecurieuſe que la ceremonicauec laquelle ilfut admis à l'audience.Quand ilſccuc
le retour du grand Seigneur ,il alla premierement viſiter le Mufry, le grand Vizir,
le Bouſtangy Balli , & tous les autres Seigneurs de la Porte : puis pour eſtreintroduit
au baiſe -main , il s'habilla auec toute la ſuite à la mode des Turcs , la grandeur Otho
Ceremonies ntane ne permettant pas qu'aucun Ambaſſadeur y ſoit receu autrement.Il eſtoit reue
obſeruées aux ſtu d'vne longue robede drap d'or friſé fourrée de marches zebelincs, auoit ſes Gen
des maing , tils-hommes & Secretaires veſtus de meſme, mais d'vne eſtoffe moins precieuſe auec
baiſc-
deurs,
des bonnets de veloux noir, vingtvalets couueres de robes d'eſcarlate ,aucc des bonecs
de cafecas noir , quatre Dragomans ou Interpreces du Roy , & les Capitaincs & Pa
trons des vaiſſeaux François . Les amis de la France luy enuoyerent des cheuaux à la
deſcente du canal de Pera , & comme il fut à la porte de la Ville deux Chaoux Balli fe
mirent à ſes coſtez , outre quantité d'autres Chaoux & Ianiſſaires qui l'accompagne
rent juſqu'au Serrail. A la premiere court il fut accueilly par deux Capigy Balliou Ca
pitaines de la Porte, quile conduiſirent au grand Vizir ,lequel l'attendoità diſner. Il
mangea ſeulauec le Vizir, & ſes gens dans vne galerie baffc ; l'ordre du feftin n'eſtoit
pas limagnifique qu'en France.La table eſtoit le placher meſme couuerc d'yn tapis de
Turquic ,ſur lequelil n'y auoit que peu deplats rengez loin à loin ,de panade au ſucre,
& depotagesaux poulets.Il falloit qu'ils mangeaffent allis par terre,& les jambes croi
ſées;& pour breuuage on leur ſeruoittourà cour d'vneeſpece de limõnade qu'ils nome
ment Cerber. A l'iſſue du difnerilpaſſa dansvnefalle pour y prendre les robes de bro..
catel , que le Sultan luy enuoyoit & à ſeize de ſa ſuite : d'où apres les auoir veſtuës par

deſſus celles qu'ils auoiét deſia ,ils furentmenez à la chambre du grand Seigncur,où ils
remarquerent entr'autres choſes qu'il y auoir deux petitesfontaines aux deux coſtez,
Ics Turcs ayantgrand ſoin de ſe lauer à toute heure , comme ſi l'eau effaçoit la ſoüil
leure del'ame; que le plancher eſtoit doré, les murailles eſmaillées de Acurs au lieu de
tapiſſeries , & le paué couuerc de tapis d'or & de ſoye. A l'entrée fix Capigis le me
nerent par ſousles bras au grand Seigneur ,pour luy baiſer le bas de la robe; l'ayant
ſalué de la ſorte, il luy preſenta la lettre de fon Ambaffade,& luy fit en peu de paroles
le compliment de la part du Roy Tres - Chreſtien , que legrand Seigneur teſmoigna
receuoir auec vne demonſtration d'eſtime particuliere. Ses Gentils -hommes furent
auſi amenez de la meſme forte au baiſe -main , puis remmenez à reculons ,depeur
qu'ils ne tournaſſent le dos augrand Seigneur :mais ny eux ny l'Ambaſſadeur leur
maiſtre ne le purent bien voir , pource qu'il ne leur monſtroit le viſage que depro
fil, l'ayant tourné vers vne feneſtre treilliſſée d'où il regardoit pafler trente Ca
pigis qui portoient les preſens de l'Ambaſſadeur ;auſquels il prenoit grand plaiſir,
mais principalement à vnc douzainc de dogues d'Angleterre , & de grands levriers
d'attache,
Achmet I. Liure dix -neufiéme. 3

, d'attache, qu'il fit mener dans ſon Serrail . Cela fait , l'Ambaſſadeur fut reconduit 1612 :
preſque auec lesmeſines ceremonies auec leſquelles on l'auoit amené .
Il n'y eut autre choſe memorable pour le reſte de cette année . La ſuiuante 1612. à
II .
compter ſelon noſtre mode , comme la Chreſtienté la commença par le dueil de Le grand Scia
l'Empereur Rodolphe II. mort dans Prague le vingtiéme iour de Ianuier , le grand gneur marie
Seigneur la continua par la reſioüiſtance des nopces de la ſoeur à Meleniet Ci- fille avec deui
gale Baſſa , & ſa fille aiſnée au Balla Mechmet Capitaine de la mer. Il voulut Balfats.
faire ces deux mariages en vn meſme mois , celuy de ſa fæur fut le dixiénie de Fe
urier : où la reſioüiſlance commença par les feux d'artifice d'une deſpenſe extraordi- Refiotiſſan
naire , mais à la verité de peu d'inuention . Toutes les femmes du Sultan firent la cos & falem .

feſte entr'elles , &luy auec les plus grands de fa Porte . Les Dames eurent le plaiſir veille de ces
de voir courir les Spa chisauec des barres à cheual dans la place dcuant le Serrail , & nopces ,
furent regalées de ſoixante mille liures de confitures , outre les preſens qui furent
faits à deux mille perſonnes.

Les nopces de ſa fille qui furent celebrées quinze iours apres,ſe firent auec beaucoup
plus d'éclar. Le iour d'auparauant Achmet Baſſa Teftarda ou Threforier general,
que fa Hauteſſeauoit nommé pour eſtre Sagois , ou parrain de l’Eſpouſée, fut auſſi
elleu pour conduire auec grande magnificence ſes ameublemens & pierreries , du Ser
rail au logis de l'eſpoux. Les premiers du conuoyeſtoient cinq cens Ianiſlaites : apres
eux venoient le grand Preuoſt & le grand Vizir ,veſtus de coile d'or , & bien montez;
puis l'Aga ſeul à cheual au milieu de deux bandes de Ianiſfaires : Deux cens desplus
qualifiez de l'Empire , les Taliſmans,ou ceux de la Loy , marchoient immcdiatement
deuant le Baſſa, que douze Eſtaffiers habillez de drap d'or enuironnoient , & les tam
bours & les haut-bois faiſoient leur muſique à la teſte des preſens qui venoient apres
eux.Entre tous ces riches dons portez par vingt-ſept hommes à pied , il y auoit le Liure
de la Loy qu'ils nomment Alcoran , couuert d'or mallif & parſemé de diamans, vn cha
peau d'or & dc pierreries, despianelles garnies de rubis & de turquoiſes, quantité de
beaux braffelets, des chemiſes en broderie d'or, des bandeaux de front , des robes de
drap d'or , & vn coffre de criſtal de roche d'vn pied & demy de long , haut & large à
proportion , chargé d'or aux quatre coings , & remply de perles & de diamans. Les
filles eſclaues de la Princeſſe eſtoient cloſes & enfermées dans vnze chariots con

duits chacun par deux Eunuques Mores. Etvingt- huit autres filles eſclaues veſtuës
de drap d'or & bien montées auec autant d'Eunuques noirs auſſi à cheual marchoient
deuant deux censquarante- deux mulets chargez de drap d'or , toiles d'or , velours,
fatins, tapiſſeries , tentes , & autres ameublemens.
Si la veille parut comme vn triomphe, leiour des eſpouſailles, qu'on mena la ma- Ei le iour dei
riée au logis de l'eſpoux , fut vne des plus ſuperbes pompesqui euſtencore eſté veuë nopces .
dans Conſtantinople. Quatre-vingts Émirs des deſcendans de Mahomet, diſtinguez
par le Turban verd qu'eux ſeulsont droit de porter , marchoient deuant les Preſtres
de la Loy , & apres ceux -cy les propoſansquiaſpirent à eſtre Cadis , luges , Cadileſ
quiers ou Muftys. En ſuite les Vizirs ou grands Officiers de l'Empire, dont le premier
qui eſt Lieutenantgeneral de l'Empire , tenoit le coſté droit du Mufry ou fouuerain
Pontife, parce que la gauche eſt la plus honorable parmy les Turcs. Trente Muſiciens
tant haut-bois que tambours à cheual,faiſoiét vn concert ſuiuy de quelques Egyptiens
auec des tambours à la façon des Baſques, gambadans & faiſans mille fingeries. Qua
rante joueurs de luth , de harpe , de ciſtres , & autres inſtrumens , faiſoient danſer &

chanter vn certain fol tenu pour ſaint parmy les Turcs , quiportoit vnc barete , & vn
manteau couuert d'os de mouton . Cene cinquante officiers de l'Arſenal menoient
apres eux trente hommes portans haches & marteaux , pour rompre dans les rues les
auances qui euſſent pû cmpeſcher le paſſage à deux grands arbres chargez de fruits
artificiels, qu'on traiſnoit & ſouſtenoit auec des machines . Trente officiers alloient

deuant le Parrain de la mariée , 8 apres luy pluſieurs eſclaues porcoient trois grands
flambeaux allumez , dont le dernier beaucoup plus gros que les deux autres, eſtoit
tout couuert de lames d'or & de pierreries.Le Reiſler Agaconduiſoit cinquante offi
ciers , apres leſquels on portoit deux daiz, l'vn de velours cramoiſy , & l'autre tout
chamarré d'or , clos & fermé, les deux rideaux traiſnans de cous coſtez ,ſous lequel
l'eſpouſée eſtoit à cheualentourée de quelques Eunuques Mores . Son caroſſe attelé
de quatre cheuaux blancs , 8 : dix autres pleins de filles negres la fuiuoient , vingt
Ai)
Hiſtoire des Turcs ,
4

1612 . cinq files veſtuës de roile d'or & d'argent montées ſur des beaux cheuaux marchant -
pelle-melle, finirent la ceremonic.
Le Sultan auoit deliberé de marier auſſi bien -coſt ſa ſeconde fille auec le Vizir
Naſſum , ſi elle ne fuſt morte douze iours apres les nopces deſon aiſnée. A ce dueil
particulier , le ſort qui ſe plaiſt à troubler les plus grandes feſtes, ioignit l'affliction
Pofte à Con publique : la peſte recommença ſiforte à Conſtantinople, qu'elle emportoit cinq à ſix
grand sei . cens perſonnes par iour; De façon que le grand Seigneurſe diſpenſant vtilement de

gncus en fort,l'article de la Loy, qui enioine de croire la predeſtination , en ſortit pour éuiter le
danger , & ſe retira à Darut Baffa ſon Serrail, ou maiſon de plaiſance ordinaire pour
l'Eſté; où comme il alloit vifiter yne Moſquée qu'il faiſoit baſtir, il receut vn coup
ſur l'eſpaule d'vrie pierre iettée par vn Deruis, ou Religieux Turc, qui fut à l'inſtant
attente für la pris & le lendemain decapité ,nonobſtant la deffenſe du Sultan, qui vouloit ſeulement
perlonne . qu'on ſccuſt deluy pourquoy & commenc il s'eſtoit porté à cet attentat. Mais la plus
forte raiſon qui obligea les luges à paſſer outre , c'eſt que les Deruis ne ſont pas
Et decapité , aymez à Conſtantinople, parce qu'il s'en eſtoit delia autrefois trouué vn qui auoic
voulu cuer Mahomer ſecond .

Pendant que les Turcs ne ſongeoient qu'àleurs magnificences, les Florentins veil
loient à faire des ſurpriſes : leurs galeres rodanc dans l'Archipelattaquerent le cha
Galeres Flo . ſteau de Lango , dont ils auoient pillé la ville l'année precedente, & l'ayant pris de
rentines pri- viue force y firent douze cens priſonniers.La priſe de cette place, les courſes des Cor
nent le
Iteau cha-. faires & les degaſts qu'ils faiſoient dans les Illes ayant contraiot les habicans à addreſa
de Lan
go. ſer leurs plaintes à la porte,le Baſſa de la mer fut obligé de laiſſer ſa nouuelle eſpouſe
à Conſtantinople , d'où il partit dés le commencement du mois d'Aouſt ,eſcorcé de
trente-trois galeres , apres auoir mandé aux Beys des villes & Illes de l'Archipelague
1
de le venirioindreauec le plus de vaiſſeaux qu'ils pourroient .
III . Au meſme temps que ces Pirates incommodoient les Turcs dans la mer du Leuant,

ceux de Ruſie,deſcendus dans le Pont Euxin par les riuieres qui tombent dans cette
mer, l'infeſtoientcontinuellement par leurs courſes , & ſe jettant quelquefoisà terrey
exerçoient de cruels rauages. De ce coſté là tout eſtoit à feu & à fang: la Walachie, la
Moldauic , & la Tranſiluanie pleines de broüilleries & de diuers remuëinens, fai
Moldauie ſoient beau jeu aux Turcs qui delia auoient grand pied dans ces Prouinces de les ſub
pluspéc par iuguer tout à fait. Car pour la Moldauie , elle eſtoit cruellement deſchirée par deux
Ass Turcs.
Princes qui diſputoient cette ſouueraineté , l'un auec l'aſſiſtance des Turcs , l'autre
auec celle des Polonnois . Il eſt beſoin de reprendre les ſujets de cette guerre d'vn
Autrefois peu plus haur . Cette Prouince n'auoit accouſtumé d'eſtre gouuernée que par des
etoin alliée & Ducs du ſang de ſes anciens Souuerains , leſquels eſtoient alliez & vaſſaux de la Re
de Pologne. publique Polonnoiſe, luy rendoient hommage , & ne reconneſſoient point d'autre
puiſſance ſupericure.Mais depuis la domination Othomanne s'eſtant eſtenduë dece
coſté là , ils auoient eſté contrains, pourpaix auoir , de payer yn tribut fort moderé au
grand Seigneur , qui par cemoyen laiſſoit le pays dans ſon ancienne forme de gouuer
nemīt ſansy eſtablir de Baſſas ny de colonies de Tarcares , mais s'accribuoitle pouuoir
de confirmer les Ducs , qui luy faiſoient des preſensà luy & à ſon grand Vizir , pour
Le Turc fcla obtenir ſon agreement.Troisans auparauant eſtoit mort le Duc Hieremie Mohila de
taire , & pour . la race des Princes, qui auoitaſſez heurcuſement gouuerné ce pays- là. Son fils nom
tant aydes
bliſſoit efta- mé Conſtantin luy auoit fuccedé , & en auoit pris lettres de confirmation du grand
Vayu odes Seigneur . Ce Prince eſtantencoreieune & depourueud'experience , ſe laiſſa entiere
que du fang ment gouuerner à ſes parens qui luy firent commettre de fortgrandes fautes contre
des anciens le bien de ſon Eſtat, tirant toutes choſes à leur profit, & meſme les tributs qu'il de

uoit payer à la Porte. D'où il arriua que le grand Seigneur l'ayant faitaduertir plu
ſieurs fois de ſeſouuenir de ſon deuoir , luy ſuſcita enfin vn certain Eſtienne Thomza
Suſcitc Thóza qu'il inueſtit de cette Principauté. Ceux- là ſe ſont groſſierement abuſez quiont eſcrit
contre con quece Thomza s’appelloit Thomas , & qui le font frere de Conſtantin :on ne ſçait
ftantin ,qui bonnement de quelle raceny de quel pays ileſtoit , mais ſeulement qu'il auoit autre
tribut, fois porté les armes dans l'infanterie Hongroiſe au ſeruice du Roy de Pologne. Or
n'avoitpas
payé
cette année Thomza fortifié de l'aſſiſtance de dix mille Tartares qui luy furent amca 1

ncz par Cantimir Mourza , enuahit la Moldauie ſi à l'improuiſte qu'à peine Conſtantin
Thomza lc eut-illoiſir de ſe fauuer dans la ville de Czukaw . Cecce iniure ne touchant pas moins

depoffede. la Republique Polonnoiſe que Conſtantin , les Seigneurs ſe reſolurent d'en deman
der
Achmet I. Liure dix- neufiéme. $

der reparation par les voyes amiables , & s'ils ne la pouuoient auoir par la douceur, i612:
d'en faire la cauſe publique & de la pourſuiure parles armes . Mais Eſtienne Potosky
beau -frere de Conſtantin, d'où il auoit eſpouſé la ſæur , ſe crût aſſez fort par le credit
de ſon frere, qui par ſes bcaux faits de guerre auoit acquis grande reputation parmy Potosxy beau.
la Nobleſſe , pour en auoir raiſon auec ſes forces particulieres. Ayant donc contre Forende veini
la defenſe du Roy leué ſix mille honimes au nom de Conſtantin , & bon nombre de remettre.
Gentils-hommes volontaires, il entra dans la Moldauie au commencement du mois
d'Aouſt.Son armée eſtoit bien feble pour s'engager ſi auant dans vn pays tres difficile
où il n'auoit aucune retraite , & auec cela il marchoit auec tant de negligence & de més
pris de ſon ennemy, que ſans s'enquerir s'il eſtoic pres ou loin , il n'obſeruoit aucun
ordre,ny aucune diſcipline. Cependant Thomza clant de retour auec le ſecours qu'il
eſtoic allé querirchez les Tarcares, l'ayāt laiſſé viure quelques iours dans ce deſordre;
le vint vniour enuelóper auec crente millecheuaux ſur le Conflant de Dzieze,aueclé
fleuue de Prut, le lieu s'appelle en langue du pays Saſomy-Rog,defia funeſte aux Mol. Ef couclopé
par les Tarta.
daues & aux Polonnois pour quelques autres deffaites, & eſt preſque tout entouré de res & pris
auec con
mõtagnes,deſquelles Thomzas'eſtant faifi, & meſme des riuicres, il les ſerra de ſi pres ftantin ,
qu'ils n'eurent pas le moyen de deſployér leurs batai llons en campa gne , & i furen t tous

pris cômedans yn filet,àla reſerue de quelques- vns qui ſe ſauuerétă la nage.Porosky


pris entre les chariots , dërriere leſquels il s'eſtoit retiré & s'y defendoit fort coura
geuſement , fut mené à Conſtantinople. Conſtantin ſe cachant parmy lesſimples pri
fonniers pour éuiter cette honte, y ſouffrit tant de froid , de faim & de pauureté qu'il
en mourur. Son frerenoınméAlexandre , fort beau garçon, aagé de treize à quatorze La perte de la
ans, futreſeruépour ſeruir aux deteſtables plaiſirs du grand Seigneur , pour l'amour Moldauie
fort, prciudi.
duquel il ſe fit Mahometan . Ainſi la mauvaiſe conduite perdie non ſeulement ces ciable à la
ieunes Princes ,& leur pays , mais encore fit vne grande breſche au repos de la Polo Pologne .
gne , dautant quc par là fut ouuert le chemin aux Barbares pour venir rauager ce
Royaume . Er de fait les Tartares y eſtans encrcz incontinent apres la victoire, ſans
que perſonne s'oppoſalt à cux , pource que Potosky auoit degarny les frontieres de
cecofté-là , y exercerent de grands rauages, & mirent à feu & à ſang tout ce qui ſe
rencontra deuant eux . Le Roy Sigiſmond qui detenoit lors toutes les forces de l'E
ſtac à la guerre de Moſcouie , en fit ſes plaintes au grand Seigneur par vn Ambaſſa- Le
monRoy Sigif
d enuoyc
deur expres qu'il luy enuoya l'année ſuiuante. Il s'appelloit Šamuel Targowsky, le VR Ambaſla .
quel repreſenta au grand Vizirles traitez qui auoient eſté faits pour la Moldauie , & deurà lalor.
te ſe plaindre
demanda auec grande inſtance que Conſtantin fuſt reſtably en payantles tributs ac
couſtumez;mais apres qu'on l'eutamuſé de remiſes ſix ſemaines durant, l'audience luy pation.
fut toutà fait refuſée, ilpenſa meſmeſe voir arreſté contre le droit des gens. Ec cepen
L'Amballa
dant le grand Seigneur donnoit ordre aux preparatifs qu'il croyoit neceſſaires pour deur amulc
s'aſſeurer entierement de la Moldauie : car il enuoya le Baſſa Mahomet Belzergy d'eſperances,
à Bellegrade , pour y compoſer vne armée des troupes entretenuës du coſté de l'Eu- tandis que les
rope , & commanda aux Tartares d'y entrer au meſme temps par vn autre coſté : de rent
Turessalieu
de
Moldauie ,
ſorte que pour l'heure la puiſſance y fut reconnuë commela plus forte.
Quant à la Tranſiluanie, elle ne ſouffroit pas moins de troubles & de calamitez . IV .

Pour remonter à la ſource , il faut ſçauoir quel'Empereur Rodolphe conneſſant la fè


bleſſe de Sigiſmond Battory Prince de Tranſliluanie, l'auoit fait li adrecemét gouuer Sommaire
ner, que l'an 1595. il l'auoit obligé à noüer confederation auecque luy contre le Turc, des affaires de
& deſlors auoit commencé par le mariage d'une fille de Charles Archiduc de Grets, Tranſfiluanie
comme par yn hameçon à tirerà ſoycette ſouueraineté. Car il luy ébloüic de ſorte les la conneliai :
yeux par l'honneur de cette alliance,la luy faiſant repreſenter comme le comble des fc - cc de celles
licitez dela grandeur & de la gloire, & auec cela l'embabouina ſi bien de titres chimes qui ſuiuent,

riques dePrince de l'Empire ,de Sereniſſime,de Cheualier de la Toiſon, & autres ſem
blables , qu'il l'engagea à promettre dans le côtract qu'en cas qu'il mouruſt ſans enfan's
maſles procreez de ce mariage, l'Empereur luy fuccederoicencetre Principauté . Or
l'Empereur ſe tenoit bien aſſeuré que Sigiſmond n'auroit point d'enfans, pource qu'il
eſtoit impuiſſant, ſoit qu'il fuſt tel par ſon intemperie naturelle, ſoit come on lediloit
aucc apparence, que les Imperiaux l’euſſent refroidy auec quelque boucon . Deux ans
apres le faſcinant touſiours de plus en plus par les melines artifices; il luy fit faire vn
nouueau traité à Prague , par lequel il ſe deſpoüilloit désce iour là de la Tranſfiluanic ;
moyennant cinquante millorichedalcs de periſion annuelle , & la joüillance de quela
Aiij
6 Hiſtoire des Turcs ,

1612. ques terres dans la Sileſie. Lecontract n’en fut pas pluſtoſt paſſé que Sigiſmond com
mença à s'en repentir : neantmoinsilpermit l'année ſuiuante que l'Empereuren priſt
poffeflion. Mais comme il n'auoic pû ceder ſon droit à vneſtranger ſans le conſente
ment des Grands du pays , ny au preiudice des Princes de la race , les vns & les autres
firent leurs proteſtations contre cet iniuſtice ; Et puis luy - meſme ennuyé bien - toft
Incontance de la retraite ,apres auoir repudié ſa femme, ſe reſailit de toute ſa Principauté , horf
de Sigiſmond
Battory & mis de Varadin , où il y auoit forte garniſon pour l'Empereur ;& peu apres ſe ſentant
l'ambition de incapable de ſouſtenir les ſoins de l'adminiſtration , & le faix de la guerre dont il ſe
d Aufriche , voyoitmenacé, il s'en deſchargca ſur ſon frere le Cardinal André . De l’imbecillité
cauſent de de ce Prince & de l'ambition dereglée de la maiſon d'Auſtriche naſquirent les cruel .
longues
ICS . guer- les guerres qui douze ans durant deſolcrent ce mal-hcureux pays. Il ſeroit ennuyeux
& hors de propos de vous raconter par le détail comme le Cardinal du commence
ment tintteſte à George Baſte Lieutenant de l'Empereur joint auecMichelVayuode
de Tranſiluanie : puis commeeſtant circonuenu par Germain de Maleſpine Euelque
de S. Seuere Nonce du Pape , ſous ombre d'vn accommodement , il fut deffait parce
Michel , & mal-heureuſement aſſaſſiné par ces ſatellites qui porcerent ſa teſte au
Nonce : Comme le meſme Michel força Stuan Batcory de luy remettre les places qu'il
tenoit, & rendit tout le pays paiſible à l'Empereur : Comme il en challa Sigiſmond qui
y eſtoitrentré derechef ,puis
pour recompenſe de ſes laſches feruices fut affalliné par
George Balta : Come en ſuite EſtienneBotſcay s'empara de la Tranſlīluanie, s'eſtantfaic
eſlire parles Eſtats & la tinc deux ans,meſme penſa arracher le Royaume de Hongrie
1 à la maiſon d'Auſtriche, qui ne ſe pouuant deffaire d'vn ſi dangereux ennemy par la
force , s'en deffit par le boucon : Comme les Tranſſiluains abhorrant cette domina
tion eſleurent en la place Sigiſmond Ragotsky , qui le ceda peu apres à Gabriel Bat
tory : Enfin comme Sigiſmond Battory, apres diuers accords faits & rompus auec
l'Empereur, fut arreſté priſonnier par ſon ordre & mourut miſerablement dans le
chaſteau de Prague cette année 1612 .

Gabriel Bat. Or Gabriel paruenu à cette Souueraineté commença à le gouuerner fort tyranni
tory ſuecedát
quement , traitant tous ſes ſujets comme ſes ennemis , & ſuppoſant des calomnies
à
devient Ty. pour perdre les plus innocens . Viuant de la ſorte , il ſe rendit ſiodieuxqu'il vid foufle
tan ,
uer des partis cótre luy de toutes parts ; outre l'Empereur qui pourſuiuoit coulours ſes
pretentions ſur la Tranſiluanie,Berlin Gabor I'vn des principaux Seigneurs du pays,
ſe fic chef des opprimez. Pierre Decacy parent de Boſcaye dont nousauons parlé , leua
auſſi les armes d'vn autre coſté; bref tout le pays , le menace d'vne reuolte generale.
Pluſicurs par . Ces ſouſleucmens neantmoins n'adouciſſentpoint ſon humeur cruelle , mais l'irricent

tis fe coulle
uene contre encore dauátage , & le portētà d'horribles in humanitez ſur les villes qu'il peut forcer,
luy: ſpecialement ſur celles de la contrée qui eſt habitée par des Saxons. Carla Tranſil
uaniceſt peuplée detrois ſortes de nations, de Cicules, de Saxons & de Hongrois :
les premiers fe diſent deſcendus des Scythes, qui ſe retirantapres auoir accompagné

Tranſiluanic Attila, habiterent cette partie qui auoiſine les Moldaues, & fe diuiferent en ſept peu
Cripcuplée de ples, à chacune deſquelles baſtit vne ville ,ſçauoir Kiſdy, Orbey , Schipſey, Cyk,
Cicules , de Vduarhen , Aranjos & Maros . Les Saxons , à ce que porte la tradition , viennent d'v
Hongrois
de Saxons.& nebende de ceux qui ayant ſuiuy le braue Viteckind dans ſes guerres contre Charle

magne , aymerent mieux abandonner leur pays que de perdre leur liberté , & ſe faiſi
rent decette partie quiconfine la Walachie, où ilsbaſtirent les villes d'Hermenſtad, i
Cromſtad ,Nezen ,Biſtrich , Medwiſg , Scieſpurg , Clauſſembourg & Albe lule . Les
Hongrois s'y eſtablirent du temps d'Eſtienne Roy de Hongrie , qui apres fa more fuc
misau nombre des Saints , & fonderent les villes de Varadin , Deuer , Zilahy, Gela,
& quelques autres . Ceux- là ayant ſubiugué tant les naturels habitans du pays , que
les Cicules& les Saxons , demeurerent les maiſtres :deſorte qu'ils ſe faiſoient par ex
cellence appeller les nobles Tranſiluains, & que c'eſtoic d'entr'eux ſeulement qu'on
prenoit les Vayuodes ou Princes du pays .
Entre ces derniers & les Saxons il s'eſtoit touſiours entretenu'vne jalouſie & des fe
Gabriel crai. mences de haine,à cauſe de la contrarieté d'humeurs qui de tout temps a cfté entre les
Coutemal,fpe:
cialement les Allemans & les Hongres : les derniers ſoupçonnant les Allemans d'auoir de ſecrets aç
Saxons, tachemens auec la nation dont ils eſtoiét deſcendus, &idont ils gardoient encore pour
la plus grande partie , la langue,les couftumes & les moeurs. Gabriel prenoit ce ſujec de
les traiter aucc yne rigueur extreme,mais il ne ſe monſtroit pas meilleur aux autres, les
accuſant
Achmet I. Liure dix - neufiéme. 7

accuſant qu'ils auoient intelligence auec les Turcs:tellemêt que ne ſe fiant à perſonne 16 I 2 .
& redoutant toutes choſes, il fut reduit à appeller à ſon ſecours yn certain André
Nage chef des ſoufleucz de Hongrie , auec l'aide duquel il mit le liege deuantla ville
ſon
Appelle à Anta
de Cromſtad.Ce ſiege tirant en longueur, ſes forces diminuant, & les partis faits con- ſecou rs
tre luy ſe multipliant & ſe renforçan t chaque iour , il prit yn tres -mauuais conſeil d'a dr é Na ge
uoir recours à l'ennemy cõmun des Chreſtiens, qui tiềt à gloire de ne lcur teniriamais chef des re
la foy.Il confia cette negociation à vn nommé André Gietzy gouuerneur de Varadin , grie.belles de Hón
qu'il eſtimoit le plus aſſeuré de ſes amis,& auquel il auoit communiqué ſes plus grāds
ſecrets . Celuy - là au licu de le ſcruir fidellement, ſe mit ou par ſa propre perfidie , ou
par l'inſtigation de Berlin Gabor à cramer vn complot pour le deſpoüiller, propoſant
au grand Seigneur s'il luy plaiſoit de l'inueſtir decette principauté,qu'il mettroiten
tre lesmainsdu Baſſa Belzergy , les villes de Varadin , de Lippe, & quelques autres
fortereſſes des plusimportantes.Sa propoſition
fur fauorablement eſcoutée, on luy
promit tout ce qu'il pouuoit eſperer'; Et le Baſſa eut commandement d'entrer auec
l'arméc dans la Tranſiluanie: où le traiſtre apresauoir fait éclater la reuolte dans les
places qu'il auoit promiſes, le deuoit ioindre auec ſes complices. La trahiſon ne pût
eſtre ſi ſecrete que Battory n'en euſt le vent; Et commeil eut appris qu'il y auoit vne

armée Turque à Bellegrade beaucoup plus puiſſante qu'il ne l'auoitſouhaittée, il vid


bien qu'elle ne venoit pas pour le ſecourir ,mais pour l'opprimer. Si bien que ſur
cette coniccture, & fur quelques aduis qu'il reccut de leur deſſein , il leuaauſſi -toft
le ſiege de Cromſtad & prit vne reſolution toute contraire , qui eſtoit de ſe ietter en
tre les bras du Palatin de Hongrie , pluſtoſt que de perir en ce rencontre. Mais le
Baſſa de Bude voyant que le complot eſtoit découuert, manda au Balla Belzergy
de ne paſſer pas outre , de peur d'obliger Battory par vn dernier deſeſpoir à remettre
les places qu'il tenoit au pouuoir de l'Empereur;d'où il leur euſteſté bien plus difficile
de lestirer que non pas des mains d'un petit Prince comme eſtoic celuy-là.Lepretex
te de ce ſoudain changement eſtoit que Mathias nouuellement eſleu Empereur en
yoyoic ſes preſens au grand Seigneur,cõme en effet il eſtoit vray, & luy-meſme ayant Gietzy,arta,
receu fort honorablement ſes Ambaſſadeurs à Bude, les'auoit fait ſeurement eſcor qui le deffait
teriuſqu'à Conſtantinople. Toutesfois Gietzy s'eſtant trop découuert pour ne rien
entreprendre , alla couageuſement attaquer Bactory à la leuce du ſiege , & luy enle
ua d'abord quelques quartiers: mais Battory ſe ſencant aſſez fort , le fut charger au
prcs de Sedomar , où ille vainquit & le contraignit de ſe fauuer dans la ville auec
cinq ou ſix cens des ſiens, le reſte eſtar en fuite ou demeuré mort ſur la place . C'eſt
en gros tout ce qui ſe fit cette année en Tranfiluanie.
V.
Les choſes eſtant ainſi diſpoſées de ce coſté- là, il eſtoit fort à craindre que le Turc
ſe feruant de ces aduantages, n'enuahiſt entierement cette Prouince comme il venoic
d'enuahir la Moldauie , & qu'apres il ne fiſt vn puiſſant effort pour emporter le reſte
de la Hongric . Neantmoins comme c'eſt vne des maximes de ſon gouuernement de
n'auoir point s'il ſe peut plus d'vn enncmy à la fois, & qu'il ſembloic que les Polonnois
deuſſent armer pour recouurer la Moldauie ,ilſurſit ſes deſſeins, & meſme ſe monſtra
aſſez enclin à vouloir la paix auec l’Empereur & auec le Sophy de Perſe.Apres la mort Ambaſſadeurs
de l'Empe
de Rodolphe II . Mathiasſon frere s'eſtoit faic eſlire le treiziéme du mois de luin : lors reur & du
qu'il ſe vid éleuć à cette dignité il n'eut point de ſoin plus preifant que de pouruoir Perlanà Con
auxaffaires de Hongrie , ſe tenant bien aſſeuré de celles de l'Allemagne. C'eſt pour- ftantinople,
quoy il enuoya àConſtantinople vn Ambaſſadeur Italien de nation nommé Negrony,
pour confirmer les traitez faits par ſon predeceſſeur , & demander au grand Sei
gncur qu'il defendiſt à ſes Balſacs de plus entreprendre ſur la Tranſiluanic , Pro
uince qu'il diſoit luy appartenir, comme dépendante de ſon Royaume de Hongrie .
Au meſme temps le Roy de Perſe qui l'année precedente auoit fait vn projec de Comme fut
paix auec Achmet , depeſcha pareillement vn Ambaſſadeur à Conſtantinople pour la de Perle.
conclure . LeBaſſa Nafſum general de la mer , l'amena à la Cour ſur la fin du mois de
Scptembre .
Legrand Seigneur aduerty de ſa venuë ; voulut luy faire voir vn eſchantillon de fa
magnificence , pour teſmoigner la ſatisfaction qu'il auoit de cette paix . Pour cet effet

il s'en alla à Darut Balla à deux lieuës deConſtantinople, d'où il manda au grand
Voyer qu'il vouloit faire ſon entrée le deuxiéme iour d'O &tobre.Cettuy- cy fit cou
urir de ſable le chemin depuis le Serrail de Darut juſqu'à celuy de Conſtantinople,
8 Hiſtoire des Turcs,

1612 ; & leiour de l'entrée fit tenir les ordres qui s'enſuiuent
. Les Ianiſfaires marchoient les
premiers ,& les gens-d'armes après : les Cadis ,les Taliſmans,les Baſſats, & les Vizirs ,
eſtoient ſuiuis de partie des Officiers de la maiſon du Sultan. L'on menoit dix che
uaux en main richementenharnachez , mais ſur tous le dernier, dont la felle , la bride
Entrée ma- & la houſſe eſtoient toutes de pierreries : le bouclier du grand Seigneur tenoit à
Sultan ,pour l'arçon auec vn cordon duquel la houpe eſtoit de groſſes perles. Cinquantc Ianiſfai
lay monſtres res menoient les dogues & levriers en laiſſe, dont les plus beaux eſtoient ceux que
la magnifie l'Ambaſſadeur de France auoit donnez . Suiuoient les Valets de pied extraordinaire
ment veſtus, auec des bonnets d'argent en forme de pots . Trois cens Archers à
pied enuironnoient le grand Seigneur , qui eſtoit tellement brillant de pierreries,
depuis les pieds iuſqu'à la teſte,meſmeiuſqu'au harnois de ſon cheual , & à fes eſtriers,
qu'il eſtoit preſque impoſſible de diſcerner ſon viſage parmy ce grand éclat . Vne
chaiſne de diamansattachoit le ply de ſon Turban , & cinq plumes de heron enrichies
de pierreries, en couuroient la pointe . Il portoit au petit doige vn diamant de grand
prix , & ſon cheual auoit au col yne große houpe defort belles perles . Vn caualier
porcoit lesarmes,vn autre le manteau , & vn troiſiéme le Turban Imperial.Pluſieurs
Eſcuyers, Gentils-hommes, & autres Commenſaux marchoient apres . Soixante Mu
ſiciensà cheual faiſoient vn concert de trompetes, fifres & clairons . Apres venoient
cent Pages cous enfans du tribut, dont cinquante porroient chacun yn faucon cha
peronne de pierreries ſuiuis de quanticé d’Eunuques à pied & de trente gardes de la
porte . Puis cinquante Fauconniers cous couueres de toile d'or , dont quatre auoient
chacun vne peau de leopard à l'arçon de la felle . Grand nombre d'autres Pages auſſi
enfans du tribut mieux veftus que les premiers , les vns & les autres aagez de dix -neuf.
à vingt ans, auec des toupets aux coſtez des oreilles , & le reſte des cheueux raſé. Les
valets desPages alloient les derniers ayans des bandeleees dc coile blanche ſur le
front 8c des barretesjaunes en pointe ſur la teſte , & veſtus d'vn forc beau drap .
Céreſchantillon de magnificence du Sultan obligea l'Ambaſſadeurd'en faire voir
Peeſens de "vne des liberalitez de fon Maiſtre. Lors que la Hauteſſe paſſa deuant la porte , il fit
L'Amballa
deur, iecter dans la ruë cent pieces de foye des plus à la mode , qui furent à l'inſtant ra
maffées par les Archers qui en firentleur profit; Et quatre iours apres eftant introduit
au baiſe -main , il fit preſentau grand Seigneur, de quatre cent balles de foye, de plu
fieurs morceaux de Bezouard , dont il y en auoit vn plus gros que le poing , de neuf
Tacs grands de demy pied pleinsde groſſes perles,dequantité de beaux tapis de laine ,
& debeaucoup d'autres , tiſſus d'or & d'argent. Cét Ambaſſadeur ſeiourna iuſqu'au
mois de Nouembre dans Conſtantinople, & pendant ce temps conclut la paix à ces
conditions , Que le Sophy enuoyeroit au Sulcan deux cens chargesde ſoye ; Que ſon
fils ſe nommeroit Balſa de Tauris, & que le Cadis ſeroit enuoyé de Conſtantinople
en cette ville-là . Mais elles furent trouuées ſi onereuſes dans le Conſeil de Perfe,

que lors qu'il fut de retour ſon Maiſtre luy fit trancher la teſte, & creuer les yeux ,
meſme couper les mains au Chaoux, qui eſtoit allé pour luy voir jurer cette paix .
Pour Negrony Ambaſſadeur de l'Empereur, ilentra le ſixiéme de Septembre dans
Conſtantinople, accompagné des domeſtiques de tous les Ambaſſadeurs Chreſtiens
qui les auoient enuoyez au deuantde luy; mais illuy falut attendre le retour de Nar
fum premier Vizir, qui fut le vingt -vniéme du meſme mois,poureſtre receu au baiſe
Ambaſſadeur main & à l'audience . Il fic de tres-beaux preſens, qui euſſent eſté plus eſtimez ſi l'a
de l'Empc bondance de ceux que l'Ambaſſadeur de Perſe auoit donnez huit iours auparauant,
reur,
n'en euſtamoindry l'éclat.Apresauoir aſſeurélegrand Seigneur de la bonneaffection
de ſon Maiſtre , il fit ſes plaintes des entrepriſes des Turcs ſur la Tranſſiluanie; & ſur
cela il produiſit deux originaux, l'vn de l'accord faic à Vienne en 1606. entre l'Empe
reur & Botskay dernier Prince de Tranſiluanie , qui porcoit , Que Botskay venant à
mourir ſans enfans malles, la Tranſſiluanie demeureroit à la diſpoſicion de la Majeſté
Imperiale; & l'autre d'un traité de paix faicentre le grand Seigneur & l'Empereur,
contenant quetout ce qui auoit eſté accordé à Botskay parvn traité fait à Vienne , luy
ſeroit gardede bonnefoy. Le Mufty reſpondit ſur le premier point : Qu'il eſtoit con
tre la Loy.Negrony luy repartit que la Hauteſſe l'auoit ſigné en fa preſence :Naſſum
Sa gencreuſ dit que Botskay n'auoit pas le pouuoir de donner la Tranſfiluanie , & qu'au craité
[ cſponſe.
de Vienne il n'y auoit aucun Deputé pour le grand Seigneur. L'Ambaſſadeur luy
repliqua qu'il n'eſtoit plus queſtion de cela , puiſque le traité ligné du Baſſa Amurach
dans
Achmet I. Liure dix - neufiéme. 9

dans l'Iſle ſur le Danube approuuoit tout ce qui auoit eſté fait à Vienne. Le Vizir fit 1612.
1 lire les articles qu’on auoit baillez à Heberſtein pour porter à fa Majeſté Imperiale,
auec ordre de faire rayer l'article de Botskay touchant la Tranſiluanic .Mais Negro
ny fouſtint que l'Empereur les auoit refuſez, & que ceux dont il eſtoit porteur auoient
cité ratifiez par quatre Baſſats du conſentement de la Hauteſſe , puis le tournant vers
le Baſla Cachimacan , il luy fit confeſſer qu'il luy auoit enuoyé vne copie ſemblable
à la ſienne ſignée du Chancelier Soffij. Mais le Baffa en imputoit la faute au Baſſa
Murath duquel ſeul elle eſtoit ſignée , & quien auoit eſté defauoüé. Enfin Negrony
perſiſtant en ſes demandes, dit hardiment qu'il n'eſtoit point là pour effacer ce que
ſon Maiſtre 'auoit ſigné; & ſans s'eſtonner des menaces que le Vizir luy faiſoit s'il
n'accordoit d'autres articles , il leur declara qu'il aymoit beaucoup mieux mourir
entre leurs mains , que de reporter honteuſementſa teſte dans la place de Vienne :
mais qu'il donneroit aduis de leurs conteſtations à l'Empereur, & qu'il monſtreroit
la reſolution telle qu'il l'auroit receuë . Cette genereuſe reſponſe leur ferma la bou
che , & luy fauua l'honneur : mais au reſte il ne pût rien obtenir que la permiſſion de
s'en retourner .

Cette meſıne année les Eſtats de Hollande , ennuyez des pertes de vaiſſeaux & Ambaſſadeurs
de marchandiſes qu'ils faiſoient ſur la mer Medicerranée , determinerent auec le de Hollande
Prince d'Orange d'enuoyer Corneille de la Haye Ambaſſadeur à Conſtantinople; alliance auec
pour traiter,en premierlieu de la deliurance des Éſclaues Hollandois; ſecondement, le Turc.
pour demander alliance auec le grand Seigneur ; & enfin pour obtenir la liberté de
la nauigation & commerce en toutes les mers & en tous les ports de ſon Empire , où
juſques -là ils n'auoient pû trafiquer que ſous la Banniere de France . Leur Ambaſſa
deur fur honorablement receu & introduit au baiſe -main : il fic preſent au Sultan Les preſens

de trois oyſeaux de Paradis eſtimez huit mille liures , de deux vaſes de criſtal riche- qu'ils firent
ment trauaillez , de quatre autres vaſes d’os de poiſſon, grauez auec vn merueilleux augurand Sci
artifice, de quarante piecesde drap d'or , de cinq pieces de drap de foye , de cinq de
damas , de cinq de ſoyeondée, & de cinq toutes vnies , d'un baſton elephantin bien
1
graué , d'vn Perroquet auec ſa cage de criſtal d'vn merueilleux artifice , de pluſieurs
nappes ondées, & d'autres auec des fleurs qui approchoient du naturel . Ces preſens
agreerent bien fortau grand Seigneur , & Corneille meſnagea fi adretement les ef
prits du Conſeil, qu'il obrint la liberté des Eſclaues Hollandeis , la permiſſion de
trafiquer en touslesports du grand Seigneur , & celle de tenir vn Ambaſſadeur re
ſidenc à la Porte .

Les Mores que le Roy d'Eſpagne auoit chaſſez de Grenade, refugicz en Turquic, Malignité des
ſe ſentans appuyez du Cady de Pera auffi More , lequel ils s'eſtoientabſolument acquis chaffe ?" d'EG
par preſens s'aduiferentſur la fin de l'année de luydemáder la permiſſion de mettre les pagne contre
Iuifs hors de Pera , & de demolir toutes leursSynagogues . Ce que le Cady leur ayant les luifs &
accordé , ils l'executerent auec vne telle authoriceque pas vn de ces pauures bannis Chreſtiens.
neluyen oſa faire plainte.Il y cut ſeulement vn luifde Chio qui ſe trouuátlà pendant
ledeſordre,ſe preſenta pour faire quelque remonftrance:mais il fut condamné par cét
iniuſte Magiſtrat à cinq censcoups de baſton , qu'il receut tout content.Cesinſolens
Moriſques cuſſent fait pareil traitement aux Chreſtiens, & ſe fuſſent emparez de
Sancy emper
leurs Egliſes, principalement decelle des Cordeliers , dont ils auoient grand' enuie, che qu'ils ne
1
ſi l'Ambaſſadeur de France n'euſt obtenu leur protection du grand Vizir , & fait de-;s'emparent
des Egliſes des
fenſe à ces Mores de rien atcenter contre eux ſur peine d'eſtre rigoureuſement cha Chreitiens.
ſtiez. Ils ne laiſſent pas toutesfois de donner quand ils peuuent des preuues de leur
haine contre les Chreſtiens, & de leur faire par tout où ils ont l'auantage beaucoup
plus de mal ſans comparaiſon , que les Turcs .
Ils donnerent vne preuue de cette malice enuenimée dans la ville de Tunis, con
tre vn Religieux Capucin ,qui auoit eſté pris en mer par les Corſaires. Vn Morifque
conneſſant le zele de ce bon Pere , fe mit un jour à diſputer auec luy fur fa Religion ,
afin de luy faire dire quelquechoſe qui lerendiſt criminel; & le harcela ſi fort que le lls accuſent
bon Pere s'eſchauffant vn peu trop , s'emporta de dire que la Religion de Mahomet d'auoir parlé
nc valoit rien . Semblables paroles eſtant dignes demort parmy les Turcs , chez leſ contre ,Mas
quels il eſt defendu de parler de leur Prophete ny de leur Religion qu'auec reſpect,
le Moriſque accompagné d'une bande de les compagnons , en alla faire ſes plaintes au
Cady , & mena tant de bruit qu'il le contraignit de prononcer la ſentence de mort
Tome II . B

1
JO Hiſtoire des Turcs ,

161 2 . contre cebon Perc , & de le liurer entre leurs mains . Ils •le deſpoüillerent tout nud ,
le promenerentencét eſtar par les ruës de la Ville , auec des hurlemens & des huées
cſpouuentables, les enfans& la populace le couurant de boües & d'ordures : & apres
I eft lapidé , l'auoir ainſi expoſé à toutes ſortes d'outrages, le menerent dehors, l'attacherent à
vn porcau , & l'affommerent à coups de pierre ;Ce bien -heureux Martyr leuant les
yeux au Ciel & priant Dieu comme vn autre S.Eſtienne de vouloir eſclairer ces igno .
rans , & leur faire reconneſtre ſon ſaint Nom .

Cét exemple de conſtance Chreſtienne peut bien eſtre accompagné d'un autre de
Exemple de pareille nature , & qui outre cela fera voir vne hardie & braue reſolution. Au mois
braue reſolu-d'Octobre quatre François eſclaues dans la galere patrone de Chio , reſolus de mourir
tion & con . ou de recouurer leur liberté, gagnerent le Capitaine qui eſtoit Florentin , & l'Eſcri
ſtáce , en quelo
ques renc . uain auſſiItalien ,tous deux rencgats
. Mais ſoit que cétĖfcriuain fuſt craiftrcou impru
gats. dent , il laſcha quelques paroles qui marquoient qu'ils deuoient bien -coſt retourner
en Chreſtienté.Vn Turc les ayant entenduës , en donna aduiš au Patron : celuy - cy
ayant fait confeſſerla choſe à l'Eſcriuain, enuoya cent hommes pour ſe ſaiſir des com
plices : mais les François en tuerent quinze, & firent vne ſi grande reſiſtance qu'on
dura
ne les pût prendreque morts.Le Capitaine futganché : & durant ſix heures que
ſon horrible ſupplice , il ne fic qu'abjurer Mahomet & inuoquer le faint Nom de
Ieſus- Chriſt.

Le voiſinage des Royaumes de Fez & de Maroc , m'oblige à vous marquer en paf
fant,lesguerres qui s'y firent ces années , quoy qu'ils ne ſoient pas de l'eſtenduë do

Petit ſommai: mon Hiſtoire. Ily auoit cent quatre ans que les Xerifs auoient vſurpé la domination
re de l'hifoi de l'Afrique. Mahomet Xerif Pontife de la Loy Mahomerane , iſſu de la Prouince
se des Xerifs,
qui s'emparét de Tigumeder , homme ambitieux & fort adroit,voyant la diuiſion des Eſtats d'A

1
des Royau . frique où les Portugais s'eſtoicnt rendus maiſtres d'vne partie des places, ſe propoſa
deMaros,fous d'y eſtablir vne nouuelle puiſſance pour ſes deſcendans, Il auoit trois fils, Abdala,
pretexte de Hamct & Mahomet ; auſquels ayant fait acquerir grande reputation par des voyages
Rcligion, aux lieux laines de leur Religion,de ſorte que Hamer deuine Lecteur du plus fameux

College de Maroc , &Mahomet Precepteurdes enfans du Roy , il perſuada ſi bience


pauure Prince qu'illeur permit de s'armer & dc deſployer vn Eſtendard facré contre
les Portugais .Par ce moyen ilss'eſtoiét premierement emparez du Royaume de Ma
roc , & dans cette entrepriſe l'vn d'eux auoit eſté tué en yne bacaille. Lesdeux qui
>
reſtoient auoient partagé leur conqueſte: mais la diſcorde s'eſtant gliſſéc entr'eux, ils
en eſtoient venus aux mains , & Mahomet le plus icune ayant vaincu & pris l'autre,
l'auoit fait mourir d'ennuy dans la priſon . Puis commeil s'eſtoic veu maiſtre tout ſeul,
d luy
il s'eſtoit attaqué meſmeau Roy de Fez fils de celuy qui auoit eſté ſi ſimple que e
permettre à luy & à ſes freres de prendre les armes,& duquelilauoit eſté Precepteur:
l'auoit deffait en bataille , & defpoüillé en ſuite de la Couronne & de la vie .
De cette forte il auoitaſſeuré la domination deces deux Royaumes à la maiſon des
* on prononce * Xerifs:mais vnEmpire acquis par des moyés ficriminels & fi ſanguinaires,ne pouuoit
Cherif
eſtre paiſiblement poffedé par ſes deſcendans; Et la luſtice Diuine épandant la male
Perpetuelle di&tion ſur eux,troubla toute ſa poſterité d'vn eſprit de diuiſion qui armoit les freres
di cosidondades contre les freres, & faiſoit répādre à couce heure ce mal-heureuxſang. Ce ſeroit choſe
ces vſurpa- auſſi ennuyeuſe qu'incroyable de vous raconter tous les bouleuerfeines & les reuolu
Icurs .
cions,que cauſa en peu d'années cette fatale diſcorde'; Pour lors deux freres de cette
race,l'vn nõmé Muley Cidan ,l'autre Muley Cheqou Kequi,diſputoient la Courõne
auec la meſme rage . Cidan auoit eſté chaſſé par ſon frere Cheq : puis Cheq àſon cour
auoit eſté vaincu & expulſé parCidan ,l'an 1610. & s'eſtoit refugié en Portugal.Ilauoic
Kequi& ci- vn filsnõmé Abdala, Prince actif & courageux ,qui s'eſtāt retiré dans les mõtagnes de
dan freres
delà le mont Atlastirant vers la terre des Negres,ayoic
s'entrechal. la Prouince de Suz qui eſt par
fent, touſiours fait des courſes & tenté diuerſes entrepriſes, pour auoir ſa reuanche & re
monter dans le chrône.Apres pluſieurs efforts inutiles il s'aduiſa,comme il conneſſoit
les peuples Africains fort ſuperſtitieux & ſocemenkcredules,ſpecialementen matiere
de predi& iõs d'enforger vnc qui les attiraſt à luy , & c les inuitalt à ſe renger ſous ſes en
Abdala fils de ſeignes. Il ſuborne donc quelques Moines Mahometans, de ceux qui eſtoientle plus
Kequiattire dans l'opinion de ſainteté: leſquels premierement firent courir le bruit par leurs dif
les peuples ciples qu'ils enuoyoient deuant eux commeleurs Precurſeurs , Qu'yn certain homme
Prophctie. de fainte vie auoitenmourā laiſſé à vn ſien fils vn tambour de merueilleuſe puillance,
luy
11
Achmet I. Liure dix-neufiéme.

luy recommandanttres-expreſémentdelegarder bien enuclopé ſans ytoucher ; juf- 1612.


qu'à ce qu'vn Prince nominé Abdala challé par l'iniuſtice de ſes propres parens vien .
droit en ce pays- là ; Qu'alors il euſt à le battre'hardimcnt , & qu'au ſon de ce fatal
inſtrument ,le peuple pourroit en ſeureté ſuiure ce Prince , qui par ce moyen termi
neroit les diviſions de l'Eſtat ,& le rendroit plus heureux & plus fcuriſſant queia
mais . Apres qu'ils eurent imbu les eſprits de cette prophetic , ils l'allerent preſcher
eux-meſmes de ville en ville ; & Abdala commença à faire battre ce tambour.D'abord
l'impoſture luy reüſlit fort bien :dans peu de iours il vid groſir ſes troupes ; & la def
faite d'vn des Lieutenans de Cidan , auquel il tua cinq mille hommes en vn combat, Mais elt vaina:
confirma de plus en plus la forte croyance des peuples: mais ſon bon-heur ne dura cu & tué par
Cidan .
pas plus de deux mois ; il fut enuelopé, vaincu & tué par Cidan , qui vint en perſona
ne le combatere auec vne puiſſante armée : ce qui arriva cette année 1612.
Lesannées 1613. & 1614.l'Empire Turc n'eut pasſeulement à demeſler des guerres_1613.
eſtrágeresen Tranſfiluanie & contre le Perſan ,mais auſli de tres -grāds Touſleuemês de VI.
pluſieurs de ſes Prouinces:de ſorte que ſi les Princes Chreſtiens l'euffent puiſſamment
attaqué, ils l'euſſent mis en grande confuſion & fort affebly. Le Perſan ayant refuſé Le Turcatine
de ratifier les conditions de paix que ſon Ambaſſadeur auoit apportées de Conſtan puillamment :

tinople, Achmet eſtoit reſolu del’yobligerpar les armes ; & d'ailleurs ſçachant que
Battory s'eſtoit jetté entre les bras de l'Empereur , il auoit deliberé de le perdre , de

peur de perdre la fouuerainetéqu'il pretendoitſur cette Prouince ;Et pour ce ſujet


il vouloit aſiſter hautement Betlin Gabor, que les tyrannies de Batrory , & auec cela
l'ambition de regner, auoient porté à implorer ſa prote &tion . Il auoit donc ſur la fin
de l'année precedente lcué vne armée de ſoixante mille hommes , qui cainpoit aux
enuironsde Darut Balla pres de Conſtantinople, où elle fut pres de ſix ſemaines at
tendant ſes ordres , ſans qu'on puſt ſçauoir à quoy il auoit deſſein de l'employer.Sur la
fin de Decembre on la vid filer vers Andrinople ,où il ſe rendic luy -meſme apres auoir
eſté viſité de tous les Ambaſſadeurs Chreſtiens à Darut , obligeant toute la Cour de
leſuiure , & laiſſant le Balla de la mer dans Conſtantinople , pour y commander en
fon abſence .

Lapremiere choſe qu'il fic à ſon arriuée dans Andrinople , ce fut vne reueưë gene. Enuoye partie
rale de ſon armée , de laquelle il tira quatre mille chcuaux & douze mille Ianiſlaires de fon armée
pour allerioindre Berlin Gabor, ſous la conduite de Sandar Baffa contre Battory . Il Gaborcontre
manda en ſuite à Ogly Balla d'entrer auec ſon armée dans la meſme Prouince du coſté Battory.
de la Walachie : Apres il enuoya vn Chaoux faire compliment à l'Empereur de ſon
elc & ion , aucc vne lettre qu'il euſt à luy quitter les bourgs & villages qui releuoienė
de Gran , & à renoncer à tous les droits qu'il pretendoit ſur la Tranſliluanie; & donna Eſcrit l'Ema
à
ordre au Baffa de Bude d'eſcrire ſur le meſme ſujer à George Turſo Palatin de Hon pereur , pout
grie , que l'Empereur feroit beaucoup micux d'y conſeruer la paix , & de renoncer fexhorter à
à ſes pretentions ſur la Tranſſiluanie que de faire répandrele fang de tant de peuples pair
sardei
. la
innocens.

Sandar Baſſa s'eſtantioint à Berlin Gabor paſſa Gene & Lippe , contre l'ordinaire
des Turcs , qui n'ont pas accouſtume de laiſier de forces places derriere eux , força
Lugatzy & trauerfa tous les faſcheux chemins qu'on nomme la porte ferrée,tandis Progrez du
que Gabor s'emparoit de Dcue . Ogly de l'autre coſté qui auoit ſurmonté les monta- Baffa
& de Sandar
gnes de Walachie & de Tranſiluanie auec trois mille Ianiſſaires , deffic les Cicules en Tranſil

commis à la garde des paſſages, & deſcendit dans les contrées de Berſac & de Crom- uanie .
ſtad . La plus grande part des Tranſſiluains eſtonnez ou reſidüys de ces progrez pri
rent le party de Gabor , & Battory ſe trouuant lifeble qu'il n'eſtoit pas en ſeurece de
l'autre coté de la riuiere de Marues , ſe retira dans Varadin pour y attendre le ſecours
que l'Empereur luy enuoyoit ,ſous la conduite du Palatin & de Fortgali ; & au mel
me temps il enuoya faire des leuées à Trinau & aux enuirons, pour renforcer ſes trou- Battory ſe
pes : mais perſonne ne s'y voulut enrooller , tant il eſtoit hay. Quant au ſecours de trouvā feble
ſe refierre dás
l'Empereur il ne manquapas de venir , mais il luy fut tres -funeſte,comme le ſont ceux Varadin , &
que donnent les puiſſans Princes à leurs febles voiſins;fpecialement ceux de la maiſon implore lefe.
d'Auſtriche , qui ne les aſſiſtent le plus ſouuent que pour avoir fujet eux -meſines cours de
l'Empereur
de les opprimer . Ce qui luy reſtoit d'amis , luy repreſentoit ces inconueniens & luy

conſeilloit d'achepter pluſtoſt la paix du Baſſa , en luy donnant pour gages de la


foy quelques places fortes qu'il demandoit : Gabor meſme luy offroit, moyennane
Bij
12 Hiſtoire des Turcs ,

cela ,des'accommoder auecque luy; tellement qu'il preſtoit l'oreille à ces propoſitions,
1613 .
& ſans doute que l'inſolence deForgatſi l'euftbien -coſtforcé à y confentir. Car il luy
enuoya dire par Nicolas Abbafi gouuerneur de Tokay, qu'il falloit qu'il receuſt gar
niſon Imperiale dans Varadin , s'imaginant que la deſtreſſe où eſtoit ce mal-heureux
luy feroit accepter toutes ſortes de conditions: mais il ne s'y pouuoit nullement re
Coſecours ſoudre, pource que c'eſtoit la ſeule place qui le puſt mettre à couuerc dans l'extremité .
fon malheur? Comme ils l'en preſſoient donc, pour ainſi dire , le poignard ſur la gorge , il ſe reſolut
car les impe- d'entrer en traité auec le Baſſa; & les Imperiaux ayant découuert cette negociacion,
nent , l'adaffi- complorerét entr'eux de l'enempeſcher, non point en deſiſtantde le tyranniſer, mais
riaux
en comblant leur tyrannie d'vn horrible meurtre , qu'ils croyoient leur deuoir faire
ouurir les portes dc Varadin.Vniour que ce miſerable Prince reuenoit de voir le lo
gement de ſon armée , eſtane luy deuxiéme dans ſon carroſſe, Abbafi le fic tuer à coups
de mouſquet par cinquante hommes qu'il auoit mis en embuſcade ſur le chemin . Ils

ne recueillirent pourtant pas de cét aſſaſſinat le fruit qu'ils s'en eſtoient promis , au
kucun fruit de contraircils exciterene dauantage l'indignation des Seigneurs du pays, & la haine des
cette meſchá: peuples. Ceux de Varadin enuoyerent leur gouuerneur André Gierzy vers Gabor
ceté,la Tranſ
ſiluanie ſe tém l'aſſeurer qu'ils ſe rengeoient fous ſon obeïſſance : & toutes les autres villes firent de
geant ſous l'o- meſme ; tellement que le Baſſa le voyant reconnu par la meilleure part des Tranſil .
Beillance de uains , l'inueſtit de cette Principauté au nom du grand Seigneur.
Gabor,
Ce fuţ à la teſte de l'armée que ſe fitcette ceremonie , où l'on dit que le Baſſa pour
l'aduertir de ſon deuoir , luy parla de cette ſorte. Sa Hauteffe eftant aſſeurée de ton affe

etion à ſonferuice , & de ta capacité pour gouverner les peuples Tranſiluains ſes ſujets,

ſelon ſes intentions, & ſelon les regles de la Iuſtice, veut que tu ſois élevé à cette Princi
que ficleBalla pauté, & ilnedoutepoint qu'ils te reçoiuent pourleur Duc,
puis qu'il le deſire & qu'il l'or
a Gabor , en donne. Souuien toy donc Betlin ,que c'eſt de ſá ſeule puiſſance que tu tiens cette grace ,& prend
l'inſtalane dās
. garde à en yfer touſiours de telle forte que tu ne te rendes pas indigne de l'honneur defapro
tection. Si tu compares la puiſſance de l'Empire Othoman auec celle de l'Empire d'Allema
gne, & ſitu as toujours deuant les yeux le traitement qu'à fait la maiſon d' Auftrichean
mal-heureux Battory, auec la faueur que tu reçois aujourd'huy de la Hauteſſe, tu ſçauras
bien ceux qu'il fait bon avoir pour ansis ou pour ennemis. Ne te laiſſe pas tromper au pre

texte de la Religion auec lequel on s'efforcera de te rendre ingrat & pariure: fxy le meſme
traitement à tes ſujets,que tu veux que ton Sonuerain te face. Il n'y a point de moyen
qui affermiſſe tant vne domination , que la Iuſtice ; Rien qui la renuerſe ſitoſi que la cruauté.
Toutes les puiſſances du monde ne ſont pasaſſez fortes pour maintenir un meſchantdir
iuſte Prince : la fin en eſt touſiours ſanglante & pareille à ſa vie. Tu ſçais quelle a eſté celle
de Battory ; ew jitu veux viure & regner heureuſement,tun'as qu'à faire tout le contraire
de ce qu'il a fait.
Incontinent apres Betlin aſſembla les Eſtats qui l'eſleurent, à condition d'impetrer
Duc par les vne nouuelleconfirmation du grand Seigneur, laquelle ayant obtenuë : il rendità la
Eſtats ,
Tranſſiluanie en moins de quarantejours la paix qu'elle n'attendoit que d'vne lon
gue guerre . Le Baſſa de Bude s'eſtant retiré à Temiſwar, y pritſon quartier d'hyuer:
mais depeur de donner jalouſie aux Hongrois , il enuoya direà leur Palatin qu'il
n'eſtoit venu là à d'autre deſſein que pour maintenir la paix dans la Tranſiluanie , &

qu'il ne commettroit aucune hoſtilité.Neantmoins ſes troupes ne laiſſerent pas de


faire quelques courſes dans la Hongrie , d'y prendre des priſonniers, & d'y bruſler
quatre ou cinq bourgs & chaſteaux : ce qu'il falut que le Palatin diſſimulaſt, pource
qu'il n'eſtoit pas en eſtat de s'en reſſentir.

La reconneſſance que Betlin & les Eſtats de Tranſliluanie venoient de rendre au


Accommode grand Seigneur , luy faiſant croire qu'elle coupoit broche aux pretentions de l'Em
ment entre les
Polonnois & pereur, il tournaſes penſées à s'aſſeurer auſſi dela Moldauie . Pour cét effecil deputa 2
le Turc , pour vn Chaoux vers le Roy de Pologne, qui luy propoſa la continuation de la paix aux
de Moldauic . condicions qu'il ne ſe meſleroit point dans les guerres de cerce Prouince . Sigif
mond ayant tres-volontiers accepté cette condition, renuoya le Chaouxauec vn pre
fent de ſoixante mille eſcus. Le Sultan eſtoit encor à Andrinople, où il paſſa la plus
grande partie de l'Eſté , prenant le pretexte de ſon long ſeiour en cette ville-là ſur la
Achmer re- peſte qui eſtoit touſiours fort cruelle à Conſtantinople : mais on tiene que ſon deſſein
tourncà Con eſtoit de continuer la guerre en Europe , files affaires d'Aſie dont nous parlerons tout
Nantinople: à cette heure , nel'cuſfent obligé de retourner en halte à Conſtantinople. Il y fic
vac

/
Achmet I. Liure dix - neufiéme. 13

vne magnifique entrée auec deux de ſes enfans, dont l'aiſné n'auoit que ſept ans . 11 1613 .
eſtoit accompagné des plus grands de la Porte , gardé par trente mille Ianiſfaires, &
par tout où il paſſoit les Talilmans faiſoient des ſacrifices de bæufs & de moutons,
qu'ils departoient apres à tout le peuple .
Auant quede parler desaffaires d'Alie ,nous verron sl'heureuſe entrepriſe des ga VII .
leres de Florence ſur la fortereſſe d' Agliman . Legrand Duc Corme de Medicis ne Braue exploit
pouuant plus ſouffrir le trophée de quarante teſtes de Florentins dreſlé ſur ses mu- ala priſe d'as
railles par les Turcs , reſolut de venger l'affront fait à ces braues hommes, que l'igno - gliman dans
rance du Capitaine de leur vaiſſeau pluſtoſt que leur laſcheté ny le ſort de la guerre, la Caramanie ,.
auoit mal-heureuſement fait tomber entre les mains de ces Barbares . Pour céceffet il
donna ordre à ſon Admiral Ingherramy d'equipper ſixgaleres, & d'y faire entrer ſix
compagnics commandées par lulio de Canty dic Montaur , General de terre . D.Pe
tro de Medicis , & grand nombre de Gentils - hommes , auec quarante Cheualiers de Auenturiers
S. Eſtienne , voulurent eſtre de la partic : auſquels, comme les galeres paſlerent à François dans
Ciuita Vecchia , ſeioignirent pluſieurs auenturiers François , dont lesplus remarqua- tion,
bles eſtoient, le Comte de Candale , Cipierre , Themines, Montberaut , de Vic , de la
Tour & fon frere, Villandré , la Boiſſiere , Vernegue,la Mothe Magnac , du Pleſſis,
Montplaiſir , d'Auenes, Loyeres , Deltour , & Saint Cyr.
Les galeres s'eſtant rafraiſchies & munies à Mellinë' de tout ce qui leur pouuoit Leurs galeres
manquer pour l'entrepriſe , apres auoir quelque temps couru l'Archipel ſansy faire partent de
capture qui valuſt, furent pour ſurprendre Gerande; où le General de l'armée ayant Melline ,pren
nent ſur leur
fait faire les approches à la faueur de la nuit trouua que les habitans qui apprehen: route trois
doient leur arriuée , en eſtoient forcis pres d'un mois auparauant. Mais des lc len- vaiſſeaux
Turcs .
demain , preſque auſſi-coſt qu'il eur fait remonter ſesgens ſur le vaiſſeau , il rencontra
ſur ſa route trois Chanquis ou vaiſſeaux de la groſſeur des caramouflals; & au delà
de Namar place que les Florentins auoient autrefois ruinée , non loin d'Agliman , il
attrappa vn vaiſſeau de la grandeur de ceux que les Turcs appellent Grippe; duquel
il apprit que la fortereſſe eſtoit fournie au dedans de quantité d'hommes & de mu . Apprenner
nitions, qu'elle eſtoit gardécau dehors de quatre cens cheuaux, & qu'il y auoitdeux in the line.de
galeres de Cypre qui venoient d'apporter le tribut de deux cens mille eſcus: lequel par vne forte
on deuoit porterdelà ſur des chameaux à Conſtantinople , & qu'vn deces vaiſſeaux de garniſon.
uoit aller le lendemain querir vn maſt de nauire à Pappadule. L'Admiral fans perdre
temps prit le deuant , & mit ſes galeres à l'abry de l'inc :mais il ne ſccut ſi bien ſe Vne galere
cacher que la ſentinelle qu'il auoit enuoyée pour aduertir quand la galere paſſeroit, découvre se
en va donner
luy vint dire qu'elle faiſoit largue & retournoit en grande diligence vers Agliman ,
Cette découuerte , & les diuerſes opinions ſur les rapports qu'on venoit de faire, adurs à Aglis
donnerent beaucoup àpenſer à l’Admirals'il deuoit continuer ſon entrepriſe.Neant
moins il fut refolu de paſſer outre , & qu'il faloit ſe reſſerrer dans le port Caualier & y
attendre l'heure la plus commode de la nuit pour debarquer . La felouque quicſtoit
allé reconnoiſtre rapporta que les murailles eſtoient toutes bordées degensde guer
re, qu'il y auoit pluſieurs vaiſſeaux dans le port , & que la caualerie faiſoit la patrouille
auxenuirons de la place . Cette nouuelle le fit encor douter s'il deuoit s’auancer, mais Nonobſtanc
enfin eſtant encouragé par ces genereux auenturiers, il fut aborder à demie lieuëd'A- celails conti

gliman , & fit ſon debarquement deuant les ſix heures du matin. Les Seigneurs de delicin.
Montaut , & de Candale , qui eſtoient deſcendus des premierspouraller reconnoi
ſtre, ayant apperceula caualerie ennemie retournerent au gros de leurs troupes , del
1
quelles on laiſſa ſeulement vingt hommes pour garder chaque galere.
Agliman eſt ſur les coſtes de la Caramanie non loin de la ville de Seleucie, baſty Deſcription
fur vne colline qui regarde le Midy . Il prend depuis le haut juſqu'au bord de la de la forteref
mer , & eſt conſtruit en ouale : la partie la pluséleuée en cſt
oppoſé au Nord, & la plus re d'Agliman ,
baſſe au Sud . Les murs hauts de cinq coiſes, & larges d'vne , fonc de pierre à chaux &
à ſable: vnc muraille diuiſe la place en deux parties inégales du Leuant au Couchant,
dont la plus petite ſert de reduit à la plus grande . La porte eſt au milieu . Dans touc
le circuit il y a huit tours entieres & trois demies , les entieres ſont de cinq iſes
en quarré pour chaque coſté, & les demies ont yn coſté de la melme grandeur , &
l'autre moindre de la moitié . Celle qui eſt à la pointe de la colline ſurpaſſe de huit
pieds les autres, qui ne ſont qu'à la hauteur des murs . Elle eſtoit gardée par plusde Nombre de
trbis cens ſoldats Turcs, & bien fournic de viures, de munitions de guerre , & de la gasnilon,
в iij
Hiſtoire des Turcs ,
14

1613. pluſieurs groſſes pieces de canon , outre cent cheuaux quila defendoient au dehors ,
& cent cinquante hommes de guerre qu'ils auoiene mis dans deux galeres, vn cara
mouſſal & yn brigantin Grec , pour retirer cous les rameurs dans la fortereſſe.

Pour l'attaquer l'Admiral diuiſa ſes gens en quatre croupes ſous le General Mon
taut , & le Sergenc Maior Alexandre de Tarente. Le Comte de Candale qui con

Ordre des duiſoit la premiere eut ordre de petarder la porce principale , & apres celle de re
aſſaillans. traite : le Commiſſaire Lenzony chef de la ſeconde bande deuoit eſcalader la tour

d'enhaut : la troiſiéme auoit les eſchelles pour donner du coſté de la mer ; & la der
nicre eſtoit pour attaquer les vaiſſeaux..
Le Comte deCandale ſans s'eſtonner d'un corps.de-garde auancé des Turcs à pied
& à cheual , pourſuiuit ſon chemin vers la place: à cent pas de laquelle ceux de de
dans enuoyerent au deuant vnc furicuſe de chargede mouſquets : ceux de la monta
gne , luy cirerenç en flanc, & ceux des vaiſſeaux par derriere , auec des hurlemens ſi

& grands de cous les coſtez , qu'ils donnerent l'eſpouuente à la pluſparc de ſes gens, &
conduite dų entr'autres auxmariniers, quiietterent les petards par terre pour s'enfuir.Mais Mont
Comte de
berault & le Tiel les ayant ramaſſez , il paſſa outre & repouſſa vingt Turcs qui fai
Candale, qui ſoient mine de l'attendre à quinze pas de la forcereſſe , ou penſant entrer pelle-meſle
porte le pe
tard , auec eux , ilalla juſqu'à la porte qu'on ferma pluſtoſt qu'il n'y pût arriuer. De façon
qu'il mit ſes ouuriers en belongne pour poſer le pecard , & les Turcs de leur coſté les
chargerent ſi rudement de coups de pierre qu'ils en cuercnt quelques vns & çn bleſſc
rent pluſieurs, entr'autres D. Pierre de Medicis qui ayant voulu eſtre de la partie,
tomba demy mort ſous vne greſle de cailloux.
Tandis que le Comte trauailloit ainſi à ſon petard , Alexandre de Tarente lay

Repouffe les vint dire qu'vn gros d'enuiron trois cens mouſquecaires accouroit fondre ſur luy ; tel
cnncmis.
lement que prenant vne partie de la troupe , il s'en alla luy faire teſte ; c'eſtoient les
ennemis des vaiſſeaux ſorcis par la mauuaiſe garde de la compagnie qui les dcuoit
cmpeſcher de deſcendre. Mais comme ils virent la reſolution du Comte ils prireng
le chemin de la colline , tirant comme gens qui combattent en retraite , pour ſe ioin ,
dre à leur caualerie , quilesy attendoit.
Le Comtefans s'amuſer à cette diuerſion nyà lespourſuiure,retourna à ſon petard ,
que Giſcar fit jouer à meline temps qu'il fut arriué. Si bien que l'ouuerture ſe crou
Fait jouer ſon uant raiſonnable pour entrer trois hommes de front, le Comte ſauca le premier &
petard
ne ,&bre
par la do-
ſs courut auec ſes gens poſer l'autre pecard à la porte de la retraite , où il reüllitaufli
chc. • heureuſement qu'à la premiere ; & autii -toſt ſans donner loiſir aux Turcs de ſe recon

noiſtre du grand eſtourdiſſement que ces breſches leur auoient donné , illes pourſui
uit juſques dans les barricades , ſur les murailles & dans les tours , où ils s'enfuyoient
de tous coſtez. La bande qui portoir les eſchelles fit ſes approches à trauers les
mouſquecades, & vne grelle de feiches & de gros cailloux , & les planta au premier
coup de petard : mais l’eſchelle, de ceux qui donnoient du colté de Midy ,' s'eſtano
Vne autre rompuë ils accoururent au ſecours des autres du coſté du Couchant que la caualerie
berdeheliste Turque empeſchoit de monter ſur la leur, prirent ſa cornette, la mirent en delroute,
ausmurailles,& redreſſant l'autre eſchelle monterent ſur la muraille , où ils attaquerent les tours
de viue force .

Quant à Lenzony il ne pût arriuer à la tour d'enhaut qu’apres que le petard eut
joué, tellement que la pluſpart des Turcs qui s'y eſtoient refugiez au bruit , luy fi
Lenzony eſt rent ſi grande reliſtance, outre la caualerie & les ſoldats accourus des vaiſſeaux qui
Qué,
le choquoient rudement, qu'apres auoir drefré ſes eſchelles par trois fois, il fut con
traint auec tous les Cheualiers qui eſtoient de la troupe , d'aller ioindre le Comte
de Candale : mais comme il diſpoſoit les gens , il receut deux coups de mouſquet,
donc il mourut ſur le champ . La derniere troupe fut bien - coſt maiſtreſſe des galeres
que les gens de guerre venoient d'abandonner. Si bien qu'Ingherramyeſtant venu
au ſignal recint les deux galeres Turques , & donna la liberté aux autres vaiſſeaux,
parce qu'ils eſtoient Grecs.

Dans la place le combat s'opiniaſtra de part & d'autre plus de quatre heures . Les
Combar fort Turcs auoient le deſeſpoir & l'aduantage des lieux , & les Chreſtiens l’eſperance & la
les murailles. valeur : à meſure que ceux-cy s'eſchauffoient, les autres deuenoient plus tiedes, &
furent enfin contrains de ſe laiſſer cuer , ou de ſe rendre . Ils perdirent deux cens hom
mes dansle combat , & les Florentins quarante ou cinquante , du nombre deſquels ſe
trouuereng
Achmet I. Liure dix -neufiéme. 15

trouuerent la Boiſſiere,la Vergne & Vilandré;mais il y en cut cinquante -cinq bleſſoz, 16132

dont de Vic entre les François receut deux coups de mouſquet à travers la cuiſſe.
Il y eut trois cens Turcs faitseſclaues,deux cens quarante- quatre Chreſtiens misen . A la fin les
liberté : le trophée des teſtes de Florentins futabatu, lesmaiſons brûlées , l'artillerie Turcs ſong
& les munitions,auec vn grand butin enleuées , les deux galeres emmenées , & la for- vaincus & fe
tereſſe qui ſeruoit de port & mettoit à couuert la ville de Seleucie , renduë inutile .
Ainſi l'Admiral triamphant de ces faiſeurs de trophées,reprit la route de l'Europe : Butin quo
il rencontra en chemin vn caramouſſal, qui par imprudence vine donner au milieu font les Flos
rentins .
de la fotte , comme dans vn filet. Il ſe defendit auec vne telle furie qu'il bleſſa plus de
quatre - vingts Chreſtiens : à la fin il fut forcéde ſe rendre , mais la fortune meſme le
vengea . Carcomme les vainqueurs s'y eſtoient iettez à la foule , il s'entr’ouurit tout prennent plu :

à coup & fit perir tous ceux qui eſtoient dedans. Le regrer de cette perte fut effacé ſcaux Turcs
en s'en res
par la priſe de cinq ou fix autres vaiſſeaux qu'ils prirent à diucrſes fois , & qu'ils
tournant,
emmenerent avec les deux galeres à Liuourne ; où l'Admiral & les Seigneurs qui
l'auoient ſujuy reccurent de grands honneursdu Duc pour vn ſiglorieux voyage .
V :n mois apres les galeres de Sicile firent vne priſe auſſi heureuſe, quoy qu'auec
moins de bazard. Le douziéme d'Aouft O &auc d'Arragon qui en eſtoic General , en Heureuſe pri
ayant tiré huit bien armées du port de Palerme pour chercher aduanture , apprit dans le faite ſur les
Turcs par les
l'ine de Cerigo que le Baſſa de la mer eſtoit party de Conſtantinople auec trente ga galeres de si
leres pour venir à Negrepont , où ily en auoit deſia ſoixante autres qui l'attendoient: čile, comman
de plus , que les galeres de Rhodes s'equipoient pour leioindre , & que toute cette dées paro & a
uc d'Arragon
grande armée deuoit prendre la route de la Surie , pour y dompter les rebelles dont
nous parlerons tout à cette heure . Il ne laiſſa pas pour cela de continuer la route iul
qu'aux Iſles de Nacarie , où la rencontre d'vn vaiſſeau Grecluy apprit que le Baſſa de
la mer enuoyoit douze galeres à Rhodes, pour remorquer quelques vaiſſeaux de la
flotte qui venoit d'Alexandrie par le canal de Samos . Sur cét aduis
Sur cét aduis ayant tenu con
ſeil'auec ſes Capitaines, il reſolut de ne pasmanquer cette occaſion , & s'aduançant 11 apprand
preſque toute la nuit à couuert des riues de la terre ferme de la Natolie , vſa de telle que dis gale.
diligence qu'il arriua à trois heures apres minuit au cap de Coruo à vingt milles de les Turques
Chio. Comme il auoit enuoyévne felouque pour faire la deſcouuerte , il aperceut Rhodes,
luy-meſme à deux milles delà les galeres Turques, qui n'eſtoient que dix , pource
que celuy qui les commandoit en auoit enuoyé deuxvers l'Ille deċhio.Cette veuë lo
reſioüiſfant, il diſpoſa ſes gensau combat, & fic telle force de rames qu'à Soleil leué
il ſe trouua tout autour de ces vaiſſeaux , & les inueſtit. Apres qu'il les eut furieuſe
ment falüez à coups de canon , il ne tarda point d'en venir aux mains , & chacune de
ſes galeres taſcha de ſe prendre à quelqu'vne des ennemis . Le plus grand combat fut
entre la ſienne, & celle du Bey qui portoit l'eſtendard. Les Eſpagnols ayans ſauté de

dans,y furent courageuſement receus: le chamaillis commença àla proüe, à grands presceltone
coups de haches & decimeterres,qui en eſtendirer ſur la place plus de cent cinquante
.
de part & d'autre : à la fin les Eſpagnols y eſtans demcurez vainqucurs paſſerent à la
poupe , où le Bey ne fit pas grande reſiſtance & ſe rendit . Les autres galeres Turques
ſe defendirent ,les vnes allez bien , les autres fort mal , & les Chreſtieones les atta
querent ſi furieuſement qu'elles en prirent cinq en pleine mer ,tou's grands vaiſſeaux
portans fanal, & deux autres qui s'eſtoient rengées contre les riues. Ceux qui eſtoient
dedans s'eſtant fauuez à'terre, apres auoir eſtropić vne partie de la chiourme;les trois en prend cinq
autres gagnerent le deuant & leur eſchapperent. Le butin qu'ils trouuerent dans en pleine mer,
& deux com
celles qu'ils auoient priſes fut eſtimé à deux cens millefrancs, ſans compter les eſcla tre terre .
wes, Ils deliurerent plus de mille Chreſtiens qui eſtoicnt à la chaiſne , & mirent les
Turcs en leur place ; changement ordinaire en cesrencontres là , où ſouucnt celuy qui
vient d'eſtre enchaiſné a le plaiſir d'enchaiſner peu apres ſon ennemy. Il ne garde
Butin & prig
rent de priſonniers pour en auoir rançon , que les plus remarquables qui la pouuoicnt fonniers
payer fort bonne; Entr'autres le Beyou chef de cét eſquadre, nomine Sinan , Bey de
Grignan dans l'Iſle de Chipre , le Bey d'Alexandrie fils de ce Pialy Baſſa qui auoit
eſté deffait à la fameuſe bataille de Lepanthe , & cinq Rais ou Capitaines de galeres,
auec quelques Patrons .
Lesrebellesd'Aſie qui cette année interrompirent tous les deſſeins du grand Sei- VIII.
gneur , cſtoient deux partis , l'vn ſuſcité par le Baſſa Nafſuf , qui pour de certains deDeux
rebellpartis
es en
meſcontentcmens ſecrets, ou par yne ambition déreglée, auoit conceu le defir de fe ARE

1
16 Hiſtoire des Turcs,

1613 rendre abſolu dans la Meſopotamic & autres Prouinces plus éloignées voiſines du
Perſan , auec lequel il auoit tramé quelque intelligence depuis vn an ou deux . L'au
Celuy d'Emir tre party eſtoit de l’Emir * Fecchredin , vulgairement dit Facardin Prince des Drus,
Facardin Prin- quimeditoitde ſe rendre maiſtre de la Syrie & autres pays qui auoiſinent les Arabes.
ce des Drus . Les Drus ſont vn peuple de la Syrie , ſe diſant deſcendus des reſtes des Chreſtiens
* EmirFerchre Francs qui auoient autresfois conquis cespays-là, comme en effet ils ont encore quel
din fignifie que ceinture du Chriſtianiſme. Ils n'en ont pourtant aucun exercice , & ils igno
Prince
la Foy . gloirede rent les principaux poin&s de cette Religion ; mais ils ne ſe ſont iamais ſoüillez des
ſuperſtitions & impierez du Mahomctiſme, & ſont comme vne table raſe où l'on
pourroit facilement imprimer le charactere de la vraye Foy ; Au reſte fort vaillans &
Quellespeuple qui tiennent encore un peu des qualitez des Francs , mais pour auoir manqué d'inſtru
& tion & de bons chefs, tant pour la police que pourla Religion ,ils ont ainli degeneré
auec le temps. Cét Emir contoit qu'il eſtoit iſſu de la race de Godefroy de Buillon ,
( licela eſtoit vray , il faudroit que ce fut de quelqu'vn desparens de ce grand Ca
pitaine ,car nos Hiſtoires ne marquent point qu'il ait laiſſé aucunsenfans ; ) Que lors
defcendusdes que les Sarraſins auoient exterminé les Chreſtiens de la Terre fainte , vn Prince de
Chreſtiens, & les ayeux auec vne troupe des plus reſolus s'eſtoit retiré dans les deſerts de l'Arabie,
Facardin de où ils s'eſtoient maintenus quelque temps des courſes qu'ils faiſoient ſurles enne
Godefroy de
Buillon . mis , & que peu à peu ayant regagné pays ils s'habituerent vers la ſource du fleuue
Jourdain dans la haute Galilée pres lemont Liban , contrée qui eſt appellée des Ara

bes Blaide Druſi, d'où ils ont pris le nom de Druſi ou de Drus; Que comme ils de
meurerent fans Preſtres, ils perdirent l'exercice de la Religion , viuans comme les
Arabes & payans pareil tribut qu'eux aux Sultans d'Egypte, afin qu'ils leur permiſ
ſent de cultiuer les terres & de jouir paiſiblement de ce qu'ils occupoient ; Que les
Comme ils ſe deſcendans de ce Prince conferuans touſiours les ſentimens du Chriſtianiſme dans
en Galilée & leurame,n'auoientpoint d'autre but que de recouurer la Terre ſainte , & exterminer
Phenicic , les Sarraſins qui l'auoient enuahie, & que pour céteffet ils eſtendoient peu à peu leur
domination dans la Galiléc & la Phenicic. Quoy qu'il en ſoit ,ils s'eſtablirent pre
mierement dans la ville de Barur , qu'ils rebaſtirent & repeuplerent: puis ils s'empa

rerent de Sidon qui eſtoit preſque toute deſerte, en releuerent le chaſteau & les mu
railles, & rappellerent à ce port le commerce des vaiſſeaux de l'Europe. Facardin y
fit auſſi baſtir vn eſpece de reduit qu'ils nomment Cam , où il y a pres de cent cham
Facardin for .
tific Sidon . bres & de fort beaux magaſins, où les marchands Chreſtiens ſont logez conmode
ment & en ſeureté ; Et le loin qu'il prit de cette ville fut cauſe qu'elle ſe remplic in
continent de Mores , Grecs & Juifs, que la facilité du trafic , & la fertilité du cerroir,
iointes auec la liberté de Religion y attirerent en grand nombre .
Son courage deſireux de gloire ,neſe bornant pas dans les limites d'vne ſi petite

ſouueraineté, illeua yne armée de douze à quinzemille hõmes,aueclaquelle il s'aſſeu


S'empate de
pluſieurs pla ra de quantité de petites places que tenoicntles autres Emirs & Baffats ſes voiſins;pro
ces ſur les reſtant toûjours qu'il eſtoit tres-humble vaſſaldu grād Seigneur, & qu'il ne trauailloit
Ballats, en cela que pour la ſeureté des ſujets de la Hauteſſe , ne le ſaiſiſſant de ces villes que

pour faire teſte , diſoit-il, aux Arabes de la campagnc, & empeſcher les brigandages
qu'ils cómetroient tous les iours dans ces contrées.Les peuples deliurez par ce moyen
de la crainte de ces voleurs , en eſtoient fort aiſes & le reueroiét côme leur liberateur,

luy payant volõtiers les meſmes contributions qu'ils auoiét accouſtumede payer aux
peuples autres Emirs . Mais ces Emirs & les Baſſats de Damas & de Tripoly piquez de jalouſie
Les
en some bien- & d'intereſt ne le purent ſouffrir, & armerent contre luy ; puis ayant eſté batcus en
aiſes :mais les diuerſes rencontres, en firent leurs plaintes au grand Seigneur, l'accuſans de rebel
plaignent à la lion , & adjouſtans qu'il eſtoit infra &teur de la loy deMahomet, & amy des Chreſtiens
Lorte. Occidentaux . Les amis quc Facardin auoit à la Porte & qu'il y entretenoit à force

d'argent, employerent leur credit pour parer ce coup , & adoucirent pour quelque
temps la cholere du grand Seigneur:mais ces plaintes redoublant , & le grand Vizir
faute d'auoir eu en la part d'auſſi beaux preſens qu'ilen eſperoit, s'eſtāt rengé du coſté
Legrand Sci- des Baſſacs le grand Seigneur fut enfin porté à luy faire la guerre . Facardin n'oublia

gneur le fait rien de tous les deuoirs & fourmilliósqu'ilcrût capables de deſtourner cécorage:mais
atta quer par
mer 8c par toutes ſes remonſtrances furent inutiles ; le grand Seigneur fit armer ſoixante galeres
Ictrc, & preſque autant de vaiſſeaux ronds pour l'attaquer , & commanda au Baſſa de Da

mas de l'inucftir par terre auec yne armée de trente mille hommes, Comme il eut
noyuelles
.
Achmet I. Liure dix - neufiéme. 17
-

nouuelles aſſeurées de ces preparatifs & qu'ilſe vid tropfeble contre de li grandes 16izi
forces , ſçachant bien que l'on en vouloit plus à la perſonne qu'à ſon petit Eſtat,
il pric vn ſage confeil qui fut de fauuer ſa perſonne, & de laiſſer tenter la premiere
fortune à ſon fils Aly , auquel il laiſſoit ordre de faire ſon accommodement, apres 11 quitte fon
qu'il auroit monſtré àſesennemis qu'il ne manquoit pas de courage ny de forcespour pays et
ſe maintenir ,afin qu'ils fuſſent obligez de luy accorder des conditions advantageuſes laillant les
que n'ont point accouftuméd'obtenir, ceux quifefchiſſentlaſchement à la premiere fils Estats à ſon
ailné.
attaque . Il fit donc equiper trois vaiſſeaux,dont il y en auoityndeFrance : ſur lequel
s'eſtant embarqué auec quatre femmes, dix enfans, ſoixante -dix domeſtiques , &
quatorze mille liuresd'or , il s'en alla aborder droit à Ligourne , & dolàà Florence. 4710
‫ بنر‬. ‫درزی‬
Il fit preſent à la Ducheſſe de deux bagues eſtimées ſix mille eſcus piece ; & d'on cou
telas enrichyd'or & de pierreries au grand Duc , qui lc teceut honorablement, & fa
inonſtra fort reconncſſant des bons officesqu'il auoit rendus aux Florencins qui cous
roient la mer du Leuant. 1,)
Les Baſſas eſtans donc entrez dansla Syrie aſſieġerent Saïd , jadis Sidon : mais Les Baitas ac .
les autres rebelles accourus au ſecours du fils de Facardin , les chargerent ſi rude- taguentacon
ment qu'ils les contraignirent de leuer le liege , & mirent coute leur armée en def- fils , qui les
route . Toutefois lors qu'Aly eur ainſi teſmoigné ſa puiſſance & ſon courage, ſelon fait son anco
les ordres de fon pere , il fit entendre qu'il eſtoit preſt d'obeïr au' grand Seigneur, commode
pourucu qu'il luy laiſſaſt les meſmes terres que ſes anceſtres auoient poſſedées ,& à ment ,
de pareilles conditions ; La haine des Baflas n'eſtant animée que contre fon pere , ne
s'oppola pas ſi fort à ſon accommodement : ils ſe contenterent de rayoir les places

qu'il auoit priſes dans leurs gouuernemens , & le grand Seigneur cſcouta affez facile
ment les ſoumillions de ce jeune Prince .

Pour ſe venger de l'affront qu'il auoit reccy en la perſonne du Chaoux à quile Só


phy auoit fait creuer les yeux & couper les bras , il l'auoit voulu prédre au deſpourucu, Legrand Sci
& commandé à Bouſaqua Capitaine Arabed'entrer dans la Perſe aucc ſoixante'mille gneur fait ata
hommes, d'y bruſler, faccager & ruiner tout autant de pays qu'il pourroit. Mais le can par les
Perſan auoit leućen diligence vne grande armée,dont ilauoiedonné le commande Arabes:
mentà Arcomat; c'eſtoit vn homme de fort bas lieu néd'vn pere incercain & d'vne
pauure femme de la ville deCarſot , qui ayant fuiuy les armes premierement en qua
lité de goujat , eſtoit parucnu par tous les degrez de la milice à la charge de General,
dans laquelle le bon -heur accompagnoit preſque touſiours fa conduite. Archomat
ayant donc reconnu les Arabes ,qui la pluſpart eſtoient mal armez & plus propresà la
fuite qu'au combat , ne marchanda point à les charger & alla à eux auec vne librauc Le Perran par
contenance qu'il les ébranla d'abord & les fit reculer. Ils penſerene dans ce deſordre fon General
ſe retirer ſur vn coſtau prochain qui leur euſt cſté fort aduantageux: mais comme ils deffait
Accomat
les
le trouuercnt pris par les Perſes, ils ſe mirent tout à fait en deſroute. Il en fut tué Arabes &
grande quantité par les champs , & plus de la moitié ſonoya en voulant trauerſer vne prend l'ine
de Magna.
riuiere qui eſtoit proche de là. Arcomat pourſuiuant ſa victoire paſſa dans l'Ile de
Magna où il prit Aſcora la ville capitale, & quinze iours apres ſe rendic maiſtre de
toute l'Iſe , qu'il fit fortifier à deſſein dela conſeruer contre les Turcs.
Legrand Seigneur bien eſtomé de ces progrez , fut contraint pour aller au deuant ,
de divertir les deſſeins qu'ilauoit ailleurs. Les affronts qu'il receuoir à toute heure
des Cheualiers deMalthe , qui ſans ceſſerauageoient ſes coſtes & donnoientla chaſſe
à ſes vaiſſeaux iuſqu'à la veuë de Conſtantinople , l'auoient
ſi fort irrité qu'il auoit Le Tutc con
juré de les exterminer ; Et depuis deux ans il trauailloit à dreſſer des preparatifs pour traint d'en
aſlicger Malthe ,ayant aſſemblé plus de ſept cens voiles , & fix -vinges mille homines luy
Joyer contre
l'arm ée 1
choiſis pour ce deſſein , qu'il auoit deſia fait embarquer. Lanouuelle de Perſe l'obli qu'i l auo it
gea de rappeller ces troupes, & de les employer de ce coſté -là. Il en commit la con- deſtinéc con .
tre Malthc.
duite à Mirbellio Baſſa de Damas ,& à Honorat Capitaine Nacolien . Ces Generaux
nt dans l'Aſie mineure , & qu'il
fçachans comme le Sophy auançoit merucilleuſeme
faiſoit tous ſes efforts pour la recouurer ſur le Sulcan , qui la luy auoit vſurpée de
puis quelques années auec d'autres Prouinces ,creurent qu'il n'y auoit point d'autre
moyen de luy faire perdre les grands aduantages qu'il auoit deſia que par le gain d'vne
bataille . Ils la pourſuiuirent donc de telle force , qu'enfin ils ly engagerent :ils ſe
fioient en la valeur & au nombre de leurs gens, mais lesPerſes de beaucoup inégaux
en forces curent recours aux ſtratagemcs , & s'aduiſerent d'vne ruſe qui leur reüllig
Tome II . C
18 Hiſtoire des Turcs ,

1613. auantageuſement .Ils mirentdix mille hommesen embuſcade derriere vn bois, auec
ordre de charger les Turcs en queuë dans le plus fort du combat.Leſignal donné, les
Turcs commencerent la bataille avec grand courage , les Perſes les ſouſtindrenc
Cette
eft armée auec beaucoup d'addreſſe , mais la victoire pencha bien -coſt du cofté des Turcs .
deffaite
de l'embuſcade vid qu'ils ne ſongcoient qu'à la pourſuiure,
par le Sophy , Comme Philiſtrio chef
il ſe ietca tout à coup ſur le bataillon d'Honorat qu'il enfonça & railla en pieces,apres
auoir tué ce General. Alors le Sophyvoyant le deſordre des Turcs fansleur donner
loiſir de ſe reconnoiſtre , pouſſa ſes gens tout au trauers , & les chargea fi viuement,
qu'il y eut encore plus de carnage qu'auparauant : tellement que le Baffa de
qui regagne Damas eſtant faić priſonnier, le reſte delon armée fè ſauua dans les forcereſſes qu'ils
cent licuès de auoient defignées pour leur retraite . Cette bataille reconquit au Perſan les Prouin
pays .
ces de l'Aſie mincure ,fans répandre davantage deſang , & luy donna cent lieuës du
plus beau pays dumonde. Pour le mieux conſerueril voulut tenir la Cour à Baldach
capitale de la Prouince , anciennement appellée Suſe .
Le grand Seigneur qui s'eſtoit promis la victoire ſur l'aſſeurance de ſon armée qu'il
Le Turc fait eſtimoic inuincible , penſa deſeſperer de cette perèe ; & n'ayant point pour lors de
tre luy l'ile forces preſtes pour la reparer aſſez promprcmient ;il ſe feruit de inenées & de pratia
de Magna,qui ques pour troubler les progrez de ſon ennemy . Ilſe mit par ſes intelligences à braſfer
prend pour la reuolce des habitans de l'ile de Magna, leur faiſant croire que Cha Abbas audit
'mé Facfur." deſſein de les rendre eſclaues & de leurfaire abjurer la vraye loy de Mahomct ' ; pour

ſuiure ſes erreurs ; Etpourles aniiner dauantage à fecouer le joug, il leur prontétroit
de leur donner cour le ſecours d'hommes & d'argent qu'ils auroicntbeſoin pour ſe
liberer des mains de ce Tyran . L'Ille de Magna eſtoit fort riche & fort peuplée de
quantité de villes, dont la principale s'appelle Aſcorâ , qui aviot deux lieuës detour
& cinquante mille feux Or les habitans intimidez de cét aduis accepterent les offres
du Turc , & cllcurent ſecrecement pour leur Roy vn certain Facfur homme ruſé &
fourbe, qui auoit grand credit àcauſe qu'il eſtoit d'une des plus nobles races du pays .
Ce.nouucau Roy conduiſit ſi adroitement la trame , qu'auant que les Perſans en
cuſſent le vent il eut coupé la reſte à toutes leurs garniſons, Sc à meſme temps fortifié
quantité de places dans l’INe .
Zrcomat la Sur l'aduis de la reuolte de Facfur , le Sophy mit auſſi-toſt vne groſſe armée ſur
regagne en pied . Il en donna le commandement à Arcomat , lequel y eſtant retourné en dili
de chance to gence , repritdouze villes en dix -neuf jours,& contraignit Facfuir de ſortir de l'Iſle:
fur, mais il laiſſa Aſcota gardée par cinquante mille hommes,partie Turcs & partie habi
tans , ſous le gouuernement de ſa femme. Arcomat ayant reconquis les autres pla
ces vint auſſi-toſt mettre le ſiege deuant celle- là : la conduite & le courage que cette
Dame fic voir à la defenſe de cette villemeriten place dans l'Hiſtoire ; les aſiegeans
Generoſité de meſme auoüoicnt qu'vn grand Capitaine n'euſt pû s'y comporcer auec plus de pru
la femmequi dence ny auec plus de generoſité.Mais commeelle ſceut quele
General de l'armée
d'Alcota:mais qui l'aſſicgcoit s'appelloit Arcomat,qui veut dire en leur languc diſlipe,ſe fouuenant
la rendà cauſe d'vne tradition qu'ils auoient de pere èn fils , & qui eſtoit eſcrite dans leurs liures des
d'vne vielle affaires publiques , que ſi Aſcota ne ſe rendoit à Arcomat ,elle ſeroit arcomacée, c'eſt
prophetic.
à dire diſſipée ; elle la luy remit apres vne honorable capitulation , qui luy fuc fidelle
ment gardée. Le Perſan pour s'aſſeurer mieux à l'aduenir de cette ile y fir baltir des
fortereſſes en diuers endroits ; auſſi luy eſt -clle de tres -grande importance , parce
qu'elle luy rend par an quinze mille eſcus de droit ſur les marchandiſes, ſans les
gabelles du ſel,

Sur les frontieres de cette Iſle il y auoit vne bonne ville appellée Corme , qui auoit
touſiours cõferué la liberté & demeuroit neutre .LePerſan n'y auoit aucun droit que
Arcomat prod
acometeu celuy de la bienſeance,voila pourquoy elle ne ſe tenoit nullement ſur les gardes : mais
Corme. Arcomat prenant pour pretexte qu'elle vouloit receuoir les Turcs , fait marcher en

diligence trois mille hommes armez à la legere qui plantent leurs cſchelles contre
les murailles, & faiſans grand feu de mouſquetades efpouuantent tellement les habi
tans qu'ils ſe rendent à diſcretion , & leur ouúrent les portes.Les victorieux entrent
dedans , prennent ce qu'ils veulent de bucin , & ſe mettent à faire ſi grand chere qu'a
les ha
bicans engor: pres auoir bien beu ils s'endorment: les habitans les voyant en céceſtar, & ayant re
gent la garni- connu qu'il n'y en auoit pas pour leurs ſeruantes, les égorgent tous la nuitmeline.
Lors qu'Arcomat, qui pour lors cſtoic occupé à prendre vn chaſteau dans l'Ile de
Magna,
Achmet I. Liure dix -neufiéme
. 19

Magna , où il donna la liberté aux ſoldats, mais fit pendre les Capitaines Turcs , cut 16 13 .
aduis du maſſacre de ſes gens à Cormc , ilaccourut enflammé de courroux meccrele
fięgedeuant cette ville. Les habitans eſtonnczde ſe voir ſi toſt inueſtis par ce fameux
Capitaine , luy demanderentà capituler la vie ſauue : mais il leur repartir gencreuſe- Il la rafliege,
ment qu'ilne pouuoit la donner à des traiſtres qui l'auoient a merchamment oſtée à paſſe les hom

ceux qui auoient pris leur ville de bonne guerre :de ſorte qu'ayant fait jouer les mi- l'eſpéc, & la
nes quatre iours apres ,il entra dedans ſans grande reſistance , paſſa au fil de l'eſpée rale:
tousleshommes au deſſus de l'aage de quatorze ans , emmena les femmes & les en
fans en ſeruitude , & apres auoir donnéle pillage aux ſoldats, fit raſer la ville .
Cela fait il congedia ſes troupes, penſant auoir mis fin à cette guerre :mais peu apres
ileuc aduis que Facfur qui s'eſtoit refugié à Conſtantinople , reuenoit dans le pays
auec quinze mille hommes , & qu'il n'eſtoit qu'à trois iournées delà . A peine eut-il le Coinme il a
congedié res
loiſir de ramaſſer quatre ou cinq
mille hommes, auec leſquels il ne douta point d'aller troupes Faca
au deuant de luy . Facfur s'eſtoit campé entre la montagne d'Aruacot & le torrent fur reuient
d'Artheſia , où il auoit fait dreiſer vn pont de bois pour paſſer; Derriere cette monta- ave
méec deune ar
Turks
gne il mit quinze cens hommes enembuſc ad e e
ſous la charge d'vn Capicain nommé
Arcofan , qui n'agueres auoic eſté conuerty à la Foy Chreſtienne : car depuis que Cha
Abbas auoit enuoyé des Ambaſſadeurs vers les Princes Chreſtiés pour les vnir contre
les Turcs ,il auoit preſque touſiours des Rcligieux à la ſuite , ſpecialement des Augu
ſtins & des Ieſuites , & leur permettoit de faire exercice de la Rcligion Chreſtienne,
diſſimulant meſme la conuerſion de quelques Seigneurs de ſon pays qui embraſſoient
ſecrerement le Chriſtianiſme par les exhortations de ces bons Peres . Cette émbuſca
de diſpoſée , Arcomat luy -meſme s'aduance vers le torrent , fait jouer quatre petites
pieces d'artillerie ſur les Turcs , & les charge de furie. Son artillerie fait grand eſchec
dans leurs troupes , & de ſa premiere charge il ouure leur premier bataillon : mais auſſi
coſt ils ſe rallient , & leur multitude leur donant courage contre vn li petit nombre, ils
repouſſent Arcomat , qui ſe defendant en retraite , les attire ſubtilement dans le licu
de l'embuſcade. Alors il leur fait tefte, & Arcoſan les charge à l'improuiſte auec tant
de furie qu'il les eſtonne, les rompt & les diſlipe. Apres le premier choc ils ne rendi
Mais eftdere :
rent plus aucun combat ; c'eſtoit à qui ſe fauueroit le premier , ils ſe iettoient tous en chef vaincu
foule ſur le pont : & commcils s'empreſſoientexcremement pour paſſer treſbuchant par vn frata
les vns ſur les autres , ils le chargerent ſi fort qu'il rompir ſous le faix. Il y en eut plus geme,
de deux mille de noyez , & les autres quine purent paſſer furent partie taillez en pie
ces , partie faits eſclaues, & vendus à l'encanaux marchands de Bangala qui en font
trafic. Le Sophy qui eſtoit accouru au ſecours des fiens arriua deux heures apresle
combat, & trouua la victoire enticrement gagnée : mais renduë funeſte par les bler
ſeures mortelles du braue Arcomat , qui n'ayant plus beſoin de l'alliſtance des Chi- Mort d'Asco:
rurgiens, reccut celle des Religieux Chreſtiens qui eſtoient aupres du Roy , & mou- mat .
rut auec de grands ſentimens dc pieté dans cette Religion , dont il faiſoit profeſſion
auſſi bien qu'Arcoſan.
L'année ſuivante le Roy en recompenſe de ſes ſignalez feruices donna ſa charge de
Gouuerneur de Magna à ſon fils , quin'eſtoit encor aagé que de dix -ſept ans. Vn ne- Son fils ho
ueu du Roy nommé Alqueuin , Gouuerneur de la riche Prouince deMoſſal,jaloux Charge par le
de la fortune de ce jeune homme ,& piqué de ce qu'on luy auoit refuſé ce gouuerne- Roy
ment qu'il auoic brigué , ſe reuolta contre ſon oncle , & ſe ligua auec vn autre ſien
parent nommé Cadu , qui alla querir du ſecours chez les Tartares. Mais ces choſes
eſtant purement des affaires de Perſe , ie n'ay pas entrepris d'en traiter , & il me ſuffic
de marquer que cét Alqueuin fuc deffaic par le Roy de Perſe, comme aufli les trou ,
pes que luy amenoit Cadu , & qu'il eut la teſte tranchée .
Enuiron la fin d'Auril de cette meſme année , il arriua dans Conſtantinople , on Furieux ent
ne ſçaitcomment, vn furieuxembrazement qui en moins de rien bruſla plus de deux brazement à
Conſtantino
mille maiſons.Iladuint dans ce deſaſtre ,comme tous les marchans s'empreſſoient de ple.
faire tranſporter leurs marchandiſes pour les garantir du feu ,queNaſluf Baſſa d'Alep
qui paſfoit par là , en ayant apperccu vn auec vne carrabine qui ne penſoit à aucre Exemple de
choſe , finon à cmpeſcher les larrons de ſe meſler parmy ſes gens , alla à l'inſtant la fupercheric
des Turcs .
faire fa plainte qu'il l'auoic voulu cuer , & apporta tant d'artifices pour le rendre cou

pable, qu'il ſe fic adiuger le bien de ce pauurcinnocent , qui montoit à plus de cent * ils les appela
milleſequins . Ce quei'ay rapporté pour vne preuve ſignaléc des calomnies * que ces kene vanica,
cij
20 Hiſtoire des Turcs,

1814 Barbares pratiquent, fpecialementcontre les Chreſtiens , qu'ils font criminels toutes
les fois qu'il leur plaiſt, pour chaſtier leurs bourſes.
IX. Du coſte de la Tranſiluanic Berlin Gabor efoit occupé à renger à la raiſon les pa

Parens de rens de Battory, qui s'eſtoient ſouſleuez apresle depart du grand Seigneur. L'Empo
Bactory font
reur les ſouſtenoit couuertement , & ſes partiſans ſe fondans ſur diuerſes pretentions
.
in Gabor,& le troubloient couſiours dans ſajouiſſance. Ils prirent ſur luy Nagipan , & Tonaſe aueć
ſontſouſtenus pluſieurs autres places: & ourdirent quantité de menées pour le depoſſeder. Le
par l'Empe
scur, grand Seigneifr en eſtant aduerty , leur eſcriuit ,Qu'ils ne deuoient pas ignorerque
depuis que la Tranſiluanie s'eſtoit miſe ſous la prote &tion de ſes predeceſſeurs & de la
fienne, qu'elle auoit touſiours joüy d'vne profonde paix ; Que toutes les fois qu'elle
luy auoit demandé du ſecours elle l'auoit obtenu , comme par le paffé contre les
Allemans du viuant du Prince Boſtkay , & tout nouuellement contre Battory, qui
Lettres du ” exerçoit ſur eux toute ſorte de cruautez : Qu'il auoit commandé aux Baſſas d'Agria
Turc en
faueur de & de Themiſwar , & au Vaiuode de Valachic de s'oppoſer aux menées des Allemans
Berlin.
> contre Betlin Gabor : Qu'il les exhortoit de ſe porter pour leur Prince , & à ne point
ſouffrir que les Eſtrangers miſſent la diuiſion parmy eux. Que s'ils gardoient l'vnion
& la fidelité à Betlin , il les aſſeuroit d'vne enticreprotc &tion , & que s'ils faiſoient le
1 contraire ,ilſçauroit bien leur monſtrer combien cette a &ion luy déplaiſoit.
Betlin fic afficher ces lettres en forme de declaration ,dans les villes & lieux voi
fins des Seigneurs de la fađion de l'Empereur , & en meſme temps alla ſurprendre les

Qui prend garniſons de Lippe & de Genoé qui rauagcoient la campagne, donc ilcailla la plus
Lippe & Ge- grande partie en pieces :de ſorte que les Gouuerneurs furent concrains de ſe tenir
noc
plus ſerrez , & d'enuoyer au pluſtoſt à l'Empereur luy demander de l'argent & des
hommes . Le grand Seigneur ne ſecontenca pas d'auoir eſcrit aux Eſtats de Tranſfil- ·
uanie ; il voulut auſſi deputer versl'Empereur yn Chaoux , dont la commiſſion & les
5 , lettres portoient, Que Sa Majeſté Imperiale euſt à garder la treve qu'ils s'eſtoient
jurée pour vingt ans: Queles rcuolcez s'eſtoient emparez de pluſieurs places ſous ſon
Le Turc de
nom dans la Tranſiluanie, de laquelle il ſçauoit que les Othomans eſtoicnt prote
pute a ušli
Vers l'Em- » & curs , veu qu'ils luy donnoient des Princes , & qu'ils s'eſtoient obligez de la defendre
pereur, fça- », comme leurs propres terres :Qu'il auoit donné des forces à Berlin Gaborpour cha

vouloit tc ſtier les meſchancerez de Battory, & qu'apres la mort dece Tyran il auoit inueſty ce
nir la treve .» genereux Prince de la Tranſiluanie :Qu'illuy auoit mandé expreſſémet de repouſſer
la moindre iniure ſur les aggreſſeurs, de ne ſouffrir aucuneentrepriſe ſur le plus petit
yillage, ny ſeparation quelconque en ſes Eſtats : Que S. M.Imperiale fiſt donc reſti
tuer les places , ſi elle deſiroir entretenir la paix ; autrement que le mal augmentant,
l'inclination qu'il auoit pour la paix ſe pourroit conuertir en amour pour la guerre ;
& qu'il attendoit ſa reſponſe par la meſme perſonne qui luy preſentoit ſalettre.
Le Chaoux fut receu auec beaucoup de ciuilité par l'Empereur , qui luy donna ſa
reſponſe enucloppée dans de la toile d'or. Elle contenoit en ſubſtance, Quc fa
Hauteſſe deuoit cître aſſeurée qu'il n'auoit aucun deſſein de rompre la treve ,mais
que la choſe eſtant importante à toute l'Allemagne, il en vouloit auoir l'aduis des
Electeurs, des Princes , & des Eſtats de l'Empire. De fait il aſſembla auſſi- coſt les
Eltats tenus Eſtats desterresde ſon patrimoine à Lintz : dans leſquels il fit mettre en deliberation
par l'Empe
reur à Lintz, s'il eſtoit à propos de garder la treve de vingt ans faite auec leTurc , & fit repreſenter
où cela ch auec beaucoup de raiſons par ſes Conſeillers, Qu'il y auroit bien plus d'honneur à re
misa in delic prendre les armes qu'à ſouffrir plus long- temps
les perfidies & les attentats de ces Bar
bares ; Qu'ils avoient manifeſtement rompu la treve les premiers, puis qu'ils auoient
vſurpé la domination ſur la Tranſliluanie, qu'ils y auoient inſtalé vn hommequi eſtoit
ennemyde la maiſon d'Auſtriche, & que de plus ils en vouloient demembrer plu
ſicursplaces, & y mettre desgarniſons Turques.Doncauant qu'ils s'en fuſſentempa
rez ,il eſtoic iufte & neceſſaire deles preuenir , & de reuendiquer le droic que le Royau
mcde Hongrie auoit ſur cette Prouince,tandis qu'il y reſtoit encore pluſieurs fidelles
vaſſaux quiimploroientla protection . Maisces raiſons ne touchoicnt point canc les
Hongrois, que faiſoit la peur qu'ils auoient dechoquer vn ſi puiſſant ennemy qu'eſt
Quelles
Tons rai- le Turc, & le ſouuenir des maux qu'ils s'eſtoient attirez ſur la teſte ,coutes les fois qu'ils
Ics obli
gerent à en l'auoient entrepris. Et quant à ce qu'on mettoit en auant qu'il auoicenfraint la treve,
tretenir la tre- ils reſpondoientqu'on ne l'en pouuoit pas conuaincre,puis qu'il n'auoit iamais ratifié
PE ,
l'Article qui portoit ,qucla Tranſiluanie releuerois de l'Empire Turce de la Hongrie tout
enſemble,

1
Achmet I. Liure dix- neufiéme. 21

enſemble , & qu'ilauoit touſiours deſapprouué toutes les tranſactions quiauoient eſté 1614.
faites ſur ce poinct auec Sigiſmond Battory & Eſtienne Boſtkay. Ils repreſentoient
auſſiqu'ils n'auoient point d'armée preſte , que le Turc en auoic vne tres -puiſſance
ſur pied, & que luy declarerqu'on ne vouloit point tenir la treve, ce ſeroit luy donner
beau jeu d'enuahir la Hongrie ; Qu'il ne demandoit pasmieux que cette reſponſe, &
que ſon Ambaſſadeur qui eſtoit preſent ne l'auroit pas fi foſt ſccuë qu'ils verroient
tout leur pays couuert d'vn deluge de Barbares . Les Eſtats iugerent donc qu'il valoit
mieux diſſimuler pour l'heure & accepterent la confirmation de la creve , au grand
regret des Turcs: qui s'eſtans aſſemblez à Themiſwar tournerent auſſi - toft leursfor
ces vers les places dc Lippe , Genoé, Arach & Boren , auec intention de les auoir par
Les places de
force fi Betlin Gabor ne les liuroit de ſon bon gré. Les habitans qui craignoienc de Lippe, & c . re
tomber ſous la feruitude des Barbarescnauoient chaſſé ſes officiers, & ſe preparoient rendentàBet
courageuſement à la defenſe , ſous l'eſperance qu'ils auoient du ſecours queleur pro- les libera
mettoit Fortgacze Lieutenant general des armées de l'Empereur en Hongrie; mais Turc.
comme ils ſceurent la reſolution des Eſtats.de Lintz , ils ſe rendirent entre lesmains
de Berlin ; & luy, ſoit qu'il l'euſt ainſi promis, ſoit que les Eſtats aſſemblez à Varadin
enfuſſent d'aduispour ćuiter les calamitez de la guerre, permit aux Turcs d'y mettre
des garniſons , moyennant qu'ils luy rendiſſent deux autres villes Huſt & Giuar
qu'ils tenoient.
Comme le Sultan ſe portoicauec chaleur pour rendre la Tranſliluanie paiſible à
vn Prince , dont il eſtoit prote &teur, il eut ſujet de trauailler auſli ſoigneuſement à
couper la crame ſccrece que Naſlufſon grand Vizir ourdiſſoit auec la Perſe il y auoit
long -temps. La treve que ce Vizir auoit fi facilement faite auec le Sophy l'an 1611 . Cataſtrophe
luy donna les premiers ſoupç ons qu'il s'ent endoit auec ſon Enne my ; comm e d'au- du Balla Nal
- ſuf .
tre coſté les commandemens de s'en retourner reïterez coup ſur coup , firent en
trer le Vizir en deffiance de fon Maiſtre : ncantmoins apres pluſieurs excuſes ſur les
longueurs de l'Ambaſſadeur de Perſc , qu'il deuoit emmener , il ſe rendit aucc luy à

Conſtantinople.On luy fit à ſon retour vne belle entrée , & peu apres pour le releuer
de tous ſes ſoupçons, le grand Seigneur luy donna ſa fille. Mais il ſemble que la for
tune ne luy monſtra cous ces appas que pour le mieux attirer dans le filet: car lors
qu'il croyoit eſtre dauantage en faueur, le Bouſtangy Baſſi eut ordre de le faire eſtran
gler :Vniour qu'il eſtoic maladece Bouſtangyalla à ſon logis , & diſſimulant ſa com
miſſion , demanda à le voir : Nafſufle fit prier de l'excuſer, diſant que ſon malneluy
permettoit pas de voir perſonne. Surquoy.le Bouſtangy luy ayant fait dire qu'il ne
pouuoit retourner vers la Hauteſſe ſans luy porter des nouuelles de fa ſanté, cette
importunitéle mit en grand foucy, & luy fit ſouhaiteerd'eſtre encore en Meſopota
mie : toutesfois il ne peut pas refuſer l'entrée au Bouſtangy , qui luy ayant'tenu plu
ſieurs diſcours luy preſenta vn billet du Sulcan portant commandement de rendre
les ſeaux de l'Empire. Ce qu'ayant fait auſf -coſt , le Bouſtangy en tira encor vn au- Le grand Sci
tre qui demandoit fateſte :alors Nafſuf s’eſcrie & demande àparler à la Hauteſſe : Ec gneur ayant
cette grace luy eſtant refuſée , il prie le Bouſtangy qu'il luy ſoit au moins permis intelligences
de s'aller lauerdans la chambre aupres de la fenne, afin de faire ſon oraiſon auec plus aucc le Pere
fan , le fait
de pureté & nettoyer ſes pechez dans le baing :car les Turcsontcette ridicule croyan eſtrangler,
ce , qu'en ſe lauant le corps ils effacent les pollutions de l'ame. On luy refuſe cette
faucurauſli bien que l'autre, & feptou huit Capigis que le Bouſtangy auoit amenez
pour faire cette execution , cntourant ſon lia luy ſemblent autant de mauuais dc

mons qui luy veulent arracher l’ame . Se voyant donc ſans aucun eſpoir de miſeri
corde apres auoir dit quelques mots de prieres à la mode des Turcs , il ſe tourne
vers ces fatellites, & leur crie qu'ils faſſent leur deuoir.Euxauſ(i- coſt ſeiettent deſſus,
luy paſſent la corde au col , & s'efforcent de l'eſtrangler ; mais le mal-hcureux pa,
tient cſtant ſi gras qu'ils ne le peuuent cſtouffer, ils luy coupent la gorge pour ache,
uer de luy oſter la vie .
Il auoit cſtéamené forticune à Conſtantinople parmy lesenfans du cribut qu'on par quels de
prend de trois vn ſur les Chreſtiens. Son pere eſtoit Preſtre Grec d'vn village d'au- grez il avoit
à
pres Salonique, qui auoit eſté contraint de le donner par la rigueur du ſort. Vn Eu- elté tleué

nuque du Sultan qui l'auoit achepté trois ſequins ,l'éleua iuſqu'à l'aagedevingt ans, gicule fortu
puisle reuendit au Maiſtre d'hoſtel de la Sultane , quil'ayant iuge capable d'vn bon ne,
employ, luy donna la conduite du baſtiment d'une Moſqués que cette Princeſſe
Cij
22 Hiſtoire des Turcs,

1614 . faiſoit faire, dont il s'acquitra ſi bien qu'elle luy commitl’Intendance de la maiſon
Par cemoyen il fur connu du grand -Seigneur, qui l'honora de la charge de Capigy
Baſli : en ſuite de celle de Baſſa d'Alep , puis peu apres le fit Gouuerneur general de la

Quelle fut la Meſopotamie .Le voiſinage du Perlan, Prince nonmoins adroitpour les intrigues
cauſe de la que vaillant pour la guerre, luy inſpira l'ambitieuſe penſée de ſe rendre ſouuerain &
perte. de former vne Monarchie en ces Prouinces-là . Le grand Seigneur en fut aduerty,

neantmoinsil n'adjouſta pas foyà ce rapport , ou le diffimula :meſme apres la mort


de Serdar il luy donna tous ſes biens & la charge de grand Vizir , auec le commande
ment d'une armée contre le Perſan , dont il s'acquista ſi bien qu'illereduiſit à deman
der la paix : mais il luy accorda vne ceſſation d'armes , & amena ſon Ambaſſadeur à
Conſtantinople: où le grand Seigneurle receut auec toutes ſortesde careſſes , & le
combla d'honneurs . Mais ſes ennemis , ou les caprices de ce Prince ayant reſueilléles

vieux ſoupçons dans ſon eſprit, il le fit fi curieuſement veiller qu'il reconnut qu'il
s'entendoit auec le Perſan , & le fit mourir.Telle fut la fin de cét ambitieux jouer de la
fortune : laquelle regne plus abſolument dans céc Empire là qu'en aucun autre lieu
du monde , & s'y donne fort ſouucntide ſemblables diuertiſſemens; pource que ceux
Semblables qui paruiennent aux grandes charges n'y ſont pas élcuez par leur naiſſance nypar leur
letters de for- vercu , la nobleſſe & le vray merite eſtant des qualitez inconnuësparmy les Turcs ,,
tunc lont fort
mais par ic ne ſçay quel hazard qui les fair connoiſtre du Prince ou de ſes Miniſtres.
ordinaires en
Turquie, D'où ilarriue aufli que le Prince de quelque dignité qu'il les ait honorez , les regar
dant touſiours comme des teſtes viles & comme de mal- heureux eſclaues , fair
moins d'eſtar de leur vie que de celle de ſes chiens , & bien ſouuent apres les enuoye
eſtrangler ſur le moindre ſoupçon ; voire meſme quelquefois les ayant laiſſez tra
uailler long- temps pour amaſſer de grands threſors, leur ofte la vie pour auoir lcur
bien , & ſe ſert du licou pour attirer leurs richeſſes dans
ſon Serrail .
L'inuentaire des biens qu'il auoit amaffez ayant eſté faite auſfi - coſt apresſa mort, il

у fut trouué vn boiſſeau de diamans , trois boiſſcaux d'autres pierres precieuſes ,&
deux de perles ;outre cela huit cens mille eſcus en ſequins, quatorze cens cheuaux
Şes grandes choiſis ſur tous les plus beaux d'Arabie & d'Egypte, des milliers de chameaux , de
duës huic mulets , de beufs, de vache & de moutons : mille eſpecesd'armes, dont les moindres
courelas eſtimé cinquante
t portezqui eſtoient garnies d'argent, & parmy ces armes vn ſeul
millions,
son
au Serrail. mille ſequins, grande quantité derichesameublemens & dc tapiſſeries à la Perſienne
de tres- grands prix : toutes leſquelles choſes eſtant conuercies en or & argent mon
noyé fournirent huitmillions d'or,quifurentmis dans l'Eſpargne du grand Seigneur.
Son mal-heur n'affigea point les Chreſtiens ,pource qu'il leur auoit touſiours cel
moignébeaucoup de hainc & de malice, & qu'à l'heure meſmequ'il comba dans la
diſgrace qui le fitperir,il incitoit paſſionnément ſon Maiſtreà rompre auec l'Empe
reur, le Roy de France , & les Venițions, ſoit qu'en effer il cuſt juré la ruine de la
Chreſtienté , ſoir qu'il vouluſt ſuſciter des ennemis de cous coſtez , afin que durant
ce crouble il cuft lemoyen d'eſtablir fa pretenduë fouueraineté en Meſopotamie.
Au reſteil ne ſera pas inutile ny deſagreable de rapportericy deux ruſes ingenicuſes
dontil fe feruic durant qu'il eſtoit en ce pays-là ,l'vne pour deſcouurir les trames de

Deux rules ſes enuieux , & l'autre pour conuaincre l'iniuſtice d'vn luge auarc. Ilſçauoit que les
remarquables plus puiſſans de Diabequir capitale de Meſopotamie ennemis ſecrets de la fortune

de ce Balla. trauailloient inceſſamment à la ruiner : pour éuenter leurs deſſeins il fic ſemer le
bruit qu'il enuoyoit vn courier en diligence à Conftantinople; les plus haſtezcroyans
qu'il n'y auoit point d'occaſion plus ſeure, eſcriuirent au Sultan toucce qu'ils auoient
dans l'ame. Mais le Vizir ayant retenu toutes ces lettres manda ceux qui les auoient
eſcrites, & apres leurauoïr reproché leur laſcheté, les fit eſtrangler ſur le champ .
La ſeconde ruſe fut plus equitable, & luyacquic reputation de grand Iuſticier. Il
cftoit aduercy que le Bey de Satelie faiſoit de grandes concuſſions, & commettoit
d'enormes injuſtices pour ſatisfaire à ſon auarice . Deſirantdonc auoir ſujet de le cha
ſtier exemplairement , il fit venir vn luif de la ville auquel il donna vne maſſe d'argent
couuerte de pierreries pour la vendre , & luy defendit de dire à qui elle eſtoit.Lc Bey
maſſe à vendre dont on refuſoit ſix mille fequins,
ayant eu le vent qu'il y auoit yne
accuſele luif de la luy auoir deſrobée , & fait oüyr pluſieursteſmoins, dont les vns
diſent qu'ils l'auoient faite pour le Bey , les autres qu'ils la luy auoient veu porter en
diuers temps. Le luif donne aduis de ſon empriſonnement àNafſufquivient à Sacelie ,
ſe fait
Achmet I. Liure dix -neufiéme. 23

fe fait apporter la maſſe en preſence du peuple , en tire par vn petic reſſort vn billet 16147
quicontenoit ſon nom & comme elle eſtoit à luy , & parce moyen ayant conuaincu
le Bey de fauſſeté & de concuſſion , le fait pendre , auec tous ſes faux teſmoins.
Les Turcs qui auoient feint durant quelque temps d'eltre rebutez de leur entre
priſe fur Malthe, s’aduiſerent lors que les Cheualicrs s'en doutoiér le moins,de tenter
vne ſurpriſe. Le Baſſade la mer auec cinquante -cinq galeres& quatre galeotes inoüil- eles Turcs
la lanchre dans les cales voiſines du fort de Marſeliroc , ſans que perſonne en euſt turpriſe lur
aucun aduis que par l'alarme qui fut donnée par quatre coups de mouſquets cirez à Malthe,
deux repriſes du fore de Marſefiroc & du Calal ſainte Catherine . Le grand Maiſtre
accouru au bruit de ces coups de canon , donna les ordres auſſi iudicieuſement qu'il
fe peut en vne occaſion ſi preſſante. Ils trouuerent que les Turcs pilloient l'Egliſe ,
& auoient mis le feu en diuers endroits du Caſal ſainte Catherine . Campremyauec
vingt- cinq caualicrs , à la teſte de quelques ſoldats chargea le gros des ennemis ,
pour donner loiſir aux payſans de ramaſſerleurs femmes & enfans, & de ſe fauuçr:
le Bailly d'Armenie Seneſchal de l'Ordre vint au ſecours ; & apres vn combacde deux
heures ils repouſſerent les ennemis , les menetent battant iuſqu'à la marine , en tue
rent pluſieurs, firent cinq priſonnicts, & rapporterent fepe teſtes des morts pour raf
ſeurerles eſprits du peuple que le feu qu'ilvoyoit allumédetoutes parts , auoit iercé
dans un effroy indicible. Les Turcs auoient fait leur
deſcence à deux heures apres mi
nuit ; Sur les dix heures du macin' , comme ils faiſoient leur recraite , le Baffa pour
mettre lesChcualicrs.en ſuſpens', ſepara vingt galeres d'auec les autres , qui tire
rent vers Marſeſcalde à la volte du Bourg : mais les Cheualiers reconnurent depuis
que ce qui en faiſoit n'eſtoit que pour donner plus de loiſir à ſes gens qui cſtoient
égarez dans l'Ile de retourner , & encore pour retirer les morts qu'il auoit perdus
dans le corbar .

Il eſt à croire que le deſſein de te Baſſa n'eſtoit que de tentei vne ſurpriſe ,& non pas
d'attaquer Malthe de viue force:neantmoins cette leuée de bouclier tourna à ſa con
fuſion & fur defauantageuſe à l'hõneur du Sultan : qu'il ne deuoit point ainſiházarder;
car Outre quetelles actions terniſſent la gloire d'un maiſtre , elles ralentiſſent beau
coup la chaleur de ſes foldats & reledene le courage aux ennemis. Ce qui confirme
que cenc fut qu'vn eſſay, c'eſt que le Baſſa content d'auoir donné la peur, fans auoir La melme ara
aucunement opiniaftré le combar,courna droit contre les rebelles de Tunis & de Tri- mée va repii
poly.Le Viceroyy auoit tellementempieté ſur l'authorité du Sulcan , qu'il nclerecon- merl'infolen
noiſfoit plus quc par maniere d'acquit: il exerçoit impunément toute ſorte de cyran- de Tunis, que
nie ſur le pcuple , qui le redoutoit plusque le Prince,de façon que depuis ſon eſtabliſ- s'eſtoit reuol
té.
ſement il auoit amafilé plus de deux milliós d'or. Mais le Baſſa arriuécontre ſon atten
te , & contre celle des Bcys du pays , qui n'eſtoient pas moins inſolens que luy , mit vne
forte bride à leur licence , ſe faiſitdu Gouverneur qu'il mena a Conſtantinople auec
tous les grands biens qu'il auoit vſurpez ,& les fit mettre dans l’Eſpargne du Sultan .
Si les Polonnois n'euffent point eſté embarraſſez comme ils eſtoient à la guerre
de Moſcouie , ils n'euſſent pas inanqué dans les grandes affaires où ils voyoient le
Turc , de ſe reſaiſir de la Moldauie ; mais leurs troupes s'eſtane mucinées faute de
payement ,& les Eſtats qui s'eſtoient aſſemblez à Varſouie n'eſtanc pas d'aduis

d'embroüiller la Republique dans yne querclecontre vn ſi puiſſant ennemy,que leurs


autres demeſlez ne fuſſent vuidez , ils n'y employerent point d'autres voyes que les
remonſtrances de leur Ambaſſadeur Targousky. Il ne diſcontinuoic point ſes in
ſtances enuers les Baſſas de la Porte & legrand Vizir ; afin que le grand Seigneur rc
traſt Thomza de la Moldauie, qui eſtoiteltranger & leplusicelerat hommedu mon- deur Polona
de , & qu'il reſtablift dans cette Principaucé quelque Prince du fang des anciens Ducsnois deman
ou Vayuodes,ſuiuantles pactions que Felix de Herburt Ambaſſadeur du Roy de Podela Porte
logne,auoit faites auec la Hauteſſe. Il accompagnoicfes demandes de forcbeaux pre- Thomza de la
Moldauic ,
ſens, qui ſont les pius fortes raiſons pour vaincreces ames laſches & ſordides :neant
moins il n'en ſceuc iamais tirer aucune ſatisfaction , mais ſeulement des reſponſes
ambiguës; Ec cependant Thomza ne ceſſoit point de faire des incurſions ſur la Ruſlic,
auec dix mille Tartares.Les Polonnois n'ayant point de forces de ce coſté -là pour op
poſer à ces rauages, ne purent autrement ſe vengerdecerce iniure qu'cnſuſcitantſe
cretement les Coſaques, leſquels coururene preinierement voe partie de la Thrace,
mettant le feu par tout, & s'approcherent li pres de Conſtantinople , que le vent

!
.
24 Hiſtoire des Turcs ,

1614. pouuoit preſque porter la fumée & les flammeſches des bourgades qu'ils bruſoient

iufques dansle Serrail. A pres feignant de s'enfuir, ils tournerent leur vengeance con
tre les Tartares de Nangay, où ils rauagerent crente lieuës de pays , emmenerent
Les Cofaques femmes, enfans, & beſtail. Puis apres auoir partagé le butin chez eux, ils deſcendi
vengent cette rent dans le Pont Euxin ,bruſlerentvingt- ſept galeres & l'Arſenal du grand Seigneur
iniure ; pren . dans le port de Trebizonde , prirent Synope ville ancienne , y paſſerent cout au fil
& pillent Tic? de l'eſpée, la reduiſirent encendres, & n'en voulurentrien emporter que l'or & c l'ar
bizonde,
gent monnoyé , ne tenant conte mefme d'vne infinité de riches tapis & de draps de
foye , & mectant le feu aux magaſins qui en eſtoient pleins . Le grand Seigneur en
ayant demandé Iuſtice au Roy dePologne,il les defauoüa comme rebelles à ſes com

mandemens , & refpondit qu'il ſeroit bien -aiſe que luy-meſme en fit la punition celle
qu'il voudroit . Il fit donc equiper bon nombre de galeres ſous la conduite de Haly
Baſſa, afin de leurdonner la chaſſe : mais comme ils vſent d'une viteſſe incroyable,
il n'en atrapaque quelques -vns de ceux qui s'eſtoient les plus auancez , leſquels il at
ceignie dans les emboucheures du Danube, en tua vne partie , & enuoya le reſte à
Conſtantinople, où ils furent les vos employez aux ouurages les plus vils, les autres,
pour ſatisfaire la haine du peuple , expoſez auxplus cruels fupplices.
Ily auoit vne autre ſortode nation qui exerçoit des pyrareries ſur les mers du Le- ,
uant , que l'on nommoicles Vícoques,
beaucoupmoinsfameux & moins vaillans que
les Colaques, mais grands voleurs & fort cruels.C'eſtoit vne fađion ou ramas de ſce
Ravages des Icrats ,de bannis,defugitifs,tant de la Hongrie, & de la Dalmacie , que desterres de la
pece le ban . Republique de Veniſe,qui depuiscent ans s'eſtoicnt iettez dansla marche des Vindes
dits & clcu- ou des Sclauons, pays appartenant aux Archiducs d’Auſtriche. On leur auoit donné

meurs de mer le nom d'Vſcoques quiſignific en langage du pays Vaue-riens, ennemis de tout art 8
che des Vins de toute induſtrie . Solyman ayant attaqué les Venitiensl'an 1537.certe Republique
des, leur donna permiſſion de s’armer contre les Turcs . Ils commencerenc donc à courir

la mer auec desfuſteslegeres, & ſe porterent durant quelque temps aſſez vaillammenc
contre les Infidelles : mais peu apres retournans à leur naturel peruers, ils ſe mirent à
exercer leurs brigandages indifferemment ſur toutes forces de nations. Les Venitiens
les auoienç defia reprimez par diuerſes fois, leur laſchant la bride quand ils auoient
guerre contre les Turcs ; & ils eſtoient tellement multipliez par l'impunité qu'ils
auoient occupé preſque toute la Prouince que les Romains nommoient Liburnie,
fort propre à cauſe déſes montagnes & lieuxinacceſſibles à retirer des bandis ; ſibien
Quand & có- qu'elle en eſtoit coute pleine dés ce temps- là. Les Vícoques auoient quantité de re
ment ils s'e .
(toient rendus traites dans les terres, & quelques ports ſurmer ; entr'autres la ville de Seigna , od
forts , ils auoient eſté ſupportez par la fetardiſe de l'Empereur Rodolphe , & par la conni
uence du Comte de Serin , & autres Seigneurs du pays qui parcageoient le butin auec
eux . Or leur inſolence eſtant paruenuë iuſqu'à ce poin &t que non contens de voler
ils commercoient des cruautez effroyables ſur les Turcs & ſur les Chreſtiens , que
meſme ils s'eſtoient attaqucz à la galere d'vn Prouidadour de la Republique, & que le

grand Vizir s’eſtoit plaint de leurs voleries au Bail de Veniſe en des termes quiſem
bloientmenacer la Seigneurie de la guerre, fi elle nc les chaſtioit : le Senar donna la
charge à Laurent Veniero, de les reprimer. Pour en venir à bour ilinueſtit la ville de
Scigna, & ferma tous les paſſages dela mer ,afin qu'il ne ſe puſt porter aucuns viures
Les Venitiens dans la Prouince où ces voleurs ſe rcciroient. De cette ſorteeſtant bien -toft reduite
donnent or-à la faim , dautant qu'elle eſt de ſoy tres-ſterile, les habitans depuçerent vers l'Em
dre de les re
primer, pereur pour le prierde mettre ordre que tant de milliers de ces pauures ſujets in
nocens ne periſſent pas pour l'amour de quelques centaines de brigands . L'Empe
reur eſmeu par leurs pitoyables cris , y enuoya le Comte d'Ekemberg ſon Licute
nant dans la Croatie , pouren faire iuſtice : mais on cient qu'il s'entendic auec eux
auſſi bien que les autres Scigneurs; & ce qui donna ſujet à cette croyance , ce fut qu'il
n’vſa pas de grande rigueur enuers ces cruals ennemis de la ſocieté ciuile , ſe conten
tant d'en faire mourir vn petit nombre , non pas des chefs, dont le ſuppliceeftoit ne
ceſſaire pour l'exemple , mais ſeulement de quelques mal.heureux qui n'auoient pas
dequoy ſe racheter .
II arriue ordinairement que les Princes entreprenans des baſtimens & des del
ſeins, plus proporciorínez à la grandeur de leur qualité qu'à l'eſtendue de la vie de
l'homme , ne les acheuent preſque iamais. Legrand Seigneur qui ſçait mieux ſe faire
ſeruir

1
Achmet I. Liure dix -neufiéme. 25
-
1614
feruir que tous les Monarques du monde, auſſi n'a - il que des eſclaues ; fit faire en
trois moisce qu'un autre auroit àpeine acheué en toute ſa vie . Il manquoit vne place
à la beauté de ſon Serrail , laquelle ne ſe pouuant prendre que dans la mer, il entreprit Ouurage de
merucilleux
d'y ietter vn terre.plain de huit cens pas de long & ſix - vingts de large. Le Preuoſt trauail , fait en
ayant fait publier ſa volonté par la ville , chaque maiſon y enuoya ſon homme , & les peu de temps.
chefs de famille y allerent en perſonne:les Baſſas y ſeruoient de chaſſe auant , les Spa
· chis & les Ianiſſaires porcoient la hote , les Vizirs donnoicnt de l'argent aux ouuriers
pour les encourager , la Muſique ſoulagcoit le trauail des volontaires ; brefles vns
& les autres firent telle diligence , que la grandeur de l'ouurage n'eſtoit pas plus ad
mirable , que la brieueté du temps auquel il fut achcué.
Il ſe preſenta ces années vnc occaſion fort ſpecieuſe pour allumer la diviſion dans
x.
l'Empire Turc , & donner vn chef d'importance aux reuoltes arriuées en Alie , ſi le
1615
bon -heur de la Chreſtienté euſt voulu qu'elle cuft eſté embraſſée & mcſnagée , com
meon le pouuoit faire par le moyen du Sultan Iacaya qui parcouroit les Cours de cous
les Princes Chreſtiens , & leur demandoit aſſiſtance pour ſe mettre en poſſeſſion de Hiſtoire du
l’Empire Turc qu'il diſoic luy appartenir . Voicy ſon hiſtoire comme il la racontoit . Sultanlacaya.
Mahomet;III. cut entr’autres enfans , trois fils de deux deſes femmes ſçauoir Muſta
pha qui fut depuis eſtranglé pour auoir attenté à la vie de ſon pere , Iacaya dont nous
parlons ,' & Achmec dont nous eſcriuons la vie .Lamere de lacaya s'appelloit Laparé,
Chreſtienne de naiſſance & qui auoit eſté baptiſée ſousle nom d'Helene , mais depuis II eſtoitfils de
ayant eſté à cauſe de ſon excellente beauté amenée à Mahomet & fort cheric de cét Mahomet III.
& d'ync Chro
Empereur , elle auoit changé de Religion , toutefois en appat ēcc ,non pas dansle cæur : ftienne,
dc force qu'elle n'attendoit que l'occaſion de ſe tirer de ce gouffre d'impiecé , & touc
enſemble de preſeruer ſon fils de la mort qui luy eſtoit incuitable apres celle de ſon
ſuivant la cruelle & deteſtable couſtume de la maiſon Othomane , dont l'aiſné
pere ,
commence d'ordinaire ſon regne par le meurtre de tous ſes freres. Mahomet luy
ayant donc vniour mandé qu'elle amenaſt ſon fils à Conſtantinople , ( elle demeuroit
dans la Prouince de Magneſie où il luy auoit aſſignéſon ſeiour) elle prit cerce oc
caſion pour exccuter ſon deſſcin . Elle feine auec l'aſſiſtance d'vn Eunuque ſon con
fidenc que ſon fils eſtoit mort de la petite verole , ſuppoſe en la place celuy d'vn 2012
tre Turc qui eſtoic mort ces iours là , alliſte aux funcrailles en grand dueil, & joue ſi
Comment fa
bien toute la piece qu'on la croit veritable . Apres cette ingenieuſe feinte elle fore mere l'auoir
de la Magneſic ſous pretextc d'aller aux bains, & en chemin ſe deſtourne vers les fauué par vac
feinte,
coſtes de la mer où il y auoit vn vaiſſeau qui l'attendoit : dans lequel s'eſtane em
barquée elle paſſe dans la Morée auec ſon fils , qu'elle cache dans l’Eueſché de la
ville de Miclo : mais quelque temps apres comme ilauoit atteint l'aage de neuf ans,

elle le tranſporte en Macedoine ſous l'habit d'vn Moine Grec , pour le mettre plus
en ſeureté , & ſe recire dans la ville de Caſſandrie. Là elle deſcouurit ſon aduanture
& la qualité de ſon fils à l'Archeueſque de Teſſalonique Prelat de fort bonne vie , qui Comme il fuc
éleué & caché
le mit auſſi - coſt entre les mains de l'Abbé de S. Michel , pour auoir ſoin de ſon edu juſqu'à l'aage
cation . L'Abbé l'élcua depuis neuf ans juſqu'à dix -ſept dans les bonnes lettres , & de dix-leptº
l'ayant catechiſé durant ce temps-là, le conuertit à la FoyChreſtienne; ſi bien qu'il ans.

fut baptiſé par lemeſme Archeuelque, mais au deſceu de l’Eunuque , de peur que par
deſpit de le voirchanger de Religion il ne l'allaſt deceler .
Or ce Prince dans l'impatience de ce qu'il deuoit deuenir , & pour n'eſtre pas ré
connu , ſe traueftit en Deruis ou Rcligieux Turc , & ſcmit à voyager par la Grece .
Eſtant dans Scopca il apprit la mort de Mahomet ſon pere , celle de Muſtapha
ſon aiſné qui auoit eſté eſtranglé, & l'aduenement d'Achmet ſon cadet à l'Empire.

On peut s'imaginer le deſplaiſir qu'il eur de n'auoir pas cſté nourry à Conſtantinople Apres la mort
pour recueillir vne ſigrande ſucceſſion : mais bien qu'il l'eult perduë par ſon abſence de ſon pţie,il
il ne perdit pas toutefois l'eſperance de la recouurer. Dans cette penſécil ſe propo- talche de re
ſoit tantoſt d'aller crouuer le Sophy de Perſe & luy demander des forces pour faire Couróne qui
la guerre à Achmet , & tantoſt il ſe vouloir faire chef des rebelles d'Alie . Cette der- luy apparte
niere reſolution luy ſemblant plus fauorable à ſon deffein , il enuoye l'Eunuque ſon l'ailné d'ach .
confident & la ſeule perſonne qu'il euſt à la ſuite , vers le fils de Pery Baffa , l'vn des met.
principaux reuoltez . Il accorde à l'Eunuque tout ce qu'il luy demáde de la part de ſon
maiſtre, & luy fait meſine ſerment de fidelité entre les mains. Sur cette affcurance Ia- Se joint auec
caya le va trouuer,& fe voyāt à la teſte de l'armée du Balla qui alloit au deuant de celle les rebelcs.
Tome II . D
26 Hiſtoire des Turcs ,

1615 . d'Achmer commandée par vn Capitaine nomméIeftedem , il la combat vaillammenr,


mais enfin cſt deffait auec ſes troupes, bleſſé en quatre endroits , & contraint de ſo
Eft deffait'& ſauuer au delà du fleuue dc Berdare. Eſchappé de cette deffaite ilſe retira chez vi
blellé dans
vne bataille, pauure payſan , puis chez vn Abbé quile fitpenſer croyant que ce fuſt vn des Pages de .
le lauue . Ieftcdem ,comme il le diſoit. Si toſt qu'il eut recouuré les forces il retourna en Grece
vers ſamere, auec laquelle il conclut d'enuoyer l'Eunuque à Conſtantinople fonder
le Vizir Deruis , alors meſcontent du grand Seigneur.L'Eunuque le fitfort adroite
mcnt, & luy rapporta toutes les promeſſes qu'ilen pouuoit eſperer.Ill’alla donc trou
Retourne en uer à Conftantinople en habit déguiſé, s'aboricha auec luy , & cous dcux coniurerenc
Grece,confpi-
Іс аuсс yn de tuer Achmet : mais comme ils
eſtoient ſur le point d'executer ce grand coup, le

Balla contre Baſſa mourut , poſſible d'apprehenſion d'eſtre deſcouuert :lacaya craignant de l'eſtre,
Achmet,
ne iugea pas qu'il fiftſeur pour luy dans Conſtantinople, & ſe recira vers la mer noire,
puis paſſa en Walachie , & de là en Moldauie : d'où il ſuiuit à pied le carroſſe d'vn
Ambaſſadeur de Pologne iuſques dans Cracouie.Danscette ville vn Chaoux l'ayant
Le Balla '
meurt , il re reconnu fir de grandes pourſuites aupres du Roy , afin qu'on l'arreſtaft & qu'on l'en
retire en Po. uoyaft au grand Seigneur ; Et comme le Roy eut refuſé de liurer celuy qui s'eſtoic
lognc. refugié dans ſa Cour, il corrompit quelques Tartares de la garde pour l'affatliner:

ce qu'ils euſſent executé ſipar bon -heur pour ce Prince infortuné, vn Brodeur Fla
mand qui auoit entendu leur conſpiration ne l'euſt caché dans ſa maiſon ,& ne luy
cuſt donné le moyen au bout de quelques iours de ſe fauuer à Prague .
Rodolphe pour lors Empereur, le receut fauorablement & le tint vn an durant en .

Delà en Alle fa Cour, où rien ne luy manquoit pour ſa perſonne. Mais comme il vid que c'eſtoit
magne vers tout ce qu'il en pouuoit attendro , il luiuit l'aduis de ceuxqui luy conſeilloient de le
l'Empereur icecer entre les bras de Ferdinand Duc de Florence, qui de ce temps -là faiſoit forte
Rodolphe,
guerre au Turc ſur la mer , & entrecenoit ſoigneuſement diuerſes intelligences dans 1
le Leuant, fpecialement auec Emir Facardin & les autres rebelles d'Alie.À ſon abord
en Italie il appris la mort de ce Duc :
ce qui l'euſt fait tourner d'un autre coſté ſi la
vefue du defunt & Colmc ſon ſucceſſeur n'euſfent enuoyé au deuant pour le faire

Puis à. Flo-
rancc venir à Florence , où ils le traiterent d'excellence & luy donnerene vn train fort ho
norable ,auec tout ce qui eſtoit neceſſaire à la condition .Quelque temps apres le Duc
fit equiper ſes galions, & le mit deſſus ſousla charge du Cheualier de Beauregard,
Dodile grád quile mena s’aboucher auec le Vizir Nafſuf chef des rebelles d'Alie. Nafſuf luy fit
Duc l'enuoye
s'aboucher offre des forces & des biens de tous ceux de la ligue , s'il vouloit aller auec luy en
auec Nalluf Perſe , où la pluſpart s'eſtoient refugiez: mais l'ordre du Cheualier n'eſtant pas de
belles d'Alic . l'abandonner entre les mains de ce Vizir , il le remena dans Florence .
Tandis qu'ils eſtoicncence voyage , le grand Duc voulut faire part au Roy d'Eſpa

Confere auec gne de cette occaſion pour porter la guerre ſur les terres du Turc . Iacaya donc allano
les Eſpagnols à Naples futprié de s'arreſterà Auerle, où le Gouverneur le receut magnifiquement
mais
de ennuyé
leurs lon & fut viſité du Viceroy ,qui luy donna touſiours la droite & le titre d'Excellence .
gucurs se Comme il eut ſeiourné quelque temps en cette ville , il s'ennuya des longucurs des
courne en Le- Eſpagnols & prit le chemin de Milan, d'où il recourna au Leuant poury confereren
vant.
core vne fois auec les mal-consens, il en receut auſſi peu de ſatisfaction cette fois que
la premiere ; Tellement que ſe voyant reduit à repaller en Italie , il vint à Rome bai
ſer lespieds du Pape ,qui l'aſſeura de ſon affection & de ſon ſecours, pourueu que les
Reuientà
me, & delaRo.
en Princes Chreſtiens fiffent l'ouuerture de la guerre . Enfin comme il ſe vid deſcheu de
France. coute aſſiſtance , anſſi bien que de ſes prctentions , il vint en France l'azyle le plus
affouré des Princes infortunez : où Charles de Gonzague Duc de Neuers , qui de ſon
chef auoit de grandes pretentions ſur lc Peloponeſe & ſur la Grece , l'entretint ho
norablement iuſqu'à ce quela ſucceſſion de la Duché de Mantoüe engagea ce Duc à
d'autres deſſeins.Je n'ay pû ſçauoir qu'eſtoit deuenuréthomme depuis ce temps-là ,
& l'on n'a iamais deſcouuert fítout ce qu'il contoit eſtoic impofture ou verité.
XI . L'extreme deſir que le Sultan auoit de chaſtier les rebelles d'Ale le haſta de con
1616. clure la paix en Europe , où ilyauoirdanger que la guerre ne ſe rallumaſt entre luy
& l'Empereur, à cauſe des courſes & des pilleries qui recommençoient entre les gar
Paix entre niſons frontieres. Car celle d'Agria ayant pris vne grande quantité de beſtail ſur les
l'Empereur
IcTurco & Hongrois,huit cens Heidouques les pourſuiuirent , les chargerent & leur firent quit
ter priſe. Le Baſſa d'Agria aduercy de la fuite des liens, ſortit de la fortereſſe auec.
mille hommes, pour en auoir reuanche & recourrelebutin que les Heidouques leur
auoienc
Achmet I. Liure dix - neufiéme. 27

auoient ofté: mais apres auoir perdu deux cens hommes , il fue viuement repouſle. 1616.
Les Heidouques cíchauffez par cér aduantage,rauagerent lesenvirons de Zainoc : &
quatre écns picorcurs compoſez partie de Hongrois, partie de Turcs , gens qui ne
tiennent aucun party, & font ſeulement la guerre pour leur profit, s'einparerét de deux
ou trois petites places:neantmoinsilsen furent peu apres chaſſez par les Hejdouques,
& traitez comme des brigands . De cette ſorte le fer s’eſchauffant ſi l'on n'y donnoit
ordre , le grand Seigneur qui craignoit d'eſtre obligé d'occuper ſes forces de ce coſté
là, enuoya Achmet Tichaia , & Gaſpard Gratiany en ambaſſade à Vienne pour eſclair Ambaladeuts
' cir les articles de la creve faire à Situatorok , qui pouuoient cauſer ſujer de rupture. du Turc à
Herbeſtein & Loſenſtein deux Capitaines de marque,allerent au deuanc d'eux auec Vienne,
cinq compagnies de caualerie iuſques bien loin hors de la ville , depuis les portes de
laquelle les bourgeois ſe mirent en haye iuſqu'à l'hoſtel qu'on leur auoit preparé.Leur
train eſtoit de cent trente -ſix perſonnes, & leur equipage de grande quantité de cha
riots; Ils faiſoienrmener en main dix chcuaux richement enharnachez , & marcher
deuant eux ſix Ianiſſaires auec des joücurs d'acabales .
Apres qu'ils eurent communiqué des articles de leur commiſſion auec le Cardinal
de Cleſel, ils furent menez à la chambre de l'Empereur ; où Sa Majeſté citant aliſe
dans ſon Thrône , Tichaia luy baiſa les mains , Gratiany le bord du mantcau , & ceux
de leur ſuite les pieds . Ils luy preſenterent ſix baſſins pleins d'ambre, de baume & de Leurs preſens
bezoüard , pluſieurs aigretes de heron noir enrichies de pierreries , deux couſſins, à l'Empereti,
vn grand tapis de pied , & quantité d'autres raretez du Leuant , outre lix cheuaux
couueres dehouſſes de drap d'or, & vne belle meute de chiens courans. La lettre du
grand Seigneur portoit en ſubſtance,que l'affe&tion de la Hauteſſe pour la paix , luy
faiſoit oublier tous les ſujets qu'elle auoit de la rompre ; qu'au reſte pour terminer
leurs differends touchant les bornes de leurs communes pretentions dans la Hon
grie , & pour del-intereſſer les plus foulez , elle vouloit bien conueñir de Com
miſſaires.

L'Empereur nommaſeprou huit deputez des plus grands Seigneurs du Royaume,


qui nommé
qui s'eſtant aſſemblez auec ceux d’Achmet dans la ville de Vicnnc, apres quelques des Deputez
conteſtations demeurerenc d'accord de ce qui s'enſuit. La paix de Situasorok faite pour traiter la
en mil fix cens fix ſera confirmée , & continuée pour vingt ans. Les terres et villages qui paix aucceux?
eftoient des appartenances d'Agria , Caniſe, Albe Reale, Peſt, Bude, Zolnak , & Sadwang
demeuréront à l'aduenir, comme anant que ces villes euſſent eſtépriſes par legrandSeigneur:

mais pourles villages qui depuis la paix ont eſté empeſchez de payer les tribuss, ou qui ont Articles du
force contre le traité, il fera nommédesCommiſſaires depari o d'autre qui faziela
efté occupez par
les viſiteront & les reſtitueront à leurs Seigneurs. Comme auſſi ils ferontun eſtat de ceux
qui doiucntpayercontribution , tant au grand Seigneur qu'à l'Empereur, ou à un feul des
deux, afin qu'ilsnefoiētplus moleftez. Quant aux bourgs d'alentour de Strigonie, lesfoixan .
te plus proches
feront ſujets au grand Seigneur ſeulement.Les luges des villages de Hongrie
payeront le tribut comme ils le doinent d'ancienneté,& le porterontau Baffa.04 Bey des villes
du lieu , qui les fommera par trois fois ; & ſi apres ces trois fommations ils y manquent, le
Bey en eſcrira au Capitaine de l'Empereur , afin qu'illuy enuoye ces Iuges aner le tributie
fi tout cela ne les oblige d’y ſatisfaire,le Baffa pourra vſērde contrainte pour les afferuir, mais
la taxe quiſe paye par eux ne pourra eſtre augmentée. Les Commiſſaires apres une
foigneuſe
enqueſte determineront des bornes entre les terres de la Hauteffe, celles de l'Empire,& celles
de la maiſon d'Auſtriche dans la Sclavonie, Croatie, & baffe Hongrie. Ceux qui auront en
fraint la paix de part ou d'autre s'ils ne peuvent eſtre connaincusfur le champ, il en fers
aduisé d'un commun conſentemest & fait Iuſtice dans quatre mois. Touspriſonniers de
guerre faits depuis la paix de Situatorok,ſerontremis en liberté fans rançon.On informera
des fortifications faitesde parte d'autre depuis cette paix ,& celles qui ſe trouverontadoir
eſté faites au prejudice d'icelle feront demolies. La luſtice ferafidellement adminiſtrée ,&
les pertes de parte d'autre recompensées dans quatre mois aprespublication des preſentos.
L'argent de la garniſon d'Albe Royale fera rendu par les Imperiaux, de les dommages de
Palantuar reftablis. Les contrewenans à la paix ſeront reciproquement enuoyez pour efire

punis pas celuyduquel ils ſerontſujets. Les Preftres, Religieux & Tefaites pourront baſtir
des Egliſes de fairele Seruice diuin dans toutesles terres du grand Seigneur..il fera permis
aux payſans de Hongrie de rebaftir les villages ruinez , & d'enſemencer les terres en payant
tribut des deux coffez. Le commerce fera libre en prenant paſſe-port des Receneurs du frou
Dij
1

28 Hiſtoire des Turcs,

1616. tieſme, ou des Gouuerneursdes frontieres, leſquelsſeront tenusde donner ſauf-conduit aux
marchands , ſansautre tribus que ledit trentieſme. Les Ambaſſadeurs ou Agens de Sa Ma
jeſté Imperiale pourront ſaifir les marchandiſes des ſujets de l'Empire & d'Auſtriche, qui
1
trafiqueront en Turquie fans la banniere & paſſe -poride l'Empereur; & laſaifie ne pourra
eftre ingée que par Sa Majefté Imperiale. Les biens des marchands de l'Empire qui dece
deront ſur les terres du grand Seigncur ſerontretirez par les Agens ,pourles reſtituer aux
heritiers. Les luges des lieux où naiſtront les differends des marchands en connoiſtront iuf
qu'à la valeur de quatre mille afpres, & au delà ils ſeront renuoyez au Iuge de la Porte .Les
Couriers ſeront fauorablement receus par les Gouverneurs des frontieres des deux Efats,
qui leur donneront l’eſcorte neceſſaire. Le Baffa de Bude aura join que les lettres departe
d'autre foientfidellement renduës. Et enfin les Collecteurs duiribur le porteront au bureaus
de la recepte,
fans que les Baſſas ou Beys puiſſent
enuoyer des Commiſſairespourcontraindre
les villages , ſinon apres toutes les fommations faites. Le traité fut ratifié par le Sultan &
l'Empcreur, & les demolicions & reſticutions qui ne purent eſtre faites dans les qua
tre mois,furent remiſes à vn an , à la charge neantmoins que ſi le tout n'eſtoit execu
cé dans ledit temps il ſeroit permis à celuyà qui les places nuiroient,de les faire raſer ,
ſans que cela pûſt eftre pris pour vne contrauention à la paix .
Quoy que ce craité donnaſt eſperance aux Chreſtiens que l'humeur feroce des
Turcs s'adouciroit auec le temps par le commerce mutuel, neantmoins il arriua la
Conſtantino- meſmeannéc vne choſe qui leur fitconneſtre que la barbarie de cette nation & la hai
ple contre les ne furicuſe qu'elle leur portoit,n'eſtoit point diminuée.Les Peres Ieſuites auoient à la
Chscſticns.
recomandation du Roy Henry le Grand ,eſtably vne maiſon de leur Ordre à Pera : les
Miniſtres de la religion Mahometaneles haïſſoient morcellement, les Preſtres Grecs
cnauoient jalouſie ,pource qu'ils ne peuuent ſouffrir les Latins ny l'Egliſe Romaine,
& quelques Occidentaux meſme eſtoient mal affectionnez à ces Peres; Si bien que
Iefuires efta .
tous ces gens-là conſpirant contre eux , les accuſerent enuers les Baſſas d'eltre
blis dans cette
Ville accufez eſpions du Roy d'Eſpagne, de baptiſer les Turcs , de donner l'abſolution aux renc
par leurs en.
acmis de di. gats, de receler les eſclaucs & de lesrenuoyer en Chreſtienté ; à quoyils adjoultoient
ucis cas. qu'ils pouuoient auoir deſſein ſur la perſonne du grand Seigneur, parce que leur
doétrine enſeignoir de tuer les Roys ; Et pour confirmer ces accuſations , ils ne
manquoient pas de conter auec beaucoup d'exaggeration , tout ce qui s'eſtoit fait
en France contre eux ſur ce ſujet là . Non contens de lesauoir deferez au grand Vizir,
ils taſcherent de faire gliſſer cette peuriuſques dans le Serrail, par le moyen du Bou
ſtangy Baſſi qui a tous lesiours occaſion de parlerau grand Seigneur : brefils firent en
*** forte par leurs rapports, quela Ville & la Cour furentimbuës de cette croyance qu'ils
machinoient quelque dangereuſe entrepriſe. Or pendant le murmure qui s'eltoic
Ambaſſadeur éleué contre eux , l'Ambaſſadeur que l'Empereur enuoyoit à la Porte pour con
de l'Empereur firmer le traité de paix , entre dans Conſtantinople cambour battant , & enſeignes
bour battant deſployées: au bruit que cela cauſe il s'eſpand vnerumeurpartoute la Ville , ſoit par
cauſe l'alarme hazard , ſoit par lamalicede ceux qui vouloient perdre les Chreſtiens ou piller leurs
dans Conſtan
tinople. maiſons , que grand nombre d'eſtrangers habillez en luifs & en Grecs l'ont ſuiuy,
& ſe ſont eſpars dans Pera& dans Conſtantinople. Queles Egliſes & les maiſons des
Ambaſſadeurs Chreſtiens fontpleines d'armes, que lesGrecsn'attendent que les Co.
faques de la mer Maiur pour le ſouſleucr , & tous enſemble ſerendre maiſtres de la
Ville qui eſtoit lors tout à fait degarnic dc gens de guerre , pource que le grand
Scigneur auoit enuoyé vne arméeen Perſe , vne autre vers la Moldauic, & vnetroi
fieſme vers l'Afrique , où il craignoit quelque remučment. Luy -meſme.prenant
Le grand Sei .
l'alarme trop chaude monte à cheual auec toute la Cour , & contre la couſtume,
gneur luy
meſme la
marche toute la nuit par les rues, ordonne que chacun ait à porter l'habit defa
fort
Chaude, & nation , auec defenſes à tous de porter le chapeau , excepté aux Francs , & fait faire
veut faire vn roolle de touslesChreſtiens qui ſe trouueroient dans Conſtantinople. Puis deux
mourir tous
heures apres,s'effrayantencore dauantage ſans ſujet, il commande qu'on égorge tous
les Francs.
les Francs; mais les remonſtrancesdu Mufry & du Vizir empeſcherent l'execucion de
ce cruel commandement. Cependant on foüille dans le Conuent desCordeliers &
dans la maiſon des Ieſuites.,où le bruit commun diſoit qu'il y auoit desarmes cachées,
Les Ieſuites mais on ny trouue rien que quelques Liures, & des ornemens d'Egliſe. On ne laiffe
lier priſon pas pourtant deſe ſaiſir du Cordelier Vicaire du Patriarche , de ſix Ieſuites, & de tous
rises , leurs papiers & memoires qui eſtoient en grand nombre, & qu'ils deuoient enuoyer à
Rome
Achmet I. Liure dix -neufiéme .
29

Rome touchant la deliurance des eſclaues & z rencgats , touchant la reünion de l'E 1616:
gliſe Grecque auec la Romaine , & autres choſes qui paſſent pour crimes irremiſli
bles en ce pays-là . De bonne fortune pour les leſuites il ſe trouua que le Maiſtre
d'hoſtel de Sancy eſtoit amy d'un certain luif Portugaisqui monſtroit la Philoſophie Les papiers
des leluites
à cée Ambaſſadeur : parle moyen de cet hommeil auoit fait en force enuers ceux qui heureuſemét
faiſirent les papiers que tous ceux des Ieſuites qui eſtoient de conſequence furentſau- lauùcz.
ucz , & n'y curde pris que ceux du Cordelier ;auquel on ne pardonna pas , le grand
Seigneur l'ayant fait ietrer dans l'eau tour deuant luy . Sancy aduerty du danger ex Sancy inter ,
treme que couroient ces Peres, auoit paſſé le canal & eſtoit venu à Conſtantinople cede pour
folliciter pour leur ſalut: fix mille ſequins qu'il promit contribuerent beaucoup à les cux ,& court
preſeruer du meſme mal -heur que le Cordelier ,quoy que ſur l'heure il ne pùc pas
obtenir leur deliurance : mais luy -meſme en retournant chez luy ne ſe vid pas moins

en hazard qu'eux. Le grand Seigneur auoit fait expreſſes defenſes de paller de Pera
à Conſtantinople , ny de Conſtantinople à Pera . Comme il veut donc reuenir il trou
ue le paſſage fermé: laiſſant ſes gens ſur le bord de l'eau , il va trouuer le Mufry pour
le prier d'enuoyer ſon Truchement au grand Vizir luy demander la permiſſion de
e
s'en retourner . Le Mufty, dontilauoit touſiours taſché d'acquerir la bicnueillanc
par de frequentes viſites , neluy refufa pas cette courteſie , & ioignit ſon intercellion
à ſes prieres. Mais tandis qu'il eſtoit là , ces gens furent enuironnez d'une foule de ca
nailles qui leur chantoientiniures ,croyant qu'on les allaſt tous faire mourir , & qui les
cuſſent bien -coſtietrez dans l'eau s'ils n'euſſent veu arriuer vn officier du Vizir , quiap
porta vn billet pour faire repaſſer l’Ambaſſadeur & ceux de ſa ſuite.La nuit ſuiuante
il у eut encor vne autre emotion dans ſon quartier , non pas moins dangereuſe pour Autre emo
luy & pour les autres Francs que la premiere . Eſtant ſuruenuë vne diſpute entre deux tion à Pera,
habitans, à cinq cens pas de ſon logis , la populace s'alla imaginer que c'eſtoient les où il eſt auffi
en danger .
Francs qui vouloient prendre les armes, tellement qu'ils les prirenteux -meſmes; &
deſia ils s'eſtoient attroupez au nombre de mille ou douze cens pour leur courir ſus,
quand quelques-vns moins eſtourdis ou moins malicieux que les autres , eſtant allez
au lieu d'où venoit le bruit pour ſçauoir quelle en eſtoit la cauſe , rapporterent que
c'eſtoicnt deux voiſins quiſe quereloient . L'eſmeute appaiſée il ſollicita tres-inſtam
ment la deliurance des Ieſuites , & à force d'argent leur ouurit enfin la porte despri- Obtient lade

ſons: meſme il obtint des lettres patentes du grand Seigneur , qui les declaroient in- „liurance, des
nocens , & lesaccuſations faites contre eux fauſſes & calomnicuſes. Il auoit neanca
moins reſolu aprescela de ne les plus ſouffrir , ſibien qu'ils furent contrains de ſortir
de Conſtantinople ; & comme ils paſſoientaux Dardanelles ,ils furent encor arreſtez
ſur quelques nouueaux aduis qui furent donnez à la Porte : mais l'Ambaſſadeur im- & maintiene
pecra leur liberté pour la ſeconde fois , & iugeant qu'il eſtoic important pour la me- dans
leur Conſtans
Million
moire de Henry le Grand de maintenir leur Miſſion , il y employa tant de ſoins & tinople.
d'argent qu'il obtint permiſſion pour deux de ces Peres de retourner à Cõſtantinople,
& de plusle pouuoir d'y en faire venir d'autres de France, quand bon luy ſembleroit.
Surmer les galeres de Florence & de Malthe ſe faiſoient redouter , comme les an

nées precedentes.Le Baſſa Muſtapha commandé par le Sultan pour aller en Barbarie ,
auoit fait equiper deux galeres à vingt-cinq bancschacune portant fanal, qui eſtoient
la Patrone & la Capitane du redoucé Corſaire Amurath Rays ; la premiere ſous la
charge de Muſtapha Celeby , 8c l'autre ſouscelle d'Amurath Bey deMetelin , toutes
deux defenduëspar quatre cens Ianiſſaires, compagnons des pyraceries d'Amurach.
Les Florentins qui couroient la mer du Leuant ayant eu aduis aupres de Cerigo , Galeres de

jadis Cytherće, queles Turcs eſtoient preſts à partir, ſe mirent enembuſcade au der batt Florice com
ent &
ſous du Chaſteau Roux :mais la Lune eſtant fort claire cette nuit là les gardes,les dé prennét deux
couurirent , de façon que la Patrone ſe mit à force de rames à tirer vers la terre , & la galeres Ture
Capitane à gagner la pleinemer : ce qu'elles neſceurent faire auec tant de diligence
que l’yne ne fuſt deuancée par Ingherramy general de la force ennemie . Ces deux
vaiſſeaux s'eſtant accachez , le combat fut ſanglant & furieux, apres lequel enfin les
Turcs furent vaincus ,& Celeby fort blellé & fait priſonnier . L'autrefutauſli-coſt atra
pée par deux galeres Florentines, & forcée apres auoir long -temps reſiſté ; Muſtapha
& Bey y furent cuez , & tous les lanilſairesmis à mort ou faits priſonniers. On donnala
liberté à quatre cens trente Chreſtiens eſclaues, en la place deſquels furent mis deux
cens quarance Turcs . Il y cur deux cens vingt -trois Florentins bleſſez & trente - cing
Diij

1
Hiſtoire des Turcs ,
30

1616. de morts :mais lebutineſtimé plus de deux cens mille eſcus , adoucit beaucouples
playes des viuans.Preſquc en meſmetemps , les CheualiersdeMalthe quicſtoienten
Autre combat courſe ſur la meſme mer prirent ſept vaiſſeaux Turcs ; & de cinq cens laniſſaires,qui
des galeres de
Malihe. eſtoient dedans , ils en cuerent centcinquante & firent tous les autres eſclaues .

XII . Les Cofaques à lcur ordinaire ayant recommencé leurs courſes ſur la mer noire ,
les Turcs en firent grand bruit en Pologne , diſans que l'Ambaſſadeur leurauoic pro
Affaires entre
les Polonnois misl'an paſſé qu'on donneroitordre qu'ils s'abſtinſſent de ces pyrateries ; à quoy les
& les Turcs, Polonnois reſpondoient par de plus iuſtes plaintes , qu'on leur auoit auſli promis d'o
pour . la Mol- ſter Thomza de la Moldauie, & que neantmoinsonly maintenoit ouuertement . Or
il faut ſçauoir que le Roy & la Republique de Pologne ayant trop d'autres occupa
tions , comme nousauonsdit , pour defendre lors leur droit ſur la Moldauie , il s'eſtoit
neantmoins trouué deux Seigneurs Samuel Koresky & Michel Wiſnioviesky pa

Koresky & rens du Duc Conſtantin, quipourſuivant la quercle publique auec leurs forces parti
wilniowiesky culieres auoient battu Thomza en quinze ou ſeize rencontres, & tout à fait chaſſé luy
kunt Conftan & les Turcs hors de la Prouince :mais apres ces victoires Wiſniowiesky eſtoit venu á
tin ,y font la mourir de maladie , & Koresky auoit eſté abandonné de ſes gens de guerre , ſoit qu'il
guerre à Tho
n'euſt pas dequoy les payer , ſoit que les commandemens de Staniſlas Zolkieusky
28 , & l'en chal
lent, grand Mareſchal du Royaume, les rappellafſent dans le pays. Toutesfois bien qu'il
n'euſt plusauec luy que cinq cens cheuaux , il n'auoit pû ſe reſoudre à reculer deuant

Mais le ſecód l'armée de Sender Baſſa , auec lequel eſtantvenu aux mains ,& ayant combattu auec
meurt,& te tous les efforts que peut faire vne petite troupe contre vne armée , auoit eſtéfait pri
premier est fonnier & emmené à Conftantinople. Les Turcsenfez de cette victoire , & d'ailleurs
ment prilon- excremement irritez des rauages des Cofaques, auoient enuoyé vn Chaoux vers le
nier à con- Royà Varſouie luy declarer que le grand Seigneur renonceroit à l'alliance qui eſtoic
Atantinople,
entr'eux files Polonnois no s'abſtenoient de lemeſlerde croubler la Moldauic , & nc
contenoient les Coſaques. Pour le premier,ilauoit eſté reſpondu que l'Ambaſſadeur
Les Turcs de
noncent la repreſenteroit au grand Seigneur les droits de la Pologne : pour le ſecond , on auoit
guerre aux donné charge à Zolkieusky d'arreſter les courſes des Coſaques à l'aduenir; Etdepeur
Polonnois, que les Turcs pour venger les grands dommages qu'ils en auoient reccus ne les vinſ.
ftiennent dela ſent chercher iuſques dans leurshabitations , ce qui euſt pû deſoler les Prouinces de
Moldauie, & la Ruſſie,parce qu'ils y habirent pelle meſle auec les autres peuples , toute la Nobleſſe
ne repriment
les Colaques. cut commandement de ſe mettre en armes, & l'on renforça les garniſons des fron
tieres. Or Zolkieusky s'eſtant campéauec l'armée Polonnoiſe dans cette Prouince
ſur la riuiere d’yficza , les Beys & Capıcaines Turcs en eſtoient venus à vn pour
parler & luy auoient engagé leur parole qu'ils ne commercroient aucun acte d'hoſti
Colaques pro licé , pourueu qu'il obligeait les Coraques à la melme condition : tellement quc ſur
mettent de nc
plus faire des cette aſſeurance il s'en eſtoit allé vers Paulocze où ils eſtoient aſſemblez , pour con
courſes. ferer auec eux , & leur auoit fait promerere que d'oreſnauant, ils n'entreroient plus
ſur les terres du Turc ſans ordre du Roy de Pologne .
Mais cette année comme le Cham des Tartares de Dziambegerey n'auoit pas
1617
laiſſé de venir rauager la Podolie & la Volhinic , d'où il auoit emmené vnc multitude
infinic d'hommes & de beſtail , ils prirent ce pretexte de nepoint tenir leur parole

Mais les Tar- aux Turcs puis qu'ils auoient violé la leur les premiers, & recommencerent de plus
en ayant belle à courir la mer.Toute la puiſſance du grand Seigneur ne ſçauoit trouuer le
caresilsrecom
fait
Inchccnt. moyen de les en empeſcher : carauec la grande quantité de leurs petits vaiſſeaux ils

battoient ſes galeres 'ſielles eſtoient en petit nombre, (dont on auoitveu tout fraiſche
ment vn exemple dans le fils de ce fameux Baffa Cigale, qu'ils auoient attaqué quoy
qu'il euſt ſix galeres, & en auoient coulé croisà fonds;) & fi elleseſtoient en grand
nombre , ils les eſquiuoient & ſe ſauuoient dans les riuieres . Meſme Sander Baffa,
ayant l'an paſſé baſty deux forts ſur les emboucheures du Boriſtene, vn peu au deſſous
d'oczakouie,ils les auoient pris d'aſſaut & raſez . Il n'y auoit qu'vn remede, mais cres
difficile , quieſtoit de les aller extermineriuſques dans leurs retraites . Pour ce ſujet
Sander Balla Sander Baſſa ſe mit à attaquer leurs chaſteaux des frontieres où il croyoit qu'ils ſe re
ruinenque ciroient , & cn ruina pluſieurs. Cependant Vladiſlas fils du Roy de Pologne , icung
leurs cha- Prince que le courage & la vertu ſurpaſſant ſon aage le porcoient à chercher vne

Ateaux,& vient nouuelle Couronne", ayant mené en Moſcouie vne grande partie des forces du
tieres de Po. Royaume, pour y pourſuiure les droits que ſon pere y auoit acquis, Sander aduercy
logne,
de con éloignement s'approcha des frontieres de Pologne , croyant la trouuer degarnic
d'hommes
Achmet I. Liure dix - neufiéme. 31

d'hommes de defenſe : mais comme cér Eſtar fourmille en Nobleſſe & qué tous ſes 1617 .
habitans ſone nez pour les armes , le grand Mareſchal cut auſli -coſt leué vne grande
armée pour luy oppoſer, & s’alla camper ſur le conflant de Tyra & de Morachua,pres
de la ville de Buffa.Celle de Sander eſtoic ſur l'aucre bord du Tyra , odi en peu de iours Zolkieuſxy

elle deuint effroyablement groſſe par les renforts quiluy arriuoient de tous coſtez ,des luy fait terte,
Tartares,de la Tranſliluanie , de la Moldauie & de la Walachie. Les Turcs & les Tar
tares paſſoiét de fois à autre la riuiere qui eſt gueable là aupres , & venoiét prouoquer
les Polonnois au combat :mais Zolkieusky ne vouloit pastencer le ſort d'vne bataille
generale ; au contraire , ayant faic iecter des propos d'accommodement, il entra en
traité auec Sander, & palla des conditions en vertu deſquelles les Turcs ont touſiours
Pallo yn acos
depuis retenu vne dominacion abſoluë ſur la Moldauie de ſorte qu'il n'y ont plus cſta cord auec luy,
bly aucun Vayuode qui ne fuft eſtranger & ennemy des autres Chreſtiens;ſe fondans en vertu du
principalement ſur vn article qui porte que les Polonnois n'y feroient entrer aucunes qucl leTuro
troupes pour la troubler,ny pour en depoffederlePalátin eſtably par le grādSeigneur . Moldauic.
De plus ,le traité fait il leur liura le chaſteau de Chocim que les heritiers de Con
ſtantin gardoient encore , & condanına à mort le Gouuerneur qu'ils y auoient mis,
parce qu'il n'en eſtoit pas ſorry à ſon premier commandement . Il leur permit auſſi de
rauager les contrées de Berſabée & de Raſcow pres la riuiere de Tyra ,colonies ap
partenantes à des Seigneurs Polonnois , ſur ce que Sander ſe plaignoit qu'elles ſer
uoient de retraitcaux Coſaques , & qu'elles empiecoicnt ſur lesterres du grand Sci
gneur . Il y a quelque apparence qu'il ne condeſcendoit à ces maux que pour en éuiter Quelles rais
de plus grands, & qu'il te ſouſmit à ce traité deſaduantageux,de peur d'eſtre obligé à faire cet ratio
vne bataille dont la perte euſt poſſible eſté ſuiuie de celle du Royaume : neantmoins commode .
cette action ne fut pas exempte dereproche enuers les Seigneurs Polonnois ; & illem- mene.
ble que leiugement de PaulPiaſeck Euefque de Premiſlie ,dansla Chronique ,va tout
à fait à le condamner .Car il dit que s'il euſt voulu liurer bataille ,il n'auoit pas de petics
indices de la victoire , veu que les Tranſſiluains & les Moldaues offroient ſecrete
ment de tourner caſaque ſur le poina de la mellée ; ou du moins qu'eſtant ſibien re- lugemě del
tranché & fi bien pourueu de municions comme il eſtoit, il n'euſtcouru aucun dan - depaule pire
ger d'eſtre forcé dans ſon camp ,par ainſi qu'il euſt facilement arreſté & bien -coſt lecki
dillipé ce ramas infiny de tant de fortes de nations, qui n'auoit dequoy ſubſiſter quc
pour peu de iours . A quoy il adjouſte que ce General fit ce traité de ſon authorité par
ticuliere , ſans en auoiraacun ordre expres , ny du Roy , ne de la Republique.
Le traité de Vienne n'auoit pas entierement aſſoupy les deſordres du coſte de la
Hongric: les ſoixante villages quireleuoient de Scrigonie , diſoient que l'Empereur
n'auoit pû ceder leur liberté au Turc , & fe defendoient courageuſement. Pour ce ſujec Petites guer.
les Turcs y firent d'horribles degalts en pluſieurs endroits,
pour les forcer de ſubir Hongres &
le joug de la ſeruitude; Etles Heidouques leur rendant la pareille , ſe mirent à faire les Turcs .
des courſes & à leur preparer des embuſches vers Agria. Les Turcs accourus en
foule les pourſuiuirent: les autres feignant de fuirſe defendirent legerement , juſqu'à
ce qu'ils les euſſent attirez dans vne embuſcade , d'où leurs gens ſortirent d'vne telle
furie que des ſix censqui leur eſtoientvenus donner la chaſſe ilen demeura plus de la

moitie, & le reſte eut bien de la peineà ſe fauuer. En ſuite de cela les habitans de
ces villages enuoyerent vn Meſlager dire à Gratiany l'un des Capitaines du Turc ,
qu'il ne parlaſt plus d'oreſnauant de les ſouſmettre à la domination de ſon Maiſtre , &
de
qu'ils aymoient mieux perdré les biens & l'a vie , que fous yne fauſſe apparence
paix, tomber dans la puiſſance des Turcs , qui ne les auoient pû auoir par la force
des armes .
Entre les affaires qu'eut Achmec dans l'Aſie , celles de la Mingrelie & des autres XIII .

Royaumes des Georgies,ncfut pas vne des moindres . La Georgie en lāgage des Turcs Affaires de la
Gcorgie,
Gurgiſtan , ainſi nommée des Georgiens,peuple mentionné dans Pline,à la prendre
comme les Turcs la prennēt auiourd'huy,contient l'anciệne Iberie, partie de la haute
Armenie, de l'Albanie & de la Colchide,s'eſtendant entre le Pont Euxin ,la mer Cal- Eftendue de
pienne,les Prouinces deCurdiſtan & de Seruan.Elle eſtoit diuiſée en pluſieurs petites qui contient
Principautez , ſpecialement en 4. Royaumes àſçauoir de Mingrelie , de Bacha Chore , quaticRoyau
de TcAis , & d'Yueric. Ce dernier reciéntſon nom de l'Iberic . Les deux premiers come ne Bacharen
plus éloignez du Turc & du Perlan , & de plus eſtantpeu acceſſibles à cauſe des mon- Chore , Telis
Fagnes quiles enferment , n'ont pas tant ſouffert des quercles & de la cyrannie de ces & Yueric.
Hiſtoire des Turcs ,
32

deux puiſſans Princes.Mais les deux autres leur eſtant plus voiſins & tellement placet,
1617
que toutes les fois qu'il y a guerre entr'eux il faut qu'ils eſpouſent l'un ou l'autre
party , ileſt artiué que pour ne pouuoir plaire à l'vn ſans offenſer l'autre , ils ſont à la
Princes qui fin preſque tous tombez ſous leur domination.Du temps du grand Seigneur Achmer
regnoient lors
en ces Royau . & du Sophy Cha Abbas, regnoičedansle Royaume de Teflis vn nõméSimon Cham,
nics , & dansceluy d'Yueric Alexandre Can , & en Mingrelie deux Princes , l'vn nommé
Gorel dans la partie la plus voiſine de la mer , l'autre Dodran , qui laiſſa vn fils de ſon
nom ſous la cutele d'un ſien oncle nommé Lipartia , Achmer eſtant entré en guerre

Lc Turc préd contre Cha Abbas voulut s'aſſeurer entierement du Royaume de Teflis , & pour ce
Simone Cans ſujet , ſur vne querele apoſtée à Simon , luy demandant des deuoirs & vne ſoumiſ
le detient en fion qu'il ne luy deuoitpoint, il enuoya vne puiſſante armée dans ſon pays qui le vain
priſon , & fait quit,le prit & l'amena auec ſon fils à Conſtantinople,où il le detint touſiours, & remic
Tous la cutele le fils qui eſtoit encore forcieune dans le Royaume, luy donnant pour Regent Meu
de Meurab .
rab Seigneur du pays , & Intendant de la luſtice . Au meſme temps il demanda tribut
à Dodran Roy de Mingrelie , qui apres en auoir fait quelque difficulté, ſe ſoulmiş
Allujectit ce enfin à le payer , pour euiter la deſolation donc il voyoit ſon Royaume menacé,
luy de Men. LcRoy de Perſe apprehenda qu'Achmet ne contraigniſt auſſi celuy d'Yuerie de ſubir
grelie au tri
but . le joug de la domination pour faire de ce pays- là comine vn magaſin & vne place d'ar
mes , d'où il euſt entretenu plus facilement la guerre en Perſe, dont cette Prouinco
eſt frontiere; certe crainte l'incita d'executer le deſſein qu'il auoit deſia formé de s'en
fubiuguer ce- rendre maiſtre; Et comme il eſtoit le plus fourbe & le plus artificieux Prince de tout
luy d'Yuerie . l'Orient , il ſe feruit pour cela des plus malignes ruſes & des plus grandes perfidies
dont on ait iamais oüy parler.
L'hiſtoire en eſt ſi curicuſe & fi belle qu'elle vaut bien la peine de s'y arreſter , voire
meſine de ſe deſtourner vn peu du chemin pour la voir . Cha Abbas ayant donc en

Alexádre Can uoyé vn Ambaſſadeur vers Alexandre pour l'inuiter à prendre ſon party & ſe mettre
femet fous fa en la protection , ce pature Prince penſant éuiter le mal-heur qui eſtoit arriué à Si
donne Ton fils mon le ſoulmità ſa volonté. Ilauoit vn fils aiſné nommé Conſtantin , qui eſtoit alló
Conſtantincn en Perſedu viuat du Roy Cha Mehemcd,pour accompagner ſa fæur quiſe marioit au
oſtage.
frere aiſné de Cha Abbas , lequel fut aſſaſſiné bien -coſt apres.CeieunePrince ayāt pre

mierement abādonné ſon hõneui, ſe laiſſa en fuite rellement débaucher par les belles
linftantinos promeſſes de Cha Abbas , qu'il renonça à la Religion & embraſla celle de Mahomet.
metan . Son pere le tenant perdu & indigne de la ſucceſlion,puisqu'ils'eſtoic abſolumétrengé
auec les ennemis de leſus- Chriſt,maria ſon ſecond fils qu'il auoit nommé Dauoud,
auec vne fille d'vn Seigneur du pays appellée Catherine ,aufli verrucufe que belle , &
bien née. De ce mariage naſquit dans l'année vn fils qu'on nomma Tamaras Mirza ,
marielönfic- qui fut ſoigneuſement éleué dans les ſentimens de piecé & dans l'amour de la Reli
re Dauoud, gion Chreſtienne , iuſqu'à l'aage de neuf à dix ans . Cha Abbas faſché de voir croi

Ta . itre vn ſi beau rejetcon qui l'empeſchoit d'extirper cette race , ou de la reduire toute
quia vn fils
nomné
maras . au Mahometiſme, le demanda au grand- pere afin de le retenir encore pour gage &

de le peruertir , comme il auoit faic Conſtantin . Legrand- pere ignorant ſa maliuaiſa


intention , ou n'oſant pas luy deſobeïr , le luy enuoya: mais ny les Matteux appas , &
ſes careſſes, ny ſes menaces & la rigueur,n’eurent aucun pouuoir ſur cét enfant pour
Le Perlan de . luy arracher de l'ame les ſemences du Chriſtianiſme que ſes parens y auoient plan
mande Tama- técs, au contraire toutes ces tentations violentesſeruirent comme d'exhortations &
ras , mais ne d'enſeignemens pour les fortifier & les accroiſtre.
Mahometan . Comme il eut donc perdu l'eſperance d'auancer ſon deſſein par cette voye , ik
s'en aduiſa d'vne autre encore plus impic & plus deteſtable. Il recommence à Batter
Conſtantin , dont il ne tenoit pas grand conte depuis quelque temps , & l'ayant yn
iour appellé dans ſon cabinerluy teſmoigne vne tendreſſe extraordinaire ; luy dic

Propoſe à qu'il a touſiours penſé à ſon auancement autant qu'à celuy de ſes propres enfans,
Conftantin de & que l'affe &tion qu'il a pour luy ne ſera iamais ſatisfaite qu'il ne luy ait mis vne
tuer ſon pere Couronne ſur la teſte ; Que celle d'Yuerie luy doit appartenir comme à l'aiſné: mais
pour le faire que ſon pere le veut priuer de ſon droit , & la laiſſer à Dauoud ſon puiſné. Il exag
Roy . gere là- deſſus la haine que ſon pere luy porcoir , l'appelle iniufte & mcfchanc pere,

indigne d'auoir vn tel fils, pour lequel il ne doit point auoir de reſpect, puis qu'il
» a le premier violé les ſentimens & les droits de la nature en prcfcrant le cadet à
l'aiſné; S'il l'en veuộcroire , qu'il ne ſouffrira pointcette iniure , qu'ilcn tirera raiſon ,
& que.
Achmet I. Liure dix -neufiéme. 33

& que tandisqu'il eſt appuyé de la faueur , il s'aſſeurera du Royaume ; Que pour ce " 16 17
qui dépend de luy , de les forces & de ſon alliſtance, il s'en peut bien tenir aſſeuré « c
tandis qu'il viura : mais que comme il n'y a rien de plus fragile que la vie , ny rien de ce
plus difficile à retrouuer que l'occaſion , il ne doit pas diffcrer davantage à embraſſer «
celle qu'il luy preſente. Apres qu'il luy a preparé l'eſprit auec pluſieurs ſemblables ve
diſcours, il luy declare con intention , luy dit qu'il faut qu'il ſedefaſte de ſon pere &
de ſon frere, & luy demande s'il aura le courage , en cas qu'illes faſſe tous deux venir
en cour , de les tuer ; luy promettant de luy donner auſli-toft vne armée pour pren
dre poſſeſſion du Royaume , & de luy faire eſpouſer la vefue de ſon frere , pour
appaiſer les Grands du pays . L'ambition de regner, qui vidt toutes ſortes de droits, Conſtantin le
n'eutpasbeaucoup de peine d'induire ce meſchant, qui auoit deſia renić fon Pere delle pour le from
celeſte, à tuer ſon pere charnel . Alexandre & Dauoud eltans venus au mandement de pere & fon
frere dans yn
Cha Abbasauec quatre mille Georgiens pour ſeruir contre le Turc , il les conuic vn feftin où il ics
jour à diſner, & les poignarde tousdeux ſur la fin du repas.Cha Abbas ayant taſché auoit conuices,
d'appaiſer les Georgiens, fore troublez de l'atrocité du fait, & déguiſé la choſe par
quelques raiſons friuoles, donna vnc armée au parricide , pour aller ſe mettre en pofa
fèffion du Royaume. Les Grands qui s'eſtoient aſſemblez ſur cette nouuelle, conlide
rant qu'il s'agiſſoit de leur Religion & de Icur liberté, conſpirerent auec Catherine, cha Abbas
de le tucr auant qu'il euſteſtably fa tyrannie ; Et commeils n'auoient pas la force en luy donnevne
. main , ils iugerent plus à propos d'y employer la ruſe.LcRoy de Perſe auoit enuoyé des armée pour
Agens vers eux pour recoinmander Conſtantin , & leur faire entendre qu'ildefiroit d'Fuerie.
qu'ils l'acceptaffentpour Roy : Catherine feint deuant ces gens- là de ſe reſoudre &
d'obeïr à la neceſſicé , dépeſche meſme vn Gentil-homme à Conſtantin luy faire com
pliment , & le prier puis qu'il n'y auoit plus de remode à cét accident , de vouloir au Feinte de ca :

moins eſpargner ſon païs ,& de n'expoſerpointen proyeà des eſtrangers vn Royaume therine veftec
que perſonne ne luy pouuoit diſputer , l'afſeurant que ſi elle a leué des gens de guer- de fon frere ,
pour l'atrapes,
te, ce n'eſt pas pour s'oppoſer à la reception , mais ſeulement pour empeſcher les
rauages des Perſans. Orloit qu'il croye ces paroles veritables , foit qu'il faſſe ſem
blantde les croire , il s'auance & s'imagine qu'il la ſurprendra elle & ſon conſeil; mais
elle y auoit donné libon ordre qu'il ſe trouua ſurprisluy-meſme. A deux milles de la
Ville capitale où elle faiſoit ſon ſeiour ,il falloit , en venant du coté de Perſe , paſſer
dans vn valon forreſtroit entre deux montagnes couuertes de buiſſons & deforeſts.
Surcesmontagnes aſſez loin du chemin elle auoit diſpoſé enembuſcade fept à huit elle le fait
mille Georgiens , & plus pres elle auoit mis cinquante härquebuſiers des plus cuer par vne
embulcade.
ajuſtez dans vne haye . Commeil vient à paſſer par ce valon , les harquebuſiers tirent
ſur luytous à la fois, & auec cinquante bales chaſſent cette traiſtreſſe & mal-heureuſe
amede ſon corps . Les troupes Perſanes qui l'accompagnoient , eſtourdies dece coup
inopiné prennent l'eſpouuantc ; les Georgiens qui eſtoient ſur la montagne fondene
deflus; leurs compatriotes quiaccompagnoient le parricide, ſeioignent à eux, & tous
enſemble ils chargentles Perſans de telle force qu'ils en maſſacrent ſept ou huit
eha Abbas
mille. Lesaffaires qu'auoit lors le Sophy auec le Turc,l'obligerent à diſſimuler la rage diffimule font
qu'il cutdecette execution : Il feignitqu'il eſtoit bien aiſe que la Princeſſe euſtainli courroux , &
fait Rov Tas
pris vengeance de la mort de ſon bcau -perc & de ſon mary; & de peur que le deſel maras fils de
poir de pardonne portaſt les Gcorgiens à ſe'iciter du coſté des Turcs , il leurrenuoya Catherinc.
Tamaras pour regner ſous la curcle dela mere C
. 'eſt ainſi quele raconte yne Relación
de Religieux Auguſtins Portugais , qui ont voyagé en ce pays-là :mais Antione Goa
dea du meſme Ordre & de melme nation , dans celle qu'il a dreſſée des voyages que
Autre relation
luy & ſes Peres y ont faits , le rapporte auec des noms & des circonſtances fort diffe- detectele
rentes ; tant il eſt mal-aiſé de ſçauoir aſſeurément la verité de ces Prouinces loing , vatture , auca
taines. Alexandre , ce dit-il , auoit trois fils,Dauid, Gurguin , & Conſtancin : le dernier des citcon
eſtoit allé en Perſé & s’yeſtoit faic Mahomecan ,comme nous auons dit , Dauid l'ailné differentes,
cſtoit mort quelque temps apres, laiſſantvn fils fort ieune nommé Lamaſſan :de forte
qu'il ne reſtoicdestrois freres auprès du pere , que Gurguin- qui eſtoit le ſecond. La
guerre eſtant fort efchaufféc entre le Turc & le Perſan ,comme le dernier aſficgcoie Alerandre
Eruan,lefils de Simon Roy de Tcfis decénu à Conſtantinople ,(cér Aucheurlenom- auoittroisils,
me Gurguin , non pas Macralla Myrza ; comme fait l'autre ) luy enuoya offrir fon Dawid , Qui
feruice, & quantité de rafraiſchiſlemens; Alexandre fit auli'le meſme, de paroles : guiar,Conftan
tin .
mais le Perfan attendant autre choſe de luy que des complimens , veu qu'il eſtoit
2:? TomeII. E
Hiſtoire des Turcs ,
34

ſon allié bien proche , ayant autresfois donné la filleen mariage à Anza Mirza frere
1617 .
aiſné de ce Sophy,teſmoigna à Conſtantin qu'il n'eſtoit point ſatisfait de ces offres:
luy diſant que ſon pere eſtoit ſon amy ſeulement de bouche, mais que des Turcs

il l'eſtoit de cæur , & qu'il auroit touſiours cette croyance juſqu'à ce qu'il la luy
euſt oſtée par des effets indubitables . Alexandre aduercy de ce diſcours par ſon fils &
Pourquoy redoutant que la cholere du Perſan , enflé du ſuccez de ſes grandes vi&oires , nere
Alexádre vint
Brouuer Cha debordaſt ſúrluy , fut obligé de luy donner quelques prevues deſon feruice. Il s’alla
Abbas auec donc ietter ſur la ville de Teflis demeurée en la poſeſſion des Turcs depuis qu'ils
trois mille
hommes , auoient emmené Simon , tailla en pieces leur garniſon qui ne ſe deffioit pas de
luy , & en porta les teſt au Perſan , luy menant outre cela trois mille hommes de

cheual, tous gens d’eſlite & en bon equipage. Son fils Contantin deſirant ſignaler
l'affection des Georgiens enuers le Sophy, ou poſſible ayant deſia conceu dans ſon
Conſtantin ame, le mal-heureux deſſein.qu'il executa , luy offrit d'aller conquerir la Prouince
veut conque . de Seruan , s'il vouloit l'alliſter de quelques troupes. Le Sophy accepta volontiers
offres ; mais Gurguin ayant depuis conſideré & fait comprendre à ſon pere
d'Yuc ces
sit le Seruan
voiſin
tic . qu'il n'eſtoit pas bon pour eux que Conſtantin fir cette conqueſte, pource que le
Seruan eſtant voiſin de l'Yuerie il ne l'auroit pas ſi toſt ſubiugué qu'il caſcheroit
auſſi de s'emparer de leur Royaume,ils reſolurent ener'eux de ne luy pas fournir le
ſecours d'hommes & de viures qui eſtoit neceſſaire & qu'ils luy auoient promis

Son pere pour ce deſlein. Conſtantin furieuſement oucré de cette iniure , ſe reſoluc de s'en
con frere sy venger , fit poignarder ſon frere comme il le venoicviſiter, & au meſme temps dépef
oppoſent par cha des ſoldats Perſiens dans la maiſon de ſon pere , qui luy couperent la teſte. Cela
intereſt , il les
tuë. fait il entra auec fon armée qui eſtoit de fix mille Perſans dans la Georgic , ſe faiſic
de la principale ville nommée Zagan , & du threſor de ſon pere , auec lequel ayane
leué huit mille hommes du pays il retourna à la conqueſte deSeruan.Comme il aſſie

S'empare du geoit lafortereiſe de Sumachia, les Georgiens abhorrantſon impieté & ſon parricide,
Royaume eſtant outre cela offenſez de la cruauté dont il yſoit en leur endroit , conſpirerent de
d'Y ucrie. le poignarder vne nuit lors qu'ilſeroit endormydansſa tente.La trop grande rumeur

qu'ils menerent, l'eſueilla, & il ſe fauúa dans la ville d'Adauil : d'où ayant donné
aduis au Roy de Perfe de leur reuolce , il en receuc vne armée de huit mille Perſans,
Les
conſpirente de Auec ce nouueau renfore, il entre dans l'Yuerie ,tous les habitans capables de porter
le
der.poignar- les armes cedant à la premiere fureur, ſe recirent dans les montagnes, les vieillards
,
& les femmes reſtez dans Zagan le reçoiuent:mais les principaux du Royaume ayant
tenu conſeil entr'eux pour ſedeliurer de la cyrannie , proclament Royle icune Lamal
Ileſteve d'vn fan ; aſemblent des troupes & marchent vers Zagan ,Ilſort au deuant
d'eux pour les
coup de Acl" combattre , mais à peine en ſont-ils aux mains qu'il combe mort de deſſus ſon cheual,
che dans un frappé d'vne ficſche,cirée par vne main incertaine. Cefur aſſez aux Georgiens de luy
combat .
auoir oſté la vie, ils ne voulurêc pas eſtendre leur vengeance ſur les Perſans,mais leur
permirent de ſe retirer paiſiblement:Er depuis la Reync mere & tutrice de Lamaſan,
Cha Abbas cſtant venuë ſe ietter aux pieds du Sophy auec ſon fils, & vncieune fille d'excellente
pardonne à beaucé ; luy demandant pardon de ce qui s'eſtoic paſſé , & luy faiſant conneſtre les
Catherings cruautez de Conſtantin , il luy pardonna & confirma ſon fils dans la poſſeſſion du
Roy. Royaume; meline il luy demanda ſa fille en mariage, & par cette alliance ſembla
vouloir donner aux Georgiens des affeurances plusforces de ſon amitié.
Voila ce qu'en dit la relation de ce Pere , qui ne paſſe pas plus outre : l'autre conti
nuë ainſi le recic de ces auantures.Lcretour do Tamaras relcuales eſperāces des Yuc
Catherine riens & eſſuya les larmes de ſamère ,qui delirant faire regner fan fils dans ſa pofterité ,
• veut marler parla aull -cott deluy trouuer femme.Ilyauoit dans le pays du Roy de Teflis nommé
ſon fils Ta- Aloüaffe, vncieune Damoiſelle de fort bonne naiſſance , de rare beauté, & aueccela
maras..
pourucuë de tantde rares qualitez qu'elle meritoit bien celle de Reyne. Catherine
jetra les yeux ſur elle pour la donner à ſon fils : mais Algiaſſe qui eſtoit veuf , & encor

en aage de ſe remarier,y auoir deſia porté la penſéc.Laicune fille auoit d'vn coſté plus
d'inclinacion pour Tamaras , & de l'autre plus d'obligació d'obcïr à ſon Scigneur:telle
mcntque pour ne deſobliger ny l’yn ny l'autre,elle ferecira dans yn forc chaſteau,d'où
cenu Seda ello leur manda" qu'elle feroit à celuy qui la pourroit prendre. Ceux qui ſçauent les
Roy Alocale mcurs do ce pays.là, & la rigourcuſe capriuicé ou l'on ycientles femmes & les filles,
pour vos auront bien de la peine à croire que celle- là ait faiccette reſponſe & ſoit ainſiſortie du

logis de ſesparens pour s'aller cantongerdansvn chaſteau . Mais pourſuiuós, L'amour


OT mec
Achmet I. Liure dix - neufiéme
.
35

merauſli-coſt les deux Princes en campagne auec toutes leurs forces, pourchleuer le 1617 .
prix qui eſtoic propoſé à leur valeur . Cha Abbas , qui defiroit auec paflion la ruine
entiere de tous lesPrinces Georgiens , n'oublie pas de faire gliſer ſes fourberies
dans cette occaſion , pour les perdre l'vn & l'autre . Il leur cſericfeparément les pique Qui ſe retird
dans yn cha
d'honneur & lesincite à la vengeance , conſeille à Alouaſſe de tuer Tamaras , & à Ta . fteau , & ſe
maras de tuer Alouaſſe , aſſeurane chacun d'eux de la protection , & leur donnant propoſe à ce .
luy qui le
aducu de dire que c'eſtoit pour luy qu'ils demandoient cette fille.Ce dangereux ar pourra pren :
tifice cuſtinfailliblement reülli à leur mal- heur , n'euſt eſté qu'Alouaſſe moins ardent dre .
& plus meur que Tamaras ; luy cnuvya vn de ſes gens pour le prier comıne ayant
couſiours eſté bons amis de ne le point contraindre à reſpandre le ſang Chreſtien &
à deſtruire les forces des Georgiens. Que pour luy il ſe deſiſteroit tres -volontiers de
la pourſuite de cette Maiſtreſſe s'il ne s'agiſſoit que de ſon intereſt, mais qu'il ne la . Malice de
demandoit pas , que c'eſtoit pour le Roy de Períc, qui ne manqueroit pas de s’en Cha Abbas,
reſſentir s'il la luy diſputoit dauantage ; meſme qu'il luy auoit donné charge de le pour faire que
tuer : ce qu'il n'executeroit pourtant qu'à toute extremité.Tamaras n’eult iamais s'entrecoupét
pû croire vne ſi eſtrange melchanceté ſi
, Alocaſſe
ne luy euft enuoyé les lettres de la gorge.
Cha Abbas . Comme il les eut leuës il donna auſſi les fiennes au meſme meſſager
pour les luy faire voir : alors Aloüaíſe l'eſtant venu trouver dans ſon camp ; & luy ce- Ils la deſcóu :
dant ſespretentions,tous deux reconnurent & derefterent les artifices de Cha Abbas , utent, iurenc
s'embraſierent comme freres , & quitcane Con alliance deputerent ſecretement à ' re luy,& sia!
Conſtantinople offrir leurs ſeruices au grand Seigneur', qui les reccur fauorable- lient auec le
Turc.
ment ſous ſa protection . Cela fait ils ſe ſeparerentbons amis , Aloüaſle ſans regret
d'auoir cedé ſá Maiſtreſſe , & Tamaras rauy d'aiſe de la poſſeder:
Quelque temps apres, le grand Seigneur pour ſe mocquer du Perſan , & l'aſſeurer
dela fidélité de ces nouueaux vaſſaux, luy enuoya vn Ambaſſadeur, luy dire qu'ayant
affaire du ſeruice des Gcorgiens , il ne les auoit pasvoulu mander qu'il ne ſoeult pre
mierement de luy , s'il pretendoit auoir quelque puiflance ſur eux. Cha Abbasqui nd, Raillerieda
ſçauoit pas qu'ils euſſent changé de party ny deſcouuert ſa malice , reſpond à l'Am-ſujet.
baſſadeur que s'il veut attendre quelques iours il ſçaura de qui ces Princes dépen
dent ; Et tout ſur le champ leur mande par vn courier qu'ils ſe rendent aupres de luy
auec certain nombre d'hommes . Maisle courier de retour rapporte qu'ils ont refuſé:
de venir ; & ont faic reſponſe qu'ils ſont ſeruiteurs du grand Seigneur. Le mépris de
ces petits Princes le met tout hors de luy-meſme, il jurc auec d'horribles blaſphemes Clra abras en
qu'il les reduira en poudre; & ſa fureut l'emporte auec tant de violence qu'il mord fureur va en
les mains de la femme, fait donner cent baſtonnades au Courchy Bachy, qui eſt com- Georgie aucc
vne armée,
melc Meſtre de camp de ſes gardes , & empriſonne Alauardy Baſſa de Chiras , le.
plus grand Seigneur de la Cour, pource qu'ils vouloient le diffuader d'y aller en per
lonne. Il y va donc auec vne puiſſante armée , Tamaras éuicant ſa rage ſe fauue chez
le Roy de Bacha Chorć , & laiſſe ſa mere dans le pays pour eſſayer de l'adoucir. Elle : Tamaras fe
va au deuantde luy auec les excuſes & ſoumiſſions telles que la neceſſité demandoit: ſauue,la mere
il diſimule ſa cholere , feint d’eſtre Aeſchy par ſes prietes, & luy accorde la paix à de camerané
certaines conditions . , luy promettant de n'entrer pas plus auanc dans le pays , pour - Cha Abbas.
ueu que cinquante des principaux la veulent ligner & s'en rendre garands . Ils y vien
nent au mandement de cette Reyne , luy rendent les hommages , & luy prefent le . Perfidie de
ſerment qu'il demandoit. Il les traite magnifiquement ſous ſes pauillons, & les re - ce. Roy qui
tient iuſqu'au ſoir, ſous pretexte qu'ils s'en iroient plus commodement à la frair - fait mourir
cheur : puis la nuit venuë il les congedie , mais leur donne vne compagnie de ſol- gncurs du
dats pour eſcorte , qui feignant de s'entretenir auec cux par les chemins, leur cou: Pays , & c
pent la teſte, & remmenent la Reyne . Lepays ainſi deſtitué de ceux qui le pouuoient Reyne,
defendre fut aiſément rauagé par Cha Abbas : qui paſſant tout au trauersentra dans
celuy d’Aloüaſſe ſe laiſir de ce Prince 8z de Meurab ſon Intendant , comine ils eſtoient Prend Aloiial
venus au deuant de luy , & donna le Royaume à vn Chreſtien renegat qui eſtoit,du fe & Meurab;
fang de ces Princcs . Éſtant de retour à Iſpaham capitale de Perfe , il fie mourir & donne ce
Alouaſſe par poiſon , & contraignit Meurab par la crainte de la mort à ſe faire cir- vn renegat.

concire . Sa ragecontre les Georgiens ne s'appaiſa point par tant de cruautez , elle nc,
pouuoit s'eſteindre que dans lemaſſacre general de cette deplorable nation ; Telle
ment qu'à quelque temps de là , il reſolut de l'extirper entierement, à quoy. il pro

ceda de la forte . Il enuoye l'une de ſes filles pour femme au Roy qu'il avoit fubfticuć .
Eij

1
ire
36 Hiſto des Turc
s
,

1617 . au lieu d’Aloüaſſe, leucvne armée ſous couleur de faire honneur & compagnie à la
nouuelle eſpouſe , en donne le commandement general à Meurab , enioignant à
Veue exter- tous les Cans ou Capicaines de ne rien entreprendre ſans ſon ordre , & le charge ex
miner tous les preſſément lors qu'il ſe ſeroit adroitement rendu mailtre du pays de prendre tous
employemeu les Chreſtiens , hommes, femmes & filles, & de les amener liez , & cousnuds depuis
rab auec vne la ceinture iuſqu'en bas , afin qu'il les fiſt tous mourir ou renier la Foy . Meurab autres
armiće .
fois fort aymé & ayant grand credit parmy les Georgiens,fut receu de ce peuple auec
beaucoup deioye , & ſans aucune deffiance : de force qu'ils cſtoient tous perdus , fi la
trahiſon de Cha Abbas ne ſe fuſt deſconuerte d'elle -meſme. Les Cans auoient

Qui s'apper ordre de faire ſaurer les celtes des principaux , & de couper ſur la fin de la tragedie
çoit qu'il celle de Meurab . Si coſt qu'ils ſont dans le pays , ils executent cette commiſſion :
mortre- les Georgiens luy en ayant fait leurs plaintes , il veut reprimander vn de ces Cans ,
Soluſaafli
Suoi
& luy reproche qu'il ne ſe ſouuient pas du commandement du Roy qui leur auoit
cnioint de ne rien faire que par le lien :mais le Can reſpond en le morguant , qu'il
n'a rien fait ſans en auoir bon ordre . Sur cetce reſponſe Meurab rentrant en ſoy
meſme , & ſe remettant deuant les yeux toutes les malices de Cha Abbas , ſeva ima
giner ce quieſtoit vray , que les Cans auoient des ordres contraires au fien , & que fa
Deſcouure le vien’eſtoit plus en ſeureté parmy eux . Dés l'heure meſme,diſfimulant ſa penſée, il
ſecret aux
communique tout le ſecret des intentions du Sophy aux principaux Georgiens , leur
cue Tes Capi- proceſtant qu'il n'a iamais preſté ſon conſentement à cette deteſtable conſpiration,
taines Perlies, & qu'il a differé iuſques- là à les en auertir, pource qu'il auoit touſiours eſté elclairé de
& deffait l'ar
méc . trop pres. Illes exhorte docde preuenir leurs ennemis,& leurdeclarele moyen de les
tuer; c'eſtoit qu'ayant inuité tous les Cansà diſner dans ſa tente , il les poignarderoic
lors qu'illes verroit yures , & qu'au meline temps eux qui ſeroient cachez là auxenui
i rons le rueroient ſur les ſoldats qui ſeroient à la porte ,& delà ſur coute l'armée qu'ils
defferoient facilement,pource qu'elle ne ſeroit pas ſur ſes gardes.Ilne fut pas beſoin
delongs diſcours pour les inciterà ſe deffaire de ceux qui eſtoient venus pour les trail
ner en vne miſerable captiuité: auiour pris & au ſignal dóné , les Cans furent poignar

Fait de fan dez ,toute l'armée effrayée de leur mort, miſe en defroute & taillée en pieces. Iln'eſt
giances repro- pas poſſible d'exprimer la fureur donc Cha Abbas fue tranſporté : mais elle fut enco
ches à Cha reredoublée par les ſanglantes reproches que luy fic Meurab dans vne lettre ; par la
Abbas ,
quelle il luy rcierroit au nez toutes les vilenics , les inhumanitez & les perfidics qu'il
luy auoit veu faire pendant qu'il eſtoit en la Cour. De plus,afin d'eriger un trophée à
ſon deshonneur , il faiſoitporter par cour où alloit les celtes de ces Cans plantées ſur
des piques , & toutes les fois qu'ilprenoit ſes repas , il beuuoit tancoſtà l'vn , tancoſt à
l'autre,leur reprochát à chacun d'eux,auec toutes les iniures que la haine luy pouuoic
fournir , les vices les plus enorines , & les plus fales actions qu'ils auoient commiſes .
Ce hardy coup deMeurab , bien que proucnant de deſeſpoir pluſtoſt que dezele
pour la Religion & fa patrie , raſſeura pour l'heureles Georgiens, & arreſta les effets
> Cha Abbas de la fureur de Cha Abbas , qui pour lors eſtoit allez occupé à tenir teſte aux Turcs qui
laille les Geor
giens en paix. eſtoient entrez dans ſes terres . Mais Meurab n'oublia paslescruelles iniures qu'il cn
auoit receu : car ioignant ſes troupes aucc celles du grand Seigneur , il fit d’borribles
degaſts dans ſon pays ,comme nous le dirons en ſon lieu, & contribua beaucoup à luy
arracher la meillcure particde ſes conqueſtes.Quant à Tamaras il n'oſa pas l'offenſer
Meurab ſc
ouuertement , à cauſe de la Reyne Catherine ſamere que ce Tyran tenoit couſiours
Turcs & fait priſonniere à Iſpaham : il croyoit qu'en luy gardant ce reſpect de ne prendre point
de grandsca. Ics armes contre luy , il l'obligeroit enfin à la mettre en liberté, ou du moins à luy faire
uages ſur ces
terres . meilleur traitement . Mais tant s'en faut que ſes pricres & ſes ſoumiſons Alcſchiſ
fent ce caur inhumain , qu'à la fin elles cauſerent la mort à celle dont il penſoit
Tamaras tar. procurer la liberté. Car ayant vn iour prié vn Ambaſſadeur de Moſcouic qui vc
che de Acchir noit à la Cour de Perſe de la vouloir demander par grace , cc Tyran la luy accorda
Cha Abbas,& en apparence , mais de dépit il ſe reſolut de la faire mourir & d'exercer ſur elle coutes
luy sedeman- les cruautez qu'il euſt exercées ſur les Georgiens, s'il les cuſt tenus en la puiſſance.
Donc au lieu dela deliurer, comme il l'auoitpromis , il l'enuoya à Chiras & comman
Mais Cha Ab. da au Can de ce gouuernement de la tenter par toutes ſortes de voyes pour luy faire
bas le reſouč renoncer la Religion ; non pas qu'ileuſt enuie quand on l'y euſt pû induire,de la inieux
de la faire traiter, mais pour luy oſter les conſolacions que la gloire de mourir conſtamment
mourir ,
dans la Foy luy dcuoit donner , & pour cauſer ce deſplaiſir à ſon fils de ſçauoir
qu'elle
Achmet I. Liure dix -neufiéme. 37

qu'elle auroit ſouillé les derniersiours d'vne libelle vie , & l'honneur de la maiſon, par 1617 .
vn e vilaine apoſtaſie. Orle Can luyayant propoſé d'un coſté tous les aduancages , les
grandeurs & les faueurs de ſon Maiſtre ; de l'autre la rigueur des plus cruelles geſnes, Commande
& des plus inſupportables tourmens , elle nc heſita point lequel elle dcuoit choiſir ; au Can de
mais reietta lesoffres auec mépris , & embraſſa les ſupplices auec vnegeneroſité mer- Chiras de las
faire renonces
ucilleuſe. La ſeule grace qu'elle luy demanda fut de pouuoir communiquer auec vn
la Religion .
Perc Auguſtin Portugais denation ,dont il y auoit vn Conuent à Chiras , afin de ſe
reünir à l'Egliſe Romainc, qu'elle commença lors de reconneſtre pour la veritable,
ayant auparauant veſcu dans la Communion de l'Egliſe Grecque , comme font tous
les Gcorgiens. Le Can qui exccutoit à regret la commiſſion de ſon Maiſtre , luy ac
Elle mépriſe
corda la demande : Aprcs donc qu'elle euc receu l'abſolution & les Sacremens par la res offres &
main de ce Pere , elle couurit ſon viſage d'vn voile & ſe rendit gayement à ſes bour- les mentes,

reaux . Il ne ſe void point dans toutes les perſecutions des Tyrans ny de plus cruelle
mort ny de plus heroique conſtance, que celle de cette Princeſſe ; Ét ie ne ſçay le
quel ſemblera le plus admirable ou qu'il ſe ſoit trouué vn homme aſſez tygre pour illa liure aux
commander de li eſtranges cruautez , ou vne femme aſſez vertueuſe pour les endu- bourreaux.
rer . Les bourreaux la mcnerent dans vne grande ſalle , où l'ayant deſpouillée toute
nuë , ils luy arracherent premierement les deux mammelles avec des tenailles de Elle ſe fait Ca :
fer toutes rouges , puis le gras des cuiſſes , des jambes 8c des bras ; en telle forte tholique auât
qu'on luy voyoit les os & les entrailles ; Mais parmy tous ces tourmens qui fonc que mourir.
fremir d'horreur ſeulement à les penſer,cette inuincible Heroïne , s'ébranlant auſſi
peu que ſi elle eult cu vn corps de bronze , inuoquoit touſiours le Nom de lefus Horribles
cousmens
Chriſt & le beniſſoit, comme lelle cuſt voulu enuoyer au Ciel des Cantiques de qu'on fait
refouiſſanec & des actions de graces parmy la fumée du ſacrifice de ſa chair , mille louffrir à cet
cc Princeſſc,
fois plus agreable à Dieu que ne furent iamais les holocauſtes. Enfin apres que ces
bourreaux l'curent tellement deſchirée & grillée par morceaux , qu'ils eurent fait
Qui eft brû.
comme vn ſquelette de ſon corps , ils le ietterent dans vn grand feu qu'ils auoient lée rouic vic
allumé dans vne place: d'où il faut croire que cette ame purifiée s'enuola dans le ue,
Royaume des bien -heureux , & qu'elle receut dela main de leſus -Chriſt la couron
ne des Martyrs. Les Chreſtiens recueillirent ſoigneuſement tous ſes os ; Ec peu de
temps apres vn de ces Peres Auguſtins porca le cranc de fa teſte à Tamaras fon fils,
quien recompenſe d'vn ſi precieux joyau, leur donna entrée dans ſon Royaume , &
promit de leur baſtir vne Egliſe pour y faire honorer ces reliques.
Ic mc promets que le plaiſir qu'aura eu le Lecteur à voir cette hiſtoire , ne luy per- XIV.
mettra pas de me blaſmer ſi ie me ſuis de tourné de mon ſujec pour luyen faire part.
Maintenanti’yreuiens . Le grand Seigneur auoit mis ſur pied quatre armées , deux de
terre , & deux de mer; la premiere contre le Perſan ; la ſeconde pour forcer les Po
lonnois à tenir le faſcheux traité qu'auoit fair Zolkieusky ; la troiſiéme ſur la mer Le grand Seis
Major, pour donnerla chaſſe aux Cofaques; & la quatriéme ſur la mer Blanche , pour gneur met
eſcorter le tribut d'Egypte. Mais toutes, horſimislaſeconde qui ne combatit point, quatre ata
eurent la fortune contraire: car la premiere qui eſtoit de plus de quatre-vingts mille qui toutes
hommes , apres auoir fait quelques progrez Touffric tantde faim & de nccellité , les font mal
heurculcs.
Perſans ayant fait le degaſt par où elle dcuoit paſſer, que le Vizir qui la conduiſoit n'en
ramena pas plus de trente mille;Pour celles de mer ,l'vne receur de grands eſchecs par
lesColaques , qui en bruſlercnt ou prirent plus de quinze vaiſſeaux : l'autre n'ayant
point rencontré d'ennemis , fut combatuë par la tempeſte qui en fit pcrir dix -neuf;
Erau meſmetemps que l'eau faiſoit ainſi la guerre aux Turcs,le feu lcur caula encore
plus de dómage à Conſtantinople,yayāt bruſlé plusde ſix censmaiſons en 24 . heures .

Ces mal-heurs ſemblerenceſtre les preſages de la mort d'Achmet , lequel eſtant à la


force de ſon aage & remuant de plus grandes entrepriſes qu'il n'auoit encore fait, ſe
vid atteint d'une maladie qui l'emporta au tombeau , le quinziémeiour de Nouembre, 1lmeure le
dans le milicu de la crentiéme année de ſon aage ,& furla fin de la quatorziéme de ſon quinziémede
sogne . Il fut Prince de grand courage,maisde tres-petit iugement; appeſancy & prel- Nouembre.

que hebeté par les excez de ſes voluptez brutales ; peu eſtiméde ſes ſujets ,parce qu'il
eſtoit mal-heureux ,ayant receu de grands cſchecsparles Perſans, parles Coraques, &
par les diuerſes rebellions de ſes Baſſas; mal - voulu de ſes gens de guerre , qu'il ne re- Ses qualitez,
compenſoit que parforce, & puniſſoit auec rigueur ; mais au reſte moins cruel que les
predeceſſeurs enuers les liens, donc il auoit épargné le ſang , contre la couſtume in
humaine de cét Empire . E iij

1
re
38 Hiſtoi des Turc
s
,

OSMAN PREMIER DV NOM ,

.
DIX -NEV FIEME EMPERE VR

DES T V RC S.

A
L

Pivs digne eſt ma grandeur de larmes que d'enuie;

le regne , ie triomphe à l'aage de douze ans


,

Pay deux cens legions :mais ,ô biens mal- faiſans!

A quoy me feruez - vousqu'à m'arracher la vie ?

1
Oſman I. Liure vingtiéme
. 39

31201 GOමට GƏGƏccta ดี ดือ ดือ ดือดือ ดี

SON ELOGE O V SOMMAIRE

DE SA V I E.

ES Monarchies de l'orient qui ont preſque touſiours eflé deſpotiques,


& à preprement parler , pluftojt des Tyrannies que des Souuerainetez ,
ont d'ordinaire moins duré que celles de l’Occident, où les Roys demeu

rent dans les bornes du droit , & fe contentent de regler la liberté de


leurs ſujets , fans la vouloir eſtouffer. Et bien qu'il ſemble que dans
All celles- là les Princes ayent beancoup moins à craindre pour eux -meſmes
que dans lesautres , pource qu'il eſtpreſque impoſible qu'il s'y forme de partys,ny de reuo
lutions , n'y ayant point de Grands que cexx qu'il leur plaiſt d'éleuer, ny poini de moyen
pour les peuples qui ont touſiours lesfers aux pieds, de regimber contre leurs comman
demens abſolus : neantmoins il ſe trouue biex fonuent d'autres cauſes qui les precipitent
du haut en bas de leurs Thrônes, & qui bouleverſent tout à fait ces dominations, qui n'ont
point d'autres fondemens ny d'autres appuys que la violence.Car comme il faut,
ſelon leurs
maximes, qu'ils mettent toutes leurs forces dans de grandes troupes de milice, & qu'ils
en donnent le commandement à desgens de bas lieu, ces hommes de neant eftant fans foy
& fanshonneur, de la ſoldateſque fort ſujette à ſe matiner , il arriue que ceux qu'ils ont
choiſis pour les garder, les traitent plus infolemment que se feroientleursplus grands en
nemis : de forte qu'ils ſont dans vn perpetuel danger que les meſmes armes quiles enuiron
nent ne ſe tournentcontre eux ; Et l'on peutdire que
pour vouloir eſtre les tyrans de leurs fu
jets , ils ſontles eſclaues de leurs ſoldats: ces mutineries s'éleuant ou par fante depayement,
ou parl'inſtigation meſme des Chefs, ou enfin par
ou par le caprice desgens de guerre quelque
auire morif; & fi fubitement, que ſemblables à un feu qui s'eſprend à un magazinde pou
dres , ellesont tout fait fauter auantqu'on ait pu ſongerà les eſteindre : au lien que les eſmo
fage
tions qui arriuent dans les autres Eſtats neſe font quepeu à peu ,&de tellefaçon qu’un
conſeil Les pentempeſcher , ou du moins les reprimer facilement. L'Hiſtoire des Empereurs
Romains.ca celle des Sultans d'Egypte , font toutes pleines de ces tragiques Eucnemens :
les bandes Pretoriennes & bes Mammeluchs , eſtoient en poſleßion d'élire , de deftituer, de
gourmander , & de maſſacrer leurs Empereurs. Dans l'Empire Turcles Ianiſſaires feront la
mefme choſe quand il leur plaira : car ils se font attribuez par une licence effrenée, le pouuoir
de reformer les defordres de l'Eſtat, de demanderles tefies de ceux qui lcur déplaiſent, de ſe
faire diſtribuer des donatifs, quand la fantaiſie leur en prend ; Et apres auoir monftré qu'ils
fons lesmaiſtrespar leurs mutineries qu'on n'oferoit punir , ne fe font-ilspas enfin attaquez à
la perſonne dugrand Seigneur Oſman, dont nousefçriuons la vie. Ce jeune Prince, ou pluſtoſt
ſes Miniſtres;ayantefprouué leurs bravades dans laguerrede Pologne, enredoutant à l'ada
senir deplus dangereux effets auoientrefolu d'abolir entierement cette milice, & d'en creer
vne autre : mais pour n'auoir pas bien ſcéu cacher ce deſſein , ils fentirent les premiers leur
fureur, & lattirerent ſur leur Maiſtre, fans que le reſpect de fon Turban Imperial, ny l'inn
nocence de la jeunelle', ny l'humilité de ſesſoumiſsions ,l'en puffent garentir. Il mourutfi
jeune , qu'on ne ſçauroitbien juger de ce qu'il euft eſté dansun a age plus meur : mais la vie
# acité de fan eſprit, celle de ſes yeux ,la gayeté deſon viſage , autre cela des cftincelles de
courage & de bon ſens quiparoiſſoient dans ſesactions,promettoient beaucoup 1 lr'auoit que
douzeans quand ilfue mis à laplace de fon oncle Muſtapha, & vapeu plus deſeizequand on
l*Empire. Pendant les quatre ans de ſon regne ileus deux grandes guerres,
lny ofta la vie &
l'une contre le Perſan comme hereditaire de par neceſsité, de l'autre avec les Polonnois, de
gayeté de ceur & par temerité,pluftoft que par confeil
. Dans la premiere il cut d'affez bons
faccez par fes Lieutenans, demeurant preſque touſiours enfermé dans fonSerrail : mais
dans l'aure où il voulut aller en perſonne,au lieu d'y acquexix de la gloire,il n'y receut que de

la honte , do y rencontra la cause de fon mal-heur dans les mutineries des lanisfaires ; qui
ayant appris en ce voyage àmépriſer.fa jeuneſſe , le traiterent à ſon retour comme vous
l'apprendrez dans fon Hiſtoire.

>
re
Hiſtoi des Turcs ,
40

LIVRE VINGTIEME .

TABLE DES CHAPITRES ,

Muftapha paruient à l'Empire au preiudice de for neuen Oſman. Veut faire la guerre au
Turc. Mal -traite fort l'Ambaſſadeur de France , pour l'euaſion de Koresky.Son oyſiueté.
Eſt depoſſede , & Ofmanmisen laplace. Le Roy de France demande reparation de l'affront
fait à ſon Ambaſſadeur. Ofman luy enuoye vn Chaonx . Sancy rappellé en France, co
Cefi enuoyé en la place. Grande bataille entre les Perſes & les Turcs. Prodiges.
Chapitre I.

Diuers exploits furmer , desgaleres de Naples, de celles de Florence , de celles des Turcs,de
celles de France en Barbarie. Preparatifs pour faire la guerre en Europe.Guerre de Berlin
Gaboren Boheme , & des Turcs en Hongrie. Gabor faitpaix avec l'Empereur.Cinquante
mille Coſaques fontirruption dans les terres du Twrc ; Qui rauage la Pologne auec quatre
vingts mille hommes : le Chancelier leur faiſant teſte e
, ft deffait tué. Chaſe donnée
Corſaires
aux ; deux de leurs vaiſſeaux pris par Beaulieu ; V fain Rays fait priſonnier
par le Cheualier de Lorraine ; Samſon & Edoüard chaſſez par les galions de Malthe. Les

Turcs battus par ceux d'Edenbourg. Karmunthie & Butha laccagées. Famine vni
,uerfelle. Chapitre II.

ofman declare la guerreau Roy de Pologne, qui cornoque les Eſtats. Demande ſecours aux
Princes Chreſtiens. Impoſts pour la fubfiftance de fon armée. Nombre de fes gens de

guerre. Prodiges. Kodkienik General de l'armée ,fe faifitdes paſſages. Paſſe la Tyre. Les
Coſaques demandent à le ioindre. Enuoye vn Deputé auec celuy du Palatin de Moldanie,
qui propoſoit la paix. Murmure de ſes ſoldats.Qui manqueni d'enleuer la foire du Serat
de Moldauie. Bernaſe grand voleur. Refiouiſſancedel'armée Polonnoiſe. Aſiete du camp
des Polonnois. Mauvaiſe rencontre de Moſciny. Heureuſe de Fakery. Les Coſaques raun
gent la contrée d'Orio , & ruinent Soroka. Deputez du General au Prince y ladiſlas.Prin
cipaux Chefs de fon armée. S'afflige dupiteux eſtat desgensdu Prince, es du bruit de la
deffaite des Cofaques. Cruauté d'oſman,fur cinq cens Cofaques. Voleurs Moldaues. Ko
naſzcuic efleu General des Cofaques. Fait couper la teſte à ſon predeceſſeur.Alarme causée
par les Cofaques aux Polonnois. Chap . III .

Premiere attaque par les Tartares. Lepeu d'experience des Capitaines de Chodieuik. Se fert
deſtratagemes. Les Tartares s'enfuyent. Retour du Deputé. Exhortation des Chefs. Le

General fait rehauſſer les retranchemens. Les Coſaques campent pres de luy. Arriuée et
campement des Turcs. Les Polonnois do Cofaques ſortent pour les combatire: Harangue
de leur General. Rodomontade du grand seigneur, qui fais camper & attaquer en meſme
temps. Perte des deux partis. Le Prince V ladiſlas tombe malade. Refroidiſſement du Roy
Tartare , qui fait rauager la Ruſiedla Podolie.Les Turcs deffaits dans vne embuſcade.
Les goujats recommencent le combat e les font
fuir. Chap.IV.

Prudence de Chodkienik. Les Turcs repouſſez par les Coſaques & Polonnois. Ils assaquent
les Cofagues auec tout leur gros canon. Les Polonnois vont au ſecours, prennent le
canon & les chaſſent iuſques dans leur camp.Confternation d'Oſman & des ſiens. Fait
, ur
raprocher ſon camp de celuy des Polonnois : auſquels les Turcs tuext force cheuaux f
prennent un fort où ils taillent touten pieces.Les Polonnois ont leur reuanche.Les Turcs
font diuerſion. Polonnoisgagnentle combat. Les Turcs ne ceſſent d'attaquerendisers en
droits. Aúec de notables pertes. Sont mis en deſroute. Pluſieurs Ianifaires tuez. Les Tar
tares mal menez. Miſère dans l'armée Polonnoiſë. Chodkieuik ſe refout d'attaquer les
Turcs la nuit. Ils battent le camp de's Cofaques à coups de canon . Celuy des Polonnois les
fait retirer. Ordre que le General veut ienir à l'attaque des Turcs. Dont il eſt empeſché
par une pluye extraordinaire. Chap . V.
Plaintes des Cofaques, quifont ſatisfaitsauec peine . Deputédes Polonnois au grand vizir.
Remonftrance
Oſman I. Liure vingtiéme . 41

Remonffrance qu'il luy fait. Les Turcs attaquantpar un feble endroit,font repouſſez auec
perie , et le Baſſa de Bude tué. Polonnois ſe debandent. Harangue du General au reſte de
l'armée. Allegreſſe des ſoldats. Les Coſaques fontgrand butin dans le camp des Turcs.La
maladie duGeneralaugmente. Les Polonnois redoublent leurs efcarmouche's , dattra
pent quantité de chenaux: Chap . VÌ.

Retour du Deputé. Dilauer fait grand Vizir. Les Cofaques fontgrand butin. Le General
Polonnois ſe fait porter à Chobic, où il meurt. Ses qualitéz . Lubomirsky éleu en la place.
Conuoy repris ſur les Tartares. L'iuerſes attaques des Turcs. Combatgeneral,où les Turcs
font mw en de froute.Stratageme quireußit aux Polonnois. Ils entendent à la paix,Leurs
1 Ambaſſadeurs bien receus. Viſitent le Palatin deWalachie .Conferent auec tuy.Les Turcs
Perebutent de laguerre. Ciuilitez du Vizir anx' Ambaſſadeurs. Qui vifitent le Mufey
Chapitre VII.
Propoſitions du Palatin pour les Turcs. Pluſieurs reſponſes des Ambaſſadeurs Pobonnois. L'a
Vizir fait mine de les renuoyer, puis les retient. Inſtances qu'ils font contre les Tartares.
Promettent le preſent au grand Seigneur.Luy demandent Palliance par efirit.Ceremonie

: du traité de paix . Reception des Ambaſſadeurs par le grand Seigneur. Refouiſſance des
deux camps. Differend à quidecampera les derniers. Articles de paix . Chap . VIII.
Oſman abandonne Conſtantinople. Ce qui cauſe la mutinerie des Ianiſſaires. Itsenfoncent'te
Serrail.Tirent Muſtapha de priſon, le proclament Empereur: Ofman eft traduit auec igno
minie dansle campdela milice. Muſtapha le fait eſtrangler. Change les officiers.Diuers
prodiges. Songe funefte d'Oſman. Chap. IX .
ilºn

NCONTINENT apres qu'Achmet eut les yeux fermez ; les 1.


Baſſas & principaux Officiers de la Porte reconnurent Muita . 1617 .
pha ſon frere pour ſon ſucceſſeur ; & le tiranc de la captiuité du
ill'auoit touſiours tenu l'amenerent dans le Serrail , où ils le fi?
antauliet de LesBafras fone
rent proclamer Sultan . Ils diſoient qu'Achmeteſt
la morc leur avoit commandé de le faire ainſi , & que l'affe pha, & dilent
&tion de ce Prince pour le falur de l'Eſtar , l'auoit porté à le qu'achmet
preferer à ſes propres enfans , done l'aiſné noinıné Oſman ordonné au
n'ayant encore que douze ans , il auoit craint que la febleffe liet de la
de ſon aage ne donnaſt lieu aux diuiſions des Grands, ou auxiñuaſions des Ennemis mort .
de dehors :de forte que le ſeul motif de la conſcience qui dans cet article de la vie,

cítd'ordinaire plus fort que toutes les autres attaches , luy auoit faic voir qu'il deuoit
laiſſer vn ſucceſſeur qui fuſten aage de ſouſtenir la charge de ce grand Empire,autre
ment qu'il ſeroit reſponſable deuant Dieu de tous les deſordres que l'enfancede ſon queſte conca
fils y pourroit cauler.Ce ſeroit à la verité vne grande merucille, qu'vn Barbare euſt eu uoit meu á
vne penſée ſi genercuſe & fi ſage; auſli pluſieurs croyoient qu'il n'y auoiciamais ſongé, cela.
& quicia brigue de la Sultanemere deMuſtapha, auoit fait ſuppoſer cette derniere vo
lonté. D'aucres plus credules acculoient cette Dame d'auoir tiré de luy cette declara
rion par11 force des enchantemēs & de certains breuietsniagiquesqu'elle luy auoit ata
Peut- estre
tachezau bras . Ilelt certain que l'vfage des charines eſt fort cõmun parmyles femmes que la mere
de cc pays - là, & l'on en raconte de prodigieux effets, mais pour les croire ílenfaudroie de Muſtapha
cſtre afſcuré par de meilleurs tcſinoins que ne ſont ces nations nourries dans des ſuper- croire.
ftitions ridicules & dans vne craſſe ignorance . Ilyen auoit auſſi quelques autres, qui
atcribuoiệt ce choix à l'amitié qu'Achmet auoiteuë autrefois pour Muſtapha,da viuāc
de leur pere ; qui s'eſtoit relucillée dans ſa maladie , comme il arrive ſouuét qu'vn eſprit
affebly & troublé par le mal,forme des penſées bijarres & cxtraordinaires, & rappelle
quelquesfois auec plus de ſentimer les objets les plus éloignez.Ils diſoiếc que ce ſouue maginent que
nir luy auoit couché le cæur de regretdesmauuais traitemesqu'il luy auoit faits; fi bien l'amour qu'il
que pour reparer ces iniures par vne ſatisfa &tion meinorable ,illuy auoit voulu laiſſer auoit autres
y auoit in
l'Empire. Or il eſt vray que du vivantde leur pere , & de leur frere aiſné, qui euſtregnérduit,
& les cult ſansdoute fait eſtrangler, fi auparauát il n'euſt pas eſté eſtrangleluy-meſme;
ces deux freres, n'ayant point de jalouſie l'on pour l'autre parce qu'ils eſtoient égaux,
s'entr’aymoiér auec grande tendreſſe; Er come ils voyoient que leuraiſné leur tenoit, Il luy auoit
pour ainſi dire la corde au col, ſe plaignansſouuent enſemble de cette deteſtable cou promis de1 :
ſtume, Achmet proteſta pluſieurs fois à Muſtapha qucs'il paruchoir iamais à l'Empire, feroit iamais
tant s'en faut qu'il vouluft luy ofter la vie , qu'il le feroit compagnon de la fortune, mourir ,
Tome II. F
42 Hiſtoire des Turcs ,

1917. & luy donneroit toutes les charges & les honneurs qu'ilpourroit ſouhaitéer. Orđe
puis,leur pere ayant fait eſtrangler leur aiſné, Muſtapha s'eſtoit allé ierter aux pieds
d'Achmer, & l'auoit coniuré par les promeſſes qu'illuy auoit faices, que puiſque Dieu
l'auoir deliuré de la crainte de la mort , il l'en vouluſtauſli deliurer ,& luy juraſt qu'il
n'attenteroit iamais ſur ſa vie ny ſur ſa liberté. Achmet ayant les larmes aux yeux de
Mais quand il ioye & de pitié, le releua auſſi-toft , & l'embraſſanteſtroitement luy accorda la priere,
fut paruenu à
l'Empire il la confirmant par les plus horribles ſermens qu'il voulut exiger de luy. Mais il ne fuc
voulut fauffer pas ſitoſtparuenu à la ſouueraine puiſſance, que la jalouſie eſtouffant l'amitié , il le fic
ſon lerment, premierement reſſerrer dans vne eſtroite priſon : puis quelques années apres , vne de
ſes Sultanes eſtant accouchée d'vn fils, il reſolut auec ſon Conſeil de le faire mourir le
lendemain.Comme il eſtoit dans ce mal - heureux deſſein , il luy vint la nuit des ſonges
ſi affreux & des fantoſmes lieſtrāges, qu'à ſon réueil il dîc quepuiſque cette reſolution
. froyablel'em . luy auoit tantcauſé d'inquietude ,l'execution luy en donneroit encore dauantage,&
perche
faire de le partãt qu'il vouloit le laiſſer viure . Cette grace fut ſuiuie d'vn peu plus de liberté,mais
mourir.
elleluy penſa couſter la vie : car yn iour qu'il ſe promenoit dans les iardins du Serrail ,
yn de ceux quiaccompagnoient Achmetl'ayant apperceu , remonſtra à cét Empereur
qu'il eſtoit de tres-dangereuſe garde, & qu'vniour il ſe pourroit faire chef des rebelles
de l'Eſtat. Achmet d'autant plus címeu de ce diſcours qu'il auoit receu depuis peu de
mauuaiſes nouvelles des rebelles de l'Aſie, entra cour d'un coup en fureur, & prenant
Vne autrefois vn arc dont il tiroit fort adroitement , fe mit en deuoir de le tuer à coups de Aeſche.
wietranger Mais commeil en tenoit yne encochée, ſoir que le ſouuenir de ſes ſermens & l'enor

arreſtele bras,miré du crime l'arreſtaſſent , ſoit qu'en effetquelque vercu inconnuë , vouluſt cmpel
couloitqucri cher ce coup , il dit qu'il auoit ſenty à l'inſtant vne douleur peſante qui luy auoit en

gourdy le bras : de forte qu'il voyoitbien que Dieu ne vouloit pas qu'il reſpandiſt le
lang de ſon frere. Du depuis Muſtapha , ou pour ſe mettre à couuert de la jalouſic de

Muſtapha ſc ſon frere ,ou par melancholie , & pour auoir quelque occupation dans ſa captiuité,
fait Deruis. s'eſtoit fait Deruis ou Moine, & paſſoit aingiſes iours dans les auſteritez & les exer
cices de cette vie , eſtant dans vnecellule quand les Baffas l’allerent querir pour l'éle .
uer au Thrônc .

Apres qu'il fut forty de l'eftonnement que luy cauſoit vn changement ſiinopiné , &
qu'il eut reconnu que ce n'eſtoit pas vn longe mais vne verité, il fit largeſſe des quinze
Fait largeſte censmille ſequins queles nouueaux Sultans ont accouſtume de donner aux Ianiſlai
de quinze
res à leur aduenement à la Couronne ; Puis afin de teſmoigner qu'il auoit l'eſpric
mille ſequins
aux fanillaje porté à la douceur,il miten libercé l'Ambaſſadeur dePerfe que ſon predeceſſeur auoic
res, apres fa fait arreſter , & manda au Baſſa de Budc d'entretenir la paix auec l'Empereur & les
proclamario.
autres Princes Chreſtiens: mais il fit bien -toſt conneſtre qu'il ne deſiroit l'entretenir
aaec eux que pour n’eſtre point obligé de partager ſes forces & pour les employer
Veur'eſtrete- encierement contre le Perſan , n'ayant poinide plus grande paſſion quede recóquerir
nir la paix
auec l'Empe fes terres que ſon predeceſſeur auoit perduës de ce coité- là . Auflile Sophy ayant ſceu
seus, pour fai. ſes deſfcins par ſon Ambaſſadeur,enuoya en diligence aux Princes Chreſtiens,parti
relaguerre
So phy , au culicrement au Roy d'Eſpagne, aux Cheualiers de Malthe , & au Duc de Florence,
pour lesprier de faire diuerſion :mais cependant , ne s'aſſeurant gueres ſur des aſſi
Itances ſilentes & fi febles , il en dépeſcha vn autre vers Muſtapha pour luy deman-,
qui demande
fecours aux der la paix . Cét Ambaſſadeur luy preſenta deux Alcorans , l'vn relić cout ſimple
Princes Chre. mene , & l'autre couvert d'or & de picrreries, vn ſac de drap d'or plein de bezoüard
Aicns ,
dans vn beau grand baſſin, vne bourſe ſeellée , vingt-huit timpany de martres zebeli
nes , autant de peaux deloups ceruiers, & pareil nombre de fourures de jambes de

Enuoye de renards noirs, des robbes à la Perſienne, quinze censpieces de coile,vingt-cinq tapis
mades
au Sultanda .paix & des feutres , vne haqucnée blanche cachetée de noir , vnc cauale degrand prix , &
vn mulet . Mais comme cela n'eſtoit point le tribut des ſoyes que le grand Scigneur
le
Preſens qu'il pretendoit luy eſtre deuès,ildit à l'Ambaſſadeur en le receuant, qu'ilvouloit que
luy fait.
Roy de Perſelayrendiſt les Prouinces qu'il auoit vſurpées ſur l’Empire Turc s'il de

firoit avoir la paix ,autrement qu'il n'en deuoit point attendre; Et apres cçece rel
ponſe ,ille congedia ſi bruſquement qu'ileur grand peur de receuoir de plus mauuais
traitemens que des paroles . Peu de iours apres celuy deFrance , quoy qu'Ambaſſa .
deur d'vn Prince amy & ancien allié des Turcs , ſouffric vn bien plus grand outrage
de l'inciuilité de Muſtapha , & ſe vid en extreme danger pour vne telle occaſion . Le
Korecky ou Duc de Korck , qui l'année derniere auoit eſté vaincu & fait priſonnier
daps
Oſman I. Liure vingtiéme. 43

dans la Moldauic , auoit eſté amené dans le chaſteau de la mer voire ; qu'on nomme le 1617 .

chaſteau des ſept tours .Dans le meſme chaſteau , quelque temps auparauant il y auoit
cu vne Dame de qualité du meſme pays , que les Tartares auoiêt priſe en Podolie ,auec
ſa fille aſſez belle . Sancyenuoyoit quelquefois vn ieuneGentil-home Polonnois qu'il
auoit à la ſuite les conſoler, & donnoit charge à ' n ſien Secretaire nommé Martin ,de
leur porter quelque charité . Ce Secretaire apres deux ou trois viſites deuint amoureux
de la fille,& la mere la luy promit,pourucu qu'il les retiraft de la main de ces barbares.
Leurré par ces promeſſes, & bruſlant d'amour, il auança tout ce qu'il pûc fournir, de fa
.
bourſe ,de celle des marchands , & de ſes amis ,meſme de celle de ſonMaiſtre,pourfaire ué de priſon.
leur rançon ;ſi bien qu'il la paya ,& fiteri ſorte enuers ſon Maiſtre qu'illes retira dans fa
maiſon ,puis leur dõna moyen de s'en retourner en leur pays. Mais quand elles furent
en ſcureté, outre qu'elles ne renuoyerent qu'vne partie de l'argent, la mere ſe moqua
de Martin , & dit que ſa fille n'eſtoit pas pour yn hommedeli petite condition . Or Ko
recky ſçachant la facilité de ce Secretaire, luy fait de plus belles promeſſes, & l'aſſeu
re que s'il procure ſa deliurance par quelque moyen que ce ſoit,il contraindra bienta
Darne à luy donner ſa fille. Ils s'eſcriuoientpar le moyen des eſclaues qui ont leur carce
de liberté, c'eſt à dire qui ſont aſſeurez deſortir dans certain temps pour certain nom
bre d'années de ſeruice auquel on taxe leur rançon , & cependant peuucnt aller auec
les autres eſclaue's fans qa'on ſe deffic d'eux . Enfin le Secretaire adjouſtant foy aux
paroles de Korecky , conduiſit
ſi bien l'inuention de fa deliurance,que ce Scigneur ſc Les gens de
ſauua auec vne corde , quiluy fut portée dans vn paſtépar vn cuiſinier de l'Ambalfa- "'Ambaſſadeur
deur qui ne ſçauoic rien de cette menée ,mais il fut ſi imprudent qu'il laiſfa les lettres à la queſtion
qu'il luy auoit eſcrites dans ſa chambre. Les Turcs conneſſant par là qui eſtoit l'au- pour cela.
cheur de cette euaſion allerent chez l'Ambaſſadeur pour ſe failir de Martin : lequel
s'en eſtant auſl allé en Pologne , ils prirent celuy qui auoit fuccedé en fa charge & le
mirent à la queſtion , mais ils ne purent rien tirer de luy finon qu'il demeuroit d'ac
cord d'auoir eſcrit quelques lettres, & d'auoir eu ſoin defournir les neceſſitez à Ko
recky : ils ſe ſaiſirent auſſidu cuiſinier qu'ilsačcuſoient d'auoir mis la corde dans yn
paſté, mais il le nia conſtamment & ſouffrir cent baſtonnades ſans rien auoüer : ::
C'cuſt eſté en vain que l'Ambaſſadeur ſe fuſt plaint qu'on violoit le droit des gens, en
traitant ainG ſes domeſtiques,puis qu'on ne l'eſpargna pas luy-meſine.Car le Vizir ef
cumant de rage de ce qu'il auoit perdu vncli bỏnc rançon & qu'ilne ſçauoit ſur quila
L'Ambaſſa
recouurer, luy enuoya demander ce priſonnier par vn Cady & vn Chaoux. Ces deux deur meals
homes ſansauoir égard à la qualité ny aux proceltatiós qu'il leur faiſoit qu'il ſeroit bien par force de
faſché de tenir perſonne caché dans la maiſon au preiudice del’alliáce qui eſtoit entre uant le Vizir,
le grand Seigneur & fonMaiſtre,fouillerée par toute la maiſon,& n'y ayát rien trouué ,
le forcerēt à venir parler au Vizir. En cette occaſió il eut beſoin de recueillir toutes les
forces de ſon eſprit & de ſon courage , pourne rien cómettre d'indignc de la charge i& o
de la grădeur du Roy doril ſouſtenoit la perſonue; Auſfi y alla- il aucc vne contenance
d'Ambaffadeur non pas de priſonnier, ſe plaignit hautement aulicu de reſpondre aux
accuſations , & remonſtra que l'iniure qu'on
luy faifoit terniroit la gloire du Sultan
& ſeroit à iamais reprochable à la dignité du Vizir; qu'on fa perſonneon offenfoit tous
les Princes de la cerre , & que le Roy de France ſerait obligé d'employer toute fa
puiſſance pour en tirerraiſon .Mais cette gancroſité merueilleuſe ne toucha point la
brutalité du Vizir : il reſpondit qu'il n'en vſoit point autrement enuers les criminels,
le menaça de le faire mourir comme le moindre fujet de fon maiſtre s'ilncluy rendoit Qui le fairar
Korecky, & au meſme tempsle mit entre lesmains du Soubaflı pour le faire conduire setter priſon
dans les prifons ordinaires: puis ſe rauiſant deuant qu'il fult lors la porte , il'le for !
rappeller pour luy faire quelque nouuelle demande aulli outrageuſe queles premio
res;à laquelle ayant reſpondu auecla mcſme froideur, ille donna en garde au Chaoux
Baſſi, quile penfant traicer fort honorablement & luy donner conſolation, luy diſoit
qu'il priſt courage & qu'il ne ſeroit pas expoſé à la geſne deuant le lendemain midy.
Apres le courageil falut jouer d'addreſſe , il gagna donc le Baſſi moyennant deux
mille ſequins qu'il luy promit ; fi bien qu'il cuc permiffion d'enuoyer le Dragoman
François , ſous pretexte d'apprendre des nouvelles de Korecky, aduertir ſes gens de
D'où il le don
trauailler à ſa deliurance. Il auoir accouſtumé, come tres -preuoyant & fore habile de
liure å force
viſiter le Mufcy , & d'acheter fafaueur par des prefens:outre cola , de voir fouuent les d'argent,
Baffats, meſme ceux qui n'eſtoient point en charge , eagr’autresvn nommé Mehemët
Fij
44 Hiſtoire des Turcs ,

1617. Gurguy Eunuque,hommeadroit & quiauoit eſté Precepteur de Muſtapha , dont il


luy iceut fibongrélorsqu'il fut renere en charge qu'il l'aymoit plus que tous les autres
Ambaſſadeurs Chreſtiens , & quelquetemps auparauantluy auoit accordéie ne ſçay
quelle grace qu'il auoit refuſée à tous les autres. Ce Baſſa luy teſmoigna genereuſe
ment dans ce périlqu'il eſtoit ſon amy ; il alla trouver le Mufry, & par ſon moyen ob
tint ſa liberté : mais ce ne fut pas ſans qu'il luy en couſtaſt plus de vingt mille piaſtres,
tant pour ſa perſanne & pour les menus frais, que pour le rachapt des liens.
1618 . Voila la plus memorablc action du regne comique de Muſtapha.Au reſte ſon eſprit
eſtant oylif pour n'auoir aucune connoiſſance des affaires d'Eſtat, ſe laiſloic porter
Mullapha par ſes Agalary, ou Fauoris , à des diuertiſſemena pareils à ceux dont s'entrecenoic
s'entretient l'Empereur Caligula : les vns luy faiſoient venir de petits vaiſſeaux de courſe devant
dans l'oylue .
le Serrail , qu'vne galere combattoit , & les ayant pris lcsmenoiten triomphe comme
vne glorieuſe conquefte fousles heureux auſpices de ſon aduenement à l'Empire ;
d'autres paſſoient en maſque dans la place, & les vns & les autres inuentoient desco
medies ſelon lon humeur , que lesJuifs repreſentoient chaqueiour deuant luy . Mais
perſonne n'eut le pouuoir de luy faire tourner ſon affection aux femmes, non pas
pagnie des " meſme luy perſuader d'en voir vnc ſeule, quelque inſtante priere que luy en filt la
femmes.
Sultane ſamere & le Kiſlar Aga , c’eſt vn Eunuque noir maiſtre du Serrail, qui n'a du
credit qu'aucant que les grands Seigneurs ont d'amour pour les Sultanes.
: Nous auonsveu cy -deſſus les inſtances que les Perles faiſoient pour auoir la paix,
mais plus ils perſiſtoienc à la demander ', plus il ſe roidiſſoit à vouloir leur faire la guer
Vent aller àla re , & sopiniaſtroit à conduire luy-meſme cette cxpedition. Le Mufry n'ayant pû luy
guerre contre faire gouſter l'aduantage de leurs offres, taſchoic de luy faire conceuoir les grandes
La Perſe ,
incommoditez de la ſaiſon , les glaces , les neiges ,la difficulcé des chemins , outre lo
peu de preparatifs qu'il y auoit pour vn voyage dececte importance :mais il n'eſcou
coit point cesraiſons;& ſans doute quele peu d'experience qu'il auoir des choſes du
monde l’eut fait paſſer outre , fi la fortunen'euſt terminé ce voyage auec le cours de
fon Empire , comme nous allons voir .
Il auoit gratifié Scli& ar Aga ſon porce eſpée de la charge de Baſſa du Caire, & faic
fon porte manteau Viceroy & Balla de Damas, l’yn & laurre élevez dés leurieune

Gratificadeis aage dans le Serrail, fansyauoir fairautre exercice que de nettoyer les marbres des
de deux gou :chambres royales , & de lire les liures fabuleux dont lesTurcs ſeſeruent pour toute
besnemons . eftude . Il voulut auſſi changer le grand Vizir , & donna cecce charge au Baffa ſon bcau.
frere.Mais céčkomme,eſtourdy dc ſe voir élcuéàvne ſi hauce dignité,ne pût s'ymain
tenir , & tira auccluy ſon Maiſtre dans le precipice. Carſon auidité n'eltano pas rafa

falliée de cette charge eminente , il demande à trois jours delà celle du Capitaine
Baſſa qui eſtoitencor viuant , & la vend aufli-coſtà vn autre. Le Baffa aduerty de cét
affront,va.trouver le Lieutenant du grand Vizir qui pour lors eſtoit en Perfe , & luy
remonítra le tort qu'on luy faiſoit ,les extrauagances de Muſtapha , & le peu d'al
BeleBafra lon ſeurance qu'il y auoit pour luy -meſme: bref il l'anime de celle ſorte qu'il l'oblige.de
beau.ftere de conſpirerauscluy pour preuenir ce danger. Tous deux eſtant allez trouuerle Mufty,
grand Vizir. ils forment auec luy le deſfcim de dethrôner cét inſenſé : lc Killar apprehendant les
menaces qu'il luy auoit faitesdel'oſter de la charge , & quelques autres mal-contens
ſe laiſſent facilement attirer à leur complot. Ils mandene en ſuite au Vizir tout ce
qui ſe paſſoit, & l'aduertiffent qu'il ait à ramener promptement l'armée pour fa
uoriſer leur entrepriſe: cependant ils gagnent les principaux Capitaines des Ianiſ.
faires , & lors qu'ils fçauent qu'il n'eſt qu'à quatre ou cinq iournées de Conſtanți

Entrepriſe de nople,ils guettent Muſtapha qui retournoic de la promenade ſur la mer , & fi coſt
Muftapha. qu'il eſt entré dans le Serraildes Sultancs pour voir ſa mere , ils l'enferment dedans:

puis courant au lieu où il detenoit Oſman , ils le porcent au thrône Imperial. Quel
ques laniſfaires voulurent d'abord faire ſedicion mais la force des preſens & l'arri
uée du Vizir auec ſon armée ,curent bien -coſt calmétouces choſes.Au bout d'un mois,
Muſtapha ayantappaiſé la furie par les exhortations des autres Deruis , fue remedé
dans ſa premiere priſon ſous la garde de deux vieilles& d'vn More qui le ſoruoient,
L

puis quelque temps apres encore pluseſtroitement enfermé. Son regne ne fut que de
Sesmurs & trois mois, Con gouuernement fort faſcheux à cauſe du grand changement dans les
Siz baconde vi-charges , & ſesađions pleines d'extravagance.it rioit à ceux qui le regardoiene parloic
crop familierement & mal à propos,marchoit lors qu'il falloit s'arreiter, mercoit à
chaqůc
Oſman I. Liure vingtiéme
. 45 .

chaque moment l'eſpée à le main dans le Serrail contre l'ordinaire des autres Şulcans 1618 .
qui n'y en portentiamais, couroit la nuit par le plus faſcheux temps : de ſorte que les
domeſtiques meſme le ſurnommerent Dely , qui veut dire fol. Ilauoit pourcant cela
de louable qu'il vouloic ſçauoir tout ce qu'il ſignoit , aymoit à ſe faire voir au peuple,"
& eſtoit fort liberal & magnifique.Mais les Turcs naturellementauares,attribuoicnc
cette royale vertu au peu de conncſſance qu'il auoit des affaires du monde
1
Ce changement arriue , le Roy de France qui auoit receu les plaintes du mauuais
Le Roy de
traitement queles Turcs auoient fait à ſon Ambaſſadeur, enuoya N. de Nant & le Fráce enuoye
Secretaire Auguſta à Conſtantinople pour en demander reparation , & dire au nou- demander re A
ucau Sultan Oſman qu'il n'auoit pû enuoyer vers luy ſe condouloir de la mort d'Ach- paration de

met, ny ſe. conjouir de fon heureux aduenement à l’Empire d'Orient , juſqu'à ce que for Amballaz
l'on luy cuſtfait raiſon de l'indignité qu'ileſtimoit auoir receuë en la perſonne deſon deut ,
Ambaſſadeur & de ſes gens . Le Conſeil d'Oſman qui n'approuuoit pas les violences
qu’on auoit faites aux François , luy propoſa pour ne pasperdre l'amitié que ſes pre-,
deceſſeurs auoient religieuſement entretenuë auec la France, d'enuoyer renouueller -
l'alliance auec le Roy Tres-Chreſtien , & luy teſmoigner le déplaiſir qu'il auoie de , Oſman luy.
l'iniure que fon Ambaſſadeur auoit receuë à ſa Porce. Il commanda donc au Vizir enuoye va
Chaoux ,
d'y enuoyer Vreiu Chaoux , qui arriua en France lors qu'on faifoit lesmagnificences
du mariage de Chriſtine ſeconde fille de France auec Amedee fils aimé du Ducde
Sauoye . La lettre qu'il preſenta au Roy luy donnoit le titre du plus glorieux & plus
puiſſant Prince de la creance de leſus-Chriſt, d’Arbitre des differends entre les Princes ,
Titres qu'il
Chreſtiens; du plus noble de tous , & d'Empereur de France . Elle luy rendoit compte lay donne pas
de ce qui s'eſtoit paſſé en la demiſſion de Muſtapha , confirmoit le pouvoir qu'il lalettre,
auoit donné au Chaoux de jurer & promettre que fa Hauteſſe, obſerucroit les trai->
tez faits auec ſes predeceſſeurs, & prioit le Roy de faire le ſemblable. Au furplus fi
Ton Ambaſſadeur auoit receu quelque meſcontencement, qu'en ſon temps il en ſer
roit d'autant plus honoré , comme les premiers Ambaſſadeursauoient eſté;Qu'il auoiti
commandé qu'il fuft fauoriſé, & qu'à ſon regard il luy ſeruiroit de Quime, qui veut lé & Cezyen
dire or ; Et qu'il n'en doutaſt nullement , qu'il l'en aſſeuroit. Le Roy ayant receu Ta
noyé Ambal
deuri Con.
cette ſatisfaction rappella de ſon ambaſſade Sancy, & cnuoya en la place le Comte ftantinople,
de Cezy .
Lagrande.armée que le Sultan Achmet auoit enuoyéel'année precedente en Perſe;
ayant cfté rafraiſchic & reparée par de nouucaux renforts , commença ſes progrez de l'armée Tus
cette année par la priſe d'Erzeron que tenoit le rebelle Abaza Baſſa: En fuite dequoy que en Perle,
le grand Vizir quila commandoiscntra dans la Licaonie:; pafla l’Euphrate pour ga- ,
gner l'Armenie , & enfin apresauoir fait de grands degalts liura la bataille aux Perſes.
La victoire fut bien balancée; il y fut tué cent mille hommes de part & d'autre ſur la Grande ba

place , & bien que le nombre des morcs fuſt plus grand du coſté des Turcs, ils demeu- , perles peidet
rerent neantmoinsmaiſ
tres du champ ; & pillerer le bagage des ennemis qui l'auoient leurbagage,&
abandoriné. Mais comme ils vouloient porcer la victoire plus auant , ils curent , la bataihimp de
faimă combattre qui deffic plus du quarc de leur armée ,& l'euſt ruinéc dans peu de

temps, lile Sophy Te voyant ſeul à lupporter le faix de la guerre, parce que les Princes
Chreſtiens neſeromuoient point , n'euft demandé,la paix. Elle fuc concluë à condia ,

tion qu'il fatisfcroit à l'aduenir autribut des ſoyes auquel il s'eſtoic obligé par despre- te Perſan ob
cedens traitez : Eglors qu'elle fut ſignécilenuoya-grande quantité de yiures à Warmée,tieant la paix.
lii ,
du Vizir , qui ſe retira bien-coſt apres .
-

** Durant cette guerre & le iour meſme de l'anniuerſaire du Sulcan Achmet,apparuc


la nuit au Ciel vncefpée courbée en forme de cimeterre. Elle eſtoit fi prodigicuſea
ment grande qu'elle s'eſtendoitdepuis le milieu du Ciel iuſqu'à l'Oriſon.Enuiron vng Prodige au
Ciel veu en
heure apres minuit ſapointe commençoit à pároiſtre comme vne pecite lueur , àme
Turquic,
ſure qu'elle croiſſoircile deuenoit plusrouge ,& leiour venant on ne le pouuoit plus,
diſcerner:Ello ſuiuoit lesmouudmensdu Soleil , & ſeleuoic couſiours en melme ens
droit ; la pointe en eſtoit tournéedu coſté de Conſtantinople, & la teſte vers la Perſe:
ce qui donna ſujet aux plus ſcrupuleux d'apprehender la perte de l'armée qui eſtoit
en cepays là. Le mclme meteore fut yeu en France , en Eſpagne & en Angleterre,

maisauec yne formedifferente : car elle auoit la telte ronde ,rougcafteç & comme Et en France
epueloppée de vapeurs ; la queue longue & plus blanche , par fois courbée par fois
plus large , & dura enuiron ſoixante iours.,
F iij
+
to ire cs
46 Hiſ des Tur ,

1619 . · La paix ainſi faiteauec le Perſan , les Turcs n'auoieneguerre que ſur mer auec les
galeres de Naples , de Florence, & de Malthe, qui pour le defirdu bucin pluſtoſt que
II .
Le Balta du pour aucun avancement des affaires de la Chreſtienté, eſtoient touſiours en courſe
grand Caire & faiſoient debonnes priſes. Trois de celles deNaples ayant deſtrouſſé huit vaiſſeaux
relaſche au
dans le golfe de Conſtantinople , curent aduis que le Baſſa du grand Caire reuenant
port de Ten .
de , d'Egypte aucc toute ſa famille & grande quantité de richeſſesqu'il conduiſoit dans

legalion de la Sulcane ,auoit eſté contraint de relaſcher dans le port de Tende,autres


fois Tenedos , pour y attendre le vent propre à faire voile à Conſtantinople. Le Ca
Les galeres de pitainc quiles commandoitconſultant desmoyens de faire vne libelle capture, s'ad
Naples qui uiſa d'vne plaiſante ruſe dontileſt bien difficile de ſe garder , quoy qu'elle ſe pratique
venoiene de ſouuent ſur mer.Il fic veſtir ſes marelocs à la Turque des dépouilles de ſes priſonniers,
de hui? vail. déguiſa quelques Chreſtiens en eſclaues, arbora des banderoles ſemées de Croifa
foaux .
ſans, fit pare trecelles de Malthetraiſnantes ſur deux brigantins,commes'ils venoiene
d'eſtre nouuellement pris ſur les Cheualiers , & encét equipage pric fa route vers Te
nedos. Le Balla croyant que c'eſtoienr des Turcs ,enuoya aúlti -coſt prier le General
de luy ayder à ſe tirer hors du port; c'eſtoit iuſtement ce que demandoit le Napoli
L'attrapent tain , qui luy preſta volontiers l'aſſiſtance qu'il demandoit. Comme ils furent tous an
par gule,
pleine
mer & que les galeres curent quelque temps eſcorcé le galion , il enuoya dire
au Balla qu'il deſiroit luy aller faire la reuerence. Le Baffa fort fatisfait de ſa cour.
toiſie , luy reſpondit qu'il ſeroic le bien venu : mais dés l'abord il ſe icrcc aucc furie
dans le galion , & le ſurprend rellement luy & tous les Turcs qui eſtoienc dedans,
qu'il n'cutſeulement pasle loiſir de penſerà fe defendre :ainſi il gagna ce beau vaiſ
& fone butin ſeau , fit deux cens cinquante eſclaues, & vn butin de quinze cens mille liures. Ec
de plus de comme vn bon - hcur ne viene iamais fans l'autre , il rencontra encor vn caramouſſal
quinze cens
ile biures: chargé de marchandiſes qui augmenta le prix & l'honneur de la conqueſte, dont il
fut triompher à Naples au grand contencement du Duc d'Ollune Viceroy de ca
' Royaume.
Legalion d'Alger armé de vingt-cinq picces de canon decourſie capable de trois
cens conneaux ; cfcorcé de cinq vaiſſeaux Turcs equipez à l'aduenant, eſtoicen mer
Le galió d'Al . depuis fix mois contre les Chreſtiens:mais vne furicuſc tempelte l'ayant ſeparé des
gerſeparépar autres, il fur contraint de faire voile tout ſeul iuſqu'à ce qu'il rencontra vne Tarcane
ja tempeſte du nombre de ces vaiſſeaux qui ſe reioignit auec luy la veille d'vne pareille auenture
fcaux d'eſcor- que venoic dereceuoir le galion de la Sultane. Il cherchoir capture ſur les coſtes de la
66. Calabre , lors qu'il ſe vid preſque couc à coupinueſty par fix galeres de Florence, cinq
deſquelles apreslauoir beaucoup trauaillé à coups decanon pour endommager da
uantage les Turcs,cirèrent à la fois toute leur artilleric chargée de chaiſnes & defer
railles : puis eſtant venus aux mains le combat dura plus d'vne heure auec grand
courage de part & d'autre . Le ſort eſtant enfin combé ſur le galion ; il fut pris à
la veuë des Calabrois qui bordoient le riuage , rauis de ſe voirivengez d'vn enne
Sone pris par my quiles auoit ſi ſouuent pillez . La tartane leur ſeruit de pareil ſpectacle, laquello
les galeresde apres auoir fuy cinq heures durant , fut attrapée par l'Admiral lulio Comte de
Montauco , qui eſtoit dans la galere Capitaine. Les Florentins perdirent peud'hom
mes , mais ilsen eurent quantité de bleſſez. Ils tụerche cinquante Turcs , & en fireno
cnuiron.cent eſclaues, dont ils mirét vne particà la chaiſnc en la place des Chreſtiens,
Ces galtres pour ne pas demeurer en li beauchemin furent deſcharger leurs eſclaues
& leurs bleſſez à Melline , d'où ellesfirenc volce vers le Leuant, coſtoyant, les Illes de
Qui
gent deſchas.
les pri Cephalonic & de Zante , & s'arreſterent quelquesiours dans la Cale'S.Nicolas pour
Lonniers à laiſſer paſſer le mauuais temps qui s'eſtoit ſouſieué;& de là elles continuerent leur
Meſline,
route au trauers de l'Archipel, mais ne pouvant executer le deſtein pour lequel elles
cſtoient parties, elles ſe contenterent de reconneſtre l'Ile de Belle - Poule, S.George
d'Elbero , & l'He Longue: d'où s'eſtant auancées vers l'Ile de l'Eſcueil, elles apper
Donnent la ceurent vne galere Turque à qui elles donnerentaufli-toft la chaffe. Muſtapha Balſa
chalte & _vne chef de ce vaiſſeau qui tiroit à toute courſe vers l'Ile de Celandtomy,preſte du peril,
galere Tur
quc. gagna l'Ille de Schiarty pour ſe mettre à couuert du fort: mais les galeresFlorentines
curent le vent ſi fauorable que fondant cout à coup furluy , elles le forcerent à ſe bat
tre . Il ſe defendit.courageuſement iuſqu'à ce qu'il fult tué, laiſſant par la mort lone
Tuent Muſta- gouuernement de Lepanthe vacant , duquel il s'en alloit eſtre Bey. Ses gens ſe ietcc
pha Bali .
rent à la nage pour ſe fauuer,dontils eſtoient fort proches du bord :mais les Florentins
coururent
Oſman I. Liure vingtiéme . 47

coururent apres dans des eſquifs, cn firent lept ou huit vingtspriſonniers,& donne ibig .
rent la liberté à plus de deux cens eſclaues Chreſtiens . Les Mes de l'Archipel eſtant
alarmées de toutes ces priſes, les ſix galeres du Bey de Rhodes, auec quatorze autres Font huic
cſpalmées à Scio , voulureric courir apres pour les recouurer, mais elles ne purent vingts clcla
empeſcher celles- cy de donner l'eſpouuente à deux grands vaiſſeaux de Tunis qu'vne deux cams
bouraſque de vent leur arrachà des mains, & de prendre trois brigantins proche Chreſtiens.
l'ille groſſe qu'elles emmenerent auec tout leur butin .

Les Turcs animezde tant de pertes coup ſur coạp , reſolurent de les recouurer, ou ,Manquent

de s'en venger ſur qui que ce fuſt. Pour cet effet ils coururent le golphe de Veniſe, de Tunis ,a
mais ſans y pouvoir prendre aucun vaiſſeau, puis ils furét alſieger
Manfredonia qui eſt cauſe de la
vn port fameux dans la Prouince de la Poüilleau Royaumic de Naples , prirent & fac- tempeſte.
cagerent la place , y mirent le feu , briſerent & emporterent les cloches, enleuerene 16żo :
quatre -vingts picces de canon , huit cens barils de poudre , & toutes les autres mu
nitions de guerre dont le Roy d'Eſpagne y auoit fait faire magaſin , & en chaſſe Saccagent
rent tous les habitans de l'vn & de l'autre ſexe. Ils deſcendirent encore auec vingt- Manfredonia;
d'où ils enle
feptnauires, & fept galeres dans l'Iſle d'Erits qui eſtoit pour lors aux Eſpagnols,
où ils tuerent plus de trois millc perſonnes; & firent vn butin de plus de trois mil- vingts picces
de canon .
lions d'or .
Legrand & petit galion deMalthe auec vne patache & vne tartane, enuoyez par
le conſeil de l'Ordre pourfaire la guerrc aux Corſairesde Barbarie, Tunis, & Alger,
firent rencontre vers l'Ile de Cephalonic d'on vaiſſeau bien armé qu'ils prirent Les gationsde
apres deux heures de combat , où il couſta la vie à deux cens cinquante Turcs ; ſans Malihę pren
aucre percc de leur coſté que de quinze hommes & trente bleſſez. Pourſuiuant leur leau Turca
route vers le cap Pallero , & delà ſur la coſte de Sicile , ils deſcouurirent vn grand 1
nauire Turc pres de Iurgente , qui les ayant apperceus prit luy-meſme la fuite qu'il Le Commana
donnoit à vne hourque Flamande , & pour fuir plus legerement iecta dans la mer deurdesGou .
toutes les marchandiſes qu'il auoit pillées. Le Commandcur des Goures general de tes
quatre vaiſſeaux , le ſuiuit vne partie de la nuit , mais craignant à cauſe de l'obſcurité
de s'encailler dans les Scicques , il l'abandonna , & à la pointe du iour ſurprit vno
Poulachre chargée de froment, par le moyen de laquellc il apprit que le Corſaire
Ouart n'eſtoit pas loin de là auec quatre vaiſſeaux de guerre bien armez. Céraduis le
fit auancer auec ſes galeres , leſquelles furent le lendemain à la veuë du Corſaire qui charge Ouart
auſſi-toſt embroüilla ſes voiles pour les attendre,penſantque ce fuſſent des marchads : fameux Cór
laire.
mais comme elles furent à la portée du canon , & que le grand galion eut arborél’eſten
dard de l'Ordre , il prit la fuite, chacun de ſes vaiſſeaux ſe fauuant qui çà , quilà . Le
Commandeur des Goutes ſe mit à le pourſuiure , & donna ordre au Cheualier de
Boiſiſe auec ſa patache, & au Cheualier de Velure aucc fa tartane d'attaquer ſå
hourque: tandis que le Commandeur de la Trouillerie auec le petit galion donnoit Vne tempele
les ſeparo
ſur ſon Viceadmiral. Ce dernier fut ſecouru d'vn des vaiſſeaux de ſon cſquadre, &
tous deux tirerent ſi rudement ſur le galion que ſans le ſecours du General qui vint
à luy , il couroit riſquc d'eſtre mis à fonds . Mais comme les deux partis eſtoiend
opiniaſtrement attachezaucomb , ſuruint vne furieuſe tempeſte qui les força biert : Ouart perd
at
toſt de luy ceder & de ſe ſeparer , en ſorte qu'il n'ŷ eut que la hourque de priſe , qui vuc houtque.
penſa bruſler la paraclie & fit perir beaucoup de ceux qui eſtoient dedan's .Cette oc
caſion fit manquer au Corſaire la rencontre de ſept vaiſſeaux Marſillois , & aux Che
ualiers leur deſſein ſur les pirates de Barbarie : car les vns & les autres eſtoienc celle
ment fracaſſez de coups & bartus de la tempeſte , qu'ils ne pouuoient plus encrom
prendre aucune execution .
Quelques galeres du meſme Ordre faiſant leur courſe ſur les coſtes d'Arcadie, pour
ne s'en pas retourner ſans auoir eſfayéleur valeur,mirée à terre bon nombre de ſoldats Les Cheúa.
qui furent petarder le chaſteau de Torneſe deux lieuës auant dans le pays où les Turcs.liers petarde
y
tiennent la Douane: ilsy firent quatre cens eſclaues, pluſieurs marchands Iuifs pri- Fonegrand
ſonniers, & pillerent la ville.Comme ils faiſoient la refraice , ceux d'alentour alar- butin.
mez decerce incurſion , aſſemblerent enuiron cinq cens cheuaux pour ſauver le bu .
tin : mais tout ce qu'ils purent faire ce fur de contraindre les Chreſtiens de halter le
pas , & de tuer quelques-vns de ceux qui ſouſtenoient leurs efforts pendant qu'on
porcoit le butin ,
& qu'on faiſoit entrer les priſonniers dans les galeres, qui les allerent
deſcharger à Malthe.
1
oire cs
48 Hiſt des Tur ,
3
1620 . Enuiron ce temps-là les Corſaires d'Alger rodant de trop pres les coſtes de Pro
uence & de Catalogne ,obligerentEmanuel de Gondy General des galeres de France
Emanuel de à leur doner la chaſſe.Pour cér effet s'eſtāt mis en merauec ſept galeres bien armées,il
Gondy Gene coſtoya toute l'Eſpagne,mais ſansfaire aucune rencotre ; ſi bien qu'ilreſolut de paſſer
ral des galeres
de France ,do le deſtroit de Gibalcar ,pour les aller chercher en Barbarie , & mal- gré le mauvais téps
ne la chaſse qui s'y oppoſoit, futà Oran qui appartenoit au Roy d'Eſpagne , pour en apprendre
aux Corſaires
des nouvelles du Duc deMaqueda Gouuerneur de la place. Continuant la route il
fit rencontre de deux nauires Corſaires bien armezen guerre chacun de dix -ſept pie
ces de canon , qu'ilprit apres un rude combat ,y donna la liberté à quarante Chreſtiens
Prend deux qui tiroient à la rame, & fic cent cinquante Turcs priſonniers .Apres cette aduanture
wn brigantio . il recourna à Oran pour raccommoder ſes vaiſſeaux , puis il repric fa route vers
Alger . Mais en chemin le vent qui regnoit , le contraignit d'aller feiourner trois ou
quatre jours au Cap de Tenes , od ſesgaleres deſtrouſſerent vn brigantin . Si toſt qu'il
Donne la eut remis en mer il découurit vn grand vaiſſeau de neufcens à mille tonneaux armé

thalle
faire auCor- de quarante pieces de canon , auquelil donna la chaſſe à voiles & à rames. C'eſtoit le
Reis,
vaiſſeau du Corſaire Reis, qui ſe voyant furieuſement canonné s'eſchappa à la faueur
du vent & de la nuit : mais il ne ceſſa point de le pourſuiure, & luy donna ſi viuement
qui bruſle ron la chaſſe qu'il le ratteignit le lendemain . Alors le Corſaire eſtant ſorry dc ſon vaiſ
vaiſſeau & le ſeau auec deux cens hommes , mit le feu aux poudres qui le firent ſauter en tant de
Lauue à terre pieces , qu'il n'en demeura que la carcaſſe ſur le riuage ; & pour luy il gagna la terre
auec tous les ſiens. Quelques iours apres vn autre nauire pirate pour éuiter pareille
11 en cale yn fortune que lo premier , voulut auſſi inueftir en terre & ſe bruſler: mais les galeres y
autre à fonds
furent aſſez à temps pour l'eſteindre , en tirerent les munitions & l'artillerie, & puis
le calerent à fonds. Apres cela noſtre General ſe reſſerra à crente milles d'Alger
Saune deux pour y attendre les Corſaires qui retourneroient des courſes :mais vn vent impe
barques de
Marſeille, tueux ne l’y ayant pû fouffrir le poulſa à Maillorque, d'où il reprit la trauerſe du coſte
de Barcelone , fort heureuſement pour deux barques de Marſeille qu'vn vaiſſeau
Emmene les Turcalloit engloutir . Les Corſaires penſanttrouuer leur ſalur à terre ,furentpris par
Corfaires.
les Catalans, & enuoyezau General des galeres par le Viceroy auquelil les auoit fait
Vaiſſeaur demander par courtoiſie. En ſuite dequoy il ſe retira à Marſeille d'où il eſtoit party.
Turcs els Enuiron la fin de Nouembre quelques vaiſſeaux Turcs qui couroient les coſtes
chouez pres d'Italie , furent tellement'mal-menez de la tempeſte qu'elleles iecta ſur le riuage au
de Rome .
deſſous de la Tour Pauline pres de Rome;de ſorte que dix -huit de ceux qui s'eſtoient
ſauucz du naufrage ayant eſté trouuez dans vne ciſterne, furent menez dans la Ville
& faits priſonniers.
III . Paffons de ces petites choſes à de plus grandes , & voyons la guerre de Hongrie &

1621. de Pologne, dont la ſource prouenoit des remuëmensde Boheme.CeRoyaume eſtoit


electif, comme il ſe pourroit demonſtrer par quantité de preuues indubitables: mais
Guerre en la maiſon d'Auſtriche qui l'auoit eu par mariage, croyāt que le tenir de la forte c'eſtoit
Hongrie par n'en ioüir que par ſouffrance , deſiroit ſe l'approprier entierement , & pour cét effec
Berlin Gabor.
eſſayoit de faire gliſſer dans les eſprits qu'elle le tenoit comme hereditaire.Les Empe
reurs Rodolphe & Mathias , l'auoient goưuerné allez paiſiblement: le premier ayant
pacifié les differends d'entre les Catholiques par vn reglement fort neceſſaire pour la
tranquillité du pays :mais le dernier ſur la fin deſes iours l'ayant donné à Ferdinand
d'Auſtriche ſon couſin germain ,la paix comença à s’alterer & toutes choſes à ſe broüil
ler ſi fort qu'elles n'ont pû ſe demeller que parla ruine & la ſeruitude de ce mal-heu

Euangeliques reux Royaume.LesBohenicns prirent jalouſie de la trop abſoluë puiſſance que cetto
de Boheme, maiſon s'y acqueroit ; & d'ailleurs les Euangeliques de ce pays -là, & tous les autres
Morauic , si Proteſtans d'Allemagne voyant ce Prince gouuerné par les Ieſuites ,entrerenten de
che ,pour grandes apprehenſions qu'il nevouluſt leuroſter la liberté de la Religion , & que ſous
quoy pren- ce beau pretexte il no ſubjuguaſtcous leurs Eſtats les vns apres les autres;cõme certes
nent
mes. les ar . il s'en eſt pcu falu. Parmy ces deffiáces ,les boutefeux qui vouloient rompre la paix en
firent naiſtre pluſieurs ſujets pour deschoſes de ncant:C'eſtoit pour donner couleur à
la maiſon d'Auſtriche desarmer ſans bruit : ce qu'elle faiſoit,mais ſa mine eſtant décou.
ucrte obligca lesEuangeliques de Boheme de prendre les armes ouuercemét.Ceux de
l'Auſtriche, de laMorauie & de la Sileſic, ſe ioignirent auec eux : Beclin Gabor entra -
dans cette ligue & leur enuoya du ſecours: bref les haines s'allumerent ſi fort qu'ils re
ictcrent Ferdinand ,commes'eſtancrendu indigne de la Couronne pour auoir violé
leurs

1
Oſman I. Liure vingtiéme .. 49

leurs priuileges , éleurent Federic V. Comte Palatin du Rhin .OrcommeFerdinand 1621 .


pour s'oppoſer à vn ſi puiſſant party , cut rappellé les troupes qu'il auoit en Hongrie,
Berlin GaborPrince degrande entrepriſe, voyant le pays depourueu de les forces, Depoſentfer
d'ailleurs, y eſtånt ſollicité par les Confedereż ,reſolut de s'en emparer,de peur,diſoit- Royaume de
il , que le feu qu’on auoic allumé en Boheme& Morauie n'y pafläft, & pour deliurer Boheme, elli
ces peuples des oppreſſions de la maiſon d'Auſtriche . Apres auoir donc obtenu du fent le Comce
Palacin ,
Turc dont il eſtoit vaſſal , & de la protection duquel il s'aſſeuroit , permiſſion de
prendre les armes pour ce deſſein , il fitl'an 1619. paſſer la riuiere de Tibiſque à ſon
armée:quigroſſit dans pcu de iours juſqu'à trente-cinq mille hommes , pource qu'vn
grand nombre de Hongres qu'il auoit pratiquez , s'y ioignirent auſſi -colt. Homanoy.
quiauoit leué quelques troupes pour l'Empereur,fut contraintde cederà ce torrent Berlin s'allie
& ſe recira dans les mõtagnes.Redeyferens quiconduiſoit l’auant-garde,aucclesCo- auec eux,pour
lonels Szezý & Rakosky, inueſtit Caſſouic & en fit les approches auec telle diligence onesie.de
qu'elle ſe rendit à diſcretion . En ſuite toute la haute Hongrie ſe ſouſmic à Betlin , les
villes de Filek, Tirnaw ,Neutra,Nouigrad,& Neucheuſel,eſpouſerēt ſon party degré
ou de force. Ce qui neſe fit pas ſans qu'il ſe commiſt beaucoup de cruautez enuers les
Eccleſiaſtiques de la Religion Catholique: tandis que les Turcs d'un autre coſtéſe fer
uoient de cette occaſion pour occuper Vaccia ou Voczen Euefché ſur le Danube , &
pluſieurs autres places dans la baſſe Hongrie. Le couronnement de cant d'hcureux Les divers
fuccez pour Betlin fucla priſe de Prelbourg,où ayant enueloppéle Palacin Forgatli & progrez qu'il
tousles Grands du Royaume , ils les força de capituler à ces conditions, que la place uciles fois.
luy feroit miſe entre les mains , & qu'ils le reconneſtroient pour Prince de Hongrie.
L'année ſuiuante au mois de May , l'Empereur n'ayant preſque plus aucunes places

d'importance que lauarin & Comorre ,fut bien aile de faire vne treve de ſept mois
auecque luy ,dans laquelle la Bohemeeſtoit compriſe li elle vouloit.La treue expirée,
les Eſtats aſſemblezluy donnerent la qualité de Roy,en ſuite dequoy il porca la guerre
au deçà du Danube du cofté de Vienne, & ayant dreſſé vn pont debateaux ſur cerce
riuiere,vint aſlieger Haimbourg : mais les intelligences qu'il auoit dedans ayantman
qué , & ſes ſoldats ſe rebucant d'aller à l'aſſaut où ils auoient perdu mille de leurs com
pagnons, il ſe retira iuſqu'à vnc autrefois, qu'y cſtant reuenu lors qu'on y penſoit le
moins, cette place ſe rendit par compoſition.Ileuſt pouſſé les progrez bien plus loin
files affaires des Bohemiens ne ſe fuſſent point ruinées ; mais aduint la mal-heureuſe
journée de Prague , apres laquelle il elcouta volontiers cette celebre Ambaſſade de
France dont le Duc d'Engouleſineeſtoit le chef , qui l'exhortoit à la paix. Le traité
s'en commença donc à la fin de l'hyuer de l'an 1621.Tous l'aſſeurance duquel les Im
periaux ayant tellement endormy Berlin qu'il auoit licentié ſes troupes, reprirent Enfio apres
Preſbourg , & pluſieurs autres places : mais cette perfidie n’auança pas beaucoup faille de Prao
leurs affaires, il regagna en peu de temps tout ce qu'ils luy auoienç enlcué; & il faluc mi
güeodes'accom
auec
qu'ils reuinſſent au traité ,qui à la fin fucconclu , Bctļin renonçantau ticrc de Roy, & l'Empereur.
fendant toutes les places , horſmis Caſſouie & quelques autres, moyennant de gran

des penſions, & autres conditions forc aduantageuſes. I'ay touché ſommairement
cette guerre , non ſeulement pource que ce Prince eſtoit vaſaldes Turcs , & qu'ils en

proficerent de quelques villes, mais auſi pource qu'elle fut cauſe de celle qu'ils de
.
Tandis qu'ils crauailloient à affoiblir l’Empereur dans-la Hongrie , les Coſaques Les Colaques
courent la
ſe mirent à courir la mer Major , pour prendre les tributs de la Walachie > qu'on
mer maior.
portoit à Conſtantinople : ce qui obligea le Sultan à faire,yn grand armement naual,
& d'appeller tousles Pirates de Barbarie ſesſujets , pour s'oppoſer à leur violence.
Cinquanto
Mais cela n'empeſcha pas que cinquante millene fiſſene irruption dans ſes terres , mille font
qu'ils ne ruinallent pluſieurs Prouinces , & qu'apres auoir pris & bruſlé Polo - irruption ca
Turquic,
grace & Chilie, & maſſacré tous les Turcs & Tartares qui cłoient dedans, ils ne
s'en retournaffent impunément chargez de grands chreſors , & de leurs plus riches Pillent & bru
lent Pologia
dépoüilles. CC .

Les Corſaires d'Alger & de Tunis deuenus plus inſolens du peu d'eſchec qu'ils
auoient receu des Gxgaleres de France qui leur auoient donné la chaſſe l'année paſſéc,
recommencerent leurs voleries plus fort qu'auparauant ſur les coſtes de la mer Me .
diterranée, & y donnerent'vne telle cſpouuance que le commerce y demçura inter
rompu , iuſqu'à ce qu'vn iour Beaulieu Capitaine d'vne galegeſous la charge duDuc de
Tome IS G

.
Hiſtoire des Turcs,
$o

1621. Guiſe, conduiſant de Portecros au Cap S. Tropez cinq basques Françoiſes & deui
Eſpagnoles, apperceut vn Corſaire qui s'eſtoit ſubtilement gliſſé parmy elles pour

Beaulieu Ca : faire la capture. Auſſi -toſt il commanda au vaiſſeau armé qui ſuiuoic la galere de
pita:ne d'ync donner deſſus,tandisqu'il attaqueroit celuy du Corſaire ; à quoy ayant heureuſemene
galete de
reüſli & fait vingt-huit eſclaues dans les deux vaiſſeaux , il ſe reſoluc d'aller faire la
, prend
deux valla guerre aux autres Pirates. Comme il ſe fuc donc rafraiſchy quelques iours , au ſortir de
teaux Cor . Ribandasilrencontra vonauire Corſaire qu'il batrit ſi furieuſementà coups de canon
faires.
qu'il lc mit à fonds pluſtoſt que de le laiſſer eſchapper, & apres auoir purgé le canal
En met yn à du Leuant au Ponant de pluſieurs petits pillards , ilen attrapa vifautre au Cap Negre,
fonds. auquel il ne pût eſtre aſſez à temps pour y arreſter les Turcs , qui ſe fauuerent à terre .
En fuite il s'en alla vers le Cap de Lomedée , où il découuric vn vaiſſeau qu'il croyoit
marchand , mais comme il s'en voulutapprocher le Corſaire deſchargea tout ſon ca
les Turcs iuy non fur luy & ſemità la voile . Beaulieu ſans s'eſtonner le pourſuiuit & lc perça à la
nentvn autre, porcée du mouſquet de tant de coups de canon qu'il le coula à fonds ; il ſê ietca
cinquante hommes dans lamer , qui ſe vindrent rendre à luy & conſeruerent leur vie
aux deſpens de leur libercé . Haly d'Andalouſie Rais du vaiſſeau fut mis à la chaiſne
En coule en- comme lesautres pour n'auoir pas voulu demander quartier, croyant que ce luy cuſt
core vo à
fonds. eſté vne honte , apres auoir tenu contre quatre galeres Eſpagnoles qui ne l'auoient
( ceu vaincre , de ſe rendre à vne ſeule .
V rain Rais fameux & cxperimenté Corſaire, fortuné en toute autre rencontre , &
Vilain Rais
grand Cor: touſiours mal-heureux àtomber entre les mains des Cheualiers de Malche cherchant
faire ,pris par dans la merdu Leuant à faire capture , apperceut leurs galeres qu'il ſe mit auſſi-toft à
Cheualico Le Cheualier de Lorraine quien eſtoit General,fit telle diligence qu'en moins de
de Lorraine, fuir.
die
deux heures il eut gagné le deſſus. Le Corſaire luy fit teſte deuxheures durant, mais
comme la hourque fue accrochée, & que cent hommes qu'il auoic ne purent reſiſter
à la fúrie de quatre cens qui ſe ietterent ſur ſon tillac , il deuinc pour la troiGémefois
priſonnier des Cheaaliers , qui le mirent auſſi- coſt à la chaiſnc , auec ſoixante - dix
des liens.
Sanſon & Sanſon & Edouard , les deux plus redoutez Corſaires du Lcuant , pour taſcher à
Edouard Cor .
faires comba - tirer vengeance des deuxgalions deMalthe qui leur auoiencoſté l'année paſſée vne
tent les deux priſe de ſix vaiſſeaux & contraint eux -meſmes de prendre la fuite ,equiperent à Tunis
galians de
quatre galions, de quarante canons & de trois cens hommes de guerre ſurchacun , &
Malthc,
furent à la queſte des autres qui les cherchoient auſſi de leur coſté : tellement qu'au
bout de quaranteiours , les Turcs qui croyoient deſia tenir les Cheualiers pour auoir
appris qu'ils n'eſtoient que ſeptcens hommes , commencerent à leur donner la chaſſe
& à caſcher de les mettre au milicu d'eiix. Les Cheualiers qui ne demandoient pas
mieux, deſchargerent leur arçillerie ſi à propos qu'ils ébranlerent & traiterent forc
mal les quatre galions." Les Turcs neantmoins ſans perdre courage , voulurent tous
enſemble inueftir le grand galion , qui les preuint ,& ſe mettant au milieu d'eux les
Qui les mee
lent en quite approchoit de li pres qu'il briſoit les vaiſſeaux à coupsde canon , & endommagcoic
iuſqu'à trois bienfortles homines à coups demouſquet. Ainſi les Turcs voyant sous leurs efforts
fois , & leur inutiles & perilleux , centerent la fuite à la faucur de la nuit : mais les Chevaliers
tuent plus de
trois cens nonobſtant l'obſcuricé , les- ſuiuirent ſi bien qu'à la pointe du jour ils ſe trouuerent
hommes. proüe à proüe & recommencerenc le combat , où le temps ſembla fauoriſer les Turcs,

& les fepara certe ſeconde fois par vne tempeſte. A la troiſiéme les Cheualiersrc
doublant leur courage & les coups de canon , les chargerent ſi rudement qu'ils n'eu .
rent plus recours qu'à la fuite ſans retour & à regagner les ports de Barbarie , apres
auoir perdu plus de croiscenshoimcs , & plus de deux cens bleſſez , du nombre del
quels eſtoient Sanſon & Edouard .
1520 . Il faut dire maintenant comme l'embrazement de la guerre de Boheme s’eſtant

Guerre entre communiqué à la Hongrie , s'eſtendit iuſqu'au Royaumede Pologne , & cuft mis ce
les Turcs & grand Eſtar tout en cendres, ſila valeur de la Nobleſſe, de ſes Seigneurs , & duicune
lesPolonnois Prince Vladiſlas, n'euffent couru au deuant & ne l'euſſent eſteint par le ſang de leurs
ennemis. Le Roy Sigiſmond , faſciné par les conſeils des Emillaires de la maiſon
Cauſće de cc
que le Roy Si . d'Auſtrichc ,leſquelsgouuernoient crop abſolument ſon eſprit , commelereconnoiſt
giſmod auoit meſme l’Eueſque de Premiſlic, s'eſtoit embarraſſé contre le ſentiment des plus ſages
alifté,lamai- Polonnois,àl'artiſter dans cette guerre ; dont la bonneiſſue pour l’Empercur ne pou
che. uoit neantmoins que luy eſtre forcprciudiciable , puis qu’apres auoir ſubjugué l'Al

lemagne
Oſman I. Liure vingtiéme
. SI

lemagne il pouuoit gourmander la Pologne & le tenir par apres luý - meſme limon 1621.
commefon vaſſal, au moinscomme fon dependant. Nonobſtant ces conlideracions
ce Roy luy auoit enuoyé quatre mille Coſaques qui firent de grands rauages dans la
Morauie & Boheme, & ne ſeruirent pas pcu augain de la bataille de Prague. Berlin
Gabor dans ſon cæuraffe & oit la Couronne de Boheme,pour la joindre à celle de
Hongrie , & c'eſtoit la principale raiſon qui l'auoit porté à feliguer auec les Bohe
miens, & les ſouſcuez d'Auſtriche,maisce Royaume apprchendantqu'il ne le rendiſt
tributaire du Turc, aymamicux en élire vn autre que luy; & apres auoir ierté les yeux
ſur diuers Princes , choiſitic Palatin :neantmoins Berlin ,diſfimulant le déplaiſir qu'il Betlin Gabor
ſuſcite le Turc
en pouuoit auoir , fic alliancc auec ce nouucau Roy, dontilconneſſoit bien quel’elta contre luy .
bliſſement dans la Boheme ſeroitle fien dans la Hongrie , comme au contraire que ſi

la maiſon d'Auſtriche venoit à chaſſer ce Prince , elle luy ofteroit plus facilement fa
nouuelle conqueſte . Or comme il voyoit que le ſecours de Pologne fortifiant beau
coup leur ennemy commun ſeroit vn obſtacle à leur auancement, il s'efforçoit de
ſuſciter le Turc &i le Tartare contre les Polonnois , & n’eſpargnoit point l'argent &

les preſens pour eſmouuoir le Conſeil du grand Seigneur, & les petits Tartares, à
leur faire la guerre :ce qu'on apprit par quelques- vns de ſes pacquets quifurent in
terceptez. Graciany Vayuode de Moldavie , qui luy porcoit vne haine ſecrete, cnfur .
prit vn cntr’autres par lequel il promettoit au grand Seigneur qu'ilprendroit bien . Le pretexte
qu'il prit .
toft Vienne , & la liurer oit entre les mains . Pluſi eurs ont crû que ces lettres eſtoient
ſuppoſées pour rendre ſa cauſe odieuſe à toute la Chreſtienté , mais quoy qu'il en ſoit
cette laſcheté luy ayant eſté reprochée , on dit qu'il coniura la perte de Graciany. En
effet, pour ceſujet, ou pour vn autre ,il ſollicita fi puiſſamment à la Porte, que l'on
y donna charge à Sander Baſſa de paſſer en Moldauie pour ſe ſaiſir de Graciany , &
eſtablir Radule en ſa place . Il y entra donc l'an 1620. publiant que c'eſtoit là ſon def Sander Barta
ſein : mais il auoit de ſigrandes forces qu'on craignoit auec raiſon qu'il ne vouluſt entre en Mol.
paſſer outre : caril auoit aſſemblé trente mille cheuaux Tartares auec leur Can , & çe davic pour
depoſleder
fameux Cantimir Murla , tous les vieux ſoldats Turcs de deſſus les riues du Danube , Gratiany.
& grand nombre de Valaques & de Tranſfiluains : cellement qu'il n'auoit pas moins
deſoixante mille chcuaux , & dix mille hommes de pied.
Cette groſſenuée donnant l'alarme à la Pologne,quieſtant deſcouuerte du coſté de
la Moldauic , auoit deſia pluſicursfois eſprouué les cruelles incurſions des Tartares,
dcuoit bien à la verité l'obliger à munir cette frontiere,mais outre cela ceux quidans
le conſeil fauoriſoient les intereſts de la maiſon d'Auſtriche , s'imaginans que lors

quc Sander auroitchaffé Graciany , il enuoyeroit les Tartares en Boheme au ſecours 1


du Palatin , ſollicitoient fort qu'on ſouſtinſt ce Vayuode,afin de ſuſciter tancd'affaires Zotxieysky
au Turc dans la Moldauie , qu'il ne puſt pas diuertir ſes forces ailleurs . De cette ſorte ya au ſecoues
de Gratiany ,
ils attirerent l'orage ſur leurs teſtes,quipeut-eſtre s'en alloit paſſer à coſté. Zolkieusky
dont nous auons parlé, ayant donc affemblé ſcizecens lances, deux cens Reiſtres,
quatre mille cheuaux legers & deux mille hommes de pied , ne ſe contenta pas de gar 1
der les frontieres , & de le fortifier ſur la riuiere de Tyre aux enuirons du chaſteau de
Chocim , mais s’alleurantſur les lettres de Gratiany qui ſe vantoir de le ioindre auec
quatorze mille chcuaux ,il entra dans la Moldauie le 2.iour de Septembre ; à quoy il fuc qui le ioint
encore incité ,par les ordres quc luyenuoya André Lipsky Vice-Chancelier, qui te- auec ſix cens

nant ſon auancementde la Reyne ſoeur de l'Empereur,dependoit entierement de la lement.


maiſon d'Auſtriche. Gratiany l'eſtant venuioindre auec ſix ccnschcuaux ſeulement,
nombre bien differend de celuy qu'il auoit promis , il ſe paſſa quelques iours ſans qu'ils
euſſent nouuelles de l'ennemy, iuſqu'au dix -ſeptiéme que leurs coureurs rencătrerent
les Tartares dontils rapporterent quelques teſtes,mais n'en prirent aucun en viepour
apprendre des nouuelles de l'ennemy ; Et ils n'en ſçauoientrien autre choſe d'ailleurs,
ſinon que les Moldaues pour encourager Zolkieusky, faiſoient les forces trois fois
moindres qu'elles n'eſtoient. Pour ſçauoir doncſice qu'on luy rapportoit eſtoit vray, Veue attiret
l'ennomy au
il reſolut de l'attirer au combat . Il rengea ſes troupes en bataille deuant ſon camp , combat, pen
lus fortifiant ſur les deux aiſles , de deux Tabors ; ce ſont des cloſtures de chariots Cant que les
ioints enſemble , entre leſquels on place des mouſquetaires & du canon pour battre forces ful
ſent beaucoup
l'ennemy, & defendre le Hanc de la caualerie . Par cette inuention il croyoit ſans moindres,
riſque découvrir le nombre & la contenance des Barbares :leſquels d'autre coſté,
ſoit par ruſe, ſoit par hazard , ne paroiſſant du commencementqu'en petit nombre,
Gij
52 Hiſtoire des Turcs ,

1621. les Polonnois fe mirent àles mépriſer & s'éloignerent inſenſiblement de leur camp,
dont les retranchemens les euſſent couuerts & defendus par derriere . Alors paru

Deſcouure rent ces effroyables eſcadrons de Tartares qui couuroient toute la campagne à perce
vne croya. de veuč , & s'eſtant tout auſſi -coſt épandus à l'entour d'eux , les attaquerent de tous
ble multitude coſtez . Ils ne ſe trouuerent neantmoinsaucunement ſurpris de voir cette prodigieuſe
de Tartares .
multitude , & leur courage repara brauement la faute que leur imprudence auoit
commiſe. Ils ſouſtindrent deuxheures durant les efforts des Tartares , & les repouſe
ſerent trois ou quatre fois , puis enfin de crainte d'eſtre accablez , percerent cout au
trauers & ſe retirerent dans leur camp: d'où ayant reconnu qu'il eſtoit demeuré der
Souſtient bra
de leurs Tabors , que les Tartares auoient preſque forcé, y ayant tué quatre
uement leurs ricre yn
efforis , & cens hommes , & pris quatre pieces de canon , ils retournerent à la charge & le rame
apres vn grad nerent . Zolkieusky deſirantreparer les fautes de cette iournée , cftoit d'aduis de re
tire dans ſon courner au combat le lendemain , & s'en promettoit vn bon ſuccez: mais les princi
camp . paux chefs , entr'autres Kalinousky Chaſtelain de Camenck, Samuel Duc de Koreck,
ou Korecky , & Nicolas Strolli , pour quelques vieilles piques qu'ils auoient contre
luy , opinoient à faire retraite , & débaucherent la nuit meſme trois ou quatre mille
Veut retour hommes . Dont ils furent aſſez punis parleurmal-heureuſe aduanture : carle Chaſte +
bat , mais les lain de Camenck auec vne grande partic de ceux qui le ſuiuirent, ſe noya au paſſage
autres chefs de la riviere de Prut, quin’eſtant pas profonde eſt neantmoins ſi rapide , & de plus
l'abandonent
& emmenent roule tant de cailloux , qu'il eſt tres difficile de la paſſer, & Gratiany fut tué par les
partie des Moldaues: mais deux autres ſe ſauuerent plus hcureuſement par la campagne , aucc
troupes. cinq cens chcuaux.
L'armée Polonnoiſe eſtant extremement affoiblic par cette deſertion , & plus en
core par la diſerte du fourage, Zolkicusky cuſt volontiers entendu à quelque traité
auec les ennemis , s'ils euſſent voulu ſe contenter de conditions raiſonnables. Mais
comme ils conneſſoient ſon impuiſſance & l'extremité où ilcſtoit , ils luy en propo
i
The contraint ſoient de plus rudes que la mort, venant le brauer à toute heure & le menaçant de for
de faire re. cer ſon camp s'il ne ferendoit à diſcretion ; Ec bien que toutes les fois qu'ils ſe mirenc
traite.
en deuoir de le faire , illeur euſt monſtré qu'il auoit encor aſſez dequoy ſedefendre, il
conneſſoit bien neantmoins que s'il s'opiniaſtroit dauantage à ſubſiſteren ce lieu là , il
ne deuoit point attendre de meilleure fortunc qu'vnehonteuſe captiuité : tellement
que n'ayant plus d'autre moyen de ſauuer ſon honncur & fa vie que de faire retraite
auec autant d'induſtrie que de courage, il s'y prepara de la force.

Belle inuen, Il arrengca ſes troupes ſur vn quarré long de ſix cens pas , & large de trois cens,
tion de clo- qu'il enuironna d'vne cloſture de chariots,craiſnez chacun par les cheuaux : au milieu
fture de cimp de cette cloſture ambulante il mit les malades & les goujats , auec tout le bagage &
pour mar- les meilleurs cheuaux :ſur le derriere il plaça l'artillerie ,& ſur les coſtez toutes ſes
troupes , qui marchoient à pied ,tantinfanterie que caualerie, chacune ſous ſon dra
peau , & touſiours preſtes à combatre à la faucur de ce remparc. En cét ordre ils com
mença à marcher le dernier iour de Septembre , pourgagner la riuiere de Tyre , & ſe
rendre à Mohilow premiere frontiere de la Pologne, où il fuſt bien arriué en trois
iours s'il n'euſt point eu d'obſtacle , & ficér ordre auquelconſiſtoit le ſalut de ſon ar
Les Tartaresmée ne l'euſt pas obligé de prendre le plus long de la moitié ,pour éuiter les bois , les
le laiſsent for
mareſts, & lesmontagnes, & chercher le pays plus ouuert.Les Tartaresle voyát ſortir
tranchemens
, de ſon camp,crûrent qu'ilvenoit au combat, donc ils ſe mocquoient : mais comme ils
croyant qu'il reconnurent que cette groſſe maſſe ſe remuoit tour d'vne piece & qu'il ne s'en delta
venoit au
combac. choitperſonne pour venir à l'eſcarmouche, ils s'eſtonnoient quel pouuoit eſtre ſon
deffein ,& la regardoient paſſer ſansluy rien dire , s'accendant peut-eſtre de l'enuelo
per lors qu'ils le verroientplus éloigné des retranchemens de ſon camp.Cependant la
huic venuë fauoriſa ſa marche, & ils ſe contenteret d'enuoyer des coureurs apres pour

remarquer la route.Cette nuit là il fit trois milles d'Allemagne,quivalent plus de ſix


Eft attaqué le lieuës de France , ſans auoir d'autre peinc qu'à vn defilé dansvn mareſts, où il euſt eſté
lendemain, te facile à l'ennemy de le deffaire s'il l'euſt chargé dans cette confuſion . Le lendemain
comme il eſtoit dans ce premier campement,Sander l'attaqua par les deux flancs, aucc
nemis .
toutefon armée : mais ayant eſté receu de meſme, il le laiſſa en repos le reſte du jour ;
fibien que ſur le ſoirils continuerent leurmarche, & firent toute la nuit quatre milles
d'Allemagne, touſiours harcelez par les caualcades des Tartares qui leur faiſoient
plus de peine que de mal . Apres cette longue traite, ils ſe repoſerent tout le jour & la
nuit
Oſman I. Liure vingtiéme . 53

nuit ſuiuante,campeż pres d'vn eſtang,où les ennemis les tourmenterent fort à coups 1621 .
1
de canon qu'ils tiroient dedeſſus l'autre bord , & par de groſſes eſcarmouches qu'ils
rafraiſchiffoient d'heure en heure : apres leſquelles le Bañales croyant ſi fatiguez qu'à
ses campes
mens & com
peine pourroient- ils porter leurs armes, les attaqua auec toutes les forces , & s'opi bats huitious
niaſtra tellement à les enfoncer,qu'il retourna quinze fois à la charge mais tant s'en durant ,
faut qu'il puſt lesentamer , qu'ils luy taillerent deux eſcadrons en pieces, luy prirent
deux drapeaux , & vne piece de canon , & pourſuiuirent les Tartares iuſqu'à plus de
demie lieuë de leur camp.Le meſme iour ils auancerent fix lieuës, & celuy d'apres
marchant le long d'on ruiſſeau entre deux montagnes , où les Tartares s'eſtoient
poſtez pour les incommoder delà à coups de trait , ils deſtacherent quelques com
pagnies , qui grimperent de furie à eux , & les en deflogerent. Auec pareil bon
heur ils éuiterent le lendemain les embuſches qu'ils leur auoient tenduës , & fouſtin
drene yn troiſiéme aſlaut general , où les Turcs ayant donné opiniaſtrément à vn des
flancs de leur cloſturey firent breſche , & neantmoins furent repouſſez aucc grand
carnage . Le meſme foir ils firent encore fix lieuës le long d'une petite riviere , les
Turcs les coſtoyant ſur l'autre bord , & leur empeſchant d'abbreuuer leurs cheuaux.
Le lendemain les Tartares prenant les deuant , s’allerentloger ſur leur paſſage, mais
cét obſtacleles empeſcha autant que les precedens: ils paſſererit courageuſement tout Qui arriuent
au beau milieu de leurs corps-de-garde & de leurs feux. Enfin apres huit iours de à dieux lieues
chemin & de combat preſque continuel, aa trauers de mille fatigues & de mille diffi- hiere de Tyre
cultez , dont le manque de fourage n'eſtoit pas le moindre , ils paruindrent à vne ou ilcuft eſte
licuë de la riuiere de Tyre , d'où peu s'en falloit qu'ils ne viſſent les murailles de Mo- reté
en lieu de feu .
hilow . Mais comme ils eſtoient à deux heures pres de la fin de leurs peines; qu'ils
alloient eſtre en lieu de ſeureté , & que leur vertu ſe pouuoit vanter de les auoir tirez
du plus grand danger qu'on ſe puſtimaginer , par des efforts tout à fait incroyables;
le mal-heur, s'il le faut ainſi dire , porca enuic à vne ſiglorieuſe action & leur ficfaire
naufrage au port . Sur le commencement de la nuit , commeles ennemis auoient
preſque celle de les pourſuiure, leur chartiers & valets trouuant de grandes piles de
foin & autre fourage, dont ils auoient cu diſerte deux ou troisiours, ) bururentauec
Les valets
tant de confuſion q
, ue leur arricrc-garde demeura fortéloignée de l'auant-garde, & mettent ſon

par ainſi la çloſture de leurs chariots fut rompuë . Outre ce deſordre ,il ſe mit tout à camp en de
fordre.
coup vne terreur paniqueparmy les valets , comme s'ils euſſent eu les ennemis ſur les
bras : ils commercerent à crier , à s'enfuir, à porter l'effroy dans le camp , ceux qui
gardoient le bagage ſeietterent deſſus pour le piller , & les chartiers derelerent les
cheuaux des chariots pour ſe ſauuer: de ſorte qu'il n'eſtoit plus poſſible de faire mar
cher cette clofture. Les Chefs y eſtans accourus , caſchoient les vns par menaces , &
les autres par exhortations , de calmer ce cumule , & de raſſeurer les ſoldats : mais la 4
canaille faifoit tant de bruit & cauſoit tant de confuſion qu'on ne pouuoit pas ſeu .

lement les entendre . Ainſi tout ſemit en deſroutc , tout perdic cæur , & les Tartares Les Tartares
en eſtans aduertis n'eurent qu'à tailler en pieces les malheureux debris de ce camp fus & le det
qui s'eſtoit rompu de luy-meſme. Les maiſtres eſtansà pied , y demeurerent preſque font entiere
ment.
tous,ou morts,ou priſonniers: & les valetsmontez ſur leurs cheuaux,ſe ſauuerent.Le
General Zolkieusky apres auoir erré toute la nuit , penſantgagnerla riuiere de Tyre ,
comba entre les mains des Tartares quile cuerenc ; bien -heureux de n'auoir pasſuré
ueſcu à cemal-heur,poureftre l'objet des reproches & de la médiſance de ſes enuieux .
Sander fit planter la teſte ſur vn pieu deuant ſa tente , & apres l'y auoir laiſſée deux Il eſt tué & fa
teſte portée à
iours , l'enuoya à Conſtantinople : où Koniecpolsky fon Lieutenant , Samuel Ko Conftantino .
recky , Luc Zolkieusky , George Farenbach & quelques autres Seigneurs , furent ple,
auſlimenez & enfermez dans la cour noire , d'autant plus eſtroitement que trois ans
auparauant le meſme Korecky s'en eſtoit fauué, commenous l'auons dit :

La Pologne reſſentir cette perte auec autant d'effroy & d'affliction ,pourceque n'ayac
plus de troupes ſur pied de ce coſté-là ,les Tartares couroient ſans obſtacle par toute la
Podolie, & la Ruſſie,y mettoient tout à feu & à ſang , & en emmenoient des troupeaux
innombrables de peuple en vne miſerable captiuité. Mais ces cruellesdeſolationsne Le Sultan de .
luy ſembloient que de petits commencemensde celles qu'elle auroit à ſouffrir, litouce chire la guerre
la puiſſance Othomane venoit fondre ſur elle , & luy porcer le fer & lefeu iuſques dans à la Pologne,
les entrailles,comeelle en eſtoit menacée.La vengeance de Berlin Gabor auoit à force
de preſens eſmeu quelques Baſſas de la Porte à animer le ieune Sultan către ce Royau
G iij
Hiſtoire des Turcs,
54

1611 . me : Aly Balla homme ſans experience , mais qui ſeruoit de miniſtre aux ſales plaiſirs
de ſon maiſtre,luy repreſentoit à toute heure les entrepriſes des Polonnois ſurla Mol
dauie , l'alliance eſtroite de leur Roy auec la maiſon d'Auſtriche, & les inſolences des
Colaques: Sander Baſſa luy faiſoit cette conqueſte tres-facile , & luy perſuadoit que la
fleur des gens de guerre , & desgrāds CapitainesPolonnois , en ayant eſté deffaite pres
de Mohilow , il inonderoit ſans reſiſtance toutes les Prouinces de ce grand Eſtat , &
pourroit en peu de mois eſtendre la domination iuſqu'à la mer Baltique; D'où ſe ren
dantmaiſtre del'Ocean auec ſes vaiſſeaux,il tiendroit la Chreſtienté comme embraſ

/ Dont les fla- Tée par les deux mers,pourroit receuoir ſous ſa protection le party des Euangeliques
teurs luy font
la conqueſte de Boheme , & donneroit la loy à toutes les coſtes de l'Allemagne. A cette ſollicita
facile. tion ſe ioignirent celles des Moſcouites , perpetuels ennemis des Polonnois, qui luy
auoienrenuoyé par pluſieurs fois de grands preſens,& offroient d'aſſocier leurs ar
mes aux ſiennes pour cette guerre :mais rien ne l'incitoit dauấtage que les courſes con
tinuelles des Coſaques qui reduiſoient'en cendre ſes villes maritimes, deſoloient ſes
plus fertiles Prouinces , enleuoient les foires entieres dans ſes Eſtats , & le venoient
brauer iuſques dans le golphe de Conſtantinople. Toutes ces poinctes de gloire de
dépit & de cholere piquerent ſi viuement le courage d'Oſman deſia boüillant du feu
dela ieuneſſe, & enyuré de l'orgueil de ſa grandeur à qui rien ne parcſſoitimpoſible,
qu'il reſolut de declarer la guerreaux Polonnois. Les anciens& lesplus ſages de ſes
Conſeillers, entr’autres le Mufry, employerent toutes les raiſons qu'ils iugerent ca
pables de le diſſuader de cette expedition iniuſte,perilleuſe & lointaine : mais il s'of
Vousa fes ar fenſa de leurs remonftrances , iuſqu'à donner vn coup de couſteau au Vizir Muſtapha
mées .
qui ne voulut parler trop librement , & quelque mauuais pronoſtic qu'en fiſſent les
Deuins , ne pût iamais eſtre deſtourné de ſon deſſein . Il fit donc publier par routes
les terres de ſon obeiſſance , & manda à tous les Capitaines d'Aſie d'Afrique
, &
d'Europe , que ſous peine d'encourir ſon indignation ils euſſent à aſſembler leurs
Signal qu'il troupes & fe rendreau commencement du Printemps ſur les frontieres de Pologne ;
met quand il donna ordre de faire porter par deſſus le Danube , vn prodigieux appareil de toutes
la veut com
mander en ſortes do mun onsdans la Moldauic ; manda meſme les Arabes, & enioignir à tous
perſonne, les Tartares qui rcconneſſent ſon Empire deſe trouuer au rendez -vous alligné;com

meauſſi aux Palatins de Moldauie & de Walachie , de dreſſer des ponts ſur les riuic
res; Et pour ccſmoigange qu'il vouloit y aller en perſonne , il fit atracher deuant ſon
Palais vn bouquet de crin de cheual , lignal ordinairc de la marche des Othomans .
LcRoy depo A cette nouuelle qui donnoit de la terreur à la Pologne , & de l'apprehenſion à tout
logne
gu cles conuo-
Eſtats le reſte de la Chreſtienté ,le RoySigiſmond conuoqua les Eſtats generaux à Warlouie
au premier iour de Nouembre pour aduiſer aux moyens de ſe defendre, & cependant
enuoya des Ambaſſadeurs vers tousles Princes Chreſtiens leur demander du ſecours
contreleur ennemy commun . Ilsſçauoient tous la reſolution du grand Seigneur, &
deploroientles mal-heurs de la Pologne qu'ils tenoient deſia pour deſolée & per
mander re due ſans reſſource :mais tous,inſenſibles à vn ſigrand maldont le progrez les cuſt ac
Enuoye de-
couts aux cablez les vos apresles autres , s'en excuſerent ſur leurs propres affaires ou ſur l'an
Princes Chre- cienne alliance qu'ils auoient auec le Turc , & demeurerentſpectateurs de cette que
ftiens,
relle.Meſmela maiſon d'Auſtriche,pour l'amour de laquelle Sigiſmonds’y eſtoicem
barraſſé, refuſa par vncingratitude extremedc luy preſter aucune aſſiſtance, & l’Em
pereur ne luy permit ſeulement pas defaire des leuées ſur ſes terres', diſant qu'il auoit
affaire de ſes gens contre les Herctiques , plus pernicieuxqueles Turcs.Il nyeur quele
Pape & le Roy d'Angleterre qui tcſmoignerent en cette occaſion quelque ſentiment
d'amitié pour ce Roy; & d'affection pour la Chreſtiencé.Lepremier promit à Acha
tie Grochow Ambaſſadeur à Rome , de donner certaine ſommetousles mois , & d'en
fournir dauantage lors que l'Empereur ſeroit venu à bout des Proteſtans d'Allema
Ingratitude
dengan malicom gne ; & le ſecond, apresauoir traité ſplendidement Gregoire Offelinsky , luy fic ef
d'Auftriche. percr yn ſecoursconſiderable, ſi la guerre duroit : maisces aydes eſtoient fore pecits
& mal aſſeurez. Auſli Sigiſmond ne faiſane pas ſon compte ſur les ſecours desautres
Princes , mais ſur ſes propresmoyens , trauailloic ſoigneuſement à ordonner ſes for
ces & à preparer toutes choſes pour ſouſtenir un fi puiſſant ennemy. Il s'en trouua
peu dansl'aſſemblée des Eſtats qui propoſerent d'appaiſer la furie du Turc par quel
que tribut , pluſtoſt que de hazarder l'Eſtat au ſort d'vne guerre fanglante, donc
le gain , diſoient- ils , ne pouuoit eſtre qu'vn peu de gloire ; & la perte l'entiere
deſtruction

/
Oſman I. Liure vingtiéme
. 55

deſtruction de tout le Royaume ;mettant en auant pour diminuer la honte de cette 1621 .
ſoumiſſion ,lesexemples des crois derniers Empereurs,Ferdinand ,Maximilian & Ro
dolphe qui l'auoient payé pour la Hongrie, & de cette ſage Republique de Veniſe ,qui Trois propo
n'en faiſoit point de difficulté & rapportoit pour raiſon que huic jours de guerre luy ticions qui
euflene plus couſté que troisannées de tribut qu'elle enuoyoit à la Porte. Mais cette fait àl'adem
propoſition plus accommodée au tcmps qu'à la generoſité Polõnoiſe fut reiectée aucc blée ,
vn fremiſſement de toute l'Aſſemblée :parmy lequel on entendoit ces courageuſes pa

roles : Ah, pluftoft mourir de millemorts !Nousne ſommespas filaſihes quedetenir nos biens
enos vies a loüage. Ce n'eſt pas conferuer l'Eſtat que de l'afferuir ſous le joug des Barbares:
La liberté eſt le cæur de cette Republique, l'on
ne la ſçauroit 'entamer tantſoit peu par le des
hors ny par le dedans', qu'elle n'en meure außi- toft. Qgoy , penſe-on que nous n'en voulions
garder qu’une ombre & vn ſquelete: Non , non , nous voulons la garder viuante & toute
intiere, ou bien perir tous auec elle , afin qu'il n'y ait plus de Polonnois ,quant ils nepourront
plus eſtrelibres.Ilfut apres cela deliberé desmoyensd'entretenir la guerre,dunombre
des troupes que l'on leueroit, & des Chefs qui en auroient le commandemenė.
Pour le premier poinet, les Eſtats impoſerent , outre la deſpenſe generale que la No
bleſſe a accouſtume de faire, cercaines contributions ſur le peuple, quelques droits
ſur les danrées , & ſur les domaines du Roy, & ordonnerent que la Lithuanie feroit yn Impoſts pour
don de pareilles leuées . A quoy chacun ſe cotiſa volontiers , pluſtoſt par affection au la ſublillance
bien de la Republique,que paraucune force qu'on y apporcaft. Il fut aulli pris certaines de l'armée .
ſommes ſur les penſions, & ſur les droits anciens, & le Clergé donna preſentemeng
cinquante mille florins.Pour le ſecond, on fit eſtat de mettre loixante mille hommes
tant infanteric que caualerie en vn corps d'armée , ſans compter celle du Prince Via
diſas , & l'arriere -ban que le Roy deuoit amener au beſoin : mais će nombre ſe trouua
beaucoup moindre qu'il n'auoit eſté rcſolu ,pource que l'Empereur defendic legile
uées dans ſes terres , & que la Nobleſſe eſtant obligée d'enuoyer les chefs de maiſon à
l'arricre -ban , ne pouuoit pas faire double deſpenſe , & fournir auſſi des hommes
equipez pour cette armée :de forte qu'en gens-d'armes & cheuaux -legers il n'y auoit
que trente -cinq mille hommes , non compris les Cofaques qui cuffent pû monter Nombre des
iuſqu'à crente mille , fi pluſicurs ne ſe fuſſent point arreſtez à voler dans la Podolie , troupes ,
On ne ſçait pas au vray de combien de gens eſtoit celle du Prince : Vladiſlas. Ellecſtoit
neantmoins compoſée des compagnies des gardes du Roy ſon pere , de quelques ré
gimens d'infanterie & caualerie Allemande, de bon nombre de Noblefie , & des
troupes que quelques Seigneurs auoient leuées à leurs deſpens : toutcela montant à
quinze mille hommes . L'artillerie des Polonnois eſtoit
de vingt-huitcanóns, & celle
des Coſaques d'enuiron aurant.Pour le Chef qui dcuoit commander la grand’armée,
le Royſe trouua fort en peine à qui il falloit donner vne commiſſion tiimportante
Elle appartenoit à la charge de grand General de Pologne , mais elle eſtoit vacante
par la mort de Zolkieusky , & il n'y oſoit pouruoir à cauſe de la concurrence de

trois ou quatre grands Seigneurs qui la briguoiént, de peur d'en deſobliger plu
ſicurs penſant en obliger vn . Il fur donc trouué à propos de donner ce commande
ment à quelque aurre, & les ſuffrages de toute l'Allemblée le defererent à Charles
de Chodkicuicz Palatin de Vilna & grand General de Lithuanie , comme à celuy
que tout le monde conneſſoit pour le plus experiinenté ,le plus vertueux , & le plus
heurcux Capitaine qu'ils puſfent choiſir : Ils donnerent la Lieutenance ſous la qua
licé de grand Mareſchal de campà Staniſlas Lubomirsky, qui le fécondoit heureuſe.
vir
ment en toutes ſes bonnes qualiccz , & ordonnerent des Commiſſaires pourła Iulti
ce , & pour le conſeil. in :

Tandis que les deux partis ſe preparoient, le Ciel eſtónoit la Pologne par diuers pra. Prodiges zu
diges :ony vid deux colomnesde feuqui combacoient l'une contre l'autre au coucher Ciel & trem
du Soleil, & la cerre trembla en diuers endroits de la Moldauie, Podolie ; & Ruffie. blemens de
tcrrc.
En attendant qu'on afſcmbloit le reſte des troupes, Lubomirsky conduiſant Pauant
garde, s'en alla ſur la fin de May camper au bourg de Skala dans la Podolie,lidu nia
turellement fort, pour eftre defendu d'un coſté de rochers inaceetlibles, & de l'autre Gene
Chodkicuice
ral en
de la riviere de Zbrut, d'où il cnuoyoit ſouuent des eſpions dans les pays de l'en uoye Lubo
ncmy , fortifioit de nouuelles gardes les paſſages de Tyre, & arreſtoit les frequentes mirley long

par la Moldauic , dont Simon Kopyczy fammeFalle des para


courſes des Tartares qui venoicnt
de cæur & d’experience faiſoit grande expedition , & les payſans de Podolie de lages.
3

1
re
56 Hiſtoi des Turcs ,

1 6 21. grands carnages entreles bois & lesrochers . Durant ce temps- là Conſtancin Veuel,
Candior de nation & d'humeur , vint au camp de Lubomirsky auec les ordres ſecrets
Deputé du du Palatin de Moldauie , & les lettres du borgnc Vlaim Gouuerneur des frontieres
Palatin de
de la baffeArabic & Capitaine de la Porte du Sultan ,pour faire mine de propoſer la
Moldavie
pour propo. paix , mais en effet pour eſpier la contenance de l'armée. Lubomirsky , ſans luy vou
fer la paix à loir reſpondre en l'abſence du General , le traita magnifiquement ſous vne tente
Lubomirſky:
quilluy fit dreſſerpres du camp ; & luy donna des gardes iuſqu'à l'arrivée de Chod
kieuicz qui vint bien -coſt apres . Commeils ſe furent ioints à Rzepnic , ils s'en alle
Chod sicuicz rent camper au bourg de Braham ſur'le bord de la Tyre , od ils demeurerent quel
vient ioindre ques iours, tandis que Lubomirsky amaſſoit des viures & du fourage de tous coſtez.
Lubomirſky, Le General eſtoit en douce s'il paſſeroit au delà de la riuiere , ce qui ne ſe pouuoit ſans
& pale la Ty.
ic . beaucoup de peine,ou bien s'il attendroit l'ennemy au deçà ,où il trouueroit plus faci
lement toutes ſes commoditez , & receuroit aucc plus de ſeureté les choſes neceſſaires
qui luy viendroient de la Pologne. Mais le Roy luy eſcriuit qu'il euſtà paſſer; & ou
tre que c'eſtoit l'aduis de la Nobleiſe de Podolie , ileſtoit important qu'il le fift pour
empeſcher la volerie des ſoldats , pour auoir la commodité de camper, & de mettre
Les Cofaqueşl'armée
demandent à en bataille , & pour exercer lesſtratagemes de guerre : ioint que s'il s'arreſtoit
lesioindre . à Braham , l'armée ne pourroit eſtre ſecouruë des Coſaques , qui demandoient à la
ioindre aux Polonnois , pource qu'ils craignoient que la Republique venant à s'ac
commoder auec les Turcs, cout le fardeau ne leur vinſt à tomber ſur la tcſte . La diffi
culté fut à baſtir le pont ſur cette riuicre bordée des deux coſtez de hauts rochers .
L'infanterie en auoit fait vn auec beaucoup de peine , il fut incontinent rompu par

la rapidité de l'eau :mais enfin on le redreſſa par la merucilleuſe induſtrie d'vn cer
cain Lithuanien .
Apres que Chodkieuiczeut diſpoſé coutes choſes , il fit reſponſe à Veue , que le
fait.Chodkie. Roy feroit auſſi prompe à poſer les armes pour embraſſer vne paix honorable , qu'il
uicz au De- auoit eſté à les prendre pour la defenſe de ſes Eſtats : il eſcriuic la meſme choſe dans
puté .de Mol yne lettre qu'il enuoyoit par Szemberg au Vizir Vlaim qu'il exhortoit de conſeiller la
dauie
paix au Sultan , dont toutefois il n'eſperoit autre fruit quc de deſcouurir les deſſeins
& les forces des Turcs par l'addreſſe du meſlager. Le ponc ayant eſté refait, il naſquit
vne autre difficulté pour le paſſage. Les ſoldats fe mutinant , refuſoient opiniaſtre
Murmure de ment d'aller plus auant & de s'engager dans un peril d'où ils croyoient ne reuenir ia
Ies ſoldats.
mais : les vns alloient faire du bruit aux tentes des Capitaines , d'autres perdant le reſ
pe & venoient des prieres aux menaces , diſans qu'ilsvoyoient bien qu'il n'y auoit ny
argent ny viures,qu'on leur ccloicle iourqu'ils s'eſtoiêc enrolez pour leur faire perdre
lcurs montres, qu'on leur preparoit bien de la peine & point de recompenſe , & qu'en
fin l'ennemy eſtoit fort proche & le ſecours fort loin . Le General , ſans s'arreſter à
haranguer ces eſprits alterez, parce qu'il voyoit bien qu'il faloit des effets non pas des
Qu'il appaiſe
aucc addreſſe ,paroles pour les appaiſer ,apres auoir tenu conſeil auec les Commiſſaires, donna ordre
à Polocy Secrctaire priuilegió de l'armée , de faire fidellement vn eſtar de toutes les
troupes , de marquer le temps que chaque ſoldat s'eſtoit enrolé , la diſtance des
lieux , & quelle route elles auoient tenu . Ce qui fut fait en moins de dix jours , de
ſorte qu’apres qu’on en cuc donné les memoires à tous les Capitaines,il y eut yn li
grand calme qu’onn'euſt pas entendu le moindre fantaſſin ſe plaindre.
Si toſt que Lubomirskýqui marchoir à la ceſte de l'auant-garde , cut atteint les
Lipnic mana frontieres de Moldauic , il cnuoya vn Capitaine auec crois ou quatre cens che

la foire du Se- uaux & deux regimens d'infanterie, chercher des viures pour l'armée , d'où il re.
rat de Mol. tourna auec fort peu de buţin , apres auoir manqué , par le bruit de les gens , à ſur
dauie .
prendre les marchands Armeniens & Moldaues qui ccnoicnt la foire au Serat de
Moldauie . Cette courſe faſcha Chodkieuịcz , qui vouloit ſe rendre le pays amy

par la douceur,& craignoit d'ailleurs que ce peuple irrité ne ſe vengeaſt ſur Szem
berg au retour de la commiſſion c'eſt pourquoy il fit publier à ſon detrompe que

Bernäle grand perſonnene filtaucun degaſt dansla Moldauic à peine de punition corporelle. Ce
poleur. qui n'empeſcha pas que Bernaſc fameux voleur , qui ſe retiroit dans les foreſts, ne ſe
jetraft ſur les fourageurs Polonnois, auſquels il pric plus de cinquante chariots &
Refouillance quantité de chcuaux.
dans l'armée Aprés que toute l'armée fut paſſée , le hanniſſement des cheuaux , la fanfare des
Polomoiſc. trompeces , le ſon des campanes , & l'éclat des armes , cxciterene vne li grande ioye
en
Oſman I. Liure vingtiéme
. 57

en toute l'armée,qu'elle ſembloic eſtre le pronoſticd’un bon - heur infaillible ,comme 1621.
ÿ les Aigles de Pologne, fuſſent là deſcenduës pour prendre pied derechef dans la
Moldauie. Tous les ſoldats portant la victoire dans le caur & le triomphe ſur le viſa

geleuerent les mains au Ciel pour luy demander vengeance du pays où ils alloient
entrer , qui auoit auparauant eſté le cimetiere des Polonnois ; Et Chodkieuicz ,
quoy que valetudinaire , & foible de corps , mais fort d'eſprit & de courage , les Ariete dus
alloit animant , comme vn autre Mars, touſiours monté ſur vn cheual de grand prix ca np des Pos
& ſuperbement enharnaché . Le lieu où ils planterentleur campeſtoit defendu d'un lonnois .
coſté par de hauts rochers qui aboutiſſoient à la riuiere de Tyrc , & de l'autre par
des foreſts entrecoupées de precipices , de ſorte qu'il eſtoic impoſible aux Turcs
d'y pouuoir entrer en bataille , ny de forcer Chodkieuicz au combat. Cependant Nouuelles de
Konaſžeuic qui eſtoit allé auec la compagnie de cheuaux legers pour apprendre des l'approche
des Colaques ,
nouvelles des Colaques, vint dire qu'ils approchoient: ce qui redoubla l'allegrelle
de l'armée; & à meſme temps le Generalapres luy auoir fait vn beau preſent, le ren
uoya au deuant auec deux compagnies de la caualerie , & luy donna pour compa
gnon Molodec ancien ainy des Coſaques . Deux iours apres il eut aduis de leur ve- lis font le des
nuë , & pour preſage d'un bon ſuccez apprit qu'ils auoient heureuſement commen- gaft des con
cé la guerre par le degaſt entier des fertiles contrées d'Orio , & par la ruine de la lecs
& ruind'Orio,
ent
ville de Soroka . Soroka.

Il nemanquoit plus que le Prince Vladiſlas ; qui auoit en ſon armée la groſſe artil
İcrie. Ilcſtoic deſia arriué à Leopolde , mais pour l'obliger à ſe rendre pluitoſt à Cho- Chodriçuicz
cim , Chodkieuicz & les autres Chiefs deputerent Zorauinſc & Sobieſc, le prier au depute vers
je Prince Vlao
nom de toute l'armée de faire avancer la fienne, qui leur ſembloic marcher croplendidas

tement , afin qu'ils puſſent faire teſte à l'ennemy quieftoit tout proche.LesDeputeż
trouuerent le Prince à quelques iournées delà , qui auoit vne armée plus leſte que Fait grand ac.
nombreuſe, à cauſe de la fleur des ieunes Gentils-hommes quis'eſtoient piquez de le cueil aux Des
fuiure à leurs deſpens. Il fit grand accueilaux Deputez,eſcouta fort attentiuemēcleur putoz.
priere , & mit la faute de ſon retardemét ſur la peine qu'il auoit euë à amener le canon,
& ſur la langueur de l'infanterie Allemande :en effet la fatigue du long chemin & la
mauuaiſe nourriture les auoit fifort atčenuez , que les ſoldats en reſſembloient à des
ombres pluſtoſt qu'à des corps viuans . Le rapport de ce triſte ſpectacle affligea fore Chodkicuicz
Chodkievicz , maisille fut bien dauantage quãd il ſceut le bruit quicouroit par toute afligé dupia
des
l'armée que les Cofaques de Zaporaw eſtoient deffaits, qu'ilvid les grands auſſi bien gens du Prin
que les petits tous baignez en larmes pour cette infortune , & que ceux qu'il auoit cc.
enuoyez Vers Stepanowc pour en apprendre des nouvelles , luy rapporterent qu'ils
auoient trouué les paſſages fermez par les Tarcares.Toutesfois apres qu'ilen cut eſté Er du bruit
deux ou trois iours en grande inquietude , il apprit qu'ils auoient enfin genereuſe- qui couru des
de
ment franchy ces obſtacles ,ayant combatu huit iours durant contre la faim & contre Colaques.
les Tartares . Le dernier iour du mois d'Aouft ilen arriua vne troupe de deux mille
qui afſeuroit que le reſte les ſuinoit, & s'eſtoic demcflé du plus grand peril.Decoutes
leurs a & tions dans ce difficile paſſage , ie n'en rapporteray qu'vne. Legrand Scigneur Om
an aflit .
Oſman en fit inueftircinq cens quis'eſtant égarez à la picorće, s'eſtoient cachez dans
ge cing cens
vne cauerne pour laiſſer paſſer ſon armée . Apres qu'il eur inutilement employé ſes Colaques das
forces & ſes machines de guerre pour les auoir , il s'opiniaftra à les emporter par la vnc caueunc,
faim . Eux à quilo deſeſpoir ne promettoit plus aucune compoſition qu'vne genereuſė
mort,faiſoient ſouvent des ſorties , non pasà deſſein de diſputer leur vie mais de la
vendre bien chcrement, & à toutes les fois ils tuoient ſigrand nombre des ennemis

qu'ils ſe ſaouloient du carnage. Maisenfin comme les viures & la poudre leur eurent sur leſquels
il exerce de
manqué , & qu'ils eſtoient ſi languiſſans qu'ils n'en pouuoient plus , ils demeurerenc à
grādes cruan
la diſcretion d'vrienragé vainqueur,qui apres en auoir fait expoſer vne partie aux plus tez.
cruels tourmensen la preſence pour affouuir la vengeance barbare,voulut faire luy
meſme l'office de bourreau ſur les autres , & festira à coups de mouſquet & de Aeſche.
Deux jours auant ſon arriuée , Cantimir orgueilleux de quelques aduantages IV .
qu'il auoit cu autresfois ſur les Polonnois, ſe faiſant fort deſes ruſes ordinaires,vou- Premiere ar
lut hazarder le premier coup d'eſſay de cecce guerre. Il ſe mic en embuſcade dans le taque par les
Tartares,
bois auec cinqmille Tartares, & enuoya ſon frere auec deux mille chcuaux attaquer
la garde : il la pouſſa ſi viuement à la faucur d'vn broüillard qu'ils firent tous enſem

ble vn horrible bruit iuſqu'à la porte de Lubomirsky , dont le camp fut co extreme
Tome II. H
Hiſtoi

Turcs
des
58
2

,
1621. danger: car ils en furentſipres qu’vn Tartare trop courageux fur cué d'un coup de
1
autre troupe de Tartares
ſur le bord du foſſé dans la chaleur du combat. Vne
pierre
Qui mettent deſcendit par les ſentiers des montagnes qui aboutiſſent ſur la riuiere de Tyre, & ſe
les Polonnois rua à l'entrée du camp ſurle poſte de Pretow qui reuenoit de la garde des guez dc
cn vn extre
me danger . la riuiere. Ce Capitaineaccouru au bruit leurreſiſta brauement & les chaſfa ,maisce
ne fut pas ſans auoir perdu pluſieurs des ſiens qui dormoient d'un profond ſommeil,
laſſez du chemin & d'auoir veillé toute la nuit .
Chodkicuicz mit auſſi - coſt ſon armée en bataille,donna la droite à Lubomirsky, &
Chodkiewicz prenant la gauche auec le regiment de Leſniow , polaſon regimět & celuy de Sieniaw
met ſes trou .
pes en bitaille . tour de front à la deſcente de la montagne, & pourles ſouſtenir; ordonna au premier
rang les regimens d'Opalinſc, & deZieneuuichz; au ſecond, ceux de Sapieh , & de
Kollacow L
. e corps de bataille eſtoit cõpoſé des regimens de Zorauinſc, dc Boratin ,
& des cõpagnies de lanciers de Swienczic & de Srzedzinſc du regiment de Zamosky
Palatin de Kyow . Tous ces Nouices dans les commencemens obſeruoient cres -mal
Vſe de Pirata , les ordres , ce qui faſchoit fort le General ; qui ſçachant le nombre des compagnics
gemes,
de chaque regiment, vouloit qu'elles ſe trouuaſſent à leur rang li toſt qu'illes auoit
commandées. Il fitauſlicacher dans la foreſt quelques regimens de fantaſlins Alle
mans & Hongrois , pour enuelopper les Tartarespar derriere : ce quiluy reüſitheu
reuſement, car ils les chargerentſià propos qu'en moins de rien ils les mirenttous

Les Tartares en déroute . Cantimir s'en eſtant apperceu prit luy-meſme la fuite , où il tomba és
s'enfuient. mains des Cofaques , qui luy tuerentvnegrande partic de ſes meilleurs Tartares.Les
priſonniers aſſeuroient que les armées d'oſman & du Can Dziambeger,eſtoient for
proches. Ce qui fut confirmé par le retour de Vcucl& de Szemberg , qui les auoient
laiſſées à deux lieuës de Chocin . Le Vizir Vlaim auoit à la verité aſſez bien traice

Szcemberg, mais ſans le faire voir à Oſman ;meſme luy & ceux qui auoient eſcrit aux
Rctour du
Deputé de Generaux Polonnois pour l'accommodemene , par vne crainte ſeruile nier de
Chodzicuicz. l'auoir demandé , & firent reſponſe que la paix ne ſeroit ſignée que par le cran ,
chant du cimeterre.

Alors Chodkieuicz fit aduertir cous les Chefs de cette venuë , leſquels ſe mirent à
exhorter les ſoldats : Qui leur reſpondoiene, qu'ils eſperoient auec l'aydede Dieu ,
& de leur valeur , auoir aſſez de force pour repouſſer celle des Turcs ; Qu'il ne leur
Faie
ſes hauffet
retranche . falloit point de prieres pour les cinpeſcher de ternir la gloire de leurs anceſtres, ny
mens, pour les diffuader d'achepter par or & par argent la paix qu'ils pouuoient acqucric
par le fer, & par leurvertu. Cependant Chodkicuicz, pour la plus grande ſcureté du
camp , fit trauailler les regimens chacun en ſon quartier à faire des retranchemens
Les Colaques & à baſtir des forts, & Konaſzcuic qui eſtoit campé auec ſes Coſaques à vne licuë de
fecampeor.Chocin , aducrty que les Turcs n'eſtoient pas loin , en partit vnc heure apres , & 12
deluy.
meſme nuit ſevinc camper dans la plaine ſur le bord de la Tyre aupres des Polonnois.
Le lendemain macin les Turcs furent preſque auſg -coſt campez qu'apperceus, &

Arriuée & leurstentes dreſſées aucc tant de diligence , qu'on cuſt dit que c'eſtoit de la neige qui
campemens venoit de comber du Ciel ſur trois grandes montagnes qu'ils occupoient. Dziam
des Turcs. beger ſe mit entre deux foreſts à cauſe de la commodité des eaux , &
lesWalaches &
les Moldaues prirent le milieu' entre les deux camps. Ils auoienc yne prodigieuſe
quantité de bæufs, de vaches , de mulets & de chamcaux pour leurs prouiſions,

& meſme quatre elephans , pour donder de la terreur . Il ſe trouua peu de Ianiſ
faires dans vne fi nombreuſe armée , dont on accribuoit principalement la cauſe à
l'auarice des Magiſtrats quiles enroloient dans lcur bourſe pour ſoudoyer fort lege
rement d'autres ſoldats.Les belles veſtes des Spachis , les harnois des cheuaux , & la
multitude des drapeaux rendoient vn merueilleux éclac : on comptoir danscetco
Effroyable
armée . effroyable armée plus de quatre cens mille hommes de touces forces, auſſi auoit-elle

cſté pres d'un an à s'aſſembler, & le grand Seigneur ne ſçauroit faire de ſemblables
preparatifs en moins de ſix mois: car toutes les forces de ſon Empire eſtoient là , iuf
qu'aux timars & arriere-ban de la Meſopotamie , en celle ſorte que toutesſes autres
frontieres & ſes Prouinces eſtoientpreſque degarnies; & ce fut merucille ou qu'elles
ne furent enuahies par le Perſan , ou qu'elles ne ſe ſouſ cuerent . Ileſtoit meſme reſté
lipeu de ſoldats dans Conſtantinople ,que dans uneeſpouuante qu'ils eurent des Co
faques, ils obligerent les marchands François à faire la garde auec eux.Les Aſiatiques
plus remarquables par leurs longues barbes que par leurs armes , plus fameux par
lcus
Oſman I. Liure vingtiéme. 59

leur bruit que par leur vertů , plus enclin's à fuir qu'à combatre, & plus accouſtumez 16211
au trafic qu'à la guerre ; d'ailleurs plus en eſtar de ſe repoſer que de mener les mains,
pluſieurs eſtant venus de ſi loin qu'ils auoient eſtétroismoispar les chemins, ne ſer
uoient que de parade & de nombre . Toute la force de l'armée confiſtoit dans les les Turcs ar
Européens , plus endurcis au trauail & moins fatiguez .; aufli auoient- ils touſiours mez diuerſc;
ment.
eſté employez dans les guerres de Hongrie . Ils eſtoient pour la pluſpare armez
d'eſpées, d'arcs, de ferremens crochus , de maſſuës à großles quarres ,de jauclocs,
& auoient fort peu de mouſquets & autres baſtons à feu ,excepté les Ianiſfaires qui
Ils auoient
ne ſe ſeruoient point d'autres armes.Au reſte, horſmis quelques -vns qui portoient des trois censpic :
cottes de maille , les autres n'auoient rien qui les couuriſt contre les coups, là où les ces de canon .
Polonnois eſtoient armez de bonnes cuiraſſes ; mais ils auoicne crois cens pieces d’ar
tillerie , dont il y en auoit quantité de cinquante - cinq liures de bale , qu'ils ſçauent
executer auec vne incroyable promptitude , toutesfois aucc peu d'addreſſe.
Chodkieuicz pouuoit ſans crainte attendre l'ennemy dans ſon camp où il s'eſtoit
Les Polonnois
retranché auec vn merueilleux ordre , mais pour tenir ſes troupes en haleine , &mon
& Colaques
ſtrer aux Turcs qu'il ne les craignoit gueres , il rengea ſon armée en bataille. Il mit fortent pour
vne partie de ſon infanteriç dans des bois & dans des valons qui cſtoient à droite & à les combatre:
gauche; luy auec les meilleures troupes occupa vne petite plaine qui eſtoit entre
deux pour ſouſtenir le premier choc ; & de peur queles Tartares à leur maniere ac
couſtumée'ne rompiſſent les derniers rangs, ou ſelon leurs ſtratagemes ordinaires
nechargeaffent l'armée en queuë ,il la garnit -ſur les aiſles de pluſieurs compagnies
de cheuauxlegers , qu'il deſtacha du gros pour arreſter leurs incurſions. Oſman qui
s'eſtoit touſiours promis la victoire , voyant le peu de gens qu'il auoit à combattre ,
Rodomonede
ſe mocqua de cét ordre , & en fit li peu de cas, que fans donner aucune relaſche à de d’Oſman ,
ſon armée , il commanda à ſes Capitaines par yne nouuelle & extraordinaire me
thode de faire la guerre ,de camper & d'attaquer à meſıne temps. L'eſcarmouche

entre les auant -coureurs Turcs & la garde des Coſaques donna commencement à
de plus grands efforts : lesCoſaques les ſouſtindrent genereuſement, & leur infan
terie puis leur caualerie à ſon tour alla rudement à la charge :neantmoins la foule Qui fait cam
per les gens &
des Barbares les euſtlaſſez & accablez , s'ils n'euſſent eſté ſecourus des Allemans & attaquer les

Hongrois qui ſortirent à l'improuiſte du bois & du valon . Chodkieuicz y accourut ennemis à
meſme auec les Ruſſes & quelquescompagnies de gens - d'armes & cheuaux le- meſme temps,
luy -
gers , & redoubla la chaleur du combat, qui ne ceſſa qu'à la nuit . Ses fantaſſins cou
ueres des arbres endommageoient beaucoup les Ianiſſaires à coupsde mouſquet, &
fa caualerie faiſoit auſſi parfaitement ſon deuoir , ſans apprehender les gros canons
des ennemis , qui faiſoient plus de bruit que de mal . Il ne perdit en cette occaſion
que deux cens hommes , mais Oſman trois fois autant. Le borgne Vſaim Baſſa vn Mort div
des plus conſiderables chefs entre les Turcs y fut tué d'un coup de canon & , faim Balta
vn d' &
vn Fagory
Fauory d'Olman mourut de ſes bleſſeures dans le camp des Polonnois . Les Tarta d'Oima .
n
res ne firent que de legeres eſcarmouches contre Lubomirsky, & ſe contenterent
pour tous exploits de taſcher à eſpouuanter ſes gens par leurs huées , & par leurs
frequentes paffades, fans ofer ſe meſler auec eux.
Ce coup d'eſſay ayant ſi bien reülli à Chodkieuicz , iltint conſeil la nuitmeſmes'il
deuoit recommencer le combat auant que les ennemis fuſſent retranchcz . Les
Les Polonnois
Commiſſaires quc les Eſtats luy auoient donnez pour l’alliſter de leur conſeil en cette accendente la
expedition , furent d'aduis de diffcrer , tant pource qu'ils ne trouuoient pas à propos ionction du
Prince pour
de rien hazarder auant que toutes les forces de la Republique fuſſent iointes , que
recomencer
pour preuenir le danger où l'on euſt mis le Prince Vladiſlas, qui eſtoit encore loin le combat .
au delà de la riuiere . A quoyle General s'accorda volontiers , iugeant d'ailleurs, qu'il
cſtoit en ſon pouuoir de le faire toutesfois & quantes , & qu'il n'eſtoit pas en celuy
des Turcs de le forcer à combattre . Cependant le Prince eſtant dans vne genercuſo

impatience de voir l'ennemy, laiſſa tout le bagage & les autres empeſchemens qui re
tardoient la marche de ſon armée à Braham , & s'en vint auec l'élite de ſes ſoldats & la
fleur de ſa Nobleſſe à Chocin , ou ſoit à cauſe des cxceſſiues chaleurs , ſoit d'auoir eu
les armes ſur le dos durant toute l'ardeur du jour depuis Camencc iuſques- là , ſoic II rombema
lade .
à cauſe du mauuais air de la Moldauie , quifait plus de mal que les plus importuns en
nemis , il tomba malade d'une faſcheuſe fievre qui le contraignit , à ſon grand regres,

de garder le liat preſque tout le temps de cette expedition.


Hij
1
60 Hiſtoire des Turcs ,

1621 . Son arriuée neantmoins refioüit bien fort les Polonnois : & aumeſme temps il ad
uint yne autre choſe , qui commença à mettre le deſordre parmy lesTurcs. Le Cham
Refroidiffe . des Tartares & Oſman eurent de grandes conteſtations enſemble de ce qu'Oſman
ment du Roy éleuoit Cantimir vaſſal du Cham beaucoup au deſſus de luy , que les Turcs en fai
eſtoit venu ſoient plus d'eſtime, & que contre la couſtumede ſes anceſtres illuy auoit donné le
ioindre or
man , gouuernement de Sileſtrie & Beſſarabie à ſon prejudice . Tellement que ſe croyant
mépriſé, il commença à mépriſer les ordres & les commandemens d'Olman :meſme
Le Cham fait pour teſmoigner ſon meſcontentement, il ne bougeoit de ſon poſte, & faiſoit ſes par
tauager la
ties ſeparement; Entr'autres, il enuoya , fans en prendre l'aduis des Turcs, Nuradin
dolic, & Po ſon cader & quelques chefs des plus experimentez ,parmy leſquels Cancimir ſe gliſſa,
Bullie
pour rauager la Rullic la Podolie .

Cependant Chodkieuicz trauailloic inceſſamment aux fortifications de ſon camp :


Les Turcs ar
taquēc la gare ileſtoittoutenuironné de larges & profonds retranchemens, auec des redoutes de di
de auancée . Itance en diſtáce, & pour couurir les portes des Generaux,ils’auiſa d'y renger en façon
de demie- lunes,deschariots remplis deterre . Les Turcs volcigerent quelque temps à
Qui fait minę l'entour cherchant les endroits les plus foibles & les plus mal gardez : enfin comme

yne embuſca. ils furent proche du quartier de Lubomirsky , le canon tiré fort à propos fit ſi grand
de ,
abatis d'hommes & decheuaux dans leurs eſcadrons, qu'illes mic en deſordre , & les
icduiſit à ſe garantir de ces foudres dans le bois & à l'abry du panchant des colines .
D'où les Po . Alors les Polonnois qui eſtoient en embuſcade dans les valons accoururent ſur eux ,
lonnois for- & mal - gré la greſle des coups de mouſquet des Ianiſſaires pafferent par deux fois au
tent,
trauers deleurs Enſeignes qu'ils auoient plantées ſuf le bord de la foreſt, & en arra
cherent quelques -vnes. Ils euſſent neantmoins eſté mal-menez ,les Turcs ayant re
& defont les connuleur petit nombre , fi Chodkieuicz ne leur euſt enuoyé pour les ſouſtenir,trois
cens fantaſlins Hongrois & Allemans des gardes du Prince Vladiſlas, & autant du re
giment de Veier.Lecombat fut fort aſpre , auec vne perte notable des Turcs que les
Polonnois n'oferent pourſuiure bien loin , de crainte de tomber eux -meſmes où ils les
auoient attirez.Sur le ſoir ils tournerent tous leurs efforts contre les Coſaques de Za
Colaques
en cuent plu poraw , donnant l'affaut dans leur camp, qu'ils croyoient plus mal muny que celuy
ficurs & pren- des Polonnois . Ils y firent tirer demie heure durant tout leur petit canon, dont ils
nent trois
gros canons. auoient plus de cinquante picces,mais ce fur ſans beaucoup d'effet; Et les Coſaques
encouragez par le bon fuccez des eſcarmouches qu'ils auoient attaquées pendant
ce temps-là , fortirent de leurs retranchemens& lesallerent combattre de pres . Les
Turcs eſtonnez de lcur hardieſſe, ployerene deuant eux : ils les chargerentplus viue
ment , taillerent en pieces les dernieres troupes de leur arriere - garde, & les con

craignirent d'abandonner crois pieces de canon. Peut -eſtre meſme qu'ils euſſent ce
iourlà mis toute leur armée en déroute , fi leur General apprehendant quelque deſor
Les goujars dre ,n'euſt fait ſonner la retraite . A leur defaut les viuandiers , les valets & les goujats
recommen . qui auoient ſuiuy les combatrans , recommencerent la charge , & les eſpouuenterent
cent la charge tellement de leur bruit,de leurs iniures & de leurs fimemens, qu'ils les contraignirent
& fone fuir les
Turcs. de ſe fauuer confuſement dans le bois , maſſacrant tous ceux qui demeuroient der
tiere.Oncroit que ce iourlà , il fut aſſommé pres de ſix mille Turcs , & l'on ne trouua
à dire que vingt Polonnois , & autant de Colaqucs .
Lelendemain Chodkieuicz mit ſon armée en bataille hors du camp & ly tint plus
de trois heures , deffiant brauement les ennemis ,mais ils n'en voulurent point taſter :
Prudence de leur deſſein cſtoit de le ſurprédre par quelque endroit plus feble de ſon camp , ce qu'ils
General Po - eſperoient par l'intelligence de certains traiſtres Hongrois qui leur donnoient aduis
lonnois.
de tout ce qui s'y faiſoit. Mais il eſtoit bien preparé à les receuoir par quelque coſté
qu'ils l'attaquaſſent : il s'eſtoit ſaiſi de tous les lieux par où il pouuoit aller à eux
quand bon luy ſembleroit, & auoit fortifié ceux par où ils pouuoient venir à luy : de
forte qu'il n'eſtoit pas en leur pouuoir de le contraindre à donner bataille , & ileſtoit

au Gende les y forcer. Il y auoit entr'autres poſtes aduantageux deux Chapelles des
Grecs , vne plusauancée qui luy conſeruoit vn paſſage, vne autre plus proche de ſon
camp , quicult donné aduantage aux ennemis : il fit raſer la derniere , mic gamifon
de douze cens hommes dans l'autre , & la meſme nuit il fic auec yne merueilleuſe
diligence, retrancher vne eminence qui eſtoit à trois cens pas de ſon camp , qu'il mu
nit de pluſieurs gros canons & des regimens des deux Dinoph .
Le lendemain quieſtoit le ſeptiéme du mois , les Turcs aduertis par leurs eſpion's
quc
Oſman I. Liure vingtiéme. 61

que les portes du quartier de Lubomirsky n'eſtoient pas encore bien couuertes ,ný 1621.
la circonuallation aſſez haute , en celle ſorte qu'on pouuoit facilementy monter , re
ſolurent de donner par là , tandis qu'vne partie attaqueroit les Cofaques . Ceux qui les Turcs
Colaques les
voulurenttencer l'affaut au camp des Polonnois furent ſi mal receus , qu'apres auoir fattaquent
eſté deux qui crois fois à la chargc ; ils ſe retirerent pour allerioindre ceux qui auoient
attaqué le quartier des Coſaques. Il fut là combatu auec grande opiniaſtreté de part Qui les re
& d'autre,maisla partie n'eſtoit pas égale pour les Cofaques; ſi bien que craignani de poulent à l'ai
ſuccomberà la foule des ennemis, ils enuoyerent promptement demander du ſecours de des Polon
à Chodkieuicz : il leur enuoya les regimens d'infanterie Hongroiſe de Veier , de Ler- nois,
mont , de Georges Duc de Zallaw ,dc Icllc & deRacow , auec leſquels ils rembarrerent
Les Turcsaca
tous les grands efforts des Turcs ; & ioncherent la campagne de plus de deux mille . taquent les
z
Les Turcs, quoy que mal traite de la ſorte , s'y cſcha uffoi cnt de plus en plus : Ils Colaqu es
firent mener la deuant toutes leurs plus groſſes pieces de canon , qui rempliſſoient auec leur groś

l'air de fumée , offuſquoient les yeux , & faiſoient vn ſi grand tonnerre , queChod- canon .
kieuicz dic qu'il n'en auoit iamais oüy de tel en toutes les guerres qu'il avoit veüës .
Auec tout cela ils aſſommerent bien quantité de chéuaux , mais les hommes eſtoienc feul Ne tuétqu’va
homme,
libien terraſſez , qu'il n'y fut tué qu'vn vieilMeſtre de camp.
Pour diuertir leurs violentes attaques , Lubomirsky enuoya encore le regiment
de Ruſinow & quelques compagnies de gens d'ármes , qui donnerent à l'impro
uiſte dans leur fanc gauche , où ils rompirent les premiers rangs: & au meſmetemps
Les Polonnois
les cheuaux legers ſortant fort à propos du valon où ilseſtoient, les chargerent par von aval
t es
derriere . A cette charge improuiſte quelques compagnies ſe mirent en deſordre , cours.
celles- là cauſerent de la confuſion aux autres , & la frayeurs'épandit par toute l'armée:
tellement que les Turcs prirent la fuite en grand haſte, & laiſſerent partie de leurs
canons . Les Polonnois les ayant iettez dansle prochain precipice , les pourſuiuirenc
chaudement luſques dans leur camp, d'où ils emportoient les tentes & les hardes, Prennent le
emmenoient les chameaux & les beſtiaux , & tuoient tout ce qui leur faiſoit reſiſtan - canon des
ce : mais la conuoitiſe des Cofaques , & de la racaille qui ſuit ordinairement lesgens Tures,
de guerre en telles occaſions pour butiner ,s'arreſtant trop long - temps au pillage ,les
Barbares eurent loiſir de ſe reconnoiſtre & de les rechaſſer du camp. Ils en attraperent Les repouſ.

inclme quelques -vns, qu'ils firent mourir des plus cruelles morts qu'ils purentimagi- dansleur cap.
ner :toutesfois la plus grande partie éuita le danger , & ſe retira auec vn tres -riche bu- où ils font
tin. Tandis que les Colaques s'amuſoient au pillage,vn d'entr'eux vinten grand haſte grand buein .
dire à Chodkieuicz qu'il trouua deuant ſa porte à cheual , qu'eux & les Polonnois
auoient gagné le camp des ennemis , & que leur chef Konalzeuic demandoit du ſe- Le General
cours pour acheuer d'emporter la victoire : mais le General le refuſa prudemment à refuſe deleur

cauſc de la nuit quis'approchoit, & encore plus pource qu'il craignoit que l'auarice renfort.
de quelques ſoldats ne cauſalt la perte de toute l'armée .
Ainſiſe paſſa cette iournée :la ſuiuante ils demeurerent en repos les vns & les au
tres . Au reſte cerce irruption des Coſaques apporta vne telle confternation dans le Cöfternation'
camp des Turcs qu'elle y troubla tout l'ordre & la diſcipline , remplic d'eſpouuante d'Olinan
des Turcs, &
les Chefs & les foldars'; Oſinan meſme , qui auparauant n'euſt pas creu qu'il n'y a melme,

rien de ſtable en ce monde que la moindre diſgrace de la fortune ne puiſſe mettre


dans de penchant de la ruine , vid de ſes propres yeux combien ſon orgueilleuſe puiſ
fance eſtoit mal aſſeurée , & commença à pleurer comme vne femme lors qu'il ap
perceut la fuite de ceux ſur la force deſquels il ſe promettoit la conqueſte de coue Rapproche
le monde. A cette rude ſecouſſe il fit comme le malade qui croit pour changer de con camp de
liet
que ſon maldiminuera : ilcommanda de raprocher ſon camp de celuy des Polon- lonaois , & y
nois, pour
leur empeſcher la communication des Cofaques. Auec cela, ce qu'il ne mettre veut faire
le feu.
pouuoi faire en lyon ,il fc tentoit en renard . Il attira les payſans de Podolie camarades
des voleurs Moldaues,leur donna de l'argent & leur fic des grandes promeſſes, pour
les obliger à mettre le feu dans le camp des Polonnois . Mais il comba in de ces boute
feux par bon -heur entre les mains des Colaques, quile mirent à la geſne où il raconta
tout au long lesruſes des Turcs, & nomma cous ſes complices ſujets de la Nobleffe de
Podolie . Ilfut expoſé , commeil le meritoit , à vn cruel ſupplice , pour ſeruir d'aduer- yo boutefcu
tiſſement aux ſoldats de prendre garde plus exađement au feu. L'autre fuſe dontil faie mourir
penſoit endormir les Polonnoisdansýne trompeuſe eſperáce de traité,ne luy ſucceda parles Polonai
pas mieux : Conſtantin Veuel , qu'il auoic enuoyé pour la feconde fois dans leur camp
H iij
62 Hiſtoire des Turcs,

1621. pour y faire de nouuelles propoſitions, fut affez reconnu pour vn eſprit double . Co
fin Grec , quoy que ſes deſſeins ne rendiffent qu'à la paix, ne ceſſoit d'en preſſer la
Reſponſe de teſponſe, afin de ſçauoir l'intention de Chodkieuicz. Il luy diſoit touſiours que les 1

Chodkieuicz alarmes continuelles nçluy permettoient pas de mettre la main à la plume : mais enfin
Vizir pour la apres l'auoir retenu vne ſemaine dans Chocin , pour éuiter le reproche qu'on luy cuft
paix, pû faire qu'il violoit le droit des gens par l'iniuſte detention de ce mediateur, il manda
au Vizir ;que nonobſtant les grands aduantages qu'ilauoit iuſqu'alors emportez ſur
les Turcs, il ſeroit touſiours preſt d'entendrca vneiuſte & honorable paix .
Tandis que Conſtantin talchoit d'amuſer les Polonnois , les Tartares faiſoient de
continuelles courſes de l'autre coſté de la Tyre vers Camenec & Braham , où ils attra
poient à toute heure les chariots & les viuandiers du Prince Vladiſlas. Les Turcs
Les Turcs re- auſſi ayant reconnu par les combats precedens qu'ils auroient pluſtoſt raiſon des Po
Pant lefort lonnois par la famine que pas les armes , prirent yn bon conſeil de leur retrancher les
Dinoph , viures, & pour cet effet commencerent adreſſer vn pont ſur la meſme riviere , afin de
paffer vne partie de leur armée de l'autre cofté, pour leur empeſcher les conuois &
le fourage, meſme pour les attaquer par là , s'ils le iugeoient à propos . Sur ces entre
faites eſtant arriué Kirakas Bafſa de Damas auec vn grand renfort, Oſman voulut
Tirent leur derechef donner vn aſſaut generalau camp des Polonnois.Il commença parle for do
canon dans le Dinoph , qu'il fit battre de furie :mais Lubomirsky y ayantiercé du ſecours, ſes
gens
camp, où ils en furent repouſſez auec autant d'ignominie qu'ils auoientmonſtré de faſteny allant,
aućt pluſieurs
cheual.x. Toutesfois pour ne pas paroiſtre vaincus , ils menerent leurs canons deuant la porto
de Lubomirsky & ſe mirent àtirer de tous coſtez dans le camp , où les boulets com
boicnt meſme iuſqu'au pres des tentes du Prince Vladiſlas.
D'un autre coſté ils attaquerent vn autre fort que Chodkieuicz auoit commencé en
Surprennent vn licu fort propre entre la porte & celle deLubomirsky, & y auoit mis quelques com

wanitfört eờuils pagnies degensdepied pour le fortifier.Vn gros de leurinfanterie & caualerie eſtant
en picccs . yenu fondre deflus par le coſté qui n'eſtoitny muny de foſſez ny d'hommes, ils trouuc
rent les Capitaines Ziczow & Sladkow endormis tous nuds comme dans leurs mai
ſons : ils leur couperent la teſte ,fe ſaiſirent des Drapeaux , pafferent le reſte au fil do
Enuoyent les l'eſpée, & pour flater le déplaiſir d'Oſman , luy enuoyerent ces teſtes comme vn cro
teftes des Coi
or phéc des plus remarquables Seigneurs de Pologne . Ceux qui gardoient les forts au
man , delà du quartier de Chodkicuicz apprehendant la meſme riſque , les cuſſent tous
quittez li Sieniaw & les autres Capitaines ne les euſſent forcez à y rentrer par les ex
Les Polonnois hortations & par lesmenaces.Maistant s'en faut que ce deſaſtre arriué tout contre le
ont leur re- camp , diminuaft le courage des Polonnois quien gardoient leretranchement , qu'ils
vanche .
yalloient charger les ennemis, dont ils firent grand carnage , & reconnurent auxha
bits & autres niarques des morts qu'il y en eſtoit demeuré des plus ſignalez.
Auant que d'attaquer le fort de Ziczow , les Turcs pour faire diuerlion auoient en
voyé quelques regimens droit à cette Chapelle des Grecs dont nous auons parlé,
qui n'eſtoit pas encore bien fortifiée. Lubomirsky pour garantir ce lieu du danger
euident, s'y tranſporca auec les principales forces de l'armée , mais il n'en eſtoit pas
beſoin . Veier qui auoit ſon fort toutaupres baſty de l'inuention d'Apelman Flaman
Ruſe de
Veier , qui de nation Ingenieux tres-expert , lescontraignit bien -toft à quiteer leur entrepriſe,
reüllit. s'eſtant ſeruy d'vne ruſe qui attiedit encore beaucoup leur chaleur. Il fit cacher ſes
gens dans le foſſé, comme s'il n'y cuſt eu perſonne dansle fort : les Turcs qui n'y
voyoient plus ny feuiny fumée , y allercnt à l'eſtourdic , mais comme ils furent tout

contre , les Allemans ſe leuerent & firent leur deſcharge fi à propos qu'ils en cucrent
pluſieurs & mirent les autres en fuite.
Cependant ceux qui auoient ſurpris le fort que gardoient Ziczow & 'Sladkow , ani
Chadeneticz mez par vn li bon commencement,s'efforçoient d'acheuer le reſte de la garniſon , lors
cours. que Chodkicuicz tout malade qu'il eſtoit , accouru auec ſa compagnie fe mit entre
Sieniaw & Zienouic, dont le premier tenoitla droite de l'autre la gauche, & dõnaluy
meſme où il voyoit tomber le plus grand faix du combat . Le ſort de la victoire qui
penchoir du coté des ennemis fur releué par ſa vertu , & diuerſement balancé plus
d'vne hcure. Les Turcs qui iuſques-là auoient eu l'aduantage , & outre cela ſe
La victoire voyoient plus forts des deux parts en caualeric , la cenoient preſque afſcurée & com .
mençoient deſia à les brauer comme vaincus. Les Polonnois d'autre coſté faiſoient
de fi merueilleux efforts qu'ils égaloient leurpetitnombreà cecce grande mulcicude , &
demeuroient
Oſman I. Liure vingtiéme . 63

demeuroient entre l'eſpoir & la crainte . Enfin leur inuincible vaillance obligea la_162.0.
victoirc à ſe declarer pour eux : les Turcs laſcherent le pied , abandonneront leurs
Enſeignes & s'enfuirent aufli eſperdus dansleur camp que s'ils y cuſſent porté la nou
Emporiée
uelle de la deffaite entiere de leur armée . Lesregimens que Lubomirsky faiſoit coû par les po
jours tenir dans le valon , n’eurent pas meſme le loiſir d'aller au ſecours,ny ceux d'O.Iunnois,
palinsky , de Sapieh , & de Zieneuvichz qui eſtoient tout proches d'entrer au combat;
tant les Turcs eurent haſte de s'enfuir. Ils ne laiſſoient pas neantmoins d'vn autre Les Turcs ne
cellent d'atta .
coſté de battre le fore de Lermont, & le camp des Coſaques : mais ccux - cy ne man
quoient pas auſſi de faire de furieuſes ſorties & d'en venir fouuent aux mains, où ils persona die
les barroient touſiours& les repouſſoient , auec notable perte. Oſman ſenſiblement auecpede nota
bics rtes.
touché de cette ineſperée déroute de ſes gens , & de voir en la preſence que ceux
qu'auparauant ilcroyoit des lyons, s'enfuyoient honteuſement comme des lievres, ſe
mordoit les levres de dépit , grinçoit les dents,frappoir du pied contre terre , & ayant OſmansaMia
ge de cette
de rage les larmes aux yeux , leur reprochoit leur laſcheté,& leur chantoit toutes les perte.
iniures que le deſeſpoir luy faiſoit venir à la bouche.Les Turcs employerent toute la
nuit ſuiuante à remporter les corps morts de leurs vieux ſoldats, de la fleur de leur
Morts des
milice , & de leurs meilleurs Capitaines qui perirent en cette occaſion. Zieneuuichz Turcs,
Meſtre de camp d'vn regiment Polonnois mourut trois iours apres de vingt bleſſeu
res , les Turcs ne l'ayant pû emmener à cauſe delcur fuite.LesPolonnois y perdirent & des por
encore ſix Gentils-hommes de marque tuez auec le frere de Rudomin : & ce qui fal. lonnois.
cha le plus Chodkieuicz , ce fut que l'Enſeigne qu'il auoit glorieuſement gagnée ſur
lesMoſcouites ,tomba par mal-heur entre les mains des Turcs.
Le lendemain du grand marin contre leur ordinaire , ils parurent au quartier de 1

Lubomirsky. Auſſi -toſtil mit ſes gens en bataille , & fic cacher deux mille Coſaques Rules de pare
dans la foreſt pour arreſter l'irruption des Tartares . Les deux partis ſc ſeruoient de & d'autre
leurs ruſes. Celuy de Lubomirsky caſchoit d'attirer l'autre dans ſes pieges , & les
Turcs ne trouuant point de ſeureté à ſortir de leur porte , faiſoient tout leur polli
ble pour obliger les Polonnoisàſortir du leur : enfin tous viſoient au meſme deſſein ,
commençant d'ordinaire par les cſcarmouches, & aſſez ſouuent à coups de canon ,
que les Turcs tiroient preſque touſiours ſans effet. Enuiron le Soleil couchant Chod Les Turcsmis
cn déroute :
kieuicztira quelques troupes de ſon aiſle gauche auec trois compagnies de Ruſlinow,
qui chargeront ſi rudement les ennemis qu'ils luy cederent la place, faiſant mine de ſe Pluſieurs In
vouloir rallier pour retourner par le valon que gardoit Lubomirsky: mais Swinky & niltaires cuez .
Szedzinſc leur firent bien - coſt tourner le dos & rentrer dans la foreſt. Les laniſſaires

quitcant là leurs canons ſe voulurent ſeruir de leurs mouſquets, pour bactre les Co Les Tartases
ſaques: mais ceux - cy ſortant de leurs retranchemens , coniointementauec les Alle- mal traitez,
mans de Dinoph & de Dermont, ils en cuerent grand nombre & mirent le reſte en
fuite. Les Tartares furent auſſi attaquer le quartier des Hongrois de Bartoſzow de Emmanent
l'autre coſté de la Tyre vers Braham , od ils furenttres- mal traitez, mais ils emme- pluſieursbe
Itiaux,
nerent quantité de beſtiaux , auec leſquels ils firentmonſtrede grande victoire.
Tous ces auantages des Polonnois n'eſtoient pas ſans trauerſes,& fans danger d'un
faſcheux euenement. Car ils n'auoient gueres d'eſpoir au ſecours qu'on leur deuoit
enuoyer; & les Tartares courant la campagneaux enuiros, iuſqu'aux portes de Came
nec & des autres villes d'où ils receuoient leurs conuois, commençoient à leur cauſer Miſere dans
vne grande indigence de viures pour les hommes, & de fourage pour les cheuaux. l'arméepo
Jonnoiſc.
D'ailleurs, les eaux de ce pays-là quiſont fort mauuaiſes , l'air mal ſain & chargé de
broüillas , & la mauuaiſe nourriture,cauſoient diuerſes maladies dans lcur camp:dont
le Prince Vladiſlas , & la pluſpart de ceux de la ſuite ne furent pas exempts , ny le Ge
neral Chodkicuicz, quoy que l'vn & l'autre ſurmontant le mal par vne héroïque ver
tu , s'efforçaſſent d'adoucir celuyde toute l'armée , & de raniiner le courage languiſ
ſant des ſoldats : dont la pluſpart incapables de toutes fonctions milicaires mou
roient miſerablement dans leurs hutes , ou taſchoient de ſe fauuer la nuit , & s'al
loient rendre aux ennemis par grandes bandes.
Auant que ces incommoditez quicroiſſoient tous lesiours , cuſſent reduit l'armée
dans vne extreme langueur , Chodkicuicz prit conſeil d'aller attaquer les ennemis reſo Le Generalſe
uc d'acca
vne heu re aua nt le jou r . On luy auo it rap por té qu' ils n'a uoi ent nyfoſi ezn y rec ran
chemens capables de l'en empeſcher : il croyoit que les tenebres ſeroient fauorables à la nuit ,
ſon deſſein , & ſe promettoit aucc cela qu'il trouueroit les Turcs qui dormiroient à
64 Hiſtoire des Turcs ,

18zi . ſeur ordinaire loin de leurs chcuaux, & s'aſſeuroit meſme que ceux qui s'eſtoient
enfuys parmy eux lors qu'il viendroit à donner , ſe ietteroient deflus & en feroienė

maſſacre; D'ailleurs, il ſe perſuadoit, que ſi les Cofaques les auoient mis en déroute en
plein midy , il luy ſeroit bien plus facile de iecter l'offroy & la confuſion parmy cux
durant l'obſcurité, & qu'il ſçauroit mieux vſer de ſon aduantage qu'ils n'auoient fait.
Le Prince Vladiſlas ,nonobſtant la febleſſe que luy cauſoit fa maladie & le peril ex
treme où il ſe metroit , ſi l'entrepriſe euſt mal reüſli, eſtoit de cet avis & en preſſoit forc
l'execution . IeanWeiherPalatin deCulmequi auoitfait la guerre către les Turcsdans
la Hongrie , l'approuuoit auſſi; & Konaſzeuic auec ſes Colaques'en faiſoit grande in
promettant qu'il mettroit ſi bon ordre parmy ſes gens qu'ils ne retomberoiens
ſtance ,
pas dans leur premiere faute. Chodkieuicz ſe propoſoit donc d'attaquerle camp des
Ordre que Turcs de deux coſtez, ayant cõmandé à vingt mille Coraques & à quelques regimens
General you . de caualerie de donner' vigourcuſement par vn coſté , & aux regimens d'infanterie
l'attaques des Allemande d'aſſaillir au meſme temps par vn autre. Les Hongrois & les Allemans
Turcs,
d'Erneſt Dinoph ſe deuoient ietter aux aduenues de la foreſt , & Lubomirsky auec
ſon eſcadron & les troupes de Veiet auoit ordre de s'emparer d'vn buiſſon où les Tar
tares auoient accouſtume de dreſſer toutes leurs embuſcades. Il vouloir que la garde
donnalt ſur celle des ennemis auec bruit & furie,li coſt qu'elle pareſtroit qu'elle fuſt
ſuiuie à meſme temps des Cofaques, des Hongrois , & des Allemans , & apres de couc
le reſte de l'armée qui donneroit l'eſpouuente auec les trompetes , fifres,tambours, &
autres inſtrumens. Les Generauxauec les lanciers, les gens -d'armes & le regimentde
A
caualerie du Palatin de Culme deuoient tenir la campagne pour ſubuenir aux plus
foibles & ſoukenir les efforts des Turcs & des Tartares,les valets , les goujacs , & les
viuandiers , dont la plus grand' part auoienc de bonnes carabines , demcuroiene
pour la conſeruation du camp où ils paroiſſoient comme vne petite armée , & les
compagnies des gardes auec le regiment de Kochanow , eſtoient destinées pour gar
der la perſonne du Prince Vladiſlas.

Toutes ces choſes ainli diſpoſées on faiſoit forcit des troupes par les portes de
Chodkicuicz & de Lubomirsky ;le filence cſtant exactementgardé, le ſignal donné,
Il en ek la nuic fauorable ,les ennemis fans deffiance , on n'attendoit plus que l'aurore, lors
empeſché pás que , par bon -hcur pour les Polonnois , le Ciel paroiſſant ſerait il furuinc vne
vac player grosſe pluye qui dura li long - temps que les Coraques, qui eſtoient les plus pres du
camp des Turcs, furent contrains demander à Chodkieuicz qu'ils ne le pouuoiene
feruir de leurs mouſquets , & qu'on cuſt à les reciter de leur poſte de peur que le del
ſein ne fuſt découuert , de ſorte que toute l'armée retourna dans ſes quartiers comme
elle en eſtoit ſorcie.On reconnat depuis queç'auoit eſtécomme vne grace particulic
te de Dieu , qui auoit enuoyé cette pluye pour empeſcher l'entrepriſe.Carelle ne leur
pouuoit reüllir , que tout ce qu'on auoit donné à encendre à Chodkieuicz n'eftant

pas vray : les Turcs tenoientleurs cheuaux bien attachez aupres d'eux , ils auoient
façon de des lampes & des flambeaux allumez toute la nuit deuant les principales centes, done
camper des
TUCS, les cordes eſtoient ſi embarraſſées les vnes dans les autres qu'il cuſt eſté impoſſible,
mcſmc aux gens de pied , de pouuoir paſſer au trauers;D'ailleurs, ils ont accouſtume
la nuit de tenir leur conſeil ,de viſiter leurs amis , de faire leurs débauches où ils boi
uent du vin , qui leur eſt defendu par la loy de Mahomet , & d'ordinaire il y en a de
commis à faire des cris affreux pour éueiller les autres & les appeller à leurs pricres
fuperftiticuſes. Puis outre toutes ces raiſons, il y auoit tant de richeſſes dans leur
camp, que les Polonnois s'amuſant à les piller , n'cuffent iamais manqué de ſe
mettre en defordre & de ſe faire cſgorger. Chodkieuicz qui n'eſtoit pas aduercy de
Chodkieuicz tous ces obſtacles pouſe des meſmes motifs qu'auparauant, voulut center ſon' delicia
center ce der vne ſeconde nuit , & mcíme il auoit commandé å l'armée de marcher de meilleure

feia , qui ex heure que la premiere fois. Mais lcs fuyards des compagnies de Mofcin Hongrois
découuere, & de Dinoph Alleman découurirent l'ordre de l'entrepriſe aux Turcs, qui furenc
auf -toſt en eſtar de la bien reccuoir. Ils n'y purent pourtant ſi bien pouruoir que
les Coſaques nc ſurpriſfent ceux qu'ils auoientcommisà la garde des palturages de
l'autre coſte de la Tyre , & emmenerent tous les beſtiaux qu'ils y auoient.
71. Ce qui preſſoit le plus Chodkieuicz de vouloir terminer certe cxpedition par
quelque grand coup ; c'eſtoient outre les incommoditez de ſon camp , les murmures
des Colaques qui eſtoient ſur le poina de paſſer en vnc defertion generale: les vns
demandoicnc
Oſman ! . Liure vingtième . 65

demandoient à s'en retourner , les autres pretendoient de grandes recompenſes. 1621 .


Konaſzeuic leur General ne fçachant plus par quel moyen les retenir manda à Chod.
kieuicz & aux Commiſſaires, d'y donner promptement remede : Vladiſlas Princeau . Plaintes des
Cofaques,qui
tant aymé d'eux pour la liberalieć que pour ſa vaillance , leur enuoya à l'heure meſme veulent s'en
Opalinsky, Lubomirsky,& Sobieſc , pour les appaiſer. Ce dernier qui eſtoit connu aller.
parmyeux depuis les guerres de Moſcouie, ſans s'arrcſter aux longs diſcours ,lescon
iura de la part du Prince , par le nombre des ſeruiccs qu'ils auoient rendus à la Re
publique , & par cette redoutable vaillance auec laquelle ils faiſoient trembler le
Turciuſques dans Conſtantinople , de ne point abandonner les Polonnois dans cetce
neceſſité preſente où il s'agiſſoit de l'intereſt de la Religion Chreſtienne, du bien Sont retenue
de l'Eſtat , & de leur propre gloire , qu'ils auoient conſeruée fans tache & ſans re- pat promer
fes, & par oblis
proche depuis tant de temps.Illeur offrit auec cela ,pour reparer vne partie des dom gation par ef
mages qu'ils auoient ſoufferts, cinquante mille florins, dont le Prince & les Com- leur erit qu'on
donna .
miſſaires leur faiſoient preſent du peu d'argent qui reſtoit dans les coffres; & les af roit leurs
ſcura qu'à l'iſſue dela guerre on leur feroit tenir au lieu aſſigné toutes les ſommes montres.
qu'on leur auoit promiſes. Ce n'eſtoient que des paroles qui n'auoient pas beaucoup
d'efficace contre la neceſſité & la faim que les faldats ſouffroient: toutesfois la con
fideration du Prince , & la perſuaſion de leurs Chefsiointes auec ces promeſſes, firent
à la fin en ſorte qu'ils ſe contenterent de l'obligation que Chodkieuicz & les Com
miſſaires auec les plus apparensdes Polonnois, leur en donnerent par cſerit.
Les incommoditez n'eſtoient pas moindres dans l'armée des Turcs, & lesmutineries
de la ſoldateſque bien plus grandes : ce qui obligeoit le conſeil d'Olman d'entretenir
touſiours le pour-parler de paix ,afin de couurir ſon honneur par là , s'il eſtoit conçrainc
de la faire. Conſtantin Veuel eſtoit encore reuenu depuis peu auec des lettres de Ra
dulon Palatin de Walachie parleſquelles il prioit Chodkicuicz d'enuoyer yn deputé.
Deputé des
capable de traiter d'affaires, l'aſſeurantſur ſon honneur qu'il ſeroit receu , non ſeule- Polonnois 14
ment ſelon le droit des gens , mais auec tous les hõneurs que meritoit vn Commiſſaire grand Vizir ,
de la Republique de Pologne. Chodkicuicz pour ceſmoigner qu'il ne ſouhaitoit rien
tant qu'vne honorable paix,enuoyaauec Veuel lacques Zelinſc Intendant de lamai
ſon de Lubomirsky , homme fort pofé & de grandiugement . A ſon arriuée il fic voir
ſa commiſſion au Vizir Vlaim , demanda en ſuite les lcuretez pour aller & venir con
Remonſtrana
uenables à la dignité de la Pologne; Et apres luy apporta tous les exemples de l'an - ce qu'il ing
cienne amitiédes Polonnois auec lesTurcs ; la jalouſie qu'elle auoit cauſée entre les fait.
parens & alliez deleur Roy ; le refus qu'ils auoient fait de s’vnir au reſte de la Chre
ſtienté contre la maiſon Othomane ; & enfin comme à la nouuelle de l'aduenemenė
d'Oſman à la Couronne les Eſtats auoient enuoyé à la Porte vn Ambaſſadeur pour

s'en conjouir au nom du Roy & de la Republique,& pour renouueller l'alliance qui
auoit touſiours eſté entre les deuxCouronnes;Que la poſterité blafmeroic Oſman
d'auoir attaqué Sigiſmond ſans ſujet, & qu'il n'y auoit point de Prince au monde qui
ne condamnaſtle mauuais traitement qu'il auoit fait à ſon Ambaſſadeur dans Con
ftantinople ; Que ſi les Turcs auoient receu quelque déplaiſir des Coſaques, ils de
uoient ſuiuant la couſtumedes Princesamis & alliez , en demander iuſtice par lettres
ou par Ambaſſadeurs à leur Roy ; Que l'intention de la Republique auoit touſiours
eſté demaintenir la paix avec lamaiſon Othomane , & d'arreſter les debordemens des
Coſaques, mais que lors qu'ils l'auoient voulu faireils auoienteſté contrains de de .
ſtourner leurs forces pour s'oppoſer aux rauages des Tartares.; Partant que ſi le grand
Seigneur empeſchoit leurs courſes, le Roy reciendroit de ſorte les Colaques de les
Eſtats, qu'ilsne feroient à l'aduenir aucun acte d'hoſtilité .

Cette conference n'apportant ny treve ny ceſſation d'armcs , les Turcs ſortirent de


grand matin de la foreft , & pointerent lcurs gros canons deuant la porte de Lubo
mirsky, où ils tuerent quelques cheuaux : puis ſur le midy laiſſant derriere eux le Les Turcs at .
fort de Vcier , vindrent aux retranchemens de Mofcin , qu'ils accaqucrent par vn taquent dere
endroit qu'vn transfuge Hongrois leur auoit monſtré pour le plus feble. L'alarme chef, par vn
endroit qu'vn
fut auſſi -coſt par tout le camp des Polonnois , & l'on crioit que les ennemis eſtoient traiftre leur

deſia dedans : les Capitaines & les ſoldats y accoururent du coſté ou le bruit eſtoic auoit enſei
gné,
le plus grand , & Chodkieuicz ſe mità la teſte des gardes du Prince Vladiſlas pour
faire ferme deuant la porte , tandis que Lubomirsky alla au ſecours de Moſcin : où les
les Turcs ,
fens apres auoir fait leur deſcharge le mcllerent genereuſement parmy
Tome II . I
-

66 Hiſtoire des Turcs ,

1621 . en tuerent plus de trois cens, & en firent grand nombre de priſonniers, dont pluo
ſieurs moururent de leurs blefleures. C'eſtoit vn beau ſpe &tacle de voir les goujats
qui portoient en triompheles teſtes des barbares, & les doigts coupez auec les bagues,
Sont repour les veſtes de ſoye , lesbeauxtulbans, & grand nombre demedailles, ſans l'or & l'ar
fez auec grad
perie des gent qui ne ſe monſtroit point . Fiekety pourſuiuit les fuyards iuſques dans la foreſt,
principaux. ionchant tout le chemin demorts ; & dic- on que ce iour là il euſt deffait toute l'ar
riere- garde , s'il cuſteſté ſecondé à temps commeil le demandoit . Karakaſz Balla de
Bude , qui eſtoit en haute reputation parmy les Turcs , y fut tué. Son eſpricambitieux
ne pouuoit fouffrir V faim ſon riual dans les bonnes graces d'Oſman ; il luy reprochoic
aueciniures ſon laſche gouuernement, & promettoit par ſa dexterité de venir à bouc
Le Balla de des Polonnois,de ſorte que les plus courageux l'auoiêcſuiuy en cette occaſion.Vfaim
Bude y eſt
tué. homme double luy defera volontiers cét hõneur,fçachant bien qu'il n'auoit point en
core pratiqué la guerre auec les Polonnois : mais au lieud'auancer à ſon ſecours ,cõme
il auoit eſté enuoyé pour leſouſtenir , il recula adroitement afin de recouurer par la
perte de ceriual la bonne opinion qu'Oſman auoit conceuë de luy. Lecorps eſtant
amené dans le camp dans vn chariot couuert de riche drap d'or & tiré par quatreche
Fort regretté
des Turcs. uauxblancs,toute l'armée honora ſa vaillance par des cris & des larmes; Ec depuis les
Turcs l'ont touſiours mis au rang des plus grands Heros quileur ſoient morts dans
les guerres. Pour venger en quelque façon la mort ils hacherent le perfide Hongrois
en mille morceaux , comme ſile bon aduis qu'il leur auoit donné euſt eſté à deſſein
hachent de les vendre ; & le lendemain ſortirent de leurcamp auec vn plus grand appareil
le traiſtre en
picces. d'hommes & de canon , mais leur fureur ſe ralencit à la veuë des Polonnois, & ils ſe
tindrent toute la iournée à leur vcuë , ſans oſer les attaquer . Au meſme temps Oſman

auoit paflé la Tyre auec trente millechcuaux & quinze mille Ianiſſaires pour mettre
ſes gens en curée par la priſe de quelque place, & s'eſtoit approché de Cainenec qu'il
penſoit emporter d'emblée : mais commeill'eut contemplé de deſſus vne montagne ,
& qu'il l'eut veuë beaucoup plus forte qu'il n'auoic creu , ildemanda qui l'auoit ainſi
fortifiée ; à quoy quelqu'vn ayant reſpondu que c'eſtoit Dieu , voulant dire qu'ello
n'auoit pointeſté miſe en cér eſtat par main d'hommes, mais par la nature du lieu , il
repartit, Que Dieu la prenne donc Luy-meſme, s'il veut.Ainſi il la quitta là , & tourna
ſa fureur contre le chaſteau de Paniowce qu'il fit batore: mais deux ou trois de ſes
meilleurs canonniers y ayanceſté cuez , tous ſes gens ſe degouſterent ſi fort qu'il fuc
contraint de leuer le liege & de s'en reuenir dans ſon camp, maudiſfant plus que
iamais la laſcheté de ſes laniſfaires.

Durant ſon abſence les Polonnois eurent quelques iours de relaſche : mais leur
plus grande peine n'eſtoit pas celle de combattre , ils eſtoient bien plus incommodez

Les Tartares des maladies , & de la diſette de viures qui croiſſoit tous les iours, à cauſe des courſes
prennent continuelles des Tartares : tellement qu'ils ſe débandoient à coutes les occaſions
grand
bre nom ... qu'ils pouuoient trouuer, & aymoicntmieux hazarder de ſe noyer en paſſantla riuiere
diers, dontils ne ſçauoient point les guez , ou de comber entre les mains des ennemis , que
de ſouffrir ces miſeres plus long- temps . Vn iour que les Tartares auoient pris quel
Plusieurs po- ques viuandiers dans vn village pres de Braham ,deux ou trois mille ſous pretexte de
Jonnois ſedé .Les aller ſecourir ,
ſemirenten fuite :cela donna lieu à vne defenſe ſous peine de la vie
bandent.
de plus paſſer la Tyre , & à la harangue que Chodkieuicz fic en ſuite à toute l'armée :
au milieu de laquelle s'eſtantfait porter accoudé ſur yn li & de camp , illeur die d'vn
con de voix languiſſante ,Qu'ilsvoyoient auec quellc opiniaſtrecé Oſman perſeueroit
en cette guerre ; leur diſetce de fourage ,& de cheuaux , la multitude de morts, & dc
Harangue du malades , & toutes les autres calamicez , auec cela le peu d'eſperance de ſecours, puis
forte de l'e- qu'ils n'auoient aucunes nouuelles ny da Roy,ny de l'arriere-ban de Pologne;Qu'ainſi
mée. il n'y auoit plus d'apparence d'attaquer de li puiſſans ennemis aucc vne armée ſi foible,
dont la caualerie ſa principale force eſtoit diminuée de plus du tiers , & encore auſſi
peu de raiſon de les attendre à cauſe du peu de poudre qui leur reſtoit; Qu'ils auiſaffent
donc maintenant aux moyens de ſe retirer ſeurement ; & puis qu'il eſtoiciuſte de con
ſeruer la perſonne du Prince , que ſon aduis eſtoit qu'il ſeroit meilleur que l'armée fiſt
retraite toute en corps que de s'enfuir ſeparement commeon faiſoit tous lesiours.Là
deſſus il ſe ttut, tournant les yeux de tous coſtez pour conſiderer les viſages, les geſtes
& la contenance des ſoldats , & luy-meline par la ſienne faiſoit voir , que cette pro
poſition eſtoit bien contraire à ſon ſentiment, & qu'il ne l'auoit miſe en auant que
pour
(

Oſman I. Liure vingtiéme . 67 i

pour ranimer leur valeur , & rechauffer leur courage par la honte. Son artifice luy 1621 .
rcüſlit heureuſement : car les plus genereux , & à leur exemple lesplus laſches y repu
gnant, commencerent à s'eſcrier qu'il valoit mieux mourir glorieuſement pour la

parrie que de viure dans le reproche d'vne honteuſc fuite; Que c'eſtoit parmy les
grandes difficultez que s'eſprouuoit la vertu ; & qu'ils eſtoient preſts à faire ferment de
ſuiure par tout les plus hardis Capitaines . Konalzeuic & les autreschefs des Coſaques

qui eſtoient là preſens,eurent la meſme generoſité que les Polonnois .Surquoy Chod
kicuicz apres auoir fair femblant de conſulter aucc les Commiſſaires, continua ſon
diſcours & leur dir, QueDieu qui conneſſoit les plus ſecretes penſées, voyoit combien Continua+
,
lcur affection pour leurchere patrie, & leurs courages inuincibles le reſioüiſoient, & tion ,
redonnoient de vigueur à ſon corps languiſſant ; Que maintenant il recouuroit ſes
forces & ſentoit la vie rentrer dans ſes veines , puis qu'il les voyoit piquez de la pre

miere gloire de leurs ayeuls ; Qu'ils perſeuerafle


nt donc en cette valeur ,& pour luy
qu'il mourroit mille fois auant que de les abandonerdan cette genereuſe reſolution
s
Qu'eſtant fortifié de la grace de Dieu ,guidé d'vne heureuſe fortunc, & accompag

de leurvertu , il marcheroit le premier à la deffenſe de leur chere patrie ; Que la porte
rité leur en rendroit aſſez d'honneur , & le Ciel leur donneroit les recompenſe qu'ils
s
meritoient: mais cependant, afin qu'ils ne le blaſmaſſent pas d'ingratitud luy & les
e 1
Commiſſaires , il les aſſeuroit aueceux que la Republique leuren ſeroit à iamais obli
gée ,que leRoy reconneſtroit les dangers qu'ils auoient courus pour l'appuy de la Cou
ronne, & quant à preſent allant au delà du pouuoir qu'on leur auoit preſcrit , ils leur
promettoient tant au nom de la Republique qu'au leur mclme, troismontres entie
res, pour leſquelles ils leur engageoient leur foy , & leur en donnoient leur eſcrit.

Cette harangue ayant conuerty la triſteſſe en ioye, on ne voyoit que ſoldats ſe met- Allegreſſe des
tre la main l'vn dansl'autre pour gage d'vn mutuel ſecours dans les perils, appeller ſoldats.
traiſtres ceux qui s'enfuiroient, & faire mille ſermensqu'ils mouroienr conſtamment
& attendroient toutes les extremitez pluſtoſt que d'abandonner leurs Enſeignes. Los Colaques
La nuit enſuiuant huit mille Coſaques entrerent dans lc camp des Turcs au quartier entrent dans
du deffunt Balla Karakaſz ,où à la faucur de la nuitils rompirenc les tentes,cucrent les de camp des
ſoldats qu'ils trouuerent enſeuelis dans le ſommeil, prirent le drapeau rouge du Co- font vn grand
lonel de l'infanterie, & emmcnerent les chcuaux & chameaux chargez d'vn riche butin .
butin . Les Polonnois ne ceſſoient auſſi d'aller à l'eſcarmouche . Staniſlas Zorauiníc
Chaſtelain dc Belz , Senateur & Mettre de camp, quoy qu'extrement affebly de la
langueur d'vne fievre : Sieniaw & Rozrazew s'y trouuoient fouuent à la teſte de la
ieune Nobleſſe. Ceux - là n'eſtoient pas pluſtoſt rcuenus au camp que Kopiczin ,Wa- Les Polonnois
ficzin , Gdelzin & Swiczin , y retournoicnt tout denouueau; Et Fiekety tres - adroit à pareillement.
harceler les Turcs , leur enleuoit à tout coups quantité de chameaux , de cheuaux , &
de mulcts .

Pendant ces iours là , reuint le Deputé qu'on auoit enuoyé au camp des Turcs auec
Retour du
Vcuel . Les broüilleries & le changement qui eſtoient arriuces à la Cour d'Oſman , Deputé,
auoient eſté cauſe de ſon retardement: les mauvais ſuccez de cette guerre l'auoient
rendu de fi mauuaiſe
humeur, qu'il falut qu'il deſchargeaſt ſa cholere ſur quelqu'vn.
Il maudiſſoit ſansceſſe la laſcheté de ſes gens, & fpecialement crioit contre les Ianif
faires : leſquels offenſez de ces reproches mépriſoientauſſi ſaieuneſſc, blaſmoient ſa
legereté , & deteſtoient ſa vanité opiniaſtre qui auoit engagé toutes les forces de fon
Empire dans vne expedition ſi difficilc , & fi peu neceffaire. La haine des vns & des
autres prit pour objet de la vengeance , le grand Vizir nommé Vlaim , Oſman
eſtant faſché contre luy ,comme s'ileuſt eſté cauſe de la laſchecé & des mutineries Dilauer Fair

des lahiſfaires ; & les gens de guerre le haïſſant , parce qu'ils croyoient qu'il auoit grand Vizir.
donné le conſeil de ce voyage . On leuſt donc facrifié à la rage du Maiſtre, & à la hai
ne des ſoldats, n'cult eſté l'interceſſion de quelques puiſſans amis qui luy fauuerenc
la vie ;
& auec cela luy conſeruerent la placede ſecond Vizir. Celle de premier fuc
donnée à Dilauer Baſſa de Meſopotamie, hõme d'aage & de beaucoup d'experience,
qui à cauſe de la paix qu'il auoit negociée auec le Perſan s'eſtoit acquis vn grand cre
dit parmy la milice , & auoitgagné lesbonnesgraces d'Oſman cantpar le moyen des vrain depola
richeſſes qu'il luy auoir apportées d'Aſie , que parce qu'il auoit achecé l'amitié des fedé & fait les
cond Vizi .
Courriſans à force d'argent. Or ce nouueau Vizirmoins ambitieux de combattre que
d'attraper les grands preſens que luy offroit le Commiſſaire des Polonnois , afin dele

1 Iij
2
68 Hiſtoire des Turcs ,

1621. rembourſer en partie des grandes deſpenſes qu'il auoit faites pourmonter à ſa charge
où il eſtoit, apres auoir tenu conſeil ſecret auec le Mufty ( il s'appelloit Hodzy , qui
auoit eſté Precepteur d'Oſman ) & auec l'Eunuque noir Giſler Aga, auoitrenuoyé le
Deputé Polonnois auec grande eſperance de paix & auec promeſſe de donner tous
les fauf-conduits neceſſaires à l'Ambaſſadeur qu'on enuoyeroit pour la traiter .
Les Coſaques pour cela ne perdoient point les occaſions d'attaquer les ennemis.
Les
tuet pluſieurs Ils donnerent vncnuit dans leurs tentes au delà de la Tyre , où ils tuerent plus de trois
Turcs & font cens Turcs qu'ils trouuerent endormis, firent bien viſte gagnerle pont aux autres , &
vn grand bu
tin . retournerent tous chargez de leur bagage . Vſaim s'y eſtant trouué fut dépouillé de
ſes belles veſtes, deſon tulban ,de ſes armes & de ſon argent, & fe lauua dans le bois où
il fut caché tout le reſte de la nuit dansvne cauerne , ne pouuant s'en retourner au
Vraim de .
poille tout camp que le lendemain, auec vn viſage ſidefiguré d'egratigneures, qu'à peine fut- il
nud . reconnu des ſiens. Vne autre fois de ix mille Coſaques allechez du butin repaſſerent
encore la Tyre auec les fantaſſins Hongrois de Bobow, ſuiuis de viuandiers , de gou
jats & d'autres gens de cette ſorte , & vians de leurs ſtratagemes ordinaires , ſe iette
rent dans les tentes des Turcs auant qu'ils euſſent aucune nouuelle de leur arriuée.
Ils pillentles
tentes des Il y en cut d'abord deux ou trois censdetuez , & deuxfoisautant de noyez voulant
Turcs . ſe fauuer à la nage : le reſte prit l'eſpouvente , & dans ce deſordre les Colaques demeu
rerent maiſtres du pont que les Walaches & les Moldaues auoient fait auec tant de
deſpenſc par ordre d'Olman ; ſi bien qu'ils l'euſſent pû rompre en moins de rien , s'ils
euſſent ſceu vſer de lavictoire. Mais le temps qu'ils employerent au pillage donna le
loiſir aux ennemis de ſe rallier pour s'y oppoſer.

La ioye de cant d'aduantages cuſt eſtébien plus ſenſible dux Polonnois , s'ils n'eur
Chodkievicz ſent cu parmy cux de plus grands ſujets d’affliction : Chodkieuicz ſentant que ſon
ſe fait porter malrengregeant d'heureen heure, n'eſtoit plus capable d'aucun remede , s'eſtoit fait
à Chocin ,
porter dans Chocin , tant pour diſpoſer des affaires de lamaiſon ,& ſonger à ſa con
ſcience, qu'afin que la mort fut plus long-temps celée aux ennemis .Tous les ſoldats
qui virent paſſer ſon caroſſe fondoient en larmes , comme ſi c'euft eſté deſia le cha
riot de ſa pompe funebre: maisce gencreux Seigneur les conſoloit du mieux qu'il
pouuoit de geſtes & des yeux , & n'ayant plus la force de leur tenir longs diſcours,
Icur repetoit ſouuent ces paroles : des enfans , ie vous recommande voſtre chere patrie.
A quelques iours de là ,apres auoir beaucoup ſouffert dans ſa maladie ,il mouruc
le vingt-ſeptiéme de Septembre , eſtant à peu pres ſexagenaire, aage trop courte pour
Mort du Ge- fa patrie , mais aſſez longue pour la nature , & beaucoup plus longue pour la gloire :
acral,
car il en auoit autant acquis que Seigneur de ſon temps, non ſeulement parl'éclac

de ſes frequentes victoires, mais encore par celuy de ſes vertus,qui faiſoicnt auoüer
meſme à ſes ennemis qu'il deuoit tout ſon bon - heur à ſon merite, & que le hazard
n'auoir nulle part à ſes triomphes .

Apres ſa mort le commandement de l'armée appartenoit à Lubomirsky: les Li


Lubomitſky thuaniens firent quelque difficulté de luy obeïr : mais lors que le Prince Vladiſlas leur
reconnu Ge- cut teſmoigné qu'il le ſouſmettoit luy-meſme à ſa conduite , & que cela eſtoit rai
neral en la
place , ſonnable , puiſque les Polonnois qui eſtoient en bien plus grand nombre , auoient
bien obey à Chodkieuicz Lithuanien , qu'eux à leur tour fuſſent commandez par
Lubomirsky Polonnois, que les Eſtars luy auoient donné pour compagnon , ils ſc
ſouſmirent å ſes ordres ;& luy pour affermir ſon authoritétint le conſeildeguerre à
la veuë de l'armée, où deſirant s’acquerir la bienueillance des ſoldats il leur renou
uella.la proineſſe des trois montres que Chodkicuicz leur auoit faite. Apres cela il alla
conſulter auec le Prince Vladiſlas auquel conſiſtoic toute l'eſperance de l'armée, des
moyens qu'ils deuoient tenir pour donner ordre aux troupes, que la miſero & l'ex
treme diferte de toutes choſes faiſoit débander mal-gré les Capitaines. Il y eut trois
diuerſes opinions : l'vne, conſeilloir abſolument la retraite de toute l'armée ; la fe
conde , ſeulement celle du Prince & des principaux Seigneurs, auant que cet air
contagieux les euſt tous frappez d'une maladie mortelle :mais la troiſiéme vouloic
qu'ils demeuraſſent dans le lieu où ils auoient tant gagné de victoires . Cette der
niere eſtoit celle du Prince , qui harangua ſi genereuſement les autres qu'il les fit
tous reuenir à ſon aduis . Dureſte pour empeſcher la diſſipation de l'armée , il ne fut
point trouué d'autre remede que de reduire leur camp en vn plus petic eſpace: ce qui
d'ailleurs fut extremement nuiſible, pource que les maladies s'en communiquoient
plus
>

Oſman I. Liure vingtiéme .


69

plus facilement, & quela puanteur des tripailles, des corps niorts ; & des charon- 162 i.
ġnes des cheuaux , rendoit vne infection plus grande dans vn petit eſpace. Auec tous
ces maux ils auoient continuellementles ennemis ſur les bras , qui toutesfois ne les
attaquoient plus auec de grandes forces comme au commencement , mais tantoſt
taſchoient de les eſpouuenter par leurs cris , tantoſt battoient leur camp à coups
de canon , d'autres fois entreprenoient d'enleuer quelque quartier. Vn iourils Diucrſes ara
trerent dans celuy de Ruſinowsky , qu'ils euſſent taillé en pieces , ſi l'infanterie de taques des
Lubomirsky n'y fuſt accouruë , & toſt apres la caualerie Polonnoiſe qui les mit en font s ,oùils
Turcbatt us.
fuite & gagna deux de leurs Enſeignes. Copaczow Capitaine de caualerie , & Ler
mont Colonel d'infanterie Allemande y furent bleſſez , ſans pour cela ſortir du
combat qu'il ne fuſt finy.
Oſman outré de honte & de fureur pour tous ces affronts; ſe reſolut mal -gré l'aduis
de les Baſſas, de donner yn aſſaut generalau camp des Polonnois .Donc dés le grand
matin du meſme iour quiet conſacré à la memoire de S. VenceſlasRoy de Boheme
dulang de Pologne , il cõrnença àfaire attaquerauec ſoixante pieces de gros canon.Le
feu & la fumée de ces tonerres obſcurciſſoit l'air, & le bruit faiſoit trembler la terre &
fendre les rochers : & les coups en donnoientiuſques dans la tente du PrinceVladiſlas, Combae gas
où vnEſcoſſois de ſes gardes eutla teſte emportée d'un coup deboulet.Tous les autres neral.
combats n'auoienteſté que jeu au prix de celuy- là . Il ſeroit bien difficile de deſcrire
auec quelle opiniaſtracé les Turcs s'y porcerent , & auec quelle valeur les Polonnois
leur refifterent. Vne partie de la caualerie des Turcs donna ſurcelle de Pruſinow qui
s'eſtoit miſe à couuert des coups de canon dans le valon , & l'autre ayātmis pied à terre
ſe ioignit auec les laniſſaires, le bouclier au bras , ce qu'on n'auoit point encore veu ,
& à trauers les arbres & les ruines d'vn fort que les Coſaques auoient abandonné ap
procherent de toutes parts le bataillon de Ruſinow.Ils le chargerent ſi viuement que
peu s'en falut qu'il ne ſuccombaſt ſous vne ſi peſante charge :maisVladiſlas à quila
vertu rendoic la vigueur que la maladie luy auoit oftée , ſe faiſant porter en litiere
de l'autre bout du camp afin de pouruoir à tout & d'animer les ſoldats de la preſence;
deſtacha promptement trois regimens d’Allemans & de Hongrois , pour l'aller ſou
ſtenir ;meſme ce genereux Prince y enuoya les Eſcoffois & lcs Hibernois de ſagarde,
ne ſe ſouciant pas de mettre ſå perſonne en danger pour garantir ces troupes qui

euſſent eſté perduës ſans ce prompe ſecours. La fleur de la Nobleſſe y fut auſi des
premiers , & les malades deſeſperoient dans leurs tentes de ne pouuoir mourirglo
rieuſement pour le ſalut de leur patrie. Lubomirsky ordonna aux principaux regi
mens de deſtacher les plus agiles de chaque compagnie pour y courir; Ec lors il ſe
rencontra vne genereuſe emulation entre lesieunes& des vieux, les icunes deman
dant la pointe, parce qu'ils pretendoient qu'ils y arriueroient pluſtoft , & les vieux ne
voulant pas leur eeder cét honneur qu'ils diſoient eſtre dû au merite de leurs actions où les Turts

& à la longueur de leurs feruices. Ruſinow ainſi ſecouru reprit ſes forces & rctour- derome
.
na auec tant de vigueur au combat qu'il mit les Turcs en déroute, & fit vn grand
maſſacre de ceux qui penſoientdeſia tenir la victoire. En pluſieurs autres endroits la
meſée n'eſtoit pas moins chaude qu'en celuy-là: mais il faudroitauoireſté preſent à
vne libelle occaſion pour raconter les beaux faits de tous les Capitaines Polonnois
quien cette iournée meriterent tant de gloire que leur patrie ne ſçauroit iamais leur
en rendre aſſez. Enfinils furent ſi vaillans & fi heureux que par cout ils battirent les
Turcs, de ſorte qu'ayant refroidy leur fureur par le fanglanc carnage des plus ef
chauffez , les barbares furenc bien aiſes de trouuer la nuit fauorable pour couurir
leurhonte , & leur donner loiſir de ſe retirer .
De ce coup Oſman perdit coute eſperance de vaincre les Polonnois , & eux coute
crainte d’eſtre vaincus dans leur camp. Mais ils auoient parmy eux yn ennemy qui

combattoit pour luy & minoit ſi viſiblement leurs forces, qu'ils n'auoient cantoft
plus moyen de luy reſiſter. C'eſtoic la neceſſicé, qui iointe auec les maladies qu'elle
y auoit engendrées , faiſoit bien plus de dommage que les Turcs : Car il eſtoic mort
dix mille hommes de maladie de leurs troupes , & plus de la moitié de ceux qui re
ſtoient en vie eſtoit fi languiſſante , qu'ils ne pouuoient plus faire leurs gardes. Outre
cela , la diſette de fourages auoit engendré ie ne ſçay quelle contagion parmy lesche
uaux , qui les faiſoit tousmourir : (depuiselle fe communiqua dansles autres Prouin

ces de la Pologne , & en tua plus de cinq mille ) de ſorte que la pluſpart des caualiers
I wij
Hiſtoire des Turcs ,
70

1621 . eſtoient demoncez . De plus , ily auoir celle faute de poudre & de plomb par la negli
gence ou griuclerie desThreſoriers, qu'à peine leur en reſtoit- il aſſez pour vn grand
combat ; Et le Roy Sigiſmond , s'eſtant amuſé à faire la ceremonie de l'inueſtiture de

George- Guillaume Marquis de Brandembourg dans la Duché de Pruſſe ,parce qu'il -


en eſperoit beaucoup d'amiſtance que pourtant iln'eut pas , eſtoicencore ſi loin , & les
troupes de l'arriere -ban s'aſſembloient ſi lentement,que l'armée cuſt pery auant ſon
Iis entendent arriuée.Ces conſideracionsporterent les Seigneurs Polonnois à entendre á la paix ,de
à la paix.
laquelle Oſman s'approchoit auſſi de ſon coſté. Ainſi Veuclayant rapporté pour cela
de la part de Dilauer les ſauf-conduits en la meilleure forme qu'on les puſt deman
der pour les Ambaſſadeurs , il fut reſolu d'y en enuoyer auſſi -toft . Ily eut quelque
difficulté entre les Commiſſaires , & les Senateurs , en preſence du Prince Vladiſlas,
les vns & les autres pretendans l'honneur de cette commiſſion : les Senateurs à cauſe

de leur dignité,& les Commiſſaires à cauſe de la dire& tion de cette guerre qu'on leur
Le Vizir en
uoye les fauf auoit donnée. Pour accommoder ce differend, & haſter les affaires qui n'auoient
conduits, pas beſoin de retardement, le Prince & Lubomirsky élcurent entre les Seriateurs

Staniſlas Zorauinſc, & entre les Commiſſaires lacques Sobieſc , hommes de grande
experience ; Et voulurent , afin d'obuier aux ſiniſtres interpretations que les condi
tions du traité de paix ſignécs des Senateurs & des Commiſſaires, fuſſent miſes entre
les mains d'André Zoldrsky Secretaire d'Eſtat, & Chancelier d’Vladiſlas: puis Lu
Les Ambaſla . bomirský leur donna les lettres qu'il eſcriuoir à Oſman & au grand Vizir, auec les
payle Prince preſens qu'ils leur deuoient faire, & aux principaux du Conſeil. Ceux qui les virene
& le General.paſſer firent diuers iugemens deleur Ambaſſade, quelques -vns diſoient que ce traitó
deuoit ſe ncgotier en vn lieu plus libre que n'eſtoit le camp de l'ennemy ; mais d'au
tres regardant plus la neceſſité que toute autre conſideration ,n'improuuoient pas ce
procedé , & tous auoient grande confiance à la fermeté & à la conſtance des Depu
tez. Ils eſtoient accompagnez de la plus leſte Nobleiſc de toute l'armée . Le Vizir
Le Vizir en- enuoya au deuant d'eux bon nombre des plus anciens Chaoux , dont le plus venera
uoye au de- ble leur fit vne courte , mais tres - ciuile , harangue. Radulon Palacin de Walachie leur
uant d'eux,
enuoya auſſi faire compliment par certains Gentils-hommes, auſquels comme aux
Chaoux , Zorauinſc fic vnereſponſe digne de la Republique. On les fit paſſer tout au
trauers du camp des Turcs , tant pour les faire voir par oſtentation aux ſoldats , à qui
Et le Palatin on perſuadoit qu'ils venoient demander la paix aucc de tres -humbles ſupplications,
de Valachie.
que pour les intimider dauantage, en leur monſtrant la redoutable puiſſance & les
richeſſes du grand Seigneur . Auſſi veritablement eſtoit -ce vne choſe digne d'admira
cion , & d'eſtonnement: ie croy que la deſcription n'en ſera pas deſagreable. Lecircuit
dece camp eſtoit preſque de quatre lieuës,le nombre des pauillons de plus de ſoixante
mille , au deſſus deſquels eſtoient arborées des banderoles de diverſes couleurs, & ſur
les pointes de quelques -vns des pommes dorées, aucc des ailles d'Aigle & autres pen
naches ; ſi bien que céc eſmail de differentes couleurs mellé auec l'éclat de l'or , fai
ſoit à la lueur du Soleil, la plus agreable varieté qu'on ſc ſçauroic imaginer . Ces pa

Deſcription uillons eſtoient arrengcz par ruës & diuerscompartimensqui aboutiſſoient à de gran
du camp des des places , où les viuandiers 8c les marchands eſtaloient leurs denrées : les cordes
Turcs.
dontilseſtoient attachez , eſtoient tellementcenduës dans celles des autres , que l'on

n'euft ſceu paſſer entre deux . Ils remarquerent que pour tout ce camp d'une li grando

citenduë il n'y auoit que trois aduenuës , & quc tout le reſte eſtoic enuironné d'un
foſſé de douze à quinze pieds de large , & de huic à dix de profondeur: auec cela tout
bordé de canons & d'vn nombre infiny de petites pieces de campagne . Mais ce qu'ils
trouuerent de plus admirable ,ce fut la mulcitude d'hommes, & de troupeaux , & l'a
bondance de toutes ſortes de richeſſes : lescentes eſtoientpleines de ſoldats, les ruës
fourmilloient d'hommes , & de coute ſorte de beſtiaux qu'on menoit paiſtre ou qu'on

en ramenoit ;& parmy cette prodigieuſe multitude & ce grand cracas , il n'y auoit
aucune confuſion , chacun ſe rendoit à ſon deuoir ſans bruit : on euſt dit à voir la
foule des marchands allans & venans que c'eſtoit vne fameuſe foire , & à voir les
ſoldats qui ſe promenoient deſarmez par les ruës , on cuſtpris ce camp pour vne ville

peuplée degens de regles .


Si toſt que les Deputez furent deſcendus de cheual au quartier de Radulon , ſes
principaux Miniſtres leurvindrent faire la reuerence , & leur offrir de la part tousles
viures neceſſaires pour eux & leurs cheuaux ; l'ayant remercié de ſa courtoiſie , ils ce
fuferent
Oſman I. Liure vingtiéme . 21

fuſerent les viures , mais accepterent volontiers le logement & l'amitié d'vn Prince 162 1 .
Chreſtien comme il eſtoit, & incontinent apresils enuoyerent le Secrctaire de l'Am
baſſade luy teſmoigner lcſtime qu'ils faiſoient de ſon entremiſe, & communiquer :
Les Amballas
auec luyen confidence, comme amy & voiſin , du temps , du lieu & des conditions de deurs logent
la paix entre les deux Couronnes.
Ils doucerent quelque temps s'ils deuoient attendre ai qua er
du Palarti
tin ,
fa viſice , ou s'ils le deuoient preuenir : mais comme on ne ſçauroit blaſmer les ciui
litez volontaires , & que dans cette incertitud ils virent reuenir le Secretai
e re ac .
compagné de pluſieurs Gentils-hommes, dont l'un auoit charge de leur dire que le
Vayuode les attendoit auecſon Senat , ils iugerent que dans vne affaire ſi preſſant , il
e
ne falloit pas s'amuſer à ces poin & illes d'honneur , & s'y en allerent ſur l'heure. Le
Palatin ſortit quelque pas hors de ſa tente ſuiuy de ſes Conſeiller , pour les receuoir . Lequel ils vot
s
Apres les complimens mutuels , ils luy donnerent les lettres de Lubomirs
ky , & ne vifiter & con
demanderent à cette premiere veuë autre choſe , finon qu'il les filt“parler le pluſtoſt ferent enſem
qu'il pourroit au grand Vizir . Il les entretint aſſez long - temps en ſecret aſliſté ſeule
ment deKaterdzic ſon premier Miniſtre, & leur promit auec beaucoup d'affectio
n
toute l'alliſtance qu'il pourroit contribuer pour faire reüſlır leur traité . Aulli y pro
ceda - il fort fidellement, & ſe monſtra bon amy de la Pologne , tant parce qu'il eſtoit
Le Vizir leur
Chreſtien , que pource qu'il ne pouuoit pas bien eſtablir la fouueraine
té durant la enuoye faire
guerre , ny conſeruer les grandes richeſſes qu'il auoit acquiſes. Cependant Dilauer compliment.
aduercy que les Ambaſſadeurs eſtoient dans la tente dece Vayuode choiſit cinquante
Ianiſſaires des mieux faits , qu'il enuoya leur faire compliment auec toute ſorte de
courtoiſie .

Ces allées& ces venuës n’empeſcherent pas les Turcs de faire paſſer quelques- vns les Turcs de
de leurs groscanons de l'autre coſté de la Tyre pour battre les forts que les Polonnois l'autre core
auoient faits le long de l'eau ; & leur caualerie fit tantpar ſes caracols deuant la porte de la Tyre
de Lubomirsky qu'elle attira les gens au combat :maisils les repouſſerent vigoureu- encicremene
ſement, & les mal-menerent ſi fort que cette fois ils demeurerent entierement rebu- rebutcz,
tez . Ce qu'ils monſtrerent bien quand Sieniaw , mandé auec ſa compagnie du quar
tier de Chodkieuicz pour aller au ſecours des gens de Lubomirsky , vint à paſſer au
pres d'cux auec ſes troupes:car ils ne firent ſeulement pas mine de le vouloir attaquer ; N'olcnt allic
Ecce qui fut encore trouué plus eſtrange, ils n'eurent iamais l'aſſeurance , quoy qu'ils ger le cha.
s'en fuſſent vantez pluſieurs fois , d'aſſieger le chaſteau de Zuauec qu'auoit fait baſtir icau de Zua.
Valentin Kalinowsky Capitaine de Camenec, lequel à cauſe de la commodité de pec,
l'eau , & du voiſinage de Chocin , fourniſſoit beaucoup de viures aux Polonnois .
OrDilauer quiteſmoignoit vn ardent deſir de reſtablir l'ancienne amitié entre les
Polonnois & les Othomans, pour les motifs que nous audns touchez , fic venir les
Ambaſſadeurs en la preſence d'Vſaim ſecond Vizir & de Baccy Baffa grand Threſo- Levizir man
rier , afin de conferer auec eux . Zorauinſc luy dit en peu de paroles qu'ils eſtoient là delles Ambaſ.
pour renouueller l'alliance ſi long -temps entretenuë entre les deux Couronnes , &
qu'ils le coniuroient comme chef du Conſeil d'Oſman d'interpoſer ſon credit & lon
authorité à moyenner yn ſi ſalutaire accommodement . Il n'eſt pas croyable combien
les Ambaſſadeurs le trouuerent de facile accez , franc , ennemy des poinctilles , &
fait de
entier en la parole : Il les ſalia auec vne ciuilité extraordinaire en ces barbares , & grandes cius
les aſſeura d'abord de l'inclination qu'il auoir à la paix . Mais à cette premiere veuë litcz.
il ne leur fit aucune ouuerture, & les pria ſeulement de changer de quartier & de fe
venir loger enţre luy & le grand Threſorier, pour ſe pouuoir entretenir plus com
modement. Au ſortir de ſes pauillons qui paroiſſoient commeceux de quelque puil
ſant Roy , ils allerent ſalier le Mufry , qui pour auoir eſté Precepteur d'Oſman pou- nis viſitent le
uoit beaucoup ſur ſon eſprit. Ils le trouuerent tour courbé de vieilleſſe, la ceſte im- Mufty.
mobile , les yeux en terre , les mains' iointes tenant certaines pierres enfilées comme
vn chappelec , ſur lequel il marmoroit quelques prieres . Ce vieillard les ayant aſſez
bien receus , fit vne ennuyeuſe reſponſe à la courte harangue de Zorauinſc, où il
meſla pluſieurs rapſodies de la ſuperſtition de Mahomet , parlant d'une voix calle metQui de
leurs'em
pro
.
& languiſſante , pour rendre ſon diſcours plus venerable : il ſe tint neantmoins dans ployer pour

les ſentimens de Dilauer , & promit d'employer tous ſes ſoins pour renoüer l'al- la paix.
liance .
Apres ces deux viſites, ils ſe retirerent . Or afin de ne ſe pas arreſter à des conteſta
VII.
tions inutiles qui cuſſent retardé le traité , le Vizir enuoyadés le iour meſme Radu
Hiſtoire des Turcs ,
72

1621. Ion pour leur faire ouuerture de l'intention du grand Seigneur,& fçauoir la İcuri
Il leur parla premierement des limites des Royaumes: [urquoy ils demeurerent d'acı
cord que ce differend ſe decideroit par des Commiſſaires nommez de part & d'autres
Il vint en ſuite aux plaintes contre les Coſaques, & declama fore contre leurs vole
ries continuelles , demandant qu'on en fiſt punition exemplaire . Ils repartirent à cela
Propofitions que les courſes des Tartares auoient dõné occaſion à celles des Coſaques; Que neant
des Turcs.. moins
pour ne pas violer l'alliance aucc les Othomans, la Republique auoit toû
jours fait de tres - feuere's Edits , & le plus ſouuent pris les armes pour cliaſtier les
contreuenans, comme elle eſtoit encore preſte de faire l'année precedente, ſi les
Tartares ne l'en euſſent de tournée par vne furieuſe irruption . D'ailleurs, qu'il ne
s'en falloit pas cant prendre de ces brigandages aux Coſaques ſujets des Polonnois
qu'à ceux du Duc de Moſcouie, qui ſous le nom des Coſaques de Zaporoh raua
geoient les coſtes de la mer.Et ſur ce qu'il demanda qu'ils euſſent à liurer entre les
mains d'Oſman le chef de ceux qui auoient pillé & bruſlé les contrées d'Orio & la
ville de Saroka , ils repartirent qu'ils n'auoient fait en cela que ce qui ſe pratique par
des Amballa- tout le monde apres la guerre declarée ; qu'ils contreuiendroient à la foy & 'à l'an
deurs. cienne vertu des Polonnois,s'ils abandonnoient par yne infame laſcheté ceux qu'ils
auoient aſſociez contre leur ennemy commun ; 8c que s'il falloic punir les Cofaques,
Bernaſc, Cantimir , & tous les Tartaresmericoient le meſme chaſtiment. Apres cela
Radulon ſautant d'vne objection à l'autre leurdemanda raiſon de ce que Zolkieusky
auoit fait l'année paſſée en Moldauie , le plaignant qu'il auoit rompu l'alliance & fuf
cité la guerre ſans ſujet : mais comme ils luy eurent prouué que Sander Baſſa l’y
auoit prouoqué , il paſſa à vne autre propoſicion; Sçauoir qu'auſi -toſt que le grand
Seigneurſeroic de retour de cette guerre à Conſtantinople, il falloir que la Pologne
luy enuoyaſt de magnifiquespreſensen forme de tribur. A cette ſuperbe demande ils.
repartirent que leur Republique n'auoit iamais eſté tributaire , quc les Polonnois
Refuſene de cheriſſoient tellement leur liberté qu'ils ne luy vouloient point ſuruiure, qu'il lcur
leur payer
en coulteroit les biens & la vie premier que de perdre vn ſi precieux threſor , &
tribut.
que li Oſman vouloit entretenir l'alliance auec Sigiſmond comme Prince voiſin &
amy, il luy deuoit rendre les honneurs reciproques,pource que les Polonnois ne re
connoiſfoient poine d'autrc Souuerain que celuy qu'ils éliſoient par leurs communes
ſuffrages. Radulon n'ayant pû rien gagner ſur leurs eſprits retourna vers le Vizir , qui
feroidiffoit ſur la punition des chefs des Cofaques, & faiſoitentendre que ſi on látif
1
faiſoic le grand Seigneur ſur ce poinct, on le trouueroit aſſez facile ſur les autres.
ce que les Polonnois vouluſſent liurer des
Se mocquent Mais comme il n'y auoit point d'apparen
des artifices gens qui les auoient ſi bien ſeruis , il y employa les artifices de Veuel . Cét inuenteur
de Veuel,
de fourbes, propoſoit vn expedient forc commode , ce diſoit-il, pour contenter lo
grand Seigneur ; c'eſtoit deluy liurer les criminels tant des priſons du camp ,
que de
celles de Camencc, luy faiſant accroire que c'eſtoient les chefs des Cofaques. D'où il
ſe promettoit l'une de cesdeux choſes , ou qu'en effet ils tromperoient Oſinan pár ce
moyen , qui luy ſçauroit bon gré de fa negociation, ou que les Coſaques piquez decéc
affront conceuroientde l'auerſion contre le Prince Vladiſlas & abandonneroient les
Polonnois ; qui eſtantpriuez d'vn ſi notable ſecours ſeroient plus facilement yaincus.
Mais les Ambaſſadeurs ayantfenty ſes fineſſes, s'en moquercnt; teſmoignant qu'ils ſe
ſçauoient auſſi bien defendre des rromperies deleurs ennemis que deleurs forces.
Quelques iours ſe paſſerent de la ſorte : apres leſquels le Vizir eſperant plus ga
gnerpar ſon authorité que le Palatin n'auoit fait par ſes remonſtrances, voulut s'a
boucher luy-meſme auec eux en ſecret. Il s'efforça de leur perſuader lechaſtiment
Le Vizir les des Coſaques & d'enuoyer tribut au grand Seigneur : leur remonſtrant qu'ils ne pour
menace de, uoient le refuſer à moins que d'auoir encore l'armée ſur les bras iuſqu'à la 'my
continuer la
gucrrc. Nouembre , & qu’apres cela elle hyuerneroit dansla Moldauic , d'où les Walaches,
les Tartares , les Moldaues & les Européens iroient rauager la Pologne , & qu'au
commencement du Printemps il yiendroit de nouuelles forces d'Afrique, & de I'vne
& l'autre Alie , pour recommencer la guerre . Durant ſon diſcours il conſideroit fort
attentiuement la contenance & la mincdes Ambaſſadeurs; & voyant que ſes perſua
fions ne les eſmouuoiēt point , il vouluc eſſayer s'il ne gagneroit rien en lesintimidant.
Illeur dit donc auec vne parole plus ſeuere,que puis qu'ils ne vouloient rien conclu
re , ils n'auoienc qu'à s'en recourner. Mais cette cupcurę ne les eſtonna nullement :
Zorauinſa

1
Oſman I. Liure vingtiéme . 73

Zorauinſc repartit auecvne gencreuſe modeſtie , que iuſqu'alors le ſort eſtoit égal , 1621 .
& que la victoire & la fin de cette guerre eſtoient cachées dans le ſein du deſtin , Que

i,
les Turcs auoient auſſi peu de ſujet de gloire que les Polonnois de matiere de crainte,
& que leur nation néc & nourrie dans la liberté ſouffriroit toutes les extremitez
pluſtoſt que de ſouſmeccre ſa ceſte , de tout temps indomptée, ſous le joug d'Oſman .
Cela dit ils ſe leuerent & commencerent à prendre congé du Vizir , en luy rendant Fait mine de
graces de ce qu'il leur auoit inuiolablement gardé le droit des gens, les ayant receus les tenuoyer,
& traitez auec honneur , & les renuoyant ſous la foy digne d'vn grand Prince. Le puis lesic
rient,
Vizir eſtonné de leur reſolution les prit par la main, les pria de demeurer , & depuis
ſe monſtra tres - facile pour les autres conditions de la paix .Au reſte les grands pre
ſens qu'ils luy promettoient à luy & aux autres du Conſeil d'Oſman ,auançoient beau
coup cette negociation ; car les Turcs naturellement auides d'argent le deuiennent
encore dauantage lors qu'ils ſe voyent élcuez à quelque charge eminente, dautant
qu'ils n'y paruiennent qu'à force des preſens, qu'ils font aux Sultancs qui amaſſent à
toutes mains , pour auoir dequoy ſe marier auantageuſement ſi le grand Seigneur
vient à mourir ; ſi bien qu'ayant le plus fouuentemprunté de l'argent à gros intereſts,
pour donner à ces harpies, ils taſchent par tous moyens à s'en rembourſer; Et d'ail
leurs , comme il n'y a preſque point de concuſſion ny de crime dont ils n'obtiennent
le pardon en donnantbeaucoup aux principaux Baſſas, & à ceux qui ont l'oreille du
Prince, ils n'ont point d'autre loin que d'en tirer de quelque coſté que ce ſoit, & ven
dent l'intereſt du public & de leur maiſtre ,pour leur profit particulier.
Il ne reſtoit pour toute difficulté , que lc preſent qu'Oſman demandoit tres
inſtamment : les Deputez eſtoient bien d'accord de le donner ,mais ils iugcoient vn des Am
indigne de leur Republique de s'y obliger par le traité , & vouloient ſeulement baſſadeurs te
qu'il
fuſt porté comme don d'amy par l'Ambaſſadeur qui iroit à Conſtantinople camp ,& fait
pour confirmer le renouuellement de l'alliance. A quoy ily auoit apparence qu'on inſtance con
feroit condeſcendre Oſman , parce qu'ils ſçauoient que contre la couſtume de ceux tre, les Tarta,
de ſon aage & contre la phyſionomie qui parcſfoit ouuerte & liberale , il cachoit
dans ſon cæur yne ſordide auarice , & que pour vn petit lucre il derogcoit facilement
à la grandeur de ſon Empire . Sur cette eſperanceSobieſc eſtant donc party du con
ſentement du Vizir recourna au camp pour en deliberer auec le Prince Vladiſlas &
les Commiſſaires : mais auant que de partir il fit grande inſtance que l'on defendiſt

aux Tartares de plus rauagerla Pologne ,& qu'il fuſt permisaux Polonnois de ruiner
les pays que ces voleurs habiteroient, ſans pour cela rompre l'alliance. Pour le pre
mier poine ,le Vizir le luy accorda : mais pour le ſecond il n'y voulut point entendre,
luy remonſtrant qu'il ſe deuoit contenter d'vn ſcuere Edit du grand Seigneur qui
fçauroit bien ſe faire obeïr , & qu'en vn mot les Tartares eſtant ſujets de l'Empire
Othoman , ſi les Polonnois atcentoient ſur eux , les Turcs ſeroient obligez de re
commencer la guerre .

Dés le lendemain Sobieſc retourné au camp des Turcs où il eſtoit attendu auec Les Ambafia
impatience , promic au Vizir que Sigiſmond enuoyeroitſes preſens à Oſman , pourucu deurs pro
que comnic Prince voiſin il luy rendiſt le reciproque. Cette offre les flechit entie- mettent le
preſent au
rement & les obligea à trauailler auec plus de chaleur à la paix ; pour concluſion de Sultan .
laquelle ils requirent ſeulement que ſuiuant l'ancienne couſtume les Ambaſſadeurs
apres auoir falüé Oſman luy demanderoient l'alliance par eſcrit. Dilauer auoit con
uoqué tous les autres Vizirs , le Threſorier general , le premier Cadis , & tout le Con
feil du grand Seigneur , au milieu deſquels il eſtoit aſſisauec tout l'apparat & les cere . Ceremonies
monies en tel cas accouſtumées: ily auoit auſſi fait venir le Chancelier des Tartares, du traité de
comme de leur coſtéles Deputez auoient amené Staniſlas Suliſczow , quidcuoit ſuiure paix ,
Oſman à Conſtantinople en qualité d'Ambaſſadeur ordinaire de Pologne. Toute
cette auguſte aſſemblée teſmoignoit vne grande ioye de la paix , les vns à cauſe de
leur aage incapable des fatigues ,les autres pour ne pouuoir ſouffrir l'air de Pologne ;
& tous enſemble à cauſe qu'ils apprehendoient le mauuais temps qui approchoir.
Dilauer parla aux Deputez en cette forte : Meßieurs les Polonnois , l'alliance cy -deuant
interrompuë entre la maiſon Othomane & les Roys de Pologne, eſt maintenant renoüée. Paroles du
Nous vous promettons que les conditions de cette paix ſeront inuiolablement gardées de Vizir auxAmg
baffadeurs.
noftre part, prenez garde de la voſtre à ne les pas enfraindre : nous vous menerons tout
maintenant à notre inuincible Sultan , qui vous receura comme Ambaſſadeurs de ſon amy:
Tome II . K
74 Hiſtoire des Turcs ,

1621. Puis ſe tournant vers le Chancelier du Cham , il luy dit. le t'ay fait venir icy, afin
que tu n'ignores pas les conditions de la paix , & que tu prononces au Cham des Tartares
Et au Chan . au nom du grand Seigneur Ofman , deuant la face duquel il n'eſt que poudre & l'eſcabeau
èclier des de ſes pieds, le rigoureux Edit fait par Sa Hauteffe , qui luy defend de plus commettre
Tartares.
aucun acte d'hoſtilité dans la Pologne , et que s'il attente quelque choſe au contraire , il
luy fera trancher la teſte .Le Chancelier qui l'eſcoutoit à deux genoux ,auant que de
Reſponſe du luy reſpondre baiſſa lateſte ; & puis demanda qu'il pleuſt à l'allemblée afligner pour
Chancelier. limites entre la Pologne & la Tartarie , le fleuue que leurs anciens ont nommé Sina
Woda . A quoy le Vizir repartit qu'ils ne traitoient pas làdes limites des Royaumes,
& que les Tarcares cuſſent à obeir aux commandemens de fon Maiſtre, & à ne point
parler des choſes qui ne regardoient point les affaires preſentes.
i Laconference finie Dilauer & tous les autres Vizirs & Baſſas ſe leuerent , prirent

Le Vizir & les des taſſes de Pourcelaine , firent leurs veux pour la conferuation de la paix , & beu
Amballadeurs rent de leurs breuuages ordinaires à la ſanté des Ambaſſadeurs. Apres cette ceremo

boiuent à la nie ils monterent à cheual pour aller attendre Dilauer qui les deuoit preſenter au
Santé les vos
des autres. grand Seigneur. Ses tentes paroiſſoient ſur vne haute colline, comme vn chaſteau
baſty pourleplaiſir pluſtoſt que pour la guerre : elles auoient pres de deux mille pas
.

d'enceinte, quatre grandes galeries, plusde cinquante chambres ,outre cela de grands
offices , & des eſcuries pour troiscenscheuaux .On diſoit qu'elles auoient couſte deux
Dcription cens mille eſcus. Les pointes des pavillons eſtoient pour la pluſparogarnies de põmes
des pauillons de puror , tous les cordages citoient de ſoye , & lesmurailles releuées de riche bro
du Sultan.
derie , coures les chambres de ſon appartement capiſſées de ſacin bleu brodé à la Per
ſienne , auec pluſieurs tapis par terre, dont celuy de deſſus cftoit de veloux richement

$ brodé. Auſſipouuoit-on dire que c'eſtoit là la plus grande magnificence de l’Empire


Turc , & Oſman ſelon la mode de ſes predeceſſeurs,y auoit fait apporter toutes ſes
pierreries & fix millions d'or. Le chemin entre les quartiers du Vizir & du Sultan
eſtoit ſi plein de Turcs qui venoient pour s'aſſeurer decette paix ineſperée, qu'à pei
nc les Amballadeurs trouuoient- ils par ou paſfer. Les Ianiſſaires marchoient deuant
pour fendre la preſc, les Capitaines de la porte les conduiſoient auec leurs maſſes
d'argent , & les Mofcisauec diuerfes forces de Moines Mahomecans, les Officiers de
guerre, les Courtiſans & les gens de Iuſtice ſuperbement veftus aliſtoient à cette
magnificence. Le grand Seigneur cſtoit en vn licu éleué aſſis ſur de riches oreillers,
il re.
Converse in m :vn jauelot,deux arcs & vn carquois ſur le dos, enuironné de boufons, d'Eunuques
balladeurs, & des miniſtres de ſes ſales plaiſirs, immobile decorps & de gelte , & ſans faire au
&
cun ſigne de bien -venuë. Le Vizir & toute la Cour ſe tenoient comme des eſclaues,
les yeux & la teſte baiſſez en terre , & les mains iointes. Apres que les Ambaſſadeurs
eurent eſté preſentez au baiſe robbe, & aueceux Suliſczow , Radulon ,Veuel ,& quel
ques autres de leur ſuite , le dernierdes Baſſas prit les lettres de Lubomirsky, des
mains de Sobieſc , & ſes collegues de main en main les baillerent au Vizir qui le
genoüil en terre les mit entre les oreillers du Sultan, & dicà Zorauinſc qu'il fit la ha
rangue en peu demots. Il parla en ces termes .

Serenißime & inuincible Empereur , ç'a touſiours eſté la veritable intention de noſtre

Le harangue Roy tres -clemente de toute la Republique de Pologne de conferuer l'amitié auec la ires
qu'ils luy fi- auguſle maiſon des Othomans, comme vous voyez qu'au milieu des armes de des fureurs
scat,
de la guerre il a inceſſamment pensé à la paix , & donné des Commiſſaires à ſon armée qui
puffent renouuehler l'alliance quand il vous plairoit. Ce bon - heur eftant donc arriué par la
prudente conduite de Dilauer voſtre Vizir , nous vous jurons qu'elle ſera exactemeni gar
dée de la part de noſtre Roy , & croyons qu'à l'exemple de vos ayeuls, dont vous imitez
la veriu , vous l'entretiendrez inuiolablement. En ſuite l'Ambaſſadeur luy preſenta
entr’autres choſes vn jauelot & quelques petits canons artiſtement trauaillez,
Les preſens adjouſtant ces paroles. Nous ſçauons que voſtre Majeſté plusabondante en richeſſes que
qu'ils luy of
Monarque du monde, n'a beſoin ny d'or, ny de pierreries ,ny de riches mexbles , außin'en
forsone pour ſommesnous pas fournus dans la guerre , où il ne lemanie que du fer ,mais ſeulement d'ar
mes dont nous nous ſernions pour defendre noſtre patrie : maintenant que nous n'en avons
plus befoin , nous vous les offrons comme à vn Prince amy & confederé de noſtre Roy, du tout
enſemble vous prions d'accepter nos fideles affections, afin que par la preſente alliance entre
l'Empire Othomand les Polonoois vous les puiſiez employer à la ruine de nos ennemis com
mans, a l'accroiſſement de vos victoires .
Cetre
Oſman I. Liure viiigtiéme . 75

Cette paix apportant vne refioüiſſance vniuerſelle par tout le cainp des Turcs, ils 1621.
la firent pareſtre la nuit ſuiuante par vne infinité de flambeaux qu'ils allumerent ſur la
pointe de leurs tentcs : de ſorte qu'à le regarder de deſſus les montagnes voiſines on
cuſt crű voir ſur la terre vne partie du Cieltoute brillante d’eſtoilles. A la veuë de dans les deux
ces triomphes les Polonnois & les Coſaques commencerent auffi à allumer de grands camps.
feux tout à l'entour de leurcamp , & à faire des ſalues continuelles . U reſtoit vn poinct
à decider qui eſtoit eres -difficile, pource qu'aux Turcs c'eſtoit vnpoinct d'honneur,
& aux Polonnois celuy dc leur ſalur. Le Vizir demandoit qu'ils deſlogcaſſent les pre
Le Vizir.de
miers de la Prouince où ils cſtoient entrez comme ennemis , & qu'ils repaſſaſſent mande que
la Tyre : cette propoſition leur ſembloir fort dangereuſe, car ils auoient peur que les Polonnois
delogent les
les Turcs voyant leur arméeſi delabrée & fi foible comme elle eſtoit; ne le tepen premiers,
tiſſent de leur auoir accordé la paix , & qu'ils necommiſſent facilement ync perfidic,
pourauoir le plaiſir de ſe venger de tant d'affronts qu'ils auoient receus en cette guer
re . C'eſt pourquoy ils apporterent toutes les excuſes dont ils ſe purent aduiſer pour
éuicer cét inconuenient ; Ils repreſenterent premierementque les chcuaux, les cha
riots & l'attirail qu'ils attendoient de Pologne n'arriuervient pas ſi coſt; Comme auſli
que c'eſtoit la couſtume, que les premiers venus en vn lieu en ſortiſſent les derniers;
outre cela , qu'il faudroit vn grand tenips pour paſſer vne ſi puiſſante armée & tant
de bagage , & que cependant les goujats & les viuandiers venant à ſe meller il pour
roit arriuer des rioresentr'eux , qui d'une petite bluete de feu allumeroient quelque Leſquels y ro
pugnent,
plus grand embrazement . Le Vizir reſpondoit à toutes leurs raiſons & leur en op
poſoit d'autres , à quoy ils taſchoient de repliquer : mais enfin ils euſlent eſté con
trains de ceder . Ce quc Lubomirsky preuoyant bien , donna ordre dés le commen
cement de la conference de faire porter vne partie destentes de l'autre coſté de la ri
ciere ; puis comme cela fut faitſuborna adretement vn homme qui vint dire en leur
preſence que l'armée des Polonnois repaſfoit la Tyre, & qu'il y en auoit deſia plus
de la moitié de decampée . Les Turcs le crûrent facilement quand ils virent leurs pa- d'vne
Se feruene
rule
uillons tendus ſur l'autre riue , mais en effet il n'y auoit perſonne deſſous que les ma pour le faire
lades ; c'eſtoit ſeulement pour leur faire croire l'armée beaucoup plus grande qu'elle croirc.
n'eſtoit pas.

Toutes choſes ainſiterminées, le Vizir mit és mains des Ambaſſadeurs les Articles
de paix , dont voicy la ſubſtance . 1. Staniſlas Suliſzow fivura ofman à Conftantinople Articles de
en qualité d Ambaffideur ,en attendant qu'on y en enuoye in Ordinaire. 2. řn Huiſſier la pais.
de la chambre du grand Seigneur ira en diligence vers le Roy Sigiſmond pour eſcorter
celuy qu'on y enuoyera , auec toute forte d'honneur. 3. Cét Ambaſſadeur ſera d'une desi
plus nobles & des plus conſiderables maiſons de l'ologne. 4. Il ſera accompagné a'vn
Secretaire du Roy , qui à la façon de ceux des autres Princes Chreſtiens demeurera à la Cour
d'oſman. 5. Les Polonnois defendront la nauigation ſur le Boriſthene aux Coſaques, c
Les chaftieront rigoureuſemeut s'ils font quelgne tort aux ſujets de sa Huntejfe. 6. Les
Tartares ne feront aucisnes courſes dans le Pologne ; á feroni chaffez par Oſman då paſſage
d'okzakott. 7. Ils recompenſeront les dommages qu'ils feront aux Polonnois, á le Cham,
fera puny par le Sultan ſon propre Seigneur.,8. Toutesfois l'Edit n'aura pas lieu à l'égard
des ſujets de l'un de l'autre Prince qui iront à la peſche, & à la chaffe. g . Quand
Les Tartares marcheront fous les Enſeignes des Turcs ſur les frontieres des pays appar
tenans à la Pologne, ils ne pourront faire leurs rauages an dedans. 10. L'un á lau
tre party enuoyeront leurs Commiſſaires gens capables ; pour regler les diferends tobom
chant les limites des deux Efats. I. Le Roy de Pologne donnera les appointemens accosa
fiumez au Cham des Tartares, & les lwy fera porter à laffos, ou le chamles enuoyera que
rir , á fera tenu à la façon de ſes ayeuls de porter les armes quand il y ſera appellé pour la
Republique de Pologne. 12. Il ne ſera mis dans la Moldauie que des Palatins Chreſtiens,
exempts d'auariče , amateurs de paix , e ſoigneux d'entretenir l'alliance entre les deux
Couronnes. 13. La fortereſſe de Chocin ſera miſe és mains du Palatin de Moldauie.14.Le
commerce & les paſſages ſeront libres entre les ſujets d'Oſman & de sigiſmond. 15. Les
emis á ennemis feront cenfez communs, 16. Les anciens Traitez ſeront entretenus , e
les nouueaux demeureront inuiolables. 17. Quiconque entreprendra de violer ancun de
ces Articles, ſera eſtimépariure , & chaſtié comme tel .
Le lendemain l'armée des Turcs commença à décamper & à reprendre le chemin
de Conſtantinople : lauant & l'arriere -garde tenoient quelque ordre , tout le reſte
Kij
e
Hiſtoir des Turcs ,
26

1621 . marchoir en confuſion parmy les mulets , les chameaux & les chariots , dont la plur
part eſtoient pleins de vieillards extenuez , & de ſoldats malades & eſtropiez.Dilauet

fit mettre le reſte des viures , des munitions, & de l'actirail de guerre donc ils auoienc
Tes Turcs quantité, dans le chaſteau de Chocin : Ec Oſman auec ſon Conſeil & toute la Cour
nenit , marchoic à petites ioutnées au milieu de l'armée. Celle de Pologne deſogea bien
toſt apres , en vn eſtat ſipitoyable qu'ellc eſtoic digne de la compallion des ennemis ,
& faiſoit auouer à tous ceux qui la voyoient repaſſer, que ſi elle euſt encore de
Eries Polon . meuré huic iours dans ce faſcheux poſte , la contagion & la famine l'cuſſent toute
nois apres . enterrée dans ſes retranchemens . Delia elle eſtoit preſque diminuée de la moitié,
done partie s'eſtoient debandée , partie auoit pery de maladie & de miſere , n'en ayant
pas eſté tué huit ou neuf cens tout au plus ; Choſemerueillcuſe , & quicelm nant
d'vn coſté la negligence puniſſable,ou la griueleric de leurs Threſoriers, teſmoignoic
de l'autre la vaillance incroyable de leurNobleſſe & de leurs troupes ; D'autant plus,
Perte des qu’on (ceur au vray qu'ils auoient tué dans les combats plus de ſoixante mille Turcs :
Turcs & des leſquels outre cela cant par les incommoditez de l'Automne, que par les fatigues
Polonnois .
d'un long chemin , renduſi mauuais par les neiges & les pluyes continuelles, qu'ils ne
s'en pouuoienc arracher , en perdirent deux fois autant dans leur retour ; de ſorte qu'il
en demeura plus des deux tiers dans ce penible voyage . Auſſine leur a- il iamais pris
enuic d'y retourner ; Et ceux qui auoient promis la conqueſte de la Chreſtienté à Or
man reconnurent à leur dommage , qu'il ne la falloit pas commencer par cecoſté-là .
Telle fut la fin de cette expedition , qu'on peut appeller vne des plus grandes de ce
/ fiecle , non pas à compter le temps qu'elledura , mais les ſanglans exploits qui s'y fi
rent : par leſquels ſi on la veut meſurer, on croira qu'elle a esté de pluſieurs années,
quoy qu'elle n'ait eſté que de peu de iours .

1622 . Oſman eſtant de retour dans Conſtantinople , aucuglé de ſa mauuaiſe fortune


ſe mit à former vn deffein qui penſa renuerſer ſon Empire & le precipita luy -meſme
dans le dernier mal-heur. Comme il eſtoic vain & extremement orgueilleux , il ne

pouuoit diſſimuler le ſouuenir des mutineries des Ianiſſaires, qui luy auoienc em
Oſman veue perché les progrez qu'il pretendoit faire en Pologne: tellementqu'il pric reſolucion
abandonner de les exterminer & de former vne nouuelle milice d’Arabes , dont il pûrt diſpoſer
Conſtantino .
à ſa volonté . Pour y paruenir le grand Vizir Dilauer luy perfuada qu'il falloit aban
ple .
donner Conſtantinople où les Ianiſſaires parloient plus haut que lụy, & tranſporcer la
demeure à Damas ou au grand Caire, où lerefpe & de ſes ſujets ſeruiroic à tenir en
bride la licence des ſoldats; & qu'il falloit couurir ce deſſein du ſpecieux pretexte
Sous preter- d'aller à la Meque rendre ſes veux dans lc Temple où eſt le tombeau de leur Pro

d'aller à la phere Mahomet. Le bruit de ce faſcheux voyage, au trauers de tant de deſerts où


il eſtoit impoſſible de paſſer auectant degens ſans grand danger de les faire mourir
defaim & de ſoif , alarma extremement les laniſfaires & les Spachis, & donna bien à
penſer aux Politiques : mais bien - tolt apres ces derniers découurirent ſon intention,
lors qu'ils virent qu'on cicoic l'or & l'argent deschreſors ,qu'on le portoit dans qua
fait charger tre galeres qui eſtoient exprés au porc , & qu'il ſe faiſiſſoit detoutes les pierreries du
tous les ehre- Serrail. Il cultncantmoinspû encore couurir cela du pretexte de faire des preſens au

tre galeres.* Temple de ſon Prophete & , de payer ſes gens degucrre , fipar vne excreme & vi
laine auarice il ne fuſt deſcendu au combeau de ſon pere pour luy oſter le Tulban
Imperial , les diamans & autres richeſſes qui l'entouroient, & s'il n'euſt auſſi pris le
carcan d'vn fien fils qui luy eſtoit mort depuis peu de iours . Alors les gens de guerre
s'eſmeuuene , s'aſſemblene dix ou douze mille & vont trouuer les Miniſtres de la
Loy & de l'Eſtat, pour les prier de luy vouloir faire remonſtrance ſur cette entre
Serend ſourd priſe. Ils y vont donc dés le iour meline ; & le Cadileſquer portant la parole pour
jour meſic
20x remos
trances, tous, luy remonftre les inconueniens de ce voyage , dont le moindre eſtoit la ruine
de Conſtantinople: mais il ne remporta que des iniures, luy & ceux qui l'aſſiſtoient,
82 Oſman commanda en leur preſence que toutes choſes fuſſent preſtes dans la fin
du preſent mois de May .
Cependant pournepas laiſſer Conſtantinople en proye aux Piracesde Ruſic & aux
Donne ordre Colaques,ilficrenforcer les gardes dans les auenuës desmers blanche & noire, & don
à la conferua .
cion, de la na ordre à vingt galeres de cenir la mer mediterranée contre les Eſpagnols, les Che
Wilsc. ualiers de Malthe & les Italiens.Toutes choſes ainſi diſpoſées, il ne luy reſtoit plus ſui

banc le conſeil du Vizir,qu'à faire mourir ſes deux freres,dontlaiſnén’auoitque creize


2ns :
Oſman 1. Liure vingtiéme. 77

ans : car il deuoit enimener ſon oncle Muſtapha, afin d'oſter à lamilice qui reſte- 16 22.
roit les moyens d'eNire vn chef & de troubler l'Empire durant ſon abſence . Les Ca
dileſquers preuoyant le inal - heur qui pouuoit arriuer de ce deffein , luy enuoyerent
Propoſe de
vne ſeconde remonſtrance par eſcrit beaucoup plus vehemente que la premiere , & fairemourir
mellée de menaces dont ileult dû apprehender l'effer ;s'il euſt eu quelque reſte de bon les deux frè.
res .
ſens : mais il la mépriſa auſſi bien que la premiere. Pour troiſiéme relfort ils luy pre
ſenterent encor vn Ferfa , ou vn poine de conſcience que le Mufty conſulté ſur ſon
voyage leur auoit donné , quidifoit , Qu'vn Sultan ne pouuoit aller à la Meque ſans
mettre en hazard ſon Empire , & contreuenirà la Loy de Mahomet; il le prit de furie;le
deſchira & le foula aux pieds,proteſtant querien au mõdene l'en pourroit deſtourner . Perſiſte en los
depart,
Durant ces allées & venues les laniſſaires & Spachis s'aſſemblant en plus grand
nombre , apres auoir reconnu que les remonſtrancos y eſtoient inutiles , ſe reſolurent
d'y mettre le fer. Leur premiere reſolution n'eſtoit que d'auoir la tefte du Vizir & au
tres quiauoient conſeillé ce voyage , & peut-eſtre qu'on les euſtencore pû appaiſer Mutinetie des
auec de l'argent :mais ce qui les irrita dauantage ce futque quelques vns d'entr'eux lanifaires ,
furprirent vn homme qui s'alloit embarquer dans vne galere aucc vne lettre au Balla
du Caire, dont la ſubſtance eſtoit telle : le t'aduiſe que pour beaucoup de comfidera
tions nous auons reſolu de changer le fiege de noſtre Empire de cette ville de Conſtantinople
où il n'eſt nullement aſſeuré d- le tranſporter en la ville du Caire,& pour ce faire auons trouué Qui ſurpren
nent inflet.
bon de porter auec nous noftre threſor , & le plus que nous pourrons de celuy de noftrepere. tre .
c'eſt pourquoy nous t'en donnons aduis, à ce quela preſente receuë tu viennes ax deuant de
nous par terre & par mer , auec nos galeres , foldats , & efilaues de ce quartier là .
Quelques- uns crûrent que cette lettre eſtoit ſuppoſée par ceux qui vouloient al
lumer la ſedition :mais il y a plus d'apparence qu'ellc cſtoit veritable ,& l'on dit que
ce furent le Kiſlar Aga chef desEunuques, le Selictar Aga ſon porte eſpée; & le Capy
Aga ſon grand Chambellan , qui donnercnt aduis aux laniffaires de cette lettre.Cat Dór ilsauoitit
ayant eſte fiimprudent de la communiquer à ces Officiers dont la perte eſtoie nccef- eu advis.
fairement enueloppée dans ce changement, apres qu'ils eurent en vain apporté tou
tes les raiſons & les prieres imaginables pour l'en diſſuader, le Seli & tar en aduercit les
Bouſtangis : ceux-là l'allerent dirc aux Agas des Ianiſſaires , aux Spachis & aux Cadis,
leſquels à l'inſtant la publierent par la ville , & firent crier par tous les quartiers ,
que le grand Seigneur s'en alloit , qu'il les laiſſoit à la mercy des Giaours infidelles
Chreſtiens; Qu'il falloit courir apres & l'arreſter. A ces cris il s'eleue vne tempeſte
vniuerſelle & furieuſe ,on n'entend par tout que ces cris allons, courons ,il le faut
arreſter. En moins de deux heures il ſe trouua douze ou quinze mille hommes en ar
mes dans la place , qui apres auoir tumultuairement deliberé de ce qu'ils deuoient
faire, conclurent tous d'vne voix qu'il falloit deſchirer en pieces les autheurs de

ce depart. Ils allerent donc ſur le champ aux maiſons du Precepteur d'Oſman & Metient par
du grand Vizir, pour executer ſur eux cette cruelle ſentence ; Et comme les perſon- force le Muf R
nes s'eſtoient ſauuées,leur rage s'attacha ſur les meubles, dont ils pillerent les plus ty au Serrail .
precieux , & mirent les autres en pieces ; Delà ilsfurentchez le Mufcy, qu'ils trail
nerent par force à la porte du Şerrail pour demander à Oſman la teſte des autheurs

de ſon voyage. A cette rumeur Oſman fit venir les Vizirs dans le Scrrail ' , & enuoya
demander à ces mutins le ſujet de leur emotion par vn Bouſtangy ,mais il reccut
pour reſponſe mille coups de cimeterre. Oſman voulut luy -meline leur parler à
trauers la jalouſie d'une chambre qui regardoit ſur la place, mais ſi coſt qu'il com
mençoit ils éleuoient de ſi grandes huées qu'il ne pût iamais ſe faire entendre . Il Oſman ado taſche
de les u.
s'aduiſa donc de leur ietter yn billet eſcrit de ſa main , les aſſeurant qu'il ne partiroit .
cir
point :mais le papier eſtoit trop foible pour arreſter vn torrent ſi furieuſement de
bordé : ils luy reſpondirent fans reſpect qu'il euſt à leur mettre entre les mains lo
grand Vizir, le Killar Aga , fon Preceptcur & le Teftarda.
La nuit ſuruenuë & le mauuais temps qui auoit continué tout leiour, firent retirer
lesmutinsiuſqu'au lendemain ,qu'ils retournerent plus animez qu'auparauant. Alors
Oſman qui iuſques -là n'auoic point redouté les euenemens dece tumulte , le figuranc
par ce qu'il auoit veu ce qui pouuoit arriuer , crût qu'il eſtoit temps de leur donner
quelque ſatisfa& tion.lloſta donc la charge de grād Vizir à Dilauer, & la dóna à Vfian: Depoſſede
ce Vizir reueſtu de la robbe de drap d'ormarque de ſa nouuclle dignité , fic venir chez Dilauer & fait
luy tous les chefs de la ſedition , les careſſa en particulier les barangua en general , & Vaan Vizit,
K iij
78 Hiſtoire des Turcs ,

162 2. icur promit telle ſatisfaction qu'ils pouuoient ſouhaiter. Il n'eſtoit pluśtemps;toutes
ces belles promeſſes ne ſe pouuoient ſeeller que du fang des Officiers à qui ils en vou
loient ; Sibien que ce nouueau Vizir fut contraint de leur promettre qu'illes deman
deroit au grand Seigneur.Maisil n'en eut pas le loiſir ,les autres laniſfaires enfoncerēc
Les Taniſlaites les portes du Serrail ,paſſerent aux chambres , & entrerét dans les plus ſecrets cabinets
enfoncent le du Prince , afin d'auoir le Vizir Dilauer . Comme ils l'eurent trouué luy & le Killar
pent la tefte Aga deſa demymores de frayeur ,ils ſeiecterenc deſſus & leur couperent la teſte : d'au

aux pluss,grādstres cependant s'eſtant épars par le Serrail cherchoient la priſon de Muſtapha pour
Officier
luy redonner le Tulban Imperial, qu’on luy auoit ofté depuis quelques années;Ēt ne
pouuanten auoit la clef aſſez toſt ils rompirent le coià pour y entrer , & le cirerent par
en haut auec des cordes . Elle eſtoit faite en forme de cour ou pecit dome couuert de
plomb qui ne receuoit de la lumiere que par vn trou ; ce qui a donné lieu à quelques
ýns de croire qu'ils le trouuerent enfermé dans vn puits. Cc Prince voyant canc de rol
dats en furic , crût auec apparencequ'on l'enleuoit de là pour le faire mourir : de force
Tirent Mu . qu'eſtant auſli ſaiſi de frayeur qu'affebly de faim , n'ayant point mangé depuis trois
Comme il fut
Itapha de fa iours que duroit la ſedition , il comba paſmé entre les bras des ſoldats.
priſon . reuenu de ſa defaillance ils luy preſenterent vn verre de cherber pour luy fortifier le
cæur : mais s'imaginant qu'on le vouloit empoiſonner, comme on l'auoit deſia tence
par deux fois, il le refuſa , leurdemandant d'vn ton de voix languiſſante & pitoyable ,
s'ils n'eſtoient pas concens de luy auoir oſté l’Empire, ſans attenter encore à la vie
d'vn pauure Deruis , dont la ſolitude eſtoit vne cres - citroite priſon . Ils eurent beau
l'aſſeurer qu'ils eſtoient là pour luy remettre la Couronne ſur la teſte , ils ne purenc
l'obliger à prendre ce breuuage : il proteſtoit touſiours qu'il renonçoit tres -volontiers
à la fouueraineté; & quelque ſerment qu'ils luy ſccuſfent faire , il ne voulue boire
que de l'eau . Enfin apres luy auoir baiſé les pieds, & s'eſtremis le ventre à cerre de
uant luy pour le raſſeurer & luy faire voir que c'eſtoit tour de bon qu'ils le choiſif
l
ſoient pour leur Souucrain, ils lemirent ſur leurs eſpaules & le promenerent par touc
Le procla. '
ment Empe le Serrail , criant voicy Muſtapha noſtre Sultan , & touce la foule reſpondoit , qu'il vive
ICUS, à iamais. Ceslongs cris d'allegreſſe perçant le cæur d'Oſman de viues pointes de ja
. louſie & de frayeur , il reconnuç mais trop tard qu'il auoit trop mépriſé cette eſmeu
te , & que pour vouloir conſeruer ceux quiluy auoient dõné ce confeil hors de ſaiſon ,
il s'eſtoit mis luy meſme dans vn extremedanger : tellement que la nuit ſuiuante il
aſſembla les principaux de ſon conſeil pour aduiſer aux moyens d'appaiſer les ſedi
tieux , à quelque prix que ce fuſt . Ily fut donc reſolu que le Vizir Vlian & l’Aga leur
iroient dire que Sa Hauteſſe deceſtoit infiniment les autheurs de ſon éloignement,
qu'elle eſtoit toutepreſte de les leur remettre entre les mains pour en faire telle pu
nition qu'il leur plairoit, & qu'elle donneroit à chaque laniſfaire ſoixante ſequins
pieces ceux argent contant, auec vne veſte & deux afpres de rehauſſe à chaque montre.Il fur
quileur of arreſté de plus dans ce conſeil, qu'il falloit le relaiſir de la perſonne de Muſtapha &
frent de l'ar- le faire mourir :mais les Ianiſſaires en ayant eu quelque aduis,amenerent ce nouucau
gene,
Sulcan dans leur quarcier, qui eſt comme vn grand Conuent au milieu de Conſtan
tinople ; & comme Vlian & T'Aga voulurent s'aduancer vers eux pour les haranguer,
ils les deſchirerent en mille morceaux.

Si Muſtapha auoit penſé mourir de peur quand on l'enleua de la priſon , il s'en


fallut encore moins qu'il ne mouruſt de ioye quand il fe vid cffe& iuement éleué
dans le chrône : il tomba lors dans vn ſi long euanouiſſementqu'on le crût mort , &
l'on cut beaucoup plus de peine à le faire reuenir cette fois là que l'autre. La pre
mière choſe qu'il declara à ſes ſujets ce fut vn væu qu'il auoit fait de donner la
liberté à tous les priſonniers de Pera & de Conſtantinople , ce qui fut preſque
auſſi- coſt exccuté que prononcé. En ſuite les Crieurs publics furent enuoyez par
les carrefours des ručcrier viue Muſtapha Sultan des Turcs , tenant en lcurs mains
vn long manifeſte des cauſes de la depoſition d'Oſman , qu'ils liſoient par tous
Manifeſte de
la depoſition les quartiers : où ils luy reprochoient qu'il eſtoit Giaour , qu'il voulbic ruiner les
d'Olman , forces de l'Empire , & qu'il auoit refolu de laiſfer Conſtantinople crrcre les mains
des Chreſtiens, & tout ce dont ils s'eſtoient aduiſé de plus odieux , pour le rendre
moins digne de compaſſion , & empeſcher le peuple de s'eſmouuoir en la faueur.
Au meſme temps les mutinsplus elchauffez par le maſſacre deces deux principaux
Officiers, ils courentau logis du dernier , où le loir auparauant Olman s'eſtoit retiré
déguiſé
Oſman I. Liure vingtiéme
. 79

déguiſé en ſimple Spachis , aucc vne cuiraſſebläche,& ſans aucun reſpect de la Majeſté 1622.
fouueraine , fe ſaiſirentoutrageuſement de la perſonne ,puis enuoyerent demander à
Muſtapha s'ils lemeneroient luy baiſer les mains. A quoy Muſtapha ayant reſpondu;
ſoit par vne cendreſſe de cæur ou autrement qu'il ne le vouloit point voir , & qu'ilsen

diſpoſaſſent comme bon leur ſembleroit, ce mal-heureuxPrince demeura expoſé aux en lamaiſon
opprobres , & aux outrages de cette multitude inſolente. Que ceux à qui l'orgueil de de l'Aga,
la ſouueraineté fait mépriſer & fouler aux pieds le reſte des hommes comme de la
boüe , iettent vn peu les yeux fur
ce piteux ſpectaclc ; ils verrontque tous les outrages
qu'ils font ils les peuuent ſouffrir, & que cette grandeur qui ſe croit au deſſus de
toutes choſes , ne dépend pas ſeulement des caprices du ſort, mais auſſi de ceux de
leurs peuples plus legers encore que la fortune . Ce pauure Prince eſtoit monté fur

vne haridelle, n'ayant ſur la teſte qu'vne meſchante calote , & au dos la cuiraſſe auec & conduit
laquelle il s'eſtoit voulu déguiſer : au lieu de gardes, il ſe voyoit enuironné d'vne foule ignominicu:
d'enragez à quila fureur, & l'inſolence eſtinceloient dans les yeux & ſur le viſage : au le camp are
lieu d'acclamations de ioye,iln'entendoit que desiniures, & des huées effroyables, & la milice.
pour les pieces d'honneur qu'on auoit accouſtumé de porter deuant luy,ils portoient
au bout de leurs lances des pieces ſanglantes de ſes Officiers qu'ils auoient demem
brez : les vns la teſte de Dilauer , les autres le bras , quelques -vns vne cuiſſe , d'autres
le nez & les oreilles de l'Aga , dont leſang degoucoit encore.En ce piteux equipage ils
le traduiſirent par les ruës, & lemenerētau camp de la milice , où ils luy firent tous les
outrages que peuuent faire des barbares tranſportez d'une violcnte phrencſie ,ilsgrip
çoientles dents contre luy , l'appelloier traiſtre & voleurde thrcſors luy paſfoient des
braſſes de meſches deuát le nez,luy diſant qu'il mericoic d'eſtre eſtranglé.Ses larmes& )

ſes ſanglots n'eſmouuoientperſonné, compaſſion ,tout le monde frappoit du pied &


crachoit en le voyant paſſer, qui ſont des ſignes d'execration parmyles Turcs : tout le
monde lehuoit, & ſi quelqu'vn fut touché de ſon mal- heur , il n'oſa le faire pareſtre,de
peur d'eſtte aſſomméparcesmutins.Apres touscesopprobres,pour combler ſa honte >
de la derniere des infamics, ils le mirée dans vn chariot auec le maiſtre bourreau qu'ils
nomment Sourbachy , pour le traiſner priſonnier dans le chaſteau des ſept cours.
Il n'y eut pas eſté vne heure , c'eſtoit le 20.de May , qu'il vid arriuer Daout Baſſa crée
nouueau Vizir par Muſtapha dont il eſtoit beau.frere, lequel apres luyauoir fait com- most
Arteft, de la
pliment pour s'excuſer de la faſcheuſe commiſſion que le grand Seigneur luy auoic
donnée, luy dit qu'à ſon grand regret il eſtoit là pourluy prononcer l'arreſt de la mort.
Tant de déplaiſirs & d'outrages , n'auoient point encore rendu la vie ennuyeuſe à ce
icune Princc : cette nouuelle le troublantiuſqu'au fonds de l'ameil s'eſcria, Quoy l'ar
reft de mamort, hé qu'ay- ie fait! ne ſçauez vous pas mon innocence, s'il y a du crime a vouloir
faire ce voyage,n'en auez vous pas punyles autheurs ; le defiftement que j'en ay dunné par
eſcrit & la promeſſe que je vous ay reiterée, nemeritent-elles pasle pardon que i'en demande ?
Pourquoy donc me faire ainſi miſerablementmonrir : Il s'efforçoit par ces diſcours & au
tres ſemblables de ſe iuſtifier ,mais le Vizir luy coupa court en deux mots qu'il falloit
qu'il mouruſt: il demanda dôc pour derniere grace qu'on luy permit de faire la priere :
ce qu'ayant obtenu illa fit fort ardente auec des larmes & des ſoufpirs , puis ſe leuane
d'a ion il demanda ſi quelqu'vn luy voudroit point donner vn poignard pour diſpu
ter ſa vie.Diſant cela il vid des eſclaues qui venoient ſeiecter ſur luy: Il alla de furie au
deuant d'eux , en renuerſa trois par terre à grands coups de poing , & les eſcarta prel
que tous : mais vn d'eux prenantrieux ſon temps , luy ietta vnecorde de ſoye au col
que les autres ayderentà ſerrer. La vigucur de la icuneſſe , & l'impetuoſité des eſprits
quiluyfaiſoient bouillir le ſang dans les veines le demenoiēt ſifurieuſement des pieds
& des mains , qu'ils n'en pouuoient veniràbout; ſi bien qu'vn des bourreaux fut con
trainc de luy donner vn coup de hache ſur l'eſpaule & vn autre ſur le chinon du col
1 pour l'eſtourdir. Apres il fut bien aiſé aux autres de l'acheuer ; Et Daout quiauoit or
dre de le faire mourir en la preſence luy fitcouper yne oreille qu'il porta à Muſtapha ,
pour luy teſmoigner comme il s'eſtoit fidellement acquitté de la commiſſion. Ainsi Eft eftratigle.

finit par la corde & par le fer, le mal-heureux Oſman à l'aage de dix -neuf ans ; digne
veritablement de compaſſion pour vne morc fitragique & li pitoyable ,mais non pas
d'aucune louange , pource quel'éclat de la beauté majeſtucuſe de ſon viſage, & de lon
humcur belliqueuſe qui en euſt pû meriter quelqu'vne , eſtoit terny par vne opinia
ſtreté brutale & par vne infame auarice ; Deux vices qui produiſant neceſſairement la
cruauté dans l'ame où ils dominent , faiſoient apprehender qu'il ne fuſt encore plus
inhumain que n'auoicnt eſté ſes predeceſſeurs,
80 Hiſtoire des Turcs ,

MVSTAPHA I. D V NOM ,

VINGTIEME EMPERE VR

DES TV RCS.

Voyez dans ma perſonne un joüet ridicule

Des caprices du fort!

Il me traduit deux fois du Thrône à la cellule,

Erme priue du jour fans me donner la mori,

>
Muſtapha I. Liure vingt -vniéme 81
.

babah స code

U QUOCUNGQUQO ges
agente es

LIVRE VINGT - VNIEME .

TABLE DES CHAPITRES.

Oſman enterré ſans aucune pompe ,son fonge. Sultane mere de Muſtapha gouuerne auec Daous

grand vizir qui veut faire mourir les freres d'Oſman , eſt contraint pour cela de Se ſauuer de
Conſtantinople. Mehemet Gurguin fairgrand Vizir. Reuolce de pluſieurs Gouuerneurs. Daous
fait priſonnier , eft decapité. Chapitre 1 .
Vn Bey enuogé vers l'Empereur traite la paix . La reſponſe que luyfitl'Empereur. Rebellion d'A
baza dansi Aſie, qui veut venger la mortd'ofman .Aſſemblée a reſolution des I amiffaires
Spahis de Conſtantinople. La mere dº Amurach seſert de cette occaſion pour deihrôner Muſta
pha . Chapitre II.
Extrauagances de Muſtapha. Amurach proclaméEmpereur. Sa circonciſion. Tumulte desianiſſai
respourle taraquin. Ambaſſadeurs Polonnoss, Tartares dans la Podolie. Berlin Gabor obijent
ſecours des Turcs, qui au recourde la Hongrie fone deffairs. Chap.III .
Ambaſſadeurs Turcs en Allemagne & Pologne. Reuoltede la villedeBagader.Et du Baſſá Aban
za. Sesbrauades. Belle occaſion pour les Chreſtiens. Courſes desCofaques. Le Rugde Perſe en
tre ſurles terres du Turc auec quatre armées. Reuoltedu BaſſaduCaire. Irruption des Tarta
resen Pologne. Deſcence des Coſaques ſur la mer noire. Les Tures veulent maſſacrer les Chres
ftiens à Conſtantinople. L'Empereur fait la paix auec Betlin. Alliance des Hollandois auec Tu
niso Alger. Corſaires Turcs la violent. Chap.Iy.
Exploits des Cheualiers de Malthe qui prennent ſaincte Maure . Suitte des affaires de Betlin.Cour

ſes des Cofaques, qui ſont reprimez , Memorable combat des galeres de Toſcane contre lefa
meux Pirate Aſan Calafat,qui eſt vaincu do pris.Traité de paix entre l'Empereur Q le Grand
Seigneur. Et de Berlin auec l'Empereur. Chap . V
Legrand vizir aßiege Bagadet auec vingt mille hommes . Elle n'eſt pas l'ancienne Babylone.Sa
deſcription. Parricularitez du ſiege. Comment le Roy de Perſe le fie leuer. Le Vizir deſtirué.
Abaza aßiegédans Erxeron, maisle ſiege leue. Aurres exploits entre les Turcs & les Perſans,
Lampe miraculeuſe. Le Grand Seigneur perd le Royaume dy emen.Exploits des Malihois ſur
planter la doctrine de Caluin dans l'Egliſe Grecque . Abaza
mer.Hiſtoire de Cyrillequi veut
ſe remet dans l'obeiſſance
. Affaires des Tartares. Embrazement à Conſtantinople.
Chapitre VI .
Alliance de France renouuellée auec les Rois de Tunis & d'Alger, Combatsſur mer. Mors de Cha
Abbas Rog de Perſe, Son Eloge & qualitez . Secours aux Veniciens contre l'Eſpagnol. Deux
brigues à la Cour. La premiere enuoye le grand Vizir aßreger Bagader. Ses depurremens com
progrez. Polonnois & Suedois recherchent les Turcs à l'enuy. Coſaques, leur braue combar dans
la mer noire. Tartares dans la Rußie, deffaitspar les Polonnois.Mort de Berlin Gabor.Sa fem
me inueſtie dela Principauté. Exploirs du grand vizir en Perſe. Brouilleries à la perre qui font
preſque depoſſederle Grand Seigneur. Bagadetaßiegé par legrand Vizir. Leſiegeleué. Paix
entre les polonnois & les Turcs. Affaires pour la ſucceßion de Berlin Gabor entre ſa vefue,
Ijiuan, & fiagorsky. Courſes des Malchois, & des Cofaques. Prodiges. Exploirsdu Roy de
Perſe. Le Turc rappelle fon armée. Chap.VII .
Cauſe des mutineries entre les Spahis gam Ianiſſaires. Quels eſtoient les Spahis. Guerre en Perſe.
Paix auec le Perſan, eſt rompue par l'inſtance du Mogor. Affaires deHongrie goude Tranſil
uanie où Ragorsky demeure ſouuerain, eſt ſuſpect aux Turcs & à l'Empereur. Dileinsda
Grand Seigneur contre Facardine la Pologne. Chap. VIII .
le
Hiſtoire de Facardin , qui apres diuerſes aduantures eſt mené à Conftantinop , & fais mourir
auecſesenfans. Son Eloge , o ſesmceurs. Chap . IX.
Guerre entre les Polonnois leMoſcouite : celuy.cy implore l'aßiſtance du Turc . Abaza chef
Tome II . L.
82 Hiſtoire des Turcs ,

des Turcs deffait par Koniecpolsky . Diuers accidens à Conſtantinople. Embrazement. Guerre
declarée aux Polonnois , le Roy Vladiſlas s'accommode auec les Moſcouites. Et le Turc renov
uelle la paix auecluy.Cauſe de la diſgrace de Marcheuille Ambasſadeur de France.Cefyreprend
ſa place. Le Perſan aßiege V an . Chap.x.
Exploitsfurmer , du Captan, des Coſaques, des Malthois , furieux combat. Grands preparatifs
! font peur à Malthe,ſe tournent vers la Perſe , où le Grand Seigneur va en perſonne ,emporte
Revan par trahiſon du Gouuerneur , qu'il fait ſonfauorg . Fait eſtrangler
ſes deux freres ácon
ſtantinople, eſt atteintde la goutte , fa bizarre & cruellehumeur. Chap.XI.
Le Turc confirme la paix auec les Polonuois. Guerre en Tranſilugnie , où Ragotsky demeure le
maiſtre, & Iftuan eſt chapé. Le Perſan aßiege Reuand le prend. Le grand Vizir n'y peut
faire auancerl'armée mutinée. Eft deſtitué, ſon ſucceſſeur la va commander.Traite lapaix. Le
Grand Seigneur donne la paix à Ragotsky. Remuëmens des petits Tartares. Le Grand Seignenr
dißimule l'iniure faitepar le Cham à ses officiers.Guerre de ce Cham contre les Tartares qui
eſtoient allez habiter les plainesde Budziac , conduits par le Prince Cantemir, Le Grand Seia
gneur prend le party de Cantemir. Puis le mande , ca le faitmourir. Chap.XII.

Guerre d'Azac,Coſaques ſubiuguez,par les Polonnois quittent leur pays, vont prendre Azace
comment. Les armées duGrand Seigneur n'y auancent rien à les attaquer &feretirent. Lupulo
l'année ſuiuante induic les Coſaques à quitter cette place. Peſte à Conſtantinople fait mourir le
fils du Grand Seigneur. Iufte chaſtiment d'vn coquin ambitieux . Sage precaution du Vizir
Mechmet. Chap.XIII.
Guerre en Valaquie. Courſes en Hongrie. Combat des Malthois & des pirates de Tunis. Capello
General des Venitiens, enferme à la Vallonne , coule à fonds& prend lesgaleres des pirates.
Le Grand Seigneur en eft indigné, lesVenitiens l'appaiſent auec de l'argent. Ilaßiege Bez
gadet en perſonne, particularitez de ſon voyage & dufrege.Ilſe retire à Conftantinople. Paix
entre luy on le Perſan. Chap. XIV .

Guerre en V alaquie , parl'ambition de Lupulo , & l'auarice du Caymacan. Lupulo deffait, le


Caymacan faic eſtrangler par le Grand Seigneur. Quels eſtoient les deux fauoris du Grand
Seigneur. Il tombe malade d'vne débauche
faite auec eux , er en meurt. Ibrahim fon frere pro
clamé Empereur , contre ſon attente . Chap. XV .

LA
83
Muſtapha I. Liure vingt- vniéme .
16 12 .
A mutinerie des Ianiſfaires ne finit pas auec la vie d'Oſman : I.
mais s'eſtant eſchauffée par yn ſi cruel parricide vouloit faire
vn maſſacre general des Chreſtiens & des Iuifs, de ſorte que
les vns & les autres furent contrains de demeurer enfermez
dans leurs maiſons ſept ou huit iours durant . Meſme les
Ambaſſadeurs de France , de Pologne & de Veniſe , comme

ceux qui auoient le plus dequoy piller, euſſent couru grand


riſque , ſi les Baſſas n'y cuſlentpromptement pourucu en ap,
paiſant la fureur des mutins par le donatif qu'on a accouſtumé
de faire à tous les changemens de Sultan . Le lendemain le corps d'Oſman fuc porté Orman en:
au Serrail , ſoit pour eſtre monſtré à Muſtapha,ſoit pour le lauer & luy rendre les cere. terré ſans au
cune pompe.
monies ordinaires : ce quiſe fit ſans pompe , mais auec beaucoup de larmes de cous
les Miniſtres de la Iuſtice & du peuple , qui plaignoient ſon innocence & auoient
pitié de ſa ieuneſſe. Les Vizirs aſſiſterenc à l'enterrement ſans aucun deuil , de peur
d'irriter les laniſlaires, & virent poſer le corps dans le ſepulchre d'Achmet ſon pere
aupres de celuy de ſon fils. Cela fait Muſtapha pour ſe mettre en ſeureté de ſa per
ſonne changea tous les officiers du Serrail , fit reſſerrer ſes deux neueux freres d'or.
Muſtapha
man , l'vn aage de treize ans , l'autre de huit; & pour ne pas troubler l'Eſtat, con - change les
officiors,
firma tous les Gouuerneurs des Prouinces . Puis par le conſeil de fa mere , il donna or
dre de diſtribuer des viures au peuple qui ſouffroit grande famine, ce qui ofta bien
toſt le regret qu'on auoic d'Oſman , & fit conccuoir de grandes eſperances de ce nou.
ucau gouuernement.
Aucommencemont decette année à huit heuresdu matin il auoit eſté veutrois So
leils au Ciel qui ſembloient preſager le deſordre qui arriua dans cér Empire, où Diuers prome
en moins d'vn an on vid trois Empereurs ſur le thrône :mais le ſonge qu'Oſman fic diges.
vn mois auant qu'il combaſt dans ce mal-heur , & l'explication que Muſtapha meſme
luy en auoit dõnce luy deuoient ſeruir d'aduertiſſement pour éuiter le coup dont les
autres pronoſtics le menaçoient . Ilſongea qu'il faiſoit le voyage de la Mequemonté
fur vn grand chameau , & que comme ileſtoic en chemin ce chameau ſe defrobant Songe d'or
tout à coup d'entre ſes jambes, s’en vola au Ciel , & ne luy laiſſa que la bride dansles man.
mains . Son Precepteur luy dit que ce ſonge eſtoit myſterieux, mais il n'oſa pas luy
en donner l'interpretation , & luy conſeilla de l'aller demander à ſon oncle Muſta
pha : qui eſtant, luy diſoit -il, dans vne perpetuelle contemplation auec les Anges,
la pourroit auoir appriſe par reuelation de Dieu . Muſtapha luy fit reſponſe que ce qui luy cft
grand chameau qu'il auoit veu en ſonge , cſtoit ſon Empire qui iuſques- là luy auoit expliqué par
Muftapha .
eſté ſujet & obeïſſant: & que comme cette monture s'eſtoit eſchappée de deſſous
luy, auſſi ſon Empire ſerebelleroit contre luy & s'eſchapperoit de ſes mains, de ſorte
que de ſon viuant il ſeroit eſtably vn autre Sultan en la place. Si cette prediction
n'auoit point eſté ſceuë & diuulguće auant ſa mort , on auroit ſujet de lamettre au
rang des fables, dont il y en a quantité de cette nature : mais il eſt conſtant qu'elle
auoit couru dans la bouche de tout le monde , auant qu'il y euft aucune apparence

d'eſmeute ; & peụt-eſtre qu'elle y incita la milice , car les hommes ont accouſtume
de ſe porter facilement à ce qu'ils croyent ne pouuoir éuiter , & ces predictions
ſont bien ſouuent les cauſes des euenemens .

Dés l'heure que Muſtapha auoit eſté tiré de priſon, la Sultane ſa mere qui dcſia vne Sultane mete
de Muſtapha
autrefois l'auoit par ſesartifices éleu é au thr ône Imp eri al,pritle gouuerneméten mai n gouuerne
& en communiquala meilleure partie à Daoutſon gendre ,qu'elle fit grand Vizir . Elle auec Daout.
eſtoit femme d'eſprit & de cour,peu cruelle , qui n'auoit pour but que de faire regner
ſon fils, employant tous ſes ſoins pour cacher ſes defauts , & trauaillåt ſur tour à bannir
· les diuiſiõs sz á calmer les orages , pendant leſquels elle ne pouuoit affermir fa puiſſan
ce . Mais Daour home ambitieux, fourbe & cruel ,auoit bien vn autre bur : il meditoit
l'extinction de toute la famille Othomanc ,non ſeulement pour ſe garantir de la ven )

geance qu'elle auroit pû prendre de la mort d'Oſman ,qu'il auoit conſeillée auſſi bien Daour Vizha
qu'execucée:mais auſſi parce qu'iliettoit ſaveuëſur le culban Imperial,s'imaginárque veut faire
la qualité de premier Viar & degendre de la Sulcanie l'emporteroir ſur tous les autres, rath & 16:22
lors qu'il ſe ſeroit defait de tous les Princes du ſang .OutreMuſtapha qu'ilnecomptoic him freres

pour rien , à cauſe de ſon alienation d'eſprit, il en reſtoic deux Amurach & Ibrahim d'Olmalı
L ij

1
Hiſtoire des Turcs ,
84

1622. freres d'Oſman , dont le plusaagén’auoitque treize ans . La tendreſſe de leur aage qui
auoit obligé leur frere d'eſpargner leur ſang, que pourtant il euſt bien -coſt reſpandu
s'il euſt velcu plus long - temps , donna occaſion à ce meſchant d'attenter ſur leur vie .
Il chargea donc le Capy Aga d'aller enleuer Amurath hors du lieu où il eſtoit pour le
mettre en vn autre où ilen puſt diſpoſer quand il luy plairoit , ou peut- eſtre meſme
pour l'eſtrangler ſur l'heure. Amurath qui auoit delia plus de iugement que ſon
aage neportoit ,ſoupçonnant quelque choſe de ſiniſtre dans le commandement de

l'Aga, fit difficulté de le fuiure ; Et comme on l'en voulut preſſer il implora le ſecours
de les domeſtiques, s’eſcriant : Héquoy , ne ſe trouuera-rel perſonne qui ait mangélepain
Dont le Prin
demon pere & de mon frere , qui mevueille ſecourir contre ces iraiftres affaßins ? A cespi
ce eſt garan
ty . toyables cris deux ieunes hommes de ſes domeſtiques mettant l'eſpée à la main , tue
rent à l'inſtant le Capy Aga ,& quelques autres accourus au bruit repouſſerent les ſol
dars de la ſuite. Vne action ſi hardie donna à penſer à beaucoup de perſonnes : touc
le Serrail fut en rumeur , les Courtiſans ne ſçauoient à qui s'en prendre , & les
Vizirs aſſemblez au Diuan trouuant l'action du Capy Agafort criminelle , imputerent
cette inſolence aux Ianiſſaires.Maisles principaux de la milice qu'on auoit mandez,
ayant proteſté qu'ils ne trempoicnt nullement dans cette entrepriſe, ſupplierent le
Conſeil de demander à Muſtapha ſila choſe auoit eſté faite par ſon commandement.
Quand il l'cuſt ainſi ordonnée , il n'euſt cu garde de l'aduoüer :mais on croit que
ny luy ny fa mere n'en auoient rien ſceu. Il reſpondie donc que tant s'en faut qu'il
l'éuſt commandée , il entendoit qu'on fiſt yne punition exemplaire des autheurs d'vn
ſi deteſtable attentat . Certe reſponſe rapportée au Diuan , fut ſuiuie d'vn fremiſſe
ment vniuerſel par toute la Ville , que Daout y auoit forcé le Capy Aga , & qu'vne
Daout fefau- telle perfidie meritoit qu'il perdiſt la charge & la teſte.Luy qui entretenoit desmou
ve de Conchards de tous coſtez , aduerty de ces diſcours & que la rumeur croiſſoit d'heure en
{tantinople, heure , ne trouua point de meilleur moyen pour en éuiter l'effet que de forcir au plus
viſte de Conſtantinople, aucc vn Vizir de les principaux complices .
Son euaſion laiſſant la charge de grand Vizir vacante, la Sultane ſe trouua extre
mement embarraſſée: car outre qu'elle ſe voyoit deſtituée de celuy quieſtoitfon bras
droit , elle apprehendoit que la milice qui le donnoit la licence de ſemeller de l'admi

La Sultane niſtration de l'Eſtat, n'en vouluſt faire un à ſa fantaiſie qui ne dépendıſt plus d'elle :
l'abandonne,
ce qui euſteſté tout d'un coup la perte de ſon gendre , la ruine de ſa regence , & le mé
pris entier de l'authorité de ſon fils. Neantmoins comme elleen eſtoit reduite à ce
poin &t qu'elle ne pouuoit ſinon de deux maux éuiter le moindre , elle abandonna
Daout, & pour ſe conſeruer le credit de nommer yn autre Vizir, elle ietca vn million
Mehemet de ſequins à cette affaniée milice, quieſtoit deſia coute preſte d'y pouruoir . Flle n'en
cleu Vizir .
trouua point de plus propre à ſon gré que le vieil Eunuque Mehemet Gürguin,
homme qui auoit paſſé par toutes les charges , & qui auoit grande experience des
affaires : mais extremementpreſomptueux, pour la connoiſſance qu'il auoit des cho .
ſes de la Loy & de l'Hiſtoire, qu'il croyoit micux poſſeder que perſonne.
Cette élection pourtant quoy que faite de la bouche de Muſtapha, & auec iuſtice,

Reuolte de n'empeſcha pas lescnuieux dedire que l'Eſtat eſtoit regy par deux femmes; Etce foi
pluſieurs ble gouuernement dõna ſujet à la rebellion de pluſieurs Baſſas dans les Prouinces, fpe
Gouuerneurs cialement dans celles de l'Orient . Ils en auoient vn beau pretexte, la vengeance de la
de Prouinces.
mort d'Oſman , & la conſeruation de la race Othomane , ſous lequel ils ſe mirent à
courir ſus aux Spahis & aux Ianiſſaires ,& à les traiter comme parricides des Empe
reurs . Ceux d’Allyrie, de Meſopotamic & de Babylone commencerent l'eſmotion ,
& ayantpris les armes au mépris des commandemens qui leur venoient de la Porte
Qui font li
gue auec le trancherent des ſouuerains dans leurs gouuernemens,meſmefirent ligue auec le Roy
Roy de Perfe.de Perſe : qui iugeant cette occaſion fauorable au deſſein qu'il auoit de fairela guerre,
rappella fon Ambaſſadeur de Conſtantinople, & feignant d'armer contreVíbec grand
Cham des Tartares qui la luy auoit denoncée, fic de grandspreparatifs pour executer
les projets que nous verrons cy- apres .
Les aduis de toutes ces reuoltesnc donnerent pas peu à penſer à la Sultane & à ſon
Celuy d'A- nouueau Vizir . Dans la bonne opinion qu'il auoit de ſoy , il ne s'imaginoit pas qu'on
lep refuſe àſe oſaſt aller contre les ordres : mais il ſe trouua bien eſtonné quedés le premier mande
demettre de
Con gouuer ment , le Baſſa d'Alep refuſa d'obeir , luy mandant ſur l'ordre qu'il luy auoit enuoyé
nemcnt,
de ceder ſa place à un autre Gouuerneur, qu'il nedeſempareroitpointde là , & queles
affaires
85
Muſtapha I. Liure vingt - vniéme .

affaires de l'Eſtat ne permettoient pas qu'on fiſt aucun changement dans les Prouin- 1622 .
ces . Les autres Baſſas firent connoiſtre qu'ils rendroient la meſme reſponſe, ſi on les
preſſoit: tellement qu'au lieu de deux ans qu'à accouſtume de durer leur commiſſion,
chacun d'eux la vouloit rendre hereditaire & s'exempter de venir rendre compte
de ſon adminiſtration au Diuan , comme ils y eſtoient obligez. Parmy ces troubles
Daout ayant à force d'argent arreſté l'orage qui deuoit fondre ſur lay, tenta de
rentrer en quelque charge qui le remiſt dans les affaires. Comme ils ne tiennent
point à deshonneur en ce pays-là d'en prendre vne moindre que celle donc ils ont eſté

depoſſedez, il porta ſes deſſeins ſur celle de Capaudan ou Admiral , que tenoit vn Daoue aſpire
nommé Calil , homme tres - capable . Pour la luyarracher d'entre les mains il ſuborna àla charge
d'Admiral ,
des gens qui l'accuferent de maluerſation , & s'efforça de le rendre coupable dela
rcuolte du Gouuerneurd'Aſſyrie , & du Caliphe de Bagader, qui auoient chaſſé les
Ianiſſaires. Il luy fut bien facile d'en donner l'impreſſion à la milice,pource que ces
Baſſas eſtoient les parens & qu'il les auoit adoptez par faute d'enfans, & de luy per Ses impoftu
ſuader par ſes Emiffaires qu'il falloics’én deffaire,depeurqu'il n'attiraſt leur rebellion res contro
iuſques dans Conſtantinople : de ſorte que dans la chaleur de ce nouueau bruit le Calil qui la
poſledoit.
Capaudan ayant eſté rencontré dans la ruë par quelques Ianiſſaires, ils commence
rent à luy chanter mille iniures, qui euſſent finy par les coups , & ſans doute par ſa
mort , fi ceux de la ſuite n’euſſent fait ferme, tandis qu'il ſe fauuoit dans ſon Palais.
Mais cette rumeur paſſée il fut au Diuan faire ſes plaintes , & apres s'eſtre iuftifié
Qui le fufti
par la preuue des ſeruices qu'il auoit rendus & qu'il rendoit tous les jours à l'Eſtat, fie ,
& auoir rapporté en détail les reproches que los Ianiſſaires luy faiſoient, les Vizirs
reconnurent auſſi-coſt qu'elles eſtoient de l'inuention de Daout : toutesfois ils iu
gerent qu'il falloit diſſimuler , iuſqu'à ce que l'occaſion fuft venuë de faire recom- Les Taniſlai:
ber cette calomnie ſur ſon autheur. Elle ne tarda pas long- temps . La milice del tez naletics
abuſée des faux rapports , & trop certaine de la haine que ce parricide d’Oſinan Provinces.
auoit ſi fortement attirée ſur les Ianiſſaires & les Spahis , qu'ils n'oſoient plus pa
roiſtre s'ils n'eſtoient les plus forts , à moins d’eſtre maſſacrez ou ignominicuſe
ment traitez , ſe reſoluc pour reparer ſa faute & fe redimer des opprobres; & du Demandent
peril , d'aller en armes au Diuan, proteſter qu'encore qu'elle euſt fait le Sultan la tefte des
Oſman priſonnier , qu'elle n'auoit iamais attenté à la vie d'Amurath , & qu'elle coupables de
cftoit là pour demander la teſte des coupables. Le Conſeil auſſi amateur des man , d'or,
a more
nouueautez , que la milice l'eſtoit des deſordres , ſoit qu'il redoutaſt la furie des
ſoldats , ſoit qu'il fuſt bien aiſe de venger la mort d'Oſman , decreta contre les
complices.Gebegy Bafli chef des armuriers qui auoic coupé l’oreille d'Oſman fut le Gebegy Ball
premier pris , & dés le lendemain condamné par le Diuan à auoir la teſte tranchée par decapite ,
les mains du bourreau . Cette execution dona la peur & fit prendre la fuite à pluſieurs,

mais elle aucugla tellement Daout , qu'au lieu de ſuiure les autres il s’alla iercer dans
le Serrail. Il ne deuoit paseſperer d'y eſtre plus feurement que le loup dans la berge
rie ;auſſi y fuc-ilcrouué , & deuxiours apres amenéau Diuan, où l'on luy fit ſon procez Daout arreſte
tout à l'heure . Du commencement il ne s'eſtonna point , & fic apparoiſtre pour ſa iu priſonnier,
ſtification d'vn billet ſigné de la main de Muſtapha qui luy commandoit de faire mou
rir Oſinan : l'on creur qu'il l'auoit obtenu depuis le coup par le moyen de la Sultane ſa
belle-mere. A la veuë decér eſcrit la pluſparc des Vizirs opinerent à l'abſolution , mais condamné

tous les autres l'accuſant de ce qui s'eſtoit paſſé depuis la mort du Sulcan allerent d'eſtre deca
à le condamner;& la pluralité de voix ſe trouuant de ce coſté -là , on luy prononça ſur pitt.
le champ la ſentence de morc. Comme il fuc dépouillé & allis dans vne chaiſe ſur le
bord d'une fontaine, à la mode des Turcs , preſt de receuoir lecoup qui luy deuoit
Sa mort dif
trancher la ceſte , vne troupe de Spahis cria au bourreau de s'arreſter. Ce petit relpit ferće.
luy redonna quelque eſperance , mais elle fut bien cource : car à l'heure meline les Vi
zirs le firent mener en priſon dans le chaſteau des ſepe tours , où il fut eſtranglé lelen
Eſt eſtranglé
demain ſur les quatre heures du ſoir. On remarqua pour vn admirable effec de la lu- au meline
ſtice diuine , qu'il y fue traiſné dans le meſme chariot qu'Oſman , qu'il beue ſur le lieu qu'or
man ,
chemin aux meſmes fontaines, & qu'il ſouffrir ce fupplice dans la meſme place où il
l'auoit fait endurerà ce Prince infortuné.
Les troubles s'augmentoiét cependant dans toutes les Prouinces, particulierement II .
dans les plus voiſines de la Perſe . La Sultane & łe graná Vizir apprehendant que les
PrincesChreſtiens ne ſe foruiſſent d'une fi belle occaſion pour faire vne ligue entr'eux

1 L

1
86 Hiſtoire des Turcs ,

1612. ou auec le Perfan , qui dans ces deſordres euſt bouleuerſé tout l'Empire Turc , cous
rurent au deuant de ce danger. Ils aſſeurerent tous les Ambaſſadeurs Chreſtiens qui
eſtoient à leur Porte de l'affection du Sultan enuers les Eſtats, careſſerent ſpeciale
Vn Rey Am- mene celuy de France qui eſtoit Philippe de Harlay- Cefi, & celuy de Veniſe , & au
balladeur meſme temps enuoyerent vn Bey pour confirmer la paix auec l'Empereur & la mai
vers l'Empe; fon d'Auſtriche. Le Baron de Lolenſtein aſſiſté de bon nombre de Gentils-hommes
confirmation & de quatre compagnies de cavalerie , fur ic reccuoir à vn quart de lieuë de Vienne,
de la paix. où mettant pied à terre ils ſe firent compliment , & puis remonterent ſur leurs
cheuaux . Le Bey auoit vne compagnie degens-d'armes Turcs portant les lances ſur
la cuiflc , auec les banderoles blanches & rouges , deux guidons, l'vn blanc rouge &
bleu , & l'autre rouge & blanc , & les atcabales qui battoient d'vne triſte cadence à
Sa reception , leur ordinaire . Il fit planter deuant ſon logis le guidon de trois couleurs pour entrece
nir le faſt de la grandeur Othomane , & l'Empereur luy fit donner vne compagnie de
ſes gardes, dont vne partie ſeruontà conduire les Turcs qui vouloient voir la Ville .
Leiour de l'audience l’Empereur luy enuoya deux cheuaux dontles harnois eſtoient
tous couuerts de perles , pour l'amener aucc ſon Collegue dans le Palais . L'Ambaſſa
deur faiſoit marcher devant luy trente hommes chargez de fort beaux preſens, en
Preſens
fit qu'il cr'autres d'vn mords de bride & dedeux eſtriers d'or maſſif, auec les renes, la ſelle, la
à l'Empe
.
-

reus, croupiere & les ſangles garnies de lames d'or , & de quatre cheuauxde grand prix
qu’on menoit en main , de pluſieurs pieces de ſoye & dedrapsd'or , & de riches tapis
de Turquie . Il auoit ſeulement deux Ianiſſaires à pied à ſes coſtez: Loſenſtein & Ce
far Gallo qui auoit eſté Ambaſſadeur à Conſtantinople alloient apres , & les autres
de leur cortege accompagnoient chacun vn Turc des plus apparens. Il fut baiſer le
bord du manteau de l'Empereur qui eſtoit aſſis ſur un thrône éleué de deux pieds&
Sa harangue . ſous vn daiz tres-magnifique :puis seſtant retirédeux pas au deſſous illuy fit ſa ha
„ , rangue qui contenoit , Que le Sultan Muſtapha ſon ſouuerain Scigneur l'auoit en
uoyé vers fa Sereniſſime Majeſté Imperiale Romaine pour la ſaluer , luy ſouhaiter
tout bon -heur, & luy offrir toutes ſortes de bons offices; Quepourmarquede ſa bien
„ , ueillance & de ſon amitié, il luy apportoit ces preſens de la parr . Mais que le plus
grand de tous c'eſtoit la fainte paix entre les deux Empires, que Sa Hauteſſe auoit
ratifiée désfon aduenement à la Couronne, en preſence de Ceſar Gallo ſon Ambar
>> ſadeur ; Qu'elle luy auoit confiéce traité auecſes lettres qu'il apportoit à Sa Majeſté
Imperiale , la coniurant de luy dire preſentement fielle en deliroic entretenir les ar
cicles, afin qu'à la meſme heure il pult cxpedier le Courier qui en porteroit l'aduis au
„ Sultan , & que par la meſme voye il preſcriuiſt au Balla de Bude comment il ſe de

uroit comporter à l'aduenir auec lesHongres& les ſujets de l’Empire.Il adiouſta à la


fin , Que le grand Vizir l'auoit auſſi chargé de preſenter ſes lettres à Sa Majeſté Impe
riale , & de la ſalüer de la part .

La reſponſe Lors qu'il eut acheué de parler le Chancelier de l'Empire s'approcha de l'oreille
Meherremote .Se de l'Empereur pour receuoir fa reſponſe , qui fut en ſubſtance , Que Sa Majeſté
prenoit vn ſingulier contentement au ſalut du Sulcan , & acccpcoit les preſens de
tres - bon cæur : qu'elle promettoit de faire obſeruer inuiolablement la paix , & de
luy donner telles aſſeurances de fa ratification qu'il ſçauroit ſouhaiter ; Quant au
compliment du grand Vizir , qu'il eſtoit auſſi fort agreable à Sa Majeſté ,qui luy
faiſoit offre de les faueurs', comme pareillement à luy Ambaſſadeur. Et pour la &
reſponſe aux lettres,qu'elle la feroit au pluſtoſt & enuoyeroit ſon Ambaſſadeur auec
le Beyà Conſtantinople, qui donneroit tout contentement à Sa Hauteffe. Ce qu'il
fit peu de temps apres , ayant dépeſché vn ambaſſade auec le Bey , qu'il chargeado
quantité de beaux preſenspour porter au grand Seigneur.
Nonobſtant toutes ces precautions la foibleſſe de Muſtapha eſtant trop connuë
de tout le monde , il ne fut pas poſſible à la Sultane & à ſon grand Vizir demain
tenir plus long-temps leur authorité qui eſtoit appuyée ſur vn fi debile fonde
ment . Le mépris qu'on auoit pour eux eſtoit ſi grand que tous les iours il s'élcuoit
de nouucaux troubles , & pour vn qu'ils appaiſoient il en renaiſſoit deux autres .
Le plus dangereux de tous & celuy qui cauſa leur ruine , fue le ſoufleuement d'A
baza gouuerneur d'Erzerum , qui auoit pris les armes pour venger la mort d'Oſman .
Ce Baſſa ayant pris par force la ville d'Acilar, y paſſa huic mille Ianiſſaires au tren .
chant du cimeterre, & de là pouſſant ſes vi & oires vint mettre le ſiege deuant la ville
de
87
Muſtapha I. Liure vingt -vniéme
.

de Carailar ,qui n'eſt qu'à dix iournées de Conſtantinople . Dontles nouuelles y eſtant 16227
venuës les laniſfaires que ce danger menaçoit le plus, s'aſſemblerent auſſi-toſt dans
1 leur grande maiſon qu'ils appellent leur Camp,pour donner ordre à ce mal auant qu'il
vinſt fondre ſur leurs teſtes. Ilsreſolurent premierement que toute la milice en genc
ralmarcheroit contreAbaza dans quinze iours, ſans en exempter meſme les Vizirs &
les Aga ,pour quelque cauſe que ce fuſt.Les Spahis pareillement, tindrent leur aſſem
blée à part deuant laMoſquée de Solyman , & ordonnerent la meſme choſe , quoy
que depuis quelque temps ils fuſſent oppoſez aux Ianiſſaires , & priſſent des conſeils
directement contrairesaux leurs . La Sultane mere du ieune Prince Amurach ſollicitée
par le peril continuel de la mort ou eſtoit ſon fils , & par l'ambition de dominer , eſtoic
coûjours au.guet pour eſpier l'occaſion de l'éleuer ſur le throne, Et pluſieurs des princi
paux officiers,pour diuerſes raiſons, de haine, d'intereſt ,ou d'affc &tion au bien de l'Eſtac
qui periſſoit dans le foible gouuernement de Muſtapha , entretenoient ſes eſperances,
& promettoient de la fauoriſer en temps & licu . Comme elle vid donc cette eſmotion
fi fauorable à ſes deſſeins , elle les pria de l'alliſter chaudement de leur credit enuers la
milice. Ilsne luy manquerent pas au beſoin , careſſant les Capitaines , décriant parmy
les ſoldats l'imbecilité deMuſtapha, publiant les belles actions de liberalité,de genero
fité & devaillance que leur promettoit le grand genie d'Amurach , tellement qu'ils les
diſpoſerent ſans bsaucoupde peine au changement qu'ils auoient enuie de faire .Or
afin d'auoir le pretexte qu'ils demandoient,ils les porterent à reſoudre que le lende
main ils iroient tous en corps au Diuan ſupplier Muſtapha d'y vouloir deſcendre pour
oüir lcuis plaintes , fçachant bien que s'il refuſoit vnc fi iuſte requefte ils en pren .
droient ſujet de le deſtituer, & que s'il y venoic, ſon imbecilité pareſtroit auſſi colt que
ſa perſonne , & ſes extrauagances le declareroient indigne de l'Empire. La Sultanc ra

mere le tenoit lors enferméà Darut,Batſcha maiſon de plaiſance hors de la Ville ,
elle ne permettoit à perſonne de l'approcher, n'ayant point d'autre moyen pour cacher
ſes defauts quela ſolitude. Le grand Vizir luy ayantporté l'aduis de la reſolucion de
la milice , & de coutes les menées qui ſe faiſoient contre ſon fils, elle n'en teſmoigna
aucun eſtonnement :mais ayant quelque peu de temps conſulté profondément auec
elle -meſme, ce qui pouuoit y auoir de plus prompt & de plus expedient dans cette ex
tremité , elle partit cout à l'heure & emmena ſon fils dans le Serrail à Conſtantinople .
Elle auoitreſolu pourluy aſſeurer l’Empire , & ſe venger en meſmo temps de la mere
d'Amurach , de faire mourir ce ieune Prince & tous les freres la nuit meime . Comme
elle ſe fut donc recirée dans ſa chambre , elle enuoya querir quelques Eunuques , &
bon nombre de ſes domeſtiques, pour aller eſtrangler ces innocens dans leur ličt. Mais
leurs ſeruiteurs, ou comme diſent quelques-vns, le grand Vizir meſme , ayant preuenu
le tragique deſſein de cette cruelle femme, les auoient tranſporrez dans vn cabinet du
iardin , où ils firent bonne garde couce la nuit. Lors que la malheureuſe vid qu'elle
auoit ainſi manqué le ſeul coup qui la pouuoic ſauuer , la rage ſecourna en deleſpoir ,&
luy fit prendre vne corde d'arc pour s'eſtrangler elle -meſme : ce que fes Eunuques
ayant empeſché; elle comba dans un long euanoüiſſement, pendant lequel ils l'em
porcerent dans
ſa chambre: où elle achcua de paſſer la nuit dans tous les troubles d'el
prit quc pcut fouffrir vne femme qui ſe void ſur le poinet de comber de la ſouuerainc
authorité dansyne extreme baſſelle , & de demeurer expoſée au mépris de ceux qui
l'adoroient , & à la diſcretion de ceux qu'elle a offenſez.
88 Hiſtoire des Turcs,

A MVRATH IV . DV NOM ,

VINGT -VNIEME EMPER EVR

DES IVR CS.

0.

APRES auoir reduitma Milice rebelle, !

Et conquis Bagadet par un extreme effort,

Pallois faire aux Chreſtiens une guerre cruelle,


Lors
que par mes excez ie me donnay la mort.

#
Amurath IV.Liure vingt -vniéme
. 89 .

loooo !

SON ELOGE O V SOMMAIRE

DE . Ś Á VIE.

V la violence & l'iniuftice dominent il y a la peu de diſtance de la plus


eminentegrandeur,an dernierabbaiſſement, qu'on peuten un moment y
eſtre soat & n'eſtre plus rien. Vous auez ver comme en meſme temps la
fureur des Ianiſſaires a faitd'un Empereur un criminel, traifriant of
man du Serrailau ſupplice, & d'un priſonnier un Empereur en donnant
la Couronne à Muſtapha, qui ne joüiſſoitpasde la lumiere : Voicy que
quinze mois apres elle dethroſne le dernier pour mettre en la place fon
neul# Amurath ,quià cette heure -là enſt tenu à faucur une priſon perperuelle.Son frere Oſman
fait deſſein de l'oſter dumonde,auātque de partir de Conftantinople ; Et lasultanemere
auoit
de Muſtapha auoit enuoyé querir fa refte pour affeurer leregne de ſon fils , quand les menées
d'une autre Sultane mere de ce jeune Prince eſmeurent les Vizirs & la milice à proclamer
Empereur.Safortune ou le deftin de l'Empire Othoman le referuoit à cette dignité pourraffer
r s
mirce grandEftas, que la licence, l'iniuftice & les reuoltes fembloient auoir ébranlépa le

fondemens. Quoy qu'il n'euſt pasencore quinze ans quand on luy mit lesceptre en mainilen
vſa neantmoins auec beaúcoup plus de prudence queſa icuneffe ne faifoit operer.Du commen
cement il ne remua rien ,de peur d'irriter dauantage les humeurs,mais taſcha demaintenir la
paix auec les Princes Chreſtiens,de contenir la milice & d'appaiſer lesreuoltes des Provinces :
Puis comme il ſe vidplus experimenté dans les affaires, plus puiſſant & plus affermy, ilmit
la main à la reformation de ſon Eſtaps Et ſur tout à reprimer l'infolence defamilice :'Iln'y
cfpargnany ſoins, nypeines,ny argent, & ytrauailla de la bonne forte que peu à penilattrapa
sous les chefs des mutins,les ayant tirez adretement des derniers coins de l'Aſie pour en faire
des chaſtimens exemplaires: Les Ianiſſaires & les Spahis deConftantinople auoient beau mur
murer de ces rigoureux procedez , il mépriſoit leurs menaces ; á lorsqu'on lwy venoit dire
qu'ils tenoient
des affemblées contre luy, il ſorroit à cheualaccompagnéde trois ou quatre cens
caualiers,faiſantcentpaffades dans laplace publique,tirant de l'arc& lançant la zagaye auec
vne merueilleuſe adreſſe :afin de leur donner à conneſtre qu'il auoitdes armes & duceur pour
les chaſtier, s'ils branloient. La viuacité d'eſprit & la force de iugementaccompagnoienten
luycetie grandeur de courage, il penetroit auec une profonde fagacité les choſes ſecretes,
les éloignées eaſçauoit ydonner ordre; n'ayant beſoin du conſeil de perſonne, finon
prevoyoit
pour moderer un peu les mouvemens trop violens defa cholere, & l'impetuofité de ſes refolu
tions. Comme ſa hardieſſe iointe auec vne majefté redoutable qui éclatoit ſur ſon viſage,
donnoit de la terreur aux Ballas & auxfactieux : la ſeuerité de ſes Edits reprimoit les mal
Werſations des Iuges, do les concuſsions des Goxverneurs. Ilaymoit tendrementſon peuple,
& prenoit autant de plaiſirà le careſſer,qu'à tenir en bride les gens de guerre,& les Grands.
Les beaux reglemens qú'il fitpourle bien deſes ſujets& la rigueur qu'il apporta touſiours
à leur obſeruation,luy euffent acquis à bon droit le titre de Iufte , fi ſon humeur
feroce ne l’euf
pas rendu cruel,iuſques là qu'il tua fa fæur d'un coup de maſſuë ſurla teſte, e la plus fa
norite de ſes Sultanes d'un coup de poignard dans le ſein .Il n'eut guerre qu'avec le Perſan,
eſſayant à diuerſes fois a'auoir revanche de ce qu'il auoit conquis fwr luj;mais cefuttouſiours
anec pes de ſuccez, horſmis dans le dernier effort : de forte qu'il eut tourné lesarmes
contre les Chreſtiens, pour leſquels il couuoit vne haine mortelle, ſi ſes débauches n'euffent
eſtouffé ſes de feinsanec ſa vie.Il meſnagea ſibien ſes finances,qu'illaiſſa quarante millions
dansſes coffres : toutesfois il futmoins auare que ne porte le naturel de la nation ; maw il ſe
monſtra soufrours auſsi
perfide qu'aucun de ſespredeceſſeurs.Lagrande frayeurqui leſaiſit lors
du haut mal, é for
que Daout enuoya le Capy Aga pour l'eſtrangler, le rendit ſujet à tomber
intemperance pour le vin & pour les femmes luy cauſa vne cruelle fesatique , puis enfin la
mort à la fleur de ſon aage. Si bien qu'à proprement parler , il ſe deffir de ſes propres mains,
á apres que ſon bon-heur et ſon couragel'eurent tant de fois garanty de la cruauté deſes
parens é delafureur des Janiſſaires , ſa diſſolution le ſacrifia à Venus & à Baccus, & lug
fit trouuer la mort dans les plaiſirs, qu'il auoit tant de fois énitée dans les dangers.
Tome II . M
go Hiſtoire des Turcs ,

16232
E retour du Soleil ayant diſſipé les tenebres redoubla extre
III . mement les ennuis de la Sultane , lors qu'elle vid auec le iour
cinquante mille hommes au deuant du Serail , que lesmenées
de la mercd'Amurath & le bruit du changement qui ſe prepa
roit,auoit âmencz là pour attendre l'entrée de Muitapha dáns
le Diuan . Sur les fix heures du matin le Mufry, le grand Vizir,
& les principaux du Conſeil qui eſtoicnt gagnez pour jouer
cette comedic , allerent à la porte de la chambre l'aduertir
que ſes cres -humbles ſujets attendoient ſes commandemens,
& qu'il luy pleuſt de venir leur rendre Iuſtice . Ils conneſſoient bien la foibleſſe de
fon cerucau , & vouloient l'obliger de paroiſtre en public, afin de faire voir au peu
Extrifugan- ple par l'extrauagance de ſes deportemens s'il y venoic , ou par ſes reſponſes, s'il les
ce de Muſta
cn refuſoit, qu'il eſtoitincapable de gouuerner. De fait,ceux que la mere auoit mis
pha.
aupres de luyl'empeſchant de ſortir, il reſpondie des choſes ſi hors du ſens, qu'il eſtoic
bien difficile de ſe tenir de rire.Le Mufry quien eſtoic bien aiſe, n'en cut pas fitoft fait
le rapport au Diuan ,qu'on entendit tout le peuple crier Viue Sultan Amurath ;& on vid
les meſmo deputez courir vers ce icune Prince , pour luy porcer les nouuelles de ſon
éleâion.D'abord il les refuſa fort agreablement, fa mere l'ayantinſtruirà le faire ainſi,
& les coniura de nele point éleuer à cette charge, puisqu'on tuoit les Sultans , & que
Amurath les threſors eftant épuiſez il n'auroit pas le moyen de leur teſmoigner ſon affection &
oclamé
ſa liberalité, comme auoient fait ſes predeceffcurs. Mais ſans s'arreſter à ſes reſponſes,
smpercur.
ils le menerent au Diuan , où la ceremonie de ſon éle &tion ſe fit en cette ſorte.Ils le

mirent veſtu tour


de blanc ſur vn petit li& à bas pilliers parfemez depierreries , & dont
la couuerture crainante eſtoit de velours cramoiſy en broderie d'or & de groſſes per
les rondes. Quatre hommes ayant élcué ce li& pour le faire voir à coucle monde , le
!
Mufty luy alla baiſer les mains : puis ſe tournant du coſté du peuple , luy demanda s'il
eſtoit content que ce Prince fuſt aſſis dans le chrônc Othoman . Surquoy tous ayant
teſmoigné par vne longueacclamation qu'ils le vouloient bien ,Amurath commanda
au Mufcy de bien faire obſeruer la Loy,
& apres ſe retira dans ſon logement. Lelen
demain on le mena par eau à la Moſquée qu'ils nommenc lob-yuan - ſaray , aux faux.
bourgs de Conſtantinople, pour y prendre le cimeterre Imperial,ſelon la couſtume
Ceremonies
de ſon cou des nouucaux Sultans. Levaiſſeau ſur lequel il y alla auoit la poupe d'or & d'argent
sonnement. de rapport enrichie de quantité de pierreries , & portoit trois fanaux de glaces de
miroirs garnis de tant de rubis & d'eſmeraudes, que les rayons du Soleil donnant
deſſus en faiſoient rejaillir d'autres qui pareſfoient plus brillans que la lumiere. Le
port eſtoic bordé des deux coſtez de vaiſſeaux quifaiſoient vne continuelle ſalue de
canonnades , les riuages eſtoient tout ſemcz de fleurs & de jonchée , & l'air recen
tifloiç de cris de joye d'autant plusextraordinaires, que ceieune Prince reſpondoit
à cesſalutations auec vne grace merueilleuſe: Apres qu'il eut fait ſes prieres & alliſté
4 aux ſacrifices des moutons ; que les parens de Mahomet, qui ſeuls porcent le Tulban
verd , luy eurent ceint le cimeterre , & que toute la ceremonie furachcuée, il monta
à cheual , & fic ſon entrée dans la Ville par la porte d'Andrinople, auec la pompe
accouſtumée au couronnement des grands Seigneurs. Ce changement arriua ſur le
milieu de Septembre . Muſtapha , Prince plus digne de porter la marote que le Tul
ban Imperial , fut remene en la priſon & plus eſtroitement gardé qu'auparauant;
fans ncantmoins qu'on ofaſt atcenter à la vie , parce que le peuple & la milice
eſtoient perſuadez que c'eſtoit vn ſaint perſonnage, & que Dicu le reſeruoit pour
lc ſalut de leur Empire .
Comme l'inclination d'Amurath eſtoit entierement portée à la Iuſtice, & que d'ail
leurs c'eſtoit vn beau pretexte de prendre vengeance de ceux qui auoient tué ſon
frere, il proteſta qu'il vouloit commencer ſon regne par la reformacion de l'Eſtat.Il
exerça donc la rigueur des Loix premierement ſur les officiers qui auoient commis

Il fait couper d'enormes concuſſions dans leurs charges, & fit couper la teſte à quelques - vos ;
Ja teſte 201
Gouuerneut entr'autres à Mchemer Buſtain qui eſtoit reuenu depuis peu du gouuernement du
du grand grand Caire : mais ſur tour il trauailla à conſeruer la paix auec les Princes Chre
Caire,
ſtiens, & àradoucir vn peu les humeurs eſchauffées de la milice & des Gouuerneurs .

Abaza eſtoit le plus redoutable de tous les ſouſleucz ; & peu apres le couronnement
du

I
.
Amurath IV . Liure vingt -vniéme 1 91

du Sultan nouvelles eſtoient arriuées qu'il venoit de ſe rendre maiſtre de la ville de 162 3 .
Caraiſar , qu'il auoit fait vn maſſacre general des Ianiſſaires, & qu'il s'en venoit droit
à Conſtantinople auec quarante millecombattans & vingt-cinq pieces de canon . On
jugea donc neceſſaire auant toutes choſes, d'arreſter ou dumoins de deſtourner la
violence de ceRebelle ; & pourcet effet on luy dépeſcha aulli-toft le meſme Cour.
rier auec vne lettre qui luy faiſoit ſçauoir la depoſition deMuſtapha & l'éle &ion
d'Amurach , qui luy promettoit en cas qu'il ſe rémiſt dans l'obeïſſance, de luy donner
vnautre gouuernement auec la dignitédeVizit , & deluy enuoyer la veſte & l'eſpće
pour marque de ſes bonnes graces. Cét expedient reüllic, & l’empeſcha pour lors de

dans la Natolie .Mais


paſſer outre ;de ſorte qu'il retint ſes troupes il ne fut pas poſſible Les faniffaires
de gouuerner ſi bien la milice , quç l'enuie de coucher le donatif qu'ils nomment en veulent eftre
leur languele Taraquin , ne luy reuinſt vn mois apres ,quoy que le Mufty & les Vizirs raquin
payez du Ta,
euffent promis de la part à Amurath , que ce droit ne luy feroit point demandé,tanc
à cauſe que les threſors eſtoient épuiſez, que pource que ſon auenement à la Cou
ronne n'eſtoit pas proprement vn nouueau Regne , à cauſe que Muſtapha n'auoit

pû cître Sultan au preiudice des legitimes enfans d'Achmer. Neantmoins comme


ces gens de fer n'ont de foy qu'autant que l'intereſt leur en donne , ils firent yne ſi
grande inſtance pour en cítre payez ,que la Sultaneapprehendant de les irriter , fit circonciſion
donner quinze ſequins par teſte aux Ianiſſaires & dix aux Spahis . Ce qui diminua du Sultan ,
beaucoup la deſpenſe qui ſe deuoit faire à la circonciſion d'Amurath , qui n'eut rien
de remarquable que les feux de joye du Serrail .
De tous les Chreſtiens, ils redoutoient le plus les Polonnois & le ieune Prince

Vladiſlas : voila pourquoy lesVizirs ſouhaittoient ſurtout la confirmation de la paix,


auec la Pologne;Etils receurent auec grand accueill'Ambaſſadeur extraordinaire du

Roy Sigiſmond.C'eſtoit Chriſtophle Duc de Zbarausky, qui auec le plus magnifique


train qu'cuſt iamaiseu Ambaſſadeur Chreſtien , & auec des preſens ſomptueux à l'égal Ambaſſadeur
de Pologne à
de la ſuite , s'efforçant de faire pareſtre la grandeur del'Eſtat qui l'enuoyoit, & celle Conſtantino ,
de ſes richeſſes, attira les yeux & les eſprits de ces Barbares , mais ne ſceut pourtant ple,
rien conclure auec le premier Vizir, quoy que les Turcs en l'eſtat qu'eſtoient leurs
affaires cuſſent plus de beſoin de cette paix que les Polonnois . Il eſtoit queſtion de
faire ratifier à Amurath le craité fait à Chocin auec Oſman . Legrand Vizir l'empel
choit, & vouloit toutes choſes à l'auantage du Sultan : l'Ambaſſadeur ſe tenoit ferme Ses conteſta
1 à nc rien relaſcher au deſauantage de ſon Maiſtre, & en demandoit l'execucion entie- tions auec le
Vizir ,
re . Dans ces conreſtacions le Vizir dit d'un con aſſez haut à l'Ambaſſadeur, Qu'ilauoit
leu dans Salomon qu'il valoit mieux payer tribue à vn puiſſant Scigneur & ſe mettre
ſous laprotection , que de s'expoſer à vnc dangereuſe guerre. A quoy l’Ambaſſadeur & leurs paro
les recipro
repliqua du meſme ton ,Que cela eſtoit bon aux Princes pacifiques comme Salomon, quement ru.
& qui ne ſçauoient point le defendre auec les armes , mais que les Polonnoisn'en des,
auoient iamais payé , & qu'il n'eſtoit pas au pouuoir de toutes les puiſſances du monde
de les y forcer. Ie ne puis iuger quel intereſt obligeoit le Vizirà ſeroidir dans cette
demande , ſi ce n'eſtoit la croyance qu'ilauoitque les Polonnois ſubiroient pluſtoſt
cette condition que de rentrer dans vne faſcheuſe guerre, eſtant d'ailleurs fort occu
pez contre Guſtaue Roy de Suede, quiauoit prisſur eux la ville de Rigeen Lithuanie.
Tanty a que tandisqu'il fut en charge il ſe tint couſiours à cette propoſition ; Etce
pendant les Tartares biçn aiſes d'auoir ce pretexte , coururent la Podolie auec leurs
violences ordinaires , & firent d'horribles degaſts dans les terres de l'Ambaſſadeur inualion des

qui eſtoit à Conſtantinople , emmenant vn nombre infiny de payſans , & de toutes la Podolie.
ſortes de beſtail,

De cette forte les Turcs donnoient aſſez à connoiſtre, auec quelle foy ils vouloient
garder lestraitez qu'ils auoient faits auec les Polonnois.Et quant à ceux qu'ils auoient
auec PEmpereur , ils monſtrerent bien auſſi que c'eſtoit manque de pouuoir pluſtoſt
que de bonne volonté , s'ils ne les rompoient ouuercement . Ilsy eſtoientpuiſſam
mentinuitez par les ſollicitations non ſeulement du Prince Palatin & de les alliez, Continuation
mais encore detous les Proteſtans d'Allemagne , & meſme de quelques Princes Ca- de laguerre
entre l'Empe
tholiques , quicuſſent bien voulu par quelque moyen que cefuft deſtourner l'ambi reur & les Prins
cion dereglée de la maiſon d'Auſtriche , qui fous couleur de chaſtier le Palatin cra- cesd'Allema
uailloit à opprimer la liberté dc l'Empire & de tous les Eſtats qui le compoſoient, gne .
Delia ce defein ſe faiſoit voir à deſcouučrt par des effets ſi manifeſtes , qu'on n'en
Mij
92 Hiſtoire des Turcs ,

¥ 623: pouuoitplus douter :car apres que l'Empereur contre les conſtitutions de la Bulle d'or

& mal-gré leCollege Electoral cut dépouillé le Palatin & ſes enfans de la dignité d'E
lecteur & de tous leurs biens , non tant par la force des armes que par la trompetic
des promeſſes & d'vne fauſſe treve,dont il endormit ce mal-heureux Prince & le Roy
d'Angleterre ſon beau-pere : on vid qu'au lieu de licentier ſes troupes il en leua de
nouuelles , & que la ligue Catholique , quoy que celle des Proçeſtans fuſt cnciere
ment diſſoluë, demeura touſioursarmée pour cótraindre les Proteſtans à reſtituer les
biens Eccleſiaſtiques , ſans auoir égard aux ancienstraitez . Tellement que les Prin
ces & Villes de la baſſe Saxe en auoient fait vne entr'eux , & leué vne armée ſous le
commandementdeChriſtian de Brunſuic Eueſque d'Alberſtad: dont la deffaite par
Tillyauoit d'autant plusincicé les autres à ſe reünir enſemble & à chercher vn nou
ueau chef, qui fut le Roy de Dannemarc. Betlin Gabor ayant ſes intereſts attachezà
Berlin
Gabor area ceux de ce party , n'auoit pas moins d'enuie qu'eux de troubler les entrepriſes de
prendre les cecce puiſſance dont l'aggrandiſſement eſtoit leur commune ruine ; d'ailleurs il ſe

II
armesi
plaignoir que l'Empereur ne tenoit conte de luy payer les cinquante mille eſcus de
pention annuelle qu'il luy deuoit par le traité de Niclaſbourg :donc ayant ſouuent
demandé raiſon , il ſe reſolut de l'auoir à la pointe de l'eſpée. Son reſſentiment euſt
cfté auſſiiuſte que neceſſaire, li ſesforces n'eſtant pas ſuffiſantes pour choquer vn ſi
puiſſant ennemy il n'euſt pas eu recours au Turs , ſans lequel il ne pouuoitny n'euſt
oſérien entreprendre . Les Imperiaux ſe promettoiét que les broüilleries qui eſtoient
à la Porte ne permettroient pas aux Vizirs de luy donner l'aſſiſtance qu'il demandoit:
mais le Comte de la Tour ſon Ambaſſadeur qui conneſſoit lair de cette Courlà , y
,fceut ſi bien meſnager les eſprits que moyennant cinquante mille richedales qu'il
Obtient le donna au premier Vizir, & quarante mille qu'il promit de tribut annuel, il obtint vn
cours des puiſſant ſecours de cinquante mille Turcs & Tartares. Auec vne partie de ces trou
Turcs pes Budiany fitirruption dans la baſſe Auſtriche, & Betlin auec l'autre ſeietta dans la
Morauie au commencement d'octobre, deffit le regiment de Tiffenbach , reprit la
ville de Turnaw , mit en route le Comte de Montenegre aupres de Goindingh, & ly
tint aſſiegé iuſqu'au vingtiéme de Nouembre : mais apres ces'exploits'ilſe laiſſa per
ſuader par Turſon Palatin de Hongrie de faire treves iuſqu'au mois d'Auril de l'an
née ſuiuante. Au recour, emmenantgrand nombre d'eſclaues Chreſtiens, qu'ils n'a
* fait igrup. uoient pas voulu rendre à la priere du Tranſſiluain , le Comte Eſterliali gouuerneur
tion dansla de Neuhaus pour l'Empereur qui auoit aſſemblé les garniſons voiſines, ſe mit à la
queuë de ceux qui auoient pris le chemin de Bude , & les chargea ſi rudement au
paſſage de la riuiere de Nitre , qu'il en fic demeurer cinq cens ſur la place , prit leur
bagage auec quelques priſonniers, & donna la libercé aux cſclaues Chreſtiens. Le
lendemain matin il en chargea encor vne autre troupe qui penſoit aller paſſer ſur
le pont qu'il auoit fait rompre la nuit , en cua vne partie , le reſte s'eſtant fauué à la
nage , tira cene Chreſtiens de la chaiſne , & fic vn grand butin de chcuaux , cha
meaux & chariots. Les autres troupes qui venoienc en gros furent encore plus mal
menées que
les les premieres : car. Eſterhaſi ayant eu vn renfort de caualerie que
Tures ſont Rciffemberg Gouuerncur de Comorre , & Breuner Gouuerneur de lauarin , ſuy
deffaits en di- auoient enuoyé : il les alla combattre, en fic demeurer douze cens ſurle champ , fauua
uers paſſages,
quatorze cens Chreſtiens de la feruitude, prit les chefs & tout leur bagage, où fuc
crouué quantité d'or & d'argent, en vaiſſelle & en ſultanins. Reiffemberg & Breu
ner ne firent pas meilleure compoſition à ceux qui paſſoient par leur quartier pour
aller ioindre les garniſons d'Alberoyale & de Caniſe ; carils en cuerent ſept cens , &
leur ofterent tout leur butin . Et le Comte de Serin en allant à Vienne , en deffic ſix
Leurs dra. cens , d'où il preſenta les enſeignes à l'Empereur . Eſterhafi apres auoir acheué de
peaux & pri- donner la chaſſe à tous ces picoreurs , fut auſſi luy preſenter crente cornetes ou
fenteza liin .drapeaux , & fix priſonniers demasque,dontil y en auoit vn parent deBerlin Gabor ,
pereur , & l'autre frere de la femme du Sultan , pour l’eſchange duquel il offrit de donner
mille Chreſtiens qu'il recenoic eſclaues en diuers lieux.
1624 Céc eſchec oltanc l'enuic au Conſeil d'Amurath de rien eſmouuoir dauantage
de ce coſté là , où poſſible il cuſt fait de plus grands efforts ſi celuy- là luy euſt bien
IV . ſuccedé , il enuoya vn Ambaſſadeur à Viennepour renouveller le traité; & au meline
temps vn autre en Pologne , pour obliger le Roy à ne donner aucun ſecours à l’Em
percur, en cas qu'il refuſăít d'entretenir la paix.Leurs autres affaires & leurincommo
dicé
Amurath IV . Liure vingt-vniéme
. 93

dité domeſtique, les obligerent d'en vſer de la ſorte :car la peſte & la famine faiſoient 1624 .
de
fi grand rauage à Conſtantinople & aux environs , qu'elles y firent mourir prcs
cent mille hommes ; Et bien que la licence , les deſordres & les brigandages ne fuſſent Amurath coa
pas dans vn tel excez qu'ils auoient eſté ſous le regne deMuſtapha , li eſt -ce que le voye des Am
baſſadeurs en
Conſeil eſtoit encore fort empeſché à contenir la milice . D'ailleurs il auoit à ſouſte
Allemagne, &
nir de grandes guerres dans les Prouinces du Leuant: celle de Bagadec s'eſtoit re- en Pologne.
uolcéc , & auoit éleu pour Souuerain vn homme des plus anciennes familles du pays ,
pour Revolle de
lequel s'eſtoit mis ſous la prote &tion du Sophy , & luy auoit enuoyé ſon fils
oftage. De ſorte que le Sophy quicherchoit ſujer de rupture , auoitentrepris fi for- Babylone.
tement l'appuy de ce Rebelle,qu'il auoir demandé par les Ambaſſadeurs qu’on cuſtà
approuuer l'élection dece nouucau Prince, ſous le titre de Gouuerneurou Bafla per
petucl.Les Miniſtres preuoyoient bien qu'vnedemande ſi hardie declaroit couuerte- Appuyée du
ment la guerre:mais,pourn'auoir pas tout à la fois les ennemis eſtrangers auec les do . Roy de Peiſe.
meſtiques ſur les bras , ils diſſimulerent cette iniure & differerent de luy enuoyer rela

ponſe. D'autre parc Abaza qui feignant d'acquieſcer aux belles promeſſes de la mere
d'Amurath , auoit hyuerné en Natolie , s'eſtoit mis en campagne dés le commence
ment du Printemps , & s'eſtoit tellement auancé qu'il n'eſtoic quà cinq journées de Abaza re re :
Conſtantinople, menaçant de venir au ficge capital de l'Empire , pour y faire
met en cam
iuſtice du parricide d'Olinan. Pour attirer la creance & l'affe &tion des peuples , & pagne ,
pour iuſtifier fa rebellion , il diſoit que le Prophete Mahomet luy eſtoit apparu te
nant Oſman par la main ,& luy auoit commandé de venger ſamort; Et que ce Prince
meſme s'eſtant preſenté à ſes yeux comme il faiſoit la priere dans la Moſquée , luy
auoi parlé en ces termes : Mon fidele Muſulman , puiſque tu esle plus genereux de mes
Eſilanes, ie te commande de venger ma mort en exterminant ſoixante mille laniffaires Fait croire

Spahis : le bon - heur de la guerreaccompagnerates armes, & la victoire couronnera tes tra- Olman tus
wiux. Ce menſonge faiſoit vne telle impreſſion dans l'eſprit du peuple qu'il accou - ontapparuen
ſonge
roit à la foule ſe jetter dans l'armée du Rebelle , qui pour eſpouuancer dauantage la
milice exerçoit des ſupplices horribles & des cruautez inoüyes ſur les Ianiſfaires &
les Spahis , iuſqu'à faire ouurir leurs femmes enceintes pour arracher le fruit de Ses cruautez.
leur ventre .

Cér Emir Facardin Prince des Drus qui s'eſtoit retiré à Florenccil y auoit cinq ans,

ayant cu nouvellesde tous cesremuëmens , eſtoit reuenu à Seyde au commencement Facardin fait
de cette année ; Et bien qu'il y fiſt peu de bruit de peur de s'attirer ſur la teſte l'indigna- reuolter Dag
tion de la Porte,iuſques-là qu'ilnevoulut aucun accommodement,maisle rengea au- mas .
pres de ſon fils commevn ſimple Capitaine , l'appellant ſon Seigneur & fon Prince :
neantmoins il fortifioit le Rebelle ſecretement le plus qu'il luy eſtoit poſſible, & auec Ilaymoir les
pratiquesilmoyenna que la ville de Damas prift ſon party , auançant cependant les Chreſtiens,
propres affaires auec aucant d'addreſſe que de bon -heur. D'autre part toutes les
lettres, les traitez , les offres , les promeſſes & les pardons qu’on propoſoit à Abaza,
n’arreftant point ſa furie , il fallut y employer les armes: cellement qu'il fut reſolu
que tous les Ianiſſaires , les Spahis , les Timariots , &
enfin tous ceux qui eſtoient à la de
Propofitions
chaſtier
folde du Sultan exempts& non exempts, ſeroient commandez de ſe trouuer à Con Abaza,
ftantinople au commencement du Princemps. - Céc ordre ne s'executa pourtant
qu'auec beaucoup de difficulté : car les amateurs des troubles , & ceux qui ſouhait
toient la vengeance de lamort d'Oſman , ſemoient continuellement de la diuiſion

1
dans la milice , luy repreſentoient les cruaurez qu'A baza exerçoit ſur cous les la
niſſaires qui tomboient entre les mains , & leur diſoient qu'on ſe youloit deffaire Difficultez
d'eux , en les menant contre ce boucher qui les eſcorcheroit tous vifs. D'vn autre qui s'y trous
coſté les amis du rebelle , quieſtoient en grand nombre à la Cour, faiſoiſene courir uent.
des billets parmy le peuple, que le Mufty n’approuuoit pas qu'Amurath fiſt la guerre
à Abaza , qui n'auoit pris les armes que pour venger le parricide commis ſur la per
ſonne d'Olman.De façon que la terreur desvns & le ſcrupule desautres auoit appor
té vnc conſternation li generale dans les eſprits, que les Miniſtres d'Eltacmelines ne
fçauoient à quoy reſoudre. Et c'eſtoit en vain qu'Amurath menaçoit de faire couper
la teſte au grand Vizir & aux Generaux d'armée , s'ils ne mettoient promptementles
Brauades du
armées en campagne: puis qu'ils ne pouuoient obliger la milice à prendre croyance Rebelle.
en cux : ce qui redoubloic tellement l'inſolence du Rebelle, qu'il ſe vantoit ſi on ne ve
goit bien colt à luy , qu'il iroic combattre les laniſfaires iuſques dans Conſtantinople.
M iij
Hiſtoire des Turcs ,
94

1624 . Il faut auoüer que s'il y cuft eu de l'vnion parmy les Chreſtiens , l'occaſion ne fut
iamais plus belle pour deſtruire l'Empire Othoman : on leur ouuroit le paſſage de tous
coſtez pour recouurer ce que chacun d'eux auoit perdu ; & les rebelles ne demādoient
pas mieux, pourucu qu'on leur laiſſaft les morceauxqu'ils tenoient. La mer blanche
Belle occaſion eſtoit ſans garde & fans vaiſſeaux : les Polonnois , les Coſaques & les Ruſſes mec
aux Chreſtičs coient le deſordre iuſques dans le cour de l'Eſtar: le Perſan rauageoit les frontieres
de rccouuret
' ce qu'ils 2 . ſans aucune regſtance, bref l'effroy eſtoit li grand qu'on euſt dit que les Miniſtres
uoient perdu eſtoient deuenus cómeles Architcætes dela cour Babel;à quila confuſion des langues
fur les Turcs. auoit fait abandonner leur ouurage. Mais la diuerſité de Religion diuiſoit l'Alle
magne , & les jalouſie's d'entre la France & l'Eſpagne, ne permetcoit pas aux Princes
Chreſtiens de s’ynir pour vn li beau deſſein . Le Roy d'Eſpagne propoſoit bien enap
parence vne ligue contre cét ennemy commun , & taſchoit d'y engager la France :
mais on ſceut qu'au meſme temps il recherchoit ſecretement l'alliance des Barbares,

par l'entremiſe d'vnMoine Dominicain & de Curtz Ambaſſadeur de l'Empereur, qui


auoit porté vne grande ſomme d'argent pour l'acheter du Conſeil d'Amurath; Si bien
que l'on pûc connoiſtre par là que le butdes Eſpagnolseſtoit d'engager la France à
vne rupture aucc le Turc ,afin qu'ils pûſſent la furcharger d'vn ſi puiſſant ennemy,
& d'occuper aupres de luy la place d'allié qu'elley tenoit auantageuſement pour elle
Courſes des & pour toute la Chreſtienté. Les Coſaques qui couroient la mer noire vindrent
Colagucs. auec yne merueilleuſe audace ſaccager la ville de Mezembrie ſur la mer noire à trois

iournées de Conſtantinople: de là ils retournerent par l'emboucheure du Danube


prendre la grande ville de Crin , d'où ils remporterent vn riche butin , apres auoir
ierté dans vn grand buſcher, comme c'eſt leur couſtume, lesmeublesmoins precieux
qu'ils ne pouuoient emporter , & firent vn grand nombre d'eſclaues des Tarcares qui
habitent les coſtes de la mer noire ſous la procection du Turc . Cette nacion belli
Font grand qucuſe auoit tant de petits vaiſſeaux ſur cette mer qu'elle ſeule eſtoit preſque fuffi
Bambres de fante de tenir en eſchec toutes les forces nauales de ce grand Empire, quand meſme
clauce. il cuſteſté bien vny. Il y auoit dans cettemer quinze galeres deſtinées pour s'oppo
ſer à leurs courſes, il en fut encore commandé dix autres: mais outre que le courage
fembloit auoir abandonné les gens de guerre , comme leurs chefs auoient perdu
lauthorité,il ne ſe trouuoit point de rameurs,& ceux qu'on y mettoit par forceman
quans d'addreſſe, ne ſeruoient qu'à accroiſtre les affaires des Colaques.
Quant au Roy de Perſe, comme il auoit bien prcucu les deſordres qui ſuiuroiene
la mort d'Oſman , il auoit lors penſé à les employer à fon aduantage. Ayant donc
rappellé fon Ambaſſadeur , commenous auons dit , & dreſſé de grands preparatifs
Le Roy.de
Perſe entre pour ces entrepriſes, il mit quatre armées en campagne pour faire breſche à ce grand
auec quatre Empire par quatre endroits tout à la fois. La premiere qu'il conduiſit en perſonne
armées dans entra dans la Meſopocamie , où elle fic de grands progrez en peu de temps. Car en
la Turquie ,
arriuant il deffic & tua Aly Baffa beau -frere d'Amurath , que ce Sultan y auoit enuoyé
auec quarante mille hõmes , pour s'oppoſer à ſes conqueſtes. Cette victoire fut ſuiuic
de la priſe de Diarbech & deMourol, ou Moſol, & reduiſit toute la Prouince ſous la
domination : puis encore celles de Medie,d'Affyric & de Babylone,où il eſtablir des
colonies Perſannes , transfera les Turcs en Perſe , & rcndic les Curdes & les Turco
mans ſes vaſſaux. La ſeconde , qu'il enuoya dans les Prouinces de la Paleſtine & de
Damas , fauoriſée par l’Emir Faccherdin ébranla fort ces pays-là, non pas pour les
attirer à la ſujection du Perſan , mais pour les arracher de celle des Turcs. La troiſié
me, qu'il auoit fait paffer l’Euphrate, conquit quantité de placesle long de la mer
noire, & meſme vn port toutproche de Trebiſonde. La derniere , qui pretendoit
eſtendre les bornes de la Perſe le long de lamerrouge iuſqu'à l'Ocean ,
à commencer
dés l'emboucheure de l'Euphrate , prit Balſara dans leſein Perſique, & continua ſes
conqueſtes ſi auant dans l'Arabie qu'elle triompha de Medine ville du Prophecc
Mahomet , n'eſperantpas moins que de chaſſer les Turcs de toute l'Arabie. Ce qui
leur ſembloit d'autant plus aiſé qu'Amurath ne pouuoit faire marcher ſa milice , &
qu'il n'auoit point d'argent pour ſouſtenir les frais de la guerre; Les Baſſas ,& ſurtout
caire fede celuy du Caire , refuſans l'entrée de leur gouvernement aux Commiſſaires qui ve
d'euuoyer le noient demander le tribut , & leur faiſantreſponſe qu'eſtant en danger d'eſtre atta
tribut.
quez à toute heure , ils en auoient beſoin eux -melmes pour ſe maintenir contre
leurs ennemis .
Or
Amurath IV. Liure vingt - vniéme
. 095

Orli les Turcs ſe plaignoicntque les freqdentes incurlions des Coſaques eſtoient 16:24
contraires au traité de paix , les Polonnois reſpondoient qu'ils ne pouuoient ny ne
į

deuoient les empeſcher, liles Turcs ne reprimoient auſſi les Tarcares qui en faifoient
de meſme ſur leurs terres.Cette nation qui eſt néc & nourrie au brigandagg , n'eftanc Deux irrup

plus retenuë par la crainte des Turcs qu'elle voyoit à cccccheurc.là trop.cmbroüilleż taresdans 105
chez eux pour la pouuoir chaſtier de cette infraction , vn de ſes chefs nommé Aly , recres do po
entreprit de faire vne courſe dansla Podolie & la Ruflic , dont l'entréo luy fembloit fo
lagaesc
, po
où ils
nt ul.
facile , pource que toutes les riuieres eſtoient gelées, Il diuiſa ſes coupes en trois fez.
gros pour faire irruption par trois endroits: mais les Polonnoislesatcendanc ſurdos

paſſages les mal-menerent ſi fort tous trois qu'au licu de butin ils n'emporceront quo
des coups, & y laiſſerent crois ou quatre mile de leursmeilleurs hommes.Surle mois
de luin Cantimir Murza vn autre de leurschefs quieſtoit en grande reputacion ,vou
lut en auoir reuanche , & montant le long de la riviere de Nieftor , penetrabich
auant dans la Rullie , ou d'abord ne trouuant aucune rcfiſtance il fit d'horribles ra
uages , & commit toutes les cruautez qui ſe peuuent commettre par le fer & par lo
feu. Cependant Staniſlas Koniecpolsky Sous- Licucenant general,n'agueres reuenu r!
de priſon du chaſteau des ſept cours ,( il en auoit eſté racheté luy & quelques autres
par l'entremiſe de Zbarausky pour cent mille richcdales ) ayanc aſſemblé ſeule
ment trois mille cheuaux & ſept cens hommes de pied, latcendit ſur les paſſages ;où
auec ce petit nombre ille chargea lià propos que dés le premier choc il le contrai
gnit de prendre la fuite & d'abandonner tous les captifs& lebeftail qu'ilemmenoit,
Au mois de Septembre , les Coſaques comme pour ſe venger de ces irruptions ſur
les Turcs,deſcendirent par le Boriſthene dans la mer noire , & brûlanc & faccageanç Deſcendes
toutes ces coſtes, allerent juſqu'à vn mille de Conſtantinople mettre le feu à quel. laCofaquc cus
mer nome
ques maiſons de plaiſance, & au bourg de lani-kogia ; dix galeres quicſtoient forțics
du port pour les aller combattre regardant tout ce rauage , ſans les ofer approcher die
plus pres que de la portée du canon .
L'offroyeſtoitſigrand dans Conſtantinople que cinq ou ſix mille hommes euſſent
lors eſté capables de la piller, & de donner le coup mortel ſur la teſte de ce tyrannique Les Turcsesa
Eftat.Les Turcs ne redouroient pas moins les ennemis de dehors que les Chreſtiens die de curs
qui eſtoient dans leur Ville ,en bien plus grand nombre qu'eux:de ſorte que le Conſeil malheurs aus
.
d'Amurath deliberant de donner ordre àcette eſpouuance,preſque tousy furent d'a
uis d'en faire vn maſſacre general ; à cauſe ,diſoient-ils, qu'au poinåt où eſtoiệt les affai
res s'ils venoient à appeller ceux de leur Religion, ils pourraient facilement s'emparer
de la Ville & de coute la Grece;Que toutes les fois qu'ils auoient veu des occaſionsfa
uorables pour eux ils auoiét teſmoigné enuic de ſe reuolter, & qu'à cette heure qucla
guerre de Perfc , le ſouſleuement del'Alic, & la deſobeïffance desSpahis & lanillai
res leur donnoient ſujet de faire eſclorre leurmauuaiſcintention , ideſtoicforrà crain
dre qu'ils ne ſe ſeruiſſent du temps ; Qu'il y falloir donc remedier, & qu'il ſeroit plus
facile de les maſſacrer que de los contenir. Mais d'autresplus humains ne pouuoient
conſentir à vne fi barbare cruauté , & pour la diſſuader remonftroient, Quc tant s'en
faut que cette voye afſeuraſtleur Empire contre les entrepriſes des Chretiens, qu'au
contraire elle le mercroir dans un extreme danger; Que s'ils pouuoient lesextermi
ner tout d'un coup ils y preſteroient volonciers la main , mais qu'ils n'eſtoient pas
tous dans Conſtantinople ny dans la Grece , & que ceux des autres Royaumes qui

peut-eſtre ne penſoient point à leur faire la guerre , feroient obligez de venit


venger le ſang de leurs confreres ; Qu'enfin la Religion eſtoit la derniere piece
qu'on dcuoit remuer pour raſſcurer un Eſtat ébranlé comme eſtoic le leur , & qu’ori Marquent les
ne pourroit faire plus grand plaiſir aux rebelles que de donner vn pretexte aux mailons des
Princes voiſins de ſe liguer auec eux.Ces inconueniens bien pezcz par le Conſeil, Fes mercado eta
l'empeſcherent qu'il n'exccutaſt vne fi ſanglante reſolution , mais non pas que le
peuple qui eſtoit au deſeſpoir n'allaſt la nuit aux portes des Francs , les marquer auec,
des croix , & ietter des pierres à leurs feneſtres, auec des cris épouuentables, mena
çant qu'ils les hacheroicnt en pieces s'ils n'empeſchoiene le retour des Colaques, &
demandantaux Vizirs qu'on le ſaiſiſt de l’Ambaſſadeur de Pologne : ce qu'ils euſſent
fait auec grand danger de la perſonne , ficeluy de France par ſes ſoins & par ſonad
dreſle n'euſt deſtourné vn ſi perilleux affront.
Pluſieurs s'imaginoient que l'Empereur prendroit vn temps ſi commode pour
*

ire
96 Hiſto des Turcs ,

7674 recouvrer non ſeulement ce que Berlin Gaborluy auoit arraché de la Hongrie , mais
encore tout ce Royaume,auec les Prouinces voiſines ;& Beclin s'accédoit d'auoir toute
ſa puiſſance ſurles brasſi coſt que la treve ferdit finie :mais ce Prince auoit biế d'autres
penſées que celle- là .Come il s'eſtoit faitcette année vne puiſſante liguc'entrele Roy
Tres -Chreſtien , les Veniciens & le Duc de Sauoye,pour retirer la Valteline d'entre
Pourquoy les mains de l'Eſpagnol qui l'auoit occupée ſur les Griſons ſous pretexte deReligion ;
de la part auec & qu'ils'en cramoit vncautre qui ne faiſoit pas moins de bruit , entre le Roy d'Angle
Berlin Gabor terte, le Royde Dannemarc , le Duc de Saxc , & quelques autres Princes Proteſtans,
pour reftablir les enfansdu Palatin : la maiſond'Auſtriche ayına mieux employet ſes
forces à maintenir ſesvfurpations qu'à retirer celles que le Turc auoit faites ſur la
Chreſtienté. AinG l'Empereur ſouhaitoit auſſi fort la paix auec Betlin , que Berlin
redoutoit la guerrc auec luy:Les Depurez de l'vn & de l'autre eſtãt donc aſſemblez à
Vienne conclurent premierement vne prolongation de la treve, puis vne paix entie
sc ; dans laquelle ils confirmerent les articles du precedent traité, à la charge qu'apres
la mort de Betlin les ſept Seigneuries qui luy auoient eſté laiſſées par l'Empereur,
Conditions ſeroient reünies au Royaumede Hongrie. Quelques-vns publierent en ce temps - là
decette paix . qu'il fit cét accord fans le conſentement du grand Seigneur , & que le premier Vizit
eſperantde reduire bien -toft les rebelles & de s'accommoder auec le Perſan , brûloić
d'enuie d'obliger ſon Maiſtre à porter la guerre en Hongrie. Si bien qu'il auoic eſcrit
au Palatin , au Prince d'Orange, & aux Eſtacs des Pays -bas, de faire vnc puiſſante
diuerfion de leur coſté , les alleurant qu'il n'y manqueroit pas du ſien . Soit que ce
bruit fuſt veritable ,ſoit qu'il fuſt ſemé par les Emiſſaires de la maiſon d'Auſtriche
pour décrier le parcy Proteſtant, il y a grande apparence que Betlin n'auoit enuie de
tenir ce traité qu'autant quela necellicé de ſes affaires l'y forceroit, & que ſi la ligue
Proteſtante ou les troubles de l'Empire Turc prenoient le train qu'il ſouhaitcoit,
il feroit touſiours preſt de le rompre. Et certes il s'en fallut bien peu queles Turcs ne
le rompiſſent les premiers, non ſans quelque apparence de Iuſtice. Car outre que
ics Colaques que le Roy de Pologne auoitenuoyez à l'Empereur , apres auoir rauagé
la Moravic par faute de payement, paſſerent auſſi en Hongrie , où ils violerent &
faccagerent tout dans la ville de Neuſtat, ſans aucun reſpect des Egliſes & autres
AAes d'hofti- licux ſacrez :lesgarniſons Imperiales de Hongrie prirent vn conuoy de trente inille
litt quila pen . fulcaninsque le Baſſa deBudc'faiſoit conduire pour payer celles de ſon party . Dont
fene faric
compre , ce Baffa fuc tellement irrité qu'il arreſta Curtz Ambaſſadeur de l'Empereur qui re
tournois de Conſtantinople à Vienne ,& donna rendez -vous à toutes ſes troupes à
Peſt, où il fit aúſli mener le canon enintention de declarer la guerre aux Imperiaux.
Neantmoins Eſterhaſiqui ſçauoit l'intention de l'Empereur ( quoy qu'auparauant il
cuſtemployé cout foncredit & toutes ſes perſuaſions pour l'induire à la rupture afin
d'eſtre conſiderable dans les armes ) negocia ſi bien auec les Turcs qu'ils accorde
rent vne conference. Elle fut récardée vn mois,parce que l'Empereur defiroit que
fon Ambaſſadeur fuft auparauant mis en liberté, & * que les Deputez de Beclin Ga

Neantmoins bor Prince de Tranſiluanie n'y euſſent point de voix deliberatiue :à la fin il obrint
elle eft con-encore ces deux poincts , & elle fut tenuë pres de Comore ; où les Commiſſaires de
firmée par les part & d'autre ſe comporterentſi prudemment qu'ils accommoderent toutes choſes,
Turcsi
& raffermirent la paix , Berlin ne ſe ſouciant pas beaucoup d'auoir voix delibera
tiue dans cette aſſemblée , mais au contraire feignant de déſirer paſſionnément les
bonnes graces de l'Empereur.
Cette année les Holandois pour aſſeurer leur trafic dans lamer du Leuant contre
les volerics des Corſaires d'Alger & de Tunis , qui paſſoient le deſtroit déguiſez en
Alliance des marchands de bled , acheterent à force de preſens des Baſſas de ces deux Royau
Holandois mes vn traité fauorable à leur Nation . En voicy les principaux articles . 1. Le traité
aumesdery fait à Conftantinople entre le'sultan , & les Eſtats des Prouinces vnies , fera gardé de

ais,& d'Alger, tous points. 2. Les deux Nations s'aßifteront mutuellement contre les Eſpagnols. 3. Les
Holandois auront liberté de nauiguer dans toutes les mers en monſtrant leurs pafle-ports,
pourucu qu'ils ne portent ny armes ny viures en Epagne. 4. Les eſclaues Holandois ayant
payé leur rançon , ſeront franchementmis en liberié. 5. Les Confuls des Eſtats auront les
meſmes honneurs & priuileges dans Alger & Tunis que que leurs autres Reſidens ont à con
ſtantinople. 6. Enfin ilspourront librement trafiquer dans tous les ports baures des deux
Royaumes. Nonobftant cette nouuelle alliance , les Coffaires d'Alger attaquerent
deux
Amurath IV . Liure vingt- vniéme
. 97

deux vaiſſeaux Hollandois & deux Anglois : deſquels ayant pris les trois',le dernier 16242
pluſtoft que de tomber entre les mains de ces pariures, commeil y'eut enuiron trente
Corſaires ſautez ſur ſon tillac, mit le feu aux poudres, quifirent perir & Yes vaincus &
les vainqueurs. Vne autre flotte de Corſaires ayant donné iuſques dans les coſtes de les Coraires
Portugaly ſurprit dix vaiſſeaux ,fic quantité d'eſclaues, & 'emmena vn grand butin . Turcs la vio
De façon que ces Efcumcurs courant ainſi les mers les plus éloignées, oſtoient tout
à fait la liberté du commerce , & n'eſperoient pas moins que deſe rendre Seigneurs
de la mer, comme aucient fait autresfois ceux de Cilicic , qui furent vaincus par buin für les
Pompée le grand. Les Princes ne ſe ſouciant pas de chaſtier leur inſolence , le Ciel coſtes depor,
meſme en prit le ſoin : comme ils auoient armé vne flotte de ſoixante-dix vaiſſeaux cugal .
& qu'elle auoit deſia mis les voiles au vent , il s'éleua tout à coup yne tempeſte qui Les Cheua
les rejecta contre terre , auec tant d'impetuoficé qu'elle en fit perir plus de la moitié
&eliers de Mal
fracalla tellement le reſte qu'ils ne purent aller en mer. Apres cela les Chevaliers de the leur pren .
nent ync flor.
Malthe leur deffirent aupres de l'Inc de Corfe fepe grands vaiſſeaux ,dont ils en em te.

menerent cinq auec le General Oſman Rais , & trois censcinquante eſclaues.
L'année ſuiuante ceux de la mer Adriatique ne laiſſerent pas de continuer leurs 1625.
courſes & d'incommoder extremement la nauigation des Chreſtiens.Sur les plaintes
des marchands ,les Cheualiers deMalthe ayant entrepris de nettoyer lamer de ces vo
leurs, creurent que pour couper la racine à cemalit falloit ferendre maiſtres de fainte
Maure leurprincipale retraite.Cette Ville eſt dans l'Albanie afliſe ſur la mer Adriati- Et les veu

que : elle a vn porttres - còmode pourles galeres, & n'eſt pas moins conſiderable pour de fainte
fes fortifications.Car du coſté de la terre elle
n'y eftiointe que par vn pont, par où les Mauris leur
habitans ſe inuniſſent de commoditez neceſſaires, de ſorte que fielle eſtoit entre les ecrita.
traite. ;;
mains des Chreſtiens ils pourroient à route heure faire des entrepriſes dans le pays,
& s'ilseſtoicnt preſſez par les ennemis , leur oſter moyen d'en approcher , co coupant
le pont . Les Venitiens quil'ont tenuë autresfois, furent contrains à leur grand regret, is ! : - : 7 . ! ?
de la ceder au Turc par vn traité de paix , commeeſtant des dépendances de l'Alba
nie ; Et apres la bataille de Lepanthe Dom Iean d'Auſtriche delirant que cette con
queſte fuſt vn des aduantages de la victoire, y enuoya cinquantegaleres pour l'acca- Aflicte & fora

quer: mais apres l'auoir reconnuël'entrepriſeleur ſembla lidifficile, qu'ils n'oſerent ſainte Maure.
ſe mettre au hazard de l’executer.Vn Eſpion que le Grand -Maiſtre de Malthey auoic
1
enuoyé , rapportoit que la Ville eſtoit pleine deſoldats, bien fournie de toutes ſortes
de munitions, enuironnée de bons foſſez à fonds de cuue, & flanquée de cinq gros
baſtions, auec deux groſſes tours qui couuroient la porte , où il y auoit deux grilles de
fer & vne herſe auec un pont leuis.De plus,qu'il y auoit vn retranchemēc quiſeparoic -1 :03, 15 )
la Ville d'aucc le pont & les portes ; Que les rues en eſtoienceftroites, courics & telle
ment tortueuſes qu'elles reſſembloient vn labyrinthe où il y auoit danger de s'embar
raſſer, & d'y eſtre affommé ſi les habitans s'y vouloient défendre : ce qu'ils feroient
aſſeurement, pource que c'eſtoient tous gens de main , Corſaires & voleurs qui ar
moient tous les ans quantité de vaiſſeaux ronds & de galiotes, pour courir lesmers;
Qu'il y auoit parmy eux plus de quinze cens hommes de combat , outre cela trois
cens Ianiſſaires que la Ville payoit pour la garde ordinaire , qu'à chaque aducnuë on
rencontroit vn gros village ,& que tout le pays ne manqueroit pas d'accourir au ſe
cours ; Partant que ce deſſein eſtoit tout à fait hors d'apparence de reüllir:
Nonobſtant toutes ces difficultez , le Grand -Maiſtre qui l'auoit formé depuis trois 1
ans, diſtribua decette ſorte les charges de l'execution par le conſeil de l'Ordre.Il don.
na celle de Lieutenant general à Talmey Baillif de l'Aigle General des galeres, le Ordre pour
commandement du campvolantàCaraffe Prince de la Rochette , celuy du petard au l'attaquer,
8
Commandeur de Montmeyan , & celuy des eſchelles à Stroſli & à Saluago . Suiuant
ces ordres Talmey ayant mis en mer les cinq galeres de la Religion , auec quatre frez
gates & vne felouque, aborda au bout de douze iours durant l'obſcurité de la nuit
dans l'Ille d'Antipaxe , où ils ſe laiſirent de toutes les barques , pour empeſcher qu'on
n'aduertiſt ceux de ſainte Maure de leur arriuée.Ils trouuerent là vn Grec qui'en eſtoic
forty depuis troisiours ,qui ayāt veule plan que leur Ingenieur en auoit fait,les afſcura
qu'il eſtoitbien different de la verité, que la deſcente eſtoit cres -difficile, qu'il y auoic
des corps de garde ſur les coſtes, & que leurs forces eſtoient crop petiçes pour vne fi
grande entrepriſe.Ils ne s'arreſterent pourtant pas au rapport de céi hommc,fçachant
bien que les Grecs, ſont moins ennemis des Turcs que desLatins ,& dépeſcherentle
Tome II, N
re
Hiſtoi des Turc
s
,
98

1625. Cheualier Buronniere pour reconneftre le lieu du debarquement. Buronniere ayant


rapporté qu'il eſtoit cres-facile ,qu'il n'y auoit point de corps de garde, & qu'ayant ap
proché de la Villeil auoit crouué cour le pays dansyne profonde tranquillité, ils teſo .
lurent qu'ils y iroient faire leur deſcente å la faueur de la nuit . Les galeres eſtan donc
delarborées pour n'eſtre point deſcouuerces, ſe mirentà auancer,& ſans s'eſtonner de
deux coups de canon qu'on venoic de tirer , l'vn de la Ville , & l'attre de la fortereſſe
de la Preụiſe qui eſt à dix milles delà , ny d'vn grand feu qu'ils apporceurencà terre,
elles debarquerent leurs gensauec vn tres- bel ordre : & cependant pour empeſcher
les ſorties deccuxde la Ville qui les euſſent pû croubler dans leurmarche ,Buronniere
os fur commandé d'aller auec les gens de la fregate rompre le pont qui ioignoit l'Ille

quec la terre ferme. Au meſme temps le perard s'aduance , & ceux qui porcoient
les eſchelles en ſuite. Cene fut pas ſansbeaucoup de peine & de difficulté qu'ils ar
riuerent à la placct: il falloig paſſer deſſus vne chauſſée d'vne lieuë de long , qui auoic
d'vn coſté la mer & de l'autre vn eſtang, lieſtroite qu'ils n'y pouuoient aller que qua
tre hommes de front, raboteuſe , entrecoupée de crous pleins d'eau en desendroics,
& degroſſes pierres en d'autres , de force que quelquesfois il falloit que les ſoldats
paffalſent ſur des planches qu'ils portoient aueceux ;puis s'eſtant tirez de ce mauuais
chemin ils trouuerent vneplaine ſablonneuſe où il y auoit quantité de certaines fon
drieres mouuantes , come font celles dupays de Bourbonois qu'on appelle des cartes;
Si bien que commeilsfurent aupres de la Ville ils firent tant de bruit à s'arracher des
lables, qu'ils furent entendus des gardes quiſe mirent à tirer ſur cux . Mommeyan ne
s'eſtonna pourtant pas de ſe voir découuert, & fans s'arreſter pour ce bruit , fit appli

Petardent la quer ſon petard qui eutl'effet tel qu'ille pouuoit ſouhaitzer. Alors les Commandeurs
places Saluago & Scroſſi qui auoientla conduite des eſchelles, les planterent à 30. pas prés
l'vnc de l'autre . Il en fut dreſſé cinq auec vne incroyable diligence,mais les ſoldats ne
Plantent les les aſſeurát pas bien & ſe jettant deffus auec trop d'ardeur, il en rõpic trois:neantmoins
& ſchelles, ils donnerent li viuement par les deux autres & par la porte que le pecard ayoit en
foncéc, que les ennemis apres vnemerueilleuſe reſiſtance furent la plus grande partic
Entrent de taillez en piece & lereſte faits priſonniers.La priſe de cette place ne donna pas moins
dans. ན༔ > d'aduantage à la Chreſtienté, qu'elle cauſa d'cſtonnement aux Turcs , s'il euſt eſté au

pouvoir des Cheualiers de la garder: mais leur nombre eſtant trop pecit pour cela , ils

Saccagent ſe reſolurent de l'abandonner, apres y auoir demeuré cinq heures pour enleuer le
rout, butin ;auparauant ils ietterent le canon du haut des murailles en bas , mirent le feu
aux maiſons , qui pour n'eſtre que de bois & enduites de poix-reſine pour micux
Ee bruſlentla reſiſter à la pluye,furent bien - coſt reduitesen cendre , & s'eſtant retirez en bon ordre
Ville. dans lę port brullerene & coulerent à fonds tous les vaiſſeaux de ces Pirates. Cette
vi& oirene leur couſta pour lors que vingt- cinq ſoldats & treize Cheualiers des plus
vaillans , mais peu apres leur cauſa vne des plus grandes perces qu'ils euſſent receuë
ſur la mer depuis long-temps. Les Barbares ayant iuré d'auoir raiſon de cécaffront,
leresde Mala ſix galercs de Biſerte armées des meilleurs ſoldats & des plus vigoureuxrameurs qu'ils
thç font cecuſlenten toutes leurs coſtes, en attaquerent cinq de cét Ordre commandées par Tal
que cinquan .
te d'Eſpagne mcy quieſcortoit des bleds qu'onamenoit , & les combatirent Gifurieuſement qu'el
n'auoient orč les en prirent deux, tuerent le General, & fracaffere nt toutes les trois autres, quicu

entreprendre .rent bien de la peine à ſe traiſner en lieu de ſeureté ; Dommagefore ſenſible à la Re


ligion , & quila mit dansl'impuiſſance de s'oppoſer aux Piraces tout le reſte de cette
année,
Quoy queles François ſereffentiffent auffi ſouuent que les autres nations des cour
ſes que faiſoient ces voleurs ſur la mer Mediccrranée, ils ne voulurent neantmoins
pas rompre auec le grand Seigneur ; ſurquoy les Eſpagnols ennemis perpetuels de ,
cét Eftat , n'oublierent pas de les accuſer d’impieté , de ſe plaindre d'eux enuers
Les François les autres Princes Chreſtiens, & de leur faire reproche dans les libelles qu'ils pu
entretiennent bliercnt cette année ſur le ſujet de la Valceline, que cetce alliance eſtoit con

l'allianceauec craire à la Loy de Dicu, condamnée par l'Eſcriture ſainte,& ſourà fait indigne d'vo
pour pluſieurs Roy Tres-Chreſtien. Les François de leur coſté ne manqucrent pas de repartie,
saiſons. & leur prouuerent par des raiſons cres-pertinentes , par des exemples de la meſme
Eſcricure , & par des exemples de diuerſes Hiſtoires , que cerce alliance eſtoic non
ſeulement permiſe, mais auſli honrieſtc & neceſſaire . L'alliance , diſoient- ils n'eſt
defenduë que quand elle eſt faite pourattaquer la vraye Religion , ou qu'il y a danger que par
cette
Amurath IV. Liure vingt -vniéme
. 99

sette frequentation l'impieté & lidolatrie fe gliſſent és prennent pied dans les pays Chre 162.5
ftiens. On ne peutcraindre ny l'unny l'autre de ces incoueniens dans celle des François avec
tes Turcs: au contraire, ils ne l'ont recherchée & ne l'entretiennentauectant de foin què
pour le maintien de la Religion, & pour l'aduantage de toute la Chreſtienté.Si quelqu'unen
doute, iln'a qu'à regarder le biend les commoditez que tous les Chreſtiens Occidentaux en
fouffre qu'ils agent deux Egliſes dans
retirent.c’éften ſa conſideration que legrand Seigneur
Conſtantinople ,neufdansGalata , & vne entiere liberté de leur Religion dans ſes Eſtats,on

ils ſontau nombre de plus decentmille. C'eſt par elle qu'il permet au Pape
, dy enuoyer neuf
Euelques pour y faire leurs fonctions , & à toutes les Nations de l'Europe de viſiter les ſaints
Lieux fois la Banniere de France. Elle a empeſché que les Armeniens qui font ſchiſma
tiques, n'ayent ofté l'Egliſe de Bethleem aux Peres Cordeliers, le Roy Tres - Chreſtien
s'eſtant tellement intereſé danscette affaire qu'il a enuoyé expres des Hayes -Courmeminen
ambaſſade à Conftantinople, où illa ſi heureuſementnegociée que l'interceßion de fon Mai,
ftre a en plus de credit enuers cette nation avare que les cinquante mille eſcus que les Arme
niens vouloient donner.Le credit du Roy n'a -ilpasencore empefché que lesmefmes Religieux

n'ayent perdu le S. Sepulchre par de ſemblablesartifices ? Cette alliance n'a - elle pas fait ceſſer
la perſecution des Chreſtiens,qui auparavant eſtoient horriblement tourmentez parles Bar
bares? Etpuisque la maiſon d'Auftrichefe pique ſi fortde ce titre deCatholique, ne deuroit
elle pas labenir & luy rendre graces de ce qu'elle a arreſté le cours de la doctrine de Caluin,
qui ſans lesſoins de nos Ambaſſadeurs euftgagné tous les Catholiques du Levant?Perſonne
n'ignore qu'elle a fawuéla vie à tous lesReligieux de la Terre ſainte,queles Turcs auoientem .
prifonnez au chaſteau de Damas , apres la bataille de Lepanthe ; qu'elle a conferué iuſques à
preſent les Cordeliers dans leur Conuent de l'Eſclauonie qui eſt fortenuié pour ſes grands
biens, & qu'elle leur a fait rendre l'Egliſe de S. François de Pera qui feruoit de Moſquée.
Par ſon moyen le Marquis de Breues Ambaſſadeur de France obtint la liberté aux Catho
liques de Sio, que les Turcs alloient tous mettre à la chaiſne & circoncire leurs enfans,
pource qu'ils les foupçonnoient d'auoir voulu introduire les Florentins dans leur ifle. Le
mefme Ambaſſadeurdeſtourna le grand Seigneur de mettre tous les Cordeliers du faint Se
pulchre en galere, & luy ofta de l'eſprit la croyance qu'un renegat Hongrois y auoit miſe
que tous les Princes Chreſtiens ſe rendroient les tributaires pour conferuer ce faint lieu.
il eſt tres -certain que ſans l'addreſſe des Ambaſſadeurs de France que les Turcs tourneroient
fouuent leurs armes contre la Chreſtientépluſtoſt que contre la Perſe & autrespaysplus éloi
guez . Les Venitiens , les Polonnois & les Hongres, ont fouuenteſpronué les bons effets de
cette interceßion : Apres la bataille de Leparthe les Venitiens cornurent que l'entremiſe de
Noailles Eueſque d'Acs leur eſtoitplus vtile que n'auoient efté les forces du party Espagnol,
quiapres les auoir engagez à des fraisimmenfes , ne voulut tireraucun fruit de cette ſignalée
victoire, & monſtra bien qu'il aymoit mieux leur ruine que celle du Turc. Les bons offices
qu'ont rendu à toute la Chreſtienié le Baron de Sancy & le Comte de Cefi , ſont trop frais do
tropimportans, pour auoir beſoin qu'on en rafraiſchiſſe la memoire. Les Eſpagnols entr'au
tres choſes, ne doiuent pas oublier.que Cefi leur a ſauuépourun coup plus de trois cens mille
efcus en marchandiſes qui auoient eſté priſesfar le Viceroy de Naples, & confiſquées malgré
le Baille de Veniſe , qui les auoit reclamées. L'Empereurmeſmeen a reffenty les effets par la
diſcontinuation duſecours que les Sultans donnoient à Berlin Gabor. Deplus en confide
ration de cette alliance il eſt permis d'aller racheter les eſclaues Chreſtiens par toutes les
terres du Turc ; de temps en temps le grand Seigneur en fait deliurer pluſieurs à la re
commandation des Ambaſſadeurs de France ; les renegats repentans deleur fautetrouuert
leur azile chez eux , auec le moyen de retourner ſeurement en Chreſtienté ; & d'ailleurs
par ce moyen on a obtenu la permißion de trafiquer dans le Leuant & dans tous les pays
du grand Seigneur, außi bien aux Italiens , Eſpagnols , Flamans en Allemans qu'aux
François; les Roys Tres-Chreſtiens ne voulant pas que leurs ſujetsſeuls ſe preualent d'un
ſi grand aduantage. Außi les Papes meſme les ont ſouuent remerciez des feruices que par
ce moyen ils rendoient à toute la Chreſtienté. Qui les en oferoit donc blaſmer sapres
1
tant de raiſons, apres l'approbation du pere commun des Chreſtiens , s'il n'eſt mauuais
Chreſtien & marane ? onſçait bien à quelle fin la maiſon d'Auſtriche veut par ſes reproches
obliger la France à renoncer à l'alliance des Turcs : c'eſt pour luy ofter cét advantage de pour
s'en emparer elle -meſme , afin de pouvoir reduire plus facilement toute la Chreſtienté fousfa
domination , ſelon les projets de Charles V.qui autresfois auoit proposéà Soliman de partai
ger entr'eux deux l'Empire de toute la terre ; mais ce Sultan femoqua de fa vaine ambition.
Nij

>
Hiſtoire des Turcs ,

1625. Les Infidelles meſmeayant ſimauuaiſeopinion de la foy de cette maiſon , qu'ils ne veulent
point s’alier auec elle. cét Empereur l'an 1541.fit aflaſiner les Ambaſſadeurs que le grand
Roy François enuoyoità la Porte, comme le fien en revenoit, lequely eſtoit allé l'année pre
cedente pour
ſupplier Soliman d'inueftirfonfrere Ferdinand du Royaume de Hongrie aux
mefmes conditionsque l'auoit tenu le Roy lean ; Et Ferdinand demanda encore cette in
veſtiture par deux autres Expres qui offroient au Sultan des fouſmißions indignes de la
pieté tant vantée, & de la fuperbe grandeur de cette maiſon Catholique. Du depuis ils n'ont
perdu aucune occaſion de rechercher cette alliance ; ils y ont employé de grandes fommies
d'argent, qu'ils ont à diuerſes for diſtribuées à la Porte ; Et il n'y a encore que trois mois
qu'ils y auoientenuoyé un Moine pour cet effets.Qu'ils ceſſent donc de nous reprocher ſi ai
grement ce qu'ils ſouhaittent depuis ſi long-temps ce qu'ils briguent auec tant de paßion,
ce qu'ils veulent acheter
ficherement; Etpour les autres Nations, fi quelques- unes nous
en blament par enuie ou par ignorance , qu'elles conſiderent qu'il n'y en a pas une à qui il
n'en reuienneplus de profit ni à qui elle ne ſoit plus neceſſaire qu'à la Françoiſe , & que
fi elle venoit à ſe rompre elles auroient bien-toft ſujet d'en parler tout autrement , de la
redemander elles-meſmes .

V. A meſure qu'Amurath croiſſoit en aage ſa puiſſance s'eſtabliſfoit , & ſes affaires

La pluſpare qu'il auoic trouuéesfort embrouillées, s'eſclairciſſoient ;De ſorte que pluſieurs des
des rebelles rebelles preuenant l'extremité où la continuation de leur faute leseuſt reduits à la fin ,
font lcur ac: faiſoient leuraccommodement ; Etle Baſſa d'Erzeron iugcant d'ailleurs qu'il auroit
mnt, meilleure compoſition auant que ſon credit fuſt deſcheu , promit obeïſſance à la char
ge qu'on luy laiſſeroit ſa charge,ſans le rechercher de tout ce qu'il auoit fait dans ſon
Les petits gouuernement: ce qu'on luy accorda demeilleure foy qu'il ne l'obſerua. Les petits
Tareases se- Tartares, chez leſquels le mépris de l'authorité des Sulcans s'eſtoit gliſſée durant le
fuſent d'ac .
ceptes va deſordre, ne ſe monſtrerent pas ſi diſpoſez à ſe ſouſmettre aux commandemens d’A
nouucau Sou- murath :il vouloit, ſelon la puiſſancequ'en ont touſiours cuë les gráds Seigneurs, leur
ucrain ,
döner yn nouucau ſouuerain qui par ſes brigues & par ſon argent auoitgagné le Con
feil , & donna charge à vnBaſſa d'equiper crece galeres pour l'aller mettre en poſſeſſion:
mais lcs Tartares quiaymoient le vicil nommé Mecmet- Gerey , refuſerent de rece
uoir celuy- là : tellementque le Baſſa qui le conduiſoit n'eut pasſeulement permiſſion
de metcre pied à terre quelque inſtance qu'en fiſt l'autre Baſſa qui refidoit à Cafa, où il
ya 'accouſumé d'en auoir vn de la part du grand Seigneur , pluſtoſt pour marque de
l'alloitmettre ſouueraineté ,que pour y faire aucun acte de pouuoir .Amurath connoiſſant que pour
en poſſeſſion cette heure -là le moyen leur manquoit de le faire obeïr , voulut pour adoucir cét
n'y peutabor.
der. affront cnuoyer la veſte & l'eſpéc,marques de confirmation au Cam qu'il auoit en

uie de depoſſeder. Mais ce Cam offenſé de ce qu'il ne luy enuoyoit ce preſent que par
vn ſimple Capitaine de galere , fic empriſonner le porteur , & luy parla auec vn mépris
extreme du gouuernement d'Amurath :meſme quelque temps apres ildonna paiſa
ge ſur ces terres aux Coſaques qui venoient de rauager les enuirons de Trebiſande,
& fit courir le bruit qu'il vouloit faire alliance auec les Polonnois & enuoyer vn Am
baſſadeur reſider aupres du Roy Sigiſmond .
Ces alarmes n’empeſcherent pas #murath de faire marcher ſes forces vers Bagadet
pour chaſtier le Baſſa & ramener cette Prouince à ſon obeïſſance. Ce Baſſa fe nom

Enuoye vne moit Pequier, qui ayant eſté mis dans cette chiarge l'an 1620. s'y eſtoit rendu comme
armée pour
ſouuerain depuis la mort d'Oſman , mépriſant d'enuoyer les tributsordinairesà Con .
chaftier le ſtantinople, ny de reconnoiſtre aucuns ordres que ceux qui luy eſtoient agreables .
Bifa.de Ba . Ses deportemens inſolens deplaiſoient fort à Amurach , & les incelligences qu'il
entretenoit ouuertement auec le Perſan , le faſchoient encore dauantage . Ilauoiceſté
propoſé au Conſeil de le faire aſſaſſiner ,mais l'execucion en eſtoic difficile ,pource
qu'il ſe tenoit trop bien ſur ſesgardes: il fut donc reſolu de center Gilauchorité & le
nom du grand Seigneur tant reſpecté par les Turcs n'auroient plus aucun pouuoir ſur
Quel eſtoicce luy . Et pour céteffet Amurach enuoya vn nouueau Baſſa en la place , & commande
Balla , & la ment à luy de venirà Conſtantinople ou d'y enuoyer ſa ceſte. Pequier qui auoit aduis
plaiſante ref
ponſe , par ſes correſpondances ſecretesde tout ce quiſe deliberoit au Conſeil, ayant prepa
féla reſponſe dit à ce Baſſa auec vn ſouſris mépriſant, Que ſon equipage nie pouuoit
pas eſtre ſi toſt preſt pour aller à Conſtantinoplc , & que les affaires neluy permettoiệt
pas encore de faire ce voyage ; Pour ſa teſte, qu'il ayıneroit mieux l'y porter luy - meſme
s'il iugeoit qu'elle yfuſt aulli en ſeureté qu'à Bagadet , que non pas de la bailler à vn
autre:
Amurath IV . Liure vingt-vniémë. Tot

autre:mais qu'il n'y audit point d'endroitoù elle fuſt micur que ſur ſes eſpañles,& que 1625
ceſeroit chofemonſtrueuſe de voir yn hommeporter deux teftes. Amurach connoil
ſant par cette raillerie , ce qu'il deuoit attendre du Rebelle, donne chargeau grand
Vizir de mettre fur pied vne puiſſante armée pour l'aller depoſſeder. Ala mode de
compter des Turcselle eſtoit de cent cinquante mille bouches, c'eſt à dire d'enuiron
cinquanto mille combatans , qui ſe rendirent deuant Erzcron au commencement de

l'Eſté.Pequier cependant dans la crainte de ne pouuoir long - temps ſouftenir le ficge 11 implore te
auec ſes propres forces, reclamoit inſtamment le ſecours du Roy de Perſe , iuſques ſecours du
là qu'il s'égagea par ſes lettres, tātil eſtoit eſperdu ,de luy liurer la place s'il le tiroit de Perſan & luy

cette peine. Le Perſan l'aſſeuroit par tous les courriers qu'il ne luy manqueroit pas, luy liuser Bag
l'exhortant de ne perdre point courage: mais comme il n'auoit pas encore aſſez de gådet .
forces, ſes troupes eſtant du coſté des Indes où il faiſoit la guerre, ou que peut
eſtre il auoit pour qu'il ne luy manquaſt de parole , & qu'il ne fiſt la paix à ſes del
pensen letrahiſſant aux Turcs, il ne voulut pas s'engager ſi promptement dans cette
place , & l'entretine touſiours d'eſperances.
Les approches du ſiege ſe firent par vn Prince Arabe qui eſtoit au ſeruiće du grand
Seigneur. Pequier ſorty auec ſix mille hommes pour le penſer ſurprendre , y fut bien
battuluy -meſme & rudement pouſſé iuſqu'aux portes de la Ville, qui ayant eſté auſſi
Il
toſt inueftic,fur afliegée troisiours apres par toute l'armée que le grand Vizir ame- par l'armes
noit . Alors le Baſſa dépeſche derechef vers le Perlan , pour le coniurer de ne ſe haſter, Turque,
luy faiſant les meſmos offresqu'aupatauant. Le Perſan luy enuoye donc du commen
cement quatorze mille hommes de pied qui ſe campent à trois licuës de là , puis fix
mille cheuaux ; & à la fin , Gur l'aduis que ſes Capicaines luy donnent que ces forces
ne ſont pas ſuffiſantes, ily va luy -meſme en perſonne auec dix mille hommes , & la
fleur de la caualerie Perſane. Ainſi eſtant à peu presaulli fort en nombre d'hommes &
plus frais que les Turcs , il les harcele tous les iours par de groſſes eſcarmouches, leur
retranche les viures , leur empeſche le fourrage,& les tient comme aſſicgez parmy les
incommoditez extremes des bruſlantes chaleurs de l’Eſté, de la faim , des maladies,
Secouru pai
& de la diſette de toutes choſes. Lechaud y eſtoit ſiinſupportable qu'ils eſtoient con le Perſan ,
trains de ſe terrer dans des trous qu'ils foüiſſoient: il auoit fait creuer preſque tout

leur canon , & perir vne partie de leurs cheuaux : la faim les forçoic de manger le
reſte , ſi bien que plus de la moitié de leurs Spahis eſtoient demontez : de viures ils
n'en pouuoient auoir que par le moyen des Curdes , qui les leur vendoient au triple ,
du tour de Conſtan
ce qui eut bien -coſt caryleur bourſe : & d'argét ,il n'en venoit point
tinople ; tellement que le grand Vizir pour remedier en quelque façon à cette nccelli
té , fic apporter tout celuy qui eſtoit à leurs armes , ceintures , chamfreins, & autre
equipage , afin d'en faire de la monnoye. Enfin la neceſſité eſtant ſi grande qu'ils L'arméeTur .
ne pouuoient plus ſubſiſter , & qu'elle auoit meſme vaincul’opiniaſtreté des laniſfai- que leue le
res, qui pour teſımoigner leur affe& ion au grand Seigneur , & pour ſe vanger de Pe . auoir beau
quier quiauoit maſſacré quantiçé deleurs compagnonsen hainede lamort d'Olman, coup fouffert,
s'eſtoient obſtįnez à ce ſiege, il ſe reſolut de le leuer : mais pour ſauuer ſon honneur
& ne pas entierement perdre cette place ,il enuoya vn Capitaine vers Pequier , luy
dire qu'il connoiſloit qu'il n'eſtoit point rebelle , comme on l'auoir fait croire au
grand Seigneur , puis qu'il n'ouuroit point ſes portes au Perſan , qu'il eſtoit excuſa
ble de n’eltre pas venu à Conſtantinople, où la calomnie de ſes ennemis l'auoit accuſé
de ce crime;& que pour luy il teſmoigneroit ſa fidelité à Sa Hauteſſe , & qu'il l'aſſeu
roit de ſes bonnesgraces , pourueu qu'il enuoyaft tous les ans les tributs à la Porte .Ce
qu'ayantpromis il luy fit preſent d’yne veſte & d'ync eſpće , marques de confirmation
dans ſa charge .
Sicoft que le Vizir cut leué le liege , le Roy de Perſe ſomma Pequier de ſa pro
meſſe, & lay demanda qu'il luy liuraſt la Ville :mais cét homme double ſe voyant Pequier ſe

hors de perilluymanqua de parole , aufli bien qu'il auoit manqué defoy à ſon Prince . moque du
Le Perſan furieuſement irrité de cér affront, s'en alla paſſer ſa cholere ſur la pecite j'auoit recoua
ville d'Iman -Ouſſal qui eſt au delà de Tigris à vne iournée de Babilone ,en attendant ru .
que les pratiques qu'il tramoitluy donnallent occaſion deſe vanger.Bagadet elt baſtio
le long de la riviere de Tigris: à vn autre il y a vn chaſteau ou citadelle, à l'autre
vn grand baſtion : Pequier eſtoit logé dans ce dernierreduit , & auoit mis yn ſien fils
nommé Dcruich - Mehemer dans le chaſteau , pour y commander . Ce ieune homme
N iij
TO2 Hiſtoire des Turcs ,

1625. cajolé par les intrigues du Perlan ,& pouílé par la dénaturécambition ,le laiffa induita
à ouurir les portes aux Perſans, & vne nuic receut Imacouly Cam de Chiras auécſes
troupes. Le pere ſaiſi d'eſtonnement & de douleur , mais n'oſant ſe plaindre de la tra

Son fils hiſon de ſon fils, parce qu'il en auoit luy-meſme commisdeux,alla falüer le Cam & luy
la Ville à ce faire humblemét ſes excuſes de ce qu'il auoit differé d'executer ſes promeſſes. Lc Cam
Roy, quifait luy fit fort bon accueil & le renuoya en ſon logis :mais le Roy ayant fait ſon entrée
mourir Pc- dans cette Ville , aſſouuit ſa vengeance ſur luy par vn ſupplice quc i'eſtimerois trop
quicr.
cruel , s'il l'auoit fait ſouffrir à vn autre qu'à vn traiſtre . Car apres l'auoir tenu quel
ques iours dans vne puante & obſcure priſon , il ordonna des ſoldats pour le veiller
continuellement qui le releuant rudement à coups d'aleſnes, ou auec les pointes
de leurs halebardes , lors que le ſommeil l'accabloit le traiterent touſiours de la forte
juſqu'à ce que la mort le rendit inſenſible & luy ferma les yeux pour iamais .
Durant le ſiege de Babilone , les Janiſſaires de Conſtantinople firent vne nouuelle
1
Elmeure des fedition qui troubla fort la Ville & remplit le Serail de confuſion & d'effroy. Ces
Ianiſfaires.
mutinis eſtant aſſemblez dans la grandeplace de la Moſquée du Sultan Mehemet ,
pour aduiſer, diſoient.ils, aux rémedes neceſſaires des maladies de l'Eſtat , force
rent le Mufty d'aller au Serail de Scutary hors la Ville , dire au Sultan qu'ils le
prioient de leur donner audience le lendemain matin dans ſon Diuan , & que pour
arreſter les mal-heurs de l'Eſtat ils demandoient les reſtes de la Sulcane fa mere & duz
Caimacan Mehemet Gúrguin . Amurath fort eſtonné de l'audace de ces brucaux ,
ne trouua point d'autre expedient pour les appaiſer que de faire Mehemet Manſul,
c'eſt à dire le demettre de la charge . Il le fit donc le iour meſme , & luy enuoya
commandement de rendre les ſeaux qu'il gardoit en l'abſence du grand Vizir ,&

Le grand Sci- de ſe retirer dans le Serail pour empeſcher les deſordres & les violences qu'on
gneur fait euſt pû exercer ſur ſa perſonne, s'il fuſt demeuré en ſa maiſon . Puis le ſoir il en
cſtrangler
Gurguin , uoya les ſeaux à Regel Baſſa Admiralou Capitaine de la mer, luy mandant qu'il vinſt
pour ſauver prendre poffeffion dela charge de Caimacan , & donna la place de celuy - cy à l'Imbra
Ia vie ,
houl Balliou grand Eſcuyer.Tous ces changemens d'officiers ne changeantpoint la
demande de cerce inſolente milice,Mehemet s’auiſa de leur faire diſtribuer deux cens

mille ſultanins, & la Sulcane mere d'Amurach en eſpandit autant: mais ces grandes
ſommes ſeruirent ſeulement à rachepter la vic de la Sultane , les Ianiſſaires pertiſterent
touſiours à demander la teſte de Mehemer : de façon que le Sultan pour ſe garantie

luy-meſme fut contraint de faire eſtrangler cét ancien & fidelle feruiteur de l'Eſtat,
& d'expoſer ſon corps à la porte du Serail,où ces barbares affouuirent leur rage ſur luy
auec mille indignicez , luy coupant les oreilles, & le nez, luyarrachantles yeux & la lan.
gue , & crachant contre luy toutes ſortes de vilenies & d'iniures : tandis que les gens
de bien à qui la crainte eſtouffoit la voix & les ſouſpirs dans le coeur pleuroient dans
leur ame l'infortune de cér innocent vieillard , qui eſtoit aagé de ſoixante-huit ans ,
& auoit trois fois exercé la charge degrand Vizir. Amurath Chaoux grand Douanier
creature du Caimacan n'euſt pas receu yn plus doux traitement ,s'il ne ſe fuſt ſauuć:
car la haine que la milice luy portoit eſtoit ſi grande que toutes les diſtribucions de
deniers qu'il ficàpluſieurs Miniſtres, ne purent luy trouuer de chemin aſſeuré pour
retourner à Conſtantinople.
Senembafli Apres que l'orage fut paſſé , Amurath fit recherche des autheurs de la ſedition , &
condamné
d'eſtre icité fucen ſuite au Diuan alliſté des Bouſtangis pour faire iuſtice du Senembaſſi Lieute
danslamer, nant Colonel des Ianiſſaires trouué le pluscoupable,lequel il mit entre les mains des
foldacs, qui le iecterent dans la mer . Son deſtin vouloit qu'il periſt de la meſmo
Eft retiré de façon que l'innocent Caimacan , duquel ilauoit cauſé la mort : car comme il fut en
l'cau, & eftra- l'cau ayantattrapé vnrocher pour ſe ſauuer, ilfut auſſi- coſt repris &menéau logis du
gle.
Bouſtangy Baſſi quile fit à l'inſtant eſtrangler, & euſt fait ſouffrir le meſme ſupplice au
Soubaſſi ou Prcuoſt complice de Senembaſli, s'il ne l'euſt éuitée par la fuite.Les Ia
Les Ianiſfaires niſſaires faſchez dela mort de leur Colonel , auoientiuré de la venger ſur le nouueau
mal - gré le
grád Caimacan : Le Sultan penſant appaiſer çeſecond deſordre, demiſt leurs principaux
S'elliſent des chefs & leur en donna de nouucaux:mais ces libertins accouſtumez à ne plus recon
chefs,
noiſtre d'autres commandemens que leurs propres caprices , les refuſerent abſolu
ment , & en choifirent de conformes à leur humeur ſedicieuſe.
1626.
Il n'oublia pas ces inſolences , reſeruantà en faire le chaſtiment quand l'occa
fion s'en preſenteroit : mais elles l'empeſcherent de rien entreprendre au dehors
durant
Amurath IV.Liure vingt - vnjéme . 103

durant toute l'année 1626. quoy que ſon courage viuement aiguillonné par l'ardeur
, 1626 .
de la premiere ieuneſſe & par le reſſentimentde l'affrontqu'il auoit receu du Perſan ,
cuft bien delapeine à ſe tenir en repos . Et pçuc-eſtre auec cela, que ſon Conſeil l'o- Amurath diſa
bligeoit à referuer les forces pour attaquer puiſtamment la maiſon d'Auſtriche , fielle monde des
auoit du pire contre la ligue que le Roy d'Angleterre auoit faite pour le reſtabliſſe
ment des enfans du Palatin. Il ſembloit que ſe soignant auec celle des Princes de la Attendoit
baſſe Saxe , elle deuſt faire de grands effeãs, & qu'elle euſt autant deforces comme quelſeroitle
il y auoit de grand noms: Beclin Gabor l'auoit auidemenc embraſſée, & apres que effets de la li
Másfeld eut pris quấcité de Villes en Morauic 8 en Sileſie , & qu'il ſe fue par ce moyen maiſon d'Aus

ouuert lepaſſage en Hongrie , là où il cailla encore en pieces vnc partic des croupes kriche.
Imperiales ,il reprie les armcs & incita le Baſſa de Bude à prendre quelques chaſteaux
appartenans à l'Empereur à l'entour de Strigonie & de Neuhauſel, & àmettre le ſiege Berlin Gabor
deuane Nouigrad , qu'il reduikt preſque àl'extremité. Mais cette ligue comme vne cite le Balla
machine qui a trop de reſſorts, eſtant difficile à mettre en eſtat d'agir, il arriua qu'a- de Bude à
uant qu'elle y fuftlc Roy de Dannemarc qui eſtoit lechef de celle de la baſſe Saxe & armes.prendre les

deſtiné poureſtre auſli le General de celle-là,perdit vne grande bataille pres du cha
ſteau de Luchre appartenant au Duc de Brunſwic. Céc eſchec eſtourdit tellement La deffaite da
Betlin Gabor qu'il ſc deſtacha de cette ligue, & creut auoir beaucoup fait d'auoir Royde Dan
par latreve auec l'Empereur obtenu libre paſſage à Mansfeld, & aux gens de guerre deſcourage,
qui l'auoienc ſuiuy, de s'en retourner chez eux. Mais Mansfeld ne fe fiant pas aux & il fait tres
promeſſes des Imperiaux, vendit ſes canons & tout ſon bagage au Baſſa de Bude: l'Emper:96.
duquel ayant impetré ſauf.conduit pour paſſer ſur les terres du grand Seigneur, il prit
lechemin de Veniſe ;mais comme il eſtoit dans la Boſnie il comba malade d'ennuy
& de la fatigue du chemin , donc il mourut.
Tandis que les Turcs menaçoient la Hongrie , les Coſaques leur donnoient plus Courſes des
de peine que iamais dans la mer , où eſtant entrez auec cent barques, ils porcoient la mer noire ,
l'effroy iuſques dans le cæur de Conſtantinople. Il fut donc ordonné au Capaudan
d'armer cinquante galeres pour leur donner la chaſſe, & leur couper le paſſage au re
tour dans les emboucheures des riuieres ; ce qu'ayant fait plus heureuſement que les
Leurs exploits
autres fois , il en coula à fonds quinze ou vingt, & en amena vne douzaine en triom- dans la chere

phe dans la Ville . Ainſi il appaiſa l'eſpouuante du peuple , & reprima leurs courſes Coneſe Tauri,
dece coſté-làpour cette année.Mais ils ne laiſſoient pas de faire rauage dans le Cher- que,
ſoncſe Taurique , où ils auoient eſté appellez au ſecours par Chingiras frere du
Can Mechmet , que le grand Seigneur auoit voulu depoffeder , apres y auoir deffaiç
les Tartares qui ſuiuoient le party du nouucau Cham . ļls mirent le ſiege deuang
la ville de Capha , & y demeurerent iuſqu'à ce que Mchemet cuſtconclu ſon accom
modement auec le grand Seigneur. Lequel cependant en ayant fait de grandes
plaintes aux Eſtats de Pologne,ils furent obligez pourle ſatisfaire de donner charge sont repri
à Koniecpolsky de les chaſtier : dont il s'acquitta ſi bien que les ayans deffaits prcs de niccpollxy.
mez par šo ,
Crilow , & les pourſuiuant iuſques dans leurs foreſts vers lc lac de Curucow ,il les
reduiſic ảpromettre que deſormais ils ne feroient plus de courſes ſur les terres du
grand Seigneur ny de lesvaſſaux, & fe contenteroicnt des appointemens que la Re
publique leurpayeroit , qui pour céteffet leurfurent rehauffez d'vne fixiéme partie.
Leleger aduancage que les Tures venoient de remporter ſur les Coſaques leur fic
ſemer vn bruit quelescinquante galeres qui les auoient deffaits eſtoienc equippées à
deſſein de rauager lescoſtes d'Italie, & quelc Sultan pretendoit couurir de vaiſſeaux
toute la mer du Ponant.Le Duc de Toſcane pour apprendre la verité de cette nou . Montauto

uelle enuoya Montauto General de ſes galeres auec les deux meilleures qu'il cuſt General des
fairevne courſe dansl'Archipel. Apres auoir pris quelques brigantinsſur la route & huere pole
vne fregate quiconduiſoit despallagers auccde l'argent & des draps : comme il fus plufieurs vaiſ
cntré dans l'Archipel versl’Inc de Tenedos il attaqua vn grand nauire chargé de ba - aut& eccle:
les de marchandiſes qui luy fit d'abord quelque reſiſtance , mais aufla-coſt ſerendic .
En ſuite il donna la chaſſe à deux autres & les pourſuiuit auec tant de chaleur qu'il les
euſt prisà la veuë des chaſteaux de Conſtantinople , s'il n'euſt reconnu que c'eſtoient
des Chreſtiens Grecs. Dclà chargé de butin il retourna à Florence reseuoir les hon
neurs que ſa courſe meritoit , & rapporter qu'il auoit appris que les grandes occupa
tions que les Turcs auoient chez eux empeſchoient d'apprehender la venuë de leurs
flottes en Italie ; de ſorte que s'il y auoit quelque choſe à craindre c'eſtoit ſeulement
!.
Hiſtoire des Turcs ,
104

1626. des Pirates quien temps de trouble volent amis & ennemis auec plus d'impunité.
Parmy ces voleurs il y en auoit vn tres-fameux nommé Alan Calafat renegat Groc,
dont l'armement eſtoit de ſept grands vaiſſeaux de guerre & de quelques autres.
moindres . Ce Pirate courant la mer vers Alexandrie , fut apperceu par vn nauire Ve
nitien qui ſe mit à fuir & prendre vne contre-rouce : mais il fut auſſi -coſt pourſuiuy
Alan ireCalafat
Corſa fait par le plus legerà voiles de ceux du Corſaire , qui luy donna la chaſſe toute la nuit.
diuerſes priſes Le lendemainmatin ,lors qu'ill’eut atteint ils commencerent le combat , & le con
de vaiſſeaux tinuerentiuſqu'à l'arriuće d’Aſan ſur le midy, qui à force de coups de canon percale
Chreſtiens... Venitien de couces parts & y prit vingt- cinq Chreſtiens
, parmy leſquels eſtoient trois
Capucins qu'Iſabelle Claire Eugenie Princeſſe des Pays - bas enuoyoit accomplir yn
veu qu'elle auoit fait à la Terre ſainte .Il aterapa en ſuite vn vaiſſeau François chargé
de quantité de marchandiſes & de vingt- cinq mille reales d'Eſpagne, & au mépris du
Balla d'Alexandrie fut prendre trois autres nauires François dans le port , dont il
contraignit les marchands à retourner en terre luy querir vingtmille reales qu'ils y
auoiêt porcées. De là il courut en Sicile,où il ſurprit vn gros vaiſſeau qui croyoit eſtre
en ſeureté à l'abry d'une forte tour proche de la ville deGergent ; & vne tartane,de la
quelle les hõmes ſe fauuerent.Eccommeil tournoit laroute vers l'Iſle de Sardagne, il
vint'à paſſer vn vaiſſeau Holandois chargé de grains, lequel croyant eſtre aſſeuré par
my les Pirates d'Alger & de Tunis , à cauſe de la paix nouuellemét jurée entre les deux
nations, le laiſfa librement approcher de ſon bord : mais le Pirate luy apprit que la
bonne foy, & ſon meſtier ne firenc iamais alliance enſemble, & luy dit pour cou .
urir ſon vol que la paix faite auec les Eſtats luy defendoit d'accenter aux perſonnes
ny aux vaiſſeaux des Hollandois ,mais qu'il auoit droit de confiſquer les bleds qu'ils
portoient aux ennemis du grand Seigneur. Enfin n'ayant plus de lieu dans ſes vaiſ
En pourſuiuy feaux qui ne fuſtplein d'eſclaues & de riche butin , ny de matelors pour gouuerner les
par quinze
galeres, nauires qu'il eminenoit , il reprenoic le chemin d'Alger, lors que vers la pointe de
Sardaigne ilapperceut quinze galeres qui venoient à voiles & à rames pour le com
battre. Tandis qu'elles faiſoient leurs approches, auant que de ſe diſpoſer au combac
il ſe fic apporter vn Liure de Magie, lequel il auoit accouſtuméde conſulter premier
Conſulte les que d’en entreprendre aucun.Le Liure eſtát ouuert il poſoit deſſus deux fleches qui ſo
Liures deMa- mouuoient d'elles-mefmes , & ſelon leurs mouuemens luy donnoient des ſignes de ce
gie auam que qui luy deuoit arriuer dans l'occaſion,ce qui ne l'auoitencorciamais trompć.Orayant
tre . trouué cette fois là qu'il ſeroic forcéd'entrer au combat , & qu'il n'y ſeroit point tué
ny ſon nauire pris , comme il eſtoit naturellement audacieux, il ne voulut point faire
d'autre reſponſe à la galere quil'eſtoit venu reconnoiſtre que par la bouche du ca
Generaux des non :alors les galeres, dont ilyen auoit trois du Pape , commandées par Alexandre
galeres de
Malte ,de Na Felicina Cheualier de Malthe,huit de Naples par Dom lacques Pimentel , & quatre
ples& de Tof.de Toſcane par Julio Montauto leurs Generaux , qui s'eſtoient ioints pour dcliurer

cane,
gucnt. l'atta- les mers d'Icalie du brigandage des Pirates , ayant trouué ce qu'elles cherchoient,
huit des premieres attaquerent le galion d'Alan armé de quarante- ſix groſſes pieces
d'artillerie, de ſix moyennes , & de trois cens hommes . Les ſept autres commence
rent par la tartane , que les ſoldats abandonnerent pour renforcer le galion : puis s'e
ſtant attachéesà deux gros vaiſſeaux du Corſaire , elles les contraignirent de ſe ren
dre : cela fait elles coururent apres deux autres, qu'vn vent contraire aux fuyards leur
mit bien - coſt entre les mains . Aſan reſté auec les deux derniers faiſoit vne mer

ueilleuſe reſiſtance , mais comme il vid quatre de ſes vaiſſeaux pris , le Gien percé de
Prennent que tous coſtez , les cordages coupez , les voiles en pieces , & la meilleure part de ſes
ſeaux, ſoldats mores; eſperant neantmoins ſelon la prediction qu'il le fauueroit, il ſe mit à
prendre la fuite , & pour ſe rendre les vents plus fauorables, comme il auoit fait au

Ila recours à tresfois, illeur ſacrifia vn mouton , d'où il ierta les quartiers aux quatre coings defon
Lescharmcs. vaiſſeau. Cependant les huit galeres le pourſuiuoient touſiours à coups de canon ,
tafchant de le prendre pour fauuer les richeſſes qu'il portoit , mais le General Pimen
tel ayanceſté bleſéà mort d'un coup de fauconneau , elles reſolurent de le couler à
fonds.Comme'il faiſoit eau de tous coſtez Aſan deſeſperant de la prediction , pluſtoſt
que d'en laiſſer le pillage à ſes ennemis, y mit le feu de la propre main , brulla par vne
Eftantau de- fiorrible cruauté vne fille Chreſtienne de laquelle il abuſoit , & jetta dans la mer

(elpoit met la valeur de plus d'un million de richeſſes, puis s'y precipita luy -meſme. Neantmoins
le feu dans
Con vaiflcau , commeil ncmeritoicny l'honneur d'vne genereuſe mort , ayle bon -heur de la liberté,
il
)
.
Amurach IV . Liure vingt-vniéme. JOS

il fut tiré de l'eau pour eſtre attaché à la chaifne comme les autres eſclaues. Lesſoldats 1626 .

quiauoient fauté dans le galion pour partager le butin auec les flammes, touchez des
cris pitoyables des Chreſtiens qui eſtoient au fonds ,en retirerent quelques-vns :mais Eft fait eſcla ,

comme ils s'amuſoient trop , legalion s'ouurit & coula à fonds.La pluſpart des vain- ue, & pla
queurs & des vaincus y perirent ,les eſquifs ayant de la peine d'en approcher à cauſe ficurs
& ſoldats
Chreſ tient
du feu; Quelques-yns ſe ſauuerent à la nage , d'autresſur des aix du debris ,entre lef Royez & brû
quels ſe trouuerent deux des Capucins dont nous auons parlé , le croiſiéme ſe coula lez.
auec vne corde dans vne chaloupe des galeres du Pape . Le lendemain les galeres ſe
ſeparerent.Celles de Naples allerent porter le corps de leur General à Gennes: celles L'efendare
de Florence retournercnc à Liuourne : & le General Felicina fục deſcendre à Ciuita da Corſaire
porté à Ro.
Vecchia ; d'où il porta à Rome l'eſtendard des Turcs cout percé de coups de canon , moes
pour eſtre mis au rang des trophées .
L'année 1627 ; penſa commencer par vne rupture de paix entre l'Empereur & lo
. 1
grand Seigneur .Lc differend des limites n'ayant point encor eſté bien decidé au con- 1627
tentement des deux parties : le Baſſa de la Boſnie eſtoit venu à Bude auec ſix millc che
Priſonniers
uaux , quicouroient lesfrontieres dela Hongrie , & auoient fait quatre -vingts pri. Högrois mes
ſonniers que le Baſſa de Bude enuoya à Conſtantinop
le.La moitié de ces mal-heureux nez" Con 3
moururent defaim & de froid par le chemin , l'autre y eſtant arriuée le 1. iour de Fc- ſtantinople,
urier , le Caimacan en meſme temps fit arreſter le Reſident de l'Empereur dans la
maiſon d'vn particulier , auec deffenſe d'en ſortir ſans permiſſion , ſur ce que celuy de
Tranſſiluanic l'accuſoit d'auoir femé de faux bruits du mauuais ſuccez des affaires de

Hongrie pour caſcherà renouueller les troubles de la Ville qui n'eſtoient pas encore où le Rei
donc de l'Em
bien appaiſez. Mais au bout de dix-huit iours & apres beaucoup de difficultez , le
pereur eſt at
Caimacan eſcoura ſes excuſes & luy fit commandement de ſe retirer dans ſon logis reſte ,
fans qu'il puſt rendre viſite aux Vizirs , ny voir d'autres perſonnes que le ſeul Cai
macan . L'Empereur de ſon coſté ſoupçonnant que ces coureurs ne luy vouluſſent Puis mis an
faire la guerre cour de bon ,ſe diſpoſoit à enuoyer des forces au Comte d'Altemps ſon libertée
Commiſſaire, lors que le meſme Caimacan arriua à Vienne pour negocier l'accom
modement.Berlin Gabor taſcha de luy donner mauuaiſe opinion du ſuccez des armes
de l'Empereur contre les Proteſtans ,luy faiſant voir grande quantité de drapeaux
qu'il diſoit auoir gagnez ſur les troupes Imperiales. Mais auſſi les Imperiaux à deſſein
de luy faire iuger du contraire , firent paffer deuant la porte trente- cinq enſeignes
que Walſtein Ducde Fritland venoic d'emporter ſur les Veymariens dans la Silefic.
Neantmoins toutes ces monſtres exterieures n'eſtoient que pour diſſimuler le beſoin
interieur que les vns & les autres auoient d'une bonne paix. Car le Sultan auoit les
rebelles d'Aſie & le Perſan ſur les bras , & l'Empereur auoit à reprimer les ſoulle
uemens des payſans de la Boheme, & à pourſuiure les exploits qu'ilauoit commencez
ailleurs ; ſi bien qu'elles n'cmpeſcherent point que les deux Princes ne la portaſſen
chacun de ſon coſtéà maintenir la paix .
Les Deputez de Ferdinand II. eſtoient Eſtienne Sennicy de Kic - Sennic Eueſque
de Vacci , Conſeillerde fa Majeſté Imperiale & Chancelier de Cour par le Royau
Traité de
mede Hongrie , Gerard de Queſtemberg , Daniel Eſtarhaſı, Pierre Cohai , tous paix entre le
trois Barons libres& Conſeillers, & le dernier Vice -General des garniſons d'au de - grand Scie
çà du Danube. Ceux de la part d'Amurath , eſtoient Herdar General des armées gneur &
l'Empereur,
Othomanes d'audeçà la mer , Cazare Vizir Lieutenant de Bude premier Commiſ
faire de ce Traité, Vizir Morteza Baſſa , en l'abſence duquel furent deputez Mudlei
Iſſua Eſtende de Bude , Mehemet Bafla d'Agria ,Achmet Beg de Strigonie , Mazare
Beg de Szofuaki, & Grickan Azab Aga de Bude. Et pour le Prince de Tranſſiluanie
Michel Soldolughi d'Erețe Iuge Royal du Siege:leſquels tous aſſemblez au mois de
Septembre 1627. demeurerent d'accord des articles ſuiuans.
1. Que lesarticles frits & conclus aux Conferences de situatorok , Vienne , Comorrhea Articles
Gyamary, qui n'ont efié renonuellez nypubliez , feront inuiolablementgardez & executez .
- 2. Quelespointsdont les Commiſſaires n'ontpå demeurerd'accord,principalementtowchant
le chaſtean de Boluduat,ſeronttraitez par des Ambasſadeurs exprés à la Courdes Princes ,eho
quant cét affaire n'y ſeroit pasterminée ſelon la teneur du Traité de Gyamary, la paix neant
moins fera toujours gardée depart & d'autre.3. Que l'article troiſiéme du Traité deGyamary
fera confirmé touchant les forts baftis de part & d'antre ſur les frontieres de Croatie contre
les concluſions de la paix, & qu'au retour des Ambaſſadeurs les Commiſſaires trauailleront à
Tome II.
106 Hiſtoire des Turcs,

1627. l'execution dés le douziéme dumois de Ianuier enfuiuant. 4. Que les principaux du lieu
de l'aſſemblée donneront affeurance
ſous leurs ſeings & fcellez en preſencedes Commiſſaires,
que les deux Empereurs ratifieront le Traité , & que dans quatre mois les Ambaſſadeurs
de partet d'autre porteront le ratification exec des preſens conuenables à leurs Majeſtez.
s. Quant à ce qui eſt des villages qui ſe doiuent reftituer , des debats entre les nobles ,

des cens & droits Yeuez par force, des injures, oppreſsions, & violences , deux Com
miffaires ſeront enuoyezi un an deçà, l'autre au delà de Danube,auec les Adjoints qui ſe
sont donnez par le Palarin de Hongrie, & le Vizir de Bude , pour accommoder le tout aus
contentement des deux partis. 6. Que les priſonniers emmenez durant les dernieres tree'
ues feront relaſchez , les autres rendus par eſchange ; & pour ceux qui deuront payer
Tançon elle ſera reglée entre le Palarin de Hongrie < le Vizir de Bude: 7. Que la conti
nuation de la premiere paixjuſqu'à vingt -cinq ans dontilen reſte ſept à expirer ſera deter.
minée par leurs Majeſtez à la pourſuitte des nouueaux Ambaſſadeurs. 8. Que les paſſages
en be commerce feront libres en toutes les Provinces des deux Empires , dont les Gouner
neurs & Baſſas puniront fewerement les contrewenans, & ceux qui par malice entrepren
dront de troubler cette paix . 9. Et parce qu’ordinairement le changement d'officiers caufa
du defordre dans les frontieres,legrand Seigneur promet que Mortaza Ballado le Vizir de
Bude amateurs de la paix demeureront longuement dans leurs charges. 10. Que les in
iures , rapines & excez commis depuis les precedens traitez
feront oubliez , mais ſur tout
que la preſente paix fera ſaintementd inuiolablement
gardée en tous les points.
Reſtoit å raccómoder Beclin auec l'Empereur : Ce Prince vouloit ſeroidir ,attendant
ce que feroit le ſecours que les Angloisdeuoient enuoyer au Palatin :mais commele
grand Seigneur eut appris qu'ils s'eſtoient broüillez auec les François ;Partant qu'ilne
mal aues les Teroit pas en leur pouuoir de preſter l'aſſiſtance qu'ils auoiét promiſe, il dépeſcha deux
François, font courriers, l'vn à Betlin Gabor, & l'autre au Baſſa de Bude , pour traiter cette reconci
cine fait
ſin feminine
la Betr
paix liation à quelque prix que ce fuſt, & cependane il donna des lettres à l'Ambaſſadeui
auec l'Impe . de l'Empereur qui retournoit à Vienne,pour l'aſſeurerqu'il ne ſongeoit point à d'au
Keur,
cres entrepriſes qu'à dompter lesrebelles d'Aſie , & à tirer raiſon des Perſes.Auſſi-toſt
que le Baſſa cut receu l'ordreil enuoya trois perſonnes de grandecondition à l'Empo.
reur,pourluy faire l'ouverture de paix : l'Empereur en fut tres-aiſe , & alligna le lieu
pour en traiter à Comorrhe. L'article le plus difficile à reſoudre fut la renonciation
qu'on luy demandoit en faueur de Betlin à la ſouueraineté de la Tranſiluanie, Mol
dauie & Valachie: mais ils accommoderent cela en ſorte que la paix fuc concluë au
gré de l'vn & de l'autre party ; certes cres-auantageuſementpour Betlin , & au grand
contentement d'Amurath ,qui dans l'eſtacou pour lorseſtoiencſes affaires & celles de
l'Allemagne, ne redoutoit rien tant que d'auoir l'Empereur pour ennemy. Aufli en
teſmoigna -il ync ioye exceſſiue, & enuoya cent trente robbes deprix , outre quantité
d'autres beaux preſens,pour gratifier ceux qui auoient trauaillé à cér accoinodemenc.
VI. Les Venitiens ſurl'aduis qu'ils eurent dela concluſion de cette paix,enuoyerencvn
Ambaſſadeurà Conſtantinople pourconfirmer la leur , & y entretenir l'alliance auec
les Turcs . Le Roy de Perſe auſſi nonobſtant les grands auantages qu'il auoit ſureux,
y auoitenuoyé le lien pour la demander, à la charge qu'on laiſſaſt Bagader à ſon fils
aiſné, offrant de le tenir en fief du grand Seigneur. Neantmoins ſans s'arreſter à ces
propoſitions, le grand Vizir ne laiſſa pas de partir au mois de Mars auec vne puiſſante
armée & d'aller à Alep attendre les autres troupes que le Baſſa d'Erzeron luy deuoit
encore enuoyer. Les Princes de Moldauie & de Valachie curent auſſi ordre de ſe rea
/
Le grand Vi-
Ba nir preſts & defournir deuxmille cheuaux,auecles viures,munitions & autreschoſes
gadet auec neceſſaires pour l'arméc ; Et le Cham des Tartares de Precopy contribua tout ce qu'il
200090,hom-pût de ſon coſté. Ainſi le grand Vizir Aphis Mehemer alla mettrele fiege deuant Ba
mes,
gadet ,auec deux cens mille hommes. Le vray nom de cette Ville c'eſt Bagdad, mais le
vulgaire l'appelle Bagader ,& ic ſuis contraint de le ſuiure, puiſque c'eſt luy qui donne
les noms.Ceux -là ferrompent bien fort qui la prennent pour l'ancienne Babylone: les
fondateurs & le lieu de l’yne & de l'autre ſont bien differens; Babylone auoit eſté fon

Bagadet n'eſt déc par Belus , fermée de murailles par Semiramis, & merueilleuſement augmentée
Babylone. par Nabuchodonoſor, qui pour cela ſe vante dans l’Eſcriture ſainte de l'auoir fondée :

ellc eſtoit ſur le canal de l'Euphrate , qui recenoit le nom du fleuue ( car cette riuiere
auoit cinq canaux;)Et Bagadera eſté baſty parles Sarraſins,& eſt ſur leTigre à quaráce
milles de Babylone.l'ay appris dans ce belæuure de Samuel Bouchard qu'il a inciculé
Plialog,

1
Amurath IV. Liure vingt -vniéme. 107

Phaleg , c'eſt à dire Diviſion, mais que l'on pourroitappeller aúec raiſon vn amas de 1627.
toute ſorte dedo & rine, d'où procedoir cér erreur. Il remarque là , que Babylone fut
partie ruinée par les Perſes, en partie par le temps , & quelc reſte tomba par la negli
gence des Macedoniens ; ſpecialement lors que Seleucus Nicanor euc balty la ville de
1 Seleucie ſur le Tigre à trois cens ſtades de là:laquelle ayant actiré toutes les richeſſes &
la puiſſance deBabylone, fut premierement appellée Seleucie la Babylonicnne , à la
1
difference des autres Seleucias:puis enfins’appropria le nom de Babylone, comme on le
1
void dans Sidonius qui l'appelle ainſi. Mais come la premiere Babylone s'eſtoit ruinée , Belle semar :
la ſeconde perit auſſiie ne ſçay par quel deſtin, & en la place,ou pour le moins bien produce some
1
che de là füt bafty Bagadet. LcGeographeArabe dic qu'Abujafar Almanſor le fonda Bouchard lur
l'an de Chriſt 753.& que ce futſur la riueOccidentale du Tigre :mais que quelques an- la fondation
de Ba gadet .
nées apres le Sultan Almohed ſon fils ayant planté ſon camp ſur la riue Orientale, il s'y
baſtit quantité de maiſons, dont il ſe fic vne nouuelle Ville.Vn Hiſtorien Perſan nõme
Emirchond,leraconte tout autrement,& dit que Bagadet demeura 342.ansau meſme
eſtatoù Almanſor l'auoit baſty, juſqu'à l'an 487.de l'Ěgire , qui eſt l'an de Chriſt 1095 .
auquelle Sultan Almuſtadir le tranſporca de l'autre colté,à cauſe des frequentes inon
dations du Tigre. Il eſt certain neantmoins que long -temps apres le nom de Bagadec
demeura à la partic du coſté Occidental , & que celle de l'Oriental ſe nõmoic Alcorch , Deſcription
du lieu où clle auoit eſté baſtic nommé Corch , c'eſtoit quelque bourg ou chaſteau, de cette ville,
Aujourd'huy elle eſt en cette meſme ſituation ,mais forc diminuée de laſplendeurpar ch amout .
les diuers ſieges, priſes & repriſes qu'elle a ſouffert.Le Tigre paſſe au milieu cendant du d'huy.
Septentrion au Midy . Dans la partic Occidencale auant ce licge elle auoit bien 3000 .
maiſons,quantité de placesmarchandes, de bains & d'autres lieux publics , mais eſtoit
preſque toutcouueric & fans defenſes de ce coſté là . On paſſe de cette partie ſur la ri
uiere par vn pont de bateaux à celle qui eſt du coſté de l'Orient, deux fois plus grande, Le Gouvera
mieux baſtie
& plus peupléc , & celle - cys’eſtend le long de la riuicre pres d'on mille, neur en fait
ayant à la pointe du coſte du Nord vn foro quarré long de 150. pas de tour , & à l'autre tic
taler
, vac par
bouc vngros baſtion , tous deux aucc vn foſſé fore profond & de bonnes murailles de
brique . Sur l'aduisdu ſiegele Cam fit preſque raſer toute la partie Occidentale,depeur
que l'ennemy n'y logeaft , & ne s'y milt à couuert pour faire les approches , & ſe recira
dans l'autre,dontilcherla encore toutes les bouches inueiles ,rcſolu de tenir juſqu'à l'ex . Valeur des
tremité . Vne partie de l'armée Turque campa ſur la riue Occidentale de la rivière,l'au . afliegez.
tre la paſſa fur vn pont qui n'eſtoit baſty que ſur des outres , ou peaux de chevres réplies
de vent , & neantmoins ſifermes qu'il ſupportoit le charroy & le canon . Ilattaqua la
place par le chaſteau , qu'il fit battre de vinge groſſes pieces , mais affez lentementexe Murat gagas
cutées, parce qu'ils ont fort peu de bons canonniers. Labreſche faiceauec beaucoup la brecchio
de temps ne ſe trouua pas raiſonnable, & les aſſicgez le defendoient plus gencreuſe
inent qu'ils n'eſtoient attaquez . Le Vizir ennuyé de ces longueurs fic redoubler la

batteric ,& apres que la breſche fue cellement agrandicque o hommes de fronty Le Vizir par
pouuoient monter,ilcommanda à Murat Baſſa d'Alep d'aller à laflave. Le Baſła y alla jalouse l'em ;
auec tant de furie qu'il força ceux qui defendoient la breſche, & les pouffa bien auano peſche de
dans la place . Mais comme il'les pourſuiuoit & qu'il eſtoit preſt d'y mettre tour à feu dans la ville:
& à ſang , le Vizir luy enuoya commandement de ſe retirer . Ille faiſoit ainſi , diſoit- il,
parce qu'il auoit ordre du grand Seigneur de conſeruer la Ville: onſçauoit bien pour
tant que ce n'eſtoit pas là con motif , mais qu'il auoit jalouſie contre ce Baffa , s ima
ginant qu'on luy euit donné à Conſtantinople coure la gloire de la priſe de Bagadet .
Aulli les Capitaines qui l'auoient deſia en mépris conneſſans ſa malice , ne ſe purent Ee voyat que
tenir d'en murmurer ,& ce bruit s’eſtant épandu par toute l'armée , les ſoldats ſe mi- les ſoldatsen
rent à le menacer & à louer dauantage la vaillance de Murat . Le Vizir forcené de ja- luy fait cou .
louſie ſe reſolut de ſe ſeruir de l'authorité de la charge pour ofter la vie à celuy à qui perla teſte.
il n'auoit pû oſter l'honneur ; & apres avoir fait courir le bruit que ce Balla ſe vouloic
faire Vizir, donc il mericoic punition exemplaire , il le condamna ſans autre conui
Etion , ny forme de procez à auoir la teſte tranchée. A quoy Murat auſſi conſtant que
gencreux, repartit ſeulement,que cette mort luy ſeroic glorieuſe, puiſque coure l'ar
mée pouuoit teſmoigner qu'il ne la ſouffroit que pour auoir bien fait fon deuoir , &
ſeruy fidellemenr ſon Prince.
Or les Perſes raſſeurez par cette inopinée retraite reparerent promptemēc la breſche, les afliegez
&cy firçne des retranchemēs qui valoiét micux que la premiere muraille ; tellement que breſche.
Tome II . O ij
re
108 Hiſtoi des Turc
s
,

1627. cette jalouſie du grand Vizir ſauua la Ville du perilincuitable, & donna loiſir au Sophy
de venir au ſecours. On raconte que comme il vid de deſſus vne eminence cette pro
Le Sophy digieufe armée campéc en libelordre , il demeura quelque temps tout penſif ,ettant
vient à leur du peril, & par le peu d'eſpoir qu'il
diuerſement combatcu , d'un cofté par la grandeur
ſecours.
auoit de reüſlir , & de l'autre par la peur de perdre la nouuelle conqueſte, & par la ten
dreſſe qu'il auoit pour tant de braues gens qui s'y eſtoient enfermez pour ſon feruice :
puis apres qu'ayant pris vne genereuſe reſolution de vaincre ou de mourir , il leua les

Sa 'priere à yeux & la voix au Ciel , difant. Seigneur, que puis-je moy & mapetite troupe contre cette
Dieu, voyant infinie multitude d'Elephans! Vousſçauez grand Dieu, quelle eſtl'equitéde ma cauſe, & que
la grande ar
mée des ie necherche icy qu'à défendre mon propre patrimoine,que mesennemisme veulentarracher
Turcs,
des mains; donnez moy victoire contre eux, vous qui eſtes leDieu de Iuftice & le bouclier des
innocens. Cela ditil jorca en l'air ſon Tulban royal toutdeſployé, proteſtant qu'il ne le
remettroit iamais ſur la teſte qu'il n'euſt donné ſecours à les ſujets aſſiegez. Ceux qui
eſtoient auprés de luy ont affeuré qu'vn vent miraculeux reployant le Tulbancofa
Menucille qui meſme forme le rejetta ſur ſa teſte , ce qui cauſa vne admiration vniuerſelle à toute
{ uitte.
l'armée, & donna ſujet aux Deuins de luy promettre la victoire. Animé par ce bon au
gure , fi tant eſt qu'il fuſt vray , ou peut-eſtre l'ayant ſuppoſé pour encourager ſes gens,
il ſe mità reſuer attentiuement aux moyens de ſecourir la place ; Tandisque l'on ap
preſtoic toutes choſes neceſſaires pour ce deſſein , il jugea qu'il dcuoit en aduertir les
afliegez quieſtoient à l'extremité, & leur donner courage de peur que le deſeſpoir no
les portaſt à precipiter leur compoſition . Il fic pour cela vnc a & tion extremement ha
zardeuſe, & certes plus à remarquer qu'à imiter. S'eſtant mis ſeuldans vne petite bar
Litrange re- que de peſcheur durant l'obſcurité de la nuit il deſcendit le log de la riuiere vis à vis de
ſolution de l'endroic de la muraille où il jugea qu'il y auoit vne ſentinelle, & au cas que les Turcs
ce Prince,
le découvriſſent, il fit vn laqs de ſes jarticres, auquel il attacha deux groſſes pierres ,
reſolu de ſe les mettre au col, & de ſe jetrer dans l'eau pluſtoſt que de tomber entre les
mains de ſes ennemis.Eftant arriué à l'endroit remarqué il couſſa cour doucementpour
aduertir la ſercinelle , & comme il luy eur reſpondu au quiva là qu'il eſtoit le Roy , il
luy commanda d'aller querir le Gouuerncur:lequel eſtant venu auec les Capitaines,
Vilice les af- & luy demandant pourquoy il ſe mercoit en un ſigrand hazard ; Hé quoy , reſpondit-il,
ficgez la nuit. mes enfans, n'yeftes vous pas vous-mefmespour l'amour de mey ,polrquoy ne m'y mettray
je pour l'amour de vous ? Les fatigues que vous endurez ſont pourmemaintenirla Couron
neſur la teſte ,pourquoy donc ne l'abaiſſeray-je pas ? & ferois-je difficultéd'expoſer ma vie
pour receuoir l'honneur que vous meprocurez au perilde la voſtre: Prenez courage mes amu,
ie ſçay à quelle extremité vous en eſtes , mais quoy qu'il arriuc, dans trois ou quatre iours
plus tard Dicu vous enuoyera du ſecours adicu.Ces paroles cirerentles larmes des yeux
à tous les Capitaines , mais leur forcifierent tellement le courage , qui eſtoit preſque
abattu , qu'ils luy jurerent de perir tous pour ſon ſeruice .
Il auoit enuoyé par coutes les prairies, & maiſons voiſines de ſon camp prendre
dont il vie tout ce qu'on trouueroic de bæufs, mulets , cheuaux & chameaux : dont ayant aſſem
pour faire le- blé vne aſſez grande quantité , il entrelaça ces animaux entre les caualiers, mettant
ues le fiege. vn rang des vns & vnrang des autres . Les Turcs voyantcette longue ſuite qui occu . I
poit toute la plaine tant que leur veuë ſe pouuoit eſtendre, creurent qu'ils n'eſtoient
pas aſſez forts pour combattre cette armée qui leur pareſfoit fieffroyable ,& eurent ſi
grand' haſte de leuer le ſicge qu'ils laiſſerent leurs pauillons , leur bagage, leurs mu
nitions ; & meſme les deux pieces de canon dont ils battoient le chaſteau , & en jette
rent deux autres dans la riuiere . Le Sophyrauy de joye que ſon ſtratageme luy auoit fi
heureuſement reüſli defendit aux ſoldats de tuer les fuyards qu'ils pourſuiuoient, puis
que Dieu combattoit pour luy : tellement qu'ils aydoient à remonter à cheual ceux
que les plus auancez augient renuerſez par cerre . La nouuelle de cette honteuſe dé
route , la mort iniufte de Murat , & la plainte generale de la milice contre Aphis Me
Le Vizir de
mis de la hemce n'eſtoient que trop capables de luy faire trancher la teſte : mais ſa femme qui
charge . eſtoit ſæur du grand Seigneur, & ſes autres amis adoucirent fi bien les choſes qu'à ſon

retouril fut ſeulement degradé de la charge & remis en celle de Caimacan , c'eſt à dije
1628 . Lieutenant du grand Vizir & Gouuerneur de Conſtantinople. En ſa place fut elleu
Caſil Baffa Captan ou Admiral des mers , homme fore vaillant, qui eut auſſi - coſt
Caſilmis en commandement de retourner auec vne puiſſante armée contre les Perſes, & de les
( a placc .
atraquer par Tauris , auec ordre d'oſter en paſſant à l’Emir Facardin toutes les force
relles
Amurath IV . Liure vingt -vniéme
. 109

reſſes dont il s'eſtoit ſaiſi. Comme il fut doncă Alep ilenuoya Soliman Aga renegat 16 : 8 .
François, le ſomnier de ſe remettre à l'obeïſſance ; ce que l'Aga traita ſi adroitement,
que Facardin enuoya au grand
Vizir pluſieurs beaux preſens, & rendit les trois plus
importantes places de ſon petit Eftar, dont la premiere fur demolie , & les deux autres, le Facardin de
ſçauoir Caſtel Franceze & Balbec proche de Damas, qu'il auoit priſe ſur l’Emir Ar- quelques pla
phorax Prince Arabe, remiſesau pouuoir de deux Gouuerneurs quele Vizir y eſtablic ces .
auec de bonnes garniſons. D'Alep le grand Vizir futà Tocat, d'où il enuoya faire la
meſme ſommation au rebelle Abaza Baſſa d'Erzeron , qui n'y ayant point voulu en- Afficge Abaza
,
tendre , l'obligea de l'aſſieger dans la ville d'Erzeron; nonobſtant les rigueurs de l'hy- mais leue le
ver : mais elles furent ſigrandes & fi longues qu'il futcontraint de leuer le ſiege , ayant liege.
cnuoyé cinquante chameaux de membres pourrisà Conſtantinople , pour faire voir au
Sultan l'extraordinaire ſouffrance de ſon armée .
Tandis qu'il ſe morfondoit deuant cette Ville , il deſtacha quelque quarante -cinq Prend Tauris
mille hommes de ſes troupes pour aller ſurprendre le Roy de Perfe qui eſtoit dans
Ardiuil auec fort peu de monde , tout le reſte de ſon armée eſtant aux enuirons de Veut ſurprena

Perlle
Bagadet.Les Turcs prirent leur rouce par Tauris qu'ils gagnerent preſque ſans reſiſtan- dre Roy de
e,
če,maischerchant les voyes eſcartées pour arriuer ſanseſtre apperceus deuant Ardiuil,
ils furent remis dans le grand chemin par la mauuaiſe conduite de leur guide . Quatre
mille Perſes que le Sophy auoit enuoyez découurir la marche des ennemis s'eſtoient ſi
fort auancez ,que cette rencontre leur oſtale moyen de fuir & de reculer : de ſorre qu'il
Stratagemcº
ne leur en reſtoit plus d'autre pour ſauuer leur vie que le combat , qui leur auoit eſté des Perles
defendu . Dans ces extremitez ils trouuerent du moins que l'intention du Roy eſtoit qui deffoi
qu'ils ſe defendiſſent, & qu'il falloit en cette occaſion vſer del'induſtrie ſuiuante. Apres ceux qu'il e.
woyoit
auoir vn peumarché ils firent ſemblant de n'auoir point apperceu l'armée ennemie , cela , pour
tendirent leurs pauillons comme s'ils euſſent voulu ſejourner , commanderent qu'on
preparaſt le ſouper , & ſur la brune ils ſe recirerer dans vnmefchant village tout proche,
laiſſant quelques valets dans le camp, pour dire qu'ils s'en eſtoient fuits au bruit de l'ar
mée desennemis. Les Turcs quiauoient veu leur petit nombre , ne manquerent point Chaſſent &

la nuit d'aller à ces pauillons, où n'ayant trouué que quantité de viandes bien appre- tuent grand
fées ils donnerent ſur les meilleures, & apres auoir fait grand chere s'endormirentcon- combatiende
fuſément, remettant au lendemain à courir apres les fuyards. Les Perſes ſur la my-nuit
fortirent de leur embuſcade , les taillerent en pieces , & ſe firentiour pour retourner à
Ardiuil raconter cette agreable hiſtoire à leur Prince , qui couroit grand riſque ſans
leſuccez de ce petit ſtratageme. Ce bon -heur fur ſuiuy de la deffaice d'vn party des Les Colaques
menace
Georgiens alliez du Turc qui s'eſtoiétierrez ſur les coſtes de la merCaſpiéne pour s'em - Conſt nt o
antin
parer du pays , d'où les Perſes les chaſſerent apres en auoir cué la plus grandepartic. ple
Toutes ces mauuaiſes rencontres contribuoient beaucoup aux grands troubles que

les courſes des Coſaques cauſoient dans Conſtantinople , qu'ils menaçoient d'vne
deſcente de trente millc hommes,s'ils n'euſſent eſté concrains de tourner leur armée

contre le Roy de Suede ſous la conduite & par le commandement d’Vladiſlas Prince Forts baſtis
de Pologne . Pour la deliurer de cette apprehenſion le Captan ou Baſſa de la mer cut ſur le Bori
ordre du grand Seigneur de faire conſtruire deux fores ſur l'emboucheure du Bo- Athene & Diaz
riſthene. Il fut eſcric de ce pays - là qu'en creuſant les fondemens d'un de cesforts on y trouue vne
trouua vne lampe ardente qui bruſloit depuis pluſieurs ſiecles, & qui bruſle encore Lampe mira .
culcuſc,
inceſſamment. Vnautre Baſſa fut auſſi enuoyé pour faire baſtir yne fortereſſe à l'em
boucheure du Danube , laquelle il euſt bien voulu faire plus hauce , s'il n'euſt redoucé
l'irruption de cent mille Tartares qui rauagcoient tout aux enuirons.
Comme l'ambition des Baſſas de Damas, d’Erzeron & de Bagadet, leur auoit fait ſe
coüer le joug pour trancher des Souuerains dans leurs Prouinces, l'auarice d'un autre
fic perdre entierement au grand Seigneur le Royaume d'Yemen, qui eſt dans l'Ara
bie heureuſe ſur la mer rouge . Ce Baſſa pour ſe rendre plus abſolu commença ſon

gouuernement par la mort de deux Beys ou Seigneursdu pays fore puiſſans en biens Le grand Sci
& en credit , dont il s'appropria les richeſſes & accira à luyſcul coute l’authorité qu'ils gneur prend
s'eſtoient partagée : apres cela parvne faute pire que la premiere , il ſe mit à retrancher le Royau ne
les montres des ſoldats.Ce qui les porta à la mucinerie , & les peuples à la reuolte ; l'auarice d'va
fibien qu'ils rappellerent auſſi-toſt les autres Arabes qui s'eſtoient retirez au delà des Balla,
montagnes, & tousenſemble s'eſtant rendus maiſtres du pays donnerent le Royaume
à vn Arabe de la famille de leurs anciens Roys . Le grand Seigneur leur enuoya yn
O iij
110 Hiſtoire des Turcs ,,

X628. autre Baſſa pour les amadoüer de belles promeſſes, & taſcher de les remettre dans le
deuoir , eſtant tres ſenſiblement couché de cette perte, dautant qu'il ne yoyoit aucune
Taſche de le apparence de la recouurer à moins que l'inconſtance des Arabes voiſins ne le fauori
rauoir par la
douceur.
ſaft , veu qu'il n'a pasſur la mer rouge nombre de galeres, ny de vaiſſeaux ſuffiſans pour
vne telle entrepriſe; laquelle il ſe repreſentoit encore plus impolible par cerre , où il
faudroit paſſer tous les deſerts de l'Arabie heureuſe qui feroient perir ſon armée auant
qu'elle fuft à la moitié du chemin ; de façon qu'ayant perdu ce Royaumeil voyoit les
vaiſſeaux de ſes ſujets contrains de payerles droits qu'il tiroit auparauant de ceux qui
retournoient des Indes chargez d'eſpiceries & autres marchandiſes à la Douane eſta
blie pour cét effecà Moca port de ce Royaume & paſſage des Indes .
Les Malthois Les Cheualiers de Malthe leur faiſoient en meſme temps ſouffrir de grandes perces
font grand , ſur la mer Mediterranée : pour en auoir reuanche le nouueau Balla de la mer s'en alla
.
aucc trois galeres & ſix grands vaiſſeaux à deſſein de les combattre : mais qu'euſt-il fait
contre pluſieurs, puis qu'vn petit vaiſſeau commandé par le Cheualier Montmagne
apres luy auoir cenu teſte cinq heures durant paſſa cout au trauers de ſon armée chargé
hede het oer de butin & de gloire. Cette adtion fut forceſtimée par tous les gens du meſtier , la vail
tefte cing
lance d'vn Caloyer Grec ne le fut pas moins. Cet homme ayant eſtéextrcmement ou
heuresdurant tragédes Turcs equippå deux fregates ſous la banniere d'Eſpagne, & fe rendit ſire
Turcs, doucable dans l'Archipel qu'il faiſoit fuirles plus grands vaiſſeaux, combattoit meſme
les Caramoulals, & remportoit touſiours l'auantage ſur ſes égaux . VnCapitaine nom
Glorieux de. mé leieune Dauid , auec ſon vaiſſeau equippé de vingt-quatre pieces de canon , & vn
felpoie d'un autre beaucoup moindre attaqua dans les Illes de Grece neuf nauiresTurcs , dont ſans
Gs.
doute ilfuft venu à bout ſi le feu ne ſe fuſt point mis à ſes poudres, qui bruſlales hom
mes & mit le vaiſſeau à fonds : ſon compagnon mal-gré les Turcs ſe fauua dans l'Iſle de
Eſclaues ef. Candie.Les galeres de Florence auoientadroitement ſurpris ſept nauires Turques qui

grand buting eſtoientà l'anchre au Cap laniſfery presde Tenedos , mais quinze de leurs galeresad
uerries de cela donnerene la chaſſe de ſi pres aux Florentins qu'ils les contraignirent de .
lafcher priſe, & les pourſuiuirent juſques dans Porto Cailla .D'un autre coſté les eſcla
ues des galeres d'Alexandrie , candis que les maiſtres ſe refioüiſſoient s'eſchapperent
dans une qui eſtoit chargée de quatre censmille eſcus en argent , ou en marchandiſe.
D'autrcs veus En ce temps-là le nombre des eſclaues Turcs eſtoit ſigrand dans l'Iſle de Malche
lent ſurprédre qu'ils eurent l'aſſeurance de ſe vouloir emparer du Palais du Grand -Maiſtre , & de
le Palais du quelques autres lieux d'importance . Ce qu'ils euſſent executé , ſi les Cheualiers n'y
Grand -Mai.
ftre de Mal . fuſſent accourus auec force pour les repouſſer, & n'cuſlent fait main baſſe ſur les plus
the .
opiniaſtres.
Les ennemis de la maiſon d'Auſtriche & les Proteſtans prcuoyant bien que la paix de
l'Empereur auec le Turcleur cauſeroit bien-coſtla guerre,eſſayerēcpar leurs Ambaſſa

deurs dedonner demauuaiſes impreſſions au grand Seigneur des leyées qui ſe faiſoient
en Allemagne. Ils luy repreſencoient, Que la Hongrie eſtoit menacée d'vne prochaine
s'efforcent en ruine, & que l'Empereur l'emporteroitbien -coſt auec lespuiſſans armemens qu'il fai
vain de faire ſoit, ſi les Turcs ne preuoyoient promptement à la defenſe; Et ils ſuſciterent encorele
rompre la
paix de l'Em Prince deTranſlīluanie à le ſupplier inſtamment par Ambaſſadeur exprés d'ordonner
pereur aucc au Baſſa de Bude de ſe mettre en campagne , offrant de ſon coſté d'enuoyer ſes troupes
le Turc ,
en Hongrie . Mais le deſir qu'il auoit d'entretenirla paix de ce coſté- là, l'empeſche
rent de preſter l'oreille à coutes ces perſuaſions. Les Ieſuites ſouffrirent cette année vn

ſecond choc plus puiſſant que le premier ,à la follicitation comme l'on creur des meſ
mes Ambaſſadeurs Proceſtans, & peur-eftre de quelques autres ennemis ſecrets. La
cauſe dic -on ,en cſtoittelle. Depuis les derniers ſiccles les Grecs ont appris eux- meſmes
au grand Seigneur à leur vendre les Patriarchacs & charges Eccleſiaſtiques, ce qu'il
n'euſt iamais entrepris s'il n'en cuft eſté ſollicité par leur ambition , laquelle a paſſé
Cyrille ap- juſqu'à ce point, qu'elle ne ſe contente pas de mettre les charges vacantes en céc in
credit & de fame commerce , mais va bien ſouuent juſqu'à faire depoffeder ceux qui en ſont pour
leur argent ueus . Ce qu'ils caſchent neantmoins à couurir de quelque pretexte ſpecieux, accuſant
derle pacie : ceux qu'ils veulent deſtituer d'auoir manqué contre l'es ſaints Canons , ou contre l’E

che & eftmis ſtat. Ily auoit vn Moine nommé Cyrille , homme de grand eſprit, mais excremement
en la place , ambicieux , qui delirant parucnir au Patriarchat de Conſtantinople offrit des ſommes
exceffiucs pour en depoſſeder celuy qui en eſtoit pourueu ,nomméTimothée , & ſe
meccrcen la place , mais ſon pouuoir ſe trouuoit bien au deſſous de la parole . L'Am
bafladeur
1

1
III
Amurath IV. Liure vingt-vniéme
.

baſſadeur Hollandois qui cherchoit auec paflion les moyens de planter la doctrine de 1628 .
Caluin en ces pays -là, luy offre toute aliſtance de la part des Proteſtans, pourueu qu'il
veüille fauoriſer ſon deſſein lors qu'il ſera cſtably dans cette dignité . Cyrille s'y effant
obligé , illuy fait coucher les ſommespromiſes , qui le fontinſtaller dans la place de Ti.
mothée. Comme il y eſt,deſirant s'acquitter de la promeſſe ilenuoye quelque nombre
de ieunes Grecsen Hollande pour y eſtre inſtruits commedans un Seminaire de la do
S'efforce de
Erine de Caluin ; & n'oſant pas d'abord la profeffer luy-meſme, pource qu'elle auoir planter la do
eſté delia rejeccée par l'Egliſe Grecque, il entreprend d'en faire imprimer le Catechil- Erine de Cal
uin parmy los
me , tout cela auec l'ayde & aux deſpensde l'Ambaſſadeur de Hollande, viſiblement Grecs.
ſecondé par celuy d'Angleterre, & commele creurent quelques - vns; meſme par ce
luy de Veniſe. Le coup eſtoit tres - important pour le party Catholique : car outre que en fait impri
les Proteſtans euſſent eu par ce moyen le conſentement aſſeuré de l'Egliſe Grecque mer le cate,
que chacun des deux partis a touſiours caſchéd'attirer à ſoy, ils ſe fuſſent auſſi donné chiſme.
la gloire ayant gagné cetec grande eſtenduë de pays , que leur do& rine cuft en ce point
cſté plus Catholique,c'eſt à dire plus vniuerſelle que la Romaine . C'euft efté d'ailleurs
vn grand preiudice aux Princes Catholiques & particulierement au Roy de France,de
ſouffrir qu'vne Religion qu'ilstaſchoient d'extirper de chez eux,pulluláſtainſi dans le Cozy Ambal
ſadeur de Fra .
Leuant. Donc Cezy Ambaſſadeurde France, égalemencpouſſé duzele de la Religion , ce s'oppoſe
& du ſeruice de ſonMaiſtre ,s'oppoſe vigoureulemêt à ces progrez,va trouuer le grand aux progrez
de cerre dos
Vizir & le Mufcy , & leur repreſenre auec beaucoup d'efficace toutes les dangereuſes ctrine.
conſequences que pouuoit cauſer cette nouueauté . Que c'eſtoit vne Religion quiap- -
qui vouloit limiter lapuiſſance
prenoit le libertinage & la deſobeïſſance aux Sujets ,
des Princes , qui apprenoit aux peupleseè s’armer contre leurs Magiſtrats, qui ne s'e- ..
ſtoic iamais introduite nulle part, fans y auoir traiſné enſuitte les guerres ciuiles & tou. c
tes les deſolations imaginables .Brefilles perſuada ſi bien qu'il obrint permiſſion de ſe co
ſaiſir de ce Catechiſme. Ce qu'il executa auſſi-toft: car le iour des Roys il fit que les Ee par to
Officiers de Iuſtice furent dans la maiſon du Patriarchat où l'Imprimerie eſtoit dreſſée, moyen du
& emporterent les Liures & les characteres au logis du Caimacan , qui les luy mit cn- fait failie"co
tre les mains . Catechiſme

Les Ambaſſadeurs Proteſtans viuement touchez de cér affront, mais n'oſant s'en
prendre directement à Cezy , reſolurent d'attaquer les Ieſuites qu'ils creurent l'auoir
pouſſé à cette action , s'imaginant d'ailleurs que ce ſeroit le choquer bien puiſſamment
que de faire perir ceux qu'il cſtoit obligé de conſeruer , parce qu'ils eſtoient là ſous la Les Amballan
protection du Roy . Ils ſe mettent donc à publier contre eux toutes les mauuaiſes ma- Itanss'en veus
ximes dont leurs ennemis les accuſent , preſchenc inceſſamment aux oreilles des Mi- lent vange
ſur les lefurcia
niſtres d'Eſtat que ces gens n'ont autre exercice qu'à faire des monopoles & des con- res,
{ pirations, & qu'en vn mot candis qu'on les ſouffrira dans Conſtantinople ny cette
Ville ny la viemeſme du grand Seigneur neſeront en aucune ſeureté. Ils gagnenraues Les accuſena
celale Caimacan , moyennant vn preſent de quarante mille eſcus;ſi bien qu'il les fait li puillammes
metere priſonniers les fers aux pieds, emporter leur Bibliotheque en fon Palais & piller qu'on lesem
le reſte de leur maiſon, puis conclud auec les autres du Conſeil de lesenuoyer ſous vne banait:
rigoureuſe garde dans l'Ile de Sio ,& de donner Arreft de banniſſement general con
tre tous ceux decét Ordre qui ſe trouueroient dans les terres de l'Empire Turc . Les
follicitations de Cezy Ambaſſadeur de France,les plaintes & les proteſtations qu'il fit
de ſe retirer aucc eux lion les banniſfoit,furentinutiles auſſi bien que les remonſtrances L'Ambertian
du Mufty, pour empeſcher l'execution de cérarreſt. L'inuention qu'ils penſerent ap- deur de Fran
porter pour empeſcherl'enleuement de ces Peres, n'y ſeruit de rien non plus. Le Mufey ce s'en plaint,
& le Baſſa dela mer ,auoient à la priere de Ceży enuoyéordreaux Capitaines des Cha
ſteaux d'arreſter les vaiſſeaux pour cette nuit -là , & de prendreleur pretexte ſur ce qu'ils

n'auoient point de paſſe -port,parce qu'en effet le Caimacan auoit oublié d'en expedier: Taſche parles
arreſter à
mais celuy qui les conduiſoitreuinc en grande diligence en querir vn ; & cette fineſſe finelle :
aigrit tellemét le Caimacan , qu'ilordona qu'on les fic paſſer dás l'Iſcſans aucun delay .
L'Ambaſſadeur offenſé de cette iniure interdit le commerce aux François , & fcignic de
mais en vaio
preparer toutes choſesàvnerupture ,en attendant les ordres du Roy qu'il auoic auerty
de toutes ces procedures. Mais en cette Cour là ny les prieres , ny les menaces , ny les
pegociations n'auancent aucune affaire ſans argent: c'eſt luy qui faic & qui guerit les Ils furent cea
plus grandes playes; Tellement que Cezy ayant repaſſe dans ſon eſpric tous les moyens tablisà force
de rappeller les bannis, refolut de ſuiure la mechode qu'auoiç ſuiuie en pareil cas le d'argent.
112 Hiſtoire des Turcs ,

1628. Baron de Sancy , qui fur de diſtribuer quantité d'argent aux Miniſtres pour les iufti
fier : & par là ils furent reſtablis commeils auoientelté l'autre fois, aucc proclamation
publique de leur innocence.
Calil demis La perte que les Turcs venoient de faire, tant contre les Perles qu'au ſiege d'Erze
de la charge son , fut cauſe que le Vizir Calil Baſſa retourna à Conſtantinople , où il fit les plaintes
de
gic ,grand vi- que l'inſolence desSpachis & laniſfaires l'auoienc empefché de prendre cette place,
qui autrementn'euſt pas dû ſubſiſter plusde huit iours.Legrand Scigneur actribuátce
deſordre au mépris qu'ils faiſoient de la vieilleſſe de Calil éleúten ſa place le Gouuer
neur de Diarbechir ,luy enuoya les feaux & l'ordre d'aller commander l'armée , & de
Abaza remet remettre le ſiege deuaneErzeron. Ce nouueau Vizir ne ſe trouua pas moinsempeſché
Erzeronau que ſon predeceſſeur parmy les Ianiffaires , qui commettoient chaqueiour mille mu
grand Sci
tineries & refuſoienc d'aller aux attaques liauparauant on ne les payoic des montres
gneur, qui le
fait Admiral qui leur eſtoient deuës. Au defauc de leurs forces il y employa l'addreſſe , & par ce

Seu Goles moyen vint à bour de ſon entrepriſe; il ſe ſeruit d'un certain Georgicri nommé Mcurab
Bolnic . fugitif de Perfe, homme fort adroit, lequel par belles paroles gagna le rebelle Abaza
&z. l'emmcna à Conſtantinople,où le grand Seignour luy donna la charge de Caprang
auec le gouvernement de la Boſnie.
Cér accommodement d'Abaza facilita l'entrepriſe que faiſoit le grand Seigneur de
Le grand Sei- reſtablir Cantimir Laidera Roy de Tarcarie dansſesEſtats. Ce Prince auoic eſté cõme
Semettre Că. cxilé à Rhodes, & delà eſtoit venu à Conſtantinople auecſon frere :Legrand Seigneur
timit Roy. l'ayant bien fait receuoir, luy donna cinquante galeres commandées par le Balſa
Taytare dans
Eſtats . de la mer , pour aller tenter ſon reſtabliſſement. Il trouua pluſicurs Tartares diſpoſez
>
à le reconneſtre : mais d'un autre coſtéles Colaques de Pologne & les Circaſſiens afſi.
ſtoientlc Roy Mehemet Chiran ſon aduerſaire,& auoient enuoye dix mille hommes à
Chain Chiran frere de Mehemet . Cc Chain fur au deuant de Cantimir pour le com
Les Cofaques
alliſtent Mc . bactre :'mais Cantimir le deffit en ſorte qu'il le contraignit de paſſer le Danube auec
bemet qui
cent homes ſeulemenc , & de fe ſauver dans Balczya reſidence ordinaire des Roys Tar
s'en eſtoit
emparé. Cares.Le reſte de l'armée s'eſtant donné à Cancimir il fue aſſieger Mehemet ſon riual
auec ſon frere dans la Ville , où il y auoic vingt- quatre picces decanon & fix millehom .

Cantimir mes bien preparez à la defendre en attendantle nouucau ſecours des Coſaques , poue
deffait les lequel Mehemet auoit fait alliance auec le Roy de Pologne , & luy auoit enuoyé ſa
Tartares.
fille en oſtage. A l'arriuéc des Colaques la fortune fembla abandonner Cantimir : car
les vns venus par terre vers les emboucheures du Danube , cucrent crois ou quatre
mille Turcs 8c mirent tout à feu & à ſang dans vn lieu nommé Bandec: les autres
deſcendus dans la mer auec leurs petits bateaux , prirent cinq galeres Turques ; & au
Et les Cola- meſme temps la pluſpart des Tarcares qui auoient fuiuy Cantimir l'abandonnerent :
ques les
de ſorte qu'il fut facile à Chain Chiran d'aller mectre le liege deuantCafa , & Cancimir
Turcs ,
ne ſe ſentant pas aſſez fort pour le faire leuer, ſe retira à Sinap pour y attendre les trou
pes quiluy venoient par mer & par terre:carle grand Seigneur auoit refolu, puiſque les
deffiances d'entre les Turcs& les Tarcares auoient paſſé à vne rupture ouuerre ; de

pourſuivre ſa pointe juſqu'à l'entiar aſſujettiſſement des Tartares , bien qu'on cafchalt
de luy faire apprehender vne irruption du coſté de l'Allemagne qui eſtoic en armes.
Le feu mis : Au mois d'Aouſt le feu ſe mit ſi aſprement dans Conſtantinople , que ſi le vent
dans Céltan. Grec qui l'auoic allumé ne ſe fuſt courné au Ponant , on ſeroit maintenant à cher
tinople par cher en quelle place auoit eſté baſtie cette ſuperbe Ville. Ce qui arriua par la faute
l'inaduertan .
ce d’yn eſcla d'un eſclaue qui auoit laiſſé tomber yn charbon dans le buſcher d'une Sultane qu'il
ue.
feruoit , logée contre le magaſin des farines. En coure la concrée des Aqueducts & -de
puis la mailon de la Sulcane juſqu'à la Moſquée de Sultan Soliman ,on compra deux
cens Serails ou Palais , & plus de fix mille maiſons, crence bains , Gix -vinges fours pu
blics , & fix -vingts moulins reduits en cendre. La perce n'euſt pas eſté ſi grande , ſi l'on
boreli olema cuft mis pluftolt les Azamoglans en beſongne : car ils n'y voulurent point mettre la
lais bruſcz . main que le grand Seigneur ne leur euft luy -meſme promis de les faire payer de deux

années de gages qui leur eſtoientduës, & de leur donner encore deux payes ; ce qui les
engagea à trauailler auec cant d'action qu'il y en euc plus de deux mille de bruſlcz . Il
y eut auſſi pluſieurs Ianiſſaires eſtouffez de la fumée, l'affe & tion de piller les jeccang
Imprudence inconſiderément dans les flammes. Vne Sultane tante du grand Seigneur croyant que
d'uns Sulta- la hauteur des murailles de fon Serrail la pouuoit garantir du feu , fic fermer les portes
ne ,
quieſtoienc de fer, mais il stouua bien - coſt par où entrer & la conſomma cn vn inſtane,
auec
Amurath IV . iure vingt-vniéme. 113

auec trois cens eſclaues de tout ſexe. Vn Iuif penſanteſtre plus prudenc qu'elle cacha . 1628 .
trois ou quatre çens mille eſcus qu'il auoit au milieu de la cour , puis mic luy -meſme le
feu dans ſa maiſon , de peur qu'on ne pillaltcérargent :mais les gens du grand Sei Subtilité d've
luif.
gneur qui auoient euenté ſa cache , ne luy en laiſſerent qu'vne bien petite partie .
Quoy que ce Prince fuſt bien occupé contre la Perſe,
& que la pluſpart des galeres
VII .
fuffent employées au recouurement du Royaume de Tarcarie ,il ne laiſſa pas ſur l'aduis
qu'il eur des differens d’entre les Roys d'Alger & de Tunis, de commander au Baſſa
de la mer d'aſſembler le plus de vaiſſeaux qu'il pourroit , & d'aller en diligence les Diuifion en .
mettre d'accord , de peur que l'iſſuë de leur guerre ne fuſt la ruine de la ſouueraine- d'Alger
te les Roys
& de
té qu'il auoit ſur leurs Royaumes . Enuiron ce temps- là il penſa y auoir rupture entre Tunis.
ceux d'Alger & les François , pour quelques vaiſſeaux & canons des Mahomecans pris,
par Simon Daulet Capitaine de marine .Mais pour empeſcher que les Turcs venanta
vſer du droit de repreſaille le commerce n'en fuſt interrompu , le Roy Tres-Chreſtien
comimanda que le toutfuſt reſtitué, & renouuella l'alliance auec eux , qui fur concluë Alliance de la
commeils'enſuit , & jurée pour Sa Majeſté par le Capicaine Sanſon Napolon ſon Depu- uel Fráce Ichou
lée auec les
té, & par l'Aga , les Mufty & Čady d'Alger , en preſence d'Orſan Baſia du Royaume . Roys d'Alget
1. Les Turcs refugiez au pays delenys ennemis auront libre paſſage par la France pour re- & de Tunis.
tourner dans Alger 2.Les vaiſſeaux s'eſtant reconnus ſe ſalieront reciproquement ,
ſans que

ceux d'Alger puiſſent aller dans les navires ou barques Françoiſes poury prendre aucune chi
ſe contre leur gré,ny pour les forcer àdire plus qu'ils ne deuront. 3. Si les vaiſſeauč François
ſe trouuent chargez des marchandiſes des ennemis du grand Seigneur, ils ſeront conduits

t rtir, à condition
dans Alger, où ilspayerontles noles :mais apres ils en pourront libremenfo
de ne plus entreprendre cesvoitures , fur peinede defcheoir du credit des noles. 4. Tous les
François mariez dans lespaysennemis du grand Seigneur , qui ſeront pris demeureront es
claues comme les naturels des lieux . 5. Tous ceux qui ſeront agriffeurs apres auoir parle

menté, s'ils font pris ſeront eſclaues , ainſi qu'il eſt porté par le commandement du grand Sei
gneur. 6. Ceux d'Alger ne pourront prendre aucuns François pour les faire renier leur Re
force :mais ceux qui le voudront faire volontairement ferontconduits au Dinan,
ligion par
pour declarer librement & fans contrainte quelle Loy ils veulent garder. 7. Si quelque
Reys denauire ou barque d'Alger ne vouloitpas croire à la parole des Chefs á officiers des
vaiſſeaux Francois que les marchandiſes less appartiennent, ils feront menez au Dinan
d'Alger quiles interrogera auec toutes les femonces de douceur & d'amitié , & s'ils perji=
dans leur ferment il les renuoyera , & les Reys ſerontchaſtiez àproportion de la vio
Stent

lence dont ils auront vsé. 8. Les natifs des pays ennemisdu grand Seigneur habituez en
France ne pourront eſtre faits eſclaues, ny les François pris ſur leurs vaiſſeaux , pourúen
frauder
qu'ils iuſtifient qu'ils n'habitent point dans le pays des ennemis. 9. Les Reys pour
le preſent Traité ne pourrontprendreles vaiſſeaux François pourles mener à Sallé ou autres
lieux de leurs ennemis , pourraiſon dequoy trois Reys quipartiront d'Algerpromettront d'y
retourner , & deffenſes ſeront faitesd'en receuoirascun eſtranger. 10. Prometient & s'o
bligent les uns & les autres parle preſent Traité d'obſeruer ponctuellement tous char
cunsi les articles accordez entre les deux Princes ., II . En conſequence dequoy perfonne ne

pourra entrer dans la maiſon du conſul des François, pour quelquepretexte que ce ſoit; Que ..
ſi quelqu'un pretend quelque choſe deluy ille
fera appeller cinilement au Diuan , os ilfett
traité par l'Aga auec toute ſorted'honneur de reſpect. 12. Et en cas que quelques- uns,
foit d'Alger ſoit
, de France enfreigniſent le preſent Traité, ils ſerontpunis, & auront
la tefte tranchée.
Courſes des
Ce Traité fur
arreſté & ſigné dans Alger , le neufiéme iour de Septembre 1628 . Pirates de Biz
Tandis que les affaires s'accommodoient entre les François & ceux d'Alger, les Pirates lerte.
de Biſerce s'efforçoient de faire les leurs dans la Mediterranée. Mais les galeres de Pluſieurs ſura
Toſcane ayant appris qu'ils rodoient auxenuirons de l'Ile de Corſe , les approche- pris en prenát
rent G fubtilement que les Pirates qui auoient mis vne partie de leurs gens à terre pour cau à terre pac
prendre de l'eau n'eurent pas loiſir deles rembarquer , & furent contrains de cirer vers leer The Goals
la pointe de l’Iſle pour ſe fauuer. L'Admiral pourſuivit vne de leurs galeres , qu'il prit leurs galetes .
apres vn furieux combat ; deux autres auſſi en prirencvne ſeconde qu'ils auoient ga cinçcēs dou.
gnée l'année paſſée ſur les Malchois ; & trois des meſmes donnerent la chaſſe à ze Chreſtica ;

des ennemies plusde quinze milles auant en mer, ſans les pouvoir attraper.Il fut crou- deliurez , &
ué quantité de richeſſes dans ces deux galeres: on en recira cinq cens douze eſclaues Turcs mis &
Chreſtiens, en la place deſquels furent mis crois cens fix Turcs . Montauto General des la chaiſac .
Tome II. P
114 Hiſtoire des Turcs ,

1628. galeres Toſcanes acquir cette gloire au prix d'vne bleſſeure en la perſonne,dela mort
de vingt-cinq des ſiens, & du ſang de quantité d'autres.
Les galeresde Malche qui auoient attendu celles de Biſerce aux Illes de S. Pierre
Les galeres où elles deuoient paſſer ſur l'aduis que cét Admiral en auoit pris vne partie & donné

prennét deur la chaſſe à l'autre , reprenoient la route de leur Iſle auec deux vaiſſeaux qu'elles
vaiſſeaux
auoient pris dés le trentiéme luin vers la Candie ſur les Turcs de Tripoli , & cent qua
Turcs & cent
quatorze cf. torze eſclaues, qui auoient couſté vo bras au Cheualier du Puy la Garde, & quantité
claucs.
de bleſſeures au Commandeur de Chiffay. Mais il leur falloit vne cxpedition plus fi
gnalée pour rentrer dans Malthe auec plus de gloire . Elles curent aduis à l'Allicate
Abordent qu'il auoit paru deux galions Turcs, ce qui les fit auſſi-coſt partir ſi heureuſement.
deux galions qu'elles les découurirent à quinze licuës du golphe de Malthe . Là mal-grélesbou
Vilain . raſques du vent qui groſſiſſent extremement la mer ,ils approcherent à force de rames
& de voiles,
& cirerent vn coup de canon ſans balle; à quoy les Turcs prenant coû
Doc ils pren jours la chaſſe reſpondirent de meſme comme s'ils euſſent eſté amis . Mais comme ils
pent le pseu ſe virent découuerts par la felouque que les Cheualiers auoient enuoyée pour les re
mier,
connoiſtre , ils cirerent deſſus vn coup de canon à balle , deſchargerent vne ſalve de
coups de mouſquets , & leuerent à meſme tempsleur Eſtendart ,ſur lequel on liſoit
en langue Turque , Icy commandele Capitaine de la mer , qui voudra efprouuer ſa valeur

Et le second qu'il l'aborde. C'eſtoit le fameux Pirate V ſlain . LeGeneral Malthois aueclagalere
apres , & deux autres l'eſtant allé attaquer de viue force , y trouua vne extreme regſtance :
neantmoinsà la fin illa ſurmonta & ſe rendit maiſtre d'vn des galions. Trois autres de
de voiles touſiours en
Main mené ſes galeres pourſuiuirent celuy d'Vfrain qui s'enfuyoit à force
pour laqua- combattant , & l'ayantattrapé à vnc heure de nuit , luy firent fuiure la fortune dupre
eriéme fois 'mier. Il y fue tué deux Cheualiers de marque . Le Pirare V ſlain y receut vn coup de
1 priſonnier à
Malthe, mouſquet à la gorge & fut mené eſclaue pour la quatriéme fois á Malthe , auec deux
cens vingt Turcs,
& quarante Chreſtiens quiſanseſtre renegats tirent paye dans les
galions en qualité de Bombardiers , Calefas ,& maiſtres d'Aches , ou Charpentiers .
1629 . Au mois de lanuier de l'an 1629. des nouuellesde la priſe de la Rochelle eſtant arri
uées à Conſtantinople, Cezy Ambaſſadeur enuoyale Conſul des François pour le
de
la priſe de la ruſalem en faire part au grand Vizir , qui en teſmoigna beaucoup de joye & promic
Rochelle à de les faire entendre au grand Seigneur , l'aſſeurant qu'il les auroit tres-agreables.
Conſtantino
L'Ambaſſadeur fit en ſuitce vn ſomptueux feſtin à pluſieurs Baſſas amis de la France,
ple,
où il conuia auſſi les François , les Venitiens , & quelques particuliers des autres Na

Feſtins & feux tions . Le dernier mecs qu'il leur donna furent de beaux feux d'arcifice qui furent ad
de joye qu'y mirez dans Pera , & meſme du Serrail par la faueur du vent de la tramontane qui les
fait l'Ambal portoit à ſa veuë. A la fin de Feurier enſuiuant la nouuelle de la mort de Cha Abas
ſadeur de
France. Roy de Perſe ,decedé au commencement dumois,y apportà vnc refioüiſſance vniuer
ſelte , pource queles Turcs ſe promirent d'abord de recouurer Bagader & tout ce
La mort du qu'ils auoientperdu durane ſonregne. L'Ambaſſadeur de France eſtancà l'audience
Roy de Perſe. chez le grand Vizir lorsque la lettre en fut apportée ne s'en conjoüit point autre

Qui auoit ment auec luy , & diſſimula ſeulement le regret qu'ilauoit de la mort de ce Roy qui
grande incli- auoit touſiours teſmoigné beaucoup d'affection & d'eſtime à la'nation Françoiſe.
nation pour
L'Orient peut compter ce Prince parmy les plus fameux qui iamais y ayene com
12 France,
mandé , & dont le Regne a eſté vn des plus longs & des plus victorieux ,mais dans
l'eſprit duquel les vices onteſté tellementmeſlez parmyles vertus ,qu'on peuocom
parer ſa vie à ces pays d'Afrique , où l'on rencontre par endroits de belles contrées
plantées de toutes ſortes d'arbres & agreablement arrouſées de diuers ruiſſeaux,
mais par cout ailleurs que des ſables brullans , des plaines pierreufes, & des ſolitudes
pleines de ſerpens, de dragons, & dccruelles beſtes. Car il paroiſſoit affable & hu
main , prenoit plaiſir à eſtreay méde ſes peuples ,eſtoit fort deuot en la religion, & en
Ses vertus & nemy du menſonge, de telle ſorte qu'il faiſoit couper la langue à ceux qu'il ſurpre
Ces vices. noit dans cette faute; De plus il pareſſoit grand luſticier,extremement deſireux de la
gloire & de la renommée qui s'acquiert par les armes, merueilleuſement a &tif & vigi
lant,ſoigneux depouruoirluy-mcſme à tout ce qu'il croyoit neceſſaire pour rempor
terauantage ſur ſes ennemis,eſtoit fortvaillant & hazardeux de ſa perſonne, le meil
leurCaualier de ſon Royaume,le plus adroit à tirer de l'arc & à lancer le jauelor,eſtant
auec cela doué d'une force extraordinaire , quoy qu'il fuſt de petite taille . D'autre
coſté il eſtoit horriblement cruel , non ſeulement enuers ſes ennemis , mais encore
envers
Amurath IV.Liure vingt - vniéme . 115

enuers les malfaicteurs, pour leſqucis il ſe delectoit à inuenter de nouueaux ſupplices 1629 .
Diſſimulé , perfide, ſemecant comme vn autre Prochée en mille poſtures, pour ſo
deflier de la parole qu'il auoit donnéc , ou pour attrapper ceux qu'il vouloir faire
tomber dans les filets; Fort yurongne , comme ſont la pluſparc des Perſans,peu re
connoiſſant des ſeruices qu'on luy rendoit, fortementatcachéattaché aux predictions
de ſes Aſtrologues , & tellementamateur d'argent , qu'il eſtoit capable de tout faire
pour en acquerir. L'imbecillité de ſon pere Codabande auoit laiſſé la Perſe dans une
extremeconfuſion ,& le Sceptre de ce Royaume àſon fils aiſné , nommé Anza Myr
za,peu capable d'en reſtablir la grandeur , à cauſe que les Seigneurs l'auoicntà mé
pris, plus pour la foibeſſe de ſon cſprit, que pour celle de ſon aage , car il auoit dix
huità dix -neuf ans.CeieuneRoy ne veſcut pas long temps , & fut afſallıné dans ſon
cabinet par vn lien Barbier . Son frere Abas luy fuccedant accuſa du crime de fa
mort lesGrandsdu Royaume, & en fit mourir pluſieurs , ſoit qu'en effet ils fuſſent
coupables, & qu'ils euſſent fait tuer leur Roy , parce qu'il auoir inclinacion pour les
Chreſtiens, comme il en fit courir le bruit, ſoit qu'il ſe ſeruiſt de ce pretexte pour
exterminer ceux qui euſſent pû mettre obſtacle à ſon authorité abſoluë:De fait il ſe

rendit ſi redoutable par ce moyen qu'il remic dans peu de temps tout fon Royaume
dans vne parfaite obeiſſance, & reduiſit au neant le pouvoir des Grands quiauoient
preſque vſurpé la tyrannic. En ſuitte dequoy ſon ambition s'eſtendant au dehors, il
atraqua de gayeté de cæur le Turc , ce grand & redoutable ennemy, & employant à
vne li hardie entrepriſe tout ce qui ſe peur de courage , de diligence , & d'addreſſe,
fut preſque touſiours victorieux trente ans durant ; de ſorte qu'il cult pû renuerfer
cette effroyable puiſſance , fi les Princes Chreſtiens qu'il ne ceſſa coute ſa vie de ſollia
citer à luy ayder , euſſent pû auili facilement aſſoupir leurs diſcodrs entr'eux qu'ils
eſtoient ingenieux à trouuer touſiours de nouveaux ſujets pour les fomenter. Le be
ſoin qu'il auoit de leur ſecours l'obligea de carcſler extraordinairement les Chre
ftiens, & meſme de donner entrécen lon Royaume & en la Cour à quelques Moines
Auguſtins, auec des priuileges tous particuliers: mais en effet il n'aymoit point cette
Rcligion , & le teſmoigna bien en pluſieurs occaſions dans les dernieres années de
ſon Regne , lors qu'il vid qu'il n'auoit plus rien à eſperer du colté de la Chreſtiencé.
De pluſieurs fils qu'il auoit eus ne luyen reſtant qu'un qui eſtoit aueugle , & partang
incapable de tenir le gouuernail , commeil ſentitla fin de ſesiours approcher, auant
que de ſe mettre au liæ de la mort , il enuoya querir le fils d'vn ſien fils aiſné pour le
faire heritier de la Couronne . Or parce qu'il auoit autresfois fait trancher la teſte à
ce ſien fils pour quelque conſpiration , leicune homme redoucant l'eſprit ſoupçon. Cha Abas
eſtablit le fils
neux & cruelde ſon grand pere , ſe laiſſa conduire douers luy auec autant de regret
de ſon fils aiſa,
que ſi on l'euſt mené à la mort . Saiſi de cette crainte, en l'abordant il ſe jette à ſes né ſon luca,

pieds au lieu de le falüer , ſe proſterne contre terre , & luy demande auec yne tresaceleur .
profonde humilité , qu'eſt- ce que defiroir ſa Majeſté de ſon ſeruiteur . Le Roy luy
reſpond , qu'il l'a enuoyé querir pour luy laiſſer la Couronne ; leicune Prince s'ima
ginant qu'il le veut tenter par cette ruſe , & ſçauoir s'il a quelque penſée de regner ,
fc prend à pleurer , & fait tout ce qu'il peut par ſes larmes & par ſes diſcours pouc
teſmoigner qu il eſt tout à fait éloigné de ces pretentions. Mais ſon grand -pere
vn gracieux accueil & de douces paroles, le
l'ayant deliuré de cette crainte auec
fit proclamer ſon ſucceſſeur par les Grands du Royaume , & luy ordonna vn Con
ſeil
, auec lequel pluſtoſt que parſa propre conduite , il gouuerna aſſez heureuſement
ſes affaires , tandis qu'il veſcut.
La redu &tion du Baſſa d'Erzeron & la mort du Roy de Perſe ,ayant apporté beau- Les Venitiens
obciennent
coup de temperamment aux troubles de Conſtantinople ,l'audience fut ouuerte aux ſecours du
alliez du grand Seigneur , & particulieremenc auBaile de Veniſe qui obtint le ſecours grand Sci.
d'vne armée nauale contre les Eſpagnols, qui menaçoient d'entrer par force dans le gneur contre
jes Espagnols,
golphe Adriatique pour mettre l'Infante d'Eſpagne, nouuelle Rcyne de Hongrie ,
aux bords de l'Iſtrie . Mais ſoit qu'ils redoutaſſent le Capran Balſa qui s'eſtoit venu
ioindre aux Venitiens , ſoit qu'ils euſſent changé de deſſein , ils ne continuerenc pas
leur pointe , & les Turcs ennuyez de les attendre, fe reçirerent dans la mer blanche.
Ilyauoit à la Porte deux brigues formellement oppoſées qui recardoient & broüil
loient toutes les affaires , Amurath n'ayant pointencor aſſez d'experience , ny de ſoin
ny de force d'eſprit pour lesmanier luy-meſme. Del'vne eſtoient chefs le grand Vizir
Tome II . Pij
116 Hiſtoire des Turcs ,

1629. & le Mufry :le premier eſtoit eſtiméégalement home d'Eſtat, & de guerre, le ſecond
paſſoit pour hommede grande integrité & de vie fort religieuſe, & tous deux auoient
Dla Couritespeputation de ſeruir fidellementle grand Seigneur & de luy donner de bons conſeils ,
ac des quatre bref d'eſtre ſeuls capables de reſtablir par leur prudence la Majeſté Othomane dans
beaux-freres, ſa vigueur & dans ſon éclat,& de remedier aux deſordres que la foibleſſe du gouuer
etand vizir nement auoit cauſez depuis dix ans. L'autre briguc eſtoit compoſée dequatre Baſſas,
& du Mufty, cous quatre beaux-freres du grand Seigneur , qui
poſſedoient toutes les belles charges
& la faueur du Prince,non pas par le credit de leurs femmes,maispar celuy de la Sul
tane mere de ces femmes qui pouuoit preſque tout ſur ſon fils :car les Othomans ont
d'ordinaire auſſi peu d'amitié pour leurs fæurs qu'ils ont beaucoup de reſpe & pour
leurs meres ; leſquelles peuuent facilement ſi elles ont tant ſoit peu d'addreſſe & de
conduite,retenir l'empire que la nature leur a donné ſur eux , & auoir bonne part au
gouuernement:mais fielles en abuſent la milice ne le ſouffre pas, & contraint leur fils
à les renfermer au fonds d'vn Scrrail.Chacune de ces brigues faiſoit jouer tous ſes reſ.

forts pour açırer l'authorité à elle ; la premiere eftant appuyée de la faucur du peuple
& de la milice , à cauſe de l'opinion qu'elle s'eſtoit acquile d'aymer la Iuſtice & lesin H
La premiere tereſts de l'Eſtat:la ſeconde portée pār la pluſpart des Baſſas & autres grands Officiers
fait que l'on
. en haine de la ſeuerité du Vizir, qui elpargnoitmoins leurs teſtes quand il les trouuoit
zir allieger en faute, que celles des moindres hommes du peuple. Or comme les beaux-freres re
Bagadee , cherchoient tousmoyens pour éloigner ce Vizir n'eftant pas en leur pouuoir de le

diſgracier, ils remirent en auantla guerre de Perſe & le ſiege de Bagader aucc quan
tite de raiſons ſpecieuſes pour l'honneụr du grand Seigneur & la reputation des ar
mes Othomanes . Le Vizir deſon coſté , ſoit qu'il connuſtleur deffein ou non , preoc
cupé d'vn ardent defir de gloire , embraſſa auidement cette commiſſion ,apresauoir
feinedela refuſer. Il partit doncde Conſtantinople ſur la fin de Septembre auec ſix
vingt mille hommes,quinze canons de batterie, & quarante picces de campagne.Il
ſeiourna iuſques au huictiéme d'Octobre dans Alep , où il fit mourir pluſicurs Baſſas
& perſonnes de condition ; Entr’autres ,parce qu'il eſtoit any de Cezy Ambaſſadeur
de France , il y fit pendre vo certain Maltoutier luif, & l'Interprete des Anglois . Le
dernier fut ainſitraité,pource que les Anglois auoienteſté ſi inſolens que d'attaquer
1
des vaiſſeaux François dans le port d'Alexandrie ; leurConſul meſme fuc en grand
danger de ſa vie , ayant eſté mis priſonnier au Chaſteau , d'où il ne fortit qu'à force
Raiſons pour d'argent: mais cette punition caufa veritablement grand déplaiſir à Cezy , qui ne
leſquelles ca- ſouhaittoit pas vne reparation ſi violente. Pour le luif tous les marchands Chre
embarraflé à ſtiens eurent beaucoup de joye de ſonmalheur,pource qu'il eſtoit leur ennemyjuré,
Conſtantino. & qu'ayant pris la Douane d'Alep il auoir fait impoſer deux pour cent ſur leurs
ple,
marchandiſes. Cezy auoit ſi bien trauaillé à la Porte qu'il auoit fait demettre ce mcf
chant homme de cette commiſſion, & fubſtituer en la placc vn marchand Armenien
quine leuoit point ce nouueau droit:mais le luifappuyé de la faucur du Baſſa d'Alep
qu'il auoit gagné par argent, ne cefloit de remuer toutes ſortes d'intrigues pour ren
trer dans la ferme,& de forger des auanics pour inquicter les marchands Chreſtiens:
dont Cezy s'eſtant plaine au Vizir , illuy promit en partant qu'il y mettroit fi bon or
dre que l'on n'en entendroit plus parler: voila pourquoy il le fit pendre. Au reſte il
Faire umourir arriua que l'Armenien , ie ne ſçay par la faute de qui, fit fimal ſesaffairesqu'il ne pât
Connesà Alep ,payer les deniers de la ferme; î bien que les marchands François l'ayant caucionné

furent contrains de fournir pour luy,& tant pour ce payement que pour les auances
des preſensd'entrée & des pocs de vin qu'ils auoient eſte obligez de faire,afin de l'in
ftaler dans la ferme, emprunterent de groſſesſommes & à gros interſts; dont Cezy
s'eſtantrendu caution demeura ſifore embarraſſé, qu'apres lon ambaſſade finie il fuc
retenu comme pour les gages à Conſtantinople pluſieurs années : mais certes au

Rendez vous grand bon - heur des Chreſtiens,auſquels il rendit de bons offices durant ce temps-là.
àMouloul. D'Alep le Vizir alla à Erzeron prendre d'autres troupes, & puis à Mouſoul,od eſtoic
le rendez-vous de ſon armée , qui ſe trouua d'enuiron cene ſoixante mille hommes .
Les Georgiens & les Curdes peuples mitoyens d'affe &tion comme ils le ſont de fi

Fait mourir tuation entre le Perſan & le Turc , ou pour mieux dire , ſe rengeans d'ordinaire du
party des plus fortsafin de piller , furent les premiers obſtacles qu'il eut à vaincre . Vn
Georgien qui Prince Georgien nommé Moroc , l’eſtant venu trouuer luy auoit offert fon feruice,
jotioitle dou mais au melme temps auoit traitéauec le Perſan & braſſé auceluy cercainc entrepriſe
ſur
5

Amurath IV. Liure vingt-vniéme. 117

ſurla ville d'Erzeron. Le Vizir ayant découuert fa fourbe fc ſaiſir de la perſonne, de 1629.
celle de ſon fils, & de trente de ſes principaux ſeruiteurs , & leur fit trancher la ceſte à
tous en vneapreſdiſnée. Il eut apres affaire aux Turcomans qui vouloient s'oppoſer à
ſon paſſage. Ils eſtoient dix à douze mille hommçs qui s'eſtoient ſaiſis d'vn deſtroit où

l'aduantage du lieu pouuoit égaler leur nombre à celuy d'vne bien plusgrande ar- Deffair les
mée :neantmoins il les deffic entiemcnt , fansy perdre que trois cens des liens. Il eſt Turcomans,
vray que le Baffa d'Alep , & vn autre ſignalerent cette victoire par leur mort : mais
legrand Seigneur n'en teſmoignapas beaucoup de reſſentiment, la vie d'une dou
zaine de Baffas luy eſtant moins chere que le plus petit aduantage ſur ſes ennemis : car
outre qu'il n'a que crop de pourſuiuansà la Porte pour remplir leur place , il ſe rel
jouit d'auoir leurs dépoüilles , quiſont autant de petits threſors qui groſſiſſentle ſien .
Comme le Vizir eſtoit preſt de mettre le ſiege deuant Bagadet,ileut aduis qu'il y Entró en

auoit vingt mille hommes dedans qui l'auoient munie de toutes les prouiſions ne- Perle.
ceſſaires pour tenir long - temps , de ſorte que changeant de batterie il reſoluc auec
ſon Conſeil de porter la guerre dans les terres du Perſan.Mais les Perſes eſtanc venus Les Perles luý
au deuant de luy au paſſage d'Alchemcupry , ou Pond'or, le chargerent comme il n'y auant-garde:
penſoit pas , luy deffirent ſon auant - garde , luy cuerent plus de quatre mille hommes,
encloücrent fon artillerie,eſtropierent les chamcaux qui portoient les viures , & puis
ſe retirerent.Cette perte ne l'empeſcha pourtant pas de paſſer outre , apres qu'il eur
fait releuer la fortereſſe de ce paſſage que le Balla Murach y auoit autresfois baltic, 'Rebaſtie la
fortereſſe
& que les ennemis auoient ruinée , il y laiſla ſa groſſe artillerie auec dix mille hon dAlchemcug
mes pour la garder , puis il entra dans le pays , où il fic pluſieurs courſes , & d'abord y pry ,

prit quelques petites places , mais de nullc conſequence & peu capables de luy
aſſeurer ſon retour : car n'ayant point mené de gros canon , il ne pouuoit forcer cel
les qui eſtoient de defenſe .

Cette action de s’eſtreengagé ſiauant dans le pays ennemycauſoit diucrſes péſécs , Diverſes pen .
& diuers diſcours à Coſtantinople :les quatrc beaux freres euſſent eſté bien aiſes qu'il fées sur ce
ſe fuſt embarraſſé de plus en plus , afin qu'ily perdiſt oula reputation , ou la vie : mais qui s'enga:
ceux quiauoientcette opinionque tout ce grand Empire penchant à la ruinen'eſtoit en Perle .
plus ſouſtenu que par la conduite & par la fidelité, euſſent bien ſouhaitté qu'il ne fuſt
pas entréfi auant , & meſme qu'il euſt eſté de recour,car ils apprehendoienteſtancainli
denuez de leurs meilleures forces que les Coraques , les Polonnois & les Imperiaux
ne vinſient tout à la fois les accabler.Ec le ſujet de leur crainte n'eſtoit pas imaginaire ,
mais fondé en effet ſur de tres grandes apparences, dautant que Beclin Gabor qui Les Polonois
leur ſeruoit de rempart du coſte de la Hongrie eſtoit mort ; les Polonnois griefue- & Suedois
ment offenſez par lescourſes des Tartares, s'eſtoient accommodez auec le Suedois; fontereveen
les Colaques plus redoutables que iamais , couroient perperuellement dans la mer cherchent
noire ; & lesTartares qui ſont come le bras droit de la Tyrannie Othomane , auoient l'alliance
Turc pour du
receu par le cimeterre des Polonnois , vne playe qui fembloit mortelle.lc vous de
diverſes fins
duiray tout cela en décail . Les l'olonnois & Suedois s'eſtoiêc laſſez de ſe faire la guer
reauec diuers ſuccez de part & d'autre , d'ailleurs comme c'eſt le naturel des Grands
de quitter leurs premiers deſſeins pour enfuiure d'autres , ſelon que l'occaſion & la
viciſſitude des choſes humaines les leur preſente ,ils ſe portoient à de nouuelles en
trepriſes; les Suedois, à ſecourir les Princes Proteftans d'Allemagne , les Polonnois à
la conqueſte de la Moſcovic ; tellement qu'ilsen conuindrent plus facilement d'une
treve de cinq ans. Apres quoy tous les deux Roysſe mirčt à rechercher le Turc ,celuy
de Suede,pour faire alliance auec luyafin de s'appuyer de les forces contre la maiſon
d'Auftriche , ce Roy & ceux qui l'employoient eſtimans que tout leur eſtoit permis .
pour defendre la libercé contre la Tyrannie ; celuy de Pologne, pour l'entretien de
la paix,mais auec vne volonté du tout contraire à celle du Sucdois enuers la maiſon
d'Auſtriche : car il eut touſiours pour elle vne paſſion deregléc & qui fut cxtre

mement preiudiciable à ſes affaires & à celles de ſon Eſtar. Depuis un mois il auoic
vn Ambaſſadeur à Conftantinople qui demandoit tres-inſtamment la confirmacion Les Colaques
de la paix :celuy de France le trauerſoit par des pratiques ſecretces , afin que ce Roy deſcendus
cſtant touſiours retenu en crainte des armes Turquelques, ne puſt au preiudice de la dansa mer
France & desintereſts de toute la Chreſtiencé ,alliiter l'Empereurà opprimer lesPrin- dene l'expca

ces d'Allemagne . Pendant ces trauerſes arriua vne autre choſe qui penſa entierement dition du
Courrier Por
rompre entre les Polonnois & les Turcs . Les Colaques, dont les Polonnois n'ont lonnois,
Рііі

i
..
118 Hiſtoire des Turcs ,

1629. iamais ſceu arreſter les brigandages, deſcendirent dans la mer noire , & deſolerent
toutes les coſtes.Vne fois eſtant venus pour mettre pied à terre pres de Conſtantino
ple , ils enuoyerent ſix barques pour prendre langue & découurir où eſtoient lesga
leres Turques qui deuoient garder ce golphe ; Par malheur la nuit eſtant fort obſcu .
re ces barques s'allerent mettre au milieu des galeres , neantmoins ayant reconnu
Beau combat leur faute , elles firent ſibien quoy qu'elles fuſſent comme cnueloppées, qu'elles s'en
des Colaques ,
degagerent, & inueſtirent terre à centpas d'vn Conuent de Caloyers,où tous leurs
gens fe ſauuerent auec intention de s'y defendre iuſqu'à l'excremicé , & pour cég
effet y percerent les murailles en pluſieurs endroits . Les Turcs mirent pied à terre
apres eux & les voulurent emporter d'emblée ,mais ils les receurent libien à coups
de mouſquet qu'ils en tuerent pres de trois cens , tellement qu'ils furent contrains
d'y amener du canon . Ce qui n'eſtonna pourtant pas les Coraques de telle forte
qu'ils ne ſe defendiſſent quatre heures durant : Cependant le bruit du canon porta
la nouuelle du danger où ils eſtoient à cinquante barques de leurs compagnons qui ſe
tenoient à l'ancre derriere vn Capà quinze milles delà,d'où parcant auec vne defel
perée reſolution de vaincre ou de mourir , ils arriuerentiuſtementau poinct que les
Afliegez n'en pouuoient plus , & donnerenc fi courageuſement ſurles quatorze gale
res , qu'ils leur firent lcuer le ficge , tuerent plus de ſix cens Turcs , & en prirent
deux des mieux armées ; & dic- on qu'il n'cn fuſt pas reſchapé vne ſeule , ſi la Tra
montane quiſe leua fort violente n'euſt ſeparé le combat,& donné l'aduantage aux
douze qui reſtoient, de gagner l'emboucheure du canal vers la Colomne de Pom
qui demeurēt pće . Elles ſe retiroient là, diſoit leur Chef, pour attendre des hommes pour ſe met
vainqueurs.
tre en eſtat de retourner à la charge :mais le grand Seigneur nereceut point cette vai.

ne cxcuſe pour vne fi laſche fuite ,& fit eſtrangler celuy qui les commandoic , afin de
donner exemple aux autres de mieux faire. Kenan Bafla ,à qui il donna le comman
dement de ces galeres , intimidé par ce ſupplice, s'euertua de ſorte que quinze jours
apres il amena dix barques de Coſaques chargées de butin & de quatre cens hom
mes qui eſtoient deſſus, que l'on fit eſclaues. Ces courſes retarderent l'expedition de
l'Ambaſſadeur de Pologne , & n'euſt eſté que ce dernier exploit de Kenan fatisfit en
quelque façon la choleredu grand Seigneur & rcpara les brauades precedentes ,il
lion neluy euſt fait pis . A quatre cours delà
cuft eltérenuoyé ſans aucune reſponſe ,
on le dépeſcha auec vne lettre du Caymacan au Roy, qui eſtoit toute pleine de re
proches & de plaintes, neantmoinsſansaucune parole contre le reſpe &t quieſtoit dû
à la dignité Royale . Ainſila vanité de ces Barbares qui ſe croyentmaiſtres de l'Vni
uers jetroit des menaces en l'air pour conſeruer lefalt de la grandeur , & coutesfois
prenoit garde de ne pas offenſer vn Prince auec lequel il ne leur eſtoit pas expedienc
de rompre .

Or au meſme temps que les Coſaques auoient aing mal-mené leurs galeres , la ·
grand Seigneur auoit enuoyé commandement au Roy des Tartares de faire entrer
le plus gros exain de caualerie qu'il pourroit dedans les terres des Polonnois , afin do
Pour repri- les obliger par cette cruelle reuanche à reprimer les Coſaques: Pour lors eſtoit Roy
merles.Coſa- des Tartares vn nommé Gembeg Kiran , qui s'en eſtoit rendu paiſible poſſeſſeur de
mande aux puis la mort de Mehemet Kiran fon couſin , & la fuite de Chain frere de Mehemec
Tartares d'en
trer dans la qui s'eſtoit refugié chez les Circaſſes. Ce Gembeg deſirane teſmogner la fidelice
Rullie, enuers le grand Seigneur par vne prompte & ſignalée obeïſſance,yenuoya ſoixante
mille cheuaux ſous la conduite de ſon frere Galga & du fameux Cantimir: leſquels
ayant planté leurs tentes ſur le bord de la riuiere de Tyre du coſté de leur pays ,la fi
Il y en cntre rent paſſer à quarante mille pour rauager la Rullie. Ce gros s'eſtant ſeparé en plu
40000 . fieurs bandes , courut toute la Prouince iuſqu'aux enuirons de Socal :mais cepen
dant les Polonnois s'eſtant aſſemblez , les atcendirent ſur les paſſages au recour.
Eſtienne de Chmielecky, en deffic vne pres de Burſtinow , Staniſlas Lubomirsky
Palatin de la Prouince en rencontra vne autre & la cailla coute en pieces . Il en de
meura plus de trente mille pour engraiſſer les champs qu'ils auoient pillez , & les
qui ſont tous vainqueurs laſſez du carnage en firent encore deux mille priſonniers , entre leſ
fucZ ,
quels ſe trouuale icune frere du Roy des Tartares. Ceux quiſe fauuerent de l'occa
fion n'eſchaperent pas de la fureur des payſans , bref la deffaite fut ſi grande que les
Tarcares n'en auoienc iamais ſouffert vnc pareille ; Et files Polonnois pourſuiuanc
leur vi &oire fuſſent entrez qu meſme temps dans la Cherſoneſe Taurique , on ne
fait
Amurath IV . Liure vingt -vniéme. 119

fait point de doute qu'ils n'euſſent acheué de ruinerce Royaume ébranlé par vne fi 1629 .
rude ſecouſſe, & que par conſequent ils n'euſſent tellement eſtropié l’Empire Turc
de ce coſté -là, qu'il fuſt demeuré dans l'impuiſſance de s'y remuer iamais ſi forte- Apres cela fi
ment qu'il auoit accouſtumé. Mais Sigiſmond auoicd'autres penſées, & les Eſtats re- les Polonnois
fullent entrez
publicains ſont plus propres à ſe defendre qu'à attaq uer . dáslcurs païs,
La mort inopinée de Berlin Gabor augmenta encore le trouble que cét eſchec ils ies cuſſent
auoit cauſé à la Porte . Ie l'appelle inopinée , au regard des Turcs , car encore que ce nez.
tous extermi.
Prince fuſt hydropique & aſtmatique tout enſemble, de ſorte qu'on ſçauoit bien par
toute la Chreſtiencé qu'à peine en pouuoit- il reſchaper, neantmoins on les auoit
touſiours entretenus de l'eſperance de la gueriſon ,& luy -meſme s'efforçoit par la pro
poſition de grands deſſeins de faire croire qu'il ſe portoit mieux : car iuſqu'au der- Mort de Bee
nier ſouſpir de ſa vie il negocia touſiours auec diuers Princes pour diuerſes entre- lin Gabor,
priſes : Specialement auec la France , qui entretenoit pres de luy vn Gentil - homme jointe à cette
Tranſfiluain nommé Bornemis ; duquel ie vous marqueray en paſſant vne particula- ble fore les
rité norable, c'eſt qu'ilne beuuoit iamais ſinon par complaiſance , & neantmoins ſe Turcs .
portoit fort bien . Par ſon entremiſe lc Cardinal de Richelieu , auoit traité auec Bec
lin qu'il deuoit moyennant cinquante mille eſcus de penſion , faire la guerre à l'Em
percurauec vingt mille hommes. L'Empereur ayant appris ſa maladie luy auoit en
uoyé ſes Medecins ſous pretexte de luy procurer la fanse,mais en effer pour conneſtre
quel temps il auoit encor à viure , afin de prendre ſesmeſures ſur leur rapport ; ſi bien
que le Palatin de Hongrie ſe trouua auecdix mille hommes ſur la frontiere à l'heure Il mourut le
Is . Nouem
de fa mort , qui arriua le quinziéme de Nouembre . Les Turcs l'apprirent auec vn ex bre,
tremeeſtonnementquinze iours apres , par vn Courrier de la Princeſſe qui deman
doit la confirmation de la Principauté . Onlaluy auoit deſia promiſe dans vneautre
maladie de ſon mary ; & ſa demande ayant eſté miſe en deliberation au Conſeil , luy
fut accordée ,à condition qu'elle ne pourroit fe remarier ſans le conſentement des
Eſtats & du grand Seigneur , qui expedia en ſuite des ordres à tous les Gouuerneurs Sa femme fue
des frontieres de ſe mettre en armes pour la maintenir ſi elle en auoit beſoin , & aux inueftie de la
Hongrois dépendans des pays qui auoient eſté baillez à Beclin par l'Empereur, de
demeurer dans l'obeïſſance ſousſa vefue,leur promettant coute liberté & protection.
La ſuite monſtra qu'vne femme n'eſtoit paspropre pour gouuerner cét Eſtat.
L'Empereur faiſoit mine d'auoir baſty de grandes entrepriſes ſur cette mort , & 1630.
l'on diſoit deſia par l'Allemagne qu'il alloir cette fois recouurer tout ce que les In
fidelles auoient vſurpé ſur lesRoys de Hongrie . En effet il ſembloit qu'il cuſt beau l'Empereur

jeu , les Tartares ayant eſté deffaics , les Polonnois eſtanepreſts s'il cuſt voulu com- horaire des
mencer la querele de le ſeconder, & preſque toutes les forces des Barbareseſtant deſfeins furle
engagécs à lix cens lieux de là dans la guerre de Perſe : d'où melme quand elles Turc,
euſſent eſté victotieuſes, elles n'euſſent pû rcuenir que dans ſix mois . Tant plus le
grand Vizir entroit'auant dans la Perſe plus il s'embarraſſoit, le Sophy feignant de le grand vi .
fuir l'attiroit plus au dedans,& puis faiſoit le degaſt tout à l'entour de luy: de fa- zis
en Derle
bien ,auane
dans peu de temps
çon que il ne crouua plus que ſolicudes & que miſeres de tous
coſtez , & deuant luy vn ennemytres-puiſſant. Il futpres de deux mois dans ces in
commoditez à rodertantoſt dansdesplaines defertes,cantoft ſur des montagnes cou , dansde grande

uertes de neiges , &apres tant de fatigues quineluy produíſirenc aucun aduantage, il des incom .
apprit encore que le Sophy auoit gagné le deuant & luy vouloic boucher le paſſage, moditez .
Defait il le trouua qui l'attendoit au retour ,& les deux armées demeurerent quel
ques iours campées bien proches l'vnc de l'autre : on croyoit qu'elles ne ſe quitte
roiente pas ſans combat , mais ce n'eſtoit pas l'intention des Chefs. Le Sophyn'auoit
garde d'expoſer ſon Eſtat au hazard d'vne iournée incertainc contre des gensdeſeſpe- Le Sophy luy
rez, & le Vizir ne cherchoit qu'à ſauuer ſes troupes demy mortes defaim & de fáti- yetur braucher
gues . Enfin comme il eſtoit homme degrand ſens,& fore experimenté aumeſtier de neantmoins i
la guerre , il trouua moyen nonobſtanc la vigilance du Sophy , de les faire ſortir de ces fort de perſe,
falcheux pays,
& ſe tira auſi prudemment du perilqu'il s'y eſtoit temerairement en u
gagé. Peuapres la crop grande ardeur des Perſes luy donna occaſion d'auoir ſa reuan
che: Eſtant faſchez de ne l'auoir pů accrapper dans les montagnes , ils caſcherent de la
Deffait les
uoir par ſurpriſe dans la plaine d'Amedan.Pour cét effecilsentreprirent de l'attaquer Perles en vo
du coſté qu'ils le croyoiécſon cample plus mal gardé : dequoy eſtác auertyjilleurdreffa grand com
yneembuſcade & c en ſorcic li à propos ſur eux qu'ilen cuahuitmille ſur la placcincaic . bat,
120 Hiſtoire des Turcs,

1630. moins parce que le combat fut tres - fanglant & la perte des Ianiſſaires & autres des
plus braues tres- grande, cette nouuelle apporta ſi peu de reſioüiſſance à la Porte ,
qu'il n'y en fut pas ſeulement tiré vn coup decanon .
Comme il eſtoit entré dans la Perſe il auoit eſcrit à la Porte que ſes troupes ſe de .
bandoient forc & qu'il auoit aduisd'un grand armement du Sophy, ſi bien qu'infail
liblement il ſe trouueroit trop feble & en eſtat de receuoir affront , ſi on ne luy en

uoyoit promptement du renfort. Les quatre beaux-freres euſſent bien deſiré qu'on
enuoger du leuſt laiſſé perir ,mais l'honneur du nom Othoman ne le permettoit pas :on trauailla
renfoit : donc en diligence à faire des leuées pour luy, & les plus promptes eſtant celles de la
milice qui eſtoit reſtée , on luy commanda de marcher incontinent. Mais elle ab
horroit tellement cette guerre de Perſe que l'on pouuoit appeller le cimetiere des
Turcs , qu'il n'y eut pas moyen de la faire parcir. Tous s'enfuyoient & ſe cachoient çà

mais on ne & là , pas vn ne vouloicpaſſer le canal: on futcontraint d'appeller les adminiſtrateurs


peut obliger des Moſquées pour ſçauoir les noms de leursparroilliens,& conneſtre par là les Spa
la milice d'én. his & les Ianiſfaires qui eſtoient demeurez dans le pays.En ſuice dequoy on publia
rope à parler
le detroit. que tous ceux qui eſtoient à la ſolde cuſſent à paſſer à Scudarec ſurpeine de la vie , &
ſuiure le Chef qui leur ſeroit donné, n'eſtant permis à aucun de renoncer à la раус,
comme pluſieurs le vouloient faire s'il nemettoit vn homme en la place. Mais quel
ques ſoins qu'on y puſt apporter, perſonne ne paſſoit le deſtroit ; & il ne ſe trouuoic
pasmeſmede Chef qui voulult d'vne commiſion ſi difficile, car tous ceux à qui on
I'offroit auoient recours à la faueur des beaux- freres pour s'en faire deſcharger, &
donnoientpluſtoſt toutleur bien que de l'accepter.Cependant trois , quatre & cinq
On eſt fort mois s'eſtoient paſſez ſans qu'on entendiſt plus aucunes nouuelles du Vizir à Con
eſtonné à
Conſtantino ſtantinople, ſoit parce que les Curdes qui tenoient les paſſages deſtrouſlaſſent tous
ple de n'auoir les courriers , ſoit parce que les Miniſtres n'en receuant point de bonnes , ne trouual
aucune nou- ſent pas à propos de les communiquer à perſonne,depeur de decourager les peuples:
uelle de luy.
Car ils croyoient quela perre ou la conferuation de l’Empire dependiſt du ſuccez

de cette guerre ; & d'ailleurs attendoientauec yne excremc impatience le recour do


cette armée pour les mettre à couuere & les raffeurer de la grande frayeur que leuk
cauſoient les armesdes Polonnois & de l'Empereur , & ſur tout lesravages des Coſa

ques . Quant à l'Empereur, il n'cut iamais li belle occaſion de reconquerir la Tranſ


diluanie qu'il l'auoit lors .Car cette Prouince s'eſtoiç diviſée en deux ou trois partis,
& d'ailleurs le Baſſa de Bude euft eſté bien aiſc de noüer intelligence auec luy pour en
Baſa de Bude eftre aſiſté , s'eſtant mis dans la teſte l'ambition de ſe maintenir à perpetuité dans ſon
rendre ſou- gouuernement , & de s'y rendre comme ſouuerain, Apres cette apprehenſion ſe ioi
uerain . gnoicla frayeur continuelle que
donnoient les Cofaques : l'Ambaſſadeur de Pologne
auoit bien promis à ſon depart d'arreſter leurs courſes, mais depuis eſtoit interuenue
l'irruption des Tarrares dans la Ruſſie quiauoit fort alteré l'eſprit des Polonnois : de
façon qu'ils reſpondirent hautement aux plaintes des Turcs qu'ils auoüoient les Co
ſaques , & qu'ils auoient raiſon de le faire puiſque les Turcs auoient les premiers en
fraint la paix , ce qu'ils verifioient par yn ordre ſigné du grand Seigneur qu'ils auoient
trouué dans le bagage du fils du Roy des Tartares. Le grand Seigneur ne pouuoit di

Legrand Sci gerer la honte de voir ces pillards bruſler & ſaccager iuſqu'aux fauxbourgs de Con
gneur irrite. Itantinople , & que quatorze ou quinze de ſes galeres fuſſent reduices àtouſiours
des courſes garder l'emboucheure du canal de la mer noire ſans oſer ſortir de là , de crainte d'e
dan cobanu îţre battus par des gens qui n'euſſent pas eu ſeulement l'audace de remecere en mer
flet au Cay- s'il eult eſté bien ſeruy. Comme ils curent donc au Printemps de cerce année pilléou
macan ,
faięcontribuer toutes les coſtes de cepçe mer, durant l'abſence de ſon armée nauale
qui à la ſollicitation des Princes ennemis de la maiſon d'Auſtriche eſtoit allée faire
yn tour dans l'Archipel, il en fuc tellement piqué contre le Caymacan qu'il luy don
na vn ſoufflet qui luy fit jaillic le ſang dunez & enuoyaquerir les bourreaux pour l'e
ſtrangler , mais de bonne forçune arriua la Sulcane mere qui luy fauua la vie par ſes

Auquella Sul tres -humbles ſupplications Le Balla de la mer à ſon recour ne fucpas en moindre pe
tane mere ril, pource qu'il auoiç aſſeuré que de toutecette année il n'y deſcendroit pas dix bar
{ auue la vie, quesde Coraques. Et s'il n'eſtoit pas digne d'vn firyde traitementpour cela , il l'auoit
certes bien merice par ſes concuſſions & pilleries , n'ayant rien fait dans ſon voyage
wil que de deſtruire tous les lieux par où il auoit paſſé , & de ſaccager les Turcs auſſi bien
que lesChreſtiens : nçantmoins à la priere de Cezy il auoit eſpargné les Religieux
François
Amurath IV.Liure vingt -vniéme. 121

François qui reſidentà Smyrne,à Sio & autres lieux, ſousla proceâion du Roy Tres. 1630 .
Chreſtien . Aucommencement de l'Eſté , le bruit vint à Conſtantinople qu'il ſe prc

paroit deux cens barques de Coſaques: l'alarme en fut ſichaude que le Caymacan & le cha Alarme fort
ude pour
Baſſa de la mer eſtoient tous les iours à l’Arſenal pour hafter l'armement des galeres la venuë des

qu'on leur dcuoitoppoſer. Ce qui n'empeſcha pas pourcant que les Cofaques ne vinf- Colaques.
fent courir iuſqu'à la Colomne de Pompéc , & nc cinſſent le canal tellement bouclé
qu'il ne pouuoit entrer aucuns vaiſſeaux dans Conſtantinople par ce coſté-là. Aumer
me temps parut vne armée de trente mille Polonnois ſur les frontieres, qui redoubla
l'effroy des Turcs,non moins qu'auoit fait peu auparauant la reſponſe du General Ko Reſponſe du
niecpolsky,quidit auxGouuerneurs qui faiſoientinſtance enuers luy pour reprimer les General po
lonnois aux
Cofaques, qu'il n'en pouuoit pluseftre le maiſtre, pource qu'il y en auoic cinquante Turcs .
mille qui s'eſtoient ſouſtraits de l'obeiſſance de la Republique. Le peuple de Conſtanti
nople en eſtoit dans vnc prodigieuſe cfpouuante ,& le Conſeil en grand peine : car il
y avoit fert à craindre que ſi les Cofaques s'opiniaſtroient à boucher ce canal qui eſt Colaques af
comme l'une des mammelles de cette grande Ville , elle ne ſe viſt enfin reduite à la fa . que Conſtan
mine . Pour preuenir donc cette extremité, le Conſeil reſoluc premierement de don- tinople,
ner ordre par toutes les coſtes de Syrie & autres lieux de la mer blanche d'où ſe tirenc
les bleds,de n'en laiſſer point tranſporter , puis d'enuoyer vn Chiaoux en Pologne auec
des propoſitionsaſſez aduantageuſes pour les Polonnois , en cas qu'ils vouluſſent re
medier à ce mal . Le Chiaouxy fuc aſſez bien reccu , pource que le Roy en effet deli- Chiaoux en
roit la paix de ce coſté -là,afin de n’eſtre point diuerty dans l'expedition qu'il meditoit nové en por
contre les Moſcouites ; & on l'aſſeura que les Colaques ceſſeroient leurs courſes , à remedier,
condition que les Tartares celaſſent auſſi lesleurs. Mais comme il auoit le pied à l'eftrié que
n'en rapporto
de ll'ai
'ai
pour s'en reuenir, arriuerent nouuelles d'vne irruption de dix mille Tarcares dans la greur,
ua la parole qu'il luy auoit dõnée ,
Podolie , dont le Senateſtant tellemét indignéreuoq
& lerenuoya auec des plaintes fort aigres contre la perfidie des Turcs . Ce n'eſtoit pas
.
ſeulement le peuple mais
, encore ceux qui auoient le plus de connoiſſance des affaires
quiapprehendoient de grands mal- heurs pour l'Empire Othoman :car outre ceux qui
les menaçoien du dehors, ily en auoit au dedans qui ſembloient encore plus dange 1
seux. L'inſolence des quatre beaux - freres ſerendoit tout àfait inſupportable ; le Mufry
piqué contre le Caymacan de ce qu'il entreprenoit ſur la charge &
, pouruoyoit à ſon
preiudice aux charges des Cadis ,aſſenıbloit ſouuent chez luy les principaux de la Loy,"
pour conſulter comme ils ſe pourroient garantir de ſon oppreſſion, & des autres beaux Brouilleries
freres. Il y fut fait des propoſitions bien hardies , meſme de depoſer Amurath , à la- qui font pref
quelle perſonne ne s'oppofá directement ; ſi bien qu'ellceult palle cour d'vne voix , s'il que depoffe:
cuft eſté en leur pouuoir de l'execucer : mais il fut aduiſé qu'ils n'auoient point d'ar Seigneur
gent pour le donatif quiſc doit faire à la Milice pour l'aduenement à la Couronne d'un
nouueau Sultan , & que d'ailleurs vne ſi haute entrepriſe ne ſe deuoit pas tenter que le
grand Vizir ne fuſt de retour . Les deportemens extrauagans d'Amurach auſſi bien que
los violences de ſes beaux- freres donnoient lieu à ces reſolutions; Quoy qu'il euſt l'ef
prit fort bon , & le courage haur , neantmoins les débauches continuelles le faiſoient

pareſtre feble & leger , & lesfrequentes attaques du mal caduc dont il eſtoit courmen
té, luy rendoient le cerueau plus imbecille. Il ne gardoit aucune des ceremonies ny
desordres que ſes predeceſſeurs auoient accouſtume d'obſeruer ,il ne viuoit point auec
la grauité ny auec la bicp -ſeance qui ſont neceſſaires à vn grand Prince . Il ſorroic preſ. A quoy les
que tous les iours du Serrail , accompagné ſeulement de deux ou trois hommes , qui contribuoient
eſtoient ordinairement des bouffons, des joueursde Citre , des Eunuques , & autres beaucoup.
perſonnes infames , dont la veuë offenſoicégalement le peuple & la milice , s'alloitpro
mener aueceux quelquesfois dans un pecit Cayque à ſix rames ſur le canal , quelques
'
fois à cheual par la Ville & aux champs , & ſe plaiſoit à faire des actions de ieuneſſe qui
paſſoient pour des faillies d'un homme inſenſé: tellement que tombant dans vn ex

treme mépris , il donnoit ſujet aux fa &ticux de conſpirer contre luy, & aux autres d'ap
prehender que ſes folies ne ruinaſſent l’Empire. Lequel d'ailleurs fembloic eftre bien

pres de ſa chcute , toutes les colomnes qui ſouftiennent vn Eſtat en ayant eſté fapées :
car il n'y auoit plusny Iuſtice , ny ordre , nyobeïſſance que ce peu que le grand Vizir
s'efforçoit d'y reſtablir, plus d'argent , peu de moyen d'en crouuer par les voyes licites ,
plus d'hommes qui valuſſentny par mer ny par terre , ny plus de bons conſeils : les peu
ples eſtoient irricez par le redoublement des cailles & des impoſts , que l'on augmenta
Tome II.

1
122 Hiſtoire des Turcs,

ceľte année de pres de lamoitié , la milice deſordonnée faute de diſcipline; & mal
7630 .
contence faute de payement, les Baſſas des Prouinceséloignées trenchoicnt des ſouue :
Defordres de rains , & les autres ſepreparoient à en faire autant ſile defordre continuoit , brefledó

l'Empire Turc reglement eſtoit fi grand que la voix publique preſageoit auec beaucoup d'apparence
bilen mema: qu'ils'en enſuiuroit vne entiere ſubuerſion de la puiſſance Octhomane, fleur armée
cer deruine, de Perſe qui en ektoir toute la force venoic à perir dans ce voyage .
Or comme l'on eut appris à Conſtantinople qu'elle eſtoic heureuſement ſortie du

danger, & que toute chargée de burin elle s'appreſtoit au ſiege de Bagadec, la joye en
actions de graces
fut la grande qu'il s'en fit des feux de joye par toutes les Villes, & des
Le grand vi .
zir alliege Ba dans toutes les Moſquées de l'Empire Turc . Mais les eſperances qu'ilsauoiét conceuës,
gadict . de ccrccour furent à trois mois delà bien rabatuës par les mauuaiſes nouuelles qu'ils en
receurent . Legrand Vizir ayant fait bruſler vne partie du burin qui rendoit ſon armée
crop pcfance ', marcha vers Bagader & commença de l'aſſieger le 20. de Septembre. Il
trouua pour cette entrepriſe grande abondance de toutesſortes de prouiſions à Mou
ſoul, où il auoit donné ordre d'en amaſſer, & de plus il auoit amené 2000. chameaux

Bales co . chargez chacun de deux bales de coton groſſesà peu pres comme vn muid , & longues
con pour có : de dix pieds, pour couurir ſes gens dans les approches , & combler les foſſez de la place.
bler les follez Ayant donc fait paſſer vne parcic de Parméeau delà du Tigre, & retenu l'autre au deçà
auec le canon, il enuoya reconnoiſtre les aduenuës par Nauais Baſſa d'Alep auec lix
mille Spahis . Le ſuccez de ce premier exploit luy dût faire iuger de toute la ſuite du
fiege. Nauais rencontra huit mille cheuaux qui s'alloient iecter dans la place, il les
ics Perſes combattit fort vaillamment : mais ſe trouuant extremement bleſſé , il fut contraint de
prennent ou ſe retirer apres auoir perdu la moitié des ſiens, les ennemis en emmenereno vne parcie
deifont trois dans la ville , où ils furent fort bien traitez du Gouuerneur , qui leur fit voin qu'il
mille cinqcés
Spachis, auoit encore les vingt mille hommes de guerre, la place en bon ordre , pas yne bouche
inutile , & grande prouiſion de viures . Le mois de Septembre fut employé aux loge
mens & aux approches.Au mois d'O &obreil commença à faire tirer dix-huit gros ca
Le Vizir fait nons contre la Ville,qui barcirent vingt- cinq iours durant la courtine d'entre les deux
battre
be , la pla. baſtions.Sur ces deux baſtionsil y auoit quatre picces de canon que les Turcs n'auoient
point apperceuës; il y auoit auſſi vn tres- profond & large foflécout plein d'eau , dont les
aſſiegez leur auoient oſté la connoiffancc par vn ingenieux ſtratageme. Ils l'auoient
couuert de grandes & forces clayes , ſouſtenuës de perches , & misvn gazon verd par
deſſus qui le faiſoit paroiſtre plainier & vny . De forte que le Vizir iugeant la breſche
fuffiſante pour moncer à l'aſſaut , c'eſtoit le 20. Nouembre , ily commanda
les Spahis
Scrata eme ſous la conduice deZaourBeglierbey de Nacolic,accompagnéde pluſieurs Baſſas,San
des alliegez . iacs & autres perſonnes de marque, qui faiſoient trente millehommes auec les laniſfai
res.D'abord , commeils ne voyoient perſonne à la breſche,ny ſur les baſtions, ils auan
cerenc à groſſes troupes & fe ietterent ſur ces clayes couuertes de gazon ; il ne fut pas
beſoin de cirer les cordes qu’on auoit attachées pour abattre les perches ,car elles enfon
Qui couſtela cerent ſi à coup qu'en vn moment cinq ou ſix mille y furent engloucis comme dans vn
vie cs
Tur . mille precipice , ſans que ceux qui eſtoient ſurlebord pour les ſouſtenir en paſſent ſecourir
a fix
aucun ; Aumeſme inſtant ilparut quinze mille Perſes ſur la breſche & ſur les baſtions,
qui à grands coups de canon & par vne continuelle mouſqueterie rompirent les gros
eſcadrons des Spahis, cucrent Zaour Bafta , & pluſieurs autres perſonnes de marque :
tellement que la perte de cant de gens fit retirer le reſte de l'armée . Apres ce deſordre.
1 c.Vizir leue le Vizir ne deuoit pas atcendre autre choſe ſinon qu'elle ſe debandaſt coute, c'eſt pour
le liege.
quoy , deſirant preuenir cette honte, il lcua le ſiege deux iours apres . Les Baſſas de
Damas & d'Alep à qui il donna la conduite de l'arriere-garde pour la retraite , furent
Die herois chargez en queuë par le Gouuerneur qui ſorcit de la Ville auec huit mille chevaux,
niesen la te- deffic crois mille hommes , & files Spahis n'euſſent tourné bride contre les Perſes , ils
traire ,
euſſent taillé coure leur arriere-garde en pieces.
Ainlile Vizir confus d'abandonner vne choſe qu'il croyoit tenir en ſes mains, laiſſa
Bagader dans la joye & ſe retira criſtenenc à Moufoul; neantmoins comme il auoic
vne force de courage extraordinaire, il ne perdit pas tout à faitl'eſperance de reuenir
Se retire á à ſon deſllein , mais auant que de le quitter ordonna toutes les choſes neceſſaires pour
Mouſoul ,
le recommencer . Il fortific coutes les petites places des enuirons, particulierement la
fortereſſe d'Illay quieſt à deuxiournées de Bagadet du coſté de Perfe , & par où paf
ſoit la plus grande parc des viures que l'on apporçoit en cetre Ville, y met fix mille
hommes
Amurath IV . Liure vingt -vniéme
. 123

hommes degarniſon aucotrois Beglierbeys , & faie femer par toute ſon arméepour rc . 16303
tenir les ſoldats quiſe debandoient, qu'il auoit des intelligences dans la place par le
inoyen deſquelles il y entreroit bien -toft, & qu'il leur en donneroit le pillage. Au
meſme temps il manda à la Porte que l'on luy enuoyalt del'argent & du renfort,moyen
nant quoy il promettoit derentrer dans la Perſe par les paſſages qu'il tenoit,& d'y faire
ſi grand degaſt qu'il obligeroit les Perſansà demander la paix , ou les rendroit impuiſ
fans de ſecourir Bagadec:lequel il ne pouuoit alſieger qu'à la fin de l'Eſté ſuiuant du
rant les mois de Septembre & d'octobre, pource qu'en ces pays-là tout le reſte de
l'année eſt crop
chaud ou trop pluuieux .
Apres tant de pertes , & li peu de moyens de les reparer , dans vn li mauuais gouuer
nement , & dans les perilleuſes conjon & utes que nous auons deduites cy- deuant, la
dominacion Turque eſtoit en telpoin& qu'il n'y auoit rien qui la maintint que la ven
geance de Dieu , quiſemble la reſeruer pour chaſtier la Chreſtienté. Et certes ce fut

comme vnc merueille & contre l'eſperance detousſes Miniſtres , qu'elle ne ſouffric
pas de plus rude.choc par les Polonnois & par les Allemans, qui prirenc d'autres pen - lembaca entre
ſées. Le Chiaoux ayant eſté renuoyé de Pologne, le Caymacan donna charge à les Polonnois

Moyſe quivenoit d'eſtre inſtalé dans la principauté deMoldauic, de faire office en- & les Turcs,
uers les Polonnois afin qu'ils enuoyaffent vn Ambaſſadeurà la Porce,& que cependant
ils donnaſſent ordre derecenir les Colaques. Moyſe pour femonſtrer reconneſſant de
la faueur qu'il venoir de receuoir , s'y employa de lí bonne forte, qu'il adoucit l’aigreur
des Polonnois, & les induiſità reprimer les Colaques. Ce quiluy fue d'autant plus fa
cile que le Roy vouloit en reuanche obliger le grand Seigneur à contenir les Tarcares, Condition de
afin qu'ils n'allaftent pas au ſeruice du Moſcouite ſon ennemy . On luy promicen effec cette paix .
qu'on les en empeſcheroit, & Moyſe luyen donna ſa parole pour le grand Seigneur;
& neantmoins on fic en meſme tempseſperer le contraire au Mofcouite. Telle citoit la
bonne foy des Turcs ; qui au reſte ne ſe ſoucioient gueres d'alliſter ny les vns ny les au
tres , mais deſiroient ſeulement engager plus fort les Moſcouites dans la gucrre par
l'eſpoir de ce ſecours , afin d'occuper les Polonnoiss ; & puis ſi leur intereſt le demandoit
ainſi de retirer les Tartares quand la querele ſeroit bien eſchauffée. Or les choſes eſtano
diſpoſées à vn accommodement par l'entremiſe de Moyſc, les Polonnoisenuoyc
rent
vn Ambaſſadeurà la Porte ,qui'y fue receu auec beaucoup de joye ,comme il auoit eſté
ſouhaiteéauec beaucoup d'impacience. Les anciens traitez furent renouuellez : il y fuc
adjouſté que le grand Seigneur ne feroit point alliſter lc Moſcouite par les Tarcares ny
Eft tres difti .
par aucun de ſes ſujets,& que les Polonnois feroient le meſme pour le Tranſiluainen
uers l'Empereur & contre tous autres qui le voudroient attaquer. L'article couchant & aux Polon
les courſes des Tartares & des Coſaques y fut mis aux plus fores termes qu'on ſe půc nois de sete
imaginer ; Et vericablement , ils en defiroient l'execution tous deux , car les Polonnois res & lescom
eſtoient bien ennuyez de voir depeupler leurs Prouinces par les Tartares, qui emme- laques,
noient tous lesans ie ne ſçay combien de milliers d'ames en captiuité; & les Turcs ne
Peſtoiept pas moins de voir bruſler coutes leurs coſtes par les Coraques , & d'eſtre dans
vne continuelle alarme de leur deſcente. Il eſtoic neantmoins bien difficile à ces Prin

ces de les tenir en bride , le Polonnoiseſperoic d'emmener les Colaques à la guerre de


Moſcouic , ce qu'il fit ; & pour les Tartares, il fallut que ſon Ambaſſadeur promiſt de
leur
payer quatre- vingt mille florins par an , & fix mille paires de botçes; luiuanc vn
ancien craice qu'ils auoient auec les Polonnois, moyennantquoy ils eſtoient obligez
de ſeruir cét Eſtat enuers & contre tous , horſmis contre le grand Seigneur , & dene
1
faire iamais de courſes dans la Pologne .
Voila comme les Turcs ſe deliurerent de la crainte des Cofaques pour cette année .
L'Empereur qu'ilsredoucoient ſiforc du coſte dela Hongric ,ayma mieux employer ſes
forcesà broüillerla Chreſtienté, qu'à retirer ſes terres & affranchir ſes pauures ſujets du
mal-heureux joug des Barbares. Laſurpriſe de la ville de Mantoüe , qu'il fit faire ſur la L'Empereue
querele de l'inuefticure de cette Duché , ſeruant comme de leurre & d'appaltà ſon am- broüiler la
bition , il abandonna toute autre penſée que celle d'enuahir le reſte de l'Italic: Voicy Chreſtiente
donc comme allerent les affaires de Tranſiluanie. Depuis la mort de Berlin Gabor quede faire la
l'Empereur trouua moyen cant par les intelligences qu'il y auoit entretenuës à force Turc aucc
d'argent que par le ſeruice que luy rendirenc les Catholiques,de ſe relaiſir d'une bonne aduantage:
partie des places& des païs qu'ilauoit engagez à Gabor , ſans payer l'argent pour lequel
illes luy auoit engagez , & faits le gré du grand Seigneur : quien eſtant piqué accendois
Tome II .
Qij
Hiſtoire des Turcs ,
124

1630. vne meilleure occaſion pour luy en teſmoigner ſon reſſentiment. La vefue ne furpas
long- temps en repos : Iſtuan Berlin fon beau-frere aymantmieux la priacipauté pour
Il rccouure
Ics terres luy que pourelle ,ſuſcica les Scigncurs du pays à mépriſer ſes commandemens , & à luy
auoit enga- propoſer defaſcheuſes conditions fuiuant leſquelles ils pretendoienteſtregouuernez,
gées 1 Beclin autrement qu'ils éliroient vn autre Prince. Se voyantainſi choquée, elle taſche de s'ap
Gabor,
puyer du parcy des Catholiquesqui eſtoic le plus feble dans le pays, mais qui luy acciroic
la prote &tion ſectcte de l'Empereur. Pour cét effet elle leur teſmoignebeaucoup de
La vefue de bonne volonté,les careſſe,les fauoriſe , & meſme pour les obliger dauantage , profeſſo
B!Ceparlſtuan leurReligion en cachetes,rempliſſantſon cabinet deMedailles,deChapelecs, & de Re
Ton beau- liques : mais comme elle conneſt que ce changement ne luy apportoit pas l'aduancage
freie ,
qu'elle s'en eſtoit promis , elle retourne bien -coſt apres à la premiere religion ,ayant
abjuréla Catholique dans la grande ſalle de ſon Palais, & jetoć dans le feu routes les
Elle ſe fait ce marques de deuotion que l'Empereur luy auoit enuoyées .LesCatholiques ne furenc
tctourne à la pas moins offenſez de ſon inconſtance que les Proteſtans; Et pour auoir ainſi marchan
religion , deauec l'vn & l'autre party ,elle les perdit tous deux . Ces courages guerriers cftimoient
laſcheté d'obeir à yne femme : ſon credit à la Porte eſtoit perdu entierement, ou par

Iftuan la de- faute d'y auoir fourny les preſens neceſſaires, ou pour auoir traité auec l'Empereur : &
poſlede & le ſon affinité auec les plus grands Princes de l'Allemagne , y augmentoit la deffiance que
Fait eflire en
la place : l'on auoit conceuë d'elle. L'Empereur du commencement fic quelque efforç ſousmain
pour la maincenir , & luy enuoya des troupes Allemandes : mais les Tranſfiluains les
mais auti- cort empeſcherent d'entrer dans le pays. Enfin la fa &tion d'Iſtuan fut Gi forte, qu'il ſefit
ſon propre eſlire Prince , & la contraignit de ſe deſpoüiller de la ſouueraineté en la faueur , & de
s & con
beau - fresc ſe retirer dans le chaſteau de Fogaras, qui luy auoit eſté alligné pour ſon douaire , où
appellent Ra . elleeult cu aſſez dequoy ſe conſoler, ayant de grands reuenus en terres, & beaucoup
gotsky d la d'argent, li le regrec d'vne celle perte pouuoit ſe finirautrement que par la mort . Iſtuan
principauté,
cſprouua bien -cot apres vn pareil traitement: luyqui auoit depoſledé la belle -feur
pour fcmeccre en la place, vid ſon fils propre & ſon beau -frerc ſe bander contre luy 80
Lequel le co appeller àla ſouueraineté vn SeigneurPolonnois nommé Georges Ragotsky.Le Turc
demettre & voulut d'abord maintenir Iſtuan dans la poſſeſſion, cant parce qu'il luy auoit donné
demeure Prin. des lettres d'inueſtiture , qu'à cauſe qu'il apprehendoic que Ragotsky ayant toutes
ce de Tranſ.
Gluanie, ſes terres dans la Hongrie n'cuft intelligence aucc l'Empereur ; mais comme il eut
appris que tous les Tranſiluains ſe rengeoient du party de Ragotsky,ilexpedia d'au
tres lettres par leſquelles ilordonnoit ,que la principauté demeureroicà celay des con
currens quiſeroitle plus agreable à la Nobleſie & au peuple.AinG Ragotsky ſe trouua
le plus fort, & Iftuan fut contraint de ſe demetere , palliant ſa honte de l'amour de la
patrie , dont il vouloitéuicer la ruine.Ragotsky demeuré paiſible , fue quelquetemps
en doute quel party il ſuiuroit , ou celuy de l'Empereur, ou celuy du Turc :non tant
parce qu'il eſtoit vaſſal de tous deux , que parce qu'il ne ſçauoic de quel coſté il
trouueroit mieux ſes advantages . Tandis que chacun deces deux Princes le marchan
doient, les Heidoucs dependans des terres dont Gabor auoic joüy par engagemene
Incidens qui refuſerent de recourner lous l'obeïſſance de l'Empereur; EcRagocsky leur ayantre
penfent allu : fuſé la protection , ils enuoyerent demander celle du grand Seigneur. La crainte des

entre le Turc conſequences que cécincident pouuoit cirer apres ſoy,alarma tout le pays : l'Empereur
& l'Empe-
ICUI : & leRagotsky dans vne mutuelle deffiance auancerent des troupes ſur leurs frontieres:
ceux qui apprehendoient les calamitez de la guerre , s'eſtant entremis d'accommode
ment , moyennerent enuers les Princes que leurs Deputez s'aſſemblallent à Callouic .
Durant qu'ils eſtoiétles plus occupez à compoſer leurs differens, & que le Tranſſiluain
s'eſtoit preſque endormy ſur cette confiance, le Palatin de Hongric fait paſſer la ri
uiere de Tibiſque à huic mille hommes pour ſe ſaiſit d'vn fort que Georges Baſta y
auoit aucresfois fait baſtir. A ce bruit Ragotsky s’eſueille, luy dépeſche vn Gentil
homme pour ſçauoir la cauſe de cette nouueauté , & cependant de peur d'eſtre ſurpris
aſſemble neuf à dix mille hommes . La reſponſe du Palatin n'eſtant pas telle qu'il la de
firoit , il fait auancer ſes troupes , ils en viennent auxmains , & le Palatin paye la peine
de ſon infraction par la perte de quatre mille des fiens. Il ſembloic que ce combat deuſt
allumer vne plus grande guerre : Ragotsky reclama le ſecours du grand Seigneur, &
mais le Turc
n'oſela com . mit ſur pied quinze mille
hommes pour la defenſe des terres qu'il auoit dásla Hongrie ;
mencer , & les Balſas des frontieresaſſemblerent leurs forces , la Hongricen trembla de peur : mais
pourquoy . les Turcs ne reccuant point de bonnes nouuelles de Perſe n
, 'oſerent pouſſer la querele
juſqu'à

/
Amurath IV. Liure vingt-vniéme
. 125

julqu'à vnc rupturcouuerre ; ſi bien que le Baſſa de Bude reccur ordre de ne pas aigrir 1631 .
dauantage les choſes, & deremettre le differend des frontieres à vn autre temps.
Au mois d'Auril yne galerc de Turcs feignans d'eſtre Chreſtiens,arriua dans le port
de Liſbonne à deſſein de mettre le feu dans les vaiſſeaux qui y cſtojét:mais les habitan's
ayant découuere leur ruſe , en tuerentivne partie & firentle reſte priſonniers. Enuiron

la fin du meſme mois crois galeres Turques qui couroient la Mediterranée ,ayant ren
contré aupres de Naples quatre nauires d'Eſpagnechargeés de gensde guerre qu'elles
menoientàGenncs,les attaquerent vigoureuſement & apres vn combatde troisheures
les prirerit toutes; & y firenthuitcens Chreſtiens eſclaues. Vnpeu apres les Veniciens besen Malthois
en eurent la reuanche par la priſe de trois vaiſſeaux, où ils firentmain bafle ſur tous les fiche vaiſſeau
Tures qui eſtoient dedans. Les Malthois leur attraperent auſſi vn vaiſſeau chargé de Tusc .
marchandiſes, y cuerent 32. Turcs , & en attacherent 70. à la chaiſne. Mais les Pirates
de 'Biſerce , d'Alger & de Tunis firentde grands degaſts ſur les coſtes de la Calabre Les Pirates
font un grand
& de la Sicilc , où ils enleuerent quantité d'hommes & de nauires chargez de mar degaſt ſur les
chandiſe. Au commencement de l'Eſté quelques Coſaques , Rüſſes & Moſcouices, coltes d'Ira
bien que les Turcs euſſent paix auec leur nation ,deſcendirerit par le fleuue de Ta- 'lie,
nais & le Boriſthene , bruſlerent quantité de bourgs & de villages le long de la mer
noire , pillerent la ville d'Yambol dans la Natolic , où ils enleuerent pour plus de cin- LesMoſcoui
quante mille eſcus de cuiure , que ce pays -là produit en abondance . Le Courier quien pileat Yams
porta la nouuelle à Conſtantinople afſeura qu'il falloit cent galeres pour les combat- bol,& rauagét
tre , & de fait le Baſla de la mer qui y fut auec ſoixante -cinqgaleres ou autres vaiſſeaux la Natolic .
n'oſarien hazarder contre eux , & nc les pût baſter de s'en retourner qu'ils ne ſe fuſſent
chargez de tout autant qu'ils purent emporter de butin . Ces rauagesdes Ruſſes irri . Genereux de
tant la tyrannie des Turcs à tourmencer leurs compagnons eſclaues, ces mal-hcureux felpoin de
conclurent entr'eux qu'il valoicmieux ſouffrir vne fois la mort que cescruaucez conti- claues Ruſſes,
nuelles , & reſolurentdefinir leur captiuité ou leur vie.Ceux quieſtoientà Napoly dans
la galerc du Bey d'Andros , le maſſacrerét vniour dans le magaſin où il les auoit menez D'autresman:
pour querir des viures , & apres moururent tous brauement les armes à la main en ſe de- quent à lur
fendant către ceux qui eſtoiēraccourus pour venger ce maſſacre. Les autres qui eftoiết prendre Nes
grepont,
à Negrepont ayantmanqué à ſurprendre la place , ne manquerentpoint à fe defendre
auec vn courage incroyable , pas vn d'eux n'ayant voulu ſuruiure à ſes compagnons. Couran fait
Les rcucnus conſiderablesque le grand Seigneur tiroit des douanes du Royaume tranchor la
d'Yemen l'obligerent dés la fin de l'année paſſée d'y enuoyer Couſan Baſſa pour caſa teſteau Gou
cherà le recouurer par la force, vn autre n'ayant pû le reduire par la raiſon. Comme il ucencur de la
fur à la Mcque il fit couper la ceſte au Ceriffe Amet Gouuerncur de la Ville , luy im 1
pucant qu'il eſtoitcoupable de la reuolte , & pourueur du gouuernement vn parent du
Va pour rea
mort. Delà il paſſa outre contre les rebelles, & punit de melmc ſupplice crois des prin- couuper le
cipaux qu'ilattrapadésl'entrée du Royaume .Mais quand il voulutpouffer plus anant, Royaume
d'Yemen.
les ſoldats ſe mutinerent & luy demanderent la reſte de laffer Aga ſon fauory, qui l'a
uoit empeſché de leur donner le caraquin , ou augmentation de paye qui leur auoic
eſté promiſe.Il fut contraint de leur abandonner promptement ce mal-heureux pour Appaiſe la
ſe fauver luy -meſme, puis apres les auoir appaiſezil prit la route de Senan capitale du rolla rs par des
mouinerie 12
Royaume pour y mettre le liege, ſi la difette de viures & enſuite la peſte quimoiſſon mort de los
nerent plus de la moitié de ſon armée ,ne ſe fuſlent oppoſées à ſon deſſein , & ne l'euf- fauory.
ſent contraint de reculer pour attendre vnrenforc d'hommes & d'argent, qu'il auoit
enuoyé chercher en diligence. Cependant il ne perdit pas le temps,mais l'employa
fort vtilementà recouurer coutes les places maritimes qui eſtoient les plus importantes,
pource qu'elles aſſeuroient le commerce & le reuenu des Douanes .
Enuiron lemoisdeSeptembre, il arriua vn li grandtremblement de terre à la Mcque Tremblemét
de terre à la
que le Temple où eſt le tombeau de Mahomet & pluſieurs maifons s'eſcroulerent tou
Meque .
tes , & peu detemps apres il ſuruint vne ſifuricuſerauine d'eaux ,qu'elle entraiſna fort
loin & calfa la tombe du meſme ſepulchre.Céraccident fut de mauuais augure,& cau- Le ' tombeau
ſa grande frayeur dans les eſprits ; comme fic aulli celuy qui arriua au meſme temps à de Mahomer
Amurath.Eſtant vne nuit couché & endormy:dans ſon chaſteau de Darut Baſſa,apres lcs caux.
vn grand éclatde connerrete foudre tomba dans ſa chambre, où il laifia de merueil
leuſesmarques de ſon paſſage : car apres auoir fait la ronde à l'entour de ſon liet, il im- Le tonnerre
primaſes caracteres en pluſicursendroits des draps , & commc Amurath cherchoit où entre en la
le ſauuer il le ſuiuit & paſſa fous ſes bras , fans luy faire autre malque de bryſler vn peu ſa murath ,
Riij
126 Hiſtoire des Turcs ,

chemiſc , & le faire tomber dans vn cuanoüiſſement, dont il luy demeura vneconti
5631. nuelle frayeur qui luy debilica fort le cerueau. Dés le lendemain matin en reconneſſan
Bruſle la che ce de ce qu'il eſtoit ſi heureuſementeſchapé d'vn ſi mortel & fi effroyable danger, il fic

mile lans luy vnc aumoſne de cinq mille piaſtres, & vn ſacrifice de trois cens moutons, & le Ven

faire mal. . dredy d'apres il alla à la Moſquée neuue rendre ſes a& tions de graces à Dieu de ce qu'il
fauoit preſerué du coup mortel de l'executeur de ſes vengeances.
On creut que ces prodiges ſignifioient lesmauuais ſuccez de l'expedition de Perſe.
Depuis la leuće du ſiege de Bagadec le grand Vizir auoit eſté aſſezoccupé à recenir ſes
troupes ſans argent,& à les amuſer par diuerſes eſperances, en attendant qu'on luyren
Les beaux. uoyalt dequoy les payer & dequoy lesrenforcer. Les beaux- freres, qui apprehendoiene
enuoyer du ſon retour ,employoient tout leur credit pour luy moyenner de nouuelles leuées , iuf
renfort au qu'à aller cux -melmes par la Grece & autres Prouinces faire l'office de Commiſſaire
grand Vizir, & contraindre ceux qui cſtoient reſtez de la milice à marcher ; mais le Mufty rom
l'empeſche. poit tous ces efforts , & diſſuadoit le grand Seigneur de ſe degarnir ainſi de couce fa
milice , & luy remonſtroit que s'il l'éloignoit ſi fort,ily auoie danger que les Chre
ſtiens ne priſſent occaſion de l'attaquer au deſpourucu. Pendant ces conteſtations, le
Perſan ayant repris toutes les petites places que le Vizirauoic priſes ſur les frontieres
Cependant le de ſon pays , mit le ſiege deuant la fortereſſe d'Illay , nonobſtant les incommodicez de
Perían reprēd l'hyuer. Les pluyes qui ſont exceſſiues en ce pays - là durant les mois de Feurier & de
coutes les pla .
Mars , le firent preſque repentir d'auoir voulu combattre la ſaiſon ; le debordement
ces qu'il auoit
priſes. des eaux qu'elles cauſerent entraiſna vne partie de ſon bagage & le concraignic de ſe re
tirer dans des lieux plus eminens : mais ſitoſt qu'elles ſe furent eſcoulées & que la cha
leur qui comence là ſur la fin de Mars ,eut deffeiché les plaines qu'elles auoienc couuer
tes , il recourna à ſon entrepriſe, & prit la place de viue force . Il y trouua vneincroyablo
Merme la quantité de toutes ſortes demunicions, entr'autres choſes yne bande de quarance pie
forterelle
ces d'arcillerie de huic liures de bale,accachéesenſemble auec vne groſſe chaiſne defer,
d'Way.
que les grands Seigneurs auoient accouſtumé de mener couſiours auec eux pour en
faire vne clofture à leur threſor.La pluſparc de la garniſon qui eſtoic de huic mille hom
mes & les trois Beglierbeys qui la commandoient,perirent à l'aſſaue, ou furent paſſez
au fil de l'eſpće durantla premiere fureur des vainqueurs, mais il traica fort doucement

Oùil fait vne ceux quien reſchaperent& les renuoya au grand Vizir: auquelil mādoit qu'il auoic vſé
de hilemaftice. de cette humanité ,afinqu'il euft ſujet de ſe repentir du cruel traitement qu'il auoit faic
l'an paſſé aux Perſans; Qu'au reſte il neluy conſeilloitpas pour ſon honneur d'attaquer
Bagadet vne ſeconde fois, puis qu'il l'auoit ſi bien munie qu'il falloic crois ans de liege
& le gain d'vne bataille pour la prendre,mais pluſtoſt de diſpoſer le grand Seigneur à
vnc paix raiſonnable, & que s'il y vouloit entendre il ſeroit fort facile dela faire, pour
ueu qu'on ne parlaſt point de luy oſter cette Ville , qui eſtoit le patrimoine de ſes an
ceſtres. Le grand Vizir vaincu par cette courteſie ,depeur de l'eſtre couc à fait par la for
Le grand vi- ce, n'ofa demcurer plus long -tempsàMouſoul,mais ſe retira à Mirdin , d'où il deman
zir le retire à doit ſans ceſſe du renfort. Il auoiteſté reſolu au Conſeil de luy enuoyer crente mille
Mirdin ,
Tarcares ; les remonſtrances de Ragotsky qui repreſenta qu’on eſtoitſur le poinå d'en
auoir affaire contrel'Empereur ou les Polonnois,furent cauſe qu'on reduiſicceſecours
à dix mille cheuaux ,la charge de les conduire fut donnée à vn des freres de leur grand
Cham , & l'on leur ordonna leurroute par la Circallic: mais Chain Chiran , dont nous
On luy veut
chuo yer vn auons parlé , qui auoit eſté long -temps refugié aupres du Perſan , & qui pour lors l'e
renfore de ſtoit aupres du Circaſſe , leur empeſcha les paſſages & tailla en pieces ceux qui s'e
Tartares,mais ſtoient les plus auancez . Deforre ques'il ne leur reſtoic point d'autre voyepour paſſer
ne peuuent
paller. en Aſie que de s'embarquer à Caffa & de trajecter au deſſus de Trebiſonde,eſtrāgeem
barras pour de la caualerie.Le Grand Seigneur eſtant ainſi dans l'impuiſſance de ſecou
rir fon Vizir ; & dans la crainte de perdre toute ſon armée qui deſia eſtoit en ſi mauuais
ordre qu'il ne reſtoit plus aupres du Vizir que deux mille Ianiſſaires & z trois mille Spa
Le Turc dans chis , s'aduiſa pour ſauuer ſon honneur de le ſeruir de fa ruſe ordinaire , qui eſt d'entrer
l'impuiſſance en traité quand il n'a pas le moyen de faire la guerre . Il employa donc pour en porter
de faire la les propoſiciós au Sophy vn Seigneur Perſan qu'il cenoic priſonnier dans les ſept tours,
gute te & luy donna vn bel equipage aucc quatre mille piaſtres, pour l'obliger de luy rendre
office auecplus d'affection .Meſmcafin deperſuaderà ſon ennemy qu'il deſiroit la paix
Ee rappelle ſans aucune feinte ,il rappella ſon armée ſur la fin du Printemps , & par ce moyen ily
ſon armée,
cut comme une ſuſpenlion d'armes de ce coſté- là. A dire vray,la cabale du Mufry auoit
cauſe
Amurath IV . Liure vingt - vniéme . 127

cauſé le rappel du Vizir :mais quoy qu'il en fuſt, elle n'eutpas aſſez de pouuoir pour 1632 .
le maintenir dans ſa charge; ſa trop grande ſeuerité luy ayant rendu ennemis preſque
tous les Officiers de la Porte & du Serrail, la Sultane mere cajeola ſi bien ſon fils qu'il deLe Vizir eſt
ſtitué ., &
le deftitua de la charge, & la donna à Regep Baſſa l'un de ſes quatre beaux-freres. Regep l'vn
La cauſe du peu de progrez que faiſoient les armes d'Amurath en Perſe, eſtoit non . des beaux
ſeulement la broüillerie des deux cabales qui eſtoientdans ſa Cour, & la vaillance du la plascemis
flere .
en
jeune Sophy quidefendoit brauement ſes Eſtats : mais auſſi les frequentes ſe ditions
VIII.
d'entre ſes gens de guerre , particulierement des Spahis contre les Ianiſſaires, qui
proucnoit tant de la jalouſie quicftoitentr'eux que du reproche que les Spahis leur cauſe des for
faiſoient de la mort d'Oſman , pour laquelle ils en auoient aſſommé grande quantité les Spachis a
dans les Prouinces les années paſſées. Il y auoit auſſi ſedition de ces mefmes gens de les laniſſaires.
guerre contre leurs Chefs, pour deux cauſes principalement; l'vne eſtoit les fatigues
incroyables & les neceſſitez qu'ils ſouffroient en ces voyages lointains; l'autre la fau. Ee cótre leurs
Chefs,
te de payement, qui leur rendoit leurs miſeres plus inſupportables.Ainſi ayant perdu
tout reſpex , ils nevouloient plus faire aucune faction , mais ſe mettoient à crier in Mutincrio
ge
ceſſamment que
ſi on ne les retiroir de ces miſeres, ils prendroicnt congé d'eux- nerale des gěs
meſmes & pafferoient ſur le ventreà leurs Chefs. A l'exemple des Spahis & des la- de guerre ,
niffaires de cette armée leurs autres compagnons qui eſtoient épandus en diuerſes
garniſons & à Conſtantinople meſme ſe mirent auſſi à fe mutiner , l'union eſtant ſi
grande dans chacun de ces corps, qu'auffi- coſt qu'vne bande ſe met à crier cous les Le grand Sci
autres approuuent ſes plaintes & ſuiuent ſon mouuemen t . Le grand Seigneur pen- grieur en fait
ſant appaiſer ces reuoltes par des chaſtimens exemplaires fit couper la teſte à quel punir quel
ques Baſſas accuſez de les auoir ſuſcitez , ou de les entretenir ; mais cette fcuerité ques Chefs,
eſchauffa tellement la milice qui eſtoit aupres de luy, que peu s'en fallur qu'elle ne
luy fiſt le meſme traitement qu'elle auoit fait à Oſman ; Et ſi l'eſpouuante l'euft con
Dot il ſe met
traint de s'aller cacher dans ſon Serrail comme Oſman , ſans doute qu'il eſtoit perdu: en danger.
mais eſtant forty fort bien armé & bien monté auec quelque caualerie ,ilſe promena
par la Ville & paſſa pluſieurs fois au trauers d'eux dans les places publiques où ils
eſtoient aſſemblez , faiſant faire cent paſſades à lon cheual & menaçant ces courbes
murines auec vne majeſté redoutable , de ſorte que par cette merueilleuſe hardieffe , Se merueil:
ilemoufla leur fureur, & les remit dans le deuoir. Son armée de Perſe fut de retour (s parmyces
)
à Conſtantinople ſur le commencement de l'année , fifoible , filangoureuſe & ſide. mutins ,
labrée qu'elle faiſoit pitié aux yeux de tout le monde ; mais pour couurir en quelque
façon cette honte & cette miſere par quelque pompe , & quelque apparence de vi
Etoire,le Caymacan amena en meſme temps en triomphe dans le port trois vaiſſeaux
Chreſtiens qu'il auoit pris d'aſſez mauvaiſe guerre .

Tout le long de l'hyuer la principale occupation d'Amurath fur de contenir les Ia - Moyens dont
niſſaires, de les diuiſer entr'eux , & de les brouiller auec les Spahis . Il les exerçoit fefent pour
Youuent à tirer au blanc, augmentant la paye d'vn aſpre par iour à ceux qui tiroient laniffaires.
le mieux , & leur mettant quelquesfois en butte des forçats qui s'eſtoient voulu ſau. Leur tumulto
uer . Il leur diſtribua outre cela ſix cens mille ducats , neantmoins leurs mutineries ſe le
Andfait
rinfuir à
ople,
redoublant de iour en iour , il fut contraint par vn viðlent tumulte de fe retirer à
Andrinople . Auant que d'y aller le Captan Baſſa de la mer l'un de ſes beaux - freres,
parlementa long temps auec les laniſſaires , & épuiſa de grands threlors pour lesap- plufieurs Bala
paiſer : mais nonobſtant tous ſes ſoins il vid les deſordres s'accroiſtre à vn tel point, fas le mutinis
qu'il n'yauoit plus de ſeureté pour ſon Maiſtre , de ſorte que pluſieurs jours durant a l'ay
janiſ dedes
laire s,
il luyfit tenirdes cheuaux tous preſts pour s'enfuir. C'eſtoit par toutes les terres
de l'Empire que cette milice ſe mutinoir de la ſorce ; & de plus, auec leur ayde plu- Helesſaccage
ſieurs Baſſas , ſe rebelloient . Ilyen eutvn qui s'empara de la ville de Burſie en Na- Magneſic ,
tolic , & fit abandonner celle de Smyrne à tous les habitans qui craignoient vn ſem *
Ily a auſi
blable pillage . Vn autre nommé Heles , s'eſtant reuolté dans la meſme Prouince , une a Province
auoit faccagé la ville de Magneſie * pres de Smyrne , & y commettoic tous les de Maced
la ce nomoine,
duas
deſordres imaginables, comme dans vn pays ennemy. Le Beglierbey de la Nacolie
ne luy permit pas de viure long- temps de la ſorte , la deffit en vn grand combat , LeBeglierbey
enuoya vingtChefs de ces rebelles au grand Seigneur. 11 l'aſſiegea en ſuite dans de la Natolie
Magneſie, mais le grand Seigneur prenant deffiance de ce que ce ſiege duroic trop Chefs rebel ,
long- temps , & craignant d'ailleurs qu'il n'eſmeur toutes les mauuaiſes humeurs de les au grand
ce pays- là , ayma micux ſe ſeruir d'vne perfidie que de la force de ſes armes : il fit Seigneur,
128 Hiſtoire des Turcs,

1632. traiter ſecretement auec Heles & legagnapar de grandes promeſſes :tellement que
ce mal-heureux fut fi fol que de ſortir
de la place, & mcſmedevenir peu apres à Con
Les mutins ſtantinople, où au lieu d'vn fauorable accueil qu'il penſoic receuoir à la Cour , il ſe
went vn Aga vid à ſon entrée dans le Serrail accolé d'une corde qui l'eſtrangla.Les Janiſſaires s'e
en Hongri e,
& diſpolent , ſtoient au meſme temps mutinez en Hongrie pour leur payement: ils pourſuiuirent
de pluſicurs 'l’Aga à coups de pierre iuſquesdans le logis du Vizir , eneſeurent vn autre en la pla
charges.
ce,
mirent en pieces Amet Aga Capitaine de Peft , & l’Eſcuyer du Vizir , chaſſerent
Demandent ſon Licutenant, & donnerent fa charge à fon Preuoſt; parce que ceux-là , diſoient-ils,
pardon & li- auoientexercé mille concuſſions ſur lespaïſans,qui leur en auoient fait plainte. Pour
urent quatre remedier à ces deſordres le grand Seigneur enuoya des Commiſſaires ſur les lieux,
dont mis en aucc pouuoir de caſſer les boute-feux de la ſedition , & d'informer des maluerſations
quartiers. des Aga . Les ſedicicux craignant d'eſtreignominicuſement caſſez rentrerent en cux

melmes, demanderent pardon & liurerent quatre de leurs Chefs qui furent mis en
quartiers : vne partie des Aga furent demis de leurs charges , ou punis rudement par
Le se
Bude Vizir de. la bourſe, & le Vizir de Bude luy -meſme pour ſe mettre à couuercdccette rigoureu
iuſti
fie, ſe perquiſition, enuoya à Conſtantinople vne atteſtation de ſa vie & deportemens
ſignée des principaux habitans de ſon Gouuernement, ſçachant bien que le grand
Seigneur prenoit cette affaire forrà cæur , tant afin d'acquerir la reputation de juſte
dans ces pays
de conqueſte, qu'afin d'empeſcher qu'ils ne fuſſent entierement de
peuplez par les Aga, qui auoient deſia deſercé plus de cent villages.
A meſure qu'il eſtouffoit vne de ces ſeditions, il en repululoit pluſieurs autres. A la
fin il creut auoir reconnu la ſource d'où elles procedoient, & que Regep Baſſa qui
Le grand vi- auoit l'honneur d’eſtre ſon beau -frere , & qu'il auoit n'agueres fait ſon grand Vizir ,en

des rcuolees. eſtoit l'autheur, & faiſoit des menées pour luy ofter le Sceptre & le donner à fon frere
1 Ibrahim . Il fc reſolue donc de prendre le mal à la racine , & l'enuoye querir dans ſon
iardin : comme ilyeſt entré ſes officiers luy commandent de ſe repoſer dans yncpetic
cabinet , où il ne trouua pour tout meuble qu'vn meſchant carreau pour s'aſſeoir.
Luy qui n'auoic eu aucun aduis de l'indignation de ſon Maiſtre, demeure extreme
ment eſtonné de ce procedé , & reconnoilt bien qu'vn cel traitement au premier Ma
En eſtranglé giſtrat de l'Empire eſt un ſigne certain de la mort. De fait incontinent apres,vn Ar
aucc yne cor
cher luy vient demander le Boule ,c'eſt yn cachet graué ſur vne bague d'or qui eſt la
de fauonnée.
marque de la puiſſance du grand Vizir ; trois autresentrentau meſme temps, qui luy
annoncent qu'il faut mourir , & l'eſtranglent auec vne corde fauonnée. On voulut
dire que ſes grandes richeſſes auoient eſté la principale partie , & fon plus puiſſant

accuſaccur : car illaiſſa la valeur de pres de trois millions d'or e


, n argent, & en meu
Hefoit riche bles , qui ſelon la couſtume du pays furentportez dans les coffres du grand Seigneur.
de trois mil.
lors d'or, Au reſte ſoit qu'il fuſt coupable, ou que lesricheſſes exceſſiues l’euſſent rendu cel,
touteslesreuolces furent elteintes dans ſon ſang pour cette année . A quoy le grand

Mehemet Seigneur employa auſſi fort vcilement l'organede ſes Muftis, & des Moines de fa
Balla fue Religion, leſquels pendant le temps de Careſme que la deuotion rend les eſprits plus
pourucu de la ſuſceptibles de ſemblables exhortacions,regagnerent peu à peu les plus mutins, & les
charge.
ramenerant dans l'obeïſſance. Les laniſſaires furent les premiers qui reuindrent à
leur deuoir,le grand Seigneur s'eſtant aſſeuré de ce puiſſant corps de milice , creut
Les Ianiſſaires qu'il viendroit facilementà bout des Spahis , & commanda à l’Aga nommé Amet,
les premiers de luy apporter la teſte de trois de leurs Chefs qui auoient le plus de credit ; ces
Chefs en ayant eu aduis prirent la fuite: l’Aga ayant, rapporté leur euaſion , le

grand Seigneur en fut tellement indigné qu'il luy fit couper la teſte à luy-meſme en
plein Diuan , comme s'il en cult eſté la cauſe. Apres cela les Spahis perſiſterent en
Les Spahis core quelque temps dans leur rebellion , fpecialement crois mille qui eſtoient à Scu
persiſtent dās taret,où ils faiſoient grand bruit,demandantqu'on leur donnaſt pour ſeureté de leurs
leurrebéllion.aſſignations la ferme des daces des Villes Chreſtiennes: mais le grand Seigneur ne
les craignoit gueres , ſe promenant à leur veuë dans ſa galere ,& commeils eurent
preſenté leur requeſte au Diuan , diſant qu'ils s'y vouloient trouuer le lendemain en
corps pour en auoir reſponſe , il y fic venir vn renfort de quatre mille hommes pour
Leur Coumiſ- la garde de la perſonne : de force qu'ils n'oferency
fon comparoiſtre , mais y enuoyerent
,
ſeulement quelques deputez , aſſeurer ſa Hauteſle qu'ils eſtoient ſes eſclaues , &
qu'ils ſe contenteroient de tel fonds qu'il luy plairoit leur aſſigner pour leur paye
ment. Il receut facilement leurs ſoumiſſions, & ils cefferent leurs murmures pour
quelque
Amurath IV . Liure vingt - vniéme. 129

quelque temps. Au commencement de la grandeur de l'Empire Turc ces Spahis 16320


eſtoicntvn corps de caualerie deſtiné pour contenir les peuples ſubiuguez dans leur
deuoir, & pour preſterla main à la leuée du tribut qu'on leur faiſoit payer. Dudepuis
le grand Vizir choiſit les mieux faits & les plus vaillans pour accompagner le grand
Seigneur ſix mois durant, apres leſquels on les employoit pour recoinpenſe dans les Quels eſtoide
plus belles commiſſions, & toutesfois ils n'auoient que vingt afpres par iour que les Spahis.
les ſujets leur payoient, outre le tribut ordinaire. Le nombre pourlors n'en eſtoic
tout au plus que de fixcens, que l'on appelloit Mclažines, mais du depuis les grands
Vizirs en augmenterent fort la multitude , & la licence que leurs commiſſions leur
donnoient dans les Prouinces en accreur dauantage l'inſolence : ce qui commença

ſous le Regnc de Mehemet aycul de noſtre Amurath , & vint juſqu'à tel pointqu'ils
commencerent à s'attribuer mal-gré lc Vizir meſme la perception des droits Eccle
fiaſtiques auſſi bien que desſeculiers , & viuant à diſcretion ſe rendoient commc Sci
gneurs abſolus des petites villes & des bourgades ,ſans reſpcet des luges des lieux.
L'Empereur Achmetayant enuic dereformer ces excez , fut preuenu par lamort.La
ſtupidité de Muſtapha,& le icune aage d'Oſman n'y purent apporter de remede, &
les deſordresque cauſerent ces foibles gouuernemens įſtant fauorables aux Spahis.
Ils ſe fortificrent de plus en plus, & ſe firent donner par force tellescommiſſions qu'il
leur pleut par les grands Vizirs, d'où leur auarice & leur preſomption s'agrandirent
de ſorte qu'on ne pouuoit plus rien trouuer capable de les contenter. Ils crcurent
auoir acquis le pouuoir d'ofter& de donner les grandes charges à leur fantaiſie , de
faire rendre compte aux Vizirs & aux Baſſas, de reformer l'Eſtat , & de faire deſtituer
ou punir de mort ceux qui les choquoient ainſi à toute heure ils excitoientdes trou
bles , & particulierement pour faire augmenter le nombre des Melazines, dont ils
eurent l'effronterie de demander iuſqu'à neuf mille places tout à la fois.
Les plus grands politiques reconnoiſſoient qu'vne des principales cauſes de ces
mutineries c'eſtoit la guerre de Perſe , guerre extremément lointaine, pleine de fati
gues , de miſeres, & demauuais ſuccez , delaquelle les ſoldats diſoient non ſans rai
fon ; qu'elle n'eſtoit conſeillée que par l'intereſt desMiniſtresqui vouloient faireleur L'intereft por
bourfe dans les grands preparacifs, & les dépenſes incroyables qu'il falloit faire pour Ares
à faire la
y conduire & entretenir les armes ; que ces concuſſionnaires & griuelcurs demeu- guerre en
Perſe,
roient plongez dans les voluptez à Conſtantinople , tandis qu'ils faiſoient languir
miſerablement dans toutes ſortes d'extremitez cant de milliers de braues gens, le
ſang & la vic deſquels ncreuenoit qu'àleur profit , pource qu'ils retenoient par de- L'auerdió que
les gens dc
l uers eux toute la paye des morts & la moitié de celle des viuans. Ce qui auoit celle guerre y
ment rebutéles gens de guerre d'aller de ce coſté- là , que la pluſpart aymoientmieux auoient.
demeurer dans les Villes d'Aſie qui eſtoicntinifc & ées de peſte , que de s'auancer vers
l'armée . Pour cette conſideration , ou pour quel queautre , legrand Seigneur ne s'ć- Le grand Seia
loigna pas des propoſitions de paix que luy faiſoit le Perſan , & apres auoir reccu les gneur accor
de la paix ,
grands preſens qu'il luy enuoya par ſon Ambaſſadeur, ne fit point difficulté d'ac auec lc Pets
cepter des conditions deſauantageuſes pour luy . Mais autantqu'ikauoit teſmoigné Can,
de defir à conclure cette paix , autant fit- il voir ſon inconſtance à la rompre cette
meſme année , s'y eſtant laiſſé induire par les perſuaſions du grand Mogor des Indes , Que les prea
qui eſtant voiſin du Perſana neceſſairement touſiours quelque choſe à demellerauec tens du grand
ſon Mogor des
luy . L'Ambaſſadeur du Mogor luy fit preſent des choſes les plus precieuſes que Indesluy font
Maiſtre euft dans tout ſon Empire. En revanche ille regala par des feſtins quiſurpaſ- compre,
ſoient la magnificence de ceux qu'on a accouſtumé de faire en ce pays- là ,
& luy pro
mit que les Turcs boucheroient aux Perſans le paſſage du Nakchinan ,c'eſt vne Ville
baſtie ſur la riviered'Aranes dans l'Armenie mineure , qui eſt la route ordinaire des
troupes de Perſe pour paſſer dans les Indes . Ceuxqui hail
t
Cependan ceux qui apprehendo ient les difficultez de la guerre de Perſc , la trou- foiće la guerre
uant plusfacile, & plus lucraciuc du coſté de la Hongrie, neperdoient point le temps conſeilloient

déconſeiller au grand Seigneur de ſuiure leurs ſentimens, il s'en preſentoit lors , à celle de Hong
leur aduis, vne belle occaſion. Le victorieux Guftaue Roy de Suede auoit preſque gric.
aterré la maiſon d'Auſtriche en Allemagne par la perte qu'il luy auoir fait ſouffrir de Le Roy de
grand nombre de Villes, & par la mort de ſes plus brauesCapitaines & gens de guerre , Suede ácterre
qu'il luy auoit cucz en diuerſes batailles . Les Princes Chreſtiens qui l'auoient appellé pre more da
non ſeulement au ſecours de l'Allemagne,mais de toute l'Europe menacée d'vne ſcr- friche,
Tome II .
R

3
130 Hiſtoire des Turcs,

1632 . cudegencralę par cettemaiſon ambicicuſe ,eſtant reſolus de la mettre ſi bas , qu'elle ne
puſt d'oreſnauant ſe releuer aſſez forte pour encreprédre l'oppreſſion des autres Eſtats,
follicitoient inſtamment à la Porte que l'on luy donnaſt vne attaque du coſte de la
Amurath fait
emb ler ngrie Il ne
aſſ Hongrie.. Il
les Ho ne fut pas difficile de le perſuader à Amurach ſur les grandes eſperances
forces.
qu'on luy donna d'en tirer bien -coſt de ſignalez aduantages , il commanda donc au
Bafla de Bude d'aſſembler les forces qui parurent bien - coſt apres au deſſous de Peſt au

Signe de fa nombre de vingt-cinq mille hommes , le Baſſay fit tendre ſon pauillon pour fignc de
marche,
la marche, telmoignant en apparence beaucoup d'ardeur pour cette guerre. Neant
moins.cc General intereſé n'alla pas bien loin , & facalte aulli-coſt ſur la demande d've
1.'Empereur ne treve par l'Empereur, tant il eſt certain que les Souuerains ne ſçauroient faire la
demande vne
treve , guerre que ſuiuant le mouuement des volontez fecreces de ceux qui commandent
leurs armées , ou leurs Prouinces frontieres, leſquels auancent ou recardenç ces affai
res comme il leur plaiſt, ſans auoir ſoin de la gloire ny des auantages de leurs Maiſtres,
Le Vizir fait
conduire fon mais fculement de leurs intereſts. Les troupes de ce Vizir ne demandoienr, qu'à mar
Ambaſſadeur cher & combaccre , l'intereſt de fon Maiſtre l'y ſembloic conuier : neantmoins parce
à
Contanti- qu'il croyoit mieux trouuer ſon compte dans la paix que dans la guerre , il ſe mit à tem
nople.
poriſer , & receut l'Ambaſſadeur de l'Empereur à Peft, d'où il le fit conduire à Con
Itantinople. Cependant arriuala mort du grand Guſtaue , & la déroute des affaires des
Roy de Sue Sucdois quirehauſſa fort le courage de la Maiſon d'Auſtriche
, George Ragotsky Prin
de rehaufle le ce de Tranfliluanic euft auſſi infailliblement ſuiuy les commandemens du grand Sei
courage de la
maiſon d'Au. gneur, s'il l'y cuſt veu proceder aucc la meſme ardeur qu'il cult deliré: il auoit defia
Striche. meſme enuoyé en confidence au Roy de Suede, & mis ſur picd vne armée de trente
mille hommes, auſquels ſe deuoientioindre les païſans d'Auſtriche ſouſlouez pour ſe
Ragorſky coüer le joug ; & le Palagin Iſolani Hongrois qui s'eſtoit mis du party de Suede , eſtoit
trente mille dans la Morauie: mais comme il vid que les Turcs n'auançoient point & ſe concen
homes
fuy . pour coient d’enuoyer des boutefeux par les villages & bourgs de Hongrie, dont il en fuc
attrapé pluſieurs, il trouua plus ſeur de ne ſc pointmeſler crop auant de cette guerre ;
Iſolany Hon .yeu que d'ailleurs il auoit dansſes pays deux faſcheux partis quiy pouuoient bien cau
Mo ſer de la broüillerie s'il s'en éloignoit , ſçauoir Catherine de Brandebourg vefue de
dans laentre
Brois
rauie . Betlin Gabor refugiée danslechafteau de Fogaras , & lſtuan frere du melme Prince ,
qui chacun à part peetendoienc de remonter à la Principauté dont ils auoient eſtá
Berline cabos depoſſedez. Catherine scſtoit tout à faitjectée ſous la prote &tion de l'Empereur , auec
s'accommo- lequelenfin elle fit fon accord aflez aduantageux , en conſideration de la Maiſon Ele
deauec l'Em- &torale dont elle eſtoit ſorcie. Peu s'en fallutneantmoinsqu'vn point d'honneur n'en
pereur .
gageaſt tout à fait Ragetsky dans la guerre. Le Gouuerneur de Kaffaw auoir fait ar
Le Gouuer. reſter quelque Capitaine , pour auoir porcé les armes l'an paſſé contre le Palatin de
neur de Kal Hongrie. Ragotsky luy auoit enuoyé dire qu'il l'aduoüoit,mais nonobſtant qu'il lo
fark vatCani: reclamaft, le Gouverneurn'auoit pas laiſſe de paſſer outre à luy faire ſon procez & àle
taim , que
mettre en quatre quartiers ; dont Ragotsky fut tellement indigné , qu'il enuoya dix
Ragotſky
auoügit : mille hommes deuant Kaffaw ſous la charge de Dauid Solomé , jurant qu'il le ſuiuroit
bien -coſten perſonne auec trente mille autres , & qu'il ne parciroit point de deuant
Ils s'accor . certe place qu'il n'euſt fait ſouffrir pareil ſupplice au Gouuerneur . Mais à la fincét in .
dent. cident fut accordé auec le principal de l'affaire,

Ces mouuemens accordez, on n'entendit plus pour l'heure de ce coſté -là que quel
1633.
ques petits bruits de meſmc qu’apres vne grande tempefte l'on entend encore quel
Le grand Sci . que ſouffle de vent . Les Turcs faiſoient couſiours des rauages ſur les frontieres de

gneur
che cher- Hongrie , & le grand Seigneureuſt bien voulu chercher querelle à l'Empereur pour les
a faits
querele à terres qu'il auoicoſtées à la vefue de Berlin Gabor , quoy que cette femme euſt con
l'Empereur. ſenty à les rendre, li la morc du Roy de Suede luy faiſant croire que le party des Pro
teſtans eſtoit fans reſource ne luy euſt ofté l'eſperance d'y bien reüſlir , libien qu'il ne
La more du ſe monftra plas fi difficile à receuoir les Deputez de l'Empereur qui luy apportoient
Box de suc- les plaintes de leur Maiſtre & les offres de continuer la creve, pour laquelle les deux
Princess'enuoyerentmutuellement leurs Ambaſſadeurs, quien paſſanes'aboucherent
Ragotſkyful- ſur la frontiere pour traiter de l'eſchange de leurs priſonniers, Aureſte Ragotsky de.
pect aux deux meura ſuſpe &t à tous deux &mal-voulu
de part & d'autre pour les auoir deſſeruy tous
deux , particulierement legrand Seigneur , doncil prouoqua encore la haine par vne
veut
mettre nouuelle offenſe, c'eſt qu'il entreprit
d'inſtaler dans la charge de Vaiuode de Valachie
en Valachic. vn Prince Tranſliluain nommé Mathias contre le gré de la Haucelle , & de lo maintenir
contro
Amurath IV . Liure vingt - vniéme
. 131

contre un nommé ... qui auoit ſes prouiſions de la Porte. Celuy- cy eſtoit vn 1633
jeune homme de bas lieu fils d'vn peſcheur d’buitres, auquel pour ce ſujet le peuple
auoit donné le nom de Strida : ncantmoins le grand Seigneur l'auoit pourueu de cette
Le grand Sci
charge ie ne ſçay pour quelle raiſon , li ce n'eſt qu'en cette Cour la baſſeſſe& l'infamie gneur y en
citablir un
trouvent lieu de recommandation & de merite. La fin de ce differend fue que pour autrc.
éuiter la guerre l'on l'en deboutta , & qu'on y eſtablit Matthias , moyennant qu'il re .
doublaft le tribut : mais les Turcs ayanteſté contrains à cela par force, taſcherenc à ſe Le premier
venger ſur Ragotsky par crahiſon. Il en découuritpluſieurs contre la perſonne & con- remis & à
tre ſon Eſtat : deux entr'autres , l'vne d'vn de ſes Generaux qui vouloir leur liurer la quelle
tion . condi
forcereſſe de Vardein ; l'autre d'un fils de feu lacques Moyfe Prince de Tranſiluanie,
qui auec quelques -vns d'eux auoit conſpiré contre la teſte. Ce dernier fut aſſez heu . Deux trahi.
reux de fe pouuoir fauuer , & laiſſa tous ceux de la coniuration dans le peril : mais le Ragoríxy.
premier fut pris & eut la teſte cranchée.

Les grands defſeins d'Amurath n'eſtoient pas de ce coſté -là, il en auoic deux princi IX .
paux pour cette année , l'vn eſtoic de deſpoüiller l’Emir Facardin , l'autre de renuerſer . Delicin da
l'Eſtat de Pologne , qu'il vouloit attaquer coniointement aucc les Moſcouites & les grand Sci
Tarcares. Ic vous ay remarqué comme le bon - heur de Facardin ayant attiré ſur luy encur contre
l'enuie des Balſas & desEmirs voiſins, ils auoient par quantité de rapports allumé con- contre la pou

treluy la colere du grand Seigneur , de façon qu'ilsl'auoient defia deſpoüillé de deux fogne,
ou trois de ſes meilleures fortereſſes. Ils ne furent pas contens de l'auoir affoibly de la
forte, mais craignant qu'il ne s'en vengeaſt candis qu'illuy reſteroit quelque puiſſance, Conſpiration
ils comploterent de le perdre tout à fait. Les Balſas de Damas , de Tripoly &c de Gaza, voila possacona
& les Enirs Feroucq , Seifa & Therabaith, ayant faic cette conſpiracion enſemble, le tre luy.
Baſſa de Damasfut chargé d'en pourſuiure l'execution à la Porte, où il auoit quelques
autres affaires.Ce Baſſa nommé Goggiac Ehmod , l'accuſa derebellion & de quantité Crimes done

de crimes enormes aupres du grand Seigneur:Il luy impuca qu'il mépriſoit la Loy de ils l'accuſoiēt,
Mahomct , deſtruiſoitles Moſquées, n'y alloit qu'vne fois l'an , & ne gardoit point le
Ramadan , ou le Careſme; Qu'ilauoitintelligence auec le Duc de Toſcane, dont ilte
noit vn Conſul à Seide , ayant fait marché auęc luy de luy laiſſer tranſporter cous les
bleds des coſtes de Syrie , moyennant qu'il luy fourniſt ſix mille hommes de guerre à
ſon beſoin ; Qu'il permettoit aux Cheualiers de Malthe qui alloienr en courſe en
Orient , de faire cau fur les terres ; Qu'il faiſoit ſauuer les eſclaues qui auoient eſté pris
ſur les vaiſſeaux de Malche & de Liuourne; Qu'il fauoriſoit ouuertement les Chre .
ſtiens , & permetroit tant aux Lațins qu'aux Grecs de baſtir des Egliſes & desConuens
ſur ſes terres ; Qu'il fortifioic inceſſamment les Chaſteaux, les garniſfoit de munitions,
& vſurpoir les places des Baſſas & des Emirs ſes voiſins ; Bref qu'augmentant tous les
jours ſes forces& ſes richeſſes par le moyen des contribucions qu'iltiroit des places &
des gens de guerre qu'il entretenoit en grand nombre , & qu'ayant fait des alliances

aucc les Arabes & les Princes Chreſtiens, il auoit deſſein de ſe rendre maiſtre de la
fainte Ieruſalem ,& dcmarcher ſur les veſtiges de Godefroy de Boüillon ,de la race du
quelil ſe diſoit eſtre deſcendu. Ces accuſations firent d'autant plus d'effec ſur l'eſprit du
grand Seigneur, que la pluſpart ſe trouuerentveritables.Tellement qu'il donna com- Legrand Scia
miſſion à ce meſme Balla de l'externiner entierement. Il luy ordonna pour ce deſſein termine
de faire les plus grandes leuées qu'ilpourroit, enuoya ordreaux Baſſas de Tripoly & de arme partera
Gaza , & aux Emirs Terrac & Therabaith de le joindre au pluſtoſt auec coutes leurs rc & par mein 4
forces, & manda aux Baſſasd'Alep & du grand Caire de luy fournir chacun huit millo
hommes. De plus il fit ſortir de Conſtancinople le General de ſon armée nauale auec
quarante galeres: mais elles n'arriuerent pas dans le temps qui auoit eſté ordonné,
ayant eſtérecardées en chemin par vne memorable aduanture. Commeelles paſſoient
à Chio ,elles y trouuerent deux vaiſſeaux Anglois qui chargeoient du froment pour
porter à Ligourne . Or comme le bled eſt marchandiſe de contrebande , le General
Turcardenc au butin , penſant ſe ſaiſir des vaiſſeaux & faire les hommes eſclaues,com
manda äuſſi-coſt qu'on les enuclopaſt. Ces deux vaiſſeaux ayant coupé les cables , & Ses galeres
s'eſtant mis en merleur monſtrerent bien qu'il n'eſtoit pas facile d'ofter la liberté à ceux attaquét deux
qui l’eſtiment plus que la vie, ils fe defendirent plus de trois heures auane qucles ga- glois,quifont
leres les puiſſent accrocher, faiſant pendant ce temps yn maſſacre d'autant plus horri- grand malfa
ble de leurs chiourmes qu'elles ſe preſſoient & venoienc comme en foule pour les čre de Tucs.
aborder , & puis quand le nombre l'emportant ſur la vercu cut couuert d'hommes les
Tome II . Rij
132 Hiſtoire des Turcs,

1833. tillacs de ces generoux Anglois de force qu'ils n'y voyoient plus lieu de le defendre., its
ſe reſolurent par vn extreme deſeſpoir ou par une haute vertu ( car en cerce rencontre
Puis metrentje ne ſçay commevne ſemblable a &tion ſe doit appeller) de mecere le feu à leurs poudres
deurs vaiſe pour ſauuer leur liberté , & faire perir auec eux ceux qui s'efforçoient de les reduire en
ſcaux,
ſeruitude. La violence des poudres futcelle qu'elle abyſmaauec leurs vaiſſeaux trois
ou quatre galeres, & mit le feu à la Sultane & à deux autres. Brefil ſe trouua que pref
chun
quabarce
aulli tre que leurs chiourmes eſtoiept degarnies , y ayant eſté cućou cítropié à coups de canon
galeres. plus de douze cens eſclaues, & que toute leur armée eſtant en deſordre auoit beſoin
d'un mois de temps pour fe remetre.
Et met l'ar
mée en delor Goggiac Bafla de Damas , ayant commencé de mettre en
Pendant ce recardement
dre pour vn campagne enuoya ſommer Facardin de luy rendre Seide & fes autres places . L'Emir
mois,
fic reſponſe qu'il falloit addrefer cette ſommation à ſon fils Alyauquel ilauoit remis la
fouueraineté, & que pour luy il n'eſtoit plusque ſimple ſoldac dependanţentieremend
Le Balſa de de ſes commandemens. De fait depuis ſon recour de Florence il auoit feine de luy re

me facardin ligner l’authorité, & declaré par a &te public qu'il ne vouloit plus eſtre que ſon ſujet:
de rendre ſes neantmoins c'eſtoit luy en effet qui gouuernoit toujours & qui donnoit tous les or
places,
dres . Or ſur l'aduis qu'il cut de l'armement de ce Baſſa , il n'auoit pasaufſi manqué de
pouruoir à la defenſe , & auoit mis vingt - cinq mille hommes ſur pied , done il fit deux
Facardin met corps d'armée commandez par ſes deux fils, demeurant cependaot à Baruth pour

mes ſurpied, monſtrer qu'il ne ſe melloit plus de rien. Ces forces eſtant aſſez grandes pour empel
commandez cher celles de l'ennemy de ſe ioindrc,il comanda à ſon aiſné d'aller à Saphet auec dou
par les deux
zemille hommes , entre leſquels il y auoic mille Maronites & deux mille Druz, pour
s'oppoſer à la jonction des troupes des Emirs Feroucq & Therabaich , & du Balta de
Gaza auec celles du Baſſa de Damas, qui pour lors n'auoit que douze mille hommes
Hly fon ailne non plus queluy . Aly icune Prince d'humeur bruſlanec, ne ſe feruit point de ruſes ny
attaque l'en- d'addreſſc comme ſon pere luy auoic conſeillé, il voulut couc d'un coup eſprouuer la
nemy auec
douze mille . valeur contre l'ennemy & l'attaquer de front; ainſi l'ayanc bien - coſt rencontré, il le
chargea furieuſement,le deffit & luytua huit mille hommes, mais cette victoire fur de
celles qu'on nomme Cadmeennes, car il y en perdit plus de ſept mille. Et le jour ſui
Auquel il en
uant le ſecours d'Alep eſtant arriué au Balta ,lesTurcs luy rendirent bien le change
huit mille ,
& Pallerent attaquer auec la meſme furie qu'il auoit fair .Le choc fut eſtrangemeng
opiniaſtre de parc & d'autre. Les Relations nous diſent que de cinq mille hommes
Les Turcs luy qu’Aly auoit encore il ne luy en reſta que cent quarante - ſix , 8c que ſeize cens de ceux
zendent ſon du Baſſa qui eſtoient au nombre de douze mille , tous leſquels encore eſtoient la plur
chango
parc couuerts de playes : L'aduançage demeura enfin aux Turcs , par la mort du mal

H ſe rend à un heureux Aly; lequeleſtanthors d'haleine,& voyant ſon cheual prelt à tomber ſous luy,
ſoldat , qui fe rendità vn ſoldat du Baſſa qui luy promacoit quartier. Mais ce perfide ayant recon
l'eſtrangle. nu qui il eſtoit l'eſtrangla auec la meſche de ſon harquebuſe , & luy trancha la teſte 8
le petit doigt de la main gauche où eſtoit ſon cacher, qu'il porca au Baſſa ſon maiſtre .
Le Baſſa en
uoye la à Ce ſuperbe vainqueur ne la voulut receuoir qu'auec ceremonie , commandant qu'on
Constantino la lauaſt auec des eaux de ſenteur, qu'on luy peigniſt la barbe , qu'on la couuriſt d’vn
ple. riche tulban pour la luy apporter : puis l'ayant gardée quelque temps, il l’enuoya à
,
Facardin fait Conſtantinople. Lesnouuelles de cetteinforcune n'allerent pas ſi cofà Facardin
retirer les pendant l'armée nauale commandée par le Capran arriua au porc de Tripoly en Syrie,
troupes..
dont ayant receu l'aduis, ſoit qu'il apprehendaſt quelque trahiſon , ſoit qu'il vouluft
Enuoye faire faire mine de croire que le Grand Seigneur ne le perſecutoit que pour eſprouuer s'il
compliment eſtoitrebelle ou non , parcant qu'il deuoic luy teſmoigner ſon obeillance en cedant , il
& des viures fit retirer ſes troupes dans le mont Liban , & ncſe rcferua que trois mille hommes,tant
l'armée du pour gardes que pour domeſtiques , auec leſquels il s'en alla à Seide ; meſme afin de
Grand Sci- mieux aſſeurer le Captan Balla de la fidelicé , il luy enuoya vn compliment plein de
gncur.
tres -hombles ſoumiſſions , & accompagné de cinq caramouſſals chargez de viures
pour rauitailler ſon armée , avec parole qu'il obeiroit aueuglement à tous les comman
demens qu'il luy apporteroit de la parc du Grand Seigneur ; Que s'il auoit pris les ar
>> mes ce n'auoit eſté que pour regſter aux Arabes & à ſes ennemis voiſins, qu’ainſi il auoit
fait retirer ſes troupes dés qu'il auoit veu arriuer le Lieutenant de ſon Seigneur ,8c qu'il
Qui fait en eſtoit preſt de les mener par tout où il luy plairoit de les employer pour ſon ſeruice.Le
trer les gale- Captan ne ſe contenta pas de ces belles paroles , mais auſſi -coſt fic entrer dix galeres
port de Seide . dans le porc de Seide , & luy manda qu'il auoitordre de s'aſſeurer de ce Chateau . Ce
fur
Amuľath IV . Liure vingt- vniéme. 133

futen vain qu'il luyenuoya de riches preſens, qu'iltraita aucc luy enſecret, efperant 1633
de le corrompre , & qu'il luy promit cent mille ſequins , & meſme ſon fils Manſour,

pour le menerau Grand Seigneur enoſtage de la fidelité. Le Captan accepta bien la Facardin en
promeſſe des ceně mille ſequins & ſon fils , mais ne luy fic point d'aurre reſponſe que la donte til le
doir defeit
premiere. Facardin eſtonné de cerce rigueur, demanda quatre iours pour reſoudre ce dre.
qu'il deuoit faire. Ilauoit vn regter indicible d'abandonner cette picce, qui eſtoit la
plus belle qu'il eụft ; quelquesfois fon courage le portoit à ſe perdre pluſtoſt qu'à fouf. Mais la mort
frir vne telle porce&: auec cela les marchands Chreſtiens qui eſtoient dans la Ville, deſon filsluy
preuoyant que le commerce n'y vaudroit plus rien lors que les Turcs ſeroicat maiſtres Seide, il terre
de ce Chaſteau , luy conſeilloient de tenir bon ,luy repreſentant qu'ayant dedans huic tir à Baruth,
cens hommes d'eſlice commandez par un bon Chef, & la place eſtane bonne comme
Qu'il eſt au {ti
elle eſtoit, elle ſe pouuoic defendre plus d'un mois, que cependant l'hyuer s'appro- couraine de
chant il viendroit des vents qui contiendroient l'armée nauale à ſe retirer de ce port , liurer , & re
retire dans les
pource qu'il n'eſt pas affeuré en mauuais temps. Du commencement il approuuoit
montagnes.
içur conſeil , & ſe preparoit à la defenſe. Mais quelques jours apres ayant appris les
nouuelles de la mort de ſon fils Aly , ilperdit entierement courage & ſe laiſſa aller aux le Captan
fommations du Captan , quile meſmeiour y mic vne garniſon de laniſfairęs. Luy pour fait piller Ba.
ne point voir de ſes yeuxvn ſi triſte changement s'en retourna à Baruch , mais il n'en Ces beaux lors
futpas quitte pour cette perte ,l'armée ayant pillé ſes Palais iuſqu'aux vitres & aux dins.

barreaux des feneſtres, le ſuivit dés le lendemain , & le Captan luy fic dire qu'il auoit
auſſi ordre de ſe faiſir de la fortereſſe de Baruth . Il la liura ſans beaucoup de conteſta- Porte les clefs
tion , non pas ſans vne ſanglante douleur , & abandonnantſon Palais ſeretira auec ſes les auto grande
Druz & Maronites dans les montagnes,à trois lieuës de là , là où illogeoit fous des ten- Seigneur.
tes , parce qu'il n'oſoit s'enfermer dans aucune place, de peur de tomber dans les em
La fortuna
boſches de les ennemis. Le Captan qui auoit touſiours clperéqu'il coucheroit les cent abandonne
mille ſequins promis en ſecrec, eut ſigrand dépit qu'il ſe fuſt retiré ſans les luy donner, Facaidiņ.
qu'il fit piller fon Palais & ruiner ſon beau Iardin , qui eſtoit pour ainſi dire , la copiedu
Paradis terreſtre ,pource qu'il auoit eu la curioſité d'y faire planter toutes les forces Les Maroni.
d'arbres fruidiers qui ſe trouuerent ſur la terre. Apres ce degaſt le Capcan remena au Balla, de
l'armée nauale à Conſtantinople , cmportancau grand Seigneur les clefs des deux plus Damas,
importances fortereſſes de la Paleſtine, qu'il auoit gagnées ſans coup frapper. Depuis Comme aura
ces pertes la forcune abandonnanttout à faitle mal-heureux Facardin leipriua dc tout les Druz.
ce qu'il auoir de plus cher au monde . Les Maroniecs qui eſtanc forc bons Chreſtiens,
auoient couſiours teſmoigné beaucoup de zele pour luy obeïrentau Baſſa de Damas, Deux fils de
ne ſçachane ce qu'il eſtoit deuenu depuis ſa retraite dans les montagnes .Laplus gran- Facardin mes
de partie des Druz ſes ſujets en firent autant, & cétabandonnement de ſesamis &c de nez priſon
ſes ſujets fuc ſuiuyple la perte des deux fils qui luy reſtoient , dont l'vn liuré par luy- Itantinople:
en vn combat furent menez en captiuité à Conſtantino
meſme en oltage, l'autre pris
ple.Son frere nommé lones,fut cué à coupsd'harquebuſe atrachéavnoliuicr.Son fidel Tones ſon fre .
Agent qu'il auoit à la Porte qui en eſtoit vn des principaux officiers , pour l'auoir toll re tué ,
joursiuſtifié enuers le Grand Seigneur par ſon credit, eut la ceſte tranchée au retour du
à
Captan , & celuy qui luy auoit gagné les Cheris & les principaux habicans de Damas , Conftantino
fut auſſi eſtranglé par le commandement du Baſſa. En ſuite preſque toutes les force- pie decapite .
Teſſes , comme de Gazir , de la Reyne Eſtherà Saphet, de Balbeich, de S.Iean d'Acre ,
confi
se yn cſtran
& quelques autres , ſerendirentau Baſſas de Damas à la premiere ſommation. Il perdit dent ,
neantmoins ſon temps & la meilleure partie de ſes troupes deuanc celle de Niha, la glé ,

vaillance des Druz , & ſon aſſiete inexpugnable , l'y arreiterentpresd'vn an fans qu'il
en puſt venir à bour. Les Druz par de frequentes ſorcies dans leſquelles ils donnoient
ſouuent juſqu'à ſon pauillon luy ruinerent la moitié de ſon armée; & la durecé du roc denscure pres
d'vo. an deuār
ſurlequel cette place eſtoic baſtie conſuma tout le trauail & l'induſtrie de ſes Inge- Niha ſans le
nieurs. Ilsy employerencen vain cent tailleurs de pierre fix mois durant , & vo Me prendre .
decin Prouençal qui eſtoic au Baſſa s'eſtant meſlé d'y faire vne mine , n'y auança pas
autre choſe que fa & celle de grand nombre des aſſicgcans; car comme le feu Y ruine la
moitié de
ne s'y prit pas à l'heure qu'il deuoit,il voulut aller voir la cauſe qui l'auoit empel ſon armée)
ché, & comme il fut à l'entrée du fourneau la mine joüa ſans fairo aucun mal aux
aſliegez, mais la damme le grilla tout , & les eſclats du roc cuerent quantité de ſoldacs Vn Medecin
Ingenieur tué
quela curiofité y auoic menez auecque luy . Ainſi cette forcereſſe demeura à Facardin
par la propre
auec crois autres qui cſtoient dans les montagnes , & là il veſcuc quelques mois en mine,
Riij

1
Hiſtoire des Turcs ,
134

1633. äffcurance,lecenant toujours aſſocié auec Reba Röy des Arabes, auec lequetil falo
Eacardin s'af ſoit tous lesioursdes rauages ſur les terres dc Damas:
focic aucc le ne differeray point aux années fuivantes à vous faire voir la caraſtrophe de ce
Reba Roydes Prince dont la vieilleſſe fucaulli infortunée que toute ſa vie auoiceſté glorieuſe. Mais
Arabes.
deuançant vn peu l'ordre des temps , ic vous deduirayſon hiſtoire tout de ſuite , afin
qu'elle vous paroille plus belle.Comme ſon humöur guerriere ne pouuoic ſe tenir en
paix & en demeure ſur la perte , auſſi fes ennemis qui ne croyoient point qu'il y euſt

de ſeureté pour eux tandis qu'il luy reſteroit quelque moyen de lesharceler , ne per
en Crand Scie mirent pas qu'il fubfiftaſt plus long- temps, ny qu'il recueillift les debris de fon Eitat:
derechèf'con- mais par leurs follicitations à la Porte obligerentle Grand Seigneurd'enuoyer encore
tuluy yncare contre luy le Baſſa Giaphar auec vne armée de dix mille hommes, qu'il y mena fur
dée par Gia: quarante- cinq galeres. Facardin pouſſé par ſon mal - heur vint hardiment au deuant,
phar, mais ayantreconnu en quelques rencontres où il perdit vne bonne parcie de ſes gens ,

que la vaillance n'eſtoie qu'vne temerité contre vn ſi puiſſant ennemy , il congedia le


reſte de ſes troupes, à la reſerue de quelques compagnies qu'il mic dans trois fortereſſes
qui luy reſtoient, & ſe retira dans lesmontagnes.Il s'imaginoit que leBaffa ſe conten
Qui le baten teroit deluy auoir donné la chaſſe ,& qu'il nele pourſuiuroit pas dauantage, ou que
quelques ten- la difficulté des licux luyen feroit perdre la piſte .Cette eſperance le trompa auſſi bien

fait retirer dás que toutes les autres . Sonennemy s'opiniaſtrant de l'auoir à quelque prix que ce fuft,
les monta. ſe reſolut pour ne le pas manquer de bloquer toutes ſes fortereſſes à la fois , & de ne les
Sncs .
point abandonner que la faim ne les euſt contraintes à ſe rendre . Alors comme céc
Emir vid qu'on luy tendoit des filets de cous coſtez & qu'on le cernoit de la force , il
chercha ſonrefuge dans les cauernes , ſe cachant tantoſt dansl'vne , tantoſt dans l'au
tre , & laiſſant dans touces quelques - uns de ſes gens , afin que ſon ennemy ne puſt fça
Haflicge tou-voir au vray dans laquelle il eſtoit. Il y en auoic vne encr'autres eſcarcác qui n'auoic
selles åla fois qu'vne entrée forc eſtroite & qu’yn accez tres - difficile, dont la largeur n'eſtoit que de
pous l'auoir. ſept ou huit pas , mais la longueur pres de cent cinquance . Il choiſilà la retraite & s'y
onferma auec cinquante de ſes amis, qui luy auoientdonné leur foy de mourir auecque

luy, y ayantfait porter aſſez de prouiſions poury ſubfifter ſix mois , pendant leſquels il
clpcroit que le Baſſa s'ennuyeroic d’eſtre ſi long - temps à l'affuſt, ou meſme que les nei
11 s'enferme ges qui tombenc en abondance ſur ces montagnes le contraindroientà quitcerfon deſ
Hans yoc ca- lein . Orpeu de iours après cette cauerne fut inueſtie auſſi bien quc les autres force
cariće & in- reſſes, & comme elle n'auoit qu'vne aduenue , il eſtoit auſſi facile d'y enfermer ceux
accedible .
qui eſtoient dedans que de les forcer. Dans ce dernier reduit , Facardin n'auoit pas
moins à craindre ſes gens que les ennemis ,il ſe deffioit ou que l'eſpoir d'une grande
recompenſe , ou que les ennuis d'un ſi triſte ſciour ioints à la peur de la mort , qui leur
eſtoic cercaine s'ils comboient entre les mains des Turcs, ne donnaſſent la penſée à
quelqu'un d'eux de le trahir. Tellement que pour empeſcher qu'il ne ſe cramaſt quel
que complot de cette ſorte, il s'accouſtuma à veiller la nuit,& à ne dormir que de iour,
içachant bien que les laſchetez ſe conçoiucnt pluſtoſt dans les tenebres que dans la
iunicre . Cécordre, & les autres ſoins qu'il y apportoit auoienc concenu ſes gens dans le
deuoir plus de quatre mois , quoy que l'incommodité du licu en euſtfait mourir quel
Eſ deſcon. ques-vos , & rendu les autres cous languiſſans. Son ennemy deſeſperantdevenir àbouc
vert
pa au Bafla de cous ces blocus , & ne ſçachant dans lequel de tanc de reduics il eſtoit ;d'ailleurs eſtane
r vn de ſes
gens. preſſé par les neiges & les froidures extremes que ſes ſoldats ne pouuoient plus ſouffrir,
eſtoit ſur le poină de leuer le liege,lors que Facardin endormy de nuit , contre la cou
ſtume donna licu à ſon propre confident de le trahir , & de deſcendrepar vne corde yn
ieune homme qu'il auoit gagné pour donner aduis au Baffa qu'il eſtoic dans cette ca
Sur le poinæ uerne . Cér aduisreceu le Baſſa redouble les gardes qu'il auoit miſes ſur l'aduenuë, &

que le Balla fait ſçauoir à Facardin qu'il le tiene tellement enuironné,qu'il luy eſt impoſſible d'ef
je Tailler en chaper de ſes mains , que toutesfois s'il veut ſe rendre ſur la parole pluſtoft que de ſe
repos . laiſſer forcer , il luy promet ſur ſon tulban , ſerment inuiolable parmy les Turcs , qu'il
ne luy fera aucun cort ny pour la perſonne, ny pour ſes biens,maislemenera vers le
Facardin ſc . Grand Seigneur qui deliroit auecque pallion de le voir ,& qui ſans doute le reſtabli
send ſur la pa- roit dans la poſfellion de la Principauté. Le Baffa luy offroit ces conditions , pource
auce descon: qu'ayant ordre de le mener viuant à Conſtantinople ; il auoic peur que s'il preſſoit ce
ditionshono- grand courage iuſqu'à l'extremité il ne ſe perdiſt par vn genereux deſeſpoir, & qu'a
rables.
uccque luy ne ſe perdiſt aufli la conneſſance des lieux où il auoit caché ſes threſors,
D'ync
1
í

Amurath IV. Liure vingt -vniéme


. 135

D'vne partie deſquels Facardin s'eſtant adrerementſeray pour ſe le rendre favorable ; 1633
il obtint de luy que les Turcs ne feroient aucune refioüiſſance de ſa priſc , & qu'il ne le
roic point traduit en triomphe par le camp , mais qu'il auroir la liberté d'emporter fon
threſor , & de mener avec luy troiscens hommes trompettesfonnantes. En cec equi il lê. condue
pageil fut conduità Conftantinople , accompagné de ſes deux petits fils & portant vn à Conftantia
million de fequins enor , outre quantité d'autres richeſſes qui faiſoienola charge de nople.
quatorze chameaux .Eſtant à deux journées de la Ville il enuoya huit caiffes pleines
d'or au grand Seigneur, dont ilconneſſoit le naturelextremement auare ;& remplit les
Baſſas de cette eſperance qu'il auoit apporté dequoy les enrichir tous , s'its l'allaitoient
de leur faucur. A la nouuelle de ſa venuë le Grand Seigneur tranſporté d'vne joyerex Le grand Sei
traordinaire & d'yr ardent deſir de voirce Prince,dontla reputation eſtoit freſclatante gueur imp
ticne de le
en deſſeins ſi hauts ; & la fortune ſidiuerſe, ſortitauec le train & l'habic d'vn .Baſſa pour voit
ſe dégui
le voir & le conſidererà loiſir . L'ayant rencontré dans la campagne , il luy demanda (c pour aller
au deuant, &
quiileſtoit , quelle affaire l'amenoit à la Cour, qui eſtoient ſes ennemis, & pour quelle
raiſon ils luyen vouloient. L'Emirle reconneſtaufli-toft, mais feignant dele prendre patc à luy .
pour quelque Officier de la Cour , luy raconta en peu de niots ſon hiſtoire; luy: nonma
jes autheurs de la perſecution qu'il ſouffroit, s'efforça de luy monſtrer que la haine
qu'ils luy portoient ne prouenoit que de ce qu'il s'oppoſoit à leurs concuſſions & à
leurs meſchancetez, s'eſtendit fort au longa iuſtifier ſesactions & accuſer les'leurs , &
finit parvn pitoyable recitdu traitement qu'ils luy auoient fait ſous l'authorité de fa
Hauteſſe. Tout ce diſcours eſtoitaccompagné de ránt d'addreſſe, de viuacité & d'elo
quence qu'il toucha ſenlblement le Grand Seigneur, qui apres l'auoireſcoute auec
3
yne attention extraordinaire , luy promic de le feruir de ſon credit à la Porte ; & deluy
faciliter l'accez aupres de la Hauteſſe. L’Emir bien fatisfait de cette rencontre fillon
entrée à Conſtantinople, non point en coupable, mais en triomphateur,les trompet. " Luy donne
tes ſonnantes & les enſeignes déployées . Peu apres qu'ily fut arriué le grand Seigneur fauorabia.
luy donna vne audience plus fauorable meſme qu'il neleuſt oſé deſirer ; il ſembla lay
preſter toutes les deux oreilles pour efcouter les raiſons, luy demanda ſes aduistou
chant le gouuernement de ſon Empire , & l'aſſeura que deformais il ſe vouloic ſeruir de
luy dans les plusgrandes affaires , & qu'il le tiendroit pour ſon amy, pour ſon pere , &
pour ſon fidel Miniſtre, & apres l'auoir entretenu long-temps; le donna en garde au
Boſtangibaſli, auquel il recommanda d'en avoir vn ſoin particulier. Les charmes de la
eule vertu arrachoient toutes ces courroiſies de ceBarbare , & le forçoient à rendreces
reſpects aumerite d'on Prince deſpoüillé,qui par ce moyen euſt enfin demeuré victo
sieux & cuft eſté remis auecque gloire dans la poffeffion de tous ſes biens, ſi les meſmes
attraits qui auoient fieſchy l'humeur impitoyable d'Amurach euſſent pû domipter la
malignité de l'enuie . L'exccz de ces careſſes fuc la cauſe de ſon derniermal-heur , &
rendit faux pour cette fois le prouerbe qui dit , qu'il vaut mieux faire enuie que pitié.
Les Baſſas jaloux de l'eſtime que le Grand Seigneur auoit pour luy,conſpirerent tous Les Ballas ja

enſemble pour le perdre, ils aiguiferent pour cela les traitsles plusperçans de la calom- loux conlpi
nie , le chargerent d'vne infinité de crimes , & faiſant meſme de ſa cauſe vne cauſe de rent fa peric,
Religion , ſuſciterent le Mufry à l'accuſer d'auoir non ſeulement fauoriſéles Chreſtiens
contre les Mahomecans, mais encore d'auoir blaſphemé contre le ſacré Prophece , &
embraſſé le Chriſtianiſme. Ils aggrauerent ce cas auec tant de paroles, de circonſtances
& deconſequences, & lepourſuiuirent auec tent de chaleur , qu'enfin Amurach cou
ché de Religion ſe laiſſa emporcer à ſacrifier cette glorieuſe ceſte , & d'en faire comme
& preſenttát
vne victime pour ſe concilier la faueur de ſon Prophete Mahomer dans la guerre de le grand Sci .

Perſe,où il s'en alloiten perſonne. Cefut le quatorziéme de Mars , l'an 16i5 La forme condamne
gneur quille
à
de cette condamnation fut extraordin aire, le grand Seigneur eſtant aſſis dans ſon thrð mort,
la
ne le fic venir deuant luyen preſence de pluſieurs Baſſas, particulierement de celuy
ſur la parole duquel ils'eſtoitrendu, luy commanda de s’afſeoir ſur yne chaire baffe,luy
deduiſit tous les cas dont il eſtoit accuſé , & apres les auoir rapportez bien au long ,
conclut ſans prendre l'aduis d'aucun des aſſiſtansqu'il meritoit lamort, & tout à l'heure
meſme ordonna que l'on executaft ſa fentence. L'Emir ſe leuant de deſſus fon Gege

s'efforça de fe iuftifier , & de Aeſchir ſon luge à miſericorde : mais comme ilcommen
çoit à parler , il vid les muers dont le Grand Seigneur ſe ſere ordinairement pour faire
l'office de bourreaux, qui s'approchoient de luy pour l'eſtrangler. Toutela grace qu'il 11 eft cftran des
pût obtenir , ce fut vn petit quarc d'heure de temps pour faire la priere . Il ſe tourna lors mucis ,
136 Hiſtoire des Turcs ,

1633 vers l'Orient, contre la couſtume des Mahometans quiprient Dieu en regardant vers
le Midy, & fic le ſigne dela Croix : dontleGrand Seigneur n'ayant pas moins d'indi
gnacion que d'eftonnement, s'eſcria touc hors de ſoy quel'on cſtranglaſt viſtement ce
Son filsde ſes pourceau , & commanda que l'on eſtouffaſt ſon fils & ſes petits fils dans l'cau, afin qu'il
petits - fils
nc reftaſt aucun rejetion de celuy qui paſſoit dans ſon opinion pour vn Apoſtat. Apres
noyez,
l'execution ſon corps futexpoſé dans la place publique, & ſa ceſte portée par les ruës
ſur la pointe d'une pique ,auec vn cſcriteau qui diſoit en langue Turc , c'eſ] icy la teſte
de l'Emir Fecchredin impie & rebelle. On dit qu'en le deſpoüillant on luy trouua entre
la chemiſe & la chair vne Croix d'or en façon de celles qu'on appelle Croix de Lor
rainc .

La mort de ce Prince cauſa vn regret ſenſible aux Chateftiens Latins qui l'auoient
des Chreftiès connu , particulierement aux François qu'il fauoriſoit par deſſus tous les autres, parce
Larins. qu'il ſe croyoit defcendu de cette Nation . Ilseſtoient tousperſuadez qu'il auoit def
ſein de faire reforir le Chriſtianiſme dans la Terre ſainte ; & certes il brufloit d'enuie de
Vouloit reſta- reſtablir le Royaume de Ieruſalem , & diſoit quelquesfois encre ſes confidens qu'il
blir Icrula
lemn . n'auroit point de repos qu'il ne fuſt en poſſeſion de cecce Ville , laquelle il diſoic eftre
de ſon patrimoine. Il y penſoit paruenir par intelligéco auec les principaux habitans du
pays, à cauſe que de cette façon il euſtpû ſe rendre maiſtre de Damas & de Tripoly, s'il
Pouuoit e euít voulu :maisil auoit delia par pluſieurs fois manqué cette entrepriſe , & lors qu'ilfut
rendre mai. chaſſé de ſes terres le Baſſa de Damas fic crancher la ceſte à vn Sangiac de cette Ville qui
Ytre de Damas
& de Tripoly. auoit promis de l'en rendre poſſeſſeur. Il faiſoit aux Chreſtienstoutesles courtoiſies
qu'ils euſſent pû eſperer d'vn Prince tres - zeléen leur Religion , ſe ſeruoic dans les plus
importantes affaires des Moines Latins & des Maronites , nation qui reconoiſt l'Eglitt
Donc,le Balſa Romaine. Il traicoit fort benignement les eſclauesqu'on luy amenoit, fauoriſoit leur
Pietelerangler deliurance, & leur renuoy en la Chreſtienté.Brefil les ſupportoiten tout au preiudice
le Sangiac. des Mahomecans ; neantmoins il ne fic iamais profeſſion de cette Religion , ny ne ceſ
moigna pointexpreſſémentqu'il la vouluſt embraſſer, ſi bien qu'à ceux qui connef
Facardin ſe ſoient iuſqu'au fonds le naturel de l'ambition & des Grands, quick de n'elpargner au .
feruoit
Teil desdu co- cune feince nyaucun mafque,meſme celuy de la Religion pour paruenir au but où ils
Moi
nes, aſpirent, il reſtera touſiours quelque doute s'il craitoit ainĜiles Chreſtiens par inclina
tion ou par deſſein de s'ca feruir dans ſes hautes viſées. Quoy qu'il en ſoic, c'eſtoit ve
ritablement vn Prince doüé de cres -belles qualitez pour regir les peuples. Car il ſe plai
Se plaiſoit à
faire viure les ſoicà les faire viure dans la tranquillité & dans l'abondance, ſans leur demander quc
peuples dans des choſes raiſonnables, & l'on peut dire à la honte des Princes Chreſtiens, qu'ils n'a
uoiene point de pays plus riche & plus floriſant que ce petit Eſtat. Duquel ſil'on con
fidere la miſerablc condition ſous la domination des Turcs auparauant qu'il le poſlo
daſt & qu'il en fur deſpoüillé, en comparaiſon de cette felicité où ille maintint candis
Remarquez qu'il le gouuerna , on verra comme dans vn cableau la difference qu'il y a entre la cy
cecy .
rannie & la juſte Principaucé, qui ne ſe peuucnt mieux reconnoiſtre que par la miſere

ou par le bon-heur des pays qui leur ſont ſujets. Ce n'eſt pas qu'il ne leuart de notables
impoſts , mais il le faiſoit auec tel ordre , & donnoit fibon moyen à ſes ſujets parl'cp
tretien du commerce de debiter leurs denrées, qu'ils ne ſe trouuoienc point chargez
de ſes droits. De plus , afin que perſonne ne fuſt foulé l'vn plus que l'autre, il les con
noiſloit tous par nom & ſurnom , ſçauoit les biens d'vn chacun , tenoit regiſtre de tous
ceux qui eſtoient capables de porter les armes . Dans vn autre liure il auoit eſcrit le
nombre de tous les arbres fruictiers, des ſeps de vigne , & des meuriers à nourrir les
vers à ſoye , dont chaque pied luy payoit tous les ans vn medin , qui vaut vn peu plus
d'un ſonde noftre monnoye. Il auoit auſſi le compte de cous les bufles, bæufs, vaches,
chevres & moutons , dont il ciroit quelque ſubſide. Brefdanstout le pays qu'il poffc
dnesciutores doitilleuoit pres de deux millions,
dont il ne payoit qu'enuiron ſoixante mille eſcus
iez de l'émis, au Grand Seigneur. Ileſtoit outre cela doué d'un eſprit forcſubcil, aymoit l'Aſtrologie
& la phyſionomie, & comme ceux qui prennent les ſubtilitez pour des ſorcelleries , il
auoit appris la magie dela mere. Ilſe diuerciſſoit quelquesfois à l'eſtude de la Chimic,
& dauantage encore à la connoiſſancedes Simples, dont il eſtoit tellement amoureux
qu'il auoit commencé & traduit Mathiole en Arabe, & entretenu long- temps vn Pein$
tre François qui luy en auoit peint plus de quinze cens fortes au naturel. Il n'eſtoit pas
moins curieux de beaux lardins , ceſmoin celuy qu'il auoit à Baruch , & de beaux baiti
mens , ayant deſſein de reſtablir tous ceux qui auoient eſté ruinez dans la Terre ſainte,
n'euſt
Amurath IV . Liure vingt-vniéme. 137

n'euſteſté les defenſes expreſſes du Grand Seigneur , nonobſtant leſquelles il ne laiſſa 1633 .
On luy pouuoit ſeulement reprocher vne choſe bien éloi
pas d'en reſtablir pluſieurs.
gnée de cettegeneroſité qu'il pratiquoit aux autres occaſions, c'eſtoit la cruauté & les Vladiſlas mala

ruſes peu honneſtes dontilſe ſeruoit pour perdre ſes ennemis :mais cette tache ſe peut menelesMof
couurir en quelque façon par la grande iuſtice qu'il rendoit à ſes infericurs , & par la couitcs ,
foy inuiolable qu'il gardoit à ſes alliez . Apres ſa mort & celle de ſes enfans il ne reſta
plus aucun Prince de ſa race qu'vn nommé l’Emir Mehem ſon neueu & fils de l’Emir
Iones , qui fut ſon heritier de la qualité de Prince des Druz , poffedant la contrée de
Chouf pres de Damas , mais ne le fut pas de ſes vertus ny de ſon inclination pour les
Chreſtiens.
X.
Par la deſtruction de Facardin le Grand Seigneur vint à bour d'vn des deux deſſeins
qu'il auoit enuie d'accomplir cette année :mais celuy qu'il s'eſtoit mis dans la teſte de Leur Ducima
fubiuguer la Pologne luy ſucceda cour au contraire . L'inuincible Prince Vladiſlas mar- plore l'alina
chant pour la conqueſte de la Duché de Moſcouie ſur les briſées de ſon pere , apres la ce du Turc,
morc duquel il auoit eſté elleu Roy de Pologne , mal-menoic ſi fort les Moſcouites que
leur Duc ( c'eſtoit Michel Federowicz ) craignant de ſe voir bien -coſt dépouillé ,implora
l'aſſiſtance des Turcs, pour recompenſe dequoy il offroic de leur payer tous les frais de
la guerre , & de leur ceder cercaines Prouinces qui eſtoient entre les terres & celles des

Tarcares, aux enuirons de la mer Caſpienne . Amurath ne pouuoit pas luy accorder ſa
qui entreprid
demandé à moins que de violer le traité de Chocin qui auoit eſté fait auec ſon prede- de lefecourir,
ceſſeur Oſman , & qu'il auoit luy -meſme confirmé par un ſerment ſolennel: mais la foy
n'eſtoit pas vn lien aſſez fort pour attacher ce Barbare au preiudice de ſon intereſt pre
fent ; & illuy ſembloic que les courſes des Coſaques ſur la mer noire , luy fourniſſoient
vn pretexte aſſez ſpecieux pour rompre la paix quand il luy plairoit . D'ailleursil auoic
en ſon conſeilyn Baſſa nommé Abaza, l'vn de ſes plus vaillans & plus experimentez
Capitaines , mais vn des plus preſomptueux hommes du monde:qui ſe promettant d'a
voir la charge de cette guerre, appuyoit de toute ſa force les ſupplications des Moſco . Fait des le:

uites , & le chatoüilloit de la conqueſte de la Pologne. Par ces perſualions & par ſa & dcTartares,
propre ambition ce icune Prince entrepric de ſecourir les Moſcouices , ſans declarer
pourtant la guerre aux Polonnois ; car telle cſt la couſtume de ces Infidelles qu'ils veu
ient auparauantcenter la fortune,afin que ſi elle ne reſpond pas à leurs eſperances ils
puiſſent s’en dedire auec plus de facilité & moins de deshonneur. Il commanda doncà
Qui rauagent
Abaza de mettre en armes les Tartares de Cantemir , & les Turcs qui habitent le long course de
du Danube & aux enuirons de Bude , & de faire des leuées dans la Valachie & dans la Rinczug .:

Moldauie, pour ſe ietter au pluſtoſt dans la Pologne Abaza ayant fait vne merueilleu
ſe diligence pour ces Icuées, enuoya deuant vn grosde quinzemilleTartares , qui ſucha
fin de luin paſſant la riuiere de Tyr au deſſousde Chocin à Rinczug,rauagerenten peu
d'heures coure la contrée à dix lieuës à l'entour de Caminiecz , & fe recirerentle meſme Koniecpolsky
iour auec leur butinen Moldauie . Leur celerité fut ſi grande qu’on ſceur pluſtoſt leur lonnois, les

Tecraice que leur irruption ; neantmoins elle ne les ſauua pas des mains de Staniſlas Ko- pourſuit.
nickpolzky General desarmées du Royaume, qui prenant ſeulement deux mille cinq
cens cheuauxles ſuiuitauec pareille viteſſe, les atteignit dans le milieu de la Moldauie
le quatrieme de luillet, & en les abordantles chargea firudement qu'il les mițen deſor
dre & en fuite preſque en vn inſtant , regagna tout le butin , & prit cinq de leurs Chefs, Et les metca
delroute,
l'vndeſquels eſtoit gendre de Cantemir . La cuerie ne fut pas grande , pource qu'il n'y
eut preſque point de combat: mais on croit qu'il en fuft peu reſchappé ,car ils s'amu
loient à faire paiſtre leurs cheuaux lors qu'ilalla fondre ſureux, fi vn traiſtre Moldaue
qui eſtoit à ſon ſeruice, eſtant ce iour là auec les coureurs n'cuft piqué deuant pour les Abaza viene
aduertir de ſe ſauuer. Cette nuée diſſipée il en parut vne bien plus noire, c'eſtoit Abaza foixante mille
luy.meſme qui paſſoit le Danube auec pres de ſoixante mille hommes , moitié Turcs , hommes .
moitié Tartares, Moldaues & Valaques . Koniekpolzky n'ayant point de forces pour

l'accendre en raſe campagne ,ny aſſez de loiſir pourfairedes leuées,afſembla ce qu'il pût Koniexpolt
de Coſaques & de Seigneurs du pays , auec leſquels il alla ſe retrancher ſur vne monta- y fe rétrang
gne entre la riuiere de Tyr & le chaſteau de Chocin,pourcouurir la ville de Cameniecz
que l'ennemy auoit deſſein d'attaquer. Abaza qui mépriſoit cette pecite armée , &
croyoit que l'attaquer & la forcer eſtoit la meſme chofc , nc delibera pas long -temps Range ſon are
mée en ba
s'il la deuoit affaillir dans ſon camp : ce fut le 22.d'Octobre , à neufheures dumacin .Les taille,
Polonnois ayantrangé leur armée horsde leur camp, auoicat placé quantice de menu
Tome II. S
re
Hiſtoi des Turc
s
,
138

1633. artillerie & de bons mouſquetaires dans des hayes & dans des foſſez , par où il falloit
neceſſairement que les Turcs allaflent à eux ,s'ils y vouloient aller touedroit: les Turcs
qui n'attendoient point vne telle ſalve furent bien eſtonnez , & les plus chauds s'arre
fterent tout court à ce grand feu qui renuerſoit cant d'hommes par terre. Abaza vou
lut y aller luy-meſme auec l'eſlite de ſes troupes , mais y ayant perdu cinq cens hom
mes , il ne s'opiniaſtra pas dauantage , & pric vn autre deſſein. Il gagna vn pecit ruiſſeau
Abaza l'area. à main gauche, par où il crût qu'il ne trouueroit point d'embuſcade , & de cette forte il

que de front, penſoit prendre en fanc l'armée Polonnoiſe: laquelle luy ayant auſſi-coſt courné le
puis en fianco front ,il mit ſes Tarcares à la pointe droite, les Valaques & Moldaues à la gauche , & les
Turcsauec leſquels il combatroit,au milieu . Son deſſein eſtoit de faire eſcarcer & diui
ſer en pluſieurs pelotons le gros de la caualerie Polonnoiſe ,caſchant de les attirer par
Taſche d'ef- quantité d'eſcarmouches, & de les obliger à ſe débander pour ſuiure les Tartares: qui
Carter la ca. feignant devenir fondre ſur eux tournoient bride, lors qu'ils en eſtoient à cinq ou lix
ualorie Po
lonnoiſe , pas , & ſe diſperſoient de celle façon qu'il n'en demeuroit pas deux enſemble. Or
comme il vid qu'ils ne branloient point , ilcommanda aux Tartares & aux Moldaues
de charger leur aiſle droite , & leur aiſle gauche ,reſolu s'ils y auoient de l'aduancage
d'attaquer luy -meſme leur gros d'armée. Les Tartares y allerent vaillamment, perce
rent l'aiſle gauche , & l'eufſententierement rompuë li le ſecours de Chriſtophle Wi

Valeur dos chrowsky auec celuy de quelques autres compagnies , & le canon qui ciroit concinuel .
Tartares, lement du camp des Polonnois , ne les euſſent contrains de ſe retirer. Mais les Mol
daucs & Valaques amenez comme parforce par les Turcs contre l'aiſle droite , quo
commandoit Wiſniowecky,n'eurent pas le cæur de ſe battre contre les Chreſtiens
Les Moldaues leurs confreres & leurs voiſins, mais apres quelque leger combat tournerent le dos aux
& Valaques Polonnois qui ne les pourſuiuirent pas loin. Abaza rebucé decettetentaciue peu heu
dos aux po. reuſe, fit ſonner la recraite, & marchant iour & nuit d'vn pas ſi precipicé qu'on le pou
ļonnois uoit appeller vne fuitte , ne s'arreſta pas vn quart d'heure qu'il n'euſt repaſſé la Tyre,

& qu'il ne fuſt dansſon camp qui eſtoit ſur l'autre bord du coté de la Moldauie vis à
vis de Rinzuc à ſix grandes lieues d'Allemagne du lieu du combat . Du depuis il ne ſe
Abaza fereti. fit plus voir à l'armée Polonnoiſe , & n'employa ſes grandes forces qu'à piller le bourg
re. de Scudzienic qui eſtoit coat proche de là : les habitans n'auoient ny murailles ny
plomb pour ſe defendre, encore fuc- il troisiours à le forcer, & y perdit plus de mille
hommes; en vengeance dequoy ily fiomeccrele feu , puisseſtant retiré vers le Danube
il donna congéàlestroupes d'aller hyuerner en leurs quartiers . Le General Koniek
Koniecpolſky polzky s'abſtint de le pourſuiure, non ſeulement de peur que ſi la fortune de laguerre
fabfuente de luy faiſoit ſouffrir quelque reuers , on ne luy imputait qu'ilauroit mal à propos hazar
le pourſuiure.
dé l'honneur & le ſalut de la Republique , mais aulli pource que quelques Seigneurs
qui l'affiſtoient neiugeoient pas àpropos dans un temps qu'ils auoientà faire la guer .
Vladiſlas en . re aux Moſcouices & aux Suedois , de s'attirer ſur les bras vn la puiſſant ennemy
yoye deman- que le Turc , mais vouloient qu'on en fift premierement leurs plainces à la Porte ;
der iuſtice au Éc de fait ce conſeil eftant depuis approuvé par le Roy & par les Grands de l'Eſtat,
Grand Sci.
gncur, l'on y enuoya vn Ambaſſadeur demander iuſtice de l'infraction & des hoftilitez
d'Abaza .

Tandis qu'Amurath par les conſeils de ce Baſſa faiſoit de nouuelles querelles,& les
demeſloit ſimal, iln'auoit gueres mieux pourucu à ſes affaires du cofté de Perſe. Lo
LeSophy Cur: ieune Sophy ne manqua pas de profiter de cette occaſion , & aſſemblant ſes troupes en
places ſurla celle diligence qu'il preuinc la renommée, iuy enleua d'abord quatre de ſes places ſur
frontiere de la frontiere de ingrelie : puis encrant dans ſes rerres eut cout le loiſir de les rauager,
Mingrelie,
juſqu'à cant que ces nouuelles eſtant venuës à Conſtantinople, Amurach fir marcher
promptement de ce coſté- là ce qu'il auoit de plus preſt de gens de guerre , & ordonna
vne armée de cent cinquante mille hommes pour les ſouftenir. Nous en verrons les
Naiſſance effecs l'année ſuiuante : auparauantil eſt bon de marquer quelques parcicularitez me

Grand Sci. morables de ce qui arriua corte année à Conſtantinople. Le vingt- lixiéme de luillet ,il
gncus .
naſquit en fils au Grand Seigneur, dont la naiſſance ayant efté ſuivie quatre jours apres
d'vn prodigieux tremblement de terre qui agita toute la Ville & les lieux circonuoiſins,
ſes Allemans ou diſcurs de bonne aduenture aſſeurerent que c'eſtoit vn ſigne infailli.
Suivie
trembl d'vn ble de grandeur : mais la mort qui le rauit à la ſortie du berceau , ſe mocqua de leurs
emens
de resse .
prophecies . Peu de iours apres le Grand Seigneur reuenant par mer de Serauoſſe mai
ſon de plaiſance qu'il a ſur les riuages de l'Alie, où il auoit tenu ſon grand Diuan , il
arriua
Amurath IV . Liure vingt- vniémë. 139

arriua comme toute la Cour le ſuivoir dans des caiques, ou petites barques , qu'il y en 1633 :
cutyne qui ſe renuerfa & noya quatre - vingt quinze Baſſas ou autres officiers de mar
que qui eſtoient dedans , n'eſtant eſchappé de ce naufrage que troismariniers qui ſe 95. Baſſas ou
fauuerent à la nage. Au mois d'Aouſt quelque fufée d'vn feu d'artifice fait au grand autres offi.
ciers noyez .
Serrail,brufla la ſalle de plaiſir du Grand Seigneur , & fi on n'y euft donné ordre prom
ptement euſt reduir en cendres tout ce vaſte & ſuperbe edifice. Cét accident ne fut
que l'auant- coureur 8c l'aduertiſſement d'un autre pareil , mais incomparab
lement Salle de plai
plus deplorable & plus grand , qui arriua le vingt-lixiéme Septembre . Sur les neufà dix Seigneur
brû .
heures ic feu ſe prit au quartier de la Ville appellé Aiacab , quieſt entre les murailles & lée.
le port , où logeoient tous les cabaretiers, vendeurs de chair, de poiſſon, & aucres den
rées de viures. Il commença par la maiſon d'vn cabaretier , d'où les flammes ſorcano
toucà coup avec grande violence s'eſprirent en vn moment à pluſieurs autres en di- cepiceable
.

uers endroits , de relle façon qu'il laiffoir des eſpaces entre deux , & fembloit ſauter
à plaiſir , comme s'il y eut eu destraiſnées, ou des bouitefeux expres pour l’y mettre .
Ainſi ileut bien - toft occupé tout ce quartier - là: puis dans peu de temps apres toutes

ces maiſons qui eſtoient demeurées entre ces feux furent auſſi embrażées, & ces in
ondies ſeparcz s'eſtanevnisenſemble nc firent plus qu'vn grand & eſpouucntable in
cendie . Quelques -vns diſoient que la premiere cauſe de ce mal heur venoit d'vn pau- Cauſe de ce
ure marinier Turc, quipar inconſideration auoit mis le feu à ſon caïqueen luy voulant malheur in
donner carene, & que le vent auoit porté de là les eſtincelles dans les maiſons voiſines.

D'autres en attribuoient la faute à des Ianiſfaires & à leurs garces, diſar.t que ces canail
les apres auoir fait vne grande débauche dans vn cabaret ſur le port hors de la Ville , &
prenans du tabac en fumée s'eſtoient endormis hommes & femmes,& auec le charbon
de leurs pipes auoient mis le feu à la natte ; Les Chreſtiens , & quelques -vns meſme
des Infidelles,diſoientque c'eſtoit vn fou du Ciel pareil à celuy de Sodome . Ils remar- Remarques
miraculeuſes
quoient que la flamme alloit contre le vent au lieu de luy ceder , & qu'elle ſe portoit de 1
ce feu,
en vn inſtant à des lieux cres - éloignez ; mais ce qui les confirmoit dauantage dans
cette croyance , c'eſtoit que le feu ayant enueloppé de tous coſtez la principale . Egliſe
des Chreſtiens dite la Madonna , il ne l'endommagea point , comme s'il eult eu du ref
peet pour les ſacrcz myfteres qu'elle contenoit . Que fi cécembrazemene prouenoit en
cffet des cauſes humaines , il y auroit à mon aduis raiſon de ſoupçonner qu'il procedoit soupçons ap :

ou de la meſchanceté de . Ianiſlaires auſquels ces occaſions apportent comme un droit parens des
de pillage , ou de celle des boutefeux du Perſan : car ils'en trouua l'année d'apres qui
furent pris ſur le fait, & chaſtiez comme ils le mericoient. Et veritablement ſi les Yanil
faires n'en furent pas les autheurs , ils y contribuerent beaucoup :car comme ils ſont les
maiſtres en ces rencontres , & que par yne mauuaiſe couftume ils ſe ſont rcferuez à

eux ſeuls la charge deſteindre le feu,ils repouſſoientà grands coups de ballon tous ceux
qui accouroient poury apporterremede,& cependant n'y vouloient poure travailler
eux-meſmes, diſant qu'ils attendoient le commandement de leur Aga, quaturda pres
d'vne heure à venir . Ainſi les flammes ayant paſſé de la marine par dellusles n'irailles Le tiers de
dans la Ville , le tiers de Conſtantinople fuc dans yn moment vn horrible butches & Conſtantino,
l'objet le plus lamentable que l'on euit iamais ſceu voir au monde . Combien de per- duit en com
ſonnes endormiesdans leurs liets , ou ſurpriſes par la la violence de l'embrazement, ou dré.
s'amuſantà emporter leur argent& leursmeilleureshardes : combien de maris taſchant
de ſauuer leur femmes :combien de femmes penſant ſauver leurs enfans: combien de
malades , d'eſtropiez & de vieillards , furent enueloppez dans ce mal-heur ? On n'en
peut pasſçauoir le nombre au vray , pource qu'on n'en trouuoit plus les corps , & que Miſerable.có
tout eſtoitencendres. C'eſtoit vne choſe horrible d'oüir les hurlemens de cesmal-hcu- dition des ha
bitans,
reux qui eſtoient eſtouffez par les flammes, les cris de ceux qui s'eſtoient ſauuez , & le
fracas desmaiſonsqui tombojét.Ils couroient par milliers dans les ruës tous deſeſperez
chacun lamentāc la perte particuliere,les vns demy grillez , les autres tous nuds , ne ſça
chant à qui s'addreſſer pourreceuoir du foulagement, & n'ayant pas moins à plaindre
leur miſerable condition que celle des morts. Tousles moyens que l'on apporta pour

couper le coursà vn mal ſi violentfurent inutiles : le Grand Seigneur auoit fait ſortir Le Grand Scia
de fon Serrailplus de quatre mille hommes pour y trauailler , il y employå iuſqu'aux gocur y apo
domeſtiques de la chambre , & luy -meſme alloit donnant les ordres , & encourageant l'ord
podcere town
qu'i
les ouuriers ,qui pour auoir l'honneur de luy obeir ſe ietcoient à corps perdu dans les peut ,
fammes. Toute l'eau que l'on ietcoit deſſus ne ſeruoit qu'à les irriter dauantage , il
Tome II . Sij
140 Hiſtoire des Turcs ,

cuſt fallu yneriuiere route entiere pour les eſteindre. C'eſtoit meſme en vain que l'on
1633 :
penſoit aller au deuant & arreſter le feu, en abattant les maiſons ; Il ſaucoit au trauers
de cette eſpace vuide : auſſi- toſt qu'on les auoit miſes par terre ilembrazoit lesmate
riaux , pource qu'ils cftoient la pluſparc de bois , & bien ſouuentengloutiſſoit ceux
qui les auoient abattus. Il courut & rauagea toutes les rues à droit & à gauche,iuſqu'à
la colomne hiſtoriale , le long de la marine & dans la Ville , vers les Moſquées du
Sultan Mehemct & du Sultan Selim ;Brefilconſuma letiers de cette grande Ville , &
Pluſieurs en deſola plus de quatre mille pas de long & deux mille de large . Il ſeroit impoſſible
heaux edifices d'eſtimer les richeſſes qui y furent perdues, c'eſtoit le plus opulent & le plus fameux
bruſlez.
quartier de Conſtantinople , où logeoient cous les plus grands de la Cour , le Mufty,
les Cadis & l’Aga des Ianiſſaires. On faiſoit eftac de plus de vingt mille maiſons brû
Deux cens lées , parmy leſquelles il y auoit quantité de beaux edifices, entr'autres l'habitation
Molquées & des laniſfaires contenant trois cens corps de logis , dans chacun deſquels illogeoit

theque da d'ordinaire quatre cens perſonnes , plus de deux cens Egliſes ou Moſquées , & la .
Mufty.
rare Bibliotheque du Mufty , où eſtoit ramaſſé toutce qu'il y auoit de Liures curieux
en langue Arabe. Amurath touché de pitié, quoy qu'il fuſt naturellement impi
Aumoſnes du toyable , fit diſtribuer de grandes fommes d'argent pour ſoulager les miſeres & rc
Grand Sei
Eneur pour baſtir les maiſons de ceux qui auoient eſté fortunez par cét accident, & tafcha de
tehtablir
maiſons les
brů. faire en ſorte par de ſeueres reglemens qu'il n'en arriuaſt plus de ſemblables à l'adue
Jces . nir . Neantinoins cette Ville y ayant eſté ſujecte de tout temps, ou par quelque fatali
té, ou à cauſe des materiaux & de la diſpoſition de ſes baſtimens, il en eſt arriué plu
ſieurs autres depuis , non pas toutesfois fi dommageables que celuy- là .
16.34 . Pourſuiuons maintenant les guerres de Pologne & de Perſe. Abaza pluſtoſt picqué
que deſcouragé par l'eſchec reccu l'année precedente'
, auoit par ſon addreſſe & par
Artifices d'A . celle de ſes Agens à la Porte , non ſeulement déguiſé la choſe aupres du Grand Sci
baza,
gneur , mais encore fait croire à ce Prince qu'ilauoit remporté de ſignalez aduanta
ges, & pour céteffet luy auoit enuoyé mille ou douze cens eſclaues pris dans ce bourg
qu'il auoit bruſlé, faiſant ſonner cette priſe auſſi haut que s'il euſt forcé vne des meit
leures Villes de Pologne . Outre cela craignant que l'Ambaſſadeur que le Roy Vla
luy remonftraſt
diſlas enuoyoit à la Porten'eſclairciſt le Grand Seigneur de la verité ,&
l'iniuſtice de cette guerre , il le retint long- temps dans ſon camp, & s'efforça par toutes
ſortes de menaces & de mauuais traitemens de le contraindre à expoſer la commiſ
gneur deciare fion deuant luy: dont l'Ambaſſadeur s'en eſtanttouſiours tres-conſtamment excuſé,
la guerreaux & ayant par ſes amis fait ſçauoir à Conſtantinople l'iniuſtice que ce General luy ren
Polonnois.
doit , obtint enfin du Grand Seigneur vn ordre exprés pour l'aller trouuer . Il n'y fut
pourtant reccu qu'auec beaucoup de froideur, la brigue d'Abaza cltant la plus force,
& on ne l'admit qu'vne fois à l'audience, ſansluy rendre les honneurs ordinaires, puis
tout auſſi coſt on le congedia aucc de faſcheuſes reproches de ce que ſon Maiſtre au
thoriſoit les pirateries des Coſaques. Les ennemis d'Abaza & quelques autres diſſua
doient le Grand Seigneur de rompre ouuertement auec cette nacion belliqueuſe,
s'il ne voyoit de plus heureux ſuccez, & luy metroient deuant les yeux l'exemple
d'Oſman , & quantité d'inconueniens qui en pourroient arriuer : mais les promeſſes
immenſes des Moſcouites , l'intereſt qu'on luy repreſenta qu'auoit l’Empire Turc
d'empeſcher que les Polonnois ne fiſſent cette conqueſte , par laquelle ils luy euſſent
Son grand
amicm ent. eſte formidables, & l'eſperancepreſque certaine qu'on luy donnoit que les Suedois
apres que la treve qu'ils auoient faite auec le Roy Sigiſmond ſeroit expirée, elle de
voit expirer dans deux mois, les attaqueroient puillamment d'vn autre coſté, l'in
citerent à leur declarer la guerre . Il en fit donc porter vit prodigieux appareil dans
la Moldavie par le Danube ,& luy- meſme paſſa peu apres à Andrinople, afin d'or
donner de là ce qu'il iugeroit néceſſaire à vne fi grande entrepriſe. Le Kam des
petits Tartares de tout temps ennemy de la Pologne, luy auoit fait ſçauoir qu'il
n'attendoit que ſes commandemens pour marcher ; le Beglierbey de la Grece ſe

vipt aulli camper à Philippopoly aucc vne armée de trente mille hommes , auf
quels le deuoient ioindre les troupes de Boſnie ,de Siliſtric , & autres quartiers de
à
mauuais jeu . l'Europe ;"& les Princes de Tranſliluanie, de Moldauie , & de Valachic , faifant

du Tráfliluain , bonne inineà mauuais jeu , armoient en apparence pour le Grand Seigneur , quoy
du Moldaue ,
& du Valache, qu'ils fuſſent preſts au moindre accident d'embraſſer le party des Polonnois, auec
leſquels ils auoient de ſecretes alliances. Cependant leurs Ambaſſadeursquieſtoient
à la
(
Amurath IV . Liure vingt - vniéme
. 141

à la Porte , s'entremettoient de negocier quelque accommodement,donțle Grand _1634 .


Seigneur s'éloignoic auec autant de fiercé que s'il cuſt gagnévne bataille ; & ce qui
l'opiniaſtroit dauantage, c'eſtoit la vanité d'Abaza qui luy auoic mandé que les Po
lonnois luy auoient deſia fait offrir quarante mille ducats de tribut. Ce qui ſuiuit
peu apres monſtra combien cette vanterie eſtoit ridicule. Lavaleur & la prudence
du Roy Vladiſlas luy donnerent tant dauantages dans la guerre des Moſcouites,
Aduantages
qu'il fut bien -toſten eſtat de faire changer de langage au Barbare . Apres qu'il eut merueilleux
contraint leur armée de quatre -vingts mille hommes qu'il auoic aſſicgée dans leur du Roy de
camp , deſe rendre , ce qui fuc vn des plus merueilleux exploits de guerre quel'Hi- les logoMoſce
coucup
i.
ſtoire puiſſe iamais eſcrire , ileur à ſon choix d'attaquer quelle place il voudroit ; tes.
meſme d'aller droit à Moſcow.capitale du Royaume , & d'abattre tout ce grand
corps en ſe rendant maiſtre de la teſte. Et certes s'il y fuſt allé , l'on croit qu'il fuſt
venu à bout de cette conqueſte : mais le deſtin qui limite la durée des Empires
auſſi bien que celle des hommes , n'ayant pas encore determiné la ruine de celuy.
des Moſcouites , fit prendre vne autre route à ce Prince victorieux & l'accacha au Neanmoins
ſiege de la ville de Biale , qui eſtant bien fortifiée & bien munie de garnıfon fou- il entend à la
paix auec eux,
ſtint pluſieurs aſſauts, & de cette forte eſmouſſant le courage des vainqueurs & & pourquoy .
redonnant de la pointe à celuy des vaincus , permit aux autres places de fe raſſeurer
& de ſe pouruoir de ce qui leur manquoit pour leur defenſe. Cependant l'armée
Turque croiſſoit de jour en iour , les treves auec les Suedois s'en alloient expirer ; le
ſoldat demandoit ſon payement auec menaces ; à quoy n'y ayant point d'autre reme- Ils luy reſti
de , ſinon que le Roy s'en allaſt tenir ſes Eſtats pour avoir de l'argent, & ſon abſence une deux
eſtant tres -dangereuſe, parce que la multitude des Chefs diſliperoit ſon armée au pays ,& deux
lieu de la bien employer , il ſe porta plus volontiers à cſcouter les tres - humbles & Duchez ,
continuelles fupplications des Moſcouites , qui luy demandoient la paix . Les De
putcz s'eſtant donc aſſemblez , il la leur accorda : bien agreable à la verité pour des
gens qui eſtoient à la veille de leur entiere ruine , mais auſſi bien glorieuſe pour luy , LeGrandSeiz
qui par ce traité recouura grand nombre de Villes & plus de deux censlieues de pays, gneur declar
deſquels eſtoient les Duchezde Smolenſco & dc Czernicchou , qui depuis pres de me contre
deuxcens ans auoient eſté arrachez de la Pologne & de la Lithuanie . Les nouuelles frais deleural
de cette paix rabattirent bien les brauades du Grand Seigneur : qui apres auoir en Amballa.
deurs .
vain declamé contre les Moſcouites , mal- traité les Ambaſſadeurs qu'ils auoient à
Conſtantinople , & fait inſtance par celuy qu'il auoit à Moſcow , qu'ils euſſent à luy
tenir les promeſſes qu'ils luy auoient faites pour l'engager en cette guerre , dépeſcha
vn Ambaſſadeur, c'eſtoit l’Aga Schahin , vers Vladiſlas ,pour renoüer la paix dont Demande :
la rupture ne luy alloit pas moins eſtre dommageable que honteuſe. Cet Ambaſſa- raccómodes
deur trouua le Roy à la Diete de Warſaw , où il taſcha fort d’excuſer lon Maiſtre, les paix aucc
la Polonn ois,
aſſeurant qu'il n'auoit point commandé les actes d'hoſtilité , & rejetcant la faute de
tout ſur Abaza, dont il promettoit vn ſeuere chaſtiment . La peur des armées Polon .
noiſes qui s'aſſembloient en grand nombre dansla Podolie , & s'appreſtoient au pre
mier iour de faire vne grande irruption dans les terres du Turc , tout le monde y Met la fauce
accourant auec vn defir extreme de vengeance , faiſoient parler Amurath de la delarupture
ſorte . Mais le Roy n’adjouſtoit pas foy legerement à vn ennemy qui met la perfidie for Abaza.
parmy ſesmeilleures ruſes; & d'ailleurs l'Ambaſſadeur Trezebinsky ſur ces entre
faites reuenu de Conſtantinople , n'eſıncut pas pour vn peu l'Aſſemblée, lors qu'il
Trezebenſky
luy repreſenta le mauvais traitement qu'il y auoit receu : de ſorte qu’Vladiſlas con- Ambaladeur
noiſſant leur indignation reſpódit hautement à l’Aga, Qu'ils'en pouuoit bien retour. qui auoit esté
ner versſon Mailtre, & luy dire ; Que puis qu'il violoit ainſi ſans difficulcé les traitez mal, reccu à
les plus ſaints & les plusſolennels,les Polonnois s'en alloient chercher des conditions Conftantinor
par leſquelles on le puſt lier de la ſorte qu'il ne fuſt plus en ſon pouuoir de les enfrein- l'accomnio
dre.Sa reſponſe fut ſuiuie d'un murmure vniuerſel de l'Aſſemblée quil'approuuoit , dement dans
& qui ſembloit direque c'eſtoit trop ſouffrir des inſolences,& desperfidies de ce Tyt
}
ran , Qu'il luy falloit apprendre qu'on auoit des armes offenſiues auſli bien que luy,
& luy monſtrer qu'il ne deuoit paseſtre quittes de l'infraction des traitez pouren re
plaftrer par apres
pres de nouucaux à ſa fantaiſie. Au partir de là , le Roy alla luy-meſine
en Podolie vers ſon armée , où il trouua plus de quatre -vings mille combatrans, tous
en bonne diſpoſition de s'aller venger des Barbares , & defaire connoiſtre ſous les
murailles de Conſtancinople le nom fatal & la verta . d'Yladiſlas , que la temerité
Sinj
14-2 Hiſtoire des Turcs,

16340 d'Oſman eſtoit venu autresfoiseſprouuer ſous celle de Camenices. La crainte d'un fi
puiſſant effort faiſoit crembler Amurath,& l'inquietoit d'autant plus qu'il auoit nou
uelles d'vn horrible debordemét de Perſes dás les Prouinces de l'Aſie.C'eſt pourquoy
il ne perdoit aucune occaſion de ſolliciter yn accommodement; vn de ſes Vizirs nom
Le Grand Sci
gneur en fait mé Murtaza , en faiſoit tous les iours des propoſitions, ou par lettres, ou par Couriers
inſtance , de creance au General Koniecpolsky, quieſtoit campéauec ſes troupes aux enuirons

de Cameniecs , & ce General auec pluſieurs du Conſeil qui ſe trouuerent là , les re


ietcoit toutes opiniaſtrément ſi on ne leur faiſoit reparation des hoſtilitez ſur les infra
cteurs mcſmes . Enfin ce Vizir pour leur oſter couc pretexte de ne pas s'accommoder
perſuada au Grand Seigneur de ſacrifier Abaza , qu'on accuſoit d'eſtre le principal
Et pour re - aucheurde l'infra & ion. Ainſice mal- heureux , nonobſtant ſon inſigne valeur militai
paration fait
eltrangler re , & les ſeruices notables qu'il auoit rendus dans les guerres de Perſe , futeſtranglé
Abaza . par deux Capigis .Les Polonnois ne vouloient pas encore ſe contenter de cette fatif
fa & ion, delirant eſteindre leur vengeance dans le ſang des Turcs , & fe dedommager
La paix re . par le pillage de quelque richc Prouince. Mais leurs troupes qui venoient de Mofco
notice aucc la uie eſtant la pluſpartenmauuais equipage, le reſte eſtant compoſé de volontaires qui
Pologne.
parfaute d'obeiſance ne valent rien pour vne longue guerre , & la deſpenſe de celle
cy ne pouuant eſtre que tres- grade,le Conſeil iugea à propos de renoüer la paix après
laquelle les armées de part & d'autre ſe retirerent ſans s'eſtre veues de forc pres.Les
paux articles principaux articles eſtoient, Que les Vaivodes de Valachie & de Moldauie feroient eſleus
par le Grand Seigneur, du vouloir do recommandation des Polonnois. Que Cantimir á fes
Tartares abandonneroient le pays de Bukzac pour obuier aux incurſions qu'ils faiſoient
dans la Pologne , & qu'en cas de refus les Turcs, & le Kam de Tartarie ioindroient leurs
forces pour l'en challer. Que les Polonnois reprimeroicnt außi tous actes d'hoſtilité des coa
Jaques dans la mer noire. Que l'on renonceroit à ſe demander aucun droit fouspretexte de
peage,de tribut
, 01 autre choſe. Qu'on ne baſtiroitpointde nouveaux fortsſurles frontieres ,
que la nauigation ſur les riuieres de Niepper & Nepper demeureroit libre aux Polonnois ,
Que les choſes où il n'auroit rien efté innouépar ce traité reſteroient en leur entier.
Les Mufris Outre les perſuaſions d’Abaza & du Kam des Tartares , qui auoient porté Amu
auoient auſi rath à cette rupture , il y auoit eſté auſſi incité par les reproches de ſes Muftis, qui
incité le Grád l'accuſoient de n'auoir pas aſſez de zele pour fa Religion , & de n'auoir juſques- là rien

celic guerre. entrepris contre les Chreſtiés.Ce qu'ils diſoient,peut -eſtre en faueur du Roy de Per
fe , qui leur auoit fait diſtribuer de grands preſens pour jetter quelque ſcrupule dans
l'ame de leur Prince,afin qu'il luylaiſaſt Bagadet & ceffait de luy faire la guerre.Mel

Sous pretezte me afin de le vaincre par les pretextes de la Religion ,il luy auoit offert de permettre
de Religion , qu'il cuft des Moſquées dans cette Ville & dans les Prouinces voiſines , où le ſeruice
ſe fiſt à la mode des Turcs.Quoy qu'il en ſoit , Amurath ou par inclination , ou pour
les contenter , ſc mit à teſmoigner yne tres-force haine contre les Chreſtiens, prin

Offres du cipalement contre les Latins . Il ſemble que ce fut pour leur faire deſpit qu'il reſtablit
Roy de perfe. le PatriarcheCyrille , leur ennemy mortel qui auoit eſté depoſé à leur inſtance , le re
ccutà luy baiſer la robe , & luy dóna afſeurance par la bouche du Caymacan ,que quoy
Le Grand Sci- qui arriuaſt il ne ſeroit plus troublé dans ſon Patriarchat. En quoy pourtant il ne luy
gneur
blit refta ,. tint pas parole, car vn autre Cyrille natif du pays d'Iberie,ayantdonnévne plus gran
le Patriar
che Cyrille . dc ſomme d'argent, le depoſſeda. Il inquietoit extraordinairement ceux qui eſtoient à
Conſtantinople, & fut vn iour ſur le point de les faire tous mourir , comme s'ils euf
ſent cu chez eux des armes pour ſurprendre la Ville auec les Coſaques, & par ce
moyen il tira d'eux plus de cinquante mille eſcus, fruit le plus agreable de la ven
Vent faire
mourir les geance des Turcs. Ilvoulutauſſi , peut-eſtre par la jalouſie des Chreſtiens Leuantins ,
Chrçſtion's leur oſter les lieux ſaints qu'ils auoiéren Ieruſalem , & chaſſa les Recolets qui eſtoient
Latins .
au Conuent de Bechleem ,où ſegarde la creche. Le mauuais traitemet qu'il fit à Mar
cheuille Ambaſſadeur de France, fut auſſi vn ſigne euident de ſa mauuaiſe humeur.
Il auoit eſté enuoyé en la place de Cely dés l'an 1631.& faiſoir cette chargeauecbeau
coup d'éclat & de pompe,maisauſſi aucc beaucoup d'enuie des autres Ambaſſadeurs,
& peu de bonne intelligence auec les principaux Officiers de la Porte : car des fon
Traite mal ärriuée le mai-heur auoit voulu qu'en venant il auoit eu quelque priſe auec le Cap

Ambaſadeur can ou General de la mer , pour vn tel ſujet. Comme il paſſoit deuant l'Ille de Sio , le
de France . Captan qui eſtoit là auec l'armée nauale , luy enuoya dire qu'il euſt à baiſſer le pauil
lon & à tenir preſts les prefents , que les vaiſſeaux qui eſtoient en mer deuoient à
l'armée
Amurath IV.Liure vingt -vniéme. , 143

Carmée du Grand Seigncur. Marcheuille crût que cette deference bleſſeroit l'hon 16348
neur du Roy ſon maiſtre & la dignité de fa charge, & pour cela il refuſa de faire aucun
preſent, nyſouſmiſſion .Le Captan s'opiniaftra au contraire,& Marchcuille perſiſtant
dans ſa reſolucion ſe retira de deffous la fortereſſe , ſe mit au large & en eſtat de fe de
fendre ſi on l'attaquoit :neantmoins pour monſtrer qu'il eſtoit amy, il falüa l'Eſtendart Premiere cau:
Ochoman de cinq coups de canon , & le Capran luy rendit ſon ſalut de trois autres. ces decetim
baladeur,
En ſuite dequoy apres pluſieurs allées & venuës , le Captan demandant à parler à luy,
il fut conſeillé , quoy qu'il y cuſt beaucoup de repugnance , de l'aller trouuer , de peur
d'eſtreenuelopé
par toute l'armée Turque ,& d'engager trop auantl'honneur du Roy
pour vne formalité
. Or s'eſtant plaint au Grand Seigneur de ce procedé , & de quel
ques autres inſolences du Captan ,ilen auoit bien eu raiſon , juſques- là que ce Baſſa
fuc demis de la charge , mais à cauſe de cela il s'eſtoit rendu peu agrcable auxautres
Officiers. Du depuis encore eſtant mal auec l'autre Captan , & pourſuivant à le
faire demettre de ſa charge auſſi bien que l'autre , il arriua que ce Captan defcou
urit les intrigues qu'il faiſoit pour le perdre ; en ayant eu aduis par l'Ambaſſadeur
de Hollande , auec lequel Marcheuille auoir eu de grandes priſes. Le Captan re
uenoic lors de la guerre contre l'Emir Facardin , & de donner la chaſſe aux Corſaires * Rusſles,Roux,
& aux Ruſſes , * dont il auoit pris quelques vaiſſeaux , & s'eſtoic en couç fort bien c'ef
o% colaques ,
t meme
acquitté de ſa charge; le Grand Seigneur luy en ayant teſmoignévne extraordinaire choſe.
fatisfa & ion , lors qu'il luy en alla rendre compte ,il pric ſon temps ſur cette bonne hu
meur, de ſe plaindre de ce que l'Ambaſſadeur de France faiſoit ſans ceſſe des menées

pour la deſtruction , & enuoyoit de porte en porte ſon Drogueman ou Truchement


ſemer des memoires pleins de calomnies contre luy , par lefquels il le depeignoit le
plus meſchant homme , & le plus cruel concuſſionnaire du monde. Le Grand Sei
gneur qui defiroit le gratifier pour les bons ſeruices, futfort eſmeu de ſes plaintes,
& luy proteſta qu'il prenoir cette iniure comme faite à luy-meſme, & que n'eſtoit le Fait pendre
reſpeå du Roy de France il la vengeroit ſur la perſonnemeſmede l’Ambaſſadeur,mais con drogues
que pour ne la pas laiſſer impunie il vouloit faire pendre ſon Drogueman , qui eſtant man ſuite àla pour
du Cap :
de les ſujets, cftoit ſouſmisà ſa luftice. Le Capran s'eſtant retiré auec mille remercie . tan,
mens de l'affe&tion qu'il plaiſoit au Grand Seigneur luy teſmoigner, diſſimula ſa joye ,
& pour auoir plus de moyen de faire affront à l'Ambaſſadeur , feignit qu'il ſe vouloit
reconcilier auec luy , l'en faiſant aſſeurer par vn de ſes Aga ou Capitaines ; qui luy pro
ceſta de la part qu'il reconneſſoit ſa vertu & ſon merite q
, ue deformais ildeſiroit viure
en bonne intelligence auecque luy , & qu'il le prioit de luy enuoyerfon Drogueman
auquel il communiqueroit quelque choſe imporcante. L'Ambaſſadeur trompé par
ſes paroles, enuoya querir fon Drogueman , & luy commanda de l'aller trouuer . Le Perfidie du
Captan .
pauure hommc conneſfant bien la façon d'agir decette Cour là,& la perfidie du Cap
tan , y apporca beaucoup de repugnance ,maisenfin il s'y reſolut ſur les grandes affeu
rances que l'Ambaſſadeur luy donna qu'il n'y auoit rien à craindre. Si toft qu'ilfuc ar
riué au logis du Capran ,qui a ſon appartement dans le Serrail , le Grand Seigneur en
eſtant aduerry le vint voir lay-meſme, & apres luy auoir reproché qu'ilforgeoit des
calomnics contre les principaux Officiers & qu'il entretenoit ladiuiſion entre les Am
baſſadeurs, il commanda qu'on l'allaſt pendre , & qu'on le laiſſaſt à la potence aucc
ſon bonner de veloux ſur la teſte , qui eſt la marque de Drogueman . Cér affront nc
touchant pas ſeulement la perſonne de l'Ambaſſadeur, mais l'honneur de coure la na
tion Françoiſe, il en fit bruit à la Porte , & enuoya vn Secrecaire demander au Cayma .
can pour quel ſujet on auoit craité fon Drogueman de la forte: mais il n'en půc tirer Autre piece
aucunc fatisfa&tion , nyd'autre reſponſe , ſinon qu'il n'importoit pas au Roy de France jouer
qu'on veut
à Mars
de ſçauoir pour quelle raiſon le Grand Seigneur auoit fait pendre vn de les eſclaues. chcuillc,
sterlinkse

Cene fut pas la ſeule diſgrace qu'il receurde ces Barbares : l'Ambaſſadeur de Hollande
luy braſfoit de iour en iour quelque nouuelle piece . Comme Marcheuille ſe plaiſoit à
baſtir, & qu'entr’autres choſes il auoit fait faire vn aſſez beau Dome dans la maiſon que
Breves auoit achetée pour les Ambaſſadeurs de France , & où ils ont accouſtume de
.rs

loger: le Hollandois fit fousmain entendre à la Porte qu'il y auoit diuerſes caches en
ce logis-là pour faire des magafins d'armes, & ſauuer lesrenegats qui vouloient retour
qui eſtant trop éleué
ner en Chreſtienté. De plus, qu'ilne falloit pas ſouffrirce Dome,
auoit vcuë ſur les Iardins du Serrail, & pouuoic deſcouurir les plaiſirs ſecrets du Grand
Seigneur . Sur cét aduis on donna charge de vilicer cette maiſon au Licutenant du
7
Hiſtoire des Turcs ,
144 .

1634 Caymacan, quicſtant amy des François & homme ſans paſſion ,rapporta qu'il n'y auoit
rien de tout ce qu'on auoit dit , & de cette forte empeſcha pour lorslauanic qu'on vou
loit faire à l'Ambaſſadeur. Mais le Hollandois ne deſiſta point de luy rendre touſiours
Enfin l'ani- de mauuais offices , & d'irriter le Captan ,quicſtant deſia fort animé cótre luy , en fic de la
Captan & de mauuais rapportsau Grand Seigneur qu'il ſe porca à le faire retirer de la Cour , contre

l'Ambaffadeur le droit des gens,& córre toute force de bien -ſeance .Le Captan en ayant receu l'ordre,
Font chaffer comme la Hauteſſe eſtoit à Andrinople , enuoya querir Marcheuille , luy fit de tresa
inſolentes reproches ſur la conduite , & luy denonça que c'eſtoit la volonté du Grand
Seigneur qu'il ſe retiraft tout à l'heure. Ce qu'il precipita auec tant d'animoſité qu'il
ne luy donna pas ſeulement loile de ployer bagage ,ny d'aduertir ſes domeſtiques,
mais le contraignit d'entrer tout à l'heure dans vn vaiſſeau François qui ſe trouua dans
le port ; & le venteſtant contraire pour ſortir, il le fit remorquer par deux galeres, afin
de le tirer dans le courant des Dardanelles. Apres vn fi faſcheux depart , Cely quieſtoit

fon depart demeuré à Conſtantinople pour les raiſons que nous auons marquées, recommença
fait les fon- les fonctions d'Ambaſſadeur à la Portc ; où ſa prudence & fon accortiſe meſnagerent
ations d'am
balladeur. ſi bien les choſes qu'elles adoucirentl'aigreurdes Baſſas, & donnerent aux François
quelque ſujet de ſe conſoler de la honte qu'ils auoient receuë .

Amurath Les ſujets du Grand Seigneur ne ſereſſentoient pas moinsdes effets de ſon chagrin,
eltrangler fon que les Chreſtiens;En voicy vnexemple fort memorable . Vniour il manda à ſon grand
Mufty. Mufcy de le venir trouuer pour affaires importantes : le bon -hommecaſſé de vieilleſſe
& fe trouuant fort malà cette heure-là , luy enuoya ſon fils pour fexcuſer de ce qu'ilne
pouuoit pas y aller : le Tyran entrant en fureur de ce qu'il n'eſtoit pas obey auſſi prom

Le Roy de prement qu'il commandoit, les ficeſtrangler tous deux. Bref ſur le moindre ſoupçon
Perſe afliege il ſe faiſoit apporter la teſte des plus innocens.Le Roy de Perſe ſonennemy ne s'occu

vele Guege. poit pas ainſià reſpandre le ſang deſes ſujets, mais bien celuy des Turcs,& à recouurer
les places fortes des frontieres , entr’autres celle de Van . Il y mit le liege au com
mencement de l'année , & le tint fort preſſé durant quelques iours , mais la grande
abondance des neiges qui durent en ce pays-là iuſques bien auant dans le Printemps,

Fait decapi. & la diſette des viures le contraignirent de le leuer.Decette derniere incommodice il
eer pluſieurs s'en prit aux Threſoriers & Commiſſaires de ſon armée qui n'auoient pas eu ſoin d'y
Commillai
rcs . pouruoir, & auoient de tourné vne partie des prouiſions dans leur bourſe. Apres en
auoir fait decapiter pluſieurs & conuié les autres à vn feſtin general , il leur fit ſervir à la
fin du repas les reſtes de lcurs compagnons chacune dans vn plat , pour leur faire en
Remet
ge . le fic . tendre par là , que lesleurſeroient bien -coſten meſme eſtac s'ils continuoient à ſe jouer
ainſi du ſang & de la ſubſtance de ſes ſoldats.Les neigeseſtant paſſées il raſſembla deux
puiſſances armées, dont l'vne vint aux enuirons de cette fortereſſe, & l'autre eucor
grand .
zir Envoyé dre d'entrer plus auant dans le pays. Amurach pour empeſcher ſes progrez fit mar
pour s'oppo. cher de ce coſté -là les plusgrandes forces de ſon Empire ſous la conduite de ſon pre

grez ics pro- mier Vizir , qui leur donna rendez -vousà Diarbequir, & y demeura fort long -temps.
Jerca
Mais ſes gens cftant excremement rebutez de cette guerre, & les ennemis au contraire
en curée , iln'oſales attaquer de front, & leur donna loiſird'eſtendre leurs courſes iuf
1
ques dans la Syrie & ſur lesriuages de la mer , d'où ils remporterent vn butin ineſti
mable.
XI . Les rencontres de la mer ne furent pas plus heureuſes aux Turcs que celles de la

terre : le Capran Bacha beau -frere du Grand Seigneur, courut cette année icy & la
Le Captan precedence les coſtes d'Italie auec cinquante vaiſſeaux bien armez , ſans auoir pris
les coſtesd'I. que trois brigantins dePirates , & vne petite fregate de Libourne . En reuanche les

talic auec so Coſaques eſtant deſcendus auec trente -cinq barques dans la mer noire , ſaccagerenc
le havre & la ville de Balthſie ſituée à l'emboucheure du Danube , où ils firenc cinq
cens priſonniers. Lesgaleres de Malthe , commandées par le Bailly de Valdine Cheua
Les Coraques
Laccagenc lier Italien , s'eſtant miſes en mer au commencement de luin , y prirent premierement
Balhific. quatre vaiſſeaux Turcs où il y auoit ſept cens eſclaues, & en rendirent deux aux Mar
feillois ſur leſquels ils auoient eſté prispar ces Corſaires: tandis que d'vn autre coſté les
Exploits des vaiſſeaux des Capitaines Village, Sillon & Garnier forcerent deux ourques Turqueſ
Cheualiers de ques, eſtimées à plus de quatre-vingts milleeſcus.Puis s'eſtant allé poſter entre Tripoly
& le Cap Miſerata pour y attendre les Corſaires , qui ſorcane continuellement de ces
ports endommagcoient les Chreſtiens, elles deſcouurirent ſix gros vaiſſeaux d'un co
Ité qui eſtoient au deſſus du vent , & quatre de l'autre .Lesquacre eſtoient l'Admirante
de
Amurath IV . Liure vingt -vniéme
. 145

de Tripoly , vne grande polacre, deux vaiſſeaux bien armez de vinge à trente pieces de 1634 ,
canon , ſur leſquels il y auoit plus de ſix cens Turcs , & les deux autres eſtoient deux
vaiſſeaux François qui venoient d'eſtre pris aupres de l'Iſc de Sapience au retour de
Smirne , chargez de cire, de foye, & autres richeſſes. Les quatre vaiſſeaux Turcs ayant
apperceu les Malthois ſe voulurentauſſi -toftioindre pour defendre leur conquefte &
pour la mener à terre, mais les galeres plus preſtes les mirent ſous le vent . Deux d'entre
elles qui s'eſtoient plus auácées que les autres, apres auoir demeuré expoſées 'vne demie
heure aux canonnades des ennemis qui pourtant ne leur firent pas grand dommage ,
furent contraintes de s'eſcarter vn peu pour eſquiuer, en attendantl'arriuée des autres.
Alors toutes enſemble tirant à leur d'eau , & touſiours forc à propos , pource qu'il y Furieux com
bat où les
auoit peu de vent , faiſoient vn prodigieux eſchec des Barbares, & les mettoient en ynie Malthois de
excreme confuſion. Ce qu'ayant remarqué le General, & que l'on les voyoit ietcet ir.curēt vain.
grand nombre de morts dans la mer, il ſe reſoluc de les atcaquer main à main , & donna queurs,
l'ordre qu'il y falloic tenir. De long - temps il ne s'eſtoic veu vn combat plus opiniaſtre
que celuy - là ; par deux fois les Cheualiers ſe rendirent maiſtres des vaiſſeaux ennemis,
& par deux fois ils furent contrains de les abandonner: mais enfin leur valeur leur ac
quic yne vi&oire toute entiere , horſmis qu'vn des vaiſſeaux marchands qui eſtoit gar- dontilleur en
demeure cing
dépar vinge Turcs ſeulement , s'eſchappa de la mellée. Ily fut tué cinq ou ſix Cheua
liers,mais centerente Turcs , & pres de quatre cens faits priſonniers; Victoire dont la
joye fut crcore augmentée par la priſe que fic le Cheualier Garnier d'vne groſſe our- Et vne autre
ourque en
que qui venoir de Conſtantinople , ſur laquelle eſtoient enuiron trois cens Turcs, luite.
dont deux cens moururent en ſe deffendant, & les autres conſeruerent leur vie par la
perte de leur liberté .

Les offenſes d'vn ſi foible ennemy que ſont les Chevaliers de Malthe à l’eſgard de la 1635
puiſſance Othomane irriterent ſans doute extremément le courage duieune Amurath :
Il eſtoicenragé de fe voir continuellement harcelé par trois ou quatre vaiſſeaux , non
obſtant ſes grandes flotes.On ne ſçait ſice fur cette caufo qui le porta a lesmenacer d'v- Le Grand Sci
ne ſanglante guerre , mais canty a qu'il commanda au Capran Bacha de luy faire baltic nace gneurd'vac
desme
cinquante galeres pour les ioindre ſur la fin du Printemps aucc cinquáte autres, & recint guerre ,
pour le meſme tempstous les vaiſſeaux Corſaires de Tunis & d'Alger ; faiſant publier
que ce preparatif de mer ſe faiſoit pour le ficge de Malthe, & quepour y employer tou . Pour laquelle
tes ſes forces il auoit fait la paix auec le Perſan. Cette nouuelle fut creuë fi vniuerſelle- il fait degráds
ment vraye, que le Grand -Maiſtre de la Religion enuoya ordre à tous les Comman- preparatifs.
deurs & Cheualiers de ſe trouuer à Malche , depeſcha à Saragoffe en Sicile pour auoir
des bleds , à Naples & à Palerme pour auoir des poudres , fit ſçauoir à toute la Chre- Mailtre
le Granda
de
ſtienté le danger auquel il eſtoit , pour exciter les Princes à luy donner ſecours: en Malche man
vn mot , il n'oublia rien de ce qu'il crût neceſſaire pour ſouſtenir vn fi puiſſant enne- de tous les
my.Ce qui ne ſe pûcpas faire fans vne exceſſiue deſpenſe , par où les Turcs pretendent Cheualiers, &

enfin ruiner cét Ordre,non pas en aſſiegeant Malthe , mais feignant de le vouloir aſlie- defenſe.
ger. C'eſt auſſivne ruſe de ces Barbares, lors qu'ils veulent faire la guerre en quelque
endroit d'en monſtrer les preparatifs en deux ou trois autres tout à la fois, tant afin de Ruſes des
couurir leur deſſein , que pour faire connoiſtre que leur puiſſance eſt capable d'acca- Turcs,& leur
quer diuers ennemis, quoy qu'en effet leur politique ſoit de n'en auoir iamais qu'vn , pratique.
Pour cette raiſon ils feignoient pareillement d'en vouloir à l'Empereur,& afin de don
ner cerce creance ils tirerent toutes leurs garniſons de Hongrie & des Provinces voiſi
nes qui s'aſſemblerent à Bude pendant le Printemps : mais il parur bien - coſt qu'ils n'a- Le Grand Sci :
uoient deiſein ny contre l'Empereur, ny contre Malthe , car ils tournerent toutes gneur tourne
leurs forces du coſte de la Perſe.Le grand Vizir eſtoit à Diarbequir des l'an paſſé auec ics forces du
les reſtes de ſon armée , les fatigues en ayant conſumévne partie , & l'autre le déban- Perle,où il rc
dant de iour en iour . Delà il enuoyoit à toute heure des Courriers à Conſtantinople fout d'aller
demander de nouvelles forces ; Amurath y ayant fait paſſer toutes celles de l'Aſie , ſc lay . melme.
reſoluc d'y aller luy - meſme auec celles de l'Europe , afin de rechaffer vne bonne foisles
Perſans par ce puiſſant effort. Durancle temps despreparatifs ilfaiſoit ſouuét executer
quelques rebelles d'entre les Spahis & les Ianiſſaires pour rendre les autres plus obeif
fans, puis apresfaiſoitietterles corps dans le canal de Scutarec, qui en fur bouché plus
d'vne fois par leur grande multitude . Parmy ces exemples de rigueur il ne s'en crou Fait crerce
de frequens
ua point qui les offençaſt plus que ce qu'il fit empaller dans la place publique vn la fupplices,
niſfaire qui auoit commis adulcere auec vne belle femme, qui fut aulli penduë par la
Tome II . T
ire
Hiſto des Turc
s
,
146

1635. meſme ſentence. Sur la fin d'Auril il partit de Conſtantinople au milieu de cent mille
hommes, diſpoſez aucc cét ordre & cérapparat qu’ont accouftumć les Grands Sei
Il part að mi .
liciade comi-gneurs d'obſeruer dansleurmarche :ilemmena auec luy le Baſſa de la mer , ſoit qu'il
mille home fe vouluſt feruir de ſes conſeils, ou qu'il ſe deffiaft de ſes menées , ce qui n'auoit iamais
mcs.
eſté pratiqué par aucun de ſes predeceſſeurs, & commit la garde des galeres à Behut
Baſſa, qui commandoit depuis deux ans celles de la garde de Rhodes. En paſſant par
l'Armenie il fur extremément eſtonné de voir la majeure & la mineure preſque égale

S'eltonne de ment deſertes. La premiere auoit eſté depeuplée par le Roy de Perſe Cha Abas , qui
voir les deux apres auoir faic bruſler & ruiner ehtierement toutes les villes & bourgs du pays , pour
Armenics oſter lesmoyensà l'armée du Baſſa Cigale qui venoit contre luy de paſſer outre , com
ruinées,
manda ſur peine de la vie aux habitans de cette mal-heureuſe Prouince d'aller demeu
rer de l'autre coſté de la Medie qui confine la Perſe. La ſeconde l'auoit eſté ily auoic
de quarante ans par le commandement du Grand Seigneur Mehemet, qui à cauſe
pres
des frequentes rebellions & mucineries qui s'y efleuoient en auoit tranſporté la plus
Fait commá .
dement aux grande partiedes hommes aux enuirons de Conſtantinople , où il s'en eſtoit auſſi re
Armeniês dºy fugić quantité de ceux de la majeure qui n'auoient point voulu allet en Medie . Amu
Tetourner .
rach couché de picié de cette deſolation , fir commandement à cous ces Armeniens d'y
retourner dans vinge iours auec leurs familles. Ce qui ne leur cauſant pas vne moindre
douleur que les precedentes calamitez , parce que ce changement ruinoic leur trafic &
les obligcoit à vendre leurs maiſons & leurs biens à vil prix , ils eurent recours aux re
Qui font re- monſtrances enuers Sa Hauteffe, & à force d'argent obtindrent la reuocation de cette
uoquer l'or. ordonnance. Commeil fuc dans la Prouince d'Erzeron, autresfois Affinie , il fic reucuë

force d'ar- de ſon armée au commencement de luillet ;Elle ſe trouua preſque de trois cens mille
gent ,
hommes , mais inerucilleuſement bien diſciplinée, non ſeulementparla rigueur de ce
Sultan , mais auſſi par ſes exemples de frugalité & de pacience : car on le voyoiclouuent
marcher à pied durant les plus grandes chaleurs ; il ſe monſtroit fore ſobre daos ſes re
pas , quoy qu'il ne fuſt pas abſtinent de ſon naturel , & ne ſe ſeruoit d'autre matelas que
Bons exem-de la houſſe de ſon cheual, ny d'autre oreiller que de ſa ſelle. Pendant crois ſemaines
fath à la mili- qu'il ſeiourna en cette Prouince ,il ſe deffic du Baſſa Calil qui en eſtoit Gouuerneur.
cc : Ce Balla fçachant qu'il y auoit long - temps qu'ilen vouloit à ſa ceſte nel'auoit pas ac
tendu , mais auoit gagné au pied ; Et il euſt eſté ſages'il euſt couſiours perſeueré dans
Faiteltrangler fa deffiance : mais depuis il ſe laiſſa tromper aux belles promeſſes du grand Vizir,
de Baſſa Calil. & reuint dans le camp, où il ne fut pas ſi colt qu'il vid des Eunuques luy ietter la corde
au col;exemple qui aduertit ſes ſemblables de n’eſtre pas auſſi credule qu'ils ſont re
muans , & de ne ſe pasremettre ſi aiſément à la diſcretion du Souuerain qu'ils ontoffen
ſé. Courchout Achmec Baſſa de Damas , celuy qui auoit pris l'Emir Facardin , fut bien
plus ſage: car comme il ſçauoit que le grand Vizir auoit enuie de luy oſter ſon Gouuer
nement, il ne ſe laiſſa pointleurrer aux promeſſes qu'il luy faiſoit, & z n'enuoya qu’vn
Agent vers luy, s'eſtant pour plus grande ſeureté retiré auec Melitelie Roy des Arabes
dans les deſerts.

Apres quc le Grand Seigneur eut faic à ſesgens de guerre la largeſſe qu'il a accouſtu
Largeſte du mé de faire quand ilmarcheen perſonne, ſçauoir de dix pieces de cinq ſols à chacun ,
Grand Sci-, illeur declara ſon deſſein qui eſtoit d'aſſieger la fortereſſe de Reuan , & en cas qu'il ne
il marche à la l'emporcaſt dans dix iours d'y laiſſer quarante mille hommes pour continuer le ſiege,
guerre.
pendant lequel il entreroit auec le reſte de ſon armée en Perſe par deux ou trois diffe
rens endroits . Le Perſan s'eſtoit vancé que quelque parc qu'il s'actachaft il·luy donne
roic baraille,mais ce n'eſtoit pas ſon deffein ; car apprehendant vne lieffroyable puiſ
ſance il auoit ruiné plus de cent licuës de ſon propre pays pour luy couper cours, &
Le Perſan ne
l'oſe attendre s'eſtoit retiré au delà de Calbin auec l’eſlice de les forces, ayant laiſſé quinze mille
& ſe retire, hommes de guerre dans Reuan , autant dans Bagadet , & des munitions pour deux
ayant mine . ans . Les relations que i'ay veuës ne me fourniſſent point aſſez amplement , ny les
combats qui ſe donnerenc entre les deux nations , quoy qu'il y en cult de memorables,
ny les trauaux que firent les attaquans , py les ſorcies des afficgez. La garniſon qui
eſtoic dedans nemanquoit ny de courage , ny de munitions pour faire receuoir l'affront

Ji alliegeRe.à Amurath : mais il trouua moyen ic ne Içay par quelle voye de gagner le Gouuerneur
,
porte par la nommé l’Emir Gumir , vn des plus grands Seigneurs de Perſe qui luy rendit la place
iwhicon du au bout de neuf iours , & paffa aupres de luy ; laſcheté qui le rendit infamcenuers tous
Gouverneur .les Perſans & les gens d'honneur,mais qui luyacquit li fort la faueur d'Amurach qu'il
luy
Amurath IV.Liure vingt -vniéme
. 147

fuy donna de cres- grandes recompenſes , & le tenanttoujoursaupres de la perſonne, 1635 .


prenoit plaiſir à luy faire rendre des honneurs tout extraordinaires.
La ioye de cette conqueſte s'eſtant portée de l'armée Turque dans Conſtantinople,
la Sultane mercen celebra la reſioüiſſance par quatre iours de feſte continuelle; durant
Amurath fait
laquelle ncantmoins pour la rendre plus agreable à ce Tyran ,on eſtrangla par ſon com cfträgler deux
mandement deux de ſes freres Bajazer & Orcan : ce dernier , Prince de grand cæur, de les freres.
tua quatre de ſes bourreaux à coups de Acſche & de maſſuë premier que de ſe laiſſer
prendre . Apresla reddition de Reuan , les Turcs voulurent pourſuiure la garniſon qui
ſe retiroir en Perſe auec ſix mille cheuaux quieſtoient venus au deuant d'elle: mais ils
s'engagerent lauant qu'elleattiradix ou douze mille hõmes de leur auant-garde dans Deffaite des
des embufches où elle lesdeffic. Le reſte de leurarmée ne ſe contentant pas de cér cſ- danTurcs
s uneattirez
cm
chec voulut ſuiure fa pointe , & porcer l'effroy dans le milieu dela Perſe. Il s'y trouuabuſcade,
bien plus de reſiſtance qu'elle ne croyoic,elle renconcra dans les plaines de la caualerie
toute fraiſche qui la harceloit & luy comboit à toute heure ſur les bras , puis ſe reciroit
auec vne merueilleuſe viteſſe;dans les deſtroits & licux mõtueux des gens bien aguerris Neantmoins
ils entrent day
qui aſſommoiét ſes ſoldats à coups de trait ſans qu'eux půſſent les atteindre, & par cout la perle ,où ils
vne diſette auſſi grande de coure force de comoditez que ſi elle euft eſté dans les ſables ſontmal.me -
de Lybic.Ainſi ellefut contrainte de ſe retirer vers la campagne de Tauris, quin'eſtant nez.:
pas moins deſerte & abandonnée que les autres contrées, luy fit perdre grand nombre
d'hommes , de cheuaux & de chameaux. Les habitans de cette Ville auoient retiré ou
gaſté tous les fourrages, dontle Grand Seigneur fut tellement indigné qu'il l'enuoya
demanteler, & voulut que la charruë paſlaſt par deſſus les fondemens
de ſes baſtions. Le Demantelent
Roy de Perſe voyant parce moyen les troupes de ſon ennemy en mauuais eſtai, mais Tauris .
ayant rçcõnu d'ailleursqu'à la longue il ſuccõberoit dans cette guerre,parce qu'il auoit
affaire à vne plus grande puiſſance que la fične, ſe ſeruit de cette occaſion pour faire ier
ter des paroles de paix.Elle fur entamée par le Camou Gouuerneur de Chåmi,qui pro
poſa l'accómodementaux mefmes conditions que celles du Sultan Soliman :Amurach Le Perlan fait
de ſon coſté teſmoigna qu'il n'en eſtoit pas éloigné; & apres auoir renuoyé ſes croupes propos de
hyuerner aux environs de Damas& d'Alep , il reprit le chemin de Conſtantinople ,où paix,
pendant tout l'hyuer ileſſuya la pouſſiere de la campagne dans les voluptez & les de
lices de ſon Serrail. Il y arriua levingt-ſixiéme Decembre, quatorze galeresde cc port Amurach re :
l'eſtantallé querir à Nicomedie , qu'on nomme auiourd'huy Ilmur. Il voulut faire ſon tourne à Co.
entrée par la porte des luifs contre lacouſtume de ſes anceſtres, qui auoient accouſtu- ſtantinople .
méde la faire par celle d'Andrinople . Il eſtoic monté ſur le plus beau de ſes cheuaux,
veſtu d'vne cotte demaille, le caſque en teſte auce trois grandes plumes de heronenri
chies de perles & de pierreries, l'eſpéc au cofté, auec l'arc & le carquois , mais la barbe
faire à la negligence ; ayant derriere luy fon Caymacan , & à coſté de ce Vizir le traiſtre Son entrée &
les relioijil
qui luy auoit liuré la ville de Reuan . Au reſte il ne fit paroiſtre aucuns ornemens de ſon ſances publiq
triamphe , ſinon trois trompetes d'argent priſes dans cette forcereſſe , qui eſtoient d'v- ques.
ne longucur extraordinai , & auoient le bout fort largeà la Perſienne.
re
Cette feſte dura vne ſemaine touce entiere , les boutiques eſtant fermées & parées
iour & nuit de quantité de flambeaux :mais la ioye n'en fut pas ny pour les laniſfaires
qu'il teſmoignoit auoir à grand mépris ,menant le plus ſouuent pour la garde des
Bouſtangis ; ny pour pluſicurs luges & Cadis , auſquels il fic trancher la feſte ſous
Il eſt faifi des
pretexte de concuſſion. Quelquesiours apres il fut grieuement ſaiſi des gouttes, dont
gouttes qui
il auoit deſia cu quelques legeres attaques ;maladie fortextraordinaire à ſon aage, car rengregent fa
à peine auoit -il vingt-Gx ans,aufli l'auoit- il contra &tée par de continuelles débauches cruauté .
du vin & des femmes.Elle redoubla encore ſon chagrin, changea ſa feuerité en cruau
té , & la premiere cruauté en vucrage quieſtoit tout à fait inhumaine, tandis qu'il ſen
toit quelque pointe de ces douleurs. Cette mauuaiſe humeur luy fit defendreles ca- fait defenſe
de vendre du
barets,ne voulant pas que perſonne beuft du vin durant qu'il s'en abſtenoit :puis quand vin
, puis le
fon mal fut paſſé, il prit de l'argentpour permettre aux marchands de les ouurir. Cette permet pour
meſme humeur le porta à faire diverſes ordonnances bigearres contre les Armeniens, de l'argenta
contre les luifs, & contre les Grecs , deſquellesla rigueur s'addouciſſoic couſiours par
des preſens. On n'eut pas raiſon de crouuer ſi eſtrange celle qu'il fic pourle debic du Defend l'ela
tabac , dont il defendit l'vlage ſur peine de la vie . C'eſt vnc elpcce de manic & d'en- qui en effet

chantement qui ruine également l'eſprit & le corps , mine peu à peu les forces & la vi- eft tres- per,
gucur cauſe diuerſes maladies parla debilitation desnerfs, abolit la memoire, deftruit nicieux,
Tome II. Tij
148 Hiſtoire des Turcs ,

l'imagination , & pour cour dire en vn mot, rend les hommes entierement faincans de
16350
inutiles.Neantmoins comme l'vſage s'en eſtoit gliſſéparmy les ſoldats , & de là parmy
les marchands, meſme parmy les femmes, tant s'en faut qu'ils luy rendiſfent graces de
les en auoir voulu defenforceler , qu'au contraire ils exciterent de grands murmures,
comme s'il leur cuſt oſté le plus cher threſor de la vie . On raconte qu'il auoit vne ſi

mortelle auerfion contre cette pernicieuſe denrée qu'il faiſoit mourir ſans remiſſion
ceux quien vendoient & ceux qui en prenoient ; qu'à l'odeur de cette fumée il entroit
dans des tranſports horribles ;& qu'ayant vniour rencontréſa mere qui auoicla pipe à

la main, peu s'en falurqu'il ne luy fendiſt la teſte de la hache,mais le reſpect de la nature
Pluſieurs axe . arreſtale mouuement de ſa colere, non pas toutesfoisiuſqu'au point de l'empeſcher de
ples deſeuere luy dire des iniures. Cette année il fit fier les bras & les jambes à deux hõmes, l'yn pour
chaftiment
córre les pre cnauoir vendu , & l'autre pour en auoir pris , & voulur qu'en các equipage on les ex
neurs de ta- poſaft au public, pour en faire perdre l'enuic aux autres parcét horrible fpe& aclc. Peu
bac.
apres encore il fit empaler tous vifs pour le meſme ſujet vn homme & vnc femme auec
vnmorceau decette herbe pendu au col , & il me pardonna pas à vn Cadis ou Iman qui
fue mis au Ganchec, pource qu'on en auoit trouué chez luy.
Du coſté de la Hongrie & de la Pologne il y auoit quelques bruits de guerre qui ce
1636 .
noicnt ces peuples & les Turcs touſiours en haleine . Les Polonnois plus fiers des bons
XII .
ſuccez qu'ils
auoient eu l'année precedente ne vouloient plus ſouffrir lescourſes des
Tartares : leſquels d'ailleurs ſembloienc auoir commandement du Grand Seigneur de
leur faire la guerre, & paroiſſoienc à chaquemoment ſur la frontiere auec quarante &
cinquanto millc cheuaux . Ec de faic s'il ſe fuít trouué quelqucoccaſion bien fauorable,
Bruit de guer il n'y a point de doute qu'il les en euſt bien auoüez , mais parce qu'il ne s'en preſenta
te du cotéde point il teſmoigna ſon indignation à Cantemir yn deleurschefs, comme nous le dirons
&
i de la Pologne. l'année ſuiuante;Et pour mõltrer aux Polonnois qu'il deſiroit ponctuellemencobſeruce

le traité, il voulut que ſon Caymacan donnaſt liberté à cous ceux de leur nation & aux
Ruſſes qui auoienceſté pris eſclaues du depuis , faiſantdefenſes outre cela d'en plus

achepter ny retenir aucun , tandis que la paix ſubſiſteroitentre les deux Couronnes.
Pour la Hongrie , quoy que l'Ambaſſadeur cuſt n’agueresrapporté de Conſtantinoplo
Le Ture con- la confirmation de la paix , les Turcs ne laiſſoiét pas d'y faire des courſes,diſantqu'on n'a
firme les
auec pas articles du traité.Quatre mille entr'autres bruſlerer quelques
la paix uoit pas ſatisfait à tous les
lonnois. villages, firent des priſonniers & batciréclechaſteau de Raab:mais ils enfurent repouſ
fez par la garniſon & par celle de Comorre , en ſuite dequoy ils s'aſſemblerent à crois
lieuës de Preſbourg, & ſe mirent ou tout de bon ou par feinte à faire de grands prepara
rifs . Ces mouuemens cauſoient bien des inquietudes à l'Empereur :qui d'ailleursauec
Courſes des toute la maiſon d'Auſtriche n'auoit deſia que trop d'affaires,la Franceluy ayant declaré
Turcs dans la la guerre depuis quelques mois , & ratifié cerce declaration par la ſignalée vi & oire d'A
Hongrie .
uein. Mais ce qui le faſchoit le plusc'eſtoit qu'il connoiſfoit bien que les Turcs ne le har
celoient de la force que pour l'engager par quelque nouueau traité à quitter la prece
& tion du Ragotsky, que leGrand Seigneurauoit entrepris de depoſſeder.ke vous ay dic
comme la vefuc dc feu Berlin Gabor auoit eſté inueſtic dececce Principauté, & comme
en ayant eſte deſpoüillée par Iſtuan Betlin ,elle s'eſtoit accommodée auec l'Empereur.
Affaires de le vous ay dicaulli comme Iſtuan auoit eſte contraini de la ceder à Ragotsky . Or cér
Tranſliluanie. Iſtuan & vn fien frere eſtoient demeurez dans la Tranſiluanic où ils auoient quelques

Chaſteaux, & gardoient touſiours dans leur ame des pretencions ſur cette Souuerai
neté: tellement qu'ils auoient cherché tous lesmoyens imaginables pour en depoſſe
der Ragotsky, ſoit par brigues & par preſens à la Porte , ſoit par pratiques, & par en
Iftuan Betlin trepriſes ſecretes dans le pays. Toutesfois ils ne s'eſtoient point crouuez aſſez heureux
taſche de de .
puiſſans pour en veſir à bout , & le Grand Seigneur auoit touſiours refuſé
polcder R1 . ny aſſez
gotſky. d'entrepre ndre leur cauſe :mais depuis que le Ragotsky qui du viuant du Roy de Suc
de auoit promisau Turc de ſe declarer contre la maiſon d'Auſtriche, s'eſtoit au con
traire depuisla mort de ce grand Roy , iointplus eſtroitement auec elle , Amurath in
digné de ce changement , le mit à les fauoriſer, & eux eſtant appuyez de la protection
Le Grand Sci- commencerent à remuer plus hardiment pourdepoſſeder Ragotsky, iuſqu'à ce qu'ils
gneur l'affifte, furent enfin contrains de ſe ieccer tout à fait entre lesbras du Túrc pour le 'ſauuer , 8
à pourquoy.
pour le perdre . Voicy comment. Il y auoit en Tranſſiluanie vn grand Seigneur,nom
mé Dauid Zolomé, leur couſin & leur beau - frerc , qui l'an mil fix cens crente -vn
auoit enuoyć offrir ſon feruice au Roy de Suede, & deſtiné de faire ſourdement vno
leués
Amurath IV.Liure vingt - vniệme
. 149

leuée de deuxmille hommes pour l'accompagner : Comme cette Prouince fourmille 1636.
toure degensde guerre qui ne cherchent qu'employ , il'arriua qu'au lieu de ce nombre
il en accourut trois fois dauancage vers luy pour s'enroler. Ragócsky ena aduis : la defe
fiance qu'il auoit des deux freres , particulierementde celuy qui ſe nommoit Iſtuan , le
met aux champs contre ces novuelles leuées, il leur court ſus,lesdillipe & les deſarme.
Il y auoit certes bien de l'apparence qu'elles aúoient eſté faites pour le party d'Iſtuan , Conſpiration
* tanty a qu'apres auoir attiré quelques autres Seigneurs Tranſfiluains à la ligue , il cra- perſuade ***
ma auec euxvne conſpiracion de tuer Ragotsky dans vne partie de quelque nouuelle Zolomé ſon
beau.frerc de
chaſſe, où ils le deuoient conuier.Dauid Zolomé ſe trouua à leur gré le plus propre de tuer Ragoor

tous ceux qu'ils euſſent pû choiſir pour executer ce coup , tant parce qu'il eſtoic hõme xy.
de main ,que parce que l'offenſe qu'il auoit receuë ſembloit luy deuoir pouſſer le bras .
Mais comme il arriucrarement que les hommes ſoient ou aſſez bons ou affez moſchans;
celuy -cy apres auoir eſcouté la conſpiration & donné la foy à Eſtienne, ne pûc ſe re
ſoudre à cet attentat , & par vne laſcheté plus odieuſe en quelque façon que la pre
miere , s'en alla découurir tout le ſecrer à Ragotsky . Ilcut bien de la peine à luy faire Zolomé no

croire vne choſe li eſtrange , & à l'empeſcher de ſe trouuer à cette chaſſe :neantmoins s'y peut re
il luy en marqua tant de particularitez qu'il le perſuada; de ſorte qu'il enuoya prendre couure te feu
lés coniurcz par vn eſcadron de caualerie , & les fit tourmencer iuſqu'à la mort de cretà Ragotra
diuers ſupplices, pour apprendre d'eux toutes les circonſtances & les complices du ky .
deſſein . Le Prince I ftuan qui en attendoit l'eucnement à l’eſcart & déguile ſur vne
montagne prochaine , ayant ſceu que les gens eſtoient pris , fe fauua en diligence ſur Iftuan s'cuz
les terres du Grand Seigneur. Zolomé croyant auoir merité vne grande recompenſe , de.
s'en vint la teſte leuée trouuer Ragotsky : mais au lieu d'un bon accueil il y receur de
ſanglantes reproches, & ſe vid pieds & mainsliées ietcé dans vne baſſe foſſe , dont la ·
puanteur & les tenebres relentes iointes auec l'horreur du ſilence , eſtanc defendu à Zolomé
toutes ſortes de perſonnes ſur peine de la vie de luy parlér ny de le vificer ,repreſen - recompenſe,
eft referre
toicat en quelque façon l'image de l'Enfer ; Aulli ce rude traitement le porta à yn cel dan
s vn goig
deſeſpoir , que lacreance commune iugea par ſes diſcours & par ſes a &tions qu'il eſtoic cachot,
poffedé du diable.Le Prince Eſtienne ayant en vain employé ſes interceſſions & cciles
de ſes amis pour la deliurance de ce mal-hcureux ,continua ſon ancien deſſein & nego
cia îi adroitement à la Porce ,non ſans beaucoup de difficulcez, que le Grand Seigacur
s'obligea par traité auec luy de le reſtablir à main armée dans la Tranſſiluanie ,& tout au Le Grand Sci
meſme temps y enuoya des troupes , ſans aucre intention , diſoit - il, que celle - là . Les gncur prend
Hongres neantmoinsapprehcndantqu'ell ne pallaſſent plus outre , firent des leuées d'Iluan ,
es
pour ſe tenir ſur leurs gardes, & obligerenc les Eſtats d'Auſtriche & de Hongrie de
contribuer pour le ſecours du TranGluain .L'Empereur fuc long - temps en doute s'il
le deuoit artiſter de ſes forces ou mettre cette affaire en negociation , & cependant le
Et l'Empe
tenir indifferent : neantmoins l'inſtance des parciſans de ce Prince , & la honte qu'il
reur celle de
eur d'abandonner ſon alliéen proye aux Infideles: ioint auf la crainte que la perce Ragotiky,
n'attiraft vne querele immortelle en Hongrie à laquelle il pouuoit feruir de rem- mais ſecreto
mcnt,
part , l'obligerent de luy promettre aſſiſtance ſecrete. Il n'oſoit pas la luy donner
ouuertement, pource que le Grand Seigneur luy auoit enuoyé denoncer la guerre,
s'il le faiſoit . Au reſteles effets des Turcs ne reſpondirent point à leurs menaces : vingt
mille qui s'eſtoient aſſemblez à Bude manquerent honteuſement leur entrepriſe ſur la page for re
forterelle de Neuhauſen ; le Palatin de Hongrie les repouffa vertement par cout où ment les
ils penſerentatcaque ſa fronciere ; & Ragotsky fortifié du ſecours de l'Empereur & Turcs,
r
de l'alliance des Polonnois , leur monſtra qu'il ne les craignoic gueres, non plus que
les bruits ridicules qu'ils firent courir que le grand Vizir venoic ioindre le fils d'I
{ tuan auec ſoixante mille hommes , & qu'ils deuoient encore mercre en campagne
deux puiffances armées , l'vne contre l'Empereur , & l'autre contre les Polonnois .
Cette vancerie furaccompagnée d'vne autre qui n'eut pas plus d'effet: ils publierent Les Turcs ps
qu'ils auoient deſſein ſur la Sicile & la Sardaigne,8c qu'ils deuoient armer crois gran - blientqu'ils
des flottes: ce qui cipt ces pays-là en effroy toue du long de l'année, mais ſans beaucoup en veulent :
de ſujec, ſinon que le Grand Seigneur commanda qu'on baltiſt quantité de galeres
dans ſespores , & que le Capitaine de la mer fiſt quelque courſe dans les coſtes de la
Calabre,auec trente -cinq qui eſtoicnt preſtes. Les exploits du Perſan n'eſtoient pas de
meſme: le ieune Şophy,ficoſt que les troupes d'Amurach furencéloignées de fon pays Lc Perſan fe
met en cam,
remec les liennes aux champs aucc grande uantité de toutes ſortes de prouiſions, faiç pagne.
Tij
Hiſtoire des Turcs ,
150

1636. baſtir & refortificrle chaſteau de Tauris & aſſiege Rcuan , où il couure ſon armée de li
bons retranchemens par le moyen de douze mille pionniers qu'il auoic , qu'il eſtoit

preſque impoſſible de l'y forcer. C'eſtoit au mois de


Ianuier durant les plus grandes
rigueurs de l'hyuor quicft forc afpre en ce pays - là , ſi bien que les gens avoient beau .
coup àſouffrir de la froideur, mais ils auoient dequoy fupporter cecte fatigue par l'a
Alliege Re - bondance de toute force de commoditez ,& par l'exemple de leur Prince qui eſtoit à
uan au mois coute heure dans les tranchées , eſtant reſolu de tout perdre ou d'emporter cette pla
de lanuier.
cefi importante quiauoic eſté ſilaſchement venduë par les liens à ſon ennemy . Il у

auoit dedans dix mille Turcs commandez par le Baſſa Mortaza,qui eſtant ſomme defe
rendre à bonne compoſition , ne reſpondit autre choſe à celuy qui le ſommoit, ſimon
qu'il luy fir voir toutes ſes municions, luy demandant li vn homme de cæur pouuoic
penſer à ſe rendre ayant vne placemunie de la forte. La nouuelle de ce ſiege ſurprit fort
ic Grand Scigneur, qui s'eſtoit endormy ſur vne eſperance de paix auec le Perſan : Il
Amurath fort auoit deplaiſir qu'on le reueillaſt ainſi des voluptezoù il s'eſtoit plõgé, paſſant le cemps
eſtonné de ce à toute force de débauches dans ſon palais de Scutaret; Sa colere ne ſçauoit à qui s'en
fiege.
prendre , il menaça fon Capcan & le nouueau Baſla du Caire , que leur teſte luy ref
pondroitdu ſuccez de ce ſiege p
, arce qu'ils luy auoient fait changer la reſolution qu'il
auoit priſe de demeurer ſur les frontieres de Perſe , Aureſte pour empeſcher les pro
grez de fontennemy,quelque temps apres ilcommanda au grand Vizir d’y mener les
forces de l'Europe ,auec les Ianiſſaires & Spahis : ce qu'il ne pûc faire ſans beaucoup
Fait marcher de princ , pource que pluſieurs meſme des Officiers apprehendant les mileres de cette

Ses troupes guerre s'enfuyoient & ſe cachoient ; & li le Grand Seigneur n'en cuſt fait eſtrangler
.
quelques - vns pour l'exemple , il luy euft eſté impoſſible de les cirer de leurs maiſons.
* Cependantle liege de Reuan ſe preſſoit
fort : les Perſans depuis quatre mois ne don
noient pas vne heure de relaſche aux aſſicgez , les froidures extremes, les continuelles
attaques & les autres miferes les auoient reduits au nõbre de deux mille, & ils n'auoient

Recap ſe read aucunc nouuelle que les leur les vinſſent ſecourir: tellement qu'apres auoir dóné couces
lcs prcuues de courage qu'on peut attendre de bons ſoldacs, ils ſe rendirent à compo.
è compol .
sion.
ſition . Mais parce qu'ils auoient peur que le cruel chagrin du Grand Seigneur ne ven
gcaſt ſa perte ſureux au lieu de recompenſer leur vertu , ils furent concrains de cermi
ner vne'li belle action par vne infidelice, & de prendre parcy auec les ennemis, contro
qui ils s'eſtoienc ſibien defendus.Le grand Vizir auoit ordre d'aſſieger Bagadec , en cas
: ais ilne pouuoic
Le grand vi.qu'il ne puſt ſecourir Rcuan ,& de deſtourner la riuiere qui y paffe m
Zie ne peux auancer iuſques-là ,eftant arreſté à Erzèron pour empeſcher que l'armée neſe mutinaſt.
faire suancer lambolat Ogly qui la commandoit auant ſon arriuće, y auoit fait eſtrangler vn Balla
l'armée,parce
qu'el le estoit nommé Zorba, & pris ſon argent pour fournir aux frais decette guerre : Il auoit auſſi
mutinée, condamné à mort quelquesSpahis & laniffaires, pour n'auoir pas voulu venit à ce
voyage . La milice fut cu corps pour s'en plaindre au Vizir, il taſcha dediſliper ces plain
tes , mais elle s'y opiniaſtra dauantage. Iambolac apporta pour faiuſtification les com
mandemens exprés du Grand Seigneur,d'autant plus croyables qu'on ſçauoit bien
quc ce Sultan auoit a’agueres fait mourir le Baſla du grand'Caire , pour auoir vn mil
lion de ſequins de la confiſcation :mais cette multitude irritée rejetta ſes excuſes auec
indignation , & il ne ſe trouua point d'autre expedient pour la concenter que de trai
Iambolat lu. ter lambolat comme il auoic traité les autres . Le Vizir craignant que les ennemis ne
jetde
tine rie ,lacftr
mu- a . tiraſſent aduantage de ces mutineries & ne vinſſent charger ſon camp en deſordre,
gle . jugea à propos de ſe retirer, & vint l'aſſeoir dans les plaines d'Erzeron : où il ne pûc pas
demeurerlög -temps par faute de bois pour fechauffer & pour baſtir des hücesàſes fol
dacs ; car leurs cences n'eſtoientpoint à l’eſpreuue des pluyes, des neiges& des grands
vents de ce pays-là. Sur le milieu de l'hyuer il eut aduis que les Perles eſtoient venus
aſſieger la fortereſſe de Van. Le Lecteur ſera aduercy de ne pas confondre Van auec
Reuan. Car Rcuan ou Eruan eſt vne grande Ville capitale de l’Armenie , 8c Van
n'eſt qu'on Chaſteau à l'entrée de la Prouince de Diarbequir aſſis ſur vn rocinacceſſi
Les Perles af- ble , au pied duquel il y a vn lac de cent quarante milles de circuis. C'eſt vne place de
mais ac len tres -grande importance , la ſicuation ne la rendanc pas moins forte pour ſe défendre,
peuvent pren-qu'auantageuſe pour attaquer & pour commander au loin : car par le lac on peut faci
lement porter vne armée vers les villes d'Addaz & d'Argez, & de plus elle donne fa
cilité d'entreprendre ſur les fortereſſes de Diarbequir , & de faire le degaſt dans cette
Prouince, comme le firent les Perſes apre qu'ils curent inucfty Van ; ils deſolerent
çellement
Amurath IV . Liure vingt - vniéme
. 151
ISI

rellement le pays , qu'il eſtoit bien difficile meſme à l'armée Turqueſque d'y ſubſiſter. 1636.
Ils ne prirent pas toutesfois cette place , quoy que le bruit en euſt également volé à
Hiſpahan capitale de leur Royaumc & à Conſtantinople m
, ais ils remporterent quel
ques autres aduantages ſur les Turcs , dont ie marqueray ſeulement le plus grand. Va
Seigneur Curde du parcy Perſan feignant d'y auoir quelque deplaiſir , s'alla ietter par- Quinze mille
mylesTurcs auec ſes troupes . Il les Teruit fidellement en quelques rencontres , & leur Turcs taillet
donna ſouuent de bons aduis , pour auoir par apres le moyen de les mieux pouſſer dans la ruſe d'vn

le filet, comme il fit vniour ayant entrepris de les conduire pour aller ſurprendre vn Seigneur
Curde.
quartier : il les enferra tout droit dans des embuſches , & puis tournant caſaque ſe
mit auec les Perſans à les charger de ſi bonne ſorte qu'ils en taillerent quinze milleen
pieces . Bref toute cette guerre fut ſi mal-heureuſe pour les Turcs , qu'ils eſtoient batcus
par tout , & leur armée auec cela eſtoit touſiours trauaillée de ſon malordinaire, ie veux Mutinerie de
dire la ſedition : les ſoldats prenant pour ſujer de ſe mutinerà faute de payement , ha- l'armée Tur
cherent en morceaux leur Threſorier, deux Agades Spahis ,leur Controolleur qu'ils que recom
nomment Macabelegy , & le Bachichaoux des Ianiſſaires. Le grand Vizir ,& le Colo
nel ou Aga des Ianiſfaires éuiterent cerce fureur par la fuite, & en ſe tenant cachez
quelques jours. A ces nouuelles Amurach qui eſtoic lors cruellement tourmente
Faſcheric d'A:
les mura
de ſa goutte ſentit vn grand redoublement de ſon mal , qui ne fut pas addoucy par rh qui
autres qu'on luy apporta de la Paleſtine : car on luy dit que le neueu de l’Emir Fa- deſtitue lun
cardin remuoit dans cette Prouince , qu'il auoit groffi ſes troupes de nombre de grand Vizir .
Drus , que le Baſſa de Tripoly le ſupportoit , & qu'Vſain fils du meſme Facardin ,
s'eſtoit lauué de priſon. De tous ces faſcheux ſuccez reiettant la faute ſur les mal
heureux pluſtoſt que ſurles coupables , il depofale Vizir & ſubfticua en ſa placelay
macan , qui eſtoit le Baſſa Beyran . Celuy- là ayant pris poſſeſſion de la charge ( ce
qu'il fit en árborant dans ſon Serrail le Thou ſignal dela guerre , au íon des tambours Celuy quil
& des trompectes , auec des facrifices de moutons, dont les chairs ſont ditabrées aux co va coman
pauures ) parcit incontinent pour aller commander l'armée , eſtant accompagnić preſo cerl'armée ,
que de toute la Cour Othomane . La magnificence de la ſuite qui ſembloic eſtre plu
Itoſt pour la pompe que pour la guerre , augmenia les eſperances qu’on auoit con
ceuës de la paix à la Cour. Car le Perſan quelque aduantage qu'il euſt, & quoy qu'il
n'oubliaſt pas de pourſuiure touſiours fa poince, ne laiſſoit pas de la demander recon
noiſſant bien qu'il eſtoit le plus foible & que ſon bon-heur ne pouuoit pas touſiours
durer . De faitla ncgociation
en fut ſi auancée que le Grand Seigneur luy permit d'en
uoyer ſon Ambaſſadeur à la Porce . Il y arriua au mois d'Aouſt, comme le Vizir n'eſtoit La paix ſe trai

pas encore à my chemin de Perſe. Only receutcommevne perſonne attenduë & fou - fan.Son Am
haittée il yauoitlong-temps , & Amurath relaſchantquelque choſe de la grandcurluy hildadeur viết
donna audience dans peu de iours . Comme iln'y a rien qui ait plusde pouuoir ſur l'c
prio des Turcs ny quiles gagne pluſtoſt que les preſens,le Roy fon Mailtre l'auoit char- .

gé des plus beaux & des plus riches qu'il auoit pû trouuer en fon Royaume. Il y avoit
entr’autres choſes huic cheuaux Indiensdegrand prix , deux deſquels eſtoientmou
chetez , quarante dromadaires , cent cinquante meticals de muſc , & autant d'ambre
gris dans des ſacs cachetez du cacher du Roy , trente pacquers de martres zebelinies à Ses preſens &
long poil noir, huit grands tapis lamoitié rehauſſez d'or & l'autre d'argent , pluſieurs fa reception ,
autres auſſi fort precieux, grande quantité de beaux tulbans , de ceintures de ſoye, de va
ſes de pourceline d'vneexcefſiue grandeur ,dediuerſes pieces de farin & de velours à
fonds d'or,cinquante pieces d'autres eſtoffes de ſoye , & huit arcs d'vn merueilleuſe
ment belouurage, mais ſans fieſches, pour monſtrer que les Perles n'auoient point eu
deſſein d'offenſer le Grand Seigneur . La richeſſe deces prefens ne ſeruit pas peu à pre
parer l'eſprit d'Amurath , auſſi luy fit -il ſi bon accueil & luy donna de ſi belles paroles
qu'on crût la paix encierement concluë , & en fit -on des refioüiſſances publiques.
Il y auoit quelque apparence qu'illa deſiraſt tour de bon , pource qu'il telinoignoit
vne ardente paflion de ſe venger du Ragotsky , que ſon honneur l'obligeoit d'auoir
raiſon des Moſcouices qui auoient pris Azac , & qu'il auoit grand ſujer de craindre Guerres du
du coſté des Tartares , & des Coſaques. Nous deduirons toutes ces choſes en peu Ragotſky
de mots. Celuy qui l'auoit le plus incité contre le Ragotsky, eſtoitBechir Baſſa de
Themiſwar, qui luy faiſoit la deſtitution de ce Prince tres -facile : mais quand il falluc
l'attaquer tour de bon, ſes effecs ſe trouuerent bien éloignez de ſes diſcours. On ne
fçaic li ce fut par laſchecé ou par corruption , mais cant y a qu'il ſe porca fort molement
.
Hiſtoire des Turcs ,
152

1637. aux endroits où l'on auoit beſoin de ſon courage,& fic par tout receuoir de la honte aux
armes de ſon Maiſtre. Lo Baſſa de Bude accuſé de s'eſtre comporté auectiedeur dans
la guerre de Hongrie , alla plus chaudement en celle -cy , & combatit auec ardeur
Combat dou. dix mille hommes de Ragorsky :neantmoins la victoire demeura comme en balance,
teux du Balla chacun ſe l'attribuant aucc quelque raiſon , les Turcs parce qu'ils auoient gagné le
les troupes de chatnp, les Tranſliluains parce qu'ils auoient gagné l'artillerie. La difficulté de cette
Ragotſky. guerre plus grande qu'Amurath ne l'auoit preucuë, luy fic penſer qu'il auroit peu d'hon
neur & de profit quand il auroit l'aduantage d'auoir vaincu vn pecit Prince ſon yaſſal,
mais que s'il n'en venoit pas à bour, le deshonneur en ſeroit tres - grand pour luy ; loinc

que d'vn Prince qui luy eſtoit ſujet & obligé à leſeruir ,il en faiſoic vn ennemy que la
neceflicé vniroit infeparablement auec la maiſon d'Auſtriche.Illuy fic donc propoſer
Conſideratids des moyens de recóciliation par le Baſſa de Bude; Entr’autres , qu'ilcuſtà luy payer cous
qui obligent les ans crente mille richedáles ,à rendre tous les biens à Iſtuan Berlin , & àlicencier cou

her la paix à tes les troupes eſtrangeres. Ragotsky demeura bien d'accord des deux derniers points,
Ragolxy. mais non pas du premier, aymant
micux touthazarder ,que d'accroiſtre le tribut qu'il
faiſoit, parce que lesTurcs luy euſſent à chaque fois formé des querelespour auoit ſujet
.de le redoubler ,ainſi qu'ils auoient fait au Valaque qui leur payoit iuſqu'à fix -vingts
mille richedales ; Or celuy que Ragotsky faiſoit pour lors eſtoic forc petic , & pluſtoſt
vne redeuance d'hommage qu'vn tribur, car il ne conſiſtoit qu'en douze mille ſequins
Hongrois, douze vaſes d'argent doré , & douze faucons. Apres pluſieurs conteſtations
ſur ce point
& ſur quelques autres, les Deputez de Ragotsky eſtant allez trouuer ce
meſme Bafla & ceux d'Iſtuan Beclin aſſemblez à Themiſwar , conclurent auec cux ,

Articles prin- Qu'Iſtuan feroit remis en tous ſes biens & heritages ; Qu'il les pourroit aller viſiter fibon
cipaux du
luy fembloit , puis iroit demeurer pourquelque temps dans un de ſes chaſteaux nomé Etober,
traité.
fitué dans la haute Hongrie; Que ce temps paßé il auroit liberté
de demeurer en Tranſilua
nie,mais ſeulement dans les terres,non pas à la Cour du Prince; Et que Dauid Zolomé beau
frere d'Iftuan , qui eſtoit detenu dansvnecruelle priſon ,
feroit mis en liberté à la fin da
mois prochain. Ainſi la Tranſiluanie fucen paix ,& la Hongrie d'autant plus en crainte,
Rauages des apprehendant que toutes les forces du Turc ne vinflent fondre ſurelle : ce qui obligea
Turcs en
l'Empereur de publier le ban & arriere -ban dans ſes pays hereditaires pour le tenir ſur
Hongrie,
ſes gardes, & d'enioindre à tous ceux des fauxbourgsde Vienne qui auoient des mai
fons trop hautes de les faire abaiſſer. Les Turcs ne tencerent pourtant autre choſe,apres
auoir fouuent fait monſtre de leur puiſſance , ſinon qu'ilsenleuerent deux mille Chre
Balla de Bor- ftiens, en reuanche de ſix cens Turcs que les Hongrois lcur auoient tuez , & que lo
nić repare le Baſſa de Boſnie fit reparer le vieil chaſteau de Prentiſch dans la Carinthie , l'vne des
chaſteau de
Prouinces hereditaires de la maiſon d'Auſtriche,eſperant que par ce moyen ille pour
Prentisch en
Carinthie , roit aiſément emparer des places fortes de Kart & de Polth : mais on y donna & bon
ordre que ſon entrepriſe fut inutile.

Les remuëmens des Tartares faiſoient plusde peine au Grand Seigneur que les af
Remvëmens faires de la Hongrie ny du Tranſliluain. Depuis quelques années ſon authorité eſtoit
des petits tombée en mépris parmy cux , ſi bien qu'il ne luy eſtoit plus ſi facile comme auparauant
Tartares,
d'en depoſer les Souuerains & de les faire marcher à ſa fantaiſie .Le Cam qui y regnoit
lors , auoit refuſé l'an paſſé d'aller à la guerre contre le Roy de Perſe , s'excuſant ſur la
crainte qu'il auoic de Cácemir.Le Ballade Caffa ,le Mufry & le Cadyde la melineVille
penſantobliger le Grand Seigneur,luy en firent de grandes reproches, iuſqu'à l'accuſer
de laſcheté & d'ingratitude.Le Camoucré de ces paroles , & croyant peut-eſtre qu'el
Le Cam fait les tendoient plus auant ,les fit eſtrangler tous trois . LeGrand Seigneur diffimulanc
eſtrangler le cette iniure de peur de le iecter dans vne rebellion à maſque leué , luy enuoya l'eſpće
Cady de Caf- & la veſte auec ratification de tout ce qu'il auoit faic, comme s'il l'euſt fait aucciuſtice;
fa. & ayant nommé vn autre Baſſa au gouuernement de Caffa, il voulut qu'auparauant
d'en aller prendre poſſeſſion , il fondaſt par vn Mucelem ( c'eſt vn Agent qui repre
ſente le nouueau pourueu) lilc Cam approuueroit ſa nomination. Apres vn coup li

hardy & ſi ſanglant, on n'attendoit pas moins que de le voir ſe laiſir de Caffa ,& faire
Le Grand Sci. ligue aucc les Ruſſes & Coſaques Mofcouites. Ils venoient auecquarante barques de
gneur dilli- piller les bourgs à l'encour de Sinope dans la Nacolie , dont la peur fuc ſi grandeà Con
iuse ,& yen- ſtantinople , qu'on fit armer cous les vaiſſeaux qui ſe crouuerent dans le port capables
uoye vn nou . de porter deux perriers en proüe , & les enuoya - c'on ſous la conduite de Cara Hodia

wsaw Bala, fameux Pirate d'Alger, pour arreſter lescourſes de ces determinez . Mais le Cam n’euc
pas
Amurath IV.Liure vingt - vniéme . 133

pas aſſez de courage pour pouſſer Paffaire iuſqu'à l'exetemité,ilreceut fauorablement 1637 .
le Mucelem , & proceſta au Capigy quiluy apporcoit l'eſpée & la veſte , qu'il n'auoit
fait mourir le Balla , le Mufey & le Cady que pour leurs enormes exactions & iniuſti- le Cam n'ofe
ces ; ſatisfaction dont le Grand Seigneur fit ſemblant de ſe contenter , parce qu'il pouſſer l'affai
voyoit que ce Cam ſe fortifioit de l'alliance du grand Nogay ,& qu'il y auoit trois Ge - te a l'extre
neraux d'armée , l'vn Polonnois , le ſecond Moſcouite , & le troiſiéme Colaque qui de Balia,
luy offroient des leuées d'hommes pour meccre le Cantemir à la raiſon .
Ce Cantemir fut le ſujec d'vne autre guerre , qui euſteſté de pluslongue fuite ſil'on Guerre des
n'y euſt pourueu de bonne heure. Comme il cſtoit homme de grande entrepriſe,& Tartares de
Butziax , co
qui menoit fouuent des partis de ſa propre authorité, cítant ſuiuy de tout ce qu'ily mandez pat
auoit de plus braues gens parmyles Tartares ,il luy faſchoir de dépendre d'aucun Sou- Cantemir".
uerain ; & pour la meſmc raiſon les Souuerains ou Cams de ce pays - là luy auoient
touſiours porté envie , & auoient ſouuent tenté de le perdre . Pour n'eſtre donc plus
ſous leur lojection , il s'en eſtoit allé planter ſa demcure auec les troupes qui l'auoient pourquoy il
voulu ſuiure dans la contrée qu'on nomme les Champs de Bucziak.'C'eſt proche de morirezilei des
Bialogrod , de Tchin & de Kil, le long de la frontiere de Moldauie.Dans peu de temps contrées.
beaucoup d'autres chefs Tartares, commeArak ,Rokol & Salamas,fe rangerentaupres
de luy auec ceux qui auoient accouſtumé de les ſuiure à la guerre , & de iour en iour il y
venoic de grandes bandes de peuple auec toutes leurs familles , qui quittoient volon
tiers le Cherſonneze ſablonneux & deſert en pluſicurs endroics, pour habiter vn Les Tartares
pays plus gras & plus fertile. Bref il y en accourur ſi grande multicude , que les l'y anoiết lui,
Champs de Butziak n’eſtantpascapables de lescontenir, ils palerent dans les larges & hombregrand
fertiles plaines dela Moldauic: où pouſſane pied à pied les habitans du pays , ilseſten
doient li forc leurs colonies qu'il y auoit danger qu'ils n'oscupaſſenc bien - coſt touto
cette Prouince. Les Polonnoisaufſícraignant que de ces Champs de Butziak ,comme
trop voiſins, ils ne püſſent facilement faire des courſes ſur leurs terres , & les rauager
bien auant premier qu'on puft auoir nouuelle de leur irruption , auoient faic mectre LesPolonnois
font inſtance
dans le dernier traité auec les Turcs , que les Tartares ſe retireroient de cecce habica à la Porte
tion , & les Ambaſſadeurs d'Vladiſlas qui eſtoient à Conſtantinople inſiſtoient perpe- qu'on les en
tuellement qu'on les contraigniſt d'en ſortir. Le Grand Seigncur au contraire eſtoic chale,
bien aiſc que ces colonies s'oftendiffent plus auant & s'affermiffent de plus en plus,
tant parce qu'il eſperoit de les auoir plusobeïſſansà ſes commandemens & plus prefts
à faire des irruptions dans la Hongrie, dans la Tranſluanic & dans la Pologne, lors
qu'ils ne dépendroient plus de l'authorité de leur Cam , que pource qu'il s'en vou
loic ſeruinà le tenir en bride & le contraindre à luy obcïr par ſes propres ſujets. Lc Bc le Cam ſe
Cam pareillement ſeplaignoit fort que par ce moyen ſes terres s'en alloient deſertes, plaint que ſon
&qu'on luy ſouftrayoit preſque tous ſes peuples . Mais à ces plaintes & aux inſtances fe defert.
des Polonnois le Grand Seigneur reſpondoit ſeulemenc,que ce changement ſe faiſoit
à ſon deſceu , & ne ſe ſoucioit point d'y apporter aucun ordre pour l'empeſcher. Les
Polonnois ennuyez de ces longueurs qui donnoienc loiſir au mal de s'accroiſtre , & de
ſe rendre incurable,auoientreſolu de chaſſer Cantemir de leur voiſinage : mais cominc
leurs appreſts font lögs , le Cam que le danger touchoir de plus pres agiſſant plus prom - tre Cantemiz
prement qu'eux,aſſembla trente millecheuaux , & ayant rencontré les troupes de Can- & ledeffair
temir qui eſtoient au nombre de vingemille , les chargcaſi rudement qu'il en cua 7000 , cnticrement ,

ſur la place, mit le reſte en fuite, & les pourſuiuit iuſqu'aux plaines de Dobruc par de là
le Danube qu'ils auoient paflé à Kil . Cantemir auſimal-heureux quevaillantcut bien
de la peine à ſe fauuer parmy les fuyards , & quelquc effore qu'il puſt faire depuis cecce
journée , il ne pûc iamais ſe remettre d'vn ſi grand eſchec.Amurach qui iuſques- là s'e- Lè Grand Sci
ſtoic tenu ſpectateur de ce demeſlé ,voulut prendre party, & cõmença à menacer le Cammeur prend
de ce qu'il auoit attaqué Cantemir , lors que ſuiuant les comandemens de Sa Hauceſſe Cantemir.
il ſe preparoit de l'aller ſeruir en Perſe : puis apres ces nicnaces il ſemella d'interceder
Cam le pour
pour luy , & de moyenner ſa reconciliation . Mais comme il vid quc le
luuoit touſiours àoutrance ſans auoir égard à ſon encremiſc , il fitce que les Turcs ont
accouſtume de faire en ſemblable occaſion , qui eſt de courir ſus au plus foible , quoy Puis voyant

qu'ils l'ayent fait agir , & d'accabler le mal -heureux pour appaiſer le plus puiſſanc. Il que fa proteo
ction n'eſtoit
manda donc à Cancemir qu'il ſerendiſten diligence à Conſtantinople : y eſtant vou point rcſpca
il crouua d'abord vn aſſez fauorable accueil , mais peu apres il reconnu le venin qui & te il te ninng
cſtoit caché ſous ces douces apparences ; le Grand Seigneur fit cfrangler vn de ſes fils de.
Tomc II .
Hiſtoire des Turcs ,
154

1637. pour auoir tué vn Tartare pres du Serrail pour quelque querele particulicre , dilanc
qu'il n'appárcenoit qu'à la Hauceſſe de faireiuſtice là où il eſtoit: puis le jour ſuiuant il
luy donna des gardes à luy-meſmc, & apres l'auoir decenu quelque temps en priſon luy
fic ſouffrir pareil fupplice, retenant outre cela ſon ieune fils aagé de douze ou treize
ans priſonnier, de peurque le deſir de vengeance ne le portaſt vniouràremuer quel
& le fait mou
que choſe.Cela fait il en donna aduis au Cam par vn Chiaoux,luy permettant derem
mener les Tarcares qui s'eſtoient habitucz dansela contrée de Butziak : ce qu'il fit cres
facilement quant à la populace , mais les Chefs qu'en leur langage ils appellent Mur
zes , refuſerent de s'en retourner : au contraire , comme ils ne le pouuoient fier aux
Turcs qui auoient trompé Cantemir , & qu'ils craignoient la colere du Cam qu'ils
auoient offenſé ,ils curentrecoursau General des armées de Pologne & autres grands
La populace Seigneurs du pays quiauoient les gouuernemens de ces frontieres, leur offrant de ſe
Tarcare s’en meccre ſous l'obeïllance & ſujection du Roy de Pologne, pourucu qu'il leur aſſignaſt
Setourne.
quelque cerre pour habiter, ou qu'en cas qu'ils demeuraſſent dans les champs de Bur
ziak ,illeur promit aſſiſtance contre le Cam & les Turcs , deſquels ils ſe declaroient
dés lorsennemis irreconciliables. Cette offre qui peut -eſtre cuſtapporcé de l'aduantage
à l'Eſtat de Pologne , fuc roccuë aſſez froidement& fans aucune reſponſe :tellement
Le Baſſa de que ces Chefspriucz detoute eſperance d'appuy furent contrains d'eſcoucer les pro
Siliftric attra: meſſes du Balla de Siliſtric , qui vint cxpres à Bialogrod pour leur offrir la permiſſion

par erabilon de demeurer dans cette plainc , pourucu qu'ils y veſcuſſent paiſiblement. Mais la paro
Blespoignar-
de. le ne fucpas plus ſeure pour cux que celle de fon Maiſtre l'auoit eſté pour Cantemir;
car vne nuit comme ils ne ſe defficient point de cette tragedic il en fit poignarder crei
ze des principaux, & par ce moyon diſlipa le reſte .
XIII. Quancà l'affaire d’Azac,qui déslors & quatreou cinq ans depuis donna beaucoup da
peine aux Turcs,elle ſe palla de cetic forte. Dans les contrées de Kijow principale habi
Guerre d'A- tation des Colaques, il y auoit vne grande eſtenduö de terres vagues,& qui ncantmoins
eſtoicnt tres-graſſes & tres-abondancesen paſquages, où ils faiſoient quantité de nour
ricures de beſtail. Pluſicurs Seigneurs de Pologne les auoient obtenuësen don du Roy
pour les labourer, mais les Colaques les empeſchoicnt de les faire valoir comme ils de
firoient. A cauſe dequoy eftanc animez contre eux , ils preſcherent tant au Scnat qu'il
falloic refrener leur audace & diminuer leur puiſſance, que l'on dona charge à Konicc
Les Cofaques polsky de les en chaſſer. Orles Coſaques, ſi vous deſirez que ie vous le marque en pala
Ics Polonaois.ſant,ne ſont pas vne nation ,mais vn ramas de toutesſortes de gens.Auantle RoyEtien
ne Battory c'eſtoient des brigands quis'amaſſoient ſur les frontieres de la Rullie pour
faire des courſes ſur la mer noire ; ce Prince trouuabon de tes renger ſous des loix , &
cn fit vnc milice pour garder les aduenuës de ſes terres contre les Tarcares. Du depuis
ils n'ont guere moins fait de mal que de bien à la Pologne : mais cette fois ils furent plus
mal-heurcux qu'ils n'eſtoient coupables ; ils perdirent vne grande bataille,& s'eſtane
retirez à Borowits furent contrains de livrer leur General nommé Pauluc , auec quatre

Aymét mieux de leurs principaux Chefs , ſous la parole qu'on leur donna qu'ils auroient la vie ſau
quitter leur ue : mais les Scigneurs nc les croyant pas aſſez reprimez par cét eſcheo , firent en force
pays que
Tubir do . à la Dicte de l'année ſuiuante que ces Chefs curent lateſte cranchéo , & que l'onordon
le joug
na encore vnc expedition pour acheuer de dompter entierement cecce milice, la def
poüiller de ſes priuileges, & la forcerà n'auoir plus aucun Chef, nyàne faire aucune
entrepriſe que par l'ordre du Roy & de la Republique. Cecte ſeconde fois ils furent en
core plus mal- mienez que l'autre :car ils furent preſque tous exterminez ,& il falut qu'ils
receuſſent les loix que l'on leur voulus impoſer. Mais comme les grands cours qui ont
vne fois gouſté la liberté choiſiſſent toute forte de miſere pluſtoſt que la ſeruitude, la
pluſpare aymerent mieux quitter leurs terres que de ſubir le joug : les vns ſe recirerent
en Moſcouie, les autres parmy les Tarcares.Vne bande de crois ou quatremille forma
Vne bande
yeut aller en vn hardy deſſein de paſſer iuſqu'en Perſe pour y offrir leur ſeruice au Sophy contre le
Perre, Turc. Ils vouloient prendre leur chemin à so . ou 60. milles au deſſus d'Azac, & en céc
endroit ayantpaſſéla Tane , ils dcuoient s'embarquer
ſur la Volgue grád Acuue quicft
à cent milles de là & qui ſe va deſcharger dans lamer Caſpienne, parlaquelle ils ſe fuſ
ſentrendus ſur les terres du Perſan . Or commeils furent arriuez au bord de la Tane,
trois ou quatre mille Coſaques Moſcouices qui habicoient là aupres dans des Illes que
fait cecce ciuiere , vindrencau deuant & leur propoſerencvo deſſein qu'ils auoienc lur
Azac , leur repreſencant cette priſc cres - facile , pourueu qu'ils voulullent feioindre
çux , & la Ville a riche qu'ils y trouueroicar aſſez de bucin pour faire leur fortune.
Les
Amurath IV.Liure vingt-vniéme. TSS

Les Colaques Polonnois ayantgoufté cette propoſition , ſe reſolurene den'aller point 3639 :
plus loin chercher leur bonne aduenture , puis qu'ils la trouuoient là fi à propos; Ilsſe
ioignirent donc auec les Mofcouites, & tous enſemble allerent affieger cette Ville. Eft arreſtec
Elle eſt ſur la plus grande emboucheure della Tane, baſtie ſur le penchant d'une coline, par les cola
d'une forme preſque quarrée , & de douze ces pas ou enuiron de circuit. Auantla domigues Moſco.

nation des Turcs c'eſtoit la plus fameuſe eſchelle de toutes ces mers , parce queles Ve l'entrepriſe
di Azac .
niciens faiſoient par là le trafic de la Perſe ; & bien qu'elle euſt beaucoup perdu de ſon
abord & de ſes richeſſes depuis qu'elle eſtoit combée entre les mains des Barbares,
neantmoins elle eſtoit encore la plus conſiderable de toutes ces coſtes , à cauſe du com
mercedes beurres & fromages, des poiſſons ſalez,des cuirs,des eſclaues , & de pluſieurs Deſcription
d'Azac ,
autres denrées que les Moſcouites ,les Turcs & les Tartares y amenoiée . Elle auoit vne
ceinture de bonnes murailles à l'antique , auec de groſſes cours , & vn Chaſteau flanqué
de meſme, qui eſtant au milieu & ſur le bord de l'eau diuiſoit la Ville comme en deux
parcies preſque égales. Le Turc n'y entretenoit qu'vne garniſon de croisd 400. homes ,
pource qu'il luy ſembloit qu'eſtant éloignée d'ennemis puiſſans, elle n'auoit pas beau.
coup à craindre. Ceux de dedans voyanc lesCoſaques qui ſe metcoiene en deuoir de les
aſſieger ſe mocquoient de leur entrepriſe, & ſe croyoient bien en ſeureté derriere leurs
murailles, pource que lesaſſiegeásn'auoient pour tout canon que quatre fauconncaux
incapables d'y faire breſche :mais ilschangerent bien de langage, quand ils virent que 11s la prennes
mal-gré toutes leurs mouſquetades ils perçoient leur foſfé, ſapoient leurs cours & ſelo- par la cape.
geoient dedans preſqu'en meſme temps. Alors de s'enfuir qui çà qui là ,les vns deſe ca
cher, les autres de ſe jetter dans les bateaux, les autres de ſeretirer dans le Chaſteau :pas
vn ne ſe miten defenſe, & le Chaſteau ſerēdit à la premiere ſommation . Les Colaques
s'eſtant ainſi emparez de cette place , ne ſe contenterent pas de la piller : mais en ayant lls y demeu
bien conſideré l'importance ſe reſolurent de la garder, & d'y eſtablir le ſiege de leurs ar- les raquete
mes pour dominer la riuiere de la Tane & la mer blanche.Le Grand Seigneur qui auoit arcaquez , de
tant de fois eſprouué leur decerminée vaillance , ne fut pas moins eſmeu que ſurpris de pourquoy.
les voir maiſtres d'vn de ſes meilleurs ports , d'où ils pouuoient à toute heure mettre le
feu iuſqu'aux portes de ſon Serrail.Son Conſcilluy remonſtra qu'il falloit auant toutes
choſes les en deſloger, & il fit ſouuentdespreparatifs pour cela :mais la guerre de Perſo
qu'il auoit bien auant dans l'eſprit ,le deſtourna d'y appliquer toutes ſes forces; & d'ail
leurs comme il s'imaginoit qu'il eſtoit tres facile de lesen chaſſer quand il voudroit,
que ſes menacesobligeroient le Moſcouite de luy faire luy -meſme la raiſon de ces
pillards , ou que ſans l'aſſiſtance de ce Prince ils n'auroient ny l'aſſeurance ny le pouuoir .
de tenir contre le moindre efforc de la Hauteſſe , il ne s'en metroit pas fort en peine . Le Polonnois
Voila pourquoy cantqu'il veſcut ils demeurerent là ſans eſtre attaquez , & eurent tout my de Moſcow
loiſir de s'y fortifier s'ils eneufſent cu les moyens ; & la prote &tion du Moſcouite ou du de lesprotse
Polonnois . L'vn & l'aurre de ces Princes eſtoit bien aiſe qu'ils fuſſent dans ce pofte ger.
pour leur feruir de rempart contre les Turcs , & pour tenir en bride les Tartares,quicha
queiour faiſoient mille maux à leurs peuples ; Etpourtant ſoic de crainte d'eſtre eſtimez
infracteurs, ſoit par quelque autre motif, ſuggeré pluſtoſtpar la pallion ou par l'intereſt Le G.S. Ibra .
de quelques particuliersque par le bien de l'Eſtat,aucun des deux ne vouluc leur accor- hin les fait ata
der la protection. Ibrahim ſucceſſeur d'Amurach ,n'ayant point d'affaires plus preſſées deux
taquerarmé
pares
entrepric de les chaſſer de là , l'an 1641. Il commanda pour céceffecà ſon Capcan Baſſa
d'armer puiſſamment par mer & par terre , ſi bien qu'au commencement de l'Eſté il
parut deux armées deuant Azac qui ſembloient tres-grandes en apparence , mais qui
firent voir en effet que la puiſſance Othomane auoit plus de bruit que de veritables
forces. Car toutes deux , à ce que i'ay appris du Cheualier de la Haye qui ſe trouua à ce Deſordres
asing
fiege parmy les Turcs qui le cenoient eſclaue, ne purent iamais fournir que quinze ou mées.
> ſeize mille hommes de combat , tout le reſte qui ſurpaſſoit ce nombre de cinq ou fix
fois, n’eſtanc que viuandiers , goujats & autres canailles. D'ailleurs, il y auoit bien peu
de diſcipline parmy ces troupes , commed'autre partily auoit trop grand nombre de
Chefs: car outre le Capran quieſtoit Generaliſſime,il y auoit Vllain Baffa , le Prince de
La place er
Moldauie , le Baſſa de Caffa ,& pluſieurs autres qui commandoient chacun dans ſon bacue molle ,
quartier, & n'eſtoient iamais d'accord enſemble. Ces deſordres furent caufe qu'ils ac- meat
taquerent mollement la place, quis'en defendoit d'autant plus courageuſement, libien
qu'à peine purent- ils faire breſche dans vn mois à vn descoſtez de la Ville :cependant vnepartie de
les Coſaques ſe recrācherent dans l'autre partie & dans le Chaſteau ; & comme ils vireno la Ville priſe,
Tome II . V ij
re
Hiſtoi des Turcs ,
156

1637 que la breſche ne ſe pouuoit defendre , ils s'y recirerent auec tout leur butin , Les Ge
neraux Turcs auoiene ſi mal pourueu à leurs munitions de guerre , qu'au bout d'un
mois ils n'auoient preſque plus de poudre , de ſorte qu'ils n'oſoient tirer que quinze ou
Incommodi. pinge coups par jour ,& les aſſiegez reparoient aiſément ce qu'ils abacoient. Par ces
tez qui con longueurs l'armée ſe débanda , les maladiess’y mirent,l'Automne vint auec ſes pluyes
traignent les froides , & la mer qui eſt fort cruelle en ces coſtes-là , commença à faire ſentir aux ga
ver les Gege. leres qu'il n'y auoicplus de ſeureté pour elles . Ainſi le Captan fur contraint de leuer le

ſiege & mettre ſes troupes dansdes quartiers d'hyuer, & ſes galeres dans le port de
Barlaclaua. Conime il faiſoit retraite les Coſaques ſortirent ſur ſon arriere- garde,qu'ils
L'y veulent caillerene cn piec Le Cam des Tartares y fuc bleſſé, & s'en alla mourir dans ſon cha
remettre l'an- ſteau de Baccha - Serrail , c'eſt à dire en langage Turc Maiſon des Iardins . L'année ſui
née ſuiuante.
uante , ſçauoir 1642. Ibrahim s'opinia trancà rauoircette place, remic ſur pied de plus
grandes armées, qui peur- eſtre y eufſent pery auſſi bien que les autres , file bon - heur
de l’Empire Turcquidoitſon agrandiſſement à la fortune pluſtoſt qu'à la vertu , n'euſt
faic naiſtre vn moyen qui les tira de cette peine & leur donna vidoire ſans coupferir.
Lupulo Prince de Moldauie craignant quefi'la guerre duroit de ce coſté - là , on ne le
defticuaſt de la Principauté, parce qu'il eſtoicforc ſuſpe &t & mal-voulu à la Porte , s'en
tremit de negocier aupres du Mofcouite pour le diſſuader de prendre la prote &tion
Lupulo Bory de ces Cofaques. S'eſtantdonc fait ouuerture dans le Conſeil de ce Prince à force de

negocie que preſens, illuy repreſenta, le puiſſant armement des Turcs , les deſpenſes & les hazards
les Çolaques où il s’alloit engager , le peu d'honneur qu'il auroit à ſouſtenirdes voleurs , & le pre
abandonnent
Azac, iudice qu'il apporteroit à la Religion , le Turc ayant fait vn Edit pour exterminer de
fes terres tous les Chreſtiens qui y viuoientſelon les ceremonies des Ruſſes. Au meſme
temps iltraita auſli auec les Cofaques, leur remonftra l'impuiſſance de leurs forces
à l'égal de celles du Grand Seigneur , la difficulté de recouurer des viures,tout le pays
d'alentour leur eſtant ennemy, le peu de profit & le grand peril qu'il y auoit pour eux
à s'obſtiner dauantage ; avec cela il promit des ſommes conſiderables à leurs principaux
chefs. bref il mania céř affaire auec tantde chaleur & d'addreſſe, n'y eſpargnant ny ſes
ſoins ny ſa bourſe , qu'il obligea le Moſcouite à abandonner les Coſáques, & les Cofa
ques à abandonner Azac , apres toutesfois qu'ils eurent ruiné auec les mines toutesles
nouuelles fortifications qu'ils y auoient faites.
La peſte qui eſt vn fleau ordinaire dans lesterresdu Turc , y fit cette année vn grand

rauage,particulierement dans la Romelie & à Conſtantinople, où elle n'eut point de


Peſte à Con reſpect pour le Grand Seigneur , mais entra dans ſon Serrail & y fit mourir plus decent
Stantinople de les Maiſtreſſes, dont il y en auoit quelques- vnes de celles qu'il cheriſſoit le plus ;

on toimingu. Elle n'eſpargna pas meſmeſon filsvnique aagé de deux à trois ans , perte dont le deuil
Grand Sci- fue moderé peu apres par la naiſſance d'un autre . Cela fur cauſe qu'il ſe tine cour du
gneur,
long de l'Esté à fon Serrail de Cadil - Baſché ſur la mer noire , où il parfoit le temps
auec ſon Fauory , ( c'eſtoit le Perſien qui luy auoit liuré la forcereiſe de Reual ) lequel
il chargcoit tous les iours de nouveaux bien -faits , tout au contraire des autres Prin
ces qui ont accouſtumé d'aymer la trahiſon & d'abhorrer les traiſtres. Les diuertiffe .
> mens qu'il prenoit dans ce ſejour n'eſtoient que des cruautez inhumaines & des ſup
plices le plus ſouuent tres -iniuſtes. Il fic vniour cirer vn coup de canon ſur le fits d'vn
Baſſa, qui ſe promenoit crop pres dece Serrail, comme s'ileoſt voulu eſpier ſes ſecre
tes voluptez :Pour la meſme raiſon il voulut auſli qu'on enfonçaſt vn vaiſſeau tout
Cruaurez & plein de femmes, qui voguoit trop lentement & crop pres du bord . Il n'auoit point de
bijwarreries plus grand plaifir que d'enuoyer quelque criminelau fupplice , & là où la preſence des
d'Amurath , autres Princes porte la grace, la ſienne porroic couſiours la mort . Il voulut voir gancher
deux larrons qui auoient deſrobé quelque choſe dans le Serrail , & ſe mit fort en colcre
contre le Caymacan qui en auoit differé l'execution . Il fic trancher la teſte en la pre
ſence au Threſorier de Chypre , pour ſes concuſſions ; & à l'un de ſes Muſiciens , pour
auoir oſé chanter vnair où il y auoit quelquesmots quiſembloient eſtre à la louange
du Roy de Perſe ; Comme auſſiau Balſa de Themiſwar en plein Diuan , ſur la creance
qu'il auoit qu'il s'eſtoic porté laſchement contre le Ragotsky. Parmy ces ſupplices in .

humains il y en euc vn auſſi iuſte que plaiſant de l'ambitieule enuie d'un certain Grec
nommé Rodolphe Scridia Bey , qui auoit autresfois eſté fait Prince de Valachie par
ie ne ſçay quelle aduenture ,fice n'eſt que la baſſeſſe eſt vne eſpece de recommandation
parmy,la politique de ces Barbares , qu'ils meteensexpres dans les charges & les Prin
cipautez
Amurath IV . Liure vingt - vniéme
. 157

cipautez quidépendent d'eux des hommes de ncant ,afin de les pouuoir plusfacile 16374
ment deftituer ,comme l'auoit eſté celuy- là depuis quelques années. Or comme ilauoit
encore conſerué quelque argent de celuy qu'il auoic pillé dans cette Principauté , il
voulut eſſayerd'y remonter vne ſeconde fois , & pour ce ſujet fir de plus grandes offres
que celuy qui la tenoit.Lc Grand Seigneur voulut ſe donner le plaiſir d'eſcouter ce pe- luſte chaſti
tic compagnon , & ayant entendu toutes ſes promeſſes auec raillerie, il le fic muciler du ment d'yn
petit compa
nez & des oreilles ,comme pour couper les aiſlesà ſon ambition . Ilauoit vn compagnon gnon ambi
nommé Alexandre , qui pretendoit à celle de Moldauie par les meſmes moyens: il euſt tieux.
receu pareil traitement , s'ilne ſe fuſt habilement ſauué.Mechmet qui auoit eſté deſti
tué de la charge de grand Vizir pour n'auoir pas bien reülli en la guerre de Perle, lega
rantir de la mort contre ſes comandemens auec vn peu d'addreſle & beaucoup de bon
heur.Eſtanc à Erzeron , il eut aduis de la Cour qu'on luy rendoit de mauuais.offices pres
du Grand Seigneur :il ne negligea pasles conſequences de cette affaire, & depeurqu'il Ee lage pre
ne vinſt quelque ordre contre la vie , il fit mettre des gardes ſur toutes losadyenuës de caution du
Conftantinople. Par ce moyen ildécouurit ce qu'il craignoit :on luy amena vn Bouſtan- Vizir Mech
gy , qui apportoit à l’Aga des Ianiſſaires vn mandement ſignéde la main du Grand Sei- empercher les
gneur , portant que cette lettre receuë il cuft incontinent à le faire eſtrangler. Là -deſſus ordres de la
il aſſemble promptement tous les Capitaines & Officiers de l'armée , & ſans leur faire loient à la vie, :
ſçauoir la venuë de ce Courrier leur demande ſi quelqu'vn d'eux ſçauoit qu'il cult
manqué en fa charge,& qu'il euft meritéla mort . Tous d'vne voix , & meſme l'Aga
ayant reſpondu que non , il leur declara ce que les calomnies de ſesennemis auoient

fait contre luy aupres du Grand Seigneur: puis il eſcriuit vne lettre à ſon fauory pour
ſe iuſtifier , & la donna au Bouſtangy qui luy jura moyennant un preſent de quatre mille
piaſtres , de la luy rendre en main propre. Le Bouſtangy recourné en diligence rendic
compte au Grand Seigneur de ſa negociation ſans parler de la lectre , & apres auoir
flotté quelques ioursentrel'obligation qu'il auoic de tenir la parole & la crainte d'eſtre
puny ,illa rendicau fauory , le priant de n'en point parler . Le faugry à l'inſtant la porta
toute fermée au Grand Seigneur , qui l'ayant leuë fit cftrangler le Bouſtangy pour s'en
eſtrechargé : mais eſtant couché comme ileſt croyable par les raiſons qu'elle conce
noit , il enuoya vne eſpée & vne veſte de brecatel à ce Vizir, l'appellant ſon pere par ſa
lettre , & deteſtant les mauuaiſes impreſſions qu'on luy auoit données de ſes deporce
mens : neantmoins ſoit qu'il changeaſt de volonté peu apres , ou qu'il euſt deſia donné
ſa chargeà vn autre, il luy enuoya redemander par ſon grand Eſcuyer la marque de
cette ſupreme dignité . Aurefte Mechmec s'aſſeurant ſur
les amis , ſe rendic aupres du ll éuite la

Grand Seigncur contrel'opinion de pluſieurs ; auſſi penſa -t'il payer bien cherement moyen ,mais
cette temerité. Car ille fit mettre à l'inſtant priſonnier, d'où tout lemonde concluoit non pas la para
la
fa perte ; & ſans doute qu'elle fuſt arriuée ſi le Grand Seigneur par ie ne ſçay quel ca- bourſe.

price ne ſe fuſt picqué de juſtice dans cette affaire: de Torte qu'il voulut luy-meſme
l'interroger par pluſieurs fois ſur ce qui s'eſtoit paſſé dans l’expedition de Perſe. Il luy
reprocha aigrement la priſe de Reuan par vn ennemy beaucoup plus foible que luy en
nombre d'hommes ; EtMechmet ſe voulant excuſer ſur la violence du froid quiauoit
contraint la milice d'aller hyuerner en ces quartiers , & les Spahis & Timariots de ſe re
tirer dans leursvillages , ſans qu'il les euſt pû retenir ny par prieresny par menaces ;illuy
repliqua fort en colere , que le froid n'auoit pas eſté plus grand pour luy que pour les
ennemis qui l'auoient bien enduré , & qu'ileſtoic indigne de commandement s'il ne
fçauoit pas ſe faire mieux obeïr. Son indignation neantmoins s'eſtant euaporée en pa
roles , ne ſe deſchargea point ſur la teſte du priſonnier comme on le croyoit, mais ſur la
bourſe , de laquelle il tira deux cens mille clcus, & depuis la preſſa encore de fois à au
tre , juſqu'à tant qu'il l'eut coure vuidée , & lorsil luy donna la liberté .
Dansles divertiſſemens de ſon Serrail il penſoit plus ſerieuſement que iamais à ter-
miner la guerre de Perſe , & dreſſoit pour cela les plus grands preparatifs que l'on 1638 .
nt que
cuſt veu de memoire d'homme dans cét Empire . Tous ſes voiſins apprehendoie XIV .

certe tempeſte ne fondiſt ſur eux : Les Mofcouites à cauſe de la priſe d’Azac par les
Preparatifs de
Colaques, les Polonnois pour leurs differens qui n'eſtoientpointencore bien accom- guerre contre
modez , & les Hongres pour la meſme raiſon ;Outre que les Polónois & les Moſcouites le Perlan,
auoient de nouueau offenſe le Grand Seigneur en ce qu'ils auoient aſſiſté les Valaques
'contre le Moldaue qui leur vouloit donner par force ſon neueu pour Prince , & auoit Gaerre en
obtenu mandement de la Porte de l'inſtaler en cecte dignice :mais ilauoit eſté debouté Valaquie ,
V iij
1
ire s
Hiſto des Turc ,
158

1638. deſes eſperances par la perte d'un grand combat. Pour ce ſujet Amurath les menaçoit
hautement, mais touc ce bruit fe paffa fans coup ferir. Il n'y eur que la Hongrie , com
me la plus expoſée , qui fut attaquéc. Pendant la Diece de Preſbourg les Turcs y firene
Courſes des yn tel rauage que l'Empereur fuc concraint d'affembler toutes les garniſons frontieres
Turcs en
cn yn corps d'armée , lequel ayant arreſté leurs courſes luy doona loiſir de micux pour
Hongrie.
uoir à la ſeureté du pays , & de le mectre en repos pour cette année . On reconnut bien
que ce n'eſtoit que par feinte qu'Amurath faiſoit mine deporcer la guerre de ces coſtez
là : mais le dépit & l'indignation l'obligerent preſque dela porter tout de bon en Italie.
Les galeres de Liuourne & celles de Malche faiſoiét à toute heure de grandes & riches
priſes ſur ſes ſujecs ,& incommodoientcellement ſes ports , qu'il n'en oſoit preſque ſortir
Galeres de li . aucun vaiſſeau marchand. Il ſeroit inutile de rapportes par le menu cous les vaiſſeaux
uourne & de qu'elles prirent . le ne paſſeray pas pourcant ſousſilence vn fameux combat qu'eurene
Malthe en
mer . celles de Malthe aupres de la Rochelle en Calabre , auec des PiratesdeBarbarie. Elles
eſtoiét fixen nombre , comandées par Charautvieil Capitaine aagé de 75.ans , & fouuét
malade des gouttes:mais ſon aage nyla douleur n'empeſchoiét point d'agir aulli coura
geuſemēc que s'il euſteſté dans ſa verce ieuneſſe.Apres qu'elles euré palič vn mois dans
ľ’Archipel, où elles firent des priſes iuſqu'à la veuë de deux Chaſteaux , elles ſe mirenc
ſur la route d'Italie, où les Pirates de Tunis & d'Alger faiſoienc de grands degaſts, mais
particulierement ſurles coſtes de Naples . Meſme peu s'en eſtoic falu que quinze cens
Turcs meccant pied à terre n'euſſent ſurpris la ville de Crotone dans la Calabre,desen
Memorable uirons de laquelle ils auoient emmené quantité d'ames en captiuité . Il n'y auoit pas
combat de
celles de Mal . moins de 22. galeres de Barbarie dansces mers ; c'eſt pourquoy les Malthoisayant éuité
.
the contre vn ſi fort party vindrent donner fonds en terre . Mais comme ellesy eurent eſtéiuſques
des piratesde aulendemain matin , elles ſoeurent d'vne fregate qu'il y auoit vers la Rochelle vne po
Tunis
lacre & vne tarcane de guerre Turquelques;eſtant donc retournées vers ces coſtes-là,
& ſeſtane le lendemain à la diane auancées quinze ou vinge milles en mer,elles décou
urirent deux gros vaiſſeaux,auec vne grande polacre,chargez de bannieres & d'eſten
dards , commc ayant deſſein de combattre. Ils appartenoient au Baſſa de Tripoly qui
en auoit gagné deux ſur les Chreſtiens, l'un de huit cens conneaux ſur le Duc deTor.
cane , l'autre de quatre cens ſur les Olonnois . Il y pouuoit auoir ſur les trois cnuiron
cinq cens hommes de guerre , & quarante -cinq pieces decanon auec les perriers. Celuy
qui les commandoiteſtoit vn renegat Marſillois nommé Bicaſſe, quiayant long - temps
des Infi
fait la guerre dans les vaiſſeaux de Malthe , & depuis s'eſtant rangé du party

delles a, uoit par pluſieurs entrepriſes determinées acquis yne telle reputation parmy
les pirates de Tripoly qu'ils l'auoient fait leur Admiral. Les Malchois l'ayant d'abord ca
nonné furieuſement accrocherent chacun de ſes vaiſſeaux auec deux galeres , & voulu
rent ſauter dedans , mais ils y trouuerent des pots de corde inufitez aux vaiſſeaux Turcs
qui arreſterent leurs ſoldats tout court , iuſqu'à ce que l'exhortation & l'exemple des
Chcualiers leur euſſent oſté l'cſtonnement & accreu le courage . Alors la merlée fur
horriblement ſanglante à coupsdehaches , de demy picques & de feſches entremeſées
Gagnent trois
grands vaiſ de feu d'artifice. La fureur des Barbares enyurez d'vn cercain breuuage d'oppium , qui
(eaux, les rend forcenez , & la valeur des Chreſtiens animez par le deſir de la gloire , balance
rent la victoire pres de deux heures.Il y fut tué deux cons Turcs, & ſeulement crente
ou quarante Chreſtiens, entre leſquels il y auoit huit Cheualiers fore vaillans . Enfin la

valeur des Chreſtiens, fauoriſée des mouſquetaires dont ils auoiene muny leur bord ,
triompha de la fureur des Infidelles, & le General victoricux emmena tous les crois
vaiſſeaux à Malthe .
Pirates de Ta .
Le Grand Seigneur fort irrité des courſes des Malthois , le fue à l'excrcmité du
courét lamet hardy procedé des Venitiens.Les Pirates de Tunis , d'Alger & de Biſerte,gens qui ne
auec vinge s'obligent à la foy des traitez qu'autant que la force les y contraint ,croyant que la di
galeres .
uiſion d'entre les Princes Chreſtiens leur permettroit d'exercer impunément leurs
voleries , auoient mis enſemble pres de vingtgaleres, auec leſquelles ils auoient pre
mierement eſcumé coutes les coſtes du Royaume de Naples : puis s'eſtant mis en haute
Capello Ge.mer auec leurs priſes, la tenoient tellement en ſeruitude qu'il n'y pouuoit plus paffer
neral des Ve.aucun vaiſſeau marchand . Mais ou leur imprudence , ou leur mauuais deſtin vouluc
fermes dans le qu'ils s'allerenc enfermer iş nefçay comment dans le port de la Valonne . Ce porc eſt
port de la Va- pres de Corinthe, & s'appelloit autresfois Apollonia , duquel l'emboucheure eſt forc
jonge ,
chroite . Marin Capello GeneralVepitien , quieſtoit pour lorsen Cephalonic aucc 20 .

galeres

!
Amurath IV . Liure vingt - vniéme . 159

galeres & deuxgalcaces deſtinées pour la garde du golphe, ayant receu les plaintes de 1638 .
quelques marchands qu'ils auoient volez, les pourſuiuirent chaudement , & ſoit par

ordre exprés de la Republique, ſoit par quelque motif de gagner de la gloire & du bu
tin , les boucla fieſtroitement dans ce port qu'il leur fut impoſible d'en ſortir.La plus
grande partie de leur equipage s'eſtant écartée à terre pour s'y rafraiſchir , ceux qui
eſtoicnt reſtez dans les vaiſſeaux ne purent faire autre choſe que deferetrancher le

long de la coſte au nombre de trois ou quatrmille


e . Les Venitiens auſſi-toſt y firent leors galetess
deſcendre vne partie de leurs gens quieſtant fauoriſez de leur canon , & donnant là & deliure
dedans teſte baifiée, contraignirent les Turcs de quitter leur poſte pour s'enfuir. Au Chreſtiens,
meſme temps ils tirerent auec tant de furic & d'addreſſe ſur les galeres qui cſtoient
dans le port qu'ils en coulerent quatre à fonds, puis ils y firent entrer quarante bar
ques , qui tirerent facilement en mer les autres douze galeres ,leurayant coupé les
chables des anchres . Tous les Turcs qui eſtoienc dedans s'eſtoient preſque ſauuez la via
à terre , mais n'auoient pas cu le loiſir d'emmener leurs captifs,qui ſe trouuerent au noire vn peu
nombre de crois millefix cens , & par ce moyen recouurerent tous leur liberté . L'a_trop auant,
& tion de Capello euſt eſté fans reproche s'il en fuſt demeuré à la ſeule punition des
Corſaires , leſquels il auoir eu droit de pourſuiure quelque part qu'ils ſe retiraſſent;
mais la chaleurdela victoire le pouſſant trop auant il ſaccagea la Valone,prit quel
ques autres vaiſſeaux Turcs qui n'eſtoient point pirates, mais marchands,dontilierca Le Grand Sci
tous les hommes dans la mer, & par ſon excmplemonſtra aux garniſons de Candie de gneur en eſt
leur dóner la chaſſe fansaucune diftin & ion. Le Grand Seigneur qui eſtoitlors en che- fait åtrefter le

min pour aller à Bagader,extremémérindig


né de cér attentac, & le prenant pour vne Bayle,
manifeſte rupture de la paix ,enuoya ordre au Caymacan d'arreſter priſonnier Louys
Contarini Bayle de Veniſe , defendit le commerce aux Venitiens de toutes ſortes de
marchandiſes dans la Morée , ſaiſit tous les vaiſſeaux quiſe trouuerét dans les ports du
Leuant , couurit toutes les frontieres de Dalmatic de gens de guerre , & commanda

qu'on luy equipaft des vaiſſeaux dans ſesports pour venger cette iniure à ſon retour
de Bagadet. Tous les Ambaſſadeurs Chreſtiens qui eſtoient àla Porte , auoient enuoyé
vne requeſte au grand Vizir pour la preſenterà la Hauteſſe ſur le bruit qui couroit de
ſon indignation contre cette Republique ; & le Caymacan leur auoic promis, que
nonobſtant tous les commandemens qui luy pourroient venir, il ciendroit les choſes
en ſuſpends , juſqu'à tant qu'ils en auroient reſponſe : neantmoins comme le Bayle
l'eſtoit allé viſiter dans ſa maiſon , il ne laiſſa pas de l'arreſter.Les Ambaſſadeurs firent
cousinſtáce qu'il le rcnuoyaſt ſous leur caution ,mais ils ne purent obtenir autre choſe, Ambaſſadeurs
Chreſtiensia ,
ſinon qu'il ſeroit mis dans vne maiſon à Galata auec desgardes , & qu'il auroit la Ville tercedét pour
pour priſon. Ce qui pour dire vray luy donna preſquc vne entiere liberté , de force eux,
qu'il pouuoit enuoyer aux Venitiens tous les aduis qu'il vouloit , & negocier pour
l'accommodemen auec tous ceux qu'il iugeoit capables de l'y ſeruir. De faic il em
t
ployoit ſes ſoins nuit & iour à térer l'eſprit des Baſſas,ou de ceux qui les gouuernoié ;
t
Sur toutil taſchoit par preſens de ferédre fauorables lesMaiſtreſl
es les plus cheries du
Grand Seigneur, & la Sultane ſa mere : mais la playc eſtat crop fraiſche,iln'y auoit pas
encore moyen d'adoucir ſa colere.Il teſmoignoirn vouloir pointd'autre ſatisfa & ion
e
que la ruine entiere de cette Republique ,& la Sultane ſa mere ſuiuant ſesmouue
mens reſponditau Bayle qu'il luy vouloit faire preſent de quelques eſtoffes de Veni
fe, que celles-là n'eſtoient pas àſongré , & qu'elle vouloity allerelle-meſme en choi- Veutdeclarer
fir. Les Venitiens de leur coſté enflez de la vi& oire de leur General qui ſe vancoit d'a- veniciens,
uoir enueloppé d'un coup de filet toute la puiſſance maritime des Barbares , ne ſe ſou
cioient pas du commencement de couriraudeuant de l'embrazement qui s'allumoit,
mais faiſoient prouiſion de vaiſſeaux de guerre , d'armes , de munitions & de ſoldacs;
& d'abord le Pape ,le Roy d'Eſpagne, & tous les Princes d'Italie leur prometcoienç
de grands ſecours , fondez ſur ie ne ſçay quelle imagination & vains pronoſtics qu'A
murath ne reuiendroit iamais de ſon voyage , ou qu'il y demeureroit tellemene
empeſché , que les Chreſtiens auroient tout loiſir do ruiner les forces de cét Em

pirc par mer . Mais du depuis les Veniciens ſe deſabuferent bien de leurs vaines ef
perances , lors qu'ils virent par l'effet que toutes les promeſſes des Princes Chre

ſtiens n'eſtoient que paroles en l'air ; que ceux qui offroient ſi liberalement de les
aſſiſter, ne cherchoient qu'à les engager dans le peril pour profiter de leur em
barras, & que le Grand Seigneur ayant conquis Bagader aucc toute la Prouince voie
хбо Hiſtoire des Turcs ,

1638. fine, s'en rcuenoit victorieux à Conſtantinople ; l'ancienne prudence auec laquello
Comme ils ils ont couſiours gouuerné leur Eſtac , chaffant alors les conſeils trop ardens & te
apprirent ron meraires, leur dičta qu'il faloit ſortir de ce mauuais pas par le moyen de la negocia
retourde Ba- tion . Ils enuoyerent donc complimenter le Grand Seigneur de ſa victoire contre
gades, ils en les Perſes , & accompagnerent ce compliment de deux Medecins pour le traiter d'v
paix , ne paralyſie dont il eſtoit menacé : aueccela,commeils ſçauent bien que l'argent 86
les preſens ſont les moyens qui auancent le plus les traitez en cette Cour , ils gagne
rent les Baſſas à force de ſequins & par leur entremiſe contentcrent le Grand Sei
gneur de certaine ſomme, pour les dommages qu'ils auoient cauſez à ſes ſujets ; cc
& l'achete . qui ne leur couſta en tout que trois cens mille ſequins, ſomme à peine ſuffiſante
rent 300000 pour les arres des preparatifs qu'il leur cuft falu faire pour cette guerre .
fequins, Cét accommodement ne fc fic que l'année ſuivante , celle - cy le Grand Seigneur

eſtoit occupéau ſiege de Bagader. Lcrecouurement de cette ville eſtoit ſa plus arden
te paſſion , & tous les affronts que ſesarmesy auoient reccus n'auoient ſeruy qu'à aug
menter ſon ardeur,decelle ſorte qu'il ne rouloit en ſa ceſte iour & nuit que lesmoyens

Siege de Ba de la reconquerir.Sa preſenceeſtoit neceſſaire pourvn ſigrand deſſein ,iln'y auoit que
gadet. luy qui puſt reparer en perſonne,lesaffrons que fesLieutenansyauoient receus ; c'eſt
pourquoy il ſe reſolutd'y aller luy-meſme:& falaciqueluy ayant donné du relaſche il
fe crût capable de ſouſtenir les fatigues de ce voyage.Afin donc de ne pointmanquer
ſon entrepriſe, outre l'armée où ileſtoit en perſonne, il en fit encore marcher deux
autres ; l'vne commandée par le Baſſa d'Arabie , qui trauerfant ce pays- là & paſſant
aupres d'Ormus , eut ordre d'entrer droit en Perle; l'autre conduite par le Baſſa do
Sirie qui s'alla poſter dans les paſſages du Mont- Taurus entre la Perle & Bagadec :
de cette force il croyoit que le Royde Perſe craignant d'eſtre attaqué par derriere,
& enfermé entre ces trois armées n'oſeroit entreprendre de ſecourir Bagadet . Quo
Le GrandSci- feruiroit de deſcrire l'aſſemblée, les ordres , & la marche de cecte armée, la pompe &

trois armées. l'equipage du Grand Seigneur , le nombre & la ſuite des Balſas qui l'accompagnoicnt
,
la quantité des marchands & viuandiers de Cour obligez à le ſuiure , qui ſont extre
mément honorez en ces quartiers -là , & ſemblables choſes quiont eſté dices en plu
fieurs autres endroits , ou qui ne le doiucnt point eftre du tout.
Il partit de Scutaret ſur la fin d'Auril . Illaiſſa à Conſtantinople pour Caymacan ou
Lieutenant general en ſon abſence Mouſſa Batla , qui eſtoiten grande eſtime par tous
ſes Eſtats,& firſuiuretousles Ambaſſadeurs:ce que luy ny ſes predeceſſeurs n'auoient
par lescame poincaccouſtuméde pratiquer . Celuy de Perſe eſtoit du nombre , & pourſuiuoic coû
balladeurs.jours yn accómodement.Son camp ayant eſté dreſſé à Calcedoine le long de la mer,
ſes galeres qui attendoient là ſes commandemens firent montre deuant luy rangées
en croiſſant, & le falüerent de deux deſcharges generales , l'vnc ducanon , l'autrc de.la
mouſqueterie , apres quoy cette grande force s'eſtant ſeparée en deux yne parcie qui
eſtoit de trente galeres , fit voile par la mer noire pour aller attaquer par eau la Ville
galeres d'Azac,tandis que le camp des Tarcares auec le Baſſa de Caffa l'afficgcroierit par terre ,
Sesmonſtre
font
deuant luy .
mais cette entrepriſe demeura là pour cette année, ie ne ſçay pour qu'elle raiſon ; l'au
tre prit la route par la mer blanche , portant les municions de guerre deſtinées pour
le ſiege de Bagadet.Cela fait le Grand Seigneur pric le chemin de cerre , & arriua enfin
non fans beaucoup de trauaux & de fatigues , ſur le bord de l'Eufrate vers la my
Aouſt: ce qui fut vne grande diligence pour craiſner yn ſieffroyable actirail ,commele
Il arrive ſur le fçauent mieux iuger ceux qui connoiſſent la difficulté des chemins & la diſtance des
bord de l’Eu lieux. En fon chemin il eut trois aduentures , dont les deux premieres luy donnerent
frate,
quelque contentement , mais la derniere beaucoupde trauerſe. Pour la premiere , ce
fut laſſeurance qu'il reccut que le Cam des petits Tarcares qui ſe preparoit à aſſieger
Azac luyenuoyoit fon frere auec huit mil cheuaux , l'autre que le Baſſa Aſſan Oglýle
venoit trouuer pour fe iuſtifier ,eſtant accompagné de trois mille hommes de feruice.
Ge Baſſa s'eſtant enfuy l’année paſſée de la Cour de crainte d'eſtre puny pour quel
quemaluerſation ,s'eſtoitretiré dans l’Albanie ſon pays natal , & fortifié dans les mon
fan Ogly le” tagnes: où il euſt pû facilement, eſtant homme de inain & ayant credit parmy les Al
vient trouuer, banois, donner entréeaux Venitiens pour la conqueſte du Peloponeſe , mais il ayma
quelque téps
apres eft mieux rechercher à faire la paix par l'entremiſe du Caymacan quiluy fic accorder ſon
eltranglé, abolicion , & par ce moyen ſe vint empeſtrer luy.meſme dans les lacs de la mort : car

quelque cemps apres il fúc trouué eſtranglé dans ſon lia , & quoy qu'il euft des enfans,
le
Amurath IV . Liure vingt -vniéme. 161

le Grand Seigneur s'appropria ſa ſucceſſion. Latroiſiéme aduenture fur d'vn Cheix ou 1638 .
Sancon , quipenſa faire perir cette puiſſante armée . Ce Cheix natif du bourg d'Ar
cherel dans les montagnes de Natolie, auoic par vne ſainteté fimulée acquis un li grand Cheixou Ca
credit parmy les peuples de ce pays là qu'il paſſoit pour le Mehedy,c'eſt à dire , le Paci- dy foufleue la
ficaceur,qui ſelon la creance Mahomecane doit venir auant l'Antechriſt , pour reduire populace -
tout le monde ſous une meſme loy . Legrand Vizir ayant ordonné que tous les villages d'Amurach .
voiſins fourniroiér des viures pour la ſubſiſtance de l'armée , non ſeulemēc il refuſa d'en
contribuer , mais encoreilinduiſit le peuple à ſuiure ſon exemple, alleguant quelques
priuileges qui l'en deuoienc exempter. Le Grand Seigneur eſtant lors à Cogny , c'eſt
l'Iconium des anciens , depeſcha quatre mille hommes commandez par le Lieutenant Deffaie vn de
de ſon Fauory , pour le ranger à ſon deuoir ; ce Cheix ſe fiant ſur quelque prophecie les Lieute
mans ,
qu'il s'eſtoit miſc dans la teſte , & ſur la multitude de ce peuple qui le ſuiuoit, ola bien
aller au deuant deces croupes , & les tailla en pieces ; de ſorte que plus des deux tiers
auec le Lieutenant demeurerent ſur la place . Cecce audace neantmoins ne rendit pas
facondition meilleure ; Le Grand Seigneur fir denoncer à cetce populace , qu'elle euft Amurath fait
à luy liurer cét impoſtcur pour en faire iuſtice exemplaire, ou qu'autrementillesmer commanderà
la populace
. La terreur de ces menaces re de le liurer .
troit tous à feu & à ſang iuſques aux enfans de ſeptans
froidir extremement l'ardeur de ces peuples mutinez , & ietra de grandes frayeurs dans
l'ame du Chcix , qui tour conſideré n'oſant plus ſe fier à vne ſoldateſque ramaſſée de
payſans & de icunes eſtudians en la loy qui pretendent à eſtre Cadis , pricreſolution
pour fe deliurer de ces cranſes, de venir luy meſme ſe ietter aux pieds du Grand Sei
gneur , pour implorer ſa miſericorde & ſe plaindre du grand Vizir ; qui par ſes concul
lions l'auoic forcé d'en venirà cette extremité . Il s'y preſenta donc auec un mouchoir Il vient luy
au colen guiſe de lacs courant , marquant par là qu'il le ſoulmettoic volontairement à meime le
la mort : mais cette ſoumiſion n'eſmeur point le Grand Seigneur , au contraire il le trouver
prit au mot , & commanda qu'on executalt la ſentence que ce mouchoir prononçoit la grace,mais
contre luy"; ce qui euſt eſté vn pur acte de iuſtice , s'il n'euſt pas en meſme temps en- efteftranglé,
voyé eſtrangler ſes femmes & ſes enfans,afin d'eſtoufferentierement ſa race . Peu apres
il receuc deux bonnes nouvelles ; l'vne de la deffaite de Ser -Ogly Prince Arabe neueu
du deffunt Emir Facardin , qui remuantencore dans ces pays -là ſur lesbriſées de ſon
oncle , fut vaincu par Chakim Gouuerneur de Tripoly en Syrie ; l'autre , qu'vne en
l'Emir Facara
trepriſe que le Roy de Perſe auoit tenté ſur la ville de Van auoit eſtdécouverec
é . Cien de harina
Sur l'aduis qu'il eut qu'il rodoit des troupes ennemies vers ces quartiers - là , il y enuoya
Muſtapha General de la mer auec vne armée de 30000 hommes continuant cepen
dant fa route vers Bagadet . Le Roy de Perſe beaucoupinferieur en forces,feignant
de venir à l'encontre n'oſa s’auancerque iuſqu'à Soltaquc ,
qui eſt entre Hiſpahan & Le Perlan
Bagader , mais vne partie de ſa caualerie vint faire le degaſt entre Bagadec & Mou n'orc quancer
foul. Ileuſt bien dauantage incommodéles Turcs ,s'il cuft ruiné le pays encre Baga- à la rencontre
det & Erzeron , comme les Perſes auoient accouſtumé en pareille rencontre , mais il de l'armée
Turque .
faut croire qu'il n'oſa pas aller ſi auant. Ce fut vers ce temps - là que le Grand Sci
gneur fic vne action de generoſité d'autant plus remarquable que cette vercu eſt extra
ordinaire aux barbares: Ses gens luy ayant amenévn eſpion du Roy de Perſe ,il luy
donna la vie à la charge qu'il porteroit de la parc vn deffi à fon Maiſtre , dans lequel il
luy mandoit que laiſſant à partlesaduantages de la force de ſon armée capablc de fub- Amurath luy
juguer tout ſon Royaume, il eſtoit preſt de vuider leur,querelle auec luy ſeul à ſeul, deffi de duci.
& luy preſentoit le duel , le n’ay pû apprendre ſi ce deffi luy fut porcé , ny ſi le Roy de

Perle y fit quelque reſponſe. Au reſteapres auoir pourueu Bagader de toutes les cho
fes neceſſaires & mis dedans vne garniſon de trente mille hommes, il ſe retira auec
Le Perran
vncenticre ſecuricé que la puiſſance des Turcs ſe briſeroit encore contre ces rempars, apres auoir
comme elle auoit delia fait pluſieurs fois. Si bien que n'ayant aucune crainte de ce muny Baga
coſté-là , il courna hardiment le plus gros de ſes forces contre le Mogor , qui par la ſuf- der, tourne
citation d'Amurach l’auoic attaqué en meſme temps : cela fut cauſe qu'il n'y cut pas tre le Mogot,
grands combacs à la campagne ; le plus memorable ayant eſté celuy du Balta Queuan,
qui s'eſtant par bon - heur égaré de ſon chemin trouua qu'il auoit enferméentre luy &
les Tarcares deuxmille Perdiensſortis de Reuan , dont il en tua quinze cens ſur la place,
& emmrena le reſte au Grand Seigneur, quileur fit crancher la teſte. Bagadet in .
Sur la fin du mois d'Aouſt , coute l'armée eut paſſé l'Euphrate : & neantmoins , cant veſtie le'ig,
Octobre .
ces grandes machines ſe remuent lentement,elle ne commença d'inueftir la Ville quc
Tome II . X
162 Hiſtoire des Turcs ,

1638. le 19.d'O & obre.Ce qui fut fait par le Vizirauec trente mille hommes, mais le G.S.n'y
arriua auec le reſte que le s . du mois ſuiuant.Ie vous ay dõné cy-deuant le plan de cette
Ville dans l'année 1627.qu'elle fut aſliegée par le Vizir Aphis Mehemet :vous pouvez
là vous en rafraiſchir la memoire . Le lendemain Amurath ayant fait vn ſacrifice ſolem
nel , vouluc luy -meſme mettre le feu à la premiere piece de canon , dont le coup fuc
Amurath met ſuiuy à l'inſtant d'vne volée de deux cens autres, auec leſquelles il bátcoit continuelle
le feu àla pre- ment les murailles . Neantmoins ce grand bruit d'artillerie n'eſpouuentant point ceux
miere pice de dedans,ils faiſoiếrà couce heure des ſorties de quatre ou cinq mille homes ,qui eſtant
rafraiſchis d'autantiuſqu'à deux & trois fois mettoient ſouuent cout le campdesTurcs
en deſordre , bruſlant leurs tences & leurs bagages, & en cuant quelquesfois trois ou
quatre mille . Il fut contraint pour arreſter cette furie de faire éleuer auec vne deſpen
fe incroyable vne tres -profonde & haute circonuallation , auec quantité de caualiers
Sorties,atta . couc du long des endroits par où ils pouuoient ſortir ; & lors qu'il les eut ainſi reſſerrez
ques,batterie. dans la Ville, il fit batere ſi chaudement leurs murailles qu'en peu de iours ils demeu
rerent preſqu'à découuert. En cét eſtat n'ayant que quelques petits retranchemens
qu'ils auoient faitsen dépic de cette continuelle batterie , ils ſouſtindrent vaillammend
partrois fois l'aſſaut general, mais à la quatriemeils furent forcez & la Ville toute miſe
La Ville eſt à feu & à ſang; Le Grand Seigneur ayantcommandé qu'on parlait tout au fil de l'eſpée,
priſc 24,qua: les habitans auſſi bien que les ſoldats, iuſques aux enfansdeſeptans , ſans exception de
ſexeny d'aage. Le Gouuerneur du Chaſteau vouluts'enfeuelit ſous ſes remparts & cint
encore fixiours :au ſeptiéme toutesſes murailles ayant eſté miſes en poudre par le ca
non , il furemporté de viue force : les vainqueurs enragez d'vne ſi braue reliltance, ne
ſe concenterent pas de maſſacrer tout ce qu'ils trouuerent dedans , mais par vne inhu
manicé plus que brutale ,eſcorcherer desfemmes toutes viues. Ce ſiege dura cinquante
deux iours , à compter depuis le 6. Nouembre que le premier coup de canon y fut tiré ,
iuſqu'au vingt-deuxiéme de Decembre, que la place fut priſe. Le grand Vizir nommé
12
Mehemet, auparauant General de la mer & n'agueres pourucu de cerce charge par
mort de Beyran arriuée ſur le chemin , fut tuéàl'un de cesaffauts, & l'Aga des Ianiſ
faires qui auoit meſme nom eſtably en ſa place . Le Grand Seigneur ceſmoigna vne

paflion tres- ardente de recouurer cetteplace ,menant les ſoldats luy-meſme iuſques
ſur le bord du foſſé pouraller à l'aſſaut ,&
preſſancinceſſamment les trauaux par ſa pre
Brutale cruau . ſence & par ſes exhortations :ce qui paffa iuſqu'à la fureur& à la rage , s'il eſt vray ce
té d'Amurath. qu’on dic, que manquant de faſcines pour remplir le foſſé qui eſtoit forc profond,parce
qu'il n'y auoit point de bois dequoy en faire en ce pays - là , & qu'il auoitconſumé tou
tes les balles de laine qu'il auoit fait apporter d'Alep, il prit crois hommes de chaque
pauillon , & les fit jeteer dedans pour le remplir . Il dépeſcha' auſſi - coſt des Couriers
par toutes ſes terres & vers les Princes Chreſtiens pour publier les nouuelles de cerce

priſe , donc ils augmentoient infiniment la gloire par demagnifiques paroles & par
de grands projets qu'ils baſtiſſoient là - deſſus.Le Boſtangibaſiqui commandoicà Con
ſtantinople en l'abſence du Caymacan ,yordonna vne feſte de vingt iours continuels,
pendant leſquels les ruës furent ionchées de fleurs, les maiſons ornées de branches
de mirthes & de lauriers, & les boutiques parées des plus precieux tapis , & des plus
riches meubles des marchands.

Quant à luy,come ſi cette Villecuft eſté vne citadelle par laquelle ileuſt pû dominer
1639 .
toute la Perſe ,il ſe vantoit qu'apres en auoir fait reparer les breſches , ilporteroit ſes
conqueſtes iuſques dans Hiſpahan. Mais lors que les fumées de fa vanité & de la joye
furent paflées, ilperdit bien cette creance , quoy qu'il caſchaft de l'entretenir couſiours
dans l'eſprit de ſes ſujets & des Princes Chreſtiens. Lors qu'il eut fait reueuë de ſon
1 ) reconnet armée , il reconnut qu'il y manquoit plus de cent mille hommes , dont les deux tiers
& les autres par le venin de la peſte & des
one con armée, eſtoient peris par la valeur des aſſiegeans,
qu'il auoit maladies contagieuſes quis'engendrét couſiours en ces grandes armées. Il apprit d'ail
perniu cent leurs que le Perſan qu'il croyoit aſſez embarraſſé à ſouftenir les efforts du Mogor , s'e
mes . ſtoic deliure dece puiſſant ennemypar la repriſe de la ville de Caudhar & des paſſages
qu'il luy auoit fermez ,de façon que le Mogor ne pouuoit plus entrer ſur ſes terres s'il ne
les regagnoit auparauant.Ainſiquoy qu'ileuſt fait courir le bruit qu'il ne retourneroicà

Conltantinople d'vnan,il iugea qu'il valoit mieux ſe retirer que de feiourner plåslong
Setcſont
retires , à le temps en vn pays où il ne pouuoit plus acquerir d'honneur . Ayant donc rappellé cin .
quante mille hommes qu'il auoit preſtez au Mogor , il les laiſſa auec le reſte de ſon
armée


Amurath IV.Liure vingt - vniéme . 163

armée pres de Bagadet pour empeſcherle Perſan de le troubler en la retraite , puis il 1639 .
fe diſpoſa à reprendre le chemin de l'Europe. Il ne půc toutesfois parcir qu'au quinzié
med'Auril ,tant à cauſe de la rigueur de la ſaiſon ,qui n'euſt pas permisà ſes troupes de
le ſuiure , que pource qu'il luy eſtoit ſuruenu vne fluxion qui le rendoit preſque para
litique . Tellement que marchant à pecites iournées pour remettre la ſanté & pour faire
prendre le verd aux cheuaux de ſon armée,il ne ſe rendicà Conſtantinople que le di. Nepartqu'au
xiéme du mois de luin . La plus fauorice de ſes Sulcanes qui l'auoit ſujuy à la guerre, arriue en juin

y arriua ſur le midy accompagnée de quatre galeres, mais elle ne coucha pas ce jour là à Conftanti.
dans le Serrail, & demeura dans vn cabinet baſty pres de les murailles ſur la marine , nople.
juſqu'au lendemain qu'on luy fie vne entrée , plus magnifique qu'on euſt iamais faic à
aucune Sultane: car ce n'eſt pas la couſtume desGrandsSeigneurs de tant honorer leurs
femmes , leſquelles ne tiennent que pour leurs eſclaucs. Son carroſſe fermé de jalouſics
à lamode du pays, auoit l'imperiale couuerte de brocatel , les rayons de ſes roües do
rez , & les ferrures d'argent.Elle eftoitſuiuic de douze carroſſes; & le Mufcy ,les Baſſas
1 & les Cadis , qui eſtoient allez au deuant d'elle , l'accompagnerene iuſqu'au Serrail. Le
Grand Seigneur qui eſtoit encré dans le port le meſme iour qu'elle , accompagné de Y fait ſon en
cinquante -lix galeres qui l'auoicot attendu à ſon recour,ne fic ſon entrée que deux iours téc.
apres ;eſtant luiuy dans cette ceremonie non pas ſeulement du Mufty & de les Balſas
comme à l'ordinaire , inais encore de vingt Seigneurs Perſiens fort richement veſtus,
dont il y auoit deux Cams qu'il auoit pris dans Bagadec , qui par leur captiuité hono
roient la gloire de ſon triomphe .

Depuis ſon depart de l'Aſie la guerre ſembloit comme aſſoupie en ce pays - là , les
Turcs & les Perſans ſe contenansdansleurs poſtes ſans ſerien dire : auſſi les Generaux
qui les commandoientauoicnc- ilsordre de leurs Princes de longer pluſtoſt à faire la
paix que la guerre . Le Perſan la defroit, parce qu'il ſe ſencoit le plus foible ; & le Turc Facile fufpen.

croyoit auoir reparé ſon honneur par la con- entre le Turc


ne la ſouhaittoit pasmoins, pource qu'il
queſte de Bagadec, & qu'il craignoit de reperdre la bienueillance & l'eſtime de la & le perlan,

milice , qu'il auoit regagnée en ce voyage : Joint qu'il auoit reconnu qu'elle ſe rui- fouhaitant la
noit tellement en ces expeditions lointaines & fäſcheuſes , qu’à peine pouuoit-il paix ,
trouuer des hommes pour remplir les places de ceux qui y periſfoient. Legrand Vizic
ſuiuant donc les intencions de ſon Maiſtre , obligea adroitement quelques Gouuer
neurs des frontieres de Perſe à parler d'accommodemene. Cette propoſition ayant eſtó
cntamće , le Roy de Perſe n'y conſentit pas ſeulement, mais encore donna plein pou
uoir de traiter à ſon principal Cam ; ſi bien qu'apres pluſieurs paroles portées de part&
d'autre, ils firent la paix aux conditions, Que Bagadet demeureroit au Grand Seigneur,
& Eruan au Roy de Perfe, qui envoyeroit vn Ambaſſadeur àla Porte avec de riches prefers.
Cette nouuelle fut ſi agreable au Grand Seigneur , que l'ayant recevë le dernier du Elle . eſt cong
mois de Iuin , il en teſmoigna ſa ioye le lendemain par yne double ſalve de coups de ca
non.Il y a apparence que la bonnehumeur qu'il en conccut ſeruit en quelque façon à
faire paſſer l'accommodement auec lesVenitiens,tanty a qu'il fut arreſté dixiours apres
par l'intercellion du Caymacan , & par les autresmoyens que nous auons dit .
Ainſi il ne reſtoit plus aucune guerre au dehors, il n'y auoit non plus aucun remuë XV .
mentau dedans , mais ſeulement
quelques broüilleries à la Porte , où elles ne ſont pas
forc dangereuſes , quand le Grand Seigneur eſt en aage & qu'il a la vigueur neceſſaire
pour commander. Depuis que Strida auoit eſté demis de la Principauté de Walachie,
Lupulo Prince de Moldauie , hommeremuant & malicieux , la briguoit pour vn lien Guerre en
fils, autant par deſir de vengeance pour en deſpoüiller Mathieu ſon ennemy irrecon- Valachic
ciliable , que par conuoitiſe & par ambition. Le Grand Seigneur eſtane rcuenu de Ba
gadet il preſſa fort cér affaire , & durant l'abſence du grand Vizir y employa le credic
du Caymacan Mehemer : lequel pour gagner vne groſſe ſomme d'argent entrepric
d'en faire l'ouuercure au Grand Seigneur auec beaucoup de calomnies contre Ma
thicu , & pourſuiuic céc affaire ſi viuement qu'il luy accorda l'inuefticure pour le fils
de Lupulo, à lacharge neantmoins qu'il ſe pult mercreen poſſeſſion fans cauſer dere Lupulo Prina
muëmens . Le Caymacan en aſſeuroit ainſi la Hauteſfe , & meſme luy en reſpondoic de les moda
ſa ceſte : mais il n'auoit pas bien fait ſon compte auec Mathicu , qui ſçachanc tout ce uie , en ohtiết
qui s'eſtoicnegotićà la Porte ,aiſembla tant de ſon chef que par l'aide de ſes amis , par- par la faveur
ticulieremende t Ragotsky , d'aſſez puiſſantes forces pour aller au deuant du jeune du Cayma .
Lupulo , le combatrit & le cailla en pieces , auec grand carnage , ſpecialement des can,
Tome II .
X ij
1

Hiſtoire des Turcs ,


164

1639 Tarcares, dont le credit du Caymacan en auoit fait marcher ſept ou huit mille au ſca
!
cours du Moldaue. Or Mathieu eſtant ſur le poine de monter à cheual pour aller au
combat, auoitdépeſché vn de ſes gens au Grand Seigneur pour l'aſſeurer qu'il eſtoic
Ragotſky le preſt de ſe remettre luy & fa principauté entre les mains du moindre Grec de fon Em
taillc en pie
cos , pire , qu'il plairoit à ſa Hauceſſe luy enuoyer ; mais que comme elle eſtoit la ſource de la
Iuſtice & de l'equité, il ne croyoit pas qu'elle luy vouluft commander de ſe deſpoüiller
pour reueftir le pluscruel ennemy qu'il euſt au monde , & qui d'ailleurs par ſa dupli
cité & par ſa fourberie eſtoit cauſe de tous les remuëmens qui arriuoient de ce coſté

là . Comme ce courrier ſorcoit du Serrail il y en entra vn autre, qui apportoic la nou


uelle de la deffaite de Lupulo ; ce qui mit le G.S.cn celle cholere , qu'il commanda
ſur le champ qu'on menaſt le Caymacan priſonnier dans les ſept tours. On croyoic
LeGrand Sci- pourtant qu'il auoic deſſein de luy ſauuer la vic par les prieres de la Sulcane la mere,

berite fordi hát mais lors qu'on luy eut rapporté qu'ily auoit plus de deux millions de patagonsdans ſes
eſtrangler le coffres, il le condamna cour à l'heure à la morc , diſant qu'vne ſi prodigieuſe ſomme
Caymacan. gagnée en ſi peu de temps qu'il auoit eſté Caymacan , fourniſſoit contre luy des prell
ues conuainquantes de lesconcuſſions, & luy prononçoit ſi ſentence . Sa charge fuc
donnée à Sinan Baſſa , & la Principauté confirméeà Mathieu.

1640 . L'une des principales raiſons pour leſquelles Amurach ne vouloit pouſſer à boucny
Ragotsky ny le Prince Mathicu ,eſtoit qu'il auoitenuic de ſe ſeruir de leurs forces côtre
les autres Princes Chreſtiens. Deſon inclination ileſtoit grand ennemy du nom Chre
Amurath ne ſtien , & n'euſteſté la fantaiſie qu'il auoit de recouurer Bagadet , il n'euſt pas cardé fi
voulait pas long-temps à nousmonſtrer de ſanglans effets de cette haine : tellemétque depuis qu'il
by Ragorſay, eut conclud auec le Perſan vne paix qui luy ſembloit eſtre ferme & de longue durée,
ny Mathicu .' il tourna tous ſes deſſeins contre la Chreſtienté , ſe preparant de l'attaquer par mer &
par terre . Lc Moſcouite , le Polonnois & l'Empereur, auoient tous crois raiſon d'ap
prehender vn ſi puiſſant choc : comme auſſi le Roy d'Eſpagne, pour ſes Royaumes de
Faiſoit de Naples & de Sicile . Auſſi les menaçoit - il cous , mais l'on ne lçauoir lequel il deuoic
grands pre: accaquer le premier , ou s'il les deuoic attaquer tous quatre à la fois. S'il vouloit auoie
attaquer la égard aux offenſes,il deuoit commencer par les Moſcouites ,dontles Cofaques luy de
Chreſtientė, cenoient la fortereſſe d'Azac auec ſigrand preiudice ; mais s'il conſideroit la comodité ,
l cofté ,par il luy eſtoit bien plusfacile de faire la guerre à l'Empereur & à l'Eſpagnol, dont les pays
ondelait
quc
eſtoient beaucoup plus acceſſibles, plus ferciles & plusriches :côme d'ailleurs les affai
res erfeſtoient fortembarraſſées par les cõcinuelles victoires des François , & s'il vouloit
entreprendre l'Empereur, les differens qu'ils auoient enſemble pour les limites de leurs
terres,ne luy en fourniſſoient que trop de pretextes.Orcõmeilauoit fait de plus grands
appareils que iamais , & qu'il ſembloic que comme vn autre Xerxes , il vouluſt couurir
la mer devoiles & faire trembler la terre ſous la multitude effroyable de ſes genſ
d'armes , les excez de ſon intemperance mirene fin aux deſleins de ſon ambition . En
Il auoie deux
Fauoris , lc tre ſes Fauoris il en auoit deux qui tenoient le premier rang , le Perſan dont nous auons
1 Perſan Si vn
parlé , qui n'eſtant plus propre à eſtre ſon mignon , eſtoit deuenu ſon premier Miniſtre;
icune homme
natif de la & vn beau fils nomméMuſtafa natif de la Boſnie, qui auoit eſté nourry dans ſon Ser
Bolnie , rail . Il auoit donné à ce dernier , pour recompenſe de la pudicité , premierement la
charge de Seli &tar ,au preiudice de deux ou trois autresquicltoicnt plus anciens en pre
tentions & en ſeruice , & peu apres la qualité de Balſa , puis dans peu de jours encore la
charge de Captan ou Generaldesmers, auec le beau palais d'Ibraim Bafla quieſt balty
contre la place de l'Hippodrome,& vn mois apres qu'il l'eut reuertu de cette eminence
dignité, il luy fic eſpouſer ſa fille aiſnée qui n'auoit pas encor atteint l'aage de treize ans;
violant par cette affection precipicée les ordres de la bonne politique qui n'eſleue pas
les hommes en vn moment au plus haut ſommer des hõneurs , mais les y faitmonter par
degrez & auec l'aage ; de meſme que la nature ne produit & n'auance les choſes qu'auec
le temps, ſice n'eſt lors que par vn dereglement qui luyfait horreur à elle-meſme, elle
enfante des auortons & des monftres. Les autres Ballas ſe plaignant entr'eux de ce qu'il

auoit cout à coup éleué au deſſus de leurs teſtes vn icune homme qui n'auoit ny ex
11 é cua ce perience ny merite,auoient comploté encr'eux de luy tendre quelque piege pour le
plus hautes perdre auec ſa faucur, ou du moins pour l'empeſcher d'acquerir de la reputation :
charges, & le mais comme il arriue d'ordinaire que ceux qui choquent les Fauoris prennent fi mal
fir ton gen- leurs meſures qu'ils les affermiſſent au lieu de les ébranler,leur haine ne ſeruitpour lors
qu'à allumer dauantage l'ardeur d'Amurach , & à luy faire redoubler ſes bien - faits en
fon
Amurath IV.Liure vingt - vniéme . 165

ſon endroit. Or le iour de la Paſque des Turcs , qui nomment cette feſte Beyran , & la
16400
celebrent vers le commencement de Feurier, Amurach ſe trouuant en humeur de faire
débauche conuia ſes deux Fauoris à diſner ; & ce fur dans ce fatal repas que les deux Les ayat
con
choſes qu'il aymoit le plusau monde, le vin & ſesmignons, luy donnerențles acccin . tiez tousdeur
à diſner, il fait
ces de la mort .Car le Perſan qui luy auoit appris à boire le vin pur , l'obligea par couces
ſi grande dé .
fortes de ragouſts, de viandesſalées& de poivrades, à faire cant de brindes,& de cant bauche qui
de ſortes de vins,meſme de malvoiſie, & d'eau de vie , tirée auec l'herbe qu'on nomme en meurt.
Ros Solis , qu'il ſe mic le feu danslesentrailles , & tomba dans vne fievre ardente , dont
il mourut peu de iours apres , le crente -croiſiéme de ſon aage , & le dix -ſeptiéme de ſon
Empire . Diverſes maladies luy auoient oſté tous ſes enfans, & ſa cruauté auoit fait Ne laiſſe
maſlacrer ſes deux freres Orcan & Bajazer,n'ayant pardonné qu'à Ibrahim , parce qu'il point d'en .vn
luy ſembloitimbecille d'eſprit, & incapable de ſeruir de chef à ceux qui auroient en- frere nommé
ve de remuer . Dans cette derniere maladie il le demanda ſouuent, pour luy remettre, Ibrahim .
diſoit - il, le gouuernement de l'Eſtat entre les mains , & luy en laiſſer les inſtructions que

l'experience luy auoit appriſes : mais la Sultane mere de l'vn & de l'autre qui ne par
toit point d'aupres de ſon liet , le diſſuada de le voir , luy remonſtrant que la vie
n'eſtoit pas ſi deſeſperée qu'il deuſt abandonner le gouuernail, & que d'ailleurs la force Lequel il de
duſang & la tendreſſe de l'amitié fraternelle pourroient dans cette entreueuë luy cau- manda ( ou
ſer de l'eſmotion qui redoubleroit les acccz de ſa fievre. Ce qu'elle ne diſoit pas tant eſtre a deſſein
de le faire
pour l'amour d'Amurath, que parce qu'elle apprehendoit qu'il ne le mandaſt pour le mourir ,
faire eſtrangler : car outre qu'elle conneſſoic bien ſon humeur horriblement cruelle &
ſanguinaire , elle ſe reſſouuenoit que lors qu'il auoit perdu ſes fils, il auoir degorgé
ce ſouhait tyrannique preſque ſemblable à celuy de l'abominable Neron , Que ſon
tombeau puſt eſtre couvert des ruines de l'Empire Othoman , & qu'außi bien puis qu'il ne
pouuoit nourrir d'enfans pour mettre dans le Thrône,il luy eſtoit indiferent qui s'en faifift
apres luy. Quelques-uns creurent qu'il haïlloit tellement ou eſtimoit ſi peu Ibrahim ,
qu'il auoit recommandé tres - expreſément qu'on ne luy permiſt pas de ſucceder à
l'Empire, & qu'on y appellaſt pluftoft le Cam des petits Tarcares, auquel il appartient
au deffaut de race maſculine dans la maiſon Othomane. Quoy qu'il en ſoit , les Balſas
n'eurent point d'égard à cette derniere volonté, mais ſuiuant l'ordre nacurei de la ſuc- Apresſa nìorë
cellion & les mouuemens de la Sulcane mere , comme ils virent qu'il rendoit l'eſprit, lallior ibran
ils allerent tous en foule ,ſalüer Ibrahim & le proclamer Empereur. Ce ieune Prince him qui eſtoic
ekant reſſerré depuis trois ou quatre ans dans vn lieu extremément obſcur, où la lu- en priton,
iniere n’entroit que par des lucarnes, & où la peur de la mort le faiſoitmourir cent fois
le iour , ſans qu'ileuſt aucune conſolation que l'eſperance , l'vnique entrecion des mal
heureux qui ont perdu tous leurs autres biens :ne pouuoit du commencements’ima
giner que lesBalīas vinſſent luy rendre leurs hõmages, & croyoit qu'ils luy apportoient Ilcreue d'a:
vne corde pluſtoſt que le tulban Imperial. Si bien qu'il refuſoit de leur ouurir la porte, bord qu'ils

& ſe preparant à diſputer courageuſementla vie comme auoient fait ſes deux autres le faite pour
freres, lcur crioit ,que c'eſtoit vne feinte pour le rendre criminel, qu'il n'auoit iamais rir.
eu de penſée pour l’Empire , qu'il les ſupplioit d'en vouloir áffeurer la Hautefle ; Bref
quelques proteſtations qu'ilsluyſceuſſent faire il leur fur impoble de le raſſeurer,juſ
qu'à ce que la Sulcane ſa mere y vinſt elle -meſme, & luy fit voir le corps de ſon frere
preſt à metre dans le cercueil. Alors fa frayeur s'eſtant conuertie en vne joyc indici- Eſtant salleu :
ble , il ouurit la porte pour receuoir les acclamations de fes Officiers & de familice ; & ré il leur ou
pour rendre les honneurs funebres à ſon predeceſſeur. Il porta ſon corps ſur ſes eſpau- cut loin des
les cour à cour auec ſes Vizits juſqu'à la porte du Serrail, & c le mit entre les mains funerailles.
des Officiers de la maiſon , qui le conduifirent à la ſepulcure du Sultan Achmer, d'Amurath .
Puis aulli- coſt eſtant monté dans vne barque , il alla auec toute la Cour dans la Mol
quée de lob - yuan - Saray , qui eſt aux fauxbourgs ,où il demeura huit iours entiers
pour accomplir les ceremonies ordinaires de ſon Couronnement : apres lequel s’alla faire

ayant fait ſon entrée dans la Ville , il commença à jouir paiſiblement des douceurs puis fit fon
entrée dans
de la liberté qu'il n'auoit iamais eſſayée , & à ſe plonger tout à ſon aiſe dans les plaiſirs Conſtan tine ,
de la Souueraineté, qui à la fin luy a eſté plus funelte que n'auoit eſté la rigueur de ple ,
la priſon .

Xöj
166 Hiſtoire des Turcs,

1640. IBRAHIM I. D V NOM ,

VINGT - DEVXIEME EMPER EVR

DES TV RC S.

On ne peut fuyr du fort les arreſts neceſſaires;

Tefchappe en ma priſon les fureurs d'Amurath,

l'eſprouse en ma Grandeur celle des laniſfaires,

Mon defordre & le leur renuerſant tout l'Eſtat.


Ibrahim . Liure vingt-deuxiéme
. 167

SON ELOGE O V SOMMAIRE


DE SÅ VI E.

BRAHIM fut le cinquiéme fils du Sultan Achmet, & né de meſme mere


que le Sultan Amurathellauoit eſté nourry de la forte qu’ont accouſtumé de
l'eftre les puiſnez de la maiſon Othomane quand leur aiſnétient l'Empire,
c'eſt à dire dans une perpetuelle priſon & dans unefrayeur continuelle de la
MELA
mort. Laplupart y deuiennent hebetez ou melancholiques, & tout à fait in
traitables ; Etſi leur aiſnémourant ſans enfans ils paruiennentà la fucceßion ,il arriue, com
me ils n'ont ny experience des affaires,ny connoiſſance du monde, qu'ils gounernent tres -mal
eux-mefmes, ox qu'ils abandonnent tout le gouuernement à leurmerezou à quelqu'un deleurs
Vizirs :quin'ayans autre but que leur intereſt particulier , laiſſent deperir celuyde l'Eſtat,de
offenſent tout le mondepar leursconcußions & parleurs violentes iniuftices. Il arriue enco
d'une extreme contrainte dans une extreme
· re, comme c'eſt le naturel des hommes de paſſer
licence, & de ſe faouler avec extez des plaiſirs qu'ils ne pounoient goufter qu'auiec beaucoup de
difficulté, que ces Princes fortant des tenebres de leur prifon ,ſe plongent à corps perdu dans
toutesſortesde diſſolutions ; où leurs Fauoris encore s'eſtudientdeles entretenir, afin de les
rendre tout à fait incapables de regner , fice n'eſt pour eux -meſmes . Viuant
, de la forte, ileft
preſqu'impoſible qu'ilspaſſentl'aage de 35.00 40.ans, ny qu'ils engendret des enfans debona
ne paſte :tellemêt qu'ils n'ont pas le plaiſir de lespouuoir nourrir,ou qu'ils meuret eux-mefmes
auátque de lesanoir éleuez à l'aage demaiorité; ce que nousauosveu dans bes trois
dernieres
fucceßios. Es d'ailleurs le mauuais traitemět qu'ils ont fouffert en leur perſonne,leur endur
fait croire que c'eſt un droit hereditaire
ciſant le cæur, leur rend la cruauté naturelle, & leur
de waſſacrer leursparens.Ainſi quand il nºy auroit pointd'autremanquement dans cétEftat,
il faut enfin qu'il feit bouleuersépar l'incapacité de ſes Princes, dupar le defaut de larace
oikomane ,dont il eft viſiblement menacé. Ibrahim qui ſembloit eftre d'un temperament
-effez doux , comme le marquoientles traits de ſon viſage ,fon teint vermeil fon
front ounert
a la taille bien priſe , ayant eſténourry de la forte , auoitperdu beaucoup de fon bon ſens,defa
ſanté, & defá vigueur naturelle, & contractévre hameur triſte o ſongearde, qui luy faiſoiç
porter laveuë bafle & mal afſeurée,la contenance languiſſante ,& la teſte un peu panchéede
trauers. La peurluy anoit.fi fortglacé le ſang ,qu'ileut bien de la peine à ſe rechaufferparmy
Dames du Serrail ,e demeurapres d'un
les belles anentreleurs bras avant que d'efire ca
pable de les embraſſer. Pendant ce temps - là il ſembloit donner à ſespeuples des afleurances
indubitables d'un heureux gouuernement,car il faifoit paroiſtre en toutes ſes actions vne
extraordinaire bonté, & prenoit un ſoin particulier que
l'onrendiff Iuſtice à tous le monde:
Il ne voulut rien changer dans les charges de la maiſon nydefon Eftat,& enioignit expreßé
ment au grand Vizir Muſtafa de ne faire mourir perſonne , s'il n'eſtoit manifeftement con
uaincu d'un crime quifuftfi enorme qu'on ne le puſt pardonnerfans crime. Ainſi il pouuoitſe
vanter außi bien que faiſoitNerox pendantles premieres
années de fonEmpire, qu'ilauoit
les mains nettes deſang,& qu'ileſtoit preſt de rendre compte aux Dieux de la moindre ame de
fes (vjets.Mais cette doucenr ou feinte ou naturelle ,degenera bien-toftdansune extreme mola
Lefje do dans une horrible cruauté; Et de meſme qu'ily a certains animaux qui deuiennent
hargneux & farguches parl'accouplement, ainfi depuis qu'ileut une foisgouſté le plaiſir des
Dames , il deuint brutal & fanguinaire au dernier point. Les voluptez luy firent perdre le
ſoin de ſes affaires , fipeu qui luy reſtoit de bon ſens,
ſa reputation, & enfin la vie : car laisſant
toutes choſes à la diſpoſition dela mere ou de ſesmaiſtreſſes , &prodiguant des millions en
tiers pour aſſounir leur inſatiable auarice , il deuint extremement odicux aux Grands;
mépriſable aux peuples , & mal -vouli'de la milice.Là -deſſus ſesfinances eftant épuisées,fes
fajets accouftumez à la paix , a la milice adonnée au trafic, il entreprit la guerre contre
les penitiens ; & l'ayant continuée trois ans durantauec autant de foibleſſe que de mauuais
ordre, il en eſt aduenu que les Grands offenfez par les femmes , lepeuple fcandalisé desex
tratagances qu'il commettoit en public, a la milice irritée de ce qu'il ne là payoitpoint,
& de ce qu'il auoit troublé fon repos par une entrepriſe fopen neceſſaire, prenans pour pre
texte les defordres de l'Estat , & la dißipation des finances,l'onttraité comme vous le verrez
dans laſuite de l'Hiſtoire,& l'ont fait feruir de memorable exemple à la Poſterité, que l'ina
iurieux gouuernementdes femmes, & l'impudicité debordée des Souuerains , ont tonfiours
vne mauvaiſe fin.
168 Hiſtoire des Turcs ,

GOOD
Oco COC Quaesoe

LIVRE VINGT - DEVXIEME .

I BRA H I M. 1

Vseves icy i'ay deſcrit auec autant de ſoin qu'il m'a eſte
poſſible tout ce qui eſt arriué dans l’Empire des Turcs , depuis
TO l'an 1612. iuſqu'à l'an 1640. ayant exactement recherché tous
les memoires & routes les relacions quei'ay creu pouuoir con
tribuer à mon deſſein , & m’eſtant eſclaircy des choſes dont ie 1
dourois auec pluſieurs perſonnes d'eſprit & de iugemene qui .
ont voyagé ou negocić en Leuant pendant ces dernieres an
nées; Specialementauec Antoine Roland- d'Orgemont,main
tenantMaiſtre d'Hoſtel ordinaire du Roy , qui a fait quinze

ans la charge de Secretaire d'Ambaſſade durant le temps de Philippe de Harlay


Comte de Ceſi; & auec le Cheualier de la Haye Pariſien , que les Turcs ont tenu ef
claue & promené par toutes les terres de leur Empire huit ans durant. I'aurois bien
ſouhaiccé de pouuoir continuer cette Hiſtoire de meſme ſtyle iuſqu'à l'année preſence:
mais commeiln'eſt pas , ny de la grauité du ſujet,ny de la reputation d'un Autheur d'ef
tanc d'enenemens de cette imporcance ſans en eſtre
crire cant de grandes actions , &
,
pleinement informé & que ie nc puis pas auoir fitoft cous les mémoires que l'on m'en
a promis de diuers endroits , i'ay micux aymé differer cette partie de mon ouuragę
que de la gaſter par crop de precipitation ; Éc cependant pour ne la pas laiſſer entiere
ment imparfaite, & de peur de donner ſujet à la curioſité du Lecteur de me blaſmer
dencgligence , i'ay iugé à propos d'y adiouſter ce petit Sommaire chronologique , qui
feruira comme de pierres d'attente pour éleuer le reſte du baſtiment , lors que l'au .
ray tous les materiaux necellaires ,
1640 . 1640 .
en Mars.
Comme les meſmes Officiers qui gouuernoient du viuant d'Amurath furent laiſſez
dans leurs charges à l'aduenuë d'Ibrahim , ce fur auſſi pour quelque temps le meſme
gouvernement que ſous Amurach. Le grand Vizir qui tenoit la meilleure partie de
l'authorité,deſiroit paſſionnémēt engager ſon Maiſtre à la guerre contre les Chreſtiens,
afin d'eſtre touſiours conſiderable pendant cét embarras : c'eſt pourquoy il infiftoit

puiſſamment que les troupes quiauoient eſté miſes ſur pied contre la Hongrie ,fuſſent
employées à tirer raiſon des courſes que les Coſaques faiſoiene continuellement ſur la
mer noire : mais la bonne fortune de la Chreſtienté voulu qu'il couruſt vn bruit à la
Porte que le Perſan ſe preparoit à allieger Bagadet,& que le Conſeille creuſt veritable,
quoy que les Perſes n'euſſent pas eu la moindre penſée de ſe remuer ;ſi bien qu'il fuc
iugé à propos de laiſſer la Chreſtienté en paix , iuſqu'à vne autre meilleure occafion .
Machout Balſa fauory d'Ibrahim , fut pourueu du gouuernement de Diarbcquir .
Le grand Vizir ſupplantant le ieune Captan , perſuada à Ibrahim de l'éloigner de la
Cour,& deluy donner pour céteffet le gouuernement de Bude ; Puis commeily alloit
il fic en ſorte qu'on le reuoqua , & qu'on luy donna en eſchange celuy de Siliſtrie ſur
le Danube , qui peu apres luy fuc auſſi oſté auec la vie.
Ibrahim parfoic ſon temps en feſtins , eſtane craité cantoſt par ſon grand Vizir , tan
coſt par ſes autres Baffas. Il fe diuertiſſoit auſſi aux promenades , viſitant tous les lieux
de plaiſance , & ne s'occupoir qu'à diuerſes recreations, ſpecialement aux courſes
de cheuaux , & à tirer de l'arc . Emir Gumer Perſien fauory de feu Amurath , le trai
tant dans ſon Serrailà vne lieuë de Conſtantinople , il crouua ce Palais fibeau qu'il l'a
cheta , bien que l’Emir n'euſt pas enuie de le vendre .
Muſtafa Baſſa allant prendre poſſeſſion du gouvernement d'Egypte , fit eſtrangler
en paſſant Chahin Chiras Cam des Tarcares , refugié à Rhodes depuis pluſieurs an
nées , pour auoir dir , que ſi le Grand Seigneur mouroit ſans enfans, la ſuccellion de
l'Empire luy appartenoit.
Lc
Ibrahim . Liure vingt- deuxiéme. 169

Le Grand Seigneurteſmoigna beaucoup d'affection aux François , receut auecque 1640 .


joye les nouuelles de leurs bons ſuccez contre les Eſpagnols, donna yne poignée d'ar
gent au Truchement de l'Ambaſfadeur qui luy porta la nouuelle de la priſe d'Arras,
& pria l'Ambaſſadeur de luy en enuoyer la relacion en langage Turc . Il fit auſſi grande
demonſtration de joye de la priſe de Turin , & de la naiſſance du Duc d'Anjou .
Foſcarin & Treuiſan Ambaſſadeurs exrraordinaires de Veniſe arriuerent à Conſtan
tinople ſur quatre galeres quileur auoient eſté envoyées de celles du Grand Seigneur,
parce que celles de Veniſe n'ontpas la liberté de paſſer les Dardanelles. Ils conligne
rent entre les mains du grand Vizir vingt mille ſequins, que la Republique auoit pro
mis pour le dedonimagement des galeres coulées à fonds à la Valonne .
Iſtuan Chelar Ambaſſadeur de Tranſfiluanie, apporta auſſi ſon tribut , auec quan
tité de faucons, & douze vaſes d'argent doré .
Vn Internonce de Pologne vint faire des plaintes des irruptions des Tarcares .
Il y eutrabais desmonnoyes,les ſequins & les piaſtres qui valoient auparavant ceno
vingt-cinq aſpres , furent evaluées à quatre -vingts. Ce qui cauſa quelque murmure
parmy le peuple & beaucoup de perte aux ſoldats, pource qu'on les leur donnoic
touſiours au meſme prix .
Il ſe baſtit
pour le ſiege d'Azac quantité de barquesſuſla mer noire , où il y a abon
dance de bois ; Et l'on fic des vaiſſeaux pluſtoſt que des galeres , parce que les galeres
ſont inutiles dans cette mer , à cauſe de leur bas fond qui les empeſche de voguer. Le
Cam des Tartares eſtoit fort intereſſé à reprendre cette place, parce qu'elle empeſchoit
ſes courſes, & rompoit le commerce de la mer noire .
1641. 1641 .
Armement d'vne grande flore , qui faiſoit peur à l'Italie , particulierement à Malthe,
& au Royaumede Naples . Elle eſtoit de ſoixante caïques , & de quarante - deux galeres.
L'Internonce de Hongric au contraire fuc fort malreceu , & rudoyé deparolesde ce
que fon Maiſtre auoit tant cardé à complimenter ſa Hauceſſe : neantmoins peu apresle
Grand Seigneur enuoya vn Chiaoux à Vienne , pour renouueller la paix entre les deux
Empereurs.
Il le fit pluſieurs combats entre les Hongrois & les Turcs , plus defaduantageux aux
Turcs .

Le Grand Seigneur demanda vn paſſage au Roy de Pologne pour aller aſſieger Azac :
le Polonnois le luy ayant refuſé , il menaça de l'auoir par force , & fic grand amas de
gens de guerre ſur le Danube.

A la fin de May yn ſoudain embrazement aduenu à Conſtantinople , conſuma trois


cens maiſons. Il euſt eſté beaucoup plus grand , ſi le Vizir n'y euſt donné ordre , tra
uaillanc luy -meſme pour donner exemple à la milice : deſorte qu'il s'y bruſla les mains
& la barbe, doncildemeura au lict aſſez long- temps: le Grand Seigneurluy fic l'hon
neur dele viſiter.

Vn tremblement de terre renuerſagrand nombre d'edifices dans Tauris , & preſque


la quatriéme partie de ſes murailles .

Le Comte de Cely partit de Conſtantinople pour rcuenir en France , ayant demeu


té plus de vingt ans en Turquie .

Ambaſſadeur de Perſe long - temps attendu , arriua en luin auec vn grand train & de
fort beaux preſens. Il fut fort bien receu :
Le Grand Seigneur ſurpris d'apoplexie en luin ,penſa deuenir paralytique : ce qui
cauſa diuerſes brigues entre les Baſſas pour la ſucceſſion de l'Empire ; lefquelles dure
rent encore quelques mois apres ſa gueriſon, parce que les Dames du Serrail affeu
roient qu'il eſtoit impuiſſant. Les vos diſoient, que famorcaduenant la ſucceſion de
l'Empire appartenoit au Cam des petics Tartares ; les autres la deferoient aux enfans
de fes ſeurs ou de ſes tantes , chacun ſelon ſon intereſt & fa. paflion .
Les galeres de Biſerte firent pluſieurs priſes ſur les Chreſtiens, dont celles de Flo .
rence & de Malthe eurent bien la reuanche .

Courſes des Turcs dans la Dalmatie , aux enuirons de Zara . Appaiſées par le Baſſa de
la Boſſine qui condamna les chefs à rendre partie des dommages, & reciproquement
les Venitiens s'obligerent d'enuoyer cercaine quantité de draps, & de ſequinsă la Por
te :mais les Turcs continuant leurs courſes, & les Venitiens en ayant tué deux cens en
vne embuſcade,cét accommodement fut rompu : puis enfin renoüé au mois de Decem
bre , & confirmépar le Grand Seigneur.
Tome II , Y
170 Hiſtoire des Turcs,

1641. LcMoſcouice p'entreprit point la defenſe d'Azaci,mais enuoya des.Ambaſſadeurs'


à la Porte , afin de renouer la paix auec les Turcs.
Sur la fin du Printemps Azac fut afſiegé par mer & par terre , mal attaqué & bien de
fendu. L'Automne venu , l’armée nauale quieſtoic dcuant , quoy que tres-puillante,
ne pût reſiſter aux vents quiregnentfurieuſement en ce païs- là durant cecte ſaiſon , & fe
recira aux ports deCaffa 8c de Balouclaua,pour y attendre le Princemps :l'armée de terre
s'efloigna aulli de les forts, ayant deſſein d'y reuenir l'année ſuiuance prendre cette
place par famine.
L'Emir Gumer mandé chezle grand Vizir, aupres duquel ilſollicitoitinſtamment
ſon congé, fur eſtranglé ſans qu'on luy dift aucune cauſe de la mort. On ſoupçonnoit
que l'Ambaſſadeur dePerſe pour ſe vanger de la trahiſon qu'il auoic commiſe àReuan ,
auoic ſuppoſé des lettres deluy au Sophy , & par cet artifice l'auoit rendu ſuſpect de tra
1642. hiſon à la Porte. 1642.

Le Baron de Queſtemberg & le Chanchelier de Hongrie chefsde la depuracion pour


les limites & autres differens de l'Empereur auec le Ture, luy accorderent de G aduan
tageuſes condicions, qu'enfin ils obtindrentla paix pour vingt ans.
Le Çam des Tartaresmourut dans ſon Palais de Baché- Serrail, à deux licuës de la
ville de Caffa, d'vne bleſſeure receuë à la leuco du ſiege d'Azac .
Il naſquit vn fils au Grand Seigneur le 2.de Ianuier,doncil ſe ficreliqüiſſance yniuer
ſelle, non ſeulement à Conſtantinople, mais auſli par tout l'Empire, & d'autant plus
grande que l'on auoic crû ce Sulcan incapablc de procreer des enfans, & que ce defaut
de ſucceſſeur euſtmis l’Empireen yn extreme danger. On nomma ce fils Mechmer.
Vn Capitaine de Bandis nomméQueual ogli Zorba bachi , qui quoit fait mille ra .
uages dans la Natolic , attiré à Conſtantinople parle leurre d'vn gouuernement,apres
auoir eſté forc bien receu , & z traité vn mois durane, meſme ayant eſté pourueu d'vn
beau gouvernement, fuc eſtranglé au ſortir de la maiſon du grand Vizir.
Le Capitan deſtitué , & contre tout ordre la charge donnée au grand Vizir , qui ne
la pouuant pas exercer auec la ſienne ,y commit yn de ſes parens .

Muſtapha de Gouuerneur d'Egypte fait Gouuerneur de Siliſtrie , (car en Turquie il


arriue ſouvent que les Baſſas deſcendent des grandes charges aux plus petites, & n'en
ont point de honte ) & General d'armée pour continuer le lege d'Azac.
Le Perſan ayant obtenu la paix du Turc , alla en perſonne faire la guerre au grand
Mogor.
L'armée nauale des Turcs compoſée de vingt-huit galeres,auſquelless'en deuoienç
joindre dix aucres, fut cruellement battuë des vents à l'emboucheurede la mer noire .

Neantmoins les Coſaquesdeftituez de la prote &tion du Moſcouite abandonnetent


Azac , apres l'auoir preſquetout ruiné.
Mort du Royde Perſe. Son fils aagé de douzeans , luy fucccde. .
1643.
1643 .
Les Turcs font vnc entrepriſe ſur la fortereſſe de Raab.Certain nombre déguiſez en
payſans s'eſtant caché dans deschariots pleins de paille , afin de ſe faiſir d'vne porte &
l'ouurir à quatre mille des leur qui attendoient ce coup dans ync valéc voigne : mais vn
Officier de la garniſon ayant deſcouuert cét embuſcade, on arreſta les chariots , où

l'on trouua ces hommes & quantité d'armes .


L'armée nauale du G.S. retourna de la mer noire , apres la conqueſte d'Azac: les
Turcs furent contrains faute de bois ,d'y bruller quatre galeres pour cuire de la chaux
pour les reparations de cette place. Les eſclaues de la galere d'vn Bey le firent faucer en
mer auec tous ſes ſoldats, & fc ſauuerent en Chreſtienté.

Le Prince de Tranſſiluanie enuoyant ſon tribut ordinaire de dix mille ſequins, le


Vizir fic dire à ſon Agent qu'il en falloic quinze mille : mais l'Ambaſſadeur ayantre
preſencé que les cinq mille auoient eſté quittez à Berlin Gabor,non par gratification ou
recompenſe perſonnelle, mais en eſchange de deux places qu'il auoit autrefois don
nées dans la Hongrie : on ſe contenta des dix mille .
L'AmbaſſadeurPerſan arriué pour renouueller l'alliance du nouueau Roy,fut admis
aux baiſe -mains, moyennant qu'il promie de faire raſer à ſon .Maiſtre la fortereſſe de
Tercrine, place frontiere proche la mer Caſpienne, & deluy enuoyer vn Capigipour
en ſçauoir la reſponſe. Il apportoit de magnifiques preſens, la reception fur de melmo.
Le G.S.refula de recevoir l'Ambaſſadeur de l'Empereur, iuſqu'à ce qu'on luy cuſt
accordéde luy payer.cous les ans cent mille richedales, ſous le nom de preſent, non pas
de
171
Ibrahim . Liure vingt - deuxiéme .

de tribut.L'Empereur rejetra cerce honteuſe condition : mais à ce qu'on diſoit, illuy 1643.
fit vne priere plus honteuſe , luy demandant ſecours contreles Suedois , & fortifiant la
demande par lapromeſſe d'une grande ſomme d'argent.
Le Grand Seigneur donna la charge de Capran Baſſaou General de la mer vacante
depuis un an à Piali, qui auoit commandé les galeres à Azac , à l'inſtance du grand Vi
zir ,& nonobſtant les prieres des Sulcanes ſoeurs d'Ibrahim , qui la demandoientcha
cune pour leur mary .
Il naſquic vn ſecond fils au Grand Seigneur le vingt -cinquiéme Feurier, & le vinge
deuxiéme Mars encor vn autre qui fut nommé Murath , que l'on predic deuoir eſtre
Grand, pource qu'il vint au monde le jour de l’Equinoxe qu'ils eſtiment heureux,
& que les Perſans nomment Neuious , c'eſt à dire , lour nouucau .
Le Grand Seigneur arma quatre- vingt galeres & trente grosvaiſſeaux:ce qui donna
l'alarme à toute la Chreſtienté , particulierement à Veniſe & àMalthe. En luin, qua
rante - huit galeres le vindrene ſaluer à la pointe du Serrail : vingt-deux ſous Bequir
Bacha, allerent à la mer noire : vingt- ſixſous le Capran Bella , dans la mer blanche .
Il tomba vne prodigieuſe quantité de neiges à Conſtantinople, qui couurit pref
que iuſqu'au faiſte desmaiſons.Bequir prit cinq fregates ſur des pyrares Grecs,mais
n’empefcha pas douze barques de Roux de rauager en Romelie & en Natolie .
Le Baſſa de Sapher faiſoit la guerre aux Arabes.
Vſſain , autrement Nafſuf Bañía Ogli , rebelle, meditant quelque grand deffein apres
ſa recraite , paffa par la mer noire en Romelie luy ſeptiéme : d'où comme il vouloic
paſſer le Danube pour ſe retirer en vne maiſon qu'il auoicau deçà de ce fleuue , il fac
pris par le Bouſtangi Baſſi qui eſtoit ſur les aduenuës auec de la caualerie. Il luy fic tran
cher la teſte & l'enuoya au Grand Seigneur , qui en recompenſe de ce ſeruice luy
donna la charge d'Agå des Ianiſfaires.
* Le G.S.enuoya vo Daiz degrand prix pour le Sepulchre deMahomer.Il eſtoit por

par vn chameau ſuiuy de douze mulets chargez chacun de 40000. ducats , pour
les cmployer à l'honneur de ce Prophete , & au ſoulagement des vefues & orfelins .
Lc Captan Baſſa ne fait que ſe promener par l'Archipel :on croyoit qu'il atcendoic
l'occaſion de depofſcder le Balſa de Tripoli en Barbarie , le plus grand Corſaire du
inonde. Aumois d'Odobre il mit pied à terre au lieu dit Chillary vers Crotone en Cao
labre pour vne entrepriſe ſur cette Ville, mais il la manqua . De là il alla en Chipre,
où il ſe faiſie du Balla Zulfiguar.

Ce Balſa, auquel le Grand Seigneur auoit donné le gouuernement de Chipre , s'y


eſtant fortifié d'argent & d'hommes, particulierement dans Famagoufte, attira par ſes
deporcemens la cholere d'Ibrahim . Le Captan paſſant par là , le leurra d'eſperance &
de paroles,le pria de venir diſner en la galere: il fut ſi imprudent que d'y aller, mais au
ſortir de là trois ou quatre eſclaues ſe ietterent ſur luy & l'eſtranglerent.
Il arriua deux Ambaſſadeurs de Moſcouie à la Porte ; il n'y en eſtoit point yenu
depuis ſix ou ſept ans , qu'il en fut mal-craité vn à ſon retour par le Baffa qui comman
doit dans Azac. Ils furent fort bien receus , leurs preſenseſtoient des fourreures & des
faucons blancs. Ils remporterent confirmation de la paix .
L'Ambaſſadeur de France fit celebrer de magnifiques funerailles pour le Roy Tres
Chreſtien Louys XIII . du nom.

La peſte fut fífurieuſe à Alexandrie durant cinq mois qu'elle depeupla preſque cou
te la Ville , & fit mourir pres de fix cens mille perſonnes. L'année ſuiuante, elle rendic

preſquc deferte la ville de Tunis en Barbarie . Pendant cette peſte plus de quatre mille
clclaues Chreſtiens fe ſauuerent à diuerſes fois dans des vaiſſeaux donc ils s'eſtoient ren
dus maiſtres, les vns à Candie, les aútres à Marſeille, quelques- vns à Malche.Huit cens
entr'autres apres vo ſanglanecombat ſur le port d'Alexandrie , où il demeura trois cens

des leurs ,ſe laiſrent d'vne galere , laquelle crouuantſans rames ils tendirent les voiles
& furent ſiheureux qu'il ſe leua vn vent à leur gré , qui les porta en Candie .
Le Grand Seigneur les repeta auec beaucoup d'inſtance & demenaces, mais la Sei
gneurie s'en excuſa,& à couteuenement renforça les garniſons de cerce Ille.
Le Balla de Rhodes tenoit la mer noire auec quinze galeres, pour empeſcher les
pirateries des Coſaques.
Le Ragotsky contracta alliance auec les François & les Suedois contre la maiſon
d'Auſtriche, ſe promeccant d'eſtreaffifté par le Turc: lequel aufli s’attendoit d'auoir la
Tome II . Y ij
Hiſtoire des Turcs ,
172

moicié des conqueſtes. Ses motifs de guerre ou pretextes, eſtoient le récouurement de


16 43 .
quelques places ſur les montagnes voiſines des frontieres de Morauie , qu'il diſoic
appartenir à ſon fils , commeauſſi de celles que poſſedoit Beclin Gabor, dans les droits
duquel il eſtoit entré. De plus, les iniures qu'il pretendoit auoir reccuës du Comte de
Homanoy , ſon voiſin dans la Hongrie & ſon ennemy perpetuel ; & ſur cout le deſir
de remettre la Hongrie en liberté & dc l'affranchir de l'oppreſſion de la maiſon d'Au
ſtriche, qui pour ſerendrece Royaume hereditaire , le deſpoüilloit de tous ſes priuile
ges, & l'accabloic de chaiſnes.
1644 .
1644.
Les Tartares continuoient leurs rauages dans la Podolie & la Ruſſie , nonobſtant les
defenſes rigoureuſes du Grand Seigneur. Ilsenemmenerent grand nombre d'eſclaves
qu'ilsenuoyerentvendre à Conſtantinoplc : Nicolo Beganosky Internonce de Polo
gne en vinc faire ſes plaintes à Conſtantinople , où il eut fauorable audience & rcm
porta confirmation de la paix entre les deux Eſtats.
Le Baſſa d'Alep fur arreſté à Conſtantinople, ſur les plaintes que les habitansfirent
de ſes voleries & de ſon mauuais gouuernement .
Trois mois apres , ſçauoir en Aouft , celuy de Caffa fur traité de meſme, & pour le
meſme ſujet.

Le Captan Baſſa reuenant de courſe contre ies Pirates Chreſtiens, ne ramena que
deux fregates de Malche , & vne polacre de Meſline.
Ragorsky fic irrupcion dans la Hongrie auec deux mille cheuaux ſuiuis de trente
mille hommes, ſaccagea les terres du Comte de Homanoy , prit la ville de Solnok, alic
armée la ville de Filek dans la Comté de Newgrad, & auec
gea aucc vne partie de ſon
l'autre partie celle de Callouie : mais il ne prit pas Filek . Les Hongrois en reuanche
tenterent vne entrepriſe ſur Strigonie , qui fut cuentée, & leur Ambaſſadeur qui
eſtoit à la Portearreſté en grand danger de ſa vie. Il en ſorcic à force d'argent.
Le Comte de Bouchain enuoyécn Hongrie pour s'oppoſerà Ragocsky , forma vno
armée à Preſbourg
Cependant Caffouie eſtonnée de la priſe de chaſteau de Sendar qui eſt ſurvnemona
tagne tout proche , ſe mutina contre le Gouuerneur Forgatski, & apres va fanglanc
combat entre les habicans & la garniſon ,receur les Tranſlīluains.
Au parcir de là Ragotsky voulur paſſerdans la Morauie pour ſocourir Olmuts & les
autres placesque tenoient les Suedois en cette Prouince & en Sileſie , mais les Impe
riaux luy boucherent les paſſages.
· Le General Gæuts Imperial y menaencor vne autrcarmée pour luy faire ceſte .
Le G.S.fçachant que l'Empereur auoit tant de forces de ce coſté- là , commanda
aufa aux Giennes de ſeccnir preſtes. Le Balla de Bude aſſembla 20000.hommes.
Ragotsky leua le ſiege de Filek .
LeComte de Bouchain deffit ſix mille Turcs & Tranſfiluains au paſſage de Palanke
entre Filek & Agran .
Nonobſtant les plaintes du Roy de Pologne , trente mille Tarcares entrerent dans
la Ruſſie. Koniecpolsky aucc vingt mille hommes lesy combateit , les deffic, en cua
douze ou treize mille ,en prit croismille priſonniers, & pourſuiuir le reſte iuſques dans
la Walaquie.
Ieremie Wiſniowecky en deffit auſi dix mille autres qui rcuenoient de rauager les
terres du Moſcouite , & leur ofta leur butin .
It naſquit vo fils au G. S.le 19. deMars, dont il ſe fierelioüiſſance publique .
Muſtapha Baſſa grand Vizirforcabſolu dans ſa charge , fut eſtranglé pour auoir del
pleu à la Sultane mere , la faucur des Ianiſſaires dont il penſoit auoir gagné les Capi
taines, & le grand nombre de les domeſtiques luy ayant
manqué au beſoin . Mehemes
Baſſa de Damas mis en la place . Qucuan Baſſa fut fait Caymacan . Le Capran Baffa
eſtranglé pour auoir reſpondu trop hardiment au Grand Seigneur. Bekir Bafla de
Rhodes cut ſa charge.
Vn nouuel Ambaſſadeur du Perſan vint à Conſtantinople pour demander la con
firmation de la paix .

L'Empereur enuoyale Comte Herman de Tſcherin à la Porte , auec vn magnifique


train & de beaux preſens, pour moyenner enuers le Grand Seigneur qu'il n'alliltalt
point Ragotsky , auec lequel cependant il entra en traité , mais ſans aucun fruit.
Ragorsky
)

Ibrahim . Liure vingt -deuxiéme


. 173

Ragorský tint vne aſſemblée des Eſtats de Hongric à Caſſouie , & l'Empereur vne 16447
autre à Tournaw , où leurs Deputez s'aſſemblerent.
Vne armée nauale du G. S. commandée par Bequir, fic dcſcente ſur les coſtes de
Calabre , força le chaſteau de Rocca , & enleua deux censeſclaues du pays. Mais à vne
feconde deſcente qu'elle voulut faire à vn mois de la vers Crotone , elle y perdir plus
de cinq cens honimes.
· LeG.S.cnuoya vne lettre au Roy Tres -Chreſtien par vn des Secretaires de l'Am
baffadeur de France , porcanr confirmation de l'alliance d'entre les deux Empires.
Lc Cam des pecits Tartares fut priué de ſon Eſtat, pour n'auoir pas reprimé les ir
rupcions continuelles de ſes ſujets dans les terres de Pologne .

Vne eſcadre des galeres de Malche rencontrant au mois de Septembre , lix vaiſſeaux
Turcs au lieu qu'on nomme les Croiſées, à 60.milles de Rhodes, en prit vn fans beau
coup de difficulté, où il n'y auoit que quatre -vingt ou cent Turcs , & enarraqua vn qui
eſtant vn grand galion , portant plus de fix cens hommesde guerre rendit vn combac
tres- opiniaſtre , & cua treize Cheualiers de marque , leur General Boilboudran & ſix
vingts bons ſoldats,ſanscompter les bleſſez qui eſtoient au nõbre de plus de deux cens :
mais enfin apres cinq heures de braue defenſe , le Capitaine Turc qui eſtoit le Killer
Aga,ayanteſté tué, ce vaiſſeau arbora la bāniere blanche pour ſe rendre. Il ſe trouua dc
dans vn grand butin , de precieuſes hardes,deriches marchádiſes, de joyaux& d'argent,
de plus,vne femme qui pareſſoit qualifiée, auec vn bon nombre de ſuiuantes, & vn fort
beau petit garçon.
Pour la femme ,elle mourut pcu de temps apresqu'on l'eutamenée à
Malche:Pour l'enfant qu'on diſoit eſtre ſon fils ,les Cheualiers de Malche le gardenten
core ,ayāt eſté perſuadez qu'il eſtoit fils du Grand Seigneur & decette femme. On croit
qu'elle eſtoit Sultane , qui du commencement n'eſtant que ſuiuance d'une autre, auoit
ncantmoins fi fort gagné le cæur d'Ibrahim qu'elle eſtoit deuenuë fa maiſtreile , &
auoit eu cét enfant de luy:Dontles autres Dameseſtant deuenuësjalouſes,luy auoient
donné vn poiſon lent ; à quoy ne trouuancpoint de remede , elle auoir eu recours à la
deuorion de fon Prophece,& obtenu du Grand Seigneur qu'il luy permift de faire le
voyage de la Mecque aucc ſon fils , où elle alloit lors qu'elle fut priſe. Il eſt certain
qu'elle ſortoit du Serrail , mais quelques -vns diſent que cet enfant n'eſt qu'vn eſclaue
natifde Circaflic. Quoy qu'il en ſoit cette priſe n'eſtoit pas de li grande imporcance
car les Grands Seigneurs tiennent peu de conte de leurs femmes,
qu'on ſe l'imaginoit,
& meſme de leurs enfans,lors qu'ilsen ont quantité; F.t les peuplesne conſiderant point
en ce pays-là de Prinees du ſang que celuy qui regne,pourroientdifficilement s’eſmou
uoir pour prendrele party d'vn des fils de leur Empereur, s'il n'auoit eſté nourry parmy
eux , & qu'il ne fưſt braue de la perſonne & aymé des gens de guerre. Aureſte ce grand
galion fút tellement battu de la tempefte, comme on le menoit à Malchc, qu'il fut
ſubmergé auec vne bonne partie des marchandiſes qui eſtoient dedans ; fi bien qu'il
ne demeura de reſte à la Chreſtiencé de toute cette belle priſe qu'vn enfant, & vne
guerre cres - ſanglante , donc elle ne void point encore la fin , quoy qu'elle ait veu celle
du Prince qui l'a luy a declarée .
Les Tartares cítant entrez en Moſcovic, d'où ils emmenerent plus de trente mille
perſonnes en captiuicé , obligerenc le Moſcouite à rechercher l'alliance du Polonnois,
ſi bien queles deux Princes ayant terminé les differens qu'ils auoient pour leurs fron
tieres , firent enſemble ligue perpetuelle contre les Turcs & les Tartares . Ce qui ſe fit
comme l'on croit par l'entremiſe de l'Empereur , qui deliroit cirer aduantage de céc
vnion .

Ragocsky tarda long -tempsà enuoyer ſes Depurez,accendanc quel effec auroient ſes
ſollicitations enuers le G. S.pouren obtenir du ſecours, & que deuiendroic le ſoufle
uement des payſans de Hongrie qui s'allumoic de plusen plus , & contre leſquels les
rroupes de l'Empereur n'auoient pas moins à faire que contre les Tranſliluains. Son
armée eſtant entre les riuieres de Bodreg & de Teifla pres de Tokay , & celle des Im
periaux à trois licuës de là ; le General Geurs qui commandoit la derniere l'alla atta
quer , deffit deux mille cheuaux, & quantité de priſonniers. Enſuite les vns & les au
tres s'eſtant renforcez & ſe redoucant reciproquement , il y eut d'autres propoſitions
faites par leurs Deputéz à Tornaw , deſquelles ils ne purent encore demeurer d'accord .
Le Grand Seigneur enuoya quelques troupes à Ragotsky , il prit ſa marche vers
Prelbourg , où les Imperiaux lelujuirent,de peur qu'il n'alliegeaſt Filek . 1
Y iij
Hiſtoire des Turcs ,
174

Les Turcs firent irruption dans la Styrie en la faueur , & ruinerent les terres de ceux
qui ne leur vouloient pas rendre hommage. Ils firent auſſi d'autres grandes leuées, qui
donnant beaucoup d'apprehenſion à l'Empereur,l'obligerentdedemander ſecours au
Polonnois & au Moſcouice.
1645
1645 :

Ibrahim pouflé par ceux de ſes Vizirs qui defiroient la guerre , & par les Miniſtres de
fa Religion qui croyoient que cefuſt vn affroncà leur Prophete Mahomet, d'auoir pris
vne Sultane lors qu'elle faiſoit le voyage de la Mecque , ſe refolut d'en auoir raiſon , &
dreſſa pour cet effet vn effroyable equipage par mer , donna ordre quc l'on trauaillaſt
dans ſes Arſenaux de la mer noire à luy baſtir cent galeres & autant de vaiſſeaux , manda
au Baſſa de Tripoly d'aſſembler tous les Corſaires qui doiuent marcher ſous ſa ban
niere , & aux Illes de l'Archipel de luy tenir preſťs les vaiſſeaux & les hommes qu'elles
ſont obligées de fournir en pareille occaſion , fic venir couce familice d'Aſie , appella
meſme les Arabes,& alligna le rendez -vous à cette grande armée au porc de Nauarrin
dans la Morée ſur la fin du mois de May . Les Veniciens en prirent l'elpouuance , & ar

merenc ſoixance galeres, ſix galeaces , & quelques autres vaiſſeaux, pour leur defenſe .
On leur vouloit faire croire à Conſtantinople que ce grand appareil ne dcuoit fondre
que ſur Malche , dont le grand Maiſtre fic crauailler en diligence aux fortificacions,
manda tous les Cheualiers , & amaſſa la plus grande prouifion qu'il pût d'hommes,
d'argent & de munitions .

Vingt galeres Turques firenc deux deſcentesen Calabre,l'vneà la Roque Imperiale,


l'autre à S.Pietro Paulo : mais y perdirent plus d'hommes qu'elles n'en emmenerent
d'eſclaues, les Chreſtiens ſe fauuant dans les Chaſteaux , & la milicc ordonné pour la
garde des coſtes ayant donné deſſus fort à propos .
Le Baffa Aly gouuerneur de Tunis , apporca au G. S. quarante mille doublons &
vingtmille demy piſtoles, trouuées dans les ruines de la Goulete , où elles auoient eſté
cachées du temps que cette fortereſſeeſtoit tenuë par l'Empereur Charles y .
Le 19. Feurier , il naſquit vn fils au Grand Seigneur,qui en ordonna des reſioüiffan
ces publiques , & luy fit donner le nom de Solyman .
Ragotsky ſemonftra plus difficile pour la paix auec l'Empereur & demanda quan
tité de choſes , ſpecialement la haute Hongrie : ce que les Deputez de l'Empereur
>
ayantrejeccé il paſſa la riuiere de Teiffa & entra dans la Morauie ,y ayant eſté ſollicité
pour ſecourir Olmurs que lesImperiaux aſſiegeoient. Comme en effecil yenuoya Ba
kos Gabor auec cinq mille hommes.
Le Comte de Tſcherin Ambaſſadeur de l'Empereur à la Porte , y obtint enfin vne
confirmation des neuf ans de creve, qui reſtoient à expirer entre les deux Princes; le
Grand Seigneur n'ayant dans la ceſte que la vengeance de l'affront receu par les Che
ualiers de Malche . Nonobſtant ce craicé le Tranſliluain ne lailla pas d'auancer dans la
Hongrie , & de faire de grands rauagesà l'entour de Filek auec quinze mille hommes :
ce qui donnoit ſujet de croire que le G. S. y conſencoitfacilement, & qu'il l'euſt hau
tement aſſiſté , s'il n'eaſt pas cu vn autre deſſein.Le fils du Tranſliluain mena ſix mille
hommes aux Suedois dansla Morauie , où leur General Torſtenſon aſſiegeoit Brin ,
mais il ne le pût prendre .
Il ferecommença vn nouueau pour-parler entre l'Empereur & Ragotsky , qui apres
auoir traiſné quelque temps ſetermina en vne paix, & für publié le 24. d'Aouſt.
Au commencement de Juin l'armée Turque ſe trouua de cent galeres,ou galeaces,
de quatre -vinges vaiſſeaux ronds , & de deux cens caïques,caramouflals , & Fregates:
de ſorte que l'on y comptoit plus de quatre cens voiles. Les Chevaliers de Malche
croyans que cét effort leur comberoit ſur les bras , s'eſtoient preparez auec grande def
penſe à le ſouſtenir ; Et quantité dę Nobleſſe de diuers endroits de la Chreſtienté
cſtoic accouruë à cér Ille pour y acquerir de la gloire , particulierement de la France,
dont le plus remarquable eſtoit le Vicomte d'Arpajou , que le grand Maiſtre de la Re
ligion fit fon Lieutenant general,tantà la campagne que dans les places.
En effet le deſſein d'Ibrahim eſtoit de prendre Malthe, & il s'y portoit auec canc
d'obſtination que ſes Baſſas ayant entrepris de l'en diſſuader, veu le bon eſtat où ils
ſçauoient qu'elle eſtoit,illes menaça de les faire mourir . Vn d'eux nommé Saly Affen
dy, n'oſant pas luy en parler directement, fut d'aduis que la Hauteſle enuoyaſt querir
vn Agaquien eſtoitreuenu n'agueres : celuy-là luy dit naïuementles forces de la place,
la
Ibrahim . Liure vingt- deuxiéme. 175

la reſolucion de coux qui eſtoient dedans , les difficultez qui ſe trouueroient au ſięge, 1645.
Que toute l'Ille n'eſtoit qu'vn rocher,où il n'yauoit point de terre pour faire les cran 1
chées & les approches ; Qu'auec cela elle eſtoit dénuée de toutes choſes pour faire ſub
fifter vne armée enncmie,meſme d'abris & de rades pour loger les galeres ; & d'ail
leurs fort proche de la Sicile & de l'Italic , dont elle pouuoit facilement receuoir du
fecours ; Qu'enfin ce n'eſtoit pas vne place qui ſe puſt prendre en trois mois , & que la
faifoneftant deſia fort auancée, les armes de laHauteſſe n'y acquerroient point d'hon .
neur . Ibrahim fuc ſi irrité de ce libre diſcours, qu'il penſa faire mourir l’Aga , & le
bannit de la Cour, apres l'auoir deſpoüillé de tousſesbiens. Au reſte, ayant
ſceu quela
pluſpart des Cheualiers de Malthe eſtoient François ,
il entra en vne telle furcur qu'il
s'en fuft vangé ſur la perſonne de l'Ambaſſadeur de France, fi vn Eunuque noir aux
remonſtrances duquel il deferoit beaucoup , nel'en cuſt de tourné .
Il fut enſuite propoſé au Conſeil, afin que cette grande leućc de bouclier ne fuſt pas
inutile , d'attaquer ou la Sicile , ou la Calabre , ou l'Ile de Candie , & les aduis allerent
à commencer la guerre par la Candie ,pourcequ'elle eſtoit la plus proche & ſembloid
la plus facile à conquerir , quoy qu'il n'y euſt aucun ſujet de rompre auec les Venitiens ,
finon celuy que le loup apportoit à la brebis pour la manger : mais afin de les amuſer,
on publia que la reſolution du Conſeil eſtoit pour la Sicile , & le grand Vizir aſſeura
leur Baile qu'ils ne deuoient rien craindre.
Or Ibrahim pour leur chercher ſujet de querele leur auoit dés le mois de Mars fait
demander les pores de la Candie pour ſon arméenauale , ce qui les auoit mis en ſoup
çon qu'il courneroit ſa rage contre eux . Ils n'en douterent plus , lors qu'ils ſceurene
qu'ilauoit fait arreſter leur Baile à Conſtancinople , & ſaiſiles marchandiſes de leur
carauanne, en reuanche dequoyon arreſta à Veniſe tous les vaiſſeaux Turcs , auec les
marchands & marchandiſes qui ſe trouuerent dansle golfe :mais certes ils n'eſtoient
pas bien preparez pour ſouſtenir vn ſi grand effort.
L'armée Turquc ayant deux Generaux, l'vn pour la terre qui eſtoit Mahomet Bafla,
l'autre pour la mer qui eſtoit Saffi Baſſa , vint fondre enfin ſur l'Ile de Candie le 24 .
dc luin, prit le. fort S. Theodore qui eſt dans vnepetite Ille proche de la Canée, &
commande à vne grande plage propre pour faire deſcence.Là les Sfaccioci quiſe diſeno
deſcendus des Colonies que le grand Conſtantin enuoya en Candic & quien effec
font Italiens d'origine, cuerent deux mille Turcs, & leur coulerencà fonds quatre ga
Jeres , mais ne purent empeſcher qu'ils ne s'emparaſſent de cette petite Iſle & du fort;
à la faucur duquel l'armée fit ſa deſcente en Candie,& inueſtit la ville de la Canéc,
dont le Comte Albano Bergamaſque eſtoit Gouuerneúr.
Les Venitiens firent de grandes leuées par mer & par terre , tant pour ſecourir cerce
Ille que pour defendre la Dalmatie, queles Turcsmenaçoient par vne armée qui s'af
Sembloit dans la Bolnie. Le Pape , le Duc dc Toſcane, les Vice -Rois de Naples & de
Sicile ,la Republique de Gennes, & quelques autres Princes d'Italie firent vne ligue&
vne armée nauale pour les afliſter. Le Prince Ludouiſio neueu du Pape Innocent X.
y eſtoit General des galeres.
Cependantla Canée fut rudement attaquée par les Turcs, quien furent vigoureu
ſement repouſſez à ſix grands affauts ; & taſchans de forcer le port de Suda ou d'y
bruiller les galeres de la Republique,ils y furent auſli fort mal menez par le General Ma
rin Capello. Au meſme temps le General Moroſini commandant vn autre corps d'ar
inée , eſſayoit de faire diuerſion dans la Morée , où il prit & brulla Patras . Capello trou
va inoyen de faire entrer trois galeres chargées de prouiſions dans la Canée , quinon
obſtant la garde cres -exacte des Turcs,paſſerent au trauers de vingt des leurs . Mais en
fin tandis que le neueu du Pape s'opiniaſtroit à nepoinc partir deMelline , qu'aupara
uant la Republique n'euſt enuoyéleuer l'Eſtendard de S.S. & par ce moyen recardoit
la jonction de cette armée auec celle des Venitiens, les Turcs par vn ſeptiéme aſſauc
general, emportercnt vn baſtion ,dontla perce conțraignicles aſſicgez quimanquoieng
de toutes forces de munitions , & le voyoient entierement à deſcouuert, de faire leur
capitulación . Elle leur fut aſſez bien obſeruée pour l'heure , la garniſon en ſortit auec
armes & bagage , meſme auec les trois galeres qui luy auoient porcé des munitions , 86
fut conduite en ſeureté au port de Suda .
L'armée de la ligue ioignit enfin celle de la Seigneurie pres de Zanthe : mais les poin
tilles & les diuiſõs entre les Chefs,empeſcherent qu'elles n'entrepriſſene rien , & apres
oire s
176 Hiſt des Turc ,

1645. quelque temps celle de la ligue ſe retira. LesTurcs fe forcifierent danslaCanée , y ba


ſtirent des Moſquécs, firent des courſes bien auant dans le pays, fauoriſez parles Grecs
qui fontflaſchesque d'aymer mieux la cyrannic des Infideles que la domination des
Latins , bloquerenc Suda auec pluſieurs forts tout autour ,& fermcrent tellement ce
pore auec leurs vaiſſeaux, que l'entrée & laſortie cſtoient entierement empeſchées.
Sur le declin de l'année, la pluſparc de l'armée Turque s'eſtant retirée pour ſe ra
fraiſchir, les Veniciens bloquerent la Canéc, croyans l'emporter durant l'hyuer : mais
il y auoit dix mille hommes de garniſon dedans. La Seigneurie redoubla ſes efforts
pour releuer ſa reputation , le General Grimani & le Cheualier de la Valete allerent en
Candic auec quatorze galeres , douze vaiſſeaux, & deux galeaces . Le Duc ou Doge
François Erizze fuc creě Generaliſſime des armées par mer & par terre, auec authorité
abſoluë & independante : mais eſtant plus qu’octuagenaire,il mourur de vieilleſſe auans
que d'auoir joüy de cette ſouueraine puiſſance. Iean Moline fut elleu Duc , & Marin
Capello pourucu de la charge de Procurateur de la Republique qu'il tenoit :Morofini
Prouediteur general , fic des courſes iuſques ſur les coſtes de la Nacolie. Le Baffa de
Boſnie , en fit auſſi dans la Dalmacieaụxenuirons de Zara , où il fut battu en quelques
rencontres .
Au mois de luillet , le feu s'éprit au quartier de Conſtantinople, qu'on nomme Tu.
tapkane, où l'on bar la monnoye :il dura deux iours entiers , pendant leſquels eſtano
foufflé par yn vent impétueux, il brulla ſix mille maiſons , & vingt Egliſes ou Mof
quées .
Les Tartaresauoientenuie de faire irruption ſur les terres dc Pologne , pour y pren
dre des eſclaues & les aller vendre à l'armée nauale du Grand Seigneur: mais ayant
ſceu que le General Koniecpolsky, les y attendoit aucc bonne roſolution , ils ſe reci
1
rerent bien promptement , & ſe contentcrent d'y auoir perdu quatre o cinq mille
hommes dans vne precedente irruption.
1646 . 1646.
Mehemet fur deſticué de la charge de grand Vizir , pource qu'il ſembloit fauoriſes
les Veniciens ; & Salé qui eſtoit grand Threſorier mis en la place. Cc Mehemer eſtoit
yn tres -habilc homme , quoy qu'il neſceuſt ny lire ny eſcrire.
LeGeneral Cornare Gouuerneur de Candie , auoit fait vn corps d'armée de huit
mille Sfacciores & autres habitans du pays , pour entreprendre ſur la Canée , dont la
garniſon eſtoit beaucoup diminuée par la peſte. Luy & laValece y eſtant allez pour
mercre le feu à vn des moulins proches de la place , & de là à vne des portes de la Ville,
& la forcer par uneintelligence qu'ilsauoient dedansauec quelques habicans: leur en
trepriſe fur deſcouuerte, les Turcs firencvne grande ſortie qui miten fuite les troupes
de Cornare, & battirent celles de la Valete qui voulut leur tenir ceſte. En ſuite dequoy
la Valece fe recira à Suda . Auec ce malheur la diſcorde ſemic entre les Chefs, parti
culierement entre le Marquis de Gonzague & la Valece : ce qui acheua de gaſter les
affaires des Venitiens , 8c leur fit perdre l'eſperance de reprendre pour lors la Canée :
où ſeize gros vaiſſeaux Turcs jetterent vn grand ſecours d'hommes & de prouiſions.
à l'heure qu'elle eſfoit preſque à l'extremité, & en tirerent tous les malades, les bleſſcz,
& les bouches inutiles.

La Seigneurie taſcha d'exciter , les Moſcouites, les Polonnois & les Coſaques con
crele Turc, qui de ſon coſte preſſoit fort l'Empereur de luy accorder paſſage ſur ſes
cerres pour la venir attaquer dans la Dalmacie .
Les forcesde la ligue Chreſtienne ſe deuoient raſſembler en Auril : mais les Princes
d'Italie eſpouuantez du grand armement du Turc, recindrent chacun leurs vaiſſeaux
pour defendre leurs cortes, & le Pape n'alliſtoit les Veniciens que de ſes recomman
dations enuers les autres Princes Chreſtiens. Deſquels Vladiſlas Roy. de Pologne ſe
monſtroit le plus ardent à les ſecourir, ayant fait ligue pour ce ſujet auec le Moſcouito
qui deuoicattaquer les Tarcares auec quatre-vingesmille hommes : tandis qu'Vladiņas
qui s'imaginoit deuoir eſtre ſecondé par le Moldaue, & par le Walaque , entreroit ſur
les terres du Turc auec trente mille hommes de pied , vingt mille cheuaux , & dix mille
dragons.
Les Candiors perſuadez de la foibleſſe des Venitiens , & pour éuiter les cruautez de
la guerre penchoient à ſubir volontairement le joug des Turcs : mais comme ils virent

que ces Barbares auoienc écartelé cinq Gencils -hommes des principaux d'entr'eux,
& jeccé
Ibrahim . Liure vingt -deuxiéme. 177

& jecté leurs quartiers aux chiens,fous pretexte d'intelligence auec les Veniciens : ils 1646 .
reſolurent de ſc micux defendre , & de vendre cherement leur vie , puis qu'ils ne la
pouuoient pas racheter meſme aux deſpens de leur liberté .
Moroſiny auec vnepartie de l'armée nauale , ſe poſta en deçà des Dardanelles pour
empeſcher celle du Grand Seigneur de ſortir hors du canal , & s'empara de l'Ille de Teo
nedos, candis que d'un autre coſté les Colaquesfaiſoient des courſesdans la mer noire;
si bien queConſtantinople en eſtoit fort incommodéc.Auſli ſeroit-ce l'inique moyen
de faire perir cette grande ville auec peu defrais, lion le ſçauoit bien executer. Mais
pour n'auoir ſceu prendre le chaſteau de Tenedos, Moroſini fut contraint d'abandon

nec l'ifle. Trois ſemaines apres le Baſſa General ayant entrepris de ſortir auec 40. g2
leres,ille batcit & le repouſſa dans le canal; Et depuis le Generalillime Capello steſtant
joint auec luy ilgarderent encore ce paſſage plus ſeurement, & ſe ſaiſirent des poſtes
de Tenedos & de Stalimene :mais aumois d'Aouſt l'armée Turque paſſa, nonobſtant
tous leurs foins.

Les Coſaques couroient la mer noire aucc cent quatre -vingts barques,& tenoient
Conſtantinople en eſchec .
En Candie, les differens d'entre les Chefs, entr'autres de la Valece auec Fenarol
Lieutenant general de la caualerie ſous le Marquis de Gonzague , rompoient tous les
cffets de l'armée Venitienne . La Valete s'eſtant mis en deuoir de le faiGir de cercain

poſte, les Turcs dela Canée ſortirent deſſus


, luy tuerent ou firent priſonniers pluſieurs
de ſes gens; à cauſe dequoy il fut arreſté priſonnier à Recimo , accuſé de n'auoir pas ſul
" uy la reſolution priſe dans le Conſeilde guerre :mais l'année ſuiuante il ſe iuſtifia à Ve
niſe, & rentra dans vn plus bel employ .
Le Roy Tres-Chreſtien deſirantaſsiſter les Veniciens de ſon interceſſion , puis qu'il
ac pouuoit pas à cauſe de l'alliance qu'il auoit auecle Grand Seigneur les aſſiſter de
ſcs armes, enuoya à Conſtantinople Varennes l'un de ſes Gentils-hommes ordinaires,
pour caſcher de moyenner quelque accommodement : qui ne s'auança en aucune
façon ny par ce voyage,ny par l'entremiſe de la Haye Vancelet Ambaſſadeur ordinaire
du meſmc Roy q
, ui depuis l'ouuerture decette guerre a rendu & rend tous les jours
de cres- bons offices à la Seigneurie& à ſon Baile .
Sur la fin du Printemps le Baſſa de Boſnie s’aduança vers Zara , n'ayant pas moins de
trente mille hommes : il y cut quantité d'eſcarmouches entre luy & le Baron d'Eken
feld Lieutenant general des armes de la Republique dans la Dalmacie. Le Balla n'oſa
entreprendre d'aſſieger Zara ,maisinucſtic Cataro entre Lodrin & Raguſe ſur lescoſtes
de la mer . Peu apres Ekenfeld qui eſtoit plus foible beaucoup en nombre d'hommes,
s'eſtant yn peu trop auancé fut repouſſé auec perte , & luy laiſſa la campagne libre . Le

Prouediteur Leonard Tagliapetra voyant le Baſſa marcher vers Nouigrad pric l'eſ
pouuante & abandonna cerce Ville , dontla garniſon ſerendi laſchement ſans aucu
ne defenſe,mais auſſi fut craitée infidellement par le Baſſa ,qui fit les Chefs priſonniers,
& commanda qu'on caillaſt en pieces les ſoldats & partie des habicans. Le Capiraino
quiy commandoit ,nommé Martin Oſtrich , cuc la teſtetranchée à Veniſe pour ſa lal
cheté. Le Baſſa ſe ſaiſir de la vieille Zara lieu de nulle defenſe, éloigné de dix milles
de la nouuelle . De là il prit la route de Sebenico pour l'allicger. C'eſt vne place peu
fortifiée, mais de grande conſequence ,pource qu'eſtant ſur le golfe elle y eur donné
encrée aux Turcs pour aflieger Zara par mer ; & delia ils y auoient faic venir quinze ga
leres de Barbarie, qui cauſoient bien de l'eſpouuante à Veniſe.
La terreur s'eſtant miſe dans Spalatro par l'arriuée de quelques troupes du Balla,
l'Euelque de cette ville s'arma à la teſte de ſon Clergé , & rendit le cæur aux habitans
qui eſtoient preſts de ſe rendre .
Le General Venitien Foſcolo coſtoyoit le Bafla & luy tenoit teſte. Le Supprouediceur
Catoarca prit la ville de Duarez ſur les confins de la Boſnie & de la Morlachic, & par
ce moyen gagna vingt lieuës de pays & ferendit maiſtre de la ville de Morlach . Enſuite

dequoy les habicans de la contrée qui eſtoient Chreſtiens ſecoüerent le joug des Bac
bares , & ſe declarerentpour la Republique. Cequin'empeſcha pas le Baſſa d'aſſieger
Sebenico où il y auoit fix mille hommes de garniſon , commandez par Ekenfeld &le

Comte Scoti: mais apres on fiege aſſez long & fort ſanglant , la diſerce de fourrages
l'obligea de la laiſſer en repos pour cette année, & de tourner les forces contre la Mora
lachie ,où il reprit la ville de Duarez au quatriéme affaùr, & rauagea rouc le pays.
Les deux armées nauales ayant eſté quelque temps ſur le poin& de ſe bacire, celle des
Tome II . Z
re
178 Hiſtoi des Turcs ,

1646. Turcs plus forte en nombre d'hommes & de vaiſſeaux , fie premierement entrer du
ſecours dans la Canée par le moyen d'un vent de tramontane,auſli fauorable aux Turcs
que contraireaux Venitiens,leſquels elleempeſcha de pouuoir ſortir du port de Suda
où ils s'eſtoient retirez : puiselle debarqua vingt mille hõmes dans l'Ille, qui d'abord ſo
Laifirent du poſte des Ciſternespres de la Canée, & de ceux de Caluis & d'Apricorno,
où ils baſtirent deux forts pour battre Suda , & y enfermerent couce l'armée navale des
Venitiens , qui neantmoins trouua moyen d'en ſortir & alla ioindre les galeres auxiliai
res du Pape & de Malche.
Ces flottes reuindrent toutes enſemble fondre ſur les aſſiégeans & emporterent le

poſte de Colmi , où les Venicienstuerent deux mille Turcs , mais apres ils furentcon
trains de ſe retirer.

Les Turcs preſſoient touſiours Suda , qui eſtoit bien defendu, par ſon Gouuerneut
Giacomo Bolda , lequel eſtanç morc , Luigy Paruta ſucceda à ſa place & à'fa valeur,
Capello Generaliſſime, alla au deuant des galeres qui venoienc de Conſtantinople
pour renforcer l'armée ennemie, ayant ordre à quelque prix que ce fuſt de les emper
cher de iercer des viures & rafraiſchiſſemens dans la Canée, afin qu'il la puft reprendre
pendant l'hyuer . Dequoy ne s'eſtant pas acquitté au gré de la Seigneurie il fut demis
de ſa charge , qui fut donnée à Iean Baptiſte Grimany, & luy mandé à Veniſe pour ý
rendre compte .

Le Baffa general des Turcs ayant reconnu que ſes efforts ne pouvoient pas em
porter cette année le port de Suda , ſe reſolue apres auoir muny tous les forts qu'il
auoit baſtis à l'entour & éleué trois batteries ſur l'emboucheure du port , d'aller at
taquer la ville de Retimo qui eſt dans la parcie Septentrionale de l'Ille, ayant va aſſez
bon port & vn chaſteau aflis ſur vn roc forcéleué , & enuironné preſque de cous coſtez
de la mer . Cornaro Vice- Roy de l'Ine , fit marcher de ce coſté - là ce qu'ilauoit de crou .
pes , montant à dix mille hõmes.Le Baſſa l'ayantattaqué enfancauec huit mille hom
mes, auſquels il fic prendre terre en pluſieurs endroits pres de là , & en front auec dix
mille autres combatrans , le rechaſla iuſques dans Recimo , où ces malhcureux ayant
pris l'eſpouuante , ils rendirent preſque außfi- coſtla Ville , non pas le Chaſteau : máis la
capitulacion ne leur fut pas gardée, les vainqueurs y pafferent tous les ſoldats au fil de
l’eſpéc , & preſque tous les habicans, horſmis deux mille qu'ils firenc eſclaues, & le
carnage y fut ſi grand que les ondes de la mer en furent ceintes deux heures durant

juſqu'à plus d'un mille de là .Le Vice- Royyfur cué dansle combat.
L'armée nauale des Venitiens affoiblie par cét eſchec , ſe retira hors de cerce mer &
s'alla mettre à l'abry des Illes de Zante & de Corfou ; ſes galeaſſes meſme ayant aban
donnél'emboucheure du port de Suda qu'elles auoient couſiours gardée. . ??
Au reſte la peſte faiſoic tel rauage dans la Candie , que les places en eſtoient preſque
toutes depeuplées , & l'armée Turque G forrincommodée, qu'elleleua le ſiege du cha .
ſteau de Recimo pour aller vers la Canée y receuoir le ſecours & rafraiſchiſſement

qui luy venoit de Conſtantinople. L'ayant receu elle retourna y mettre le ſiege , non
obſtant les diuerſions que taſchoic de faire le Generaliſſime Grimany par les deſcen
tes dans les Illes de l'Archipel, & força le Gouuerneur à le rendre à compoſition , qui
fut auſlì peu obſeruće que celle de la Ville . Le Gouuerneur fut accuſé de laſcheté; &
c'eſt vn inal-heur general de cette Seigneurie dans cette guerre , que peu de fes Capi.
taines s'y ſont
comportez auec vaillance contre l'ennemy, & auec vnion entr'eux.
La Seigneurie fort cſtonnée de tant de pertes auoit beau implorer le ſecours des
Princes Chreſtiens, ils eſtoient trop acharnez les vns contre les autres ; Ecce quil'affli.
gea le plus , c'eft qu'elle ſceut que le Roy de Pologne qui luy auoic promis de faire
grande diuerſion de ſon coſté, nc pouuoit luy tenir parole ,parce que la Republique

Polonnoiſe, craignant ſans beaucoup de raiſon pour ſa propre liberté , ne voulut point
luy permettre d'auoir les armes à la main de peur qu'il ne s'en ſeruiſt contre elle -meſme,
& Pobligea de licentier les troupes eſtrangeres qu'ilauoit leuées .
Les Moſcouices & Coſaques s'eſtant declarez contre le Turc , comme le vouloit faire
le Roy de Pologne , & comme les Perſiens l'auoient auſſipromis , s'attacherent au liege
d'Azac au mois d'Aouſt, repouſſerent le Baſſa de Siliſtric qui venoit au ſecours, pri
rent quelques vaiſſeaux chargez de municions que les Turcs y vouloient faire entrer,
& ſerrerentla place de li pres qu'ils s'en rendirene maiſtros.
Les habicansdesenuirons de Nazareth & de S. Jean d'Acre ſe ſoufleuerent au mois
de Iuillet, à cauſe des concuſſions du Bey de Saphet , & auec l'ayde des Arabes ſe
mirent
Ibrahim . Liure vingt- deuxiéme.. 179
mirent en campagne , & taillerent les troupes en pieces : mais le Balla de Damas les
rengea à la raiſon .
1647 . 1647 :
Les Turcseſtane maiſtres de la campagne dans la Candie , il s'en fauua grand nom
bre de perſonnes à Veniſe, où ils apportoient la terreur& la conſternațion ,non moins
grande pour la violence de la peſte qui depeuploit toute l'Ille, que pour la craince des
ennemis : qui n'en eſtant pas auſſi moins incommodez , cftoient contrains de loger ſous
des hures dans les champs .

La Valete s’eſtant iuftifié à Veniſe, fuc fait General du debarquemene de toutes les
Ines du Leuant , auec plein pouuoir ſur tous les chefs de guerre quiy ſeroient, & de
claré le premier apresles Prouediteurs generaux.
Le portdeSuda eſtoic touſiours afliegé & batcu , & d'autre coſté la Canée en ford

grande diſetre de viures & d'homes. Legeneral Baſſa auoit liyuerné à Negrepont auec
quarance galeres, pour attendre le temps & l'occaſion d'y en jercer; Moroſiny General
des galeres pourſuiuit tellement deux galions Turcs , qu'il les prit : mais cinq cens hom
mes quieſtoient dedans ſe ſauuerent à terre dans la petite Ile de Ria , & tenoient bon
dans vn fore. Le Baffa general en eſtant aduercy parcit de Negrepont pour lesvenir
deliurer:vn ventcontraire l'empeſchant de mettre pied à terre, Moroſiny voulut ſortir
deſſus auec ſes galions qui eſtoient dans vn des ports de l'Ille , & ſe mit le premier en
merauec ſon vaiſſeau:mais comme le port eſtoit li eſtroir que les galions ne pouuoient
fortir que
que difficilement & vn à vn , & qu'auſſi ils ne ſe prefſoient pas trop de le ſuiure , le
Bafra le voyant ſeul tourna la proüe , & l'inucftit. Le combat dura ſix heures , les Turcs
s'eſtoiét rendus maiſtres du premier pont de ſon galion , & l'euſſent eſté bien -coſt de tout
le vaiſſeau , Moroſiny ayant eſté tué de deux coups de mouſquet , le Generaliſſime
Grimany quile venoit ioindre , n'eſtant qu'à quacre milles de là , ne ſe fuſt prompte
ment auancé auec deux galeaſſes & quelques galeres ſubtiles. D'abord il mit à fonds la
galere Capitaine des Turcs & trois autres , puis attaqua fi viuement le reſte qu'il les
contraignit de prendre la fuite vers Neprepont , auec tant de frayeur que crois autres »
encore fe briſerent concre des rochers . Ils y perdirent en tour deux mille hommes , leur
General & ſept galeres . La Seigneurie honora la valeur de Thomas Moroſiny de fo
lennelles funerailles, & donna la charge à Bernard ſon frere.
Quarante galeres Turques eſtant à Metelin auec vn conuoy de ſix caramouſſals &
de cinquante cahiques chargées d'hommes & de munitions , Grimany & Moroſiny
attaquerent ce conuoy dans le port , & en prirent vne partie , apres auoir mis les galeres
en fuite.

Le Grand Scigneur enuoya demander paſſage à l'Empereur pour les troupes qu'il
vouloit faire entrer en Dalmácie , & auec cela des Villes de ſeureté. L'Empereur leluy
refuſa , & ordonna à ſes Gouuerneurs de s'y oppoſer auec toutes les forces du pays.
Le General Sperrheuter Alleman , auec quantité d'Officiersde la nation , ſe mir au
feruice des Venitiens dans la Dalmacie . Le Prouditeur general Piſany y prit le cha
ſteau de Xemonigo , s'empara de pluſieurs petites places ſur les Turcs , ſurprit les faux
bourgs de Nouigrade, & en batit ſichaudement le chaſteau qu'il l'emporta, mais apres
il le demolit. En ſuite dequoy il ſe rendit maiſtre des forts de Nadin , de Carin , & de
toutes lesplaces que les Turcs auoientau deçà de la montagne, horſmis de Cliffa , où il
mit le liege:mais peu apres , ſur l'aduis qu'il eut que le Baſſa de la Natolic venoit au
fecours auec
dix mille hommes , il le leua , & diſtribua ſes troupes par les autres forts
pour ſe tenir ſur la defenſiue. L'armée Turque ſe diuiſa en deux ;vne partie fit des couco
fesautour de Zara , l'autre bloqua Spalatro:
** Les Venitiens les allant harceler avec plus de temerité que de courage, furent
deffaits en deux rencontres , en chacune deſquelles ils perdirent quatre à cinq cens
hommes .

Ainſi les Turcs maiſtres de la campagncafliegerent Sebenico , qui abatic ſes faux
bourgs pour ſe mieux defendre. Il receur du ſecours de la Seigneurie à diuerſes fois,
meſmedurantle ſiege :de ſorte que les Turcs qui auoient ſeulement pris la tenaille du
fort S.lean, decouragez & par la vaillance des alliegez, & par la perce de plus de deux
mille hommes tuez aux accaques , & par les maladies contagieuſes qui s'eſtoient miſes
dans leur camp , ſe recirerent de là . Les aſſiegez les pourſuiuant auec trop de chaleur
ſur leur recraice , y furent baçcus & perdirent fix cens hommes.
Tome II . Zij
180 Hiſtoire des Turcs ,

16 47. Le reſte de l'année s'y palſa fans beaucoup de progrez , aſſez heureuſement neanc
moins pour les Veniciens.
Le Baffa gencralow Captan piqué au jeu de la perte de ſon conuoy,ayant ramaſſé quel
ques brigantins auec les galeres , fe hazarda de jeccer du rafraifchiſſement dans la Ca
néc , & y reüfſit . Grimany qui ne l'auoit ſccu empeſcher de paſſer l'accendit au recour,
reſolu de le combattre lors qu'ilen ſortiroit. LeGrand Seigneur faſché de la perce du
premier conuoy ficmettre en priſon le grand Vizir, quien ſorcit le iour meſme
terceſſion de la Sultanemere ,qu'ils nommcnr Validay,mot Perſan qui ſignifie Reync
mere . Il depofa auſſi le General de la mer , & mic en la place vn icune homme aagé de
1
vingt ans , qui auoit eſpouſé la fille du defunt Sultan Amurath . Il priuaencore de la
charge Haly Baſſa Aga des Ianiſſaires, pour n'en auoir pas fait embarquer le nombre
qu'on luy auoit commandé pour cette expedition.
Grimany touſiourspoſté pres l'Illete de S. Theodore ,combaticle Baſſa au ſortir de la
Canée , luy coula quatre galeresà fonds, & en prit cinq. Vne partie de ſon armée com .
mandée par Morolini cftoit demeurée à Negropont, où elle tenoit vnze vaiſſeaux de
Barbaric inueſtis dans le port : tandis qu'vne autre partie cenoit auſſi de meſme force
dans le port de Napoli, l'armée nauale commandée par le Baſſa deſticuć. Le Grand
Seigneur afin de la degager y enuoya cncor grand nombre de vaiſſeaux : mais celle des

Venitiens fut auſſi renforcée d'vnze galeres.


Enfin Moroſiny perdic la peine à Negrepont:l'aduis qu'il cuc que le Baſſa general de
la mer venoit à luy ,l'obligea de faire voile vers le gros de l'armée, de peur d'eſtreen
fermé luy-meſme.
Le Prouediteur Mocenigo & le General des galeresde Malthe, auoient entrepris de
battre la nouuellcarmée queleicune General Turc equipoit dans le port de Sio ; & de
fait ils luy auoient coulé à fonds quelques vaiſſeaux: mais lors qu'ils en virent paroiſtre
· en mer beaucoup plus qu'ils n'en auoient,qui caſchoient à gagner le deſſus du venc
pour les venir attaquer , ils s'eſtoient retirez .
Grimany ayant leué l'anchre de deuant le port de Napoli pour les venir joindre, &
leur ayder ,le Captan ou General deſtitué qu'il tenoic comme aſſiegé, en ſortit auſſi
coft, & fe rengea en celuy de Sio , auec l'armée du jeune Captan : quiprenant bien
ſon temps fit entrer douze vaiſſeaux dans la Canée , chargez demunicions & de trois
mille hommes de guerre. Cela fait , il ſe retira dans les porcs de la Natolie , Grimani
ne l'ayant pû fuiure àcauſe des vents contraires . Puis encor cinquante galeres Turques
fauoriſées de la tramontane , y porcerent dix mille hommes.
Les Generaux Gil d'Has & Dolfino ſemirent en campagne à la teſte de ſix cens com
baccans , & reprirent le chaſteau de Temene à deux licuës de Recimo : en ſuite de
quoy ayant fait auancer deux mille fantaſſins & quelque caualerie , pour ſe faiſir d'vn
poſte auantageux , il y eut vn grand combat. Les commencemens en furent fauora

bles aux Venitiens, mais la fin cres- dommageable par la laſcheté de leur caualerie qui
prit l’eſpouuante , & abandonna ſon infanterie, doncil en demeura douze cens ſur la
place : de ſorte que Dolfino fur contraint de demcurer ſur la defenſiue, & de ſe recran
cher deuant les ennemis . Leſquels par ce moyen eſtant les maiſtres prirent le fort de
Mirabel , & le chaſteau de Girapetra laſchement abandonné par ſon Gouuerneur,&
ſe ſaiſirenc d'vne coline for deſaduantageuſe à la ville de Candie.
L'Hyuer ayant fait recirer & les armées nauales dans les ports , & les troupes de cerro
dans les places, ilne ſe paſla plus rien cette année: mais les Veniciens craignoient fore
la ſuiuance , à cauſe du grand renforr arriućà leurs ennemis .
Le Conſeil du Grand Seigneur trouua bon d'enuoyer vn Chaoux en Pologne alicu .
ser le Roy Vladiſlas de l'entretien de la paix , & qu'il auroit ſoin de reprimer les cour
fes des Tarcares. Ce qu'il fit, de peur quece Royne ſeioignift aux Moſcouitesen effet,
comme il l'eſtoit de volonté.

Les faniffaires & Spahis commencent au mois d'Octobre à ſe muriner contre le


Grand Seigneur Ibrahim . Nous en verrons les ſuites.
1648 .
1648 .
La ville de Candic eſtoit couſiours aſiegée par les Turcs, le Comte de Romorantin
commandant dedans à la place du GeneralGil d'Has,que la Seigneurie auoit fait venir
en l'armée qu'elle auoic en l'Archipel.La peſte n'accaquoit pas moins furieuſement cer
te Ville queles allicgeans : le General Balſa ayant entrepris de concraindre ſes gens d'y
aller
Ibrahim . Liure vingt -deuxiéme
. 181

aller à l'affaut, ſepeà huit cens d'eux s'enfuirent dans la Ville. Peu apresle General Gri- 1648.
many eftant deſcendu dans l'Ille auec vne parcie de ſon armée, il chargea les alliegeans
auec tant de vigueur, & les affiegez forcans en meſme temps le ſeconderentù
bien
qu'ils abacirent leurs trauaux , en tucrent ſept à huit cens , & y prirenc douze pieces de
canon . Çét eſchec obligea les ennemis de ſc retirer à Recimo. LesVenitiensreprirenc
encor Mirabel , qu'ils demolirent .
Cela faitGrimaniretourna vers les Dardanelles reioindre l'autre partie de ſonar
mée , & laiſſa quelques galeres à Bernard Moroſini General des galions, pour luy aider
à reſſerrer vingt-quatre galeres Turques qu'il tenoit acculées dans le canal de Negre
pont : mais elles ſe ſauuerent vniour qu'ileſtoic allé faire cau .
La peſte rauageoit Conſtantinople tour du long du Printemps , & y faiſoit mourir
plus de mille hommes par iour. Nonobſtant ſa fureur, le Grand Seigneur renforça ſon
armée de quantité de galeres& de grands vaiſſeaux , pour arracher aux Veniciens le
reſte de la Candie , & le Baſſa generalmit quarante galeres hors des Dardanelles pour
s'emparer detoutes ces aduenuës , & empeſcher que lesVenitiens ne s'y vinſſent poſter
à leur ordinaire. Il deſtinoit auſſi vn autre puiſſant armement par cerre contre le Frioul,
ce qu’apprehendanc la Seigneurie , elle taſchoit de traiter quelque accommodement,
& pour cét effec elle enuoya à Conſtantinople le Secretaire Balariny pour y negocier
conjointement auec Soranzo qui eſtoit ſon Baile.
En terre ferme le General Foſcolo ſur la fin de l'hyuer aſſicgea la forcereſſe de Clim ,
ſeule place reſtant aux Turcs dans la contrée de Sebenico; & l'ayant
priſe arcaqua celle
de Cliffa qu'il emporta de meſme, comme auſſi la petite ville de Sign , où il trouua
grande quantité de bled , & de fourrages. Il euſt paſſé plus auant , s'il euſt eu de l'ar
gent pour contenter ſes troupes .
Lesmauuaiſes qualitez , les faſcheux deportemens, les cruautez & excrauagances du
Grand Seigneur Ibrahim irriterent fort la milice & le peuple contre luy; & s'il y culteu
quelque Prince de la race Ochomane en aage de regner, ils ne l'euffent pas ſouffert Gi
long-temps. Sa mere meſme ne pouuoit endurer ſon mauuais gouuernement,ny luy ſes
remonſtrances: de force qu'il la fitarrefter priſonniere ; ce qui redoubla la haine & les
murmures contreluy, & il fut contraintde peur de s'expoſer aux dangereux effecs de la 1
ſedition , de ſe tenir enfermédouze ou quioze iours .
Les Veniciensayans aduantage contre leurs ennemis , rcceurent yn tres -grand dom
mage par la violence de la mer. CommeGrimany eſtoit auec ſa flote pres du petit ef
cueil d'Abſera à douze milles de la pointe de Sio , le 28. de Mars s'éleua vn vent de
Ponant, qui fit telle tempeſte durant ſix heures qu'il briſale grand vaiſſeau où eſtoit le
magaſin des viures & munitions , & par le hurt dece vaiſſeau fracaſſa la galere capitai
neſle où eſtoit Grimany auec les principaux Officiers, ſubmergea trois ou quatre autres
vaiſſeaux, pouſſa contre terre deux autres galeres , & en iecca ſeize autres ſur le ſable &
ſur les eſcueils : il en fut remorqué quelques-vnes, mais toutes ſi mal menées, qu'elles
n'eſtoient plus en eſtat de feruice. Grimany peric en ce naufrage ,aucc pres de deux
mille ſoldats. Leonardo Mocenigo fut ſubſtitué en la place de Generaliflime , & Ring
fait Capicaine des galions .
Cecte diſgrace n'empeſcha pas Mocenigo , quand Giacomo Riua l'eut ioint aucc
quelques vaiſſeaux de guerre , qu'il ne s'aduançaſt auec le reſte du debris & quelques
nouueaux galions, pour combattre l'ennemy à ce paſſage. Cependant les Turcs firenc
entrer dansla Canée douze cens hommes 8c de l'argentpour le payement de la garni
fon ,malgré ſepr galeres qui leur en deuoienc defendre l'entrée.Ec vn mois apres douze
galeres des Beys de Rhodes & de Negreponc yiercerent encor vn bien plus grand ſe
cours. Le Prouediteur Lorenzo Marcello qui les gueroic, en attrapa deux .
Il y eut diuers petits exploits en Dalmacie, qu'il ſeroic inutile demarquer,
Vnparty de trois mille fantaſſinsMorlaques conduits par vn Preſtre fore vaillanc
homme , fur caillé en picces par la caualerie Turque ,comme il penſoit ſur vne fauſſc in
telligence s'aller cmparer de la ville de Licca . La caualerie Venicienne abandonna ces
Morlaques au beſoin , & futcauſe de leur deffaite. En toute cerce guerre elle n'a rien
.
faic qui vaille , ny dans la Candie, ny en terre ferme
Le Grand Seigneur Ibrahim deuenantde jour en iour plus faſcheux fic eſtrangler le
Capran Baſſa, pour n'auoir pas forcé l'armée Venitienne aux Dardanelles , laquelleem .
poſchoicla ſienne de ſortir , il y auoit pres de deux mois. Le nouucau Caprans'aduiſa ,
Z iij
182 Hiſtoire des Turcs ,

1648. ne pouuane paffer non plus que l'autre,de tirer vne partie des prouiſions & des hommes
qui eſtoientſur ſes vaiſſeaux , & les fit mener par terre iuſquesvis à vis de Mecelin , où
il les embarqua ſur trente galeres qu'il y auoir mandées, quiles paſſerent à la Canée
ſans aucune difficulté.

Cela ne ſe fit qu’apres la mort d'Ibrahim . Cét Empereur s'eſtant rendu odieux 80
inſupportable, pour les raiſons que nousauonsmarquées en ſon Eloge , les principaux
Officiers deſon Empire conſpirerent de luy ofter le culban Imperial;
meſme ſa propre
mere offenſée du mauuais traitemět qu'elle en auoic receu,y conſentit. La milice eſtant
fa propre haine s'aſſembla dans la grand' place le
donc pouſſée par ces gens-là & par
ſeptiéme jour d'Aouſt , manda le Mufry , le Cadileſquier de l'Europe , celuy de l'Aſie
& les autres gens de la Loy ; chargca le Mufry de luy aller demander la depoſition
d'Achmet ſon grand Vizir , & que ſa charge fuſt donnée au Baſſa Mechmet vieillard
ſeptuagenaire . Ibrahim fut contraine de deſchir & de donner lecachec d'or marque de
cecce charge à Mechmet . Achmet s'eſtanc refugié chez ce Mechmet pour luy deman
der grace & l'obliger par cette ſouſmiſſion à le traiter genereuſement, la miliceluy en
uoya dire qu'il euit à l'eſtrangler. Il le fut tout à l'heure ,& ſon corps expoſé deuant la
Moſquée neuue .
Le lendemain la milice s'eſtant encor aſſemblée , ſes chefs entrez dans la Moſquée
firent leurs plaintes au Mufry des iniuſtices & mauuais gouuernement d'Ibrahim . Le
Mufry ordonna qu'on enuoyeroit vers luy pour le citer à venir comparoiſtre en luſtice;
Dequoy n'ayant tenu conte;lc Mufry luy enuoya derechefd'autresdeputez , c'eſtoient
des ſoldats , auec vn eſcric ou bref de ſa main qu'ils appellent va Ferfa, c'eſt à dire vn
poinct de Loy , par lequel il eſtoit porté que tout homme, fuſt -ce Roy ou Empereur,
eſtoic obligé en conſcience de comparoiſtre deuant la luſtice de Dieu : les Turcs
appellent ainſi leur Loy . Ibrahim ayant mépriſe ce Fetfa & l'ayant deſchiré, le Mufry
luy en renuoya vn ſecond par les meſmes ſoldats , portant que quiconque n'obeït
pas à la Loy de Dieu n'eſt point vray Muſulman , & ſi c'eſt vn Empereur, qu'il eſt de
gradé de l'Empire. Ibrahim le deſchira comme l'autre , penſant eſtonner ces conſpi
rateurs par ſon affeurance. Mais eux fans perdre temps s'en allerent au Serrail ſur les
cinq heures du ſoir , ſuiuis de toute la milice ; Et lors il perditenticrement courage, &
priala mere de vouloir incerceder pour luy. Elle y eſſaya en effet, ou par feinte, ou au
trement : mais on n'eſcouca point ſes prieres, & on la contraignit d'aller querir le fils
aiſné d'Ibrahim nommé Mehemet. Lequel ils aſſirent à l'heure meſme dans la chaire
Imperiale , & luy mirent ſur la teſte vn tulban chargé de plumes de Heron , qui eſt
comme la Couronne des Grands Seigneurs , toute la milice criant , Viwe Sultan Me
hemer.

Cciour -là Ibrahim fut enfermédans la meſme chambre où il auoit eſté priſonnier
du viuant de ſon frere Amurath . Le lendemain il fuc plus eſtroitement reſſerré, & dix

jours apres, ſçauoir le dix -hui& iéme du mois d'Aouſt, eſtranglé. On dic que s'il euſt
veſcu , il cuſt' accordé la paix aux Veniciens, pour faire la guerre aux Polonnois , &
que ce traité eſtoic forc auancé .

Le gouuernement de l'Eſtat futmis entre les mains du grand Vizir , de la Sultane


mere, & d'un Conſeil de douze Ballas, pour regir conjointement iuſqu'à la majorité
de ce Prince , c'eſt à dire pour le moins dix ans ,
car il n'en auoit que ſepe. Ce nouueau
Conſeil deſirant d'abord improuuer la mauuaiſe conduite d'Ibrahim , rompir tout
traité & negociation auec les Veniciens , & leur declara la guerre pour ſept ans .
Ils s'eſtoient imaginez que ce changement leur apporteroit de grands aduantages ;
Et certes pluſieurs brouilleries dont il a eſté ſuiuy cant des querelles d'entre les Spahis
& Ianiſſaires, que des reuoltes des Gouuerncurs des Prouinces , que des jalouſies &
diſcordes d'entre ceux qui compoſent le Conſeil, leur ont donné ſouuent quelques
eſperances : mais les Turcs nous ont monſtré iuſqu'icy qu'ils ne ſont pas tout à fait bar
bares ny ignorans pour ce quieſt du maniemene de leursaffaires, & que les diuiſions ne
ſont pas ſidangereuſes à l'Eſtac parmy eux qu'elles le ſont parmy les Chreſtiens, qui ſe
ruinent preſque tous par là.
Ainficét horrible changement n'apporta aucun aduantage aux Venitiens,comme
ils efperoient; ſinon que l'armée Turque qui eſtoit aux enuirons de Clilla depuis yn
mois ſans rien entreprendre toutesfois, demeura inutile pour cette année , les Ianiſſaires
qui en faiſoient la principale force , s'eſtant retirez à Conftantinople. V fraim n'en re ,
laſcha
Ibrahim . Liure vingt - deuxiéme . 183

laſcha rien de l'ardeur auec laquelle il attaquoit la ville de Candic. Entr'autres parci- 1648 .
cularitez de ce ſiege , il emporta d'affaur, mais apres vne longue & meurtriere reſiſtan
ce ; lefort de S. Demetry. Le General Mocenigo quittant le blocus de S. Thcodore
pour venir au ſecours de cecce place mena ſes gens à cc fort , & c y donna ſi vigoureuſe
ment l'eſpéc à la main , qu'à la fin il le regagna. Le combat y fut tres-langlant , il y
perdit quinzecenshommes , & yen cur cinq cens de bleſſez , au nombre des dernier's
eſtoient Gil d'Has , & le Comte de Romorantin : celuy.cy mourut de ſa bleſſeure. Ily
fut tué cinq mille Turcs .
Voila ce qu'il y eut de plus memorable cette année .
1649 . 1649 .

L'opiniaſtre continuation des guerres ciuiles entre les Chreſtiens , oſtoit toute eſpe
perance aux Venitiens de pouuoir moyennerla paix generale , ny d'en obtenir en ſuite
le ſecours qu'ils doiuent attendre de cette reconciliation; Et la mort d'VladiſlasRoy
de Pologne n'interrompit pas ſeulement l'effet de celuy qu'il leur faiſoit attendre,mais
cncore les éloigna de toute apparence d'auoir aucune aſſiſtance de ce cofté- là , pource
que peu apres que ce braue Roy fur forty de ce monde les Coſaques ſe reuoltc
rent , & commencerent vne guerre dont les ſuites one eſté fort ſanglances pour céc
Etat-là.
Tellement que les Turcs euſſent pû tirer bien plus d'aduantages de nos malheurs ſi
le deſtin des grands Empires n'euſt fait naiſtre parmy eux des diuiſions, qui ſans doute
ont bien affebly & perdront peut-eſtre leur puiſſance. Carapres le tragique change
ment que nousauons marqué, ces deux grandscorps demilice qui la ſouſtiennene, l'vn
des Ianiſſaires, l'autre des Spahis , ſe mutinerent tousdeux à la fois,tant par vne li
cence ordinaire , que par la ſuſcitation de quelques Vizirs & Officiers.
Les Spahis en vouloient particulierementau grand Vizir , & demandoient ſa ceſte ,
l'accufans d’eſtre cauſe de lamort du Grand Seigneur. Etluy la diſputoitparla faueur
des laniſſaires, & offroic de la racheter par le prix de cent mille ſequins. Pendant ces
diuiſions ,les laniſfaires & Spahisen venoient quelquesfois aux mains ; vne fois il y euc
vne ſedicion entr'eux qui dura pres de deux iours.
Cecce broüillerie donna quelque eſperance aux Venitiens d'obtenir vn accommo
dement à la Porte : mais on leur reſponditplus fierement que iamais . Meſme leur Baile
y fur arreſté le 27. Auril comme il ſortoit de l'audience , & mis aux fers auec couce ſa
ſuite. Il s'eſtoit deffié de ce qui luy arriua , & auoit laiſſé ſes Secretaires à la maiſon,
leur ayant ordonné s'illuy arriuoit mal de ſe refugier chez l'Ambaſſadeur de France,
comme ils firent. Céc Ambaſſadeur quoy qu’on menaçaſt de piller ſa maiſon , alla in
continent chez le grand Vizir pour interceder pour la deliurance du Baile : il ne la
půc obtenir, mais ſeulementeut promeſſe qu'il ne ſeroic point faic iniure à ſa perſonne,
ny à celle de ſes ſeruiteurs , & qu'on ne coucheroit point à la maiſon . Ce qui luy fut ob
ferué ponctuellement,mais on fit pendre ſon premier Dragoman ,nomméGrillo :le cre
dit de l'Ambaſſadeur de France fic rendre ſon corps & conſeruer ſes biens à ſa femme .
L'armée Venitienne ſe poſta pres des Dardanelles, pour empeſcher le paſſage de
celle des Turcs , qui nonobſtant leurs diuiſions s'eſtoic renforcée de quarante galeres,
& dix gros vaiſſeaux. Malgré les Venitiens , les Turcs firent entrer dans la Canée cinq .
galeres chargées de ſoldats & de munitions , & preſqu'au meſme temps ſix galeres &
dix vaiſſeaux de Barbarie , entrerent dans le port de Suda.
Mais les Turcs qui tenoient Candie bloquée ne receuant point le renfort attendu,
ſe retirerent dans la Canée & Recimo . Candie cependant trauailla à fes forcifications,
eſtant rafraiſchie d'vn nouueau renfort de huit cens hommes . Vn mois apres le Baſſa
general Vlaim rapprocha ſon armée pour la preſſer plus fort qu'auparauant .
Il ſuruint diuiſion entre le Gencraliffime Mocenigo & le General Gild'Has , que ce .
premier fit arrefter priſonnier. Le Senat en teſmoigna grande faſcherie , & luy com
manda de le relaſcher , offrant à Gil d'Has de luy donner le commandement dans
Corfou , Zante & Cephalonie .

Du coſtéde la Dalmatie ,le General Foſcolo ayant deſſein ſur la place de Caſtelnouo
en Albanie, & de tirer desbledsde ce pays-là , attendit quelque temps dans le porc de
S.Ican de Medon vis à vis de Scucary , les gens de guerre qui luy deuoient yenir. Son
éloignement donna occaſion aux Turcs de rauager la Morlaquie. Ec comme il voulut
faire deſcenteà Antiuary dans l’Albanic , il y fuc ſi mal receu par les
Turcs qu'il fut
Hiſtoire des Turcs,
184

1649. contraint de ſe rembarquer cout en confuſion , & d'aller attendre à Budua l'une des

places de la Republique dans la Dalmatie , denouucaux ordres, & de meilleurs aduis


que celuy - là.
Peu apres il entra dans la Boſnie & pouſa les Barbares iuſqu'aux portes de la ville do
Sarſay capitale de la Prouince, & pricpar compoſition la ville de Rifano entre Catcaro
& Caſtelnouo. Maisà l'arriuée de l'ennemy qui eſtoit de quinzc à ſeizemille hommes,
il ſerceira en arriere , & les Raguſins & Albanoisqui branloient pour ſe declarer pour la
Republique, ſe tournerent du coſté des Turcs.

Pendant ces exploits le pecit Empereur Mehemet fut ſacré à Conſtantinople , aues
les ceremonies ordinaires .

Ils'éleuoir dans l'Empire Turc pluſieurs rcuoltes & partis , qui neantmoins faiſoient
plus de peur que de mal . Les Baſſasdes Prouinces de l'Alie, comme de Damas, de Sy
ric , & de Natolie, recenoient l'argent des criburs , diſans qu'ils vouloient melnager le
bien de ce icune Prince , que l'on deſpenſoit mal à propos.
Les Turcs commettant quelquesrauages en Hongrie ,furent barcus pres de Buds,
par le Comce de Fortgaze ; le Baſſa de Budey fut pris, & ſon fils tué .
Les Coſaques courant la mer noire auec nombre de barques , donnoient de la ter
reur à Conſtantinople.
Cinq mille Turcs penfant emporter la fortereſſede Cliſſa par eſcalade , y perdirenc
cinq cens de leurs meilleurs hommes , & furent contrains de ſe retirer. Troismille au
tresmarchantcontre la ville de Moncenegro , furent repouſſez par les Euelques d'A
leſſio & de Croia .
1
La Porte d'Afrique faiſoit diuerſion vers les Illes de Corfou & Zance pour
, empel
cher les Venitiens d'envoyer du renfort à leur armée quigardoit le paſſage des Dar
danelles . Giacomo Riua General de leurs galions delia forc aagé, mais auſſi hardy &
vigoureux qu'vnieune Capitaine , s'y eſtoitpofté auec douze vaiſſeaux ſeulement.Ber

tuccy Ciurano l'y eſtoit allé ioindre ſur la fin du mois d'Aurilauec ſeprautres. Le nou
ucau Captan ou Baſſa general en auoit plus de ſoixante , fort mauuais veritablement &
malequipez, mais chargez de grand nombre de ſoldateſque, fpecialement de ſix mille
Ianiſſaires: & neantmoins auec de li grandes forces il n'oſoit paſſer ,parce qu'il n'auoic
pas le vent fauorable. Or le ſixiémede May voyant vn profond calme, il ſe reſoluc de
s'eſtendre en mer du coſté de la Grece vers l'Achaye . Dece coſté -là il n'y auoit que Gix
vaiſſeaux Veniciens : le Capitaine nommé Giralomo Bacaglia , quoy qu'il ne fuft ſuiuy
que de deux de ces vaiſſeaux, parce que les autres n'eſtoient pas commandez ,'s'oppola
Reantmoins au plus grand choc des ennemis . Cecce bonne reſolution fuc ſuivie des:
autres Capicaines; Ciurano ſe mit à ſuiure les Turcs , les baccant continuellem
ent à
coups de canon , iuſqu'à ce que leiour & le venttout enſemble luy manquerent . Mais
l'ardeur ne luy manqua pas à luyny aux autres Chefs,ils pourſuiuirent ſi viuement l'at
mée Turque, qu'ils deſcouurirent qu'elle eſtoit dans le port de Focchic , où elle auoit
ioint les galeres de Barbarie . Et lors le General Riua de ſon mouuement & de l'aduis
des autres Chefs qu'il y porca par ſes exhorcacions, reſoluc de l'y attaquer. Ce porteſt
fort eſtroit d'emboucheure , mais par le dedans a plus de deux milles de longueur & de
largeur. L'armée Veniciennc fit ſemblant de ſe retirer pour reuenir en meilleur ordre
inueftir l'ennemy : mais incontinent apres s'eſtant leué comme par merueille vn vent
de Ponanc; elle tourna derechefles proües deuers le port , à l'emboucheur duquel ſe
e
commença vn ſanglant combat, donc la gloire & l'aduantage demeureren cnciere
t
ment aux Veniciens .

le remccs à vne plus ample Hiſtoire d'en rapporter coutes les particularitez : il y fuc
cué ſix mille Turcs,& n’y mourut pas vne vingtaine de Chreſtiens, on leur brulla neuf
de leurs vaiſſeaux,troisgalions & deux galeres : mais on ne leur prit qu've galion & vac
galere , parce qu'il eſtoic difficile delesremorquer hors du porc. Les Veniciensdemcu .
rerent troisiours deuant , & prirent le Chaſteau. Cependant ils eurent aduis que trence
vaiſſeaux de Barbarie , ce ſont les meilleurs qu'air le Turc , venoient au ſecours, ce qui
les empeſcha d'acheuer leur victoire, & les obligea de ſe retirer. Le Capcan fit voiles
vers Rhodes , il rencontra en chemin les vaiſſeaux de Barbarie , & dix - huit autres , cant
Anglois que Flamans, que le Baſſa du Caire luy enuoyoit. Auecce grand renfort, &
n'ayant pas moins de cent ſoixante - dix voiles , il s'en retourna à Sio p
, our de la paſſer
on Candie.

1
Ibrahim . Liure vingt -deuxiéme
. 185

La nouuelle de cette deffaite cauſa bien de l'eſtonnementà Conſtantinople, & irrita 1649 :
1
fort le peuple contre les Chreſtiens de Pera & de Galata , ſpecialement contre les
Venitiens ; Et Soranzo Baile de la Seigneurie , que le Diuan auoitfait arreſter priſon
nier ,ſe viden danger extreme de la perſonne. L'Ambaſſadeur de France luy rendit
de tres - bons offices.
Les Anglois aſpirans à ſe rendre maiſtres du commerce du Leuant,offrirent au grand
Vizir autant de vaiſſeaux qu'il en deſireroit pour cette guerre; en recompenſe dequoy
iloſta l'impoſt de trois pour cent ſur les vaiſſeaux Anglois qui viendroient trafiquer
dans les ports du Grand Seigneur .
Nouveaux deſordres recommencerent en l’Empire Turc . Tout le blaſme & le mal
hcur de la deffaite de l'armée du Capcan recombant ſur le grand Vizir , ſes ennemis en
reprirent occaſion de l'accuſer & le pouſſerent ſi bien par leurs menées qu'il fut faic
Manſoul , & fa charge donnée à l’Aga des laniſfaires. Les Spahis qui eſtoient dans l’A
fie s'attrouperent au nombre de ſept à huit mille & s'auançoient versConſtantinople,
pour venger , diloient- ils , la mort du Grand Seigneur Ibrahim . Cecce pelote croiſſant
de iouren iour, le Conſeil apprehenda que ceux qui eſtoient à Conſtantinople ne ſe
ioigniſſent à leurs compagnons, quoy qu'ils aſſeuraffent qu'ils eſtoient preſts demar
cher contr'eux : & lors les ennemis du Vizir depoſſedé perſuaderent facilementau
Conſeil qu'il les falloit appaiſer par ſa mort , veu qu'il auoit eſté l'un des principaux
autheurs de celle d'Ibrahim ; ſi bien qu'il cur la ceſte tranchée .
L'Agades laniſſaires inſtalé dans la charge de grand Vizir , deliura le Baile de Ve
niſe , pource qu'il eſtoit ſon amy de longue main .
Les diuiſions , qui dans cette guerre ont toulours eſté la cauſe des mal- heurs des Ve
nitiens , ſe mit entre leurs Generaux Mocenigo & Riua . Le dernier diſoit.qu'il auoic
inſtamment conſeillé d'aller attaquer les Turcs au port de Millo , & ſe plaignoit que
comme il eſtoit ſur le pointde les combattre , les autres Chefs par jalouſie au lieu de
luy pei mettre d'y aller tout droit , auoiencenuoyé des fregaces pour les reconnoiſtre,
& qu’ainſi les Turcs ayant reconnu leur deſſein , s'en eſtoient allez la nuit ; puis encore
que comme luy & Ciurano les pourſuiuoient & les alloient charger , ils en auoienteſte
empeſchez par vnc defenſe expreſſe que leur enuoya Moroſiny ,
& qu'on croyoic pro
ucnir de Mocenigo .
Quoy qu'il en ſoit, lesTurcs paſſerent facilement dans la Candic , auec ſoixante ga
1
leres , trente gros vaiſſcaux , & vingt - cinq autres plus petits chargez de toutes ſortes de
prouiſions , ietterent tout autant qu'ils voulurent de rafraiſchiſſement dans la Cance,
& allerent enſuite le poſter à Scandia qui eſt à vne lieuë & demie de la ville de Candie,
laquelle ils auoient deſſein d'auoir par famine, pource qu'il n'y pouuoit plus rien en
trer que par cet endroit.

Voila en quel eſtat eſtoient les affaires des Turcs & celles de la Candie au mois
d'Aouſt de cette année 1649 .

Nous auons eu quelques nouuelles depuis que celles des Venitiens s’y portoient
mieux , & que meſme ils y auoient remporté de grands aduantages par mer & par terre,
mais ic n'en oſerois rien eſcrire que ie n'en ſois informéplus particulierement . Quoy

qui en puiſſe arriuer , c'eſt vne tres grande gloire à cette Republique d'auoir ſouſtenu
cinq ans durant auec ſes propres forces toute la puiſſance Ochomane , qui en moins de
temps a englouty des Royaumes & des Empires cousenciers ; & elle ſe peut vanter que
Gla farale influence qui cauſe auiourd'huy tant de calamitez dans l'Europe, l'a engagée
dans la guerre comme les autres Princes, au moins ſes armes ſont les ſeules qui paſſent
pour innocentes au iugement de toute la Chreſtienté.

>
Tome 11. Aa
!

1 1
186 Hiſtoire des Turcs ,

ต่อ ดือ ดือ ดือ ดือ ด้

BELLE RELATION DE LA VIE

ET DE LA MORT DE NASSOVF BASSA .

Assove eſt vn mot que les Turcs one corrompu de la parole


Arabe Nacouch , qui ſignifie homme de conſeil.C'eſt le nom de ce
premier Vizir qui croyoit de ſorte en eſtre digne , qu'il mépriſoit le
conſeil de tous les autres, ne ſuivant & n’eſtimant que le ſien . Il
eſtoit né dans le village de Serrez pres de Salonique , non ſeulemenc
de pere & de mere Chreſtiens, mais d'on pere qui eſtoic Preſtre
Grec marié . Il eſtoit petit de ſtature , noiraur & rouge de viſage,
hardy,violent, orgueilleux,& cruel, deſireux d'argent outre meſure, non tant pouren
faire threſor, que pourle dépendre & s'en aduantager ; homme ſubtil & fin , ſans foy,
ſans amitié , &
ſans aucun ſouuenir des biens- faits qu'ilauoit receus , de ſorte qu'il eſtoic
generalement hay de tous horſmis de ceux qu'il auoit éleuez , leſquels il conferuoit &
maintenoic contre tout le monde ; aufli priuoit -il tous les autres de leurs charges pour
les remplir de ſes creatures .
Il fut amené de Serrez par ceux qui vont recueillant les enfans du tribut , & vint icy
du temps du Sultan Murat . Or comme c'eſt la couſtume de vendre ces enfans pour
deux ou trois fequins aux premiers venus de conneſſance,afin qu'ils s'en ſeruent iuſqu'à
ce qu'ayant appris la langue Turquelque , ils puiſſent eſtre receus & plus commodé
ment nourris, & enſeignez dans les Serrailsdu Grand Seigneur : il fut vendu à vn chaſtré
noir , nommé Mehemet Aga , lequel eſtant forty du Serrail pour aller à la Mecque ,ne
pouuoit plus eſtre receu pour demeurer dans les Serrails ,à cauſe qu'aucun n'y rentre
iamais plus au feruice du Grand Seigneur quand vne fois il en eſt forty , & toutesfois
ayant touſiours eſté tenu en eſtime d'hommeſçauant entr'eux , il auoit eſté éleu par le
G.S. pourvn de ſes Moucachib, c'eſt à dire familiers ;ce ſont cercaines perſonnes qui ont
entrécau Serrail, & y vont quand ils veulent ſans y eſtre appellez ,pour entretenir le
G.S. luy
& faire paſſer le temps en diſcours honneſtes. Ce Mchemer à cauſe de céc
office eſtoic homme d'authorité , & pour ce ſujet on n'ofa luy reprendre Naſſouf d'en
tre les mains , ſi bien qu'il continua à s'en ſeruir pluſieurs années , & le reconnoiſſanc
plein d'eſprit il le deſtina pour ſon heritier , luy fit apprendre à lire & à eſcrire , qui eſt
toute la ſcience des Turcs, faiſant grand compte de luy , juſqu'à ne le dedire de rien ,
& accorder à la priere tout ce qu'il luy demandoit. Cette amitié dura iuſqu'à ce qu'il
fuc aduerty qu'il eſtoit rauiſſant & tyran , & qu’au lieu de ſe ſeruir de l'authorité
qu'il luy donnoit pres de luy à s'acquerir des amis , il la vendoit pour del'argent , ne
s'employant pour perſonne ſanseneſtre payé , dont il le pricen cel deſdain , qu’apres
l'auoir bien fait chaſtier, il ſe reſolut de le chaſſer honteulement: mais il y eut cant de
ſes amis qui s'entremirent de ſupplier pour luy , que ne leur voulant pas accorder en
cierement ſon pardon , au moins leur accorda - c'il de le mettre au ſervice du Grand
Seigneur, où ille fic receuoir entre les Balcagdis , qui ſont les ſeruiteurs des Pages du
G. S. de ſes chaîtrez, & de ſes Sultanes : Seruiteurs , dil - je , pour enuoyer dehors, ſoic
pour meſſage, ſoit pour achepter , ſoit pourfaire coute autre choſe qu'ils ont de beſoin
hors du Seriail , duquel le moindre office eſt d'eſtre Baltagdy.
Il eut cette bonne aduenture à ſon aduenement qu'ilfut ordonné pour le ſeruice du
Kaiſleraga , c'eſt à dire Chef des filles ; il eſt ainſi nommé, pource qu'il eſt le chef de
tous lesEunuques noirs, qui ſont ceux qui ont les femines du Grand Seigneur en gar
de . Ce Kaillcraga l’employant quelquesfois à faire des meſſages pour la Sultane vers
fon Kehaya appellé Rouſteinaga, & voyant qu'il luy rendoit touſiours bon compte
de ce qu'illuy commercoit , il le pric en affection ; autant en fit Rouſteinaga , Kchaya
de ladite Sulcane. Kehaya elt vn mot pris du Perſien Ketchouda , c'eſt à dire Maiſtre
d'hoſtel, & s'eſcrit encore comme cela , mais c'eſt yne charge bien plus grande qu'elle
n'eſt parmy nous : carle Kehaya eſt parmy les Turcs , comme Lieutenant , commis &
procureur general de lon maiſtre qui fait quaſi toutes choſes par ſon entremiſe. Ce Rou
iteinaga le retira du Serrail pour s'en ſeruir , & le fit lon Kehaya , où il ſe comporta ſi
bien

1
Liure vingt-deuxiéme. 187

bien à ſon contentement qu'il l'auança en peu de mois auec affc &tion , & c luy fit obte .
nir la ſurincendance du baſtiment de la Moſquée que la Sulcane faiſoit baſtir, à quoy
elle auoit commis premierement vn nommé Kara Mehemet Aga qui eſtoit Capigi
baſli, c'eſt à dire premier Huiſſier du vieil Serrail : mais ce Mehemet eſtoit fi ſuperbe &
fi inſupporcable, qu'il s'accaquoic meſme à Rouſteinaga , & ne luy vouloir ceder en
rien , penſant eſtre aſſeuré de la faucur de la Sulcane, laquelle toutesfois par lestrames
dudic Rouſteinaga l'abandorfna & mit Naſſouf en la place.Nafſouf faiſant bien le
chien couchant & s'entretenant humblement auec ceux qui l'auoient auancé , encra
aux bonnes graces de fa Maiſtreſſe , qui vint à auoir cant de fiance en luy qu'elle le
fic Vaiyode & Souſbachy des pays que le Grand Seigneur luy auoit aſſignez pour fon
entretenemenç à l'entour d'Alep. Vaiuode veut dire Gouuerneur & Surintendant;
Soulbachy veur dire Preuoſt, en la main duquel cſt la punition des mesfaits qui fc
commettent. Ces pays - là pour la pluſpare ſont.habitez des compagnies mouuances.
d'Arabes qui changent de pays ſelon les ſaiſons, car ils fuyent la rigueur du froid en ſe
retiranc aux grandes plaines de Babylone , & au retour du Soleil, ils ſe vonc meccre à
l'abry de la chaleur dans les montagnes de la Syrie . Naſſouf auoit affaire à quantité de
ces gens - là , & luy eſtoit neceſſaire d'eſtrefin & accorc pour leur faire payer le cribuc
qu'ils doiuent, du payement duquel ils ſe defendent ou par force s'ils peuuent, ou par
aſtuce fila force leur manque : mais il les ſceut ſi bien gouuerner & ranger à la raiſon ,
que leur faiſant des auanics , & les pillant & volanc eux qui ſont des voleurs , il accreut
de beaucouple revenu de la Sulcane , dont elle fut ſicontente , qu'elle le fit à quelques
aonées de la Capigilarkehayacy du Grand Seigneur qui eſt vne belle charge , & dela
quelle on monte immediatement à eſtre Beglerbegh , c'eſt à dire Seigneur des Sei
gneurs ; Nom qu'ils donnent aux Gouuerneurs des Prouinces : leſquelles ſont tou
tes diuiſées en pluſieurs Bailliages , qui ont chacun leur Gouuerneur qu'ils appellenc
Çandgiac , c'eſt à dire Banniere ,ou Begh , c'eſt à dire Seigneur ; Ec daucant qu'ils ſont
tous ſouſmis & obcäſſans au Gouuerneur de la Prouince, ils le nomment Seigneur des
Seigneurs.Capigilarkehayacy ſignifie Lieutenant des Huiſſiers du Grand Seigneur, &
bien qu'il marche apres eux , ſi a - t'il plus d'authorité qu'eux , pource que par ſucceſſion
decemps tout l'exercice de leurcharge eſt venu à luy, comme en France aux Lieute
nans Ciuils l'exercice de la charge des Baillifs. Il ſe trouue au Diuan , c'eſt à dire au
Conſeil, aux iours qu'il ſe tient , & en permec l'entrée aux vns & aux autres , ſelon qu'il
les veut fauoriſer.
: Naſſouf ſe gouuerna auec beaucoup de ſuperbe, & d'inſolence en cép office , dans
Jequelſon ame ſe debordant deſia & pouſſant hors tous les vices que la crainte , ou la
baſſeſſe de condition en laquelle il auoit eſté iuſques- là , auoic tenuscouueris & reſſer
rez , ilcommença à faire paroiſtre cane d'orgueil , d'audace,& de temerité, qu'ilencou .
rucla malueillance de tous les grands ; toutesfois la Sulcane femme de Sulcan Murat &
mere du Sultan Mehemer pour lors regnanr , qui auoit tout pouuoir pres de ſon fils
obtint deluy pour Naſſouf le gouuernement d'Alep , concre l'aduis & la volonté du
grand Vizir . Ce fur lors qu'oſtant toute retenuë à ſon mauuais naturel, comme ſe
croyant deſormais au deſſus de la fortune ,& hors de coute crainte , il ſe laiſſa empor
cer à toutes ſes mauuaiſes inclinations & remplic la Ville de fang & de brigandages,
fans qu’autre choſe que la pauureté ſeule fuſtafleurée deuant luy. Et dautant que les
laniſſaires de Damas , auſquels la garde de la ville d'Alep eſtoit confiée , s'oppoſoienc
fouuent à ſes excorſions, & le menaçoient de l'en chaffer, il ſe reſolut de les preuenir.
Ces laniſfaires auoient eſté deltinez pour la garde d'Alep dés le temps que les Otho .

mans l'auoient conqueſtéc, & touſiours depuis iuſqu'à ces dernieres années , il y en de
meuroit vn gļand nombre comme pour garniſon . Mais dautant qu'ils eſtoienc d'vn
autre Gouuernement , ils obeïſſoientmoins au Baſſa , pource qu'eſtant grand nombre ,
& chacun d'eux ayant quelqu'vn de la Ville pour amy , & commeen ſa protection , ils
s'oppoloient aux auanies que le Baſſa leur vouloit faire & lesen garantiſſoient, ſeruano
par ce moyen de gouuerneurs & de moderateurs au Gouuerneur & à ſon auchorité .
Tous les Baſſas iuſqu'à Naffoufl'auoient ſouffert, & s'entretenoient aueceux le mieux
qu'il leur cſtoit poſſible. Naſſouf ne pût pas tant patienter , mais ayant ſecretement fait
catrer dans Alep bon nombre de ſoldacs du pays , il s'en deffic vn iour aucc violence ,
des chaſſant à l'impourueu hors de la Ville d'où s'enſuiuitvne guerre entre Alep & Da
mas , qui fut quelque temps continuée aucc grandeeffuſion de ſang de part & d'autre .
Tomc II . Aa ij
188 Hiſtoire des Turcs ,

Cependantcftant demeuré maiſtreabſola d'Alep ,il y viuoir commeen vne Ville con
quiſe, partie deſrobant, partie rauiſſant ouuercement le bien d'un chacun . On en ra
conte des extorſions eſtranges, i'en rapporteray ſeulement icy quelques- vnes.
Il ſceur qu'vn des fiens auoit achepié d'vn pauure More vne cres -belle jument à
aſſez grand prix, il enuoya querir ce pauure homme, & apres luy auoir reproché qu'il
ne la luy auoit pas donnée ,ille fic eſtrangler. Celuy à qui il l'auoit venduë , craignano
qu'ilne luy fift pis achepta vn tres -riche harnois,dont l'ayant enharnachée il luy en vine
faire preſent. Ùn pauure Tſchufalin , c'eſt à dire vn Perſien du pays qu'ils nomment
Tſchufa, d'où vient la pluſparc des ſoyes & eſtoffes de Perſe , auoit vendu pour quaran
te mille eſcus de foye à vn marchand François . Naſſouf en eſtant aduerty enuoya
prendre tout cet argenten ſa maiſon , & le pauure homme n'en pût auoir autre raiſon de
luy, linon qu'il en auoit beſoin pour ſubuenir aux frais de la guerrequ'il eſtoit contraint
defaire , & qu'à luy les foyes ne luy manquoient point en ſon pays. Vn Armenien ap
pellé Bedic, qui eſt maintenant Douannier du Grand Seigneur en Alep , luy offrit tren
te mille eſcus pour faire mourir fon maiſtre nommé Cefer qui eſtoit lors Douannier,
& zlemekre en ſa plaće . Nafſouf le luy accorda , puis enuoya querir Cefer & luy dé .
couurant la trahiſon de ſon valec , luy dit que s'il vouloit ſauuer la vie , il faloit qu'il luy
fourniſt la meſme ſomme. Ce pauure homme s'efforça cant qu'il la trouua; mais dés
qu'il l'euc receuë, il le fit mourir, & non content de cela le fic ieccer en l’eau ; puis il en
uoya querir ſes freres, auſquels impoſant qu'ils auoient frit fuir lcdit Cefer auec l'ar
genc de la Douanne du Grand Seigneur,il prit cous leurs biens & les rendit miſerables.
De ſemblables & infinies voleries vindrent tout à coup tantdeplaintes à la Porto
que le Vizir n'eut pas grand peinede le faire reuoquer. Mais ſe doucant bien qu'il fe .
roic reſiſtance à ce commandement, & ne cederoit pas volontairement à celuy quiluy
feroit ſubrogé ildonna ledit gouuernement à Houſſeim , qui auoit authorice en la Pro
uince pour eftre deſcendu de la race de Zambolac, ancien Seigneur du pays , & pou
uoit facilement l'emporter ſur Naſſouf ,qui eſtoit hay de tout lemonde.Ce conſeilfuc
tres- fage; car il falut venir à la force contre luy , & leuer quantité de gens de guerre
pour l'accaquer en Alep où il s'eſtoit enfermé
, & tenoit bong ayant peu deloucy des
ordres du Grand Seigneur,au deſceu duquel il publioit qu'ils auoiét eſté donnez. Ceux
de Damas vindrentau ſecours de Houſſeim , qui auoit deſia mis enſemble dix mille

hommes de pied,qu'ils nommenc en ce pays Cekmeny, ( c'eft vn mot Kiurde , qui ſigni
fie Bandolier de montagne , outre les ſoldats qu'il auoit fait ramaſſer en toute la Sy
ric,& ceux qu'auoiëntenuoyé à ſon ſecourslesPrinces de Seyde & de Tripoly :de forte
qu'il eſtoic accompagné de vingt-cinq mille hommes de guerre auec leſquels il vino
aſſieger Nafſoufen Alep. Naffoufsydefendit iuſqu'à l'extremité, tant qu'ayantman
gécout ce qui pouuoit ſeruir de nourriture, iuſqu'aux chevaux , & n’eſperant ſecours de
nulle part, ilſortit par compoſition vic & bagues ſauues. Mais au lieu qu'vn chacun

croyoit qu'il cuſt fait deſſein de ſe ioindre aux rebelles qui lors alloient comme vn de .
luge rauagcant toute l'Alic , & qu'il n'oſeroit ſe preſenter deuant les yeux du Grand
Seigneur, il y alla fi reſolument, & en telle diligence, qu'il arriua pluſtoſt icy au Serrail,
où il fut receu ſecrecement par le Bouſtangibaſli , c'eſt à dire le chef des Iardiniers, &
preſencé au Grand Seigneur que le Vizir n'eut aduis qu'il euſt volonté de venir .
Le lendemain à l'heure de l'Ars, c'eſt à dire à l'heure que le G.S. donne audience ; &
reçoit les requeſtes, les Vizirs ſe preſentantà luy , il demanda à chacun d'eux en parci
culier leur opinion touchant Naſſouf, ils luy reſpondirent tous d'vne voix , qu'aſſeure
ment il eſtoit rebelle ,& qu'il ne viendroic iamais à aucun de ſes mandemens. Mais luy
ſortant à vp certain ſigne qui luy fur fait , & paroiſſant inopinément deuant eux , ils
demeurerenccous confus& ſans parole , & le Grand Seigneurauec cres-mauuaiſe opia
nion de leur ſageſſe & fidelité au contraire auec grande aſſeurancede celle de Nafouf.
Alors ſelon la violence de ſon naturel , ſc ſeruanc de la creance que cette action luy

donnoit aupres du Grand Seigneur , il ola bien luy dire qu'il auoit couſiours eſté mal
ſeruy iuſqu'à cette heure , & que tant qu'il demeureroit en fon Serrail ,fesrebelles ne
le craindroient point , mépriſeroient ſa ieuneſſc,& le tiendroient pour vn enfant :mais
que s'il auoic quelque ſoin de ſom honneur & de ſon Empire , il falloit qu'il delaiffaſt
pour quelque tempsles delíces de Conſtantinople , & qu'il fiſt vn voyage iuſqu'à Bur
lia ,où , diſoit - il,à peine voſtre Hauteſſe ſera arriuée , que les ennemis qui tiennent la
Ville enuironnée & bloquéc , ſe iecteront à vos pieds , vous reconnoillant deſormais
1 pour
Liure vingt -deuxiéme
. 189

pour yn digne rejetion de la gloricuſe tige de vos Ayeux, vous crierontmiſericorde,


& vous receuront vnanimemět pour leur Empereur.Ceconſeilaſſez conforme à l'at

deur de ieuneſſe du G.S.eut telle force ſur ſon eſprit , qu'il commanda ſur l'heure au
Vizir qu'il fiſt appreſter dans trois iours tout ce qui eſtoit neceſſaire pour ſon voyage,
pource qu'en ce temps-là il vouloit partir. Ce qui eſtant ainſi execuce, quelque conſeil
que luy půſſent donner au contraire les Vizirs , ilpartit en ſi mauuaiſe faiſon , & en
tempsſi peu fauorable, que quelques galiotes ſe perdirent en ce crajet pour la grande
tempefte qui faiſoit ſur la mer. Son arrivée ne fut pas plus heureuſe que ſon paſſage:
les rebelles le venoient tous les iours attaquer & deffier iuſqu'aux portes de Burſia où
ils le tenoient enfermé, & jettoient mille brocards indignes contre luy . Le Vizir qui
commandoit pour lors,nefceut trouuer meilleur expedient que d'eſſayer à gagner par
e r armes , & moyennant trois censmille
argent ceux qu'il ne pouuoit vaincrpa ſequins
qu'il leur enuoya lesremic en l'obeïſſance du Grand Seigneur. Naſſouffur lors choiſi
pour etre leur General, afin que ſous la conduite ils allaflent faire la guerre aux au
tres rebelles . Ils la firent en effet, mais auec aſſez mauuais fuccez, car ilsy furent rom
pus & deffaits, & Naſſoufs’eſchappa auec peu des ſiens, & s'enfuit à Damas, où eſtant
deſeſperé , & ne ſçachant de quel bois faire fleche , il receut commandement du
Grand Seigneur d'aller prendre pofſeflion du gouuernement de Bagadet, qui eſt l'an
cienne Babylone .

S'eſtimant donc comme reſuſcité par cet honneur , & conceuant en ſon eſprit de
hautes & nouuelles eſperances, il dreifa un grand equipage ,amaſſa quantité de gens
de guerre & s'acheminapour aller prendre poſſeſſion de la charge . Or les ſoldats &
cout le peuple de Bagadet ayans oüy parler des tyrannies qu'il auoit exercées en Alep ,
ſe reſolurent de ne le point receuoir , & de perdre pluſtoſt la vie en combattan con
tre luy , que de ſe voir incontinent deſpoüillez de biens & de vie par ſon auarice & ſa
cruauté. La meflée fut aſpre, & oncombattit forç courageuſement de part & d'autre .
L'iſſuë fut à l'aduantage deceux de Bagadet , & Naſſouffe vid contraint de ſe recirer
à la fuitce ;toutesfois il ne ſe deſeſpera point pour cela , mais il remit ſus d'autres gens
de guerre ,& retenta la fortunepluſieurs fois:neantmoins ce fut en vain , car il fut coû .
jours vaincu & repouſté.LeGrand Scigneur aduerty deces troubles,luy eſchangea ce
gouuernement en celuy de Diarbekir, qui eſt la Meſopotamie , où il fut receu fans
contredit, n'y ayant pointde place forte quiluy euſt pû faire reſiſtance , ny qui fuſt ca
pable de ſeruir de retraite à ceux qui ſe fuſſent oppoſez à luy . Il y demeura cinq ans , y
faiſant de tres- grandes & inoüyes exactions : tellement que durant ce temps -là il fut
pluſieurs fois rappellé par le G.S. Mais come il ne voulut iamais rcuenir, on conceur
opinion qu'il s'entendoit auec les rebelles ; & partant Murat Baſſa allant en Perſe l'an
1609. receur commandement du G.S. de le faire mourir . Mais Naſſouf vint ſi fort &

fibien accompagné à l'armée,que Muraten euc peur , & n'oſa executer ce qui luy eſtoit
commandé , joint qu'il fut gagné par ſes paroles & ſes ſoumiſſions feintes; de forte
qu'il commença à ſe fier en luy , d'où s'enſuiuit ſa mort, car Naſſouf l'empoiſonna
en yn diſner. A peine fur -il mort que Naſſouffe ſaiſit de tous ſes ſeruiteurs, & ayant
tiré d'eux & leurs biens & les richeſſes de Murat , les fit mourir cruellement . Ce quc
ſes gens propres trouuant eſtrange, & luy repreſentant qu'ils couroient forcune d'e
ſtre yn iour traitez de la meſme ſorte , il leur reſpondit que quand il mourroit, il vou
droit qu'homme du monde ne reftaſt en vic apres luy .
Au reſte il eſcriuit au G. S. que Murat eſtant mort en ſon gouuernement , il auoit
creu qu'il luy appartenoit de prendre le ſoin de l'armée , & partant qu'il en auoit pris
la charge, & s'eſtoit auſſiſaiſi du Seau de l'Empire, en attendant qu'ilſceuſt l'election
qu'il luy plairoir faire d'vn premier Vizir à qui il le deuſt deliurer . Le G.S.tinticy con,
feilauec ſes Vizirs & le Muifty ſur cetteaffaire , & delibera à qui il pourroit cõfier cette
grande charge. Mehemet Baſſa Caymacan , c'eſt à dire Lieutenant,celuy quieſt Licu
tenant du premier Viziren ſon abſence,y pretendoit,c'eſt vn Eunuque,filsd'unBerger
de Georgie , qu’yn pourceau par vn eſtrange accident chaſtra, comme il eſtoic cou
1 ché dormant ſous vn arbre . Amet Baſſa, nommé communément Ekmekcchiogly,
c'eſt à dire fils de Boulanger, parce qu'il eſt fils d'vn pauure Boulanger Grec d'Andri
nople , qui a continué dix ans entiers en la charge de Tefterdar,c'eſt à dire Surinten
dant des finances,y pretendoit auſſi.Ils s'offrirent donc tous deux au Grand Seigneựr
de l'y ſeruir, le Mufty ſcul par vn tres- fage conſeil rompit leur brigue , remonftranc
A a iij

1
Hiſtoire des Turcs ,
190

qu'il n'eſtoit pas beſoin d'effaroucher Naſſouf, mais bien de l'amadoüer, pource que
s'il n'eſtoic eſleu Vizir il.pourroit troubler toute l'Aſie , & ſe ioindre auec le Perſan ,
qu'au contraire cette charge luy eſtant donnée il ſe trouueroit obligé de venir à la
Porte,où le Grand Seigneur à la commodicé pourroit executer la volonté qu'il auoit
depuis long -tempsde le fairemourir. Ce conſeil fut ſuiuy, & Naſſouf eſeu premier
Vizir , auec promeſſe de luy donner enmariagela fille que le G. S. a de la Suliane qui
vit auiourd'huy . Céchonneur d'alliance auec ſon Maiſtre, luy donna la hardieſſe de
yenir icy ,ioint qu'il conduiſoit auec ſoy vn Ambaſſadeur du Roy dePerſe, qui de
.
mandoit la paix, choſe qu'il ſçauoit eſtre fort deſirée du G. S. & pour ce reſpe & il el
peroit eſtre bien venu . Il enuoya deuant pour preparer le chemin , quelques- vns des
fiens auec de grands prefensà la Sultane & auKaiſleraga,& les ſuiuit tour doucement:
tellement qu'il y arriua le 19. de Septembre 1612. qui fut vnan depuisfon elc& ion . La
voix commune de tout le peuple eſtoit qu'il ſeroit eſtranglé dés le lendemain de fave
nuë ; mais il en arriua toutau contraire , car il ſe mir en tel creditpres du G.S.que tous
les autres Vizirs n'y eſtoient plus rien ,de ſorte qu'il n'eſtoit pas tant premier Vizir que
ſeul Vizir : mais il procedoit en toutesaffaires& occurrences auec telle violence, qu'il
en eſtoit hay de ceux meſmes à qui il faiſoit du bien , qui eſtoient en beaucoup moin
dre nombre que ceux à qui il faiſoit dumal. Car il perſecutoit ceux qui eſtoient ri
ches , les faiſant mourir ſecrecement, afin d'auoirleur bien : ildepoffedoic de iour à
autre ceux qui auoient quelques charges, & les donnoit à qui plus lesacheptoit : & il
rendoit de mauuais offices à ceux qui eſtoient en authorité presle G.S.les accuſant
fauſſement pour les éloigner de luy.Il fitoſter yn mois apres ſon arriuée la charge de
Vizir à Mehemec Baſſa, qui auoit eſté Caymacan , & follicica pluſieurs fois le G. S.do
luy oſter la vie,laccuſant qu'il auoit doné vn commandement pour rebaſtir le baftion
d'Alger, ce qui eſtoit mettre le pays du G. S. entre les mains des Infidelles . Il fit auſſi

chaffer de la Porte AmetBalla grand Tefterdar , & le relegua en Alep , donc ille fic
Gouuerneur . Ainſi, il ſe deffic de ceux qu'il eſtimoit eſtre ſes ennemis , pource qu'ils

auoient brigué la charge de premier Vizir.Il éloigna encore & enuoya à Bude le Vizir
Chaffan Balla, qui a eſpoulé la tante du G. S. auquel Chaſſan il vouloit mal , parce
qu'il auoit dit , qu'il luy ſembloic eſtrange d'obeïr à Nafſouf qu'il auoit veu Balcagdy,
qui eſt le moindre garde du Serrail, luy eſtant Seligtar . Or Seligrar c'eſt à dire celuy
qui porte l'eſpéeduG.S.& c'eft la plushaute dignité du Serrail.Il eſſaya auſſi de priuer
he Mufry de la charge , & en preſenta requeſte au G. S. qui ne l'eut pasagreable , &
l'cnuoya au Mufty.Enfin il fit ofter les galeres à Mehemet Balla ſon beau - frere & ſon
competiteur en credit & en puiſſance , qui eſt maintenant premier Vizir : de ſorte
qu'il ne laiſſa homme d'authorité qu'il n'offenſaft , adjouſtant encore aux a & ions
qu'il commettoit contreeux vnefaçon de traiter ſi ſuperbe , qu'il ſe rendoit entiere .
mene inſupportable.Il pe pût meſme compatiraniec le Kailleraga, qui eſt celuy qui l'a .
voit mis aux bonnes graces du G.S. mais ayant jalouſie de ſon credit, il eſſaya de le
chaſſer du Sérrail , ſans auoir égárd aux obligations qu'il luy auoit; Pour ce faire il fic
cntendre au G.S.quece Kaiſeraga auoit deſir d'aller à la Mecque , mais qu'il n'oſoic
luy en demander congé.Le G.S.en fur eſtonné, & n'y fic point de reſponſe pour lors,
mais le redit au Kaifleraga, qui reſpondit n'y auoir iamais
penſé, & qu'il vouloit mou
rir auprés de luyen le feruant; ſi bien que la rule de Nafſouf fue deſcouuerte.
Oric Grand Seigneur l'ayant trouué cettefois là & pluſieurs autres en menterie ,
commença à en auoir mauuaiſe opinion , en laquelle il eſtoit entretenu par tous les

( ſiens , quile haïſſoient vnanimement;mais la faucur de la Sultanepreualoit ,& main


cenoit Nafſoufqui eſtoit fauoriſé d'elle ,non tant parce qu'il auoit eſpouſé la fille,que
pour l'eſperance qu'elle auoit qu'auenanc la mort du G. Soil feroit ſucceder ſon fils à

l'Empire,au preiudice de l'aiſnē fils d'vne autre Sulcane qui eſt morre.Cependancve
noient de iour en iour pluſieursaduis des hoftilitez qui ſe commecroiét aux frontieres
par les Perſiens: puis furent apportées nouuelles de la conqueſte qu'ils auoient faite
du pays des Gcorgiens, & peu apres de quelques places du G.S.qu'ils auoient accą
quées & priſes.Nafſouf n'en deſcouurant qu'vne partie , & déguiſane l'autre au G. S.
les ennemis prirent delà occaſion de le calomnier enuers luy , & remonſtrerent qu'il
fouffroit que le Perſan s'aſſujeciſt lestributaires de la Porte , empiecaſt ſur les frõcierės,
& s'empaiaſt des places importantes , & qu'il y auoit apparence qu'il s'entendiſt ſecre
sementauec luy ; veu qu'il nefaiſoit aucun preparatif pour s'y oppoſer , mais preten
doi
Liure vingt - deuxiéme . 191

doit ſous le nom d'vne fauſſe paix s'en pouuoit exempter, & tromper leGrand Seigneur,
afin qu'il ne viſt pas la ruinedeſon Empire. Que ſifa Hauteſſe vouloir en auoir dauan
tage de lumiere , il appellaſt Nafſouf à part & luycommandaſt de s'appareiller poural
ler faire la guerre en Perſe à cette prochaine ſaiſon d'Eſté, & qu'alors il verroit comme
il apporteroit à ſon partement tous les obſtaclesqui luy ſeroient poſſibles, & s'oppoſe
roit de tout ſon pouuoir au commandement de la Hauteſſe. Ces aduis obligerent le
G. S. de penſer à ſoy: faiſant donc appeller ledit Naſſouf te ſecond iour de Septembre
16 14.illuy commanda de tenir ſon armée preſte pour paſſer en Alie, lors que eſté ſe
roit venu . Naſſouf eſtonné luy en demanda la cauſe , luy repreſentant qu'il auoic paix
auec le Perſan . A quoy le G. Š.luy reſpondit, que telle paix eſtoit pire que la guerre .
Naſſouf voyant cette reſoluçion fi ferme, & qu'il luy falloit obeir, luy dit que pour ſon

ſervice il s'eſtoit rendu toute la milice ennemie , qui n'attendoit que l'occaſion de le
pouuoir cuer, & parcant qu'il ſeroit de beſoin que la Hauteffe y vinc en perſonne , afin
qu'il pûſt commander & tenir ſes ſoldats en bride, qui autrement ne luy obeiroient
point. Peu de iours apres Nafſouf enuoya achepter en Alie ſix mille chameaux & lix
mille mulets , & fut icy mis ordre à tout le reſte del'equipage de guerre .
En ce meſme temps arriua de Bagadet le fils de Cigale , quiallant viſiter les Vizirs
quis de l'eſtat des frontieres . A quoy
l'vn apres l'autre , fuc par eux particulierementen
il ne reſpondit que cres-generalement, diſant qu'il eſtoit inutile qu'il leur en donnaſt
plus particuliere information , veu qu'ils n'en vouloient pas traiter auec le premier Vi
zir ,parce qu'ils ſçauoient qu'il ne les eſcouteroit pas , & ne le deuoient pas faire auec le
G.S. qui les abandonneroit puis apres à la furie du Vizir , dont perſonne ne les ſçauroit
deliurer ;coucefois que ſi le G.S.l'appelloit pours'en informer ,& luy comandoit de dire
abſolument ce qu'ilen ſçauoit , il hazarderoit ſa vie pour ſon feruice , ne luy celeroit
rien , & luy dõneroit connoiſſancede beaucoup de choſes qu'ils'aſſeuroit eftre ignorées
de la Hauteſſe . Le G. S. le fit appellerà quelques iours de là dans l'un de ſes iardins, &
luy demanda cemment la paix eſtoit obſeruée aux frontieres par le Perſan : illuy ref .
pondie, que ce n'eſtoit qu'à la Porec ſeulement qu'il s'entendoit parler de paix , mais
que là haut il ne ſe parloit & ne ſe traitoit que de guerre . Mais pourcant , reſpondit le
G. S.le Roy de Perſe m'a enuoyé icy yn Ambaſſadeur me demander la paix , & me
donner de la part cent charges de ſoye en nom de tribut.Cét Ambaſſadeur, luy repli
qua Cigale , ne vous a point eſté enuoyé, mais fur depeſché à Murac Baſſa , lors qu'il
hyuernoit à Diarbequir , & s'appreſtoit pourrenouueller la guerre au Printemps . Illuy
vint apporter ces ſoyes en preſent de la part du Roy de Perſe, le ſuppliant qu'il s'entre
miſt de faire la paix auec voſtre Hauteſſe . Depuis arriua de Murat Baſſa ce qu'oncha

cun ſçait ( il entendoit dire qae Naſſouf l'auoicempoiſon .) Naſſouf à la mort crou
uant cét Ambaſſadeur & ces ſoyes, vous manda qu'ils vous eſtoient tous deux enuoyet
& s'en accompagna à ſa venuë vers voſtre Hauceſte, pour luy ſeruir de moyen de ſe re
mettre en vos bonnes graces , ne ſe ſouciant pas en effet de pacifier les affaires,pourueu
ſeulement quevoſtre Hauteſſe creuſt qu'elles le fuſſent. Apres auoir ainſi parlé ilmon
ftra au G. S. vne lettre du plus grand Prince, & comme premier Vizir de Perſe, nom
mé Aly Verdy Cam , qui eſcriuoic à Naſlouf auec grande familiarité & teſmoignage
d'ainitié, le requerant qu'il fic trouuer bon au G. S.que les frontieres vers Bagadet ful
ſent approchées de cette Ville d'une pecite demie journée . Puis il adjoufta , l'ay fait
Ars à voſtre Hauteſſe ( c'eſtà dire i'ay repreſenté , car Ars eſt vn mot Arabe quiſignifie
repreſenter) de cécaffaire ſi important à la Porte, & Naſloufm’a mandé que ie le ſouf
friffe , & queie ne m'y oppoſalſe point . le n’ay point voulu obeïr à ſon premier com
mandement, & de nouveau il m'a commandé de le permettre . Diſant cela il luy miten
main la lettre meſme que luy en écriuoit Naſſouf, lequel adjouſtoit à la fin de la letrre,
qu'il luy enuoyaſt nonante mille ſequins s'il vouloit eſtre continué au gouuernement
de Bagadet qu'il auoir. Le G. S. partit de cette audience, qui fut le 12. d'Odobre ,auec
mille pointes de douleur & de colere dans le cæur , & ne le put empeſcher de teſmoi
gnerà la Sulcane quelque choſe de ſon mécontentement . Elle en aduercit incontinent
Naſſouf, qui alla ſur l'heure voir le G.S. mais il le cronua en mauuaiſe humeur , & en
cut audience courte & faſcheuſe, ſans qu'il puſt découurir la cauſe de ce ſoudain chan
gement . Il enuoya le lendemain la Sultane ſa femme au G. S. ſon pere , le ſupplier
puis qu'il eſtoitmeſcontent de ſon mary, qu'il le fiſt Manſoul, c'eſt dire qu'il le priuaſt
de ſa charge, 8c qu'il y eſſayaſt quelque autre de les eſclaues , Que s'il s'en trouuoit
Hiſtoire des Turcs ,
192

mieux ſeruy il la luy continueroit tant qu'il luy plairoit , mais s'il ne le trouuoit pas fi
habile qu'il la rendroit à Nafſouf, qui ſeroit couſiours preſt de luy rendre cres -fidello
feruice. Le G. S. luy reſpondit, qu'il n'eſtoitpas fi fort meſcontent de Nafſouf qu'ille
vouluſt changer , qu'au contraire il l'aymoit , l'auoit eſprouué fidelle , & s'en vouloie
ſeruirà iamais; Qu'elle fuſt donc hors de ſoucy,& qu'elle diſtà ſon mary qu'il miſt ſop
eſprit en repos .
Ses ennemis cependant quine dormoient point'en cetce occaſion, font entendre au
Grand Seigneurqu'il faifoit de grands preparatifs de tentes , de cheuaux , & de veſte
mens pour couc ſon crain , & qu'il auoit deſſein de s'enfuir, Qu'au reſte s'il le faifoit il
ſuſciteroic d'eſtranges rebellions en Alie, auſquelles il ſeroit bien difficile de remedier,
veul'eſtar des affaires auec le Perſan. L'eſprit du G.S.fut facile à eſmouuoir & à pren
dre toute mauuaiſe creance de luy , tellement qu'il enuoya demander au Mufty s'il
eſtoit loiſible de le faire mourir, & qu'illuy mandaſt ce qu'il ſçauoic couchant le deſtein
deſa fuitte . Le Mufry reſpondit, que ſi les plaintes que le G. S.faiſoit de luy eſtoient
bien prouuées , il meritoitla mort; Quant au deſſein de ſa fuitce qu'il n'en pouuoitrien
dire de particulier, ſinon que c'eſtoic l'opinion de tous , & que d'un eſprit meſchant 8
infidelle comme celuy -là on ne pouuoic attendre que de ſiniſtres & mauvaiſes reſolu
tions . C'eſtoit vn Vendredy matin 17. d'Octobre que le Mufty enuoya cette reſponſe
au G.S.qui arreſta incontinent de le faire mourir , & pour ne plus dilayer luy manda
qu'il vouloit aller à midyà la Moſquée. Il penſoit qu'il deuft venir l’yalliſter & le ſeruir,
ſelon la couſtume auec les autres Vizirs, & qu'il le feroit eſtrangler à l'entrée du Serrail:
Mais Naſſouf ſoit qu'ileuſt cette apprehenſion & qu'il vouluſt laiſſer paſſer quelques
iours ſans le voir , ſoit qu'en effet il fuſt malade , s'excuſa ſur ſon indiſpoſicion , le ſup
pliant de l'en vouloir exempter pour ceiour là. Ce refus mit encore plus le G. S.en
ceruelle, ſi bien que pour ce ſujecil ſe recinc d'aller ce matin- là à la Molquée, & afin de
s'aſſeurer s'il eſtoit malade,& du lieu où il eſtoit, il luy enuoya ſur l'heure du Quindy ( ils
appellentainſi l'heure de Veſpres) vn Medecinauec des ſyrops & des confitures , com
me pour ſçauoir comment il ſe portoit , mais en effecpour eſpier en quel eſtar ileſtoit .
Naſſoufluy donnavne bourſe d'aſpres de cinq cens ſequins, ( afpreseſt yn mot Gree,
qui ſignifie blanc ,ils appellent icy dece nom vne petite monnoye d'argent , ſix - vingts
de laquelle font yn ſequin .) Le Medecin vint faire ſon rapport au G.S.qui peu apres
dit qu'il vouloit aller à la Moſquée le ſoir apres Soleil couché , & qu'il vouloit y aller
ſeul auec ſes Eunuques , & pour cela futincontinent rendu des toiles par coutes les
ruës où il auoit à paffer ; car ils ont accouſtumé de le faire ainſi, afin que le G.S.
ne ſoit point veu . Ec dautant que la maiſon de Naſſouf eſtoic couc ioignant la Mof
quée , elle fut preſque toute enfermée de toiles, & par cemoyen venoit à eſtre cloſe &
gardée. Cependant le G. S. demanda conſeil au Kaiſleraga par qui il le pourroit en
uoyer eſtrangler. Il luy propoſa le Bouſtangibaſſi, qui eft vn ieune Albanois de trente
cinq ans, quei’ay veu il n'y a que trois ans , hoüer & beſcher au iardin . Le Kaiſleragale
fauoriſe , & l'a fait auancer ſi promptement à cette grande charge , de laquelle nous
croyons le voir ſorcir yn de ces iours poureſtre Vizir , & Capitaine Baſſa . Iſ fuc incon
tinent enuoyé querir, & luy furent donnez deux Chacihoumaiou, c'eſt à dire eſcrits du
Benoiſt ainli appellent-ils les reſponſes & les commandemensque le G.S.donne eſcrits
de la main . L'vn eſtoit pour demander à Naſſoufdela part du G.S.le Seau de l'Empire ;
l'autre pour luy demander ſa ceſte. Le Bouſtangiballiarmé de ces deux billecs , comme
de bien forces armes alla trouuer Naſſouf, quide prim abord luy manda qu'il eſtoic
malade , & lors empeſché auec la Sultane qui l'eſtoit venu voir , partant qu'il receuoic
ſa viſite commefaite , & le prioit de s'en retourner. Le Bouſtangibaſſi inſiſta qu'il ne
pouuoit partir fans auoir parlé à luy , dautant qu'il en auoit ordre expres du Ġ . S. &
qu'il luy auoit commandé de le voir , pour luy rapporterau vray l'eſtat de la ſanté,
mais
qu'il ne le tiendroit gueres & ne luy demandoit pas longue audience. Le Vizir qui
n’attendoit pas encore la fin & ne penſoit pas à la ſentence de mort , & qui meſme
quand il en euſt cu crainte , n'euſt iamais penſé que le Bouſtangibaſlı l'euft oſé appor
1
ter , n'ayant auec luy qu'vn muet du G. S. & cinqou ſix de les Bouſtangis , c'eſt à dire
Iardiniers, renuoya ſes femmes en leurs chambres plus retirées , & commanda qu’on les
filt entrer . Le Bouſtangibaffi eſtant entré demanda au Vizir l'eſtat de la ſanté , puis
voyant qu'il eſtoit reſté quelques Eunuques noirs dans la chambre leur fit ſigne de ſe
recirer : ce qu'eux ne vouláns pas faire ,ilſe faſcha , & leur commanda derechef auec

iniures
Liure vingt -deuxiéme
. 193

iniures qu'ils ſorciſſent : ils ſe recitcrent donc, & les Bouſtangis fermerent tout à l'in
Itant la porte ſur eux . Le Vizir ſe troubla de ce procedé, & luy demandas'il auoic ordre
de le faire mourir.Non , luy reſpondic-il ,mais bien de vous demander le Scau.Cediſano
il luy en preſenca le commandement du Grand Seigneur, A - il crouué, repliqua lors
Naſſouf, vn homme plus ſuffiſant que moy pour gouuerner ſon Empire. A cela l'autre
ne reſpondant rien , il pritle Scau , le mic en vn mouchoir , le feella & leluy bailla .Bou
ſtangibaffi cira lors l'autre commandement pour le faire mourir, qui eſtoicainficonceu.
Toy quies mon Bouſtangibaßi, va eſtrangleNafſoufmon nourricier;ainli ont accouſtuméles
G.S. d'appeller leurs premiers Vizirs. Dés que Naſſouf euriecté la veuë deſſus ,Eſtoit
il donc predeſtiné, s'eſcria -c’il, Bouſtangibaſli, quc ie deuſſe mourir par tesmains ? .l'ay
toûjours bien creu qu'enfin le G. S.m'oſteroit la vie ,mais ie n'euſſe pas penſé que c'cult
eſté dela force. Ie conſens à ne plus viure , puis qu'il veut que ie meure : mais qu'ay
je fait , quelle eſt ma fauce ? permecs que ie luy ailleparler encore vne fois. Il n'elt plus ,
temps, reſpondit - il ,de luy aller parler : ic ne ſçay rien de voſtre faure , i'ay ſeulement
ordre de vous fairemourir , priez Dieu , & vous y preparez. Naſſouf le ſupplia qu'il le
laiſlaſt aller en vne chambre prochaine pour ſe lauer, daucant que les Turcs croyent
que les pechez s'en vont par le bain auec l'ordurede leurs corps ,
& ſe lauent touſiours
auancque faire leurs oraiſons : mais le Bouſtangiballi luy dic,qu'il eſtoit fort bien .Ve
nez donc , cria- e’il lors en colere aux Bouſtangis, venez fairevoſtre deuoir ; & s'oftanc
luy-meſme ſon tulban & ſa robbe , il tendit le col à la corde. Il eſtoit li gras & Gi dur à
mourir, qu'ils n'en pouuoient venir à bout , de ſorte qu'il falluc qu'vn d'eux priſtyn
couſteau , & luy'ouuriſt la gorge.
Tandis que cecte tragedie ſe joüoit ,ſes gens tous eſtonnez vindrent à la porte , &
ſemirenten deuoir de l'ouurir; meſme pourceque les Bouſtangis eſtoientderriere qui
la tenoient fermée ,ils mirent quelques eſpées nuës au trauers des fentes, & en alle
nerent vn . Mais enfin voyant bien que pour cela ils n'auançoient rien , & iugeansque
c'eſtoit fait de leur maiſtre, ils ſe diſliperent & s'enfuirent. Quelques-yns d'eux eſchap
perent, d'autres furent prispar les Vizirs , qui en meſme temps ſe crouuerencà l'entour
dece Serrail , & par trois ou quatrecens Bouſtangis qui y auoient auſſi eſté enuoyez.La
nouuelle deſamorc'eſtanc venue au G.S. il le voulutyoir tel qu'il eſtoit, Gi bien qu'il
luy fut porté en vn meſchant capis , où l'ayant conſideré il commanda qu'on luy cou
paſtla ceſte , de peur , dit- il , que ce chien meſcroyant ne reſuſcite : puis il fit porter ſon
tronc en vn licu infame & vilain , où tombe l’eſgour de ſon Serrail , d'où il commanda
qu'on le ietcaſt en la mer. On dit que ſa fille femme du mort , le ſupplia de permettre
qu'il fuftenterré en vnemaiſon qu'il auoir à Scudarec , & que le Grand Seigneur luy
reſpondit: Je ne veux pas meſme quemort il paſſe en Aſie. Toutesfois à quelques heures
de là , ou de honte ou de pitié , il le fic recirer de la mer & commanda , qu'on luy don ,
naſt fepulture mais ſans pompe , conuoy , ny remarque aucune , & en vn cimeciere pu
blic , parmy les pauures & les plus ignobles Turcs , le remettant par ce moyen apresſa
mort entre ſes égaux de naiſſance, au deſſusdeſquels la forcune l'auoit éleuć durant la

vie . Il fuc par aduenture enterré aupres du tronc de Chemze Baſſa , cy - deuant peu
dc
fortuné, Gouuerneur d'Arabic pour le Grand Seigneur , qui à ſon retour le paya
meſme monnoye . Il ſe trouua quelqu'vn des liens qui la nuiten cachette mic vnc pier
re de marbre à vne des extremicez de ſa foſſe , afin qu'elle puſt au moinseſtre connue
entre les autres, & qu'on ſccult que ſes os repoſoient en cet endroit. Le Grand Sei
gneur le ſçachant s'en monſtra fort offenfé , & la fic oſter incontinent , faiſant faire
exacte recherche de celuy qui l'auoic miſe , pour en cirer exemplaire punition.
Ilne fera peur-cſtre pas horsde propos de remarquer icy qu'il eſt mort durant le Ra
maſan par les mainsdu Bouſtangibaſli, ayanceſté il y a huic ou neuf ans par vn autre
Bouſtangibaſſi deliuré pendant le Ramalan de la mort quelcGrand Seigneur luy auoit
preparće: de force qu'il ſemble que cerce Lune luy ait eſté fatale , laquelle eſt encore
venuë à tomber cette année au mois d'O &tobre, que les Hebreux appellent Cheſuan,
qui eſt preſque le mot recourné de Nachouch , & eft nommé ce mois d'ordinaire en

Talmud Marcheſuan , amercume de Nachouch . Ainſi donc peut-eſtre ce , n'eſt pas


couſiours forcuicement que les noins ſont impoſez. Pecits & grands, Turcs , Iuifs ,&
Chreſtiens, cous vnanimement firent feſte de la mort , quinefut regrettée d'homme
viuant , canceſtoit grande l'infolence de ſon gouuernement; Erle lendemain au Diuan
on n'oyoic recentir que louanges au Grand Seigneur d'auoir deliuré la terre d'vn G
Tome II . Bb
Hiſtoire des Turcs,
194

meſchant homme. Il n'y auoit inuencion de cyrannie qu'il ne trouvaſt pour auoir ar
gent , charge ny Iuſtice qu'il ne vendift, auanie qu'ilne forgeaſt, ny affaire impoſſible
qu'il ne vendilt à qui la vouloic cherement achepter de luy. En ſes traitez auec les Prin
ces eſtrangers,il n'auoit point de parole il eſtoit effroté,menteur,ſans honte ny reſpeãt,
& ſans égard à la dignité de ſonMaiſtre . Ie luy ay veu achepter de la fauſſe monnoye
pour payerla milice. Il en faifoitfaire auec plus d'alloy, & de moindre prix que cin
quante pour cent qu'il faiſoit debiter , & vouloit par force qu'elle cuft cours. Il impo
foir fort ſouvent au Grand Seigneur , luy donnancà entendre des fauſſetez pour la ve
rité , afin de tirer de luy le conſentementà ce qu'il precendoit. Il l'abuſoicaulli en la
connoiſſance des affaires publiques,dontierapporteray deuxexemples.Le premier eſt
d'vne fourbe qu'il fir deux mois auant fa mort. Ayanc eſté pris ſeulement deux mel
• chans barceaux de Colaques, & vingt de leurs hommes priſonniers, auec deux Enſci
gnes qui couſterene vingt fois autant aux Turcs , il fitioindre à ces bacteaux vingt au
tres bateaux de l'Arſenal, à ces vingt hommes cent vieux eſclaues, & à ces deux Enſei
gnes douze ou quinze Enſeignes qu'il tira des magaſins, & fic paſſer tout cela deuant
ic Grand Seigneur , luy diſant que les Coſaques auoient eſté deffaits en vn grand com
bat, & que c'eſtoit partie de la priſe que l'on auoit faire ſur eux: L'autre exemple eſt,
que le Grand Seigneur ayant commandé que cét Efté -là on baſtiſt la plus grande quan
r
& peu de maiſtres pou tr2
tité de galeres qu'il ſe pourroits & y ayant faute d'argent
uailler à l'Arſenal ,comme il vinc vniour par fortune à paſſerau deuant de l'Arſenal, le
Vizir quien furaduercy fiten haſte aſſembler tout le voiſinage iuſqu'aux petits enfans,
& les mit derriere les corps des vieilles galeres , leur commandant de frapper dru &
menu deſſus auec des pierres , afin qu'il creuſt par ce bruit qu'on y employoit grande
quantité d'ouuriers.
Si grand nombre & fi grande enormité de meſchancetez , d'iniuftices & d'offenſes
contre ſon Maiſtre, dont la moindre mericoit la more , non ſeulement n'ont point
cauſé la ſienne,mais ne luy ont apporté aucune diſgrace. Ainſi donc le mal -faire
ne perd pas touſiours le mal-fai & eur ;Sice n'eſt que comme Nafſoufa eſté vn homme
violent qui contre iuſtice a fait perdre & mourir des milliers d'hommes , Dicu aic
auſſi voulu qu'il ait pery ſans l'auoir deſeray quant à la cauſe pour laquelle on le fai.
ſoit mourir , mais ſur vne opinion fauſſe qu'il s'entendoit auec le Roy de Perſe. Il eſt
certes, ic ne diray pas impoſſible,maisbien difficile de fuir la deſtinée: & il ne s'eſt prel
que iamais trouvé d'homme qui l'ait pû eſquiuer.Ceccuy-cy a toulours eu crainte de ce
qui luy cſt arriué ,& depuis ſon arriuéc en cette Ville , s'eſt couſiours preparé pour s'en
garder. Ie ne diray point les preſens continuels & tres-grands qu'il faiſoit au Serrail
> pour ſe conſeruer la faueur de ſon Maiſtre. Il n'y auoiten ſa maiſon que gens deſeſpe
rez,ou qui auoient eſté rebelles au Grand Seigneur du temps des reuolces de l'Aſie, ou
qui n'eſtoient pas ſes ſujets, ny n'auoient paye de luy. Il eſtoit logépres de la mer, &
auoit de l'autre coſté du canalfait baſtir à Scudaret vn palais , auquel il cenoit deux
cens chcuaux. Il nourriſſoit tous les iours & payoit ſix mille hommes de chcual qu'il
tenoit ſecrettement dans la ville de Conſtantinople ,ayans commandement qui leur
eſtoit renouuellé de jour à autre , de ſe tenir couſiours preſts à paſſer en Aſie au pre
mier ſignal qu'il leur en donneroit. Il eſtoit aducrty par le menu de couces choſes du
Serrail:meſme la Şultane luy donna aſſez à cemps l'aduis de la diſgrace , & toutes
fois il neſe ſceut pas ſeruir de toutes ces commodicez pour éuicer ſon deſaſtre. O
richeſſes funeſtes, ô threſors dommageables à leur maiſtre ! Il en auoit tant icy que
1
ne ſçachant comme les emporter , il s'y eſt laiſſé accueillir de ſon mal - heur , & ne
s'eſt pû reſoudre à le fuir. Ie croy que cóc attachement a eſté la cauſe principale de ſa
la
perte , & que le deplaiſir qu'ilauoit de les quitter luy faiſoit croire que n'eſtanc pas
couſtume des Turcs de faire iamais épandre de ſang pendant leur Ramaſan , qui eſt
leur Careſme, il pouuoit pour lors eſtre aſſeuré du Grand Seigneur , & que n'ayant
aucun Vizir iamais eſté faitmourirchez ſoy , il pouuoit eſtre affeuré en la maiſon , où il
ſe retenoit lors comme malade ,attendantqu'il euſt fait paix auec le Grand Seigneur,
duquel il auoit deſia plufieurs fois éuicé la fureur. Peu deiours auant ſa mort ilauoit
fait tailler ſix cens Yagmourlouks,qui ſont de longs mantcaux de pluye , & a - t’on dic
depuis au Grand Seigneur que c'eſtoit pour s'enfuir. Mais il y a plus d'apparence que
c'eſtoit pour aller le Princempsà la guerre qu'il luy auoit commandé de faire en Perle.
Car

1
Liure vingt- deuxiéme . 195

Car vn homme qui veut fuir ſecretement ne ſe charge point detant de mantcaux , qui
ne ſe peuvent faire ſans qu'il ſoit ſccu de tout le monde. La Lune eclypſa à l'heure
meſme qu'il fut fait mourir. La pluſpart, & les plus grands des liens furentpris & ar
reſtez le lendemain de fa mort : on croyoit qu'on leurdeuſt faire ſouffrir le meſme de
ſtin de leur maiſtre, qui en auoit ainſi vſé auec feu Murat Baſſa, dont il auoit cruelle
ment mis à mort les ſeruiteurs. Mais le Vizir d'auiourd'huy les fit tous deliurer inconci
nent , & leur dit que ceux qui voudroient demeurer pres de luy y ſeroient les bien ve
nus, & que ceux qui voudroient chercher party ailleurs le pourroient faire , & auoient
liberté d'aller où ils voudroient . Ce qu'aucunsattribuent à clemence & à bonté , d'au .
tres à ſageſſe & à prudence , d'autant que l'Alic eft pleine des ſeruiteurs de Naſlouf,&
les charges preſque toutes remplies de ſes creatures , qu'il n'eſt pasà propos d'efpou
uenter.

A l'heure meſme de la mort le Grand Seigneur enuoya chez luy ſon Chaſnadarbanti ,
c'eſt à dire le maiſtre de ſon chreſor, pour faire inuentaire de tout ce qui s'y trouue
roit , & le tranſporter au Serrail . Il a eſté faic recherche icy à l'entour de tout ce qui
eſtoit à luy ,dont le Grand Seigneur s'eſt faili ,
horſmis des biens immeubles , deſquels
il a publiéne vouloir rien prendre , mais les laiſſer à ſes enfans. Il s'eſt crouué en vn ſeul
lieu de lamaiſon en ſequins d'or quatre-vingts quinze bourſes de dix mille ſequins la
bourſe , qui ſont neufcens cinquante mille fequins. En vn autre lieu ſeparé quarante
deux bourſes de meſme ſomme chacunc , qui ſont encore quatre cens vingt mille fe
quins; En monnoye d'argent quatre censmille dalers , & crois cens mille dalers en ſca
hins,
qui eſt vne ſorte demonnoyedont chacun vaut cinq aſpres, & quatre- vingts af
pres font vn daler. Vnde ſes Capigilballis Eſpagnol renić, nommé Mehemet Aga,s'eſt
trouué auoir du lien entre ſes mains pour trafiquer à Veniſe quatre cens cinquante
mille dalers . Il s'eſt trouué en ſa maiſon mille dix-huit eſpées toutes garnies d'argent
ou d'or maſſif , ou d'orenrichy de pierreries , vne ſeule deſquelles qui eſtcouuerte de
diamans,eſt eſtimée cinquante mille ſequins. Entre vn nombre infiny de riches poi
gnards il y en auoit vn auec vne poignée d'eſmeraude cour d'vne piece , que le Grand
Seigneur a conſideré auec admiration , comme n'ayant iamais veu choſe ſemblable.
Qutre celail auoit vn nombre infiny, de tapis du Caire & de Perſe,tous de ſoye & d'or
d'excellente manufacture, d'eſtoffes de ſoye, comme ſatins, damas , velours , de brocats
de toiles & de draps d'or . Il auoit vnze cens cheuaux qu'il nourriſſoit tous les iours,
entre leſquels ily a quatre cens quarante jumens d'Arabie & d'Egypte les plus belles
quiſe puiſſentvoir , que le Grand Seigneur a toutes fait mettre en les eſcuries. Il auoit
auſſi des harnois de cheuaux enrichis d'argent, ou d'or , ou de pierreries , vn nombre
ſans nombre . Parmy ces harnois s'eſt trouué quarante paires d'eſtriers d'or mallif, ce
ſont eſtriers maſlifs larges de deux empans , ou tout le pied repoſe ; la moindre vauc
quatre mille ſequins, & fix paires d'or tous couuercs de pierreries. On n'a point fait
d'eſtime de ceux qui ſont d'argent pur, moins encore de ceux qui ſont argentez ou do
rez , pource qu'il y en auoit trop grande multitude . Les ſelles & le reſte du harnois ref
pondent à cét equipage , ou le ſurpaſſent encore . Il faiſoit nourrir en la Natolie icy à
l'entour dix mille chameaux, quatre mille mulets , cinq à ſix cens mille bæufs & vaches ,
& cinq cens mille moutons . Enfin pour comble de ces richeſſes, i’adiouſteray quc l'in
uentaire de ſon bien porce qu'il s'eſt trouué chez luy vn boiſſeau de diamans bruts , &
trois panniers ou boiſſe:: ux d'autres diuerſes pierres precieuſes non encore miſes en
cuure ; Richeſſes d'vn bien grand Roy , non d'un homme parciculier comme luy , qui
s'eſtoit veu millefois les mains empoullées de la beſche, Sauoit eſté aucresfois vendu
en ſa ieuneſſe pour le prix de quatre dalers , encore croyoit -on qu'ileſtoic bien achepté
ce qu'il valoit. On ne peut eſtimer pauure vn Prince en l'eſpargne de qui ſemblables
parties caſuelles peuuent venir. Encore ce que ie viens de conter ne fait - il pas la plus
grande partie de ſon bien ,attendu que ce n'eſt que ce qu'il auoit acquis depuis deux
ansqu'il eſtoit icy . Ses plus grands threſors ſont vers la Meſopotamie en la poſſeſſion
de ſon fils aiſné , qu'il a touſiours tenu là hauten vne place tres-forte & imprenable ſur
les confins des Chiurdes, nommée Merdin ; où les ſiens ont dit au Vizir d'auiourd’huy
qu'il a mis ſon or & fon argent,non par compre , mais par poids & par meſure. Sa fin mal
heureuſe & infame parmy cant de richeſſes , qui ne luy ont ſeruy de rien , verifie claire
ment la parole du Sage en l’Eccleßaſte , qui dit , Que les threſors du meſchant luy font
Tome II . Bb ij

{
Hiſtoire des Turcs ,
196

inutiles ,
et ne le pouuent garantir de l'heure mauuaife , & de la punition que Dieu a prea
parée à fon iniquité.

Cette Relation fut enuoyée de Pera le cinquiéme de Mars 1616.par le Baron de


Sansy Ambaſſadeur du Roy à la
, Porte du Grand Seigneur. Meſſieurs Dupuy
en
gardes de la Bibliotheque Royale ,de qui les belles Lettres de ceux qui font pro

feſſion reçoiuent tous les iours des ſecours tres-obligeans pour leurs ouurages , m'ayant

fait l'honneur demela communiquer auec permiſſion de la donner au public , ie l'ay

miſe en ſuite de l'Hiſtoire des Tures, tant pource que tous ceux qui l'ont veuë la

trouuentfortbelle , qu'elle part d'une tres-bonne main , que parce qu'elle eſt toute

pleine de remarques bien particulieres , & de curioſitez qui donneront de tres

grandes inſtructions de la Cour du Grand Seigneur , & des mæurs et des façons
de faire de cette Nation .

FIN DV SECOND TO ME.


Tv
nata oanna

Yanlar Familie
SOUcuyo WCOMORO peu
Oo

T A BLE

DES MATIERES P L VS

MEMORABLES CONTENVES EN CE

SECOND TOME DE L'HISTOIRE DES TVRCS .


A

BAZA Gouuerneur d'Erzeron ftoire en vne autre façon : ibid .


rebelle menc ſon armée à dix Alliance des Hollandois auec les Royaumes d’Al
ger & de Tunis. 96
journées de Conſtantinople.
87.ſe rend redoutable. 90, ſe Alliance de la France renouuellée aucc les Roys
remet en campagne.Sesimpo d'Alger & de Tunis . 113
ſtures & fa cruauté. 93. gagné le Sultan Almuktadir fait tranſporter Bagadec de
par belles paroles rend Erze l'autre coté du Tigre. 107

ron. Eit fait Captan & Gouuerneur de la Boſnie. Alouaſſe Roy de Tefis concurrent en mariage aucc
112. paſſe huit mille lanıflaires au tranchant du celuy d'Yuerie , 34. fait alliance auec le Turc. 35.
ibid.
cimetere. 86. fait la paix auec le Grand Seigneur . empoiſonné par le Perfan .
100.va au ſecours des Moſcouites contre les Po Alqueuin Gouuerneur de la Prouince de Mouſol,
lonnois . 137. ſe retire apres quelques attaques. jalouſie luy fait trancher la teſte. 19
138. ſes artifices.140. eſt eſtrangle. 142 Allemans mocquez de leurs propheties . 138
Abbas Gouverneur de Tokay fait affaliner Bac . le Comte d'Altemps Commiſſaire de l'Empereur.
tory . 12 IOS
Abdala aliec ſes freres s'empare du Royaume de Aly fils de Facardin deffait les Baſſas qui l’alſiegent
1 Maroc , 1o . ſes rules pour s'en faire Roy. ibid. eſt dans Sidon , & fait ſon accommodement auec le
deffait & tué . II Grand Seigneur. 17 , ſon courage & ſon mal
Abuiafar Almanzor, ou Almohed ſon fils fondateur heur. 132
de Bagadet, 107 Aly Bafla perſuade au Grand Seigneur de declarat la
Achmet Sultan fait voir vn eſchantillon de ſes ma guerre à la Pologne.54.deffait & tué par les Pere
gnificences aux AmbalTadeurs. 7. veut forcer le ( es. 94
Perſan aux conditions de paix qu'il luy propoſe. Ambaſſadeur de l'Empereur entre dans Conſtanti
Pourquoy il veut maintenir Gabor dans la nople tambour battant. 28
Trandiluanie.11. s'aſſeure de la Moldavie , & con- Amballadeur du Grand Seigneur vers l'Empereur,
tinuë la paix auec la Pologne. 12. fait vne magni 86
ſa reception & ſa harangue .
fique entrée à Conſtantinople . 13. fait attaquer Ambaſſadeur de Perle auec de riches preſens au
l'Emir Facardin par les Ballás voiſins. 160. & le Grand Seigneur.isi . Autre receu à certaines cong
Perſan par les Arabes.17. Enuoye contre la Perſe ditions . 170. Autre pour demander confirmation
l'armée qu'il auoit deſtinée contre Malthe. 17 . de la paix . 172
fait reuolter l'Iſle de Magna contre le Sophy.18. Ambaſſadeurs de l'armée Polonnoiſe pour la paix
Eſcrit en faueur de Gabor aux Tranſfiluains , & aucc le Grand Seigneur. 70.71. refuſent de payer
enuoye vn Chaoux à l'Empereur, 20. auec lequel tribut. 72. promettent le preſent & concluent la A
il fait la paix . 26. 27. fait la guerre & prend pri paix : 73. ſaluent le Sultan . 74 . leur repugnance
ſonnier le Roy de Tefis . 32. Railierie qu'il fait au pour le delogement . 75
Perſan.35.met quatre armées ſurpied toutesmal- l'Ambaſſadeur de Hongriearreſté priſonnier à Con .
heureuſes.37 .fa mort.ibid. Ce qui s'eſt paſſé en ſtantinople. 172
tre luy & ſon frere Muſtapha durant ſa vie. 42. Ambaſſadeurs de Moſcouie remportent la confir
Achmet Tichia Ambaſſadeur du Grand Seigneur mation de la paix auec la Turquie. 171
pour la paix à Vienne. 27 l'Ambition de regner viole toute ſorte de droits. 33
Achmet Bey de Strigonie. 105 Amet Aga mis en pieces par les Ianiſſaires. 128
Achmet grand Vizir eſtranglé & ſon corps expolé. Amurath frere d'Oſman empriſonné. 83
182 Amurath, ſon eloge.89. eit proclamé Empereur.go.
l’Aga des laniſſaires fait grand Vizir. 185 ſa circonciſion . 91. enuoye des Ambaſſadeurs à
Agliman fortereſſe dans la Caramanic , ſa deſcri Vienne & en Pologne.9 2.semet l'Empire en ſon
1. ption . 13. priſe par force par les Florentins. IS luſtre, 100 , chaſtie les autheurs de la fedition des
Alauardy Baffa de Chiras , empriſonné . 35 laniſſaires. 102. fait la paix auec l'Empereur . 1o sa
Allemans & Hongrois , leur antipatie . 6 donne de beaux prefens à ceux qui l'ont traitée.
Alexandre de Tarente Sergent Major au ſiege d'A 106 , perd le Royaume d'Yemen . 109. veut faire
gliman. 14 rentrer Cantimir dans celuy de Tartaric.112.don
Alexandre Can d'Yuerie ſe met ſous la protection ne vn ſoufflet au Caymacan.120. ſes extrauagen
du Roy de Perſe. 32. cſt tué par ſon fils.33. ſon hi ces luy font preſque perdre l'Eſtat & fa Couron ,
Bb iij
Table des Matieres.

nc. 121. court grand hazard du tonnerre.125. rap B


parmy la
milice mutinée, ibid . fait eſtrangler l’Emir Facar Blog de contre leGrand Seigneur. 195.
din.135 . & noyer ſes enfans.136 . enuoye vne puiſ n'eſt pas l'ancienne Babylone, 106. alfiegé par les
fante armée en Perſe. 138. ſes aumoſnes pour re Turcs. 107.122 . qui le prennent par aſlaut . 162
parer vne incendie à Conftantinople . 140.de- le Bailly de Valdine Cheualier de Malthe , ſes ex
clare la guerre à la Pologne. 140. luy demande la ploitsen mer. 144
paix . 142. veut faire mourir les Chreſtiens.ibid . Bakos Gabor va ſecourir Olmuts . 174
fait eſtrangler le Mufry & ſon fils. 144. fait mine Bataille'entre les Perſes & les Turcs , où il eſt tué
de vouloir alſieger Malthe , puis d'en vouloir à cent millc hommes de part & d'autre . 45
l'Empereur.14s.fait exercer diuers ſupplices.ibid. Bartoſzoovv.
prend Reuan ſur les Perſes.146 .fait eſtrangler ſes le Balla de la mer tente vne ſurpriſe ſur Malthe. Va
deux freres , demanteler Tauris , & retourne à reprimer les rebelles de Tunis & de Tripoly ,&
Conſtantinople. Defend d'y vendre du vin & da
Gouuerneur priſonnier à Constantino
tabac.147. faitla guerre à Ragotſky.isi. puis luy ple. 23
donne la paix .152. diſſimule l'iniure que luy fait 95. Baſſasou Officiers noyez. 139
le Cam Tartare, ibid . ſes cruautez & bijarreries. Baſſas d'Alep & de Cafa arreſtez pour leurs con
156.menace l’Italie. 158. veut declarer la guerre cuſſions. 172
aux Venitiens . 159. va à celle de Perle. 160. fait George Bafte Lieutenantdel’Empereur en Tranſlil
eſtrangler yn impoſteur, 161. prend Bagadet par uanie, aſſalline Battory .
aſſaut ,maisy perd plus de cent mille hommes. Gabriel Battory ſe rend odieux aux Tranſiluains les
162. fait vncentrée à Conſtantinople , & la paix ſujets. 6

auec le Perlan.163, meurt par vne débauche. 165 Sigiſmond Battory Prince de Tranſliluanic, s. fon
Amurath Rays fameux Corſaire. 29 inconſtancc caule de longues guerres. 6. fe iette
Amurath Chaoux grand Douanier. IO2 entre les bras de l'Empereur.11. eſtaflatlivé par les
André frere de Battory Cardinaladminiſtrateur de Imperiaux. 12. ſes parens font guerre à Berlin Ga
la Tranfiluanie, aflafliné. 6 bor. 20

Anglois , deux de leurs vaiſſeauxfont vn grandmaſ- Beaulicu Capitaine d'vne galere de Francc.49.préd
Sacre de Turcs.132.offrent des vaiſſeaux aux Turcs & met à fonds pluſieursyaiſſeaux Corſaires. So
contre les Venitiens . 184 Nicolo Beganolky Internonce de Pologne rempor
Anguſſe Secretaire de l'Ambaſſadeur de France à te la conhrmation de la paix entre le Turc & ſon
75 Maiſtre . 172
Conſtantinople.
Anza Mirza frere aiſné du Roy de Perſe. 34 Behut Balla General des galeres. 146
Apelman Ingenieur Flaman . 62 Mahomet Belzergy Baſſa. S. cntrc auec ſon armée
Aphis Mehemet grand Vizir alliege Bagadet auec dans la Tranfiluanie. 7
200000.hommes.106.fait couper la teſte au Balſa Bequis prend Rocca dans la Calabre, & perd plus
d'Alep.107.leue le ſiege.Eft demisde la charge.108 de cinq cens hommes vers Crotonc . 173
Arcomathommede baslieu General de l'armée de ' Albano Bergamaſque Gouuerneur de la Canée. 175
Perſe deffait les Arabes, prend Alcota & toute Bernale fameux voleur.
l'Ile de Magna. 17. s'eſtant rcuoltée,il la reprend. Betlin Gabor s'empare de Deue. 11. eſt reconnu
10 , raſe la ville de Corme . Deffait Facfur, & meurt Prince de Trandiluanie . 12. taille les garniſons
de bleſſeures.
19 de Lippe & Genoë en picces. 20. met pluſieurs
Arcoſan chef de l'embuſcade qui deffait Facfur. 19 places entre les mains des Turcs. 21. fait ligue
Armée de Pologne fort petite contre celle du Turc. auec les Euangeliques de Boheme contre l'Em
- ss. aſſiete de lon camp . 57. ſes diuers exploits.59. pereur , 48. s'empare de la Hongrie, dont il prend
60.61. prend grandereuanched'un petit eſchec. le tiltre de Roy. 49. y renonce moyennant de
62. ſe ſert derules.63.lamiſere l'accable,ibid . plu grandes penſions. ibid . affecte la Couronne de
fieurs ſoldats ſe debandent. 66. reprend courage . Boheme.sı.ſe fait chefdesmal- contens de Tranſ
67. met les Turcs en delroute. 67. ſa diſette. 70 . filuanie. 6.prend le party des Proteſtans d'Alle
ſe refioüit de la paix. 75. & decampe. 76 magne. 92.faitpaix aucc l’Empereur.96. embraſſe
Armée prodigieuſe du Turc contre la Pologne . 58. la ligue de l'Anglois contre l'Empereur . 103. fa
la diucrſitédeſes arınes & ſon artillerie.59.reüllit mort. 119
malen ſes attaques . 60.61.62.63.ſe ſert de ruſes. Beyran Balla grand Vizir. ISI
ibid. ſa façon de camper. 64. mutineric parmy les Bicaſſerenegat Marſeillois Admiral de Tunis , def
ſoldats.os.eft repouſſée en l'attaque generale:69. fait par lesMalthois .
Bobovy. 68
deſcription du camp.70.ſerehoüit dela paix.75 .
decampe. 76 la BohemeRoyaume cy -deuant elc & tif approprié à
Armement du Turc qui fait trembler l'Italie. 169 la maiſon d'Auſtriche, 48
le Vicomte d'Arpajou Licutenant general du grand Boiſboudran General des galeres de Malthe , tué
Maiſtre de Malthe. 174 dans vn combat naual. 173
Alan Calafat renegat Grec fameux Corſaire & Ma- la Boiſſiere volontaire au ſiege d'Agliman . 13. y eſt
gicien , mis à la chaiſne. 104.10S tué.
Aliatiques mauuais ſoldats. 59. le Cheualier de Boifiſe. 47
d'Auenes volontaire au ſiege d'Agliman . 13 Giacomo Bolda Gouuerneur de Suda. 178
Azac , ſa deſcription , priſe par les Cofaques, & raſ- Boratin . 58
ſiegée par les Turcs.iss.qui en leuent le ſiege.156. Bornemis Tranſfiluain entretenu par la France au .
ler'alliegent par mer & par terre. 170. repris par .pres de Berlin Gabor. Ilg
les Moſcouites, 178 Eſtienne Botſcay s'empare de la Tranſſiluanic. 6
Samuel
>
Table des Matieres.

Samuel Bouchard . Belleśrëmarques qu'il fait ſur la Cezy Ambaſſadeur de France à Conſtantinople.45
fondation de Bagadet. 107 deſtourne vn affront que les Turcs veulentfaire
Boulaqua Capitaine Arabe attaque la Perſe auec à celuy de Pologne. 105. S'oppoſe au progrez du
6000o . hommes. 17 Caluiniſme a Conſtantinople, & y fait reſtablir
Boutefeu puny cruellement . 61 les Icſuites. 111. garantit les Religieux François
Breuner Gouuerneur de lauarin . 92 du maſſacre.120.121. fait feſtin & des feux de joye
deux Brigues à la Cour du Grand Seigneur.116.dont de la priſe de la Rochelle.114 . ſe trouue embaraſſé
I'vne tend à le depoſſeder, 121. l'autre à perdre le dans yn cautionement . 116. continue la fonction
Vizir. 126 d'Ambafladeur , apres la chaſſe de Marcheuille.
le Comte de Bouchaim deffait fix mille Turcs & 144. retourne en France. 169
Tranſliluains. 172 Chain Chiran deffait le ſecours qu'on enuoye au.
Buronniere Cheualier de Malthc. 98 Vizir en Perſe. 126
Mchemet Buſtain , decapité. 90 Chakim gouuer ne ur y
de Tripol . 161
с Charaut Cheualier de Malthegagne trois vaiſſeaux
Adu fait ligue auec Alqueuin contre le Roy de Turcs par un grand combat. 1.58
CAPerſe
19 la Charge de Captan donnée contre tout ordre au
le Caymacan Ambaſſadeur du Grand Seigneur à grand Vizir . 170
Vienne pour la paix . 105 Cheix ou Santon impofteur, eſtranglé. 161
Calil Admiral en danger de la vie. 85. de Balſa fait Eſtienne Chmielecky deffait les Tartares, 118
grand Vizir mene vne puiſſante armée contre les les Cheualiers de Malthe prennent & pillent Co
Perſes. 108. eſt contraint de leuer le ſiege de de rinthe. 1. prennent ſept vaiſſeaux Turcs & cing
uant Erzeron . 109. eſt demis de la charge. 112. eſt cens Ianiſlaires.30. Vn autre auec yne hourque.
eftranglé. 146 47.petardert le chaſteau de Tornele . ibid. met
Campremy fait teſte aux Turcs qui veulent ſurpren tent en fuitte les fameux Corſaires Samſon &
dre Malthe.
23 Edouard . so . prennent vne flotte depirates. 97 .
le Camdes Tartares rauage la Podolie.39. fait eſtra font de grands butins . 110.attachent le fameux
1
gler le Baſſa , le Mufty & le Cady de Caffa. 152 . pirate Vilaim à la chaiſne.114. prennent vn riche
deffait Cantemir . 153. bleſſé à mort au ſiege d'A . vaiſſcau Turc. 125. & pluſieurs autres. 144. apres
zac, 156. doit fucceder à l'Empire Othoman au vnrude combat.145,158.prennent deux vaiſſeaux,
defaut de race maſculine. 165. ſes intereſts à re & vne feinme qu'on croyoit Sulcane , & ſon fils. 1
prendre Azac.169. meurt de bleſſeures. 170 173
k Cam des petits Tartares, priué de ſes Eſtats . 173. le Cheualier de Lorraine General des galeres de
le Comte de Candale yolontaire au ſiege d'Agli Malthe prend le Corſaire V [laim .
man.iz. la valcur. 14 De Chiffay Commandeur de Malthe. 114
la Canée en Candie priſe par les Turcs. 175 Chodzienicz General de l'armée de Pologne contre
4
Louys Cantariny Baile de Veniſe arreſté priſonnier , le Turc. ss.. la reſponſe aux Deputez qui luy
à Conftantinople. 159 : propoſoient la paix: 56.met ſon armée en batail.
Cantemir donne la premiere attaque au camp des le. 58. oblige les Turcs à la retraite . sg . l'appre
Polonnois.57. eſt mis en fuite.58.eftoit beau henſion du deſordre luy fait manquer la victoire.
coup eſtimé duGrand Seigneur.6o.fait irruption 60. ſa prudence. 61. 62. la pluye l’empeſche de
dans la Ruſſie. 118 donner l'attaque gencrale. 64. ſa harangue aux
Cantimir Laidera aſlité du Grand Seigneur pour ſoldats. 66. le fait porter dans Chocin , où il
rentrer dans ſes Eſtats. 112. deffait par le Cam meurt. 68

Tartare. 153. & eltranglé apres yn fien fils par le Chriſtian de Brunſvic Eucſque d'Alberſtad , com
Ture 154 mande l'armée de Saxe . 92
Capello General des Venitiens prend vingt galcees Cicules , leur origine.
de Pirates, de Tunis & d'Alger, & la valonne Cipierre volontaire au ſiege d'Agliman. 13
fur le Turc.159.175.fait Procurateur de la Repu- Pierre Cohay Vicegeneral des armées de l'Empe
blique. 176. empelche la ſortie du canal aux reur , 105
Turcs.177 . depoſledé de la charge. 178 Commandement du Grand Seigneur d'egorger les
Capi Aga découure' le deſſein du Sultan aux lanil Chreſtiens, empeſché par le Vizir & le Mufiy. 28
faires. Comete en forme de cimeterre en Turquie, & d'v -a.
77
le Captan Baſla General de l'armée contre les Veni ne autre façon en France. 45
tiens, eſtrangle. 181 la Conſcience d'ordinaire eſt le plus fort motif de
9 toutes les autres attaches à la fin de la vie. 41
Capucin lapidé par les Mores à Tunis.
Caraffe Prince de la Rochette. 92 Conſtantin Duc de Moldavie, cóment depoſſedé.4.
Catoarca Supprouçditeur de Veniſe fait de bons fa mort . S
progrez ſur les Turcs dans la boſnie & Moilachie . Conftantin fils du Roy d'Yuerie oſtage en Perſe s'y
177 fait Mahometan . 32. tuëſon pere & ſon frere. 33.
Catherinede Brandebourg vefue deBetlin Gabor, ſon hiſtoire en vne autre façon. 34
depoſſedée de la Tranſſiluanie. 124. s’accommode Conſtantinople facile à faire perir . 177
auec l'Empereut, . ' 130 Conteſtations pour la ſucceſſion de l'Empire Turc.
Cazare Vizir , Lieutenant de Bude . 105 169
Ceremonies obſeruées aux baiſe-mains des Ambaſ. Copaczovv bleſſé. 69
ſadeurs à Conſtantinople. vn Cordelier ictté dans l'eau en preſence du Grand
Ceremonies du couronnement d'Amurath . 90 29
Seigneur.
Cerife Amet gougerneur de la Mecque , decapité. Corme pillée & raſée , pour auoir egorgé la garni
125 ‫کمد وی‬ fon des Perſes . 19

1
Table des Matieres.

Cornare Gouverneur delille deCandic ,manque deſeſpoir glorieux d'vn Caloyer Grec. 110
vne entrepriſe ſur la Canée. 176. cuć. 178 Deſcri ption du camp du Grand Seigneur. 70. & de
Corſaires d'Alger & de Tunis renouuellent leurs ſes pauillons. 74
pirateries. 49. perdent pluſieurs vaiſſeaux. so Dilauer fait grand Vizir.67 . donne les faufconduits
les Corſaires Turcs violent l'alliance aucc les Hol.
pour la paix. 70. fait grand accueil aux deputez.
; landois. 97 ibid . & leur enuoye faire compliment, 71. Diſ
les Colaques ſuſcitez par les Polonnois bruſlent les cours qu'il leur cient , 72. conclud la paix , 73.
villages fi pres de Conſtantinople , que les flam conſeille à Oſman d'abandonner Contantino
melches en vonttomber dans le Serrail . 23. pren ple , 76. eſt depoſſedé, 77. & tué par les lanif
nent Synope & pillent Trebizonde. 24. recom laires. 78
mencent leurs courſes. 30. bruſlent & prennent les Dinoph , Maiſtres de Camp. 60.62.63.64
quinze vaiſſeaux Turcs.37. cinquante mille font Diuiſion entre lesRoysd'Alger & de Tunis. 113
irruption dans la Turquie. 49. fe ioignent aux Dodron Roy de Mingrelie paye tribut au Grand
Polonnois contre les Turcs . 56. font le degalt de Seigneur. 32
la contrée d'Orio & prennent Soroka , 57. cinq Dolphino General Venitien . 180
cens des leurs traitez cruellement par le Sulcan. Drus, quels peuples ce ſont. 16
ibid. Couſtiennent les efforts & vont à la charge le Duc de Mofcouie renoue la paix auec les Turcs.
des Turcs.59.60.font ync furieuſe irruption dans 190
leur camp.61.63. 64. enleuent pluſieurs beſtiaux. Dziambeger Cam des Tartares ſe ioint au Tarc
64. ſe veulent retirer.65.fontgrand butin dans le
contre les Polonnois. 58. pretexte de ſon refroi
camp des Turcs. 67.68 . ſaccagent Mezembrie & diſſement contre le Grand Seigneur . 60
Crin , & font grand nombre de Tartares eſclaues. E
94.bruſlent & rauagentiuſqu'aux portes de Con. Doüard fameux Corſaire mis en fuitce par les
ftantinople. gs . ſont battus par le Capaudan ,& galions so
reprimez par Koniecpolíky. 103. deffont les Exenfeld Lieutenant general des Venatiens en la
Turcs. 112.abandonnentAzac. 170. vont contre Dalınacie. 177
les Suedois.1o9 . fontyn genereux combat pres de Rodolphe Empereur , ſes artifices pour auoir la
Conſtantinople.118 . font contribuer les coſtes de Tranſliluanie . S
lamer noire.izo. fonctres -difficiles à tenir en bri- Matthias nouueau Empereur enuoye complimen
de,123.pillene Yambol. 125. laccagent Balthelic, ter le Grand Seigneur. 7. aſſemble les Eſtats à
, i où ils font cinq cens priſonniers. 144. donnent Lints pour deliberer de l'entretien de la paix auec
l'alarme àConſtantinople.152.Contſubiugucz par le Turc. 20. la fair. 26. ſa façon de receuoir les
les Polonnois. 154. leur origine . ibid . prennent Ambafladeurs du Turc. 27. Ion ingratitude en
Azac. 155. deffont l'arrierc- garde des Turcs. 156 . uers le Roy de Pologne. 54. 55. dépouille le Pala
tiennent Conſtantinople en efchec. 177.178 . ſe tin de tous ſes biens. 92.fait la paix auec Betlin
reuoltent contre la Pologne. 183. donnent l'ef Gabor.96 . & auec le Grand Seigneur.10 5.faitmi
pouuante aux Turcs. 184
ne de grands deſſeins apres la mort de Berlin Ga
Courchy Bachy, baſtonné.
35 . bor.119. ayme micux broüiller la Chreſtiencé que
De Curts Ambaſſadeur de l'Empereur à Conſtanti de faire la guerre au Turc . 123. rccopure les terres
nople . 94. arrefté par le Baſla de Bude . 96
qu'ilauoit engagéesà Betlin Gabor. 124. fait pu
Coutan Balla va pour recouurer le Royaume d'Ye blier le ban & arriere-ban en Hongrie . 152.rcfuſo
men . 125 de payer tribut ſous le nom de preſent au Grand
Cremcaux Cheualier de Malthe ſaccage Corinth Seigncur. 170. refuſe paſſage aux troupes du
& fait cinq censeſclaues. Grand Seigneurpour la Dalmatie. 179
ridiculc Croyance des Turcs. le Duc d'Engouleſme chef de l'Ambaſſade pour la
Saint Cyr volontaire au ſiege d'Agliman . 13 paix des Princes d'Allemagne. 49
Cyrille ie fait Patriarche de Conſtantinople par ar. Entrée magnifique du Grand Seigneur à Conſtan
gent. 110. veut mettre le Caluiniſme parmy les tinople. : 8
Grecs. 111. reſtably & redepolledé par vo autre l'Equinoxe eſtiméciour heureux chez les Turcs.171
Cyrille à force d'argent. 142 François Erizze Doge Generalilimc des Venitiens
D meurt de vieilleffe. 176
Aout Bafla Vizir prononce l'arreſt de mort à Eſcoſſ ois & Hyber nois gardes du Prince Vladiſlas.
Oſman , & le fait eſtrágler en ſa preſence.79. 69
veut faire mourir les freres d'Oſman . 83. s'enfuit Eſclaues François , leur generoſité, & d'un conegat
de Conſtantinople.84. ſes impoſtures. Eft cftran Florentin . IO
glé au meſme lieu qu'Oſman . 85 Eſclaucs eſchappez auec grand butin , & d'autres
le jeune Dauid , ſa valeur. 11 0
veulent ſurprendre le Palais du grand Maiſtre de
Datoud ſecond fils du Roy d'Yueric. 32. tué par ſon Malthe.ito. Genereux deſeſpoir de quelquesau
aiſné. 32 tres.12 s.leur inuention pour ſe ſauuer.170.qua
Pierre Decacy forme vn tiers party en Tranſilua tre millc cſchappez de Barbaric durant la pette.
nie. 6 171
Deffenſes de parler de la Religion des Turcs ſous Efterhafy deffait les Turcs en diuers paffages. 92 .
peine de mort . 9 meſnage une conference pour la paix. 96.dont il
Deltour volontaire au ſiege d'Agliman. eſt vn deputé. 15
Dermont .
63 Eſtienne Roy de Hongrie canoniſé.
Deruich Mehemet liureſon pere à ſes ennemis . Toi Euangeliques prennent les armes contre l'Empe
vn Deruis attente ſur la perſonne du Grand Sei reur.48. challent Ferdinand Roy de Boheme &
gneur , elliſent Federic V.Comte Palatin du Rhin. 49.
Europeens
Table des Matieres.

Europeens principales forces du Turc. 59 gneur pour la paix à Viennc. 27


Exemple aux Princes. 136 Gde zin . 67
F Gebegy Baffi, decapité. 83

maiſtre
E Mir de la Serience
Facading Syrie. 16. ſe ditiſſu de
de consilier la race
peut de
rendere Rullie. Kiran Roy Tartare fait irruption dans118
Gembira la

Godefroy de Buillon . ibid. fe ſauue en Florence l'intereſt des Generaux auance ou reculeles affaires
auec de grandes richeſſes.17. fait reuoluer Damas . des Princes. 130
93. & fauoriſe les Perſes. 94.rend trois importan . la Georgie diujſée en quatre Royaumes. 31
tes places au Grand Seigneur. 109. eft accuſé dc Gauts fait teſte à Ragotſky. 172. luy deffait deux
diucrs crimes . 131.pouruoit à ſa deffenſe.132.rend mille chcuaux. 173
pluſieurs autres places. 133. s'allocic auec Reba Gjaphar Baſſa prend Facárdin à compoſition. 134
Roy des Arabes. 134. ſe rend au Baffa Giaphar. André Gietzay traiſtre au Prince de Tranſiluanie
ibid. Le Grand Seigneur le fait eſtrangler. 135. & ſon maiſtre. 7
noyer ſes enfans. 136. ſa vie & ſa fin remarqua. Gil d'Has General Venitien Gouuerneur de la ville
bles. ibid . dc Candie . 180.183
Facfur abandonne l'Ille de Magna , dont il s'eſtoit Giſcar. 14
fait eflire Roy . Generoſité de la femme. 18. re Giſler Aga . 68

tourne aucc quinze mille Turcs , auec leſquels il Goggiac Ehmod Baſſa de Damas impoſe pluſieurs
eſt deffait par Arcomat. 19 crimes à Facardin. 131. le ſomme de rendre ſes
Ferdinand Roy de Boheme chaſſe par les Euange places. 132
liſtes .
48 Goggiac éuite la furic du grand Vizir. 146
Federic V. Comte Palatin du Rhin elleu Roy de Emanuel de Gondy General des galeres de France
Boheme. 49 donne la chaſſe aux Corſaires d'Alger . 48
Michel Federovvicz Duc de Moſcouie demande fé- le Marquis de Gonzague General de la caualerie
cours au Turc contre la Pologne. 137 Venitienne , 177
Alexandre Felicina General des galeres du Pape. Antoine Gouca Auguſtin , fait la relation des Roy
104 aumes de Georgie . 33
Fenarol Licutcoant general de la caualerie Veni- Gouiats Bolonnoisattaquent & font fuir les Turcs.
cienne. 177 60
Emir Feroucq . 131 , 132 le Commandeur des Goutes general de quatre vaiſ
Fetfa ou point de Loy, auquel les Turcs & le Grand ſeaux de l'Ordre combat.le Corſaire Ouart. 47
Seigneur meſme eſt obligé de reſpondre. 182 Graciany Vayuode de Moldauic attaqué par les
Fiereſy, ſa valeur. 66.67 Turcs.si . tué par les Moldaues.
Florentins, leur entrepriſe ſur la fortereſſe d’Aglie Grillo Drogman du Baile des Venitiens, pendu.183
man . 13.la prennent par force. is le GeneralGrimany aſſiegela Canée.175.cſt fait Ge- .
Flotte de ſoixante- dix vaiſſeaux Corſaires peric.97 neralillime. 178. gagne vn combat naual ſur les
Fortgafi General de l'armée de l'Empereur. 11.pris Turcs.179. prend pluſieurs vaiſſeaux. 180. oblige
auec les plus gráds de la Hongrie dans Preſbourg, les Turcs à le retirer de deuant la ville de Candic .
reconnoiſſen Berlin Gabor pourPrince.49.def 181. noyé dans vne tempeſte. 181
faitles Turcs en Hongric . 184 Gritkan Azab Aga de Bude. 105
- Foſcarin Ambaſſadeur des Venitiens à Conftanti. Achatie Grochovv Ambaſſadeur de Pologne à Ro
nople. 169 me , S4
l'Emir Guemer eſtranglé. 170
. Foſcolo General Venitien.177.prend pluſicurs pla:
ces dans la contrée de Sebenico. 181. mal- traité Guillaume Marquis de Brandebourg inuefty de la
en yne deſcente. 183. prend Riſano ſur les Turcs. Duché de Prulle parle Roy de Pologne · 70
184 Gumirgouuerneur de Reuan, réd la place au Turc.
les François font garde auec les Turcs à Conftanti 146.qui le fait ſon fauory. 147. & fait faire yne
nople. 58 telle débauche à Amurath qu'il en meurt . 167
G Gurguy Eunuque Precepteur de Muſtapha,amy do
Es Galeres de Naples iointes à celles de Malthe l'Ambaſſadeur de France. 44
L pillent l'Iſle de Lango, jadis l'Ile de Cos . 2 . Guftaue Roy de Sucde prend Rige ſur les Polon
Rufes de leur General pour faire un grand butin nois . 91. recherche l'alliance du Turc. 117. atterre
ſur les Turcs . 46 preſque la maiſon d'Auſtriche. 129. ſa mort .
les Galeres de Florence pillent le chaſteau de Lango 130
:: & font douze cens priſonniers.4.prennent trois H
galeres des Turcs, dont ils mettent fix cens hom Aly d'Andalouſie Rais d'on vaiſſeau , pour
mes à la chaiſne. 113 quoy mis à la chaiſne.. so
lesGaleres du Pape , de Naples & de Florence def. Hamet Lecteur du College de Maroc , s'empare da
font & prennentle Corſaire Aſan . 104.10s Royaume auec ſes freres. 10
les Galeres Turques prennenge quatre nauires & Harangue du General de l'armée Polonoiſc a les
huit cens Eſpagnols. 125 foldars. 66
Galga frere du Roy Tartare. 118 Harangue des Ambaſſadeurs de Pologne pour la
Dupuy la Garde Cheualier, a le bras emporté . 114 paix au Grand Seigneur. 74
Gargousky Ambaſſadeur de Pologne a Conſtanti- Corneille de la Haye Ambaſſadeur des Hollandois
nople. 23 à Conſtantinople. 9
Garnier Chevalier de Malthe , 144. prend vne our La Haye Vantclet Ambaſſadeur de France fait les fú
quc ſur les Turcs. 145 nerailles de Louys XIII. à Conftantinople. 171 .
Gaipard Gratiany Ambaſſadeur du Grand Sci 177.183.184
Tome II .
Cc
Table des Matieres .

Dela Haye Cheualier de Malthe , eſclaue des Turcs Iſolany Palatin de Hongrie deffait par Ragotſky,
au ſiege d'Azac. 155.168 124. entre dans la Morauie. 130
Heles ſaccage Magneſie. 127. eſt eſtranglé . 128 Iftuan Betlin emparé de la Principauté de Tranſil
les Heidouques deffont la garniſon d'Agria. 26.ra uanie , eſt contraint de s'en demettrc. 114 . taſche
uagent & prennent trois places és enuirons de d'y rentrer . 130. ſe ſauue en Turquie. 149
Zalnoc. 27. refuſent le joug du Turc par la dou- Iftuan Chelar Ambaſſadeur de Tranſfiluanic àCon
ceur , qu'il ne leur a pû mettre par la force. 31. re ſtantinople. 169
fuſent de retourner lous l'obéiſſance de l'Empo- luif maltoutier , pendu . 116
reur . 124 K
Herbeſtein Capitaine demarque. 27 Alinouſky ſe noye.
Felix Herburt Ambaſſadeur de Pologne à Conſtan Katerdzic.
ΚΑ 71
tinople . 23 Kenan Bafla prend dix barques de Colaques. 118
Herdat General d'armée du Grand Seigneur. 105 Kirakas Balla de Bude amene du renfort au camp
Cara Hodia fameux Pirate. 152 des Turcs. 62. eſt tué , & fort regretté . 66
Hodzy grand Mufty . 68. fait beaucoup à la paix Killar Aga , ſon credit. 44. découure le deſſein du
pour les Polonnois. 71 Sultan aux lanillaires. 77. qui le mettent en pie
les Hollandois cnuoyent vn Ambaſſadeur à Con CGS . 78
ftantinople pour y traiter de pluſieurs chefs. 99 Killer tué dans vn combat naual. 173
Homanoy' General pour l'Empereur . 49 Kochanovv . 64
Hongrois traiſtresaux Polonnois. 60. dont l'vn eſt Staniſlas Zolxicuſxy grand Mareſchal de Pologne,
haché en pieces par les Turcs . 66 va contre les Turcs dans la Moldauie. 30. fait yn
Honorat Capitaine Natolien General d'armée con accommodement deſaduantageux auec eux . 31 .
tre les Perſes, 17. Deffait & tué dans la bataille . cſt fait priſonnier . ‫زی‬
18 Konarzeuic alleure le General Polonnois de l'arri
I uće des Cofaques. 57. s'approche du camp. 58 .
Acaya fils de Mahomet III . Son hiſtoire. 25 fait inſtance pour attaquer le camp des Turcs .
Ilaſſer Aga expoſé à la fureur des ſoldats. 125 64.66
Jalouſie des Preſtres Grecs contreles Latins. 28 Koniecpolſky fait priſonnier en vn combat par les
Iambolat Ogły eſtranglé. ISO Turcs. 53. y donne la chaſſe aux Tartares . 95.1e
Ibrahim proclamé Empereur . 165.ſon Eloge. 167. prime les Coraques. 103. 121. deffait les Tartares,
ſes diuertiſſemens: 168, ſon affection aux Fran 137. & contraint les Turcs de ſe retirer. 138. 142 .
çois. 169. eſt ſurpris d'apoplexie . ibid . arme 80 . 154.tuë treize mille Tartares& en fait trois mille
galeres qui alarment la Chreſtienté. 171. enuoye priſonniers. 172. arreſte les courſes des Tartares.
vn daix de grand prix & douze muletschargez de 176
ducats au lepulchre de Mahomet.171. donne du Simon Kopiczy fait grande expedition des Tarta
ſecours à Ragotſky contre l'Empercur. 173. fait res.
vn equipage de mer de plus de quatre cens voiles Kopiczin . 67
pour aller contreMalthe.174.faitarreſter le Baile Samuel Koreſky chaſſe Thomza de laMoldauie . Eſt
& les marchandiſes des Venitiens . 175. depoſſe fait priſonnier des Turcs. 30 . ſauué par Martin
de, & empriſonne pluſieurs grands Officiers.180, Secretaire de l'Ambaladeur de France. 43. 52 .
& ſa mere.181 . fait eſtrangler IcCaptanBaſfa.ibid . Elt repris dans yn combat & remcné dans la tour
182 noirc.
eſt eſtranglé. 33
les laniſſaires ſc mutinent contre Oſman . 77. cou Koflacovy .
58
L pent la teſte aux plus grands Officiers & tirent L
Muſtapha de priſon & leproclament Empereures 109o
LAmede Lango,licu de la naillance d'Hypp
78. veulent maſſacrer tous les Chreſtiens & les l'Ile de
luifs. 83. ſont mal- traitez des Gouverneurs des crate. 2
Prouinces . 84. demandentla teſte des coupables Lenzony Commiſſaire de l'armée au ſiege d'Agli
de la mort d’Oſman.85. huit mille paſſez au fil de man , y eſt tué . 14
l'eſpée. 86. ſe font donner le Taraquin au nou Lermont bleſſé, 69
ucau Sultan . 91.font vne nouuelle ledition . 102. Leſniovv . 58
& s'eſliſent des Chefs. ibid . ſemutinent partout . Ligue des Princes d'Italic pour ſecourir les Veni
127.128. taillent en piecespluſieurs Officiers. Isi. tiens contre le Turc . 175
ſe mutinent contre Ibrahim . 180 Lipnic manque d'enleuer la foire du Serat de Mol.
Ianiſlaire einpallé pour auoir commis adultere . dauic, 56
146 André Lipſki, Vicechancelier de Pologne . SI
lellc.
61 Louys XIll. Roy deFrance , enuoye demander re
les Ieſuites accuſez de diuers cas. 28.29 . chaſſez puis paration de l'affront fait à ſon Ambaſſadeur, 45.
rcftablis à Conſtantinople. 2 III
le rend mediateur pour les Venitiens aupres du
Imacouly Cam de Chiaras . 102 Grand Seigncur 177
Imbrahoul Baſli fait Admiral . 102 Leſenſtein fameux Capitaine. '77
27
Impofts extraordinaires en Pologne pour la ſubli- Loy des Turcs appellée par cux Iuftice de Dieu.
ſtance de l'armée contre le Turc . SS 182
Incendies à Conftantinople. 19.11 2.169.176.139 Loyers volontaire au ſiege d'Agliman.
Ingherramy Admiral de Florence allieg¢ Agliman Staniſlas Lubomirſky Lieutenant du General de
fur les Turcs. 13. ſes ordres en l'actaque. 14. la l'armée de Pologne contre les Turcs , ſe ſaiſit des
prend pac force , & pluſicurs vaiſſeaux en s'en re paſſages.55.56.58.59.61 . Va au ſecours du fort
tournant . IS . 29 de la Chapelle des Grecs.62.65.fait General apres
la mort
Table des Matieres.

la mort de Chodkievicz . 68.[ cs ordres en l'atta eſtranglé & expoſé à la rage des Ianiſſaires. 102
que generale des Turcs . 69. & pour la paix.70 . Mehemet Balſa fait grand Vizir. 128. tué à Paffaut
de Bagadet . 162
eſcrit au Grand Seigneur. 74. ſa ruſe pour le de
logement de l'armée. 75. deffait lesTartares. 118 Mehemet Baſſa de Damas fait grand Vizir . 172. de
ſtitué de la charge. 176
Le Prince Ludouiſio neueu du Pape Innocent X.
General des galeres contre les Turcs. 75 Mehemet Caymacan, eſtranglé. 163.164
Lupolo Bey de Moldauienegocio que les Coſaques Meh eme t fils d'Ib rahi m aagé de ſept ans proclame
abandonnent Azac . 156 Empereur des Turcs , 182. ſon couronnement,
Lupolo brigue la Principauté de Valachic pour 184
ſon fils. 163 Merueille arriuée au Roy de Perſe. 107
M
Meurab fait Regent du Royaume de Teflis.32.350
E Tombeau de Mahomet emmené par les caux . fait vn coup hardy. 36
L 125 Michel Vaiuode de Tranſiluanie, 6
87
Machout Baſſa fauory d'Ibrahim , fait Gouuerneur la Milice gagnée pour depoſſeder Muſtapha.
de Diarbequir . 168 Miracles dans vn incendieà Conſtantinople. 139
l'ine de Magna fe reuolte contre le Sophy, & fait Mirabello Baſſa de Damas General de l'armée con
Roy Facfur l'vn de ſes habitans , ſur lequel elle eſt tre les Perſes. 17. perd la bataille & eſt fait pris ,
repriſe. 18 ſonnier . 18
La Mothe Magnac volontaire au ſiege d'Agliman. Mocenigo coule quelques vaiſſeaux Turcs à fonds.
13 180. fait Generaliſſime. 181. reprend le fort Saint
le Duc de Maqueda Gouuerneur d'Oran en Bar Demetry . 183. gagne le combat contre les Turcs.
barie. 48 184
Mahomet fils de Xerif Precepteur du Roy de Ma Hicremic Moſula Duc de Moldauie . 4
roc s'empare du Royaumeauec ſes freres, dontilla Moldauic vſurpée par les Turcs . 4. porte preiu
demeure ſeul le maiſtre . IO dice à la Pologne. f
Mahomet Bafla General de l'armée Turque. 175 lean Moline Duc desVenitiens. 176
le Grand -Maiſtre de Malche mande tous les Cheua- rabais des Monnoyes à Conftantinople. 169
liers ſur les menaces que le Turc fait de l'allieger. Montmagne Cheualier de Malthe combat cing
145. ſe prepare à la defenſe. 174 vaiſſeaux Turcs & s'en eſchappe, NO
Malthe tres difficile dalſieger. 175 Montmeyan Commandeur de Malthe . • 97.98
Manfredina dans la Pouille magaſin du Roy d'El- Julio Canty dit Montaut General Florentin com
pagne , ſaccagée & pillée par les Turcs . 47 mande partie de l'armée au ſiege d'Agliman.13.14.
Mansfeld, meurt d'ennuy & de fatigue. 103 fait pluſieurs priſes de vaiſſeaux Turcs. 46. 103.
Mantoue ſurpriſe. 123 104.113

Lorenzo Marcello Prouediteur , attrape deux gale- Montberaut volontaire au ſiege d'Agliman .13.14
res Turques. 181 le Comte de Montenegre mis en déroute par Betlin
Marcheuille Ambaſſadeur de France mal traité à Gabor. 92
Conſtantinople. 143. & enfii chaſſé. 144 Montplaiſir volontaire au fiege d'Agliman. 13
Martin Secretaire de l'Ambaſſadeur de France moc. Mores de Grénade refugiez en Turquie , leur mali
qué par yne Dame dont il auoit payé la rançon, gnité . 9
43 Moroc Prince Georgien , decapité auec trente des
Matthias maintenu Vaiuode de Valachie. 131. 163 . fiens.
117
164 Moroſiny General de l'armée des Venitiens.175. fait
le grandMaugor fait rompre la paix au Turc con Prouediteur general . 176. cmpeſche long - temps
tre le Perſan. 129 la ſortie du canal aux Turcs . 177. tué, & la charge
Sainte Maure ville d'Albanie , ſa deſcription. 97. donnée à ſon frere . 179.180.181
priſe & brulée par les Cheualiers de Malthc. les Moſcouites offrent de s'aſſocier aux Turcs pour
98 faire la guerre aux Polonnois . 84.prennent Azác
Maximes du Grand Seigneur . ſur le Turc.
7 178
Mechmet Capitaine de la mer eſpouſe la fille du r
Vizi Mor tez a a
Baſſ d'Ag ria. IOS
Grand Seigneur. Mortaza ſollicite la paix auec la Pologne. 142. rend
3
Mechmet grand Vizir va contre les Perſes.144.145. Reuan à compoſition au Roy de Perſe. iso
išo . eſt depoſſedé. 19ı. Ces precautions luy don . Moſcin . 64.65
nent la vie , & la mort de labourſe . 157.144.182 . Mouſſa Baſſa Caymacan en l'abſence du Grand Sci
clt decapité . 185 gneur à Conſtantinople . 160
Coſme deMedicisgrand Duc de Florenceveut ven- Moyfe Prince de Moldauie ,moyenne la confirma
ger quaranre teſtes des liens miſes ſur les murailles tion de paix entre les Turcs & les Polonnois.
d'Agliman par les Turcs . 13 123
Pierre de Medicis volontaire au fiege d'Agliman.13. Muley'Cidan , & Muley Cheq s'entrechaſſent du
bleſſé de coups de cailloux. 14 : Royaume de Maroc . 10
Emir Mehem heritier de Facardin .
37 Murat Balla d'Alep , decapité par la jalouſie 'du
Mehemet Cigalc eſpouſe la four du Grand Sei grand Vizir . 107
gneur. 3 Muſtapha tiré de captiuité & proclamé Sultan.41 .
Mehemet Chiran vſurpe le Royaume de Tartarie . fait la largeſſe aux Ianiſlaires , & entretient la
12
paix auec les autres Princes pour faire la guerre
Mecmet Gerey Baſſa de Caffa maintenu contre la au Perſan . 42. ſes diuertiſſemens & ſes gratifica
volonté du Grand Seigneut . IOO tions . 44.elt dethrôné.ibid . reſtably,donne lali.
Mchemet Gurguin Eunuquc fait grand Vizir. 84 . berté aux priſonniers. 73. condamne Oſman à la
Tome II. Cc ij
1 Table des Matieres .

mort. 79. fait reſſerrer ſes deux freres & pour- Gregoire Oſſolinſky Ambaſſadeur de Pologne ep
uoit à la ſeureté. 83. explique le ſonge d’Oſman. Angleterre. 54
ibid. ſes extrauagances le font depoſſeder. 90 Martin Oſtrich decapité à Veniſe. 177
Muſtapha Balla grand Vizir . 167. fait ſon poſſible Ouárt fameux Corſaire. 47
pour porter le Grand Seigneur à faire la guerre Ouurage de merueilleux trauail fait en peu de
contre les Chreſtiens. 168. eft eitranglé . 172 temps .
164 P
Muftapha Gouwerneur de Siliſtriecontinucle fiege 174
P fraisente l'empereur & le Furc.26-27. Arti
d'Azac.
Mutinerie generale de la milice . 127. 128 cles . 105
Muzare Bey de Szoluaky. 105 Paix entre les Turcs & lesPolonnois , & les cere
N monics du traité . 23. ſubſtance des articles . 75 .
Ndré Nage chef des ſoufleuez de Hongric . confirmée. 23. fenoüće. 148
А" 7 Paix entrele Sultan & le Sophy. 11.163

De Naut va de la part du Roy de France demander Luuigy Paruta Gouuerneur de Suda. 178
reparation au Grand Seigneur de l'affront fait à Pequier Balla de Bagadet ſe raille des commande
l'Ambaſſadeur. 45 mens du Grand Seigneur. 100. Et du Perſan qui
Naſſum grand Vizir. 7. 8. trame intelligence auec l'auoit ſecouru . 101. ſa mort tres cruelle . 102
le Perlan . 16. rend vn innocent coupable pour la Perſe cimetieredes Turcs. 120
auoir ſon bien.i9.eſt eſtranglé par le commande- lesPerſes deffont lauant-garde du grand Vizir.117 .
21 & douze mille Turcs dans vne embuſcade . 147
ment du Grand Seigneur.
Nafluf, ſon extra & ion, ibid . & la cauſe de la perte. Pefte & famine à Conſtantinople,93. furicule à Ale
22. Deux ruſes remarquables en luy. ibid . Sa vic xandrie & à Tunis. 171
amplement deſcrite à la fin de l'Hiſtoire. Pialy pourueu de la charge de General de la mer.
Nauais Baſſa d'Alep deffait & bleſé par les Perſes. 171
I22 Paul Piaſek Eueſque de Premiflie fait la Chronique
Nauarrin , jadis Pyles. 1 de Pologne. 31
les contrées de Nazaret & de S. Ican d'Acre reúol- lacques Pimentel General des galeres de Naples.
tées. 178. miſes à la raiſon . 179 104

Negrony Ambafladeur de l'Empereur àConftanti- les Pirates de Biferte, d'Alger & de Tunis rauagene
nople. 7. ſa hardie reſponſe au Mufty.8.ſe recire lescoftes de Calabre & de Sicile. 125
ſans rien conclure, apres pluſieurs genereuſes re- Piſany prend pluſieurs places dans la Dalmatie ſur
9 les Turcs. 179
parties.
Neiges en prodigieuſe quantité à Conſtantinople. Du Pleſſis volontaire au ſiege d'Agliman. 13
+ 171 Porte -manteau du Grand Seigneur fait Bafla de
ſolemnité des Nopces de la fille du Sultan Achmet. Damas. 44
les Polonnois tuent quarante mille Tartares. 119
o Eftienne Potoſky , ſon imprudence luy cauſe la
Elle Occaſion aux Chreſtiens de recouurer ce mort.
B qu'ils auoient perdu ſur les Turcs . 94 Preſens des Ambaſſadeurs de l'Empereur & du Soa
Octauio d'Arragon General des galeres de Sicile phy au Grand Seigneur . 8
prend ſept galeres Turques , & donne la chaſſe à vn Preſtre fort vaillant chef de trois mille Morla
trois de la mefme eſcadre. IS ques. 181

Ogly Balla allant au ſecours de Gabor deffait les Pretovo Polonnois repouſſe les Tartares. 58
Cicules. 11.çrouué eſtranglé dans ſon lict. 160 Prodiges au Ciel & tremblemens de terre. ss. Trois
58.63.65 Soleils veus au Ciel . 83
Opalinſc.
Orcan frere du Grand Seigneur , tuë quatre de ſes les Proteſtans s'efforcent de rompre la paix de l'Em
bourreaux premier que d'eftre eſtranglé . 147 pereur auec le Turc . Ilo , font mal-traiterles le
d'orgemont Secretaire de l'Ambaſſade à Conſtan ſuites à Conftantinople. III
168 Pruſinovy, 69
tinople .
Oſinan I. ſon eloge.39. proclamé Sultan. 44. [G Q
nouuelle l'allianccau los . fait
fait la paix dele
auec celuyec Roy de
Perleza France . 45. &
lachargeduert Gerard de Queſtemberg Baron libre .
paix pourvingtansauec les Turcs. 170
but. ibid . declare la guerre à la Pologne . 54. fa Queual Zorba Capitaine bandis eftranglé à Con.
barbarie ſur cinq censCoſaques. 57.ſon arriuéc & Itantinople. 170
ſon campement.58.ſesrodomontades. 59. pleure Queuan Balta deffait deux mille Perſes. 161
de deſpit & a recours aux ruſes. 61. reüllit mal en R
vne nouuelle attaque. 62. & contre deux places. Acoyy. 61 ,
66. depoſſede le grand Vizir. 67. perd eſperance Radulon Palatin de Valachic s'interpoſe pour
RASCH
de vaincre . 69. fait la paix. 73. Veut abandonner la paix entre le Turc & le Polonnois. 6s . enuoye
Conſtantinople & enleuer tous les threſors.76. au deuant des Deputez de l'armée Polonnoiſe.
ſe rend inflexible aux remonftrances, ibid. fait ſes 70. qui le viſitent . 71.74
efforts pour appaiſer les laniſſaires. 77. qui le Sigiſmond Ragotſky elleu par les Eſtats de Tranſ
traiſnent ignominieuſement deuant Muſtapha, liluanie, 6

qui le fait eltrangler. 79.eſt enterré ſans aucune Georges Ragotſky elleu Prince de Tranſiluanie.
pompe . 83. ſonge qu'il fait. ibid. 124. ſuſpect aux deux Empereurs . 130. ſecouru de
Oſman Rais Corſaire pris auec ſa flotte par les Che l'Empereur repoule les Turcs. 149. fait la paix
ualiers de Malthe . 97 . zucc cux. 152 , fait alliance auec les François
contra
4
Table des Matieres .

contre l'Empereur.177.faitirruption dans la Hon- Sale grand Threſorier , fait grand Vizir. 176
grie . 172.differe la paix auec l'Empereur. 173. & Salignac AmbaſſadeurdeFrance à Conſtantinople.
s'y monſtre difficilc . 174 y meurt.
Rakoſky Colonel . 49 Dauid Solomé allicge Kaflauf. 130
les Rebelles d'Aſie interrompent les deſſeins du Saluago Commandeur de Malthe. 97.98
Grand Seigneur. is Saly Affendy Balla. 174
Recolets challez du Conuent de Bethleem . 142 Sanſon fameux Corſaire combat & quitte la partie
Redeyſerens prend Caffouie en Hongrie pour Bet à la troiſiéme fois contre les Cheualiers deMal
lin Gabor. 49 the . so
Regel Baſſa fait Cayınacan.102. puis grand Vizir. Achilles de Harlay - Sancy Baron de Molle Ama
127. eſt eſtranglé , riche de trois millions d'or . balſadeur de France à Conſtantinople , comme il
128 futreceu au baiſe -main), 2. court riſque de ſa per
Reiffemberg Gouuerneur de Comorre. 92 ſonne, Tire les leſuites de priſon à force d'argent.
Reis grand Corſaire. 48 29. Eft en grand hazard pourvn priſonnier que
le Comte de Remorantin Gouuerneur de la ville de ſon Secretaire auoit fait lauuer, & les gensmis à
Candie. 18o . meurt de blefleure . 183 la queſtion . 43. eſt reuoqué . 45
les Republiques plus propres à ſe defendre qu'à at- Sander Baſla General de l'armée Turque contre
taquer. 119 Battory joint Betlin Gabor.n1 . Inſtale Berlin Ga
Reſident de l'Empereur pris , puis mis en liberté à bor dans la Principauté de Tranſliluanie. 12. def
Conſtantinople. IOS fait Koreſky en Moldauie, & l'enuoye priſonnier
Reuoltes en Turquie . 84
à Conſtantinople . Ruine pluſieurs places aux
le Cardinal de Richelieu entretient intelligence Coſaques. 30. & fait vn accommodement à ſon
auec Berlin Gabor . 117 aduấtage auec le grand Mareſchal de Pologne. 31 .
Riua Capitaine des galions Venitiens. 181.184 entre dans la Moldauie auec ſoixante mille ehe

Cha Abbas Roy de Perſe , ſa perfidie inouye pour uaux & dix mille hommes de pied. si . pourſuit les
ſubiuguer le Royaume d’Yucrie. 32. fait creuer Polonnois. 32. qu'il deffait à la fin . 33. perſuade la
les yeux à vn Chaoux . 17. gagne la bataille , les grand Seigneur de leur dcclarer la guerre. 54
villes de l'Alie mineure & centlicuis de paysſur Sapich. 58.62
les Turcs . 18. Donne le gouuernement de l’ille Saxons, leur origine . 6
de Magna au fils d'Arcomat.19 . & celuy de Te- Schahin Aga , va pour raccommoder la paix auec
flis.zs. dontil fait empoiſonner le Roy. ibid. veut la Pologne. 141
exterminer tous les Gcorgiens. 36. fait mourir Scoty General Venitien . 177
cruellement la mere du Roy d'Yuerie . 37. de Emir Seifa. 131

mande ſecours aux Princes Chreſtiens , & la paix Selictar Aga ouPorte-cſpée, fait Baffa du Caire.44.
au Turc.42.qui laluy accorde à la charge du tri . découure le deſſein du Sultan aux laniſſaires &
but. 45. fait ligue auec les reuoltez de Turquie. aux Bouſtangis. 77
84.y fait entrer quatre armées.94.donne ſecours Senemballi Lieutenant Colonel des laniſfaires,
pour ietté dans l'eau , retiré , & puis eſtranglé. 102
au Baſſa de Bagadet. 101. qu'il fait mourir
s'eſtre mocqué de luy.102. offre de tenir Baga- Sennicy de Kic- Sennic Euelque de Vacci, Chance
det en fief du Grand Seigneur. 106.vient au ſe lier de Hongrie . IOS
cours, 107. ſtratageme aueclequelil fait leuer le le Comte de Šerin fauteur des Vícoques. 24. pre
ſiege. ibid. auoit grande inclination pourla na ſente trente Drapeaux & des priſonniers de mara
tion Françoiſe. Sa mort, lesvertus & ſes vices.114. que Turcs & Tranſiluains à l'Empereur. 92
fait ſon petit filsſon ſucceſſeur, dont ilauoit fait Ser- Ogly Prince Arabe vaincu par le Turc, 161
decapiter le pere. IIS les Sfaccioty deffont deux mille Turcs à la deſcente
le Roy de Perle perd huit mille hommes dans vnc de l'Ile de Candie. 175
embuſcade, qui coutent bien cher aux Turcs.120 . Sieniavv . 58. Con courage. 62.67
reprend ſes places & craice humainement les Sigiſmond Roy de Pologneſe plaint del’vſurpation
Turcs .
126 de la Moldauie . s . continue la paix auec le Turc.
le Roy de Perſe ſurprend quatre places ſur les fron 12. preoccupé par les Emiſſaires de l'Empereur.
tieres de Mingrelie . 138. afliege Van , & punit les so. luy enuoye vn vtile ſecours. si . conuoque les
CommiſTaires de l'armée . 144. reprend Reuan Eilats & demáde fecours à tous les Princes Chre
à compoſition , & alliege Van . 150. met trente ftiens contre le Turc . 54. ſes preparatifs. 55.56 .
mille hommes de garniſon dans Bagadet, 161. qui inueftir le Marquis de Brandebourg de la Duché
eft priſe. 162. fait la paix auec le Turc . 163. fait la de Pruſſe. 70. enuoye vn Ambaſſadeur à Con
guerreau grand Mogor . Sa mort. 170 ftantinople . 90. recherche l'alliance du Turc .
le Roy d'Eſpagne recherche l'alliance des Turcs . 117
94 Signal du Grand Seigneur quand il veut comman
le Roy d'Angleterre fait ligue contre l'Empereur der l'armée en perſonne. S4
pour reſtablir le Palatin . 103 Sillon Chevalier de Malche . 144
le Roy de Dannemarc perd la bataille contre les Im- Sinan Bey de Grignan en Cypre, deffait ſur mer &
periaux . 103 pris par les Siciliens . IS
Rozrazevy . 67 Simon Cham du Royaume de Teflis,vaincu & ame
Rudomin . 63 né priſonnier à Conſtantinople auec ſon fils.
Ruſinovy . 61.63.69 32
S le Grand Seigneur ſe reſiqüit plus qu'il ne s'attriſte
Affi Baſſa General de l'armée nauale Turque, de la mort des Balſas. 117
SA prend ync Ine ſur les Venitiens. 175 Sladkovv, tué endormy.
Cc iij

L
Table des Matieres .

Sperrheuter General Alleinan ſe met au ſeruice des contres par les Polonnois. 30
Veniciens . 179 Le Tiel volontaire au ſiege d'Agliman . 14
Sobieſcdeputé vers Vladiſlas pour faire auancer ſon Tilly General de l'armée de l'Empereur. 92
armée.57.65 . & pour traiter la paix auec le Turc . Tortenſon Gencral Suedois . 174
70.71.72 Les la Tour freres volontaires au ſiege d'Agliman .
Michel Soldolughy d'Erete . ISO 13
t is 109 le Comte de la Tour Ambaſladeur de Berlin Gabor
Soliman Aga renega Franço .
Songe merucilleux du Grand Seigneur Oſman. en Turquie, obtient yn ſecoues de cinquantemil
83 le hommes . 92.
Soranzo Baile des Venitiens arreſté priſonnier à Tourſon Palatin de Hongrie . 92
Conſtantinople. 183. en danger de la perſonne. 6
la Tranſſiluanie par qui peuplée.
184. mis en liberté. Tremblemens de terre à la Meque . 125. à Conſtan
Spahis mal traitez des Gouuerneurs des Prouin tinople. 138. & à Tauris . 169
ces. 84. ſe mutinent. 127. quels ils eſtoient . 129.ſe Trezbinſky diffuade la paix auec le Turc. 141
reuoltent contre Ibrahim . 18 . Treuifan Ambaſſadeur des Venitiens à Cenſtanti
Srzedzinſc . 58.63 nople. 169
Stratageme qui rcüſlit aux Perſes. 108.109 le Commandeur de la Trouillere . 47
Stratageme des Perſes qui couite la vie à ſix mille Herman de Tſcherin Amballadeur de l'Emperelis
Tercs . 122 pour demander au Grand Seigneur qu'il n'alliſte
Rodolphe Strida Bey chaſtié de ſon ambition . 156 . point le Ragotſky.172.obtient confirmation de
la treve . 174
157
Nicolas Strolli. s2 les Turcs tentent une ſurpriſe ſur Malthe . 23. ſacca
Strolli Commandeur de Malthe. 97.98 gent & pillent Manfredine d'où ils enleuent So.
Subtilité d'un luif. 13 pieces de canon.47.leurs vaiſſeaux eſchouez pres
la Sultane mere de Muſtapha ſoupçonnée de magie. de Rome. 48. ſe veulent prendre de leurs mal
41. prend le gouuernement de l'Eſtat . 83. aban heursaux Chreſtiens.95.font des courſes en Dal
donnele Vizir & en nomme vn autre . 84. ne peut matie . 169. ſont ſurpris en vne entrepriſe. 170 .
deſcendent dans l'ifle de Candic. 175. prennent
maintenir ſon fils: 90. ſes cruels projets & ſon
deſeſpoir. 87 la Canée. ibid . s'y fortifient.176, font eſcarteler
Sultane priſe en mer par les Cheualiers de Malthe. cing Gentils - hommes Candiots . ibid.iettent yn
173 grand ſecours dans l'ifle de Candic. 178. ſeren
Suliſczovy Ambaſſadeur ordinaire de Pologne à dent maiſtres de la campagne.179 . continuent le
Conſtantinople. 73.74 ſiege de Candie. 183. rauagent la Hongrie . 184
Svvienczic. 58.63 V
Svviczin .
V . la
Szemberg deputé vers le Vizir. 56.58 langue de Prouence prend & pille Corin
Szezey Colonel. 49 the. I
T Vvalſtein deffait Veymar dans la Sileſie. IOS
E Tabac defendu par le Grand Seigneur . 147. le Cheualier de la Valete aſſiege la Canée. 176. ar
L qui fait chaſtier pluſieurs preneurs. 148 refté priſonnier. 177. fait General du debarque
Tagliapetra Prouediteur de Veniſe abandonne No. ment de toutes les illes du Leuant . 179
uigrad aux Turcs. 177 Validay , en Perſan Reyne - mere. 180
Talmey Baillif de l'Aigle General des galeres de Van , ſa deſcription, aſſiegé par les Peiſes. 150
Malche . 97. tué par les Corſaires. 98 Varennes enuoyé de France en Turquie pour l'ac
Tamaras Mirza petit fils du Roy d'Yuerie. 32.com commodement des V enitiens. 177
ment fait Roy. 33. 34. & comment marié.35.fait Vvaficzin . 67

alliance auec leTurc. ibid . fuit la rage du Perſan . Veier.60 61. ſeſert d'vne excellente ruſe. 62.64.65
ibid. Vveiher Palatin de Culme . 64
Samuel Targovvſky Ambaſſadeur de Pologne à Vernegue volontaire au ſieged’Agliman. 13
Conſtantinople. is Laurent Veniero General Venitien contre les V[
les Tartaresioints à l'armée du Turc contre la Po coques , 24
logne.ss.deffaite de pluſieurs . 58. leurs huées. 59. les Venitiens confirment leur paix auec le Turc.
incommodent l'armée d'Vladiſlas. 62. enleuént 106 .
quantité de beſtiaux.63.66.rauagent la Podolie . les Vcnitiens obtienent ſecours du Grand Seigneur
91. & la Ruſſie , où ils ſont mal menez. 95. refu . contre l'Eſpagnol . 115. font main baſſe en trois
ſent vn nouueau Souuerain de la main du Grand
va fſeaux Turcs. 125. prennent vingt galeres de
Seigneur . 100. ſont le bras droit de la tyrannic pirates . 159. acheptent cette priſe & la paix trois
Othomane. 117. mille tuez ou priſonniers par les cens mille ſequins. 16. font arreſter les vaiſſeaux
Polonnoia. 118. font tres difficilesà tenir en bri & les marchands Turcs. 175. s'efforcent de re
de, 123. deffaits par les Polonnois. 137.continuent prendre la Canée . 176. tuent deux mille Turcs.
leurs rauages dans la Podolie . 172. & dans la 178. implorent en vain le ſecours, des Princes
Rullie. ibid. font trente mille priſonniers en Chreſtiens. ibid . deffaits dans la Dalmatie. 179 .
Moſcouie . 173 & dansla Candie , 180. Venitiens tuent huit cens
Emir Terabaith. 131.132 Turcs & prennent leur canon .181. perdent leur
Emir Terrac . 131 flotte par la tempeſte. ibid. gagnent vne bataille
Themines volontaire au ſiege d'Agliman . 13 ' ſur les Turcs. 184. la diuiſion de leurs Generaux
Eſtienne Thomza vſurpe la Moldauic. 4. deffait cauſe de leurs mal- heurs. 185
l'armée du proprietaire.s.deffait en pluſieurs ren- Veriu Chaoux vient renouueller l'alliance du Grand
Seigneur
Table des Matieres :

Seigncur auec le Roy de France.. 45 67. dépouillé par les Coſaques.68. fait grand Vi
le Cheualier de Vclure. 47 zir taſche d'appaiſer les Ianiſſaires. 77. qui le
Conſtantin Veuel vient eſpier l'armée de Pologne mettent en pieces . 78
ſous pretexte de paix . 56.58 . reconnu pour yn ef- Víſa im s
Rai gra nd Cor ſai re pris des Che ual ier s de
prit double . 62. 65. apporte les ſauf -conduits Malthe , & mis pour la troiſième fois à la chaiſne .
pour traiter. 70 so
De Vic volontaire au ſiege d’Agliman . 13. y eſt bleſ- Vílaim Pirate , mené pour la quatriémefois eſclaue
ſé. IS à Malthe . 114
Chriſtofle Vvichrovvſky. 138 Vflaim fils de Facardin , ſe ſaque de priſon. ISI
Vignacour Grand -Maiſtre de Malthe . I Vffaim , ou Nafſuf Balla Ogły rebelle, pris & deca
Village Chevalier de Malthe . 144 pité. 171
Villandré volontaire au ſiege d'Agliman. 13. y eſt Vilaim Captan preſſe fort le ſiege de la ville de Can
tué. IS die . 183. perd le combat contre les Venitiens.
184
Michel Vviſniovvicſky chaſſe Thomza de la Mol
30.138 X

Ieremie Vviſniovvecky , deffait dix mille Tartares . X ErikPontifeMahometanLanarabition ſur les


de & deMarok.
Viteckind . 6 Y

le grand vizir contrainte de lectuer le fie dedevand Yambodille riche en cuiure , pillée parles Com
trois mille hommes en la retraite . ibid . & va à Yemen Royaume, ſccoüe le joug au Grand Sei
Mirdin . 126.eft depoſledé.127 . partpour r’aſſie · gneur. 109
ger Bagadet . Fait mourir pluſicurs perſonnes à Z
Alep. 116. s'engage bien avant dans la Perſe. 119 . Abarauſky . 95
deffait huit millehommes,& perd beaucoup des A
ZZaour Baſía cué à l'aſſaut de Bagadet : 122
Giens. 120 Georges Duc de Zaſlavy . GI
Vladiſlas fils du Roy de Pologne fait la guerre en Chriſtofle Duc de Zbarauſky Ambaſſadeur de Po
Mofcouic. 30. Generaliffime contre le Turc.ss. logne en Turquie . 91
fon armée beaucoup fatiguéc. 57. vient au camp Zamoſky. 58
où il tombe malade. 59. eft d'aduis d'vne attaque Zelinſc deputé vers le Vizir pour parler d'accom
generale. 64. fait reduire lecảmp en vn pluspe modement. La remonttrance qu'il luy fait. 65.
tit eſpace.68. donne les ordres en l'attaque gene retourne auec grande eſperance de paix . 68
rale des Turcs . 69. depute pour la paix . 70. re Ziencuuicz . 58.62 . meurt de vingt bleſſeures. 63
douté des Turcs . 91.mene les Colaques contre les Ziczovv , tué endormy. 62
Suedois . 109. eſt fait Roy . Mal - mene les Mof- Zoldrſky. 70
couites. 137. deinande iuſtice au Grand Seigneur Zolkiculky mal informé du nombre des Turcs leur
de ſes actes d'hoſtilité . 138 , accorde la paix aux liure combat . sı . fait vne genereuſe retraite. 52.
Mofcouites , & la refuſe aux Turcs . 141. & refuſe eſt tué & ſa teſte portée à Conſtantinople .
le paſſage par ſes terres. 169. veut faire diuerfion Dauid Zolomé mal-traité pour yn bon féruice.
en Turquie pour le ſecours des Venitiens . 176. ſa 149
mort. 183 Zorauinſc deputé vers Vladiſlas pour faire avancer
Vſcoques eſpece de Bandis & clcumeurs de mer. ſon armée.57 . & pour traiter la paix auec le Turc.
70. 71. 72 . 1
24
Vſaim Capitaine de la porte du Sultan , fait mine de Zorba Balla, eſtranglé. ISO
propoſer la paix aux Polonnois. 56.58 Zorauinſc. S8.67
Vilaim le Borgne tué d'un coup de canon . 59 Zulfiguar Baſla de Chypre , eſtranglé par ſon im
Vilaim grand Vizir homme double. 66.depoſſedé. prudence. 171

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HISTOIRE

GENERALE

DV SERRAIL , ET DE LA

COVR DV GRAND SEIGNEVR,

EMPEREVR DES TVR CS .

Où ſevoid l'Image de la Grandeur Othomane, le Tableau des

Paßions Humaines, de les exemples des inconſtantes

proſperitez, de la Cour.

Par le Sicur MICHEL BAVDIER , de Languedoc.


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SOMMAIRES DES CHAPITRES

DE L'HISTOIRE D V SERRAIL ,

ET DE LA COVR DV GRAND SEIGNEVR ,

EMPER EVR DES TV RC S.

LI V R E P R E M I E R.

E la ville de Conſtantinople ,& des raretez d'icelle. *Chapitre I.


Du Serraildu Grand Seigneur,& lesparticularitez d'iceluy. Chap. II .
Du Couronnement de l'Empereurdes Turcs, & ce qui obferue. Ch. III .
Des tiltres & qualitez que prennentles Empereurs desTurcs. Ch.IV.
Des veftemens ordinaires du Grand Seigneur, & des exercices qu'il fait
tous les iours . Chapitre V.
De la table du Grand Seigneur, de ſes viandes , & de fon dormir . Chapitre VI .

DelagrauitéduGrand Seigneur, é des diſcours à la muette qui ſe font dans le Serrail.


Chapitre VII .

De la façon que le Grand Seigneurreçoit les Ambaſſadeurs des Princes eſtrangers, & la
forme de fon ferment en une alliance. Chapitre VIII .

De quelques ouvrages manuels de l'Empereur des Turcs, & de la religieuſe couftume qu'il
obſerne de viure du travail de fes mains. Chapitre Ix.
Des Amours du Grand Seigneur, & les particularitez d'icelles : pourquoy il n'epouſe point
de femmes ,& la Loy d'Eſtat ſurce ſujet. Chapitre X.
Des femmes du Grand Seigneur de leur logement de leur vie , de leur conduite, & de leur
fortune. Chapitre XI.
Des Sæurs du Grand Seigneur , de fes autres parens , & du mariage , do nopces de les filles.
Chapitre XII .

Des Enfansmaflesdu Grand Seigneur , de leur education , & de la pompe ſolennelle de leur
Circonciſion . Chapitre XIII.
Des preſens qu'on fait au Grand Seigneur, & de ceux qu'il faitluy-meſme . Chap. XIV .
Des Threſors du Serrail. Chapitre Xy.
Du reuenu de l'Empire Turc , en general & en particulier , da de l'eſtendrë d'iceluy.
Chapitre XVI .
Sortie du Grand Seigneur defon Serrail par terre , & de Conftantinople , & ſon entrée en
pompe , où ileſtalle anx yeux des eſtrangers , la grandeur de la magnificence. Ch.XVII.
Sortie du Grand Seigneur parmer , quand ilfe va promener ſur les ondes. Chap.XVIII.
Des Medecins Chirurgiens e Apotiquaires du Grand Seigneur. Chapitre XIX.

LIVRE SECONDS

V Diuan public dans le Serrail, où s'expedient & ſeiugent les affairesgeneralesen


D ' particulieres. Chapitre I.
Des Azamoglans , ou enfans du tribut de baſſe condition , qui feruentau Serrail, & ailleurs.
Chapitre II.

Des Azamoglars d'honneſte condition, qui arriuent auec le temps aux charges de l'Empire
Turc. Chapitre III .
Des quatre Eunuques blanes , lesprincipaux hommes du Serrail , & de quelques autres Eu
nuques . Chapitre IV .
Sommaires des Chapitres .

Deplufients autres officiers ſerxansav Serrail, & à laperſonne du Grand Seigneur , & de
nombre d'hommes qui visent dans ce Palais. Chapitre V.

Des viures ordinaires du Serrail, & des prouifions d'iceluy pour la nourriture du Prince,
Chapitre VI .
du de ceux qui l'y ſeruent,
Des malades , e morts des hommes du Serrail. Chapitre VII .
De la Chaſſe du Grand Seigneur, & de la ſuperſtition qu'il y obferue. Chapitre VIII .
Du train ,fuite , & attirail de la Cour du Grand Seigneur. Chapitre IX .

De la grandeur des Baſſas Turcs , & de leur pompe , quand ils marchent aux champs.
Chapitre X.
Des affronts queles Balſas Turcsſontcontrains d'eſſuyer à la Cour, & lehonteux chaftiment
qu'ilsfouffrent. Chapitre XI .
De quelſtyle le Grand Seigneur eſcrit à ſes Balſas. Chapitre XII .

Desmalicieuſesinuentions, & empoiſonnemens dont fe feruent les Turcs les uns contre les
autres , de particulierement les Grands. Chapitre XIII.
Des ſales & defratarées débauches des Balſas , & Grands de la Porte . Chapitre XIV.
Des Amours des grandes Dames de la Cour du Turc , & des ardentes affections entr'elles.
Chapitre XV .
Des quatre principaux Baſſas de la Porte , ou Cour du Grand Seigneur, & de leur authorité.
Chapitre XVÍ .

Du Timar, Timariots , & penfionnaires de la Porte du Grand Seigneur. Chapitre XVII .


Des Fauoris du Grand Seignear efleuez aux grandeurs de l'Empire , & de leur cheute .
Chapitre XVIII .

Des Armes , & du Sceau du Grand Seigneur . Chapitre XIX.

De la mort, dueil , funerailles & fepultures des Grands Seigneurs Empereurs des Turcs.
Chapitre XX .

Fin des Sommaires des Chapitres.

CM
33
13

HISTOIRE
I

ထား

HISTOIRE

GENERALE

DV SERRAIL , ET DE LA

COVR DV GRAND SEIGNEVR ,

EMPER EVR DES TVRCS .

Où ſe void l'image de la grandeur Otthomane , le Tableau des

Paßions Humaines, deles exemples des inconſtantes

proſperitez de la Cour.

LIVRE PREMIER.

ES plus ſages des hommes conſeillent qu'il faut aller vers les
Roys , comme vers le feu ,ny trop prés, ny trop loin : il bruſle
qui s'en approche indiſcretcement, & n’eſchauffe point celuy
qui s'enéloigne trop : L'eſclat flamboyant de la Majeſté Roya
le , conſume la temeraire hardieſſe de ceux qui l'abordent de
trop prés , & les rayons de leurs biens- faics n'eſchauffent pas
les humeurs farouches quis'en reculent en les fuyant. Les veri
ables exemples que les Hiſtoires fourniſſent , ont confirmé
l'excellence de ce conſeil, neantmoins le deſir du bien public
meforce d'en violer le reſpect , & le væu de le ſeruir me porte dans le peril qu'il y a de
voir trop pres les Roys. Ie m'approche du plus ſuperbe de tous les Princes , & du plus
ſeuere des hommes,voire de li pres que ie fouille dans ſes ſecrets, viſite ſa perſonne,
deſcouure ſesplus cachées affe &tions, & raconte ſes plus particulieres amours. Si iem’y
perds , ce ſera donner des preuues de cette verité , qu'au ſiecle où nous ſommes quicon
que s'employe tout à fait pour le public ſe ruine à la fin : mais l'homme n'eſt pas nay ſeu

lementpourſoy-meſme, & la barbare ingratitude du temps ne peut ſeruir de pretexte


qu'à la faineantiſe : qui veut crauailler doit paſſer par deſſus cesobſtacles : car celuy -là
eſt indigne de la vie , quine l'employe bien , & puis ſe conſumer pour le bien public,
c'eſt renaiſtre glorieuſementde la cendre comme vn nouucau Phænix. I'ay creu qu'a
pres auoir donnél'Hiſtoire de l'Empire des Turcs , depuis ſa naiſſance iuſques à noſtre
temps , il ne ſeroit pas inutile de faire voir quelles ſont les meurs , les façons de viure,
la conuerſation & l'ordre de gouuerner , dont ſeſeruenc de ſi puiſſans & li redoutables
conquerans. Pour le faire plus ſeurement, il faut entrer dans lc Serrail , où le ſecret de
toutes ces choſes eſt ſoigneuſement renfermé : mais parce qu'en y allanc il faut trauer .
ſer la ville de Conſtantinople, diſons quelque choſe de la ſituation ,antiquisé & beauté
de cette pompeuſe Cicé , le facal ſejour des plus puiſſans Empereurs de la terre .
2 Hiftoire du Serrail , & de la Cour

De la Ville de Conſtantinople.

CMAPITRE I.

ES Grecs conſultans l'Oracle d'Apollon Pychien , quel licu ils de


uoient choiſir pour baſtir vne Villeen Thrace,eurent reſponſe qu'ils
en jeccaſſent les fondemens vis à vis du terricoire des aueugles : nom
mant ainli les Chalcedoniens : leſquels eſtans arriuez les premiersen
cette contrée -là, n'auoiencſceu choiſir la fertilité du beau terroir , &
s'eſtoient logez de l'autre coſté de la mer {ur les bords de l'Aſie , en
yn lieu déplaiſant,& infertile, jadis la Ville de Chalcedoine, maintenant le bourg de
Scutari. Pauſanias doncques Capitaine des Spartiates eut le ſoin de la baſtir , & Byze
general de la flotte Megarienne, lay donna ſon nom , & l'appella Byzance : elle l'a
porté par l'eſpace de pluſieurs ſiecles auec la gloire d’ettre dans l'eſtime des Grecs , la

plus fertile de leurs Villes , la porte de l'Europe , & le pont pour paſſer de l'Afie en
icelle , iuſques à ce quele grand Conſtantin laiſſant aux Souuerains Pontifes de l’E

gliſe , l'Italie pour leriche patrimoine d'icelle, ſe retira en Orient, mena quant & foy
les plus puiſſans Seigneurs qui pouuoient troubler la liberté Eccleſiaſtique, baſtit au
modele de la Ville de Rome, vne ſuperbe Cicé ſur les antiquitez de Byzance , y dreſſa
Veternicé de fon nom , & l'appella Conſtantinople,la nouuelle Rome.Lagrandeur des
murailles , la ſeureté des fortereſſes ,la beauté des maiſons, la richeſſe des colomnes,
qui ſembloient auoir attiréen ce lieu -làtoutle marbre, jaſpe , & porphire de la cerre ;
eſtoient les rares merueilles de l'Architecture: mais ſur toutes ces choſesparoiſſoit vn
magnifique Temple,que la pieté de ce Prince auoit conſacré à la diuine Sageſſe ſous
le nom de Saincte Sophie , dont le baſtiment, & les threſors fembloient auoir enuié
quelque choſe de la gloire du Roy Salomon à un pareil deſſein , au moins ſelon le
temps, & le pouuoir de Conſtantin. Sept riches lampes donnoient ſujet aux eſprits
curieux d'y remarquer leur rare artifice, elles receuoient toutes à la fois l'aliment

qui nourriſſoit leurs flammes, & vne eſteinte coutes les autress'cſteignoient.Cefucen
Pan du ſalut des hommes 303. Du depuis deux fa & ions tumultueuſes quis'efleuerent
dans la Ville , apres auoir jetté le feu d'vne malheureuſe ſedition dans les eſprits des
hommes, porterent les flammes dans ce beau Temple , le bruſlerent. Ce qui fut cauſe
que Iuſtinian Empereur employa à la reſtauration vne partie des chreſors qu'il auoic
auidemmentamaſſez: le ficrebaſtir plus magnifiquement qu'il ne l'auoic eſté, & pen
dant dix -ſept années y employa trente - quatre millions d'or, qui eſtoient tout autant
de temps ,le reuenu de l’Egypre, y fonda huic cens mille ducats de reuenu annuel ,
& fic deſſeruir ce fainet & auguſte lieu par neuf cens Preſtres ,perſonnes dont leme
rite auoit pour origine la doctrine, & la piccé. Cette Ville ainſi la Reine de la terre vid
peu d'années apres ſon reſtaurateur triomphant du Roy de Perſe , & receut la grace
d'enſerrer dans ſon ſein le precieux threſor du Chriſtianiſme, vne partie de la Croix
du Redempteur du monde , trouuée par la ſoigneuſe pieté de la mere de l'Empereur :
ſa joye ,ſa pompe , & ſonluſtre eſtoient arriuez à tel point, qu'il ſembloit n'y pouuoir
rien pluseſtre adjouſté:elle eſt par ſucceſſion de temps le ſiege de pluſieurs grands Mo
narques terriens: Seuere , & ſon fils Antonin enuicnt, & rauiſſent à ſon reſtaurateur,
la gloire de l'auoir nommé , ils la font appeller Antoine , du nom de l'un d'eux . Mais
tout ce qui a commencement en cemonde doit auoir la fin , & les plus belles choſes
payent tribur au changement. L'an de grace 1453. vn Mardy 27. jour de May. & troi
i ſiéme iour de la Pentecoſte , elle eſt apres vn long liege la proye du Turc vi& orieax :
Mahomet II . du nom , & vnziéme Empereur des Turcs y entre de force , la pille , la
ſaccage : l'Empereur Conſtantin Paleologue y laiſſe la vie auec yn grand nombre de
perſonnes de qualité , & tous les hommes Chreſtiens y ſouffrent, ou la cruauté du glai
ue , ou la rigueur de l'eſclauage: les femmes ſont le jouer de la lubricité des Turcs , 8C
les biens le ſujet de leur butin : pour vengeance ( diſent quelques - uns ) du ſac , & l'em
brazement que les Grecs firent dans Troye , donc ils veulent que les Turcs ſoient'der
cendus : mais pluſtoſt pour punition de l'impieté des Grecs, leſquels blaſphemans con
tre le Cicl , nient quelc $ . Eſpric procede de I e sys-CHRIST ,ſeconde perſonne do
l'ineffable

!
du Grand Seigneur . Liure I. 3

l'ineffable Trinité. Mahomet II . du nom , fut le premier quiypoſa le thrône Ortho


man : elle changea de nom parmy eux , qui l'ontnommée Stambol, c'eſt à dire la gran
de, la Royale, l'abondante. Ses beaux lieux ſouffrent la meſme inconſtance, ſes places
font appellées Baeftans ,
le ſuperbe Hippodrome eſt dit la place aux chcuaux Atmay
dan , & le merueilleux Temple de fainete Sophie deuient la premiere, & maiſtreffe .
Moſquée de la ſuperſtition de Mahomet .
Cette Ville eſt ſituée ſur vne pointe de terre ferme, auancée dans le canal qui vient situation de

du Pont Euxin , ou mer Major, appellé par les Geographes le Boſphore de Thrace. Conſtantino
Elle eſtmouillée en trois endroits par les florsde la mer:
du coſté de Septentrion par pie,
me . & la for
vn Golphe ou bras demernomméla Corne , que le Boſphore pouſſe dans l'Europe,
qui faitleport deConſtantinople , le plus beau , plus profond, & plus commode qui
ſoicen Europe: Vers l'Orient elle eſt arroulée en l'extremité du canal , Boſphore , du
Midy par lesondes de la Propontide, & fa partic Occidentale plus ſolide , à la terre de
Thrace pour ſes fermes limites.Saforme plus longue que largeeft triangulaire , dont
le plus large coſté eſt celuy du Serrail ,qui regarde lamer iuſques aux fept tours, & fon
válte circuitembraſſe l'eſpace d'enuiron cinq lieuës: ſes murs edifiez d'vne 'extraordi.
naire hauteur ,auec deux fauſſes brayes du coſté de la terre ſeulement, enferment ſepe
collines dans ſon ſein . La premiere ſert de theatre à la maiſon Imperiale du Prince,
où elle eſt commodément, & ſuperbement affiſe , la derniere regarde l’extremité de la
Ville oppoſée à celle - cy , & void ſur la terre fermele chemin qui conduit à Andrino
ple.Mais entre la troiſiéme & quatriéme, où s'eſtend la valéeappellée la grande,eſten
cores vn Aqueduct d'vne rare ſtructure, que le grand Conſtantin fit cirer de ſepelicuës
loin de la Ville, & Solyman ſecond l'auança deux lieuës au delà , & accreut le courant
deseaux en ſi grande abondance, qu'elles jalliſſent par les tuyaux des ſept cens qua
rante fontaines, qui la verſent au public , ſanscompter celles qui ſe diuiſent en diuers
endroits pour fournir le grand nombre de bains, quiſeruent & aux delices, & aux ſu
perſticions des Turcs.
Sur la derniere des ſept collines ſe voyent encores les anciens baſtimens d’yne fora
tereſſe munie de ſept cours au milieu de la ſituation , les Turcs l'appellent Giedicula,

c'eſt à dire , la fortereſſe des ſept tours, dans leſquelles les merueilles de l'artifice
cſtoient ſi grandęs jadis, que ce qu'on diſoit à vne cour, s'entendoit à toutes les autres ,
non tour à la fois ,mais ſucceſiuement, & par ordre . Deux cens cinquante ſoldats en
font la garde, commandez parvn Capicaine qui en a le ſoin , lequel ne peut ſortir hors
d'icelle ſans le congé du grand Vizir, excepté deux fois l'année auxdeux iours qu'ils
feſtent leurs Bayrams , ou Paſques. Les premiers Empereurs Turcs qui poſſederent
Conſtantinople logerent leurs Threſors dans ces tours : l'vne eſtoit pleine de lingots,
& de monnoye d'or,deux d'icelles enſerroient la monnoye blanche , & les lingots d'ar
gene , vne autre auoit les diuerſes armes , & parures pour les hommes de guerre, & les
harnois des cheuaux enrichis d'or , d'argent, & de pierreries:la cinquième ſeruoit à
mettre les anciennes Armoiries , les Medailles, & autres precieuſes reſtes de l'antiqui
té : la ſixiéme contenoit les diuerſes machines de guerre :& la ſeptiéme, les archives,
& les papiers del Empire, accompagnée d'une belle galerie , dans laquelle eſtoient pla
cées les riches deſpoüilles que Selim premier du nom remporca de Tauris lors qu'il
triompha de la Peiſe. Tous ces chreſors y furent conſeruez juſques au regnc de Selim
ſecond. Mais il eſt ſouuent des Eſtats cominc des familles particulieres :
en celles - cy
les yns ont amaſſe auec peine ce que les heritiers diſſipent prodiguement, là quelques
Roys accumulent les richeſſes qui ſeruent de matiere à la prodigalité de leurs ſucceſ
ſeurs. Carce Prince laſche & effeminé, qui ne ſembloiteſtre nay que pour la ruine de
fon Empire ( ſi les Chreſtiens euſſent ſceu prendre les occaſions ; diſlipa aux frais de
l'armée nauale que la iournée de Lepanthe fouſmit à la valeur des Chreſtiens, & aupa
ſes
rauanc à la guerre de Cypre , la meilleure partie des immenſes chreſors que peres
)
auoient entaſſé dans ces tours-là , le reſte d'iceux ſeruit aux laſciuerez & paſſions dére
glées de ſes concubines. Du depuis Amurath ſon fils changea le lieu des threſors de
l’Empire , & des cours le transfera dans fon Serrail : ainſi l'on approche de ſoy ce que
l'on ayme, & puiſque l'argent poſſede les cæurs des hommes , il eſt bien raiſonnable

qu'il ait ſon departement dans leurs Palais. Ce changemene a depuisdeſtiné ces lieux
des threſors pour eftre les priſons des Grands de la Porte que les Sultans ne veulene
pas faire mourir : car la fortereſſc eſtant de grande eſtenduë ,tels captifs y ont plus de
a ij
Hiſtoire du Serrail , & de la Cour
4

liberté. On enſerre dans les cours de la mer noire , qui eſt vn Chaſteau du coſté de l'Eu

rope ſur les bords de cettemer, les priſonniers Chreſtiens qui ſont perſonnes de quali
té : & c'eſt là où eſtoit en l'an ſix cens dix -ſepe le Duc Koreski Prince Moldaue .
Conſtantinople a dans l'enclosde ſes murs plus de deux mille Moſquées , ou Tem
ples des Turcs baſtis par leurs Empereurs : car nous deſcrirons cy -apres les raretez de
Cette Ville Imperiale , telles qu'elles ſont auiourd'huy. On pourra voir les mer
ucilles de l'ancienne Cité dansles autres Autheurs , & particulierement dans les Li
ures que P. Gillius en a eſcrit. La principale de toutes ces Moſquées eſt celle qui a
eſté dreſſée dans l'ancien Temple de Saincte Sophie , appellée des Turcs Ayaſophia :
elle a fix belles & ſomptueuſes façades, fes murailles ſont de brique , reueſtuës jadis
dedans & dehors de marbre blanc, de porphyre, & autres riches pierres : elles le fonc
maintenant de plomb . Les porciques ouuercs autour par ſix porces augmententla beau
té , quatre portes de l'Egliſe en ouurent l'entrée : la hauteur dela voûte couuerte de

plomb au deſſus, monſtre la magnificence de ſon ouurage: ſeize groſſes colomnes luy
feruent de premier ſouſtien, quatre ſont de marbre jaſpé de l'Ile de Cypre, quatre de
marbre blanc, quatre de porphyre , & quatre d'uneautre pierre auſſi riche : quarante
huic autres colomnes demoindre grandeur, mais de meſme maciere , feruent encores
au fouſtien de cette grande machine, & vne moindre & plus baſſe voûte eſt encores
ſouſtenuë par vingt-quatre colomnes de meſme marbre, & porphyre. Les rares ſtatuës,
& riches images dont Conſtantin l'auoit ornée ne s'y voyent plus , Mahomet ſecond
les voüa au ſac de la Ville quand il la prit , ſeulement vne Image de la Vierge quien
fanta le Dieu Homme , y demcura entiere dans le milieu de la voûte , non ſans vne
particuliere prouidence du Ciel : les Turcsy tirerent vn voile au trauers pour en def
fendre la veuë , mais cela n'empeſcha pas que les Chreſtiens n’y montaſfent auec des
eſchelles , pour contenter leur deuotion, quand aux heures permiſes ils pouuoienten
trer dans la Moſquée :maintenant les Turcs ont blanchy la voûte en diuers endroits
pour y eſcrire le nom de Dieu en langue Arabeſque. La largeur & longueur de cerce
Egliſe pourra eſtre mieux compriſe par la hauteur, laquelle eſt la limite de la portée
d'vne arquebuſe : le deſſous d'icelle eſt voûté , garny d'Aurels , & remply de diuerſes
ſepulcures , pour le reſpect deſquelles les Turcs ont faitmurer les portes. En ynendroic
proche de là ſe trouuent dix groſſes piles pleines d'huile du temps meſme de Conſtan
tin , qui ont duré iuſquesauiourd'huy exemptes, à cauſe de la voûte baſſe, de l'embra
zement qui conſuma les premieres beautez de ce Temple , les longues années ayant
blanchy cecce huile comme du laict : il ſertmaintenant aux mcdicamens que compo
ſent les Apothicaires du Grand Seigneur.
Par ces meſmés lieux cambrez on deſcend dans deux grotres qui vont ſous le paué
de la Ville : l'vne conduit au grand Serrail , & l'autre mene bien auant ſous Conſtanci
excepté l'vnc d'icelles quireçoit leiour par quelques ou
nople , inutiles auiourd'huy ,
uertures que le tempsy a fait ,laquelle ſert à tirer la ſoye, & rapporceau coffre du Chala,
na , ou de l'Eſpargne , trois ou quatre cens ſequins de rente ſeulement. Mais les belles
& antiques fabriques qui decoroient les enuirons de cemerueilleux Temple , onteſté
ruinées par les Empereurs Turcs, excepté celles qui ſeruent d'habitation à quelques
Congregations de Religieux de l'Alcoran .
Outre cette grande & admirable Moſquée, il y en a quatre principales, les durables

marques de la magnificence des Empereurs Turcs. La premiere fut baſtie par Maho
metſecond ,apres qu'il cut triomphe de Conſtantinople: illa ficedifier ſur le modele
de Sainete Sophie,mais elle eſt beaucoup plus petite : il l'enrichie de ſoixante mille du .
cats dereuenu , fit baſtir autour d'icelle deux censbelles chambres en cube , couuertes
de plomb, tant pour le logement des Preſtres qui la deſeruent , que pour receuoir les
pelerins eſtrangers de quelle nation & Religion qu'ils ſoient, où ils ſont nourris tròis
iours : hors du Cloiſtre ſont auſſi baſties cinquante autres chambres pour les autres

pauures. La ſeconde Moſquée a eſté faite par Bajazeth ſecond fils du meſme Maho
mèr : La croiſiéme par Selim premier fils de celuy - cy : & la quatriéme par Solyman ſe
cond fils de Selim : Ces trois derniers Princes ſont enſeuelis chacun dans le paruis de
ſa Moſquée en des ſuperbes tombeaux , ſur leſquels eſclairent ſans vne grande quan
tiré des lampes ardances, & des Preſtres Turcs y recitent l'Alcoran , & priencà leur
mode pour les ames de cesMonarques . Orla plus ſuperbe de ces quatre Moſquées eſt
celle dc Solyman ſecond : elle ſurpalle àla verité en marbre , & autres pierres de prix ,
la
2
1
du Grand Seigneur. Liure I. S

la pompe de celle de Sain & c Sophie , mais elle cede aux merueilles de ſon archite
ture, à laquelle perſonne n'a encore pû atteindre. Selim ſecond fonda fa Moſquée
dans la ville d'Andrinople :Achmar dernier mortemploya d'exceſſiues ſommes de de.
niers à la fabrique de celle qu'il fit baſtir ces dernieres années à Conftantinople : la
magnificence de fa ſtructure furpaſſe celles que nous auons nommé cy - deuant : les
Turcs l'appellent la Moſquéeneuue, & leurs Preſtres la nomment la Moſquée incre
dule , parce qu'Achmat la fit baſtir contre les aduis qu'ils luy donnerent qu'vn telou
urage ne ſeruiroit
point à ſonſalut, puis qu'il n'auoit fait aucunes conqueſtes ſur les en
nemis de la Loy . Les autres Empereurs Turcs n'en ont pû faire baſtir, pour n'auoir par

aucunes conqueſtes, non plus que celuy- cy , agrandy l’Empire de leurs deuanciers.
Carla Loy de l'Eſtar conforme à celle de la Religion , deffend aux Princes Turcs de
baſtir aucunsTemples, s'ils n'ont eſtendu les bornes de leur Empire dans les terres des
Chreſtiens , où ils faſſent preſcher l'Alcoran : aufâ bien tellescuuresde picté ne pour
roient pas ſeruir au ſalut de leurs ames , diſent les Muftifs, leſquels s'oppofent à tels

deſſeins, ſi leurs Empereurs le vouloient entreprendre.


Les Chreſtiens Grecs ont dans Conſtantinople quarante Egliſes pour faire le Serui
ce diuin : les Armeniens en ont quatre , & les Latins moins fauoriſez que ceux- là , n'en

ont que deux : il eſt vray que la pluſpart ſont logez dehors à Galata, dite auiourd’huy
Pera,quieftau delà le canal, où ils ont neuf Egliſes pour leurs deuotions & ſainąs my
Les luifs ont bien le credis d'eſtre dans la Ville en neuf diuers quartiers,iuſques
ſteres:
à crente -huit Synagogues. Ils y ont acquis plus de liberté & de pouuoir qu'ils n'en
ont
en la Chreſtienté ,à cauſe qu'ils tiennent en ce lieu-là les partis & les fermes du Grand
Seigneur , & ont de plus la conduite des affaires domeſtiques des Grands & des Mi
niſtres de la Porte , dans laquelle ils fonc les ordinaires bailleurs d'aduis . Les murailles
de cette Imperiale Cité ſont demeurées en leur entier . Elles ſont encores doubles du
cofté de cerre ferme, excepté vers la porte appellée Ayachapezi, c'eſt à dire, Porte Sain
etc ,à cauſe de la grande multitude de corps Saints qui eſtoient dans vne Egliſeproche
de cette porce -là.Mahomet ſecond entra par icelle pour ſoüiller & contaminer la Sain
teré du lieu : dix-neuf portes tant du coſte de terre ferme, que vers la mer ,feruent à
l'entrée de cette Ville . Pluſieurs grandes places ſont eſtenduës à la commoditépublie
que , quelques - vnes ont conſerué les anciennes Pyramides, & ouurages de bronze des
Empereurs Chreſtiens, entr'autres celle qu'on nomme le Petrome, où l'on void des
obeliſques entiers , & trois grands ſerpens de marbre ſe rempans à mont, entorcillez
l'vn dans l'autre ,l'vn deſquels eſt entamé à la gueulle : Car Mahomet ſecond entrant
dans la Ville creuten les voyant qu'ils eſtoient l'ouurage de quelque Sorcier enchan
teur , & pouſſant ſon cheual vers eux fic pour s'en eſclaircir cette breche auec ſa lance .
Tous les iours le marché public ſc cient en quelqu'vne de ces places . Le Vendredy il
eſt en trois lieux, & les plus celebres ſe font les iours de Mercredy, leudy, & Vendre
dy. Ils les appellent Schibazars, c'eſtà dire , marchez des choſes neceſſaires à l'vſage.
Autour de ces lieux ſont dreſſées plus de deux mille boutiques de Fripiers , qui ven
dent dequoy fournir à la neceſſité de ceux qui veulent reparerà bon marché les defauts
de leurmauvaiſe mine , & la dace de ces vieilles nippes n'eſt pas fi pecite qu'elle neren
de tous les ans aux coffres du Prince , ſix charges de monnoye, qui valent vnze mille
fequins, ou quarante-quatre mille liures :car l'exa& ion Turque fait profit de tout . Les

boutiques desmarchandsſurpaſſent le nõbre de quarante-huit mille,ellesſont diuiſées


ſelon la diuerficé des arts ou marchandiſes en diuers lieux , mais chaque meſtier a ſon
quartier , meſmes en diuers endroits pour la commodité du public. Les ſeuls Orfévres,
loailliers , & Marchands de drap d'or ſont en vn lieu ſeul appellé Bayftan , qui veut dire
Marché, les autres ſont Bazars: ce lieu precieux & opulent eſt entouré de murailles
larges de ſix pieds : ila quatre portes doubles , l'ync deuant l'autre comme vne petite
ville, voûtée tout autour. Cette riche hallea vingt - quatre colomnes qui ſouſtiennent
la voûte, ſouslaquelle il y a pluſieurs perites boutiques, comme des armoires, dans la
muraille , ou dansles pilaſtres, chacune eſt large de ſix pieds , & longue de quatre : là
ces riches Marchands deſployent & eftallent ſur des petites tables qui ſont au deuant,
les brillantes beautez de leurs precieuſes marchandiſes. Les gains ſans doute doiuent
eſtre plus grands qu'en ces lieux icy , & le debit plus grand , puis qu'ils payent au Prin
ce cinq cens fequins tous les ans , ou deux mille francs , pour auoir la permiſſion d'y
vendre. Ce ſont- là ſeulement Ioailliers & Marchands de draps d'or, les Orfévres ſont
a iij
6 Hiſtoire du Serrail, & de la Cour

ku dehors autour des murs de cette place, & donnentchacun schc ſequins , ou quatre
cens liures tous les ans pour meſme fin .
Outre ce Bayſtan , il y en a yn autre moindre entouré de murs , & ſouſtenu de ſeize
d'iceluy ſe vendent les coilles, & les ſoyes, mais au dehors eſt le
pilaſtres : dans l'enclos
dereftable marchéoù ſe vendent les hommes & les femmes , d'une part on y achepce
les eſclaues deſia inſtruits à ſeruir , ou à exercer quelque ſorte de meſtier, & de l'autre
coux qui ne ſçauentrien faire.Ces lieux repreſentent mieux que ceux dont nous avons

eſcrit cy -deuant, l'effroyable pourtrait de latyrannie Turque,elle oblige à l'eſclauage


ccux que le Roy dumonde a crecz libres : les marchands y viſitent celles marchandi

1 fes , & ceux qui vculentachepter voyent premierement à nud les perſonnes de l'vn &
de l'autre ſexe,manient les parcies de leurs corps, pour voir ſi elles ſont ſaines, & del
couurentce que la nature meline s'eſt efforcée de cacher. Là les femmes , fi elles ſont
belles, ſontcherement acheptées pour ſeruir aux lubriques paſſions de quelque hideux
& efpovruentable Maure : celles à quila nature a deſnič ſesgraces,fontpriſes pour ſer
uir à la chaire percée des grandes Dames Turques , & lauerauec de l'eau les parties de
leur corps , qui ſeruent à deſcharger leur ventre, autant de fois qu'elles en ont debe
ſoin . Nous dirons le reſte des miſeres de cette ſeruitude en vn aucre endroit , diuiſans
à deſſein ces maux pour les rendre plus ſupportables: car à la verité ils ſont dans ce

crauail la plus faſcheuſe matiere de cette Hiſtoire. Qui peut auſſi ſans gemir voir vn
nombre infiny de Chreſtiens chargez des fers d'vn violent eſclauage par la barbarie
des Turcsa En yn endroit proches de là ces infidelles tiennent vn autre marché,où ſo
vendent ſeulement des nourrices : & de cét iniufte trafic les partiſans du Prince cirent
ſeize mille ſequins pour la dace , ou ſoixante -quatre mille liures.
Pluſieurs autres lieux de cette ſuperbe Ville , rendent aux coffres du chreſor le re

uenu de pluſieursbonnesſommes de deniers . Les cabarets qui vendent publiquemenc


du vin aux Chreſtiens, & aux Iuifs :mais en ſecret aux Turcs , qui ſont plus de quinze
sensen nombre , payent trente - ſix mille charges demonnoye , & chaque charge vaut
ſeize cens trente-crois ſequins. Les riuages de la mer qui regardent Pera, rendent pour
la dace du poiſſon qui s'y vend,dix -huir charges de monnoye par an . La halle où les
bleds , farines, & legumes ſe vendent, apporte annuellement quatorze charges de
monnoye . Celle où les marchandiſes qui viennent du Caire ſe debitent, vaut tous les
ans de profit au Chalnaou Threſor Imperial , vingt- quatre charges de monnoye.La
grande dace qui ſe leue depuis le Chaſteau de Gallipoli iuſques à celuy de la mer noire
ſur les eſpiceries, & autres marchandiſes qui ſont chargées ſur les nauires , vaut cenc
quatre- vingts chargesde monnoye : les grandes boucheries & cueries de moutons, &
j baufs, quiſont hors la Ville , & fourniſſent le dedans d'icelle de la viande neceſſaire,
donnent trente -deux charges de monnoye : elles ſont dices en Turc Chaanare , deux
cens Capſaplers, ou Bouchers, les ſeruent: vn Supericur nommé Capſabafla les com
mande , quia ſoin & prend garde qu’on fourniſſe des viandes fraiſches : & perſonne
ne peut tuer bæuf ny mouton , ſansſa permiſſion , excepté pour faire des ſacrifices à la
Turque. Les Juifs acheptent de luy la licence de ſe fournir eux -meſmes de chairs ne
ceſſaires. Au reſte fi ce Caprabaſſa auoit par ſon auarice renchery le prix des viandes,
outre le taux ordonné par la police , & que ſes larrecins vinſſent à la connoiſſance du
Grand Seigneur, rien ne le peut exempter des rigueurs d'vne cruelle mort ; il eſt del
chiré tout vif, & mis en quatre quartiers , qu'on fait porcer ſur les boucheries , pour ſer
uir d'exemple aux autres : de ſorte que la crainte le tenanten ſon deuoir , il prefere I've
tilité publique à ſon profit particulier. L'impoſt qui ſe leue au mois d'O &tobre & de
Septeinbre, ſur le grand nombre de beſtail qui vient de Hongrie , pour fournir Con
ftantinople, eſt trop grand pour cítre ſupputé facilement: car pendant cette grande
foire , où le peuple ſeulement, & non les Bouchers, peutachepter , on y void des trou
peaux de vingt-cinq mille beufs , & de quarante mille moutons. Le Threſor reçoic.
encores yn denier incftimable de la vente des maiſons, nauires , vaiſſeaux de mer , &
barques à voile , que nous appellons lots & ventes :& les deux pour cent de toute force
í de marchandiſe de mer , valent le reuenu de grandes & ineſtimables ſommes. Ladace
de ceux qui s'embarquent pour voyager , qui eſt d’un aſpre par ceſte , s'ils ſont Turcs

de deux , s'ils ſont Chreſtiens , ou luifs, n'eſt pas de peu d'importance. Le tribut ap
pellé en Turc Charay, quiſe leue ſur les Juifs de Conſtantinople à vn ſequin pour telte
pour les males , vaut vnze mille trois cens ſequins cous les ans , quoy qu'il y aic parmy
cette

1
du Grand Seigneur . Liure I. 7

cette nation -là pluſieurs hommes francs de ce cribut. Ils donnent de plus vn preſenc
de crois mille ſequins tous les ans pour la confirmation de lear priuilege, & auoir vn
Rabin chefde la Synagogue,& douze cens ſequins pour la permiſſion d'enterrer leurs
morts . Les ChreſtiensGrecs à trois mille , ou vne licuë autour de Conſtantinople,

payent pour chacun mafle vn ſequinau Turc , quircuicne le tout à la ſomme de plus de
trente - huit mille fequins : ils en donnent outre cela vingt -cinq mille tous les ans pour
le priuilege d'auoir vn Patriarche , & conſeruer le nombre de leurs Egliſes. Le droic de
leurs ſepultures leur couſte de plus trois mille ſequins. La dace appellée des Vierges
aide encoresà remplir les coffres du Grand Seigneur , ou la bourſe de ſes Threſoriers:
il ſe leue ſur lesfilles qui ſe marient , deſquelies on tient regiſtre :fielles ſont Turques,
elles ne doiuent que les deux tiers d'vn ſequin ,les Juifues le payent entier, & les Chre
ſtiennes vn ſequin & demy. Les Chreſtiens Latins ſont exempts pour la pluſpart de la
violence , & oppreſlion de ces iniuſtes daces : car ils ſe diſent à quelque Ambaſſadeur
de Roy , ou Prince franc. Les Albanois , ceux de Raguſe , & les Gencuois ne payenc
rien .

Or pour le payement de tant de Tributs , dont le peuple eſt foulé par le Tyran des
Regions Orientales, il eſt bien'neceſſaire qu'on y forge de diuerſesſortesde monnoye .
Auſſi dans Conſtantinople la grande Monnoye Imperiale y trauaille ſansceſſe en or,&
en argent , mais perſonne ne peut eſtre admis à la ferme de ces precieux ouurages s'il
n'eſt Grec de Nation , par priuilege particulier du Grand Seigneur, lequela conferé
cette grace aux Grecs , en conſideration de ce que les mines d'or & d'argent ſont dans
le domaine Grec , quatre cens hommes y trauaillent iournellement. Et le maiſtre de
cette riche monnoye doit fournir au Serrail tous les premiers iours des mois de l'année
dix mille ſequins d'or,& vingtmille de monnoye blanche forgée de nouueau: le Grand
Seigneur ayant ainſi ordonné que lamonnoye quiſe dépend au Serrail ſoit neuue . Le
meſme Fermier ace pouvoir defaire publier, que quiconque a par deuers ſoy des mon
noyes eſtrangeres ,qu'il ait dans trois iours à les luy apporter pour en receuoir leiufto
prix , ſur peine de confiſcation d'icelles.Il a encore l'authorité de prendre des lingots
des mines, autant qu'il luy en faut pour la fabrique.
Lesmines qui fourniſſent en partiel'or , & l'argent qui ſe forge en monnoye dans
l'Empire du Turc en Europe , ſont cinq en nombre. L'vne eſt fouillée dans le Pays de
la Macedoine , ſous les racines d’yne montagne appellée Monte Santo , & celle- cyrend
de l'or : l'autre qui eſt de meſme, eſt ouuerte ſur la Bulgarie aux confins de la Mace
doine : les trois d'argent ſont dansla Grece , riches & fecondes au poſſible. De toutes
leſquelles on tire au iource que la Nature auoic fagement caché , pour eſtre parmy les
hommes : ce qui cauſe les querelles , engendre les mépris, rompe l'amitié , corrompt la
concorde, viole la pudicité, trouble les Eſtats, offuſque les eſprits , rauic la vie , de
thrône ſouuent la raiſon de ſon ſiege , & defrobel'homme à ſoy -meſme.
Mais pour reuenirà cette grande Ville Imperiale de Conſtantinople , lamagnificen
ce des Princes qui la poſſedent auiourd'huy, & les richeſſes de quclques Baſſas ou
Grands de la Cour, yont fait baſtir plusde trois cens Carrauafferrails, ce ſont des lieux
grands & vaſtes pour loger les eſtrangers : Le nombre des Hoſpicaux pour les pauures
& les malades vienc iuſques à quatre - vingts, neuf d'iceux ſont les principaux : lcs Em
pereurs Turcs qui ont balty de ſuperbes Moſquées les oncioints à la ſtructure d'icelies,
où ils ſont des eternelles marques de leur pieté. Il y a outre cela ſix -vingts Colleges
pour l'inſtruction de la ieuneſſe Turque , & la demeure des Eſcoliers, qu'ils appellent
en leur langue Softha, c'eſt à dire , Sages eſtudians, quoy qu'ils ne ſoient rien moins,
que cela . Ils ontchacun vne chambre pour leur departement, deux liets, vn tapis pour
table, quatre pains pariour , vn potage , & vne chandelle : on leur donne deux habits

tous les ans , & on les paye du reuenu du College , des Maiſtres & Precepteurs pour les
enſeigner, qui ſont nonmez Softhani; c'eſt pour la premiere annéc qu'ils entrent dans
le College, car la ſeconde on adjouſtc à leur entretenement vn afpre par iour , quipeut
valoir vn ſol , apres deux , trois, ou quatre , ſelon le nombre des années qu'ilsy lonc.
Auec ce maigre reuenu ces Bourſiers Turcs ne pourroient pas faire un trop grandor
dinaire , s'ils n'en receuoient d'ailleurs : Mais le gain qu'ils font à eſcrire des Liures,
( car les Turcs ne ſe ſeruent point d'Imprimeries) n'eſt pas fi pecit , qu'il ne fournille
abondamment à leurs neceſſitez,voire leurs débauches: Ils vont encores par les mai
lons enſeigner les enfans des perſonnes de qualité. Mais ilne ſorc point d'aucun aucre
8 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

fieu de la Turquie de ieuneſſe plus perdue , que ſont ces Eſcoliers Turcs: il n'y a forte
de meſchanceté qui paſſe la friponneric, qu'ils ne commettent impunément. Les pri
uileges deſquels les Empereurs Turcsles ont honorez , ou pluſtoft l'abus d'iceux les a

jettez à toute ſorte d'audace: on ne les peut prendre pour aucun crime qu'ils ayent
commis ſi leur General n'y eſt preſent ,à qui ſeul ce pouuoir a eſté donné Il eſt vray
que la preſence du Prince empeſche dans Conſtantinople l'inſolence de leurs debora
demens . Mais les Villes de la Caramanie & Natolie ; en ſont grandement imporcu
nées . Amurath croifiéme voulut , à cauſe de quelques troubles ſuruenus , ſçauoir le
nombre de tels galans, ils ſe trouuerent monter à plus de neuf mille , tant en Grece
qu'en la Natolic , fans compter ceux qui eſtudienten Surie , au Caire, en Arabie , &
ailleurs.
Vn aurre grand licu ceint de murailles, & fermé de bonnes portes , decore encores
la Cité de Conſtantinople : les Turcs l'appellent Seracyana , c'eſt à dire la Sellerie , où
ſe font les Selles , & les riches harnois des chcuaux de guerre , & de parade : c'eſt vn
indicible plaiớir à ceux qui aymenc la Caualerie , de voir quatre mille ouuriers dans
cette place, trauailler dans leurs boutiques auec vnc louable propriecé aux diuerſes pa .
rures des cheuaux. Là les vnsſement de groſſes perles rondes ſur la ſelle d'vn cheual
Arabe de l'eſcurie du grand Vizir : les autres attachent vn mords de pur or à des rel
nes d'vn riche cuir rouge du pays de Ruſſie, quelques- vnspaſſentdes eſtriuieres à des
eftrieux d'or enrichis d'vn grand nombre de Turquoiſes de la vieille roche : les autres
atrachent ſur vne large croupiere vne grande quantité de pierres precieuſes:icy paroiſt
& iecte mille feux vne ſuperbe ſelle qu'on doit enuoyer au Serrail, le nombre de dia -
mans dont elle eſt enrichie la rendent ineſtimable :le mords , les cítrieux d'or couuerts
3 auſſi de diamans , les houpes de perles qui ſont aux reſnes , celles qui ſont aux pendans
de la croupiere , & les autres beautez de ce royal harnois , rauiſſentà l'admiration de
leurs merueilles les yeux de ceux qui les regardent, & perſuadent tacitement à quel
ques - uns , que la Fortune parée des choſes plus precieuſes qui releuent d'elle , doic
monter à chcual , & aller en triomphe par Conſtantinople , pour faire voir aux Turcs
qu'elle habite maintenant chez eux. Au milieu de cette place eſt baſtie vne Moſquée
pour la deuotion de ces ouuriers, & vne belle fontaine en meſme endroit , verſe pour
leur commoditévne grande abondance d'eau douce .
Deux autres grandes places enuironnées encores de murailles ſeruent dans Con
ftantinople aux logemens des Ianniſfaires, qui ſont la meilleure Infancerie de la milice
Turque : l’yn de ces lieux eft dit Eſchiodalar, c'eſt à dire les vieilles habitacions : il eſt
de forme quarrée, & diuiſé en pluſieurs petits logis , dans leſquels demeurentles Ca
poraux , appellez Ayabaßus , qui ſignifie Chefs de gloire : ils ſont enuiron cent cinquan
te de cette qualité,& chacun d'iceux commande à deux cens Ianniſſaires, qui n'oſe
roient ſortir du licu ſans congé : les portes ſont fermées la nuit, & les clefs ſont gardées
par le Capitaine.
L'Arſenal eſt vne des plus belles, & des plus merueilleuſes choſes qui ſoit à Conſtan
tinople : il eſtſur le riuage de la mer, & contient cent quatre-vingts arches,ſous cha
cune deſquelles entre vne grande galere , voire trois y peuuenc eſtreà couuert. Les
Officiers qui ſeruent à cét Arſenal, & tirent paye pour ce faire , ſont d'ordinaire en
nombre de quarante-ſix mille : mais la plus grande force eſt le bon ordre qu'on y tient,
par lequel il y a certains marchands qui ont fait party de tenir d'ordinaire quatre -vingts
galeres fournies de tout ce qui eſt neceſſaire &
, preſtes pour aller en mer , les muni
tions des poudres à canon ſe gardent dans pluſieurs cours és murs de la Ville qui regar
de Pera : on l'apporte du grand Caire , où les Sultans la fontfaire .
Les Greniers dans leſquels on garde la prouiſion de bled , & d'autres grains , font
baſtis en vn coin de la Ville vers Pera , les murailles en font tres- fortes, & les portes
en ſont de fer : là il y a dequoy viure pluſieurs années , mais tous les trois ans on en re
nouuelle le grain . Du temps d'Amurath croiſiéme, on y trouua vne grande quantico
de millet , qui s'y cſtoit conſerue ſain & entier l'eſpace de quatre-vingts ans .
Or cette grande Cité Imperiale ne peut eſtre heureuſement regie fans l'exercice de
la Iuſtice, qui eſt l'ame du monde , & l'ordre de la raiſon : vn luge ſouverain en eſt le
chef, les Turcs l'appellent Stambolcadiſi,c'eſt à dire, le lugede Conſtantinople. Ilcon
noiftindifferemment du ciuil , & du criminel, & perſonne ne peut eſtre execucé à mort
en ce licu là , s'il nclaluy -mclmc condamnć . Quatre Lieutenans generaux ſeparez par
les

i
du Grand Seigneur . Liure I. 9

les quatre principaux quartiers de la Ville , exercent fous luy la meſme Iuſtice, mais
de leurs Sentences on appelle au luge . Outre ceux -cy, ily a vn grand Capitaine de
Iuſtice appellé soubafi , quifait la plus grande fondion de fa charge dans les priſons,
à oüyr les cauſes,& en faire ſon rapport au grand Vizit : Ila auſiquatre Lieutenans
ſous luy,ſeparez aux quartiers de la Ville,pour l'ordre & lapolice d'icelle, & vn grand
nombre de moindres Officiers, comme Sergens, & autres viles gens qui le feruent.
Les priſons de Conſtantinople ſont ſeparées en deux , chacune eſt embellie ( ſi tou
tesfois il y a de belles priſons ) d'vn grand preau au milieu , auec vne agreable fontai
ne : il y a deux eſtages, à celle d'embas ſont logez les miſerables criminels,à celle d'en :
haut ſont les detenus pour cauſes ciuiles . Icy les luifs ſont ſeparez des Turcs , & les

Turcs des Chreſtiens :mais là bas ils ſont peile -melle , comme perſonnes que le cria
me , & le mechef a rendu communes. Les aumoſnes , & c les bonnes quures qui s'y
exercent par les Turcs , ſurpaſſent en peu de iours celles qui ſe fontdans nos con
trées en pluſieurs années : la charité Turque enuers le prochain furmonte la noſtra ,
& ſemble que pour tels biens le Ciel les ſouffre dans l'Empire du Monde : car for
equité recompenſe lebien , en quel ſujet que ce ſoit , aufli bien qu'elle punit le mal .
Les Empereurs Turcs y exercent eux -mcſmes la compaſſion , ils deliurent ſouueng

grand nombre de priſonniers ciuils en payantpour eux leursdebtes . Les autres partia
cularitez qui regardent la iuſtice des Turcs, feront deduites en yn autre traité. Ce:
pendant puis que nous ſommes arriuez proche de la maiſon Imperiale , qui eſt le
}
Serrail , efforçons-nous d'y entrer , quoy que les portes ſoient ſoigneuſement gar ,
dées , & voyons les rares beautez de cér auguſte lieu .

Du Serrail du Grand Seigneur.

CHAPITRE II .

Rois Sertailsaccroiſſent, ou pluſtoſt portent au dernier degré la Deſcription


gloire de Conſtantinople : l'on eſt appellé Eſchy Saray , c'eſt à dire du Serrail en
le vieux Serrail , qui fut la premiere maiſon Royale baſtie dans la general,
1
Ville apres que les Turcs en furent les maiſtres: il eſt ſitué preſque
au milieu d'icelle, ſa forme eſt quarrée , & ſon circuit embraſſe vn
mille & demy d'Italie, ou vne grande demie lieuë de France,telles
qu'on les fait en Languedoc , ou en Prouence.Les Dames qui ont
ſeruy aux Empereurs deffunts , leurs ſaurs ,ſi elles ne ſont mariées , & les nourrices
de leurs enfans le poſſedent pour leur logement , duquel elles nepeuuent ſortir ſion
neles marie . Vne Dameà laquelle l'aage , & la prudence ont acquis du merite , ale
ſoin , & la conduite des autres commeSuperieure , elles l'appellent cheyra Cadun,
c'eſt à dire Grande Dame . Le Grand Seigneur en ſes plus ſolitaires humeurs ſe retire
per fois quelques iours en ce lieu -là ,pour y chercher la conſolation qu'il ne trouue
pas ailleurs. L'autre Serraileſt de moindre eſtenduë , il eſt ſitué à l'Hippodrome, &
fert auiourd'huy à la ſolemnité des jeux , pompes, & carrouſels des Princes Turcs,
enſemble d’Academic à quatre cens Pages du Grand Seigneur , qui ſont en iceluy
inftruits aux lettres Turques , à tirer des armes,& autres exercices dignes d'eux , &
n'en ſortent point qu'ils neſoient faits Eſpay , c'eſt à dire , Hommes d'armes: ils ſont
· nourris & enſeignez aux deſpens de leurmaiſtre:Celieu s'appelle Ebraym Bafla Saray,
qui veut
dire, le Serrail d'Ibraim Balſa , lequel eſtoit gendre de Sultan Solyman re

6 cond, & ſon fauory pour vn temps . Il le fic baſtir à ſes deſpens. Le troiſiéme eſt appellé
Boyuch Saray , c'eſt à dire le grand Serrail , maintenant l'ordinaire habitation des Em
S
pereurs Turcs: c'eſt auſſi de celuy -là que nous entendons parler.
Cegrand Serrail la demeure desEmpereurs Turcs & de leur famille , eſt plaiſam
ment ſitué au meſme endroit où jadis fut baſtie l'ancienne Byzance ſur vne agreable
pointe de terre ferme,qui regarde l'emboucheure de la mer Major: fa forme eſt crian
gulaire : deux coſtez d'icelle ſontmoüillez par les ondes de la mer Egée : le croiſiéme
eſt appuyé de la Ville , il eſt ceine tout autour de fortes & hautes murailles, munies
de pluſieurs tours quien rendent la deffence meilleure. Il a trois milles de circuit, qui
1
font vnelicuë de France : pluſieurs portes ſeruent à ſon entrée cant du colté de la mer
b
Hiſtoire du Serrail , & de la Cour .

vers la terre ,vne principale du coſté de Sain & e Sophic eſt ordinairement ouuerte,
que
les autres ne le ſont que quand il plaiſt au Grand Seigneur.Celle -cy eſt gardéç de iour
& de nui&t par des compagnies de Capigis , quiſont portiers , leſquels le releuent les
vns les autres, & la nui& quelques Ianniffaires qui ſont hors la porte dans des petites
loges de bois,montées ſurroues fontſentinelle ,& aduertiſſent quand il en eſt beſoin le
corps -de-garde des Capigis. Dans les cours qui ſont ſur les murs aux enuirons du Serrail
dorment certains Azamoglans,( c'eſt à dire enfans fansexperience ou enfans ruſtiques )
de ceux du tribut , pour voir ſi quelqu'on n'approcheroit point par terre ,ou des vaiſ
t
ſeaux par mer, cette Imperiale Maiſon : & en el cas ils cireroienquelques pieces d’ar
tillerie, qui ſonclà chargées pourmeſmeeffet ſur vn petic quay de cinq coiſes de large
qui eſt entre la muraille du Serrail , & la mer .

Les Chambres, & les Salles Royales du departement du Sulcan ſont diſpoſées fe
lon les diuerſes ſaiſons de l'année : celles où il ſe retire en Hyuer ſont ſituées en des
lieux pleins , & égaux : les autres où il va chercher le frais pendant les importunes cha
leurs de l'Eſté, ſont baſties ſur diuerſes & naturelles collines : quelques- vnes voyenc
les agications de la mer , & celles-là ſonc dices Chioſchi, c'eſt à dire cages , & lieux de
belle veuë. Les Sulcans vont quelquesfois en ces lieux - là, prendre ſeuls les plaiſirs de
cette belle veuë, & quelquesfois y appellans leurs Dames,meſlentà cette recrcation
les molles delices de leur laſciuc conuerſation .Aſſez proche de ce beau licu eſt celuy où

l'Empereur Turc donne audienceaux Ambaladeurs, reçoic, ou congedie les hommes


qu'il enuoye aux gouuernemens des Prouinces éloignées. Il eſt ſitué dans vn plan d'v .
ne cour ſur vne petite Ille eſmaillée de pluſieurs belles fleurs, & arrouſée de quelques
agreables fontaines ſuperbement embellies , ſelon leur couſtume. Au dedans ſe void
vn Sopha, c'eſt à dire vn Thrône , couuert de quelques riches tapis d'or, parmy leſquels
en paroiſt vn develours rouge cramoiſyen broderie de groſſes perles rondes : ce Thrô
ne s'appelle. le Thrône de dehors , à la difference de celuy qui eſt dedans la chambre
du Grand Seigneur : c'eſt
& dans celuy- là que s'affit Oſman ſecondqui regne auiour
d'huy , ne pouuant poſſeder l'autre qui eſtoit au dedans où ſon oncle Muſtapha fuc
cnfermé en l'an mil lix cens dix -ſept. Là ſont donc allisles Empereurs Turcs en telles
actions. Les murailles de cette Chambre ſont reueftues de cercaines pierres blanches
cuites , & ceintes de diuerſes couleurs, quien rendent la veuë tres-agreable.La Cham
bre qui eſt attachée à celle -cy a ſes murs reueſtusde plaques d'argent porfilées d'or , &
ſon paué couuert de richestapis à la Perſienne d'or,& de loye. Le departement où ſont
logées les femmes, & les filles vouées au plaiſir de l'Empereur, eft comme vn grand
Monaſtere de Religieuſes, mais on n'y garde pas le veu de chaſteté : Ila ſes dortoirs,
ſes refectoirs , ſes bains, fes galeries , lesiardins delicieux, & ſes belles fontaines, en ſi
grand nombre ,qu'elles rejalliſſent dans toutes les allées , & de tous coſtez font enten
drele doux bruit de leurs charmans gafoulis. Les autres logemenspourles domeſti
qucs du Serrail , ont auec la beauté de leurs ſtructures, les commoditez de leur ſitua
,

tion.Deux grands lieux ſontioints à ces baſtimens, dont l'vn ſert au Chalna de dehors,
( car il y en a vn autre au dedans plus retiré des domeſtiques ) les Moſquées, bains,
eſcholles , cuiſines, lieux pour courirà cheual,luiter,tirerde l'arc, repreſenter quelque
action , augmentent les merueilles de cetteMaiſon Imperiale, dont nous auons parlé
engeneral, maintenant deſecndons aux particulieres deſcriptions des lieux d'icelle ,
au moins de ceux qu'on a půvoir iuſques icy ; car perſonne de dehors n'entre dans le
Serrail , lil'Empereur n'en eſt abſent ,encores faut- il eftre ſingulierement fauoriſé de
quelque perſonne de credit & d'authoritéen ce lieu-là : car les Turcscroiroient offen
ſer la Majeſté de leur Prince , de permettre l'entrée de ſon departement au Serrail à
quiconque que ce ſoit, eſtranger ou autre .
La premiere muraille du Serrail eſt proche de la premiere Moſquée de Saincte So.
phic ,
auec la grande & maiſtreſle porce de ce ſuperbe Palais ,ornée d'vn grand portail
peint en lectres d'or à fueillages& compartimens à la Iaueſque , cinquante Capigis
auec leursarmes , qui ſont arquebuſes,arcs ,feſches, & cymeterres ,en font la garde:
par icelle on encre dansvne grande place ou cour, d'enuiron ſoixante pas de longueur,
& cent de largeur , dans laquelle à cofté de main droite eſt l'Infirmerie du Serrail gar:
déc par vn Eunuquc quia ſous luy vn grand nombre d'hommes employez au ſeruice

des malades du meſme Serrail : de l'aucre costé à main gauche on void pluſieurs cha
riots & grande quantité de bois pour l'vlage de la maiſon :au deſſus eſt baſtie vne longut
galleria
du Grand Seigneur . Liure I. II

gallerie dans laquelle on tient pluſicurs armes à Pantique, qui ſont morions, gantelets ,
jaques de maille, azegayes , & arquebuſes, deſquelles on arme les Officiers de l'Arſenal,
& quelques autres trouppes pour ſortir de Conſtantinople en parade , lors que le
Sultan , ou quelque puiſſant Baſſa y fait ſon entrée . Dans cette cour les Ballas &
Grands de la Porte peuuent entrer à cheval, mais là il faut deſcendre , & aller à pied
dans vne autre grande cour qui a pres de trois cens pas en quarré, faite en façon de cloi
ſtre , auec vne gallerie baſſe tout autour,
ſouſtenuë de pilliers de marbre, elle eſt plus
richement ornée que l'autre : la porte en eſt pareillementgardée par des Capigis ,armez
de meſme
que les premiers . On paſſe plus outre par vne troiſiéme porte en vne cour
encores plus petite , mais plus delicieuſe , pluſieursbelles fontaines y verſent l'cauen
abondance,& quelquesallées dreſſées à la lignc , & couuertes de l'ombrage d'vn grand
nombre de Cyprez plantez au long de leurs coſtez ,embelliſſent le lieu : pluſicurs car
seaux de prez herbuseſmaillez de diuerſes ſortes de fleursy augmentent les plaiſirs de
la veuë, perſonne ne paffe cette courà cheual que l'Empereur Turc, lequel va defcen
dre à la troiſiéme porte: de l'vn & de l'autre coſté ſont pluſieurs belles portiques fou
ſtenuës par de riches colomnes de marbre : hors de ces portiques ſont rangées en ba
taille les compagnies des lanniſſaires, bien veftus & mieux armez , lors qu'il leur com
mande de paroiſtre leſtesà l'entrée du Serrail quand il arriue quelque Ambaſſadeur
eſtranger, qui luy va baiſer la robbe .
Dans cette cour ſont ſituées les cuiſines du Șerrail , leſquelles ſont neuf en nombre, Cuilincs,
ſeparées de baſtiment l'une de l'autre , auec leurs dépendances , & feruies chacune par
ſes Officiers particuliers : La premiere , eſt celle de l'Empereur : la ſeconde, celle de la
Sultane ſa plus cherie pour ſes graces , ou pour ſa fecondité: la troiſiéme, celle des au
tres Sultanes: la quatriéme, celle du Capiaga , qui eſt le grand Maiſtre du Serrail : la
cinquiéme , celle du Diuan , qui eſt le Conſeil, où le Prince rend la Iuſtice parla bou
chede ſe's Officiers : nous le dirons cy -apres : la ſixiénie , celle des Agalaris , qui ſont
les familiers du Sultan , pluſieurs ſont Eunuques, & le reſte entiers : la ſeptiéme,celle :
des moindres Officiers du Serrail: la huictićme , cellc des femmes qui ſeruent les Sul
tanes : la ncufiéme, celle des Officiers qui ſeruent au Diuan , comme gardes , porciers ,
ou huiſſiers , & ſemblables perſonnes.
A la main gauche dans lemeſme lieu ſont les eſcuries du Sultan pour y tenir ſeua
Jement vingt-cinq ou crente cheuaux beaux au poſſible , deſtinez pour ſes exercices
auec ſes plus familiers dans Serrail : au deſſus de ces eſcuries ſont pluſieurs chambres
dans leſquelles on tient les ſelles, brides, & autres harnois pour ces cheuaux de plaiſir,
mais tous ſiriches , & fi brillans de perles , & pierreries, que le prix en eſt ineſtimable :
il s'y eſt crouué des ſeules reſnes, & la croupiere exceder la valeur d'vn million de li
ures : quelle deuoit eſtre la ſelle , & le reſte du harnois? Au long de la riue du canal de
mer qui moüille les murailles du Serrail ſont ſituées dix -ſept grandes eſcuries, où le
Grand Seigneur a grand nombre de cheuaux de prix , qu'il monte quand il va à la
guerre,ou quand pour éblouir de l'éclar de la grandeur les yeux de quelque Ambaſſa
deur eſtranger, il fait dans Conſtantinople , vnc ſolemnelle & pompeuſe entrée .
Vn peu plus outre dans la meſme cour eſt le departement du Diuan public , où le
grand VizirLieutenant general de l'Empereur Turc, tient auec un bon nombre d'Of
ficiers les Audiences quatre iours de la ſemaine: tout aupres eſt la chambre du Chaſna,
ou Threſor de dehors , où l'on mer le fonds& le reuenu de diverſes Prouinces , donc

on paye les Officiers. On en fournit la Chambre aux deniers , le reſte le porte dans le
Chaſna ou Threſor de dedans , & plus ſecret, duquel le grand Seigneur a les clefs :
le premier eſt ordinairement ſcellé du ſceau du grand Vizir. Dans la meſme cour du
coſté de la main gauche,cſt la grande porte du logement des Sultanes : elle eſt ſoigneu
ſement gardée par vne troupe d'Eunuques noirs & hideux , auſquels le Sultan en a fié
la garde. Et comme il a logé au dedans par le nombre des belles femmes qu'on luy
amene de tous coſtez , les naifues images des Amours , & des Graces, auſſia- il mis aux
portes celles dela haine , & de la terreur: il y entre par vn autre endroit aſſez proche de
ſa chambre . La derniere partie de cette belle courfait l'entrée du departement de l'Em
pereur , laquelle eſt deffenduë à quiconque ce ſoit , excepté aux eſclaues qui le fer
vent : que ſi quelque grand Baſſa preſſé de quelque importante affaire deſire y entrer,
ilen faut premierementauoir la licence de la bouche du Prince .
L'entréc doncques de cette porco conduit vers la Salle, où le Sulcan ſe trouue quand
bij
1
!

e du Serrail , & de la Cour


12 Hiſtoir

il veur donner audience, & permettre le baiſer de fa robbe à quelque Ambaſſadeur de


Prince eſtranger. On deſcouure à l'abord lesnouuelles beautez de ce licụ plus parti
culier : vne belle cour pauée de marbre finà la Moſayque, fere de paſſage à ceux qui
ſont entrez , & les belles fontaines qui la decorent ne permettent pas qu'ils aillent plus
auant, ſans arreſter leurs yeux à leur agreable ſtructure:les pauillons, & les ſuperbes
chambres qui ſont là dedansſemblentauoir eſté baſties & embellics des mains, des de
1
lices , & du plaiſir : car c'eſt en elles que le Grand Seigneur mange le plus ſouuent, & y
prend ſes recreations.Les bains , les ſalles, & les galeries de ce lieu-là,ſurpaſſenten leur
magnificence la force de l'imagination : on peut ſeulement dire d'elles, qu'elles ſont
les baſtimensdesplus puiſſans,
& plus riches Monarques de la terre.
En vn autre endroit du Serrail eſt ſicué ſur vne petite ,mais agreable coline , vn loge
ment d'Eſté , où le Sulcan va pendant les iours Caniculaires , jouir des fraiſcheurs qui
& des plaiſirs de ſes iardinages , ſur leſquels il a vne de ſes veués , l'autre
s'y retrouuent;
regarde les ondoyantes plaines de la mer: tout le licu eſt parfaitement beau , mais par
myla grande diuerſité qui s'y rencontre , vne ſalle ouuerte du colté de l'Orient eſt fou
ſtenuë par des riches colomnes de marbre,ſemble l'ordinaire ſejour du Plaiſir : elle eſt
enrichie des plus beaux ouurages que le Leuant puiſſe fournir, & meublée à la Royale:
ſes feneſtres regardent ſur un petit lac fortplaiſant de forme quarrée , fait auec yn ad
mirable artifice : trente fontaines comparties ſur vne platte -forme de pierre de marbre
tres- fin qui l'enuironne, luy fourniſſent l'eau qui le remplit, & troublent agreablement
le ſilence du lieu par leur continuel murmure. Le Sulcan deſcend ſouuent ſur les eaux
de ce lac , où il ſe promene ſur vn brigantin ,luiuy de quelquesbouffons& muets , qui
luy donnent du plaiſir , les vns par leurs plaiſantes rencontres, les autres par leurs ridi
cules grimaces, & par fois ſe culburans dans l'eau luy donnent ſujec derire: luy -meſme
ſe plaiſt à leur dreſſer des embuſches, pour les faire cheoir de la platte-forme dans
le lac.

Chambre du Decette Salle on paſſe dans la Chambre du Grand Seigneur , elle eſt de la grandeur
Grand Sci ordinaire que ſont celles du Palais Royal: les murailles ſont à leur accouſtumée reue
gneur, ſtuës de pierres fines , dans leſquellesſontentaillées pluſieurs fleurs : les portieres fonc
de drap d'or, quelques - yhes de velours rouge cramoiſy, couuere d'vne broderie d'or,
& de groſſes perles. Le li & n'eſt pasmoinsriche,les quenoüilles ſont de pur argent à
longues caneleures ,au deſſus deſquelles au licu de pommes , ſont poſez des Lyons de
cryſtal de roche , les pantes ſont dedrap d'or verd , le plus riche qui ſe trauaille à Burſa
en Age , ſans aucunes franges, mais en leurs places pendentcertains creneaux ou cam
panes faites de groſſes perles Orientales : l'ouurage en eſt excellent , & le prix ineſti
mable . La couuercure trainante à terre , eſt auſſi d'vn riche drap d'or, les couſlins &
1 oreillers ſont de meſme eſtoffe :Celiet eſt pluſtoſt vne piece de pompe Turque qu'vn
meuble de neceſſité : car les Turcs n'vſent point de cette forte de liès, ils dorment à
terre ſur des matelars : Nous le dirons cy-apres au Chapitre fixiénie. Le paué de cerce
Royale Chambre eſt couuert de tapis de Perſe d'or , & de loye: les sopha, c'eſt à dire,
les lieux où le Sultan ſe ſied , font hauts de terre enuiron d’un pied & demy, & cou
ueros de meſmes tapis, ſur leſquels ſont descarreaux de drap d’or: Au deſſus de ce ſiege
eſt yn daiz de bois couuere de lames d'or , enrichy de pierreries, & porté par quatre

pilliers couuercs & ornez de meſme. Du milieu du plancher de cette Chambre pend
vn riche chandelier de moyenne grandeur , & de forme ronde , le milieu duquel eſt
d'vn beau cryſtal, les autres parties ſont d'argent doré , couuertes de Turquoiſes, de
Rubis , Eſmeraudes & Diamans, dont la diuerſité rend yn agreable éclat : En yn coin
de ladite Chambre ſur vne table d'argentmaſſif, eſt vn petit baſſin à lauer les mains , il
eſt de pur or enrichy d'vn grand nombre de Turquoiſes, & de Rubis, auec ſon aiguiere
de meſme. Contre les murailles ſont poſez deux armoires dontles portes ſont de cry
ftal, qui font voir au trauers de leurcranſparant enuiron deux douzaines de Liures ci
chement couuerts , auec leſquels le Sultan ſe diuertit , & crompe les ennuis à lire par
fois quelqu'vne deleurs Hiſtoires, & par fois les veritables exemples qui ſont couchez
dans le vieux Teſtament : Au deſſus de ces armoires y en a encores vn aucre pcrit , dans
lequel le Threſorier du Serrail met tous les Mercredis trois bourſes pleines: àlçauoir
vne de monnoye d'or , & les deux autres de monnoye d'argent, que le Sulcan employe
à faire ſes aumoſncs , & les gratifications aux eſclaues qui le feruent, & font la plus
, ordinaire compagnie. Certes cecce force de gens rabaiſſe grandement la gloire d'un ſi
puillant
du Grand Şeigneur. Liure I .. : 13

puiſſant Monarque, & la honte de n'auoir autour de ſoyque des hommes vils , le peut les grands
faire meſeſtimer: les Princes fouucrains ne doiuent approcher de leurs perſonnes que millennussie 1

les hommes les micux faigsde leurs Eftats .Car comme Dicu a dans le Ciel le miniſtere auprés d'eux
des Anges , & des autres creatures intellectuelles : Auſſi les Roys qui ſont ſes viuantes des hommes
bien faics , &
images , doiuent auoir autour d'eux , les hommes que la vertu & les rares qualitez de non des valets
l'elprit, ont élevé par deſſus les autres . Quel entretien peut auoir vn grand Prince , de qu'ils auan
perſonnes ſi abjectes ; & fi mal nourries , & quel ſeruice peut -il receuoir d'un homme tiré cent,& ne fe
de l'eſtable , de l'exercice de palefrenier, ou de cocher ,de la venerie & clabaudis des nir çue de
chiens ? quel entretien d'vn brutal fauconnier ,pendant que les hommes de merite fots & igno,
rans,
ſont en mépris : Cedeſordre ſe void quelquesfois dans le monde , & dans la Cour des
Grands à leurlonce , & au grand intereſt public.

Tout proche de cette Chambre eft rangée vne belle Bibliotheque , où ſont pluſieurs
Liures, riches pour les ſuperbes couuercures qui les reueſtent , & precieux pour leurs Librairies.
ouurages, les inimorcelles marques de la gloire de leurs Autheurs : celle - cy s'appelle
la Librairie ſecrete ; elle eſt la plus renommée du Serrail. Il y en a vne autre vers le
departement de ceux qui ſeruentà la Chambre, & des Pages du Grand Seigneur,rem
plic d'vn grand nombre de Livres en toutes les langues qu'on a eſcrit , parmyleſquels
paroiſſent encores auiourd'huy ſix -vingts Volumes de l'ancienne Librairie du grand
Conſtantin , d'vne grandeur extraordinaire : ils ont plus d'vne grande braſſée de lar
geur , & deux de longueur :leurs fueilles ſont de parchemin fi lubtilement paré , qu'il
ſemble eſtre pluſtoſt de ſoye que depeau , la pluſpart eſcris en lettres d'or , & particu
lierementceux qui contiennent le vieux & nouueau Teſtament,leurs couuerțures ſont
d'argent doré à l'antique ,ſemées d'vn grand nombre de pierres precieuſes. Le prix,
ſansdoute , les a ſauưez du degalt , & de la ruine, où les autres ont pery par la barbarie
des Turcs , qui ſaccagerent Conftantinople du temps de Mahomei ſecond : Le Sultan
les tient ſi chers qu'il nepermet à perſonne de les manier ſeulement.
Le nombre des Iardins dans le Serrail n'eſt pas moins grand , qu'ils ſont eux-meſmes
delicieux : Le Prince a les liens, les Sultanes les leur , & par dehors cette Maiſon Im
periale il y en a dix- hui & plantez ſur le riuage de la mer, dont les fruicts & le reuenu
d'iceux eſt par la Loy des Princes employéà leur vlage, & à l'entretien de la table pour
leur bouclie : nous le dirons ailleurs. Celuy quien a la ſurintendance appellé Botangi
baſi, c'eſt à dire grand Iardinier , poſſede vne des plus eminentes charges de l'Empire,
& fouuent eſt le plus chery de fon Maiſtre , & le plus redouté des autres Baſſas, auſ
quels il peur rendre de bons ou mauuais offices aupres du Prince ,quand il le gouuerne
ſcul dans les promenades , & l'entretient là des affaires d'Eſtat.
Deux Moſquées ſeruent dans le Serrail à la dcuotion de ceux qui l'habitent : l'vne
eſt ſituée vers le quartier où loge le Prince , & ſes Officiers ,& l'autre eſt placée vers le
departement des femmes , & de leurs eſclaues. Or bien que les Turcs n'ayent pas voulu
receuoir chez eux l'vſage des cloches , neantmoinsil y a dans le Serrail grand nombre
de petits horloges , quimarquent& ſonnent les heures du jour , & de la nuict : les Pa
ges du Grand Seigneur ſont inſtruitsà les gouuerner : & la pluſparc des hommes quali
fiez du Serrail , & meſmes les Dames , ont de petites monſtres dont elles ſe ſeruent.
C'eſt tout ce qui ſe peur eſcrire du Serrail du Grand Seigneur , au moins qui peut ve
nir à la connoiſſance desChreſtiens, auſquels l'entrée , fors les iours de Diuan , en eſt
expreſſément defenduë, & les autres parties de cette Maiſon Imperiale plus recirées ,
dont nous auons parlé , ne peuuent eſtre veuës par eux, ſinon quand le Prince eſt ab
ſent : encores faut- il auoir vne particuliere amitié auec les Officiers du Serrail , & l'ar
genc à la main , lequel n'ouure pas ſeulement lesportes plus fermées en Turquie , mais
encores facilice & reſour les plus faſcheuſes affaires , par l'auarice des Turcs ,à laquelle
toutes leurs autres paſſions ſemblent ceder. Venons maintenant aux exercices du
Grand Seigneur , à lon viure , au nombre de ſes Officiers, & autres particularitez de fa
Cour : mais commençons par ſon Sacre , ou Couronnement .

b iij .
14 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

Du Couronnement de l'Empereur des Turcs.

CHAPITRE III .

Pres que la mort , qui frappe d'un coup égal & les ſuperbes Palais
des Roys , & les maiſons couuertes de chaume , a oſté du monde qucl
que Empereur des Turcs, celuy de ſes enfans qui eſt deſtiné à la luc
ceſſion de ſon Sceptre , part du Gouuernement où le pere l'auoit en
voyé, ( c'eſt ordinairement la Magneſie, Prouince Aſiatique) & arriue
ſecrettement à Conftantinople , & dans le Serrail par la porte quire
garde la mer : pour le pafage de laquelle le Boſtangibaſſi, qui eſt le grand Iardinier ,le
va reccuoir auec le galion Imperial,ſur l'autre riue du coté de l'Aſie , le paſſe lede
ſtroit, le conduit dans le Serrail , le menc dans le Thrône de ſon perc , où les Grands
de la Porte, c'eſt à dire, la Cour , ( ainſi la nomme-t'on )le vont adorer , & reconnoiſtre
pour leur Prince : Incontinent le Baſſa qui eſt Gouuerneur de Conſtantinople , faic
proclamer par la Ville , & de là par tout l'Empire, Que l'ame de l'inuincible Emperenr
Sultan N.ioüille d'une immortelle gloire , d'uneeternelle paix :ớque l'Empire du Sul
tan N. puiſſe florir, & proſperer en toute felicité par longues années. Le troiſiéme iour
apres on cient le grand Diuan , qui eſt le Conſeil general , où tous les Grands de la
Cour , & Officiers de la Couronne ſe trouuent , là on reſour des affaires d'Eſtac : L’Em
pereur n'y aſſiſte point, bien eſt -il en vne chambre là proche qui void ſans eſtre veu, &
cntend par vne feneſtre treilliſſée ce qu'on y traiec, & ce qu'on y dit. A la fin du Diuan
tous ces Officiers vont quatre à quatre , ou lix à ſix dans la chambre où eſt le Sultan,
& là ſans parler luy foncvne profonde reuerence , & paſſent outre , forcans parvnc au
cre porte , ils rentrent au Diuan , ou le diſner les attend . Le Sultan diſne auſien meſme

heure, qui eſttoutle temps qu'il employe à la table, monte


temps : & apres vne demie
le à

quiſont,Viue , du puiſſe long - temps regner Sultan N. Ilva deſcendre à quelque Mof
quée , ou ſes predeceſſeurs ſont enleuelis : Il fait là ſes Oraiſons, leſquelles finies , vn
des vingt Predicateursde la Cour monte en chaire , & par vn brief diſcours luy fait
entendre à la Turque la grandeur de la charge à laquelle Dieu l'a appellé , l'exhorte au
ſoin de ſon Eſtat , & bien plus à la manutention & accroiſſement de la Loy de Maho
met . Le Sermon finy ic meſme Predicateur luy donne par ſept foisla benediction , & à
châque fois le peuple reſpond , Amen . Au meſme lieu le Mufty ou grand Pontife de
la Loy qui eſt preſent, lay fait preſter le ferment ſur l'Alcoran , luy ceint l'eſpée quo
portoit jadis Octhoman , & le beniſſant luy dit ces paroles , Dicu te donne la bonté d'or
thoman : tant ils honorent encores les vertus de ce Prince , qui regnoit il y a trois cens
vingt-deux ans , qu'ils les ſouhaitcent à ſes ſucceſſeurs. l'ay oüy dire à vn Prince de la
Maiſon des Empereurs Turcs , que les doctes en leur Hiſtoire tiennent qu'Occhoman
allant par la Ville de Pruſe , pour lors capitale de ſon Empire , diſoit touthaut au peu
ple , que quiconque auoit faim ou ſoif, ou ſeroit nud , qu'il s'en vinſten ſa Maiſon ,dans
laquelle il y auoic dequoy nourrir & veſtir les pauures . Apres le Mufry le peuple le be
nit auſſi à haute voix : Ainſichargé de toutes ces benedi& tions, il remonte à cheual , &
les rapporte dansſon Serrail , où il s'occupe à faire eſtrangler ſes freres en la preſence,
qu'ila fait venir des lieux où ils eſtoicnt: Car il eſteſcrit dans leur Couſtumier ,vn Dieu
au Ciel, vn Empereur en terre. Ils croyent que ce ſeul moyen propre pour affermir l'E
ftat, & en deſtournerles guerres ciuiles, que la pluralité des Princes leur apporteroic :
Nec regne Ils ont ſouvent en la bouche ce Prouerbe, Que le Royaumet & l'Amour ne fouffrent
focium ference point de compagnons: leur erreur leur fait croire tels les Princes de leurſang .Depuis
Senec, irag, trois cens & tant d'ans cette ſanglante couſtume a eſté rigoureuſemét obſeruće, iuſques
au regne d'Achmat ,qui mourut l’an mil ſix cens dix-ſept,lequel donna la vie à ſon frere
Muſtapha, & à ſamort luyremit lon Sceptre : mais les Officiers de la Couronne le luy
I ofterent ,auec la liberté , & le tindrene priſonnier dans le Serrail , pour faire regner en
ſa place Oſman ſon ncueu , qui depuis a eſté malheureuſement maſſacré par le peuple ,
le meſme Muſtapha Femis dans le Thrône , ou l'inconſtance de la fortune l'a laiſſé peu
de
du Grand Seigneur
. Liure I. IS

de iours:apres leſquels les Baſſas l'ont renfermé dans la premiere priſon, & ont mis
dans ſon Thrônc Amurath quatriéme ieune Prince , frere de l'infortuné Oſman.
Les largeſſes que le Sultan faità ſon aduenement à la Couronne , ſont diſtribuées en
cette forte. Il fait donner au grand Mufry deux mille cinq cens ſequins, autant au
grand Vizir : les autres Vizirs en ont chacun deux mille, les Cadileſquiers chacun deux
cens cinquante ſequins, les Tefterdars chacun autant , cent à châque Capigiballis
l’Aga des Ianniſſaires en a deux cens cinquante , l'Iman Royal n'en a que vingt -cinq.
Les Docteurs plus illuſtres de la Loy en reçoiuent ſoixante ,
les autres moindres Do
& teurs chacun trente-deux . On en donne quarante au Bafrouſnamegy, c'eſt à dire lour -
naliſte, quarance au Caraſmaelabegy ou Controolleur du tribucRoyal,vingtaux Mu
catagis qui tiennent les Liures du Diuan , ſcize à chacun des Mutaferagas qui ſont
& outre cela cinq alpres par
Gens- d'armes, huit à chaque Spain ou Cheuaux - legers,
iour d'augmentation de paye. Châque Commis du Tefterdar a vingt - cinq ſequins,
les Chefs despauillons de campagne, appellez des Turcs Alimettarbaſi, ſont couchez
ſur le roolle de cette Royale diſtribution pour vingt - cinq ſequins chacun. Ceux qui
menent en main lescheuaux deuant le Roy , nommez Sarraſis, en ont chacun huidt:
autant les Serchaias, autant les Meitery qui battent la caiſſc deuant le Prince, quatre
les Sardigis , huiclesCapigis, huit lesCaſnadaris, & le meſme nombre les Snalaris qui
portent l'eau au Grand Seigneur. Les Emirs ſont plus aduancageuſementpartagez, ils
en onc cent. Les Ianniſlaires ont par leur violence oſté les bornes de la liberalité du

Monarquc enuers eux , on leur en donne plus ou moins , ſelon le temps & le beſoin
qu’on a d'eux, leur paye eſt couſiours augmentée, au moins d'vn aſpre pariour.Les Pa
lefreniers , & les Cuiſiniers en ontégalement huit chacun , & ceux qui prient Dieu à la
Turque dans les Chappelles où les Sultans ſontenterrez , n'en ont pas dauantage.Cette
largelle & diſtribution des Sulcanins, ou ſequins Turcs, ſe monte , à cauſe du grand
nombre de ceux qui en reçoiuent les portions, à des grandes,& immenſes ſommes de
deniers .

Le quatriémeiour enſuiuant il monte ſongallion , & va par merà vn Iardin , encouró


d'vn parc proche de l'Arſenal : les Turcs l'appellent Aſcui, c'eſt à dire , Maiſon de
plaiſance ,& là il chaſſe l'eſpace de quelques heures,& court celle beſte qu'illuy plaiſt:
ques'il prend quelque chole,la ſuperſtition Turque luy enſeigne de le tenir àbonau
gure. Du plaiſir il paſſe aux affaires, va viſiter ſon Arſenal, & ayant aupres de ſoy le
General de la mer a
,ppellé Capitan Bafla ,ſe fait rendre compte des affaires de la mer,
quel nombre de vaiſſeaux il y'a propres à la guerre, quels hommes, quelles armes, &
quelles munitions ily a ſurcux : ainli informe des forces de lamarine, il reprend auec
ſa galiote le chemin de ſon Serrail . Le lendemain quieſtle cinquiéme de ſon Sacre, lo
grand Vizir , ou ſelon les Turcs Vizirhazem , c'eſt à dire le fupreme Vizir , l’y vatrou .
ucr,& luyrend compte en peu de paroles des affaires generales deſon Empire. Orcom
mc les Turcs ontlaumoſne en ſinguliere recommandation ces premiers iours du Cou
ronnement , apres que le Prince a fait au peuple ſes largeſſes & ſes liberalitcz , en jet
tant dela monnoye parles ruësoù il paſſe , il fait de grandes charitez aux Hoſpitaux &
aux priſons, en telle force que les frais deces actions picuſes ſe ſont trouuez monter du
regne d'Amurath pere de Mahomet troiſiéme, qui viuoic lors que Henry le Grand bien
heuroit la France des felicitez de ſon regne,la ſomme d'vn million fixcensmille liures,
qui eſt de leur monnoye quatre cens mille ſequins. Cerces les aufpices d'vn regne ne * Gaſpard '

peuucnteſtre qu'heureux ,quand ils font accompagnez de bonnesæuures , & la Cha- Zichlick Chana
fité cſt vn puiſſant ſouftien de la Couronne . Il ſeroit à deſirer ( diſoic * yn grandhom-l'Empereur :
me ) que les Souuerains euſſent eſprouué la condition d'un particulier preſſé de la mi- Is trium Cafa
Cancelleria
pum optare
ſere: pour bien apprendre la compaſſion , il en faut auoir eſté digne ,& perſonne n'eſtrrus
vivement touché de l'eſtat d'vn miſerable qui ne l'a eſté. dicebat omnes

Apres cc cinquième iour , les Dames de ſon ſang , ſoient- elles encores filles, ou ma- Regesaliquan
riées à quelques Baſſas, le vont viſiter: il les reçoit auec toute ſorte de benignité , les pauperélque
honore de pluſieurs riches preſens de pierreries , & leuraccorde celle grace qu'elles de-fuifle. Neque
inandent, ſoit pour l'auancement de leurs maris, ou pour la liberté de quelque autre fererurquini
perſonne. Mais à peine ce nouueau Sultan eſt arriué au Thrône Imperial des Turcs quam fuir mix
fer Aneas.
qu'il ſuccede auſſi -coſt à la fourcilleuſe arrogance de ſes anceſtres , prend auec leSyluius lib.1.
Sceptre , la vanicé des ſuperbes flores dont ils ſe ſontbouffis : le Chapitre ſuiuanc le comment.de
nous dira. reb.geft, Alph.
16 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

Des tiltres eo qualitez que prennent les Empereurs des Turcs.

CHAPITRE IIII .

* Secunda res Es proſperitez du monde * ſont pluſtoſt la pierre de couche de la


acrioribus fi
force d'vn eſprit , que les aduerſitez d'iceluy : celles -cy ſont plus ai
mulis animos
explorant, quia ſées à ſupporter: celles - là éleuent ordinairement les hommes à vne
miferia rolera . dangereuſe inſolence. Mais où ſe trouuent les grandes proſperitez
* felicitare
corrumpimur. I que chez les Princes ? Auſſi s'ils en vſene ſobrement, leur modeſtie
Galba le di a obligera le Ciel à la conferuation de leurs Eſtacs , & forcera les hom
ſoit à Piſon
chez Tacite , mes à cherir leur memoire . Les Empereurs des Turcs ne font iamais couronnez de ce
dsb. 1. hift. merite : leur nourriture aux débordemens des vices , pluſtoſt qu'à la continence de la
verta , ne les rend pas capables de ſeconnoiſtre, & les trop grandes proſperitez de leurs
Empires les emportent à l'orgueil: que ſile Ciel ſouffre qu'ils durent dans la Monar
chie de l'Orient , c'eſt pourpunir nos deſordres. Leurs aātions ne font pas ſeulement
paroiſtre leur ſuperbe ,leurs tiltres la diſent encores fore clairement. Selim premier du
nom ſe qualifioit Maiſtre de tous les Souuerains du monde . Voicy les qualitez qu'il
prenoit : Sultan Selim Otthoman , Roy des Roys , Seigneur de tous les Seigneurs, Prince de
tous les Princes, Fils & Neueu de Dieu. Il le fic eſcrire luy -meſme au bas de ſon pour
traict , que Solyman ſecond ſon fils cenoic ordinairement àla ruelle de ſon li &t.Celuya
cy n'eſtoic pas plus modeſte que ſon pere , s'il n'a couché dans ces tiltres qu'il vouloit
eſtrel'vnique Prince du monde, il l'a proferé ſouuent en ces paroles , Par l'ame de mon
Pere , ( dit- il eſtant en Hongrie au ſiege de Bude ) pues qu'il n'ya qu'un Dieu Gounerneur
du Ciel, il eſt bien raiſonnable qu'il n'y ait außi qu'un ſeul
Monarque qui gouuerne & re
giffe ce basmonde. Les autres qui l'ont ſuiuy en la ſucceſſion de l'Eſtat Otthoman ,en
ont vfé demeſme iuſques en nos iours . Achmat premier , qui moururen l'année mil fix
cens dix -ſept, traitant auec l'inuincible Monarque Henry le Grand , par l'entremiſe
du ſieur de Breues ſon Ambaſſadeur à Conſtantinople, faic coucher au demmence
ment des Articles qui furent enuoyez en France les qualitez qui ſuiuent: Au nom de
Dieu , marque de la haute famille des Monarques Otthomans, auec la beauté, grandeur con
splendeur,delaquelle tant de Pays font conquis & gouuernez. Moy quiſuispar les infinies
graces du Iufte, grand & tout-puiſſant Createur , & par l'abondance des miracles du chef
de ſes Prophetes , Empereur des viétorieux Empereurs, diſtributeur des Couronnes aux
plus grandsPrinces de la terre, feruiteurdes deux tres - facrées Villes , la Meque & Medine,
protecteur & gouuerneur de la ſainete Hierufalem , Seigneur de la plus grande partie de
l'Europe, Aſie, & Afrique, conquiſe auec noſtre victorieuſe efpée , & epouuentable lance :
à ſçauoirdes Pays du Royaumes de la Grece , deThemiswar, de Boſnie ,deSegheuar, & des
Pays du Royaumes de l'Aſie, & de la Natolie, de la Caramanie, d'Egypte, & de tous les Pays
des Parthes , des Curdzes, Georgiens, de la porte deferde Tiflis, da Seruan; & du Pays du
Prince des Tartares, nommé Serin , & de la Compagnie nommée Cipulac, de Cypre, deDia
bek , d'Alep, d’Ertzerum , de Damas , de Babylone ,demeure des Princes deCurdes , de Ba
zera, d'Egypte, de l'Arabie heureuſe , d' Abes,d'Adem , deThunis , la Goulette ,Tripoly, de
Barbarie, & de tant d'autres pays, Iſles, deſtroits , paſſages, peuples, familles, generations,
Regem non & de tant de cent millions de victorieux , gens de guerre qui repoſentſous l'obeiſſance , do
faciunt opes ; iuftice de moy qui ſuis l'Empereur Achmat
fils de l'Empereur Mahomet ,de l'Empereur Amy
mercoleta, Von rath , de l'Empereur Selim ,de l'Empereur Solyman , de l'Empereur Selim , & cepar la grace
frontis nota re- de Dieu recours des grandsPrinces du monde, refuge des honorables Empereurs. Ilsad
entida prabes."jouſtent à cette ſuperbe le mépris des autres Princes , qu'ils n'eſtiment pas beaucoup
Rex efl qui po- dauantage que s'ils eſtoient leurs vaſſaux. Cerces tels Empereurs qui n'ont rien de

fun meini.Et grand que l'eſtenduë deleur Empire, ſont ſemblables aux grands Coloſſes ſurdorez ,
&toris : Quem qui repreſentent par le dehors la forme de quelque diuinité, tandis qu'au dedans ils
non ambito ſont de terre ou de plaſtre. Les Prouinces , les richeſſes , la robbe de pourpre , le dia
impotens, Et
nunquam fta . deme ne font pas le Roy , mais bien la vertu , & la ſageſſe. LeMonarquc qui comman
bilisfasor Vulc dc à ſes paſſions regne doublement , de rentrant en Toy-meſme, eſprouue les effets de
Si precipitis
mone. Senec . cette verité neceſſaire à la Cour , Que le Prince qui ſe connoiſt eftre homme ne s'enor
in Thyeſt, gueillira iamais.
Pes
17
du Grand Seigneur
. Liure I.

Des veſtemens ordinaires du Grand Seigneur, des exercices qu'il fait


tous les jours.

CHAPITRE V.

' EMPER E V R des Turcs n'eſt pas beaucoup differend de ſes Cour
tiſans, en ſes ordinaires habits, ſeulement il les porte plus longs
qu'eux tous,'& ſes ſouliers ſont ſansferremens ; & découpez à fueil 7
lages par le deſſus : mais quand ilſe pare pour honorer de la preſen
ce la ſolemnité de quelque grandiour,à la circonciſion des Princes

B ſes enfans, ou en ſon entrée à Conftantinople , les robes de drap


d'or , les perles , & les diamans d'vne merueilleuſe grandeur , deco
fent la Majeſté de la perſonne d'vn precieux éclat , c'eſt auſſi le ſeul luſtre de tels Prin
ces , la Principauté , & la Majeſté ſont en la vertu , & non cn la pompe des habits . Le
Roy doit pluſtoſt paroiſtre Roy par ſes bonnes meurs , & ſon authorité , que par ſes
veſtemens.

Les Sultanesne different pas beaucoup en habits de leur Prince ſouuerain , elles por
tent des hauts de chauſſes ſemblables aux ſiens ,des calçons de toile au deſſous : leurs
robes ſont de meſme, les ſouliers auſſi :dorment veſtuës comme luy auec leurs cal
çons, & des petites iuppes de ſoye picquées , qui ne deſcendent gueres plus bas que
la ceinture .

Le Princeſe leue preſque auec leiour, & l'Aurore le void commencer ſon office , &
ſes oraiſonsà la Turque, auſquelles il eſt occupé l'eſpace d'une demie heure :apres cela
il eſcrit demie heure , pendant laquelleon luy apporte quelque choſe cordiale ,qu'il
prendauſſi -toſt: la lecture ſuccedeà l'eſcriture pour vne heure entiere : mais elle n'eſt
pas ſouuent auec fruiet, les Romains , & ſemblables liurës fabuleux luy ſeruent d'en
tretien pendant ce temps-là : il eſt veritable , que quelques Sultans ſe ſont pleu à lire la
vie du grand Alexandre , quelques autres à ſe faire expliquer Ariſtote. Vn Prince
ignorant eſt vn Pilote ſans bouffole & ſans carte . Alphonſe Roy d'Arragon appelloit
tels Princes d'un nom , que ie taisicy pour la reuerence des Roys. Apresauoir leu , s'il
eftiour de Diuan, ou de Conſeil ,il donne audience au grand Vizir , quiluy vient rap
porter ce qui s'y eſt fait , reçoit la veneration des autres officiers. Delà il deſcend à les
Jardins , ou lieux de ſes promenades, contente ſes yeux par l'aſpect des belles fontaines,
& agreables allées , & repaiſt ſes oreilles des rencontres & plaiſanteries des bouffons &
nains qui le ſuiuent. Au recouril s'occupeencores à la lecture , s'il y prend plaiſir , ou à
quelque autre exercice , iuſques à ce qu'il demande à diſner : on le ſort promptement,
& il n'employe iamais que demie heure à table , de laquelle il ſe loue pour aller dire
l'office , & faire la priere de Midy , ou à la mode il va entretenir la Diuinité. Mais que
l'inconſtance humaine eſt changeante de ce pieux exercice il paſſe aux careſſes de l'hu
manité , il ſe va entretenir auec les Dames durant quelques heures, & iuſques à ce que
l'office'
, & oraiſon du ſoir le force de les quitter pour la faire : quand il l'a paracheuće,
il fait vne autre promenade , reprend le chemin de ſes Iardins , & ſuiuy encores de
bouffons, & de nains , s'entretient de leurs ſottiſes. Vn dernier office le rappelle en la
chambre, c'eſt celuy-là meſme que les Turcs diſent apres que le iour eſt couché, &
dans l'obſcurité de la nui& , il s'y employe iuſques à l'heure du ſouper. Ce ſont en ge
neral les occupations qui le detiennent : diſons lesmaintenant en particulier.

1
18 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

De la Table du Grand Seigneur , de fes viandes, egia de fon dormir.

C H A PIT & E VI .

E Grand Seigneur mange trois ou quatre fois le iour en Eſté, mais


moins en Hyuer :il eſt allis les jambes en croixà la Turque , le plus
ſouuent la table eſt balíc , faité d'argent maſſif, auec vn petit bord
autour, haut de deux doigts, comme les tables où les Banquiers, &
les Financiers comptent de l'argent en France. Il en a vne autre de
pur or, enrichie de diuerſes pierres precieuſes, ſur laquelle il mange
troisou quatre fois l'année :vne grandeſeruierte luy couure les genoux , vne autre eſt
ſur ſon bras gauche , à coſtéil a pluſieurs pains faits de trois fortes, delicats au poſlible,
dont le grain ſe recucille à Burſe en la Natolie, & fe reſerue pour ſa bouche:on le peſtric
auec du laietde cheyre , dont on en nourrit pour cér effec vn grand troupcau dans le
bois du Serrail : Sa cuiſine trauaille deuant iour , car ſe leuant luy-meſme ordinaire .
ment à l'Aurore, on tient touſiours des viandes preſtes, s'il en demandoit : l'eſſay ſe fait
à la cuiſine en preſence du Capiaga, ou Maiſtre d'Hoſtel , & on ſert dans des plats d'or
tous troubles , & couverts : les Agalaris ou familiers les yont prendre des mains du
Capiaga de dehors , caril y en a vn autre demelme office du departement de dedans,
quine va point à la cuiſine, il les porte à celuy qui ſert ſur cable, quieſtà genoux : ils
en ſeruent trente ,dans leſquels ya trente ſortes de viandes, la table eſtmontée ſur viz,
qui ſe tourne au gré du Prince :
car perſonne ne luy tranche, & luy -meſme ne felere
point de coureau , ſon pain tendre & delicat n'en ſouffre point : il le rompt auec les
doigts ſans beaucoup de peine, ainſi fait- il des viandesappreſtéesauec pareille delica
tefle :on ne luy ſert point de fel, & ce qu'il mange n'eſt point aſſaiſonné d'eſpices , les
Medecins le deffendent à la cuiſine. Les viandes plusdelicieuſes pour la bouche Roya

le ſont les pigeonneaux roſtis, deſquels on en ſere vne douzaine dans un capfa ,c'eſt à
dire vn plat, lespoulets , la chair d'agneau & de mouton roſty & boüilly , forit apresles
pigeondeaux , ce qu'il aymele plus: ilfait ligne ( car à cette cable perſonne n'y parle )
qu'on porte ce qu'il deſire de cesmecs aux Sulcanes qu'il cherit le plus: quelquesfois
ſes muets & les bouffons en ont leur part. Ses Agalaris ou familiers ſont grandement
gratifiez: quand il leur jecte quelqu'vn de ſes pains, ils le baiſent & en donnent aux
autres ,pour ceſmoignage d'une linguliere faueur. Or dans le ſilence , qui s'obſerue

eſtroitement à ſa cable, cantpar luy-meſme, quc de ceux qui y aſſiſtent: il ya vn ordi


naire entretien à la muerte par lignes,& par grimaces:les muets & les boufföns inſtruits
à cela , y exercent les gentilleſſes de leurs eſprits. Il boit ordinairement vne liqueur

faite de pluſieurs forces de fruiệts ,mellée avec du jus de citron & du ſucre : ill’aualle
auec vnecuciller de bois, quoy qu'on luy ſerue de petits vaſes de porcelaine, & des au
tres denoix d'Inde, enchaſées ſur vn pied d'or enrichy de pierreries: On ne luy ſerc
point d'entrées de cable, fon deſſere eft vne cource , & s'il mange du frui & c'eft à ſescol
lacions , comme auſſi du fromage de Milan , dont on fait grand cas en Turquie.
Autemps de Ramedan , qui eſt le Careſme des Turcs , on nc le ſert point en vaiſſelle
d'or, mais bien dans de la porcelaine jaune , tres - precieuſe & cres- difficile à recouurer:
Ilicuſne depuis que le Soleil donne le jour au monde iuſques à la nuict cloſe, qui eſt
l'heure permiſe pour rompre leicuſne, & mangercelles viandesqu'il luy plaiſt: le poifa
fon n'entre que fort rarementau Serrail , lors que le deſir des Sultanes , ou l'appecit des

Agalaris en faitvenir de la mer .


Le liet du Grand Seigneur n'eſt point dreſſé pendant le iour dans la Chambre où il
couche , on le fait ſeulementquand l'heure du coucher arriue , celuy dont nous auons
parlécy -deuant eſt un liet de parade.Les valets de Chambre eſtendent à cerre vne cou
verture de nate, fur icelle vn fin tapis de Turquie, & ſur le tapis vn macelats, quiſuppor
te vn liet de plume,lesdraps de fine toile , & lesbeaux tapis,fontle reſte de la couuercure:
en Hyuer de grandes couuertures de loup - ceruier , ou demartres zebelines deffendent
le Prince du froid. Apres que le liet eſt ainſi dreſſé, on tend ſur iceluy pluſieurs petites
cordes de ſoye , ſur leſquelles des draps de toiles d'or , ou de riches tapis ſont eſtendus
pour faite le ciel & les pantesicette couchcparachcućc, les meſmes valets de Chambre
vonc
du Grand Seigneur . Liure I. 19

vont prendre l'Empereur, & le menent coucher auce vn pecit culban en teſte , qui luy
fere de bonnet : pendant qu'il repoſe les meſmos veillent, & legardent : l'on ſe tient à la
porte de la Chambre, l'autre à la ruelle du lią , pourreleuer
ſa couuercure ,& le recouurir
s'il en eſt beſoin : deux autres hommes ſont au pied du liechacun vn grand Aambeau
à lamain , qu'ils conſeruent allumé , & nel'eſteignent iamais, que le Grand Seigneur
ne ſoit leué :leur garde dure trois heures enticres, apres leſquelles leurs compagnons
les viennentreleuer. Ainſi repoſe celuy qui trouble coute l'Europe , donne des inquie
cudes à l'Aſie ,& cravaille ſans ceſſe l'Afrique, & les riuages de la mer Mediterranée,
qui l'arrouſent de leurs flots.

De la grauité du Grand Seigneur, & des diſcours à la muette qui ſe font


dans le Serrail.

CHAPITRE VII.

Elvy des Princes luifs , qui choiſic pluſtoft le fleau de la peſte


que la rigueur de la guerre , auoit raiſon de dire qu'ilaymoit micux
comber entre les mains de Dieu , qu'en celles des hommes :car l'vn
eft la ſource feconde & inépuiſable de toute miſericorde, les au
tres ſont impitoyables , quoy qu'ils ayent eſté creez à ſon image . Il
eſt permis , voire commandé de parler à Dieu , & luy demander les
choſes neceſſaires : & dans le monde c'eſt crime d'ofer parler aux
hommes. Le tableau veritable de cette humaine ſuperbe, peut eſtre tiré du Serrail , au
iourd'huy le liege principal de l'arrogance des Princes. Car là il n'eſt pas ſeulement
defendu de parler au Grand Seigneur , mais dauantage, celuy qui oſe leuer les yeux
pour regarder ſa face , eſt coupable d'un grand forfait : de ſorte que tous les Baſſas de fa
Cour , excepté le Vizir , le Mufry , & le Medecin , allans vers luy pour le reuerer , ou
pluſtoſt adorer,ont les mains iointes, & les yeux baiſſez ; & encerce poſture , s'inclinans
profondément à terre,le ſalüentſansle voir , quoy qu'il ſoit deuant eux . Quand il va par
la Ville,ceux qui luy preſentent des requeſtes, pour auoir iuſtice de luy , ne la pouuans
obtenir de les Officiers, les élcuent au bout d'vn roſeau, & ont eux -meſmes la face
contre terre , ſurlaquelle ils ſont eſtendus par humilité. Les autres hommes qui ſont de
ſa famille ne luy parlent que par ſignes , & le langage taciturne ſe pratique & s'entend
aufli promptement & facilement dans le Serrail , que parmynousle parler diſtinæ , & la
voix articulée .Ce qui fait qu'ils ont à leur ſeruice autant de muets qu'ils en peutent
trouuer ; leſquels ayans accouſtumé lesautres à faire leurs ſignes & grimaces, leur fonc
apprendre leur langage . Le Sultan en fait de meſme. La grauité de la perſonne, & de
plus le Couſtumier de l’Empire , luy defend de parler aux fiens : Les Sultanes ſes fem
mes le pratiquent auſſi,elles ontpour cér effet pluſieurs eſclaues muettes dans leur Ser
rail. Sultan Muſtapha oncle d'Oſman, qui regnoit ces mois paſſez , tenant ſur la fin de
l'année milſix cens dix -ſepe, le Sceptre de l'Empire Turc , pour ne ſe pouuoir accou

ſtumer à cette grauité muerte, donna ſujet aux Turcs du Conſeil d'Eſtat de ſe plaindre
deluy , & de dire que parler librement aux ſièns, comme faiſoit Muſtapha , eſtoit plus
propre d'vn laniſfaire, ou d'vn Marchand Turc, que de leur Empereur : ils le mépri
ferent , & iugerent ſa franchiſe & familiarité indignes de l'Empire. Pour bien faire le
Sultan il ne faut point parler , mais par vne extraordinaire grauicé faire trembler les
hommes d'un clin d'æil : car la ſourcilleuſe arrogance des Princes Turcs eſt montée à
relle inſolence , que de viure parmyles liens comme quelque grande Diuinité, adorée
par les muettes admiracions de ces eſclaucs. L'Empereur des Abyffins que le vulgaire
appelle Prete - Jean , eſt auſſi blaſmé d'orgueil , quoy que different du * Turc : il parle, * En la deſcrid
mais il ne ſouffre pas qu'on le voye , diſant: qu'eſtant l'image de Dieu en la Souuerai- ptió d'Ethio
necé de ſon Empire , il le doit imicer en ſes reſponſes, auſquelles Dieu parle ſans eſtre Franceſco Al
veu . Auſſi quand le Maiſtre des Ceremonies luy amene des Ambaſſadeurs eſtrangers, mée uarez, impri.,
à Anuers
c'eſt ordinairement de nuict : ſes Salles , & la Chambreſont eſclairées d'vn grand nom par Plancin ,
bre de corches , & luy -meſme eſt caché dans ſon Maſtabe, ou ſon liet Royal, deuant le- l'an 1558.
quel ſont tirées cinq courtines , dont celle du milieu eſt de drap d'or, les autres ſono
de foye. Le Maiſtre des Ceremonies dic aſſez haut, Hunca hiale huchia abeton : c'eſt
cij
Hiſtoire du Serrail, & de la Cour

à dire , Let'amene ceux que tu m'as commandé,il le repere fouuent, iuſques à ce qu'vne
voix du dedans luy dir ,Cafacinelet, qui fignific , Entrezdedans. A cetce voix tous ceux
quil'entendent s'inclinent,& font vne profonde rcuerence : Apres ils s’auancent peu
à peu , faiſans des pauſes de lixen ſixpas, rediſent les meſmes paroles, & eſtans arriuez
proches des courtines entendent la meſme voix, Cafacinelet : ils s'auancene un peu plus
outre, pour oùyr laparole du Prete - Iean, qui parle fans eſtreveu , & leur reſpond aux

* André Cor. demandes qu'ils font. Quelques petits Roitelets des Indes ſe tiennent encores ſi ca
Tal Florentin chez , qu'ils ne parlent iamaisà vn ſeul homme : & celuy - là reçoit la demande qu'on
le raconte à veut faire au Roy par la bouche de cinquante qui ſe la diſentl'vn à l'autre , iuſques à ce
dicis , en la qu'elle arriue à luy. La grauité du Prince doit pluſtoſt eſtre en ſes mæurs qu'en ſon ſi
lettre qu'il lence, & ſa ſageſſe le doit rendre plus venerable que couces ſes fantaſques façons de
Cochin vilic parler , & de commander : Si le Princo veut imiter Dieu , comme il en eſtla viuante

des Indes. image, qu'il fçache que trois choſes reluifentenla Majeſté Diuine , la puiſſance, la fa
gelle, & la bonté: Auſli qu'ils adjouſtent à leur fouuerain pouvoir de commander les
cffets de la ſageſſe , & ceux d'vne Royale bonté . Ce ſera par eux qu'ils regneront ſeure
ment dans leurs Eſtats , & y ſeront plus cheris, & plus recommandables , que par les
vains geſtes & lignes de leur enfléc grauité.

De la façon que le Grand Seigneur reçoit les Ambaſſadeurs des Princes eſtrangers,
ego la forme de fon ferment en une alliance.

CHAPITRE VIII .

Evxfortes d'Ambaſſadeurs artiuent à la Porte,ou à la Cour du Turc,

ceux des Rois, & ceux desmoindres Princes:ceux -là qui ont ſans con
tredit la preſcance ſur les autres , la doiucntauoir dans cette Hiſtoire,
Nous parlerons auſſi de leur reception ,& prendrons l'exemple de
celle de l'Ambaſſadeur de France . Quand il eſt arriué à Pera , il paſſe

peu de iours apres à Conſtantinople ,void le Mufcy, viſite le grand


Vizir ,faluë le Boltangibaſſi,ou grand fardinier, va faire des complimens au Tefterdar,
qui eſt le grand Threſorier, & rend encores quelques preuues d'honneur & de cour
toiſie aux autres Grands de la Porte, pour ſe les rendre fauorablesaux occaſions qui le
pourroient ſeruir . Apres cela on l'aduertit du iour qu'il ſera receu au Baiſe-main , c'eſt
ordinairement vn iour de Diuan , auquel le Sultan donne audience à ſes principaux
Officiers:legrand Vizir conuoque ce Diuan ou aſſeinblée du Conſeil, mande cous les
Chaoux ,les Muraferaga quiſontceux des Cheuaux- legers, les Spahis qui ſont encores
de la Caualerie , les Ianiſſaires qui fontgens de pied ,cousleſquelsauec leurs Chefs onc
commandement des’armer,& veſtir le plusſuperbement qu'ils pourront , afin de faire
voir à l'Ambaſſadeur auec la leſtiſe de leurs armes , la ponipe de cette gråde Porce . Ils ſe
rendent au Serrail , & fe ranger dans la ſecondecour, dont nous auons parlé cy -deuant,
ùo tous enſemble compoſent le corps d'une ſuperbemilice .L'Ambaſadeur auerty de
l'heure allignée part de ſon logis de Pera veſtu par deſſus ſes habits d'vne robe à la Tur
que de drap d'or friſé,fourrée , s'il en eſt la ſaiſon ,de martres zebelines , ſes Gentils-hom
mes & Secretaires ſont veſtus de meſmes robes , mais de moindre cſtoffe,porcas en ceſte
des bõnets de velours noir de la façon de ceuxque portée les Maiſtres des Comptesen
France :vingt ſeruiteurs veſtus de robes d’eſcarlatte,
que les Turcs appelient Ferrages,
& par deſſusdes autres longues robes de ineſmeeſtoffe, la teſte couuerte de bonnets de
taffetas noir : les quatre Dragomans ou Interpretes du Roy , font du nombre ; les Capi
taines, Patrons des Nauires,& autres François l'accompagnent. Ainſi ſuiuy il paſſe le
canal de mer qui ſepare Pera d'auec Conſtantinople , auſſi large deux fois comme la
Seine l'eſt à Paris deuant le Louure : arriué qu'il eſt à l'autre bord , il y trouue pluſieurs

1 beaux cheuaux pour luy & pourles ſiens,queles Turcs amis de la France luy enuoyent
pour le porterà la Ville. A l'entrée d'icelle iltrouue pluſieurs Chaoux & Ianiſfaires qui
l'attendent pour le mener au Serrail ; Deux Chaoux Baſli ſe rengeans à ſes coſtez , le
mettent au inilieu d'eux , les autres Turcs vont deuant : En cér ordre il arrive à la Mai

fon Imperiale , à la porte de laquelle il crouue deux Capigis Ballisqui le reçoiuent , &
l'emmenent au grand Vizir dans la Salle du Diuan , ( ce iour là onydépeſche fort peu
d'affaires )
du Grand Seigneur . Liure I. 21

d'affaires )il s'allied vis à vis du grand Vizir ſur vn banc ſans appuy, ny doſſier, couuert
de drap d'or.Là pour vn peu de temps par l'aide de l'Interprete ou Dragoman, ils s'en
treciennent en diſcours, iuſques à ce que le grand Vizir commande qu'on apporte à
diſner. Le Maiſtre d'Hoſtel du Diuan ſert auſſi - toſt, quelque autre Baffa eſt de la
partie : les mets ſont plus delicats qu'à l'ordinaire ; & en plus grande abondance , pour
leſquels la Chambre aux deniers du Serrail conipte mille eſcus d'or . Vn Dragoman
affiftel: Ambaſſadeur pour l'entretien auec les Baffas. Cependant la ſuite eſt menée à
diſner ſousvne galerie baſſe, où la table eſt dreſſée & couuerteen cette forte :Vn grand
tapis de cuir eſteſtendu à terre , quelques plats aſſez clair -lemez la couurent mal : les
mets ſont de la panade au ſuccre, & quelques potages aux poulets, deux hommes por
tans en cícharpe chacun vn inſtrument decuir boüilly ſemblable à vne cornemeuſe ;
où il y a du Cerbet,( c'eſt yn breuuage fait de jus de citron , d'eau , & de ſuccre ) y ver
ſent à boire à chacun par tour dans vnc taſſe de cuiure eftamé, & marchent entre les
plats pour ſeruir plus commodément. L'Ambaffadeur& ſes gens ayans ainſi diſné, ſe

retirent en cercain licu proche la porte du departement du Sultan , où ils attendent que
les Officiers du Diuan ayenteu audience de leur Maiſtre , apres laquelle ils ſe retirend
tous, excepté les Baſſas qui demeurentaupres de laperſonne: Alors le Maiſtre des Ce
remonics va querirl'Ambaſſadeur, & le conduirau logement de l'Empereur, àla porte
duquel le Capiaga ,aſliftéde pluſieurs Eunuques , le reçoit, & le conduit iuſques à la
Chambre Imperiale , dont les mursen dedans ſont reueftus de grandes plaques d'or &
d'argent, enrichies de pierreries & de perles : A l'entrée d'icelle deux Capigis ou por
tiers le menent par deſſous les bras , nonau Baiſe -main , mais au Baiſe -robe de l'Em
pereur . Cette indigne couſtume de mener par les bras les Ambaſſadeurs des Princes -
cſtrangers, eſt néc de la perfidie des Turcs meſmes. Bajazech II. du nom , fils de celuy
qui prit Conſtantinople, allant vniour àMonaſtire,trouua en ſon chemin vn Rcligieux
de la Loy de l'ordre des Deruis:ce Moinede l'Alcoran , à la veuë de l'Empereur ,accourt
vers luy pour accomplir le deteſtable deſſein qu'il auoit conceu en ſon eſprit: l’ayano
abordéluy demande l'aumoſne , en diſant ſon Allahithchi,c'eſt à dire,au nom de Dieu ,
tire de deſſous ſarobbe de feutre vn cimeterre , auec lequel ileuſt maſſacré Bajazeth , li
ſon cheual en ſe cabrant n'euſt receu le plus violent coup :il y fut bleſſé neantmoins,
& ce malheureux parricide auoit deſia rehauſſé le bras pour redoubler le coup file Baſſa
Schender ne l’eult promptement affommé d'un coup de Boſdagun , ou maſſe de fer.
Du depuis il fut ordonné que quiconque viendroit vers le Grand Seigneur pour le
falüer , ſeroit mené par deſſous les bras par des Capigis : & cette couſtume a eſté ſoi
gneuſement obſeruée. On ne litpoint qu'il ſe ſoit trouué homme eſtranger qui n'en
air ſouffert la rigueur , excepté vn Ambaſſadeur de France, nomméle ſieur de Noüail
Jes Eucſque d'Acx , lequel fuc enuoyé vers Selim ſecond par Charles neufiéme Roy de
France , pourmoyenner quelqueaccommodement aux affaires des Venitiens : comme
il futarriué à la porte de la Chambre du Grand Seigneur ,& que les Capigis l’eurent ſaiſi
par deſſous les bras , il les eſcarca à coups de coudes, & dic tout haut que la liberté d'un
François , & la dignité d'vn Eueſque , ne pouuoient ſouffrir qu'il fuſt mené comme yn
eſclaue : & de fait laiſſant l'eſtonnement dans l'eſprit du Sulcan ,& de ceux qui eſtoient

dans la Chambre , alla libre au Baiſe -main , & ne ſe vouluc iamais jetter à ſes picds ,
comme font les autres , ains s'inclina vn peu pour baiſer la robe .
Apres quel’Ambaſſadeur a baiſé la robe du Sultan qui eſt aſſis ſur des carreaux de
toile d'or friſée , il ſe recire à reculons tournant touſiours en s'en allant la face vers le
Prince , & ſe va meccre contre le mur de la Chambre pour faire place aux Gentils
hommes dela ſuite qui vont auſſi au Baiſe-robe, & preſentcenſuite la lettre que le Roy
cnuoye eſcrito en langue Turque. Le Grand Seigneur ne reſpond rien pour l'ordinai
re , fon grand Vizir dit ſeulement quelque parole pour congedier l'Ambaſſadeur qui

fort de la Chambre apres auoir fait la reuerence en baiſſant la teſte ſans ſe deſcouurir.
Mais il faut remarquer que perſonne n'arriue à ce Baiſe -robe , qu'il ne ſoit veſtu de
robbes à la Turque données par le Sultan , qui eſt vn preſenc de Souuerain à ſujet, ou à
eſclaue: Pour cette cauſe le grand Vizir n'oublie poinc d'enuoyer chez l'Ambaſſadeur
les robbes qui font porcées par l'ordonnance du Couſtumier de l'Empire , à ſçauoir
deux riches pour la perſonne de l'Ambaſſadeur, & vne pour chacun de la fuite. Oucre
cela chaque Ambaſſadeur doit faire vn preſent au Grand Seigneur , lequel le void
paſſer deuant ſoy , au trauers vnc feneſtre treilliſſée, où il eſt porté par des Capigis : i!
c iij

22 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

s'amuſe à le voir , tandis que l'Ambaſſadeur & ſes Gentils. hommes luy font la reuerena
ce , ce qui fait qu'ils ne le voyent qu'en porfil . A ce propos vne action genereuſe du
meſme lieur de Nouailles Ambaſſadeur de Charles neufiéme, doit eſtre icy rapportée.
Mahomet grand Vizir de Selim ſecond le preſſoit imporcunément de n'oublier point
vn magnifique preſentàlon Sultan , & luy faire dire ques'il n'en auoit pour l'heure, il
luy en fourniroit. Cét Ambaſſadeur fuc à deffein au Baiſe-robe , ſans en preſenter. Ce
Balla luy en fait des reproches, & impute à mépris de n'en auoir point donné. Le ſieur
de Noüailles luy reſpond Quele Roy ſon Maiſtre,quieſtoic le premier & le plus grand
Monarque de la Chreſtienté , ayant ſceu que Selim le demandoit comme par cribur,
luy auoit defendu d'en preſenter. Ainſi il n'en donna point , ſeruit vtilement & hono
rablement ſon Maiſtre, laiſſa parmy les Turcs vne grande admiration de ſa genereuſe
dexterité , & rapporta en France la gloire que mericent les Ambaſſadeurs ,que la ver
tu , & non la faueur, faic élire pour celles charges.
Les autres Ambaſſadeurs de qualité inferieure à la Royauté reçoiuent bien les ro
bes de la part du Grand Seigneur pour l'aller ſalüer : mais ils n'encrent point au Serrail
auec tant de pompe , ne ſont pas traitez en feſtin , & n'ont pas cant de priuauté auec le
grand Vizir : il y en a meſmed'entr'eux qui ne ſont pas aſſis en preſence du Baſſa. Ainſi
les Turcs ſçauent meſurer l'honneur qu'ils fontà tels hommes à la qualité des Princes
qui les enuoyent , deſquels les Ambaſſadeurs repreſentent les perſonnes , onc leurs
mains longues , & leurs yeux portatifs qui voyent dans les Royaumes plus éloignez
de leurs Eſtats.
Or la forme dont les Monarques Turcs ſe feruent pour jurer l'alliance auec quelque
Prince eſtranger, n'eſt pas moins ſpecieuſe qu'elle eſt frauduleuſe: car le plus ſouuenc
ils ne tiennent rien de ce qu'ils promettent, & leurs ſermens ſont auſſi peu veritables,
queceux des amoureux , auſſi muguettent- ils tous les Eſtatsde l'Europe.LorsqueMa
rin Cabalus perſonnage doublement illuſtre , par la ſplendeur de ſa naiſſance , & celle
de ſon ſçauoir, fur à Conſtantinople Ambaſſadeur des Venitiens pour renouueller

l'alliance auec le Turc , Selim jura en cette forte : le jure & promets par le grand Dieu
qui a creé le ciel & la terre , par les ames des Septante Prophetes, par la mienne,par celle
de mes Anceſtres, degarder à la Seigneurie de Veniſe touspointts & droiets d'alliance do
1
& de les tenir pour ſacrez du inuiolables,
d'amitié conferuez iuſques à preſent, comme ils
font declarez par mon ſeing. Mais il le fauſſa coſt apres : car lean Mique Iuif Eſpagnol
chaſſé d'Eſpagne par le Roy Ferdinand , comme dangereux eſpion de l'Europe , qui
en auoit couru toutesles Prouinces , luy ayant rapporté que l’Arſenal de Veniſe auoic
eſté bruſlé , & que la diſecce des viures eſtoit dans l'Eſtat de la Seigneurie , luy perſuada
la guerre de Cypre qu'il diſoit luy appartenir comme Sulcan d'Egypte, & i Roy de la
Paleſtine, d'où Cypre auſſi bien que Rhodes dépendoit , comme hommageable : Selim

la fic ſans aucre ſujet , & s'en rendit maiſtre peu de temps apres , oftantce Royaumeaux
Veniciens qui l'auoient long- temps gardé : ainfieſtre Turc , & garder la foy,ſont in
compatibles .

De quelques ouurages manuels de l'Empereur des Turcs , ew de la religieuſe couſtume


qu'il obferue de viure du trauail deſes mains.

CHAPITRE IX.

Store 'AVTHEVR de l'Alcoran a paréles defformirez dela Loy,& cou


uert les fauſſetez d'icelle de quelque luſtre de verité pour les faire
mieux paſſer parmyſes Se&tateurs:Dans les diuerſes regles qu'il leur
a preſcrit , il leur ordonne de trauailler , & les aſſeure queceluy-là
n'eſt pas digne de viure qui ne crauaille de ſes mains . Le peuple ne
B. l'obſerue pas ſeulement, mais le reſpect de ce precepte eſt monté

iuſques au Thrône Imperial desTurcs, les Sultans l'embraſſent, & de vingi Empe
reurs qui ont iuſques auiourd'huy porté le Scepere Orthoman , à peine s'en croque- c'il
yn qui n'ait crauaillé pour ſa vie. Mahomet ſecond cultiuoit ſes iardins , & dureuenu
des fruicts qu'on vendoic , faiſoit achepter des viures pour ſa bouche . Mais comme les

adions de tels hommes , pourGireligieuſes qu'elles ſoient, n'ont point la vraye charité
pour
du Grand Seigneur. Liure I. 23

pourguide , auſſi elles gauchiſſent facilement au vice. Ce Prince adjouſtoit à ſes tra
uaux manuels vne ſi horrible cruauté, qu'il eſtoit à ſouhaitrer que ſes mains fuſſentoy
feuſes. Nous auons eſcrit en l'Hiſtoire de ſon Empire , que vifitant vniourſuiuy de ſes
Pages, les carreaux de ſon iardin , qu'il cultiuoit luy-meſme,vn de ces ieunes garçons
voyant des concombres haſtifs en cueillit vn ,& lemangea . Mahomet repaſſant par là
le trouua manque , foncourroux allume fa cruaucé, il void au pied du concombre quc
le fruiéten a eſté fraiſchementcucilly, il ſçait qu'il n'eſt accompagnéque de ſes Pages,
par ainſi que c'eſt quelqu'un d'eux qui a fait lecoup , il le veut( çauoir à quel prix que
cceſoit: il appelle les Boſtangis, ( ce ſontIardiniers) arme leurs mains de couteaux tren
chans , commande qu'on ouure l'eſtomach aux Pages : on les prend vn à vn , & on en

ouure iuſques à quatorze, qu'ils trouuerent le concombre , non encore digcré dans
l'eſtomach du quatorziéme: celle eſtoit la rigueur de ce Prince , que de faire eſgorger
pour vnc legere fripponnerie quatorze beaux ieunes garçons, la feur , & l'eſlite de la
ieuneſſe de ſon Serrail. Solyman ſecond, celuy qui prit Rhodes; s'occupoit en fa ſoli
cude à faire des ſouliers , les enuoyoit vendre au Bazar , ou marché, & de l'argent en
faiſoit achepter des viures pour ſa table . Selim ſecond, qui perdit la bataille de Lepan
thc, faiſoit des petits croiſſans de Lune , que les Pelerins Türes portent ſur leurs bour
dons , quand ils font le voyage dela Meque . Amurath ſon fils faiſoit des feſches , les
autres font des petits couteaux, & le tout ſevend bien plus qu'il ne vaut,pour ſi groſſier

qu'en ſoit l'ouurage : Celuy- là s'eſtime bien-heureux qui en peuc recouurer pour de
l'argent. Ilsfondent cette couſtumede crauailler pour viure , non ſeulement ſur les re
gles de leur Alcoran , mais encores ſur ce paſſage du Geneſe, les Precepteurs le leur *infudorevul.

font apprendre par cæur , En la fueur * de ton viſage tu manger as ton pain , iuſques à ce tustui peſterie
que tu retournesen terre , de laquelle tu as efté formé.C'eſt en temps de paix ſeulement , pare ,donec re
caren temps de guerre ,le Prince doit viureaux deſpens du peuple, pour la deffenſe ou rame de que
accroiſſement duquel il porte les armes . Mais qu'en autre temps vn Sultan fit ſeruir à fumping, so
fes delices l'argent qu'il leue ſur le peuple , leurLoy, & le Couftumier de l'Empire l'im - ec in pribuereira
pateroient à crime : Ils appellent la taille, & le ſublide, Aaram agemini cani, c'eſt à dire, reuerteris.
.
le prohibé fang di peuple : & parce que le trauail de leurs mains ne pourroit fournit les Gen.c.3.v.29!
frais qu'il faut à leur bouche , pour tenir table digne de leur qualité, ils y adjouſterend
le reuenu de leurs Iardins , qui eſt grand à la vérité, & quaſi incroyable. I'ay appris des
Turcs melines, qu'il apporte plus de deux censmille cicus de rence : quelques autres
m'ont dit vn million de liures. Outre ceux qui ſont dans le Serrail, il y en a au long de
lamarine, & vers l'Arſenal, de grands qui Tont de bon rapport. A quatre lieues de
Conſtantinople , encore plus loin à la Ville d'Andrinople , & vers l'autre bord de l'Alie
au lieu de Scutari, où eſtoit jadis la Ville de Chalcedoine, il y a les plus beaux iardina
ges qui ſoient en Orient: les fruiēts qui s'y recueillent abondamment ſono vendus à
Conſtantinople , & ailleurs en ſi grande quantité , qu'ils fourniſſent tout le Pays , le
Boſtangiballi; ou grand lardinier, qui eſt officier de la Couronne, a lc ſoin de cere
venu , le fait porter au Serrail , & les Sultansle tiennent pour leur vray patrimoine , &
domaine , duquel ils peuuent ſe nourrir fans fouler perſonne.
A ces travaux manuels des Empereurs Turcs , il faut adjouſter leur religieuſe cou
Itume de travailler à la terre , quand ils viennent de leurs Gouuernemens à Conſtanti
nople prendre poſſeſſion de l'Empire,ils ſont obligez de tenir le manche de la charruë ;
labourer la terre, & faire quelques ſillons.Amurath troiſiéme, ayeul d'Achmat dernier
mort , l'obſerua apres le deceds de Selim ſon pere , lors que venant de Magneſie , où il
eſtoitGouuerneur, il alloit prendre poſſeſſion de ſon Sceptre, il rencontra vn labou
reuremmy les champs , mit pied à cerre , conduiſit la charruë , & fic crois ou quatre fil
lons : Apres leſquels ilcira de la pochetce vne poignée de pieces d'or , & les donna par
charité à ce payſan : de plus il déueſtic ſa robe quieſtoit d'vnriche drap d’or, fourrée
de martres zebelines, & la luy donna . Auſſi la Loy qui leurfait obſeruer cette ceremo
nic elt couchée dans les gloſes de l'Alcoran , en ces termes: Que l'Empereur venant à
l'Empire , & s'acheminant à la Ville Imperiale , pour en prendre poffeßion , doitlabourer la
terre ,pour bannir la fterilité de ſon pays , & yfaire venir l'abondance. Ellen'y eſt pas
dauantage pour cela , car le Prince occupant la plus grande partie de ſes ſujets aux ara
mes , & à la guerre ,pluſieurs bonnes terres demeurent en friche, faute d'hommes qui
les cultiuent. Maisaivlis'occupent les Sulcans Turcs , ſans neantmoins fuir l’oyſiuecé,
danslaquelleils croupiſſent ſouucnt :Nous en verronsquelquechoſe dans lc Chapitre
qui ſuit
24 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

Des Amours du Grand Seigneur.

CHAPITRE X.

ARMY toutesles paſſionsqui dominent les affe&tions des Princes ,


l'amour, comme la plus puiſſante compte luy ſeul, plus de triomphe
ſur les Grands , que toutesles autres enſemble ,carelles n'obtiennent
des victoires que pouraccroiſtre la gloire de celuy - là : l'auarice accu
mule pour fournir à les frais , l'ambition empiece pour l'agrandir.
Ainſi void -orrles plus puiſſanshommes ,apresauoir dompté lesau
tres paſſions, eſtre vaincus parcelles-cy.Alexandre porte dans la Per
ſe l'honneur de tant de victoires aux pieds de la captiue Roxane . Ceſar ſouſmer dans
Alexandrie le luſtre de tous ſes triomphes aux beautez de l'Infante Cleopatre, qui
1 apres fuc l'amie d'Antoine . Et les Monarques Turcs font ſeruir aux attraits de leurs
Sulcanes , l'éclat & le luſtre de cette ſouueraine puiſſance , qui les rend Maiſtres des
meilleures parties du Monde . Mais les voyes par leſquelles ces ſingulieres beautez
entrent dans leur Serrail , & les liens dont l'amour captiue leurs volontez , ſe font en
cette forte.

Apres que les droits de la naiſſance ont conduit yn Prince Turc dans le Thrône Im
perial deles Anceſtres, les femmes que ſon deuancier idolatroit dans le Serrail , en ſono
miſes hors , & conduites en vn lieu appellé en leur langue Eſchy ſaray , c'eſt à dire, le
!
vieux Serrail , comme qui diroit , le vieux Hoſtel: car ſaray en langue Perſienne veuc
dire Hoſtel : elles y ſoncenfermées, iuſques à ce qu'on les marie à quelquc Grand de la
Porce . Cependant des autres doiuent remplir leur place , pour eſtre les nouucaux ſujets
des amours du nouuel Empereur. Alors les Baſſas quiſont àla Porte , & les autres qui
repreſentent dans les Prouinccs éloignées la fouucraineté de leur Maiſtre , employenc
tous leurs ſoins pour trouuer des filles qui ſoient dans le Leuant , ou ailleurs , lesmer
ucilles de la beauté, & les douces perfeâions de leur ſexe, ſoit que la grandeur de leurs
threſors force la neceſſité des miſerables Mercs à les liurer pour de l'argent, ou ſoit que

le fore de la guerre les rangeant,parmyle butin d'vne Ville priſe,les rende captiuesen
tre leurs mains, ils les font inſtruire à la Turque aux gentilleſſes de leur ſexe, ſi elles ne lo
ſont deſia ,leur fontapprendrcà chanter , jouer du luch, & de la guiterre, & à danſer ; &
ayans ſoigneuſement
fait garder leur virginité, les amenent au Sultan, & luy en foncvn
preſent . La mere meſme du Prince, & ſes ſæurs mariées , s'il en a , trauaillent à ce meſme
deſſein , & luy fone de ſemblables preſens: car la Loy de la Polygamie , ou pluralité des
femmes, permiſe par l'Alcoran , & receuë en Turquic , donne la libercé d'en tenir cane
qu'on en veut , pourueu qu'on les puiſſe nourrir . Le Sultan recompenſe le ſoin de ceux
quiluy font de tels dons de quelque riche preſent, pour achepter (dit- il) ces filles qu'on
luyamene, & qu'elles ſoient ſes eſclaues :mais il le ſera bien -coſt de leurs beautez. Le

Setrail des femmesainſigarny , ily paſſe quantilveut , fans eſtre veu de perſonne , par
vne porte qui reſpond à la Chambre, delaquelle il a vne clef, & le Chiſlar Aga , ou
grand Eunuque des Sulcanes en a vne autre: il aduertit la Cheyachadun , qui eſt vne
Damc aagée leur Gouuernantc , de les faire ranger au long d'vne gallerie , dans la
quelle il paſſe , & repaſſe pluſieurs fois en contemplant leurs attraits, ou bien les fait
danſer en branle , fe tenans l'vne l'autre par la main dans vne belle ſalle :ily aſſiſte & ſe
place au milieu, commc feroit vn papillon au milieu de pluſieurs feux brillans : il s'y
perd auſli, car ſentant ſoudain ſon elprit embrazé par les yeux de celle quiluy agrée
le plus , il luy jerce ſon mouchoir pour marque qu'il en eſt vaincu :elle le reçoit auec
vne grande demonſtration d'humilité ,le baiſe, & le met ſur ſa teſte. Incontinent la
Cheyachadun , ou Dame d'honneur , prend cette belle eſclaue , qui vient de criom
pher de la liberté de ſon Maiſtre, la mene dans vne Chambre deſtinée au jeu d'amour,la
pare des plus beaux ornemens dont elle ſe peut aduiſer, la parfume, & adjouſte à ſes
naturelles beautez les gentilleſſes de ſes artifices : c'eſt pendant que le Soleil luic , car
imicant ſon cours auſſi bien que ſon luſtre, cette belle ſe couche auſſi-coſt que cet Aſtre:
La Chadun la conduit dans la meſme Chambre , où le Sultan eſt couché , la couche
dansle meline liet , où elle la fait entrer par los pieds pour plus grande reuerence , &
duranc
1
du Grand Seigneur . Liure I. 25

durant la nui & pluſieurs vieilles Mores le veillent , & font ſentinelle , l'vne aux pieds
du li& , l'autre au milieu de la chambre , & vne troiſiéme à la porte : elles ſont releuces
de trois en trois heures par les autres de meſme ceint , iuſques à ce que le iour ſoit ve
nu . Ilyen a vne qui tientaucheuer du liê deux flambeaux allumez , & prend ſoigneu
ſement garde de quel coſté le Prince ſe tourne afin de changer les flambeaux de l'au
tre , de peur que l'éclat de la lumiere n'offenſe fesyeux. l'ay appris d'vn luif ſçauant
Medecin , qui auoit ſeruy le Grand Seigneur, que la Chadun veille aux pieds du liet,
& par fois dit quelque parole pour donner courage à la 'icune fille , luy remonftrane
que cette nuic ſeroit la cauſe de la forcunc , & qu'elle monteroit à la dignité de Prin
ceſſe. C'eſt la couſtume en Turquie , que la nuict des nopces, vne vieille femmeaſiſte
dans la chambre des nouueaux maricz , & employe l'experience du paſſé à exhorter
l'eſpouſée. Le iour venu on apporte des nouveaux habits au Sultan , car ceux qu'il
auoit le iour auparauant auec l'argent qui eſtoit dans ſa bourſe , appartiennent à celle
qui luy a cenu compagnie :il ſe leue , reua à fon departement , & enuoye par des Eu
nuques à ſes nouuelles amours vn preſentde robes de drap d'or , de pierreries, & de
l'argent, dont la grandeur eſt meſurée à celle du plaiſir qu'il en a receu la nuict. Dés
lors on luy prepare vn logement ſeparé des autres , & 'on la cire du dorcoir , dont nous

parlerons au Chapitre ſuiuant:on luydonne quatre eſclaues blanches pour la ſeruir


à la chambre , deux autres pour trauailler à la cuiſine, vn Eunuque noir pour valet,
trois mille ſequins dansvne bourſe , & autant d'habitsqu'il faut pour ſa perſonne , &
pour ſes cſclaues. Outre cela , on la mer ſur l'Eſtat des entretenemens du Serrail , pour
deux charges de monnoye tous les ans. Ainſi les Princes Turcs acheptent la perte de
* EA enim
s
leur liberté de l'argent de leur coff res pou r pro uue r en leur s affe ctio ns les effe ts de amor gratuiti
cette , verité, que l'amour * eftaux Amans vnc agreable playe , vne douce amertume, vinus , fapia
vn venin fauoureux, vnemaladie qui leur plaiſt , yn ſupplice qu'ils embraſſenc , & vne murenenum.
more où its courent . do delectabuiis

Que ſi le vain plaiſir de l'amoura tellement charmé ſesſens, qu'il revoye pour la fe- morius, iucuma
conde fois cette nouuelle Amante, illuy accroiſt les felicitez Le lendemain inatin on blana mors.
augmente ſon train de deux femmes de chambre ,d'vn Eunuque , & de deux cuiſi- Franciſcus Petrarcha
nicrs: on luy apporte encores trois mille ſequins dans vne bourſe, fa penfion eſt accreuë Dialog. 69.
de deux autres charges de monnoye , & l'Empereur luy fait porter le nom de Suicane .
Mais ſi cét amour eſt conſtant iuſques à la troiſiéme fois, le bruit dubon heur de cette
femme vole dans le Serrail des Sultancs, & fait conceuoir aux aucres vn deſir paſſion

né de l'égaler, & elle -meſme en reçoit les aduantages,elle eſt honorée pour la ſeconde
fois de la qualité de Sultane : & ce nom luy eſt alors ſi affeurément acquis , qu'elle ne
le peut perdre qu'auec lavie. L'Empereur fait augmenter la ſuite iuſques à ſeize femmes
pour la chambre ,deux Eunuques de plus , la penſion fait ſeize charges de monnoye .

Les autres du Serrail qui ſontencores filles,ou qui n'ont eu qu'vne ſeule fois la com
pagnie du Prince, employent tous leurs attraits pour luy plaire, & trouuans leurs artifi
ces trop foibles, y adjouſtentlaide des charmes, & ſorcelleries, qu'elles acheptent à
quel prix que ce ſoit. Mais liquelqu'vne de ces femmes accouche la premiere d'vn fils

qui doit fuccederà l’Empire, elle eſtappellée Reyne , le Grand Seigneur l’honore d'v
ne Couronne de pierreries , fait porter à ſon antichambre vn de ſes daiz pour ornement,
luy fait'accroiſtre ſon logement, & lay donne vne famille digne d'vne Reyne , ou Im 1
peratrice Turque : Elica vn aſſez ſuffilant reuenu pour fournir à ſes neceſſitez , & à ſes
liberalitez. Si elle fait vne fille, on luy enuoye vne nourrice , trois mille ſequins, des
eſclaucs pour la feruir : Phonneur en cít moindre , mais la joye qu'elle en conçoit ( sily
a deſia des enfans maſles ) eſt incomparable , car elle eſt aſſeurée que la ieune Princeſſe
ſera nourrie auprés d'elle , qu'elle ſera vn jour mariée à vn grand Vizir, ou à quelque
autre Baſſa des plus puiſſans de l'Empire , qui l'honorera , & comblera les vieux ans de
toute ſorte de contentemens . Au contraire , fielle auoit enfanté vn fils puiſné , il luy
ſeroit oſté dés l'aage de douze ans , ou enuiron , & mis entre lesmainsdes Precepteurs
pour l'inſt ruire, où elle ne le pourroit voirque quatre fois l'an , & enfin ſeroitimmolé
à la ſeureté du Regne de ſon frere aiſné , & bien - coſt eſtranglé par des muets . C'eſt ce
qui leur fait deſirer d'auoir des filles, quand il y a deſia vn fils au monde .
Or toutes ces femmes, quoy qu'elles enfantent les vrays ſucceſſeurs de l'Empire , ne
ſono neantmoins que les concubines de l'Empereur, il n'en eſpouſe aucune , ſinon
qu'il ſoit grandement épris de l'amour de celle , qui luy a la premiere donné vn enfanc
26 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

mafle , alors il ſuit les aueugles mouuemens de la paſſion. Et certes quand l'amour fait
ainſi ſentir à ſon eſprit la rigueur de ſes flammes il y a de la iuſtice qu'vn Tyran tour
mente l'autre , car ſi celuy-là rend eſclaues les eſprits du Leuant, celuy- cy tourmente
les corps dans vne cruelle ſeruitude. Ce Tyran donc le force d’eſpouſer ſa Sultane, luy
fait expedier des lettres de chedin , qui contiennent la declaracion de la liberté , & lar
ſeurance deſon douaire: cn preſence du Mufry,ou grand Pontife de la Loy, il la reçoit
pour ſa femme eſpouſée. Outre la deſpenſe ordinaire de cette nouuelle Imperatrice,
on luy aſſigne plus de quinze cens mille liures , pour fournir à ſes liberalicez, ou pour
faire vn fonds ſuffiſant dans quelques années , debaſtir vne Moſquée , & renter quel
que Hoſpital, ſelon fa deuotion. Ces eſpoulailles, comme nous auons dit , ſe font par
la violence de l'amour, car le Conſeil du Prince reliſte grandement à cela , pour ne don
ner point à leur Maiſtrevne compagnie à l’Empire , & n'auoir pas eux - ineſmes à ref
pondre à deux Chefs. La Loy qui fut eſtablie dans le meſme Conſeil, ordonnant que
les Sulcans n'eſpouſeroient point des femmes, prit naiſſance du -Regne de Bajazeth
premier, lequel ayant eſpouſé vne femme de la Maiſon des Paleologues Empereurs
de Conſtantinople , la vid par le deſaſtre de la guerre capciuc auec foy entre les mains
de Tamerlanes Empereur des Tartares, & traitée auec tant de mépris , qu'vn iour ce
Scytheles faiſant manger cousdeux à ſa table, commanda à cette Princeſſe de ſe leuer,
& aller au buffet prendre ſa coupe pourluy verſer à boire : Dés lors les Turcs aduiferent
que les Empereurs n'ayans que des eſclaues ſeroient moins offenſez , quand elles ſe
Quis legem
de amantibus:roient mépriſées par le vainqueur.Maisl'amour * qui ne prend loy que de ſoy-melme,
Assorlex amor refuſa d'obeirà celle - cy , & cõmanda à Solyman ſecond d’eſpouſer Roxelanel’vne des
cit fibi. Boëto femmes de ſon Serrail , quicftoit les delices de ſes affections: illa fit compagne de ſon
Philoſophiæ Sceptre , & luy donna cantd’authorité dans la maiſon, qu'elle en chaſſa * lesenfans
lib.z.mert.11. d'vne autre femme aiſnez des liens, & arma contre eux la main de leur pere pour les

Ljure depuis perdre : car Solyman ficcſtrangler par quatre muets dans ſa cente , Muſtapha l'aiſné, &
ters.chap.iuf. le plus genereux de ſes enfans, & donna ſujet à Giangir le plus ieune de ſe tuer d'un
Le noſtre Hi- poignard ſur le corps mort de ſon frere. Ce trouble ne fut pas ſeul, Roxelane en excite
ſtoire de d'autres, elle diuiſe Bajazeth , & Selim ſes propres enfans, pour auancer l'vn à la ſuc
l'Empire
Turc. ceſſion de l'Empire , le porte à ſa ruine, & le fait miſerablement finir par le glaiue. So
lyman a eſté le ſeul Prince, depuis Bajazeth I. iuſques auiourd huy , dont ilyaeụ XV.
Empereurs, & XX . en tout , par vne droite ſucceſſion de pere en fils, qui ait eſpouſe
femme. Amurath III . ſon pecit fils charmé des beautez de la Aſachi, ayant appris le
meſnage que Roxelane auoit fait dans le Serrail , par le pouuoir de ſon affranchiſſe
ment, & l'authorité d'eſpouſe du Prince , luy refuſa les lettres de Chebin , quoy qu'il
euſt cu d'elle quatorze enfans, & qu'ill'aimaſt par deſſustoutes ſes femmes
. On dic
pourtant , que Oſman dernier morc auoit eſpouſé la fille du Mufry de Conſtantinople.
Mais l'Hiſtoire de l'extraordinaire mariage du Prince Turc nous a fait abandonner
le recit de ſes amours , auec ſes concubines, reprenons - le maintenant , & le ſuiuons
dans ſes Iardins , où il eſt au milieu des laſciues careſſes: il y a du danger de l'y voir,
mais la crainte d'aucun peril ne nous doit point empeſcher de ſeruir le public . Il fort
ſouuent de ſon departement, pour aller à la promenade auec ſes femmes folaftrer dans
les belles allées de ſes delicieux Iardins : les Eunuques noirs qui ſeruent aux Dames,
ſont les ſeuls hommes qui l'accompagnent , tous les autres s'éloignent de luy aucand
qu'ils peuuent , les Boſtangis ou Iardiniers en ſortent par vne porte qui regarde lama
rine , les autres eſclaues ſe retirent ailleurs loin de la veuë de leurMaiſtre . Car s'il ſe
wouuoit homme dans le Serrail , quel qu'il fuſt , qui euſt taſché par quelque endroit
de voir ces femmes , candis qu'elles ſe promenent auec le Sulcan, il ſeroic misà mort
ſans aucun delay : AinG la contagion des belles eſt dangereuſe, les vns meurent pour
enauoir eſté veus , & les autres pour les auoir vouës . De force que quand on dit que
l'Empereur eſt au Jardin auec ſes femmes, vn chacun fuit aux lieux les plus eſcartez
1
qu'il peut . Or fien ces lieux de plaiſir il peut faire le Prince , & l'Amant enſemble, il
eſt mal-aiſé de le croire , puis que la Majeſté & l’Amour ne ſont pas bien d'accord dans
vnmeſme throſne. Les parcicularitez de ſon entretien nous ſont inconnuës , car la ri
gueur qu'il obſerue contre ceux qui le voudroient voir a defendu d'en reueler le ſe
cret ,
, ſeulement ſçauons-nous, que parmy les molles careſſes , dont les femmes le
didescentde charment,il ſe plaiſt auxridicules rencontres deſes bouffons, & de les nains , &
cc , aulins. * monſtre que l'Amour eſt vn entretien des hommes oylcux.
VA
1
du Grand Seigneur . Liure I. 27

Vn curieux perſonnage qui acu de l'authorité dans le Leuant ,m'a appris qu'en ces
meſmes lieux il arriue quelquesfois de lcgeres riottes d'amour entre le Sulcan & ſes
Dames : illauoit ſceu d'vn Eunuque noir du Serrail des femmes : & le meſme luy di
foic, que ſila jalouſie de ces belles les faiſoit naiſtre, elles eſtoient bien-toft eſteintespar
l'accorciſe de la Chadun , qui eſt leur vieille Gouuernanţe, & par l'humilité de celle qui * Amantium
eftintereſſée en la diſpute . Ainſi les volages querelles des Amans , ſont des vents qui iraamoris re

allument 8c preſſent dauantage leur folle paſſion .Et * les becs des Colomb
es , qui ont Tcr
iniegrario eff.
ent .
clté leurs armes en leurs courroux, ſontapres les doux inſtrume *
ns de leurs amours. Que modo
Ce que nous auons eſcritcy - deuant de l'entretien du Prince Turc auec ſes femmes, pugnarunt sun
n'eſt pas le plus blaſmable de ſes affe & ions. La grandeur de ſon pouuoir qui fait toué sure na roftra
obeït à ſes voloncez , & le contagieux cxemple de ſes Courtiſans le porte aux mal- rum blädisiai,
heureux excez d'vne pallion deſnaturée: il bruſle ſouuent de l'amour des malles, & les verbaquemur
plus icunes garçons qui ſont dans le Leuant , la fleur de la Beauté , & les attraits des Ouid. l.de
Graces , ſontvouez à la ſaleté de ſes abominables plaiſirs. Les Baſſas luy en amenent Art,

des Prouinces eſtrangeres, & luy en font preſent


. Ce deſordre eſt fi inueterédans le
Serrail , que de vingt Empereurs qui ont iuſques icy portéle Sceptre des Turcs, à peine
s'en trouue- t'il deux qui ayent elté neçs & purs de ce vice . Achmat dernier mort l'a
bandonna vn peu auant la fin de la vie, par les ſages remonſtrances que luy en fit le
Mufty, & ſon fils Amurath quatriéme dunom , quiregneau commencement de cette
année milſix censvinge-lix ,eſt encores dans la tendreſſe d'vn aage , qu'il peut facile
ment de tourner de ces débordemens, & le former à la vertu , fuyant les eſcueils, où
Terrena pod
les deúanciers ont fait naufrage. Car dequoy ſerc - ilà de ſigrands & firedoutables Mo teftas vult effo
narques , d'eſtre les glorieux vainqucurs de tant de peuples, * s'ils ſont eux -meſmes victrix gentis ,
captifs des vices ? Le Prince eſt le Medecin de l'Eſtat , mais comment le pourroit-il cum fuit caprina
guerir , fi luy -meſme eſt malade : il en eſt le cæur, & quel moyen de l'animer , sil'a des D.Aug.lib.is.
foibleſſes & des défaillances ? il en eſt l'ail, & comment pourra- t'il voir & conduire de Ciuit Dei ,
les autres,s'il eſt troublé & obſcurcy de ſes paſſions:Tout Prince qui * aymeſon Thro . * deleitami
nc, ſon Sceptre, & ſon Eſtat , doit fuir le vice , & cherir la Sagefte: car yn Prince fage ni in fedibus
ſcoperis , .
eſt l'aſſeurance de ceux -là, & le ſouſtien du peuple . Reges populi,
diligite fapiena
tiam . Salom :
Sap.6,
Des femmes du Grand Seigneur de leur logement, de leur vie , de leur conduite,
e de leur fortune.

CHAPITRE XI.

E Chapitre precedent a raconté les feux des Amours du Grand Sci


gneur , celuy - cy dira particulierement les moeurs & la vie de celles
qui les cauſent.Car les belles femmes ſont aux eſprits peu retenus
des flambeaux qui bruſlene de loin. Celles du Serrail qui paroiſſent
le plus par l'éclat de leurs graces , ſont ordinairement eſtrangeres,
priſes à la guerre,ou enleuées de force :mais nourries auec yn incroya
bleſoin ,pourleur faire apprendre la ciuilité, àjouer de quelque inſtrument de Muſi
que , à chanter, & trauailler aux ouurages de l'aiguille plus de cent filles de qualité : ces
gentilleſſes adjouſtées à leursnaturelles perfections, les rendent plusrecommandables:
elles ſont Chreſtiennes le plus ſouuent,mais leur deſaſtre, faiſane ſeruir la beauté de
leurs corps aux deshonneſtes plaiſirs des Turcs, proſtituë celle de l'ame au faux culte
de leur Loy : Elles ne ſont pas pluſtoſt arriuées au Serrail , où quelques Baſſas les en
uoyent en preſeño au Sultan &
, par fois le grand Cham des Tarcares , qu'on leurfait
faire la profeſſion de foyà la Turque, en leur faiſant leuer le ſecond doige de la main ,
pour ſigne qu'elles ne croyent qu'vn ſeul Dieu , en vne ſeule perſonne , & proferent ce
mot Mehemet , des vieilles femmes prennent apres le ſoin de les inſtruire au reſte de la
croyance Turque: ainſiſe peuple le Serrail des femmes du Prince Ture.
Or elles ſont dedeux ſortes, à ſçauoir celles qui ont deſia eu ſa compagnie , & ſonc
femmes , & celles qui ſont encores filles . Ces femmes-là logent ſeparément, & plus
au large , ſont mieux ſeruies, & ont vne plus grande liberté dans ce Palais Royal. Les
filles mangent par troupes dansla communauté des refectoirs, le recirent le jour dans
des chambres, ſousla garde & conduite des vieilles , qui en gouuernenc chacune dix,
dij
1
28 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

pour crauailler à quelque ouurage , & la nuict couchent comme des Religieuſes (mais
peu chaſtes ) dans des longs dorcoirs, où leurs li &ts faits de matelas affez mollets, & de
couuertures , (carles femmes en Turquic ,auſſi bien que les hommes couchent ve
ſtuës) ſont rangez des deux coſtez , vn chemin demeure au milieu , pluſieurs fanaux y
eſclairent durant la nuit , & de dix en dix filles couche vne de leurs Gouuernantes.
Celles qui ne ſçauent pas la langue Turque la vont apprendre en des Eſcoles dreſſées

dans le meſme Serrail. Celles -cy ne voyent le Prince que quand elles arriuent , & no
conuerſent auec luy , que lors qu'il s'en veut ſeruir. Elles ſont fournies de tout ce qu'il
leur faut pour leur entretenement, auec l'abondance qui ſe trouue ſans ceſſe dans le
Serrail du Sultan .

Les Eunuques qui leur portent à manger gardent en ſeruant le meſme ordre que hous
auons deſcricau ſeruice du Sultan. Mais la Reyne qui eſt Mere du Prince ſucceſſeur
de l'Empire ,eſt ſeruie dans ſon departement, où elle eſt ſuperbement logée , par des
Officiers qui ſont à elle ſeule : la vaiſſelle n'eſt pas d'or, comme celle de l'Empereur,
mais bien d'vne belle porcelaine mignardement trauaillée , & proprement tenuë : chez
elle ſe font les plus ſomptueux feftins du Serrail des femmes, où pluſieurs Sulcanes ſe
trouuent pour paroiſtre aux yeux de l'Empereur , qui eſt de la parcie , & aſſouuic en leur

compagnic les deſreglez appecits detousſesſens.Làil eſprouue dangereuſement que


la beauté bleile plus viuement qu'vn dard , & le reſpect que toutes cesfemmes luy ren
secondario dent , ſe comportans enuers luy auec vne ſinguliere modeſtie, & vne douce complai
rogar.Quid effetfance , l'exempte de faire cette faſcheuſe experience : qu'vne mauuaiſe + femme eſt le

mulier mata, naufrage de l'homme, la tempeſte de la maiſon, vn trouble repos , l'eſclauage de la vie ,
naufraguia "dom vn mal quotidien ,vn combat volontaire, vne guerre quicoulte, vne beſte farouché
nes tempeſtas, qu'on nourrit, vne lyonne quiembraſſc, vn eſcueil paré , vnanimal de malice , & enfin
quieris impedi yn
mal neceſſaire.
mentum ,vita
captiuita quo. Ces Dames , les ſujets des delices du Sulcan , viuene delicieuſement aupres de luy :
sidianum ma- leur Serrail contient yn ſi grand eſpace , qu'il y a dans iceluy vingt-quatre grandes
ris pugna,fum-courts, la pluſpart pauées de marbre poly , embellies de leurs fontaines,& entourées
pomo um belli, d'eſtuues & bains fort commodes , où ces Nymphes ſe lauent , & plongent leurs feux
bellua conuiua,
leana comple ſans les eſteindre. Vne ſuperbe Moſquée ſerc dans le meſmelieu aux exercices de leur
flens exornata deuotion . Le nombre des Chambres, & belles Salles arriue iuſques à quatre -vingts,
Scylla , animal
malitoum , parées de precieux meubles , les planchers ſont dorez , lesmurailles peintesà fleurs d'vn
malum necef-tres -rare arcifice,le paué eſt couuert de riches tapis de Perſe, d'or & de ſoye, auec grand
farium . nombre de carreaux de brocatel , les chalits ſont d'yuoire , de bois d'aloës , & de gran
Maxim.Serm .
des pieces de coral , dont l'un d'iceux couſta du cemps d'Amurath ſecond nonante
mille Sultanins , ou croiscensſoixante milleliures , ils ſont garnies de richeseſtoffes de
drap d'or. Les iardins en grand nombre ſont les lieux où la Nature aydée de l'art , eſtalle
les beautez du Printemps,les vollieres , & les fontaines les ornent , & les allées par leurs

ombrages deffendenc le teint des Sulcanes des importunitez du halle . Or puis qu'en
ce magnifique Palais les plus puiſſans Monarques de la terreſeruent les beautez de ces
que des autres ſeruent leurs perſonnes : auſſi elles ont
Sultanes,il eſt bien raiſonnable
pluſicurs femmes qui font cétoffice , les vnes ſont Mores , & les autres ſont blanches .
Mais les hõmes quiles ſeruent ſont Eunuques noirs,auſquelson a tour ofté, ils eſtoient
ſeulement mutilez des parties inferieures, qui ſeruent à la generacion. Mais Solyman

ſecond, quiacheua ſon Regne lors que Charles neufiéme continuoit le ſien en France,
voyant vniourà la campagne vn chcual hongre qui ſailloit vne jument , il jugea delà
que les Eunuques , gardiens de les femmes , pourroient amuſer leurs lalciues paſſions,
& alors leur fit tour couper ; ce qu'on a continué depuis. Ces Eunuques ſont tous
noirs, à la difference de ceux du Serrail du Grand Seigneur ; & leur perfection conſiſte
en leur deformité ; car les plus hideux ſont les plus beaux. Certes,paroiſſans aupres des
beautez ſiparfaitement accomplies , ils leurs feruent de luſtre. On les amene tous du
grand Caire, Ville capitale de l’Egypte ,inſtruics à ſeruir à cecce Cour par le ſoin du
Baſſa qui en eſt le Vice- Roy : s'ils ne leſont, il y a des hommes dans le Serrail ordon
nez pour leur apprendre ce qu'ils doiuent ſçauoir: de cette Eſcole ils paſſent vers les
Dames, ellesleur donnent des noms plus conuenables à leurs mignardiſes, qu'à lalai
deur Moreſque ; car de tels garçons qui ont le nez camard , la bouche fort groſſe , la
levre retrouſſée, les yeux prelque hors de la teſte , les orcilles grandes , le poil plus fri
forcé quo de la laine , & la face ſi affreuſement noire,qu'il n'y paroiſt rien de blanc
qu'aux
du Grand Seigneur . Liure I. 29

qu'aux yeux , & aux dents: Ils nomment Hyacinthe, Narciſſe, Roſe, Oeillet. Certes,
telles fleurs ſont bien fleſtries & fanées , incapables de fru & ifier. On leur aſſigne cent

afpres pariour , ( vn aſpre vaut enuiron vn Carolus ) deux robes de ſoye, vne piece de
toillc, & quelques autres hardes pour leurs menuës neceſſitez : ils ſont ſous l'obeïſſance
d'vn vieil Eunuque raclé à fleur de ventre , & noir comme eux , qui eſt leur Chef , ap
pellé Chıſlar Agaſi, c'eſt à dire,le Chef desVierges : celuy -cy eſt comme le Capicaine;
& le Surintendant de ce Palais des femmes , cient les clefs des portes , parle quand il

veut à l'Empereur, & prend part ordinairement aux faueurs de la Cour : car le Prince
eftand enclin aux femmes , ileſt le Mercure de ſes affections, les autres moindres Eu
nuques noirs paſſent ſouuent vers le Serrail du Grand Seigneur , porcer le ſecret des
Sultanes dans quelque billet au Capiaga , qui le preſente à l'Empereur : leur office les
honore de cc priuilege par deſſus les Eunuques blancs qui feruent le Prince , leſquels
n'entrentiamais au logement des femmes, ny ne les peuuent iamais voir . Les noirs ne
ſortent point du Serrail ſans la permiſſion de la Sultane Reyne, & Mere de l'aiſné des
enfans du Sultan.Ailleurs on feroic difficulcé de donner à des Reynes , voire à des fem

mes demoindre condition , des Mores pour les ſeruir ,de crainte qu'elles venans à con
ceuoir , leur imagination n'imprimaſt à leurs enfans & leteint & la formede tels valets :
mais les Turcs ne s'arreſtent point à cela. Etie n’ay iamais oüy dire qu'aucune Sultane
ait enfanté vn More, quoy que ie ſçache que cela ſe puikte faire, les Hiſtoires nous
fourniſſent des exemples de tels accidens, où l'on void que les femmes ont porcé des
enfans ſemblables aux peintures qui eſtoient dans leurs chambres . Le nombre de cels
hommes monte bien iuſques à cinqcens , depuis l'aage de douze ans iuſques à vingc
cinq , & pour le plus à trente . Les femmes ſont ordinairement trois cens , ou enuiron ,
tant des Sulcanes que de celles qui les feruent: De dire au vray le nombre des Sulca
1 nes , il eſt malaiſé , car tous les iours on donne des filles au Grand Seigneur , lequel
voyant ſon Palais aſſez fourny, les enuoyeau vieux Serrail . Ces femmes eſclaucs qui

lesſeruentont cinq à ſix afprespariour, deuxrobes de ſerge,vne de ſoye tous les ans,
vne piece detoile fine de vingtaulnes ou plus , & pluſieurs preſens des Sulcanes leurs
Maiſtreſſes, leſquelles reconnoiſſent leur fidelicé , & la diligence de leurs ſeruices,de
pluſieurs dons en argent & en autre choſe ,car elles -meſmes abondent de toute force
de preſens, ſoit de poinçons de pierrerie , de pendans d'oreilles, des enſeignes, pen
naches, draps d'or , fourrures tres -riches , & autres meubles que le Roy leur enuoye
d'autant plus volontiers qu'ils ne luy couſtent rien à luy . Les Baſſas au retour de leurs
Gouuernemens, les luy preſentent: Les Ambaſſadeurs du Prince des Tartares , & des
autres Souuerains de l'Alie , luy en apportent , & rempliſſent fa garderobe d'vneriche
diuerſité de preſens. Mais ſur tout ces Dames ayment à faire prouiſion d'argent, car * Mulierum

leur beauté n'empeſche pas qu'elles de prennentparcaux defauts de leur ſexe ,qui * eſt genus eft amky
rum . Cicer.
ſujet à l'auarice . Rhec.lib.1,
Cela eſt cauſe qu'elles introduiſent dans leur Serrail quelque habile femme luifue,
entendre que c'eſt pour leur appren
auec la permiſſion de l'Empereur, auquel ils fontentendre
dre des nouueaux ouurages à l'aiguille , ou bien pour eſprouuer le ſecret de quelque
excellente recepte de Medecine pourla gueriſon de leurs infirmitez , ou la conferua
tion de leur ſanté. Ainſi la luifuc entre au Serrail , gagne les affe&tions de l'Eunuque,
qui commande à la porte d'iceluy , en luy donnant de l'argent , & des riches hardes, &
s'acquiert en peu de temps la bien - veillance des Sulcanes, voire meſmes prend vn af
cendant ſur leurs volontez , leur apportant du dehors tout ce qu'elles ont deſir d'ache
ter, & receuant d'elles ce qu'elles veulent vendre . Cecommerce ncantmoins eſt ſecrec,
car le Sultan ne trouueroit pas bon qu'elles vendifſent ce qu'il leur donne . Mais ces
femmes deſirans faire prouifion d'argent, qui a eſté de tout temps le plus precieux des
meubles , afin que ſi leur Souuerain meure, elles cítans conduites au vieux Serrail , en
puiſſent forcir en ſe mariant à quelque Grand de la Porte , ce qui leur eſt facile en ga
gnant par de grands dons l'amitié dela Chadun leur Gouuernante : elles donnent à

cette luifue des diamans d'vneriche grandeur , des groſſes perlesrondes ,des grandes
Turquoiſes, des brillans & des enſeignes tres- precicuſes pour vn vil prix , car elles qui
non point deconuerſation hors du Serrail , ne ſçauent pas ce que les choſes valent,
& en paſſent par où la luifue veut : celle - cyles reuend à des eſtrangers, & fait achecer
cherement aux Dames ce qu'elle leur apporte de ſorte que les grandes richeſſes qu'elle
poſſede en peu de temps, font bien connoiſtre qu'elle frequente au Setrail des femmes,
diij L

1
Hiſtoire du Serrail , & de la Cour
30

* Male parta mais le bien * mal acquis fe diſſipe ſouuent de meſme : la luifue en eſt quelquesfois
malè dihubun- deſpoüillée , & pour punition de ſesfraudes , laiſſe la vie au ſortir du Serrail. Les Balſas
Vetus
Počta , aduertis de ce trompeur commerce , le font ainſi ceſſer. Ecles Teſterdars, qui ſontles
Threſoriers de l'Eſpargne, quand leurs coffres ſont vuides, taſchent de les remplir du
gain de ces reuendereffes.

Ors’il arriue que l’Empereur ſoit enfant, & que fa Mere aic part àl'adminiſtration
des affaires, le trafic de ces femmes Iuifues monte plus haut, & des pierreries paſſe aux
charges de l'Eſtat, ceux qui en veulent auoir pluſtoſt par le pouuoir de leur bourſe ,
que par le merite deleurvercu , s'addreſſentà elles ,& leurs affe& tions acheptées acquies,
rent facilement les volontez de la Sultane Mere : nous en auons marqué vn exemple

ſignalé au dix - ſeptiéme Liure de noſtre Hiſtoire de l'Empire Turc , qu'il ne ſera pas
hors de propos de deſcrire icy ſuccinctement, la commodité de ceux qui n'auront en
main ce premier Volume.
Cheira Chadun femme luifue eſtant entrée dans le Serrail des femmes, par les voyes

que nous venons de dire , poffedoit l'amitié de la Sulcane Reyne par les artifices de ſon
commerce induſtrieux , & les douceurs de ſa complaiſance. Peu de temps apres Ma
homet troiſiéme laiſſe la vie dans ſon Serrail, & lon Sceptre à Achmet ſon fils aiſné,
aagé pour lors de quatorze à quinze ans : la Sultane Validé, ou Sultane Mere , eſt ap
pellée par ſon fils à l'ayde du gouuernement de l'Eſtat. Cheira ſe trouue dans la faueur

de cette Princeſſe, qui luy acquierten peu de tempscelle del'Empereur: car ce Prince
eſtant combé malade de la petite verolle, la Iuifue le void auec la Mere , le ſert au lia,
comme elle eſtoit accorte , & douée d'vn tres- bel eſprit ſoulage les imporcunitez de
ſa fievre du recit de quelque conte plaiſant, & par fois repare ſes forces d'vn pcu de
vin qu'elle luy apporte de dehors le Serrail, & luy en fait boire , contre les deffenſes de
ſa Loy :la maladie finiç ſes violences , & le Sultan recouure la ſanté, il ſe reſſouuicnt
des bons ſeruices de la Iuifue, & ne luy donne pas moins de place en ſes affe & ions, qu'el
le en auoit en celles de la Mere : ainſielle deuicnt doublement puiſſante, & ne femelle
plus de reuendre les belles nippes des femmes du Serrail , les charges plus eminentes
de l'Empire ſont alors de ſon trafic . Legrand Vizirachcpte les Seaux de ſes mains, &
la dignité de Lieutenant General de l'Empire Turc. Le
Mufry monte à cette ſuprémc
dignité Eccleſiaſtique parmy les Turcs par ſon moyen , & les autres Grands de la Porte
ſuiuent au courant deleur fortune le vent de ſes deſirs. L'argent & la Iuifue faiſoiene
tour à Conſtantinople, & tel n'euſt oſé auparauant penſer aux charges de la Cour que
pour les admirer , qu'il en deuenoit le poſſeſſeur par ces deux voyes: l'auarice appello
pour lors tous les deſordres dans l'Eſtat, & liureau mépris la valeur , & les rares vertus
des hommes de merite , qui n'eſtoient pas fournis d'argent : & le Prince nele ſouffroic
pas ſeulement ,mais il le vouloit , parce que la luifue diſoit qu'il le falloit faire ainſi.
Cela ne deuoit pas durer pourtant, & les proſperitez de cheira eſtans de la nature do
celles de la Cour , ſe trouuent paſſageres & periffable.Les Ianiſſaires qui font la Milice
de Conſtantinople , & ſouuent les violens reformateurs de l'Eſtat du Turc,s'en meſlent
& apportent à ce malinſupportable la rigueur de leurs remedes : ils vontau Serrail en
( armes, demandent la Iuifue: on la leur refuſe, ils menacent de rompre les portes , &
de la traiſner auec pluſieurs autres au milieu de la place , pour venger ſureux les deſor
dres de l'Eſtar. L'effet ſuiuoit de bien pres leurs paroles, ils ſe diſpoſoient à les execu
ter, quand de pluſieurs maux on choiſir lemoindre , on mer la luifue hors du Serrailà
la mercy de leur cholere : tous ceux du Serrail n'en eſtoient pasmarris,la nouueauté

ſe faic deſirer , quand elle eſt arriuécon l'ayme , & l'enuie nage dans l'aiſe & le plaiſir,
lors qu'elle void yn Fauoryou yne Fauorie en cheute . Et puis , que pouuoit - on fairo
en telcas ? quel moyen de calmer les eſprits des hommes qui ont les armes à la main,
ſont les forces de l'Empire , & pour lors ne reconnoiſſent point d'autre Maiſtre que
leur paſſion : De plus , le peuple ſuiuoic leur mouuement , & demandoit iuſtice d'vne
langſuë d'Eſtat, qui ſucçoit tout , engloutiſſoit tour,& laiſfoit ſouffrir les autres : ainſi
on 'abandonne à la force, & à la rigueur du fer. Exemple quidit , que la faueur de la
Cour qui n'auance aux charges que les crcatures incapables, qui mépriſe les hommes
de vertu , & ne baſtit la durée de la forcune qu'en l'amas des biens paſſagers, courcelle
meſme à ſa ruine , & s'engraiſſepour eſtre la victime qu'on immolera au premier trou
ble , & à la premiere ſedition . Les Ianiſſaires prennent Cheira , la deſpoüillent, & la
fajectent, & mettent dans la honte de ſon corps yne chandelle ardante , la portent
eltendue
du Grand Seigneur . Liure I. 31

eitenduë par les quatre membrespar la Ville de Conſtantinople, pour ſeruir de ſpecta
cleau peuple: ils fontplus , la deſchirenctoute en vie , & ayantmisſon corps en pieces,
en atrachent, & cloüent les principales parties aux portes desmaiſonsdes plus ſignale :
Officiers de l'Empire : celle du Mufty , ou grand Pontife de leur Loy,euc la main auec
cét eſcriteau , voila la main qui t'a vendu ta charge, a les faueurs de la Porte. La ceſte
fut cloüée à la porte du grand Vizir, & cesmots au deſſous: C'eſt la teſte qui t'a donné
des conſeils au deſauantage de l'Eſtat. Ils pendirent la langue à la maiſon du Cady , ou
principal ſuge de Conſtantinople, auec ce reproche par eſcrit :Reço, la langue qui t'a
ditté t'iniuftice : ce fut en l'année mil fix cens quatre. Ainſi finit la ſuifue, qui pra&ti.
quoit au Serrail des femmes , & la pluſpare des autresfiniffent mal : linon fi exemplai
rement , c'eſt qu'elles n'arriuent pas à vne pareille faucur.
C'eſt le ſuccez de l'auarice des Juifues qui frequentent au Serrail des Sultanes:mais
aucune d'elles n'y entre , que premierement les Eunuques portiers ne l'ayenc déuoilée,
& veu quelle elle eſt :de crainte que quelque homme, ſous l'habit & le commerce de
telles reuendereſſes, n'entraît dans ce Palais pour le trafic de ſes paſſions debiter ſes
amours . L'ordre qu'on obſeruc à la garde de ces belles enfermées.cft cxa &t : on ne vi- La garde eza
&te des femo
fice 1
pas ſeulement les femmes qui entrent , & les Eunuques à leur recour de la Ville : mcs..
mais de plus on prend garde aux beſtes : on ne permettoit pas que les Sultanes euſſenc
des ſinges, des chiens maſles de moyenne grandeur. Les frui&ts leurſont enuoyez auec
circonſpection : fi leur appetit demande des citrouilles vn peu longuettes , des con
combres , & des autres fruias ſemblables, on les leur tranche à la porte par roüelles,ne
laiſſant point paſſer parmy elles cette freſle occaſion de mal faire , tant on a mauuaiſe
opinion de leur continence . C'eſt ſans doute vne marque de la violente jalouſię des
Turcs , car qui pourroir en pareilcas empeſcher vne femme vicieuſe de mal faire ? elle

eſt trop induſtrieuſe à ſes deſſeins, & celuy qui auoit le corps tout couuert d’yeux
touſiours veillans y fut deceu . Cependant s'il arriuoit qu'vne femme ou fille du S Leur punis
fur deſcouuerte aux effets de fa laſciuccé, la Loy dés long -temps eſtablie parmiy elles tion,
par le Sultan , la condamne à mourir , & on l'execuce ſans remiſſion : elle eſt 'ſerrée
dans vn fac , & de nuiet ietcée dans la mer , où l'on eſteint dans l'eau ſes flammes auec
ſa vie : Cette feuere punition ſuit l'enormité de ſes crimes, pour de moindres fautes
elles ſouffrent de plus legers chaſtimens , leurs Superieurs les battent , & ſi apres les
coups leur obſtination dure encores , le Sultan les fait meccre hors de ſon Palais , & les
enuoye au'vieux Serrail . A ce depart la Cheira Chadunles deſpoüille de leurs plus bel
les beſongnes, 8c ſurcharge leur infortune de la perte des choſes plus precieuſes, &
plus neceſſaires pour le ſoulagement de leur vie , dans ce criſte & ennuyeux ſejour.
Les autres qui poſſedent vne meilleure fortune dans le Palais Royal, eſprouuent leurs mala :
quelquesfois que la beauté * eſt vn bien fragile ,les violences d'une maladie , & les ar- dies.
deurs d'vne fiévre fanent les roſes qui decoroient leurs joues, & fleſtriſſent les lys de
leurs viſages. Lors qu'il eſt queſtion d'apporter des remedes à leurs maux , on y travaille * Forma boa
numfragile eft,
d'vne façon extraordinaire. Si la malade n'eſt pas des Sulcanes que l'Empereur ayme
quantumque
le plus, les femmes vieilles qui les gouuernent deſcendent à la boutique de l'Apoti- accedir ad ani
zos . Fit minert
caire, hors de la porte intericure du Serrail, & monſtrant les vrines au Medecin ,luy
8 fpatio carn
rapportent l'eſtat de celle qui ſouffre. Il ordonne ſansla voir, au recic qu'on luyen a pitur illa fuo.
fait, d'où arriue que pluſieurs meurent pour n'eſtre pas bien ſecouruës. Mais ſila Rey . Ouid , de arte,
lib.z.
ne qui a donné à l’Empire le ſucceſſeur du Sceptre , ou quelque autre que le Sultan
ayme auec paſſion tombe malade , on en aduertit le Lechin Baſli , qui eſt le premier
Medecin , lequel ayant obcenu licence du Prince de l'aller viſiter, entre dans le Serrail
des femmes , où les Eunuquesle reçoiucnr , car toutes les femmes ſe recirenc à ſonar
rinée , ils le menent à la chambre de la malade , laquelle a la face couuerte de ſes cou
uercures , clles n'oſent point de linge, afin que le Medecin ne la voye : le bras ſeulement
eſt hors du lict, couuert encores d'vn creſpo bien delié , par deſſus lequel il taſte le
poux , & connoiſt la qualité de la fiévre , ſans qu'il luy ſoit permis de parler tandis
qu'il eft deuant la malade. Apres cela il ſe retire à reculons , pour ne luy tourner le
dos en s'eñallant . Les remedes qu'il luy ordonne ſont ordinairement quelques po
tions ſolutiues , le reſte de la medecine eſt aſſez negligé dans cette Cour là :Car les
Turcs croyent que duiour de leur naiſſance , le temps & la durée de leur vie eſteſcrite
ſur leur front par vn deſtin incuitable , qu'aucune ſorte de medecine ne peut changer .
Que s'il falloit changer d'air à la malade, ce remede luy ſeroit fort difficile. Car les

1
32 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

Leurs forties femmes ne ſortent iamais du Serrail , qu'en la compagnie du Sultan , & ne vont en au :
kors da Sec- tres lieux qu'au vieux Serrail , & aux maiſons de plailir, ſans eſtre veuës de perſonne:
cail.,
les Eunuques noirs qui les gardent, leur aident à monter dans des coches , qu'ils fer
ment auant qu'elles ſortent
du Serrail : les ruës de Conſtantinople, par où elles paſſent,
font baillées, & couuertes de toile , afin qu'aucun ne viole d'vn regard ſeulement l'en
ciere jouiſſance que le Prince a de la belles creatures , qui ſemblent n'eſtre nées que
pour luy feut, les void ,luy ſeul conuerſe auec elles,& luy ſeul les poſſede. Mais puiſ.
que le recic de la vie des femmes de ce grand Prince nous a conduits iuſques aux por
Ees du vieux Serrail : entrons dedans iceluy, & y acheuons l'hiſtoire de leur fortune.
Cc Palais Imperial fur jadis l'ouurage du ſuperbe deſſein du Sultan Mahomet ſc .
cond , que les Turcs appellenc le Conquerant : lequel apres auoir pris Conſtantino
ple, le fic baſtir pour la demeure , à l'endroit de la Cité que les Archicectes iugerent le
plus beau , & le pluscommode. Il eſt aſſez ſpacieux pour yloger vn grand Prince,auec
les officiers de la maiſon . Son circuit contient enuiron vne demie lieuë Françoiſe , ſes
murailles ſont hauces , & fortes , il n'a qu'vne leule porte gardée par vne compagnie

d'Eunuques blancs , par laquelle n'entrent iamais autres hommes que l'Empereur :
que ſila neceſſité de lamaiſon force d'en y faire venir , on faic retirer les femmes en vn
licu particulier, iuſques à ce qu'ils ſoient ſortis. Il a auſſi bien que les autres maiſons
Royales ſes embelliſſemens, & ſes commoditez , les iardinis y ſont delicieux , les fon
taines agreables , les bains commodes , & vnc Moſquée ſerc à la deuotion de celles qui
l'habitenc. Là crois eſtranges fourriers, mais cous trois parens , one logépluſieursbelles
femmes, à ſçauoir ,la mort, l'inconſtance , & le mépris : la mort y enuoye vn grand
nombre ,quand elle rauit le Prince qui cheriſſoit leurs beautez , & parmy celles- là ſont
les Sulcanes, mere des enfans , Princes de l'Empire , leurs filles, les ſours & les cantes
du Monarque , qui s'eſt nouuellement aſſis dans le Thrône de ſon deuancier. L'incon
ftance , quand le Sultan laffé des laſcifs embraſſemensdes femmes qui ont eſté lesido.
les de les affections , ſe laiſſe perſuader à vn nouuel amour,qu'elles ont abuſé de ſes ca
reſſes & ſe ſont renduësindignes du ſeiour de ſon Palais . Le mépris, quand quelques
filles de celles qu'on luy prelence, n'ont pas ſelon ſon iugement, affez d'atrraits pour le
captiuer , ou bien lors que les ans , ennemis de la beaucé , la loüillent de leurs rides,
& rauisſentà ces femmes l'honneur de leur teint, & la gloire de leur viſage. Ces in
fortunées Dames qui ont eſté ce qu'elles ne ſont plus, n'ont point d autre conſola
tion en cecce eſpece d'exil , que l'eſperance d'eſtre mariées à quelque Biſſa, ou autre
Grand de la Porte , au moins celles qui n'ont point eu des enfans du Sulcan : Car la
qualité des autres qui ſont Meres , les obligea à vne perpetuelle viduité ; elles y peu
uent facilement arriuer file Sultan y conſent, lila Chadun ou la Gouuernante leveur,
& ſi elles ont de l'argent : De ce dernier dépendent les deux autres ; par iceluy elles
gagnent la Chadun ,& celle- cy perſuade au Prince qu'elles en ſontdignes:ainſi l'ar
gent & l'or peuuent couten touc lieu , & les feſches dont l'amour ſe ſert en ces lieux -là
ont la pointe dorée : Cela eſt cauſe qu'elles amaſſent autant de deniers qu'elles peu
uent , partie de l'eſpargne de leurs penſions, partie de la vente de leurs precieuſes har
des, apporcées de l'autre Serrail en cachette , & au deſceu de la Gouuernante , qui les
deſpoüille au ſortir d'iceluy , ( mais iniuſtement) des perles , pierreries , & autres riches
dons , que leurs graces ont en leur tempsmerité delaliberalité du Prince : cette vieille
ſeuere les rend au Sultan , & en recient ordinairement fa parc : Eſtrange changement

des choſes humaines ; celles qui ont autresfois poffedé l'Empire , en maiſtrilant ſon
Monarque , ſouffient la honte de ſorcir de ſon Palais , & qu'on les priue de leursmeu
bles : Les plus ſubciles qui ont preucu leur ſorcie , & en cachertecnleue leurs belles har
des , ſe trouuent dans l'auantage d'eſtre riches , gagnent la Dame qui leur commande,
& par des Eunuques font ſçauoir aux Baffas le nombre de leurs Sultanins & richeſſes:
ceux-cy , ſans en fairebruit , les font demander en mariage , & promeccent au Prince
de leur faire vn riche dor . Les autres qui ſe ſont par leur fecondité priuées de cette re
! cherche , viuene ſuperbemene logées dans ce Palais, auec l'abondance de toute forte
de commodicez pour la vie , auec laquelle elles jouiſſent de la qualité de Sulcanes, &
Reyncs : mais celles qui onteu la forcune du coutennemie , qui les a priuées , & dela
faveur de la Cour, & des biens , viuent dans leurs ennuis au peric ordinaire de ce triſte
Serrail: & ſi elles ſçauent trauailler à quelques gentils ouurages ,elles en one du gain par
le trafic des luifues qui les viſitent, & d'iceluy ſoulagensaucunement leurs incommo
direz , Dans

9
33
du Grand Seigneur . Liure I.

Dans ce vieux Serrail ilya yn departement où perſonne ne loge , meublé à la Roya


le , & referué pour le Prince, quand il va viſiter ſes parentes , ou exercer en pluſicurs
lieux le commerce de ſes amours , menant quant & luy des coches fermez, & pleins
de belles Sultanes , comme nous auons dit cy - deuant, aucc leſquelles il coulé les plus
beaux de ſes iours,abandonneles plus nobles exercices, & plus dignes d'vn Prince,
pour jouir de leur charmante compagnie. Ainſi les femmes le detiennent ,le poſſe
dent , & le deſrobentà la vertu : En ce ſens vn ancien * auoit raiſon de dire, Que ſi le * Caron div .
monde eſtoit ſans femmes , les hommes conuerferoient auec les Dieux . Il le faut entendre tique , chez
Plutarque ,
des femmes vicieuſes ,& non de celles qui aiment la vertu , laquelle eſt eſtimable , &
aimable , en quel ſujet qu'on la trouue.

Des Sæurs du Grand Seigneur, de ſes autres parens , ) du Mariage,

# Nopces de ſes Filles.

CHAPITRE XII .

Es Sæurs de l'Empereur des Turcs logent, & viuent dans le vieux


Serrail : leurs departemens ſont ſeparez deceux des autres femmes,
meublez & fournis à l'égal de leur condition :les plaiſirs , & les con
tinuels delices , font leur ordinaire entretien : au milieu d'icelles
elles attendent doucement que le Sufran les donne pour femmes
aux plus grands Baſſas de la Porte . Quand cela arrive, elles ſortent ·
de ce lieu là auec leurs riches hardes , leurs coffres remplis de joyaux,
& leurs eſclaucs pour les ſeruir , iuſques au nombre de cinquante , ou ſoixante, fans
compter ceux que leurs maris y adjouſtent, leſquels ſont obligez de leur fournir vn
train dignede leur qualité , & leur faire vn riche dor , ( ſelon la Couſtume des Turcs,
que les hommes dotent les femmes) pour lemoins de cinq cens mille Sultanins, qui
ſont deux millions de liures , auec la grande deſpenſe qu'ils font en preſens de pierre
ries. Le Prince leur frere continue les meſmes penſions qu'elles auoient auparauant , &
les augmente detrente- ſix charges de monnoye tous les ans , pour leur acheter des pa
tins ( dit le Couſtumier de l'Empire.) Les maris qui eſpouſenc de telles femmes, ef
prouuent à leurdam cette verité, qu'vne grande inegalité en mariage fait naiſtre ſou
uent le mépris , l'authorité de leur maiſon tombe alors en quenoüille , elles les com
mandent, les appellent leurs eſclaues, leur foncdu bien ou dumal,felon la fatisfa tion
qu'elles en reçoiuent : & quant le Sultan le leur permet, elles les repudient pour en
prendre d'autresplus à leur gré , & fouuent leur font perdre la vie. Auſſi pour marque
de l'inſolence de leur Empire ſur leurs maris , elles portent au coſté le Cariar, qui eſt vn
petit poignard enrichy de pierreries . Si le mariage dure également iuſques à la mort
de l'vn , ou l'autre des mariez, le mary doit munir ſon eſprit d'vne extraordinaire pa

cience , pour ſupporter les imperfe&tions d'une femme, qui ſçait que tout luyeſt per
mis , & quin'eſt retenuë par l'amour d'aucune vercu dans lesbornes d'une louable mo
deſtie. Les Ballas fuyent tantqu'ils peuucnt les ennuis de cette Royale alliance, qui
s'achece par leur feruicude s'entretient auec de grands frais , & ſouvent finit par leur
ſi les commandemens du Prince ne lesy forcent . Tel
Tang , ilsne la reçoiuent iainais ,
les femmes ont la liberté par la faueur du Sulcan leur frere , d'aller quand il leur plaift
au Serrail des Sultanes , & le viſiter luy -meſme dans le ſien .
Les Tantes du Grand Seigneur , & ſesautres parences , viuentauſſi dans le vieux Ser
rail , aucc vne ſuite digne de leurcondition . La Mere du meſme Prince y faic ſon ſe
iour , y eſt ſouuent viſitée par fon Fils ,honorée de luy , & comblée des biens qu'elle
louhaitre: elle a la permiſſion d'aller au Serrail Imperial le voir quand bon luy ſemble:
& s’il deuient malade, eile ne bouge de la ruelle de ſon liet , où l'amour naturel luy
fait employer toute ſorte de ſoin pour le recouurement de la ſanté. Les Princeſſes , fil
les du Sultan, ſont nourrics & éleuées aupres de teurMere iuſques à ce qu'il les ma
rie à tel des Grands de la Courqu'il luy plaiſt, pourueu qu'il ſoit rencgar , ou pris des
enfans du tribut qu'on leue ſur les Chreſtiens, ou quelque autre qui ait abandonné la
Loy de IESVS- CHRIST pourſuiure celle de Mahomet . Cesmariages ſe fontquand
ces filles Royales ont atceint l'aage de dix -hui & ans , auec l'éclat , la magnificence , & la
Hiſtoire du Serrail , & de la Cour
34

pompe digne de la maiſon Otthomane. Le trentiémeiour du mois de luin mil lix cens
douze, fut illuſtre d'vne pareille ſolennité , quand l'EmpereurAchmat donna ſa fille
aiſnée à Mehemet Baſſa , Capitaine de la mer: elle eſticy ſuccinctement deſcrite , les
lon l'ordre qu'elle ſe fit à Conſtantinople.
Le iour auparauant la conſommation du mariage , les meubles, & les pierreries de
l'Eſpouſe ( que nous appellons le trouſſeau furent
) porcez du Serrail au logis de l'Eſ
poux:deuant eux marchoient cing cens Ianiſſaires à pied ,lesplus leſte qu'on
Iceur choi
fir dans leurs Regimens ,le grand Preuoſt de Conſtantinople , & le grand Voyer les
ſuiuoient à cheual veſtus de riches robes de drap d’or. L'Aga, ou Colonel des Ianiſ .
faires venoit ſeul apres eux ſur vn cheual Turc ,deriche taille, & de grand prix : deux
cens hommes de qualité ,montez , & veſtus ſuperbement, ſuiuoient à pecits pas : Les

Taliſmans, Alfaquis, Santons , Emirs , Seriphes , & autres hommes du Clergé de


Mahomet marchoient apres auec l'enflée grauité de condition . Quelque eſpace
apres , comme de vingt- cinq pas , venoit Amech Baffa Tefterdar , ou grand Threſo .
rier de l'Eſpargne elleu par l'Empereur Sagois, ou Parrain de l'Eſpoulée paré de ri
ches veſtemens, & monté ſur vn cheual harnaché à la Royale , ayant autour de foy
douze eſtafiers à pied ,veſtus de longues robes de drap d'or , conduiſoit ces precieux
meubles , ou ce Royal trouſſeau , qui auoit en teſte vne muſique à cheual , de haut
bois 8ccambours à la Turque : il eſtoit diuiſé en vingt-ſept preſens, ſeparément portez
par vingt- ſept hommes .

Le premier eſtoit vn petit chappcau d'or maſſif couuert de pierreries. Le ſecond,


vne paire de patins à la Turque auſli de pur or , enrichis de Turquoiſes & de rubis . Le
troiſiéme, vn Liure de la Loy de Mahomet, dont la couuercure eſtoit d'or maſſif , par
ſemé de diamans . Le quatriéme, iuſques au ſixiéme eſtoient trois paires de braſſelets
d'or , & de pierreries. Le ſeptiéme, & hui& iéme, deux gros poinçons de diamans. Le
neufiéme, vn petit coffre de criſtalde roche , auec ſes cornieres d'or, haur d'vne cou
dée , & large de la moitié , dans lequel ſe voyoient de grands diamans, & de groffes
perles,dela valeur de huict cens mille liures.Ledixiémc iuſques au quinziéme;eſtoient
ſix chemiſes en broderie d'or & de perles. Le ſciziémeiuſques au vingt-vn , ſix ban
deaux pour le front, de meſme eſtoffe , & aulli riche. Le vingt-deuxiéme iuſques au
vingt- ſept,fix ſuperbes robes de drap d'or, ſur leſquelles les perles , & les diamans
eſtoient richement femez.
!
Apres ces preſens ſuiuoient vnze chariots pleins de ieunes filles eſclaues pour ſeruir
l'Eſpouſée, ils eſtoient couuercs , & fermez , & chacun d'eux accompagné, ou pluftoft
gardé de deux Eunuques Mores : vingt-huic filles eſclaues veſtues de drap d'or ſui
uoient à cheual ces chariots , autant d'Eunuques noirs richement veſtus, & montez de
meſme, les accompagnoient. Aprescela marchoient deux cens quarante mulets char
gez de tencures de tapiſſeries de drap d'or, deſatin , de velours à fonds d'or , de grand
1 nombre de quarreaux de velours , & de drap d’or , qui ſont les chaires des Dames
Turques , & de pluſieurs autres meubles riches & ſomptueux. Toutes ces choſes fai
ſoient le trouſſeau de l’Eſpouſée donné par l'Empereur ſon pere , fans y comprendre
les preſens, & les meubles que ſon Eſpoux luy donna.
Le lendemain , qui eſtoit leiour des nopces , cette Princeſſe Eſpouſe fut conduite au
logis de ſon mary , auec vne pompe & magnificence , non non moindre que ſes meubles.
Les Ianiſſaires faiſoient le frontde ce Royal conuoy . Le grand Preuoſt, & le grand
Voyer les ſuiuoient comme cy -deuant. Les Emirs , ou Kerifes , quiſont les mal-heu
reuſes reſtes de la race deMahomet l'impoſteur, & portent ſeuls de tous les Turcs le
Tulban verd ( marque de leur ſocciſe , & de la folie de leur deuancier ) venoient apres
au pas & à la demarche de leur vaine Sainctecé, les Preſtres Santons, Taliſmans, & en
uiron deux cens Eſcoliers en la Theologie de l'Alcoran marchoient en ſuite, les Vizirs,
ou grands luges de la Turquie , paroiſſoient en cette pompe , & deuant le grand Vizir
qui venoit en ſon rang, ayant à ſon coſté gauche ( qui eſt le plus honorable en Turquie )
le Mufry ,ou le grand Pontife de la Loy, crente hommes à cheual auec des tambours, &
haut-bois , faiſoientla muſique à la Turque, ſepc ou hui & Egyptiens faiſeurs de poſtures
& fingeries ſont ceux- là ,monſtroient bien que la fortiſe à ſon rang auec les grandeurs du
monde : quarance Muſiciens marchoient deux à deux joüans du luth ,de la harpe ,& de
laguiterre , vn folaffublé d'vne barrette & d'vn manteau couuere desos de mouton , &
tenu Saint par les Turcs, ( car la folie eſt eneſtime à la Cour, & only reuere pour ſainte )
danſoic
1
du Grand Seigneur
. Liure I. 35

danſoit ſeul, & gambadoit apres ceux-cy.Cinquante des principaux Officiers de l'Ar
ſenal bien veſtus honoroient cerce ſolemnité , ou pluſtoſt en eſtoient honorez . Trente
hommes les ſuiuoient auec des marccaux , & autres ferremens, pour rómpre desmai
ſons , cequi auançoic trop ſur la ruë , & pouuoit empeſcher le paſſage libre à deux
grands arbres d'vnc hauceur démeſurée, chargez de diuerfes ſortes de fruicts faits de
cire , auec laquelle l'artifice auoit imité le naturel : ils eſtoient porteż par pluſieurs
hommes , & ſopſtenus par le haut & au milieu auec pluſieurs cordages : à l'ombre de
ces arbres marchoient vingt Officiers du Tefterdar grand Threſorier. Amet Bafra Sa
gois , ou Parrain de l'Eſpouſée, luy-meſmevenoit apres veſtuſuperbement,
& monté
à la Royale . Deux grands flambcaux allumez portez par pluſieurseſclaucs,le ſuiuoient:
Vn autre flambeau demeſurémentgros , auſſi allumé,eſtoit porté ſeparément; il eſtoie
tout couuerc de lames d'or, on euſt dità le voir quece precieux metail auoit eſté moulé
en corche , & allumé d'vne nouuelle flamme, pour éclairer en cette celebrité,auſſi bien
les yeux du corps, comme ailleurs il eſbloüit , voire aueugle ceux de l'ame . Outre cela
ce flambeau eſtoit plus eſclattant de pierreries , que de la flamme qui le bruſloir. Le
Raiſſer Aga auec cinquantt Officiers de la Princeſſe ſuiuoient la lueur de ces ſuperbes
lumieres. Apresceux- cy eſtoit porté vn grand daiz develours rouge cramoiſy , où per
ſonne n'eſtoit à couuere. Vn autre marchoit en ſuite plus riche que le premier , tout
couuert de lames d'or pur , avec de grands rideaux en façon d'vn liet , traiſnans iuſ
ques à terre , & fermez de tous coſtez .Sous celuy.cy eſtoit à cheual la jeune Princeſſe ,
ľvnique ſujet de cette refioüiſſance :quelques vns de ſes Eunuques noirs eftoient au
tour d'elle :ſon carroſſe couvert de drap d'or ,tiré par quatre grands chevaux blancs
merueilleuſement beaux, la ſuiuoità vuide , huict autres carroffes rouloient apres celuy
cy , dans leſquels eſtoient aſſiſes parmy des negres Eunuques plufieurs belles filles de
l'Eſpouſe, comme des brillantes eſtoilles parmy desmoindres nuées ſombres & noires:
dans le nombre de ces Damoiſelles eſclaues on en auoit choiſivingt- cinqde celles qui
paroiſſoient d'vne beauté plus accomplie : clles eſtoient à cheual aduancageuſement
veſtuës, leurscheucuxconfuſémenteſpars flotcoient par l'agication deszephirs, com
me desondesd'oren des mers d'amour , ſur leurs belles eſpaules: elles faiſoient la fin
agreable de cette pompeuſe monſtre, peut-eſtre artificieuſement , & affez ſubtile
ment pour des Turcs, afin que les ſpectateurs de cette Royale ſolennité , cuſſent pour
les derniers objets de leurs yeux, les images de la beaucé , qui formaſſent en leur ima
gination lesmarques durables du plaiſir &
, de la grandeur decette pompe.
Neantmoins elle ne promet pas aux enfans qui naiſtront de ce mariage vne fortune
égale à la qualité de Neueux de l'Empereur : les Loix fondamentales de l'Eſtat du
Turc , qui l'appuyent par où elles peuuent & le cimentent quelquesfois de ſang, de
fendent qu'ils puiſſent iamais auoir charge ou Gouuernement quiles rendent conſi
derablesà la Cour ; le plus haut degré où ils puiſſent monter , eſt celuy de Saniac , qui
eſt Gouuerneur d'un bourg ,ou d'une petite Ville , ou bien de poffedep ba charge de
Capigiballi, qui eſt Chef des Porciers du Serrail, comme en France Capitaine de la
Porte du Louure. Ainſion les tient bas , afin qu'ils ne puiſſent iamais troubler' l'Eſtaç
par leur authorité, & par leur naiſſance, qui les fait eſtre parens de la Couronne . Au
contraire ſi le Baſſa leur pere a des enfans nais de ſes eſclaues auparavant le mariage,
ceux -cy les precederont , & fans contredit pourront arriuer , s'ils le meritent, ou s'ils
ſont fauoriſez aux plus grandes charges de l'Empire .
Les oncles du Sultan du cofté des femmes , & ſes autres parens n'ont pas, à cauſe de

la proximité du ſang vn plus libre accez dans ſon Palais , & aupres de la perſonne,
que
celuy que leur charge leur donne ; ils ſe comportent enuers luy auec la meſme baffelſe
& ſubmiſſion que les autres , auec leſquelsils ſont également les cſclaues. La cauſe de
cela eſt , que les Turcs ne font pas grand eſtar des femmes, & ne croyent pas en les
donnant à des vils eſclaues, ou à des grands Baſſas, deshonorer ou honorer leur fa
mllle : l'alliance qui vient par leur moyen eſt comptée pour fort peu de choſc : d'ailleurs
la conſeruation de la Majeſté leur eſt G recommandable,que pour céceffet ils tiennent
en humilité tous les hommes de leur Empire , pareillement ceux qui ſe pourroient

éleuer par les droits de leur naiſſance , laquelle leur fait eſtre parens du Prince.

& ij
re l
oi rai ur
ſt
Hi du Ser , & de la Co
36

Des Enfans maſles du Grand Seigneur,de leur education , de la pompe

ſolemnelle de leur Circonciſion .

CHAPITRE XIII.

Es Enfans malles du Sulcan font apres leur naiſſance logez & nour
ris cous enſemble dans le Serrail , s'ils ſont nais d'vne meline fem
Y DIE
A me : mais s'ils ont diverſes Meres , on les ſepareen diuers logemens .
D Leurs Meres les voyent elleuer iuſques à l'aage de fix ans, auec la
jalouſie & l'enuie , quiregne ſuperbemententre des femmes de di
B uers li &s . Apres ce temps-là l’Empereur fait recompenſer les nour
rices, & les enuoye au vieux Serrail , lielles ne ſont point mariées,
& n'ont pointde maiſons à Conſtantinople. Cesicunes Princes , dés l'aage de cinq ans
iuſques à vnze ou treize , qu'ils ſont auec les femmes , ont leurs Precepteurs appellez
Cozas , que le pere leur donne : ceux- cy entrent tous lesioursau Serrail des femmes,

& ſont conduits par les Funuques noirs, ſans voir aucunes Dames : dans vne chambre
où ſont cesieunes Princes-là , ils les inſtruiſent en la preſence de deux vieilles femmes
Mores , tout autant de temps qu'il leur eſt permis d'y demeurer , apres lequel ils for
tent auec la meſme conduite qu'ils ont eu , laquelle les ramenc iuſques à la porte du

Serrail . Cérexercice ſe continuë , iuſques à ce que le Prince ait atteint l'aage de treize
ans , qui eſt l'ordinaire terme de la Circonciſion des Turcs , à l'imitation d'Iſmaël, du
quel ils font gloire d'eſtre deſcendus , qui fut circoncis en ce meſme aage. Quelques
fois le pere le voyantgrandir aupres de ſoy, n'attend pas filong-temps,il le fait cailler
à vnze ans , pour lemercre hors deſon Serrail, & l'éloigner de luy en quelque Gou
uernement de l'Aſie. La ceremonie de la Circonciſion eſt en Turquie la plus celebre
de leurs pompes, ils l'appellent Nopces, mais nopces de l'ame, & d'autant que l'ame eſt
plus excellente que le corps , auſſi la ſolemnité de ces Nopces furpafle grandement
celles des mariages corporels. Nous en deſcrirons icy ſuccinctement les particularitcz,
& prendroms pour cableau de cerce Royale magnificence, les preſens , les jeux , les fe
ſtins, & les galanteries qui furent faites à la Circonciſion de Mahomet troiſiéme, ayeul
de celuy qui regne auiourd'huy , quelquesiours auant qu'il furt taillé : car la Circonci
fion ſuic la feſte qu'on celebre à ſon occaſion.
La place des L'Hippodromeeſtà Conſtantinople vne grande place d'enuiron quatre- vinges toi
pompes & les de longueur , & de quarante de largeur , artiſtementbaſtie fur vn grand nombre de
jeux.
pilliers & arcades qui ſa ſouſtiennent puiſſamment , & empeſche qu'elle ne foic ſub
mergée par les eaux de la mer qui coulent au deſſous, la faueur de certains canaux qui
luy donnentontréer: C'eſtoic l'ancien Manege & courſe des cheuaux , comme le moc
le ſignifie, où les Empercurs Grecs les faiſoient manier , & donnoient aux yeux du peu
ple qui les contemploit d'un beau Theatre dreſſé au bour , le plaiſir de leurs pompeuſes
courſes. Le Theatre eſt maintenant abattu , & les belles pierres , dont il eſtoic conſtruit,
ontſeruy de matiere aux ſuperbes Palais des Baffas,qui lonccdifiez autour: cette place
eſt encore appelléc en Turc Almeiden , c'eſt à dire , Manege, là ſe font les magnificen
ces de la Circonciſion des Princes Turcs .

Lc iour venu qui doit commencer la Feſte , l'Empereur part à cheualde ſon Serrail
page les equi
prin pour venirà l'Hippodrome, le jeune Prince ſon fils eſtà ſon colté droit , le moins ho

cis Turcs vót norable parmy les Turcs veſtu d'vne riche robe de drap d'or , couuerce d'vn nombre
al'Hippodro
Aic . . infiny de diamans, & degroſſesperles rondes d'un prix ineſtimable : la pointe de ſon
tulban eſtoit coure brillance de pierreries encaſſées ſur iceluy : il eſtoit moncé ſur vn
beaucheual harnaché des plus riches harnois qui ſe trouvent dans le Serrail du Sultan:
le mords de bride d'or mallif portoit pluſieurs diamansenchaſſez , les eſtrieux de meſ
meeſtoffe eſtoienccouueres de Turquoiſes, les boucles eſtoient auſſid or enrichies de
rubis , & le reſte de l'harnachement ſuperbe à l'equipollent: le grand Vizir,les Beglier
beys de l'Alie, & de l'Europe , auec les autres Baſſas de la Porte fuiuoient leurs Sei
gneurs ,les Ianiſſaires Solaquis , Spahis , Capihis , & les autres gardes , & Officiers de
la Cour les accompagnoient, les vns & les autres veſtus & parez auec tant d'éclat & de
poinpe, qu'il ſembloicque toutes les richeſſes, non pas de l'Orient ſeulement, mais du
monde
du Grand Seigneur. Liure I. 37

monde vniucrfél ,auoient eſté tranſportées à Conſtantinople , pour orner les hommes
qui paroiſſoient en certe ſolemnité. Arriuez qu'ils furent à l'Hippodrome,vne douce
harmonie les receut: la premiere eſtoit compoſée de haut -bois, fifres , tambours &
trompettes, auec cel bruit, que l'air & la terre en recentiſſoient ; la ſeconde, les accla
macions du peuple , qui crioit à haute voix , Viue Sultan Amurath , & , Viue Sultan Ma
homet ſon fils. Celuy - cy , pour teſmoigner au peuple combicn il cheriſcoit leur affe
dion ,
voulut faire largeffe de la main , il jetta pluſieurs groſſes poignées d'or & d'ar
gent ſur eux . Tandis que ces Princes trauerſoienc la place ,on fic marcher deuant eux
par artifice cinq groscierges de cire allumez & ornez de clinquant, embellis de coures
fortes de fleurs :ilseſtoient d'une groſſeur& hauteur démeſurée , pluſtoſt ſemblables à
des gros cheſnes,qu'à des flambeaux ; ils porcoient quarante pieds de hauteur.
Les Sultans ayans trauerſé la placeencrerent au Palais d'Hibraim Baſſa , dont le pauć
de la cour d'iceluy eſtoit cour couuert de drap d'or , ſur lequel ils marcherent, & fu- Places ,des
rent prendre leurs places, pour eftre, & les ſujets & les ſpectateurs de cette pompe
Royale. Le Pere entra dans vn pauillon qui luy eſtoic preparé , vn portique en dépen
doicorné de riches peintures à l'Arabeſque , qui regardoit ſur la place : le filsentra dans
vne chambre à coſté vers la main gauche , où ſon lege cltoit dreſſé. La place des Sul Celle des sols
canes eſtoit jointe au pauillon , clleseſtoient en toutla Mere du ieune Prince , & fem tanes ,
mc de l'Empereur , fa ſæur jeune Princeſſc ; & les femmes de leur ſuite , les robes , les
brillans, & les perles qui les paroient eſtoient dignes de la femme & de la fille du plus
puiſſant & plus riche Monarque de la terre . Tous les Agas & Capicaines de la Porte
eſtoient dans vne galerie là proche : au bout de ce meſme corps de logis eſtoic dreſſée
vne autre galerie à trois eſtages, on les auoit ſeparez par petites loges en forme de çabi
nets , au premier & au plus haut deſquelseſtoit le grand Vizir , lesautres Vizirs , les Be- celle des
Ballas.
glierbeys de l'Aſie & Europe eſtoient placez en luitte, & le Baſſa Occhiali Capicaine
de la mer, ou General des galeres , & de toutes les forces de l'Empire, que la fortune
auoit tiré du meſtier de vilpeſcheur de la Calabre', & éleué juſquesà ce degré. Au le
cond eſtage eſtoient pluſieurs Seigneurs & Courtiſans de la Porce. Au troiléinç, & au
plus bas on auoit marqué les placesdes Ambaſſadeurs des Roys & Princes Chreſtiens:
. Celles des
Celle de l'Ambaſſadeur de France eſtoit au premier rang , celuy de l'Empereur auoit Amballa
le ſecond , le Polonnois le troiſiéme, le Bayle de Veniſe le quatrićmei , & le cin- deurs Chren
quiéme celuy de Raguſe: ils eſtoient tous parez de drap d'or , luinis de leurs Gencils- ftiens,
hommes veſtus de melme. Celuy de France n'y aſſiſta point, n'eſtımant pas qu'il fuſt
ſeanc à l'Ambaſſadeur d'vn Roy Tres- Chreſtien, & Fils aiſné de l'Egliſe de Dieu , de
paroiſtre ſpectateur d'vnc ſuperſticion contraire à la Loy de la Religion .Neantmoins
ſes Loges furentgardées vuides, au deſſus de celles de l'Ambaſſadeur Imperial,& pec
ſonne ne s'y mit pendant la Feſte,
De l'autre coſté de la place eſtoient dreſſez des Theatres & Loges pour les Ambaſ. Celles des
ſadeurs des Princes Mahometans , qui ne voulurenc paseſtre placez aupres des Chre- Ambaſla
ftiens. Le premier rang fut donné à celuy de Perſe qui cſtoit ſuperbement veſtu de ces deurs
homcta22
ns,
belles robes d'or à la Perſienne, boutonnées en eſcharpe , les Gentils -hommes de fa
ſuite égaloient en pompe & leftiſe quels autres qu'ils fuſſent de leur condition. Les
monts Iuviſide leurs tulbans couuerts de belles Turquoiſes donc leur pays abonde ,
faiſoient vne agreable vevë:ils y auoient amené quant & eux leurs femmes met
veilleuſement belles , & veſtuës aſſez auantageuſement pour leurs graces :.elles cou
urent leurs teſtes de pluſieurs bandelettes de loye & d'or,
encorcillées auec leurs chc
ueux qu'ils laiſſent pendre iuſques à la ceinture,& ſe font mignardement deux petites
cornes de cheucux enrichies de perles& de pierreries , leſquelles viennent battre iuſ
ques ſur leurs beaux fronts : elles faiſoient naiſtre l'enuie dans les eſprits des Sulcanes
qui les contemploient , & admiroient leursgraces au travers les jalouſies de leurs fene
Ares . Auſſi de toue cemps la Perſe a remporcé la gloire d'auoir chez elle les plus belles
femmes du monde : les filles de Cyrus, & la femme du Roy Darius auoiêc cant d'actraits
en leurs beaux viſages, qu'Alexandre n'oſa iamais les regarder, craignant d'en eſtre
vaincu ,& Roxane,quoy que de baſſecondition , ſe trouua fibelle, qu'elle merita l'hon
neur d'eſtre femmedece grand Prince . Les Turcs , & les Turques n'entrent point en
parangon de beaucé auec les Perſiennes à quielles cedent, & diſent que leur Prophecê
Mahomet ne voulut iamais aller en Perfe , & quand on luy'en demandoit le ſujecil
reſpondit que les femmes.y eſtoient aſſez belles pour donner de l'ambur aux Anges:
e iij
ire l
38 Hiſto du Serrai , & de la Cour

mais ce Caffard n'en a pas eſté plus chaſte pour cela . L'Ambaſſadeur des Tarcates
eſtoit placé apres le Perlien ; il eſtoit brúcalemènc paré , & ſuiuy commeles meneurs
d'Ours, ou de beſtes farouches ; car ſes gens cftoient couuerès de peaux d'Ours, de Re
nards , de Loups , & aucïès ſemblables,
dont le poil eſtoit par dehors, les bonnets de
meſme, & luy veſtu de peaux demarires zebelines: de force que ceux qui les voyoicnt
ainſi , pouuoient auoir cette penſée,queles beſtes farouches auoient quitté leurs antres
& leur cauernes , pour voir la magnifique pompe de ce Royal ſpectacle. Les Ambaſſa
deurs de Fex , de Maroc, de Tranſfiluanie , & de Moldauie, eltoient apres. Celuy de
Pologne ſe trouua fortuitementde leur coſté dans vnc Loge à part , qu'il y fit dréſler
tout à l'heure :car cltant arriué crop card , & voyant fon rang occupé, il ne ſe vouluc
pas aſſeoir apres les autres Chreſtiens. Les joueurs d'inſtrumens, & la Muſique Tur
que eſtoient aupres d’eux en nombre de ſix-vingts hommes auec des tambours de Baf
ques, fifres, fuſtes, cimbres , cymbales, & autres inſtrumensà la Moreſque , jouans con
fuſément tous enſemble , & rendans vne harmonie aſſez melodieuſe pour faire danſer
lesaſnes ,car ils ne changent iamais de nore.Cinq cens Ianiſlaires furent ordonnez dans
la place , pour empeſcher qu'il ne s'y fiſt aucun deſordre : & auec eux eſtoient trois
cens Fagins vcſtusà la fancaſque , couueres de ſonnettes , tenans en leurs mains des ou
dres endlez, deſquels ils frappoient ceux qui s'auançoient trop , & faiſoient faire large .
Cela bannit la confuſion de ce lieu, empeſchale tumulte , & donna loiſir & lieu à vni 1
chacun , dc voir à ſon aiſe les merueilles qui ſe fireht er cette place .
Les rangs ainſi diſtribuez, & l'ordre ſagement mis , les Ambaſſadeurs furentau Baiſe.
Preſens des
Ambaſſa . main , ou au Baiſe-robe , vers le Sulcan , & luy firent des riches preſens: car on ne va
deurs , iamais vers luy fans apporter. Cette couſtume m'a fait ſouuent reſſouuenir en la liſant,
de la miſerable condition de ceux qui plaidenc en France , qui ne vont point que la

main garnie . Or il fut comblé depreſenspar les Ambaſſadeurs, en cette ſorte. Celuy
de France luy preſenta en particulier, & non en public , comme font les autres,afin

quece Prince ſceuft, & que les peuples viſſenc que nos Roys donnent par courtoiſic &
amitié , ce que les autres luy apportent par eribur: il luy donna donc un magnifique
horloge d'vn tres -rare arcifice, qui ſonnoit lesheures melodieuſemencen muſique, par
vingt-huit clochettes d'argent, & aucc cela trence pieces d’eſcarlace. Lc Bayle de Ve
niſe preſenta vn buffet devaiſſelle d'argent,la moitié dorée , & le reſte blanche,demie
douzaine de grands ſeaux d'argent à puiſer de l'eau , dix pieces de drap d'or, de foye,

ſatin , & damas, & vingt d'eſcarlate. Le Polonnoisdonna vn cimeterre, dont la garde
& lc fourreau eſtoient couuerts de pierres precieuſes.Le Raguſois donna quinze bela
:: les coupes d'argent, pluſieurs cierges de circ blanche que les Turcs eſtiment,& quel
ques pieces d’eſcarlace. Le Perſien preſenta deux Alcorans , & quelques autres Liures
de la Loy deMahomet , couuerts d’or maſſif, pluſieurs tapis de Perſe tiſſus d'or , & de
foye , & bon nombre de groſſes perles. L'Ambaſſadeur des Tarcares donna pluſieurs
peaux de martres zebelines;& quantité d'autres fourrurestres -exquiſes ; & d'vn riche
prix . Tous les autres luy firent des preſens, ſelon l'ordre & le rang des Princes qui l'es
enuoyoient.
Celles à qui les loix d'vn ſeuere amour, & les tigueurs de la jalouſie, defendoient de
Feſtes
Sult cn voir en cette place les merueilles de cette ſolemnité, en celebroient neantmoins la
anes des
fermées. Feſte dans les beaux lieux ;où elles ſont enfermées , Carles Sulcanes & les concubines
du Grand Seigneur, firéc des jeux & des feſtins dans le Serrail , où le Prince les viſita, les
honora de riches preſens, & donna pour lors à la Sultane Aſachi
, c'eſt à dire , Couron
néc , que nous auonslogée aupres de luy dans le Palais d'Hibraïm Baſſa, vne Couron
ne de pierrerie de la valeur de cent mille eſcus. Il leur fit apporter vn grand nombre
d'animaux de diucrſes couleurs faits de ſuccre , repreſentez au naturel, de la grandeur

qu'ils doiuent cftre , comme deChameaux , Lyons, Elephans, Tigres, & pluſieurs au
tres : Les . Ambaſſadeurs en eurent leur part , fix pieces furent enuoyées au logis dece
) luy de France . Cela arriua quelques ioursauant la pompe de l'Hippodrome, qui fut
celebrécn la façon quiſuit.

Le Mufry, qui eſt le ſouuerain Pontife de la Loy des Turcs, en ouurit le commence
mene,ilparatle premier dans la place majeſtueuſement aſſis dans vn Tabernacle porté
Lc Clergé de
Mahomet, ſur le dos d'ún Chamcau : il auoit en ſes mains vn Liure qu'il fucilieroit ſans ceffe : au

tour de luy eſtoient à piedvn grand nombre de Preſtres, & de ReligieuxMahomecans,


qui tenoient auſſi des Liares. Mais leurs fantaſques habillemens monltroient claire
mens

4
du Grand Seigneur . Liure I. 39

ment les bigcarreries de leurs brutaux eſprits : les vns auoierie: la teſte couucite d'vn
capuchon , les autres demitres ,quelques-vns de couronnes : pluſieurs peaux de beſtes
leur feruoient de robe. Ils ne furentpas pluſtoſt arriuez à la place, qu'ils commence
rent à ceſmoigner leurmodeſtie religieuſe, en fifflant, hurlañc, frappansdes poiſles ,&
des ballins, faiſans ſonner des clochettes qu'ils portoiencen main , qu'oni euſt dit que
ces teſmoignagesde leur deuotion zelée,eſtoient vn inſolent chariuary , au ſon duquel
ils fautoient, & gambadoient ſans ceffe. En cette contenance ils firent trois cours par
la place, apres leſquels ils s'arreſterent deuant la feneſtre du Grand Seigneur, quirc
gardoic leurs ſortiſes au trauers vne jalouſie : là ils firent leurs prieres, pendant leſ
quelles quelques Religieux de la troupe cirerent leurs grands couteaux, & fe decou
perent la chair en pluſieurs endroits de leurs corps pour l'amourde leur Prophete , &
de leur Sulcan . LeMufcy deſcendie de ſon Tabernacle , entra dans le Palais, & fic ſes
preſens, qui conſiſtoient en quelques Liures de la Loy . Apres cela il ſe recira auec la
brutale compagnie de ce monſtrueux Clergé .
Et d'autant que cette premiere troupe eſtoit ridicule , celle qui la ſuiuoit eſtoit de- Les Patriaca
ches Chre
plorable : c'eſtoient deux Patriarches Chreſtiens, celuydes Grecs , & celuy des Arme ſtiens,
niens , veftus de longues chapes noires , qui ſont leurs veſtemens Patriarchaux , & cer
tes les veritables couleurs de leur ſeruitude, & de leur dueil : Ils eſtoientluiuis de quel
que nombre de Preſtres Chreſtiens , leur demarche eſtoit pitoyable , ils auoient lateſte
baiiſée dans la place en telle ſorte que les Chreſtiens qui eſtoient venus en ce lieu - là
pour rire ,y trouuoient vn digneſujer de pleurer , voyant l'Egliſe aux fers de la cruauté
des Turcs, & les venerables Paſteurs d'icelle forcez de s'aller humilier aux pieds de
leur Tyran , & ennemyde leur Loy , en vne ceremonie ſuperſticieuſe , & contraire à
leur Religion ; leuer ſur luy leurs mains ſacrées , & proſtituer fur fa perſonne la grace
de leurs benedictions: C'eſt l'eſtat où la diuiſion des Chreſtiens les a reduits . Quand
ils furent arriuez deuant le Sultan , ils prierent Dieu à haute voix , qu'il le benit ; luy
preſenterent vn grand vaſe d'argent plein de pieces d'or , & s'en retournerent plus
pauures qu'ils n'eſtoient venus .

Les Marchands vindrent debiter ſans profit les plus belles de leurs marchandiſes: Les Mara
ils eſtoient bien millehommesen troupe,ou Turcs,ou Chreſtiens,ou luifs,cous veftus chands,
de robes d'or , ſuiuis d'vne agreable bande de ieunes hommes habillez en filles , ayant
l'arcà la main , & la trouſſe lur l'eſpaule pleine de fleſches d'or. Vne troupe enfantine
de beaux petits garçons de la forme des Amours,couronnez de fleurs , & tenans vn
dard en main , trainoient ſans peine vn chariot qui lesſuiudic, ſur lequel eſtoit poſée,
& ouuerte vneboutique pleine de drap d'or , & de ſoye , auec des tapis de toute ſorce ,
qu'ils preſenterent au Sultan , & crierent,Viue Sultan Amurath.Les Orfévresſuiuoient Les Offe
apres, leursparures faiſoient bien voir qu'ils ſe meſoient d'vne precieuſe marchandie vres.,
ſe : ils eſtoient tous couueres de pierreries ; quelques- yns de leur nombre trainoient
vneriche boutique pleine de vaiſſelle d'or & d'argent, qu'ils donnerent au Grand Sci
gneur . Vne petite troupe d'autres Orfévres faiſoit bande à part , c'eſtoient ceux du
Baieſtan , dont nous auons parlé cy - deuant , magnifiquement parez ; les pierreries, &
les perles qui eſtoient ſur leurs habits , furent eſtimées à vn million d'or. Lęs preſens
qu'ils firent furent grands & riches. Tous les autres artiſans parurent en leur ordre, &
tous crauailloient de leur profeſſion . Lesouuriers en drap d'or , & de loye, en nombre Les artiſans
de cinq cens hommes bien veſtus , faiſoienc marcher deux meſtiers quand & eux ; ſur de diuerſes
leſquels ils firent vne piece de drap d'or, & vne de ſoye , auant qu'ils euſſentacheué fortes,
les trois cours de la place. Les Parlementiers en firent autant de leur façon : ils eſtoient
au milieu de pluſieurs ſortes d'animaux , faits de ſoye, qui marchoient auec eux par
artifice : les Tiſſerans, Tapiſſiers, & Cotconiers y trauaillerent auſſi de leur vaca
tion . Les Plumaſſiers repcurent de plume & de vent la curioſité des ſpectateurs : ils fi
rent fort ingenieuſement de leurs eſtoffes , pluſieurs oyſeaux qui voloient par l'air,
comme s'ils euſſent eſté naturels . Les Tailleurs faiſoient des habits en paſſant par la
place ; les Forgerons des ouurages defer, les Potiersdes pocs , les Couceliers des cou
tcaux, les Selliers des ſelles ,les Maçons baſtiſſoient ,les Verriers ſouffloient le verre,
les Boulangers cuiſoient, & ce qui n'eſtoit point agreable , les ſales Bouchers tuoient,
eſcorchoient des beſtes, & donnoient la chair au peuple. Les Iardiniers s'y trouuerenc

chargez de fleurs, les Laboureurs auec la charrue y labouroient le ſable de la place , les
Bergers auec leurs gras troupeauxy firent leurs croistours : Les Mulęciers , Bedoïns &
{

40 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

Chartiers y menerent leurs mulets, leurs cheuaux , leurs aſnes, & leurs buffles : leurs
harangucs groſſieres ne chacoüillerent pas beaucoup les oreilles du Sultan , ny leurs
preſens n'accirerenc pas ſes yeux à la contemplation de leur beauté, il n'en eut que du
bois , des pierres , &de l'eau :& ce qu'il en faiſoit , comme le penſe , ſouffrant quc la
forfanterie de ceçte maraudaille occupaſt ſon loiſir, eſtoit pour repreſenterà ſon am
bition la fabrique du monde , duquel elle aſpire à la domination, en receuant les hom .
mages tels que ces gens-là les peuuert rendre. Les Juifs furent les derniers faiſeurs de

preſens : ils eſtoient trois cens ieunes hommes ſeparez en trois bandes déguiſées en di
uerſes nations : l'vne eſtoit veſtuë, & armée à la Françoiſe ; l'aucre repreſencoit des Er
pagnols , & la croiſiéme des Suiſſes auec leurs brayecces : ils auoient pour leur ſuite vne
infinité de Dragons , de Sereines , & des Tortuës de mér , qui marchoient artificieuſe
ment par la place, & auec cela des plaiſantes croteſques , à ſçauoir des femmes qui
auoientregnéleurs quenouilles à leurs maris , & les faiſoient filer: elles eſtoient mon
tées ſur leurs eſpaules pour monſtrer leur Empire , & faiſoient voir la miſerc de ces
badins chargez de ces importuns fardeaux.
Comhats ar. Ces hommages, & ces preſens du peuple ainſi paracheuez , les combats de guerre
rificiels . firent voir la force de leurs artifices, & les jeux , le plaiſir de leurs galantiſes : le grand
Vizir voulut auoir l'honneur d'expoſer aux yeux de ſon Maiítre la repreſentation de
ſes victoires contre les Chreſtiens; il fit traiſner dans la place deux grands Chaſteaux
de bois diuerſement peints , montez ſur roües , garnis de leurs cours ,
fortifiez de rem

parts , &munis d'artillerie ,l'un deſquels eſtoit gardépar des Turcs, qui auoient plan
té ſur les tourelles pluſieurs enſeignes rouges, blanches, & vetces ; l'autre eſtoit defen
du par des hommes habillez , & armez à la Franque, qui paroiſſoient Chreſtiens; leurs
Enſeignes eſtoientornées d'vne Croix blanche ; ſansdouce elles auoient eſté priſes en
quelque rencontre ,
ou ſac de Ville ſur les Chreſtiens. Chacun de ces Chaſteaux auoit
trente cheuaux qui faiſoient pluſieurs ſorties, ceux des Turcs forcerent les autres de
faire la derniere retraite dans leurfort, où il les enfermerent, les aſſicgerent, baccirent
leurs murailles , y firent breſche, l'enuoyerent reconnoiſtre , & marcherent à l'affaut
auec leurscris, & hurlemens accouſtumez: le peu de reſiſtance qu'ils y trouuerent les
cn rendic bien -coſtles maiſtres, & les vainqueurs, quoy qu'ils fuſſent auſſi les vaincus;
car c'eſtoit contre eux -meſmes qu'ils combattoient: Que ſi veritablement ils euſſent
cu à faire à des Chreſtiens ,ils n'en euſſent pas eu fibon marché. Auſſi-toſt qu'ils y fu
rent entrez, ils abandonnerent la place à leur cruauté , mirent tout au fil de l'eſpée,
deffus les mu
trancherenc la cefte aux principaux, efleuans apres de fauſſes teſtes par
railles . Le mépris qu'ils ont de nousacheua le triomphe , ils laſcherent emmy la place
enuiron trente pourceaux qu'ils auoient enfermez dans le fort, & coururent apres en
eriant & hurlant par mocquerie. Ainſi lesTurcs ne ſe joüent qu'en mépriſant les Chre
ſtiens , ne trauaillent ſerieuſement qu'en les ruinant : & ceux- cy par vne funeſte diui
fion leur preparent les victoires, leur diſpoſent les triomphes qu'ils remportent ſur eux
auec vne grande facilité.
Occhiali Baſſa grand Admiral de la mer , ſurpaſſa par ſon induſtrieľarcifice du Vizir.
L'image de la Il fic rouler ſur la place vne grande Ille admirablement bien faite d'ais & de carte , qui
priſe de Cy- repreſentoit Cypre :Deux puiſſantes armées la cenoient aſſiegée, l'vne par mer, & l'au
pre .
tre par terre: on y voyoit naïfuement leur deſcente en l'Ille, le ſiege de Famagouſte,
les fortics , les eſcarmouches , les batteries , contre- batteries , mines , contre -mines,
breſches, aſſauts,ſur-affauts,feux artificiels, & tout ce que la fureur de la guerre aſceu
mectre au iour . Tantoſt les Turcseſtoientmaiſtres de lamuraille , tantoſt la generoſité
des Cypriots les en repouſſoit : le temps , la force , & le manquement de ſecours firent

receuoir à ceux- cy la compoſition qu'on leuroffrir, la delloyauté Turque ne la garda


pas neantmoins, elle mit les vnsà la chaiſne, & paſſa les autres au fil de l'eſpée : car couc
cela ſe void dans la place : alors le fon des trompettes, le bruit des tambours, les hurle
mens des Turcs , lestonnerres des canonnades , ſembloient prendre veritablement vne
autre Ile de Cypre: La merueille de cette naïfue repreſentation pleut grandement
au Sultan , reſioüit le peuple , & renouuella dans l'eſprit des Chreſtiens la douleur de
leur perte , le Ciel le voulant ainſi pour chaſtier leur crop grande curioſité de ſemeller

parmy ces infames Mahometans, & eſtre auec eux ſpectacours des pompes de leurſu .
perſtition . Mais il ne laiſſa pas impunie l'inſolence de ceux-là , il fic voir que ſi la Iuſtice
leurpermetd'eſtre le Aleau des Chreſtiens , elle ne ſouffre pas couſiours qu'on les ait en
deriſion :
du Grand Seigneur . Liure I. : 41

deriſion : les canonnades où il n'y auoit que de la poudre, coucherent morts ſur le paué ,
pluſieursde ces preneurs d'Illes en peinture, & en bleſſerent vn grand nombre.
Quelques autres Chaſteaux d'artifice parurent apres , monftrans preſque la meſme Chaſteaux
choſcquc celuy du grand Vizir : vn entr'autres le plus petit de tous porcoit deux
artificiels,
: tours , dans leſquelles y auoit deux hommes armez qui combattoient l’yn contre l'au
treà coups de cimecerres, manioient des enſeignes vertes, & des maſſuës de verre fans
les caſſer. Les Romeliens, & lesAlbanois , que le Turc tient pour les meilleurs genſ
d'armes, vindrencen ſuite la lance au poing, & la targue à gauche, ils n'ont point celle dire ,
là en l'arreft., comme les * Franques , ſeulement elle eſt attachée à vne corroye de la Italiens,Feran :
ſelle : car ils ne portent point decuiraſſes : pluſieurs de leurs chcuaux y furent tuezen çois , Eſpa.
combattant . A pres la batterie ils coururent la bague à leur mode , qui eſt de planter snols , & c.
cn terre vne petite verge de fer, au bout de laquelle ils mettent vn anneau vn peu plus
grand que ceux dont nous vſons en France. Ceux quimirent dedans, portans à pied
la bague au bout de leur lance , s'allerent preſenter au Sultan deuant la feneſtre , il
leur ietta vn anneau d'or pour recompenſe ,la façon de le prendre ne fut pas ſans my
ſtere : en le leuant de terre , le Caualier le baiſoit , le mettoit ſur ſa ceſte , & s'incli
nant fort bas faiſoit la reuerence , & fcretiroit. Lors que ceux-cy ſortoient de la place ,
on y fir entrer trente foldats Chreſtiens recemment pris en la guerre de Hongrie, ils
ſuiuoient les fers aux pieds le triomphe des Capitaines Turcs , qui les auoient pris,
quelques enſeignes , & des tambours de leurs compagnies compoſoient le trophée
de ecs Barbares.

Vne belle troupe d'Archers à cheual arriue peu apres auec vne joye bien plus ge
Archersà che
nerale , les galantiſes qu'ils y firent ſont admirables. Apres qu'ils eurent acheué leurs ual , & leur
courſes la cargue à la main gauche , & le long dard , ou demy- pique à la droite , can- dexterité,
coſten bataille rangée , puis à la debandade , ſe le ietcant l'un à l'autre , & le releuant
de terre en courant, ils fe mirent à la courſe à toute bride , pendant la viſteſſe de la
i
quelle , ils tiroient trois fois le cimeterre du fourreau , & trois fois l'y remettoient ſans
s'arreſter: en lameſmefaçon ils tiroient trois fois de l'arc , la premiere ils donnoient
dans le fer de derriere du cheual:la ſeconde , ils frappoient vne pomme d'or qui eſtoit
$ ils
ſur le haut d'vn grand maſt de nauire dreſſé au milieu de la place : du dernier coup
r
donnoient dans la bague, où auoient couru les Albanois, quieſtoient deuant eux :
puis ſe leuant debout ſur la ſelle de leurs cheuaux , couroient à toute bride , & ma
nioient leurs armes comme auparauant. Quelques -yns de leurtrouppe firent des cho
ſes du tout eſtranges : Il y en cutvn qui oſtoic la ſelle du dosde fon cheual , la meccoic
ſur le col , & la remercoit en ſa place en courant touſiours. Le meſme mit vne orange
ſur le culban de ſon cſclaue, & en courant la perça de pluſieurs coupsde feſches ſans
offenſer l'eſclaue : il perça d'vne fleſche vn gros morcier de fonte: dauantage il lia deux
chevaux enſemble ,mit ſur chacun un pied , & ſe cenant debout , ſouſtenoit vnicune
garçon toutdeboutqui tiroit de l'arc en galopant:Vn'autre des meſmes Archers cou
roit à toute bride , la teſte ſur la ſelle de ſon cheual, les pieds contremont entre quatre
cimeterres , qui auoient les pointes dreſſées : deux hommes de leur trouppe ſe mirent

ſur vn chcual dans vne meſme ſelle , voltigeoient deuant & derriere, tandis que le che
ualcouroit , deſcendoient & remontoient ſans s'arreſter. Vn Arabe qui s'eſtoit mellé
parmy eux adjouſta à leurs gentilleſſes la force de ſes machoires , il bafta vn cheual auec

les dents, ayant les mains liées, y mit des panniers , & puisy iecta ſon garçon deffus
pour le charger : il ſella encore ſon chcual de la meſme façon , & ſauta deſſus; certes les
morſures d'un tel galand euſſent eſté dangereuſes.
Cecte journée ( car toutes ces merueilles ſe firent en pluſieurs iours ) s'acheua par Sacrifice du
quelques actions de piecé à la Turque , que le Sultan fit à la porte par où on va à Andri . Sultan,
nople , il y alla au ſortir de la place auec le ieune Prince Mahomet ſon fils, & tous les
Grands de la Cour, où eſtant arriué il fit facrifier quatre mille moutons , & quantité
de bæufs qu'il fit roſtir cous entiers, dans chacun deſquelson mettoit vn mouton en
cier , dans le mouton vne poulle , dans la poulle des ceufs, & faiſoit diſtribuer le tout
aux pauures. Cefur alors qu'ilreceut les nouuelles de la deffaite de ſon armée en Perſe,
car le plaiſir des pompes humaines n'eft iamais ſi parfait, qu'il ne craiſne quant & ſoy
quelque ennuy: celuy de cette defroute ſe deſchargea ſur l'Ambaſſadeur de Perſe . Le
Turc viola fa perſonne ,leficmettre en priſon , & en plein iour à la veuë de tout le peu
ple , & des autres Ambaſſadeurs, fit deſtruire la loge.
f
ire l
42 Hiſto du Serrai , & de la Cour

Baftclerics. Mais cela n'empeſcha pas que le iour ſuiuant la Feſte ne fur continuée . Vnę troupe
de Baſteleurs excellens, dont la Turquie abonde ſur toutes les regions de la terre, fi
tent auec le communeſtonnement de tous les ſpectateurs , les choſes qui s'enſuiuenc.
Le premier qui parut dans la place enferma yn ieune garçon cout nud dans vn con
ncau , auec vinge-cinq, ou trente gros ſerpens, & le roula tout autour de la place, &
puis en recira le garçon ſain & entier: les meſmes ſerpens picquoient & mordoient les
autres qui s'en approchoient. Apres cela on enterra vnicunc enfant bien auant dans

yne foſſe, on le couurit de terre, comme s'il euſt eſté mort , & neantmoins il reſpon
doit auſſi diſtin &tement, & intelligiblement à ce qu'on luy demandoit , comine s'il
cufteſté hors de terre . Vn autre vine coucnud ſe preſenter ſans honte , mais non pas
lans force plus qu'humaine, il ſe coucha à la renuerſe ſur le tranchant de deux cime
terres: pendant qu'il eſtoit en cette poſture, on mit ſur ſon ventre vne groſſe cnclume
de fer, ſurlaquellequatre hommes frappoientà grands coups de marteaux , & outre

ce , ils fendirentſur luy pluſieurs pieces de bois ſans l'offenſer. Apres que cet homme
à durc peau ſe fut retiré, vne troupe d'autres hommes nuds s'expoſoient à la veuë de
tout le monde , tout couuercs deplayes, le corps encores lardé des meſmes armes qui
les auoient faites, les vnes de Alcfches, les autres de couteaux ,& d'eſpées: mais auano
que ces forcenez euſſent acheué leurs trois tours, deux de la croupecomberent morts
à la renuerſe , qui fit connoiſtre que leurs bleſſeures eſtoient pluſtoſt des marques de
leurs folies, que des enchantemens. Vo autre monſtra la force de la guculle , & de ſes
mains , il cenoir entre les dents vn fer de cheual , dontil en arracha la moitié auec la
main , rompic vn ſoc de charruë de trois coups de poing , & en fic rougir vne piece au
feu , la prit auec les mains , la leſcha auec la langue, s'en frotta le viſage ſans eſtre
bruſé. Il fic apres plaiſamment danſer yn chevron ſur ſes eſpaules fans qu'il le couchaft,
le faiſant paſſer ſans ſe remuer d'une eſpaule à l'autre . Vn teſtu ſuiuoit celuy - cy , fuc
la teſte duquel fut caſſée à coups de marteaux vne groſſe pierre , qu'à peine vn homme
cult pû fouleuer de terre : Il ſe fit couurir d'un grand monceau depierres, iuſques à
ce qu'on ne le voyoit plus , ſans que de tout cela ileuſtla moindre incommodité. Vne

autre bande parut apres,cellement durs des pieds, qu'ils marchoient nuds fur vne herſe
garnie de pointes de fer allerées, & de couteaux tranchans:vn homme les ſuiuoic
qui leua auecyne corde attachée à ſes cheueux , ſans s'aider des mains, vne pierre du
poids de cent cinquante liures. Pluſieurs animaux inſtruits à l'arc de baltelerie, accreu
ient le plaiſir des aſſiſtans, des petits oyſeaux alldient querir vne piece d'argent d'auſſi
loin qu'on la leur monftroit, & l'apporcoicne à leurs maiſtres ; les aſnes y danſoient,
les chiens & les Gingęs y faiſoient mille plaiſans cours. Les luicteurs du Grand Sei
gneur y firent voir leurs forces, & leurs ſoupleſſes, huilez & graiſſez pour éuiter la
priſe de leurs ennemis : ce ſont les hommes plus concinens de la Turquie , ils garden
auec raiſon Icur virginité entiere , & diſent qu'elle leur entretient plus long - temps la
force du corps. Les Speichs , quiſontles laquais du Sultan , voulurent auſſi eſtre de la
partie , ils ſe trouuerent ſur la place auec leurs pieds ferrez , courans& ſautelans d'vne
admirable viſtoffe & difpoficion . Ces hommes ont la peau ſi dure , qu'à peine vn ma
reſchal y pourroit faire entrer vn clou : ils ſe la font endurcir par plaiſir . Les danſeurs,
ſur la corde , y firent des tours & des foupleſſes incroyables ;ils ſurpaſſent en ces lieux
là , l'agilité de tous les autres qui font ce meſtier , en quelle parc du monde qu'ils
puiſſent eſtre. .

Elephans & Deux Elephans , & vne Giraffe, furencamenez dans l'Hippodrome, pour accroiſtro
Giraffe. par cette nouucaucé le plaiſir du Sultan . Les Elephans eſtoient differens de forme , il

y en quoit vn grand , & vn pecit. Le grandeſtoit crois fois plus haut , & plus gros qu’vn
buffle, & qu'vn petit bæuf; il portoit ſur ſon dos vn petit chaſteau de bois affez leger,
dans lequel pouuoiencdemeurer cinq ou ſix ſoldats ſans eſtre preſſez : la ceſte en con
paraiſon du reſte du corps eſtoit pecite : du bouc de la partie ſuperieure du muſeau
pendoit iuſquesen terre vne longue trompe , de laquelle céc animal ſe ſerc auſſi dex
* Voyez l'E- trement que l'homme faic de la main , en prend ce que * ſon appetit luy conſeille , en
dansles comme porte ſon manger àla bouche ,s'en fert de defenſe auec vne force incomparable: Scs
turies , où ilyeux ſont petits commeceux d’yn ſanglier, la machoire inferieure eſt ſemblable à celle
parle de cét decér animal :il a deux groſſes dents forieccées à celles de deſus, longues d'enuiron
animal
cinq pieds : ſes oreilles ſontrondes & grandes, couchées ſur ſon dos , illes dreſſe quel
quesfois :ſes jambes égales ſont ſemblables à des piliers, auſquelles il ne paroiſt aucunes
iointures,
du Grand Seigneur . Liure I. 43

jointures , quoy que cét animal en ſoit fourny, il ne les plie qu'à demy, ce qui eſt cauſe
qu'il ſe laiſſe cheoir ſur le coſté : les pieds ſont ronds , garnis de cinq ongles; la peau eſt
noire , & peu couuerte de poil . Les Naturaliſtes remarquent, & l’experience le confir
me , que cette beſte a vninſtinct fi puiſſant, qu'il la fait paroiſtre douée de iugement : les
exemples ſont dans les Hiſtoires: Celuy-cyeſtantconduit deuant la feneſtre du Grand
Seigneur,leua la ceſte pour le regarder, puis la baiſſa forc bas en ſigne de rcuerence : on
jecta par terre vnc poignée d'aſpres, qui eſt vne monnoye petice commedes Carolus :
il la relcua auec ſa lourde trompe , auſſi proprement qu'vn homme ſçauroit faire de la
main : hui & hommes Turcs des plusrobuſtes tenoient vne longue perche à toutes leurs
mains , ils luy en tendirent vn bout : auſſi-coſt qu'il l'eut ſaiſi auec ſa trompe ,il les faiſoit
tourner & vireuoleer en ſe jouant , auſli facilement que s'ils euſſent eſté de plume:
apresil hauſſa la perche,& en donna vn ſigrand coup contre terrc , que ces hommes fu
rent contrains de l'abandonner : en eſtant donc lemaiſtre , il la manioit comme vnc
eſpée à deux mains , auec vne admirable dexterité. Ainſi les Indiens ont raiſon de ſe
feruir à la guerre de la force, & de l'addreſſe de ces animaux : ils portent pluſieurs
hommes, & quand on deur attache vn cimecerre à la trompe , vn d'eux fait autant de
cuerie , que feroit vne compagnie de gens de pied .
La Giraffe parut en meſme temps dans l'eſpace de l'Hippodrome : Céc animal , pour
eſtre peu connu en Europe y fut admiré, outre qu'il eſt beau de ſoy, d'vne nature gran
demenc douce & facile à appriuoiſer : il a la telte comme un Cerf, armée de fon bois ,
qui eſt deux petites cornes d'vn demy pied de long , couuerces de poil : les oreilles , les
pieds , & la queuë ſont ſemblables à celles d'vne vache : il a le col comme vn Chameau , a
de meſme les durrez aux jarrets, & ſur la poi & rine : la peau eſt cauelée des bigarrures de
celle d'vn Leopard : auſſi croic- on que c'eſt le Cameleopardalis des Anciens : ſes jam
bes de deuant ſont quatre ou cinq fois plus hautes que celles de derriere , tellement
que la poſture naturelle repreſente vnechevre cabrée en vn arbre pour en brouter les
jettons : ce qui le fait paiſtre aucc inconjmodité;car en cette action il eſt contraint d'ou

urir ſes jambes pour faire paſſage à la teſte. Quie ſi nous n'auions des preuues indubica
bles de la Sageſſe de la Nature, en la merueille de ſesouurages, nous pourrions dire que
céc animal touſiours cabré ,eſt vn de ces caprices . Apres que ceux qui les menoient les
eurent promenez par la place ,ils les remenerent, en faiſant chemin par la Ville : la Gi
1
raffe ſe trouuoit fi auantageuſement montée de la partie de deuant, qu'elle portoic la
telte dans les feneſtres des maiſons.

Telles furent les pompes du iour,la nuit ne fut pas ſans les ſiennes , ſi toutesfois il y
eur de nuit durant la ſolennité de cerce Royale Circonciſion : Car en ce temps-là que

le Soleilne luit plus ſur l'Hemiſphere , on auoit dreſſé dans l'Hippodrome vn maſt de
Navire , ſur lequel y auoit vn grand cercle en couronne cour garny de lampes ardantes .
Et proche de l'Obeliſque qui eſt l'ancien ornement de cette place, y auoit vne roüe éle
uée , & d'une grandeur afiez vaſte, laquelle tournoit ſans ceſſe , & en faiſoit mouuoir
douze autres petites, qui eſtoient auec la grande , entourées de lampes lumineuſes, leſ
quelles deineurans fermes, ſemblojent neantmoins ſuiure le mouuement des roues ,
non ſans vn indicible plaiſir aux yeux de ceux qui les voyoient . Outre cela , pluſieurs
grosmaſts de Nauire auec les hunes, & les cordages, cous couuerts encores de lampes,
rendoient auſſi yne belle clarté , & faiſoient auec les autres dans le fombre de la nuit
vniour arcificiel: à la faueur de la lumiere la pluſparc des belles choſes qui auoient paru
leiour , venoient l'apres ſouper redonner à la compagnie le plaiſir de leur monſtre.
Apres cela pluſieurs chaſteaux de feux d'artifice traiſnez, les vns par des Satyres , les au
très par des Dragons qui vomiſſoienc des flammes, remplirent l'air d'eſclairsagreables,
de tonnerres plaiſans,& les eſprits des ſpectateurs de contentemens: mais leurs Alam
mess’eſteignirent,leurs connerresſe teurent, & il ne reſta à ceux qui les contemploient,
que l'odeur & la fumée de la poudre, pour enſeignement ( s'ils l'euffent ſceu compren
dre) que les pompes humaines, & les apparences des grandeurs du monde ſe reſoluent
enfin en vent & en fumée. Le plus ſuperbe des jeux nocturnes fuc la repreſentation
d'vne bataille nauale ,ſi nažuementexprimée, qu'elle fit voir auxChreſtiens quieſtoient
preſens , que la recompenſe du labeur , & la reconnoiſſance du merite , ayant actiré en
Turquie les plus belles inuentions des hommes , leur ont fait quitter le nom de Barbares

pour nousl'enuoyer chez nous , où la vertu n'eſt pas reconnuë. Là on voyoit pluſieurs
Nauires & Galeres aller à voiles déployées,munies d'artilleries, ornées de leurs bande
fij
44 Hiſtoire du Serrail , & dela Cour

rolles, les trompettes ſonnant, combattre, s'inueſtir , ſauter d'vn eſperon à l'autre,
tuer , ieteer en mer, bruſler ,& mettre à fonds les vaiſſeaux ennemis auec vne dexte
ricé admirable . Les batailles ſur terre , ſieges & priſesdes Villes , n'y eſtoient pas moins
naifuement repreſentez.

Mais ſi la deſcription de cette Feſte Royale nous a eſté vn agreable diuertiſſement


dans le trauail de cerce Hiſtoire, finiſſons lå ſelon le cours naturel du plaiſir, par la dou
leur qui le ſuit. Certes , elle ſera aſſez grande pour en faire parcà ceux qui liront l'illuë
de ce Chapitre , où nous remarquerons, que pendant les ſpectacles de cette ſolemnice,
les Grecs mal- heureux couroient à troupes dans cette place pour ſe faire Mahometiſer:
quelques - vos abandonnoient le Chriſtianiſme, pour éuicer l'oppreſſion des Turcs , les
autres pour l'eſperance d'vn profit particulier : les plus jeunes & les plus bcaux eſtoient
enuoyez dans le Serrail auec les Ichioglans, & les autres parmy les Azamoglans : ce
rencontre de meilleure fortune attira la faineantiſede pluſieurs icunes hommes,à peine
trouuoit - on aſſez de maiſtres pour les tailler : cette deteſtable canaille s'alloit expoſer
deuant le Grand Seigneur , leurs bonnecs ſous leurs pieds, en ligne qu'ils fouloient, &
leur Loy , & leur honneur : Là vn Preſtre Turc leur faiſoit leuer le doige demonſtratif
de la main droite , pour marque qu'ils ne croyoient qu'vn Dieu en vnc ſeule perſonne,
& dire à haute voix , La illa ei lala alla Mehemet raſoul alla : on les menoit apres dans
des pauillons qu’on auoit dreſſez expres au boutde la place où ilseſtoient circoncis :
Le nombre de ces perdus ſe trouua monter à plus de quatre mille ames .
Ces jeux & ces triomphes s'eſtansainſimiſerablement acheuez , leieunc Prince pour
lequel on les auoit faics, eſt mené dans la chambre deſon Pere , où il eſt circoncispar
vn Grand de la Cour en preſence de cous les Baſſas. Sa playe guerie peu de iours
apres,
il va dire le dernier Adieu à la Sulcaneſa Mere , qui ne le doit plus voir qu'il ne prenne

poffeffion de l'Empire apres la mort de ſon Pere , s'il eſt aiſné, ou finir la vie par ynli
col, s'il eſt cadet, quand ſon aiſné regnera : Elle luy faic des preſens, les autres Sulca -
nes luy en donnent, tous les Baſſas luyen font, & l'Empereurſon Pere luy fait ſa Mai.
ſon , luy donne vn Precepteur ; vn Eunuque pour Gouuerneur, pluſieurs autrés hom
mes pour le ſeruir : & l'enuoye en Alie Saniaque ſeulement en la Ville de Magneſie ,
Capitale dela Mylie , ou Lieutenant en cette Region - là , ſous l'authorité d'vn Balik
> qui eneſt Gouuerneur :où pendant qu'il en porte le tiltre , il doie laiſſer conduire ſes
actions à la prudence , & à la modeſtie; car s'il formoit des deſſeins de broüiller par les
conſeils de quelque meſcontent ſeditieux , il ourdit la perte par ſes propres mains :
l'Eunuque qui eſt le plus apparent aupres de luy , elt obligé d'aduercir le Sulcan ſon
Pere , & les principaux Baſſas, de tous ſes deportemens .

Des preſens qu'on fait au Grand Seigneur , & de ceux qu'il fait luy-meſme
.

CHAPITRE XIV .

A couſtume de faire des preſens au Princea eſté tellement pratiquée


ON dans la Monarchie du Turc , qu'elle eſt paſſée en loy d'Eſtat, de ſor
te qu'il eſt eſcrit dans le grand Couſtumier de l'Empire , que tous les
Baltas, & Grands de la Porte , doiuent à certaines ſaiſons de l'année,
& à la circonciſion des Enfans de l'Empereur , luy faire des preſens,
I & encores quand ils reuiennent des Gouuernemens des Prouinces,
où ilsontefté quelques années en l'adminiſtration de leurs charges de Vice-Roys. Les
Generaux des armées ſont au retour de leurs victoires obligez de preſenter leurs dons
au Sulcan , ils les font pour l'ordinaire de grande quantité de vaiſſelle d'or & d'argent,
des eſpées& des poignards, enrichis de pierreries, d'arcs cſtoffez de meſmes, de pen
nachesauec leurs precieuſes enſeignes,des ceintures de prix, des fourrures exquiſes,
& par fois des pieces de drap d'or , auec des tapiſſeries tiſſues de foye & d'or , dont la
garderobbe du Prince eſt ordinairement bien garnic pour fournir á ſesliberalitez en
uers les Sulcanes , ſes eſclaues , & meſmes pour enuoyer aux Princes eſtrangers : tous
ces hormes eſclaues de leurs Maiſtres eſtans comme forcez à ces liberalitez, ne peu

* Eivna nobile uent pas fuiure quand ils le voudroient bien l'aduis de ceux- là qui diſent, que c'eſt
recedat dur à une noble folie de donner awx Grands: car ils croyent allez obliger un homme,quand

ils
du Grand Seigneur. Liure I. 45

ils reçoiuent de lwy ce qu'ilpreſente. Les Baſſas qui reuiennent du Gouvernement de los Reyer, pera
l’Egypte, partans du Caire diſpoſent la valeur de leurs preſens en argentmonnoyé, & que creen bazar
eſtans arriuez au Serrail, fontquelquesfois preſent au Sulcan de quatre ou cinq mil- recibem ?
lions de liures . Les Generaux d'armées pratiquent ſouuent la melme liberalité , ils en Auth. Perez
ſont mieux receus de leur Maiſtre , la gloire de leur magnificence vole par la bou segundas.
che du peuple , & ils eſprouuent dans ces grands dons , * que l'offrande des preſens * Munera cre

appaiſe les hommes , & les Dieux,( commeondſoit jadis.) . Cesnotables ſommes en homines que
trent dans le Chaſna interieur, quieſt le Threſor ſecret du Prince. Le Patriarche Chre . Deófque
ſtien donne au Sultan nouuellement couronné , vn preſent honorable que les Grecs placatur donis
appellent Peſquefion , ou bien quand le Patriarche entreen ſa charge , par la mort ou datis. Ouid.
depoſition d'un autre . Outre cela les Turcs donnent aux Eunuques familiersdu Prin- de Arte,
ce pluſieurs riches preſens pour ſe les rendre fauorables, & les obliger à parler pour eux
aux occaſions, où ils ſont neceſſaires , car la balance trelbuche touſiours du coſté où

elle eſt plus chargée, & le ſeul moyen de gagner l'affcction de ces hommes mutilez ;
c'eſt d'aſſouvir leur auarice, ce qui n'eſt pas de peu de peine . Nafſuf Baſta quiacheua .
fa fortune & fa vie en l'année mil ſix cens quatorze , diſoic ſouuene que les Eunuques
du Serrail eſtoient inſatiables : Ils tiennent auſſi , & praciquent dans la Cour du Turc
cette maximereceuë par tout ailleurs , que * La plus douce action des hommes efi de * omnium eft
dulcißimum
prendre, quoy que veritablement il ſoit bien plus genereux de donner , à qui le peut Accipere .
faire. Scocc.
Orcomme le plaiſir & l'ennuy ſont naturellement ioints enſemble , ont vn meſme
Temple , & leurs Simulachres ſont ſur vn meſme Aurel. Le Monarque Occhoman qui
prend vn ſingulier plaiſir de ſe voir comblé de preſens, non ſeulement par les liens,
mais encores par les eſtrangers, trouue quelquesfois de la douleur dans iceluy : com
me il arriua à Selim premier du nom , le ſeul exemple duquel ſuffira dans ce Chapitre,
afin de foulager dans ſabricfuccé les longues deſcriptions de celuy qui le precede. Ce .
Prince apres qu'il eut pris le Sceptre Occhoman , les mains encores ſanglantes de la
mort de lesfreres, de ſes neueux, & du premier de ſes Baſſas, croyant eſtre honoréſe .
lon l'ordinaire couſtume de ſes deuanciers , des preſens que font les Princes eſtrangers :
il vid ſà cruauté blaſmée par celuy que luy preſenta l'Ambaſſadeur de Perſe, lequel
luy donna de la pare de ſon Maiſtre vn grand Lyon furieux , inacceſſible, & touſiours
eſcumane de rage, non iamais appriuoiſé par aucun homme: Cepreſentamené, Selim
entre en fougue, frappe des picds en terre, ſe plaint qu'on l'offenſe, jure qu'il en aura
ſa raiſon , en demande l’eſclairciffement à l'Ambaſſadeur : celuy- cy qui eſtoit accort,
couure le perſonnage qu'il auoit joué ,de pluſieurs belles paroles, dicà Selim que ce
Lyon repreſentoit pluſtoſt la grandeur de ſon courage, & celle de la generoſité, quo
toute autre choſe: mais cela ne l'appaiſa pas, il le challade les terres , & luy bailla pour
preſenter à ſon Maiſtre , pluſieurs grands dogues qui auoient le muſeau enſanglancé,
voulant dire qu'ils auoient deſchiréſon Lyon , & qu'aux attaques de guerre il ſeroic
traité de meſme.

Ainſi puiſque le Prince Turc reçoit ſans ceſſe des preſens des autres , il eſt bien rai
ſonnable qu'il en faſſe luy meſme, car il eſt plus ſeant à vn Roy dedonnerque de pren
dre , auſſi la garderobe ett ordinairemeni ouuerte pour donner. Les Sulcanes ſont en
richies de ſes preſens, le Mufry & fon Precepteur en ſort honorez , les Baſſasen reçoi
uent , & cela conliſte en pierreries, bourſes pleines d'or monnoyé , robes de drap d'or,
pennaches, enſeignes, armes precieuſes, & autres choſesde valeur.LeChaſnadar Balli,
qui eſt le grand Threſorier, & ala charge des achapts qu'il faut faire pour lespreſens,
employe tous lesansen drap d'or pour les robes qu'on donne , lequel fait à Burſé en
Aſie, quatre millions de liures , outre celuy qui vientdans la garderobe Royale , par
les preſens des Baſſas, & autres Grands:mais comme les riuieres viennent de la mer,
& Seigneur recournent enfin dans
y retournent , de meſmes tous ces preſens du Grand
ſes coffres : Les Sulcanes meurent , & leursbelles hardes ſont à luy : les Baſſas acheuenc
de viure , il prend tout comme fait le maiſtre ſur ſes eſclaues, parfois il en laiſſe vne
partie pour l'execucion du teſtament que le deffunt a laiſſé. De cette ſorte il ne donne
pas,ce ſemble, ains preſte pouryn temps , puiſque la Loy fondamnentale de ſon Eſtåt,
qui fait tous les hommes d'iceluy ſes eſclaucs, luy rend ce qu'il auoic donné , & dauan
tage tout le bien de ſes ſujets.
Mais tous les preſens de l'Empereur des Turcs ne ſont pas agreables à ceux qui les re
fiij
1
e
46 H iſtoir du Serrail , & de la Cour

çoiuent , il en fait quelquesfois qui ſont le funeſte augure de la mort de celuy à qui il
les donne:car lors qu'il a mandévenir dans ſon Serrail quelqu'vn des Grands de la Por
te pour le traiter en feſtin ,ou parler à luy , apresle repas, ou à la fin du diſcours , luy
voulant faire ofter la vie en la preſence, il luy donne vne robe noire tiſſuë d'or & de
ſoye , comme fit Bajazeth ſecond au Baſſa Achomat , qui auoit ſoupé au Serrail auec
les autres Baffas à la cable de ſon Maiſtre parmy les delices & les plaiſirs d'vn Royal
feſtin , où le vin defendu par la Loy de leur Religion , eſtoit verſé & beu auec autant
de libercé , qu'en autre lieu du monde. Le ſouper acheué, & les tables oſtées,les Baſſas
s'humilient deuantleur Prince , quelques - vns baiſent la cerre en ſa preſence, pour
obtenir pardon d'auoir beu du vin, & s'en vont en leurs maiſons : le Sultan recient
Achomat , par ces douces paroles, Milala , ( c'eſt à dire , mon Protecteur) demeure
icy auec moy . Quand les autres furent parcis , il luy fait apporter vne riche robe de
ſoye noire entre- rifluë d'or: A la veuë de cette robe Achomat entre en fureur, ilſça
uoit bien ce qu'elle ſignifioit ,& croit ſa perte aſſeurée , accuſe Bajazeth d'iniuſtice , &
de cruauté , & luy dit tout furieux: Pourquoy, fils de putain , me permettois - cu de boire
du vin contre les ſainctes conſtitutionsde ma Loy ,libien -toſt apres tu me voulois faire
mourir ? Ilacheua ſa fougue, par le reſte du diſcours que la paſſion luy dictoit, mais ſa
vie fut garantie du peril où elle eſtoit ſon fils ne le voyant point reuenir auec les au
tres Baltas, s'informe d'eux qu'eſtoit deuenu ſon pere, ilsluy diſent le piteux eſtat au
quel il eſtoit, il auolle au Serrail, eſmeut les laniſſaires à compaſſion, qui aymoient
Achomat pour la valeur ,comme celuy qu'ils auoient ſuiuy à la guerre ,aux batailles,
& aux aſſauts de Villes ; ils rempliſſent le Serrail de l'horreur de leurs cris. , bré , bré,
c'eſtà dire , alarme , alarme , frappent à la porte du logement de l'Empereur, le mena
cent, l'iniurient , l'appellans yurongne, & le forcent de rendre Achomar pafle & def.
fait, qui auoit encores la cordeau col, auec laquelle les muets du Prince ſe diſpoſoient
de l'eſtrangler: de cette façon la force empeſcha l'effet de ce funeſte preſent de la robe
noire entre -tiſſuë d'or . Mais ſauf ces accidens , celuy qui la reçoit doitcroire la perte
infaillible . Ce preſent ne ſe fait par le Monarque Octhoman qu'à ſes ſujets , mais il en
enuoye quelquesfois d'autres qui marquent lemépris qu'il fait des Princes eſtrangers,
comme quand il enuoyc vne robe pour ſi belle qu'elle ſoir à vn Prince ſouuerain , car
vne robe eſt vn preſent d'un ſuperieur à ſon inferieur. Ainſi Bajazeth premier traica
Themir , ou Tamerlanes , Empereur des Tartares , lors qu'il luy enuoya vnerobe pour
1 le mépriſer: Themir s'en offenſa grandement, & refpondit à ceux qui la luy preſen
toient de la part du Turc , qu'il ne falloitpas traiter ainſi ceux de la force, il en eut bien
toſt ſa raiſon , vint fondre dans les terres de Bajazech en Aſie , ( Conſtantinople eſtoit
encorcs aux Chreſtiens) & auec 800. mille combattans prit Sebalte ſicge de ſon Em
pirc , tua ſon fils Orthogules, deffic ſon armée en bataille rangée , le prit lay-meſme
priſonnier , vengea ce mépris par pluſieurs autres , & le trauailla tancà la ſuitce qu'il en
mourur de regret, de douleur , & de peine : Pour exemple aux Princes dene mépriſer
* exepare to- pointceux qui ſont ſouuerains comme eux , & en cela les images dela ſouueraineté de
ege ,edwes . Dieu . Mais ainſi donne - c'on en Turquie des preſens de mort, & de mépris, les vns ſont
Hoftium mu-de cruauté , & les autres des offenſes, & non des preſens, * car les preſens des enne.
nera , non mu
ners , Homer. mis ne ſont pas preſens..
La Sultane Reyne couronnée , & mere du jeune Prince ſucceſſeur de l'Empire , fait
auſli pluſieurs preſens: elle en reçoit iournellement des Grands de la Porte qui luy en
enuoyent, & cela l'oblige d'en faire, pour cette fin l'Empereur luy fournit pluſieurs
belles hardes , & pieces de prix de celles qu'on luy donne , & des notables ſommes d’ar
gent pour en achepter . Le grand Vizir fait encores grand nombre de preſens dedans
& dehors Conſtantinople : ilenuoye pluſieurs robes de drap d'or , & de loye aux Am
baſſadeurs qui arriuent àla Porte , & quand il eſt aux armées faiſant la charge de Lieu
tenant general du Sultan , il donne pour attirer à ſoy les Eſtrangers qui luy ſont veiles ,
ou pour recompenſer la generoſité de quelque Capitaine valeureux. Or parce que
tous ces preſens ſefont au nom du Sultan , il luy fournit auſſi les choſes qu'il donne .
Et pour ce faire le Tefterdar baille de l'argent, des picces de drap d'or , de foye, & plu
fieurs autres eſtoffes. C'eſt ce qui ſe peur dire des preſens de l'Empereur des Turcs ..

Des

1
du Grand Seigneur . Liure I. 47

Des Threſors du Serrạil.

CHAPITRE XV .

E Monarque Orthomana ſes Threſors, quelPrince ſouuerain peut


conſeruerſa puiſſance ſans leur force ? Elle * s'acquiert par les armes * Tulino Calam
& ľargent, ſe conſerue & s'augmente parles meſmes. Il les loge dans bus rebus,pe
ſon Serrail , l'vn en la cour, ou en l'eſpace qui eſt hors ſon departe- cunia fcilicet,
ment ; & lautre dans iceluy. Dans le Threſor de dehors eſt apporté 8 milstibus

l'argent pour les dépenſes ordinaires , & extraordinaires, qui eſt pris uari,augeridi
cere folebat.
ſur tout le revenu de l'Empire. Le grand Vizir, & le grand Tefcerdar, ou Superinten Xiphilinus in
dant des Finances en ont les clefs :mais il eſt ſcellé ſeulement du ſcau du grand Vizir . Cælare.
L'autre lieu du Threſor eſt le plus important , ileft ſitué dans le departement interieur
du Sultan , ou pour l'ordinaire ſous la chambre où ildort , prenant ſon repos ſur le ſu .
jet de toutes les inquietudes.Celuy - cy eſt ſous la charge,& le ſoin du Chainadar Balli,
qui eſt vn Eunuque blanc , familier, & fauory du Prince ; il en a vne clef, & l'Empe
scur vne autre : l'argent qui s'y eſpargne tous les ans , eft vne eſpargne qui ſe fait du
reuenu de l’Egypte: Apres qu'on a payé les Ianiſſaires du Caire , leurs Chefs , & les au
tres qui ſont les forces, & les deffenſesdecér opulent Royaume ; il reſte d'ordinaire ſix
censmille Sultanins , qui font deux millions quatre ceps milleliures de noſtre mon
noye . Outre -ce Threſor, la meffiance des Empereurs Turcsen a baſty vn autre dans le
Serrail des Sulcanes , au departement de la Sultane Reyne, afin qu'aucun homme de
fon Serrail n'y peuſt aller:les portes en font de fer ; on les mure tout autant de fois
qu’ony met de l'argent, & ceux qui l'y portent ſont des muets , au ſilence deſquels le
Sultan en fie le ſecret : ils le charrienc dans degrands ſacs de cuir en façon de bourſes,
& les deſcendent dans des ciſternes qui ſont faitesexpres pour le ſerrer : ainſi l'argent
. auec peine, ſe garde auec crainte, & s'il ſe perd c'eſt auec douleur. Le
qui s'acquiert
Prince qui le diſlipe par ſes prodigalicez affoiblit ſon Eſtac, & s'expoſe luy ineſmeaux
dangers de pluſieurs violentes neceſſitez. Celuy des Monarques Turcs qui dreſſa le
lieu du Threſor ſecret dans le Serrail des Sulcanes , fut Selim premier , lequel ayant

amaſſé tout l'or monnoyé qu'il recira du reuenu du Caire , & d'ailleurs le fic fondre, &
fit vne groſſe balle , que ſesmuets rouloient par terre , & ſuoient pour la pouſſer dans
les ciſternes de ce Threlor. Certes deuoient - ils auoir de la peine à la rouler, puiſque
la peſanteur de ce precieux metaleſt filourde, qu'elle entraiſne tout le monde : Luy
feul auoit la clef de ce lieu ſecret , fe feruant des muers , afin qu'on ne reuelaſt à per
ſonne le riche amas qu'il faiſoit. Amurath troiGéme chercha depuis dans le meſme
Serrail des Sulcanes vnlieu plus ſecret au deſſousde la chambre où dormoit la Sultane
Aſachy , ( c'eſt à dire ,la Couronnée )y fic creuſer des ciſternes propres à céteffet : Il y
entroit quatre fois l'année , & à chaque fois y mercoit plusde deux millionsd'or : auſi
il a eſté ccluy des Princes Othomans, qui a le plus accumulé de Threſors, qu'en peu
d'années il auoit remply des ciſternes tour de monnøye d'or . Ainſi il ne ſe faut point
eſtonner files armées des Turcs ſont fi fortes,puisqu'ils leur fourniſſent pluſieurs nerfs, * IugurthaRo
s'ils vainquent, s'ils triomphent , puisqu'ils ont & deshommes & de l'argent en abon - mo cerejas,
dance : mais au contraire il ya lieu de s'cſbahir dece qu'ils n'acquierent tout le reſte tus refpiciens,

du monde , car qui a-t'il dans iceluy , qui ne ſoit à vendre à prix d'argent? Le Roy des peftremo delfie
Numides auoit raiſon de dire en contemplant la Ville qui eſtoit le ſeiour de la plus renalem , 88

puiſſante Monarchie de la terre : * 0 Ville quieſt à vendre , & bien - toft à fa fin , ſi elle mature peritu
ram fi empto r
trouue vn achepteur. Les hommes ont donné aux Empereurs Turcs cecce eſpouuenta rem inuen eris,
Salluſt.debela
ble grandeur qu'ils poſſedent, mais l'argent a achepté les hommes .
10 Iugurth .

1
re l
toi rai ur
Hiſ du Ser , & de la Co
48

Du reuenu de l'Empire du Turc en general, en particulier , de

l'eftenduë d'iceluy.

CHAPITRE XVI .

A grandeur des Monarchies conſiſte principalement en trois cho


ſes, en nombre d'hommes,en eſtenduë de pays, & en quantité d'ar .
genc de reuenu annuel . Leſquelles trois choſes ſe trouuent enemi
nence par deſſus les autres Eſtats du monde, dans l'Empire des
Turcs , les armées deſquels ſont bien ſouuent de quatre cens mille
combattans , & plus , les Villes , & la campagne font habitées , &
peuplées en abondance , par la Loy de la Religion , & d'Eſtat, qui
force au mariage les hommes quiont atteint vingt - cinq ans , & celle de la liberté de
cenir autant de femmes concubines qu'ils en peuuent nourrir . Le reuenu annuel eſt à
proportion de cette abondance : on le peut comprendre en deux façons; en reucnu or
dinaire qui eſt touſiours égal , & ne manque point, & en extraordinaire , & caſuel.
L'ordinaire monte cous les ans à vingt millions d'or, l'extraordinaire n'eſt pas moin
dre , mais plus incertain , car il ne ſerccueille que ſur les aubeines , & c choſes caſuelles,
comme quand les Turcs meurent ſanshoirs , tout le bien eſt au Prince , s'ils en laiſſent,
il prend ſeulement dix pour cent du meſme bien : la pluſparc des Baſſas riches , & opu.
lens à la Porte , ou CourOtthomane , laiſſent les meilleurs de leurs biens à leur Prince,
quoy qu'ils ayent desenfans: ear eſtans tous cſclaues par la Loy fondamentale de l'E

Stac, le Sultan ſe faiſic de leurs Palais , du plus precieux de leurs meubles , & ne permet
/
pas que les grandes & immenſes ſommes de deniers qu'ils laiſſert,ſoient employez
ailleurs qu'à remplir les coffres du Chaſna, ou Threſor de l’Eſpargne. Outre toutcela,
il eſt le premier & principal Occonome des benefices de ſon Empire : car li quelque
perſonne pieuſe ſelon la Religion laiſſe de grands legs aux Preſtres de la Loy pour lire

I'Alcoran , ou faire quelque autre deuotion àleur mode, il regarde ce qui eft neceſſaire
pour la nourricure & entretenement du nombre des Preſtres qui ſont ordonnez , non
ſelon les maximes du luxe , mais aux termes de la modeſtie & ſobriecé Eccleſiaſtique,
le leur fait deliurer , & mer le ſurplus dans ſes coffres. Ainſi qui pourroit faire l'entier
calcul du reuenu de l’Empire Turc, trouueroit ſans doute , qu'il ſurpafferoic les ſom
mes de quarante millions d'or, tant de l'ordinaire, que du cafuel; dequoy aucune Mo
parchie de la cerre n'a encores approché .
Ceux qui ont vcu la Cour du Turc,habité dans Conſtantinople, & conuerſé aucc
les naturels Citoyens d'icelle , ſçauentque celle eſt la grandeur du reuenu annuel dece
grand Empire . Et les autresqui n'ont pas eſtéſiloin , pour arriuer à cette connoiſſance
particuliere , ne reuoqueront pas en doute cette verité , s'ils conſiderent la vaſte cíten

duë de l'Empire Orthoman.carles Sultans Princes ſouuerains d'iceluy, font Seigneurs


de l'Afrique, poſſedent vne partie de la Barbarie , dominent au delà de Thunis ,& d'Al
ger , tirent tribut des Couronnes de Fex , & Maroc, font Roysde la hauce & baſſe
Egypte , ſe font obeïr dans l'Aſie ,les trois Arabies, à ſçauoir la Pierreuſe, la Deſerce,&
l'Heureuſe, n'ont point d'autres Seigneurs qu'cux ; la Terre Sainte ſouffre les rigucurs
de leur domination , qui eſt abſoluë dans la Surie, Meſopotamie, & Chaldée : vne par
tie de la Perſe les reconnoiſt; la Medie , & l'Aſſyrie foncà eux ; l'Armenie mineur fleſ
chic ſous leurs Loix , auec vne partie de la grande , & du pays deMingrelie ; toute l'Alie
mineur leur obeïc , & dans icelle les Prouinces de Caramanie, ou Cilicie , Cappadoce ,
Pamphylic , Paphlagonie , Galatie ,Phrygie , Bithynie , Lydie , Carie , & Magneſie:
l’Empire de Trebiſonde les a pour ſes Maiſtres dans l'Europe, la plus belle , plus floriſ
ſante , & plus polie des parties du monde , leur pouuoiſ n'eſt pas moindre , toute laGre
ce , comme la Thrace ,la Macedoine , la Bulgarie , le Peloponneſe ,maintenant dit la
Morée , la Boſſene, & Serma, faic ce qu'ils commandent: l’Eſclauonie leur eſt ſujecte ,
vne partie des Sarmates , Daces , Hongres, & Valaques ſont leurs peuples, lesProuin
ces que les caux de la mer noire , & de l'Archipel moüillent de leurs flors fonc enciere
ment Turques , & les Illes de la mer Mediterranée qui font le plus grand nombre , por
tent le melme nom. Ils ont rauy aux Venitiens la Couronne de Cypre , & aux Cheua
liers

1
du Grand Seigneur . Liure I. 49

liers de Hierufalem la belle Ile de Rhodes , & n'ont laiſſé dans certe mer à l'obeïſſance
des Chreſtiens, que Candie , Sicile , Corfou , & Malthe . Ainſi l'eſtenduë de ce grand ,
& redoutable Empire Turc , aboutit vers le Septentrion au fleuue Tanais , la plus fa
meuſe borne d'entre l'Aſie , & l'Europe,du coſté du Midy ſe ioint aux terres du Preſte
Iean , ou grand Negus d'Ethiopie , vers l'Orient il moüillc ſes limites des flors du Gol
phe Perſique, voire paſſe outre au delà de Balſara, à l'Occident ileſt proche voiſin de
Raguſe, Ville aſſez pres de Veniſe. Et ſi Dieu n'arreſtoit le cours de leurs trop gran
des proſperitez , ils adiouſteroient à leur Monarchie pluſieurs autres Prouinces de la
Chreſtienté, que la diſcorde des Princes Chreſtiens, & la negligence de leurspeuples
ſemble expoſer à leur ambition : car ſi cels Sultansfont tout ce qu'ils peuuent pour
agrandir leurs Eſtats, ceux - cy leur en fourniſſent les occaſions par leur deſ-ynion .

Sortie du Grand Seigneur de ſon Serrail par terre & de Conſtantinople, & fon

entrée en pompe , où il eftalle aux yeux des Eſtrangers la grandeur de ſa


magnificence.

CHAPITRE XVII .

' EMPER EVR Occhoman a de couſtumede ſortir de ſon Serrail au


moins vne fois le mois, pour ſe faire voir au peuple, oſter les ſiniſtres
opinions qu'il pourroit conceuoir de luy , & empeſcher les dange
reux effets de quelque cumulte , & fedition , il prend occaſion le
Vendredy , quieſtaux Turcs ce qui eſt à nous le Dimanche , d'aller
I
à la Moſquée faire ſes deuotions, & fe monſtrer en public. Quand
il ſort ainîi c'eſt ordinairement par la grand ' porte du Serrail, il eſt
touſiours à cheual , veſtu ſimplement, & de la meſme façon que dans ſon Palais : ſa teſte
eſt couuerted'vn petit tulban , pour eſtre plus commodément; peu de Baſſas l'accom
pagnent, la pluſpart de la ſuite eſtdes hommes de ſa famille. Le Soubaſſi qui eſt Capi
taine de Iuſtice ,ouce qu'eſt à Paris le Cheualier du Guet , va vn peu deuant auec cin
quante ſoldats de ſa troupe pour faire oſter des ruës ce qui pourroit empeſcher le pal
fage du Prince , & tenir un chacun en ſon deuoir pendant qu'il paſſe. Ses plus familiers
l'accompagnent les Eunuques de ſa chambre , fes Pages , & les autres qui ſeruent à la
perſonne le ſuiuent: le Capitaine des Pages, celuy des Capigis , les quatre Capitaines
des Ianiſfaires de la garde von deuant luy bien montez , & à la teſte de ſon cheual mare
chent à pied quatre Capigis , & quatre Solachis à ſes eſtrieux: ceux - cy ſont ordinaire
ment de taille fort grande, car eſtans à pied , & le Prince à cheual , leur teſte doit arri
uer à ſes oreilles : ils ont charge de receuoir les memoires, & les placets qu'on preſente
au Sultan , dans leſquels ſont eſcrites les pleintes des inſolences des Baſſas, les iniuſtices
des Cadis, ou luges,les voleries des Tefterdars, ou Financiers , & autres mauuais de
portemens de ſesOfficiers.Le Sultan a un ſoin particulier de faire recueillir ces papiers
que ſouuent des pauures miſerables le ventre contre terre par humilité , & la main le
vée luy tendent , ou lesefleuent ſur la pointe d'vn roſeau : quand il eſt de retour à ſon
Serrail , il ſe les fait lire, y void ce que la flatterie luy auoit celé , & apprend les choſes
que la timidité des hommes plus ſinceres n'auoit oſé reueler : il y mec ordre auſſi- toſt,
ſans perdre le temps à la recherche des longues informations , qui donnent ſouuent
loiſir aux meſchans de s’eſuader, ou d'eſteindre par la force de leurs bourſes le feu
allumé contre eux :on void les effets de ce ſoin Royal ; pluſieurs Officiers font de
poſſedez de leurs charges , qu'ils appellenteſtre faits manluls, & quelques autres ſont
executez à mort : telle & ſi grande eſt la vertu de ces billets , ou placets volans; toutes
fois on y apporte de la prudence,& fait -on auerer le crime auant que le punir: Pour
cette cauſe les Baſſas , & les autres hommes de la Porte intereſſez à ces reuelations,
ne ſont pas contens quand ils voyent ſortir leur Prince en public , de crainte que les
nouuelles de leurs iniuſtes actionsnarriuent à ſes oreilles . Enſes ſorcies le peuple le be
nit de ſes acclamations , & il le faluë par les ſignes qu'il fait de la ceſte , & louuent
pour obliger dauantage leurs affections, cire de fon eſcarcellc pluſieurs pieces d'or &
d'argent , & le leur iecte largement . Deux hommes de ceux qui ſont à les coſtez por .
tent dans des bourſes de velours, deux petits flaccons d'or , enrichis de pierreries,
ils ſont pleins d'eau cuite , fort cordiale , & delicicuſe à boire , le Sultan s'en ſerç
g
$
Hiſtoire du Serrail , & de la Cour
50

quand la ſoif le preſſe :ces hommes ſont comme les Coureurs de vin en France , qui
fuiuentle Royà la Chaſſe , & lors qu'il ſorc aux champs ſe promener, leſquels ne por
tent pas touſiours du vin , quoy qu'on les appelle Coureurs d'iceluy : mais bien ſouuent
d'un ſirop cordial,& forcagreable à boiro ,auecde l'eau. Le reſte de la ſuite vient apres ,
les nains & les bouffons ſont de la partie , comme les ſinges de la Cour , laquelle ne va
iamais ſans eux, pour preuue que dans les pompes humaines il y a touſiours du ridicule.
Et tous ces hommes peuuent faire le nombre d'enuiron trois cens .
Ce ſont ces iſſuës du Serrail par la Ville de Conſtantinople: mais quand il ſorcaux
champs pour faire à ſon retour reluire l'éclat de la pompe ,il eſt bien mieux ſuiuy , &
tout autrement paré. C'eſt quand il veut monſtrer à quelque Ambaſſadeur eſtranger,
& ordinairement à celuy de Perſe, la magnificence de la grandeur , afin qu'il la rappor
te à ſon Maiſtre le plus grand ennemy d'icelle, comme celuy qui l'a touſioursregardée
des yeux de l'enuic. Il prend donc occaſion de saller promeneren ſon Palais champc
ître , appellé le Palais de Daür , ou Dauid Baſſa, qui le fit ſuperbement baſtir à deux
lieuës de Conſtantinople : le ſoir auparauant , iladucrtit ſes principaux Officiers qu'il
veut retourner à la Ville , & y entrer en pompe. Le grand Voyer donne ordre aux che
mins & aux rues , les fait couurir de ſable , depuisce Palais champeſtre iuſques à Con
ftantinople, ſon train , les Grands de la Porte , & tous ſes Officiers ſe diſpoſentà paroi
Atre à vne entrée Royale , telle que la fic Achmat premier en l'année milcens douze,
dont en voicy l'exemple plus recent.
Vnc troupe de gens-d'armes d'enuiron deux mille marchoient les premiers , ils
Eotrée en
pompe. eſtoient armez & montez comme il le falloiteſtre ceiour- là . Vn ſuperbe regiment d'In
fanterie Turque , leſte au poſſible, les ſuivoit: apres eux venoienc les Cadis , ou luges
de Conſtantinople, auec tout le corps de la luſtice, qui faiſoit vn aſſez grand nombre
d'hommes : les Taliſmans, & autres Preſtres & Docteurs de l'Alcoran en l'ordre de
leur enflée grauité , marchoient ſur les pas de ces luges , qui eſt la ſeule voye de la lu
ſtice qu'ils viennent en leur vie . Legrand Vizir , accompagné de tous les autres Vizirs,
& les Baſſas & Beglierbeys de l'Empireformoient vn corps ſi ſomptueux & ſi magnifi
que,qu’oneuſt dit en voyant leur grandeur, qu'ils eſtoient tous des Roys, qui s'eſtoient
par miracle extraordinaire aſſociez enſemble , tant s'en faut qu'on les euſt pris pour
des eſclaues du Monarque Orthoman : Quand ils eſtoient paſſez, on voyoit paroiſtre
les hommes du Scrrail , ou Officiers de la Maiſon Imperiale auec les marques de la
grandeur: les premiers , deſquels eſtoient dix hommes à pied , qui menoient en main
dix beaux cheuaux , partie Barbes , & partie Turcs , harnachez à la Royale , ou plus,
dont le dernier auoit le mords de bride, & leseltrieux de pur or , cous couueres de pier

res precieuſes: la ſelle eſtoit coute blanche de perles , & brillante de diamans ; la ron
dache du Sultan eſtoit attachée à icelle , auec des cordons d'or , au bouc deſquels pen
doient iuſques à terre deux groſſes houpes de perles Orientales rondes, & divneriche
groſſeur: [urla ſelleon auoit iecté vne longue couuerture de chcual faite de toile d'or,
& brodées de perles ſi dru & fi cſpais, qu'à peine pouuoit-on diſcerner l'eſtoffe. Le
reſte de la famille Imperiale ſuiuoit en pareil ordre, cinquante Ianiſſaires à pied ,me
nant chacun vne leſte de levriers d'attache, les plus beaux deſquels eſtoient ceux que
l'Ambaſſadeur de Franceauoit donnéau Sultan , faiſoient voirla negligente naïfuecé
de cette pompeuſe entrée ,comme ſi ce Prince venoit ſeulement de la Chaſſe :les la
quais ou valets de pied de la Majeſté Otthomane ,appellez Peiks, de nation Perſien
ne , bien veſtus, & la teſte couuerte de bonnets d'argent doré en forme de pocs , fai
ſoient vne petite troupe. Apres ceux -là paroiſſoient ſoixante Archers à pied , auec
leurs arcs & leurs feſches, au milieu deſquels eſtoic le Sultan Achmat , veſtu d'une ri .
che robe de drap d'or , en broderie de perles, & de diamans : ſon culban d'une grandeur
extraordinaire, eſtoit paré de cinq pennaches de plumes de Heron, auec vne enſeigne
de grand prix , vne ceinture ou cordon de diamans ornoit le bas de la pointe du cul
ban : il porcoic en la main vnc bague, où cſtoit enchaffé vn diamant d'une monſtrueuſe
grandeur, & d'vn prix incſtimable , qui rendoit vne brillante lumiere , donc les yeux
de ceux quileregardoient eſtoient à demy elblouis : Il eſtoit ſuperbement monté ſur
vn beau cheual,harnaché ſomptueuſement à l'Imperiale , la ſelle eſtoit en broderie
d'or, de perles & de diamans , lesmords & les eſtricux eſtoient de pur or, enrichis d'or
grand nombre de diamans. Du col du chcual pendoit vnc groſſe houpe de perles ron
des , également belles & prccieuſes.
Cc
)

SI
du Grand Seigneur. Liure I.

Ce Monarque eſtoit ſuiuydetrois hommes à cheual, portans en leurs mains les mar
ques de leurs charges d'Officiers de la Couronne.Car l'vn , qui eſtoit le Sechlatar
Aga , portoit l’eſpée Royale : l'autre , à ſçauoir le Tubenter Aga , portoit ſon tulban :
lccroiſiéme , appellé Chiodar Aga , portoit fon manteau , ils eſtoicnt eux -meſmes ri .

chement parez, & montez : Vn nombre d'Eſcuyers , & des Officiers , qui ſont comme
les Gentils-hommes ſeruans,les ſuiuoient à cheual : Vne ioyeuſe troupe de Muſi
ciens à la Turque venoient apres d'enuiron ſoixante hommes à cheual , chantans,
& trompettes : le reſte dela chaſſe Royale venoit en ſuite:
jouans de fifres, clairons
c'eſtoient cent Pages du Sultan , cinquante deſquels portoient chacun vn faucon ſur
le poing, dont les chaperons eſtoient enrichis de diamans : parmy eux y auoit plu .
ſicurs Eunuques, & crente gardes de la Porte à leur ſuite , cinquante Fauconniers ve
ftus de riches habits,& montez ſur des coureurs beaux & viſtes, portoient de bonne
grace leurs oyſeaux ſur le poing . Quatre de leur troupe auoientchacun deuant eux à

l'arçon de la ſelle, vn Leopard couuert de toile d'or. Vngrand nombre des plus ieu
nes Pages, trop beaux pour eſtre pudiques dans vn Serrail Turc, choiſis parny les en
fans du tribut, & voüez aux ſales & deſnaturées amours du Prince , veitus de belles
robes de drap d’or friſé , faiſoient l'agreable fin de cette belle entrée , auec vne bande
de ieunes hommes ſimplement veſtus, entretenus à leur feruices enſemble de cous les
autres Pages du Serrail. L'Ambaſſadeur de Perſe , le principal ſujet de cette magnifi.
cence, fit ietter deuant ſon logis,tandis que le Sultan paſſoit,cent pieces de draps de
foye , les Archers de la Majeſtc Octhomane les releuent, & les garderent pour eux .
Cette douce pompe ſe fait quand le Turceſt d'accord auecle Perſe , laquelle peut
-faire le nombre de quinze mille hommes : mais
quand ils ſont en differend, & que les
affaires ſe diſpoſent à la guerre, elle change deface : le Turc fait parade en ſon entrée
deuant l'Ambaſſadeur de Perſe des homines de guerre qu'il a dans Conſtantinople, 1

& aux enuirons , & entrant dansla Ville au retour de la promenade de la maiſon
champeſtre de Daüt Baſſa , fait monſtre par les rues de cent cinquante mille combat
tans , ou dauantage, tous gens de main bien armez , comme fit Amurach troiſiéme
quelque cemps auparauant qu'enuoyer ſon armée en Perſe , où elle deffic ſes enne

mis ,& luy acquic en peu de temps douze riches Prouinces ſur le Perſan. Apres que
ce Prince'eut fait voir auec eſtonnement tant de braues troupes de guerriers à l'Am

baſſadeur de Perſe, qui cſtoit venu porcer le refus de quelque tribut accordé , luy fic
dire parvn de ſes Baſſas , que toute cette Caualerie & Infanterie qu'il auoic veu ſur le
pauédeConſtantinople, n'eſtoient que les poulesqui eſtoient en cage, qu'il conſide.
raſt de plus le grand nombre qu'il en auoit par la campagne, leſquelles amenées dans
le Royaume deſon Maiſtre, le deuoreroient en peu de temps, en paſſant ſeulement,
& luy fit commander de la part de ſortir dans trois iours du terroir de Conſtantino
ple , & s'en aller en Perſe attendre ſes eſclaues qui l'iroient viſiter. Ce ſont les ſorties
parterre, & priuée, & generales des Empereurs des Turcs , leſquels autrement ſono
aſſez retirez dans leur Serrail , où ils s'amuſent à careſſer leurs Sultanes au milieu des
delices , & des plaiſirs de ce ſuperbe licu .

Sortie du Grand Seigneur par mer , quand il ſe va promener ſur les ondes.

CHAPITRE XVIII.

Visce le Monarque Otthoman domine ſur lesmeilleures par


ties de la terre , & porte le pouuoir de ſon Empire fur les ondes
de la mer , il eſt bien raiſonnable qu'il ſe promene, & prenne ſes
plaiſirs ſur l’un & l'autre element : Le Chapitre precedent nous l'a
fair voir en ſes ſorties ſur terre , celuy- cy le deſcrira prenant ſes
13
delices ſur mer , où nous le pouuons ſuiurc ſansperil, cariln'ymon
te iamais que les vents ne ſe taiſent , que les flors n'y ſoient accoi
ſez ,'& que la ſurface de l'eau ne ſoit vniment égale . Il ſorc alors de ſon Serrail par
vne porte de ſes beaux iardins qui regarde la marine , dont le portail eſt enrichy de
pluſieurs colomnes de porphirc,monte ſur des brigantins, appellez en Turc Caïques,
d'enuiron ſeize bancs , à trois hommes par banc: il ſe place ſur la poupe , laquelle
gij
e
52 Hiſtoir du Serrail , & de la Cour

eſt ſuperbement couuerte de draps de ſoye , comme de velours & autres ſemblables

enrichis de broderie d'or , pluſieurs grandscarreaux de velours rouge cramoify ,& de


drap d’or luy feruent de fieges à la Turque: Ses Agalaris, ou ſes familiers, Eunuques
autour de luy ; le ſeul Boſtangiballi, qui eſt ſon grand lar
de lon Serrail , font debout
dinier , & ſon ordinaire Pilote en ſes delicicuſes courſes, ſe peut aſſeoir en la preſence,
pour gouuerner plus commodement le timon , duquel il a la charge : Vne troupe de
icunes Azamoglans, ou enfans du Tribuc , voguent àla rame auec vne telle dexterité,
que le vaiſſeau vole pluſtoſt qu'il ne nage ſur les ondes : ils ſont veſtus de robes d'eſcar
latte , & porcent en teſte des bonnesde meſme eſtoffe , inſtruits au trauail de ce vaiſ
ſeau , auec vn tel ſoin qu'ils s'y employent ſans faillir. Quatre autres Cayques deuan
cent celuy.cy de la portée d'vn traict d'arbaleſte , pour aduertir les vaiſſeaux qui pour
,
roient paſſer de retirer à l'eſcart, ou bien s’arreſter8 ne violer point de leur rencontre
le chemin de ce redoutable Sultan : ils : le font auſſi-toſt, qui a t'il dans le Leuant qui
ncluy obeïſſe ? & de loin qu'ils le voyent ſalüent fa grandeur, & par la voix de leur alle.
greffe, teſinoignent luy ſouhaicter toutes forces de felicitez : quelques autres Cayques
j fuiuent le ſien , dans leſquels ſont ceux de ſa famille ,auſquels il a voulu permectre de
prendre part aux plaiſirs de cette promenade.Pendanticelle ila vne ſage leçon de la
vanité de la grandeur, parla conſideration de l'inconſtance de l'element qui le porte,
s'il y vouloir employer ſon eſprit : mais il l'occupe pendant ce temps là à l'ordinaire
meſtier des Roys, qui eſt d'elleuer & abatre les forcunes des hommes , par les effets de
leur bien -veillance, & de leur haine . Car le Boſtangibaſſi qui eſt à ſes eſpaules, le cimon
du Caïqà la main , & qui a ſeul la permiſſion de parlerà luy pour lors , l'informe comme
il luy plaiſt des affaires de ſon Eſtat, des deportemens des Officiers de la Couronne,
des deſſeins de les Balſas , & de l'inſolence deceux qu'il fauoriſe par deſſus les aucres.
Quelquesfois il luy raconte nuëment la verité , & quelquesfois la luy déguiſe, comme
ſa paſſion le luy conſeille , & ourdicfinement la perte de ceux qui ſe croyent aſſeurez ,
& qui bien ſouvent font ſans crime . Exemple qui apprend combien il importe aux
Roys de ſçauoir par eux -meſmes, & non par autruy, l'eſtar de leurs affaires , & apprendre
en les voyant les deportemens de leurs ſujets, faire dans leurs Monarchies ce que les
Paſteurs font dans leurs troupeaux , prendre garde à eux , car l'ail ne ſe trompe pas ſe
toſt quel’oreille , & la verité n'entre que fort rarement, & encores déguiſée dans leurs
Palais , ſi eux -mcſmes ne l'y menent par la main . Les plus grands menceurs des hom
mes ſeiournent à la Cour , & debitent facilement leurs bourdes; de plus , l'intereſt par
ticulier eſt la ſeule Diuinité qu'ils y adorent , à laquelle ils rapportent l'ambition de
leurs penſées, la flatcerie'de leurs diſcours, & la malice de leurs actions. Le Boſtangi
baſſi trouuans l'eſprit de ſon Maiſtre nud de toute connoiffance d'affaire , comme vne
cable d'attente, y peint ce qu'il veut , de l'amitié pour les yns ,& de la haine pour les
autres , rend coupables les innocens, & innocens les coupables, eſleue & ruine qui
bon luy ſemble : de ſorte qu'au retour de cette promenade,les Balſas ſentenc quelques
fois les coups d'un nouueau deſaſtre aux changemens de leurs forcunes. Cerces , les fa
ueurs de la Cour ſont bien fragiles, puis qu'vn peu de vent , vne parole les briſe ; &
comme le ventdiſſipe la fumée , les diſcours du grand Iardinier foncéuanoüir les gran
deurs des Baſſas de la Porte . Ce qui doit apprendre aux fauoris des Princes , puiſque
leurs fortunes ſont paſſageres, d'en employer le credit à des a &tions vertueuſes, qui
leur ſeruent de ſolide appuy dans le monde, honorent leur vie , faſſent cherir leur me
moire par les hommes , & les garantiſſent de leur perre . Mais dire ces choſes à la pluſ

part de ceux de cette condition , c'eſt chanter aux ſourds , & monſtrer des couleurs
aux aueugles ; car les grandes proſperitez de la Cour aueuglentl'eſprit, & affourdent
le iugement.
Apres que le Sultan a du cout affouuy ſes deſirs des delices de cette promenade ma
rine , & remply ſes oreilles des contes du Boſtangibaſſi, il fait voguer vers le Serrail,
où eſtant de recour , les Azamoglans tirent les Cayques hors de l'eau , & les mettent à
couuert ſous des voûces faites expres qui ſont dans les murs de ce Palais : ce qu'ils font,
aulli bien que les remettre en mer , commodément, & auec vne grande facilité.

1 Des
!

du Grand Seigneur . Liure I. 53

Des Medecins , Chirurgiens, Apotiquaires du Grand Seigneur.

CHAPITRE XIX .

Es grands Princes ne ſont point au milieu de leurs felicitez humai


PG nes , exempts desincommodiceż de la vie , & moins encores des ma
ladies qui l'affligent, afin que leur orgueil ſoit abaiſſé , & qu'ils ſe
connoiſſent eſtre hommes. Le Sultan Empereurdes Turcs cherche 1
auſſi bien que les autres Monarques , le ſecours à ſes maux : il tient
Sell d'ordinaire pour le ſeruice de la perſonne dix Medecins des plus
ſçauansde l'Orient ; la pluſpart ſont luifs , car les hommes de cette nation - là trauail
lent diligemment à la Medecine, & y reülliffent bien : & puisles Turcs negligeans les
Lettres,
n'arriuent point à l'acquiſition des ſciences qu'il fauf pour faire vn bon Me
decin . Parmy ce nombre ilyena vn ſuperieur des autres , nommé en leur langue Lec
chin Baſsi , ou premier Medecin , leurs appointemensſont grands , & les preſens qu'ils
reçoiuent les enrichiſſent: Le premier d'iceux eſtreueré dans le Serrail , on luy ſert du
meſme pain qu'au Sulcan , quieſt ce pain fi delicieux à Conſtantinople , fait du grain
qui ſe recueille à Burſe en Natolię , reſerué pour la bouche du Prince : Il a dans la
Cour les faueurs qu'il ſouhaite , & fon Maiſtre l’honore extraordinairement: Vn puiſ
fant Demon , qui eſt la neceſſité , & fa vertu , le font ainſihonorer. Mais le merite de la
Medecine l'a rendu firecommandable dans le monde , & dans la Cour , que pluſieurs
Roys l'ont couronnéc de leurs propres diademes : Sabor * Gyges l'ont exercée dans * Voyez ce
leurs Eſtats de Medie : Sabid la maria à ſon Sceptre de l'Arabic , Mithridat à celuy du qu'en eſcrit le
Pont , & Hermes n'eſtimoit pas moins de gloire d'eſtre Medecin dans l’Egypte , que Marfile Ficin,
d'yeſtre Roy ſouuerain . au premier
Quand le Sulcan eſt malade , ſes Medecins ſont appellez pour le viſiter , s'ils iugene Liure en la
à Thos
que la maladie ſoit de durée , ils ſont auſſi -coſt logez dans le Serrail ſecrec, qui eſt le mas Valere
departement du Prince ,dans des chambres proche la ſienne : on leur donne deux ſer- Medecin.
uiteurs pour les ſeruir , & ils ne peuuent ſorcir du Palais , quelle neceſſité qui les preſſe,
que le Sultan ne ſoitguery, ou mort . Mais quand ileſten ſanté,ils ne ſont obligez que
d'aller crois enſemble tous les matins dans la boutique de l'Apothiquaire du Sercail,
& là attendre iuſquesà Midy , lil'on a beſoin de leurs ſecours.
Les Chirurgiens & les Barbiers du Sultan ont bien moins de liberté , ils ne peuuent
ſortir du Sercail où ils logent que le iour du Baïram qui eſt la Paſque des Turcs , ſice
n'eſt que le Prince le leur permette : les plusieunes de certe profellion luy feruent de
Pages, quelques autres ſone Eunuques aſſidus au ſeruice de la chambre , ce ſont ceux
quilc ralent quand il le deſire, & qui le lauent dans le bain lors qu'il y va temperer les
ardeurs qui le trauaillent , ou ſatisfaire au commandement de la Loy.
Les Apothiquaires ſont auſſi logez dans le Serrail , leur nombre furpaſſe celuy de
tous les autres ,auſſi leur ſeruice eſt bien plus ordinaire. Ils ont dix- huit Maiſtres qui
trauaillent, & trois cens garçons quiles ſeruent, la pluſparc deſquels vont vne fois l'an
arboriſer par les montagnes & dans les valées chercher les ſimples qui compoſent les

medicamens : quatre Maiſtres tres-experimentezen leur art font ſuperieurs à tous ceux
là, ils les nomment les Prieurs.La boutique de ces Apothiquaires eſt digne du nombre
de tant d'hommes qui ſeruencà vn grand Prince , elle eſtlongue de plus de cinquante
toiſes , & large de la moitié : Lesgrands vaſes qui l'embelliſſent la rendent auſſi abon
damment fournie de toute force d'huiles, ſyrops, vnguens , eaux , & autres liqueurs pro

presà la Medecine: à colté d'icelle ſont quatre belles chambres pleines dediuerſes lor
tes de drogues . Outre celles - là , il y en a encores deux'ſicuées versles iardins,où pendang
que le Printemps eſmaille la terre des Acurs , & l'Eſté la couronne de fruict , ilsen cirent
les eſſences, & en diſtillent les eaux propres à leurs mcdicamens . Mais dans tous ces va
ſes, parmy ces drogues , & z ces diverſeseſences, il ne ſe trouue aucun * remede, qui ſou- * Nulis amer
lage les paſſions amoureuſes du Prince , deſquelles il eſt ſans ceſſe trauaillé , elles luy herbis. Ouid .
deuorcne ſon loiſir , incerrompent les exercices dignes de la perſonne , & l'abaiſſent au Metam , lib,i.
fab.9.
deſſous de ce qu'ileſt,le rendent eſclauesde les eſclaues: car les aymanccſperduëment,
il vit plus en elles qu'en luy -meſme .
g iij
by
Hiſtoire du Serrail , & de la Cour
54

love

HISTOIRE

GENERALE

DV SERRAIL , ET DE LA

COVRDV GRAND SEIGNEVR ,

EMPEREVR DES TVR CS.

L I V R E S E C O N D.

Du Diuan public dans le Serrail, où s'expedient & fe iugent les affaires

generales , particulieres.

CHAPITRE I.

Ans la ſeconde cour du Serrail, il yavnebelle fontaine couuerce

de l'ombrage de pluſieurs agreables Cyprés qui l'enuironnent,


verſe vre eau claire , comme ſi elle eſtoit de criſtal liquide , eſt
baſtie ſur la main gauche du bout d'vne longue galerie, vne gran

de ſalle, où le Sultan fait tenir le Diuan quatre iours de la ſemai


ne , àſçauoir le Samedy , le Dimanche, le Lundy ,& le Mardy.Co
mot de Diuan veut dire College , où pluſieurs hommes ſe trou
uent: là on y rend également la luſtice à qui la demande , pour
quelle cauſe que ce ſoit : & leplus grand bien qui s'y trouue, c'eſt que les parties y
font receuës à dire eux -meſmes leurs cauſes , ſans qu'il leur ſoit beſoin de conſumer
leurs biens , & leur temps,dont la perte eſtirreparable, apres des hommes de chicane ,

* Cecy foit qui s'enrichiſſent ailleurs des folics d'autruy: * La police des Turcs donne ce repos
dit ſans violer au peuple , qu'elle n'en ſouffre point chez elix : quiconque veut auoir a & ion contre
le reſpect que vn autre ,il l'amene au Diuan par le poing , & celuy -là ne l'oferoit auoir refuſé: là par
ie porce aux
perſonnes qui la iuſtification de leurs actes, s'ils en ont, ou la depoſition ſommaire , & verbale de
iecourent le deux teſmoins, la cauſe eſt iugée auec vne grande facilité , & l'execucion n'en eft
Soins auxpro- pas mal-aiſée :où ſi le iugement eſt remis apres l'audience,& commis à quelqu'vn des
cez , deſquels Juges , les delais imporcuns , & l'horreur deschicaneries qui ſe pratiquent en France,
je n'entends
point parler n'eſtans pas receus des Turcs, n'en empeſchent point la prompte expedition .
icy . Les Officiers qui aſſiſtentà ce Diuan , ſont le Baſſa ,grand Vizir Licutenant gene
ral detout l’Empire , qui preſide: les autres Vizirs l'accompagnent, les deux Beglier
beys,celuy de la Natolie ,& celuy de la Romanie, qui ſont les premieres charges de la
Couronne, apres celle du grand Vizir . Les deux Cadileſquers, ou grands luges des
armées , ſuperieurs de tous les Cadis , & luges de l'Empire : Les crois Tefterdars ou
Threſoriers generaux des finances ordinaires, & extraordinaires, qui tiennent les
coffres

>

3
du Grand Seigneur . Liure IT . SS

coffres du Sulcan, & reçoiuent ce grand reuenu , qui ſeleue dans ſes Eſtats: Le Niſſanzy
Baſſa grand Chancelier : Le Netangy, qui eſt comme chez nous le Secretaire d'Eſtat
qui ſert en mois , lequel ligne du ſeing Royal les commandemens , & les dépeſches :
Les Secretaires des Baſſas , auec vn grand nombre de la ſitſchy , ou Notaires , qui fonc
comme les Greffiers : Lc Chiaoux Balli , qui eſt le Chef decous les Chiaoux de l'Em
pire, qui portent les commandemens du Sultan ,dedans & dehors l'Eſtat, vonten Am
baſſade, quoy qu'ils ne ſoient que de vils Meſſagers, executent les decrets des Baſſas,
eſt à la porce de ce Diuan auec vn grand nombre des ſiens, pour faire ce que le grand
Vizir luy voudroit commander : il porte vo baſton d'argent en la main pour marque
de ſon authorité. Et tous ces hommes cantBallas que les autres de moindre condition
ſe rendent dans cette ſalle du Diuan , dés les quatre heuresdumatin , auec vne louable
diligence, pour y faire l'exercice de leurs charges en l'adminiſtracion de la luſtice,
iuſques à l'heure de Midy .
Les places & les rangs y ſont obſeruez ſelon l'eminence de leurs Offices , le grand
Vizir ſe fied le premier au milieu de deux longsbancs atrachez à la muraille , qui re
gardent la porte, de meſme que les ſieges des Audiences de Iuſticc en France,à la main
droite , qui eſten Turquie le coſté le moins honorable, fe placent tous les autres Baſſas:
les deux Cadileſquersſont à la gauche, celuy de la Romanicou Grece, comme Pro
uince plus noble, precede celuy de la Natolie. A l'entrée du Diuan du coſté gauche
ſont aſſis ſur yn bane ſeparé les crois Tefterdars, ils ont à leårs eſpaules tous les No
taires,ou Greffiers aſſis à terre , le papier & la plumeà la main pour eſcrire ce qu'on
leur commandera. De l'autre partie de la ſalle oppoſée aux Tefterdars eſt aſſis ſur vn
banc à part , le Netangy auſſi la plume à la main enuironné de ſes Clercs ou Commis .

Les parties qui demandent iuftice ſont en grand nombre , placez au milieu du Diuan,
auec vn reſpe & & vn ſilence ſi grand , qu'ils n'oſent pas ſeulement cracher . Ce Conſeil
publiceft comme dans le Louure celuy des parties ,aueccecce difference que là chacun
y eſtreceu , pour quelque cauſe que ce ſoit .Tous ces Officiers ainſi placez , les parties
plaident eux -meſmes leurs cauſes , & leur voix s'addreſſe au grand Vizir qui preſide
en ce Conſeil : les autres Baſſas n'y parlentiamais.S'il iuge quel'affaire propoſée doiue
eſtre expediée ſur le champ, là meſme il finit le differend des parties , lielle demande
vne plus longue inquiſition , ilen comme le iugement à vn des Cadileſquers; fi lama
tiere eſt du droia Ciuil , ſielle eſt des Finances, ou des Comptes ,vn Tefterdar y eſt
commis : & lors qu'il eſt queſtion de quelque fauſſecé oa verification d'vn ſeing , ou
ou diffe
d'eſcriture , il depute vn Necangy. Les affaires de plus grande importance ,
rends de conſequence , qui regardent des hommes eſtrangers, ſont par luy-meſme
referuez à ſon iugement.
Ces occupations les detiennent depuis l'aube du iour iuſques à l'heure de Midy;
quand elle eſt arriuée , vn des Maiſtres d'Hoſtel du Serrail deſtiné pour le Diuan , ſe
preſente au milieu d'iceluy :legrand Vizir luyfait ſigne d'apporter à diſner : alors les
parcies ſe retirent, & le Diuan demeure librcaux Baſſas, le ſeruice y eſt fait auec la fru
galité qu'il faut à des luges , pour toute table on apporte deuant le grand Vizir vn fim
ple eſcabeau de bois, ſur lequelon place vn baſſin d'argent,& quelquefois de cuiure
cftamé, de forme ronde , de la grandeur du fonds d'on conneau ; ſurles bords d'iceluy
on y range pluſieurs pains, au milieu les viandes qu'on ſert vn plat apres l'autre : vnou
deux Balſas ſont appellez pour manger auec ce Chef du Conſeil : on leur apporte à
chacun vne ſeruiecte, donc ils ſe couurent les genoux : les mets ſont de mouton , vo
laille , pigeons, & pár fois de poulets , la boiſſon eſt du ſorbec à leur mode , compoſé
d'eau , de ius de citron , & de ſuccre pour le grand Vizit ſeulement:
car les autres n'ca
ſteignent leurſoifqu'auec de l'eau purc : le deſfert d'vne courte , ou de quelque gaſteau
finic le diſner , qui ne dure pas plusde demie heure : le meſme appareil eft ordonné aux
Cadileſquers, Tefterdars , & à tout le reſte du Diuan : leurs eſclaucs diſnent en melme
temps . Le Balla Capitaine de la mer eſt encores du nombre de ceux qui aſſiſtent au
Diuan , prend ſa place au dernier rang de tous les autres Ballas; s'il n'eſt Balla Vizir,
en ce casilmonte plus haut vers le grand Vizir en l'ordre de la reception .
Le diſner ainſiacheućſans pompe , ſans luxe, & ſans diffolucion , le grand Vizir diſ
poſe les plus notables reſolutions qu'on a pris au Diuan , & ſe prepare d'en aller faire
le rapport au Grand Seigneur, le Dimanche & le Mardy, qui ſont les iours du Diuan
des affaires publiques , & du Conſeil d'Eſtat. Ce Prince deſcend pour céceffecen vne
ire l
56 Hiſto du Serrai , & de la Cour

chambre proche de celuy -là: dés qu'il y eſt arriué , il mande venirà ſoy ſes Officiers les
vns apres les autres . Le Capigilar Agaſſi leur en porte le commandement , celuy -cy
cient en main vn long baſton d'argent de la façon d'une maſſe de Bedeau : il appelle
premierement les Cadileſquers, ceux-là ſe leuent, font vne profonde reuerence au
grand Vizir , & ſuiuent ce Maſſier & le Chiaoux Balli qui s'eſt ioine à luy auec ſon au
tre baſton d'argent :ſous leur conduite, ils vont deuant le Grand Seigneur dans la
chambre où il eſt, le reuerent , & preſque l'adorent : car il n'y a point de Prince ſou
uerain ſur la terre à qui les ſujets portent yne ſi grande crainte , & rendent tant deve
neration . Apres cela ils luy rendent compte deleurs charges , puis ſe recirenc à recu
lons en la contenance de ceux qui conſultent quelque grande diuinité , & s'en vont en
leurs maiſons. Les Baſtonniers à maſſe d'argent vont querir les Tefterdars, ceux -cy
rendent au grand Vizir la meſme falutation que les autres, von deuant le Grand Sei
gneur , luy parlent du fonds de ſescoffres, des affairesde leur exercice : & l'ayantſatiſ
fait, ſe retirentſur les meſmes pas des autres ,les talons les premiers . Cette couftume
de tourner touſiours la face en ſe retirant, ne ſe pratique pas ſeulement chez le Prince ,
on l'obſerue enuers les Baſſas, leſquels ſelon les loix de la ciuilité Turque , tiendroient
à mépris , fien ſe ſeparant d'eux on leur tournoit le dos . Apres les Tefccrdars le Capi
taine de lamer ,s'il a eſté Diuan , va dire au grand Seigneur l'eſtat de les vaiſſeaux de
guerre , celuy des armes,& munitions qui ſont dans ſon Arſenal. L'Aga ou Colonel
general des Ianiſfaires, qui font l'Infanterie Turque, n'entre point au Diuan , il ſo
tient dans la ſeconde porte du Serrail aſſis ſous vne galerie , affité de ſes ſoldats , il va
le premier de cous àl'audience vers ſon Maiſtre, retourne en ſon liege , iuſques à ce que
tous les autres ſe ſoientretirez , car il ſort le dernier du Serrail . Les Vizirs vont vnàvn

vers le Sultan , & arriuez en la preſence ſe compoſent en vn incomparable reſpect, ils


ioignent les mains , baiſſent la teſte ,& lesyeux à terre , & ſe caiſenc: car parmy eux le
ſeul grand Vizir peut parler au Prince; celuy -cy arriue le dernier grauement , & à pas
comprez , comme celuy qui porte le faix de toutes les affaires qui ont paſſé par le Di
uan , il en rend compte à ſon Maiſtre , qui en confirme les iugemens, ou les annulle,
comme bon luy ſemble. De plus , illuy en laiſſe les memoires par eſcrit dans vne bour
ſe de velours ras cramoiſy , qu'il met auec vne indicible reuerence, & humilité deuanc
luy , puis ſe retire commeles autres , li l’Empereur ne le retient dauantage pour s'infor
mer auec luy de l'eſtat de ſes plus importantes affaires.
Ainſi rendent les Turcs la luſtice aux hommes , dont la briefue expedition pourroic

separer les deffauts qu'on y rencontreroit, quoy qu'ils ſoient en ce lieu -là particulic
rement aſſez exactes de rendre à vn chacunce qui luy eſt deu : la crainte de leur propre

ruine , quand ils n'auroient aucune vertu , eſt aſſez grande pour leur faire tenir la ba
lance égale . Car les Princes Turcs ont accouſtume d'aller par vne de leurs chambres
en vne feneſtre fermée ſeulement d'vne jalouſie , laquelle reſpond dans le Diuan ſur
la teſte du grand Vizir : de là ils entendent tout ce quis'y dit , & s'y traite , les plaintes
desparcies ,& les Arreſts des luges, & li l'iniquité maiſtriſe les eſprits, & la bouche de
ceux -cy, pour deſnier aux plus foibles le ſecours que la luſtice leur doit contre les vio
lentes oppreſſions des plus forts , la punition qu'il en faic eſt exemplaire . Cerces com
me les fondemens ſouſtiennent la maiſon , auſſi la Iuſtice eſt un puiſſant appuy d'un
Empire, fans laquelle il ne ſubliſte pas long -temps. Les Roys , dont le principal office
eſt de la rendre aux hommes , la doiuent cherir ſur toutes choſes , elle les doit éleuer
par deflus les autres hommes, & les faire regner heureuſement , ſans elle la violence
appelle tous les deſordres dans leurs Eſtats, les trouble & les ruine à la fin , ils ſont eux
meſmes ſans la Iuſtice ſemblables aux corps affligez du haut mal , que la foibleſſe & la
douleur crauaillent : cetce diuine vercu ne doit pas ſeulement eſtre l'ame de leurs or ,
donnances, mais l'ame de leuramo , ils doiuent en la Iuſtice poſſeder les autres vertus,
'Ariftoteles s .
Ethic , car * elle les concient toutes .

Des
du Grand Seigneur . Liure II. 57
11.1 . '.

Des Azamoglans , ou Enfans du tribur de baſſe condition qui ſeruent an Serrails


e ailleurs .

Sill
CHAPITRE II .

Es Chreſtiens trauaillent ſi vtilement à l'agrandiſſement de l'Em


pire des Turcs , qu'ils ne leur en fourniſſent pas ſeulement les occa
fions, par leur malheureuſe diuiſion , mais encoresleur font naiſtre
des hommes qui ſont auec le temps les plus genereux de leurs trou
pes , les plus Grands de leur Cour, & les plus triomphans des Villes,
TS & des Prouinces Chreſtiennes:Mais en ce dernier la force, & la con
trainte , done vſent ces barbares enuers eux , les rend plus excuſables ,
que quand ils abandonnent leur raiſon, & l'intereſt du Chriſtianiſmıc aux aucugles
e
paſſions d'vne funeſte diſcorde: car ils voyent venir dans leurs maiſons par tout la
Grece, ou la Morée &
, dans les pays d'Albanie,vne troupe de Capigis du Grand Sei
gneur deputez pour faire l'exa&tion du plus riche, & duplusexquis tribus, qui ſe puiſſo
Jeuer ſur la terre, qui eſt des hommes lesmieux faits , & les plus aduantageuſement en
richis des dons de la nature. Là ils choiſiſſent les plus ſains , les plus beaux , & les plus
adroits de leursenfans,de trois l'vn ;ce qu'ils fonttousles trois ans : & en ayans allem
blé plus de deux mille les conduiſent à Conſtantinople. A l'arriuee on les habillc cous
de robes de diuerſes couleurs de drap ſeulement, on leur donne à chacun yn bonnec
jaune de feutre de la façon d'un pain de luccre. En cér equipage ils ſont menez en la
preſence du grand Vizir ,lequel accompagnédecous les autres Baſſas, 8c Miniſtres du
Serrail fait le choix des plus diſpots, & plus adroitspourla guerre : cette belle ieuneſſe
eſt miſe à part ,elle eſt conduite dans le Serrail par le Boſtangibaſli, ou Chef des Iardi
niers , & vne partie diſtribuće où il y en manque ,alors on les circoncit: d'enfans Chre
ftiens qu'ils eſtoient ils deuiennent leunes Turcs, & pour vne inconſtante fortune du
monde, & de la Cour,perdent l'eternel bon - heur du Ciel , dans le chemin duquel leur
premiere croyance les auoic dreſſcz. On leur fait apprendre la langue Turque , & ſi
leur eſpric eſt capable de plus, à lire , & à eſcrire. Mais tous indifferemment lonc in
ſtruits à la luitte à la courſe, à ſauter, à tirer de l'arc, à darder yne Azegaye, & à cous les
exercices, où des gensde guerre peuucnt bien apprendre leur meſtier.
Le reſte decette belle cdice de icunes enfans du tribut eſt au pouuoir du grand Vi
zir, illes loge & les diſtribúëdiuerſement, les vns ſont enuoyez par les iardins & les mai
ſons de plaiſance du Sultan , les autres font mis ſur les gallions, & vaiſſeaux de mer qui
voyagent pour les Sulcanes : les Patrons s'en chargent, & s'obligent de les rendre, quand
on les leur demandera . On en place encores vn bon nombre dans les boutiques des
artiſans pour leur faire apprendre diuers meſtiers , donc ils puiſſent feruir l'eſcoüade

quand ils ſeront Ianiſſaires, & fur couc en temps de guerre.Les Baffas & tous les Grands
dela Couren ont encores leur part : on les leur donne deſignez par leurs noms , patrie,
fignes au viſage ou ailleurs , par la couleur du poil , ils s'en obligent par eſcrit dans un
liure fait cxprcs, afin que ſi la neceſſité de la guerre forçoit les Capitaines de remplacer
leurs compagnies au lieu de ceux qui ſont morts, on peuſt reprendre ceux - cy pour céc
effer. Mais ordinairement on ne donne à ces Baſſas , que les plus rudes , & les plus groſ
fiers: auſſi s'en ſeruent- ils aux eſcuries , à la cuiſine , & aux autres bas offices de leurs
maiſons. Ceux qui reſtent de ces Azamoglans ſont enuoyezen diuers Seminaires , ſous
la conduite de pluſieurs Eunuques qui ont charge , & prennent le foin de les eleuer :
poureſtre vniour capables de porter les armes , & ſeruir à la guerrc en qualité de laniſ
laires.Ces enfans ainſi placez ,le grand Vizir les repreſente dans vn liure au Grand Sci
gneur . Ce Prince leur afligne vn entretenementſelon ſon plaiſir, & leur augmente la
paye que le grand Couſtumier leur donne , qui eſt de quatre à cinq aſpres pariour, ou
cre leur nourricure , & leurs veſtemens : il en ſigne l'eſtat de la main , & l'enuoye par le
Vizir au Tefterdar, afin qu'il en air le ſoin de les payer ſelon l'ordre : il les void tous les
crois mois , & les viſite l'on apres l'autre , les appellant par leurs noms , pour ſçauoir le
nombre de ceux qui ſont morts , & void comme on les nourrit,& cõme on les gouuerne.
Mais les Azamoglans deſtinez au ſeruice du Serrail, lontoccupez aux choſes viles &
h
e
ir l
ſ to rai ur
58 Hi du Ser , & de la Co

baſſes, comme les moindres de tous ceux quiſontde la famille Royale,ils ſeruent aux
baſtimens,aux eſcuries,auxcuiſines, aux iardins, à couper du bois, à le charrier, me
ner les chiens à la chaſſe, comme leurs valets , & à faire ce que leurs chefs leur com
mandent, quiſont dixeniers ,& centeniers , & ceux - cy ſont encores ſous l'authorité du

Chicaïa ,ou Maiſtre d'hoſteldu Boſtangibaſi,le trauail qu'ils font,la peine qu'ils pren
nent, les maux qu'ils ſouffrent, les rendent les plus patiens hommes du monde , &
leurs Maiſtres les dreſſent à la mortification , par les voyes plus rigoureuſes : la moin
dre faute leur vaut vne cinquantaine de coups de baſtons, deſquels ſontexactement
payez . Mais leurbaſſeſſe n'eſt pas ſans honneur , non plus que ſans recompenſe : il y a
des charges & des eminens officés parmy eux , auſquels ils ſuccedent par l'ordre de
leur ancienneté , & leur patience les peut faire eſperer & aſpirer à la charge de Maiſtre
d'hoſtel, voire de Boſtangibaſli: pour exemple qu'il n'y a rien de ſi bas qu'vn long tra
uail , & vne inuincible ſouffrance n'eſleue auec le temps. Car arriuer à la dignité de
Bottangibaſli, c'eſt deuenir familier du Prince, Grand à la Cour , parlerà luy quand il
ſe promene, le conduire ſurmer, le gouuernail du brigantin à la main, & auoir le pri
vilege honorable deporter le tulban en teſte dans le Serrail , qui n'eſt pas moins qu'en
tre les Grands d'Eſpagne ,parler au Roy la ceſte couuerte .

Les portes du Serrail ſont les limites de leurs cours , ils n'en ſortent iamais , quelle
neceſité qu'ils ayent , file Boſtangibaſſi ne les amene quant& luy , lors qu'il va horsde
ce Palais exccuter les commandemensdu Prince ,& deftruirelafortune de quelque
Grand de la Cour ,comme fic ce meſme grand lardinier en l'année mil ſix cens qua
torze , celle du Baſía Nafſuf, qu'il fit eſtrangler dans ſon lict , car ces ſecrectes com
miſſions ſont ordinairement miſes entre les mains: alors il prend de ces Azamoglans
le nombre qu'il luy en faut.Il fait gliſſer encores parmy cux desenfans Turcs naturels
par la priere de ſes amis , toutesfois auec le conſentement du Sultan , & les place en
lieu où ils puiſſent eſtre auancez .Leurs logemens & leurs departemens ſont autour
des murailles du Serrail du coſté de lamer,
où ils habitent par camarades , yont leurs
bains, leurs eſtuues, & leurs cuiſines, viuenc à leur volonté, car ils ont leur ordinaire à

part, & lors qu'ils ont du loiſir, ils l'employentà la peſche, vendent le poiſſon qu'ils y
prennent, & enferrent le gain qu'ils en ont : ils ne voyent iamais le Sultan s'il ne vient

dans les iardins à la promenade ,où s'il ne va à la chaſſe, alors ils le ſuiüent , & queſtent
à la campagne comme des eſpagneux. Ce n'eſt pas de leur nombre qu'on remplit les
compagnies de gens de pied, quandilya faute deIaniſfáires: S'ils ſortent du Serrail ,
c'eſtpoureſtre mieux nourris en des Seminaires ſeparez tandis qu'ils ſone ieunes, ou
quand ils ſont plus aagez , le grand Seigneur en donne quelques vns à ſes Fauoris
qu'il enuoye hors du Serrail ,aux charges de Baſſas du Caire, de Damas , ou autres
Gouuernemens de ſon Empire ,ceux - là ſe feruent de ces Azamoglans pour leursMai
ſtres d'hoſtel, Eſcuyers, Threſoriers , & ſemblables charges danslcurs familles : outre
cela quand le Prince voyage , ou va à la guerre,il en emmene vn grand nombre quand
$
{ & luy, pour tendre ſes pauillons, deſcharger ſes meubles , & faire des autresoffices
manuels .

Des Azamoglans d'honneſte condition , qui arriuent auec le temps aux charges

de l'Empire Turc.

CHAPITRE III .

E A vertu a cela de propre pour ſa naturelle beauté , que de ſe faire


eſtimer par tout, & reconnoiſtre meſme aux peuples plus barbares :
elle ne rend pas ſeulement admirables ceux qui la poſſedent, mais
encores donne le tiltre de nobleſſe à leur poſterité ,& la rend re
commandable. Les enfans de bon lieu, pris par tribut ſur les Chre
ſtiens , l'eſpreuuent dans la Turquie , où les Turcs honorent leur
naiſſance, & les ſeparentdes autrespour eſtre mieux nourris & dreſſez aux exercices

qui lesrendent dignes des plus grandes charges de l'Empire : on leur apprend les tex
ces de la loy de Mahomet, l'ornement des lettres à la Turque , l'adreſſe des armes, 80
tout ce quiſerc à la perfection des hommes qui doiuent cître continuellement aupres
d'en
du Grand Seigneur. Liure II . $9

d'un grand Monarque . Ils ſont tous eſclaues Chreſtiens : mais nous verrons dans le
cours de leur fortune, que leur eſclauage eſt vn chemin, par lequel la patience les con
duirà la liberté de comander à des Prouinces , ou à des Royaumes entiers , & leur con
dition nous apprendra qu'elle eſt vne heureuſe infelicité,& vne mallicureuſe felicité .
Le Capi Aga, grand Chambellan du Serrail, en introduit quelques-vns dans leur
nombre ,nays des Turcsnaturels , recommandables pour leur gentilleſſc, raremeno
toutesfois , & auec la licence du Prince.Carle Couſtumier de l'Empire veut en ſesan
ciennes Conſtitutions, que telsenfans ſoient Chreſtiens renegats,des plus nobles, &
plus ciuils qu'on pourra trouuer. Auſliquand les aduantages de la guerre donnent aux
armées Turquesla victoire contre les Chreſtiens, ou les priſes de leursVilles , & que
dans icelles on y trouue des ieunes enfans iuſques en l'aage de douze ou treize ans,
les Baſſas les reſeruent pour le ſeruice du Grand Seigneur . Car les Turcs tiennené
que dela nobleſſe du ſang ſe forment les eſprits genereux, & propres à la vertu ; mel
mement quand les ſoins d'vne bonneeducation ,poliſſent & perfectionnent les dons
de la naiſſance , comme on fait dans le Serrail enuers ces icunes hommes . La diſci
pline qu'on leur fait obſeruer eſt ſi rigoureuſe, que quiconque en a ſouffert cous les
poincts, deuient le plus modeſte, le plus patient, & le plus mortifié homme dumon
de. Les Maiſtres qui ont charge de leurs perſonnes ſont des Eunuquesblancs , ſeuc
fes , bizarres , fancaſques & ombrageux ,
comme ſont la pluſpart de cels hongres : ils
ne parlent à eux qu'en colere, & ne leur eſpargnent pas les baſtonnades , deſquelles
ils ſont fort charitables,les font veiller , & louffrir toutes ſortes de peines , d'où il ar
riue , que quand pluſieursdeces ieunes hommes ſont venus à l'aage de vingt ans , ils

cherchent toutes ſortes de moyens pour fuir cette ſeuerité : & quoy qu'ils Içachent
qu'ils ſonc dans les voyes d'vne grande fortune; neantmoins ils ayment mieux ſortir
du Serrail, auec la ſimple qualité de Spahy , ou Muraferaga , qui eſt comme cheznous
Gendarme, ou des Cheuaux - legers du Roy, que de patir dauantage les rigueurs de
cecce diſcipline. Leur nombre n'eſt pas prefix , le Serrail en reçoit autant qu'on en
epuoye ; mais d'ordinaire ils ſont enuiron trois cens . L'ordre & la methode auec la

quelle ils ſont nourris , monſtre bien que les Turcs n'ont rien retenu de barbare que
le nom , & nous en ont enuoyé l'effet .

Ils appellent Oda les Claſſes où ils les exercent, ce mot veut dire Chambre, ils en
ordonnent quatre, par leſquelles cesieunes enfans doiuent paſſer auant que d'arriuer
aux charges , où la capacité qu'ils y acquierent, les éleue . En la premiere font placez Peemicie
tous ceux de cette condition quientrencau Serrail en l'aage pueril: là on les circon
cit , s'ils ne l'ont eſté, eſtans faits Turcs on leur apprend pour premier precepte le ſi
lence, & la contenance qu'ils doiuent tenir pour marque de leur ſeruitude; enſemble
la ſnguliere reuerence enuers le Sultan , qui eſt de tenir , lors qu'ils ſeront aupres do
luy , la teſte & les yeux bas ,les mains iointes , ou les bras croiſez: car la pluſpart de
ceux qui ſeruent la perſonne du Prince Otthoman ne parlent iamais à luy, & ne lere
gardent iamais en face. A leur arriuće au Serrail le Prince les void ,les faicenrooller
dans vn regiſtre par leur nom , & celuy de leur patric, & commande au Tefterdar
d'eſtre exact de payer à poinct nommé les denicrs qu'il faut à leur entretenement. Võ
Eunuque blanc, Intendant de tous les autres Eunuques qui les enſeignent, comme
ſeroit le Principald'vn College , prend auſſi le ſoin qu'ils ſoient bien inſtruits. Apres
donc les premierspreceptes que nous auons dit , on leurapprend à lire & à eſcrire, &
ſur tout les prieres à la Turque, & le culte de leur Religion , auec vne incroyable vis
gilance par l'eſpacede lixou ſeptans , qui eſt le temps qu'ils ſont dans cette Oda .
Apresce long terme ils paſſent à la ſeconde Oda ,où des Maiſtres plus intelligens seconde
que les premiers, leur apprennent la languePerſienne, l'Arabe , & la Tarcare , & les oda,
exercent à lire couramment toutes ſortes de ILiures eſcrits à la main ( les Turcs n'en
ont point d'autres ) outre cela à parler elegamment , ce qu'ils peuuent faire par la
connoiſſance de toutes ces trois langues , deſquelles la Turque ſemble eſtre compó
ſée : auſſion connoiſt bien à les entendre parler, la difference qu'ily a entr'eux, & ceux

qui n'ont pas eſté nourris de meſme. Ils adjouſtent à ces exercices d'eſprit ceux de l'a
dreſſe du corps: dans cette Odaon leur apprendà mettre l'eſpécou le cimeterre à la
main , à tirer de l'arc , à lancer la maſſe de fer,à darder le jauelot, ou l'azogaye, à cou
rir legerement , ce qu'ils font dans les lieux ſeparez de la Claſſe aux heures ordon
nées aucc yne grande attention , où les Eunuques ſement liberalement les coups
hij

;
60 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

de baſton, & les en chargent rudement à la moindre faute. Ils font encores ſix ans dans
ces exercices, apres leſquels ils ſont hommes , & propres à coutes ſortes de peines &
de fatigues.
Alors ils montent à la troiſiéme Oda , où ils n'oublient pas ce qu'ils ont appris en
Troiſeme
Oda, l'autre , on les y exerce encores ; & de plus , ils apprennentà eſtre fermesà cheual, à vol .
tiger auec diſpoſition pour eſtre plus propres & plus adroits à la guerre : dauantage, fe
lon leur inclination chacun apprend vn meſtier pour ſeruir à la perſonne du Prince,
l'vnàfaire des tulbans , l'autre à raſerde poil, à couper les ongles, le lauer dans le bain ,
nettoyer & ployer proprement les habits, quià menerbien des chiens dansles bois, qui
à connoiſtre les oyſeaux,& s'entendre à la volerie ,àſeruir deMaiſtre d'hoſtel,d’Eſcuyer,
s'employer à la Chambre, & faire les autres offices neceſſaires au ſeruice des grands
Princes, où ils ſe rendenc fiadroits en l'eſpace de cinq ans , qu'ils en peuuencinſtruire
d'autres. Pendant qu'ils ſont dans cette troiſiémeOda, ils ne peuuent voir aucun dede
hors qu'auec grande difficulté, & en la preſence d'vn Eunuque; toute ſorte de couerfa
tion leur eſt defenduë auec autres, qu'auec ceux de leur Claſſe : mais ils le doiuent faire
auec toute ſorte d'honneſteté; car ſilemoindre ſoupçon du contraire entroic en l'eſprit
de l’Eunuque leur Superieur , ils ſeroienc aſſeurez d'auoir vne charge de coups deba
ſtons bien comptez, qui leur ſeroient donnez ſous la plante des pieds, ou ſur le derriero
à la Turque , de ſorte qu'on les laiſſe fouuent pour morts. Ils dorment dans des longs
dortoirs, qui peuuent contenir cinquante petits liąts faits ſeulement de matelars : ils
couchent tous veſtus, tout le long de la nuiêt pluſieurs lumieres eſclairent ce lieu là,
leurs Eunuques dorment parmy eux ,commede dix en dix li &ts,yn Eunuque pour les
tenir en craince : deiour & de nuiet leurs Maiſtres ſont aux eſſays à les examiner, & ſon
der s'ils ſont fermes & conftans en la croyance de l'Alcoran : car eſtans ſur le poinct de

paſſer à la quatriéme Oda ,& delà aux plus grandes charges de l'Empire, s'ils quoient
ils pourroient
encores dans l'ame l'amour de leur premiere croyance , ils pourroient apporter dans
l'Eſtat Turc quelque notable dommage. Apres doncques y auoir employé toutes ſortes
de ſoins, & les ayant trouuez vericablement Mahomecans, ils les conduiſenc en la qua
triéme Oda .

Quatrième Dés l'entrée d'icelle on les enregiſtre de nouucau par nom & pays dans un liure ,car
Oda. tous ne paſſent pas en ce dernier lieu de leurs afſidus trauaux , mais ceux -là ſeulemenc
qui ont acheué leur temps aux autres Claſſes, & par leur diligence ſe ſont rendus ca
pables de ſeruir vtilement & le Prince , & l'Eſtat, comme le trauail & le repos le tou
chent , la fin de l'on eſt le doux commencement de l'autre,ceshommesle reſſentent en
cette Oda, leur penſion eſt augmentée ,au lieu de draps de laine dont ils ſouloienteſtre
habillez, le Sulcan leur fait donner des robes de ſoye,& de drap d'or , ils jouiſſent de la
liberté de conuerſer auec les plus Grands du Serrail , & auec les Baſſas, leſquels les
voyant à l'entrée des grandes charges,adorent le Soleilleuant de leur fortune, leur font
des preſens, & taſchent d'acquerir leur amitié par leurs riches dons . Outre ces agrea
blesmarquesd'un nouueau bon -heur , au lieu qu'ils eſtoient cous raſez auparauant, ils
laiſſent croiſtre leurs cheveux ſur les temples pour couurir leurs oreilles , ſignecertain
!
qu'ils doiuenceſtre en peu de tempsde la Chambre Royale , ſuiuent le Grand Seigneur
en toutesſes promenades, où ileſt ſans femmes ,& c'est deleur nombre qu'il prend les
Officiers plus familiers de fa perſonne, & ſes fauoris.
Comme le Sechlecar Aga, qui eſt celuy qui porte ſon cſpće.
Le Chiodar Aga , celuy qui porte la robe Royale appellée ciamberluc.
Le Rechioptar, ouRakduncar, celuy qui ſe tient à loneſtrieu , quand il ſe promene à
cheual, ou ſon grand Eſtaffier .
Le Materagi Aga , celuy qui porte le vaſe d'or plein d'eau , quand le Sultan marche ,
Le Tubenter Aga, celuy quigarnit ,& qui porte ſon tulban .
Le Chiamaci Aga, celuy qui luylaue le linge, ou grand Lauandier .
Le Camedir Baſli , le grand Maiſtre .
Le Chilargi Baſſi, le grand Sommelier.
Lc Dogangi Baſſi , le grandFauconnier.
Le Sarrigi Bafli , lcgrand Couſtellier.
Le Munalnugi Baſtī, le grand Controolleur des Finances.
Le TurmachiBalli , ou Firnaagi Aga , celuy qui luy caille les ongles.
Le Berber Balla, le grand Barbier.
L'Amangi
-
61
du Grand Seigueur. Liúre II .

L’Amangi Baſſi, celuy qui le laue dans le bain .


Le Teskelegi Balli , le grand Secretaire , ou premier Secretaire de l'Eſtat.

Tous leſquels ſont les plus angez de la quatriéme Oda , & ſe trouuent deuant le
Prince quand il ſore de la Chambre , auecle reſpect la reuerence qu'ils ont appris en
leur icuneſſe à la premiere Oda ; qui eſt de ſe taire , tenir la teſte baſſe , les yeux fichez
en terre , aufſi ils ne r ilenc iamais, & ne regardent iamaisleur Maiſtre en face ; que
s'il leur commande quelque choſe, c'eſt par ſignes à la muerte , ils le font auec vno
grande promptitude portentla viande qu'ils reçoiuent à la porte de la cour des mains
du Maiſtre d'hoſtel de dehors , & ſela donnans l'un à l'autre de main en main , la font
arriuer iuſques au grand Maiſtre, qui là ſerc deuant le Grand Seigneur. Ce Prince ſe
plaiſt grandement à la conuerſation muette de cels hommes, qui ne l'oferoient entre
tenir que par ſignes, les fait monter à cheual, les void exercer à la courſe, & au ſaur,
leur commande ſouuent de iercer la maſſe de fer, & faire de ſemblables preuues de
leur force , & de leur adreſſe. Il les fauoriſe de pluſieurs preſens de robes de drap d'or,
d'eſpées enrichies de pierreries,debourſes pleines de ſultanins , quieſt de monnoye
d'or, & pluſieurs autres preſens de prix . De plus, afin que ſes Agalaris puiſſent amaſſer
dauantage d'argent pour fournir à la deſpenſe de leur equipage quand ils ſortiront
du Serrail auectilores de Gouuerneurs de Prouinces,illeurdonne les dépeſches pour
les Ambaſſades, ceux.cy les reuendent à des Chiaoux , oufont marché auec eux d'a
uoir la moitié , ou plus , du preſent qu'ils receuronc du Prince , vers lequel on les en
uoye : ce qui n'eſt pasde peu d'importance, car les Princes qui releuenc de l'Occho
man quand il les confirmeen leur dignité ,& leur enuoye les marques d'icelle par yn
baſton doré,vn Thrône, ou vne Couronne, ils ſont obligez de donner à celuy qui eſt
enuoyé vn preſent de la valeur qui eſt eſcrite dans legrand Couſtumier de l'Empi
re , lequelles taxe chacun à vne certaine ſomme : & de ce nombre cit le Valaque , le
Moldaue , le Tranſluain , le Tartare , & pluſieurs autres vaſſaux & tributaires de la
Couronne Octhomane. Ce preſent donc eſt diſtribué entre le Chiaoux qui le reçoit,
& l’Agalari qui luy a donné, ou pour mieuxdire,vendu la commiſion : ainſi ils s'en
richiſſent, & font vn fonds pour s'equiper à la premiere occaſion, laquelle ſe preſen
tant par la mort de quelque Baſſa,ils ſont enuoyez , ou Capitaine de la mer , ou Baſſa
au Caire, en Damas, ou ailleurs . Outre ces grandes & eſclattantes dignitez,le Grand
Seigneur les honore quelquesfois de la qualité de Muſaip, c'eſt à dire qui peut parler
au Prince , & aller versluy priuément, choſe que les Turcs eſtiment par deſſus tout le
reſte de l'Empire.Ce que les Monarques Octhomansfontà double deſſein , pour gra
tifier dauantage ceux qu'ils ayment, & pour auoir des hommes parmy les Grands de
la Cour, qui leur redient ce que les autres Baſſas font, & deſcouurent leurs entrepri.
les contre le bien de l'Eſtat, & la perſonne du Prince . Mais tous les Agalaris ne ſont
pas ſi liberalement pourueus.Ceux que le Sulcan veut faire ſortir du Serrail auec des
moindres charges ,illes fait Aga des Ianiſſaires, SpahilarAgalli, qui eſt Capitaine
des Spahis , ou au moins Capigi Balli, qui eſt Chef des Portiers.
Quand ils ſortent du Palais Royal , par yne grande , oumediocre dignité, ils empor
.cent quant& eux toutes les richeſſes qu'ils y ontamaſſé. Plugeurs icunes hommes
que le deſir de la liberté, & la curioſité de voir le monde , pluſtoſt que le ſoin de s'a
uancer , a fait abandonner les exercices de l'Oda, & leur importunité a contraint le
Prince de les congedier, ſortent auec les autres,ſans qualité,ſans chargc, & auec peu
de paye pariour :mais lors queceluy quieſt pourueu de la qualité de Baffa , & Gou
ucrneur en quelque Prouinceéloignée eſt preſt à ſortir du Serrail, le grand Vizir l'en
uoye prendre à la porte par ſon Chicaïa , quieſt comme ſon Maiſtre d'hoſtel, ou In
tendant de la maiſon , auec vne trouppe de cheuaux pour luy faire honneur , & le faic
conduire dans ſa maiſon ,le reçoit auec toute ſorte de courtoiſie , le comble de pre
ſens, & l'accommode de logemens pour trois ou quatre iours, iuſques à ce qu'il ſe ſoic
pourucu de quelquc logis à la Ville : apres qu'il y a mis ordre , il fait l'eſtat de la mai .
ſon, donne les principales charges d'icelle à ceux qui ſont fortis quant & luy du Ser
rail , ſeiourne quelque peu de temps à Conſtantinople, attendant que le poil luy ſoit
reuenu , car il eſt forty raſé ; & encores pour receuoir les preſens que les.Sultanes luy
ux que les Bafla's
enuoyent , qui ſontde beaux linges , & des ouurages tres - riches , & ceux que
luy font de tapiſſerie, cheuaux , robes de drap d'or , & de toute ſorte de meubles nem
ceſſaires à yn homme de la condition : il peut cître pour lors aagé d'enuiron quarante
hiij
+
62 Hiſtoire du Serrail . & de la Cour

ans , ayant conſumé les plus beauxde ſes iours en l'attente d'une telle fortune. Ceux
I
des autres Odas luy ſuccedent par l'ordre de leur reception , lequel eſt exactemení
obſerué au Serrail, & la faueur n'en peut priuer perſonne , s'il n'a commis quelque

notable faute dans le Palais Royal: de forte que ceux de la troiſiéme Oda ſçauent à
peu prés par la ſucceſion ce qu'ils doiuent deuenir, & deſirent tous les jours qu'il
plaiſe au Sultan d'enuoyer quelques -vns de ſes Agalaris aux charges de dehors,
afin qu'ils leur faſſent place . Or ce nouueau Gouuerneur ne part point de la Cour
pouraller en ſa charge, que premierement il n'aiceſté remercier le Capi Aga,du ſoin
qu'il a contribué à ſon auancement, le direſon obligé, & vouloir couſiours dépendre
de luy pour l'eternelle reconnoiſſance de ſesbien- faits, le fupplie de le mettre en la
protection pres de la perſonne du Prince ſur les aecidens qui luy pourroient arriuer,
Il faitce complimentdansle Serrail hors la porte du departement du Sultan , car en
cſtant forty il n'y peut plus rentrer , file Prince ne l'y appelle pour traiter auec luy
des affaires de ſá charge . Telle eſt la fortune de ceux qui ont laiſſé conduire leurs
a &tions à la pacience , & ontgrandement trauaillé pour ſe rendre capables de ſeruir.
Mais tel eſt le choix que les Monarques Otthomans font des hommes nourris; & ſe
uerement inſtruits en leur meſtier aupres de leurs perſonnes, pour eſtre auec le temps

les plus grands Officiers de leur Empire, danslequelon n'eſleue iamaisà telles digni
tez des perſonnes incapables, quin'ont durant le cours de leur vie appris autre choſe
qu'à jouerà la paume,pouſſer bien vn dé, parler brutalement, & exercer toute ſorte
de vices. Ainſi il ne ſe faut pluseſtonner ſil'Eſtat du Turc proſpere,puiſqueparmy vn
grand nombre de icunes hommes on ſçait faire l’eſlite des plus beaux eſprits pour eſtre
nourris auec ſoin ſous vne bonne diſcipline , qui lesrendehonneftesgens , & adjouſte
aux dons d'vne heureuſe naiſſance les perfections de l'art . Il faut veritablement que
le naturel ſerue de fondement à faire les grands hommes , qui naiſt ſot, en a pour

toute ſa vie . L'ay veu dans le monde certains hommeschoiſir les plus beaux eſprits
pour peupler leurs maiſons Religieuſes: auſſi ont- ils touſiours parmyeux de tres
ſçauans, & tres- rares perſonnages, & tant qu'ils ſuiuront cette voye , ils ſe rendront
neceſſaires, recommandables, & admirable par tout : ſans le naturel on ſeme fans re
cueillir , & d'yne buſe on n'en fit iamais vn eſpreuier.

Des
quatre Eunuques blancs , les principaux hommes du Serrail, & de quelques
autres Eunuques.

CHAPITRE IIII.

Ovs auons dit ailleurs , que le Serrail des femmes n'a pointd'au
tres hommes pour ſagarde que desEunuques noirs enuoyez ieu
nes à la Cour parles Baſſas du Caire , pour eftre dreſſez à cet offi
ce . Le Serrail du Sulcan n'en reçoit que des blancs , leſquels
choiſis en leur enfance de cette agreable crouppe d'enfans bien
naiz pris par tribut ſur les Chreſtiens, dontic Chapitre precedent
Ndeſcrit la fortune. Ils ſont caillez de leur conſentement , & non

par force ,laquelle mettroit leur vic en danger, les promeſſes des plus grandes charges
de la Cour, & l'eſperance de jouir vniourdes dignitez , où ils voyentlesautres inuti
lez eſtre ſuperbement éleuez, flefchit leur volonté à ſe laiſſer trancher. Les promeffes
font veritables , ils arriuent auec le temps aux grandeurs de la Turquie. Mais les prin
cipaux de ces Eunuques , & le plus vieux d'iceux, qui ſont apres la perſonne du Prin
ce, les premieres & plus puiſſantes teſtes du Serrail , ſont les quatre qui ſuiuent.
Le premier eſt le Capi Aga , grand Chambellan de l’Empire , le plus authoriſé do
tous dans le Serrail , comme celuy-là quipeut ſeul parler au Grand Seigneur , quand
bon luy ſemble , aſſiſte touſiours aupres de la perſonne, en quel licu qu'il aille , ſoit
qu'il ſorte de fon Palais Royal , ou qu'il entre dans celuy de les femmes ,il le ſuit iuf
ques à la porte ,y laiſſe deshommes qui le vont aduercir dans ſa chambre ,quand le Sul
tan reſſort :les Ambaſſades,les pacquets d'imporcánce , les memoires d'Eſtat, & tou
ces les grandes affaires paſſent par ſes mains pour arriuer à celles du Prince,lerendene
necellaise à cous les autres, & luy acquierenc aucant de siches preſens, & autant de
deniers
du Grand Seigneur . Liure II . 63

deniers qu'il en veut auoir. Ce qui eſt ſans comparaiſon de plus grande vcilité que
l'entretien qu'il a dans le Serrail , lequel eſt reglé à dix Sultanins pariour , qui ſont
quarante liures de noſtre monnoye , pluſieurs robes de ſoye , & de drap d'or , auec les
amcublemens qu'il deſire. Outre cela ſa table eſt ſeruic aux deſpens de ſon Maiſtre,
en meſme temps que la ſienne. Il porte le tulban dans le Serrail,& va par tout ou bon
luy ſemble à cheual dans iceluy.
Le ſecond eſtle Chaſnadar Baſſi, ou Threſorier du threſor de dedans , ou threſor
ſecrec du Prince ; il en a vne clef, & l'autre eſt gardée par le Grand Seigneur meſme,

lequel y fait outre cela appliquer ſon ſccau. Il a leſoin d'y faire ſerrer l'or, & l'argent
qui vient de l’Egypte, en fait vn eſtat, luy ſeulentre dans ce threſor auec la perſonne
du Sultan , le conſeille ſur l'amas des deniers, & l'entretientd'un ſujet qui ne deſpleur
iamais à Prince : l'importance , & la neceſſité de ſa charge ne le rendent pas peu re
commandable : car l'or eſtant les delices des hommes , quiconque en a la ſurinten .
tande , ſe rend & puiſſant & neceſſaire parmy eux : dauantage, il a la garde de tous les
joyaux de la Couronne, & encotes de ceux qu'on prcſente tous les iours au Sultan ,
il repaiſt ſes yeux à ſouhait de l'éclatdes plusbelles perles, & du bril des plus riches
diamans que l'Orient produiſe :ceux que ſon Maiſtre donne , & ceux dont il ſe pare
tniourde pompe , paſſent par ſes mains. Il vit au milieu des threſors , & des richeſſes
du Serrail, dans l'eſperance de ſucceder à la charge de Capi Aga , fi la mort force
l'autre de l'abandonner.

Le troiſiéme a la charge de Chilergi Baſſi, c'eſt à dire , grand Deſpenſier: il eſt com
me chcznous le Maiſtre de la Garderobc du Roy , le ſoin que la charge luy donneeſt
des habits du Sultan , & des autres hardes qui feruent à la perſonne. Outre cela les
pieces de drap d'or, qu’on enuoye en preſent, les fourrures exquiſes, les riches eſpées,
les pennaches, & ſemblablesbeſongnes qu'on donne au Prince, & ceux qu'il donne
luy-meſme, fontſousla garde. Il en fait vneſtat parciculier , afin qu'on puiſſe voir le
prix de ce qui entre pour preſent dans cette ſuperbe Garderobe, & la valeur de ce
qui en ſort en meſme qualité : cét exercice le tient touſiours en haleine ; car la couſtu .
me de Turquie , bien pratiquée dans le Serrail, eſtant de donner & de receuoir, luy
fournit aſſez d'occupation pour paſſer les heures du iour loin de l'oiſiueré. Il a ſous
luy pour ſecours en les penibles affaires , vn grand nombre d'Eunuques. L'aſſiduité
qu'il doit rendre l'oblige à demeurer preſquetouſiours dans le Serrail. Ses appointe
mens ſont la table , pluſieurs robes dedrap d'or, mille aſpres par iour , ou huiĉ Sulca
nins , aucc pluſieurs riches preſens.Mais la faueur dont ſon Maiſtre l'honore , fait le
plus grand article de ſon reuenu , ileſpere par le moyen d'icelle entrer en la place de
Chažnadar Bafli, quand elle vacquera. Il porte pourmarquedel'honneur qu'il poſſe
de , le culban dans le Serrail , & va à cheual dans iceluy ,auflibien que les deux prece
dens , & celuy qui ſuit :car ces quatre Eunuques ont cette prerogatiue par deſſus les
autrcs Officiers du Monarque Orthoman reſidans dans fon Serrail. >
Le quatriéme eſt encores yn vieux Eunuque palle, & ride par le cours des années
& le deffaut de ce qu'on luy a coupé , qui poſrede l'office de Saraï Agalli,lequel eſt en
Turquie cela meſme qu'en France Capitaine du Chaſteau du Louure :mais auec plus
d'éclat, plus d'authorité ,& auſſi plus depeine, & plus de ſoin : car ayant à prendre
garde à tout le Serrail , maiſon ordinaire des Monarques Orthomans, il doit faire ſa
charge ſi exactement, que tels Princes veulent eſtre teruis : il viſite fouuent tous les

departemens, & les chambresdece ſuperbe Palais , pour voir en quel eſtar ellesſont,
prend garde que tousles moindres Officiers faſſent leurs charges, qui eſt plus que
chez nous adjouſter à la charge de Capitaine de la maiſon Royalc, l'office deMaiſtre
1
d'hoſtel , que le Serrailſoit pourueu des choſes qu'il luy faut ordinairement . Il de
meure dans iceluy en l'abſence meſme du Sultan , pour y maintenir l'ordre , & faire
que ce Royallogement ſoit touſiours en bon eſtat : ilalesmeſmes appointemens que
le Chilergi Balli, eſpere ſi les ans ne le trompent , ſucceder à la dignité de celuy-là:
car l'ordre du Serrail ne ſouffre pas qu'on vole aux grandes charges ,mais bien veut
il qu'on y monte de degré en degré . Onnc void paslà des hommes venus en yne nuit
comme les potirons , le long temps, & les longs ſeruices leur font receuoir les charges
qu'ils ontmerité.Ainſi le Chaſnadar Baſli aſpire à la chargede Capi Aga, le Chilergi
Baſſi à celle de Chaſnadar Balli , & ce dernier à la ſienne .Cesquatre Eunuques alli
ſtenc ordinairementen la preſence du Prince , le ſeul Capi Aga luy peut parler, & non
+
64 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

pas les autres, ſi le Prince ne les interroge de leurs charges. Outre ces honneurs , & cės
Offices du Serrail ,le Prince leshonore quelquefois dela qualité de Balla, & Gouuer
neur d'vn Royaume, comme de l’Egypte, de Damas,ou d'ailleurs : Ils arriuent aulli à
la charge de grand Vizir, quieſt la premiere de l’Empire, & par la grande authorité d'i
1
celle, menent les armées aux Prouinces où il vont faire la guerre . Ce quidonna ſujec
àvn genereux Gouuerneur d'une place des Chreſtiens en Hongrie de reſpondreà vn
Eunuque general d'armée qui le ſommoit de ſe rendre que le meſtier des femmes eſtoic
de coudre & de filer, & non pas de prendre des Villes.Or le Grand Seigneur les auan
ce de cette ſorte aux grandes charges hors du Serrail ,à double fin ; l'vne pour recon
noiſtre leurs longs feruices ; l'autre pourauoir leurs places , dont il puiſſe pouruoir des
autres Eunuques, quiont pendant leurs longs feruices attendu, ou que ceux - là mou
ruſſent , ou qu'ils fuſſent enuoyez Baſſas aux Prouinceséloignées . Car le Serrail nour
rit pluſieurs Eunuques ſous les douceurs de ces eſperances, ils peuucnt eſtre enuiron
deux cens de tous aages.

Ceux qui ne peuuent cſtre auancez par l'ordre d'anciennetéà ces eminentes charges
de la maiſon Royale, font neantmoins employez à quelque choſe de moins dans icelle;
les vns gardent en des lieux ſeparez comme de cabinets, des choſes exquiſes qui ont
eſté données en preſent au Prince, comme des grandes pieces d'ambre gris que le Baffa
de la Morée recouure dans ſon Gouuernement,& au Serrail, pluſieurs veſſiesde Muſe ,
des grands vaſes pleins d'excellente Theriaque de Veniſe, da Michridat ſouuerain, du
Baume du Caire , de la Terre figillée, du Bole Armenien , des Beſoüars, des vales d'A
gathe, de Turquoiſe, Iaſpe, Cryſtal, & autres choſesde prix , qu'ils conſeruent, & ſoi
gneuſement & proprement pour la perſonnedu Prince . Les autres ont ſoin des fourru
res rares dont lvſage ſert à la ſanté , & mille autres rarerez qu'on apporte des Indes:
1
Outre toutes ces choſes il y a encores de l'employ dans le Serrail pour pluſieurs autres
Eunuques quigardent vn licu , où l'on porte tous les riches meubles confiſquez ſur les
grands dela Cour , cxecutez à mort par l'enormité de leurs crimes, ou par les ſiniſtres
inuentions de l'enuie, & dauantage des autres perſonnes quimeurent opulens en ri
ches hardes , car eſtans tous eſclaues le bien eſt au Prince . Ceux-là reçoiuent cesbeaux
meubles, & donnent aduis au Sultan qui les va voir, & choiſir ce qu'il trouuc à ſon gré :
le reſte eſt mis en vente dans le meſme Serrail aux ſeuls Officiers d'iceluy, & il en de
meure apres qu'ils ont fait leurs achapts , on l’expoſe au marché public de la Ville , &
de venc-on à qui en veut ;les deniers ſont mis entre les mains du Chaſnadar Balli, qui
les ſerre dans le chreſor de dedans. Quelques autres Eunuques ont pour occupation la
charge des autres Serrails , & Seminaires, où le Prince fait inſtruire la ieuneſſe à ſes
deſpens, comme en des Colleges Royaux , tant à Conſtantinople ,qu'à Andrinople, à
Burſe , & ailleurs . Ainſi par la fage police du Serrailceux qui feruentlontauancez,pour
exemple aux plus ieunes de fuir l'oiſiueté, & aiſeurance aux meſmes que leurs aflidus
crauaux ſeront vn iour couronnez d'vne recompenſe honorable , & veile .

Depluſieurs autres Officiers ſeruans au Serrail, tt) à la perſonne du Grand Seigneur,


du nombre d'hommes qui viuent dans ce Palais.
CHAPITRE V.

VTRE ces Eunuques eſleuez aux grandes charges , & ceux qui
ſont au deſſous, il y a certain nombre d'autres hommes quiſerueno
ordinairement la perſonne du Sultan , les vns ſonç ſes valets de
chambre , les autres en dignité plus eminente , cous ordonnez par
trentaines , comme trente pour la chemile , trente pour ſa chemi
ſette , ou gipon , trente pour la cunique , ou ſorte depetite ſortano
que les Turcs portent ſous la robe , trente pour les fourrures, trence
pour le culban ,crente pour la ceinture, trente pour les chauſſes
crente pour le bas, cren
te pour les ſouliers, crente pour faire ſon liết, crente pour faire la chambre, & trence
pour y ordonner les places , & la diſpoſicion des meubles , trente pour ſes armes , comme
l'arc, les fleſches, & lecimeterre , trente pour le Sceptre, crente pourla Couronne Im
periale, trente pour ſes riches tapis , & autant pour les carreaux ; non qu'ils ſeruentcous
à la fois , mais par ordre de temps en temps.
Ceux
du Grand Seigneur . Liure II . os

Ceux qui ſeruencà ſa bouche ſont en aſſez grand nombre , regis & gouuernez par
quatre principaux Officiers ſubordonnez les vnsaux autres : le premier eſt le Argi
balli,qui prendgarde que chacun ſoit à ſon deuoir.Le ſecond eſt le Mimmut Pagi,qui
fournit iour par iour les deniers qu'il faut pour la deſpenſe ; ſa charge l'eſleue au pri
uilege de parler ſouuent au Prince , pour ſçauoir de luy ce qu'il deſire manger. Il a
comme celuy qui precede quatre ſultanins par iour , la table , & deux robes tous les
ans , l'vne de ſoye,& l'autre dedrap d'or. Le troiſiéme eſt le Checaya , qui fait le mel
ime office qu'en France le Controolleur general de la maiſon du Roy; il ſuit de bien
piesl’authorité de Maiſtre d'Hoſtel, appointe les differens que l'enuie , ou l'orgueil
fait naiſtre parmy les Officiers. Il a par iour quatre fulcanins, & par an des robes de
foye, & de drap d'or.Le quatriéme eſt le Murpariazigi, qui eſt ainſi qu'vn Clerc d'offi
ce. Tous ces hommes employent leurs foins & l'authorité de leurs charges dans la
cuiſine du Prince . Au dehors ſeruent pluſieurs Sahangylers , comme Maiſtres d'ho
ſtel, ou pluſtoſt Gentils-hommes ſeruans qui portent la viande ; ils ſont bien quinze
cens hommes ſeruans en diuers temps, par diuerſes trouppes .
Le nombre des autres moindres Officiers du Serrail fait bien voir que ce ſuperbe
Palais eſt d'vne tres grande deſpenſc, & que le Prince qui l'habite eſt puiſſant & ma
gnifique. Les Balcagis qui ſeruent à la fourriere ou au bois pour bruſler, ſont plus de
deux cens ; les Boſtangis , ou lardiniers , ſont huict à neufcens hommes, tant ces iar
dins où ce grand Monarque ſe promene ſont vaſtes , & de grand entretien . Les Vi
uandiers ſeulement pour la volaille , ou Poulailliers, ſont cinq cens ; les Palefreniers

huiở cens , & les autres hommes de ſemblable condition eſtendent bien au long
l'eſtat des menus Officiers de la maiſon de l'Empereur des Turcs . De forte qu'on
compte dans le Serrail treize à quatorze mille bouches, qui ſont nourries iournelle
ment des viures que leur fournit le Sultan , y compris le departement des femmes.

Des viures ordinaires du Serrail , et des prouiſions d'iceluy pour la nourriture


du Prince, ea de ceux qui luy feruent.

CHAPITRE VI .

'ORDRE ſi iudicieuſement eſtably dans le Serrail , & fi exacte.


ment obſerué là -meſme, n'a pas oublié les prouifions neceffaires
des viures : elles y ſont apportées & conſeruées auec vne admira
ble æconomie , contre l'ordinaire confuſion des Maiſons des
Princes . Premierement, le bled ſe recueille pour la bouche du
Sultan , de ſes Sultanes , des grandsBaſſas, & du Mufty , ( car tous
ceux -là en ont leur part ) au cerritoire de Burſe , Ville de Bychinie,
où il croiſt le plus pur & le meilleur de l'Orient: on en retient pourlc Serrail iuſques
à huic ou neufmille quilots , chaque quilots vaut deux boiſſeaux de Paris : les mou .
lins dreſſez exprés à Conſtantinople trauaillentà le moudre , les grands fours du Ser
rail le cuiſent en pain , & ce bel ordre le diſtribuë par regle , comme aux Sultanes
vingt pains pariour, aux Baſſas dix , au Mufty hui & , & aux autres moindres perſon
nes bien moins iuſques à vn par teſte. Cette diſtribution eſt contenuë dans vn liure
quele grand Delpenſier, ou le grand Boulanger gardent pour la faire obſeruer . Le
bled pour le grand noinbre d'hommes qui ſeruent au Serrail ſe recueille dans la Gre
ce , ſe porte de meſme à Conſtantinople en quantité de quarante mille quilots , & ſe
diſtribue auec pareille regle que l'autre à ceux pour leſquels on les fait venir. Car on
nourrit là les hommes auec la ſobrieté neceſſaire pour vtilement trauailler en quello
ſorte d'affaire que ce ſoit.
Les viandes, ſoit pour les prouiſionsannuelles, ou pour l'ordinaire du iour , y ſont
apporcées , & diſtribuées par la meſme regle , ſur la fin de l'Automne le grand Vizir
donne quelques iournées à voir faire les Paſtromanis, pour les cuiſines du Sultan, &
des Sultanes, ils le font de chair de vache pleine pour'eſtre plus tendre, qu’on ſale
comme en la Chreſtienté les cerfs , ou les pourceaux ; on en cuë enuiron ce temps- là
iuſques au nombre de quatre mille.Le Serrail met certe forte de mers parmyles deli
cateſſes deles feſtins,& lesfamilles Turques tant ſoit peu aiſées en font auſli'leur pro
uiſion . Cercegrande reſerue de chair eſt pour l'annéc. Mais tous les iours les Viwana
i

1
1 66 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

diers fourniſſent au Serrail deux cens moutons, cent agneaux , ou cenr chevreaux en la
faiſon, quarante veaux ,quarante oyes,ou oyſons,centpaires de volailes, cent paires de
poulets , cene paires de pigeons, auec quelques autresmoindresoyſeaux que lesPou
lalliers apportent. Le poiſſon n'entre point au Serrail que pour contenter l'appetit de
quelques Agalarisquien veulent manger ; alors ils le font peſcher vers cette partie du
Palais qui regarde la mer , laquelle fournir abondamment toutes ſortes de peſches,
Les huiles excellens dont les cuiſinesdu Serrail ſe ſeruent, viennent pour l'ordinaire
de Coron & de Modonen Grece, terroir plantureuxen Oliuiers ,la Candic ſeule four
nit celuy qu'on employe pour la bouche du Prince. Car oudre la delicate bonté do .

certe liqueur, elle eſt ſans aucune forte d'odeur , laquelle vicilliſſant aux autres les
rend deſagreables. Le beurre dont la prouiſion abonde dans le Serrail , eſt apporté de
Moldauie, & des lieux qui l'auoiGnenc , il vient par le courant de la mer noire en tres
grande quantité , falé neantmoins, le frais n'eſt pas beaucoup recherché des Turcs, ou
1
foit qu'ils n'en connoiſſent pas bien la qualité, ou ſoit qu'ils le negligent : le laict meſme
eſt peu en vſage parmy eux , celuy qu'on porte à vendre à Conſtantinople, n'eſt acheté
que des Chreſtiens, ou des Juifs, & files Turcs s'en feruent, c'eſt apres qu'il eſt aigry,
car ainſi ( diſent - ils ) il leur eſteint la ſoif.
Les autres ſortes de prouiſion de viures ſont cirées des Prouinces , où elles abonden
le plus , & ſont les meilleures. Les Galionsfont cous les ans deux voyages en Alexan
dric , pour y charger des legumes , des ſuccres & des eſpiceries, aucant qu'ilen faut au
Serrail , & encores pour les principaux Baſſas de la Porte ; quoy que les Turcsn'oſent
pas beaucoup d'eſpiceries, de crainte qu'elles ne les prouoquent à boire du vin , fiex
preſſément defendu par leurLoy : l’Egypte fournit lesdattes, & les meilleures prunes
qui ſoient feruics dans le Serrail. Les pommes qui font les delices des collations, &
deſſert de la Turquie, dont la Porte fait vne abondante prouiſion, ſont cueillies à Va
laquie , Tranſſiluanie , & Moldauie, & apportées au Serrail en tres-grande quantité,
celles qu'on ſert au Sultan ſont pour leur delicate ſuauité achetées en Candie. L'Italie
contribuë encores aux prouiſions de ce grand Serrail : le Baylo de Veniſe reſidant à la
Porte fait venir quantité de fromage de Milan pour la bouche du Grand Seigneur, ſes
Sultanes , & ſes Baſſas, ils y trouuent les plaiſirs du gouft , & leurs feſtins ne ſeroientpas
agreables , ſi ce mets n'y eſtoit ſeruy.
Toutes ces choſes regardent le manger , pour le boire on fait au Serrail vne boiſſon
appellée Sorbet , compoſée de jus de citron , de ſuccre, d'eau , & parfois d'ambre gris,
tres -excellente à boire , auſſieſt -elle reſeruće feulement pour le Sultan , & ſes femmes:
Les plus ſignalezdecette Imperiale Maiſon en font pour eux : comme les quatre prin
cipaux Eunuques, dont nous auonsparlé, & peu d'autres auec cux : la glace la rafrai
chiffanten Eté , la rend plus delicieuſe : ils font leurprouiſion de glace desmontagnes

autour de Conſtantinople : on la charrie en ſi grande quantité, que les frais ſe montent,


auant qu'elle ſoit dans les glaceries , à plus de vingt mille ſulcanins, qui ſont quatre
vingts mille francs de noſtremonnoye.
Lcreſte de la famille Royale eſteint la ſoifdans
les belles fontaines qui verſenc l'eau fi plaiſamment & Gabondamment par tout le
Serrail : le vin n'y peut entrer ſans violer la Loy del'Alcoran , qui l'a li feuerement de
fendu ,& puis les plus ſages des Turcs en deteſtent l’yſage: ils l'appellent l'Aiguillon
de la ſenſualité, & le Tombeau de la raiſon .
Le bois qui ſerc d'aliment au feu des cuiſines du Serrail , y eſt fourny auec pareille
abondance que les autres choſes, on en meſure la quantité au poids , ainli ſe venc- il à
Conſtantinople auſſi bien qu'en quelques Prouinces de la France, particulierementen
:
Languedoc on le coupe dans les foreſts du Grand Seigneur , & c'eſt la prouiſion qui
luy couſtele moins de toutes celles qui encrent dans ſon Palais. Trente grands Cara
mouſſals choiſis parmy le nombre infiny de ſes Nauires , le chargent,& nauigcans par
le canal de la mer noire,le rendent au Serrail, fes eſclaues l'ont abbacu & coupé, eſpar
gnans à ſon Chalna , ou Threſor de dehors , pluſieurs bonnes ſommes de deniers ,à
quoy ſe montereient les frais, & de la coupe , & du charroy .
Mais ſi les viures du Serrail y ſont fournis en abondance , & en excellence ,les cuiſi .
nes qui les employent ſont meublées de la plusbelle bacterie qu'on puiſſe voir en Mai
{ on de Prince ſouuerain : la pluſpart des grandes pieces ſont de bronze cenuës auec
vne telle netteté, que la veuë d'icelles donne , & du plaiſir , & de l'eſtonnement, les au
tres vtenſiles qui ſont de cuiurç eſtanıć, font vnc fi grande quantité qu'on ne les peut
compter
du Grand Seigneur. Liure if. 67

compter ſans peine. La perte qui en arriue ſouuent n'eſt pas peu notable: les quatre
jours du Diuan pluſieurs hommes de dehors mangent au Serrail, & ceux qui ont ap
pris de fe fournir aux deſpensd'autruy ; prennent delà occaſion d'exercer leur me .
Itiér ,de prendre où ils peuuent trouuer dequoy, & en defrobene vn ſi grand nombre,
que le grand Tefterdar a penſé quelquesfois pour éuitercette grande perte les faire
de pur argent , pour en donner lagarde à quelque Officier quien reſpondıſt: mais la
conſideration de la grande deſpenſe qu'il y'eult fällu faire, & là craince de la perte ir
reparable quien pourroit arriuer '; l'en'a touſiours deſtourné.
Telsfont les viures ,& autres prouifions qu'on fournit au Palais du Grand Seis Pour lesdell:
cars qui de
gneurdes Turcs: que ſile Lecteur trouue de l'ennuy au recit decette matiere de cui, daigneroient
fine qui ſert de ſujet àces lignes ; qu'il conſidere que ſans ce Chapitre les autres qui ce hapitre,
compoſent cette Hiſtoire ne ſeroient point. Car celuy- cy n'ayant point trouué des em que os
viures à la porte de l'Otthoman , fa Cour,& leluftre de ſon grand Serrail.n'auroi
ent ſouvent a la
pû eſtre fans iceux , ny fournir maintenantl’eſtoff de cér ouvrage. Les membres du Cuiſine qu'à
e i'eitude ,
corps humain ( diſent les Fables ) ſe leuerent vniour contre le ventre, qu'ils croyoient
endormy dans vne continuelle pareſſe , la langue parloit pour tous les autres remona
ſtroit. Que pendant que l'oeil voyoit , que lesoreilles oyoiene, que les mains trauaila
loient , que les pieds marchoient , le ſeul ventre feineant eſtoit couſioursdans la moli
leſſe de ſon repos , qu'il eſtoic raiſonnable qu'à ſon tour ilexerçaſt quelqu'vn deleurs
offices : on le delibera ainſi, ils l'employerent, mais la nourriture Icur defaillant au
defaur du naturel exercice du ventre , ils deuindrent froids, paſes , & fans mouue
ment. La verité de ce conte apprend lagement que pour trauailler il faut viure , les
alimens maintiennent la vie en ſes naturelles fonãtions ,& ce Chapitre fourniſſant à
cette ſuperbe Cour dequoy ſubſiſter , donne à cette Hiſtoire le ſujet de ſon employ ,

Des malades eo morts des hommes du Serrail.

CHAPITRE VII.

Es maladies du corps ſuiuent bien ſouuent les mæurs de l'eſprit


RE & les diſſolutions les cauſenc pluſtoſt qu'aucune autre choſe: les
Courtiſans en reſſentent les incommodicez par leurs débauches.
Quand ceux du Serrail y tombent , on les mec dans vn chariot
couuert, dans lequelriré à bras d'hommes, ils ſont conduits hors
BE le departement interieur à l'Infirmeric, où l'ordre de cette Impe
riale Maiſon ,& la charité Turque , font à qui le ſecourra mieux :
celuy - là en a donné le ſoin aux Medecins du commun , & celle- cy que nous auons
dit ailleurs eſtre grande, n'oublic rien à leur ayde & ſoulagement: ils ſont gardez li
exactement, que perſonne de dehors ne peut parler à eux q
, ue leur ſancé ne ſoit ré
ucnuë, apres laquelle ils ſont remis en leur premier logement, & en leurs charges.
Mais s'ils en meurent , la Loy de la Cour veut que ceux de la Chambre , ou de l'Oda,
dont le more cítit , foient ſes heritiers, & partagent également les biens meubles
qu'il a laiſſez, excepté quand c'eſt quelque Eunuque des quatre ſignalez dont nous
auons parlé cy -deuant, ou le Chillar Agades Sulcanes , qui eſt noir :car alors le Prince
ſeul, heritier des precieuſes hardes , & de la grande quantité d'argent que cemiſe
rable auoit ſi auidemmentamaſſé, par les ſiniſtres voyes que luiuent les ambitieux de
la Cour , ayant veſcu pauure dans ſa ſeruitude pour mourir riche dans la meſme, &
redonner aux coffres du Sultan ce que ſon auarice en auoit ſouſtrait. Tels Eunuques
laiſſent ordinairement de grands biens en meubles ; ( les Turcs n'ont point d'immeu
bles ) & particulierement lors que leurs longsſeruices les ont auancez à la dignité do
Gouuerneurs de Prouinces ; alors ils ont la liberté de diſpoſer du tiers de leur bien ,
faire vn teſtament,duquelle Sultan eſt touſiours l'executeur , fait la parc aux lega

taices , & prend ſouuent le tout pour luy , par le droit de ſon authorité, & celuy de
Maiſtre , non ſeulement des biens,maisencores des perſonnes de ſon Empire; Car
tous les hommes y eſtans ſes eſclaues, il eſt leur premier & legitime heritier.

i ij

.
68 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

De la Chaſſe du Grand Seigneur.


i
}
CHAPITRE VIII .

A plus grand part des Empereurs Turcs dans la molleffe de leur


oyſiueté,où ils croupiſſent miſerablement aux gironsde leurs con
cubines , ont pris la Chaffc pouryn agreable diuertiſſement: mais
e
ab
f fi les vns y trouuans plusde plaiſir que les autres , l'ont aymée auec
fou plus de paſſion. Bajazeth premier du nom , qui regnoit dansla Tur
quicen meſmetemps que la foibleſſe de l'eſprit de i harles ſixiéme

rauir à cét exercice , qu'il y paffoic, & les plus beaux , & les meilleurs de ſes iours : fa
Cour eſtoit plus remplie deChaſſeurs ,que d'autres hommes : quiconquey alloit pour
y faire fortune , y deuoit arriuer vn oyſeau ſur le poing , ou vne leffe de levriers à la
main , car la meilleure voye pour parucnir à la Cour , eſt deſuiurc les inclinations du
Prince , pourfibrutales qu'elles ſoient: pour lors yn Fauconnier s'agrandit,& vn pic
queur y trouue des charges : mais vn homme de vertu n'y a que durefus, & s'y appau.
urit. Ceque les hommes particuliersfaiſoient ,pour meriter la faueur de ce Monar
que Otthoman , les Princes eſtrangersl'imitoient pour gagner ſes bonnesgraces.lean
Comte de Neuers,fils de Philippes le Hardy Duc de Bourgongne ,aſliſté des Sei
gneurs dela Trimoüille, de la Marche , deCoucy, du Conneſtable de France Philip
pes d'Artois Comte d'Eu , de Vienne Admiral de France , Boucicault Mareſchal do
France , des Sieurs de Brezé ,de Moterel,de Montquel,d'Helly ,& de pluſieurs autres,
mena au ſecours de Sigiſmond Roy de Høngric ; vne genereuſe armée de François,
contre les Turcs qui eſtoient dans Nicopolis: La mauuaiſe intelligence, & la teme
rité les perdirent, leurs troupes furent deffaites par le ſecours de Bajazeth , les hom
mes paſiez au fil de l'eſpécole Comte de Neuers priſonnier,auec les plus ſignalez de la
Nobleſſe Françoiſe : la priſon des Turcs eſt rude , & vn Prince pour fi grand qu'il
foit, y trouue à ſouffrir. Philippes le Hardy,pour adoucir l'humeur farouche du Turc,
&l'obliger à vn meilleur traittement enuers ſon fils, luy enuoya des preſens, & parci
culierement pluſieurs Gerfaux blancs, dont il fit grand eſtac, & pour teſmoigner le
plaiſir qu'il en receuoit , eſtendit la priſon dc ccicune Prince , & le mena ſouuent à la
Chaffe. En icelle les François remarquerent la brucale paſſion de Bajazeth , ſes Fau
conniersiecterent mal à propos vn Gerfau apres vn oyſeau, il s'en met en furie, & ſur
>
le champ vouloit faire mourir deux mille de ces gens-là , qui le ſuiuent à la Chaſſe
l'oyſeau ſur le poing , ſi lespreſſantes prieres du Comte de Neuers nel'en euſſent de

ſtourné : pour lors la colere s'exhala en paroles , mais pleines d'inſolence , il diſoit au
Bourguignon , qu'il eſtimoit bien plus vn bon oyſeau , ou vn bon chien de Chaſſe,
qu'aucun de ſes hommes , Parce que des hommes i'en ay tant que ie veux , ( adjouſtoit
ce brutal ) mais de bons oyſeaux ou de bons chiens , ie n'en troque que fore rarement .
Aufli en la Chaſſe quiconque bléſfoit vn chien , quoy que parmeſgarde, eſtoit crimi
nel de leze Majeſté , & puny de meſme:mais celuy qui rabar d'vne main puiſſante
l'orgueil des Princes cruels, le meſura de la meſme meſure. Tamerlanes Roy des
Tartares le deffic quelque temps apres en bataille rangée, le prit auec ſa femme, & fic
il
moins eſtar de la perſonne que d'un chien , ou que d'vn oyleau : pendant le repas
le faiſoit mettre ſous la table dans vne cage de fer , & luy iettoir des os à ronger, don
nant ſujet à l'Hiſtoire d'eſcrire cét exemple à la poſterice,afin que dans icelle les Prin
ces qui ayment la Chaſſe apprennent de ne laiſſer point ſurmonter leur raiſon aux
fougues &z brucales impatiences de cet exercice. L'equipage doncques & le train de
la Chaſſe de ce Prince eſtoitſi grand, que pour la voleric leulement il auoit à fa ſuite
ſepe mille Fauconniers, qui furent entretenus iuſques au regne de Mahomet ſecond,
lequel arriué à lEmpircregarda ( non ſans cſtonnement) cctte effroyable croupe de
gens de volerie : & commeiln'auoit aucuneinclination à la Chaſſe , illes caſſa tous;
& reſpondoit aux prieres des Grands qui luy parloient deles remercre ,ces meſmes pa
roles : A Dieu ne plaiſe , que ie donne mon pain à manger à des gensfi inutiles.Gordon rez
pour un plaiſir ji vain. La Chaſſe eſt yne honncſterecrcation , ſoulage l'eſprit , exerce
le

2
du Grand Seigneur. Liure II . 69

le corps , & qui l'ayme, monſtre la verdeur de l'eſprit, l'agilité , & la diſpoſicion defa
perſonne :mais le temps qu'on y employe doit eſtre meſuré , libre , & non defrobé

par violence à des plusſerieuſes occupacions, leſquelles doiuent touſiours eſtre prea
ferées à ce louable plaiſir: Encores la chaſſe doiteſtre genereuſe ; & prendre de force
par ruſes & cautelles, comme à rendre des filets &c des pic,
çe qu'elle pourſuit , &non
ges aux beſtes, alors elle eſt baſſe,feincante , & defenduë par * les Sagess qui opttra- autres en
uaillé à l'eſtabliſſement des Republiques Aoriſſances ſous la conduite des bonnes Liure des
Loix . 30 Loix, Dialo.7.

Solyman ſecond , celuy.làmeſme quipritRhodes, & dreſlale Croiſſant Turc dans


les meilleures Villes de la Hongrie , le diuertiſſoit ſoquent à la Chaſſe: il y paſſa du
rant ſon regne vne année entiere, qui fut l'an 1531.lorsque l'Italic apprchendoit que
les grandspreparatifs d'vne effroyable armée nauale ne ſe fiſſent pour ſa ruine , 8
que les Venitiens preſſez de la crainte qu'elle ne vint elmouuoir yne dangerçuſe
tempeſte dans leur Golphe, ſous pretexte d'y chercher les Corſaires de Malche qui
trauailloient les marchands Turcs , enuoyerent vers les Roys deHongrie & de Pos
logne , afin qu'ils priaſſent Solyman de ne ſe mettre point en peine de mener ſon at,
mée vers leursmers , qu'ils promettoient de tenir la mer de Leuant nette de cous Pi
rates: il leur arriua ſelon leurs deſirs , Solyman s'eſtanic recité à Andrinople , y paſſa
l'année que nous auons dit , au plaiſir de la Challe.
Les Empereurs Turcs qui luy ont ſuccedé,ontaymé cét exercice . Oſman dernier
mort entrctenoit vn grand nombre de Veneurs & de Fauconniers. Ces Princes fonc
gloire de les faire paroiſtre en leurs ſuperbes entrées à Conſtantinople , commenous
auons remarqué cy -deuant, où parmy les troupes de Chaſſeurs , on void des Faucon
niers l’oyſeau ſurle poing , auoir
à l'arçon dela ſelle yn Leopárd couuert de toile d'ori
La Chaſſe du Liévre, celle du Cerf leur donne ſouuent du plaiſir, meſines ils courenç
le Sanglicr , bien que lvlage en ſoit defendu par leur Loy : auſſi quand ils l'ont pris ils
en donnent la chair aux Chreſtiens, ou la jettent , & reſeruent la peau pour couurir
des Liuręs,à quoy elle eft fort bonne , & conſeruc pour long -temps les volumes done
ils ſeſeruent : ceux qui ſont venus entre mes mains qui auoient eſté reliez à Con .
ftantinople , ſont excellemment bien couuerts 'de peaux de Sangliers , quoy qu'ile
n'ayent pas la mignardiſe dont les Relieurs de Paris fardent les leurs.
Ór la ſuperſtition - ſouucraine maiſtreſſe des eſprits des Turcs., prend la part à cée
agreable exercice , quand ils chaſſent au iour dc leur Couronnement, ou lors qu'ils
conçoiuent les deffeins d'vne importance guerre ,ils ciennentà bon augure, s'ils pren ,
nenc la premiere beſte qu'ils ont fait leuer. Mais ce plaiſir de la Chaſſe ne les poſſede
pas tant qu'il leur faſſe oublier le ſoin des affaires ſerieuſes. Les Empereurs Turcs ons
accouſtumé en icelle de prendre aduis de leurs Baſſas ſur les occurrences des choſes
qui regardentl'Eſtat ; ils les appellent auprés d'eux à la campagne ,leur en parlent; &
leur commandent d'én dire leur opinion: on appelle à la Porte cette façon de conſule
ter, le Conſeilà chesal : d'où nous pouuons apprendre que cette nation n'eſt pas fibar:
bare qu’on la fait , & que s’ils regnent li puiſſamment ſur tant de Prouinces, & de
Royaumes , ce n'eſt pas fortuitement, & par rencontre caſuel, leurs ſoins, & leurs
iudicieux conſeils donnent à leur Empire vne ſage adminiſtration .

Du train , ſuite , & attirail de la Cour du Grand Seigneur


.

CHAPITRE IX .

E nombre d'hommes logez & nourris dans le Serrail , qui ſe monte


iuſques à quatorze mille bouches, feroit penſer à ceux quine ſçau
roient la puiſſance des Empereurs des Turcs, que pluſieurs ſouue
rains Monarques logezenſembleauroient aſſemblé les Officiers de
leurs maiſons dans vn ſeul Palais . Et veritablement celuy à qui ils

ſeruent , ayant vaincu & ruiné pluſieurs Roys , a faitun aſſemblage


de leurs Couronnes ; ſon Serrail lors qu'il y ſeiourne loge en luyſeul l'Empereur de
Conſtantinoplo,celuy de Trebiſonde , les Roys de Hierufalem ,de Babylone , de Da
mas , d'Egypte, de Cypre , de Thunis , d'Alger, Pex , & Maroc , & vn nombre infiny
i iij
1

i
70 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

d'autres moindres Souuerains, deſquels il poſſede les Empires, les Royaumes , & les

Principaurez : de ſorte que tant d'officiers qui ſont dansſon Palais , ſeruans ſa gran
deur ſeruent à pluſieurs Couronnes . Mais quand il ſort du Serrail pour voyager en

quelque Prouince éloignée ,le train & la ſuite qui grofſit la Courelt eſpouuencable.
Trente- ſix mille laniſfaires fontlenombre de ſes Gardes ordinaires de gens de pied ,
quarancc - quatre mille Spahis, qui ſont comme Cheuaux- legers font la Caualerie
deux mille Capigis , ou Archers de la Porte le ſuiuent: ceux-cý outre leur Garde orá
dinaire , font encores l'office de Miniſtres de luſtice , auec des hommes de moindre

condition qu'ilsont ſous eux ; deux mille Solachis qui ſont Gardes à pied aucour de
la perſonne du Sultan fontde la ſuite ; quatre mille Chiaoux , hommes employez aux
Ambaſſades ,& aux expeditions de la luſtice , y marchent ; il y a encore quinze cens
Sahangylers , ou Gentils-hommesferuans, quiportentla viande iuſquesà la porte de
fa chambre, où ſes Pages la reçoiuent, & la baillent au Capi Aga qui la ſert ſur table,
Le nombre d'hommes de plus bas exercice n'eſt pas moindre, fi on conſidere ce à

quoy on les employe, les Palefreniers ſeulement font trois mille, les Piqueurs do
chaſſe ſont mille, lesBalthagys quicaillent le bois , & leconduiſent à la cuiſine, ſono
huit mille : on y void mille Tauegys, qui ſont Prouoyeurs ou Viuandiers : deux mille
cinq cens Therezy, Tailleurs de Cour, fix censBoulangers. Et ſile voyageſe fait pour
la guerre , les Officiers de l'Arſenal qui ſont Commiſſaires de l'artillerie & autres ,

ſont bien quarante - ſix mille hommes; les Gebegys qui crauaillent à la fabrique des
armes , & nectoyerit celles quiſont deſia faites , ſont quatorze mille : ſept mille Tu
fechgys, ou Maiſtres'Arquebuſiers , ſuiuent auec leurs outils , & leurs boutiques am
bulatoires: huit mille Topeys , qui ſont lesCanonniers, augmentent le crain decette
monſtrucuſe Cour . le laiſſe vn nombre infiny de petits Officiers , pour n'auoir pas
lesnomsen main : lesbeſtes de voiture ſont ordinairementvingtmille, à ſçauoir dix
mille chameaux , & dix mille mulets : quieſt l'ordinaire de la ſeule maiſon du Sultan ,
ſans compter le train des Baſſas qui ſuiuenc, lequel n'eſt pasſi perit , qu'en le voyant
marcher à part, on ne le prit pour l'equipage d'vn Prince ſouuerain , car les Turcsap
porcent en leurs voyages toutes ſortes de commoditez ,pour n'eſtre pas moins ailé
ment à la campagne, que dans les Villes de leur ſeiour. Or la ſupputation du nombre
d'hommes qui fuiuent cette Cour, ſe monte à cent cinqmille ſix cens,lors que le Sul
tan voyage en temps de paix, & s'il va à la guerre, ſa Coureſt compoſée decent quatre
vingesmillchommes, ſans compter les combattans. Ainſiquiſeroit celuy de nous le .
quel voyane marcher cette eſpouuentable Cour, ne creuſt que c'eſt un peuple entier ,
lequel ayant abandonné ſes propres maiſons, va à la conqueſte de nouuelles habita
tions? Certes ce quc l'Hiſtoire raconte de la deſcente des peuples Septentrionaux ,
Cimbres, Sicambres, Gors , Vandales, Bourguignons , Normands & autres , ſe void
là veritablement pourle nombre d'hommes:mais auec cette difference , queceux- là
n'ont fait que paſler, & ceux -cy demeurent touſiours, & adjouſtentà la durée de leur
regne trop long ,la domination ſur pluſieurs autres nations, voiſines & éloignées du
Siege principal de leur Empire .

De la grandeur des Balas Turcs,

CHAPITRE X.

A ſplendeur du Soleilne paroiſtpasſeulement dans le corps de la Sphe


re, elle brille encores dans les plusgrandes Eſtoilles.Ec lesRoys qui ſont
dans leurs Eſtatsce que le Soleil eit au Ciel , ne font pas ſeulemene voir
en eux-meſmes, l'éclat de leur magnificence, elle reluit auſſi en l'opu .
lence des Grands de la Cour. Cela paroiſt bien plus viſiblement dans la
Turquic , qu'en aucun autre lieu du monde , où
les Baſſas Turcs deſployent en la pom
pe de leurs grandes richeſſes, la ſuperbe puiſſance de leur Empereur , duquel ils les
ont recevës. MachmutBalla Beglierbey de l'Europe poſſedoic de ſi riches threſors du
regne de Mahomet ſecond , que le ſeulreuenu annuel d'iceux pounoit ſoldoyer vne
puiſſante armée Turque . Cet exemple impoſeroic ſilence à ceux qui vantent pour
miracle de biens temporels les richeſſes de l'ancien Craſſus , leſquelles ( diſent-ils)
luy

1
du Grand Seigneur . Liure II . 71기

luy donnoient aſſez de rente cous les ans , pour defrayer vne armée Romainc. La moins
dre des armées Turques en contiendroit pluſieurs de celles-là . Or comme ce Baſſa a
eſté le plus puiſſant, & le plus ſomptueux que la Porce , ou la Cour des Otthomans,
ait iamais éleué au comble d'vnc extraordinaire fortune , il ne ſera pas hors de propos

de dire en peu de lignes les voyes par leſquelles il arriua à de telles grandeurs . Il eſtoit
Grec de nation , & en ſon enfance ſa mere qui eſtoit Bulgare le menoit vniour auec
elle , de la Ville de Nebopride à celle de Senderouie :elle fic rencontre de la Caualerie
Turque ; quelques Gens -d'armes d'icelle apperceuant ce ieune enfant merueilleuſe
mentbeau ,le luy rauirent de force ,& l'amenerent en preſent au Sultan leur Maiſtre :
le Prince l'ayma , & en peu de temps fit connoiſtre aux Grands de la Cour , que la beau
té eſt fouuent vn puiſſant motifàvne grande forcune; il fut placé parmy les Pages plus
fauoris de la Chambre , où il paſſa au milieu des delices du Serrail , les plus ieunes de
ſes ans , apres leſquels ileut la charge d'Aga ,ou Colonnel des Ianiſſaires, du depuis il
fut honoré de la qualité de Balla , en ſuite il deuint Vizir, & montant touſiours plus
haut , la Romelic , ou l'Europe l'eut pour ſon Beglierbey : Les magnificences qu'il fic
durant la poſſeſſion de cant de biens ſeroient longues à reciter , va ſeulexemple ſuffira
pour toutes. Mahomet ſecond faifoic circoncire laiſné des Princes ſes enfans, la cou
Itume de la Cour veut que les Grands luy faſſent alors des preſens, nous l'auons dit ail
leurs : tous ceux -là luy en firent , mais celuy de Machmut ſe monta bien pres de ccnc
mille ſequins ,qui ſeroit ànoſtre compte quatre cens mille francs. L'Ocean doit eſtre
grand , puis qu'il nourrir desgrandes baleines, montagnes animées, & ambulacoires;
& la Cour Otthomane doit eſtre magnifique, puis que dans icelle les Bailas rencon
trent de celles fortunes.

Mais peut-eſtre celle de Machmut ſemblera ſurannée, poureſtre arriuée en vn fie 1


cle quiadeuancé le noſtre pour ſatisfaire à ceux quiayment les choſes recentes , & ac
croiſtre les preuues de cette verité , que les Baſfas Turcs font grands, nous adjouſte
rons icy vn exemple que pluſieurs ont veu ces dernieres années ; il paroiſloic dans le
Leuant en l'année 1614. & en la perſonne de Naſſuf Baſſa grand Vizir de l'Empire
Turc ; lequel poſſedoic de ſi grands biens , qu'à ſa mort on trouua dans ſes coffres vn
million d'or en ſequins, & enmonnoye d'argent , huitcens mille eſcus,trois boiſſeaux
de pierres precieuſes non miſes en duure , vn boiſſeau de diamans non cncores tra
uaillez enor, & deux boiſſeaux de groſſes perlesrondes d'un prix ineſtimable, ſon equi
page à l'égal de ſes chreſors eſtoit ſuperbe, ſes eſcuries eſtoient pleines de cheuaux, on
en compra mille, dont le moindre furpaſſoit le prix de mille eſcus d'or: outre cela qua
tre cens quarante jumens d’Arabic , & d'Egypce, les plus belles qui ſe trouuent en ces
lieux-là , pluſieurs milliers de chameaux & de mulets . Le cabinet de ſes armes eſtoic
remply des plus belles eſpées qu'on peut crouuer au Leuant , & ailleurs, la moindre di
celle auoit la garniture d'argent pur, vne ſcule enrichie de diamans, & la garde eſtoit
eſtimée cinquante mille liures de noſtre argent. Le reſte de ſes meubles n'eſtoit pas
moins precieux, les tapiſſeries Perſiennes tiſſuës d’or , & de ſoyc, la grande quantité de
draps d'or, & de loye, des plus exquis ouurages qui ſe faſſent :lesriches li & s, & tout ce
que l'excez d'vne monſtrucuſe fortune entaflo , & amoncelle dans le Palais d'un fauo
ry, ſarpaſſe l'imagination de l'homme, & donne ſujet de dire , que de la deſpoüille de
tels hommes, on en pourroit enrichir non pluſieurs maiſons, mais pluſieurs Villes .
Deſiriches & fi ſomptueux Courtiſans ne vont pas à petit train , quand ilsmarchent
en campagne, & font voyage, ſoit pour leurs affaires particulieres , ou ſoit qu'ils aillenc
prendre poſſeſſion des Gouuernemens des Prouinces dont le Sultan les a honorez , l'e
quipage qui va deuant, & le grand nombre d'hommes qui les ſuiuent, égale ,voire ſur
paſſe la ſuite des Princes fouuerains de l'Europe : tel train poutamuſer les yeux de ceux
quile voyent paſſer , l'eſpace d'vn iour entier, car autant de temps leur faut-il pour la
moindre entrée de Ville: encores arriue- t'il ſouuent que les flambeaux qu'on allume
ſuppleent au deffaut de la lumiere du jour : auſſi toute l'eſtude & le ſoin de cels Baſſas
eft de paroiſtre grands aux yeux des hommes. Ce qui fait qu'ils n'eſpargnent rien pour
cſtre ſeruis par pluſieurs milliers de domeſtiques, ( ſi coutesfois ils n'en ſont deferuis,
eſtant mal-aiſé qu'vne trouppe ſi nombreuſe ne ſoit imporcune ) auſquels ils donnent
pluſieurs Eunuques pour leur commander . Ils ſe plaiſentà eftre bien montez , & outro
auoir autant de cheuaux comme il en faudroit pour monter pluſieurs regimens de Ca
ualerie , ils veulent que leur bagage paroiſſe plus ſuperbe pour eſtre porcé par douze ou
72 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

quinzecens mulets, & autantde chamcaux. Lenombre des concubines qu'ils entre :
ciennent dans leurs maiſons à l'imitation du Prince leur Maiſtre, occupe le foin ,& la

vigilance de pluſieurs
Eunuques noirs qu'ils leur donnent pour leur garde , & conſu
me de grandes richeſſes. Leurslogemens ſont des ſuperbes Serrails qu'ils ont fait ba
ftir auec vne incroyable deſpenſe , ainſi qu'on peut voir dans l'Hippodrome de Con
ſtantinople , au Serrail d'Hibraim Baſſa, dont les Empereurs Turcs ont herité , qui eſt
, commode pourloger vn grand Roy . Leurs meubles , & les orne
aſſez ſpacieux &
mens de leurs ſalles, ſont à l'égal de leur grandeur: à la deſpenſe d'iceux ils n'eſpar
gnent choſe quelconque , commeles ſeules acquiſitions que la loy de leur ſeruitude
leur permet de faire : car eſtans tous eſclaues ils ne peuuent acquerir des biens enter

res & pofſeſſions champeſtres ,leſquelles ſont toutes generalement au Sultan leur
Souucrain.Mais ſi des checifs cſclaues ſont ſigrands , & fi ſuperbes en richeſſes , quel

doiceftre le Maiſtre qui les a faiccels ?

Les affronts que les Baſſas Turcs font contrains d'effryer à la Cour , e le
honteux chaſtiment qu'ils ſouffrent.

CHAPITRE XI .

Es honneurs & les grandeurs du monde ont leur contre -poids,le


DO mépris , & la honte les talonnent : tout cequi monte vers elle peut
defcendre , voire peut choir. Ainſi l'a fageinentordonnéla Proui
dence Diuine , pour leçon à l'homme den'y baſtir ſes aſſeurances,
& l'obliger de chercher ailleurs , & dans les choſes Eternelles , la
certitude des biens ſtables, & ccernels . La Cour eſt le theatre où
dansla Scene tragique du changement la douleur va du pair auec le plaiſir, & luy fere

de compagne infeparable , il ne faut pas auoir long-temps mené la vie de Courtiſan


pourl'auoir eſprouué. Celle des Turcs le fait ſouuent ſentir aux grands Baſſas qui la
fuiuent : ils reçoiuent au milieu des eſclatantes dignitez de l'Empire,le deſplaiſir deſe
voir honteuſement traitez par le commandement de leur Souuerain . Carlors qu'il
veut couurir leur nom d'vne eternelle infamie, il leur fait couper la croupiere de
leurs cheuaux , tandis qu'ils ſont deſſus , affront eſtiméen Turquie le plus grand que
peut receuoir vn homme de leur condition .Ainli fut craité Muſtapha Baffa du temps
de Selim premier, pere du grand Solyman . CePrince apres auoir vaincule Sophyde
Perſe , triomphé dans Tauris, Ville capitale de ce Royaume-là, fut contraint d'en
partir , quand il vid que les gens de guerre penchoient à la ſedition , & diſoient couc
haut qu'ils ſe perdroient pluſtoſt quede paſſer l'Hyuer en Perſe. Ce rcfus luy fur ſen
fible , il cherche d'en venger lc deſplaiſir ſurceux qu'il crouuera en eſtre les motifs,on
luy perſuade que Muſtapha Baffa ,qui auoit du credit parmy l'Infanterie, les auoitin

duits à ſe mutiner, ildeſcharge ſur luy ſon courroux, & le voyancà chcual, luy enuoya
couperla croupiere parvn fol de la ſuite : le Baſſa s'en apperceur, & la honte qu'il en
receur luy fit acheuer ſes iours au milieu des ennuis , & des douleurs que reſfent vn
homme de qualité . quand il croit auoir perdu la reputation , qui le faiſoit viure glo
rieux dans le monde , & dans la Cour .

: L'infamie de céraffront n'eſt pas ſeule , elle a pour compagne le deſaſtre d'vn hon
teux chaſtiment que reçoiuent les Grands de la Porte , ou Cour du Grand Seigneur ,
quand il les croit coupables de quelque crime leger, apres qu'il a fait couper aux vns
* Nimio orio la croupiere de leurs cheuaux , il fait fouetter les autres par des eſclaues; comme il
ingenia rarura arriua du temps d'Amurath ſecond à l’Aga , ou Colonel des Ianiſſaires, & Infanterie
mis quelques paſſeuolans à lamonſtre, l'Em
liebria , ES ino-Turque,lequel eſtant conuaincu d'auoir
pia vera inim. pereur le fit ſaiſir , & luy fic donner le foüer. Mais ce chaſtiment ne leur eſt pas ſi in
ric laſciwientia ,
his mouentur , ſupportable, que l'affront de leur croupiere coupée , comme ſi le cuir du harnois de
gmorum pars leurs.cheuaux ,leur eſtoit plus ſenſible que leurpeau ,tant la fauſſe opinion les deçoir,
maior conftatqu'ils eſtiment honte ce qui ne l'eſt pas , & ne ſe trauaillent pas tant de ce qui leur
tansis. Senec. deuoit eſtre plus fafcheux. Exemple qui * apprend que la pluſpart des choſes quiin
lib. In Sap.vi' quictent l'eſprit de l'homme, ſont vaines & forgées dansle creux d'vne imagination
dere aiutian deprauée. Car il eit bien plus aiſé de fouffrir qu'on coupe cent croupicresà yn cheual,
que

1
du Grand Seigneur . Liure II. 73

que d'endurer cinquante coups de foüet ſur la peau du corps : Tels cependant ſont les
affroncs, & les peines , qui ſuiuent les grandeurs de la Cour du Turc, en la perſonne
des Baſſas d'icelle.

De quel ſtile le Grand Seigneur eſcrit à ſes Baſſas.

CHAPITRE XII .

Es plus grandes dignitez du monde ne ſont pas les plus heureuſes,(diſoic


vnancien ) & la condition des grands Monarques a ſemblé miſerable à
quelques - vns , parce qu'ils auoient peu à deſirer, & beaucoup à craindre :
car eſanseſleuez au comble de la grandeur humaine , ils ne peuuent de
ſirer dauantage, ains demeurans dans les langueurs de leurs eſprits , ſe
forment des ombrages , & des terreurs quelquesfois imaginaires , & ſouuent verita

bles , ce qui trouble leur repos,inquiete leur vie, & leur donne de faſcheuſes penſées.
Ainſi l'a dit le Maiſtre des Princes dans les ſaincts Cahiers , en ces veritables paroles *
Cor Reguna
proferées par vn Prince meſme, * Le cæur des Roys eft infcrutable. Certes la verité nousinfcrutabile,
apprend , que ſi les Couronnes & les Sceptres ſont peſans,comme chargez de ſoins, Prouerb.zs .
& d'ennuys , le meſtier des Royseſt penible , * car iln'y a rien de ſi mal-aiſé à l'homme , v:3,
Experiendo
que de bien commander à l'homme, de la deſpend la ſcience de bien regner . Le Prin- didiciſſe quam
ce qui commande doit obſeruer trois choſes ,que ce qu'il veut ſoiciuſte , ſoit au bien arduum , quam
public , & regarde ſa gloire. Ce qui ſe fait, ou de parole, ou par eſcrit. Les Monarques cuna , reginimo
Othomans , comme Princes retirez dans leurs Serrails , & ailleurs peu communica- cuneta onns,
bles , commandent preſque touſiours par eſcrit , & le ſtile dont ils ſe feruent en eſcri- Tacit lib. 1,
Annal .
uant ce qu'ils commandent , leur eſt du tout particulier , à peine trouuera - t’on dans
l'Hiſtoire vn ſeul exemple deMonarchie, ou de Republique , dans leſquelles les Su
perieurs ayent commandé ſi imperieuſement, & ayent eſté obeys ſi promptement,
comme ſont les Turcs , leurs lereres ne reſpirent que menaces , & ne parlent autre lan
gage que celuy de la cruauté. En voicy quelques exemples de celles que les Sultans
ont eſcrites à leurs Baſſas. En l'année mil ſix cens deux , Mahomet troiſiéme du nom ,
Empereur des Turcs , ayantſceu la perte de la ville d'Albe - Royale en Hongrie , que
les Chreſtiens auoient repriſe, & iugeant que cette place luy eſtoit tres-importante,
y dépeſche vne armée ſous la conduite de ſon grand Vizir , & eſcrit au Balſa Serdar
ſon Vice - Roy en Hongrie , vne lettre , dont les paroles eſtoient celles : Albe- Royale
eft priſe par les Chreſtiens ( comme i'entends ) recouure - là en peu de iours ,ou te reſous à
mourir honteuſement. Serdar n'euſt pas pluſtoſt receu cette lettre , qu'il leue gens de
toutes parts , pour groſſir l'armée quc le Viziramenoir , & auec luyva aſieger la place,
la bar ,la force de ſe rendre à compoſition , meſme y entre par la breſche: les ſoldats
Chreſtiens l'ayant abandonnée depuis les Articles ſignez , pour ſauuer les hardes
qu'ils auoient en leur logis . Cér exemple ſera forcific d'un autre , qui nous appren
dra que ce rude ſtile des Monarques Othomans fait faire l'impoſſible à leurs Baſſas.
Sólyman ſecond , ayant appris que les victoires des Chreſtiens groſtiſſoienc en Hon .
grie , & les fiennes y diminuoicnt, le reſout d'y aller en perſonne auec vne puiſſance
armée , qui fut le dernier voyage qu'il y fic: il ſe met en chemin , arriue aux riuieres
de Tiffe , & du Danube , les paſſe : ſes Coureurs luy viennent dire que le Draue a
debordé , qu'il eſtoit mal-aiſé de le paffer ſans pont , auſi-toſt il y depeſche Aſſem
beg pour en faire dreſſer vn , & luy donne vingt - cinq mille hommes poury trauail
ler en diligence : Affembeg y arrive , trouue ce fleuue fi effroyablement debordé,
qu'il eſtoit pluſtoſt l'image d'vn Ocean qui inonde vn Pays , qu'vne riviere qui a ſon
liê 8c ſon courant : cét accident l’arreſte tout court : d’y trauailler il iuge que ce ſe
roit faire noyer des hommes pour plaiſir ,ilen donne aduis à fon Maiſtre ,& luy eſ,,
crit qu'il n'eſtoit pas plus difficile de dreſſer vn pone ſur vne mer agitée de la tour
mente , que ſur la riuiere de Draue , dont les eaux faiſoient vn vniuerſel deluge par
tout le pays de là autour. Solyman luy renuoye le meſme Courrier , auec vn linge
en façon d'vne longue ſeruiecte ; où pour reſponſe ces lignes eſtoienc eſcrites : L’Em
pereur Solyman te mande par le meſme Courrier que tu luy as enuoyé, que tu faſſes un pont
ſur le Drane,quelgue empeſchement qu'ilyait:que fitu ne l'as paracheué auantſon arriuée, ib
k
74 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

te fera eſtrangler auec ce linge. Aſſambeg receut cette lettre , la leut , & voyant qu'il fal
loit faire ce pont, ou mourir, y trauaille, hazarde cout,y perd pluſieurs milliers d'hom
mes , & nonobſtant le débordement des eaux , dreſſe & paracheue en ſeize iours yn
pont ſur le Draue , long de cinqmille cinq dens toiſes, & large de quatorze , ſouſtenu
par des barques attachées l'vne à l'autre auec des chaiſnes de fer.Sur iceluy paſſa Soly
armée , & alla mettre le ſiege deuant Sighet, où il mourut. Aſfambeg auoie
man , & ſon
des excuſes veritables & fortes, pour n'entreprendre point à faire ce pont , vn Prince
autre que Turc les cuſt reccuës : Mais celuy -là qui eſtoit , comme ſont les Turcs,mau

uais meſnager de la vie des hommes , vouloit qu'il fuſt dreſſé à quel prix que ce fut. Les
menaces des lettres que nous auons rapporté,ſont à quelque condition. Mais les Prin
ces Turcs en eſcriuent ſouucnt qui ſont abfoluës, comme il arriua en l'année mil ſix

cens quatorze en la perſonne du Baſſa Nafſuf, grand Vizir de l'Empire Turc . L'Empe
reur Achmat premier vouloit auoir ſa vie , & ſes threſors, il luy enuoye ( c'eſtoit dans
Conſtantinople) le Boſtangibaſli auec deux lettres eſcrites de la main,dontla premiere
eſtoic telle , Ne manque point außı- toſt que tu auras veu cét eſcrit , de m'envoyer par le
Boftangibaßi les Seaux demon Empire. Nafſuf obeïc , les mer entre les mains du meſme
grand Iardinier : celuy - cy les ayant receus , tire de la pochetce vne autre lettre du Sul
can , dont les mots eſtoient cels: Apres que tu m'ayras envoyémes Seaux , enuoye moy ta
teſte par celuy qui te donnera ce billet. Ce commandement eſtoit rude , & le ſtile de la
letcre faſcheux : il fallur neantmoins obeïr , non à la force , car Naſſuf eſtoit dans la
maiſon , auec vne famille de plus de deux milles , & le grand Iardinier n'auoit ny verge
ny baſton , & n'eſtoit aſſiſté que de dix ou douzecoquins deſarmez, qui eſtoienc Capi
, & le Boltangibafli emporca fa
gis, ou Portiers du Serrail . Naſluf ſe laiſſa eſtrangler.
reſte à la veuë de toute cerce grande famille, dont lesmoindresmarmitons le pouuoient
empaler à coups de broches, auec la belle ſuite :perſonne ne branla pourtant, voyanc
les gens du Serrail , & fçachant que celle eſtoit la volonté du Prince , leurs armes furenc
leurs larmes , & leurs regrets. Ainſi certe rude façon d'eſcrire reüllit merueilleuſement
bien aux Princes Turcs , & d'icelic ils cirent diuers biens : premierement , ils ne ſont
pas contrains de donner del'argent à vn Gouuerneur de place forte peu fidelle, ou peu

vtile , pourl'en mettre dehors & , achepter à grand prix , ( comınel'on fait ailleurs ) les
villes & lesfortereſſes de leurs Eſtacs, la moindre de leurs lettres en fait ſortir le Gou

uerneur, & y faitentrer qui bon leur ſemble : ils viennent à bouc des grandes encrepri
ſes, faiſant faire à la crainte ce que l'amour ne fait point , ſont moins crahis aux affaires
importantes, & par couc exađement obeys.

Des malicieuſes inuentions , g empoiſonnemens dont le feruent les Turcs les uns
contre les autres , eg particulierement lesGrands.

CHAPITRE XIII .

1
'AMBITION a introduir les autres vices à la Cour , où elle les em
ploye à ſon aide, & à ſes deſſeins, la calomnie , & la trahiſon ſont les
PI
E conſeillers de ſesdeteſtables inuentions , & l'empoiſonnement les

execute . Mais ce dernier trouue plus d'employ dans la Cour des


Princes Mahometans , qu'en autre lieu du monde ; ils ſe ſeruent
eux -meſmes de cerce abominable voye pour venger les iniures , &
contenter leurs paſſions; & à leur exemple, les Grands & les Baſſas
qui les ſeruent : les ſiecles paſſez , & le defordre de celuy dans lequel nous ſommes,
nous en fourniſſent des exemples . En l'année mil crois cens ſeptante - neuf, Mahomec
lc vieil Roy de Grenade , Prince Mahometan , voulant porcer la vengeance dans la
Cour de Caſtille , & perdre Dom Henry Roy d'icelle , la couure , & la pare enſemble
& la
d'un beau & riche preſent, l’experience luy ayant peut-eſtre appris , que de toutes les
choſes humaines , les dons entrent plus facilement dans la Cour. Il s'aduiſe doncques
de faire broder d'or vne paire de brodequins Royaux de la plus exquiſe façon qu'on

peut imaginer, & pour les rendre plus precieux, les fait enrichir de pierrerie ſemée
dru , & en grande quantité ſur l'eſtoffe : il les enuoye en Caſtille , le Roy Dom Henry
les
du Grand Seigneur . Liure II .

les reçois,les admire, & content d'on preſent ſi accomply , loüe publiquement la ma
gnificence du Prince Turc. Mais il apprend bien -coſt à ſes deſpens, que le poiſon eſt
pluſtoſt parmy l'or & les pierreries, que dans la pauurecé , il les met le lendemain , & à
peine les y cult -on chauffez , que le venin duquel ils eſtoiene infectez , le couche au
liat de la mort , & luyolte la vie . L'Eſpagne a touſiours eſté ſujette à tels accidens , tan
dis que les Mahomecans y ont commandé, & les Roys d'icelle ont eu à craindre vn

double poiſon : car pendant que les Princes Turcs attentoient à leurs perſonnes par le
venin , les Alfaquis, & Preſtres de l'Alcoran , empoiſonnoient les ames de leurs ſujets
par les impuretez contagieuſes d'vne fauſle & brutale do & rine. Quelque temps aupa
rauant la mort du Roy de Caſtille, celuy de Leon appellé Dom Sanche, fut empoi
fonné
par l'inuention d'vn Turc , qui appris à Gonçales fon Lieutenant à Leon , les
deteſtables moyens de faire mourir ſon.Maiſtre ,en luy donnant vne pomme, ce que
ce mal-heureux Lieutenant executa : Ce fut au temps qu'vn deluge de feu ſortit dela * l.es Espa:

mer Oceane, * lequel portant les flammes bien auant dans l'Eſpagne bruſa vn grand gnols Pcſcri
ucnc , & des
Pays , & fic de pluſieurs bourgs pluſieurs monceaux de cendres iuſqaes à Zamora . no ſtres May
Ces exemples monſtrent lamalicedes Turcs contre les Chreſtiens: mais ils n'en font erne Turquet
pasmoins entr'eux-meſmes.Vn Turc, Roy de Fez , ne pouuoic ſupporter les proſperitez con Hiſtoire
de celuy de Grenade, nommé Ioſeph ,Mahometan comme luy ,ilſe reſourdeloſter du d'Elpagne,
monde , l'enuoye viſiter plus ſouuent qu'il ne faiſoit par le palle, luy teſınoigne en appa
rence plus d'amitié qu'il n'auoit accouſtumé, & apresauoir receu pluſieurs effets de la
fienne, luy enuoye en preſençvne juppe, ou cafaque de drap d'or , riche , & de prix : le
Roy Ioſeph la reçoit , la veſt: mais ilne l'euſt pas portée vniour, que le poiſon , dont le
Prince deFez l'auoit infectée, le ſailit, & luy donne de cruelles douleurs : la chair luy
combe à pietes , & ſes Medecins ne connoiſſent point la vrayecauſe du mal , ny ne ſça
úent les remedes:ainſi le Granadin meurt par les damnables inuentionsdu Roy Maure.
Or les melmes meſchancerez qui ſe pratiquoient parmy les anciens Turcs , s'exercent
encores auiourd'huy dansle Leuant , à la Cour de Conſtantinople, & aux autres lieux,
où elle mer les Grands dans les charges plus eminentes . En nos iours vn Courtiſan
Turc briguoit à Conſtantinople par toutes les voyes dont il ſe pouuoit aduiſer, la char
gede Baſſa d'Alep : la beauté du lieu , l'éclat de cette dignité, mais bien plus les grands
gains que les Vice-Rois y font,allumoiét ſes deſirs à la poſſeſſion de ce Gouuernement:
pour y arriuer il achete par des dons immenſes,les affections des Agalaris, ou Fauoris du
Serrail, qui ſont les Eunuques ſeruansà la perſonne du Prince : ceux-cy contentent ſon
ambition , & obtiennent du Sultan le Gouuernement qu'il deliroit , il en reçoit les let
tres, part pour y aller faire fa charge, y arriuc , eft receu auec l'applaudiſſement du peu
ple :mais à peinc auoit-il commencé de jouir des premiers honneurs de cecte nouuelle
dignité , qu'vn autre l’en debuſque par lesmeſmes moyens dont il s'eſtoit luy -meſme
ſeruy, gagne l'amitié des Eunuques , affouuit leur auarice de plus grands dons qu'il ne
leurauoit fait,& obtient des lettres pour cette charge. Celuy - là eneſt aduerty :le dé
plaiſir de ſe voir deceu par les Courtiſans du Serrail, auſquels il auoit donné beaucoup
plus d'argent , qu'il n'en auoit gagné dans le peu de temps qu'il eſtoit Baſſa d'Alep , luy
fait aſſembler les plus intimes amis, pour delibererauec eux ,comme ilſe deuoit gouuer
ner en vne affaire ſi importante . Pluſieurs eſtoient d'aduis qu'il deuoic refuſer l'entrée
de la Ville à ce nouueau Baſſa qui eſtoic en chemin , iuſques à ce qu'il cuft informé le
Sultan ,le Mufty , & le grand Vizir ,del'auare delloyauté des Agalaris, & ce conſeil eſtoic
conforme à ce ſentiment. Mais vn de la compagnie le cirant à part , luy řemonſtre que 1
celuy qui le venoit deplacer luy apportoit vn cõmandementdu Prince, auquel il eſtoig
dangereux d'ofer de refus:queľobeïſſance eſtoit la plus aſſeurée voye en pareilles affai
res : mais qu'il luy apprendroit encores vn moyen pour rendre la durée du nouueau
Gouuerneur plus brefueque la ſienne : qu'il falloit embraſſer eſtroitement le Balla qui
venoit , & luy teſmoigner vneprompte obeïſſance enuers le Sultan , & toute forte d'a
mitié pour luy : & aprescela l'olter dumonde par le moyen d'vn preſent empoiſonné ; ils
le reſolurentainſi , & trauaillerent à leur deſſein . Cependant le nouucau Baſſa arriue,
celuy-cy le reçoit , & luy cede la place. C'eſt la couſtume des Grandsen Turquic , de

faire des preſens aux nouueaux Gouuerneurs qui entrent en charge, les vns pour leur
ceſmoigner qu'ils ſont les biens venus , les autres pour acheter leurs affections.Ce Balla
meſcontent quiſortoit de charge auant le temps ordinaire , ne veut pas eſtrele dernier à
preſenter au nouueau venu . Il luy donuc va mouchoir empoiſonné brodé d'or , & de
kij
76 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

groſſes perles rondes, dont le prix ne ſe pouuoit facilementeſtimer: le nouuçau Gou


uerneur le reçoit auec vncioye indicible, car les Grands n’eſtiment rien de ſi doux dans
leurs charges, que de prendre de quel coſté qu'il vienne : mais Dieu permet ſouuenc
que telsauides preneurs ſont pris en prena , t , comme il arriua au Baffa d'Alep : le mou
choir de prix qui eſtoit le prix de ſa vie, le contente :ilen admire l'buurage , concem
ple ces groſſes perles,& ſes mains ne l'abandonnent point que le poiſon ne lesy force,
lequel s'exhalant, & infectant le Baſſa , les affoiblit , & leur faiclaſcher priſe: il'meurt;
& laiſſe le- Gouuernement duquel il n'auoit pas joùy : l'aucre Baſſa courc en diligence à
Conſtantinople, redemande le Gouuernement dont il auoiteſté demis , appuye ſes
raiſons ſur la prompte obeïſſance qu'il avoic rendu, & force l'iniquité des Eunuques
fauoris, de conſentir qu'ilen fuſt poſſeſſeur.Ainſil'auarice l'auoit ofté d'vne charge où
elle l'auoit premierement mis , & l'empoiſonnement l'y remet , d'où l'on peut iuger
quels doiuent eſtre ces Gouuerneurs eſtablis par celles mains . Oril eſt certain , que de
ſemblables forfaics ſe commettent ordinairement dans la Cour du Turc'par les Baſſas
d'icelle , leſquels employent leur principale eſtude à la recherche des plus ſubtils poi
ſons, & auxmoyensdes'en ſeruir accortement les vns contre les autres : le plus ordi
naire qu'ils employenteſt tiré des crapauts : ils font tecer yn crapaut au laiet d'vne fem
meextraordinairement rouſſe ; quand il eſt plain , ils le bactent doucement auec vno
petice houſline, le mettent en colere , ſon venin ſe melle auec ce laict,& il creue dans
ſa rage : ce poiſon eſt ſi preſſent, & fi fore, qu'en frottant ſeulement l'eſtrieu du cheual ,
que celuy qu'ils veulent perdre monte, ils fontaſſeurez de la mort. Ainſi la corruption
eſt du tout entiere en Turquie; car fileur Prophete a empoiſonné leurs ames d'vne ſale
doctrine , ils empoiſonnent leurs corps par toutes ſortes de venins .

Des ſales & deſnaturées débauches des Baſſas , & Grands de la Porte,

CHAPITRE XIV .

Es grandes forcunesqui ſe rencontrent dans la Courdes grands Mo


narquesenfantent les grandesricheſſes : & celles - cy fourniſſent aux
Courtiſans les delices dans leſquels ils aſſouuiſſent leur ſenſuel &
brutal appecit. Les Baſſas de la Porce, grands en dignitez , abondans
en richeſſes,ſe plongent dans toutes forces de voluptez : & leurs ef
prits ramollis dans la fange des ſales plaiſirs, lescherchent au rebours,
& demandent à la nature ce qu'elle -meſme n'a pas : laſſez ſouuent des amours des fem

mes , ils abandonnent leursaffe & ionsaux icunes garçons, & fuiuenteſperduëment les
appas de leur tendre beaucé : ils les careſſent, & s'en ſeruent au lieu de femmes.Cevice
abominable eſt ſi ordinaire dans la Cour du Turc , qu'à peine y trouuera- t'on yn ſeul
Baſſa qui n'y ſoit mal-heureuſement adonné : il ſerc de ſujec à l'ordinaire entretien des

plus Grands , quand ils ſont enſembleils ne parlent que des perfe& ions de leurs Gany
medes : L'un dit , On m'a amené de Hongrie le plus beau & le plus accomply mignon
qui ſoit iamais nay parmy les hommes : il eſt le comble de ma felicité,& l'vnique objec
que mes penſées adorent.Vn autre conte : l'ay acheprécesiours paſſez vnicune enfant
de Ruſſie , qui n'a pas ſon pareil en tout l'Orient, & ie puis aſſeurer que ſon viſage n'eſt
pas humain, c'eſt celuy d'vn Ange: Quelque ſor dela compagnie prie inſtamment d'en
auoir la veuë, & d'eſtre vne fois eſclairé de la lumiere de ſes yeux . Ce ſont les meſ
mes diſcours de ces bouquins . Le ſoin qu'ils apportent à tenir proprement , & parer ri
chement ces pauures creacures deſtinées à vn li damnablevſage , n'eſt pas pecit , les Eu
nuques qui leur ſeruent de garde ſont touſiours apres à les embellir exterieurement, ils
leur treſſent les cheueux à petits cordons de poil , & d'or encortillé , quelquesfois de
perles , les parfument, les veſtent de belles robes de drap d'or , & adjouſtent à leurs
naturelles beautez tout ce que peut leur artifice. Quelle vercu , quelle ſageſſe , quelle
piecé, ſe peut trouuer dans vnc Cour compoſée de tels hommes Celuy qui en eſt le
Chef, & qui leur commande , leur fournit ce pernicieux exemple : car le Serrail du
Sultan eſt plein de pecics garçons choifis dans les plus beaux du Leuant , & voüez à ſes
deſnaturez plaiſirs; c'eſt ce qui authorile ce deſordre & cecce corruption dans la Cour
Occhomane: tels ſontordinairement les Courtiſans, quel eſt le Prince qu'ils ſuiuent :
la
du Grand Seigneur . Liure II . 77

la principale,maxime qu'ils donnent pour precepte à leur fortune , c'eſt de ſuiure les
humeurs & les mæurs du Prince , qu'elles qu'elles ſoient, & encores eux -meſmes in
citent ſouuent leur Prince à ce débordement. Les mal-heurs & les desaſtres qui en ar
riuent tous les iours dans la Turquie , ſont en trop grand nombre pour eſtre couchez
dans cette Hiſtoire. Les Grands s'entrecuenc , ou s'empoiſonnent pour de tels ſujets,
les familles ſont en trouble , les femmes font perir leurs maris , les maris leurs femmes.
Mahomet ſecond Empereur des Turcs ,en eut vn coup de poignard à la cuiſſe , & fi
1 quelque infortune paroiſt monſtrueuſe parmy eux , ce vice qui eſtmonſtrueux l'enfan
te, les hommes bien nais l'abhorrent , le Ciel le deteſte : quand * il naſquit en terre, * sodomia e
l'idolatrie fut ſa fæuriumelle.Ainſi eſtant l'aduerſion de la nature , & le mépris de l'Au
theur d'icelle , le Cielle punit, & darde les feux de ſon courroux ſur ceux quis'y foüil- Jimul c-enerur
lent , les Villes en onteſté conſommées, les hommes eternellement perdus, & la me- D. Thom . 4.
4.
moire des vns & des autres en execration ſur la terre. Les Turcs ne le puniſſent point , 1.0, .tom.i.
ils alleguent , comme nous auonsremarqué en noſtre Hiſtoire de leur Religion , que
Dieu s'en eſt reſeruéle chaſtiment , & apportent l'exemple d'vn miſerable perdu , qui
auoit abuſé d'vnieune garçon qui le poignarda. Apres que ce Sodomite fut ainſi cué ,
Mahomet leur Prophete enuoya fes parens ouurir ſa combe , pour voir de combien de
coups il auoit eſté frappé : ils y furent, & n'y voyansplus de corps , trouuerent en la place
vn tronc noir , & tour enfumé. De là ils diſent que puis que la Iuſtice Diuine punit
elle -mcſme ceux qui ſont coupables de ce forfait, il luy en faut lajiſer l'execution , &
permettent cependant àqui le veur cette deſnaturée débauche . Les Dames Turques de
teſtans ces mal-heureuſes amours de leurs maris , ſe ſontelles -meſmesabandonnées par
leur exemple , ou par vengeance , à vn autre deſordre , le Chapitre ſuiuant le nous dira,
Carles maris ſont bien ſouuent cauſe de la perte de leurs femmes , & l'exemple conta
/
gieux de leurs vices , leur donne ſujet de faire mal , & manquer de foy à celuy qui l'a
premierement fauſſée.

Des Amours des grandes Dames de la Cour du Turc , & des ardentes
affections entr'elles.

CHAP OTR E XV .

Es ardeurs d'un climat chaleureux , la ſeruitude des femmes enfermées,


& mauuais exemple des maris lubriques, ſont les principaux motifs des
amours auſquels les Dames Turques s'abandonnent. Les vnes pour en
auoir l'exercice libre ,prennent l'occaſion de voir leurs Amans , lors qu'il
leur eſt permis d'aller aux bains receuoir les purifications que la Loy leur
commande: Les autres plus qualifiées, auſquelles la commodité des eaux , & eſtuues
qui ſont en leurs maiſons, a oſté ce pretexte, le ſeruent d'autresmoyens, quelquesfois
elles empruntes les robes de leurs eſclaucs, & en habit déguiſé vont ailleurs trouuer
ceux qu'elles ayment. Quand cette voyeleur eſt difficile par la rencontre de quelque
grand obſtacle ,elles employent des hommes & des femmes qu'elles recompenſent
pour leur couuer des ſujets qui plaiſent à leurs yeux , & contentent leur paſſion : mais
ce derniermoyen eſt plus apparent , & plus connu à Conſtantinople' , car celles Meſſa
geres d’Amour ſe deſcouurans à quelques-vos qui les refuſent, diuulguent ainſi leur
ſecret : clless'addreſlent ordinairement à des Eſtrangers Chreſtiens de l'Occident,& fi
elles peuuent trouuer des François , le feruice qu'elles rendent à leurs Maiſtreſſes eft

bien plus agreable : La gentilleſſe de leur humeur, la grace de leurs corps , ( diſent
elles ) & les ordinaires courtoiſies de leur nation les rendent plus deſirables, mais il eſt
dangereux de ſeruir aux paſſions de telles Amantes, donc la recompenſe , & le loyer
d'vn penible amour , eſt vne dague , ou vn verre de poiſon , car ces cruelles femmes,
apres qu'ellesont tenu trois ou quatre iours quelque ieune homme eſtranger caché en
leurs chambres, s'en ſont ſeruies iuſques à ce qu'ileſt ſi recreu , & laſſé de leurs laſciue
tez , qu'il leur eſt inutile , elles le poignardent , ou l'empoiſonnent , & iectent ſon corps
dans quelque priué,ſoitqu'elles ayent crainte que leursaffectionsnefoicnc diuulguées,
ſoit que leur humeurvolage demande touſiours de nouucaux ſujets, ou ſoic la nature
de leur laſcif amour quieſt de ſe changer en des rages & furies tragiquement cruelles,
k iij
ire il , & de la Cour
78 Hiſto du Serra

Ceux qui en ſont aduertis à Conſtantinople, éuitent ce peril , & payent d'un refus la
peine de celles qui leur en parlent, non ſans danger pourtant, car celles Ambaſſadrices,
auſſi bien que les Grandes quiles employent ,ſont ſorcieres, & vengent le deſny ſur les
perſonnes de ceux qui le leur font, ainſi qu'il arriua ces dernieresannéesà vn Gentil
homme François qui eſtoit à Conſtantinople , du temps que le Sicur Baron de Sanfy
y ſeruoit le Roy en ſon Ambaſſade : Ce Gentil-homme allant au Diuan , qui eſt l'Au
dience publique au Serrail, faicrencontre d'une femme, dont l'aage , les habics, & le
diſcours monſtroit aſſez qu'elle faiſoit plaiſir aux Dames Turques , elle l'aborde , & luy
dit en meſmes paroles; Aurois -tu bien ſe courage de voir vne belle Dame qui a de l'a
mour pour toy : Celuy - cy qui ſçauoit de quelsmyrches telles Dames ont accouſtumó
de couronner les Amans qui les ont feruies, s'excuſe pour l'heure , allegue l'affaire im
portante qui le menoit au Serrail , mais promet au retour de contenter ſes deſirs , & la
prie de l'attendre au paſſage. Il va tandis au Serrail , y pourſuit ſon negoce , & l'ayant
finy retourne à ſon logis par vn autre chemin , & laiſſe la femme dans les impaciences
d'vne crompeuſe attente: elle ſe void enfin deceuë par ce François : & pour venger céc
affront, a recours à ſes ſortileges, & lesemploye contre luy : ils font leur effet , & lo
François ſe trouue tout à coup ſaiſi d'vn eſpece de paralyſie , la maladie le couche aus
li & , où il n'a pour tout entretien que des grandes & ſenſibles douleurs . Les Medecins
font appellez à ſon ſecours, leur ſcience ignore la cauſe de ſon mal , & n'y trouue point
de remede: quelques iours ſë paſſenten ces extremitez , apres leſquels vne vieille Tur
que s'offre de guerir le malade : elle le viſite , & l'ayantenuiſagé , luy dit en ſon patois,
le vous gueriray bien -coſt, mais dices la verité , n'auez -vous pas refuſé quelque Dame
qui vous prioic d'amour ? Par ces charmes elle repouſſa ceux qui le tourmentoienc, &
le remic en ſancé japres le retour de laquelle céc homme allant par Conſtantinople
rencontra vne femme qui luy dic tout bas , Souuencz - vous vne autre fois de n’abuſer
plus de la courtoiſie des femmes qui vous cheriſſent, & ne les trompez plus par vos vai
nes promeſſes.
Or toutes les femmes de la Turquie , & particulierement celles de Conſtantinople,
n'arreſtent pas leurs affections aux hommes ſeulement , elles deuiennent paſionné

ment amoureuſes les vnes des autres,& s'addonnenc entr'elles à des fauſſes & illegiti
mes amours, principalement les femines des Scigneurs de qualité qui demeurent en
fermées en des Serrails ſous la garde des Eunuques : Ce vicieux appecic les dominent ſi
tyranniquement , qu'ileſtouffe en elles le deſir d'un naturel amour , & leur fait ſouuent

auoir leurs maris à concre cæur . Ce deſordre peut venir de ce que leur affe & ion man
quant de priſe legitime ,s'attache à vn objet eſtranger, & la vengeance des amours deſ
naturez de leurs maris les y porte : car la pluſpart deshommes du Leuant , & les plus
Grands ſont perdus à cecce ſale, & brutale laſciuecé. Tanty a que ces Dames s’ayment
tres -ardamment les vnes les autres , & viennent melmes aux effecs de leurs folles
amours , s'embraſſent nuës , s'agitent, & font les autres actions que l'amour recherche,
& que la pudeur deffend d'eſcrire. Celles qu'vn ſi eſtrange amour rend eſclaue des au
cres, les vonctrouuer dans le bain pour les voir nuës , & s'entretenans ſur le ſujet dont
elles languiſſent, ſe font de pareils diſcours en leur langue: On a bien en raiſon de dire
que le soleil ſe plongeoit dans les ondes puis que vous eſtes dans cette eau : elle qui doit defa
nature eſteindre les flammes,allume mes feux quand vousyeftes .Helas ! feroit -ilbien pof
fible que vous recenſiez à la ioüillance d'une ſi grande beauté qui vous decore , autres per
fonnes que celles de voſtre ſexe , qui font d'autres vous-meſmes ?fuyez les embraſſemens
des hommes qui nous mefpriſent , & n'ont de l'amour que pour leurs ſemblables, & prenez
de vous-meſmes auec nous les contentemens qu'ils ne meritent pas. Apres qu'vne folle
Amante a fait de pareils diſcours ,elle deſcend dans le bain , & va bruſler d'vne Aam
me , qu'elle eſt incapable d'eſteindre., embraſſe ſon amante , la baiſe , & fait auec
elle , quoy qu'en vain , ce qu'il faut icy taire : & ces amours de femme à femme ſont ſi

frequens dans le Leuant, que quand quelque Turc ſe veut marier , le principal poinct
dontils informc,eſt ficelle qu'ilrecherche n'eſt point ſujetce à quelque femme qu'elle
ayme , ou dont elle ſoit aymće . Ainſi viuent les peuples éloignez de la lumiere de la
yraye Foy , dans les tenebres de l'ignorance Mahomeranc, qui les a portez aux excez
de toute force de vices.

Des
du Grand Seigneur . Liure II. 79

Des quatre principaux Baſſas de la Porte.

CHAPITRE XVI .

Es quatre principaux Baſſas de la Porte , & les quatre principales


roües , qui meuuent ce vaſte & puiſſanc Empire Turc , font le Vizir
Azem , ou grand Vizir , le Capitaine de la mer, l’Aga des Ianiſſaires,
& le Capitaine de Conſtantinople , appellé le Capitan Bafla : leurs
charges ſont les premieres de l'Empire , & la gloire dont elles relui
B
ſent fait qu'ils ſont bien venus du Prince , honorez des Grands , &
redoutez des peuples. Le Vizir Azem ou grand Vizir occupe parmy eux le premier
rang apres ſon Maiſtre , il eſt Lieutenant general de l'Empire &des armées , grand
Chancelier, & Chef du Diuan, qui eſt le Conſeil où la Juſticeeft adminiſtrée.LcCapi
taine de la mer eſt grand Admiral, & General des armées nauales. L'Aga desIaniſfaires
commande à toute l'Infanterie Turque , come le ſeul Colonel d'icelle. Ecle Capitaine
de Conſtantinople gouuerne la Ville , & prend connoiſſance des principales affaires
qui s'y paſſent. Tous ces quatre Baſſas differens en charges, & honneurs , ſont neant
moins puiſſansen authorité, laquelle eſt d'un tel poids ,qu'ils donnent , & oftent la
Couronne quand bon leur ſemble à leur Prince fouuerain . Nous l'auons veu ces der .
nieres années aux perſonnes du Sultan Muſtapha, & Oſman , Achmac acheua ſa vie ,
& ſon regneen l'année 1617. laiſſa deux fils en bas aage , à ſçauoir Oſman & Amurath:
il ſçauoit par experience que le poids d'vne Couronne commela ſienne, ne pouuoit
eſtre ſouſtenu par vn enfant , & que l'abſoluë adminiſtracion de la Monarchie Turque
demandoit vn homme,il appella à la ſucceſſion de ſon Sceptre ſon frere Muſtapha pri
ſonnier dans ſon Scrrail,depuis quatorze ans, & luy fic eſprouuer ce doux changement,
de monter du cachot au Thrône , & des fers d'une faſcheuſe captiuité , à la puisſance
de commander au plus grand Eſtat de la terre . Mais la trop grande rigueur en ſa do
mination , & les extrauagances de ſon humeur changeante lerendit odieux au Capi
taine Baſſa, celuy-cy gagna lesautres trois, ils attirent les gens de guerre , & quelques
Grands à leur parcy , le deſtournerent, le remirentdans la priſon , & firent regner enſa
place Oſman fils de ſon frere Achmar . Cér exemple eſt de nos jours,maisceluy qui
ſuit eſt ſi recent , que les nouuellesen ſont venuës tandis que nous trauaillons à l'ouura
ge de cette Hiſtoire. Oſman peu ſacisfait de l'affe &tion des laniſfaires, les nerfs de ſon
Eſtat, & de quelques - uns de ces quatre Baſſas, veut changer au Caire le ſiege de ſon
Empire , & abandonner Conſtantinople:il diſpoſe, amaſſe aucant de chrelors qu'il
peut , & couure ſon deſſein du pretexte d'yn pelerinage à la Meque , où il veut ( dit-il )
accomplir vn væu , & faire vn don auſſi riche que Prince en fic iamais à ce Temple, de
quelle Religion que ce fuſt.Lors qu'il auoit conduic ſon entrepriſe iuſques au jour de
fon departement, que fes galeres eſtoient preftes, que le Baſla du Caire luy venoit au
deuant avec une armée pour les reccuoir, les Ianiſſaires en ſont aduercis, courent au
Serrail à l'adueu de l’Aga , le peuple s'eſmeur, le Capitaine Baſſa l’excite ,ils prennent
le Sultan dans ſa chambre, cuent quelques Grands en la preſence, le traiſnent en vne
priſon , & là luy foneſouffrir la honte de mourir par les mains d'un bourreau , apres
qu'ils eurent tiré Muſtapha ſon oncle que nous auons nommé , de la priſon où ilełoic
remis, & l'eurent couronné pour la ſecondefois ſouuerain Sultan de l'Empire Turc.
Ce qui eſticy rapporté pour les preuues veritables de l'authoricé , & du pouuoir de ces
quatre grands Ballas. Ils ne ſont pas ſeuls en grandeur, quoy que perſonne ne les égale
du tout dans la Cour Othomane: il y a deux Beglierbeys , ( c'eſt à dire Seigneur des
Seigneurs ) l'vn à la Romanie ou la Grece pour le departement de la charge , l'autre la
Natolie, ou l'Aſie mineure . Le Niſſanzi Baſſaou Chancelier ordinaire qui ſigne touces
les depeſches de la Porte , trois Tefterdars qui ſont les grandsThreſoriers , & ceux par
les mains deſquels paſſent les deniers du reuenu de l'Empire. Le Raïs Kintap, donc la
chargeeft de garder les liures , les papiers , & les archiucs de l'Empire . Outre ceux - cy il

y en a encores pluſieurs autres demoindre conſideracion. Cerces comme les Baleines


ſont dans les grandes mers , auſſi les grandes & éclatances dignitez, ſonc dans les grands
Empires , & celles de la Turquie font paroiſtre ceux qui les poſſedent, comme aucans
de petits Roys autour de la perſonne d'un grand Monarque.

1
80 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

Du Timar , Timariots , & Penfionnaires de la Porte.

CHAPITRE XVII .

Es Turcs donnent deux ſortes de paye à leurs gens de guerre , l'vno


s'appelle en leur langue V lefé , qui eſt celle qui ſe paye iournelle
ment par les Threſoriers des guerres,elle eſt la ſolde des ſoldats or
dinaires : l'autre ſe nomme Timar, ou penſion aſſignée ſur des mai
1 lons, heritages , ou bourgades entieres, celle - cy ne ſe donne qu'aux
hommes qui ont par la valeur de leurs armes rendu des ſignalez ſer
uices au Prince , & bien merité du public : ces penſions ſont honorables , la recompenſe
de leur vertu , & vne marque de leur merite. Les Turcs ſemblentauoir emprunté des
Grecs le nom de cette recompenſe ceux -cy l'appelloient Timarion , & Timar, vient de
Tips , qui veut dire honneur. Tels penſionnaires ſont appellez Timariots ilsſont ordi
nairement Spahis, & gens de cheual, qui jouiſſent de l'honneur, & del'vtilité de telles
penſions priſes des heritages , & biens champeſtres de la Turquie , leſquels eſtans tous
au Prince, par le droit de louuerain Maiſtre des perſonnes de cous fes ſujets, qui ſont
ſes eſclaues , il les donne à ceux quis'en ſont rendus dignes en bien ſeruant, comme à
nous les Commanderies des ordresmilitaires,ou les fiefs , & terres nobles que les Prin
ces ont inſtitué en nos contrées pour honorer les Gencils-hommes qui l'ont merité , &
les obliger à ſeruir aux occaſions
. Il eſt vray que la durée de tels ficfs ſurpaſſe de beau
coup celle du Timar , car ceux-là paſſentmeſme àla poſterité deceux qui les poffedent,
& celuy- cy eſt temporel, & la jouiſſance n'en eſtpermiſe qu'autant qu'il plaiſt à celuy
qui le donne. Si le Spahy n'euſt en equipage d'homme de guerre , s'il ne ſert auec l'affi
duicé qu'il doit, les luges que le Sultan commet pour la viſite du Timar, l'en priuenc, &
en recompenſent vn autre, quiſeruira mieux . De cette ſorte les Timariots ou Penſion
naires de la Cour du Turc ne ſontpas bouches inutiles , comme ailleurs, & dans icello
le credit d'vn Fauory inſolent, ne les peut rauir à la vercu pour les donner à la feinean ,
ciſe de quelqu'un de ceux qui leſuiuent, & idolatrent la grandeur de la fortune.

1
Des Fauoris du Grand Seigneur eſlevez aux grandeurs de l'Empire, ende
leur cheute.

CHAPITRE XVIII .

Ev de Roys ont eſté ſans Fauoris , & quelle raiſon y auroit- il de vous
loir defendre aux plus eminens des hommes ce qui eſt permis aux
plus abjects d'iceux : qui eſt d'aimer vn homme par deſſus les autres,
& l'honorer des effets de leur amitié , par les dons , & les grandeurs,
dont ils ſont les maiſtres, & les abſolus diſtributeurs? Cerces le ſou
P
uerain des Roys , qui eſt venu au monde enſeigner la perfection aux
hommes , & aux Roys , ne leur a pas deſnié cette liberté,quand luy
> * Jeſus- Chriſt meſme leur en * amonſtrél’exemple ,aymant & fauoriſant par deſſus le pecit nombre
eurs. Icanl'e- d'hommes, qui eſtoient ſa Cour ordinaire , celuy qu’iliugea plus digne de ſes faueurs.
uãgeliſte pour
Mais peu de Fauoris ont eſté fans inſolence; ou ſoir que la pluſpart des Princes ne ſo
fon Fauory.
trauaillent pas beaucoup à choiſir des hommes que la vertu rende dignes de leur ami
tié, ou ſoit que la nature de la faueur, & des biens qui la ſuiuent,ſoitcelle, que d'aueu
gler l'entendement , & enorgueillir l'eſprit. Cette Hiſtoire ayant pris pour ſon princi
palſujet la Cour des Monarques Othomans , n'ira point chercher ailleurs que dans
icelle , les exemples de cette verité .
Hibraim F2 Hibraïm Balla , Fauory de Solyman ſecond , eſtoit monté au comble des grandeurs
wory de Soly- qu'il poſſedoit par de cels degrez : il eſtoit nay Chreſtien , de forc baſſe excraction , en
maa,
l'aage de ſept à huit ans , ceux quiexigent le tribuc des enfans Chreſtiens, l'enleuerenc
de lamaiſon de ſon pere , & le conduirent auec la troupe des autres ieunes eſclaues , à
Conſtantinople :à ſon arriuće , il fut donné à vn Balſa, qui le fic efleuer auec ſoin &
,
peu
81
du Grand Seigneur . Liure II .

peu apres en fie preſent à Solyman : Ce Prince auquelHibraïmeſtoit eſgalen âge , le prit
en amitié , ſon feruice luy eſtoit touſiours plus agreable que celuy des autres eſclaues,
il l’honora de la charge de CapiAga , qui eſt Capitaine de la Porte du Serrailinterieur,
de cecte charge il arriua à celle d'Aga,ou Colonnel des Ianni Maires :alors l'exemple de
quelques Grands de la Porte Othomane , ruinez par l'inconſtance de la fortune,don
ne à ſon eſprit les premieres apprehenſions que les grandes charges de la Cour donnent
aux Fauoris qui les poſſedent , & feruic de frein à ſes paſſions:il ſupplia Solyman de n'ef
leuer point la fortune en lieu d'où elle peuſt choir auec plus de ruine , luy remonſtre
qu'vne mediocre proſperité eſtoit plus aſſeurée que les grandeurs donc ille vouloit ho
norer : que ſes ſeruices ſoient ſuffiſammentreconnuss'illuy donnoit dequoy couler les
jours dans le repos qu'on eſtablit loin des neceſſitez de la vie.Solyman loua ſa modeſtie,
& le voulant auancer aux premieres charges de ſon Empire,luy iure de ne le faire point
mourir tant qu'il ſeroit en vie , quel changement qui peuſt arriuer dans ſa Cour . Mais
la condition des Roys quieft humaine , & luiette au changement , & celle des Fauoris
qui eſt orgucilleuſe, & meſconnoiſſante, fera que Solyman manquera de promeſſe, &
Hibraïm de fidelité, nous le verrons cy - apres . Cependant ce Fauory deuient Baffa , &
en peu de temps grand Vizir, & Lieutenant general de l'Empire de ſon Maiſtre , ſon
credit, fa fuite ,ſes richeſſes, & le faſte de la grandeur , apprennent à vn chacun qu'il
eſt l'arbitre de la Turquie . Mais la fortuneeſt trop grande pour eſtre ſansenuie : & il 2 velue arbi
n'eſt pas raiſonnable , ce ſemble ,que les plusgrands arbres qui ſont ſurles ſommets des trumregninge
bat ferebatur
plus hautes montagnes ſoient exempts des coups devents : la Princeſſe mere de Soly . que digrediente
man , & Roxelane ſa femme, la plus cherie de ſes Sultanes , enuient le credit d'Hi eo , magne -
braïm , & ſon authorité demeſurée leur eſt inſupportable: elles trament fa ruine, &z fequentiu maila
employent tout le pouuoir qu'elles ont dedans & dehors le Serrail,pourle depoſſeder: lac.au jeu.13.
il s'en apperçoit , & iugeant que les affe &tions d'vne mere & d'vn fils ſont ſi naturelles , des Ann ,pat
& l'amour dyne femme & d'vn mary fi fort qu'il n'y a fortune n'y faueurdans la Cour, affranchi de

qui n'en doiue craindre le rencontre, fe refolut de tirer ſon Maiſtre hors de Conſtan - Claude,& foa
Fauory.
tinople , l'eſloigner des embraſſemens de l'vne , de la conuerſation de l'autre ,des per
fuafions de toutes deux. Pour le faire auec plus de pretexte , il met ſur le tapis le deſſeiu
de la guerre de Perſe, & le conſeil de crois ou quatre Baſſas, la perfuade à Solyman en
cecce ſorte . Sire, les grands Rois doiuent auoir degrands deſſeins: leur principal offi
ce n'eſt pas ſeulement
de conſeruer l'Eſtat que leurs deuanciers ont laiſſé , mais auſſi de
l'agrandir, & en eftendre bien loin les limites : l’eſpée que le Mufti a ceinte à voſtre
Grandeur le iour de ſon Couronnement , n'eſt pas tant la marque de voſtre poauoir
fouuerain , que celle que vous eſtes obligé de ſouſtenir & deffendre la verité de noſtre

Alcoran , & en publier bien loin la croyance : la Perſea eſtétouſiours ennemie de voſtre
Eſtat, & de voſtre Religion : & les Roys d'icelle n'ont point eu de plus forte paſſion
que de voir les ruines de l'vn & l'autre : l'Hiſtoire des guerres que vos Predeceſſeurs
onreu contre'euxen'fournit aſſez d'exemples: maintenant vous pouuez tirer raiſon de
leurs inſolences, & meccre à vos pieds ces anciens ennemis de la Turquie . Tachmas
qui eſt leur Roy, eſt homme ſans valeur & fans experience ,ſon peuple ſt encores dans
les neceſſitez , qui ſont les reſtes des guerres paflécs, voſtre Empirceft Aoriſſant ,vous
eſteś nay à de grandes choſes, & à vous ſeulles deſtins ont reſerué la gloire de l'entier
triomphe remporté ſur les Perſes : le Ciel le vous promet , l'honneur vous y oblige , la
foibleſſe de voſtre ennemy vous y conuie , vos threſors , & le grand nombre de com
batcans qui attendent en armes vos commandemens , vous en fourniſſentles moyens :
Allez , allez donc , grand Prince , adiouſter à vos Couronnes celle du Royaume Per
ſan , & aux Lauriers quevoſtre valeur à cueilly en Hongrie , & à Rhodes , les Palmes
d'auoir ſubiugué la Perſe , & dompté le plus faſcheux de vos ennemis ? A ces perſua
ſionsil adiouſte vn tour de ſon meſtier. En Damas principale ville de l'Orient , faiſoic
ſejour yn excellent Magicien , appellé Mulé Aral , il le fait venir à Conſtantinople , &
l'ayant pratiqué ſe ſert de ſes predi&tionsà l'ayde de ſes deſſeins: il l'embouche , & luy
ayant apprisce qu'il deuoit dire, le fait voir à Solyman . Ce ſorcier predit au Sultan

qu'il prendroit les principales places de Perſe , & qu'il ſeroit couronné Roy de ce
Royaume- là :tout cecy le fait reſoudre àmonter à cheual, & la guerre ſe conclud: les
larmes de la mere , les cendres baiſers de la femme, ne peuuent rompre ce deſſein : ces
pauures Sulcanesvoyent l'ordre de l'Eſtat renuerſé par vn Fauory , & leurs perſonnes
meſpriſées par Hibraim qui l'emporta ſur elles , & ſe tira pour ce coup là loin de leurs
1
82 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

iuſtes jaloulies: mais la ruine dans laquelle l'inſolence ſe trainc elle-meſme, eft :néuí.
table. Hibraïm parcétefloignement differe ſa perte , ne l'cuice point , il reuiendra de
la guerre de Perſe pour mourir à Conſtantinople dans les eſtreintes d'vn licol , la ſuite
del'Hiſtoire le nous dira. Cependant Solyman part aucc plus deſix cens mille hommes,
la pluſpart gensde combat: Hibraim va deuant luy faire le chemin auec vne puiſſante
armée,paſſeen Halep , & la fortific :de là il va à Carahemide , ville frontiere de la Meſo
potamic,ou Dierbech ,baſtie ſur vne forte aſſiecte. Vlama,grand Seigneur Perſan com
mandoir dedans la qualité , & la valeur auoient obligé Solyman de l'en faire Gouuer
neur : il auoit autresfois eſpouſe la ſour deSchach Tachmas,fils d'Iſmaël Sophy,& pour

lors Roy de Perſe ,& deſobligépar quelque défaueur de Cour ,quirca la Perſe , & vint au
ſeruice du Turc : Hibraïm luy donne crentemille hommes ,& l'enuoye deuant deſcou
urir dans les terres de l'ennemy . Vlama qui ſçauoit la langue , & le pays , cire vers Tauris,

pour lors Sultan Muſa proche parent du Roy ,y commandoit: celuy-cy eſtant aduerty
de la venuë des trouppes Turques, ſe ſentant trop foible pour les attendre ,abandon
ne la ville, Vlama y entre , & la prend , Hibraïm qui le ſuiuoicde pres y arriue auſſi
toſt , la fortifie , & dans vne nouuelle Citadelle qu'il y fic dreſſer, place trois cens cin
quante pieces d'artillerie, & depeſche vers Solyman l'aduertir de ce bon ſuccez. Iamais
Fauory ne ſe creut fi heureux, & li puiſſant ſurl'enuie de ſes ennemis , mais il y trouuera
du meſconte. Solyman s'auance , arriue à Tauris , y ſejourne trois ſemaines, pour voir fi
Tachmas auroicenuic de l’y venir voir l'eſpée à la main : celuy-cy n'en auoit, ny le pou
uoir , ny le deſir : il s'eſtoit retiré aux montagnes,attendant que deplus grandes forces

que les fiennes, à ſçauoir la faim , & la neceſſité de toutes choſes, auec les rigueurs de
l'Hyuer, fiffent recirer ſon ennemy :clles arriuerent peu apres : les vents de Biſe, les nei
1 ges , les gelées,le manquement de viures obligerent Solyman de prendre le chemin du
Curdiſtă,quieſt l'Aſſyric ,apres auoir laiſſé crente mille hommes engarniſon dans Tau
ris,ſousla charge d'Vlama, Iadigiarbeg & Siluan -Ogli.Tachmas qui eſtoic aux eſcou
tes , voyant l'armée Turque eſloignée de Tauris s'on approcheaucc dix mille hommes

de guerre ,la garniſon luy va au deuát,latcaque, mais ladigiarbeg, ſignalé polcron ,ayant
prišl’eſpouuante & la fuitc,mitle reſte en deſordre ,& donna lauantage à Tachmas,qui
rentra dans Tauris , y apporra ce remarquable changement, faiſant fondre les trois ccns
cinquante canons quieftoient dans la citadelle,en fic desManguris( c'eſt vne monnoyo
de Perſe,) & ainſice quieſtoit la terreur & l'eſpouuante de ſon
peuple , deuint les deli
ces des affections d'iceluy. Solyman tandisconqueroit le Curdiſtan , & Bagadet : il pric
Babylone,y fut couronné Roy d'Affyrie par le Caliphe, & non pas de Perle , comme le
Magicien luy auoit promis.L'Hyuer s'eſtoit deſia eſcoulé, le Printemps reuenu,Vlama
& Hibraïm perſuadent à Solyman de retourner à Tauris punir la temerité de Tachinas:
ily recourne auec ſon armée , & commeil en fut à peu de journées, Tachmasabandonne
la ville ,& ſe retire , bruſlant & raſanttout ce qu'il trouueen chemin , pour empeſcher
que ſon ennemy ne le ſuiue : Les Turcs rentrent dansTauris , & leur courroux donneau
feu & au fer cout ce qu'ils y trouuent , & ne pardonnent pasmeſmes aux choſes inani
mées : les ſuperbes Palais deuiennent les ſujecs de leur fureur, la ville ainſi les piteuſes
teſtes d'vn ſac, & d'vn cruel pillage : Solyman ſe recire,donnant ordre que ſes principales
forces fuſſent à l'arriere - garde , de crainte que l'ennemy ne deſcendiſt ſur luy le charger
en queuë . Tachmas receuoit le ſignalé deſplaiſir de ſçauoir cét effroyable degaſt dans
fonpays , & dansla ville capitale de ſon Royaume, ſans en auoir la raiſon: quandvn de

ſes Satrapes, ou Gouuerneurs de places, Caramenien de nation , & le plus determiné


homme qui fuft à la Cour , ſurnommé Deliment , pour ſa hardieſſe ( c'eſt à dire fol)
s'offre à luy , & luy promet, pourueu qu'illuy donnaft destrouppes ,de ſuiure l'enne
my , le ratteindre ,& lors qu'il y penſeroit le moins, luy faire payer le dommage qu'il
auoit fait en Perſe. Tachmas luy accorde ce qu'il demandoic : Deliment ſemet en
chemin , court ,ou pluftoft vole vers l'endroit où eſtoit l'ennemy:ſes eſpionsluy rap
portent, que les Turcs eſtoient campez aſſez pres de Bedlis, recreus des longues trai
tes, & des trauaux d'vn faſcheux chemin , qu'ils dormoientſans garde , fans guer , &
ſans aucuneſentinelle, dont il luy ſeroit tres-facile de les ſurprendre , s'il vouloit faire
doubler le pas à ſes trouppes : Deliment fait plus de diligence qu'on ne luy en deman
doit , arriue au deffaur du iour aſſez proche des Turcs , & la nuiet les va ſurprendre,
les enuironne , les charge , les bat , en cuë la pluſpart , & prend le reſte priſonniers,
peu le fauuerenc à la fuite. Solyman ſoeur le lendemain la perte des ſiens, & rcuoyanc

le peu de croupes qui luy reſtoient trouuequacrc cens mille hommes à dire de ceux qui
l'auoient
du Grand Seigneur
. Liure II. 83

Tauoient ſuiuy de Conftantinople ,qui eſtoient demeurez en Perſe ,ou morts de glaiues
ou ſeichez de faim , ou gelez de froid, ce quiluy fic reprendre le chemin de ſon Serrail.
Ilarriue à Alep, & de là peu de temps apres à Conſtantinople, & deceſte en ſonamele
Conſeiller, & du voyage, & de la guerre de Perſe . Les Sultanes trouuent à ce retour
vn ample ſujet de ruiner la fortune d'Hibraïm ,& tirer raiſon de l'audace dont il auoig
yſé en leur endroit , recueillent le murmure du peuple contre ce Fauory , remarquene

ce queles Grands diſent de luy , & le font entendre à Solyman. De plus , comme elles
cftoicnt ainſi occupées à demolir cette enorme forcune; on deſcouure que ce Balſa fa
uoriſoit la Maiſon d'Auſtriche ,& qu'il auoit des ſecrettes intelligences auec l’Empe
pereur Charles Quint, ennemy deſon Maiſtre: cette perfidie auerée, renuerſe enciere
ment ce que les Sulcanes auoient deſia ébranlé. Solyman, à quion auoit fait voir la
verité de tout cecy , conclud ſa mort : mais la promeſſe, & le ſermentqu'il luy auoit fait,
de ne le faire point mourir tandis qu'il ſeroit en vie , en ſuſpend l'execution , iuſques à ce
qu'il en ait trouué la diſpenſe , par l'adais & l’authorité des principaux Prestres de la
Loy ; il s'en conſeille aux plusſçauans: vn de leur nombre luy donne vn plaiſanc expe .
dient pour ſe deffaire du Baſſa , & neantmoins luy tenir promeſſe. Vous luy auez juré
( dit- il ) Sire,denele faire point mourir tandis que vous viurez; faites-le eſtrangler pen
dant que vousſerezendormy: la vie conſiſte en l'action vigilance, & celuy qui dore ne
vir pas veritablement: Ainſi vous punirez ſa defloyauté, & neviolerez point voſtre fer

ment. Certesſi Solymaneſtoit mort lors qu'il dormoir, ſelon le dire de ce Taliſman , il
eſt bien reſſuſcité des fois en ſa vie.Ce Prince n'en cherche pas dauantage, il ſe conten

te d'auoir trouuévn Eccleſiaſtique qui l'abſolue de ce qu'il fera : il mande venir au Ser
rail le Balla Hibraïm , celuy-cyy vient : le Sultan le fait louperà la table :le ſouper finy,
luy fait voir ſes crimes par ſes propres lettres eſcrices à Charles Quint, & à Ferdinand
fon frere, luy reprocheſoningratitude, & commandeà des muets del'eſtrangler candis
qu'il dormiroir , car là -deſfus il s’alla coucher. Ainſi finit ſa vie & ſes grandeurs le Baila
Hibraïm , Fauory de Solyman :Pour exemple ,que ſi les forcunes de la Cour reluiſent
comme de l'or , elles ſe rompent comme du verre. Son Maiſtre l'auoit auancé plus qu'il
ne deſiroir,craignant au commencement de ſa fortune la cheute , où il ſe precipita luy
meſme par ſes deſloyautez : il appuya la durée de les grandeurs ſur le ſerment de ſon * Cuneta mora
talium incerta :
Prince : maiselles eſtoient humaines, & leur nature eſt den'auoir autre ſouſtien que
quanto plus
le penchant où elles gliſſent.La faueur d'un Courtiſan n'eſtiamais durable ,ſielle n'a la adeptus forer,
Iuſtice & la Pieté pour compagnes , qui les rende zelezenuers Dieu, & bien faiſans en- tanto fe magis,
uers les hommes: lices parties ſe trouventen vn Fauory,elles fontployer l'enuie , & im- @itans.
poſent ſilence à la plus mordance calomnie : Hibraïm Bafla n'auoitpas ces bonnes qua- Tacite liure r.
litez :ſesſeruices precedens auoient mericé d'auoir quelque part à la bienueillance de Annal.parlant
ſon Maiſtre :mais ſon orgueil contreles Sultanes, & ſes perfidies contre Solyman , le diſcouroie
rendirent indigne de ce qu'il poſledoit. Ainſi le Lyon de Lybie efface de la queuë trai- ainfi
nat . au se
nante les veſtiges de ſes pieds , l'inſolence qui ſuiuit ,aneantit tout le bien qui l'auoit
deuancée . Certes, à la faueur de la Cour, il faut vn eſprit ſi genereux & ſi fort, qu'il ne
ſe laiſſe iamais emporter à l'orgueil, ny abattre à l'eſtonnement, ains demeurant dans
vne louable égalité, continuï courageuſement à bien faire.
L'exemple de la fortune & deſaſtre d'Hibraïm Baſſa , ſera ſuiuy dans cette Hiſtoire Dernier Fa .
de celuy du credit demeſuré, des proſperitez & diſgraces du Baſſa Dernier, Fauory wory d'Ach,
d'Achmar premier , frere du Sultan Muſtapha, qui regnoit ces années paſſées. Céc mat.
homme de condition vile trauailloit aux iardins du Serrail, quand il commença d'en

trer en grace : Achmac en ſes promenades dans ſes iardins , le voyant d'humeur jo
viale , prenoit ſouuent plaiſir aux contes qu'il luy faiſoit , s'arreſtoit à le voir crauailler;
& enfin le priten telle affection , ſans auoir reconnu en luy autre merite , qu'il le fic
Boſtangibaſli , ou grand Iardinier : cette charge qui eſt, comme nous auons dit ail
leurs , des plus belles de l'Empire Turc , eſtant vacante par la morc de celuy qui la
poſſedoit : en icelle Dernier ſere auec tant de ſoin , & ſe rend fi complaiſant à ſon Mai
ſtre , qu'il l'oblige de le faire plus grand . Le General de la mer meurt,Achmac luy don
ne la charge :illa fait auec l'éclat & la pompe qui ſuit cette dignité ; il fait armer de
nouueau lesGaleres , monte ſur mer , court ſur les ondes , prend ce qu'il attaque , &

voyage li heureuſement, que falegereté des vents ſe rend ſolide pour le fauoriſer , & le
plus inconſtant des Elemens , a ce ſemble ,quelque fermeté, pour contribuer du ſien au
bon -heur de ce nouueau Fauory ; ſes courſes ſont heureuſes, & ſon retour glorieux :mais
‫ܐ‬ ij
84 Hiſtoire du Serrail , & de la Cour

la mer de la Cour plus orageuſe que la mer meſme


, luy apprendra quelque iour qu'el
le eſtonne les meilleurs Pilotcs, & luy fera eſprouuer dans la difgrace vn plus faſcheux
naufrage qu'il n'euft crouué ſur les flors des mers du Leuanc l'accueil qu'il reçoit à ſon
retour,le triomphe dont il eſt honoré apres la priſe de pluſieurs vaiſſeaux Chreſtiens,
ſont des felicitez qui le faccent, & le deceuancluy font accroire que le bon - heur meſ

melay fait hommage: Achmatlecherit plus que ſoy -meſme, & n'a point de repos qu'il
ne l'ait élcué au comble des proſperitez de la Cour ,à ſçauoir à la dignité de grand Vi
zir, Lieutenantgeneral de ſon Empire:pcu decemps apres elle vacque, il l'en pouruoit,
* Nibilejfetam auec ces paroles d'affection : Il * n'y a rien dans mon Eſtac, pourſi grand qu'il ſoit, que
excelfum , quod tu as à mon ſeruice , n'aic bien mericé. Ainli Dernier de
xon virtutes tes vertus , & l'affection que
ifte ,tuúſque in uient le premier de la Cour du Turc,&c ſon Maiſtre a du deſplaiſir,qu'il ne le puiffe fai
re le premier du monde . En cećce charge il reſtablic pluſieursbonnes loix , que le deſor.
mereantur .
Tacice liure 4 . dre auoit renuerſées, remec chacun en ſon deuoir ,donne de la terreur aux Magiſtrats,
Annal. Tibere & fait entendre aux gens de guerre, qu'ils ſontindignes de faire leurs monſtres , & re
Ic diſoir auſli
ceuoir la ſolde, s'ils ne ſonten eſtar de ſeruir. Ces choſes euſſent ſans doute couronné
à Sejan fon
Fauory ,qui ſon nom d'vne nouuelle gloire , ſi la violence & la cruauté ne l'euſſent fouillé de leurs
demandoit
Livie en ma taches : il faiſoitinettre à mortplus d'hommes en vn iour , que ſes deuanciers n'en fai
riage ſoient iuſticier en vn an entier , le moindre ſoupçon du crime eſtoit coupable de ſup
plice , & ce Fauory faiſoitmoins d'eſtar en Turquie de la vie des hõmes , que des choux
qu'il plantoit jadisaux iardins du Serrail :Mais la violence ne fuc iamais durable , & le
Fauory qui la ſuit, fe laiſſe mener à ſa ruine : & puis ,Quicuë ſera cué, (dit Dieu ) Quiay
me le ſang perira dans le ſang.Cerces, c'eſt vne choſe miſerable dans la Cour du Prince,
& dommageable à tout vn Eſtat, qu’vn faquin ,& homme de neant, ſans vercu & merice
aucun , ſoit éleuéà la qualité de Fauory,maiſtriſe les affections du Souuerain , & poffede
les premieres charges d'vn Empire : car telles perſonnes ſont ordinairement cruelles,
mépriſentla Nobleſſe , & ne font pas eſtar de la vertu , comme ignorans l'vn & l'autre.
Dernier dans toutes ces charges auoic amaſſé de grands chrelors , leſquels avec ſes
extraordinaires ſeueritez , fournirent de matiere à l'enuie des autres Baſſas , qui entre
prennent tous fa ruine , & y crauaillent li ſoigneuſement, qu'ils trouuent moyen d'en
tretenir le Sulcan Achmat des inſolences de ſes deporcemens: il les eſcoure , croit vne
parcie de ce qu'on luy en dic , & deuient ſi violemmeno jaloux du credit & de l’autho
rité de Dernier, qu'ilſe reſour de ſe deffaire de luy ; il conclud ſa mort, & en comman
de l'execution à vne troupe de Capigis de ſon Serrail , qui reçoiuent le commandemenc
de l'eſtrangler,auſli-coſt qu'il y ſera venu :maisilleur donnera de la peine,ils ne trouue
ront pas en luy vn Fauory delicat , nourry dés ſa ieuneſſe aux molleffes de la Cour , il de
fendra courageuſement la vie , & leur fera voir qu'vn homme qui a long- temps manié la
beſche & le hoyau, n'eſt pas ſi ayſéàeſtre colleté.Achmat mande doncà Dernier qu'il
vienne au Serrail : il part pour s'y rendre, il y arriue, & à peine y fuc -il entré, qu'il ſe doute
qui eſtoit faite contre luy , il entre dansle departement du Grand Seigneur;
de la partic
quand il y fut,certe maraudaille de Capigis ſeiettent ſur luy pour le ſaiſir, & luy meccre
le licol : il ſe demelle d'eux , ſe met en defenſe ,quoy qu'il n'euft rien en main , & à grands
coups de poing les écarce bruſquemér,eſcrale le nez à l'vn , pochc lạil à l'autre, enfonce
les dents à celuy quiccnoic la corde, faic perdre l'haleineà qui luy auoit ſaiſi vn bras, &
demeure libre au milieu d'eux tous qui l'entourent ſans l'ofer prendre : la crainte du ſup
plice quiattend ceux qui n'executent pas promptement la volonté du Sultan en pareil
les affaires, & la honte qu'vn homme ſeuldeſarmé les arreſtalt tous , conſeillerent à vn
de la crouppe d'aller prendre vn leuier; il le fic , aborde Dernier , & luy en donneun ſi
grand coup , qu'il luy caſſe la cuiſſe ,& lerenuerſe par terre , alors il luymirencla corde
au col , & l'eſtranglerent. Ainfi finit celuy qui gouuernoic cour l'Empire Turc , & don
noic de la terreur aux plus Grands d'iceluy: l'humeur jouiale , & les humbles diſcours
de Iardinier, l'auoient éleué à la plus grande fortune qu'vn Courciſan puiſſe crouuer
dans tout le monde; & l'inſolence & l'orgueil de grand Vizir l'abbaiſſe & le livre à la
mercy d'vne douzaine de coquins qui l'eltranglent:Pour exemple encores vne fois, que
la faueur n'eſt pas durable , ſi elle n'a la moderation pour ſa compagne, la Iuſtice & la
Picté pour appuy.Son corps eſt inhuméſans pompe & ſans honneur, ſes threſors acquis
au Sultan ,& fon nomen cel oubly , que trois iours apres à la Cour , on ne ſçait pluss'il a
eſté. Ce qui peut ſeruir de leçon aux Grands qui poſſedent les Princes , que le cours
d'vne faucur démeſurée, & orgueilleuſe dans la Cour,eſt la voye de l’oyſeau dans l'air,
le
du Grand Seigneur . Liure IT . 85

le trác du nauire ſur l'onde le fray du ſerpent ſur la pierre , où il ne reſte rien qui ſoit.
Ces choſes arriuerencà Conſtantinople en l'année 1606.mais plus fraiſchement l'an Naftuffawory
1614. Nafſuf Baſſa ,dont nous auons parlé cy -deuant,grand Vizir de l’Empire Turc, & d'Achmac.
Fauory du meſme Sultan Achmar, donna par la cheute dela fortune autant d'eſtonnes
ment à l'Orient , commeles proſperitez luy auoient donné d'admiration : kes richeſſes
furent plus grandes , & ſon credit plusabſolu ,que des deux precedens Fauoris , mais ſon
exaction, & la naiſſance auflibaſle que la leur, & ſon orgueil égal.Ileſtoit fils d'vn Pre
ſtre Grec,nay en vn petit hameau proche de Salonique : les Collecteurs du Tribut l’en
leuerent de la maiſon de ſon pere en ſon plus bas aage , & l'emmenerent à Conſtantino :
ple , où il fut vendu trois ſultanins,qui valenc douze liures de noſtre monnoye , à vn Eu
nuque da Serrail , qui le nourrit , & l'efleua iuſquesà ce qu'il eut vingt ans : alors ille re
uendità vn Maiſtre d'Hoſtel de la Sulcane mere d'Achmat , pour luy ſeruir en ſa char

ge : celuy - cy remarqua bien - coſt en ſon eſclaueles donseminensd'vn eſprit libre ,qui
eſteſclairé d'vne lumiere naturelle , & leiugeant propre à de plus grandes affaires que
des domeſtiques, où il l'employoic , luy donna la conduite du baſtiment d'vne riche 86
ſuperbe Moſquée, que la Sultanemere faiſoic éleuer à ſes deſpens, pour eſtre l'immor
telle marque de la pieté, & de la magnificence :il reüſſic ſi bien en cette charge , & rendic
de fi grandes preuuesde ſon iugement, qui donna du contentement à la Sulcane, & eut
telle parten ſá bienucillance, qu'elle le fit Intendant generalde la maiſon : en cerce di
gnité il fic voir à tout le Serrail, ce que peut vn habile homme quand on l’employe aux
affaires ; ſon merite vient meſme iuſques à la connoiſſance du Sultan Achmar, quile
voulur auoir à ſon feruice , ainſiil changea de Maiſtre , & monta en nouuelle dignité .
Achmat luy donna la charge de Capigiballi, peu de temps apres il le fic Baſſa d'Alep,
où ayant acheué le terme qu'on donne à de tels Gouuerneurs, on l'honora de la dignité
deGouuerneurgeneral delaMeſopotamie, il parcie de Conſtantinople, auec le crain,
la ſuite, & la pompe d'vn Vice-Roy Turc . La commodité de cette Prouince frontiere
de Perſe, remplit les coffres d'argent , & fon eſprit d'ambition , il ſçait qu'il eſt cres
neceſſaire à ſon Maiſtre, il void que le voiſinage du Perſan luy peut par des ſecrettes in
telligences auec luy , apporter de grandesricheſſes, cecte penſée le flatte, & ſon auarice
la ſuit, il abandonne la fidelité aux offres que le Roy de Perſe luy fait , & en ſecret pra
tique auec ſes Miniſtres,& fauoriſe en ce qu'il peut l'ennemy de ſon Prince ſouuerain.
Achmac en eſt aduercy , & l'aymant encores auec paſſion dilimule
, ſon crime , & fere
ſout de le gagner à ſoy, le dégager du Perſe, & contenter ſon ambition de tout ce qu'il
pourroit delirer de grand dans ſon Empire : Pour ce faire il le mande venir à Conſtanti
nople , & à ſon arriuée luy donne la charge de grand Vizir que Serdar venoic de laiſſer,
& auec elle le plus beau , & le plus riche de la deſpoüille de ce Baffa: de plus luy promet
de luy donner la Sultane ſa filleen mariage . Toutes ces choſes ſont des marques de la
grande bonté d'Achmat , d'honorer ainli vn perfide qui meritoit pluſtoſt vn honteux
ſupplice, que la premiere dignité de l'Empire Turc , elles le ſeront auſſi de l'ingratitude
du Fauory,il en abuſera : Pour exemple qu'vn Prince trop indulgentenuers yn ſignalé
perfide, luy fournit d'occaſion de pis faire.Nafſuf deuenu grand Vizir, & dans les aſſeu
rances d’eſtregendre de ſon Maiſtre ,remõtcà cheual , & en qualité de General d'armée
emmene les forces dela Turquie contre le Perſan , entre auecelles dansſon pays, y fait
vn general degaſt, & force Ka Abbas , quien eſt encores auiourd'huy le Roy,de deman
der la paix , & cependantluy accorde vne treve d'armes pour ſix mois : il parc de Perſe,
emmenant quand & ſoy l’Ambaſſadeur de Ka Abbas,arriue à Conſtantinople, y entre
en pompe , y eſt receu non ſeulement come le vainqueur de la Perſe , mais encore come
lereſtaurateur de l'Eſtat des Othomans . La couſtume des Turcs oblige les Baſſas quand
ils reuiennent de leurs Gouuernemens , & les Generaux d'armées au retour de la guerre,
de faire vn preſent au Sultan : Naffufà cérabord ſurpaſſe la magnificéce de tous les pre
ſens qui ſont iamais entrez au Serrail,depuis que l'Eſtat des Turcs eſteſtably: car outre
* Aurivim ,at
mille forces de rarecez qu'il apporta de Perfe au Sultan fon Maiſtre ,il luy fic preſent d'vn que opes Prin
million d'or monnoyé , & peu de iours apres eſpouſa ſa fille : C'eſt le montant, & le plus cipibusinfenfus
haut de la fortune ; voicy la deſcente. Achmac void que Naſſuf ſurpalle l'ordinaire de fe,diſoit so .
tous les autres Vizirs qui l'ont ſeruy, que ſes threſors égalēc les liés ,s'ils ne les ſurpaſſent: uerneur de
ilen conçoit de la jalouſic(les trop grandesricheſſes font quelquefois criminelleschez Britannicus,

les Princes ) & entre en meffiance de ſesactions.Les Baſſasen ayant eu le vent par quel- liure 11, des
qu'vn des AgalarisEunuque de la chambre,trauaillentà s'informer des deportemens de Annal,
V iij
86 Hiſtoire du Serrail, & de la Cour

Naſluf: le Baſſa de Babyloneen ſçauoit plus de nouuelles que perſonne, ils le font ve
nir à Conſtantinople , & luy obtiennent audience en ſecret : céc homme fait voir aſſez
clairement au Sulcan , que le Bafla Nafſuf le trahiſſoit, que pour ce faire il tiroit de
grandes penſions du Perſe , auquel il eſcriuoit le ſecret de les plus importantes affaires.
Achmat bien informé des deſloyautez de ſon Fauory , ſe reſour de ne les laiſſer point
impunies , & tout à l'heure conclud ſa mort : il en donne le commandement au Bo
ſtangibaſli , quieft le grand Iardinier: Naffufeſt aduercy par la Sulcane fauorie ſa pen
ſionnaire, qu'Achmat eſt fortmeſcontentde luy :cela l'eſtonne, il feint eſtre malade
& tient le liet , le Boſtangibaſſi arriue à ſon logis , & demande à parler à luy de la para
du Sultan , il s'en excuſe ſur l’incommodité de quelque purgation violente qui le tra
uailloit : le Boſtangibaſli preſſe , & dit qu'il ne s'en retournera point qu'il n'ait parlé à
luy , & que le Sultan luy a commandé de le voir ,en quel eſtar qu'il ſoit , & ſçauoir de
luy-meſme des nouuelles de la ſanté. Alors Nafſuf commande qu'on le faſſe venir :
celuy- là luy fait vn grand compliment ſur ſon indiſpoſition , & luy promet qu'il en ſera
guery en bref: il en pouuoit parler ſeurement , puis qu'ilporcoir le remede en ſa po
checte. Apres donc de ſemblables diſcours d'honneſteté,il cire de ſa pochette vn com
mandement eſcrit de la main du Sultan à Naſſuf, de luy renuoyer les Scaux de ſon Em
pire . Naſluf obeït , ſe les fait apporter ſur ſon liet , les enueloppe dans ſon mouchoir, le
cachecte de ſon cachet, & les donnant au Boſtangibaſſi les baiſe ,& le prie d'aſſeurer
ſon Maiſtre, qu'il les auoit fidellement gardez, & n'auoit iamais rien feellé qui fut con
tre ſon ſeruice : Il croyoit alors que le meſcontentement donc la Sultane l'aduerciſſoit,
n'auroit point d'autre ſuite , que de le priuer de ſa charge , qu'ils appellenten cette

Cour- là eſtre fait Manfut , mais que par l'aide de ſes amis, & la force de ſon
argent, il
pourroit eſtre reſtably en peu de temps. Le meſconte ne fut pas loin , le Boftangibaſii
eſtanc ſaiſi des Seaux , tire vn autre commandement à Nafſufdu meſme Sulcan , de luy
cnuoyer ſa ceſte : alors Nafſuf s'eſerie aſſez haut , appelle le Ciel , & la terre à celmoins
de ſon innocence , demande à parler au Sulcan , & ſupplie le Boſtangiballi de l’y con
duire ; celuy -cy s'en excuſe ,qu'il n'a poinc d'aucrecharge que de le voir eſtrangler par
dix ou douze Capigis qui l'accompagnoicnt: Sur ce réfus, il ſe debat long- temps, mais
voyant que differer ſa fin eſtoic prolonger ſes inquietudes, & la douleur , ilſe reſourà la
mort , demande ſeulement au grand lardinier de luy permettre de s'aller lauer en vne
chambre là proche , pour partir de ce monde en eſtat de pureté , ſelon la croyance des
Turcs , qui tiennent le lauement du corps, pour la purification de l'ame: cette grace luy
eſt encores deſniée . Alors il abandonne la vie aux Capigis qui eſtoient autour de ſon
liæ , ils luy mirent vne corde au col , & ne le pouuant licolt eſtrangler qu'ils deliroient,
à cauſe de ſon extraordinaire embonpoint, l'un d'eux tira vn couſteau de la pochette,
& luy coupala gorge. Achmat le vouluc voirmort pour en eſtre plus aſſeuré, & apres,
luy ordonna vne ſepulfure parmyle commun du peuple, ſans aucune ſorte d'honneur.
Télle fut la forcunedu Balla Naſluf, & telle fa cheute : ſon beleſprit l'auoit élevé à ces
grandeurs de l'Empirc , & ſonorgueil l’en precipita apres auoir long-temps poſſedé la
*
liure Tacire au faueur de ſon Maiſtre , & n'en auoit iamais bien vſe': les richeſſes égales à la fortune

Annales , en eſtoient extraordinaires, le ficf qui crauailla à l'inuenraire de ſes biens , trouua dans ſes
dit autant de
Suilius en ces coffres en Sultanins , qui cſt monnoye d'or , cinq millionsde livres , en monnoye d’ar
mots : Quem gent , trois millions quatre cens mille liures , la quantité de trois boiſſeaux de pierres
vidit fequens precieuſes non encores miſes en ævure , vn boiſſeau de diamans non trauaillez , & deux
tem, venalem, boiſſeaux de belles perlesrondes . Le cabinet deſes armes eſtoit garny de plus de mille
& Claudiy riches eſpées, dont la moindre auoit la garde , & le pommeau d'argent , & parmy ce
Primcipis ami nombre en brilloit vne toute garnic de diamans , du prix de deux cens mille liures :les

ſperè , num . chambres de ſon logis, & ſa garderobe eſtoient parées d'vn grand nombre de capiſſerie
quam benė
Perſienne, & du Caire,pluſieurs riches eſtoffes de ſoye & d'or, d'vnouurage tres-excel
vfum ,
lent , augmentoient la quantitéde ſes precieux meubles ; dans ſes eſcuries furent trou
uez plus de mille grands cheuaux d'ellice , quatre cens quarante jumens d'Arabie, &
d'Egypte, les plus belles que la peinture ſçauroit repreſoncer ; auec cela pluſieurs mil
liers de chameaux & dc mulets pour ſon bagage , quand il alloit aux champs : dans ſes
baſſe-cours on compra cent milliers de bæufs, vaches , & moutons , le nombre de ſes
eſclaues paſfoit quafre mille hommes . Auec ces grandes richeſſes, il pouuoit faire de
grands biens, s'ileuſt eu vn amy qui l'euft bien cõleillé,(mais les grādes proſperitez n'en
ont point)& l'cufttenu par des lages aduis dans les bornes de ſon deuoir. Ainſi pallenc
les
du Grand Seigneur . Liure II . 87

les faucurs, & les pompes de la Cour ; celles de la Turquie coupables de moindres cri
mes , voire meſme celles quiſoncinnocentes n'ont pas vne plus longue durée ; Car ſila
Cour en quel lieu qu'elle ſoit eſt vne mer pleine de vagues, celle des
Othomans eſt toû .
jours battuë d'orages, & agitée de tempeſtes ; les vents des paſſions des Sultanes plus
cheries du Prince , les auares deſirs des Eunuques qui le feruent ,& font ſes familliers,
en banniſſent le calme ,& la bonaſſe , & y font faire de pareils naufrages, s'ils n'appaiſent
l'auidité de ceux - cy en les aſſouuiſſant par des dõs,& l'auarice de celles -là par des gran
des penſions: & bien qu'ils en vlent ainſi pour l'ordinaire , ils ne reſtent pas pour tout
cela d'eſtre ſouuent alarmez, de ſouffrir de faſchteufes apprehenſions, & viure touſiours
en inquietude : Pour apprendre aux hommes qui admirent , & adorent l'éclat de telles
fortunes, que leurs joyesplus parfaites ſont fecondes en douleurs , & quand on croit
qu'ils font lcur Paradis en ce monde, c'eſt alors qu'ils portent leur Enfer quant & eux.

Des Armes', & du Seau du Grand Seigneur.

CHAPITRE XIX.

E s Turcs qui eſtiment la vertu par ſon prix ,n'ont point d'armoiries,
ny meſme de ſurnom : les loix eſtablies, & feuerement obſeruées
parmy eux, quiles ont rendus ſi puiſſans ſur la terre ; ont ainſi voulu
bannir de la Turquie, quoy qu’yn peu trop cruëment, ce ſujet de va
nité aux familles, & forcer les hommes d'appuyer pluſtoſt leur gloire
ſur leur propre merite , qu'en la vertu de leurs anceſtres qui n'est
point à eux: Ce qui fait que dans leur Monarchic le fils d'un grand
Baſſa , eſt moins eſtiméque celuy d'un matelot , s’ilamoins de vercu : tout l'aduantage
qu'ils tirent d'eſtre nays des hommes vercueux , c'eſt de fe dire leurs Fils , comme par
exemple, Muſtapha fils de Siruan , s'appellera Siruanogly , c'eſt à dire fils de Siruan : le
ſurplus de la gloire doit eſtre fourny par luy -meſme , & non emprunté du pere . Leurs
Empereurs n'ont point d'Armes , & la famille des Ochomans n'en porte iamais . Ils effa
cerent dans le ſiege de l'Empire Grec , celles de la tres -illuſtre famille des Paleologues ,
quien eſtoient les ſouuerainsMonarques , leſquelles portoient glorieuſement les titres
de leurs triomphantes proſperitez, par quatre lettres ſeparées , que les Grecs appellenc
Vita , & non des fuſils, comme quelques - vns ont ſongé autresfois :ces lettres diſoienc
en la meſme langue, Bandées, Bacaéwv, Baciréuwr, Beoneuótov,c'eſt à dire, Roy des Roys,
regnant des regnans.Ileſt bien vray que les Princes Turcs ontquelque ſorte de marque ,
pluſtoſt de leur Empire que de leur maiſon . Car lors qu'ils le repreſentent, ils peignend
leglobe du monde , & vn Croiſſant de Lune au deſſus , & dans les armées leurs Enſei
gnes n'ont point d'autre marque , ny deuiſe que le melme Croiſſanc: les tours , les clo
chers le portent , il n'eſt pas iuſques aux Pelerins qui vont à la Meque , qui n'en deco
rent la pointe de leurs bourdons
. Ce qui monftre que ce Croiſſant eſt pluſtoſt vne mar
que de leur Religion , que de la race Imperiále .Nousauons remarqué en noſtre Hiſtoi
re de leur Religion , le miracle que Mahomet leur Prophete ſe vante d'auoir fait , lors
qu'il r’habilla la Lune deſchirée, & route en pieces , apres qu'il l'euft accirée du Ciel , &
miſe dans ſa manche : les Turcs qui ne comprenc leurs mois que par Lunes,monſtreni
encoresla verité de cecy , quand ilsſe proſternent au commencement d'icelles, deuant
le Croiſſant, & dreſſant leurs yeux vers ſa blanche ſplendeur prient Dieu qu'il leur
o &troye la grace de commencer heureuſement, concinuer de melmc & finir en bon fuc
cez , le cours de cét altre là .

Lc Seau Imperial des Grands Seigneurs Turcs , n'a pointd'autrc figure que certains
characteres Arabes , qui expriment leur nom , celuy deleur pere , & marquent l'orgueil
de la felicité qu'ilvante . Achmet Empereur, qui mouruc en l'an 1617. auoit fait grauer
ces mots dans le Seau , dont les patentes eſtoient ſeellées : Achmet ibni Mehemet Cham
Sadet : c'eſt à dire : Achmet fils de Mehemet, Empereur touſiours victorieux. Les autres
Monarques Ochomans ont preſque la meſme deuile , les noms ſeulement changez : Il
eft veritable que les lettres Arabiques ſont tellement entrelaſſées les vnes dans les au
tres , à peu pres comme les chiffres dont nous exprimons nos noms en France ; que peu
de perſonnes dans ſon Eſtacles peuuent expliquer: le ſeul Vizir , ou celuy qui ſeelleen
a la parfaite intelligence. Cecte façon de grauer leurs Scaux de lettres ſeulement, a
linij
88 Hiſtoire du Serrail & de la Cour

cité imitée de leur Prophete ; car la Monarchie Turque, & tout ce qui en dépend , fait
gloire d'auoir pour ſon principal appuy la Religion qu'elle profeffe, & n'auoir point
d'autre intereſt que le lien :Mahomet autheur de l'Alcoran , auoit fait meccre dans

ſon ſeau des paroles ſeulement, & peroles fans verité elles eſtoient celles , Mahomet
Meſſager de Dieu. Ce ſeau ou cachet a eſté fait ſept cens cinq ou ſix années auant qu'O
thoman premier Prince de la famille de ceux qui regnent auiourd'huy dans l'Orient,
eſtablit la Monarchie Turque : & du depuis nous ne liſons point qu'aucun Empereur
Turc ait eu autre choſe pour Armes & pour Seau que des caracteres, & paroles Arabi
ques : auſſi ces hommes à paroles non ietcées au vent,comme font pluſieurs autres Prin
ces, mais grauées, ont par l'eſtime qu'ils ont faic de la vertu des hommes qui les ont
ſeruis, ſubiugué l'Empire de Conſtantinople , rauy celuy de Trebiſonde, vaincu l° F.
gypte , debellé la Paleſtine, Damas , Pamphylie , Cilicie, Caramanie, & toute la Naco
lie, vaincu Rhodes , & Cypre , triomphe de la Grece , Albanie , Illyrie , & Triballiens,
enſemble poſſedépar armes les meilleures parties de la Moldauie , Tranſliluanie , &
Hongrie ; &zfans doute leurs conqueſtes euſſent eſté portées plus auant dans les Pro
uinces de la Chreſtienté, file Ciel ne leur euſt donné des bornes , & arreſté le courant
d'icelles , par les troubles de la maiſon Ochomane , & la mort de ſes Princes.

De la mort , dueil, funerailles, U ſepultures des Grands Seigneurs,


Empereurs des Turcs.

CHAPITRE XX .

Es Roys qui reçoiuent le tribut de tantde peuples le payent à la


more , & la condition de leur vie periſſable leur faitſouffrir cette éga
lité auec les autres hommes, que deretourner dans la poudre le com

mun principe de tousles viuans: ce qui les doit inciter dauantage à


tirer la gloire de l'oubly de leur nom , & reparer par le nõbre de leurs
belles & Royales actios,le deffaut de leurs iours ,afin qu'ils paſſent des
inquietudes d'un regne peu certain au repos eternel d'vne domination celelte, & chan
gent leurs Couronnes peu durables, aux diademes d'vn Empire qui ne finit point . Les
Sultans Turcs coulent loin de ces fages penſées , leurs iours à l'ombre de leur Serrail,
au milieu des plaiſirs auec leurs Sulcanes :la molleſſe de leurs exercices , Aeſtrit leur
gloire , hebete leurs eſprits , corrompt les humeursde leur corps , & racourcic leur vie :
car les delices tuent plus d'hommes que leglaiue . Quand ils ſont malades, le Lechin
Baſſi, qui eſt le premier Medecin , aſſemble les autres au Serrail , s'enferme auec eux
dansiceluy, où ils trauaillent àla gueriſon de leur Maiſtrc, auec le ſoin que nous auons
dit ailleurs. Mais les ioursde l'homme ſont comptez , les remedes qui ne ſont que pour

aide , ne les retire point du liet , où leur vie , & leur orgueil doit prendre fin : ils meu . ,
rent, & laiſſans leurs Sceptres & leurs Couronnes , auec cout ce que le monde idolatre,
n'emportent quant &eux que le bien qu'ils ont fait en viuant, inutile neantmoinsà leur

ſalut,puis qu'il n'a eu la verité pour conduite. Le Prince qui leurdoic ſucceder prend
le ducil , s'habille de noir pour vn peu de temps , couure ſa teſte d'un petit tulban , &
teſmoigne en ſon exterieur le deſplaiſir de la perte de ſon predeceſſeur, quoy que ſon
ame reçoiue la plus ſenſible ioye qu'elle eut iamais au monde . Ainſi parut Selim troi
fiéme deuant le corpsde Solyman ſecond ſon pere , qui mourur en Hongrie , au ſiego
de Sighet : tous les Baſſas prennent de petits tulbans pour le dueil: & di l'Empereur
meurtà la guerre , comme fic Solyman ,toutes les Enſeignes, & meſme l’Eſtendart Royal
ſont renuerſées la pointe contre terre ,juſques à ce que le nouueau Sultan prenne ſes
habits Royaux , & ſe pare d'vn gros tulban blanc ; ce qui ſe fait bien -coſt apres: alors on
crie, comme nousauons raconté cy-deuant ,Que l'ame de l'inuincible Empereur Sul
tan N. jouiſſe d'vne immortelle gloire & d'vne eternelle paix , Que l'Empire du Sulcan
N.puiſſe proſperer en toute felicité. Mais on les enterre tous à Conſtantinople , de
puis qu'ilsy ont eſtably le Siege de leur Empire : auparauanc leurs tombeaux eſtoiene
dreſſez à Pruſe en Alie, lieu de leur premiere dominacion '; leursfunerailles doncques
ſe font en cette forte,

Le corps de l'Empereur eſt porté dans une biere , couuerte d’yn linge fort riche , ou
de

l
du Grand Seigneur . Liure II . 89
1
de velours, fon tulban poſé ſur le deuant, couuert d'vn pennache d'aigrertes , ou de plu
mes de heron :lesTaliſmans, Şantons , Alfaquis , Deruis , & ſemblable maraudaille de
l'Alcoran , portans en leurs mains des cierges allumez , pour preaue que leur Prophete eſt
le linge du Chriſtianiſme, vont les premiers chantans enleurlangue de femblables ver
fers, Alla rahumani arhamabula Alla , illa Alla , Alla huma Alla : c'eſt à dire , Dicu miſeri
· cordieux , ayez pitié de luy , il n'eſt Dieu firou Dien , Dieu eſt Dieu . Ils diſent encores ces
;
paroles, lahilae hillala Mehemet reffullaha tungari birberen berac , qui ſignifient, Dieu eft
Dieu , & n'y a nul autre Dieu , Mahomet eſt fon Conſeiller, & fon vray Prophete . Deuant le
corps marche le Muraferaga, qui porte vn tulban de l'Empereur au bout d'vne lance ;
auec vne queuë de cheual attachée aupres , les Ianniſfaires, les Solachi , & le reſte de la
garde Imperiale ſuiuent la biere, apres ceux- cy les Officiers de la Maiſon du Sultan mar
chent en ordre,ſous la conduite du Caſnegitbaſſi,ou Maiſtre d'Hoſtel, le Malundarbhe
dichmandura porte les armes du Grand Seigneur deffunct ,& l'eſtendarc Royaltrainant
contre terre : les Baſſas, & tous les Grands de la Porte , rendant leurs derniers deuoirs à

leur Maiſtre, aſſiſtent à leurs funeraillesveſtus plaiſamment de dueil : vne piece de drap
gris leur pend deuant & derriere, depuis la teſte iuſquesaux pieds, de la façon du froc que
portent les Freresde l'Hoſpital de la Charité du fauxbourg ſaina Germain de Paris : quel
ques-vns d'eux qui ne veulent point paroiſtreſi dolens, attachent ſeulement vne longue
piece de toile à la pointe de leur culban , & la font pendre iuſques à leurs talons. En ce
grand dueil , les plus ſignalez de la Cour Othomane ciennent leur rang en cette pompe
funebre , où les hommes ne font qu'vne partie du conuoy , les beſtes font le reſte aucc
moins de douleur , & plus de larmes ,cartous les grands cheuaux du Sultan font de ſon
enterrement: ils portent leurs ſelles renuerſées contre - mont , & mieux couueres que ces
Baſſas au froc gris , trainentle velours noir iuſques à terre ; ils pleurent & fouſpirent ſans
triſteſſe : on leur mer de l'aſſagoth , ou du pecum dansles naleaux pour les faire gemir , &
dans les yeux pour en faire couler des larmes , telle ,& ſi vaine eſt la pompe des Sulcans
Turcs , que nepouuans obliger les hommes à pleurer leur perte , contraignent les animaux
à verſer des larmes : en ceſte ſorte on conduir le corps la teſte la premiere à la Turque , au
tombeau qui le doit enferrer. C'eſt ordinairement tourioignantla Moſquée que le Sultan
qu'on enterre à fait baſtir dans vne Chapelle ſeparée : le ſepulchre eſt couuert de velours
noir : ſi le Prince eſt mort à la guerre , on y met ſon cimeterre au deſſus, ſinon , ſon tulban
eſteſleué , & poſé contre le mur plus proche de la tombe , auec des riches plumes de Heron
pour ornement, deux chandeliers qui ſouſtiennent des grands cierges dorezſont aux pieds
du ſepulchre , des Preſtres Turcs fondez pour cela , y recitent ſans ceſſe les Azoares de
l'Alcoran par cour , & les vns apres les autres y diſent le Chapellet Turc , dont nous auons
parléen l'Hiſtoire de leur Religion , & prient continuellement pour l'ame du deffun &t. Les
Vendredis ces Tombes Imperiale ſonc parées de nouuelles couuertures , & ionchées de
fleurs, ceux qui viennent en celsiours prier pour lesmorts, ou verſer leurs larmes ,en pren
nene vn bouquet en s'en retournant. Quelquesfois auſſi on les charge de pluſieurs lorces
de viandes pour en faire l'aumoſne aux pauures: & appellent à ces feſtins funebres, non
ſeulement les hommes mendians , mais encores les beſtes, comme les chiens , les chacs , &
les oyſeaux , leſquels y ſont honorablement receus , y feſtinent avec autant de libercé & de
ſeurecé que les hommes, leſquels voyans les pates des chats dans vn potage ,avec leurs
mains n'oſeroient les en chaſſer:au contraire ils leurs doiuent , & du reſpect &
, du ſecours,
comme à ceux que la miſere a rendu leurs égaux , & pareillement capable de receuoir les
cffecs de la charité Turque ; car les Mahometans ciennent, que faire l'aumoſneaux beſtes,
n'eſt pasvne æuure moins meritoire deuant Dieu , qu'aux hommes meſmes ; à raiſon ( di
ſent-ils ) que ces pauures animaux ne poſſedent rien en ce monde , où ils ſont deſtitucz de
toutes ſortes de biens temporels , & neceffaires au ſouſtien de la vie . Ainfieſt enfermé dans
fix pieds de terre , celuy que tout le monde ne pouuoit contenter , & dont la deſbordéeam
bicion ſouhaitcoit plus d'Empires , que la terre n'en contient : & apres auoir eſté la terreur
des hommes , & le cruel Aleau de pluſieurs Nations , eſt alors le ſujec des vers , & leur ordi
naire paſture. De cette ſorte pafle,& là ſe termine la gloire du monde .

FIN.

1
TABLE DES CHOSES PLVS REMARQUABLES

CONTENVES EN CE TRAITE '.

A
FFRONI eſtimé grand en Abarets payent tribut à Conſtantinople. 6
Turquie. 72 C Capit aine de la mer , & ſon credit en Tur
Aga, ou Colonel des Ianiſſi quie. 79
res . 79 Capitan Baſſa, & ſon pouuoir . 79
Agalaris. 75.61 Carrauafferrails à Conſtantinople, & leur nom
Alimeſtar Balli. IS . bre. 7.
Amangi Bali. Gr Careſme comment obferue
par les Empereurs
Ambaſſadeur genereux , ne ſouffrerien d'indigne, Turcs. 19
quoy que les autres le faſſent par couſtume. 22 Chambre du Grand Seigneur , & ſon ameuble
ment. 12
Ambaſſadeur de France a la preſceance en Tur
quie deſſus tous les autres . 37 Charay , tribut. 6.7
Ambaſſadeur des Tartares, & ſes habits de para Charité des Turcs, & de leurs Empercurs . 9
de à vne pompe. 38 Chaſna, ou Threſorier du Serrail. 6
Ambaſſadeurs menez par deſſous les bras au Bai Chaſſe eſt yne homeſte recreation , laquelle eſt la
fe -main du Grand Seigneur, & d'où eſt née cet plus genereuſe, 67
te couſtume. 24 Challe d'vn equipage effroyablement grand, rc
tranchée . 68.69
Ambaſſadeurs des Princes inferieurs aux Roys,
comment receus en Turquie. 22 Chaſſe auec ſuperſtition en Turquic. 69
Ambaſſadeurs eſtrangers , comment receus en Chaffe du Grand Seigneur. 68
Ethiopie de l'Empereur d'icelle , 19. comment Chaſteaux artificiels. 41

receusaux Indes, ibid. comment receus en Tur- Cheyachadun , gouuernáte des femmes du Grand
quie. ibid . Seigneur. 24
Amour plus fort ſur les hommes que les autres Chirurgiens du Grand Seigneur. S3
paſſions. 24 Chillar Agalli , Chef des Tunuques noirs , ſon
Amour,vne douce playe,vn agreable venin . 24 authorité & credit à la Cour. 29
Amour ne prend loy que de ſoy -meſme. 26 Circonciſion des Princes Turcs, & la pompe d'i
Amour & la Majefté ne ſont d'acco rd chez celle .
pas
yn Prince.
37 Clergé de Mahomet en parade le jour de la Cir
Amour eſt occupation des hommes oy ſeux. 37 concilion . 39
Amoursdu G. S. & l'exercice qu'il en fait. 24. Colleges des enfans Turcs à Conſtantinople. 7
Amours des Sultans combien ſecretes, & le peril Combat naual par arciſice, & l'image de la priſe
qu'il y a de les voir promener auec leur femmes. de Cypre. 40.43
37 Combats artificiels en Turquie. 40
Amours fales & deſnaturées des Princes Turcs , Cómandemens du Turc font faire l'impoſſible.73
38. & de leurs Baſſas. 76 Conſeil à la chaſſe, ou Conſeil à cheual . 69
Amours cruelles des Dames Turques. 77 Conſtantinople bakie
, ſur les antiquitez deBy
Amours des grádes Damesde la CourTurque. 77 zance par Conſtantin le Grand, 2.ſa grandeur,
Antonin appelle Conftantinople Antonie . 2 & pompe, 12. le ſac & la ruine d'icelle. 17
Apotiquaires du Grand Seigneur. 56 Conuerſation du Grand Seigneur peu louable, 12
l'Argent comme s'acquiert & ſe conſerue. 47 Cour du Grand Seigneur, le train , ſuite, & equi
Arſenal à Conſtantinople, & l'ordre d'iceluy. 8 page qu'elle menc . 69.70
Aſachi , belle Sultanc , refuſé par Anurath'aux Couronnemens des Empereurs Turcs , & ce qui
lettres de Chebin, & pourquoy . 26 s'y obſerue . 14
Aumofne obſeruée par les Grands Seigneurs Courtiſans en Turquie comment nourris,58.59.
Turcs à leur Couronnement. IS de quelle façon ils font fortune. 60
Azamoglans, ou Enfans du tribut. 11
S7 Couſtume des Empereurs Turcs de trauailler de
B leurs mains, & en viure , 22. de labourer la terre
Allas Turcs, & lear grandeur & richeſſes. 70
° quand ils viennent à l'Empire. 23
Balla
Baſlas Turcs comment punis & chaſticz à la Croupiere de cheual coupée tandis que l'homme
Cour du Turc . 72 eſt deſſus, grande offenſe en Turquie. 72
Baſſas principaux de l'Empire Turc . 79 Cruauté desPrinces Turcs envers leurs freres, 14 .
Baſtelerie admirable aux feſtes des Turcs . 42 d'vn Empereur Turc enuers ſes Pages,23. d'on
Batterie de cuiſine. Prince Turc pour le plaiſir de la chaffe, & la pu
Beauté des femmes de Perſe . 37 nition que Dieu prend d'icelles . 68
Beglierbeys, & leur pouuoir . 79 Cuiſines du Serrail, & leur nombre. II
Boſtangibaſſi, 13.ruine ſouuét les autres Baſſas. 52 D
Boucheries,& grandBoucher a Confátinopleure D Departementdu Sultandans le vieil Serrail
Brodequins empoiſonnez enuoyez par yn Turc
à yn Roy d'Eſpagne. 74 des femmes 33
Dernice
Table des Matieres.

Dernier Baſſa, Fauory d’Achmat, fa fortune. 83 . Grauité de quelques Roys Indiens à receuoir les
Dignitez les plus grandes ne ſont pas les plus Ambaſſadeurs . 20
heureuſes . 73 Greniers à Conſtantinople. 4
Diſcours à la muette dans le Serrail. 19 H
Diuan, ſa ſituation . 11 Abillemens du Grand Seigneur à yniour de
Diuan public , où le Turc'rend Iuſtice , les iours H parade, & de ſes Courtiſans. 36.37
qu'on le tient, 54.il n'y any Procureur, ny Ad . Hibraïm Baſſa, Fauory de Solyman ſecond , la
uocat, ny chicane,ibid. Officiers quiy aſſiſtent, grandeur de la fortune, & ſa cheute. 80.81
ibid.l'ordre qu'on y tient, ss.les Iuges ydiſnét, l'Homme doit trauailler, nonobſtant l'ingratitu
de du temps. 2
ibid.vontapres le diſner rendre compte au Sul
can de ce qu'ils y ont fait. ibid. Hoſpitaux , & leur nombrcà Conſtantinople. 7
E Huile d'olifue conſerué par pluſieurs liecles. 4
I
E Gliſes desChreſtiens à Conſtantinople, leur Ardins des Princes Turcs, & lereuenu d'iceux .
s IAT
Empoiſonnemens dont vſent les Turcs. 75 22.23
Enfans malles da Grand Seigneur, & leur educa- Image de la Vierge Mere de Dieu miraculeuſe
tion . 36 ment conſerućcen Turquie. 4
Enfans de tribut de vile condition qui ſeleue ſur Inconſtance des Princes Turcs en leur picté . 25
les Chreſtiens, 57. comme les Turcs les nour Infirmeries du Serrail. 1ο

riſſent,ibid.comme ils paruiennent ,s8.on y met luges Turcs,& autres officiersà Cóſtátinople.8
auſſi des Turcs naturels parmy eux . ibid . luifs en credit à Conſtantinople. 5. Partiſans &
Enfans de tribut d'honneſte condition, 58. leur - Fermiers du G.S.ibid.bailleurs d'aduis . ibid .
luifue introduite au Serrail des Femmes pour re
education, ibid. cómcils paruiennent aux char
ges du Serrail, ibid. les gains qu'ils font. 60.61 uendre leurs hardes , 29. Hiſtoire d'yne luifue
de ce tueftier. 30
Eſcoliers en Turquie,leurs priuileges & lours dé
bauches, 7. leur nombre ordinaire. 8 Iuppe ou caſaquc de drap d'or empoiſonnée par
Eſtenduë de l'Empire Turc . 48.49 vn Turc , & enuoyée par vn autre Turc . 75
Eunuques principaux de la Cour du G. S. & leur Juſtice comment exercée à Conſtantinople. 4. 5.
dignité, 62.autresEunuques , & leur employ.64 la Iuſtice eſt à vn Eftat, ce que le fondement eſtà
Eunuquesnoirsgardiens des femmes du Ġ . S.11 . vne maiſon , par elle les Roys regnent ,
ſeruent aux Sultanes , & pourquoy on leur a L
tout coupé . Argeſſesau Courónemét des PrincesTurcs.rs
Exercices iournaliers du Grand Seigneur . 17 Li Lettres que le Grand Seigneur eſcrit aux Baf
1.
F ſas, & de quel ftile. 73
Lettres de Chedin données aux Sultancs. 26
.
F fauoris du Grand Seigneur,& icurcheute.53 Librairies & Liures du Serrail. 13
Femme mauuaiſe, ce qu'elle eſt à l'homme. 28 du Lid & dormir du Grand Seigneur. 12. 18
Femmes empeſchemens des hommes , ſans elles Logemens des Ianiſſaires à Conſtantinople. 8
les hommes conuerſeroient auec les Dieux . 33 Logement du Grand Seigneur en Efté. I2
Femmes par quelles voyes elles entrent au Serrail Logement des femmes du Grand Seigneur. 10
pour eftre au Sultan. 24 Lots & ventes à Conſtantinople, ſurquoy s'c
Femmes données au Sultan en preſent. Atendent.
24
des filles M
Achmut Baſſa, & res richeſſes. 70
que fes concubines, il n'en eſpouſeaucune, ibid.
comment inſtruites à la religion . 27 mais aller en Perſe, & pourquoy . 62
Femmes Turques amoureuſes lesynes des autres , Malades du Serrail , & cõmentilssot ſecourus.67
& les diſcours qu'elles font. 77 Maquerelles des Dames Turques,& leur trafic.77
Fermes du Grand - Seigneur . 5 Marchez où ſe vendent hommes & femmes. · 6
Feu , l'Image des Roys. I Mariages à Conſtantinople payent tribut. 7
Filles du Grand Seigneur mariées à des Renegats, Medecins du Grand Seigneur, & leurs chefs. : 53
& non à d'autres, la pompe auec laquelle on les Mines d'or & d'argent dont les Turcs forgent à
marie . 33 Conſtantinople leur monnoye. 7
68 Mort du Sultan Turc, 88
Fortune comme ſe peut faire à la Cour.
Foüetter vn homme de qualité, petite offenſe chez Morts dans le Serrail , qui herite de leurs biés , 67
le Turc . 72 Moſquées en quel nombre à Conſtantinople. 4
François aymez des femmes Turques : exemple Moſquées principales à Conſtantinople. 4.
ſurce ſujet. 77.78 Moſquées ne peuvent eſtrebalties par les Turcs,
Funerailles du Sultan Turc. 88 s'ils ne ſont conquerans. 5
G Moſquées du Serrail. 13
IO Mouchoir empoiſonné bordé d'or & de perles,
GGicafe animal allez inconnu donné en preſent à vn Gouuerneur. 75. 76
,&c la nature.43
Gouuerneurs fort obeïſſans en Turquie. 74 Muſtapha Sultan , & ſa fortune. 14.79
Grandeur des Roys en quoy elle confifte. 17 N
Grauité , & ſuperbe des Empereurs Turcs . 19 Aſſuf Baffa , ſa fortune, ſes richeſſes, 71 , fa
Grauité du Preſte Ican en les reſponſes aux Am NAImort yiolente . 74
baſſadeurs eſtrangers. 19 Naſluffauory d'Achmat, ſa fortune, & famort.85

1
Table des Matieres .

Neueux du Sultan du coſte des femmes en petite Sechletar Aga. $ 1.60


conſideration en Turquie. 35 Sellerie , ou lieu où ſe font les ſelles à Conſtanti
Nopces des filles du Grand Seigneur. 34 nople, & les riches ouurages d'icelles. 8
ſieur de Nouailles Eueſque d'Ack , Ambaſſadeu r Sepultures des Sultans Turcs. 88
de France en Turquie, & la generoſité. 21.22 Serment du Grand Seigneur en ync alliance. 20
O Serrails , ou maiſons des Princes Turcs à Con
le Turc . ftantinople, en quel nombre, & leur deſcription ,
Obficiers du Setrail,Leurs charges, & leur & ſuivans. 9
nombre. 64.65 Serrail des femmes, fa grandeur , & beauté. 28
Oncles du Sultan du coté des femmes, non con Sodomie & idolatrie font nées & creuës enſem
ſiderables en Turquie , · 35 ble. 77
Oſman Sultan , & ſa fortune. 14.26.79 Sodomie , tolerée en Turquie , par les Loix de
l'Alcoran .
Oyſeaux de chaſſe les plus eſtimez en Turquie.68 76
P Sodomite Émpereur Turc, bleſſé à la cuiſſe d'vn
9 coup de poignard par vn beau garçon. 77
Pages du G.S.nourrisen lAcademie.
Parens du G.S.peu eſtimez en Turquie, 35 Sæurs du Sultan , leurs logemens, & comment
Patriarches Grecs forcez de paroiſtre à la cere elles ſont pourucuës. 33. L'empire qu'ellesont
monic de la circonciſion Turque . 39 ſur leurs maris, qu'elles repudient par fois. 33
Poiſon double en Turquie . 76 Softha Softhani, 7
Poiſon fait d'un crapaut . ibid . Solde ordinaire & extraordinaire chez le
Preſens de grand prix, 44. funeſtes & augure de Turc.
mort. 45 Sorber. 66
Preſens du Grand Seigneur aux Sultanes . 29 Sorcelleries en vengeance d'amour , faites par les
Prefens au Sultan à la circonciſion de ſes enfans Dames Turques, & leurs maquerelles. 78
par les Ambaſſadeurs des Princeseſtrangers. 38 Sortie du Grand Seigneur par terre , & lapompe
Preſens faits au Grand Seigneur paſſent en cou en laquelle il paroiſt par Conſtantinople. 49 .
ſtume, & en Loy d'Eſtat . 40 ſortie du meſme hors la ville , & ſon entréema
Preſens de Machmut au Prince fon Maiſtre. 69 gnifique. 49. ſa ſortie par mer ,
par mer , ſes promenades
Preſens de tous les artiſans au Sultan le iour de la ſur les ondes . SI
circonciſion d'un de ſes enfans 39.40 Soubaſy. 5
Preſens du Duc de Bourgongne å yn Empereur Stambolcadiſi. 8
Turc . 68 Superbe des Empereurs Turcs . 57
Preſens des Ambaſſadeurs au Grand Seigneur.22 T
les Princes doiuent auoir aupres d'eux des hom Able , & viandes ordinaires du Grand Sei
mes bien faits. 13 TA gneur, fon manger . 18

Priſons à Conſtantinople. 9 la Taille qui ſe leue ſur le peuple en Turquie, com


Proſperité , eſpreuue mieux la force d'vn eſprit ment appellé, & à quoy elle ſert. 23
que l'aducrſité. 16 Tantes du Grand Seigneur. 33
Q Tefterdars, & leur charge . 54:55
61
O Seigneur & ſesfemmes, & cóment eſtein- Balli. 70
Thauegys..
tes . 27 The rez y : ibid .

Quilot vaut deux boiſſeaux. Threſor du Turc , & leur premiere place. 3
R Threſors du Serrail , leur nombre , & l'argent
Ays & fa charge. 79 qu'on y enferre. 47
RAcnegats quile forchausfortesdes Turcs.44 Thrônes des Empereurs Turcs. 10
Raxduntat, ou Rechioptar Aga . 60 Tiltres & qualitez des Empereurs Turcs . 16
Ramedan , ou Careſmedes Turcs. 18 Timar, & Timariots . 80
Reuenu annuel de l'Empire Turc. 48 Topeys . 70
Roxelane mariée à Solyman ſecond . 26 Tours de la mer noire , priſon des Princes captifs
qu'vn Roy doit auoir ſouffert de la miſere , pour du Turc . 4
eſtre pitoyable enuers les miſerables. IS Tours d'vn rare artifice à Conſtantinople. 3
le Roy qui ſe connoiſt eſtre homme n'eſt iamais Tours de dexterité , & agilité aux feſtes des
fuperbe, 17. doit pluſtoſt paroiſtre par l'éclat de Turcs . 41
fes vertus , que par la pompe de ſes habits, ibid. Tribut ſur les perſonnes des Chreſtiens , & Iuifs
pour bien regner doit fuir le vice , & aymer la en Turquie. 7
" vertu . 27 Trouſſeau au mariage d'vne Princeſſe Turque. 34
Roys doiuent eſtre approchez comme le feu, i . Tubenter Aga. 60
ſont d'vn meſtier penible. 1 73 Turcs nation non paſſage, commc les Gots, Van
S dales, Bourguinons, &c. 68
A crifices du Sultan . 41 Turmachi Ball . 60
S Sarai Agalli. 63 V
Sarrigi Bali. 60 Eftemens des Empereurs Turcs . 17
Schibazars. s V Viures & prouiſios qui entrétau Serrail.6s
Scan & Armes du Grand Seigneur , & Maiſon Vizir Azem , ou grand Vizir, 15. premiere teſte
Othomane, 87 , des Princes Paleologues. ibid. de l’Empire Turc. 79

F I N.
PL VSIE VR S.

DESCRIPTIONS

DES ACCOVSTREMENS ,

TANT DES MAGISTRATS ET OFFICIERS

DE LA PORTE DE L'EMPER EVR DES TVRCS;

que des peuples aſſujectis à ſon

Empire .

AVEC LES FÍGVŘES OVÍ REPRESENTENT LE

tout aunaturel, tirées des Medailles antiques defcriptions de

ceux qui ont frequenté parmy ces nations, ou des bons


Autheurs qui en ont eſcrit.

1
1

(
1
3

Dogo mo chaos

8
CaYa
Eco
gogue 19 dogo 99
5252525 sosta essas

AV LECTE VR

1 Vis que le Lecteurdoit voir en cette hiſtoire, non

es ſeulementle progrez ,
mais la puiſſance ego gran

deur de l'Empire des Turcs; Il eſt bien raiſonnable

qu'on luy en faffe voir la pompe : Etpuis on deſire

d'égayer ;
fon eſpritpar la diuerſité de ces peintures
qui pourroit eſtre deuenu triſte par la lecture de

tant de fang reſpandu , & tant de brûlemens, &

de faccagemens de Prouinces
. Curiofité qui ne ſera pas toutesfois fans

vtilité, puis que les defcriptions qui ſerontſur chacune, éclairciront

autant
l'Hiſtoire qui n'a peu s'arreſter à tous propos à les repreſenter

comme il euſtefté neceſſaire


. Et afin que tout y aille par ordre , on a

commencéparles Officiers de ce grand Monarque,puispar les autres


peuples donations qui luy font ſujettes ,pour le moins de celle dont les

repreſentations ont peu venir


iuſques à nous : Apres leſquels ſuiuront

les figuresdes femmes tant Turques qu'eſtrangeres, chacun ayant par

ce moyen vne parfaite connoiſſance du port,des geſtes, & des accou

ſtremens de l'un & de l'autre ſexeQuinous


; font
venus en main par

la diligence du fieurNICOLAS NICOLAï, au moins pour les plan

ches ; car pour les deſcriptions


, elles ontefté amplifiées ou racourcies fe

lon les occurrences: on y a'außi adjouftéquelques planches,comme le

Lecteur pourra remarquer:

A ij
L'EMPER E VR TVRC EN

SON THRO N E.

Es plus grandsCapitaines n'ont point dédaignéles Thea


DO
tresau ſortir des combats , ny les eſprits les plus feueres vnc
pompe mondaine , quand elle leur eſt repreſentée auec or
dre & conduite . Au ſortir donc de tant de guerres , apres

auoir veu l'EmpereurTurcen la téte au milieu de ſon camp,

entouré de ſes gardes:Il ne ſera point mal à propos de le voir en fa Majelte,


dans ſon Serrailenuironnéde ſes domeſtiques. Quand doncil doit donner

quelque audience à quelque Ambaſſadeur, ou propoſer quelque choſe en

public , voicy comme les Turcs s'y comportent: On pare la premiere ſalle

qu'on rencótre à l'entrée de la troiſieſme porte,où commence le ſecrecen .


clos du Serrail , de riches tencures de draps d'or & d'argent, auec des tapis

Perſiens & Cairins par bas ,& de petits bancs à l'entour eſtofez de melme,

au fonds de laquelle eſt le ſiege du Prince tres magnifiquement dreſſé ſur


vn daiz haur de pluſieurs marches, le tout couuert& garny d'excellens ta

pis. Le iour de cette pompe,les deux Cours fe rempliſſent de dix ou douze


millelaniſſaires & deSpachis,Solachs,Selictars ,& autres gardes tant de pied

que de cheual,d'encre leſquels ceux qui ont grade, entrent en cette ſalle , &
s'afféent ſelon leurs rangs , les Capigibaffi oú Capitaines de la porte, l'vn

d'un coſté ,l'autre d'un autre , ſe mettent ſur la premiere marche du Tribunal

par embas . Là autour s'afféent les troisPages d'hóneur,auec les principaux

main droitele pre


Eunuques du Serrail :ſur la ſeconde marche d'enhaurà
mier Vizir , & le Cadilcfcher de laGrece, quiadminiſtre la luſtice à Conftan

tinople , & ſur la meſme marche à main gaucheles deux ou trois autres Baf

fas , s'il y en alors cantà la Cour , & le Cadileſcher de la Natolie. Quant au


Sultan il eſt aſſisles jambes courbées à peu pres comme nos Couſturiers,

entredetres - riches cuiſlıns, ayantencorevn grand oreiller d'or batcu tout

eſtofé de pierres precieuſes d'vne ineſtimable valeur ,qui luy ferrà s'appuyer

quand il eſt affis, & lors il propoſe ce qu'illuy plaiſt, & chacun donne ſon

aduis ſelon ſon rang, & d'vn grand ordre. Mais ſi c'eſt pour ouyr vn Ambal

ſadeur, on l'aduertit, afin qu'il ſe metre en equipage luy & ſa famille . Ils en

va au Serrail, où il trouue les deux Capigiballi ,auec quelques Monuques

des plus fauoris , qui le meinent par les deux Cours à la ſalle de l'audience,

où il eſt recueilly par le premier Baſſa , qui le meine à ce Thrône, les Turcs

l'appellent Tacht , où il crouue ce Monarque aſſis ſur les oreillers & car
reaux , mais il ſe leue au deuant & luy tend la main à baiſer ,puis ſe remet

en la place , & fair aſſeoir l'Ambaſſadeur en yne chaire de velours cra

moiſi , ſi c'eſt de la part d'vn Prince Chreſtien. Alors l'Ambaſſadeur luy

preſente ſes lettres , leſquelles il prend & les décachette de ſa propre main ;

& les luy


puis les donne à ſon premier truchement pour les lire tout haut,
interpreter apres de motà mot ; Cela fait , les Gentils - hommes dela ſuitte

de l'Ambaſſadeur ſont conduits par deſſous les bras pour luy aller baiſer la

main , & puis s'en retournent à reculons, de peur de luy tourner le dos, &
là deſſus le Prince ſe retire & laiſſe l'Ambaſſadeur entre les mains du Baſſa;

Voicy quelque petit échantillon de tout ce que deſſus.


3

பா
LEMPEREVRTVRC. EN -SON -TROSNE 2

-அது

mmmmmm

''

-
V

A iij
A GA CAPITAINE GENERAL

DES IANISSAIR E S.

Ovr commander à cette belle trouppe de Ianiſlai

res ,il y a par deſſus eux yn Colonel, qu'ils appellent

le grand Aga,lequela mille aſpres pariour d'appoin

tement,& fixou ſept mille ducats de penſion paran;


il eſt aufli habillécinq ou fix fois l'annéc par le grand

Seigneur de riches brocadors, & de fourrures rares & de grand


prix ,outre les prouiſions quiluy ſont baillées de pain , riz , viande,

foin ,orge, & autres choſes pour l'entretien de ſon train , qui eſt

grand,comme pour lemoins de trois cens bouches, & grande quan

tité de cheuaux , & deux fois la ſepmainc il doit donner vn repasà

tous les laniſfaires, leſquels auſſi lontobligez de ſe trouuer tous les


.
iours à ſon lcuer,pour receuoir ſes commandemens , qu'ils doiuent

accomplir entierement. Il a auſſi fous luy vnChecaya ouProtogero,

qui eſt come vnMaiſtre -de- Camp, qui donne ordre à toute leur diſ

cipline, & quiles doit ranger en bataille quand lesoccaſions ſe pre

fentent; cettui-cy a quatre ducatspariour, & fix cens de Timar par

an.Ila de plus yn IazgiouSecretaire qui eſcritles rooles , & tient les

regiſtres de cette charge, lequela deux eſcus par jour , ſans aucun

Timarny penſion ,que ce qu'ilpeut prattiquer ſurla paye des lanil

faires,& auec cela il entretient ordinairemēr cent cheuaux qui l'ac

compagnent quand il marche, & au ſortir de cette charge,onluy en

donne vne plus grande , ou bien yn appointement de cent mille af

pres par an ,
qui sót environ deux mille eſcus. La charge de ce grand

Aga eſt tellement honorable , que le grand Seigneur luy baille en

mariageordinairement quelqu'vne de ſes filles,


ſoeurs, ou proches

parentes,pour l'obliger dauantage à fon ſeruice. Et ce n'eſt pasſans

raiſon ,puis qu'il commandeauec telle authorité à cette belliqueuſe

trouppe, qui eſt le ſouftien principal du Prince , & de ſon Empire .

Il a de coultumcquádle Turc va à la Moſquée, d'aller tout ſeul der

ricre les laniſfaires,


monté ſur yn chcual de grand prix , magnifique

ment paré de pierreries, & orfevrerie , & luy encore dauantage, le

quel eſticy repreſenté à pied , dautant que c'eſt la façon plus ordi

naire . Il eſt donc veſtu d'vne longue robe de drap d'or friſé, ou de

velours , ou fatin cramoifi, & cour le reſte de ſon habit pareil , horf

mis la teſte en laquelle il porte vn Tulban blanc fort dextrement

accommodé,eſtant pliſſé par le haut , en façon


de petits tuyaux , &

ſur le deuanc d'iceluy il porte vne enſeigne de fort grand prix,& au

coſté vn petit panache ; ſon port & ſa façon graue monſtrebien la

dignité en laquelle il eſt éleué , auſſi eſt - il des premiers aupres du

grand Seigneur, qui ne donne iamais cette charge qu'à celuy qui

luy a rendu plus grande preuue de la fidelité.


Age (
pitung

general des
Jannifaires

*
CADI LESCH ER:

'Experience a fait aſſez connoiſtre iuſques icy ,què

le ſouftien & appuy principal des Royaumes, Eſtats,

& Republiques ,eſt la Religion,& qu'il faut de neceſ

B ſité qu'il y en ait vne,foitvraye , ou fauſe ,feinte , ou

veritable , en apparence , ou en effe & ,ce qui eſt prati

quéparmy ce peuple Turc,ayant de certains Preſtres ,ouDo & eurs,

de leur Loy pernicieuſe , qu'ils tiennent en telle eſtime qu'ils leur

deferent toutes choſes,leur dónans toute authorité,non ſeulement

en ce quiconcernele faitde la Religion ,mais auſſi en ce qui eſt delu

ſtice. Orafin que l'ordrey ſoit micux gardé , ils ont accouſtumede

faire un choix entreles premiers & plus capables de ces Dodeurs ,

d'un ſeul qu'ils reconnoiſſent comme pour le ſuperieur, lequel ils

nomment Cadileſcher:ils le choiſiſſent vieil , afin que l'experience

& la ſolidité du iugementy ſoit parfaicte, & qu'il ſoit moins corru

ptible pour l'amour des Dames , ou autres conſiderations d'aduan

cement de fortune,craignantauſſi que la ieuneſſe des ans nefuftac

compagnée de celle de l'eſprit :Ceſtui- cy eſtant ainſi éleu , il a pou

uoir deiuger detous crimes, & condamner les criminels,ſelon qu'il

eſt porté par leur Loy ,iugeant auſſi de tous autres differents & con

tentions, gardantà chacun ſon droit , ſans ſe laiſſer corrompre par

aucun lien d'amitié,ou proximité : & afin que le beſoin , ou defir des

richeſſes ,ne leur face pancher de coté , ou d'autre ,ils ont fort grand

appointement du grand Seigneur, qui ſemonte ,tantpour leur offi

ce Eccleſiaſtique que pour celuy de la Iuftice,à8000.ducats par an ,


fans leurs profits extraordinaires, & chacun d'eux entretient à ſon

ſeruice trois cens eſclaues , outre dix Secretaires qui leur ſont def

frayez par le grand Seigneur , & deux Moolucballi qui font em

ployez en ce qui dépend de la Caualerie . Quant à leur habit ,ils ſe

veſtent le plus ſouuent de camelot , damas , ou fatin de couleur bru

ne , & commegris ,ou tanébrun ,les manches de leurs robbes font

longues & eſtroites, & vne ſorte de collet commed'hermine mou

chetée , ils portentle Tulban de grandeur & grofſeur extraordinai

re, ayant la pointe du milieu ,qu'ils appellent Mogeuiſi,plus baſſe , &

les tuyaux d'iceux plus gros & plus preſſez que les autres : ils vont

par la ville ſur des mulets , ou cheuaux Hongres, ayans yne petite

couuerture à la façon de nos cheuaux de carroſſe, de drap de cou

leur de pourpre, auec de la frange de foye toutautour , & s'ils vont

à pied , c'eſt auec vne démarche pleine de grauité , qu'ils gardent

auſſi en leur parler , d'vne façon fort ſeuere,


ayans touſiours quel

que parole deleur Religion à la bouche , pour auoir plus d'appa


rencede ſaincteté.

Cadileſcher
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BOLVCH BASSI CAPITAINE

DE CENT LANISSA IR ES.

Es Boluchsbaſſis ſont des chefs ouCapitaines de centla

niſfaires ,leſquels ont ſoixante aſpres pariour d'appointe

ment . Leur principal office eſt d'acconspagner à cheual

le grand Seigneur allant à la Moſquée , eſtans eux & leurs

chcuaux , fort magnifiquement accommodez , & armez

d'un grand bourdon , qu'ils portent en façon d'vne groſſe lance, beau

coup plus longue que les noſtres, & creuſe dedans pour eftre plus le

gere m
, ais toutesfois renforcée auec de la colle forte tour du long , &

des nerfs hachez menus cóme ceux qu'on applique aux rondelles: elle

eſt peinte dediuerſes couleurs en façon de fueillages, & ont à l'arçon

de leur ſelle yn pauois bien enrichy ,auec les Buſdeghan ou maſſes d'ar

mes , & portent à la teſte au lieu de la Zarcola ,vn bourc ou haut bonet

à la marineſque,dont la pointe ſe replie vn peu en auant, enrichy tout

autour d'un cercle d'or ,façonné par ondes, & parſemé de pluſieurs ſor

tes de pierreries,auecvn tuyau de meſme, qui ſe met au deuant du bo

net , & prend depuis le bord du bonet iuſques au haut de la pointe , du

bout duquel fort vnfortgrospanache d'aigrette qui ſe porte tout droit

& fort haut , ils marchent en cétéquipage deuant l'eſquadron des la


niſſaires. Leur habit au reſte eſt differentdeceluy des ſoldats, car par

deſſus leur doliman ils ont vn caftan ou longue robe de drap de ſoye ou

& boutonnée par le haut


brocador , laquelle eſt fendue tout du long,
1
auec vne douzaine de boutons à longue queuë , comme nos François

portent à leurs manteaux , les manches yn peu larges , pendant derriere

quafi iuſques au bord de la robe , au bout deſquelles y a trois boutons

pareils à ceux de la robe , laquelle a deux petites fentes en haut , à l'en

droit que les François font leur pochettes, dans leſquelles ils mettent
leurs mains par contenance. Ils ont auec cela des manches d'eſtofe fort

riche, aſſez amples & larges, leur robe a auſſi yne forte de grand colet

qui ſe rabat à la façon des Cimarresà l'Italienne, & au bas enuiron demi

pied pres du bord, il y a yne petite fente à laquelley a trois boutons de

meſme façon que les autres ; Leurchauſſeure eſt à la Polaque, fort mi

gnonnement faite & decoupée. Ils portent cette ſorte d'habit eſtans à

pied , & lors qu'ils montent à cheual,ilsy adiouſtét ſeulement les armes

dites cy -deſſus fans rien changer du demeurant . Ils ont yne mine fief

froyable & vn regard ſi affreux ,que ſans aucunes armes leur aſpect eft

ſuffiſant pour les faire craindre , auſſi sót ils fort redoutez d’yn chacun ,

à cauſe dela grande authorité que leur donne legrád Seigneur . Et lors

qu'ils ſont deuenus vieils ne pouuans plus porter les armes , on leur

donne la charge de quelques places fortes,


auec Timar équiualent à

leurs anciens gages,deſorte qu'eux ny les autresſaniſſaires ne peuuent

tomber en necellité,ains ont moyen de paſſer leur vie aſſez à leur aiſe .
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SOLACHI ARCHERS ORDINAIRES

DE LA GARDE DV GRAND SEIGNEVR :

V nombre de ces braues Ianiſſaires, l'Empereur Turc fait enco:


revne élite de quatre ou cinq cens Archers , pour la garde du

corps qui ſont appellez Solachi , tous des plus anciens& experi

mentez auxarmes , pour l'accompagner touſiours , & marcher

à coſte de ſa perſonne, à ſçauoir vne partie à droict , & l'autre


partie à gauche : & eſtà remarquer que ceux qui ſont à la main droite,ſonttous

gauchers, c'eſt pourquoy ils portent le nom de Solachi : & au contraire ceux

qui vont au coſté gauche, tirentà droict, craignant qu'en décochant leurs flef

ches, ils ne fuſſent


contraints de courner le dos à leurSeigneur, qui eſt entr'eux

vne grande inciuilité : ils ont de douze à quinze aſpres par iour d'appointe

ment, & deux accouſtremens par an cous d'une parure , à ſçauoir vne jupe de

damas ou ſatin blanc , qui leur vient par derrière iuſques à my -jambe, mais elle
eſt plus courte par le deuant,dont lesdeux bours ſont retrouſſez à leur couſſac,

qui eſt vne large ceinture tiſſuë de ſoye & de fil d'or : ils portent deſſous vne che

miſe blanche qu'ils laiſſent pendre par deſſus leurs gregues auſſi bas que la ju

pe , ayant auſli à la teſte vn bourcou haut boner , broché d'or tour autour,auec

le cuyau d'or ou argent - doré enrichy de pierreries chacun ſelon leur moyen ,

au bout duquelils mettentvn haut pennache d'aigrette fort gros. Leur chauſ

ſure eſt auſſipareille à celle des lanniſſaires ; ils ont pour armes l'arc & les fef
ches au lieu de l'arquebuſe , de laquelle ils n'yfent point , craignant d'épou

uenter le cheualdu grandSeigneur , ou de l'offenſer luy-meſme par la ſenteur


de la poudre & de la meſche; leurarc eſtrichement doré & leur trouſſe pareil

lement , le tout fort mignardement damaſquiné, auec le cimeterre & le poi

gnard à la ceinture :ce lont ceux- là qui ſont touſiours les plus proches du Prin

ce, & qui empeſchent quand il va par le pays que perſonne n'approche de luy,

ſinon ceux qu'illuy plaift & à qui il veut parler , entr’autres le premier Baſſa ou
Vizir qui le peut aborder à toute heure à la guerre : ce qui ne luy eſt permis au

Serrail , qu'à de certainesheures , ou lors qu'il le mande ; & s'il ſe rencontre

quelque riviere qu'ilfaille que le Turc paſſe , ſes Archers ne l'abandonnent

point, mais paſſent à guay aux deux coſtes de ſon cheual, & pour recompen

ſe , Gil'eau leurva iuſques au genoüil ils ont chacunvn eſcu , fi elle paſſe la cein

ture ils en ont deux , & ſi encore plushaut on leur en donne crois , ce qui ſe doit
entendre de la premiere riuiere ſeulement:car des autres ils n'ont aucunecho

ſe, que ſi par hazard l'eau eſtoittrop profonde, ils la paſſentà cheual touſiours
proche du Prince ; carce ſont eux quien tels dangers prennent garde qu'il ne

luy arriue mal , l'en ayant pluſieurs foispreſeruć,eſtani ſa derniere reſſource en


ſon extremité : Ils ſont deparcis ſous la conduite de deux Solachbaſlı ou Capi

caines, le cour ſous la charge & commandement du grand Aga .

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Sofacer. Joel hare

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IANISSAIRE O V IENNITZARLER

SOLDAT A PIED DE LA GARDE '

du grand Seigneur.

Lyaen cette trouppe de laniſfaires, quelque nombre qui

font mariez , mais la meilleure partie viuent ſans femmes,


& ont leur departement en certains quartiers de Conſtan

tinople , où ils demeurent en temps de paix : Ils' viuent


tous en commun , mettans enſemble chacun vn nombre

d'afpres pariour, qui eſt vne petite monnoye d'argent val


lant dix deniers , ſelon les autres douze . Cette ſomme eft

maniée par vn deſpenſier, & vn cuiſinier , qui ontle ſoin de leur appreſter tous

les iours leurmanger , & ceux d'entr'eux dont la playe eſt plus petite, fontobli

gez deſeruir les autres, pour gaigner par ce moyen ce qui peutmanquer de

leur deſpence :ceux qui ſont mariez demeurent où bon leur ſemble, tanţà Con

Itantinople, qu'aux villes & bourgades circonuoiſines , & viuentde la ſolde

que leur donne le grand Seigneur ; & quand il ſe preſente quelque occaſion

de guerre aux enuirons, on lesy appelle ;mais ordinairement on les employe


ſur la mer , à dreſſer les jeunes lennitzerots qui ſont dans des vaiſſeaux: & ceux

1 qui ſont habituez à Conſtantinople, & qui ont grande charge d'enfans pour

la nourriture deſquels leur ſolde ne peut ſuffire ,on en baille aux Ambaſſa

deurs , ou autres eſtrangers de qualité, à chacun vn nombre ,de ſix ou huict,

qui leur ſeruentde gardes,pour empeſcher qu'il ne ſoit fait aucun tortà eux, ny
à leurſựitte ,queſi quelqu'vn entreprend de les offenfer tant ſoit peu, ils les pu
niſſent cruellement , leur donnans ſur le ventretant de coups de leurs baſtons

qu'il leur plaiſt, ſans que nul quel qu'il ſoit s'ozereuancher contr'eux:& pour

recompence de cette ſoigneuſe garde , les Ambaſſadeurs leur donnent quatre

aſpres par iour , avec eſperance qu'apres les auoir ainſi fidellement ſeruis, ils
pourront par leur faueur paruenirà quelque plus grande charge , comme de

Spachis ,Zaniligilers,Zagarzis,ou autres.Oucre cela le grand Seigneura de cou


ſtume de les gratifier d'vn aſpre pariour , pour chaque enfant quileurnaiſſent,

pour aider à les elleuer en l'aage de pouuoir faire ſeruice. Ceux qui ne ſont

pointmariez , font la garde tour à tour par cinquantaines, tantoſt plus, quel
quesfois moins , tant au Serrail, que par les rues, pour empeſcher les larcins,

querelles, ou accidensdu feu , & lors quepar la vieilleſſe, bleſſures ou autres


accidens ils ſont licentiez de leur charge de Ianiſſaires , on les fait Affareli,

c'eſt à dire ,mortes -payes, gardes des chaſteaux & fortereſſes, & ont ſembla

ble prouiſion pourleur nourriture ,que lesmariez. Leur habit eſt pareil au pre

cedent, excepté qu'il eſt plus long, & n'ont pour toute armure qu'vn long ba
ſton de canne d'Inde ,ou autres bois, qu'ils portent à la main : leur ceinture eft

de gaze , ou autre eſtoffe rayée aux deux coltez, & au bout de laquelle eft vne

frange d'or, elle eſt noüée par deuant, les bouts pendans quaſı iuſques au
genoüil.

.
8

allreot flantillat
anself er Suulcarea pied
andeਹੈਰਿਸ

Nagarikaalitaire digrend Seigneur

tanca
JAMO

'ST
to

po
U2
IANISSAIRE ALLANT A LA GVERRE ,

Es enfans tributaires ou Azamoglans , ayans ainſi eſté

rauis entre les brasde leurs peres & meres , nourris en

la loy de Mahomet , peuuent paruenir aux charges &

dignitez , montans de degré en degré,ſelon que plus ou

moinsils s'en rendent dignes par leur merite; car c'eſt

par ceſeulmoyen qu'ils ſe peuuét aduancer, & non par aucune faueur

ny credit.Comme doncils ſont paruenus en aage de pouuoir porterles

armes , auec quelque dexterité pour s'en bien ayder,on les fait Ianiſfai

res , qui eſt vnordre qui fut premierement inſtitué par Amurath II . du

nom , & dixieſme Empereur des Turcs , & leur nombre fut augmenté

depuis par ſon fils & ſucceſſeur Mahomet , qui conquit Conſtantino

ple , & le rendit lemaiſtre de l'Empire Oriental . Cette compagnie de

gens de guerre eſt la principale force de l'exercite du grand Turc. Par

leur valeur, Amurath & ceux qui ont tenu l'Empire apres luy ontgai

gné pluſieurs batailles . Cétordre delaniſſaires n'eſt autre choſe qu'vne

imitation de la Phalangue Macedonique , ou pluftoft des ſoldats Pre

toriens du temps des Empereurs Romains ; mais la difference eſt fort

grande en armes : carles laniffaires allans à la guerre,font habillez de

drap bleu,auec vne ſorte de caſaque degens d'armes à la Françoiſe, qui

leur vientiuſques au milieu de la iambe par le derriere . Elle eſt fenduë

par deuant ; & les deux bouts retrouſſez ſous la ceinture . Ils ont par

deſſous yne ſorte d'accouſtrement, qu'ils appellent Doliman , qui eſt

la principale marque des Muſulmans, auquel ſont des manches aſſez

iuítes au bras ,tant en longueurqu'en largeur :au derriere de la caſa

que il y a de petites manches qui pendentiuſques au bas , à la façon de

celles que nos François ont à leurs robes de chambre, & eſt boutonnée

par deuant iuſques à la ceinture , qui eſt comme d'une large iartiere , à

laquelle eſt pendu vn Cimeterre. Ils ont auſſivne ſorte debandoulierę

en cſeharpe ,à laquelle pend leur fourniment . Ils portent yncarque

buſe aſſez longuette ,& en l'autre main lameſche , quieſt tortillée en

façon de braſſelet autour du bras , & au lieu de ſalade ou morion ,ils ont

pour habillement de teſte yne ſorte de chaperon de feuſtre blanc,

qu'ils appellent zarcola , enrichy ſur le front d'vne guirlande d'or - trait,

faite parondes, de la largeurd'enuiron trois doigts au milieu de laquel

ley a vne ſorte d'enſeigne faite en façon d'une gaine d'argent doré,

toute parſemée de pierresfines de petit prix , laquelle prend depuis le

bord delaguirlande ,ſur le front iuſquesau haut du chaperon ; & fort

dicelle vn panache qui paſſe vn peu au deſſus de la teſte, & pend der

riere pour le moins iuſques à la ceinture, ſe recroqueuillant par le bout

quaſien queuë de Renard. La chauſſure eſt comme un bas à botter fort

large , pliſſant vn peu le long de la iambe , & le ſoulier de la melme fa

çon que le precedent ; ce qu'il n'eſt permisà tous de porter , ains ſeule

mentà ceux qui ont fait plus grande preuue de leur yaleur à la guerre.

laniſſaires
9

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A ZA PE.

Es Turcs ont eu de tout temps l'vfage de l'arc & do

Aeches , plus à commandement que toutes autres ſon

tes d'armes, c'eſt pourquoy la plus- part de leurs ſoldats

en vſent, & principalement les Azapes, qui ſont com

D mevne ſorte d'archersqui ſe leuent en tel nombre que

lebeſoin & les occaſions de requierent, ſoit pour la terre , ou pour la

marine , ſans ceux qui d'ordinaire ſont dans les places auecles Iennit

zaires , qui ont la garde du Chaſteau , & les Azapes celle de la ville. Ils

ont lors qu'ils ſont employez , cinq afpres par iour de prouifion , &

ſont veftus d'vnDoliman court ,qui ne leur vientqu'vn peu au deſſous

de la jartiere , & de telle couleur qu'ils veulent , eſtant boutonné ſeule

ment iuſques à la ceinture , & lo refteiuſques au bas ouuert, afin de ſe

pouuoir tourner & ayder ayſément, les manches ſont longues & am

ples, & n'ont autres armes que l'arc & les fleches, penduësau col auec

vne ſorte de ruban ,qu'ilsportent en eſcharpe,commenos ſoldats font

la bandoliere , & vn petit Cimeterre à la ceinture . Ils ont à lateſtevne

forte de petit Barettin de feuſtre, ou autreeſtofe approchante, & de la

meſme couleur que le Dolimans pour la chauſſure, elle eſt à la Tur

queſque, auſſi ſont- ils tous Turcsnaturels, & defort petite eſtimeen

tre tous les gens de guerre, auſſine ſen ſert -on que pour les occaſions

perilleuſes,afin d'eſpargner les autres plus valeureux ſoldats, & prin

cipalement les lennitzaires, qui ſont ceux dont ils font le plus d'eſtat,

car encores qu'ils ſoient pour la plus-part nourris entre les Turcs , ils

ne peuuent toutesfois perdre le courage magnanime des Chreſtiens,

qui les fait craindre & redouter infiniment de toute ceſte barbare na
tion .
TO

89
3

--

C
DES AZAMOGLANS OV
1
ENFANS DE TRIBVT

Es Azamoglans enfans de tribut , deſquels il a eſté am

plement diſcouru aux Illuſtrations du ſieur de Vige

nere , font habillez de drap bleu , leur habit eſtlong , &

leur vient battre vn peu au deſſous dela jartiere parle

derriere , mais le deuant eſt retrouſſé par les deux

bouts, ſous la ceintureileſt ample & pliſſé comme vne robbe depuis
par deuano
la ceinture en bas, mais le corps eſt tout joinct, boutonné

comme vn pourpoint , les manches aſſez larges & longues , faifans

quelques replis le long du bras , & quand ce vient vers le poignetelles

font toutes iuſtes : leur ceinture eſt de creſpe, ou autre cſtofe rayée,

fort large & ample , qui ſe nouë ſousle bras gauche. Ils portentaulli

vne ſorte de petit coutelas, non ſur le coſté , mais attaché deuant auec

quelque ruban , quaſi comme les bouchers portent leurs couſteaux,

leur coifure eft vn bonet jaune , en forme de pain de ſuccre , & vneſor

.te de creſpe, à la façon que nos François mettent leurs cordons de cha

peaux : ils mettent à leur oreille vn bouquet de fleurs, ainſi qu'vn Pra

Eticien met ordinairement ſa plume ; leur chauſſureeſt comme vn bas

à botter , qui pliſſe par le bas, & le ſoulier en eſcarpin , decoupé par le

tallon , & autour de la ſemelle, & fontſans attaches, commeceux que

l'on fait icy aux petits enfans. La meilleure partie de ces enfans de tri

but , joüent d'une ſorte d'inſtrument approchant fort du ciſtre, qu'ils

appellent Tambora, au ſon duquel ils accordent leur voix , qui rend

vne harmonic ſi deſaggreable, qu'il y a beaucoup plus d'ennuy que de

contentement à les oüyr .

1
II

Enfant du Toler

Frangl
a
+

51

*
Gij
DESAŻ A MOGLANS
RysTIQVE S.

Lyavne autre ſorte d'Azamoglans appellez Ruſtiques,

qui ſont comme le rebut des autres , carapresauoir fait la

leuée des enfans des Chreſtiens, l'on fait un choix des plus

beaux & plus aggreables, que l'on met au Serrail du grand

Turc, les plus groſſiers font enuoyez en la Natolie, qui eſt la petite

Aſie, vers Burſie & Caramanie , pour labourer la terre, garder le be

ftail
, ſ'endurcirà la peine & au trauail, & apprendre la langue Tur

quelque, eſtans nourris & entretenus aux deſpens de ceux qui s'en

feruent, puis au bout de quatre ans on en leue d'autres, & ceux - cy ſont

menez à Conſtantinople, & baillez à l’Aga des Azamoglans , quiles

met au ſeruice des lennitzaires , ou bien leur fait apprendre quelque

art mechanique , pour ſeruir à la guerre, ou autre choſe ſelon leur in

clination , & font lors nourris & entretenus aux deſpensdu grand Sei

gntur
. Ils ſont habillez à la Paiſane, auec vne ſorte de camiſole qui eſt
de
fenduë ſeulement enuiron quatre doigts au deſſous du colet par

uant,dont les manches ſont aſſez longues & larges, faiſans force replis

tout du long : ilsont par deſſus vne ceinture qui ſe nouë par deuant,

dans le neud de laquelle ſe met vn gros couſteau ; ils ont par deſſus vne

forte de jupe fort approchante de la façon des courtes robbes que por

tent nos Marchands; & les manches ſont couppées au haut du bras,

enuiron comme vne caſaque de gendarme à la Françoiſe, & tout au


tour du bord , tant de la robbe que des manches, ily a comme vne pe

tite frange ,lacoifure eſt vne ſorte de bonet de la meſme forme que le

precedent , la chauſſure eſt tout d'vne venuë , à la Pantalone , mais plus

large & plus longue, car elle fait des replis tout du long, & vient battre

ſur les ſouliers en forme de tricouſes , les ſouliers ſont ſans bord ny
cordon .

:
!
12

lin
Pamou
Rufic
que

le
, DES PEICHS O V L AQVAIS

DV GRAND TVRĆ .

V Trece nombre de Solachis, le grand Seigneur entretient :

d'ordinaire 80.ou 100. Peichz , ou Laquais Perfiens, les plus

legers & habilles à la courſe qui le puiſſent imaginer. Ils ont

de douze à quinze aſpres pariour, & deux habits par an , de


jolie façon, ayant yne ſorte de caſaque à l'Albanoiſe, de da

mas de pluſieurs couleurs, ou de ſatin rayé , elle eſt aſſez iuſte

au corps , & les pans de deuant qui viennent en pointe , ſont trouſſez à yn

Corhiach ,ou large ceinture , d'ouurage fait à l'eſguille, d'or & de foye, qui leur

fait deux ou trois toursautour du corps . Ceſte calaque eſt toute ronde par der

riere , & leur vient battre iuſques aux iarrets, ils onţ les chauſſes tour d'une

venuë comme tout le reſte des Turcs , & fort longues, afin qu'elles facent plu

ſicurs replis , comme des bottes à l’Alemande: par deſſus paſſe leur chemiſc de

fine toile de coton blanche , & portent auſſi communément vne ſorte de petit

garderobe detafetas froncé, menu vers la ceinture, lequel leur vient comme
à la moitié de la iambe ; & afin de ne leur point apporter d'incommodité à la

courſe , il eſt retrouſſé & ouuert par deuant . Ils ont à la ceſte vn haut bourcou

bonet pointu , qu'ils appellent en leur langue Scuff, d'argent batru , auec le

tuyau de meſme eſtoffe bien doré & chrichy de pluſieurs pierreries, les ynes
fauces , les autres fines ſelon leur inoyen , du haut duquel fort vn pennache

d'aigrette, & de pluſicurs ſortes de belles plumes d'Autruche & autres , chacun

ſelon la fantaiſie. Ils ont de plus tout autour des jarcieres de petites papilloires

d'or & d'argent , auec des grenats qui pendent, & auſſi pareillement à la ceintu.

re à laquelle.ils portent vn petit poignard qu'ils appellent entre eux Bicciach ,

emmanché d'yuoire, auec le fourreau de quelque cuir de poiſſon fort rare . Ils
tiennent auſſi à la main droicte Bunagiach , qui eſt vne petite hache damalqui

née, ayant d'un colté vn large tranchant, & del'autre vn marteau , & tiennent

de la main gauche vn mouchoir, plein de dragées & conficures pour leur oſter,

comme ils diſent, l'alteration que leur pourroit cauſer la violence de leur cour .

ſe, & en ce bel equipage , ils vont d'ordinaire deuant leur Seigneur quand il va
dehors , non pascommeles laquais marchent icy deuant leurs maiſtres , car ils

vont touſiours lautelans par caprioles decouppées & fleurées , auec vne diſpo

ſition admirable , ſans reprendre aucunementleur haleine : & pour rendre en


}
cores leur façon de faire plus plaiſante , & refioüir dauantage leur Prince , fitoſt

qu'ils ſe trouuent en quelque prairie ou belle campagne, ils ſe tournent le viſa

ge vers luy, cheminans à reculons ſur le bout du pied par ſauts & gambades,
comme ils faiſoient allans en auant , crians à haute voix , Allau deicherin , c'eſtà

dire , Di Ev maintienne le Seigneur en ceſte puiſſance & profpericé. Ils luy ſer

uene de plus à porter les depelches où il luy plaiſt; ce qu'ils font auec vnc dili

genceincroyable, car ſi toft qu'ils ont receu ſon commandement , ils parrent

de la main , lautans & bondiſſans paimy le peuple ,criansSauli, Sauli,c'eſt com .

me on dir entre nous gare , gare , & ainſi galopentiour & nuiet ſans prendre re ;
laſche, iuſques à ce qu'ils ſoient arriuez au lieu de leur commiſſion,
Des

.
. 13
is

Peach,ou berderdenation Perſienne


aquaisau grand Selfrieur
UNUMI

B3
HABIT OV MANIERE ANCIENNE DES

PEICHZ OV LARVAIS DV GRAND SEIGNEVR .

Vant à ces autres Peichz , ils ſont en quelque manie

re differens des precedens , mais toutes les maniere

de faire de ceux - cy , ne ſont plus en vlage. Caron die

qu'il fut yn temps , que ces Peichz allans nuds pieds

auoient la plante du pied tellement endurcie, qu'ils e

faiſoient mettre de petits fers fort legers comme à do

cheuaux , & pour ſe rendre encor plus conformes à eux , ils tenoien

touſiours dans la bouche en courant, de petites balottes d'argent

creuſes & percées en pluſieurs endroits , tout ainſi que le canon d'yo

ieune poulain , pour la leurtenir touſiours plus fraiſche, ayans enco

tout plein de petites cimbales & clochettes , penduës à leurs ceintures

& jartieres , qui rendent vn ſon fort plaiſant. Cecy eſt remarqué par le

fieur Vigenere en ſes Illuſtrations: ontientauſſi que pour auoir cette

grande viſteſſe & legereté , ces Peichz ſe font conſommer la rate el

Tema
leurieuneſſe, par yn certain moyen qu'ils ontfort ſecret entr'eux.
j 14

abit et ma
Pral mere antieme desperate
ie

Tazas regrand Seanca

seguin

ch , co cho

Dij
DES LVICTEVRS DV GRAND SEIGNEVR ,

APPELLEZ GYRESSIS Oy PLEVIANDERS .

L y a auſſi des Pleuianders , autrement Gureſſis ou

lui & eurs , auſquels le grand Seigneur prend vn ex

treme plaiſir , & pour prendrecette recreation ,tou

tesfois & quantes qu'il luy plaiſt , il en entretient

d'ordinaire pres de luy , enuiron quarante , auſquels

ETS
il donne de dix à douze aſpres par iour de gages ,
les fait venir luitter en la preſence, eftans tousnuds,horſmis yneforte

de gregues fortiuftes ſur la chair, qui leur viennent quelque peu au


deſſous des genouils, & ſont de cuir toutes huilées ,cóme aufli l'eſt tout

le reſte de leur corps,afin d'auoir moins de priſe l’yn ſur l'autre. Et ainſi

ſe battent auec telle violence , que ne pouuans ſe prendre au corps à

cauſe de la lubricité de l'huile , ils ſe mordent le nez & les oreilles ,auec

pareille furie que des beſtes les plus cruelles ,emportans la piece par

tout où ils addreſſent, tant pour l'ambition d'emporter la vi & oire de

uant le Seigneur , que pour le deſir de gagner pour le prix d'icelle ,quel

ques ducats qu'il a accouſtumede donner à celuy qui demeure vain

queur, & melme quelquesfois à tous deux , s'ils ont également bienfait

à Congré. Le combat finy, pour s'efluyer de la ſucur ils


, jettent ſur leur

dos vnbarragan'ou petite mante de coton , bille-barrée de fil bleu par

petits treillis, en façon de laſlis. Teleft leur habit, & façon de faire,

quand ils ſont en luicte, & ſont ces Pleuianders de diuerſes nations,

mais la pluſpart Mores , Indiens , ou Tartares ,leſquels afin d'auoir enco

re plus de force, conferuent leur virginité, non pour autre vertu , que
pour eſtre plus propres à cét exercice ,ils ne ſont auſſi aupres du Turc

comme eſclaues ,ains de condition libre , n'ayans autre ſubje & ion à

fon ſeruice , que celle qui a eſté dite cy -deſſus.

1
.
.15

olan bayan
ak sa

Dij
1

P L E VI ENDERS

LVICTE VRS.

PREs auoir fait la deſcription de cesbraues comba

eſtans à la luitte ,ilne ſera pas ce me ſemble hors de

pos , de dire yn mot de leur maniere & façon d'habie

qu'ils font en lieu de repos , ou allans par la ville. Ils

donc veſtus, par deffus leurs gregues de cuir , d'vne

gue ſoutanne, qu'ils appellent Doliman , qui eſt fort eſchaffe , &

froncée , quafi tout iuſte au corps , fenduëpar deuant tout du lon

boutonnée iuſques à la ceinturc, & auſſi long deuant que derr

ſans eſtre retrouſſée. Ils ſont ceints auec yne large ceinture de ce

barrée d'or, à la Turqueſque, & pour les pouuoir diſcerner ils

tent à la teſte yne maniere de bonet qu'ils nomment Taquia , fal

formede moufle, fort approchant de ceux des Polonnois, exe

1 qu'iln'eſt pas pliſſé ſimenu , lequel eſt de velours noir ou bien de

que peau d'aigneau de la meſme couleur , pendant d'un coſté ſur

paule , à la façon des Georgiens


. Leur chauſſure eſt aſſez groſiere

ſoulier fans eſguillette ny attache , & vont ordinairement douz

quinze en troupe ſans verge ny baſton , s'aſſeurans tellement en lett

force naturelle , qu'ils ſont touſiours preſts de prefter le collet à qui

conque voudra les attaquer ; mais il s'en trouue peu qui le veulenc
en

treprendre , tant pour ne vouloir auoir la honte d'eſtre vaincus par tel

les gens, que pour crainte de la furie de laquelle ils vſent au comba

joint qu'ils ſont dreſſez à ce meſtier dés leur plus tendre icuneſſe , &

ſont tellement adroicts , que malaiſément s'en peut-il trouuer qui les

ſurpaſſe,ny meſme quiles puiſſe eſgaler.

>
1
16

Pluimd
ers buyter

po

e
W
DELLY , O V AVTREMENT

FOL- H A R D Y.

Ly a encore vne autre ſorte de gensde guerre entre

les Turcs , appellez Dellys , c'et à dire fols hardis,

qui ſont comme ſoldats volontaires,ſuiuant les ar

mées du grand Turc, ſans aucune paye ny ſolde,

excepté ceux qui ſont à la ſuitte des Sanjacs& Be

glierbeys ,qui ont de quatre à cinq cens eſcus de pen

fion . Or pour paruenirà ce nom de Delly, il faut qu'vn ſeul emporte

la victoire de huid ou dix hommes de cheual , les ayans vaincus au

combat , & pour ce faire ilſemble que la nature leur ait donné yne for

ce & puiſſance corporelle par deſſus tous autres, auec vne certaine

adreſſe d'eſcrime non commune , qui leur fait touſiours emporter le

deſſus de ceux qui veulent eſprouuer leur force. Ils ſont tous Euro

péens , & équipez d'une forteſtrangemaniere,portans vn juppon ,&

de longues & larges chauſſes, que les Turcs appellent Saluares ,le tout

de la peau d'ynieune Ours , le poil mis en dehors , auec cela des brode

quins de Maroquin jaune , pointus par deuant & fort hauts derriere,

ferrez pardeſſous ,auec des eſperons d'vn pied de long : en la tefte au

lieu de fala de , ils ont vne ſorte de bonet à la Georgienne, penchant ſur

l'eſpaule, fait de la peau d'vn Leopard bien moucheté , & ſurle deuant

d'iceluy, en forme de panache,eft attachée en large , la queue d'vn Ai

gle , & les deux ailes ſont attachées auec de gros clous dorez,ſur la tar

ge qu'ils portent penduë'au coftéen eſcharpe. Leurs armes ſont le Ci

meterre & le poignard: eſtans à cheual , ils ont à l'arçon de la ſelle le

Buſdeghan , ayant à la main droite, vnclance creuſe qu'ils appellent

bourdon , plus longue & plus groſſe que les noſtres, ayant vn fer au

bout d'enuiron demipied de long , & au droit de l'enchaſſure vne plu

me d’Aigle en lieu de banderolle , leurs cheuaux ſont fort beaux , &

caparaçonnez de la peau entiere d'vn Lyon.Ceſte ſorte d'habit ſemble

fort monſtrueuſe & épouuentable , auſſi ſont- ils choiſis exprés pour

eſtonner de premierabord leurs ennemis , afin de les domterauec plus


de facilité .

Pcich ,
17

Delly je fignifie fal handy

3
te

"
2

.
le

>
LES Y V RONG N E S.

Ette figure ſembleauoir quelque conformité auec la

precedente, d'autant qu'elle repreſente des hommes

pleins de rage & de furie, ſe battans cruellement de

gré à gré , pour donner plaiſir aux regardans. Et ces

yurongnes ayans perdu toute saiſon & iugement,

vſent quali de telle cruautéenuers ceux qu'ils rencon

trent en leur chemin ,allans par la ville hurlans comme des chiens , ou

des loups , car d'autant que cetteņation n'yſe de vin quefort rarement
,

leur eſtant expreſſément defendu par leur loy, lorsqu'ils en peuuent

auoir à commandement , ( pourueu principalement que ce ne ſoit à

leurs deſpens) ils en prennent auec telle abondance,qu'ils en ſont non

ſeulement troublez, mais comme tous forcenez. Et à cauſe quele vin


eſt rare en ce pays , ils yſent plus communément d’yne ſorte de breu

uage , qu'ils appellent Sorbet, faite d'ynecompoſition & auec du Pa

uot blanc ou Opium , & d'icelle yſent non ſeulement les Turcs , mais

auſſi les Perſes, & autres peuples du Leuant , ayans opinion que cela

leur purgel'humeur melancolique , les tient touſiours le cour ioyeux,

& les rend plus forts & courageux à la guerre, duquel Opium ayans

pris enuiron yne dragme ſeulement,ils ſont tellement troublez & alie

nez deleur eſprit, qu'ils ne peuuent marcher que tout chancelans , ny

parler qu'aucc des cris & hurlemens eſpouuentables, & eft fort dan

gereux principalementaux Chreſtiens, & aux luifs, de ſe trouuer en

pour ce que les plus dangereux de tous ces yurongnes,


leur chemin ,

ſont les Azamoglans, les Azapes , & Leuantins, tous Chreſtiens re

niez , & mortels ennemis de ceux qui auec plusde conſtance & dever

tu , ſont demearez en la foy du Chriſtianiſme


. Pour le regard de leurs

accouſtremens, l’Azamoglana eftécy - deuant deſcrit , le Leuantin &

l'Azape , le ſeront cy -apres.

1
18

( wrongnes

uenti
SA Zamoglan. [Lene Atapi

E ij 1

;
CVISINIER TVR C.

Ansle Serrail du grand Seigneur il y a deux cuiſines,l'vne

ſecrette , qui eſt pourſa perſonne, & l'autre publique, qui

eſt pour toute la maiſon , où ſont employez enuiron cent

pſoixante hommes , tant maiſtres, qu'aydes & valets ; les.

mailtres trauaillentchacun leuriour , & ſerepoſent tour à tour, & les

valets trauaillent continuellement . Les maiſtres de la cuiſine ſecrette,

ont de dix à quinze aſpres leiour, & ceux du commun , de ſept à huid,

& les garçons trois , & ſont tant les vns que les autres habillez yne fois

l'an. Les cuiſiniers de la bouche ont chacun yn fourneau, qui eſt fait en

façon d'un pot de fer,danslequel ils mettent des charbons, & deſſus yn

où ils font cuire les viandes auec du feu de charbon ſeule


gril à part,
ment , craignant qu'elle ne ſente la fumée , eſtant cuitte , ils la mettent

dans des plats de porcelaine, & la baillent aux Seſigners, que nous ap

pellons Eſcuyers tranchans,ou Gentils -hommes ſeruans, & ya encore

par deſſus tous ces cuiſiniers del'vne & de l'autre cuiſine, quatre ſupé

ricurs. Le premier eſt appellé Argibafli, quiala charge ſur icelles, &

particulierement de faire payerles officiers, & leur faire departirleurs

habillemens tousles ans , & pouruoir à ce qui eſt de beſoin , quand le

Prince va à la guerre ou ailleurs. Le ſecond, appellé Emimmutballi,

ou grand argentier , qui ordonne de toute la deſpenſe des cuiſines & di

* ftribution de l'argent
. Le troiſieſme eſt le Checaya ,qui a la meſmo

charge que les maiſtres - d'hoſtel ont icy , à ſçauoir de voir tout ce qui

entre & ſort des cuiſines, & mettreordrcà la police de tout ce nombre

d'officiers .Le dernier eſt appellé Muptariabaffi qui tient le compte , &

eſcrit toute la deſpenſe qui s'y fait , & ordonne journellement des for

tes de viandes qu'il faut au grand Seigneur , & à toute ſa maiſon. Quant

à lamaniere des viandes , elles ſont appreſtées fort groſſicrement , &

fans larder , car il leur eſt defendu par leur loy dvſer de pourceau ,ils ne

font auſſi ſaulces ný déguiſemens, mais mangent leplus ſouuent leurs

viandes roſties ,non autrement que ſur le gril,àla maniere quia eſté di

te cy -deſſus . Quant à l'habit des cuiſiniers, ilsportent yne ſorte de faye

de Maroquin noir , qui fe boutonne par deuant , auec de gros boutons

& de pareille
d'eſtain . Ils ont vne large ceinture rayée d'or ou de ſoye,

eſtofe , vne ſorte de ſeruiette dans laquelleils mettent la viande quand

ils la prennent pour l'accommoder : ilsportent à la teſtela Zarcola blan

che,commeles Ianiſlaires ,excepté qu'il n'y a point de cercle d'or à l'en

tour, ny detuyau au deuant , ny auſſi de panache ; ny aucune enrichiſ

ſure & autre ornement ,qu'vne ſorte de cordon tortillé , quaſi com

me ceux que portent quelques -vns de nos François . Leur chauſſure

eſt auſſi toute pareille à celle des Ianiſfaires.


19

a linic JUTA

E ij
1
VILAGEOIS GRECS

APPELEZ VOINvcHS .

N ſçait aſſez que par tous les lieux qui ſont fous la do

mination du Turc ,nuls des Chreſtiens de quelque qua

lité qu'ils ſoient, ne ſont exempts de luy rendre tribut ,

Oroit des enfans, des biens , ou des perſonnes meſmes. Il

ya donc en la Grece & Boſſine, certains villageois

Chreſtiens , non reniez , exempts de tailles & tributs

. d'argent, mais ils ſont tenus de ſe donner eux -meſmes au ſeruice du

grand Seigneur , ſous l'obeïſſance d'vn Sanjac , qui tous les ans en fait

vne leuée de mille, quiſont appellez Voincler ou Voinuchs, quine ſont

tenus commc eſclaues, mais ſeruansà leurs deſpens, & ſi cette loy eſt

fi rigoureuſe , que ceux qui n'y yculent obcïr, font contraints de bailler

appointement, pour en deffrayer d'autres en leur place. Si toft donc

que çes ſortes de gens ſont arriuez à Conſtantinople, ils ſe vont pre

ſenter ay grand Seigneur , auec chacun yn boteau de foin fur l’eſpaule,

pour monftrer en quoy conſiſte leur ſeruice, puis ils ſont incontinent

menezaugrand Eſcuyer, qui leur donne leurs departemens aux efcuy

ries , pour pratiquer leur office , qui eſt de mener les cheuaux à l'herbe

en temps de paix , & à la guerre ſuiure l'armée , & tous les iours ſi toft

quele campeſtpoſé, ils vont ſcier & faucher de l'herbe , pour la nour

riture des cheuaux. Voila à quoy font employez les Voincler ; & d'au

tant qu'ils ne touchent aucunsgages, n'ayans pour toute recompenſe

de leurs coruées , que l'exemption des tailles & decimes en leur país ,

ils employent le temps qui leur reſte, apres auoir fait ce qui eſt de leur

ſeruice , à aller par les rues auec de grandes cornemuſes, faites de la

peau d'vne Cheyre jouans & danſans pour aſſembler le peuple , lequel

prenant grand plaiſir à ce paſſe -temps, leur donne touſiours quelque

piece d'argent, qui leur aide à viure , ſuruenans par ce moyen à leur

. Ils font habillez aſſez approchant de nos bergers ,portans


pauureté

yne forte de ſegnie vn peu courte,auecvne large ceinture à laquelle ils

pendent deux couteaux & yne eſpece de godet : ils ont uneſorte de

chapeau faiſant deux pointes , dont l'vne s'abaiſſe par derriere , & l'au

tre plus longue & pointuë & recroquillée par deuant . Leurs chauſſes

ſont aſſez longues, faiſans force replis vers le bas de la jambe , ils por

tent des ſouliers qu'ils font eux-meſmes de treſſe de jonc fore ioliment

entrelacez , & portent la cheuelure longue .


.

9
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villageois Grec

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MEDECIN I VI F.

'AVTANT qu'il eſt fort difficile , voire meſmeimpofli

ble, que parmi vne ſigrande affluence de peuple , qui

eſt d'ordinaire au Serrail du grand Seigneur , il n'y en

ait touſiours quelque quantité de malades , il eſt bien

neceſſaire, que pour ſubuenir aux inconueniens quien

pourroient arriuer , il y ait vn nombre de Medecins en

tretenus aux deſpens du grand Seigneur


. Il y en a donc dix qu'ilsap

pellent Echin , & dix autres qu'ils nomment Geracler , c'eſt à dirc

Barbiers , leſquels ſont deputez au ſeruice de toute la Cour , & n'ont

autre appointement que de dix afpres leiour , & quant il y a quelqu'yn

malade , l'vn d'eux en fait ſon rapport au Seigneur , luy demandant

permiſſion de le penſer, car autrement il ne l'oleroit entreprendre , &


lors qu'illuy a permis, on fait porter le malade en vn autrelicu du Ser

rail deſtinépourcela , & là il eſt penſé & ſolicité auec beaucoup de

ſoin , le Medecin eſtant obligé dele voir quatre fois le iour , & filemal

croiſt & qu'il ſoit beſoin deplus grande aſſiſtance, tous les autres Me
decins ſont tenus d'y aller . Les Barbiers ont pour obligation plus par

ticuliere , d'aller tous les iours lauer la teſte aux ieunes enfans que le

Seigneur faitgarder au Serrail ; quant à la barbe , ils n'ont que faire de

la couper , car ils n'en ontpoint encore , & fi toſt qu'elle leur com

mence à venir , on les met hors du Serrail , à quelque autre charge ou

office, & s'il arriue à ces ieunes gens quelque playe ou autre maladie,

les Barbiers n'oſeroient non plus que les Medecins , entreprendre de

les panſer fans en auoir premierement demandé congé à l'Empereur


,

& meſme ſi quelqu'vn ſe veut faire arracher vne dent,ils ne ſ'oferoient

faire ſans ſa volonté , que s'il leur arriuoit de ce faire pour argent, ou

autre recompenſe , le grand Seigneur leur en feroit arracher vne à

eux -meſmes : ces Barbiers ont auſſi quelques gages du Prince , outre

ce qu'ils peuuent pratiquer du peuple. Quant à l'habitdes Medecins

Tures , il n'eſt point different de celuy du commun peuple :mais le

luif porteen la teſte, au lieu du Tulban iaune, propre à la nation Iu

daïque , vn haut bonet pointu , en forme de pain deſucre, qui eſt de

couleur d'eſcarlate , ils ont auſſi yne longue robbe fort ample en fa

çon de doliman ; mais plus courte , ayant de petites manches qui pen

dent derriere vn pied ou enuiron , plus courtes que le bout de la robbe,

& ne portent point de ceinture par deſſus , eſtans veſtus tout d'une

yenuë. La chauſſeure eft pareille à celle des laniſſaires. Voila à peupres

la deſcription de leur habillement, & de leur charge & condition .

Medecin
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GIOMAILER RELIGIE V X

TVR C.

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Vrre cét ordre Eccleſiaſtique, tant honoré & eſtimé en

tre les Turcs , ily a de certains ordres de religieux , dont les

vns s'appellent Giomailer, quiſont deieunes hommes,beaux

de taille & de viſage, pour la plus-part de maiſons riches &

illuſtres, leſquels pour le grand deſir qu'ils ont de voir le païs,


ſe delbauchent fous ce nom de religion , & voyagent par la

Barbarie, la Perſe, les Indes & la Turquie : & d'autant que la meilleure partie

d'entr'eux ſontgens de lettres , ayans employéleurieuneſſe à l'eſtude,ils pren

nent fort grand


plaiſirà diſcourir de ce qu'ils ont veu en leurs voyages,
voire
meſmes iuſques à en mettre pareſcrit les choſes les plus rares . Ils n'ont autres

regles à obſeruer, que de ſe donner du bon temps , paſſans leur vie en laſciueré

& lubricité, beaucoup plus mondains en leurs deportemens,que ne ſont ceux

qui le ſontde nom & d'effect


. Ils n'ont autre habit, qu'vne forte de Tunique

ſansmanches,de couleur de pourpre , quine leur vient qu'à demny pied au del

fus des genouils ,auec vne large ceinture de foye & d'or, belle & de grand prix,
aux deux bouts de laquelle pendent de certaines petites clochertes d'argent &
autre metail ſonnant. Ils ſont nuds de tout le reſte du corps , & portent encores

des clochettes ou cimbales pareilles aux autres autour des iarrets, en façon de

jarrieres , ils ont'aux pieds de certaines ſandales de cordes, & portent ſur leurs

eſpaules, la peau entiere d'vn Lion , Leopard ,Tigre ou Panthere, ſelon leur

fantaiſie, qu'ils attachent parles deuxiambesde deuant,en maniere d'vn man


teau , le relte va comme il peur , ils vont auſſi la teſte nuë , eſtansfort curieux

de leur cheuelure qu'ils portent fort longue & eſparpillée ,


vſans de beaucoup

d'artifice pour la faire croiſtre , & principalementde Terebinthe & vernis,ad


jouſtans encore du poil de chevre, duquelon faitles camelots qu'ils ioignent,

auec le leur naturel, afin qu'ils paroiſſent plus beaux & plus longs. le croy que

nos Dames auec leurs fauces perruques les veulent imiter ,auši bien qu'aux

anneaux d'or ou d'argent & autre metail qu'ils portent aux oreilles: Ils tien
nent à la main d'ordinaire vn certain liure eſcrit en langue Perſienne , remply

de diverſes chanſons & ſonners d'amour de leur compoſition qu'ils chantent,

marians la voix à leurspetites clochettes & cimbales, & font ainſi vne muſique

fort harmonieuſe , principalement s'ils rencontrent en leur chemin quelque

bel adoleſcent, c'eſt lors qu'ils ſe delectent d'auantage ,l'encourans & mercans
parmy eux pour taſcher de le ſeduire par leur chant lalcif, duquel ils ſe feruent

auſſi allans par les maiſons donner ce paffe - temps, pour auoir de chacun quel

que afpre que l'on leur donne : Ils ſont auſſi fort entendus à fuborner les fem

mes , & les attirer à eux par diuers moyens, c'eſt pourquoy les Turcs meſmes

les appellent religieux d'amour , car c'eſt leur principal office.


22

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CALENDER RELIGIE V X

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Orcy vn autre ordre de religieux ,


auſſi different dupre

cedent , que le vice eſt diſſemblable de la vertu , car les

vns paſſent leur vie à la lubricité , & ceux - cy nommez

Calenders, font profeſſion de perpetuelle chaſteté, &

grande abſtinence & ſainActé devic ,au moins en appa

rence, fi elle ne l'eſt en effe & . Ils ont pour leur retraite de certaines pe

tites Egliſes, qu'ils appellent Techie, ſur les portes deſquelles ſont mis

des eſeriteaux ,contenans ces mots , Cacda normac dilerſim cuſciunge ,al

chachec ciur : c'eſt à dire en noſtre langue, quiconque voudra entrer

en leur religion , doit faire les meſmes cuures qu'ils font, & garder

comme eux virginité& abſtinence. Ils portent vne forte de hairefaite

de laine & decrin de cheual , ils ont les cheueux raz , & en la teſtevne

forte de chapeau de feuſtre , à la façon des preſtres Grecs , autour def

quels ils mettent vne ſorte de frange de la longueur de la main , qui eſt

fort dure , eſtans de crin de cheual: ils portent aux oreilles des anneaux

de fer, & pareillement au col & aux bras , ils ont auſſi de couſtume de

ſe percer la peau , au deſſous de la nature , & y mette vnạnneau de fer

ou d'argent, afin que de force ou de bongré, ils puiſſent garder la cha

ftetéſelon leur regle. Ils n'ont aucune ſorte de chauſſures ny farfdalles,

car ils vont tous pieds nudsen quelque temps que ce ſoit, ils ont auſſi

certains liures , où ils liſent & chantent en langue vulgaire pluſieurs

compoſitions faites par vn pomméNerzimi,le premier


de leur ordre,

lequel pour auoir dit quelque choſe contre la loy de Mahomet , fut par

l'ordonnance de la luſtice, eſcorchécout vif en Azimic , & pour ce ils

le tiennent pour ſaina & martyr , & enſuiuent entierement les regles

de ſon ordre, & viuent d’aumoſnes: Quelques - vns ont eſcrit qu'ils

auoient veu quelques liures de ce Nerzimi, par leſquels il teſmoigne

en beaucoup dechoſes approuuer la religion Chreſtienne, parlant d'i

celle auec grande reucrence .


23

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DER VIS RELIGIEVX TVR C.

E troiſieſme ordre des religieux , ſont appellez Deruis ; tous

Ils ont la teſte nuë comme tout le


differents des precedents.
reſte du corps , & ſe font raſer tout le poil ; & brûler les tem
ples auec vn fer chaud , ou du vieil drap brûlé , pour leur def

ſeicher, diſent- ils, le cerueau , ils ont les oreilles percées,auf

quelles ils mettent des anneaux de pierres fines ou de iaſpe ,ils

fe couurent deuant & derriere de deux peaux de mouton & de chevre auec le

poil ſeichée au Soleil , ils portent à la main vn bafton court gros & fort noü

eux ,auec vne petite hache de laquelle ilss’aident fouuent, pour faire quelque
outrage à ceux qu'ils rencontrent par hazard à leur aduárage. Ils demeurent en

diuers endroits de la Turquie,mais l'eſtéils vont par le païs viuansd'aumoſnes,


laquelle ils demandent en cette façon , Sciai mer daneſchine :c'eſtà dire donnez

l'aumoſne en l'honneur de ce vaillant homme Haly gendre de Mahomer , qui

a cſté le premier en l'exercice des armes entre nous: ilsont encore en la Nato.

lie ,le ſepulchre d'un autre de leurs ſaincts ,qu'ilsappellentScidibatal,parlequel

ils diſentque toute la Turquica eſté conquiſe, c'eſt en ce lieu qu'eſt leur prin
cipale retraicte, où il y a bien cinq cens des leurs, là où tous les ans ils tiennent

vne force de chapitre general,auquelſe trouuent bien huict mille Deruis ,auec

leur general appellé Aſſambaba: c'eſt à dire pere des peres , ils ſont là ſepriours
paſſans le temps ioyeuſement,quelques-vns entr'eux des plus doctes & ieunes,

ſont veſtus de blanciuſques au genoüil ,qui racontent,chacun à ſon tour ce


qu'ils ont veu & apris en leurs peregrinations: ce qui s'eſcrit auec le nom de

l'autheur, & eft preſenté au general.LcVendredy qui eſt leur Dimanche , ils
fone vn feſtin en quelque belle prairie proche deleur lieu , où ils mangent ſur

l'herbe , leur general eſtant aſſis au milieu , & entouré des plus doctes: apresle
repas ils fontyne ſorte de priere à Diev , crians à haute voix ,Alla Ac abul,
c'eſt à dire , Die v ait noſtre oraiſon agreable . Ils ont auſſi d'une certaine herbe,

qu'ils appellent Matſlach ,de laquelle ils mangent tous ,& incontinent apres ils

deuiennent ſitroublez qu'ils ne ſçauent ce qu'ils font. Apres cela ils font vn

grand feu , & fe prenans par la main danſent à l'entourchantans des louanges

de leur ordre,puistirans chacun leur couſteau,ils ſe tailladét auec la pointe, les


vns ſur les cuiſſes, lesautres ſur l'eſtomacou ſur les bras ,depeignans ainſi quivn

arbre , qui vne fleur, qui vn caur navré, diſansvoila pour l'amour de celle que
i'aime,puis apres ils s'approchent du feu , & appliquent de la cendre chaude fur

leurs playes, auec vn champignon qu'ils laiſſent deſſus ,tant qu'il ſoir tout con

fumé, & ſe gueriſſent par ce moyen: Toutes leurs ceremonies finies, chacan

prend congé du general, & s'en retournenc par troupes , auec des enſeignes &

tambours comme des gens -d'armes ,demandans l'aumoſne le long du chemin .

Ces manieres de gens ne ſont pas fort bien venus à Conſtantinople, pour ce
qu'autresfois vn des leurs voulut cuer le grand Seigneur , d'vne eſpée qu'il por

toit cachée ſous le bras ,toutesfois les Turcs ne laiſſent pas d'vſer enuers eux de

quelque charité , & leur donner quelque aumoſne.


24

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TORLAQVIS RELIGIEVX TVRC .

Es Torlaquis ſont encore d'autres ſortes de religieux , quivont


Do tous nuds comme les Deruis , mettans auffi deux peaux de

mouton & de chevre ſur eux ; mais ils ont encore de plus en

forme demanteau , vne grande peau d'Ours auec le poil , qu'ils


mettent ſur leurs efpaules, l'attachans par les deux iambes de

devant. Ils ne vont pas auſli la teſte deſcouuerte , car ils portentdeſſus vne for
te de haut boner de feuſtre blanc , tour pliſſé par gros plis en façon de tuyaux

d'orgues depuis le bas iuſques au haut,qui vientyn peu en pointe ,fans bord ny
cordon à l'entour . Leur façon de viure eſt plus approchanc de celle
des beftes
que des hommes,d'autantque nul d'entr'eux ne ſçauent ny veulent ſçauoir lire

ny eſcrire, ny autre choſe ,quelqueciuile ou vcile qu'elle ſoit, ains paſſent toute
leur vie en oiſiueté: ils employent le temps à aller aux cabarets & lieux ſembla.

bles , demander l'aumoſne & chercher quelque repeuë franche. Ils vont auſſi

quelquesfois en troupe par les deſerts, où ſipar hazard ils rencontrent quela
qu'vn en bon equipage ,ils le deſtruſſent& le font aller tout nud comme eux,

& allans par les villes, ils s'accoftent effrontement des femmes qu'ils rencon
trent ,
ſous pretexte deſçauoir dire la bonne fortune, par les lineamens de la

main où ils regardent, comme s'ilsauoient beaucoup eſtudié en la Chiroman


tie , en quoy ils ſont auſſi ignorans qu'en toute autre choſe,neantmoins la ſim

plicité de ce peuple , ne laiſſe pas d'y adiouſter foy ,& à cette occaſion leurs

portent ſouuent des cufs , fromages ,& autres choſes neceſſaires pour leur vie .

Celtui-cy eft vn des abus plus remarquables qu'ils commettent , c'eſt qu'ils
menent auec eux vn vieillard qu'ils honorent & reuerent , comme ſi c'eſtoit

quelque fainct venu du Ciel , & eſtans en quelque bonne ville, le logent au

meilleur logis qui y ſoit, ſe tenans tous proches de luy, faiſans croire au peuple
par leurs deportemens, que ce perſonnage eſt plus celeſte qu'humain : ceſtui

cy auſſivieil de malice que d'aage , ne fair mine que de toute ſaincteré en tou

peu & auec grande modeſtie & grauité de diſcours tous


tes les actions, parlant

admirables, feignant ſouuent eſtre raúy áu Ciel , demeurant en ecſtaſe, puis


reuenant à ſoy & regardant tous ſes bons diſciples,leur dit ainſi: Mes chers &

bien - aymez enfans, ie vous prie de m'ofter bien - toſt d'icy , cari'ay eu mainte

nant vne viſion du Ciel , d'vne grande ruine qui doit arriuer ſur cette Cité ; les

autres faits à ce badinage, le prient en toure humilité & deuotion , qu'il luy
plaiſe faire oraiſon à Dieu , afin qu'en faueur de ſes prieres, il deſtourne le mal
heur
qui eſt prelt de tomber ſur cette pauure ville. Luyincontinentflechiſſant

à leur requeſte , ſe met en priere auec grande apparence de deuotion , leuant

les yeux au Ciel : lorsce peuple groſſier, croyant toutes ces faucetez pour cho

ſes veritables & miraculeuſes, accourt en troupes d'hommes & de femmes ,


leur apporrans quantité d'aumoſnes ſelon leur pouuoir , eſtimans que par le
moyen de ces trompeurs, ils ſont deliurez de quelque grande miſere. Ils man

gent auſſi de l'herbe des Deruis, & couchent tous nuds ſur la cerre , & viuenc

enſemble d'vne façon plus que beſtiale ,appellans tous leurs vices vne tref
ſaincte religion .
25

1 hories

ܶ‫ܢܳܐܐ‬

20

G
vapaa

RELIGIE V X TVRC.

Vire tous ces beaux ordres de religieuxcy- deuant re

preſentez , ily en a encore d'une autre ſecte qui diſentme

ner vne vie ſolitaire & retirée du monde , conuerſans fa

milierement & ordinairement auec les beſtes fauuages,

mais ce n'eſt que fauceté & hypocriſie, non plus que la faincteté des

precedens . Car leur demeure eſt par les villes & villages , en de cer

taines boutiques , qu'ils couurent tout expres deſſus & deſſous de

peaux de beſtes, comme d'Ours , Cerfs , Loups , Boeufs, Chevres &

, les cornes de ſemblables


, attachans encore lelong desmurailles
autres

beſtes, auec de groſſes maſſes de chandellesde ſuif; & au milieu de cet

te boutique , il y a vnceſcabelle, ſur laquelle eſt vn tapis verd , & deſſus

vn grand chandelier de cuiure ſans chandelle ny cierge, faiſans tout ce

bel appareilpour paroiſtre vrais obſeruateurs de la loy de Mahomet ,

Ils ont encore la peinture dyne Cimeterre fenduč par le milieu , en fi

gne de l'honneur qu'ils portent à Haly gendre de Mahomet , duquel

, auſſi veri
ils font des comptes, comme l'on fait de Roland le furieux

tablesles vns que les autres : car ils diſent,entre les autres faitsadmira

bles de ce grand perſonnage , qu'il fendoit les plus hautes montaignes,

& les rochers plus inacceſſibles auec cette Cimeterre, de laquelle ils

gardent ſi reueremment la peinture,pourauoir ſeruy à l'execution de

ſes miracles. D'auantage pour dire qu'ils ont abandonné le monde , ils

nourriſſent & appriuoiſent aueceux des Ours, Cerfs, & autres beſtes

ſauuages, qu'ilsmeinentallans demander l'aumoſne,quand le rapport

ougain de leurboutique n'eſt ſuffiſant pour les nourrir, enquoy pa

roiſt euidemment leur hypocriſie : car au lieu de viure comme ils di

ſent, parmi les beſtes ſeparezdetoute conuerſation humaine , ils font

viure les beſtes auec eux de ce qui leur eſt donné par les hommes, ha

bitans nonés deſerts & hermitages, mais aux villes,bourgs,& villages


.

Ils vont bien chauſſez & bien veſtus d'vne longue robe, à peu pres fai

té commecelles de nos Preſtres ſeculiers, portansà la teſtevn Tulban ,

leur chauſſure eſt à la Polaque , & en cette façon vont par toute la

Turquie , & s'en void aſſez à Conſtantinople, & plus encore à An

drinople.
26 .

Reloruro


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MINIT

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EMIR PARENT

DE MAHOMET,

Ly a pluſieurs entre les Turcs quifont tenus pour parens

de Mahomet , leſquelsà cauſe de la croyance que ce pauure

peuple a de la ſaincteté de ce faux prophete , font tenus


TES
pour fort vertueux & ſaintsperſonnages, tellement que fi

quelqu've de cette race eſt appellé en teſmoignage contre vn autre,

ſon rapport eſt de telle authorité qu'il vaut deux telmoins, lesplusir

reprochables que l'on puiſſe trouuer , & leur mechanceté eſt telle qu'a

bulans de leur credit , ils ſe laiſſent ayſément corrompre pour de l'ar

gent ,teſmoignans faucement, principalement quadc'eſt contre quel

que luif ou quelque Chreſtien leurs ennemis mortels . A ceux-cy ſeu

lement qui ſont deſcendus legitimement de Mahomet, eft permisen


tre les Turcs de porter le Tulban verd comme faiſoit le meline Maho

met , les vnsne portent de verd que le Muſauegia, quieft vn bonet de

deſſous le Tulban , & le reſte du Tulban ils le portent deblanc , les vns

ſont fort riches & ſuperbement habillez,les autres pauures comme vi

naigriers,chandeliers,deſquels il y a quantité à Conſtantinople & An

drinople.Plufieurs d'iceux accompagnent auſſi les pelerins de la Mec

que, & font leurs prieres auec eux au milieu des chemins & places pu

bliques, imitans par leur hypocriſic leur predeceſſeur ,auſſibien qu'en

autre fauceté & malice , par laquelle ils ſe font craindre & reſpecter

du peuple. Ils ſont veftus d'une longue robe en façon de Doliman , fer

mée par deuant avec des boutons, & vne fort large Ceinture, aux bouts

de laquelle eſt vne frange d'or ou de ſoye, leurs chauſſesfontfort lon

gues, pliſſant par le bas, auec le ſoulier ſans attache, fort pointu par le
bout. Ils portent encorevne forte de jupe fort approchante de la façon

que les caroſſiers les portent icy , horſmis qu'il n'y a point de colet non

plus qu'à leur robe:ils ont le Tulban de la couleur qui a eſté ditte cy
deſſus,fort gros & tout rond ſans aucune pointe , & ont vne façon fort

monftrans aſſez l'impureté de leur ame par leur regard:


affreuſe ,

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3
F!! 3 .

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PELERINS MORES REVENANS
DE LÁ ME C QVE .

Ovsles peuples tant Moresque Turcstenansla loy de


Mahomet, ontvne certaine croyance , que quiconque

peut yne fois en la vie faire le voiage de la Mecque, Dicu

luy a promis entiere remiſſió de les pechez, & deliuran

! ce des peines d'enfer & de Purgatoire, tellement qu'ils

1 preferent ce pelerinage à toute autre affaire. S'eftans donc auparauant

que de partir reconcilicz tous les vns auec les autres , demandans par

don à ceux qu'ils ont offencez, car ils diſent & croyentque leur voya

geferoit autrement du tout inutile ;ſe mettans pluſieurs en trouppe ils

appellent cela Carauanne. Eftans donc munis de tontce qui leur eſt

neceſſaire pour vn ſilong chemin tirent paystant qu'ils ſoient arriuez

à Medine o
, ù eſtans ils vont au Temple & poſent leurAlcoran fur la

ſepulture de Mahomet , puis quand l'heure de faire leur office eft vo

nue, ils montent ſur les tours crians & appellansle peuple à l'aſſiſtance

de leurs ceremonies, & demeurent l'eſpace de trois heures en oraiſon ,

laquelle cſtant finieilss'en vont tous ſur vne montaigne appellés Aras

fet où ils ſe deſpoüillent tous nuds , & fi par hazard ils trouuent quel

quepuceộuautre vermine ils ne la voudroient pour rien tuer , puis ils

ſe plongenc iuſques au col dansvn fleuue prochain marmotans quel

ques ſortes d'oraiſons, & font cela , diſet-ils, pource qu'Adam auoit

faict en ce lieu & en cette façon fa penitence, par laquelle il a obtenu

pardon de Dicu . Cela faict le landemain matin chacun ſereueſt & pa

racheuent leur pelerinage à la Mecque quieſtà trois iournées de là où


eſtanš'arriuez ils vont au Temple faire leur oraiſon , & tournent par

ſept fois à l'entourd'vne tour ioignanteau Temple , baiſansà chaque

fois les coings d'icelle , puis s'en vont à vnpuits proche de là , & s'ap

puyans contre le bord , prientDicu de leur pardonner leurs pechez,

puis vn certain de leurs miniſtees tire de l'eauë de ce puits & leur en

iette à chacun trois petits ſeaux ſur lateſte, croyant que par ce laue

ment ils ſont entierement nettoyez de tous leurs pechez . Ils font en

core quelques autres ceremonies qui ſeroient plus ennuyeuſes à def

crire que profitables à ſçauoir : c'eſt pourquoy ie ne m'y amuſeray


point,
maisie diray ſeulement qu'ils ne penſeroient pas auoir accom

ply leur pelerinage s'ils n'auoient viſité le S. Sepulchre de noſtre Sei

gneur où ils font encore pluſieurs ceremonies, prieres & deuotionsà

leur mode ; c'eſt ce qui nous doit inciter à l'auoir encor en plus grande

reuerence , puis que les plus grands ennemis du nom Chreſtien ſont

contraints dele reconnoiſtre.


28

Pelleri
ns mores , neue

Merg
de la ue

}
DES SACCHÁZ PORTEVRS D'EA V

PELERINS DE LA MECQVE.

L y a vne autre forte de pelerins de la Mecque , appellez

Sacchazou porteurs d'eau ,qui vont par les villes & villa

ges , & mefmes par les ruës , portans à leur coſté vne ſorte

STONE d'ourdre de cuir boullypenduëen eſcharpe


, pleine d'eau de

fontaine, & ce vaiſſeau eſt fort proprement accommodé , & couuert

d'une ſorte de drap de couleur en broderie de diuers feuillages à l'en


tour , portans en l'vne des mains vne belle taſſe de ler on dorée & da

maſquinée , dans laquelle ils preſentenc à boire à ceux qu'ils rencon

trent & quien veulent. Ils portent auſſi en lameſmemain , vn miroir

qu'ils preſentent apres ,vſansauec cela de quelque petit diſcours, ten

dans à faire penſer à la mort ,repreſentans par la glace le peu de certitu

de que l'on doit auoir dela vie ,& par l’eau ,combien elle ſe coule prom

ptement ſans y penſer. Pour recompence de cela , ils nevousdeman

dent aucune choſe, mais ſi par honneſteté vous leur offrez quelque

piece d'argent ,ils la prennent fort volontiers, voire quelquefois pour

y inciter ,ils donnent quelque bouquet ,ou oranges, & apresqu'on leur

a donné , par forme de remerciement , ils tirent de dedansvne ſorte de

panetiere, qu'ils portent pēduë à leur ceinture, de petites fioles d'eauës

de ſenteurs, qu'ils iettent au viſage. Ils ſont veſtus de long comme

tous les Turcs, & ont vne fort large ceinture , toute parſemée de peri

tes pierres de laſpe, Chalcedoine & autres,qu'ils mettent dans la taſſe

quand ils donnent à boire , afin de faire trouuer l'eau plus belle & plus

agreable à la veuë : leur paneciere ou gibelliere en eſt auſſi fort enri

chie , & yne ſorte de bandouliereauec laquelle eſt attachée leur our

dre. Quelques - yns de ces Sacchaz ſont des pelerins qui à leur retour

de la Mecque,ontfait voeu d'employer le reſte de leur vie à cette cu

ure fort charitable & recommendable entr'eux, les autres auſſi eſpou

ſent cette vacation , pour lepeu de trauail, & le gain qu'ils en tirent,

d'autant qu'outre ce quechacun leur donne en particulier par aumof

nes , ils cirent quelque appointementdu public .Ily en a auſſi pluſieurs

autres qui par vou s'obligent auſſi à tenir touſiours des vaiſſeaux

pleins d'eau à leurs portes , pour la commodité publique des paſſans,


quien y ſentà leur volonté , & ſelon leur beſoin .

Sacchaz
29

n
ma
Da
Seks dendion Morecue

.Xeque
dela

H
GENTIL -HOMME

PERSIEN .

Evx quide noſtre temps , ont fait quelques voyages en

Perſe, ont peu reconnoiſtre combien leur maniere de vi

ure eſt maintenant differente & eſloignée de leurs ancien

nes couſtumes, n'ayans à preſent rien tanten recommanda

tion , que la volupté en toutes leurs actions, & lafumptuofité en leurs

habits,bagues& ioyaux, en quoy ils ſont extrememēt ſuperbes . Ceux

d'entr'eux qui ſont naturellementdoüez du tiltre de nobleſſe


, portent

vn habit long bordant la terre , auec lesmanchesde meſme longueur :

ils ont deſſous ce long manteau , vne ſorte de Simarre vn peu plus

court , quieſt ceint d'vne ceinture de gažeou creſpe de ſoye de cou


leur, & lafé ou attaché par deſſous du coſté droit , auec de petits cor

dons de ſoye, & des boutonstout du long par deuant.Ceveltement eſt

de drap d'or ,ſi riche & de ſi belle façon , qu'on ne le peut repreſenter,

n'ayans point icy d'eſtofcaprochante de cette beauté : ils portent leurs

chauffures fort larges & fort aprochantes des gamaches dont quel

ques - vns de nos François vſent, quant aux ſouliers


, ilsſont aſſezgrof

ſiers & mal propres, au regard du reſte de leur habillement : Ils por

tent à la teſtevne ſorte de Tulban , aueè vne haute plume , enrichie &

couuerte de riches pierreries & perles degrandiflime valeur . Les fol

dats ſont habillez , tout de meſme excepté la longueur qui eſt moin

dre , quelques - vns auſſi nc portent le long mantcau , & ont le Simarre

ouuert par deuant , dont lesdeux bouts ſont attachez à la ceinture , &

ont à la main vn long baſton à la façon des Iennitzaires du grand Sei

gneur. Ils ayment auſſi fort les parfuns, & tant les hommes que les

femmes en vlent auec beaucoup de curioſité,


30

Ganilhomme 7
Perfend
2

1
IN

ни
GEN TIL -HO M ME

GRE C.

Nire les Grecs , comme en toute autre nation, il y a des

Gentils - hommes , leļquels ſe font reconnoiſtre par la mo

deſtie & grauité de leurs habits,conuenable à leur qualité,

qui eſt aſſez honnorable d'elle -meſme, ſans qu'il ſoitbeſoin

d'emprunter l'éclat de diuerſes couleurs, ou enrichiſſement des pierre

ries, pour faire paroiſtre par l'artifice & ſomptuofité , ce que la nature

leur a fauorablement departy . Ils ſont doncveſtusde noir, aucc vne

forte de ſoutane quaſi à la façon denos Aduocats , mais beaucoup plus

longue & aſſez iuſte au corps, qui ſe boutonne par deuant; mais de la

ceinture en bas,elleeſt ouuerte & fort large, ceints d’yne ſorte d'eſtofe

rayée comme de la gaze de foye de diuerſes couleurs , excepté de blanc

ou rouge. Ils portent pour armes vn petit coutelas , pendant vn peu

plus ſur ledeuant que l'eſpée de nos François, ils ont par là deſſusyne

robe de meſme longueur, mais plus ample , dontles manches pendent

au deſſous du genoüil : cette robe eſt noire comme la ſoutane, de la plus

fine eſtofe qu'ils peuuent choiſir , & doublée d'vne ſorte d'hermine

mouchetée , ouuerte du haut en bas , ſansaucun ruban ny bouton .

Quant à la chauſſure, ils ont vne ſorte de gamache , & le ſoulier appro

chant de la Polaque , ils portent à la tefte vne forte de chapeau noir à

aucun panache ou enrichiſſement , diſant que ceux


l'Albanoiſe , ſans

qui portent la plumeſur la teſte, monftrent par cela la legereté de leur


ceruelle.
3

1
31

Grec
mme
Gentilho

ні
MARCHANT

GR E c .

Habitdu MarchandGreceſt approchantdu prece

dent , eſtant toutesfois different en certaines choſes,

qui le font diſcerner d’auec le noble , gardant quelque

ordre aux habits qui face remarquer la qualité d'vn

‫ܘܬܠܐܪܠܐܐ܂‬
chacun, pour euiter la confuſion quieſt parmi nous,

qui eſt telle que l'on prend ſouuent vn courtautde boutique,ou autre

de petite extraction , pour gens de grande & illuſtre maiſon , n'ayans

autreregle que la bource en toute choſe. Ceſtui- cy porte donc la ſou

tane tout demeſmecelle du noble, mais la difference eſt au manteau de

deſſus qui eſt plus court , ayant au deuant quelque douzaine de bou

tons, & a les manches qui ne viennent gueres au deſſcus de la ceinture,

& ſont auſſi plus eſtroites. Ils ont à la teſtevne forte de bonet rond &

bas , reſſemblant au Tulban pour la groſſeur , ſans aucune pointe, & .

pour l'ordinaire ils le portent de couleur bleüe : pour la chauſſureelle


n'eſt
guere diſſemblable de la noſtre, & au lieu de l'efpée ou coute

las que portent les Gentils-hommes, ils en ontvnfort petit quin'eſt

pas pendu , mais ſeulement fourré dans le noeud de la ceinture. Voila

ſommairement ce qui s'en peut dire , car pour leur maniere de trafic

& marchandiſe , elle feroit trop longue à deſcrire, joint que pluſieurs

autheursen font mention , & que ce ne ſeroit que rebattre leur che
min & ennuyer le lecteur.
1

32

ch
orect

ples

Jurchant
K
Gree

00

5
Athu
MARCH AND

Ivif .

'Avtant que le païsdu Leuant eſt plus propre que tout

autre pour le trafic ,auſſi toutes les villes de Turquie,font

abondamment peuplées de Iuifs, & principalement Con

Itantinople comme la principale , où eſt l'affluence &

abord decoute ſorte demarchandiſe , & par conlequent

plus commode pour cette ſorte de gens qui ne viuent d'autre choſe

que de vendre & achepter , & ſurtout preſter à vſure , ce qui leur eſt

permis librement, moyennant quelque tribut qu'ils payent , car autre

ment on ne les ſouffriroit en ce pays, non plus qu'en pluſieurs autres,

deſquels ils ſont dechaſſez ,eſprouuans encores tous les iours la maledi .

etion de Dieu , ne pouuansauoir nulle poſſeſſion de terre où ils puiſ

ſent habiter ,eftans tous vagabonds & diſperfez cà & là , voire meſme

tellement meſpriſezen celieu ,où ils ſont ſoufferts moyennant


t leur tri

but , que les Turcs neveulent iamais manger ny boire en leur compa

gnie ,ny eſpouſer vne femme ou fille luifue, bref ne veulent auoir au

cune affinité auec eux : & ce qui eſt bien remarquable , c'eſt queſivn

luif ſe vouloit faire Muſulman ,iln'y ſeroit pas receu , ſi premierement

il n'auoit eſté fait Chreſtien . Ceux de cette abominable nation , qui

ſont habitansà Conftantinople , ou autres lieux de la domination du


Turc, ſont veftus de long, comme les Grecs & Leuantins, mais pour

eſtre remarquez entre lesautres , ils portent le Tulban iaune , ceux qui
demeurent en l'iſle de Chio ſous le tribut de la Seigneurie , portent vn

grand boner qu'ils appellent de credit, & quelques-vns le nomment

bonet à arbaleſtre, qui eſt auſſi de couleur iaune. Aucuns de ces luifs

vont par la ville de Conſtantinople, portans du drap qu'ils vendentà

ja rencontre à ceux qui en ont a faire.


Citizens

Marchand
33

O ha
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Da

1
li
mil
M A R CH A N D

ARMENIE N.

Evx qui ſçauent la grande eftenduë de l'Fmpire des

Turcs, ne peuuent ignorer combien diucrſes nations

luy ſont maintenant ſubje &tes, entre leſquelles eſt la

petite Armenie , la grande eftant ſous la domination

du Sophy Roy des Perſes. Or la ville de Conſtantino

pleeltant la capitale de toute la Turquic , cft par con

fequent la principale retraite des eſtrangers, les armeniens eftans de

cenõbre , y conuerſent ordinairement , comme ils font auſſi en la ville

de Pera, & ſont la plus - part d'entr'eux Marchands, faiſansgrand trafic

moncayars,ſoye tapis de Suric , & autres choſes ſembla


de camelots,

bles , chacun ſelon ſon moyen , ceux qui ſont plus pauures , ſont arci
ſans, gens de meſtier , & les moindres s'adonnent à la culture des jar

dins ou à façonner les vignes; bref ils gaignent leur vie le mieux qu'ils

peuuent chacun de ſon labeur, s'employans ſelon leur pouuoir , & la

capacité que leur a donné la nature. Quant à leur habit , ils le portent

long comme les Grecs & de la meſme façon , exceptévn grand colet

qui eſt à leur ſoutane, tout ainſi que celuy du Doliman que portent

les Turcs : ils ont auſſi à la teſte le Tulban fort gros & tout rond ,

eſtant bleu , bigarré de blanc & de rouge , car il n'eſt permis qu'aux

Turcs de le porter tout blanc , voulans ſe faire remarquer par là , &

porter la couleur de l'innocence ſurla te te feulement l'ayans entie.

rement bannie deleurame.


34

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| 的 。
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1
M A R CH A N D,

DE RAG VS E.

Es Raguſinseſt yn peuple , non ſujcas du Turc , mais

ſeulement tributaires de douze mille ducats , qu'ilsfont

tenus de luy enuoyer tous les ans , par deux Deputezà

B2 Conſtantinople , ou en quelque autre lieu qu'il ſoit.

L'on ſe pourra eſtonner de ce grand tribut , mais il le

payent aſſez ay ſément eſtás tous fort riches, & nonie croy fans grand

regret , à cauſe de leur grande auarice , & de l'amour qu'ils portent à

l'argent, meccans toute leurinduſtrie à en amaſſer, ils ſont auſſi de na

ture merueilleuſement ſuperbes & arrogans, eſtimans toute autre na

tioninegale à la leur , ſoit pour la nobleſſe ,ſcience,& gentilleſſe d'el

prit, & à la veritéils meritent bien quelque louange, d'autant que leur

ville eftans ſituée en yn lieu le plus incommode & reſerré qui ſe puiſſe

imaginer , ils ont par leur induſtrie ſi bien fait, qu'ilsont ouuertleche

min à toutes ſortes de commoditez neceſſaires . Quant à leur habit, les

plus apparans d'entr'eux le portent à la Veniticnne, les autres Mar

chands & mechaniques , portent vne forte de petite ſoutane, qui ne

leur vient que juſques au genoũil, la ceinture large comme les Grecs

fans aucun bouton , ils ont par deſſus yne robe quaſi de meſme lon:

gueur , à laquelle eſt vn grand colet doublé de quelque fourrure , qui

ſe rabat ſur les eſpaules; ils portent vne ſorte de chapeau pelu, quia vn
grand bord de fourrure , qui ſe renuerſe deſſus tout autour, quant à la

chauſſure'elle eſttoute iuſte à la jambe , & le ſoulier fort pointu . Cette

ſorte d'accoutrement repreſente aſſezbien à la veuë , la mechanique,

té de ce peuple.

7
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.
35

194

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T

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C

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F EN TE DE RA G V SE,

OV PORTEVRS DE LETTRES .

1
NTRE ces Raguſins, il y en a quelques- vns qui fer

uent à porter des lettres à Conſtantinople , comme

fonticy les valets de pied . Leur habillement eſt aſſez

bien conuenable à leur nicftier ", car ils portent ync

perite jupe iuſte au corps , boutonnée iuſques à la

ceinture , & le bas. retrouflé , ayans auec cela des


!
chauſſes quaſi à la pantalonne,mais plus larges, & les fouliers fore

pointus . Ils portent auſſi vne forte de mandille approchant des ju

1 pes de nos carroſſiers, mais fort ample , auec vne petite frangcaubas

tout autour du bord , comme auſſi au bout des manches , quifont


courtes & fort eſtroites, il y a deuant quelques boutons , ils portent

vne ſorte de bonet plat faiſant quatre pointes , dont deux ſerecroque

uillent ſur le deuant , les deux autres par derriere


. Apres auoir dépeint

les hommes de cette contrée , ic diray en paſſant vn mot des femmes,

quiſont aſſez laides & mal proprement accommodées , & ont ordi

nairement vne coiffure de fine toile de lin , & les femmes nobles le

portent de ſoye blanche , ayans leurs chauſſes auallées juſques aux ta

Ions , elles ſortent fort peu du logis, ſe contentans ſeulement de regar

der les paſſans par les feneſtres,les filles ont encore moins de liberté,

car elles ſont reſerrées detelle ſorte qu'on ne les void nullement, fi nos

Françoiſes eſtoient ſous cette reigle , elles eſpargneroient beaucoup

d'argent & de peine , car elles ne ſeroient ſi curieuſes & ſuperfluës en


leurs habillemens.
30

ol

1 efante de Raguse ou

porteur de Lettres
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1.
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1
M A R CH A N D.

(
ARAB E.

Ovte l'Arabie pyant eſté anciennement diuiſée en trois

parties , l'vne deſquelles eſt appelléePetrée, ou pierreu

le , à cauſe qu'elle eſt fort montaigneuſe , & pleine de

pierres & rochers inacceſſibles , l'autre a eſté nommée

3 deſerte, à cauſe de la grande ſeichereſſe & aridité , qui

la rend preſque inhabitable , n'y ayant que de certaines gens nommez

Nabathées, qui vont errans par les champs , ne viuans que de brigan

dages & larcins qu'ilsfontſurleurs voiſins, & principalement aux Ca

rauannes des pelerins qui vont à la Mecque & Medine , car n'ayans ny

Roy , ny Loy entr'eux , ils exercent librement toutes leurs meſchance

tez :la troiſieſme Arabie eſt l'heureuſe , ainſi nommée à cauſe de la fer

1 tilicé ,quafi en toute choſe : carıls ont là d'extremément bons cheuaux,

des chameaux , & des boufs en abondance , & autre ſorte de beſtial.

Les peuples qui y habitent ſont ſous la ſuje &tion & obeïſſance d'un

Roy qu'ils eliſenc, lequel bien qu'il diſpoſe detout fort abſolument,

paſſe la vie aſſez miſerablement, d'autant qu'il eſt comme priſonnier


dans ſon Palais , ſans en ofer ſortir,s'il ne veut eſtre lapidépar ſon peu

ple, quia retenu cette anciene ſuperſtition de l'Oracle de leurs Dieux.

Cette contrée eſt auſſi merueilleuſement peupléc d'arbres qui por

tent l'encens & le mirrhe , palmiers, cinamome,excellentes odeurs, &

autres choſe rares , & diuerſité de pierreries , & fi quelques -vns ont

voulu dire que le Phenix y naiſſoit. En ce pays tant fecond , viennent

quantité de Marchands de Cambaya , & autres lieux , leſquels portent

de petits draps de diuerſes fortes, & fechargent ,en licu de raiſins,dat

tes, or , iuoire , & d'eſclaues, qu'ils enuoyent par les ports aux autres

pays , comme en la Grece & Turquie . Les Marchands de cette nation

ne ſont gueres differents en leur habit , des Armeniens , eſtans auſſive

ftus de long ,& portent leur robe de deſlus d'une ſorte d'eſtofe rayée,

& àlatelte , le Tulban bigarré, la chauſſure yn peu large & aualléc, &

le ſoulier pointu .

1.
37

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Searchant
Lrabe

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214

D
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ESCL A V E MOR E.

Es Baſſas & autres principaux de la Porte du grand

Seigneur, ont tous deseſclaues , & pluſieurs en one

deMores par curioſité , comme quelques -yns denos

François ,
eſtimans auſſi en tirer plus de ſeruice que

de ceux du païs, ſoit à cauſe de leur fórce , ou pour

eſtimer toûjours d'auantage ce qui nous eſt le moins

commun : De s'amuſer à depeindre leur teint & leurs

traits de viſage, ce ſeroit perdre le temps à credit; car l'onen void aſſez

en ce païs , & ils ſe reſſemblent tellement les vns aux autres , que qui en

a veu vn ,ſe peut repreſenter tous les autres. Ie diray ſeulement quece

que nous trouuonsle plus laid entre nous, c'eſt ce qui lesrend entr'eux

plus parfaits & plus agreables , commeyn nez fort gros , plat & large,

& retrouſſé ; la bouche grande & groſſe, & la plus grande noirceur :&

de fait ceux qui le font moins dés leur naiſſance, ils ontaccouſtumé de

les froter de certaines huilespuis lesmettentau ſoleil , lequel a en leur

païs vne telle force , qu'il ſeroit ſuffiſant pour rendre Mores les plus

blancs d'entre nous . Quant à la façon de leur habit , il eſt long comme
celuy des Turcs , maisleurrobe de deſſus eſt retrouſſée à la ceinture

tout autour, quali comme nos Françoiſes les portent allans par la ville,

les manches en font coupées au deſſus du coude , à la façon d'vne jupe

volante : ils portent ſur l'eſpaule yne ſorte de petite eſcharpe de gaze

rayée , & à la teſte le bonet à la marine , aucc yn cordon qui fait deux

ou trois tours, & ſe nouë en recroquillant par derriere. Ils ont au bras
droit le bracelet , & au colle colier pour marque de leur eſclauage,leur

chauſſure eſt de meſme façon que celle des autres Turcs. C'eſt ſom

mairement ce qui s'en peut dire pourcontenter l'eſprit des curieux .

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38

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GR A N D E D A M E

TVR QVE.

Ncore qu'il ſoit permis au Turc ſelon ſa loy , d'auoir

autant de femmes qu'il luy plaist , li eſt -ce toutesfois

qu'il en a yne plus fauorite, & qu'il cient plus en qualité

de ſa propre femme que les autres. Celle donc qui eſt

paruenuè à cét honneur parſa beauté,ou quelque


autre

vertu particuliere, qui la rend plusrecommandable ,eft

demeurante d'ordinaire dans le Serrail du grand Seigneur , ayant auſſi

yn autre Serrail à part , fort riche & magnifique, principalementen

bains , & autres choſes neceſſaires pour ſa commodité. Quant à ſon ha

bit , il eſt merueilleuſement ſomptueux & riche , elle a pour coiffure

vne ſorte de couronne à l'Imperiale , enrichie de quantité de perles &

pierreries de fort grande valeur , au deſſous de laquelle fort par derric

re une forte de petit voile de creſpe,quipend juſques à la ceinture, fort

mignonnement pliſſé , & vient couurir le bras par deuant, ſe racourcil

ſant touſiours en approchantdu viſage, qu'il ne cache nullement, no

paſſant point le derriere de l'oreille, au bout delaquelle pend vne fort

groſſe perle en poire. Sa robbe eſt de drap d'or, friſé ,ou en broderic de

tellecouleur qu'il luy plaift , & eft ouuerte pardeuant en pointe , mon

ſtrant la gorge, àla façon de nos Françoiſes, auec vne riche carrarede

perles , & vn collierde grandiſſime valeur: elle eſt boutonnée de bou

tons à queue juſques à la ceinture , quieft fort large, & de gaze rayée
5

d'or , les deux bouts frangez & pendanspar deuant, le reſte dela rob

be eft fen du juſques au bas, & les deux bouts retrouſſez à la ceinture,

pour faire voir vne cotte de fort belle & riche eſtofe, quieſtant courte,

luy fait voir tout le pied , chauſſé d'yn ſoulier fort mignard , fait à pont

leuis & pointu , les manches ſont de meſme eſtofe que la cotte , & fort

cftroites, ſelon la forme du bras , & nya autres manches à la robbe , elles

ſont petites, larges de trois doigts p


, endantes derriere , comme celles

que les femmes ont icy à leurs manteaux , & pour auoir meilleure gra

ce, elle eſt retroufléc d'ynciolie façon ; au reſte elle ne s'aſſeure pas tant

ſur la force de ſes yeux , qu'elle ne porte touſiours yne ſorte de petit

poignard à la ceinture, pour ſe pouuoir deffendre en cas deneceſſité.

Voylaà peu pres la deſcription de ſon habillement,fort ſeant & con

uenable à la façon pleine de grande majeſté, qui fait paroiſtre ſa mode

ſtie en toutes ſes aâions & deportemens, auſi bien qu'en fa grace.

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39
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TURQVE ALLANT
A V BAIN.

A couſtume de toutes les femmes Turques,eſt de ſe baigner

fort fouucnt,qui plus, qui moins, chacuneſelon ſon moyen &

commodité, celles de plus grande qualité , one des bains fort


,&
magnifiques chez elles ,comme nous auonsdit de la Sultane
BE
par conſequent
en vſent plus ſouuent; les autres de moyenne
,

ou pecite condition , vont vne fois ou deux la ſepmaine aux bains publics ,qui

font en pluſieurs lieux de la ville de Conſtantinople,tant pour les hommes que


pour les femmes: la reigle eſtant forteſtroittementobſeruée , que les hommes

n'y entrent nullement


pendant que les femmes y font, leſquelles ont fi peude

liberté,qu'elles ne ſortentiamais de leur maiſon que pour ce ſujet, qui leur ſert

ſouuent de couverture,pour aller paſſer leur temps en quelque autre part,eui


tans ſous ce pretexte la furieuſe jalousie de leurs maris : Elles vſent de ce lauc

mét pour pouvoir entrer dans la Moſquée,bien qu'il n'y ait que celles de qua

lité quiayencce priuilege,lequelne leur ſeroit permis, li elles auoientmanqué

à ceſte obſeruation Mahometique. Lors donc qu'elles vont àces bains , elles

ſont accompagnées d'vne eſclaue ou deux , l'vne portantſur ſa tefte vn certain

vaſe de cuiurc eftaimme,dela forme d'vn petit ſeau à tirer de l'eau , dans lequel

yavne longue chamiſolle de coton tiſſuë ,auec vne autre chemiſe, brayez , &

maçremans de fine toile , auſſivne drogue mineral , appellée Ruſma s laquelle

pulueriſée & detrampée auec de la chaux viue , a ceſte propriete de faire tom

ber la poilincontinent qu'elles l'ont appliqué. Ce vaſe remply de cous ces

vſtenſiles ,eſt porté couuert d'vn petit pauillon de velours , ou ſatin cramoiſi,en

richy d'or & d'argent, & tout autour de petites campanes pendent au bout des

houpes dor & de foye; celles quiontle moyen de mener deux eſclaues , la le
conde porte vn fin tapis , & vn beloreiller, & en cér ordre & appareil accompa

gnent leur maiſtreſſe, portans par deſſus leurs robbes d'ordinaire , vne belle

chemiſe de toile for deliée , appellée entr'eux Baramy ,fenduë par deuant , &

bowonnée de quelque petits boutons , ayant les manches couppées au droić

du coude , & ſur la teſtevne ſorte de couure-chef, quileur pend ſur les eſpaules,

aſſez mal agencé


. La maiſtreſſe porte par deſſus la coiffure, vn grandvoile qui

luy pend juſques ſurle nez , dót les deux bouts ſe boutonnent depuis le coljuf

ques au deſſous du ſein ,& les deux autres bours pendent derriere,auec yne fort

longue frange,quivient battre quaſi juſques aux jarefts, le corps deleur robbe
eſt aſſez iufte , & les manches fort longues ſur les doigts, elles n'ont point de

ceinture,eſtans veſtuës tout d'vne venuëtrouſſans leur robbe par deuant auec

la main . Leur chauſſure eſt fort large & mal tirée , & le ſoulier affez bien fait:

elles arriuenten cér equipage au lieu du bain ,ou eſtás, l'eſclauc eſtend le rapis,

ſurlequel la Dame ſe deſpoüille , & met tous ſes richesjoyaux & veftemens,

deſquels elles ſe parencà l'enuy l'vne de l'autre , à qui paroiſtra la plus magnif.

que, & lors les eſclaues les lauent partout le corps puis apres s'en vonecoucher

en vne petite chambre temperammencchaude, & pendant qu'elles prennent

leur repos , les eſclaues ſe baignent & lauentà leur tour, & puis à leur reueillors

qu'elles ont ſuffiſamment demeuré en ce lieu ,elles replient toutes leurs hardes

dans le vaſe, & la Dame eſtant reueſtuë de ſes habits, & ayant payé la maiſtrelle

du bain , elle s'en retournent à leur maiſon .


40

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Turqu allant sam

DU

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5

LA GENTILLE FEMME TVRQVE


ESTANT DANS SA MAISON ov SERAIL .

Ans le milieu de la ville de Conſtantinople , il y a en

core vn vieil Serail , qui fut autresfoisédifié parMaho

met II.où il faiſoit ſa demeure , lequela enuiron deux


mille pas de cour , dont les murailles ſont fort hautes

D & eſpoiffes, ſans aucunes tours , & ſeulement deux por

tes , l'une deſquelles eſt ouuerte , & cft gardée par les

Eunuques,l'autre ne s'ouurepreſque point . Dans ce licu font pluſieurs

cuiſines,
petites maiſonnettes, accompagnées chacune de chambres,

offices, & choſes neceſſaires pour la commodité & vfage des Concu

bines du grand Seigneur , qui ſont là renfermées au nombre pour le

moins de deux cens, & la meilleure partie filles de Chreſtiens,qui ſont


1
priſes àla guerre tant par mer que parterre, ou bien ſont acheptées par

les Beglierbeis ,Baſſas,ou Capitaines , & preſentées au grand Seigneur


,

qui les nourrit & entretientfort magnifiquement là dedans,eſtans gar

dées fort eſtroitement par des Eunuques, ayans à chaque dizaine vne

gouuernante, pourlesinſtruire & leur apprendre à faire force beaux

ouurages. Il y a auſſivn Capitaine de ce Serrail , nommé Capiambaſſi,

appointé de ſoixante aſpres le iour , & deux habillemens de quelque

eſtofe de foye paran ; la charge eſt d'auoir eſgard ſur quarante Eunu

quesordonnez pourleferuice de ces Dames : quefilegrand Seigneur

en engroſſit quelqu'vne, il luy augmente la penſion & la ſepared'auec


}
les autres,la tenant en meſme rang de ſes femmes , que s'il aduient

qu'elle ait vn enfant malle, il peut à fon rang ſucceder à l'Empire , &

quant à celles qui n'ont point d'enfans, il les marie richement au plus

grand de la Cour ; & n'eſt permis à quiconque ſoit d'entrer dans ce Se

rail, ny de les voir en aucune façon , excepté les Eunuques que nous

auons dit cy -deſſus. Quant à leur habillement,il approche aucunemét

de celuy de la Sultane , la difference principale eſt en la coiffure : car

au lieu de la couronne,celles-cy portentvn certain petit bonet , ſur le

quel par derrierey a vn creſpe pliſſé fort menu , qui ſe vient eſtendre
***

juſques ſur les eſpaules, à l'entur du bonet y à vne ſorte de cordon de

tafecas,faiſant deux tours, elles ont la gorge fort ouuerte , ornée d'un
tres - riche colier , au milieu duquel pendvne belle enſeigne de pierre

rie : la robe eſt de drap d'or friſé, elles ne monſtrent pas leur cotte , mais

ſeulementtrouſſans vn petit la robe auec la main par forme de conte

nance , elles deſcouurent leurs iambes qualià demy,auſquelles ſe void

de certaines chauſſes larges & mal tirées , qui ne leur couurent point

le pied , car il demeure tout nud dans leurs pianelles , qui ſont enrichies

de quelques perles par deſſus, & font fort hautes . C'eſt ce qui ſe peut

dire de cét habit, pour la beauté il ne faut pas douter qu'ellesneſoyent

des plus rares , puis qu'elles ſont par excellence preſentées au grand
Seigneur.
41

eflant dans leur majon


Gentilefemme Jurgue

li

!
C

!
?

1
FEMME TVROVE DE MOYEN
ESTAT EN CHA MB R E.

Ntre toutes les nationstant ſoit peu bien reglées

il y a touſiours eu yn ordre gardé parmy le peuple,

tant pour les habits , que pour la maniere de viure


,

qui fait remarquer chacun en la qualité . Ce quis'ob


.

feruefort exactement entreles Turcs , tātaux hom

mes qu'aux femmes , leſquelles ſont maintenantle

ſuject de noſtre diſcours : & celle qui eſt preſente

en cette figure, eſt la Turquede moyen eſtat , qui ſemble veſtuëdyne

façon aſſez riche,maismoinsmaieftatiue &ć graue queles precedentes,

& fi diffemblable qu'il n'y a rien quien approche. Premierement ellea

ſa coiffure de forme plate,faite de quelque ſorte d'ouurage à l’eſguille,


dótles bouts ſe torcillent à l'entour de la teſte & viennent ſenoüer par

deſſous lementon ,ſes cheueux ſortent deſſous par derriere , & s'eſpar

pillent ſur les eſpaules, pendans par deuant juſques ſur le ſeinquine ſe

voidpoint: elle porte vnecotte de quelque eſtofe rayée , & des man

ches de meſme,& par deſſusync pecite juppe de damas ou autre eſtofe

de ſoyeà ramage de fort jolie façon, qui a les máches coupées au droit
2
ducoude , faiſant vne petite pointe d'aſſez bonne grace ; il y a auſſi au

deſſous de la ceinture des deux coſtez des fentes où elle met les mains

par maniere de bonnegrace , quant à la longueur elle demeure vn peu

au deſſus du genoüil, & la ceinture de gaze rayée de diuerſes couleurs


.

Quant à la chauſſure elle eſt yn peu à pont leuis ,mais non tant que les

precedentes, ny auſſi fipointuë, la jambe ne fe void point , d'autant

que la cotte eſt fort longue , conucnable à leur façon modeſte.Voila

ſuccinctement ce qui ſe peut dire decet habit , qui eſt toutesfois allez

pour faire iuger combien le deſordrea gaigné parmy nous au regard

des autres pays , qui ſe ſontmaintenus juſques à preſent en telle forte


,

que l'on peut iuger parle veſtement, le bien , l'eftat, & la qualité de la

perſonne:où icy tout au contraire, la femme de meſtier porte l'eſtat de

, la Bourgeoiſe s'habille en Damoiſelle portant à preſent le


Bourgeoiſe

mafque qui luy eſtoit demeuré de particulier ,ta fimpleDamoiſelle pa

roiſtà Peſgal des grandesDames,auccparcil train & equipage,la Dame

de qualité ſuit la piſte des Princeſſes , toutallant ainſi en confuſion.


42

me Tu
demoyanetta

n.

1
3

ak

I
ij

L ij
FEMME TVRQVE ALLANT
PAR · LA VILLE ,

Ncore que nous ayansdit cy -deuant, que la cou.

ſtume des Turcs eſtoit de tenir leurs femmes toli

jours enfermées pour donner quelque reposà leurs

eſprits,qui feroient en continuelle inquietude, fielles

auoient la liberté d'aller comme celles de ce pays , à

cauſe de la jalouſie qui leur trouble tellement le cer

ueau , que cela ſeroit plus que ſuffiſant pour le leur

faire entierement renuerſer .Pour donc eſuiter de deux maux le pire,

ils tiennent ainfireferrées, ceſte reigle toutesfois ne s'obſeruc pas fi ri

goureuſement, qu'il n'y ait quelquesfois de l'exception ſelon la necel

ſité, & principalement pour les femmes de baſſe condition , quand


elles ſont contraintes d'aller quelquesfois à la ville : ily a grande appa

rence que ceſte forceleur eftmerueilleuſement aggreable ,& nedoute

point qu'elles ne recherchent pluſieurs inuentions pour vſer de leur

priuilege . Lors donc que l'occalion en conduit quelqu'vnc à aller par

la ville,elleeſt toute cachée,ayantſa coiffure de forme plate parle del

ſus,à laquellecft attachéevn petit creſpe, quiluy viér juſques furle nez ,

ayant vn rang de perles à l'entour dubord ,& à l'endroit des yeux de

petites roſes d'or ,


& au milieu vne autre enrichie de quelques perles,

elle porte auec cela vne ſorte d'eſcharpe qui la bride ſous lementon ,&

s'attache au droit des oreilles , & luy couure la gorge par deuant,& pal

fant par deffus les eſpaules ,laiſſe aller les deux bouts , qui ſont frangez

au deſſous de la ceinture. Elle a pour veſtement vne robbe fans façon

toute d'yne venuë ,faiſant ſeulement quelques plis par derriere, & par

le deuanţelle eſt fenduëtout du long, & boutonnée au corps de quel

que douzaine de petits boutons, laiſſant vn petit d'ouuerture en haut,

le basſe renuerſe vn peu des deux coſtez, & fait voir vne cotte deda

mas , ou autre eſtofe façonnée, les manches de ceſte robbe ſont coup

pées au coude , en ayant d'autres par deſſous qui ſont affez longues &

larges,faiſant force replis le long du bras :elle a comme la precedente

deux fentes aux coſtez,dans leſquelles elle cache ſes mains. Quantà la

chauſſure ,il ne fe void que le ſoulier fait à la Polaque & mignonnemét

decoupé . Voila à peu pres la façó de leur habit auſſimodelte que leurs

geſtes & deportemens, ne reſſemblanspas à nos Françoiſes, qui ſont

habillées plus ſomptueuſement & diffolument allans par la ville que

dans la maiſon , & celles-cy tout au contraire vſent de parade & ma

gnificence chez elles , & dehors d'vne honneſte grauité,tant pour ofter

tout ſujeet de mauuais ſoupçon àleurs maris,que pour arreſter la teme

raire hardieſſe de ceux qui voudroient par quelque libre effronteric

entreprendre ſur leur honneur & vertu qu'elles ont en ſinguliere re

commendation .
43

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L jij
FEMME TVRQVE MENANT
SES E NFA N S.

Ly a entre le commun peuple de ceſte nation quel

ques femmes viuans auec plus de liberté encore, que

la precedente deſcription ne monſtre, repreſentant

celle qui va par la ville pourueu qu'elle ſoit voilée &

cachée,commevous l'auez peu voir :Mais celle- cyy

peut aller quand elle veut la face deſcouuerte, me


nant auecelle deux enfans, comme ſi elle vouloit di

re que le nom de mere luy euft aufliacquis quelque pouuoir plus parti

culier ſur ſa liberté , luy permettant de ſemonſtrer en public, ſanseſtre

ſujette à aucun blaſme,ou reprehenſion de leurs loix, Marchant donc

ainſi , elle a ſon habillement fort approchantde celle que vous auez

veuë aller ſeule ,la plus grande difference eſt à la teſte qu'elle a bandée

d'vn creſpe fort large juſques ſur le bord des yeux , faiſant force plis :

elle porte par deſſus vne ſorte de couure-chef qui luy bride ſous le
+
menton , eſtant fort court par derriere, les plis retombans fort deuant

juſques à l'oreille , ayant auffi yne façon d'elcharpe qui luy vient ſur le

ſein, les deux bouts retournans par derriere enuiron juſques à la cein

ture, la robbe eſt tout d'vne venuë ſans ceinture , comme les Cimar

res des Italiennes , boutonnée par le deuant du corps de quelques petits

boutons , & plus courte que la cotte , qui l'eſt toutesfois aflez pour faire

voir le bas de la jambe chauſſée aſſez iufte , pour le ſoulicr il eſt d'vne

forme fort groſfiere, quaſi comme les ſabots que portent nos payſans.

Elle fait aller deuant elle deux petits garçons qui ſe tiennent auec vne

cſcharpe, à la maniere de nos dāces de village, ils ſont veſtus quaſilyn

comme l'autre d'une petite jaquette, & par deſſus yne ſorte de petit
Doliman de brocador de fort iolic façon , plus court que la jaquette,

auec les manches couppées au deſſus du coude, en laillant pendre de

petites à la façon des enfans de deça : ils ſont boutonnez par deuant

auec de petits boutons à queuë juſques à la ceinture , quieſt degaze

rayée d'orou de ſoye : l'vn la porte toute tortillée autourdu corps, &

l'autre laiſſe pendre les deux bouts accommodez de frange, fort bas
par deuant,portant le Tulban fort gros , laiſſant paſſer ſes cheveux fort

longs par deſſous


, qui luy battent ſurles eſpaules , ſon compagnon avn

petit bonet ſans bord de quelque riche eltofe, eſtant ſa forme vnpeu

haute & ronde , monſtrant auſſi fa cheuelure longue & eſparpillée,

leur chauſſure eft ſemblable à celle de leur mere .

1 :
44

Emre Times wanaong


31

1
1
FILLE DE IO Y E

TVROV E.

'Estyne choſeeſtrange que le viccait pris yntel pied

parmy les hommes, & acquis un tel priuilege, qu'ilfe


face reconnoiſtre & remarquer, regnant parmy tou

tes les nations auec tant d'effronterie , & encore qu'il

faille que la femme qui deuroit eſtre le liege de l'hon

neur,luy face banqueroute pour loger en elle fon mor

tel ennemy . Or afin que les Turcs nepenſent point auoir cét aduanta

geparmy tant d'autres nations, l'on a dépeint icy vne de leurs filles de

ioye auec ſon accouſtrement fort conuenable à ſon eſtat. Elle a


a pre

micrement vn haut bonet de belle & riche façon, qui a par derriereyn

petit rebord venant juſques ſur le col , auec un large ruban de foye

quiluy vient vn peu bas ſur le front, & faiſant quelques tours à l'en

tour du bonet ſe noue par derriere en forme de roſe : ſes cheueux font

friſotez & eſparpillez ſur ſes eſpaules pendans fort bas derriere & de

uant , elle porte vne robe de brocador ou autre riche oſtofe , de lon

gucur ordinaire, auec les manches demeſine, & par deſſus vn petit ro

quet de la longueur d'vn ſurplis ,ouuert tout au long par deuant , &
ferméauec des longues boutonnieres, comme nos Françoiſes ont à

leurs manteaux de chambre, juſques à la ceinture , eſtant auſſi fendu

par le coſté & attaché de deux boutons, & plus long par derriere d'yn

bon demy pied , que par le deuant, la ceinture eſt de gaze rayée d'or &

de foye, fort large, les manches font affez larges, & coupées au deſſus

du coude. Nous auðsynprouerbecommun entre nous qui dit , quand

nos Dames ont le bouquet ſur l'oreille , qu'elles ſont à védre,mais celle

cy offrant elle -meſme la marchandiſe ,le tient en la main pour appeller

les marchands , elle a de plus la gorge ouuerte quiſe verroit d'auantage

ſiſescheueux n'en couuroient vne partie : ie penſe que cet habit fera

trouué aucunement diſſolu , mais toutesfois il n'eſt pas mal à propos

que celles qui ſont deſbordées en leurs a & ions , ayent quelque choſe

qui les face particulierement diſcerner. Sicette façon eſtoit en vlage

en France , ic croy qu'il y en auroit beaucoup qui ſeroient plus ſages

qu'elles ne ſont, pour la honte qu'elles auroient d'èſtrereconnuës en

tre les autres , & mcfpriſées de pluſieurs qui les honorent, ignorans

leur maniere de viure , eſtimansque la modefie & pudicité ſoit auſſi

bien emprainte en leurcour que l'apparence le demonſtre , par vnar

tifice ſi naïvement compoſé, que la meilleure partie des plus fins y

ſont attrapez & ne s'en vantent pas , aymans beaucoup mieux ſouffrir

leur mal fans ſe plaindre ,que d'encourir le hazard d’eſtre trompé &

moqué en le declarant , telles gens deuroient prendre pour dcuiſe,

Toutendurer fans rien dire.

<
45 .

தம

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H

TE

M
FEMME TVR QV E VEST VE

A LA MORES QV E.

Ly a pluſieurs eſtrangers de diuerſes nations qui ha

bitent en Turquie , les vnsy eſtans detenus par for

ce commc eſclaues , les autres de bonne volonté,


poury pouuoir plus facilement faire marchandile

& autre trafic , mais entre tous autres y a quantité

de Mores , qui par l'eſpace d'un long -temps qu'ilsy

demeurent ont des enfans, leſquels eſtans naiz au

bien que leurs parens ſoient


pays ſont reputez & tenus pour Turcs ,, bien

Mores . Or pour marque de cela ſoit qu'ils ſoient noirs ou blancs , ils

ſont touſiours veſtus à la Moreſque comme la figure de cette femme

vous le repreſente. Elle a premieremét pour coiffure yne forte de haut

bonet , quafi en forme de pain de ſucre , au derriere duquel pendyn

creſpe qui luy prend par deſſous la gorge , & àl'entour du col, ilya

au deuant yne ſorte de cornette à deux replis ,qui ſe rabat ſur la front,

tout ainſi que les chaperons de nos Bourgeoiſes, le bord de laquelle eſt

$ enrichy de quelques pierres de petit prix : elle porte vnc robe de quel

que eſtofe mechanique faite au iuſte du corps, boutonnée par deuant,

& fort courte ,auec les manches fort larges,excepté à l'endroit du poi
1
gnet qu'elles ſe joignent au bras; elles ont vne ceinture rayée tournant

quelques tours à l'entour du corps , laiſſant pendre les bouts bien bas

ſur le coſté :elle a par deffus ce veſtement vn grand manteau , quafiàla


façon de ceux que portent quelques -yns denos Religieux , boutonné

d'vn bouton au droit de la gorge,ſe retrouſſant par deſſus les bras pour

auoir les mains plus libres , avec lyne deſquelles elle trouſſe le deuant

du manteau & de la robe , tant qu'elle monſtre toute la jambe , auec de

petits brodequins de marroquin , & des eſcarpins qui ne luy chauſſent

que le bout du pied . Son veſtement eſt fort long par derriere ,il eſt vray

que le manteau eſt enuiron demi pied plus court , & pour l'ordinaire

ellele porte rouge, jaune,orangé,ou blanc , qu'ils eſtiment encored'a

uantage,mettant ainſila mouche dans le laid :carcomme les Françoi

ſes s'accommodent à leur aduantage, vſans des couleurs qui les peu

uent faire paroiſtre plus blanches , celle -cy au contraire font choix de

ce qui les rend plus noires,carc'eſt leur plus rare beauté , pourueu tou

tesfois que le teint ſoit fort poly : c'eſt pourquoy elles ſe frorent de

queques huilles , pourſe rendre lecuir plus luiſant & doux : Quant à

leurs traits de viſage ils les veulent fort lours & groſſiers, le nez plat &

large, ce que nous appellons icy en pot de fer, la bouche grande &

groſſe , & les levres renuerſées, les cheueux ſont naturellement fort

friſez, la taille trape eſt auſſi la plus eſtimée entr'eux , à cauſe de la force

dont ils font grand efat .


46
1

m50

ier

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uti

ras

, 10

hai

cf

he

Mij
FEMME D'ESTAT GRECOVE

DE LA VILLE DE PERA .

A ville de Pera ou Galata eſt ſituée proche de Con


.
ftantinople accompagnée d'un canal, parla com

modité duquel on paſſe aiſément de l'vn à l'autre

auec de petites barques appellées Permes ; l'ony

peut auſſi aller par terre, mais il faudroit faire beau

coup plus de chemin, elle eſt affiſe ſur vne petite co

line , & diuiſée par des murailles en trois parties,

dans l'une deſquelles ſe retirent les yrays Perots , en l'autre les Grecs,

& en la troiſieſmeles Turcs qui ont tout le commandement & autho

rité, & auſſi quelque peu de luifs: Il y a quelques maiſons qui appar

tiennent aux Chreſtiens dans leſquelles ils demeurent, d'autant que

,
le Turcne leur permetpas à tous de demeurer à Conftantinople les

vrays Perots & les François tiennent en leur Religion l'Egliſe Romai

nc differente de celle des Grecs , à cauſe dequoy ils ne s'aiment pas

beaucoup , de ſorte que ſi yn Grec eſpouſe yne Perotte Franque , ou

vne Perotte Franque vn Grec chacun garde ce priuilege de viure en fa

Religion , ce qui engendre entr'eux beaucoup de mauuais


melnage,

Quant à leur accouſtrement celuy de la femme d'Eſtat Grecquehabi

tante de cette Cité de Pera eſt tel : elle porte pour coiffure yn bonet

rond de ſatin cramoiſi ou brocador entouré d'vne belle guirlande de

ſoye & d'or , enrichie de perles & pierreries , celles quiſont vn peu

aagées portent par deſſus vn voile de toile blanche quand elles vont

par la ville qui leur pend fort bas par derriere , elles ont le col tout en

tortillé de carquans , & vne chaiſne fort riche;la gorge deſcouuerte

aſſez bas , auec vne petite piece en pointe , bordée par lehaut d'vneri

che carrure , elles ont pour veftement vne ſorte de manteau de riche

eſtofe qui s'attache au bout de la piece auec yn bouton d'or le reſte

s'ouure vnpetit juſques au bas eſtant forceſcharſe, & nullement fron

cé par deuant, mais tout d'vne venuë, le peu de plis qu'il y a ſe rejettant

ſur le derriere : elles ſontfort magnifiques en leurs chemiſes auſſi bien

que les Turques, les portans de creſpe ou petit tafetas de couleur, pour

filéou rayéďor; leur chauſſure eſt de mauuaiſe façon , fort large &

groſſiere qui ne leur couure que le petit bout du pied , elles ont auſſi

force bellesbaguesaux doigts ,des bracelets & autres affiquets, & ſont

fort curieuſes de ſe farder , & corriger parleur artificeles defauts qu'el

les ont eu de la nature , bien qu'elles n'ayent pas beaucoup de ſuje &t de

s'en plaindre , car elles ne ſont point trop mal agreables : les femmes

vefues de cepays portent yn voile comme celles-cy , mais il eſt d'vne

couleur jaune ſafranée.


47

me defla gesque

1.
{

M fi]
1
GENT FEMM PERO
ILLE E TTE
FRANQVE.

Ncore qu'entre toutes les femmes de l'Europe celles

de Pera foient les plus ſomptueuſes en leurs habits


,

il y en a toutesfois qui s'accommodent auec plus de

modeſtie les vnes que les autres , comme vous pouuez

voir par la figure quivous eſticy repreſentéo de la Pe


ES
rotte Franque , laquelle porte ſur ſa teſtevne ſorte de

voile , quieſtaccommodé par deuant à peu pres comme ceux de nos

Religicuſes, mais ileſt fort long par derriere, & vient pendre ſur les

eſpaules couurant la moitié du bras,quafi comme les grands voiles que

l'on porte icy au ducil; elle monſtre vn petit tortillon de cheueux à la

façon ancienne des Damoiſelles, ſon col cſt vn peu longuet auquel elle

porte yn colier de groſſes perles, & plus bas ſur la gorge deſcouuerte

t à la façon de nos Villagcoi


variche carquan d'or : Son corps eſt fai&

fes s'ouurant en pointe par deuant,enrichy de quelques paſſemens qui

font un petit bord ,& s'attache en bas auec quelque bouton d'or ou

d'argent
. A l'ouuerture que nous en auons dite ſe void la belle chemiſe

de creſpc ou tafetas, le bas de la robe eſt fort ample , & tout pliſſé à pe

tits plis commeun ſurply de Religieuſe, ayant tout autour du bout yn

paſſement ;ce veſtement eſt vn peu court ,les manches faiſans quelques

plis le long du bras , la chauſſure eſt bien proprement tirée , le ſoulier

ne couurant que le bout du pied en formeronde ſans talon : elles ſont

aſſez belles de viſage & de façon agreable quant à leurs deportemens


,

la meilleure partie de celles de ce pays-là ſont fort voluptueuſes &

mondaines , d'où vient qu'elles ſe laiſſent quelquesfois aller au mal ,

lors principalement que leur moyen n'eſt pas ſuffiſant pour conçeuoir

le deſir qu'elles ont d'eſtre braucs & magnifiques , car c'eſt leur plus
grande ambition , tellement que le plus fouuent elles mettent l'hon

ncur ſoubs le pied pour auoir despierreries ſur la teſte.

i
48

tud
You

>

)
FILLE D'ESTAT GRECQVE
DE L Å VILLE DE PERA .

Leſt bien raiſonnable que les filles s'accommodend

d'vne façon plus jolie & reſſentant mieux ſa jeuneſ

ſe que la femme,& à la verité il ſemble que la fem

me n'ait plus beſoing d'aucun artifice pour ſe rendre

agreable , ains qu'elle ſe doiucmonſtrer plus mode


ETS
fte en toutes ſes adions pour ſe maintenir en bonne

reputation , & conferuer l'amitié de ſon mary :au

contraire la fille ne peut eſtre blaſmée pour rechercher quelque petite

mignardiſe pour donner de l'affection : ce qui ſe prattique ordinaire

ment, & par ces petits attraits elles rencontrent quelquesfois vne

bonne fortune quiles fait viure heureuſes le reſte de leur vie. C'eſt
peut-eſtre ce qui eſt cauſe que les filles de la ville de Pera ſont fortri

chement veſtuës, ayans pour coiffure yn petit bonetquaſi comme nos


Dames en portētiesiours de parade, il eſtdedrap d'or, & à l'entour vn

cordon de pierreries fort large & faiſant deux tours , tellement qu'il
couure preſque la moitié dubonet ,ſe croiſant au deuant à l'endroit de

l'eſchancreure :ſur le coſté eſt vnc petitcaigrette d'or & pierreries qui

ſurpaſſe tout le deſſus du bonet, par deſſous lequelles cheueux blonds

& bien friſez s'eſpandent ſur les eſpaules, leur coleſt orné d'vn riche

carquan d'or eſmaillé auec force pierreries dont la plus belle pend au

milieu en forme de quelque enſeigne: elles ont la gorge fort ouuerte

portans leurs robesde velours figuré, de ſatin cramoiſi, ou brocador:

car les moindres en ce pays font de damas , Burfie ou autre eſtofe de

ſoye figurée , elles ſont fort eſcarrées à la façon que quelqués Françoi.

ſes en portent l'Eſté , & leur chemiſe de creſpe pourfilé ,ou de tafetas

rayé d'or ſurpaſſe à l'entour enuiron de quatre doigts auec vne petite

dentelle qui ſe dreſſe contre la ,&


gorge : cette robe eſt aſſez longue

pliſſée principalement par derriere, s'ouurant vn peu deuant par le bas

ſans forme de buſte, ayant yne ceinture d'orenrichie depierreries,qui

eſt miſe en ſorte qu'elle racourcit fort le corps & monſtre peu la taille:

elles n'ont autres manches que celles de leur chemiſe qui s'elargiffent
‫بود‬
‫للد‬

fort par lebas & ſont courtes, ce qui fait voir vn peu le bras auec delar
‫ه‬،‫۔ن‬

ges braceletsde pierreries; elles portée des chauſſes de plus belles cou

lcurs qu'elles peuuent,auec de certaines petites ſandalles de cuir atta

chées par deflus d'vn ruban de ſoyenoué en petite roſe. Vous pouuez

iuger par cette deſcription la ſomptuoſité de ces femmes en leurs ha

bits, dont elles ſont ſi curicufes qu'ellesy mettent tout ce qu'elles peu

uent auoir , & n'y a ſi petite Marchande ou Bourgeoiſe qui ne portela

ſoye auſſi bien que celles de ce pays.


49

ville de pero
File.defits Groque de la

N
FEMME D'ESTAT DE LA CITE

D'ANDRINOPLE VILLE DE THRACE .

Evx qui ſont quelque peu prattiquez à la lecture des

Hiſtoires peuuent ſçauoir combien le pays de Thrace

eſt degrande eſtenduë, voire meſme ſi puiſſant , que ſi

le peuple ſe vouloic ranger ſous vn chef, & ſe laiſſer

gouuerner par ſon authorité, il ſeroit quafi inuincible;

mais la confuſion , qui eſt ordinairement la ruine des

plus floriſſans Eſtats, leur apporte beaucoup de mal , auquel il eſt fort
difficile de donner remede, eſtans de nature cruels & inhumains , ce

qui paroiſt à leur ſeul regard & parole furieuſe, eſtans fort grands &

puillans & toutesfois ayans cefl'e mauvaiſe couſtume entr'eux de vi

ure en oyliueté, eſtimans comme une ſorte de vitupere le trauail , ay

mans mieux viure de larcin , & melmele tenansà honneur . Les hom

mesde cére nation ne ſont non plus exempts de jalouſie que les Turcs,

car ils gardentleurs femmesauec yngrand ſoing ,non tant pour amour

qu'ils leur portent, qu'à cauſe du grand prix qu'elles leur couſtent; car

ils les achetent - là, comme l'on fait icy les meubles à l'encan auplus of

frant, & ne les peuuent eſpouſer que premierement ils n'ayent baillé

l'argent aux peres & meres . Or de tout ce pays , la principale ville eſt la

cice d’Andrinople ,peuplée de perſonnes de diuers eſtars moyens , ha

billez chacun ſelon la qualité : celles d'entre les femmes qui ſont de

condition plus releuée font veſtuë d'vne robbe bien logue,toute d'une

venuë ſanseſtre nullement pliſſée par deuant , eſtant de brocador ou

autre riche eſtofe , les manches cout de meſme aſſez juſtes au bras , il y

a deux petites fentes à l'endroit de la ceinture dans leſquelleselles met

tent lesmains :cette robbe fenduëtour du long par deuant ſe ferme

par le hautauec quelques boutons, & fort eſcarrée à l'entour de la gor

ge , qui eſt couuerte d'vn mouchoir fort large qui leur monte juſques

ſous le menton , quaſi en forme des guimpes de quelques -vnes de nos


Religieuſes: elles portent ſur la teſteyn voile qui leur accompagne vn

peule viſage par le cofté , & les deux bouts ſe rejettent pendans auec

vne longue frange à demi pied du bord de la robbe, elles ont aux pieds
vne ſorte de pantoufles à ſimple ſemelle qui ne leur en couure que le

petit bout : elles n'ont aucune ſorte de bagues , joyaux , ny autres affi

qucts , s'accommodans de façon fort modeſte ,comme elles en ont auf

ſi le port & la grace , auec unebeautéfort agreable & fans nulle affette

rie , ce qui les faiet dauantageeſtimer , non ſeulementde ceux de leur

pays , mais auſſi des autres nations.

1 1
‫‪So‬‬

‫لاره ده‬

‫ک‬
‫ر‬
‫د‬
‫لع‬
‫بة‬
‫االوالتفا‬

‫‪4‬‬

‫شیر‬

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‫ےج‬
FEMME I VI F V E
D'ANDRINOPL E.

Ovtainſi que la ville de Conſtantinople eftantla prin

cipale de la Turquie , ſert de retraite à pluſieurs eſtran

gers, de meſme celle d'Andrinople en Thrace ſert de

refuge à beaucoup de Grecs, luifs & autres, que bien

qu'ils ſoient.là habituczretiennent touſiours pourmar

quc de leur nation , vn certain habit particulier. Les femmes luifues

donc qui ſont demeurantes en celieu , ſont coiféesd'ync ſorte de cou

urechef à la villageoiſe ,dótles bouts ſe tournent à l'entour du col, d'af

ſez mauuaiſe grace. Elles portent vne robe iuſte au corps, & aſſez el

chaſſe & peu froncée par le bas , venant de longueur enuiron la che

uille du pied , ayant auſſi vne ceinture qui ſe cordonne autour du

corps , comme les cordons de creſpe que portent icy les hommes à

leurs chapeaux ;elles portent vn certain joyau deuant elles pendud'yn

ruban , à la façon que quelques Françoiſes ont des Croix ou Agnus


Dei , & outre cela vne chaiſne d'or de valeur ſelon leur moyen & qua

lité, ſans autres bagues ny enrichiſſemens. Elles ont auſſi vne cſpcce

delongmanteau fortample ſur leseſpaules, qui ſembleeſtre attaché

par deuant , à la façon des chapes de nos Preſtres , retrouſſant auec la

main l'vn des coſtez , qui leur couure tout le bras , & l'autre ſe renuer

ſe laiſſantle bras gauche libre , reſſentant yn peu ſa Boëſmienne ou

Egyptienne :leur chauſſure ne reſſemble pas mal à ſes ſabots,excepté


que le pied eſt plus deſcouuert , cette forte d'habillement eſt fort

mauſſade & malagreablc,auſſi ſont celles quile portent , car elles ſont

fort laides & demauuaiſegrace. Cette miſerable nation s'habituant

ainſi partout où on les veutreccuoir ,n'ayant point de demeure & de

retraide propre , mais eſtant en vn exil perpetuel , qui eft tel qu'ils

ſont tonſiours vagabonds par toute la terre , ſans qu'ils puiſſent de

meurer nulle part ,


qu'en qualité d'eſclaues payans tribut
. Voila com
meleiugementde Dieu s'exerce touſiours ſur eux , & font tellement

endurcis qu'ils ne reſſentent point leur mal , c'eſt pourquoy ils n'ont
garde d'y trouuer de remede.

1
SI

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1 N iij
FILLE I VIF VE.
D'ANDRINOPL E.

A precedente deſcription vous a peu faire voir comme

quelque nombre de luifs ſe retirent à Andrinople, d'au

tant qu'ils cherchent touſiours les principales villes du

pays où ils ſont, afin de pouuoir plus facilement mener

leur trafic demarchandiſes, & d'argent qu'ils preſtent

à vſure ; nous auons maintenant en Europe cette commodité, ſans

qu'il nous ſoit beſoin d'y retirer les luifs, d'autant que cette pratique
ſe fait publiquement , ce quieft cauſe de la totale ruine d'vne infinité

debonnes & grandes familles , mais cela n'eſtant le ſuject de noſtre

diſcours ie ne m'y cítendray d'auantage , pour retournerà nos Juifs.

Leſquels ayans demeurélong - temps en cette ville d’Andrinople, font

venus à auoir quelques enfans, qui ayans pris la qualité de lair du païs,

ſontaſſez beaux, comme la figure de cette fille vous repreſente, eſtant

auſſi aſſez
joliment habillées , coifées d'un petit bonet de forme platte

par le deſſus; aucc vn gros bord tortillé par deſſous , lequel ſort des

deux ,coſtez ,vnepartie de leurs cheueux pendant juſques à la moitić

du corps pår deuant, l'autre partie demeure pendante ſur les eſpaules

par derriere
, elles n'ont point de colet ny autre choſe au col qu'vn pe
tit colier d'or , aux oreilles de beaux & riches pendans , & de plus vne

chaiſne d'or qui vient juſquesà la ceinture, ſans eftre repriſe ny atta

chée . Leurs robes ſont de fort riche eſtofe, faite par ramage de fort

belle façon , dont le corps eſt vn peu large & vague , fermé au deuant

de quatre boutons à queuë, leur ceinture eſt de gaze rayée ſe tortil

lant comme le bord du bonet , les manches ſont yn peu larges , qui ne

viennent que juſques au coude , en ayant d'autres par deſſous qui font

quelques plis le long du brasjuſques au poignet , le reſte de la robe eft

aſſez ample, mais lesplisſe rejettent fort ſur le derriere , le deuant eſtat

tout vny , & moyennement longue, par deſſous laquelle ſe void vne

chauſſure commune,auec yne ſorte depantoufles fort baſſes, voila ce

qui eſt de leur accouſtrement. Quant à leur maniere de viure elles

peuuent bien yſer du priuilege des autres filles de Thrace ,puis qu'elles

en font habitantes , & melmes quelques-vnes y ſont nées , qui eſttel

queles peres & meres leur permettent de s'abandonner à qui bon leur

ſemble , & toutesfois ne laiſſent d'en tirer grande ſomme d'argent de

ceux qui les veulent auoir en mariage, cela s'entend de celles qui ſont

belles,maisquelques - vnes qui ſont mal partagées pour la beauté, il

leur eſt beſoin d'auoir la bource bien garnie pour trouuer quelqu'vn

qui les vueille , ou plutoſt leur argent , c'eſt la commune pratique dece

temps où la bource ſe recherche plutoſt que la fille.


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VILLA GEOIS E GREC.Q V E.
1

Omme en toutes les nations il y a touſiours eu des per

fonnes de diuers eſtats & conditions , il eſt facile à iuger

eſtant des plus puiſſantes & floriſſantes


que la Grece

qui ſoit en l'Europe, eſt auſſi remplic de ſimple peuple,

qui n'ont autre eſtat ny moyen de viure , que ce qu'ils


gagnent de leur labeur ; comme laboureurs demeurans

aux champs & aux villages , quieſtans proches des principales villes,

portentiournellement vendre desyolailles, ceufs,fromages, fruits,her

bes & autres petites commoditez que leur produit leur petit meſnage
,

cccy cft proprement le labeur des femmes , ſelon melmela pra & ique

quiſe fait entre nous . C'eſt ce que la preſente figure nous monſtre par

le portrai & de cette villageoiſeGrecque ,qui porte pour habit vncrob

be fortlarge & tout d'vne venuë , fenduë par deuant ,& cloſe juſques

vers la ceinture de quelques boutons fort petits, les deux coſtez ſeren .

uerſent vn petit venans en bas , le corps eſt fort eſcarré tout à l'entour

de la gorge ,quaſi à la façon de quelques - vnes de nos villageoiſes Fran

çoiſes, & au lieu du collet qu'elles portent, celles - cy ont pour couurir

leur gorge yn certain linge fort ample & large, qui leur va juſques par

deſſus le menton , elles ont leurs manches aſſez largettes & fort lon

gues , qui ſe pliſſent le long du bras, & ſerenuerſent enuiron de qua

tre doigts ſur le poignet. Leur coiffure eſt vne forme de petit Tulban

qui leur prend deſſus le front, & ſe tortille à l'entour de la teſte à petits

plis, de forme vn peu ronde & haute, les deux pendants depuis le bout

de la coiffure , auec yne grande frange juſques vn peu au deſſus des jar

reſts : ſa chauſſure eſt aſſez propre , qui ſe monſtre peu,d'autant qu'elle

porte fon veſtement long ,elle a le ſoulier pointu , vn peu eſchancré par

les coſtez , quaſi à la façon de ce pays , excepté qu'il n'y a point d'atta

ches, elle porte auſſi en la main vn panier plein de la marchandiſe dont


i

elle fait trafic , qu'elle tientauec vne ſorte de gaze rayée , eſtant vnpe

titouuragée & frangée par le bout . C'eſt tout ce qui ſe peut dire ſur ce

ſujet, pour les femmes elles ne ſont pas trop laides ,mais d'aſſez bonne

grace ,retenans touſiours quelque choſe de l'ancienne habitude de leur

païs, qui eſtoit vnc vrayecſchole dela plus ciuile conuerſation quiait

eſté.
!
53
Greeque.
illageofe

(
?

1
F E M M E D E

MACEDOINE .

A Macedoine faiſant l'une des principales parties de la

Grece , il m'a ſemblé que cette deſcription n'aura point

u mauuaiſe grace apres la precedente , puis que la figure

qui eſt icy repreſentéele requiert. Cette forte d'habit,

comme vous pouuez voir, participe de pluſieurs aucres

nations,portans leur coiffure quafi en forme d'une corbeille ou panier

à fruicts, faite de bois fort leger & delicat, couuert dyne coile d'or en

richie de pluſieurs beaux joyaux, en forme de compartiments de pier

reries , & fc faict par le haut vne façon de couronne, au derriere eft vn

voile de ſoye de diuerſes couleurs, duquel vne partie faiſant en haut

vn petirnaud ,pend apres par derriere commevne banderolle: l'autre

partie eſtreſerrée auec vn cercle d'or maſſif, ſemé de force pierreries,

& s'eſpand auec quelques treſſes de cheveux ſur les eſpaules & vers

le viſage, qu'elle a comme bridé par deſſous le menton d'un cordon

de perles, ayantauſſi aux oreilles de riche pendans , & au col yn fort

beau colier , & vne chaiſne tres -belle & de grand prix . Sa robe eſtam

ple & pliſſée par le corps, quaſi comme les manteaux ne nos Françoi

ſes, & pour la qualité de l'eſtofe c'eſt ordinairement de velours ras


,

ceinte d'vn creſpe de diuerſes couleurs ,les manches ſont fort longues,

ſe repliſfans fort ſur le bras , de largeur aſſez ordinaire ,la chauſſure eft

à la Polaque fort mignonnement faite ,& tient en les mains quelque

forte de beaux fruiēts pour monſtrer l'excellence du païs , qui y eſt

merueilleuſement abondant par deſſus tous autres & des plus rares:

quelques - vns diſent que pardeſſus cette longuerobbe que nous auons

ditte , elle porte vnelorte de petit ſurply de quelque petite eſtofe de

ſoye blanche , qui ne vient pas plus bas que lamoitié de la jambe , & auf

fi yn certain voile de diuer ſes couleurs, qui luy couure les yeux allant

dehors , luy demeurant au col en façon d'eſcharpe eſtant à la maiſon,

mais il n'en paroiſt rien en ce pourtraia. Quant à la beauté du viſage,

elles n'en ſont point mal partagées ,


mais leurtaille eſt fort belle, & leur
port plein de majeſté.
54

de
Macedoine

O ij
1
F E M M E DE L'ISLE

DE CHIO .

A ville de Chioeſtant bien fituée & accompagnée

des choſes les plus deſirables , eſt par conſequent

fort peuplée degens de diuerſes nations, qui ſeran


gent là pour la commodité du trafic & marchandiſe

de toutes ſortes, les ruës y ſont belles & larges, les

maiſons bien baſties, auec quãtité de beaux jardins,

remplis des plus excellens & rares fruiets, & ce qui

en rend encore la demeure plus plaiſante, eſtla beauté desfemmes qui

y font, qui ſe rendent tant agreables par leur courtoiſie & ciuile con

uerfation, qu'elles emportent le prix entre pluſieurs autres nations , ſe

faiſans auſſibeaucoup eſtimer pour leur proprieté & gentil accouftrc.

ment. Les femmes d'eſtat portent leurs robes & cottes de velours , fa

tin , damas, ou autre belle eſtofe de ſoye, & pour l'ordinaire ſont de

blanc, ou de couleur fort eſclatante, qu'elles enrichiſſent de larges ban

des de velours à l'entour , la cotte bien qu'elle ſoit courte monſtrant

quaſila moitié de la jambe, eſt toutesfois yn grand demi pied plus lon
gue que la robe, & fe pliſſe fort menu par derriere & deuant , & non für

les coſtez qui demeurent tous ynis , elles ont le corpsfort court,cſcarré

par deuant yn pecit , & au bord enuiron deux doigts de broderie d'or

& de perles . Elles monſtrenc vn peu leur gorge , ayans ſur icelle yn ri

che colier de groſſes perles , elles portent auſſi vn tablier ou deuanteau

blanc, fort bien ouuragé & frangé paren bas , & eft encore plus court
que la robe de quatre bons doigts, il ſe noue par derriere auec de beaux

cordons qui ſeruent de ceinture,dontles deux bouts frangozpendent

vn peu derriere; leur chauſſure eſt fort poupine,iufte ſur la jambe,auec

le petit eſcarpin qui ne leur tient qu'au bout du pied , le reſte en eſtant

deſcouuert, elles ſontordinairenient chauffées de couleur blanche , à

cauſe qu'elle paroiſt d'auantage: leur coiffure eſt haute efleuée , & de

forme vn peu rondelette ,de ſatin blanc, enrichie d'or & de perles ou

pierreries, qui ſe ferre par le bas auec de longues attaches houpées

par le bout , & autres rubans de ſoye,qui font pluſieurs neufs par der
riere; ont auſſi ſur le front yn bandeau de creſpe jaune rayé & papillo

té d'or , qui ſe nouë'au derriere de leur coiffe. Les femmes pour ſe ren

dre differentes des filles, portent ſur leurs eſpaules vn linge delié dont

la blancheur eſt admirable, ce quileur fied extremément bien, dónans

encore plus d'eſclatà leur naturelle beauté , en laquelle ne ſe peut re

marquer aucune imperfe & ion , ſinon qu'elles ont les tetins yn peu pen

daņs à cauſe de la trop grande frequentation des bains , dont elles y ſent

forten ce païsauſſi bien qu'en Turquie , eſtimans ſe rendre plus belles


par ce lauement ordinaire.
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160

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FILLE DE L'ISLE

DE CHIO.

L y a peu de nations où les femmes & les filles ne

ſoient remarquables les ynes d'entre les autres , tant

par leursgeſtes & entregent, que par leur façon d'a

bit, eſtant bien ſeant que les filles qui ſont encore au

printemps de leur âge , & dont la fleur de beauté

ne fait que commencer à


Tangan eſclore , ſe face paroiſtre

& difcerner par quelque particuliere gayeté d'auec .

1 les femmes, quiont perdu cette viuacitédejeuneſſe qui les rédoit plus
deſirables. Or en cette cité de Chio les filles ſont fort curieuſes d'ob

ſeruer cét ordre , car leur habillemét eſt fort diſſemblable de celuy des

femmes quant à la façon ,carpour les eſtofes tât les vnes que les autres,
,
les portēt les plus riches qu'elles peuuent , & de couleurs fort voyātes

ou de blanc fort cóuenable à celles-cy pour marque de leur virginité.

Leurs robbes ſont longues , bandées par le bas , & fort pliſſées à petits

plis, leur corps eſt aſſez bien fait , & feroit paroiſtre leur taille belle s'il

étoit vn petit pluslóg, il eſt fort eſcarré par deuát,& enrichi de brode

rie d'or & femé de Perles,elles ontleur gorgeouuerte ornée d'ynriche

colier & d'vne fort belle chaiſne, pendant à chacun vne enſeigne de

grand prix : elles portent leurs manches longues attachées au corps par

le haut auec des rubans de ſoye de diuerſes couleurs, dont les noeufs

font comme une forte de petits bourlets. Leur coiffure eſt ronde s'elle

uant en haut , accommodée de rubans & de houpes de meſmes cou

leurs que les manches , & ſont nouez & entrelaſſez de telle ſorte ,qu'ils

font comme vne guirlande , approchans yn peu de la forme de celles


de nos Damoiſelles Françoiſes,elles portent yn creſpe rayé d'or, com

me nous auons dit à la femmeprecedéte,mais ilne luy préd qu'au bord


du front , laiſſant pendre les bouts d'iceluy juſques à la ceinture,qui en

ſe tortillant fait vne ſorte de roſe par deuant : elles portent auſſi le de

uanteau blanc, fortjolimentouuragé & frangé par le bas , & eſtplus •

court que la robbe d'enuiron demi pied :leur chauſſure eſt fort mi

gnonne, comme celles des femmes,& leplus ordinairement la portent

de blanc . Voyla ce qui ſe peut dire de leur habillement. Pour leur ma

1 niere de viure elle eſt plus libre beaucoup que celles des Turques &

Grecques, car elles frequentent les compagnies tantd'hommes que

de femmes ſans ſcandale, comme l'on fait icy , eſtans fort affables &

courtoiſes , non ſeulement à ceux de leur pays , mais auſſi aux eſtran

gers , qui à cette occaſion en font grand eſtat & les eſtiment beau

coup
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Fille de lifle.de

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FILLE DE L'ISLE DE PAROS

EN L'ARCHIPELAG V E.

Er s l'Orient entre les Cyclades, ſe monſtre l'Ile de Pa

ros eſtimée de pluſieurs pour les ſingularitez qui s'y trou.

uent, l'air meſmes y eſtant fibon, que l'on dit communé

ment que ſi quelqu'vn deſire de viure long - temps, il doit


yaller faire la demeure . On fai& auſſi fortgrand cas du

marbre quiy croiſt pour ſa ſinguliereblancheur, & de fai . les anciens

Poëtes voulans faire cas d'une grande blancheur , la comparoient au

marbre deParos.Cecce Ilceſt maintenāt ſous la domination du Turc,

car Mahomet prenant Negrepont s'en rendit le maiſtre. Le peuple de

cette Ille eſt tenu pour deſloyal, & fort ſuje& à manquer de foy & de
promeſſe; quant aux femmes & filles , ellesſont eſtimées fort belles &

propres en leur habit , & le portent ſi court que l'on peut iuger ayſe

ment fielles ont belle greue , leur cotte ne leur venant pas plus bas , au

bord de laquelle y a quelques bords de veloursou paſſement la robbe

eft demy pied plus courte, ayant par le bas yn bord d'ouurageoubelle

pourfilure, le tout fort ample & pliſſé,leur corps eſt fort court, s'ou

urant vn peu pardeuant , eſ lacéå la façon de nos vilageoiſes , eſtant ac

commodé tout autour de la carrureauec quelques petits bords, il eſt

eſcarrétour à l'entour àl'antique Françoiſe, monſtrant la gorge à deſ

couuert deuant & derriere; elles ont vn riche colier de groſſes perles,

au milieu duquel pendyne belle enſeigne, vn peu plus bas ſur le milicu

de la gorge: elles portent encore vn carquan de grand prix, & aude

uant du corps vne piece enrichie par le bord de quelque petite forte de

dentelle d'or & de perles, les manches de leur cotre ſont amples & pliſ

ſées juſques au poignet , mais ceux de la robbe ſont coupées comme

celles d'vne jupe volante, faiſant quelques plis par le milieu , & à l'en

tour vne ſorte de bouillons attachez auec de pecites eſguillettes. Sa

coiffure eſt en eſcofion, par deſſus lequel elle jette vn voile qui vient

tourner vn tour par ledeuant ſur la gorge, puis retournant derriere

pend bien bas , & elle tient le bout auec la main gauche, ellea le viſage

tour deſcouuert, monſtrant auſſi ſes cheueux quiſont tortillez à la fa

çon ancienne de nos Damoiſelles Françoiſes, & deriches pendans d'o

reilles , car elles ſont fort curieuſes de bagues & joyaux ,& mettent
grande peine à leur parer , auſſi ſe fçauent elles fort dextrement ap

proprier de ce qu'elles ont, c'eſt ce qui donne encore plus d'eſclatàleur

grande beauté. Leur chauſſure eft pareille à celles de Chio,ayans auſſi

lepied fort mignon , mais la jambe eſt yn peu groſſe , comme vous pou

yoir par cette preſente figure.


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57

a fille de fille

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F E M M E D E
CARA MANI E.

L ſemble que la ville de Conſtantinople ſoit la prin

cipale & plus aſſeurée retraite de tous les eſtrangers

qui ſont tributaires du grandScigncur ,cardetoutes

les nations qui ſont ſous ſa domination ,il y a lameil

quiy font leur ordinaire reſidence, en


leure partie

treleſquels les Caramanicns,appellczanciennemec

Ciliciens ne ſont pas en petit nombre , car eſtans

fort ingenicux en l'art d'orfeueric & ferrailles, il eſt bien neceffaire .

qu'ils ſoienten lieu où ils puiſſent aiſément debiter leurouurage, co

qu'ils font commodément en cette grande ville, y ayant enicelleyne

grande halle couuerte , où ſe vendent les orfeueries, pierreries, draps

d'or
, d'argent, de foye,de belles fourrures, & auſſi des eſclaucs, cha

meaux, cheuaux, & autres choſes, au plus offrant, comme on faiticy


aux encans & inuentaires . Ces Caramaniens ont auſſiаuec eux leurs

femmes leſquelles fielles ſont de qualité ne ſortent quefort rarement,


ſi ce n'eſt pour aller à l'Egliſe ou au bain , ains ſont touſiours en leurs

maiſons, s'employans à faire pluſieurs beaux oaurages à l'efguille ſur

dela toile qu'elles enuoyent puis apres vendre aux marchep


z ublics.

Elles font veſtuës aſſez richement, portans le Doliman de velours, fa

tin , ou damas , auec yne ſorte de coiffure en forme de mitre de drap

d'or, figuré par fleurs de diverſes couleurs,auec yn grand voile quiles

couure pendant fort bas par derriere , celles de moindre qualité qui

ſont contraintes de viure de leur trauail,gagnent leur vie à porter ven

dre par la ville des volailles, des oeufs, fromages, & laiđages , & font

toutesfois habillées quaſi comme les autres , excepté la richeſſe dele

ſtofe, & la coiffure qui ſe tortille autour de la teſte en forme de pain


de ſucre, & au lieu du voile dont elles ſontcouuertes, celles -cy lepor

tent bridé par deſſous le menton , venant aſſez bas ſur la gorge, & les

bouts pendans par derriere. Quant aux hommes ils s'habillentcomme

les Grecs, viuans en leur croyance & religion , & obcüffent tous au Pa
triarche de Conftantinople.
*-*
58


司( 红 了 前 用 足 。
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1、
FEMME VEST VE A LA SVRIENNE .

L ſetreuue encore en Surie pluſieurs femmes Grec

ques ayans ſuiuy lcurs maris , qui vonten ces quar


tiers pour trafiquer & faire marchandiſe ſelon leur

vacation . Elles portentleur habit fort long , ayans

vne robbe d'eſtofe de ſoye figurée , fenduëpar de

uant , & fermée au droit de l'eſtomacauec quatre

ou cing petits boutons, le reſte s'ouurant par lchaut

yn petit, elles ont yne large ceinture rayée d'or, qu'elles portent fort

bas ,pour faire paroiſtrele corpsplus long eſtant grosà l'aduenant,elles

ont des manches demeſme la robbe qui ne paſſent point le coude , &

d'autres par deffous qui faiſans pluſieurs plis à cauſe de leurlongueur,

leur couurent tout le bras:par deſſus leurrobbe elles portent vnlong

manteau de tafetas blanc, qui leur prend deſſus la teſte, & ſevient atta

cher auec vn bouton ſous la gorge , ſe renuerfant


quand elles veulent

ſur les bras pour les auoir plus libres; ellesont auſſi yn tour de col qui

leur cache vn peu le menton , ayans à la teſtevne ſorte de petit chapeau

qui a par deuant yn large bord qui ſe rabat ſur le front, tout à l'entour

duquel y a force perles & pierreries: elles ont auſſi de fi riches pendans

aux oreilles, proche de laquelle ſe void yn petit bouquet de cheueux

ynpeu friſottez, leur viſage eſt aſſez beau & la taille auſſi, eftans fort

grandes & de belle façon Les


. femmes mariées qui ſont naturelles du

país portent la robbe à la Turque, & vn manteau par deſſus, qui leur
vient ſeulement à moitié des jambes , qui eſtant large & ample leur

couure toutes les mains , elles portent à la teſte yn bonet de velours, à

l'entour vn riche cercle d'or , & par deſſus vn voile fort delié qui les

couure juſques ſur les yeux , & deſſous cela ſe voyent leurs cheueux

treſſez, qui pendentaux deux coſtezdu viſage juſques à la ceinture ou

moins ſelon leur longueur , elles portent force perles,pierreries & do

rures , ſelon leur pouuoir & commodité; celles quiſont de plus grande

qualité ſont veſtuës fort long , principalement par derriere, leur


robbe

faiſant vne queuë à l'antique, & eft de brocador ou autre fort riche

eſtofe, leur corps eſt ouuert par deuant auec de certains buſtes , en fa

çon d'un corcelet , enrichi de perles & pierreries , elles ſe fardent le vi

fage, & vſent de ſenteurs & parfums, mais lors qu'elles ſortent de la
maiſon elles ſont couuertes . Les Damoiſellesd'Alep portent pour coif.

fure yne toque de velours , qui fait par derriere vnepetite pointe , & für

le deuanty a vn panache de plumes d'oyſeaux qu'ils ont en fort grande

eſtime en ce pays
, & au bord yn riche cercle d'or & de pierreries, &

par deſſous au derriere ſortent pluſieurs rubans de toutes couleurs, qui

s'eſpandent ſur les cheueux , deſquels vne partie eſtant fort joliment

treſſez ſontpendans au cofté du viſage. Voila ce qui eſt de plus remar

quable & different des autres dont il a eſté parlé cy -deſſus.


65

luc a la Surienne
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& Fem-

La
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Рів)
FEMME PERSIENN E.

Nrre toutes les femmes de l'Orient les Perſiennes

ont touſiours tenu le premier rang , tant pour leur

naturelle beauté que pour la grande proprieté qu'el

les ont en leurs habits, & principalement celles de la

ville de Scyras ſerendent encor admirables par def

Phone ſus les autres pour leur joly entregent & ciuilité , cc

qui faiſoit dire aa grand Alexandre que les filles de


Perſe faiſoient grand mal aux yeux de ceux qui les regardoient , & qui

l'empeſchoit auſſi de ſaluer les fillesdu Roy Daire qu'il tenoic priſon

nieres , autrement qu’auec les yeux baiſſez , craignant de ſe laiſſer

prendre par leurs mignards attraits


. Leur habit a quelque choſe

de celuy des Turques , car elles portent vne longue robbe fen

duë pardeuant , & vn peu boutonnée en haut, les manches

coupées aſſez haut, à la façon des jupes volantes que nos Françoisont

portéautresfois, le reſte du bras eſtant couuert d'autres petites man

ches iuſtes, elles ne portent pointde ceinture, laiſſans aller leur robbc

tout d'vne venuë, qui pour eftre fort ample fe pliſſe fort,principalemét

par derriere. Leur chauſſure eſt fortmignonne,ayans le bas bien tiré,

& vn petit eſcarpin ſans talon , qui ne leur couure quele petit bout du

pied : leur coiffure eſt faite auec pluſieurs bandes detafetas de diuerſes

couleurs , qui leur vient yn peu ſur le front cachant leurs cheueux , ex

cepté yne forte de petite mouſtache qui fort au droit de la temple,

commeņos François appellent des queuës de canart : ces rubans ſont

tortillez par pluſieurs tours & entrelaffurçs, qui fait par le derriere &

haut dela teſte yne ſorte de creſte de heaume , les bouts reſtans fort

longs pendant derriere & deuant ſi bas qu'elles les retrouſſent vnefois

ou deux à l'entour du bras, leur gorgen'eſt point deſcouuerte, lcurro

be eſtant quafi toute fermée juſques en haut , onleur void ſeulementle

col , auquel elles ont vn petit colier aſſez ſimple, & aux oreilles de ri

ches pendans de groſſes perles,c'eſt ce qui ſe peut remarquer pour l'ha

billement. Quant à leur maniere de viure elles ſont fort reſſerrées pour

la grande jalouſie de leurs maris , qui eſt telle qu'à grande peine leur

eſt ilpermis de voir leursproches parens, & à plus forte raiſon la com

pagnie ou frequentation des eſtrangers leur eſt encierement interdite.


бо

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Si

ci

JU
3
FEMME M O RES QUE DE
TRIPOLI EN BARBARIE .

A ville de Tripoli ca l'une des principales de toute


la Barbarie , diſtante enuiron de deux journées de

Baruth , qui eſt le lieu où ſe void pour choſe plus rare

vne Antiquaille en laquelle fut miſe la fille du Roy

lors que le dragon la deuoit deuorer , & fut deliurée

& renduë à ſon pere par faina George,miracle dont

la memoire dure encore parmy nous . En cette cité

de Tripoli ne ſe void quali plus que les marques de ſon ancienne beau

té , les baſtimens & choſes plus exquiſes ayans eſté toutes ruinées, on

y remarque encore quelquesbelles colomnes , & vn arc triumphal de

marbre blanc, taillé à quatre faccs ſurquatre colomnesCorinthiennes

quarrées , & vn chariot d'excellente ſculpture tiré par deux grifons


,

dans lequel eſt aſſiſe yne victoire auec ſes deux aiſles, de l'autre eſtoit

vn autre chariot portant vne Palas, & ſur la frize pluſieurs deuiſes dont

les lettres ne ſe peuuent plus remarquer à cauſe de la ruyne , elle eſt

maintenant ſous la ſubjection du grand Seigneur ,& tous les habitans

d'icelle Mahometans de Religion. La femme qui vous eſt icy repre

ſentée vous fera aiſément croire qu'ily a grande difference, tant en la

beauté que proprieté des habits , de celles de Chio , les vnes ſont blan

ches & les autres mores , celles - là ſont veſtuës fort mignonnement , &

celles -cy fort groſſierement & mauſſadement, ayans yne robbe lon

gue & ſans nulle grace ny façon , auec de larges manches toutes va

gues, comnie celles que portent icy les eſpouſées de village , leur bras

fe void tout nud quali à la moitié, auec des braceletsà l'endroit du poi

gnet : elles ſont ceintes au deſſous des tetins , & affublées d'un grand

couurechefqui leur ſerre le front & leur couure toutes les eſpaules, re

uenans les deux bouts brider ſous la gorge : celles qui ont des enfans

les portentordinairement entre leurs bras tous nuds , auec vne petite

chemiſe dont les manches ſont retrouſſées juſques au coude , auec

vne perite ceintureau deſſous des bras,en cét equipage elles ne reſſem

blent pasmal aux Bocſmiennes ; quant à la chauſſure ie n'auray pas la

peine de la dépeindre , d'autant qu'elles ſont toutes nuds pieds . Voila

comme la diuerſité des païsameine quant & ſoy de la difference aux

actions & aux humeurs, les vns ayment naturellement la parade &

ſomptuoſité en habits , les autres recherchent la delicateſſe de la vie

auec ſuperfluité, d'autres ſe plaiſent en la fobrieté, en fin il ſe void en

tour de l'inegalité, & c'eſt ce quirend le monde admirable , & qui con

tente ceux qui le veulentfrequenter par grands voyages , deſirant toû

jours de voir choſes nouuelles par le changement des pays .

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61

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FEMME MAVRE D'ALGER EN
BARBARIE ALLANT PAR LA VILLE.

LGER eſtyne cité d'Afrique desplus anciennes , qui eſt ſituéc


ſur la mer Mediterranée,fürvne montagne enuironnée de bon
nes & fortes murailles, ramparts ,foſſez ,& autres accompagne

mens neceſſaires à vne forte place ,baſtie en telle maniere par

le dedans que chaque ſorte d'artiſans ontleurruë à part : ilya

auſſi pluſieurs beaux Palais, & bains publics,mais ce quiyeſt de plus beau,eſt la
principale Moſquée baſtic au bas de la ville,auec vn telartifice & libelle archi
i
tecture qu'elle eſt grandement eſtimée. Cette cité cltant alliſe ſur le bord de

la mer , et infiniment propre pour la marchandiſe ,& à cette occaſion fort peu.
plée de luifs, Turcs,Maures & autres ,tellement qu'il n'y a pas moins de trois
mille feux d'habitans en icelle , ce nombre en ce pays ne ſeroit pas grand

cas , mais en cettuy - là qui eſt moins peuplée c'eſt beaucoup , & elt le lieu où

ceux des bourgs & villagescircóuoiſins,portent vendre leursmenuësdenrées,

comme grains, fruicts,


volailles , a li bas prix que la perdrix ſe donnepouryne

forte de monnoyed'argent quarrée qui reuient enuiron à quatre deniers &


maille , les poulles ſont encore à meilleur marché , car ils ont vne inuention de

faire eſclore les cufs ſans s'ayder depoulles,ayansdans leurs maiſons vne force
I
de poille où ils les mettent, & par lemoyen decette chaleur lente & égale ſe

forment les poulets ilsont quantité de chameaux & de beufs qu'ils ferrent, &
s'en ſeruent comme de cheuaux . Entr'eux il y a pluſieurs Maures qui vont à
cheual ſur des Barbes , ſans ſelle,bride, eſperons,ny eſtriers, n'ayans qu'vn filec

en la bouche quileur ſert de mords pour les arreſter, ils ſont tous nuds excepce

vne ſorte d'eſcharpe de ſerge blanche qu'ils mettent pour cacher leur honte,
leurs armes ſont trois dards en la main , & ſur le bras gauche ils atcachentvn

large poignard recourbé à la façon d'vn Malchus appellé par eux Secquin . La
pluſpart de ceux que l'on appelle Turcs en Alger , font Chreſtiens reniez &

Mahometizez , de toutes nations , mais principalement Eſpagnols , Ita

liens , Prouençaux , tous fort vicieux & lubriques. Quant aux femmesTur
ques ou Maures on ne les void gueres aller deſcouuertes , car elles ſe cachent

toutes par le moyen de leur Bernuche de ſerge blanche,noire, ou violette , qui


eftfore grand , & le ferrent auec la main ſurla bouche, ayansle reſte du viſage

libre juſquesau front


, ſur le bord duquel il eſt abbaiſſé, pendant auſſi bien bas

par derriere , mais les bouts ſe trouſſent par deuant à la ceinture :elles por
tenevne robe fans forme de corps , fort ample & longue principalement par

derriere , retrouſſans le deuant auec la main , leurs manches ſont aſſeziuftes au

bras , & ont par deſſous vne cotte vn peu plus courte , & pour chauſſure de pe

tits brodequins blancs, auec l'eſcarpin aſſez bien fair , c'eſt le plus propre de
ſon habit, car tout le reſte eſt de fort mauuaiſe grace & malagreable, comme

T vous pouuezvoicea cette preſente figure.


62
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FILLE MORES QVE ESCLAVE EN :
ALGER VILLE DE BAR B A R I E.

E cette nation la pluſpart des femmes ont accouſtumé

d'eſtrenuës, comme la figure de cette eſclaue vous le

repreſente, ayans ſeulement vne ſorte de petit garde

robe de coton froncé , auec lequelelles couurent ce

E que leur honneſtetéleur defend de monſtrer. Or ces

pauures eſclaues ſont pris , tant les homes que les fem

mes , par de certains Chreſtiens reniez Mahometiſez , & autres eſcu

meurs de mer qui en font trafic & marchandiſe, & ceux qui ſont de

moins belle deffaite qu'ils ſont contraints de garder, ils les traitent for

cruellement ,leur faiſāns labourer la terre ,ou faire quelqu'autre ouura

ge fort penible , ne leur eſpargnans les coups de baſton non plus que

l'eſperon aux chenaux : cét exercice de labourageleur eſtfortdifficile,

d'autant que la meilleure partie d'entr'eux hommes & femmes ne s'e-.

xercent qu'à filer , faire des leciues & autres choſes ſemblables , il ya

quelques femmes qui font du drap de coton , qui n'eſt pas plus large

que la palme de la main , duquel il faut coudre pluſieurs largeurs en

ſemble pour s'en ſeruir. C'eſt dequoy ſe veſtent les Seigneurs, ayans

premierement vne chemiſe de coton qui les couure à moitié les cuif

ſes ,les manches larges venans au milieu du bras , & par deſſus de cer

taines chauſſes du drap que j'ay dit ,leſquelles leur montent juſques àla

ceinture , & batent ſur la cheuille du pied , eſtans d'une extréme lar

geur , & ceintes'autrauers le corps, fortrepliéesà cauſe de leur amplitu

de tellement qu'elles font yne ſorte de ſac deuant , & vnautre derriere

qui trainant juſques à terre fait vne longue queuë , de fort mauuaiſe

grace, & neantmoins ils ne croyent pas qu'il y ait yne plus belle ſorte

d'habit que celle-cy.Quelques -vnes des femmes ontyne partie de leurs

cheueux treffez & pendansſur les eſpaules, l'autre partictortillée eſſez

proprement ſur leur teſte, mais cette eſclaue n'y fait pas tant de façon,

eſtant à la maniere la plus commune , qui eſt d'auoir la teſte nuë, les

cheueux creſpes & de longueur enuiron d'une palme : elle porte des

bracelets de léton deux à chaque bras , & aubas des jambes , & vn car

quan au col , auec des pendans aux oreilles : ces femmes ſont'nettes
,

d'autant que d'ordinaire elles ſe lauent trois ou quatre fois le iour, mais

pour lemanger elles y ſont fort mal propres , elles parlent beaucoup ,

excedans encorela nature ordinaire dece ſexe , eſtans toutes ſujectes

à mentir & quitrompent fort , mais en recompenſe elles ont yne autre

vertu , qui eſt d'eſtre fort charitablesaux eſtrangers, les retirans chez

eux , ou pourcoucher quelque nui & , ou prendre quelque repas ſelon

que l'occaſion ſe preſente, fans en demander aucune recompence. Les

bazanez ont céte coultume entr'eux de n'vſer point d'argéc monnoyé,

mais au liçu d'acheter ce qu'ils ont affaire, ils changent les vnsles au

tres du pain pour de la chair ,des pommes pour des noix , & ainſi des au

tres choſes ,s'accommodans les yns les autres ſelon leursneceſſitez .


63

ESCALE

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Qiij


FEMME DE L'ISLE

DE MALTB .

'ISL E de Malte à preſent bouleuert de la Chreſtienté , pour


eſtre la retraitte des Chevaliers de l'Ordre S. Jean de lerufa

lem , qui ont tant de fois fait teſte à la puiffance du Turc ,met

tans librement leur vie & leur ſang pour la defence dela foy ,

tous les habitans d'icelle ſont auſſi fort bons Chreſtiens, qui

ont courageuſement defendu leur pays : il eſt vray qu'ils ſe

reſſentent un peu des façonsfarouches de l'Afrique ,ils viuent là fort eſcharce

ment, pource que l'Iſle eſtant peu fertile leur apporte peu de commodité,mais

ayansla Sicile voiſine ils en tirent beaucoup de ſecours , principalement des


bleds, & des vins : car quant aux fruicts ils ſont tres -excellens à Malte , & les

fleurs & herbages de fort bon gouft & fuaue odeur , l'air y eſtantaufli fort bon

& ſain , & meſmes il y en a qui tiennent qu'elle a pris ſon nom de l'abondáce du

miel . Il y a auſſi vne choſe fort remarquable en cette Iſle ,c'eſt que depuis la ve

nuë de S. Paul en icelle , on n'y a veu aucune eſpecede Serpens , voire melme

les Scorpions qui ſont ſi dangereux ailleurs ſe manient là tout communément

ſans qu'il en arriue nul inconuenient, chacun ſçait aſſez comme l'on porte par

toute l'Europe des pierresde la Grote où ce glorieux Apoftre fut priſonnier,

leſquelles ontvne ſinguliere vertu contre la morfure des Serpens , & principa

lement des Scorpions, nommant ces pierres grace ou pierre deS. Paul,auquel
ce peuple eſt fi deuot qu'ils luy ont dedié leur Ille ,y ayant demeurétrois mois :

elle eſt auſſi bien baſtie & de fort belles maiſons, & peuplée de marchands de
diuerſes nations , mais principalement il y a grand nombre de Courtizanes
Grecques , Maures , Eſpagnoles, Italiennes & Malceſes. Orces Malteles vul

gaires ne portent en Eſtě autre habit qu'vne longue chemiſe de belle toile ,

blanche fort large & ample , froncée par le colerà la façon d'une aube,elle leur

ſerre tout le col, ayantau bord vne ſorte de petite fraiſe à l'antique , elles ſe cei
gnent au deſſous des mammelles ,& portent un certain manteau de leine blan

che appellé Barnuche qui leur prenant ſur la teſte leur bat ſur le front, com ;

bant par les coſtez le long du viſage, ſans toutesfois le cacher,vient pendre ſur
les bras & fort bas derriere, tenant le bout à la main. Elles ſont chauſſées à la

façon des Grecques,& s'habillent ainſi legerement pour auoir moins d'incom

modité de la chaleur , qui eſtlà fans comparaiſon plus grande qu'elle n'eſt icy .
Les femmes d'autre qualité qui ſont mariées gardent la coultume ancienne

de leur pays, & nc ſemonſtrent point pour oſter tout le ſuject de ſoupçon à

l'humeur jalouſe de leurs maris .

FIN DES DESCRIPTION S.


64

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PROPHETIQVES

DES EM PERE VRS

SEVERE ET LEON ,

A V E C

LE VRS EPIGRAMMES

PREDISANS LA R VINE DE

la Monarchie des Turcs .

AVSQVELS ON A ADIOVSTE L'EXPOSITION

d'iceux , tirée tant de ce qui a eſté cy - deuant imprimé , que de

pluſieurs manuſcrits ; auec une notable Prophetie qui

ſe retrouue en langue Arabeſque, en quelques

autres à ce propos.

Par Artys Thomas , Lieur d'Embry Pariſien.


1
-
67

AVANT PROPOS

SVR L'EXPOSITION

DES PRESENS TABLEAVX

PROPH, E T IV E S.

L n'y a pointeu de Monarchie n'y d'Empire re


marquableau monde , de qui l'eſtabliſſement,la

ruine & la decadence n'ayent eſté predictes: les L'Empire des

textes ſacrez en font pleins , monftrans au doigt Tures predict

& ſpecifians les peuples ,les temps& les accidés, fainete.


juſques à nommer quelque Monarque. Or eſt

il certain que lesTurcs y sór repreſentez en plu


ſieurs endroicts ſous les noms d'Iſmaëlites,d'A Elle enſeigne

garenes,deGog & Magog ,& autres remarquez tout ce qui eft

par nos anciens Docteurs,mais plus ſpecialement par les modernes . Il eſt la vie.
bien raiſonnable auſſi que cette Eſcricure, qui par excellence s'appelle le

Liure qui doit feruir de regle à tout le peuple & à toute nation,voire mel
me à vn chacun de nous , pour tous ſiecles & pour tous aages , contienne

en ſoy tout ce qui eſt neceſſaire pour nous inſtruire & pour nous condui

re , tant en la vie ſaincte & celeſte, qu'en la morale & politique, don

nant à chacun des aduis pour ſe tenir ſur ſes gardes , & pour éuiter les dan .
gers dont cette viemortelle eſt remplie . Et comme la miſericorde infi

nie du Tres - haut , & fa tres -ſainte Prouidence a vn ſoin cres -particulier de

ſes creatures , elle ne s'eſt pas cótentée d'en faire remplir ſes ſacrez caïers,

mais a voulu encores que chaque nació, aic eu quelques perſonnages par- .
ticuliers qui ayent predit les malheurs qui luy deuoient arriuer . Entre les
anciens Romains les liuresdes Sybilles auoient vne fort grande vogue,

& ſemble que celles -cy ayent parlé pour tout l'Univers :lesGymnofo- plufieurs pre
phiſtes parmy les Ethiopiens, lesMages aux Chaldées , les Brachmanes

aux Indiens, les Druides aux Gaulois Merlin aux Anglois:pluſieurs ſaints

perſonnages ont dit encores de cres -grandes choſes,commeſaincte Bri


gitte , les reaelations de laquelleonteſté compilées & cómentées depuis

les dernieres années, ſaincte Hildegarde , l'Abbéloachim , vt recueilqui

a eſté fait de pluſieurs choſes predictes par de grands hommes de l'anti


quité, trouuées en quelques Bibliotheques ſous le nom de Mirabilis liber,

& vneinfinité d'autres reſpandus par le monde, chacun ſelon ſon pays.
Rij

3
68 Auant- propos.

Outre ceux - cy il ya encores eu pluſieurs Aſtronomes, qui peur eſtre


par trop adonnez à l'Aſtrologie iudiciaire , fe font quelquesfois emanci

ont hardiment diſcouru de l'aduenir, ſe fon


pez , & faiſans des Prophetes
dans ſur de certains calculs , Images, figures aſpects ,rencontres aſtrono

miques,auſſi incertaines en leurs regles,comme les euenemens en ſont


Anciens ora
bien ſouuentmenſongers,toutesfois le Tres -haut,quipar ſa Sageſſe in
ont quelques comprehenſible peut touſiours tirer le bon dumauuais le fainct de l'im
fois dit la ve
rité , pie ; les faict quelquesfois heureuſementrencontrer en ce qu'ils annon
cent aux mortels : de là eſt venu que les Sybilles, bien que payennes , ont

reuelé à leurs peuples pluſieurs myſteres de noſtre ſaincte Religion : Zo


roaſtre ce grand Magicien, & les oracles de Dodone , d'Amphiaraus , de
Iupiter Amon ,de Trophonius,celuy de Delphes , & grand nombre d'au

tres durant le paganiſme ont dit pluſieurs choſes qui ont ſuccedé ainſi

qu'ils les ontreuelées,& denos iours nous auons leu les Centuries de No

ſtradamus, deſquelles on a remarqué pluſieurs ſuccez , il eſt vray quela


diſcrecion des eſprits ayant eſté donnée priuatiuement à tout autre à l'E

gliſe ſaincte : il vaut couſiours mieux atcendre ſon iugement en ſembla

Pluſieursfor-.bleschoſes ,de crainte que la foy que nousy pourrions adioufter ne nous
hitose reucla- fifttóber en quelque erreur ou ſuperſtition :car il y a pluſieurs manieres

deProphetes, les vns qui parvne viſion en veillárréellement apparente &


familiere collocution faceà face , voyencles choſes les plus cachées,telle

que celle qu'auoit Moyſe auecques Duży:ou totalement endormis, & en


longe,qu'Orphée en ſon Hymne diceftre celuy qui durant leur ſommeil
deſcouure aux humains les projects des Dieux bien -heureux ,& ſans par

lerleur annonce tacitement les choſes futures : Homere l'appelle Ange

ou meſſager du grand Dievlupiter: à quoy conuient ce que mer lcZohar

qu'aux meſchantes ames , parmy le dormir du corps ſe preſentent plu


fieurs viſions de la hideuſe & mauuaiſe figure,
mais qu'aux bien diſpoſez,

Et de Viſions. Die v parle meſme quelquesfois, à quoy ſe rapporte ce quieſt eſcrit aux
Nombres iż . leluy apparoiſtrayen viſion, parleray à luypar fonge, la 3. ma

niere c’elt en ſommeillant,qui eft vne moyenne diſpoſition entre le dor

mir & le veiller ,que les Hebrieux appellent mozgn tardemach , & les Grecs

örap , queſainet Ieroſme traduict ſommeil ,ainſi que dit lob aux quatrieſ
me & trente -troiſieſmede ſon liure.

Il y a vne autre viſion d'eſprit,à ſçauoir quant les exterieursſentimens

corporels ſont tellement alſoupis en l'homme, qu'iln'entend plus à rien


qu'àDiev ſcul, lique le corps ne pourroit pas reſlencir les outrages qu'on

ainſi ſainct lean en ſon Apocalypſe: le fus en eſprit en


luy pourroit faire:
vn iour de Dimanche , car à la vericé la perſonne à alors ſon eſprit comme

conjoinct auecques le diuin,quád ,l'âme animale vient à eftre retráchée


du tour de l'eſprit , par la vertu du Verbę diuin , de ſorte qu'il ne reſpire

port precieu- plus,ny ne deſire autre choſe que de demeurer vny auecques Diev ,& le
PJalm, 11s. paré du tout du corps,dont s'enſuic lamortprecieuſe, La mort defesSaincts

eſt pretienſedeuāt luy,diſoit Dauid . C'eſt pourquoy les Mecubales diſoient

que lors que les Prophetes viennentà eſtre touchez de l'eſprit Propheti
que toutleur poil ſe heriſſe d'horreur, leur corps ſe laſche, & agicé leurs
dents
Auant- propos. 69

dents claquecent, & leurs os font eſmeus, ainſi que s'ils fenroienc le froid Knat durauiſ.
fement des
d'yn cres - fort & violenc accez de fiévre: ainſi difoit Danielau dixieſme de Prophetesſe

ſa Prophetie, juſques à ce qu'ils viennent à eftre inanimez de l'ordre & boneles Mecu

eſtat où ils eſtoient auparauant , & que leurintellect ſoit bien repurgé de

ce qu'ilauoit peuattirer de la contagion corporelle &


, lors ils voyent di
ſtinctement ce qui cemanifeſte à eux en apparéte viſion :c'eſt pourquoy L

il eſt eſcrit : le manifeſteray à luy en viſion , & ce par le moyen de 117 Ne

fach & 783 Hod victoire & decoration qui fontle lieu de l'allaictement Etement des.
lieu del'allai

des Prophetes , diſent les Cabaliſtes. Ily a encores vn autre eſpece de vi Prophetes fe
lonles Caba .
fion intuitiue, comme on l'appelle, quiregarde de dedans le miroir pro- liters

pre du grand ouurier, que les Hebrieux appellent Beſpeculariot , par ce

qu'ileſt double;le luiſant qui eſt le Soleil ou le Tipheret, que fainct Au- viſion
ciuc . intui
guftin nomme ſacrifice maturinal , par lequel nous ſommes illuminez,
inſtruicts & eſleuez à la connoiſſance des choſes ſupramondaines, & l'au

tre le miroir non luiſant quitit la Lune , & le Malchut, autrement la mer
celeſte, qui contienten ſoy vne pleine fecondité de generation de toutes Double mi

chofes inferieures elementaires , & leur donne immediatement la vie : Toir en la vi .

cecy regarde plus particulierement la Magie naturelle, par le moyen de

laquelle ( qui n'eſt qu'vnepure connoiſſance des choſes de la nature )plu - Magie naru
relle.
fieurs ſemblent faire des miracles , & affiftez particulierement de quel

que grace diuine , par ceux qui en ignorent les ſecrets.

Mais outre ceux-cy ily a vne autre maniere de viſion , quelquesfois

imaginaire , & ſpirituelle du tout,c'eſt à dire, veuë par les yeux de l'eſprir ,
quelquesfois auſſi corporelle & diſcernée par ceux du corps, les Cabali- viſion corpo
selle .
ftes l'appellent Bathkol , c'eſt à dire, la fille de la voix , lors que nous enten,

dons comme de loing ,les chofes qui nous ſont annoncées , non encores

quelquesfois parvne parole articulée , mais par l'apparence de certaines


images & figures d'animaux & autres choſes ſemblables comme les viſiós

de Zacharie , ſainct lean en ſon Apocalypſe, & autres, le tout par forme

d'enigme, qu'il n'eſt pas loiſible à chacun d'interpreter à ſa fantaiſie, puis

que les moindres mouuemens ; les poſtures les couleurs, les punctuatiós.
des choſes Proferées & iuſques aux plus petites & moindres choſesdoi

uent eftre fort particulierement conſiderées, la moindre obmiſſion en


cela faiſant perdre cour le ſens de la prediction : & à la verité les Prophetes

ſont comme de bons ſculpteurs quiſçauentfondre en bronze ,en pierre,

enor , en argent & autres fortesde matieres , vnemeſme figure , & ainſi

ceux qui ſont illuminez de l'eſprit de Diev , nous font entendre ſa vo- Quatre cho
ſes requiſes à
lonté ſous differences images leſquelles leur ont eſté premierement re vn vray Pro
phere .
preſentées, & leſquelles ils ontclairement entenduës .

C'eſt pourquoy on tiene qu'il y a quatre choſes requiſes à vn vray Pro


phere, premierement vne connoiſſance vraye & infaillible,enigmatique Premiere.
toutesfois comprenant en ſoy les choſes à venir cótingentes & éloignées

cu celles qui ſontconneuës de Diev ſeul, ſoit par imagination , ou par lidor.7Ergen,

intellect ,auſſi lemorderleoqúans Prophere, vient du verbe weópnu , ie pre

dis , diſanc à ſçauoir les choſes qui font eſloignées ,dit lſidore Procul fans de Noſtre Sci .

là s'enſuit que noſtre Seigneur lesysn'a point eſte Prophère comme les gneur
R iij
Auant-propos.
70

pointefté Pro- autres, caril a veu toutes choſes clairement au Verbe & en propre per

phete
les comme
autres . ſonne,bien que ſelon la raiſon inferieure , & en tant que viaceuril ait
eſté
dit Prophete: ſuſciteray vo Prophete du milieu de leurs freres ſemblables à
/ e leur

toy, diſoit Die v parlancàMoyſe Deuteronome 18. Demeſmeles bien


Les Saints ny heureux ne peuvent eſtre dicts Prophetes,à cauſe de la conjonctió qu'ils
les Anges ne ont auec le meſmeDiev , & la Prophecie requiere vn eſloignement: le

Prophetes. ſemblable ſe dit des Anges , qui ne peuuenceſtre Prophetes , puis qu'ils

n'ont aucune enigmatique connoiſſance, bien que les Superieurs reue


iugemét, car il n'y a
Seconde cho lent quelque choſe aux inferieurs juſques au iour du
. La ſecon
fe requiſe aux point deProphecie en Paradis,non plus qu'il n'y a point de foy
Prophetes .
de choſe requiſe aux Propheces, c'eſtune lumiere intellectuelle ou con

noiſſance des choſes qu'on prophetiſc:de là les Hebrieux les appelloient


‫ראה‬
preſque de meſme que nun
Contempla. -107 Roch,voyant,contemplateur, ce quiſonne
: Chozeh, prouiſeur, ſpectateur:auſſil'Eſcriture ſaincte les appelle les
teurs Prophe voyás
ou preuoyans , d'autant qu'auecques les yeux de l'entendement ils voyét

les myſteres qui eſtoient cachezaux autres, eſtans appellez tantoft con

templateurs , tantoſt Prophetes, & quelquesfois voyans, non que ces

noms ne ſoient communs à tous les vrays Prophetes,mais c'eſt à cauſe de

leurs charges & de ce qu'ils auoient commandement de faire enuers les

Deuoir des peuples qu'ils eſtoient enuoyez: car le deuoir des Prophetes eſtde deux
Prophetes de fortes ,l'vn d'eſtre la bouche du Seigneur, l'autre d'eſtre les yeux de l'Egli

ſe ;de ſorte que ſelon cette regle,ny Pharao,ny Nabuchodonoſor,ny mel

mes Caïphe ne peuúent eſtre dicts Prophetes, puis qu'ils diſoient tous

Troiſieſme trois des choſes.qu'ilsn'entendoient point


. La troiſieſme choſe requiſe

chofe require auProphete, c'eſt vneaſſeurance & vne facultéde dire ce qui luy a eſtére
uelé de Diev , chacun n'ayant pas touſiours des termes propres pour ex

pliquer les conceptions:mais les Propheties font reuelées à quelqu'vn ,


afin qu'elles ſoient denoncées aux autres . C'eſt pourquoy ce meſme

Hierem , 1 . Di Ev parlant au Prophete Ieremie dir , Qu'il a mis les paroles en la bouche.

La quatrieſme choſe requiſe eſt-l'operation des vraysmiracles , qui ſono

Lequatritme; pour la certitude & teſmoignage d'vne veritable Prophetic.


De ces choſes s'enſuit premierement que la Prophetie proprement &

ſimplement dite ,ſe fait par la ſeule reuelation Divine faite parle miniſte
re des bons Anges veu qu'il n'y a que Die v ſeul qui puiſſe ſçauoir & re
ueler certainement les choſes futurescontingentes: c'eſt pourquoy il eſt

dit que, Perſonnen'a connu les choſes qui ſont de Die v , finon l'eſprit de DIEV,
1. Cor . 2.
ou ceux qui ont l'eſprit de Diev , mais les Demonsn'ont point l'eſprit de
Diev , il s'enſuit donc qu'ils ne peuuent eſtre cauſe de la Prophetie mel

me inſtrumentale comelesbons Anges , combien que les Demons con

noiſſent de certaines choſes parvne naturelle connoiſſance,àlaquelle les


Les Demons
ne peuuent c.hommes ne ſont point paruenus:de ſorteque pour eſtre eloignées & in
frammence lesconnuës d'iceux,les Demons les leur peuuent reueler ,comme ils ont fait

dela Prophe- autresfois à ce grand Magicien Apollonius , ainſi que nousauons remar

qué aux Commentaires quenous auons faits ſur la vic , lequel ſe vantoit
de ſçauoir les choſes parvne immediate reuelation du Demon qui com .

muniquoicauecques luy,melpriſantàcette occaſion les predictions cau


ſées
mens où elles verſent, comme la Geomantic,Hydromantie, Aceroman- tes Tur sa vic
d'Apollonius.
tie ,Pyromancie , & leurs autres collaterales & alliées: les Auſpices encores

& les Aruſpices, par les anneaux planetaires , & vn autre grand nombre

d'autres inuentions de deuiner , cotcées en pluſieurs endroits des Com

mentaires ſus alleguez . Car cettui- cy qui faiſoit ſemblant de les deſdai

gner ,, s'eſt preſque ſeruy de couces , & meſmes de la Necromantie , comi

me il ſevoid quand il euoqua l'eſprit d'Achilles , où pluſieurs choſes ſont

rapportées à propos de la vanité de toutes ces ſuperſtitions & idolatries :


c'eſt pourquoy ceux auſquels les Demons reuelent quelque choſe , ſoit

par ces ſciences ou par communication familiere , ne ſont jamais nom

mez en l’Eſcriture ſaincte Prophetes ſimplement, mais auecques cét epi


13. fuperGenef.
there defaux Prophete: d'où viene que S. Auguſtin dit ,que quand le macchina

lin Eſprit ſe ſaiſie des hommes , à ſçauoir en cette vie , il les rend ou De

moniaques ( c'eſt à dire poſſedez du Demon ) ou tranſportez, c'eſt à dire


hors de leur eſprit, ou faux prophetes .

Il s'enſuit encore en ſecond lieu que les Aſtrologues predilans quelque ce que faire
aux hommes
choſe de l'aduenir ,ne peuuent eſtre dicts Prophercs, car ils ne prefagent
quand il ſe laia
pas les choſes contingentes certainement , ny les neceſſaires infaillible he d'eux.

ment, mectáť touſiours Diev , ſur tout, qui peutempeſcher les effects de

leurs predictions. Car comme dic Caffiodore , la Prophetie eft vne infpi

ration ou reuelacion diuine, denonçant parvne immuable verité l'euene

ment des choſes: ce qui ſe doit entendre de la Prophetie abſoluë ou de


! predeſtination , en laquelle Die v reuele ſelon qu'il connoiſt les choſes
!
meſmes, d'autanc à ſçauoir qu'il les regarde comme preſentes, &
en elles -

ces Prophecies -là s'accompliſſent touſiours, & arriuentinfailliblement,


Prophetic de
commecelle-cy d'Efaye7. Voicy vne Viergeconceura ; & c.Mais il en va au preſcience &

tremene de la Prophetie comminatoire, qui ſe dit de preſcience, laquelle Prophet die


ne s'accomplit pas touſiours ,en laquelle Dieu reuele les choſes à venir,ſe -qu'el -ce.
1 lon qu'il les connoiſt en leurs cauſes, qui ne ſont pas tellement determi .
qu'elles ne puiſſent eftre empeſchées, &
nées qu'il n'arriue quelquesfois

autrement que le Prophete n'a dit , & toutesfois la Prophecie pource re

gard n'eſtpas fauſe ,carle ſens de la Prophetie eſtoit querelle deuft eſtre
la diſpoſició des cauſes inferieures ou naturelles , & ſelon cela s'entendent

ces paroles d'Eſaye au Roy Ezechias :Diſpoſe de ta maiſon , carin mourras ) Efaye 18

ne viurasplus.Ce qui fut arriuéli Diev,ayát elgard à la penitencene l'euſt


empeſché, & furent adiouſtez quinzeansà la vie :ainſis'entend celle de

Ionas aux Niniuites, à ſçauoir encores quaranteiours & Niniue fera de

ſtruite,car le ſens eſtoit:les pechez des Niniuitesmeritent qu'elle ſoit ſub-Exemple


propos , :
uerrie , ainſifaut-ilentendreles Propheties qui font mention de quelque
mal à venir leſquelles doiuent s'effectuer ſi nous nenousrepentós, com

me au contraire elles demeurent ſans effect ſi nous faiſons penitéce , ainſi

que firent les Niniuites, carc'eſt ainſi que s'entend ce que dit le Prophere
leremie: Sicette gent- là faictpenitence,ie me repentiray auſſi du mal que ie penſe Hierem .18:

de luy faire ,t ) que i'ay parlé contre elle : car Die velt dit metaphorique- Que c'est que
ment
ſe repentir & faire comme vn penitent , à ſçauoir quantil change la D11v.
72 Auant-propos.

ſentence pour noſtre regard ,bien qu'il ne change point de co nſeil : c'eſt

ceque diſoit ſainct Ambroiſc, que Die v ſfait changer ſa ſentence , fi nous
changeonset corrigeons noſtre peché.
Le malin el
prit ſe tranſ. le faicts tout ce diſcours afin que le Lecteur entende qu'il ne doit pas

me en An
Forde adiouſter foy à tour eſprit , puis que Satan ſe transforme à tous propos en
gte lumic
rc. Ange de lumiere. Car commele ſainct Eſprit, quand il veut faire prophe

tiſer quelque choſe à quelqu'vn , ou l'efleuerà la connoiſſance des choſes

cachées, quine ſe peuuent connoiſtre par la lumiere naturelle, imprime

& adiouſte à l'intellect agent, vne plus grande lumiere ſpirituelle : mais

c'eſt par vne maniere paſſagere ,laquelle n'eſmeur ny illumine,finon au


Comment lc
ſainct Eſprit tant que dure la prophetique viſion : Et moyennantcette lumiere adiou
agit en l'eſprit ſtée ilchangel'intelligence du Prophete , ordonnant & illuſtrant quel
du Prophe tc.
quesfois les eſpeces receuës par les ſens,& en imprimantauſſi quelques
fois des eſpeces qui n'ont point eſtéreceuës pariceux, comme s'il impri
moir des eſpeces de couleurs dans la fantaiſie d'vn aueugle né , & cela ou

en dormant ou en veillant, comme il a eſté ditcy-deſſus ,


l'eſprit de tene

bres contrefaict le meſme, comme il faiſoit à ceux qui deſcendoient dans

le trou de Trophonius en dormant, & aux Sybilles en veillant : Il eſt vray

qu'au lieu derauiſſemens ce ſont des enragemens , comme dit fainct Vin

Se pointe de cent. Delà vientque tous les Docteurs diſent communément que qui
rauitement conque aſſeure qu'il eſt Prophete, ou auoir quelque charge de la part du
zagemens. Tout-puiſſant,doit prouuer ſa miſſion par l'authorité de l'Eſcriture ſainte,

comme ſainct lean Baptiſte , & le Prophete des Prophetes meſme noſtre

Seigneurl es vs , ou bien illa doit prouuer par miracles, encores que les

Tour Prophe-miracles doiuent eſtre fort conſiderez ,car dit la Sageſſe eternelle:Ilvien

faux Chriſts, & pluſieursfaux prophetes qui feront pluſieurs ſignes


uerla milion ;dra pluſieurs
& comment.
prodiges: deſorte que ſi faire ſepouuoit,ils peruertiront les eſlens, & les
feroient tom

Matth . 24 . beren erreur: ſi bien qu'il y faut prendre garde de fort pres ,principalement

s'ils preſchent contre la foyja receuë , contre les bonnes mæurs, & con
Deut . 13 .
tre les decrets ou ancienne couſtume de l'Egliſe vniuerſelle: Sil ſe leue au

milieu de toy vn Prophete ( diſoit Moyſe au Peuple d'Iſrael ) qui face quelque
Signe ou preſtige, & quece qu'il a parlé arriue , tu qu'il te die allons aux Dieux
Galat. 1.
eftrangers , tu n'eſcouteras point ſesparoles.Et ſaingt Paulaux Galates : Siquel

qu'un vouseuangeliſe , outre ( c'eſt à dire contre ) ce que vous auez recen , quil

ſoit anatheme , quand bien ce ſeroit vn Ange du ciel, dit - il au meſme lieu : & le

Cardinal de Turre- Cremata en ſon Apologie pour lesProphetiesde ſainte


Brigite, dit qu'il y a cinqchoſes requiſes pour y adiouſter foy:la premiere

qu'elles ſoient conformes à l'Eſcriture ſainte, qu'il y ait de la ſaincteré en

la perſonnequi prediț , que ce qu'on dit ſoit veritable, quela deuotion &

humilité ſoit augmentée , & principalementpour la gloire de Diev , fi


nalement qu'elles ſoient approuuées par homes doctes & experimentez.

De qui font Cela premis il eſt bien à propos de voir qu'elles ſont ſes figures prophe

prophetiques,ciques que nous expofons maintenant en public , & commençans par

l'Autheur d'icelle. Suidas en la diction Xeroliphos cientqu'elles ſont de Se


uerusEmpereur desRomains ,qui tenoic l'Empire l'an de grace deux cens

douze , & parluy grauées ſur le Xerophile , qui eſtoic ſelon le meſme Sui

das ,

1
das ,appelé par quelques-vns Themis,ou le trepied de Themis ce trepied , lesScu
vnsdiſent
de crus .
ſelon LactanceleGrammairien ,eſtoit en forme de Laurierà trois racines,

ſacré Appollon pour ſa triple force de diuination : on dit auſſi que la ta

eſtoit couuerre du cuir du ſerpent Pithon : mais d'autres


ble de ce trepied

tiennent que ce fut Leon fils de Baſile Macedonien Empereur de Cóftan- Les autres du

tinople, qui fit vne fort grande guerre auxSarrazinsen la deffence des Bul- Leon.

gares , & fe trouuevne lettre deluy qu'il eſcrit à Omar leur Prince, pour le

perſuaderà leconuertirà la Religion Chreſtienne.Cettui -cy , comme il


eſtoit fort grandPhiloſophe & Aſtrologue, s'amuſa à la recherche de ce

qui deuoit
arriuer à ſes ſucceſſeurs, laiſſant à ſon fils Conftátin qui luy ſuc
ceda , ces figures grauées ſur ce Xeroliphe avecques des Epigrammes
Grecques au pied de chacune:toutesfois Baronius en ſes Annales
, faiſant

vne enumeration des traitez que ce docte & pieux Empereur a eſcrits de

ſon temps ne fait point de mention de ces propheties : bien dit- ilqu'il a ef
crit iuſques à 831. enigmes , dans leſquelles celles-cy pourroient bien eſtre
compriſes:que ſi c'eſt cettui- cy quinousa predit ces choſes, il meriteroit

bien qu'on y adjouſtaſt quelque foy,& ſe pourroit bien faire que Seuerus
en cuit dit quelques-vnes, & Leon les autres : mais Seuerus eltoit payen ,
ennemy de la Religion Chreſtienne : au contraire Leon fort bon Prince,

fort homme de bien & plein de pieté & de zele pour ſa Religion , de qui Leon Empe

les conceptions & les penſées eſtoient coutes ſainctes ,comme il apparoiſt vaillane serça.

par les traictez que Baronius nous a cortez , de ſorte qu'il y auroit bien uant,

plus d'apparence de le croire que ſon deuancier,cercui -cy ayant eſté toû
jours conduit del'eſprit de Dieven toutes ſes actions, lequel luy pour

roit bien auoir reueléce qui deuoit arriuer à ſes ſucceſſeurs par lesMaho
-
metans ,qui deuoient s'eſtablirà Conſtantinople,& ofter la Religion ſain

ete ,pour y planter les erreurs & les ſuperſtitions de Mahomet;mais que
cesmeſmesMahometans auroient leur cour : car où ils changeroient de

Religion , ou ils ſe pouuoient aſſeurer de ſouffrir la meſme miſere qu'ils

auoient fait endurerà tant de peuples.Maisſoit l'un ou l'autre de cesdeux


Empereurs quiait eu ces reuelations, ou tous les deux enſemble , ce ne

ſont point choſes auſquelles les Chreſtiens doiuent adiouſter quelque


foy , puis que l'Egliſe ſaincte,qui eſt touſiours illuminée du ſain . Eſprit
,

conduite & enſeignée par luy,nenous en a point dóné vne approbation

particuliere, pour y aſſeoir vn fondement de quelque croyance , comme


auſſi ie n’ay point leu ,bien qu'on les ait deſia imprimées en Latin ,qu'elles

ayenceſté cenſurées: de ſorte que nous les pouuons tenir pour noſtre re- On ne doie

gard, comme choſes indifferentes, puis que cela ne couche nyà noſtre her foy aux
choſes predi.
Religion ny à nos Eſtats , & que c'eſt ſeulement vne conſolation pour ies, li l'Egliſe
nous, d'eſperer de voir quelquesfois nos freres deliurez de la miſerable appr
n'y donne ſon
obarion .
captiuité où ils ſont decenus.

Car de s’y vouloir arreſter cóme à choſes aſſeurées & infaillibles ſe fon

dans , encores fur cequ'elles auroient elté predictes par vn Empereur ſi

plein de pieté,on trouueroit incontinent l'abus qu'il y auroit en cette cre


ance par lesdeffauts qu'on y verroit arriuer : car il y a gráde apparence que

ces Empereurs ontpredic cecy par la ſcience de l'Altrologie , en laquel


S
1
74 Auant-propos.

șices piedi- le ils eſtoient fort verſez: & bien que Leon ait peu , comme il a eſté dir,
plufoſt iuge .auoircu quelque reuelation particuliere à cauſe dela ſaincte vie , fieſt -ce

miques que que ces reuelations eſtans confuſes à tous les deux,puisque nous trouuós

reuelations. des Autheurs qui les diſent autantpour l'vn que pour l'autre ,il ſeroit mal.

aiſé de diſtinguer celles de l'Empereur Leon , d'auecques celles de Seue


rus :mais cettui-cy ſe doit eſtre ſeruy de l’Aftrologie iudiciaire,& parcon

ſequentily a bien peu de ſuject de s'y arreſter. Car quelle alleurance

Incertitude peut-on tirer d'une choſe ſi incertaine que l'Aſtrologie iudiciaire:veu que
: Prolomée ,le plus releué de la trouppe de ceux qui ſe ſont meſlez de cette
gic iudiciaire,

ſcience, eſt contraint d'aduoüer franchement que les configurations ſur

leſquelles il fondoit tous ſes iugemens Aftronomiques, n'auoient rien de

ſemblable d'auecques celles dont les anciens ſouloient vſer,ſouſtenant

qu'elles ne ſe peuúentjamais rencontrer ſemblables:de ſorte que tout le


Aftronomes, vingt & vnieſme Chapitre du premier liure de ſon Quadripartit,netraicte

lepris parPto: que des fautes commiſes par les anciens Caldeans , aux ſupputations, lef

quelles il rejette pour embraſſer celles desEgyptiens:d'autant,dit- il,qu'il

les eſtime y auoir eſté plus entendus. Alcabice, Albohaly , ny les autres

Arabes ne ſont pas non plusd'accord de la forme & figure des douze mai
Arabes dil fons de leur Horoſcope ny des ſignes quiy dominent, c'eſt pourquoy il

figuredeleurs
12. mailons, c. eft dit au Ljure des Nombres, Qu'il n'yaurapoint d'Augure en lacob, ny de
cette curieuſe recherche eſt vn grand tel
Diuination en Ifraël: car toute
moignage de deffiance du ſecours diuin , d'infidelité encores & mef

croyance enuers ſa ſaincte Prouidence , qui regit & ordonne de toutes

choſes pour la gloire en leur temps , & pour le bien de fes creatures , auf
quelles il enuoye touſiours ce qui leur eſt neceſſaire; ne vaut- il pas donc

Que cetere- ques bien mieux ſe conſigner du tout en ſes benignes & miſericordieuſes
cherche ne ſc
faict gucres mains, que de s'adonner à ces vaines curioſitez , quine nous peuuent ap:
fans infideli.
.
porter que du trouble en l'eſprit ſans aucun profit

Ne vueille point preſſer ta deſtinée,

Ny curieux t'enquerir du futur


,
Car außi bien pour ſçauoir ton mal-heur,

Tu n'en ſçaurois euiter la journée.

Sice n'eſt que cette Sageſſe infinie nous vueille aduertir de noſtre bien

pour noſtre conuerſion : comme nous auons dit parlant des Propheties

comminatoires, deſquelles les Saincts Prophetes ſont remplis: comme

doncques ces predictions icy ne nous regardent point,principalement,


nous pouuons bien paſſer par deſſus ſans y adiouſter foy.

Quel fruict Mais il n'en va pasainſi des Turcs , quidoiuentpenſer plus d'une fois
les Turcsdoi- aux choſes qui y ſont predites , afin de quitter quelquesfois le menſonge

ces prophes pour embraſſer la verité,ie veux dire leur faux Prophete,pourſuiure celuy
sics.
qui eſt la verité & la vie :carleursiniquircz fontparuenuës à leur comble

& à leur periode. Il y a pluſieurs centaines d'années qu'ils sót les fleaux de
la terre, & principalement de la Chreſtienté:Mais on jetre ordinairement
les
Auant-propos. 75

les verges & les baſtons au feu quand on fen eſt ſeruy, cela les doit faire

penſer àeux:carſicecy vient de l'Empereur Leon , comme il ſemble qu'il

y ait plus d'apparence à cauſe de pluſieurs figures pleines de Croix , aux

autres le Labarum ,ſceptre particulier aux EmpereursdeConſtantinople:


en quelques -vnes le Croiſſant, armes choiſies par Mahomet : la loy'du

quel eſtoit en regne du temps de Leon , & non loubs Seuerus , qui eſtoit

plus de deux censans auparauant la venuë de ce faux Prophete : Si,diſ- je ,


cecy a eſté reuelé à l'Enipereur Leon , les Turcs ſe doiuent reſouuenir

quece grand Prince eſtoit vn fort homme de bien , qui aimoit plus la

conuerſion des infideles, que leur ruine, qui n'a point eſcrit cecy par pal- gente is doin
fion, comme leur ennemy, mais pouſſé du zele de la gloire de Die v , & uent faire des

d'vn deſir de leur propre ſalut, afin que cela les peult inciterà quelque Icon & Seue.
rus ,
amendement de vie: ſi d'ailleurs elles ſontde l'Empereur Seuerus , com

me il ſe peut faire qu'il en ait predit quelques-vnes ,cela les doit encores

eſmouuoir d'auátage,devoir vn Prince Payen , ſigrád ennemy des Chre


ſtiens , & qui les auoit perſecutez, eſcrire neantmoins des choſes en leur

faueur , & leur predire la ruine & deſtruction totale de leurs ennemis : cout

ce qui eſt de bon pour eux , c'eſt que toutes ces Propheties, quand bien
elles auroient eſte dictées du ſainct Esprit , ce qui ne nous eſt pas aueré,
ſi ne font elles que du
rang de celles que nous auons nommées cy

deſſus comminatoires & de preſcience:de ſorte qu'il ne tiendra qu'à eux

qu'ils n'empeſchent l'accompliſſement, & changeant de religion & de

vie :car ces predictions ne ſont que contre les infideles,deſquels les Chre dhe tempera

ſtiens doiuent prendre la vangeance des torts qu'ils leurs ont faicts ,qu'ils cher l'eféd ,

quittént donc l'infidelité & fe rangenț au Chriſtianiſme, qu'ils faſſent


banqueroute aux reſueries Mahometanes, & embraſſent la croyance de

I'E sv S - CHRIST , crucifié & fa faincte loy,alorsles Chreſtiens ne pour

ront rien ſur eux ,& ces Prophecies s'en iront au vent . C'eſt le ſeul & vni

que remede qu'ils y puiſſent apporter.

Orces predictions ne parlent pas ſeulement de la ruine des Turcs,mais Dequoy par

premiereméc de l'Empire Grec ,en la maniere quele Lecteur l'a peu voir dictions,
deſcheoir , en la lecture de l'hiſtoire de Chalcondile , de l'eſtabliſſement

de celuy des Turcs , comme il ſe void en la Cótinuation de l'hiſtoire,en la

decadence & ruine d'iceluy,& c'eſt ce qui n'eſt pas encores arriué, & que
cecy predit en partie, & finalemét le relfabliſſemét des Chreſtiensenice

luy . l'ay ſuiuy l'ordre toutesfois, tout tel que ie l'ay trouvé dans ce qu'en
ont recueilly lean Theodore & Iean Iſraël de Bry freres auecques les epi

grammes Latins qu'ils ont miſes au pied de chacune figure,& les expoli

tiós à cofté,preſques auecques le meſme ſens qu'ils les ontcouchées , car


en choſes ſi obſcures il faudroit auoir le don de Prophetie pour les pou

uoir expliquer clairement , i’y adiouſteray ſeulement les interpretations

que ie pourray recouurer d'ailleurs pour y ſeruir d'eſclairciſſemét, quiſe

ront diſtinguées par cette marque ,[& ce que j'adioulteray par celle -cy,t
ie conteray auſſi les differances que i'ay remarquées en ces figures d'en
tre celles qui ſont imprimées , & vn manuſcrittel qu'il eſt venu du pays

auecques ces epigrammes Grecques , & les figures peintes de diuerſes


S ij
76 Auant-propos.

couleurs ,leſquelles puis qu'elles n'ont peu eſtre repreſencées par l'im

preſſion , i'en diray quelque choſe en l'interpretation : carieciens que les


Auke figures couleurs ſeruent debeaucoup à l'intelligence des Propheties , & la diffe

ne doit rence auſſi qui eſt en l'ordre de ces figures de ce manuſcrit d'auecques
rien obmis.
cftre

l'imprimé. I'aduercis auſſi le Lecteur que les figures qui luy font icy re

preſentées, ſont comme celles que i'ay trouuées au manuſcrit, afin qu'a
yant celles qui ont eſté deſia imprimées, & voyant la difference ,il en puiſ
ſe iuger plus nettement , en les confrontant les vnes contre les autres.

Pour doncquesen faciliter l'intelligence, illes faut diſtingueren quatre


Les tableaux
prophetiques parties, la premiere & ſeconde figure repreſentent la ruine de l'Empire
fone tirés d'vn des Grecs & l'eſtabliſſement de celuy des Latins , la trois , quatre , cinq &

ſix , la conqueſte de cée Empire par les Turcs & leur eſtabliſſement : la

ſept,huict,neuf& dix , parlent de leurdecadence : l'onze, douze , & qua


torze de leur totale ruine & changement d'Empire : la treize quinze &

feize, d'un nouveau reſtabliſſementdes Chreſtiens, en iceluy.

Comment il Or n'y a - ilicy que ſeize figures repreſentées par les Empereurs fuſdicts
lesfautdiſin- qui ſoienc venuës à noſtre connoiſſance, mais il y en doit auoir vn grand
guer,
nombre,car en l'extraict qu'on a fait des liures qui traictent de ſemblable

matiere en la Bibliotheque du Prince Anthoine Catacuſen :le trouue l'O .


racle de Methodius Euelque de Patras , les Viſions de Danielle Prophete ,

auſquelles ſont adiouſtées des Oracles Altronomiques, l'Oracle de Col

1 y en doit roé Roy des Perſes àvn certain Capitaine Romain,expliquepar Laſcaris:

accounts, plus les predictions de Leon le Philolophe Empereur depuis Conſtantinle

grand juſques à l'Antechriſt , & à la fin du monde auecques les figures :le

meſme ſe trouue encores à peu pres au Cathalogue des liures de l'Illuftre

Prince Dom Manuel Eugene,maiscecy nous eſt ſeulemét venu en main :

joint qu'on ne parle icy principalement que des Turcs:& ainſi n'eſt-ilpas

beaucoup neceſſaire de s'eſtendre plus auár,tout cecy eſtant plus curieux

qu’vcile,joinct que le tout eſt ſicạché & plein d'enigmes, qu'encores que

par le Grec quieſt au manuſcrit ,on ſe puiſſe figurerdu bien pour la Chre
Ces Prophe.Itienté, toutesfois ils ſe peuuent tres difficilement entendre auparavant

ficare some ob . que d'auoir veu à quoy ils reüſſiront, fimal eſcrits au demeurant ,qu'à pei

ne les peut- on dechifrer:autrement ie les euſſe icy rapportez fidellement

au Lecteur, ſelon leur original pour cótenter ſa curioſité, mettant le Grec


d'un coſté & le François de l'autre , mais la crainte que i'ay euë de mettre

vn mot pour l'autre , & de donner quelque ſens contraire à l'intention de

Pourquoy onl'Autheur , m'a empeſché de m'y hazarder , & m'a fait ſeruir de ce qui

pamperint im-eſtoic deſia imprimé:les Latins ſont aſſez obſcurement couchez : & ilya

ſieurs de Bry en ont fait la traduction ſur quel


grande apparence que les
que originalGrec de plus facile lecture que celuy qui m'eſt venu en main ,

mais puis que l'Autheur meſme d'iceux s'eſt caché tant qu'il a peu de
ceux qui viendroient à le lire , il ſera bien mal- aiſé à tour homme de le

rendre bien intelligible ,auparauant l’euenement de ce qu'il a predict,à

la maniere de toutes les Prophetics ,à la traduction deſquelles on ſe crou


ue fortempefché, n'eſtant pas loyſible d'yrien changer , & cependant les

Autheurs , quiont choiſi les termes les plus difficiles, pour touſiours ob
ſcurcir
Auant-propos. 77

ſcurcir ce qu'ils veulent dire , outre ce qu'ils diſent beaucoup de choſes


en fort peu de mots , ils ne laiſſent aucune facilité à leurs traducteurs,

pour ſe laiſſer entendre. Outre les ſeize figures on en a adiouſté vnc dix

leprieſme, qui eft vne prediction forc remarquable , & qui ſe retrouue

parmy les Turcs en langue Arabeſque apres laquelleily en aura encores

quelques autres , qui pourront ſeruir à ce propos.

S üj

THREE

1
78 Tableaux Propheciques .

72

EXPOSITION DE LA PREMIERE FIG VRE :

A Mythologie Payenne a touſiours faict fort grand cas


du Serpent,
& preſque tous les peuples ont eu la ſignifi

cation en quelque reuerence; les Grecşprincipalement


à cauſe de leur Dieu Eſculape , le Diable ayant trouué

l'inuention de ſe faire adorer ſoubs la figure qui auoit

cauſé noſtre plus grand mal-heur. Les Grecs donc voulans repreſenter

leur Empire,peignoientvn Serpent de couleur verdaſtre, ceſt pourquoy

il en eſt repreſenté vn en cette figure affailly de deux corbeaux , pour

ſixieſme'
monſtrer qu'apres la mort de Leon , l'Empire Grec deuoit eſtre

fort affligé,tant par les liens que par les eſtrangers & parſes voiſins,& ce

la juſques à Marcifiļe ,quific mourir l'Empereur Alexis le leune , penſano


s'emparer de l'Empire , mais il tomba en fin entre les mains des François

& Venitiens , quien prindrene vn ſeuere chaſtiment


: Baudouin Compte
de Flandres , eltant parapres creé Empereur , qui s'empara de la ville, & ſe
1
rédit maiſtre de l'Empire , & c'eſt ce que veulent dire les deux corbeaux ,

céroyſeau ſignifiant, ſelon les Egyptiens, eftre dechaſſé d'vne domina


tion auec infamie.

[ l'ay leu vne autreinterpretation qui dit ainſi :le Serpent a eſté vn Em
pereur de Conſtantinople , lequel laiſſa à ſon deceds yn ieune filsauec

deux cuteurs plus proches du ſang qui ſont les oyſeaux, à l'vn deſquels il

fit perdre la vie , & l'autre qui eſtoit du ſang Palcologue , print l'Empire
au ieune Seigneur & ſe fit Empereur .

* Quant à la couleur de ce Serpent , elle eſt de vert-gay , & le bout de ſa

langue qui luy ſort eſt rouge , mais la figure imprimée a quelque diffe
"rence à celle-cy:car les deux corbeaux font vne action comme d’oyſeaux
acharnez à la proye, & de fait l'vn d'iceux tient le Serpent à la gorge , &

l'autre par le haut de la reſte, tous deux comme le voulant deſchirer : le

Serpent auſſi eſt fortramaſſé en luy-meſme,comme il a accouſtumé de

faire quand il ſe veut lancer contre quelque choſe,ouurant la gueule tou

ventre il a
tesfois, comme preſtà rendre les obois , & tout le long de fon

vne longue lignequiva finir au bout de ſa queuë: ce qui ne ſe diſcerne

point au manuſcrit , & toutesfois l'epigramme B fait mention de cette li

ġne : ce qui eſtoit à remarquer. Ceux qui auront leu l'Hiſtoire Grecque
& voudront conſiderer comme les Empereurs Grecs ſe ſont gouuernez

depuis l'Empereur Leon ,& principalement ſoubs les Comenes & les
: Paleologues, trouuera peur-eſtre l'interpretation de cepre figure ſelonſa

vraye intelligence, carie ne penſe pas qu'elle parle fimplement de cét


Alexis , nommé cy -dellus, ny de l'eſtabliſſement des Latins dans Con

Itantinople , mais de tout ce qui s'eſt paſſé encore ſoubs tous les autres

Empereurs juſques à la fin :de ſorte que cette figure eſt particulierement
pour les Grecs, commela ſuiuante eſt pour les Latins.

PREMIERE
de la ruine de l'Empire des Turcs. 79
PREMIERE FEVERE.

EPIGRAMME DE LA PREMIERE FIGURE.


***

A Tufuirms au milieu de deux corbeaux volans ne autre beſte ſeconde lignée,ferpent & conché le ventre en brus
CV
8 Defignans le tempspar des figures linaires, eſquelles fera la durée an midy, noirrenwerséfsur le dos; 6 noir entieremét , tálumiere
ET

deconpatrimoine ,Meis miſerable ſerpent ſeul deftructeur de t'ayát eſtécruellement oftée par lescorbeaux. Car tirant ton infae
l'Ouro, o quand Jerusosa la paffure des inhumains corbeaux, meorigine de la famille d'Oriet,tu te perdras auec iw Cité parune
miſerable deffaise,es son gemilemés fera l'efóo le printemps,
80 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA SECONDE FIGVRE .

PA 'AIGLEauecla Croix ſignifie vă nouuelEmpereur ,


c'eſt à dire Baudouin , dont il a eſté parlé en l'autre

figure , que l'an mille deux cens huic auec l'ayde

des François & des Venitiens fut creé Empereur

des Grecs , car par l'accord qui fut fait entr'eux, il

fut arreſtéque les François elliroient le Seigneur temporel , & les

Venitiens le ſpirituel, de ſorte que les -François créerent Empe

reur de Conſtantinople Baudouin , qui eſtoit iſſu de la maiſon de

France : & les Venitiens firent Patriarche de cette ville Thomas

Moroſin . Cette figure monſtre le temps que cette race eſtrangere

deuoit tenir l'Empire, en ces mots : Double, triple, & c.comme s'il

vouloit dire , fix Empereurs , auec le ſigne de l'Aigle portant la

Croix , tiendrót l’Empire ,comme il eſt arriué:car ſous cette Aigle


porte- Croix , qui porte fix plumes droites au col , nous ſont deno

tés ſixEmpereurs,à ſçauoir Baudouin,Henry,Pierre,Robert ,lean


1
de Brennetuteur de Baudouin , ſelon quelques - vns , & qui deuoit

fucceder apres.cela ſemble eftre exprimé en l'epigramme B , où il

dit ,tref- grand,vniqueRoy des oyſeaux, & c. comme s'il vouloit di

re , grand & ſcul Roy desoyſeaux ſera celuy qui prendra la domi

nation Grecque ; mais le midy eſtanc paſſé, c'eft à dire il ſe repoſe

ra pour vn bien peu de temps ſur le cheualporte- corne, & ainſi a

cfté faiet , car l'Aiglea ceffé en Baudouin ſecond.

[ Vne autre interpretation dit , l'Aigleauec la Croix fut vn fils de

l'Empereur tyran , qui veſquit Chreſtiennement & gouuerna


heureuſement l’Empire .

* Le plumage de l'Aigle eſt peint de la couleur qui luy eſt natu

relle , il y a cela de diſſemblable , que le bec auec la Croix quiy eſt

penduë, les jambes & les ſerres de cét oyſeau font de jaune doré,

mais les poſtures du manuſcrit & de l'imprimé ſont bien differen

tes, car celle-cý vous eſt repreſentée comme on la peint aux armes

de l'Empire, & l'autre eſt figurée en la naturelle aſſiette , arreſtée

à ſçauoir ſur ſes pieds,commelors qu'elle eſt ſur la perche , les aiſ

les à demy étenduës, comme ſi elle vouloit prendre ſon vol , celle

cy ale plumage du col cout vny , l'autre a fix plumes fort releuées

& fort diſtinctes & apparentes par deſſus les autres, & c'eſt ce qui
a eſté dit en la premiere expoſition , que cela ſignifioit fix Empe

reurs de cette lignée , qui deuoient regner les vns apres les autres:

au manuſcrit au deſſus de la figure de l'Aigle eſt eſcrit ce mot

Grec meravosa a duis changé ou reſipiſcence, ce quin'eſt pas dit ſans

grande raiſon, veules choſes comme elles ſe paſſerent en ces chan

gemens & reuolutions d'Empire.


SECONDE
81
De la ruine de l'Empire des Turcs .
SEGON DE FIGV R E.

>

B
of

EPIGRAMME DE TA56CONDEREIGYRE,
Double triple ,car l'oy/eau chevalser porte -Croix , l'oyfeau ,eo de- II Dar une unité dedouble appellation , ſeule premiere par le paieures
des mõbres és derniers temps,es côme vous eftes eſcoulez bõnepare
rechef
B Tres le chevalporte
grand, unique -Roycorne . parle milično, to
desoyſeaux , cettui- cy prenant cer sie du réps,quand tu tiendras l'imagede laCroix
tainement ſon regnean Midy, ſe repoſera ſur un cheval porte esgrandement audacieux et vifte Espromptà la guerre,o race de
corne un jour laplanette de soureftans au milieu dm Pole. feraleguin ,
Bizance,mais à l'extremisé l'occaſion de la renommée
T.
EXPOSITION DE LA TROISIESME FIGVRE.

L ſembloit que les Latins eſtans chaſſez de Conftanti

nople, & lesGrecs rentrez en la poſſeſſion de leur Em

pire, la Grece comme une nouuelle eſpouſe deuoitre

prendre ſa premiere beauté , ce qui eſt repreſenté par

cette jeune fille veſtue à la Grecque , & qui a la façon toute gaye,

mais céte lieſſe luy a cſtéoftée ſur le midy par le chcual porte -cor

ne parlequel elle a eſté ruinée : c'eſt pourquoy l'epigramme de la

pucelle B dit, Tu tomberas en lieux humides de contre ton eſperan

ce : commes'il vouloit dire .Au temps heureux de ta domination,

6 Grece , lors que tu t'efleuerasle plus , tu tomberas, mais ſçache

qu'en toy eſt le commencement & la fin de la corne , comme en


toy a eſtéle commencement deta domination.

* Comme il aduint par la diſſention des Grecs , qui appellerent

les Turcsà leur ſecours, & leur donnerent entrée en leur pays,ain

ſi que le Lecteurpourra voir , tant en l'Hiſtoire , de Chalcondile

qu'auxObſeruations que nous auons faictes ſur icelle , juſques à

ce qu'en finelle vint ſousla puiſſance de Mahomet , quiprit Con

ftantinople, comme dit l'epigramme A.

[ L'autre interpretation dict :La Licorne eſt le premier Seigneur

Mahometan qui prit Conſtantinople , & comme il ſemble que

cette Licorne ſoit enfuitte , cela vouloit dire qu'il la prenoit par

le moyen de fa prompte & inopinée venuë. La Vierge veſtuc de

vert , que c'eſt Conſtantinople, laquelle monſtre ſesmiſeres auec


)
la main , attend , prie & eſpere.

* Car cette jeune fille toute deſcheuelée , eſt veſtuë d’yne robe

verte à laGrecque,ayant des bordages jaunes,tant au collet qu'au

bas d'icelle,ſes chauſſes, meſmes ſes ſouliers font verts : quant à la

Licorne elle eſt de couleur à peu pres de poil de vache , mais ſa po

ſture eſt differente à l'imprimé,car il ſemble qu'elle veuille aller à

bonds & à paſſades, & celle- cy eſt repreſentée tirant pays en

grande diligence: l'autre auſſi a en la cuiſfe droitte vn grand croif

ſant: quant à la jeune fille elle eſt toute contre la Licorne , & luy

tient auecques la main gauchele pied droi & . Il ſemble que la der

niere epigramme C , veuille repreſenter cela par les alliances que

les Grecs ont euës auecques les Turcs , qui les ont arreſtez quel

que temps ; mais ils ont tellement henny apres l'amour des bri

des , voireàbrides laſchées ,c'eſt à dire , ont tellement recherché

la feruitude,qu'en fin ilsy ont eſté du cout, & y ſont encores miſe

rablement reduits : ce qui s'entend par ce mot novaộze« Monarchie ,

qui eſt au deſſus de la figure du manuſcrit.


TROISIES ME
83
de la ruine de l'Empire des Turcs.

TROISIESME FIGYRE.

EPIGRAMME DE LA TROISIESME FIGURE.


A Sultan Mehmet celuy gus dost prendre confianti . toy eft lecommencement, es la fin de la corne,
C Ileft brais,quetu as des oreilles , que tu hennis dega l'amour
nople.
B Tu tomb eras en lieux humides . E outre ton eſperance : car enl des brides , c'eft à dire , les brides baſchées.
ille
тij
84 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA QVATRIESME FIGURE.

Ette quatrieſme figure monſtre le ſucceſſeur de

Mahomet , à ſçauoir Bajazet , ainſi que dit l'epi

gramme A , qui fut fort trauaillé de pluſieurs


Princes , & meſmes des bannis de la Morée & de

la Macedoinc : leſquels à l'aide de Nicolas Zup

pan & lean Cernouich s'y reſtablirent pour quelque temps.ce

qui eſt demonſtré par les deux teſtes de jeunes filles, qui deuoient

demeurer en liberté pour peu de temps , & quant à la figure du

boeuf, c'eſt yn fymbole que ce Prince ſeroit fort amy de la paix &

du repos.

( L'autre interpretation veut que ce Torcau ſoit le grand Sclim ,

qui fut tres -robufte & forten ſes entrepriſes: que les deux teſtes

furent ſes deux freres qu'il fit mourir:diet encores qu'en quelques

lettres Grecques ſa mort eſt preſagée,diſant: Quele nombre mul

tiplié en ſoy retournera en ſoy , cetcui-cy mourra .* Toutesfois il

. ſemble que le tout conuienne mieux à Bajazet, qui a eſté tel que

l'a repreſentéla figure precedente .

* Les poſtures des figures ſont encores bien differentes , car le

boeuf quieſt en l'impriméne va que ſon pas , & l'autre ſemble cou

rir :les deux teſtes en celle qui vous eſt repreſentée ſont panchan

tes , en l'autre d'vne aſſiette toute droite : le boeuf en la peinture

eſt du pelage qu'ils ont accouſtumé d'eſtre :les chcucux des teſtes
ſont dorez.

Mais il y a bien encores yne autre differece en l'ordre ; car la qua

trieſme figureau manuſcrit eſt vne ſeule teſte : mais ie penſe


que

celuy de l'impriméeſt mieux obſerué, c'eſtpourquoy ie l’ay ſui

uy :on en pourra iuger par l'ordre des figures ſuiuantes ;car ſi cet

te ſeule teſte eſt Bajazet, il faudroit que Selim vint apres,& tou

tesfois Solyman eſt deuant luy, & n'eſt mis qu'en la ſixieſme figu
re , où ony donne l'interpretation que vous auez ouy cy -deſſus.

Quant à cette figure de la teſte ſeule , elle ne ſera peut-eſtre mal

placée au quatorzieſmc rang , où il y a en l'imprimé vne figure

d'un paſteur quituë yn loup c


, omme il ſera cotté en ſon lieu : au
deſſus de la figure du manuſcriteſt eſcrit ce mot Touri coupure
, ,qui

ſignifie pluſieurs choſes, pour les diuiſions qui furent durant ce

regne , tant entre les Chreſtiens qu'entreles Turcs.

QVATRIESME
De la ruine de l'Empire des Turcs . 85
QVATRIESME FI G V R E.

B.
Gi
ve

EPIGRAMME DE LA QUATRIESME FIGVRE .


Sultan Baiaxer. nourrice de l'Ourſe , que la figure monftro le liew es les
8. Le fecond bauf . In fin de l'arltosrople , c'eft à dire , de be MENTS ,
de la에
T iij
86 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA TROISIESME FIGVRE .

Omme par le ſymbole du bæuf en la quatrieſme

figure eſt demonftrée la nature de Bajazet ſecond

Empereur, qui regna dans Conſtantinople : ainſi

en cette cinquielme figure par le ſymbole de

l'Ourceauccques la teſte de griffon & quatrepe

tits , eft ſignifié le naturel du ſucceſſeur de Baja

zet ,le nom duquel eſt en l'epigramme B ,à ſçauoir Sultan Selim .

* Cettui-cy a eſtefort cruel, commeil s'eſt peu voir par ſon Hi

ſtoire , cant contre ſes proches que contre les eſtrangers, mais la

mort luy fit changer d'eſtat & de vie au milieu de ſes conqueſtes

& plus grandes proſperitez; c'eſt ce que veut dire l'epigramme

D , Le mouuement des temps, & c. comme s'il vouloit dire, lors que

tu aſpirois le plus aux trophées & à gagner nouuelles victoires,

l'vlcere qui t'eſt venu auxreins te fit perdre la vic.

[ Mais l'autre interpretation prend cette Ourſe pour Selim ſe

cond du nom pere d'Amurath ,lequel encores qu'il fuſt groſſier,

vainquit le Royaume de Cypre & lereſte de l'Albanie , qui eſtoic

à la Seigneurie
de Veniſe, & queles trois petits ours ſont les trois

fils qu'il laiſſa .

* Ors'il y a quelque choſe qui ſe rapporte à tous les deux , c'eſt au

Lecteur d'en iuger: mais les figures tant les imprimées que celles

du manuſcrit, ſont plus conformes à Selim premier qu'à Selim ſe

cond : car l'Ourſe à l'imprimé , a yne teſte auec yn bec de griffon ,

& celle qui vous eſt repreſentée, me ſemble auoir pluftoft lateſte

d'yntygre que d'vne Ourſe : l'autre a ſous la gorge cinq grandes

touffes de poils fort remarquables , auec quatre petits ourfillons,

eſtant quant à elle en la poſture que ſemettentlesautres animaux

quand ils allaittent leurs petits ,au contraire de celle -cy qui ſem
ble vouloir cheminer . L'epigramme encores C, qui dit que vers

le Soleil leuant depart et d'autre, les couronnes apportent une part

de tout l'Empire,monſtre affez que cela fe doit rapporter aux gran

des conqueſtes de Selim premier,qui ſe rendit maiſtre de la Syrie,


Paleſtine, Aladulic, rauagea laPerſe ,& conquit l'Egypte : & quant

au mot Grec qui ſe retrouue au deſſus de la figure du manuſcrit, à

ſçauoir medinuos, diuiſion de membres , monſtre non ſeulement les

grandsrauagesqu'il a faits en toutes ces Prouinces, mais encores

les maſſacres qu'il a faits de tous ſes plus proches.

CINQVIESME
87
de la ruine de l'Empire des Turcs.

CINQVIESMĒ FIGVR E...

mo
e hu

-D

EPIGRAMME DE LA CINQV IES ME FIGYRE.


a Vee autre cermine ſecondeourſe ſchimnotrophe, c'eſt à diren IC Vers le Soleil levant depart & d'autre, des couronnes apporo •
nourrice de ſespetits & route felle , excepté qu'elle eſt tirée tent une partdetout l'Empire.
par traitsombragez, D Le mouvement des tempsferahors de faifon ,car ilferadeſcrit
B Sultan Selim , du haut en kaste

2
88 . Tableaux Prophetiques.

EXPOSITION DE LA SIXIESME FIG VRE .

Ette figure peur eſtre entenduëde Solyman , la re

nommée duquel s'eſt renduë plus excellente que celle


de tous les deuanciers par ſa prudence & vigilance
. Il

deuoit dóc venir comeceluy qui va à la moiſſon la faux


à la main , commes'il vouloitdire qu'apres que certui-cy

aura moiſſonné,il reſtera peu ou point de domination ż

fon ſucceſſeur pour adiouſterà ſon Empire,car la roſe entre lesEgyptiens

ſignifioit l'humaine fragilité; c'eſt pourquoy les anciens mettoient des


roles & des fleurs dás lesmains des treſpaſſez & en jonchoiér leurs ſepul

chres , & ainſi la roſe en la main d'vn Roy en la preséte figure , c'eſt la mar

que d'vn bié quis'éfuit. On peut dire auſſi que l'Ange quieſtici represété

predit la fin de l'empire :car en l'epigráme


, C, eſtdit:Porte-faux ,ie te preſcris
l'eſpace de trois mois,& qu'eſt-ce autre choſe ſinon de dire:apres ton Empire

regnerót trois Empereurs , & apres ſera la fin de tout l'Empire Othoman ?
| Vne autre interpretació dic:cettui-cy fut le Seigneur qui prit Rhodes,

laquelle eſt figurée par la Roſe , laquelle en Grec s'appelle Rodon, il lá


coupe auec ſa faux :la fille qui luy accommode l'ornement de ſa tefte eſt
Conftantinople, de laquelle il fut tant ayméqu'il en receut beaucoup de

ſeruices & aduantages pour le bien de ſon Empire


.
* Or premierement que d'accorder ces deux expoſitions,il eſt bien ne .

ceſſaire de voir la diuerſité des figures , car ce ſera d'elles que nous tirerós

vne concordance. Premierement le veftement de cet Empereur eſt fort

different, car celuy de l'imprimé ſe rapporte plus au Sacerdotal qu'à l'Im

perial , ayant le chamail auec vn large baudrier ou ceinture qu'il retrouf

fe auec la main droicte , où celuy que vous voyez n'a qu'vne ſimple cuni

que, faicte à peu pres en façon de doliman , qui eſt peince de rouge au

manuſcrit, auec vne bande jaune au milieu & aux bordages :les manches

de la robe de deſſus à l'imprimé,font coupées au deſſusdu coude , & ade

larges braſſelets en ſes bras, ce qui n'eſt pointàl'autre : la faux qu'il tient
de la main droitte reſſemble plucoftvne faucille, ayant la pointe en haur,

il ne tient point la roſe en ſesmains, mais vne tourà carneaux , au milieu

de laquelle eſt cette roſe,ayant à ſespieds la teſte d'vne jeune fille.A l'im
priméc'eſtvn Ange qui luy met la couróneſur la ceſte, & à cetcui - cy c'eſt

vne fille. Or comme tour cela eſt eſſez diſcordant ,il eſt auſſi tres - mal ayſe

de l'interpreter : neantmoins quant à ce que le premier & fecond inter


prete ont dit de la roſe & de la faux, cela ſe rapporte fore bien à Solyman ;
il n'y a que la prediction destrois Empereurs qui ſemble contredire à ce

que nous voyons , car voicy le cinquieſme quiregne.Quant à la telte qui


eſt debout , mais deuers les pieds de cét Empereur ,ie penſerois que cele

roit la Hongrie qu'il a debellé, & principalement Bellegrade,maisqu'il

porte Rhodes en la main ,comme la plus glorieuſe & ſignalée de ſes con

queſtes , vnechoſe ſeulement m'arreſte, que l'epigramme D , dict qu'il

laiſſa deux enfans apres la morc , & routesfois il n'en auoit qu'vn ,ayant fait

mourir les aucres :le quatrieſme apres l'Ourſe : comme il eſt dir en l'epigram

me B , on peut dire qu'il eſt le quatrieſmeapres Mahomet qui prit Con

ftantinople: & en celle de D , où ildit: Tu dreſſes les temples des idoles , il n'y
en a point eu de plus ſuperſtitieux en la Loy de Mahomet que Solyman .
SIXIESME
De la ruine de l'Empire des Turcs. 89

SIXIESME FIGV R E.

D 1

EPIGRAMME DE LA SIXIESME FIGVRE .


Sultan Solyman. pluſieurspremicesparton efpée.
B Cettui-cy eftant le quatrieme apres l'Ourſe auec une faux | D Tú dreſſesles temples desidoles enpeu de temps , viuant en la vie
vne Role , homme aſpirantà la moiſſon. troisfois trois cercles , vieillard va i'en au ſepulchre laiſſant deux
elleenfans viuans,
C Porte fauxie te preſcris l'eſpace de trois mois mais tu as renuerséſ
V
90 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA SEPTIESME FIGVRE .

Eliure imprimé de ces Propheties dit fort peu de choſode

ces quatrefigures ſuiuantes en ſon expoſition ,il ſe conten

te de dire qu'elles regardēt la ruine de l'Empire des Otho

mans : & pour le regard de cette ſeptieſme figure, qu'elle

repreſente Conſtantinople depeuplée.

( L'autre expoſition quei'ayvcuëdit que cette teſte dans

vne coupe repreſente yn ieune Prince Othoman qui doit venir à l'Empire
,

& la cité d'où ſort l'eſpéc ſanglante ſe figure pour Conſtantinople: aucuns

veulent toutesfois que ce ſoit ſaincte Sophie.


* Mais la diverſité de ces figures eſt forrà conſiderer, car en l'imprimé la

figure repreſente pluſtoſt vne fortereſſe qu'vne ville , la porte de laquelle

qui regarde de front, a ſes deux guichets tous ouuerts en dehors, fans qu'on
voye perſonne dedans ; à l'encoigneure il y a vneautre porte toute ouuerte

mais ſans huis, & de cette - cy ſort,non vne eſpée , mais vne large bande qui
tient au Tulban de la teſte qui eſt dans la coupe : à celle qui vous eft re

preſencée les deux portes ſont tour de front,& l'eſpée ſort de l'encoigneure

& d'vn des bouts de la ville. Or chacun ſçait quele Serraildes Seigneurs

Othomans a la ſituation à vn des bouts de la ville. On pourroit doncques

bien dire que cette ceſte dans la coupe repreſente celle d'vn ieune Seigneur

Othoman ,lequel auroit eſtémis à more parvne ſedition populaire quiſe ſe


roit faite dans le Serrail par les laniſfaires, ou par la populace joinctes auec

ques eux , & que c'eſt ce que veut dire l'epigramme B ,le peuple obtiendra pour

peu de tempsk,commeſion diſoit que cette puiſſance de populace ſera de forc


peu de durée : les portes ouuertes & les guichets en dehors, disée aux eſtran

gers qu'on ne leur empeſchera point l'entrée, mais celle quieſt deuers le
monſtre qu'on aura vſé d'unegrande violence , & toute
Serrail ſans guichet ,

cerce grande ville qu'on void ſansgarde & ſans ameviuante, teſmoigne vne

grande deſolation,ainſile dict l'epigramme:Ily aura en toy pluſieurs meurtres

effufionsdefang :mais cela eſt admirable qu'en l'vne & en l'autre des figu
resil y ait des Croix ſur les Domes & Moſquées qui ſont en la ville , ou ſur le

Temple de ſaincte Sophie , comme veut la ſeconde interprecation : car ſi la

Croix y eſt deſia plancée,pourquoy tant de meurtres & de ruines?mais voicy

comment cela ſe peut interpreter, c'eſt que ce lien qui eſt à l'imprimé atra

ché au ſeuil de la porte que nous auons dite eſtre du Serrail ,peut bien eſtre

pris pour la familleOthomane,laquelle paſſe ſa plus tendre enfance dans le

Serrail , & que cette famille n'eſtát point encore du couc eſteinte,quelqu'un

d'entr'eux viendra prendre la vangeance de la mort de l'Empereur, dont la

teſte eſt dans la coupe ,& ainſi cette grande ville ſera expoſée à toute ſorte
de miſere , les Mahometans entrans d'vn colté auecquesvne grande furie,

repreſentée par la porte ſans huis,& les Chreſtiens, bien que receus comme
bons amis à huis ouuerts , ( & encor de leur coſté, pour monftrer la puiſſance

qu'on leur donne:)la ville coutesfois de Conſtantinople ſeruira de champ


de bataille aux deux armées comme jadis celle du Caire aux Othomanides

& auxMammelus : le temps pourra donner vne plus claire intelligence au

reſte de l'epigramme , au dellus de laquelle eft cfcrit au manuſcrit ce mot

Grecauç, meurtre : au manuſcrit cette figure eſt miſe la ncufieſme en rang.

La Prophetie qui eſt auſſi dans Chalcondile au 8.Liure, page 225. eſt fort
remarquableà ce propos. SEPTIESME
91 .
Dela ruine de l'Empire des Turcs .
SEPTIESME FI GV R'E
.

I I

EPIGRAMME DE LA SEPTIES ME FIGURE


les cinq premieres Monarchiesdechireronila Libocide du Dragón ,
A BAABHK AAIKOG . mettront en pieceslesrendres chairs d'oceluy , & defferons ex
ILM , la miſerable cité pleine d'ennná , puis que tu corromp's A gucrrepar l'efpéeun nombre ipfiny degentcruelle ruſques a fix fois
miſerablementta miſerable lumiere, le peuple obtiendra pour per lept mille estout mechant , & le puillard eftans rallafiéde mal
de repsK. Il yaura en toy pluſieurs meurtres,& effufions de fang: facres, ES le flareare le pilles verrons cette derniere immers '
su ne deffondrus point depuis l'onzieſme nage quetu es fortie.Et devant lesrsyeux.
V ij
92 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA HVICTIESME FIGVRE .

E liure imprimé ne donne aucuneexpoſition ſur cette fi

gure,il faut donc voir la difference de cette - cy d'auec l'au

tre, & taſcher apres d'en tirer quelque inſtruction, la beſte

qui eſt figurée en l'imprimé eſt arreſtée, cette- cy eſt quaſi


DES courante , elle ale bec d'vn griffon ou d'vn aigle : aux ban
deroles des lances de cette - cy il n'y a que des Croix en

vn champ tout blanc ; au manuſcric la Croix de la premiere banderole


eſt noire , la ſeconde eſt rouge , la troiſieſme eſt noire , le bois des lan

ces eſt rouge, & le fer eſt de couleur d'eau , ce qui eſt fort à remarquer;
car en l'imprimé dans les banderoles il y a les armes de l'Empire , en la
premiere celles du Pape , au milieu la Tiare à ſçauoir auec les clefs croi
ſées , en la maniere que les faincts Peres lesmettent au deſſus de leurs ar

mes, & en la troiſieſmecelles de la RepubliqueVenitienne;la beſte encores

de cetimprimé a vn bec de griffon. Or toutes ces choſes maintenant rap

portées enſemble,quepeut-on dire autre choſe Gnon que cette beſte repre
fente Selim ſecond du nom , lequel ſoubs une peau de renard , &c. ſelon l'epi

gramme B , feignant de vouloirviure en paix auecles Venitiens , vint tout à

coup leur rauir l'iſle deCypre en griffon, & rauager comme vn loupce qu'ils
tenoienten l'Albanie & toutleur golphe. Mais ces trois banderoles ne re
preſentent elles pas la ſaincte Ligue qui fut faicte de ſon temps , du Pape à

Içauoir , du Roy d'Eſpagne,


& des Veniciens, donnant au Roy d'Eſpagne

les armes de l'Empire,à cauſequ'il vient de la maiſon d'Auſtriche qui lete


noit alors . Et ces illes deux fois eprataules, qu'eft -ce autre choſe que celles
de la mer Mediterranée où ſe donna la bataille de Lepante ; ce qui eſt re

preſencé en l'epigramme C,en ces mots , W) 6effuſion de ſang, & en ce que

l'epigramme B, dir
, qu'ilsſe ſontbriſez mutuellement: n'eſt-cepas la diſſention
qui ſuruint en l'armée Chreſtienne qui leur empeſcha de iouyr du fruict de

leur victoire ? de ſorte que cette Ligue qu’on auoit aſſemblée auec tant de

labeurs,ſediſlipa en fin ſans autre recompence, qued'auoir gagné cette fi


gnallée bataille, mais cependant Cypre fut perduë pour les Venitiens, lef

quels encores furent contraincts de traicter de paix auec Selim du tout à

leur defaduantage, & c'eſt ce que dictl'epigramme C , Tu as deueloppé heureu


ſement les mains de la victoire,& c. comme s'il diſoit ,tu as arraché des mains

detes ennemis le prix & la recompence qu'ils auoient meritée en te debel

lant : & pour confirmation encores que tout cecy ſe doit rapporter à Selim

II . c'elt qu'au deſſus du manuſcrit il y a ce mot Eungessée bonne


grace , pour

monſtrer la grande faueur que les Chreſtiens receurent du Ciel en cette


2
norable bataille , comme on a peu voir dans l'hiſtoire de la vie de cet Em

pereur Othoman. Cetre beſte aufli regarde le Leuant , au contraire du tau .

reau , qui eſt en la 4. figure , pour monſtrer où la ſaincte Ligue deuoit viſer .
Vne choſe ſeulement m'arreſte en cecy , c'eſt l'ordre que tant l'imprimé

que le manuſcrit mettent en ces figures: car celle de la teſte dans la coupe
eſt deuant celle des banderoles . Or deuant Selim II . l’Empire Turc eltoic

tres- floriſſant,àſçauoir ſoubs Solyman : cela ne peut donc pas eſtre deuant

Selim , ou bien cecy n'eſt pas pour Selim ; ce que l'on peut dire à cela, c'eſt

que ceux qui prediſenc les choſes futuresne mettent pas touſiours leurs re
uelations en l'ordre qu'elles doiuent arriuer, pour les rendre couſiours plus

obſcures : chacun en iugera comme il luy plaira, c'eſt aſſez d'auoir rapporté
HVICTIESME
icy ma conception .
93
de la ruine de l'Empire des Turcs .

IVIC TIES M E

Fil
ih

பாத்தா

- ,

EPIGRAMME DE LA HVICTIESME FIGVRE .


A TONBAPNONTON OŠPITO E A desx fois Eptataules , les autres delaiſſez quiſe fontbriſezmu
twellement.
B Somunepeau de renard feignantuneaminé, eo retenens for- | C Et ôeffuſion deſang, tu as deuclopéheureuſementles mains de
tement l'esprit commefors vieiljage, m.si venant aux ißes la vietasre, tu as acquis la palmeà la fin du fceptre,s
V iij
94 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA NEVFIESME FIGURE .

A L -HEV Ràtoy , ſept montagnes , cela s'entend de Con

ftantinople, qui eſt ainſi dicte ,d'autantque Conſtantin le


grand , quand ily tranſporta l'Empire Romain , il y eſtablic

les meſmesordres, tributs, & offices qui eſtoientà Rome,la

quelle auoit ſept montagnes: Quanttu verrasle vingtieſmeEle


ment receu dans tes murailles, etc. C'eſt à dire Tau ou
Taf,lequel

element eſt vne figure fymbolique de la Croix , qui ſera cauſe que les habi
tans de cette ciré lerovtcontraincts de femettre en fuite.

( L'autre interpretation dit ainſi. Le ſiege auec ſıx Croix, & pluſieurs licux

pour s'aſſeoir , repreſente vne autre Ligue de ſix grands Princesde la Chre.

îtienté ,l'vn deſquels guidera le tout auec grande force. La main ferrée,vcut

dire qu'ils ſe tiendrontfortvnis enſemble , & auront toutes choſes en main :


cette Ligue eſt figurée par vn fiegevuide, & veut dire que par certain temps

il y aura liegevacantà Conftantinople.

* Or les figures de l'imprimé & du manuſcrit fonc fort differences ,car en

celle -cyon nevoid quele dos de la principale chaire , laquelle a pluſieurs

ſieges , commedit l'interpretation: il y a auſſi deux mains, l'vne quitient par

le haut le bras d'vn des ſieges, & l'autre qui eſt bien plus bas à coftéfermée
& ſans rien tenir , mais en l'impriméil n'y a qu'un ſeul fiege ,ſur lequel eſt vn

ca rreau ,au milieu du dos vne ſeuleCroix toute ouuragée,& au haut des deux

pilliers de derriere qui la ſouſtiennent, comme des flames de feu :au deſſous

d'icelleilyaun bras coupéquaſı iuſqu'au coude,ayantla main coute ouuer


te , qui a delia paſſé le pied droict de la chaire,& ſemble ſe vouloir aduancer

vers le milicu : mais cela ne diſcorde pas coutesfois d'auec celle qui vous eft

repreſentée, car comme celle - cy veut parler de tous les Princes de cette

Ligue, l'autre ne parle que deceluy qui ſera general d'icelle , qui par cette
main ouuerte aſpire à le laiſir de la domination: c'eſt pourquoy entre les ſix

Croix il y en a vne bien plus eflcuée que les autres : & quantă ce que dit la

premiere expoſition que Conſtantinople eſt appellée lepe montagnes

cauſe des ordres , triburs, & offices qui eſtoient à Rome , leſquelsy.onteſté

transferez par Conſtantin : ie dy que Conſtantinople eſt nommée ſept mon

tagnes à cauſe qu'elle en a ſept, & non pour autre raiſon ;cela ſe peut voir en

la deſcription qu'en a faicte le ſieur de Vigenereenfes Illuſtrations; & quang

à ce vingrieſme element & toute l'interpretation de cette epigrammeA ,je


renuoye le Lecteur au diſcours ſuiuans, où nous auons amplement diſcouru

ſur cette prediction : j'adiouſteray ſeulementque ſelon tout ce que deſſus, &

ſelon cette Prophetie cette Croix y doit eſtre plantée les armes en la main ,

& de là viendra la ruine de cette ſuperbe cite ;mais ſi elle vouloit maintenant
l'embraſſer les larmes aux yeux & fe conuertir de tout ſon cæur vers celuy

qu'elle a autresfois fi deuotement adoré , il eſt ſans doute qu'elle euiteroit

tout lemal - heur qui luy eſticy predit:car en ce faiſant ayant eſté iadisRome,
maintenant eſtant Babylon , elle ſeroit lors yne nouuelle Syon , comme il

elt dit en l'epigramme B.


NEVFIESME
!
de la ruine de l'Empire des Turcs
. 95

NE V FIESME FIGVR E

tt
t*

EPIGRAMME DE LA NEYFIESME FIGVRE.


A Malheur à toy ſeptmontagnes,quand le vingtieme element eu une autre nouvelle Syon , tu durerat tross foron cens ans; une
ra recen en tesmurailles anec heureuſes acclamations,alors en nouselle vingtaine exceptée, quand tu amalleras les threſors des
prochaine la ruine & une extreme calamitéà tes Magiſtrats, nations , & donneras' des loix à tous les Princes circonwoiſins,
cela pari' iniquité de tes Inges.
maisEmpire
BL Cour de Bizance ES les Penases de Conſtantin ,Rome,Babylon,!'ron un grand
. fes genre jaune, te cerfommera toute , diffondra
ques
eaux heci
96 Tabl Prop

EXPOSITION DE LA DIXIESMË FIGVRE.

Nce temps -là que le Soleil ſemblera noiraſtre, com

meil eſt dit en l'epigrammeA , c'eſt à dire , quand

le Soleil ſemblera noir , à ſçauoir CHRI $ Tirrité


X L'a ces iinfideles
nte dia : La Li au
contreutr rpr . co cc
e eta rn
e
tio
n

ques le Croiſſant veut dire que depuis la cheute de

la maiſon Othomane , il ſeleuera yn Prince Mahometan qui ran

gera derecheftoutes choſes en ſon obeyſſance & fera grand pro

grez .

Ce qui ſe rapporte à peu pres à l'expoſition que nous donnions

ſur la lepticſme figure , & qui ſera caule aufli de cét autre mal-heur

predit à Conftantinople en la figure neuf : car il ſemble que l'epi

grãme A, de cette figure regarde plus en quelque choſe les Chrc

ſtiens que les Turcs, d'autant qu'apres auoir receu en ſes murs le

ſigne de la Croix,cauſe de tout bon-heur,on luy predit toutesfois

vne extreme miſere, & ce par l'iniquité des iuges. Ce ſont , dira

quelqu'vn des interpretations bien diſcordantes, mais elles ne le

ſont pas tant,peut- eſtre,quoniugeroit de premier abord , ſi elles

ſont bien conſiderées : car ce vingtieſme element receu dans ſes

murailles auecques tant de ioye, fai &t yne conſequence qu'il faut

queles Turcs en ayent eſtéchaſſez :mais en ce qu'il luy en predit

du mal- heur par l'iniquité de ſes Magiſtrats , veut dire que les

Chreſtiens abuſeront de la grace qu'ils auront receuë d'en haut,

& ainſi viendra yn Prince Mahometan qui conqueſtera de nou

ueau cét Empire , & ſe rendra le maiſtre de cette grandecité , non

ſans vne grande effuſion de ſang, & ce lors que le Soleil de iuſtice

noſtre Seigneur 1 E svs; ſera irrité contre les ſiens pour leurs mel
chancetez & iniuſtices. Car cette Licorne que vous voyez ſemble

courir d'une grāde viteſſe , quimóſtre que ce nouueau cóquerant

ne leur donnera pas le temps de leur reconnoiſtre, tant il ira viſte

en ſes conqueſtes:à l'impriméil ſemble qu'ellc veüille aller à cour

bette , mais cela teſmoigne touſiours l'aiſe & le contentement de

ce Mahometan , & que tout luy reüſſira principalement vers

l'Occident, car c'eſt de ce cofté - là qu'il prend la courſe.

DIXIESME

3
97
De la ruine de l'Empire des Turcs . .
DI X I ESME FI GV R E.

EPIGRAMME DE LA DIXIESME FIGVRE .


A colligeant , toutes choſes tres bonnes , E Affligeant la tres stre de milieu ſemblera posruftre,
meſchante recompence de l'iniuftice , en ce temps-là que l'a
121)
X
es
aux etiqu
98 Table Proph

EXPOSITION DE L'ONZIESME FIGVRE .

E ſiege Imperial ayant eſté laiſſé vacant ,voicy ( dit l'Ange


en l'epigramme B ,) un mort en apparence deliuré,cgc.comme
Gelle vouloit dire ,ô Grece , ce mort en apparence & deli

uré , que pluſieurs des tiens ont conneu , bien qu'ils ne

l'ayent point veu ,c'eſtà dire , les tiens l'ont conneu en re


nommée , bien qu'ils ne l'ayent point veu de leurs yeux ;
cettui-cy ,comme reueillé d'vn profond ſomme,ſe ſaiſira en peu de
temps
du ſceptre de la Reyne , la Grece.Mais en quel lieu cet homme ſera trouué,

l'epigramme C , le monſtre en diſant: Vn trompette non veu fera vn grand cry.


On pourroit faire pluſieurs & diuerſes conſiderations d'iceluy, car l'epi

gramme dit qu'il ne ſera pointen connoiſſance des hommes , & qu'il ſera au

couchant(ou à la mort ) de la ville des Sept - montagnes , & homme familier,

c'eſt à dire catholique & fidelle ,


& qu'il ſera amy , d'autant qu'il prouiendra
d'un ancien & treſ-noble ſang. Cherchez certui- cy , dira le diuin heraut,au

couchant & entre les plus grands:& quant à ceque dit la figure qu'il ſe repo

ſe d'vn ſommeil funebre,


& veſtu d'vne robeancienne ſur deux animaux à

trois formes,c'eſt à dire , cettui -cy que vous trouuerez qui a pris ſon origine
de race ancienne & Royale , ſera en ſon ſommeil commevn homme mort.

[ L'autre interpretation dit qu'il a leu vne epigramme qui dit: Le Roypaci

fique viura : & adioulte qu'il eſt à preſumer que cettui-cy ſera du ſang des
premiers quidemeurerent tuteurs du ieune eigneur , figuré par le ſerpent
vert , & que les choſes commenceront à paſſer bien pour la Chreſtience.

\ * Or que l'opinion de ce dernier ne ſoit bien fondée on le void ,par ce que


cevieillard couché eſt encorcillé en la figure quivous eſt repreſencée d'on

ſerpent: car en l'imprimé il eſt enueloppé d'vn lange, & bandé tout ainſi

qu'vn enfancenmaillot ,ayant ſoubs luy ſeulement deux animaux qui ont
les teſtes de griffon , la tefte couronnée d'vne couronne à l'Imperiale, &

l'Ange quien tient vne autre toute preſte à luy mettre ſur le chef,où cettui

cy ne tient que le bonnet Imperial : l'animal qui regarde vers le couchane

eſt rouge, celuy quieft tourné vers l'Orienceſt noir, comme l'Aigle auſſi

qui eft figurée à ſon chef eft peinte de noir,ſurquoy il y a maintes conſidera
li l'eſtenduë de cette pagele pouuoit permettre ,
tions à faire ſur cette figure,

mais ie m'arreſte principalement ſur l'Aigle & ſur l'animal peint de noir
tous deux ayans la teſte tournée vers le Leuant; pour ſignifier ſe ſemble que

cet Empereur doit non ſeulement s’alſujettir l’Empire Othoman , mais en


cores toutes les contrées Orientales, & abolir du tout la loy Mahometane ,

& que tout ce qu'il entreprendra ſera pour la gloire de Diev,& l'accroiſſe

ment de la Religion ſaincte:ce qui ſe dit par lemot Grec qui eſt au deſſus de

la figure,à ſçauoir l'ailence , c'eſt à dire piecé ou deuotion. On doit encores re

marquer que l'epigramme C, dit : Allez incontinent aux treſpas ou aux cou

chans a
, u nombre plurier, pour monſtrer que cette ſuperbe cité ſera ruinée
& deſolée par pluſieurs fois.ce qui ſe rapporte aux figures precedentes.

ONZIESME
de la ruine de l'Empire des Turcs. 99

ELG VRE.
ON ZLESME

ili

po
pu
la
r

EPIGRAMME DE L'ONZIESME FIGVRE .


2 Paroles que l'ange dois dire à l'Empereur. HC Vn heraut non vew fera un grand crypar tross for , ailes incorts
Morson apparence, deliuré,pluſieurs leffauent combiex que per nent au treſpas de la ſepa-montagnes , vous trouverez un homme
Jensesele voye, afin que reveillé du ſommeil,il occupecersaine familier, és mon amy, condmiſez -le en la maifon Royale.
mentforwahamp lefceptre de la Reyne,
Vij

1
100 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA DOVZIESME FIGVRE.

N cette figure il ſemble que cependant qu'on cherche

cet homme duquel ila eſté parlécy -deſſus,voicy l'affligée


Sepe-montagnes ,qui dolente dità cette jeune fille: Habi

tant furla pierre ,etc. comme ſi elle vouloit dire : Viens ô

eſtranger, viens à moy Sepe-montagnes , qui ſuis encloſe

en cette pierre , c'eſt à dire en cette affliction , quittant tes

larmes & ta vie ſolitaire pour le ioug Mahometan ,pour lequeltu vis affligé

& commemort: alors reſpond la jeune fille,( qui ſignifie le Roy eſtanger)
bien que tu ſois nuë, ô Conſtantinople, & priuée de ton Roy , pour la ruine

que tu as ſoufferte ,cu retourneras derechefà la lumiere , laquelle n'eſt autre

ſinon IESVS-CHRIST, quia dit: leſuis la lumiere du monde, & partant ô

Cité, retourne à la Religion Chreſtienne,chaſſant la Mahometane, car ce

ſera lors que tu ſeras renduë lumineuſe ſous le reſplendiſfant SoleilCHRIST


noſtre Sauueur .

* Mais l'autre interpretation qui ſe rapporte à la figure du manuſcrit l'in

terprete d'uneautre ſorte, & peut-eſtre plus à propos ,voicyce qu'elle dit.

[ La Vierge veſtuë de vert repreſente Conſtantinople , laquelle crie miſe

ricorde , prie & ſupplie , afin que ſe leue celuy qui eſt predit par les autres
Propheties.

* Ērdefaict vous voyez que la Lune eſt du coté de la fille repreſentée

pour Conſtantinople, & le Soleil du coſté de celuy qui eſt aſſis fur le tom
beau ; car c'eſt vn jeune hommeſans barbe & non vne fille: ce Soleil eſt de

couleur de feu au manuſcrit, & la Lune d'vnecouleur liuide & plombée, ce

qui ſe rapporte fort bien à ce que dit la derniere interpretation, la triſteſſe de

Conſtantinople repreſentée par cette couleur liuide, & l'ardeur de la pieté

de ce grand perſonnage par celle de feu.carle meſme mot sloébeia , pieté ou

deuotion, quieſtmis au deſſusde la figure precedente ,eſt mis de meſmeen

cette - cò , & puis ildoit eſtre le Soleilde certe Lune, qui n'eſt autre que Con
ftantinople, puis qu'elle a le Croiſſant pour ſes armes : & qu'elle a quitté la

lumiere duvray Soleil,pour ſeſeruir des tenebres d'un faux Prophete. Orce

qui a peu tromper celuy quia donnéla premiere explication : cela pourroic
bien venir de la diverſité des figures:car en l'imprimé il y a deux filles, l'vne

qui eſt ſur le tóbeau & l'autre aupres de la Lune ,


& au deſſus du ſepulchre le

Soleil deſſus la teſte de celle qui eſt debout : & cela pourroit bien eſtre quel

que tranſpoſition de ces deux planettes , car les parolesde l'epigrammeteſ

moignent auſſi clairement que c'eſtou laGrece ou Cóftantinople qui parle


à celuy qui doit luy venir donner ſecours ; car celle qui eſt debout eſt veltuë,

& l'autre qui eſt ſur le tombeau eſt nud , tant en l'vne qu'en l'autre figure:

joint qu'il n'y a point de diuiſion de lettres , pourmonſtrerqu'il y a un dialo

gueentr'eux, comme le veut la premiere expofition.

DO VZIESME
IOI
De la ruine de l'Empire des Turcs.

DO V ZIE SME FIGV RE

72

EPIGRAMME DE - LA DOVZIESME FIGURE .


Habicant fur la pierre , viens scy mon hoffe , Hyung lasßill fige , deſpoäsklá retourne derechef à la vie,
has larmes , ES La vie agrejte s folitaire , es va mors

xiij
102 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA TREIZIESME FIGYRE .

A declaration de l'onzịeſme figure confirme la demon

ftration de celle -cy ,l'epigrammeA , diſant: Voicy derechef


un homme , @ gc.comme s'ilvouloit dire , voicy de nouveau

vn homme qui tire ſon origine de ta premiere ſouche, ô

Conſtantinople , mais cachée par vn nombre infiny d'an

nées , c'eſt à dire , lors qu'elle aura paſſé de l'vn en l'autre

par pluſieurs ſiecles ,eſtát cachée en l'imagination des hommes alorsſortira

dutombeau vn homme nud , qui venu premierement de tres-ancienseſtats,

paruiendra à de nouvelles dominations,d'où reſplendiſſant par cette ſecon

de vie , c'eſt à dire eſtant conneu (comme il a eſté dit )qu'il ſera de la premie

re Royale lignée de ces peuples , & comme reſſuſcitantàvne autre vie , c'eſt

à dire lors qu'il commencera d'eſtre conneu en cet ancien eſtat , & à viure

derechefàvne vraye image de vie,c'eſtà dire à la ſupreme charge de Roy &


d'Empereur ;mais comme cet homme de cette ancienne race doit eſtre au

couchant , il ſe peut entendre qui doiue eſtre de la lignée Royale & ancien

ne d'Auſtriche, qui ſont au couchant de Septicollis .


*
Enquoy ie ne voypas grande apparence , principalement pour la fin de

cette expoſition :car commenous en auons remarqué ſur la figure onze, l'e
pigramme C, parle en plurier, & ditau Latin meſme ad occaſus : que li on

veut traduire au couchans pluftoſt qu'aux treſpas, touſiours cela nereuien


droit-il pas à ce qu'il dit,qu'on trouueracer hommeen la partie Occidenta

le ; mais pourquoy rapporter cela à la Royale famille d'Auſtriche, la plus

cóneuë auiourd'huy,& s'il fautdire,quia le plus de vogue par toute la Chre


ſtienté , quia encores le plus eſtendu ſon nom par tous ces pays Orientaux ,

veu que ce grand Empereur ; duquel parlenticy ces deſcriptions, doit eſtre

vn homme inconneu,bien qu'il vienne d'vne lignée forțilluſtre ,conneu de

frequentation & inconheu d'origine qui eſt le vray ſens de ce qui a eſté dit

cy-deſſus? & puis il y a pluſieursfamilles Royales & d'autres grands Poten

tats en la Chreſtienté, quiſe pourroient peut -eſtre dire plus legitimement


defcendus des anciensEmpereurs de Conſtantinople ,quene pourroient pas

dire les Princes de la maiſon d'Auſtriche: le plus ſeur en cela eſt de ne nom

mer perſonne, commechoſe auſſi qui nous eſt inconneuë,mais il ſemble

qu'il y a plus d'apparence de dire que le peuple ſe voyant en extreme mi


ſere, inſpirédiuinement prendra cet homme-cy qui ſera parmy eux , & qu'il

connoiſtra ,non pour ce qu'il eſt, mais pour capable de commander, lequel
affifté d'enhaut ſera conduit commepar la main puiſſance du grand Diev ,

non ſeulement ſur le throfne de l'Empire Grec , mais ſur celuy de toulo

rient , ſelon le rapporc des figures precedentes, commeayanc eſté preferé


par deſſus tout autre pourcette charge par la Prouidence eternelle, ce qui

ſemble queveuille dire le mot Grec qui eſt au deſſus de la figure du manu

ſcrit, à ſçauoir wegriunois, c'eſt à dire prelation , preference :mais le tiltre de la

quinzieſme figure le repreſente encore mieux, comme nous dirons en ſon

lieu, mais ily en a vne autre à ſes pieds qui dic ol rabera ,vne prudente & cir

conſpecte timidité,pourmonſtrer qu'il n'a point aſpiré ny qu'il n'embraſſe

sa point cette charge par ambition : ce haut coler qu'ila encore à ſa robe , à

la difference du Doliman des Turcs , monſtre qu'il doit eſtre Chreſtien .

TREIZIESME
103
de la ruine de l'Empire des Turcs .

TREIZI ESME FIG VRE.

EPIGRAMME DE LA TREIZIESME FIGVRE.


Avoicy derechef run homme de la premiere race,cachéparpluſieurs tombeau , par une ſeconde refplendidance vie il commen
es innumerablesannées, Il vient nud d'un obfcur tencbreux ce & vient, image derechef tres-vrage de la vie,
104 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA QVATORZIESME FIGVRE .

V PARAVANT que d'entrer dans l'expoſition de cette fi


gure , il eſt neceſſaire d'aduertir le Lecteurde la difference

qui ſe trouue au manuſcrit & en l'imprimé, car icy il n'y a

qu'vne ſeule reſte panchante, qui ſemble regarder attentiue

ment quelque choſed'importance ,qui ſe paſſe , & laquelle

ſemble eſtre repreſentée en l'imprimé : carily a vn berger qui tuë vn loup,

lequel vouloit deuorer vn anneau , c'eſt ce qui eſt dir en l'epigramme A ,

c'eſt ce que cére teſte contemple,commeilya grandeapparence ,& c'eſt ce

quia eſte dit en l'expoſition de la 4. figure , la vraye place de cette teſte

eſtant en ce lieu , mais il y faut joindre celle de l'imprimé pour vne entiere

intelligence , car autrement il ſembleroir que les Epigrammes euſſent eſté

dictes mal àpropos : cela premiš, voicymaintenant l'expoſition que le liure


imprimé donne à cette figure.

II dit donc qu'en l'epigramme C , de la 6. figure on luy auoit preſcrit l'ef

pace de trois moys à l'empire Othoman ,à ſçauoir troisEmpereurs apres So


lyman , & que ceux-là ont eſté, Selim , Amurath , & Mahomet (quigouuer

noitencore lors que cecy fut imprimé


) & comme il eſt le 3.mois , il ſera par

confequent la fin de l'Empire: 1 epigrammeA , de la preſente figure diat:

Voicy le loup, & c.veritablementles Empereurs Turcs peuuent eſtre appel

lez loups, qui perſecutent touſiours les Chreſtiens-repreſentez foubs la fi

gure de la brebis: mais Mahometà


cauſe de pluſieurs pertes qu'il a ſouffer
tes en la Tranſliluanie les mois paſſez & celles de ſes Capitaines en Hon

grie , ne pouuant ſouffrir vne telle honte aux premiers ans de ſon Empire , il
prepare des armées comme vn loup rauiſſant, & s'efforce de tout ſon pou

uoir de deuorerles Chreſtiens, mais le paſteur à qui ſont les oüailles les deli
urera d'entre ſes dents , l'epigramme B , dit : Ainſiperdra celuy qui occupe. Ences

paroles cft clairement demonſtrée la ruine de l'Empire Othoman, car celuy

quipric Conſtantinople s'appelloitMahomet, & l'Empereur qui vit mainte

nant s'appelle Mahomet : yn Empereur donc demeſmenom que celuy qui


.

avſurpé l'Empire le perdra , ce


qui eſtoit, mais plus obſcurement dit en la

3. figure ,en laquelle on diſoit de Mahomet qui prit Conſtantinople, en toy


!
eſt le commencement & la fin de la corne . Nous voyons donc clairement

la fin des Turcs en ce Mahomet , pourueu que les Princes Catholiques laiſ

ſans leurs diſſentions veuillent pourſuiurece loup Oriental


.

* Voila ce que dit cette expoſition ,en quoy elle a eſtéfauſe en toute choſe,

il eſt vray qu'en ce qu'elle dit du feu Empereur Mahomet , pluſieurs auoient

cette meſme croyance , voire meſme les Turcs en auoient mauvaiſe eſpe.
rance, commenous auons dit au commencement de ſon Hiſtoire. Cette

teſte donc , laquelle en la figure du manuſcrita ſon Tulban peint de verr,

pourroit bien ſignifier quelque PrinceMahometan , & peut eftre le Tartare,

lequel regarderoit ententiuement & auec grande crainte la punition que

ce bonEmpereur , duquelila eſté parlé) prendrades Turcs,car il y a grande


apparence que c'eſt le paſteur repreſente en la figure de l'imprimé.

QVATORZIES ME
de la ruine de l'Empire des Turcs.
IOS
OVATORZIESME_E
LG V.RE!

EPIGRAMME DE LA QUATORZIESME FIGVRE ,


A Voicy le berger tuera le loup qui defiroit deuorer la bre -1/B Ainſi perdra celuy qui a occupé.
bis , le pasteur le tuera á le trouuera bomme.

Y
ques
106 Tableaux Propheti

EXPOSITION DE LA QVINZIESME FIGVRE .

ETTE quinzieſme figuremonſtre yn Angetenant en

ſa main la couronne Imperiale , laquelle doit eſtre

donnée à l'hommequ'on aura trouué, auquel on dit

les paroles de l'epigramme B ,Reçoy le donc, & c.

( L'autreinterpretation dit : l'Ange auec le bonnet

Imperial qu'il tient ſur yn licu vuide, monſtre qu'il y

auraſiege vacant pour certain temps, & que les choſes ſeront cepen
dant bien reglées.

* L'Ange qui eſt en l'imprimé eſt aucunement differend de cettui

cy , car il tientle bonnet de la main droite, tourné deuers l'Orient , &

l'autre tient yne couronne Imperiale de la main gauche tourné de

uers l'Occident, & regardant l'Empereur qui eſt la figure fuiuante,

comel'autre faict celuy qui eſt en la precedente,pourmonſtrer que

ce n'eſt qu'vne meſme perſonne. Mais il ſemble encores que ces

deux Anges veuillent dire que ce grand perſonnage doit comman

der à l'Orient & à l'Occident : le mot Grec encores qui eſt au deſſus

de la figure du manuſcrit, e ſçauoir enleisns, deſignation preſenta

cionou nomination ,monſtre que cet homme ſera donné d'enhaut,

& qu'il n'vſurpera point cette dignité, comme il ſe peut voir par

l'epigramme B.

QVINZI ESME
1
De la ruine de l'Empire des Turcs. 107

QVINZIESME FIG V R E.

0,3%

) ‫د‬

EPIGRAMME DE LA QUINZIESME FIGVR E.


A Paroles de l'Ange à l'Empereur. & ſois regnant ſur le beau Royaume, ne crains point
B Reçoy le preſent, ne ceſſe vieillard receuant le Royau le temps , car tu recenras iceluy ſeul de la part de
me, tres-bon Empereut ,perſeuere iuſques à la fin , Diev .
Y ij
108 Tableaux Prophetiques

EXPOSITION DE LA SEIZIESME FIGVRE.

A ſeizieſme figure monſtre que l'Empereur eſt

couronné & confirmé par le Patriarche de Cons

ftantinople , rcucftu d'vn habit Sacerdotal à la

Grecque , lequel parlant à l'Empereur luy dit les

paroles qui ſont en l'epigrammeB , Tu as eſtéélené,


Veda doc.

[ L'autre interpretation dia : Le Patriarche de

Conſtantinople couronne vn Empereur Chreſtien , lequel remettra

tout le monde ſoubsle nom de lesys - CHRIST , & regnera en fain

etc Paix .
*
* Lafigure de l'imprimé repreſente vn Empereur reueftu à l'Im

ayant yne couronne ferméė, &


periale, tenanten la main gauche

vne boule qui repreſente le monde , ſur laquelle le Patriarche , qui

n'eft reueſtu que Sacerdotalement, & non Pontificalement,luy met

vne autre couronne : & en cette- cy c'eſt un bonnet quieſt peint de

verd , & celuy quetenoit l'Ange en l'autre figure eſtoit rouge, & fi

tant l'Ange que le Patriarche fonttournez vers l'Orient : mais la

coiffure verte & la rouge ne voudroit elle point repreſenter ce qui

eften la domination des Caſſelbas & des lefſelbas , & ainſi que cet

Empereur domineroit ſurtout?car ayāt à la main cerondauquel yn

X , aucc vn titre eſt graué,il ſemble qu'il commande deſia ſur l’Em

pire Chreſtien , ce qui ſe rapportefort aux figures precedentes.

1
SEIZIESME

:
1
De la ruine de l'Empire des Turcs .
109
SEIZIESME FLG VRE.

CE
co

EPIGRAMME DE LA SEIZIESME FIGYRE .


A PATO dx Patriarche à l'Empereur. bon , cette grace s'eft acquiſe non par fraude : derançant
B Toyqulos fanshonneur tu as eſté eflewé à une vie glorieuſe l'enuie tu preuiendrás ton dommsge , iu neferas point fins fiega
& cams heureux par la vertu, pourtant, ó trel-Il le fort s'eftans donné,
Y jij
12

110 Table Proph


aux etiqu
es

EXPOSITION DE LA DIXSEPTIESME FIGVRE


SELON LE SENS LITTERAL .

Ostre Empereurviendra , prendra le Royaume d'vn Prince

infidele , & prendra auſſi la pomme rouge,& la reduira ſoubs ſa


puiſſance: que ſi elle ne luy eſt point oſtec par l'eſpée des Chre

N îtiens juſques au ſeptieſme an , il ſera le Seigneur d'iceux juf

ques au douzieſmean ,il edifiera des maiſons,il plantera des vignes,il enui
ronnera ſes jardins de hayes ,il engendrera fils & fille apres le douzieſme

an ,& apres qu'ilaura reduit ſous la puiſſance la pomme rouge , l'eſpée des
Chreſtiens apparoiſtra qui mettra le Turc en fuitte. &

Or il faut noter que cette prediction n'eſt pas d'aueć celle des Empereurs

precedens , & qu'elle eſt entre les Mahometans en leur propre langue : c'eft

pourquoy elle eſt d'autant plus conſiderable ,mais ainſi que la remarqué le
Comentaire Latin qu'on a fait ſur icelle , ils ſont fort en peine qui ſera cet
te pommerouge,car comme quelques -vns d'entr'eux ayent dit que ce doit

eſtre Conſtantinople ou l'Empire Grec , la predištion ne mettant que ſept


& douze ans , & voyans qu'il y a plus de cent ans qu'ils iouyſſent paiſiblemét

de l'vn & de l'autre ſans auoir eſté trauerfez par les Chreſtiens, ils concluent

auffi- coſt que ce doit eſtre quelque Empire Oriental ,ou quelque autre fie
ge d'Empire: car les vns prennent chaque année pour vn an lubilaire, qui

louloit eſtre de cinquante ans , d'autres croyent qu'il veut dire cent ans . Il y

en a encores qui penſent que l'an prophetique dure 365. ans , autant de iours

à ſçauoir que durelan ſolaire:


mais ſans m’arreſterà cette recherche ,quime
porteroit à plus long diſcours que ne permet la briefueté de ces expoſiciós,

ie dy que l'euenement ne nousarendu que trop veritable tour le commen


cement de cette Prophetie, leurs Empereurs ayans conquis, comme nous

auonsveu ,tout l'Empire Grec , & pris la ville Imperiale de Conſtantinop


le,
reduiſans le tout ſous leioug de la feruitude, comme le dit le mot Kapzeiler.

Quantà ce que diccette prediction, que cét Empereur edifiera des maiſons,
cela s'entend (diſent les Arabes)desMoſquées:& quantà ce qu'elle dit qu'il

plátera des vignes ,cela s'entend , diſent- ils ,qu'ilfera diuerſes colonies: Il en

uironnera ſesiardins,c'eſt à dire, il fortifiera de nouuelles Prouinces ſi forte

ment qu'on ne pourra plus les luy oſter à reconquerir.


Il engendrera fils fille;
ils entendent par cela l'augmentati
on de la loy Mahometane. Or tout cela
s'eſt veu accomply à la lettre juſques icy à la ruine de tant de pauures Pro

uinces,deplorable ſeruitude des pauures Chreſtiens, & perte de la Religion


Chreſtienne: maintenantil nous reſte de voir ce que cette prediction nous

predit à la fin ,à ſçauoir la fuitte & la ruine des Turcs par les armes des

Chreſtiens , ſoit accomply auſſi heureuſement comme le reſte a eſté trop

veritable & trop deplorable pour ceux qui ſont reduicts ſoubs vne ſi miſera

ble captiuité . Mais tant y a que toute cette figure eſt comme vn abregé , &

qui comprenden ſoy toutes lesfigures precedentes, depuis celle de Maho

met ſecond du nom à ſçauoir la troiſieſme figure


quiprint Conſtantinople ,

juſques à l'eſtabliſſement du bon Empereur, à ſçauoir la ſeizieſine.

DIXSEPTIES ME
III
De la ruine de l'Empire des Turcs.

DHXSEETHESME HERE.

Sug4,30m980

9A2UUOOR )

28997lQIPUT

! 6:

Patis ſahomoz ghelur ,Csiaferun memleketi alur, Ku :

rulalmai alur, Kapzeiler iediyladegh Giaur Keleci csikma:

,
ſse on iki yladech onlarım beghligheder enfi iapar baghi

diker, babejai baghlar


, oqlukezi olur
: on ikiyldenſora Hri :

Stia non Keleci cfika,ol Turki gherefsine tuskure

+
112 Tableaux Prophetiques

Vi voudroit maintenant rapporter tout ce que les vns &

les autres ontpredict ſur ce ſujet, & donner ſur chacune


1 fon expoſition, outre ce que cela pourroit eſtre ennuyeux,

encores ſeroit -il plus inutile, ce qui a eſté mis cy -deuant 1

eſtant aſſez ſuffiſant, & les Chreſtiens auroient ſujet de ſe

contenter , ſi le tour reüſliffoir comme il a eſté predict,

toutesfois auparauant que de finir cette recherche, i’enadiouſteray encores

quelques - vnes , pour touſiours confirmer ce qui a eſté dit cy -deſſus, entre
autres celle de Merlin en ſes Prophecies , qui dit en ces termes , que ie n’ay
1
point voulu changer .

Vn eſpreuier ſera Roy couronné


de trois couronnes , & aura pendu vn

eſcu en fon col, que le champion ſera nommé par la ſemblance de celuy
eſcu , qui toutesfois de flambe ardente allumera Italie , & mettra deſſous

foy les meſcreans Sarrazins , dont les bons & Les mauuais de coure l'Italie
tremblerot & laiſſeront leurs mauuaiſes couſtumes , encores veux - je que tu
1
mettes qu'il y aura un homme dedans la Turquie quitouſiours iertera flam

be par la bouche, & ce fera apparoiſſant de maintes gens , cette flambe ſera
ſigne d'occiſiós d'hommes & de femmes , & mourront peu apres par toute

la Turquie d'unemaladiechaude , & bouillant comme le feu , la ſemblance

d'icelle maladie ſera ſi hydeuſe , que nul mire ne le pourra connoiſtre.

Quant à ce qu'ildit de l'eſpreuier,celapeut-eſtreneſe rapporte point mal


à ce quia eſté dit du bon Empereur.Il s'en trouue vne autre d'AntoineTor
quatAſtrologue Ferrarois , qui viuoitlan 1480. qui dit ainſi: La maiſon des

Othomans tombera lors qu'elle ſera paruenuë au treize ou quatorzieſme


1
Prince , & ne paſſera point l'an 1596. ( ie trouue ailleurs 1615. Car alorsilluy
ſuruiendra vn accidenthorrible & mortel , car apresla mort de l'Empereur

naiſtra vne telle contention & diſcorde entre les Othomanides & les prin

cipaux chefs, qu'ils ſeront maſſacrez par euxmeſmes & par les eſtrangers:
toute la Grece ſera troublée de ruines & de guerres eſtrangeres, & ſera en

cores affligée & tourmentée outre meſure parvne gráde peſte & vne cruel
le famine, & ne luy ſera point dóné temps & lieu de reſpirer,juſques à ce que

tout periſſe. Alors les Chreſtiens encouragez & enhardis paſſeront la mer
d'vne meſmeardeur auec tár de forces & auec vne celle promptitude, qu'on

eſtimera toute la Chreſtienté en armes en Orienc, & qu'elle y aura pluſtoſt

volé quepaſſé :mais premierement que ces choſes arriuene , les Venitiens

affligez de pluſieurs grands mal-heurs ſuccomberont, finalement on verra

les Turcs venir haftiuement à la foy del E svs - Christ , alors lesChreſtiens

qui auront ruiné CHRIST , retourneront ſous ſa douce obeyſſance, & les

deux Empires ſeront vnis en vn ſous vn meſme Empereur .

Ce quideclare toutes choſes aſſez clairement il n'ya que le temps auquel

ces choſes doiuent arriuer quieſt un peu embrouillé : on dit auſſi qu'il y a
vne Prophetie parmy les Turcs , qui ditqu'vn Roy,de France ruineraleur

eſtat, affifté de deux autres Roys Chreſtiens. Er Mahomet en mourane in


terrogé du temps que dureroit ſa Religion & ſon eſtat, il monſtra les dix

doigts de ſa main , que les ſectateurs de la fauſſe doctrine interpretent pre


mierement
de la ruine de l'Empire des Turcs. 113

mierement à dix ans , mais les voyans paſſez , ils multiplierent à cent , & de

là paſſerenr juſques à mille, leſquels ſelon leur compte ſont neantmoins

paſſez de plus de dix -neufans:mais les diuerſitez des opinions ſur le com
inencement du temps de l'Egire, embaraſſe ce calcul; joinct que les cho.

ſes n'arriuent pas touſiours à point nommé au meſme temps qu'elles ſont
predires : mais il y avne prediction du meſmeMahomet qui eſt fort notable

en ſon Azoar 31 .

La Cité , dit- il ,parnous aſſemblée ne ſera iamais ruinée iuſques à ce que Gog et

Magog ſortent, et les peuples de tous coſtez s'aſſemblent , l'heure veritable s'appro

chant , laquelle apperceuë des incredules , alorspleuransils crierort, helas ,halas !pour
quoy auons -nous eſté meſchans &t) incredules ? AlorsDie v leurdira : Vous eg ceux

vous adorez au lieu de Dievoſerez le bois del'enfer, où vous demeurerez eternelle


que

ment , où vous ne fuffiez nullement arriuez ſices Dieux que vous auez inuoquez euf

fenteſté veritablestt) iuſtes


. Où comme vous voyez , il appelle la Cité ſa Reli

gion & ſaMonarchie ,Gogé Magog.cc


. c'eſt à dire ſelon ſon jargon , les
Chreſtiens: caren reuanche de ce quenous les appellons de ces noms, ils

nous rendent le ſemblabie & nous appellent infideles : laquelle apperceuë des

incredules , c'eſt maintenant des ſiens qu'il parle ſans y penter ,car ainſique

vous auez peu voir cy -deſſus , les Turcs ſe doiuent conuertir à la Religion
Chreſtienne.

Mais d'autant qu'il ſemble que les predi & ions ayentplus de grace enVers

qu'en Proſe , joint queles Epigrammes Grecques quej'ay veuës il y en auoit


pluſieurs en Vers lambiques,
pour le contentement du Lecteur, ie me ſuis

amuſé à les reduire par Srances, depuis la neufieſme figure , où on parle du


ſiege vacant & de la ruine de Conſtantinople ,juſques à la derniere ,non tou

tesfois à la lettre , mais en maniere de Paraphraſe & de conſolation aux

Chreſtiens, qui ſont eſpars de tous coſtez ſous le ſceptre de la Loy Maho
metane .
114 Tableaux Prophetiques

1865

CONSOLATION

AVX ' CHRESTIENS QVI

FLECHISSENT SOVBS LE IOVG

DE L'EMPIRE MAHOMETAN , RAPPORTEE

aux Tableaux Prophetiques.

EVPLE S qui conſommez d'ennuis


Coulez les iours & les nuicts

En perpetuelle triſteſſe :
Voicy le temps quevos malheurs,

Et vos plus ſenſibles douleurs

Se changeront en allegrelle.

9. Epigramme . ' Celle qu'on voyoit autresfois

Saſſubiettir les plus grands Rois,

Cette floriſſante Bizance


Aura bien quelquesfois ſon rang.

Quand baignée en ſon propre fang,


Pas un ne prendra ſu deffence.

10.Epigramme. Chreſtiens ne perdez point le cæur,

Si l'effort d'un nouueau vainqueur,


Rentre un jour dans voſtre heritage:

Car je voy ce diuin Soleil,


vous tirer du cercueil
Qui pour

Vient diſiper tout cet orage:

1. Epigramme. V neſaincte inſpiration

Predira la perdition
De la Sept -montagne rebelle ;

Faiſant entendre par trois fois,

Que le Tout-puiſſant Roy des Rois

Donne un homme au peuple fidelle.


Venez

1
-
7

de la ruine de l'Empire des Turcs . ITS

12. Epigramme, Venez donc tous le rechercher,

Car il vous doit eſtre bien cher

Puis qu'il fera tarir vos larmes: .


Et ceſſer par tour l'vniuers,

Vos tempeftes et vos hyuers

Par ſes victorieuſes armes.

13. Epigramme, Combien qu'il vous ſemble inconnu

Et de quelque bas lieu venu ,


Il eſt de l'illuſtre origine

De vos plus anciens Empereurs,

Ayans leurs graces , leurs faueurs,

Auec l'aſſiſtance diuine.

14. Epigramme. Que vos plus mortelles langueurs

Ceffent auiourd’huy les rigueurs,

Que vos cæurs ſoient remplis de joye,

C'eſt luy qui vous doit deliurer,


Car c'eſt luy qui doit maſſacrer

Le loup dont vous eſtes la proye.

15. Epigramme, le voy la ſainete humilité

Faire quelque difficulté


De monter au trofne ſupreſme,

Mais l'Ange du ciel qui viendra,

En fin luy perſuadera


De receuoir le Diadeſme.

16. Epigramme. Il luy promettra tout honneur,

Gloire , puiſſance & tout bon -heur:

Et pourplus infaillible marque


Le Patriarche benira

Sa charge , & prophetizera

Owil fera fouuerain Monarque.

Alors vous verrez refleurir

La paix , vous verrez mourir


Vos tourmens et voſtre martyre :

Car ce qui regne en l'Orient,

Et qui commande en l'Occident


Fleſchira deffous fon Empire.

Vous qui n'aſpirez qu'aux grandeurs, 1

Et vous qui n'encernez vos cæurs

Que dans le rond d'une couronne,

Venez tous applaudir des mains,


Et vous le reſte des humains

Que ce Monarque on enuironne.


116 Tabl.Proph.de la rvine de l'Emp.des Turcs.

Vous infatigables ſoldats,

Venez à la foule aux combats

Pour une ſi iuſte victoire :

D'icy vient la felicité


Qui guide dans l'eternité,

Et vous couronnera de gloire.

Mais tandis conuertiſſez- vous,


Et de caur courbez les genoux

Deuant l'eternelle puiſſance,

Sauueur
Afin que voſtre doux

Vous communique ſa faueur,

Son amour et ſon aſſiſtance .

Que plaiſe à la toute- puiſſante Majeſté du Tres- haut que cecy puiſſe bien

toſt arriuer,afin que tantd'ames aueuglées par les erreurs de cet impie , puiſ

fent quelquesfois eſtre illuminées par le clair flambeau de la foy, la trom


pette Euangelique retentiſſantau milieu des nations plus barbares , y arbo

rant ce glorieux eſtendart, au pied duquel la terre doit faire hommage au

ciel , afin que tous reünis en vne meſme croyance ,marchans ſoubs vnemel
me enſeigne , & conduits par vn meſme eſprit, nous ſoyons tous enſemble

à ce grand Roy du Ciel & de la terre noltre Seigneur 1 E sv S - CHRIST ,

qu'vn ſeul troupeau , & que luy ſeul ſoit noſtrevnique Paſteur, auquel ſoit à

jamais rendu coute gloire ,honneur & obeyſſance. Amen.

FIN DES TABLE AV X.

Prophetiques.

INTELLECTVM DA MIHI ET VIV AM.


I.
2013

TABLE

DES DESCRIPTIONS

ET TABLEAVX PROPHETIQVES ,

TANT DES FIGVRES Q V E


DES DISCO V R S.

YAdiiefcher .
G S
niſſaires. 4 Calender Turco
23
lieu de l'Alaitement des Pro femme de Caramanie . .
phetes ſelon les Cabaliſtes, femme de l'Ille de Chio .
SS
fille de l'Ille de Chio .."
67 56
femme More d'Alger en Barbarie allant par Conſolation aux Chreſtiens ſur le ſujet des
la ville . 62 Tableaux Prophetiques . 113. 114
Fille Moreſque eſclaue en Alger ville de Contemplateurs , Prophetes , & voyans,
Barbarie . 63 qu'eſt - ce. 68
femme d'Eſtat Grecque de la cité d'Andri- Cuiſinier Turc . 19
nople ville de Thrace. so
femme luifue d'Andrinople. 51 D
fille Iuifue d’Andrinople .
marchand Arabe . 37 Ely ſignifie fol hardy . 17
marchand Armenien . 34 Demons ne peuventeſtre cauſe inftru .
Arabes diſcordans en la figure de leurs 12 . mentale de la Prophecie, & pourquoy.
maiſons . 72 68

Aſtrologues ne font Prophetes , & pour en quelle maniere les Demons peuúent re
quoy. 69 ueler aux hommes . 68
Aſtronomes repris par Pcolomée . 72 Deruis Religieux Turc. 24
Auant -propos ſur l'expoſition des Tableaux pluſieurs inuentions & manieres de Deui
Propheciques . 65 ner . 69
amoglan ou lamoglan enfant de tribut. Diuination & curieuſe recherche teſmoi
II , gnage d'infidelité . 72
Azamoglan ruſtique. 12
Azape. ID E

B 27
E Mirparent de Mahomet .
on ne doit point adiouiter de foy aux
Athkol qu'eſt -ce. 67
choſes predictes ſi l'Egliſe n'y donne fon
ibid. approbation . 71
Beſpecalariot qu'eſt -ce.
.
Boluch -baſli capitaine de cent Ianiſfaires. Empereur Turc en ſon troſne. 3
6 l'Empire Turc predit en l’Eſcricure ſaineté
Z

!
Table des deſcriptions
.
65 Medecin luif.
& ſous quels noms.
l'Eſcricure ſainte enſeigne tout ce qui eſt ne
ceſſaire en la vie . ibid . L

le faint Eſprit agic en l'Eſprit du Prophere


& comment . 70 Eop Empereur , pieux , vaillant & fça
l'Eſprit malin ſe transforme en Ange de lu L want . 71
mierc . 70

Eſprit malin que fait aux hommes quand il M

ſe failit d'eux . 69

diſcretion Acedoine.
Efprits
uatiuement à tout autre .
femme de l'Ile de Malce . 64
F Miroir double en la viſion . 67
eſclaue More. 38
66
" Igure premiere des Tableaux propheti- Mort precieuſe qu'eſt- ce.
76,77
Freeques .
78,79 N.
Figure ſeconde.
Figure troiſieſmc. 30.81

Figure quatrieſmc. 82,83 Efach & Hod qu'eſt -ce. 67


Figure cinquieſme. 84,85
86,87 O
Figure fixielme.
83,89
Figure ſeptieſme.
Figure huictieſme. 90,91 Racles anciens des Payens ont
92,93 quelquesfois dit la verité. qui 66
Figure neufieſme .
Figure dixieline. 94,95
Figure vnzielme. 96,97 P

Figure douzieſme. 98,99

Figure treizieſme. 100,101 en Aradis n'y any foy ny Prophecie . 68


102,103 PA
Figure quatorzieſme.
Figure quinzieſme. 104,105 lague. 57
106,107 habie & maniere ancienne des Peichs on
Figure leizieſme.
Figure dix ſeptieſme. 108,109 laquais du grand Seigneur . 14

Figures des Tableaux prophetiques iadis Peich de nacion Perſienne laquais du grand
imprimées differentes de celles qui ſont Seigneur . 13
contenuës en ce preſent liure. 74 Pelerins Mores venans dela Mecque . 28

aux Figures propheriques rien ne doit eſtre femme d'Eltac Grecque de la ville de Pera .
obinis. • 74 47
fille d'Eſtat Grecque de la ville de Pera. 49
G gentille - femme Perotre franque. 98
gentil . homme Perſien . 30
22 femme Perſienne . 60
Tomailer Religieux Turc .
G Gentilhomme Grec. 31 Pharao , Nabuchodonoſor , ny Caïphe , ne
Marchand Grec. 32 peuuenc eſtre dits Prophetes , & pour
20 quoy . 68
villageois Grec .
Pleuianders luyrans. If
yillageoiſe Grecque . S3
Pleuianders luyteurs .
I quelle foy les Turcs doiuent adiouſter
Predictions des Empereurs Seuere &
Anpiſſaire allant à la guerre. 9 Leon . 73
lanniſſaire ou Ianniſſarler ſoldar à pied Pluſieurs predictions anciennes faites à dis
IM
de la garde ordinaire du grand Scigncur. uerſes nations . 65

8 . quatre choſes neceſſaires à vn vray Prophe


te . 67,68
Incertitude de l'Aſtrologie Iudiciaire.
72 noſtre Seigneur n'a point eſté Prophete
comme les autres . 68
Marchand luif. 33
tous
Table des deſcriptions
.
tout Prophece doit prouucr ſa miſſion &
comment . 70 S

faux Prophetes en l'eſcriture qu'eſt ce . 69


Acchaz de nation Moreſque porteur
les Saints ny les Anges ne ſont point Pro
68 SALE d'eau , pelerin de laMecque . 29
phetes & pourquoy .
deuoir des Prophetes de deux ſortes. ibid . Satan ne donne point de rauiſſemens mais
teſmoignage d'vnc veritable Prophetic des enragemens . 70
ibid . Solachi , archer ordinaire de la garde du
quel .
Prophetic de preſcience , & Prophetic de grand Seigneur. 7
predeftination qu'eſt- ce. 69. exemple à femme yeſtuë à la Surienne . 59
ibid .
ce propos.
T
Prophetie ſimplement & proprement dice
comment ſe fait. .68
potable Prophetie qui ſe retrouve entre les Ableaux prophetiques de qui ſont. 71
Turcs ſur la ruine & decadence de leur
Tardemach qu'eſt - ce.
IIO Torlaqui Religieux Turc. 25
Empire .
Prophecie de Merlin ſur la ruine de l'Empi- femmeMoreſquede TripolienBarbarie . 61
re Turc . ibid . grande Dame Turque . 39
Prophetic de Mahomet ſur la ruine del’Em gentille - femme Turque eſtant dans leur
pire Turc. III maiſon ou Serrail . 41
Prophetic d'Antoine Torquot . ΙΙο femme Turque de moyen eſtat. 42
les Prophe ti cs reuelées à quelqu'vn & fille de joye Turque. 45
pourquoy . 68 femme Turque veſtuë à la Moreſque, 46
Turque allant au bain . 40
R femme Turque allant par la ville. 43
femme Turque menantſesenfans. 44
Fante de
Fante de RAşure ou porteur de lettres. V
36
Marchand de Raguſc. 35
Rauchement desProphetes ſelon les Mccu; V* Ilion intuitiue
Villion .
corporelle qu'eſt-ce. 67
bales quel . ibid .
67
26 66
Religieux Turc. Viſion d'eſprit qu'eſt -ce.
Repentir en Diev qu'eſt - ce. 70
Y
pluſieurs ſortes de Reuelations . 66. & de
viſions. ibid.
les Vrongnes. 18

:
‫‪ :‬را‬

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‫‪.‬‬
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‫مل‬

‫‪)۰‬‬

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I 2

ILLVSTRATIONS

DE BLAISE DE VIGENERE

BOVRBONNOIS , SVR L'HISTOIRE

DE CHALCONDILE A THENIEN , DE LA

decadence de l'Empire Grec , & eftabliſſement deceluy des Turcs.

' EMPIRE tranſlaté de ner cette belle Cité , ránt l'ancienne que la mo

Rome à Conftátinople en derne : En apres de Conſtantin ſon reſtaurateur,


uiron l'an de ſalut 33. par & de ſes ſucceſſeurs, dont auſſi bien cette hiſtoire
Conſtantin fils d'Heleine eſt par tout ſemée,au moins depuis que les Turcs,
ſurnomé le Grand,l'an 24 . eurent comencé de regner; puisde quelques bons
de fon regne , ſe maintint & louables Princes en petit nombre, entremellez
encore par quelque téps en parmy la pluralité desmeſchans : Car fi beau
fa dignité & grandeur, bien coup de ceux qui precederent Conſtantin à Ro
que non auec vne telle tranquillité & obeïſſance , me , furent pluſtoſt loups rauiſſans que creatures
des nations & Prouincesa luy ſujetres comme raiſonnables, la pluſpart des autres d'apres ont
au precedent, iuſqu'à ce qu'en fin par la noncha eſté de vrais monſtres, voire lyons , voiretygres :
lance & débauches des mauuais , vicieux , & ou ſi quelque autre choſe de plus inhumain &
inutiles Princes mal -aduiſez, puſillanimes & vo cruel ſe peut , non pas retrouuer , mais imaginer
luptueux , joint leurs picques & feditions inteſti en la nature. Cela fait nous viendrons à Maho
nes hors de ſaiſon , cette groſſe maſſe de Monar met , & à ſa ſequele , parce que tous les Turcs
chie vint à ſe démembrer peu à peu , tant par el ont touſiours eſté Mahometans , auant que de ve
le -meſme que par les reuoltes du dehors de nir à la premiere ſource & origine d'iceux , & aux
pluſieurs peuples, & Pontentats de coſté & d'au Othomans qui en ſont finalement deſcendus,
tre, qui en emporterent chacun ſa piece: Comme auec leurs conqueſtes par le menu, de pere en fils
entr’autres, les Goths , Huns , & Vandales és par- iuſques à douze ou treize generations en droite
ties Occidentales , & en Afrique :Et les Perſes , lignemaſculine ſans interruption, par l'eſpace de
les Arabes , Sarrazins, les Circaſſes ou Mamme trois cens ans, peu s'en faut : Ce qu'oncques n'ad
lus , tant au Leuantqu'en l’Egypte expoſée pour uint à nuls autres fi grands Seigneurs. Plus les
noſtre regard , & de la Grece au Midy , qui s'em forces qu’à toutes heures ils peuuent mettre
parerent en peu de iours de l'Arabie , Egypte, & dehors, tant par la terre que par la mer : l’eſtroitte
Surie, voire de la plus grande part de l’Alie : & les obeïílance & reſpect de ces gens - là enuers leurs
Turcs conſequemment en toutes les trois por- , Princes, & ſesOfficiers & miniſtres tous tels qu'il
tions de cét Hemiſphere , où ils ont pris pied peu lay plaiſt les choiſir , bien qu'indignes :leur diſci
à peu , s'eſtendans ainſi qu'vnetache d'huile , de pline, fobrieté , endurciſſement au fait militaire :
proche en proche, tant qu'ils ſont venus à s'eſta leurs mæurs , vz , couſtumes, & façons de viure,
blir l'vne des plus puiſſantes dominations quifut au boire ,manger , & veſtir : leur religion , & ma
oncques apres la Romaine . Toutes leſquelles riages; l'ordre dela Cour ou de la Porte, comme
choſes , comme , quand , & ſous qui elles aduin- ils l'appellent,du grand Turc , & ſa fuitte, tantau
rent , auec les groſſesguerres qui pour cette oc camp ſousles tentes & pauillons, qu'à la paix &
caſion ſe demélerent entre les Chreſtiens & les repos dedans ſes Palais dits Serrails : auec telles

infideles , ſe pourroient dire aucunement eſtre autres particularitez qui ne ſeront deſagreables
hors denoſtre propos principal , ſice n'eſtoit que ny inutiles , mais pourront donner beaucoup de
pour ce qu'il eſt icy queſtion de la decadence, lumiere à cette hiſtoire,qui ne fait que ſuccincte
voire aneantiſſement de l'Empire Grec , ou plu ment paſſer par deſſus.
toft du Romain tranflaté de Rome en la Grece, CONSTANTINOPLE auparauant dicte Deſcri
& de l'eſtabliſſement de celuy des Turcs en ſon Byzance, fut fondée premierement par Pauſanias ptió de
lieu , leſquels apres pluſieurs & diuers change- fils de Cleombrot, Roy de Lacedemone , ſi nous Cóftan
mens ont à la fin arreſté leur ſiege Imperial à nous en voulons rapporter à Iuſtin au 4. liure
: tinople.
Conſtantinople: Et n'y aura point demal de per mais il ſe doit eſtre mécompté en cela , ou auoir
mettre icy yn Sommaire de ce qui peut concer pris fondateur pour reſtaurateur : Parce qu'He
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
3 4

rodote ſur la fin de ſon hiſtoiredit , qu'à l'entre cntre bien plus auant en terre , entre Conſtanti

priſe que fitDarius Roy de Perſe , pere de Xer- nople , & Pera, ſe peut dire l'vn des plus beaux,
xes , ſur la Trace , les Bizantins & Chalcedo ſpacieux , & ſeurs ports qui ſoit en tout le demeu
niens n'attendirent pas la venuë de la flotte Phe rant du monde : car il a bien vne lieuë de long , a
nicienne, mais ſi tolt qu'ils en eurent le vent, quit l'abry de tous vents , & cinq ou fix censpas
tans- là ces deux villes , ſe retirerent plus au de de large ; d'vn tel fonds par tout , que les plus
dans du Pont- Euxin ,où ils baſtirent Meſembrie . grands vaiſſeaux peuuent aller ietter l'ancre tout
Et Thucidide au commencement de la guerre du ioignant le moulle ou le quay des deux villes , &
Peloponeſe , enſemble Pauſanias qui a décrit les ſi il n'y entre point de riuieres qui le puiſſent
antiquitez de la Grece , mettent que ce Pauſanias molefter de leurs vagues , tellement qu'il en eſt
fils de Cleombrot prit la ville de Bizance ſur les touſiours plus tranquille. Outre-plus,ily a enco
demeurans de l'armée d'iceluy Xerxes : Ce qui reyn bel havre le long de la plage de la Propon
aduint enuiron l’an du monde 3490. en la 76 . tide , où les nauires peuuent aſſez commodement
Olympiade : l'an de Rome 278. auſſi Stephanus demeurer à couuert de beaucoup de vents , voire
au liure des villes & Euſtathius ſur Homere, ſi le temps n'eſtoit par troprude & contraire : Ce
l'attribuent à vn Bizante fils de Neptune , ou qui auroit meu l'hiſtorien DenysBizantin de luy
pluſtoft comme auſſi Polybe , & Diodore Sici attribuer trois ports : l'ynau Midy ſur le coſte de
lien , à Bizés , conducteur de l'armée demer des la Propontide: l'autrevers le Leuant en cette cale
Megariens, qui y allerent fonder vne Colonnie : du deffroit : & le troiſieſmeau Septemtrion , qui
eſt le canal deſſuſdit d'entre les deux villes , le
Philoſtrate en la vie du Sophiſte Marc Bizantin,
l'appelle Bizante, nom bien plus proche de celuy quel on peut bien fermer d'une chaiſne á la
de Bizantium , que celuy de Bizés. Brefque tou bouche.
ces ces anciennes origines des villes ſont fort CESTE ville de Pera , qui ſignificen Grec au- PERÄ
douteuſes : Pource que la pluſpart du temps il ad delà , ou audellus, parce qu'elle eſt au delà du ca
uient que les premiers edificateurs d'icelles ne nal pour le regard de Conſtantinople , dont elle
s'attendent pas qu'ellesdoiuent paruenir à la di faifoit autrefois vne portion , & meſme on peut
gnité & grandeur, où le ſort des choſes humai bien aller par terre de l'yne à l'autre , mais le de

ne les éleuent par traict de temps . Comment que ſtour ſeroit en aucuns endroits de pres de deux
ce ſoit , elle fut baſtie , ſelon qu'on peutvoir meſ. lieuës ; fut anciennement appellée Galate , ſelon
mes encore pour le iourd’huy , en vne encoi Sophian , & quelques autres des Gencuois qui la
gneure d'Europe, ſur le Boſphore ou deſtroit de fonderent premierement , mais ils n'en furent
Thrace , qui eſt vn petit bras ou canal de mer ſe . que les reſtaurateurs non plus : car elle eſt bien
parant l'Europe d'Aſie,lequeln'a là que huict ou plus ancienne ; du commencement ditte zurej';
neuf cens pas de large, li que les coqs s'oyent Nicephore la nomme T reiza , & Strabon la cor
chanter, & les chiens abbayer d'un riuage à l'au ne des Bizantins : Volaterran la prend pour Pe
tre, eſtant Chalcedon vis à vis , du cofté de la Na rinthe , meu , pourroit - eſtre de l'allufion des deux
tolie ou Alie , auiourd'huy Scutari ou Scodra, noms : Car Perinthe à qui l'Empereur Seuere
autrement ditte la ville des aueugles par l'Ora donna le territoire & ſeigneurie des Bizantins,
cle d'Apollon Pythien , ainſi que met Tacite au depuis appellée Heraclée , de l'Empereur Hera
douzieſme de ſesAnnales,& Pline liure s . chapi clius , où il y eut anciennement vn amphitheatre
tre dernier : Quod locum eligere neſcijent ,jeprem fta d'un marbre ſeul, reputé pour vne des ſept mer
dia diſtans à Bizantio tanio fæliciore omnibus modis ucilles dumonde , en eſt bien plus éloignée , &
Solo: Pour n'auoir ſçeu choiſir yn lieu propre encore au deſſous ſur le bord de la Propontide:
pour baſtir leur ville , mais preferé en cela vn ter Toutesfois quelques- vrts veulent dire , que l'an
roir maigre & mal - plaiſant, & vne coſte fi fterile cienne Perinthe fuſt ce qu'on appelle mainte
en peſcheries, à cauſe que les poiſſons, meſme nant Rodoſto , entre Gallipoli , & Sclybrée , en
ment les Thons qui en tres grande abondance uiron deux iournées de Conſtantinople. Quoy
deſcendent de la mer Majour tous les ans en la que ce ſoit, Pera d'auiourd'huy eſt vne ville ſituée
Propontide, Helleſpontide qu'on appelle le bras à l'autre coté du grand port de Conſtantinople
faina George , & la mer Egée ou Ariſipel,épou vers le Septemtrion ,ayant unebonne lieuë decir:
uentez de la Llancheur de certains rochers qui cuit , habitée au reſte de quatremanieres de gens,
ſont ſemez dru & menu le long du riuage de de Chreſtiens , à ſçauoir Catholiques viuans ſe
Chalcedon , s'en deſtournent versceluy de Con lon l'vſage & les traditions de l'Egliſe Romaine,
ſtantinople , ainſi qu'eſcrit bien amplement le & ceux -cy ſont les vrais Perotins: d'autres de la
meſmePlineliure 9. chapitre is . & Plutarque au religion Grecque : & des Turcs , auec quelques
traicté de la ratiocination & entendement des Iuifs pelle -meſle, parce que la grande flotte d'i
animaux terreſtres , & aquatiques : & encore ceux luifs fait ſa demeure en Conſtantinople,
ayans ſi pres deux l'une des plus plaiſantes & manians toutes les fermes & admodiations des
commodes demeures qui ſoit en tous les quar peages, gabelles , & autres fubfides, tout le train
tiers de là . Car outre la campagne d'autour,capa des banques , & des fripperies , voire preſque
ble de toutes manieres de fruicts & biens de la tout le trafic de la marchandiſe : maisces trois
terre , elle a deux Ports , I'vn entre les deux bran demeures ſont ſeparées les vnes des autres par
ches du Promontoire appellé Kiegs , corne ou autant de cloftures de murailles. Les Ambaffa
cornu , qui ſe fourche en deux , comme la queuë deurs de France , Veniſc , Pologne , Hongrie,
d'un poiſſon deſſus l'angle & pointe du deſtroia , Tranſfiluanie , Valaquie, Ragoule , & en com
embraſſant dedans ſon pourpris vne bonne cale, me que tous les Chreſtiens y reſident, auſquels il
où peuuent commodément donner fonds & fure n'eſt pas loiſible de loger en Conſtantinople,
gir les barques à deux ou trois Hunes ; l'autre qui hormis l'Ambaſſadeur de l'Empereur & celuy
d'Eſpagne
>
S de Chalcondile .

d'Eſpagne quand il y en a , la longueur de Pera le port de Sigée , ſelon Zozime , & Solimene San
s'eſtend tout le long du Port , au bout duquel eſt laminien ,ou à Theſſalonique, comme met Geor
vn Arcenal pour baſtir des vailleaux , & mettre la ges Cedrene, & puis apres à Chalcedon , dont
pluſpart des galleresdu Turc à couuert, y ayant il fut deſtourné par ie ne ſçay quels miracles
bien à cette fin cert arcs ou voultes telles qu'on d'aigles , qui tranſporterent les cordeaux des ou
peut voir en celuy de Veniſe :Et à l'emboucheure uriers de l'autre coté de la mer à Bizance , à ce
du canal qui a pres d'un mille de large ,mais plus que raconte Zonare : les autres diſent que ce fu
en dedans de quatre à cinq cens pas ſeulement, rent de petits cailloux & pierrettes , qu'elles en- L'occa.
eſt l'autre Arcenal pour l'artillerie , elle eſt bien leuerent. La cauſe au reſte qui le meût de faire fion de
peuplée d'habitans & demaiſonnages, lourds & cette tranſlation de la ville , & du ſiege Imperial, lation
groſſiers toutesfois , ſelon la mode du pays , & vint ſelon Sozomene , & quelques autres, d'vne de l'Em
des barbares qui les poſſedent , leſquels n'admet viſion
, par laquelle il fut admonnefté en dor- pire de
tent rien d'architecture, ſculpture, peinture, ny mant de ce faire, & aller baſtir yne nouuelle ciçe Rome à
autre choſe de gentil : aſſiſe partieen vn plain, és parties de l'Orient , à qui il doneroit ſon nom . Cóftan .
partie deſſus la pente d'vn coſtau , où il y a force
Aucuns qui ſe ſont hazardez là dellusde vouloircinople.
Accidés vignes au haut. diſcourir plus auant , alleguent que luy touché
CONSTANTINOPLE a ſouffert autresfois
anciens de deuotion , à la perſuaſion , peut-eftre du
deCon- de grandes deſolations & ruines par les Thra
Pape Sylueftrc,auquel depuis ſon Chriſtianiſme,
Nanti- ciens gens felons & farouches, efpandus à l'en il adiouſta beaucoup de foy ,non tant ſeulement
nople . tour:Par les Bithyniens, qui ſont vis à vis , & les en la ſpiritualité , mais en affez de choſes tempo
Gallogrecs , comme eſcrit Tite-Liue,au 38. qui relles encore , il ceda a la primauté de l'Egliſe, la
la tinrent longuement tributaire à 8o . talens ville dame & maiſtreſſe de toutes les autres, & où ;
chacunan , reuenans à 48000. eſcus : En apres depuis que ſainct Pierre eut premierement
par les guerres des Grecs , tant à l'encontre des eſtably le ſiege du ſouuerain Vicariat de noſtre
eſtrangers qu'entre eux -mefmes : & finalement Sauueur icy bas , tant pour luy que ſes ſucceſ
des Romains , dont elle fut premierement con leurs ; auoit par conſequent aulli eſté tranflatée
federée, puis faite Colonie Latine ; & en fin ob la préeminence de ſon Egliſe , qui auparauant
tint le droit de la Bourgeoiſie Romaine . Mais ſur ſon aduenement fouloit eſtre en la ſaincte cité
tous ſes autres deſaſtres & infortunes , la plus de Ieruſalem : & luy , Conſtantin ainſi que le bras
grande qu'elle receut oncques, fut de l'Empereur ſeculier de cette Eccleſiaſtique puiſſance , & Ca
Septimie Seuere , l'an de l'alut 197 : & de la fon pitaine general d'icelle , s'en feroit allé parquer
dation de Rome 948. Qui par dépit de Peſcen à l'endroit le plus à propos , tant pour reprimer
nius Niger ſon concurrent à l’Empire, dont elle les courſes & inualions des barbares , & infidel
auoit épouſé trop affectionnément le party , les, que pour eſtendre les limites de cette Monar
apres l'auoir tenu aſſicgée trois ans entiers ; & chic temporelle , & de la foy ; eſtant
pour lors
ceux de dedans fait & paty tout ce qu'imaginer Romebien obeye , & en toute ſeureté & repos
ſe pourroit, que de deuoir , que de meſaiſes; la au long & au large de tous les coftez à l'entour.
* ruina de fonds en comble , & en aſſigna la Sei Et de fait nul Prince deuantConſtantin , ny apres ,
gneurie & le territoire aux Perinthiens. Tout n'a plus deferé au lainct liege Apoſtolique que
cela eſt bien au long deſcript par Herodian , & luy ; afin d'inuiter les autres qui viendroiét apres,
Dion , ſelon que l'allegue Żonare , auec la beau de porter le meſme reſpect aux facrez Pontifes,
té & magnificence tant de ſa clofture , que des qu ' il fit au deſſuſdit Sylueftre: ce qu'ont fait de
edifices publics & particuliers . Elle demeura puis à ſon imitation de grands dominateurs
ainſi deſolée 135. où 36. ans : Toutesfois Seuere eſtrangers tant infidelles que Chreſtiens ,comme
en ayant eu depuis ſa ruine quelque remords, la l'an 1268. le tres- puiſſantEmpereurdes Tartares
voulut aucunement reſtaurer, & de fait.y auoit Cublailan , ſelon que le raconte Marco Polo Ve
deſia commencé vn theatre , vne longue galerie nitien tout au commencement de ſes narrations :
ou portique , & vn Hippodrome que les Ro & long -temps apres l'Empereur des Ethiopiens
mains appellent Cirque : ceſont des lices à faire Abiſſins , qu'on appelle abuſiuement Preſtejan ,
courir des cheuaux de ſelle , & des chariots, auec & affez d'autres . Dauantage que cecy eſt aſſez
des Thermes & Lains tout aupres : leſquelles cho notoire , que les Turcs quelques grands & puiſ
ſes ſon fils Antonin Caracalle acheua depuis, ſans qu'ils ſoient , ne laiſſent neantmoins d'ad
dont elle futditte Antonienne ſelon Zozime , & uoüer liberalement , ſelon que leurs eſcritures
L'aire
d'Augu Euſtathius . MaisConſtantin leGrand lan 362. à propres teſmoignent , qu'ils ne ſe peuuent attri
Ite . compter de l'Empire ouAire d'Auguſte, quitom buer de droit le vray tiltre de la Monarchie , que
be en l’an 321. denoſtre ſalut , leis. du regned'i premierement ils ne ſe ſoient emparez de Rome,
celuy Conſtantin , commença de la rebaſtir , & laquelle ils en cſtiment eſtre le vray ſiege & do
la dedia dix ans apres l'an 331. l'onzieſme deMay, micile, ſansautre, & qu'ils n'en ayent depoffedé
luy donnant ſon nom , auec le ſiege de la Monar le ſainct Pere , qu'ils voyent eſtre ainſi reueré des
chie de l'Orient,voire de l'Empire Romain tout PrincesChreſtiens,toutainſi que leur ſouuerain ,
à fait , qui ne fut depuis pour le regard des Ro iuſques à luy baiſer les pieds , & luy preſter l'o
mains , & de Romequ'vne onibre & image;apres bedience. Mais les autres qui ne veulent faire fi
l'auoir embellie de ſes dépouilles , & des autres conſcientieux Conſtantin , le diſent auoir eſte
les plus ſignalez lieux de la terre , ainſi que le teſ meu d'abandonner Rome , ou par yne vaine gloi
moigne S. Ieroſme en ſa chronique : Hoc ipfo anno re d'auoir oſé entreprendre vne telle noualité;
Conftantinopolis dedicatur pene omnium vrbium nu ou bien qu'à l'exemple de lules Ceſar , lequel
dicate. Il auoit du commencementeu opinion de pour ſe garentir des conſpirations & aguets qu'il
l'édifier entre les ruines de Troye la grand , & ſoupçonnoit ſe dreſſer à l'encontre de luy ,d'heu
& ij
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 8
7

reà autre auroit pris opinion , de tranſporter, commendant pour lors en Conſtantinople l'Em
comme met Suetone en fa vie , le ſiege & autho pereur Romain Argyropile , ſi querien ne fur
rité de l'Empire en Alexandrie d’Egypte , ou en uint d'extraordinaire'ny de nouueau , non pas
Ilion, és ruines de l'ancienne Troye , apres auoir meſine de long- temps depuis : car les Chreſtiens
Chap. épuiſé l'Italie de tous les gens de guerre qui s'y ſe maintinrent à Conſtantinople encore plus
79.
pourroientleuer , & laiſſéla charge d'icelle ainſi de quatre cens ans, iuſques à l'an 1453. qu'elle fut
affoiblie & dénuée à ſes plus fidelles amis : En prile , & l'Empire du toutoccupé par Mechmet
cas ſemblable Conſtantin ſe voyant auoir en Tecod de ce nom, & le IX . de la maiſon des Otho
couru la haine & indignation du Senat , & des mans Empereur des Turcs . Neantmoins cette
principaux , tant pour auoir abandonné leur ac ville apres ce lien reſtaurateur Conſtantin ſouf
coutumée religion , à ſçauoir le paganiſme, que frit pluſieurs accidens & fortunes , à ſçauoir du
de ce qu'eſtant baſtard, il ſe ſeroit impatroniſé feu ſous le grand Leon enuiron l'an de ſalut 440 .
Acci .
del'Empire , ſe ſeroit retiré és parties Orienta Que tout y brûla d'vne mer à autre , de la partie des plus
les . Zozime comme ennemy du nom Chreſtien , du Midy à celle du Septemtrion , le long du Bof- moder
& pour gratifier auſſi l'impieté de lulian ſur phore ; l'autre beaucoup plus grand & domma- nes de
Cóftan .
nommé i A poftat , en ameine vne occalion ac geable aduint ſous l'Empereur Baſiliſque, quel
tinople.
commodée à ſon propos . Que Conſtantin apres ques dix ou douze ans apres , auquel meſme fut
auoit fait tuer ſon fils Crifpe , & commis plu brûlée la Bibliotheque auec plus de fix -vingts
ſieurs autres enormes forfaits , dont il fe fen mille volumes deliures , & le boyau d'vn ſerpent
toit tourmenté en la conſcience , ayant taſché long de ſix -vingts pieds, ſurquoy eſtoient eſcrites
de s'en fairc purger & abſoudre par les Preſtres en lettres d'or l'Iliade , & l'Odyſſée d'Homere,
Payens, ils luy firent reſponſe n'auoir le pouuoir commele teſmoigne le Sophiſte Malchus , qui a
& authorité de ce faire. Trop bien certain Egy eſcrit l'hiſtoire Bizantine depuis Conftantiniuſ
ptien qui eſtoit lors nouuellement arriué à Ro qu’à Anaſtaſe. Vne autre conflagration encorey
me ; auquel Conſtantin s'en eſtant conſeillé , il aduint l'an 532. lev. de l'Empire de luſtinian ,où

luy dift , qu'ilpourroit à la verité obtenir pardon le temple de ſaincte Sophie brûla , n’eſtant lors
de ſes fautes pour quelques grandes qu'elles ' voulté que de bois .Quant aux tremblemens de
fuflent, s'il vouloit embraffer la doctrine Chre terre , l'vn fut ſous Zenon Iſaurique incontinent
ſtienne , qui tenoit entre les autres articles de la apres : mais yn bien plus encore cftrange depuis,
creance , que toute perſonne venant à auoir con du temps de Bajazet ſecond lan iso9 . au mois de
trition & vray repentir de ſes fautes , le tout luy Septembre, dont les murailles furent en pluſieurs
eſtoit ſoudain pardonné. Ce qui l'auroit meu à endroits renuerſées , auec grand nombre d'edifi
delaiſſer le paganiſme, & prendre cette nouuelle ces , & bien treize mille perſonnes accablées de
religion ; fi qu'vn iour que le deuoit faire yn ſa cette ruine .
crifice folemnel dans le Capitole , il refuſa de s'y A v REGARD de l'eſtenduë & grandeur de
La gran
trouuer , dont il acquit la mal- veillance de tout Conſtantinople,elle a eſté diuerſe à diuerſes fois : desde
le peuple : au moyen dequoy ne pouuant plus car Denys-Bizantin a eſcrit, qu'auant que Seuere Cóftan
ſupporter leursmédiſances & execrations , il ſe l'euft ruinée , ſon circuit contenoit quarante ſta- tinople .
feroit retiré premierement en la Troade , & fina des , qui peuuent faire quelques cinq mille pas.
blement à Bizance : ce que refutent fort pregnam Mais Conſtantin l'agrandiſt debeaucoup, y ren Vne
ment Sozomene , & Euagrie. fermant les ſept tertres qu'on y voit encore pour lieve &
CONSTANTIN donc y ayant dreſſé ſa nou le iourd’huy , à l'exemple de ceux de Rome,dont deur.ie.
uelle Rome , curicux ,d'en ſçauoir la durée en fit illa departit aufli en quatorze regions ou quar
dreifer la reuolution par vn Valens le plus ex tiers , comme Auguſte auoit fait l'autre , & la
cellent Mathematicien de ſon fiecle ; lequel par nomma la nouuelle & ſeconde Rome , la pêu

fon calcul netrouua que fix cens quatre vinges plant la pluſpart deceux qu'il y tranſporta de
[ ; à , enſemble de
Aſtrologue, mais tres - ſeure d'ailleurs à n'eſtre que pour cet effe & il dénua preſque de leurs ha
démentie de ſon viuant , ne long - temps apres : bitans , liqueCanapius Sardian a eſcrit en la vie
dont tant plus ſimples ſont ceux qui ſe laiſſent du Philoſophe Edelius, que toutes les nauires de
ainſi tranſporter å telles réveries oiſeuſes , & charge de la corte d'Alie, Surie , & Phenice , à
meſmes vn Prince ſi prudent & religieux comme grand' peine pouuoient ſuffire pour l'auitailler,
eſtoit Conſtantin , lequel euſt cu aulli bon com & fournir de bled , & de vin . Les Empereurs ſui
pte d'emboucher l'autre , comme devray on eſti uans, comme metZonare , l'augmenterent enco
mequ'ilfut embouché , attendu ce compte ſi en re depuis , & meſmele ieufne Theodoſe, qui en
trerompu , pour plus luy faire adjouſter foy, ayant donné la charge a Cyrus Gouuerneur de la
& le faire parler à fa volonté d'yne durée perdu ville , ceſtuy - cy tira en 60. iours auec yne tres
rable , ou pour le moins plus diuturne, pour don grande promptitude & allegreſſe du peuple qui
ner touſiours tant plus de credit à ſon entrepriſe, s'y employa liberalement iour & nuict , vnpan
ſuiuant ce dire du Poète , quant à la domination de muraille d'vne mer à aucre, embraſſant l'Iſtme
des Romains : Imperium ſine fine dedi, Car ce ter ou langue de terre qui ſe fotjecte dans la mer
me de 696. ans échet en l'an de ſalut 1030. ſur la vers le deſtroit. L'ancienne deſcription de la vil
fin del'Empire , pour le regard de l'Allemagne, le porte , que deuant le temps de Iuſtinian qui

Le icura de Conrad ſecond , & du Roy Robert en France, l'amplifia de beaucoup , elle contenoit en lon .
ne du leſquels firent enuiron ce temps - là aſſembler vn gueur depuis la porte- dorée iuſqu'à l'autre bout
Vendre- Synoded Triefues touchant le ieûne du Vendre ſur le bord de la marine , quatorze mille pas de
dy quãd dy , qui fut le premier receu en France , ſelon Vin
inftitué droite ligne, & plus de fix -mille de large , quire
,
cent liu . 16. chap . 16. de ſon Miroüerhiſtorial, uiendroient à bien trente -cinq mille pas de cir
cuir,
de Chalcondile . 10
9
cuit, pouuans faire plus de dix lieuës : ce quieſt ſes que la nature y produit pour l'vſage des ames
vn peu dur à croire , attendu que noſtre Autheur viuantes : fi qu'il ne ſe faut pas ébahit, fi Con
au 8. liure , ne luy donne lors qu'elle fut priſe par ſtantin , Prince aduiſé, la choiſiſt pour le domicile
Mechmet , que cent onze ſtades de tour, qui arri de ſon Empire ; & que les Turcs aſpirans à la
uent ſeulement à treize ou quatorze mille pas Monarchie de l’Vniuers , dont ils ont deſia bon
geometriques :il faut touſiours entendre , chaque nes arres, l'ont ſi ardemment conuoitée : car il n'y
pas contenant cinq piedsde Roy , de ſorte qu'el a autre aſſiette en toute la terre qui s'y puiffe pa
le correſpond preſque à l'enceinte & grandeur rangonner , ny de plus propre pour dominer la
de Rome ; mais elle eſt fort mal baſtie pour le plus grand partie de cet Hemiſphere:
iourd’huy , & encore n’eſt-elle pas peuplée à la Les murailles doncques de Conftantinople,
proportion, comme pourroit eſtre Paris , Veniſe, ſelon meſine qu'elles le comportent pour le jour- Le cit
cuit de
ou Milan , parce que les maiſons n'ont commu d’huy , peuuent contenir quelque quinze mille Cóftan .
nement qu'yn eſtage. Priuée au reſte preſque de pas de circuit, quifont quatre à cinq de nos lieuës tinople;;
tous ſes anciens ornemens. Françoiſes, tant du cofté de la terre que de la mer , & les
Sa figu Elle eſt de formetriangulaire, à guiſe prel car la clofture s'eſtend par tout : mais deuers la adue
to & al- que d'vn auf applaty , ou pluſtoft d'vn caur, terre où eſt la plus dangereuſe aduenuë , elles nuės.
liette, dont la pointe ett és íept tours, & le chef qui ſe ſont doubles , baſties par endroits de pierre de
recourbe aucunement en dedans , le long du port taille , & en d'autres de moëllon , & de bricque;
au droit de Pera , l'vn des deux autres coſtez eſt chacune de ces deux ceintures munies au deuant
deuers la terre : Et le ţiers flanqué,de la Proponti d'yn foſſé à fonds de cuue , muraillé de coſté &
de,depuisles ſept tours iuſqu'à la pointe dite Ko d'autre, large de lix -vingts pieds.Le premier mur
exs , non en vn plain du tout, mais partie és co de dehors n'eſt qu’à guiſe d'vne fauſle braye,éle
ſteaux , partie és valons des ſept tertres , leſquels ué de quelques dix pieds & non plus , auec force
s'entreſuiuans d'vne file , la partillent preſqu'e creneaux & barbacanes en ſon parapet , & des
galement de ſon long , ſi que de la plus grand part canonnieres parbas , tant à la cortine que dans
des edifices on peutayſément découurir au long les tours dru ſemées à peu de diſtance I'vne de
& au large l'eſtenduë de la marine, tant du cofte l'autre , iuſques au nombre de deux cens cin
de la mer Majour à la main gauche vers la partie quante . Entre cette premiere clofture & celle de
du Septemtrion , que de la Propontide vers la dedans, y a yn terre- plein ou entremur largede
droite, l'Hellefponte,& la merEgée , maintenant dix - huict piedsſeulement ; auſſi ſert - il de rem
dite l’Archipel, au Midy : Et deuers la terre les par , eſtant plus haut que la premiere contr'eſcar:
grandes campagnes de la Thrace , contenansde pe ou blanc de dehors: Ecla ſeconde muraille de
quelque coſté qu'on les vueille prendre , plus de meſme , qui a vingt pieds hors de terre iuſqu'au
ſix bonnes iournées de chemin , & en aucuns en cordon , époiſle d'autant & garnie de pareil
droits quinze ou vingt ; fertiles au reſte ce qui ſe nombre de tours que la precedente plus éleuées
peut , & bien cultiuées , choſe fort magnifique & toutesfois , de ſorte que le toutcommande , & eſt
plaiſante à læil. Mais la mer luy donne bien plus à cauallier de l'autre , combien que toutes deux
de credit , tant pour eftre là comme yn bacq où aillent partie en plain au niueau , partie en pen
pe en chant , ſelon que la ficuation qui eft inegale ſe
l'on peut enen ſi peu d'eſpace paſſer de l'Euro
Aſie , que pour autant que ce deſtroit où elle eſt hauſſe ou rabaiſſe , ſans aucuns edifices entre
aſſiſe , ſert ainſi que d'vne barriere qui cloft & deux : Tellement que cette ville ſe pourroit aiſé.
ouure à ſon bon plaiſir , les deux mers d'en- haut ment rendre tres - forte : mais les Turcs n'ont au
cun beſoin de cela : car l'eſtabliſſement & con
& d'en - bas: Car quicóqueveut trafiquer, & aller
de l’yne à l'autre , faut neceſſairement quece ſoit ſeruation de leur Empire ne conſiſte pas en des
par la mercy de ce paſſage , coinme ſi on l'auoit là fortereſſes ſur lesfrontieres, ny dedans le cæur
dreſſé & eſtably tout expres par vn artifice de du pays , choſe à la verité dangereuſe , ains aux
main pour y receuoir le peage de toutes les mar forces grandes de cheual & de pied qu'ils peuuent
chandiſes qui vont & viennent en s'entrecroi à toutes heures mettre dehors, tant par la terre
ſant de l'Europe en Aſie , du Ponant au Leuant, que par la mer . Les murailles de la marine ne
& du Septemtrion au Midy:c'eſt par là que paf- font pas telles , mais plus baſſes , bien que affez
ſent ces exquiſes peaux & fourrures qu'on ap malliues, & garnies de creneaux auſſi, & detour
porte desregions froides, comme martres, zibel rions , plantées au reſte le long de l'eau ; tout ſur
lins, loups- ceruiers, hermines , dos de gris , & le bord deuers le deftroit , eſt la Propontide , fi
ſemblables, auec vne infinie quantité de miel & ce n'eſt és ports & deſcentes où les barques vien
de cire , & grand nombre d'eſclaues : ce qui s'é nent aborder : car elles ſe retirent - là endroit eni
pand puis apres par le moyen de la mer Media dedans pour leur faire place , quelques cinquan
terranée de toutes parts à droit & à gauche , és te plus ou moins petits pas , ſelon la diſpoſition
trois portions du monde, iuſqu'à la grand'mer du riuage.
Oceane vers le deſtroit de Gilbatar : & en con VOILA à peu pres quelles furent les murail
tr'eſchange des mers d’en- bas aux parties d'en les de Conſtantinople , & font encore pour le
haut, tant de l'Europe que de l'Aſie , force bleds; prefent: car il n'y a guere eu de changé depuis
vins de toutes ſortes , huiles , eſpiceries , drapsde teur ancienne cloſture, non plus qu'à Rome : &
foye, & de laine, or & argent,cuirs,toiles , & tel meſme depuis ſix - vingts tant d'ans qu'elle fut em
les denrées :Parquoy Conſtantinople ſe peut dire pietée des Turcs : mais elles ont pluſieurs fois
comme vne ſerrure , dont la clef ferme & ouure efté rebaſties, tant auparauant que Seuere la rui
infinis threſors & commoditez reciproques, voi naſt , que puis apres par Conſtantin , & les ſucceſ
re vn abreuuoir , ou mere nourricede ces deux ſeurs , comme Iuſtinian , Theophile , Nicephore ;
mondes ſi differends de temperature , & des cho & autres : ce quiſert peu à ce propos.
2 iij
II Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 12

Les por , QVANT aux portes , il y en a lix du cofté de l'ancienne és mains des Empereurs Chreſtien s .
tes en la terrer: la premiere qu'on appelle de Conſtan & quelle eſt celle demaintenant ſous - les Turcs.
nom tin , parce qu'elle eſtoit pres de ſon Palais : Celle LA PREMIERE en la grande vogue & Deſcrip :

bire de d'Andrinople; & vne autrqui


e eſt au ſommet du ſplendeur contenoit cinq beaux grands Palais: tion nde
Cófta .
deux. ſeptieſme tertre: la porte Dorée : celle de Sely quatorze Egliſes Collegiales,ſansinfiniesautres
tinople.
brée, & des ſept tours , le long du port ily a la Chappelles & Oratoires , fix maiſons Royales
porte de Blachernes , où eſtoit l'Egliſe noſtre des Imperatrices Auguſtes :trois autres excellens
Dame que Iuſtinian fit baſtir : on l'appelle au logis pour receuoir les Princes & Ambaſſadeurs
iourd'huy Xillopile , ou la porte de bois , ſur le cſtrangers : huict thermes ou magnifiques bains
troiſieſme anglet de la ville : Celle de Cynigos, 8 eſtuues : deux Hoſtels de ville : quatre grandes
autrement la Palatine : la Phanarie puis apres; places enuironnéede s portiques comme de cloi
l'Agie ou Saincte: lalubalique,Farinaire, Lignai itres , pour les trafiques & marchez à couuert :
re , Seminaire : de la Peſcherie , la Porte du Port deux Palais pour s'y aſſembler au confeil: cing
de Neorion : Puis celle de ſainct Dimitre à la magazins & greniers publiques : deux Theatres:
painte du premier tertre , mais elle ne ſert que deux Eſcollcs à s'exercer: quatrePorts :vn Cirque,
pour le Turc : car elle eſt compriſe dans ſon Ser ou liſſée à picquer & faire courre les cheuaux do
fail : & eſt pluſtoſt vne poterne, par laquelle il ſelle, & lescoches: quatre ciſternes : quatre gran
ſort & s'embarque quand il veut aller à l'ébat à des eſtuues publiques, & cent cinquante -trois
Scutari , & autres lieux de la Natolie ou A fie ſur particulieres : cinquante- deux portiques : vingt

le moulle ou quay de la Propontide , outre les boulangeries publiques, & fix -vingts autrespar
autres poternes du Serrail du Turc, il y en a cinq ticulieres : trois cens vingt- deux rue's paſſantes:
ayans toutes leur port & deſcente : à fçauoir la cent dix -ſept eſcaliers ou montées des plains és
Stercoraire , la Leonine , la Coindeſtale , & deux pantes & coſtaux , & cinqboucheries . Il y auoit
autres "au deſſous du ſeptieſme tertre : Somme outre - plus quatorze Commiſſaires, vnà chaque
qu'il y en a de vingt & vne à vingt -deux. Toutes quartierou region , & autant de ſurueillans de
leſquelles ſeſont changées de fois à autres ; com • nominateurs és meſmes quartiers , pour donner
me auſſi la cloiture des faux -bourgs , qu'on ap aduertiſſement de ce qui y pouuoit ſuruenir
pelloit les longues murailles , dont il s'eſcrit d'heure à autre : cinq cens ſoixante Collegiez ,
d'eſtráges choſes : & meſme qu'elles s'eſtendoient certains hommes choiſis à tour de roolle de tou
depuis le Pont- Euxin, bien quarante milles, iuſ tes les communautez de la ville pour pren
Ce fe qu'à la ville de Selybrée: Epoiſſes neantmoins dre garde & pouruoir aux inconueniens for
de vingt pieds: Que l’Empereur Anaſtaſe fit faire tuits : ſoixante -cinq Vicomaiſtres ou Surin
roicnt
enuiron pour arreſter les courſes & inuaſions des Bulga tendansdes ruës & carrefours : vne colonne de

vingt res, & des Tartares , ainſi que met Euagrius , qui Porphire : deux autres fort grandes colonnes
licuës. leur donne dix ou douze mille pas dauantage , à ayans des viz & montées par le dedans
pour par
1 ſçauoir quatre cens vingt ſtades, que Iuſtinian fit uenir iuſques au haut ainſi qu'en celle de Trajan,
& d'Antonin à Rome:yn coloffe : vne maniere
depuis racouſtrer. Mais pour mieux vous repre
ſenter tout cela , enſemble ce qui ſe deduira cy : de capitole : la monnoye : trois moulles, auec des
apres :nousvous en auons bien voulu icy appo. marches & eſcalliers pour deſcendre des quais à
ſér vne petite carte , qui vous le fera à peu pres la mer : & quatre mille trois cens maiſons ſigna
voir à l'ail comme en gros, auec les pieces prin lées des plus riches & principaux citoyens , ſans
cipales de cette fameulc Cité , tant les anciennes infinis autres petits logis pour le menu peuple:
en partie, ſelon qu'il eſt demeuré quelque mar eſtant cette ville peuplée au poſſible. De toutes
que & reconnoiſſance , que les modernes de l'ou leſquelles choſes, pour le regard au moins des
urage des Turcs depuis qu'ils s'y ſont ennichez , edifices publiques , il n'en eſt reſté que quelques
Les ſept Tertres contenus au pourpris de marques des ruines: l’Egliſe de ſaincte Sophie:
Conſtantinople, ne ſe peuuent pas gueres bien l'Hipodrome ou pluſtoſt la place où il rouloit
diſcerner icy en ce plain ; mais il ſuffira de vous cftre : car il eſt entierement dénué de ſes orne
aduertir qu'ils s'éleuent enfilez tout de rang en mens ; la colonne de Porphire , & celle d'Arca
longueur d'vn bout à autre de la ville , à guiſe de dius à viz ,auecie ne ſçay quelles ciſternes. Au LaCon
Itārino
vertebres d'vn animal , ou areſte de poiſton , du lieu de cela l'on y peut voir plus de 300. Mof ple Tur .
Soleil lcuant eſtiual au couchant d’Ayuer : leſ quées toutes couuertes de plomb, tant des Sul quelque.
quels auec leurs pentes & aplaniſſemens de part tans ou Empereurs des Turcs , & de leurs Baſſas ,
& d'autre par embas , les valées d'entre -deux & autres plus authoriſez Officiers , quedes moin
eſtoient departies en quatorze regions ou quar dres : carà tous il eſt permis d'en fonder qui en a
tiers , ainſi que fut l'ancienne Rome par Auguſte, le moyen , embellies de colonnes de marbre , &
ce qui eſt tout ſi confondu & brouillé mainte ſemblables dépoüilles des Egliſes Chreſtiennes,
nant, qu'il eſt bienmal-ay ſé d'en rien atteindre , y eſtans autresfois là en nombre de plus de lix
ſinon par quelques coniectures de ce que les Au cens, y compris Pera : tout de meſme quecelles
theurs en eſcriuent. De ſorte que ces deux belles cy s'eſtoient decorées des temples du Paganiſme,
grandes Citez autresfois les plus floriſſantes de il y a auſſi des Thermes & bains publiques de
toutes autres , ont couru auec le temps pareil de cent à fix - vingts, dont il y en a cinquante de dou
faftre & changement : mais telle eſt la vicillitu , égalans preſqu'en magnificence ceux de
de des choſes humaines , qui ne permet rien icy Mechmet, que nous deſcrirons cy - apres. Plus
bas de ſtable & longue durée. Or pour vous en de ſix -vingts Imarethsou Hoſpitaux, eſquels il y
donner icy meilleure connoiſſance , nous con a par tout force belles fontaines d'eaux viues,
fronterons en general la deſcription de l'vne & que les Seigneurs Turcs y ont attiré de loin , tant
l'autre Conſtantinople : à ſçauoir comme eſtoit par des aqueducs & cuyaux éleuez , que par des
conduits
!
de Chalcondile .
13 14
conduits deſſous terre, auec yn tres - grand labeur Commiſſaires deputez ſur les inconueniens du
& dépence : Car il n'y a moſquée , hoſpital, feu , & cinq denonciateurs du quartier pour la
bains, eſtuues , ne Carbaſiſara ( ce ſont comme nui &t . Mais tout cela eſt maintenant reduit &
publiques hoſtelleries où chacun indifferemmét compris au Serrail du Turc , auec la pluſpart du
eſt receu pour ſe mettre luy & ſes montures à ſecond quartier , dont il n'en reſte plus mainte
couuert ſans rien payer , & s'il y a encores quel nant hors de ſon pourpris & clofture que l'Egli
que diſtributions gratuites de chair & de pota ſe de ſaincteSophie ,afferuie à l’yſage de la prin
ge par chacun iour , ) où il n'y ait de l'eau abon cipale Moſquée ou temple Turqueſque , où le
damment, ny place aufli & carrefour , outre les Turc la pluſpart du temps va faire tous les Ven
Serrails & Palais 'renfermez comme des Colle dredis ſon ashula ou orailon , parce qu'elle eſt la
ges ou Monaſteres , du Prince , . & des Grands de plus prochaine de ſon Serrail. Duquel, puis qu'il
ſa Cour, qui reſide ordinairement en Conſtanti vient icy à propos , il eſt beſoin de parler icy vn
nople: Ce quiſert non tant ſeulement pour l'y peu plusau long , & par meſmemoyen de l'ordre
ſage du viure de bouche , que pour les leſciues, & & eſtat de la maiſon de ce grand Monarque , &
autres telles neceſſitez : mais auſſi pour tenir la deſa maniere de viure en icelle, fort à ſon priué,
ville nette , dont ces eaux coullans continuelle outre la couſtume des Princes Chreſtiens
s , en
ment ça & là , auſſi bien deſſus les terres & ſemble de toutes les particularitez qui en dépen
cofteaux comme en bas,emportent les immondi dent.
ces en la mer. Les maiſons au reſte de Conſtan
LE SERRAIL DV TVR C.
tinople , ainſi que de tous les autres endroits de
Turquie,ſontcommunément balles , & d'vn ſeul Ces CERCESSAR AT ou Serrails font de

eſtage, baſtiesfort ſourdement, & de quelque grands Palais, clos à guiſe de Monaſteres, tout à
mauuaiſe eſtoffe , empruntée ſelon qu'il leur l'entour de hautes murailles , où les Empereurs

vient le plus en main , des ruines & demolicions Turcs , leurs Ballas , Beglierbeys, Cadileſchers,
qui ſe rencontrent , aduenuës par les tremble Sanjaques , & autres principaux perſonnages
mens de terre , copflagrations , & ſemblables in font leur demeure auec leur Cour, & leur famil
conueniens dont elle a eſté fouuent moleft'éc. le,y eſtans toutes les commoditez contenuës , qui
Pour le regard des Chreſtiens, il y a le Patriar leur peuuent faire beſoin , tout ainſi que dans
chat , & quelques autres Egliſes desGrecs,tant à quelque ville cloſe ; à ſçauoir magaſins, jardina
Conſtantinople qu'en Pera , iuſques au nombre ges, cuiſines,boulangeries,eſcuiries,eſtuues, voi
de ſoixante -dix , mais fort peu de choſe , comme redes Mahommeries & oratoires particuliers, &
aufli ſept ou huict des Armeniens, & plus de ſemblables choſes , tant pour les hommes que,
trente Synagogues pour les Juifs , qui encores à pour les femmes. Le Turc au reſte en a quatre
peine leur peuuent ſuffire pour le grand nombre principaux entre tous les autres , ceſtuy -cy ; & le
qu'il y en a . vieil , où ſont les filles qui ſe referuent pour fon
LE PREMI E tertre marqué A , eft à l'vn vſage, vnà Andrinople , & vnà Burſie jadis liege
des trois angles ou encoigneures de Conſtanti des Roysde Bithynie au pied du mont Olympe ,
nople , ſur la marine , dont il eſt enuironné tout & depuis des Seigneurs Othomans auant qu'ils
autour , fors deuers la ville : auiourd’huy c'eſt le ſe fuffent emparez de Conſtantinople. Il y en a
cap fainat Dimitre, que Denys Bizantin appelle vn autre encore à Pera , & en plulieurs autreś
le promontoire du Boſphore , & Pline liure 41 endroits , preſque par toutes ſes bonnes villes.
chapitre 11. Chryſoceras, ou corne d'or , pour la ri . Mais celuy dontil eſt icy queſtion , fut baſty par Cóque .
cheſſe de la peſcheric; Promontorium Chryſoceras Mechmet ſecond de ce nom , qu'ils appellent le Ite de
Mech
in quo oppidum Bizantium libere conditionis , anteà Conquerant, parce qu'en vingt- huict ou trente
met II .
lygos diétum : parce que quelques - yns eſtiment ans qu'il regna , il conquiſt deux Empires , douze
que l'ancienne ville de Bizance ne comprenoit Royaumes, & bien deux cens Citez ſur lesChre
que ce tertre ou promontoire tant ſeulement. Et ſtiens. Ce Serrail eſt aſſis en la plus belle & plai
au 19.liare chapitreis.ilya ( cedit -il) du coftéde ſante ſituation de la terre : car des galleries qui
Chalcedon un rocher blanc à merueilles , qui rend un regardent ſur la marine , tant du cofté de la Pro
éclat o lueur depuis le fondsinfques au haut, dequoy pontide, que du grand port , on peut voir arriuer
les Thons venans à s'ébloüir fe deftournent , on s'en & ſurgir les vaiſſeaux qui viennent d'amont par
vont renger deuers la pointe deBizance, appellée zavará le pont-Euxin , & des mers d'en bas; & ouyr preſ.
neeges, pour cette occaſion. Cetestre icy le plus éleué que ſans eftre apperceu , iuſqu'aux menus dcuis
des ſix autres , ſur la pointe duquel, comme dit des nautonniers & mattelots. Il y renferma yne
Ammian Marcellin >, eſtoit vn Phare ou haute portion des cloiſtres , & autres appendances de
lanterne pour adreſſer les vaiſſeaux de nuict , l'Egliſe ſaincte Sophie , dont il y a encore pour le
comprenoit auec ſes pentes & vallons , deux des iourd’huy vne grande gallerie le long du coftau ,
quatorze quartiers de la ville , le premier , & le ſouſtenuë ſur de belles groſſes colonnes , auer
ſecond. Au premier ſelon l'ancienne deſcription , plus de deux cens chambres de coſté & d'autre,
Premier bien que d'autheur incertain Anonyme , mais qui ſouloient ſeruir de logis aux Chanoines &
quartier qui a eſcrit deuant'mille ans , comprenoit le Pa Chappelains. Son fils Bajazet y edifia depuis vn
de l'an-lais de l'Imperatrice Placidic, celuy de la Prin beau corps d'hoſtel au milieu , où il ſe retiroit au
Csítan- ceſſe Marine , les thermes & eſtuues d'Arcadius, bàs eſtage durant l'Hyuer , pour ſe garentir des
tinople. xxix . ruës paſſantes , cxviii. bcaux Palais vents debize , qui ſoufflent lors communément
d'hommes illuſtres: deux longues portiques ou de la mer Majour : & l'Eſté il ſe tranſportoic au
galleries, quatre boulangeries publiques , qua bout d'icelle gallerie , pour eftre ce lieu - là releué
tre grands eſcaliers pour deſcendre és ports : Vn & fort frais;accompagné outre cela de pluſieurs
quartepier, va ſurueillant d'iceluy , vingt-cing canaux & fontaines , dont le doux murmure des

2 iiij
-
15 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 16

eaux prouoque gracieuſement le ſommeil. Car uers ſes ſujets, ſelon que fait Dieu à l'endroit de
cette demeure eſt comme au milieu des Boſtans ſes creatures.
ou iardins , qui enuironnent preſque toutle Ser LE REVE NV de ces iardins qui n'eſt pas pe- A quot
rail : meſmement deuers la marine , fi.qu'ils con tit , eſt communément reſerué pour la table & sem
dépence de bouche du Prince ; ce que nous ap- ploy ele
seuenu
tiennent plus de trois . milles de circuit , plantez
d'arbres exquis tant fruictiers qu'autres , & de pellons la chambre aux deniers , qui arriueà bien des iar
toutes ſortes de fleurs & verdures . Il y a ordi quarante mille ducats tous les ans , tant de ceux dins du
nairement de fix à ſept cens iardiniers pour les qui ſont en Conſtantinople qu'ailleurs,ſans qu'il Turt,
cultiuer, arrouſer , &les tenir nets , touseſclaues ſoit loiſible de l'employer à autre vſage. Car
du Turc , & enfans de Chreſtiens , qu'il enuoye les Seigneurs Turcs , à ce qu'on dit , ont iuſques
leuer de quatre en quatre ans par forme de tri icy eu cette maxime de conſcience , de ne depen
but, en la Grece,Albanie , & c. car il en ſera parlé ſer les deniers leuez ſur le peuple , que pour la
cy -apres en leur lieu . Ceux qui ſont deſtinez à deffence & conſeruation d'iceluy , appellant ce
ces iardinages , ont de trois à quatre aſpres par la , Haram agemi cani, le prohibe ſang du peuple,
iour , dont ils viuorent du mieux qu'ils peuuent, comme on peut yoir en l'Hiſtoire Romaine que
attendans vne meilleure fortune qui leur arriue fouloient faire les bons Empereurs , Auguſte,
quelquefois : & yn habillement de grosdrap bleu Veſpaſian , Trajan , Antonin Pie,Marc- Aurelle,
de Sallonichi tous les ans. Leur Chef s'appelle & autres ſemblables : Et lors qu'il faut prendre
Boſtangibaſsi, lequel a deux ducats par iour , & les armes , & aller à la guerre , ils s'aidentdes im
Boffan. deux habillemens par an ,l'vn de velours , l'autre poſitions & ſubſides ; mais en temps de paix &
gibali. de brocador. C'eft vn office de grande dignité & repos, du ſeul profit de leurs iardins : car toutle
des Tar- credit aupres du Turc , parce qu'il le voit à toute domaine du Turc eſt deſtiné pour l'entretene
diniers. heure , & deuiſe familierement auec luy, quand il ment de la gendarmerie, qu'on appelle les Tima
ſe promene par les iardins, quieſt l'vn de les prin riots, parce que Timar en lágue Turqueſque ſigni
cipaux palle-temps & recreations. Et quand il fie le reuenu ordinaire qui prouientdes terres : ce
monte ſur ſa barque pour aller à l’ébat vers Scu qui a meu quelques- yns d'imaginer que les Em
tari en la Natolie , ou és parcs & vergiers le long pereurs Turcs, & leurs principaux Officiers tra
du riuage de la mer Majour au deſſus de Pera, uailloient eux -meſmes de leur propre main à les
c'eſt luy quien gouuerne le timon : & les plus fa cultiuer , ou à faire quelque autre exercice de
uoris de ſes iardiniersvoguent & la conduiſent; manufacture , pour gagner le pain qu'ils man
enſemble l'autre de ſa luite qui l'accompagne : geoient, voire que pour cet effect ce grand Soly
eſtans de tout leur nombre quelques cent de man quiregna de noſtre temps ſi heureuſement,
choiſis pour eſtre employez à cela : & pourtant & filonguement , auoit pour cet effect accouſtu :
mieux traidez que le reſte , au moyen dequoy ce mé de coudre des ſouliers , qu'il enuoyoitvendre
· Boftangu baſsi eſt fort reſpecté & careſſé de tous ſous -main , ſe fondant ſur ce paſſage, mais trop
les plus Grands , iuſqu'aux Baſſas propres , pour cruement à la lettredu 3. chap. de Geneſe: En la
raiſon qu'ayant ainſi la commodité de parler au ſueur de ton viſage tu mangeras ton pain , dautant
maiſtre ſouuent , il leur peut bien à l'aiſe faire que ce mot and Legem ne ſignifie pas ſeulement
quelquebon ou mauuais office , & preſter vne tant le pain, comme toutes ſortes de viandes ſoli
charité ſous main ; parce qu'il s'informe de luy, des, mais c'eſt pource que c'eſt le principal entre
de leurs actions & comportemens , & du bruit tien de la perſonne. Ce labeur toutesfois de
qu'ils ont : enſemble des doleances du peuple, li ſigrands Seigneurs, & fi delicats eft vn peu ſuf
d'auanture il s'en preſente & en ſomme de tout pect : Trop bien n'eſt - il pas inconuenient qu'en
ce qui ſe fait d'importance en la ville. Il n'y a au cette vie ſolitaire qu'ils meinent , ils ne s'y puiſ
reftc homme en tout le Serrail au deſſus de vingt ſent par fois ébatre , ne faſt-ce que pour autant
deux ans , qui ſoit entier de ce qui appartient à yn d'exercice , ainſi qu'on lit de Mechmet ſecond,
homme propre à engédrer des enfans, que ceſtui lequel ayant pris plaiſir d'éleuer certains pieds
cy , qui de là paruient ordinairement à quelques de concombre , qu'il arroſoit & traittoit en tou
charges honorables ; comme à quelque Sanja tes autres ſortes de la propre main ,tant qu'ils vin
quat de Prouince , ou autres ſemblables :maisle rent à produire leur fruic pluſtoſt que les au
plus ſouuent on le fait Gouuerneur de Gallipoli, tres que ſes iardiniers cultiuoient : Et lors arriua
qui luy eſt d'vn gros reuenu & profit : & parfois vn cas pitoyable : car s'en eſtant trouué vnà dire,
encore General de l'armée de mer.Les Iardiniers qu'ils eſtoient encore fort petits & tendres , il vå
de leur coſté ,apres avoir auſſi ſerui quelque téps, foupçonner que ce ne pouuoient eſtre autres que Eſtran
font faits lanillaires : d'où ils montent de degré ſes pages & enfans d'honneur qui l'accompa- gecru
en.degré , s'ils ſe font yaloir ,iuſqu'aux plus gran gnoiétés iardins,dont il en fit ouurir l'eſtomach , Mech
des charges & dignitez , ſelon qu'il plaiſt auPrin & le ventre tout ſur le champ aux premiers venus mer.
ce de les aduancer : car on ne le contreroole point ( inhumanité nompareille ! ) & paſſa outre iuſ
en cela , mais faut que tout ſoit trouué bon ce qu'il qu'au quatorzieſme, où il ſe trouua non du tout
Fait : éleuant tout à coup , ſi bon luy ſemble , le acheué deſe corrompre & digerer.
moindre des ſiens à la plus grande charge & au A. L'ENTRE E de ce Serrail grand & ſpa- Defcrip.
tion du
thorité; & r’aualant au contraire les principaux cieux , à l'egal preſque d'vne bóne ville :car il con Serrail
aux plus bas & infimes offices,ou les en dépoüil cient yne grande lieuë de circuit compris les iar- de Coa
lant du tout : voire par fois de tout leur bien , & de dins , du colté de fain &te Sophie ſe rencontre vn ftanti
la vie encore . Telle eſt l'obeïſſance de ce peuple excellent & beau portraict , reſſemblant vn petit nople.
ainſi ſeruile , enuers celuy qu'ils tiennent à la ve chaſteau , compoſé de marbres taillez à fueilla
rité pour l'image & repreſentation de Dieu icy ges, & lettres Arabeſques, argenté, doré , diâ pré
comme il eſt à la verité , s'il ſe comporte en .
bas : de toutes couleurs d'ynriche ouurage damaſquin
iameſque,
de Chalcondile .
17 18

iamcſque, comme auſſi la gallerie qui regne au y a vne loge ou ſalette qu'on ne ſçauroit mieux
deſſus , couuerte de plomb &, foultenuë de bel accomparer qu'à ce que nous appellons és Mo
les colonnes , où les Ianiſſaires qui ſont en gar naſteres le Chapitre : Tout ce que deſſus eſtant
de, ſe mettent à couuert , & pendent leurs armes; de l'ouurage d ibrahim Baſa , auquel le Ture
Le Di
commearcs & trouſſes garnies de fleſches , ar Solyman fiſt trencher la teſte , qui le fiſt faire à nan 00
quebuſes, malles, haches, & cimeterres : car ils ſes dépens . Là dés le grand matin s'aſſemblent Audien
ne les prennent iamais, ſice n'eſt en cas de neceſ les quatre Bafas , és iours deſſuſdits , auec les ce pu .
ſité : de deffenfiues , les Turcs n'en vſent comme quatre principaux Officiers de la Porte, ( c'eſt la blique .
point , fors de quelques caballets , iacques de Cour du Turc ) le vifir ou premier Beja eſtant
affis au milieu d'yn banc haut de terre enuiron
maille , & aulbergeons.
| Capigi,
ou pore Į l y a au ſurplus de quatre à cinq cens Capigis yn pied & demy , & couuert d’yn riche tapis : à la Les fca
ces de
tiers . ou portiers , partis en deux trouppes, l'vne de main droicte eſt le ſecond , puis le tiers , & le
cc cn .
trois cens ſous la charge d'vn chef appellé Capi . quart : & conſequemm ent le beglierbey de la Ro - feil.
gibaſsı, qui a de prouiſion deux à trois ducats menie ou Europe , auec celuy de l'Anatolie ou
par iour : & l'autre de deux cens appellez Cucci Alie , s'il eſt lors en Cour ; parce que d'ordinaire
Capagı & leur chef Cuccicapigibaja quien a deux : il ne bouge gueres de ſon gouuernement : & le
Ceux qui ſont fous leurs charges, depuis lept iuf Beglierbey ou Generalde la mer , ſi d'auanture il
ques à quinze aſpres , qui plus, qui moins ,ainſi n'eft hors auec l'armée. Puis le Droghman ou tru
que nos ſoldatsappointez diuerſement , tous en chement majeur du Prince , qui eſt de grande au
fans pareillement de Chreſtiens, & elclaues du thorité pres de luy . A la potence au retour de com
1

Prince : ces portiers aſſiſtent auec les autres la ce banceſt aſſis vn Nafangibaſsi, qui reçoit & lit meine
niſſaires à la garde , tant de cette premiere porte, tous les paſſe -ports , ſauf- conduits , permiſſions; des Re
que de la ſeconde ; & quelquesfois tous enſem & ſemblables de peſches que les Secretaires ont queſtes.
ble , comme quand le Turc tient conſeil general, expediées , & les trouuant raiſonnables ,les paſſe
ou reçoit yn Ambaſſadeur , ou quand il va à la & ligne: s'il y a quelque choſeà redire , illa mar
Moſquée: & quelquesfois vne partie , ſelon que que & corrige , & la leur renuoye pour la re
les occaſions ſe preſentent , la moitié ſe rangeant mettre au net. A la main gauche du premier
de l'un des coſtez , & le reſte de l'autre,pour pren Baffit , ſur le meſme banc fontailis les deux Cadia .
dre garde que perſonne n'entre auec armes , & leſchers, & à la potence au retour d'icelle les trois
qu'on ne faſſe bruit ne deſordre . Defierdari , à quelque diſtance les vns des autres :
De ce portail on arriue à vne fort grande & & tout d'vn rang , mais plus bas ſur un tapis
Premie- ſpacieuſe baſſe-court, qui n'eſt point autrement eftendu par terre , les Secretaires & Greffiers qui
du ser pauée, capable au reſte de tenir vingt mille che tiennent le regiſtre de tout ce qui entre dans le
rail . uaux : car elle a ſept ou huict cens pas de long, & chifma , & s'en retire , à ſçauoir de la recepte ge
plus de deux cens de large. A l'vn des bouts de la nerale, & de la dépence : & aupres d'eux ſont
Secon meſme cour , il y a vne autre ſeconde porte au aſſis les veradari , à ſçauoir ceux qui ont la char
de por milieu de deux torrions, gardée ſemblablement ge de peſer,compter, & examiner les aſpres , & ſe
te . par certain nombre de Capigis, & de Ianiſſaires, raphs : & pour cét effcct y a touſiours au Dinan
qui ont là auſſi leurs armes penduësau croc , la yn fougon auec des charbons allumez , & vne
Les trois quelle eſt accompagnée par le dedans d'vn riche grande poëlle de fer pour les éprouuer en les
Pages porche,ſouſtenu de dix belles colonnes de diuers fricaſſant , & voir ſi ceseſpeces d'argent & d'or
d'hon- marbres, & la voûte enrichie de moſaïque d'or & ſont bonnes & loyalles. Ils prennent au reſte les
deur
princi d'azur. A l'entrée de cette porte il conuient que aſpres au poids : car quand ils en ont compté
tous mettent pied à terre : car il n'eſt loiſibleà au mille , qui vallent vingtſultaninsou ducats , par- Ĉe fone
paux .
cun d'y entrer à cheual , fors au Prince , & à ſes ce qu'ils ne comptentiamais plus haut en cas de 20. du
trois enfans d'honneur , quiluy portent ſon arc, deniers, que par mille aſpres , ils les mettent en cats , à
so . af
ſa valiſe , & vn vaſe plein d'eau pour faire ſes ab vne balance , & peſent les autres à l'encontre , res
p lc
lutions accouſtumées,aux Baſſas auſſi & Ambaſ qui ſont fiiuftes , qu'en vingt mille aſpres il n'y en ducat .
ſadeurs. aura pas quatre de tare . Quant aux ſultanins ou
Mon
LOIGNANT cette ſeconde porte à la main ſeraphs quiſont d'or fin ſans aucun alliage ,com- noyes
• droite dés l'entrée eſt le chafna ou threſor du me font demeſmeles aſpres de fin argent en leur des
Serrail , auec yne belle armcurerie
pour la per endroit, en quoy ils ſont mieux aduiſez que nous, Tuscs.
ſonne du grand Turc : Età la main gauche eſt al ils les comptent. Le ſemblable ſe practique és
lis l’Aga ou Capitaine des Spacchi ,Selitars, o Prouinces & Sanzaquats ,par les Receueurs ge
vlufog;baſsi, & des Capigi: car de cecoſté ſeran neraux pour les apporter à l'Efpargne : & n'ont
gent debout tous ceux qui vont demăder audien les Turcs autres eſpeces que ces deux - cy , auec
Cour du vnemermaille de cuivre appellée mangeurs, dont
ce : & de là on entre en vne autre cour quarrées
Dinan.
contenant en tous ſens deux cens pas , qui eſt en les ſeize valent yn afpre. Ils les enſachent puis
uironnée d'vne gallerie en forme de cloiſtre, ſou apres en des ſacs de cuir , en chacun cinquante
ſtenuë de diuerſes colonnes de marbre , où l'on ſe mille aſpres : & les ſultanins à l'equipollent pour
peut mettre à couuert : & au milieu de cette le regard de la valeur , à ſçauoir mille en chaque
cour ily a unebelle fontaine ombragée de plu fac: Puisles cachettent ainſi peſez les vns , & les
ſieurs ſicomores & cyprés pour la coinmodité du autres comptez , du ſceau du Seigneur que le ri Le c2 .
Dinan , ou audience publiquequi ſe tient quatre fir Baffe tient en ſon ſein : car c'eſt luy qui le gar chet do
Tuss ,
fois la ſepmaine, à ſçauoir, Samedy , Dimanche, de, graué en or , non d'armoiries , ou de quelque
Lundy , & Mardy . deuiſe, parce que les Turcs n'en vſent point ; mais
En l'vne des faces de ce Cloiſtre , à la main de lettres Arabeſques déguiſées en forme de
gauche de l'entrée regardant vers le Septentrion chiffre, faiſans le nom du Prince qui regne : com
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 20
19

me auſſi ſont le marques & les coings de leurs iournée ſe deliure par le chaſmaemin chef de dix Chafnas
eſpeces , auec l'année qu'elles ont eſté mon commis ou petits threſoriers qui ſont ſous le min ,
Années
noyées , laquelle ils comptent de l'Hegyre ou Chafnadarbaſsi, lequel a outre plus ſous ſa charge
des
fuitte de Mahomet de la Mecque , qui eſchet en ſoixante ou quatre- vingts ieunes garçons , de
Turcs
cómen- l'an de noſtre falut 593. Tout cela eſt porté ſur ceux qui ſont nourris au Serrail : & quand il faut
cent de le champ au Chafna ou threſor qui fait l’yn des tirer quelque choſe du chafna , l'un de ces Checa . Checare
l'Hegy
re. corps d'hoſtel du Serrail , le plus prochain de gni, ainſi ſont appellez ces commis,s'y en va auec gni,
cette ſalle de l'Audience , ſeparé ncantmoins d'i-- tel nombre de ces garçons qu'il eſt beſoin , lel
Le Chas-
celle : Et là eſt le cabinet du Seigneur, auec ſon ar quels tiennent les bras croiſez cependant , ſans
meurerie, l'vn & l'autre d'vne ineſtimable valeur mot dire , ne faire le moindre ſigne ou mouue
& richeſſe ; & tous les papiers, tiltres & regiſtres ment , iuſques à ce que le commis leur die : Vous,
du reuenu ; enſemble les comptes qui ſont en prenez telle choſe , & vous telle, a quay ſoudain
uoyez des Prouinces , arrangez par ordre dans ils obeïffent : mais cela ne ſe fait gueres qu'és
des armoires & liettes diſtinctes , ſur chacune iour du Dinan , quand on ouvre le threſor , &
deſquelles armoires eſt eſcrit le nom de la Pró qu'on le referme , à cauſe du ſeellé qui y eſt.
uince , & ſur les liettes celuy de l'année. Là auſſi Il y a d'autre part vne petite feneſtre quarrée
La feuca
ſe mettent tous les deniers qu'on apporte de tou qui ſert d’écoute, au bout d'vne ſecrette galle ſtre dan
tes parts en chaque Dinan : Plus les draps d'or, rie, qui reſpond du Serrail droit ſur cette loge de gereuse
d'argent , de ſoye , & de laine : les fourreures ,coi l'audience , auec vn ' treillis de cliſſe au deuant,
les & crefpes , & generalement toutes autres garny decreſpe ou taffetas noir , qu'on appelle la
eſtoffes ſemblables , tant pour les meubles que jalouſie ou feneſtre dangereuſe , pource que le
pour les habillemens de la perſonne du Seigneur, Prince y pouuant eſtre à toute heure que bon luy
& de ſes domeſtiques & appointez ; que pour en ſemble; & de la ſans eſtre apperceu , ny qu'on
faire ſes preſens ; ou qu'on les achepte pour les [ cache s'il y eſt ou non , voir à l'ail , & ouir tout
yſages deſſuſdits. ce qui s'y paſſe, ce ſeroit choſe fort perilleuſe de
Aflao De ce CH A S N A ont la charge les Aflao. en penſer taire ou déguiſer rien . Car en cette
luy
audience ſe traittent toutes ſortes d'affaires tant
glandari. glandari , qui ont de dix à quinze afpres par iour;
& deux accoutremens l'année , eſtans au ſurplus publics que particuliers, d'eſtat,de fináces, guer
Elmedar- ſous la charge d'vn Eunuque appellé Eſnedar re, iuſtice, police , procez , plaintes de peuples,
baſi. baſse, lequel a des clefs du threſor ; neantinois il doleances de particuliers ,de quelque nation &
ne luy eſt pas permis de l'ouurir ſans la licence religion qu'ils puiſſent eſtre , hommes & fem
de deux autres Eunuques ſes ſuperieurs, qui en mes, pauures & riches, commençans aux choſes
ſeellent les portes & les armoires , l'vn dit le re de plus grande importance , comme à conſulter
Tefleder. ſteder , & l'autre viſangi, leſquels l'ouurent tous des propoſitions de quelque ambaſſade , & luy
donner là delſus reſponſe: de .pouruoir à ce qui
Nifangi. trois enſemble, & autrement non ; l' Eſnedarbaſse
a trois ducats de gage par iour , & trois fois l'an fait beſoin és Prouinces, expedier des priuileges,
de fort riches accouſtremens & fourreures , & ſauf-conduits , paſſe -ports : condamner quelque
outre ce deux pour cent de tout ce qui ſe tire du perſonnage d'authorité à la mort : & de la de
threſor , dont il en donne un tiers au Tefteder , ' vn main en main , tout ce qui ſe peut preſenter tant
lacutaga. autre tiers au premier Eunuque dit , lacutaga , & que le Dinan dure , qui eſt communément ſept
l'autre eſt pour luy , & a d'abondant monture ou huict heures, iuſques aux plus petits diffe
celle que bon luy ſemble à l'eſcuyrie du Prince. rends . Et là ſans interpoſition d’Aduocats ny de
Ce chafna s'ouure toutes les fois qu'on tient le . Procureurs ilfautque chacun plaide luy -meſme
Dinan : & encore qu'il ſoit fermé de pluſieurs ſa propre cauſe , mais modeſtement & ſans bruit ,
ſerrures & cadenats, ſi eſt - il touſiours fellé neant ny ſe mettre en cholere : car les Turcs ſont enne
moins du cachet du Seigneur , dont le Chaoux mis mortels de tout bruit & fongoſité , autre
Chaosur baſsi, ou chef des Huiſſiers va luy -meſme leuer ment on les chaſtiroit ſur le champ à coups de
la cire , & la porte monſtrer au Baſſa qui preſide baſton . Que s'ils ne ſçauent la langue Turqueſ
baßi.
à l'audience , lequel la baiſe reueremment, parce que , il y a touſiours la force truchemens en.tou
que le nom du Prince y eſt empraint : Puis quand tes ſortes de langages :mais pour abbreger & éui
il le faut refermer , le meſme chaouxbaſsi prend ter la confuſion & defordre, on les fait ranger par
de luy le cachet , & le baiſe , comme auſſi fait le petites trouppes de douze ou quinze à chaque
Baffa en leluy donnant : & apres auoir refermé fois , ſous l'introduction d'vn des Capigi , qui les
le Chaſna le luy rapporte en la meſme ſolemnité conduit vers le Baſa : & quand ils ſont arriuez
que deſſus. deuers luy , hors toutesfois de l'auditoire , tout
Chafna. En ce corps d'hoſtel le Chaſnatarhaſsi fait fa ainſi comme à vn barreau , ils ſe retournent vers
sarbaßi. demeure , qui eſt le grand Threſorier du Serrail, le capigi , qui entre dedans vis à vis du Baffis , qui
Monaque ordinairement , parce qu'il conuerſe en ayant eu la reſponſe , il la leur porte dehors :
auec les Pages , & leur deliure l'argent qu'il faut puis luy , ou quelqu'vn de ſes compagnons, en ra
pour les menus plaiſirs du Seigneur , à ſçauoir mene d'autres : mais ils ne font pas cet office gra
Menus quarante ducacs par iour , tanten aſpres que ſul tis,mais en reçoiuent de bons ſalaires. Et n'eſt
pas
plaiſir
du Turc.s tanins, qu'on luy met dans les pochettes de ſon là queſtion de s'entr'iniurier ,ny vſer d'infolence,
doliman, pour le diſtribuer luy -meſme deſa pro ou de faire le moindre bruit ou tumulte , parce
pre main commebon luy ſemble : que s'il en reſte qu'on en ſeroit chaſtié tout à l'heure , à coups de
quelque choſe c'eſt au Page de la chambre à qui groſſes cannes d'Inde noücuſes & dures au poffi
il touche de le deſ -habiller ce iour-la. Ce qu'il Ble , iuſques au nombre de cent ou deux cens ſur
faut pour la dépenſe de bouche , & de l'eſcuyrie, les feſſes , ſans autrement aualler les chauſſes ; de
forte
& pour la prouiſion des appointez , au iour la que tel en y a quelquesfois qui de long
temps
20 de Chalcondile . 21

temps ne ſe peut releuer du liet. te fort grand reſpect , autant ou plus qu'à nul au
Jufti. Ovire la iuſtice de ce Dinan , il y a celle tre , apres le Muphti, & les ſaluè la teſte enclinée, Mode
ce Tur. de falües
qu'adminiſtrent les Cadileſchers en Conſtantino la main placquée deuant le pis , qui eſt leur mode, & faire
quela
quc. ple & les Cadiz pareillement , qui ſont comme pour l'amour de la iuſtice qu'ils repreſentent: ja reue
iuges de reſidence par toutes les luriſdictions & Puis leur fait reſponſe , & leur declare fon inten- repce
villes de l'obeïſſance du Turc : & des soufcadiz és tion ,ſi c'eſt quelque affaire qui le merite , mais le la Tur .
Les re- ſieges ſubalternes és bourgs & villages. Et ſe plus ſouuent il leur remet tout , pour en faire les que .
pas
donne en ce Dinan à repaiſtre à tousles hommes Ion que les loix diuines & humaines l'ordonnent :
qu'on
tait au de reſpect & authorité qui y alliſtent, commen cela fait, & ayans pris congé de luy , ils s'en vont
Dinan. çant de la ſecon
de la ſecondede porte à l'Age des Ianillaires aſſeoir entre les deux portes , où ils acheuent de
auec tous ſes Capitaines ; à ceux -cy vne fois ſeu . donner encore vn peu d'audience, puis ſe retirent
lement deux heures apres le leuer du Soleil : mais à leurs logis .
les Baſſas & tous les autres Officiers de l'audien SOV DAIN que les Cadileſchers ſont ſortis de
ce y mangent trois fois , l’yne le matin dés l'aube Les Ben
la chambre du Prince , les Baſſas ſe leucnt auec glierbeys,
du iour , ou ſoudain apres qu'ils ſont arriuez , ils les Beglierbeys, & Defterdarı , & s'en vont à la troi
déjeunent : l'autre ſur les onze heures à noſtre fieſme porte ; & de là accompagnez du Capigibas
mode , qui eſt le diſner : & la tierce quand l'au ļi, & des quatre Aga d'iceux Capigebaſsi, enſem
dience vient à ſe rompre : en tous leſquels repas ble du chanadarbaſsi , Chilergibajsı , & Afamira
on leur ſert force ris appreſté en diuerſes guiſes: grafsı, iuſqu'à la porte de la chambre . Soudain
car c'eſt l'un de leurs principaux maintenemens, qu'ils ſont entrez dedans , premierement les Be
auec de la chair de mouton trenché parmy en glierbeys font leur rapport ſur les choſes qui ſont
menus morceaux , des poulles & chappons tant de leur charge , en ayant au precedent conferé
boüillis que roſtis, du gibier , & de la venaiſon, auec le vifir ou premier Baffa ; & puis là meſme,
horſmis du ſanglier & du lieyre qui leur ſont en la preſence de cous les autres remonftrent ce
prohibez en la loy : le toutaccompagné de ſaul. qu'ils ontà dire. Apres auoir acheué , & eu reſ
ces d’aux ,oignons,ſaffran ,eſpices, & ius d'oran ponte du Seigneur ſuiuant l'aduis des Baſſas, ils
ges & de limons ; & de l'eau ſucrée , ou du forbet, ſortent de la chambre, & s'en vont à leurs logis
& autres breuuages v ſitez d'eux : car le vin leur auec vne longue ſuitte à pied & à cheual, tant de
eſt pareillement defendu ; comme à tous autres leurs familles, que des courtiſans qui les ſuiuent.
Mahometiſtes : ſomme que leur viure eſt en tout Les Defterdarı eſtans demeurez quant & les Baſ- Les Defi
le fait terdari
&par tout groffier , & non ſi delicat qu’à nous : ſas, font entendre ce qu'ils ont à dire pour
car en cela ils different peu des Allemands, & en de leur charge, chacun en ſon rang, apres en auoir
core moins des Polaques . Ceux auſſi qui font à communiqué au vifir dés la ſalle de l'Audience:le
la garde de la troiſieſme porte par où l'on entre Teſqueregibaſsı ou Secretairemajeur qui a ſept ou
huict mille ducats d'intrade ſur le Timar ou do Teſquere.
dans le Serail , y prennent leur refection , & n'en gibaßi.
ſont pasnon plus exclus , ceux qui vont là pour maine, eftant là preſent, qui tient yne liſte ou me- Secre
leurs affaires de quelque religion qu'ils ſoient: moire qu'ils appellent Ars, de toutes particulari: taire
car l'on y porte ordinairement fix ou ſept cens tez & negociations d'importance qui ont eſté majeur:
plats , ou pluſtoft baſſins qu'ils appellent, sigin, traictées au Dinin , dont l'on doit faire rapport au
pleins de mets deſſuſdits, & ſont feruis par autant Seigneur : & là - deſſus, apres auoir eu la reſolu
de Ianiſſaires qu'il y a de plats, leſquels par meſ. tion ,comme bon luy ſemble , ils luy font tous yne
me moyen couppent le pain & donnent à boire profonde reuerence, & s'en vont aſſeoir ſur yn
de belle eau qu'ils vont puiſer à la fontaine. Le banc pres de la porte du Chafna , là où deuiſans de
premier repas acheué ,lAgu des Ianiſſaires en ce qui concerne leur charge , ils attendent que les
uoye dire par l'un de ſes Capitaines nommé le Baſſas ſortent, afin de les conduire au lieu où ils
Mochiur, au viſir, qu'il veut allervers le Seigneur s'eſtoient premierement aſſis au Dinan : Toutes
pour le deu & acquit de ſa charge, & qu'il veut fois les Defterdari ne vont point parler au Seigneur
prendre congé de luy . Cela faitl' Aga ſe leue de qu'au ſecond Dinan qui ſe tientle Dimanche, &
ſon ſiege, & s'en va à la troiſieſme porte,là où ac au quatrieſme le Mardy. Pendant que les Baſſas
compagné des deux Capigibaſsi, il entre dedans la ſont demeurez tous ſeuls en la chambre ; & que le
chambre du Seigneur ,dont il en reſſort auſſi -toft Vifir fait ſon rapport , les autres ſe retiennent coys
pour s'en retourner au logis , & monte à cheual ſans mot dire , parce que le premier eſt inſtruit de
quant à luy : mais les Ianıſſaires qui l'accompa tout : & apres que chacun des autres , a fait auſſi
gnent, ſont tous à pied. Les Baſſas auſſi bien de ſon rapport à ſon tour , ils s'en retournent dere
uant le manger commeapres, donnent audience: chefaſſeoir en la ſalle de l'Audience , où ils ache
& cependantentour midy la pluſpart du temps : uent de depeſcher le reſte des affaires qui ſe pre
plus tard
quelquesfois pluſtoft ou plus ,, ele Seigneur
tard l Seigneur ſentent;iuſqu'à ce que l'aſſemblée ſe rope : enĒté
enuoye par vn Capigi donner permiſſion aux Ca enuiron yne heure apres midy , & és courts iours
dile ſchers de venir versluy , & alors ils ſe leuent vers les quatre : & lå ayans laiſſé tous les papiers
de leur ſeance, & accompagnez du chaoxxbafsi, & memoires és mains des Secretaires , & feellé
& du Capigi-checherfi , ils s'en vont à la troiſieſme de nouueau le charme , ils s'en reuont à leurs lo .
Deuoirs porte, ou le Chaouxbaſsi les laiſſe, & s'en retourne
Lescados gis j accópagnez de leurs eſclaues & domeſtiques
lefchers vers les Baſſas : les Cadile ſchers entrez où eſt le qui marchent deuant, & de ceux qui pour leur
les iours Seigneur , auec les placets & requeſtes tant du faire honneur , les conuoyent : le premier Baffa
du Di- criminel que ciuil (car cela eſt de leur gibier ) luy ſuiuý meſme des autres ſes compagnons , & des
en font leur rapport , voire les liſent de mot principaux de la porte : lequel acheue en la mai
à mot, s'il en eſt befoin : car ils ſont fuccincts en ſon tout le reſte de la iournée iuſqu'au ſoir , à don
leurs eſcrits & procedures. Le Seigneur leur por. net audience aux particuliers , ſans en exclarre
22 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 23

les plus petits : liqu'ils n'ont comme point de re à qui il veut parler , ils s'en vont à luy auec de
pos, attendu le grand nombre d'affaires qui ſe grandes ſoubmiſſions iuſqu'en terre , & il leur
peuuent iournellementpreſenter en yne ſi groſſe fait entendre ſon intention : cela fait , s'il y en a
maiſe d'Empire . qui ayent quelque choſe à luy remonſtrer pour
Audien OVIRE ce Dinan & publique audience, les les affaires particulieres, ils y vont l’yn apres l'au
ces par- Baſſas, Beglierbeys , Cadileſchers, & autre Officiers treau meſme ordre qu'ils ſont aſſis. Puis ayant là
ciculie
de la porte , en donnent chacun endroit ſoy de deſſus pris congé , ils s'en vont faire le ſemblable
res .
dans leurs logis , le Mercredy , & le Icudy : car le aux autresBaſſas, Beglierbeys, & Cadilefcher, com
Vendredy leur eſt en la meſme obſeruation & partiſſans leur temps , de ſorte qu'ils ayent ache
reſpect , qu'aux luifs le Samedy, & à nous le Di ué de faire leur Cour,auant que le ſoir ſoit venu,
manche : & pourtant reſerué pour aller faire leurs les particuliers entrent puis apres que les Courti
prieres & deuotions és Moſquées. Es deux jours Tans ſont partis , n'eftans demeurez en la ſalle que
doncques delſuſdits, le premier Balla ( le meſme cinq ou ſix chaoux , ou Huiſſiers , & quelques
fe doit entendre auſſi des trois autres ) fait ouurir truchemens en diuers langages pour ceux qui ne
dedans ſon Serrail la ſalle où il a accouſtumé de ſçauent parler Turquelque : & l'on leur donne
donner audience : en Eſté ſur les trois ou quatre audience à tous iuſques au dernier : car il y a des
heures apres midy : en Hyuer entre deux-& trois : Portiers , Ianiſſaires communément auecques
car Conſtantinople eſt preſqu'au meſme paralel leur baſton de canne au poing , qui appellent à
le que Paris : & là ſe trouuent en premier licu les, tour de roolle, ceux quiont affaire au Bajſa , & les
Muriefc- Sp.rfiz.chaoux, & les vieils routiers Murrefereca , ameinent en ſa preſence , où il les écoute beni
reca . qui ſignifie autant comme gens ſans ſoucy :ce ſont gnement , & depeſche ſur l'heure , fi c'eſt choſe

tous Chreſtiens reniez eſclaues du Turc, leſquels qu'il puiffe faire tout ſur le champ 3 linon il leur
ayas fait quelque preuue ſignalée de leurs perſon donne vn Teſquere ou petit billet adreſſant à ceux
Aduera
nes , ſont fort bien appoinčtez de luy , ſans eſtre qui leur en doiuent faire l'expedition , ſoient Ca.
tiflemét
plus ſujets d'aller à la guerre,ny au Serrail, li bon aileſchers , Cadız , ou autres , ou bien les remet au pour les
ne leur ſemble : leur Chefa cent afpres le iour . Il premier Dinan . En vne de ces audiences particu- Princes .
ya là encoredesautres principaux Courtiſans en ſieres n'y a pas long- temps que Mehemet vizir
fort bon ordre & equipage , & richement ha de Selim pere d'Amurath auiourd'huy regnant,
billez de longues robbes de toile d'or, velours, & dont il auoit épouſé la ſeur , fut tué d'un coup
ſemblables exquiſes cſtoffes, pour l'honorer de de couſteau par vn inſenſé , ou pour le moins qui
leur preſence en ſon auditoire particulier. Tous le contrefaiſoit, ſous ombre de luy preſenter vn
leſquels mettét pied à terre dés l'entrée de la mai placet , & ce pour raiſon de quelque injuſtice
ſon : car tous les
Turcs non ſeulement de qualité, qu'on diſoit luy auoir eſté autresfois faite par ce
mais juſqu'aux plus petits compagnons, ne vont Buffa. Si vn Ambaſſadeur veut auoir audience à
guere iamais qu'à cheual , quand ce ne ſeroit que part, il l'enuoye demander dés le grand matin , ou Les
pour aller quelques deux cens pas loin de leur lo le ſoir precedent : car tous les Turcs ont cela de Turcs
Mode . gis: s’entrefalüans humblement quand ils ſe ren propre deſe leuer quant & le iour , & deuant en- fort
ftie des
contrent par vne baſſe inclination de la tefte , la core : & on luy aſſigne l'heure qu'il y doit venir. grands
Turcs,
& les main droitte à l'eſtomac , qui eſt , comme il a eſté Voila à peu pres ce que c'eſt de leurs Con- niers.
mati
honne- deſia dit cy - deſſus, la maniere de leurs rcueren liſtoires & Audiences , tant publiques que parti
ftetez ces , & s'honorans les vns les autres de beaux til . culieres , en temps de paix à Conſtantinople, An

quils , tres,ſelon leurs rangs & qualitez :comme de Baſſa,


s'entre drinople , ou autre tel lieu que le Turceſt de ſe
font, qui veut dire Chef : Aga Capitaine,Beg, Benc, ou jour :mais au camp le Dinan ſe tient fous vne Le Dia
Beyhun, Monſieur : Sultan , Maiſtre, Seigneur, & grande tente joincte par vnegallerie ou allée de nan au
Dominateur: toutesfois ce nom-là eſt proprement toile, à ſon pauillon : & les particuliers en ceux Camp.
deu au Prince: mais nous appellons bien de mel des Baſſas. Somme que pour des gens ſi ruraux
me vn Marchand , & ſimple Artiſan , Sire, com comme on les eſtime, pour le moins qui n'ont
me nous faiſons noſtre Roy ; encore les choſes en point de lettres , ils obſeruent en tout & par tout
ſont venuës- là , qu'il les faut maintenant appel- , yn bien plus bel ordre & police que nous, qui les
ler Monſieurs : Quelques-vns au reſte s'efforcent appellons Barbares : mais cela dépend en partie
de rirer ce tiltre royalde SIRE de Cyrus Roy de leur patience.
des Perſes tant celebré és Hiſtoires ſainctes & Il y a encore vne autre forme d'audience plus
profanes,maisl'orthographe y contredit. Ily avn ſolennelle que les deſſuſdites, où le Seigneur af- Teil où
autre tiltre encore parmy les Turcs, duquel l'on ſiſte en propre perſonne : laquelle ſe tient à la le Turc
n’vſe enuers perſonne que le Seigneur , à ſçauoir premiere ſalle qu'on rencontre à l'entrée de la meſme
chumchiera , comme qui diroit Empereur ou Ce troiſieſme porte , où commence le ſecret enclos fc trou
Chum ue en
chiera . ſar. Les Courtiſans doncques , pour r'entrer en duSerrail : quand il eſt queſtion dereceuoir ou li perſon .
noſtre propos ,s'en vont aſſeoir" dedans la ſalle, centier quelqueAmbaſſadeur : car ils ne voyent ne .
ſelon les degrez de leurs charges, ſur vn petit iamais le Turc , ny ne negocient face à face auec
bancarrangéexpréstout autour; & au milieu y a luy qu’à leur arriuée & depart :mais les remet de
vn ſiege plus relcué que le reſte, auec vn tapis au toutes choſes à ſes Baſſas : ou bien pour prendre
deſſous , où ſe doit mettre le Bafft : attendant la l'aduis de ſes principaux Officiers ſur quelque
venuë duquel tous ſes maintiennent en yn ſilence guerre , & autres tels affaires de grande impor
merueilleux , & modeſtie nompareille, les yeux tance : ou quand l'vn des Baſſas , ou Beglierbeys
abaiſſez contre terre , & les bras croiſez , tant eſt de retour d'yne entrepriſe où il auroit eu char
qu'il vienne . A ſon arriuée ils ſe leuent tous iuf ge d'armée , & femblables occaſions. Cette ſalle
ques à ce qu'il ſoitaſſis ; puis ſe remettent en leur eſt parée fort richement, & toute tendue de draps
place. Alors le Balſa faiſant ſigne de lamain à ceux d'or & d'argent , auec des tapis Perſiens, & chai
rons
de Chalcondile .
24 25
rons par bas , & de petitsbancs à l'entour eſtoffez eſtant acheué , quand les autres s'en vont , les
de melme . Là les Baſſas ayans aduerty & fait faire chaoux retiennent ce vertu de noir ; & certains
commandement à tous les principaux de la Porte icunes hommes robuſtes qu'ils appellent Gelleth,
de ſe repreſenter equippez & veſtus de leurs plus luy mettent vne corde de ſoye noire au col, &
ſomptueux habits : les deux Cours cependant ſe l'eſtranglent couché par terre ,ſans que les Baffas,
rempliſſent de laniffaires, au nombre de dix à dou ny autre , quelque grand & fauory qu'il peuſt
ze mille : & de spaciſiz , solachs , Seliétars , & au citre, s'ofaſt entremettre d'interceder en aucune
tres forces de la garde du Prince tant de pied ſorte pour luy , fur peine d'encourir le meſme
comme decheual : dontles plus qualifiez & qui danger & punition : Puis le trouſſent ſur yn chea
ont grade , entrent en cette falle où ils s'afféent ual couuert d'yn drap noir , ayant enuoyé deuant
ſelon leurs rangs,attendant que le Seigneur vien I'vn d'iceux Chaoux auec vne longue baguette
ne , ce qui va preſqu'en cette forte. Premierement noire qui a yne petite barderolle de taffetas ou
L'ordó- entre les deux Capigibaſsı ou Capitaines de la pre crefpenoirattachée au bout , laquelle il plante
nance & miere porte , qui ont de grands baſtons de cannes far le ſueil de l'huys , afin que la famille aille à
aſliette d'indeau poing, garnis d'or, & de quelque pier l'encontre receuoir le corps : cela s'entend à l'en
de correries és deux boucs , tels à peu pres que les por droit de quelque perſonnage d'authorité , comme
conſeil
Impe tent les Maiſtres - d'Hoſtel chez le Roy : & d'yn vn Baſa , Biglurbey , ou sanjaque : car aux au
rial . pas graue & venerable s'acheminent au ſiege du tres de moindre eſtoffe ils couppent miſerable
Prince , dreſſé tres-magnifiquement au fond de ment la teſte en quelque endroit écarté du Ser
la falle lus vn daiz haut de pluſieurs marches, le rail ; puis la portent dehors , & la mettent ſur yn
tout couuert & garny d'excellenstapis. En apres tapis . Il ſe fait aiſez de iuſtices encores d'autre
vient le premier Bajja , & puis le Prince au milieu maniere par le iugement des Cadileſchers, & Cadiz ;
des deux autres Baſſas , & derriere luy les trois mais celles-cy s'entendent proceder du particu
enfans d'honneur, dont il a eſté parlé cy.deuant, lier commandement & vouloir du Prince : com
leſquels luy portent derriere ſes épaules vn grand me l'an 1536. le Turc Solyman apres auoir fait
oreiller d'or battu , tout eſtoffé de pierres pre ſouper auec luy Hibraim ſon premier Baſſé le plus
cieuſes d'vne ineſtimable valeur , qui luy ſert grand perſonnage, le plus riche & authoriſé qui
quand il eſt allis à s'appuyer contre. A ſon arri fut oncques aupres des Empereurs Othomans,lay
uée tous ſe leuent ſans bouger ncantmoins de enuoya trencherla teſte en vne garderobbe où il
leurs places , & font vne fort grande reuerence, l'auoit fait retirer , par la main du Boftangibaſsi, ou
inclináslateſte preſque iuſques en terre . Alors les Chefdes lardiniers du Serrail .
Capitaines de la Porte ſe mettent l'vn d'un cofté, Qui ſi c'eſt pour receuoir quelque Ambaſ- Recen
& l'autre d'vn autre , ſur la premiere marche du ſadeur d'vn grand Prince ou Potentat que cette prion
Tribunal par en bas, auquel le premier Bajja mon audience s’allemble , l'on y gardeà peu pres yne des Am
baflam
te deuant , & puis le Seigneur, que les deux au telle ceremonie . Eſtant preſt d'entrer en Con deurs.
tres conduiſent par dellous les bras comine vne ſtantinople , le Turc a accouſtumé de luy en
épouſée: & l'afféententre de tres- riches couſins uoyer ynegrande robbe de drap d'or , & vn beau
à leurmode . Là autour s'aſſéent auſli les trois pa cheual richement harnaché par l'un de ſes El
ges , auecques les principaux Eunuques du Ser cuyers , ſuiuy de trente ou quarante laquais : &
rail : & ſur la ſeconde marche d'enhaut à la main l'ayant fait monter ſur ce cheual, il trouuc à l'en
droite le premier Bw. & le Cadreſcher de la Gre trée de la ville la pluſpart des Capitaines , Off
ce , qui adminiſtre la luſtice en Conſtantinople, ciers , & autres des plus apparents dela Porte , qui
ainſi quele premier Preteur ſouloit anciennement le conduiſent au logis du premier Baſſa , d'où
faire à Rome : & à la gauche ſur la meſme mar apres yne legere entreueuë & falutation , il s'en
che , les deux autres Balſas , ou les trois, s'il y en a va au ſien , attendant qu'on luy vienne annoncer
lors quatre en Cour, enſemblele Cadileſcher de la l'heure & le iour de ſa reception : lequel artiué,
Natolię , qui equipolle aucunement au Preteur & s'eſtant mis au meilleur equipage qu'il peut
des Forains . Adoncques de ſa viue voix auec vn luy & ſa famille, vne bonne trouppe des deſſuſdits
merucilleux ſilence , & attention de toute l'alle le viennentprendre pour l'accompagner au Ser
ftance , il propoſe ce qu'il leur veut communi rail , là où à la premiere porte il trouue les deux
quer : ſurquoy ils opinent , & donnent par apres Capigebaſsı deſſuſdits , auec quelques Monuques
leur aduis chacun en ſon rang d'un grand ordre à des plusfauoris,qui le meinét parles deux Cours,
la mode ancienneRomaineà ſçauoir les plus qua à la Talle de l'Audience : Et là eſtant recueilly du
lifiez les premiers . Le Conſeil acheué , il s'en premier Baft , il le meine au Seigneur , qui eſt
retourne auec ceux qui l'auoient accompagné au bas aſſis ſur ſon daiz parmy force riches oreillers
venir : & le reſte demeure en la falle, où leur eſt & carreaux à leur mode, mais il ſe leue au deuant,
appareillé le manger : Puis s'en retournent à leurs & luy tend la main à baiſer , puis ſe remet en ſon
logis , leur ayant eſté prealablement preſenté à affiette, & fait aſſeoir l'Ambaſſadeur en yne chai
chacun vne robbe de la part du Prince à l'entrée te de velours cramoiſy , li teſt de la part d'vni
de ce Conſeil , aux vns de draps , ou detoiles d'or Prince Chreſtien , parce que ce n'eſt pas leur fa
Les exe- & d'argent, aux autres de velours,ſatin , damas, çon de s'accroupir bas , comme font les Turcs .
cutions & broccadors de toutes ſortes de couleurs. Que fi Alors l'Ambaſſadeur luy preſente ſes lettres, lef
à moit d'auanture il auoit à faire mourir quelqu'vn de la quelles il prend , & les déca de fa propre
en cette trouppe , fuſt pour aucun meffait commis de
luy , main , puis les donne à ſon premier truchement,
Audien
ou pour vne mauuaiſe opinion qu'on en euſt pour les lire tout haut , qui les luy interprete puis
oe,
conceuë , il a de couſtume de luy faire preſenter apres de mot à mot . Cela fait, les Gentils -hom
vne robbe de velours noir, qui eſt ligne qu'il faut mes ſont conduits par deſſous les bras comme
qu'irremiſſiblement il meurre : parquoy le repas yne épouſée , à luy aller auſſi baiſer la main , &
b
:
26 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 47

s'en retournent à reculons , de peur de luy tour és maiſons de nos Princes & grands Seigneurs,
Banquet Ou Mura
Tur ner le dos : Là deſſus le Turc ſe retire , laiſſant où il n'y a poini de pouruoyeurs , & marchands
patenin
quel- l'Ambaſſadeur & les liens és mains du Bala , le pour fournir les vičuailles :ceſtui-cy a la charge argen,
que . quel les meine tout de ce pas banqueter en la ſal. de la dépence des cuiſines ; & fournit iour par tier, :
le du Dinan , où le feſtin eſt appareillé à leur mo iour les deniers; ayant d'appointement yn ducat
de , de force potages de riz , & de diuerſes fromen par iour , auec des accouſtremens comme l'autre,
cées , auec demenus morceaux de chair de mou à la diſcretion du Seigneur & comme il luy plaiſt
ton , qu'ils mangent plus communément ; & de le donner à leur bahiram o Kabir , ou grand paſ
poules hachées dedans; & des reiſſoles & bignets; que : Et eft de grandeathorité , parce qu'il parle
le tout aſſaiſonné iuſqu'à outrance de ſaffran & à luy à toute heure , pour ſçauoir ce dont ilaura
d'épiceries : Il y a auſſi quelque roſt arroſé auec appetit de manger .
Ce mot
L E troiſieſme eſt le checaya , comme vn contre
ques du beurre : car ils ne mangent point de lard ; ſignific
mais il ne le faut pas trouuer eſtrange : ny le re rooleur , le premier d’apres lemaiſtre- d'hoſtel, au
ferer ſeulement à vn ſcrupule de religion : car les pour reuiſiter tout ce qui entre & fort des cuiſines, Lieute
Anglois & Allemands ont la meſme façon de fai & pacifier les differends qui peuuent ſoudre entre nant, &
en ſom .
re , voire ily a bien peu de nations , qui lardent les officiers ; appointé au reſte de meſme, & ainfi me le le .
ainſi que le François. que le precedent. cod tou
LEV R breuuage au reſte eſt de pluſieurs dif Ls quatrielmeeſtle Mutpariazigi.tel à peu pres jours
ferentes fortes , comme nous le deduirons cy qu’vn Clerc d'office, qui dreſſe les écroues, & d'apres
le pre
apres ; mais tous exclus du vin de vigne , parce tient le regiſtre de tout ce qui ſe dépenſe és cuiſi
1 ! ' cr.
que leur loy nommément le defend : & ne le font nes :ordóne en outre les viandes & les mets qu'on Murpas

ses feftins aux Ambaſſadeurs quels qu'ils doit apprefter iour par iour , tant pour la bouche , riazigi.
foient,que deux fois en tout ; à lçur arriuée, & de que pour le commun . Il n'a que trente aſpres par
part : Tout le ſurplus de leur temps ſe palle és ne iour, & eft au ſurplus habillé ainſi que les autres.
gociations avec les Baſſas, & autres officiers de la C'eſt luy qui donne les billets & certificats tant
porte : car ilsne traittent plus rien de bouche à aux maiſtres ,qu'à eux , qu'à leurs aides , pour eſtre
bouche auec le Prince , qui n'eſt pas peut-eſtre, là - deſſus touspayez de leurs gages , qu'ils reçoi
yne des pires inſtitutions d'vn eſtat , pour infinies uent tous les quartiers, outre leuis practiques &
cauſes plus propres beaucoup à diſcourir & confi menus droics, leſquels ils partiſſent entr'eux:
derer à par loy , & les prattiquer par experience, car ſans le menu, la venaiſon ,legibier, & poiſſon ,
qu’à les dire , ny à les eſcrire . dont ils magent indifferemment auec la chair , on
Mais pourretourner à la deſcription du Ser tuë d'ordinaire par iour pour la maiſon du Prince,
rail , cette grăde premiere place nonobſtant qu'el de quatre à cinq beufs, & cinquante moutons,
le ſoit fermée de hautes murailles de toutes parts , ſans des boucqschaſtrez , & deschevres, qui leur
n'eſt toutesfois qu'vneauát- cour,où il n'y a point font auſſi en vlage, comme il ſe dira cy-apres.
d'habitation en tout fon pourpris & circuit, iuſ . Svit le cheltzzi ( tous ces gens icy ſont Eu- Chelezzi,
qu'à la ſeconde clofture où eſt le cloiſtre & audi nuques , il fautainſi ſuppoſer ſuiuant ce qui a eſté le grand
toire du " .si, Mais à main droite en y entrant dit cy - deſſus) qui a trente autres soubſchelezzi ou cier ou
ſont les cuiſines du Seigneur , tant pour le binan , commis ſous luy ; leſquels ont la garde des me- verdu
Cuiſines que pour les domeſtiques du Prince , à quoy les nuës prouiſions, commeriz , miel , oliues, froma- rier.
du com- Turcs ontaccommodé vn petit temple rond , & ges ,beurre,ſućcre , & ſemblables choſes : & dix Calsagi,
mun .
couuert de plomb , comme eſt tout le reſidu du Calnagi, tels que ſont les fruiciers en la maiſon frui
Serrail ; lequel temple ou chappelle ſouloit eſtre du Roy ; qui font les compoſtes ,confitures, & au- eiers,
Celle de des appartenances de faincte Sophie. La cuiſine tres tels mets de deſerte. Et pour cét effect il y a
de bouche eſt plus en dedans , à huict combles di yn autre office & demeure à part au Serrail dit le
ftincts l'vn de l'autre , en forme de culs de four, Chiler , ou dépence ſecrette, fournie de vingt- Chiler,
ou couppoles , qui ſeruent d'autant de cheininées, cinq outrente icunes hommes de vingt à vingt- apothi
caire
dont chaſque maiſtre queux a la ſienne à part,auec deux ans , qui ont la charge des ſuccres, dragées
ſon four : & y a en ces deux cuiſines bien ſoixante & épiceries de toutes ſortes : & des iuleps, ſirops,
maiſtres , & deux cents chifmechiari ou aides , lef ſorbets pour la bouche . Ils ont de huic à dix ar
quels trauaillent continuellement à appreſter les pres le iour , & font habillez deux fois l'an , de ſa
viandes : mais les maiſtres ſe ſoulagent & relayent tin ou damas de toutes couleurs , ayans yn Chef
alternatiuement d'vn iour à autre . Ceux de bou Eunuque auſſi comme les autres , appellé chiler Chilergia

che ont de quinzeà vingt afpres par iour; & du ' gibefsz,quien a cent,& deux accouſtrements l'an- baße.
commun la moitié d'autant : leurs aides & gar née: bouche à Cour , & monture en l'eſcuyrie :
çons trois ou quatre : & font tous habillez de neuf outre quelques cinq ou fix cents ducats tous les
vne fois l'année . ans que luy valent les droicts & profits de la
I l y a au ſurplus quatre ſur-intendans ſur ces charge.
Argibal cuiſines : le premie appellé Argibaſsi , prend L Ă boulangerie & les fours pourcuire le pain
:
trerool- garde que tout y aille comme il faut , & que cha du Seigneur & de ſa famille, ſont auſli dans l'en- Boulló .
gerie &
leur, cun faſſe bien & pertinemment ſon deuoir. C'eſt clos du Serrail ; là où s'employent continuelle- Paftife
luy auſſi à qui il touche de faire payer les gages ment quelque cent que maiſtres qu'nydes. Les ric.
des deſſuſdits, & fournir leurs accouſtrements & Maiſtres de la boulangerie de bouche ont dix al
liurées . Ila ſoixante aſpres d'appointement cha pres le iour , & ceux du commun (ix : leurs aides
cun iour , auec vne robbe de broccador ; & vne & garçons de troisà quatre , auec quelques ha
autre de foye , par an , à la volonté du Seigneur. billemens d'aſſez bon drap vne fois l'an , à leur
1
amim . Le ſecond eft ' em Tri pagi , autrement Mut Paſque. Leur Chef s'appelle échenichirribaſsi, Echeni
mus pagi pasenın , qui ſont preſque comme les argentiers ' maiſtre ou ſurintendant du fournil,qui a cinquan - cherria
te
28 de Chalcondile .
29
tcäſpres le iour , & vnerobbe de broccador tous de noſtre croyance , ſelon qu'il ſe verra en ſon
les ans , auec quelquesdons & bien-faits des Baf lieu . Ila ſemblablement defendu l'yſage du ſang,
fas, & autres pertonages d’authorité , quand il & de toute viande eſtouffée , ou atteinte des be
leur preſente des marlepans, du meſtier , biſcuit, ftes, ou trouuée morte des connils & lievres auſſi,
& telles autres friandiſes & douceurs de paſte à & des grenouilles , eſcargots , tortuis , & autres
leur façon , qui n'eſt pas des plus delicates . ſemblables : Toutes choſes empruntées du lu
Autres
Du mã OR n'y aura -il point de mal , puis que cela • daïſme, maisils ne font point de diſtinction de viandes
ger , & vient à propos ; de toucher icy quelque choſe du iours inaigres ny gras comme nous . Les chairs au probi
boire
des manger & boire des Turcs , qui ſont fort ſimples reſte dont les Turcs vſentle plus volontiers , ſont bées de
en cela au prix de nous :mais ce n'eſt pas parad le bouc chaſtré, & le mouton : de vache comme Maho
Turcs. met .
ucnture le pis de leur affaire, encore que nous les point , & de veau afin de les laiſſer croiſtre, pour,
Viande
reputions lourds, ruraux & barbares :car il n'y a ſi c'eſt vne genice auoir touſiours plus de laicta des
rien qui nous perde plus , & débauche de toute ges , l'vne de leurs principales commoditez , a Turcs
valeur & merite , que l'exceſſif laye & intollera cauſe des beurres , creſme, & fromages qui en
ble où nous ſommes plongez à preſent. Voire les prouiennent , & qu'ils ont en grande recomman
petits cópagnonsſansmoyen qui ſe veulent égal dation : & fic'eſt vn maſle, à ce qu'eſtant deuenu
ler aux plusgrands.cequi ſucce, ronge , & deuo grand ils en puiſſent faire du Paſtramach : car la Paffran
reinſenſiblement le publiciuſqu'aux os: là où aux Chair de læuffraiche ne leur eſt pas guerres com mach
Turcs en premier lieu le vin eſt abſolumét defen bæuf
mune , lieſt bien accouſtrée en ce Pajiramach , yne fumé à
du par leur loy , pour les cauſes touchées comme maniere de breſil, ainſi appellons- nous le bæuf la che

en paſſant dans l'Alchoran , & expliquées plus fallé, & fuméà la cheminée ,lequel ſe garde fort minte
amplement dedans le liure de la doctrine qui ſera longuement, & leureſt vne tres - bonne prouiſion qu'on
Les in- inſerée cy -apres, mais la ruze & malice de ce faux tant en temps de guerre qu'en paix , allans en brekel.
cómo Legiſlateur , n'eut autre égard en cet endroit: que voyage, ſoit
ſoit en camp , ſoit par les deſerts auec les
ditez du pour auoir les peuples plus ſoupples & obeiſans, Carauanes: car l'ayans reduit en menuë poudre,
vin. - & moitis fantaſtiques & ſeditieux,parce qu'il n'y & confit d'eſpices, ſaffran , & fel compoſé auec
a rien qui échauffe plus le cerueau & le cæur que des aulx ,ils en ſaulpoudrent leurs tourteaux &
le vin : Pour les exempter auſſi d'infinies mala galettes de farine de riz , & froment detrempée
dies , que l'vſage ameine de cette pernicieuſe li auec de l'eau , comme pour fairedes oublies ; mais
queur , l'vn des principaux débauchemens du époilles de deux bons doigts, & les font cuire tout
genre humain :Et pour finalement pouuoir con lentement ſur yne lame de fer chauffée dans vne
duire & charrier par pays de plus groſſes armées, forme de lanterne qu'ils portent à l'arſon de la
& plus aiſément: parcequ'outre la couſtange de ſelle allans par pays : Ce leur eſt vne viande de
ce breuuage ., la voicture en eſt fort fafcheufe , & fort grande nourriture , combien que non ſi deli
d'infinis frais, penible rout outre , & le recouure cate que pourroient eſtre nos tourtes & gaſteaux,
mét en pluſieurs endroits non que mal - ayſé, mais fi que tousen portent ordinairement vn petit ſa
impoſſible, ſi que vingt Turcs,ou autres telsMa chet quant & eux . Ils ont outre - plus vne autre ef
hometiſtes viurót de ce que deux du trois ſimples pece de prouiſió qui ſe gardera bien vn bon mois Autre
ſoldats de ces quartiers de pardeça dependront en lans ſe corrompre ny alterer, à ſçauoir , de la proui
vn déjeuner , à cauſe principalement du vin . Ils chair.de mouton cuitte iuſqu'à ſe ſeparer des os, Tus
en alleguent encoreie ne ſçay quelle occaſion ,que puis hachée groſſierement , & cuitte dans de la quelque
fort
i Mahomet vit yn iour certaine trouppe de ieunes graiſſe , auec des oignons hachez menu; & le tout
gens en yn iardin qui banquetoient beuuans du allaiſonné de fel & deſpices . Cela ſe inet en de pe propre

vin , & eut de vray quelque plaiſir de les voir tits barrils , & eſtant réchauffé aucc vn peu de camp
ébattre fiioyeuſement, mais à Ton retour il trou nouuelle graiſſe , ou de beurre & de l'oignon , ap
ua que s'eſtás depuis enyurez , ils s'entrebattoient proche d'vne fricaſſée ou hachis qu'on viendroit
à outrance, & s'eſtoient deſia là entretuez la pluſ tout à l'heure de faire:
part, dont connoiſſant le vini en auoir eſté la prin Ils ont encore vne autre eſpece de maintene. Autre
cipalecauſe & motif,il luy donná ſa malediction , ment fort leger , & dont ils ſe feruent comme d'vn encore
aduitaillement de peu de dépence & appreſt, pour delegu .
& en interdit l'vſagcen fa loy .
Le pour A v REGARD de la chair de porc qui leur les Carauanesà paſſer les deſerts, & lieux inha - mes .
çtau du
tout in eſt auſſi prohibée , ce n'eſt pas pource que Maho- bitez , à ſçauoir des poix chiches fricaſſez tous
terdic met ait eſté mangé de ces animaux, ſelon qu’alle ſecs en de grandes poéles de fer ; & appellent cela
aux Ma- guent quelques -vns , meus paraduenture d’yn ze Ere uithia,dontil y a pluſieurs boutiques à Damas, Eremia
home. le pourle faire deteſter dauantage : car il eſt nom & au Caire . thia ,
mément defendu de luy dedans l’Alchoran en Les poulles par toutes les terres du Turc ſe
auſſi
bien plus d'un endroit : les raiſons auſſi bien que du trouuent en grande quantité, & à bon marché,
qu'aux vin , mais fabuleuſes tout de meſme , & ridicules, graſſes & plus fauoureuſes aſſez que les noftres,
Juifs. en font deduittes dedans le liure de la doctrine, & mais de chappons , ils ne ſçauent que c'eft ;ny de
ſçait - on allez que fon corps eft inhumé en la gibier gucres non plus , fors quelques pluuiers
Moſquée d'Almedine , mais il fait cela pour fe & oy ſeaux de riuiere: Et quant à la venaiſon ils Le roſt
conformer exterieureinent à la loy de Moyſe, en en ont à reuendre,toutesfois ils ne mangent point des
cet endroit , comme à la Circonciſion , afin de de ſanglier , parce qu'il eſt compris au gentedes Turcs.
gratifier les Iuifs , & les tirer à ſon party , aufſi porcs , & parconſequent defendu. Et comme le
bien qu'il a voulu faire les Chreſtiens pour auoir folt leur ſoit plus commun en toutes ces viandes
aucunement extollé I ES V S - CHRIST , & fa que le bouilly , ils l'appreſtent neantmoins d'vne
mere la Vierge Marie , pour puis apres blaſphe- eſtrange façon , mal -ſaine , & auſſi peu delicate
mer plus librement contre les principaux points au goult: car ils ne l'embrochent pas, ny ne lara
bij
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
30 31
dent à noltremode , ny ne l'arrouſent de beurre, flaſcon de cuir aucc de l'eau , où ils ſe battent , &
ou de graiſſe pour l'attendrir & donner ſaueur, ſe mellent en cheuauchant: & s'en fait un ſuc qui
comme font les Allemans , & Anglois , mais ont leur ſert de viande & breuuage fort nourriſſant.
vn grand pot de fer fait en manierede chauderon , Les Turcs ont outre- plus yne autre cfpece dele
où ils mettent des charbons ardents , & deſſus la gume qu'ils appellent Aſcos, du mot corrompu Aſcos.
bouche vn gril , là où à la vapeur du feu ils font Aphacé , quileur vient d'Egypte, & vſent fort
leur roſtiſſerie à guiſe de carbonnade, la faulce eſt . d'huyle de Seſame,qui eſt a bon marché par de- Huyle
de meſme , pour la plus grand'part d'aulx broyez là, nonobſtant qu'elle ſoit bien penible à faire , ce de Sela
&
auec du ſaffran & eſpices , auſſi bien l’Eſté que qui n'eſt communément qu'en Hyuer ; où l'on y la ma.
l'Hyuer :Et ſi en lärdent outre- plus , ainſi que employe les eſclaues : car ilfaut en premier lieu nierede
quelques- vns parıny nous , meſmement en Gaſ macerer la ſemence en de l'eau ſallée , par vingt- la fajre.
les aulx cogne , font les gigots de mouton , où rouelles de quatre heures , puis la concaſſer auec des maillets
& épi- veau. A la verité à ces gens - là qui communément de bois dans vne groſſe ſerpilliere , tant qu'elle
ceries ne boiuent que de l'eau toute pure , les riches auffi s'écorche, & la mettre lors de nouueau tremper
fort vei . en de l’eau ſallée , où l'écorce ſurnageant ſe ſepaa
bien que lespauures , les aulx & oignons qu'ils
les aux
mangent , leur ſeruent comme d'Antidote pour re , qu'ils euacuent , & defechent le reſte au four: •
Turcs .
la corriger, & reconforter l'eſtomach à l'encon cela fait , ils la mettent à la meulle , où l'huyleen
tre , ainſi que fait d'autre - part le frequent vſage coulle époiffe à guiſe de mouſtarde : car il y a
des bains pour decuire leurs cruditez , ſelon que fort peu demarcqu'ils
, en ſeparent finalement,
le teſmoigne Columelle des anciens Romains , l'ayant fait bouillir.Elle eſt fort douce , & d'aſſez
Quotidianam cruditatem laconicis excoguimus. Mais bon gouſt: mais c'eſt vne vray.e peſte que de leurs
cela les preſerue par meſmemoyen de la vermine, beurres , quiſe peuuentmettre hardiment en pa
dont autrement ils ſeroient mangez iuſqu'aux os rangon auec la manteca d'Eſpagne, s'ils ne la ſur
pour le peu de linge qu'ils ont. Ils vlent aulli paffent, ou le vieil- oina dont on graiſſe pardeça
Saulces . d'autres faulces encore, & d'appetits qui ne leur les charrettes. Trop plus tolerables beaucoup
couſtent pas beaucoup , comme de grappes de ver ſont leurs autres confections de laictages : com
jus confites auec du ſel & vinaigre, & de la grai me i'exigala defluſdit : le Caimut ou afrogals , la Caimat,
ne de mouſtarde concaſſée groſſierement pour chreſme: le melea ou mifitra , la recotte des Ita- ot afra
leur donner pointe : force racines de blettes, & liens , vne maniere de caillé fort ſec & aride , tiré gala .
d'enula Campana , & des choux à pomme accou du laict clair par bouillons & preſure. Ils
Itrez de meſme. Mais entre tous autres mets , ils ne rejettent pas les aufs, qu'ils accouſtrent en di

ont en fort grande recommandation les pieds uerſes ſortes. Mais ce ne ſeroit iamais fait de tou
du mouton , & les teſtes , qu'ils tiennent toutes cher icy toutes les particularitez de leurs viandes :
appreſtées en pluſieurs boutiques , auec yne faul car auſſi bien en cela chaque nation a ſa mode à
ce de graiſſe & vinaigre , le tout ſaulpoudré de fel part , ſelon les commoditez du pays , & leur in
& d'aulx , broyez parmy du jusde citron , dont il clination & vlage ou routine pra &tiquée de lon
. gue main .
leur vient en Conſtantinople plus de cinquante
tonneaux tous les ans, de Surie : d'épine - vinette, Le v R pain qu'ils appellent Echmech , n'eſt pas
Paini
grenades , & ſemblables liqueurs aceteuſes. Ils des meilleurs , le blanc auſſi peu que le bis ; car il
Tur
vſent auſſi de petits paſtez de chair hachée , mal eft ordinairement mal peſtry , & pirement cuit , quer
Le bouil. baſtis & aſſaiſonnez . Quant à leur bouilly , lors comme eſtant en yne groſſe maſſe , où le feu ne quc.
ly des que la chair eſt cuitte , ils la cirent du pot , & la peut gueres bien penetrer au dedans : outre ce
Turcs. deftrenchent en menus morceaux , puis mettent qu'ils ymeſlent de la ſemencede cumin , & de pa
dans le broüet ce qu'ils veulent pour leur potage, uot , voire d'oppium quelquefois, & d'une autre
comme du riz , qui eſt leur principale nourriture, encore qui leur eſt fort familiere , appellée sulfam , Sufjam ,
dont l'on vſe aufli en l'Andelouſie. Ils font outre
& deux ſortes de fromentées qui s'appreſtent en
l'Ile de Methelin , & ont de là vn merueilleux plus quelques foüaces & tourteaux auec de la fleur
cours & debit par toute la Turquie : l’vne appel- de farine , & du beurre , leſquels ils dorent auec
Bohourt. lée Bohourt , qui eſt du froment bouilly iuſques à des aufs pardeſſus.
Oxigala, ſe rompre & creuer,puis ſeché au Soleil, meflé LEVR commun boire eſt lemeſme qu'à tous Breuus.
auec de l'oxigala ou laićt -aigre , qu'ils appellent les animaux de la terre , à ſçauoir de belle eau ges des
Igur.. igur , dont ils vſent auſli pour breuuage . L'autie toute pure ; mais les plusaduiſez vſent de diuer- Turcs,
Trachan et latrachina,qui approche du Maza des anciens : ſes ſortes de breuuages compoſez à leur mode,
wa, vne certaine compoſition faite de farine auec de & ſelon leurs gouſts , & les commoditez qu'ils
l'huile , & de l'eau , ou du laict . A propos de cet en ont: comme d'Oxicrat, qui eſt de l'eau com
oxigala , Marco Polo liure premier de ſes narra mune corrigée auec du vinaigre : de l'oxigala Oxicrat.
tions, chapitre 47. met que lesTartares,auſquels deſſuſdit détrempé en de l'eau , ce qui rafraiſchit
en infinies choſes ſe conforment les Turcs , com & nourrit beaucoup : lulep Alexandrin fait de
me autrefois deſcendus d'eux , ont vne maniere ſucre cuit & reſous en fine eay -roſe damaſquine:
de laict ſeché, dure comme paſte , qui ſe fait en le ils l'appellent recher , mot approchant de celuy Secberi
bouillant doucement : tant que toute la creſme en de ſucre, de l'hidromel aulli , qui eſt du miel cuit
ſoit hors , qu'ils gardent pour faire du beurre ;car en de l'eau, auec des raiſins de corinthe , ou de da
autrement il ne fe pourroit pas congeler : Puis mas, & des pruneaux , ce qu'ils appellent Hero
Hojjaph.
mettent ce qui reſte de laict au Soleil ; où il ſe saph , le ſorbet eft vne decoction de raiſins ſecs , fi forbes.
Ricot . caille & endurcit ; & quand ils vont par pays , ils gues, pruneaux , poires, & peſches, & ſemblables
tes à l'l. prennent cette maniere de ricotte : car ainſi l'ap- fruictages aigrets, leſquels ils gardent à cette fin
talienn e.
pellent les Italiens , dont ils ont touſiours bonne deſſeichez, tout le long de l'an , & vſent fort de
prouiſion quant & eux , & la mettent en yn petit cebreuuago, principalement en Efté, mellé auec
de

1
32 de Chalcondile . 33

de la glace ou neige , qu'ils conſeruent ainſi qu'on nous qui n'y ſommes pas accouſtumez , comme
faiten Italie , enueloppée lict ſur lidt dans de la elles ſont à la verité ſelon la collocation de nos
paille en des celliers & magazins deſſous terre , membres & joinctures , cela toutesfois ne leur
Ils font auſſi quelques manieres de ceruoiſe, que couſte comme rien , fuft - ce pour y eſtre tout le
Curmy. les anciens appelloient Curmy, auec du froment, long du iour ſans bouger , moins aſſez qu'à nous
de l'orge , miel , riz , & ſemblables grains . Etont d'eltre allis & appuyez le plus à l'aiſe que nous
Pechmes,vn autre breuuage encore appellé pechmes, fait de nous ſçaurions mettre dans quelque chaireadof
mouſt cuit & époiſſi à guile de miel, qu'ils dé ſée , ou en vn bien proportionné faudeſtueil:mais
trempent auec de l'eau , mais ils le donnent aux auant que s'eſtendre ſur ce tapis, ils ſe déchauſſent,
eſclaues . Plus vne eſpece de zuum , ou Peſca, com tout ainſi qu'ils font en entrant dedans les Mol
Zetum , bien que quelques-vns le prennent pour de l'oxi quées , leurs faux -ſoulliers appellez Paſtmah , la Paftmab:
Pofia. crat , & les autres pour cette loiſſon que les gens pluſpart ferrez par deſſous, qui leur ſeruent, coin
meſnagers , principalement en Bourbonnois ; ap me à nous de mulles : & reſtent en leurs dimples
1 Chouflet pellent dépance, eux le chou ſet , non gueres diffe eſcarpins, ou bottines ; de peur de fouiller le ta
rend de ce qu'on dia le bouillon en Picardie qui pis. Les riches & mieux accommodez vſent do
eſt bien éloigné de la dépance ou poſca , qui ſe fait petits bancs garnis de couſſins pour fe mettre
d'eau paſſéelur le preſurage de la vendage, & ce plus à leur aiſe. Et là eſtans aſſisen rond , on leur
choufle approchant du bouillon, eſt épois & blanc déployevn cuir liſſédict Tzophra cueilly & ſerré
comme laict : fort nourriſſant au reſte, & qui en en formed'une bourſe de iectons, qui leur ſert de Tzophra,
tefte comme la biere , iuſques à enyurer auſſi bien table & de nappe . Et deſſus on aſſiet vn grand
qu'elle , qui en prendroit outre -melure : car il eſt plat , ou pluſtoſt baſſin ,chez les grands d'argent,
fait de paſte cruë , mais leuée qu’on decuit dans & les moindres d’airain , ou de cuiure eſtamé, ou
.vn chauderon plein d'eau : & eſtant rallis & fei de bois :dans lequel y a forces écuelles de porcelai
ché l'on en prend la groſſeur d'vn auf, qu'on jet ne , qu'ils ont en grande recommendation : & les
te en de l'eau pour boire , laquelle s'échauffe in anciens appelloient la finc & naïfue Murrhini va
continent , & boût d'elle-meſme, ſans la mettre ſa, tranſparente preſque, & auec ce d'yn luſtre & Porce :
autrement ſur le feu ; de maniere qu'il s'en fait couleur de nacque-de-perle tirant ſur les gayes va , laine
vrayet
vne boiſſon blanche & époiſſe , dont les Tur rietez de l'opalle; dont il s'en fait vne grade quan
ques ſe fardent de l'écume, ainſi que les Flaman tité au Caire, mais elle ne laiſſe pas d'eſtre chere .
des & Angloiſes de celle de biere. Et encore qu'il Ces écuelles au refte ſont garnies de pluſieurs ſor
ſoit fort eſtroictement prohibé à toutes ſortes de tes de riz , & temblables mets delia mentionnez
Mahometiſtes de boire du vin , ny de s'enyurer, cy - deſſus; auec des dattes , amendes , & du pain
principalement quand ils ſont au camp , & du parmy couppé par menus morceaux : combien
fant leurs carelmes , ils s'en diſpenlent bien qu'iln ?y ait homme en toute laTurquie, quelque
neantmoins : mais c'eſt à cachettes , ſur peine , y grand ſeigncur qu'il puiſſeeſtre , qui ne porte or
eſtans découuerts & ſurpris , d'vn bon nombre dinairement ſon couſteau pendu à la ceinture .
de baſtonnades à leur façon : Car il n'y a nulle Chacun peſche - là au plat à la diſcretion , auce
part de plus grands yurongnes ; ny plus aſpres au des cueilliers de bois , ou de porcelaine : car ils
vin , non tant à la verité les Turcs naturels qui n'en v ſent point qui ſoient d'or & d'argent , non
font d'ordinaire fort feruents obferuateurs de pas meſme le grand Seigneur ; par certaine luper
leur Loy , comme les Chreſtiens reniez , les pi îtition de leur loy : s'ils n'en ont, ils mangent auec
res canailles de la terre, & tous Atheïſtes : mais les trois doigts principaux ; mais les Mores &
ils ne font point difficulté d'vſer d'eau de vie, Arabes y employent tous les cinq , alleguans que
Archent, qu'ils appellent Archent , voire à toute outrance , le diable mange auec deux doigts , ce qui n'eſt pas
eau de fans comparaiſon plus aſſez que les Allemans, ſans quelque myſtere, parce que le binaire où le
vie .
Hongrois , Polonois , Moſcouites , deuant leur deux , eft yn nombre de confuſion : & fe haſtent
repas , durant iceluy , & apres : ſi que rien ne communément fort , tout ainſi que les Iuifs ſou
peut auoir meu leur Legiſlateur de deffendre le loient faire en mangeant leur agneau Paſchal ,fi
vin , ſinon quepour ſe ſeparer en quelque choſe que leur repas eſt bien - toft dépeſché : toutesfois
de toutes les autres Religions : & ce fous yn fort modeſtement, & en grand ſilence , ayant preala
beau pretexte : Car outre que cette liqueur ne ſe ' blement,au moins les gens de bien , bons & vrays
trouue pas ay ſément par tout , rien n'a eſté pro Muſulmans , fait vne petite priere auant que de
duit plus pernicieux de la nature icy bas , tant mettre la main à la viande, qu'ils commencenter
pour la ſanté du corps que de l'elprit , comme il a dinairement par ces mots : Biſmil lair rahemanir Priete
des
cfté ja touchécy -deſſus.Pleuſt à Dieu quochacun Rheem : c'eſt à dire , au nom de celuy qui a creé le ciel de Turcs
les peuſt imiter en cela. la terre. On donne és bonnes maiſons vne grande auant le
Mode Les Tvrcs au reſte , ont accouſtuiné de longiere de toile de cotton , barrée de noir ou de manger.
de man- prendre leur refection non ſur des tables rele pers, qui tourne à l'entour , & chacun en tire fa
ger des uées , ny ainſi haut aſſis,comme nous en des chai part à ſoy,l'eſtendant deſſusſes genoüils, pour s'y
Turcs .
res , & eſcabelles,maispar terre , les jambes croi torcher les doigts & la bouche : neanmoins tous
ſecs à maniere des Couſturiers ſur leur eftau : & portent de grands mouchoiiers pour cét effect. Le
cc deſſus quelques tapis eſtendus pour ſe garan repas acheué , ils reployent & referment cette
tir dela poufiere , & ordure , en quoy ils ſont af grande bourſe , & enferrent les reliefs dedans,
fez curieux :ou ſur des nattes de ioncs & roſeaux, fi aucun en y a , dont leurs eſclaues & ſeruiteurs
qu'ils appellent en leur langage Hacifer , & les s’accommodent le mieux qu'ils peuuent .
Hacifer. Italiens des Storres : Les Arabes s'accroupiſſent AV REGARD du manger du Prince , encore le fer
ſur les tallons : leſquelles aſſiettes,combien qu'el que par raiſon il doiue eftre trop plus exquis & uice de
table du
les ſemblent tres -malaiſées & incommodes à magnifique que de tous les autres , Geſt - il neant Turc
.
b iij
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire. 35
34

moins ſobre & fimple ce qui ſe peut pourſa gran- parquoy il ne s'en peut rien determiner de cer
deur . Bien eſt vray quecela varie ſelon les com tain , non plus que d'infinies autres particularitez
plexions des perſonnes, qui ſont plus ou moins du meſmeſujet , qu'il ſuffit de toucher icy com
ſur leur bouche, & leurs voluptez : Comme feu me en gros. Ils ont tous accouſtumé de déjeuner
Selim dernier mort , lequel fut vn tres - grand de fort grand matin ; diſner à midy , & fouper au
yurongne & gourmand, à guiſe preſque d'vn au ſoir ſur le tard : mais le Seigneur ne boit ny ne
tre Vitellius a
, u prix de ſon pere le tant renommé mange en or ny argent , mais en vaiſſelle de por
Solymnan , & de ſon fils qui regne aujourd'huy, celaine , & en des verres & vaſes de criſtallin ,
Prince merueilleuſement reformé pour yn Turc : combien qu'il aye infinis buffets riches outre mc
mais l'ordinaire eſt d'eſtre ſeruis" ſur le lourd, ſure d'or & d'argent, enrichis de pierreries d'vne
& prennent leur refection bas aſſis ; les jambes ineſtimable valeur, plus pour vnemonſtre ,& pa
croiſées , auſſi bien que les autres , neantmoins rade enuers les Ambaſſadeurs eſtrangers, vn fonds
ſur quelque grand marche- pied garny de riches de threſor , & le contentement de lon xil , quc
tapis , & carreaux ,tels que ceux de la ſalle de l'au pour vſage qu'il en reçoiue.
dience, ou ſur des matterats eſtoffez de draps d'or A LA main droictedonques del'entrée de la Gardes
ſeconde cour deſſuſdite où ſe tient le Dinan , ſont deuant
& d'argent : & là quand l'heure de manger eſt ve
nuë, on luy dreſſe vne petite table portatiue, telle les cuiſines , & là aupres les corps -de-garde de dix Ic l Ser
rai ou
à peu prés que celle dont vſene nos accouchées, ou douze mille laniſſaires qui ſont d'ordinaire à Palais
haute ſeulement d'un bon pied , afin de pouuoir la Cour ou porte du Turc , auec leur Aga , qui ſe daTurc.
prendre la viande plus à ſon aiſe ſans ſe courber. tient tout le longdu iour aſſis ſous vne gallerie,
Chilergi. Et en premier lieu les Chilergi qui ſont comme à tout ioignant la troiſieſmeou derniere porte, ac
1
nous les ſommelliers d'échançonnerie & panne compagné de quelques perſonnages d’authorité.
terie, apportent vne grande ſeruiette de banquet, Et de l'autre coſté ſont les Spaoglans, Seli &tars,
& vnelongiere , auec force petits flaſcons d'ar Alofagi, & ſemblables, deſquels ilſera parlé plus
gent pleins de cinq ou ſix ſortes de breuuages qui particulieremét cy - apres en leurlieu : car il vient
luy viennent le plus à gré:car ce n'eſt pas leur icy plus à propos de toucher ce qui dépend des
mode de les faire rafraiſchir dans de l'eau , mais
eſcuyries , qui ſe preſententà la main gauche en
de méler des morceaux de glace & de neige par entrant dedans la ſeconde porte .
my : Etapres auoir fait yn ellay de tout,ils le confi EN PREMIER LIEV , il faut ſçauoir qu'il Eſcuyrie
gnét en la main des Eunuques & pages quile doi- n'y agens en tout le monde plus curieux d'auoir du Turc.
uent ſeruir à table : leſquels quand il eſt tout preſt d'excellens chcuaux que les Turcs, qui les pan
de s'aſſeoir , eſtendent la feruierte ſur la table, & ſent plus ſoigneuſement de la main , ne qui les
la longiere ſur ſes genouils pour s'en torcher les fçachent mieux gouuerner : car eſtans lents & oi
doigts: & le Cefignir Baffa qui tient comme lieu de ſifs de leur naturel , ce ſont tous hommes de che
grand pannetier , ſuiuy de cent Coignirs ou pages ual : Aufli en ont - ils les meilleurs de tous autres , Perfe .
eſtans ſous ſa charge , deſtinez à porter la viande, les plus beaux , vigoureux , tolerans delabeur , & dions
s'en va à la cuiſine, où il trouue les plats tous dreſ diſette, & qui ſoient de plus longue durée & meil- des che
vaux
ſez , qui ſont communément auſſi grands que baſ leur ſeruice : parce qu'eſtans bien choiſis & entre
Turcs.
fins, tous de porcelaine , ayans des couuercles tenus ſans les outrer d'haleine , ou leur faire quel
d'argent doré , bien garnis de toutes ſortes de que trop grand tort & excez , ils leur feruent
mets à leur mode , & ſelon ſon gouſt. Ceux qui ving
vingt-cinq ou tren
t-cinq ou te ans , fi qu'vn homme en a
trente
portét les plats, en font faire l'eſſay aux cuiſiniers pour ſa vie. Bien eſt yray qu'ils n'ont pas la bou
qui les leur liurent, auecques vne cuieiller de bois, che & le maniement li friand & aiſé comme les
& eux puis apres font le meſme en la ſalle où man courſiers, genets , cheuaux d'Eſpagne , ny que
gele Prince : là où li toft qu'ils ſont arriuez , ils quelques rouſſins & Friſons : Il leur ſuffit qu ' ils
celignir preſentent les plats qu'ils portent au Ceſignir Baſ courent & galloppent bien , & ſoient de longtra
Bilja. ſa , qui les aſliet deuant luy, tous eſtans ſur ces uail & haleine. Et à la verité toutes ces courbet

entrefaites accrouppis ſur leurs tallons, comme eſt tes , balſes , pallades, voltes , raddopiates , aller
auſſi celuy qui tranche deuant luy . Et ainſi con de pied coy , & le gallop gaillard , ſe manier par
tinuent de tous les mets en leur rang , & par ordre haut , & pas bas , auec ſemblables ſingeries , font
l'vn apresl'autre , à meſure qu'il fait figne qu'on ' pluſtoſt pour faire l'amour à la feneſtre d’yne
les luy apportc , iuſques à ce qu'il aytiny ſon re Dame , & piaffer le long des ruës , que pour la
pas auquelaſliſte touſiours ſon premier Medc guerre & les combats à bon eſcien , outre ce que
cin , quieſt communément luif ; car les Turcs ne cela foulle & greue extremément les meilleurs
font guerres profeſſion d'aucune ſcience. cheuaux . Ceuxdes Turcs doncques ſont commu
CE Cchignir Bafu au reſte eſt touſiours Eunu nément forts en bouche, & qui s'en vont le nez
que , & a ſix - vingts aſpresle iour , auec deux ac au ventpreſque tous de leur naturel , roidiſſans le
couſtremens tousles ans . Et les celignirs ſont tous col , mais d'vnegrande viſteſſe au reſte , & d'vne
enfans de Chreſtiens, auſſi bien que le reſte du ſer force incomparable -nonobſtant la ſubtilité de
uice domeſtique du Turc , appoinctez de dix à leursmembres ,qui ſont tous compoſez de nerfs,
douze aſpres le iour , & veſtus à ſes dépens. Il y l'ay veu certes à yne iouſte en camp ouuert dedās
al'vn des trois plus fauoris pages qui entrent à la ville de Neuers au Chaftcau , yn cheual Turc
cheual dedans le Serrail auec luy , qui le ſert de de moyenne taille preſqu'à pair d'un barbe , s'e
couppe ; & pendant ſon repas on luy lit par fois ftant rencontre de droict fil auec yn courſier
quelques hiſtoires de ſes anceſtres , ou d'autres des plas forts & membrus qu'on cuſt ſceu choiſir,
anciens valeureux perſonnages : mais cela chan furt de la faute des hommes d'armesqui couroient
ge à tous propos, ſelon le plaiſir, & le gouft qu'ils la lance deſſus , qui ne les ſceurent pas bien ad
y prennent plus ou moins les yns que les autres: dreſſer & conduire, furt de la grande animoſité &
ardeur
ile
l cond
de Cha .
36 37
ardeur des montures , le courſier en eftre demeuré gneux de leur oſter à tous propos la fiente de def
Panſe :
roide mort ſur la place , bien eſt vray que le Turc ious cux , & faire eſgouſter le piſſat. Tous les ma- ment
en fur eſpaullé , mais encore ſeruit-il long -temps tinsils les eſtrillent & bouchonnent fort diligem- de la
apres d'eſtallon : car il eſtoit entier . Ils en ont au ment, & quelquefois ſerontà les lauer & nettoyér main,
reſte de tout plein d'endroits de l'Europe , Age, & auec des éponges, & épouſſettes dans yne eau cou
Afrique. De l'Europe , comme ceux de Mace rante bien claire,bien deux bonnes heures, fiqu'il
doine, & de Theſſalie , dont la gendarmerie a eſté ne leur reſte yn ſeul grain de pouſſiere , ny autre
de tout temps & ancienneté en grande vogue : ordure ; dont leur poil, qui eſt communément fort
Plus les Coruats , Valaques , & Tranſſiluains. raz , demeure plus luyſant & liffé que fatin . Ils
Mais les plus exquis & meilleurs de tous, & du les nourriſſent de foin qu'ils leur mettent deuant leur
plus grand corſage, caur , & effort , ſont ceux de eux peu à peu , & en petite quantité par terre : car man
gcaille,
l'Alie , meſmement les Caramans, ce qu'on ap ils n'vſent point de mangeoüeres ny de ratteliers;
pelloit anciennementla Cilice: En apres, de la de paille ils ne leur en donnent iamais , ſur le mi
Surie , Armenie , & Medie , dont Strabon en
dy ils les abbreuuent; & point au matin , lice n'eſt
l'ynzieſme liurc parle en cette ſorte. Le pays de en cas de neceſſité : le ſoir apres qu'ils ont dere

Medie produit d'excellens chenaux , vigoureux , ó de chefbeu , ils leur donnent de l'orgeen lieu d'auoi
longue haleine, o degrand corſage: bien autres en tou ne , criblée & nette ce qui ſe peut , dans vn petit
tesgrifes que ceux de Grece, ny des regions de deça:mais ſac ou muſſelliere de toile qu'ils leur attachent ſur
l' Armenie ne luy cede de rien en cecy : car il s'yprocrée les oreilles; les laiſſans ainſi par deux outroisheu
anſsi des chenaux viſeens dont les Roys de Perfe foss res , afin que le réchauffement de leur flair & ha
loient fournir leurs efcuyries. Et Herodote en ſa Tha leine quis’y imprime,la leur falſe manger de meil
lie : Les animaux de l'Inde ſurpaffent en grandeurtous leur appetit , & qu'elle leur profite micux , quand
les autres , horſmis les chevaux : car en cela elle eft fur . par l'humidité qui ſort de leur bouche & de
montée de ceux de Medio qu'on appelle les Niſeens. Ils en Icurs naſeaux , elle ſe cuit comme à demy , ainſi
ont outre- plus de fort exquis de l'Arabie Heureu que dedans quelque cau vn peu tiede , & qu'elle
ſe : Et des Barbes auſſi , mais rares , & de petite demeure plus nette : Puis leurdonnent vn peu de
corpulence , viſtes au reſte , & de longue haleine, foin ; & les tirent au fraiz dehors , ayans demeuré
au moins les Arabes.
tout le long du iour en l'eſtable. Ils la donnent à
LES T VRCS choiaffent leurs cheuaux au tous les cheuaux tout enſemble , & àyne fois : car
Election
des che contraire de nous , haut-montez ſur des jambes cela les ennuye & chagrine , & fait demener , de
uaux greſles & deliées ; ce qu'ils prennent pour vne la ſentir manger aux autres & n'en auoir point.
Turcs. marque d'eftre fort viſtes , & bon coureurs , tout S'ils y procedent trop, goulument, on meſle de
ainſi que la 'corne longue & noire , pour ſigne de gros ſable parmy , afin de la leur faire manger plus 1
vigueur : les yeux gros & ardens , & le col long, à l'aiſe , quand ils s'amuſent à le demeller d'auec
non par tropmince toutesfois , mais pluſtoſt au
la prouende, ſi trop lafchement, on leur frotte la
cunement groſſelet: la teſte petite, les oreilles bouche de ſel ,ou bien ils leur en fótleſcher vn lop
courtes, aigues& dures , la bouche large & bien pin dur comme yne pierre ; cequi leur nettoye le
fenduë ; la queue longue & plancureule, comme lampas, & leur reſueille l'appetit. A lapluſpart Mode
auſſi le corps du chcual , d'un boyau pluſtoſt de leurs cheuaux ils ne donnent point d'herbe non herber,
eftroit qu'engroſſi . Quant à les panſer, les Turcs
plus que nous , que s'ils voyent qu'il en ſoit be
Traicte . ſurpaſſent en cela toutes les autres nations de la
ſoin , au douzieſme iour ils leur font tirer du ſang
ment terre , tant pour l'extréme ſoing qu'ils mettent à des ars , & au commencement en licu d'herbe ils
d'iceux. les bien traicter de la main , qu'à les entretenir leur donnent de l'orge verte , lors qu'elle com
nets & polis : les nourrir à la tolerance & ſobrie mence à boutter l'efpy , & ce par dix ou dou
té ; & lesendurcir au trauail , ce qui eſtcauſe de zeiours , puis de l'herbe. Pendant qu'ils les her
les conſeruer longuement en la bonté & vigueur bent ainſi, ce qui ſe fait au ſejour , & à l'obſcurité
que nature leur à donnée , voire l'accroiſtre de dans l’eſtable , ils leur donnent beaucoup moins à
beaucoup. En premier lieu , ils ont accouſtumé boire qu'en autre temps , & encore vne fois le iour
de lestenir durant les.chaleurs , la nuict au ſerain ſeulement, parce que cette verdure les humecte
tout à découuert , ou ſous des Portiques ouuerts allez , & ne les eſtrillent ne frottent lors : mais fi
de toutes parts pout les égayer à cette fraiſcheur, c'eſt en allånt par pays, ils leur donnent au ſoir vn
& les accouſtumer d'eſtre à l’erte, quand ils ſont
picotin d'orge, de peur qu'ils ne demeuraſſent
au camp , leurs mettans yne legere cſclauine ſur le veûles , & falques, à quoy toutesfois ils
dos par deſſus leur caparaçon de toile; & en Hyuer ne font à beaucoup prés li ſujets que les noſtres de
Chepe de chepenec , c'eſt à dire gros feultre ou bureau ,qui pardeça .
nec, traiſne iuſques aux pafturons, pour les garder de L A premiere iournée en tous leurs voyages eſt
ſe morfondre. Leur lictiere n'eſt iamais de paille fort petite , & donnent auſl l'equipolent bien Leurs
La li traires )
Sticre. ny de fumier ainſiqu'aux noftres, mais prennent peu d'orge, puis vont renforçant peu à peu l'orge & les
leur fiente toute pure ſans vn ſeul brin de fourrage ſelon lestraictes,tant qu'ils ſoient paruenus à vne conſide.
mélé parmy , laquelle ils font deſſecher au Soleil, raiſonnable meſure de l'vn & de l'autre , comme rations
puis la courroyent, & mettent en poudre deliée de quelques dix lieuës françoiſes au plus : car ils qu'ils y
qu'ils faſſent , & l'incorporant auec de l'eau en ne vont iamais que le pas , & ne font qu'vne ſeule
font yne aire bien battuë,ferme& folide, qui leur traicte, depuis l'aube du iour iuſques à deux heu
ſert par- apres delictiere. Quand ils ſont au camp res deuant le coucher du Soleil , donnant quelque
ou en voyage , ils les font pluſtoſt coucher ſur la goullée d'eau à toutes celles qu'ils rencontrent ,
terre nuë , que de leuren faire de paille : mais par ainſi que font les Allemands : En quoy leurs
deſſus l'aire, ils eſtendent des feultres & eſclauines
montures ne peuuent point encourir d'inconuc
pour les ſoulager s'ils ſe couchent , eftans fort ſoi
nient , parce qu'ils vont tout à l'aiſe, ſans les
þ iiij
/
1
.
Illuſtr ſur l'Hiſt 39
38 ations oire

échauffer : & de là vient qu'ils ont en ſi grande re paſſades, ainſi que nous ; bien eſt vray que les teftes
commendation d'attirer des eaux tout le long des des clouds ſont plus groſſes , & plus longuettes, à
grands chemins : car eux auſſi repaiſſent emmy guiſe d'vn cœur de pigeon renuerſé la pointe en
les champs de ce qu'ils portent, & boiuent de bas , principalement ceux du train de derriere
meſme leurs cheuaux. Eftans arriuez au logis, vers le talon , ce qui leur ſert d'autant de cram
ſoudain ils leur deſtrouſſent la queue , & les laiſ pons : & auront bien la patience d'employer vne
ſent yne bonne heure ſans les débrider , les cou bonne heure à affevir yn fer, tant ils ſont exacts
urant d'abondant d'vne eſclauine , puis leur don & ſoigneux en cela ; auſſi leur dureront- ils cing
nent yn peu de foin : & quand ils voyentqu'ils ne ou fix mois ſans ſe dementir , ne qu'il y faillerien
mangent plus , ils acheuent lors de les abreuuer, refaire , en allant meſmepar pays.
& tout de ce pas leur donnét l’orge. Que fid'auen L E VRS ſelles ſont fort legeres , & non ainſi Leurs
Contre ture ils eſtoient moleſtez de moulches, ils les frot materiellement rembourrées les noſtres , ce ſelles &
que
les moû- tent de beurre , lequel tant plus fraiz il eſt & re qui ne ſert auſſi bien qu'àſurcharger & greuer vn harnaſ
ches . cent,tant plus grăde efficace a- il de les faire mou cheual , & le caſſer la pluſpart du temps ſur le dos, chemēs.
rir . Sique le ſoing qu'ils ont de bien panſer & & ſur le garrot, Tout le reſte de leur harnois non .
gouuerner leurs cheuaux , joint le bon & fort na plus , auec vn ſimple poitral qui ne les ſerreny
turel d'iceux , eft cauſe qu'ils leur durent ainſi contraint , comme ne fait aulli la croupiere qui
longuement ſains & gaillards , ſans eſtre expoſez n'a point non plus de pendans , de peur que ve
à tant d'inconueniens que ſont les noſtres , non nant à battre le long des cuiſſes , & des flancs cela
obſtant que par fois ils leur faſſent faire des trait ne ſoit cauſe de faire demener le cheual . Mais ſur
Traiếtes tes & autres courſes preſqu'incroyables : Car il la crouppe ils ont ordinairement yn giret , d'é
eſtran- felit que deuant Zara ville de l'Eſclauonie, il n'y carlate , velours , broccador , ou autre eſtoffe, fe
ges, a pas encore long -temps, la cauallerieTurqueſque lon leurs facultez & moyens : & à la ſoubſgorge
fit en yne nuict plus de vingt- cinq lieues pour de longs flots & houppes de ſoye de diuerſes cou
ſurprendre leurs ennemis , qu'ils chargerent de & creins d'un cheual teints
leurs ; ou de la queue
plaine arriuée , ſans autrement faire alte pour re de rouge , ou iaune doré , telles à peu pres dont
prendre haleine : & apres les auoir deffaits, re vſent les Hongrois , Allemands , Polonnois, &
brouſſent tout de ce pas le chemin qu'ils eſtoient Valaques. Leurs eſtriers ſont l'arge d'aſſiette, afin Efriers ,
venus , ſans repaiſtre , ny que les montures s'en de ſe pouuoir ſoûļeuer là -deſſus:car ils cheuau
trouuaſſent autrement ſurgreuées . Età la verité chent fort court , commeà la genette , les jambes
l'on en void aſſez de bien grands efforts en ces racourcies & reployées conformément à leur ma
niere de s'aſſeoir à terre ; auec des cours eſperons, Eſperós.
quartiers meſinės de pardeça.
Pour L'ORDINAIR E au reſte eſt de les chaſtrer , mais garnis richement de larges courroyes de ve
quoy les
Turcs non pour empeſcher que les Chreſtiens qui les lours ou drap d’or , quelques-vns les portent atta
chaftrét cnleuent , n'en fallentrace , ainſi qu'on cuide : car chez , ou pluſtoſt ancrez à la bottine , le tout tres

ordinai de cent cheuaux que les Turcs meſmes gardent magnifique & ſomptueux ce quiſe peut : car en
rement- pour eux , à peines'en trouuera - il deux ou trois cela les Turcs ſurpaſſent de bien -loing toutes au
leurs
d'entiers , & ceux - là encore ſont à meilleur mar tres manieres de gens,commeceux qui employent
che .
uaux. ché que les autres , inais pour cuiter qu'ils ne la meilleure partie de leur bien , dautant qu'ils
ſoient trop fougueux & tempeftatifs, à quoy ils n'ont rien en fonds d'heritages,à eux en propre,à
ſont ſujets naturellement pour leur gráde ardeur l'equipage de leurs armeures . & cheuaux : & n'y
& courage , & par conſequent vicieux & enclins a preſque Turc,qui ſoit au moins de quelque com
à mordre & ruer , ce que ces gens - là pacifiques pte & eſtime, lequel n'aye des reſnes, de gros ia
de leur humeur , abhorrent ſur toutes nations de zerans d’or , pour lemoinsd'argent , le mords,les
la terre : pour les garder auſſi de henttir & criail eſtriers , & arçons de meſme; & pareillement la
ler en leurs embuſcades , & la nuiet ſur tout dans ferrure de leurs cheuaux , pour ſe proumener par
le camp , où tout eſt lors en vne merueilleuſe tran la ville,auec force pierrerie meſlée parmy, & ſem
quillité & ſilence ; ſi que ſiyn cheual eſt échappé , blables enrichiſſemens , s'ils en ont tant ſoit peu
, ſon maiſtre n'oſeroit ſur peine de la vie courir le moyen .
apres , ny faire bruit , ou mouuement pour le re En cette premiere eſayrie qui eſt en la ſecon Trois
prendre en ſorte quelconque. Dauantage eſtans de clofture , bieneſt vray qu'elle a encorevneau- autres
chaſtrez, ils ſont moins dangereux à ſe morfon tre entrée en la troiſieſme où eſt le logis & demeu- chcuaux
dre , forboire & combattre : & ſe tiennent par re de la perſonne du Prince , y a d'ordinaire deux ordinai
res en
meſinemoyen plus gras & refaits : plus polis & cens piecesdegrands cheuaux tous d'élite : tant l'eſcuy.
luiſans, & la crouppe plus rebondie que les en pour ſon vſage que pour monter ſes domeſtiques rie du
tiers , qui ſontordinairement plus cornus , & ne les principaux , auec vn pallefrenier de deux en Turc .
ia fer, peuuent endurér ſibien le trauail à la longue. Ils deux pour les panſer , qui ne bougent iamais de
rure de ne ferrent pas auſſi leurs cheuaux à noſtre mode, l'eſtable. Il y en a outre -plus yne autre dedans le
leurs & ne leur creuſent la corne , quand ils la parent, troiſieſme pourpris & enceinte, d'enuiron qua
che .
pouſſant en dehors auec vn bouttoüer appuyé ſur rante ou cinquante plus exquis encore pour ſes
аавх.
la cuille , mais en retiranten dedans à eux , auec Eưnuques, & les pages plus fauoris :& huict ou
vne plane preſque ſemblable à celles dont vſent dix autres pour ſa perſonne tant ſeulement , où il
les charrons & torneurs , l'applaniſſans tout vni n'y a que luy qui monte , au moyen dequoy on les
ment . Et les fers ne font ſi lourds & maſſifs à la meine en main pour monſtre & parade, quand il

moitié pres que les noſtres , n'ayans point de ſort pour aller faire fes prieres à la Moſquée, tous
crampons , mais ſont plats commeles fòlles des alors ſi richement equippez d'harnois couuerts
mullets de coffre, parce qu'ils ne les font iamais de pierreries , que cel en y a qui vaudra plus de
torneren rond de pied coy , ny ne les manient à deux censmille eſcus.Il y a encores d'autres che
yaux
de Chalcondile .
40 41
uaux dereferue à Andrinople , Bouiſie , Saloni faucher l'herbe , qu'ils fourniſſent au camp , aux
chi , & ſemblables lieux , tant de la Grece que de cheuaux du Turc. Ilsſe retirent en l'eſcuyrie , &
l'Anatolie , où il pourroit faire parfois quelque ſont entretenus de leurs gens propres , à dix ou
reſidence & ſejour : & fi en entretient çà & là en douzeaſpres le iour. Il y a puis apres trois cens
pluſieurs haraz , iuſques au nombre de quatre à Mareſchaux , que Maiſtres que valets, appointez
Maref :
cinq mille , pour monter les ieunes gens quiſor ſelon leurs degrez & merites , depuis quatre iuf- Chauž.
ci
tent hors de ſon Serrail , ce que nous appellons, qu’à dix aſpres, dont les vingt fontpour mede .
mettre hors de page : car n'ayans rien à cux , ny ner les cheuaux ; quarante des plus icunes & ro
point de parens , à qui ils ont eſté enleuez ieunes buftes forgent les fers , & les clouds , les autres
1
garçons , qui les puiſſent ſecourir d'vn denier , la ferrent , lesautres chaſtrent , le reſte font ſerru-,
1
prouiſion qu'ils tirent du Prince , de quinze à riers & éperonniers : Tous leſquels ſont payez de
vingtaſpres leiour , quád bien ils l'épargneroient leurs vacations & ouurages , outre la prouiſion 1
toute entiere durant le temps de leur ſeruice dans deſſuſditte qu'ils touchent preciſémenta chaſque
le Serrail , à peine leur ſuffiroit - elle pour lesmon quartier de l'année.
ter & equipper ; aumoyen dequoy le Prince pour De l’ESC VYRIE auſſi dependent encore
la premiere fois ſubuient à cela ; mais de là en Selliers ;
deux ou trois cens ſelliers , qui ont de ſix à dix af.
& épe
auant ſi leurs montures viennent à le gaſter ou pres le iour autant à la paix qu'à la guerre , parce tóniciso
mourir, il faut qu'ils en acheptent d'autres à leurs qu'ilsſont tenus de ſuiure le camp partout où il
dépens, ſur la ſolde & appointement qu'on leur marche; mais ils ſont payez auſſi de leurs manu
donne. fa &tures . Il n'y a gens au reſte en tout le monde
Il y a un chef & ſurintendát ſur tout ce qui de- qui plus proprement trauaillent en ouurages de
Imbroor- pend des clcuyries appellé Imbroorbaſsi ou grand cuir , & plus à profit que les Turcs,ſoient en bot
grand Eſcuyer, lequel a troisducats d'eſtat par iour,ou tines & fouliers , ſoient en felles & harnaſche
Efcuyer, tre trente mille afpres , qui font ſix censeſcus, de mens de cheuaux , ne qui ayent à cette fin de meil .
Timar ou reuenu anijuel qu'il tire des prairies de leurs cuirs , mieux accouftrez : de maniere que
Suraci l'Anatolie. Ila en premier lieu inille Saracıler deſ tout ainſi qu'vn cheual ſeruira à vn Turc pour
ter , pal. ſous luy , appointez de ſix à dix afpres le iour; toute ſa vie, vne ſelle & harnois dureront de mel
icfie dont il y en a quelques deux cens des plus adroits me à vn chcual pour la ſienne : car tout eſt couſu
nier, deſtinez pour les eſcuyries du Serrail à Conſtan de fine ſoye en arriere - point , laquelle dure bien
tinople ; le reſte eft departy ailleurs où il a eſté dit plus que le fil; & ſi proprement qu'il ne ſeroit
cy - deſſus: & quand le Prince marche en camp, poſſible de plus , joint les enrichiſſemens d'autres
ils ont la charge de panſer non ſeulement les che cuirs de diuerſes couleurs , placquez & enchaſſez ,
uaux , mais les chameaux encore , & autres beſtes
& ancrez dans l'autre cuir qui ſort de fonds, à
de voicture, qui portent les tentes & pauillons du fueillages moreſques, & à guillochis , ainſi que
Seigneur ; ſon threſor & autre equipage , tant de le damaíquin ſur le fer , & la marquetterie ſur le
luy que de ſes domeſtiques , meſmes les arines:car bois . L'IM BROORB Ass i dócques ou grand
ſinon Eſcuyer eſt l'une des plus belles & fructueuſes Imbrochico
les Turcs ne vont point armez à la guerre ,
bat.
quand il eſt queſtion de combattre : parquoy il y charges de tout le Serrail ; dautant qu'outre ce
en a encore cinq cens autres de ſecours , ſous yn qu'il commande & ordonne en Chef, de tout ce
Gepigi Chefappellé Gepigibaſsi,quia ſoixante dix afpres quidepend du fait des Eſcuyries & haraz , tant à
balss .
Chef le iour , leſquels conduiſent les chameaux char la guerre qu’à la paix , & a de fort grands emolu
descon- gez de iacques-de-maille, aulbergeons, targues, mens & profits:c'eſt luy quimonte leSeigneur de
ducteurs arcs & fleches, auec des aiz & planchages pour ſa main , & le ſouſleue ſur ſon chcual ; qui n'eſt
desCha
remparer , qui ont deux longues pointes de fer à pas petite faueur. Il y a yn Checaya delTous luy, qui Checaya
mcaux . de l'El
I'vn des bouts , pour les ficher en terre , pour au Tignifie ſon ſubſtitut & contrvolleur , lequel a
tant qu'ils ſe mettent à couuert au derriere , mu cuyrie
trente alpres le iour : & vn laizy appointé àvingt, laizy ,,
nis ainſi que d'vnepaueſade en gallere , contre les leſquels tiennent le regiſtre & contreroolle des greffier
coups de fleches & arquebuſados ; qui eſt vne el Eſcuyries : Tous les autres offices & dignitez de ou ſecre
pece de leurs mantelets. Il y a bien quinze autres Turquie , ont en leur endroit chacun ſon Checaya , taire ,
mille Saraciler , quand on eſt en camp , appointez claizy .
de quatre à cinq afpres le iour , conduilans cha Í l y a puis apres le Cacchinc Imbroorbaſsi , tel à Cucchinc
čun trois Chameaux qui portent les munitions de peu presque le premier Eſcuyer enuers nous, le- Imbroor.
* ly . mail- l'armée , les tentes des Ianiſlaires & autres de la baßi,
quel a deux ducats par iour , & quatre cens ducats premier
lc Cha- Cour & ſuitte du Prince ; du bronze pour fondre de reuenu ou Timar annuel , ainſi que l'autre ſur Eſcuyer.
de voi , la grotle artillerie deſſus les lieux, les poudres, les prairies& paſcages, auec yncontreroolleur & Petite
à bafteaux, & ſemblable attirail “ Eſcriuain appointez comme les deux autres.Cet- rie
Eſcuğa
,
l'armée requis à la guerre : car les Turcs n'vſent point de tuy - cy en l'abſence & ſousl'authorité du grand
du Turc,charroy. Mais les deuát dits ſont entretenus d'or Eſcuyer commande à la petite Eſcuyrie,tant pour
dinaire durant la paix , & ceux - cy ſeulement à la le regard des cheuaux de ſelle , que des Mullets,
guerre : comme font auſſi quelques mille ou dou Chameaux ; & autres beſtes de voicture ,quipor
ze censVoingler, ſous la charge encore du grand tent l'equipage du Turc ,quand il eſt en camp, on
Voingler, Eſcuyer ,mais non pas eſclaues du Turc, ny re va par pays : & durant la paix encore eſtant de re
cheurs. niez , auſſi n'ont- ils point de gages , mais en lieu pos au Serrail : meſmement pour faire diſtribuer
de cela ils ſont exempts des decimes & autres con le foin & orge à ceux qui ont leurs cheuaux à li
tributions , eftans tous Chreſtiens Grecs , ou de urée, comme ſont tous lesdomeſtiques & Ambaſ.
la Boſine , & Seruie , leſquels quand il eſt que ſadeurs , Sanjacques , & autres Capitaines ſurue.
ſtion de faire une armée Imperialle , ſe repreſen nans à la porte : & autres qu'il deffraye de leurs
tent à Conſtantinople gagnis d'ync faulx pour montures, y ayant pour cet effect va Arpaemin, men
s
ration oire
Illuſt ſur l'Hiſt
42 43

pouruoyent d'orge, de foin , & de fourrage , qui gneurs Turcs, & non ſansraiſon , obſervent fort,
pourir à ſoixante aſpres le iour : & ſous luy deux cens attendu les gens qu'ils dominent , de ne ſe com
de foin Arpagilar ſes commis , payez à raiſon de huict à muniquer à eux que le moins qu'ils peuuent.mais
& d'or- dix aſpres,qui donnent ordre que rien ne manque cen'eſt pasde meſme és regions de deçà , où le
ge. de ces fournitures ,tant à la paix pour les cheuaux peuple eſt trop plus franc & genereux, & veut
Arpagi- du Serrail , qu’à la guerre pour tout le camp:car voir plus ſouuét ſon Prince. Quelquesfois quand
Lar , fes
com les haraz , & les Chameaux ne dépendent rien , bon luy ſemble, le Turc paſſe ledeſtroit de Con
mis. meſmement durant la ſaiſon de l’Efté pour autant Itantinople pour aller à la chaſſe & à la vollerie à
qu'il y a force paſcages deſtinez à cela, joinet que Scutari ; ou bien ſe va ébattre és jardinages &
Traiète , pour le regard des Chameaux ils fc nourriffent lieux de plaiſance qui y ſont :ou ſans paſſer la mer,
ment preſque de rien ,voire de moins encore que ne font faire de petits progrez , à Selinrée , le Fanari &
desCha- les aſnes , & ſe contenteront de rencontrer quel autres endroits le long de la Propontide , &
mcaux. ques chandons , & rameaux d'arbres ,auec autre la mer Majour : quelquesfois encore iuſqu'à An
telle miſerable verdure , au ſoir ceux qui ont drinople , où il y a plus de quarante lieuës : mais
moyen leur donnent quelque petit picotin d'or tout cela eſt à ſon priué auec peu de train à la dé
ge , accompagné d'vn peu de paille hachée par robée & ſans pompe ne magnificence,ny en char
my : quant à les frotter & eſtriller , ils n'y ſont riant vne longue queuë & ttainée de cour apres
pas accouſtumez , & les laiſſent la nuict dehors luy comme font nos Princes , ce qui reſſemble
tout à l'erte , parce qu'ils ne ſont point autrement mieux vn petit camp vollant qu'autre choſe , at
.
ſujets à ſe morfondre : & li deux porteront plus tendu les deſordres & maluerſatiósqucleur train
peſant que trois forts mullets : fort ayſez au reſte & ſuitte commettent tant par les villages au plat
à charger & décharger : car ils ſe couchent pour pays , qu'és villes cloſes,où l’é ne ſçauroit auoir
receuoir plus à l'aile leş fardeaux ſur leur dos, puis gueres de pires hoftes que ce qu'on appelle les
ſe releuent, de maniere que trois hommes duits à Courtiſans.
Occu.
cela , auront pluſtoſt chargé cent Chameaux à SvRCE PROPO s il y a dequoy diſcourir
pation
leur mode, que quatre de deça n'auroient fix mul quel plaiſir & contentemét peut auoir yn ſigrand du Turc
lets ou ſommiers : & yn ieune garçon aagé de Seigneur, d'eſtre ainſi affiduellement r'enclos de- dans lon
douze à quinze ans ſeulement, en pourra tout ſeul dans vn pourpris demurailles , quelque ample & Serrail .
décharger plus de cent cinquante en moins d'un ſpacieux qu'il peut-eſtre, où il n'y a hommed'e
quart-d'heure, parce qu'il ne faut que laſcher le ſtoffe ny d'eſprit pour le pouuoir entretenir , ny
naud des cordages où les balles ſont attachées, auec qui il peuſt familierement deuiſer & ſe ré
qui s'en vont doucement d'elles - ineſmes par vn jouyr :car ce n'eſt - là qu'vn ſeminaire de garçon
contrepois tout égal iuſqu'en terre , ſans aucune naillerie , reduitte ainſi que dansquelque cloiſtro
precipitée ſecouilc , comme ſi on les aualloit auec ou collegemal-nourris , habillez , & entretenus
des poullies & vn guindail . Aux Chameaux au la plupart ; ſans honneſteté , diſcipline , ſça
reſte on donne communément de trois en trois yn uoir , ny experience : Tous en general pauures
conducteur qui s'appelle Denegilar, de Deuech ,qui craintifs eſclaues , qui à peine oferoient ietter
Denigi l'ail ſur ſon nombre, ne ſur les marques de ſes
lar,con. ſignifie Chameau . Somme que ces animaux leur
ducteur ſont d'vne merueilleuſe commodité & ſecours, pas : auec quelques Eunuques plus mauſſades &
de Cha- principalement en loingtains voyages , par des decrepites que la vieille de Zeuxis, dont l'aſpect
mcaux .
pays ſecs & ſteriles: car ils ſe paſſeront à yn be en eſt non tant ſeulement ridicule , mais dépriſa
loin cinq ou ſix iours de boire, & plus encore,ou ble quant & quant , & tres -ennuyeux . Il ne iouë
tre le peu de nourriture & entretenement qu'il au reſte à jeu quelconque de hazard : car cela eft
leur faut: auſſi c'eſt vne choſe preſque incroyable nommément defendu par la Loy , comme ſont
du grand nombre qu'ils en ont ordinairement en auſſi les eſchets & les tables , mais il s'en diſpenſe
leurs camps & armées : car on dit que Sultan Se aucunement : ny à ceux d'exercice non plus : car
limle bifayul d’Amurath , qui regne à preſent,ie il n'a perſonne aucc qui ioüer. Pour tout il boit
quel desfit le Souldan d'Egypte, & mift fin à & mange quant il veut , fort groſſierement tou
l'Empire des Mamineluz , en auoit plus de deux tesfois : ſe promeine , & fait de beaux chaſteaux
cens mille lors qu'il combattit le Sophy Iſmaelés en Eſpagne ſi bon luy ſemble , ayant de belles
Efran- champs Calderains prés le mont du Taur : & ſon longues galleries à cette fin , & deſpacieux iardi
fe nom- fils Solyman en vne autre entrepriſe qu'il fit con nages : de femmes , & autres venericnnes volu =
bre de
Cha trele ſucceſſeur du meſme Sophy Roy de Perſe, ptez pluſqu'à regorger , mais ſans aucune faulce
mcaux, dauantage encore , pour porter l'equipage & les ny appetit pour les rendre plus agreables , qui eſt
munitions de l'armée : Toutesfois le nombre or le demenement de l'amour, & les obſtacles & re
dinaire pour le train du Turc, & ſes domeſtiques, fus quil'auiuent tout ainſi que l'eau iectée deſſus
eft de dix à douze mille. la forge d'un mareſchal , ou vn foufflet pour atti
Mais pour retourner aux Eſcuyrics , & meſme ſer le feu :car toute ioüyſſance ſi toſt obtenuë ſans
celle du Serrail , eſtans ainſi bien fournies des plus contradiction eſt fadde & languide, fuſt -ce de la
exquis & meilleurs cheuaux de la terre, elles ſont plus belle creature du monde, s'il n'y a pour la ré
uciller par interualles quelques entremets de
auſſi l'vn des principaux paſſe -temps du Prince
en cette fienne ſolitude, dont il ne fort en temps bonne grace ,entretien
ento , affetterie , mignardifes ,
de paix qu’yne fois la ſepmaine au plus , pour al courroux , dépit , dédain , jalouſie : mais c'eſt
La vie ler faire ſes deuotions és Moſquées : mais auſſi tout ainſi que du ſtorax liquide parmy les par
du Turc bien quel plaiſir pourroit - il auoir à ſe promener fums , ou des viperes dans la theriaque : car lilon
fort fo. plus ſouuent par la ville , parmy des gens ferfs & ne veut perdre & gaſter tout , il faut y aller auec
litaire & beſtiaux , auec leſquels il ne pourroit auoir au grande diſcretion :là où celuy qui a toutes choſes
teclulc, cune conuerfation familiere? Toint que les Sci lans reſiſtance quel plaiſư y peut - il auoir , au
moins
de Chalcondile .
44 45
moins au prix de ceux qui apres yn long mendié ment qu'ils ont en leur eſprit, de commander 2
prochas , viennent à fin de leurs pretentions.Car tant de peuples, & de telles forces, cant par la ter
ces pauures creatures deſtinées pour ſon vlage, re que par la mer , & à vne fi grande eſtenduë
ſont ſi craintiues & éperdues ,quand il les vient d'Empire d'eſtre ainſi obeys , honnorez : & pref
à aborder pour en affouuir ſon deſir , voire ef qu'adorez à pair d'vn Dicu , non ſeulement de
blouyes du reſpect de cette grandemajeſté, qu'el leurs ſujets propres,mais des eſtrangers: ſicraints,
les ne luy oferoient ietter yne ſeule æillade , ny redoutez , reſpectez des principaux potentats de
donner quelque traict de lágue pour luy réchauf la terre :tant de beaux meubles, pierreries , vaiſ
fer fon affection ; mais demeurent- là toutes mor ſelle d'or & d'argent , & autres ineſtimables ri
nes , taciturnes , & intimidées , à guiſe preſque chelles en leur diſpoſition & pouuoir: Tant de
d'vne perdrix toute preſte à tomber dans les ſerres voluptez & delices detoutes les fortes que la con
de quelque vaultour : outre ce que pour la plus cupiſcence charnelle ſçauroit ſouhaitter ny ap
grand 'part elles ſont lourdes, groſſieres, & mal prehender : Toutes ces choſes certes leur peuuent
appriſes, comme nourries en vne captiuité & feruir d'yn tres - grand contentement & plaiſir,
filence plus eſtroit & aufteres que nos reli Ils font en outre de petits progrez & ſaillies,
gicules :brefque ce ſont preſque autant de fta quand , & où bon leur ſemble , pour aller çà & là
rues immobiles , quelque perfection de beauté à l'ébat de coſté & d'autre à la chaſſe & à la yolle
dont la nature les ait douées , qui deſire d'eſtre ac rie, comme il a eſté dit cy - deſſus, à quoy les Turcs
compagnée d'une bonne grace , & attraits : mais font plus addonnez que les autres , ſelon qu'on
cela ne ſe peut pas bien obtenir fans de l'honnette peut voir vers la fin du troiſieſme liure decette
liberté , hiſtoire , que Bajazet, celuy qui fut pris du grand
QVANT aux pierreries & autres richeſſes dont Tamburlan , encore que l'eſtenduë de ſon Empire
il ſe peut equipper & parer en diuerſes ſortes, cela ne fuſt telle pour la dixieſme partie qu'elle eſt au
eſt à la verité comme ſans nombre ne meſure , & jourd'huy , entretenoit neantmoins d'ordinaire Mero
y peut bien auoir du plaiſir & contentement, plus de ſept mille picces d'oiſeaux de proye , auec ucilleux
cquipa .
quand il fort ,à ſçauoir, pour aller faire ſes prie des faulconniers à l'equipollent, & lix mille ge dc
res, où tout le monde le peut voir emmy les ruës chiens . Mais cela varie ſelon les humeurs des Faulcs :

nuec grande admiration & applaudiſſemens de Princes plus enclins qui à yne choſe , quid yne neric .
cette lienne beatitude , qui luy redonde en l'eſprit, autre. Penſez quel contentement pouuoit auoir Efiran
ainſi que la reflexion d'un mirouer , à guiſc des en ſon eſprit Solyman, vne fois queſe promenant pe &
Paons , leſquels plus volontiers font la roüc en la à l'entour de Conſtantinople dans vne galliote brauade
preſence des perſonnes, que quand ils ſont ſeuls, dorée & diaſprée au poſlīble , la pouppe toute du Turc
ſuiuant le dire du Poëte , Caudatas expandit auus tendue & reueftuë de tres - riches tapis & draps ma ny
Sol ,
Junonia pennas : mais quand il eſt retiré à part ſoy d'or : Et au lieu de banderoles , panonceaux , &
admi fiambarts, garnie d'infinies enſeignes gagnéesſur
dedans ſon Serrail, quicſt - ce qui le peut
xer , qui luy tourne au moins à quelque chatouil les Chreſtiens; luy tout couuert de pierreries d'v
lement d'aiſe en ſon cœur : car ce ne ſont que pau ne ineſtimable valeur , & affis parmy des couſſins
ures vallets ſtupides fans iugement , connoiſlan eſtoffez de meſme, liqu'à peine l'ail humain en
ce, ny apprehenſion : Brefque tout cela ſe rappor pouuoit ſupporter l'eſclat, vn Roy au timon , à
te à l'exemple d'vn autre Narciſſe qui ſe contem Içauoir celuy d'Arger, Cairadin Bafla ſurnommé
ple & admire ſoy -meſme dans vne fontaine:mais Barberoulle , & vn autre à l'eſtenterol , Dragut
d'autre coſté on alleguera , qu'eſtans dés le ber Roy des Gerbes ; la Chiourmetoute de Capitai
ceau nourris en cettemaniere de ſolitude, ils n'ap nes ſignalez Chreſtiens , la plus grand'part Eſpa.
prehendét point d'autres plaiſirs, non plus qu'vn gnols , veſtus de drap d’or , & enchaiſnez de
religieux qui ne ſeroit iamais ſorty hors de ſon groſſes entraues d'argent doré : à guiſe de ce ſu
conuent, ou vn naturel de Seriphe qui n'en eſtant perbe & inſolent Roy Egyptien Sefoftris, qui en
oncques party , reſtreindroit la grandeur de toute lieu de cheuaux , faiſoitatteler quatre Roys à ſon
la terre habitable , à l'eſtenduë de cette Iſlette : coche , leſquels auoienteſté pris de luy à la guer
outre ce que toutes nos recreations ſe meſureng re . Mais ce ſont les effets de la gloire & orgucil du
Telon les goufts, humeurs, & enclinemens où no monde, ſemblables à ces petites bubettes d'eau qui
atre naturel nous pouſſe : cartel par aduenture ſe s'éleuent quand il pleut à bon eſcient, & diſpa
séjouyra plus de demeurer ſeul tout le long du roiffent au ſli - toft auec leur naiſſance .
dour à entretenir ſes penſées, que de ſe trouuer Les TVRCS au reſte n'ont pas tant de di- Venuë
parmy toutes les plus gayes & gratieuſes compa uerſes ſortes de chiens comme nous qui auons de des
Turcs.
gnies qu'on luy ſceuſt attiltrer , pour luy donner grands leuriers d'attaché , & d'autres moindres
quelque plaiſir. Dauantage les Turcs , voire tous qu'on appelle de compaignon , auec de plus petits
lesOrientaux ſont de leur complexion ordinaire encore; & plus viſtes pour le lievre : des dogues,
ment mornes , ſolitaires ,melancholiques, & pe allans , maſtins , & ineſtifs : bracques , chiens Chiens
fans , nourris & accouſtumez dés leur plus ten courans, epaigneulx , & barbers,des chiens d'ar Tur .
dre enfance à oiſiueté & repos . Puis la grand' toys , & de terre pour le renard & le blereau , & quer
flotte des affaires ſert à ces Seigneurs d'autant de petits chiennets pour delices , le tout d'infinies ques.
d'exercice & occupation , d'entretien , & de paf varietez de tailles, façons, & pellages : là où ils
ſetemps; leur eſtant beſoin d'auoir ſans ceſſe t'ef n'ont en tout que des bracques qu'ils appellent
prit tendu aux ncgoces qui ſe preſentent: joint Hith , & desgualgues levriers Tºaſi, de plus grands
les guerres continuelles , les longs voyages , en toutesfois les vns queles autres , mais qui ont tous
trepriſes , & expeditions, ou preſque tous les Sei communément la queue fenouillée , & les oreilles
gneurs Turcs ont iuſques icy employé la meilleu plattes ,couchées, & pendentes ainſique nos epai
apres le grand contente . gneux les mieux auallez , ou leschieyres de l'an
Iepart de leur aage. En
s
tion re
ſtra ſtoi
40 Illu ſur l'Hi 47

guedoc , fort legers & viſtesde vray , & delongue QVANT aux maſtins, ilsn'ont communément Lesmi.
haleine , voire quirident pour la pluſpart , ainſi point de maiſtresparticuliers és Lourgs & villa- ſtins.
que nous le pouuons voir en ces marches de par ges , & ſi ne laiſſent pas pour cela d'eſtre nourris
deçà de ceux qui nous viennent de la Turquie. & entretenus , ſans entrer toutesfois és maiſons,
Les
beaux Quant aux maſtins il les appellent Chuipech , du à cauſe qu'il y a par tour des tapis eſtenduspar ter
Epithc- quel mot ils vlentenuers les Chreſtiens qu'ils ap-. re : Parquoy ils tiennent au dehors en quelque
ses que pellent auſſi Gianlar, maudits & hays de Dieu : & coin de petites aulges de pierre , où ils portent
dónent Mordar ſalies , ords , & immondes , pour autant leurs reliquats : & les chiens ſelon ce qu'ils ſont
Turcs que nous ne ſommes pas circonciscomme eux , & accouftumez d'y faire la garde , s'y addreſſent
aux ne nous lauons , & nettoyons ainſi exactement à pour s'en repaiſtre, ſans permettre aux autres d'en
Chre- toutes heures qu'ils font , en quoy ils conſtituent approcher. Ils en repouſſent quant & quant, mais
ftiens l'vn des principaux accompliſſemens de leur Loy . c'eſt la nuict , & chaſſent yne eſpece de petits
Les Or il n'y a gensen tout le monde plus curieux loups qu'ils appellent Adils, fort friands d'entrer
Turcs de traitter bien & ſoigneuſement leurs cheuaux , és villages, pluſtoſt pour y larreciner s'ils trou- Adik,
ſoi loups de
& leurs chiens que les Turcs : car ils ne décou uent rien dequoy a l’eſcart, ſoient botţines , fou l'
gneux Alie,
de leurs urent iamais leurs montures de leurs caparaçons liers , chappeaux , brides , courroyes , & ſembla
chiens de toile , forsque pour leur mettre la ſelle : ne les bles hardes : car ils ſont enclins de leur naturel à
& chc- chiens de leurs giacques que quand ils les veulent cela , combien que meſme ils ne les rongent pas,
uaux,
faire courir : les tenans nets & polis ce qui ſe tant s'en faut qu'ils les deuorent , que pour rauir
peut , voire d'vne plus grande curioſité que leurs ny faire aucune nuiſance aux perſonnes,ny au be
propres perſonnes : & les lauans fort ſouuent ſtail : en vulgaire Grec on les nomme squilafchi,
auec du fauon noir & eau tiede : Ils ne les laiſſent vn peu moindres qu’yn loup commun : & ab
point non plus coucher ſur le foin , de peur de la bayent à guiſe d'vn chien , ayans le poil d'vn fort
galle ,parce qu'il les échauffe; mais ſur delapail beau iaune paille. Ils vont à grandes trouppesiuſ
le fraiſche : ou communément ſur yne meſme for ques au nombre
par fois de deux cens & plus .
te de lictiere que les cheuaux , faite de fiens def Somme que l'Aſie en eſt pleine , principalement
ſeiché , & broyé menu , bien battu , auec des ef la Caramanie.
clauines & mantes eſtenduës deſſus. Le matin ils Mais les Turcs ſont encore plus addonnez à Faul.
leur donnent du pain competemment , mais peu à la faulconnerie qu'à la chaſſe,dautant qu'elle n'eſt conne
peu par petits morceaux , & non pas tout à vne d'vn ſi violent & laborieux exercice , parquoy ils rie Tuts
fois, ce que nous ne practiquons pasſi exacte entretiennent à cette fin vn grand nombre d'oi- quefa
ment , & de l'eau bien nette. Puis le ſoir autant ſeaux de leurre , & de poing encore : les gerfaux que ,
encore, ſans broüet , chair ny potage , ne des os leur viennentde Norvegue, Suede , Moſchouic,
ſur tout , de peur de leur gaſter les dents : Trop & ſemblables regions Septentrionales : Les Sa
bien leur font-ils manger tous les mois deux à cres, de la Caramanie & autres endroits de l'Alie,
deux vne teſte de mouton cuitte , & laulpoudrée où l'on eſtime qu'ils font leurs aires: mais les meil
de ſoulphre, pour leur nettoyer le cerueau , & les leurs ſe prennent au paſſage des Illes , & tant plus
inteſtins, les mettre en haleine , & leur entrete loing dont ils procedent, tant meilleurs ſont -ils,
nir le ſentiment : & quant aux liſſes & levrieres, & plus excellens. Quant aux Laniers , Faucons,
ils les tiennent beaucoup plus maigres que non Gentils, & Peregrins, baſtards de Sacre , & Ta
pas les malles ; ne les laiſſant toutesfois porter en garols , ils leur viennent de Barbarie , & des Illes
Mar tout plus d'vne fois en leur vie. circonuoiſines, de cette coſte : les Eſperuiers, &
ques LES MARQves qui leur plaiſent le plusés Aultours , de toutplein d'endroits de l'Europe,
d'vn leuriers , ſont vne chere morne & melancholi où il y a bien ſix mille meſnages de Chreſtiens,
bon gal- que , tenans la queue ſerrée entre les jambes, lon qui ſont exempts du Carazzi, & de tous autres tri
phe.
gue & deliée à guiſe d'vn rat , ou pluftoft d'un bus & impoſitions pour fournir chacun an au
Lyon , bouquetée à l'extrémité , la pattelonguet Prince certain nombred'oiſeaux de poing , lequel
te , la crouppe large , l'entre - deux du train de apres en auoir retenu l'élite pour ſoy ,depart le re
derriere fort bien ouuert, comme auſſi la harpeu fte où bon luy ſemble, & pour cét effect entretient
re : venant à ſe reſtroiſir par le flanc , le muleau encore quelques mille Faulconniers d'ordinaire ,
ge de la pointu , & le poil raz & liſſé : Toutes leſquelles qui ont douze à quinze aſpres le jour , & deux
Challe connoiſſances nous approuuons à peu pres és no cheuaux à liurées : auec autant d'accouſtremés de
Dogan
du Turc . Ítres. gros drap tous les ans, ſous la charge d'yn Dogan- zibaſi
,
A v REGARD en particulier de l'equipage zibaſsi ,autrement Tſucregibaſsi, qui a deux cens grand
de la yenerie du Turc , il varie aufli ſelon l'affe aſpres de prouiſion chacun iour : ils portent ordi- Faul.
connier .
Seimem & ion que les vnsy ont plus que les autres : mais nairement deux oiſeaux ſur le poing , inais c'eſt
d'ordinaire il y a vn seimembaſsigou chef des Ve ſur le droict , au rebours de nous qui les mettons
baſi
grand neurs , quia cent afpresle iour, & ſous luy mil touſiours ſur le gauche :Etſi nourriſſent par fois
Veneur. le queseimen , picqueurs à cheual , que valets de leurs oiſeaux d'eufs de poulle durcis , à faute de
chiens à pied : ceux de cheual ontde douzeà quin chair , leur façon de les leurrer & reclamer , eſt
zeaſpres, & de pied huict ou dix , qui meinent beaucoup plus ſimple que la noſtre , & ſans tant
chacun yne leſſé dedeux leuriers . Il y a dauanta de tons & de voix accompagnées de crialleries
Tagarzi- gevn Tagarzibaſsi, qui commande aux bracques, iuſqu'à s'égorger : car ils ne font ſeulement que
baſi, & chiens courans , lequel a mille Ianiſſerots deſ houpper, & les oiſeaux font duits à les entendre Sariana,
des bra. ſous luy , dont chacun endroit ſoy en gouuerne & de fort loing auec le branlement du leurre. le plaiſir
de la
coniers. conduit deuxou trois couples , de maniere que le Or quand le Seigneur veut aller sariana , com chalic &
nombre en eſt grand ; mais tout cela eſt ſous la me ils diſent, à ſçauoir , prendre le plaiſir, & s'é , de la
charge du grand Veneur , battre à la chaſſe, & à la yollerie , qui eſt le plus vollerie.
communément
ndile .
de Chalco 49
48
communément és entours de sculari , de là le ca. de ceux - cy ; car les Turcs naturels en ſout du tout
ges & di
nal en la Natolie , il nomme ceux dont il vcut eſtre exclus ; ſoit que le Prince ne vueille commettre gnitez
accompagné ; aucunefois d'vne grande trouppe , aucun maniement ny authorité à des perſonnes de de l'Em .
condition franche , & apparentez , parce que les pire
& des Bajſats meſmes , enſemble des auttes prin
cipaux , & plus apparents de la Porte : Par fois à autres ſont touſiours eſclaues ; ( bien eſt vray que quef
peu de bruit , & ſeulement de quelque nombre les Turcs melines s'intitulent tels , mais c'eſt par que , ts
de Spachus , & fes plus priuez domeſtiques. Par vne forme d'honneur & reſpect qu'ils portent à mains
des
fois il dreſſera des parties de chaſſes royalles , ou il leur Souuerain ) craignant quelque reuolte & re Chre.
eſt permis à chacun d'allifter, & participer au bu mučinent, à l'exemple qu'Auguſte Ceſar ne ſe ſtiens
tin: & là il prend tel deſduit qu'il luy plaiſt ,à tou voulut oncques fier du gouuernemét de l'Egypte reniez,
tes ſortes de ſauuagine & de gibier : bien eſt vray à
pas yn SenateurRomain , de peur qué par leur
que le ſanglier leur eſtant defendu par la loy pour credit & moyens ilsne s'emparaſſent de ceſte Pro
eſtre du genre des porcs ,il eſt abandonné,apres en uince , riche & puiſſante entre toutes autres , ains
auoir eu le plaiſir;aux Chreſtiens:fi la beſte quelle ſeulement à ceux de l'ordre des Cheualiers : ſoit
qu'elle ſoit vientà eſtre eſtranglée des chiens , ils qu'il fe trouue plus fidelement & foigneuſement
ne la mangent point non plus , parce que toute fcruy de ceſte ieuneffeChreſtienne Mahometiſée
viande eſtouffée leur eſt interdite, & le fang auſſi, qui n'ont feu ne lieu , parents ny amis, non pas ſeu .
comme aux luifs : mais en ſomme ils ſont grands lement rien de ſouuenir de leur propre naiſſance,
chaſſeurs , combien que non ſi artiſtes & indu ny autre attente pour le faire court qu'au ſeul el
ſtrieux comme nous : car ils n'ont pas la traditiue poir de la grace & faueur du Prince ,qui les peut,
ny methode ainſi exacte, à cauſe de leur peſant s'ils trouuentgré deuant ſa face ,aduancer au rang
naturel, groſſier , hcbeté , de courre à force les be de grands Roys : de maniere qu'on ne ſçait point
ftes faulues ; & les noires auſſi n'y a- ilgueresde que iamais ils luy ayent fait faux -bon ,ny man
gens ou point du tout , qui faſſent ce meſtier ſi ex qué en rien deleur loyauté & deuoir, mais luy ont
quiſement que font les François. Au regard de la touſiours eſté ſi conſtamment affectionnez & fi
vollerie ,nonobſtant qu'en toutes leurs actions ils deles , que tout tant qu'ils ſont expoſeroient vo
foient fort lourds & bien peu ſpirituels , ſi eſt - ce lontiers dix mille vies en vn ſeul iour , s'ils les
qu'en cét endroit ils ne nous doiuent pas beau auoient , pour ſon ſalut & accroiſſement.
coup ; ny aux Italiens en cas de vollerie, qui leur LE TVRc doncques de quatre en quatre ans, Mode
eſt en aucune recommandation : mais de la groſſe & bien ſouuent au bout de trois , ſelon que les oc- du Turc
chaſſe à force, ils ne ſçauent bonnement que c'eſt caſions s'en preſentent, a de couſtume d'enuoyer d'enle
non plus que les Turcs : mais chaque nation a ſon des Commillaires recueillir non la decime desen, uer les
enfans
exercice à part qui luy plaiſt ainſi que le reſte de fans dont deſpend le deſſuſdit Seminaire , ſelon des
leurs couſtumes . que quelques - yns preſuppoſent , ce qui ſeroit Chre
Lede A l'vn des bouts de la ſeconde cour deſſuſ bien moins onereux & , intollerable, mais de trois ſtiens
dans du dite , pres l'auditoire du Dinan , eft vn autre loge deſquels
l'vn : & encore celuy qu'on voudra choiſir , en deſpend
Serrail quoy il ne faut pas douter que ce ne ſoit le plus la plus
e es exquis , où les Empe
du Turc . ou ſallett toute de marbr
reurs Turcs ont accouſtumé quelquefois de ſe beau , ſain & robuſte , & le mieux formé de ſes grande
preſenter en public ; & joignant icelle eſt la troi membres, des ieunes garçons faut entendre : car ils force.
lieſme porte du Serrail , gardée de vingt - cinq ou ne touchent point aux filles pour ce regard ; & ce
trente Eunuques : car là n'ont plus que voirny les depuis l'aage de huia à dix ans, iuſques à feize
1 aniſſaires,ny les Capigi, parce qu'on entre par là ou dix - huict : ce qui ſe peut dire la plus enorme

dedans en la demeure priuée du Prince, où il n'eſt cruauté qui ſe puifle exercer des ennemis du nom
loiſible à perſonne d'aborder ſi l'on ne l'appelle : Chreſtien , non tant pour le corps de ces miſera
& n'y a home d'audeſſus de vingt ou vingt- deux bles infortunez , quide libre condition ſont rauis
ans qui ſoit entier , fors luy , & le Boſtangibaſi àyne trop execrable ſeruitude , & tranſportez
chef desjardiniers, comme il a eſté dit cy -deſſus : en eſtranges & loingtaines contrées , ſans aucun
tout le reſte ſont ou Monuques , c'eſt à dire tail eſpoir de reuoir iamais plus leur chere patrie ,ne
Yez ricà rac ; ou ieunes garçons enfans de Chre leurs deſolez parens & amis :mais ſur toute de l'a
ſtiens qu'on y cfleue pour le ſeruice de ſa perſon me qui s'en va à perdition ; parce que tout auſſi
ne : & de là quand ils approchent l'aage viril plu toſt qu'il ſont arriuez à Conſtantinople on leur
ſtoſt ou plus tard les vns que les autres ſelon leur fait leuer le doigt indice de la main droite; & pro
diſpoſition naturelle , il les aduance à telle char noncer cesmotsicy ; LA ILLAH ILA H A H , Mors
ges que bon leur ſemble. Surquoy , il faut préal MV AMED RESVL ALLAH , Dieu eſt Dieu , porr s'i .
nicier au
lablement entendre que toutle faitdu Turc, tout O Mahomet , cft ſon Prophete: En apres on les cir Maho .
l'eſtabliſſement tant de ſa maiſon , cóur , & ſuitte conciſt, & alors ils ſont muſulmans, c'eſt à dire fi- mctif
tant en particulier qu'en general de ſon Empi deles Mahometiſtes : car ils abhorrent le nom de me.
re, & du principal nerfde les forces, deſpend d'vn Turc , comine eſtant ignominieux, & qui ſignifie ce que
perpetuel ſeminaire de leune garçons qu'il leue en leur langage autant preſquequ’abandonné ou ſignifie
се mot
Tout le par forme de tribut ſur les Chreſtiens reduits ſous maudit.
Thre.
fait du ſon obeyſſance & ſubjection : ou qui ſont pris à AINSI ce tribut des enfans ſe leue indiffe
Turc
la guerre, ou en cours tant par la terre que par remment ſur toutes ſortes de Chreſtiens qui ſont Prouin
dépend la mer ; ou ceux que les marchands luy preſen ſous l'obeïſſance du Turc : Grecs à ſçauoir ; tant ces
des
Chre tent , les ayans recouuerts à chreſme d'argent de de l'Aſie que de l'Europe , de la terre ferine & des Chre.
ſtiennes
ftiens, coſté & d'autre : car il a de tous la fleur & eſlite.. Illes :de la Boffine,Albanie,Seruie, Raſcie, Mol ſubjetos
Et n'y a charge, office,ne dignité,depuis lamoin dauie ,Valaquie, Tran Gluanie ,Hongrie : & d'au - auTurc.
Toutes dre iuſques à la plus grande , fuſt- ce celle du viſir tre coſté en la Circaſſie , Trebiſonde , Mengrelie, les Ar
les char- propre , ou premier Baffe . qui ne tombe és mains Zorzanie. D’Armeniens point du tout , encore meulens

1
so Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
SI
exempts qu'ils ſoient Chreſtiens, & ſous ſa domination : du Seigneur , duquel ils ont lors vn afpre par
de tous car ils ne les font point eſclaues , à cauſe de cer iour dont ils viuottent au mieux qu'ils peuuent,
tributs & font eux - melmes leurs deſpence, ſe mettant
tain priuilege qu'ils eurent de Mahomet , pour
du Turc,
l'auoir vne fois recueilly & fauoriſé au beſoin , vingt - cinq ou trente en vne chambre , dont il
& pour y Eſtran
quoy . & auſli qu'ils eſtoient Neſtoriens comme luy . en a vn qui à tour de roole fait la cuiſine, auquel ges en
ils donnent à raiſon de vingt - cinq alpres par durciſ
Lesluifs DE Lvits , ils n'en enleuent point non plus,
iour , pour les employer en vn peu de ris , & de femens,
en mel car ils n'en font cas , & ne les eſtiment propres à
pris aux rien quivaille qu'à trafiquer. beurre, bois & chandelle pour tout le mois : de & parci.
Turcs. monic,
OR les Commiſſaires qui vont recucillir ce maniere qu'ils en espargne cinq ou fix pour leurs
tribut , font communément quelques subafsu , ou menuës neceßlicez , meinement de couliers : car
on leur fournit tous les ans yne juppe , & des
autres officiers ſemblables , qui ont grand nom
bre de cominis & deputez ſous eux : & s'en vont chaufles de gros drap bleu de Salonichi : & quel
de lieu à autre par les Prouinces deſſuſdites , là où que coupple de chemiſe ſaffranées, ou teintes de
ils ſe font apporter les papiers de bapteſme par rouge ou de bleu , de peur de la yermine : & en la
les Papaz ( ce ſont les Preſtres ) quilur peine de tefte ils ont yn haut bonet pointu fait en pain
Subaşı,
luges la vie n'oferoient rien deſguiſer ne cacher : & là de lucre , ou comme vne chauſſe d'hypocras,
fubalter- dellus remarquent ceux qui peuuent eſtre de eſtroit d'entrée , de couleur iaune , pour denoter
nes.
l'aage propre à eſtre enleuez: s'il y en a demorts, que ce ſont les eſclaues du Prince. Au regard de
ou abfens , on les leur deſignc, & pareillement leur pouruoyeur cuiſinier il vit gratis auecques
ceux quiſont defia maricz , auſquels il ne leur eſt eux pour le ſalaire de ſon labeur . Ils ſont com
Dam via munément de ſix à ſept mille à Conſtantinople,
pas loifible de rien attenter : ce qui eſt cauſe
tam ftul- qu'ils ont accouſtumé de les pouruoir eſtans en ſous la charge d'vn Chef qui a ſoixante a pres le
112 cõtra cor fort ieunes , pour euiter cét inconuenient : fi iour : & de certains Botwinbaſsı appointez de dix
Boluch
cara que deuant qu'arriuer en la force & virilité de à douze alpres , qui les enferment en leur retraitte baßicó
runt. leur aage ,ils ſe voyentvne pleine maiſon d'en ſur le ſoir , & le iour les conduiſent à la beſogne, me caps
fans , ce quitourne à autant d'auantage d'ailleurs les accópagnans par tout où ils vont ,vn baſton au deſqua
dre , &
pour le Turc : Parquoy il ne les empeſche point poing , de peur qu'ils ne fallent deſplaiſir à per- charitas
autrement de ſemarier , s'ils ont atteint l'aage de lonne : car ceſontmeſchantes canailles, & com- nants.

puberté capable de procréer lignée . Et ont ces me gens deicfperez , pires vn million de fois que
Commiſſaires couſtume d'aller toufours à ceſte les Turcs naturels , & bien plus mortels ennemis
queſte à temps indeterminé , pour les ſurprendre, des Chreſtiens,nonobſtantqu'ils en ſoient venus .
& garder qu'on ne les deſtourne ; nonobſtant On les employe auſſi au ieruice des Arſenat;
que les pauures malheureux peres ſoient ſi inti & à mener les barques qui paſſent continuelle
midez & craintifs de la peine qu'ils encourroiét, ment de Conſtantinople en Pera , & la Natolie,
s'ils cuidoient vſer de recellement, outre ce que pour leur apprendre le train de la marine , & á
leurs voiſins & propres parens les acculeroient, voguer : au moyen dequoy l'on a accouſtume
qu'en cela ils n'oſent d'aucun ſubcer fuge. d'enuoyer vne bonne partie de ces 12.imoglans
Ces enfans eſtans amenez en la preſence du ou Gim :ferors à Gallipoli , où l'on les exerce à
Proto- Prorgere , ou Mairc du lieu , les scuba /sk & Com conduire les baſteaux qui paſſent & repaſſent à En Latin
gere. millaires choisiſſent de trois yn qui leur vient le toutes heures le deſtroit pourporter les allans & Hoppagi
plus à gré : & quand bien le pere en auroit qua venans d'Europe en Alie : & les Maones pareille- nes mot
tre ou cinq qui fuſſent d'aage competant , ſi n'en ment ( ce ſont groſſes barques plattes propres à empru
prennent - ils qu'vn à la fois , ſauf d'y retourner à porter les cheuaux & chaincaux ) qui vont ordi- du
Grec
la premiere occaſion : Mais s'il n'en a qu'vn , ils nairement à . Conſtantinople & autres endroits :
ne laiſſent de l’enleuer : fi qu'il n'y a année I'vne puis en fin paruiennent à eſtre Ianiſfaires.
Diftri. portát l'autre qu'ils n'en emmeinent dix ou doua VOIL A la ſource principale dont eſt ordinai
bution ze mille à Conſtantinople.Là ſoudain qu'ils ſont rement abbreuué & entretenu l'Empire Turqueſ.
des en arriuez , on les met ſous quelque couuert pour que en ſa vigueur : En quoy Dicu permet pour nos
fás Chre- deux ou trois iours pour les refaire aucunemetde offenſes & demerites que nous ſoyons battus de
fiens laſſitude du chemin : & puis l' Aga des laniſſai.
Turc , du la nos propres verges : mais il ſeroit bien aiſé d'y re
res le va faire entendre au Seigneur, qui en voit la medier , ſi les deux plus puiſſants Monarques
ficur & eflite, & retient ceux que bon luy ſemble, Chreſtiens ſeulement , ſans ioüer au faux compa
pour les mettre dás ſes Serrail:: le reſte, particilles gnon ſe vouloient bien entendre enſeinble, & s'v
depart aux Ballats & autres perſonnages d’autho nir contre le commun ennemy , & que leurs ſub
rité:partie on les enuoye en la Natolie ,où ils ſont jects les vouluſſent ſuiure.
conſignez és mains des particuliers, pour appren PASSE E ceſte troiſieſmeporte quieſtgardée
dre le parler Turqueſque, & les endurcir au tra par les Eunuques , ſoudain l'on entre dans yne Le logis
uail & mes - aiſe , car ils ne couchent que ſur la Talle de moyenne grandeur dont il a eſté parlé Turc .
Leurmi- dure , & pour tout leur nourriture ont quelque cy -deſſus, richement tapiſſée tant les parois que
ferable pecit meſchant morceau de pain bis, auec de l'eau le par - terre , auec yn dais à l'vn des bouts , elleué
nourri .
ture , telle quelle , & à peine encore la moitié de leur de cinq ou ſix marches , où le Turc reçoit les Am
ſaoul,habillez au reſte de meſme. baſſadeurs , & tient ſon conſeil general quand
Av BOVI de quelques quatre ou cinq ans les occaſions s'en preſentent : Puis montant deux
qu'ils ont aſſez competemment appris la langue, ou trois degrez l'on entre en vne autre moindre
& ſe ſont renforcez & parcreus , on les rameine fallette carrée , trop plus magnifique que la pre- .
A quoy à Conſtantinople, où ils ſont employez à ſeruir cedente : car les murailles ſont incruſtées de la
on les les maçons , porter la terre,chaux, fable ,pierres,
ép mes d'or & d'argent, ouuertes à la damaſquine &
loye.
bois , & ſemblables eſtoff & pour les baſtimens iameſque & de pierreries fans nombre qui ſont
epchaſſées
de Chalcondile ..
52 53

enchaſſées parmiy . Le plancher qui eſt voûté à d’hoſtel s'appelle chiler , où demeure le chiler- Le trois
cul de four eſt tout orné d'yne ſi excellente mu baße, qui a la charge des breuuages , & des confi- fielme

faïque, dé petites pieees de criſtal argenté ,doré, tures du Prince, & auec luy font bien deux cens Chiler
& dialpré de toutes ſortes de couleurs , compar pages pour le ſeruice de fa table : tous leſquels baſi
ties & rapportées en maniere de marqueterie , à s'exercent comme les autres . Le quatrieſme eſt credena
fueillagesmoreſques & guillochis: car de figures le chafna , ou threſor , & y loge le Chaſnatarbaßi, lics,
le Claſna
d'animaux , non pasſeulement d'herbes ny Heurs auec les
pages dont ila eſté parlécy -deuant, lef- Le qua
que la nature produiſe, ils n'en vſent aucunement. quels apprennent la muſique, & à ioüer des in- trielme
C'eſt là où les Baſſas , Beglierbeys, Cadileſchers, ftruments, & ont pareille prouiſion que les au- le chafu
AuxMa. > ou
home- & les autres grands de la Porte viennent faire leur tres : mais ils ſont plus richement habillez, de fa- na
threſor,
riſtes rapport au Prince tous les iours du Dinan : les tin , velours , damas , toile d'or : & ont de hauts
n'eſt li . Ambaſſadeurs y vont auſſi quelquefois luy baiſer bonets en teſte , vallans de cent à deux cens du
la main . De là ſuiuent conſequemment force au cats. Il y a puis apres vers la marine la demeure
tien có .
trefaire tres falles , antichambres , chambres, garderob du Boftangibaß , & de fix à ſept cens jardiniers .
en leurs bes , cabinets, galleries , & ſemblables pieces pour A LA CLOSIVRE de ce Serrail il y a grand Cloftu
ouura . ſon vſage ; & ſecrette demeure : car tout ce qui nombre de tours, & douze portes, chacune garnie re du
gos de cftoit de plus rare & exquis à Conſtantinople , & degros huyz de fer, pour l'yſage du Prince, & des
Serrail,
tout ce
que la par tout le reſte de leur Empire, a eſté tranſpor ſiens : toutesfois on ne les ouure pas ſouuent, & fi
nature té en celieu pour l'embelliſſement & decoration non au beſoin : ſept , à ſçauoir du cofté de la ville,
produit. d'iceluy , le tout à vn eſtage tant ſeulement com & cinq le long de la mer , dont celle du milieu qui
me ſont les autres edifices des Turcs , qui n'ont regarde droit à Soleil leuant vers scutari , eft ilan
point accouſtumé d'auoir de baſtimens exauſſez ; quée d'vn gros taurion de chaque coſté , bien
ſoit pour raiſon de leur ſenté , incurioſité & pa garnis au reſte d'artillerie, groſſe & menuë : & au
reffe , ou par faute de bons & ingenieux archite deuant en vne place large leulement de huict ou
& tes. Mais il n'eſt pas bien aiſé de parler de cecy dix pas , & longue de trente , y a bien cinquante

auec certitude , ſinon d'autant qu'on en peut ri autres bouches à feu , affuſtées pour battre à fleur
Le logis rer de rapport de ſes domeſtiques, à quoy il faut d'eau : car c'eſt la ſecrette iſſuë du Prince , par où
de la adiouſter foy , parce que perſonne horſmis eux, il ſort quand il s'embarque dans ſa galliotte pour
Sultane, Juif, Chreſtien , ny Turc , n'y entre point , ny aller à l'eſbat en la Natolie.
pale fé , par conſequent l'on n'en peut auoir connoiſſan. OR dans ce Serrail , comme il a eſté deſia dit Le de
me du ce . De ce logis on paſſe à trauers yn jardin clos cy -deſſus, n'y a homme au deſſus de vingt -deux dans du
Serrail.
Turc . particulierement de murailles , à la demeure de ans qui ſoit entier, ny habile à connoiſtre femme,
la Sultane , qui eſt vn petit Serrail à par ſoy bien fors le Seigneur, & le maiſtre des jardiniers : tout
fermé , & renclos dans le grand, accommodé au le reſte font Cadum , c'eſt à dire Eunuques du Caden ,
reſte de beaux vergers & iardinages , de fontai tout : & Azemoglans . Quant aux Eunuques il ·y Eunu
nes , offices , bains, & eſtuues , & autres telles en peut auoir quelque cent d'ordinaire , departis ques.
commoditez : meſmement d'vne Moſquée , où à diuers offices & charges:entre leſquels il y en a
elle auec ſes Damoiſelles & femmes de chambre
trois de plus grande authorité que les autres :
vont faire leurs deuotions : parce qu'elles ne ſor dont le premier eſt le Capig baſsi ,le capitaine des Capigia
tent point en public , ſi ce n'eſtoit que le Turc portiers, qui a ſousluy trente deſtinez à garder la baſſi.
la voulut mener à l'eſbat : mais encore eſt - ce par troiſieſme porte , par où l'on entre aa logis du
mer dans ſa fuſte ou dedans yne lictiere ou caror Prince : & la nuict veille auec les Eunuques à
ſe bien cloſe : & n'y a que luy , & les Eunuques cour de roolle , en l'vne des ſalles ou anticham
qui en ont la charge, qui entre en ce petit Serrail, bres . Le ſecond eſt le Chaſnutarbaſsi , ou grand chama
où le principal d'entr'eux qui va & vient à toutes threſorier , duquel a eſté parlé cy -deſſus , qui a la sarbai.
heures vers la Sultane , luy fait adminiſtrer ſes charge du threſor: & fous luy quarante ou cin
neceſſitez .
quante ieunes Azemoglans appellez Afiaoglan .Allaoglá,
dari.
Suitte OVTRE ceſte demeure , il y a encore quatre dari, qui ontde dix à quinze aſpres le iour, & luy
du, Scr- grands corps d'hoſtel dans le pourpris du Serrail , trois ducats ſans ſes aduantages: car il fourniſt à
rail.
pour les Eunuques , & les pages : l'vn qui s'ap toute la deſpence de la maiſon , & ſuitte dome
L'Engio- pelle l'Engioda , la petite ou neufue maiſon, où ſont ſtique du Turc . Le troiſieſme qui eſt le plus fa
da .
les plus ieunes Azemoglans, iuſques à l'aage de uoriſé de tous , & a le plus grand credit , eſt l'r jaga.
puberté, qui apprennent à lire & eſcrire en Turc, fagie , commequidiroit le dernier & ſuperieur de
Nourri- Arabe , Perſien , Eſclauon , & autres langues , & tous autres : qui a quatre ducats par iour, & plus
ture des à ſe deſnoüer à tirer de l'arc, lutter , ſauter, cou de fix mille que luy vallent ſes droits & profits
jeunes
rir , eſcrimer , & ſemblables exercices militaires, tous les ans ; cenant le lieu du grand Chambellan
pages .
à quoy tend leur principale occupation . Le ſe ou ſommelier de corps ; lequel porte meſme les
Second cond , la grande maiſon où ſont ceux depuis qua Ambaſſades & ſecrets meſſages du Prince à la
corps torze ansiuſques à ce que la barbe leur commen
d'ho Sultane , & lesmet coucher enfemble : comman
ſtel, ce à poindre , car lors l'on les met hors du Ser de outre - plus aux pages de la chambre , & de la
rail . Ceux - cy comme plus roides , & renforcez; garderobbe; & en ſomme à tout ce qui concer
s'employent auſſi à des exercices bien plus robu ne la perſonne du Seigneur ; à quoy ſont deſtinez
ftes : comme à enforcer l'arc ioüer des harmes à quelques ſoixante ieunes adoleſcens , la fleur &
bon eſcient, & picquer les cheuaux , & ont tous de eſlite detoute l'Agemoglerie, dont il y en a touſ
ſept à huict afpres le iour , & bouche à Cour ,auec iours trois fauoris par deſſus les autres appelleż Odde
des accouſtremens de drap , & certains bonets à Odvrglang.srı , enfans d'honneur : l'un deſquels slangari.
Tecadar
leurmode,deſatin , de velours , broccador , com eft nommé Tecadar , ou porte - manteau , autre- ou Cho
munément de couleur rouge. Le troiſieſme corps ment chrocadar, portant par tout où vale Prin -'cadar .
c ij
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire SS
54
ce vne valiſe, où il y a un habillement complet, miſe deSinan , qui s'y porta tres- vaillamment, &
& du linge, pour changer & ſerafraiſchir s'il en obtint la victoire ſur les Mammeluz , où il fut Sinan
Balla
Chiupser. eſt beſoin. L'autre eſt le Chupter , lequel porte tué : car c'eſtoit luy qui commandoit en chef à Eunu .
toute l'armée Turquelque. que
yn flaſquc de cuir plein d'cau , aucc yn mujirupan
ou hanap , tant pour boire que pour faire les IL Y A en outre autres vingt pages qui ſer - tres- va
ablutions accouſtumées au Mahometiſme : car uentaulli à la chambre , appellez njongleanlar, leureux ,
les Turcs ſc lauent à tout propos , & n'oſeroient enfans fauorits , ou Scialangar, familiers ; bien llen
autrement entrer és Moſquées , ny dire les prie- que de moindre credit que lesdeſſuſdits; leſquels scalama
res & oraiſons qu'il font tenus de faire journelle de cinq en cinq à la fois font la garde en l'anti- gar, val,
ment ſix ou ſept fois le iour , aux heures que les chambre : & ont cinq ou fix ducats le mois , fans lots de
cham .
Taliſmans ou miniſtres leur ſignifient du haut des leur nourriture , veſtemens , & monture aux dé
bre ,
Saluftar tours. Le troiſieſme eſt le salojiar ou sirdar , qui pens du Prince. Leur chef pareillement eſt Eunu
Tanda
ou Siti- a ſon arc auec vn carquois plein de fleſches; & le que, dit Tanttaga , lequela troisducats d'appoin ga.
dar .
Chiligs ou cimeterre accompagné d'vn Cancar ctement par iour , & vne prouiſion de plusde fix
vne courte dague ou poignard , pendant à yn cens allignée ſur le reuenu du Timár ou domaine
Chuffak ou ceinture toute eftoffée de pierreries des villages & hameaux deſtinez pour l'entrete
d'vne ineſtimable valeur . Ils ſont beaux & parez nement des Courtiſans,auec de fort riches accou
à l'aduantage : & leurs cheuaux de meſme exquis ſtremens & fourrures, & des cheuaux en l'eſcuy
& tres -richement equippez , comme eftans du rie tels qu'il luy plaiſt.Ces pages - cy ont la charge
nombre des plus releruez pour la propre per de nettoyer la chábre du Prince , & faire ſon lidt, le lidt
La mo . ſonne du Prince , derriere lequel il marchent qui n'eſt pas dreflé ſur yne couche de bois haute du Turc
de de immediatement touſiours, & entrent à cheual élcuée ainſi qu'à nous , mais il y a en la cbábre de
dormir quant & luy ſon repos de richestapis cairins , deux matterats,
iuſqu'à la troiſieſme & derniere
du Turc . porte. Couchent auſſi en fa chambre , où l'on & vnlict de plume de velours cramoiſy en lieu de
d'entr'eux veille autour du lict , aues trois autres couttis ,auec yn cheuet eſtoffé de meſme , & trois
du nombre des vingt mentionnez cy - apres , qui oreillers,des courtepointes pareillement ; & lere
ſont pareillement de la chambre : ſi qu'il y en a ſte de l'equipage conforme; le tout roullé ſur iour
deux au cheuet , & autantaux pieds , auec deux à vn des coings de la chambre : Puis ſur le tard
gros tortiz de cire blanche , qui ardent toute la quand il eſt heure d'aller dormir , ils eſtendent le
nuict :s'ils ont froid, ils prennent lur eux des man tapis, les matterats fous quelque pauillon ou ciel
tes fourrées de martres ſublimes tres- riches , & carré , ſelon les ſaiſons, & le plaiſir du Prince : &
quelque liure en la main pour ſe deſ - ennuier , & mettent premierement yn gros matterats de cot
garder de dormir : laquelle garde ſe fait feulement ton tenant comme lieu de paillaſſe , & par deffus
pour luy adminiſtrer les choies requ.les : com le liet de duuet : Puis finalement yn autre matte

me li d'auanture il ſe vouloit leuer pour faire les rats plus delié , & vnecourtepointe qui enueloppe
prieres de la minuict ou aube du jour, & à cette & bande le tout . Les linceux font de fine toile de
fin ſe lauer ; ou quelques neceſſitez de ton corps. Hollande qu'on leur porte de ces quartiers de par
Tous ces Pages-là ont par mois dıx ducats d'ap- deçà , & leur eſt en grande recommandation ,en
Menus poinctement , & ceux qui font de garde parta core que par la Loy il leur ſoit defendu de ſé dé:
plaiſirs
& au- gent outre-plus entr'eux tout ce qụı le trouue de poüiller : & coucher entre deux draps de lin ne de
molncs refte au ſoir dans les poches de lon Doilman ou chanyre; tellement qu'au lieu de cela , ils ont ac
du Turc . ſottane : là où le grand
threlorier eſt tenu de met couſtumé de veſtir de longues chemiſes , & des
tre tous les matins la valeur de quarante ducats marineſque : mais le Prince , & les grands de fa
pour ſes menusplaiſirs, & aumoines , partie en Cour s'en ſçauent fort bien diſpenſer ainſi que
ſultanins ou ſeraphs, ce ſont ducats de la valeur de beaucoup d'autres choſes : fi que la rigueurde
des noſtres , & partie en aſpres : & font nourris 1 la Loy , comme en toutes eſpecesde Religions,
de ce quiſe deſſert de deuant le Prince , tres- pom tombent ordinairement ſur les petits , & le com
peuſement habillez au reſte , de velours , ſatin , & mun peuple . Aucunefois pour la chaleur , ſi elle
draps d'or & d'argent , auec de larges ceintures eſt grande , le derniermatterats eft reueſtu de ca
ouurées, de la valeur de quarante ou cinquante melot ou de ſatin , & ſemblables cftoffes plus
eſcus, & des ſcoffions d'or ,qui en valent plus de fraiſches que n'eſt le velours; auec des linceux de
deux cens : Eſtans appellez à ce miniſtere depuis taffetas cramoiſy. En Hyuer le Turc Solyman , à
l'aage de quinze à ſeize ans , iuſqu'à ce que la bar ce qu'on dit , lequel deceda en ſon extréme vieil
be leur commence à poindre. Mais au ſortir de lelle, ayant pres de quatre vingts ans , auoit de
page , ils ſont touſiours aduancez bien pluſtoft couſtume de ſe feruir en cet endroit de fines
que pas vn des autres , iuſqu'à parucnir à eſtre fourrures de martes, & de certains renards noirs,
Agaz , ou Siniaques ; c'eſt à dire , Capitaines ou dont le poil eſt long & douillet ſur tous autres,
Gouuerneurs de quelque Prouince : & de la de mais telles peaux font fort rares & cheres , cou
main en main à l'eſtat de Boglierbey, & finalement ftans cinquante ou ſoixante ducats la piece : par
de Baffa , qui eſt la plus haute dignité de toutes : quoy on les reſerue de toutes parts où l'on les re
comme fait auſſi l'iuga leur chef Eunuque , car couure pour le ſeul vſage du Prince:Neantmoins le dor :
ces gens - là bien que demy- femmes, ne ſont pas il me ſembloroit qu'il n'y a pas grande delicateſ- mir du
exclus pour cela des grandes charges & mani ny gueres de volupté & amour, au prix du lin. Turc,
ſe ,
mens , meſme des armes, ains s'en eſt bien ſouuent ge , qui eſt ſans comparaiſon trop plus agreable
trouué de tres -valeureux & grands Capitaines, & plaiſant à la chair. Ce lict ainſi preparé loing
auſſi bien que Narſes ſous l'Empereur Iuſtinian: desmurailles , li qu'on peut aller tout autour , &
comme du temps de Selim premier , pere de Soly le Prince couché dedans, ils allument deux Alam ,
man qui desfit le Souldan du Caire par l'enttre beaux de cire vierge , l'yn au pied, l'autre au che
uet ,
le
n di
co
al
de Ch .
so 57
uet , de l'autre coſté qu'ils'eſt endormy : & s'il ſe interprete en Turcvulgaire pour les inſtruire &
tourne ils les eſteignent , & allument les autres, cathechiſer és principaux articles de leur crean
afin que la lumiere ne luy donne dans les yeux ,, ce : enquoy ils font fort ſoigneux , voire parauan
& luy empeſcheſon repos : toutes leſquelles ce ture plus que nous : afin que cela ne ſe puiſſe ia- Mode
remonies pourroient bien auoir quelque lieu à mais pluseffacer de leur ſouuenir. Il leur apprend rc des
l'endroit d'vne perſonne mal diſpoſée, mais pour par meſme moyen en leurs Azzalah ou prieres, la Turcs.
yn hommefain , elles me ſembleroient merueil pluſpart tirées dudit Alchoran. La troiſieſme leur
leuſement importunes . Iit certains liures en langue Perſienne . Et le der
Odilo nier finalement quelques autres en Moreſque , &
SVIVENT quarante autres ieunes adoleſcens,
gland.rs,
vallets qui ſerucnt à la garderobbe dits Oddoglandari, vulgaire Turc . En liſant ils hochent la tefteà
de gar- pour nettoyer & ſerrer les habillemens, leſquels tous propos : ce qu'aucuns acribuent à la difficul
derob- ils mettét puis apres és mains de ceux delacham té de la prolation du langage : les autres veulent
bre , & ont dix afpres le iour , bouche à Cour, & que ce ſoitpour la reuerence du nom de DIEV ,
deux habillemens de velours , fatin ou damas
qui y eſt fort ſouuent reïteré , fi qu'ils branlent
tous les ans . Leur chef s'appelle oddobaſsı, qui ainſi la tefte par forme d'inclination : enquoy à la
Oddcbaf verité il y a bien plus d'apparence qu'à ce que
eſt Eunuque comme les autres , & a de prouiſion
f deux ducats par iour , auec trois cens autres du deffus : car c'eſt choſe aſſez notoire , comme nous
cats annuels de Timar ou de reuenu aſſigné ſur le montrerons plus particulierement cy -apres ,
les villages caſals de la Grece. Ceux- cy ſont que Mahomet a emprunté la pluſpart de ſes tra
employez outre -plus à receuoir la viande à l'en ditions de celles des Īuifs ; leſquels ſelon qu'il eſt
trée de la ſalle , de la main des Ceſignir , ou porte eſcrit au Talmud , au liure des Beracoth benedi- Prietes
iournel .
plats , qui l'apportent de la cuiſine, & la vont de ctions ou prieres , ſont obligez de dire pour le les des
1
la preſenter au Scalque ou pannetier , pour l'af moins deux fois tous les iours , à ſçauoir en ſe le. Tuifs.
ſcoir deuant le Seigneur , ſelon qu'il a cítédit cy uant , & en ſe couchant, ces ſix mots icy pris du
deuant . Mais cès Cefignir nonobſtant qu'ils ſoient 6. du Deuteronome: SEMA ISRAEL , ADONAI,
des Azemoglans ,ne couchent pas dans le Serrail , ELOHIM , ADONAI EHAD . Eſcoute Ifrael,le Sera
ains à la ville ſous le gouuernement d'vn autre gnens nopive Dieu , eft vn cul Diena Seigneur. Et
Eunuque appellé efignabaſsi . les proferer diſtinctement de la bouche, accom- La croix
Il y a d'auantage au Serrail trente autres pagnéed'vn cæur éleué à Dieu . Et prononçant eſt vfi
pages dits les chilerogiand.uri . qui ſeruent à la dé leſquelles paroles les luifs branlent, la teſte du rée aux
Chilero. luifs .
penſe ſecrette , comme il a eſté dit cy-deuant,ſous haut en bas : & puis du coſté droit au gauche , en
glandari. la charge pareillement d'vn Eunuque de chilira forme de croix , qui ſe fait en toutes leurs bene
gibaſsi ,leſquels ont bouche à Cour, & quelques dictions. Tout de meſme les Turcs à leur imita
huict ou dix afpres d'appoinctement tous les tion vient de ces hochemens de ceſte , encore
iours , auec des habillemens deux fois l'an , & des qu'ils ne ſçachent pas bonnement ce qu'ils font,
montures en l'eſcuyrie, car ils marchent quant & nyà quelle fm : & cela s'obſerue non tant ſeule
le Prince lors qu'il part de Conſtantinople. ment au Serrail , mais par tout les eſcholes de
Nourria A V REGARD des plus ieunes Azemoglans, la Turquie : ſi que pour le reſpect qu'ils ont au
ture & auant que de les auançer à aucune charge , on les nom de D 1e v , & aux choſes lainctes il n'y eſt Super
Itition
inftru- tient en nombre communément de cent ou fix
pas permis à aucun Turc , luif , ny Chreſtien des
desnou - vingts , ſelon qu'il en vient au Turc quiluy plai- d'employer du papier ſoit eſcrit ou blanc , à au- Turcs,
ueaux ſent, ſoit du tribut , ſoit de pris en guerre, ou don cun lalle & ord yſage, parce ( diſent- ils ) que c'eſt mais ac
Azems- nez en preſent, dansl'Engiodda ,ou mailon neuf ou l'on eſcrit lenom de Diev : & partant ont compa.
gnée de
glans au ue detluſdite , pour apprendre la langue Tur accouſtumé de recueillir ſoigneuſement tous les reuc
Serrail . queſque , & à lire & elcrire en Arabe, combien petits billets , morceaux , & fragmens de papier rencc .
que les Turcs de leur ordinaire ne ſoient pas au qu'ils peuuentrencontrer çà & là , & les mettre
trement gueres grands eſcriuains : Et pour cét dans des trous de muraille , non tant ſeulement

effect y a quatre Hogealar , ou Precepteurs en pour la deſſuſdite raiſon , mais pource que Ma
Arabe , appellez shaich , qui y ſont entretenus homet ayant eſcrit ſon Alcheran par petits chif
ordinairement , dont l'on leurmonſtre la premie fons & par celles qu'il cachoit de corté & d'autre
reannée à lire : & faut notter qu'ils n'ont autres où il pouuoit , Axa ſa femme fauorite en recueillit
carracteres ny eſcriture que l'Arabeſque : tout la plus grande part apres fa mort dedans ces trous,
ainſi que les François , Italiens , Eſpagnols, Al dont depuis fut tiſſuë fa loy : & de là eſt venuë
lemans, Suiſles , Anglois , Eſcoflois , ceux de l'obſeruation deffuſdite .
Noruege , Suede , & autres nations Ponantines QUAND yn enfant a acheué d'apprendre à li- Le ref
re , & efcrire ,car l'écriture n'eſt pas guere com pect quc
& Septentrionales,eſcriuentchacune endroit ſoy
portent
leur langage d'vne meſme lettre Latine : & eft la mune enuers les Turcs , fes compagnons le con- les Turcs
dite eſcriture Arabeſque fort faſcheuſe & diffi duiſent parmy la ville iuſqu'à ſon logis, chantans aux let
cile à lire & eſcrire , tant pource qu'elle s'écrit ſes louanges auec de grandes & ioyeuſes acclama- tres &
fans voyelles comme l'Hebraïque , que pource tions , luy marchant le premier de tous, riche aux trez . les
que ce ſont la pluſpart tous poincts, abbreuiatu ment veſtu & paré ce qu’inuite les autres à gai
res , & liaiſons: joint qu'ils ſont tous aſſez lourds gner le temps , & s'auancer d'apprendre.
& mauuais eſcriuains', combien qu'ils n'ayent LES AZEMOGLANS deſuſdits ont lapre- Proui
.
point d'impreſſion qui eſt le pis . L'autre Maiſtre miere année deux afpres le iour, la ſeconde trois, fion des
leur enſeignc puis apres à lire & apprendre par la troiſiefme quatre , & ainſi vont croiſſans de jeunes
cæur quelques Azoaresou chapitres de l'Alcho gages auecques l'aags, iuſqu'à huict ou dix , qu'ils Azimo
riin , qui eſt le liure deleur loy , commeà nous le peuuent mettre en épargne & reſerue : car ils glans au
Serra,
texte du vieil & nouueau Teſtament : qu'il leur ſont nourris aux dépens du Turc , & habillez
c iij
s
ration oire
Illuſt ſur l'Hiſt 59
5 8
d'écarlatte yne fois l'an : Pour le chaud on leur a accouſtumé de leur faire diſtribuer quelques
donne quelques legers veſtemens de toile. Leurs quarante ou cinquante ducats , auec yn habille
maiſtres ont de dix à douze aſpres le iour , auec mentde broccador , & coiffeure plus ou moins
quelques accouſtremens, ne leur eſtant permis richescommeil luy plaiſt , quand il lestire de ces
Leger au reſte de chaſtier leurs diſciples plus d'vnefois eſcholes & logis , à chacun deſquels lieux preſide
chaſti. chafque iour , & encore aucc vne petite houſline
vn Eunuque pour ſe prendre garde de tout , quia
ment
des ieu . deliée & mince , dont ils leur donnent quand ils yn ducat le iour , & des habillemens deux fois
nes Aze- faillent, ſoit à apprendre leur leçon , ſoit à rager; l'an : & ſous luy vingt autres Eunuques moindres

moglams. ou autrement , iuſques àdix coups , & non plus, qu’on appelle Capioglans, appoinctez de douze à Capio
ſur la plante des pieds , par deſſus leurs brode quinze aſpres par iour , & departis par des cham- glans.
quins toutesfois , que fimeuz de cholere ou de fe brées , où ils dorment aupres des enfans , pour
lonnie ils excedoient ; comme font aſſez fouuent leur adminiſtrer leurs neceſſitez ; & prendre gar
& mal à propos quelques mal -aduiſez ignorans de qu'ils ne commettent quelques déſordres ľvn
Pedants parmy nous, iuſqu'à déchirer inhumai enuers l'autre ; dont le taire eſt plus honnefte que
nement de pauures enfans, penſans par là ſe mon n'eſt le dire & éclaircir plus auant.
ſtrer plus habiles hommes ; on leur coupperoit la VOIL A l'ordre à peu pres du Serrail en ce qui
main ſur le champ : auſſi de leur pardonner trop dépend des Azemoglans, & des pages, & Eunu
legerement, il n'y pend que d'eftre depoſez de ques que le Turc employe au feruice de fa per
de leur charge , ſomme qu'il faut qu'ils y proce Tonne : outre leſquels il y a encore quelques palie- Pallegio
dent par melure. Quand ilsont fait leur appren gu , porte-bois ou valets de fourriere : & douze Saequats.
tiſſage , ils ont accouſtumé de faire preſent à leurs Sacquais ſous la charge d'vn Secuabaſsi ou ſert
maiſtres de quelques huict ou dix ducats qu'ils de l'eau , leſquels ont defix à huict aſpres le iour :
ont épargné de leur appoinctement delſuldit: & ſont habillez tous les ans yne fois de gros drap
leſquels partiſſent cela entr'eux quatre , autant bleu . Ces Sucquats fourniſſent d'eau au Serrail,où
ſont- ils de Pedagogues , qui font vne bourſe com ils la portent çà & là és cuiſines , boulangeries,
mune. bain , lauanderies, & autres offices; ayans à cette
fin chacun deux mulets,auec des ouldres de peaux
DE LA ces icunes garçons paſſent puisapres
au ſecond logis , où on leur monſtre à tirer de buffle , parce qu'ils n'vſent point de barreaux , &
l'arc ; jouer des armes à leur mode ; & picquer les autres ſemblables vaiſſeaux tels que nous auons.
cheuaux , en quoy ils n'ontpas ta tant de ſubtilitez Leur Chefa quinzeaſpresle iour , & yn habille
& adreſſes que les Italiens,excellens en cette pro ment par an , d'écarlatte ou broccador , mais bien
fellion pour le iourd'huy , & encore plus autres fimple : C'eſt luy au reſte qui fourniſt d’cau pour
fois depuis cent ans ençà , ſur tous les peuples de la bouche, tant és Serrails en temps de paix & de
la terre : car il ſuffit aux Turcs de ſe bien tenir repos , qu’à la guerre au camp , & encore pour le
à cheual , encore qu'ils cheuauchent fortcourt, commun , d'autant que le vin eſt defendu au Ma
paſſer vne carriere à toute bride ; & en courant hometiſme: tellementquepar toute la Turquie,
aſſener droit yn coup de fleſche , ou de jauelot, au & autres contrées de l'obeyſſance du Turc , il y a
lieu deſtiné , & l'y enfoncer fermement; ſe hauf. grand nombre de ces Sacquars, qui vont & vien
fer deſſus les eſtriefs , & de là ramener quelque nent de lieu à autre , és places publiques des vil
grand fendant de leurs cimecerres lourdes & pe les & bourgades , & le long des grands chemins,
ſantes au poſſible; dont le coup en eſt tant plus auec yn ouldre de cuir pendu en écharpe, plain
fort : & faire tourner à propos leurs montures, d'eau de fontaine ou ciſterne , & vne taſſe de ler
nonobftant que pour la pluſpart fortes en bou ton , dorée ou damaſquinée par le dedans, où ils
che , & non ſi aiſées à manier que les noſtres de mettent encore des Lapis- lazuli, iafpes , agathes,
par deçà , on leur monſtre encore par meſme callidimes , cornalines, & autres telles pierres fi
moyen quelques lettres , ſelon qu'ils y ſont plus nes , pour rendre par là l'eau tant plus delectable;
ou moins enclins & adroits , & meſmement de la dont ils preſentér à boire par charité à ceux qu'ils
loy , & des diſciplines humaines : comme des rencontrent ; leur remonſtrans par meſme moyen
e , & Poëſie , dont
Mathematiques Philoſophi
, vn miroüer pour les exhorter de penſer à la mort :
ils ont quelque yſage auſſi bien que nous; horſ. Pour lequel pitoyable office , ils n'exigent rien ,
mis de la Rhetorique, qu'ils appellent Mantic; trop bien ſi on leur preſente quelque piece d'ar
mais ils l’eſtiment eſtre ſuperfluë & inutile, parce gent ils la prennent , & en recompenſe arrouſent
qu'ils ne font pas profeſſion d'haranguer , ain's le viſage de ceux qui leur dónent , de quelque cau
eſt leur parler court , ſimple & rond ; auiſi n'ont roze , naffe, ou damaſquine, auec yne petite fiole
ils point de procez ny de differends, ou s'ils en qu'ils portent à cette fin dans leur pannetiere : &
ont, ils ſe vuidenttout ſur le champ , de meſme font encore preſent par fois, s'ils voyent que le
comme à nous és Conſuls , ſans vſer de tant de perſonnage le merite , de quelque pompe d'oren
formalitez , & de fubterfuges, de l'hiſtoire , ils ge , citeron ou grenade , ou d'un bouquet , ou
ne s'y addonnent gueres , cítimans que la pluſ feinblable choiede la valeur d'vn Mangor , qui eſt
part doiuent eftre fauſſes, ou déguiſées , pour le la huictieſme partie d'vn aſpre , à ſçauoir , vn
danger auquel on peut encourir en eſcriuant la denier & maille , qu'ils hazarderont volontiers,
verité. ſous eſperance d'en tirer deux ou trois aſpres.
Plaiſir Or de voir ainſiinſtruire & exerciter ces ieu Sommequ'ily peutauoir d'ordinaire dans le Ser
du Turc nes enfans , c'eſt l'un des principaux plaiſirs du rail du TurcăConſtantinople, de cent à ſix - vingts

lotiable. Seigneur en cette fienne ſolitude; ce qui fait que Eunuques, & trois cens que icunes Azemoglans
luy -meſine les choiſit à ſa volonté , pour les ap apprentifs, pages dela employez au ſeruice du
peller pres de la perſonne, ſelon qu'il les peut co Prince , ſans cinq ou ſix cens Iardiniers , tous en
gnoiſtreeſtre les pluspropres , & à ſon gouſt : & fans de Chreſtiens aulli , & Ianiſſerots. Quant
бо de Chalcondile . 61

à ceux -cy , parce qu'ils ſont endurcis aux trauaux gnard , & le bras gauche reployé ſur le flanc,ſon
& mes -aiſes : car leur viure eſt fort miſerable & arc & ſon carquois bien garny de fleſches à coſté
chetif, & couchent ordinairement ſur la dure, de luy ſur vn oreiller: & luy viennent en merueil
outre ce qu'ils ſont en yn labeur continuel , au leuſe reuerence baiſer qui le pan de la robbe , qui
partir de là ayans atteint l'aage de vingt - quatre les pieds , ſans mot dire. Apres qu'ils ont tous fait Toutes
ans ils paruiennent communémet à eſtre laniſſai cette ſubmiſſion , illes ſaluë gracieuſement d'yn choſes
res , & meſmement pour la marine ; le Chef def dignes
tour de teſte , auquel ils correſpondent par yne in- d'eltre
quels eſt le Boftangibaſse, qui eſt fort fauory & pri dlination iuſqu'aux genoux , remercians Dieu remar
ué du Prince , & pourueu la pluſparc du temps du qu'ils ſortent ainſi en la bonne grace hors de ſon quées,
gouuernement de Gallipoli , d'vn fort grand re- Serrail, & de le voir ſain & lauue. Là deſſus il
uenu & profit, parce que c'eſt l'vne des principa leur fait vne ſuccincte remonſtrance , qu'ils per
les clefs & aduenuës de toutes les mers delà , com ſeuerenc à bien faire leur deuoir és charges où il
me cette place eſtant aſſiſe ſur le deſtroit où ſe pretend les employer & aduancer ſelon qu'ils ſe
vient reduire la Propontidede ſa largeur & eſten comporteront : & au reſte detenir ſecret , ſans le
duë , au canal de l'Helleſpont, autrement le bras reueler à perſonne , tout ce qu'ils peuuent auoir
Sainct George: parquoy il faut que tous les yaiſ conneu & apperceu durant le temps qu'ilsont pris
ſcaux qui vont & viennét , paſſent par la mercy de leur nourriture en fa maiſon : & ſur tout d'oltre
ce lieu , & aillent moüiller l'anchre pour y eſtre touſiours & perſeuerer à eftre bons & fideles Mu
reuiſitez, outre ce que c'eſt le plus frequent paſ- ſulmans, ſans iamais ſe déuoyer de la loy & do
ſage de la Grece en la Nátolie, voire de toute &trine de leur ſainct Prophete , à quoy ils ſe ſont
l'Europe en Aſie. Ce Boftangibaſsi encore paruient obligez par vau & ſerment ſolemnel , en leuans
Degnis, deftre Degnisbalſa , Admiralou Generalde la ma le doigt en ſigne dece, & receuans la Circonciſion
Admi, rine. marque exterieure de leur creance : Cela fait , &
ral. Il ya d'autres Azemoglans auſſi nourris d'or leur ayant eſté deliuré à chacun yn habillement,
dinaire en Pera , Andrinople , Burſe , & ſembla & vn bon cheual ſelon leur degré , auec quelque
bles lieux où il y a quelques Serrails , mais ils ne ſomme d'aſpres & de ſultanins, & vn ſerre - teſte
ſont pas ſi fauoriſez , bien entretenus, ny aduan . de la valeur à quelques - vns de trois à quatre cens
cez comme ceux de Conſtantinople , qui ſont eſcus , pour mettre en leurs bonnets : car ils ne
continuellement aupres de la perſonne du Prin portent point encore de turbans, ils s'acheminent
ce. à la ſeco de porte où leurs montures les attendent ,
QVAND doncques il y a quelque iuſte nom & mettans le pied à l'eftrier s'en vont en grand
Mode bre deces ieunes Azemoglans preſts à eſtre mis triomphe & allegreſſe, iettans à poignées les af
de met, hors de page & du Serrail, ce qui aduient com pres qu'ils ont pour cét effect dedans leurs poches
de page munément dedeux en deux ans qu'on fait vne re & monchoirs, tant qu'ils ſoient arriuez au lieu à
les Aze- ucuë de ceux qui ſont en aage d'en ſortir : car lors eux deſtiné : car à chacun eſt ſon rang aſſigné,
moglās les quatre principaux Eunuques s'en vont par auec la ſolde qu'ils doiuent auoir : Parquoy ils
du Ser- toutes les chambres , où ils mettét a part ceux qui ſont conduits par les Capigi ou Archers de la por
sail.
leur ſemblent les plus aduancez , & des autres qui te deuers ! Ago des Ianiſſaires , auquel ils baiſent
reſtent , ils en tirent les plus plaiſans & agreables , la main : & de là aux Sanjaques , Beglierbeys, &
& les mieux inſtruits & appris , tant de la petite Bulffas pour ſçauoir d'eux où il faut qu'ils ſe re
que de la grande maiſon , & lesmettent à celle de duiſent , & les y introduire : communément ils
la credence , & du threſor : de meſme ceux qui viennent à eftre selictars , Spaoglays, Chaoux , &
leur ſemblent dignes d'eſtre receus pres de la per autres tels gens de cheual , auec prouifion de vingt
ſonne du Prince , ils les y eſtabliſſent, tant qu'ils à trente alpres le iour , & leurs Oddobaſsi, Caps
ſoient en aage de ſortir du tout hors du Serrail: d'eſquadre, ou Chefs de chambrées quarante ou
car ils montent ainſi de degré en degré , ſelon que cinquante. Mais les trois pages delſuſdits qui por
leurs ſages & adroits comportemens,ou leur bon tent la valiſe, l'arc , & le vaſe , ne ſortent qu'vn
neaduanture les pouſſent : mais l'abſolu vouloir à la fois : & ſont au partir delà faits Imbraourbaſsi,
du Seigneur, qui la pluſpart du temps fait luy- grand Eſcuyer , ou Capigibaſsi Capitaine de la
meſmece choix & élite, eſt ce qui peut le plus en Porte,ayans de trois à quatre ducats par iour,auec
cela , bien que la recommandation & rapport des deux ou trois mille autres ducats , & encore plus
Eunuques,ſelon qu'il leur plaiſt les fauoriſer, y de Timar, ou reuenu annuel alligné en fonds de
feruent auſſi non de peu . Cette reueuë parache terre :ou bien ſont faits Sanjaques & Gouverneurs
uée le grand Capigiluy va dire ; deſormais eſt venu de Prouinces ; ou autrement aduancez à de tres
le temps, tres-puiſſant Monarque, que tels & tels honorables charges , & degrand profit & autho
vos eſclaues , quiprient continuellemeut pour la rité .
ſanté & proſperité de la voſtre Majeſté, & devo MAIS auant que ſortir du Serrail & enclos da
ſtre eſtat , fortent de voſtre heureux Serrail,pour Prince , il vaut mieux tout d'yn train pourſuiare
les departir és lieux où il plaira à voſtre ſublimi lerefte :car ſes Palais ſont fournis & accommodez
té delesenuoyer & les mettre , pour les promou de toutes choſes neceſſaires , comme pourroit
uoir aux charges de voſtre tres - humble ſeruice, eſtre quelque bonne ville : & en premier lieu il y
dont voſtre bon plaiſir ſera les gratifier. A quoy il a vingt Lauandiers ordinaires appellez les chid- Chisma
reſpond s'il l'a agreable , Nolhah , ſoit ainſi, ou maſtır ,dont les deux ſont deputez pour blanchir ftor: La
vadiers ,
foit fait. Et lors ils ſe mettent tous en meilleur or ce qui eſt de la perſonne & bouche du Prince : &
dre & equipage qu'ils peuuent pour luyaller bai lercíte pour le commun , leſquels ont ſix aſpres le
ſer les mains, eſtant à l'entrée de la ſalette aſſis iour , & les deux du corps douze, auec quelques

parmy des couſſins, ſur yn riche tapis Turqueſ- habillemens , ſans autres droiâs,profits , ne pra
queen grand Majeſté, la main droite ſur ſon poi. tiques quelconques, fors les vieils linceux & che:
c jij
62 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
63

miſes. On leur fourniſt quelques cinq ou ſix caiſ des paffefillons. Les Medecins au ſurplus, & les
ſes de ſauon , car ils n'vient point de leſliues de Chirurgiens n'oferoient mettre la main à perſon
cendres comme nous failons, ce qui cauferoit à ne pour les panſer , ſans en auoir eu premiere
raiſon de la graille & onctuofité du fauon , vne ment congé du Seigneur ; non pas meſme arra
merueilleuſe vermine : & fi ce n'eſtoit le frequent cher vne dent , ſur peine qu'on leur en tiraſt vne
vſage qu'ils ont de ſe baigner de iour à autres , ils en contr'eſchange.Mais ce ſcroit trop longue &

ſeroient mangez de poulx : au moyen dequoy les * ennuyeuſe chole de vouloir parcourir tousles au- Therfiler
petits compagnonsont accouftumé de porter des tre Officiers & artiſans: comme les Terfiler, ou Tail
chemiſes teintes de bleu , ou autre couleur qui em Tailleurs en nombre de plus de trois cens, quiſui- leurs,
peſche leur procreation ., ainti que les Reiſtres uent le Prince quelque part qu'il aille , fuſt - ce à
pour le meſme effect font bouillir les leursen de la guerre , & ſont montez à fes dépens , ayans
ſa ſuye & du ſel deſtrempez auec du vinaigre. huict ou dix afpres le iour pour leur viure , &
Bains & A PROPOS de ces bains , il y en a vn en cer ſont outre cela payez de toute la beſongne qu'ils
eſtuues
tain endroit du Serrail , dans yn pauillon voûté & font. Mais il y en a trente qui ne travaillent que
du Ser
rail . couuert de plomb , li fpacieux que deux cens per pour le Prince , & les autres ſont pour ſes dome
ſonnes y pourroient demeurer à l'aiſe , auec force ſtiques, quelques- vns auſſi pour le Serrail des
chambres & cabinets à l'entour pleins d'eau femmes.
chaude & froide au milieu de ce bain ou eſtuue IL Y A outre - plus quelques ſoixante -dix cium- Ciumge

qui eſt continuellement réchauffée, & dont la geler , ou Orfevres, dontles maiſtres ont dix af- ler ,Or
voûte eſt en cul de four enrichie de mulaique, & pres par jour , les ſeruiteurs cinq ou ſix : & ſont feyres,
par embas pauée d'vne maniere de marqueterie payez de leurs ouurages, les yns eſtans Perſiens &
de petites pieces de marbre, & ſemblables pierres Îibres : & les autreseſclauesdu Prince , ayans tous
de diuerſes couleurs , il y a vn baſın de fontaine, neantmoins leurs boutiques au cour de la ville, &
qui eſt de marbre blanc élcué à la hauteur de huict au Big Itan .
ou dix pieds , auquel par certains conduits def Le Tvrc entretient outre- plus d'ordinaire Les
ſous terre ſe vient rendre vne eau fraiſche au pof plus de cent cinquante trompettes , clerons , fif- trom
fible, qui de là s'épand par toutes les chambres: & fres, hautbois , cornets , tabourins à leur mode, pertes
du Turc,
là aupres eft vne grand' auge de pierre , dans la qui oft de douze à quinze aſpres le iour,deſquels
quelle ſe rapportent deux robinets , verlans l'vn trompettes & clerons il y en a trente deputez or
de l'eau chaude , & l'autre de la froide, tellement dinairement pour Conftantinople, quinzeà ſça
qu'on les peut recontemperer comme on veut . 11 uoir ſur yne haute tour aupres du Serrail , & quin
y a en outre en cette eſtuue yn cabinet leruant de ze à vn autre bout de la ville , leſquels ſonnent à
bain , pauédemarbre , & remply d'eau tiede à la deux heures de nuict : Cela fait perſonne n'oſe
hauteur de quatre ou cinq pieds , fiqu'on s'y peut roit plus aller par la ville , autrement ſi le subaſsi,
recréer meſme en nageant , & de là s'en aller ra qui eft comme le Cheualier du guet , les rencon
fraiſchir dans l'autre d'eau froide. Là ſe va bai . troit, illescóſtitueroit priſonniers, & condamne
gner le Seigneur quand il veut , au lieu qui eſt ſeul roit à l'améde . Ils ſonnet encore le matin à la Dia
referué pour ſa perſonne: & en tout le reſte ſes ne yne heure auant le jour . Il y en a yne partie en
domeſtiques ; y ayant douze hommes prouiſion Peru & le reſte eſt pour accompagner le Seigndir
nez de huict à dix alpres, qui tiennent continuel au camp. Mais nous en parlerons plus à plein cy
Cinder .
lement le tout prelt & appareillé : car les Turcs ſe apres , auecques les deux cens Ciadermicier , ou
weileri,
lauent preſqu'à toutes heures, tant pour la diſette Tentiers, & leur Chef Mitarbaſoia , leſquels dreſ tenciers .
ſent les tentes & paui llons.
qu'ils ont de linge, que pource que la Loy le com Pricres
mande : principalement le Ieudy , parce que c'eſt Tove ce qucdeſſus concerne le corps , & les
particu .
la veille du Vendredy , qui leur eſt comme à nous commoditcz temporelles , mais pour venir à la fieres da
le Dimanche : & ce à l'imitation , ainſi que beau {pirituelle de ces infidelles barbares , il y a dedans Serrail.
coup d'autres choſes , des eſcritures Iudaïques: le Serrail d'ordinaire quarante Talijn :ans leurs Taliſmas.
car Iob au premier chapitre ſanctifie ſes enfans miniſtres , dits particulierement Eneanileo , de Encangia
chaſque ſeptieſme iour de la ſepmaine, afin qu'ils certain leur pfalme dit Encum , fi long qu'il faut
puiſſent le lendemain iour du i abbat aſſiſter au plus d'vne bonne heure à le dire . Ceux - cy ne font
ſacrifice : & ce par certaines luſtrations & laue pas eſclaues , mais Turcsnaturels , qui ont cinq
ments'la nuict precedente laquelle ils veillcient , aſpres par iour pour leurpeine , & viennent tous
à raiſon dequoy les luifs qui vinrent apres appel les matins au Serrail , fitoſt que les portes en font
lerent cette veille qui ſe faifoit le Vendredy , 17e ouuertes , où s'agenoüillans tous en rond dans la
ruh , à ſçauoir la parafceue ou preparation : la Moſquée qui y eſt, chacun leur liurcau poing, ſe
Sultane a aufli les eſtuues à part dedans fon pour mettent à lire à haute voix ( les Eſpagnols di
pris & enclos , pour elle , & pour ſes Damoi roient , Rezar ) le deſſuſdit pſalme, auec quelques Tello
felles.
Echin , autres menus ſuffrages à leur façon , le tout fort eſtoit
DANS lc Serrail font auſſi entretenus d'ordi poſément & dinſtinctement :car il y a là des Su- l'ancien
Mede
cins du naire dix Echin ou Medecins, dont les trois font pericurs qui les contreroollent & ſurucillent, à ce ne cou
Serrail. ordinairement luifs , & dix Geracler Chirurgiens qu'ils n'obmettent rien , & ne fourchent d'une des Ro.
Geracer, & Barbiers , qui ont chacun douze aſpres'le iour ſeule fyllable . Les Turcs ont fort grande deuo- mains ,
Chirur
pour panſer les malades & bleſſez , lauer la te tion & creanceà cette forme de priere , & trou - au paga
giens.
ſte, tondre & raire tous les Ieudys aux ieunes uent dans leurs liures que la diſans quarante fois, Le no .
gens du Serrail ; (le Turc a fon Barbier à part ) ils impetreront de Dieu toutes leurs requeſtes, bre de
neantmoins la pluſpart de ſes pages , & nommé voire qu'en quelque tribulation & aduerſité quaran .
ment les fauorits ne ſe tondent pas , ains portent qu'ils puiſſent eſtre , ils en ſeront ſoudain deli- te
leurs perruques & treſſes entieres , auec meſmes urez . Parquoy le Turcles fait'venir en nombrede reſpect
quarante
de Chalco .
64 ndile 65

! quarante pour le dire pour luy tous les iours du aucune intermiſſion nerelaſche: & fi d'auenture
2UX rant ſa vie , & apres la mort font le melme ſur la ils ſe rencontrent en quelque prairie ou belle cam
Turcs .
Les ſepulture pour le lalut de lon ame : car les Turcs pagne raze , alorstournans la face deuers luy ils
Turcs admettent les prieres pour les treſpaſſez: & cecy vont à recullons ſur la pointe des pieds , chan
prient eſt ordinairement compris és fondations de leurs tans ſes louanges entremélées de ioyeuſes accla
pour les Moſquées & hofpitaux dits les Imaraths. mations & ſouhaits pour le maintenement de fa
uclpar
lez . MAIS pour retourner encore à ce quiconcer proſperité & grandeur. Ils luy ſeruent auſſi à por
fa
Ima ne le ſeruice de ce grand Seigneur Turc pour ter çà & là ſesmeſſages & depeſches :mais d'vne
rahs, perſonne , il entretient ordinairement à la luitte diligence nompareille, car ſi toft qu'ils les ontre
hoipi quatre-vingts ou cent Perchs, ou laquais , les plus ceücs , faiſans yne profonde reuerence‫و‬, ils ſe
peichs, excellens courreurs de tous autres , li qu'ils font mettent indifferemmét à bondir à trauers la preſ
laquais entr'eux courir yn bruit que pour les entretenir ſe à maniere de daims , ou chevreux , en criant
du Turc. en vne longue haleine , il y a certain ſecret non Sauli , ſauli ,gare gare, & ainſi vont gallopans iour
vulgaire, ny conneu à d'autre qu'eux; de leur fai & nuict ſans prendrerepos iuſques où ils doiuent
re ofter ou conſumer de ieuneſſe la ratte, ce qui eſt aller , fiqu’ordinairement ils iront de Conſtanti.
paſſé par forme de ſobriquet iuſqu'aux noſtres, nople à Andrinople , où il y a de trente -cinq à
leſquels quand on les void trop lourds & peſants, quarante lieuës, & retournent en deux iours &
on dit qu'il les faut dératter : la pluſpart de ces deux nuicts , qui ſeroient bien quarante lieuës
laquais ſont Perſiens de nation , ainſi que les baſ par iour , & encore à continuer . Theodore Can .
ques à nous , qui ſont communément les meil tacuzene Gentil -homme Conſtantinopolitain
leurs que nous ayons point , tant pour la ſobrieté certifie en ſes narrations Turqueſque , que lay
de leur viure, que pour leur legere & diſpoſte tail preſent yn de ces Peichs, fit gageure durantles cha
: quoy on les em
le joint le continuel exercice à leurs du mois d'Aouſt d'aller d’Andrinople à
ploye & accouſtume par maniere de dire dés le Conſtantinople entre deux Soleils , ce qu'il aca,
Leur berceau . Ces Peichs ont de douzeà quinzeaſpres complit par effect. Mais cela n'eſt pas du tout in
habille- le iour , courtementhabillez au reſte , d'une ca croyable ; car ie ſçay au yray qu'il n'y a point
ment.
zaque à l’Albanoiſe ,iuſte au corps, de ſatin rayés vingt-trois ans qu'vn grand laquais du feu Vi
ou damas , de diuerſes couleurs , mais plus com conte de Polignac aagédeſa de plus de cinquante
munément de verd , dont les pans de deuant qui ans , vint du Puy en Auuergne à Paris ,où il y a
s’alongent en pointe , ſe viennent recueillir & pres de cent lieuës de l'un à l'autre, & retourna en
Cochiach, trouſſer à yn Cochiach , c'eſt un large tiſſu ou lon l'eſpace de ſept iours & demy , liqu'on l'eſtimoit
ceinture giere de linge , ou de ſoye enrichie d'or; d'ar faire ces grandes traictes par quelque voye ex
Tur gent, & ouurage fait à l'aiguille lequel leur ſert traordinaire outre le commun cours de nature ,
guel
de ceinture faiſant deux ou trois tours autour du alliſte de quelque eſprit familier , ie le rencontray
que,
corps : par le derrie
re cette cazaque eſt toute allant lors en poſte à Rome , Secretaire pour le
ronde , & à plein -fonds, leur venantbattre ſur les Roy Charles neufieſme en Italie prés la Charité
jarets , leurs chauſſes ſont toutes d'vne venuë enuiron la fin de luillet , l'an mille cinq cens ſoi
ainſi que de tout le reſte des Turcs, & plus longues xante lix ; & ine mis tout exprez à le ſuiure , re
beaucoup qu'elles ne doiuent , afin de faire plu brouffant chemin yers Paris où il alloit , vne gau
ſieurs replis à maniere de courquaillet,commedes le blanche à la main , par plus d'vne bonne licuë ,
bottes à l'Allemande : & par deſſus paſſe leur che pour voir à l'ail ce que s'en eſtoit ; mais ie le veis
miſe d'vne fine toile de cotton blanche . Mais ils arpenter auec ſes grands jambes : car il eſtoit fort
portent communément vne maniere de garderob bien fendu , de telle ſorte deuant moy qu'il s'en
be de taffetas , fronſé menu vers la ceinture , le forlongea aiſément, ores que ie preſſaſſe au grand
quelarriue iuſqu'à my - iambe, & retrouſſé & ou gallop mon cheual ; qui n'eſtoic des pires , au
uert par deuant , pour ne les empeſcher de courir . inoy en dequoy ie iugay qu'il n'y auoit autre ſe
Bourch . En la teſte ils ont yn haut Bourch , ou bonet poin cret , ny enchantement en ſon fait , qu’yne diſ
tu , qu'ils appellent particulierement en leur lan poſition naturelle en ce grand corpsaduantageux ,
Scuff. gue scuff, (mot fort approchant du ſcoffion Ita accompagnée d'vne haleine longue joint la ſo
lien ) d'argent battu , auecvn fourreau de la meſ brieté , & auſſi qu'il nes'arreſtoit aucunement en
me eſtoffe , doré & garny, de pierreries, partie fi nulle part , & ne repoſoit que quatre heures en
nes , partie fauſes, ſelon leursfacultez & portée; toute la nuict , & le iour il gagnoit pays .
duquel part vn gros flot de plumes d’aigrettes,aca I i s'eſt veu aſſez d'autres laquais faire de
compagné de pluſieurs autres moindres penna grandes diligences , du temps meſme de Henry
ches d’Auſtruche de diuerſes couleurs , le tout ſecond , quil'ont accompagné allant en poſte de
1
enrichy de paillettes d'or & d'argent , de perles; Paris à Bloys, où ie me luis quelquesfois trouué
& de grenats, qu'il fait bon yoir . A leur ceintu fans oncques perdre ſon eſtrier, nonobftant qu'il
Biciach,
re pend le poignard dit biciach , emmanché d'y hy mit qu vniour & demy .
poi .
gnard uoire , & la gaine d'vn cuir depoiſſon rare , auec Mais pour retourner à ces Perchs , on dit qu'il
Tur l'Anagiach , ou petite hachette damaſquinée en fut yn temps qu’allans tous déchaux la plante des
quer. la main droicte, d'un coſte ayant yn marteau , & pieds leur eſtoit endurcie de ſorte , qu'ils ſe fai
que,
de l'autre vn large trenchant, & en gauche vn ſoient appliquer en lieu de ſemelles ordonnées ſur
L'ana
giach,pe- mouchoiier plein de dragées & confitures pour le col du pied , & clouer à trauers le callus , qui s'y
tite ha . s'en humecter la bouche , & ofter l'alteration en eſtoit procreé , de petirs fers fort legers , tout ainſi
che, courant. Ces laquais ainſi equippeż trottent or qu’à des cheuaux : & pour mieux encore s'y con
dinairement deuant le Seigneur , quand il va de former , en courant tenoient touſiours dans la
hors , ſautellans à caprioles , bonds , & fleurets, bouche certaines ballottes d'argent creuſes &
pour monſtrer leur diſpoſition , & haleine , fans le
percées en pluſieurs endroits , tout ainſi que

1
66 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 61

bout d'yn canon d'vn ieune poullain , pour la Ale ſemblable à ceux des Polonois , horſmis qu'il
leur tenir fraiſche , en lieu de mellons , pateno n'eſt pas pliſſé ſi menu , lequel eſt de veloursnoir,
ftres ; & ſemblables termes de mords que prati ou de quelques pelitre d'aigneaux crefpeż , de la
quent les Efpronniers : ayant au reſte tout plein meſmecouleur , dont la bourſe panche à l'vn des
de cymbales & petites clochettes penduës à leur coſtez , & ſe vient rendre ſur l'eſpaule. Ce ſont
ceintures & jartieres qui rend vn ſon melo gens membruz , forts , & nerueux , & adroits au
dieux & plailant . poſſible en ce meſtier, la pluſpart mores de la Bar
LÉ TVRC a encores d'autres courriers à che baric , Indiens , ou Tartares , non eſclaues autre
Vlachrar, ual dits vlachrar, non qu'il y ait en aucun endroit ment du Turc , ains libres , & de bonne - vogle,
cour de Turquie des poſtes aſſiſes ainſi qu'à nous, mais qui ſe contiennent en chaſteté pour épargner leur
riers à
cheuai. quand leur cheual eſt recreu , le premier paſſant force & vigueur, à l'exemple des anciens Athle
Chalcó- qu'ils rencontrent , Chreſtien , ou luif, & Turc tes & Pancratiaftes qu'ils imitent en beaucoup de
dile au encore il luy faut mettre pied à terre ſans conte choſes : car ils s'aident non ſeulement de cli
9. liure . ſter : car la vie y pend , & qu'ils le ſuiuent à beau quets , tours de bras , trappes , & crocqs en jam
pied s'ils le veulent r'auoir , ſans qu'il leur ſoit be pour renuerſer leur aduerſaire , mais prochent
loiſible de monter ſur celuy qu'il aura laiſſé , ains quant & quant, mordent , égratignent, & font
demeure là en pleine campagne à la mercy des en ſommedu pis qu'ils peuuent, quand ils s'achar
beſtes fauuages, ou à ſe morfondre & ſe perdre, au nent l'vn ſur l'autre, cout ainſi que des dogues ſur
moyen dequoy pour s'en redimer on eſt contraint des ours ou taureaux, cequi aduicnt aſſez defois,
de leur donner quelques ducats, plus ou moins tant pour l'ambitió d'obtenir chacun endroit ſoy
ſelon la valeur de la monture , Gau moins la cho la victoire en la preſence du Seigneur , que pour

ſe ſe peut accommoder auec de l'argent , & quele la friandiſe de quelques ducats qu'il a de couſtu
cheual du courrier ne fuſt encore trop haraſſé; car me de diſtribuer à ceux qui obtiennent le deſſus
tous ceux qu'ils trouuent par les chemins , com de leur apparié compagnon : & encore à l’yne &
bien que le leur fut aſſez frais pour paſſer outre, ils l'autre des deux parties, ſi d'aduanture ils ont bien
vſentneantmoins de femblables menaces , telle fait à ſon gré & contentement . Au partir de la

ment qu'ils commettent infinis rançonnemens & pour s'eſſuyer de la ſueur,ilsjettent yn baragan ou
abus : & ne vont que de iour ſeulement; la nuict petite mante de cotton ſur le dos , billebarrée à
ils ſe retiennentau logis , à raiſon dequoy ils ne treillis de fil bleu : & vont communément douze
peuuent tant aduancer que les noſtres qui vont ou quinze en trouppe , eſtans touſiours appareil
iour & nuiet ſans aucune inter million , dont il lez de prefter le collet à quiconque ſe veut atta

s'en eſt veu d'eſtranges diligences , meſmement quer à eux .


de l'Abbé Nicquet , lequel a eſté de nos iours le LE TVR C entretient auſſi quelque nombre Macche
plus fort courrier , & qui a duré le plus longuc- de Maccheiazzi, qui font des efforts merueilleux à jazzijas:
ment que nul autre dont il ſoit memoire : car il eſt tirer del'arc; car ils percerót d'un coup de fleſche chers
tres .
allé pluſieurs fois en ſix iours quatre heures de Pa non ſeulement le plaſtron d'un corps de cuirace de puillaas.
risaRome; où il y a pres detrois cens cinquante tres -bonne trempe , d'outre en outre , ains yne

lieuë's comparties en ſix vingts poſtes. lame de cuiure de l'époiſſeur de quatre doigts.
taluan IL Y A puis apres les Peluanders , autrement l'en veis yn l'an mille cinq cens quarante -trois,
ders, ou Gureſsis . ou luicteurs, à quoy le Turc prend par quant l'armée de mer Turqueſque vint à Toullon
Cureli fois plaiſir , & en entretient à cette fin quelques ſous la conduite de Cairadin Bajja . dit Barberouſſe
deurs . quarante d'ordinaire, à dix ou douze aſpres le Admiral du grand Solyman , percer à jour d'un
iour , qui vont veſtusd'vne longuejuppe de drap, coup de fleſche yn boullet de canon . Il y a tout
ceinte d'vne longiere ou large ceinture de toile, plein d'autres manieres de gens en Turquie, qui
barçée d'or à lamode. Turqueſque : & par deſſous font des choſes excedans toute creance , comme
ils ont des gregues fort iuſtes , & jointes à la noſtre autheur meſme certifie , ſur la fin du hui
chair d'vn cuir oinct & liſſé , pour y auoir tant & ticſme liure , dont il s'en reſterera pluſieurs cy
moins de priſe , qui arriuent au gras dela jambe. apres a la circonciſion du fils d'Amurath qui re
Tarquia, En la teſte pour les diſcerner ils portent vne ma gne à preſent.
bonet. niere de bonet dit Taquia , fait en forme de mouf

DE
68 de Chalcondile .
69

CE
DE LA PVISSAN

D V T V R C:

ESTE maintenant de parler Coulet , ou cul,ains comme deſtinez au ſeruice do


des forces de ce grand & redouté Prince , combien que par yne formede reſpect &
ſubmiſſion les Beljats meſmes s'appellét les culi du

***
Monarque , tant par la terre que
par la mer : leſquelles confiftent Prince. Les autres tirent ce mot d’yne ville ap
ainſi preſque que de tous les au pellée sar , dont le Souldan Aladin ,enuiron l'an
tres Princes & Potentats, de gens de grace 118o . fit preſent à yn Turc de la race des
de cheual , & de pied , les vns& les autres de deux Ogutéens, aliené de ſon entendement,pour auoic
eſpeces : de Turcsnaturels à ſçauoir, & de Chre défait en camp clos yn Cheualier Grec, braue &
ftiens Mahometiſez , qui procedent tous du Se vaillant , qui luy auoit tué tout plein d'hommes,
minaire deuant dit des Azemoglans, ou icunes fique Granudzzarı en langue Turquefque fignific Premier
enfans qui ſe leuent par forme de tribut ſur les enfans de Sar , ou procréez en sar. Amurath II.
regle.
Chreſtiens de trois l'vn en amcs viuantes ; & de fut le premier qui les inſtitua reglez comme ils menc
ceux qui ſont pris en guerre , ou qu'on achepte ſont encore pour le iourd'huy , ainſi qu'on peut des lae
pour en faire preſent au Turc. Ceux qui ſont di voir au cinquieſme de ceſte hiſtoire : & ce en nom nifaires.
Itribuez de coſté & d'autre pour apprendre la bre de huidt ou dix mille , que ſon fils Mehemet
langue Turqueſque , & les mæurs , & s'endur lequel conquiſt Conſtantinople , & ſes ſucceſ
cir à l'agriculture , ou à garder le beſtail : & pa ſeurs , augmenterent depuis iuſques à quarante
reillement les boft.in i ou jardiniers , en nombre ou cinquante mille : mais Selim fils de Bajazet les
de plus de quatre mille en tous les Serrails du reduit à douze mille , en ayant fait maſſacrer les
Prince , quand ils ont atteint l'aage de vingt vns , & ietter les autres en vn ſac en l'eau , crai
cinq ans, desplus robuſtes & martiaux on en fait gnant qu'ils ne luy ioüalfent le meſme tour à le
le ſupplément des gens de pied : le reſte plus depoſſeder de l'Empire , que par leur moyen il
lourds & moins propres aux armes demeurent auoit fait à ſon pere,ainſique ſouloient faire com
aux autres exercices : mais les plus gentils & munément les ſoldats Pretoriens aux Empereurs
adroits qui rencontrent vne meilleure fortune, Romains , dont les Ianiſſaires ſont en la pluſpart
& ſont receus & inſtituez pres de la perſonne vne vraye repreſentation & image , comme ceux
dans les Serrails , paruiennent à eſtre hommes de qui introduiſent au ſiege Imperialquand il vient
cheual , qui ſont de pluſieurs fortes de degrez, à vacquer celuy qu'il leur eſt le plus agreable ,
comme il ſe verra cy -apres. Quant aux gens de c'eſt à dire qui plus leur donne, à l'imitation d'i
pied où conſiſte tout le principal nerf de leurs ceux Pretoriens ; des enfans du Turc faut'enten
forces , tout ainſi qu'anciennement les Romains dre lors qu'il vient à deceder : car iuſques icy la
les fouloient mettre en leur infanterie de legion ligne maſculine n'ayant point encore manqué de
Echimo, naires , ils ſont tous d'un ſeul mot appellez la pere en fils en la race des Ochomans Empereurs
logies niſſeri, auſſi bien ceux de la marine , que dela ter des Turcs , les laniſſaires ne ſe font point auſſi
du mot re, tant à la garde des fortereſſes , qu'aupres des ingerez d'en eſtablir d'autres au fiege Imperial
Taxiſferi. Saniaques, & des gouuerneurs des Prouinces :car que les enfans de leur deffunct Prince: lequel n'a
il y en a toufiurs quelques - vns des plus anciens, pas pluſtoft l'ail fermé , qu'ils ſe diſpenſent de
bien qu'en petit nombre , coinme à la Cour & voler toute la ſubſtance des luifs & Chreſtiens
ſuitte du Prince , qu'on appelle La Porte , où eſt la qui ſe retrouuent parmy eux , comipe ſi c'eſtoit vn
groſſe maſſe d'iceux Ianillaires : ce qui peut auoir butin qui leur fuft acquis de bonne guerre : ſça
induit quelques - vns ſuiuantmeſme cequ'en tou chans bien que le tout leur ſera pardonné du nou
che Chalcondile au premier liure , de tirer l'e ueau Seigneur , & qu'outre ce ils auront encore
thimologie de ce mot là , de lanua porte , mais de grands preſens à ſon aduenement à la couron
cela a plus d'affinité au Latin que non pas au ne: ſanscela ils ne luy confirmeroient pas , & ne
Grec , Eſclauon , Turc , ny Arabe: ainſi la vraye luy preſteroient le ſerment de fidelité & obeyſ
deriuation de ce vocable :aniſſeri , bien qu'aucune fance. Ncantmoins ce ne ſont pas à beaucoup pres
ment corrompu , vient de la langue Tartareſque, les donatifs tels qu'auoient les Pretoriens, que
Cham , qui ſignifie Seigneur , ou Prince , mais les quelquefois ils arriuerent à cinq cens eſcus pour
Turcs le prononcent Tham . & de ieſir , eſclaue, chacun :ſi que lulian ſucceſſeur de Pertinax ache
comme qui diroit eſclaues du Seigneur : non ef ptaſon Empire d'eux quatremillions d'or : là où ils
claues toutefois de la meſme ſorte que ceux qu'on ne ſe trouue point que les Ianiſſaires ay ent plus
vend en plein marché , leſquels ils appellent coul, eu à yne fois , demille aſpres ( ce ſont vingt eſcus)
1

Illuſtrations fur l'Hiſtoire 71


mo
pour homme, que leur donnerent Selim , & apres cefſitez : car de frapper de glaiue aucune perſons
Solde &
luy ſon filsSolymar , Ils ſont au reſte appoinctez ne quelconque, c'eſt vn crime capital & irremif
appoin
cement diuerſement en leur folde , qui part toute imme ſible , quand bien il n'y auroit qu'vne petite eſ
des la diatement des coffres du Prince; les vns à plus les gratigneurejreteruans leurs felonnies & acharne
niſaires. autres à moins , ainſi que nos lanſpeçades ,depuis mens contre leurs ennemis legitimes , où ils eſti
trois iuſques à huict ou dix alpres le iour :le tout ment deuoir leur lang & leurs vies pour le ſeruice
ſelon leur valcur & merites qui font caute de leur de leur Prince , & non pas leur eftre permis d'en
faire accroiſtre la paye , & non les recommanda abuler en leur courroux & querelles particulie
Leurs tions & faueurs. Ils sont puis apres habillez de res ; contre les ſubjects d'iceluy leurs confreres.
habillc- pied en cap deux fois l’an , de quelques draps de Mais communément ils portent vne canne d'In
mens . peu de prix , bleuz ou rouges , dont on leur fait de au poing , telle qu'il a eſté dit cy - deſſus des
des chauſſes tout d'vne venuë , mais reployez Capofu ou portiers, qui ſont du nombre des Ja
comme il a eſté dit cy - deuanı ; & vne juppe ou niſſaires , & gens de pied auſſi bien qu'eux , &
deliman long iuſques à la cheuule du pied , eſtroit n'y a queleurs Chefsqui aillent à cheual : à ſça
& ceint au fau du corps d'vne longiere de foye, uoir les Otaob..f . caps d'eſquadre , dont chacun
ou de fil, barrée d'or , ainfi que communément d'eux fait le dixielme de la chambre , eftant le
1 tous les Turcs , leſquelles tant pluselles ſont lar plus ancien , mais non pas le plus vieil d'icelle :
ges , & font plus deplis , tant plus font - elles eſti Les Centeniers & le grand Aga leur Coronel
Leur ac- mées honnorables. En la teſte ils ont yne Zaroola general : auccques le cheaza ou Protogero, quieft
couſtre- de feultre blanc , qui les fait difcerner partout; & en cét endroit comme yn Maiſtre de camp : de
ment de connoiſtre pour laniffaires , car il n'y a qu'eux maniere que quand ils curent eſtably Solyman à
teſte, qui la portent de cette façon & couleur : bien eft l'Empire,toutesfois ce fut ſans aucune effuſion de
vray que tous les Turcs en general portent le ſang , parce qu'il n'auoit point de freres , ny de
blanc en leurs l'ulbants , deſquels les Taniſlaires competiteurs , ils luy requirent ceſte grace , que
n’vſent pas , ains de cétaccoutrement en particu- puis qu'eſtans tenus de luy comme pour ſes pro
lier qui approche des chapperons de drap des Pa pres enfans, ils alloient neantmoins à pied , il ne
riſiennes , horſmis qu'ils ſe hauient plus droit fuſt loiſible à aucun Giaour , c'eſt à dire Chreſtien
contremont à la hauteur d’yn pied & demy , ne luif,d'aller à cheual par la ville : & que s'il fai.
moyennant yn gros fil d'archat qui le tient droit, ſoit grace à quelques vns d'y pouuoir vſer de
au haut duquel y a vn petit cercle de fert dont par montures , au moins ce ne fuſt que ſur des aſnes &
le pennache : & la zarcole fe vient rabbattre en mullets, & non des chcuaux : ce quia eſté obſerué
vne large queuë en arriere , qui va battre ſur les depuis, excepté enuers les Ambaſſadeurs, & ſem
eſpaules, bordée à l'entour d'yn cercle d'or traict, blables perſonnes publiques , Magiſtrats , Offi
ou d'argent doré large de trois ou quatre doigts , ciers & autresgés de reſpect & authorité. Quant
duquel le hauſſe à l'endroit du front yn tuyau de à leurs armes pour la guerre, car à la paix ils n'en
la meſme eſtoffe iuſques au cercle , enrichis l'vn portent en aucune forte, outre le cimeterre & le Armies
& l'autre de turquoiles, grenats , & lemblables poignard , ils ont communément l'arc turquois des la .
niſſaires.
pierres , de peu d'importance voire de quelques qui eſt de corne , & les fieſches , dont ils s’aident
Saphyrs & rubis balais , ſelon que leurs facultez excellemment, & en font d'eſtranges merueilles :
le permettent : car les Turcs ont cela de particulier Quelques - yns ſouloient porter vne maniere de
entre tous les autres , de conſtituer le principal de longs bois, plus courts toutesfois que les picques,
leurs richeſſes, en la magnificence de leurs armes, comme iauelines , cſpieux , partuiſanes,auec yne
& l'ornement de leurs perſonnes, montures & targue ou pauois : mais depuis trente ou quarante
armes . Du haut de ce tuyau s'el pand contre bas ansla pluſpart ſont deuenus arquebuſiers; & y a
le long des reins vn beau grand pennache de naïf à ceſte heure des mouſquetaires: car on ne les ha
ues plumes d'auſtriche , ſans toucher à rien : ſi que rallo
pas continuellement à des eſcarmouches,
cela eſt meſmement en yn tel nombre , & de fort longues traictes, & ſemblables coruées , eſtans
belle monſtre & apparence : car ils ſemblent au leurs arquebuſes toutes de calibre & peſantes,
tant de geans : quelques -vns encore y appliquent dont ilsſe ſçaaent fort bien ayder ,leſquelles ſont
quand ils vont à la guerre vn vol d'aigle , & le portées aux deſpensdu Prince ſur les chameaux ,
pennache de diuerſes couleurs tout entier d'yn iuſques -là où il faut prendre les armes à bon ef
oiſeau noinmé ibintacis , des Modernes Apus, cien , l'ennemy eſtant pres , ſe reſeruans à guiſe
que Belon prend pour le Phænix ; d'autant mel-, d'vne ſacrée anchre pour le dernier mets du ſalut
mequ'ilvient d'Arabie , dont le corps qu'ils font & conferuation de leur ſouuerain : & le reſtau
deſecher , n’excede pas vn étourneau , & ceſte rement d'vne bataille à demy perduë , fi d’auan
maſſe de plumes eſt bien du volume d'vn gros ture l'affaire arriuoit iuſqu'à la perſonne: car ils
chappon : fi que cela les rend fort ſpecieux & ef en ont autresfois remis Tus de bien eſbranlées,
pouuentables par meſme moyen , joinct lesgroſ comme on peut yoir au ſeptieſme de ceſte Hiſtoi
ſes & longues mouſtaches heriſſées qu'ils entre re , d'Amurath contre Vladiſlaus Roy de Hon
tiennent tout expres , le reſte de leur barbe eſtant grie, pres de Warne : eſfans tous ſi loyaux & bien
razé . Il n'eſt pas neantmoins loiſible à tous de affea ionnez à leur maiſtre, qu'ils endureroient
porter indiferemment ces pennaches, mais à ceux pluſtoſt mille morts que de luy faire iamais faux Lezele
Penna là tant ſeulement qui ont fait quelque acte ſignalé bon, ny le laiſſer expoſé au moindre danger, mais & fideli
ches fi- à la guerre , & tué beaucoup d'enneinis: ce qui ſe mettroient mille & mille vies , fi autant en pou té desla
niſſaires
gne de connoiſt à la quanţité de ces plumes . Quand ils uoient auoir , pour ſa gloire, reputation , & gran .
enuers
vaillan- ſont en paix & repos ils en y ſent plus ſobrement, deur : auſſi appellent- ils communément quand il leur
me pas & ne portent aucunes armes , li ce n'eſt vn cou marche en camp perſonnellement , Bali ſababa, Prince,
Turcs, fteau attaché à la ceinture pour leurs menuës ne l'Empereur noſtre pere , & luy reciproquement
les
de Chalcondile .
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les tient comme pour ſes enfans. De fait , quelque ce qui n'eſt aucunement vſité parmy eux , car ils
grief forfait qu'ils commettent la premiere fois, yiuent d'vne meilleure fraternité, paix , & amour,

li d'auenture ce n'eſtoit à la guerre ; car rien quel & vnion par enſemble ; fi que quiconque pouffe
conque ne s'y pardonne , iuſques melme aux le moindre, tout le reſte du corps & maſſe generale
s'en ſent offenſé, & ne ceſſent qu'ils n'en ayent eu
moindres fautes , ( dont pour les plus atroces its
tiennenteſtreles querelles & batteries , & les lar la raiſon : parquoy ils ſont d'vne grande authori
recins & pillages ſur le bon - homme : quand bien té & reſpect enuers tous ; leur eſtant meſmement
ils auroientmaſſacré & volé quelqu’yn , encore permis de chaſtier à coups de baſton le premier
que la Iuſtice parmy les Turcs ſoit tres-rigoureu venu pour la moindre inſolence qu'il puiſſe com-,
ſe, li ne les feroit -on pas mourir pour cela,ny ſouf. mettre & le plus ſouuent ſans occaſion , ſans qu'on
frir autre punition que de les caſer. Au demeu leur oſe contredire ne s'y oppoſer:Ce qui fait que
. rant les autres offenſes plus legeres ſont chaſtiées les Ambaſſadeurs & les eſtrangers onc accouſtu
Taiabaßi par leur Odaobaſi, ou lalabaſ!, de quelque nom mé d'en auoir touſiours quelques - vns à leur ſuit
Cente- bre de coups de baſtons , ou de lattes, dans leurs te , pour la garde, ſeureté & conſeruation de leurs
nicr. chambres ou pauillons à part pour ne les diffamer perſonnes, maiſons, & familles , ſous la charge
en public : à quoy fi d'auenture les Chefs deſſuſ d'vn Chaoux pour tant plus les authoriſer , à ce
dits conuenoient , & qu'ilsnedonnaſſent le cha qui ne leur foit point fait de tort ny outrage , à
ftimant sequis & enjoinct par leur diſcipline, quoy les Turcs ſont aſſez enclins , meſmemeng
auant que le laiabafsı en ait connoiſſance, celuy eſtans yures ; & pour ce deuoir ont de ceux auſ
là le va denoncer à l'Aga , & checaya , & eux aux quels ils aſſiſtent, quatre ou cinq aſpres le iour
Baſats, ſi c'eſt choſe qui le merite ; dont le dize pour leur deſpenſe , auec quelques autres paſſe
nier meſme en porte la peine, fuſt qu'il y allaſt droits & commoditez ,li qu'ils peuuent eſpargner
de la vie , s'il n'allegue quelque peremptoire cx leur ſolde , outre l'eſperance qu'ils ont, qu'apres
Confor. cuſe pour ſa deſcharge.De maniere que leur re s'eſtre bien & ſoigneuſement acquittez enuers
mité des glement eſt exact , & fe conforme en beaucoup ceux à qui on les donne par leur interceſſion ils
Ianiſlai- d'endroits à l'ancienne diſcipline des Legionnai pourront paruenir à quelque grade plus honora
res du
Turc, res Romains, telle que la deſcrit Polibe au ſixieſ ble,ou augmentation defolde.
auec les me de ſes Hiſtoires de la maniere de camper, & ce Les laniſſaires au reſte font la garde à tour de Gardes
anciens meſmement qu'ils ſont departis par chambrées, roollc en nombre incertain , quelquesfois plus; des Ia
,
legion- que les Romains appelloient coniubernii , les Ef quelque autre moins,tant au Serrail, que par les
naires
ruës & carrefours de iour & de nuidt , tant pour
RO . pagnols Camerades, mais elles vont aucunement
mains. d'une autre ſorte que ne fait pas à ce propos : & obuier aux debats , & aux larrecins , qu'aux acci.
tout ainſi que chaque chambrée auoit ſonCapdeſ dens qui pourroient ſurucnir du feu , à quoy Con
cadre & vne beſte de voiture auec ſon condu
ftantinople pour eftre la pluſpart baſtie de bois
cteur ou callo , pour porter leurs tentes, hardes, & eſt fort ſujette. Et là deſſus il n'y aura point de
menuës neceſſitez , & prouiſions, de meſme les mal de toucher icy quelque choſe de leur regle
Ianiſſaires parce que leur ſolde eſt ſi peu de choſe ment & police du guet pour les occaſions deſfuldi. La polis
qu’à peine leur peut- elle ſuffire pour viure , en tes . En premier lieu les Turcs eſtans mortels en- ce pour
core qu'ils ne boiuent point de vin , principale nemis de toutes noiſes, contentions, & querelles , la nuit
en Tur
ment à la guerre ſur peine de cinquante coups de comme eſtans plus rallis que nous de leur naturel,
baſton ; & ſoient ſi ſobres au ſurplus , que vous join &t qu'ils ne boiuent point devin :celaleurel quie ,
en nourrirez vingt de ce dont quatre de nos moin bien aiſé d'y remedier ; Car pour le regard des lar.
dres ſoldats ne ſe voudroient pas.contenter , ou recins, & du feu , toutes les villes ſont departies &
tre ce qu'il leur faut des goujaz & des garces , & ordonnées par quartiers & parroiſſes à leur façon,
aux autres rien de tout cela : le Prince a accouſtu . dont l'un d'eux ainſi que pourroit eſtre enuers
mé de leur fournir pour chaque dizaine ou cham nous quelque Marguiller , tient le regiſtre des
breyn cheual pour porter leurs hardes & proui chefs d'hoſtel: & chacun d'eux eſt tenu de faire
le
ſions : & de vingt en vingt yn Chameau , qui leur guet de nui & à ſon tour ; ou bien s'il ſe veut
porte pareillement deux petites tentes , auec au exempter de ceſte coruée, payer quatre ducats à
tant de gros tapis pour dormir deffus , & leurs ceux qui la feront pourluy tout le long de l'an : G
vſtancilles; quine ſonttoutesfois pas grand cho qu'il . aduiendra , parce que perſonne n'en eſt
ſe , ains quelque mefchante marmite pour faire exempt, qu'vn luif, vn Chreſtien , & yn Turc , fe
Tzophra cuire leur viande , & vn Tzophra ou bourſe de ront en vne meſme nuict tant qu'elle durera ceſte
rable & cuir pour manger deſſus. En temps de paix à ronde en leur quartier, auec vne torche ou lanter
Dappe Conftantinople , & autres lieux où le Turc a ac ne à l'vne des mains , & vn baſton en l'autre : que
. Tur
quer . couſtumé de faire ſejour , ils - logent auſſi par s'ils rencontrent quelqu'vn faiſant mal,ou qui ne
quc , chambrées , dont il y.enal'vn d'entr'eux qui va ſoit de connoiſſance , ils le meinent ſoudain en
au marché, car ils mettent quelque nombre d'af- priſon : s'ils trouuent yn huys ouuert , ils font
pres par iour comme il a efté dit cy -deuant des condamner à l'amende le maiſtre de la maiſon ,
Anemoglans , mais ces Ianiſfaires ont plus de parce que palſée certaine heure de nuiet chacun
moyen ; pour auoir vn peu de pain & dechair , du eſt tenu de fermer la porte , à cauſe quela laillant
tis , & du beurre , des aulx & oignons, & ſembla , ouuerte , ſoit par melgarde ou nonchalance , les
bles victuailles de petit prix ,dont ils fe maintien larrons prenañs de là occaſion d ' ? entrer , celuy
nent fort fobrement : & le dernier venu fait la qui eſt lors en garde en ſeroit reſponſable ; cač
-cuiſine, lequel ſauue par ce moyen fa deſpenſe; tant des larrecins, que du feu ;c'eſt luy à qui l'on
aðili bien la ſolde qui n'eſt que d'un aſpre & de s'en prend le premier : à raiſon dequoy ſoudain
-my pariour, ou deux pour le plus à peine y pour , que quelque feu ſe manifeſte efpris en vne che
foit-elle fuffire & faudroit qu'il fift ſon cas à part : minée ou autrement , la garde en ya ſoudain ada
s
Illuſtration ſur l'Hiſtoire 75
74
uertir le maitre du logis , que s'il eſt Chreſtien , Ils ſont encore departis aux Chefs d'armées,
Belle die
pour fi peu qu'il puiſſe durer ,il eſt condamné en & d'ordinaire aux Saniaques & Gouuerneurs de ſcipline,
Ia ſomme de cent eſcus : & s'il aduient tant ſoit
Prouinces , comme pour vne ſuitte & parade ho
Punitiós peu de dommage, tout ſon bien en eſt confiſqué,& noraire de leur dignité : Pour executer aufli leurs
du feu. par fois perd la vie encore : ce qui eſt cauſe qu'ils commandemens : & n'y a ville, bourg,ne village,
font petit feu , principalement pource que la pluſ où quelques -vns de ces Ianiſſaires ne reſident,
part des maiſons ſont de bois, & couuertes de pour empeſcher les emotions & tumultes qui
chaulme : parquoy ils ſont ſoigneux de faire ſou pourroient ſourdre: & garantir les Chreſtiens, &
uent ramonner leurs cheminées. De meſme tous les luifs paſſans , ou qui y ſont habituez de pied

les artiſans qui trauaillent de feu , commeOrfe ferme, des outrages & inſolences de la multitude
ures , Mareſchaux , Serruriers , & ſemblables, Turqueſque. Il y en a meſme touſiours yn bon
ſoudain que le Soleil ſe couche fi l'on trouue du nombre pour ſeruir d'eſcorte aux Carauanes con
feu en leurs forges & officines, ils ſont punis en tre les affauts & agreſſions des Arabes , & autres
leur endroit d'yn correſpondant chaſtiment. Les ſemblables voleurs qui les eſpient és deſerts &

autres boutiques ſe ferment vn peu deuant qu'il paſſages des grands chemins. Les autres quine
ſoit nui & clole : non à ſerrures & verroux par le font mariez , qui eſt la groſſe flotte des laniſſai- " Jadilai
dedans , mais à cadenats en dehors : & pluſieurs res reſidans ordinairement à la Porte, ont pluſieurs res non
marchands bien ſouuent laiſſent de grands ſacs quartiers aſſigne Conſtantinople pour leur maficz,
& leurs
pleins de leurs denrées hors deſdites boutiques, retraicte en temps de repos & ſejour , où ils lo
departe
auec deux groſſes pierres deſſus ſeulement, ſans gent ſous la conduite de leurs Chefs , les Obdo, mens à
qu'ifleur en ſoit fait tort quelconque : car ces gar baßià ſçauoir ou dizeniers, quiont chacun vingt Cóſtan
des -là font la ronde, & tournoyent inceſſamment alpres le iour : & les issabaßi ou Cinquanteniers tinople ,
de coſté & d'autre , qui empeſchent qu'on n'y cinquante : leſquels Chefs qui ſur le nombre de
touche point , parce qu'il n'eſt loiſible à perſonne douze mille laniſſaires peuuent faire plus de trei
d'aller de nuict par la ville , s'il n'eſt bien aduoüé zecens , vont à cheual magnifiquement equippez
& conneu . eux & leurs montures : veſtus au reſte d'une autre
Des Ianiſſaires puis apres il y en a quelques forte que les ſoldats; car par -deſſus leur doliman
Vanillai.
Yes ma. vns de maricz , mais non en grand nombre , ils ontyn caftan ou longuerobbe dedrap de ſoye,
ricz , eſpandus par les villes & bourgades tant de la & broccador , & en la teſte au lieu de la Zarcola ,
de la Natolie : viuans là auec leurs yn bourc ou haut bonnet à la marineſque , dont la
Grece , que
mefnages de la ſolde qu'ils tirent du Prince, poincte ſe replie quelque peu en auant , enrichy
tranſmuez en vne penſion qui leur eſt aſſignée ſur d'vn beau cercle d'or tout eſtoffé de pierreries,
le reùenu des lieux meſmes. Et quand il cît que aucc le tuyau de meſme, dont part au ſommet yn
ſtion de quelque guerre proche de là , on les y ap grand pennache de plumes d'aigrette qui ſe re- .
pelle ſous les Beglierbeys , & Sansaques : mais le hauſſe droit contre -mont : de ceux -cy ils ſont
plus ſouvent on les employe par la mer ſur les deux ou trois cens qui accompagnent le Prince
Charica. Vaiſſeaux où ſe dreſſent les ieunes
. Ianiſſerots, qui quand il ſort dehors pour aller faire ſon oraiſon
ble con- font le ſeminaire & pepiniere des Ianiſſaires : ou çà & là és Moſquées, car ils ſont lors quelque
Gdera deux mille Janiſſaires à pied ordinairement auec
bien s'ils ſont habituez à Conſtantinople, l'on a
tions
pour des de couſtume en conſideration de la charge qu'ils luy,pour yneplus grande monſtre & parade: joint
Turcs, ont de femmes & enfans, à quoy leur ſolde ordi le grand bourdon qu'ils portent au poing , ( c'eſt Boards

naire malaiſément pourroit ſuffire , de les depar- vne groſſe lance plus longue beaucoup que les no- beilique.
tir aux Ambaſſadeurs, & autres qualifiez eſtran ſtres & creuſe dedans, mais renforcée tout du long
ſelon qu'il a eſté dit cy -deſſus : Bien eſt auec de la colle forte , & des nerfs hachez menu,
gers ,
vray que le Prince leur fait grace ordinairement comme ceux qu'on applique aux rondelles , &
d'vn aſpre par iour , pour chaque enfant qui leur peinte de quelque gayes couleurs & fueillages :
les Houſſarts , gendarmerie Hongreſque en
vient à naiſtré, & à quelques-vnsdauantage, ſe
lon la recommandation & faucur qu'ils ont, pour vſent ,) & à l'arçon delaſelle le pauois enrichy Bufen
les ayder à efleuer , attendant qu'ils ſoient en de meſme : & le Bufdeghan ou maſſe d'armes : malie
aage de faire ſeruice. Ceux pareillement quicaſo que ne feroient douze ou quinzecens cheuaux des d'armes,
ſez de vieilleſſe , ou pour quelque bleſſeure ou noſtres,

autres indiſpoſitions & empeſchemens ne peu FINAL EMENT il y a le grand Aga ou L'Ag *
uent plus porter les fatigues accouſtumées : ou Coronnel d'iceux Ianiſſaires qui commande à ou Co
qui pour autres occaſions ſont licentiez de leur tout ce gros regiment , & a vinge eſcus par iour ronnel
place de Ianiſfaires , on les depart tout de meſ d'appoinctement , outre fept mille ducats de des. 1a
niſſaires,
me en garniſon , comme on fouloit faire les an Timar ou penfion par an , aſſigné ſur vn reuenu
ciens Veterans Romains apres auoir accomply qui en vaut bien dix : & fieſt habillé par le Prin
& parfaict le temps de leur milice à porter les ce cinq ou fix fois l'an de riches broccadors &
armes , & ont ſemblable prouiſion pour leur nour fourrures de grande valeur , auec des diſtribu
Affareli, riture que les maricz : ou bien font faits Affareli, tions & liurées qui luy ſont fournies iournelle
mortesa a ſçauoir mortes -payes des villes , chaſteaux , & ment,de pain ,ris ,chairs, foin , & orge, pour en
payes, fortereſſes , leurs chefs, capitaines & chaſtellains, tretenir ſa famille qui eſt fort ample , comme de
auec vne penſion equiualente à la ſolde qu'ils ſou plus de trois cens bouches, & yn grand nombre
loient auoir : de ſorte qu'ils ne peuuent tomber de cheuaux , pour donnerauffiyn repas deux fois
en neceſſité pour le ſurplus de leur vieilleſſe, co la ſepmaineaux Ianiſſaires , & leurs Chefs ſubal
qui les rend tant plus prompts & 'affection ternes, leſquels ne faillent de ſe trouuer tous les
nez à s'expoſer à tous les hazards & dangers de matins à ſon leuer , pour luy faire la cour , &re
laguerre çevoir ſes commandemens. C'eft vne charge de
fort
e
ondil
76 de Chalc . 77

fort grande authorité & pouuoir , comme d'yn preſtea delaſcher : dont la moitié, à ſçauoir ceux
qui commande à ceuxdeſquels deſpend la conſer à la main droicte , ſont tous gauchers, & au con
uacion de la vie du Prince , & ſon maintenement traire à la gauche droi@tiers : afin qu'en tirans,s'il
à l'Empire : de maniere qu'il a accouſtumé d'en en eſt beſoin ,ils ne ſoient contraintsluy tourner le
pouruoir celuy qu'il eſtime luy deuoir eſtre le dos , qui ſeroit enuers eux vne irreuerence trop
plus fidele, & le plus ſouuent luy donner ſes fil grande, & entierement illicite. Ils ont de douze a
Ies , fæurs, ou telles plus prochaines parentes en quinze aſpres le iour, & deux accoutremens cha
mariage. Et toutes les fois que le Turc ſort pour cun an , tous d'une parcure,d'vne juppe de damas,
aller à la Moſquée , cét Aga chcuauchetout ſeul ou de ſatin blanc, qui leur arriue par derriere iuf
à par luy derriere la trouppedes Ianiſſaires,mon ques à my - jambe , comme fait auſſi leur chemiſe
té ſurquelque chcual de prix , dont le harnois eſt blanche & deliée qu'ils laiſſent flotter par - deſſus
garny de tres - riche pareures & orfeureric : mais leurs gregues : mais les pants de deuant ſone
luy encore dauantage, il y a ſix ou ſept ans , que plus courts , & retrouſſez encore à leur couffac ou
lAga qui eſtoit pour lors achepta de certains Ita large ceinture tiſſuë de ſoye & defil d'or : en late
liens vn rubis ballay , du poidsd'vneonce , octo ite ils ont yn bourc ou hautbonnet broché d'or, ac.
gone, & plat comme de l'eſpoiſſeur de deux io compagné d'un cercle & tuyau d'or auſſi ou ar
condalles , & beau en toute perfection , qui auoit gent doré, enrichy de quelques pierreries ſelon
eſté autresfois de la maiſon de Laual , pour la ſom leurs moyens : du haut duquel par vn beau grand
me de douze mille eſcus : c'eſt dommage qu'vne pennache blancauecyn gros floc de plumes d'aie,
telle piece ait eſté alienée hors de ce Royaume ; grette , comme il a efté dit cy - deſſus des Ianiſſaj .
car outre ce qu'elle fut venduë à vil prix , ou plu res: outre leur arc qui eſt doré , & leur trouſſe P2 .
ftoft que ce barbare la retint de puiſſance abſoluë, reillement, d'ouurage damaſquin , ils ont le cime
l'acheptant , & payant encore à la diſcretion, terre à la ceinture & le poignard. C'eſt la princi
malaiſément s'en pourroit -il gueres recouurer de pale & prochaine garde du corps, qui empeſche
ſemblable : mais on me dira que toutes ces beatil quand lePrince va par pays que perſonnen'en apo
les- là ſont choſes mortes , inutiles & ſuperfluës, proche, ſinon ceux qu'il fait venir parler à luy : &
ne ſeruans que de deſbauchement . Ie l'aduojë le premier Baffa , ou viſir , quià toute heure le peuc
certes : mais de priuer du tout les perſonnes des aborder à la guerre, mais non au Serrail, ſi ce n'eſt
plaiſirs & contentemens qui ſe peuuent receuoir aux heures accouftumées, ou qu'il le mande. Que
de ce que produit la nature de beau à l'ail , & in s'il ſe rencontre quelque riuiere , ils la paſſent à
different,ce ſeroit le reduire au rang , & pis encoa guay joignant ſon chedal,& s'il eſt beſoin nagene
Lc Mai :
fre de re, des beſtes brutes . Au reſte cét Aga a ſous luy tous coſte à coſte, car ils ſont duits à ce meſtier. Si
Camp vn checaya ou Protogero , qui eſt comme vn Maiſtre l'eau leur arriue aux genouils, ils ont accouſtume
deslanil . de Camp , ayant connoiſſance de tout ce qui peut d'auoir en preſent vn eſcu chacun : ſi elle paſſe la
faires & ſuruenir entr'eux , & qui les concerne iuſques à ceinture,deux:ſi plus haut;trois:ce qui ſe doit en
ron ap
poincte les ranger en bataille quand il faut combattre. Ila tendre à la premiere tant ſeulement, car de là en
ment. quatre ducats par iour, & ſix cens de Tinuar par an ; auant ils n'ont rien . Et fi elle eſtoit par trop roide
lazgi, auec vn quzgi ou Eſcriuain pour faire les roolles & profonde , on les fait monter à cheual, parce que
Secres & tenir le regiſtre deceſte charge , appoincté à ſont ceux qui en ce cas prennent gardede la per:
taire ou deux eſcus par iour , ſans aucun Timar ny autre ſonne,où ils ont fait ſouuent de fort grādsdeuoirs,
Greffier. choſe que ce qu'il peut pratiquer de ſes emolu comme au paſſage de l’Euphrate en la Meſopota
mens & profits qui ſont grands : car il prend ic mie à Sultan Solyman ; & au precedent à ſon pere
ne ſçay quoy ſur la paye des laniſſaires: fi qu'il Selim , & à fon biſaycul Mehemet contre le So.
entretient plus de cent cheuaux , deſquels il va ac- phy Roy de Perſe. Et à ceſte cauſe ils campent
compagné quand il marche. Au ſortir de ceſte touſiours aupres du pauilló Imperial:tout de inef
ne l'aduance à autre plus grande,on 2
charge, fion me que les Capigi, ou portiers; cftans la dernieró
de couſtume de luy donner yn subſlic ou appoin reſſource du Prince en vne grande extremité ſi el .
ctement de cent mille afpres par an , qui peuuent le aduenoit , & qu'il fuſt contraint de ſe retirer ,
reuenir à deux mille de nos eſcus. accouſtumez au reſte de longue -main à courir
VOIL A à peu pres ce qui concerne ce regiment preſqu'à pair d'vn viſte cheual. En temps de paix
& milice des Ianiffaires,par le moyen deſquels les & derepos ils ne logent pas au Serrail , ains à la vil
Turcs ont eſtably & conſerué iuſqucs icy ceſte le en leur quartier , & ne ſont obligez à aucunč
groſſe maſſe deMonarchic , ſans iamais encore garde, ny ſubjets à autres coruées que d'accompa
perdre ny relaſcher vn feul pied de terre qu'ils gner le Seigneur quand il ſort dehors en pompe&
ayent vne fois empieté. parade pour aller à ſesdeuotions és Moſquées. Ils
Archers De la fleur & eſlite de ces douze mille bra font departis ſous deux solachbaſsi qui ont chacun
de la
ues ſoldats de race & ſemence Chreſtienne , re quarante aſpres par iour : & leur checaya Con
garde du
corps du Gdans continuellement à la porte & ſuitte du troolleur, & lazgi Eſcriuain ,à l'equipolent,ainſi
Turc , Turc , ſe prennent en premier licu quelque qua queles autres : le tout ſous la charge & comman
dits les tre ou cinq cens Archers pour la garde du corps, dement du grand Aga , comme aulli ſont les cinq
Solachs.
appellez solachi , plus ou moins , ſelon qu'il luy cens Capigi ou Portiers, qui ſe créent des laniſlai
plaiſt :mais au reſte tous vieils routiers des plus res ;auec leurs Chefs & Conducteurs, & montent
experimentez & vaillans . Ils vſent d'arcs & de de degré en degré ſelon leurs merites, & les preu
fleſches, & non d'arquebuzes , de peur d'effroyer ues qu'ils s'efuertuent de faire.
Armes, ſon cheual , & de l'offenſer quant à luy de la fu En ces trois ordres , neantmoins tous d'un
& accou.
ftremés mée de leurs mefches , parce qu'ils marchent toû corps , les ſimples Ianiſſaires à ſçauoir , les Capi.
des So- jours cofteà coſte tant à la ville comme au camp, gi , & solublar, conſiſte toute l'infanterie de la
lachs, l'arc tendu , & la flefchc encochée deſſus la corde, Porte , & ſuitte ordinaire du Turc ; qui ſe remplift

1
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ſtr atio oir
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iſt
Illu ſur l'H 79
28

& abrcuue de main eit main de la pepiniere des eſté dit cy - deuant : & gardent que perſonne n'y
Taniflerots,dont il a efté parlé cy -deſſus: fique iuſ entre auec armes. Seruent encore à donner la
qyes à preſent rien ne le peut imaginer de mieux queſtion & torture où il eſchet : & ſonten ſom
ordonné : fileur trop grandesricheſſes & pouuoir me ainſi qu'Huiſſiers , qui en ſemblable ont pris
ne les deſbauchent & peruertiſſent, comme les au leur ancienne appellation des huis qu'ils gar
tres Monarchies que le luxe a eſté cauſe de renuer dent ,dont on dit encore chez les Roys, & les
ſer & faire perdre: car il n'y a rien de permanent Princes , Huiſſier de chambre , Huiſſier de ſalle,
icy bas : mais la pluſpart du temps nous allons au parce qu'ils en gardent l'entrée . Ceux -cy à la
deuant du coup , & accelerons nous - melmes no guerre font de meſme la garde à l'entrée du logis
ſtre ruine , & extinction , ſans cela auſſi bien ine du Turc , à ſçauoir au pourpris de ſes tentes &
uitable à la longue . pauillons , & ont de douze à quinzo afpres le
les Cu CES Capigo ou Portiers en nombre ordi iour , auec quelques accouſtremens, ſemblables
pigi ou nairement de trois cens, font la garde à tour de à ceux des laniſſaires , excepté qu'ils ſont un peu
Por
tiers , & roolle departis de cinquante à ſoixante, plus ou plus riches , & portent comme eux la Zarcola
leur moins ſelon que les occaſions s'en preſentent, à blanche, mais toute brochée d'or traict , & non ra.
battuë en arriere ainſi que l'autre : leur Capigibaſi
charge. la premiere & ſeconde porte : & par fois tous
enſemble quand on Ambaſſadeur va baiſer la ou Chef, a trois ducats par iour , avec vne bonne
main au Seigneur , ou fi quelque Santa que ou penſion ſurle domaine ou Timar: & ſous luy trois
Baſſá retourné d'vn ſien voyage & entrepriſe. Boluchbaſsi Capitaines , qui ont cinquante aſpres :
Ils introduiſent auſli les iours du Diuan ceux qui le checaya ou Controolfeur quarante , & le lazgi
ont affaire au parquct de l'audience , comme il a Eſcriuain , trente .

DESC
to custories are created Gogic clod Stecosto . ochabandoned

DES GENS DE CHEVAL

DE LA PORTE .

ESTE maintenant la Caualerie iuſqu'à crente afpres: & de vingt en vingt il y a


de la Porte & ſuitte du Turc , la yn Boluchbaſsı qui commande , ainſi qu'eſtoient
quelle conſiſte de meſme que preſque les Decurions en l'ancienne gendarmerie
l'Infanteric ſuſdite , toute de Romaine; lequel en a quarante : le spacchi aga ou
Chreſties Mahometiſez.Et tour leur Coronel a quatre ducats ; & deux ou trois
ainſi que les moins fauoris Aze mille de penſion annuelle ſur le Timar : car apres
moglans & Janiſſeros, apres auoir eſté longuement le laniſeraga ceſte charge eſt des plus honorable
endurcis & exercitez aux trauaux & mef -aiſes de la Porte. Son Checaya.ou Controolleur enavn :
paruiennétà eſtre Inillaires, tous gens de pied ;en & l'Eſcriuain , demy.
ſemble les pages& enfans nourris & eleuez dans Les selectars, c'eſt à dire,gauchers,nedifferent Selitars.
les Serrails , principalement en celuy de Con en rien des Spacchis , fors du nom , & de ce qu'ils
ftantinople pres de la perſonne du Prince,au par marchent à la main gauche, dont ils ſont ainſiap
cir de la montent tous au rang de gens de cheual, pellez , car au reſte il ſont en parcil nombre , &
payez & entretenus en deniers comptans ſur ſes traittez de meſme.
coffres : Car les Turcs naturels font appointez Le s vlufagi ne ſont que deux mille, departis vlufagi.
ſur le Timur qui ſont reuenus fermes aſſis ſur le ſous deux Cornettes, & deux Capicaines, leſquels
domaine . ont chacun trois ducats par iour. Leurs Bolshebaſsi,
· Garde , Et en premier lieu les spacchis, & Spaoglans , en & officiers à peu pres ainſi que les autres : Ceux
ordinai- nombre ordinarement de trois mille , qui logent cy marchent derriere le Prince pour yne forme
res à
chcual en diucrs quartiers de Conſtantinople , dont il d'arriere - garde ; & n'ont pas tous efté nourris és
duturc, n'eſt poſſible de voir rien de plus ſuperbe ny re Serrails , commeont eſté les precedens, ains en y
Spacchez, marquable, ne inicux en ordre cux & leurs mon a de meſlez parmy , quiayans fait preuue de lon
& spao- tures. A la guerre ils marchent & campent à la gue main à la guerre de coſté & d'autre ſont ad
glans.
main droicte deleur Prince commeils font auſſi, uancez au rang de ces vlufagi.
mais deux à deux , quand ils l'accompagnent à la Les Carip: en nombre de mille n'ont pas eſté Curipii
Moſquée, non tous à vne fois , ainsla tierce partie non plus nourris és Serrails , ny ne ſont pas ef
tant ſeulement , pour euiter la confuſion d'vn ſi claues comme les autres , ains la pluſpart ſont
grand nombre de cheuaux : car il n'y en a yn ſeul Mores , ou Chreſtiens reniez , qui ont fait le train
de tous ceux - cy qui n'en entretiennent deux ou & meſtier de pauures aduanturiers : car ce mot
trois pour lemoins , ſelon qu'ils ſontappoinctez , de Caripi ſignifie pauure , & eſtranger aufli , qui
parce que pour chafque cinq aſpres de iournelle aucė. les vocangi , & Aziepes ſont par leur dex- Accangi ,
ſolde, ils ſont tenus d'auoir autant d'hommes à terité & valeur paruenus au rang des gens de Azepes,
chcual entretenus à leurs deſpens à la guerre: ſi cheual de la garde du Prince : Ils marchent aueç
queceluy qui en a vingt , eft luy quatrieſme: & les plufagi à main gauche au derriere de luy , &
par ce moyen les huict inille qui font d'ordinaire ont de dix à douze aſpres leiour,ſanseſtreobligez
à la ſuitre du Turc , en font plus de vingt . Ils ont d'entretenir plus d'vn cheual s'il ne leur plaiſt.
doncques chacun par iour,les vns plus, les autres Leur Aga en a cent , & leurs membres & officiers
moins ſelon leur merite & faueur, depuis quinze a l'equipolent:
PARMY
80 de Chalcondile . 81

PAR M .Y les Spachis , ( mais il faut entendre montrer quelque choſe, eſtans proſternez contro
que ſous ce mot ſont compris aufli les selittars , & terre ſans leuer l'ail , tiennent attachées au bout
en ſomme toutes ſortes de gensde cheual , comme d'une canne , & les luy preſentent , qu'il atta
ſous les laniſfaires, toutes manières de gens de che à ſon Tulban , pour eftant de retour au Serrail,
pied ) il y a de leurs enfans receus qu'on appelle leur faire raiſon là dellus. Il s'en ſert encore à
Spaoglás spaoglans , leſquels ne ſont pas proprement el porter ſes mandemens de coſté & d'autre, & tien
libertini, claues , comme leurs peres ont efté, bien que tous nent en ce cas lieu d'Huiſſiers : meſme à prendre
ou au corps , & conſtituer priſonniers iuſqu'aux
af. Turcs en general, ainſi qu'il a eſté dit cy -deuant
franchis
ſe diſent Culi ou eſclaues du Prince , neantmoins plus grands , voire les executer à mort de leur
RO
mains, ils jouyſſent des meſmes gages & priuileges du propre main ſur le ſimple commandement à bou
pere , s'il s'eſt bien porté : mais pource que cela chedu Prince , ou de quelque Tejquere, & com
fe continuoit à perpetuité de race en race , ainli million du Diyan , laquelle apres auoir communi
qu'à nous enuers la nobleſſe , il tireroit en preju qué au Saniac ou Gouuerneur de la Prouince , ou
dice pour les droits du Prince , leurs iinmunitez en ſon abſence au Cadi ,ſubaſi, ou Iuge du lieu,
ſe terminent communément en deux ou trois ge pour auoir main - forte s'il en eſt beſoin , ores que
nerations , s'il neluy plaiſt les leur prolonger d'a ce fuſt le saniac propre , il eſt creu , & obey tout
uantage , ſi qu'ils reuiennent lors au rang des ſur le champ , car la reſiſtance n'auroit point de
Turcs naturels appointez ſur le Timar . Les armes licu , joinct qu'ils ſont tous ſi obeyſans à leur
dont ils vfent ſont l'arc , le pauois, partuiſane, za Princé , que ſans autre ſubterfuge ny contradi
gaye: mais plus courtes que celles des Mores , & &tion ils preſenteront alaigrement leur teſte,
Arabes qu'on appelle les Zenetes , d'où eſt venu quand bien il n'y en auroit rien par eſcrit de ligne
le mot de cheuaucher a la genette , auoc la hache à ny de ſeellé : & leSchaoux l'apporte à la Cour pour
la ceinture quant & lecimeterre,le poignard , & teſmoignage de ſon execution , là où quelquesfois
la maſſe d'armes à l'arçon de la ſelle. Toutes ces il y en aura vingtou trente pour yn ſeul iour , on a
quatre trouppes de Caualerie font la garde à tour occouſtumé auſſi de departir de ces schavux aux
de roolle autour des pauillons du Turc quand il Ambaſſadeurs , & autres perſonnages de qualité,
eſt en camp : & à la paix és iours de Dinan ils ſe auec quelques laniſſaires auſquels ilscomman
tiennent debout en la ſeconde porte à la main gau dent en cet endroit : & ce comme pour vne for
che du coſté des eſcuries , & l'accompagnent me de ſauue- garde al encontre des inſolences &
quand il ſort dehors , en nombre chaque trouppe outrages qu'on leur pourroit faire autrement ſans
de cinq à ſix cens . cela : car ils ont le pouuoir de chaſtier à coups de
Voil A la Caualerie de la ſuitte & garde or baſton ceux que bon leur ſemble , ſans qu'on leur
dinaire du Turc , tant à la paix comme à la guer ofaſt reſiſter , dont ils commettent aſſez d'abus&
re , qui peuuent faire vingt mille cheuaúx , à ſça de concuſſions, parce qu'ils ne font ſous-mis no
uoir quelques ſept ou huict mille maiſtres, & le reſponſables à perſonne qu'au Prince ſeul , & à
ſurplus, de leurs eſclaues & valets qu'ils entre fon Dinan : Toutesfois ils ont yn Chef appellé le
tiennent de leur ſolde , & ne font moins bons Schaoux -bafsı , lequel a trois ducats par iour , auec schnoucket.com
combattans qu'eux : car en toute la domination plusde deux mille de penſion ſur le Timar chacun bai ,
du Turcil n'y a pointde Princes ne de Gentils an , & deux Caffetans de drap d’or , ce ſont de lon- Chef
desMac
hommes , ny ſemblables diſtinctions de nobleſſe, gues robbes qui ſe portent lans ceindre par dela fiers,
qui ſe puiſſent dire plus genereux que le populai ſus le doliman , auec trente ou quarante aſpres
re, ains ſont toutes creatures viuantes compoſées d'appointement le iour . Et tout ainſi qu'il a eſté
de chair & d'os , de nerfs & de ſang, bien qu'il y dit cy - deuant des Ianiſſaires , il n'y a Chef d'ar
en ait , ainſi que par tout ailleursauſſi
, bien que mée , Beglierbey, ne saniac , qui n'ayent quelques
parmy les beſtes brutes,deplus courageux & yail yns de ces Schaoux aupres d'eux , pour execu
lans les vns que les autres .. ter leurs commandemens , & pour les autho
Schwoux. SVIVENT maintenant les schaoux , ou Mar riſer en leurs charges , car on leur porte yn grand
fiers , gens de cheual pareillement , en nombre reſpect.
de cent cinquante plus ou moins , car ce n'eſt OVIRE ce que deilusil y a vne autrebande
pas vne compagnie arreſtée , toutesfois en plus de trois cens hommes de cheual appellez Mute. Mutefes
haut grade que lesprecedens : car leur charge s'e. ferega qui vaut autant à dire comme gens viuans raga,
ſtend en plus d'une ſorte , eſtans en premier lieu ſans ſoucy , leſquels ont de quarante à cinquante gés ſans
loucy :
ce que ſouloient eſtre les Fecialiens aux Romains, aſpres le iour , & approchent aucunement de
& les Herauts en noſtre endroit : de faict le Turc l'ancienne inſtitution des deux censGentils -hom
ſe ſert d'eux à enuoyer faire les defiemens en mes de la maiſon du Roy , qui y ſouloient eſtretant
l'hoſtilité , ſommer les places de ſe rendre , for ſeulement appellez des vieils Capitaines , & au
mer quelque complainte ou demande , porter tres hommes de valeur ayans longuement leruy
meſſages & ambaſſades aux Potentats eſtran à la guerre pour vne recompenſe de leurs meri
gers . Item à la guerre ils ſeruent comme de fer tes & trauaux , ſur leurs derniers iours : enſein
gens de bande, pour ranger les gens en bataille, ble quand quelqu'vn aura fait vne ou plu
& leur faire garder l'ordre qu'ils doiuent tenir : ſieurs ſignalées preuues de la perſonne , & qu'il
que ſi quelqu'vn ſort de fon rang; ou qu'il fift eſt deſormais aduancé ſur l'aage , le Turc a de
ſemblant de tourner le dos au combat , ils le ra couſtume de le pouruoir d'vne place de ces Mu
meinent à coups de maſſe, qui eſt la ſeule arme, teferaga , qui varient de nombre à tout propos, car
& marque qu'ils portent . A la ville ils marchent cela deineure à la diſcretion de les croiſtre ou di
deuant le Prince quand il ſort dehors , afin de fai minuer : & ne ſont point tenus à aucune faction
reretirer le peuple, & faire large : Prennent quant ny coruée , non pas mefme d'aller à la guerre
& quant les requeſtes, que ceux qui yeulent re quand bien le Seigneur dreſſeroit vne armée
‫ في‬ii ‫ز‬

5
82 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
83

Imperiale pour y aller en propre perſonne:neant du pain , à la guerre ils ne ſçauent preſque quc Leur fo .
moins G la vieilleſſe ou indiſpoſition ne les en em c'eſt, hors quelque biſcuit, qui n'eſt pas encore brieté, &
peſche , ou que le voyage ne fult trop loing - tain, commun à tous, des aulx , des oignons, & vn peu park .
ils ne faillent gueres de l'accompagner :commeils de ris,auecmoins encore de Paftrem.ch ,ou de bre- monic:
font auſſi tous les Vendredis quand il va faire ſon fil , les voila repeus & contens, ainſi que nous ſe
oraiſon à la Moſquée en pompe & parade . Au 1 rions aux nopces.De regretterde voirleurs biens,
camp, ſi le Prince y eſt en perſonne, ils ſont com heritages , & poffeffions, leurs belles maiſons á
mis à la garde des bannieres & eſtendars, lors la ville, & leurslieux de plaiſance aux champs,
auec les commoditez qui y ſont, point de nouuel
Emiralė, qu'on lesdeſploye, ſous la charge de l'Emıralem
Gonfal ou Gonfallonnier
general,pour les garder . les de tout cela pour leur regard , quand bien ils
lonnier demeureroient cinq ou fix ans fans retourner à
general ,
Les forces des Empereurs Othomans , compo leurs meſnages : car ils n'ont rien en propre ſi
,
ſées de Turcs naturels. que leurs tentes & pauillons ſont plusmagnifi
ques , que les baſtimens où ils reſident de pied fer
I v S Qv E s icy a eſté parlé des gens de cheual me , joint que le plus beau , & plus precieux de
& de pied reſidans continuellement à la Porte pres leurs meubles , qui conſiſtent en l'equipage de
la perſonnedu grand Turc , là où eſt la principale leurs armes ,, & de leurs chcuaux , ils le trailnent
leurs armes
aſſeurance & reſſource : tous venus de Chreſtiens
par tout auec eux. Pour tous vſtanciles ,& meu
naturels dont ils furent engendrez : & eft vne cho bles , car ils n'ont couches , tables , dreſſoüers,
ſe trop merueilleuſe , voire preſque comme in bancs, chaires, ny eſcabelles,lingeny tapiſſeries,
croyable, qu'vne petite poignée , à maniere de ny vaiſſelle, ils ont vne belle nappe de cuir qui
dire, de gens de pied tels que de dix à douze mille, s'ouure & ferme comme vne bourſe de gettons,
& quelque peu moins d'hommes de cheual , puiſ & n'eſt point de beſoin de la mettre à la lefliuc
ſent ainſi donner la Loy à vne ſi grolle malle pour la 1eblanchir , vn petit vaſe de cuir qui ſe
d'Empire : & tenir en bride vn fi grand abyline ploye auſſi, pour boire de l'eau : yn petit chaude
de Turcs naturels portans les armes , en nombro ron couuert , qu'ils portent à l'arçon de leur felle,
de plus de quatre ou cinq cens mille cheuaux : & où en allant le peut cuire leur viande par le moyen
de gens de pied , ainſi que le ſablon de la mer ,mef d'vne lamine de fer elchauffée qui eſt au fonds : &
mement y ayans vne fi iufte occaſion d'enuie & vn large plac de bois ou eſcuelle pour dix ou dou
d'emulation , de ne ſe voir iamais aduancer , ny en ze : auec quelquemeſchant tapisou nåtte de joncs
eſperance , de l'eſtre , à aucune charge ne dignité , & roicaux , à s'eſtendre deſſus pour dormir : leurs
mais au lieu d'eux eſtre promeus à toutes, depuis cheuaux n'ont iamais non plusde rattelier, ny de
les moindres iuſqu'aux plus grandes , des Chre mangeoire ,ny littiere,vn peu d'herbe, ou de pail
ſtiens reniez , ſi qu'eux eſtans nez libres de condi le hachée , auec vne poignée d'orge au ſoir , les
tion , le peuuent dire ſerfs & eſclaues de ceux qui maintient forts & vigoureux , detreſbon trauail
le ſont : creue- cæur certes inſupportables pour & longue durée . & ainſi comme ils font vne del
des gens qui auroient du cæur : Par où ſe peut af pence tres- petites, peu de ſolde leur ſuffit auſſi,
fez connoiſtre ce que peut d vn coſté l'inclination car ils ne ſçauroientdefpendre homme & cheual
naturelle , car les Turcs de Toy font fort gens de ſelon qu'ils viuent , ſoit en voyage par pays , ſoit
peu , & de l'autre la nourriture & accouſtumance au camp , la valeur de trois fols par iour à tout
à la peine, melaiſes, & ſobrieté, & le bon ordre, rompre. En apres le Prince quiprojettede longue
Pre
diſcipline , & obeyſſance en des gens de guerre. main ſes entrepriſes & expeditions,a loiſir de fri
uoyance
Ainâ refirent anciennement redouter les Perſes, re ſes preparatifs, & pourvoir de viures par les du Turc:
& eſtablirent ce bel Empire qui dura iuſqu'à Ale lieux où ſon armée doit paſſer, leſquels il reuend
xandre fils de Philippes,s'eſtansrelaſchez à la fin à ſes gens de guerre, & gaigne beaucouplà detſus,
par leurs voluptez & delices ,ainſi les Lacedemo outre ce quela pluſpart d'iceux luy eſt fournie &
niens & Macedoniens , & ſur tous autres les Ro donnée gratis par ſes ſubjects, de maniere que là
mains . Ainſi la domination s'accreut des Circal où tous les autres Princes deſpendent infiniment
ſes, & Mammelus en Egypte, Arabie,Surie , ſous en leurs guerres , luy ſeul au contraire fait és fien
le Souldan du Caire : & de meſme tant que les nes vn grand gain & profit : car il ne luy eſt point
Turcs ſe maintiendront comme ils ont fait iuf de beſoin de mettre la main à la bourſe pour ſoul
ques icy , ils ſeront , au moins ſelon le diſcours
doyer des eſtrangers : toutes les forces qu'il a font
humain , inuincibles. d'ordinaire entretenuës auſſi bien en temps de
OR pour eſclaircir comme ce tant redouté paix que de guerre . Surquoy il faut notter qu'en
Monarque peur d'ordinaire entretenir yn ſigrand toute ceſtelarge & ſpacieuſe eſtenduë d'Empire,
nombre de combattans, meſmennent à cheual , les il n'y a homme quel qu'il ſoit , ſi ce ne ſont d'ad Perſon
charrier par pays, & nourrir tous enſemble en yn uenture les Chreſtiens , dont la condition en ce ne ne
ſeul corps d’armée, voire en des pays par fois ſte cas eſt encore pire , & plus onereuſe, quiſe puiſſe poſſede
riles ; il faut en cét endroit preſuppoſer beaucoup dire auoir vn feul poulcedeterre et propre à luy des ter
res en
de choſes : & en premier lieu le peu de delicateſſe ny aux fiens, tant s'en faut qu'il peuft eftre ſei propre

Endur de ces gens-là, tantau viure , loger , que veftir, & gneur iufticier de quelque chaſteau , bourg , ou en toue
leur endurciſſement d'eux & de leurs montures , village, ny autre terre & ſeigneurie, ny auoir des l'Empi
ciffe .
mēt des car ils n'ont pas meilleur temps , & ne font pas ſubjects & vaſſaux ſous luy ; ains eſt tout le do- re du
Turca
Turcs plus à leur aiſ
durant le fejour à la paix , qu'au maine departy aux yns & aux autres par forme
aux me camp , ayans aés leur enfance accoutumé de vi dvſufruitt ſeulement; & encore non pas à vie,
Saiſes,
ure comme de rien , à guiſe preſque des Canie mais tant qu'il plajſt au Prince de le leur conti Timar
,&
leons, au prix de nous : & coucher en tout temps nuer & laiſſer , ce qu'ils appellent delà Timar,
ſur la dure. Aurefte ils ne boiuent point de vin : qui ſignifie Friiets , & les Timariats, ſont ceux qui riots.
jouyſſent
1
84 de Chalco .
ndile 85

jouyſſent de ces terres & heritages , à la charge & tant pour les coſtes & Illes qui luy ſont ſubjectes;
condition de ſeruir à la guerre en propre perion que pour les groſſes flottes de vaiſſeaux qu'il peut
ne , auec autant d'hommes & de cheuaux de fer mettre dehors à toute heure , horſmis le golphe
uice , comme leur Timar , par l'eſtime qui en eſt Adriatique , & la mer Inferieure comme on l'ap
faicte, vaut de deux mille cinq cens alpres, ou cin pelle , depuis le Far de Meſſine iuſqu'à Marſeille,
d'ordinaire montez
quante eſcus, & les entretenir & de là iulqu'au deſtroit de Gilbatar en Landa
& armez à leur mode , pour eftre preſts de mar loulie, qui eſt toute du nom Chreſtien.Mais pour
cher à toutes heures qu'on leurmande , & ce lur venir au particulier , en Europe le Turc poffede
peine de la vie ,car rien ne les en ſçauroit excuſer toute la Hongrie à ceſte heure, & yne encoigneu
qu’yne maladie . Outre ce deuoir & ſubjection re des appartenances de la Pologne vers Chionie
qui tient aucunement de nos bancs & arriere le long du fleuue Boriſtenes , ou Nieper ,qui s'ent
bancs, ils payent encore vne rcdeuance du dixieſ va tomber dans la mer Majour vers Moncaſtre,
me du reuenu , lequel vient de net au Chafna ou anciennement Hermonaſſe : la Tranſſyluanie,
threſor de l'eſpargne. Que s'ils ont des enfans qui Moldauic, & Valachie , luy eftans non ſeulement
ſoient en aage de porter armes , & propres à faire tributaires , ains du tout à la deuotion . Le long
ſeruice apresleurdeceds, ou en defautd'eux quel du Daņube de coſté & d'autre il occupe tout , la
ques parens tant ſoit peu conneus & fauorilez ,on Seruie , à ſçauoir , ou Mylie , tant la ſuperieure
a de couſtume de leur continuer ce Tim.ir aux que l'inferieure:Raſcie ,que Strabon & Ptolemée
meſmes charges , ſinon l'on en pouruoit d'autres, appellent les Scordiſques , & quelques autres la
mais il faut là deſſus entendre que li l'heritage & Dardanie , c'eſt la Boſcine de maintenant : Plus la
poſſeſſion paſſe de reuenu annuel la ſomme de Bulgarie ou Triballiens , & le long du golphe
quinze mille afpres ;qui ſont trois cens eſcus, ceux Adriatique la pluſpart de l'Eſclauonie, Croatic,
Subaßi, qui le poſſedent ne ſont pas appellez l'imarlots , Dalmatie , & l'Epire, auiourd'huy Albanic. La
fuges de ains subaße leſquels adminiſtrent la iuftice du Grece toute d'un bout à autre auecle Peloponeſe
rcliden- lieu ſous l'authorité du Saniac de la Prouince , ou Morée , & les Illes adjacentes de toutes parts.
ce ou
Chaltel- de façon que cela ſe rapporte en tout & par tout à ' La Macedoine, Theſſalie, & la Thrace,iuſques
lains . nos anciennes Chaſtellenies. au deſtroit de Prerop , & plus haut encore , où il
Poincts CELA permis ; il y a icy trois ou quatre prin va confiner aux Mofcouites & Tartares vers le
nota cipaux poinets à toucher : le premier l'eſtenduë Tanaïs , des modernes appellé le Don . Et pourre
bles de de cét Empire , le plus grand de tous les autres prendre la marine de ce coſté -là , qui ſe va rendre
re Tur: qui furent oncques dont il ſoit memoire, apres où nous auons dit cy - deſſus, tout le pont Euxin
quel. le Romain , auec les Prouinces y annexées , & le ou mer Majour , ( les Turcsl’appellent Caradenis,
que . reuenu d'icelles, les officiers principaux : le nom la mer Noire , ) auec ſes riuages tant en l'Europe
bre des forces des Turcs naturels de cheual , & de qu'en l'Alie , eſt de ſa domination : puis la Pro
pied , tant par la terre que par la mer , ſur quoy , & pontide , Hellefponte, la mer Egée,ou Archipel,
comment ſontſoudoyées & entretenues ; & leur Phenice , Ionie , enſemble toutes les Illes y con
maniere de camper , enſemble l'ordre de ſe ranger tenuës horſinis scyo,Leſbosou Methelin , & quel
LesPro- en bataille & combattre. Tov premierement ques autres de peu d'importance , qui luy ſont
bicem
de . doncques la domination du Turc s'eſtend és trois
l'Em ncantmoins tributaires , à trop meilleure & plus
Pire parties de la terre habitable, Europe, Alie, & Afri fructueuſe condition pour luy , toutesfois , que G
Tur que , à ſçauoir du Leuant au Ponant , depuis le elles eſtoient reduites abſolument fous ſon obeïf
quef feuue de'Tigris, qui borne la Perſe & Eltat du ſance & ſubjection , car toutes les fois qu'il luy
que,
Sophy , du coſte de la Meſopotamie , iuſques à la en prendroit enuie illes pourra empieter d'heure
Cirenaïque d'Afrique, voire iuſqu'au de troit de à autre, les choſes eftans és termes où elles ſont,
Gilbatar vers Marroc en la Barbarie le long de la auſſi bien comme ila fait Chypre , & eft en danger
cofte d'Afrique , car tous les Roy's & Seigneurs de faire Candie qui n'y pouruoira . En ASIE,
particuliers qui y ſont , luy rendent obeïllance & l'Empire de Trebizonde, auec la Mengrelie , &
payent tribut : le long de la mer Mediterranée en Zorzanie confinans d'vn cofté aux Tartares , c'eo
l'Europe , il ne paſſe pas la Valonne , toutesfois ftoit l'ancien Royaume de Colchos tant fameux
plus auant dans cerre il s'eftend iuſqu’à Trieſte pour la Toiſon d'or , & le voyage des Argonau
en l'Eſclauonie deuers la mer Adriatique , mais à tes. En apres la Gallatie ou Gallogrece , Cappa
prendre plusauant dansla terre, depuis Babylone, doce, & Paphlagonie : la Caramanie confequem
juſqu'à Seghet qui n'eſt qu'à deux petites iour ment qui conſiſte en la Cilicie , Cycie , Lycao
nées de Vienne en Auſtriche , d'où iuſques de nie , & Pamphylie : Toute la petite Armenie ou
s
Conſtantinople tant ſeulement, qui n'eſt pa la Aladul , y comprisles monts du Taur, & de Caut
moitié du chemin de ce grand trauers ; il y a plus caſe en vulgaire Cocaz : l'Anatolie , ou A fie mi
de quatre cens lieuës, & plus de cinq cens de la neur , & Turquie , où ſont contenuës Bithynie,
iuſques ſur les frontieres de Perfe.DuSeptentriort Lydie, Phrygiè, Meonie, Carie. Item toute la Su
d'autre part au Midy , depuis Capha qui eft vers rie, & Phenice: l’Aſſyrie,ou Aſamie, ( l'ancienne
les palus Meotides, & le fleuue de Tanaïs,iuſqu'à Chaldée ) dont Babylone , Brg.idet , ou Baldach ,
la ville de Siené en la baſſe Ethiopie , où à peine eft le chefencore: Medie , & Meſopotamie qu'ils
les armes Romaines penetrerent oncques , & à appellent le Dierbech, l'Arabie pierreuſe , & la
l'emboucheure de la mer rouge , il y a plusde mille deferte où ſont les villes de Medinatalnabi, & de la
licuës , le tout ſans aucune interruptiond'vn ſeul Mike : å vne portion de la fertile ou heureuſe, au
pied de terre : car les Turcs marchent toufiours de moins le redoutement du nom Turquelque s'e
proche en proche en leurs conqueſtes. ſtend iuſques -là. Et finalement en Afrique toute
A v regard des iners , toute la Mediterranée à l'Egypte, qu'ils appellent Mitzır , du mot Hebriew
péu ptes ſe peut dire efre fous fon obeyſſances Mizrafim , angoiſſes, dont le Caire eſt le ſiege ca
d iiij

1
87
86 Illuftrations ſur l'Hiſtoire

pitalà ceſte heure, & la reſidence du Baſſa , Gou à ces lais charitables , ne peut aiſément reuoquei
uerneur de ceſte Prouince , qui s'eſtend iuſqu'au ne diſtraire à autres vlages par les Seigneurs qui
Royaume d'Alger le long de la coſte , & plus de viennent apres , ains demeure perpetuellement
cent cinquante lieuës contremont le Nil . affecté à cela.

LE REVENV DV TVR C. OVTR E le Caraxx deſſuſdit ,dont les Turcs


Impofi.
ſont du tout exempts , les Chreſtiens, les luifs, & tió pour
To vs les Chreſtiens, & les Iuifs qui viuent les Turcs meſmes payent certain autre impoſt an- la 'del.
ſous l'obeïſſance du Turc ſont eſcrits au papier nuel, qu'on appelle pour la deſpence,à ſçauoir les pence
domc
Carazzi, du Carazzi , depuis qu'ils ont atteint l'aage de Iuifs, & Chreſtiens trente aſpres pour tefte, & les
tribut. ſtique,
quatorze ans ( i'entends des malles , car les femel
Turcs vingt -cinq,qui reuient à plus de douze cens
les en ſont exemptes ) qui eſt certain tribut en ar mille eſcus tous les ans , car il n'y faut pas com
gent qu'ils payent pour teſte, ſelon la taxe qui ſe prendre les gens de guerre,ains les Laboureurs &
fait ſur l'eualuació de leurs facultez & moyens, au Marchands ſeulement.
teſmoignage & rapport de trois Turcs naturels,, ITEM pour chaſque chef de beſtail,de quelque Tribut
ne pouuant toutesfois exceder deux cens afpres, ſorte indifferemment qu'il puiſſe eſtre , d'ynaſ- ſur le
qui fontquatre eſcus , nyauſſi eſtre moindre que pre, àvn aſpre & demy:dequoy on peut faire eſtat beſtail.
d'un eſcu , auec quatre aſpres outre cela pour les à plus de quinze cens mille eſcus.
frais de la cuillette des deniers . Et pource que ce Il y a puis apres touc le reuenu des Serrails, Revena
fte taxe demeure à l'arbitre des Turcs , il s'y com & autres lieux que le Turc ſe reſerue pour ſon des moi
ſons
met de grandes iniuſtices & meſchãcetez , dautant vſage, auec le domaine, & les heritages qui en
Royal
qu'eſtans corrompus par les riches , la charge ſe dependent, ce qui tient lieu de plus de cent mille les.
rejette ineſgalement, comme il aduient par tout eſcus chacun an , & eſt reſerué pour la deſpence
preſqu'ailleurs, ſur les pauures & foibles, quiſont de bouche.
contraints la pluſpart du temps de donner leurs TOVTES les minieres demetaux, ſels,alums,
enfans pour eſclaues en lieu d'argent, ſoulphres, terres ſigillées, bole armenien qu'on
propres
pour n'auoir dequoy ſatisfaire à ceſte charge & appelle azurs , & autres couleurs , & ſemblables
impoſition , & à d'autres dont ils ſont ſurchargez matieres foſfiles, douze cens mille.
encore , meſme pour l'entretenemeng des Matte Les douanes , traictes foraines, daces,ſubſides,
lots & gens de rame , quand on dreſſe quelque ar & impoſitions ſur toutes ſortes de denrée ; qui en
Le ca- mée demer.Ce Carazzi doncques, peut arriuer trent & ſortent de Conſtantinople, Gallipoli , le
tazzj du pour le iourd'huy à bien deux millions d'or de li Caire, Tripoli de Surie, Baruch , Damas , Alep,
Turcar- quide , par communes années , & plus : Car du Babylone, & c . deux millions d'or.
rinc à
deux temps de Bajazet , il y peut auoir quelques qua L'e profit des lettres patoltes , graces ,priuile
millions tre- vingts & dix ans , par la deſcription qui s'en ges , , paire
d'or fit, ſe trouua enuiron le nombre d'vnze cens dou centmille.
chacun ze mille Chefs de Chreſtiens: & ſous ſon fils Se Les aubaines & confiſcations,cinq cens mille :
an.
lim biſayeul d'Amurath qui regne à preſent,trei car cela s'eſtend bien plus loing qu'enuers nous ,
ze cens trente-trois mille, outre les priuilegez & & y eſt bien mieux meſnagé, parce que le Turc
exempts , n'eſtans encore annexées à l’Empire bien ſouuent eſt heritier vniuerſel de tous ceux
Turqueſque, la Surie, & Egypte , la Meſopota- qui meurent ſans hoirs , tant des immeubles que
mie , & Armenie, queconquiſt iceluy Selim: So des meubles : & y a des Threſoriers à part pour le
lyman priſt apresla Hongrie, & Rhodes : & ſon ſoliciter & pourſuiure , appellez Petalmagilar , Petal
fils Selim Chypre , ſi que le Carazzi peut bien S'il y a des heritiers, il prend la dixieſme partie magilar;
Threſo .
arriuer de net maintenant aux deux millions d'or de tous les meubles .
rier des
deſſuſdits,outre toutes les non- valeurs qui y peu Les deniers reucnans bons par la mort , ou confil
demiſſion des officiers & Timariots , d'autant cations
Fonda- uent eſchoir , & encore plus. Bien eſt vray , que
tiós des là deſſus a eſté aſſigné par les Empereurs Turcs que cela ne paſſe pas leurs ſucceſſeurs,ains retour. & aubai
nes.
Turcs. l'entretenementdes Moſquées & Hoſpitaux de ne au profit du Prince, quatre cens mil eſcus.
leurs ſepultures, comme de Mehemet ſecond,qui Ce qu'iltirede la monnoye, cent mille.
reuint å cent mille ducats par an de deſpence , à Les preſents qui luy ſont faits de toutes parts,
Imarath, quoy eſt affecté le Carazzi de Coron , Modon, & meſme en temps de guerre par les Officiers des
Hoſpi .' Lepantho , & Patras. Et de Bajazet , tout plein Prouinces , à l'enuy l'vn de l'autre, ſont eualuez
tal, d'autres reuenus de coſté. & d'autre. Quant à Se par cominune eſtimation à plus de trois cens mil
lim le biſayeul de celuy qui regne, pourcequ'ilne le eſcus par an , deſduits ceux qu'il fait en con
conquiſt rien ſur les Chreſtiens , ains ſur les Ma tr'eſchange.
hometiſtes tant ſeulement, comme ſur le Cara En ce que deſſus, quieft extraict des relations
man , le Sophy, & le Souldan du Caire,ilfit lå fon des Bailes ou Ambaſſadeurs que les Venitiens
dation de ſon imarath , ſur le domaine , & non fur tiennent d'ordinaire à Conſtantinople, qui ſont
le Carazzi. Et ſon fils Solyman au rebours, parce tenus,commepar tout ailleurs où ils en ont aupres
qu'il eſtendit toutes ſes conqueſtes ſur le nom des Princes & Potentats de leur apporter de trois
Chreſtien , horſmis quelques entrepriſes qu'il fit en trois ans , vn diſcours bien ample de toutes les
contre le Sophy , pluſtoſt par oftentation & bra affaires des lieux où ils reſident , n'ef compris le
uade, que pour y rien empietter de pied ferme, il reuenu du Royaume de Chypre , puis n'agueres
aſſigna le ſien , dont le baſtiment couſta plus de annexé à leur Empire , qui peut reuenir par an de
douze ceps mille efcus, fansles inarbres, & autres cinq à ſix cens mille eſcus. .
precieuſes eſtoffes qu'ilenleua d'infinis endroits, Il y a puis apres les tributaires , comme du co
ſur le Carazzi, quimonte plus de ſept vingtsmil Ité de la Barbarie tous les Roys , & Seigneurs
le eſcus tous les ans: & ce quieſt vne foisdeſtiné particuliers qui commandent en Alger, Thunes,
Telenkin ,
88 de Chalcondile . 89

Telenſin , Tripoli , Fez , Maroch , les Gerbes , & viande , qui ſe feruent quatre fois la ſepmaine au
autres , cela peutmonter , compris les preſents & Diuan , ne ſçauroit moins monter de cent mille el.
paffe -droits qu'ils font aux armées de mer , à plus cus , attendu le grand noinbre debouches qui'vi
de cent mille eſcus l’yn portant l'autre tous les uent ſur ſes cuiſines ; & le deffroy des Amballa
ans. deurs , & ſemblables perſonnages de qualité qui
De la Pogdanie & Valachie , vingt mille eſcus. reſident aupres de luy ; auſquels ildonne iournel
De certains endroits de Hongrie , trente mile: lement certaines liurées & diſtributions de ris,
Tranſſyluanie , quinze mille : Raguze , douze grains,chair, foin ,orge, & autres telles victuail
mille : Schio , qui eſt ſous le gouuernement des les : & certesſi ce n'eſtoit leur parſimonie , proui
Geneuois . dix mille . Toutes les autres Illes de ſions de longue-main , comme en demeures de
l'Archipel ,qui viuent encore ſous leurs ſtatuts en pied - ferme, leur ſobrieté & bon meſnage, ils n'en
quelque formede liberté , car de la religion , il ne Teroient pas quittes, au moins nous, lil'on y veut
Poſte à perſonne , dix mille : Le Duché, d'Arego, comprendre les larrecins qu'on appelle practi
pour toutes charges, a compoſé à douze mille. ques, pourquatre ou cinq fois autant.
Et finalement pour la deciine qu'il tire de tout Ses Eſcuries , y compris les achapts de che
Eſcurics,
lc Timar ou domaine departy à la gendarmerie uaux , & les preſens qu'il en fait de coſté & d'au
Turqueſque,lequel , comme nous le monſtrerons tre , auec leurs riches harnachemens: Ceux qui
cy - apres, arriue à plus de vingt millions d'or , on les penſent , & leurs ſuperintendans, & officiers, à
peut faire eſtat de deux millions pour le Prince . cent mille autres eſcus pour le moins.
Le reue SOMM E toute que peut monter ſon reuenu Son Argenterie eſt immenſe ,car il donneà in Argen
,
nu du annuel , enuiron douzemillionsd'or ; ce qui cor finies perſonnes de fort riches accouſtremens d’eſ- terie.
Turc
reſpond & ſe rapporte aucunement au calcul carlatte , de draps d'or , d'argent , & de foye de
paflo
Louze qu'en fait noſtre Autheur vers la fin du huictief toutes ſortes , & d'exquiſes fourrures : Puis là
millions me Liure . dellus viennent en jeu ces riches meubles,les pier
d'or. reries qu'il achepte, les armes , harnois de che
DESPENCE SVR CE ..
uaux , vaſes,couppes, baſſins, & autretelle yaiffel
L'ENTRETE NEMENT de douzemille 12 le & buffets d'or & d'argent , qui en ſont garnis &
Les gens
de pied niſlaires qui reſident d'ordinaire à la torre, y com eſtoffez comme par delpit : de maniere que cela
de la pris les sollachs, & les Capige, qui ſont du nombre, ne fe peut bonnement limiter : toutesfois ie me
Corte. fuis laifle dire à certains Turcs , & luifs geoal
& tous gens de pied venus d'enfans de Chreſties,
auec l'eſtat de leur Aga , Capitaines & autres liers, gens d'entendement , & qui eſtoient em
membres , & officiers , les appoinctemens & ca ployez en ces affaires , que la moindre année il y
pelouldes aux vns plus qu'aux autres,leurs accou- delpend plus d'un million d'or : Bien eſt vray
îtremens , armes , poudre d'arquebuze , balles, qu'outre le deſſuſdit reuenu ferme, il a beaucoup
arcs ,Aeſches , ſommiers pour porter leurs baga de parties caſuelles qui s'employent preſque tou
ges & hardes , tentes & autres telles commoditez , tes en cét article, & le fuiuant.
car le Prince les entretient & defraye de tout ; ne Ses menus plaiſirs ordinaires ne ſont que de Menus
ſçauroit moins monter qu'à quelques cent eſcus quarante eſcus par iour, mais ce n'eſt que ce qu'on plaiſirs,
par an l'vn portant l'autre , qui ſeroient douze luy met tous les matins dans ſes pochettes, pour
cens mille eſcus, joint ce qu'il donneauſſi aux la donner çà & là par les menus , tant lors qu'il ſort
de fon Serrail
niſſerots en attendant qu'ils ſoient pourueus, car par forme d'aumoſnc emmy les
il en a touſiours quatre ou cinq mille de reſerue ruës, que dans iceluy à ſes domeſtiques quand ils
pour le rempliſſement de ſes bandes : Bien eſt yray font quelque exercice d'armes à ſon gré: car il y a
que la pluſpart gagnent leur vie . bien d'autres largelles à yau l’année qui ſont plus
Les gens Les huict mille que spacchis , que seli &tars, & rudes & peſantes; comme des plaiſirs qu'il reçoit
de che- Vlufagi qui font, auec leurs couſtilliers entrete en bouffons, feux artificiels , jeux , & lemblables
nal de la
Borre. nus, bien vingt mille cheuaux , on les peutmet paſſe-temps: de iuuer à dez ny à cartes , cela leur
tre , y compris leurs habillemens , montures , & eft defendu en la Loy . Au moyen dequoy , par
autres prefents , paſſe -droits, & fur-graces qu'ils commune eſtimation , l'on peut bien mettre icy
ont du maiſtre aulli : à cent eſcus par an , tant les pour ce feul article , cent mille autres eſcus pour
le moins .
maiſtres que les valets , ce qui reuiendroic à deux
millions d'or. SA Venerie & Fauconnetie , ſelon qu'il a eſté Veneric
Si que ces forces de la Porte , qui paſſent en pom ſpecifié cy - deſſus, à plus de cent mille l'vn por- conerie.
pe & parade toutes les autres qu'a le Turc ; font tant l'autre .
auſſi l'vn des principaux & plus lourds articles de Ils ſont au reſte ſi peu curieux de baſtir, que Baſtia
ſa deſpence. cecy re peut paſſer comme en blanc : toutesfois mens,
Dome Qvant à la maiſon , il entretient plus de il y a eu des Einpereurs Turcs qui ont fait d'extre
niques deuxmillebouches dansſon Serrail, ſelon qu'on mes deſpences.
& mai- a peu voir cy - deuant : Tous leſquels outre leur Hors de ſon Serrail il entretient plus de Entrets
deffroy de bouche , ont des gages, & accouſtre trente mille artiſans , qui ont tous de luy gages nement
Turc ,
mens , la pluſpart fort riches . A les prendre donc outre leurs manufactures : comme Armeuriers, d'Artia
ſans .
ques ſeulement à cinquante eſcus pour teſte ; cela Selliers , Eſperonniers , Mareſchaux , Tentiers,
arriueroit à vn million d'or , car il y a pluſieurs Conducteurs de chameaux & beſtes de ſomme;
Serrails outre celuy de Conſtantinople, où il en & autres ſemblables , qui à les prendre de fix iur
tietientde ces Azemoglans, & des officiers pour ques à dix afpres le iour , arriueroient à plus de
lc feruice de la perſonne. douze cens mille eſcus par an .
Chábre
Sa chambreaux deniers ou deſpenſe de bou L E s gages de ſes principaux Officiers, & les d'on Gages
aux de
niers. che , y compris ces ſix cens plats ou baſlinš dě pieſents qu'il leur fait outre ce qui leur eſt affigné ciers.
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 91
90
ſur le Timay ou domaine , plus de deux cens d'entendre leur fai &t , cllargiſſent à plus de cent
mille. millions d'or , qui ſont ( diſent-ils ) és ſept tours
Les Serrails des Dames qui y ſont gardées dont nous parlerons cy - apres . Les autres qui
pour ſon yſage,li bon luy ſemble en nombre tres ſont parauenture plus clair- voyans, & qui exa
grand de coſté & d'autre , iuſques à douze ou minent de plus pres leurs affaires , ont opinion
quinze cens , voire encore plus, tant pour leur vi que le Turcmeſme eft court d'argent, & neceſſi
ure & veſtemens, & les dons qu'il leur fait de gra teux la pluſpart du temps ,quelque bonne mine
ce extraordinaire en les mariant, que pour ceux qu'il falle : & là deſſas alleguent ce qui ce dit meſ
qui ont la charge de les garder & ſeruir , plus de me par -delà de Ruſtan Baſſa , que la cauſe prin
deux cens mille eſcus. cipale de ſon aduancement enuers Solyman , fut
Lais pi Les fondations des Moſquées & Hoſpitaux fa dexterité à trouuer des inuentions pour luy
toya de ſes predeceſſeurs iuſques icy , montent à ce amaſſer des finances , iuſques à vendre des meſ
blcs , &
fonda . que i'ay peu entendre , compris les æuures pi chantes hardes & deſpoüilles,priſes ſur les Chre.
tions toyables que le Prince fait durant la vie , & les ſtiens, eſtant lors le Chaſna ou threſor de l'eſpar
d'Hoſpi- entretenemens de ces lieux , auec les baſtimens gne fort eſpuiſé : auquel en l'une des chambres
taux. 1des autres qu'ils fondent pour le ſauuement de d'iceluy eſtoit taillé en groſſes lettres ſur la porte;
leur ame , ſi au moins il y peut auoir falut hors LES FINANCES ACQVISES AV PRIN
de l'Egliſe de Dieu Catholique, à plus de ſix cens CE PAR LE MOYEN ET DEXTERITE
mille eſcus , mais cela va ſur la deduction de leur DE RVS TAN . Lequel, comme porte yne des
reuenu . Relations des Bailes Venitiens , fe lafcha yniour
E n temps de guerre , encoreque pour le regard de dire , que le Seigneur pouuoit maintenir la
de ſes forces , il ne deſpende point plus qu'à la guerre plus de cinquante ans des deniers ſeule
paix , parce qu'il les entretient d'ordinaire : fi ce ment du chafna ; ce qui reſſentplus ſon odeur
n'eſt' d'aucnture pour quelques azapes gens de d'vne vanterie & piaffe Turqueſque, pour inti
pied , & Turcs naturels ,mais c'eſt peu de choſe : - mider yn chacun, que de vray -ſemblance reelle.
& pareillement que les viures luy tournent à plus Trop bien le bruit commun eſt que Solyman au
de profit que de deſpenſe: neantmoins le train de voyage qu'il fit l'an 1566. en Hongrie lors qu'il
Artille . l'artil lerie , quieſt fort grand en ſes voyag es & en mourut deuant Seghet, auoit portéauecques luy
. trepriſes ; dont ſi c'eſt au loing il fait porter le plus dequarante millions d'or: & que ſon fils Sul
rie
bronze ſur des Chameaux , afin de fondre les pie tan Selim en paſſant par Conſtantinople , pour
ces ſur ces lieux où il en peut auoir affaire : & les aller à l'armée prendre poſſeſſion de l'Empire,
poudres , boullets , cordages , affuts, & tout le youlut ouurir le Chaſna pour prendre de l'argent,
reſte de l'attirail , ne luy peut eſtre que de grands dont il peuſt faire deslargeſſes & donatifs ſelon la
frais : combien que cela n'arriue pas tous les ans, couſtume, aux lanillaires & autres forces de la
La ma
ce nonobſtant il ne laille d'entretenir continuelle. Porte à ſon nouuel aduenement à la Couronne :
rine.
ment plus de quarante mille perſonnes en ſes Ar mais que fa ſæur Camarie veufue dudit Ruftan
cenats , qui à cinq aſpres l'vn portant l'autre ſans luy remonftra,qu'outre ce que leur deffunct pere
les eſtoffes , monteroient à plus de douze cens auoit porté auecques luy vn tres - grand threſor,
mille eſcus tous les ans . A cet article l'on pour ce ſeroit faire un trop grand tort au nom Otho
roit auſſi joindre la deſpenſe dela marine , parce man , & à la reputation de leur Monarchie, d'ou
Arcenal, que cemot d' Arcenal, qui eſt Turqueſque,
con urir le Chaſna pour ſipeu de choſe comme de trois

mot cerne tant l'artillerie que les vaiſſeaux , dont le ou quatre millions d'or, que pourroit monter ce
Tur . Turc entreţient d'ordinaire plus de deux cens donatif, & autres ſemblables frais d'entrée : ler
quel- groſſes galleres, & cent galliottes & fuſtes. Il y quels elle luy preſta tous comptans de ſes coffres.
que , a puis apres la deſpenſe des matelots , forçats, &
gens de guerre , qu'on charge deſſus. Parquoy on Des principaux officiers de la Monarchie
peut bien mettre icy pour tout cela vn million Turgue (que.
d'or : car ſon equipage demer eſt fortgrand : Bien
eſt vray que quand la flotte ſort dehors, ils ont Tov 1 le fait du Turc,tousſes affaires d'eſtat,
de couftumc de ietter yne creue ſur le Carazi de de Iuſtice, police , & finances , auec le train de ſa
demy eſcu pour tefte , car ils n'ont que cet impoſt milice eſt en principale ſuperiorité ſous lemanie
qui puiſſe augmenter, comme à nous les tailles, & ment & conduite de quatre perſonnages ( quel
autres aides & ſubſides. Mais il vaut mieux refer quesfois ils ne ſont que trois ) qui reſident con
uer tout ce fait de la marine ſur le chapitre de tinuellement à la ſuitte , appellez Baſſars ; dont Les Bal
il y en a couſiours vn , à ſçauoir le premier, dit fats.
l'Arcenal,qui eft en Pera, où il viendra plus à pro
pos : il ſuffit d'auoir touché icy en paſſant cétar le viſir , qui a plus d'authorité que les autres ,
ticle par vne commune etimation . non quece rang luy ſoit acquis par l'ancienneté

Ainsi ſa deſpenſe arriueroit à quelques dix de ſa charge, commeà nous pourroient eſtre les
millions d'or , peu s'en faut. Mais tout l'eſtat que Mareſchaux de France : mais ſelon qu'il plaiſt au
nous en pouuons faire eſt en l'air, & comme ſilon Prince de les pouruoir & aduancerà ce titre &
y alloit à taſtons, parce que les choſes ſechangent grade d’authorité, le plus grand de tous . Ce
de iour à autre ſelon le naturel des Princes , & lcs mot au reſte de Baſſa ſignifie Chef, & vifer Con- Le viſir
occaſions qui ſuruiennent meſme en vne telle & fi ſeiller ,parquoy il ſe communique auſſi par for- ou pre
mier
vaſte eſtenduë de Monarchie . A ce compte le me d'honneur aux autres Baſſats ; mais propre
Turc pourroit mettre en reſerue deux millions ment il appartient au premier , comme qui vou- Balla.
d'or chacun an , ce qui ne s'eſloigne gueres de la droit dire Chef du conſeil : car il preſide au Di
raiſon : tellement qu'ils deuroient avoir vn fort uan , dont il a eſté parlé cy -deffus, & depeſche
grand fons,quequelques- yns, qui font profeſſion en ſon logis outre - plus toutes ſortes d'affaires,
fans
74 de Chalcondile .
. 75

fans y appeller ſes compagnons li bon ne luy uenu , qui valent ſix vingt efcus: & en ont quant
ſemble : ce qu'ils ne pourroient pas faire ſans luy, à eux chacun vingt mille de penſion ; le vifir
au moins ceux qui ſontd'importance. Il a en apres vingt -cinq mille, & celuy de la mer quinze mille,
le ſeau & cachet du Seigneur en ſa garde ; dont il aſignez ſur les plus certains & meillleurs en
depeſche ce qu'il luy plaiſt , fans que perſonnely droits de tout le domaine , car ils les choiſiſſent
controolle : Somine qu'il les precede en toutes comme bon leur ſemble,de maniere qu'ils leur ar
choles : & ſont aduancez à ce degré, qui eſt le plus riuent au double, & leurs pratiques encore plus, fi
haut , tant par leurs merites & luffiſances, & la qu'il n'y a Baſj« qui ne puiſſe faire eſtat de pres de
preuue qu'ils ont faicte en d'autres charges , que cent mille eſcuscous les ans ; auſſi entretiennent
par le ſeul bon plaiſir & vouloir du Prince, qui ils ordinairement yn grand train & famille , de
eſtend indifferemment ſes faucurs & bien - faicts plus de trois ou quatre mille bouches , & mille
où il luy plaiſt ; comme il aduint d'vn nommé cheuaux , pour en employer la pluſpart à la guera
Achmat , que Mehemet ſecond de ſimple solach , re . Et n'y a qu'eux outre le Prince , & les deux
fit tout à vn inſtant par certain bizarre caprice Beglicebeos. qui ayent leurs tentes & pauillons
premier Baſſa •Et d'Ebraim qui ſous Solyman de couleur rouge..

eut plus de credit que nulautre d'auparauant, ny


apres : Car il auoit plus de trois cens mille ducat's Des Beglierbeys , & Saniaques.
d'eſtat, & entroit à toutes heures que bon luy
ſembloit vers le Prince, ce qui n'eſt permis à per L'AVTRE dignitéd'apres les Balſats la plus
ſonne, ſans y eſtre appellé de luy . grande, eſt celle des begeurbrys , qui s'eſtend lur Begliera
Ja de OVTRE les quatre Baffats deſſuſdits , il y en le faict de la guerre & des armes ,de la Iuſtice & beys,
js Ad- à vn cinquieſme appellé le Baſſa degnu ou de la police en tout leur departement . Que li l'on en
áral.
mer , qui eſt commevn Admiral, & general de la peut donner quelque limilitude , approchant de
marine , tel que fut ſous ledit Solyman Cairadın noſtre connoillance, le Viceroy deNaples ſeroic
Ba . dit Barbe-rouſſe de par ſon oncle Roy d'Al comme vn Begloerbey , qui commande à tout le
ger , & nagueres Occhiubi, lequel Degnu a ſeance Royaumeen general; & ies Gouuerneurs particu ,
au Druan auec les autres Bafluis, combien que ſa liers des Provinces , qui ſont compriſes ſous ice
reſidence ordinaire ſoit à Gallipoli, & par foisà luy , ainsi que la Pouilhe , la Calabre , Duché de
Pera, où il commande,parce que là eft l'Arcenal, Barri, l’Abruzze, le Capouan , & le reſte ,tiennent
& la plus grande part des vaifleaux , auec l'attiral lieu de Sanjaques , lesquels ont chacun endroita
& equipage de mer : & y commet meſme vn S4 ſoy la gendarmerie des Prouinces compriſes ſous
buſ ou c.ddi pour y. exercer la Juſtice. Ce mot la charge generale du Beglierbey , qui marchent
de Baſſa eſt auſſi deféré aux Beglierbeys , & San ſous lcur banniere & eftindart ; car ce mot de Be

jaques , gouverneurs des Prouinces , & groſſes glierbig emporte autant comme Seigneur des Sei
villes , comme à celuy qu'on appelle le Baſſa de gneurs ; eſtant ce mot de bc ), bien plus honorable
Bude , de la Morée , du Caire , & autres ſembla. que de Beg Seigneur ; comme en Adjumbur Roy de
bles . Et finalement à tous les chefs des officiers, Perſe ; & Tomombor le Souldan du Caire; qui ſont

pour petits qu'ils ſoient ; commeles beftangibaſsi choſe trop plus ſeigneuriale que ſi l'on diloit af
chefs des jardiniers, les Odobaſs, chefs deſquadre fambeg , & 7 omombeg . & 'ayant toute telle diffe
ou chambrées , Chajnadarbaßi, & c. Quantau pre. rence quedu Prince Touuerain aux Seigneurs qui
mier Baſſa ou viſir.il n'abandonne iamais le Prin ſont ſous luy : ou de Monſeigneur à Sieur. Il y a
ce quelque part qu'il aille, ſoit à la paix ſoit à la encore d'autres mots enuers les Turcs de bien
guerre : 6 font bien les autres à qui il donne char plus grande authorité , comme sach , & Sultan
ge d’armées, & entrepriſes d'importance quand qu'on attribučau Prince bien que celuy de sultan
il n'y veut pas aller en perſonne ,tant par la terre ſe confere aufli par vne forme d'honneur aux Baf
que par la mer : commeà Muſtapha Baſſa au Gege fars , & autres principaux perſonnages , neanca
de Malthe : & depuis à Chypre lors qu'elle fut moins par diueries ſortes de locutions: car le meta
priſe: Les Baſſats donnent au reſte audience aux tant au deuant du nom propre , ainſi que, sultan
Ambaſſadeurs, & conſultent de toutes ſortes d'af. Soliman , cela ſignifie le grand Seigneur Solyman ,
faires : Car le Prince ne negocie iamais quant à & le poſtpoſant, solyman Sultan , vn Viceroy ſeus
luy immédiatement auec perſonne que ce ſoit ny lement , Gouuerncur, & Lieutenant general de
ne fait çien fors que par eux & auec eux : voulant quelque Cité ou Prouince. Ainſi ce mot Big ou
Nota- qu'ils examinent& eſpluchent diligemment tou Benc eft vfité pour vne eſpece d'honneur & de
les ad. tes choſes, afin que le rapport luy eſtant par eux courtoiſie, comme ànous lieurtel, ou monſieur :
vertiſſe- fait, il s'en puiſſe reſoudre à loiſir. A ce propos le aux Italiens Signor : aux Eſpagnols Dom aux Ano
iens Roy Catholique Dom Ferrand d'Arragon ſou glois Miller aux Allemans Her, du Latin Herms,
pur les
loit dire , que les Confeillers des Princes eſtoient & ſemblables. Les Beglierbeys au reſte ne ſouloient
Pinces
folue- leurs lunettes : mais le Turc Solyman y adiou eſtre que deux : ccluy de l'Europe u ode Grece
kans . Aoit , qu'il n'eſtoit pas expedient qu'ils commiſ qu'ils appelloient Romlu Romenie : & l'autre de
ſent iamais tous leurs affaires à vn homme ſeul : la Natolie :mais depuis que l'Empire s'accreut,
Parquoy ceſte façon de faire des Turcs eſt vne le nombre des Beglierbeys s'augmenta au moins en
tref - bonne forme de gouuernement ; & vaut l'Aſie: car celuy de l'Europe eſt demeuré ſeul a
mieux la pluſpart du temps eftre vn peu plus pe l'accouſtumé, eſtant bien plus honorable , & de
fent & groſſier , voire comme l'on dit , cheminer plus grandedignité que les autres, parce qu'il rea
à pieds de plomb , és grandes affaires , que ſubtil preſente l'Empire de Grece , où le liege ſouuerain
& haſtif. Ce ſont les Baſſats au reſte qui ordon de toute la domination Turqueſque eſt eſtably à
nent les finances , & qui conferent les prouiſions Conftantinople : Dauantage les gens de guerre ,
des Tifaariots au deſſus de lix mille aſpres de ce qui ſont fous la charge font les meilleurs que le
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
95
94
Turc aye , comme oppoſez , & continuellement droits de Surie ; où ils arriuent par terre ferme de
exercez aux armes à l'encontre des nations Chre l'Afe , & celles d'Egypte par la mer rouge, & les
{ tiennes , bien plus fieres, belliqueuſes & redou Carauanes qui vont à la Mecque. Ce Beglierbeza
tables , que ne Tont les Afiatiques , molles , flac dix - ſept Saniaques ſous luy , & vingt-'mille che
ques , & pufillanimes de leur naturel . Neantmoins uaux desmeilleurs qu'ayepoint le Turc ; comme
s'iln'y a quelque ſoupçon de guerre , ce Biglierbey font auſſi les Ianiſſaires en fort grand nombre:car
de la Grece fait ſa reſidence ordinaire à Conſtan ſon Gouuernement eſt d'vne tres - large eftenduë ;
tinople pres de la perſonne du Prince, qui a de arriuant le long de la marine deuers le Ponantiuſ.
couſtume d'avancer ceſtui- cy touſiours des pre qu'au Royaume d'Alger ; au Midy plus de 150 .
miers à la dignité de Buffa , comme auſſi les autres lieues contre - mont le Nil il s'en va confiner à
Biglierbers en leur rang, car c'eſt le plus prochain l'Ethiopie; & vers le Leuant il embraſſe l'Arabic
Le Be- degré pour y paruenir, En Asie doncquesil y & la Paleſtine : De maniere que le Turc a accou
glierbey a lept Beglierbeys ; & en premier lieu celuy de la ſtumé d'y tenir yn perſonnage de grande authori
de laNa Natolie q
, ui comprend le Royaumede Pont,Bi té & experience , & qui luy eſt tres - conneu & 6
tolic,
thynie,Lydie , Phrygie , Meonie , & Caire : & a delle parce que les Mammclus,dont il y a encore
quatorze mille ducats de penſion , aſſignée ſur le quelques reliquats du temps que Selim pere dc
reuenu du Timar ; & femblablement celle de ſon Solyman conquiſt l'Egypte & la Surie ſur le
Checaya , ou Eſcrivain , qui luy en vallent plus de Souldan du Caire ; leſquels eſpandus çà & là ne
cherchent que quelque occaſion à propos , & vn
trente : car ils les meſnagent, ſans ſes autres profits
& emolumens qui redoublent, & ſous lay douze Chef pour ſe reuolter ; ainſi que pour s'en fallut
mille cheuaux departis ſous autant de Saniaques, n'y a pas encore long- temps , que ſous iceluy So
il fait ſa principale demeure à Burſie. lyman il cuida aduenir d'yn ſien Baffi nommé
Le Bee L E Beglierbiz de la Caramanie commande à la Achmet natifdeTrebizonde , homme fort yaleu .
glserbey Cilicie , Pamphilie, & Lycaonie ,ayant dix mille reux au faict des armes ; qui ayant par luy eſté en
dela CR- ducats de penſion, & fept Saniaquais deſſous luy , voyé au Caire pour reprimer certaine emotion
rama
auecques autant de mille cheuaux . Sa reſidence des Arabes , ſe fit créer Souldan , mais ayant eſté
nie.
eſt à iconium ou Cogni. preuenu auant que de pouuoir eſtablir ſon fait,les
Le Bem ſiens propres l'eſtranglerent en yne eſtuue. Les
L E troiſieſme eſt celuy d'Amaſie ville capitale
slierbey de Cappadoce au Toccat , preſque à deux cens Arabes ſont gens inquietez & grands voleurs,
eſtans continuellement aux aguets de coſté &
d'Ama- lieuës de Conſtantinople; auquel reſortent Ga
latie,Paphlagonie & Trebizonde. Ila huict mil d'autre pour detrouſſer les Carauanes , & les paſ

le ducats de penſion au Timar ; quatre Saniaquats, ſans. Au moyen dequoy le Turc eft contraint
& ſix mille cheuaux deffous luy . d'entretenir ſur les confins de la Paleſtine &
Lc Be Le quatrieſme eſt lauendoli, qui conſiste pour
Egypte quatre ou cinq groffes trouppes d'Ara
glierbey la pluſpart és monts de Caucaſe , auec la Zorza bes, habitans ſous les tentes & pauillons auec leur
de La
ucndoli . nie, & Mengrelie. Ila dix mille ducats de Timar; beftail qu'ils conduiſent ordinairement auec eux ,
ſept Saniaques ſous luy , autant de mille cheuaux; fans iamais ſe reduire dans les murailles, tous cor
auec trente mille urde sou Accanyi qu'il peut le reſpondans á yn Chefappellé Meshligeolu , quicon
uer en ſa Prouince pour feruir de cheuaux legers cient cout le reſte deſdits Arabes le mieux qu'il
& auant- coureurs toutes les fois qu'il en eſt be peut ; mais il y a touſiours quelques brigandages
ſoin ; leſquels n'ont foldeaucune , ny autre choſe & voleries mellées parmy.
que ce qu'ils peuuentbuſquer ſur l'ennemy ,mais AIN s I le Turcentretient d'ordinaire en Alie

toutes impo
ils ſont auſſi exempts de toutes ſitions &
impoſitions ſept Beglierbeys , & quatre -vingts & fept Sania
ſubſides. ques , qui ont pres de cent mille cheuaux deſſous
Le cinquieſme eſt celuy de la Meſopotamie, eux , ſans les autres qu'ils entretiennent à leur
glierbey que les TurcsappeHent Dierbech , ſous lequel ſont ſuitte , qui arriuent à preſque autant .
de la
Mcfo . compris Babylone ou Baldach , autrement Baga QUANT au Beglierbey de l'Europe , lequel eſt le Be
pot2 det, & tout ce que le Turc poſſede en la grande feul, & par conſequent le plus grandde tous pour glierbey
mic. Armenie. Ila trente mille ducats de penſion ,dou les raiſons cy - deſſus deduites. Ila trente millé du
rope,
ze Saniaques , & vingt- cinq mille chevaux des cats de penſion , & quarante- ſix Saniaques ſous
meilleurs de l'Alie , & quiſont les mieux appoin , luy , auecques cinquante mille cheuaux les meil
etez , aucc vn bon nombre de Ianillaires , parce leurs & plus aguerris de tous les autres apres les
qu'il fait fronticre au Sophy , & aux Perſes, les forces de la Porte , à cauſe des belliqueuſes nations
plus redoutez ennemis que le Turc aye point des où ils ſont frontiere. D'iceux il y en a trente mille
nations infidelles .
Le Be Spacchis ou Spaoglans ,c'eſt à dire de ceux qui ſont
L E ſixieline eſt celuy de Surie , qui a vingt venus des Chreſtiens enleuez pour le feruice du
glserbey
de Suric.quatre mille ducats de penſion : douze Saniaques, Turc, & par luy nourris en fes Serrails de coſté &
& quinze mille cheuaux ſous luy , faiſant la des d'autre , & de leurs enfans , trop plus aſſeurez &
meure continuelle ou en Halep , ou en Damas. Il valeureux combattans que ne ſont les Turcs na
eſt tenu de rendre de net dans le Chaſna ou eſpar turels ; leſquels trente mille Spacchis ont chacun
gne chacun an , les timariuts payez , & toutes au deux cens eſcus depenſion annuelle ſur le rimar ;
tres charges acquitées, vn million d'or . auffi meinent- ils trois ou quatre cheuaux à la
Le Be
L e ſeptielme eſt celuy du Caire , & d'Egypte guerre. Les autres vingt mille , qui ne ſont pas de
glierbey, qu'ils appellent Mitzir lequel a trente mille dua ce calibre , n'ontque de cinquante à ſoixante eſ Les con
du Cai.
re. cats auſſi depenſion , ſans ſes profịts qui ſont fort cus : Tellement que ces cinquante mille cheuaus fins du
grands , à cauſe du commerce des drogueries & eſ maiſtres, reuiennent à plus de ſept vingts mile Beglier.
bey de
piceries qui viennent au Caire & en Alexandrie , combattans . Les limites au reſte de ce Beglierb -y de l'Éuraa
d'Halep, Damas, Baruch , Tripoli , & autres ens l'Europe cont d'vn coté à l'Auftriche a cettepe.
heure,

>
7 ile
cónd
96 de Chal .
97

beure , parce que toute la Hongrie eſt empletée : Ayant vn peu au deſſus appellé là creſte de ſon
d'vn autre la Pologne , & Ruflie blanche & rou armet , nó por iamoja riw . Et Virgile à ſon imita
ge, vers les Moſcouites & les Tartares au Septen tion , parlant d'Enée ; Chriftaqu infignis equina.
trion : Puis deſcendant de Capha le long de la mer A propos dequoy nous liſons és narrations des leana
Majour vers Conſtantinople & Gallipoli: les co Modernes qui ont voyagé de coſté & d'autre, marie
îtes dela Propontide , Helleſpont , Archipel ou qu'en Perſe, ce que les sophiens portent yn haut Angiol
mer Egée : Et en ſe retournant delà au Ponant, bourc ou bonnet d'eſcarlatte à la marineſque, chap.17.
toute la mer Ionie iuſques à Raguze., & vne por dont ils ſont appellez Kezeibáſ teſte rouge , pliſ
tion du goulphe Adriatique contre - mont : lequel fé tout du long à douze godderons ou tuyaux
il a pour bornes & confins vne partie de l'Eſcla embouttis à guiſe des coſtes d'vn melon : cela
uonie, & la Carniole , le Friol, & la Carinthie en ſuiuant l'interpretation yulgaire de ces gens igno

rebrouſſant chemin vers Hongrie. rans, barbares, ſignifie les douze Sacremens.de
Les principaux Saniaques ſont Capha,vers leur Loy : mais c'elt parfaute d'intelligence qu'ils
la Cherſoneſe Taurique, maintenant le deſtroit ont allegué là deflus la premiere choſe qui leur
de Precop ; & en Hongrie,Strigonie,Bude , Bel eſt venue à la bouche : car à quel propos ces dou
grade, Simandrie,Nille de Bulgarie, Seruie,Raf ze Sacremens en la loy Mahometique ? comme
Les Sa- cie, Boulline, Sophie ,Nicopoli,Philipoli, Trica fi les Turcs, & les Perſes auoient grande connoiſ
maguits la , la Morée , dont le Saniaquea vingt mille du ſance , & yſage des Sacremens, & encore les re 1
du Be .
cats de Timar, autant preſque que les Bajjats : Nc preſenter és accouſtremens des prophanes. C'eſt
glierbey
de l'Eu- grepont, le Pantho , Scopie, Cochie , la Valonne, donc yn myftere emané de l'antiquité au Paga
rope . l'Epire , qui eft le pays des Albanois. Mais on niſine, où les Perſes adoroient le feu , dont l'ar
auroit trop d'affaires à parcourir tout le reſte par deur eſt denotée par la couleur rouge ; & ce com
les menus : joint que la plus grande part de ces me ſymboliſant au Soleil , qu'ils auoient auſſi en
lieux ſont pour le preſent inconneus à cauſe du tres - grande reuerence , & faiſoient tous leurs
changement des noms anciens , des plus doctes plus lolemnels yeux & ferments par luy : Car le
ineſmes. Il y a particulierement yn Gouuerneur ſacré chariot du Roy eſtoit trailné par des che
ou Baſe à Rhodes : & vn autre de plus grande uaux blancs,telsqu'on feint eſtre ceux de l'attela
importance en Chypre , qui refpondent imme ge du Soleil : & ces douze godderons embouctis,
diatement ainG que les Begiierbeys ou Bafjars, à la monſtroient les douze lignes & mois de l'an , où
Porte du Turc . cét aftre parfait ion cours. Cecy ſoit doncques
Sania . QVANT aux Saniaques , qui ſont comme dit par vne forme de remarque que nous auons
ques & Gouuerneurs des Prouinces , y ayans la charge touchée ailleurs , que iamais il n'y eut Religion ſi
leur
des gens de guerre , qui y ſont appointez & en inepte qui n'ait eu quelquesſecrets myſteres en
charge. tretenus : enſemble de la Iuſtice
, & Police : Plus ueloppez ſous l'eſcorce de ſes ceremonies exte
de retenir les peuples en obeyſſance , & donner rieures, ainſi que les Eleuliniennes ou Thermo
main - forte à l'execution des commandemens du phoriennes à l'honneur de Cerés : les Bacchana:
Prince, & à la lcuée de ſes tributs , tant en deniers les , les Adoniennes , & infinies autres de meſme
qu'en eſpece de fruits de la terre : & des Azemo farine. Cefloc de cheueux au reſte que les Turcs ·
glans enfans des Chreſtiens : qu'on ne faffe quant & Tartares , & ſemblables Mahometiſtes ont ac
& quant tort ne violence à perſonne : Ils font couſtume de laiſſer au haut de la teſte quand ils ſe
dits ainſide sanzac ou Sangis;qui cn langue Tur font raire , ſelon leur dire eſt à deux fins : l'vne
queſque ſignifie eſtendard ou banniere : ce qui ne pour y attacher leur Tulban , & cecy eſt commun
s'eſloigne pas gueres de nos anciens Bannerets, & à tous : l'autre qui en particulier touche aux gens
du ban & arriereban , qui y ont quelque affinité : de guerre ,eft afin ques'ils ſont tuez par leurs en
parce que ſous leur banniere à la guerre marchent nemis au combat , & qu'on leur tranche la teſte,
les Timariots ou gens de cheual appointez ſur le comme eſt l'ordinaire de les remporter pour teſ
reuenu du domaine : & à la paix ils ſont de leur moignage de leur valeur , on ait dequoy les em
Myſte- reſſort & iuriſdiction . Cefte banniere conſiſte poigner ſansles diformer & corrompre : mais ou
res des d'vnc groſſe pomme dorée , attachée au bout tre cela i'ay appris autresfois à Veniſe d'vn affez.
bannie d'une lance , & au deſſus yn croiſſant d'argent : ſçauant papaz Grec , qui foupçonnoit quelque
res Tur .
quer. ce qui repreſente le Soleil , & la Lune qui ſont là ombre de l'ancien Paganiſme eſtre caché la def
ques, haut', auec de gros flocs de queuë de cheual , & fous , auquel à la premiere tonſure des icunes en
longs crains teints de diuerſes couleurs , deno fans , on Touloit laiſſer vn petit toupper de che
tans les rayons de ces luminaires qui s'epandentueux appellé xómus au ſommet de la teſte, pour le
icy bas , afin qu'on n'eſtime pas les Turcs ſigrof conſacrer à la diuinité, comme certaines premi
ſiers que leurs marques exterieures ſoient du tout ces de la perruque.
priuées de quelque myſtere caché deſſous , auſli MAIS pour retourner à noſtre propos ,pour
bien qu'enuers les anciens idolatres : encore que diſcerner les ſuſdites bannieres des w. wtatuats ,
quelques-yns vueillent referer ceſte qucuë de ces pommes & flocs ſont accompagnez de quel
cheual , à ce qu'Alexandre le Grand , qu'ils ont ques eſtendardou drappeau , comme on l'appel
en ſinguliere recommandation : & reſpect pour le en terme de guerre, qui eſt de taffetas de di:
ſes proüeſſes , en portoit vne au tymbe de ſa falla uer ſes couleurs & deuiles , ainſi que les enſeignes
de, comme on peut voir en ſes Medailles : ce que & guidons de noſtre gendarmerie : car fous cefter
ſouloit auſſi faire Hector aſſez long -temps aupa banniere colonelle marchent les cornettes par
rauant , ſi nous nous en voulons rapporter à Ho ticulieres des subaßıs , qui à guiſe des anciens De
mere à pluſieurs endroits de ſon Iliade , & meſme curions Romains, ont quelques trois cens che
au ſixieſme liure . uaux ſous eux , afin de garder touſiours tant
Ως άρα φωνήσας κόρυθ’ Ηλετο φαίδιμος Εκτωρ ίππουeur .. mieux l'ordre qu'on doit tenir , & ſçauoir où ſe
1

ions re
98 Illuſtrat ſur l'Hiſtoi 89

renger tant au logis , qu'au combat , & rallie . ment , & de la preud'hommie qu'ils y exercent,
mens. Car les Turcs , bien que fort exats obſer auſquelles leursmerices & ſuffiſance les pouſſent.
uateurs de la diſcipline militaire, ſont neantmoins Il n'y a point la de diſputes, de rangs & degrcz

vn peu grolliers & mal- adroits à tenir bataille, & qui leur ayent eſté laiſſez comme en heritage de
combattent à la delbandée comme en eſcarmou leurs anceſtres : chacun ſçait ce qui luy appar
che, à frequentes charges & recharges , en ſe reti tient ſans rien enjamber ſur autruy : car l'autho
rant, & fuyant la pluſpart du temps, à la maniere rité ou le Prince les conſtituë , reigle le tout ſans
des Tartares dont ils ſont venus , d'autant qu'ils aucune alteration ny mutinement pour cela : le
ſont legerement armez & embaſtonnez : & leurs moindre indice n'importeroit rien moins que leur
montures de fort longue haleine ; fi que quand teſte ſans autre forme de procez . Et n'eſt point
on cuide les auoir du tout rompus & deffaits , les queſtion de faire du malcontent , ny de ſe tirer
voila retourner ſur vos bras ainſi qu'vne groite chez ſoy fil'on n'obtient ce qu'on deſire. La re
nuée & orage : par ce moyen emportent le plus commendatió auſſi peu ny la faueur n'y ont point
ſouuent la victoire ſur des gens peſamment ar de lieu , ſinon accompagnéesde merite's dont l'on
mez , pluſtoſt pour les haraſſer & matter à la ait fait preuuc euidente. Parquoy les enfans de
longue du chaud & trauail, que par vaillance & bonne maiſon , ſi autre choſe ne les ſeconde , s'y
effort d'armes . Ils ſont ſtipendicz au reſte ſur le trouueroientvn peu freſques, & mal appointez.
meſme Timar de leur gouuernement & iuriſdi Et à quel propos auili commettre vne cauſe de
& ion , les vns plus ou moins que les autres , ſelon grande importance à yn ignorant & non experi .
l'eſtenduë d'iceluy , & l'importance dont il eſt ; menté Aduocat, pour eftrefils de quelque Preſi
Prince, des Baffats & dent ou Conſeiller, riche & d'anciennerace, plu
Appoin ou qu'ils ſont fauoriſez du
ctement Beglierbeys, les telmoins de leurs bons deuoirs & ſtort qu'à vn vieil routier eſprouué,ores qu'il fuſt
des S . comportemens, depuis quatre mille ducats , qui le premier de la ſienne inconneuë auparauant, ou
naques. eſt lemoins , iuſqu'à douzcou quinze, ſans leurs à vn Medecin traiſnant vnegrande robbe de ve
pratiques & profits: car outre ce qu'ils ſurchar loars , auec yne longue ſequelle , & quia de belles
gent le reuenu qui leur eſt aſſigné pour leur ſol maiſons à la ville & aux champs & force rentes
de & appointement , ils corbinent encore ſur conſtituées, qu'à vn de ſimple pompe & equipage
celle des Timariots , qui ſont ſous leur charge, bien pratiqué & verſé en ſa profeſſion ? C'eſt ce
tout ainſi que nos Colonnels ſur les Capitaines, quiabuſeleplus les perſonnes que l'apparenceex
& les Capitaines ſur leurs ſoldats , au tres- grand tericure : là où parmy les Turcs, quelques rudes &
detriment du Roy : car c'eſt par là ofter le coura grolliers qu'ils ſoient, la dexterité d'eſprit & la
ge aux gens de valeurde s'eſuertuer , pour paruc preuue de leur deuoir va pour toute nobleſſe de
nir à vne meilleure fortune & condition : diſci- ſang, & ancienneté de race: le ſoin , vigilance , &
pline la plus louable qu'ayent point les Turcs , & teſmoignage apparent de ſes faits, pour les richeſ
qui plus les maintient en leur reputation , & fes & facultez . Selon ce qu'ils paroiſſent eſtre ca
grandeur,n'y ayant artiſan , ny homme de guerre pables & idoines pourl'exercice d'vne charge, les
parmy eux qui ne puiſſe paruenir à cueillir quel- y voila tout ſoudain à l'impouruen aduancez, la
quefois le fruit de ſes perfections & merites : ce pluſpart du temps outre leur attente & pourſuitte:
qui inuite les vns au trauail, & les autres à s'expo li qu'il aduiendra ,comme ils dient en leur manie
fer aux plus grands dangers & hazards , s'atten re de parler , que tel qui ne ſouloit eſtre que pieds,
dans bien qu'ils ne ſeront point fruſtrez de la re s'il ſe porte valeureuſement , ſera teſte , & au re
compenſe à eux deuë. Et n'y eut oncques nation bours. Somme que la gentilleſſe , les facultez ,
en toute la terre , où ces deux points , ſur leſquels ny les honneurs, ne ſe produifent pas là de races,
tous les eſtats les mieux eſtablis ſont fondez , ainſi ainſi que les herbes font de leurs ſemences , nela
Premiï , que ſur deux fermes & puiſſantes colomnes Pre vertu & les bons deuoirs ne paſſent point heredi
& para, mium , o pena , le loyer de bien faire, & lechaſti tairement de pere en fils, non plus que les arts &
ic fon ment des mesfaits , ayent eſté plus exactement ſciences, ou autres perfe &tions qui s'acquierent
dement pratiquez qu'enuers les Turcs . Il n'y a point là auec le temps trauail aſlidu , exercice & cultiuc
de tou de nobleſſe hereditaire ,ny de gentilleſſe de race, ment de l'eſprit ; mais outre ce que le Ciel leur
tes do .
mina. qui acquiſe par oiſiue ſucceſſion de pereen fils, peut impartir de beneficence, tout leur prouient
pions. fiſſe exceller les indignes demeritoirement ſur par leur labeur , induſtrie , hardieſſe , vaillance,
de plus dignes qu'ils ne ſont : ny d'heritages & bons deuoirs & merites , par leur grande ſobrieté
poſſeſſions non plus delaiſſées à de laſches & pu . de vie, tollerance , & endurciſſement de fort lon
fillanimes faineants ; leſquels ſans ſeruir ny au gue main aux meſaiſes , incommoditez , & tra
Prince , ny au public de rien quelconque , conſu uaux,obeïſſance enuersleurs Chefs & Superieurs,
ment ces biens deus aux gens de bien & aux ver & autre telle diſcipline militaire, nourriture , &
tueux , à ſe peruertir eux & leur ſcquelle à toutes inſtitutionstres -louables. Au moyen dequoy les
fortes de delices & deſbauchemens : & attirent belles charges , dignitez & aduancemens, le cre
par meſme moyen ceux , qui ſont aptes. & capa dit & richelles immenſes où ils paruiennent , ſont .
bles de s'enfourner au bon chemin ,à s'en deſbau- le prix & le loyer de leurs vertus & merites : là
cher : la vertu ſeule, & la valeur, le ſens, ſuffiſan où l'inutilité & pareſſe , la nonchalance, gour
ce , & les preuues ſignalées de leurs perſonnes,où mandiſe & larcheté demeurent enſeuelis auec
chacun ſe parforce de reluire, & ſe faire paroiſtre, ceux qui s'y ſont laiſſez peruertir , dans le goul
les rendent d'eſclaues en yn inſtant non que Gen phe d'indigence , de meſpris & contentement.
tils - hommes , mais Princes,depauures & ſouffre Dont nous deurions rougir de honte , ſi au moins
teux , opulens & riches : d'inconneus,celebres & elle peut auoir place dedans nos cæurs , de voir
renommez . L'honneur & le reſpect qu'on leur yn ſibel ordre eſtably , & toutes choſes ſi bien

porte ; vient de leurs charges & dignitez ſeule- reglées parmy des gens que nous tenons pour ſi
hebetez

1
1
100 de Chalcondile . 101

hebetez & barbares: & qu'en des nations ſi bien voiſent prendre leur prouiſion des Balſats à la por :
polies & cultiuées ils viuent d'vne telle ſorte que te , parce que ce ſont eux qui manient le tout en
n'y ayant aucune place reſeruée pour la vertu, dernier reſſort : mais le Beglierbey de la Natolie la
tout s'en voiſe ainsi rottement à vnc vaine adom confere à qui bon luy ſemble, ſans qu'on en ſoit
brée nobleſſe de race , & à des faueurs la pluſpart tenu d'en aller prendre la depeſche à la Pork .
mendiées à deniers comptans . Mais c'eſt aſſez de Comme doncques quelque Saniaquat vient L'elle
ce propos . à vacquer , ſoit par mort ou autrement , c'eſt le Etió de
OR tout ainſi que les saniaques ſont ſous l'au faict de l'Emiralem qui en tient les regiſtres d'en Sanie
Les S- thorité des Beglierbeys, de meſme les subaſse font aduertir les Baſſars, pour le faire entendre au Sei- ques.
bas.
ſous la charge des Saniaques. Mais pour micux le gneur , & il regarde aucc eux à qui il le deura
donner à entendre conformément à nos ancien conferer; de ſorte qu'on les eſlit fans que la pluſ
nes façons de faire, les saniaques eſtans comme les part du temps ils le ſçauent : car les charges ne
Lieutenans de Roy és Prouinces, les subaſsi ſe fe mendient point par dela par vne importunité
rapportent à nos Baillifs, Seneſchaux ,Vicontes , & faucur , ains par la ſeule Tuffiſance & merite :
Preuots , Chaſtellains ; car ils connoiſſent des l'Emiralem en ayant eſté aduerty luy enuoye ſur
cauſes tant ciuiles que criminelles , & de la police le ſoir force trompettes & clerons , fiffres,cabou .
ſous les Saniaques , particulierement chacun en rins & hautbois , & autres inſtrumens de guerre
droit ſoy en ſon reſſort & iuriſdiction : & font à leur mode : car c'eſt luy qui en a la charge auec
defrayez eux & leur ſuitte trois iours de rang où les enſeignes, pour luy donner vne ſonnade d'al
ils vont tenir leurs afli ſes , faiſans à ceſte fin des legreſſe de la promotion à la charge du sania
chquauchées en certaines ſailons de l'année pour quar , entremeſlée de ſes louanges & ſeruices
ouyr les plaintes & doleances, combien qu'il y ait qu'on public à haute voix , & tout ce qu'il peut
des luges de reſidence triennaux , qu'on appelle auoir fait de beau & de bon à la guerre. Puis le :
Cadiz ,Yous le Cadileſcher, dont nous parlerons en matin enſuiuant il s'en va trouuer ledit Emiralem
leur lieu : & conduiſent ces Subafsi Icur banc & qui luy fait entendre le gouuernement dont il eſt
arriere -banc à la guerre , chacun ſous ſa cornette , pourueu ; & là deſſus le meine baiſer la main aux
qui reſpondent puis apres à la banniere des sania Baſſats, qui le conduiſent vers le Prince pour prc
ques : & ceux -cy au gonfalon ou grand eſtendart ft er le ſerment, & luy baiſer les pieds de la grace
du Beglierbey. Ils ſont en nombre preſque de qua qu'il luy a faite. Cela fait , les Baljats le renuoyent
tre cens ſous le regiment de l'Europe: & y en a à l'Emiralem , lequel luy met lors entre les mains la
en l'Alie à l'equipolent , comme à railon de banniere de la charge, dont eſt lamarque & en
trois ou quatre Subaßi pour mille cheuaux : Tous ſeigne: & lc Saniaque luy fait preſent de deux ou
leſquels ont quelque mille eſcus de penſion af trois cens eſcus, plus ou moins, ſelon la dignité
ſignée ſur le Timar : & moyennant ce , font te & valeur de ſon magiſtrat. Ses lettres luy en font
nus d'entretenir du leur huiat ou dix cheuaux de expediées par le Tejqueregibaſsı ou Secretaire ma
ſeruice. jeur, & ſeellées par le Naſlangibaſsı , quiſont deux
Les Tic A v regard des Timariors à peu pres commeno offices de fort grande authorité à la Porte : car ce
marjots. ître gendarmerie des ordonnances , compoſée Secretaire d'Etat tout ſeul en chef depeſchetou
d'hommes d'armes & archers , à la grande & pe tes les choſes d'importance qui ſe releuent au Die
tite paye , ils ſont appoinctez diuerlement,à qua uan , & par le Prince en ſon priué, les lettres pa
tre ou cinq mille aſpres du moins , valans centeſ tentes , & miſſiues , paſſe- ports, ſauf-conduits,
cus : & pour le plus haut à vingt mille : mais ils dons , & autres mandemens d'iceluy , qu'ils ap
ne ſont pas obligez de marcher s'ils ne paſſent pellent Teſquere : & y oppoſe le cachet quele pre ..
huict mille aſpres ou huict vingts eſcus, fi d'auan mier Baſſa a en garde , lequel ſert tant de ſignature
ture il ne ſe fait vne armée Imperiale où le Sci que de ſeau, n'cltans tous lesdeux qu'vne meſme,
gneur ſe retrouue luy.meſme en perſonne:car lors choſe, à ſçauoir le nom du Prince qui regne fait
il n'y en a nul exempt . Tous les eſtrangers qui de lettres Arabeſques entrelaſſées à mode de chif
vont & viennent par le pays du Turc , faut que de fre. Et à ce propos faut entendre que les Turcs ont
lieu en licu ils ſe voiſentpreſenter au Saniaque, ou diuerſes manieres de ſigner leurs lettres & expe
au subaſsi en ſon abſence, pour luy monſtrer leur ditions , le Prince met la ſienne tout au deſſus,
paſſe- port, ou en prendre vn nouucau , s'il n'eſt comme les Romains leur inſcription S. P. D. Mode
general, & de la Porte , auec vn guide& truche . Mais aux Roys & Potentats eſtrangers ſon ca- des
ment ſi l'on en veut, & des lanillaires encore pour chet eſt oppoſé au bas à la fin , remply d'or mollu Turcs
de fin
leur eſcorte & ſeureté ; mais tout cela ne ſe fait & liſſé : les Baſſats, Beglierbeys, Cadile/chers, & au
gner
point ſans mettre la main à la bourſe :car les Turcs tres perſonnagesde marque & authorité le rem Icurs
ſont gens auaritieux ſur tous autres , & ardans pliſſent d'ancre , maisc'eſt à coſté, en marge, plus lettres &
apres la pecune , d'autant qu'ilsne peuuent laiſſer haut, ou plus bas, ſelon ceux auſquels la depel- expedi
cions .
aucuns heritages ne poſſeſſions à leurs hoirs , ny che s'adreſſe : & les perſonnes priuées tout en
generalement rien quelconque fors vne portion bas à la fin. Le Teſqueregibaſsi a lix à ſept mille L'eſtat
de leurs meubles : parquoy ils ne font rien pour ducats de penſion annuelle aſſignée ſur le Timur, du Tef
ricn , & en ce cas ne pardonneroient meſme à leurs qui luy en valent mieux de douze , fans ſes prati, qweregi
propres peres . ques & profits, & deux riches habillemens tous baßi, ou
LES SANIA QV ES finalement , les subaſsi , les ans : & ſous luy plus de cinquante Clers qui care ma
& encore les spacchi ou gens de cheual de leur, font les depefches, dont le moindre a demy eſcu jeur,
charge, qui excedent ſix mille aſpres ou fix vingts par iour . Tous les autres Secretaires pareille
eſcus depenſion annuelle : car iuſqu'à ceſte ſom ment tant du Prince que des Buffaes , Dephterde
me le Beglierbey de l'Europe peut conferer les pla ris, ou Threſoriers de l'Eſpargne, & autres Offi
ces vacantes comme bon luy ſemble , faut qu'ils ciers de la Porte , enſemble les Greffiers , & gene,
s ij
s
Illuſtration ſur l'Hiſtoire 103
102

salement tous ceux qui manient la plume & affai car il a la garde de tous les eſtendars des Prouin
res d'Etat, de la guerre, & des finances,ſontſoul ces , qu'il met és mains de ceux qui ſont faits de
mis à ce Secretaire majeur, qui en eſt le chef. nouueau Saniaques : plus de ceux de la perſonne
LE NAS SAN GIBASSI , encore que ſa propre du Turc , lequel quand il va à la guerres
Walan
bajbin charge ſoit de ſeeller toutes les depeſches & ceſtui- cy marche immediatement deuant luy,fai
mandemens, neantmoins ſon authorité n'eſt pas ſant porter yne cornette my- partie de blanc & de
des Chancelliers des Princes Chre verd , pour la marque de ſon office : & n'eft loin
telle que
ftiens, ains pluſtoſt comme d'vn chauffe - cire de fible à aucun autre de la porter de ceſte parure &
nos Chancelleries : car il n'entre pas au conſeil, dcuiſe qu'à luy tout ſeul: apres laquelle viennent
ny deucrs le Prince : & ne fait ſeulement qu'ap les fix bannieres ou grands cftendars du Seigneur,
pliquer ſon ſeau , qui eſt de cire vierge , dans vne portez par autant de forts & robuftes hommes.
pecite demic pomme d'or creuze , c'eſt aux Cét Emiralem a quatre mille ducats de penfion
Roys, ou autres Potentats ſouuerains, & aux au annuelle , ſans ſes profits qui ſont tres- grands , &
tres ſur le papier ou placartsila toutesfois bon ap deux riches habillemens de drap d'or, ainſi que
pointement , comme de quelques deux mille du les autres principaux officiers , ſous la charge
& certain nombre de Commis entre ſont encore les trompettes, phiffres , tabourins,
cats par an ,
tenus. Il ſe tient és iours du Diwan en vne petite atabales , & ſemblables ſonneurs d'inſtrumens
chambre joignant la loge des Baffats , où il fait le ( à nous cela depend de l'eſcurie ) en nombre de
deu de fa charge ſelon qu'ils luy cnuoyent les de plus de deux cens , dont eſt Chef ſous luy vn
peſches : & cachette par melme moyen les ſacs Mechterbaſsi qui a de penſion vn eſcu par iour : &
d'affres & de ſultanıns pour mettre au chafna , com les ſonneurs de douze à quinze aſpres, les Bafars,
me il a eſté dit cy - deuant. En cet endroit iene Beglierbeys, Sanlaques, & autres perſonnages d'au
thorité entretiennent les leurs à leurs propres
veux oublier de dire que les lettres que le Turceſ
Forme
des de crit à l'Empereur,au Roy ,aux Venitiens, & au courts & deſpens. Ay regard de leurs trompet
peſches tres ſemblables, ſont en lettre Arabeſque de la tes & clerons, ils ſont preſque ſemblables aux
du Turc, main droite vers la gauche, comme l'Hebricu , au noſtres : mais leurs tambours ſont differents , &
contraire de nous , lur vn roulleau depapierliſſe, ſi en ont de pluſieurs fortes. L'vne eſt de deux Les tatha
de longueur conuenable , car en ce cas ils n'eſ petics boucliers d'airain qui ont leurs anſes en bours
criuent pasdes deux coſtez , non plus que nous és dehors , leſquels ſe venansà rabattre l'vn contre Tur.
lettres patentes : & au bas eſt fa ſignature, à ſça- l'autre, rendent yn ſon forteſclattant & aigu , qui quef
ques ,
uoir vn chiffre portant ſon nom d , e la grandeur eſt -ce qui leur agrée le plus. L'autre de deux pe
d'un double ducar. Ceſte lettre eft roullec plat tits chauderons d'airain auſſi , pendus à l'arçon
de la ſelle , dont l'vn eſt plus petit , pour faire
à la largeur de deux doigts , & puis reployée en
deux , & mife dans vn petit ſachet de drap d'or quelque maniere d'accords , du tout ſemblables
long de ſeptou huid poulces ſur quatre de large, aux atabales des Mores , & aux tabourins des
lequel ſachet eſt einpoché dedans vn autre deve Reiſtres. La troiſieſme ſont de groſſes caſes de
lours verd , dont les laſſets de loye verte ſe vien , tambours à guiſe des noſtres, ſinon qu'ils n'ont
nent noüerdeſſus l'ouuerturc, & de là paſſez en tymbreny corde par le deſſous, pour autant qu'ils
deux endroits à trauers vne demie pomme d or de les ſonnent des deux coftez , par le deuant de la
ducar, ayant quelque rubis ou diamant de cent ou main droicte auec vn baſton tors & recourbé
Six vingts eſcus en la cimne , dans laquelle pomme comme vn billard : & par derriere de la gauche
eſt le feau da Turc de cire vierge , comme il a eſte d’ynebaguette deliée qui redouble plus dru & me
dit cy -deſſus , conforme à ſa lignature & cachet. nu que la droictc :mais ils ſe ſçauent fi bien ac
Et entre les deux ſachetseſt l'interpretation de la corder enſemble quand on les bat de compagnie,
depeſche en Italien , qui commence ordinairc. qu'on diroit que de deux ou troiscens que le Turc
ment en ces termes , ou autres ſemblables. Sultan a ſousſa cornette , ce n'eſt qu'vn tout ſeul reſon
la nant profondement d'un con qui reſſemble au
Amurath sach. grand- Empereur dis Muſulmans ,
puiſſance de Dieu en terre , le bras dextro de Mahomet, murmure ſourd d'vne mer agitée de vents & de
le maintenement delapure doctrine, la terreur des meſ vagues qu'on oyroit bruire de loing , en lieu de
chansde confort ,aide o protection des
gens de bien, l'om phiffres chaſque tabourin eft accompagné de
brage dela terre, o des mers , & ſemblables qualitez deux Zurnalar ou hautboisquis'accordent à la ca Zum
barbareſques ,vaines, & piafeuſes. dance d'iceluy, pluscourts au reſte , & plus larges Lor,
MAIS pour retourner aux Saniaques,ils ont, par la boucheou parte d'embas que les noſtres de joueurs
2 & ceux de leurdepartement auſſi , en fort grand par deçà, & parconſequent qui requierent trop de haut
> bois,
honneur & relped ceſte banniere prouinciale, la plus de vent à l'entonner, parquoy ils ont auſſi le
faiſans folemnellement accompagner par tout où fon plus penetrant, ainſi que toutes les autres Mu
ils marchent , auec grand nombre d'inſtrumens, fiques de cettenatió lourde en beaucoup de choſes
& la tiennent au plus honnorable lieu de leur lo au prix de nous n'admettant rien de delicat en pas
gis ,capiſlérichement,ce quia quelque conuenan ynedeleurs a &tions , non plus qu'anciennement
ce auec l'ancienne façon des Romains, dont les ce Scythe ou Tartare , deuant lequel Ilmenias, le
Turcs retiennent & ont emprunté pluſieurs cho plus excellent ioüeur de flute de toute la Grece,
ſes , en ce qu'ils reueroient leursAigles, & autres ayant voulu faire yne eſpreuue de ſon ſçauoir,
enſeignes militaires , comme de precieux ioyaux pour ſauuer farançon s'il euſt peu ,l'autre iura par
facrelaints. ſes grands Dieux le vent, & le poignard , auoir
L'EMIR Á L EM OU Imralemaga eft vn office ouy plus melodieuſement hennir ſon cheual.
Emira
de fort grande dignité & profit : & qui ſe peut MaislesTurcs ont appris tout cela des Arabes.
Eualluza
Il faut maintenant recueillir de ce que dele
mettre pour l'une des premieres apres les Bajars, tion du
Begbierbeys, Cadolefchers ;& l'Asga des Ianiſſaires : fus, & verificr par eſtimation à peu pres ccd quoy reuenu
peut
104 de Chalcondile .
IOS
du do- peut monter le reuenu du Timar ou domaine du uince de la Meſopotaniie ou du Diarbech rie poul
maine Turc, tanten Europe qu'en Aſie , par le nombre roit pas à beaucoup pres porter yne telle charge,
du Turé, de ceux qui ſont appointez là dellus, & auſquels attendu meſme
que le pays eſt deſert en partic
ſelon la
tout ce domaine eſt employé , referué la dixieſme pour les frequentes courles & degafts qui ſe font
delpen
ce . portion que le Prince en tire pour luy , toutes des yns aux autres : au moyen dequoy le million
charges deſduites & rabattuës . Il ne faut pas trou . d'or que nous auons dit cy - deuant eſtre pris ſur le
yer au ſurplus la ſomme immenſe à quoy cecy ar Beglurberat du Suric , les Timariots appointeż ,eſt
riuera , attendu la grande eſtenduë de cét Empires employé là : auec preſqu'autant du réuenu & des
car ſi tout ce que tiennent les Ecclefiaftiques en impoſts de l’Egypte , & la Paleſtine, & autant
France , les Princes, Seigneurs, Gentils-hommes, encore des coffres du Prince : ſi que ceſte frontiere
& roturiers , outre le domaine de la Couronne; luy couſte plus à garder que nulle des autres , auſſi
eſtoit mis & eualué en vn bloc , ie croy que plu y tient - on ordinairement certain nombre de 16
ſtoſt il ſurpaſſeroit celuy du Turc , qu'autrement. niffaires, & de Spacchis de la porte.
En premier lieu , on peut bien prendre l'eſtat DE S VRIE , XL. M. douze Saniaques cxx . Surie,
Les Baſ- & penſions des cinq bajars , y compris celuy de mille , cent subafsu, C. M. quinze mille chevaux
fars. la mer qui a plus de ſix vingts mille eſcus tous les comme deuant xv . c . mille.

ans auec celles de leurs officiers, & leurs plus Somme xvý.c.xx. mille eſcuts ..
valeurs, à deux cens millc efcus. Dv CAIR E & Egypte, 1. m . dix -ſept Sanid- Le Caire
Officiers CEIL E s de Muphti, & Cadileſchers , & gene ques , CLXX . M. eſcus. Cent cinquante subaſsi , & Eggs
de la ralement de tous les officiers de la Porte , & des C. L. M. vingt mille cheuaux appointez de meſ- pte ,
porte. forces qui y reſident, outre leur liurée & diſtribu me que ceux du Cebech , trois millions d'or , ý
tion ordinaire ; qui ſe prend ſur les coffres de ſon compris yn grand nombre de !aniſſaires & de space
eſpargne, à autre deux cens mille eſcus. chis de la route pour crainte de ce peuple tumul.
Le Bc. L E Beglierbey de l'Europe qui a trente mille ef tueux, & des Arabes proches voiſins, mais la paye
glierbey cus de penſion aſſignée ſur le Timar , ſe peutmet des cinq Capitaines Arabes auec leurs ſoldats , &
de l'Eu
tre icy, auec l'eſtat de ſes officiers , & le parenſus leur Colonnel ya là deffus.
rope.
que leur valent les terres à eux aſignées, car pour Summe trou millions cccc.mille efcus.
ce regard il faut preſque touſiours redoubler à somme totale de l'entretenement des forces d'Aſie , cij.
cinquante mille eſcus. millions, D cc . xxx. milleefcus, leſquels auec les fix
Ses Sas Ses Saniaques en nombre d'enuiron cinquan millions d'or de l'Europe arriuent à enuiron vingt
niaques. te , à raiſon dedix mille eſcus I'vn portant l'autre millions , dont le dixme que prend le Prince fait deux
à D.mille. Ses quatre cens Joubwjøis, qui ont de millions, qui eft ce que nous pretendions de verifier en
mille à douze cens eſcus , preſqu'autant, les cin cét endroit parla despence.
quante mille cheuaux eſtansſous ſa charge, quien De cecy ſe tire outre-plus que le Turc peut
font plus de ſix vingts mille auec leurs couſtilliers, auoir cent mille cheuaux de l'Europe toate heu
à cent eſeus chacun, cinq millions d'or . re qu'il en a beſoin , & de l'Aſie deux fois autant,
bien que non tels à beaucoup pres , & ce ſous Lxx.
Somme de la deſpence de l'Europe, aßignée ſur le Saniaqués, & D. Soubaſse , car il faut redoubler
domaine d'icelle,,, enuiron fix millions d'or. pour le moins le nombre des entretenus d'ordinai.
re , voire en tripler la plus grand part.
L ' AS I E.
Ovtre les forces delſuſdites il y a vne autre
Le Bee LE BEGLIERBEY de la Natolie , trente maniere de gens de cheual & de pied, tous Turcs
sluerbey mille eſcus. Douze Saniaques fix vingts mille, naturels , & enfans de Tures , qui ſe leuent extra
de l'A- cent subaſsis cent inille . Douze mille chcuaux ordinairement ſelon le beſoin qu'on ena . La ca
fic .
maiſtres à cent efcus M cc . mille: ualerie eft des Accang us , comme qui diroit ga- Accangă.
somme xuy.c.l. mille efius. ſteurs ou aduanturiers cherchans leur fortune,
Cataina Cely y dela Caramanie xx . mille eſcus ſept leſquels ſeruent de cheuaux legers & auant-cou .'
nie. Saniaques Lxx . mille eſcus,trente Subaſsis xxx.M. reurs , s'eſpandans au long & au large de toutes
eícus . VII . M. cheuaux . VII.G.M.efus . parts , ſous leurs cornettes toutesfois, & la con
Somme Dicec. xx , mille eſcus, duite de leurs Chefs , quatre & cinq journées,
Amalie, D'AMASIE XV . m . eſcus, quatre Saniaques voire encore plus quelquesfois , à la tefte du
XL.M.xxx. Subaſsis, XXX . VI.M.cheuaux ,vi.c, camp, & ſur les aiſles, enquoy ils font pluſieurs
niille . bons effects, & d'importance. En premier lieu ,
Somme D c.lxxxv , milleefcus. dë deſcouurir , reconnoiſtre , & nettoyer le pays,
Auen D'AVENDOLI Xx.m.eſcuis, vil. Saniaques, ſi qu'on n'y peut dreſſer embuſches ,ny moleiter
doli.
18 % . M. XL . Subafsis", XL . M. ſept mille cheuaux, les fourrageurs. En apres , de conſeruer les vi
DC c . mille . ctuailles par où l'armée doit paſſer , & entrans
Somme D ccc. xxx. mille eſcus. auant , comme ils font dans les limites des enne
Melo . DE LA MESOPOTAMIE , L : M. eſcus. x11. miş , y faire le degalt, & les priuer des cómoditez
pota Saniaques cxx . M.cent cinquante subaſsis, C.L.M. qu'ils y pourroient auoir . Plus, de fairer'habiller
mic , les chemins , & les guez , dreſler des ponts & ex
vingt- cinq mille chcuaux à c L. eſcus, trois mil
lions vil. c . i . mille eſcus , car ceux - cy ſont planades, tenir l'ennemy large du corps de l'ar
mieux appointez que nuls des autres pour eſtre mée, qu'il ne la puiſſe inquieter ny dóner des alar
les plus proches voiſins du Sophy & des Perſes, mes,meſmementde nuit, l'une des choſes que les
& par conſequent les plus valeureux & rnieux Turcs abhorrent autant , car ils ſont lots fi exats
equippez . obſeruateurs du ſilence; que ny pour cheuqux qui
Spommeenuiron iij. millions d'or. eſchappent, ný pour eſclaues qui ſe deſrobent &
MAIS il faut là delus entendre que ceſto Pro enfuyent,ny pour autrechoſe qui peuſt ſuruenir;
e iij
ons ſur l'Hiſtoire
106 Illuſtrati
107

ils ne fe mouueront en ſorte quelconque ,ny no nombre, ils ne pourroient pas reſiſter aux laniſſai
feront bruit , comme on peur voir en ceſte hiſtoi res , qui les voudroient trop gourmander : & à la
5C , & d'autant que ces sccang, font des traictes yericé ce ſont gens de peu d'eſtime & defait que
preſqu'incroyables , & des diligences extremes, CCS Azapes , & dont l'on ſe ſert par maniere
à cela que de dire , comme de lidicre , pour les coruécs &
leurs moncures eſtans plus propres
pourcombattre de pied ferme, il leur eſt aiſé de
cſt aiſédc premiere poin & e des approches & aſſauts des
furprendre le peuple eſcasté encore dans le plac places, és paſſages de quelques rivieres, & de
pays , & emmy les champs , & par conſequent Itroits qui Tont ſcabreux , tout ainſi que de ga
faire de grands butins, principalement deperſon bions, ou de fallines & gazons qu'on ietteroit en
nes , dont, enſemble de tout ce qu'ils pouuent yn bourbier pourpaſſer les autres deſſus , afin de
bufquer & rafler, fautqu'ils en donnent la dixief. melnager les i anijaires & autres hommes de ya
me partie du plus beau & meilleur au Prince , du leur pour les bonnes affaires , & les reſeruer au
quel ils n'ont folde quelconque: Trop bien leur dernier beſoin. Ces Azapes icy , pour le sdiſcer
fait-on dreffer des e tappes par où ils paſſent dans ner ,d'auec les autres , portent tous, à guiſe preſ.
ſes pays, fi qu'ils viuent gratisſans mettre la main que des Accangi , vn haut bonnet de laine rouge Taskin?
à la bourſe ,depuis le lieu où ils s'aſſemblentpour à la marineſque , dont les oreilles refenduës de co
faire leur maſſe & reueuë , iuſqu'aux frontieres Até & d'autre pendent en poinde iuſques ſur les
de l'ennemy. Ils ſont nçantmoins li friands dc eſpaules, & pour armes vſent de l'arc,dela cime
marcher , que ſur la Prime- vere quand les cous terreauec la rondelle, & vnemanierede jauelines
riers du Seigneur leur yont annoncer deſe mettre & partuiſanes, leur ſolde et de trois à cinq aſpres
aux champs, ils ont accouſtumé de leur faire de leiour : & ſe leuent communément en la Natolie,

bons preſentspour ces agreables nouuelles,li que plus propresbeaucoup pour les vaiſſeaux & com
la leuée ne tarde comıne rien à ſe faire , & s'en bats de mer que de terre.
rccouureroient plus de deux cens mille en moins Il y a encore vne autre maniere de gens de
d'un mois , s'il eſtoit beſoin , montez & emba guerre parmy les Turcs , mais en petic nombre,
ſtonncz å leur mode , mais on n'en retient com les plus braues & hardis de tous autres , appellez
munémentque cinquantcou ſoixante mille , ſoit Dely, c'eſt à dire , fols hazardeux , comme à lave. Dely ,fal
en l'Europe quele camp ſedreſe, ou en l'Alic ; le rité ils le ſont, & pluſtoft c tourdisqu'autrement, hardy.
ſurplus, apres que les Commiſſaires en ont fait le de s'expoſer ainſi de gayeté de cour ; à des perils
choix & cnroollcment,cît par eux renuoyé au lo ſi manifeftes : car il faut ſur peine de perdre ce
gis : leurs armeures ſont quelque meſchant aul . tiltre & leurs marques , qu'ils ne faſſent difficulté
bergeon , brigandine , & collets d'eſcaille , mais d'allaillir yn tout ſeul huidt ou dix hommes de
en petit nombre ; & au reſte outrele cimeterre ; la chcual, ce que la pluſpart du temps leur ſuccede,
lance auec yn pauois , & la maſſe à l'arçon de la ſoic pour leurgrande force & adreſſe :car encore
Selle ( d'archers il n'y en a point parmy eux ) & vn qu'ils ſoient de lourd & groſſier eſprit , ils ont
petit chauderon ou lanterne à cuire leur viande neantmoins quelques ſecrets tours d'eſcrime
par pays , par le moyen d'vne lame de qu'ils ſe laiſſent demain en main les vns aux au
en allant
fer chauffée quickt au fonds, ſur laquelle ils eſpan tres; ou que ceux à qui ils s'adreſſent ſoient gens
dent vn tourteau de farine de ris ou de froment laſches & de peu defaiæ ; ou pour leur eſpouuen
empaſtée quec du beurre , puis le ſaulpoudrent par table equipage, ou bien , ce qui eſt plus à croire,
deffus d'vn peu de Paſtramach ou brelil, a ſçauois que la fortune les fauoriſe commeon dit commu- .
de la chair de beuf ſoichée à la cheminée ou au nément qu'elle fait aux fols & aux temeraires :
four, & confite auec des eſpices & du ſel aſſaiſon auſſi mettent- ils toute leur confianceen la prote
né d'aulx , ſelon qu'il a eſté dit cy -deuant: Tous dion & ſecours de ceſte Deeſſe dite Nallup , ou Nallupi
les autres ſimples ſoldats ſe maintiennent de mer. Cruſara ,comme font generalement tous les Turcs, ou Coun
me en temps de guerre. Il s'en trouue de plus ha qui par - deſſus tous autres mortels attribuent tant fura , la
defti .
zardeux les vns que les autres , leſquels venans : à la predeſtination, tenuë d'eux pour leur heure née ,
faire quelque bon deuoir & prcuue ſignalée de facale & prcordonnée, qu'ils ne penſent pas que
leur vertu,fontrecommandez de leurs Capitaines pour danger où ils ſe puiſſent abandonner , elle
aux Beglierbeys ou Saniagues, & promeus par eux à s'aduance ou retarde d'vn ſeal moment; fi qu'ils
vne penſion de Timariot. Finalement ces Accangis ont à tous propos ces mots icy en la bouche: 14
font habillez d'vn Doliman comme les autres zilan gelur baſsina , qui ſignifient, l'efcriture arri
Turcs ; & en la teſte ont yn haut bonnet rouge Hera à la refte : comme s'ils vouloient dire , que
en lieu de tulban. tout ce que la fortune a eſcrit à l'heure de leur
Les Azapes ſont les gens depied , à maniere naiſſance en leur tefte, qui eft la principale partie
d'eſtradiots , Turcs naturels , tout ainſi que les du corps, il eſt impoſſible del'euiter,encore qu'on
Acrangi , leſquels on leue extraordinairement & ſe fuftrenfermé en vn fort inexpugnable, ny plus
en tel nombre que les occaſions s'en preſentent, ny moins qu'il ſe lit du Poëte tragique Eſchile,
tant pour la terre que la marine , neantmoins il auquel ayantefté annoncé d'vn deuin qu'ilſe gar.
y en a touſiours d'entretenus dans les villes & dast bien vn cel iour d'eſtre accablé de ie ne ſçay
places fortes auec les laniſſaires, qui ont commu . quoy qui luy tomberoit d'enhaut ſus la telte , il
nément la garde de la fortereſſe ou chaſteau,& les s'alla placer au beau milieu d'une campagne , lar
Azapes de la ville , mais en plus grand nombre ge & ouuerte de toutes parts , où il faiſoit ſon
que les laniſſaires pour eſgaler le contrepoids:car compte de deuoir eſtre hors d'un tel danger, file
les Ianiſlaires eſtans tous enfans de Chreftiens, & ciel d'aduanturc nc tomboit ſur luy , quand vne

plus valeureux ſans comparaiſon que les Azapes Aigle qui s'eſtoit ſaiſie d'vne Tortuë
, cuidant de
Turcs naturels , il y a ordinairement de l'emula la tefte chauue de ce bon vieillard que, ce fuſt
tion & riotte, de façon que s'ils eſtoient parcils ca quelque groſſe pierre, la laiſſa cheoir deffus droit
à plomb
108 de Chalcondile.
109
à plomb pour la rompre , dont il expira tout a ſous ce mot de domaine, qui s'appelle à l'endroit
l'heure. Ces Dely au reſte , autrement Chalil ** des Turcs le Timar, & les tributs , tailles , impo
Bebadur, hardis & vaillans; & Zasa ,nici defficurs, fitions & lublides, ce qui s'approche aucurement
font cousEuropéens & non de l'Alie; pour la pluſ de ce que les Romains diſoient erarium cfifcms.
part de la Bolline , Seruic , Bulgarie , Croacie, & Tout cela eſt employé par le Turc de la Corte que
ſemblables regions adjacentes ; vieils ſoldatspra nous auons dit cy - deuant en la recepte & deſpen
tiquez & eſprouuez , de taille robuſte & mem ce , & ce ſous le maniement & adminiſtration de
brus, pour pouuoir correſpondre à leur hardieſſe; trois ſortes de financiers , les Dephteremım à lça- Dephie
qu'elle ne demeure inutile & courte par faute de uoir , qui ſont trois , l'yn en Europe , l'autreen remim ,
force, tendans ſans ceſſe à ſurprendre leur enne l'Anatolie , & le troiſieſme en Surie , Arabie , & Threſo .

my a deſcouuertou ſurla cekte , ou ſur les bras, a ricrs ge


Egypte , preſque comme nos anciens Threſoriers ncraui
quoy ils viſent, & d'un coup de taille : car ils tien de France qui ont leur bureau en la chambre du
nent à grand vitupere les eſtocades,auſſique leurs Threſor , auec la charge du domaine ; car ceux - là Bel of
cimeterres tortes & courbes, dont vſent genera connoiſſent de tout ce quidépend du Timar, & des drc.
lement tousles Turcs , ne ſont pas propres pour appointez là deſſus, dequoy ils ciennent les re
donner de poince , leurs autres armes ſont la tar giftres ; ayans pour cét effect fous eux autant de
gue , & la lance creuſe qu'on appelle bourdon, Commis comme il y a de Saniaquats , & cesCom
beaucoup plus groſſe & plus longue que les no mis autant de Clercs , que de subaßiſous leur sa
Atres, ayant vn fer long d'vn empan , auquel à niaquat , pour faire les roolles des Timariots, qui
L'endroit où il eſt enchallé dans lc bois cft atra font ſous leur reſſort & iuriſdiction , & des terres
chée vne plume d'Aigle en lieu de banderole, dont ils ioüiffent, enſemble quel nombre de che
puis le cimeterre & le bouldeghan ou maſſe d'ar vaux ils ſont tenus defrayer & mener à la guerre :
mes , a l'arçon de la ſelle : en la teſte pour ſalade, aucc les deniers reuenans bons au Prince des
ou cabarſet'ils ont vn large chapeau , dont le re places vacantes, & de la dixielme partiç qu'il leut
bras leur vient battre ſur les elpaules, fait de la Tur tout le Timar. Ces Dephteremim ont chacun
peau de quelque once ou Leopard moucheté : & quatre mille eſcus de penſion , leurs Commiscing
en lieu de pennache vn grand vold'Aigle auecla cens, & les Clercs deux cens : mais ils font tous
queuë , le tout tendu & Tupporté par le moyen relidence continu lle ſur les lieux de leur charge
d'un fil d'archal : la targueeſt cquippée tout de : & departement.
meſme, li qu'ils ſemblent à les voir de loing a L'AVTR 6 cſpece de financiers s'appellent les
cheual l'enchanteur Atlante du Poète Italien Dephterderi, deux
en nombre tantſeulement, pour Dephrer:
Ariſtote , monté deſſus ſon hypogriphe, leur ca. l'Europe, & pour l'Alie, & font comme generaux deri, Ge .
taque puis apres eſt d'vne defpouille de Lyon , Sur- intendans des finances, ayans la charge de neraux .
comme auſd le caparaçon du cheual , & leurs faire venir au chafna ou eſpargne tous les deniet's Aances ,
Saluares ou longues chauſſes de la peau d'vnicune tant du Carazzi, que des autres impoſitions
burs , ou d'vn loup , le poil en dehors , auec des ſubfides, & ont à cette fin chacun quarante Com
bottines qui les viennent rencontrera my -jambe, mis ſous cux , & ces Commis grand nombre de
pointuës au pied par deuant , & haucesderriere, Clers qui vont & viennent de corté & d'autre au
ferrées par deſſous, auec de grands elperons à la tecouurement des deniers : pour s'informer aulli
Hongreſque longs d'vn bon pied : Somme que des rançonnemens , & autres maluerſacions &
c'eſt vn eſtrange & hideux ſpectacle que de leur abus que peuuent commettre les douanniers, pout,
fait. Mais ſurtoutils ont de treſ-bons cheuaux, la pluſpart luifs, les mettre en priſon , s'ils fail.
car ils ſont fort bien appoin &tez ; de quatre à cing lent de payer és termes , & les faire exécuter à
cens eſcus de penſion, n'y ayant Baljé , Brglocrbey, mort quelquesfois, s'ils font des concuſſions ex
ay Saniaque de compte qui n'aye quelques - yns celliues: enſemble telles autreschoſes dependan .
de ces fols hardis aucc eux , pour autant de pompe tes de cét affaire. Lç Dephterderi de l'Europe a dir
& reputation allans à la guerre. Les Tartares ont mille eſcus d'eſtat , & ſous luy deux Commis.ge
aulli de ceſte maniere de gens parmy eux , & les neraux ; l'vn pour la Hongrie , Tranfyluanic,
appellent Talugabater , comme met loſapha Bar Valaquie , Croatie , Seruie , Bulgarie , Bolline,
baro en ſon voyage de la Tanechap. 6. où il les & regions adjacentes : l'autre pour la Grece , la
deſcrit fort par le menu. Au furplus, le pourtraict Morée , & les Illes circonuoiſines , qui en ont.
ſuiuant qui les vous repreſente au naturel ,a eſté chacun quatre mille, & pluſieurs Clercs ou Souſ
emprunté de Nicolas Nicolaï,mais la deſcription commis apppointez de deux iuſqu'à cinq ou fix
deffuſdite de certains traictez Italiens d'vn An cens efcusilors que le Turc dreſſe vnearmée Im
tonio Menauino Geneuois, Theodoro Spandugi periale où il va en propre perſonne , il a accou
no , & autres afin de nem'accuſer d'aucun larrecin itumé de laiſſer ce Dephierderi de l'Europe à Con .
rccelé & diffimulé . ftantinople avec un des Buffats , pour commander
en ſon abſence , & lors ſe tranſporte le chaſma du
L'ordre des finances du Turco, Serrail au chaſteau des ſept tours , où il y a auſſi
ýn autre threſor d'ordinaire gardé par vn bon
La deſpence des Roys & autres Potentats ſou . nombre de lani faire , comine nous dirons cy
uerains conſiſte en deux articles principaux , l'en , apres : & ce pour y eſtre plus ſeurement. Le Deph
tretenement de leurs forces & de leur maiſon, auec tenda i de l'Àfie n'a que fix mille eſcus de gages,
les autres menuës charges qu'il leur faut porter & deux Commis qui en ont deux mille chacun,
ſur leurs coffres. Il y a auſli deux manières de fi l'vn pour l'Anatolie, & l'autre pour la Surie,Ara
nances pour y fubuenir , (maistout cecy eſt plus bie & Egypte ,leſquelsont pareillement pluſieurs
reiglé fúrle Turc , dont ileſt icy queſtion , que ſur Souſcommis & Clercs appointet comme ceux de
les autres Princes ) le reucnu de la terre compris l'Europe.
c jiij
II Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 111

LA troiſieſme eſpece des Financiers ſont les autres Chefs des Hordes d'iceux Tartares, ils ne re
Chaſna- deux Chafnadarbaſı ,l'vn pour les deniers proue
les denier pourroient pas meſurer au pouuoir Turqueſques
nans de ľEurope , & l'autre de l'Aſie , comme ſi ce n'eſtoit pour quelque rencontre campalles
darbaſi,
Threlo
rier de Threſoriers de l'eſpargne, qui reçoiuent chacun qui ſe demellalt de pleine abordée;encorey pour
l'eſpar- endroit ſoy les deniers prouenans de ces deux roient- ils faire mal leurs beſongnes fi la fortune
gne . grandes Provinces , dont ils fourniſſent à toute la ne leur eſtoit particulierement fauorable; car ils
deſpence du Turc , tant pour l'entretenement de n'ont point de gens de pied , & meſmement d'ar
ſa maiſon , que des forces reſidentes à la Porte, quebuziers , ny d'artillerie , ny autre cquipage
ſelon qu'il a eſté dit cy - deſſus, & au bout de l'an requis pour vne guerre guerroyable ; & rien que
née mettent les deniers bons , & qui leur reſtent ce ſoit par la mer , qui peuſt aſſiſter de commodi
entre les mains , dedans les coffres du chaſna. Ils tez leurs armées de terre. Lors doncques que le
ont chacun yn eſcu par iour , & bouche à Cour , Turc veut armer , ſi c'eſt du cofté de l'Europe , il
aucc deux accouſtremens tous les ans aux deux n'a à faire que de demander au Beglierbey de Ro
Bafiram , qui leur ſont comme à nous les Paſques : menie ou de Grace; de faire aſſembler en tel temps,
& dix Commis fous eux , qui ont vingt afpres. & en tel lieu ( toutesfois c'eſt communément au
Il y a puisapres deux vefnadar, qui ont charge tour d’Andrinople que la maſſe ſe fait ) les forces
de peſer les ſeraphs, olisalpres à meſure qu'on les qui ſont entretenuës ſous ſa charge , iuſques à tel
apporte de coté & d'autre és iours que le Diuan nombre qu'il aduiſe eſtre requis pourſon entre
ſe tient;où tout s'examine de jour à autre, ſans priſe ; car ils n'ont point accouſtumé de laiſſer
rien laiſſer traiſner en arriere, quieſt l'vne de leurs rien dedans les places , d'autant qu'ils n'ont com
bonnes façons de faire : & fix seraffiers, car tous me point de fortereſſes , & auſſi qu'ils ſont mai
ceux - là ſont des finances ; leſquels ſeruent com ſtres de la campagne : & ce Beglierbey fait entendre
me d'aiſſaieurs és monnoyes , pour fricaſſer les le rendez - vous aux Saniaques, qui enuoyent des
eſpeces dans le Dinan propre , en la preſence du mandemens à leurs subaſsi,leſquels leurs meinent
conſeil, pour voir s'il y aura rien de faux ,ou d'au chacun endroit ſoy leur cornette de Caualerie ,
tre titre qu'il ne doit : Puis on les peſe, & enſa pour de la marcher tous enſemble ſous la bannic
che , & les deliure- on aux chafnadarbaſi, qui en re du Saniaquat, vers le Beglierbey au lieu deſtiné,
tiennent le compte . Les huict derniers ont demy conduiſant quant & eux les viures & munitions ,
eſcu par iour. à quoy les ſubjets dudit Saniaquat auront eſté cot
Les Dephterderi ont ſeance au Dinan , & entrent tiſezpar le Prince . Au regard des Accang:7.,&
auec les Cadileſchers , Baſſats, Beglierbeys, & autres Arapes , l'on en depeſche les commiſsions de la
principaux du Conſeil , deuers le Prince ; & où Porte par des vlaques ou courriers expres , aux
ils ſont tous les derniers à ſortir de la chambre; Commiſſaires à ce deputez , qui en font comme
luy rendans raiſon de ce quidépend de leur char en moins de rien la leuée , & les meinent où le
ge ; de laquelle comme gens plus verſez aux let camps'aſſemble . Cependant le Princes’achemi
tres qu'aux armes , ils ont accouſtuiné de monter ne tout à ſon aiſe , auec ſes laniſſaires , Spacchis,
à celle de Cadileſcher : mais les Dephteremim n'en şelictars, Vlofagi , Carripi , & autres forces de ſa
trent point au Conſeil du Divan , ny deuers le Porte , ſelon qu'il a eſté ſpecifié cy - deſſus: & cel
Prince ; aufli ne viennent - ils pas guere fouuent à les de l'Alie , qui ſeruent comme d'yne arriere
Conftantinople , ains ſont tenus de faire reſiden
garde, viennentapres paſſer le deſtroit de l'Hel
ce ſur les lieux de leurs charges , & des chcuau leſpont, qu'on appelle le bras ſainet George , à
chées de corté & d'autres , felon que l'occaſion Gallipoli , où le Gouuerneur aura fait à ceſte fin
s'en preſente. prouiſion demaormes , palandries , & feinblables
Voil a l'ordre à peu pres ,qui ſe tient és fi vaiſſeaux propres pour les gens de cheual . Tout
nances du Turc ; lequel ſemble fort bien eſtably le meſme Te practique du coté de l'Aſie fil'armée
& diſpoſé en beaucoup de choſes, mais princi- s'y dreſſe, où le Beglierbey de la Natolie meinel'a
palement de ce qu'en vne ſigroſſemaſſe d'Empire uant - garde & poincte gauche à ſon tour,comme
il y a ſi petit nombre d'officiers, ce qui cſpargne fait celuy de la Greccen Europe :car le coſté gau
autant de gages & de larrecins ' ; de confuſion , & che au contraire de nous , eſt le plus honnorable
mangeriesdu pauure peuple; toutes ces vexations enuers les Turcs , pour autant que c'eſt là où ſe
pfouenans de la pluralité d'iceux , porte le cimeterre, que celuy qui eſt à la gauche
pourroit ſaiſir ſur l'autre qui ſeroit à ſa droicte,&
La maniere de dreſſer des armées , de camper, ainſi qu'à
la façon des Hebreux & Arabes , ils ef
G combattre des Turcs. criuent en dedans de la main droicte vers la gau
che , & que ſe tournans vers le Midy pour faire
TOVIES FOIS & quantes que le Turc yeut leurs oraiſons & prieres , la partie del’Orient, qui
armer, & Jetter des forces dehors,tant par la terre eſt la principale & plus excellente que l'Occi
que par la mer , de quelque coſté que ce ſoit , il ne dent , leur demeure à gauche. Ces deux Beglierbeys
luy conuient point autrement pour cela mettre la ſont de pareille authorité & commandement,
main à la bourſe pour leuer des ſoldats eſtran comme le Conneſtable en noſtre endroit , car les
gers , ny de ſes pays, ny de faire ſes preparatifs de enfans propres du Prince, qui pour le plus , ne
longue- main ; cat ila les forces touſiours preſtes paruiennent qu'à quelque bon Saniaquat durant
& à toutes heures , entretenuës en tout temps , la vie de leur pere, leur obeïſſent à la guerre , com
auſſi bien à la paix qu'à la guerre ; & fi puiſſantes bien qu'ils leurportent touſioursbeaucoupde reſ
en nombre d'hommes, qu'autre, licen'eſtoit d'a pect, à cauſe du ſang Imperial dont ils ſont. Quant
uenture le grand cham, Empercur des Tartares aux laniffaires & Spacche de la Porte , car les Beglier
Orientaux , ne s'y ſçauroit point eſgaller : mais bers & Saniaques en ont touGours quelque nombre
celuy -là en eſt par trop eſloigné: Et quant aux à leur ſuitte , comme auſsi des Chaoux pour vne
plus
112 de Chalcondile .
113
plus grande authorité, ils ne bougent d'aupres de des armes : de maniere que pour rien preſque il
la perſonne du Prince , & n'y a que luy ſeulement peut compter la perte de ſes hommes, ſelon qu'on
qui leur commande, ou de la bouchepropre, ou de a peu voir par la grande deſconfiture nauale qu'il
celle du vifir & premier Bala , qui cheuauche or receut pres de Lepante l'an 1571. par les Chre
dinairement pres de luy à la guerre, pour ordon (tiens , dont il ſe releua auſſi - toſt , ſans qu'on
ner de ce qui peut ſuruenir d'importance : auili peuſt rien enjamber ſur luy pour cela , s'il ne perd
ces forces de la Porte,ne combattent qu'au grand quant & quant les pays qui les ſoudoye , ce qui nė
beſoin , laiſſans faire la premiere poincte, & en leur eſt point encore aduenu iuſques icy , ne leur
tamer , comme on dit , le gaſteau , aux Timariots, ayant peu eſtre eclypſé vn ſeul pied de terre qu'ils
Accangis, o Azapes, & meline à ceux de l'Aſie ayent conquiſe , ains ſe yont touſiours dilatans
moins valeureux que de l'Europe , leſquels ores ſur leurs voiſins de proche en proche , & accroiſ
qu'ils fuſſent rembarrez & rompus, car de deffaire ſans deiour à autre , pied à pied , leur domination
tout à fait vne ſi groſſe nuée de gens de cheual, & Empire .
plus dangereux en ſe retirant & fuyant, que lors Or L'ARME E Turqueſque approchant les
qu'ils demeurentfermes, ce ſeroit choſe trop ma frontieres de l'ennemy , l'ordre qu'elle tient à
laiſée , voire preſque impoſſible : Ceſte ſeconde marcher eft tel à peu pres . En premier lieu , les Nosca

trouppe ſe trouue en teſte freſche & entiere , de Accangis, coureurs & gaſteurs de pays, s'aduan- fta
dours)
douze mille arquebuziers , eſprouuez de fort lon cent deux ou trois iournées, & quelquesfois plus ont
gue-main , auec vingt mille cheuaux tous deſlite, ſelon que les occaſions s'en preſentent ; & ſur les quelque
& vne infinité depieces de campagne au deuant , aiſles,
& à la teſte du camp, s'eſpandans au long affinité
auec des paueſades portariues , à ſçauoir de gros & au large,pourprendre langue, & pour les autres ccla,
ais ferrez par le bout, pour ficher en terre : ſi que deſduites cy - deſſus. Apres ſui
cffets & factions
c'eſt comme vn fort preſqu'inexpugnable , qui uent vne bonne iournée touſiours deuant les Ma
peut ſinon remettre ſus yn combat du tout eſbran reſchaux de camp,auec les pionniers, ſous la con
lé, & obtenir nonobſtant cela vn finalgain de cau. duite de leur Saracmın ou Maiſtre des explanades , Saramin
ſe , à tout le moins ſauuer le maiſtreauec ſon thre auſquels vne partie des Accanga & Azapes, font Capitai.
for iuſques en lieu de ſeureté, & faire eſpaule à eſcorte, afin de r'habiller les chemins & mauuais ne des
Caſta
tout le reſte de l'armée quelque diſlipé qu'il peut paſſages, & dreſſer de coſté & d'autre de gros tas dours,
eſtre, pour ſe rallier de nouueau. Par ainſile Turc de pierres , & pieux de bois , auec autres ſembla
ayant continuellement toutes ſes forces entrete bles marques , ſeruans à monſtrer la brizée quele
nuës , il ne deſpend non plus à la guerre qu'en camp doit tenir , pour autant que la couſtume des
temps de paix , ains y gaigne au contraire de tous Turcs , eft de partir ordinairement à minuict , &
les autres : car quantaux viures& munitions qui cheminer iuſques à midy qu'ils ſe campent, fai
outre la ſolde de gens de guerre , ont accouſtume ſans à ceſte fin porter force fanals, & meſmement
d'eſtre de fort grands frais à nos Princes de par de . autour du Prince , la premiere chambre duquel,
çà , il eſt luy -meſme le marchand munitionaire, c'eſt à dire l'un de ſes logis qui conſiſte de tentes
qui vend à tel prix quebon luy ſemble ,non tou & de pauillons , marche à la queue de ceſte troup
tesfois ſi exceſſif, que les gens n'en puiſſent viure pe : car il en porte touſiours deux du tout ſembla
chacun endroit de ſoy , de leur paye & appointe bles quand il va à la guerre, fi qu'autant qu'il deſ
ment, les prouiſions que de longue main il a fait loge de l'vn , l'autre eſt deſia preparé & tendu au
lieu où il doit aller ce iour -là : & le ſecond ſe
amaſſer en des eſtappes & magazins dreſſez és
lieux où il ſçait que ſon armée deura paſſer , car il trouſſe en grande diligence ; car iln'y a nation au
préuoit ſes entrepriſes , & ce ſans qu'il luy couſte monde qui ſe campe mieux ny plus promptement;
vn ſeul afpre; pource que ces ſubjects, principale & plus magnifiquement que les Turcs : pour par
ment les Chreſtiens; luy contribuent toutes ſes ſer outre tout d'vne traicte iuſqu'à l'autre logis
fournitures gratis , & les conduiſent à leurs pro du iour enſuiuant, ainſi qu'enuers nous de tout
pres couſts & deſpens , iuſques aux lieux qu'on temps les deux chambres du Roy .
leur a mandé , auec des artiſans neceſſaires pour APRES ceſte premiere trouppe des Mareſ
la fuitte du camp : joint queles Beglierbeys melmes, chaux decamp , commence à marcher le corps de
les saniaques, Subaßi, & autres perſonnes aiſées, l'armée ;à ſçauoir le Beglierbey de la Grece, auec les
qui ont fait deſia leur mainés charges par eux ob + forces tant de Caualerie , que d'Azapes ou auan
tenuës , pourparuenir à de meilleures, s'efforcent turiers gens de pieds dont les bataillons ſont en
de luy faire de beaux preſens à l'enuy , qui d'vne trenieſez auec les eſquadrons de ceux de cheual,
choſe , qui d'vne autre , en argent comptant , vi ainſi que vous pouucz voir en la figure ſubſequen
ures,draps ,toiles , beſtes de voicture , & ſembla te ; où il faut eſtre aduerty de prendre les choſes
bles commoditéz , leſquelles venant à reuendre à tout au rebours, à ſçauoir la main droicte pour la
ſes gens propres,la guerre ſans doute luy eſt d'vn main gauche, pour autantque le peintre l'ayant
merueilleux profit : joint que tous les butins qui delſeignée ſur la planche ſelon que le tout deuoit
ſe font ſur les ennemis de quelque nature qu'ils eſtre , quand c'eſt venu à l'imprimer les choſes
puiſſent eſtre, il en prend la dixieſmepartie à ſon ſont allées à contrepoil . Le Beglierbey doncques
choix . Que fi en quelque rencontre moins fauo . auec la cornette de ſes domeſtiques quifont ordi,
rable , il perd quarante ou cinquante mille hom nairement quelques mille cheuaux , & quatre ou
mes , comme il n'y a pas long -temps contre le So cinq milleautresdetel s sniaque que bon luy ſem
phy , cela luy reuient à autant degain , pour rai ble,le plante à la teſte de la poincte gauche,en yn
ſon des places vacantes dont il reçoit le reuenu ; eſquadron carré, & aucunefois le Seigneur y com
car des gens de guerre ny de cheuaux , il n'en peut met l'vn des Baſſars auec luy , qui a de la part auſſi-
manquer , eſtans ſespays ſi peuplez , & les Turcs ſa cornette , de telle couleur qu'il luy plaiſt , de
ne s'adonnans à autre profeflion ny meſtier que mille ou douze cens cheuaux de ſes domeſtiques,
I14 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire JIS

la pluſpart eſclaues, qu'ils entretiennent à leurs te ; des Spacchis, à ſçauoirà main droicte, en nom
deſpens ſur l'eſtat qu'ils ont, tous gés de guerre, & bre de ſept à huiet mille, auec vne banniere rouge;
braues hommes . Les autres saniaques ſont eſten & des seli&tars preſque autant à la gauche, dont
dus, chacun auec ſon regiment à part, en yn demy la leur eſt jaune, & celle des Olofagi verte, de qua
cercle: & de meſme le Beglierbey de la Natolic, tre à cinq mille , qui ſont derriere, y compris les
auec ſes Saniaques , & leurs regimens , comme Caripi, comme il a eſtédit cy -deuant. Mais entre
vous pouuez mieux aperceuoir par la figure, les janiſſaires & la Caualerie deſſuſdite , y a vn
qu'on ne le ſçauroit eſcrire : fi qu'il n'y a rien à grand interualle , auquel eſt l'attirail & equipage
quoy l'armée Turquefque rangée en bataille , & du Turc , & de la maiſon , auec ſon threſor , &
marchant par pays , reſſemble plus proprement grand nombre de pieces de campagne , dont les
qu'à yn fer de cheual; dont les deux crampons gens de picd ſont couuerts , fi que fort malaiſé
vers l'ouuerture vuide du tallon , repreſententles ment les pourroit -on aborder pour donner de
deux Beglierbeys, aſſiſtez des Ballats , auec leurs dans,qu'auec yne tres -grande perte & danger.Au
cornettes, & le tour d'iceluy , les deux grandes dcuant des chaoux & Coſurgiti,marche ! Emiralem ,
ailles de Caualerie & infanterie de Natolie , & ou Gonfalonnier , accompagné de ſix forts & ro
Europe , qui enferment au dedans d'eux , ainſi. buſtes hommes , qui portent autant d'eſtendards
qu'en la Salle parée , la trouppe du Turc ,auec les du Seigneur , leſquels ne ſe voyent ny ne ſe deſ.
forces de la Porte , de ceſtemaniere. Tov I pre ployent iamais , ſinon quand il eſt au camp . Puis
mierement ſa perſonne eſt ſeule dans vn grand ef ſont les deux Cadileſchers, qui ne vont point non
pace , en forme d'vn parquet quarré d'vn bon get plus à la guerre s'il n'eſt en perſonne, autrement ,
de pierre en tous ſens, fors du premier Baſſa quel & que l'armée ſoit ſous la charge d'vn Beglierbey
quefois deux qui l'accompagnent : & au derriere ou Baffa , ils commettent quelqu'vn en leur lieu,
de ſon cheual tout joignant,
ſont les trois enfans pour adminiſtrer la Iuſtice , dont ils ſont les ſur
d'honneur, qui portent la valize,l'arc & les fleſ. intendans , & commedeux grands Chanceliers
ches , & le vaſe : Tout cela ſans plus eſt dans ce outre- plus : auſquels s'il eſt queſtion de combat
parquet ; & autour d'iceluy les soulachs ou Ar tre en bataille rangée, ou d'aflieger vne place,ou
chers du corps de coſté & d'autre , auec quelque faire quelque rauage dans le pays
de l'ennemy, le
nombre de chaoux au deuant , pour porter ſes com Turcauant que de paſſer outre,a decouſtume d'en
mandemens çà & là , & faire large, empeſchans demander leur aduis, pour ſçauoir ſi en cela il y
que perſonne n'approche s'il n'eſt mandé. Et là aura rien contre la Loy , & fa conſcience, afin d'a
meſme auecques eux , ſont quelques quarance Co uoir quelque iufte pretexte en ſon entrepriſe, &
Coſwigori fuigitt, qui portent le manger au Dinan les iours mettre le bon deuers luy , tout ainſi que fouloient
porte
qu'il ſe tient; ſix deſquels à tour de roolle, car cela faire anciennement à leurs Fecialiens les Ro
placs.
ſe change de iour en iour, portent autant de lances mains . On peut voir de cecy ie ne ſçay quelle
pour la perſonne du Prince dedās des riches four adombration vers la fin du ſecond liure de ceſte
reaux d'eſcarlatte ; tous bien en ordre , & montcz Hiſtoire, des difficultez que la femme deTemir ou
ſur de bons chcuaux , leur Chefa quatre eſcus par de Tamberlan luy propoſe de mouuoir la guerre
iour , & eux demy : les Mutteferaga ſont deuant contre Bajazet. Deuant les Caurleſchers marchent
eux . En apres à quelque diſtance des solachs mar les Dephterders ou Treſoriers generaux , accompa
chent les Capigi ou portiers, eſpandus pareille gnez chacun de quelques quatre ou cinq cens de
ment autour du parquet ; dont le Capigibaßi , qui leurs domeſtiques, tous bien montez & armez de
eſt leur Chef, à la charge de mener au Prince , & cabaſſats, iacques de maille, targues ,lances, maſſes
luy introduire ceux qui luy viennent baiſer la & cimeterres . De là hors & à la teſte de l'armée,
main ; les inſtruiſant de la ceremonie qu'il leur ſont les eſquadrons des deux Beglierbeys: ou des
faut faire ; & les faiſant conduire yn à vn quand Baſſats, comme il a eſté dit cy -deſſus. Et entre la
ils ſont deſcendus à terre , par deux de leurs gens Caualerie de la Porte toute de Chreſtiens Maho

ſous les bras à la mode accouſtumée qu'on garde metiſez , & ceſte grande & profonde mer de Turcs
au Serrail . Et finalement les douze mille lanıflai naturels,tantde l'Europe que de l'Aſie , eſtendus
res enferment le tout en vnc ouale , fans eſtre or en deux aiſles qui ſe viennent rencontrer & join
donnez autrement en rangs ny en files, diſtinctes dre en yne ouale , marchent les munitions & ba
ſous des enſeignes particulieres, mais par cham gages du camp , y ayant pluſieurs schaoux à cheual
brées de dix en dix , & en certaines , preſqu'en eſpandus tout autour pour garder que perſonne
foulle ; auecques leurs odobaßi , & poluchbaßi à ne ſe deſbande,ou recule , & fuyela liffe quand il
cheual , comine eſt auſſi leur Aga ,bu Coronel cſt queſtion de venir aux mains , & ioüer à bon
majeur, lequel eſt au milieu d'eux tous: à l'oppo eſcient des couſteaux ; car ils les font retourner de
Lite du chcual du Prince , accompagné de ſon che viuc force au combat à grands coups dema:Te,ain
caya ou Lieutenant. Toute ceſtemaffc au reſte de ſi que vous pouuez voir le tout figuré au preſent
gens de pied eft flanquéc de la Caualerie de la Pors portraict.

Icy doit eſtre le portraict de l'armée du Turc.

DE

1
116 de Chalcóndile .
117

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DE L'ARTILLERIE

OVT ce que les Turcs ont eu auec yn merueilleux tonnerre & tempeſte : à l'ef
iuſques icy de ce tant pernicieux fet de la poudre à canon , n'eſtimans pas qu'il y
& damnable artifice en inuention, peuſt auoir contre- poids ny reſſorts ſi roides,
pratique , & vſage , ſe peut dire qu'il peuſſent enuoyer de tels fardeaux ainſi au
eſtre prouenu des Chreſtiens; car loing, & d'vne telle violence. On allegue en ou
ces barbares - là n'eſtoient pas G tre , que ce que les Poëtes ont feint Promethée
ſubtils & induſtrieux , qu'ils s'en auoir li griefuement encouru l'indignation des
fuſſent peu preualoir ſans l'aide de gens plus ſpi Dieux , & 'eſté chaſtié d'vne li rigoureuſe ſorte,
rituels qu'ils ne ſont , tant pour les fontes des pie ne ſe doit pas ſimplement entendre du feu com
ces & boullets, que pour leurs affuts & equipages mun , ains des artificiels compoſez de ſalpetre,
propres pourles traiſner par pays , & les mettre ſoulphre , & autres tels inflammatifs materiaux :
à execution. Pour la confection auſſi de la poudre pour autant qu'il n'eſt pas ( ce dit - on ) croyable
à canon , où conſiſte tout leur effcct , qui a cauſé que les Dieux G benins & bien affectionnez au
tant de calamitez & ruines , tant de defolations genre humain, nous euſſent voulu priuer toûjours
de belles villes & fortereſſes qui ſe fuſſent peu de ceſte parcelle de la nature , ſans laquelle noſtre
conferuer ſans cela : de la mort & affollement de vie ſeroit trop plus pire, & de plus miſerable con
dicion que celle des beſtes brutes :mais que voyant
tant d'illuſtres & valeureux perſonnages : de la
perte d'vn ſi grand nombre d'excellens Capitai la ſi grande curioſité & temeraire entrepriſe de
cét humain - là ; & encore vne choſe non tant ſeus
nes , & vaillans ſoldats , miſerablement extermi
lement inutile , mais ſi dommageable par meſme
nez auant leurs iours: à qui pour ceſte occaſion
les moyens ont eſté retranchez de mettre en eui moyen , en voulurent chaſtier ainſi aſprement le
dence les preuues de leur hardieſſe & vertu , que premier autheur , ny plus ny moinsqu'vn ſecond
attentat des Geants enfans de la terre, en l'exauſ
la grandeur de leurs courages les eſguillonnoit de
fement infolent de la tour de confuſion : car c'eſt
pouſſer dehors. Bref, que l'ordre entierement de
la guerre & diſcipline militaire ont eſté du tout par trop entreprendre à la creature de voulois
peruertis & annihilez par ceſte malheureuſe imi par vn li outrecuidé artifice imiter les ouurages
tation de ces dernierstemps , pluſtoſt tirée du pro de ſon Createur , en contrefaiſant les cſclairs,
fond des Enfers , ſelon le Počte Ariſtote , que des foudres & tonnerres qui ſe forgent naturellement
effets de la nature en la moyenne region de l'air, és en la moyenne region del'air de meſmes ſubſtan
eſclairs , foudres , & tonnerres . Neantmoins on ces , combien que ſans comparaiſon celles d'en
peut aſſez voir en pluſieurs endroits des ouures haut plusdepurées , plus ſubtiles & eſſentielles
Chimiques de Raimond Lulle , qu'il auoit fort que d'icy bas,qui ſontaſſez plus groſieres, d'au .
bien deſcouuert la qualité du ſalpetre, principal tant que les autres ſont attenuées iuſques au der
ingredient de ceſte mixtion , eftre merueilleule nier degré d'vne ſpiritualité vaporeuſe par le
ment aëreuſe, & qui ſe reſouſt & dilate d'vne ter moyen de leur efleuement cauſé de deux cha
leurs,l'vne pouſſante, & l'autre attrayante; donc
rible impetuoſité en vn tres -furieux eſclat tout à
s'enſuit que ce quis'en forme & procrée eſt auſſi
coup , auec vne groſſe vapeur : mais plus de cent
ans auant luy encore,Roger Bacchon tres -ſubtil ſans comparaiſon de plus grand effet. Comme
Philoſophe Anglois, lequelen ſon traicté de l'ad que ce ſoit de cét artifice , ou que lvſagen'en aic
mirable puiſſance de la nature & de l'art , en a eſ eſté ſi parlaictement conneu des anciens , ou
qu'eux pouſſez d'une louable intention, ils ayenç
crit ce qui s'enſuit. Auec un bien peu de matiere ap
mieux aymé le cacher & enſeuelir ſous yn Gilena
propriée à cet effet , à la groſſeurdu bout du poulce,fepene
faire un fon Qeſelair ſurpaſſant ceux de la nature : ce ce perpetuel , que de le deſcouurir aux mortels,
qui se fait en pluſieurs fortes, dont il n'y a fortereſſe ny n'ayans quetrop de moyens ſans cela de s'entre .
armée qui n'en fujt deſtruite : de la meſme forte que fic nuire & offenſer, ou que par vne diuine proui
Gedeon , lequel auec certaines petites boullettes de terre, dence il ait eſté reſerué à ces derniers temps em
dont le feu fortoit ſuiuz d'un tonnerre eſpouuentable ,lwy poiſonnez d'une tres - cruelle inhumanité: ceſte
Seulement accompagné de trois cens hommes deffit toute compoſition de poudre à canon n’aeſté pratiquée,
l'armée des Madianites. Et encore que cela ne ſe trou pour le regard au moins de l'artillerie, iuſques en
ue ſi preciſément à la lettre dedans le texte de la uiron l'an 1400. de ſalut , qu'vn certain Moine
Bible chapitre ſeptieſme du Liure des luges, Allemand , comme un dit , commença de le met
neantmoins il y a plus de trois cens cinquante ans tre en yſage, non fiexactement toutesfois qu'il a
qu'iceluy Bacchon l'a ainſi eſcrit. Et deux ou eſté depuis , & ſur tout à ceſte heure qu'on s'aide
trois lignes au deſſus: In omni diftantia qua volumus de petards, de ſauciſſes , & autres ſemblables plus
poſſumus artificialıter componere ignem comburentem ex que diablecies tout nouuellement eſcloſes & for
Jalpetria, alys . Ce qui ne ſe peutentendre que ties en lumiere . Car meſme iuſqu'au regne de

de la poudre à canon ; pour ceſte grande diſtance l'Empereur Charles le Quint, & du grand Roy
qu'il dit où cet effet lepeut eſtendre. Quelques François I. de ce nom , ce n'eſtoit quaſi rien de
yns veulent auſſi referer ce lieu de Plutarque en la l'artillerie & arquebuzerie , qui feruoient plu
vie de Marcel , qu'Archimede delaſchoit de ſes ſtoft de monſtre & oftentation pour faire peur aux
machines & engins , des pierres peſans dix quin femmes & petits enfans, que d'aucun effet d'im
taux , deux ou trois à la queuë l’yne de l'autre, portance : de fait, tout ce qu'on tiroit alors pour

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118 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
119
battre des places , d'on petit nombre de pieces, & dit ailleurs . C'ét Arcenalan reſte du Turct Con
encore de mauuais calibre, & de loing à coup per ftantinople ,eft à Pera tout aupres, auquel ily ayn
du , eſtoit cinq ou ſix volées par iourtout au plus ; merueilleux attellier , & nombre d'ouuriers ,auec
ou bien de ie ne ſçay quelles longues flyttes de ba yne infinité d'eſclaues & forçats pour leurs aides;
ſilicos, ou de courts mortiers accroupis pour laf dont les vns en nombre de plus de cent cinquante
cher contre -mont de groſſes demeſurées balles de trauaillent tout le long du iour à fondre les pieces
pierre, quiau recheoir venoienteffondrer les mai en l’Arcenal ; & la nuict ſe retirent à Conftanti
sós, comeon peut voir au 8. & 9.liure de célte Hi nople, où ils ſont habituez auec leur meſnage : les
ſtoire,pour intimider de laſches courages non en autres ne bougent de Conſtantinople à faire les
core bien r'aſſeurez encontre ces pluſtoſt menaces affuts & les poudres. Les autres ſont pour la con
duite & execution des pieces à la guerre ; dont
que reelles executions : & les arquebuziers n'o
foient pas coucher à iouë leurs baftons à feu celles qui ſont pour les armées de terre demeu
courts & renfoncez , mais d'vn tres - delié calibre, rent en reſerue audit Conſtantinople ; & de la
ains en y mettant le feu tournoient ainſi qu'en ef mer en Pera ſur le bord de l'eau , en yn lieu
ap
froy & ſurſaut, le viſage arriere , ayans comme pellé Tupanar , retraicte d'Artillerie , où ſont
11s le monſtroient plus de peur , & cítans en plus auſſi les magazins deſſuſdits pour la fondre . Ily
de danger que ceux à qui le coup ſe deſtinoit. Au a encore un grand nombre de pieces ſur la mu
moyen dequoy le tout n'eſt venu en l'accompliſ-, raille du Serrail, & en vne platte forme horsd'i
ſement que nous le voyons, ſinon depuis le regne celuy: Plus és deux chaſteaux de l'Helleſpont;&
du Roy Henry II . que la furie des batteries, & le dans les tours pres le pas ou deſtroit de Gallipoli:
grand nombre d'arquebuziers & de piſtolliers ſe & en vne fortereſſe edifiée dans la mer , entre le
fit voir és armées que par huict ou dix ans conti Serrail , & la terre ferme de la Natolie , ainſi que
nuels il mit en campagne , tant deçà que delà les vous le pouuez voir au portraict de Conſtantino
monts : & encore depuis ſa mort en nos troubles ple ſous la lettre A toutes les armes ſont en reſer
& calamitez domeſtiques les plus cruelles qui fu ue dedans le pourpris du Serrail à l'endroit qui
Tent oncques en tout le pourpris de la terre. Ce eſt cotté, qui fut yn Temple autrefois dedié à S.
qui depend principalement de trois choſes : l'vne Chryfoftome.
de la grande quantité de pieces , & leur equipa Sov s le train au reſte , & ſuicte de l'Artille
ge fourny de la luitte qui y appartient: des nou rie ,eſt auſſi compris l'Anagibaßiou Capitaine du
Aragia
ucaux calibres d'icelles, trop meilleurs en toutes charroy , car Araba en Turc veut dire chariot ; baſi, Ca.
fortes que des anciennes : & finalement de la pou lequel a trois mille trabag 2 ou charretiers pitaine
dre groſſe grenée , dont l'experience nous a fait deſſous luy , qui conduiſent l'equipage du Prin- du char
voir l'effect en eſtre tant pour tant plus fort au ce , & l'attirail de l'Artillerie , auec les pieces de fog .
.
double que de la menuë cicachée ; parce que la campagne. Plus le saracmin qui a cinq cens pion- Saraca,
violence procededela force reünie & contrainte niers ſous luy , entretenus tant à la paix comme à min .
au reſſertement des gros grains , qui cſclattent la guerre , pour aller faire les explanades, & r’ha
d'eux -meſmes ſur le brazier à pair preſque de biller les chemins par tout où la perſonne du Turc
quelque petit piſtollet. Mais nous auons aduiſé marche : Car pour le reſte de l'armée l'on y em
eſtre plus à propos de remettre tout cela ſur l'art ploye les Agapes & Coynariz, qui ſont de certains
militaire d'Onorandre , qui ſuiura, Dieu aidant, paſtres & gardeurs de beſtail , rodans continuel
bien toft ce labeur , s'il ne le preuient d'auenture : ſement çà & là auec leurs troupeaux par les mon
car il y a beaucoup d'autres choſes à dire en cét tagnes de la Grece & la Natolie. Et pour autant
endroit , leſquelles n'ayans rien de commun auec que l'eſtenduë de cét Empire eſt fort grande, dont
les Turqueſques , à cauſe que l'attirail de noſtre Conſtantinople eſt preſque le centre, où ſe tient
artillerie eſt aucunement different du leur , elles d'ordinaire tout le train de l'Artillerie , quand il

pourroient entrerompre ce qu'il faut pourſuiure eſt queſtion defaire quelque entrepriſe toingtai
de leurs affaires.
ne , ou par des endroits mal-aiſez à conduire les
Povr retourner doncques à noſtre propos groſſes pieces de batterie : ils ont de couſtume de
principal: toute la pratique qu'ont les Turcs de faire porter le bronze ſur des chameaux ; & puis
l'artillerie , cela leur eſt venu des Chreſtiens : fi quand ils ſont arriuez ſur les lieux où ils en peu
que la pluſpart des ouuriersdont le Turcen entre . uent auoir beſoin , les fondre de tel & ſigrand ca
tient d'ordinaire plus de fix cens , & bien autant libre que bon leur ſemble: Par la mer il n'eſt pas
Topgilar, de topgilar ou Canonniers, qui ont tous chacun neceſſaire d'en faire ainſi : & meinent toufiours
Canon- de quinze à vingt afpres le iour, avec des accou quant & eux vne grande quantité de pieces de
niers .
ſtremens Italiens , Eſpagnols, Allemans , Polo campagneen touteslesarınées qu'ilsdreſſent ;auſ
nois , & Hongres reniez, ſous la charge comme fi eſt- cel'vndes moyens principaux qui leur a ac
d'vn grand Maiſtre de l’Artillerie appellé topgi. quis de telles victoires & amplification d’Empi
Topgibaf- baße, car Top ſignifie Canon , & Topan l'Arcenal: re , tant ſur les Chreſtiens que Mahometiftcs,
fo , Mai- & à ce propos ie me reſſouuiens auoir leu és rela commele Souldan du Caire & Surie, & le Sophy
ftre de tions de ces nouueaux découuremens & conque Roy de Perſe & deMede. Les pieces legeres ſont
l'Arrille
tie. ſtes des Indes occidentales, que ces pauures bar ordinairement departies en trois trouppes, deux
bares quand il tonnoit fouloient dire en leur lan aux deux poinctes, auec les deux Beglierbeys; &
gage que Topan ſe courrouçoit , y ayant fi grande la troiſieſme à la teſte des Janeſſaires , au milieu
affinité entre les coups de canon , & le tonnerre deſquels comme en vn fort inexpugnable eſt la
que chacun ſçait ; combien que ce mot de Tapan perſonne du Seigneur.
qu'ils prennent pour le bon eſprit; le mauuais ils AV REGARD des roſettes & cuiures ils leur
l'appellent Aignan , ſe doiue pluſtoſt referer au viennent de Cappadoce & Paphlagonie , és enui
Grec qu'autrement, commenous le penſons auoir rons de Gaſtamone & de Sinope, vne ville ſcituée
en yn
de Chalcondile. 121
120

en yn Cherſoneſeou langue de terre qui s'aduan- quelque meſchart tapis, ou nattes de joncs : &
ce yn bon milleou tiers de lieu en la mer Majour, pour toute nappe , ſeruiette , vaiſſelle , alliettes,
ſelon que vous le pouuez voir au 9. de ceſté Hi couppes , eſguieres, & femblables vſtancilles de
ſtoire : Plus de Gomene , & de Pantracha en la bouche, ont vne belle grandebourſe de cuir , qui
Natolie. Le fer ils le ſouloient prendre en la Gre s'eſtend en rond quand elle eſt ouuerte,ſur laquel
ce , en vn lieu appellé Laurocano , mais à cauſe de le ils vous poſeront un grand plat de bois , auec
l'incommodité du charroy , ils le font venir de la quelques elcuelles de terre pleines de ris , & de
Natolie où il s'en trouue en pluſierrs endroits , & chair , hachée en menusmorceaux , comme auſſi
encores au deſſuſdit Pantracha , où il y a de fort eſt - ce peu de pain , dont ils vſent : & là chacun pef
bonnes minieres de fer,d'acier, & de cuiure . Les che au plat,& prend ſa lippée à grande haſte, puis
falpetres, ils les tirent preſque tous d'on endroit ſe lechent les doigts , ou bien ſe les torchent à leur
de la Natolie, dit le Cufir, ayans eſté contraints de mouchouer : & pour boireont ie ne ſçay quelque
laiſſer pour la plus grande part ceux deSurie, pour petit vaſe de cuir , qui ſe ploye en quatre dont ils
eſtre trop moittes : Quantau ſoulphre ils en ont puiſent leureau , & y boiuent. Au reſte ils n'ont
des minieres en affez de lieux . Et ſont tous ces non plus ne lits, ne couches de bois, ains eſtendent
materiaux conduits à part ſoy à Conſtantinople, au ſoir, quand il eſt queſtion d'aller dormir, quel
où lespoudres ſe font aupres des ſept tours , où il que couple d’Arapontins ou mattras , où ils ſe
y a commodité de moulins tant à cau , & che yeautrent ſans linceux , car leur loy meſme en de
uaux , qu'à bras , des forçaires & eſclaues , qui y fend l’vſage, ny de ſecoucher nudà nud , & s'en
trauaillent : puis les ayans enfoncées dans des bar veloppent dequelque mante , ou eſclauine s’il fait
rils & doubles caques,on les retire en la fortereſſe, froid : puis trouſſent tout cela au matin, & le pen
comme en lieu ſeur , & qui eſt gardé ordinaire dent ſur quelques perches ou baſtons, ancrez dans
ment par certain nombre de lanſaires, pour rai la muraille. Mais en recompenſe, ils ſont plus ex-
ſon meſme du threſor qui y cſt. quis ſans comparaiſon que nous en leur equipage
de guerre ,fi que bien louuentl'on verra vn ſimple
La mode de camper les Turcs. spacchi, qui ne craindra point d'employer cent ny
deux cens eſcus en quelque moyen pauillon , tout
Il n'y a gens en tout le monde qui ſe campent enrichy par le dedans d'ouurages jameſques, & de
mieux , & ny plusmagnifiquementque les Turcs, broderie à leurmode,à guais & plaiſans feüillages
comme ceux qui ſe reſfentét touſiours des meurs de toutes couleurs, qu'il fait fort bon.voir , & n'y
& façons des Tartares , dont ils deſcendirent pre a rien de plus delectable à l'ail : Eſtans au reſte
mierement,tout le train de la vie deſquels conliſte toutes leurs tentes & pauillons , auec des cordages;
à roder ſans ceſſe par les campagnes çà & là ſous de fil , de cotton , qui iamais ne ſe rendurciſt , ny
des tentes, pauillons, & chariots , couuerts de feu embroüille , ny rend contumax à la pluye, ainseft
tre ou de drap,ainſiqu'en quelques maiſons deam touſiours douillet ,obeïſſant, & traitable , & leger
bulatoires , dont le deflous fert à mettre les che auec tout cela . Il n'y a perſonne , iuſques melme
uaux à l'abry ; & du haut,ilsfont leur habitation aux eſclaues, qui couche ny loge à l'airte & del
& demeure . Tout de meſme les Turcs ne recon couuert , & ce à l'imitation desanciensRomains,
noiſſans gueres d'autre meſtier que la guerre , & comme l'eſcrit Polybeau 6. de ſes Hiſtoires , qui
la vie poſtorale plus que l'agriculture , font par eſt de leur caſtrametation : mais pour le peu de
conſequent plus exquis, & plus curieux de leurs moyen qu'ont les laniffaires, auſquels à peine leur
pauillons , que de leursedifices particuliers : car ſolde peut ſuffire pour le viure de bouche , le Ture
au reſte ils ſont aſſez ſplendides en leurs Mof leur pouruoit de pauillons, & les fait porter à ſes
quées & bains publics , où giſt toute la magnifi- deſpens, de fix en ſix vn , ou de quatre en quatre,
cence de leurs edifices. Siqu'ils deſpendront plu plus ou moins ſelon le rang de leurs merites, l'an
ftoft en leurs tentes & autre equipage de camp, 1566.le Sophy enuoya vn preſent à feuSelim der
qu'à baſtir , joint que rien d'immeuble ne paſſe nier mort, pere d'Amurath , ayeul de celuy qui
en propre apres leur decez à leurs heritiers . Da regne aujourd'huy , vn pauillon Imperial, pour
uantage ce ſont gens lourds, groſſiers,peſants , & mettre ſous yne grandetente ,eſtimé à cinq cens
pareſſeux , qui n'ont pas l'entendement de baſtir, mille eſcus :& deux perles , I'vne du poids de cent
ains ſe contentent d'eſtre tellement quellement à quinze carats , groſſe comme un eſtcuf, l'autre de
couuert en quelque appentis ou recoin, fique par quatre- vingts & dix , rondes au reſte, blanches &
faute de mettre vne thuile , ou petite poutre , ils belles en perfe& ion , priſées encore plus grande
lairront quelquesfois deperir tout le reſte de l'edi ſomme. Marco Polo à ce meſme propos en la deſ-,
fice , voire eux -meſmes en haſteront le plus ſou cription de la Tartarie Orientale, liure 6. chap .
uent la demolition : auſſi par tout où ils ſe ſont ha 16.parle d'vn pauillon du grand cham de Chatai,
bituez , tout va en ruine : & ne ſe trouuera nulle ſi ſpacieux que dix mille hommes pouuoient de
part en toute ceſte grande eſtenduë d'Empire, meurer deſſous à couuert : & d'vne tente pour fa

maiſon d'aucun , riche qu'il ſoit , ſi d'auanturece perſonne,ſouſtenue ſur trois grands maltsou pil
n'eſtoit de quelque Baſſa , ou autre perſonnage liers de bois , entaillez à fucillages dorez & dial
d'authorité , qui ſe peut accomparer aux moin prez , le dehors d'icelle garny de peaux de Lyons,
dres de France , Italie , & Allemagne , n'eſtans d'Onces, & Leopards,agencez en forme de com
leurs deineures que petites meſchantes cahuettes partimens, figurez de pluſieurs couleurs : & lede
& tugurions maçonnées comme on dit , de boue dans tout reueſtu d'exquiſes fourrures, de Zibel
& de crachat , le dedans meublé de meſme, ſans lins,Martres,Loups- ceruiers, Hermines, & fem
aucuns bancs , chaires , eſcabelles , tables & tre blables de tres - grand prix ,accommodées pareille
teaux , parce qu'ils mangent accroupis en terre, ment à diuerſes fantaiſies & varietez de deuiles, à
les jambes croiſées à la mode des couſturiers , ſur guiſe de tapis cairains , de burſies ou de Perſe.
f
122 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
123
Mais pour reuenir aux tentesdu Turc, il en meine ſes Ianiſſaires , Spacchis, & autres gens de chcual
touſiours deux attirails complets de toutes leurs & de pied ,commeila eſté ditcy - deſſus: & qu'ileſt
pieces & ſuittes, & ſemblables l'un à l'autre,com fort elegamment exprimé au fixieſme de ce te Hi
me nos Roys ſouloient mener deux chambres par ſtoire , és remonſtrances que fait Thuracan à
pays, premiere& ſeconde, l'vne où illoge vniour, Amurath : Tout autour puis apres de ceſte en
cependant qu'on ya tendre l'autre deuant au pro ceinte,font dreſſées les tentes des laniſfaires , puis
chain logis, afin qu'à ſon arriuée il trouue tout des Spacchus , Selictars , & vlufagi , ſelon l'ordre
ſon cas preſt & dreſſé ,ayant à ceſte fin d'ordinaire declaré cy -deffus , dont les cordages ſont entre
Mitter- de trois à quatre cens Macterlers, ou Hortagilars laſſez d'une telle ſorte, qu'on ne ſçauroit en façon

lers, & centiers, & dreſſeursdetentes ſous leur Capitaine: quelconque arriuer à cheual ny à pied aux mu
Hortagi- leſquels en premier lieu,choilillentquelque belle railles ,joint auſi la palliſſade , qui eſt au deuant,
place au milieu du camp,communément lur quel compoſée de gabions portatifs,qui ſont certaines
que petit tertre ou couſtau , pour eftre d'vne plus planches ou aix ,eſpois de pres de demy pied ,auec Au com .
ſuperbc apparence , & flanquée de quelque petite vne pointe de fer par en bas, pour les pouuoir fi- mence
mcarda
touffe d'arbres , ſi l'alliete du lieu le permet. Là cher en terre : & ainſi les arrangent, & en mor
7. Liurc,
ils dreſſent le pauillon de la perſonne fort haut taiſent les vns aux autres , en forme d'vn gabion
exauſfé , grand & ample , ſous vne tente , pour carré ,mais non pas à angles eſgaux , ains barlons,
micux le deffendre de l'ardeur du Soleil , ou des & en lozange , qu'ils empliſſent puis apres de ter
pluyes , & des autres iniures de l'air : le tout, tant re , tellement que c'eſt comme vn fortrempar ,ac
la tente que le pauillon , & le reſte de ſon logis, compagné par les endroits , où ſont les lumieres
eſtant de toile de cotton, teinte en eſcarlatte, de la & canonnieres , armées toutesfois de mantelles,
quelle couleur il n'eſt pas loiſible en ce cas d'vſer qui fe hauſſent & baiſſent , à guiſe de baculles ou
* autres qu'à luy , ſes enfans, les Baſſats, & Beglier- ponts - leuis, d'vne infinité de bouches à feu. Ils
beys : chamarée au reſte de rubens , paſſemens , & s'en ſeruent auſſi és ſieges des places , pour ſemet
autres tels enrichiſſemens de diuerſes couleurs tre derriere à couuert. A la porte vers l'auant
d'vn fort bel aſpect, mais par le dedans tout brodé garde , eſt planté le pauillon de l’Emiralem , ou
d'yn ouurage tres-excellent d'or & d'argent , de garde des enſeignes & eſtendars, & tout vis à vis
ſoye , querien ne ſe peutvoir de plus magnifique, celuy, du Buffa, ou du Begleerbey, qui cominande,
joint les tapis eſtendus par terre . A ce pauillon ils auec lesSaniaques , & leurs regimens de Cauale
accouplentvne galerie ou allée de la melme eſtof rie , eſtendus en aille , qui ont ordinairement de
fe , qui ſe va rendre à yne tente , ſeruant à tenir le quarante à cinquíte Chaoux auec eux , gallopans
Dinan , où le Prince peut eſtre aux eſcoutes, tout à toutes heures à l'entour deſdits regimens, pour
ainſi que dans ſon Serrailà Conſtantinople : & de garder qu'on ne te deſbande, & à coups demaſſe,
l'autre part tout à l'oppoſite il y en a vne séblable, faire retourner bon gré mal - gré au combat , ceux
qui ſert du chafna, ou threſor , auquel le mettent qui cuideroient faire l’eſcolle,commeon dit buiſ
les deniers qu'il porte touſiours quant & luy en fenniere : & aduenant que l'ennemy vint charger ,
grand nombre:car à l'entrepriſe de Zeguet 1566 . aller & venir de fois à autre vers le Prince à toute
on dit que Solyman auoit plus de vingt millions bride, pour luy donner aduis de ce quiſuruient, &
dor , auec ſon cabinet depierreries , & ſa garde auoir lon commandement là deſfus , ſans lequel,
robbe de tres - riche meubles & accouſtremens, & ou du vifur, qui eſt à cette fin touſiours pres de
de fait le camp leur eſt comme vne belle grande luy , rien d'importance ne s'execute , ſoit au com
Cité qui ſeroit deambulatoire . Tout autour puis bat , en campagne raze , où au ſiege & aſſaut des
apres ſont ſes offices, & autres pieces, tant pour places fortes:le meſmeſe fait en la poincte droite,
l'vſage de ſa perſonne, que pour ſes domeſtiques ou arriere- garde. Somme que la trouppe du Prin
qui le feruent , le tout enuironné d'vne haute mu ce quieſt commevne citadelle en quelque grande
raille de la meſme toile , en forme ronde ou ouale, ville , & d'où depend tout leur recours , car juſques
ſelon l'alliete & diſpoſition du lieu , auec des cre icy il n'en eſt oncques meſ- aduenu ny n'a peu
neaux , qu'on diroit à voir ce logis de loing que eſtre enfoncée , pour eſtre ſon camp défait tout à
c'eſt vneville : car il y a des croiſſans ſur les com trac , eft couuerte par le deuant de la groſſe artille
bles, des pommes, girouettes ,bannieres & panon rie , & d'vne partie de aniſſaires auec la Cauale
ceaux ,appoſez au faiſte,ainſi qu'en nos couuertu rie de la Porte , par les deux flancs , des deux gros
res d'ardoiſe, dorez , argentez ,diaſprez , qui ren hourts de la Romenie,& Anatolie, & par le derric .
dent vne merueilleuſe lueur & eſclat. Il y a dedans re des bagagés , qui ſont ſans nombre, auec quel
ce pourpris encore yne autre tente pour les som ques forces pour leur eſcorte , & les artiſans,mar
lachsou archers de la garde du corps : & deux gran chánds, vallets & eſclaues, viures , munitions , &
des portes en iceluy, où ſont les sihaoux, Capige,ou autres cominoditez qui ſuiuent l'armée. Et enco ,
portiers , & autres qui y font la garde tout ainſi re que les laxiffaires ſoient communément les pre
qu'au Serrail , l'vne du coté de l'auant- garde à la miers à marcher, ils ſont neantmoins les derniers à
pointe gauche, qui eſt la plus honorable : & l'autre combattre : car on les referue comme vne facrée
de l'arriere - garde à la droite:car ces deux troupes anchre, pour reſtaurer & remettre ſus ce qui pour.
d'auant-garde & arriere-garde, ne marchent pas, roit eſtreeſbranlé ,ou à tout euenement ſauuer la
ne ſe campent diſtamment l'vne deuant l'autre perſonne du Prince ; auec ſon threſor :cela garan
derriere le corps de la bataillcoù eſt le Prince,ain ty , ils n'ont rien à craindre de la routte de tout
ſi qu'à nous, & felon que le portent leurs appella le reſte : car ils n'ont que trop de Turcs naturels
ttre incontinent ſus
tions, ains s'eſtendent en de longues ailles comme gens de guerre , pour reme
les cornes d'vn croiſſant , ou les deux bouts d'un vne autre armée auili forte , voire plus s'il en
arc tendu , au fonds & milieu duquel endroit la clt beſoin , que la precedente ; ayans yne ſour
poignée eſt la trouppe du Turc , qui conſiſtent de cc ou ſeminaire comme ineſpuiſable d'hommes
& dc
UT.
de Chalcondile.
124 125

& de montures , armeures , & autres equipage. auec les vaiſſeaux de ſuitte , & leurs nauleages,
Les laniſſaires au reſte maintenant tous arquebu le tout equippé de forçats , mattelots , gens de
ziers,quimarchent à la defbandée, ſans tenir files guerres , viures , artilleries , & munitions, eftans
ne rangs,nedefchargent pas tous enſemble , ainſi pourueus abondamment & de longue- main de
qu'à nos eſcouppetceries & ſaluës:mais peu à peu , toutes choſes requites en cét endroit . Car encore
& l'on apres l'autre, come s'ils tirvient àu gibier, que ceſte grolle routte , qui fut d'eux receuë fous
& en mirede pied - ferme, & celuy qui a delalché, Selim pres de Lepantho l'an 1571. de l'armée
ſe met bas à terre,faiſantplace aux autres , ſans ſe Chreſtienne, où il perdit plus de deux cens vaiſ
leuer, qu'il n'ait rechargédenouueau . feaux , nous apprenne qu'il y a plus d'attente de
want à la formede combattre de tous les venir à bout de ces redoutez aduerlaires du nom
Turcs en general , ils ont de plein ſaut ie ne ſçay Chreſtien en general, par la mer que par la ter
quelle viueardeur d'vne impetuoſité & furie , ac re, où leurs forces iuſqu'à preſent le ſont trouuées
compagnées de cris , quimettentquelque el pou comme inuincibles,tantpour le grand nombre de
uentement d'arriuée , joint la hardiefie, dont ils combattans , & tous preſque gens de cheual , &
expoſent leurs vies aux dangers , non toutesfois pour leur diſcipline & obcïſſance,deleủr ſobrie
tant par vne gentilleffe de cæur , que de crainte cé & cndurcillement à toutes ſortes de trauaux &
d'eſtre chaſtiez , & pour l'obeillance qu'ils por meſ-aiſes : joint les grandes facultez & moyens
tent à leur maiſtre : auſſipour les grandes recom qu'ils ont de les entretenir d'ordinaire : & ſurtout
penſes qu'ils attendent de leur bien -faire , mais qu'en leurs armées il n'y a rien quelconque dede
ſur tout meus d’yne fantaiſie imprimée en leur lices qui les puiſſe deſbaucher ,ny leur ramollir
cerueau de la fatalité ineuitable en tout ce qui leur le courage & les membres : car on n'y iouë iamais,
doit aduenir , comme il eſt touché par vn aſſez on n'y boit point de vin , & n'y a garces ny pu
facetieux compte au 7. de cefte Hiſtoire : ncant tains : ils ne iurent ny ne blafphement, non pas
moins ſi ceſte premiere pointe eſt bien ſouſtenuë melme le nom de l E S V S - CHRIST , ny dela
& rebouchée , ils prennent eux - melmes la fuitte. VIERGE MARIE , non plus que de Dieu ny
Somme que tout leur fait en cet endroit eſt à la de leur Prophete : & n'intermettent rien que ce
maniere des anciens Parthes , & des Tartares ſoit de leurs prieres & lauemens aux heures ac
d'auiourd'huy , tantoft chargeans, tantoſt fuyans couſtumées ,tant de la nuit comme du iour : & en
à la deſbandée , & ſe rallians tout ſoudain pour ſomme ſont en tout & par tout plus moderez &
venir recharger de nouucau tant qu'ils ayent du deuotieux que nos gens de guerre. Eftans donc
tout haraſſez & recreus ceux qui ſont plus pe ques tels , iis ſeront toutiours fortaiſément victo
ſamment armez qu'eux & leurs montures de rieux enuers les peuples eſloignez de toutes ces
moindre haleine : de façon que là où on les cuide chofes , en parlant toutesfois ſelon la portée &
du tout rompus, c'eſt alors qu'ils ſont plus à crain conception du diſcours humain, parce que le Dieu
dre , ſi l'on ſe iouë à pourſuiure trop chaudement des armées cft puis apres par desſus tout : car on
& indiſcrettement la victoire : car rarement pro void affez comme ils le refirent ſoudain de ceſte
uient- elle iuſqu'au fort du Prince : licela arriue,les lourde ſecouſſe deſſuſdite de Lepantho : & qu'en
Ianiſſaires qui le tiennent en lieu de pere , combat moins de fix mois ils remirent ius, & r'equiperent
tent en ce cas , arrangez tout autour de luy iuf tout de nouveau vne plus groſſe armée demer que
ques au dernier ſouſpir de leur vie , couuerts au la precedente : & cela nous monſtre les moyens
deuant comme il a eſté dit cy -deſſus, li que pour ſi qu'ils peuuent auoir en cet endroit , où les corſai .
peu de Caualerie qui ſe puille rallier auec eux ,car res ſont presque tous en la deuotion du Turc , au
ce ſeroit choſe bien mal- aiſée de tailler en pieces moins les plus lignalez , comme on a peu voir de
ſi grand nobrede gens, & qui fuyent ainſi elclair Dragutraizi Piali , Occhiali , & autres leſquels
cis , on ſe trouue à recommencer de nouueau, & en ayant fait leur apprentiſſage en l'art piratique,luy
danger de tout perdre , comme on peut voir en onteſté tres- propres & necelſaires, pour luy dref
pluſieurs lieux de ceſte Hiſtoire. ſer & conduire le train de la mer : joint le grand
LA MARINE . nombre de Chreſtiens reniez , dont eſt procedé la
pluſpart de l'accroiſſement & conferuation de ce
Les Tvros ſont venus fort tard à en auoir grand Empire,tantparlaterre que par la marine :
la practique & vlage, comme gens deſcendus car au reſte les Turcs ſont d’yn lourd , groſſier, &
d'vne region fort elloignée de la mer, & quine ſe peſant naturel, choſes mal - propres entre les au
foucientpas beaucoup du trafic , ains ſeulement tres à nauiger, combien toutesfois que ſans cela ils
de courſes, inuafions & brigandages à chcual de ne lairroient de dominer, eſtans ſi puiſſans par la
coſté & d'autre , parmy les Mediterranées , & le terre , & vne fi grande eſtenduë de coſtes qu'ils
caur interieur de l'Alie , n'ayans point de domi pofledent, depuis les marets de la Meotide iuf
iration ny de demeures arreſtées, iuſques apres en qu'au deſtroit deGilbatard , deuers l'Afrique &
auoir eſtably vne ſouspluſieurs Princes conſecu la Barbarie , qui eſt entierement tout le cours de la
tifs , & par vne aſſez longue reuolution d'années , mer Mediteranée .
pris finalement Conſtantinople & Trebizonde, Les Turcs doncques iuſqu'au temps de Me
I'vne & l'autre afiſes ſur la Marine , & delà eſten hemet ſecond , apres la priſe de Conftantinople,
du leurs conqueſtes au Peloponeſe & autres mari & de la Morée , n'eurent comme rien de pou
times contrées le long des coſtes de la Grece, auec uoir par la mer , auſſi ne s'y amuſerent- ilsgueres,
les Illes Adjacentes , ils ſe renforcent peuàà peu de addreſſans toutes leurs conqueſtes dans le cœur
vaiſſcaux ,tant que finalement ils ſont paruenus à de la terre ferme d’Alie & Europe , mais ce Prin
vn tel pouuoir , qu’à tous propos ilspeuuent niet ce courageux , & entreprenant ſur tous les au
tre en mer en bien peu de iours plus de trois cens tres de ceſte race , luy eſtant fi heureuſement ſuc
voiles , de galleres, galliottes ;fuſtes & brigantins, cedé en tant de maritimes contrées, peu auparaa
fij
126 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 127

uant qu'il mouruſt l'an 1480. auoit equippé bien Dorie , qu'ils redoutoient ſur tous les autres Ca
deux censgalleres , & trois cens autres voiles car pitaines Chreſtienspar la mer, ils commencerent
rées Latines, comme on les appelle , en intention de s'y inſtruire , tant qu'ils ont atteint au plus
de donner ſur Rhodes , & d'un autre endroit en grand pouuoir, & à la plus grande ſuffiſance &
la Poüille , pendant qu'en perſonne il s'achemi dexterité,où leurs facultez & moyens,& la capa
neroit par terre en Surie contre le Suldan du Cai cité de leur eſprit ayent peu arriuer : car ils entre
re , auec vne armée de deux cens mille combat tiennent d'ordinaire bien quatre cens voiles , que
tans . Son fils Bajazet ayant encore accreu l'Em galleres , la pluipart baſtardes, & plus renforcées
pire, ſe renforça de vaiſſeaux aulli, bien qu'il n'en que les noſtres, plus lourdes auſſi à manier , que la force
fit pas
de fort grands exploits : mais Selim qui galliottes ,fuſtes,brigantins , gallions, mahomes, des
luy ſucceda, agrandit fort le train de la marine, ſchiraſſes , palandries , & lemblables vaiſſeaux Turcs;
meſme depuis qu'il eut deffait le Souldan , & con garnis detoutleur equipage, attirail, & commodi.parecela
mes,
quis l'Egypte , Arabie ,& Suric, dont la pluſpart tez neceſſaires,biſcuits, ſalines, & autres viures,
s'eſtend vers la Paleſtine , & Phenice, & fit baſtir artillerie,poudres, boulets, & munitions,tant à
l'arcenal, quieſt en Pers tout au fonds du port, clos Conſtantinople qu'à Nicomedie,Amafie , Galli
de hautes murailles , & de tourrions , auec des lo poli, Rhodes, Chypre, & la Vallonne:car de nauia
ges par le dedans , tout ainfi qu'on peut voir en ce res & vaiſſeaux ronds, ils en ont trop plus qu'il
luy de Veniſe, pour retirer au ſec à couuert au n'en faut, & bien trois cens Raizou Capitaines de
tant de galleres , là il y a d'ordinaire plus de trois galleres , appointez de cinq iuſques à douze cens
mille quecordiers , charpentiers , ferronniers, & elcus de gages par an ,auec tous les officiers necef
ſemblables artiſansentretenus , pour y trauailler, faires. Quant aux gens de rame,ils ont d'ordinai
qui ontdix afpres le iour quand ils trauaillent , & re vn grand nombre de forçats Chreſtiens mis a
fix quand ils chomment, auec cinquante ſur- in la cadene, car de leur loy il ne leur eſt pas permis
tendans ou Protos , appoinctez de trente iuſqu'à d'en auoir , de luifs non plus ils n'en ont point,
quarante aſpres, vn hecaya & ſcribe,qui a dix ou mais ſi cela ne ſuffiſoit, ils en leuent encore de bon
douze Commis ſous luy . Mais on ne trauaille pas ne vogle , de ces Gomarus paſtres Turcs de la Grece
continuellement en cét arcenal de Pera , à faire & Anatolie, dont il a eſté parlé cy -deſſus en l’ar
des galleres comme à Veniſe , car s'il eſt queſtion tillerie : & encore des Grecs, & autres Chreſtiens
de dreffer yne armée de mer , & baftir des vaiſ qui ſont ſous leur obeïllance. Et pour cet effet
ſeaux tout de neuf, ou en r'habiller de vieils , on deux ou trois mois auant que l'armée falle voile,
aſſemble tous les ouuriers de Conſtantinople & ils ont accouſtume de depeſcher les schaoux , auec
Pera , & par fois des Illes circonuoiſines , & les des mandemens aux san'aques, Cadiz. Soubaße &
fait -on trauailler à la haſte en toute extreme dili autres officiers de reſidence en chaſque Prouince;
gence : neantmoins ce font gens fort preuoyans, leſquels ſont tenus d'enuoyer au iour qui leur eſt
& qui ont touſioursdelonguc-main leur equipa- prefix , certain nombre d'hommes, & à faute de
ge dreſſé & apparcillé . Il y a outre les ouuriers or ce , fournir vingt eſcus pour chacun an , de ceux
dinairement quatre ou cinq cens Azapes entrete qui ſe trouueroient defaillans. Ilsen mettent com
nus , qui ont de cinq à lix afpres le iour , pour ſe munément cent cinquante , pour voguer en cha
prendre garde qu'on ne mette le feu , ou méface que gallere ,appellez d'eux Chiurezzi . qui font Chiureza
de quelque autre ſorte aux vaiſſeaux. Et reſpond payez à raiſon des trois aſpres le iour : il y a puis , voa
gueurs,
tout cecy lous la charge & authorité du Baſa De apres les Azapes qu'on leue par meſme moyen,
gnis , lequel auſſi conduit l'armée quand elle ſort, pour les armer, à raiſon de quarante en chacune,
pour aller en cours , ou à quelque entrepriſe & outre quelques Ianiſſaires anciens , qu'on melle
voyage : & fouloit à ceſte fin faire ſon ordinaire re parmy , auec des. Ianiſſaires, & autres ſoldats dits
fidence à Gallipoli , dont il eſt Saniaque ; Cét offi Giergi, fcapoli, colofri, comme qui diroit, portans Giergij
ce luy vaut plus de vingt- cinq ou trente mille du tout leur vaillant ſur eux , ſi que tous enſemble , ils (capolli,
La char- cats tous les ans,quiluy ſont allignez partie ſurle peuuent faire quelques cent ou fix vingts hommes cofro.
ge;& ap: peage & traject de ce lieu , partie ſur les Illes de de combat,equipez partie d'arquebuzes, & arcs,
point de Rhodes, Methelin ; & Negrepont , outre infinis partie de picques, eſpieux & corſeſques, & ont de
l'Admi . autres profits & emolumens , qui luy viennent cinq à fix aſpres par iour , plus ou moins,ſelon
ral Tur- d'extraordinaire : car il a fa part & portion detou que le voyage eſt pluscourt ou plus long : car on
quel tes les priſes, bụttins, & ſaccagemens que l'armée deur aduance tout à vne fois neuf cens aſpres
quc. fait, & participe encore meſme aux volleries des quand ils s'embarquent:commeauſſi aux rameurs
corſaires. Les Bojtangibaſsı, qui ſont les Chefs des au proraia , & aux matelots , patrons, comites, pi
jardiniers du Serrail de Conſtantinople ,fouloient lotes , & autres officiers : Tous leſquels ſont di
communément eſtre aduancez à ceſte charge uerſementappointez à douze , quinze , vingt , &
d'Admiral , lequel a ſa ſeance au Diuan quant & trente afpres le iour : & les canoniers en ſembla
les Baffars, & au meſme rang , dont il fait le s . & ble, deux pour gallere, où il y a yn canon en prouë,
rend compte pareillement bouche à bouche de ce auec quatre ſaccres, mouſquets , & ſemblables
qui concerne ſon fait ,au Prince , commandant au pieces legeres , cinquante boullets de canon ,
reſte iuſques au murailles de Conſtantinople. Or cent pour les autres , & lespoudres a l'equipolent :
auant que Cairadin Roy d'Alger,ſurnomméBar . Plus cinquante arquebuzes , equippées de leurs
berouſſe, y fut appellé par Solyman fils de Selim , fournimens, autant d'arcs, & de fleſches , ce qu'il
les Turcs auoient eu encore fort peu de practique en faut, auec autres armes & munitions de guerre.
& vſage de la marine, excepté les Pirates,dont ils Mais tousces gés de marine, hormis les vogueurs
ſe ſeruoient par faute d'autres , mais durant le & tireurs de rame, & les Azapes , touchent leur
long- temps qu'il demeura en ceſte tharge , ſans folde annuelle auſſi bien durant le ſejour que
L'enremuer , & ce pour tenir contrscarre à André quand ils s'embarquent , & qu'on les emplove.
Au ſurplus
128 de Chalcondile . 129

Au furplus toute ceſte deſpence extraordinaire ld , d'où ils recouurent le bois de trauerfe, & de
des aținées de mer , ne part pas du chafna , ny des fiage , & pour les mafts,rames , & auirons de tous,
coffres du Prince : Au contraire au lieu de frais, il tes ſortes de calibres , de diuers endroits , ſur les
y a du gain de reſte pour luy : car ce à quoy le cout coſtes de la mer Majour , & de staganda plus en
peut monter , enſemble les viures & munititions bas , Cordonilo,Proropata , Cachillo, Verra, & autres
ſe leue pat forme de creue ſur le Carazzi ou im tous bons ports,où l'on peut charger. Dccourbes
poſt de leurs miſerables ſujets Chreſtiens, & les ils s'en fourniſſent en yn bois dit Dignoagar , c'eſt
Juifs,voire ſur chaque feu quelquesfois des Turcs à dire , mer d'arbres : & de voiles , ils en ont du
propres , & cncore plus qu'il ne faut , fi qu'il luy coſté de Trace , vers le Pont Euxin , là où pour
en reuienttoutes choſes deduittes de fort bonnes eſtre le païs humide, croiſſent des lins & des chan
& grafies roigneures. Lors doncques qu'il eſt vres en grand abondance , dont ils font de groſſes
queſtion d'equipper vne armée de mer , ont fait toiles , outrece que de l'Italie ils ont tant de ca
une liſte de tous les deſſuſdits , tant de gens do neuats qu'ils en veulent , & des olonnes mclme de
chcúrme que de combat, ſelon le nombre des vaiſ ces quartiers cy ; quelques cítroitces ordonnances
Scaux qu'on veutmettre ſus : puis on mande aux qui ayent detout temps cftéfaictes ,de n'en tranſ
officiers des lieux de les leuer & entooller : & à porter nulle part,mais il eſt bien mal- aiſé de clor .
İcurs Chefs & conducteurs de les amener , où ſe fe de ſorte le traffic & commerce , qu'il n'eſchape
doit faire l'embarquement à Conſtantinople, touſiours quelque choſe des plus prohibées. Du
Gallipoli , ou ailleurs , là où on fait entendrcaux fer , il en a eſtéparlé cy - deſſus, la poix , & autres
Janiſaires , Spachis , & autrès forces ordinaires de gommes , & liqueurs propres à callefeutrer, & free
cheual & de pied , qui doiuant aller quand & cer,leur viennent de la Surie , & Phenice , le tout
quand , de s'y rendre au iour nommé , lí l'entre par la mer , la plus grande & abregée commodité
priſe eſt de celle importance qu'elle le requiere, & de coures autres .
lors le Tarc a accouſtumé de deputer quelque Baſ LA SECOND E region de Conſtantinople
fa pour chef de l'armée , lequel Bajja commande ſous les Empereurs Grecs, dependoit encore du
aux forces deſtinées pour deſcendre en terre , & premier tertre , marquée au portraia A 2. &
tenir camp , ſoit
pour la conqueſte de quelque comprenoit ſelon l'ancienne deſcription , la
païs, ou pour affaillir vne place , car l'Admiral grande Egliſe de ſaincte Sophie, cottée B l'an
ne bouge cetemps pendant des vaiſſeaux , comme cienne ou petite Sophie : vn ſenat , vn tribunal
à Malte l'an 1565. où l'armée eſtoit de cent cin de Porphyre , auec les marches pour y monter :
quante galleries, 17.que fuſtes quo galiottes,huist les thermes du Zeuxippe, vn theatre & amphi
mahones , & quinze gros carcaçons armez en tcatre : Trente ruës paſtantes, & leurs carrefours,
guerre , auec 4500. Ianiſſaires , dix -huidt mille xcviij. maiſons ſignalées : quatre grandes porti
Azapes , & autres tels aduanturiers , huit mille ques: treize bains, s
& eſtuueparticulieres:quatre
Spachis , gens de cheual , & de l'artillerie , pou boulangeries particulieres : quatre grands eſca
dres, boulets , & autres munitions de guerre ſans liers, pour deſcendre ſur la greue de la marine: vn
nombre. Plus grand equipage dreſſa encore Sc quartenier, & vn ſurueillant: trente cinq deputcz
lim quatre ou cinq ans apres pour l'Ile de Chy ſur les accidents du feu : & cinq denonciateurs ou
pre , ſous la conduite de l'Admiral Piati , & du commiſſaires du quartier pour la nuit . Quant eſt Thera
mes du
meſme Muſtapha Bajſa , lequel auoit eu la charge des Thermes du Zeuxippe , c'eſtoient celles quc
Zeuxip
de Malte âgé de 75. ans. Et en la route de ſon Septimius Seuerus fit faire ,apresauoir ruinéCon
armée pres de Lepantho l’ani571 . il y auoit deux ftantinople, leur ayant eſté impoſé ce nom ,pour- Paulaa
cens galleres , cinquante galiottes , & vingt fu ce qu'elles furent baſtics aupres du Toinple de ce nias au
ftes. Ce que i'ay bien voulu toucher en paſſant, Dieu , où Heroë fils d'Apollon , & de la nymphe 2. des
Corina
comme pour vne montre & eſchantillon du pou. Syllis ,où eſtoit vn tableau le repreſentát enfa ma chia
uoir de ceſte nation par la mer, Au partir de Con- jeſté,de la main de l'excellent peintre Zeuxis, ſe ques .
ftantinople on donne au general de la flotte fon lon Euſebe,& George Cedrene. Ces bains furent
inſtruction cloſe & ſcellée , de tout ce qu'il a à treibeaux par excellence , & enrichis de force
executer iour par iour durant le voyage de la rou marbres & ſtatues, entre leſquelles eſtoit celle du
te qu'il doit tenir, & generalement de toutes au Poëte Homere cout penſif, & plongé en vne pro
tres choſes, ſans qu'il leur ſoit en rien loiſible de fonde cogitation , tenant ſes mains entrelaſſées,
s'en departir , y gloſer,necontrarier,quelque oc & pendantes vers la ceinture ,la barbelongue ,&
caſion qui s'en preſente, nonobſtant ce commun mal peignée , comme aulli eſtoient ſes cheueux,
dire , que la guerre ſe fait à læil ,ou cet autre plus ge s'aualans cſgalement de coſté & d'autre , mais
neral en Latin , Mitte fapientem ,a nihil dicas, com fort clairspar le deuant , preſque chauue , la face
me ſi ce Prince là ne commandoit pas ſeulement ronfroignée & chagrine , tant à cauſe de la vieil
aux perſonnes , ains aux occaſions fortuites, au leffe , que de ſes meditations des choſes hautes
Ciel, & aux Elemens : laquelle ordonnance & in qu'il a touchées en ſi grand nombre, le nez cor
ſtruction , ils n'ouurent qu'au ſortir du deſtroit reſpondant à tout le reſte de ſon viſage, & les
de Gallipoli , ou autre tel licu & endroit , qui eſt yeux comme couſas auec les paupieres, a guiſe
cotté au dos d'icelle, & de la faiſant voile , pour d'aueugle, tel qu'on le dit auoir eſté : enucloppé
fuiuent leur voyage,auecvne obeïſſance incroya au ſurplus d'vn grand reiſtre par deſſus ſa juppe,
ble. Quant aux moyens de faire des vaiſſeaux, & à ſes pieds vne longue couroye de bronze,plac
ils en ont toutes les commoditez qu'on ſçauroit quée & eſtenduë le long de la baſe.Ily auoit enco
deſirer , pourle grand nombre de foreſts, qui ſont re forceautres ſtatues de tous les plus fameux He
tout le long de l'Anatolie , pres du golphe de ros, Poëtes ,Philoſophes, Orateurs, & Hiſtoriés.
Nicomedie , qui n'eſt qu'à deux coruées de Con Mais de toutes ces belles antiquitez il ne reſte
{ tantinople : & de la Caramanie vn peu plus en plus maintenant que le temple de ſainte Sophic ,
É iij

1
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 131
130

que nous nous parforcerons de deſcrire icy le les tours noſtre Dame de ceſte ville de Paris : la
moins mal qu'il ſera pollible,apres Procope, Eua. longueur depuis le grand Autel iuſques à la porte
grius, & autres qui ont donné ſur ce ſujet. qui eſt à l'oppoſite,neuf vingt & dix ; & la largeur
Delcri. C e temple doncques de faincte Sophie , c'elt cent & quinze : mais ceux qui l'ont plus moder
prion du à dire , de la ſapience Diuinc , fut premierement nement obſeruće , onttrouyé la longucur eſtre en
de lain. odifié par Conftantius fils de Conſtantin , en fon tour de 240.picds; la largeur de 213. & la hauteur
ete so troífielme Conſulat auec lulian , l'an 342. & de du paué iuſqu'aux arcs qui ſouftiennent la voûte ,
phic. puis felon Sozomene , bruléen vne ſedition , qui 142. le renfondrement puis apres depuis la corni
selleua (ſous le jeune Thcodoſe , pour railon de che iuſques au centre du cul de four, qui eft com
S. Iean Chryſoſtome: & derechef en vne autre me.vn creux hemiſphere , ou la concauité d'yne
fedition du peuple , à l'encontre de luſtinan , où demy boulle, qui s'elleue ſur leſdits arceaux , de

plus de 40.mille perſonnes furenttaillées en pic- quelquesquarante picds.ce qui ſe conforme à peu
ces , l'an f . de ſon Empire , mais il le fit rebastic pres aux dimenſions d'Eua rius. Cette Egliſe au
depuis bien plus ample & ſpacieux , & plus mas feſte eſt toute baftie de briques tres- fortes & de
gnifique ſans comparaiſon qu'il n'eſtoit, l'an du grand calibre , elleuċs entiercs & ſaines , & ma .
monde 6040. ſelon Zonare quicompte à la mo çonnées d'yn cimençà l'eſpreuue de toutes les in
de Grecque de ceſte premiere creation , iuſqu'à iures de l'air , & efforts du temps; le tout incruſté
I els .VS-CHRIST plus que nous enuiron & reueftu tant par le dedans que par le dehors, de
1540. ans , li que cela à noftre calcul reuiendroic grandes tables de porphyre, Ierpentin , jaſpes,ab

à l'an du monde 450.0.ans, & de noſtı c ſalut 538. batres , & marbres miſques , gentils,& crenez,&
Iuſtinian au reſte mit dix - ſept ans à paracheuer autres pierres les plus tares : comme font aulli les
cét edifice , où il employa touc le reuenu de l’E colonnęs toutes d'une ſeule piece, admirablestant
L'Egy
pre ren- gypte , comme le telmoignage Muſel Glycas Sis pour leur longueur& groſſeur, que pour l'eſtoffe,
doit lors cilien en la quatrieſme partie de ſon Hiſtoire, y dont l'edifice eſt enrichy & par dehors ; & par de
bien dans ſemblablement, pluſtoit pour vn ornement
ayant fait outre- plus apporter de tous les endroits
deux
millions de la terre ce qui y pouuoit eſtre de plus rare & ex * & decoration , que pour aucune neceſſité du ſou
d'or quis , en marbres , colomnes, & tables de iafpes, ftenement de la maſſe, quiſembletoutesfois s'ap
chacun porphyres , ſerpentins , & autres telles eſtoffes puyer là deſſus ;mais cela ne ſeroit pas ſuffiſant
an .
ſingulieres, pour l'ornement de ceſte Egliſe, qui pour la ſouſtenir ſans les gros pilliers maſlifs de
n'euſt oncques auparauantſa pareille, ſi ce n'eſtoit maçonnerie qui ſupportent ſecrettement la meil
le temple de Salomon , ny parauanture n'aura leure partie du faix . Quant aux voûtes , elles ſont
apres , ſelon que ſes demeurans en font foy , bien par tout couuertes & enduittes d'vne Muſaïque Moſaï
que grandement difformes & decheus de leur pre admirable : c'eſt vne compoſition & aſſemble- que,
miere ſplendeur, non ja par la rigueur & iniure ment de petits fragmens de chriſtal, d'eſmail, &
du temps, quelque long qu'il ait peu courir de ſon de verre , dorez , & diaſprez de toutes couleurs,
edification iuſques à nous, ne par la faute de l'ou . pour repreſenter ce qu'on veut,ainſi que d'vnou
urage quiſoit venu à ſe dementir , alterer & cor urage damaſquin ſur l'acier , de marquetterie ſur
ronipre , mais par la beſtialité' & ſuperſtition de . le bois , & de iame que ſur les draps de foye, de
ces ignorans barbares , qui ont entre lesmains vn lainc , & les toiles : ainſi naïfuement que ſçauroit
telioyau ſans en connoiſtre la valeur . Et de fait faire la platte peinture, de quelque rare & excel
les anciens l'ont accomparé au Soleil , ainſi que lente main qu'elle ſceuft eſtre, fins qu'on s'apa
dit Manaſſez en ſes Annales ; & tous les autres perçoiue de ceſte fi ſubtile liaiſon , & menuë
edifices à la Lune & aux Eſtoilles. Le premier Ar qu'on ait l'ail tout contre , ainſi qu'on peut voir
chitecte & Conducteur de cét euure fut yn An en pluſieurs endroits d'Italie , & meſmement ce
themie de la ville de Tralles , ſelon Procope au fte nafſelle de S. Pierre , lequel eſt trop plus grand
Traité des baſtimens de Iuſtinian, & au premier que le naturel , ſur le portail de ſon Eglife au Va
Liure de la guerre Perſique, auec lequel fut depuis tican , auec yne mer agitée de vagues, letour de la
appellé encore vn autre Ingenieur plus expert, main de Ghiotto Florentin le plus excellent qui
Ilidore à ſçauoir natif de Millet, lequel exauſſa futoncques en ceſte maniere d'ouurage: & auPor
de vingt -cinq pieds dauantage la grande Retube che de S. Marcà Veniſe , deux tableaux conte
ou voûte ronde en cul de four, qui par vn trem nans plulieurs perſonnages, où il n'y a homme
blement de terre s'eſtoit aucunement dementie, qui ne les prit , voire de pres, pour platte peinture.
voire clbranlée à bon eſcient , iuſques à en tom Ceſte Muſaique doncques de ſainete Sophie à
ber de grands tas ſur le Maiſtre-Autel, comme Conſtantinople eſtoit tres-exquiſe pour le temps
l'eſcriuent Agathius,Zonare , & Cedrene ; & ce d'alors que les bons arts & ſciences auoient delia
en relferrant deux arcades où elle poſoit , & la de longue-main commencé à decliner & s'aba
confortant auec des arcs -bourtans par le dehors, ftardir: & les barbares du Septentrion empoiſon
| dans leſquels eſtoient deſrobées certaines vis , & né tour d'vne goffe lourdelle gothique: faicte au
eſcalliers pour monter iuſques au haut de la lan reſte à figures de perſonnages, & beſtions , oi.
terne : Euagrius liu . 4. chap: 31. met par vnefor- ſeaux , fueillages,guillochis ,& choſes ſemblables,
me d'hyperbole, que la hauteur de la voûte droit qui anc eſté cauſe en fin de la difformer comme
à plomb eſtoit telle qu'à peine la veuë y pouuoit elle eſt ; pour autant que les Turcs , & tousautres
Mahometiſtes n'admettent aucune repreſenta
arriuer , pour y reconnoiſtre , faut preſuppoſer
quelque choſe diſtinctement : & que du haut au tion ou image de choſe qui ſoit produite de la na
reciproque on n'cuſt oſé ſans trop grande hideur ture,alleguansn'eftre loiſible à la creature de con.
regarder en bas : mais pour reſtraindre cela à trefaire les ouurages de ſon Createur . Le paué eft
certaines arreſtées proportions & meſures, ils fait d'vne autre ſorte de marqueterie, mais correſpon .
ceſte hauteur eftre de18o. pieds , peu moins quo dante à celle d'enhaut; denacques deperles,caſli .
doines,
de Chalcondile .ll
132 133
doines, cornalines,agattes, lapis lazuli, onyces, eftant venu à ſurcharger tellement les pilliers où
coral, proïſmes d'elmeraude ,& fi quelque autre ilpoſoit de part & d'autre , qu'ils failoient conte,
choſe deſemblable ſe peut retrouuer de plus beay nance de forenuerler ,il ordonna de faire en toute
& plaiſant à l'æil : & à ce propos , afin qu'on ne diligence parfournir le ceintre de larcade , qui
trouue cela trop eſtrange,ieiçay auoir veu en l’E eſtant achcuée , les couppes d'icelle le ſouſtiena
gliſe ſuſdite de s. Marca Veniſe , en yne Chap droient en partie d'elles-melmes liées qu'elles ſex
pelle à main droicte dų chaur, vne pierre au pauç roient les,vnes aux autres , comme il aduint: car
d'icelle, qui ne ſçauroit auoir plus de demy pied ilſemble que tout ſoit ſuſpendu enľait. L'autre

de long, & quelquesquatre poulces de large,dong fuc , que pour la peſanteur des deux autres arcs
pluſieurs ont voulu donnerplus de quinze cens tournaz ay Midy & au Septentrion , la fructure
eſcus. Au regard de la grande Recube ou cul de du deſſus nepouuant ſupporter ce trop grand face
four , elle eſt à guiſe de celle de la Rotonde, autre deau , commençoit à ſe deſmentir , & les colom
ment lePantheon à Rome,mais trop plus ample nes à s'efforsher en fyrtajnes petites eſçailles,
& ſpacieuſe ſans comparaiſon , & pluselleuéc ,& . comme fic cult elté dederelle qu'elles ſentiſſent,
quant & quant plus delicate , ce qui la rend tang à
quoy l'Empercúr fit remedier, en abattant ce
plus admirable , toute enrichie & reueftuë de qui eſtoit delia edifié de la voûte, dont la maçons
Muſaïque, ſelon qu'il a eſté dit cy -deuant; & ſou : nečie fut de là en auant conduite par interualles
ſtenuë ſur quatre grands pilliers maſſifs , reparez peu à peu, & non tout à coup , ains à meſure qu'elle
tout autour degroſſes colomnes, & entablemens leichoit, afin que l'humidité du ciment exhalée
de pierres exquiſes ; ſur la frize , architrauc , & & loiſir & par les menus, le poids excellif qui en
corniche deſquels poſent & viennent à ſe recours prouenoit accablant ce quieſtoit au deſſous, ving
ber les arcades , & la voûte par conſequent ; deux à s'alleger, L'edifice finalement ayant eſté con
d'icelles plus exauſſées , au Leuant à lçauoir , & duit à la derniere perfection , non ſans yn trauail
Soleil couchant, & les autres plus baſſes ,qui re & deſpenceextréme, il futfortelbranlétoſt apres ,
gardent vers le Midy & Septentrion : le reſte du du viuant meſme de luſtinian , par vn gros trem
corps de l'Egliſe , car ce cul de four couure le blement de terre , ſi que lacoupoulle ou culde four
grand Autel & , lechæur ſeulement, conſiſte en eſleué au deſſus de tout le reſte de l'edifice: ſe der ,
trois nefs ou paſſages ; celle du milieu efleuće & mentit , ainſi qu'eſcrit Agathius , & creua : Zo
pair des arcades qui ſouſtiennent la profonde cu Naſe met que l'arc du cofte du Soleil leuant vint à
be ou coupolle: & les autres deux ſur les aiſles, à bas : à quoy George Cedreneadjouſte qu'il acra
deux eſtages l'vn ſur l'autre ; celuy d'embas pouç uanta le pulpitre , & le grand Aurel, auec le Ci 1
I'vſage des hommes, & d'enhaut pour les femmes, boire : les autres dient que toute la coupoulle tom
qui ne ſe mellent pas pelle-melle ainſi qu'à nous ba , mais que lesarcs demeurerent debout. Quoy
parmy les hommes , ny enuers les Grecs, ny en que ce ſoit , Antemie eltant deſia mort , Iuſtinian
uers les Mahometiſtes dedans les Temples,où les fit ſoudain reparer ceſte ruine par Iſidore , & au
Turques n'ont point accouſtumé d'entrer finon tres excellens Architedes ; faiſant hauſſer les
rarement car elles ne ſortent gueres de la maiſon quatre pilliers quiles ſouſtenoient de vingt-cing
finon pour aller aux eſtuues , ou aux nopces ; & pieds , & la coupoulle à l'equipolent, mais plus
font leurs prieres & oraiſons au logis , ouen quel eftroicte & plus aiguë qu'elle n'eſtoit, & par con
que oratoire à part : aulli ſelon l'Alcoran elles ſequent plus ferme & lolide contre cous incon
n'ont que la preſente vie temporelle ; & apres ueniens . Quelques trois cens trente ans apres,
leur mort leur ames vont en certain lieu où elles l'arc qui regarde deuers l'Occident s'eftant del
ne ſentent ne bien ne mal; l'vne des plus grandes menty par d'autres tremblemens de terre , fut re
impietez du Mahometiſme. Les galleries de ces fait par l'Empereur Baſile , & encore long -temps
nefs tant par le bas que par le haut, ſont de cha depuis, apresla mort de l’Imperatrice Irenée fem
que coſté ſouſtenuës ſur des groſſes colomnes de me de l'Empereur Andronic Paleologue, partie
marbre, d'ordre Dorique, tant que ſçauroient em . de l'argent qu'elle laiſſa fut employé, felon que le
braſſer deux hommes , huict embas , & fix tant ! raconte Gregoras vers la fin du ſeptielme Liure , &
ſeulement en haut , vn peu moindres , & d'ordre faire ces deux groſſes piles ſeruans d'arcs-boute
Ionique:mais deſerpentin ,vnepierre verte mou. tans en formes de pyramides du coſté d'Orient &
chetée de blanc , dure à pair du porphyre , voire de Septentrion , ſans leſquelles , & le ſupport
plus : & y en a encore grand nombre d'autres qu'elles donnerent à la ſuſdite ſtructure, elle me
moindres en ces deux eſtages , tant pour ſeruir naçoit vne bien prochaine ruine.Sique tant d'ac*
d'embelliſſement, que pour les diuiſer chacun en cidens ont fait croire à quelques - vns que ce Tem
trois eſpaces ſeruans de Chappelles carrées par ple - là ne ſoit tel , ne ſi ſpacieux à beaucoup pres
les trois faces, & la quatrieſme ſe recourbant en comme il fut premierement bafty par Iuſtinian :
forme d'ouale à la reſſemblance de tout l'edifice car il ſe lit qu'il y auoit bien cent portes : à celte Les pot
qui eſt carré par le dehors, 8c par le dedans ſe rap heure deuers Soleil leuant , par où l'on deſcend tes de
ported yne ouale mouſſe & camuſe, dont il s'en cinq degrez pour entrer au Temple , ( lequel eſt fainete
ſuit que les portes des arcs & voûtes ſoient mer . tout environné par dehors de portiques & galle: Sophie,
ueilleuſement ſpacieuſes & fort hardies. En Pro ries ornées de belles colonnes de porphyre, ſer
cope l'on peut voir deux exemples de l'induſtrie pentin , & bronze,auec force Mulaïque és parois
& promptitude d'eſprit de Iuſtinian en ceſte fa . & planchers du dedans , ainſi qu'à Saint Marc de
brique, où iltrouua le moyen de remedier à deux Veniſe,dont l'exterieur ſe conforme aucunement
inconueniens qui ſuruindrent,ayanseſtonné tous à cecy ; ) il y en a neuf , les deux du milicu leſquel.
ces Architectes , de ſorte qu'ils eſtoient preſts de les s'ouurent eſtans doubles , & plus grandes que
quitter tout là :lyn quele grand arc qui regarde les ſept autres qu'on tient fermées. En la face qui
au Soleil leuant pour ſon deſmeſuré fardeau regarde vers l'Occident, où eſt la principale en
filij

1
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
134 135

erće, a rez de chauſſée, en y'a cinqdoubles auli, pour le regard du corps du Temple ; li d'avanture
& toutes de bronze , d'vn tres - excellent artifice l'on y vouloit comprendre le logis du Patriar .
& owurage, commecelles de la Rotonde à Rome ; chat , & le cloiſtre des Chanoines , & des Cha
les trois du milieu leruanspour entrer en la grand' pellains , auec leurs appartenances & dependan
bef, & les autres des dcůx cofter pour les deux pe. ces : car encore pour le iourd'huy iulques bien
tites nefs d'embas , & monter par melme moyen quant dedans le Serrail il y en a quelques veftiges
aux deux galleries d'enhaut. Et de ce portail l'on & demeurans de ce qui a efté par eraidt de temps
defcend par pluſieurs degrez à vn grand paruis, abatcu , ruiné , & en autre ſorte alieré de ſon
pre
où il y a force belles foncaines d'cau viue, ame micr cftre. La portique meſme n'eſt plus aulli,
nées, de loin à grands frais & trauail, pour la com: que Procope met en la face du Soleil leuant, au
modité des ablutions avant que d'entret au Tem • lieu de laquelle qu'on prelume avoir efté renuer
ple pour faire les prieres accouſtumées : tout ce ſéc par quelque tremblem
ent de terre , coup de
pourpris eftant planté d'vn grand nombredepalo foudre , ou autre accident,a cité bafticefte groſ
miers , lauriers cypres , orengers , citronniers, . fece rraffe & platte- forme qui ſe voitauiourd'huy
licomores , & autres tels arbres d'ombrage,verds toute ' maçonnée de gros quartiers de pierre de
en tout temps . Du coſté de Septentrion il n'y a taille en tallud fort panchant ,pour 'e iuffort du
qu’yne feule aduenue : mais de celuy du Midy lix baftiment dececofté- là ; les murailles outre- plus
porces toutes de bronze autresfois , maintenant il du cofté de Midy & de Septentrion lont d'vn ou
n'y en a plus que trois leulement de ceſte eſtoffe, urage plus moderne quel ancien ed . fice,aufli hau
mais d'vn rare & ex quis muurage. Tout le dedans tes que les pilliers des grandes arcades, & longues
du Temple eſt fort ciart, comme y eftant la lu de vingt pieds, ſur huict ou dix d'elpoiſſeur,pour
miere admife par pluſieurs feneftres , dont en la contreboutter en lieu d'arcbouttans maſſifs, con
muraille qui s'efleue au deſſus des quatre arcades tre le haut exauffement de ceſte maffe. Mais
pour
fouſtenans la grande coupoulle , y en a iuſques à le regard de ſes enrichiſſemens & decorations,
Les fe quarante, & par.edeffous vingt- lix. Tout le long elle n'eft pas pour cefte heure à beaucoup pres ce
aeſtra . puis
apres des deux petites nets, de chaque coſta qu'elle ſouloit, car les Turcs , ſuiuant la vaine
ges. ſuperſtition de leur loy , de n'admettre aucune
par embas , trente - deux , & en la face de l'Orienc
vingt , fans tout plein d'autres qui eiclairent la reſſemblance des ouvrages du Createur , par tout
lanterne qui eſt au faifte du cuide four : le choui , où ils dominent , desfigurent & les viſages des
& les galleries d'enhaut , « celles qui ſont ſur le perſonnages, & les animaux , voire iuſques aux
portail expoſé au Soleil couchani. Il y a puis arbres,plantes ,& toutes ſortes de fucillages, pour
apres quatre grands arcs -bouttans & confolateurs fi peu qu'ils approchent du naturel, ſoit des pein
par dehors pour ſouſtenir les grandes arcades , tures , ſoit de la Mulaïque , ou de la taille & relief
la Retube ; Tous laquelle dioit à plomb eſt le basne plain ; Lechaur aufli eſt en fon entier en
chaur , qui occupe tout celt eſpace : au dedans tant que touche fa ſtructure ( il n'y auoit que les
deſquels arcs- bouttans iont deirobées certaines Eccleſiaſtiques qui y entrallent , ) mais au reſte
viz & clcalliers par où l'on monte à la voce & deſpoüillé de tous les ornemens & richeſſes quiy
couuerture du Temple , toute de plomb , aindi auoient eftéamaſſées de tousies endroits de later .
que des autres Motquécs faites iur le patron de re ; & meſme cefte tant preciouſe table d'Autel
ceſte fabrique: mais anciennement doré & dial . quc Iuſtinian fit refaire , toutc damaſquinée d'or
pré la pluſpart. De là on delcouuroit non ſeule & d'argent , auec infinies pierreries y enchaſſées,
Merucil. ment toute la ville bien à l'aile & diftinctement, & toutes les plus rares & exquiſes ſortes de bois,
leux mais par meſme moyen les faux -bourgs, qui ſe d'aloës , ſandal, ebene; & autres ſemblables en
faus .
ſouloient iadis eſtendre iuſqu'à Heraclée , deux uoyez des Indes , & plus eloignées regions de
bourgs journées de Conſtantinople ; & les larges campa l'Orient & du Midy , tant des Iles, que deterre
Nan :ino. gnes de la Trace du cofté d'Occident en la terre ferme : Outre plus des ioyaux ſansnombre d'vne
plc. ferme d'Europe : & au delà du deftroit vne bonne ineſtimable valeur , que les Empe curs y auoient
portion de la Natolie au Leuant , meſme le mont offerts , les Patriarches , & grands perſonnages,
Olympe qui ſemble ſurpaſſer les nuës , en tout ainſi qu'allegue Sozomene d'vne autre table tou
temps couuert de neiges & glaces : Plus la mer te d'or & de pierres precieuſes qu’y donna Pul
Majour vers le Septentrion , & au Midy la Pro cherie fille d'Arcadius , & ſeur du ieune Theo .
pontide, & le canalde l'Helleſpont, voire les Illes doſe. Au ſurplus c
, 'eſtoit vne choſe preſqu’in
de l'Archipel, fitant ſe pouuoiteſtendre la veuë : croyable du reuenu de ceſte Egliſe, que Procope
De façon que rien ne fe Içauroit trouuer nulle eſtend à plus de quatre cens mille eſcus par an ,
part de plusbel aſpect . pour les prebendes du Chapitre tant ſeulement,
De ceſte deſcription au reſte conformement à alligné entre autres choſes ſur le louage de mille
ce qu'entouchent Procose,Agatie, & Euagrie, ſe ou douze cens boutiques aſli ſes és ruës les plus
peut recueillir à peu pres, que rien , ou fort peu pafſantes, places,marchez , & autres les meilleurs
de choſe n'a efté deſmembré en cét edifice de fa endroits de la ville affectez particulierement à ce
premiere edification par Iuſtinian , nonobftant la : & encore pour le iourd'huy tous les seites. Ts
que les Turcs , & les Grecs alleguent qu'il eſtoit Lifmans , & autres miniſtres de la grande Moſquée
trop plus ample ſans comparaiſon que ce qu'on en de ſain & eSophie eſtans appoinctez & entretenus
voit auiourd'huy ; & que la pluſpart de ſes pieces la deſlus, le Turcen tire plus de deux cens mille
& ſuitres en ont eſté retranchées & demolies par ducats de bon tous les ans , nonobftant que Con
les barbares : les ſeditions domeſtiques , les ac. ftantinople neſoit pas la quarte partie habitée , ce

cidens du feu, & lestremblemensde terre; liqu’à qu'elle ſouloit en la grande vogue ; leſquels ſe
peine en eſt - il reſté la dixieſme partie debout. Ce mettent en reſerue dans le chaſteau des ſept tours,
qui n'eſt aucunement pray -lemblable , au moins pour employer à la guerre contre les Chictions.
DES
dile .
de Chalcon 137
136
Papaz , il print auſſi de ſa part la meſme qualité :
DES QUATRE PATRIARCHES mais plus ambitieuſe encore : Iwasins enci oső A'pxo,
επίσκοπος Κουσανπνοπόλεως , ας Ρωμης, και οικουμενικός Πα
& principaux Chefs de l'Egliſe Grecque ;
Teidepans: lean parla miſericorde de Dieu Archenefque
& des fectes du Chriſtianiſmeau Le
de Conftantinople, la nouuelle Rome,o Patriarche vni
want , & parties Meridionales. uerfel, citre & qualitez des quatre Patriarches de
l'Égliſe Grecque : & quád on parle à eux , ou qu'on
A YANT icy eſte deſcrite la ſtructure mate leur eſcrit , on y adiouſte ce mot de garancira tas,
rielle de ce tant fameux & celebre Dome de ſain tout ſaint , ou tres -ſaint, comme aux Papes , lef
cte Sophie , d'autant que ceſte hiſtoire ne con quels y ont eſté plus modeſtes, s'eſtans retenus ce
cerne moins les affaires des Grecs que des Turcs, nom d’Eueſque ſimplement , comme ils font en
meſmement qu'ils viucnt ainſi pelle-melle les vns core , accompagné de ceſte qualité fort ſimple de,
parmy les autres ; dont le Muphtı, les deux Cadi Seruus feruorum Der que faint Gregoire print le
Techirs , les Scites, & Taliſmans. & autres miniftres premier, douze ou quinze ans auparauant;ncant
du Mahometiſme ont ie ne ſçay quelle ombre de moins ceſte forme delocution ſelon l'Hebraïſme,
Ordres conformité auecles ordres & dignitez de l'Egliſe emporteroit tout au rebours yne ſur - intendance
& gra- Grecque , il n'y aura point de mal d'en dire icy & priorité , ſur les ſeruiteurs , tout ainſi qu'vn
desde quelquechoſe: leſquelles dignitez conſiſtent pre Dominus Dominantium , les autres trois Patriarches
l'Egliſe
mierement au Patriarchat; & de là au Metropo nonobftant que ſupericurs chacun endroit ſoy
Grec
que, litain ou Archeueſque, Eueſque, Hieronomaque ſur tout leur Clergé , & Egliſes, auſſi bien que
ou Caloyer Preſtre, & Preſtre ſimple au Papaz : celuy de Conſtantinople, eſt au fien , le recon
Tous leſquels chantent Meſſe:Puis il y a le Moy noiſſent neantmoins pour Paſteur ſouuerain &
ne non conſacrant; le Diacre, & Souſdiacre , qui Occumenique, & aſsiſtent à ſon ellection , & aux
feruent à l'Autelau Preſtre : & l'Anagnoſte qui Synodes generaux qu'il conuoque : ſommequ'ils
lit l’Epiſtre au peuple , le tout en vulgaire , les l'aduoüent pour ſuperieur. Les titres doncques
jours de Dimanche : les Moynes ont aufli leurs de ces trois Patriarches ſelon l'ordre qu'ils mar
Igoumenes , & Archimandrites , à quoy ſe peu chent font tels : αγιωτατος δεσποτης, παπι , ε τειάρχης
uent à peu pres rapporter les Abbez , Pricurs, Αλεξανδρείας και πασης αιγιε , ππνταπόλεως λιβύης , και
Souſprieurs, & autres dignitez de nos Conuents Sozias : Le tres- fainct seigneur Preſtre o Patriarche Aleran .
& Monaſteres. d'Alexandrie , om de toute l'Egypte , auec Pentapoli, dric,
B IZANC e doncques ruinée de fonds en com Izbie , Ethiopie . Il reſide au Caire , encore que
Premie
ble par l'Empereur Septimius Seuerus l'an de ſon titre ſoit d'Alexandrie ; de peur à ſçauoir que
re inſti.
turion Salut 197. que le Chriſtianiſme auoit deſia pris poureſtre ceſte ville icy vn port de mer, il ne face
du Pa- pied en diuers endroits de la terre , il la ſoulmit quelque patricotage auec les Chreſtiens. L'autre
triar. à la Iuriſdiction des Perinthiens ville de la Thra d'apres eſt celuy de Ieruſalem ; dramamos demortes,
char, e pa r meſme
ce depuis appellée Heraclée , fi qu
que par πατριαρχης Ιεροσολύμων και αγίας Σιων , Συρίας , Αραβίας
moyen le Dioceſe y fut tranſporté, & y demcura niego lepoais , neret me zanorajas og Tanows tanasirus : Le Jéruſa
pres de neufvingts ans,iuſques au temps de l'Em tres- jainit seigneur Patriarche de Ierufalem , du ſainet leni.
pereur Probus , dont le frere Domitius fut fait nom deSion , de Syrie , Arabie au delà du fleunelour
Eueſque de Bizance,ayant'eſté contraint de ſere dain , de Cana , de Galilée , er de toute la Paleſtine. Ce
tirer de Rome,pour raiſon de la foy Chreſtienne. ſtuy -cy reſide d'ordinaire à Damas, & non pas en
Son fils Probus luy fucceda , & à Probus l'autre Ierufalem , αγιωτατος δεσποτες , πατριαρχις , πο λεως,
de ſes enfans Metrophane,lequelapres que Con mezaans Alfiozzias aj ta'one Arenans. Le tres.faint sei
Antioa
ſtantin le grand cut edifié ſur les anciennes ruines gneur Patriarche de la diuine Cité la grande Antioche, che.
dudit Bizance , Conſtantinople , & qu'il y eut e de tourel Anatolie . Mais celuy de Conſtantia
tranſporté le ſiege de la Monarchie , laiſſant l'an nople outre la ſuperiorité , a luy ſeul plus beau
cienne Rome aux Pontifes ſucceſſeurs de ſaint coup ſans comparaiſon que le reſte enſemble. Car
Pierre, fut d'Eueſque fait Patriarche enuiron lan ſon lieges'eſtend en toute la terre ferme de Greco
trois cens trente - six. A ce Patriarchat de la ville iuſques en la Dalmatie , Eſclauonie , & Croatie :
Plus toute la coſte de la marine en l'Anatolie ; &
ſouuerainedetout l'Empire d'Orient, furent par
ſucceſſion de temps affectées, & ſous-miſes plu en l'Europe encore outre la Grece ila la Thrace,
ſieurs Prelatures & bencfices peu à peu , tant qu'à & autres lieux qui ſe deduiront cy -apres, dont les
il monta à ce haut degré de ſe parangon principales prelatures ſont celles - cy .
la parfin
ner aux Papes , voire à les ſurpaſſer de beaucoup PREMIEREMEN I le metropolitain d'He
en eltenduë de Iuriſdiction : car s'eſtans du com raclée , Primat, & quaſi en pareil degré que l'E
mencement retenus en l'obedience de l'Egliſe ueſque d'Oſtieà Rome, quieſt Doyen des Cardi Les Press
Romaine , par plus de 2so . ans , ils s'en emenci naux : car il ſacre & inſtalle le Patriarche en ſon latures
perent parapres enuiron le teinps de Tybere, ſuc ſiege, & luymet en main le Pedum ou baſton pa- du pa.
triarche
ceſſeur de Iuſtin Curopalate ; lequel Tybere fut ſtoral, qui tient lieu de Croce. Il ſouloit auoir
de Cone
Gouronné de la main du PatriarcheEutichiusl’anº ſeize Eueſchez ſous luy , qui ſont maintenant re- tantis
576. & Maurice apres luy , par lean ſurnommé duites à cinq , Rhodoſto , iadis Bizanthe , ville de nople,
le Ieuſneur:Ceſtuy - cy vers l'an 610.l'Empereur Thrace ; Paulon en vulgaire phanarion , ſur va
Phocas ayant permis à Bonifacequatriefme, d'vo Promontoire d'Europe,
au boſphore ou deſtroit
ſer du titre de Pape , comme qui diroit Pater paa de Thrace : Metrore ou Athyre, auſſi en Thrace ;
trum , qui par conſequent importoic yne ſuperin T7urloë ,& Myrophrie.
tendance & authorité abſoluë ſur toute l'Egliſe LE METROPOLITAIN d’Ancyre ( Ane
Chreſtienne,au lieu que ce mot ſouloit eſtrecom gori ) és Galates.
mun à tous les Preftres dela Grece qui s'appellent LE MET R. de Ceſarée en 'a Bithynie.

3
138 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
139

LE METR. de Torxobe capitale anciennement Adriatique. Coronée , l’Euripe, & Syres en ont
de la Bulgarie , ſur vn ſommet du mont Hæmus, efté eclypſées.

Gregorias liu . 3 . NAV PACTE ( Lepanthe ) & Arte, en la Mo


LE METR . de Cyzique, ville de la Myſsie rée ſur le golphe Corinthiaque : ce fut là aupres
ſur le bord de la Propontide en Aſie. où les Chreſtiens gaignerent ceſte tant memora.
CEL v y de Theſſalonique ou Salonichi, ca ble victoire par mer contre l'armée Turqueſque
l'an 1571 .
pitale de la Macedoine, & Theſſalie , ayant fous
luy pluſieurs Eueſchez . VARNE , ſur le pont Euxin en Thrace , où
De Nice en Bithynie : il n'y a plus d'Eueſ aduint la piteuſe deſconfiture du Roy Vladiſlaus
chez ſous luy : trop bien trois Egliſes dedans la de Hongrie & Pologne.
ville ; l’yne de noſtre Dame, pres de laquelle ſe CHRISTOPOL1, ſur les frontieres de Ma
cedoine, & de Thrace : Gregoras liu . 7 .
voyent encore pour le iourd’huy quelques mar
ques d'vn grand Palais , où s'aſſembla le Concile MON È M B A SIE ,anciennement Epidaure en
que Conſtantin y fit conuoquer de trois cens dix la Morée ; autrefois de l'Archeueſché de Corin
huit Euelques contre Arius & ſes adherans . the, mais metropolitaine à ceſte heure,ayant ſous
DE CHALCEDON ( Scutarı ) vis à vis de ſoy l’Eueſché d'Argos , & celle de Nauplium ,

Conſtantinople du coſté de l'Aſie :ce n'eſt plusà Napples de Romenie , ville tres - forte , qui fut
ceſte heure qu'vne bourgade,ſans Eueſchez,mais renduë auec Monembaſie par les Venitiens au
60. parroiſles de ſon reſſort , de cent iuſques à Turc Solyman l'an 1540 .
trois cens ames . TRAIANOPLE , c'eſt la Maronée ou Ma

DE L ARIS S E en Macedoine , où ily a plu- rogna de Thrace pres la montagne de Rhodopć.


ſieurs Dioceſes reſſortiſſans , comme Demetria DIDYMOTHIQV E en la Thrace ſur yn haut

de , Pharſale , Demonique , Zetum , Tricca , & rocher non gueres loing de Conſtantinople :
autres . Gregoras liu . 8. Chalcondile liu . 2 .
ANDRINOPLE en Thrace : c'eſt la princi DRISTE en l'Eſclauonie .
pale ville que le Turc tient en Europe , apres MIDIE , c'eſt la Lebadie en Bæoce.
ZICHNE ;
Conſtantinople , à 36. lieues de la : & a trois
Eueſchez ſous ſoy , Agatopoli,Sozopoli , & Tra LEMNOS ( Stalimené ) Iſe en la mer Egée,
bine. entre la Thrace , & le mont Athos ; fort fameuſe

ANCHIALE ( Achillo ) en Thrace encore pour la terre medecinale qui s'y tire de longue
ſur la mer Majour . main , dicte communément la terre Sigillée, du
CORINTH E , ville aſſez conneuë de longue ſceau ou cachet dont les paſtilles en ſont mar

main , ſur l'Ithme ou deſtroit de terre du Pelopo- quées. .


neſe. Il y a tout plein d'Eueſchez là deſſous, BERRI OE E , ville deMacedoine.
comme Damate anciennement Trezene , au Pe SERRES, ville ſur lesmarches de Thrace ,&
loponeſe ſur le golphe Argolique, Cephalenie, de Bulgarie : Gregoras liure huictieſme.
Ille en la mer Ionique : Zacquiſe, ou Zante , ille PHILADELPHI E ville Grecque en Lydie :
auſli , & autres. Chalcondile liure 2 .

Prv s e en Bithynie ſur la coſte de la Pro IS C'ANIE ou Iſcar , en la Macedoine, apres


pontide. la riuiere de Strimoine.
PHILIPPOPOLI en Thrace , à 60. lieuës THAV MAQV E pres le golphe Malliaque :
de Conſtantinople. Tite - Liue au commencement du 32. liure .
PHILIPPI en Theffalie . LITZE : GAVNE , Biz E , & ME 2 O N.
PARIN AXE. AGRAPHORES .

PATRA S la vieille au Peloponeſe. Le Me LYCE , ( Laodicée ) en la Phrygie.


tropolitain ſouloit auoir cinq Eueſchez ſous luy, RHODES , Ile & ville en la mer Carpathie.
maintenant il n'en a que deux, Modon, & Loron . Elle fut priſe ſur les Cheualiers de ſaint Ican de
THEBES , ville de la Bæoce. Ieruſalem par le Turc Solyman l'an 1522. où ils
LACEDEMONE en la Morée , maintenant ſouloient vſer d'vn ſceau à triphe croix . Eitace
Milithre. propos faut entendre qu'il y a deux ſortes d'Egli
MEIHELIN en l'Iſle de Leſbos qui en a pris les Grecques , l'vne qu'ils appellent Taupcrtajaxi
le nom . croiſée , que le Patriarche adminiſtrė par ſes vi
MES E MBRIE ſur la mer Majour en l'Eu cegerens , nonobſtant qu'au deſtroit & iuriſdi
rope. ction d'vn autre,comme à Nauplium & Athenes :
HIER ISS E , ou la montagne ſaincte de Da & Eve @ caxi qui eſt adminiſtrée par vn Metropoli
uid ; c'eſt le mont Athos tant celebre tain , comme eftant dedans ſon reſſort.
pour fes
Caloyers . Chio ( Scio ) Ine & villeen l'Archipel. Elle
RHYSE .
ſouloit eſtre des appartenances des Geneuois,
ATHENE s , il y a encore quelques remarques tributaire au Turc de dix ou douze mille ducats
de ſon ancienne ſplendeur , d'vn fort grand cir par an ; mais l'an 1566. Piali Baſſa de la mer s'en
cuit de murailles , auec quelques dix ou douze empara . L'Egliſe des Grecs eſt en la montagne à
mille habitans. Il y fouloit auoir dix Eueſchez deux lieuës de la ville , edifiée iadis par l'Empe
de ſon reſſort , maintenant il n'y en a plus que reur Conſtantin Monomaque , enuiron l'an de
ſept, auec bien cent cinquante parroiſſes ; à ſça ſalut 10 so . Le plus ſomptueux & magnifique
uoir Diaulis, Andros Ille en l'Archipel; Horeo edifice de toutes les illes de ces quartiers-là,
topie , Scyros en l'Archipel encore ; Caryſtie en Chio au reſte n'eſt qu'à trois iournées de nauiga
l'Ile de Negrepont, Porchinie , & la Velone , en tion de Conſtantinople , mais par bon temps , &
l'vn des recoins de la Macedoine ſur le golphe autant de Rhodes , & de Rhodes autant iuſqu'en
Alexandric
de Chalcondile . 141
140

Alexandrie d’Egypte ; d’où l'on compte iuſques ces des Venitiens au golphe Laconique en la co
à Conſtantinople par mer neuf cens mille , qui fte de la Morée , à trente mille du cap de Mallée,
peuuent valoir trois cens lieuës des noſtres ou cent de Modon , & deux cens de Candie. Elle en
quelque peu plus ; d'Alexandrie au Caire on va peut tenir quelques ſoixante de circuit , & eft au
endeux iours. refte fort boſſuë & monſtrueuſe ,ce fut là où Paris
PISIDIE en l'Afic mineur ou l'Anatolie . cut la premiere jouiſſance d'Heléne.
EPH E s E ville fameuſe de longuc -main en la L'ABBA Y E de Pathmos,petite Iſle en la mer
Prouince d'Ionie en Aſie . Icarienne , qui fait portion de l'Archipel, où S.
SMYRNE en la mefme Prouince. Iean eſtant en exil compoſa ſon Apocalypſe.
PERITHEORIE . QVAntà l'Ilede Candie,encore qu'elle ſoit
IMBRV S ou Lembro , Illcen l’Archipel . meſmement des appartenances des Venitiens
ANDROS , de meſme. neantmoins lesGrecs quiy reſident, pour le regard
PARO s id . le ſiege de l’Eueſchéeſt en la ville de la Religion & des choſes Eccleſiaſtiques , ſont
de Parikia : il y a outre- plus deux chaſteaux Ke fous l'obeïſſance & iuriſdiction du Patriarche de
phalon & Auguſte. Conſtantinople.
Nvs en Thrace. EN TOV's ces benefices & aſſez d'autres de
SOPHIE ville capitale de la Bulgarie , a cent moindre nom , il a pleine ſuperiorité & pouuoir
lieuë de Conſtantinople. en ce qui depend dela Religion :confereles Ar
DRAME,ville de Macedoine, Gregoras liu . 8 . cheueſchez , Eueſchez , & autres benefices d'im
NICODEMIE , en la Bithynie. portance , les demet & depoſe preſqu'à ſon arbi
SELIBR E E en Thrace ſur lamerMajour. tre : Donne les principales excommunications,
NEVROCOPIE . qui y ſont de fort grand reſpect & tremeur : con
CARPATH 2 , Ille entre Rhodes & Candie. uoque les Synodes , connoift des differends pour
Gos ( Stancou en Turc ) ville en l’Archipel, les pacifier auant qu'ils viennent à la notice des
où fut né l'excellent Medecin Hippocrate. Ballats & autres officiers de la Porte : & pour cét
PEKIE , en la Seruie . effet va de quatre en quatre ans faire ſes viſites où
ACHRI D'E S ou la premiere Iuſtiniane. bon luy ſemble : eſtant par tout defrayé & nourry
IBERIE , metropol. de toute la Mengrelie, auecla ſuitre ,outrele preſent & don gratuit qu'on
& Zorzanie. luy fait ſous-main , appellé Piróm40o , & à ſes mi
Il y en a pluſieurs autres encore ayans ſous cax niſtres & officiers chacun ſelon ſa qualité, il en
tout plein d'Euefques , qui reſpondent tous au uoye d'autre part ſes Exarches , qui ſont comnite
Patriarche de Conſtantinople comme outre les Legats ou grands Vicaires , de coſté & d'autre;
mentionnez cy -deffus. tant pour faire leſdites viſites, que pour recueillir
CELV Y de Cirre anciennement Pydné en Ma les deniers qu'il eſt tenu de contribuer au Turc
cedoine ſous la metropol.de Salonichi . pour le Carazzi c'eſt certain tribut annuel , dont
L'EVES OV E de Caſſandrie en Macedoine il y en a de deux ſortes,lyn eſt le ducat quepayent
dulli. pour teſte tous les Chreſtiens, exceptez les Ar
POLEANNIN E en Theffalie . meniens, qui viuent ſous la domination Turqueſ
ANDRINOPLE en l'Eſclauonie. que , qui ſe monte à de grands deniers chacun an ,
POLYPHENCE ( l'ancienne Micenes ) au l'autre touche en particulier aux Archeueſques
territoire d'Argos. & Eueſques , qui en compoſent en bloc auec le
Eucl OLENE en PAchaic ou Peloponeſe, Turc pour tous les Eccleſiaſtiques de leurs Dio
chez, MANOVIL , la meſme. cefes. Le premier autheur d'iceluy peu apres la
SALONE en la Dalmatie . priſe de Conſtantinople par Mehemed fecond,
IOANNIN E ( Caſſiope ) en Etholie : Chal l'an 1453. fut vn Seruian nommé Raphaël , qui
condile liure 2. & s . elle ſouloit eſtre de l'Arche paruint au Patriarchat moyennant l'ouuerture
uefché de Naupacte , mais à ceſte heure c'eſt le qu'il fic de ce Carazzı à deux mille ducats par an
ſiege metropolitain de toute Etholie . ſeulement, mais il monte à ceſte heure à plus de
DEMETRIA DE en Macedoine. fix mille , que le Patriarche recueille , & porte
RHENDINE , en la baffe Theſſalie. Elle fut tous les ans à la Porte durant que leDiuan ſetient,
autrefois du reſſort de Salonichi,maintenant c'eſt leiour ſainct George. Ily a puis apres le noxiosor
l'Archeueſché de Naupacte, quia le titre d'Exar quand il y eſchet,qui en vaut
plus : c'eſt vne autre
que , ou Legat d'Etholie. contribution par forme de preſent & don honno
Moze l e en Etholic,Gregorasliu . 6 . rable , que les Patriarches ont accouſtumé de fai
DEBR E en Macedoine , le meſme Grego reau Turc dés la ſuſdite priſe de Conſtantinople,
ras 6 . quand ils viennent nouuellement à l'Empire , ou
T'VRLO É , P Ë TZIY M , MARONÉ E. quele Patriarche ſerenouuelle, ſoit par morc,de
CASTORIE pour le iourd'huy primat de miſlion , ou depoſement, car les Grecs gens mu
toute la Bulgarie. tins,ſeditieux, turbulents, fantaſtiques, acariaſtes,
STRVMMITZ, en Seruie ,au ſommet d'vne legers,inconftans ,deſloyaux , ne les tollerene pas
s

montagne ſurpaſſant les nuës,Gregoras liu . 8 . volontiers longuement ſejourner au ſiege , ains
MELLENIQVE , ſur vn haut rocher en la en changeroient, s'ils pouuoient d'heureà autro,
Macedoine non gueres loing de Salonichi, Geor meſinement s'ils en rencontrent de preud'hom,
ge Cedrene en l'Empire de Baſile. mes doctes , & de bonne vie , ſuffiſans & dignes
SCOTVZE , SCOPIE . de ceſte charge , car ils en tolleroient pluſtort de
MELOS , INe en lamer Cretique,entre Can meſchans vicieux ignorans : comme ils ont fait
die, & le Promontoire de Sunium en l’Achaie. auſſi de leurs Empereurs, dont il ne ſe faut pas
ÇYTHERES ( cerigo ) Iflc desappartenan elbahir li Dicules afflige deceſte forte, les ayans
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
142 143

reduits ſous le joug & feruitude de ces barbares trion ſur le port de Pera ,dans yn aſſez grand pour
meſcreans; là où s'ils auoient tant ſoit peu d'er pris clos demurailles , de figure preſque carrée ,y
prit & de courage , ils deuroient aymer mieux ayant eſté transferé par la permiſſion de Mech
mourir mille fois leiour que d'y croupir vn ſeul mer ſecond, de l'Egliſe des faints Apoftres, An
moment, pour ſouffrir de telles indignitez : mais dré , Luc , & Timothée , qui eſt au ſecond certre
telles ſont finalement les verges & fleaux de la iu de la ville,fondécomme met Cedrene , l'an 23. de
ſtice Diuine , & l'inſtable reuolution & viciſſitu l’Empire de Iuſtinian , qui tombe en l'an de ſalut
de des choſes humaines . Ces Exarches doncques sso . par l'Imperatrice Theodore ſa femme:mais
vont & viennent de coſté & d'autre recueillir les d'autant que cet endroit eſtantyn peu à l’eſcart &
droits du Patriarchat tant ſur les Prelats , que ſur des-habité apres la priſe de Conſtantinople , &
les particuliers , outre cela leur pouuant demeu par conſequent un peu ſuſpect & dangereux, car
rer tous les ans trois ou quatre cens ducats pour on y trouua vne matinée le corps d'un homme
leurs eſtaffes. Ce que practiquent auſſi les Ar freſchement tué , ils obtindrent ce monaſtere : où
cheueſques & Euelques en leur endroit , qui le depuis ſous le regne de Solyman Ruſtan Baſſa,fit
uent certaines ſommes de deniers en leurs Dio abattre la croix qui eſtoit au haut du clocher , fi
ceſes , tant pour le Turc , & le Patriarche , que qu'on la deſcouuroit de fort loing cant par la terre
pour leur entretenement auſſi , ſans leur baile que par la mer. Ceſte Egliſe des ſaints A poſtres
main , & le droit qu'ils prennent pour confereç fut conuertie en vne Moſquée où ledit Mechmet
les ordres appellé subcrinor : Toutesfois il n'y a ſecond eſt enterré auec yn Imarath , où hoſpital y
que les Archeuelques qui donnent celuy de Pre annexé tourioignant.Quant au baſtiment du Pa
ftriſe. Ils ordonnent auſſi les Eueſques de leur triarchat ; il n'eſt pas des plus magnifiques, ains
reſſort , & des Archeueſques auſſi , mais c'eſt par comme vn ſimple monaſtere, ayant pluſieurs pe
la permiſsion du Patriarche, comme les Euelques tites pieces, & force cellules pour retirer les moy
font yn autre Eueſque, & des Preſtres du conſen nes , & autres Eccleſiaſtiques qui y arriuentiour
tement de leur Metropolitain. Telle eſt la Hic nellement depluſieurs endroits : mais l'Egliſe eſt
rarchie de l'Egliſe Grecque , les Archeueſques aſſez belle pour ſa petiteſſe , y ayant pluſieurs
ont outre-plus, comme a auſsi le Patriarche,leur peintures de lesv S -CHRIST, & de la VIER
domaine, qui conſiſte en terres labourables, prez , GE MARIE , des Prophetes, A poſtres, & au
vignes, iardins , bois taillis, & autres heritages tres Saints, & forces hiſtoires du vieil & nouueau
affectez à leurs benéfices,dontils reçoiuent lere. teſtament ; auec vne grande quantité de reliques,
uenų : & les offrandes qu'on leur fait quand ils & entr'autres , à ce qu'on dit , la colomne où le
vont celebrer la Méiļe de part& d'autre en leurs Sauueur fut flagelle. Quand on parle deuant la
Dioceſes, meſme le Patriarche, qui s'en va faire porte de ce Patriarchat , homme ou femme , des
l'office tantoſt en vne Egliſe, tantoſt en vn autre Chreſtiens faut preſuppoſer, car les Turcs tien
nent fort peu de compte du Patriarche meſme,
dans Conſtantinople , où il y en a douze ou quin
ze de reſte defe qu'il y en ſouloit auoir par le paſ qu'ils deteſtent & vilipendent quand ils le ren
ſé au Chriſtianiſme, autant ( ce dit- on ) que de contrent allant & venant par les ruës,ils y font
iours en l'an : & montent ces offrandes à de gran vne grande reuerence & ſubmiſſion , non pas en
des ſommes de deniers: cartel y a qui jettera crois ployant les genouils ainſi que nous , ains mettant
ou quatre ducațs au baſſin : ſi que cela ne peut pas la main à l'eſtomach, & inclinanslechefà la mode
fort bien conuenir , qu'aucuns dients , qu'il n'a Turqueſque, fans ſe deſcouurir autrement.
pour tout que deux cens ducats tous les ans : & de Or encore que les Turcs ſe ſoient emparez de
fait il s'en eſt trouué ſous les Turcs meſmes qui tout l'Empire Grec , tant en l'Europe qu'en Alie
ont amaſſé de fort grands threſors : & ſe lit qu'à & Afrique , ſi laillent- ils viure neantmoins les
la priſe de Conſtantinople Mechmet trouua de ſi Juifs & Chreſtiens en leurancienne religion , en
grandes richeſſes au Patriarchat , que iuſques à payans certains droits & deuoirs,ſans.forcer per;
Selim fils de Bajazęt l'on employoit tous les ans lonne à prendre le Mahometiſme, horſmis en cere
ſoixante mille ducats à la guerre contre les Chre tains cas : & les Azemylans ou enfans du tribut,
ſtiens , & à l'entretenement des Moſquées, mais les femmes auſſi qu'on met és Serrails. Trop bien
iceluy Selim contre le Sophy Roy de Perſe l'el ne permet- il point qu'il y ait diuerſité d'opinions
Lo Pa- puiſa du tout , pour le iourd'huy le train des Pa en chacune loy , de peur que cela n'amenalt quel
triar triarches eſt fort peu de choſe, & leur train en , que trouble en l'Eſtat , comme à la verité il n'y a
chat de core plus maigre . Ils ont leur habitation à Cons rien de plus propre à brouiller les cartes , d'autant
Con
ftantino . ftantinople ,non à ſainte Sophie comme du temps que ce qui touche la conſcience, principalement
ple. des Empereurs Chreſtiens : car pour n'eftre ceſte en gens zelatifs , eſt d'vne efficace perſuaſiue ſur
Egliſe là qu'à 60.ou 80. pas de la premiereporte toutes autres pour faire remuer les perſonnes qui
du Serrail,qui eſt en partie baſty ſur ſes ancien autrement ſe tiendroient coy . Et ainſi les Turcs
nes dependances : & auſſi pour l'excellence de la ont laiſſé les Grecs en leur accouſtumé Chriftia
ſtructure , les Turcs l'ont appliquée à l’yſage niſme, ſans les y troubler , auec leurs Patriarches
d'vne Moſquée, où le Prince va le plus commu & autres Prelats , & la police de leurs Egliſes,
nément faire fon oraiſon tous les Vendredis . Le meſmement à Conſtantinople , combien que ce
Patriarchat doncques eſt pour le preſent à l'vn ſoit la demeure ordinaire du Prince,& de la Cour
des coings de la ville , a l'autre bout , comme vous qui eſt fort grande : & ce nonobftant qu'ils ayent
le pouuez voir en la carte ſuiuante, pres la porte de de toute anciennetévn ſtatut, qu'és. villes Chre
Conſtantin , où fouloit eſtre yn monaſtere de Re ſtiennes emportées de force, & quiore ſe ſeroient
ligieuſes ſous le nom de la VIERGE MARIS youlu rendre , ils ruinent toutes les Egliſes, ou les
du titre dePammacariſte totalement tres -heureu accominodent à des Moſquées: Somme qu'ils en
ſe , en vn lieu peu releué , qui regarde au Scpten . banniſſent tout l'exercicede la Religion . Cequi
fut cauſa
144 de Chalcondile. 145
fut cauſe que l'an 1536. ſous le regne de Solymans nombre de quatre , voicy ce qu'en met Gregoras
cela ayant eſté rafreſchy & renouuellé, peu s'en fal. liu . s . chap. 1. Michel Palleologue ayant enuoyé vers le
lut que les Turcs n'accouruſſent de toutes parts Pape pour traiter la reunion des deux Egliſes,de l'ancien
pour ruiner les Egliſes de Conſtantinople , n'euft ne, & nonuelle Rome,mit en au ant pour gratifier les Occio
efté la faueur ſous main du Vifir ou premier Baſſa dentaud ,ces trois articles entre les autres . Qu'es Hymnes;
Tulphi, qui conſeilla ſecrettement le Patriarche de 6 autres prieres menus ſuffrages du feruice diuin és
mettre en termes quela ville n'auoit pas eſté priſe Egliſes Grecques ,on feroitcommemoration deſa Saincteté
d'aſſaut par Mechmet II. comme le bruit commun auec les quatre Patriarches.Item ,qu'il ſeroit loiſible à cha
portoit , ains par compoſition volontoire de Con- cun d'appeller à la Cour de Rome,comme la ſouveraine, co
îtátin Pallcologue le dernier Empereur Chreſtien , plus parfaite.Et tiercement ,qu'en tout par tout'la ſua
& offrit de le prouuer par des laniffaires viuans en- . periorité luy demeureroit .Cequieſt compris en ce peu
core en Andrinople, qui auoient lors porté les ar- de mots par Pachimerius au 5. mais à reculons :
mes,encore qu'il y euſt plus de 80. ans. Ce qui fut weonior, Ti penontor,ni unnubovor: mais cela ne s'effe
¿ tua pas . Et au dernier chap: du 10. liure, Auec le
fait par les pratiques &menées dudit Tulphi, & pa
rauenture du conſentement du Turc meline qui fit Patriarche de Conftantinople doruentaußi eftre appellez
ainſi ioüerce jeu , de peur de perdre les emolumens celuy d'Alexandrie ,de Ieruſalem , & d'Antioche.
qu'il perceuoit du Patriarchat, lequel parce moyen A v regard de celuy de Conſtantinople, quand il L'erie
venoit à vacquerpar mort , demiſſion ,incapacité, dion da
demeura en ſon entier à Conſtantinople , auec tou
tes ſes anciennes obſeruations,combien que non en oumaluerſation,anciennement l'eflection en ap- Ches
telle ſplendeur que par le paſſé, mais quant à ſon partenoit à l'Archeueſque d'Heraclée , le meſme
eſtenduë plus grande encore : car come ila eſté dit Gregoras liu . 6. chap. 1. A l'Archeueſque d'Heraclée
cy -deſſus à luy reſpondent tousles Chreſtiens dela appartenoit le droit d'eſlire le Patriarche de Conſtantino
Grece, Macedoine, Theſſalie, auec lesIllesadjacen- ple, car legrand Conſtantin meſme , qui des ruines de Bi
zance en auoit faitceſte inclyte cité de la nouuelle Rome,
L'eften , tes: Thrace, Bulgarie, Valaquie , Raſcie , les deux
ne voulut pas pour cela abolirles priuileges des anciens
du & a encore
Patriar- quelque exercicedela religion Grecque,la Ruſſie, ſoufmis,de tous points Bizance auxSeptimius
PerinthiensHeracleti
chat de & la mofcouie : Plus tousles Monaſteres du mont
Con Athos en nombre de vingt -quatre bien fortifiez ques. Mais par traict de temps les ſucceſſeurs dudic
Conſtantin s'en approprierent la collation , li que
nople. contre les ſurpriſes & inualions des courſaires, où les Prelats auecleClergé de Sie Sophie apres auoir
il y a de cinq à lix mille Religieux dits Caloiers : les fait yn examen de la vie, mæurs,doctrine, & fuffi
Albanois, Eſclauons, & Croats: & d'un
autre cofté lance de celuy qui ſembloit eſtre le plus digne d'e
les Mengreliens,Zorzaniens, & Circaſſes,auec les tre mis au ſiege,le preſentoient à l'Empereur quile
autres nations qui habitent les riuages de la mer confirmoit ; & lArcheueſque d'Heraclée le fa
Majour.Pourtous leſquels le Patriarche paye dou- croit lemeſme Gregorasliu. 9. chap. 13. Les choſes
ze mille ducats de tributannuel au Turc .
eſtoient ainſi ordonnées ,quecomme l'Empire auoit ancien
Le Patriarche d'Alexandrie reſide au Caire en
Le Pa. nement octroyé à l'Egliſe les droits,priuileges, & préemi.
triarche vn pourpris non moins ample & ſpacieux que ce nences dont elle iougi encore à preſent, en contr'eſchenge
d'Ale- luy de Conſtantinople, & a ſous luy toute l'Egy- l'Egliſe auoit außi deferé à l'Empereur d'admettre pour
xandric .
pre, & Arabie :les Monaſteres du mont de Sinai, & Patriarche celuyque bon luy ſembleroit de tous ceux qui
des defertsde S. Antoine, & S. Macaire vers la ville auroient eſté deſignez .Et au rebours liu . 6. chap. 9 .
du Tor , enſemble tout le reſte de la mer rouge où
lean Sozopolitain ,Guiuant la nomination de l'Empereur,
reſident les Caloiers Maronites , Arabes viuans ſe- & lesvoix & Suffrages du ſacré College, entra au fiege
lon l'Egliſe Grecque:l Abimameſme quieſt le grád Patriarchal. Plus liu.7.chap.16. Niphon Archeueſque
Patriarche & Pontife de toute l'Ethiopie, ſe prend de Cizique eſt admis au Patriarchat par les Prelats ob
de ſa main , en Alexandrie il y a quatre Egliſes temperans a la volonté de l'Eixpereur , lequel ſoudain
Chreſtiennes, ſaint Georges, ſaint Sabée où ily a apres ſa petite denonciation qui ſe faiſoit indiffe
des Latins , ſaint Marc , & faint Michel . remment à toute heure , & la grande confirmatiue
Le Pa Le troiſieſme Patriarche tient ſon ſiege en Ieru- de l'autre , ſolemnellement touſiours à l'entrée de
triarche falem , & par fois en Damas , lequel a toute la Pa- Veſpres , dont la formule eſtoit telle apres l'auoir
de Ieru- leſtine & Phenice,auecyne portion deSurie, com- reueſtu des ornements Pontificaux. La diuine ci ſa- ,
Glem .
me Baruch, Tripoli,& autres lieux de ces marches- crée Synode des ſacrefaints Metropolitains, des tres.de
là. Il eſt tenu d'aller tous les ans celebrer la Meſſe uots Éueſques, co le reſte du tres venerable Clergé,enfim
le iour de l'Aſſomption noſtre Dame , 15. d'Aouſt, ble de tres-noblesSeigneurs & de toutle pexple Chreſtien ,
au Monaftere des Caloiers Maronites , & Grecs, a appellé voſtre Pontificale dignitédu S. Siege Metropoli
baſty ſur le mont de Sion . tain de N. en ce tres -baut we fouuerain Patriarchat,
D'An . Le quatrieſme eſt celuy d'Antioche, qui regiſt le Throſne ſuperieur de la tres ſainte & vniuerſelle Egliſe
tioche. ſurplus des Egliſes de la Surie :car Antioche eſtant de IE S V'S - CHRIST. A presdoncques ceſte de
fort ruinée , & n'y ayant pour le iourd’huy qu’yn nonciation , & auoir rendu les condignes remercie
pauure petit bourg de Chreſtiensd'enuiron 60 . mens , & receu le Pedum ou baſton Paſtoral de la

feux , auec yne Egliſe, le Patriarche a tranſporté main de l'Archeueſque d'Heraclée ( maintenantils
ſa deineure en Damas,où il y avne belle Egliſe, & le prennent de la main du Turc ) les Prelats l'vn
plus de mille maiſons Chreſtiennes. apres l'autre luy venoient baiſer la main , & illeur
POVR venir maintenantaux particularitez de donnoit à tous la benediction : Puis Veſpres finies
l'authorité & reſpect que nous auons dit cy - deſſus fortant auParuts de l'Egliſe conſequemment à tout
auoir eſté trop plus grande, comme ileſt bien rai- le peuple , qui luy faiſoit de ioyeuſes acclamations.
ſonnable de croire,deces Patriarches du temps des Cela fait , ilſe retiroit au logis à luy deſtiné, reue
Empereurs Chreſtiens, que non pas depuis ſous les ſtu de ſes habits & ornements Pontificaux en la
Turcs,nousen amenerons icy les teſmoignages des ſorte qu'elle vous ſera repreſentée cy-apres.Et à ce
Grecs modernes. Et en premier lieu , quant à ce propos Gregoras liu.6.chap.1. L'Empereur Andronis
g
ations ſur l'Hiſtoire
Illuſtr 147
146
fils de Michel Paleologue defiroit promouuoir au Patriar comme d'hereſie , conſpiration , & abus fignalé en
Chat Gregoire Cypriot, & defait apresles ſuffrages accou- ſa charge, ou autres deſits , dont il cuft eſté bien &
former ſurles atteſtationsde la preud'hommie & capa . & deuè'ment atteint & conuaincu . Le meſme Au
cité illy inſtalla , lwy mettant en main ſur l’eſchaffaut à cheur liu.quatrieſme,chap.ſeptieſme. Michel Palea
la venë'de toutlemonde,ſuivant la couftumeancienne la loguefaitaſſembler les Prelats, & leur preſente tous les
croce , ou baſton Paſtoral, marque de ceſte dignité. Suit crimes rednitsen un,dont l'on chargeoit le Patriarche Ar
apres en ce meſme lieu, ſon ſacre , voire inſtitution ſenie,pour les voir & examiner legitimement, & puisapres
par l'Archeuelque d'Heraclée Metropolitain de en ordonner comme de raiſon, entre autres d'auoir laißt
la mer Majour,auecques les occaſions de cela . L'E . entrer le Turc Ažatin en l'Egliſe , & deuisé auecques buy
ueſque de Mozyle à l'inſtance du Patriarche deſigné defia durant le ſeruice : & ſemblables choſes que deduit
par l'Empereur, nomme certain Moine appellé Germain, Pachimerie au quatrieſme, pour leſquelles il fut
pour Archeueſque d'Heraclée , auquel de tout temps a depoſé de ſon ſiege, & enuoyéen exil : & au fixieſ
ancienneté appartenoit le droit d'eflire le Patriarche de meliure, chap. premier. Eux au contraire alleguoient
Conſtantinople. Car Conſtantin le Grand n'ayant rien qu'Arſenie auoit eſté ſolemnellement deposé de sonte lo
voulu abolir des anciennes.Conftitutions , meſme du temps congregation des Prelats. De ceſte depoſition au reſte
dupaganiſme, en ce qu'elles nederogeoienten rien à la foy il s'en trouue yne telle formule à l'encontre d'un
Chreſtienne , ſuiuit en cela l'ordonnance de l'Empereur lofaphat Metropolitain d’Andrinople ,qui par ſi
Seuere , lequelapres auoir ruiné Bizance, la ſouſmit à la monie eſtoit paruenu au Patriarchat, & auoit com
iuriſdittion des Heracleotiques de Thrace , pour y com mis pluſieurs grandes indignitez & maluerſations,
mander ainſi qu'à l'une de leurs bourgades. Le meſme il y a quelques vingt- quatre ans, peu auparauant le
traicte auſli' Michel Glycas en la quatrieſme ſe- deceds duTurc Solyman , qui mourut deuant Se
ction de ſes Annales .
ghet en Hongrie l'an 1566. en laquelle depoſition
De là en auantla couſtume vint de deferer la confirma- affifterét plusdeso.Prelats quitousla ſouſcrirent.
tion du Patriarche de Conſtantinople à l'Archeueſque
CET ancien ennemy de noſire falnt,oncques ne ſe ſaou . Formu
d'Heraclée , ſuivant la modeancienne , lequel ſouloit ſa- la de nous guetter ,&nous machiner quelque mal ànoſtre le d'vne
crer l'Eueſque de Bizance . Car les Eueſques eſtoient perdition & ruine,s'eſtantdeste commencement du monde depofi
ſouſmis aux Archeueſques , & ceux - cy aux Pa- tion de
montré depleine arrivée noſtre coniuré aduerſaire: & n'a Patriar.
triarches, commeon peut voir au lieu allegué cy- iamais ceßé depuis de guerroyer l'Egliſe de CHRIST, che,
deſſus deGregoras: L’Eueſque de Moz.yle obey ſoit au tantoſt nous dreſſant des embuſthes pardiuerſes varietez
Metropolitain de Naupacte: & ceſtuy- cy au Patriarche d'hereſies qu'il ſuſcite de coté o d'autre , tantoſt par des
de Conſtantinople. Mais le plus ſouuent les Empe- cerneaux eſuentez , remuans & inquietes qui luy preſtent
reurs ſe diſpenſoient bien de conferer le Patriar- volontiers l'oreille , pourſe parforcer d'abolir les Sainctes
chat de leur pleine authorité & puiſſance, y com- Traditions & Canon des Apoftres ( anciensPeres:comme
metrans meſmes des gens indignes , comune il met à cefte heure l'abondance de nos pechez a ſuſcité à defcou
au huictieſme liure , chapitre cinquieſme : En te wert yn ennemy do perſecuteur de la diſcipline Eccleſiaſtia
temps -là fucceda au Patriarche certain Prefire,Myine du que , ce Patriarche Iofaphat quiſouloiteſtre, lequel d'un
Monaſtere de Mangorie , nommé Geraſme, homme deſia esprit malſain , tout reſpeã de Dicu laiße en arriere ,hom
tout blanc & chenu,maisd'un eſprit beberé do idiot, Sour- me fans crainte, & aliené de raiſon , ſe departant de l'ob
daut au reſte pour
ſa grande vieilleſſe, n'ayant atteintles ſeruance des Saints Decrets , a projecté dedans ſon cæur
lettres Grecques pas ſeulementdu bout du doigt , mais à toute efpece d'iniquité: Dequoy nous Prelats qui ſommes
cauſe de ſon ignorance & fimplicité fort propre pour ob- icy aſſemblez en ce Synode pour en enquerir , uyans eſté
temperer aux vouloirs de l'Empereur : car les Princes ont acertenez premier que d'entrer en aucune procedure des
accouftumé de ſe choiſir de tels Miniftres, afin de les auoir choſes concernans le faitdel'Egliſe, auons eſtimé deuoir
plus ſoupples é obeylſans comme eſclaues,& qu'ils ne leur ſoigneuſementeſplucher les actions dece fouruogé.lettans
contrediſent en choſe quelconque . De maniere , ainſi doncques l'ail ſur ces crimes dont il eſt chargé,le tour fort
que le tranche tout nct Pachimerie au quatrieſme bien veu , examiné & confideré, nous l'auons deſcouuero
liurc : Qu'en l'eſection des Patriarches , la principale con eſtrenon tantſeulement iniquc& anare , mais contumace
plus forte voix à quoy on auoit eſgard, eftoit la volonté com a refractaire quant& quant, qui s'eſt mocquéde la ſen
inclination de l'Empereur : Car il falloit iuger pour le plus sence donnée à l'encontre de luy fur la Symonie dont il a
idoine capable celuy quiluy agreoit le plus. efté atteint& conuaincu par les Peres, ayant par maniere
ESTANT donc efleu & amené ſur l'eſchaffaut de dire foullé aux pieds , comme lay-meſmea aduojié de ſa
Imperial, touc le Clergé, & le peuple apres, luy fai- propre bouche de n'en tenir compte le29. Canon des ſaints
ſoient à haute voix ceſte ioyeuſe acclamation.com Apoftres qui contientcecy.
me met Zonare au troiſieſme tome. VIVE EN SI QVELOVE EVESQVE POVR AVOIR Canon
TO VIE PROSPERITE' EI REPOS PAR DONNE DE L'ARGENT EST PARVENV de la fi
monie ,
LONGVES ANNEES CONSTANTIN PA A CESTE DIGNITE : PRESTRE PAREIL
IRIARCHE OEC V MENIQVE. Outre ce LEMENT , OV DIACRE , QU'ILS SOIENT
fte dignité generale , il auoit ſon Eueſché affecté à DEPOSEZ , ENSEMBLE CELVY OVI LES

part à Conſtantinople, dont il iodyſſoit ainſi que Y AVRA ESTABLIS , ET RETRANCHEZ


les autres Prelats, & fa demeure à faincte Sophie. TOTALEMENT DE LA COMMVNION
Greg. liu . & chapitrefixieſme, parlant du Patriar DES FIDELES AINSI QUE SIMON LE
che Athanaſe. Il eſtimuit eftre raiſonnable que chacun MAGICIEN LE FYT PAR MOY PIERRE .
allaſt reſider ſur ſon benefice, pour y gouuerner ſon trox - Nous avons en apres aueré que ſans aucun beſoin qu'il
pean ,comme ilfaiſoitquant à luyle ſien à Conftantinople.. en faſt , Sans le conſentement du Synode , fans le veu
Ec de fait , outrela qualité de Patriarche Occume- & ſceu de clerc ny de Preſtre , il a aliené desposteßions
nique, il prenoit quant & quant le tiltre d'Arche de la fouueraine Catholique Egliſe , conſacrées de tout
uelque dela noquelle Rome. temps immemorial pour le ſeruiee diuin en l'ille de Can
OR encore que l'Empereur peuſt beaucoup,voi- die , comme il a außi confeßé: & ce contre la teneur ex
re preſque tout, a ſa promotion, fi ne le pouuoit-on preſſe du 26. Canon du Concile de Carthage, qui porte en
pas depoſer ſans quelque maluerſation & forfait, ces termes .
NOVS

1
e
c ondil
de Chal . 149
148

Autre NOVS AVONS D'ABONDANT OR- tous propos gourmandé eo iniurié des Prelats, ſans que
Canon DONNE' QVE PERSONNE N'AITA VEN- l'Empereurfiſt aucun deuoir de le ſupporter, il luy vint
contre DRE NY ALIENER RIEN QUELCONQVE preſenter la demiſion de ſa dignité qu'ilpretendoit faire.
la vendi- D'ECCLESIASTIQVE : QVE S'IL N'A DV La formule de laquelle ſe commençoit ordinaire
tion des
biens de REVENV COMPETANT POVR S'ENTRE- ment en ces termes , ſelon Pachimerie liure 10 .

l'Egliſe. TENIR ,
ET QV'IL SOIT PRESSE ' DE Afavori croõ áze Bacinot , juuris dicworoy uõ apoi apzs
TROP GRANDE NECESSITE ', QU'IL EN pôç no me moi oudonosor cidas eqww.my : & c . Saint
ADVERTISSE LE PRIMAT DE SA PRO- Empereur Monſeigneur, & vous Meßieurs les ſaints Pre
VINCE , LEQVEL APPELLE AVEC LVY lats,me reconnoiſſanten premier lieu eftre pechenr, ie met
CERTAIN NOMBRE D'EVESOVES DE tois toute diligence pourme deliurer de peché. Aureſte
SON RESSORT , ILS ADVISERONT PAR leur charge eſtoit d'yne grade peine & ſubiection,
ENSEMBLE CE QU'IL FAVDRA FAIRE . mais accompagnée debeaucoup d'honneur, car és
QVE SI LES CHOSES ESTOIENT SI HA- prieres & fuffrages on faiſoit comme a eſté dit,
STEES POUR LES AFFAIRES DE L'EGLI . commemoration d'eux tant vifs que morts,auec les
SE QU'ON N'EVST LE LOISIR D'EN DE- Empereurs,ainſique nous faiſons du Pape. Lemel
LIBERER AVANT QUE DE VENDRE , A me Gregoras liu . 8. chap. ( :. pour prouuer par au
TOUT LE MOINS QVE CET EVESOVE thoritez tout ce que nous propoſerons . Le premier Les Em
Y APPELLE DES VOISINS LES PLUS SI . Samedy de Careſme,comme le lendemuin on deuſi faire pereurs
GNALEZ , GENS DE FOY , POVREN TES- commemoration tout haut des bons & Catholiques Empe- Grecs
MOIGNER , S'APPRESTANT AV SVR reurs, da des Patriarches Les Empereurs outre-
. plus nez pas
PLUS FORT SOIGNEVSEMENT A REN- eſtoient couronnez de leur main ,liu.6. chap . 9. Le le pa
DRE BON COMPTE A LA PROCHAINE Patriarche lean couronna du diademe Imperial Michel criarche
. SYNO
DE DE TOVTES LES AFFAIRES DE fils d’Andronic Palleologue. Lesmarques & ornemens de Con .
SON EGLISE QVI L'AVROIENT CON- deſquels Empereurs eſtoient ſi particulierement
nopies
TRAINT A CELA , SVR PEINE DE DE- affectez à la couleur rouge , que meſine leur ſigna
MEVRER COVPABLE ENVERS DIEV , ture ſe faiſoit de vermillon ,liu.4.chap.15. L'Empe
ET RESPONSABLE A LADITE SYNODE reur Michel Palleologue permit à ſonfils Andronic de ſigner
DE CESTE ALIENATION , ET D'ESTRE les Edits & lettres patentes d'eſériture rouge , mais ſans y
DEMIS DE SA DIGNITE .
mettre aucune datte ny du mois,ne de l'indičtion ,ains tant
Ce Patriarchedauantage a eſté conuaincu d'auoir de. ſeulement s'y ſouſcrire en ces termes: ANDRONIC Tiltre
posédes Prelats ſans occaſion , & reftitué illegitimement PAR LA GRACE DE IESVS - CHRIST , des Em
d'autres qui auoient forfait , s'eſt trouué auoir außi con
EMPER EVR DES ROMAINS . Qui eſtoit le parcurs
feré desordres hors de ſes limites , comme és Dioceſes de tiltre dont ilsvſoient , & au 9. liu . chap.11.parlant
Calcedoire, Heraclée,Salomiſe,Theone & Methymne , de la déconfiture que trois cens Turcs d'Orcane
encore ſansexamen nepreuse de la capacité requiſe ,les auoient faitdel'armée Grecque: Le lendemain ſi toft Toue
quelles charges eg accuſationsſontaccouplées à d'autres
que le Soleil fut leué, les Turcsapperceu ans ceſte route de leur c
crimes tous manifeftes & prouuez .Pource eſt- il que voyans
telsabus,& craignansd'encourir lameſme depoſition & desfaitre incroyabledes Grecs , &dansle campforcear- quipage
rouge .
meures, les tentes depanillons vuides d'hommes , les
cenſure, commeceux qui communiqueroient auec un ex barna
montures de l'Empereur auec leurs ſelles rouges
communié,nous l'auonsdecerné indignedu Pontificat,ainſi chemens de la meſme couleur. Au fixieſmeliure aufli
que le premierautheur d'enfraindre les diuins & facrez de l'Hiſtoire de Geoffroy de Villhardouyn Marel
Canons, & dés à preſent nous le depoſons , le declarans chal
pourpriué,deposé, & demis,tant dela dignité Patriarcha de Champagne& de Romenie, dela conque
le , que du nom & tiltre d'icelle : Tellement qu'en forte fte deConſtantinople, Le Marquis Boniface deMon
quelconque ilnepuiſſe iamais rentrer ny en la chaire Pa- yeux
faitcreuer les
ferrat pritl'Empereur Alexisqui auoit
triarchale, ny en la dignité d'icelle ,ainsſeretiendraen la à ſon frere Iſaac, é luy oſtalesbrodequinsdepourpre,
auec les ornemens Imperiaux qu'il enuoya à l'Empereur
vie de profeſion d'un ſimple moyne. Que fi ascun d'entre
nous icy fous-lignezcontreuenant à ſa ſoufeription legitime Baudouyn à Conſtantinople. Car ces brodequins &
marques de
vouloit attenter de le reſtablir & abſoudre,puis qu'ila eſté
ainſidevëment deposé de ſon ſiege ,fuft par vne certaine l’Empire: Tellement que les fils aiſnez des Empe
reurs eſtoient ſurnommez Porphyrogenites , comme
contumacité & preſomption ,ou par quelque affe &tion par
ticuliere qu'il luy portaft:Nousdés å preſent declarons ce quidiroitnaiz ou engendrez au pourpre ou au cra
tellà s'effrelug.meſmedeposéparson propre fait de la moiſy. Cequ'ils retindrent des Romains, & le fie
dignité Epiſcopale,& auoir encouru cefaiſantſemblables ge Romain de ſa part auſſi à l'endroit du Pape &
peines & cenſures quel'autre. En teſmoin dequoy, & pour des Cardinaux, commela plus haute & excellente
plus grande approbation de ce que deſſus a eſté donné le pre- couleur de toutes , ainſi que nous l'auons plus à
fent arreſtSymodal , ayansicy deuantles geux le texte des plein deduit,auec les raiſons de ce , ſur Philoſtrate
Sainctes Euangiles, Juiuantl'excommunication deſia pro au tableau des beſtes noires . Cela eſt paſſé aux
noncée.Fait au mois de lanuier l'an de la creation dumon Tures pour le regard au moins de leurs tentes, ſelon
de 7073. indi&tion VIII. Surquoy il faut eſtre aduerty qu'on a peu voir cy - deſſus, qui ont herité de cela

que les Grecs detouttemps comptent depuis ladite des Grecs auec l'Empire, & beaucoup d'autres cho
creation iuſqu'à IESV S - CHRIST , 1545. ans ſes encore. Or puis qu'il vient à propos nous ap
plus que l'Egliſe Romaine, li que ceſte datte tombe poſerons icy le portrait des anciens Empereurs
en l'an de ſalut 1564. Quelquesfois les Patriarches Grecs en leur ſolemnel equipage, & à la fin de cét
ſe depoſoient eux meſmes de leur bon gré , Grego @uure vn autre , auquel ils alloient veſtus ordi
ras liu . 6.chap.dernier. Le Patriarche Iean ſe voyant à nairement .

Suit le portrait de l'Empereur


.

& ij
ISO Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
ISI

90

SAT & T AS A Y.
152 de Chalcondile.
: 153
Av SVRPLV s ſuiuant ce qui a eſté dit cy gands, Vicegerands, & grands Vicaires ;nonob
deuant que les Patriarches de Conſtantinople Itant tous les plus eſtroits ſtatuts & reiglemens
auoient toute authorité ſouucraine en l’Egliſe, ſur leurs reſidences ;De meſme auſſi la plus grand'
Grecque , meſmes des plus importans & autho part des Metropolitains , Eueſques , & Ăbbez
riſez excommunimens , & d'interdire iuſques à Grecs demeuroientà Conftantinople à courtiſer
l’Empereur propre , le prcallegué Gregorás li & l'Empereur , & le Patriarche auquel apparte
Le Pa . ure quatrieſme, chapitreſepticlime. Le Patriarche noit le pouuoir de les enuoyer reſider ſur leurs bie
triarche Arſenie ayant entenducomme Michel Palleologue anoie nefices, ou les en difpenſer comme bon luy ſem
pouuoit fait creuer les yeux à lean Ducas , auquel l'Empire ap bloit , liu. & c. 6. Le Patriarche Athanaſe enuoya
interdi.
re l'Em partenoit , il l'interditdel'Egliſe, a des sacremens. Et tous ceux qu'à ſon aduenement il trouxa enla ville ,reſider
auoientpar
par meſme moyen le pouuoir de les rein- ſur leurs benefices, o exclud du tout les autres qui eftovče
percur.
tegrer & abſoudre des plus griefues fautes & cas dehors,d'yplus venir encore que par ordonnance desſaints
referuez, chapitre treizieſme. La Meſſe dite Michel Concilesles Metropolitains euſſent accouſtume de s'aſſem .
Palleologue eftant profterné à genosil à l'entrée" du bler unefoisou deux tom les ans pres le Patriarche ,pour
sheur, confeſſa tout haut ſes deux vrimes,fon pariure communiquer avec luy dece qui concernoit lefair de leurs
mens,äſçauoir d'auoir contre ſon
ferment de fidelite'uſura Dioceſes; alleguant qu'il eſtoit raiſonnable que chacun
pé l'Empire: o fait creuer les yeux au filsdefonfen Em d'eux gouuernaft endroit ſoy son trouppean , plaftoſ que
pereur , dequoy le Patriarche Joſeph premierement, recueillanslalaine ou depouille de leurs oüailles en venir
apresluy les autres Prelats en leur ordre luy reciterene le faire ſes pompes or bonnes cheres à Conftantinople. Pru- Les Paz
formale de ſon abſolution. Le meſme faiſoit encore le demment certes & en bon preud'homme ; car il triarches
Patriarche enuers les Metropolitains , les Eueſ. n'y a rien de plus illegitiine & indecenten l'Egli- pol .
ques , & autres Eccleſiaſtiques, liure neufieſme, ſe , que de voir roder vn Paſteur de coté & d'au- eltre cca
chapitre huiētieſme, parlantdu Patriarche Iſaie: tre ,ſon parc & bergerie abandonnez à la mercy leus
Le Pa . Dela ut femit apres fes vengeances, o à pourſuiure les des larrons, des loups & autres beſtes rauiſſantes. eftans
criarche
confe Euelques @ Preftres, dont ilinterdie les uns de leur 540 : Cen'eſtoit pasau reſte choſe incompatible qu'on maricz
cerdoce pour quelques années, on les autres pour tout le elleuſtles Patriarches ores qu'ils fuſſent mariez ;
roit les
benefi . refte dèleur vie. Et à l'vnzieſme enſuiđant, l'Em car les Papaz ou Preſtres Grecs le ſont bien , au
ces, pereur Andronic le ienne le pria de laiſſer ſon indignation moins vne fois en leur vie , à yne fille , non vne
contre les Eneſques, o dabfoudre le peuple : Surquoy veufue, parce que la bigamie leur eſt totalement
pour le gratifier, luzreuefin de ſes ornemens Pontificant , defenduè, liute ſeptieſme,chapitre dix -huictiel
'à l'heure qu'on denoitcelebrer la grande Méſſe monteau me ( touſiours de Gregoras faut entendre. ) lean
pulpitre , o dela recite une abfónte, tant pour les def- Glycasfutpourueu du Patriarchat , lequel auoitfemme
funts quepour les viuans : mais à la plupart des Eueſ o enfans, mais ſa femmeprit incontinent le voile de re
ques o Preſtres qu'il auoit cenfurez , il ne voulut rien : ligion , dont il voulut außi prendre l'habir, a ſe faire
remettre nypardonner.
moyne , pour la reuerence du foege , fil'Empereurn'y eut
C'ESTOIT en apresà eux à conferer les be contredit pour raiſon des gouttes dont iceluy Iean eftóis
ncfices & autres dignitez Eccleſiaſtiques , liure Souuent tourmenté : tellement que par l'aduis des Mede
fixieſme, chapitre premier. Le chapitre de fainéte cinsil luzeſtoit beſoin de quelquefois manger de la chair.
Sophie defiroit fingulierementqu'il y euft un Patriarche Ce qui nous inftruit de deux choſes ; lyne de la
deleur corps ,afin qu'ils peulent par ce moyen.ſe donner femmedu Patriarche ſoudain qu'il entroit à ceſte
parlesionës de tous les Archeuefchez , Eueſchez , 8b- dignité, eſtoit contrainte de ſe rendre religieuſe ;
bages, Monafteres, o autres telles meilleures pieces qui & l'autre que les Moynes n’vſoient iamais de
viendraient à vacquer : bref qu'ils s'attribua
fent tout ce viande deſcaremée ; & encore és iours de icuſne
Penfiós qui dépendoit de l'autborité del'Egliſe. Et au cinquief- nemangcoient point depoiſſon qui euſt fang : ce
ſur les me enſuiuant : Le Patriarche Gregoire Cypriot fut qu'ils obferuent meſme à ceſte heure.
bencfic abandonné de Chilas Epbefien, o de Daniel de Cizique, QAN
ces en ANT au reſpect qu'on leur portoit , iuf- Le rela
l'Egliſe auſquels il auoit conferé de plus grandshonneurs qu'ilne ques aux Empereurspropres ,outrecequi en a eſte peste
Grec leur appartenoit , voireles principales dignitez Ecclefia- allegué cy - deſſus, Nicetas le teſmoignage aſſez qu'on
Atiques, entre tous les autres Prelats a Preſtres. Sur portoit
guc. quand il dit : Andronic defia deſigné au gouvernement aux Pa.
leſquels benefices & dignitez il y auoit auſſi bien
de l'Empire ,vint à beau -pied au deuant du Patriarche triar
penſions conſtituées qu'en l'Egliſe Romaine,
des Theodoſe eſtant à chenal, a ſeproſterna iuſques en terre ches,
liure & chapitre cinquieſme. Chilas & Daniel fu luy buiſane leftrié. Et Gregoras liure ſixieſme,cha
rent priuez despenſions annuelles que les Metropolitains pitre premier. Le corps dų PatriarcheArſenie auec le
leur payoient.
conuoy eftant arrivé àla porte d' Eugene,lePatriarche ac
Tou . Or il ne fut iamais nulle- part que les Prelats compagné du clergé, o de l'Empereur auec fes Princes,
chant la & autres Eccleſiaſtiques n'ayent eſté fort friands a fon Conſeille vindrent trouuer ; o en la pompe acco
reſiden- de ſe tenir aupres de leur Chef, & du Princeen ftumée le conduirent en l'Egliſe de lainete Sophie. Son
ce des
benefi . core plus , comme la ſource dont ils s'attendent accouſtrement ordinaire eſt tel qu'on le void icy
ces, que decoulle l'engraiſſement & amelioration de repreſenté :mais vous en aurez yn autre portrait
leur territoire : & de monter par ce moyen touſ encore à la fin de cét æuure , où il eſt reuertu de ſes
iours de degré en degré plus haut peu à peu ; la ornemens Pontificaux. Au reſte en toutes ſes fi
charge des ames à eux commiſes , & toute autre gnatures & ſous- ſcriptions il vſoit d'vne plume
adminiſtration dependante de leur deuoir quittées d'argent, & tousles autres de certains calames ou
là , & conſignées entre les mains de leurs Suffra joncs delicats, qui viennent dePerſe.
15
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 155
154

>

01
D 00

CE GRAND
le
ndi
lco
156 de Cha . 157

CE GRAND large chapeau ou ſombrere s'ap où il eſt encore preſque comme it ſouloit , j'en
pelleen Grec vulgaire rapince'ss ; le voile d'audel tends le Patriarchat ; combien que non en telle
Cous, ou le capuchon qui a deux pendants, larges fplendeur pour la diſſemblance des loix , & ceſte
& frangez ruinabe; qui repreſentent enuers cux tyrannique & tortionnaire domination barbareſ
à leur dire les liens dont noſtre Sauueur fut mené que :car au reſte pour en parler à la verité,les Ém
lié & garotté à Caïphc, Herode , & Pilate. Ace percurs Turcs ont cſté iuſqu'à huy trop plus be
propos le Flamendial anciennement à Rome du nins & tollerables ſans comparaiſon , quant au
rant le Paganiſme, vfoit d'vne maniere d'habil monde , que les Grecs n'eſtoient; la pluſpart d'i
lement de teſte , à guiſe preſque d'un caballet de ceux vrays horribles monſtres pluſtoſt que crea
Suiſſe, mais il eſtoit de peau ,du haut duquel s'eſ tures humaines.
leuoit vne pointed'un certain bois, & ſous la gor Or a la priſe de Conſtantinople le Patriarche
ge ſe venoientrendre deux pendans pour le bri nommé Gregoire qui eſtoit lors , ayanttrouué
der ; lequel eſtoit appellé apex de apere ; qui ſelon le moyen d'euader ſe retira en Italie, où il mou .
Feftus, & Seruius ſignifioit joindre & lier, à cauſe rut depuis à Florence , comme il eſt porté au hui
deçes deux fils de laine, qui venoient ſeruir de dieſme de ceſte hiſtoire : parquoy le liege de
bride ſous le menton : Ceux des Cardinaux en meuré vacant , Mechmet permit aux Grecs d'en
leurs chappcaux gris cordonnez de foye eramois : ellire vn autre en ſon lieu, à ſçauoir Scolarius,
fie & fil d'or ; ie ne parle pas du plat de bois com lequel changea ſon nom de Georges en celuy de
me on l'appelle ; & des Eueſques pareillement Gennadius , car pour vne plus auguſte Majeſté,
qui les portent verds, fe rapportent aucunement ils ont accouſtumé de changer leur nom auli
á cela :mais les larges pendans de leursmittres qui bien que les Papes; à leur aſſomption au Patriar
s'auallent fur les c paules, ſignifient ſelon Duran chat : homme de faincte vie , de bon eſpric, &
dus liu . 13.chap. 1. nomb.3.l'eſprit & la lettre de grande doctrine, & experience ; ſi que le Turc
l'eſcriture . Pour reuenir donc à nos Patriarches prenoit bien ſouuent plaiſir à l'ouyr diſcourir de
de Conſtantinople ; tout leur grand manteau noftre foy , & voulut qu'il luy en redigcaſt par
qu'on peut voir icy s'appelloit tapi pópopus,& eftott eſcrit yne confeſſion des principaux points.&
de laine, repreſentant la brebis eſgarée que le bon articles , qu'il fit traduire en langue Turqueſa
Paſteur emporte ſur ſes eſpaules. La ſottane ou que par vn appellé Achomat caddi de Berrhoće,
L'equi.
page des longuc juppe d'audeſſous quieſt de taffetas, ſatin, laquelle nous auons tournée du Grec , & icelle
Calo . camelot, ou autre drap de ſoye noir, pizo: & la appoſée à la fin de noſtre traicté de la Penitence;
yers .
Crocc ou baſton Paſtoral, sameida , les ſouliers, imprimé l'an 1587. Et encore que cela ne ſeruiſt
podróugorer .Quant aux Moines & Caloyers,ils por. de rien pour le conuertir, ſi ne laiſſa - il de luy en
tent ſur leur camiſolle dite summa , mót confor faire tout plein d'honneſtetez , courtoiſies , &
me du doliman , vn pourpoint dit Comūni , qui ap gratifications ; & l'honora des meſmes preſens
proche auſli du gippon, lequel s'attache aux Begeni, que les Empereurs Chreſtiens auoient accou
ou brayés auec le bas de chauſſes xocartup. Puis il ftumé de faire aux Patriarches à l'entrée de leur
y a vne tunique ou ſottane dite nizo, & par deſſus dignité ; ſçauoir eſt vn accouſtrement complet,
vn vabad , chape auec le capuchon , & le reménaBoi tel qu'il a eſté deſigné cy -deſſus, auec quelque
Le bonnet d'audeſſous sipa ; & le chappeau beau cheual blanc & luy mit pareillement le
Kattain ; fi que la pluſpart de ſes mots vulgaires Pedum en la main , comme ſouloient faire aulli
s'approchent des noſtres, ou les noſtres deux. tes Empereurs ; mais par deſloyauté de quelques
VOILA à peu pres ce qui a concerné le Pa fimoniaques qui vindrent apres , le Patriarchat
triarchat de Conſtantinople , tant de l'ancien fut rendu venal & tributaire, tant du Peſchefion ,
temps durant que l'Empire eſtoit és mains des que du Carazzi, iuſques à monter peu à peu iuſo
Princes Chreſtiens , que depuis quelques 140. ques aux douze mille ducats qu'il payeau Ture
ans qu'il a eſtéreduit ſous l'obeyſſance des Turcs, pour le jourd'huy.

ġ liij
s
ration oire
Illuſt ſur l'Hiſt
158 159

UNOR

CETTE HISTOIRE EST ANT PRINCIPALEMENT

des Turcs qui font tous Mahometiſtes ; il eſt bien requis de traictericy un peu au long

de ceſte maudite & damnable fecte ,qui a ainſi empoiſonné la pluſpart de la terre habi
table , eg icelle remply preſque de ſesconqueſtes. Et en premier lieu de la naiſſance de ce

faux Prophete, de ſa religion et auffide ſa doctrine.

VELS furent les comporté pas cent ; laiſſans les autres à leur tour en vne plus
mens de ce ſeducteur dés aupara grande barbarie & ignorance qu'auparauant :
uant & depuis qu'il eut vſurpé le mais elles s'enfuyentdo'nous bien au loing; & ic
nom de Prophete , & commencé ne ſçay où elles voudront ellire leur domicils &
à eſpandre ſon peftifere venin : reſidence. Telles ſont les viciffitudes & alterna
quelles ſes brigues & menées , ſes tions des choſes humaines , eſquelles il n'y a rien
conqueſtes, ou pluftoft brigandages, & deſtrouſ: de ferme ny de permanentnulle part. L'AVTRI
ſemens, qui donnerent le premier pied où paruin . point digne de remarquer , et la grande domina
drent ſes ſucceſſeurspour le regard du temporel , tion qu'en fi peu de temps yn peuple de l peu de
moyen , de hipeu
de a
tout cela ſe racomptera plus au long , & par le de pouvoir , ſçauoir , & auoir ;
menu en ſon rangſur la Chronique Sarrazine de fi mauuaiſe, ou point du cour de diſcipline mili:
que qui ſuiura cy -apres. Icy nousn'en prendrons taire : gens li miſerables , mal- garnis d'armes, &
tant ſeulement que cequi concerne leur ſpiritua municions de guerre : 8 au teſte fi contemptibles
lité aueuglée, & fauſſe creance , tant en general comme les Arabes : la pluſpart confinez dedans
de toutes ces manieres de gens qui embraſſent le des deſerts & lieux folitaires , diſcommodes de
Mahometiſme, qu'en particulier pour lesTurcs. toutes choſes, empietterent la plus grande & meil.
Surquoy deux choſes entre les autres ſe preſen leure part de l'Alie , & Afrique, & vn treſboneſ
tent de prime face , dignes de conſideration : la chantillon de l'Europe , meſmeen Eſpagnequ'ils
premiere, qu'vn del abus, fi ridicule , abſurde, & occuperent entierement & de viue force plus de
groſſiere aye peu ainſi par vne li longue ſuitteide ſept censanstout de ſuitte ; auec la Sicile par in
liecles tant obſtinément déuoyer vn li grand teruales , & les autres Illes circonuoifines ; en
nombre de pauures ames . Car il ne règneque trois ſemble yn bord de l'Italie en terre ferme : le tout -
religions pour ceſte heure , voire il y a deſia long ſous l'authorité & obeïllance de leurs Caliphes
temps; bien que ſous-diuiſées en pluſieurs bran ou grands Pontifes , qui ont eſté leurs Monar
ches & rameaux de ſectes : la Iudaique à ſçauoit, ' ques tous abſoluts , autc vn ſouuerain pouvoir
la Chreſtienne , & Mahometane ; & non ſeule tant au temporel qu'au fpirituel. Deſquels deux
ment des gens lourds , idiots , ignorans , & par particularitez mal- aiſément en pourroit- on af
conſequent fort aiſez à perſuader , ains des plus ſigner autre raiſon , fors qu'il a pleu à Dieu de le
excellens eſprits parmy eux en toutes ſortes de tollerer de la ſorte; pour punir ſon peuple peut
doctrines , arts , & ſciences qui furent oncques eſtre de ſon ingratitude & meſconnoillance, de
autre part , ainſi que leurs eſcrits en peuuent por ſes vices , deſbordemens, & autres telles iniqui
ter bon teſmoignage ; comme d'Auerroes , Àui tez : vne autre choſe vient encore à eſmerueiller,
cenne, Algazel,Almanſor , Rhaſes, Meſnc, Al comme il s'eſt peu faire que tant de peuples & na
pharabe, Geber,Alkindi, Albumaſar, Racaidibi, tions de fi differentes & bizarres humeurs ; & en
Habi Aben Ragel, ThebitBen Corath , & infi tr'autres les Aſiatiques ſi delicieux de tout temps
nis autres que nous toucherons ſuccinctement en leur viure , ſe ſoient ainſi voulu ſouſmettre à
cy - apres en ladite Chronologie : Tous leſquels l'auſterité & rigueur de ceſte loy Sarrazineſque,
furent Mahometiſtes, & li fermes & conftans en iuſques meſines à s'abſtenir du tout du vin , vn
leur loy ,qu'ils ne s'en voulurent oncques depar- breuuage fi friant & fauoureux , & fi conuoité
tir ny tant ſoit peu aliener. Bien eſt vray qu'ils ne de toutes ſortes de perſonnes , outre ce que c'eſt
furent pas du temps de la goffe & barbare lourde l’yn des principaux ſouftenemens de la vie hu
rie de Mahomet , ny plus decinq cens ans apres, maine , & qui la reconforte le plus , & reſioüift
ains en yn plus heureux ſiecle de lettres, lors qu'el. non ſeulement les creatures , mais Dieu meſme ; Preau .
les commencerent à s'abaſtardir enuers les Chre & encore croiſſant parmy eux en telle abondan- 10.4. (4.
ſtiens, pour faire leur tranſmigration ailleurs ; & ce , & fi excellent , ſans qu'il leur conuienne le ges 9.
tout ainſi que quelques oiſeaux de paſſage s'en faire venir de loing , comme font les Polonois,
voller des partics Occidentales aux Arabes du Moſcouites , & autres peuples Septentrionaux ;
Midy , & de l'Orient, il y peut auoir de trois à attendu que les Romains ſe font trauaillez plus
quatre cens ans : & delà s'en retournerent dere de quatre cens ans pour ce meſme effect , mais
chef deuersnousdu temps de nos peres , n'en y a en vain .
OR
160 de Chalcondile . 161

OR pour venir aux traditions de ce cault & per hommes à l'endroit de Dien , & ne ſçauoir pås ſes
nicieux affronteur, l'ombre & precurſeur du yray ſecrets. Auſſi les mots les plus facramentaux des
Antechriſt , annoncé tant par Daniel que les au Muſulmans, ou Mahometiſtes initiez , ſont ceux
tres Prophetes; lequel eſtát nay d'vn pere Payen, qui enſuiuent: Que fi vn luif ou Chreſtien par
& evne mere luifue,tout ainſi quede l'accouple inaduertence ou autrement ſe jouoit de les pro
ment d'vn aſne auec vne jument s'en vient pro ferer , il faudroit qu'il receut ſur le champ leur
créer yne tierce eſpece meſtiue qui n'eſt ne l'on ne loy , ou mouruſt ſans remiſſion , La Hii AE ,
l'autre, & ncantmoins participe de tous les deux, HILALLA , MEHEMET RESV L L AL
qui eſt le mulet : il fut tenu plus de dix ans des Sa LA TANGARI BIR BER EMBERA C.
maritains alors bannis de la communauté des Dieu eſt Dieu , n'y a autre Dieu que luy, & Mebemet
vrays luifs , pour leur Meſſic,iuſques à ce que les eſt ſon Meſſager & Prophete : Cequ'il a emprunté
fraudes & deceptions deſcouuertes ,& le maſque du Talmud , ainſique la pluſpart de ſes traditions,
leué de l'ambition où il aſpiroit ,ils le quitterent: au liure de Beracoth ou prieres; là où il eſt ordon
mais ce fut tard , car ayant deſia pris fon credit néaux luifs de dire deux fois chacun iour pour le

racine , il en fit mourir la pluſpart, & ſe ſaiſit de moins , à ſçauoir le ſoir & matin ces mots icy du
la Meke , où ils s'eſtoient habituez . Tout ſon but 6. du Deuteronome : Eſcoste Iſraël, le Seigneur no
doncques & ſon deſſein fut de venir donner à tort ſtre Dieu ,eft vn Dieu tout ſeul. Mais il faut entendre
& trauers des deux religions , Iudaïque à ſça qu'ils ont accouſtumé d'adiouſter quant & quant
voir , & Chreſtienne ; & les ſupplantant cruelle ce beau Cantique des Seraphins , du 6. d’Iſaïe :
ment l'vne par l'autre , en introduire vne troiſiel Saint Saist,Saint ,eſt le Seigneur des armées: Toute la
me qui luy peuſt donner entrée & accez à la do terre eſt remplie de la gloire. Ce qui denote tacite
ment le myſtere de la Trinité . Or à ce propos de
mination temporelle qu'il ſe forgeoit en l'eſprit;
La Hillae Hillala , le Comte Pic de la Mirande au
mais ſur tout, d'eſteindre & annihiler , s'il pou
traicté de Ente , & vno ,diſpute d'vne fort grande
uoit , le Chriſtianiſme, voyant qu'auſſi bien les
ſubtilité qu'on ne peut point proprement dire,
Iuifs auec leur loy eſtoient deſia delongue main
DE VS EST DEV S , vtperhoc nomen Deusvicens
aſſez deprimez . Et pour paruenir à cela prit yn
pretexte le plus plauſible qu'il euſt ſceu choiſir, prædicati gerensillud quod per ſubiectum conamurconcia
pere declaretur. Sa principale intention doncques
d'abolir l'idolatrie & veneration d'une pluralité
eftéderenuerſer de fonds en comblela loy Chre .
de Dieux , & meſme des creatures mortelles,ainſi
que Moyſe auoit fait jadis enuers le peuple lu ſtienne, quelque beau ſemblant qu'il face en plu
fieurs endroits de fon Alchoran de reucrer noſtre
daïque, d’yn zele bien different, pour ne propo
ſer en auant qu’yn ſeul Dieu Createur du Ciel & Redempteur.
de la terre : en quoy toute l'eſcriture conuient , & Av RESTE on ne peut pas dire auec verité
meſmes les plus aduiſez des Gentils. Voyez que ie ce qu'aucuns taſchent de prouuer & de ſouſtenir
quele Mahometiſme ayecauſé plus de bien que
ſuis ſeul, & n'y a autre Dieu que moy . Deuter . 32. Ie
ſuis le premier , ie ſuisle dernier : & n'y a point d'autre de mal , quand ce ne ſeroit que d'auoir retiré tant
Dieu que moy , Iſaye 44. Mais plus expreſſément d'ames de l'idolatrie qui regnoit lors ; & ramené à
encore aux Corinth.8 . Nous ſçauons que l'idole n'eſt la connoiſſance d'vn ſeul Dieu ceux qui deſmem
rien au monde, & qu'il n'y a autre Dieu qu'un tout ſeul. broient ſon pouuoir, & l'hôneur à luy ſeul deu &
A quoy ce fauſſaire s'approprie le plus pres qu'il reſerué,en tant de parcelles. En cela de vray Ma
homet conuient bien auec les Iuifs, & auec nous ,
peut en maints lieux , meſmes en l'Azoare 122 .
mais c'eſt faire , commedit aſſez dextrement l’yn
ſous le perſonnage de Dieu , qu'il introduit là,
luy parlant ainG : Dis leur , ô Prophete, tout refo de nos anciens Poëtes : Leſiher le miel deffus eſpines :
lument qu'il n'y a qu'vn Dieu , neceſſaire à toutes ſor d'autant que la deſſous, (commc ſuit puis apres :
tes de Creatures , & incorporel: qui n'a oncgces engen ſous
Enfans qui au fraiſiers allez ,gardez -vous du ſerpent
dré d'enfans, nyn’a eſté engendré non plus , n'ayant an l'herbe ) giſt le mortel venin dontil pretend d'em- •
cun pareil à Soy.Ce qui bat tout directement con poiſonner tout le monde. Car on Içait aſſez que
tre le myſtere dela ſacrée - ſainte Trinité , & l'In quiconque n'eft du tout auec I ES V S - CHRIST,
carnation du Verbe diuin ; & ſomme la diuinité eſt contre luy ; hors la foy & creance duquel il n'y
de IE S V S - CHRIST . Comme auſſi en la 33 . a aucun eſpoir de ſalut : & quiconque y defauc
Azoare , Dieu n'a point admis d'autre Dieu pour ſon d'un ſeul point , faut en tout . En apres il ſeroit
Fils participant auec luy de fa diuine Eſſence. Et en la beaucoup plusaiſé de retirer les peuples de l'idola
29. Ils reconnoiſtront d'auoit proferé vne tres - vilaine trie , en laquelle toute perſonnepour ſi peu de iu
parole , en diſant que Dieu auoit eu un enfant. En la gement qu'elle ait,ne trouuera rien de ſolide ;que
13. auparauant il introduit I ES V S - CHRIST non pas du Mahometiſme, qui a quelque ombre
fc purgeant enuers Dieu le Createur , de n'auoir & apparence d’yne yraye Religion : & qui nous
oncques rien voulu atcenter ne donner à entendre combat en certaines choſes, par eux à l'exemple
aux hommes que luy ny fa Mere fuſſent Dieux : des Iuifs mal entenduës , & pirement interpre
Car (adiouſte-il ) toy qui connois les plus interieures tées ; comme des images des ſaints, & ſembla
penſées de tes creatures , tu penetres bien aiſément bles : Ce qui en a deſbauché aſſez de la Religion
juſques au plusprofond de mon coeur, mais non pas moy Catholique. Ce que deſſus s'eſt aſſez fait voir par
en ſemblable du tien . Qui eſt formellement contre experience en la conqueſte des Indes Orientales
le texte des Euangiles ,s'efforçantpar ces derniers par les Portugaiz , où ils n'ont comme point eu
mots renuerſer tout le principal fondement de d'affaire,non plus que les Eſpagnols és Occiden
noſtre creance . Ecce qui ſuit pareillement apres tales , à retirer ces peuples - là des folles & vaines
en la perſonne de noſtre Sauueur : Il faut qu'ils erreurs de l'idolatrie & du Paganiſme à la foy
t'inuoquent & adorent , toy qui es mon ſonuerain Dieu Chreſtienne :Ce qu'ils n'ont peu aucunement ob
Gleleur. En quoy il le fait cftre cſgal aux autres tenir à l'endroit des Mahometiſtes :Au moyen de
>
162 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 163

quoy ceſte opinion que la loy de ce ſeducteur ait fort valeureux à la guerre, afin de luy feruir de re
rien peu introduire ny cauſer de bon , ne ſe peut traite en ſes entrepriſes : & enuiron l'an 400. de
ſauuer en ſorte quelconque, ains eſt la breſche la l’Egire , qui tombe en l'an de noſtre ſalut 993 ,
plus grande que l'aduerſaire cuſt peu faire en l’E furent la baſtis deux Temples ou Moſquées à
gliſe deDieu ,cftant comme vn elgouſt abomina l'honneur de deux de leurs ſainctes nommées
ble de toutes les plus pernicieuſes hereſies qui y 6 tima fille de Mahomet , & de ſa premierefemme
furent oncques, tant au Iudaïſmequ'au Chriſtia Gadiſa , & d'yneautre de ſes parentes dite Nafila,
niſme. Bien eſt vray que cela deuoit aduenir ſelon dans le tronc des offrandes de laquellefurent trou
la Diuine préordonnance , comme le teſmoigne uez en deniers comptans bien cinq censmille du.
bien à plein l'Apoſtre en la 2. aux Theſſal. 2 . cats , ſans les ioyaux & pierreries d'vne ineſtima
Qu'aucun ne vousſeduiſe ny parparoles,nypar lettres, ble valeur , lors que Selim Empereur des Turcs
comme ſi elles vous eſtoient enuoyées de noſtre part:car le prit le Caire 1917. Mais il fit reftituer le tout,
jour de CHRISTn'arriuera point,que premier ne foit auec ce que les Ianiſſaires auoient d'autre part
aduenu le reuoltement, á que l'homme de péthé ne ſoit ſaccagé en ce Temple . Le CINQVIES M E ſie
Teuelé , l'enfant à ſçavoir de perdition , qui s'oppoſe o geeſtoit au Cairohan , ville edifiée preſqu'au mer
s'eflexe contre le Tovt qui s'appelle Dieu . Neant me temps que le Caire , par vn autre Lieutenant
moins deiuger au vray en particulier de l'Alcho general du Caliphc Ormen appellé Hucha Hibnu
ran, & ce qu'il y peutauoirde bon ne veux- ie pas Nafich , en la Cyrenaïque pres les Syrthes, à quel
dire,maisde moins mauuais , & pernicieux , il ne ques quarante licuës de Carthage. Ceſtuy - cy do
ſe peut bonnement faire , parce que celuy que les minoit toute la Barbarie , & la Numidie ,auec la
Turcs , & en general tous les autres Mahometiſtes coſte de la marine iuſqu'au deltroit de Gilbachar ,
tiennent d'vn vnanimeconſentement pour le pur & le mont Atlas, qui confine à la mer Occane, &
texte de leur loy , n'eſt pas proprement çeluy de la terre des Noirs .
leur legiſlateur Mahomet ,ains yn autretout baſty DE CES CALIPHES , & dc leur double La do
de neuf, & repetallé à pluſieurs & diuerſes fois, domination , temporelle & ſpirituelle, Mahomet, minatio
de Ma.
ſelon les humeurs, fantaiſies ,occurrences , & par & fon Alchoran furent les premiers autheurs, homet,
tialitez de leurs Caliphes & Docteurs, ſurquoy preſuppoſant que puis que l'hommeeſt vn indiui- & les
il y a eu infinis changemens & varietez ,tout ainſi du compoſé de l'ame & du corps , auquel l'ame fuccef
que le Iuriſconſulte Alphene demande ſi le naui commande comme laplus digne & principale par- tant'au
re lequel fut tant & tant de fois r’habillé qu'il n'y cic , par conſequent doit auſſi la ſpiritualité faire tempo
reſtoitvne ſeule piece decelles qui eſtoient entrées ſur les biens temporels , à quoy bute cocy de Vir- red que
en ſa premiere fabrication , deuoit eftretenu pour gile , Rex Anzus , rex idem hominum , Phæbique ſpirituel,
le meline, ou pour vn autre : ce que Plutarque en Jacerdos
la vie de Theſeus allegue de la ſacrée barque de MAHOMET au reſte fut fils d'vn des plus La ge
ftinée pour aller querir les reſponces d'Apollon apparens bourgeois de la Meke , nommé Ab- ncalogic
de Ma
en Delphes , appellée delà sacis. Mais auant dalla , fils i’Abdalmutalif ,de la famille de Corays , & nomet .
que venir à parler de ces changemens & altera d'vne fille dite Emyna , qu'on pretend auoir eſté
tions aduenuës à l'Alchoran , il faut entendre pre vne ieune garce luifue qui s'abandonna volon
mierement qu'il y auoit cinq ſieges de Pontificats tairement à Abdalla . Il fut né en la ville de le
où les Caliphes relidoient , qui furent les ſucceſ trib ou lefrab , qui pour cefte occaſion fut depuis
ſeurs de Mahomet au ſpirituel, & au temporel, appellée Medinah Albani , la cité du Prophete,
apres que leur domination ſe fut eſtablie , & dila douze ou quinze licuës au deçà de la Meke , ou
tée de coſté & d'autre , ce qui aduint en bien peu de ſelon d'autres en la Meke meſme , qui eſt vn ap
temps . port fort renommé en la partic occidentale de
Les cinq LE PREMIER d'iceux ſieges eſtoit à la Me l'Arabie heureuſe , à trente ou quarante lieuë's
princi-, ke & Medine , auec toute l'Arabie ſous luy . L E de la mer Rouge , où toutes les aromates , dro
pauxſic:
ges du SECOND en Bagadet ou Babylone, autrement gueries , cfpiceries , & autres precieuſes denrées
Maho . Baldach ayant
, en ſon obeyſſance toute la Chal de la contrée des Sabéens ſe viennent rendre par
mctil. dée , Perſe, Medie , Parthie, Aſſyrie,Meſopota de Carauanes ſur des Chameaux . Lors que
me,
mie , Caramanie, & autres regions adjacentes, tel Mahomet y naſquit elle eſtoit en partie habitée
lement que c'eſtoit quant au temporel le plus puiſ de luifs , qui auoient leurs Temples à part , &
ſant Caliphat de tous , & tenu pour le Principal. leurs Synagogues, & de Gentils , leſquels ado.
LE TROIS I ES ME a Damas,auec la Surie , & roient yne idole dit Alieche Aluza , qu'on eſti
la Paleſtine pour ſon departement. Etencore qu'il me eſtre la Deeſſe Venus : & de là pourroit ve
ne fuſt pas de ſigrand pouuoir que les autres , tou nir , car Mahomet a beaucoup maintenu de cho
tesfois il les deuançoit en la ſpiritualité, & en re ſes tacitement de l'ancien Paganiſme à la Meke,
putation de ſaincteté & de doctrine,car de ce fie comme il ſe dira cy -apres :que ce qu'ils obfer
ge, & de la faculté y inſtituée des maiſtres & do uent le Vendredy , comme les Iuifs le Samedy , &
etcurs de la loy , dependoient toutes les deciſions nous le Dimanche , eſt pour la memoire de cét
des doutes qui pouuoient ſe former és points & idole , repreſentant anciennement enuers les
articles de leur creance , iuftice , & police. Et en Gentils , la Deeſſe qui preſide à la generation &
ceſte authorité il ſe maintint fort longuement,iuſ fæcondité. Il y auoit outre - plus des Chreſtiens
qu'à ce que les Souldans du Caire ſe furent empa meſlez parmy , mais heretiques Neſtoriens, la
rez de l’Egypte, & de la Surie.L E QV A TRIES cobites , & autres de la meſme farine : & yn

ME eſtoit audit Caire, ville capitale d'Egypte , Temple au milieu de la ville ,appellé Beithalla,
cdifiée ſur les tuines de Memphis , ou là aupres, qui ſignifie maiſon de Dieu , auec yne tour dite
par vn Lieutenant general de Caliphe Efchain , le. Elcabba , ou Alkible , deuers laquelle les Maho- Azoare
quel s'appelloit Geohar, Albanois de nation , metans ſe fouloient tourner en faiſant leur Zala 2. & 17 .
ou priere,
164 de Chal .
c ondi 165
le
ou priere , ( à ceſte heure ilss'adreſſent to us au lequel ouurage fut parachcué de ſon fils lacob.
Midy ) & iurer par le nom d'icelle , commeles Tout ce que deſſus met ce Rabbin fils de Car
Mores font encore , tant ils l'ont en grande re nitol, & que Samael au reſte eſt le coſté gauche,
uerence. Mais tout cecy eſt en conſideration & l'accufateur des forfaits des hommes,mais le
d'Abraham , parce qu'ils tiennent Mahomet Neſſach la victoire , eſt le coſté droit . Item qu’A
eſtre deſcendu d'Ifmaël fils baſtard dudit Abra braham eſt le bras droit du monde , & commen
ham , & d'Agar ſa chambriere , ce qui merite ſuration de Bethel , Iſaac le bras gauche ou Beth
d'eſtre eſpluché de plus pres. Car en Geneſe 12 . elochim , lacob la moyenne ligne qui s'eſleuciuſ
il est cſcrit. 'Delà Abraham ſe tranſporta à la mon ques au plus haut diademe , où il ſe va conjoin
Depuis
ellefur tagne qui eſt à l’Orient deBethel, qui ſignifie la maifon dre auec le Principe de toutes choſes , par l'aide
de Dieu , y tendit ſon pauillon , en ſorte qu'il auoit & moyen d'Abraham & Iſaac: la meſure auſſi
appelléc
Bethan Bethel au Ponant , & Hai ( ail ou fontaine ) deuers du Tetragrammaton in Iebouah ou labueh , ayant
hen la le Leuant : & edifia là un autel au Seigneur , duquel lix des noms diuins à ſa part , trois en haut , à ſça
maiſo il innoqua le nom , puis paſſa outre s'acheminant toû
de l'ido . uoir asza Ghedulah , grandeur , 0312 Gebolleth,
le, jours vers le Midy . Là deſſus Rabbi Moyſe Egy puiſſance, & miran Tipherethbeauté : Et trois en
ptien au 3. des Marmonim , chap. 46. met que bas, ns ) Nezach victoire , 717 Hod honncur , &
les Gentils qui reueroient les idoles leurs edi 770 Iefod , fondement. Sur le meſme propos des
fioient de beaux grands Domes, auec des images prieres il dit encore que le calomniateur Snow
és montagnes hautes leuées. Au moyen dequoy Samael ou Sathan aduerſaire du genre humain,
Abraham auroit choiſi le mont Moria, où il dreſ qui eſt cauſc de defe & uofité & de repugnance ,
fa yne maiſon au feul Dieu Createur de tout demeure à la partie gauche , & eft dit pox Tſa
l'Vniuers , qu'il appella Sancta Sanctorum . Les phon ou mulle & couuert pour vne telle occa
SAINIS DES SAINTS : tournée du colté Lion : car quand toutes les creatures demandent
d'Occident , où il fit auſſi la priere , tournant le quelque choſe du ſouuerain iyunn Ehich , l'eſtant,
dos à l'Orient: & ce pour ſe departir de la forme ou celuy qui cſt , dont la numeration eſt and Che
des idolatres qui adoroient tous vers Soleil le ter couronne, la plus haute de toutes ,qui eſt le
uant , tenans ce luminaire pour leur Dieu. A monde de clemence & miſericorde , alors l'effet
quoy ſe rapporte ce que met Plutarque en la vie & accompliſſement de leurs requeſtes s'attire
de Sylla , & de Pompée , plus de gens adorer le d'enhaut , ſoit que celuy qui prie Toit iuſte , ſoit
Soleil leuant que le couchant. Et au traicté d'O pecheur & indigne : mais comme ceſte grace ou
fyris ,que les Egyptiens tenoient le lcuant pour la don qu'il demande de la ſouueraine clemence
face du monde , fique le Septentrion leur eſtoit le vient à paſſer par l'Aquilon , où eſt caché en em
bras droit, & le Midy le bras gauche: ce qui pour buſcade ce guetteur de chemins, qui deftourne
roit faire aucunement preſumer qu'Abraham cuſt toutes les petitions & deſirs des perſonnes, alors
apris cela des anciens Preſtres d’Egypté , & des ſes trouppes qui ſont en la partie d'Aquilon , ſe
Chaldeens qui ſuivoient pareille doctrine: car fi viennent mettre au deuant de la requeſte accor
le leuant eſt la face du monde, il faut qu'il regarde dée là haut , & l'arreſtent tant qu'il ſoit iugé , a
diametralement & à l'oppoſite le couchant que celuy qui a impetré ceſte grace eſt digne qu'elle
les Hebrieux appellent Jio Mabarah , parce , dit luy ſoit interinée , ou non . Ques'il en eſt digne,
Iofeph ben Carnitol au liurc des portes de iuſtice, ſon deſir luy eſt accomply , ſi indigne il demeure
que c'eſt le lieu des plantes , & du germement arreſté en ce lieu , ſans que ſon otroy paſſe plus
de ce qu'on ſeme, ſuiuant ce qui eſt eſcrit , d'o . outre , ny qu'il retourne là haut . Car jamais la
Ifai,43. rient ie feraj venir ta ſemence , & de l’Occident jie t'al diuinité n'ofte ny ne reuoque ce qu'elle a vne
ſembleray. Au moyen dequoy les Rabins ont dit fois octroyé, mais le benefice nie paſſe pas pour
le tabernacle de la diuine Majeſté eſtre en Occi cela à celuy qui l'a impetré , parce qu'il n'en eſt
dent , qu'on interprete pourla main droicte , ſe pas trouuéeſtre digne , & demeure en reſerue là
lon le lieu deſſuſdit de Geneſe, qu'Abraham s'a caché ainſi que dans yn magazin de dons & re
chemina yers le Midy , car ayant la face tournée queſtes accordées , en la partie d'Aquilon , pour
de ce coſté , le leuant ſera à la main gauche , & eſtre puis apres deſparties aux gens de bien . Para
le Ponant à la droite. Et de fait, pourſuit là meſ quoy les Rabbins ontdit que quiſe voudra enri
me puis apres le meſme Rabin , toutes choſes chir ſe tranſporte au Septentrion . Là deſſus bat
apres leur creation ſe maintenoient ſelon l'or ce que le Comte de la Mirande tres- grand Ca
dre de leur vraye diſpoſitiue, iuſqu'à ce quele baliſte met en ſa concluſion quarante ſeptieſme.
premier homme vint, qui rompit tous les ca Qui ſciet proprietatem Aquiloriis in Cabala , ſcietcur
naux , & par ſon moyen le cordeau des arpenta Sathan Chriſto promifit regna mundi , fi cadens eum
ges & meſures fut rompu , tant qu'Abraham adoraſſet. Toutes choſes dira quelqu'vn fort em
vint , lequel commença à redreſſer les canaux du brouillées & obſcures , ce qui eſt vray , maisauſſi
coſté droit , & de la partie meridionale l'ordre ſont tous les abſtruz & cachez myſteres en quel
& inſtitucion de celebrer de louanges le Crea que religion que ce ſoit , autrement on ne les au
teur du monde : puis de là ſe tranſporta a la ion roit pas ainſi appellez . Mais comme les fonde
tagne qui eſt à l’Orient de Bethel , pour y dref mens d'un edifice font ordinairement cachez en
ſer le tabernacle de la diuine Majeſté du cofté terre , afin de pouuoir elleuer ferme deſlus ce
droit , pour autant que le premier homme l'a qu'on veut manifefter à la veuë ; de meſme eſt - il
uoit corrompu du conté gauche : car Abraham de ces maximncs Cabaliſtes , ſur leſquelles , clloi r
s'eſtant acheminé vers le Midy , fon fils Iſaac gnées des communes conceptions du vulgaire ,
vint puis apres , qui ſe mit à remparer les brel poſent toutes les notions des trois ſciences qui
ches du coté d'Aquilon , là où domine Saptu Sa ſe rapportent aux trois mondes , l'intelligible , le
maël c'eſt le licu d'eſpouuantement & de crainte, celeste & elementaire , comme nous auons dit
166 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
167
ailleurs , & meſmes au liure des chiffres : & fans Dieu dit : Tu ne ſçaurois auoir puiſſance encontre luj.
cela l'eſprit humain ne ſe ſçauroit pas elleuer ny Sathan Derechef: Otroje -moy ſeulementcela , & laiſs
cítendre à la connoiſſance des choſes rares & fin . moy fairedu reſte, car i'en viendray bien à bout. Dieu

gulieres qui le peuuent rendre admirable ſur tous luy dis lors : Si tu te ioües à cela ie't'extermineray hors
les autres en quelque profeſſion que ce ſoit. dú monde : & de ceſte heure - là Dieu commença à faire
OR pour reuenir au propos intermis de la ge un contract d'alliance auec le Meßie . Cefte lumiere
nealogie de Mahomet , Iſmaëldont il ſe mainte doncques emprainte de Dieu en la face d'Adam ,
noit eſtre deſcendu , ſe vint ( dient-ils )habituer auſſi toft qu'il euſt engroſſé Eue de Seth , paſſa en
à la Meke , où il ſe maria à Alghadira fille d'Alier elle, & puis audit Seth apres qu'elle l'eut enfanté,
chamin Roy de la cótrée,dontil eut douze enfans, qui fut à ce que dient lesMahometiſtes la tige &
qui furent tous idolatres comme luy , & de là s'ef ſource de tous les Prophetes & Meſſagers de Dieu .
pandirent en diverſes contrées. Mais le ſecond Cela eſt pris de l'hereſie des Sethiens,qui veulent
nommé Caidar demeura en la Meke, y ayant ſon tirer de Seth dont ils ont pris leur appellation ,lo
pere Iſmaël deſia baſty la tour ſuſdite, & le temple rigine de tous les Prophetes. Bien eſt vray que les
que Mahomet , au ſecond & fixieſme chapitre de Rabbins mettent ſelon Moyſe Egyptien , liure
l'Alchoran , dit auoir eſté le premier de tous au ſecond chapitre 31. de ſon moré Nenochin , que l'e
cres : Et au quatrieſme, que ce fut Abraham meſ ſtre des hommes ne commença bonnement qu'en
me qui l'edifia. Caidar mit l'idole dedans la tour, Seth , qui repreſente le Septenaire, & le Sabbath ,
où il futtouſiours adoré depuis, iuſqu'à ce que Ma comme n'ous l'auons dit ailleurs : Car ( dit -il ).
homet ayant trouué lemoyen de donner pied à ſa apres les feptpremiers iours de la creation ,où toutes chos
doctrine, & prendre la Meke la ruina ; mais la tour fes furent faictes en leur eſtar de perfection de beauté
demeura en ſon entier , & y font les pelerins leurs complette rien ne futchangé de la nature, Ax moyen de .
deuotions , comme il ſe dira cy - apres en l'article quoj , ne vous eſmerueillez pas de ces paroles , parce que
des væux & pelerinages. Caidar fit auſſi planter iuſqu'au ſeprieſme iour n'y eut point de natureferme so
vne pierre noire par le dehors vers l'endroit où ſtable, qui ſe retrouue en l'abſence & prillation de la lu
eſtoit l'idole,afin que ceux qui entreroient dedans miere. Et de fait les tenebres ſontvne nature exiſtente en
le temple ſceuſſent où il leur faudroit s'addreſſer. tout ce monde inferieur,& la lumiere eſt une choſe qui ſe
Pour le iourd'huy ceſte pierre , de tout temps ap renouvelle ſur iceluy , par leſquelles tenebres ſe doit en
pellée la bien -heureuſe, eſt encore fort reuerée des tendre le premier feu , qui eſt l'un des quatre elemens,
Mahometans , qui s'y inclinent , & la baiſent ſuiuant cecy du quatrieſme de cinquieſme du Deuterono
me : VOUS AVEZ OVY SE S PAROLES
d'vne fort grande humilité, ſuiuaut ce qui leur eſt
DV MILIE V DV FEV : ET SA VOIX DE
ordonné par les traditions de la Zune : & au liure
d'Æricole , au chapitre des ceremonies : que ceux L'OBS CVRITE '. Et en Tob vingtieſme. Toute ob

qui entrent au temple de la Meke , la premiere fcuritéest muffée en ſesſecrets, &c. Tellement que
choſe qu'il leur conuient faire eſt de ſaluer ceſte beaucoup de choſes ainenées de Mahomet , & fes
pierre, & la baiſer au coſté droit , qui eſt le meſme ſectateurs ſemblent à quelques-vns auoir eſté dit
tes à la volée : ce qui n'eſt pas ; ains non fans de
qu'on ſouloit obſeruer au Paganiſme: mais les
idoles furent renuerſez & elteints par Mahomet, malicieuſes ſignifiances, toutes tirées, ou la pluſ
part , des Talmudiſtes. Et en cét endroit leliure
i lequel peu auparauát qu'il ſe mariaſt, ceſte pierre
d'Azear enfileyne autre fable,quel’AngeGabriel
ayant eſté remuée de la place pour r'habiller ie ne
accompagné de ſoixante dix mille de les compa
fçay quoy dans le téple,luy& vn'lien couſin ger
main la poſerent ſur leurs Tulbans , & l'adorerent gnons , chacun auec vn rouleau de papier blanc
en grande deuotion, & depuis encore qu'il fut re 1 comme neige , & vne plume de celles de Paradis
pour eſcrire, vint pourminuterle contract d'entre
ceu pour Prophete il y continua lemeſmereſpect.
Genea Dieu & Adam , touchant la continuation de ceſte
AV DEM EVRANT quant à la genealogie
logic de de Mahomet , ſes ſectateurs l'ont eſcrite de deux lumiere de Pere en fils iuſqu'à Mahomet ; ce qui
Maho. façons, l’yne en deſcendant d’Adam iuſqu'à luy , fut ſigné dudit Gabriel , & ſcellé de ſon ſeau . De
met ,
& l'autre en retrogradant de luy à Adam. Celle Seth elle paſſa a Enos, & de luy à sõ fils Chanaan .
là eſt deduite dedans leliure d'Azear, & au traicté Et ainſi de main en main ſubſequemment iuſqu'à
de la naiſſance & education dece faux Prophete : Abraham, auquel elle redoubla, dont vne portion

Cete- cy en la Chronique Sarrazineſque, ſur vint à Iſmaël, & deluy à Caidar , dont deſcendit
quoy il y a infinies fables & bourdes trop ridicu Mahomet : l'autre paſſa à Iſaac , quieſt la ſouche
les à racompter : & entr'autres , que Dieu apres de la generation du CHRIST. Mais toute ceſte
auoir creé Adam , luy imprima certaine reſplen fiction de lumiere a eſté forgée à l'imitation de ce
diſſante lueur en ſa face, pour yne marque de la fu que les Cabaliſtes mettent , qu'apres qu'Adam
ture naiſſance de Mahomet, ce qui cft emprunté pour ſa tranſgreſſion euſt eſté chairé du Paradis
des Talmudiſtes au Midras Tillim , la gloſe des terreſtre , Dieu pour le conſoler luy enuoya
Pſeaumes, leſquels dient là deſſus ainſi . l’Ange Raziel qui luy fit entendre , comme deſa
Que veut dire ce qui eſt eſcrit en Daniel 2. Et y aura propagation viendroit à naiſtre vn iufte inno
Voyez
cent , dont le nom en ſes miſerations ſeroit de
lesincero vnelumiere augcques luy. Reſpond Rabbi Abba : c'eſt la
titudes lumiere du Roy Meßife : & cela nous monſtre que delà quatre lettres, lequel repareroit ſon offence , &
des Tal- Dieu l'a fait, & que pour ſa generation il auoit enfermé expieroitle peché originel ce qu'ayant commu
ftes. ceſte lumiere deſſous le thrône deſa gloire , ſurquoy Sa niqué à ſa femme, ſoudainils drefíerent yn autel
than s'en vint preſenter deuant Dieu,& dit cecy : SEI où ils ſacrifierent vn icune taureau , & là deſſus
GNEVR du monde , ceſte lumiere enclofe ainſi deſſous Eue deuenuë groſſe ſe reſouyt fort , eſtimant que
le throſne de ta gloire ,pour qui eſt-elle ? Dieu lugref ce deuroit eſtre le reſtaurateur nommé , auquel
pond : pour la generation du Meßie. Sathan replique, ils impoſerent à ceſte occaſion vn nom de quatre
Seigneur du monde permets -moy doncques de le tenter, lettres Cain , qui fignifie poſſeſſion ou acquis :
mais
le
168 de Chalcondi .
169
mais pour le voir de peruerſes mæurs & comple Atant paruenu à l'âge de quatre ou cinq ans , vn
xions ils transfererent leur eſperance à Abel , le iour qu'il s'eſbattoit auec ſes compagnons en cer
quel informé de ceſte promeile ne recula point tains
paccages , ſuruindrent trois ieunes hommes
d'eſtre occis de la propre main de ſon frere, l'ayant à l'impourucu qui le rauirent du milieu d'eux
veu meſme prendre yn gros baſton pour l'allom tous , & l'enleuerent ſur le couppeau d'vne mon
mer , eſtimant que ce deuroit eſtre le bois de vie, tagne proche de là , où l'vn luy ouurit auec yn ra
qui tout ainſi qu'il auoit introduit le peché & la ſoir tout l'eſtomach & le ventre iuſqu'au nom
mort , ſeroit cauſe de la iuſtification & de la vie , bril , & luy laua ſes entrailles auec de la neige : le
Delà puis apres ceſte eſperance paſſa a Seth , & de ſecond luy fendit leceur en deux parts, & du mi
luy à les deſcendans, ſelon qu'il a eſté dit cy - del licu d'iceluy en ofta vn grain noir, qu’ilietta au
ſus ceſte lumiere, loing, en diſant : Ceſte - cy eſt la portion du dia
A v RESTE Mahomet naſquit en letrib , ſon ble :le troiſieſme luy nettoya la playe, & le recon
pere eſtant ja decedé fix ou ſept mois aupara folida commeauparauant. Toute laquelle fiction
uant ,le douzieſme iour du mois de Sahaben , qui a cſté auſſi empruntée d'une allegoric des Cabali
reſpondoit lors à noſtre Feurier , enuiron l'an de ſtes, qui appellent ceſte goutte noire, de laquelle le
ſalut , cinq cens cinquante; comme nous le mon diable tente les perſonnes 79778 ) lezzerharas, ou
Atrerons cy - apres : Tout eſtant s'en deſſus deſſous 00170 abo Miphad Serxchab goutte puante : les
en trouble & combuſtion , & guerres mortelles Thcologiens,la prennent pour la concupiſcence,
, u rebours de la
par tous les endroits de la terre a ou le peché originel , que les Mahometiſtes tien
natiuité de noſtre SAV VE V R qui aduint ſous nent eſtre en toutes perſonnes fors en IESVS
vne paix vniuerſelle, le temple de lanus ayant CHRIST , & la VIERGE MARIE, que l'Al
eſté fermé à Rome par Ceſar Auguſte : ſa mere choran meſme dit auoir eſté exempts dudit peché
Emina nc luy ſurueſcut depuis que deux ans. De originel . Cela fait , ils le mirent en l'vn des bar
ceſte naiſſance ſe voyent des comptes trop inſup fins d'vne grande balance, & en l'autre diś robu
portables dedans le liure d'Azcar & ailleurs.qu'il ftes hommes , & de grand corſage, leſquels il em
fortit du ventre de fa mere tout circoncis : & au
porta de poix ,dontils ſe prindrent lors à dire , laiſ
meſmc inſtant toutes les idoles de la terre ſe noir Tons deſormais cée enfant , car vn innum erable
cirent comme poix , & ſe renuerſerent , que les nombre de perſonnes ne le ſçauroient contrepe
Anges ſur ces cntrefaictes ſaiſirent Lucifer au ſer : & l'ayant baiſé au chef & au front, ſe retire
collet , & le precipiterent au fonds de la mer rent & diſparurent.
Alcazın , d'où quarantc iours apres à toute peine
ayant trouué lemoyen d'euader, il s'enfuit au Or tout ce compte de la nourriture de Maho
mont Kobels; là où auec horrible eſclat & mugiſ. met par ceſte Halima , qui fut admoneftéc de le
ſement il appella tous ſes ſatellites à fon ſecours : nourrir ſoigneuſement, a eſté comme moullé ſur
& comine efperdus de frayeur qu'ils eſtoient ils vn autre de ſemblable farine preſque, inſeré dans
l'euſſent'enquis de ce qui l'eſmouuoit ainſi; par le Bereſith Rabb . , la grande gloſe de Geneſc, ſur ce
Ce , leur va -il reſpondre , que Mahomet le fils lieu du 30.chap.vers la fin . Iladuint que les brebis en
d'Abdalla eft nay , produit de Dicu , & enuoyć leur chaleur de conceuoir regardoient les gaulles & ba
guettes, &c. où Rabbi Samuël dit cecy . Fou de tres
aucc vn glaiuc flamboyant, dont le trenchant acc
ré heureuſe memoire le bon pere Elie en allant un jour par
penetrera toute reſiſtance, à noſtre entiere con
pays, celuy là meſme que la maiſon du Sanctuaire fut
fuſion & ruine certes, ſi que rien ne nous reftera
ruinée,iloji vne voix du Ciel s'efiriant,la ſacrée Saincte
plus au monde, ny endroit quelconque où ſa do maiſon du Sanctuaire s'en va à deſtruction , dont Elie
&trine ne paruiennede l'unité d'un ſeul Dieu , le eſtima que tout le monde deufi perir.Parquoy il paſſa 04
quel a creé toutes choſes : & par ce moyen oſtera
tre , & trouva les enfans des hommes labourans la terre , /
l'opinion qu'il aye aucun coëgal ny participant l'enſemençans
, auſquelsil dit : Dieule Saint , le benit
auec luy . Auec infinies autres telles refueries .
eft irritécontre ſon peuple, d veut deſtruire , ſa maiſon ,
Comme d'vn iouuencesu veſtu deblanc , qui luy
reduire en captivité ſes enfans foow la feruitude des ido
vint apporter trois clefs ayans vn luſtre de perles latres , da cependant vous vous ſouciez de ceſte vie tem .
orientales, l'vne de prophetie , l'autre des loix , & porelle : Mais là deſſus vint derechef la melme voix qui
la troiſieſme de victoire, leſquelles au ſortir du
luy dit, laiſſe-les faire ,cardefia eft nayle Sannour d'if
ventre de ſa mere il prit en ſes mains, commepour raël. Elie demande , où ef . il ? en Bethlehem de Iuda,
apprehender la poſleffion de toutes choſes. Plus refpond la voix. Il s'y en alla ,& tronma vnefemmeaßiſe
que les oiſeaux , les vents, & les nuées carent vn sur le fueil de fonhuis , infien fils tout enſanglance
fort grand debar & diſpute enſemble pour f gifant eſtende devant elle,à qui il dir,ma fille ,as tu done
nourriture, les oiſeaux alleguans d'eſtre plus pro enfanté un fils? ony,dit-elle. Et que veut dire cela (redou
presà cela , pource qu'ils lay pourroient aiſément bła - il ) qu'il eft ainſi enſanglanté ? Elle reſpond. Il est
apporter toutesſortes de fruits, de tous les endroits adueru vn grand mal,car le propre iour qu'il a efté né la
de la terre , les vents , qu'ils le rempliroient d'o maiſon du Sanctuaire a effé deſtruite. Elle dit,mafille ne
deurs tres - Suaues & aromatiques , qui le garde. t'eſment poinr , fois ſeulement ſoigneuſe de le nourrit ,car
roient de corruption : les nuées , qu'elles l'ab de ſa main proviendra en tres grand falurà tour Ifraël.
breuueroient des meilleures caux . Surquoy les Dequoy ſoudain reconfortée elle ſe mit à le curieuſement
Anges s'eſtant defpitez , vne voix fut ouye du efleuer. Et là deffus Eliela laiſſe s'en va . Cinq ans
Ciel , qu'on en laiſſaft faire aux perſonnes : & apresil s'en refoxnine e dir en foy meſme : le retourne
quant & quant Dieu commit la charge de l'efleuer ray pour voir ſi le Sauueur d'Ifraël eft nourry à la façon
Halimafille de Ducibaż adi du rapport de laquel que fontles Roys,ou dla mode des Anges dejtinez an fer .
le depend tout le contexte & teneur de ce liure-la, sice miniſtere de Dieu . Parquoy il s'en alla derechef
qui n'eft de moindre authorité enuers,cux que vers ceſte femme
jury demand qu'il
e:O bien tronua debour
mafilacomme la porteenfant
leàporteces , ou il
L'Alchoraa propre. La ileft narréde plus , quién
ini
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 171
170
Ele reſpond : Noſtre maiſtre ne t'auois-je pas bien dit que religion & connoiſſance d'vn ſeul Dieu.
c'eſtoit mal-fait que de le nourrir,parce que le iour qu'il or eſtoit - il ſur ces entrefaites grandement
fut né la maiſon du San &tuaire a eſté deſtruite. Mais ce affligé du haut mal dontiltomboit de fois à autre :
n'eſt pas tout , il a des pieds & ne mari be point,des yeux pour raiſon dequoy fa femme le voulant laiſſer , il
& ne voit goutte , des oreilles n'oit rien , vne bouche, l'engeolla que cela procedoit de boire du vin , li
o ne parle pas : voy le là giſant ſans ſe remuer non que de là en auant il s'en abftint du tout : mais
plus qu'une pierre. Or comme Elie deuiſoit encore auer pour tout cela le mal ne s'allegeant point , il va
elle , voice que les vents vont ſouffler deſus luy de tous controuuer que c'eſtoit l'Ange Gabriel , lequel
les quatre coings de la terre, l'emporterent à une gran quand il le venoit viſiter , luy rauiſſoit ainſi tous
de mer , dont Elie ſeprit à deſchirerſesaccouſtremens, & ſes ſentimens en vne profonde ecſtaſe; & au ſortir
à s'arracher les cheneux & labarbe auec de grandes ex de ſon accez auoit de couſtume de prononcer
clamations en diſant : Helas de ſalut d'Ifrael eſt perdu.
touſiours cesmots icy ; qui paſſerent depuis pour
Mais la fille de la voix , c'eſt à dire ,la reuelation ſur
vn préambule de tous les Soraths & chapitres de
uintlà deſſ4s , qui luy dit , la choſe ne va pas ainſi que tu ſon Alchoran : Biſmi lahi rachmain tathimi: Au nom
dis 6 Elie , car il demeurera par quatre cens ans en la
de Dieu miſericordieux e propice: A quoy il enfiloit
grande mer , & quatre - vingts en la montée de la fumée
quelques lieux communs par luy deſia premedi.
chez les enfaris de Choré : & autant à la porte de Rome :
tez , comme s'il les euſt receu tout à l'heure par
le reſte des ans il retournera ſur toutes les grandes ci .
l'inſpiration de l'Ange. Et ainſi peu à peu par eſo
tez , iuſques à la fin du temps ordonnė. chantillons & menus fragmens defcouſus fut ba
TOVT cecy eft de mot à mot contenu au lieu ſtie ſa loy toute en rithme Arabeſque, dont les
allegué : & l'auons bien voulu amener icy pour vers ſont pluslongs beaucoup les vns que les au
monſtrer l'affinité qu'ont les fables du Mahome tres : ce qui eſt commun aulli aux Poëſies de cou,

tiſme, auec lescomptes de la cicoigne des Talmu tes langues : & compila la pluſpart de ce beau
diſtes , & des Rabbins . chef- d'auure en l'eſpace de dix ans à la Meke :
MAHOMET fut depuis acheué de nourrir d'où ayant eſté contraint de delloger ſans trom
chez ſon grand pere Abdalmutalif iuſques à l'âge pette , & gaigner le haut , il parachcua le reſte en
de huit ans, ſous la ſecrete aſſiſtance & protection Almedinc en treizcansqu'il y demeura iuſques à
des Seraphins ( pourſuit ceſte menteuſe reſuerie ſa mort : car tant qu'il yeſcut il y repetaça toû.

d'Azear) & conlequemment ſous celle de l'Ange jours quelque choſe. Ec delà vient que quelques
Gabrielpar 29. ans; qui durant ce temps luy en yns de ſes Soraths ſont dits les Mekiya, & les autres
ſeigna & dicta l'Alchoran , qu'iltint encore ſe Medinya. Toutesfois il ditauoir receu toute ſa loy
crer & caché à par luy fans en rien publier par en vn ſeul iour ; & en vn autre endroit , en vn
trois ans : mais en l'âge de quinze il fut commis à mois : & que ce n'eſt pas vn ouurage d'homme,
la conduite des Chameaux d'vne ſienne riche pa ains de Dieu propre : car toutes les creatures qui
rente Arabeſque nommée : adiga ; fille de Hulert, furent oncques , ne qui ſeront , n'en ſçauroient
& dame de la contrée de Corozonie : & par ce iamais compoſer yn tel. A cela au refte il fut pre
moyen allant & venant ordinairement en Baby mierement affifté de deux fourbiffeurs Chre .

lone, Surie , & Egypte , luy qui cſtoit d'vneſprit tiens faiſeurs d'eſpées,eſclaues d’un citadin de
cault ,ſubtil & malicieux , trouua moyen des’in la Meke où ils trauailloientde leur meſtier , qui
former de pluſieurs choſes de la loy ludaïque, & luy communiquoient ce quileur pouuoit venir
Chreſtienne, mais de ſuperſtitions,vanitez,& he en memoire denoſtre Eſcriture : & cela eft cauſe
reſies tantſeulement; de maniere que ceſte dame qu'il y a tant de falſifications & contrarietez en
le voyant par ſucceſſion de téps affifté d'vn grand fon fait : pour n'auoir esté ces gens - là point let
nombre de luifs , & Chreſtiens, & de Sarrazins trés , ny cu lors aucuns liures auecques eux ſur
idolatres pour lors, comme elle eſtoit auſſi de fa quoy ils ſe peuſſentreigler :
mais il tira bien puis
párt , adioufa foy à ce qu'il luy donnoit faux en apres plus deſecours d’yn Moine Neſtorien ap
tendre d'eſtre le vray Meſlic promis aux Iuifs; le pellé Sergius, lequel s'en eſtoit fuy de Conftanti.
quel deuoit eſtre Monarque detoute la terre , & nople en ces marches-là pour raiſon de ſon here
l'eſpouſa en fin âgé de vingt- cinq ans , apres la fie; & de là vint que les Neſtoriens font approu
mort de ſon mary , auquel il trouua moyen d'ad uez de Mahomet pour les meilleurs & plus purs
uancer ſes iours par poiſon. Ilen eut trois filles en Chreſtiens de tous autres , pource qu'ils ne vou
tout, & vn fils ;la premierenommée Fatima, l'autre loient admettre la Diuinité en IESVS - CHRIST ,
Zeyneb, & la troiſieſine Vmicultum : & le fils Cazin, qui eſt tout ce à quoy il tend principaleméten ſon
qui deceda en l'âge de vingt - deux ans. Par le Alchoran :lequel auſſi n'eſt autre choſe qu'vne
moyen de ce mariage s'eſtant accreu de facultez, rapſodie des eſcritures anciennes, mais deprauées
& deuenu riche & puiſſant ; il commença d’e . & corrompuës de leur naïfue verité. Mahomet
xercer , non le trafic comme au precedent , ains doncques tint bien longuement ce Sergius caché
les brigandages , accompagné d'vne trouppe de en vne cauerne pres de la Meke, dicte en Arabica
bandolliers & guetteurs de chemins : & tantoſt Garbera , la caucrne de Hera , où il alloit voir de
donner ſur les paſſans, & les Carauannes mal fois à autre , tant qu'vn iour il y fut deſcouuert
apparentez ; tantoſt courir , piller , & ſaccager & ſurpris par ſon petit hils Hali ; qui fut depuis le
les contrées circonuoiſines, & monſtrer d'aſpirer quatrieſme de ſes ſuccesſeurs, auquel il fit iurer
à la tyrannique domination des fiens propres : qu'il ne le reueleroit iamais à perſonne. Le livre
ce qu'il continua iuſqu’à l'âge de trente- huic d'Azcar porte que c'eſtoit pour y faire des ab .
ans : mais ne ſe voyant pas encore affez ſuffiſant ftinences fort auſteres , & des prieres au vray
pour y proceder à force ouuerte , il prit le pre Dieu du Ciel: Surquoy il entroit la pluſpart du
texte de Prophete enuoyé de Dieu pour les temps en coſtaſe & rauiffement d'eſprit , tant à
recirer de l'idolatrie , & lcs reduire à la yraye l'occaſion ( dit- il) de ſesicuſnes, que de ſes pros
fondes
de Chalcondile.
172 173
fondes meditations's,& de l'offroy que luy cau laiſſa tout incontinent de coucher auec elle : Ce
ſuit de pleine arriuće la ſplendeur de l'Ange Ga ſte -cy fut la plus fauorite & authoriſée de toutes
briel,dont il n'eſtoit capable de ſupporter , eftant ſes femmes , & l'on des principaux moyens de la
en fes lens entiers , la viſion ; comme eſt l'ordi promulgation de ſa loy,comme il ſe dira cy - apres .

naire de l'apparition des bons eſprits, qui de pri Homar le rengea pareillement auec luy , grand
me- face eft horrible & eſpouuentable , & puis homme auſſi ; duquel il eſpouſa la fille nommée
conſole & reſoüiſt au departir. Mais tout cela Harezan : Puis Hanizaus , Alabez , Haly , e Zeid,
procedoit de ſa maladie , qui l'auoit rendu pref auec tout plein d'autres qui voulurent excirer yne
que comme hebeté , li qu'on le reputoit pour vn ſedition à la Meke , mais ils ne furent pas les plus
Megirum ,c'eſt à dire idiot ou inſenſé, ſelon que forts; & y cuſt efté meline tué Mahomet , fi l'on
luy-meſme le teſmoigne en ſon Alchoran. En ne l'cuſt tenu pour fol.
apres s'eſtant accolté des Iuifs de la Meke , leurs LES CHOSES demeurerent ainſi par dix ou

traditions luy ſemblerent plus à propos pour les douze ans , durant leſquels par les menus ſe pu
fins où il pretendoit , que non pas le Chriſtianiſ blioit touſiours ie ne ſçay quoy de la doctrine;
me , contre lequel ils l'armerent entant qu'ils neantmoins de bouche tant ſeulement , ou par
peurent : auſſi voit- on bien qu'il leur incline en petits fragmens & eſchantillons, dont demain en
la plus grand part de fa loy , & ceremonies , com main l'on s'entredonnoit des copies ; l'original
bien qu'il les peruertiſſe & altere : comme de la demeurant ſerré en pluſieurs coffrets ſous la gar
circonciſion , & de leurs frequentes ablutions , de de de ſept perſonnages par luy deputez à cela ; à la
ne manger point de chair de pourceau , ny de meſure qu'il compoſoit , & mettoit dehors fes
ſang , ny de beſte eſtouffée , ou atteinte des loups , Soraths chants ou chapitres , ſelon les occaſions
& des chiens; ny de ce qui auroit eſté offert aux qui luy furuenoient. Et deſlors yn peu apres ſon
Azoares idoles, & femblables ſuperſtitions. Ce qui leren dechaſſement de la Meke, d'où ils commencerent
à
2.6.12.16. dit agreable aux luifs, & fut cauſe de luy faire ef compter leurs années ; & qu'il ſe retira à Medi
pouler des Iuifues fort riches, des moyens deſ ne , & à Echelep , vne petite ville prochaine , il prit L'Egyre.
quelles il s'aida bien fort en ſes entrepriſes. Et tout apertement le nom de Prophete & de Mella
pour autant qu'il ne ſçauoit pas eſcrire, & peut ger de Dicu , ſoy diſant eſtre le Tceau d'iccux Pro.
eſtre à grand peine lire, ils luy donnerent des plus phetes , c'eſt à dire tout le dernier , & le parfait
doctes & ſuffiſans d'entr'eux pour recueillir ce accompliſſement , d'autant qu'apres luy il n'en
qu'il dicteroit; & y changer,adiouſter, diminuer, viendroit plus. Toutesfois Iean Leon conuerty
retrancher ; ce qui pouuoit faire pour ou contre du Mahometiſme à la foy Chreſtienne du temps
lear party. Le premierdeſquels fut vn Abdalla Bem du Pape Leon X. en ſon ſecond liure de la dels
Sallem, qui luy ſeruit de ſecretaire bien ſept ans, cription de l'Afrique, dit qu'en la ville de Meſſa,
luy reformant & corrigeant ſes rithmes à tous il y a un temple ſur le bord de la mer fort reueré de
propos , eſparſes ſans aucun ordre ne methode, & tous les Mores, parce qu'ils tiennent communé
appliquées à des lieux communs ſelon la premiere ment que de là doit ſortir le iuſte Pontife & Pro
occaſion & objet qui ſe preſentoit à ſa fantaiſie ; phete promis par Mahomet : ce qui contredit à ce
dont ceſtuy -cy en ayantamaſſé la pluſpart :Quand que deſſus.

il vid lebutoù il aſpiroit, de renuerſerà ſçauoir : Ainsi par l'eſpace de dix ans iuſques à ſa La Nati
auſſi bien la loy ludaïque que la Chreſtienne, & mort , qui fut l'an 63. de ſon âge , allant & venant uité de
en forger · vne neutre toute nouuelle entre les de coſté & d'autre, il eſpanchalevenin de fa fauſ- Maho
met ,
deux ; il ſe departit d'auec luy ; & fut cauſe qu'à ſe doctrine, accompagné pour le commencement
ſon exemple vn bon nombre de luifs ſe rcuolte de quelques ſoixante brigands , auec leſquels il
rent :mais il trouua moyen de le rapatrier, & pour voulut faire derechefyn effort ſur la Meke , mais
recompenſe de ſes ſeruices lc fit vne nuit eſtran ils en fureat repouſſez , & luy contraint de fe re
gler dans ſon lit, & puis flamber ,afin qu'on creuſt tirer en Ieſrab , autrement Yetrib , où il acheua le
que le feu du Ciel l'auoit ars pour raiſon de ſon reſte de ſa loy , & ſes iours par meſme moyen :
impieté & blaſpheme enuers le Prophete . Il cut Parquoy ceſte ville prit lors le nom de Medinah al
encore pour coadiuteurs de ſes eſcritures pluſieurs Nabi , la cité du Prophete , qu'elle garde encore
autres Iuifs ; & meſme Nehaban , fils de Ma pour le iourd'huy : mais en fin ils prindrent la
hanias , & Chabin , les deux principaux de leur Sy Meke. Il mourut au reſte d'vne pleureſic audit
nagogue : auſquels il fit ſemblable traitement Medine, où il fut enterré par ſes Saipler, ou diſci
à la fin : ce qui fut cauſe que les Iuifs le quitte ples, dedans le temple a la main droite de l'Autel,
rent du tout , & retournerent à leur premiere tra en vnepetite tourrelle; & n'eſt pas fa ſepulture
ditiue. de fer ſuſpenduë en l'air par le moyen de la pierre
OR ayant atteint l'âge de quarante ans , qui d'aymant, dont le paué, les voûtes & parois du
fut le cinquieſme de la compilation de ſa loy , il temple foicnt faictes à ce qu'ont voulu longer
s'eſtoit delia acquis grand credit, & du pouuoir quelques - vns , ains dans terre ſans aucune magni
aucunement , car il ſe mit par meſme moyen à ficence; neantmoins les Mahometiſtes y vont tous
donner liberté aux eſclaues Juifs , & Chreſtiens les ans en pelerinage pour y faire leurs offrandes
qui ſe vouloient faire Muſulmans, c'eſt à dire fide & deuotions, comme il ſe dira en ſon lieu .
les Mahometiſtes, & à commettre tout plein d'au DE LA NATIVITE ' de Mahomet il y a di
tres tels actes ſeditieux , commençant deſlors à uerſité d'opinions quant au temps , & meline en
proceder de force ouuerte pour faire receuoir fa tre ceux de ſa loy & creance ; car meſme vn Alfa
loy : & là deſſus fe ioignirent à ſon party Ebocha qui de Sciatiuia en Eſpagne , conuerty depuis à la
re, le plus puiſſant perſonnage de la Mekc , qui foy Chreſtienne, la met en l'an de ſalut 620.c'eſt
luy donna la fille Axa en mariage , encore qu'elle celuy qui la hauſſc & retarde le plus; & le del
n'cult que huit ans ; inais nonobſtant cela il ne ſuſdit Iean Lcon auſſi , pour autant qu'il adiouſte
h ij

1
.

174 Illuſtrati ſur l'Hiſtoi 175


ons re
l'an de l'Egyre dont nous parlerons cy -apres, à huit heures , & quarante - huit minutes de plus :
l'an de ſalut sgr. toutesfois c'eſt 593. & il eſcher parce que chaque Lune contient vingt - neuf
en l'an 12. ou 53. de la vie de Mahomet . Palme iours, douze heures, & quarante - quatre minu
rius , & Fun &tius apres luy ; Nicolas Zeno , & ces : lequel ſuccez de huit heures & quarante
pluſieurs autres enuiron l'an 600. Volgand huit minutes, les a contraints de faire yn cycle
Dreſler en ſon Chronologic Sarrazineſque , en de trente ans, auquel ilsintercalent & enchallent
l'an 567. & la confection de l'Alchoran vers le en vnzeannées d'iceluy où ceſtecreuë ſe rencon
623. y ayant cinquante- ſept ans de diſtance de tre d'outrepaſſer vingt-quatre heures ,vn iour de
I'vn à l'autre , & neantmoins il met ſon decez en plus aux 35 4.à ſçauoir à commencer à la trente ,
l'an 40. de ſon aage. Celius Auguſtinus Curio & finir à la vingt-ncuf, où toute la reuolution ſe
en la meſme hiſtoire, en l'an 560. & la mort en trouue accomplic fans vnc ſeule minute derefte,
l'an 637. apres auoir regné dix ans ce qui eſt bien la 2. s . 8.10.13.16.19.21.24.27 . & 29. & cn cela
vray , mais à ſon compte il auroit veſcu 77. ans ; i'ay ſuiuy la pluſpart de ceux qui en ont eſcrit.
ce qui eſt faux ; & n'ayant bien ſceu faire ſon cal Que fion vouloit commencer à la premiere an
cul , il dit qu'en l'an 1567. lors qu'il compoſoit néc, la meſme reuolution ſe trouueroit accom
ſon Alchoran ,couroit l'an 900. du premier eſta plie en la trente , & ſeroient ces années d'vne au
bliſſement de l'Empire Sarrazineſque , ſi qu'il ire forte ; à ſçauoir 3. 6.9.11 . 14.17 : 20 : 23: 2 s .
auoit ſeulemét commencé en l'an 667. trente ans 28. & 30. Toutes neantmoins aulli bien que les
apres la mort de ce ſeducteur : là où tout les Ma deſſuſdites de 355. iours , & les autres 19.de354.
hometiſtes comptent tous vnanimement leurs ans ſeulement. Car multipliez leſdites huit heures
de l’Egyre deflors que Mahomet , auec ſes com par les trente ans du cycle , vous aurez 240. heu
plices,fut contraint de s'enfuyr de la Meke dix res , qui departies par vingt - quatre, autantqu'il
ans auant qu'il decedaſt. Et de fait encore que ce y en a en yn iour naturel , feront dix jours; mul
mot d’Egirah en Arabe ſignifie fuitte ou retraite, tipliez pareillement les 48. minutes par 30.cefe
neantmoins ils en vſent auſſi en quelques endroits ront 1440. minutes ; partcz- les par 60. car il y
pour cela que nous appellons Regne , à ſçauoir le en a autant en yne heure , ce ſeront vingt- quatre
temps que chaque Prince a commandé : comme heures , ou vn iour ; qui adiouſté aux dix autres
en la Chronique de Mahomet , & de ſept de ſes ce ſeront ynze. Voila pour le regard de ce paren
ſucceſſeurs , en la verſion Latine il y a ainſi;illius ſus des huit heures ſuſdites , & 48. minutes cha
Alhigeramideftregnum , integre decenne parium men cunan , outreles354 . iours de l'année Arabeſque
ſum eft. Et au chapitre enſuiuant où il parle d'Eu auſquels ils ont aduiſé d'intercaller le Reſultat
bocare: Anno (ne Alhigera cum tribus menfibus, om en la forte ſuſdite , afin de faire reuenir le com
tredecim diebus eft priuatus vita . Voila que c'eſt des mencement de leurs mois aux nouuelles Lunes
Autheurs nonchallans & oiſifs : Parquoy il faut ainſi que ceux des Hebrieux : ce qui ne ſe pourroit
eſſayer d'adiuſter cecy le mieux qu'on pourra, autrement , ains iroit le tout en confuſion s'ils
pour autant que ces varietez de dattes peuuent n'intercalloient ces menus fragmens mis enſem
amener vne bien grande tare & confuſion en l'Hi. ble . Reſte maintenant l'autre tare des vnze iours
ſtoire qui en depend. & fix heures , moins douze minutes,dontl'an fo
Tovs les Mahometiſtes doncques commen laire ſurpaſſe leſdits 354. iours : car les huit heures
cent à compter leurs années de ceſte Egyre ou 48. minutes , dont les douze lunaiſons excedent
retraite , tout ainſi que nous autres Chreſtiens les 384. iours , ont efté employées és intercalla
faiſons de la Natiuité de noſtre SAV VE VR ; & tions deſſuſdites. Ce ſurcrez doncques fait que
les Eſpagnols anciennement ſouloient faire de trente -deux ans ſolaires equipollent à peu pres
Liera de Nabonaſſar : & depuis de celle d'Augu trente- trois ans lunaires Arabeſques, il s'en peut
ſte ; celle - là 748. ans , & ceſte - cy 38. deuant | E faillir de cinq à fix iours; car de cuider eſtablir au
SV S -CHRIST : Ce qu'ils continuerent iuf cune iuſte periode de l'an des Arabes commun
qu'au temps du Roy lean premier de ce nom, l'an qu'il n'y ait toujours quelques menus fragmens
de ſalut 1372. qu'ils ſe mirent à compter , comme & parcelles de reſte , il n'eſt poſſible. Cela le peut
tout le reſte de la Chreſtienté. Au demeurant verifier groſſierement en ceſte façon. Multiplicz
' ceſte Egire ou fuite aduint la nuict enſuiuant le les trois cens ſoixante - cinq iours de l'an ſolaire
15. iour de Iuillet , l'an 53. de l'âge de leur Legir par trente - deux , vous aurez 11680. iours , ad
lateur , & 593. de noſtre ſalut, ſelon la plus com iouſtez -y huit autres iours par les trente-deux
mune opinion : Tellement qu'à ce compte il fau fois fix heures , parce que quatre fois fix heures
droit de neceſſité qu'il euſt cſté nay lan 340. & font yn iour naturel, & quatre fois huit trente
ce au mois de Decembre , auquel reſpondoit alors deux , ce ſeront en tout 11688. iours , poué leſ
leur sahaben , & mourut l'an 603. en celuy de dits trente- deux ans ſolaires , moins quelques ſix
Dulchegia , ou Almuharan , qui ſe rencontre en heures 24. minutes pour les douze minutes qui
la Lune de Mars : Car l'année Arabeſque dont manquent auſdices ſix heures , outre les 365 .
vſent tous les Mahometiſtes, Turcs , Perſes , & iours chacun an ; car douze fois 32 . font 384 :.
Mores : & leurs mois auſſi deambulatoires & va minutes , leſquelles parties par 60. autant qu'il
gabonds , ſont d'une autre façon que les noſtres, y en a en vne heure font fix heures, 24. minutes,
L'an & qui vont ſelon la reuolution du Soleil és douze qu'il en faut defalquer. D'autre part multipliez
les mois ſignes du Zodiaque , qu'il parcourt en 365. iours 354. iours de l'an lunaire par 33. ce ſeront 11682 .
des Ma. & fix heures , moins douze ou treize minutes ; là iours , qui ne different que de ſix des autres , ad
home . où leur année eſt de douze lunaiſons ſeulement, jouſtez -y les vnze iours d'intercalation , ce ſera
cans.
dont ils en conſtituent les ſix du nombre pair , de le compte deſſuſdit, que 32 , ans ſolaires equipo
trente iours , & les ſix autres du nombre impair lent à 33. ans lunaires , moins cinq iours , lix heu.
de vingt -neuf : qui font en tout 354. iours auec res , & 24. minutes. Plus facilement encore vous
le pouvez
176 de Chalcóndile. 177
le pouuez trouuer par ceſte autre voye : Multi- grains de ſable ſont l'une des plus petites parcelles
pliez les ynze iours dont l'an ſolaire aduance le qui s'y retrouuent . Cecy eſt une marque & fym .
lunaire , par32.ce ſont 352. iours : adiouſtez les bole encore du myſtere des deux loix :comme l'A .
huit iours pour les ſix heures, vous aurez 360 . poſtremeſmele teſmoigne aux Galat.4.dont cel
iours , qui font yn an lunaire, & fixiours de plus ; Ic de Moyſe qui eſt corporelle precede celle de
leſquels diſtraits des vnze de l'intercalation , re IESVS-CHRIST , qui eſt la ſpirituelle, ainfi
ſteront les cinq auec tant d'heures & de minutes que la generation d'Iſmaël fait celle d'Iſaac , &
deſſuſdites. Car au ſurplus les huit heures, 48. en la production de la creature le corps ſe forme
minutes qui ſont és douze lunaiſons outre les aucunement en l'embrion auant que l'ame s'y in
354. iours, ſont compriſes & comptées és vnze troduiſe : De meſme auſſi la loy de Moyfe qui
iours de l'intercalation & adiouſtement. Cha n'eſtoit qu'à temps preceda la Chreſtienne, qui
que années doncques de plus qu'il faut adiouſter eſt eternelle ainſi quel'ame. En apres celle- là fuo
en chaque reuolution de 32. ans Arabeſques , eſt donnée en des tables corruptible de pierre, & par.
cauſe qu'en ce terme-là tous leurs mois auront ticuliere au peuple des luifs ſeulement, comme il
fait leur reuolution & circuit , & ſe ſeront pro eft dit au Pſeaume 147. Lequel annonce fa parole à
menez par les douze mois de l'année ſolaire; de Iacob : ſes iuftices a iugemens à Ifraël. iln'a pasfais
maniere que où l'vn des leurs commencera ceſte ainſi à toute nation , o ne leur à donné à connoiſtre ses
année , d'icy à 32. ans ſolaires des noſtres , ou 33 . ingemens. Et la Chreſtienne doit eſtre grauée en
. des leurs , il recommencera à la nouuelle Lune nos caurs , c'eſt à dire au fonds de noſtre ame qui
du meſme mois ; parce que le cycle deſſuſdit de eft immortelle : en Ieremie 31. & en la 26 aux Co.,
30. ans où ils en chaffentles 11. iours prouenans rinth. 3. Plus aux Hebrieux 8 .
de huit heures 48.minutes du parenſus des trente Mais auant que partir encore de cesdeux en
cinq iours, ſera parfait & accomply : ce qui eſt fans d'Abraham , I'vn baſtard ,l'autre legitime, &
cauſe d'adiuſter le commenceinent de leurs mois de leurs myfteres & ſignifiances : merite bien de
aux Neomenies ou nouuelles Lunes : & cela ſert n'eſtre laiſſé en arriere ce qui eſt eſcrit au Tal
entre autres choſes pour eſtablir la celebration de mud. Que le Patriarche Abraham impoſa des
leurs Bahirans , qui leur ſontcomme à nous nos noms ords & ſales aux enfans de ſes concubines,
Paſques, au boutd'unemanierede Careſme, mais ſuiuant ce paſſage de Geneſe. 25. Abraham laiffa
d'autre ſorte que n'eſt le noſtre , & nos ieuſnes, toutes ſes poijeßionsochenances à Iſaac comme legisime,
comme il ſera dit cy - apres . Oauxbaſtards qu'il auoit eu de fes Concubines,des dons
OR l'an de ſalut 622. & de l'Egire 29. la en biens meubles,a les ſepara durant fa vie d'anec Ifaac.
quelle aduintl'an 593. la nuit du is. au 16. iour Ceque les Cabaliſtes interpretent plus modeſte
de Iuillet , en la 6. ferie qui eſt le Vendredy , tenu ment , skemoth stelroma , noms eſtranges , parce
des Mahometans pour ceſte occaſion au meſme qu'ils ne receurent pas la benedi &tion de leur perc
ainſi que l'hoir legitime, & ne furent pas attri
reſpeở qu'enuers les luifs eſt le Sabbat, & à nous
le Dimanche , le is . du cycle ſolaire , courant buez au ſouuerain Createur Tetragrammaton MUT',
pour la lettre Dominicale C. & pour le nombre comme Iſaac , ains à des Dcïtez eſtranges, d'où
d'or 19. en la nouuelle Lune dudit mois , com ſevint à eſpandrel'idolatrie en tout le pourpris de
mença l'ordre de l'an Chaldaïque à ſe peruertir la terre :ce qu'il ſemble que vueille inferer Moyſe
& changer , iuſqu'à lors obſerué par les Haga aux enfans d'Iſraël au 29. Deuteronome :Quelle
reens dits ainſi d'Hagar chambriere de Sara fem eft donc l'occaſion de ce demeſure courroux de la fureur
me d’Abraham , qui en eut Iſmaël, tige deſdits Dinine? Ilsreſpondront,parcequ'ils ontferuy aux Dieux
Hagareens autrement appellez Sarrazins , mais eſtranges,a ont adoré ceux qu'ils ne connoiffent,o ansa
nonpas de ladite Sara comme on preſuppoſe, quels ils n'auoient pas efté ordonnez . Comme s'ilvou
car cux -meſmes l'aduoüent de ceſte ſorte , & ſe loit dire que c'eſtoient les baſtards qui auoient
glorifient d’eſtre venus de Chaidar fils d'Iſmaël efté attribuez aux Dieux eſtranges, pour reſeruer
nay d'Hagar , 14. ansdeuant Iſaac, & ce pour les la race legitimcà la connoiſſance & adoration du
grandes benedictions qui luy furent promiſes de vray Dieu. Et de fait en Ioſué 24. il ſe void com .
Dieu és 16. & 17.de Geneſe. Mais là deſſus il faut ine apres la conqueſte de la terre de Chanaan , &
entendre que les enfans d’Abraham ſont doubles; le departement des lots & portions à chacune des
l'vn de la chair ainſi qu'Iſmaël, & ſes deſcendans; douze Tribus , luy qui auoit aſſez eſprouué l'hu
& l'autre de la foy , a ſçauoir Iſaac , & ſes hoirs, meur bizarre, & la legereté de ce peuple fantaſti.
que & refractaire , les met au choix de retourner
auſquels eſt promis l'heritage celeſte chapitre 15 .
Contemple maintenant le ciel, on compte les eſtoillesfi à l'idolatric où leurs predeceffeurs auoient veſcu
tu le puis faire : telle ſera ta lignée : Car le Ciel & en la Meſopotamie: ou de ſuiure celle des Amore
les Eſtoilles denotent la partie intellectuelle de rhéens , craignant qu'ils ne peuſſent aſſez fidele
l'hoinme : comme il eſt encore derechef exprimé ment perſeuerer au ſeruice& adoration du vray
au 22. en cesmots cy : le multipliray res deſcendans Dicu , lequel eſtant jaloux de ſon honneur , s'ils
commeleseſtoillesdu ciel ( qui eſt la lignéc d'Iſaac, cuſſent cant ſoit peu fouruoyé ne leur cuſtpas le
deſignée par les eſtoilles ) o comme le ſablequi eſt gerement pardonné ,ains puny rigoureuſement,
furlerinage de lamer :les hoirs à ſçauoir d'Iſmači, ſelon que le denote aſſez ce qui eſt eſcrit en Exods
parce que le ſable eſt vnc choſe terreſtre, peſante, 23. Voicy que i’enuoye mon Ange deuant toy pour te faire
& infructueuſe : qui ſymboliſe à la chair & au eſcorte en la voye : Regarde de le bien refpeéter, cnelug
corps , dontles fruits ne ſont en aucun compte & contredire en rien que ce ſoit , Car il ne refpargnera pas fa
su l'offence , parce que mon nom eſt en luv. Tellement
reſpe&t deuant Dieu . Et cela fait dauantage allu
fion du haut au bas, & du grand au petit,d'autant qu՝' ils n'auroient pas eu ſi mauuais marché de fer
que chaque eſtoille eſt grande à pair preſque de uir aux idoles qu'à Dieu , s'ils ne le vouloient ſer
toute la terre & la mer , les aucunes plus: là où les uir deuëment &
, fans varier. Ce qui ſecondele
hiij
178 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
179
propos intenté cy -deſſus, que Mahomet n'a rien l'Auril ſelon les rencontres des Lunes, au mois de
fait de bien de retirer les humains de l'idolatrie en Schevval , qui ſuit celuy Ramadhan ,lequel ils ieuſ
les precipitant en des impietez enuers Dieu le nent tout du long ,mais à leur mode ; car d'autant
Createur , & fon VERBE : car il euft moins eſté que leurs mois ſont deambulatoires pour les rai
pour eux de derneurer en leur premier ſons cy - deſſus deſduites; & auſſi que leur année
mauuais pour
aueuglement , que de blafpheirer commeils font eſt moindre que la noſtre ſolaire de douze iours,
apres leur ſeducteur , ſelon meſine que nous le il s'en faut trois heures , la ſolemnité de leur Paſ
teſmoigne S. Lucau 12.' le ferniteur quiconnoiſt la que le varie par chacun an ,, plus beaucoup que
volonté de ſon maiſtre @ ne ſe diſpoſe de l'accomplir, re celle des huifs, & la noſtre , qui ne ſort iamais des
céura plus de baſtennades que celuy qui l'a ignorée, ou deux mois deſſuſdits,Mars & Auril ; là où la leur
aurs commis chofe digne d'ofire battu. Et S. Pierre en ſe promeine à tour de roolle par tous les mois &
fa 2. Can. chap. 2. illeureuftbien efté meilleur de ne ſaiſons de l'année. Par exemple, afin d'abreger,
connoiftro ta voye de Iuftice, qu'apresen auoir en la rene la leur qui reſpond à la noſtre preſente 1585. ne
lation ; rebrouffer chemin en arriere , o ſe deſtourner du commencera qu'au vingt & vn de Decembre
faint commandement à eux donné. prochain venant; car celle d’octante quatre qui
LES SARRAZINS doncques , en Arabe commença le premier de Ianuier dernier paire
Elfarak, comine qui diroit brigands & deſtrouſ court encore ; & par conſequent leur mois de
feurs, font ainſi appellez de certains voleurs ban Ramadhan & leur Careſme ſe rencontreront le
dolliers vagabonds, voltigcans ſans celle ſur les vingt- cinquieſme iour d'Aouſt ; & leur Behiram
inarches circonuoiſines de l'Arabie & Idumée , & Labir ou grand Paſque qui vient à la fin dudit
deſquels Ptolomée fait mention , & Ammian mois , ou le premier du ſubſequent dit schevval,
Marcellin liu . 14. en la vie de Iulian l’A poſtat. le vingt-troilieſmede Septembre : leur autre pe
Mais quant au cycleChaldaïque enneade cateride tite Paſque puis apres de Bebiram & Zaguer qui
ou dixneufuaire dont iceux Hagareens ſouloient yient touſiours deux mois & dix iours apres le
vſer;il commença de s’abolir auec l'introduction dixieſme de celuy de Dulcheggia le dernier de
de la nouuelle feite Mahometique : & au lieu d'i leur année , au dernier deNouembre , car il com
celuy auoir lieu yn nouueau Almanach & reigle. mence le vingt & yn , là deſſus ſe pourroit adiu
ment de leur année , parce que ceux qui embraſ ſter tous les autres. Voicy la table deſdits mois,
ferent ceſte doctrine voulurent pour touſiours & leur ordre , tant de l'ancien Sarrazineſque &
donner vn plus grand credit au Legiſlateur , de la Agareniſine auant Mahomet , que de celuy quia
en auant pour l'amour de luy commencer à com efté changé depuis l'eſtabliſſement de ſa loy : dont
pter les leurs de ſa retraicte, qui aduint le 53. de il y en a quatre deſtineż chacun an à l'Albage ou
ſon âge , & de noſtre ſalut 593. au mois d'Almu- ' pelerinage ; deux deuant leur grand Bchiram à
haran, qui refpondoit lors à noſtre Juillet , où il Içauoir Muhayan , & Regiab , & deux apres , Dul
eſtoit auparauant le 10. car leur année commen chaida , & Dulcheggia : pendant leſquels il ne leur
çoit lors en Rubbe ſecond , la nouuelle Lune de eſt pas loiſible de challer ny tuer aucune beſte
l’Equinoxe de l'Automne, commele Tiſri des He ſauuage ou oiſeaux : non pas meſmes les poulx &
brieux , ce qui ſe rapporte de noſtre Septembre à 2 les pulces : & ce à l'imitation del'ancienne idola
l’octobre :afin qu'outre la conſideration deſſuſ trie inſtituée par Chaidar fils d'Iſmaël. On dit
dite leur grand Behiran yint à ſe celebrer à l'imita que les Fueillans ont cela en leur reigle eſtimans
tion de la Paſquedes luifs & de la noſtre , vers la que cela leur ſoit donné pour autant de vexation
pleine Lune de l’Equinoxe du Printemps , aux & mortification de la chair , d'offre molefté de ces
Hebricux le mois de Niſan : & à nous de Mars à įnſcates,

. L'ORDRE

1
180 de Chalcóndile . 181

L'ORDRE ANCIEN DES L'ORDRE DESDITS MOIS,

mois Arabeſques , ſelon le reglement depuis la reception du Mahometiſme


l'an 622 .
Chaldaïque.
RA B E ſecond . I. MVHARAM.
1.

II . TZÉPHAR
2. GIVMAD I premier.

GIVMADI ſecond . III . RAB E premier.


3.
REGIAB . IV . RAB E ſecond .
4.
SAHA BEN . V. GIVMADI premier.
S.
RAMADHAN . VI . GIVMADI ſecond.
6.
SCHEV VAL . VII . REGIAB .
7.
DyLCHAIDA . VIII . SAHABEN .
8.
DyLCHEGIA . IX . RAMADHAN .
9.
MV HARAM . X. SCHE V VAL.
IO .
TZEPHAR DyLCHAID A.
II . XI .

RAB E premier. XII . DyLCHEGIA .


12 .

Good GoGo

DE L'ALCHORANOV ALFVRCAN ,

le texte de la Loy Mahometane.

AHOMET dés fes ieunes loix , neantmoins la pluſpart à faux , il en fit yn


ans , comme eſtant d'vn eſprit, patricottage & nouuelle loy tenant des deux qu'il
cault , malin , remuant & am intitula ilchoran , comme qui diroit Rccueil &
bitieux ſe mit à s'inſtruire ſoi
amas de preceptes , & Alfurcan , chants & chapi
gneuſement de coſté & d'autre tres ſeparez qu'ils appellent soraths ; le tout en
en tous les endroits où il voya rithme Arabeſque, & découſu ſans aucune mo
geoit , de ce qu'il pouuoit apprendre des tradi thode , ordre ne ſuitte , ains ſautant çà & là du
tions Iudaïques & Chreſtiennes ; car il eſtoit coq à l'aſne : neantmoins il n'eſt pas totalement
Payen encore , comme luy-meſme le teſmoigne fi deſtitué d'artifice , qu'on n'apperçoiue que
en ſon Alchoran , où il introduit Dieu luy par c'eſt un des ouurages plus malicieux qui ſçauroic
lant ainſi : Tu eſtois orphelin , Q tu as efté recueilly: eſtre , & tres -que -bien approprié pour des
gens
Tueſtois pauure fouffreteux , a tu as efte' enrichy : 14 rudes , ſimples, & beſtiaux : car tantoſt il y des
eſtois idolatre , pie t'ay ramené à ma connoisſance. introduit Dieu qui parle , & tantoſt l’Ange Ga
Leſquelles paroles ſembleroient de prime-face briel ; & les fideles d'icy bas inuoquans la bonté
eſtre dites ſimplement ſelon la verité hiſtoriale, diuine , & luy rendans graces de ſes beneficen
car en effet ſon pere mourut auant ſa naiſſance ; ces : Puis tout ſoudain luy Prophete , comme il
& ſa mere bien -toſt apres : mais le ſeducteur s'appelle , vient à la trauerſë , tanſant & mena
couue là deſſous yne grandiſſime impieté & ma çant les incredules , auec autres telles baſtelle
lice , ſe parforçant de s'eſtablir par là comme le ries ; de ſorte que ceſte maniere de dialogiſme, &
Meſſie promis en la loy , & Autheur du ſalut hu entrelaſſemens de perſonnages , ſans les pouuoir
main : Car cela a tout exprez eſté appoſé de luy , aiſément diſcerner de prime-face, apportent ie
pris de Rabbi Barachias en ſon expoſition ſur ne ſçay quelle majeſté & luſtre à ſon dire. Au
Geneſe, où il met cecy . Dieh ores ſainet cu benit reſte ceſte loy ne fut pas faicte toute d'vne teneur
Lament, parlantau peuple d'Iſraël :NovS AVONS ESTB ' comme le Pantatheuque de Moyſe, car il y re
de le. FAITS PVPILLES SANS PERES,ET NOS uinſt touſiours quelque choſe tant qu'il veſcut,
rem.cha . MERES : SONI COMME V E F VES : mais le ſelon les occurrences qui ſe preſentoient; de for
dern .
Redempteur que ie ſuſciter ayd'entre vous ſera ſans pere , te que fi ſes iours ſe fuſſent prolongez iuſques à
fuiuant ce qui eſteſcritau 110. Pſeaume, De La MA fix vingts ans , il y auroit ſans ceſſe forgé de nou
TRICE DE L'AVRORE TE SERA LA ueaux paragraphes & titres deloix ; & n'euft ia
ROV SE E DE TON ENFANCE . ( Ainſi li mais cét Älchoran en fin . Il commença à en rel
ſentles Hebrieux , ante luciferumgenuite . ) De tout pandre les premiers erremens vers le 40. an de
ce qu'il peut doncqucs eítre inſtruit en ces deux ſon âge ; & les pourſuiuit par l'eſpace de dix ans
g iiij
1
182 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 183

à la Meke , iuſques à ce qu'il fut contraint luy & gnent le liure d'Azear , & celuy d Azzifa.
ſes adheransd'en ſortir pour ſe retirer à Medine, Le premier qui mit la main au recueil de ces
où durant les treize ans qu'il veſcut encore , il menus fatrats de memoires , tant de la caiſſe
acheua le reſte de façon que ſes chants ou chapi deſſuſdite , que des trous de murailles eſquels on
tres ont pris leur domination de ces deux villes : les auoit ſerrez , partie effacez ou corrompus de
mikia , can
partie d'iceux eſtans appellez y Zoar moiſiſſeure , & autrement par l'iniure du temps
tiques de la Meke: & les autres Azoar Medina, fut ODM en gendre de Mahomet,
& des lieux ,
ceux de Medine. Neantmoins il allegue que cét & le troiſieſme de ſes ſucceſſeurs tant en la puiſ
Alcherin eſt ,
vn ouurage de Dieu & qu'il luy fance terrienne & laïque , qu'en la ſpirituelle du
fut apporté de fa part en vne nuict par l'Ange Caliphat, & en compila l’Alchoran : & pource
Gabriel le quinzieſme du mois de Ramadhan : qu'il diſtingue par les liures & soraths, il eſt dit
ſurquoy en memoire & reuerence de cela il fon aulli Alphurcan , & les articles Aiet , miracle ou
da l'inſtitution de ſon ieuſne ou Careſme en ice merueille : Tous ces chants & chapitres eſtans
luy , car les Mahometans le ieuſnent chacun an comme il a eſté dit cy - deſſus diftinguez en Me
tout du long. Orà meſure qu'il projectoit ainſia kins , ou Mediniens , du nom des lieux où ils
la file ſes petits eſchantillons & fragmens de lieux eſtoient baſtis & forgez. Leſquels d'autant qu'ils
communs , il les communiquoit à ſes ſectateurs : varient le plus ſouuent, & ſe contrediſent, quel
& les leur faiſoit apprendre par ceur :à quoy ay ques - vns les ont encore ſous - diuiſez du depuis
doit beaucoup la rithme , puis les ſerroit en vne en des Muquemash , comme qui diroit iugemens
liette , appellée la liette de la Minſegina ou lega & points reſolus, & en grfir muquemah non deci
tion , parce qu'il les feignoit luy eſtre enuoyez de fifs. Ils ſont en outre de deux fortes , les vns dits
Dieu par le meſſager deſſuſdit Gabriel , ſe con Naceh poſitifs , & les autres Manfoph derogatoires
trediſant en cela : car lice ſont des amas & recueils ou reuocatifs des precedens , vne ruze trouuée
de preceptes & Cantiques ſeparez , comment depuis par les Caliphes & Alpha quiz , pour aucu
l'auroit - il peu receuoir tout à vne fois, parce que nement ſauuer leurs contradi tions. Au ſurplus
ce mot contenu meſine dans l'Alchoran infere nonobſtant qu'ils ſoient diſtinguez par liures &
que ce fut à pluſieurs, & par les menus ; fi ſes lieux chapitres , ce n'eſt pas toutesfois de ſorte qu'ils
communs au reſte n'eſtoient bien aſſaiſonnez à doiuent demeurer ainſi, ains preſqu'à guiſe de la

ſon dernier gouſt , il les ferroit dedans quelque metaphyſique d'Ariſtote, où il n'importe de rien
trou de muraille le premier trouué , où la pluſpart lequel doiue aller deuant ou apres,le dernier pou
demeuroient là oubliez de luy à lamercy des rats uant eſtre mis le premier , & au rebours ſans leur
& ſouris, & des blettes , & ſe remettoit à en baſtir faire tort, car il n'y a rien qui ſe ſuiue & entretien
d'autres . Cela eſt cauſe que les Mahometans ont ne. Et pource que cefteloy eſtoit encore toute
accouſtumé par tout où ils rencontrent quelques nouuelle & recente , peu de gens s'en trouuoient
petits ſchyphons & morceaux de papier eſcrit, d'accord lyn auec l'autre, la premiere choſe quc
principalement en Arabe , de les recueillir fort fit odmen , fut d'en prendre l'aduis des proches pa
reueremment , & les mettre au premier trou ou rens dy legiſlateur, & des ſept qu'il auoit eu les
creuaffe qui ſe rencontre . Tout ainſi que ſic'e plus fåmiliers, furquoy il y eut de fort grandes
ftoient les premiers memoires de leur loy encore, contentions & diſputes, mais en fin l'authorité
combien que la principale occaſion , à ce qu'ils d'odmen preualut , joint qu'Axa la plus favorite
eſt de
dient , qui les y meut ,eſt de peur quele nom de des femmes de Mahomet , laquelle auoit recueilly
Dieu n'y ſoit eſcrit, & qu'il demeuraſt propha la pluſpart de ſes bulletins & memoires à meſure
né , comme auſſi il n'eſt pas permis de ſe nettoyer qu'il les forgeoit, les conſigna és mains d'Odmen,
en ſes affaires auec du papier , ores meſme qu'il mais il ne peut pour tout cela empeſcher qu'il n'y
n'y euft aucune eſcriture , & qu'il fult tout blanc. euſt plusde deux cens Alchorans tousdiuers. Au
Les fragmens doncques ayans efté retrouuez en ſurplus le lien cſtoit bien plus grand alors que
pluſieurs & diuers endroits eſcartez les vns des celuy qu'ils ont
de preſent , dont pluſieurs cho
autres , donnerent lieu à beaucoup de ſuppoſi ſes furent éclipſées apres les douze ſucceſſeurs,
tions & adiouſtemens qu'on y fit , chacun taſ & meſmes plus de cent aiets ou articles oſtez du
chant d'y contribuer quelque choſe du ſien ſelon premier chap .tant ſeulement, & d'autres de nou..
que cela faiſoit à leurs projets, & particulieres in ueau ſubſtituez en leur lieu , mais en moindre
tentions, dont vindrent à ſourdre de tres grands nombre , a l'exemple dequoy pluſieurs s'ingere
troubles & debats entre ſes principaux ſecta rent encore de faire de meſme , fi que finale
teurs : joint les varierez & contradictions qui s'y ment toute leur loy ſelon qu'elle auoit eſté pre
trouuoient à tout propos , en partie prouenans micrement eſtablic ſe trouua alterée & elua .
de ſon peu deiugement & memoire , & en partic noüye.
de la fauſſeté & malice des luifs eſcriuans ſous L'ALCHOR AN doncques compilé par Od
luy , qui la pluſpart du temps luy peruertiſſoient men à l'imitation du Talmud , fut de luy diuiſé
ce qu'il leur di& oit, ſelon que meſme le teſmoi en quatreliures de cette forte,

.
Le
184 de Chalcon .
dile
185

Le premier liure de l'Alchoran qui contient cinq chapitres.

Le premier eſt intitulé le chapitre de la Vache.


Leil .
Dela famille de Ioachim pere de la VIERGE MARIE .
Le III . Des femmes.
Lery. De la table .
Eclev . Des animaux .

Le ſecond liure contient douze chapitres.

Lei. Dela muraille .


Leil . Des deſpoüilles de guerre.
LCIU . De l'eſpéc, * :: ‫از‬
Leiv . Du Prophete Ionas. init ( ‫ ( )ر‬,
Lev . Du Prophete Hud, de l'inuention de Mahometa 7
Levi . De Ioſeph fils de Iacob . ?
Le vil . Des thrones .
1 Levi11 . D'Abraham .
Leix ,
De l’Egyre.
Lex . Des mouſches.
Lexi .
Du treſpas de Mahomet .
Le x11 . :::
Dela cauerne , & des ſept dormans.

Le troiſieſme contient dix -neuf chapitres.

Lei . Dela V IERGE MARIE mere de IESV S -CHRI'S T.


Leil. De Taha.
Lelli . Des Prophetes.
Le iv . Du tremblement de terre .
Lev . Des fideles croyans .
- Le VI. De la lumiere .
Levil . Des fourches patibulaires.
Le VIII . Des executeurs de la haute Iuſtice .
Leix . Des fourmis.
Lex . Du Cazaz .
Le'X I. Des araignées .
Lex11 . De Lucainon yn ſaint fort aymé du Prophete Dauid , ſelon Mahomet .
Lexi11 . De l'inclination,
LexIv . Des Romains .
Lex v . Du Createur .
Le XVI . Du Sabbat.
Lex vII. Des addicions
Le XVIII . De l'homme.
Lexix . Des Anges.

A v quatrieſmeliure yac Lxxv . chap. inais quelques copies de ces eſcritures par deuers eux ,
plus petits beaucoup que les precedents , & la deſquels il les retira toutes , en les leur payant a
I
pluſpart d'une ſeule periode ou article, lique l'Al leur gré, li qu'il fit en cela yne extreme deſpence.
choran en Arabe contient en tout c cxi . chap . Puis les conſigna entre les mains de ſix des plus
mais d'vnautre ſorte qu'en la traduction Latine. fuffiſans, nommez Muſtin , Eutheir , buhor , Anne
QUELQVES quarante ou cinquante ans cen , Atermund ,o Daud , chacun deſquelsen fit à
Refor- apres la mort de Mahomet Moduui le v i . de ſes par ſoy vn recueil & iuſte volume, tout le reſte en
mation ſucceſſeurs en l'authorité tant ſpirituelle que nombre bien de ſoixante mille traictez , qui fai
de l'Al foient la charge de deux cents Chamcaux , dont
choran temporelle eſtant encor en vn homme ſeul, (les
chacun peut porter de quatre à cinq quintaux des
& de la autres attribuent cela plus de 40. ans apres à vn
loy Ma- Caliphe de Babylone appellé Morbás fils de noftres , il les fitietter en la riuiere d'Adezele qui
homc. Elheken ) voyant que pour la grande confuſion paffe à Damas, faiſant faire de tres- expreſſes in
tano. hibitions & deffences fur peine de la vie , qu'on
des gloſes , & des commentaires des Mores ſur
l'Alchoran & leurs repugnances & contrarietez, n'euft plus à tenir autres liures de leur 'creance,
car ce qui y ſouloit eſtre dit par la negatiue ſe fors l'Alchoran ſelon qu'Ormen l'auoit digeré &
trouuoit en l'affirmatiue , & au rebours en plu reduit par ordre : & les ſix volumes qui furent
ſieurs autres , la loy eſtoit en voye de ſe perdre, & depuis appellez la Zuna comme qui diroit loy ſee
de demeurer du tout abolie & eſteinte , luy qui en conde ou iteratiue , les Hebrieux Miſnah laquelle
cſtoit le diſpenſateur fit aſſembler yn concile ge conſiſte de la defloration des dits , actions & pre
neral en Damas, & venir là tous les Alfaquiz do ceptes de Mahomet , & és choſes douteuſes &
cteurs, & autres miniſtres qui pouuoient auoic ambigues precede en authorité les textes meſmes
186 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 187

de l'Alchoran. Ce qui fut fait à limitation du Tal la metamorphoſe d'Apulée, ny toutes les plus ex
Le Tal- mud Babylonien , compilé par les luifs modernes trauagantes fables des poëtes Grecs , eſt i Hedith ,
mud Ba- quelques trois cens ans auparauant,n’eſtant autre & Nabı; l'hiſtoire du Prophete , contenant ſa vie
bilo .
choſe qu’un commentaire ſur la Mifnah ou ſecon & ſa mort , enſemble le traiété de la generation
nien , x
ce qu'il de leçon de la loy ludayque , comme la Zune l’eſt & nourriture, & le Taalim & Nabı ; la doctrine du

cötient, de l Alchorar. Car il contient tout demeſıne fix Prophete, qui eft vn dialogue de luy,& de cer
parties dittes sedarim ,ordresou diſtinctions, dont
la premiere eſt des ſemences : la ſeconde du reigle tenuës les plus eſtranges chimeres & refueries
ment des feſtes , la troiſieſmeceluy des femmes , la qu'eſprit humain ſçeuſt imaginer , & pource
quatrieſme des dcgaſts & dommages , la cinquieſ qu'on peu trop mieux voir par là les menteries in
me des ſanctifiemens : & la fixielme des purifica tolerables, impoſtures & impudentes abſurditez
dont ceſte friuole doctrine eſt baſtie & en deſ
tions. Ceſte partie puis apres de ces lix eſt ſouſ
diuiſée en pluſieurs Maſſachushs ou traictcz , & goutter vn chacun , que par tous les arguments
chaque traicté puis apres en pluſieurs Perakım ou qu'on ſçauroit former alencontre, quiſeroit com
chapitres . Ceſt æuure doncques de la Zunc , & me perdre ſa teſliue à lauer la teſte & 'ynaſne, nous
les decrets y contenus furent digerez par ces fix auons aduiſé de le vous tourner icy en François,
docteurs , tant des diuers textes de l'Alchoran , comme ila eſte de la langue Arabeſque en Latin,
que des gloſes & interpretations que les Mores & en Italien , afin que par là nous ayons tant plus
auoient deſia tiſſu là deſſus en tres grand nombre, d'occaſion de benir le laint nom de Dieu , & luy
rendre immortelles louanges de la grace qu'il
& preſque toutes repugnantes les vnes aux autres,
dont peu detemps apres vindrent à naiſtre quatre nous a faicte , denousaddreſſer à la voye.de ſalut,
principales ſectes du Mahometiſine introduictes & nous illuſtier de la lumierecuangelique par ſoni
par autant de leurs plus ſçauants Alfaqui? ou mi VERBE & vnique fils IESV S - CHRIST no
niſtres, qui eurent la charge depuis de faire des : Are Seigneur & Redempteur,au lieu des tene
extraits de ladice Zune, le premier appellé melich, breux fouruoyemens où il permet d'errer en per
Quatre l'opinion duquel fut receuë par les Mores de Me dition tant de pauures mal-heureuſes ames, bien
pales ſe dine , Egypte, & Afrique, & ceux qui depuis do que formées à Ton image & ſemblance auſſi bien
Aes du minerenten Eſpagne,le ſecond, 4Defihi,auquel que nous,qu'il a daigné choiſir pour fon trou
Maho . adhererent ceux de la Mcke, de la grand’Arabie, peau. Mais telles ſont les merueilles de ſes iuge
metil
me, Babylone , & Damas,le troiſieſme Alambels ,que mens,d'impartir ſes beneficences où bon luy fem
ſuiuirent ceux de Perſe, d'Affyrie , & de l’Arme ble , dont ſi nous nous monſtronsingrats & mel
nic : & le quatrieſme Abuhaniph , toute la Surie, connoiſſans & que nous en yueillons abuſer nous
& Alexandrie d'Egypte , car quant au Caire, nous faiſons noſtre procez à nous meſmos , ſans
pour raiſon de la grande multitude de peuple y qu'il ſoit beſoin d'y employer autres accuſateurs
afluant de toutes parts, ces quatres festes & opi- que la coulpe de nos conſciences ‫ ;ز‬d'auoir pris
nions y ont toutes licu . Au ſurplus les decrets & ſon nom en vain , prophané l'effuſion de ſon pre
traditions de la Zune ſont auſſi de quatre ſortes,à cieux ſang , & contaminé les ſaints caracteres de
ſçauoir les certaines & indubitables , les man ſes Sacremens qui nous dreſſent yneeſchelle pour
ques, les retranchées & les debiles . Tout ce qui monter à luy, ce qui ne ſe peut pas ainſi ajgrement
emana de la main des dix scupler, & principaux reprocher à ceux auſquelsil n'a pas octroyé ceſte
diſciples de Mahomet , & de la plus authoriſée grace, comme ſon eſcriture propre nous le teſ
de les femmes Ara , tient le premier degré de cer moigne : Tdlement qu'on nous les mettra quel
titude en leur endroit , ce qui eſt procedé dui rap que iouren face, pour nous conuaincực d'ingrati
port de ſes autres femmes eſt au ſecond rang ,& tude, que nonobſtant qu'ils ſoient ainfi abandon
s'appelle manque , vn teſmoignage inferieur au nez apres ynie fauſſe doctrine, ils ne laiſſent neant
precedent. En troiſieſme lieu eſt la relation des moins de nous ſurpaſſer en beaucoup de choſes
Docteurs qui veſcurent du temps d'iceluy , & louables, deux meſmement entre les autres , que
cela s'appelle le retranché. Et le quatrieſme eſt le Dieu deſire tant de ſes creatures , à ſçauoir la cha
plus debile & infirme , ſçauoir ce que les autres rité, & l'obeyſſance,dontils nous inonftrent one
Docteurs , approuvez neantmoins , en eſcrirent belle leçon , en ce que de quelque langage & na
apres ſamort. De ces dix liures , fix de la Zune, çion qư'ils ſoient tous , Turcs , Perſes, Tartares,
& les quatre autres des quatre ſectaires, eſt forty Indiens , & infinis autres differents de parler , de
yn troiſieſme ouurage dit Anuar , ou le liure des mæurs & couſtumes , ils n'ont iamais ſouffert
fleurs. Il y a puis apres la chronique d'Azear; iúſques icy que l’Alchoran qui eſt le texte de leur
Les prin: le Rirebe alimenie, le liure des Roys , auquel ſont loy fuft leu parmy eux , ny euſt cours en autre lan
cipaux, eſcrits les geſtes de leurs prerniers Caliphies ,mais gue que l'Arabeſque où il fut premierement com
livres de iln'eſt permisdele lire qu'aux vieilles gens:l'AF pole , en laquelle on leleur enſeigne à apprendre
loy . ſameil qui parle des perfections du Prophete, la par cæur , ores que la pluſpart n'y entenderien.
Recelé bulug's ,halil, & Almazhodi, les traditions: Bien eſt vray qu'autre Prophete , comme il dit
les gloſes de Buhatias, Buthzemanim , Azamahxars, en la ſeconde Azoare, ne dogmatiza ſinon en fa
Acahalibi, & Machmud de la Meke , cous com langue commune & vulgaire. Mais ceſte ſimpli
mentateurs del'Alchoran , aucc plus de ſept cens cité n'eſt de peu de fruit, ains des plus neceſſai.
autres de meſme farine , meſmement vn grand res & vtiles choſes qui ſoit en toutes ſortes de re
nombre de deciſions des ſages Muphtiz & Alpha- ligions , car ſans cela , & ce qu'il leur eſt expreſſe
quiz pour la iuſtice & la police , compriſes en dix ment defendu ſur peine de la vie de diſputer de la
gros yolumes. Mais les plus magnifiques de tous leur en aucune ſorte , ne d’en rien reuocquer en
Azoares ,
en cas de plaiſantes badineries , dont n'appro doute, Garde7 vom bien d'en difputer , meſmeavec les 5.6.7.10,
chent en rien les yrayes narrations de Lucian , ny Juifs, o Chreſtiens ,non pas ſeulement d'en communi, 13:30
quer
e
188 de Chalcondil .
189
quer auec eux : Ceſte loy ne fe fuſt pas li longue du peché originel, qui ſe doit faire par le Meſſie.
ment maintenuë comme ellea , nom par ſon me Somme que Mahomet à mieux aiméimniterMoy :

rite , mais par la ſeule facilité de creance: là où au ſe, tant ſous le pretexte d'exterminer les idola
contraire il n'y a li ſaine do & rine que la trop cu tries , que pour ſa maniere d'eſcrire, qui eft de
rieuſe ſubtilité des legers cerueaux , quand il leur reïterer pluſieurs fois vne meſme choſe que
, non
eſt loiſible de l'exagiter à leur fantaiſie , n'aye pas I e S v S - CHRIST lequel il voyoit aſſez
bien toſt precipitée à vne confuſion de doutes, auoir eſté la fin de toutes les loix & Prophetes,
desfiances, & incertitudes: & de fait de ceſte trop cellement qu'il ne laiſſoit point de lieu à la ſienne
large liberté de conſciences , & permiſſion à yn qui venoit apres , & aux impoftures où il preten •
chacun de lire & interpreter l'eſcriture à fa fan doit de ſe nommer Accurzamam Pegamber , le der
taiſie, ſont procedez tous les erreurs , abus, & he nier , ou le ſeau des Prophetes comme il ſe nom
reſies queDieu à permis regner parmy ſon peuple, me en l’Alchoran , Azoare 43. pour verifier pa .
tant en la loy Iudaïque, que la Chreſtienne,ayans rauanture ce que met Iſaye chap. 9. Longauus eo
pris plaiſir les yns & les autres enſemble de ſe del. honorabilis ,ipfeeft caput , & propheta docens menda
uoyer du chemin battu à de faux & obliques ſen cium ipſe eſt cauda. Ils controuuent au reſte que c'eſt dás
tiers eſgarez , & y attirer quant & quant tous Dieu luy enuoya ce beau chef d'auure par l'An- de le liute
la Zu .
ceux quileur ont voulu trop inconſiderément ad ge Gabriel , eſcrit en du parchemin fait delapeau nc .
herer , pour delà humer quelque ondée d'ambi du mouton que ſacrifia Abraham au lieu de ſon
tion & gloire mondaine : ſique des erreurs de ces fils Iſaac , apres auoir paſturé en Paradis 40.ans :
deux loix ainſi peruerties & alterées , joint la vai en commemoration dequoy ils tuent tous les ans
ne preſomption des Gentils, ſe propoſans rien ne en lcurs grands Paſques vne infinité de moutons;
deuoit eſchapper à l'ingenieuſe ſubtilité de leurs dont ils diftribuent la chair aux pauures , & eſti
fyllogiſmes ceſte troiſieſme do & trine ſource de ment que ces animaux reſuſciteront, & entreront Azoare
2
toute impieté a cſté tiſſuë , plas pernicieuſe que en Paradis, que celiure au ſurplus eſt tel que (1 70
tout le reſte. Mais cecy requerroit yn plus ample tous les hommes qui furent oncques eſtoient af
loiſir à diſcourir . ſemblez auec les Anges , & les demons, ils n'en
Povr doncques venir aux particularitez de ſçauroient pas neantmoins baſtir yn ſemblable.
l'Alchoran , il eſt tout ourdy & tiſſu de diuers paſſa Au moyen dequoy ils le liſent tant és moſquées
ges empruntez de la loy de Moyſe, & de la Chre qu'en lcurs logis en treſ-grande reuerence & de
Atienne , mais alterez & peruertis , partie tout à uotion , croyans que qui le pourra lire mille fois
deſcouuert ſans rien feindre ; & partie malicieu en ſa vie , obtiendra Paradis fans faute, & ne le
ſement deſguiſez ſous vn maſque de pieté , car à mettent iamais en le maniant au deſſous de leur
tous propos il a la veneration d'un feul Dieu en ceinturc , de crainte de le prophaner , mais y en a
la bouche , l'amour & la crainte qu'on luy doit aſſez qui le ſçauent par caur , enquoy foulage
porter, l'horreur de l'idolatrie , le Paradis , enfer, beaucoup leur memoire la rithme où il eſt com
ieuſnes , aumoſnes & osaiſons , lauemens , deci poſé. Et chaque fois qu'ils ſe mettent à le lire,
mes , & ſemblables choſes qui reſſentent le lu ils commancent par ceſte priere. O Abudu billehi
daïſme, car il taſche d'imiter Moyſe en beaucoup mine ſaytain ragini, Defends moy Seigneur Dieu s'il
de points à la lettre , comme de l'expreſſe & ri te plaiſt du mauuais Satan. Et toutesfois il dit en
goureuſe defence de ne faire aucune repreſenta deux lieux du 4. liure, que les diables melmes y
tion & image de tout ce que la nature produit,n'e croyent , vne groſſe trouppe deſquels l'ayans ouy
(tant pas , ce dit- il , loiſible à la creature de con vne fois reciter, ils l’eſcouterent en grand ſilence,
trefaire les ouurages de fon Createur , de ne tenir & ſoudain en allerent aduertir leurs compagnons,
rien en leurs temples que force lampes , cierges , & comme ils auoient ouy le liure merueilleux der
autres lumieres, auec le liure de leur loy pour tous cendu du ciel depuis la thorah ou la loy.donnée à
ioyaux & reliquaires : eſtablir yn Paradis de deli. Moyſe , lequel ſiure monſtroit le chemin de veri
ces à ſes ſectateurs, à l'imitation de ce que Moyſe té , à ceſte cauſe qu'ils y creuſſent, & adheraſſent
ne promet autre choſe à ceux qui obſeruerontles au Prophete, car en ce faiſant ils ſeroient deliurez
commandemens de Dieu , que desbiens & felici de la peine où ils eſtoient conſtituez pour leur de
tez temporelles , ſans point faire de mention des fobeyſſance & orgueil : ce qu'ils firent, & ne ſe
beatitudes de l'autre fiecle, comme on peut voir rendirent plus contumaces ny meſcreans au com
apertement dans le Leuitique 26 .- & au 18. du mandement de leur Createur .
Deuter. Mais cela demonſtroit que l'obſeruation Or en ce qu'il a controuuécét Alchoran luy
de l'ancienne loy n'eſtoit pas ſuffiſante pour ou auoit eſté enuoyé de Dieu par l'un de ſes Anges , il
urir aux hommes lethrefor des ioy es celeſtes iur à voulu faire aucunement alluſion à ce qu'eſcrit
ques à l'aduenement du Meſſic : & les Talmudi l'Apoftreaux Galates 3. Pourquoydonc a eſté donnée
ftes referans toutes les predictions d'iceluy à la la log ? pour le chaſtiment de la tranſgreſion , iaſqu'à
cruë lettre l'interpretent qu'il deliurera le peuple tant quevint la ſemence à qui auoit eſté faite la promes
des Iuifs de la ſeruitude & miſere où ils font, les Se: ceſte loy au reſte ordonnée par les Anges en la main
raſſemblera , & reſtablira en leurancien heritage du mediateur. Suiuant ce quieſt dit au 7. des actes,
de la terre de promiſſion , auec leur temple, leurs C'eſt ce Moyſe qui futen la congregation au deſert avec
ceremonies , & facrifices accouſtumez ,fera outre l'Ange quiparloit à luy en la montagne de Sina .
plus de grandes guerres & conqueſtes, & finale L'ALCHOR AN doncques entre autres cho- Lesprin .
ment ſubiuguera tout lemonde, qu'ilreduira ſous ſes contient , mais letout peruercy & empoiſon- cipaux
la domination d'iceux luifs , aboliſſant toutes au. né d'infinies fables & menteries , quele monde a points
fres loix & religions . Mais au lieu de cela les Ca eſté creé d'un ſeul Dieu : qu'il y a eu vn deluge chosan ,
baliſtes reiettans toutes ces charnalitez temporel. vniuerſel , dont toutes les ames viuantes furent
les rapportent le tout à la deliurance ſpirituelle ſubmergées hormis Noé , & la famille, aucc les
190 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
191
animaux qu'il fauua dans l'Arche , & de là tout le eternellement du Pere , comme le teſmoigne en
monde fut reſtauré , comme s'il euſt eſté creé de core plus apertement le Pſeau. 110. Le Seigneut a
novucau . Qu'Abraham eſt la ſource & le chef dit à Monfeigneur, fieds à ma dextre , & c. & plas
de la vraye religion & do & rine , de l'adoration auant. le t'ay engendré du ventre ( c'est à dire de ſon
d'vn ſeul Dicu qu’à
, Moyſe la loy fut donnée du eſſence ) premier que l'eftoille du jour fut creće , où
ciel : que les Prophetes, dont il repute Dauid pour Rabbi Ionathan fils d'Vziel , dont la traduction
le principal & plus excellent , ont eſté illustrez de Chaldaïque cft de telle authorité enuers tous les
l'eſprit de Dieu : que I E S V S - CHRIST eſt le luifs que perſonne oncques n'y contredit , tout
vray Mellie promis aux Iuifs, le VER BE eſprit ainſi que li Dieu euſt parlé de ſa propre bouche , a
diuin , moule , patron & exemplaire de tous les tranſlacé ce ſecond Seigneur pour le Verbe , &
hommes, conceu du S. Eſprit n , ay de la Vierge la dextre pour la Deité, dont il participe auec le
Marie , ſans aucune corruption , lequel a fait infi Pere , ce que confirme auſſi Rabbi loden au nom
nis miracles iuſqu'à reſuſciter les morts : qu'il a de Rabbi Ekia ſur le Preaume18. TA m'a donné la
eſté rauy au ciel en corps & en ame , & là confti protection de ton ſalut, & ta dextre m'a recueilly , qu'il
tué à la dextre de Dieu plus haut que toutes les aduiendra que Dieu fera ſeoir le Mellie à ſa dex
creatures raiſonnables , dont il viendra auec ſes tre ſuiuantcequi eſt contenu au Pſeau. 110. Il y
diſciples iuger le monde au dernier iour . Que ſon a infinis autres tels teſmoignages des luifs cou
Euangile eſt le comble de la vraye & pure doctri chant le fils, & la Trinicé, laquelle n'a pas efte
ne de la verité , la lumiere & confirmation du vieil ignorée de Moyſe ,comme le monſtre aſſez lemot
Azoare Teſtament,s'il n'euft eſté corrompu & fallifié par d'Elohim ; & d'Adonai qui font au plurier , qu'il re
12.
ceux qui ſont venus apres , qu'il y a vn paradis pete plus de trente fois enmoins de rien au com
pour les bons, & vn enfer pour les mauuais: auec mancement de Geneſe, mais d'autant qu'il voyoit
tout plein d'autres telles choſes eſcumées du vicil le peuple des luifs eftre fi facile & enclin à l'idola
& nouueau Teſtament , maisempoiſonnées d'in trie dont il le vouloit ſur tout retirer , & le rame
finies deteſtables erreurs & impietez , dont il taſ ner à l'adoration d'vn ſeul.Dieu ,il leur a deſguiſé
chę de coinquiner le tout , & le peruertir : car ce myftere de trois perſonnes en yne ſeule effen .
quand ilparle d'vn ſeul Dieu , il adiouſte qu'iln'a ce , d'infinies fortes qui n'eſtoient pas cachées aux
point depair ny de compagnon , ny d'enfans non principaux.
plus , pour renuerſer la diuinité de noſtre Sau A v regard de ce que Mahomet a monftré tenir
ucur , ce que les Rabins toutesfois , & les Talmu de la facture & creation du monde , d'autant quo
diftes mefmes les plus mortels ennemis du Chri ſa loy dépend de la noſtre , & de la Iudaïque , il a
ſtianiſme ſont contraints d'aduoüer és interpre voulu en cela adherer à Moyſc: non pas que pour
tations de leur eſcriture . Car ſur le 13. d'Exode, Sonignorance & imbecilité d'eſprit il peut con
San &tifie moy ton premier nay , Rabi Natham gloſe, ceuoir que cela deuſt aller de ceſte maniere , ne
qne Moyſe par ces mots là a voulu inſerer que Dres a pour eſtablir non plus là deſſus les principaux
dit : Toutainſi que i'ay fait Iacob le nga Bechor qui fi points & articles de la do& rine ; car toute la loy
1
gnifie primogenite, à ſçauoir le premier des enfans,quand Iudaïque dépend de ce fondement & maxime,
bien il n'y en auroit plus d'autre apres luy , en ſemblable mais pour leur gratifier , & à nousquant & quant
feray -ie le Roy M ESSIE mon primogenite , fuiuant tout d’yn train qui tenons la meſme creance ; il
ce qui eft dit au Pfal. 89. Il m'inuocquera , tu es mon s'y eſt voulu conformer. Au ſurplus ceſte que
pere ,mon Dieu , a la retraicte de mon ſalut, a je le ftion , ſi le monde a eſté de tout temps & eternité De la
mettray le premiernayefleué plus haut gae tous les Roys tel qu'il eſt, ou s'il a eu commencement, eſt fore creation
de la terre. Plus au Midras Tilim , expoſition alle exagitée & irreſoluë entre les Gentils qui ſont de ou eter
gorique des Pſeaumnes , ſur cecy du ſecond , le Sci t nité du
e
diuerſes opinionsen cela , qui ſe peuuen reduir monde,
gneurm'a dit , Tu es mon fils , je t'ay engendré auiour à quatre ou à cinq principales, dontla premiere
d'huy , il y a le meſme. Item au 72. ſelon la verité
& plus plauſible de prime-face ſelon l'apprehen
Hebraïque, ſon nom eſt permanent devant le Soleil , fion du ſens humain , & d'Ariſtote & des Peripa
le participe 7 " Innon ou permanent eſt deriué de teticiens, eft qu'il eſt eternel, ſans commancement
79.c'eſt à dire fils, nay ou engendré ,comme lecé. & ſans fin , ny plus ny moins que Dieu ou la 1 .
moignent Rabi Abraham Aben Ezra, & D.180d Kim cauſe à luy coniointe qui luy donne eſtre & mou
hi, parquoy qutre ceſte permanence il ſignifie en uement : car qu'eſt-ce qu'cuſt peu faire Dicu ( di
core , il filieraou fera naiſtre , à ſçauoir les morts fent - ils ) en yns telle cternité infinie iuſques à la
quand il les reſuſcitera au iour du ingement , qui creation d'iscluy ,ne vacquant qu'à lacontempla
eft yne 2. renaiſſance , ce qui ſe peut approprier cion de ſoy -meſme,nyen quel endroit cela euſt
auſſi au bapteſme & ſuſception de la foy Chre peu eſtre ? En quoy ils feignent & preſuppoſent
ftienne , où nous ſommes regenerez ou reengen ſenſiblement enuers Dieu deux choſes qui n'y
drez , mais ſpirituellement , & du vieil homme peuuenteſtre ,le temps à ſçavoir , & lelieu , mais
d'Adam ſujet à peché & à mort, faits yn nouucau nous deduirons cy - apres plus à plein les moyens
de IESX5- CHRISI , capables de grace , de & raiſons dudit Ariſtote , & de ſes ſectateurs . La ,
ſalut , de vie eternelle. Lemot doncques d'Innon , 2.opinion que le monde foit decout temps & eter
ou filiation ne ſe peut attribuer à Dicu le pero, nité, eft de ceux qui le font eſtre tel de Toy , & fans
qui n'eſt fait , creé ny engendré de perſonne, ny, aucune cauſeconjointe à ceſte grande maſſe. La
au S. Eſprit non plus , mais procede ainſi qu'vne 3. que nonobſtant qu'il ſoit ſans commancement,
reſpiration ou haleine du pere & du fils, & en ncantmoins peu à peu il defincra. Platon aure
core moins à pas vne des creatures, dont il n'y en bours , qu'il a eu de vray origine pour le regard de
a point eu de produites auant le Soleil qui deſcrit ſa formation , mais non pas de la matiere, qui n'a
le temps : parquoy il faut de neceſſité que cela ſe point eſté creće, ains de tout temps ſujeccc à l'ou
refereau fils , qui ſelon la diuinitéa eſté engendre uricr , lequel n'a fait ſinon l'ordonner en ceftebelle
façon
de Chalcondile.
192 193
façon où il eſt, du Chaos ou maffe confuſe où il ſelon ce qui a eſté dit de Platon , & ſuiuant cette
eſtoit auparauant, parce que generation ne ſe peut maxime Ariſtotepreſuppoſe que le temps n'eft ny
pas faire de ce qui n'eſt point,ains de ce qui n'eſt generable ,ne corruptible ,veu qu'il ſuit & accom
bien & deuëment , comme l'a eſcrit fort bien pagne le mouuement , lequel ne peut eſtre finon au
apres luy le Poëte Ouide à l'entrée de la Meta temps, ny le temps eſtre conneu & apprehende
fors au mouuement : & delà s'enſuiura l'eternité
morphoſe.
Ante mare & terras , & quod tegit omnia cælum , du monde. La 2. de ſes conſequences eſt , que la
Vnus erat toto natura vultus in orbe, matiere 1. communicable aux 4. elemens n'eſt
Quem dixere chaos , rudis indigeftáque moles auſſi ne generable ne corruptible: car fielle eſtoit
Nec quisquam nifi pondus iners ,congeſtaqueeodem generable, il faudroit qu'elle euſt vne autre matic
Non bene iunctarum diſcordia ſemina rerum . re prejacente dont elle fuſt engendrée : & delà
Mais ce. Chaos ou confus deſordre n'eſtoit pas s'enſuiuroit que ceſte matiere engendrée cuſt
du cout ſanscorps , ſans mouuement , & ſans amc , quelque forme, qui eſt le propre de la generation,
trop bien ce qui y pouuoit eſtre de corps eſtoit & que ceſte mariere prejacente fuſt matiere de la
comme informe, & fans conſiſtance reglée, & ſubjacente & inferieure , parquoy elle ne pour
l'ame d'iceluy inconſiderće & vagabondc à l'e roit en ſorte quelconquc auoir eſté engendrée : &
ſtourdy , ſans entendement ne diſcours de raiſon .
par conſequent il demeure qu'elle ait eſté ſempi
Au reſte, ores qu'il ait eſté ainſi crec ou pluſtoſt iernelle, ſansqu'elle puiſſe eſtre deftruite & anni
formé, il ne doit pas pourtant prendre fin , non chillée : & delà s'enfuiura l'eternité du monde.
cela par aucuns argumens valables, La 3. eſt qu'en la maticre du ciel ,à la prendreyni
qu'il preuuc
mais ſeulement par lebencfice & bonté de ſon fa uerſellement, il n'y a point de contrarieté ; car le
& eur, qui ne voudra pas défaire un ſibel ouurage, mouuement circulaire n'eſt ny variable nc dif
& où ils'eft tant agreé , enquoy on ne peut alic ſemblable,là où il y peut bien auoir de la diuerſité
guer aucun inconuenient ny defaut , parce que en celuy qui ſe fait par la ligne droite , ainſi qu'és
nous tenons bien , & les gentils meſmes , que les quatre elemens, dont les deux , terre , & eau,
ames, nonobftant qu'elles ayentcommancement, pour leur peſantcur tendent en bas , & les deux
ne laiſſent pas pour cela d'eſtre immortelles & autres , air & feu , pour leur legereté en haut . Or
perdurables à tout iamais, comme ſont de leur ce qui cauſe la corruption de toutes choſes corru
part les Anges , & les intelligences ſeparées , par- ptibles eſt la contrarieté : fi doncil n'y a point de
quoy ilpeut aina eſtre du monde. Mais ceſte infi contrarieté en lamatiere & ſubſtance du ciel , il
nité ſans fin , à laquellePlaton veut entendre la du. n'y aura par conſequent point de corruption ne
rée du monde , equipolle preſqu'à yne eternité generation; car tout engendrablecſt corruptible,
ſans commencement : car poſons le cas qu'il n'eut & tout corruptiblc cſt generable . Doncques ce
eſté fait que le iour d'hier , neanmoins à centmil qui n'eſt point generable n'eſt point corruptible
lions de millions d'ans , & autant de millions de non - plus , & au reciproque. La 4.eft ,qu'en tou
milliers de ficcles,ceſte vaſte & immenſe durécen tes choſes nouuellementfaites, il faut preſuppoſer
auant qui n'a pointdeborne,viendroit correſpon- qu'il y ait cu poſſibilité de les faire, & joindre leur
dre à vne eternité de premier Principe, tout ainſi eftre à certain temps ; car en toutes choſes mua
qu'vne ligne droite imaginable de pouuoir eſtre bles precede yne poſſibilité de leur mutation en
tirée en vne infinic longueur, ceux qui leroicnt vn temps. Au moyen dequoy deuant que le mon
bien auant en elle, li clloignez du commencement de fuſt fait, ſa crcation & facture eſtoit ou poſſi
qu'ils ne le pouſſent apperceuoir, & n'y voyans ble, ou impoſſible, ou neceſſaire : c'eſt à dire qu'il
point de finale termination , la tiendroient com falloit de neceſſité que cela aduint; ilne pouuoit
me pour infinie, fans aucun Principe ne fin , aulli cître que le monde ne fuſt, ſi impoſſible :de cela
bien qu'ın cercle ou globe ſpherique. Mais ce il s'enſuit quc iamais il ne pouuoit eſtre , ſi poſsi
que nous en croyons finalement comme les luifs ble; en quoy eſt -ce que giſt ceſte poſſibilité : car il
& les Mahomeciſtes , cſt que ce monde a eſté creé eſtoit neceſſaire qu'il y cult quelque Eſtant où ce.
de rien , & fa matiere pareillement le tout de ſte poſſibilité ſe trouuaſt, dont il ſe peut dire que
Dieu , qui le defera cu temps par luy préordonné cela fuſt poſſible. Et ne fait rien ce qui ſe pourroit
en fa preſcience, non pas qu'il le reduiſe du tout alleguer à l'encontre , quc ceſte poſſibilité eſtoit
à rien , ainſi qu'auant ſa creation , mais par le au fact cur& agent , & non - pas en la fa & ure & la
moyen de l'vniucrfelle conflagration il l'immuc choſe agie ; car il y a double poſſibilité, attendu
sa & changera de meſmoque nos corps , ( parcel que toute choſe qui a principe eſt preceder de ſa
les d'iceluy , ) à vne meilleure diſpoſition & na poſſibilité, quieſt en ordre premiere qu'elle ;lvne
ture,exempte de tout changement & corruption. en la matiere, à ce qu'elle ſoit de ceſte forte ; &
OR pour retourner à l'aduis d'Ariftote, & à ſes l'autre au facteur & agent pour la faire ainſi .
raiſons de l'eternité du monde , il en amcine 4. ou Il y a encore d'autrestelles ſubtilitez en ce ſu
s . les plus pregnantes , la 1. que le mouuement jet,cxcogitées par les ſectateursd'Ariſtote : com
n'eſt ny generable , ny corruptible ſimplement. me , file Createur a crcé le monde apres la priua
Car s'il eſtoit renouuellé, il auroit beſoin d'un re tion ou le non- eſtre d'iceluy , il y aura eu auant la
nouateur qui euſt mouuement deuant luy , ce qui creation du monde vn operateur en puiſſance, le
ne ſeroit autre choſe que ſortir de puiſſance en quel quand il l'aura creé ſera là deuenu opera•
action & effet , & commencer d'eſtre apres n'a teur en action : Que ſiainfieſt ,doncques le Crea
uoir encore eſté : & ſera le mouuement d'iceluy teur ſera ſorty de puiſſance en action : en quoy de
certain eſtre , par lequel de necellité il y a un po neceſſicé il y auroit cu beſoin d'vn autre qui l'ait
ſterieur mouuement. Ce qu'eſtant ainſi , il faut tiré de ceſte ſourde puiſſance en action .
en toutes ſortes que le 1. de ces deux mouuemens Item ce que l'operateur ou argent fait en
ſoit eternel ,ou bien il faudroit proceder en infiny, vne certainc hcure , & non en vne autre ; eſt ſee
i
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
194 195

lon lesempeſchemens qu'il y a ; ou les motifs qui faire qu'il y ait quelque poſſibilité precedente
l'y induiſent : les empeſchemens cauſentla priua. On ne veut pas d'autre part contredire que la
tion de l'ouurage qu'il pretendoit faire; & lesmo generation des Cieux ne ſoit ſans aucune con
tifs l'excitent à vouloir ce dont auparauant iln'a crarieté ne repugnance ; car cela eſt vray, & ne
uoit point de volonté :mais l'vn ne l'autre ne pou- ſçauroit - on alleguer qu'ils ayent eſté faits &
uans eſtrean Createur ; il s'enſuit de là qu'il n'a formez ainſi qu'vn homme ou vncheual ; ny que

voulu faire le monde en vne heure pluſtoſt qu'en la corruption luiue leur compoſition & facture,
vne autre : car ſes actions font eternelles tout ain
comme és plantes & és animaux , à cauſe de la
fi qu'il eſt eternel , & en perpetuelle action ſans contrarieté qui y eft , ains par la ſeule volonté de
point d'oiſiueté iamais :eſtant outre plus tres -que leur Createur. Au regard de l'inconuenient qu'A
parfait en ſon Eſſence, & ſans fin : parquoy ſes riſtote propoſe , que lile monde auoit eſté creé, il
ouurages ſont du tout parfaits & accomplis fans faudroit que le Createur fuſt forty de puiſſance
aucune defectuoſité ny excez ,ne rien quelconque en action , attendu qu'il auroit ouuré en vneheu
qui ſoit en vain : & pourtant il eſt eternel, & ſa re , & non cn yne autre ; au moyen dequoy il au
fapience pareillement qui eſt ſa propre ſubſtance, roit en ce cas eu beſoin de quelque extracteur; il
eternelle auſſi , dont puis que ſon Eſence eſt eter faut entendre là dellus qu'il n'y a point de com
nelle , & ſans aucun commencement , qu'eſt -ce paraiſon ne ſimilitude entre ce qui a corps , & ce
qui le pourroit auoir induit de ceſſer de toute cu qui eſt du tout incorporel : Car ceſte obiection
ure, & de demeurer ainſi longuement ſans rien pourroit bien auoir lieu és choſes qui conſiſtent
faire auant que ſe mettre à créer le monde ? Car
de forme & matiere , où premier que de venir en
ſoit qu'à ceſte heure icy où nous ſommes il y ait a& ion il falloit qu'il y euſt quelque choſe en
deſia cinq ou ſix mille ans que le monde ait eſté puiſſance qui eſt finalement venuë à effet ; &
creé , voire autant de millions d'années comme il pourtant en toutes manieres elle auroit eu be
faudroit de grains de ſable tres - delié pour remplir loin d'un extracteur : mais en la ſubſtance du ſe
toute la concauité de ceſt Vniuers , ainſi que taſ paré , c'eſt à dire de ce qui n'eſt corps, & n'a point
che de le ſupputer Archimede au traicté de l'are de matière , il n'y a rien de poſſibilité en aucune
ne , neantmoins tout cela à comparaiſon de ſon ſorte , ains tout ce qu'il a eſt en action ſeulement:
eternité d'Eſſence qui n'a point de commence Parquoy il ne luy eſt ny neceſſatre,ny impoſſible Le Cream
ment ny de fin ,ne ſeroit non plusque s'il ne l'euſt de faire vne choſe en vne heure pluſtoſt qu'en ceur no
creé quehier :Parquoy s'enfuiuroit qu'ileuſteſté vne autre ; ny de ſortirpour cet effet de puiſſan- fort
eternellement oiſif,ſans rien faire qu'à ſe contem ce en a &ion : parce qu'à l'intelligence agiſſante, point de
puiſſan
pler ſoy -meſme. d'autant qu'elle eſt ſeparée de toute matiere, il ce en
Mais toutes ces allegations ne ſont point eſt poſſible, voire remis à ſa volonté ,de faire en action .
encore demonſtratiues , ne ſi pregnantes qu'on yne heure ce qu'elle n'aura fait en yne autre , ſui
puiſſe de neceſſité inferer de là le monde auoir uant leteſmoignage propre d'Ariſtote , & d'Abi
touſiours eſté : comme il appert meſme de ce mac Philoſophe Peripateticien ; mais Arabe, &
qu'Ariſtote en a aduoüé au liure du Ciel , & du Mahometiſte : Qu'à ce qui nous peut apparoir de
Monde : Car en ce qu'il met la premiere maticre l'intelligence agiſſante , c'eſt qu'elle n'agift pas toujours,
n'eſtre ny engendrable , ne corruptible , cela ains par fois à quelquesfois non : Sans que de là il
pourroit bien eſtre vray : & de fait l'on ne veut faille inferer qu'elle ſe change nonobſtant que
pas dire qu'elle ſoit ainſi que celle d'yn animal ce qui eſtoit auparauant en puiſſance forte en
qui vient de la ſemence de ſon conſemblable ; action . Et encore que l'action de la forme en la
ny ne ſe corrompt pas auſſi comme il fait quand maciere, & l'action de la ſubſtance ſeparée detou
par la mort il vient finalement à fe conuertir & te matiere ſoient equiuocquement appellées tou
reduire en ſes quatre Elemens , nommément en tes deux d'vn melme nom , il ne s'enſuit pas que
terre : car le Createur a creé de rien ceſte premie ce que la ſubſtance ſeparée ne faiſoit en vne heu
se matiere dont furent faites toutes choſes : & re , & elle le fait puis- apres en vne autre , doiue
en elle ſe corrompt & reduit tout ce qui en a eſté eſtre eſtimée de ſortir par là de puiſſance en
engendré, ſans qu'elle puiſſe plus demeurer deſ action , enquoy elle ait beſoin d'un extracteur,
poüillée de toute formeentierement. Mais puis comme és choſes compoſées de la matiere & de la
que le Createur l'a creée , il eſt en la puiſſance forme: mais il ne faut pas pour tout cela accóm
auſſi à toutes heures qu'il luy plaira de l'ancantir parer les actions d'vne intelligence ſeparée à cel
parvne priuation abſoluë & complette. Le ſem Ies du Createur , car ce feroit yn erreur trop eui
blablecít du mouuement , qu'il dit n'eſtre ne ge dent : trop bien peut- on dire que puis que l'in
nerable ne corruptible : ce qu'il faut admettre telligence agiſſante qui n'eſt point corps , ny
pour le regard d'vne generacion & corruption puiſlance en vn corps, peut agir en vne heure
generale, qui n'eſt pas de meſme nature que la pluſtoſt qu'en vne autre , ſans que ncantmoins
generation des particuliers & accidentels mou elle ſorte de puiſſance en action ; enquoy elle ait
uemens , leſquels pequent bien ſouffrir altera beſoin d'extracteur à plus forte raiſon le meſme
tion & corruption . Cela eſt encore vray , que le peut conuenir au Createur qui eſt par deſſus tous
mouuement circulaire n'a point de commence : autres E S TAŃ S ; joint quen'eſtantny corps, ny
mentmais
, c'eſt apres que le corps Spherique a aucune puiſſance qui ſoit en corps , mutation
receu ſon eſtre. Leſemblable ſe peut dire aulli en quelconque n'y ſçauroit adherer ny entreuenir,
la poſſibilité preſuppoſée d'auoir precedé entou ores meſme que n'ayant rien fait auparauant il
tes choſes qui s'engendrent de quelque ESTANT : vint à agir . Et quant on allegue en cet endroit,
mais cela ne va pas de la meſme ſorte en ce qui que puis que Dieu eſt totalement immuable,
eſt creé de priuation où il n'y a rien de ſenſible ſans qu'aucune variacion puiſſe eſchoir en fa
ny intelligible pour raiſon
caiſon dequoy il ſoit necef-
nccef volonit, par conſequent les difficultez qui l'en
garderoient
196 de Chalcondile .
197
garderoient de faire vne choſe ; ne les motifs , & tiſtes encore , les ſinges des yns & des autres , ſe 1
les moyens qui le pourroient ſemondre à l'entre conforme plus à l'opinion de Platon qu'à nul de
prendre , ne peuuent pas arriuer en luy , fi qu'il tous les Philoſophes Gentils : que le monde à ſça
opere vne choſe pluſtoft en yne heure qu'en l'au- . uoir ait eu yn commencement, mais qu'il ne doit
tre : & par conſequent d'auoir fait le monde à cer pas eſtre ancanty , au moins du tout , comme il
tain tempsdeterminé : comme ſi quelqu'vn ayant eſtoitauant ſa creation ; ains demeurera en fa na
deliberé debaſtir ynemaiſon ou autre edifice , & ture que luy a donnée le Createur , combien qu'il
il en fuſt diuerty par des empeſchemens qui arri foit en ſa diſpoſition & puiſſance de reduire tout
ueroient , ou qu'il s'en trouuaſt degouſté pourn'en naturel E s TR E à priuation ; ( ce ſont les motsde
auoir plus de beſoin : Toutes leſquelles difficultez Rabi Moyſe Egyptien au 30. chap . du 2. liure de
luy eſtans oſtées il luy prendroit enuie de l'effe ſes Perplexes ) Trop bien à certain temps deter
ctuer : mais ce n'eſt pas à dire que pour n'y auoir miné en la preſcience , pourra -il ſouffrir vne im
rien qui nous deſtourne de faire quelque baſti mutation ou renouuellement de la nature prece
ment ,nous le vueillons neantmoins entreprendre dente ; comme meſme le marque l'Apocalypſe.
à toutes heures , puis que cela dépend de noſtre I'ay veu un Ciel noumeau , Ca une nouvelle terre : Carle Azoare
pure volonté : Ce neantmoins (pourroient-ils premier Ciel, & la premiere terre s'en eſtoient allez : 24,
La terre
repliquer encore ) de le vouloir pluſtoſt en vne La mer n'eſtoit plus. Plusen Iſaye 65. Car voicy que je chan
heure qu'en vne autre , c'eſt touſiours de la muta ie créenouueaux Cieux , ce nouuelle terre : Et en aſſez gera en
tion : Ce qui eſt vray : mais autre choſe eſt vne d'autres paſſages de l'Eſcriture : le teſmoignage une AS
volonté adherante & compliquée à yne matiere de laquelle eſt la plus valide & demonftratiue tre, le
pour laquelle on aſpire à quelque but hors de ſoy; preuue que nous puiſſions auoir en ce que nous reiteras.
car en tel cas ceſte volonté ſe pourroit muer ſelon deuons ſentir & croire de cet article. Car ce ſeroit
la qualité des occurrences qui ſe preſenteroient vne ſimpleſſe par trop grande de s'en cuider net
d'empeſchemens, ou commoditez : & autre cho tement reſoudre par un diſcours de ratiocination
ſe la volonté d'vne fubftance ſeparée de tout humaine , qui eſt contrainte en cet endroit de cli
corps , & toute matiere , laquelle ne cherche rien gner les yeux , comme encontre vne tres - forte
hors de ſoy : Parquoy ellene peut auſſi eſtre va lumiere, & ployer ſes eſpaules ſous yn G peſant &
riable en façon quelconque : car de vouloir de exceflif fardeau ,ainſi qu'Atlas ſous le ſouſtene
main vne choſe qu'elle n'auroit point voulu au ment & appuy du ciel ; lice n'eſtoit l'ayde d'Her
iourd’huy ,cela ne ſe peut dire variation en ſa ſub cule , à ſçauoir la foy. Et de fait nous auons bien
ſtance :mais ce qui nous pourroit abuſer en cét meilleur compte de croire la creation du monde,
endroit eſt, qu'encore que la volonté qui eſt en d'où dependent les principaux points de noſtre
nous, & celle d'vne ſubſtance ſeparée ſoient bien Religion, que de la remettre aux Ariſtote & ſes
differentes , & qu'il n'y ait aucune ſimilitude en ſectateurs à vnc eternité infinie, qui nous ame
tr'elles , ne conformité , on ne laiſſe ncantmoins neroit trop de confuſions & perplexitez en noſtre
de les appeller d'vn mefme nom . IL Y EN A ame ; voire meſme des impictez iuſques preſqu'à
d'autres quiadmettent bien que Dieu eſt le Crca l'abnegation d'vn Createur.
teur du monde : mais au reſte qu'ill'a efté de toute Or voicy quelques raiſons des plus appa
eternité comme il eſt : & ce qui nous fait mettre rentes qu'alleguent ceux qui ſe veulent retenir à
ceſte creation à certain limite , c'eſt parce qu'il la creation de cet Vniuers en vn point de temps ,
faut de neceſſité pour noſtre regard ſuppoſer, lequel a eu commencement auec luy . En pre
parce que nous ne le pouuons comprendre autre mier lieu que ce qui ſe void és parties doit eſtre
ment,qu'en tout ouurage , il faut que l'ouurier en tout de meſme en leur tout. Pour exemple , on
ordre de temps le precede ; & pourtant cela infere ſçait bien que le corps de Samſon n'a pas touſ
quelque priuation : & que l'ouurier ait eſté pre iours eſté tel qu'apres le dernier & parfait ac
micrement en puiſſance que de ſortir en action ce compliſſement d'iceluy; ains du commencement
qui aduient lors qu'il commence ſa beſogne : eſt venu de la ſemence de ſes pere & mere , qui

maisn'y ayant au Createur ny priuation ny rien ' s'eſt muée de diſpoſition en diſpoſition iuſques à
en puiſſance , il ne ſçauroit eſtre par conſequent ce qu'il ait atteint ſon dernier final but i mais
deuant ſon ouurage , ains a eſté de toute eternité ces changemens & alterations ne ſe ſont pas af
touſiours en continuelle action . Et tout ainſi que fectuées d'elles -melines , ains ont eu beſoin d'un
ſa ſubſtance eſt ſeparée de la noſtre en tout ex moteur extrinſeque , & d'vn ouurier pour façon
tremité qui peut eſtre de ſeparation , ainſi eſt la ner ceſte ſemence , ainſi qu'vne primeraine ina
comparaiſon de ſon ouurage pour ſon regard ſe tiere : le ſemblable eſt - il d'un arbre , & de tous
parée de la comparaiſon de nos actionis pour le les autres compoſez & mixtes elementaires : Par
noſtre. quoy telle doit auſſi auoir eſté la facture du mon
Or en toutes ces diuerfitez de diſcours ſi mal de , dont l'homme eſt comme vn petit exemplaire
aiſez à conceuoir , & fi incertains comme en vne & modelle. Mais la conſequence n'eſt pas trop
choſe tant elloignée de nos ſentimens, que de bonne, d'eſtimerque tout ce qui ſe trouue en vn
rien ſe foit peu faire vne telle malfe comme eſt le corps doiue conuenir & quadrer à tous autres.
monde: & que Dieu qui eſt le principal ESTANT , SECONDEMENT que de la production des
voire qui donne & effargiſt l'Éttre à toutes ſortes particuliers indiuidus le tire vne preuue, que le
de creatures, cuſt ainſi d'vne ſi longue Eternité monde en fon' vniuerfalité doit auoir eſté creé ; &
demeuré en rien fors en ſoy -meſme, qui de vray ce en ceſte maniere. On ne peut nier que loſeph
cſt tout, & ſi n'eſt rien , pour noſtre regard & con n'ait eſté apres n'auoir encore eſté. S'il eſt ainſiy
ception qui ne le peut apprehender , comme nous il faut qu'il aiteſté precedé de ſon pere lacob , &
auons dit cy - deſſus de l'authorité des Cabaliſtes, Iacob tout de meſme d'Iſaac , Ifaac d'Abraham ,
noſtre creance, & celle des luifs, & des Mahome, Abrahá deTharé, cettuy.cy deNachor,& ainſien
ons re
198 Illuſtrati ſur l'Hiſtoi 199
retrogradant iuſqu'en infiny. Mais de conſtituer argument qu'ils tiennent le plus fort de tous , &
vn infiny c'eſt choſe abſurde, parce qu'on peut preſque comme demonſtratif, ils mettent trois
voir par demonſtration qu'il eſt impoſſible d'affie ſuppoſitions neceſſaires, mais qu'on pourroit im
gner nombre ny magnitude qui ſoient infinis, pugner auſſi. La premiere que c'eſt choſe abſurde
d'autant qu'on y peut touſiours adiouſter & ac demettreyne ſucceſſion infinie. La ſeconde , que
croiſtre . Et ainſi va l'ordre d'vne naturelle ſub tout accident eſt nouueau ‫ ;ز‬à quoy contredit Ari
ſtance , où l'impoſſibilité d'vn infiny reellement ftote, quitient le mouuement circulaire n'eſtreny
& en acte aſſez conneuë : trop bien la peut - on generable , ne corruptible ; & par conſequent le
preſuppoſer en puiſſance ,ou ſelon l'accident tout mobile où eſt ce mouuement introduit , ne ſera ne
ainſi que la diuiſion d'une magnitude en infinies generable, ne corruptible. La troiſieſme , qu'il
parties par puiſſance : & du temps de ineſme :mais n'y a rien qui ne conſiſte de ſubſtance & accident ;
non pas que l'eſtenduë pour cela, ny d'vne ma leſquels ne peuuenteſtre l’yn ſans l'autre : Cequi
gnitude, ny d'vn nombre en ſuitte defieclesquels pourroit conuenir de vray à vne ſubſtance ſepa
ques immenſe . qu'ils puiſſent eſtre , ſoit actuelle rée ; & aux accidents qui y ſont :mais c'eſt un
ment infinie . Le ſemblable eſt de l'accident
par corps compoſéde matiere & de forme, il faudroit
vne continuelle ſucceſſion de quelque choſe qui prouuer que la premiere forme, & premiere ma
s'introduit en la place d'un autre par la priuation tiere ſont generables & corruptibles , ce que nie
d'icelle ; & celle- là par vne ſuccedente ; & ainſi pareillement Ariſtote.
imaginairement iuſques en infiny. Si donc l'in QVINTEMENT , qu'à prendre lemonde en
finy actuellement & ſubſtantiellement ne peut ſon vniuerſalité , & en ſes parties, tant en la fi
eftreen l'exemple cy -deſſusamené, quand on aura gure, quantité,couleur , temps , & lieu , & autres
rebrouſſé chemin iuſques à Adam , ſe preſentera accidents séblables,il n'eſt pas impoſſible qu'il ne
lors yne queſtion, dequoy eſt prouenu Adam qui fuſt moindre ou plus grand , ou d'une autre forme
n'a point de pere n’ymere ? à quoy on reſpondra, qu'il n'eſt:ne qu'il n'ait eſté plustoft ou plus tard ,
de poudre: & ceſte poudre dequoy ? d'eau. Si l'on ou en autre lieu & aſſiette. Orde le voir determi
paſſe encore plus outre; & dequoy ceſte cau ? on né ainſi de ceſte grandeur & figure, ila cu beſoin
dira qu'il n'eſt paspoflible d'aller iuſques en l'in d'vn determinateur pour le faire tel: dont il s'en.
finy : & qu'il ſuffit d'eſtre arriué à vne exiſtence ſuit qu'il a eſté creé à temps;Car il n'importe rien
de choſes apres vne abſoluë & totale priuation : au reſte , qu'on die determinateur , cuurier , fa
au moyen dequoy le monde aura aulli eſté fait ateur, renouateur, appropriateur , createur:parce
apres yne vraye & parfaite priuation. que tous ces mots là reuiennent à yn . Et de fait il
TIERCEMENT on argue ainſi ; que les ſub n'eſt pas neceſſairedetoute neceſſité vrgente que
ſtances ou ſont jointes à la matiere , ou ſont ſepa la terre ait eſté deſſous l'eau , & non deſus : mais
rées ; & peut eſtre que quelques-vnes ſont par fois puis qu'ainſi cſt, qui eſt - ce qui luy a determiné ce
conjoindes, & par fois ſeparées : Car fi leur na lieu -là pluſtoſt qu'vn autre ? Ny que le Soleil aic'
turelle & quidditatiue diſpoſition eſtoit d'eſtre eſté pluſtoſt rond quecarré ou triangulaire :Pour
ſeparées tant ſeulement , il s'enſuiuroit que ia autant que la raiſon comparable de toutes ſortes
mais elles ne ſe conjoindroient ; ou ſi tant ſeule de figures aux corps qui en font figurez, eft vne
ment conjoinctes, iamais elles ne ſe ſepareroient : meſme. Qui eſt-ce doncquesqui aura arreſté ceſte
de maniere que leur conjonction , & ſegregation fi exacte rotondiţé au Soleil ? Et pareillement que
ne ſont point de neceſſité l'vne plusque l'autre : les fleurs qui prouiennent toutes d'vne meſme
Parquoy puis qu'elles peuuent eſtre tantoft con terre , & d'vne meſme eau , ſoient neantmoins ſi
joinctes, & tantoſt ſeparées,lesaucuns en diuer differentes en figure , couleur,odeur,faueur,pro

ſes ſortes, il s'enſuit qu'elles ont beſoin d'ynag- prietez, & effets ? Ce qui ne peut eſtre fans vn
gregateur qui les conjoingneen leur compoſé , & ouurier qui les ait voulu diuerfifier en la ſorte,
d'vn ſeparateur qui les deuiſe en leur diuiſé.Dont tout ainſi que quelque imagier ou ſculpteur , qui
ils inferent la creation du monde par la meſme d'un meſme bois , pierre ,metal , & femblables
voye. Mais ceux - là baſtillent ſur le fondement cftoffes feroit de differents ouurages : lequel ou

qu'eux - meſmes ont poſé pour maxime ; laquelle urier ne peut eſtre autre que le createur, qui ne ſe
eftant contredite & deniée , tout le reſte de leur peut ainſiappeller , que pour le regard des choſes
induction yientà ſe renuerſer. QVARTEMENT, qu'il a creées.
que tout le monde eſt compoſé de ſubſtance & EN SIXIE SME LIEV , qu'il a eſtépoſſible
d'accident ; car il n'y a point de ſubſtance ſans ſelon que tout entendement humain le peut con
quelque accident, ou pluſieurs. Or tous les acci ceuoir , le monde eſtre , ou non eſtre, dont l'vne
dents font nouucaux , & non eternels : s'enfuit luy eſt pas plus proche que l'autre , à ſçauoir
doncques que la ſubſtance ſera ſujette & expoſée pluftoft l'exiſtence que la priuation . Orfila poſ
au temps , qui eft yn accident , & partant nouuel libilité de ces deux a eſté eſgale , s'enſuit de là ,
le : car tout cequi ſe vient joindre & annexer à ce que puis qu'il eſt , l'exiſtence a preualu ſur la pri
qui eſt innoué , ne peut euiter qu'il ne s'innouc uation : & que ce choix ait eſté par deuers ſon
quant & quant : Que ſi ainſi eſt , le monde en ſon facteur , qui ne le pourroit auoir eu en fon arbitre
vniuerſalité ſera nouueau , c'eſt à dire aura eu yn & diſcretion file monde eụſt couſiours efté. Mais
commencement . Surquoy ſi quelqu’ýn vouloit il y peut auoir pluſieurs contradictions en cela : &
alleguer que la ſubſtance n'eſt pas nouuelle , mais entre autres que ce choix & determinacion ne
ſeulement les accidents qui ſe renouuellent ſuc peut eſcheoir qu'à vn ESTANT ſuſceptible de
celliuement l'vn de l'autre iuſques en l'infiny , il variation .
s'enſuiuroit ſelon leur dire qu'il y cuſt infinies re FINALEMENT la ſepticſme preuue de la
nouations ; ce qui ne peut etre ſuiuant leurs ma creation du monde eſt eſtablie ſur ce enquoy les
ximes propres . Dauantages pour confirmer cét Philoſophes conuiennent tous preſque de la
permanence
200 de Chalcondile. 201

permanence des amcs. Car fi le monde eſt eter il n'y pouuoit point auoir d'ordre & ſuitte de
nel,il s'enſuiuroit qu'il y a eu vne infinité d'hom temps , veu que le temps vint auec le monde ) il
mes morts , & par conlequent yne infinité auſſi trauerſe & embroüille tout cela d’yne eſtrange
d'ames , puis qu'elles ne periſſent pas quant & bizarrerie ; non ſi ignoramment toutesfois qu'on
lay. Mais il ne ſe peut donner de nombre infiny pourroit penſer,ainsauec yne tres -grande malice
non plus que de magnitude infinic : Parquoy le & cautelle ; ayant emprunté quaſi le tout des tra
monde ne peut auoir eſté de toute cternité pre ditions des Cabaliſtes, & du Talmud , mal de luy
cedente . Toutesfois cecy tient plus du ſubtil priſes & entenduës , comme nous en cotterons
que du ſolide, de vouloir ainſi expliquer vne icy la pluſpart, pour traſſer un chemin aux autres
choſe inconneuë par vne moins claire ; car cela de pourſuiure le reſte ſur ces meſmes erres .
ne pourroit auoir lieu enuers ceux qui voudroient
IL DII doncques que Dieu à creé le ciel de
nici l'immortalité des ames ; ny à l'endroit des
fumée & vapeur s'exhalant de la terre ; auquel
autres non plus "qui admettans leur permanence il a aſſis ſon throne : & la terre d'vne poudre de
veulent qu'elles ſe reuniſſent à leur grand tout : toutes couleurs , ce qui cauſe la difference detant
car ce qui demeure ( diront-ils ) de permanentde
de choſes qu'elle produit ; eſtablic au reſte ſur
Iean ou Pierre apres leur mort , ſe va vnir ay
la poincte de la corne d'vn bæuf, dont procede
meſme permanent qui demeure apres celle d’An
les tremblemens d'icelle quand il ſe remeuë.
dré ou Philippes : & par ainſi ne ſeroit en nombre
( Les Poëtes Grecs feignent le meſme du Geant Tin
qu'vn tant ſeulement , d'autant qu'elles n'ont phon , que les Cabaliſtes nomment Zamael . ) il forma
point de beſoin d'aucun licu qu'elles puiſſent oc
pareillement ( ce dit- il) le premier pere de tous
cuper & remplir. Parquoy il ne faut pas conſiderer les viuans , Adam , de la meſmepoudre. ( Cela eſt
ceſte multiplication infinie en des Eſſences lepa ſelon la verité Hebraique en Geneſe 2. ET LE SEI
sées , qui ne ſontny corps , ny vertus & facultez GNE V R DIE V CREA L'HOMME POV
logées en aucun corps ,comme en des choſes qui
DRE DE TERRE ) de diuerſes couleurs , qui
font cauſe fucceffiuement les vnes des autres . Mais
font les diſſemblance des perſonnes; laquelle pou
il ſe trouuera bien auſſi des abſurditez en l'eterni .
dre eſtoit de limon , le limon d'eſcume; l'eſcume
té du monde : meſmement qu'il s'enſuiuroit de là des flots, les flots de la mer , la mer des tenebres,
qu'vn infiny fuſt plus grand ou moindre qu'vnau les tenebres de la lumiere , la lumiere de la parole ,
tre infiny :Car imaginez tel nombre pour le plus la parole de la penſée , la penſée du Rubiz , le
infiny qui vous puiſſctomber en l'entendement, Rubiz du commandement. ( Ceſte gradation eſt au
rebrouſſant chemin en arriere ſur le pallé: s'il eſt cunement reniarquable en quelquesparties. )Puis Dieu
loiſible d'employer ce mot de nombre qui eſt ie ne l'anima , luy ſoufflant de ſon haleine en la face .
ſçay quoy de determiné à yne infinitude indeter
( Moyſe en Geneſe 2. appelle ceſte haleine ou fosfjlement Azoare
minée excedant tout le nombre quel qu'il puiſſe
NISCHMATH HALIM , inſpiration de vies , le- 48.
cftre ; encore n’aura - il point de comparaiſon quel mot conuient proprement à la creature raiſonnable,
auec l'infiny qui l'aura precedé : ny ceſtuy - cy & non aux autres animaux:carilimporte ie ne ſçayquoy
non plus à vn autre d'auparauant; parce que cela de diuin celeſte ſelon Abraham Aben Ezra ſur le ſe
s'eſtend & reculle touſiours ſans aucune fin limi prieſme dumeſme liure : TOVT MOVRVICE QUI
tée. Car retranchez de ceſte infinitude cent mil SVR LA TERRE A VOIT EN SES NAZEAVX
lions de millions de millions de fiecles , ce ne ſera SO VFFLEMENT DE L'ESPRIT DE VIE :
toutesfois rien r’accourcir de ce qui reſte du pa : LesGrecs l'appellent viš , les Latins MENS , l'intellect
renſus : Qui ſera fans comparaiſon trop plus &ſuperieure portion de l'ame humaine : Ce qu'Hefiode a
grand:tellementqu'il n'y peut pointauoir de pro voulu repreſenter en la fable de Promethée, de ſa Pan .
portion. Le ſemblable aduiendroit encore pour le dore, qu'il anima du feu celeſte par luy dérobé. Dicu
mouuement circulaire des cieux , dont il y auroit puis apres bailla ce premier hommeAdam ,en gar
plus d'infinies reuolutions que celles qui ſeroient de à deux Anges , qui auec leurs langues , la ſaliue
meſmes infinies ; & ésautres accidents finguliers leur feruant d'ancre , eſcriuent ſur les eſpaules de
encore. Mais tout cela n'eſt qu'vne conſideration tous les humains, l'on le bien , l'autre le mal , leurs
mentale, comme le déduit bien au long le Philo Quures & deſtinées. De là il forma Eue de l'vne
fophe Albumazar au liure des Eſſences tranſmu . des coſtes d'Adam ,priſe du cofté gauche, d'autant Azoare
tatoires : Parquoy il vaut mieux remettre ce point que ſi c'euft efté du droit elle euſt eu la force de 25.
icy de la creation du monde à vne ſimplicité de l'homme . Il crea auſſi les Anges & les Demons ;
creance , que de ſe perdre & abyſiner dans vn ob ceux - là de la ſubſtance du ciel , & ceux -cy d'yn

fcur goulphre de ratiocinations ſophiſtiques. feu mortel , & peftifere : auſquels Dieu ayant
Toutes leſquelles choſes , neantmoins la plupart commandé de s'humilier deuant Adam , & de l'a
Azoart
tirées & extraictes du Moré Neuochim de Rabi dorer, la plusgrande party obeït fors Beelzebuch , 2. 17.28
Moyſe Egyptien , nous auons bien voulu appli autrement Sathan , & ſes complices , alleguans 27.47
quer icy ,tant pour ce qu'elles n'y viennent pas qu'ils auoient eſté formez d'vne plus parfaicte
mal à propos, qu'aulli comme pour vne monftre ſubſtance,à ſçauoir de feu , & Adam de pouldre:
& eſchantillon que noſtre langue eſt ſuſceptible Parquoy ils furent maudits de Dieu , & precipi
de toutes ſortes de doctrines qui ſe peuuent tres tez aux Enfers. ( Cory eſt pris de mot à mot des Com
proprement traicter en elle . mentaires de Rabi Moyſe Hadarſan , ſur le cinquief
MAIS pour reuenir à noſtre propos , que me chapitre de Geneſe , où il cite Rabi Iehoſue fils de
Mahomet ait tenu le monde auoir erté creé au Leui . Que Dieu ayant formé Adam appella tous les
meſme temps , & de la meline forte que tiennent Anges , leur dit : Humiliez vous deuant cet homme,
les Iuifs, & nous auec eux ( entendez ce temps & luy Soyez obeyſans: à quoy la plıſpart ſatisfit , &
pour le regard des années qui ſont coulées dc Se profternerent à luy ſuiuant la volonté de Dieu . Mais
puis , car auparauant, & à l'inſtant de la crcation , Sathan , à ſçauoir Lucifer le plus excellent d'entr'eux ,
i inj

)
1
202 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
203
auec ſa ſequelle fait reſponſe à Dieu , es va dire , sono CHISSE AV NOM DE IESVS , DES CREA
uerain Seigneur du monde , tu nous as créez de la clarté TVRES QUI SONT AV CIEL , EN LA TER
de ta gloire ,& maintenant tu nous commande de nous RB , ET LA BAS ES ENFER S. Au regard des
incliner deuant ceftuy -cy lequel tu as formé de terre. corps dont parle Origene , Saint Auguſtinen foninterpre
Alors Dieu tres-faint & benit luy replique : En cét tation ſurGeneſe met qu'on appelle les Demons animaux
homme icy nonobſtant qu'il ait eſté forméde poudre ter aërez , oignées, parce qu'ils ont un corps de nature,
reſtre jy a neantmoinsplus de ſapience & d'entendement d'air quine ſerefoult pointparla mort , comme ceux qui
que non pas en toy. Mais voyant que pour tout cela Sa Sont faits de terre , parquoy leleur eſt plus propre à agir
than ny ſes ſectateurs ne vouloient flefcbir , ny rendre qu'à patir. Et de fait tous les Anges en leur premiere
obeyifance à Adam , il le chala du ciel , & futfait creation eurent des corps formez de la pure & ſupréme
diable. C'eſtpourquoy Eſaye a dit au quatorzieſme cha region de l'air : leſquels furent confirmez aux bons : doo
ES
pitre. COMMENT EST - CE QVE TV changez aux mauuais apres leur preuarication, en vne
TRES BVCHÉ DU CIEL LUCIFER , QUI qualitéplus groſiere & materielle :fi qu'ilspeuuenteſtre
AV MATIN I'Y SOV LOIS LEVER ! A cela tourmentezpar le feu. A laquelle opinion adhere le grand
außi ſe rapporte , ce que cite l’Apoſtre aux Hebrieux Baſile , & Gregoire Nazianzene. Orphée außi les aßi
Pleaum , chapitre premier. ET ADORANT EVM OMNES gne des corps elementaires , mais non eſgaux & ſembla
A NGELI DEI : mais r'eſt du ſecond Adam , le ce sles à tous,ains de pluſieurs differens degrez. Et Virgile
lefte noſtre Redempteur. Les Anges au reſte portans envie au 6. de l'Eneide, vne crainte meſme des coups d'efpées,
à l'homme pour voir en luy vne plus expreſſe image de & autres ferremens.
Dies que non pas en eux , ils conceurent de là leur enuie ( LE DIAB L E doncques par deſpit d'auoir eſté Azoare
à l'encontre de lay, dont s'en enſuiuit la mort , comme ainſi banny de la gloire deſon Createur pour rai- 1 .
il eſt dit au deuxieſme de la Sapience : D1E V A ſon d’Adam , le vint ſeduireauec ſa femme, & leur
CREÉ L'HOMME INEXTERMINABLE, ET fit tranſgreſſer la defence que Dieu leur auoit
L'A FAIT A L'IMAGE DE SA SE MBL A N faicte de manger de l'arbre a eux prohibé ; les
CE : MAIS PAR L'ENVIE DV DIABLE LA Glófſateurs Mahometiſtes l'appellent Loba , l'ar
MORT EST ENTREE EN TOVTE LA TER
bre de la trompette , dont les grains à leur dire
RI . Cequi eſtplus à plein traicté an douziaſme de l'A eſtoient ſemblables à ceux du froment : Adam
pocalypſe, du dragon quiefpioit la femmeenceinte pour
en prit vn eſpy, ayant ſept grains , trois deſquels
deuorer ſon enfant,Surquoy interuint un gros combat de il mangea ; trois autres il donna d Eue , & du ſep
l'Archange Michel, & des fiens,contre luy quifutietré
tieſmequi eſtoit plus grand qu'vn aigneau , il en
en terre , ſes adherans avec luy. Et à ce propos Saint fit ſix cens parcelles, qu'ayant ſemées,en prouin
Bernard ſur ce lieu du premier de Ionas : PROPTER
drent toutes ſortes de grains & ſemences. ( Sur ce
ME TEMPESTAS . HÆC GRANDIS VENIT
SVPER vos , Interprete ceſte tourmente pour la diſ propos Rabi Moyſe Egyptien liure deuxieſme chapitre 3.
de ſon MORE',met qu'un de leurs Docteurs a eſcrit,
Sention des Anges & d' Adam : ceux - là pource qu'ils ne
que le Demon quitenta Eue ſe nommoit Z AMA EL :
vorloient le reconnoiſtre pour Seigneur : & ceftuy-cy
auquel mot il y a certaine proprieté latente , comme en
pource qu'à leur ſuggeſtion il voulut imiter le Meßie à
Nah : Moyſe appelle ainſi leſerpent,grand à pair d'un
taſter de l'arbre de ſcience de bien de mal : Ce qui
chameau , & preſque de la façon :Surlequel eſtoit monté
eſtoit referué audit Meßie ſuiuant ce qui eſt dit en Iſaye
V T Zamael: Tout ain ' que long -temps apres quand il vou
7. B VTYR VM ET MEL COMED ET
tut deſtourner Abraham de Sacrifier ſon fils Ifanc ſui
SCIAT REPROBAR E MALVM , ET ÉLI
uant le commandement de Dieu : lequel voyant venir le
GERE BON V M.
diable ainſi monté & equippé ſur ce ſerpentin dromadai
Or ceſte cheute de Lucifer, de ſes adherans n'a pas ve pourſeduire Eue ; ne ſe peut empeſcher de rire : le
en tant ſeulementlieu enuers les Juifs , les Chreſtiens, como laiſſa faire pour voir comme ils luy voudroient obeyr.
les Mahometiſtes,mais les Gentils außi idolatres, Mais il ne s'adreſa pas à Adam , craignant de le trouuer
Chaldees , Egyptiens, Grecs , Arabes: meſme Phere plus conſtant que ſa femme: qui ſuiuant la legeretédere
cide de l'Iſle de Scyros l'un des Procepteurs de Pythagore ſexeſelaiſſa ſeduire : & tout dece pas s'en alla peruertir
la deſcrit ſousle nom du malin eſprit qu'il appelle ogos son mary: dont vint depuis la grande inimitié entre la
ferpens , lequel fut chefdela ligue des Demons rebelles ; Semence de la femme , & celle du maudit ſerpent : où il
commefait außiMercure Triſmegiſte en fon Pymandre: ja vne relation reciproque : & ſemblablementdela teſte
Hopiere ſous le nom d'Até ou Nuiſance , qu'il feint qu'elle luy doit briſer , auec le talon d'elle qu'il va guet
auoir efté precipitée du ciel par les Dieux , comme furent tant. Toutes ces choſes met ce Rabi apres les autres , les
lesmalinseſprits,ce dit Empedocle en Plutarque au trai ayant bien voulu inſerer icy pour monſtrer les badinerics
Eté de l'uſure, & ce dedans la mer , qui les reietta ſur des Talmudiſtes, ſi on les veut prendre cruëmentà la let
la terre ; & la terre les fit bondir au Soleil , qui les ren tre , & non ſelon le ſensallegorique,ol Mahomet a peſché
noya derechef au Ciel. Ce qui bat für ce reſtabliſſement la plupart de ſes refueries & impietez ,
des Demons qu'a voulu toucher Mahoniet apres quel IL AD ME T yn Paradis pour la recompenſe Azoare
ques Chreſtiens non de petite authorité , comme Origene, des bons , & fideles, & vn Enfer pour la punition 19 ..
ſi au moins cela eſtdeluy , & non choſe à luy ſuppoſee: des incredules & peruers : l'vn & l'autre departy 25. &
lequel tient que les Demons , qui de leur propre motif com en ſept pourpris , cloftures, & portes. Et conſe 27 .
arbitre à l'inſtigation de leur chef, ſe departirent du ſer quemment la fin de ce ſiecle ; & la reſurrection
uice & obeyſance de leur Createur , s'ils ſe veulent tant de la chair ; mais le tout ſi corrompu & empoi- 23.64 .
Soit peu reconnoiſtre , ſeront veftus de chair humaine , où ſonné d'infinies fables & impietez : meſmement
ayans fait leur penitence apres la reſurrection generale que toute la beatitude de ſon Paradis ne conſiſte
par la meſme adreſſe qu'ils ſont arrivez à la chair , ils qu'en voluptez & delices charnelles . Par les bons
ſeront reſtituez commeauparauant,à la viſion de Dieu ; & fideles qu'ils appellent Muſſulmans, il entend
& deliurez meſmes de leurs corps ætherées du aëriens; ceux qui auront creu en la doctrine, de n'adorer
:
Philippi afin que puiſſe eftre accomply ce que dit l'Apoftre: fors vn ſeul Dieu , lequel n'a point de compagnon
TOVI GENOVIL S & COORBE AT FLE ny de coëgal : qui auront exercé les æuures de
charité,
1

1
de Chalcondile . 205
204

Parties charité, & miſericorde : & fait des aumoſnes ſelon enfer , ou enlafoſſe ,qui eſt -ce qui te reconnoiſtra. La
que doi . les facultez & moyens qui leur ſont elargis en ce troiſieſme Maneth , la mort , la meſme , car en la mort il
uent
monde : bien gouuesné & entretenu leur famille, n'y a perſonne qui ſe ſouuienne de toy. La quatrieſme,
auoir les
vrays fi. fubuenu aux orphelins, viſité les malades : & au Zal Maneth au 22. Siie chemine au milieu de l'ombre de
deles ſurplus eſté ſoigneux de faire les Azzala ou prie la mort. La cinquieſme,Dimiah , ſilence , an 113. Ny tous
Maho res , cinq ou ſeptfois le iour , aux heures determi ceux qui deſcendent au Dimiah vulgairement enfer. L'a
mctans , nées, auec les ablutions requiſes : qui n'auront fixieſme Abadon extermination,perdition,mort & ruine,
vendu qu'à bon poids & loyale meſure : payeront au 9. de l'Apocalypſe ,ils auoient ſur eux le Roy de l’abysa
ſyncerement & de bonne foy les Alzaches, ou de me nommé en Hebrieu Abadon . La ſoptieſme,Gheonam ,
cimes au Prophete ( luy à ſçauoir) & à ſes mini le val de pleurs & lamentations Pleas. 58 ,
ſtres : pardonneront les vieilles offences & iniu Svit en apres de Mahomet . Au milieu de ce
res à eux faictes, ſans en reſeruer rancune quel Paradis il y a yn arbreque Moyſe appelle l'arbre
conque , ny reſouuenir de vengeance. Qui auront de vie, & les Mahometiſtes de Toba ou de la trom
creu fermement au Prophete, & combattu de bon pette , dont les branches s’eſpandent de tous co
courage pour le maintenement de la foy contra ſtez iuſques ſur les murailles du Paradis , & leur
leurs aduerſaires & meſcreans. Qui ſeront linn font ombrage , les fueilles duquel ſontmy-parties
ples à croire, & non arrogans ny contumaces & d'or & d'argent , & en chacune eſt eſcrit le nom
refractaires, ou curieux de rechercher autre ve de Dieu , auce celuy de ſon meſſager A HMAT .
rité que la ſienne. Qui requierent humblement Moyſe Egyptien liu . 2. chap . 31. met apres quelques au
pardon à Dieu de leurs fautes , lequel eſt tout pi tres precedents Rabins , que la grandeur de cet arbre eſtoit
toyable & miſericordieux : & fait croire & der autant qu'on pourroit ihemineren cinquante ass : à ſça
croire comme il luy plaiſt ceux qui bon luy ſem uoir la longueur de ſa tige ,fielle eſtoit couchée par terre,
ble , & qu'il a predeſtinez à falut : Auec infinies Sans y comprendre le branchage : ( que toutes les efpeces
telles autres choſes, partie tirées de la loy de natu des vegetaux furent premierement contenuës en iceluy,
re , partie de la Iudaïque,& Chreſtienne: le bien lequel Dieu ne manifeſta oncques puis , ny ne manifeftera
touſiours entrelaſſé parmy le mal pour ſeruir d'a- à perſonne.
morce & apaſt aux impietez cachées delſous le Il y a auſſi deux fontaines, l'vne appellée Cel
zebita , & l'autre Zengebila , dont l'eau eſt plus
maſque de ces bonnes æuures, qu’à tous propos il
a en la bouche , ſans aucune diſtinction de loy ny blanche que neige , & plus douce quę miel, & vne
de religion. Car il aduoüc que tous les biens vi tierce encore plus ſinguliere ditte Alcanzar, con 1
tenant l'eſpace de ſoixante dix mille iournées de
uans, ſoient luifs ,ſoientChreſtiens,oui qui ayans
long , & de large , où il y a autant de couppes &
laiſſé leur loy pour en prendre une autre , & en
ſomine tous ceux qui adoreront vn ſeul Dicu , & de vaſes pour boire, que d'eſtoilles au ciel . Dans
exerceront les æuures de miſericorde , indubita ceſte fontaine Mahomet en la generale redem
blement obtiendront l'amour, & la grace de Dieu . ption doit lauer ſes Muſulmans ou fideles , qui
Le Para- Mais ſon Paradis eit du tout confiten delices & pour n'auoir ſi bien obſerué ſa loy en ce monde
dis de voluptez , voire telles que les plus deſbordées con qu'ils deuoient, ny veſcuen gens de bien , auroient
Maho.
met cupiſcences auroient preſque honte de les imagi merité les peines d'enfer dont ils ſortiront plus
Azoare ner en leurs plus ſecrets & intimes ſouhaits.Et en noirs qu'vn charbon eſteint,mais apres qu'ils au- Apoca
ront eſté lauez en ceſte cau , de laquelle Mahomet lypſe 21.
premier lieu il le limite en la grandeur, telle que leur doit quant & quant donner àboire de ſa pro - ray à ce
SI Ies cieux & la tefre enſemble, c'eſt à dire,ce mon
de ſenſible & concaue contenu ſous la voûte des pre main , & leur faire vn banquet ſolennel, ia- luy qui
cieux , y ayant au reſte ſept pourpris & eſtages,le mais ils ne ſentiront plus faim ne ſoif, comme il aura forf,
de lafin
cft dit au liure de la Zune, & en celuy des fleurs, & taine de
tout enrichy, diaſpré, & elabouré d'or, d'argent,
dcuiendront lors blancs comme neige. Puis ſe- lease de
pierreries,marbres,porphyres, ſerpentins, ialpes;
ront colloquez en Paradis au meſme rang que les vie pour
&c . dont ſont edifiez les beaux & Tomptueux Pa
laisgarnis demeublestres-riches & precieux , lits, autres qui n'ont point merité de peine, outre- plus neams.
los vns & les autres ſeront reduits à yne meſme Plus au
65. & tapifferies d'or , d'argent , pourpre & ſoye , le
corpulence, ſemblable à celle d'Adam, & leur face 22.
tout accompagné de plaiſans & delicieux parcs, Azoare
jardinages & vergers, pleins de toutes ſortes de belle & refplendiſſante comme le Soleil. Cecy a
quelque affinité auec ce que noſtre eſcriture tient des
fleurs & de fruits trop plus ſauoureux que l'on ne deux Adams, & des deux loix , dont le terreſtre repre
fçauroit deſirer , & arrouſez d'infinis ruiſeaux
coulans doucemens de fontaines & fources d'eaux ſente lecorps , & le celeſte l'eſprit , parla face qui eſt la
viues , & de lait , miel , & vins de toutes les plus plus digne partie de l’honime,& quetousanimaux redou ,
tent ,pourle carattere de la Diuinité qui y eſt empraint.
delicates ſortes qu'on ſçauroit defirer. Mahomet
conſtituëſepteſtages , de Paradis , autantde l'enfer, En la 65. Azoare il conftituë deux Paradis :
le tout à l'imitation de Rabi Simeon de Iohahi en ſon qui cheminera ( dit - il ) en la crainte de Dieu il
Zoar , où il dit que fiiuunt le nombre ſeprenaire des pei obtiendra deux Paradis pour ſon heritage , tres.
nes & tourmensinfernalx , il y a de meſme Sept habitae fertiles & accommodez de toutes manieres de
clesau Paradis de delices, ca au ciel des bien -heureux ,o biens , & arroſez de belles fontaines tres - pures,
la lumiere du Soleil luira ſept foisau double , comme dit là où il y aura de tous les fruits qu'on ſçauroit
Iſaye 30. A quoy ſerapportent les ſeptlampes ardantes deſirer. CELA ſignifie , dient leurs commentateurs
en l'Apocalypſe 4. qui font les ſept eſprits de Dieu . là deſſus, la double beatitudeque doiuent attendre ceux
Au regard des ſept manſions infernales, les Cabaliſtes qui craindront Dieu , & obferueront ſes commandemens
les tirentainſi tellement quellement par les cheueux des du corps à ſçauoir en ce monde icy , ſuivantce que Moyſe
paſſages de l'eſcriture. La premiere eft Beer ou Bor , le promet aux enfans d'Iſraël au Deuteronome 28. où il ne
puits,4u Pſeaume.68. que le puits ne ferme pointſa boute ' parle que de la felicité temporelle ,commes'il vouloit re
che ſur moy. La ſeconde Sheel, foſſe , Pféaume 6. En ſeruer la ſpirituelle & permanente à laloyde grace.Cequi
i iiij
206 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
207

monſtre que Mahomet s'eſt pluseſtudié qu'on nepenſe à cela aucune egeſtion , joint que ce ne ſera point
contrefaire le Iudaiſme , da Chriſtianiſme , vfant par par necelicé & beſoin de ſuſtentation qu'on re
tout d'allegoriese paraboles à l'imitation des Rabins. ceura ( dient - ils ) en Paradis toutes ſortes d'ali
Car au traieté de la doctrinedu Prophete fontconſtituez ments , horſmis ceux qui ſont prohibez en la loy,
deux fiecles de beatitude , le preſent e l'aduenir, dont ains tant ſeulement pour vn plaiſir & volupté,
Apocal. He s'en peut point donner de fimilitude,parce que les iours afin que le corps aye auſſi la part de la beatitude,
de fa durée ne ſontſouſmis à aucun nombre , uy les habi comme l'ame aura de la ſienne en la contempla
tans d'iceluy à la mort , maladies , angoiſſes , tribula tion de la gloire de Dieu : & à ceſte cauſe ils auront
tions , Hy autres accidents quelconques. Leſquels deux
pour les ſeruir de ieunes pages beaux en toute per
fiecles ſont repreſentez par les deux citez de Ierufalem ,
fection , parez au reſte tres-richement à guiſe de
dont celle d'embas eft appellée la ſaincte & benoiſte habi . pierres precieuſes enchaſſées en or deſſus leurs
tation ,parce qu'elle eſtſituéevis à vis de la Ieruſalem ce fucilles & leur teint , de fins brocadors , & ſoye
leſte : ce qui conuient auec le 21. de l'Apocalypſe , afin de verte , qui eſt vne couleur fort recommandée en
manifefter touſiours de plus en plus & conuaincre ſa frau uers tous les Mahometiſtes , ſi qu'il n'y a que les
de do deception .
Emirs , c'eſt à dire les parents du Prophete, & deſ
Les habitans au reſte de ſon imaginaire Pa
cendus de ſon lignage à qui il ſoit loiſible d'en
radis ſe pourront veſtir de toutes les couleurs
porter , principalement cn Turbans ou habille
que bon leur ſemblera fors de noir reſeruć pour
mens de teſte :& de là ils ont eſté ſurnommez les
luy ſeul afin de le pouuoir diſcerner des autres. filbaz teftes vertes,auſquels on porte vn fort grand
C'est l'occaſion pour laquelle les Turcs,& autres Ma honneur & reſpect.Les pages doncques dits Guil
/ 1
hometiſtes ne s'en habillent iamais gueres, Et à l'entrée demin Mohalledun , enfans d'honneur perpetuels,
dudit Paradis on leur donnera à tous à gouſter du
qui ne ſont pas de race humaine , ſont là en ce Pa
foye de certain poiſſon dit Alheüt, d'vne ſaueur
radis ordonnez pour le ſeruice des bons Muful
fi delicate , que nul sés humain ne ſçauroit arriuer
mans ou fideles Mahometiſtes , leſquels y ont d'a
à l'imaginer ne cóprendre, & puis v ſeront de tous
bondant pour leur volupté & vſage des femmes
les fruits, & des breuuages à leur appetit , car ce
belles par excellence , & touſiours vierges dittes
foyelà eſt ce quileur donne la ſaueur. CEC Y eſt
Hora , reſplandiſſantes à pair du Soleil, li que fi
forgé à l'imitation de ce qui eſtdit au Talmud ,du grand
quelqu'vne ſortoit dehors en plein minuit des
poiſſon Leuiathan , du beuf ſaunage , og de l'oiſeau .
plus obſcurs ,elle la rendroit plus lumineuſe qu'vn
Quant au poiſſon que lob au 3.6 40. appelle Leuiathan ,
clair iour d'Efté ( c'eſt le liure de la Zune qui dit
GlePfeau. 103.Dragon,Saint Thomas l'interprete pour cela ) & fi elle crachoit en la mer, l'eau ſoudain en
vre baleine à la lettre, & allegoriquement pour le diable,
deuiendroit plus douce que miel, les vierges là per
ſuivant Iſaye au 27. Leuiathan ſerpentem tortuoſum :
petuelles,tres-ſomptueuſement au reſte parées &
catum quiin mari eft. Que lob au 40. appelle außi du
atriffées ne ſont pas non plus de race humaine,
meſme nom de Leuiathan, comme le denote aſſez ce qu'il ains crées de toutes eternité en Idée , ainſi que ſe
dit , an extrahere poteris Leuiathan hamo , &c. Et là
lon aucuns ſont les ames raiſonnables là haut au
meſme il s'eſtend bien plus amplement ſur ce bæuf dit de
Ciel , dont elles ſe viennent de main en main cou
luy Behemoth , dont il en dit d'eſtranges choſes , & les
Rabins encore plus, que c'eſt un animal terreſtre de telle ler icy bas dans les corps : tout de meſme ces crea
tures ſe viendront à manifefter en yn incorrupti
grandeur qu'en vn iour il paiſtroit les herbages de mille
montagnes, & le lendemain ilsyrenaiſtroient commeau ble & immortel corps pour le plaiſir des Muſul
precedent : outre -plus qu'en la reſurrection generale mans , d'vne bien plus eſtrange façon encore . Car
Dieu le fera tuer pour en faire un banquet aux iuftes: quand le ſaint banquet appellé Hadrate alcoduz
paroù l'on peutvoir aſſez clairement l'affinité du Maho ſe fera en Paradis aux elleus, Dieu commandera à
metiſme auec les traditions Iudaiques. Saint Auguftin l’Ange Gabriel d'aller prendre les clefs d'iceluy
picaum , au 2. liure de la cité de Dieu , ſur l'aſſertion de Rau qui ſont entre les mains d'un autre Ange, lequel
89. 2. Kattina au Talmud , que fix mille ans doit durer le mon les tirera de la bouche en nombre de ſoixante dix
Can. de , chaſqueiour de la creation denotant un millier d'an . mille , chacune ayant ſept mille licuë's de long, &
laint nées ,ſelon que met le pſalmiſte, mille anni in conſpectu quand Gabriel viendra pour les auoir , il ne les
Pierre, 3. two fícuthefterna dies que preterit, & mille autres de pourra ſouflcuer pour leur peſanteur : Parquoy il
Apocal.
20. meureront pour le grand Sabbath & jour du Seigneur, s'en retournera vers Dieu , qui luy ordonnera de
n'eſtime pas que teſte opinion ſoitdu tout à reietter, ains proferer ſes paroles tant pratiquées parmy cux .
aucunement tolerable , ſi l'on vouloit interpreter les de LA HILAHE HILALLAH MEH E MET
lices & voluptez queles Rabins alleguent deuoir eſtre en RES V LALLA , TANGARI BIR BEREM
ce dernier iour de mille ans pour la beatitude fpiritaelle BERAC , Dieu eſt Dien , & Mahomet eſt le Prophete
que les bien -heureux peuaentpercenoir de la fruitiou de de Dieu , & le vray Meſſager d'iceluy. En vertu deſ
la gloire e preſence de Dieu ,e non pas pour un boire & quels mots il leuera les clefs, & en ira ouurir le
manger charnel,hors non ſeulementles bornes de la mo Genetu alcoduz le Paradis ſaint, qui eſt le fixieſme
deſtie,uins de touto veriſimilitude & creance.
pourpris & eſtage des ſept , où ſeront lors intro
Mais pource qu'il preuoyoit aſſez qu'on luy duits tous les elleus, qui trouueront la nappe mi
cuſt peu aiſément obiecter, que ſi ces repas ſe de ſe, auec des ſieges d'or & d'argent tout autour de
uoient entendre charnellement à la lettre : Que la table , d’yne ſeule piece de diamant , longue &
deuiendroient les excremens & ſuperfluitez de large de ſept cens mille iournées, eſtans allis à
ce boire & manger qu'il dit ſe deuoir conuertir banquetter viendront ſoudain les pages ſuſdits
en vne odeur plus Aagrante qu’ambre gris , ne 4 pour les ſeruir , & apres auoir bien repeu à leur
muſc, ſes interpretes taſchent de ſauver ceſte ab volonté , on leur viendra apporter de tres- ſom
ſurdité par yne ſimilitude des creatures eſtans au ptueux veftemens,auecinfinies bagues & ioyaux
ventre de la mere , où nonobſtant qu'elles reçoi pour s'en parer . Cela fait, quand ils ſeront bien
ucnt nourriſſement, ne rendent- elles pas pour equippez , les pages leur apporteront à chacun
dans
208 de Chalcondile . 209

dans vne taſſe d'or toute enrichie de pierrerie , vn liſmans à toutes ſortes de Mahometiſtes en leur
gros poncyre,queleMuſulman n'aura pas plustoſt grand Bayran ou Paſques, quand ils ſe reconci
Azoare flairé qu'il n'en forte vne icune pucelle d'vne lient les yns aux autres .
Il defcrit d'ailleurs yn enfer fort horrible &
47.& 54. trop exquiſe beauté,ayant les yeux grands com
me vn aufd’Auftruche,qu'elle ne icttera iamais eſpouuentable, & d'vnemaniere poëtique,com
finon fur celuy à qui elle ſera deſtinée , & lc vien me tout le reſte de ſon ouurage , preparée ( ce dit
dra embraſſer, & luy elle : & ainſi demeureront i ] ) pour ceux qui n'auront youlu croire en yn ſeul
en cét acte venerien cinquante ans,ſansſe ſeparer Dieu , & à ſon prophete , ny exercé les bonnes
ne difioindre , prenans enſemble tous les plaiſirs æuures par lay ordonnées en ſon Alchoran , ains
que la ſenſualité ſçauroit deſirer . Cela fait , cha auront eſté peruers , tortionnaires , & iniurieux
cun viendra auec ſa bien -aymée compagne , de enuers leur prochain , & idolatres pour le regard
uant le throſne du grand Dieu , qui oftera à cétin de leur Createur , lequel ils ont laiſſé de rcuerer
ftant le voile de deuant ſa face , dont fortira yne fi ſelon qu'illecommandoit , pour luy donner des
grande lumiere que tous tomberont en terre com compagnons, & ſe tranſporter apres yne plura
me tranſis , mais il les en releuera ſoudain : & le lité de Vieux qu'ils ſe forgent à leur appetit, tant
verront lors face à face : puis s'en iront és autres des creatures humaines , que des animaux meſ
cloftures de Paradis , chacun accompagné de ſa mes irraiſonnables , voire des choſes qui n'ont ne
vierge, & de ſes pages aux palais à eux ordonnez ; vie ne ſentiment : leſquels ont eſté outre - plus
où ils demeureront à perpetuité en iouyſſance nonchallans de faire les Azzalah , & prieres aux
perpetuelle des plaiſirs & delices du lieu . heures deuës , & les ablutions ordonnées. Cét
QVANT aux femmes Mahometanes , elles enfer doncques qui eſt preparé pour de telles ma
n'entreront pas en Paradis comme les hommes, nieres de gens, en vn lieu puant & infect ,obſcur
& hideux tout outre , paué de ſoulphre fondu ,&
ains demeureront apartées en yn lieu ſequeſtre,
où elles ne ſentiront ne bien ne mal : & voila pour de poix bouillante ardāns ſans ceſſe, & ſurpaſſans
de bien loing tous les plus forts embraſemens,
quoy icy bas elles n'entrent point és Moſquées &
d'autant que les viues flammes ſont enuers nous
Mahomeries,choſe bien eſtrange comme ces mi
celles que l'on contre - fait de peinture , auec vne
ſerables creatures peuuent comporter de ſe voir
fumée mellée parmy qui n'eſt pas moins intolera
priuées de l'eſperancede ſalut, dont par toutes les ble. Il y a d'autre part des mareſcages remplis
loix de ce monde , voire meſme du paganiſme ce
d'une ſale boue & ordure , plus froides ſans com
ſexe là n'eſt point exclus . Et certes il faut bien
paraiſon que tous les glaçons des montagnes hy
qu'elles ſoient plus ſtupides que pierres , & les
perborées : & des puits profonds, les vns pleins
hommes tres-iniqucs & cruels en leur endroit, ne d'huille bouillante , les autres de metail fondu ,
pouuant bonnement comprendre pourquoy ny à
où les diables auec de longs crocqs & hauets en
quelle fin ce malheureux legiſlateur l'ait voulu
eſtablir de la forte. flambez tournent , reuirent, & deſchirent ſans
ceſſe trop eſtrangement les pauures ames doulou
Or encore qu'à la lettre il monſtre de s'eſtre
reuſes, ſans que pourcela elles puiſſent finir leur
voulu entierement arreſter à yne beatitude char
miſerable vie , auec infinies autres telles cruautez
nelle & voluptueuſe , comme ayant affaire à des
de tourmens eternels, dont ce qui les afflige plus
gens , &
que tout le reſte eſt le fruit d'vn arbre appellé
corporelles : Quibus, commedit Pline des pour
Zacon ou arbre maudit , planté au milieu de l'en- Azoare
ceaux , anima data eft pro fale , neantmoins en la
fer , & iectant de ſa racine le feu de la gehenne 47. 54.
quatrieſme Azoare ilſemble qu'outre les biens & eternelle , lequel fruit fait en forme de teſtes de
plaiſirs charnels, il en vueille promettre à ſes ſes diables,eſtd'vn gouſt ſiennuyeux & abominable,
& atcurs de plus excellens ſans comparaiſon ſous
que toutes les amertumes & puanteurs qu'on ſe
la couuerture & inuolution de certaines allegories
pourroit imaginer en ce monde , ne ſeroient que
& paraboles. Et quant à la viande çeleftielle dont
vray ſucre, miel, eau roſe , & canelle à comparai
ila eſtéparlécy -deſſus ,qu'il taſche de peruertir
ſon de cela, neantmoins on les force de le manger,
& adulterer deteſtablement en la ſacrée - fainete
puis on leur baille à boire ie ne ſçay quel breuna
Cene de noſtre Seigneur, voicy ce qu'il en met
en la treizieſme Azoare. Dieu demandant à des ge mixtionné de diuerſes ſortes de feux , qui leur
rengregedeplus en plus l'ardeur extréme qui les
hommes reueftus de belles aulbes de robes blanches , s'ils
crucie . Il y a là aupres yne grande & profonde
ne croyoient pas en luy , & en ſon meſſager Mahomet,
vallée : & au plus bas d'icelle vn abyſme creux :
owy , reſpondirent- ils, nousy croyons voirement , de tu
dedans l’abyſine yn puits , & au fonds du puits yn
en estoy- meſme teſmoin. Lå deſſus ces gens- là deman
dans á I ES V s fils de MARIE ,fi Dieu leur pouuoit coffre de fer fermé à pluſieurs cadenats & fortes
impartir à tous le repasceleſte ? A quoy 1 E sv s fit ref ſerrures, où eſt lié & garroté à groſſes chaiſnes
embraſées le maudit & deteſtable ennemy du
ponce , craignez Dieu ſivous eſtee fideles. Et eux repli
genre humain , le rebelle & der - obeïſſant à ſon
quans , nous en voulons certesmangerpour la confirma
tion de nos cæurs , afin que par noſtre teſmoignage nous Createur,auquel de ſes hurlemens tres - horribles
approuuions que vous nous aurez dit verité. LESVS & eſpouuentables, il rompt continuellement les
oreilles , criant ſansceſſe miſericorde. Au moyen
va faire ainſi ſapriere : 0 Dieu donne nous s'il te plaiſt
ta viande celeſte, qui nous ſoit en bonne Paſque , & mi dequoy au bout de mille ans il le fera conduire en
racle yenant de toy , à tous les preſens , les paſſez , a les ſa preſence , & luy demandera à quelle fin il l’im
autres qui viendront cy- apres . Dieu l'exaucant dit , le portune de ceſte ſorte, & ſurquoy il ne peut fonder
la leur bailleray de vray, mais quiconque d'icy en auant aucune attente d'auoir grace, ny en quels meri
ſera incredule , ie le puniray de peines & de miſeres que tes ? lors à chaudes larmes il reſpondra, Seigneur
iamais n'en ſera de ſemblables. Ces paroles icy ont ien’ay point d'autre Dieu que toy , quime puiſſe
faire mercy ,octroye -moy donc remiffion s'il te
accouſtumé d'eſtrelcuës par les Alfaquiz : & Ta
210 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 211

plaiſt de ma faute. Et là deſſus Dieu ordonnera grand Roy , comme met Moyſe Egyptien liure troiſieſme
qu'il ſoit reſtably en ſon premier licu , & mis à chapitye 23. A propos des afflictions de lob , o la mau
pleine deliurance ? Et quand les Anges le verront uaiſe creature', là où la bonne eſt dite l'homme pauure
ainſi ſouillé & noircy de la fumée de la poix in “ ſage , tel comme a eſté 1 E sv S - CHRIST en la
fernale , ils demanderont à Dieu , à quel propos chair humaine , lequel eſt la ſapience de Dieu , le fils de
ille veut loger en ſon Paradis pour contaminer l'homme , ( S. Matthieu 8. :) va bonnement où pounoir
tous les autres ? Il leur dira qu'ils le voiſent lauer repoſer ſon chef. C'eſt le vray Ange außi de grand con
en vne fontaine : ce qu'ayans fait il deuiendra feil , en Ifaye 9. Surquoy les Rabins ſur ce paſage: T16
blanc comme auparauant , fors vne petite tache Aymeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cæur, & de tou
noire qui luy demeurera emmy le front , & ainſi te ta penſée ,qu'ils expoſent, de tes deux sreatures,deux
entrera dans le Paradis , ou chacun le reconnbi Anges ſont conjoints à toutes perſonnes , l'un à dextre,
ſtra à ce ſigne , & le monſtrera au doigt , mur quieft lebon , & l'autre à feneftrele mauvais , qui s'in
murans que Dicu l’ait voulu deliurer des enfers : troduit en l'homme à l'heure de ſanaiſance , ſuiuant ce
dont le malheureux aura vne telle vergongne, & quieft eſcrit en Geneſe fixieſme. Creatura cordis ho
minis mala ab infantia ſua : mais la bonne creature ou
qu'il aymera mieux y retourner derechef que
d'endurer de cels opprobres & contumelies , par bon Ange ne s'y retrouue qu'apres fa complette connoiſ
sance & perfection de l'entendement. Tout cecy met le
quoy Dieu commandera aux Anges de l'aller en
core lauer par cinq fois en la melme fontaine, & meſme Mole Egyptien au lieu'allegué.
ainſi s'effacera ceſtetache, & ceſſera ſa difformité OR il vaut mieux inſerer icy tout d'vn train ,
le
deformais . yoyage que ce bon pelerin Mahornet fit au
Azoare Non moins fabuleuſe & ridicule que ce que ciel en ſonge, & conſequemment le colloque de
49.
deffus eſt fa deſcription de la fin du ſiecle , & du luy , & d'vn Iuif, par où ſe pourra aiſément voir
iugement vniuerſel, duquel quand l'heure ap le reſte de ſes impoſtures effrontées & impuden
prochera ordonnéę en la preſcience de Dieu , il tes , dont tant de pauures ſimples ames ont efté &
ſont tous les iours miſerablement conduites à
commandera à l'Ange de la mort d'aller tuer tou
tes les creaturesanimées , Anges, diables , hom perdition , eſtant choſe preſqu'incroyable com
mes , beſtes , & puis le fera venir deuant ſoy , luy mcvne creature pour ſi peu qu'elle puiſe eſtre
doüéc du diſcours de raiſon , ſoit fi abeſtie
diſant! O Adriel , ce quiſonne autant que priua que de
tion de Dieu , y a - il plus aucune de mes creatures ſe laiſſer tranſporter ainſi à de ſi lourdes & bruta
en vic ? A quoy il fera reſponce, non Seigneur, les badineries , que les beſtes meſmes dęteſte
exceptë moy ton pauure , inutile & chetif mini roient. De là puis apres nous viendrons à leurs
myftercs & ceremonies , & en ſomme à tout ce
ſtre. Et Dieu luy dira derechef, puis donc que tu
as priué de vie toutes mès autres creatures , va qui dépend de ceſte fauſſe & friuole doctrine,
t'en entre Paradis & enfer , & te mets là à mort afin que par là: nous ayons touſiours tant plus
d'occaſion de benir & louer la bonté de Dieu , de
toy -meſme. Alors le miſerable ſe tranſportera
la
au lieu deſigné, & s'eſtant enueloppé de ſes aiſles grace qu'il luy plaiſt nous faire de nous adref
ſe iettera par terre d'vne grande furie, & s'eſtouf fer à la vraye voye par la lumierc de l'Euangile ,
fera auec yn enorme cry , & gemiſſement cel, que dont ſon tres- cher & vnique fils noſtre Redem
si meſmes les intelligences celeſtes & toutes les pteur & mediateur a daigné nous venir apporter
autres creatures eſtoient encor viuantes , cela le fanal icy bas , au lieu de nous laiſſer fouruoyer
en de fi obſcures tenebres , où tant de pauures
ſeul ſeroit ſuffiſant pour les faire mourir d'hor
reur tout à l'heure : A ce propos Rabi Simeon au malheureux , ſes créatures neantmoins auſſi bien
Talmud. Sathan , c'eſt à dire le diable , eſt la maunaiſe que nous, vont crrans , tout le grand chemin de
creature , & l'Ange de lamort, & anliure de Zora ,Rabi l'enfer. Mais telles ſont ſes merueilles & iugemés ,
Racanath ſur le quatriefme de Geneſe , In foribus pec cftendant ſes miſericordes où il luy plaiſt , dont fi
catum , dit ainſi la preſence de Dieu dite Alla ſurmon nous nous rendons ingrats , c'eſt nous faire noſtre
tera l'Ange de la mort , c'eſt à dire le diable . Cequicon, procés de nous mefmes, & en minuter la ſentence,
uient fort bien à ce que deſſus , qu' Adrielſignifie priua. d'auoir ainſi abuſé de ſes ſainctes graces , dequoy
tion de Dieu : laquelle preſence de Dieu denote ſa ſa ceux à qui il n'aura pas tant fait de faucur pour
pience , & le vorbe qui doit ſuppediter le Prince du mon ront pretendre & alleguer quelque eſpece d'ex
de, ou la Sathanique puiſſance , autrement appellé le cuſe à noſtre preiugé & condamnation .

VISION
de Chalcondile .
212 213

Se

PLVS TOST
VSTO ST PIPPERIE CON
VISION ; O V PL

TRoyVE E PAR MAHOMET , ET SES SECTATE VRS,


1
d'yn voyage qu'en dormantıl fit en leruſalem , & de
là monté au Ciel deffus l'Alborach .

elle eftoit, il fit refponce que la premiere eſtoit la loy India


ME LIVRE d'Azear expliquant
Azoares vingt Sept, daique, vers laquelle s'il euft tourné l'ail, & luyexft
l'Alchoran, tant ſoit peu preſtél’oreille,toutle monde ſe fuſt fait luif.
& sorxante trois , met qu'une La ſeconde, la loy Chreftierne , & que s'illuy euftparlé ,
fois Mahomet eſtant couché en
tousfufent deuenus Chreſtiens. Mais la troiſieſme eſtoit
Almedine auec la mieux ay
la fienne , qui ſeroit rempliede tous biens , plaiſirs & de
mée de toutes ſes femmes Axa, lices en ce monde icy , & en l'autre. Et là deſſus deuifans
àſa en
le reſueilla
et frapper ſurfaut
porte,
& ayant les
pour mis ainſi arriuerenten Ieruſalem au temple de Salomon ,I'm
grands coupsqu'ilogoit où il mit pied à terre , & apres que l'Ange eut lié l'Albo
le nez à la feneſtrepour voir quic'eſtoit,apperceut l An
rach à vnegrosſepierre qui eſtoit là aupres, ils entrerent
ge Gabriel garnyde ſeptantepaires de grandes a flesplus
dedans , où ils trouuerenttousles Prophetes qui l'atten
blanches que neige, & faface plus claire & refplendis
doient là de pied coy , aſſemblez à ceſte fin comme à une
Sante que criſtal ,auec une longue perruque derougeur generale Synode. Ils le receurent à fort grande ioze , do
plus que coralline , veftu au reſte d'une belle aulbe enri
l'emporterent entre leur bras iuſques à la maiſtrelle
chie de perles & de diamants, ceinte & retrouſſée en
, Targes Chappelle appellée Mihrab, le requerans de vouloir fái
deux endroits ,avec desceintures de fin or baten rela Zala ou priere pour tous, & les auoir puisapres pour
d'un bon demy pied', toutes garnies de pierres precieuſes recommandez enuers Dieu quand il ſeroit arriué devant
d'une ineſtimable valeur : & auoit d'autres moindres,
aiſles encore aux pieds, vertes o brillantescomme eft ſa face. Cela fait ils ſe diſparurent,& il demeura Seul
à ſeul auec Gabriel , lequelluymonſtra lors vae longue
meraude: Lequel luy dit qu'il s'appareillaſt, parce que
Dieu luy vouloit communiquer laplupart delesplus efthelle qui atteignoit de la terreiuſquesau premierciel ,
le pied d'icelle appuyé contre ceſte pierre noire ſuſdite où
Secrettes merucilles. Eſtant forty de la maiſon , il le eſtoit attaché l'Alborach : Ses brancards au reſte
faire monter ſur un animalqu'il menoit en main
voulut eſtoient de fin or , & le premier eſchellon d'eſmeraude, le
par les reſnes ,nomméAlborach plus grandqu'un asme, fecondde diamant,le troifieſmedeſaphir,lequatrieſme
bun peu moindre qu'un mulet , ayant face humaine les de iacynthe, le cinquieſme d'eſcarboucle , & ainſi durefte,
yeux clairs à pair du Soleil , les crins treffez de gros
, Souftenuë des deuxcoſtez d'une multitude infinie dº An
vnions,lepoitraileftoffe d'eſmeraudes,olacrouppiere ges , quiluy aßiſtoient à monter, Gabriel allant le pre
& ſacquarelle d'eſcarboucles ,eode Sapphirs , comme
mier, quile tenoit parla main droicte. La premiere cloſe
eſtoit la ſelle , enchaſſez en or cizellé , eſmaillé de tou
qu'ils s'encontrerent quand ils furent paruenue en la
tes fortes de coulents , mais il ne le voulut pas endurer,
region Etherée , fut un Ange qui auoit depuis un ail:
ains fe retira à coté , demandant à l'Ange comme il
iuſqu'à l'autre ſeptante mille iournées de long. Cecy
s'appelloit , lequel fit refponce, que c'eſtoit Mahomet le eſt encore tiré, à ſçauoir i'eſchelle du 28.de Ge.
meilleur homme qui fat oncques ,e le plus agreable neſc, où Iacob en voidyne quitouchepareille
ne monteroit point fui
Dieu. L'Alborach repliqua qu'il ment de la terre au Ciel , ce que les Rabins inter
luy , que premier ne lng promift le faire entrer en Para pretent ſignifier , toutes leschoſes inferieures de
dis : & Mahomet dit qu'il ſeroit sans doute le premier
pendent des ſuperieures, & par les Anges qui deſ
animal qui ymettroit jamais le pied. Alors Mahomet
cendent & montent , les intelligences deputées à
monta en la folle , Gabriel luy tenant l'eſtrić: ' Puis je
la garde & protection dechaque peuple & pro
mirent à cheminer de fa grande alleure que chaque pas *uince : mais pluſtoſt ſe deuroit entendre par là
s'allongeoit autant que ſe pourroit eſtendre la meilleure
noſtre Redempteur, auquel la diuinité a eſte con
veuë d'un clair - voyant en quelque grande campagne
Taze , non empeſchée d'aucun obſtacle , ce tout le droit jointe à l'humanité , & eſt deſcendu à nous pour
nous faire monter à ſon Pere : laquelle conjon- S.Ican.s.
du chemin de Icruſalem , Gabriel le coſtoyant comme un
& tion de natures eſt denotée par les deux bran
eſtafier à main droicte : là deſſus par les chemins ony.
rent la voix comme d'unefemme qui l'appelloit par ſon cards de l'eſchelle qui ſont joints enſemble : Ce
Bom , à quoy il ne daigna reſpondre, ains pafant outre que l'un des bouts eſtappuyé en la terre , repre
s'ouyt derechef appeller d'une autre voix encore plus fente l'humanité , & l'autre qui touche au Ciel,

claire bautaine que la precedente , & n'y refpondit la Diuinité : les sſchellons, les degrez des gene
rations dont IESVS - CHRIST , ſelon la chair
rien non plus ,iuſqu'à la tierce qu'il tourna la tefte ,
appereeut la plus belle es, magiſtrale creature qu'il euſt ſe deuoit incorporer , & naiſtre en ce monde, de
oncques veuë , habillée ſomptueuſement, & toute cou puis Adam , & de la depuis Abraham iuſques à
verte d'infinies richeſſes. Ajant demandé à Gabriel qui la Vierge fa mere. Ce que Dieu eſtoit appuyé
1
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 215
214

ſur icelle , monſtre que la Deïté eſtoit ynie à la quais pourroit aller en cinq cents ans : telefioit l'eſpace
chair en un ſeul ſuppoft Dieu homme,ou homme de ce premier ciel iuſques au ſecond.Soudain que Gabriel
Dieu. A ce-meſme propos au Talmud encore il eut heurté à la porte elle leur futonucrte , où ils trouur
cſt dit ſur l'allegorie de Rabi Tahunna,touchant rent à l'entrée un vieillard merucilles fement angė
le nombre quaternaire qui eſt admirable , qu'il y chenu , à ſçauoir, Adam , qui vint embraſſer Mahomet,
auoit quatre eſchellons en la ſuſdite eſchelle de remerciant ſon Createur de ce qu'il luy euft donné un sel
Iacob plantée ſur la terre , qui denotoient les qua fils , le pria de le vouloir auoir rocommandé enuers
tre ordres d'Anges , les autres interpretes en met luy. In peu plus outreils rencontrerent yr Ange de telle
tent ſept , mais cous conuiennent qu'il n'y auoit longeur qu'elle pouuoit bien contenir mille ans de chemin ,
accompagné d'vne tres grande multitude d'autres An
que quatre Anges preciſément, & non plus , ny
moins auſſi , deux à ſçauoir quideſcendoient, & ges, les vns de face humaine , les autres de chevaux,doi
deux qui montoient,de maniere qu'ils ſevindrent Jeaux,odebæufs : ceux-en cy nombre de Septante mille,
ayans chacun ſeptante mille teftes, chaque teſte Septante
rencontrer en vn eſchellon , dont la largeur con
mille cornes , chaque cotne ſeptante mille nænds , dont
tient toute l'eſtenduë du monde , & de fait la lar
l'interualle de l'un à l'autre contenoit quarante années
geur d'vn Ange eſt miſe és vifions prophetiques
de chemin . Et de tous generalement chaque teſte anoit
pour la tierce partie de l'vniuers, à propos de ceſte
grandeur d'Angesdontil eſt icy queſtion,comme Septante mille faces,chaque face ſeptante mille bouches ,
chaque bouche ſeptantemille langues , qui parloient cha .
met Rabi Moyle Egyptien en ſon aggregation du
cune mille langages , eſquels ils loüoientDieu ſeptanse
Talmud , & és ſept & vnzicſmechapicre du ſe mille fois chacun jour. Parmy les Anges qui auoient fi
cond liure de ſon Moré .
gures d'oiſeaux , il yen avoit un fait comme un coq,mais
Svit apres au liure d'Azear intermis ; cet Ange qui le grand que ſes pieds touchoient à l'abyſme , & fateſte
vint au deuant de Mahomet qui eſtoit aßis en one grande arriuoit au deuxieſme ciel : deſtiné pour annoncer aux
chaire conuerte d'vne eſtoffe de couleur perfe, & tenoit mortels les heures duiour & de la nuit , afin de faire les
Le pers un tableau en fa main , qui s'eſtendoit d'Orient iuſques. prieresſelon qu'ellesſont ordonnées en l'Alchoran :lequel
couleur en Occident ,auquel il eſcriuoit & effaçoit inceſſammentreprit alors en leur preſence à chanter d'une haate voix :
demoro quelque choſe. Mahomet par l'admoneſtement de l'Ange BENII SOIT IE DIE V ETERNEL LE Vray
tuaire, Gabriel le ſulüa , luy ayant dit qu'il eſtoit de fortgrand ROX DES ANGES DES AMES , ET DE Icaro .
credit as axthorité enuers Dieu , & s'appelloit Mg TOVIES AVIRES CREATVRIS : à la menip :
pe de
Azoare LECH ALMEVTI, le Roy ou Ange de la mort ; quelle voix reſpondirent soudain tous les autres coqs Lunam .
13. mais & ce grand tableau qu'il tenoit au poing A LAVHE eſtans icy bas en la terre , qui font formez ſur le patron
en la 26.
il met AHNAFOD , la table referuée , où il enregiſtre les ® exemplaire de celuy là , loüent Dieu en leur len
pluſieurs noms de tous les humainsà meſure qu'ils viennent à nai .
gage qui ſignifie ; Vous toutes creatures qui cſtes ce que
Anges fre ,comme c'eſt qu'ils doiuentpaſſerleurs iours ,combien obcillantes à Dieu , elleucz vos cæurs à chanter les cogs
de la dient CA
viure , 6 de quel genre de mort ils les doivent , finir .Puis fes diuines louanges . Le ſemblable fontceux quiſont
most. leur lan .
quand ils ſont venus au bont à eut limité co prefix ,il les en d'autres figures, bacun endroitſoy,
en ſonlangage. gage.
efface , ớ ſoudain ils expirent. D'arriuée il ne fit pas Cecy bat ſur ce lieu du 150 : Pſeaum . OMNIS
ſemblant de regarder Mahomet , mais apres que Gabriel SPIRITVS LAV DEI DOMINVM , Etde
luy eut dit ſonnom , il luy rendit fort courtoiſement ſon ceque le Tharghum de Rabi Iofeph veut para
Salut , luy faiſant entendre la domination & pouvoir phraſer ſur le cinquantieſme. DEVS Dio
qu'il deuoit auoir entre les mortels , a les biens , digni RVM DOMINVS ; en ceſte forte : Conneuë's
tez ; honneurs que Dieu luy auoit preparez en ce
font deuant moy toutes les eſpeces d'oiſeaux qui
monde. Le Prophete luy demanda pour quelle occaſion il
vollent en l'air du Ciel: & le coq ſauuage dont
tiroit ainſi lesamesdes corpszilfit reſponce, que ceste l'argot poſe en la terre, & la crete touche iuf
charge luy auoit eſté commiſe des l'heure qu'Adam
qu'au Ciel, chante pareillement deuant moy . Et
Eue eurenttranſgreſſé le commandement de leur Crea
teur ; de qu'il l'exerceroit iuſques au jour du lugement. de fait pluſieurs ont tenu qu'il n'y a voix d'animal
quelconque , ny chant d'oiſeau , qui ne ſignific
Et à quoy , repliqua Mahomet ,ſe difcernent les ames
endroit ſoy quelque choſe. Et n'importe de rien
qui doivent eſtre ſauvées d'auec les damnées ? Celles des
que nous ne lesentendions pas ; car aulli bien ne
predeſtinez à Salut ( dit- il ) ie les arrache du coſté droit
Avec peu de peine ; ex les mal -beureux par le gauche faiſons-nous le parler des autres peuples , comme

d'une grandeviolence & effort.Luy ayant demandé de d'vn Tartare,ou d'vn lapponois, ou d'vn Indien
du Peru , cela ne nous eſt non plus conneu que ſe
rechef comment eſtoit bafly l'enfer : il reſpond que Dieu
y auoit allumé vn grand feu tout autour par l'eſpace de roit le henniſſement d'un chcual , l'aboy d'vn
ſeptante mille ans ,dont il ſeroit deuenu rouge,enflambé • chien , l’hurlement d'vn loup & le muglement
comme feu ardent : & pat autres ſeptante mille ans d'vn taureau : & en ſemblable toutes les diuerfi.
ayant continué le feu , blanc comme neige: Puis noir,ob tez des chants des oiſeaux : n'y d'autrepart ceux
ſcur, enfuméapres autresſeptantemille ans . Et dequoy qui ne ſçauent la langue Hebraïque ou Arabel
font compoſez les Diables qui tourmentent les ames que n'apprehendent pas ce que denotent les ca
damnées ? adiousta Mahomet encore:de feu caligineux facteres del'eſcriture, dauantage que ſi c'eſtoient
& eſpoix ( refpondit l'Ange.) duquel ils viuent, & fans quelques pieds de mouches faits à plaiſir pour
luy ne ſçauroient confifter un petit moment , non plus que feruir de chiffres , ainſi que nous l'auons touché
le poiſſon ſans eau . Que Dieu les auoit an teſte fairs cy -deuant.
Sourds & muets , afin qu'ils nepeuſſent ouirles.clameurs GABRIEL doncques & Mahometmontans touſ- Le II.
Ciel.
trop efpouuentables , & cris bydeux des pauures ames jours arriuerent au ſecond ciel fait d'or bruny , là où ſo
qu'ils tourmentent à grands coups de maillets defer em toſt que le portier ſoeur qui ils eſtoient, les portes leur
braſez , & les deſchirent auec delongscrocas hauets furent ouvertes ,qui avoient le nom de Dieu engrané avec
Le pre- de meſme, n'en euflentpitié. DE LA eftansmontez celuy de ſon prophete ,comme deſlo : LA HILAH É
mier plus haut ils arriuerent au premier ciel fait de fin argent HILLALA MEHEMET REL V LALLAH .
Ciel .
de couppelle, dont l'eſpoiffeur eſtoit autant qu'un bon Lar . Et à l'entrée srovnerent le bon Patriarche Noé fort
décrepir,

.
210 de Chalcondile .
217
décrepit,aßis en vne chaire , dont ilſeleua ſoudain pour Createur . Auec luy y auoit plus d ' Anges encore , do
venir careffer Mahomet ; & ſe recommanda à luycomme plus grands affez que les deſuſdits, la tefte & lebec ſem .
Adam ; buy annonçant la reputation & honneur qu'il de- blables à ceux d'un vaultour : d au milieu le Prophete
uoit auoir. Là ils trouuerent vne multitude infinie d'An Moyſe aßis en vn beau fiegeclair reluiſant , lequel außi
ges trop plus grands encore que les premiers , meſmernent toſt qu'il vid Mahomet , il le vint ſaliier à grandes cao
Le Portier lumineux à pair du Soleil, dont les pieds arri reſſes, l'aduertiſſant comme Dieu auoit reſolu de char
soient bien auant en la terre , & la teſte au huictieſme ger ſon peuple de beaucoup d'abſtinences cieuſnes au
Ciel.Il y en auoit encore un autre forteſmerueillable.com ſteres, parquoy il le denoit requerir que ſon plaiſir fuft de
posé en partie de feu ,& partie de neige : priant Dieu ſans les moderer , parce qu'on ne les pourroit ſupporter à la
ixtermißion , que tout ainſi qu'il auoit conjoint amiable longue. DE L A ils arriuerent au fixieſme Ciel fait de VI.Ciel:
ment ces deux ſubſtances fi contraires ea differentes, il topace , où la porte leur fut ouuerte par un Ange plus
luypleuf demeſmevnirlescæurs de tous les peuples de la grand que nul de tous les autres precedens ; accompagné
terre à luy obeir , & le reuerer d'un accord . Cecy bat d'un infiny nombre quifaiſoient vne douce muſique , AC
1
ſur ce que Rabi Elizear met en ſes chapitres , que cordansleurs celeftes voix au fon d'vne harpe dont ioiioit
les cieux furent créez de la lumiere du yetement un Roy couronné d'un beau diadéme , & aßis dedans
de Dicu ; & la terre de la neige eſtant deſſous le vne riche chaire de parement , auec un tres-precieux li
thrône de la gloire : comme s'il vouloit denoter ure eſtendu tout ouuert deſſus un poulpitre où ilschan- Lc
par là,ſelon qu'il eſt allegué au 27. chap. du 2. li toient les louanges du ſouverain . Ce Roy là , à ſçauoir Pſcauly 1
tier,
ure du More de Moyſe Egyptien , qu'ily a deux Dauid , car c'eſtoit luy,n'eutpaspluſtoſt deſcouuert Ma
matieres, a ſçauoir la ſuperieure, dont les cieux homet comme il entroit auecl'Ange , qu'ilcourut au de
ont efté formez , qui eft ignée & lumineuſe ,de na uant de luy pour le feſtoyer ,luy diſant; Bien vienne le
ture de feu , & d'air, mais trop plus purs que les plus excellent de tous les mortels , le prud'homme tant
Elemens d'audeſſous. Et l'inferieure, dont a eſté chery de Dieu , & le dernier de fes Prophetes ; certes

compoſée la terre , froide & eſpoiſſe comme eſt la tres -defiré cr loyal miniſtre de la parole , bien -heureux
neige, quiconſiſte d'eau , & de limon meſlé parmy , ſont ceux qui viuent pour le iourd'huy aufiecle d'embas;
vueillez donc auoir pour recommandé ce peuple rebours
ſelon qu'on le peut aiſément apperceuoir en ſa ſe
paracion par le feu . Eſquelles deux parties Moyſe & contumace , dont i'ayeu autresfois la chargede l'ado
dreſſer en la droidte vore de verité : car c'eſt à vous que
a diſtingué tout l'vniuers;au commencement( dit
il ) Dieu crea le Ciel & la terre. Et à l'entrée du 2 . ceſte grace eſt referuée. Apres quelques autres menus
deuis , ayant pris congé l'un de i'autre , Gabriel dar luy
chapitre , les cieux & la terre furent parfaits, & .
paſſerent outre au ſeptie ſme Ciel fait de iacynthe , qui Viti
tous les ornemés d'iceux . Mais cela pourroit bien
fut ouuert
leur
conſemblable par
s;au vn Ange
milieu aßiſté d'autres
de toutelaquelle infinis
caterue fes Cicle
eftoiēt
auſſi denoter le double Adam, terreſtre, & celeſte ;
& les deux natures conjointes au Messie , diui Enoch & Elie aßisſur un banc de porphyre, viuansencore
ne , & humaine ; toutes deux pures neantmoins en la vie mortelle , & attendans l'heure préordonnée
comme eſt le feu en la ſubſtance , & la neige en ſa
pour ſe fairevenir icy bas maſſacrer de la main du crael
parfaitte blancheur ; Ce que les Mahometiſtes
G impie enfant de perdition , qui ſe voudra approprier
meſmes ſont par fois contraints d'aduoüer. l'honneur de la gloire deuë an tres-haut. LEVR scone
( 11.Cici, ESTAN s arriuez au troiſieſme Ciel qui eſtoit decri gratalations & bien venuës parfournies de part & d'au
ſtal , d'eſpoiſſeur & diſtance pareille que les deux autres, tre; Mahomet auec ſaguide paſſerent au huictie ſmeCiel VIII,
les portes leur furentouuertes par un Ange de telle gran . fait deſaphir , & orné d'infinies eſtoilles attachées à des Ciel ,
deur,que ſi tout le monde , & ce qu'ilcontient euſſent efté chaiſnes , dont la plus grande ſelon qu'il la peut meſurer
mis dedans la paulme de ſa main , il l'euft peu aiſément de l’æil , n’excedoit point le mont deNohopres Almedi
clorre ;accompagné au reſte d’infinis autres Anges grands ne , à l'entréeſopreſenta un Ange d'autre forme que les Aulia
extremément ,ayans la face commevnevache,& fi ferrez precedens , si grandau reſte qu'ileuft av allé tout le ure des
les uns aux autres , qu'on n'euft ſceu ietter un eftæuf à globe de la terre & des mers außi aiſément que feroit
trauers. Parmy eux eſtoit aßis Abraham , qui luy fit le en laZu .
quelque Geantenorme un poix chiche ;auec infinis autres ne,
meſme accueil do requiſition que les precedens.
de meſme. Là il trouua ſaintlean Baptiſté veſtu encore
IV. Ciel. Le quatrieſine Ciel eſtoit tout define eſmeraude ayant de lapelliſe de chameau qu'il.Souloit porter au deſert';
pour portier un autre Angeſigrand qu'au creux de ſa
lequel luy facoutta tout bas ie ne ſçay quoy en l'oreille.
main droicte cuflent peu tenir toutes les eaux douces du
monde ; & de la gauche toutes les mers; lequel pleuroit à Puis ſe departirent , arriuerent au neufie ſme Ciel IX.Ciel
tout d'une ſeulepiece de diamant,& de meſme efpoiſſeur
chaudes larmes les pechez des hommes , comme le ſceut
Mahomet de ſon conducteur,meſmement de ceux qui pour que les autres : efclairé de la ſeule lumiere de Dieu.
Les portes leur furenttoutſoudain ouuertes par un. An
leur demerites eſtoient condamnez aux Enfers. Il eſtoit
ge fait de clarté ſeptante mille fois plus luiſante que le
au reſte aßifté de feptantemille Anges ayans la tefte ale
Soleil , lequel auoit feptante mille teftes, & en chacune
bec conime vn aigle ; chacun d'iceux garnis de ſeptante autant de viſages ;chaque viſage garny de pareil nom
paires d'aiſles ; & à chacune ſeptante mille pennes, longue
bre de bouches, & chaque bouche de ſept cens mille lan
chacune de ſeptante mille coudées . Au milieu d'iceux en
gues ,dont chacune rendoit feptcensmille ſortes de voix,
vne chaire claire au poßible o reſplendiffante où eſtoit
en chaqae voix autant de loiianges au Dieu eternel le
aßis Iofeph fils du Patriarche lacob , qui le recent de la
jour la nuit. Il y auoit outre plus en chaque face
V. Ciel. meſme allegreſſe qu'auoient fait les autres. Povrsvi
ſeptante mille paires d'yeux ; e en chaque æil ſeptante
Vans leur route ils paruindrent au cinquieſme Ciel,
mille prunellesmunies d'autant de paupieres , qu'ils cli
fait de rubes , & de la meſmeeſpoiſſeur que les quatre
gnoient de reclignoient ſeptante mille fois en une heure
precedens , ou la porte leur fut ouuerte par vn Ange cm.
pour la crainte de tremeur de la gloire procedant du
brasé da ardent comme feu , ayant ſept mille bras ; co à
Thrône de Dieu . Il y auoit auecquesluy infinis autres
chacun d'iceux ſept mille mains ; e à chaque main ſepe
Anges d'une figure bien diſſemblable des precedens :
mille doigts, qu'il efleuoit ſept mille fois tous lesiours à
Voire de telle qu'il n'eſt pas poſible à langue mortelle
la mode que fontles Mahometiſtes pour lover Diex leur
d'entreprendre d'en parler plus auant ; car il n'y a
As

1
218 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
219

que Dieu ſeul qui la ſoeuſt exprimer, non plus que le posé des quatres elemens; Plus du ſiecle paſſé,du preſent, throlase
nombre d'iceux ; dont la pluſpart veilloit tonfioursſans & du futur: du Ciel, & dela terre außi;du Paradis,es diuin ,
clorre l'ail , comme s'ils euſſent eſtéla poſez en ſentinelle de l'Enfer : aßisau reſte ſur quatre pieds,chacun ſeptan
den vedette ; les autres tenoient la teſte panchéeerion temille fois plus long hautefleué qu'il n'y a de diſtance
tre bas ; d'autres eſtoient proſternez ſans iamais ſeforfle de la terre iuſques au dernier Ciel ; le tout chargé ſur les
uer tant ſoitpeu ; & d'autres qui chantoient continuelle eſpaules de quatre Anges qui le ſouſtenoient , chacun d'i. Prisd'E
ment les louanges de Dieu, d'un ton ſibaut,qu'ils eſtoient ceux ayant quatre faces; l'une d'homme,l'autre d'aigle, zeck ,
Contraints de s'eſtouper eux -meſmes leurs oreilles auec la tierce de lion , & la quarte de boeuf ; leurs corps to
les doigts, de peur de demeurer affourdis de leur propre talement remplis cg couuerts d'yeux. Celle d'homme prioit
voix . Au milieu d'eux tous eſtoitaßis lesvs-CHRIST, pour les hommes: d'aigle, pour toutes manieres d'oie
en vn riche thrône tout eftoffé depierreries, deuant lequel ſeaux : de lion,pour les beftes ſauvages :& deboeuf,pour
s'humilia Mahomet , ſe recommanda à luy: cela fait les privées & domeſtiques. TOVT E s ces choſes par

Le Fix- il commença à monter par pluſieurs eſtages & ſepara. Dieu le licentia : & il s'en reuint parlemeſme
buy veuës,
mamět. tions luy tout ſeul , parce que Gabriel n'oſa aller plus chemin qu'il eſtoit venu iuſques là où l'Ange Gabriel
ayant : les ſepiante premiers deſquels eſtages eſtoient luy auoit fauſſé compagnie : à ſçauoir vers le thrône de
tous de perles : les autres d'audeſſous en pareil nombre I 18 V S-CHRIST : lequel alors lug mit un livre en
d'eau glacée : Puis autres ſeptante deneige : feprante de tre lesmains ferméà quatre cadenats d'or pur , dont il
greſle, autantpar apres de nuages : Puis ſeptante au luy donna les clefs de la meſme eſtoffe , luy diſant; Tien,

tres de tenebres,és ſeptante defeu ,ſeptantede clarté, regarde à moy , o dernierenuoyé de Dieu pourr'adreſſer
& autant de gloire : Tous ces eſpacesremplis d'infinis in- ſes creatures à la connoiſſance de ſon ſaint vouloir:Voicy
telligences qui loüoient le ſaint nom de Dieu ſans iuter la praye parole que ie leur annonçaypendant que le con
mißion ; ſi que Mahomet auant que de paruenir au der uerfois libasparmyeux : que s'ils l'ont d'une autrema
nier ſe trouua ſi las de recreu qu'il ne pouuoit plus aller miere ce n'eſt pas de mon intention. Autant luy en dit
quant deſormais ; Quand il va entr'ougr une voix com Moyſe de ſa Thorah , quand ils furent arriuez deuers
me d'un eſloigné tonnerre qui par trois foisluy dit ainſi; luy,fermée pareillement de cinq cadenats d'argent à
Azoare ô monbien aymé& loyal Ahmat approche-toy .& ſaluë chacun deſquelspendoit ſa clefpourl'ouurir : Puis rede
23: ton Createur: ce qui luy for prendre courage, tant qu'il uallerent encore iuſques à Adam , là où Gabriel luy dit
s'approche à deux traits d'arc du thrône de Diell , ou peu qu'il auoit charge de fon Createur de luy faire voir tout
moins ; mais il en ſortit une telle lumiere que cela l'ef. d'on train le Paradis , & l'Enfer,qu'il trousa conformes
blouyſſoit tout , nonobft ant que Dieu euft ſeptante mille à la diſcretion que vous en avez peu voir cy deffus , dont
voiles ſurſa face ,dont la clarté les penetroit towyınlup: parmyles autres par.icularitez de l'Enfer, il yen a deax
portable àtoutes ſortes de creatures. Alors ( comme il ou trois fortplaiſantes: qu'il y trouua pluſieurs perſonnes
dit ) Dieu eſtendit la main ſur ſon ombre ; & ſentit alors aßiſes à table , hommes de femmes ,ou les Diables leur
fi grand froid , qu'il cuida tranſir & geller. S'eſtant pro . feruvient de bonnes viandes do ſavoureuſes,entremeſlées
fterné pourl'adorer, Dieu le falua amiablement , comme de certains mets trop deteftables dufetides,neantmoins
le plus fauoritde tousſesprophetes & meſſagers; & l'en ils laiſſoient celles du bon goaſt pour ſe tenir à ces ordes
quit commentſe comportoit ſonpeuple : A quoy il fit ref- & Salles. Mahomet ayant demandé à l'Ange que cela
ponſe. Que bien la ſiennemerci. Là deſſus il luy enjoin vouloit dire , il luy fit reſponſe, que c'eſtoient les gens
gnit de le faire jeuſnerpar ſoixante iours tous les ans; mariez , qui neſecontentans de leurs femmes,ny elles en
faire des prieres oraiſons quarante foischacun iour ; cas pareil de leurs maris , couroient apres des adulteres
mais il fiten ſorte ſuivantl'admoneſtement de Moyſe ,que de moindre eftime. L'autre que les diables ne ceſoient de
ces ſoixante iours de ieuſne furentr'amoderez à trente ; verſer du plomb fondu en la gorge de ie ne ſçay quels mi
& les prieres à cinq le jour la nuit. Dieu outre cela ferables ,qui venoient ſoudainà percer leurs boyaux, puis
luy fit tout plein d'autres graces particulieres pour luy fe refermoient : 4 eſtoit ce tourment ſans relaſche, co
ſeul, qui oncques deuant ny apres ne furent octroyées
tout touſiours à recommencer, ainſi que
le rocher de Siſyphe,
à pas un mortel; & par special cinq preeminences sur la rouë d'Ixion dans les fábles Grecques , mais toutes
tous les hommes: la premiere , qu'il fußt la pluus efleuée sesfadezes ſeroient trop longues à parcourir : au moyen
creature qui'oncques euft eſté creée ny en la terre , ny au dequoypour y mettre fin , Gabriel apres l'auoir reconduit
ciel : la ſeconde, le plus bonoré de tous les fils d'Adam en leruſalem il le fie remonter deſſus l'Alborach : le
quand ce viendroit au jour du lugement : la troiſieſme, o'amena la meſme nuit allant que l'aube du jour appa
tenu pour le Redempteur general,fi qu'il s'appellaft Al. ruft , iuſques en Almedine , os trouua fa tres-chere &
ME H 1 , celuy qui ofte les pechez: la quatrieſme , qu'il bien - Aymée compagne Axa qui dormoit encore , à la .

fceuft toutes manieres de langages : & la cinquieſme, quelle ilcommuniqua tout ce que deffus: dontpluſieurs ſe
qu'à luy ſeulfuſſent concedéesles deſpojilles& butinsde fcandaliferent le tenans à fable de menſonge ; mais il
Defcri. la guerre. AV REGARD du thrône de Dieu , ſelon trouua moyen de le faire croire , par quelques vers qu'il
prion du qu'il eut le moyen de voir & confiderer , qu'il estois com . infera dans ſon Alchoran .

LE
>

220 de Chalcondile. 221

DUGOGORO
තබාකකකක balec

mo
a: 213
OR SON

LE COLLOQVE D'VN IVIF AVEC MAHOMET ,

QVI LVY REND . COMPTE DE SA DOCTRINE :

Le tout de ſemblable farine que le precedent


.

E MESSAGE R de Dieu, l'o . aucun coëgal à luy : 4 moy Mahometſuis ſon ſeruiteut,
raiſon & ſalut dequelſoiteſpan . de ſon meſſager annonçant aux hommes la fin du ſiecle,
De
duë deſſus luy , eſtoit vniour aßis en laquelle reſuſciteront tous les morts ſans aucune dosa
parmyſes d ſciples dedans la vil te. Il eſt ainſi reſpond Abdias ; mais dy moy s'ilte plaiff
le dé' I eſrab , quand l'Ange encore , combien y a il de loix de Dieu ? Vne tant
Gabriel ſe vint apparoir à luy ſeulement ſans plus. Et que voudras tu doncques dire
en diſant, Dieu te ſaluë , ô Ma des Prophetes qui t'ont precedé ? La loycertainement,
homet : Citrejpond . Il eſt à la verité le Seigneur de tox ou la foy de tous n'eſt qu'vne , mais lesceremonies are
te benedictoin & ſalut, pource qu'elle procede de luy, manieres ſont differentes. CELA eſt comme tu le
& s'y en retournç. L'Ange pourfuzuant ſon propos : dis , fuit Abdias. Mais dy-moy encore ; entrerons-nous
Voicy (dit- il ) quatre perſonnages d'une grandepruden . en Paradis par foyee creance , ou par le moyen de nos
ce do ſçauoir , les plus ſuffiſans Rabins d'Iſrael , qui merites bonnes æuures ? Tous ces trois y font
viendront tout preſentement pour te ſonder en ta doctri neceſſaires ; neantmoinsſi quelqu'un des Iuifs , Chre
Ke ; le principal deſquels eft Abdias Ben Salon ,appellé ſtiens , ou Gentils qui ſe ſeront conuertis à la foy Sær
depuis en vofire langage Sarrazineſ que Abdala Iben Tazineſque eſtoit preuenu de la mort auant que d'en
Selech. A quoy Mahomet : Viennent- ils doncques , ô xercer ces bonnes æuures , la ſeule foy pourroit ſuffire
tres cher amy ,pour mon bien , ou pour me defpriſer à fon falut ? I 1 le faut ainſi croire dit Abdias, Or dy
faire opprobre ? Pour bien , reſpond l’Ange. Alors le Pro moy ; Dieu t'a -il enuoyé aucune eſcriture ? SI A ; eset
phete donna charge à Haly fils d'Abitalif d'aller au s'appelle Alfurcan. Et pourquoy eſt elle ainſi appel
deuant pour les receuoir , accompagné de quelques au lée ? PARC E que ſes preceptes maximes ſont di
tres ; lequel les ayant rencontrez à la porte les ſalia, uiſées par chapitres ; car tout à un coup ne deſcendiepas
en leur diſont ; Salut à toy ô Abdias fils de Salon ; Eja Sur moyla parole de Dieu sainſi que la loy fut donnée à
noruma encore tout le reſte par ordre : dequoy s'eſtans Moyſe , le PJeautier à Dauid ; “ l'Euangile à l es v s
eſmerueillez luy demanderent qui luy auoit ainſi reuelé CHRIST. Cela eſt ſans doute reſpond Abdias.
leurs noms ; & d'où il auoit ſcou qu'ils deuoient venir ? Dy moy doncques quel eſt lecommencement de cét Alfur.
Il fit reſponſe que c'eſtoit Mahomet ſon oncle qui luy Can : A V NOM de Dieu miſericordioux & pi
anoit ainſi ordonné. Etla deffus deuiſans entr'eux , tous toyable. Et quoy apres ? H B V GED , & ce qui s'enfuit . Il le met
esbays de ceſie choſe , ils entrerent on eſtoit le Prophete ; E 1 que veutdire cét Abuged ? A ſignifie Dieu : B , la ainſi par .
auquel Abdias s'aduançant deux ou trois pas deuantſes puiſſance d'iceluy: G , Jon ineſtimable beauté : Disa се qus
Ics Ara
compagnons , va dire ; Salut deſſus toy Mahomet ; Ó loy; Carſapieté & miſericorde preuient ſon courroux e bes nºst
Salut außi ( reſpond. il ) ſur celuy quiſuit cherche le indignation . E t comment cela ? PARCE qu’Adam fi point de
Salut , redoute la puiſſance de Dieu. Là deffus Abdias; toſt qu'il euſt eſté crée , ſeleuant debout efternua , & dit voyelles,
Moy, ces autresic ) mes compagnons ,non des moins loiié ſoitDieu ; ce qu'entendu par les Anges ils ſe prirent non plus
entendas en noſtre loy Iudaique , verons deners toy ,en à dire; & la miſericorde de Dieu foit für toy o Adam : à que les
Hoyez des noſtres , pour eftre eſclaircis de quelques points quoy el reſpondit , ainſi ſoit -il. Surquoy le Seigneur 7e . bricux
des plusambiguz e douteux de noſtre creante : la nous pliqua; l'ay euyvos propos qui m'ont pleu . Tove ce- qui cf
sçauons bien à ce que nous avons peu entendre que vous la va de ceſte forte , fait Abdias : Pourſuy doncques , criroiệt
vous en pourriez reſoudre aiſément. Il replique, Eſtes Tacompte moy s'il te plaiſt qui furent ces 4. manieres ai cc mot
nſi par
vous point venus pour m'esprouuer , ou bien pour vous de choſes que Dieu fit de ſespropres mains. Die v auec
les qua
inſtruire de cela ? Demandez doncques à la bonne heure ſes propres mains , reſpond Mahemet , edifia le haut detre pre .
tout ce que vous voudrez enquerir. Alors Abdias ; de plus grand Paradis : planta l'arbre de la trompette: for . mieres
cent queſtionsprincipales qu'il auoit apportées quant ma Adam : & eſcrit les tables qu'ildonna à Moyſe. Ra- lettres
de l'AL
e ſoypar eſcrit , choiſies de tous les obſcurs lieux de la bi Rambam à ce propos au 1. liure de ſon Moré,
chap.6s.l’Eſcriture dit; les tables de Moyſe ſont phaber ,
4238
Bible, s'en va propoſer la premiere en diſant ; Mais de
grace Mahomet dy nous auant toutes choſes , ſi tu es l'ouurage du Scigneur Dieu , & leur eſſence eſt
Trophete , ou Meſſager? il reſpond ; Dieu m'a conſtitué diaturelle ; car toutes les cuures de nature ſont
l'un de l'autre ; car il dit ainſi dedans l'Alchoran ; appellées les æuures du Seigneur . Et de fait pl. soj.
PARTIE i'en ay enuoyé
enuoyé deſſus
deſſus toy
toy , & partie quand Dauid cut fait mention des plantes , des
non enuoyé. Et en un altre endroit ; Il n'eſt pas animaux , vents, pluyes, & autres choſes naturel
poſſible à l'hommede deuiſer auec Dieu linon les , il adioufte , o combien ſont magnifiques tes
par l'interpoſition d'un ſien nonce. Cela eſt vray, cuures Scigneur ? & là meſme encore , les cedres
dit Abdias. Mais dy moy preſobe-tu ta loy, ou celle de du mont Liban
que ta propre dextre a planté.
Dieu ? Il reſpond , la lor de Dieu. Et quelle choſe eſt la Pareillement l’Eſcriture dit que les tables eſcri
loy de Dieu ? La foy ,dit -il. Quelle foy ? Qu'il n'y a tesdu doigt de Dieu , à ſçauoir auec la premiere
point une pluralité de Dieux ,mais un Dieu feulofens volonté d'iceluy, & non auec aucun inftrument,
k ij
1

222 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 223

Exode tout ainſique les eſtoilles:Dont nos Sages ont dit, parce que l'Ange qui futenuoyé à Dauid luy dit ainſi,
24. 34. que l'eſcriture de ces tables fut yne de ces dix cho nonante brebis auoit ce mien compagnon, & moy vne ſeule
Deut. 4. Ies qui furent creées en l'ouurage de Bereſit. qu'il me rauit. Cent,ſontles coups quedoitfouffrir celuy
S. 10 .
Et quieft -ce quita reuelétout ceci ? pourſuiuit Abdias, qui ſera trouué en adultere. ALORS Abdias , en verité ó Azoare
L'ANGE Gabriel ,refpondit , Dy -moy au ſurplus,iete ben Mahomet tout cela va de la propre ſorte que tu dis, 48.2.des
prie, par ordre,que c'eſt qu’rn ,puis deux ,trois ,IV. V. pourſuis donc s'il te plaiſt le reſte, & expoſe nouscomme Roys 12,
VI. VII, VIII. IX . X. & ainſi de rang en rang iuf c'eft que fut faite la terre , e les montagnes ,quels noms
qu'à cent. MAHOMET refpondit , Vn , c'eſt Dieu ,lequel elles eurent, & quand ce fut. IL FAIT reſponſe,Dieu for
r'a aucun compagnon , y enfant,& en la mair d'iceluy ma Adam du limon , & ce limon procedoit d'eſcume,les
eſt la vie & la mort : & ejt puiſſant ſur toutes choſes. cume de la tourmente , ceſte tourmente de la mer , la mer
Deux, Adam & Eue : eſtoit ceſte paireen Paradis aut des tenebres, les tenebres de la tumiere , la lumiere de la
qu'ils en fuſſentchaſſez. Trois ,Gabriel,Michel,& Sera Parole,la parole de la penſée , la penſée dela iacynthe,
fiel, Archanges ſecrétaires de la Deité. Quatre, la loyde La iacinthe du commandement . Il n'y a aucune doute
Moyſe,les Pſeaumes de Dauid ,l'Euangile,& l'Alfurcan . en cela , fait Abdias , mais dy-moycombien d' Anges aßi
Cinq,ſont les oraiſons & prieres à Dieu ,qui mefurent en ſtent aux hommes ? I l reſpond , chaque perſonne eft in
joinctes de luy, & à mon peuple , non encore ordonnées à ceſſamment coſtoyée de deux Anges l'un à dextre l'autre
aucun des Prophetes paſſez , ny ne ſerontparcy-apres à àſeneſtre : celuy qui eſt à la main droicte eſcrit tout le
l'aduenir. Six ,les iours eſquels Dieu acheua tous ſes 04 bien qu'on fait, l'autre de la gauche le mal. ETOV
urages. Sepr , les cieux,car il eſt dit en l'Alchoran , Il 3 aßiſtent-ils ainſi à l'homme ny comment , & en quog eft
eſtably les ſept cieux . Huit,ſontles Anges qui auiour ce qu'ils eſcriuent?Ils ſont aßis refpond -ilſur ſes eſpau.
du Iugement porteront le throſne de Diex .Neuf, les mi les, où leur langue leur ſert de plume , leur ſaliue d'an
TaclesdeMoyſe. Dix , les iours du icufre, dont ilyen a chre , & leur cæur de papier. Tovi cecyeſt encore vray,
trois pour l'aller du pelerinage, & ſept au retour. Vnze, mais pourſuis encore de grace , qu'eſt -ce que Dieu fit
les eſtoilles que Joſeph vid en jonge qui l'adoroient. puisapres ? L A Carthe & la plume. QVELLE carthe,
Douze , les mois de l'an . Treize , onze principales quelle plume? V N o carthe certes , où eſt enregiſtré tout
eftoilles auec le Soleil,& la Lune. Quatorze , les chan ce quifut , eft , d ſera,tanten la terre commeau ciel; la
delles penduës antour du throſne de Dieu ,longues autant plume eſt faite de lumiere tres - claire. QV ELL E eſtla
qu'on pourroit cheminer cinq cens ans. Gainze, parce grandeurdeceſte plume ? Elle tient de long le chemin
que l'Alchoran deſcendit continuellement du plushaut du de cinq cens iournées , & quatre- vingts delargeur, a
ciel iuſqu'au dernier : & delà demeura à deſcendre dou quatre- vingts becs , qui ne ceſſeront iamais d'eſcrire tout
cement icy bas iuſqu'au quinzieſme jour du mois de Ra ce quiſe fait au monde iuſques an iour du lugement ; CAT
madhan :car il eſt ainſi eſcrit dansce liure , le mois de il eſt dit en l'Alchoran. Nun vvacalam yua me aftu
Ramadhan auquel l'Alchoran deſcendit. Seize, rum . E t la carthe dequoy eſt- elle ? D'une belle eſme
font la garde autour du
ſont les legions des Cherubins qui raude tres- verte,les mots y inſerez de perles, do le dos eft
throſne de Dieu , loüans le nom de leur Seigneur. Dix de pieté. Et combien de fois regarde Dieu en cefte carthe,
Sept,les noms de Dieu mis entre le bas de la terre,& l'en . tant le iour que la nuit ? Hvit vingts fois , à chacune
fer ſans
, leſquels l'exceßiue inflammation & ardeur qui deſquelles il efleue ( aduance celuy que bonluy ſemble ,
en fort,60 :ſommeroit tout le monde. Dix buit ,les inter Grabaiſſe qui illuzplaiſt: carileſt ainſi eſcrit en l’Al
walles & espaces d'entre le throfne de Dieu , & l'air, que choran. Il n'eſt iour que Dieu n'accompliſſe ſavo .
s'ils n'y eſtoient,ſa clarté aueugleroit tout l'vniuers. lonté . CERTES en tout cecy il n'y a rien que de verita
Dix -neuf, ſont les bras & canaux du fleuue infernal ble. Or declare moy pourquoy le ciel eſt appellé Ciel.
Zacaz , lequel au iour du lugement bruira d'un trop ef Povrce , dit - il,qu'il a eſté crée de fumée , & la fumée
pouuentable fon ,auqueltous les condamnez reſpondront. de l'exhalation de la mer , car l'Alchoran met en ſorte .
Vingt , parce que le vingtiefme de Ramadhan deſcendit Vualme am vuegeheu. Et d'où vient qu'il eſtainſi
le pſeautier ſur Dauid . Vingt -yn, car le vingt - vnieſme Verd ? Dv MONT Kaf, qui eſt tout fait d'eſmeraudes
dudit muis fut nay Salomon,c les montagnes en loiierent de Paradis , laquelle montagne qui enuironne toute la
Dieu . Vingt-deux , à cauſe que le meſme iour dudit mois terre Souſtientle ciel, ſuivantce que dit l'Alchoran , Kaf
Dieu remit à Dauid ſon offenſe de la mort d'Vrie. Vingt Vualcoran elmegid . Le Ciel a doncques desportes?
trois , d'autant qu'en ce iour dudit Ramadhan naſquit Ovx ,mais pendantes. Et les portes des clefs ? D E
le Christ fils de Marie , l'oraiſon de Dieu ſoit ſur vray,qui fontgardées au cabinetde Dieu . E T cesportes
luy. Le vingt- quatrieſme, Dieu parla à Moyſe. Le ringt dequoy ſont -elles ? D'or fin ,les ſerruresde lumiere , &
cinquieſme, la mer s'ouurit deuant le peuple d'Iſraël. Le lesclefs de pieté. Sans doute . Mais ce ciel noſtre que
vingt ſixieſme, Dieu luy donna les tables du decalogue. nous voyons , dequoy a - il efté creé :LE PREMIER
Le vingt-ſeptieſme , la baleineengloutit Ionas quand il d'eau verre,le ſecond d'eau claire le troiſieſme , d'eſme
fut ietté en la mer. Le vingt -huictieſme, Dieu rendit la raude,le quatrieme d’orpur , le cinquieſme de iacynthe,
veuë à Iacob quand Iudas luyapporta la chemiſe de fon le fixieſmed'une nuée reluiſante, le ſeptie me de la
fils Iofeph. Le vingt-neufieſme, Dieu rauit à SoyEnoch . fplendeur du feu . CELA ne peut eſtre finon veritable,
. La
Le trentieſme, Moyſe s'en alla an mont de Sinai fait Abdias : Mais qu'y a- il au deſſus de cesfeps cieux ?
DESSV's le luifle vint interrompre en luy difant,ab V Ne mer viuifiée. Et quoy plus ?V n E autremerne
brege vn peu ô Mahomet,& te depeſihe, car tu pourſuis buleuſe. POVRsvis de grace par ordre iuſques au
trop particulierement toutes choſes. I e le feray, dit -il, bout . Av deſus de ces deux vient en apres une mer
mais pourne laiſſerta requiſition imparfaite. Quarante, aërée. Puis une pierreuſe : vne obfcurcie de tenebres :
furent les iours queieuſna Moyſe. Cinquante,denotent vne autre de refrouyſſance & foulas : ce au deſſus eſt la
que le jour du Iugement durera cinquante mille ans . Soi Lune : deffu la Lune le Soleil : par deſſus le Soleil eſt le
xante ,ſont les diuerſes veines de la terre , ſans laquelle nom de Dieu , & confequemment la ſupplication ,& plus
Varieté il n'y auroit point de difference entre lesperſonnes hant :encore l'Ange Gabriel. Au deſſus de luy un grand
pourles diſcerner l'une de l'autre. Septante perſonnages parchemin raz do paré: puis un autre remply d'eſcrie
choiſit Moyſe pour luy aßiſter au conſeil. Ołtante coups ture, & au deſſus ſeptante internallesdrengées de lu
Nomb,
de baſtonnades doit auoir celuy qui s'enyure. Nonante, miere : Ah deffus feptantemille vertus de ses interualles :
1.
puis
de Chalcòndile .
224 225
puis ſeptante mille interualle's de montagnes, & ſur iceux la neige n'eſteintpas le feu . La ſeconde eſt partie de ton- liurc 2,
mille eſpaces :En chaſque eſpace ſeptante mille trouppes nerre , partie d'eſolair , entremeſlez l'on parmy l'autre . chap.17 .
de Ton
de legions d'Anges, en chacune deſquelles y en a cinq mil La troiſieſme my-partie de mottes de terre , d'ondes
Moré.
le , quineceſſentde louer le grand Seigneur de l'uniuers, d'eau ,ſansque l'eau deſtrempela terre , ny que la terre
de au deſſus addetalmuncihe , c'eſt à dire la borne de boiue l'eau. La quatrieſme,moitiévent,moitié pluge,qui
la dignité Angelique. Puis au deſſus eſt planté l'eftendart neſemoleftent l'un l'autre. La cinquieſme , meſlez ef
de gloire : puis des interualles & diſtances de perles : puis gallementde fer & de feu,ſans aucune confuſion entre
d'autres interualles de grace , & puis des interualles de eux.La fixieſme,d'or & d'argent autant de ľun comme
puiſſance : En apres lesintervalles dela diuinité: & plus de l'autre . La feptieſme, moitié loiiange moitié gloire.
haut des interuallesde la diſpenſation & gouuernement : Erla huictieſmed'une tres- reſplendiſſante lueur. Cela Azoare
29 ,
& plus haut le marche-pied : & au deſſous d'iceluy le va ainſi que tu dis, reſpond Abdias , o ne pourroit eſtre HuitAn
throſne ſur lequel eſt aßis le Seigneur de l' vniuers. autrementmaintenantdy-moy,ie te prie l'espace qui eſt ges ſous
CERTES tu m'asmerueilleuſement bien deduit toutes de nous iuſqu'au Ciel. De nous certes iuſqu'au plusbas, ſtiendrot
ces choſes, comme elles ſont ſansaucune doute ;il ne reſte autant qu'on pourroit faire en cinq cens ans de chemin ,e le throjne
plus ſinon de me dire ſi le Soleil, & la Lune ſont fideles ainſi par ordre de ranc enranc ,de l'un à l'autre ,telleeft à de Diem .
ou meſcreans. FIDELES de vray , & obezſans à tous la verité l'eſpoiſſeur de chaque Sphere,où ily a en toutes
les commandemens de Dieu . E Td'où vient doncques figrand nombre d'Anges ,que nul ne les ſçauroit compter
qu'ils ne luyſent pas eſgallement? Die v à la verité, Simon Dieu . Cela eſtſansdoute pareillement. Or dy
reſpond -il, les crea tous deux d'vne meſme ſplendeur e moy doncques quelsoiſeaux ſont qui habitent entre nous
perti , mais il aduint qu'eſtant encore incertaine la vicif & le Ciel Certains oiſeaux qui ne touchent iamais Ils ap
fitude du jour & de la nuit. Gabriel volletant par là d'a pellent
ny à la terre ,ny au Ciel , ayans la queuë commeune cou Manuco
vanture , touchala Lunedu bout de l'aiſe, dont elle de leuure,& de couleur blanche , des crins à guiſe d'on che- diata , &
uint depuis obfcurcie , car il eſt dit er l'Alchoran, l'ay ual , de longs cheueux comme pne femme, & au reſte des s'en
commis à la charge du iour & la nuit les deux lu ailes d'oiſeaux. La femelle pond ſes aufs en une petite void af .
ſez qu'ó
minaires, donti'ay eſteintceluy de la nuit , & al- foſſette enfoncée dans le crouppion du maſle,où elle les
lumé celuy du iour . E poarquoy , replique Abdias, couue , ( eſclot : & ce tant que lemondedurera iuſques des In
eſt donc la nuit appellée la nuit ? PARC E que la nuit eft au jour du Iugement. Cela va de la forte que tu le dis. des,mais
le voile qui couure lemaſed la femelle : de fait l'AL Mais
pourquoy eſt -ce que ce monde eft appellé monde ? cous
choran met ei. ceſte forte: l’ay mis la nuit pour le ve Pov R autant qu'ilfut fait outre un autre fiecle : car morts
car on,
itement , & le iour le prochas de la vie . Tell e s'ileuft eſtéfait auec luy,ilſeroit perpetueltort de mes ne les
eſt außila verité , dit Abdias. Mais au reſte dy-moy s'il me. Et la fin pourquoy eſt-elle appellée fin ? PARC ) prend
te plaiſt, combien il ya de rengées da ordres d'eſtoilles ? qu'en icelle reſuſcitera toute creature. E't l'autre fiecle point en
Trois : le premier , de cellesquipendent du ſiege de à quel proposeſt-il dit autre ? Parce qu'il demeurera le vic,
Dieu , attachées à des chaiſnes d'or, d'où elles eſtendent dernier apres ceftuycy , “ ne s'en peutpoint donner de La Zune
leur lumiere iuſqu'au ſeptieſme throſne. Le ſecond eft fimilitude , cai ſes habitans neſont point mortels,ny les liure 4 .
des antres dont le Ciel eſt embelly & orné ,& quand les iours deſa durée fouſmis à aucun nombre. Cecy eſt pa- chap. 2.
met quc
diables cuident venir pour eſpier lesſecrets celeſtes , elles reillement yray.Mais quoy ? ſifaut -il que ie te propoſe au les Ana
ſe mettent au deuant , & leur dennent brauement la jourd'huy quelque choſe ou tu bronches : Dy-moy donc ges
Azoare chaffe , car il eſt ainſi eſcrit en l’Alchoran . Nous auons ques ſiDieu te gard ,quel fils eſt plusfort que ſon pere? Le mour
47.77.& paré le ciel auec les eſtoilles, & icelles plantées au FER. Et qu'eſt -ce qui eſt plus fort que le fer ? LE FEV . ront au
82. au li- deuant des diables. Le troiſieſme eſt des planettes pour Quogplus que lefeu ?L'env . Quor plus que l'eau . Le premier
ure des ſon de la
la diſtinction des temps, desſignes,& preſages. CELA VENT. Cela eſt encore vray. Or ne t'ennuye ie te prie,ci trom
fleurs, &
en la eſt encore vray , dit Abdias , & ne ſe peut faire autre medy. Adam pourquoy eſt - il nommé Adam ? PARCE pette , &
Zune. ment : mais dy-moy,ſiDieu te garde defortune , combien qu'il futcreé du limon de toutes les terres :Car s'il euft que les
ya- il demers entre nous & le Ciel : S EPT , reſpond il. eſté creé d'une ſeule , il n'y auroit point de difference on- animaux
melmes
E T combien de vents ? Trois: le premier eſt ferile, tre lesperſonnes par où l'on lespeujtdijcerner. Et quand reſuſci.
que Dieuenuoya ſur le peuple d'Abat: le ſecondnoir, il futfait , par où entra en luy l'eſprit de vie ? Par la bou teront,
lequelenfle eſleue la mer, & cefluy-cyrengregerale che , & par la meſme il en fortit. Qu'eſt -ce que luy dit
feu au iour du lugement , le troiſieſme eſt celuy qui ſertà doncques Dieu ?Habite toy a ton eſpouſe le Paradis :
la terre , & à la mer. T v as raiſon. Au ſurplus combien mangez & beuuez de tout ce qui y eſt ſeulemēt gardes ,
ya -il d'interualles depuis le ciel iuſques à nous? V n tant vous bien d'approcher de cet arbre. Et quel arbre eſtoit
ſeulement ſans lequel l'ardeur celeſte bruſleroit icy bas celuh -là : FRVICTIER ,mais ſemblable au froment,
toutes choſes. Cecy eſt encore ſans doute. Mais ſi la ayant ſes eſpics, dont Adam prit l'un auquel il y auoit
terre eſtoit oſtée où ſe logeroit le Soleil . En vne fontaine cinq grains, il en mangea deux, en donna deux autres
d'eau chaude, & la fontaine en vne couleuure , la couleu à Eue , le cinquieſme il l'emporta auec foy. COMBIEN
ure en un interuallo,> & l'interualle au mont de Kaf, le donc eſtoit grand ce grain ,ny qu'en fit-il? Plys grand
quel eſt en la main d'vn Ange qui tient le monde iuſques qu’un æuf . & le diuiſa en fix cens parties , deſquelles
au iour du Iugement. Il eſt ainſi. Or quelle forme tien vindrent à ſe produire toutesles fortes de ſemences. ET
nent les Anges à porter la chaire deDieu ? Levrs teſtes où ſe retira-il apres qu'il fut chaſſé hors du Paradis ?
font ſousleſiege,& les pieds au bas des dix -ſept marches ADAM en l'Inde, & Eue en Nubie . DeqvoY feve
du throſne, leſquelles teſtes font ſi grādes que ſile plus vi ſtoient- ils alors ? ADAM de trois fueilles de Paradis :
fte es leger oiſeaul volloit ſans intermißio ne repos à peine mais Eue eſtoit couuerte er enucloppée de ſa cheucleure.
pourroit -il arriuer d'une oreille à l'autre en mille ans , O v ſe rencontrerent-ils puis apres ? E N Araf , b'eft à
leurs cornesſontentrelaſſées au haut de leurſdites teſtes. dire à la Meke. DvQVEL des deux de-nos premiers
Leur viande & breuuage au reſte n'eftans autre choſe parens futfait l'autre ? Eve d'Adam , ( delà vient que
quela loiiange co gloire de Dieu : & lebattement de leurs la femme ſe conure le chef ) de l'une à ſçauoir de ſesco

Aiflessi prompt, qu'autre ne le pourroit conceuoir ſinon ftes gauches, car ſi de la droicte, elle euft eſté außi forte
Moyſe Dieu . La premiere rangée d'iceux eſt moitié de neige, que luy. Qvo eſt-ce qui habita la terre premier qu'A
Egyptič, moitié de feu. Neantmoins le feu ne conſume la neige,ne dam Premierement les diables ,puis les Anges, es puis
k iij
226 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
227

Adam . Entre les diables & Anges il y eut ſept mille vne fois ne ſerallumeiamais plus iuſques au jour du luge
ans , entre les Anges o Adam mille. L a chofe va ment ? L E Fev qui eſt au corps humain eſt ſuſtanté logo
ainſi que tu le dis : mais venons au refe, qui eſt -ce qui maintenu de viande & breuuage , do quand l'ame s'exs
.
le premier de tous commença des pelerinages ?ADAM . part , il s'eſteint ſans ſe rallumer qu'elle n'yretourne. IL
Et qui luy raſa la teſte ?GABRIEL. Qui fut-ce eſt vray. Pourſuy maintenant,qu'eſt- ce qui eſt toufiours
qui le circoncit ?Lvy meſme. APRE s Adam qui fut petit, & qu'eſt ce qui eſt toufours grand ? Lespetits
circoncis le premier ? A B RAHAM. Cela eſt ſans caillous, & les montagnes. Et où eſt le milieu de la terre?
doute. Mais i'ay bien d'autres choſes à te demander. Dy En Ieruſalem : car de là ont eſté diſperſées les nations,
fibon te ſemble. Quelle terre eſt-ce que le Soleilne & là meſme s'y raſſemblerort dereihef: Là ſera eftably
vid oncques qu'une ſeulefois , de ne la reuerra iamais vn pont ſur l'enfer ,auec de grandes balances au bout,
plus qu'à la fin du ſiecle ?Quand la mer rouge fut ſeparée qu'y apporteront ſeptante mille Anges. Sans doute.
par Moyſe, lefonds d'icelle vint à ſe deſcouurir ,ſique le Mais pourquoy eſt-ce que Ieruſalem eft appellée la benoi.
Soleilla peut voiralors , mais les ondes eſtansretournées ? ÁRC qu'elle eſt droictement à plomb
ſte maiſon P
il n'yaura plus de moyen de l’apperceuoir, que t'en ſem . Sous la Ieruſalem celeſte, & que là Dieu & les Anges ont
.
ble -il donc Abdias ? trouue tu rien de tout cecy en ta loy ? parlé auec les Patriarches, & prophetes. Dieu y donna
Nonde vray , nybeaucoup d'autres telles choſes que ie Außi à Moyſe trois mille cinq cens quinze preceptes. DY
deſire fort d'apprendre. Orpaſſons outre , qui eſt la mai Mor encore , quelle humeur eſt -ce qui ne provient ny
ſon qui a douze portes , par leſquelles ſortentdouze por du ciel ny de la terre ? L A ſueur des animaux qui tra Ce fuc
au mont
tions , auec douze lignées ? Le rocher que frappa Moyſe. uaillent. COMMENT futfaite la premiere barque ? de Sinaï,
deſa verge , auquelſe firent douze creuafjes do ouuer
Noé commença le premier de tous à en faire,dontGabriel & n'y a
tures , dont ſortirenthors douze ſources pour les douze luy donna leseſtoffes , où il entra auecſa famille, & par- que 613.
tribus d'Iſraël.Vray , muis dy.moy à laquelle terre fut tant d'Arabie pardeſſusla Meke , la c ?rco!ltpur lipt fois : prece
ce que Dieu parla ? A celle du mont de Sinaï ; quand il de linauignant au deſſus de lerufalem , il l'enuironna pres, fe .
lon Rabi
luyordonna d'eflener Moyſeiuſqu'au Ciel. Tu dis bien, außiparſeptfois , puis vint au mont de Iudée , où les Moyles
mais quelle choſe eſt - ce qui vit , & fin'a point d'eſprit ? eaux eſtansvenuës à s'aba :ſſer , ilarreſta ſabarque . Il Chuſen
La nuit ,car ſon eſprit ne retourne iuſqu'au matin . Cela eſt ainſi ,mais que deuint cependantla Meke ? Dieu l'ef- fis , &
vray encore. Orſus qu'eſt- ce qui fut premierement bois, leua là baut au ciel , co donna en garde Ieruſalem an autres
Talmud
& puiseut vie ? La verge de Moyſe, tantoſt bois, tantoſt mont Abikobez , quila conferua en ſon ventie. Tv
diſtes , à
couleuure . Il eſt ainſi. Dy. moy doncques conſequemment racomptes certes naifuement comme toutes ces choſes ſçauoir
quelle femmevint du ſeul maſle ? Ev e , qui vint du paſſerent. Dy-moy doncques dequoy procede que les en- 36s.pro
ſeul Adam ,commeCHRISTde la ſeule Vierge Marie, fans naiſſent , les vns reſſemblansaispere , les autres à hibitifs
Sans doute , pourueu que tu me dies encore qui font les lamere & , les autres à leurs ayeuls ou ayeules? QUAND autant
trois choſes qui furentproduites ſans aucune commixtion le plaiſir de l'homme ſurmonte celuy de la femme , la que de
jours en
demaſle . ADAM , lemouton d'Abraham LES V S creature qui en eft conceuë tire à ſoy la ſemblance du pe l'an , &
CHŘIS T. Bon. En apres quel futle ſepulchre qui ſe re , & de ceux de ſon eſtoc : de meſme celle de la mere ſi de nerfs
remua auec ce qui y eſtoit enſeuely ? La Baleine auec lo
ba volupté eſt ſuperieure. CELA eſt vray. Mais de- au corps
humain ;
nas . Ainſi eſt -il. Or qui ſont les deux ſeulsdont l'on igno claremoy confequemment ,fi Dieu punit perſonne ſans
& 248.
re les fepaltures ? Abitabil , Moyfe. Et comment cela, occafion. Nondit - il E T aux enfansdes infideles que affirma .
dy le moy de grace , comme il aduint de l'un don de l'au
qu'apresqui fera ili tus comparoiffront az iour du egement de- litisyrau
tre ? Abitabil preſentant ſa mort,ordonna uant ſa face , illeur
& dira , qui eft voſtre Seigneur en tant que
ſeroit expiréon mift for corps ſur un chameau ,do qu'on maiſtre ? Ils reſpondront:Toy Seigneur qui nous as créez. d'os en
le laiſſaſt aller on la fortune le conduiroit ,le fuiuant de iceluy,
Et à qui amez -vous doncques feruy ? qus eſt-ce que vous
loing iuſqu'à ce qu'il s'arreſtaſt defoy-meſme. Cela fur auez adoré ? Certes Seigneur nous ul’auons peu nous pre
executéde la ſorte, & ayant iaxé en terre où le chameau valoir de l'uſage de nos oreilles , ny de noffre langue , ny
vint à ſe coucher , on ý trouua vn monument que Noé enſuiure ton meſſagor. Il repliquera , & voudriez vous
auoit preparé à Abitabil,ſelon que le portoit l'inſcription bien accomplir quelque choſe ſi elle vous eſtoit ordonnée ?
gengrauée , là où l'ayans enſeuely, & couuert puisapres Ils diront , ouy Seigneur tres-digne tres-jufte , voire
le lieu de terre , on ne l'aiamais peu retrouuer depuis. Au tout ce quilte plaira commander. Alors il fera couler un
regard de Moyſe , comme il allaſt errant tout ſeul parmy des flexuesinfernaux deuant eux , & leur dira , Iettez
le deſert, il trouua d'auanture un ſepulchre vuide vous doncques dans ce gouffre. Ceux quiyobeïronten
ouuert , iuſtement creuſé à la meſure de ſon corps,comme Sortiront ſans auoir mal , & pafſeront en Paradis : mais
il l'eſprouua sºgeſtant couché; dequoy eſtant tout eſmer. les autres qui enferont difficulté & refus , s'ex iront auec
ueillé , voicy là deſſus arriuer l'Ange de la mort pour l'oca leurspredeceſſeursen enfer. Car il eſt ainſi dit en l’Alche
cire,que Moyſe reconneut ſoudain ,& luy demanda pour ran . Qui obeïra ira en Paradis, & qui le refuſera
quoy il eſtoit li vent . Il fit refponſe , pour anoir ton ame. en enfer. CELA eſt bien la verité , mais ie defirerois
Comment penſes-tu doncques , repliqua Moyſe, de me volontiers que tu m'en donnaſſe quelque fimilitude ſi tu
l'arracher hors du corps ? car par la bouche il ne ſe peut, lepuis. Ovy de uray, car la meſme queſtion fe peut
de laquelle i'ay parléauec le Seigneur, nypar les oreilles faire des enfans des fideles qui leur naiſſent auergles,
dont i'ay ouyla voix d'iceluy , ny parles yeux deſquels ie Sourds, & muets. Il y a apparenceà ce quetu dis. Or
l'ay veu face à face , nypar les mains qui ont receu Son paſſons outre, comment est-ce que la terre ſe desfera ?
tant riche preſent, nypar les piedsdont i'aymonté deſſus Li feu la reduira en cendre , que l'eau deftrempera puis
le mont deSinaï. Cela ouy, l'Ange ſe departitde luy,ego apres. Il eſt ainſi. Quant aux montagnes, d'où ſortia
ayant pris nouuelle forme apporta vne pomme de Paradis ront-elles : Dumont Kaf, ó Dieu les ficha comme de
qu'il donna à Moyſe pour la fleurer,& l'ayant approchée gros paulx dans la teri e carileft efirit en l'Alchoran
du nez , l'Ange le prit par cet endroit comme s'il l'euft de la forte. l'ay fait la terre tout plaine, & planté
voulu moucher , & luy arracha l'ame , tellement que le dedans les montagnes comme des paulx . Pourfuy
corps priué de vie demeura là en ce ſepulchre , qui ne fut doncques& dy-moy qu'ily a defiuus les ſept terres . Vn
iamaisplus retrouué . Cela va coirme tu le dis ; mais quel bæuf, reſpond -il. Et les piedsde ce bæufſurquoypoſinca
feu eft - ce qui mange cu boit , e depuis qu'il eſt efteint ils ? Sur une groſſe pierre. Quelle eſt la forme de cét ani .
mal :
228 de Chalcóndile.
229
mal :Sa teſte eſt en Orient,& fa queiie en Occident ayant mis à perſonne , fors au Prophete tant ſeulement , auquel
quarante cornes, cantant de dents, d'yne corne à au pour l'excellent merite de ſa vie ceſte liurée eſt referuée
tre il y a mille ans de chemir. E quoy ſous la pierre ſur par ſpecial priuilege : tous ſonten la perfection de la
laquelle il eſt eſtably ? V Ne montagne appellée Zohot. ſtature d'Adam , du viſage de les v S - CHRIST
D'ov eſt elle ? D'enfer. E i de quelle grandeur ? A v Sans iamass croiſtre ne diminuer en aucune ſorte. I E L E
TANT qu'on pourroit aller en mille ans : car là deſſus
croyois bien en la forte : mais parle moy de leur vie , &
montera toute la trouppe des infidelles , & apres qu'ils leurs voluptez , à commencer de leur premiere arriuée etz
ſeront paruenus au ſommet, le mont ſe mettra à trem ce benoiſt lieu . SOVDA IN qu'ils ſont entrez là de
bler , & les iettera au fonds d'enfer, car il eſt ainſi eſcrit dans , on leur preſente pour le premier mets le foye d'un
en l'Alchoran , Sourhicubu azottot ; c'eſt à dire que poiſſon dite Albehbut , plus delicieux au gouſt qu'Ambro
Zohot les ruinera. Sans doute . Mais qu'y a - il ſous fie ,quieſt ſecondé puis apres des fruits des arbres, & du
la montagne ? V n e terre. E t comment eſt-elle appel nectar de Paradis, & en outre tout ce qu'ils ſçauroiene
lée :WERCLE A. Qvoy deffous elle ? V NE mer, deſirer leur eſtre fourny au meſme inſtant. I E N'EN
Quel eſt ſonnom ? ALK A S E M. E t quoy au deſſous, doute point autrement , fait Abdias ,mais pource que
afin que tu m'expliquesle toutparordre ? L A terre d'A
tout ce qui entre dans le corps ,faut apres auoir eſté di
liolen , puis la mer Zeré , puis la terre dite Neama, geré qu'ilſevuide , puis qu'ils mangent & boivent ainſi,
puis la mer Zegir , puis la terre de Therib , puis une que deuiennent les excremens ? Il ne s'enſuit pas, ref
autre dite A giba, blanche comme lart , ſentant comme pond Mahomet : car pendant que la creature vit dans le
mufc , molie à guiſe de Saffran, & luiſante à pair de la ventre de la mere , ne reçoit elle pas du nourriſſement,e
Lune : Sur ceſte.cy Dieu aſſemblera tous les iuftes , car il toutesfois elle ne ſepuidepoint pour cela ,ains ſi toft qu'el
eft dit en l'Alchoran. En ce iour là Dieu commuera le commence à ietter hers, elle eſt par meſme moyenſouſ
vne terre pour l'autre. Au deſſous de cefie cy est la miſe à la condition de mourir, à quoy ſeroient pareille
me Alkintar , d . eu deſſous encore un poufon appellé ment ſujets ceux d’exhaut s'il leur eſtoit beſoin ſe vui
Albehbut , dont la teſte eſt en Orient , a la queue en der :Trop bien s'il reſte quelque ſuperfluité , elle s'en va
Occident ,ſurle dos duquel poſentles terres, & les mers, par une legere ſueur fragante à pair d'ambregris , & de
les tenebres , l'air , & les montagnes iuſqu'à la fin de muſe. Tv as fort dextrement refolu ceſte obiection ,
tous les fiecles. Aubas du poiſſon ya un mont qui le neantmoins ie deſire entendre de toy , s'ils ne mangeront
Souftrent:ſous le mont un tonnerre,& au deſſous vn grand pas du pain , & de la chair außı bien que des fruits, co
efclair: plus bas que tout ce que deſſus il y a vne mer de ſemblables douceurs' ? Tov i en ſomme ce qu'il leur
ſang , ce au deſſous l'enfer bien clos & bacclé :plus bas ſeroit poßible de foshaitter , horſmis les viandes prohi
vne mer de feu ,puis vne autre mer opaque , puis la mer de bées , qui außibien ne leur reuiendront pasà gouſt ,mais
lapuiſſance,puis une autre mer nebuleuſe , & au deſſous pour delectation ſeulement, & non pour affouuir la faini.
Sont les louanges ,puis la glorification , puis le throſne, Et qui ſont ces Viandes prohibées ? COMME par
puis vne carthe routeblanche , puis uneplume, & finale- exemple lachair de pourceau. Ha tu m'as graté où ilme
ment le grand nom de Dieu . E t quoy encore au desſous, demange, bon Mahomet , car außi à nous autres Iaifs.
fait Abdias ? H A tes demandes s'eſtendenttrop en infiny, Dieu ,ſçay ie bien , nous l'a defenduë,& non ſans cauſe,
reſpond Mahomet:& qui eſt celuy quipeufi paſſer outre,? laquelle ie deſirerois bien entendre,me ſmement de tabou
Te ſuffiſe que la toute - puiſſance de Dieu eſt eſgalle en che,ficela ne t'eſt ennuyeux ,puis qu'il vienticy à proposa
tous ſens,& de tous coſtez , Choſe eſtrange,faitAbdias, l'en ſuis content reſpond il , pourueu que tu ypreſtes l'o
& certes , il y a apparence que tout aille conime tu le reille attentiue, car les v S -CHRIST eftantrequis

dis. Pourſuy doncques s'il teplaift,& me dy quelles ſont de ſesdiſc ples de leur eſcrire quelle eſtoit l'Arche de Noé,
les trois choſes qui vindrent de Paradis en ce monde. ce l'eſtat de ceux qui reſchapperent du deluge pour la
LA MEKE , Iefrab , & Ieruſalem . Cela eſt vray: propagation du genrehumain , luy eſcoutantſans ſonner
mais quelles ſont les quatre qui y ſont venuës d'enfer? mot ce qu'ils luy diſoient,va cependantformer de lut ië
VASTAT Ville d'Egypte, Antioche de Surie : Ehbe ne ſçay quelle figurine entre ſesmains, qu'il flacqua con
ram d' Armenie ,& Elmeden des Chaldées. Il eſtainſi, tre terre , en luy diſant , lene -toy au nom de mon Pere ,
mais dy moy la meſure du monde.La quantité d'iceluy Soudain ſe leuk en pieds un homme chenu , auquel il de
contient une iournée de chemin . Comment cela ? Parce manda qu'il eſtoit ? & ilfitrefponce que Iaphet fils de
que le Soleille parcourt tout en un ſeul jour depuis ſon Noé. Et es tu mort ainſi chenu ? dit lesys - CHRIST .
leuer iuſqu'à ſon coucher. Ala verité ceſte conſideration Non , fait il , mais à l'inſtant que je deceda penſant en
eſt ſubtile & ingenieuſe. Maintenant puis que tu connois moz -meſme comme i'auois à refufciter au jour du luge
ainſi toutes choſes en haut, en bas , deſcrits-moyle ment, ie blanchis ainſi de frazear. Alors les vs luý
Paradis s'il te plaift, & la vie que l'on y meine. I'en ſuis commanda de raconter àſes diſciples toute l'hiſtoire de
bien content reſpond il , puis queparordre & deuëment ceſte arche : & luy s'eſtant mis à deduire la choſe de ſon
tu fais tes interrogatoires. Sois donc attentif à ce que ie premier commencement , il paruint en fin à cet endroit ord
diray. En premier lieu le plancher de Paradis eſt tout il dit quepour l'occaſion des excremens l'Arche ſurchar
d'or , enrichy de forceiacynthes & eſmeraudes, & plantė gée dece coſtéinclina de ſorteque tous en eurēt trop grăde
Au reſte de toutes ſortes d'arbres fruictiers les plus exquis, peur , parquoy leur pere s'en conſeilla auecques Dieu ,qui
Garrouſe d'infinis ruiſſeaux tres -plaiſants , qui coulent luy diſt , qu'il amenaſt là l’Elephant, & luy.tournalt la
ſans cesſe , les vns de lait , les autres de miel blanc comme crouppe vers ces immondices , auſquelles ayant adiouſté
neige , & les autres de vin pur excellent. Lesiours yſont ſa fiente en ſourdit ſoudain vn grand porc qui mangeoit
de mille ans , chacun an dure quarante mille de nos toutes ces ordures. N'y a - il doncques aſſez de cauſe
années. Qvo y doncques, cela ne te ſemble -il pas ſuf d'abhorrer un ſi ord & ſalle anımal ? Si a de vray dit
fiſant pour ce parfaite beatitude? S i fait à la verité, Abdias , mais que tu me dres ce qui en arrina puis apres.
reſpond Abdias, pourueu que tu me declares les habille En fouillant , reſpond Mahomet , cefte villenie anec fon
mens e occupations des habitans eniceluy. Quant aux groin , & l’eſcartant de coſté & d'autre , en ſortit vne
habitans , va- il dire , tout ce qu'il ſeroit poßible de fou inuſitée puakteur , dont ſeprocrea un gros rat , lequel ſe
haitter leur eſt incontinent en main ; ſe veftent de telle mit à ronger lesaiz & cordages de l'Arche : Si que noſtre
couleur qu'il leurplaiſt , horſmis de noir, qui n'eſt là per pere ayant pris derechef leconſeil de Dieu là defus.frappe
k iiij
1
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
230 231

le Lyon emmy le front ; lequel irrité de ce coup , ſouffla quant des lacs, & despuits tres-parfonds , pleinsde re
un chat hors de ſes naſeaux. Lors Abdias ;certes il ſine boüillante parle moyen du feu ſouphreux qui eft al
n'eſt pas poſible de mieux deduire , ô gentil Mahomet, lumé au deſſous, où l'on plonge journellement les dam
comme alla tout ce fait. Mais c'eſt aſſez de ce propos ; nez : & des arbres de coſté & d'autre pour les repaiſtre
Car puis que tu nous as ſi bien diſcouru du viure des has de leursfruits , dont tien neſe ſçauroit imaginer qui fuſt
bitans de Paradis entant que touche leur viande breu d'un gouſt plus horrible & inſupportable. CERTEs ie
uage , il reſte maintenant de pourſuiure quels ſontleurs ſuisfort bien ſatisfait & inftruit de tout, mais que tu me
plaiſirs & leurs voluptez. Et en premier lieu puis qu'ils diesoù eſt celuy que Dieu fera appeller deuant ſoy apres
y mangent & boiuent , s'ils y ont des femmes, é com le iour du Iugement. A V MILIE V de l'enfer eſt une
ment , ny de quelle ſorte. IL RESPOND , ſi aucune profonde vallée : & en ceſte vallée vn gouphre fort creux :
espece de volupté y manquoit leur beatitude ne ſeroit pas • au fondsdu gouphrey a un puits : & au fonds du puits
pleine & antiere ; & en vain iouyroient-ils de tant de de ungrand coffre , où le miſerable eſt lié du garroté de
lices , fice grand contentement defailloit auquel nulau chaiſnes , auec de groſſes entraues au pieds , perfeuerant
tre ne ſe peutpas accomparer ; ains qui plus eft , à toutes neantmoins en ſes eſperances , lequel par l'eſpace de mille
heures , en tous endroits, & en toutes fortes qu'ils le ans criera ſansceſſemiſericorde. Es que luy fera donca
ſçauroient ſouhaitter , ils auront telles femmesqu'ils de ques Diea ? Les mille ans paſſez il le fera venir en ſa
fireront en leurs ſecrettes volontez , ſans aucune diffi- preſence, & luy dira : Qu'eſt- ce qu'il te faut malheu
culté ne retardement ; Si que celles qui leur auront efté reux d'ainſi continuellement m'aſſourdir les oreilles de tes
loyalles eſpouſes en ce monde icy, tiendront encore le mes criailleries & briaillemens ? Quelle confiance te meine,
me lieu depardelà ;& les autres des concubines ; Carles ny en quel merite puis - tu aſſeoir ton efperance ? Et il ref
chambrieresſeront ſans nombre. FORT BIE Ncertes, pondra gemiſſant: Monſeigneur mon Dieu , ie n'aypoint
& exactement tout cecy ; mais ie me refouuiens de ce que d'autre Dieu que toy,qui me puiſſe fairegrace mercy :
Ti'agueres tu as dit , qu'ils auront toutes les viandes Tu en as aſſez d'autres quemoy pour y defcharger ton
breuuages qui leur viendront le plus à gré , fors les de
Courroux , & y exercer ta vengeance , fáis-moy doncques
fendus : Puis qu'à ton dire il yaura là des ruiſſeaux coul miſericorde Seigneur, c ayes pitié de mog s'il te plaiſt .
lans de vin excellent , dequoy leur pourront- ils ſeruir, ſi LA DESSV s Abdias , & quoy alors ? il commandera
c'eſt une choſe illicite , & s'il eſt licite , pourquoy eft -ce de le r'emmener en Enfer, mais il ne ceſſera pour cela
que taloyle defend en ce fiecle-cy ? Tes demandes ſont d'implorer encore la miſericorde de Dieu ,tant que le tout
ſi ſubtiles que de neceßité une ſeule requiert double res- miſericordieux fleſchy deſes cris ordonnera de le deliurer.
ponſe : 1 e ſatisferay doncques à l'un à l'autre,que le Es comme le teint infernal l'ait rendu plus noir que Erreur
vin eſtlicite de par delà & icyeſtre prohibé. Or il y eut poix , lee Anges demanderont à Dieu comme c'eſt que les d'Ori
jadis deux Anges appellez Arot , Marot , que Dieu habitans de Paradis pourront compatir auec luy ? Alors gene du
enuoya du Ciel en la terre pour gouuerner & inſtruire le il leur commandera de l'aller Lauer en une fontaine mét des
genre humain ; leur ayant interdit trois choſes ; de ne dërée , dont ilſera rendu tout blanc , fors qu'une tache diables.
tuer perſonne deneiuger iniuſtement, & de re borre point emmy le front : & ainfi nettoyé ſe promenera par le Pa
de vin. S'eſtans maintenus ainſi longuemēt qu'ils eſtoient qadis à la veuë de tous , qui le monſtreront au doigt ſe
fort conneus par tout le monde, un jour s'en vint deuers mocquans de luy , &murmurerontdece qu'on la retiré
eux vne ieune Dame la plus belle qu’on eut fceu trouuer d'Enfer. Dequoy ilſe trouuera ſi honteux & confus,qu'il
nulle part , qui auoit certain differend auec ſon mary : dira auoir plus cher d'y retourner que d'endurer plus
Tellement que pourgaignerla faueur deſesluges elle les longuementdetels opprobres de vituperes: mais le mi
inuita à banquetter , où elle les traicta des plus delicieux fericordieux pitoyable dira à ſes Anges qu'ils l'aillent
miets de viandes á de breuvages qu'on euft ſceu defirer ; derechef relauer par cinq fois en la meſme fontaine : ce
leur faiſantparmycela preſenter du vin , les inuita à qu'ayans fait la marque s'effacera du tout de ſon front,
fon poßible vouloir boire à elle. Que voulez -vous plus ? & ſera rendu ſemblable aux autres concitoyens de Pa
ſes amadouëmens & importunitez le gaignerentſur le radis : fi que ceſſera ſa vergogne.
Voila mon aduis Abdias,
bon droit : tellensent que s'eſtans efchauffez dedans leur ce que tu voulois ſçauoir de l'Enfer:acheue donc de m'in
harnois , ilsla requirent de ſon amour; ce qu'elle leur ac terroger s'ilte reſte encor quelque choſe. CERTES tu
corda Sous condition que l'on luy enſeignaſt le mot du m'as ſceu filien & exactement eſclaircir de tout , que tu
guet pour monter au Ciel , & l'autre pour en deſcen n'en as oublié un ſeul point : Parquoy ie te requiers au
ſoudain enleuée là haut. Ce que parvenu
dre : & ainſi fut nom de Dieu , puis que tu as ainfi en main toutes choſes,
à la connoiſſance de Dieu , il la transforma en la belle me vouloir deſcrire en appert quel ſera le jour de grand
eſtoille du jour , la plus claire de toutes les antres , ſelon Iugement. I'en ſuis content pourueu que tu t'yrendes
qu'elle auoit eſté icy basla plus belle de toutes les femmes. attentif. Ce iour là Dieu ordonnera à l'Ange de la mort
Mais les Anges ayans efté appellez en iugement. Dieu de tuer toute creature ayant eſprit de vie , tant les Anges
leur propoſa le choix d'eftre punis de leur delit en ce fiecle entierement, que les diables : les diables,enſemble les
icy ou en l'autre ; & ils choiſirent ceſtuy.ty: Parquoy ils hommes ,poiſſons, oiſeaux , & beftes brutes: Car il eſt
furent ſur le champ pendus par les pieds à de longues ainſi eſcrit en l'Alchoran: Toutes choſes mourront
chaiſnes de fer la tefte en bas , au puits de Bebit , où ils ſinon Dieu . Lequel appellera puis apres cét Ange : lry
demeureront ainſi iuſques au iour du lugement . Quoy diſant , ô Adriel , y a-ilplusrien en vie de reſte de tox
doncques , ô bon Abdias , ne te ſemblepas ceſte cauſe bien tes les creatures?, il reſpondra. Non Monſeignent,
fuffiſante pourquoyle vin ſoit là haut permis , c icy bas borſmis moy ton pauure ſeruiteurimbecille. Et il luy di .
prohibé du tout ? S 1 à la verité , & à bon droit. Mais puis ra : Puis que tu as mis à mort toutes mes creatures, va
que tout ce qui concerne le Paradis m’a eſté ainſi claire - t'en d'icyentre Paradis & Enfer, & te tuë finalement
ment expliqué de toy ie voudrois bien s'il te plaiſoit que toy -meſme, fiqne tumeures comme les autres. Le pau
tu me parcoureuſſes ſuccinctementquelque choſe außi de ure malheureux s'en ira où il luy aura eſté ordonné ,
l'Enfer. T A demande eft pertinente ,& ie le feray. or ſe veautrant par terre enueloppédeſes aiſles s'eftouffera
quant eſt de paué de l'Enfer,il eſt fait de ſouffre,fumant Soy -meſme auec vn ſi enorme & eſpouuentable vrle
Sans ceſſe , auec force poix y entremeſlée, ard tout de ment, que ſimeſmes les intelligences celeftes, toutes
Aammes trop cruelles & eſpouuentables. Il y a quant doo les autres creatures eſtoient en vie , cela ſeul ſuffiroit
PONT

1
1
de Chalcondile . 233
232
pour les faire mourir d'horreut tout à l'heure. Là deffus CHRIST . S'eſtans donc retournez à luy ils diront: 8
le monde demeurera deſolé á vuide par l'eſpace de qua les v S - CHRIST l'eſprit , le V erbe , & la vertu du
Tante ans , au bout deſquels le Souuerain tenant le ciel Dieu tout-puiſant , ta miſericorde teſmeuue à pitié ,
& la terre en ſon poing ,dira ; con ſont à cefte heure les foisnoſtre interceſſeur enuers lug. CE QV E vous re
Rois, les Princes , & Potentats de la terres à qui eſt- ce cherchez de moy , dira -il,vous l'auez perdu par voſtre
que de droit appartient le vray Royaume deEmpire ; cao faute: Carie vous ayeſté enuoyé en la vertu , au nom
le pouuoir ſur toutes choſes ? Dites - en la verité mainte de Dieu , & en la parolede verité: mais vous vous eſtes
nant. Ajant repeté cela par trois fois, il reſſuſcitera Se extrauaguez : & plus que je ne vous preſchois , auez
raphiel, á luy dira ; Prendsceſte tron.pette, & la va voulu faire de moy voſtre Dieu , au moyen dequoy vous
Sonner là bas en Ieruſalem .Alors Seraphielprenant ce eſtes decheus de ceſte mienne beneficence. Or adreſſez
fte trompette longue autant qu'on pourroit faire de che vous au dernier Prophete denotant par là celuy auquel
minen cingcens ans apres qu'ilſera arriué en Ierufalem , Vous parlez maintenant, Abdias : Alors s'eftans conuertis
la ſonnera de tout ſon effort ; & forfflera bors d'icelle aluy , ils diront : 0 fidele Meſagerd amy de Dieu,corr
* d'une grande impetuoſité & roideur toutes les ames tant bien auons-nous offenfė Ga mesfait ? mais ne laiſſe pour
iuftes qu’iniuftes , qui y onteſtécependant gardées, lef cela de nous exaucer ,pitoyable Prophete de Dieu : Tout
quelles volletansde coſté 6 d'autre chacune à retrouuer le ſeuleſpoir qui nous reſte : car apre's toy ,en qui pourrons
son propre corps quelque part qu'il ſoit , fe difperferont nous mettre noftre attente ? Exauce -nous doncqucs ſelon
en tous les endroits de la terre: & au premier ſon de la le pouuoir qu'il a pleu à Dieu te donner. Là deſſus Ga
trompette tous les oſſemensſeraſſembleront. Paſſez au briel ſe preſentera , qui ne permettra pas ce grand amy
tres quarante ans l’Ange Sonnera derechef,auquel ſon fien eſtre defraudé deſon Zele :Gos'en iront de compagnie
les es reprendront leur chair á leurs nerfs. Et delà à au deuant la facedu Souuerain : qui leur dira , ie ſçay aller
tres quarante ans quand elle aura ſonné pour la tierce ce qui vous meine: ja ne ſoitque ie vueille en rien fruſtrerle
fois , toutes les amesſe reueftiyont de leurs corps : cela defir demon fidele bien -aymé ſeruiteur: & pourtant
fait,vn grand feu s'eſtant allumé en la partie du Ponant, ayantfait dreſſer un pont ſurl'Enfer , à l'un des bouts y Azoare
il chaſſera toutes les creatures vers Ierufalem ; oid fou aura de grandes balances onel'on peſera tous les faits de 17.apres
Daniel,
Azoare dain qu'elles ſeront arriuées il ceſſera. Ladoncques apres ceux quimonterontdeſſus. Là les ſauuezpaſſeront outre & l'Apo ;
29 . que par quarante ans elles ſeront demenrées nageantes Sains & Sauues: & les damnez trebufiberont dans les
calypſe.
Il n'y ass- en leur ſueur en attendant le lugement , affligées à la Enfers. Demande maintenant , Abdias, tout ce qui te
Taperlono parfin de tantde trauaux, elles viendront àinuoquer viendra à gré. L v y alors, o moymiſerable:& quelle
ne qui ne
s'achemia Adam , luy diſant ; Pere Adam , Pere Adam ,& pourquoy follie m'a iufques icy pofedé l'eſprit dene voir la verité,
ne à ce nous as tu engendre pourſouffrir tant de ſi cruels tour qui eſt plus claire que la lumiere ? mais puis qu'il eſt en ta
few , au- mens do martyres ? ſouffres-tu ainfi (noſtre pere ) nous puiſſance de me fatefaire à tous mes defors , acheue , ie te
quel les tespauures enfans miſerables flotter ſi long -temps entre Supplie de grace , Carie ne me pourrois iamais ennuyer de
incredy .
les de l'eſperance & la crainte , attendans une incertaine e t'ouyr , à me raconter les trouppes de gens quiſe trou
meure douteuſe fin ? Qile ne requiers- tmpluftoft Dieu de vou Heront à ce jour là : & me mets à part les fideles des in
ront cor lor promptement acheuer de nous tout cequ'il a deliberé fideles. ÎL Y AVR A , reſpond il,fix -vingts bandes de
porelle d'en faire ,ſoitdu Paradis ,ſoit d'Enfer ? Adam leur fera tous les hommes , trois tant ſeulement de fideles , & le
ment ,
reſponſe ? Cortes mes enfans vous ſçauez comme à l'in reſte de meſcreans: & contiendra chaque bande mille ans
mais les
craignans ſtigation de Sathan ie fus deſobeyſſant au commande de chemin en long : en largeur cinq cens. Il est ainſi à
Dieu le ment de mon Createur;ce qui eft cauſe que ie ſuis indigne la veritéque tu dis , faitAbdias : mais concluds ce qui ſe
sont jass de fairecet office que vous demandez : mais allez vous- en fera finalement de la mort : apres que toutes les creatu
wer . à Noé ; auquel s'adreſſansils diront ; intercedepournous res auront en la manicre que tu l'as deſcripte eſté depar
efleu de Dieu , Pere Noć. Et il refpondra , i'ay faitce que ties en ces deux endroits. Elleſera transformée en un
i'ay pû pour vous , & vous ay ſauuez au deluge : icy ie monton qu'on amenera entre Paradis & Enfer : 6.là
n'ayplus rien que voir : Retirez vous donc vers Abra s'efleuera vne grandecontention debat entre les habi
ham . Là deſſus ils l’inuoqueront , luy diſans , ô Pere de la tans de deux regions : parce que ceux de Paradis infifte
pure foy, & de verité , Pere Abraham , regarde ces pau Tont qu'elle mehre, de peur d'eſtre tuez par elle : & les
uresmiſerables,& en age compaßion. Auſquels il dira ; infernaux au rebours, qu'on la laiſſe viure , fous efpe
Qu'eſt-ce que vous allez ainſi recherchans de moy ? Ne rance de mourir : mais ceux de Paradis gagneront leur
vous remettez vous pas en memoire , comme ie fus ſi lon Cauſe , & s'en iront tuer la mort entre Paradis e En
guement vagabond idolatre, errant çà e là avant que fer : où l'on edifiera vne groffe tour pour ſeruir de bor
d'eftre circoncis. Ie neſuispasſuffiſant dem'entre-mettre ne : à l'un des coſtez de laquelle il y aura ioze , plaiſir,
de voſtre requeſte : mais appellez Moyſe à voſtre ſecours contentement & repos : & à l'autre , douleur , tour- Azoare
& interceßion : Ce qu'ils feronten luy diſant : Entends à ment , & trauail ſans ceſſe. LA DESS V s le Iuifs'ex- 67.
nous fauory Meſſager de Dieu , grand Prophete , & fon clamant : Tu as vainch , Ô tres bon Mahomet : ar
familier ſeruiteur. A cela Moyſe: à qui vous cuidez reſte toy donc Sans paſſer plusoutre : reçois ma con
vous addreſſer? Ne vous ay- ie pas donné une loyconfir- feßion de moy : Car je croy ở voy clairement qu'iln'y
mée par tant de miracles , do neantmoins vous n'y auez a point plafienes Dieux , ains un Dieu ſeul qui eſt toute
point voulu croire :Si vous m'eußie2 porté creance,i'eufle puiſant , dont tu es ſans doute le vray Meſsager es
pů accomplir vos requeſtes : mais allez trouuer Iesvs Prophete.
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
234 235

2008

DE LA RELIGION MAHOMET ANE

encore , ſelon les textes de l'Alchoran.

E ce que deſſus on peut aſſez as eſleus de ſalut : & non de deux auſquels tu es courrona
voir quelle eſt la doctrine de cé , les infideles : « Nous ne ſçaurions plusfailler, Les
cét impoſteur , pleine par Taliſmans qui ſont leurs miniſtres , repeterono
tout de li impudentes bague cent & deux cens fois en faiſant la zallah ou prie
nauderies , dont il n'a laiſſé re ces deux ou trois mots , pour ſuppléer à

neātmoins d'engluer les deux qui croyroient trop froidement : Albamdu lillahi
tiers du monde : Bien eſt vray hamdu lillah, hamdulillah. Poſtelle auecques peu de
que le tout n'eſt pas de ſa forge, ains de ceux qui changement , en ſa concorde du monde accom
ſont venus apres luy , ſuiuant l'ordinaire des cho. inode ainſi ceſte maniere d'oraiſon . AV Nom de
ſes humaines de touliours enrichir le compte , & Dieu miſericordieux « clement. Loüange ſoit au fouue
baſtir ſur les fondemens ja poſez , iusqu'à ſur rain Roy des eternels fiecles : tres-puiſſant , tres-ſage,ea
tres -bon : duquel prouiennent toutes choſes , par lequel
charger l'edifice, tant que la peſanteur l'ameine
toutes choſes ſubſiſtent: & auquel fonttoutes choſes en
à bas. Car en ſon Alchoran qui eſt le texte de
leur parfait eſtre. Paix ſoit à ſesfideles, & à ceux quile
ſa loy , eſbauché ſeulement de luy par parcelles,
ſelon que les occaſions s'offroient propres à ſes cherchent enverité. La clemence debonnaire de Dieu ,fube
deſſeins, qui n'eſtoient autres que de regner, & fe grace ,fa mercy & mifericorde ſoit eſtenduë ſur toutes
baſtir vne domination temporelle par le moyen creatures . AINSI SOIT - IL . Mais fous ces amorces

d'une nouuelle ſecte relaſchée à toutes ſortes de de pieté il tend des filets plus ſubtils que la pen
voluptez , & depuis couſu & repetaſſé par ſes ſe tiere d'vn araignée : ny que le rets où furent en
Stateurs , de dix mille menus lambeaux au con ueloppez Mars & Venuspar Vulcan en leur adul .
texte quenous voyons :il eſt beaucoup plus cault tere , fable qui n'eſt icy alleguée du tout hors de
& rufé qu'on ne dit , n'y ayant blaſpheme', dont propos des deux idoles de la Meke, Aluthe Aluza ,
il eſt pai tout farcy à outrance , qui ne ſoit aucu & Menete Azalute , attendu que toutes ſes princi

nement adombré de quelque trait deſtourné du pales traditions ſont fondées ſur ces deux Deïtez
vieil & nouueau Teſtament: & de rapſodies des Payennes; la violence à ſçauoir , & effort des are
mes , l'effuſion du ſang où preſide Mars : guerres
Rabins qui y ont interpoſé leur decret . Er en
premier lieu que pourroit - on voir de pluszelatif conqueſes, captiuitcz ,& rapincs : & la paillardi
fe & luxure , non tant ſeulement celle dont l'in
de prim- apparence , ny de plus dcuot , que ce pre
ainbule commun à toutes ſes Azoares ou diftin ſtinct naturel , & le legitime eſguillon de Venus
ctions , en Arabe "Pbatefen eli hitab l'entrécduli follicite toutes ſortes de creatures , ains des plus
abhorrantes & deteſtables qui ſe puiſſent imagi
ure ; qui eſt vne formule de priere dont y ſenttous
les Muſſulmans , ainſi que nous de la Parenoſtre : ner , à quoy il ne conſtituë point de bride. Or
diuiſée au ſurplus en ſept clauſes dites diet , ou COMBIEN ila cítémagnanime,ne fautpas dia
miracles : lequel mot s'eſtend encore à toutes les rc , ne belliqueux, inais cruel, felon , turbulant,
periodes de l'Alchoran : & la proferoit touſiours ſanguinaire, fes conftitutions militaires le mon
Mahomet au ſortir de ſes accez du mal caducq ſtrentaſſez en pluſieurs endroits deſon Alchoran .
dont il tomboit fort frequemment : la palliant du Les conqucrans qui au nom de Dieu entreprendront Azoars

nom d'exſtaſe ou enthuſiaſme, qui eſt vn rauiſſe guerres , batailles é aſſauts, n'agentpeurne crainte de 18,
rics : Caril aßiſte ceux qui viuement enuahiſſent les infi
Oraiſon ment d'eſprit. Av nom de Dieu miſericordieux
de Ma- & propice. 1. Louange à Dieu le Seigneur des fiecles, delles . Et quand Dient vous ordonnera de leur courir ſus,
homet .
2. Le Roy duiourdu ingement. 3. Ha! Seruons- le , do ne faites doute qu'il ne vous aide : au moyen dequoy cha
muillez bardiment ſur leur dos , & ſur leur bras : cay
110us est illt'eils prompt ſecours. 4.Adreſſe nous au droit
chemin : 5. Le chemin de tes favorits com eflens: 6. E : il leur imprimera vnfigrand effroy dans le cour , qu'ils
n'auront la hardieſſedevousförftenir. Et pourtant que
non de ceux dufqucis til es indigné ,& des infideles. 7. Et
nullon fidele efiant aux maiús amec les incredules ne leur
nous ne pourrons point errer. Autrement & plus di
tourne le dos , ſi ce ii'eſt pour prendre ſon aduantage,
laté. A v nom de Dieu miſericordieux , benin , pi
toyable: Loizange ſoit au fouuerainDieu Roydes fielles: fe renforcer ,fur peine d'encourir la diuine indignation :
Roy debonnaire Car il faut que les braues champions de Dieu , de fons
du jour du lugement. Reconnoiſſons -le
Tous nous autres ſes creatures : feruons-le , honorons , re Prophete demeurent fermes au contrechoc de deux ara
mées: en ce faiſant ils obtiendront ploniere remißion cão
suerons , en nous humiliant deuant la face . Requerons- le,
mettons noſtre aſſeurée confiance en luy : car nous n'en pardon de leursfautes. Derechefen autres endroits.
ſerons point eſconduits, ains aßiſtez e ſecourus de ſa CEV x que vous prendrez au combat , mettez -les au Azoare

tres-liberale main. Adreſſe-nousdonc,óSeigneur, à la fil de l'efpée,ou lesreferuez pour eſclaues: dons enſemble 6.7.18,
de touteautre eſpece,debutin , despoüilles conquiſes en
veye droicte , la voye de tes bien -aymez favorits quetu
guerra,
ile
cond
de Chal .
236 237

guerre , le quint ſoitreferué loyallement pour la part de participe de l'hereſie des Seueriens & des Mani
Dieu , & de ſon Prophete. Item . L Es incredules qui chéens ; & toutes ſortes de berlands. Si l'on vous
69 . 3
57. Oferont vous refifter , & ftans rompus ſoient pourſuiuis à enquiert du vin,du jeu des eſchets, tables,dez ,do autres
toute outrance , tant que la plupart demeurent eftendus ſemblables: dictes que cefte eſpece de breuunge, & tons
roides morts ſur la place. Et quant à ceux quivous reſte ces jeux,fontun grand G enorme peché. Plus , ôgens 134
ront priſonniers,liez -les, & les garottez fermement,afin de bien , laiſſez -là le vin , les eſchets , jeux de tables, de
que vousen tiriez une bonne rançon ,ou les referuez pour Farthes , de dez : car ce ne ſont point choſes licites,
eſclaues : Car Dieu connoiſt qu'il vous a rendu leur ains inuentions & artifices du diable pour femer noiſe
58. capture licite. ET TOY , ó Prophete , va-t'en com difcord entre lesperſonnes,& les deſbaucher des prieres
battre & debeller les incredules : pille les fourage,& fac où ils doiuent vacquer, c de l'inuocation de Dieu ,à quoy
Cage,& les charge ſans marchander , afin qu'ils te crai ce commun ennemy tend le plas. L'AVIR E point
19.69 . gnent : C A R tout eſt au Prophete: à ſes fideles fob eſt la defence li eſtroite , voire ſur peine de la vie,
dats : Et tous ceux qui combattent pour l'amour de Dieu, de reuoquer en diſpute ne douterien quelconqué
71 .
il les remunerera de leurs faits, & leur octroyera ſon beau de la dočtrine: Il ne veut pas ſeulement permettre
Paradis qu'il a preparé pour les bons : ayans en horreur qu'on en deuiſe auec perſonne , fuft - ce de ſa mel
les meſchans. Et auriez -vous bien opinion que l'entrée me loy , & par conſequent tant moins auec lesina
d'iceluy vous fuſt ouuerte , fi premierement vous n'avez credules, comme il appelle tous les autres . Si quel so
fait preuue de magnanimes & vaillans guerriers ? mais qu'un veut diſputer de la religion auec vou , dites luy
auant que d'entrer au combat , raſeurez -vous par une que vous allez du tout conuerty voſtre courage à Dieu,
71. reſolution demourir : Car il ayme ceux qui combattent es à ceux qui enſuinent ſes coinmandemens :ce qu'ac
pour ſon ſaint nom , marchans en bataille rangée à guiſe compliſſans tant ceux qui ſontſçauans en la loy , que les
d'un edifice fermebaſty. E r celuy là eſtheureux en tou nos lettrez , ilsenſuiurontune bonne doctrine. O GENS 102
tes fortes qui meurt à la guerre entrepriſe pour l'honneur de bien , pourquoy communiquez - vous auec les incredu
de Dicu & la defence de ſaloy : ſi que tous ceux qui fini- , les , dont perſonne de vous autres ne doitprattiquer l'a
ront leursiours en ceſtequerelle , deſireroient remiure vne mitié ne la compagnie · N'ENIR E z pointdonc en
autrefois pour y eſtre fuez derechef. Mais il n'y veut propos auec ceux qui ne ſçauroient ouïr ce que
enrooller & admettreque les gens de bien , & non vous direz . QvE s'ils veulent d Jputer auecvous, dites
les meſchás;'Qui eſt lameilleure & mieux ordon leur qu'il n y a que Dieu ſeul qui connoiſſe toutes vos 32 .
12. née choſe de toutes ſes loix & conftitutiós . Die v actions, lequelau dernier jour ſçaura fort bien decider

ſeulement, de fon Prophete de luy enuoyé : o les gensde tous les differents de contrarietez d'opinions de ſes crea
bien qui fontdes aumoſnes, & lesprieres,s'humilians du ,
tures , ſoit des croyans ,ſoit des Iuifsdes Chreſtiens,
tout à luy , ſoient ceux dont vous mendierez ſecours à la des idolat.es. ET POVRIAN T que nul d'entre vous 19 .
guerre : car la partie qu'ils auront en recommendation ne ſe confie à ſes enfans propres , ny à ſes freres, s'ils ne
obtiendra victoire ſans doute. Somme que toute ſa Sont de voſtre creance , ſur peine d'eſtre mis au rang des
loy & doctrine ne battent que ſur les armes & ef mauuais.Il confirme cela par l'exemple d'Abra- 70 .
fuſion de fang, pilleries , extortions & ſaccage ham qui laiſſa ſon pays , & ſes parens proches,
mens: & pour cet effet, des douze mois de l'année pource qu'ils adoroient d'autres dieux que le ſien ;
il en deftine quatre à faire la guerre : bien au re & tint bon , enſemble ſes fuccelleurs, de ne con

19 . bours de l’Euangile qui no nous preſche qu'vne tracter amitié , locięté , ny alliance finon auec
douceur , & benignité pacifique , vnion ,amour, ceux de la meſmefoy. Siqu'il ne veut pas que les
charité,compaſſion ,& miſericorde, reciproques Muſſulmans ayent des Gouuerneurs , luges , ny
des yns aux autres .
autres officiers quelconques , qui ne ſoientdeleur
loy , N e permettez point,vousgens fidcles & croyans, 12 .
A v REGARD des lubricitez , luy-meſmeen
qu’on efteblife deffus vous des Gouuerneurs ,ny des luges
eſt le porte-enſeigne à ſes ſectateurs, comme vn
Iuifs, ou Chreſtiens : car quiconque en fera ainſi , ſera
parangon de toute diſſolution & deſbordement,
rendu ſemblable à eux .
dont il fait gloire, & ſe complaiſt d'auoir les reins
forts & gaillards à l'acte venerien ; Nous t'auons Tov s ſes preceptes au ſurplus conſiſtent ou
fait vn eftomach ample , & les reins larges & bien four de loix , ou de priuileges. Les loix ſont generales
104 . nis . Et de fait il eut d'ordinaire 12. ou 15. femmes pour tousles Mores ou Mahometiſtes : les priui
eſpouſées, ſans ſes garſes & chambricres : & cel leges & diſpences , pour le Prophete tant leule
les où il alloit en garroüage, où il fut ſurpris main ment ; car il nes'aſtreint pas à beaucony de cho
tesfois, combien que par ſa loy il ne ſoit permis ſes à quoy il veut aſſujettir les autres, au con
d'en auoir plus de quatre enſemble : bien au re traire de tous les autres Legiſlateurs, Payensmer
bours de l'ancienne loy des Arabes qui donnoit à mes , qui ſe ſont fourmis à leurs loix : & s'eſpan
vne ſeule fæur , douze freres en inariages : & quç dent ces priuileges à quatre points. Le premier, Priuile
25 . l'adultere y ſoit defendu . N e dreſſez point lesyeux qu'il ne fuſt loiſible à aucun d'eſpouſer l'vne des gesn de
nulle part enuers les femmes mariées :ny ne les conuoi femmes du Prophete , tant repudiées que vefues; met
tez en voſtre courage. Item , Ne deſtournez iamais vos au moyen dequoy ſes neuf femmes qui reſterent pour luy
yeux aux femmes d'autruy quelques belles ( gracieuſes apres ſon decez , furent contraintes d'acheuer icul.
30 . qu'elles puiſſeutſembler au monde. Il punit au reſte Icurs iours en perpetuelle viduité. Le ſecond, 43 ,
Padultere de cent coups de baſton en public, s'il que toutes les femmes qui ſe voudroient offrir à
eft aucré par quatre teſmoins : que fi le delateur luy , fi elles luy eſtoientagreables, il les pourroit 43 .
ne le preuue fuffiſamment ; il en doit receuoir
prendre en mariage, ſans aucun contract ne ce
quatre - vingts . 8.
remonie : ce qui ne ſeroit loiſible à nul autre . Le
Ce Qu'il a le plus ſagement aduiſé pour ve sroiſieſme, que tous les Mahometiſtes ſe pour
nir à ſes intentions, à ſçauoir de regner en toute roient marier iuſques à quatre femmes tout à vne
obeyſſance de ſes ſujets , a eſté en premier lieu fois, & non plus;maisluy tant qu'il en voudroit
d'interdire l'yſage du vin , combien que cela eſpouſer. Toutes les femmes à qui tu auras fait des 43 .

1
ons re
238 Illuſtrati ſur l'Hiſtoi 239

prefens ô Prophete , ou que tu auras acheté de ta bourſe ; en la peau du mouton qu'Abraham ſacrifiaau licu
ou qui volontairement s'offriront à toy , il t'eſt permis, com de ſon fils Iſaac , il eſt en vers Arabeſques , non
Non aux autres , de les accointer comme teslegitimes fem tiſſus toutefois de pieds meſurez de certaines
mes. Et le quatrieſme, pour autant que ſa loy quantitez de ſyllabes comme ſont les Grecs &
portoit que toutes les quatre femmes qu'il eſtoit Latins , mais en rithme telle que la Françoiſe ou
loiſible à ſes ſectateurs d'eſpouſer , de leur loy Italienne , de diuers nombres de ſyllabes ; ſi que
toutesfois ſeulement , & non d'autre , & ce à l'i tels en y a de plus longs trois ou quatre fois que les
mitation du peuple de Dieu, en Geneſe fix, vingt autres : mais cela ſe practique bien auſſi és Odes,
quatre ,26.27.28.34.fuſſent eſgalement traictées Tragedies , & Comedies . Et pour en parler au
de leur mary quant au coucher,manger, & veſtir, vray ſans feintiſe ne paſſion , encore que cet au
ſans aucune particuliere affe &tion ny faucur plus urca le prendre en toute ſa maſc ſoit vn vray coq
cnuers l’yne que les autres, afin de retrancher tou à l'aſne , ſortant ordinairement pluftoft d'un pro
te occaſion deialouſie , & noiſe entre- elles : celle
pos qu'il n'y entre, ſans aucune ſoliditény appa
ment que qui s'en ſentiroit greuéc s'en pourroit rence de raiſon ne de fondement, qui peuft ef
plaindre , & faire conuenir le mary en iuſtice ; branler meſme vn eſprit mediocre , ains toutes
43.76 . Quant à luy il s'en exemptoit , faiſant ync ordon fables deſcouſuës & ridicules , plus que celles de
nance expreffe que ſes feinmes n'euſſent à ſe meſ l'Icarominippe de Lucian , a les examiner yn peu
contenter de rien , ains trouuer bon, & prendre en de prés; fi y a -il neantmoins des lieux communs
gré tout tel traictement qu'il leur voudroit faire, entrelaſſez fort elegans , principalement en ſa lan
fans leur eftre loiſible de s'en vouloir , ny en que gue Arabeſque, auec des ſentences non à reietter ;
33. 80. reller par enſemble. Toutes choſes dependantes comme , L'aueuglement desyeux eſt moins nuiſible,que 32 .
d'vne tyrannique lubricité : comme aulli la per celuy ducæur. Item , vos enfans, & voſtre pecune,vous
million qu'il donne à tous Muſſulmans outre leurs fontleplusfonuent occafion de beaucoup de maux . Et 74 .
femmes legitimes de pouuoir yſer indifferemment infinis autres ſemblables traits , non alienez au
de leurs efclaues chambrieres , comme de choſe ſurplus de la vraye foy & creance ; Car il taſche
qui leur eſtoit acquiſe en propre de leurs deniers ; de fe couler tacitemét , & faire ſes approches pour
ce qui n'eſtoit permis auparauant: Parquoy ce fut la demolition de la foy Chreſtienne, fous quel
l'une des choſes dont il gratifia autant ces peuples ques pretextes tortionnez du viel & du nouucan
addonnez à toutes ſortes de paillardile : car ceſte Teſtament , ainſi que fous deux gabions ou
permiſſion s'eſtend au moins ſelon ſes gloſateurs, mantelets : & ce qui eſt encore plus dangereux ,
à des choſes trop deteſtables , meilleures à caire le tout enrichy de certaines phraſes & ſimilitu
qu'eſtre dittes. des , d'vne poincte & air delicat ce qui ſe peut. De
Tovte ſa do &trine au reſte n'eſt qu'vne tres maniere que cela n'a de peu ſeruy pour attraire les
orde cloaque & egoult des immondices Talmu cæurs de ces peuples Orientaux, & Meridionaux
diques ; & vne rapſodie de toutes leshereſies qui confits en delices, & peu capables d'vne vraye ve
pullulerent és premiers progrez du Chriſtianiſine rité & raiſon . Ce qui eſt l'ordinaire des hereſics,
iuſques à luy qui les eſcuma & ſuccea,auec beau ainſi que quelque difforme putain , quipour cou
coup de Payennes ſuperftitions, nonobſtant qu'il urir ſés imperfectionså beſoin de ſe parer,farder ,
monftre en apparence de les vouloir toutes extir artifer. Au moyen dequoy ceſte doctrine qui y
per auec l'idolatrie ; & ce à l'imitation de Moyſe. reſſemble malaiſément euſt peu prendre pied en
Or il nie en premier lieu la Trinité aucc Sabel tre des hommes d'eſprit, de iugement & de let
12 . liq.il y a des meſureansquialleguent y auoir troiaDieux , tres , combien qu'on ne puiſſe nier qu'il n'y ait eu
mais il n'y en a qu'un ſeulement Neantmoins il ad des Arabes Mahometiſtes tres - excellens tantaux
met en Dieu le binaire , à ſçauoir ſon ſaintEſprit, armes , qu’és arts & ſciences , mais ils ont voulu
pour en exclure I ES V S -CRRIST , auec Ar pluſtost obeïr & s'accommoder ſimplement aux
rius , qui ne le tenoit que pour vneſimple creatu traditions de leurs anceſtres , que de s'en enquerir
ra ; bien que iuſte , ſimple, ſaint , innocent , & plus auant , & ſubtiliſant la deffus diuiſer leur
exempt entierement de peché : Comme auſſi creance en fe &tes : choſe à la verité fort louable

Cerdon & Marcion maintenoicnt : Duquel Ar quant à ce point , qui iinpugne nos trop grandes
rius il a pris quant & quant l'exemple de pour curioſitez & diſputes en ce qu'on doit tenir pour
ſuiure par la voye du glaiue ceux quivoudroient vn irrefragable article de foy. Mais de ces Arabes
Gcncf.4. contrarier à ſa doctrine. Il permet la pluralité fi celebres & valeureux la race en eft efteinte de
des femmes eſpouſées , auec les Nicolaïtes, & les longue-main , pour raiſon entre autres choſesdes
heretiques Nazaréens; ſe couurant en cela du Turcs qui en ont empietté la domination ,gens les
pretexte de quelques - vns des anciens Patriarches, plus beſtiaux de tous autres, & qui ont tout em
dont Lamech fut le premier de tous qui eſpouſa ' poiſonné de leur barbareſque ignorance .
deux femmes; l'vne pour en auoir lignée , & l'au. Mais pour venir finalement aux particulari.
tre pour ſa volupté . Il conſtituëyn Paradis de de tez de la ſecte Mahometane , en premier lieu elle
lices apres Cherinthus , & Papias Hierapolitain reconnoiſt & admet vn ſeul Dieu eternel, mais qui
autheur de l'hereſie des Chiliaſtres. Auec lesMeſ. n'a point decompagnon ny eſgala luy, lequel a
ſaliens, Pcpugiens, & Manichécnsil contemne les fait & crcé toutes choſes de rien par yn trop ad
Sacremens de l'Egliſe; carquant à la circonciſion , mirable & incomprehenfible artifice,en nombre,
il ne l'admet que pour le reſpect d'Iſmaël fils poids & meſure , cela pris de la Sapience 11. lui 64 :
d'Abraham ,dontil tireſon origine . Brefce ſeroit en fix iours crea le ciel « la terre , auec toutes les choſes
choſe trop longue que de parcourir toutes ſes im y contenuës, puis remonta en ſon hautthróne,qui couure
pietez & blafphemes. leiour dela nuit. Qui de fon ſexlcommandement fait 17.35.
AV REGARD de fon Alchoran , ou Alfur mouuoir le soleil, la Lune, les aſtres d'on cours ordon 67 .
can , queſesinterpretes alleguent auoir eſté eſcrit né. Das commande aux vents , efleue les nuées & de là
endoja
de Chalcondile .
240 241

envoye del'eau sur la terre morte , pour la procreation et claire: Quand ilsvõtespier ce qu'on faitau ciel.Carles 82.
Pleaum . accroiſſement des arbres,herbes, autres verdures.Quia eſprits aßiſtās aux eſtoilles les pourſuiuétà toute outrance,
146.
un tres-exact ſoin & cure detoutiuſques aux plusviles ayant chacun endroit ſoyle ſoin de chacune choſe icy bas:
abiectes choſes,en les produiſant,maintenant,nourrisſant, Sansleſquelsanges gardiēs, qui adorēt inceſsament Dieu, 52 ,
gouuernant par la proxidence infaillible , autheur de tout
le priêt pour les habitãsdela terre,tout pitoyable & mi 4. 49 .
bien en nous,& non du mal . Car tout ce qu'aucun fera de fericordienx pardőxcurqu'il eſt,le ciel tõberoit deſſus eux. 61 .
bien eſt de Dieuztont le mal il le doit imputer à ſon ame. Il ſuppoſe au reſte que tous les Anges s'humilie
2.
La di . MAIS afin que perſonne ne s'y abuſe , penſantrent deuant Adam ſoudain qu'ileuft eſté creé, & ce
ftinctio confroter les Azoares ou chapitres cottez denous, par le commandement de Dieu , excepté Belzebuch
de l'Al-
choran . cela va d’yne autre forte en la traduction Latine de & ſes complices, dequoy leur ayant eſté demandé
l'Alchorá, & d'vne autre ſorteau texte Arabeſque, l'occaſion ,pource,reſponditBelzebuth, que ic ſuis
lequel eſt diſtingué en quatre liures, non que Maho trop plus excellent qu'il n'eſt , ayant eſté forméde
met l'cuſt ordonné de ceſte maniere , ains Hodmen fange, & moyde feu . Ailleurs il met que l'homme17:25 .
le troiſieſmedeſes ſucceſſeurs. Lei.contient cinq fut formé du Celcal , de l'ombre , & les diables de 6s .
chapitres , à ſçauoir celuy de la Vache, 1. Dela fa- flammes de feu. Ceſte deſobeyſſance deſſuſdite fut
mille de Ioachim pere de noſtre Dame, 2. Des fem- cauſe de la condemnation , où ildoit demeurer iuf
mes , 3 . De la table , 4 . Et des beſtes,s . A v ſecond qu'à l'heure d'obtenir ſa grace. SoR s donc d'icy ô 48 .
liure il y en a douze : Du mur , 1. Des deſpoüilles, decheu de la diuine eſperance dont tu es reniis à un autre
2. De l’eſpée ,3. De lonas le Prophete , 4. De Hud temps, & commeil demandaft ce terme luy eſtre prefix au
Prophete, mais de la forge de Mahomet, s . De Io- iour de l'vniuerſelle reſurrection , Dieu luy dit , ton terme

SG
.
ſeph fils de Iacob ,6.Desthroſnes ,7. D’Abraham , teft aßigné au jour de l'heure par moy conneuë. Car il
8. De l’Alhigere,9.Des inouches, 10. Du treſpas , aſſeure la reſtitution des demons en leur beatitude
11. Et de la cauerne des ſept dormants , 12. Le premiere, lequel erreur on attribuë à Origene , ou
troiſieſmeliure en a dix -neuf,le premier s'intitule à ſes ſectateurs: Et dit qu'ils ſe conuertiront à la
de noſtre Dame , i . De la Taha ,2. Des Prophetes , 3. lecture de l'Alchoran .
Du tremblement de terre , 4. Des croyans , s . De la L'HOMM E ayant cſté produit du limon , & ſa
lumiere, 6.Du gibet , 7.Des bourreaux, s . Des four compagne de ſes os, ils tranſgreſſerent incontinent
mis, 9 . Du cazaz , 10. Des araignées , 11. D'aluch- la prohibition à cux faite par le Createur , de s'ab
men, 12. Del'inclination ,13 .DesRomains, 14. Du ſtenir d'yn des arbres du Paradis terreſtre , tout le
Createur,is.Du Sabbath ,16.Des additions,17.De reſte leur ayant eſté abandonné & permis.
l'home,18.Et des Anges, 19. A v quarrieſme liure Toy Adam ta femnie demeurez en ce Paradisman
il y a 175. chapitres,chacun ayát
ſon nom, & tiltre geans de ce quebon vousſemblera ,& toutautant que vous
particulier, mais plus ſuccints ſont - ils beaucoup voudrez,fors tant ſeulemětde cet
arbre. Mais la ſuggeſtion
que lesprecedens , lique ces liures pour le regard de diabolique le deſtournăt de ce precepte,les expoſa parmeſ
ce qu'ils contiennent ſont preſqu’eſgaux,commeſi me moyen à eftre exilez de ce Paradis. Plus en vn autre
on les auoit meſurez au boiſſeau ou àl'aulne. 30 .
endroit : 1e manifeſtay aſſez à Adam,& à ſa femme,quel
L'une de ſes maximes, & de cela vous pouuez ennemy, ca combien tres-dangereux aduerſaire leurdevoit
iuger tout le reſte , ainſi que le lyon des ongles, eft eftre Belzebuth , à ce qu'ils ſe contregardaſſent de ſesma
que toutes religions ſont vnes, & qu'on ſe peut ſau- chinatios & embufches,ce qu'il ne les tiraſihors du Pata
Azoare ucren toutes . Il faut entendre en general,que touteper . dis où ils ne deuoiēt ſouffrir faim ne ſoif , ne froid ne chaud :
1.
Sonne viuant bien,qui adore vn ſeul Dieu, & faitde bonnes mais le malheureux là deſſus les vint aborder en ceſte ma
@uures,ſoit Chreſtien , ſoitluif , ou quilaillefiloy pour en niere.le te veux de ce pas mener ,ô Adam ,à l'arbre de l'eter
prendre vneautre ,indubitablement elle obtient l'amour de nité,& du Potentat quiiamaisne vieillit, pour manger du
Dieu , aſa grace . En quoy il a voulu imiter , ou plu: fruit d'iceluy:cequ'ils n'eurent pluftoft perpetré,que leurs
ftoft il a deſtourné fauflairement ce lieu du dixieſ. parties honteuſes ſemanifeſterent,qu'ils taſcheiēt couurir
me des Actes : Dieu n'eſt point accepteur de perſonnes, auec des fueillesdu Paradis. Et ainſi Adanın'obſeruatpas
mais de toutes nations qui le ciamt , c fait des æuuresde bien letõmandement de ſon Createur, ſe ſouſmit au droit
iuftice , illuy eſt agreable. Car on ſçait aſſez que cela , & tribut de la mort.Mais eux ſe retournans parapres à l'a
cít dit pour raiſon que les luifs'n’eſtimoient pas mour de Dieu illeur pardona ce mesfait ,leur monſtrāt d'au
qu'il y euſt peuple ſur la terre agrcable à Dieu ſinon bondat la droite voye qu'ils deuoiēt tenir. Laquelle voye
qu'eux, & cecy veutmonſtrer que Dieu reçoit tou . il infereau meſme endroit, & pluſieurs autres, eſtre
tes creatures à ſalut, qui cheminent la droite voye cótenuë en ſon Alchoran, où entre autres choſes il
en la creance de IE svs -Christ. Au regard de la ſpecifie les bonnes æuures,ſans leſquelles il tient la
creation
il l'admet auec Moyſe , & la feparetout de foy ,come morte & enſeuelic. Si le penitentne croit,
meſme en ſix iournées,mais il embrouille tout cela, nefait de bonnes æuures , il n'obtiendra point Paradis. ‫ܝܐ‬
cõine le reſte de l'eſcriture, de pluſieurs ſortes trop Car ilſe faut garder qu'exhortantles autres à bien fai
17. 21. abſurdes & impertinentes . l'ous autres à quel propos re, on oublie defairedu bier . De fait Dieu eft iuſte iuge, 2 .
22.30 . voulez - vous donner des eſgaux à Dieu le Seigneur du mon- qui retribuë à chacun ſelon ſes ænures. Sans defrauder 6.
31. 36. de ? quicrea en deux iours la terre , G en icelle ferme eſta- perſonne de ſan merite. S i que qui aura repentance &
38 .
croira , exerçant quant quant les æuures de miſericorde
38.50 . blie đó retenuëpar des montagnes,comme auecques des an
61.64 . chres & fortes gumenes, en deux autres ſemblablesjours, 6 de charité, il ſera par la grace diuine mis au rang des
81.89 . route maniere de nourriture pour le maintenement des ani . bien -heureux . Item . Qvilaiſſe ſon peché,& qui s'enre . 4.
maux qui y viuent,multipliant à ceſte fin toutes efpeces de pent,qu'ils'aſſeureque tout le paſſé luy eft remis anean .
39. ſemences. En apres dela fuméequi exhaloit, en deux autres ty: mais s'ilyretourne& renchecit , il ſentira le tourment
jours forma lesſeptcieux , en chacun deſquels il ordonna du feu perdurable. Qvi croira donc en Dieu , & qu'ily 20
tout ce qui y eſt à ſon bon plaiſir de vouloir, leur demandăt a un fiecle aduenir , & qui adiouftera fog aux Anges,
s'ils ſemouuoient de leur bon gré , ou par contrainte ? Et aux liures , “ Prophetes: Qui eflargira charitablement
ainſi decora lemõdede pluſieurs refplendiſſantes lumieres. for argent à ſesparens neceßiteux,aux orphelins,aux pau
77. POVRchaffer les diables delà , leur faiſantpeut deleur ures qui vontmendiant d'huysenhuys,& aux priſonniers,
242 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 243

vacquant denotemēt aux prieres,rendra le deuoir á obeys- que vousne ſçauriez perpetrer en la terre choſe quelconque
ſance deüeà Dieu , tiendra ſafoydla parole : Ce ſont les au preiudice de voſtre ame que Dieu n'aye proiettée deuant
43 . æuures quefont les fideles& craignás Dieu . Item.Ceyx vofire procreation , en un grand livre qui comprend tout .
quiſedeuoiieront du tout à Dieu hommes & femmes,qui, Item . Si nous youlons ( dit Dieu ) nous enſeignerons le 422
croirons en luy,& ferontdeuotement les prieres, qui ſeront bon & le droit chemin à chaque peuple,mais noſtreparole
veritables patiens,pleureront leurs pechez & offenſes, eft defia arreſtée à ce que l'enfer ſoitentierement remply
fleſchiffans humblement les genouils à Dieu :ieuſneront, fe- de la ſocieté desdiables, & des hommes. O r à ceux à qui 49 .
font des aumoſnes,& ſemaintiendront chaſtement,obtien. Dieu ornare leceur à ſa creance,il enuoye par meſmemoyen
dront de luypardon de leursfautes ,auecpleniererefiouſ ſalumiere. Le meſme tient-il de la fatale deſtinée,
52. Sance en l'autre fiecle . Somme qu'il recommande fort que les Grecs appellent sudoçgún ou a'ragan ,les La
4. vne charité reciproque des vns aux autres. I e re de- tinsfatum , qu'iltientpour ineuitable à toutes crea
mande rien de vous dit Dieu ,ſinon que vous aimiez voſtre tures. Nv i ne peut encourir la mortſinon parla diuine 61 .
prochain . Et ſur tout il defend l'vſure. Cevx quivie diſpoſition ,au temps à ſçauoir qu'elle a prefix. Plus.Aucun 33 .
uent de preſter à intereſt , ne refufciteront qu'en guise de ne ſçauroitpreuenir ne dilayerle terme qui luy eft limité.
demoniacles, attendu qu'ils ont annexé auxchoſespermi. Item . La vie de perſonne ne ſe prolonge,ny ne s'abrege,fi- 45 .
fes, ce que Dieu a voulu eftre tenu pourprohibé & illicite, non par la predetermination du liure . Sil'on demande le 44.
alleguans que c’eſt intereft ,& comme vn gain en marchan- terme de cét aduenement , refponds qu'il eſt de tout temps
diſe. Et pourtăt àtout homme qui craindra Dieu, il ſefaut eſtably tel qu'il n'eſt poſible de l'anticiper ne retarder
Souuerainement garder deviure d'uſure: car il ſe fauten- d'uneſeule minute d'heure. E I n'y a que Dieu feulquile 89 .
treſecourir gratuitement l'un l'autre : racheter les Mu. Sçathe & Son Prophete. Derechef. Nul ne ſçauroit eui- 82 .
68. ſulmās , & mettre parfoisles eſilaues en liberté.Ce qu'ils ter ſon beure , l'aduancer nyla prolonger. PARQVOY so .
font d'ordinaire en leurs eſpouſailles auãt que tou , auant que la mort arriue,faites deschariteze aumoſnes 67 .
cher leurs femmes : & ſur tout qu'on vacque à la des biens qui vousonteſté eflargis ,afin que la neceßité vous
continuelle lecture & obferuation de l’Alchoran . preſſant vous ne ſoyez contraints de dire , o Seigneur pro

117. Car quicontreuiendra à laloy, defraudera les orphelins longe-moyparta grace encore la vie war ie feray du bien,á
de leur legitime ſubſtance,negligera lesprieres & oraifons m'amenderay. Mais ceſera en vain. Car luyſçachant 75 :
aux heures prefixes,ne fera point d’aumoſnes deſesbiens, diſcerner l'intentiõ & les faits deſes creatures,il n'allonge
finonparvne vaine gloire & oſtentation ſera du tout exter à pas vne d'icelles le but qui luy a eſté arreſté De ceſte de
miné & mauuais. Et en vn autreendroit de la doctri- ftinée ineuitable,ſi telle eſt, les Princes Turcs en ont
me il eſt dit , qu'on doit toujours exercer quelque ſceu fort bien faire leur profitenuers leurs ſoldats,
charité & bien - fait enuers les ſouffreteux qui en pour les rendre plus hardis,hazardeux ,& entrepre
ont beſoin , iuſques à ietter des morceaux de pain nans, quand ils ſe ſeroiét reſolumét imprimez ceſte
dedās l'eau,parcequ'il pourra aduenir que quelque opinion , que pour quelque danger que ce ſoit ,leur
poiſſon les en tirera à noſtre benefice . Ce qui seble heure ne peut eſtre haſtée ,comme il eſt bien à plein
le rapporter à cequi ſe racópte de Polycrates tyran deduit au 7. liure de cette Hiſtoire, auec vn fort
de Samos, lequel pour eſſayer la faueur extraordi- plaiſant compte à ce propos : de maniere que quand
naire de ſa bóne fortune,qui iamais ne luy auoiten . ils vót à quelque aſſaut, ou autre combat perilleux,
cores manqué, ietta yn anneau , la plus chere choſe ils ont accouftumé communément de proferer ces
qu'il euſt , aſſez auant en la haute mer ; mais ayant mots , Allah Verah ,Dieu a ordonné ce qui en doit ad.
tout ſurle champ eſté englouty d'un poiſſon , & ceuenir, & ſous ceſte afſeurance font fouuentesfois
poiſsó pris le lendemain pardes peſcheurs ,cómeon d'eſtranges preuues de leurs perſonnes.
l'appreſtoit cét anncau fut retrouué dás ſon ventre . LesMahometiſtes conuiennét des points ſuiuans
Il preſche fort pareillement l'infinie, & iamais auec les luifs, & auec nous,mais aſſaiſonnez à leur
eſconduiſante miſericorde de Dieu , dont nul,pour mode,comme nous le parcourrons icy par lestextes
quelquegrand pecheur qu'il ſoit,nedoit iamais de- del’Alchoran ;car ce qui en eſt amené cy - deſſus eſt
49. ſeſperer.Mon peuple,encore qu'il ait perpetré de gros pe- des gloſes de leurs Docteurs, qui en ont enrichyle
chez , & deteftables,qu'il ne ſe deſespere point pourtela , cópte. Et premierement il affermeyne fin de fiecle,
car Dieu eſt tout miſericordieux ,lequel pardonne lesmes . & vne renouation de la terre , & du ciel par le feu .
st . faits. Plus . Quenul ne laiſſe de prier pourle bien qu'il en Qvine croira va fiecle aduenir ,a leg@ur refractaire 26 .
Prieres doit attendre. Etpour céteffetilordonne tant & tant malin . Avovella terreſechăgera envne autre ,& leciel 24 .
pour les de prieres le iour & la nuit , non ſeulement pour les außi: & comparoiſtront deuantle ſeul
treſpar. viuant mais Dieu tout-priſſant,
s , pour les treſpaſſez auſſi , ſur leurs toutes les creaturesqui furentoncques.Carva ſeulſon de 47 .
ſez .
19 . tombes meſmes. I e n’espandray point de prieres ſur trompette les reſuſcitera toutes. Mesmesles Anges.Ence 88 .
aucun de vous nyne m'approcheray de vosſepultures pour jour de la verité que les ames reſuſciteront les Angespa
les viſiter ,tant pourcequ'ils ont contrarié à Dieu , 6 à ſon reillement en leurs ordres. Er lors le ciel s'eſuanonyra en 30 .
meſſage, que pource qu'ils ſont morts incredules . Car il fumée , & la terre s'eſcharpiracõme delalaine qu’on carde.
Le Pur- admet yn Purgatoire . Si nous voulions nousvous pour- Leciel s'ouurira en pluſieursportes,& fereployerapar me- 88 .
gatoire, rions boucher les jeux ,afin que vous ne viſiez point le feu nas fragmens & lambeaux ,ainſi quede petits billets de pa
46. de Purgatoire, par lequel il vous fautpaſſer. Au demeu- pier : con feu deuorant allumédetoutes parts embraſera
rant il eſt fort cruement arreſté ſur la predeſtina- tout.Le Soleilperdra ſa lumiere leseſtoilles cherront à bas. 91.
38. tion. Tu n'en addreſſeras point ô Prophete, en la droite Et les montagnes qui auparauantſe monſtroient ſi fermes Iſai. 3 4 .
voye ,ſi Dieu meſmen’y met la main , comme ſi c'eſtoit eſtablies iront voltigeans çà & là à guiſe denutes , & fe- 37 .
Dieu qui d'vne grace ſpeciale imprimaſt la foy en ront en fin concaſſées en menuë poudre , plusdeliée qu'ato.
ceux que particulierement il luy plaiſt eſlire à fal- mes. Cet aduenement trop horrible & eſpouuentableſera 66.
68. uation. Car à tels Dieu favoriſant,a inſcript au fords de plus viſte qu'un clin d’æil , qui penetre en vn moment de 26.
leurs cæurs une foyconſtante, & leur octroyera un benin la terre iuſques anciel: Et lorsau premier ſon de la trom 49 .
38. pardon , & fon Paradis. Car c'eſt luy auquel toutes cho- pette toutes choſes ſuccomberõt à la mort,fors ce que Dieu
ſes retourneront,qui preeflit ceux que bon luy ſemble , & envoudra garentir . CAR toute ame viuante goufterala 39 .
57 , accomplit
ſon ſaint vouloir en chacune de ſes creatures. Si mwort , mais diuerſement : PARCE que les Anges tireront 89 .
les ames
de Chalcondile .
24.4 245
les ames des peruers d'une grande forcede violence hors de toutes choſes enuers Mahomet reſuſciteront au
leurs corps ,comme contraintes d'en partir, c celles des dernier iour , comme il eſt dit au Theſchere Eliman,le
49. bonsdoucement,& de leur bon gré. A v ſecond fon elles re: manuel des Preſtres, qui eſt vn abregé de la doctri
uiuroxt ,& leciel & la terre refplendirort de la lumiere de ne Mahumetique. E T tout retouinera à Dieu , par le 60 .
. leur Createur. Şi que les ames retournans és corps, recone commandement duquel la terre ſe diuiſera ſoudain , à ce
24. noiſiront chacune endroit ſoy ſesactions : Es cöparoiſtront que toutes choſes retournent à celuy qui leura auparavant
toutes deuant le grand luge pour ouyr leur derniere ſen- donné vie, copuisapres mort. Alors Dicu iugeant yn
49 . tence. LeQvelarriuant auec les propbetes qui ont esté chacun ſeló fesmerites,aux fideles gens de bien,les
mis à mort icy bas iugera tout d'une verité equitable,ſans bons Muſſulmans. Qvi auront exercé leurs aumoſmes
86
faire aucun tort à perſonne,ains retribuantà chacun ſelon & charitez enuers les pauvres indigens, aßifte les orphe
4. 20. Tes merites. DON T les uns diront n'auoir eu icy que fix lins,fait deuotement lesprieres aux heuresdeuës,eu le soin
30. iours , & d'autres plus conſiderez & diſcrets ,finon qu’un . de ſe lauer ou nettoyer comme il faut, gilerroyé de tout leur
Erreur D'autres yne heure. Et derechef Tovi
. es choſes cha- effort les idolatres és meſcreans,pour l'exaltatio de la for ,
des Ara- cune à par ſoyretourneront à Dieu en celle grandeſpacieuſe öbferué les ieufnes des Ramadans & autres choſes à eux
bes du
journée contenantpreſque autantque mille de nos années enjointes par le Prophete , il leur dira. Entrez vous autres 60 :
eos temporelles. En quoy il ſemblefairc alluſió au Pſeau. mes bien - heureux eſeusau Paradis qui vousa eſtépreparé .
gene. me 90. Mille ans deuant tes yeux ſontcome le iour d'hyer Mais ce Paradis n'eſt pas eſtably ſur la fruition du 23
279
42. qui estpaſſé .Et en la ſeconde de S. Pierre troiſieſme. ſouucrain bien,que l'ail n'a veu , ny l'oreille ouy,
VH iour envers le Seigneur comme mille ans , mille ans ny n'eſt entré au cæur& apprehenſion des perſon
comme vn iour. La deſſus interuiendra le Iugement nés, ny en la beatitude nó plus de la ſocieté des An
vniuerſel,auquel ſeront remunerez les bons, & pu- ges, & viſion de la diuine Majeſté, ains du tout tel
24 . nisles meſchans. Que perſonne n'eſtime que Dieu igno- que la chair & le ság ont reuelé à ce faux prophcte.
re les æuures e deportemens des peruers incredules, & en En ce Paradis doncques ces heureux efleuziouyront en Le Parza
core qu'ilprolonge leur condemnation iuſques au jour du l'autre fiecle d'une felicitéeternelle , comblée de plaiſirs eja dis de
lugement où ils comparoiftrontd'un courage tort refiouyſances de toutes ſortes devoluptez . Qui aura cu met du
profter-
né, voire mort , ſansoſer tourner les yeux nulle part. crainte d'offenſer Dieu , deuant lequel tous nos faits & C0- tout
Neantmoins il aduoüe en vn autre endroit , que gitations ſont en plaine veuë , receura pour ſon heritage charnel,
ſoudain apres leur treſpas les meſchants iront en deux Paradis, abondas de toutesmanieres de biens: ( Aulli 65 .
enfer , là où ils commenceront à ſentir le tourment conſtituë-ildeux morts & deux vies, he arrouſez de
33. qui leur eſt preparé pour tout iamais. CELA dit le plaiſantes o delicieuſes fontaines, & ruiſſeaux criſtalins
cond.:mnéentrera au feu,d y demeurera iuſques en la re- coulans ſouefuement. Là ilsne ſentiront añcune ennuyen ſe so .
Surrection. Apres laquelle reſurrection leur peinc ardeur du Soleil,ny pointde moleftes & picquantes froidu- 28 .
leur redoublera , comme eftans en corps & ename. res , ains ſeront en toutes ſaiſons en yn très- attrempé om 86 .
29 , Il faut ſçauoir qu'il n'y a perſonnequi apres la mort ne brage de beaux grands arbres fpacieux , qui inclineront
s'envoiſe paſſer par le feu,auquelles incredules ſouffriront d'eux -meſmes leurs branches,à cequ'ils cueillentJans pei
meſmes corporellenient. Auliure de la Zune, où eſt in ne & trauail les faubureax fruit's dont ils ſont chargez en
terpreté ce lieu du chap. Elneſa, Que Dieu eſeua à luy tout temps, auec innumerables petits oiſeaux perchez des
La reſur. IESVS - CHRIST , il eſt eſcrit en ceſte ſorte : IESVS Sus , qui de leurs gorges armonieuſes deſgoiſeront une plus
rection, fils de Marie deſcendra du Ciel en la terre au iour de la plaiſante muſique, que tous les concerts d'inſtruments &
reſurrection,ca iugera les hommes en iceluy d'vniufte iuge: de voix qu’on ſçauroit accorder enſemble. Il s ſeront au 28.
mentequitable.Le parenſus de ce propos dépend de reſteveſius de triomphantes & pompeuſes robbes de fose La cou
ladite reſurrection, à quoy il eſt incorporé,laquelle vorte , brochée d'or , auec de riches chaiſnes ó carquants leur ver .
Mahomet admet tout reſolument,auccquelques al- au col touseſtoffez de pierreries , des braſſelets de grande es faus
rice
legationsnon impertinentes,ſi elles n'eſtoiét enfa- valeur. DORMIR ONT quand vouloir leur prendra
Maho
rinées de tant d'impietez & blaſphemes, & de plus de ſe repoſer, en de tropſuperbes lits de draps d'or, d’ar- met.
2. 32. que pueriles fatras.Diev d’un non eftre nous ayantpro- gent, & de pourpre, auec des oreillers garnisde groſſes per . 46.98.
duit vn eſtre de vie ,il ne luy ſera non plusmalaiſé apresno- les,coautres pierres precieuſes. O vil leur ſeraloiſible de 65.66.
36. ftre mortnousreſuſciter. C A R tout ainſique Dieu fans prendre leur recreation auec des filles touſiours vierges,
peine & trauail,cá ſans aucunement ſe laſſer, crea le ciel non encore depucellées par les hommes ne par les demons,
& la terre,à plus forte raiſon peut-il bien ,luy tout-puiſſant belles au reſte en toute perfe&tion , & agreablesplus que les
qu'il eſt reſuſciter les morts qui ont deſia eſié quelque cho . perles ne iacynthes. Ayans de durs petits tetins rondelets:
46. ſe. Mais ſi on allegue comme il eſt poſible de reſuſciter, co Et des yeux gros à pair d'eufs d'Arſtruche. Le blanc d’i- 88 .
rendre de nouucaula chair qui aura eſté vne fois conuertie Ceux ſurpaſſant la neige,& la prunelle plus noire qu’Ebene
47 .
en terre , à des oſſemens defia tous reduits en poudre,& les nelayet,clairs c eftircellans au poßible ,mais pudics quant F4 .
reſtabliren leurpremier eſtat, refpondez que celuy qui vous “ quant, & honteux. Qu'ils ne ſoufleueront iamais tant 48.62 .
a formez premierenient vous pourra bien reuiuifier ſecon- foit peu fors à leurs bien -aymez eſpoux. Eux alors auec 46 .
durcinent,carileft tout puiſſant,tout ſçachant,la ſeule or leurs tres-cheres compagnés ,Sans plus ſe ſoucier de rien
donnance duquel effectué & metà execution toutes choſes, qu'à ſe donnerdu bon temps, appugez fir de tres -exquis
la main duquelgouuerne tout , e tout retournera à luy . co dovillets couſins de duuet,reueftus de foge : Dessovs 88 .
27 .
Voirefußiez -vous de marbre ou de fer,ou de ie neſçayquloy de gracieux ombrages de daltiers de devigne grimpante le
de plusdur encore celuy qui vous a creé la premiere foisvous long de beaux verdoyans cycomores en toute ſaiſon .Man- 86 .
29 . GERONT de sels fruits dont leur appetitles en ſemon- 62 .
reſuſcitera & rappellera denouueau en vie.Cela luzeſt-
32 . dra . E t apres s'en eftre raſafiez à ſouhait , enfemble de
il doncques plus malaiſé que de créer de rien le ciel o la
terre ? Ov de vous reſtituer voſtre corps quideſiu a eſté, toutes ſortes de viandes les plus exquiſes c friandes que
33. 85. quede l'auoir fait n’eſtantpoint.En premier lieu de ſimple gouft d'homme ſçeuſt deſirer. CoRTAINS gracieux 66.86 .
terre , & en apres de la ſemence venant fucceßiucmentdi jouuenceaux en la tendre prime fleur de leur puberté, pro
premier homme laquelle ſeconuertit en ſang dedans le ven- pres & nets ,plus polis que perles, leur preſenteront debel
ire de la femme , puis en Embrion , tant que finalement au les grandes couppes de criſtal com d'or , toutes ſemées de
temps determiné il paruient à ſa forme complette . Ainſi pierreries ,pleines de la Savoureuſe liqueur d'un vin plus
lij
246 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 247

fouefflairant que beaame nyambre gris, temperée d'eau de que ce ne ſoit pas du tout de droit fil, ains oblique met tiết
Zelzebil. la fontaine desbien -heureux , dite Tholucz. Et ainſi ſe ment par vne tres -cauteleuſe malice, feignant l'e- de Iefus ,
86. maintiendront en un continuel Goulas qu'on ne ſçauroit xalter par deſſus toutes cfeatures ,& comme ſiluy Chrift,
imaginer, ſansplus ſentir la mort,ny trauerfes aucunes de meſme ſe complaignoit du trop d'honneur qu'on
maladies,ou autre accidens,ennuyne faſcherie quelconque luy defere en le faiſant Dicu , ce qu'il abhorre &
qui leur peuft troubler leur felicité& repos. deteſte.
L'EN . Av contraire les infidelles meſcreans & peruers, O Iesv s fils de Marie ( introduiſant Dieu quiluy 13 .
FER . Qui auront negligéles ſaints admonneſtemensdu Prophe- parle ainſi)perſuades- tu doncquesaux hommes de tete
84. te les joiieurs,yurongnes,berlandiers, vfuriers,adulteres, mir toy & ta mere au rág de Dieu pourdeux autres Dieux,
á violents vfurpateurs du bien des pauuresorphelins estradorer ? IES vs reſpond ,Dieu ne vueille que ie die que
des vefues,lesfaufaires,homicides, es blafphemateurs du verisé, fi i'ay ô Dieu profere quelque choſe tu le ſçais
nom de Dieu ,auquelils auront voulu attribuer des eſgaux bien commeceluyqui connoiſſant les interieures penſées de Aftuce
& comperſonniers, ſerontà cauſe de leurs forfaits precipi- tous les caurs, penetrez außi iuſqu'au fonds dumien ,& & blala
25. tez au fondsd'enfer: Qvia ſeptportes commiſes à la gar- non pasmoydedans le tien. Parquoy tu ſçais que ie n’ay pheme
de de certains tres-rigoureux Anges , pouryeſtre perdura . rien annoncéà tes creatures horſmis tescommandemens & de ce
faux
blement tourmentez dansl'horrible feu dela gehenne eter- preceptes , à ſçauoir qu'ils euſſent à t'inuoquer & adorer,
Prophe
87 . nelle : DONT l'ombre est diuiſée en trois parties , non de toy mon Dieu ,& le leur, dont pendant qu'il t'a pleu me te ,
moindre horreur que les flammes propres qui deſgorgent à laiſſer là bas i'y ayaßiftépour teſmoin : mais maintenant
tous moments des eftincellescomme degros tourrions,ou des toj qui és l'infaillible arbitre de touteschoſes,depuis que tu
24. chameaux roux d'un poilenflambé. Et là outrez d'une m'as efleué à toy,en es toy. meſme le connoiſſeur. Somme
Ardeur plus qu'inſupportable aux demons meſmes,deman- que tout le but où il viſeert de renuerſer la diuinité
dans un peu d'eau pour allegement ,on leur on donnera la du Messie,ne le conſtituant que pur homme, aucc
groſſeur d'une petite larme qui coule goute à goute des la pluſpart des anciens heretiques. Iesvs Christ
yeux,ce au reſte fiinfeéte,venimeuſe & abominable qu'elle n'a eſtéqu'homme ſeulement,auquel Dieu a conferé beau
leur rongera les entrailles, a les eſtouffera ſoudain , ſans coup de bonté,da l'ainſituéDocteur pour inſtruire les en
toutesfois pouuoir mourir, tres-mauuais breuuage certes fans d'Iſraël , lequel venant avec la diuine efficace, dit ex
49. Surtous les autres.Et quanté quãtſerontrepeus à grand ceſte forte. Me voicy arriué auec sapience quidecidera vos
contrecæurmalgré enx ,d'un fruit reſſemblantà des teftes altercations. Suivez moydoncques, & craignez Dieu le
de diables , de l'arbre appellé Ezecum , qui de la racine Seigneur de vous, & demoy. Car Dieu n'a aucun enfant, 20.
boxillonne le continuelfeu dela gehenne, de maniere qu'il ny ne lugeſt point beſoin d'en auoir,ny de comperſonnier ou
ordra au fondsde leur ventre,commele bronze en lafour- eſgal nanplus. Ne dites point qu'ily ait trois Dieux , veu 35.37 ,
54
:

naiſe preſt à ietter : Les miſerables cependant eftantcon- qu'il n'y en a qu’on tout ſeul,qui n'a pointd'enfant , eft " 11.
14 . ftituez au milieu de l'embraſement, la tefte reruerſée en tout-puiſſant,toutce qui eſt au ciel es en la terre luyeſtant
bas dans de gros charbons allumez , enchaiſnez, par le col ſujet.lesvs -CHRIST meſme ne ſçauroit nier,commeaußi 12.
auec descarcans,de groſſesmanottes ésmains, entranes les Angesproches de la diuinité,qu'il ne ſoit foufmisà luy.
aux pieds,& des chemiſes de poix enflambée ,ayans deuant Et fautſçauoir que ceux- là ſontvrays meſcreăsequi dient
28. eux les téſmoins & accufatenrade leurs forfaits. Et en lesvs fils de Marie eſtre Dieu : & pareillement qui affer
ss Outre un papier iournal qu'on leur ouurira , ou tout eſt en ment y auoit trois Dieux ,veu qu'iln'y en a qu’on ſeul. Si 29.
60. regiſtréparle menu,auquelon les contraindra de lire.Voicy que les autres qui auront voulu dire que Dieu euft unfils,
noſtre liure ( dit Dieu ) qui contient en foy toutes vos reconnoiſtront auoirproferé vne tres-vilaine parole, pour
actions & deportemens,eſcrit de noſtre propre main,lequel laquelle le ciel preſque ſe confond , la terre s'enfuit cacher,
deſcouurira tous vos faits à la verité : carily a vn grand c lesmontagnes ſe renuer ſent.Nedonnez pointdoncques 8z.'
79. volume derriere nous ,qui contient tout. A v moyen de- de compagnon au tres-baur & fouuerain Dieu , quin'any 122 .
quoyce iourlà il n'y aura ricx qui ſoit de caché de toutes femmeny enfant.Cariln'ya qu'on ſeul Dien neceſſaire à 14.26.
les plus ſecrettes affaires des hommes. E T là deſſus les mi- 104,6 incorporel, qui n'a point engendré d'enfans, ny n'a 28. 31.
ferables s'exclameront. Helas combien dangereux & à point außieſté engendré, & n'a point deſemblable à luy. 33. 35.
craindre eſt-ce mauuais liure icypournous qui n'obmet rien Voila deſes execrables blafphemes contre la diui 47 .
93; quelconque desplus grandes ng des moindreschoſes. Av- nité de noſtre Sauueur IESVS- CHRIST , qu'il en 49.SI,
QVEL eſtans diſtinctement marquez les mesfaits mal- trelaffe de tres -grandes préeminences , & preroga- Go .
uerſations des peruers , il ſera puis apres enfoncé dans le tiues qu'il luy aſſigne, & pareillement à la Vierge
plus profond de la terre. Mais celuy des bons qui eſt eſcrit Marie la mere , les affermanseſtre les plus dignes,
en belles lettres ,& d'un eſcriture agreable, on leverra fuf- excellentes , & parfaites creatures quifurent onc
pendu au plus haut du Ciel , pour y eſtre les des efleus les ques . Marie ſeredreſſantdu tout à Dieu ne commis ia- 76 .
plus proches de Dieu. A ce propos les Mahometiſtes mais rien de mauuais,parquoy nous auonsfoufflé en elle vne
tiennent comme il eſt dit au liure d'Azear , & au Ame qui deuoit confirmier nos paroles, & noſtre liure , & per
tres , que dés l'heure de la naiſſance de la creature Seuerer en toute bonté. Entendant par ceſte amelà IE
deux Anges luy ſont ordonnez de la part de Dieu , 'SUS -CHRIST , qui fut conceu en elle du Rubela ou
pour luy affifter iuſqu'à ſon treſpas, l'vnà la main ſoufflement de l'Eſprit ſaint. Iesvs le fils de Marie eſt 11 .
droite lequel eſt appellé Chiramın , & l'autre à la le meſſager & ronce de Dieu , Q Son Eſprit ,le Verbe enuoyé
gauche , Chiratibin ,qui ſont comme eſcriuains du du ciel iMarie.A propos de ce Verbe nonce de Dieu,
bien & du mal que chacun fait en toute ſa vie, dont les Talmudiſtes, & meſme Rabi Iſaac Arama en ſes
ils font regiſtre quieſt produit au iour du iugemét . commentaires ſur. Gencſe,alleguant le Pſeau.107.
Auec autres infinies celles fictions poëtiques, eſ- Il a enuoyé ſuparole e les a gueris, met que Rabi Sa
panduës confuſement ça & là dedans l’Alchoran, muel Leuite dit ce Verbe de Dieu eſtre ſon meſſa
leſquelles comme indifferentes pourroienteſtre au ger , dont il eſt eſcrit en Ieremic vingt - troiſieſıne,
cunement tolerables , pour retenir par ceſte crainte Telle eſt ma parole qu'eſt le feu. Et au vingt -huittieſ
ces gens vicieux , & au reſte groſſiers & brutaux. medu meſme: Quand ſa parole ſera venuë , le prophe
Mais non pas les impiecez & blaſphemes qu'il y te ſera conneu . Et certes les Juifs ſçauants en l'er
Ce que
Mabio . cntrclaile, contre la diuinité du Sauueur,combien criture n'ont pcu ignorer I E SY S -CHRIST, s'ils
ne fuffenc
o ndile
de Chalc .
248
249
nc fuſſent tout à leur efcient obftinez en leur réfra .
O MARTE , diſent les Anges, plus nette & monde que já
II . ctaire erreur :mais pour retourner à Mahomet . En tous les hommes my les femmes , addreſſant perſeueram
core que Dieu ait extoléles Prophetes l'un plus que l'autre, ment fa penſée au ſeul Dieu adore -le, auec les humbles de
juſques mefmes à parlerbouche à bouche auec d'aucuns :Cc caur qui luy fleſchiſſent les genouils. Maintenant t'eften .
neantmoins à lesvs fils de Marieila conferé vne puiſſan• noyée du ſouuerain Createur de tout l’vniuers, la ſublime
13 . ce & vertu par deſſus tous autres . Et vne ame pure ,mette, ioye du haus meſſager,qui eft le verbe de Dieu ,dont le nom
& benoiſte,lequeldonna la veuë à un'aueugle ray,guerit tfflesys-Christ, qui eſt laface de tous les peuples,tant
vnladre,& refuſcitdes a morts,luy ayanten outre enfei: en ce fieclequ'au futur,vn
tres-bon G tres- Sains
perſonna:
gné l'eſcriture ,en la Sapience , l'Euangile außi, ca le te- se. Elle reſpond ! O mon Dieu , moy qui n'esus oncquesaca
ſtament. Item .Dicu enuoyal'un de ſes eſprits àMarie; cointance d'homme, commentconceuray-ievn enfant?Les
Tout le en reſſemblance d'unvray homme , ( l'Ange Gabriel) Anges repliquent : Il n'y a rien impoßille à Dieu ,lequel
mil de la veuë duquel trouuant eftornée de primeface, elle fait toutcomme il luyplaiſt , & dont le ſimple commande
ſe
eft , mais
perucr eut recoursà prierDieu qu'illavoulust defendre delug, ment execute tour àſa volonté. Il enſeignera à ton filsve
sy . qui tout à l'inſtant luy va dire , n'eftre
finan le meſsager de nantausc la diuine vertu,le liure contenantlaloy,enfema
Dieu , lequelluy promettoit un fils qui croiſtroit en tout ble toute ſcience & doctrine, le teſtament, & l’Euangile ,
heur á perfection .Et elle replique , Comment pourrois-je les preceptes qu'il doit annonser aux enfans d'Iſraël , com
auoir d'enfant,qui iamais n'eusaccointanced'homme, ny foufflant ſur desfigures d'oiſeauxpar luy formez de ſimple
le cæur à rét adte -là ? Il reſpond , cela eſtpoßıble à Dieu , terre , les rendra volants : guerra les muets aueugles,
& leger à effectuer : « en appareiſtra aux hommes une nettoyera Luladrerie ,& par la cooperation du Creareur ra
tres- admirable & vniquemerueille,don gratuit deſagran. Sufciterá les morts , manifeſtera les viandes qu'il eſt loifi
de clemence& mifericorde. Tout de ce pas ſe ſentant gros, ble de manger, en confirmant leteftament,fórs quelquesă
ſe, de honte elle s'enfuit au loing : & eſtant ſur le point pnes qu'il permettra , y ayans efté prohibées ,& declarant
d'accoucher , ainſi qu'elle ſe repoſoit ſous un Palmier : d’eſtre venu,anécques la diuinevertu de puiſſance,disa tout
Pleuft à Dieu , va- elle direque ie fuffe morte,e engloutie baut. Vous qui craignez Dieu,fujucz -moy , es en l'adorant
de l’oliame auant que cecy mefufi aduenu. Muis là defus vous cheminerez par la droite voye,Carileft voſtre Seier"
Iesvs - Christ eftant fortyhors de ſon ventre ,luy dit : gneur & le mien . Mais I & S v sfçachant bien que laplufa .'5. 23
Ne craignez ma mere, car me voicy qui vous aßifte: part voudroientdemeurer ob ftinez en leur incredulité, dir -1 . '.
Dieu quant & quant luy ordonna de crouller l’arbre , dont ainſi
. Quifonedoncques ceux d'entre -vous qui me veulens
eftant tombées des dattes meures elle en mangea, & puis ſuinte ? A quoydes hommes veftus de blanc reſpondirent. Apocal,
apres beut ,fi qu'elle ſe reconforta , & addoucit ſon affli: Nous au nom de Dieu te ſuiuans's croyrons en luy. Telle- ***
&tion , delà ayant porté ſon enfant au logis, comme on fe ment qu'entre les Mahometiſtes, mais les Turcs
ſcandalizaſi de ce fait. Iesvsva dire tout ainſi petit qu'il principalement , quiconque blaſpheme I ES V S- Leuit.si:
eſtoit emmaillotté dedans ſes langes. Ie ſuis leJerusteurde CHRIST , ou la Vierge la mere , il eſt tout ſur le
Dien ,lequel m'a donné ſon liure,ci conſtituéſon Prophete champ puny de cent coups de baſton. Ce point au
pour l'amandement deſes creatures , m'ayant ordonné de reſtequ'il couche icy des viandes prohibées en l'an
prier pour elles , faire des aimoſnes & chaiitez 6 honorer cienne loy , dont ilremet la diſpence à l'arbitre de
mamerependant que ie conuerſeray au monde . Il m'a au IESVS.CHRIST,bat aucunement ſur les traditions
reſte creéexemptde tout mal,car dés l'heure de ma naif: des Cabaliſtes. Car dedans le Breſit raba ,
la grande
Sánce le diuin ſaluta eſté eſtendu ſurmoy, ſera pareil gloſe de Gen. ſur ce texte du 40. chap. Er en la plus
lement à la mort : & quand ie reviuray derechef pour mon . baute corberilemeſembloit que le portois de toutes viandes,
33 . ter là haut. Là où enſemble à la Vierge ſa merc, ſurquoy eſt allegué le 146. Pſeau. Le Seigneur deſlie Actesie.
ayans l'vn & l'autre fait de grands miracles parmy les entrauez , entre autreschoſes il eſt dit ainſi
les hommes , il aſſigneynlieu à part de beatitude, . Tou
tes beftes quien cefiecle ( de la loy de Moyſe faut en
fort plaiſant, & arrouſé d'eaux : & la fait quant à tendre )ſeront tenues pour immondes , au temps adue
elle exempte auli de tout peché, meſmement de nir du meßie ſeront faites mondes & licites , tout ainſi
l'originel . Le femme de Ioachim ſe ſentant groffe va di- qu'elles eſtoient aux enfans de Noé , auſquels il eſt dit en
re,le te vouë ô mion Dieu Createur de tout,l'enfant concer Geneſe neufieſme. Tout ce quiſe meut a'yant vie vous ſera
dedans mon ventre , qu'il te plaiſe doncques le receuoir à pour viande . le vous ay ołtroyé le tour, außi bien que les
ton humble ſeruice. Et comme elle eust enfanté une fille à verdoyantes hortailles. Carny plus ny moins que ces herbes
qui elle donna le nom de Marie , l’inaoquant derechef s'en & vegetaux eſtoient mondes, & permis indifferemment à
va dire: 0 Eternel defends s'il te plaiſtrefte mienne fille,de chacun , außi toutesſortes de beſtes leur eſtoient mondes
le fruit quiſortira vn iour d'elle ,deuoiiez du tout à ta fain - Glicites. En ſemblabledoit - ileſtre au temps du Meßié,
te obeyſance des tentations ,aguets, & embuſches du dia- oi Dieu permettra librement tout ce qu'il auois defendu,
ble , laquelle priere Dieu exança. Il y a tout plein d'au- & meſmement la chair de porc : dontſur le desſuſdit lien
tres ſemblables choſes qui ſuiuent apres, peruerties du Pſalmiſte : Le Seigneur deſlie les liez , eſt formée une
de nos Euangiles. Maisiln'admet pas que IESVS : queſtion pourquoycét animal eſt appellé qu'on Chafir, qui
CHRIST ait eſté crucifié,ainsyn autre par meſcon. fignifie en Hebriek reuerfion ? à quoy on faitreſponſe ,que
11 . noiſſance en ſa place. Les Iuifs horſmis bien peu ne çela denote que Dieu le fera retourner au meſme eſiat qu'il
Tout croiront iamais leſquels fontun trop grand outrage à Ma- eſtoit du temps de Noé , auquel il eſtoit permis d'en man
cecy il rie,& luyvſent d'un blaſpheme iniurieux ,d'alleguer qu'ils ger. Ce meſme touche encore Ben Carnicol és
l'a com pos .
mun ayentmisà mort les vs-CHRIST, Son cher fils,quieſt le tes de luſtice.
quec meſſager de Dieu ,mais rien moins que cela , ains vne antre
MAHOMET fait ſemblant au reſte de deferer la
Cerdon, qui luy reſſembloit. Ce que deſſus il l'a auparauant di
Marcus, laté en ceſte forte , pour monſtrer touſiours dauan . vraye
Nors & rine
dovous à l'Euangile
auons enuové ( Dieu Iesvs - CHRIST.
de adreſſant fa parole

biches; tage comme il entremelle & pallie ſon venin def aux luifs ) I ES V filsla de
s le eſt Marie auquelros
ſous un ſuc de pieté , mais groilierement à gensen- commis l'Eyangile , qui lumiere ,& es auons
confirmation du
Salici .
nin , & tendus , & fort aiſé à deſcouurir: car ſelon que dit viel Teſtament , ſa correction , a la droitevoye à ceux
Balili . non inepcement certain poëte.
des. qui craignent Dieu , pour parvenir à l'accompliſſement de
Le fard ne ſçauroit faire une Helene d'Hecube, voſtre loy. Item . APRES Noé , Abraham ,c les autres 52.67 .

1 iij

1
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 251
250

Prophetes leurs deſcendans; & derechefd'autresencores rejetter l'eau par pluſieurs tuyaux : tout de meſme
apres eux : finalementnous auons
enuoyé 1 E s Vs le fils de luy , & de fon empoiſonnécdoctrine ſeſont ve
de Marie ,dontlesſectateurs luyfurent du tout obeysſans, nucsà dégorger les principales ſectes qui regnent
& curent descaurs conſtans,humbles ,& fideles : uuſilmy meſme pour lc iourd'huy. Et en premier lieu ceſte
i
auionsnous donné l'Euangile,non à autre fin ,finon que par principale maxime que tous les heretiques ont ac
le moyen d'iceluy ils obtingſent l'amour & la grace de couſtumé de rouler deuant eux comme quelque
Dieu :mais ils ne l'obferuerent pas dignement comme il mantelet ou gabion pour ſe mettre à couuert der
conuenoit . Parquoy il a eſté beſoin ( ce dit-il) que rierc; Que tout le monde eſt alléà taſtons & en te
l'Alchoran ſoit interuenu là deſſus , pour s'accou- nebres iuſques à eux , quiont finalement veu clair,
Arer ce qui auoit eſté depraué par les Chreſtiens & deſcouuert la verité cachée au fondsdu puits de
meſmes, qu'il appelle deſguiſeurs de loix : & eſclair . Democrite: car ils ont , à leur direl'eſprit de Dieu
cir les differents des Religions: & monftrer ladroi- en leur teſte; & tous les autres ſontaucugles . Ainſi
te voye de ſalut. Plus. Novs t'auons enuoyé de Lab en ont fait les Arriens Pelagiens, Donatiſtes ,Ma
met lé liure de verité , confirmatif de ſes preceptes, auec nichéens ,Neftoriens, Euchites ,Monotelites, P2
12. lequel tu pourras iuger de tout. LE QVE I liure( dit tripaſſiens, Encratites , & ſemblables peſtes, pour
26. Dieu à Mahomet ) nous ne t'auons commis pour autre nem'eſtendre à ceux qui nous ſont plus proches de
lemanifeſter àceux qui cheminent la droite temps, &de voiſinage:
Tous leſquels ont donné im
d'opini ons,& le manifeſter àceux qui cheminextla droite
d'opinions,& pudemment ce pretexte à leur corrompuë'& fauſſe
voje , co mettent leur attente en la miſericorde de Dieu.
doctrine,que le vray ſensdes Eſcritures dépendoit
12 . Item .Avx hommes deloix ( il appelle ainſiles luifs, de leur interpretation ſeulement. Voicy doncques
les Chreſtiens,& Mahometiſtes; car il n'y a eu que comme l’Alchoran s'en eſcrime; & les autres à ſon
ces trois loix eſcrites de conſtante opinion , d'au
effrótéc imitation . Les preceptes des loix , & des maurs,
que le Paganiſmea varié en tant de ſortes qu'il
cant commenous les auonsmanifeftées à Noé ,á àtoy Abra
ne ſeroit pas poſſible de le prendre pourloyarre- ham ,Moyfe,& au Chriſt,maintenant nouslesenſeignons
.
en- ftée ) à ceux doncques qui obeyſſent à vneloy religion, Item . Die v enuoyant des Prophetes au genre humain
cend ſon s'ils crogent en Dieu comme il faut, & qu'ils le craignent, n'eftanttousauparauant qu'on feulpeuple, pour leur eſta
Alcho
tan , il leur octroyera pardon de leurs fautes , auec un Paradis blir vnefoy, & vneeſperance , les infiruit par meſme moyen
correſpondant à leurs merites:Que s'ils obferuent les com- de veritables eſcritures diſcernantes le bien & lemal : Sur
mandemens du Teſtament, & de l'Euangile ,& du liure leſquelles entre ceux qui auoient deſia connoiſſance de ſes
qui leura eſté d'abondant enuoyé du ciel,ils abonderont iuftes preceptes, & non aux autres, vindrent ånaiftre des
de tant deviandes autres biens,que meſme ilsneferont diſputes & controrier ſesnon mediocres,qu'il les falloit en
li&tiere :mais
peu d'entr'eux ont la vrare foy,laplusgrande tendre efire ainfi, & non pas ainſi ; iuſques à ce que Diese
partie eſtansincredules. Parquoy ô Meffager de Dien es- monſtra finalement la droitevoye à ceux que bon luyſem
largis aux autres le don qui t'a eſté enuoyédu Ciel en leur bla. Plus. Novs t'avons enuoyé d'enhaut le liure de ve
11 :
enſeignantcequ'ils doivent croire. Car il fautextendre rité,confirmatif de ſespreceptes;auec lequelc’eft àfaire à
que les hommes ne ſçauroientobtenirla perfection d'aucu- toy de iuger de tout : Et pourtant ſelon iceluy ayant deci
à
ne loy ou creance ,s'ilsn'obeyſſent aux preceptes du Tefta- der leurscontentions,ne regarde pas à leursvolontez ;ains
ment , & de l'Euangile ,& dece liure eftably de Dieu :le embraffe la verité ſeulement : Car s'il euſt pleu ainſi à
quel augmentera l'incredulité,la malice,o -obftination de Dieu ,de tous les peuples il n'en euft fait qu'un , & d’one
37. plufieurs : mais net'en ſoucie :Carrét Aliboran mani. meſmeopinion : mais ilveut connoiſtre ce que chacun en
fejte aux enfansd'Iſrael, & refout la plupart des choſes droit ſoy accompliradeſesmandemens.On pour parue
dont ils ſonten doute & diſpute , auec le droit chemin par nir à ce point qui eſt la clefde la doctrine, & ſon
43. où les croyans obtiendrontpardon de leurs fautes. Delà il principal eſtabliſſement; car pour baſtir quelque
eft bien Geffronté & impudent de s'appeller Accur- nouvelle opinion , il faut premier demolir les au
Zemen Penegaber , le dernier des Prophetes. Maho: tres , il eſt beſoin auant tout @uure d'y en enfiler
met eſt le dernier d'eux, & corrme le feau , c le comble immediatement vne autre:maxime auſſi pratiquée

71 . d'iceux . Promis meſme par I ES V S - CHRIST,


par les heretiques, que les anciennes traditions ne
qu'il introduit parlant ainſi.O ENFANS d'Iſrael, font que ſonges & reſueries: & telle eſt la vogue
vous eſtant enuoyé de Dieu par ſon Meſſager, ce quieſt en qu’ont
cuë de tout temps lesnouuelletez ,l'vnedes
mesmains de ſon Testament , ie vousl'afferme: vousap- plus agreables choſes qui ſoit , & qui chatouille
porte de la part nouvelles de ce Meſſager qui doit venir
delicatement nos eſprits ; introduite en nos
! Mabomer . Mais à proposde plus
apres
ce dernie r Prophetenom
moy,lequelaura celicu d'Ilaye 9. s'y peut fort premiers peres dés la creation du monde ; maisen
Ġ le venerable estla teſte: recompenſe pernicicuſe & dommageable ſur toutes
bien accommoder : L'ancien
autres ; & qui ouureaurant la barriere à tous vices
& le Prophete enſeignant menſonge la queue . Et on Mi.
& deſbauchemens; aux ſeditions,troubles,partia
chée. 2. Leur Roy paſſera deuant eux : le Seigneur fera litez, fa &tions, atheiſmes,& ſemblables peſtes, qui
en leur chef. Ceque les Talmudiſtes au chapitre He
lec du liure des Sanhedrim ,referent au Mellic qui netendent qu'au renuerſementd'vn Etat . Voyons
deuoit eſtrele chefdes Ifraëlites ou fideles. Et Ra . doncques la briſée & explanade qu'en a dreſſé aux
bi Moyſe Hardaſan ,en la grand' gloſe,ſur cetexte heresiques l'Alchoran en pluſieurs endroits.Vospe 2. '
du 49 . de Geneſe. Il laucra au vin ſa ſotane, as res , s'ils ont eſté fols auengles, les voudriez - vousbien contre
imiter ? Si ainſi vous le faites , vousſerez pires que fourds, les an,
Sang de la grappe ſon manteau : dit cecy , Quand leRoy muets,axeugles, & idiots : & d'accomparer à ceux qui ne ciennes
Meßie viendra , ilſera veſtu d'un pourpre fort belà voir, ſçauent alleguer quece qu'ils ont ourdes autres. C'est le
& ſera le chef d'Ifraël. tions,
propre des incredules, quand on les ſemond d'adiouster foy voyez is
Tovt ainſi doncques que ce faux Prophete & 4xx preceptes que Dieu , ſon deputé ont donné de , dire fraude
ſeducteur de la pluſpart du genre humain , a eſté qu'ils ne veulent enſuiure finon ce queleurspred eceſſeurs de cet
come vn receptacle de toutes leshereſies anciennes, ont tenu : à quoyon leur fait une telle obiection :Etvoulez. homme ,
à guiſedequelqucample baſſin de fontainc,où di- vous imiter vos peres ,& aller apies,s'ils ont pris d'autre ad . 13 .
uerſes ſources ſéviennent rendre pour puis apres.cn dreſſe que la droite poje? ABRAHAM reprenant ſon pere, 31 .
e
de Chalcondile .
252 253

&fanation , de ce qu'ils croyoient és idoles , euxrefpondi- quifont dutout impuiffans de nousfaire ny bien ny mal ?
rent que leurs anceftes en auoient vsé de la forte, Il y Non pas meſme veut-il permettre d'inuoquer les
EN Á d'aucunsquand on leur annonce les diuins preceptes, Saints pour interceder pour nous enuers Dieu, ains
Gle droit chemin ,quine ſçauent repliquerautre choſe.fi. les rejette. Invoqve fans intermißion d'une ſincerite " 49 )
non qu'ils enſuiuent les erres de leurs anceftres. Mais ſiles de caurle Seigneur ton Dieu ,qui te dóne vne loy purelCar
Diablesles deceuans les auoient tirez aufeu eternel, que quant à ceux qui adorent quelque autre en lieu de luy , ne
ſeroit - ce ? Et ſi nous vous monftrons vn ſentierplusexpe le faiſanspourautre Gauſe ,finon à ce qu'ils leprient pour
dient , plus certain & plus veritable que celuy qu’ont tenu Bux , ilſçaura fortbien diſcerner leur erreur:nam loco Dei
vos peres ? On ne nous en ſçauroit ( diront- ils enſeigner de fumantur quorum alius precatur pro alio . Au regard des
meilleur,& ne voulons adioufterfoy à vos paroles. C'est le Images. Cevx qui en ce fiecleicy reuereront les images
39.
Langage qu'ont tenu les principaux de tous les peuples à au lieu de Dieu,s'en iront en l'autre au feu perdurable ſans
quinousauons enuoyénos mefrages. Mais Abrahain n'en fit aucune remißion . CAR ceux que vous adorez au lieu de
pas ainſi,car ilſceur fort bien dire tout reſolument à ſon Dieu ſontfaits comme s'ils ne pouuoient rien faire,eftans
pere , & à ſes autres compatriotes , qu'il renonçoit à tous priuez de toute vie, & infenfibles. Si qu'ils ne peuuent
Plca.113
ceux qu'ils adoroient au lieu de Dieu , ne croyant quant à vous fruſtrerd'aucun bien ,nyfaire mal S . omme que le
luy fors à l'Eternel , le Createur fien & d'eux tous. Mais Mahometiſme defend fort eſtroitement tout vlage
l'Apoftre nous rcigle fort bien là deſſus, en la pre- de ſimulachres,effigies , & portraits de choſes quel.
miereaux Corinthiens 11. le vous loue mes freres dece conques,tantés lieux faints comme és prophanes :
qu’en tout partout vous vous reſſouuerez de moj,& que meſmes és manufa& ures de tapiſſeries, broderies,
vous obſeruez les traditions que ie vous ay baillées. Eten & toutes autres ſortes de meſtiers, iuſques à vnt
la 2. aux Theſaliens. 2. Pourtant mes freresdemeurez reſſemblance non d'hommes tant ſeulement,ou de
fermes, Ġ tenez les traditions que vous auez appriſes, beſtes, ains des arbres meſmes , herbes & fleurs : &
ſoit de ville bouche ou par lettres. en ſomme de tout ce que produit la nature , n'eſti .
21. 24 . CESTE ouuerture , qu'il pourſuit en pluſieurs mant pas eſtre loiſible à la creature de contrefaire & .
26.47 . autres diuers endroits, vne fois faite à la digue & imiter les ouurages du Createur.
S5.56. leuée , l'eau quien eſtoit retenuë bien aiſémentle
L A nouuelle do &trine ne le préd pas ſi cruëment,
fait paſſage pour s'eſtendre à trauers les champs , &
mais elle a au reſte cecy de commun encore auec eux
ſubmerger tout le territoire.
Qu'il ne faut point porter d'honneur ny de re qu'il ne faut contraindre perſonneà ſe ranger à la
religion Catholique , & ſe departir de ſes opinions
uerence aux Eccleſiaſtiques .
Les Chreſiens reuerent leurs Preſtres & Pontifes, les particulieres. Ne faltes force ne violence à perſonne 40
19 . tenanspour Seigneurs& Superieurs au lieu de Dieu enco pour occajion de la loy, attenda que la droite ( peruerfe
re qu'il leur ſoit expreſſément defendu dene venerer finon voye ſont par tout ouuertes . Item . Retirez -vous de la 15 .
un Dieu , s'efforçans par leur bouche d'efteindre la clarié compagnie des incredules ,ſans leufaire
r aucun mal ny on
trage,encore que par une ignorance ou courroux il leur ef
d'iceluy , quemalgré eux, & leurs effortsil conduira à ſon chapast de dire quelque choſe detrauers de Dieu , parce
parfait accompliſſement. Et pour cet effet a depeſché son
Meſſager ( Mahomet) auec la droite voge, de la bonne que chaque nation a accouftumé deſe complaireen ſestra
ditions & creance, & les trouuer belles et bonnes . Plus.
loy pour la manifeſter aux hommes , quelque reſiſtance Pensez vous reduire lesmeſcreans deforce à la vraye foy 201
qu'on y puiſſe faire, Reprouuez doncques , ô vous gens de
bien,ces Preftres, Pontifeslà,quidexorent gratiscu o dodrine ?Nul ne peutcroire droitement,finon que Dier
le vueille de cefte forte lequellaiſſe crouppir les malins insa
impunément la fabftance des ſimplesperſonnes , & ne vont difcrets en leurimmondice , & ordure . Car on ſçait aſſez
pas le droit chemin .
que rien des celeftes, ny terreſtres vertus , ne les miracles
, apparence de
quer qu'vn ſeul Dicu, il n'y arien en quels qu'ils ſoient,ne ſçauroient profiter aux incredules ,
qui n'attendent que des cuenemens ſemblables à ceux de
plus plauſible & receuable , ne qui ſe puiſſe moins leurs prodeceſſeurs. Et certes nousnet'auons pas enuoyé S20
contredire. A Finque ma parole fructifie en vous,crai- pour ſarueillant& obferuateur de ceux qui ſe fournoyent
gnez moy ſeul,& me reſpe£tez,quiſuisvoftre Dieu: Inuo- de la loy,ne pour les contraindre : car tu n'as autre choſe à
quez mon nom me rendans graces des biens -faits que vous faire que de les admonefter ſeulement de leur deuoir. Au
receuez . Estansde retour de vos pellerinages ſains dan moyen dequoyen les reprenant ne leur vſe d'aucuneforce
Sauues en vos maiſons,inuoquez moy, qui ſuisvoſtre Dieu ne violence,ainsne leur fais qu'expliquer l'Alchoran , à ce
& Seigneur, e me requerez pardon devos fautes , car ie
que craignans Dieu tu les adreſſes au bon chemin . Il rež
ſuis toutmiſericordieux ,pitoyable ,& quiſeul vous les peut terele meſme encoreen pluſieursendroits : mais en
82 . remettre. Item . Ie n'en trouue point d'autre que je doiue plus d'autresilſe contredit : & à ſon exemple lesre
adorer qu'un Dieu feul, duquel i'anonce les commande- fractaires, qui ont cela de propre & particulier, de
mens , ne luy attribuant point d'égal, ny de compagnon .
ne vouloir eftre contraints de ſe departir de leurs
Tout ce qui tend à exclurrelesus - Christ d'ado
ration: carcela eſt particulieraux Mahometiſtesde opinions, & veulent cependant forcer lesautres de
leur adherer.
ne reuerer,ny inuoquer qu'vn Dieu ſeul, il s'eſtend
Il n'eſt point au ſurplus beſoin ( cedit - il ) d'au
à nos feparez , leſquels ont cela de commun auec
thoriſer ſa loy par miracles. 1 E ſçay que vous n'atten 10 .
eux de rejetter l'inuocation des Saints, & la venera
dez altre cheſe pour croire finon que quelque aduenement
tion des images,commechoſe illicite & impie,voi. des Angesou de Dieu meſme, &des miracles en effet : mais
-re friuole {diſent- ils ) d'adreſſer ſes veux & prieres voſtrefoy ne vous profitera de rien quand ils aduiendront,
à autre qu'à Dieu, qui ſeul les peut exaucer,& nous parce que vous n'aurez pas creu auparauant. Derechef.
tend à cette fin continuellement les bras ouuerts ,
S'ils te demandent pourquoy c'eſt que tu ne faisdes mi- 17 .
trop plus prompt à nous octroyer ce qui nous eſt racles,puis que tu viens auec les diuines vertus,dyleur que
neceſſaire, que nous ne l'enſçaurions requerir . tu ne fais finon enfuiure le mandement de Dieu . MAIS 27 .
Pvis que la droite voye nous a eſtémanifeſtée de Dieu ,le pluſieurs demeureront incredules,alleguansqu'ils ne ven- Alluſion
au 20 .
Seigneur de tout le monde, à quelpropos peruertiſſons nous lent point croire à tes paroles , iuſques à ce que tu leur ayes des
cela à noſtre appetit: Adørsrons-nous en les venerant ceux fait ſoudre vne fontaine d'eau viue tout ſurlechamp, ou bris,
Ná.
iiij
Illuſtrations ſur l'Hiſtoire
254 255

la pleuré deſcendre quelques beaux vergers de daltiers , des vignes, ſacrifices ne rrouuerent grace enuers Dicu , comme
d'où á jardinages arrouſez de plaiſans ruiſſeaux : ou que tu ceux d'Abel: Iſmaël,de l'argent:Et Elaü de l'or,la
Moyſe
four ne facesvenir Dieu ý les Anges anecques foy,à la venë deoù Iacob eſt le pur argent ſans ícorie , car il auoit
dre de tous:ou que tu montes là hautau ciel, & delà leur enuoyes eſté purgé par ſept fois ,commeil eft dit au Pſeaum .
l'eau. le liure de la loy pour y lire: Certes ils ne t'adioufteront foy 11. L'argent examiné par le feu , purge Sept fois, c'eft à
A l'Af- deuant ; mais là deſſus inuoque Dieu ,qu'il te donne moyen dire par ſept generations,commeils l'interpretent,
eension de te demeſler de ces importunes recherches en leur diſant: Seth, Enoch, Noé, Sem , Abraham , Iſaac, & Iacob llayer.
& Pen
tecofte. Ie ne ſuis forson homme,meſſager ſimple,qui vous reuele le le ſeptieſme: Mellie efl'or pur ; là où il eſt dit des
droite voye. Somine qu ''il r'enuoyetous les miracles autres : Ton argent s'eſt tournéen ſcorie Gefcume: & en
à la ſeule diuinité , comme on doit de vray ; mais Ezechiel 21. La maiſon d'Iſraëlm'eſt tournée en eſcue
non pas que Dieu n'en face par les creatures , où il me : Tous ceux -cy Sont airain,& eftain ,& fer,& plomb, &
veutmanifefter la gloire & puiſſance. au milieu de la fournaife :ilsſont faits d'eſcumed'argent.
A ce que deſſus ſe peut non impertinemment en Au moyen dequoy lacob , quieſt le Tiphireth ou os .
filer cecy de l'apoftafie. Qvo deſniera Dieu en appers, nement, & la part du Seigneur;enſemble ſes enfans,
retenant neantmoins ſecrettement ſa religion en ſon cæur, furent conjoints auecques la ligne moyennc : au
me fera damnė pour cela . Cequi cótrarie directement trement dite le centre, ou le temple interieur, Ada
à pluſieurs paſſages de l'Euangile. Qvi me niera de- nai ,qui a eſté preparé au milicu, commemet le liure
Dieu mon Pere
kant les hommes , ie lenieray außideuant de lezzirab. Car le temple ou throne extericur eft
26. qui eſt és cieux L’Alchoran dit doncques.Qvicon. l'homme : lique les quatre pieds de la Merchaua ou
QV E aura une fois receu la foy s'il vient à s'en dementir chariot de Dicu , par le dedans ſont Abraham ,
puis apres , & là renier par force& contrainte,pourueu que Iſaac, lacob , & Dauid;auquel ſont par le dehors at
fecrettement il retienneen ſon cæur fa foy Q jaloy, ne fera tellez Iſmaël à la main droite , & Eſaü à la gauche ;
damné pour cela . Mais s'il le faitvolontairement parce des ſeptante couronnes qui enuironnent cechariot,
qu'il aura preferé la vie de ce tranfitoiremondeà celle du à ſçauoir les ſeptante langues & nations en quoy
fiecle aduenir, iamais Diex ne le redreſſera en la droite fut diuiſée l’ynion du genre humain à la confuſion
voye ,ains ſera exposé aux peines & tourmens perdurables. Babylonienne; & ſont appelléeslemyſtere des ef
s . Auguſtin ſur ce ſeptieſme verſet du cinquieſme corces. Et comme le Seigneur elleue detoutes ces
Pſeaume: Et perdes omnes qui loquuntur mendacium ; nations , lacob , qui eft au milieu d'Abraham , &
demande s'il eſt loiſible à l'hommeſpirituel & par. X’Iſaac, auſſi elleut- il Sion entre toutes les autres
fait de mentir pour ſauuer fa vie, quieſt bien moins terres ; "Le Seigneur n'eſt -il pas en Sion ? Et Ieruſalem Ierem.8.
que de renier fa religion : il dit que non :mais dere qui eſt au milieu de la terre habitable , ſur tous les
chef, autre choſe elt dire vne fauſſeté & menſonge, autres lieux pour la demeure ; le me r’allegreray en Ilaye si
& autre taire & cacher la verité :commc fi pour ſau . Teruſalem , & me refiou pray en mon peuple. Tout cecy
uer la vie à quelqu'vn , qu'on ne ſçauroit auoir có- diſent les Cabaliſtes ſur ceſte benedi &tion des puić.
mis aucun cas digne de mort, on ſe reſoluoitde n'en nez . Saint Ieroſme au reſte en l'expoſition de l'E
Açcl. 29 , dire rien n'en eſtant enquis ( audiſti verbum aduerſsus piſtre aux Galates chap. 2. Etfimulationi eius conſen . Iudith no
proximum tuum , commoriatur in te ) ce ſeroit taire ce Jerunt; cient qu'il eſt ſoifible quelquefois de dilli- either s.
que nous ſçaurions eſtre veritable en noftrepen- muler, ſi cela peut amener quelque profit & aduan- Roys
, des19.
ſée ; & cela pourroit eſtre tolerable , s'il n'eſtoitex • tage à l'honneur & gloire de Dieu , & edification & 21 .

preſſément dit au cinquieſme du Levitique: Sila du prochain ,comme fit Iudith pour circonuenir Lju. 4. C.
perſonne a peché,co ouy la voix du iurans,G ſoitteſmoin ; Oloferne; & Either pour garentir les luifs de la 10. Liu .
6. des
de ce qu'il a veu , ou conneu ,s'ilne le denonce,il portera ſon fureur d'Artaxerxes : Ionathas pareillement , &
Stro.3. &
iniquité. Ce que les Rabins interpretent :Que fil'on Michol pour ſauuer Dauid des mains de Saül. Et s . de la
a veu à quelqu'vn commettre quelque faute qui ſoit de Dauid enuers le Preſtre Achimelech & Achis . Rep . 8
fignalée , & qu'il s'en taiſe ſans la reueler au Magi. lehu fait bien encore dauantage ; car il feint de vou- . des
Strat,il eſt coulpable du fait. Tant plus fort eft -ilde loir adorer Baal pour plusaiſément attraperſes mi. Lois,
mentir , & teſmoigner faux de peur de perdre ſon niſtres. Origene a encore tenu le meſme ſuiuano

ame pour ſauuer lecorps d'autruy: au moyen de l'opinion de Platon: Ques'il ſuruientpar fois quel
quoy il a bien eſté quelquesfoispermis de deſguiſer que beſoin & ncceſſité de mentir on lepeut faire ,a
la verité, ou n'en ſonner mot : mais iamais de men- guiſe de quelque lauſe qu'onmelle parmylesvian
tir , & de dire le faux , fi d'auanture ce n'eſtoit que des pour leur donner gouſt :ou des douceurs & aro
cela vine de Dieu pour importer quelque myſte ; mates en des medecines pour pallier leur defagrea
Gen. 12. se . Abraham , quand il dit que Sara eſt la ſæur , il ble odeur & ſaucur : en gardaur toutesfois melure ;
& 20.
taiſt bien la verité qu'elle fuſt ſa femme comme & fans exceder la prudente mediocrité qui eft rc
elle eſtoit , neantmoins il ne dit rien de faux pour quiſe en toutes choſes. Chryfoftomeparcillement
cela, car elle eſtoit auſſi la four de pere, & non vte au premier liure du Sacerdoce , où il cite la plus
25. rine. Iſaac de meſme de Rebecca. Mais lacob paſſe grande part des lieux ſuſdits, & la tromperie donc
bien plus outre,car il ment directement à Iſaacſon vfa Moyſe en Exode 12. pour piller les Egyptiens
pere, ſe ſuppoſant pour Eſaü ,pourluy ſupplanter de leursmeubles. Mais S. Auguſtin au traité du
la benediction : Qui es tu mon fils ! Iacob reſpond , le menſonge chap. 2. monſtre reprouuer du cout ceſte
27. fues ton aiſné fils Eſaü . Ce que l'on ſauue ſurla pro- opinion de S. fcroſme: Ecen l'Epiftre qu'il luy ca
uidence de Dieu ,de transférer au fils puiſné le droit clcrit: Il me ſemble ( dit-il) eftre vine chofe pernicieuſe
de primogeniture, à ſçauoir à lacob ; duquel en li- de croire que ces diuins perſonnages par qui l'Eſcriture
gne directe deuoir deſcendre le Meſſie. Et là deſſus ſainte nous a eſté adminiſtrée, n'agent voulu mentir en
Ics Cabaliſtes diſent de grandes choſes;meſme Ra• rien : parlant de la deſſuſdite diffimulació des Saints
bi Iofeph fils de Carnitol en ſes liures des Portes Apoftres, Pierre, & Paul. Auffi Placon au deuxieſ .
de Iuſtice. Qu'il y cut trois aiſnez rejettez comme me de la Republiq. dit , wami cies ayudas i drey porporta
les ( cories desmecaus ; Cayn , du cuiure , dont les didir ; Que toute la nature des Demons, & des Dieux
Abhorrens
ile
cond
de Chal . 257
256

abborrent lamenterie. Conformément au 7. de l'Ec- comprend tout, Celaneſe pourroit pas impugner non
Colonz , clefiaft. Ne vucillezmentir en forte aucune demenſonge: plus pour le regard de quelques prieres particulie
car l'accouſtumance n'en eſtpointbonne . De fait elle em res : & li ce n'eſtoit pour la mauuaiſe conſequence
peſche,dit l’A poſtre,de deſpouiller le viel homme, qu'il charrioit apres ſoy dumeſpris ,confuſion &
auec ſes actions: Parquoy il la defend aux Ephe- deſordre qui s'en enſuiuroit à la communion de
fiens quatrieſme: lequel viel hommeayant eſté ja- l'Eglife ; outrece que les lieux faints, comme plus
dis ſeduit par le diable pere & authcur de tout men venerables & deuots , purs & nets , que ne ſont les
ſonge,nele peut renouueller s'il n'adhere à la veri- prophanes , ſont plus propres à cet effet : aufli s'en
té,qui eſt le CHRIST : Tant moins doncques de retracte-il autre part . A chaquenation de la terre nous
uons-nous en rien fleſchir ny nous dementir de la auonseſtably vn lieupropre ,auquel inuoquant Dieu , & le
foy que nous luy auons iurée & promiſe. Ce qu'ad- glorifiant,à luy qui eſt vn, ſeulsils immolaſſent des ani
Azoare uoüel'Alchoran meſme. Qui cft pire que celuy là maux . Mais c'eſt à propos de la vieille loy , en la
8, lequel ayant eſté vne fois inftruiten la parole de Dieu , s'en quelle ſe faiſoient des ſacrifices ſanguinolents. Et
depart puis apres ſans plus ſe reſouvenir de ſes faits et pro . pour le regard des prieres , infinis pallages de l’ET
mėſſes ? De forte qu'il ne tient ceux qui ne croyent criture nous en reſoluent :de Dauid meſme: & entre
que comme à demy , au meſme rangdes infideles; autres : Adorez le Seigneur en ſon ſaintPorche : & tous Pſca. 29 .
ſelon que de vray la creance ne ſe peut ny doit my- vacompteront ſa gloire. Plus , i'adoreray en ton ſaint 138.
partir ,nó plus que la robe deNOŞTRE SEIGNEVR, temple , & c . QVANT aux bonnes cuures il nage
ains la faut toute receuoir,ſans rien reſeruer en ſuf comme entre deux eaux , referant la remiſſion des

pens :Tellenient que les ſages mondairis, Adiapho- pechez à la ſeule grace & miſericorde de Dieu, & à
riſtes, & moyenneurs perdroicnt en cet endroit leur ſes beneficences. Die v vous pardonnetous vos pechez
II . Latin . Nov s ſurchargerons de maux 6 meſpris ceux par la ſeule grace & mifericorde. Mais il nemeſpriſe
quiſerontdeſobeyſans à Dieu , c à ſes nonces & meſſa- pas tant les bonnes æuures qu'ont fait les hereti
gers: & quivoudront examiner entre eux ce qu'ils ordon- ques modernes ; ains les joint & complique coû
nent defapart:& alleguer d'y croire en partie,maisnon pas jours auec la foy , qui ſans iceux demeuroit morte .
à tout : penfans ainſi s'enfourner en la droite voze. Mais TO v I croyant, lequel fait de bonnes æuyres , obtiendra 67 .
on pourra alleguer que c'eſt Mahomet qui le dit, vnbien grand loyer.
parquoy il n'y faut pas adiouſter foy : ce qui eſt A v franc -arbitre pareillement il ya bien plus re
vray : Que ſi c'eſtoit d'vn autre que luy que ce pro tenu & ſous bride que beaucoup de nos ſeparez ; qui
pos vint,il ne ſeroit pas du tout re ettable.Et enco le ſouſmettent & allujettiſſent à yne fatale neceſſité
re moins ceſtuy-cy , partout où il ſera queſtion de préordonnée & irreuocable ; dont s'enſuiuroit yn
IS , quelque pacification & accord. SANS le conſente- abyſme d'Atheiſmes & impietez . Toutesfois il ba.
ment a vouloir de Dieu iamais la paix ne s'eſtablira entre lance à ceſte opinion, ou eux à la fienne. T'v n'adres 38 ,
vous ,quand bien xosus y employeriez tous vos moyens a Seras perſonne a la droite voye ſi Dieu meſme n'y met la
facultez terriennes. main: car il efliſt ceux qu'il luy plait, & y accomplist &
VIENT puis apres vn autre point qui contrarie parfait ſon vouloir.Item . ENCORE que tousdeſirent bien 86 .
ancunement à ce que nous en tenons: qu'il nefaut de s'acheminer droit à Dieu , il n'eſt toutesfoss poßible à au
fuſſent nos
point prier pour les infideles ,ores qu'ils cun,fi ſa ſainte Majeſté ne le veut, qui eſttout fage & im
29 .
plus proches parens & amis . Qv E nul Prophete ne menſe. Mais il veut auſſi que tous ſoient ſauuez , & 1. à Tin
preud'homme n'ays àprier pour les meſcreans qu'ilſçait viennent à la connoiſſance de yerité . Or ce qui eſt moth 2.
eſtre mauuais, é deſtinez au feu perdurable, quelques bien le pis,ilconſtituë Dieu en outre , comme Au
proches parens qu'ils luy puiſſenteſtre.Et cea l'exemple theur du mal en nous. O DIE v ne rendspoint noſtre Azoare
& Abraham , lequel ( dit -il) pour eſperance qu'il cæurmalin & peruers en aucuneſorte.Eten vn autre en. 70.,
auoit du commencement que ſon pere ſe conuerti- ' droitil monſtre de vouloir reprouuer ceſte predeſti
roit , prioit pour luy ;mais le voyant perſeuerer en nation neceſſaire. QUAND on leurdit,craignez Dieu , 46 .
ſon idolatrie,il s'en delſta . du en croyant faites du bien afin que vous obteniez ſa miſen
IT E M ,que tous lesProphetes ſont venus,& ont ricorde, to pardon de vos fautes : Carla diuinepunitionne
admoneſté le peuple en langue vulguaire intelligi- frappa oncques que les incredules , & ceux qui s'extraua
ble d'vn chacun,cela eſt vray : & IESVS - Christ guent du droit chemin :4 departez aux indignesles biens
meſme vſoit de la langue Syriaque, vulgaire alors que Dieu vous a donnez comme en depoft:ils fontresponſe :
entre les Iuifs : car l'Hebrieu eſtoit reſerué aux Do à quoy faire donnerons-nous de la viande à ceſtuy.cy ,ou
cteurs, Preſtres & Scribes, qui auoient la charge de celuy-là , ny autre choſe ? Car Dieu leuren donneroit bien
tranſcrire les liures de la loy , & l'interpreter : & s'il vouloit : Voyez l'erreur manifeſte quiles enueloppe.
vſe - t'on de la forte en l'Egliſe , Grecque, Arme Povr le regard des Sacremens, d'autant quela
gienne , Abiſine ou Ethiopienne, & par tout ail- loy Mahometaneeſt toute charnelle , elle ne peut
leurs qu'en la Catholique Apoſtolique & Řo- pas atteindre là ; n'y ayant rien de ſpirituel fors des
De la
maine , à cauſe des diuers langages des nationsqui chymeres fantaſtiques de soges & fàbles. Car quát
circonci.
la reconnoiſſent, & autres bonnes conſiderations à à la circonciſion en Turquelque dite Tſuneth, enco fion des
cela mouuans , l'Alchoran doncques à ce propos . reque tous les Mahometiſtes en yſent, il n'y a rien Maho .
Nov s n'auons enuoyé aucun Prophete iuſquesicy.jinon toutesfois d'ordonné en termesexprez dedans l’Al- meti
24 .
auec le langage de ſa nation , afin qu'il peust entendre ,c choran : Mahomet meſme ne fut pas circoncis ; ſi ſtes,
eſtre entendu d'un chacun. qu'ils ne l'obſeruent pas par forme de myſtere, ny
Qu'on peut adorer & prier en tous licux , & cn dechoſe qu'ilcroyent eſtre requiſe à leur ſalut,ains
tous endroits , vel que Dieu n'eſt point en aucune tant ſeulement pour le reſpect d'Ifmaël fils d'A
2. part plusqu'en l'autre . Comme à Dieu appartienne braham ,duquel Mahomet ſemaintenoit eſtre def
indifferemment de l'Orient, & l'Occident , celuy qui adreſ- cendu en droite ligne, & faiſoit profeſſion d'enfui
ſera ſes prieresversquelque part que ce puiſſe estre ,ne lair. ore la loy . Neantmoins c'eſt la plus grande & plus
ra d'y rencontrer Dieu : Car ſa picté & miſericorde ne ſe ſolennelle ceremonie qu'ils ayent , & où ſe font le
peut r’enclorre d'aucunes bornes nie limites : la Sapience plus de triomphes & magnificences. Ils ne circon
ons
trati toire
Illuſ ſur l'Hiſ
258 259

ciſent pas au ſurplus leurs enfans ay hui & ieſme iour que la douleur eſt la plus forte, nefepouuans
iour , a la mode des Juifs, & des Ethiopiens Abil- defendre à cauſe de leur debilité,lesautres leur cou :
fins, mais en temps indeterminé depuis l'aage de curent ſus, & les taillerent tous en pieces . Ncant
ſept ans iuſques à quinze ou ſeize, & plus haut en moins enuers les Mahometites le troiſieſme iour
core, ſelon les occaſions qui ſe preſentent , & que le circoncis eſt mené magnifiquement aux eſtuues,
l'enfant s’aduance en diſcretion pour pouuoir com accompagné de pluſieurs cheuaux ſelon la maiſon

prendre leurs tels- quels mots ſacramentaux de la dont il eſt, & d'vne braue fanfare de trompettes,
confeſſion de leur foy , qui conſiſte tout en cecy ; à phiffres , & tabourins à leur mode : au retour lesin
ſçauoir : LA ILLAH ILELAH MEHÉMET RESVL uitez luy font des preſens de vaiſelle d'argent, ha
ALLAH , TANRE BIR BE REM BER AC: Dieu eft billemens , linges , tapis , armes , cheuaux, deniers
Dieu , & n'y a autre Dieu que luy , Mahomet eſt son comptans, & autres chofes : & delà en auant eſt dit
Prophete ,vn Createur ſeul, & vn Prophete: Qu'on leur Muſulman , comme qui diroit fidele profez en la re
fait prononcer haut & clair fort reueremment, le- ligion Mahometique, dont ceſte ceremonie eſt l'en
uant le parmach ou poulce de la main droite :lef-: trée auſſi bien qu'aux luifs, ou le bapteſme à nous
quelles paroles ſuffiſent aux filles & femmes pour Chreſtiens. Sic'eſt quelque luif, ou Chreſtien qui
le regard des Turcs , qui ne les circonciſent point ſe vueille Mahometiſer, s'il eſt riche, on luy fait de
autrement ; fi font bien les Perſes , qui leur retran- grands applaudiſſemens & careſſes en faueur de la
chent ceſte carnoſité que les Grecs appellent Nuppu, circonciſion: ſi pauure & neceſſiteux,comme il ad
& tant aux malles qu'aux femelles, la premierecho. uient ſouuentesfois, pour ſe redimer des durs trai
fe qu'on leur apprend deleur Catechiſme & in- Cemens qu'ils reçoiuent; & du Carazzi , & autres
ſtruction outre les mots ſuſdits ſont les ſuiuans, charges & impoſitions dont ils s'cxemptent par ce
commevnemouëlle de l'Alchoran : C v • LLIC V moyen ; ou par quelque deſeſpoir & deſpit ; celuy
VALLAV HALLA HVZEMET LEMVELIT VELEM qu'il aura elleu pour parrain s'en va faire la queſte,
IV LED IECVLEGVI C VFF V EM BEH EN , & c . où il amaſſera quelque nombre d'aſpres dont ſe fait
Dieu eſt appellé entre ſes creatures un ſeul,qui n'a point puis apres le banquet: mais il eſt auant mené à la
de lieux prefix & determiné , ainspar tour, & n'a point de Moſquée en grande pompe & magnificence, où le
pere ny de mere,ny d'enfans,ne boit,ne mange , ny ne dort, Taliſman luy fait hauler non le poulce comme aux
viuant ſans auoir beſoin d'aucune choſe qu'il ait crée ; G Mahometiſtes naturels , ains le doigt indice de la
ne ſe trouue point de ſemblable à ſa diuinité. Cefteatten main droite , & luy ayant fait prononcer les mots
te au reſte & remiſe de ſe circoncire ſi tard , eſt ſou- deuant dits , il le circonciſt: Puis on le rameine au
uent cauſe que la pluſpart viennent à deceder auant logis , tenant quant & luy vnefleſche droite efleuée
que d'eſtre circoncis : & en ce cas ils eſtiment que pour eftre diſcerné des autres : outre que cela ſert
les ablutions quotidiennes qu'ilsfont; auec les pric- comme de marque qu'il veut par les armes ſouſte
res , ſuppléent à cela , & ſont ſuffiſantes pour leur nir iuſques à la mort la loy du Prophète , dont le
ſalut. Ceſte circonciſion ne s'accomplift pas toû- maintenement giſt à la force des armes . Si c'eſt vn
jours en leurs Moſquées ou temples,ny par la main luif, d'autant qu'ils ſont tous circoncis, on ne leur
de leurs Taliſmans ou miniſtres Sacerdotaux , ains fait que faire proferer de leur bouche les paroles ſul-'
en leur logis en priué par quelque Chirurgien ex dites , apres quelques ablutions quitiennent com
pert; lequel toutes choſes eſtansappreſtées pour la me lieu de bapteline:ce qui fait croire à quelques
feſte qu'on y doit faire , ſelon leurs commoditez, ynsqu'vnluifdeuant que ſe faire Mahometan ,faut
meſmement le banquet qui ſe continuë par trois qu'il paſſe par le Chriſtianiſme , pource que la loy
jours de ſuitte, tout le plus ſomptueux qu'ils peu- Chreſtienne eſt moyennequant l'ordredu temps,
vent , auquel entre autres choſes ésbonnes maiſons . entre la Iudaïque & Mahometaine : auſſi qu'ils
l'on a de couſtume de roftir vn bäuftout entier, ſçauent bien que les Iuifs n'ont vnetelle reuerence
ayant vii mouton dans ſon ventre , le mouton vne à lesvs-CHRIST que les Mahometans:au moyen
poullc, & la poulle yn euf; le tout cournant à vne dequoy auec leſdites paroles ils leur font adioulter,
poultre de bois accommodée en lieu de broche, qui Issa Hac , le ſteseſt veritable . Les occaſions au fur

ſe tourne aucc des engins , à vn feu ſi proportionné plus pour leſquelles ils ont de couſtume de con
que chaque choſe endroit ſoy vient à ſe cuire cn traindre yn luifou Chreſtien , s'ils ne le font de leur

ſemblement ainſi qu'il faut, & non plus ny moins. bon gré , de ſe Mahometiſer, entre lesautres ſont
Sur le point doncques de s'aſſeoir à table, le Chi- celles- cy. Si l'on vient d'auanture à blaſmer leur
rurgien vient à l'enfant,luy aualle le prepuce deſſus loy , ou direqu'on n'y ſçauroit faire le ſalut de ſon
la glande ; Puis pourluy oſter l'apprehenſion de la ame, & qu'il y en a yne autre meilleure: ou de meſ
peur, feignant le remettre à yne autre fois, il fait dire de Mahomet, ou reuoquer en doute qu'il ne .
ſemblant de s'en aller , mais il retourne tout ſou- fois Prophete enuoyé de Dieu , & l'Alchoran la
dain , comme s'il n'auoit aſſez exactement remar- vraye loy : qui appelleroit yn Muſſulman chien ,ou
qué ce qu'ilen faut retrancher ; & luy attirant de : luy crachoit parmeſpris au viſage : qui diroit quel
rechef le prepuce fait ſon coup auec des pinſettes que choſe de trauers au Prince :ou qu’on fuft trouué
qu'il tient cachées dans ſa main , puis acheue de le auec vne Mahometane . Toutes leſquelles choſes
couper auec vn raſoüer ; & l'ayant laiſſé ſaigner fönt fort dangereuſes , parce que le teſmoignage de
quelque peu , le baſſine auec du ſel diſſous en du jus deux de ces canailles qui n'ont foy aucune ne con
de coing , & y applique puis apres vne poudrc qui ſcience à l'endroit de Dieu ny des hommes , ſuffit
acheue de conſolider la playe en trois ſepmaines au pour eſtreconuaincu : Tellement que les Chreſtiens
plus tard : laquelle doit eſtrefort douloureuſe pour pour y obuier ont de couſtume de leuer yn Chuc
les premiers iours, meſinement à ceux qui ſontdeſia chium ou ſaufconduit de la Porte, qu'ils ne pourront
aduancez en aage ; comme on peut voir au 34. de eſtre condamnez en cela fors par les Baſſats, & au
Geneſe; que les Sichemnites s'eſtans fait circoncire tres officiers du Diuan . Ec que nulne ſera receu à les
pour eſpouſer les filles des Ifraëlites , le troiſieſme accuſer, s'il n'eſt Taliſman de bonne renommée &
preud'hommic,
on dile
de Chalc . 261
260

preud'hommie,qui ne puiſſe eſtreredraguéd'auoir la teſte contre bas,& les piedsen hane, ſansſe tenir des
beu du vindepuis 12. ans. Quant aux noms, on les mains à rien : 6 delà faiſant le faut perilleux ſe rejettoit
leur impoſe dés leur naiſſance, neantmoins on les à la renuerſe ſur la corde à cheuanchons laquelle eſtoit
reitere á la circonciſion de nouueau, & ſont ordi , tenduë d'un maſt à l'autre ,& là deſſusſemettant debout,
nairement ſignificatifs , ſelon qu'il en eſt touché faiſoit infinis tours de ſouppleſſepreſqu’incroyables à qui
quelque choſe au 8. de ceſte Hiſtoire : commeT/* - conque ne les verroit,carſe prenant de l'une des mainsà la
leiman , Salomin pacifique : Sultan Selim , Prince de corde il tournoit tout à l'entour comme les eſles d'on mou
paix , Muhamed , Conable, Mahmut , defiderable, linàvent .En apress'accrochant du jarretà icelle illaiſſoit
Hahmad , bon , Amurat), Homar , Humeran , vif,Hali, pendre ſatefte & tout le reſte du corps en bas , puis faiſoit
haut, Iſmaël,oyant Dieu, Muftapha,fanctifié ,Scen- la roile commeauparauant, & ſo rejettant ſoudain ſurla
der , Alexandre, Pyrıh :, Roux, Sophi, ſaint,& autres corde, s'y tenoit debout, & en ceſte aßiette ſuſpendu en l'air,
ſemblables : mais les eſclaues ils les appellent com tiroit d'yn fort Arc Turquois à vnblanc, à plus de cinquante
munément d'un nom general , Seremeth , prompt, pas dediſtance außi iuſtement que le meilleur archer pour
diligent, & hardy . roit faire enpleine terre. Se bandant les yeux chargeoit ſur
Cette circonciſion des Mahometiſtes eſt par ses espaulesvn ieunegarçon ,« ſe promenoit ainſi aueu
eux appellée nopces , comme met noſtre autheur glettes le long de la corde, ca enjamboit de l'une à l'autre.
ſur la fin du S. liure, & non ſans myſtere ,ains à l'i . Ilyen cuoit qui ayans ſur leur tefte , mais c'eſtoità terre,
mitation des Hebrieux , ainſi que beaucoup d'autres un billeblocquet dela longueur d'une coudée , au haut
d'iceluy vne cruche toute pleine d'eau ric à rac,tournoient
choſes par eux empruntées de l’eſcriture,mais per
uerties du vray ſens & intelligence : ceſte -cy cât de par afſez de tempscomme vne pirouette , les bras eſtendus,
ce texte du quatrieſme d'Exode : Il aduint que Moyse fans qu'il s'en reſpandit yne ſeule goute.Vn autre arreſtoit
,
s'eſtant acheminé pouraller trouuer Pharaon,comme ilfe de laquelle pendoit vne corde noüiée par interualles à guiſe
fuſt arreſté en unehoſtellerie , l'Ange du Seigneur le vint
de marches ou degrez , le long deſquels un ieune garçox
rencontrer pour le mettre à mort, &lors Zephorahprit vne
pierre aiguë& tranchante, dont elle couppa leprepuce de grimpoit des pieds & des mains,puis redeſcendoit vn autre
iettoit aſſez baut en l'air vne petite boullette de verre ,
ſon enfant , qu'elle ietta aux pieds deſon mary ,on le ſang
en coula ,luy diſant, Tu m'es un eſpoux de ſang,ở là dej qu'il recueilloittantofi deſſus la pointe de l'un des doigts,
Sus l'abandonna apres auoir dit,Tu m'esvn eſpoux de ſang, tantoft ſurle coude, & en pluſieurs autres fortes tres-ad
àcauſe de lacirconciſiondel'enfant. Surquoy Dauid mirables,d'autres faiſoientde trop eſtrangeschoſesàchea
ual: Car paſſans la carriere à toute bride , ils ſe dreſſoient
Kimhi au liure des racines metcecy. Il est vray ſem- debout furla felle,& de là s’eſlançoienttantoft ſurle col
blable que tout ainſi que l'homme au jour de ſes nopres
eſtoit appellé pnn Chataneſpoux , außi l'enfantsu iour de pres des oreilles,tantoſtſurla crouppe en la meſmeaßiette:
ſa circonciſion auroit eſté appellé de la meſme forte,carl'e. pne autre foisle cheual courant comme au precedent, ils se

tymologie de cemot Chatan importe ie ne ſçay quèle iogas plaine terre ,là où prenanslaqueuë ilsaccompagnoient de
recente:& commeelleſerenouuelle le jour des nopces,außi laviſteſſe de leurs pieds celle deleurmonture,& àla fin de
fait-elle en celuydela circonciſion. Ireneeliure premier , la carriere ſe relançoient dedans la ſelle : laquelle aban >
chap. 18. contre les hereſies des Valentinians,par- donnans derechef , sournoientpar deſſous le ventre d'un
lant dubapteſme qui tient lieu de la circonciſion eftriéàl'autre, co ſe retrouuoient és arçons,neļaiſſans pour
enuers nous : Quelques - uns des adherans de Marcus, toutes ces choſes de hafter leur cheual à coups de fouet :
preparanscommeunechambre nuptiale , font ie ne ſçay Auec autres infinistels tours,dontnousauons peu
quelbapteſme myſtique, auec certainsmotsprophanes voir la plusgrand part icy à Parisl'an 1585. voire
qu'ils appellentnopces ou eſpouſailles fpirituelle , ce qu'ils encore plus admirables que lesdeffuſdits,d'vn Ita
dient faire à la reſſemblance de celles d’enhaut.
lien de Cezenne pres Arimini, lequel ayant eſté eſ
claue huit ou dix ansà Conſtantinople ,y apprit les
Des triomphes , jeux , & magnificences qu’ont choſes fuiuantes , plusdedix oudoaze deles com
accouftumé de faire les Turcs à la circon
pagnons , à ce qu'il diſoit,s'eſtans en fin rompus le
ciſion de leurs enfans. col à la meſıne eſcolle. En premier lieu doncques
GREGORAS , & Chalcondile és huiớieſmes paſſans vne carriercà toute bride ſur vn vallaque
de poil rouën , merueilleuſementviſte , deſcochoit
liures deleurs Hiſtoires, touchét quelques particu- de colté&d'autre à la maniere des Tartares des
laritez de cecy : Quant à Gregoras en ces termes : fleſches fi iufte , qu'il en donnoit où il vouloit , & '
Ces jours-la partit vne trouppe de quarante baftelleurs de meſime ſeretournát en arriere au milieu de la cour

perts qui neſeil


trouuēt pointnulle part,leſquelsapresauoir fe,en atteignoit les fers du cheualliferme qu’onle
rodé preſquetout le Leuant,arriuerent finalementà Con. pouuoit quyr,ſansaucunemết l'offenſer. En apres,
comine le cheual s'eſtoit eſbranlé à courir , il fe
ſtantinople, mais la moitié d'eux ſeulement,lereſte eſtans
demeurez par les chemins où ils s'eſtoient rompusle colçà foulcuoit à force de bras à pieds joints ſur la ſelle ,
tenant vne demy picque en main , dont il s'eſcri
& là , car les tours qu'ils font font fort dangereux , á la
pluſpart du temps mortels. Entre autres choſes,apres auoir moit pluſicurs foisautour de ſa teſte,& en pluſieurs
planté deux ou trois gros maſts de nauire à vne conuenable autres façons , puis finalement la dardoit d'vne
diſtance, & iceux ferme arreſtez auec des cordages pour grande force & violence ſans varier de ſon aſſiette.
les tenir droits qu'ils ne variaſſent ,dela cime de l'un à Tiercement tout debout encore , & lecheual paſ
l'autre ils tendoient un chable bandéfort roide : 6 puis un ſant carriere ,ce qu'il faut preſuppoſer tout de mef
autre de la meſme cime inſques en terre , retenu la ferme me en ce qui ſuiura de luy cy - apres , il donnoit de
auec vn picquant, d'autant de diſtance dupied du maſt droit fil d'une lance ,comme s'il eust couru la bague
comme contenoitſa hauteur, en formed'un triangle ijoj- dedans vn gand attaché au bout d'vn baſton , ſans
chele . Cela fait l'un d'entre eux nontoit le long deceſte iamais faillir , auſſi iuſtement que ſçauroit faire le
corde au hautdu måſt; on il ſeplantoit tantoſt ſurun pied, meilleur & le plus adroit homme d'armes, aſſis fer
puis ſurl'autre : par fois en faiſantl'arbre fourche metroit me dans les arçons. Quartement, il jettoit en l'air
ons ſur l'Hiſtoire
262 Illuſtrati 263

vne bien peſante maſſe de fer, luy faiſant faire le ftantinople en la circonciſion deMchemet fils d'A
tour en l'air, & la reprenojt cinq ou fix fois en yne murath qui regne à preſent,car ceſte feſte dura pres
ſcule carriere . Quintement, le cheual courant à de deux mois tout de ſuitte ſans aucune diſconti

toute bride , il tiroit le pied droit de l'eſtrić, & le nuation : & nefuſt pas encore fitoft finie ſansletu
mettoit iuſques à terre , remontant tout au meſmú multe des laniffaires, & Spacchis , où ily en eut quel
inſtant , & rcïteroit cela par cinq ou ſix fois tout de ques.vns de morts ,& pluſieurs bleſſez. Et premic
ſuite. En vne autre carriere il tiroit par trois fois rement le iour arriuć que ceſte ſolemnité deuoic
fon cimeterre horsdu fourreau , & le rengaignoit commencer , apres que les Sultannes ayeule & mere
ſans temporiſer.Plus,en ſe ſoufleuant en l'air å for . de ce ieune Prince l'eurent ſuiuant la couſtume fe
ce de bras deſſus le pommeau de la ſelle, palloit la ftoyé dans le vieil Serrail l'eſpace de ſept ou huic
jambe gauche par deſſous la droite, tant qu'il y fai- iours, le Vizir & autres Baſſatsfortirentde celuy du
ſoit vn tour entier , comme ſur yn chcual de bois Turc , accompagnez du Beglierbey de la Grece, & de
immobile , drellé en vne ſalle pour voltiger , & ſe celuy de la Natolie, du Baſſa de la mer , de l'Aga des
venoit retrouuer iuſte dans les arçons comme de- ' lanillaires, & autres officiers de la Porte, auec grand
uant, c'eſtoit à ſon dire meſmel'vn des plus forts & nombre de laniſſaires à pied, & de Spacchiz à chcual,
dangereux tours de tous ceux qu'il filt , & où l'on & tous les Chaoux & huiſſiers, veſtus de riches robé
des Pages du Roy le voulant imiter , lí tua finale. bes de drap d'or , & velours de Mecque & Burſie,
ment citant à terre, & faiſant le ſaut perilleux à leurs cheuaux equippez à l'equipollent: & s'en al
l'enuers qu'il auoit la face tournée vers la queuë de lerent à l'Hippodrome, c'eſt vne grande place où
ſon cheual , il ſe iettoit dans les arçons, & comme le eſtoient les lifles anciennement, la colonnede Con .
cheual couroit deſia à toute bride , il ſe renuerſoit ftantin ,enſemble celle de Theodoſe s'y voyent en
les pieds contremont , la teſte poſant deſſus la ſelle, coretour debout , & pluſieurs autres belles antiqui
les pieds en haut, & lesbras etendus en l'air ſans ſe tez , comme il ſe verra en la deſcription cy - apres :
prendre à rien , paſſoit ainſi la carriere , au bout de Sur laquelle place reſpond le palais qui fit d'im
laquelle par vn autre ſaut à l'enuers il ſe remettoit braim Bafa, le plus puiſſant,riche, & authoriſé per
ésarçons. Quelquesfoiscſtant deboutfur la ſelle , au ſonnage qu'eurent oncques les Empereurs Turcsa
beau milieu de la carriere il ſe renuerſoit ainſi les leur ſeruice,auquel finalemét Solyman fit trancher
pieds contremont , mais il ne faiſoit ce tour là que la teſte,à l'inſtance deRuſſeſa femme, & de Roftan
deuant les grans , aucc tout plein d'autres choſes Baſſa ſon gendre, qui le calomnierent enuers luy , &
trop eſtranges encore que nous cuſſions tenuà yne ceapres l'auoir fait ſouper à ſa table . En ces palais
pure fable & menſonge auantque les voir. là doncques les Baſſats ſuſdits, & autres allerent ſur
QANT à pirouetter en terre , nous peuſmes les neufheures du matin recueillir le Prince pour le
voir au meſme temps choſes incroyables d'vnicune mener à la Moſquée faire la priere, auec vne infini
Anglois , lequel apres s'eſtre eſbranlépar les me té de flambeaux , cinq entre autresde vingt bralles
nus, tournoit en moins d'eſpace que l'ouuerture de haut, & d'vne deſmeſurée groſſeur, pour offran
d'vnchappeau ,plus d'vne groſſe heure ſans relache de,leſquels ſe conduiſoient ſur des machines Anto
ny intermiſſion , & ſiviſte qu'il n'cuſt eſté poſible nikinites qui ſembloient fe mouuoir de ſoy -mel
derien diſcerner de la formedeſon viſage : mais ce me, les Baſſats auec leur ſuitte marchans apres, & le
n'eſtoittout,car il faiſoit ce temps pendant descho- Prince conſequemment inonté à l'eſlite ſur yn che
ſes trop prodigieuſes, il deueftoitſon pourpoint à ual de tres -grand prix , ſon harnaſchement tout
l'aiſe , attachoit des eſpingles aux poignets de la eſtoffé de pierreries d'vne ineſtimable valear, & la
chemiſe , accordoit vn deſſus de violon dont il bride particulierement d'eſmeraudes Orientales
jouoit ſingulierement bien , en fredonnant ce qui ſe accouplées deux à deux enſemble . Il auoit vnelon
peut : Prenoit vne eſpécnuë trenchante ,& s'en ef- gue robe de ſatin verd, bordée tout à l'entour d'un
crimoit par entre les jambes,l'y paſſant & repaſſant bon pied de large de pierreries encores plus riches.
pluſieurs fois, & autour du col, auec changement Encér equipage ayant fait ſa monſtre tant à l'aller
d'vne main à autre, & en pluſieurs autres manieres. qu'au reucnir,auec de fort grands applaudiſſemens
En prenoit de la deux tout enſemble,dont en tour & acclamations de ioye du peuple eſpandu le long
noyant touſiours ſans ceſſer, il mettoit les pointes des ruës, à qui il faiſoit de la part à tous propos de
ſur les deux yeux , & dans les nazcaux : plus l’yne fort humaines & courtoiſes inclinations de coſté
deuant ſur l'eſtomach , & l'autre derriere contre & d'autre , il fut ramené au deſſuſdit palais d'Im
l'eſchine, de ſorte que cela faiſoit yne horreur à brain enuiron yne heure apres midy.Et lors ſe don
voir , ſon tournoyement au ſurplus eſtant ſi roide na coinmencement à la feſte par yn tournoy de cinq
qu'on n'apperceuoit rien des eſpéee fors vne lucur cens hommes d'armes combattans en foule auec de
qui à guiſe d'vn eſclair ſe venoit reuerberer dans les groſſes balles pleines de vent,attachées aucc de lon
yeux. Aſſez d'autres ſemblables choſes faiſoit cét gues courroyes de cuir à des baſtons , leur condu
Anglois natif de Londres , en quoy deux choſes čteur qui eſtoit monté deſſus vn grand aſne , mar
font à eſmerueiller : Comment luy pouuoit ainſi chant deuant pour faire faire large , & ranger ſes
longuement durer l'haleine , ny le cerueau ſe main gens en bataille, l’eſchaffaut pour lesAmbaſſadeurs
tenir fans ſe partroubler en yne telle agitation : car des Princes Chreſtienseſtoit dreſſé ſur ceſte place,
certes ie l’y ay veu vne fois pres d'une bonne heure où l'on apportoit à mangerde la propre cuiſine du
& demie , & ſi c'eſtoit ſa troiſieſme chambrée dcce Turc. Il y eutauſi force eſbattemens de tours de
iour- là , n'en ayant pas moins fait és autres , ains fouppleſſe tant ſur la corde,qu'en plaine terre , auec
plus encore. des baſſins plantez ſur de longsbaſtons qu'ils font
Mais les plus eſtranges merueilles qui furent tournoyer,& iettant en l'air: puis les reçoiuent ſur
oncques veuës parmy les Turcs ,ny autres peuples les baſtons d'infinies ſortes. Mais il y en auoit qui
de la terre , en cas de ces bagatelleries, ſe peurent s'eſtoient fichez dedans l'entrepeau du ventre &
yoir l'an 1582. au mois de luin & Tuillet à Con- des cuiſſes ,des dards, malluës couftcaux & dagues ,
chof
de Chalcondile .
264 1265
choſe trop hideuſe à regarder. Et ſur l'entrée de draps d'or , que portent les femmes & les Pages
la nuitayans eſté allumées infinies lumieres , on fauorits du Serrail , auec deux ou trois censicunes
donna feu à quatre chaſteaux , dont ſortirent des apprentifs de douze iuſqu'à dix - huit ans , veſtus
fuſées ſans nombre , & vn grand cheual de chacun richement de liurées de broccadors , & draps de
d'iceux plein de feux artificiels , qui les faiſoient ſoye , qui firent promptement de ces Takies en la
courir de coſté & d'autre parmy la place ,auec'vn preſence du Seigneur apres
, auoir fait leur mon
fort grand contentement & admiration des res, ître le long de la place,chantás des versà la louan
gardans. ge de Dieu , & de la hauteſſe , enſemble du ieune
Le Dimanche enſuiuant III . iour du meſme Prince , ce qui fut pris en li bonne part qu'on leur
mois , il y eut tout plein de jeux , & toursdefou ordonna de retourner le lendemain , & à l'inſtant
pleſſe deſſus la corde, mais le plus rare fut vnTurc, on leur ietta mille ducats enucloppez en vn mou
qui ſe couchant tout plat contre terre le ventre choir. Vn coche arriua puis apreslequel chemi
renucrſé en haut, deſcouuert& nud , s'y fit appli noit ſans cheuaux , ſuiuy d'vne plaiſante lucte
quer vne enclume , & forger par ſix robuſtes ieu bras à bras d'vn Turc , & d'yn aſne. Vn autre fit
de des cas merueilleux ſur yn cheual, telles à peu pres
nes hommes yn fer de cheual à grands coups
marteau . Vn eſclaue mõta iuſqueslur la cimed’yn ou plus grandes que celles qui ont eſté cy- deuant
obeliſque, à qui le Turc donna liberté, & yne rob recitées : & celuy qui danloit ſur la corde alla ſans
be de drap d'or,auec vingt afpres de prouiſion du contrepoids dellus . Il y eutquant & quant des
rant tout le téps de ſa vie . Il y en cut qui ſe cloüc preſents au Prince , du fils de Sinan Viſir ou pre
rent des fers de cheual aſſez auant dedans la teſte mier Baſſa, en joyaux ,bagues & pierreries de fort
fans monſtrer femblant de douleur. Et le meſme grand prix . De là ſe donna l'eſtiaſeou banquet
jour encommencerent les preſents au Prince,tant publique comme auparauant , & de plus vingt
que les principaux de la Porte , que des Gouuer baufs grasroſtis tous entiersauec leurs cornes, ce
ncurs des prouinces, villes, citez , peuples , & na qui fut incontinent du confit par la multicude du
tions de l'obeïſſance du Turc, de leurs confederez peuple, la nuit ſe continuerent les feux.
auſli, & des Ambaſſadeurs eſtrangers, notamment Le lendemain Vi . dudit mois ſe fit le feftin 6 .
celuy du Sophy , lequel peu de iours auparauant aux Azappes, ce ſont icunes aduenturiers biſo
arriué à Conſtantinople en grande pompe & ma gnes & fricquenelles, gens de pied , & depeu , la
1
gnificence, cut ſon lieu à part pour voir ces jeux , pluſpart deſtincz pour la marine , où il y eut ſoi
en vne gallerie couuerte contiguë aux deux ' Sul xante bæufs , & cinq cens moutons roſtis tout
tannes, qui regardoient par des ialouſies, & quel entiers , & du riz à l'equipollent, dont fut fait
quesfois à pleines feneſtres arriere ouuertes . La tout à l'inſtant yn terrible & cftrange deluge ;
nuit venuë fut donné vn feu comme au precedant chacun taſchant d'en emporter ſa lippée à qui
à trois chaſteaux , auec grand nombre de fuſées, mieux mieux. A pres ce repas ſe continuerent les
& ſemblables feux artificiels. preſents des Ambaſſadeurs : & cependant force
Le IV . furent portées en monſtre & parade fauts & baſtelleries. Le ſoir à l'accouſtume fe
14 .
bien trois cens figures de ſuccre , de toutes ſortes donna encore à manger av peuplo, auec vne chaſſe
d'animaux , & depuis lematin iuſqu'à midy con telle à peu pres que la precedente , & des feux ar
tificiels & lumieres,
çinuerent les preſents. Alors ſe preſenta un Turc
qui ſe martelloit le viſage & la teſte à grāds coups LEVII. comparurent en des chariots des arts 7.
de pierres fort groſſes, & là deſlus arriuerent force & nieſtiers de diuerſes fortes : & le ſoir ſe reïtera
maſcarades, entreautres d'hommes ſauuages de le repas publiqne , auec des feux artificiels qui
dans des grottes & cauernes , qui ſe roulloient en durerent toute la nuit .
de grands pegmates & machines ſe mouuans com LE VIII. ſe fit le feſtin aux laniſfaires, quatre 8.
med'elles- melies , d'où ſortans de fois à autre à mille en nombre, & à leur Coronnel ou Aga , deſa
guile de matachins , faiſoient mille tourdions & ſous des tentes de galleres arrangées lelong de la
gambades ſelon la inode du pays. Ily eut quant & place,le ſoir lerepas accouſtume, & les feux.
quant d'éxcellensſauceurs faiſans des choſes ad L E IX . ſe paſſa en la reception des preſents,
mirables, à chacun defquels fut donné vn Caffetan accompagnez de pluſieurs entremets & baſtelle
ou longue robbe de drap d’or parle Turc . Vnau ries , definges, magots , aſnes , chevres , & autres
tre monta à force de bras , & la dexterité de iam tels animaux , qui faiſoient à la verité des choſes
bes fur vne piramyde forc haute qui eſt en cét trop cſmerueillables. Et ſur le tard ſe preſente
Hippodrome, dont il eut vn bon preſent. Et ſur le rent ſoixante hommes de cheual armez de cui
ſoir furent portez deux mille grands plats à la rafíes , auec des cazaques à l'Albanoiſe de ſatin
Turqueſque, chacun gårny de pluſieurs eſcuelles jaune, & ſix vingts ſoldats à pied bien en ordre,
pleines de diuerſes ſortes de riz, auec quatre mille 2
n'ayant pour toutes armes qu'vn bafton au poing,
pains , & grande quantité de poiſſon , & de chair yngrand bouclier . Pendant qu'ils faiſoient leur
boüillie & roftie . Tout cela ayant eſté aflis en ter: promenade emmy le campcamp ,, on planta à chaque
re , fut abandonné en proyeaux pauures, qui le des bout d'iceluy vn chaſteau,I'vn gardé par vn nom
Horerent en moins de rien , Vne challe debeftes bre de Chreſtiens eſclaues ayans des arquebuzes
noires , & pourceaux priucz meſlez parmy ſuiuit & morions ; auec des fiffres , Cabourins & enſei
apres , & finalementles lumieres, & les feux arti gnes à 'noftre mode , l'autre cftoit muny de Perſes
fíciels à l'accouſtumé. ce ſembloit à leur equipage :& là deſſus les forces
LE V. iour vn autre Turc monta ſur la meſme ſuſdites de cheual & de pied ſe my - partirent en
pyramide, & ſur ces entrefaites commencerent de deux troupes , dont l'vne alla donner l'affaut au
compároir certains artiſans en des chariots, tra baſtion des Chreſtiens , & l'autre à celuy des
uaillans là de leurs meſtiers & manufactures : & Perſes , qu'ils emporterent finalement apres yn
entre autres ceux qui fontles Takies ou tocquets de fort dur & rụde combat, force coups de canon , &
m
!
266 . Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 267

vne groſſe eſcoupetterie. Mais les Chreſtiens ſe plus excellens encore quetous les autres d'aupara
faſchans de ſe voir yaincrc , car il falloit qu'il fuſt uant,qui durerent iuſqu'apresminuit,
ainſi, delaſcherent quelques pieces à fi bon tiltre LE XIV . on donna à diſnerau Topangibaſi ou 140
qu'encore qu'il n'y euſt point de balles dedans, grand Maiſtre de l'artillerie , & à ſes Topgilar ca
quatre Turcs neantmoins en furent tuez , & yn nonniers,en nombre d'enuiron deux mille. Et ſur
bon nombre de bleſſez . Cela fait les gens de che- le midy arriucrent cent hommes de cheual en fort
ual ſe mirent entre eux à attaquer yne eſcarmou bon equipage, qui tournoyerent à la Perſienne &
che à la Zenette, à coups de cannes, & de carrou Moreſque , à coups de Zagaye qu'ils lançoient
zelles , comme il ſe pratique meſme en Eſpagne, auant , & arriere , & de cous coſtez d'vne tres
& Portugal : Et apres auoir fait la reuerence au grande dexterité . D'autres paſſans vne longue
Seigneur, & au Prince , & aux Baſſacs , ſe retire carriere à toute bride , deſcochoient des flefches
rent, faiſans place au manger ordinaire , & aux contre vne pomme d'or plantée au bout d'vne
feux artificiels de la nuit. En contreſchange de haute antenne, où la pluſpart aſſenoient à donner
ce chaſteau emporté de force ſur les Chreſtiens dedans. Et ſur le ſoir il y eut yne autre chaſſe de
Cruſius par les Turcs, l'Ambaſſadeur de l'Empereur don porcs priuez , auec des feux artificiels de trois
en la
l'eſbattement d'un
na quelques iours apres l'eſbattement d’yn verrat
verrat . chaſteaux , & vne pyramide, & de deux galleres ,
Turco
grecc. priué , lequel lié par vne jambe rembarra trois qui fut vne tres -belle choſe à voir.
Iyons , & demeura maiſtre ſur eux de la place : ce LE XV . comparurent les tireurs d'or , & les IS
& s'en fileurs en nombre de huit à neuf vingts , riche
que les Turcs prirent à mauuais augure ,
faſcherent. ment accouſtrez , auſquels le Turc fit donner
10 . L e X.le Patriarche de Conſtantinople fit ſon quelques robbes , & vne bourſe pleine d'aſpres.
preſent , accompagné de cent Preſtresſ, auec de Cela fut accompagné auſſi -toſt de cinquante
riches ornemens : & apres luy celuy d'Armenic hommes de cheual , habillez de toile d'argent,
rcfidant à Antioche , auec quatre - vingts fix Pre qui firent encoremerueilles à tirer de l'arc , &
ſtres tous yieillards venerables , & deux cens qua entr’autres choſes , en paſſant yne meſme car :
rante ieunes adoleſcens fort bien en ordre. Celuy riere , de trois coups ne failloient de donner dans
de la Seigneurie de Veniſe ſuiuit apres , qui fut trois blancs à égalle diſtance : puis dreſſerent vne
addreſſé aux Baſſats, à ſçauoir iso . robbes,dont eſcarmouche comme vn jeu de barres . Il y eut
les quatre eſtoient de drap d'or frizé ſurfrizé à auſſi quelques baftelleriesmellées pariny , & lur
deux endroits, & le reſte de draps de ſoyes de tou la nuit des feux artificiels de plus fare inuention
tes ſortes de couleurs, qui furent tout ſur lechamp que les precedens, comme de nauires, galleres ,py
portées au Turc , combien que ce fuſt pour le ramides, pauillons, & ſur tout d'vne groſſe mon
Prince. Il n'y eutautre choſe pour ce jour -là, fi tagne dont ſortirent vneinfinité de fuſées, & fem
non des courſes de cheuaux barbes, & Arabes , & blables feux d'vn ſouuerain artifice ,faite par les
vn Turc, qui eſtant monté au haut d'vneantenne eſclaues d'Ochiali general de la mer : laquelle
graiſſée s'en laiſſa cheoir , & ſerópit le col.Il y eut s'eftant en fin crcuée en ſortit vn geant enorme
auſſi quelques artiſans & meſtiers qui comparu veſtu à la Iudaïquc, & vn dragon qui s'attache
rent en des chariots , y faiſans chacun endroit ſoy rent au combat, comme firent auſli deux galleres
3 leurs chefs -d'æuure, d'une grande promptitude l'yne contre l'autre , allez longuement , ný plus
& dexteriré . Et ſur le foir ſe donna yne chaſſe de ny moins qu'en pleine mer, tirans pluſieurs coups
porcs priuez,puis de renards& de lievres : ce qui de canon , auec tant de petards en lieu d'eſcoup
fut ſuiuy du repas à l'accouſtumé,& des feux. petterie & de mouſquets, & de fuſées ſans nom
II . LE XI . ſe fit le feſtin à quatre mille Spacchis, bre mellées parmy,
qu'on euft dit que le Tout le
13 & àlcurs chefs & conducteurs, ainſi qu'on auoit deuoit aby ſmer , choſe trop horrible à voir : le
fait aux Ianiſſaires , le tout accompagné de diuers meſme firent encore quatre chaſteaux de lembla :
concerts de muſique de toutes ſortes d'inſtrumens blc artifice quiremplirenttout le fea , de flammes
Turqueſques, aſſez mal- plaiſans, & les feux ſur & de fumée.
la nuit ſelon l'ordinaire. Le XVI . ſe fit le feſtin audit general de la mer, 16.
I2 . Le XII . apres la monſtre de pluſieurs mcſtiers & à ſes gens , en nombre de ſix mille hommes , là
comme au precedent, & de leurschefs - d'æuures , où ſe porta vne infinité de viandes en diuers ſet
ſe preſenterent les ſanctons, ce ſont certains fols uices & ć mets, à chacun deſquels y auoit trois cens
idiots, pour le moins ils le contrefont , dont il a foixante Tſophra, ce ſont plats fort grands qui ſer
eſté parlécy - deuant, qui vindrent faire leurorai uent de tables aux Turcs : & en chacun d'iceux

ſon deuant la feneſtre où eſtoit le Turc , prians vingt -trois eſcuelles pleines de diuerſesfortes de
Dieu pour ſa proſperité & ſanté, & du Prince. riz , & de chair de beuf, moucon , volailles &
Puis ſe fit vne autre eſcarmouche de gens de che ſemblables à eux permiſes, tant bouillies quero ;
ual telle à peu pres que la precedente : & au bout fties : les feſtins eſtimez chacun à quatre ou cinq
le manger à l'accouſtumé& , les feux , ce qui con mille ducats . Ceſtuy - cy acheué ſe preſenterent
tinua tout le long de la feſte ,afin de n’yſer plus de diúerſes ſortes de meſtiers , faiſans à la veuë de
reditte . cous preuuc de leurs manufactures, meſmement
13 . LE XIII. outre tout plein d'autres merueilles les verriers qui firent infinies fortes de verres , de
qui ſe firent par des Arabes, il y eut vn' voltigeur bocals, & autres vafes:letout ſur de magnifiques
qui fit des tours comme femblable à ceux de l'ita chariots repreſentans leurs Ovuroüers & bouti
lien deffuſdit . La deſſus on ietta par vne feneſtre ques , peints & ornez d'or & d'azur à l'enúy l'on
vne diſtribution & largeffe au peuple d'vn grand de l'autre. Streiro
nombre derobbes de drap , adec plus de ſix mille - LEXVII . il y eut des jouſtes ſans liſſes,decinë 17.)
ducats à grandes poignées; & quelques ſoixante quante hommes d'armes à camp ouuert , & fer
talles d'argent. Le manger ordinaire , 8c des feux elinoulu, & rien plus pour cc iour.

1
268 de Chalcondile .
269
Li XXI . continuerent iceux meſtiers de com- 21.
18 . L E XVIII. apres lë banquet aux Hebegilar, ou
armeuriers , & à leur chef, il y eut vn Turc qui paroiſtre. Vne giraffe fut auſſi promenée par
palla yne carriere à toute bride au milieu de deux I'Hippodrome , comme choſe rare meſme en ces
viſtes chcuaux , ayant le pied gauche en l'eſtrić quartiers-là. C'eſt vn animal qui vient de l'Afri
hors du montoir de l’yn d'eux , & le droit en celuy que , de fort longue & greflc encoleure , ayant
du montoit de l'autre , li qu'il eſtoit cout debout deux petites cornettes, & le train de deuant dif
en l'air au milieu des deux , ſans eftre monté ſur proportionnément elleué au prix des iambes de

pas vn : derriere. Puis fut aſſailly & pris yn chaſteau auec


LE XIX : ſe preſenterent les fruiétiers , auec vn grand contentement & plaiſir de tous , le ſoir ,
19 .
toutes ſortes de fleurs & de fruits , dont ils firent le repas, & les feux comme auparauant.
preſent au Seigneur , qui leur fit donner vn plein LE XXII , ſe preſenterent tous les marchands' 22 .
mouchoir d'alpres. Ily eut en apres yn Turc qui du grand & petit Bageſtan , iuſques au nombre de
paſfoit & repaſſoit yn fer tout rouge & ardant ſur ſept cens , lomptueuſement habillez , auec tant
fa langue par pluſieurs fois , ſansmonſtrer aucun de perles , pierreries , & riches ioyaux deſſus eux
Feſſentimentdedouleur , ny d'en eſtre en rien of qu'on ne les euſt ſceu eſtimer. Et ſur ces entre
fenfé. Ce qui fut ſuiuy d'un autre,lequel ayant vn faites celuy qui danloit ſur la corde y fit des tours
gros mortier de pierre en fa teſte, ſouffrit que deux inaudits , entre autres , d'y porter vn homme ſur
puiſſants hommes le caſſafſent à coups de mrateau ſes eſpaules, non ſans grande frayeur des ſpecta .
ſur luy . Et ſur le ſoir fut amené vn icunc enfant teurs, le ſoir à l'accouſtume.
dans vnc pippe toute pleine de ſerpens, viperes, Le XXIII . on courut la bague , mais non pas 23 .
couleuures , & autres telles efpeces des plus veni penduë en vne potence ainſi qu'à nous , ains bien
meuſes vermines , qui le leſchoient ſans luy faire plus difficilement, de la rccueillir à ſçauoir eſtant
of mal, ne qu'ils'en effrayaft aucunement. platte couchée en terre , auec le fer de la lance, & de
20 . Le'XX . ſur les dix heures du matin , tous les • Tà l'enleuer en hautenfilée dedans:ce qu'ils reïte
Chreſtiens de icra ſe vindrent preſenter ſur la roient par trois fois, & en trois diuers endroits à
•*& place,dont'il y en auoit bien deux cens cinquante chacune courſe & carriere, enſemble pluſieurs au
Somptueuſeinent 'veſtus de drap d'or ; aucc force tres telles addreſſes à cheual preſqu'incroyables,
chaiſnes & carquans tous eſtoffez de pierreries, & meſmement d'vn qui ſon chcual courant à toute
parmy eux douze icunes adoleſcens deſguiſez en bride , deſcendoit & remontoit cinq ou ſıx fois
femmes, qui conduiſans vne eſpouſée equippéeà ſans tarder, mais nous auons veu le meſme parde
la Perotine , danſerent yn baller à la mode des an ça. Puis ſe preſenterent quelques artiſans ; & le
ciens Macedoniens du temps de Philippes fils loir ſe paſſa comme les aatresfois.
d'Amynthas , & pere d'Alexandre le Grand , au LE XXIV . Ily cn eut yn autre, lequel paſſant 24 .
ſon des harpes & des fiftres. Puis danferent conſe la carriere de la meſme viſtelle ſe mettoit la teſte
quemment ċent autres ieunes hommes de la mel contre bas dedans les arçons, & les pieds en haut:
me troạppe , la danſe pyrrhique ,auec deseſpécs auec pluſieurs autres merueilleux tours , la pluſ
• nuestranchantes ,telleà peu pres que celle qu'ont part veus encore de pardeça : mais non pas le cruel
redretfée de l'antiquité les Italiens , & qu'on ap & horrible ſpectacle de certains Turcs ayans
pelle les bouffons, à quoy le Turc moſtra de pren chaſque brás lardé de trois grands couſteaux par
dre fort grand plaiſir, neantmoins pourceque c'e. fez bien avant dans la chair, choſe plus deſ-agrea
ftoient les Chreſtiens, il ne leur donna que deux Ble à voir que plaiſante pour lagrande quantité
les de ſang qui en degouttoit : le reſte du jour, & la
mille afpres dans un mouchoir , mais pour
de paſſer & repaſſer de Pera à Conſtantinople il or mit comme deffus,
donna vne gallere : le ſoir ils allerent au logis de LeXV:" Comparurent les Pleuianders ou lu- 25 .
l'Ambaſſadeur de France , qui eſt d'ordinaire en & eurs du Turç, en nombre de trente quarantc ,
ladite ville de Pera, où ils firent le meſıne bal,pour gens robuſtes , membrus , & nerueux ,leſquels
le reſpect & honneur qu'ils portent à la Majeſté eftans nuds reſerué vn petit bræýcr qui leur alloit
du Roy , ſous la protc&tion & faucur duquel à juſqu'au genoüil, tout le reſte du corps oinct &
l'endroitdu Turc , ils ſontmaintemus en leur re huiſlé, pour rendre leurs priſes tant plus mal-ai
ligion , ' & iouyſſent de tout plein d'autres priui- fées;firentdes preuucs non pareilles de leur force
leges. On leur defonça vne pippe de maluoiſie, habileté, à l'imitation des anciensAthletes. Cela
qu'ils eurent bien toft miſe à ſec , tant pour le fut fuiuy du difner appreſté pour les Spacchis de
chaud de la ſaiſon', que pour le violent exercice la Porte : & au bout d'iceluy dequelques ſauteurs,
qui les alteroit d'abondait. Apres eux compa qui firent des ſauts mortels , & descours de ſoup
rurent lesarmeuriers & fourbilleurs en nombre. pleffe admirables . Le Seigneur & le Prince iette
de centcinquante. Et les papetiersqui font le pa fent lors par Vhe feneſtre cinquante taſſes d'ar
pier liſſé pour eſcrire deſſus auec yn fort deßlié gent, & bien ſix mille ducats en or, & monnoyes
jonc ou calame , iuſques à cent. * Plus quelques d'aſpres, auec yn grand nombre de pains, & de
huit vingts contrepoinctiers & faiſeurs de ma robes de drap : cn quoy la foule fut ſi grande, que
tras & -ſtrapontins : enſemble les mirouettiers : trois y demcurcrent eſtouffez ſur la place. La nuit
commecontinuerent de faire les iours ſuiuans les venue il y euft force feux artificiels en forme de

autres meſtiers de Conſtantinople , auec leurs chaſteaux,& de cheuaux ,auecvne montagne de


plus exquiſes inuentions- & chefs-d'cüure , aul lä meſme eftoffe, vn Elephant ,vnluif, & quatre.
quels furent faits des preſens conformes à leur hommes montez à cheval,quircüſſirent fortbien ,
dexterité & merite , ou pluſtoft felon te gouft & durerent iuſqu'apresminuit.
que lo Turc y prenoit, lequel eſtant homme de " Le XXVI . ſe firent d'eſtranges courſes de che. 16 .
paix & 'repos, & fort ſolitaire & particulier, páflé ưux , & des tours non encore veusny guys: car
le temps pour la pluſparé à ces menuěšoiGueteză en premier lieu paſſans vne carrière à touteBride,
m ij
270 Illuſtrations ſur l'Hiſtoire 271

de trois cens pas , & non plus en courant ſans s’ar. ſe preſenta vn icune homme qui fit des choſes efs,
refter ilsbandoient leur arc , & en donnoient par pouuentables ſur la corde,auquel le Turc fit don
quatre fois dans des petites boiſtes rondes , poſées ner vne robbe de drap d'or, & cinq cens ducats; &
ſur des poſteaux à quaráte pas loinglyne de l'au . vingt - cinq aſpres de proviſion par iour pour touc
tre : Premierement de la main droite vers le cofté le reſte de la vie. Sur l'entrée de la nuit comparu
gauche,commeeſt l'ordinaire, & le plusadroit & rent vingt - quatre hommes de cheual,moitié ha .
commode: & depuis en reïterant au rebours , de billez en femme à la Bohemiéne, & le reſte equipe
la main gauche au coſté droit. La troiſieſme de pez & armez à la Turque : qui drefferent vnc pe
leurs carrieres , apres auoir deſcoché vne fleſche tite eſcarmouche entr'eux , où ils manierent dex.
de grand roideur, ils mettoient la main à leurs ci trement leurs chcuaux à la Zenete. Apres vine
meterres pour donner deſſus vn phantoſme ou drent deux cens cinquante autres luifs dans vn
Iacquemar déguiſé en Chreſtien , & planté à de chaftcau , qui ſe rouloit par ledeſſous: auquel les
my carriere, puis aſſenoient ſi droitement,qu'au gens de cheual deſſuſdits aliſtez de quelque nom .
cuns meſme luy couppoient la teſte du premier ore d'infanteric, & de pluſieurs pieces d'artillerie;
coup . Et apres auoir rengainéleur coutelats, re & de feux artificiels , donnerent viuement l'affaut
prenoient l'arc vne autrefois, & en donnoient à la & l'emporterent. Le ſurplus de la nuit ſe paſſa
pomme d'or penduë au bout de l'antenne , comme apres vn bal , & les feux artificiels de huit cha
il a eſté dit cy -deſſus, de la main droite , & de la ſteaux , & fix cheuaux : à quoy le Turc monſtra
gauche , puis apres en changeant de main. A la prendre un ſingulier plaiſir. Enuiron la diane fu
quatrieſme carriere d'vne grande promptitude & rent promenez par la place deux elephans, quatre
habileté ils tiroient vne flefche : Puis retrouflans lyons, & vn giraffe, qui toutesfois ne combatti..
l'arc ſur l'eſpaule , auec la cargue , mettoient la rent point.
main au cimeterre , & feignans d’en ruër trois Le XXXII . furent faites d'eſtranges merueil- 329
coups ic rengainoient, touſiours courans à toute les encore ſur la corde : & les animaux deſſuſdits
bride : & ſur la fin de la carriere tiroient deux au amenez derechefen la place.
tres coups de fleſche à droit, & à gauche. Cela fi Le XXXIII . le Turc donna pluſieurs robbes 33 .
ny ,ſe donna le repas aux Ambaſladeurs ; Puis ce de drap d'or , & de grandes ſommes de deniers à
luy du peuple à l'accouſtumé, & les feux la nuit. pluſieurs perſonnes qui auoient fait vne infinité
27 . LE XXVII . il n'y eut que les meſtiers , qui fi de jeux , & degentilleſſes. Et le ſoir apres le repas
rent leur monſtre & oſtentation de leurs chefs-, ordinaire au peuple , luy fut ietté par les feneſtres
d'æuures , & artifices. cinquante taſſes d'argent, & fix mille ducats.
28. LEXXVIII . les meſtiers encore,mais des plus Lė XXXIV . vindrent quinze compagnies de 343
exquis , & plus richement equippez que les pre meſtiers , qui firent des choſes rares de leurs ou
cedens. Il y eut quant & quant yn More qui fit urages , & les preſenterent au Turc. Il y eutauſſi
choſes admirables ſur la corde. des ſauts perilleux ſur la corde : & finalement le
29 . LE XXIX . les meſtiers continuerent encoreà manger , & les feux .
ſe preſenter ſur la plaçe , où apres auoir fait leurs Le xxxy. Des meſtiers encore,auec pluſicurs 3S9
chefs - d'euures , & iceux offerts au Seigneur , qui belles inuentions . Puis ſe preſenta un Turc , le
en contr'eſchange dignement les remuneroit , le quel auoit vn arc paſſé dans la peau de ſon ventre ,
preſenterent deux hommes nudsayans ſous cha- , qu'il bandoit , & deſbandoit pluſieurs fois ſans au
que mammelle vn cimeterre paſſétout outre dans cunc apparence de ſang , choſe aſſez pour s'emer .
la chair , & autant de chaque colté dans le ventre ;, ueiller. Le Turc luy fit donner quelque argent.
choſe qui faiſoit mal au cœur aux regardans, & LE XXXVI . vne trouppe de cauallerie courut 36 .
meſmeau Turcqui defendit telles cruautez com à la Quintaine :Puis ſe mirent à tirer de l'arc , paſ
paroiſtre plus deuant luy . fant carriere à toute bride comme deſſus, contre la
30 . LE XXX . les méſtiers encore ; & grand nom pomme deuant ditte , que l'on abbatit , & l'alla
bre de baſteleurs, qui firent vne infinité de tours porter au Seigneur, quilocareſſa,& luy fit vn fort
fort plaiſans, & non moins admirables. Là deſſus bcau preſent. Sur le ſoir ſe reïtera la largeſſe,tant
on dieſla le banquet à pluſieurs officiers de la Por. en talles d'argent qu'en deniers ce qui fut ſeconde
te : Et ſur le tard, le Seigneur qui affiftoit à tous de la liberalité des Sultanes. Cela fait- on mit le
čes jeux tout à deſcouuert en vne feneſtre , ayant feu à dix chaſteaux , huit chcuaux & quatre
touſiours le Prince à ſon cofté , leur ietta cin grands pauillon's de guerre , le tout de feux artifi ,
quante taſſes d'argent , auec quelques centaines ciels; qui fut vnetrelbellechoſe à voir.
de ducats . CETTE, nuit du fixieſme iour à ſçauoir de
31 . L'EXXXI. les.meſtiers encore ; & le diſner au luillet, fut circoncis le Prince par Mehemet qua.

Beglierbey de la Grece , & à ſes Saniaques; enſem . trieſme Baffa , qui auoit eſté barbier du Serrails
ble aux Capigi ,ou Portiers ; & aux. Azemoglans, & en ayant porté le prepuce dans vne boüette d'or
& leurs chefs ; le tout reuenant enſemble à plus aux Sultanes , mere & ayeule , auec le ferrement
de dix mille bouches. Sur le tard arriuerent fix dont il auoit operé , elles luy donnerent la valeur
cens luifs veftus de liurée, qui preſenterent au de huit ou dix mille ducats : le pere luy fit outre
Seigneur pluſieurs pieces de draps de foye princi. plus.vn fort beau preſent en yaiſſelle d'or & d'ar
palement de ſatins exquis de toutes ſortesde cou gent, & de riches accouftremens& ioyaux . , ..
lčurs : & luy leur ayans fait demandes pourquoy. Er le lendemain XXXVII , iour de la feſte ily
37.
ils ne luy requeroient quelques graçes, ils,firent eur vn Turc , lequel s'eſtant couché à la rénuerſe
reſponce , qu'ils ne deſiroient autre choſe que fa deſſus le dos ſous la feneſtrędu Turc , fe fit charger
longue proſperité & ſanté, auec celle du Prince vne fort groſſe pierre ſur le ventre , qu'il endura
for file ;pour leſquels ils ſe mirent tout ſur le d'etre briſée en menuës pieces à coups demar
champ à faire vnc deuote priere à leur mode . Puis icau par fix puiſſans hommes , ſans faire demon
ftration
de Chalcondile .
272 273
ftration de ſentir mal ny douleur : leſquels outre de trente mille ducats en deniers pour ſes menus
plus luy ruerent les morceaux puis apres d'vne plaiſirs.
grande roideur contre ſon eſtomach & les reins Le XLV . quelques ſauts ſur la corde ; ſuiuis 45
tout à deſcouuert, ſans qu'il monſtraſt s'en offen . du repas public, & des feux artificiels.
çer. De là s'en preſenta yn autre qui ſe fit appli Le XLVI . preſque de meſme ; auec vn More 46.
couchéplat
quer ſur la poitrine, puis ſur les reins, qui monta ſur l'antenne greſſée , dont il eut yn
pár terre , vne pierre carrée d'vne ſi demeſurée bon preſent.
groſſeur ; que ſix hommes eurent beaucoup d'af LEXLVII . des iouſtes & tournoys commeau 47 .
faire de l'y rouller & clleuer auec des lcuiers & precedent, mais plus magnifiques : & ſur le ſoir le
des pinſſes. Parmy cela comparurent encores repas ordinaire au peuple , auec deux chaſteaux,
d'autres meſtiers auec leurs chefs- d'æuure , auf & autant de cheuaux, & de feux artificiels, qui
quels le Turc fit ietter force taſſes d'argent, & durerent la pluſpart de la nuit.
bonne ſomme de deniers . LE XLVIII. ne ſe fitrien d'importance. 48 .
LE XXXVIII . fe firent de belles jouſtes à MAIS le XLIX . Vn Turc ſe promena ſur la 49 .
38.
camp ouuert , de certains tenans contre tous ve corde , portant vn hommeſur ſes eſpaules, & yn
nans, les vns & les autres richement equippez autre quieſtoit attaché à ſes pieds; choſe prodi

suec leurs cheuaux : là où il y en'euſt deux qui le gieuſe & inaudite: auſi le Seigneur luyfit preſent
choquerent ſi rudement que leurs montures en d'vne belle robbe de drap d'or , & d'vne pleine
demeurerent roidesmortes : & l'vn d'iceux tout bourſe de ducats , auec vingt - cinq aſpres de pro
eſtropié. Le reſte de ceſte iournée ſe paſſa comme de ſa vie, mais defenſe
uiſion par iour pour le reſte
de couftume. au reſte de s'en plus meſler , car la corde rompit
LE XXXIX . vindrent cinquanteautres hom auſli - coſt qu'il eutacheué; dont les Sultanes cu
39 .
mes de cheual ſur les rangs , en bien plus riche rent telle apprehenſió & frayeur qu'elles s'en cui
équipage que les ſuſdits , leſquels tournoyerent à derent palmer : & ſe retirerent là deſſus au grand
la zenette, à coups de dards & de zagayes, & ſur la Serrail dans des coches couuerts d'eſcarlatte.
fin ſoufterent homme à homine à camp ouuert, où LE'L . ſe trent desbaſtelleries de grands baſſins so .
il y en eut tout plein de bleſſez . de manloque & porcelaine, tournans d'vne ſub
Le XL . ſe preſenta vnemuſique d'Italiens & tile habileté turde longs baſtons dont ils les iet
40 ,
de Grecs , qui futbien mieux receue que celle des toient haut en l'air , & lesrecueilloient ſoupple
Túrcs : & le Turcs'en contenta, de forte qu'il leur ment lans les rompre. Sur le ſoir comparurent
fit tout à l'heure de beaux prelens : Et quant & cinquante cheuaux legers à guiſe d’alarbes, qui
quant une largeſſe au peuple de mille ducats, iet firenc yn belourdis & eſcarmouche à coups de
čez à pleines poignées parles feneftres, tant en le cannes a la Moreſque:puis le manger accouſtume
raphs d'or que monnoye d'aſprcs. Lerepas ac & les feux artificiels.
coaſtumé luiuit apres, & les feux . LE LI . furent iettées par la feneſtre du Seigneur si .
41. LE XLI. ſe palla en diuerſes bouffonneries, & grand nombre de groftes nois dorées , dans leſ
baftelleries ſur la corde, & en pleine terre , auec la quelles y auoit des bulletins bien cachetez , que
monſtre de quelques meſtiers. ceux qui les attrappoient en la foule du peuple al
42 .
LE XLII. re firent d'autres iouſtes , tournoys loient preſenteraux Ballacs ; & là eſtoient ouuers
& c combats à cheual , ou pluſieurs acquirent repu à leurs perils & fortunes: car les vns ainſi qu'à vne
tation par leurs proüeſſes. blanque portoient des benefices , tel y auoit de
43 .
Le XLIII. les meſmes iouſtes & combats quelque bon gouuernement auec cinq ou ſix cens
encore : auec des fauts ſur la corde trop admi ducats deTimar ou penſion annuelle ſur le domai
tables. ne du Seigneur ; & autres demoinsen diminuant
44 . Le XLIV . ſe preſenta derechef le premier Turc peu à peu, iuſques à ſe reduire à yn aſpre par iour.
qui auoit ioüé ſur la corde , auec plus demerueil En d'autres y auoit blánque : & en d'autres des di
leux tours & qui n'auoient beaucoup ,pointenco ſtributions de cinquante à centbaſtonnades, qui
Te eftéveus. Sur ces entrefaites le Seigneur mena leur cſtoiént payées tout ſur lechamp..
huy -meſme ſon fils aux eſtuues,où le Baſſa qui l'a FINALEMENT la feſte ceffa, & les jeux ſe termi
uoit circoncis eutſa deſpoüille, & la deffroque de nerent en'vne ſiſanglante querelle à bon eſcient,
tout ce qu'il auoit porté ſurluy , tant de ſes habil quis'alluma entre les Ianiſſaires & les Spachis,

lemens, que de ſon cimeterre , poignard & cein auec yne mellée où il y en eut pluſieurs bleſtez, &
ture ; le tout garny de pierreries de grand prix, quelques-vnstuez ſur la place , au tres -grand eſ
auec d'autres riches ioyaux dont il ſe paroitcha- pouuentemét du Turc meſme. Ce qui fut bientoft
çün iour : & vn bon nombre de ducats qui ſetrou. Tuiuy d'un feu , qui ſe prità la ville , & bruſla plus
uerent en ſes pochettes du reſte de ſes liberalitcz de cinq censmaisos, & deux mille boutiques auất
& menus plaiſirs. Au ſortir du bain le Seigneur qu'on le miſt en deuòir de l’eſteindre :mais à la
fie preſent audit.Prince de deux accouſtremens parfin les laniſſaires moyennant vn, afpre d'ac
complets, tiſſus de fil d'or trait à broderie de groſ- croiſſement par iour à leur ſolde y remedierent.
ſes perles & pierreries d'vne ineſtimable valeur, TELL E fut la fin de ceſte feſte, dont ienecroy .
auec la ceinture, & le cimeterreà l'equipolent : & pas qu'il y en ait gueres eu autresfoisde celle .

N
LYO
FIN .
*p!* 2891

m iij

1
ಸಾಂನಿ YOGO

50 wysovgoro
R53
*****

TABLE DES CHOSES PLVS

MEMORABLES CONTENVES EN CES

ILLVSTRATIONS SV R L'HISTOIRE

D E CHALCONDYL E.

A Bizance dite depuis Conſtantinople , fondée par


CCIDENS anciens de Conſtanti Pauſanias.

nople. s Boſtangi Baſſi chefdesIardiniers, IS


Accidens plus modernes de Con Boüilly des Turcs. 30
8 Breuuage des Turcs. 31
ftantinople.
С
Charge & appointement de l'Admiral Turqueſ
126 Achet du Turc. 78
que.
Notable Aduertiſſement pour les Princes ſouue CA
DeuoirsdesCadileſchers lesiours dudiuá.20
rains . 92 Cápagnes deThrace fort fertiles & abondantes.9
Aga ou Colonel des Ianiſſaires , & ſon appointe Mode decamper des Turcs. 120
ment. 75 Capige, portiers & leurcharge. 76
l’Aired’Auguſte . S Capigi Tont portiers. 17
ALCHORAN . Carazzi, du Turcarriue à deux millions d'or par
Alchorân ou Alfurcan , le texte de la Loy Maho. an. 36
metane. 180 Caualerie de la Porte du Turc , coute de Chre :
Reformation de l'Alchoran & de la Loy Maho ftiens Mahometilez . 78
metane . 184 Caualerie des Actangis. Jos
Ambaſſadeurs de l'Empereur & d'Eſpagne logét Caualerie appellcz gens ſans ſoucy . 8L
en la ville de Cóſtátinople, & les autres à Pera.4 Ceinture Turqueſque. 64 ,
Reception des Ambaſſadeurs par le grand Sei Chameaux en nombre eſtrange ſous Selim II. 42
gneur. 25 Chameaux en nombre de quatorze mille de voi.,
Années des Turcs commencent de l'Egyre . 19 ture en l'armée du Turc . 40
Archers du Turc. 67 toutes les Charges & dignitez de l'Empire Tyr
Archersde la garde du corps du Turc dits Solachs, queſqueſont ésmainsdes Chreſtiens renicz.48
- , leurs armes & accouſtremens . 76.campeni toa Charitables conſiderations pour desTurcs. 74
jours prçs le pauillon Imperial,là meſme. Chaſna Treſor du:Turc. 19
APPOINTÉMEN T. JIO
Chaſnadarbaşı Treſoriers de l'Eſpargnc.
Appointemét des gens depied de la Porte 48. des Du Turc . 40
gens de cheual, & domeſtiques & Maiſon du · perfection des chcuaux Turcs. , 35
· Turc . 88.de la chabre aux deniers, de l'Eſcurie, Chiurezzi vogueurs . 127
argenteric, Menus plaiſirs,là meſme, Veneric & Circonciſion des Mahometans.
257
Fauconnerie,baſtinésentretenemés d'artiſans, Triomphes, jeux & magnificences que font les
gages d'Officiers ,Legspitoyables & fondatiós Turcs à la Circonciſion de leurs enfans. > 260
CONSTANTINOPLE.
d’Hoſpitaux, Artillerie, la Marine, Arcenal. 90
Aſtuce & blaſpheme deMahomet. 7. l 47 Deſcription de Conſtantinople. 2
K .2
Aulx & eſpiceries fort vtiles aux Turcs. 30 Deſcriptió de Coſtantinopleen ſa premiere gran
Azapes gens de pied ." 106 deur.i2.de la Conftátinop,Turqueſque, la meſ.
AZEMOGLAN S.
Conſtantinople eſt comme vne ſerrure dont la
Nombre des Azemoglás & Jardiniers, la meſme. clefoțure & ferme infinis treſors & commodi
Prouiſion des jeunes Azemoglans au Serrail. 57 tez reciproques . 8
Modo de mettre hors de page les Azemoglans du Port de Conſtantinople le plus beau de tout le
Sérrail . B 60 inonde . 4
26 Grádeur & etenduedela ville de Coſtantinopls.
BAnquetTurquéf que.
BEG'LI E R BE Y si 8.accreuë en diuerstemps,ſon aſſiete & figure.9
: Beglierbeys. 23 Coſurgiti, porte - plats. ricos14
De la Natolie. Couleur vertě fauorite de Mahomet. 245
De la Caramanie . 394 La Croix eft vlitée aux luifs. 57
D'Amalic . Cruauté eſtrange deMechmet . 16
Beglierbeys. De Lauendoli. D

De Meſopotamie. S 109
De Suric. .
94 Dephteremin Treforiers Generaux . · 109
Du Caire . { 94 2
Denombrement de l'EmpireRomain .
De l’Europe . 23 Deſpenſe du Turc reuient à dix millions d'or. 91
Forms
1

Table .

102 I
Forme des depeſches du Tarc.
Deſtroit de Thrace lieu où eſt baſtie Conſtanti I ANIS SAIR E S.
3 Etymologie du mot de laniffaires. 68
nople.
Diſcipline treſbelle parmy les Turcs en matiere Infanterie du Turcappellée du nó de Ianiſſaires,
de guerre . 75 leur groſſe maſſe eſt la porte du Turc,là meſme,
Diſcipline & obeyſſance des Turcs en leurs ar leur premier reglement , onteſté juſques à so .
mées. ! 124 mille fous Mehemet , reduits à douze mille par
1 Cour du Diuan ou Audience publique. 17 Bajazet.69.Ianiſſaires ſont l'image des ſoldats
Domination de Mahomet & les ſuccelleurs , tant Pretoriens aux Empereurs Romains : volent
au Temporel qu'au Spirituel . 163 toute la ſubſtance des luifs & Chreſtiens à la
Mode de dormir du Turc. S4 mort du Prince : leur ſolde & appointement. 70
E leurs habits & accouſtremensde teſte , portent
Lcction des cheuaux Turcs & leur traitte de longues & groſſes mouſtaches heriffées. Ils
E ment.36.leur penſement,mangeaille,mode ne portent qu'vn couſteau attaché à la ceintures
dclcs brider. 37 71. portent yne Canne d'Inde au poing , lcurs
Emiralem office de grande dignité . 103 armes & fidelité enuers leur Prince.la -meſme.
de Romeà Conſtantinople par
l'Empire tranſlate Ianiſſaires quelques forfaits qu'ils facét hortmis à
l’Empereur Conſtantin le Grand . 2
la guerre,ne ſont punis pour la premiere fois. 72
Endurciſſement des Turcs aux meſaiſes. 83. leur leur cóformité auec les ancienslegionnairesRo
ſobrieté & parſimonie. mains: ne boiuent du vin à la guerre ſur peinede
1
diſtribució desEnfans Chreſtiés du Turc. so.leur şo . coups de baſton : viuent par enſemble d'vne
nourriture miſerable , à quoy on les employe, bonne fraternité.73.les Ambaſſadeurs'en pren
eſtráges endurciſſemés & parſimonie.là -meſme. nent à leur ſuitte leur garde, leur mariage. : 74
Beaux Epithetes que donnent les Turcs aux Ianiſlaires non maricz & leurs departemens à
Chreſtiens. 46 Conſtantinople. 75. leurs chefs portent yn
Equipage de la chaſſe du Turc. 46 grand Bourdon au poing.la-meſme.
Erreur d'Origene du ſauuement des Diables.240 Ieuſne du Vendredy , quand inſtitué. 7
Erreur des Arabes du temps d'Origene. 244 Imarath Hoſpital. 86
Eſcurie du Turc.
35 Impoſitiópour la deſpeſe domeſtique du Turc.87
l'Eſtabliſſement & conſeruation de l'Empire des Les luifs ſont en melpris aux Turcs . so
7 20
Turcs , ne conſiſte en des fortereſſes , mais aux Iuftice Turqueſque.
forces grandes decheual & de pied . 9 L

Etabliſſement de l'Empire des Turcs au lieu de


2 Lisuais du Turc.64. leur habillement.
l’Empire des Grecs . Leger chaſtiment des jeunes Azemoglans . 58
Evaluation du Domaine du Turc ſelon la deſpen mode de Lire des Turcs. S7
fe.
104 mode des Turcs de ſigner leurs Lettres & expedi
nombre des Eunuques qui ſont d'ordinaire au tions. 101
Serrail du Turc . 52 Lic du Turc .
F Ligne maſculinena pointmanqué de pere en fils
en la race des Othomás Empereurs des Turcs.69
E Quipage merucilleux de la Fauconnerie du 186
45 Liures principaux de la oy deMahomet.
47 deſcription du Logisdu Turc. 31
Fauconnerie Turqueſque.
Fauxbourg merueille ux de Conſta nti nop lc. 137 Logis dela Sultane principale femme du Turc. 52
Luicteurs du Turc . 66
ordre des Finances du Turc . 108
86 M
Fondations des Turcs .
Forces des Empercurs Othomans compoſées de Alterlers. & Hortagılars Tentiers & dreſſeurs
Turcs naturels. 82 Madelentes ſous leur Capitaine. 122
Forces des Turcs par mer . 127 M A HOMET . 1

Feneſtres dangereuſes du Diuan , pourquoy ainſi Mahomet fait ſemblant de deferer la vraye da
20 " & trine à l'Euangile de Ieſus- Chriſt. 184
appellées.
Fraudes de Mahomet contre les anciennes tradi ce que Mahomet tientde leſus- Chriſt. 153
tions , 2 SI aux Mahometiſtes n'eſt permis de rien contre
G faire en leurs ouurages de tout ce que la nature
Arde ordinaire à cheaal du Turc. 78. leur produit . :-371052
appointement & leur nombre. 79. lcurs Maiſtre de camp des Ianiſſaires & ſon appointe
armes, & leurs diuers offices. 80 ment. [ 76
Gardes deuant le Serrail ou Palais du Turc . 35 Manger & boire des Turcs . ;' . , 128

Gendarmeric de Macedoine & de Theſſalie a eſte Mode de Manger des Turcs . ori732
decoute memoire en grande vogue . -36 Marques d'vn bon Galphe. !!! 1146
Genealogie de Mahomet. 163. & ſuiuans. Maſliers du Turc & leur chef. 80.81
Medecins du Serrail . (2
Giorgi, Scapoli ,& Olofre portans tout leur vaillant
ſur eux . 127 Mesébrie baſtie par lesBizátins & Calcedoniés.3
Gonfallonnier General du Turc , 18
82. Monnoye des Turcs .
H Mortes- payes des Turcs. 174
Avre de Conftantinopletres -commode. 4 Mots pour s'initier au Mahometiſme. 49
Hippodrome on Cirquede Conſtantinople. N.
s 102
ibaſi.
Aſſangibaßi
Hulle de Sefame & la maniere de la faire, Nalang p
31 Nafu ou Coufara , la deſtinée. 107
Table.

II nuls Princes ny Gentils -hommes en toute la do


Nombre des portes de Conſtantinople.
64 mination du Turc. 80
Nombre de quarante reſpecté des Turcs.
Nourriture & inſtruction des nouueaux Azemo Priuileges de Mahomet pour luy ſeul. 237
glans au Serrail. 56 Prouinces quele Turc poſſede en Europe. 84.cn
Nourriture des ieunes Pages. Afie. 84.cn Afrique , là meſme.
0 84
Prouinces de l'Empire du Turc.
Prouinces Chreſtiennes ſujectes au Turc. 49
Officiers uprincipaux de la Monarchie Tur
queſque. 91. Punitions de feu parmy les Turcs. 73
Le Vizir ou premier Baſſa. 92
Baffa deguir Admiral . là meme. Vartiers de Conſtantinople. 13
Officiers de l'Eſcurie du Turc . 42 Q R
Opinions diuerſes ſur la fondation de Bizance. 3 De la Religion Mahometane ſelon les textes de
Oraiſon de Mahomet. 234 l'Alcoran . 234
Ordonnance & aſſiette du Conſeil Imperial . 23 Repas qu'on fait au Diuan... 20
Ordre de marcher de l'armée du Turc. 113 Reſpect que les Turcs portent aux lettres & aux -
Ordres & grades de l'Egliſe Grecque . 136 lettrez . 57
Orfevres du Serrail , 63 Reuenus deslardins du Turcàquoy employez.16
Othomans deſcendus de pere en fils iuſques à Reuenų des maiſons Royales du Turc. 87
douze ou treize generations , en droite ligte Rcuenu duz Turc . 86
inaſculine, par l'eſpace de trois cens ans. Reuenu du Turc paſſe douze millions d'ori 88
р Recoltes à l’Italienne en Turquie. 30
203 Roft des Turcs. S 29
Paradisde Mahomet.
Paradis de Mahomet tout charnel. 245 Aniaquats du Beglierbey d'Europe. 96
Paremés du Turc & ſon equipage quád il ſort . 43 Saniaques & leur charge . 96. leurs appointe
Parties que doiuent auoir les vrays fidelles deMa mens. 98. leur élection , 101
homet . 96 .
204 myfteres des bannieres Turquelquesa
inſtitution premiere du Patriarchat . 136 SERRAIL
le Patriarche pouuoit interdire l'Empereur. 154 Serrail du Turc & fa deſcription o' 14.16
Patriarches pouuoiét eſtreelleus eſtás mariez.iss Bains & eſtuues du Sertail . 62
reſpect qu'on leur portoit. là meme . Clofture du Serrail .
les quatre Patriarches & principaux chefs de l'E . Suitté du Serrail. 53
gliſe Grecque , 8o des rectes du Chriſtianiſme Deſcription du dedans du Serrail du Turc. 48
au Leuant & parties Meridionales. 136 Τ .
1
Pauſanias pritla ville deBizance ſur les reliqueş Tail leur
Able s de Ser
& nappe rail.
Turqueſqu e..
de l'armée de Xerxes .. du . 63
deſcriptió de la ville de Pera.4.parqui fondée.ſes Talmud Babylonien & ce qu'il contient. -186
diuers noms.ibid. habitée de 4.manieres de gés . Tambours Turqueſques. 103
Perinttie appellée à prefent Rodofto. Deſcription du Temple de ſainte Sophie. 130. &
Pannaches ſigne de vaillance parmy les Turcs . 68 fuiuans.
Penſiós ſur les benefices en l'Egliſe Grecque. 154 Thermes de Zeuxippe. 133
reſidence des benefices, la meſme, Thons poiſſons en grande abondance en la mer
Perſonne ne poſſede de terres en propre en tout Majour.
l'Empire da Turc.: 83 Teſquiregibaßi ou Secretaire Majeur. 101
Petalmagilar, Threſorier des confifcations & Au Tobgilar Canonniers . 118
baines . 87 Traditions de Mahomet. 164. & fuigans.
menus Plaiſirs & aumoſnes du Turc . occaſion de la tranſlation de l'Empire de Rome à
menus Plaiſirs du Turc . 19 Conftantinople . · IVRCS . 6
Plaiſir du Turc fort louable . 58 pourquoy les Turcschaftrent ordinairement leurs
Poignard & hache Turqueſque. 64 cheuaux. 38. leur ferrure, felles & harnache
Points principaux de l'Alcoran . 170 mens,eſtriers,eſperons. làment.
84
Points natables de l'Empire du Turc. les Turcs & les Orientaux ſont de leur comple
Police pour la nuit en Turquie. 73 xion ordinairement mornes, ſolitaires & me

: Pópes & brauades eſtrāges du TurcSolyman.45 lancholiques. 44


Portes de S. Sophie. 133. ſes feneſtrages.134 les Turcs aduoüent qu'ils ne ſe peuuent attribuer .
Potentats qui ont emporté chacun leur part de le vray tiltre de la Monarchie , qu'ils ne ſe
: l'Empire Romain . 2 ſoient premierement emparez de Rome. 6
le Pourceau interdit aux Turcs . 28 les Turcs ſont ſoigneux de leurs cheuaux. 46
Prelatures du Patriarche de Conftantinople.137 . les Turcs ne pardonnent point les moindres fau
& ſuiuans, ſes Eueſchez. 138 ces faites à la guerre. V 72
Premium & Pæna fondement de toutes Domina
tions .
Pramisun Pana fondement de toutes Domina 98
. les iedes
V Vener clientes Turcs,
de mortelle des chiens.
leurs Chien de Turces
Prerens faits au Turc . 87 Viandes des Turcs . 29
Preuoyance du Turc . ‫هر‬ ‫و‬. 83 Vie du Turc fort ſolitaire & recluſe. 42. Conoc
Prieres pour les treſpaſſez en la Religion de Ma cupation dans le Serrail . 43
homet . 243 Viſion ou pluſtoſt piperie controuuée par Maho
Priere des Turcs auant le manger , 33 met & res fectateurs. 2 212
Prieres journelles des luifs .
ETTID

Vrnalar, joueurs de hayuputslih 103


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Prieres particulieres du Serrail . 57. Zima
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