D’ACTUALITE
JURIDIQUE
2020
Ainsi quasiment aucun texte ayant trait au COVID 19 n’est présent dans ce recueil. L’auteur
considère en effet que ces éléments ont largement été couverts et sont facilement disponibles
pour les lecteurs.
Enfin, certains arrêts ou certains sujets sont abordés plusieurs fois sous différentes plumes et
peuvent paraître redondant, l’auteur a laissé la possibilité au lecteur de choisir entre
différentes approches celle qui lui convenait le mieux.
SOMMAIRE
I. Droit administratif.
1) Commande Publique.
2) Drones.
3) Recours pour excès de pouvoir.
X. Droit Pénal.
XI. Libertés Fondamentales.
Une personne publique dont la responsabilité est engagée pour dommages de travaux publics à
l’égard de son cocontractant ne peut pas se prévaloir des clauses exonératoires de responsabilité
stipulées dans la convention qui les lie.
Le Conseil d’État était saisi d’un litige opposant EDF, en sa qualité de concessionnaire d’un canal
d’amenée d’eau vers une usine hydro-électrique, et la Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB),
établissement public compétent en matière de production et de distribution d’eau potable, qu’un
contrat avec EDF autorisait à prélever de l’eau dans le canal. Des fissures affectant la voie d’eau
ont entraîné un glissement de terrain et la rupture d’une canalisation d’adduction d’eau exploitée
par la RECB. Celle-ci a obtenu du juge des référés de la cour administrative d’appel de Marseille la
condamnation d’EDF à lui verser une provision de près de 170 000 € à valoir sur la réparation de
son préjudice. Saisi en cassation, le Conseil d’État considère qu’en exigeant « pour reconnaître la
qualité d’usager d’un ouvrage public, l’utilisation de l’ouvrage au moment de la survenance du
dommage, le juge des référés a commis une erreur de droit. En outre, il a inexactement qualifié les
faits dès lors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la RECB bénéficiait de ce
canal d’amenée, dans lequel elle était autorisée à prélever de l’eau pour alimenter la canalisation
d’adduction d’eau qu’elle exploitait, et qu’elle l’utilisait effectivement ».
Toutefois, c’est souverainement que le juge des référés a jugé qu’EDF n’apportait pas la preuve de
l’absence de défaut d’entretien normal du canal. Et c’est sans erreur de droit ni dénaturation que
ce juge a relevé « que, s’agissant d’une responsabilité fondée sur les dommages de travaux publics
et non d’une responsabilité contractuelle, la société EDF ne pouvait pas se prévaloir utilement des
clauses exonératoires de responsabilité en sa faveur des conventions conclues avec la RECB pour le
prélèvement d’eau dans les ouvrages exploités par EDF ». En effet, « le préjudice tenant à la
rupture de la canalisation d’adduction d’eau réalisée par la RECB du fait du défaut d’entretien
normal des ouvrages publics dont EDF a la garde était étranger à l’exécution d’une convention dont
l’objet était seulement de définir les conditions d’utilisation de l’eau du canal d’amenée par la RECB
».
La contestation des circulaires se fait maintenant dans les mêmes conditions que celle des actes de
droit souple.
La jurisprudence sur le droit souple n’en finit pas de s’étendre. La section du contentieux du Conseil
d’État vient de revisiter les jurisprudence Crédit foncier de France c/ demoiselle Gaupillat et dame
Ader (CE, sect., 11 déc. 1970, n° 78880), sur les directives devenues lignes directrices, et
Duvignères (CE, sect., 18 déc. 2002, n° 233618, Lebon avec les concl. ; AJDA 2003. 487 , chron. F.
Donnat et D. Casas ; D. 2003. 250 ; RFDA 2003. 280, concl. P. Fombeur ; ibid. 510, note J. Petit )
sur les circulaires, à la lumière de la jurisprudence Fairvesta sur la contestation des actes de droit
souple (CE, ass., 21 mars 2016, n° 368082, Lebon avec les concl. ; AJDA 2016. 572 ; ibid. 717 ,
chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 715, obs. M.-C. de Montecler ; AJCA 2016.
302, obs. S. Pelé ; Rev. sociétés 2016. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 497,
concl. S. von Coester ; RTD civ. 2016. 571, obs. P. Deumier ; RTD com. 2016. 298, obs. N.
Rontchevsky ; ibid. 711, obs. F. Lombard ).
La Haute juridiction était saisie par le GISTI d’un recours contre une « note d’actualité » de la police
aux frontières relatives aux fraudes documentaires sur les actes d’état civil en Guinée. Elle pose la
règle selon laquelle les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques,
matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou
interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont
susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les
agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces
documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. »
La section précise l’office du juge, en fusionnant les règles issues de l’arrêt de section de 2002 et
de l’arrêt d’assemblée de 2016. « Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter
la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que
du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre
doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si
l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en
vue de la mise en oeuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure. »
La note contestée préconisait, à l’attention des agents devant se prononcer sur la validité d’actes
d’état civil étrangers, l’émission d’un avis défavorable pour les actes de naissance guinéens.
Toutefois, pour le Conseil d’État, elle ne saurait « être regardée comme interdisant à ceux-ci
comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues,
à l’examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d’y faire droit, le
cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien. Le moyen tiré de la
méconnaissance des dispositions de l’article 47 du code civil doit donc être écarté. »
Le Conseil constitutionnel estime que la violation des règles de procédure d’élaboration de la loi
organique fixées par la Constitution ne rend pas pour autant, en raison du contexte sanitaire, la loi
inconstitutionnelle.
L’article unique de la loi organique prévoit que le délai légal de trois mois dont disposent les
juridictions suprêmes des deux ordres pour se prononcer sur le renvoi d’une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) ainsi que le Conseil constitutionnel pour statuer sur les QPC qui lui sont
transmises, est suspendu jusqu’au 30 juin 2020.
Le Conseil constitutionnel estime toutefois, sans s’appuyer sur une quelconque disposition
constitutionnelle, que « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de
juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article
46 de la Constitution ».
Quant à l’examen de la constitutionnalité de la loi sur le fond, il juge les dispositions de l’article
unique conformes dès lors que celui-ci « ne remet pas en cause l’exercice de ce recours ni n’interdit
qu’il soit statué sur une [QPC] durant cette période ».
Serge Slama est Maître de Conférences en droit public à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne. Il envisage de
transformer ce papier en article pour une revue au regard des réactions des lecteurs.
Depuis une quinzaine d’années on assiste à une multiplication des réformes pour tenter de remédier au
tonneau des Danaïdes de la juridiction administrative : le « stock » de centaine de milliers de dossiers des
armoires des tribunaux administratifs (276 092 dossiers en 2004, en données brutes, avec un délai théorique
d’élimination – toute affaire cessante – s’élevant à près de 2 ans). Dans cette masse, le contentieux des
étrangers représente en moyenne près d’une requête sur quatre enregistrées par les TA (38.636 en 2004, sur
un total de 162.412, soit 23,78%).
Toutes ces réformes ont consisté à ériger une barrière toujours plus haute à l’accès aux prétoires
administratifs.
Il s’est agi d’abord de délester le Conseil d’Etat de son « stock » de dossiers (c’était déjà la solution trouvée
en 1953 lors de la création des TA, en 1987 lors de la création des CAA, en 2000 lors de la création de la
Commission de recours contre les refus de visas d’entrée en France[1], lors des réformes de l’OFPRA et de la
CRR[2] ou encore en 2005 lors du transfert du contentieux de l’appel des reconduites à la frontière aux
CAA). Sur ce point, on ne peut que constater une nette et indiscutable amélioration (délai de jugement devant
le CE ramené à 11 mois et 15 jours en 2005, entrées à peu près stabilisées à 11 000 affaires par an (hors
séries), stock d’environ 11 000 affaires fin 2005).
Il a aussi été mis en place un certain nombre de mécanismes permettant de filtrer ou de rejeter les requêtes
irrecevables. En la matière tout – ou presque – a été testé avec une réussite très relative :
– droit de timbre de 15 euros (de 1994 à 2004) ;
– augmentation des amendes pour recours abusif (jusqu’à 3000 euros) ;
– désistement forcé pour les requérants ne produisant pas de mémoire ampliatif dans les délais ;
– suppression de la possibilité d’appel dans nombre de « petits » litiges ;
– généralisation de l’obligation de recourir à un avocat (décret du 24 juin 2003, en particulier en CAA) ;
– obligation de recours administratif préalable (particulièrement pour les militaires – décret du 7 mai 2001) ;
– multiplication des ordonnances d’irrecevabilité et du « tri » en référé ;
– développement des « séries » ;
– restrictions des possibilités de régularisation des requêtes, multiplication des irrecevabilité d’ordre public,
etc. etc..
Les moyens des juridictions administratives et la productivité des magistrats ont aussi été substantiellement
améliorés, même si l’Etat n’a pas toujours tenu ses engagements en matière de recrutement des magistrats
pris dans la loi de programmation de 2002 et a surtout orienté les moyens vers les cours administratives
d’appel. Ces indiscutables efforts se sont d’ailleurs avérés insuffisants pour remédier à l’encombrement des
rôles.
Ils ont engendré aussi en une quinzaine d’année une mutation profonde du travail au sein des juridictions
administrative : d’une justice administrative artisanale et conviviale de « fabrique » des jugements, les
tribunaux administratifs sont passés à une ère industrielle avec des normes de productivité pour chaque
magistrat (de 129 dossiers par an en 1983 à 211 en 1998), la multiplication des juridictions (38 TA, 8 CAA),
des chambres (jusqu’à 8) et personnels (du greffe, assistants de justice, etc .) ou encore la mise en œuvre de
téléprocédures, audiences par vidéo-conférence (pour les TOM) et formatage informatiques des décisions
(Ariane, Sagace, etc.).
Dans ce contexte le principal nœud gordien de la juridiction administrative depuis 10 ans est – nul ne
l’ignore – le contentieux des étrangers.
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | Réformes en série du contentieux: une atteinte à l’accès à la justice des plus précaires
Tout a commencé, on a tendance à l’oublier, lorsque le Conseil constitutionnel, par une décision n°89-261
DC du 28 juillet 1989, a invalidé une disposition de la loi « Joxe » confiant le contentieux de la reconduite à
la frontière au juge judiciaire. Le Conseil l’a jugé contraire au principe de séparation des pouvoirs
car « s’agissant de l’usage par une autorité exerçant le pouvoir exécutif ou par un de ses agents de
prérogatives de puissance publique, les recours tendant à l’annulation des décisions administratives relatives
à l’entrée et au séjour en France des étrangers relèvent de la compétence de la juridiction administrative ».
En conséquence de quoi la loi du 10 janvier 1990 a conféré la compétence du contentieux des arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière, au juge administratif, dans le cadre d’une procédure suspensive,
expéditive et en juge unique totalement dérogatoire de la procédure administrative de droit commun (voir la
décision Conseil constitutionnel du 9 janvier 1990). Le contentieux administratif de l’éloignement des
étrangers était né. Il allait en l’espace d’une dizaine d’années chambouler les méthodes artisanales et
emphatiques de travail des juridictions administratives par la confrontation à la réalité humaine et à
l’immédiateté des permanences de reconduite.
Depuis lors ce contentieux n’a cessé d’augmenter. Il est à l’origine de près de la moitié des requêtes
afférentes au droit des étrangers (43,77%) et a progressé de + 50,59% en 2004 (64 221 APRF ont été
prononcés en 2004). Ces moyennes masquent d’ailleurs des disparités géographiques considérables, qui se
sont accentuées avec la modification récente des règles de compétence territoriale (cf compétence du TA
dans le ressort duquel l’étranger est placé en rétention). Certains TA sont particulièrement touchés par la
pression de ce contentieux (Cergy Pontoise, Paris, Lyon, Lille, Marseille, Montpellier…).
La croissance du contentieux des étrangers est de + 37,60% au niveau des CAA (dont + 32% s’expliquent par
le transfert du contentieux d’appel des reconduites à la frontière antérieurement assumé par le Conseil
d’Etat). Les Cours subissent aussi directement les conséquences de la très forte augmentation du nombre de
jugements rendus par les TA en cette matière (10.600 au 1er semestre 2005, contre 5700 en 2004, soit +
86%) et de la progression du taux d’appel (2400 requêtes introduites, soit un taux d’appel de 23% alors que
le taux moyen d’appel est de 16%).
Indiscutablement, cela est d’abord et avant tout lié au perfectionnement du dispositif d’éloignement des
étrangers. L’ordonnance du 2 novembre de 1945 (puis le CEDEDA depuis le 1er mars 2005) n’a cessé d’être
modifiée à cette fin depuis 1989.
En particulier les lois « Pasqua » du 24 août 1993, « Debré » du 24 avril 1997 et, surtout, la loi « Sarkozy »
du 26 novembre 2003 ont considérablement renforcé les prérogatives de l’administration en la matière
(allongement de la rétention administrative de 7 à 32 jours, effet suspensif de l’appel du Parquet sur les
décisions du juge de la liberté et de la détention, examen prioritaire et limitée à 5 jours des demandes d’asile
en rétention, développement de fichiers biométriques, etc. etc.[3]) . L’efficacité de « l’arsenal législatif »
adopté en 2003 est probante. Ainsi, par exemple, alors que le taux d’exécution des arrêtés de reconduite à la
frontière était en 2002 de 22,5% (10 067 reconduites effectives pour 49 124 mesures prononcées en
Métropole), en 2005 près de 20 000 reconduites ont été exécutées, soit un doublement en trois ans. Pour
2006, le ministre de l’Intérieur a d’ores et déjà fixé l’objectif de 25 000 reconduites effectives en Métropole
(Rapport d’information n°2922, déposé par Thierry Mariani, Assemblée nationale, mars 2006).
Alors qu’on sait que le taux d’exécution des reconduites à la frontière notifiées par voie postale est quasi-nul
(ce qui justifie l’invention par la loi du 24 juillet 2006 de l’Obligation à quitter le territoire français v. infra),
en revanche celui des APRF notifiés par voie administrative a été considérablement amélioré.
Dès lors, comment s’étonner que des étrangers en instance d’éloignement et qui n’ont, en général, pas pu
expliquer leur situation à l’administration avant le prononcé de l’APRF tentent leur chance devant le juge de
la reconduite ? Cette voie constitue, en effet, avec le refus de délivrance d’un laisser-passer consulaire par
leur pays d’origine, leur seule planche de salut. Et ce d’autant plus que la Cimade est présente dans la quasi-
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totalité des centres de rétention administrative et assure une assistance juridique individuelle à l’ensemble des
étrangers maintenus et que les mécanismes d’introduction des requêtes sont facilités.
Mais on n’insiste pas assez sur le fait que l’augmentation du contentieux des étrangers, particulièrement de
celui du refus de séjour (environ 20 000 recours[4]), a des causes bien plus profondes.
Dans les années 90, tous les mécanismes qui permettaient de prévenir le contentieux des étrangers ont été
supprimés par le législateur ou par la jurisprudence administrative :
– absence de contradictoire préalable avant le prononcé d’une décision de refus de séjour (non application du
décret de 1983 aux demandes de titre) ;
– suppression par la loi du 24 avril 1997 des commissions de séjour, composées de magistrats judiciaire et
administratif et devant laquelle depuis 1989 les étrangers faisant l’objet d’un refus de séjour pouvaient
expliquer leur situation, assisté du conseil de leur choix ;
– multiplication des pratiques arbitraires des préfectures ; refus oraux des guichets, difficultés même à
accéder à la préfecture (v. l’affaire CE, ord. réf., 12 janvier 2001, Hyacinthe), absence d’explications sur les
dossiers avec les demandeurs, longueur des procédures (parfois plus d’un an pour une carte d’une validité
d’un an…), allongement de la DIR à 4 mois pour le contentieux des étrangers, etc.[5] ;
Les lois « Pasqua » de 1993, « Debré » de 1997 et « Sarkozy » de 2003 ont été de véritables « fabriques à
sans-papiers ». Elles ont multiplié les cas de personnes qui bénéficient d’une protection contre les mesures
d’éloignement, en raison la jurisprudence de la Cour européenne et du Conseil d’Etat sur les articles 3 et 8 de
la CEDH, sans pour autant bénéficier de « droit » au séjour inscrit dans le statut des étrangers (« ni
éloignable – ni régularisable»).
Or depuis la régularisation qui a accompagné la loi Chevènement de 1998 (75 000 régularisations sur 150
000 demandes) et celle liée à la circulaire du 13 juin 2006 sur les enfants scolarisés de sans-papiers, la
consigne est stricte : pas de régularisation systématique hormis au « cas par cas » et à titre « humanitaire ».
N’est-ce pas un facteur amenant les étrangers faisant l’objet d’une décision de refus de séjour, accompagnée
d’une invitation à quitter le territoire français, à se retourner vers les tribunaux administratifs puisqu’il n’y a
guère d’espoir de se faire entendre de l’administration ? Et ce d’autant plus, qu’en application de la loi du 12
avril 2000, les voies et délais de recours sont (heureusement) systématiquement indiquées dans ces décisions,
il est très naturel que les étrangers placés en situation irrégulière y voient un échappatoire à la précarisation
de leur situation administrative.
Certes la loi « Chevènement » du 11 mai 1998 a permis de résoudre (partiellement) la difficulté des « ni-ni »
en créant la carte « vie privée et familiale », notamment pour les conjoints de français, les parents d’enfants
français, les étrangers malades, ceux bénéficiant de la protection de l’article 8 CEDH, de l’asile territorial et
ceux justifiant d’une résidence habituelle en France depuis 10 ans (ou 15 ans pour les étudiants).
Mais, dans l’application de cette loi les pratiques préfectorales dans le traitement des demandes de
régularisation n’ont pas sensiblement évolué. Ainsi, à titre d’exemple, à peine 3 000 étrangers par an ont
bénéficié d’une régularisation sur le fondement de l’article 12bis 3° de l’ordonnance de 1945 (L.313-1, 3°
CESEDA), compte tenu notamment de la difficulté de justifier, année par année, d’une résidence habituelle
en France depuis 10 ans.
Pire, ces pratiques ont développé un abondant et lourd contentieux devant les juridictions administratives
pour faire reconnaître la réalité des preuves rapportées et la présence sur territoire français depuis 10 ans,
avec la possibilité d’obtenir le prononcé d’une injonction à réexaminer le dossier (y compris en reconduite à
la frontière depuis CE, 28 juillet 2000, Lahrech, n°215874). Il est tout aussi difficile de justifier – et
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d’apprécier – les liens personnels et familiaux au sens de l’article 8 de la CEDH (L.313-11, 7° CESEDA),
particulièrement pour les étrangers pacsés. On a assisté au même phénomène pour le contentieux des
étrangers malades et ce d’autant plus qu’à partir de 2003 les pratiques préfectorales se sont considérablement
aggravé en raison d’instructions ministérielles suspicieuses à l’encontre des médecins inspecteurs de la santé
publique.
Autre phénomène peu analysé, qui a pu constituer un facteur de développement du contentieux des étrangers
c’est la multiplication depuis la loi « Chevènement » du 11 mai 1998 des catégories d’étrangers bénéficiant
d’un « plein droit » au séjour mais qui sont maintenus sur un séjour temporaire, renouvelable d’année en
année et donc soumis constamment à l’arbitraire et aux conditions d’accueil des guichets préfectoraux.
Chaque année, pendant plusieurs mois, ils doivent de nouveau affronter le parcours du combattant des
préfectures et justifier qu’ils remplissent les conditions pour le renouvellement de leur titre « vie privée et
familiale » (étrangers malades, liens personnels et familiaux, protection subsidiaire, etc.). A cette
précarisation liée à la loi de 1998, les lois « Sarkozy » de 2003 et 2006 ont ajouté un critère de délivrance des
cartes de séjour de plein droit qui devrait faire exploser le contentieux du séjour. Le « compromis » de la loi
du 17 juillet 1984 sur le titre unique de séjour était que les étrangers ayant des attaches personnelles et
familiales en France devaient bénéficier d’une carte de résident, valable dix ans et renouvelable de plein
droit.
Or, les lois « Sarkozy » ont conditionné la délivrance de la plupart des titres de plein droit à une condition
éminemment subjective : l’intégration républicaine dans la société française – évaluée à l’aune de critères
eux-mêmes a-juridiques (la maîtrise du français, la connaissance des principes de la République comme la
laïcité ou l’égalité homme-femme ou, pour le regroupement familial, le respect des « principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République » (v. la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel sur cette
dernière notion[6]). Comme l’a fait valoir le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi relatif à
l’immigration et à l’intégration en mars 2006, l’intégration républicaine est un « concept politique sans
fondement juridique ».
Quelle sera la conséquence de l’introduction de tels critères dans la délivrance des titres de « plein droit » ?
Et bien, dès lors, qu’en lieu et place de l’automaticité de la loi de 1984, on confère aux agents de guichet (des
préfectures et de l’ANAEM) un pouvoir d’appréciation sur la base de critères aussi difficilement « cernables
», on laisse une place considérable au pouvoir discrétionnaire, et à vrai dire de l’arbitraire, à l’encontre de
catégories d’étrangers qui sont pourtant protégées par les conventions internationales. La conséquence sera
donc irrémédiablement le développement du contentieux devant les juridictions administratives. Ces
juridictions auront elles-mêmes bien des difficultés à apprécier de tels critères.
Face à ces phénomènes, quels ont été les remèdes apportés par les pouvoirs publics pour tenter de juguler
l’augmentation constante du contentieux des étrangers ?
1. Ainsi, dans le contentieux de la reconduite à la frontière, un décret du 29 juillet 2004 a modifié les
règles de compétence territoriale des tribunaux administratifs pour les étrangers maintenus en rétention
administrative pour renforcer l’efficacité des mesures d’éloignement et rendre plus difficile la défense de ces
étrangers. En dérogation au droit commun, depuis le 1er janvier 2005, ce n’est plus tribunal administratif du
ressort de la préfecture auteur de l’APRF qui est compétent mais le tribunal du ressort du centre de rétention
administrative où est placé l’étranger en instance d’éloignement (R.776-3 CJA). Une telle règle rend
particulièrement difficile la défense de l’étranger dès lors qu’il est placé dans un centre éloigné de son
domicile, de sa famille et de son défenseur habituel (par ex. placement dans le centre de rétention d’Arenc
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | Réformes en série du contentieux: une atteinte à l’accès à la justice des plus précaires
pour un éloignement par bateau pour un étranger résidant habituellement dans le Nord, ou placement dans le
centre du Mesnil-Amelot pour un éloignement de Roissy pour un étranger vivant dans le Sud ou l’Est).
Le même texte permet le rejet par ordonnance des recours contre les APRF « entachés d’une irrecevabilité
manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance » (R.776-2-1 CJA). C’est oublié que l’absence
de formalisme dans l’introduction des requêtes contre les APRF et la possibilité de régularisation à
l’audience étaient les contre-partie du caractère exceptionnel de cette procédure (recours dans les 48 h, effet
suspensif, juge unique, jugement dans les 72 heures, etc.).
On se rappelle aussi, suite à l’affaire de l’imam Bouziane de l’été 2004, la réforme du contentieux des
expulsions ministérielles visant à retirer aux tribunaux administratifs de Province la compétence en la
matière, en dérogation à l’article R.311-1 du CJA, pour le confier au tribunal administratif de Paris
(modification de l’article R.312-8 CJA par le décret n°2004-934 du 2 septembre 2004).
Grâce à une réaction des syndicats de magistrats administratifs, le texte publié est en retrait par rapport au
projet initial qui retirait toute référence à la « matérialité des faits » (v. AJDA 22 avril 2005). Dès lors qu’une
question juridique aurait déjà été tranchée par une formation de jugement ou par une juridiction supérieure,
les requêtes auraient été traitées en « séries », c’est-à-dire concrètement par les assistants de justice avec des
canevas de décisions chargés de porter eux même l’appréciation ou la qualification des faits.
Sans le dire, la réforme visait principalement le contentieux des refus de séjour et, plus largement, les autres
contentieux de « précaires ». La plupart de ces requêtes développent en effet systématiquement les mêmes
moyens de droit et ne nécessitent qu’une – difficile – évaluation des faits.
Mais restait un point d’achoppement : les reconduites à la frontière par voie postale, dont le taux d’exécution
est insignifiant (1%). C’est le vice-président du Conseil d’Etat, en personne, qui lors de la remise au Premier
ministre du rapport d’activité 2004, a porté haut et fort cette revendication des juridictions administratives[7].
Ainsi, fait peu commun, dans des conclusions prononcées en Section, le commissaire du gouvernement
Didier Chauvaux avait en février 2002 (conclusions sur CE 22 février 2002, Mamoudou Abdoul DIENG,
n°224.496) fait part à ses collègues de sa « réflexion » en la matière dans les termes suivants :
« Nous ne vous apprendrons rien en rappelant que l’inflation du nombre de recours lors des années récentes
a créé de réelles difficultés pour les tribunaux administratifs et pour le Conseil d’Etat lui-même. Le fait que
le délai de jugement en premier ressort atteigne plusieurs mois, voire plus d’un an dans certains cas, alors
qu’il devrait être de 48 heures, est la marque d’une situation anormale.
Ayant eu (…) l’honneur de conclure à 236 reprises sur des affaires de reconduite, nous avons eu le loisir de
réfléchir à cette situation. Et puisque la 237è affaire est portée devant votre formation, nous ne résistons pas
à la tentation de vous livrer nos impressions (…).
Ce dispositif (du juge de la reconduite) fonctionnerait sans encombre si les tribunaux administratifs n’étaient
saisis que des cas où l’arrêté de reconduite est notifié à un étranger à la suite (…) de son placement en
rétention administrative suivi de l’exécution matérielle de la mesure d’éloignement. (…) En réalité la
situation critique (…) résulte du nombre élevé d’arrêtés de reconduite dont les intéressés reçoivent
notification par voie postale. Ces arrêtés ont représentés plus de 55% du total en 2000 (…). Nous ne vous
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | Réformes en série du contentieux: une atteinte à l’accès à la justice des plus précaires
surprendrons pas en vous indiquant que leur taux d’exécution est très faible. Selon les chiffres (…), sur les
13 435 arrêtés notifiés par voie postale en 2001, 91 seulement ont été exécutés[8]».
La suite est connue. Le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration de janvier 2006 introduit dans le
CESEDA des dispositions portant création de « l’obligation à quitter le territoire français », en substitution
aux APRF postaux et aux invitations à quitter le territoire français (IQTF).
Le projet de décret présenté au Conseil supérieur des TA et CAA (CSTACAA) le 21 février 2006 prévoyait
le jugement en juge unique de ce nouveau contentieux et plus largement de tous les contentieux de
« précaires » (handicapés, aide au logement, aide sociale, chômeurs, parents d’élèves + permis à point), ce
qui aurait permis le règlement de près de 90% des requêtes introduites devant les TA en dehors de la
formation collégiale – selon l’évaluation des syndicats de magistrats administratifs[9].
En définitive, le texte adopté par le Parlement prévoit d’ailleurs bien la création de ces OQTF et d’un recours
suspensif contre ces nouvelles mesures (articles L.512-1 CESEDA issu de l’article 76 de la loi du 24 juillet
2006) ainsi que la possibilité de désigner un magistrat honoraire, pour une durée de trois ans renouvelable
pour statuer sur les reconduites à la frontière (L.222-2-1 du CJA). Mais le législateur n’a pas tranché la
question de la collégialité malgré la lettre des articles L.2 et L.222-1 du CJA qui l’invitait à le faire s’il
entendait déroger à ce principe.
1. Soit juge unique, avec commissaire du gouvernement, pour le contentieux des étrangers en première
instance des refus de séjour accompagnés d’une obligation à quitter le territoire français (créées par l’article
L-511-1 CESEDA issu de la loi du 24 juillet 2006).
Cette première hypothèse semble avoir de moins en moins la côte. En effet, dans le projet de décret présenté
aux syndicats, l’hypothèse retenue pour le contentieux des refus de séjour accompagné d’une OQTF est que
les requêtes seront « instruites et jugées dans les formes ordinaires » de la procédure contentieuse
administrative, c’est-à-dire par une formation collégiale avec rapporteur et commissaire du gouvernement,
sous réserve de certains aménagements procéduraux (v. encadré). En outre, hormis pour le permis à point, les
autres extensions du juge unique pour les contentieux « sociaux » sont abandonnées.
https://blogdroitadministratif.net/2006/10/22/reformes-en-serie-du-contentieux-une-seule-victime-les-precaires/ 6/9
07/09/2020 Le blog Droit administratif | Réformes en série du contentieux: une atteinte à l’accès à la justice des plus précaires
(art. R. 777-2 CJA). Ensuite que les requêtes introduites contre un refus de séjour assorti d’une
OQTF font l’objet d’un enregistrement unique et d’une instruction commune (article R. 777-3
CJA), un peu à la manière actuellement des arrêtés de destination accompagnant les APRF.
Le texte prévoit par ailleurs des modalités de déroulement du contradictoire, de l’instruction et
de la convocation à l’audience, comparables au référé (R.777-4 et 7 CJA), notamment en matière
d’annonce de mémoires ampliatifs.
Mais le principal point d’achoppement de ce projet est l’organisation des modalités de réduction
de l’instance et de transfert à un autre tribunal, induit par la loi du 24 juillet 2006 qui prévoit que
lorsque le préfet place un étranger faisant l’objet d’une OQTF en rétention administrative, le
délai de jugement est réduit à 72 heures (comme pour les APRF). Il est prévu que dans ce cas,
dès notification par le préfet au TA du placement en rétention, et à condition que la décision n’ait
pas été rendue ou soit en état d’être jugée, le tribunal transmet l’affaire au TA du ressort du
centre de rétention. Les actes de procédure accomplis régulièrement devant le TA saisi restent
valables devant le tribunal auquel est transmise l’affaire (Art. R. 777-8 CJA). On se demande
comment un tel dispositif où le préfet peut, à loisir, changer les règles du déroulement d’une
instance judiciaires va pouvoir résister au droit à un procès équitable.
Enfin, le délai d’appel serait fixé à un mois.
2. Soit, maintien de la collégialité pour ces mesures, mais extension considérable du champ des
ordonnances des présidents de chambre pour la modification de l’article R 222-1 CJA afin de permettre de
rejet par ce moyen « les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement non
fondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont pas assortis des
précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ou ne sont assortis que de faits manifestement
insusceptibles de venir à leur soutien ».
Il ne faut pas s’y tromper. L’objectif sous-jacent est le même que le projet « juge unique » de début 2006 ou
le décret sur les « séries » en 2005 : donner les moyens aux juridictions administratives d’évacuer, en dehors
de la formation collégiale et du regard du commissaire du gouvernement, les requêtes introduites par les
administrés les plus précaires. On leur reproche d’encombrer les prétoires administratifs par des requêtes mal
rédigées, indigentes ou ne respectant pas les règles formelles (faits, discussion, moyens de légalité interne et
externe, dispositif). On leur reproche aussi de ne pas maîtriser suffisamment la langue française.
C’est pourtant prendre le problème à l’envers. Au lieu de se demander pourquoi et suivant quels mécanismes
sociaux les administrés les plus précaires (irréguliers, handicapés, bénéficiaires des minima sociaux,
chômeurs, étudiants, etc.) se retournent vers la juridiction administrative pour exprimer leur détresse et leur
incompréhension du fonctionnement de l’administration et des décisions qu’elle prend à leur encontre, on
cherche à restreindre leur accès au droit. C’est une violation manifeste, non seulement de l’égalité des
citoyens devant la justice, mais aussi – tout simplement – du droit à un procès. Au lieu d’examiner les
mécanismes des « usages sociaux » du contentieux administratif, on cherche à étouffer ces usages, à les
rendre inefficient, à ériger une ligne Maginot entre les administrés les plus précaires et la justice
administrative et à rebours à la réserver aux « sachants », ceux qui sont capables de développer un moyen et
de comprendre la différence entre « causes juridiques » de légalité externe et interne. Car, évidemment, ces
restrictions ne toucheront pas les requérants qui peuvent avoir recours ou accès à un avocat, ni les
administrés qui bénéficient de relais sociaux suffisants (syndicats, associations, etc.) pour les permettre un
accès à la justice administrative dans les règles de l’art.
Echapperont aux séries et aux ordonnances les seules requêtes, suffisamment étayées en droit et en faits,
rédigées par des avocats ou des relais sociaux ou par des institutions déposant d’une capacité d’expertise
juridique suffisante pour soulever un moyen opérant. En revanche, le contentieux des défavorisés, de ceux
qui ne savent pas les usages du droit, de ceux qui sont déjà les bien moins entendus de l’administration,
celui-là, oui assurément, sera rejeté par ordonnance, sans qu’ils aient pu s’expliquer, contradictoirement et
oralement.
Les plus précaires sont donc transformés en victimes expiatoires de l’incapacité des pouvoirs publics à
résoudre autrement l’encombrement des juridictions administratives et le contentieux de masse (v., en dehors
du contentieux des étrangers, les cas connus des « séries » liées au Supplément familial de traitement des
fonctionnaires ou au non respect de l’arrêt Griesmar par l’administration). A l’heure où on évoque la création
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | Réformes en série du contentieux: une atteinte à l’accès à la justice des plus précaires
d’action de groupe au bénéfice des consommateurs devant les juridictions civiles, la juridiction
administrative elle tourne le dos aux administrés.
Pourtant, si les administrés les plus précaires font appel aux juridictions administratives pour faire valoir
leurs droits – ou simplement pour chercher une explication à la décision qu’on leur oppose – ce n’est pas par
abus de droit – ni plaisir de saisir un juge d’une question de droit – mais par obligation, désoeuvrement ou
incompréhension face à l’administration.
Evidemment, dans ce contexte, ceux qui ont les plus grandes difficultés d’accéder au droit et de respecter les
règles formelles d’introduction des requêtes contentieuses, ce sont les étrangers en situation irrégulière. Et ce
d’autant plus qu’il n’est pas toujours facile pour un irrégulier de trouver un avocat acceptant de le défendre à
l’aide juridictionnelle.
Mais s’est-on réellement interrogé sur les vrais motifs de l’augmentation du contentieux administratif des
précaires ? Connaît-on les raisons de la multiplication des recours en matière d’aide sociale ou d’aide au
logement ? N’est-ce pas davantage lié, pour l’aide au logement, à des pratiques de bailleurs sociaux et de la
CAF de suspension en cas d’impayés ? S’est-on interrogé des motifs de la multiplication des recours
introduits par les parents d’élèves ou les étudiants ? Ne faut pas établir un lien avec la sous-administration et
l’indigence juridique de la gestion des établissements scolaires et universitaires ? Pourquoi, aussi, les
syndicats se retournent désormais systématiquement devant les juridictions pour régler leurs différends avec
l’administration (CNE, conventions-chômage, etc.) et non plus à la mobilisation collective ?
Le règlement en dehors de la formation collégiale de plus 80% des requêtes introduites devant les tribunaux
constitue-t-elle réellement une évolution satisfaisante dans une démocratie ?
Pourquoi ne pas mener une réelle réflexion sur la mise en œuvre de dispositifs
alternatifs ?
Pourquoi pas exemple ne pas systématiser l’aide juridictionnelle et l’assistance d’un avocat pour toutes les
requêtes introduites par les plus précaires ?
Pourquoi, au lieu de rejeter d’office ces requêtes, ne pas mettre en place systématiquement des audiences de
recevabilité permettant aux administrés d’exposer leur situation et au juge d’évaluer, dans le cadre d’une
audience contradictoire, le bien fondé de ses récriminations contre l’administration et au besoin de lui
expliquer les motifs et fondements de la décision ? Pourquoi ne pas développer au sein des juridictions
administratives, des dispositifs d’assistance à la rédaction des requêtes par les personnels du greffe, les
assistants de justice ou des étudiants en droit stagiaires ?
Pourquoi ne pas développer réellement la médiation au sein des tribunaux administratifs dans le cadre d’une
procédure facile d’accès à tout à chacun ?
Les idées et mécanismes alternatifs ne manquent pas pour maintenir un accès aux prétoires administratifs de
tous les administrés, sans exclusion.
L’invention au XIXè siècle du recours pour excès de pouvoir et la jurisprudence très libérale du Conseil
d’Etat dans son « âge d’or » en matière de recevabilité des requêtes et d’intérêt à agir ont permis d’assurer
une démocratisation remarquable de la justice administrative.
N’est-on pas en train de casser – pour des motifs finalement assez peu avouables – cet instrument essentiel ?
Notes
[1] Cette réforme issue d’un décret du 10 novembre 2000 s’est avérée très efficace puisque, dès son
application, le contentieux des refus de visas a chuté de 1385 requêtes portées devant le CE en 2000 à 575 en
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | Réformes en série du contentieux: une atteinte à l’accès à la justice des plus précaires
2001, 387 en 2002 et 251 en 2003, mais depuis 2004 on assiste à une inversion de la courbe (296 en 2004,
456 en 2005)
[2] Le nombre de requêtes introduites en cassation des décisions de la CRR est passé de 1392 en 2000, à 575
en 2001 et 256 en 2004. En 2005, en raison de l’éclusion du stock de dossiers par la CRR grâce à la réforme
de 2003-2004 et l’embauche de nombreux contractuels, il est remonté à 296 (+51% en un an).
[3] V. pour un panorama notre article (à paraître) : Les politiques d’immigration depuis 1974. Vies et mort
d’une ordonnance, Regards sur l’actualité, n°326, déc. 2006
[4] Le nombre total des refus de séjour n’est pas connu. En prenant comme base de référence les APRF
notifiés par voie postale, qui vont généralement suite aux refus de séjour, on est dans l’ordre de 40 à 50
milles refus par an.
[5] V. Cimade, « Le pouvoir du guichet. Réalité de l’accueil et du traitement des étrangers par une préfecture
», Les hors-série de Causes communes, avril 2000.
[6] Décision n°2006-539 DC du 20 juillet 2006 : « il ressort des travaux parlementaires qu’en prévoyant que
le regroupement familial pourra être refusé au demandeur qui ne se conforme pas aux principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République, le législateur a entendu se référer aux principes
essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d’accueil
». Il aurait été en effet curieux, et original, de conditionner le regroupement familial au respect des PFRLR
de liberté d’association, de compétence exclusive des juridictions administratives dans certaines matières, de
non-extradition pour motif politique, ou d’indépendance des professeurs d’université…
[7] C’est la loi Chevènement du 11 mai 1998 qui a introduit à l’article 22 bis de l’ordonnance de 1945 la
dissociation de régime contentieux entre APRF par voie administrative (délai de recours de 48h) et APRF par
voie postale (7 jours).
[8] En 2004, sur les 64.221 APRF prononcés, seuls 13.065 ont été réellement exécutés soit 20,34 % (source :
rapport du ministère de l’intérieur sur la politique d’immigration du 11 mars 2005). L’essentiel de l’écart, soit
51.152, correspond à des APRF notifiés par voie postale, dont le taux d’exécution est estimé à 1%.
[10] « Considérant que ces dispositions ne modifient pas les règles en vigueur du code de justice
administrative relatives au principe de la collégialité des formations de jugement des tribunaux
administratifs et à ses exceptions ; que, par suite, les griefs fondés sur un abandon de ce principe manquent
en fait ». Voir le dossier sur le site du SJA et l’éditorial de M-F. Cohendet, AJDA, 31 juil. 2006
Serge SLAMA
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Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Le juge constitutionnel rappelle qu’aux termes de l’article 15, la société « a le droit de demander
compte à tout agent public de son administration ». « Est garanti, par cette disposition, le droit
d’accès aux documents administratifs », considère-t-il de façon inédite. Toutefois, il est loisible au
législateur « d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou
justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au
regard de l’objectif poursuivi. »
Selon la jurisprudence du Conseil d’État, les dispositions de l’article L. 612-3 excluent l’application
des articles L. 311-1, L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et
l’administration et ne permettent la communication des algorithmes locaux qu’aux candidats et
seulement après que la décision les concernant a été prise (CE 12 juin 2019, n° 427916, Université
des Antilles, Lebon ; AJDA 2019. 1192 ; D. 2019. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; Dalloz
IP/IT 2019. 700, obs. T. Douville ).
Pour le Conseil constitutionnel, « il ressort des travaux préparatoires que le législateur a considéré
que la détermination de ces critères et modalités d’examen des candidatures, lorsqu’ils font l’objet
de traitements algorithmiques, n’était pas dissociable de l’appréciation portée sur chaque
candidature. Dès lors, en restreignant l’accès aux documents administratifs précisant ces critères
et modalités, il a souhaité protéger le secret des délibérations des équipes pédagogiques au sein
des établissements. Il a ainsi entendu assurer l’indépendance de ces équipes pédagogiques et
l’autorité de leurs décisions. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. »
S’agissant des candidats, dès lors que la décision les concernant ne peut pas être fondée
uniquement sur l’algorithme et qu’ils ont accès à des informations sur les critères d’examen de leur
candidature, la restriction est jugée par le Conseil constitutionnel proportionnée à l’objectif d’intérêt
général. En revanche, « une fois la procédure nationale de préinscription terminée, l’absence
d’accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d’examen des candidatures
effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l’article 15 de la
Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général
poursuivi, tiré de la protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques. Dès lors, les
dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le droit d’accès aux documents
administratifs, être interprétées comme dispensant chaque établissement de publier, à l’issue de la
procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas
échéant sous la forme d’un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été
examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été
Le régime des suspensions de la prescription (déchéance) quadriennale (loi du 31 décembre 1968) est
d’une redoutable complexité.
En 1977, le Conseil d’Etat posait que les dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968
subordonnent l’interruption du délai de prescription qu’elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la
mise en cause d’une collectivité publique. Par suite, le recours intenté par la victime d’un accident de travaux
publics contre l’entrepreneur chargé de ces travaux (et non pas contre la collectivité) n’a pas interrompu le
délai de prescription à l’égard de la collectivité publique maître de l’ouvrage (Conseil d’Etat, Section, du 24
juin 1977, 96584 01403, publié au recueil Lebon).
Oui mais outre que sur ce point juge administratif et judiciaire n’étaient pas parfaitement au diapason (leurs
points de vue se rapprochant peu à peu en la matière cependant, voir par exemple ici), le point de savoir si
cette jurisprudence était, ou non, encore d’actualité se posait.
C’est en effet une confirmation frappante de cette jurisprudence de 1977 que vient de se faire la Cour
de cassation. En effet, une personne est victime d’un agent public. Elle engage une plainte contre cet agent. Et
pas contre la personne publique ni, dans un premier temps, d’autre recours contre la personne publique.
https://blog.landot-avocats.net/2020/01/31/une-action-au-penal-contre-un-agent-public-interrompt-elle-la-prescription-quadriennale-contre-la-pers… 1/2
07/09/2020 Une action au pénal contre un agent public… interrompt-elle la prescription quadriennale contre la personne publique corresponda…
La Cour de cassation rappelle que l’article al. 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 subordonne
l’interruption du délai de prescription qu’il prévoit en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d’une
collectivité publique.
La Cour d’appel avait estimé que : « la plainte déposée dans la procédure pénale contre M. X… F… poursuivi
pour blessures involontaires avait pu interrompre le cours de la prescription quadriennale de l’action en
responsabilité contre l’Etat sur le fondement d’une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques
».
La Cour de cassation a donc censuré cette position en posant que ladite Cour d’appel aurait du vérifier si une
collectivité publique avait été, ou non, mise en cause dans la procédure pénale en l’espèce.
A noter : cet arrêt a été étrangement assez peu commenté encore. Mais il l’a été, et remarquablement, par
M. Henri Conte sur le site Dalloz Actualités :
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/retour-dans-commune-de-ferel#.XjQz7S17SZF
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 16 janvier 2020, 18-24.594, Publié au bulletin
https://blog.landot-avocats.net/2020/01/31/une-action-au-penal-contre-un-agent-public-interrompt-elle-la-prescription-quadriennale-contre-la-pers… 2/2
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
L’incertitude sur les règles juridiques applicables à une catégorie d’agents publics peut rendre
impossible une formalité pourtant imposée par les textes.
Le Conseil d’État était saisi par l’évêque de Metz d’un pourvoi contre un arrêt de la cour
administrative d’appel de Nancy confirmant l’annulation du licenciement, décidé en 2015, d’un
agent de la mense épiscopale du diocèse. Les menses épiscopales, établissements publics du culte
régis par le droit local d’Alsace-Moselle, sont chargées d’administrer les biens du diocèse, sous la
direction de l’évêque. Si celui-ci recrute leurs agents, ces derniers sont rémunérés par l’État. Par un
arrêt du 22 juillet 2016, le Conseil d’État a précisé que ces agents étaient soumis au décret du 17
janvier 1986 relatif aux agents non-titulaires de la fonction publique de l’État (CE 22 juill. 2016, n°
383412, Lebon T. ).
Tirant les conséquences de cette règle, le tribunal administratif de Strasbourg avait annulé, en
2017, le licenciement prononcé par l’évêque de Metz, faute pour ce dernier d’avoir consulté la
commission consultative paritaire comme l’impose le décret.
Toutefois, le Conseil d’État estime « qu’à la date du licenciement de M. A., intervenu le 12 juin
2015, les personnels des menses épiscopales n’étaient pas, en l’absence de décision du Conseil
d’État ayant clarifié les règles juridiques applicables aux personnels administratifs des cultes dans
les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, alors que les juridictions du fond
avaient pris sur ce point des positions différentes, considérés comme étant soumis au décret du 17
janvier 1986 relatif aux agents non titulaires de l’État, qui ne vise d’établissements publics que
ceux de l’État. En conséquence, aucune commission consultative paritaire compétente pour ces
établissements n’était alors constituée. Eu égard à ces circonstances particulières, qui, en l’espèce,
rendaient alors impossible la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 1-2 du décret du 17
janvier 1986 cité au point 3, la cour administrative d’appel de Nancy a, en estimant que la
consultation de la commission consultative paritaire prévue par ces dispositions ne constituait pas
une formalité impossible, dénaturé les faits qui lui étaient soumis. »
Dans sa décision n° 2020-843 QPC, le Conseil constitutionnel considère qu’une ordonnance non
ratifiée acquiert rétroactivement valeur législative à compter de la fin du délai d’habilitation, à
condition que le projet de loi de ratification ait été déposé dans le délai imparti.
Ce dernier dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la
loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et
de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
L’association requérante soutenait que le législateur, en ne définissant pas, dès l’entrée en vigueur
de l’article L. 311-5 du code de l’énergie (le 1er juin 2011), les conditions et limites du principe de
participation du public à l’élaboration des décisions administratives en matière d’autorisation
d’exploitation d’une installation de production d’électricité, ne se serait pas conformé aux
dispositions de l’article 7 de la Charte.
Ces mesures n’ont en effet été mises en œuvre qu’à partir du 5 août 2013 à travers l’ordonnance
n° 2013-714, entrée en vigueur le 1er septembre de la même année.
Aux termes de son contrôle, le Conseil constitutionnel estime que l’autorisation administrative
évoquée à l’article L. 311-5 du code précité, ayant une incidence sur l’environnement, est
concernée par l’article 7 de la Charte.
Reconnaissant l’absence de mise en œuvre de ces mesures entre la date d’entrée en vigueur de
l’article L. 311-5 et celle de l’ordonnance du 5 août 2013, le Conseil déclare l’article en cause
inconstitutionnel. Estimant toutefois que les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité des
dispositions de l’article L. 311-5 du code de l’énergie (pour la période précédant le 1er septembre
2013) impliqueraient l’annulation non seulement de l’ensemble des autorisations administratives
d’exploiter une installation de production d’électricité prises avant le 1er septembre 2013, mais
encore de nombreuses autres décisions administratives également concernées par l’ordonnance, et
aurait à ce titre des « conséquences manifestement excessives », le Conseil constitutionnel décide
de ne pas les rendre applicables.
À l’inverse, il estime que les dispositions de l’ordonnance du 5 août 2013, qui ne s’appliquent pas
uniquement aux autorisations administratives mentionnées à l’article L. 311-5 mais qui instaurent
un régime de droit commun, respectent sur le fond les exigences de l’article 7 de la Charte.
Sur la forme, précision sur la valeur juridique des ordonnances non ratifiées
En revanche – là est tout l’intérêt de la décision –, la Charte exige, sur la forme, que ces conditions
et limites soient définies par la loi.
Le Conseil constitutionnel aurait pu, à cet instant du contrôle, se borner à apprécier le recours à
l’ordonnance en lieu et place de la loi comme contraire aux dispositions de la Charte et par voie de
conséquence, à déclarer l’article L. 311-5 inconstitutionnel – y compris donc après le 1er septembre
2013.
À la place, il s’attarde à vérifier si l’ordonnance a acquis la valeur de loi. Celle-ci n’ayant fait l’objet
d’aucune ratification, il aurait également pu s’arrêter ici et conclure à l’inconstitutionnalité. Jusqu’à
cette décision, l’ordonnance constituait un acte administratif tant que la ratification n’était pas
intervenue (Cons. const. 29 févr. 1972, n° 72-73 L ; 8 août 1985, n° 85-196 DC). Cependant, si le
Conseil avait admis ce raisonnement, cette inconstitutionnalité aurait pu être susceptible d’être
corrigée ultérieurement à travers l’adoption du projet de loi de ratification, ce dernier ayant été
déposé dans le délai imparti par la loi d’habilitation.
Il a finalement préféré compléter sa jurisprudence et celle du Conseil d’État sur la nature juridique
de l’ordonnance, en ajoutant une passerelle à côté de la ratification expresse pour lui donner valeur
législative : « […] conformément au dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution, à l’expiration
du délai de l’habilitation fixé par le même article 12, c’est-à-dire à partir du 1er septembre 2013, les
dispositions de cette ordonnance ne pouvaient plus être modifiées que par la loi dans les matières
qui sont du domaine législatif. Dès lors, à compter de cette date, elles doivent être regardées
comme des dispositions législatives ».
Parallèlement, l’office du juge constitutionnel s’étend puisqu’il demeure à la fois compétent pour
contrôler la constitutionnalité des lois d’habilitation (loi entière ou disposition d’une loi) des lois de
ratification, des ordonnances ratifiées (par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité
(QPC)) et à présent, la constitutionnalité des ordonnances dont le projet de loi de ratification a été
simplement déposé (également à travers la QPC).
On ne peut s’empêcher de penser au retentissement de cette décision sur le sort des multiples
ordonnances publiées récemment dans le cadre de la crise épidémique. Cette question pourrait
sans doute faire l’objet d’un autre article.
Note sur : CE, 11 juillet 2016, Ministre de l’intérieur et ministre de la défense, n°375977 (sera publié au
recueil Lebon).
Par une décision du 11 juillet 2016, le Conseil d’Etat a reconnu une nouvelle exception au principe du
caractère contradictoire de la procédure, à l’occasion d’une décision rendue en matière de contentieux
d’accès aux fichiers de « souveraineté ».
Un an presque jour pour jour après la promulgation de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au
renseignement[1], la décision du 11 juillet 2016 rendue par le Conseil d’Etat amorce, avec la décision avant-
dire-droit du 9 octobre 2015 qui l’a précédée, le nouveau régime applicable au contentieux de l’accès aux
données nominatives figurant dans les fichiers intéressant « la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité
publique »[2].
L’évolution la plus remarquable est incontestablement l’inflexion importante du cadre jurisprudentiel posé
par la jurisprudence Moon[3] (I) à la faveur d’une solution de transition, inspirée des évolutions législatives
en matière d’instruction du contentieux apportées par la loi du 24 juillet 2015, dont la décision avant dire
droit du 9 octobre 2015 constituait déjà une préfiguration (II).
Ces deux décisions forment un habillage sur-mesure de l’office du juge en matière de contrôle de la légalité
des décisions de refus opposées par l’administration aux demandes de communication de données
nominatives dans le cadre de l’exercice du droit d’accès aux traitements automatisés, mis en œuvre
notamment par les services ayant une activité de renseignement, prévu l’article 41 de la loi du 6 janvier 1978
dite « loi CNIL » (III).
Selon cette théorie, qui a émergé dans le cas particulier d’une demande d’accès aux informations contenues
dans le système informatique national d’information Schengen : « lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de
l’Etat, la défense ou la sécurité publique, il peut comprendre, d’une part, des informations dont la
communication à l’intéressé serait susceptible de mettre en cause les fins assignés à ce traitement et d’autre
part, des informations dont la communication ne mettrait pas en cause ces mêmes fins (…) ».
Précisons d’emblée que ce principe de « divisibilité » a, par la suite, connu une traduction législative avec
l’article 22 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui a modifié l’article 39 de la
loi CNIL en prévoyant que certaines données pouvaient être communiquées au requérant lorsque la
commission, en accord avec le responsable du fichier, constatait qu’elles ne mettaient pas en cause ses
finalités, la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique[4].
Dans l’affaire Moon, le Conseil d’Etat avait ordonné à la CNIL de lui communiquer tous éléments relatifs
aux informations concernant l’inscription de l’intéressé dans le fichier, mais en précisant que ces
informations seraient versées au dossier de l’instruction écrite contradictoire.
s’agissant des fichiers dont l’acte réglementaire créateur bénéficiait, par exception à la publicité légale, d’une
dispense de publication conformément à l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978[6]. Ce régime dérogatoire
visant à ne pas exposer les finalités de certains traitements sensibles aux vulnérabilités qu’une publicité
officielle pourrait induire, ne concernait pas en effet le décret relatif au système informatique national du
système d’information Schengendénommé N-SIS[7], publié au JO du 7 mai 1995, et dont les finalités étaient
parfaitement publiques puisque précisées à son article 2[8].
Un autre aspect de la difficulté tenait au fait que la seule information de l’existence ou de l’inexistence de
données nominatives figurant dans le fichier interrogé, aurait indirectement révélé au demandeur celle d’un
éventuel « fichage ». La communication même de données pouvant paraître à première vue anodines et ne
constituant pas en soi une atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat – comme l’état civil du demandeur par
exemple – conduit néanmoins à la même conclusion.
En définitive, tout le paradoxe du droit d’accès aux fichiers intéressant la sûreté de l’Etat, la défense ou la
sécurité publique peut être résumé en une phrase : toute forme d’information conduisant directement ou
indirectement à révéler au demandeur qu’il n’est pas inconnu des services constitue une atteinte à la
substance même du traitement et à la protection des intérêts qui lui sont assignés. Or, est-il envisageable de
permettre à un individu nourrissant des intentions potentiellement malveillantes ou criminelles,
individuellement ou dans le cadre de réseaux, de « tester » la pertinence et la fiabilité des fichiers, et dans le
même temps, le travail d’investigation des services ? En d’autres termes ainsi que l’exprimait M. Boissy :
« L’efficacité d’un fichier de souveraineté réside précisément dans la préservation absolue des informations
qu’il comporte. »[9].
C’est à ce paradoxe que le juge aussi bien que l’administration devaient être confrontés à l’occasion du
traitement du contentieux du droit d’accès indirect, sans pour autant aboutir à une solution soucieuse à la fois
des missions d’intérêt général de l’Etat en matière de sûreté publique et des principes du procès équitable. Il
n’était notamment pas concevable pour l’administration, pour les raisons évoquées, de déférer aux
injonctions de communication du juge sans mettre en cause la finalité des fichiers mis en œuvre pour
l’essentiel par les ministères de l’intérieur et de la défense. La voie était donc étroite entre la communication
d’informations qui sans être forcément couvertes par un secret garanti par la loi revêtaient néanmoins une
sensibilité du point de vue de la sûreté, de la défense ou de la sécurité, et le refus de toute communication. De
surcroît, la conséquence du choix de la seconde option impliquait, pour le juge, la possibilité de joindre cet
élément de décision aux allégations du requérant[10], exposant ainsi la décision à un risque certain
d’annulation assortie d’une injonction de communiquer les éléments.
On pourrait toutefois objecter que le responsable du traitement dispose toujours d’une marge de manœuvre
dans le choix des éléments transmis au juge, qui en l’occurrence aurait pu lui permettre d’accéder à la
demande de ce dernier sans pour autant se livrer à une forme de compromission. Faisant également
application d’une décision ancienne[11] le Conseil d’Etat considérait que, dans l’hypothèse où les
informations seraient couvertes par un secret garanti par la loi ou que s’agissant de données intéressant la
sûreté de l’Etat, la défense et la sécurité publique, leur communication mettraient en cause les fins assignées
au fichier – et que l’administration estimerait en conséquence devoir refuser leur communication – il
appartenait néanmoins au responsable du fichier de « verser au dossier de l’instruction écrite contradictoire
tous éléments d’information appropriés sur la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion ».
Mais l’alternative entre l’absence de toute communication d’une part, et la communication des informations
relatives à l’inscription du demandeur, d’autre part, ne pouvait, s’agissant des fichiers les plus sensibles, être
réellement satisfaisante tant que le versement des informations au contradictoire était observé. Toute
explication sur « la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion » étant par ailleurs susceptible
de mettre le demandeur sur la voie, une telle injonction ne pouvait donc connaître qu’une portée purement
théorique. D’un autre côté, le juge ne pouvait se satisfaire d’éléments généraux et non circonstanciés sur les
motifs du refus de communication à l’intéressé.
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | La protection des informations concernant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique dans le…
Il fallait donc au Conseil d’Etat trouver la voie médiane qui permette de concilier les impératifs de protection
des intérêts fondamentaux de l’Etat et le respect du droit fondamental à un procès équitable.
II) Une alternative à la divisibilité des fichiers : une nouvelle exception au principe de la
contradiction inspirée de la loi du 24 juillet 2015 et de la jurisprudence
C’est par le truchement d’une nouvelle exception au principe du caractère contradictoire de la procédure que
le Conseil d’Etat va infléchir la ligne jurisprudentielle issue de la décision Moon.
La décision avant dire droit du 9 octobre 2015 indique ainsi que lorsque le ministre refuse de communiquer
les informations au motif que celles-ci porteraient atteinte aux finalités du fichier auquel l’accès est sollicité,
il lui appartient de verser au dossier de l’instruction écrite « ces informations ou tous éléments appropriés sur
leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer de façon à lui permettre de se prononcer en
connaissance de cause sur la légalité de ce dernier sans que ces éléments puissent être communiqués aux
autres parties », auxquels ils révéleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non publication du décret
l’autorisant.
Cet aménagement au principe de la contradiction est d’abord inspiré de précédents jurisprudentiels qui
avaient mis en évidence des situations de conflit entre le respect du droit à un recours effectif et objet du
litige. Le Conseil d’Etat avait dû dans certain cas admettre que l’objet du litige pouvait justifier une dispense
du respect du caractère contradictoire de l’instruction. C’est le cas s’agissant du document dont le refus de
communication constitue l’objet même du litige[12] ou, plus proche de l’espèce, du décret autorisant le
fichier CRISTINA dès lors que ce dernier avait été dispensé de publication[13].
Dans ces deux hypothèses le recours impliquait la communication du document, soit parce que l’objet du
litige concernait son caractère communicable, soit parce qu’il était l’objet d’un recours en annulation. En
matière de contentieux du droit d’accès indirect, ce n’est pas le document lui-même qui est au centre du litige
mais les données nominatives contenues dans un traitement automatisé dont l’acte créateur est susceptible
d’être dispensé de publication. La question était donc de savoir si la communication de ces données dans le
cadre d’une procédure contradictoire risquait de compromettre la finalité des fichiers et priver d’effet la
dispense de publication.
C’est sur la base du considérant de principe de la décision Aides et autres, que la décision du 11 juillet 2016
précisera, en variant à peine la rédaction d’origine : « que si une telle dispense de publication que justifie la
préservation des finalités des fichiers intéressant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique fait
obstacle à la communication tant de l’acte réglementaire qui en a autorisé la création que des décisions
prises pour leur mise en œuvre aux parties autres que celle qui le détient, dès lors qu’une telle
communication priverait d’effet la dispense de publication, elle ne peut en revanche, empêcher leur
communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d’apprécier le bien-fondé d’un
moyen ; (…) ».
La décision du 11 juillet 2016 se place donc clairement sur le terrain de l’effet utile de la dispense de
publication et de la protection de la finalité des fichiers, de sorte qu’il est permis de poser la question de la
survivance du principe de divisibilité.
A cet égard, la décision du 9 octobre 2015 n’est pas le négatif de la décision Moon. Le Conseil d’Etat ne
revient pas à l’application d’un principe « d’indivisibilité »[14] comme il avait abandonné celui-ci de manière
franche avec la décision Moon. La formation en sous-sections réunies ne s’est pas hasardée sur ce terrain qui
aurait sans nul doute été perçu comme un repli jurisprudentiel inadapté aux nouveaux enjeux d’un droit du
renseignement émergent. Elle pouvait par ailleurs difficilement prononcer l’anéantissement d’une décision
d’assemblée, dont le principe avait en outre connu une consécration législative. La solution ne pouvait donc
être qu’une décision originale tenant compte à la fois des principes antérieurement dégagés en matière
d’aménagement du contradictoire, mais également des importantes innovations apportées par la loi relative
au renseignement en matière de contentieux du droit d’accès indirect.
Les décisions du 9 octobre 2015 et du 11 juillet 2016 ne constituent donc pas un revirement proprement dit,
même si les effets en sont proches. Elles empruntent une voie alternative – et sans nul doute plus adaptée au
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contexte de l’entrée en vigueur quelques jours auparavant de la loi relative au renseignement[15] – à celle de
la remise en cause explicite du principe de divisibilité.
Les décisions du 9 octobre 2015 et du 11 juillet 2016 affirment donc une cohérence avec les évolutions
voulues par le législateur dans le traitement de ce contentieux sensible. L’article 10 de la loi relative au
renseignement codifié à l’article L. 773-8 du CJA étend la compétence de la formation spécialisée[16] au
contrôle des fichiers. Désormais, « lorsqu’elle traite des requêtes relatives à la mise en œuvre de l’article 41
de la loi CNIL, la formation de jugement se fonde sur les éléments contenus, le cas échéant, dans le
traitement sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement. », consacrant ainsi le
caractère sensible de l’information concernant la présence ou non du demandeur dans le fichier et en tous les
cas justifiant qu’elle ne soit pas soumise au contradictoire.
III) Une consécration de l’office du juge en matière de contrôle d’une décision implicite
de refus d’accès aux fichiers
La décision rendue au fond le 11 juillet 2016 ne fait pas qu’acter un retour bienvenu sur la
jurisprudence Moon, elle délivre un véritable mode d’emploi de l’office du juge et notamment de l’intensité
du contrôle sur les éléments non soumis au contradictoire.
Le préalable à l’exercice du contrôle juridictionnel est d’abord l’accès du juge aux textes réglementaires
autorisant les traitements en cause afin de lui permettre de vérifier que le refus de communication est
pertinent au regard des fins poursuivies. Cette seule information aurait pu suffire à mettre en corrélation la
finalité du fichier concerné avec le refus opposé par le ministre. Mais la décision du 11 juillet 2016 va plus
loin que la seule exigence de communication des actes autorisant les traitements automatisés, en faisant
entrer dans le champ du contrôle juridictionnel la vérification de la présence ou non de l’intéressé dans les
fichiers. Selon cette décision il appartient au juge d’apprécier, selon les critères classiques du contrôle de
proportionnalité, si les données y figurant sont « pertinentes au regard des finalités poursuivies, adéquates et
proportionnés ». En présence de données, le Conseil d’Etat fait donc évoluer le contrôle normal vers un
contrôle de proportionnalité, ce qui est logique dès lors qu’est en jeu l’exercice des libertés
fondamentales[17].
Empruntant directement à la rédaction du nouvel article L. 773-8 du CJA, la décision du 11 juillet 2016,
précise ensuite que dans le cas où ces données seraient illégales du fait de leur inexactitude, de leur caractère
incomplet ou périmé, ou encore que « leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur conservation
soit interdite, cette circonstance, le cas échéant relevée d’office par le juge, implique nécessairement que
l’autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du
nécessaire, les données litigieuses ». La décision de refus de procéder à l’effacement ou à la rectification de
la donnée litigieuse devant logiquement conduire à l’annulation.
Le Conseil d’Etat a ainsi aménagé les conditions lui permettant de procéder à un contrôle effectif des
décisions de refus de communication en préservant l’équilibre entre les impératifs de sureté et de sécurité et
le droit à un procès équitable.
Il faut noter qu’à aucun moment – et il est remarquable que sur ce point les nouvelles dispositions du CJA
applicables diffèrent de la décision du 11 juillet 2016 – le juge n’évoque une quelconque possibilité
d’informer l’intéressé, même en cas d’illégalité. En effet, la décision du 11 juillet 2016 est en retrait par
rapport à la loi du 24 juillet 2015 puisque l’article L. 773-8 du CJA prévoit que le demandeur est informé des
illégalités éventuellement contenues dans le fichier, lui révélant ainsi indirectement l’existence de données
nominatives.
Malgré sa publication au recueil, la décision du 11 juillet 2016 est conçue comme une décision de transition,
établissant un nouveau cadre jurisprudentiel aux recours pendant devant les tribunaux administratifs, ayant
vocation à transmettre le témoin aux dispositions de la loi relative au renseignement. Rendue à contretemps
de ces nouvelles dispositions, le tribunal administratif de Paris n’aura cependant pas eu l’occasion
« d’expérimenter » cette évolution jurisprudentielle du fait de l’entrée en vigueur de l’article L. 311-4-1 du
CJA[18] le 3 octobre 2015[19] qui attribue au Conseil d’Etat, en premier et dernier ressort, outre les requêtes
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | La protection des informations concernant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique dans le…
concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du livre VIII du code
de la sécurité intérieure, la mise en œuvre de l’article 41 de la loi CNIL.
Enfin, la prise en compte d’un traitement procédural spécifique de l’information ou des pièces confidentiels
touchant à la sûreté de l’Etat est aussi une réponse à une problématique qui n’est certes pas spécifiquement
interne et intervient dans un mouvement de rationalisation de la procédure à l’échelle européenne. A ce titre,
le tribunal de l’Union européenne a intégré à son règlement de procédure une exception au contradictoire
« lorsque une partie principale entend fonder ses prétentions sur certains renseignements ou pièces tout en
faisant valoir que leur communication porterait atteinte à la sûreté de l’Union ou à celle d’un ou de
plusieurs de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales »[20].
Il sera intéressant d’observer comment le Conseil d’Etat, dans ce contexte procédural qui s’est adapté aux
nécessités des risques sécuritaires actuels, appliquera les nouvelles dispositions à l’occasion des prochains
recours.
Johann Boullay
Juriste à la direction des affaires juridiques du ministère de la défense
Elève-avocat
Notes
[2] Cf. art. 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (loi «
CNIL »).
[3] CE, Ass., 6 novembre 2002, M. Moon, req. n° 194296, AJDA, 21/2002, chron. F. Donnat et D. Casas, p.
1337; Droit administratif, février 2003, n° 43, note C.M.
[4] Les termes de ces dispositions figurent désormais sous l’article 41 depuis la modification apportée par la
loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de
données à caractère personnel.
[6] C’est le cas notamment des traitements de données mis en œuvre par les services de renseignement
[8] Cela explique en partie que cette distinction au sein même des fichiers de souveraineté, n’avait peut-être
pas donné l’occasion de mesurer toutes les conséquences de la décision Moon et du principe qui y a été
dégagé…
[9] Conclusions sur Cour administrative d’appel de Paris – 20 décembre 2013 – n° 12PA03721
[11] CE, Ass., 11 mars 1955, Secrétaire d’Etat à la Guerre c/ Coulon, n° 34036, p. 149
[12] CE, Ass., 23 décembre 1988, n° 95310, Banque de France c/ Huberschwiller, p. 64.
[14] CE, Ass., 18 mai 1983, Bertin, p. 207 ; CE, 27 avril 1988, Mme Loschak, p. 173 ; CE 29 décembre
1997, Thorel, tables, p. 650.
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07/09/2020 Le blog Droit administratif | La protection des informations concernant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique dans le…
[16] L’article L. 773-2 du CJA, issu de l’article 10 de la loi du 24 juillet 2015attribue à une formation
spécialisée du Conseil d’Etat, dont les membres sont habilité ès qualité au secret de la défense nationale, la
compétence pour connaître des requêtes présentées sur le fondement des articles L. 841-1 et L. 841-2 du code
de la sécurité intérieure. Il s’agit du contentieux des techniques de recueil de renseignements et de celui des
fichiers intéressant la sûreté de l’Etat.
[17] Soering c. Royaume-Uni, n° 14038/88, 7 juillet 1989 : Le principe de proportionnalité est le « souci
d’assurer un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la
sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu »
[19] Cet article comme d’autres dispositions de la loi est entrée en vigueur le lendemain de la publication au
Journal Officiel du décret du 1er octobre 2015 nommant le président de la commission nationale de contrôle
des techniques de renseignement (Cf. art. 26 de la loi du 24 juillet 2015).
Johann BOULLAY
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07/09/2020 Recours pour excès de pouvoir contre les actes dits de « droit souple » : le Conseil d’État considère que les délibérations du Cons…
En 2019, il avait eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, sur une prise de position publique (communiqués de
presse) de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CE 16 octobre 2019, Associations “La
Quadrature du net” et “Caliopen”, req. n°433069, publié au recueil) ainsi que sur les prises de position publiques
accompagnant la déclaration de situation patrimoniale de Haute autorité pour la transparence dans la vie publique
(CE Ass., 19 juillet 2019, Mme A, req. n°426389, publié au recueil) – démontrant ainsi l’importance croissante du
contentieux lié à cette catégorie d’actes.
Dans l’affaire commentée, le Conseil Supérieur de l’audiovisuel (ci-après, « CSA ») avait adopté une délibération
par laquelle il avait estimé que la diffusion par la chaîne BFM TV de l’intégralité de la finale de la Ligue des
champions le 1er juin 2019 ne correspondrait à aucune des catégories de programme que ce service était autorisé à
diffuser et qu’elle serait incompatible avec l’article 3-1-1 de la convention conclue le 19 juillet 2005 entre le CSA et
la société BFM TV. La société BFM TV avait malgré tout retransmis cet évènement en direct. Faisant suite à cette
retransmission, le CSA avait alors, par une nouvelle délibération, mis la société BFM TV en demeure de se
confirmer à l’avenir aux stipulations de la convention les liant.
La Haute juridiction a considérée que la première délibération « ne présente pas le caractère d’une mise en demeure
ou d’une disposition générale et impérative, elle traduit la position prise par le Conseil, avant la retransmission, sur
l’incompatibilité de la programmation envisagée par la société BFM TV avec les stipulations de la convention du 19
juillet 2015. Cette prise de position, qui a donné lieu à la diffusion d’un communiqué du Conseil sur son site
internet, doit être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme ayant eu pour objet d’influer de manière
https://ahavocats.fr/recours-pour-exces-de-pouvoir-contre-les-actes-dits-de-droit-souple-le-conseil-detat-considere-que-les-deliberations-du-cons… 1/2
07/09/2020 Recours pour excès de pouvoir contre les actes dits de « droit souple » : le Conseil d’État considère que les délibérations du Cons…
significative sur le comportement de la chaîne. Eu égard à sa portée et aux conditions dans lesquelles elle a été
prise, la délibération du 3 avril 2019 revêt le caractère d’un acte susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès
de pouvoir. »
Sur le fond, elle rejette les demandes d’annulations des délibérations sollicitées par BFM TV en relevant que celle-ci
est une chaîne « consacrée à l’information » qui ne peut donc que procéder qu’à des « rediffusions d’évènements
d’anthologie du sport » selon sa convention conclue avec le CSA et n’était par conséquent pas autorisée à
retransmettre en direct et en intégralité la finale de la Ligue des champions.
https://ahavocats.fr/recours-pour-exces-de-pouvoir-contre-les-actes-dits-de-droit-souple-le-conseil-detat-considere-que-les-deliberations-du-cons… 2/2
COMMANDE
PUBLIQUE
08/09/2020 Commande publique : panorama des grandes décisions récentes du Conseil d’Etat : Gossement Avocats
Gossement Avocats
Cabinet d'avocats spécialiste du droit de l'environnement
Par une décision du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat a précisé dans quelles conditions le délai de deux mois, encadrant le
recours en contestation de la validité d’un contrat administratif, est opposable aux tiers.
1.1. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours Tarn et Garonne par un concurrent évincé d’un appel d’offres
en vue de l'attribution de quatre lots destinés à couvrir les besoins d’un centre hospitalier en matière d'assurances.
En défense, le centre hospitalier faisait valoir que les conclusions du concurrent évincé étaient tardives, dans la mesure où le
recours avait été formé plus de deux mois après la publication de l’avis d’attribution du marché. De son côté, le requérant
soutenait que l’avis d’attribution ne contenait pas les mentions impératives, de nature à faire courir le délai de recours
contentieux.
Pour rappel, la jurisprudence « Tarn et Garonne » pose le principe selon lequel « ce recours doit être exercé, y compris si le
contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures
de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de
sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi » (cf. CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994, au Recueil).
1.2. Par sa décision du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat rappelle ce principe et précise que la circonstance que l'avis ne
mentionne pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai de recours contentieux
qui court à compter de cette publication.
En conséquence, il juge que la cour administrative d’appel, qui avait écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des
conclusions au motif que « les avis d'attribution du marché ne faisaient état que de l'attribution du marché, et non de sa
conclusion, et ne mentionnaient que les coordonnées de la cellule des marchés du centre hospitalier », a commis une erreur
de droit (cf. CE, 3 juin 2020, n° 428845, aux Tables).
Résumé : le recours en contestation de la validité du contrat administratif (dit recours Tarn et Garonne) doit être exercé
dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen
d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets
protégés par la loi. La mention de la date de la conclusion du contrat n’est pas requise pour faire courir ce délai contentieux.
II. Moyens invocables à l’appui d’un référé contractuel par le candidat dont l’offre était irrégulière
Par une décision du 27 mai 2020, le Conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant, pour la première fois,
qu’un candidat dont l’offre était irrégulière peut valablement soulever un moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de
l’attributaire.
2.1. En l’espèce, une collectivité territoriale avait engagé une consultation en vue de la conclusion d'un accord cadre de
prestations de nettoyage de locaux et de sites. Une société dont l’offre avait été rejetée pour plusieurs lots a introduit une
requête en référé contractuel à l’encontre de la procédure de passation de ces lots. En particulier, elle soutenait que les
justifications apportées par la société attributaire d’un lot étaient insuffisantes pour que le prix qu'elle proposait ne soit pas
regardé comme manifestement sous-évalué. Toutefois, le juge des référés du tribunal administratif a estimé que la société
requérante ne pouvait pas utilement se prévaloir de cette irrégularité au motif que sa propre offre pour ce lot était
également irrégulière, faute pour elle d'avoir répondu dans les délais prescrits à la demande de justification des prix de son
offre que lui a adressée le pouvoir adjudicateur.
En jugeant ainsi, le Tribunal administratif a fait application d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat en référé
précontractuel. En effet, depuis la décision Smirgeomes (cf. CE, 3 octobre 2008, n° 305420), le candidat dont l’offre était
irrégulière ne peut jamais être considéré comme lésé par le choix d’un candidat irrégulièrement retenu, sauf dans le cas où
www.arnaudgossement.com/apps/print/6252744 1/3
08/09/2020 Commande publique : panorama des grandes décisions récentes du Conseil d’Etat : Gossement Avocats
le manquement dont il se prévaut est justement à l’origine de l’irrégularité de son offre (cf. CE, 12 mars 2012, Sté Clear
Channel France, n° 353826 ; CE, 11 avril 2012, Syndicat Ody 1218 Newline du Lloyd’s de Londres, n° 354652).
Cette jurisprudence était néanmoins contredite par la jurisprudence récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Celle-ci a en effet jugé, par plusieurs arrêts, que l'irrégularité de l'offre d'un candidat évincé ne pouvait le priver de la
possibilité de faire valoir que l'offre retenue était elle-même irrégulière (cf. CJUE, 4 juillet 2013, Fastweb, aff. n° C-100/12 ;
CJUE, 5 septembre 2019, Lombardi, aff. C- 333/18).
2.2. Par la décision commentée, le Conseil d’État a transposé la jurisprudence européenne, en jugeant désormais qu’un
candidat évincé est fondé à soulever un moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire, alors même que sa propre offre
est irrégulière :
« 8. En troisième lieu, la circonstance que l'offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit
irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire
du contrat en litige. Tel est notamment le cas lorsqu'une offre peut être assimilée, par le juge des référés dans
le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas » (cf. CE, 27 mai
2020, société Clean Building, n° 435982, aux Tables) .
Partant, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance rendue par le juge des référés en première instance et a également annulé le
marché conclu.
Résumé : la circonstance que l'offre d’un concurrent évincé, auteur d’un référé précontractuel ou contractuel, soit irrégulière
ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige.
III. Modalités de résiliation d’un contrat administratif pour motif d’intérêt général
Par une décision du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat a jugé que la résiliation unilatérale pour irrégularité du contrat résultant
d'une faute de l'administration n’est possible qu’à la condition que l’irrégularité justifierait que le juge en prononce
l'annulation ou la résiliation.
3.1. En l’occurrence, une communauté d'agglomération a lancé une procédure de passation pour l'attribution d'un marché
public ayant pour objet la fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. Un mois après que l’attributaire ait
commencé l'exécution des prestations, la communauté d'agglomération l'a informée de la résiliation du marché en raison de
l'irrégularité entachant la procédure de passation du marché.
La société attributaire a alors saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à la reprise des relations
contractuelles, assortie de conclusions indemnitaires. Alors que le Tribunal administratif avait fait droit à la demande en
première instance, la Cour administrative d’appel a jugé qu’une irrégularité affectait effectivement la procédure de passation
du marché public et a rejeté le recours, en en déduisant que l’existence d’une irrégularité justifiait la résiliation du marché.
3.2. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a censuré ce raisonnement, en jugeant que le constat d’une irrégularité entachant la
procédure de passation du marché (en l’espèce la rédaction des documents de la consultation avait eu pour effet de favoriser
la candidature de la société attributaire) ne peut seul justifier une résiliation pour motif d’intérêt général.
Le Conseil d’Etat a ensuite fixé deux conditions, en vertu desquelles une personne publique peut résilier un contrat
administratif pour motif d’intérêt général :
d’une part, l’irrégularité est invocable au regard de l’exigence de loyauté contractuelle. Selon le rapporteur public,
cette condition « vise surtout à empêcher les invocations à la fois opportunistes et particulièrement illégitimes de
certaines irrégularités, et non qu'une personne publique se repente de bonne foi d'une erreur qu'elle a commise dans
la passation d'un marché et prenne une mesure équilibrée de nature à en corriger les effets » ;
d’autre part, l’irrégularité est d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer
l'annulation ou la résiliation du marché en litige. Selon le rapporteur public, sont visés ici les vices d’ordre public mais
également d'autres irrégularités à examiner au cas par cas, compte tenu des exigences de la stabilité des relations
contractuelles et de l'intérêt général. A l’inverse, cela exclut les vices régularisables.
Suivant cette analyse, le Conseil d’Etat juge que la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit, en ne
procédant pas à cet examen :
« 6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nancy a souverainement jugé,
sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, au vu notamment d'autres marchés dans lesquels les
documents de la consultation comportaient la mention " ou équivalent " au titre des spécifications techniques, que
l'omission de cette mention dans le marché en litige avait eu pour effet de favoriser la candidature de la société
Comptoir Négoce Equipements. Toutefois, la cour a commis une erreur de droit en en déduisant que cette irrégularité
justifiait la résiliation du contrat en litige par la communauté d'agglomération du Grand Reims par application des
stipulations contractuelles citées au point 4, sans rechercher si cette irrégularité pouvait être invoquée par la
personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d'une gravité telle
que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou la résiliation du marché en litige, et,
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08/09/2020 Commande publique : panorama des grandes décisions récentes du Conseil d’Etat : Gossement Avocats
dans l'affirmative, sans définir le montant de l'indemnité due à la société requérante conformément aux règles
définies au point 3 » (cf. CE, 10 juillet 2020, société Comptoir Négoce Equipements, n° 430864, au Recueil).
3.3. Sur le fond, il convient de relever que le Conseil d’Etat ne se prononce pas et renvoie l’affaire devant la Cour
administrative d’appel. Néanmoins, le rapporteur public proposait dans ses conclusions de confirmer la solution de la Cour
car, selon lui, l'irrégularité qui entachait la conclusion du contrat était de nature à en justifier la résiliation unilatérale.
Le rapporteur public relève ainsi que la personne publique a commis une erreur de bonne foi, que le vice n’est pas
régularisable et que la résiliation est intervenue très tôt après la conclusion du contrat de même qu’aucun intérêt général
n'est invoqué. Ainsi, au cas d’espèce, la résiliation du contrat parait être la solution la plus adaptée et permettra la passation
d'un nouveau contrat dans des conditions régulières de mise en concurrence.
Résumé : L’irrégularité d’un contrat peut justifier sa résiliation pour motif d’intérêt général par la personne publique si deux
conditions sont réunies :
cette irrégularité peut être invoquée par la personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations
contractuelles ;
cette irrégularité est d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou
la résiliation du marché en litige.
Margaux Bouzac
Avocate sénior
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08/09/2020 Commande publique : la Cour de Cassation juge que la question de l’effectivité du référé contractuel devant le juge judiciaire est s…
Gossement Avocats
Cabinet d'avocats spécialiste du droit de l'environnement
I. Sur le contexte
Tout d‘abord, le contentieux relatif à ces contrats relève de la compétence du juge judiciaire. C’est la raison pour laquelle
c’est ici la Cour de Cassation – et non le Conseil d’Etat – qui était saisie de l’affaire et a transmis les QPC au Conseil
Constitutionnel.
Ensuite, le candidat évincé ne peut former un recours dit « Tarn et Garonne ». Ce recours créé par le Conseil d’Etat permet à
tout tiers intéressé, parmi lesquels le candidat évincé, de contester la validité d’un contrat administratif devant un juge de
plein contentieux aux pouvoirs étendus. Or, le juge judiciaire n’a pas transposé cette jurisprudence administrative.
Enfin, le candidat évincé peut former un référé précontractuel (avant la signature du contrat) ou un référé contractuel (dans
l’hypothèse où le contrat a déjà été signé) quelle que soit la nature du contrat. Néanmoins, le fondement juridique du
contentieux est différent. Ainsi, les référés portés devant le juge administratif sont encadrés par les articles L. 551-1 et
suivants du code de justice administrative tandis que les référés portés devant le juge judiciaire se fondent sur les articles 2
et suivants de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la
commande publique. Pour rappel, seules certaines irrégularités : les manquements aux obligations de publicité et de mise en
concurrence, peuvent être invoqués à l’appui de ces contentieux d’urgence.
La procédure de passation du contrat était une procédure adaptée de commande publique (MAPA) ;
Cette procédure souple peut être utilisée par les acheteurs dans certains cas limitativement énumérés et notamment lorsque
la valeur estimée du besoin est inférieure à un seuil défini au niveau européen.
Une des spécificités des MAPA est que, quelle que soit la nature du contrat (de droit privé ou de droit public), il n’existe pas
de délai de stand still, c’est-à-dire de délai minimal à respecter avant de signer le contrat avec l’attributaire.
Dans ces circonstances, en pratique, l’acheteur signe le plus souvent très rapidement le contrat, de manière à empêcher
qu’un référé précontractuel soit formé. Ainsi, l’effectivité du référé contractuel est particulièrement déterminante dans le
cadre des MAPA.
Pour résumer, en l’espèce et comme c’est le plus souvent le cas en matière de contrat de droit privé conclu à l’issue d’une
procédure adaptée de la commande publique, le candidat évincé de la procédure pouvait exclusivement, en raison de la
nature du contrat, former un référé contractuel devant le juge judiciaire.
La voie du référé précontractuel lui était fermée, en l’absence d’obligation de respecter le délai de stand still et la voie du
recours « Tarn et Garonne » également, compte tenu de la nature de droit privé du contrat.
« 1°/ Les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours
applicables aux contrats de la commande publique sont-elles contraires à l’article 16 de la Déclaration des droits de
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08/09/2020 Commande publique : la Cour de Cassation juge que la question de l’effectivité du référé contractuel devant le juge judiciaire est s…
l’homme et du citoyen consacrant le droit à un recours juridictionnel effectif en ce que cet article prévoit une liste
limitative des irrégularités pouvant être invoquées à l’appui d’un référé contractuel ?
2°/ Les dispositions des articles 11 à 20 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de
recours applicables aux contrats de la commande publique sont-elles entachées d’incompétence négative dans des
conditions de nature à porter atteinte à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacrant
le droit à un recours juridictionnel effectif, en ce qu’elles n’instituent pas, au profit des concurrents évincés des
contrats privés de la commande publique, une voie de recours leur permettant de contester utilement les irrégularités
affectant les procédures de passation ?
3°/ Les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours
applicables aux contrats de la commande publique sont-elles contraires au principe d’égalité devant la loi consacré
par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce qu’elles placent les concurrents des contrats
privés de la commande publique dans une situation différente et moins favorable que celle des concurrents des
contrats administratifs de la commande publique en matière de contestation des irrégularités affectant les procédures
de passation ? »
1. Le référé contractuel devant le juge judiciaire est-il conforme au droit à un recours juridictionnel effectif, au regard
notamment du nombre limité d’irrégularités invocables et des pouvoirs restreints du juge du référé contractuel ?
2. Le fait que le référé contractuel soit en pratique la seule voie de recours ouverte au candidat évincé d’une procédure
de passation d’un contrat de droit privé est-il conforme au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, par
comparaison aux voies ouvertes au candidat évincé d’une procédure de passation d’un contrat de droit public devant
le juge administratif ?
Conformément à la règlementation, la Cour de Cassation a opéré un filtrage, en vérifiant que les trois conditions de
transmission des QPC étaient réunies : l'applicabilité de la loi au litige, l'absence de déclaration préalable de conformité, le
caractère sérieux ou nouveau de la question.
C’est l’affirmation selon laquelle la question présente un caractère sérieux qui retient en particulier l’attention :
« 4. Les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que, dans le cas d’une procédure dite adaptée de
mise en concurrence, il n’est pas prévu par la réglementation que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice
doive suspendre la conclusion du contrat avec le candidat sélectionné pendant un certain délai à compter de la
notification de leur décision aux candidats évincés. Il s’ensuit que ces candidats ne peuvent, en pratique, agir en
référé précontractuel ainsi qu’il est prévu par les articles 2 et 5 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et ne
peuvent donc introduire qu’une action en contestation de la validité du contrat en application de l’article 11 de cette
ordonnance. Or, l’article 16 de la même ordonnance énonce un nombre restreint de cas dans lesquels l’annulation du
contrat doit être ordonnée et aucune autre disposition ne prévoit de sanction des autres irrégularités qui peuvent
affecter la procédure de mise en concurrence et qui, dans certains cas, peuvent constituer des atteintes graves aux
principes fondamentaux de la commande publique que sont la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de
traitement des candidats et la transparence des procédures.
5. En outre, le Conseil d’État pour de telles situations a par une décision du 4 avril 2014 (CE. Ass., 4 avril 2014,
Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, au recueil) retenu que les tiers pouvaient contester la validité du
contrat « indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes
devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé
contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative ».
6. Il s’ensuit que les dispositions visées par les questions pourraient avoir pour résultat de priver les candidats
évincés d’un recours utile contre les décisions d’attribution de commande publique de droit privé irrégulières pour
d’autres causes que celles énoncées par l’article 16 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et de les placer, de
ce fait, dans une situation d’inégalité au regard de la situation des candidats à des procédures de commandes
publiques de droit public ».
Ainsi, selon la Cour de Cassation, il existe un risque réel qu’ouvrir exclusivement le référé précontractuel au candidat évincé
d’une procédure de passation d’un contrat de droit privé selon les règles de la commande publique, constitue à la fois une
violation du droit à un recours juridictionnel effectif et une violation du principe constitutionnel d’égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel se prononcera sur la conformité des dispositions des articles 11 à 20 de l’ordonnance n° 2009-515
du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique à la Constitution le 30
juillet 2020.
Pour rappel, le Conseil constitutionnel peut prendre différentes décisions : une déclaration de conformité, une déclaration de
conformité sous d’éventuelles réserves d’interprétation ou encore une déclaration de non-conformité. Dans ce dernier cas,
les dispositions contestées sont abrogées, le cas échéant avec effet différé.
En pratique, d’autres solutions sont envisageables et pourraient être plus efficaces pour garantir un droit au recours
juridictionnel effectif aux candidats évincés :
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08/09/2020 Commande publique : la Cour de Cassation juge que la question de l’effectivité du référé contractuel devant le juge judiciaire est s…
- Imposer le respect d’un délai de stand still dans le cadre des procédures adaptées ;
- Adopter le recours Tarn et Garonne devant le juge judiciaire voire, pour plus de simplicité, déporter l’ensemble du
contentieux de la passation des contrats de la commande publique devant le juge administratif.
De mon point de vue, l’unification du contentieux de la commande publique devant le juge administratif présenterait
l’avantage de la simplicité et de l’efficacité et est à encourager.
Margaux Bouzac
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DRÔNES
08/09/2020 Drones pour surveiller la population : l'Etat français enjoint, par le Conseil d'Etat, de cesser sans délai | par Me Catherine HUYNH
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il d'Etat a rendu une décision de justice par laquelle l’Etat est sommé de cesser, sans délai, de
surveiller par drone à Paris, le respect des règles de sécurité sanitaire.
Depuis le 18 mars 2020, le préfet de police avait pris la décision de mettre en place un dispositif visant à
capturer des images par drones et à les exploiter, en vue de faire respecter les mesures de confinement.
L'association La Quadrature du Net et La Ligue des Droits de l'Homme ont contesté une telle décision
devant le tribunal administratif de Paris. Ce tribunal a rejeté leurs demandes par une ordonnance du 5
mai 2020.
L'Etat est sommé de cesser, sans délai, l'usage de drones pour surveiller et contrôler la population, en ce
qui concerne le respect des règles de sécurité sanitaire applicables pendant la période de
déconfinement, à Paris.
En substance :
Les images captées par les drones, susceptibles de collecter des données identifiantes, mis en place
pour le compte de l'Etat, hors de toute formalité réglementaire préalable, consistent en un traitement de
données personnelles illicite.
En effet, dans la mesure où un tel dispositif a été mis en oeuvre par le préfet de police, pour le compte de
l'Etat, et qu'il intéresse la sécurité publique, en vertu de l'article 31 de la loi française dite "loi Informatique
et Libertés" modifiée, la mise en place de ce dispositif de surveillance par drones aurait dû être
préalablement encadrée par un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL.
Le Conseil d'Etat considère que la mise en oeuvre de ce dispositif porte une atteinte "grave et
manifestement illégale au droit au respect de la vie privée" (lequel comprend le droit à la protection des
données personnelles).
1. La finalité poursuivie par le dispositif mis en place par le préfet de police est considérée légitime,
eu égard aux circonstances actuelles, nécessaire pour la sécurité publique.
https://consultation.avocat.fr/blog/catherine-huynh/article-35241-drones-pour-surveiller-la-population-l-etat-francais-enjoint-par-le-conseil-d-etat-d… 1/2
08/09/2020 Drones pour surveiller la population : l'Etat français enjoint, par le Conseil d'Etat, de cesser sans délai | par Me Catherine HUYNH
Ainsi, un dispositif qui permet la collecte de données identifiantes (même si la collecte de telles
données n'est ni effective, ni démontrée), est considéré comme traitant de données personnelles.
Les suites de l'arrêt du Conseil d'Etat : les investigations menées par la CNIL
Dans un communiqué en date du même jour, la CNIL annonce qu'elle a mis en oeuvre des contrôles
auprès du ministère de l’Intérieur (police nationale et gendarmerie) et de plusieurs services de polices
municipales.
https://consultation.avocat.fr/blog/catherine-huynh/article-35241-drones-pour-surveiller-la-population-l-etat-francais-enjoint-par-le-conseil-d-etat-d… 2/2
08/09/2020 Le Conseil d’Etat fait du ball trap avec les drones de la police
Revenons aux faits : un drone de la flotte de quinze appareils que compte la préfecture de police de Paris a
quotidiennement survolé Paris pour identifier les manquements aux règles de confinement, puis de
déconfinement.
Un seul drone était utilisé à la fois, avec une prise d’images de manière discontinue (deux à trois heures en
moyenne par jour). Lorsque le drone survolait le site désigné, le télépilote procédait à la retransmission, en
temps réel, des images au centre de commandement afin que l’opérateur qui s’y trouve pût, le cas échéant,
https://blog.landot-avocats.net/2020/05/18/le-conseil-detat-fait-du-ball-trap-avec-les-drones-de-la-police/ 1/3
08/09/2020 Le Conseil d’Etat fait du ball trap avec les drones de la police
décider de la conduite à tenir. Il pouvait également être décidé de faire usage du haut-parleur dont est doté
l’appareil afin de diffuser des messages à destination des personnes présentes sur le site.
Cela dit, le détail du dispositif était moins orwellien qu’il n’y paraissait de prime abord. Citons la décision du
Conseil d’Etat :
« 11. Il résulte de l’instruction que le recours à ces mesures de surveillance est seulement destiné, en
l’état de la doctrine d’usage telle qu’elle a été formalisée par la fiche du 14 mai 2020 et réaffirmée à
l’audience publique par les représentants de l’Etat, à donner aux forces de l’ordre chargées de faire
respecter effectivement les règles de sécurité sanitaire une physionomie générale de l’affluence sur le
territoire parisien en contribuant à détecter, sur des secteurs déterminés exclusivement situés sur la voie
ou dans des espaces publics, les rassemblements de public contraires aux mesures de restriction en
vigueur pendant la période de déconfinement. La finalité poursuivie par le dispositif litigieux n’est pas
de constater les infractions ou d’identifier leur auteur mais d’informer l’état-major de la préfecture de
police afin que puisse être décidé, en temps utile, le déploiement d’une unité d’intervention sur place
chargée de procéder à la dispersion du rassemblement en cause ou à l’évacuation de lieux fermés au
public afin de faire cesser ou de prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des
règles de sécurité sanitaire.
12. Il résulte également de l’instruction qu’en l’état de la pratique actuelle formalisée par la note du 14
mai 2020, les vols sont réalisés à une hauteur de 80 à l00 mètres de façon à donner une physionomie
générale de la zone surveillée, qui est filmée en utilisant un grand angle sans activation du zoom dont
est doté chaque appareil. En outre, dans le cadre de cette doctrine d’usage, les drones ne sont plus
équipés d’une carte mémoire de sorte qu’il n’est procédé à aucun enregistrement ni aucune
conservation d’image. »
« l’usage qui est fait de ces appareils, tel qu’il est prévu par la note du 14 mai 2020, ne conduit pas, en
pratique, à l’identification des personnes filmées et, d’autre part, qu’en l’absence de toute conservation
d’images, le visionnage en temps réel des personnes filmées fait en tout état de cause obstacle à ce
qu’elles puissent être identifiées,»
Face à cette situation, saisi par la Quadrature du Net et par la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Conseil
d’Etat a posé, en référé liberté :
1. que la « finalité poursuivie par le dispositif litigieux, qui est, en particulier dans les circonstances
actuelles, nécessaire pour la sécurité publique, est légitime ».
2. qu’un « usage du dispositif de surveillance par drone effectué conformément à la doctrine d’emploi fixée
par la note du 14 mai 2020 n’est pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement
illégale aux libertés fondamentales invoquées » (exit le référé liberté donc).
3. certes le dispositif la base ne permet pas que le drone serve en lui même à identifier des personnes ou à
sanctionner. Mais le juge relève qu’il est possible qu’il en aille autrement, qu’il n’y a pas de verrou. Citons
la décision du Conseil d’Etat :
« Alors même qu’il est soutenu que les données collectées par les drones utilisés par la préfecture de
police ne revêtent pas un caractère personnel dès lors, d’une part, que l’usage qui est fait de ces appareils,
tel qu’il est prévu par la note du 14 mai 2020, ne conduit pas, en pratique, à l’identification des personnes
filmées et, d’autre part, qu’en l’absence de toute conservation d’images, le visionnage en temps réel des
personnes filmées fait en tout état de cause obstacle à ce qu’elles puissent être identifiées, il résulte de
https://blog.landot-avocats.net/2020/05/18/le-conseil-detat-fait-du-ball-trap-avec-les-drones-de-la-police/ 2/3
08/09/2020 Le Conseil d’Etat fait du ball trap avec les drones de la police
l’instruction que les appareils en cause qui sont dotés d’un zoom optique et qui peuvent voler à une
distance inférieure à celle fixée par la note du 14 mai 2020 sont susceptibles de collecter des données
identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les
informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à
rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Dans ces conditions, les données
susceptibles d’être collectées par le traitement litigieux doivent être regardées comme revêtant un
caractère personnel. »
Et le Conseil d’Etat, ensuite, démontre sans surprendre que ces données personnelles donnent bien lieu à
un traitement.
DONC RGPD oblige un tel dispositif n’est pas illégal dans son principe, mais il doit être autorisé :
« par arrêté du ou des ministres compétents ou par décret, selon les cas, pris après avis motivé et publié
de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). »
Ce qui entraîne la censure du dispositif actuel sauf à doter les drones de dispositifs techniques de nature à
rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées.
https://blog.landot-avocats.net/2020/05/18/le-conseil-detat-fait-du-ball-trap-avec-les-drones-de-la-police/ 3/3
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Le Conseil d’État rappelle qu’un dispositif de surveillance policière utilisant la captation d’images de
personnes par drones constitue un traitement de données à caractère personnel et doit dès lors
assurer un certain nombre de garanties pour être licite.
Il est bienvenu de rappeler les notions fondatrices en matière de protection des données à
caractère personnel dans le contexte d’urgence sanitaire. L’ordonnance rendue par le Conseil
d’État le 18 mai 2020 en livre une excellente illustration.
La préfecture de police de Paris avait ordonné la mise en œuvre d’un dispositif de surveillance
policière par drones afin de veiller au respect des mesures de confinement. Cette surveillance s’est
prolongée à l’occasion du plan de déconfinement. Deux associations ont saisi le juge des référés du
tribunal administratif de Paris d’une requête tendant à suspendre ce dispositif, à cesser la
captation, l’enregistrement, la transmission et l’exploitation des images captées par drones, ainsi
qu’à détruire les images déjà captées. Considérant que la collecte, l’enregistrement provisoire et la
transmission d’images captées par drones ne constituent pas un traitement de données à caractère
personnel, le tribunal administratif a rejeté la requête par ordonnance du 5 mai 2020 (v. Dalloz
actualité, 15 mai 2020, obs. C. Crichton). Les éléments présentés par les requérantes, résultant de
communications de la préfecture de police adressées à un journal, étaient selon le tribunal
insuffisants pour caractériser l’identification d’un individu par la préfecture de police à partir des
images captées par drones.
L’ordonnance rendue par le tribunal administratif est annulée par le Conseil d’État, qui juge que la
préfecture de police de Paris a bien procédé à un traitement de données à caractère personnel. Ce
faisant, le Conseil d’État revient sur deux notions fondamentales : les données à caractère
personnel et le traitement de données à caractère personnel. D’une part, ces premières sont
définies comme « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou
identifiable » (règl. [UE] 2016/679, 27 avr. 2016, art. 4.1 ; dir. [UE] 2016/680, 27 avr. 2016,
art. 3.1). D’autre part, un traitement est défini comme une opération appliquée à des données
personnelles, telle que « la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la
conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la
communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le
rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction » (règl. [UE]
2016/679, art. 4.2 ; dir. [UE] 2016/680, art. 3.2).
Il résulte de ces définitions que la captation d’images par drones constitue un traitement de
données à caractère personnel (CE, ord., 18 mai 2020, pts 16-17). En effet, le visionnage en temps
réel de secteurs situés sur la voie ou dans les espaces publics, à une hauteur allant jusqu’à cent
mètres, est susceptible d’identifier des personnes. Il est utile de rappeler qu’un simple accès à des
données à caractère personnel constitue un traitement. La conservation ou non des données
comme la volonté effective ou non d’identification des personnes sont des conditions indifférentes
(pt 16). Relevons enfin que c’est la directive du 27 avril 2016 qui est en l’espèce applicable,
puisque la surveillance policière par drones entre dans le cadre de mesures de protection prises par
une autorité compétente contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles
menaces ; mesures prévues en son article premier (pt 15).
Le fait que la captation d’images par drones soit qualifiée de traitement de données personnelles
n’est cependant pas synonyme d’illicéité. À cette fin, le Conseil d’État relève que la finalité
poursuivie est légitime (pt 13), celle-ci étant d’informer le centre de commandement qui déciderait
le cas échéant de procéder à la dispersion d’un rassemblement ou à l’évacuation des lieux fermés
au public (pt 11). Le dispositif de surveillance n’est pas non plus « de nature à porter, par lui-même,
une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées » (pt 14).
Toutefois, pour que le traitement soit licite, le Conseil d’État juge qu’il est nécessaire :
• soit de doter « les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature
à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes
filmées » (pt 20).
Dès lors, en l’absence de telles garanties, le Conseil d’État ne pouvait qu’ordonner à l’État de
cesser de procéder aux mesures de surveillance policière par drones ordonnées à Paris.
En première instance, leur requête avait été rejetée. En appel, le Conseil d’Etat, statuant en référé-liberté, a ordonné
la cessation immédiate de la surveillance par drones du respect des règles sanitaires liées au déconfinement.
Le conseil d’Etat rappelle que si l’objectif poursuivi était légitime, le champ de la collecte de données personnelles doit
être apprécié très largement et impose dès lors nécessairement une base réglementaire spécifique et une saisine de la
CNIL.
Saisi d’une demande urgente, « le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une
liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la
gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement
illégale » (article L. 521-2 du Code de justice administrative).
Dans l’affirmative, le juge ordonne toutes mesures pour faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale aux
libertés en cause. Il est ainsi le garant de la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.
II - Motivation du Juge.
Pendant la période d’état d’urgence sanitaire, les autorités peuvent prendre des mesures de nature à prévenir ou
limiter les effets de l’épidémie, pour sauvegarder la santé de la population.
Seules les atteintes nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique poursuivi
peuvent être portées aux droits et libertés fondamentaux.
Pour le Conseil d’Etat, la finalité poursuivie par l’usage des drones était légitime : « informer l’état-major de la
préfecture de police afin que puisse être décidé, en temps utile, le déploiement d’une unité d’intervention sur place
chargée de procéder à la dispersion du rassemblement en cause ou à l’évacuation de lieux fermés au public afin de
faire cesser ou de prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des règles de sécurité
sanitaire ».
Bien que légitime, cela ne suffit pas à ôter la nature de traitement de données personnelles, et l’exigence de garanties
suffisantes.
(3) L’atteinte au droit au respect de la vie privée était-elle grave et manifestement illégale ?
Là encore, le Conseil d’Etat répond par l’affirmative.
Contrairement aux affirmations de la préfecture de police, les drones mis en place pour surveiller le respect des
mesures de confinement et de déconfinement, collectaient des données permettant d’identifier des personnes, vu la
présence d’un zoom optique et la hauteur de vol.
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35558 1/2
08/09/2020 Imprimer: Atterrissage forcé pour les drones de la préfecture de police. Par Myriam Adjerad, Avocat.
Ainsi, les drones constituaient un traitement de données personnelles, devant répondre aux exigences de la loi
informatique et libertés du 6 janvier 1978 et de la directive du 27 avril 2016.
Faute de dispositif technique permettant de s’assurer que les données collectées ne pouvaient conduire à
l’identification des personnes filmées, une atteinte grave et manifestement illégale était portée au droit au respect de
la vie privée.
Les trois conditions du référé-liberté réunies, le Conseil d’Etat a ordonné l’arrêt de l’utilisation de drones aux fins de
surveillance.
L’illégalité de ce dispositif ne saurait être effacée que par l’utilisation d’un dispositif rendant impossible l’identification
des personnes ou par un texte réglementaire pris après avis de la CNIL.
La CNIL qui n’a pour l’heure pas statué, « prendra position sur cette question à l’issue des procédures de contrôles en
cours » (Communiqué CNIL, 18 mai 2020, Suspension de l’utilisation des drones pour contrôler le déconfinement à
Paris par le Conseil d’Etat : les contrôles de la CNIL).
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35558 2/2
DROIT DE LA
FAMILLE
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Le 25e rapport annuel sur l’état du mal-logement en France 2020 de la Fondation Abbé-Pierre met
en lumière l’isolement des personnes seules. Le cahier intitulé « Seul face au mal-logement »
permet de faire le rapprochement existant entre le mal-logement et l’isolement des personnes.
35 % des ménages français sont composés d’une seule personne. La mono-résidentialité est le
résultat de facteurs démographiques importants comme les ruptures conjugales, le veuvage ou la
mobilité géographique. Ce phénomène d’isolement, qui ne date pas d’hier et qui peut durer sur le
long terme, accentue de manière conséquente la pénurie de logements. En sus de celle-ci, l’offre
de petits logements abordables est insuffisante au regard du marché puisque, comme le souligne
l’association, « près de la moitié des demandes Hlm émanent de personnes seules ». De ce fait,
cette pénurie de logements se traduit pour les personnes seules par des difficultés d’accès au
logement.
Cette difficulté d’accès se retrouve aussi dans le mal-logement, étant donné que les ménages
composés d’une seule personne sont davantage concernés par le mal-logement eu égard
notamment à leurs ressources moindres. Comme le mentionne la Fondation, les personnes vivant
seules sont majoritaires chez les sans-domicile puisqu’elles représentent 65 % des personnes sans
domicile. Cela expliquerait peut-être pourquoi cette catégorie de personnes est bien plus isolée que
la moyenne. En effet, les facteurs d’isolement des personnes sans domicile sont nombreux ; cela va
du sentiment d’être abandonné au sentiment de honte.
Les facteurs socio-économiques accentuent cet isolement des personnes. En effet, l’isolement dit
relationnel est naturellement influencé par la situation professionnelle de la personne puisque cela
concerne plus particulièrement les chômeurs et les inactifs non étudiants. Parmi les douze millions
de personnes affectées par la crise du logement, 5 732 000 personnes sont en situation d’effort
financier excessif c’est-à-dire que ces ménages modestes sont appauvris par des niveaux de loyers
insoutenables, notamment dans le parc privé. Cet isolement relationnel, qui était lié auparavant à
l’état de la personne (maladie, perte d’autonomie ou encore le handicap), est aujourd’hui favorisé
par de nouveaux facteurs telle la non-maîtrise de la langue française ou des obstacles liés à l’accès
aux droits.
Le mal-logement amplifie, lui aussi, l’isolement des personnes, puisqu’il se manifeste, en sus de la
honte des personnes à montrer leur logement, par la précarité énergétique. Or, le lien social est
indispensable pour accéder à de meilleures conditions de logement.
Les réponses institutionnelles apportées aux personnes faisant face à la crise du logement peuvent
aussi créer de l’isolement, notamment en ne leur permettant pas d’accueillir leurs proches, comme
en témoigne le règlement intérieur de certains établissements qui interdisent la visite et
l’hébergement des proches.
Ainsi, dans son rapport, la Fondation Abbé-Pierre met en garde les politiques publiques contre
l’isolement des personnes face au mal-logement et plus largement sur la crise du logement.
La Fondation propose :
• d’une part, de rompre l’isolement des personnes mal-logées en agissant sur la prévention de
l’isolement social notamment chez les personnes sans domicile et en adoptant la démarche d’«
aller vers » les personnes isolées ;
• et, d’autre part, de repenser l’environnement du logement en imaginant des modes d’occupation
différents des logements dits « ordinaires » grâce à l’habitat participatif, aux pensions de famille…
Ces solutions ne peuvent toutefois prospérer que dans la mesure où une politique de
déstandardisation du logement est mise en œuvre.
Dans un récent article, le Professeur Dondero s’interrogeait, avec humour, sur les incidences du
nouveau mode de rédaction des arrêts par la Cour de cassation, caractérisé par la clarté et la
pédagogie. Il se demandait s’il en était désormais fini des « décisions cryptiques, sur lesquelles les
universitaires pouvaient discuter sans fin devant leurs amphithéâtres médusés et dans les
colloques », puisque les juges expliquent maintenant « eux-mêmes directement au lecteur ce qu’ils
ont voulu dire » (Nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation : panique à l’Université !, D.
2020. 145 ).
Tel est précisément le cas dans l’affaire jugée par la première chambre civile le 18 mars 2020, qui
concerne un mariage célébré au Maroc, en 2002, entre un Français et une Marocaine (devenue
Française 11 ans plus tard), alors que l’épouse n’était pas présente lors de la cérémonie mais avait
mandaté, conformément au droit marocain alors applicable, un wali (tuteur matrimonial) pour
conclure l’acte de mariage. Notons dès à présent que le Code marocain de la famille prévoit
aujourd’hui que « la femme majeure peut contracter elle-même son mariage ou déléguer à cet effet
son père ou l’un de ses proches » (art. 25).
L’arrêt comporte en effet une motivation très détaillée de plus d’une page, qui présente les
principes légaux applicables en matière de consentement au mariage en droit interne et en droit
international privé ainsi que la jurisprudence, avant d’expliquer les conditions de leur mise en
œuvre en l’espèce.
Quelques observations peuvent néanmoins être formulées en marge des explications déjà fournies
par la Cour de cassation elle-même.
En premier lieu, il est utile de rappeler que la Convention franco-marocaine du 10 août 1981
relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire prévoit que les
conditions de fond du mariage, tel que le consentement, sont régies pour chacun des époux par la
loi de celui des Etats dont il a la nationalité (art. 5) et, en substance, que la loi considérée ne peut
être écartée par les juridictions de l’autre Etat que si elle est manifestement incompatible avec
l’ordre public (art. 4). Le premier de ces principes a été appliqué par la Cour de cassation, en
considération des dispositions de l’article 146-1 du code civil, selon lesquelles « le mariage d’un
Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence ». Un arrêt de la première chambre
civile du 15 juillet 1999 (Civ. 1re, 15 juill. 1999, n° 99-10.269, D. 2000. 414 , obs. J.-J. Lemouland ;
Rev. crit. DIP 2000. 207, note L. Gannagé ) a ainsi énoncé qu’il s’agit d’une condition de fond du
mariage régie par la loi personnelle, même si cette qualification a été discutée (Y. Loussouarn, P.
Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, 2013, n° 461). Un
autre arrêt, du 16 mars 2016 (n° 15-14.365, Dalloz actualité, 5 avr. 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016.
709 ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 342, obs. A.
Boiché ; Dr. fam. 2016. Comm. 116, A. Devers ; JCP 2016. 629, note M.-C. de Lambertye-Autrand)
a par ailleurs rappelé qu’il résulte de ce même principe issu de la Convention que les conditions de
fond du mariage entre deux personnes, l’une de nationalité française, l’autre de nationalité
marocaine, sont régies par la loi nationale de chacun des époux.
En deuxième lieu, il est indispensable de se référer à l’article 202-1 du code civil, dont la rédaction
est issue de la loi du 4 août 2014. Il énonce que les qualités et conditions requises pour pouvoir
contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle, tout en ajoutant que
quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux au sens
de l’article 146 (« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ») et du premier
alinéa de l’article 180 ( « le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux
époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le
consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public »).
Au regard de ces textes, la difficulté était de déterminer si la loi marocaine en vigueur à la date de
la célébration du mariage, qui admettait donc un consentement donné par un wali sans la présence
de l’épouse, était ou non conforme aux exigences de l’ordre public international français.
Cette difficulté avait été perçue par la doctrine spécialisée. Présentant la problématique des
mariages célébrés à l’étranger au regard de la notion d’exception d’ordre public international, I.
Barrière-Brousse a ainsi soutenu qu’il n’y a pas contrariété à cet ordre public en présence « d’un
mariage musulman célébré conformément au statut personnel des époux, dans lequel le
consentement de la femme a été exprimé par un wali (tuteur légal) sauf s’il apparaît que le mariage
était en réalité conclu sous la contrainte ou que le consentement de l’épouse faisait défaut » (J.-Cl.
Dr. intern., fasc. 546-10, v° Mariage, Conditions de fond, n° 108).
Or, c’est précisément cette approche que la Cour de cassation consacre, par le principe reproduit
en tête de ces observations.
Son arrêt ne peut qu’être approuvé. On sait en effet que la mise en œuvre de l’exception d’ordre
public est moins rigoureuse lorsque l’on est en présence d’une situation constituée à l’étranger, ce
qui conduit alors à parler de l’effet atténué de l’ordre public (sur ce, B. Audit et L. d’Avout, Droit
international privé, LGDJ, 2018, n° 396). On sait également qu’il y a lieu d’apprécier concrètement
si la situation litigieuse heurte l’ordre public international, sans s’arrêter à une appréciation
abstraite de la loi étrangère en cause. Or, la cour d’appel avait relevé que la réalité du
consentement de l’épouse au mariage célébré au Maroc n’était pas contestée, et ce d’autant plus
que c’était l’époux qui avait invoqué la nullité du mariage suite à une demande en divorce formée
par l’épouse après treize ans d’union.
De surcroît, l’article 146-1 du code civil n’exige la présence des époux à leur mariage, même
célébré à l’étranger, que dans la mesure où ils sont français, ce qui n’était pas le cas ici : l’épouse
était marocaine à l’époque du mariage. Dès lors, l’exception d’ordre public n’avait pas vocation, à
l’évidence, à être mise en œuvre.
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ENTS INTERNATIONAUX D’ENFANTS : UNE CHANCE A DEVELOPPER - Exemple du couple
franco-allemand
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07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
Mémoire écrit par Alice CANET, Avocate et Médiateure à Strasbourg au sein du Cabinet d'avocats
indépendants arteJURIS, ayant gagné la Bourse de l'Union des Avocats Européens
INTRODUCTION
A.Couples franco-allemands
Depuis la création de l’Union européenne, les couples franco-allemands sont de plus en plus nombreux à
se créer, mais aussi à se défaire, laissant les enfants communs déchirés entre deux parents, deux pays,
deux systèmes juridiques.
Lorsqu’à l’heure de la séparation du couple le parent exilé souhaite retourner dans son pays d’origine et y
emmener son enfant avec lui, le délit d’enlèvement international d’enfant peut menacer.
La convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants conclue le 25 octobre
1980[1] (plus loin : Convention de La Haye ou la Convention) prévoit en effet en son article 3 : « Le
déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite : a) lorsqu'il a lieu en violation d'un
droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement,
par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son
déplacement ou son non-retour ; et
b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du
non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. »
Autrement dit, traverser une frontière avec un enfant sans l’accord de l’autre parent exerçant un droit de
garde, même partagé, sur l’enfant constitue – déjà - un enlèvement international d’enfant.
Dans cette situation, la Convention de La Haye impose en principe le retour immédiat de l’enfant dans
son pays de résidence habituelle avant l’enlèvement[2]. Il est possible de s’y opposer par quelques
moyens de droit :
En droit français, le code pénal réprime le fait, par tout ascendant, de soustraire un enfant mineur des
mains de ceux qui exercent l'autorité parentale (…) en le déplaçant à l’étranger de trois ans
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende[8].
Le droit pénal allemand prévoit en son paragraphe 235 que le fait de soustraire un enfant d’un parent en
l’emmenant à l’étranger ou en l’y maintenant est passible de 5 ans d’emprisonnement[9].
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07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
Dans cette situation, l’application du droit entraine soit le retour, soit l’absence de retour de l’enfant, mais
dans tous les cas la crainte pour un des parents de ne plus revoir son enfant, et le maintien de l’enfant
dans le conflit parental. Cette solution n’est donc pas satisfaisante.
Pour cette raison, la Convention de La Haye elle-même encourage le recours aux modes alternatifs de
règlement des différends. Son article 7 dispose en effet que « les Autorités centrales doivent (…) prendre
toutes les mesures appropriées pour (…) c) assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une
solution amiable ».
Les modes alternatifs de règlement des différends représentent une chance de parvenir à une meilleure
solution, en ce qu’ils permettent d’éviter qu’un juge ne tranche la problématique, juridique, posée en
appliquant des règles de droit conçues de manière abstraite, en fonction de la culture du pays les ayant
émises.
Les modes alternatifs les plus connus sont la médiation, la conciliation et l’arbitrage. Dans l’arbitrage, un
tiers impartial tranche le litige, sans que les parties ne puissent refuser sa sentence. Dans la conciliation,
un tiers impartial propose une solution, que les parties peuvent refuser. Dans la médiation, un tiers
impartial aide les parties à communiquer de nouveau et à établir leur propre solution au litige.
Eu égard à l’importance de trouver une solution convenant aux parents (et aux enfants), l’arbitrage n’est
pas un MARD envisageable s’agissant des enlèvements internationaux d’enfants. La conciliation pourrait
déjà plus permettre de faire « bouger les lignes » et être acceptée par les parties dès lors que son
résultat n’est pas obligatoire, mais y manque l’intérêt pour les causes profondes du conflit.
Nous nous concentrerons donc ici sur la possibilité de résoudre les problématiques liées aux
enlèvements internationaux d’enfants par la médiation.
La médiation est diversement définie selon les sources juridiques, mais il y sera ici référée comme dans
le « Guide de bonnes pratiques en vertu de la Convention de la Haye du 25 octobre 1989 sur les aspects
civils de l’enlèvement international d’enfants – Médiation » : un processus volontairestructuré, par lequel
un médiateur [ou un groupe de co-médiateurs] facilite les communications entre les parties à un conflit,
ce qui leur permet de prendre la responsabilité de la recherche d’une solution à leur conflit. »
Il s’agit de poser un cadre et structurer les échanges de manière à permettre aux parties médiées
d’exprimer ce qu’elles souhaitent (par exemple « le retour de l’enfant »), leurs émotions (par exemple « je
t’en veux de m’avoir privé de notre enfant », « j’ai peur que tu ne me permettes plus de voir notre enfant
s’il t’est remis »…), mais surtout les besoins profonds derrière ces souhaits et émotions (par exemple
« j’ai besoin de me sentir et d’être reconnu comme un bon père »…), et d’être en capacité d’entendre les
souhaits, émotions et besoins de l’autre parent. Cela pour réaliser que l’autre parent a aussi des besoins
et souhaits légitimes. Une fois que chaque parent a pu se comprendre, comprendre l’autre et se sentir
compris par l’autre, les parents pourront trouver ensemble une solution permettant de satisfaire les
besoins de toutes les parties, et principalement de l’enfant.
Il sera ici pris exemple de la situation franco-allemande pour deux raisons principales.
D’une part, car ces deux Etats ont une longue histoire commune. En particulier, de nombreux couples
franco-allemands ont déjà fait parler des difficultés des séparations internationales, au niveau du couple
et au niveau politique[10], poussant les ministères de la justice allemands et français à mettre en place
des médiations familiales internationales dès les années 2003 à 2006. Cela permet un certain recul sur
cette méthode.
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07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
D’autre part car j’ai personnellement étudié le droit et la médiation tant en France qu’en Allemagne et car
je travaille régulièrement dans la problématique des séparations franco-allemandes. Je dispose donc
d’un intérêt particulier et d’une connaissance, théorique et pratique, de ces deux systèmes.
Il sera donc analysé ici en quoi la médiation est une chance à développer pour les enlèvements
internationaux d’enfants : quel en sont les intérêts (I.), les limites à dépasser (II.) et mes
recommandations pour ce faire (III.)
A.Avantages pratiques
En permettant la résolution durable du conflit, la médiation contribue à ce que les parents ne commettent
pas de nouvelle infraction, participant directement à l’objectif de prévention primaire des infractions. En
développant la médiation, de nombreuses infractions liées à la sphère familiale pourraient être évitées en
premier lieu. Contribue à la prévention de commission d’infractions, objectif générale de la politique
pénale
Une médiation réussie résout un conflit dans sa globalité, recrée les conditions d’une communication
permettant aux parties de trouver ensemble une solution aux futures questions qu’elles devront régler.
Sans médiation, ce type de situation peut nécessiter un recours multiple à la police et au(x) juge(s), ainsi
que des traductions. Cela entraine un coût non négligeable pour la société, en particulier en France où
les frais de justice sont la charge commune et non la charge du justiciable[11]. Les parties peuvent
éventuellement se voir accorder l’aide juridictionnelle, couvrant les frais de justice, d’avocat, de
traduction. La médiation contribue donc à une bonne gestion des deniers publics, à une économie
publique.
Le recours à la médiation est pour un Etat un moyen de démontrer son exemplarité sur la scène
internationale. En outre, résoudre pacifiquement un conflit entre citoyens français et allemands est un
outil de pacification des relations internationales, qui peuvent sinon être durablement atteintes par un tel
conflit mal géré.
Les citoyens français et allemands veulent globalement une société égalitaire, démocratique,
participative, où chaque personne est respectée, entendue, et décisionnaire. La médiation concoure à
cette idée et peut contribuer à apporter un sentiment de cohérence entre les valeurs propres et les
valeurs de la société telle que portée par ses représentants.
En médiation, toutes les questions peuvent être traitées, et les réponses apportées peuvent largement
déborder le cadre juridique. Les parents peuvent ainsi discuter de la transmission concrète d’affaires de
l’enfant, se mettre d’accord sur les cadeaux qu’ils offrent à l’enfant (pour éviter un déséquilibre), sur
l’envoi de photos à une fréquence particulière, sur la manière de communiquer entre les parents, etc.…
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07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
Ils peuvent avoir ce qu’ils attendent réellement, qui sera souvent une reconnaissance du rôle de parent,
ou encore des excuses pour des fautes commises, qu’aucun juge ne peut imposer.
Dans les conflits familiaux internationaux, les différences culturelles jouent souvent un rôle important. Le
médiateur en ayant connaissance pourra faire comprendre aux parents l’intervention de ces différences,
pour permettre un rétablissement de la compréhension mutuelle. A titre d’exemple, l’éducation des
enfants est extrêmement différente entre la France et l’Allemagne. Une mère allemande (de l’Ouest de
l’Allemagne) arrête généralement de travailler pendant au minimum un mais souvent trois ans après la
naissance de son enfant, et reprendra ensuite uniquement à temps partiel, s’occupant de son enfant les
après-midis pendant toute son enfance. A défaut, elle serait exposée à être considérée comme une
« Rabenmutter », une mère corbeau, qui abandonne son enfant. Une mère française arrête
généralement de travailler pendant trois mois après la naissance de son enfant et reprend son travail à
temps plein, son enfant allant à la crèche, chez la nourrice, puis à l’école toute la journée, toute la
semaine, à partir de 3 ans. A défaut, elle serait exposée à être considérée comme une mère poule, qui
couve son enfant et l’empêche de grandir, ou plus simplement comme une fainéante qui profite d’être
mère pour arrêter de contribuer à la société par son travail…
La solution trouvée en médiation correspondra forcément aux besoins des parties médiées, et leur
conviendra forcément, puisqu’en médiation, aucune solution ne peut être imposée. Si une solution est
trouvée, c’est par hypothèse qu’elle est acceptable pour les parents. Il n’y aura en outre pas de difficulté
d’exécution de l’accord, puisque les parties en seront satisfaites !
Au-delà de l’accord trouvé, la médiation est un outil de reprise du pouvoir (« empowerment ») par les
parties, qui redeviennent actrices de la situation et en capacité de le résoudre. Cette reprise de pouvoir
dépasse le cadre de la situation initiale, les parents redevenant capables de gérer ensemble les
décisions touchant à la vie de leurs enfants communs. Les difficultés futures ne devraient donc plus
nécessiter le recours à un juge, ce qui représente également une économie, d’énergie et d’argent.
Il doit être précisé ici que la médiation est une possibilité de limiter les coûts d’une procédure, d’autant
que lorsqu’il est ordonné par un juge, ce MARC peut être pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle
française[12] ou allemande. Les assurances protection juridique allemandes prennent en outre souvent
en charge les coûts d’une médiation, conventionnelle ou ordonnée judiciairement[13].
Au niveau psychologique, les parents sont réhabilités dans leur rôle de co-parent et peuvent ainsi garder
ou retrouver la face. Avec la médiation est offerte une possibilité pour les parents de devenir un meilleur
soi, de les libérer de leur sentiment éventuel de haine à l’égard de l’autre, et de culpabilité provoquée par
le fait d’avoir eu des sentiments et des actions qui n’étaient pas toujours conformes à l’image que l’on
voudrait avoir de soi.
Il s’agit ici de l’aspect évidemment le plus important : la Convention de la Haye comme la médiation
familiale a toujours l’intérêt supérieur de l’enfant comme préoccupation première. Or l’enfant a tout à
« gagner » d’une médiation entre ses parents, en particulier lorsqu’il fait l’objet ou risque de faire l’objet
d’un enlèvement international par un de ses parents.
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07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
En cas de médiation réussie, l’enfant retrouve la possibilité d’entretenir régulièrement des relations
personnelles et des contacts directs aves ses deux parents, ce qui est considéré comme un de ses droits
fondamentaux[14].
L’enfant est en outre libéré du conflit parental, dans lequel les enfants enlevés se trouvent toujours
piégés. L’enfant ne doit plus choisir entre son père et sa mère, l’un et l’autre étant réhabilité par l’autre
parent.
Il doit être précisé qu’il est envisageable de faire intervenir l’enfant dans les rencontres de médiation, si
son âge et la situation le permettent. Cela peut même être une condition de reconnaissance de l’accord
subséquent[15]. Dans ce cas, l’enfant pourra également être réellement entendu et écouté par ses
parents, qui pourront éventuellement se rendre compte que les besoins qu’il exprime ne sont pas toujours
ceux qu’ils lui prêtaient.
En tout état de cause, le médiateur veillera en permanence à ce que l’intérêt de l’enfant soit au centre
des considérations des parents[16].
B.Avantages juridiques
1.Possibilité d’aller au-delà du droit, d’éviter l’aléa judiciaire, d’éviter une décision judiciaire défavorable
En médiation, toutes les solutions sont possibles, au-delà des règles juridiques, abstraites : possibilité de
régler une situation d’une autre manière que ce que le droit (d’un ou plusieurs pays) aurait prévu,
possibilité de régler une situation pour laquelle le droit est muet (détails pratiques : passage de la
peluche, qui fait les devoirs quand, etc).
Cela élimine donc l’aléa judiciaire, particulièrement important dans les conflits d’enlèvement international
d’enfant.
En effet, le droit prévoit, au fond, le retour de l’enfant enlevé, sauf notamment si l’enfant s’est intégré
depuis plus d’un an, si son retour représente un risque grave pour lui, ou encore s’il s’y oppose[17]. En
outre, au niveau procédural, la juridiction compétente est en principe celle de la résidence habituelle de
l’enfant avant son déplacement illégal, et la décision prise doit être reconnue par le pays dans lequel se
trouve désormais l’enfant. Or cet Etat peut s’opposer à la reconnaissance de la décision si « la
reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis eu égard aux
intérêts supérieurs de l'enfant »[18].
Cet aléa peut se transformer parfois en une possibilité d’arbitraire, de discrimination. Ainsi le Parlement
Européen relate dans une résolution européenne visant nominativement l’Allemagne qu’un nombre
considérable de pétitions sont faites par des parents non allemands se plaignant de ce que les
juridictions allemandes interprètent le droit et la procédure de manière à toujours privilégier le maintien de
l’enfant en Allemagne/avec son parent allemand[20]. Il est ainsi reproché aux juges allemands de
considérer qu’il est dans l’intérêt des enfants de rester en Allemagne et de parler allemand, et que cet
intérêt est même supérieur à celui di maintien des liens avec l’autre parent[21]. Similairement, le fait que
des enfants, même âgés de moins de 3 ans, n’aient pas été entendus judiciairement est fréquemment
retenu par les juges allemands pour s’opposer à la reconnaissance de la décision[22].
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Il doit être rappelé que la médiation n’est pas possible dans toutes les situations (voir « limites de la
médiation), et que la médiation, même « réussie », n’aboutit pas nécessairement à la signature d’un
accord total.
Il est dès lors primordial de rappeler que la médiation, qu’elle se conclue ou non par un accord, laisse
intact le recours au juge.
En effet, en cas d’accord, celui-ci peut être homologué, en tout ou en partie, par un juge. Cela permet de
lui conférer une force exécutoire incontestable.
En absence d’accord, les parties restent libres de saisir un juge, tout comme elles l’étaient avant le début
de l’entrée en médiation. Ce qui aura été échangé étant confidentiel, il ne saurait en être fait état devant
un tribunal.
A.Limites pratiques
Différents obstacles peuvent s’élever tout au long de ce qui pourrait être une médiation.
Tout d’abord, les parties n’ont pas toujours connaissance de l’existence de la procédure de médiation
familiale, ou ne savent pas qu’elle pourrait être adaptée à leur situation.
Le consentement des parties à la médiation peut ensuite être extrêmement difficile à recueillir, en
particulier s’agissant de situation d’enlèvement international d’enfant. En effet, un des parents a par
hypothèse soustrait l’enfant à la possibilité de voir l’autre parent, souvent en alléguant que l’enfant, ou le
parent, était en danger en restant auprès de l’autre parent. Le contexte est donc toujours celui d’un
sentiment de grande violence, généralement partagé par les deux parents.
Il arrive donc que le sentiment de peur, ou de colère à l’égard de l’autre parent l’emporte sur la volonté de
tenter de dépasser son ressentiment pour tenter de trouver une solution amiable. Cela est d’autant plus
vrai que l’un des parents n’a pas forcément « besoin » d’une médiation dès lors qu’il vit avec l’enfant, et
qu’il est peut-être convaincu que cela pourra continuer indéfiniment. Bien au contraire, derrière une
volonté affichée de recourir à la médiation pour trouver une solution amiable peut se cacher la stratégie
de faire patienter l’autre parent, pour que le temps joue comme un argument en faveur du maintien de
l’enfant dans la situation actuelle.
En outre, toutes les situations ne peuvent pas faire l’objet d’une médiation : en effet, ce mode de
règlement du différend présuppose une capacité pour les deux parties de défendre leurs intérêts et de
s’engager. Cela n’est pas toujours possible par exemple du fait de maladies psychiatriques ou
d’addiction, ou encore d’un déséquilibre trop important entre les parties poussant l’une à céder à l’autre
plutôt qu’à consentir à une solution lui convenant réellement. Se pose en particulier la question fortement
débattue de la possibilité de faire une médiation dans une situation de violence physique[23], comme
cela peut être allégué en matière d’enlèvement international.
Par ailleurs, dans ces situations fortement conflictuelles, chacun des parents aura dit et fait quelque
chose non conforme à l’image qu’il veut avoir de soi. Chaque parent peut donc craindre d’y être confronté
et refuser pour cela de parler de ce qu’il a fait avec l’autre parent, devant un tiers.
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Enfin, il doit être noté qu’il n’est pas rare que les avocats, par nature sensibles aux risques de conflit et de
tentative de mésusage d’un droit par l’autre partie, soient très réservés sur l’intérêt pour leur client de
faire une médiation. D’autant qu’ils peuvent craindre qu’une médiation réussie leur fasse « perdre » le
dossier, et donc une source de rémunération…
Même dans l’hypothèse où les deux parties souhaiteraient faire une médiation, encore faudrait-il qu’elles
trouvent un médiateur, ou mieux des co-médiateurs, pouvant les accompagner. Les compétences
demandées par une telle médiation sont très élevées : capacité à détecter les situations pouvant interdire
une médiation ou sa poursuite, haut niveau de compréhension de la psychologie, des différences
culturelles et des enjeux juridiques, outils pour réussir à mettre l’intérêt de l’enfant au centre des débats,
méthodes pour lever les points de blocage et d’encadrement d’une négociation raisonnée, capacité à
comprendre et à s’exprimer en plusieurs langues...
Ce(s) (co)médiateur(s) devrai(en)t encore être disponible(s) à bref délai au moment opportun.
4.Difficulté financière
Encore, le(s) médiateur(s) devrai(en)t pouvoir être payé(s). Cela incombe bien souvent aux parties.
Ainsi qu’il a été écrit, il existe en France la possibilité de prise en charge de frais de médiateur au titre de
l’aide juridictionnelle (lorsque la médiation est ordonnée par un juge), mais il s’agit d’un forfait de 512€
pour l’intégralité de la médiation judiciaire[24] : Il n’est pas sûr qu’un médiateur accepte de réaliser une
médiation dans le contexte d’un enlèvement international d’enfant pour ce montant. En outre, cette
« rémunération » est subordonnée à la transmission d’un rapport exposant les termes précis de l’accord
trouvé et permettant au juge d’apprécier le sérieux des diligences réalisées, ce qui est en contradiction
avec l’obligation de confidentialité du médiateur. Par ailleurs, la Caisse d’Allocations Familiales (CAF)
accepte de prendre en charge une grande partie des frais de médiation lorsqu’elle est réalisée par une
personne ou une association ayant le diplôme d’Etat de Médiateur Familial et étant conventionné avec la
CAF. Mais encore une fois, il n’est pas sur qu’un médiateur ayant la capacité de réaliser une telle
médiation accepte de le faire en étant payé sur la base du barème de la CAF…
En Allemagne, le coût d’une médiation judiciaire peut être pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle,
mais sans que la rémunération du médiateur ne me soit connue.
B.Limites juridiques
Il existe bien la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains
aspects de la médiation en matière civile et commerciale[25], mais conformément à sa nature, elle ne
donne que des objectifs généraux, sans poser de cadre clair. Similairement, de plus en plus de textes
non contraignants sont rédigés et trouvent progressivement une adhésion volontaire, comme le code de
conduite européen pour les médiateurs[26].
Mais il n’y a pas, actuellement, d’encadrement international des règles relatives aux médiateurs :
formation et déontologie.
Plus grave encore, il n’y a pas, actuellement, d’encadrement clair du déroulement et des effets d’une
médiation sur les procédures civiles ou pénales en cours.
En particulier, les règles relatives à la confidentialité de la médiation ne sont pas claires. La directive
précitée en son article 7 prévoit que la médiation doit être confidentielle, si bien que les médiateurs ne
peuvent pas être tenus de produire « des preuves concernant les informations résultant d’un processus
de médiation ou en relation avec celui-ci », excepté, notamment, « lorsque cela est nécessaire pour des
raisons impérieuses d’ordre public dans l’État membre concerné, notamment pour assurer la protection
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des intérêts primordiaux des enfants ou empêcher toute atteinte à l’intégrité physique ou
psychologique d’une personne ». Ainsi le médiateur peut-il toujours être forcé à produire
des informations issues de la médiation, et même des preuves dans des cas qui peuvent être interprétés
de manière très large.
En droit français, les exceptions à la confidentialité sont tout aussi larges, mais le principe de
confidentialité concerne non seulement les preuves, mais toutes « les constatations du médiateur et les
déclarations recueillies au cours de la médiation. » Il n’est pas précisé si cette confidentialité s’applique
uniquement au médiateur, ou également aux parties. En revanche, il est précisé qu’en cas de médiation
judiciaire, le médiateur doit préciser au juge s’il y a eu accord ou non[27]. Lorsque la médiation doit être
financée par l’aide juridictionnelle, le médiateur doit également rendre compte du déroulé des rencontres
de médiation et développer l’accord obtenu[28] !...
En droit allemand, la confidentialité s’étend expressément tant au médiateur qu’aux médiés. Les
exceptions à la confidentialité sont les mêmes que celles de la directive, mais s’y ajoutent les
informations portant sur des faits déjà connus[29].
2.Pas d’encadrement international cohérent et contraignant des effets de la médiation sur les procédures
en cours
Il n’est pas précisé de manière internationale si une médiation interrompt ou suspend les procédures, en
particulier pénales.
S’agissant des enlèvements internationaux d’enfant, il existe spécifiquement un risque réel qu’une
autorité de police arrête le parent ayant commis un enlèvement international d’enfants s’il se rend dans le
pays d’origine.
D’une part, car ils doivent pour cela être rédigés en des termes très clairs et précis, ce qui nécessite une
compétence juridique particulière.
D’autre part, car l’accord ne sera homologué que s’il respecte suffisamment, d’après le juge de
l’homologation, l’intérêt des parties et surtout de l’enfant[30], voire parfois certaines règles procédurales.
Il est précisé qu’en matière d’enlèvement international d’enfant, la première procédure est générale
cependant portant sur la demande de retour de l’enfant. Or le juge n’est alors pas compétent pour statuer
sur les questions de garde etc. de l’enfant, mais uniquement sur la question de son retour. Si une
médiation a abouti à un accord dans l’intervalle, le juge pourra refuser d’homologuer l’accord portant sur
d’autres questions que celle du retour… mais un parent peut refuser que soit entériné l’accord de retour,
sans que les conditions de garde etc. de l’enfant après le retour ne soient elles aussi homologuées…
La difficulté est par ailleurs que le juge n’aura pas d’explication sur la genèse de l’accord, ne pourra pas
comprendre l’étendue des concessions réciproques. Imaginons ainsi que des parents s’entendent sur le
fait qu’un des deux ne voie que très peu souvent l’enfant : le juge pourrait penser que l’accord est trop
déséquilibré, alors même, peut-être, que le parent ne souhaite pas voir son enfant plus souvent, ou qu’il
est en difficulté psychique ne lui permettant pas d’avoir une relation sécurisante avec son enfant, ou, ou,
ou…
En outre, l’accord devra respecter les conditions de fond ou de forme qui peuvent être imposées en droit
interne. Ainsi, en droit allemand, l’audition de l’enfant, quel que soit son âge, est une condition de validité
de toute décision judiciaire touchant à l’autorité parentale, les droits de garde ou de visite et
d’hébergement le concernant[31].
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III.RECOMMANDATIONS
Pour minimiser les limites évoquées ci-dessus et développer le potentiel de la médiation tel que présenté
par ses intérêts, de multiples pistes peuvent être suivies.
Cependant elles ne me semblent pas répondre à leur mission. En effet, j’ai personnellement déjà posé
une question au Bureau de Droit international privé sur la reconnaissance en Allemagne du divorce
français par consentement mutuel (par acte d’avocats enregistré par notaire), à laquelle je n’ai à ce jour
obtenu aucune réponse. J’ai par ailleurs demandé à être inscrite sur la liste des médiateurs
internationaux, ai reçu une réponse positive, mais suis forcée de constater que mon nom n’apparait pas
sur la liste en ligne.
En tout état de cause, elles ne sont que peu connues, peu visibles. Des communications régulières de
leur part à destination d’un large public seraient bienvenues.
L’offre de médiation adaptée à des enlèvements internationaux d’enfants, c’est-à-dire faite par des
médiateurs fin psychologues, connaisseurs des spécificités inter-culturelles, polyglottes, et ayant des
bases de droit international, devrait être développée.
Pour ce faire, plus de médiateurs devraient être formés avec des standards minimaux communs.
Les formations spécifiques pour cette problématique sont chères, et surtout très rares : je ne connais que
celle du Mikk e.V., en Allemagne, coûtant 1.850€ pour 50h de formation[32].
D’autres formations ciblées sur l’interculturel existent, comme celle, excellente[33], dispensée en
coopération par l’association française REGC[34] et l’association allemande PLIBV e.V.[35].
Le Ministère de la Justice français indique assurer une formation spécifique des médiateurs inscrits sur
sa liste de médiateurs, mais son contenu n’est pas précisé.[36] Une formation dispensée avec un
contrôle de son contenu, mais également une prise en charge financière par l’autorité centrale parait être
adaptée. Il conviendrait de mieux informer sur cette possibilité, et de la développer.
Les médiateurs familiaux internationaux doivent pouvoir se rencontrer régulièrement, pour se connaitre et
connaitre les méthodes de travail les uns des autres pour envisager des couples de co-médiation.
Surtout, eu égard à la difficulté et aux enjeux dramatiques d’une médiation dans le contexte d’un
enlèvement international d’enfant, il est important que les médiateurs puissent échanger sur leur pratique
professionnelle dans un cadre sécurisant et bienveillant, que ce soit en intervision ou en supervision.
Les parents devraient pouvoir être conseillés avant, pendant et après une médiation en cas d’enlèvement
ou de menace d’enlèvement international d’enfant. En particulier, la rédaction d’un protocole d’accord de
médiation devrait être de la responsabilité des avocats, et non du médiateur, comme cela est
actuellement demandée par l’Autorité centrale française[37].
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Plusieurs associations de médiateurs existent, qui tentent de se développer dans la médiation familiale
internationale. Peuvent être (re)citées ici le Mikk e.V. en Allemagne, le réseau EuroJuris et la plateforme
madecision.fr en France, le réseau de médiateurs familiaux internationaux[38] , peut-être prochainement
l’UAE ? Il conviendrait de connecter et coordonner ces initiatives pour rendre l’ensemble plus visible, et
plus efficace à proposer largement des (co)médiations en matière familiale franco-allemande.
L’association suisse Service Social International[39] est particulièrement active sur la thématique et a
créé une plateforme de mise en relation de médiateurs familiaux internationaux[40]. Cet outil pourrait être
développé (à l’heure actuelle, les conditions d’utilisation de cette plateforme ne m’apparaissent pas
clairement).
Il existe dans l’Union européenne le réseau des Centres européens de consommateurs (CEC). Le
principe : permettre la résolution amiable de litiges européens de la consommation. Pour ce faire, chaque
pays possède un CEC disposant de juristes polyglottes et experts en droit international de la
consommation. Ainsi chaque consommateur peut s’adresser à un Centre dans son pays, qui prendra
contact avec le Centre du pays du professionnel, lequel s’adressera à son tour au professionnel. Par
l’intermédiaire des deux centres, consommateur et professionnel reçoivent des informations sur la
situation juridique, et une solution amiable est recherchée. Les Centres n’ont pas de pouvoir de
contrainte, et consommateur et professionnel peuvent toujours recourir au juge s’ils le souhaitent.
La situation Franco-allemande est exceptionnelle : le Centre de ces deux pays est abrité sous le même
toit du Centre européen de la Consommation, association allemande située à 2 km de la frontière
rhénane[41]. Il n’est pas difficile d’imaginer que cette association utilise ses locaux, voire également une
partie de ses juristes qui recevraient une formation spéciale pour cela, pour réaliser des médiations
familiales européennes, ou pour commencer franco-allemandes.
Les juges, les avocats et les travailleurs sociaux (en particulier le Jugendamt) devraient être mieux
in/formés sur la médiation familiale internationale, pour pouvoir conseiller cet outil aux parents concernés
et accompagner son utilisation.
Pour ce faire, les guides réalisés par la Commission européenne pour l’efficacité de justice (CEPEJ) et
présentés dans sa Boite à outils pour le développement de la médiation[42] et/ou le guide pour la
médiation familiale internationale du service social international[43] devraient être largement diffusés, par
exemple par les autorités centrales, aux juges, avocats et travailleurs sociaux.
Les avocats et juges devraient systématiquement demander aux parents de répondre aux questions
proposées par ce dernier guide[44], pour faire avancer leur réflexion sur le recours au juge et/ou au
médiateur.
Le recours au médiateur devrait, selon moi, toujours être proposé de manière obligatoire, même si cela
semble contradictoire. Il ne devrait pas s’agir d’une condition préalable à la saisine du juge, en tout cas
pas s’agissant d’un enlèvement international d’enfant, mais le juge devrait selon moi toujours l’ordonner
avant dire droit.
Il devrait être réalisé un instrument franco-allemand, voire européen, prévoyant, en cas d’accord des
parties, une possibilité de choix du juge respectivement de prorogation de compétence au profit d’un juge
pour traiter toutes les questions familiales : retour de l’enfant, mais également autorité parentale, garde,
droit de visite, pension alimentaire pour l’enfant, voire divorce, pension alimentaire pour l’autre parent,
liquidation du régime matrimonial…
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En tout état de cause, pour accéder aux informations sur le droit applicable dans tel ou tel pays, il serait
souhaitable que soit créé un site interactif, permettant d’avoir accès aux dispositions applicables thème
par thème et pays par pays, et figurant en particulier les dispositions considérées par les juges comme
étant d’ordre publique[45].
Les Etats ne respectant pas les accords de médiation, et ainsi par hypothèse l’intérêt supérieur de
l’enfant à garder des contacts avec ses deux parents, devraient être condamnés.
La Commission européenne pourrait ainsi engager une procédure de manquement contre l’Allemagne, et
lui demander de lui transmettre les informations que le Parlement a regretté ne pas avoir eu sur le
traitement des dossiers d’enlèvements internationaux d’enfants.
BIBLIOGRAPHIE
[1] convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants conclue le 25 octobre 1980
par les Etats membres de la Conférence de La Haye de droit international privé et adoptée par de
nombreux Etats non membres. Entrée en vigueur: 1-XII-1983
[9] § 235 Entziehung Minderjähriger - (1) Mit Freiheitsstrafe bis zu fünf Jahren oder mit Geldstrafe wird
bestraft, wer (…). (2) „Ebenso wird bestraft, wer ein Kind den Eltern, einem Elternteil, dem Vormund oder
dem Pfleger 1. entzieht, um es in das Ausland zu verbringen, oder 2. im Ausland vorenthält, nachdem es
dorthin verbracht worden ist oder es sich dorthin begeben hat.“
[11] Même si en Allemagne le demandeur à l’action doit verser une provision pour frais de justice, au cas
où il serait débouté. La partie succombante porte la charge définitive des frais de justice, de ses frais
d’avocat, et des frais d’avocat de la partie adverse dans les limites du barème légal allemand. En France,
les parties ne doivent pas payer de frais de justice, uniquement leurs avocats et éven
Paragraphe 114 du code de procédure civile allemand et voir par exemple l’arrêt du tribunal de grande
instance de Cologne du 03.06.2011 : OLG Köln, Urteil vom 03.06.2011, 25 UF 024/10
[13] 85% des assurances protection juridique allemandes prennent en charge les frais de
médiation : https://www.mediation.de/mediation/mediation-und-rechtsschutz
[14] énoncé à l’article 24, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
proclamée à Nice le 7 décembre 2000, cité notamment dans l’arrêt de la Cour de Justice de L’union
Européenne C-211/10 PPU - Povse, sur question préjudicielle, en son point 64
[15] L’article 11 du Règlement dit « Bruxelles II bis », (CE) No 2201/2003 DU CONSEIL du 27 novembre
2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et
en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, applicable aux Etats
de l’Union européenne et donc en particulier à la France et à l’Allemagne « Retour de l'enfant » prévoit en
son 2. « Lors de l'application des articles 12 et 13 de la convention de La Haye de 1980, il y a lieu de
veiller à ce que l'enfant ait la possibilité d'être entendu au cours de la procédure, à moins que cela
n'apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité. » L’article 23 du même
règlement « Motifs de non-reconnaissance des décisions en matière de responsabilité parentale »
prévoit « Une décision rendue en matière de responsabilité parentale n'est pas reconnue: b) si, sauf en
cas d'urgence, elle a été rendue sans que l'enfant, en violation des règles fondamentales de procédure
de l'État membre requis, ait eu la possibilité d'être entendu »
[16] Il existe pour ce faire différentes techniques, comme celle de la chaise vide : le médiateur installe une
troisième chaise, vide ou avec un objet représentant l’enfant, et demande aux parents de se représenter
ce que l’enfant, assis sur cette chaise, pourrait ressentir, vouloir, etc. Il est possible de demander à
l’enfant de dessiner la situation actuelle telle qu’il la vit, et telle qu’il voudrait qu’elle devienne.
[19] Consultable dans le document préliminaire du Conseil sur les affaires générales et la politique de la
Conférence de La Haye, intitulé Version révisée du projet de Guide pratique : Reconnaissance et
exécution transfrontières des accords conclus dans le cadre de différends familiaux impliquant des
enfants, de mars 2019 p. 7, 18 ou encore 31, consultable sur https://assets.hcch.net/docs/d0008c2e-
200f-43d3-a73b-311b150b9b4b.pdf
https://consultation.avocat.fr/blog/alice-canet/article-31553-la-mediation-dans-les-enlevements-internationaux-d-enfants-une-chance-a-develop… 13/15
07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
[20] Résolution du Parlement européen du 29 novembre 2018 sur le rôle des services allemands de l’aide
sociale à l’enfance (Jugendamt) dans les litiges familiaux transfrontières (2018/2856(RSP)) consultable
ici : http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0476_FR.html
[21] « G. considérant que les pétitionnaires dénoncent le fait que, dans les litiges familiaux ayant une
dimension transfrontière, les autorités allemandes compétentes interprètent systématiquement l’impératif
de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant comme la nécessité que l’enfant reste sur le territoire
allemand, même dans des cas où des abus et des violences domestiques contre le parent non allemand
ont été signalés; »
[22] « le Parlement européen (…) s’inquiète du fait que dans les litiges familiaux ayant une dimension
transfrontière, les autorités allemandes peuvent, prétendument, systématiquement refuser de reconnaître
les décisions judiciaires rendues dans d’autres États membres dans les cas où les enfants de moins de
trois ans n’ont pas été entendus »
[24] Depuis le 29 décembre 2016, en application de l’article 118-11 du décret du 19 décembre 1991. Voir
la dépêche du 20 janvier 2017 relative à la prise en charge de la médiation au titre de l’aide
juridique, JUST1702035C https://www.officieldelamediation.fr/wp-
content/uploads/2017/01/De%cc%81pe%cc%82che-me%cc%81diation-20.01.2017.pdf
[27] Article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la
procédure civile, pénale et administrative
[28] Article 118-11 du décret du 19 décembre 1991. Voir la dépêche du 20 janvier 2017 relative à la
prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridique,
JUST1702035C https://www.officieldelamediation.fr/wp-
content/uploads/2017/01/De%cc%81pe%cc%82che-me%cc%81diation-20.01.2017.pdf
Der Mediator hat die Parteien über den Umfang seiner Verschwiegenheitspflicht zu informieren.“
[30] L’article 373-2-7 du code civil français prévoit que : « Les parents peuvent saisir le juge aux affaires
familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent les modalités d'exercice de
l'autorité parentale et fixent la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. / Le juge homologue la
convention sauf s'il constate qu'elle ne préserve pas suffisamment l'intérêt de l'enfant ou que le
consentement des parents n'a pas été donné librement. »
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07/09/2020 La médiation dans les enlèvements internationaux d'enfants: une chance à développer | par Me Alice CANET
[32] https://www.mikk-ev.de/s-
content/uploads/2019/01/2019_September_CBFM_Programme_10.01.19.pdf
[34] https://www.association-regc.com/
[35] http://www.plib-ev.de/
[36] D’après sa vidéo de présentation de la médiation familiale internationale publiée sur https://youtu.be/-
wivhwrKEu0
[38] http://crossbordermediator.eu/
[43] Résoudre les conflits familiaux – Un guide pour la médiation familiale internationale – ISS. 2018.
[44] Idem, p. 17
[45] Le point de départ pourrait être le site jafbase : http://jafbase.fr/ et en particulier sa carte
heuristique : https://coggle.it/diagram/WpPG0tYyEQAB8OzG/t/divorce-
international/89f42787b65a6bdc5ac089b13bd8d5811aad2fdf9602b4868e49bea9fb8985a5
https://consultation.avocat.fr/blog/alice-canet/article-31553-la-mediation-dans-les-enlevements-internationaux-d-enfants-une-chance-a-develop… 15/15
| ACTUALITÉS | PATRIMOINE | COUPLES
L’épouse contrainte de quitter le domicile familial en raison de violences conjugales peut en demander
l’attribution préférentielle au juge du divorce même si la jouissance du logement a été accordée à son
conjoint par l’ordonnance de non-conciliation.
Dans le cadre d’un divorce, le juge peut statuer sur une demande d’attribution préférentielle du logement familial
formée par l’un des époux (C. civ. art. 267, al. 1 ). Ce dernier doit en principe résider effectivement dans ce
logement pour bénéficier de l’attribution préférentielle (C. civ. art. 831-2 ; Cass. 1e civ. 28-2-2018 n° 17-13.392 F-D :
BPAT 2/18 inf. 55). L’époux non-résident peut-il néanmoins solliciter l’attribution préférentielle du logement lorsqu’il a
été contraint de le quitter ?
Interrogée, la garde des Sceaux rappelle que la jurisprudence a dégagé des exceptions au principe de
résidence effective et que le juge du divorce doit s’interroger sur le motif de l’occupation ou de la non-occupation
du logement familial par le demandeur. Ainsi, « lorsque le départ du logement a été motivé par des violences
conjugales et même si la jouissance du logement a été accordé à l’autre époux par l’ordonnance de non-
conciliation, l’épouse qui avait été contrainte de le quitter peut légitimement demander l’attribution préférentielle
de l’ancien domicile familial ».
En conclusion, la ministre invite les juges à faire une analyse de chaque situation car ils ne peuvent se borner à
constater que l’époux demandeur ne réside pas habituellement dans le logement concerné.
À noter : Les juges considèrent déjà que l’époux qui ne réside pas dans le logement familial pour une raison
indépendante de sa volonté conserve la possibilité d’en solliciter l’attribution préférentielle. Jugé en ce sens à propos
d’un époux dont le conjoint avait obtenu l’autorisation de résider dans le logement familial au titre des mesures
provisoires (Cass. 1e civ. 10-5-2006 n° 03-19.001 : Bull. civ. I n° 228) ou d’un époux emprisonné (Cass. 1e civ. 12-12-
2007 n° 07-10.308 : Bull. civ. I n° 389). À fortiori en ira-t-il ainsi pour le conjoint contraint de quitter son domicile pour
fuir des violences conjugales.
Selon la garde des Sceaux, les précisions qu’elle donne sont « en phase avec l’effort déployé par le Gouvernement
pour lutter contre les violences conjugales ». Fin 2019, de nouvelles mesures, tant au plan pénal que civil, étaient
prises afin de lutter contre les violences au sein de la famille avec notamment la mise en place d’un dispositif mobile
anti-rapprochement et le renforcement des ordonnances de protection (Loi 2019-1480 du 28-12-2019). Tout
récemment, le régime procédural renouvelé de ces dernières a été fixé et les violences conjugales sont devenues,
sous certaines conditions, un nouveau cas de déblocage anticipé de l’épargne salariale (respectivement Décrets
2020-636 du 27-5-2020 et 2020-683 du 4-6-2020 ; voir La Quotidienne du 15 juin 2020).
Olivier DESUMEUR
Pour en savoir plus sur cette question, voir : Mémento Droit de la famille n° 10278
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Par un arrêt du 18 mars 2020, la première chambre civile se penche, pour la première fois, sur deux
questions de procédure en matière d’adoption internationale, l’une relative au respect de la
compétence des juridictions spécialisées, l’autre concernant la mise en œuvre de la convention de
La Haye du 29 mai 1993.
Un couple, domicilié en France, souhaite procéder à l’adoption simple d’un enfant né et résidant à
Haïti.
Cette situation, très simple, soulève alors deux difficultés, qui sont examinées par la première
chambre civile dans le cadre d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par le procureur général
près la Cour de cassation.
L’article D. 211-10-1 du code de l’organisation judiciaire dispose que le siège et le ressort des
tribunaux compétents pour connaître des actions aux fins d’adoption ainsi que des actions aux fins
de reconnaissance des jugements d’adoption rendus à l’étranger, lorsque l’enfant résidant
habituellement à l’étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, sont fixés conformément
au tableau VIII-I annexé au code. La spécialisation de certaines juridictions s’explique par la
technicité du régime juridique de l’adoption internationale, qui impose que le juge ait une pratique
suffisante de la matière pour sécuriser les situations.
Si la juridiction saisie n’est pas l’une de celles qui figurent dans ce tableau, la question de son
incompétence se pose, étant précisé qu’en l’espèce, les adoptants n’avaient évidemment pas
soulevé l’incompétence du tribunal qu’ils avaient eux-mêmes saisi, pas plus que le parquet.
À ce propos, il est nécessaire de rappeler que l’article 76 du code de procédure civile dispose que
l’incompétence peut être prononcée d’office en cas de violation d’une règle de compétence
d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas et
qu’elle ne peut l’être qu’en ces cas (il est à noter, pour être complet que ce même article 76 ajoute
que, devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être
relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou
administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française).
Or l’article D. 211-10-1 concerne, selon les termes mêmes du code de l’organisation judiciaire, la
compétence matérielle du tribunal. Les dispositions de cet article 76 étaient donc bien applicables.
Par suite, le tribunal disposait d’une simple faculté de se déclarer incompétent, du moins si l’on
admettait que l’on se trouvait dans le cadre de l’un des deux cas visés par cet article, s’agissant
d’une liste limitative, sous réserve de textes spéciaux (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit
judiciaire privé, LGDJ, 2019, n° 1028).
En revanche, la qualification de règle de compétence d’ordre public s’impose. Il est vrai que la
notion de règle de compétence d’ordre public est incertaine (Rép. pr. civ., v° Incompétence, par
G. Chabot, n° 76). Néanmoins, cette qualification est d’autant plus adaptée qu’une règle de
compétence prévoyant une spécialisation de certains tribunaux judiciaires pour certains
contentieux peut sans doute être considérée comme s’apparentant, au moins en partie, à une règle
d’organisation judiciaire. Or il est admis que les règles relatives à l’organisation judiciaire sont
d’ordre public (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 34e éd., Dalloz,
2018, n° 60).
C’est ce qui explique que l’arrêt rejette le moyen soulevé par le procureur général et retienne qu’un
tribunal non spécialement désigné « pour connaître des actions aux fins d’adoption, lorsque l’enfant
résidant habituellement à l’étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, s’il peut toujours
se déclarer d’office incompétent en application de l’article 76 du code de procédure civile, n’y est
jamais tenu ».
Sans qu’il soit nécessaire ici de présenter de manière approfondie cette convention (sur l’ensemble
du régime juridique applicable en matière d’adoption internationale, v. P. Salvage-Gerest, in P.
Murat (dir.), Droit de la famille, 8e éd., Dalloz Action, 2020/2021, chap. 226), rappelons simplement,
très schématiquement, qu’elle prévoit que, lorsqu’un enfant résidant dans un État contractant doit
être déplacé vers un autre État dans le cadre d’une adoption (art. 2.1), les autorités de l’État
d’origine doivent établir que l’enfant est adoptable (art. 4), que les autorités de l’État d’accueil
doivent constater que les futurs parents sont aptes à adopter (art. 5) et que les États contractants
doivent instituer des autorités centrales (art. 6.1). Une telle organisation a été rendue nécessaire
compte tenu du développement très important du nombre d’adoptions internationales au cours des
dernières décennies et des problèmes juridiques et humains corrélatifs (sur ce,
M.G. Parra-Aranguren, Rapport explicatif sur la convention sur la protection des enfants et la
coopération en matière d’adoption internationale, § 6), surtout dans un contexte où il est à craindre
que des contreparties financières importantes soient exigées ou proposées.
Or, en l’espèce, le tribunal avait indiqué que les conditions légales de l’adoption étaient remplies et
que celle-ci était conforme à l’intérêt de l’enfant, sans toutefois vérifier d’office si la procédure et
les mécanismes prévus par la convention du 29 mai 1993 avaient été appliqués.
Il s’agissait dès lors de déterminer si le tribunal avait failli, en s’abstenant de procéder à une telle
vérification. L’arrêt retient que tel a été le cas, en prononçant une cassation dans l’intérêt de la loi,
une telle cassation ne permettant pas, il est vrai, aux parties de « s’en prévaloir pour éluder les
dispositions de la décision cassée », selon l’expression retenue par l’article 17 de la loi n° 67-523
du 3 juillet 1967 relative à la Cour de cassation.
Cette solution est, semble-t-il, consacrée pour la première fois. Elle s’impose avec évidence, dès
lors que la France est partie à la convention du 29 mai 1993 et que ce texte s’impose donc au juge
en application des principes qui régissent la hiérarchie des normes. Il ne fait ainsi aucun doute que
ce sont des considérations tenant à la portée des engagements internationaux de la France qui
constituent le fondement profond de cette solution (sur la problématique des liens entre le droit
international public et le droit international privé, v. P. de Vareilles-Sommières, La compétence
internationale de l’État en matière de droit privé, LGDJ, 1997).
La Cour de cassation affirme que la révocation d’une adoption simple ne peut être prononcée qu’en
cas de motifs graves résidant dans une cause survenue postérieurement au jugement d’adoption.
Elle casse donc l’arrêt d’appel qui avait considéré que l’insanité d’esprit de l’adoptant au moment
du prononcé de l’adoption permettait une telle révocation.
L’arrêt rendu le 13 mai 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation intervient dans
un domaine, la révocation de l’adoption simple, qui a rarement les honneurs de la haute juridiction
et encore moins parmi les arrêts publiés (moins d’une dizaine en cinquante ans…). Sa motivation
« nouvelle génération », loin de priver le commentateur de toute matière (sur ces débats, v.
B. Dondero, Nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation : panique à l’Université !, D.
2020. 145 ; D. Houtcieff, Motivation enrichie des arrêts de la Cour de cassation : sans
commentaire ?, D. 2020. 662 ), offre l’occasion de revenir sur quelques fondamentaux de cette
institution.
En l’espèce, un homme avait adopté en la forme simple l’enfant de son épouse. Passés quelques
mois, le couple avait effectué diverses donations en faveur de l’adopté. Quatre ans plus tard,
l’époux demandait le divorce et, dans la foulée, la révocation de l’adoption et des donations.
La configuration est classique et la jurisprudence des juges du fond en la matière, d’abord rare, puis
de plus en plus riche en raison du nombre croissant de recompositions familiales (en ce sens, v.
P. Salvage-Gerest, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2019, § 225.41 ; F. Gasnier,
Réflexion sur la pratique de l’adoption simple de l’enfant du conjoint, LPA 20 juin 2011, n° 121,
p. 4), en témoigne. Très souvent, l’adoption simple est le fait du conjoint du parent de l’adopté et la
séparation du couple entraîne une volonté de remettre en cause cette adoption (en ce sens, v.
P. Salvage-Gerest, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2019, § 224.213 ; C. Neirinck,
note ss Versailles, 9 sept. 2010, Dr. fam. 2010. Comm. 185), en particulier quand celle-ci s’est
accompagnée de libéralités, les considérations patrimoniales s’ajoutant alors au désamour.
La particularité de l’espèce, outre le fait qu’elle mènera à une cassation – rarissime, nous y
reviendrons –, réside dans le motif invoqué pour la révocation. Dans l’arrêt sous examen, il était
avéré par différents documents médicaux qu’au moment où l’adoption avait été prononcée,
l’adoptant souffrait de multiples troubles mentaux. Probablement sensibles à l’ampleur de ces
troubles et à la concordance des avis médicaux, les juges du fond avaient alors cru pouvoir
prononcer la révocation de l’adoption simple au motif que l’ensemble des éléments démontrait que
l’adoptant n’était pas sain d’esprit au moment où il avait donné son consentement à l’adoption, ce
qui, selon eux, constituait un motif grave justifiant la révocation de celle-ci.
Sans véritable surprise, la Cour de cassation, au visa des articles 353, alinéa 1, et 370, alinéa 1, du
code civil, casse cette décision pour violation de la loi.
Le premier texte, l’article 353, alinéa 1, du code civil, prévoit que l’adoption est prononcée à la
requête de l’adoptant par le tribunal (de grande instance à l’époque, judiciaire désormais) qui
vérifie dans un délai de six mois à compter de sa saisine si les conditions de la loi sont remplies et
si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.
Il est en effet fondamental de rappeler que l’adoption découle d’un jugement : cela implique qu’elle
ne peut être attaquée qu’en tant que décision judiciaire. En l’espèce, la cour d’appel avait d’ailleurs
pris soin de rappeler que le jugement prononçant l’adoption était susceptible d’appel et de relever
que l’adoptant n’avait pas formé de recours contre la décision.
S’il y a pu y avoir un temps un flottement sur la question des « modalités » de remise en cause de
l’adoption (sur ce flottement, v. Rép. civ., v° Adoption, par F. Eudier, n° 119 ; S. Mornet, note sous
Civ. 1re, 27 nov. 2001, Gaz. Pal. 31 oct. 2002, p. 25), notamment sur le fondement de la qualité du
consentement à l’adoption, la première chambre civile a mis fin à toute ambiguïté dans un arrêt du
27 novembre 2001 (Civ. 1re, 27 nov. 2001, n° 00-10.151, Bull. civ. I, n° 292 ; D. 2002. 39, et les obs.
; AJ fam. 2002. 63, et les obs. ; RTD civ. 2002. 82, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2002. Comm. 57,
note P. Murat ; RJPF 2002-2/32, note A.-M. Blanc ; Gaz. Pal. 30-31 oct. 2002. Somm. 26, note J.
Massip) dans lequel, appliquant l’adage « Voies de nullité n’ont lieu contre les jugements », elle a
affirmé que « le consentement à l’adoption et le jugement qui le constate et prononce l’adoption
sont indivisibles » et qu’« en conséquence, la contestation du consentement ne pouvait se faire
qu’au moyen d’une remise en cause directe du jugement par l’exercice des voies de recours en
conformité avec l’article 460 du nouveau code de procédure civile ». C’est quasiment au mot près
ce que la Cour de cassation affirme dans l’arrêt rapporté.
Pour autant, il est admis que le candidat à l’adoption doit lui aussi avoir manifesté sans équivoque
sa volonté d’adopter (en ce sens, v. Rép. civ., v° Adoption, par F. Eudier, n° 57 ; F. Terré,
C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, Droit de la famille, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, spéc.
§ 789).
Cette impasse explique sans doute que, face à l’évidente insanité d’esprit de l’adoptant au moment
de l’adoption, les juges du fond aient accepté de se placer non pas sur le terrain, menant tout droit
à l’échec comme nous venons de le voir, de la validité de l’adoption mais sur celui de sa révocation.
L’échec était pourtant tout aussi prévisible.
Le second texte visé, l’article 370, alinéa 1, du code civil, prévoit que l’adoption peut être révoquée
s’il est justifié de motifs graves. Comme souvent lorsqu’un texte prévoit des « motifs graves », c’est
vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner pour dessiner les contours de la notion.
Les motifs graves retenus par les juges du fond sont très disparates (F. Gasnier, Réflexion sur la
pratique de l’adoption simple de l’enfant du conjoint, LPA 20 juin 2011, n° 121, p. 4). Il reste que,
conformément à la volonté du législateur de 1966, les juges s’attachent en principe à ne révoquer
l’adoption simple que dans des situations exceptionnelles (en ce sens, v. J. Hauser, note sous Paris,
28 janv. 2010 et Versailles, 9 sept. 2010 ; C. Neirinck, L’irrévocabilité de l’adoption en question,
RDSS 2006. 1076 ; F. Monéger, note sous Versailles, 9 déc. 1999, RDSS 2000. 437 ; H. Fulchiron,
note sous Civ. 1re, 11 oct. 2017, Dr. fam. 2017. Comm. 241 ; F. Granet, Les motifs de révocation
d’une adoption simple, AJ fam. 2002. 24 ). On citera à titre d’exemples (pour d’autres illustrations,
v. F. Granet, art. préc.) : des voies de fait sur la personne de l’adoptant (Civ. 1re, 20 mars 1978, Bull.
civ. I, n° 144), la liaison de l’adopté avec sa mère adoptive ayant entraîné le suicide du père adoptif
(Grenoble, 15 déc. 2004, Dr. fam. 2005. Comm. 129, note P. Murat) ou encore l’attitude de l’adopté
délibérément blessante, vexatoire, méprisante, offensante, voire attentatoire à l’honneur de
l’adoptant (Pau, 10 juill. 1997, Juris-Data n° 046308).
Ainsi, les simples aléas et vicissitudes des relations familiales ne suffisent pas à constituer ces
motifs. Selon les analyses, il est admis que les motifs graves nécessitent la preuve de conflits
majeurs entre adoptant et adopté (en ce sens, v. R. Le Guidec, note sous Civ. 1re, 9 juill. 2014, JCP N
2014. 1385 et la jurisprudence citée) et d’une altération irrémédiable des liens affectifs entre eux
(Rép. civ., v° Adoption, par F. Eudier, n° 500), voire d’une absence totale de tels liens (F. Terré,
C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, op. cit., spéc. § 814, et la jur. citée) de nature à rendre
moralement impossible le maintien des liens créés par l’adoption, ou tout au moins éminemment
souhaitable leur cessation (Rép. civ., v° Adoption, par F. Eudier, n° 500 ; M. Le Bihan-Guénolé, La
révocation de l’adoption, JCP 1991. 3539 et la jur. citée).
À cela s’ajoute parfois le critère de l’ingratitude (C. Neirinck, note préc. ss Versailles, 9 sept. 2010 ;
M. Le Bihan-Guénolé, art. préc).
En l’espèce, rien de tout cela, du moins dans les éléments exposés par les parties et retenus par les
juges du fond. En effet, les juges de la cour d’appel de Nancy avaient retenu comme unique
élément constitutif de motifs graves l’insanité d’esprit de l’adoptant au moment de l’adoption. On
ne peut que constater que cet élément, même avéré, est sans lien avec l’attitude de l’adopté
envers l’adoptant et réciproquement ou les liens les unissant. Compte tenu de ce qui précède, la
cassation ne surprend donc pas et doit être approuvée.
En revanche, on peut être plus réservé sur la justification apportée par la Cour de cassation.
Dans ce type d’affaires, les cassations sont rares, la Cour de cassation s’en remettant en principe à
l’appréciation souveraine des juges du fond sur l’existence ou non de motifs graves (en ce sens, v.
Rép. civ., v° Adoption, par F. Eudier, n° 500 ; C. Neirinck, note préc. ss Versailles, 9 sept. 2010) et
ce en vertu d’une jurisprudence constante et ancienne (Civ. 1re, 10 juill. 1973, Bull. civ. I, n° 243 ;
JCP 1974. II. 17689, 5e esp., note E.S. de la Marnierre ; 20 mars 1978, n° 76-13.415, Bull. civ. I,
n° 114). La Cour de cassation tenait donc l’occasion de préciser les contours de la notion,
notamment grâce à la « motivation enrichie ».
Elle aurait ainsi pu confirmer (ou non) que, schématiquement, les motifs graves résidaient dans
l’attitude des intéressés ou la nature de leurs liens et ne pouvait donc découler de l’existence d’une
maladie mentale. Or, loin de revenir sur la « substance » du motif grave, sans doute trop
protéiforme, elle préfère souligner un critère temporel et affirme, suivant en cela le premier moyen
du pourvoi, que l’adoption ne peut être révoquée que si est rapportée la preuve d’un motif grave
« résidant dans une cause survenue postérieurement au jugement d’adoption ».
Une telle affirmation interroge. Le critère semble nouveau, même si on peut citer un précédent,
plus mesuré, dans une décision du tribunal de grande instance de Paris du 21 novembre 1995
(inédit, rapporté par J. Hauser, RTD civ. 1996. 138 ) qui avait retenu que l’action en révocation de
l’adoption est fondée « sur des comportements en général postérieurs à son établissement ».
En l’espèce, on pressent qu’il s’agissait pour les juges de la haute juridiction d’insister sur la
distinction entre les conditions de l’adoption – qui doivent être vérifiées en amont du jugement et
dont les éventuels défauts sont purgés par celui-ci – et les motifs graves susceptibles de justifier en
aval la révocation, lesquels, en principe, résultent schématiquement d’une dégradation des
relations entre adopté et adoptant.
Tout de même, avec une telle définition, qu’en serait-il si on découvrait quelques mois, années,
après l’adoption, que l’adopté avait tenté de tuer l’adoptant avant l’adoption ou que l’adoptant
avait un temps abusé de l’adopté avant le jugement d’adoption ? Il n’est pas certain qu’une telle
limite « temporelle » générale à la prise en compte des éléments susceptibles de caractériser des
motifs graves soit totalement opportune…
L’
ad
op
tio
n
int
er
na
tio
na
le
re
vê
t
souvent l’aspect d’un parcours du combattant. En effet, pour qu’un enfant étranger puisse être adopté en
France – ou que l’adoption prononcée à l’étranger soit prise en considération par les institutions
françaises – il faut que la loi personnelle des adoptants le permette mais encore que la loi personnelle de
l’enfant le permette aussi (art. 370-3 § 1er et 2 du code civil. La Cour de Cassation en a justement déduit
qu’elle ne pouvait prononcer l’adoption (simple ou plénière) d’un enfant simplement recueilli dès lors que
sa loi personnelle prohibe l’adoption alors qu’il n’est pas né et ne réside pas habituellement en France
(Cass Civ 1ère 10 octobre 2006 B. I n° 431). Tel n’est pas toujours le cas en ce qui concerne les enfants
originaires des pays d’Afrique du Nord puisque les législations de ces États prohibent l’adoption qui ne
serait pas conforme à la vision coranique de la famille essentiellement fondée sur la consanguinité et
l’alliance. De fait, l’Algérie et le Maroc prohibent l’adoption. Il en est de même de la Mauritanie. Il existe
une institution voisine la « kafala » qui s’apparente davantage à une délégation de l’autorité parentale
mais ne constitue pas une adoption au sens du droit français même si l’institution de la kafala est
considérée par la convention de New York comme préservant au même titre que l’adoption l’intérêt
supérieur de l’enfant. La Tunisie fait exception à la règle puisque la loi n° 1958-0027 du 4 mars 1958 régit
la matière en ses articles 8 à 17. Littéralement, l’adoption en droit tunisien est assez proche de l’adoption
que nous connaissons en droit français. Elle prévoit cependant que le recueil de consentement du ou des
parents de l’adopté est effectué par le juge cantonal. par ailleurs, la formule de l’article 10 § 2 qui prévoit
que « un tunisien peut adopter un étranger » permet d’en déduire, a contrario qu’un couple d’étrangers
ne peut adopter un enfant tunisien. Une fois l’adoption prononcée par les autorités locales, se pose le
problème de son effet en France.
Les décisions d’adoption prononcées à l’étranger produisent immédiatement tous leurs effets en France
sans qu’il soit nécessaire de leur accorder un exequatur. Cela veut donc dire qu’une décision d’adoption
prononcée à l’étranger produit, sans qu’elle soit soumise à un contrôle juridictionnel quelconque en
France, des effets de plein droit et cela dès son prononcé à l’étranger, indépendamment de toute mesure
de transcription ou de publicité : c’est l’effet immédiat de plein droit des décisions étrangères rendues en
matière d’état des personnes. Cette efficacité immédiate est subordonnée à la régularité internationale de
la décision : il faut que le juge qui a prononcé l’adoption ait été internationalement compétent, que la
décision ne soit pas contraire à l’ordre public, qu’elle applique la bonne loi et enfin qu’il n’y ait pas eu
fraude. Comme cette irrégularité internationale peut toujours être recherchée par toute personne qui
aurait intérêt, il peut être opportun de « purger » la décision en la faisant transcrire car à cette occasion,
le Parquet vérifiera ces différents points.
https://consultation.avocat.fr/blog/bernard-debaisieux/article-31211-l-adoption-pleniere-d-un-enfant-tunisien.html 1/2
07/09/2020 L'adoption plénière d'un enfant tunisien | par Me Bernard DEBAISIEUX
En matière d’adoption d’un enfant tunisien, le parquet de Nantes auquel incombe cette vérification refuse
la transcription des jugements d’adoption plénière. Il se fonde pour cela sur un arrêt rendu le 14 février
1980 par la Cour d’appel de Tunis qui a affirmé, alors même que l’article 13 § 3 de la loi tunisienne
exprime clairement que le jugement ainsi rendu est définitif, que le consentement venant soutenir le
jugement d’adoption serait révocable par le consentement mutuel des parties en cause. L’adoption
tunisienne ne serait donc pas, aux yeux du Parquet nantais, irrévocable et ne pourrait donc être
assimilée, dans ces effets, à une adoption plénière telle que prévue dans notre législation. Pourtant,
s’agissant des adoptions prononcées à partir de l’institution tunisienne de protection de l’enfance
(I.N.P.E.), il sera observé que l’attestation qui est délivrée par la directrice de cet organisme dans le cadre
de cette procédure, mentionne expressément que le consentement a été donné librement, était éclairé en
ce qui concerne les conséquences de l’adoption et le caractère complet et irrévocable de la rupture,
postérieurement à la naissance de l’enfant et ce sans contrepartie, ce qui est la reprise des exigences de
la loi française en matière d’adoption plénière telles qu’énoncées à l’article 370-5 du code civil.
C’est dans ces conditions que par un jugement rendu le 23 février 2015, le Tribunal de Grande Instance
de Toulouse siégeant en chambre du conseil a considéré que l’abandon judiciairement constaté de
l’enfant par sa mère avant même le début de la procédure d’adoption avait rompu tout lien de droit entre
eux et que le caractère circonstancié du consentement avait été donné par la directrice de l’I.N.P.E., en
pleine connaissance de cause des conséquences de l’adoption plénière de l’enfant en droit français. En
conséquence, il a prononcé l’adoption plénière de l’enfant.
Le 30 janvier 2017, le Tribunal de Grande Instance de Grenoble a fait droit, sur les mêmes arguments, à
semblable requête et prononcé l'adoption plénière d'une enfant adoptée en Tunisie. Il en a été de même
par un jugement du Tribunal de Grande Instance d'Evry en date du 14 mai 2019 ... et encore plus
récemment par celui de Bordeaux..
https://consultation.avocat.fr/blog/bernard-debaisieux/article-31211-l-adoption-pleniere-d-un-enfant-tunisien.html 2/2
07/09/2020 (Jur) Tierce opposition à l’exequatur d’un jugement étranger d’adoption : office du juge | La base Lextenso
Après avoir justement énoncé que la conformité de la décision camerounaise dont l’exequatur a été prononcé doit être vérifié, non
à l’ordre public national, mais à l’ordre public international français, la cour d’appel de Versailles retient à bon droit que la
disposition de l’article 353-1 du Code civil subordonnant l’adoption d’un enfant étranger à un agrément ne consacre pas un
principe essentiel du droit français et en déduit exactement que l’absence de sollicitation par l’adoptant d’un agrément pour
adopter ne porte pas atteinte à l’ordre public international français.
Mais l'arrêt est cassé par ailleurs au visa de l'accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le
Cameroun et de l’article 8 de la Conv. EDH.
En effeet, la cour d’appel a retenu que l’interdiction de la révision au fond ne permet pas au juge de l’exequatur d’examiner les
violations du droit au respect de la vie familiale de la tierce opposante au jugement d’exequatur. Or, énonce la Cour de cassation,
le juge de l’exequatur doit d’office vérifier et constater, sans la réviser au fond, que la décision étrangère ne contient rien de
contraire à l’ordre public international français, lequel inclut les droits reconnus par la Conv. EDH que la France s’est engagée à
garantir à toute personne relevant de sa juridiction.
Encourt encore la cassation l'arrêt qui retient que la fraude à la loi ne peut résulter de la seule abstention de l’adoptant d’indiquer
qu’il était marié et que le consentement de son épouse était nécessaire ou qu’il n’avait pas obtenu l’agrément requis, sans
rechercher, comme la cour d'appel y était invitée, si le seul but poursuivi par l’adoptant n’était pas de favoriser la naturalisation ou
le maintien sur le territoire national de sa concubine, mère des adoptées.
SOURCE
https://www.labase-lextenso.fr/jur-tierce-opposition-lexequatur-dun-jugement-etranger-dadoption-office-du-juge 1/1
CORPS HUMAIN
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
La Cour de cassation, après avoir refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC visant
l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, affirme sans surprise, dans la même espèce, que cet article
n’est pas non plus contraire aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de
l’homme ni à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
L’arrêt de la première chambre civile rendu le 24 juin 2020 (pourvoi n° 19-15.198) devrait paraître
familier aux lecteurs de cette rubrique. En effet, il intervient dans une affaire déjà évoquée ici
puisque la demanderesse au pourvoi avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité
(QPC) visant l’alinéa 2 de l’article 371-4 du code civil, question que la Cour de cassation avait
refusé de transmettre par un arrêt du 6 novembre 2019 (sur lequel, v. Dalloz actualité, 21 nov.
2019, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2019. 2182 ; AJ fam. 2019. 648, obs. M. Saulier ). Pour rappel, la
situation est celle d’un couple homosexuel féminin ayant mené à bien un projet parental après
plusieurs années de vie commune. Le couple s’est séparé deux ans et demi après la naissance de
l’enfant et la mère ne souhaitait pas que son ancienne compagne maintienne des liens avec son
enfant. Cette dernière a donc agi en justice pour obtenir le maintien de ces liens. La cour d’appel de
Rennes ayant rejeté ses demandes, elle a formé un pourvoi en cassation qui est rejeté par l’arrêt
sous examen.
La demanderesse, dans un moyen qui ne comportait pas moins de quatorze branches, invoquait
tout d’abord divers griefs visant à démontrer l’inconventionnalité de l’alinéa 2 de l’article 371-4 du
code civil au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et de
l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
L’article 371-4, alinéa 2, du code civil prévoit que si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires
familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier
lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son
éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables. Selon
un raisonnement proche de celui tenu au soutien de la QPC, la demanderesse soulignait que cet
article ne prévoit, pour le parent d’intention ou le parent de fait, selon les expressions utilisées par
le pourvoi, aucune obligation de maintenir des liens avec l’enfant qu’il a élevé, et, symétriquement,
ne lui confère pas de droit de visite et d’hébergement de principe, principe qui ne pourrait être
écarté qu’en cas de motifs graves. Il s’agissait donc de reprocher implicitement à cet article de ne
pas reconnaître à ce « parent » les mêmes droits et devoirs en matière de maintien des relations
avec l’enfant qu’il a élevé que ceux reconnus au père ou à la mère dont le lien de filiation a été
juridiquement établi, éventuellement par le biais d’une adoption de l’enfant du conjoint, désormais
possible dans les couples homoparentaux. C’est en cela que cet article serait contraire au droit au
respect de la vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8), au principe de non-discrimination (Conv.
EDH, art. 14) et à l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer dans toute décision le concernant
(CIDE, art. 3-1).
Sur cette question de l’inconventionnalité de l’article même, la Cour de cassation affirme qu’« en ce
qu’il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale
des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les
exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New York et 8 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. / Il ne saurait
davantage méconnaître les exigences résultant de l’article 14 de cette même Convention dès lors
qu’il n’opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union
contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales
selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique,
en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère ».
La réponse de la Cour de cassation ne surprend pas, surtout après le refus de transmettre la QPC.
En effet, cette QPC était déjà fondée sur une supposée contradiction de l’article 371-4, alinéa 2, du
code civil à l’intérêt supérieur de l’enfant (atteinte à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur
de l’enfant garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946),
au principe d’égalité (tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen), qu’on peut voir comme le miroir du principe de non-discrimination, et au droit au respect
de la vie familiale (atteinte au droit à la vie familiale normale de l’enfant et de son parent de fait
garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946). Cela explique qu’on
retrouve ici dans la réponse de la Cour de cassation aux moyens soutenant une inconventionnalité,
les arguments employés là pour rejeter l’inconstitutionnalité de cet article. Il convient donc de
renvoyer pour de plus amples commentaires aux différentes analyses de l’arrêt de rejet de la QPC,
largement transposables. La Cour de cassation se serait sans doute contredite si elle avait décidé le
contraire. Cela explique également le rejet de la demande d’avis consultatif de la Cour européenne
des droits de l’homme formulée devant elle.
Le premier consistait à reprocher à la cour d’appel d’avoir refusé de lui accorder un droit de visite
et d’hébergement pour des motifs impropres à exclure un tel droit : comportement violent de la
demanderesse envers la mère de l’enfant, incapacité à préserver l’enfant du conflit du couple,
craintes de l’enfant, relations conflictuelles du couple. Selon la demanderesse, aucun de ces motifs
ne caractérisait des motifs graves et/ou ne justifiait qu’on lui refuse un droit de visite et
d’hébergement sur l’enfant qu’elle avait élevé… Elle invoquait en conséquence, selon les branches
du moyen, des violations de l’article 371-4 du code civil et de l’article 3-1 de la CIDE ou un manque
de base légale à l’égard des mêmes articles.
Que retenir de toute cette affaire ? Assurément, d’un point de vue strictement juridique, que
l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, en ce qu’il prévoit un droit de visite et d’hébergement à
l’égard des tiers ayant élevé l’enfant moins « impératif » que le maintien des liens entre l’enfant et
son père ou sa mère légal(e), n’est ni inconstitutionnel ni inconventionnel.
Plus largement, cette espèce permet aussi de souligner combien l’article 371-4, alinéa 2, du code
civil est mal adapté à la situation des parents d’intention d’un enfant né dans le cadre de ce qu’on
appelle désormais couramment un « projet parental ». Ce « tiers » s’estime en effet plus parent que
beau-parent (entendu comme l’homme ou la femme ayant vécu avec l’enfant de l’autre, né d’une
précédente relation, et auquel s’applique aussi l’article), d’où la tentative de la demanderesse
d’exiger une inversion des principes et qu’un droit de visite et d’hébergement soit reconnu sauf
motifs graves comme c’est le cas pour les parents juridiques.
Il convient néanmoins de rappeler que si l’article 371-4 du code civil n’est pas adapté à cette
situation, le législateur a fait un pas important envers ces « tiers » particuliers en permettant aux
couples homosexuels de se marier et donc de se voir reconnaître comme parent légal via
l’adoption. Demain, il sera même peut-être possible d’établir un double lien de filiation, en amont,
en cas de recours à une procréation médicalement assistée dans les couples de femmes, mariées
ou non. Cela réduira sans doute les hypothèses dans lesquelles on demandera à l’alinéa 2 de
l’article 371-4 du code civil plus qu’il ne peut donner…
La reconnaissance juridique de la « chosification » des éléments et produits « détachés » du corps suit un chemin
difficile dont le tracé se dessine au rythme des bouleversements tant moraux que philosophiques, qui se sont imposés
au travers des progrès de la recherche biomédicale et de l’émergence grandissante d’un besoin du respect de la
volonté individuelle et de la liberté de disposer de soi .
Les conditions d’exploitation du sang et de ses produits dérivés au niveau international interpellent. Pour que ces
biotechnologies participent au bien-être de l’humanité, elles doivent être au centre d’une réflexion respectueuse de la
richesse des différences individuelles, faisant fi des cloisonnements idéologiques qui entravent le progrès.
1) le cadre juridique.
Histologiquement, le sang est un tissu conjonctif, ce qui implique qu’il soit soumis aux dispositions particulières du
code de la santé publique concernant les « tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés » [3].
Cependant, « le statut des produits sanguins fait apparaître une différence très sensible entre le sang lui-même et les
produits préparés à base de sang » [4].
C’est avec la découverte des techniques de transfusion sanguine que se sont posées pour la première fois les
questions concernant le statut juridique du sang en tant qu’élément corporel séparé du corps, telles qu’elles furent
précédemment abordées sous un angle plus gƒénéral [5].
Avec la loi de bioéthique de 1994 [6] puis, dans une moindre mesure celles de 2004 [7] et de 2011 [8], le législateur
a eu notamment pour objectif, d’établir une réglementation d’ensemble applicable aux éléments et produits du corps
humain. Au-delà de l’énoncé de principes d’application générale à tous les éléments et produits du corps humain […]
des règles plus spéciales ont été appliquées à certains éléments ou produits, tel que le sang par exemple [9].
Le sang humain [10] est un tissu conjonctif, constitué par un fluide salé jaunâtre, le plasma [11], dans lequel circulent
des cellules : globules rouges [12] et globules blancs [13] et des plaquettes sanguines [14]. Le plasma composé de
90% d’eau et 10% de protéines, constitue 57% du volume sanguin total. Il est riche de plus de 300 protéines ayant
de très nombreuses fonctions essentielles [15].
Le plasma frais congelé (PFC) figure, à côté des concentrés de plaquettes (CP) et de globules rouges (CGR) et du sang
entier non fractionné, dans la liste des médicaments essentiels publiée depuis 1977 par l’Organisation Mondiale de la
Santé [16] et des produits sanguins labiles (PSL) [17] dont l’utilisation est autorisée en France dans le cadre de la
médecine transfusionnelle [18]. Les globules blancs ne sont pas transfusés car ils pourraient déclencher des réactions
néfastes chez le receveur.
En France, les concentrés de globules rouges sont transfusés pour le traitement de l’anémie, qu’elle soit d’origine
médicale, chirurgicale ou obstétricale, lorsqu’elle entraîne un défaut d’oxygénation des organes risquant de provoquer
des dommages irréversibles [19]. La transfusion de concentrés plaquettaires, permettant la formation d’un caillot
sanguin, est le plus souvent utilisée « de manière préventive pour empêcher l’hémorragie, quand le taux plaquettaire
du patient est si bas qu’un saignement grave peut survenir à n’importe quel moment ». L’emploi de transfusions
plasmatiques est aujourd’hui essentiellement réservé à des troubles graves de la coagulation, ou des « pathologies
thrombotiques qui constituent une grande urgence thérapeutique »
Le marché mondial des produits dérivés du plasma déjà colossal et en pleine expansion, est estimé aujourd’hui à 24
milliards de dollars. En très forte croissance avec un taux annuel de croissance (Compound Annual Growth Rate
CAGR) de 8.9%, il devrait atteindre 37 milliards en 2024 [20]. Partagé par quelques grands groupes pharmaceutiques
au nombre desquels figurent principalement Baxter [21], CSL Behring [22], Grifols Therapeutics [23] et
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08/09/2020 Imprimer: Le don du sang et le marché du plasma humains : Dr. Jekyll et M. Hyde. Par Bernard Perbal, Professeur.
Octapharma [24].
Malheureusement, ce marché a totalement échappé à la France qui s’en est exclue.
Lorsque le sang est collecté, il est fractionné en lots de cellules blanches et rouges et plaquettes. Le plasma peut être
utilisé directement pour des transfusions après traitements conservateurs appropriés ou utilisé par les industries
spécialisées qui purifient des constituants plasmatiques destinés à rentrer dans la composition de médicaments
destinés à des patients souffrant de maladies génétiques ou d’infections très graves. Malgré le coût élevé de leur
production que les industries pharmaceutiques attribuent aux technologies de pointes utilisées pour la production de
ces protéines plasmatiques, la demande est en constant accroissement.
Le segment le plus important est celui de la thérapie par injection intraveineuse de mélanges d’immunoglobulines
pour le traitement de pathologies sanguines, en forte augmentation, liées au vieillissement global de la population,
aux désordres inflammatoires nerveux et aux nombreux cas d’immunodéficience, mais au total, c’est plus d’une
centaine de maladies qui sont demandeuses de médicaments dérivés du plasma.
Il faut jusqu’à 130 donneurs de plasma pour soigner une personne déficiente [25].
La technique d’aphérèse [26] permet de prélever jusqu’à 750 ml de plasma par donneur.
Sans verser dans l’apologie du système économique libéral à tout va, on est tout de même en droit de se poser une
fois de plus la question : pourquoi la France accepte-t-elle et vit-elle si bien d’être la lanterne rouge de l’exploitation
des ressources gigantesques ouvertes par l’évolution de la gestion des données génétiques [27] et par l’exploitation
des biotechnologies du sang et de ses dérivés ? Comment accepter que, guidés par des principes moraux désuets et
paralysants, nous n’ayons comme avenir que celui de voir notre santé gérée par des entreprises étrangères qui sont
tant décriées aujourd’hui ? Combien de temps faudra-t-il pour que des chercheurs scientifiques dignes de ce nom, il
en reste heureusement quelques uns en France , puissent faire fi de croyances et de règles morales séculaires qui leur
ont été imposées et qui ne sont que la source de conflits sociétaux ?
En France le don du sang, règlementé depuis 1952 [28] , est considéré comme un acte libre, gratuit, anonyme,
volontaire et de générosité humaine. Il s’inscrit dans le principe plus large de non patrimonialité du corps humain.
La loi du 21 juillet 1952 autorise les transfusions sanguines, réglemente leur régime et fixe le statut du sang, du
plasma et de ses dérivés. Modifiée par la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993, inscrite aujourd’hui dans les articles L1221-1
et suivants du Code de la santé publique, cette réglementation spécifique, ne concerne que l’utilisation thérapeutique
du sang humain.
Les modalités de collecte, préparation, conservation du sang et de ses composants ainsi que des produits sanguins
labiles sont définies par les articles L1221-1 à L1221-14 du Code de la santé publique. C’est ainsi que « La transfusion
sanguine s’effectue dans l’intérêt du receveur et relève des principes éthiques du bénévolat et de l’anonymat du don,
et de l’absence de profit » (article L1221-1).
Les conditions dans lesquelles les dons peuvent être autorisés sont fixées par les articles L1221-3 et L1221-4.
L’article D1221-1 du Code de la santé publique, quant à lui, dispose que « Le don de sang ou de composants du sang
ne peut donner lieu à aucune rémunération, directe ou indirecte. Sont notamment prohibés à ce titre, outre tout
paiement en espèces, toute remise de bons d’achat, coupons de réduction et autres documents permettant d’obtenir
un avantage consenti par un tiers, ainsi que tout don d’objet de valeur, toute prestation ou tout octroi d’avantages ».
Sont autorisés les remboursements « des frais de transports exposés lors du don, à l’exclusion de tout
remboursement forfaitaire » (article D1221-4 du Code de la santé publique) de même que « la remise au donneur des
marques de reconnaissance prévues par la réglementation en vigueur ainsi que l’offre d’une collation consécutive au
don » (article D1221-3 du Code de la santé publique).
L’employeur est autorisé à maintenir le salaire pendant la durée du don, sans aucune idée deforfaitisation (article
D1221-2 du Code de la santé publique) et le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’une personne le prélèvement de
son sang contre un paiement, quelle qu’en soit la forme, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros
d’amende. Le délit d’entremise pour favoriser l’obtention du don de sang contre un paiement est puni des même
peines (article L1271.3 du Code de la santé publique).
L’EFS est, à ce jour, l’unique établissement public administratif responsable de la collecte, de la préparation, de la
qualification ainsi que de la commercialisation du sang, du plasma et des plaquettes aux établissements de santé, en
particulier à des fins de transfusion [29]. Les attributions et responsabilités de L’EFS en ce qui concerne « les activités
de collecte du sang, de qualification biologique du don, de préparation, de distribution et de délivrance des produits
sanguins labiles et de leur contrôle de qualité » sont définies aux articles L1222-1 à L1222-16 du Code de la santé
publique.
A côté de l’EFS le laboratoire biopharmaceutique français (LFB) [30], fractionne le plasma qui est acheté à l’EFS pour
en préparer et commercialiser essentiellement trois classes de médicaments utilisés dans les domaines de l’anesthésie
et réanimation, de l’immunologie et de la coagulation. Dans un rapport sur « La filière du sang en France » qu’il
présentait en 2013 [31], Olivier Véran mentionnait déjà le retard concurrentiel du LFB par rapport à ses concurrents
sur un marché en pleine expansion [32].
Dans un arrêt pris en faveur de Octapharma le 13 mars 2014, la Cour Européenne de Justice considéra que le plasma
préparé industriellement par Octapharma (plasma transfusionnel SD déleucocyté et traité par détergent) doit être
entendu comme un produit labile en ce qui concerne sa collecte et son contrôle [33], et comme un médicament dérivé
du sang en ce qui concerne sa transformation, sa conservation et sa distribution.
L’EFS n’ayant pas le statut d’établissement pharmaceutique n’était plus autorisé à produire ce type de plasma à
compter du 31 janvier 2015 et le marché français était ouvert à Octapharma, sans véritable garantie que les produits
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08/09/2020 Imprimer: Le don du sang et le marché du plasma humains : Dr. Jekyll et M. Hyde. Par Bernard Perbal, Professeur.
livrés par cette entreprise répondent aux principes éthiques régissant la production et la distribution des poches de
plasma par les établissements français.
Les bouleversements déclenchés par les intérêts financiers considérables générés par le marché du plasma, mettent à
mal un système où la collecte de sang non rémunérée n’est plus financièrement compétitive puisqu’elle aboutit à la
production de produits plus chers que ceux issus de dons rémunérés.
Les modalités de recrutement faisant appel au don gratuit tel qu’il est fortement encouragé au sein de l’Union
Européenne et par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sont l’objet de différentes interprétations par les parties
consultées, essentiellement en ce qui concerne les compensations accordées aux donneurs bénévoles [34].
Selon l’OMS « seuls les dons réguliers de la part de donneurs volontaires non rémunérés permettent d’assurer un
approvisionnement suffisant » et fiable [35].
En France, la règle de la gratuité, inscrite à l’article 16‐6 du Code civil, est de portée générale et d’ordre public. Elle
apparaît dans les travaux préparatoires comme l’une des conséquences du principe de non‐patrimonialité [36].
De vives controverses ont été exprimées au sein du Conseil de l’Europe lors des discussions qui ont abouti à la
directive sur le don du sang [37]. Soutenue par les Pays-Bas, le Danemark et le Luxembourg, la France souhaitait
imposer la gratuité des dons alors que L’Autriche et le Royaume Uni s’y opposaient. Les membres de l’Union
européenne ont finalement été d’accord pour encourager « Les États membres à prendre des mesures destinées à
promouvoir l’autosuffisance de la Communauté en sang humain et en composants sanguins et à encourager les dons
de sang et de composants sanguins volontaires et non rémunérés ».
La crainte que la rémunération des dons du sang incite certains individus en difficulté financière à vouloir donner des
quantités importantes de sang, au péril de leur vie, ou conduise certains donneurs à masquer ou falsifier certaines
informations concernant leur état de santé a été soulevée et admirablement traitée dans des reportages d’information
pour le grand public [38].
Le principe d’une rémunération du don ou d’une démarche d’incitation au don de sang divise beaucoup. Cette division
est exacerbée par le développement considérable du marché des produits sanguins.
Les dons de sang sont rémunérés de 20 à 50 euros par exemple en Allemagne, en Autriche, en Chine, et aux États-
Unis où les dons rémunérés de 20 à 50 dollars peuvent générer un revenu mensuel atteignant 200 dollars. Le système
économique français de production de médicaments dérivés du plasma, qui impose au LFB de s’approvisionner en
sang auprès de l’EFS aboutit à une situation paradoxale ou « la collecte de sang gratuit revient plus cher que celle du
sang payant.
Il faut régulièrement motiver des donneurs par de coûteuses campagnes de communication, mobiliser des camions et
du personnel de collecte en différents endroits où ils n’accueilleront parfois qu’un seul donneur par heure, etc. alors
que, pour le don de sang rémunéré, il suffit de les convoquer : « Si vous voulez toucher 50 euros, présentez-vous tel
jour, à telle heure, à tel endroit » [39].
Pointant le manque d ‘efficience de la filière du sang en France et dressant un constat d’échec du LFB la Cour des
comptes suggérait en 2019 d’indemniser systématiquement le don de plasma par aphérèse et de relever le plafond
d’indemnisation des donneurs [40].
Se pose alors le problème de la limite acceptable entre l’incitation financière et la rétribution marchande des produits
du soi. Au nom de la liberté de disposer des produits de leur corps, certains avancent même qu’il n’y a aucune
différence entre la vente de son sang et la vente de ses cheveux qui est très largement acceptée et légale.
Sur un plan biomédical la situation est cependant beaucoup plus complexe, dans la mesure où le sang et ses produits
dérivés qui sont introduits dans le corps du receveur, peuvent potentiellement être contaminés par des agents
biologiques responsables d’épidémies très graves, comme l’ont montré i) la transmission du VIH par le sang prélevé
sur des donneurs toxicomanes incarcérés au moment de la crise du sang contaminé, aussi bien en France qu’aux
États-Unis, ii) la vente de plasma contaminé par les virus de l’hépatite C et du SIDA en Chine, iii) la distribution à des
milliers de personnes, de produits sanguins contaminés par les virus de l’hépatite C et du SIDA en Grande Bretagne
entre 1970 et 1990 et iv) les maladies cérébrales du type Creutzfeldt-Jacob apparues après l’injection de certains lots
de plasma en Grande Bretagne. La présence de dérivés médicamenteux et autres produits toxiques dans le sang de
donneurs rémunérés est également un problème aigu [41].
De plus, le risque encouru lors de la transfusion de poches de globules rouges provenant de sources incertaines est
considérablement accru dans le cas de l’injection de produits dérivés de plasma préparés par les industries
pharmaceutiques à partir de mélanges provenant de plusieurs milliers de donneurs.
Certains observateurs prévoient que les pressions économiques exercées par un marché international de plus en plus
puissant sont telles que tôt ou tard, le maintien d’un système de collecte de plasma fondé sur des considérations
nobles et altruistes conduira à l’amplification d’un dilemme déjà naissant. Devra-t-on refuser le traitement de patients
qui ont besoin de plasma ou acheter du plasma de sources dont les pratiques sécuritaires n’offriront pas toujours une
sécurité optimale ? [42]
En résultera-t-il une accélération d’un système médical « à deux vitesses » ?
Le système de donation altruiste doit-il être reconsidéré ?
Autant de questions qui restent d’actualité dans un monde où les donneurs volontaires ne souhaitent pas voir leur
sang vendu à des entreprises pharmaceutiques qui en tirent des profits gigantesques et où, dans certaines conditions,
la proposition de financement des dons s’est avérée contre-productive en aboutissant à une diminution du nombre de
donneurs.
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08/09/2020 Imprimer: Le don du sang et le marché du plasma humains : Dr. Jekyll et M. Hyde. Par Bernard Perbal, Professeur.
Les problèmes éthiques que pose la rémunération des dons du sang ont été largement commentés au cours des 50
dernières années, depuis la publication par R. M. TITMUSS d’un ouvrage séminal [43] dans lequel il considérait que la
généralisation de l’approche commerciale du don sanguin n’attirant que les classes les plus défavorisées de la
population, se solderait par une pénurie de sang disponible qui serait due en particulier à la qualité médiocre des
prélèvements collectés sur des donneurs qui étaient souvent vecteurs de maladies infectieuses du type hépatite ou
SIDA.
A la suite de cette publication, plusieurs pays avaient adopté dans les années 70 un système de gratuité du don
sanguin auquel P. Rodriguez del Pozo attribuait trois inconvénients majeurs [44], à savoir le risque d’émergence d’un
marché parallèle, le transfert net de ressources d’un secteur de la société à l’autre sans compensation ni justification,
et la pénurie de dérivés plasmatiques.
Malgré les inconvénients associés à la rémunération des dons, c’est un système qui, selon cet auteur, pourrait dans un
cadre strictement limité permettre de pallier la pénurie des dérivés plasmatiques qui est aujourd’hui au cœur des
problématiques de santé au niveau mondial.
Dans un contexte où les nations qui ont opté et maintiennent un système de dons altruistes se tournent toutes vers
des importations en provenance de pays dans lesquels les garanties sécuritaires et la traçabilité des échantillons ne
sont pas toujours assurées, il est essentiel de mettre en œuvre des contrôles drastiques au niveau de la collecte, de la
conservation et de la distribution des prélèvements.
Comment concilier les besoins grandissants en médicaments plasmatiques qui résultent d’une demande de plus en
plus grande des patients [45] et les positions éthiques des pays favorables au don volontaire non rémunéré ?
Les positions éthiques, morales et philosophiques qui depuis des décennies prônent le principe du don bénévole,
anonyme et non-rémunéré des éléments et produits du corps se heurtent de plein fouet à la puissante mondialisation
des industries du plasma et ses effets pervers sur la condition de l’homme, dans des sociétés où la valeur dominante
est le profit financier.
L’analyse des positions divergentes des pays membres de l’Union Européenne révèle malheureusement une situation
figée où chacun semble camper sur des considérations et des systèmes nationaux qui résistent de plus en plus mal
aux pressions économiques mondiales.
Ces questions sont à la source de débats de fond et affrontements conceptuels d’ordre philosophique, voire
théologique, qui ne prennent malheureusement pas en compte la réalité du monde d’aujourd’hui, réalité des
différences culturelles au sein de l’Europe et aux États-Unis, réalité des systèmes économiques profondément injustes
qui se sont installés au cours des siècles passés.
Nous retiendrons ici, comme base de réflexion, la position de P. Rodriguez del Pozo qui écrivait « Il n’y a pas de
différence éthique entre l’achat de plasma de donneurs qui ont été payés et l’achat de plasma de donneurs
volontaires. Les doutes moraux entourant les donations rémunérées, en particulier en ce qui concerne l’exploitation
possible des indigents, s’appliquent au-delà des frontières nationales, mais ne sont en aucun cas résolus.
L’importation ne réussit pas non plus à éradiquer les dangers sanitaires associés au sang provenant de sources
monnayées, et elle introduit de nouveaux risques, car les normes sont encore plus difficiles à maintenir pour les
mélanges de plasma. »
On serait presque tenté de transposer la question en disant « je ne fabrique pas de fausse monnaie car ce n’est pas
éthique, mais j’utilise les faux billets fabriqués par les autres ».
Il ne fait aucun doute que tout le monde s’accorderait à trouver cette position hypocrite....
Si les mesures à prendre en ce qui concerne la pénurie croissante des approvisionnements en plasma nécessitent que
les différentes conceptions éthiques des pays concernés soient prises en compte, il ne faut pas oublier que le but
essentiel et universel des traitements médicaux consiste à sauver les vies humaines en danger.
Dans un article où deux personnalités du monde médical exprimaient leur opinion vis à vis de la gratuité du don du
sang, R. C. Neville, qui était favorable à la collecte rémunérée de sang, déclarait « Je ne voudrais pas être celui qui
devrait annoncer à la famille d’une personne qui serait morte à cause d’une pénurie de plasma que le sang était
commercialement disponible mais que l’acheter aurait été un acte immoral » [46].
C’est dans cette optique que la justification éthique concernant l’acceptation ou le refus de sang provenant de dons
rémunérés doit être évaluée.
[1] Par analogie à l’œuvre de Robert Louis Stevenson « Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde » 1886, Longmans,
Green & Co, Londres.
[2] J.-M. POUGHON « La personne juridique ou le complexe de Prométhée ». Les Cahiers philosophiques de
Strasbourg, 31, 2012, p 255
[4] JCl Civil Code, Art. 16 à 16-14 Fasc. 24. Mise à jour 16 février 2017.
[5] « Si dans un système qui a distingué les personnes des choses, on est finalement obligé de reconnaître que ce qui
a été séparé du corps appartient à la catégorie des choses, la question essentielle est alors … le fait de séparer un
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35627 4/7
08/09/2020 Imprimer: Le don du sang et le marché du plasma humains : Dr. Jekyll et M. Hyde. Par Bernard Perbal, Professeur.
élément du corps modifie-t-il le statut juridique de cet élément ? Si on répond par la négative, on admet par là même
que le corps est une chose » J.-P. BAUD « L’affaire de la main volée »
[6] Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain.
[9] JCl Civil Code, Art. 16 à 16-14 Fasc. 22. Mise à jour 29 novembre 2016.
[10] Environ 5 à 6 litres chez l’homme et 4 à 5 litres chez la femme de poids moyen.
[11] Le plasma contient des sucres, des vitamines, des graisses, des sels minéraux (dont sodium, calcium,
magnésium, chlore, et carbonates) qui sont nécessaires au fonctionnement des muscles et des nerfs, à la régulation
de la pression artérielle, au maintien de l’équilibre hydrique, à la coagulation sanguine, et au métabolisme osseux.
[12] Les globules rouges, ou érythrocytes également dénommés hématies, sont dépourvus de noyau. On en compte
en moyenne 4,2 à 5,7 milliards par millilitre de sang chez l’homme et 4 ,0 à 5,3 milliards chez la femme. Elles
assurent un rôle essentiel dans le processus de respiration. Leur cytoplasme contient de grandes quantités
d’hémoglobine qui assure le transport de l’oxygène des poumons aux tissus et la régulation du transport sous forme
de bicarbonate, du gaz carbonique produit par les cellules vers les poumons. Les hématies sont porteuses d’antigènes
de surface définissant des groupes sanguins chez l’homme
[13] Les globules blancs, ou leucocytes, au nombre de 4 à 10 millions par millilitre de sang chez l’homme et la
femme, sont produits par la moelle osseuse. On les trouve aussi dans la lymphe, les organes lymphoïdes et certains
tissus conjonctifs. Il en existe plusieurs types morphologiques et fonctionnels. Ils jouent un rôle important dans les
processus immunitaires permettant de lutter contre les infections bactériennes, virales, parasitaires ou fongiques. Ils
sont aussi essentiels dans les processus de reconnaissance du soi et dans les allergies.
[14] Les plaquettes sanguines, ou thrombocytes, sont nécessaires à la formation du caillot lors de la coagulation
sanguine. Elles sont produites à partir de la fragmentation de grandes cellules de la moelle osseuse dénommées
mégacaryocytes et ne contiennent pas de noyau. Le nombre de plaquettes peut être affecté par certaines pathologies.
En plus de leur rôle dans la coagulation, elles sont des modulateurs de processus inflammatoires.
[15] Quantitativement, les plus importantes protéines plasmatiques sont l’albumine, les anticorps essentiels aux
réaction immunologiques, le fibrinogène qui joue un rôle important dans la coagulation sanguine, la transferrine qui
transporte le fer et les lipoprotéines de type HDL et LDL (High- and Low-Density Lipoproteins) qui transportent le
cholestérol. Le plasma est aussi un transporteur d’hormones de molécules circulantes impliquée dans la signalisation
cellulaire et de très nombreuses protéines utilisées comme médicaments pour soigner les hémophiles ou les grands
brûlés par exemple.
[16] La liste modèle de médicaments essentiels, publiée pour la première fois en 1977 contenait 208 médicaments. La
21e édition de 2019 en contient 460 https://en.wikipedia.org/wiki/WHO_M....
[18] Décision du 8 février 2018 fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles. JORF n°0060 du 13
mars 2018.
[21] Avec l’implantation de Baxalta à Covington en Géorgie, Baxter a réalisé un investissement considérable dans la
construction d’un site ayant pour but le développement de nouvelles techniques de fractionnements et de purifications
de protéines plasmatiques à visée thérapeutique. La capacité annuelle du site est supposée atteindre plus de trois
millions de litres de plasma.
[22] CSL Behring se présente comme le leader mondial dans le domaine des technologies de pointe concernant le
traitement de maladies de la coagulation, de l’immunodéficience des maladies auto-immunes, et de maladies
pulmonaires sévères ou rares telles que l’œdème angioneurotique. CSL est la première compagnie distribuant une
préparation thérapeutique d’immunoglobuline utilisable de manière sous-cutanée dans le traitement de
la polyradiculonévrite inflammatoire démyélinisante chronique (PIDC).
[23] Grifolds possède quatre sites de production situés en Espagne et aux USA qui fractionnent chaque année environ
8 millions de litres de plasma.
[24] Octapharma, entreprise familiale dont le siège est situé à Lachen en Suisse, est un leader mondial dans le
domaine de la production des protéines plasmatiques et de lignées cellulaires humaines. Elle distribue, entre autres,
des produits hématologiques, tels que des facteurs de coagulation pour le traitement des hémophiles, des produits
utilisés en immunothérapie et pour le traitement de maladies auto-immunes. Avec un chiffre d’affaire de 108 millions
d’euros en 2018, l’entreprise affiche une croissance de 15% .
[25] Le don de plasma est un peu plus long, environ 90 minutes, que le don de sang mais seul le plasma est prélevé
et les cellules sanguines sont réinjectées au donneur. La quantité de plasma prélevée est plus importante : près de
trois fois supérieure à la quantité contenue dans une poche de sang. Un don de plasma peut être effectué tous les 15
jours.
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35627 5/7
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[26] Le sang prélevé du donneur, passe dans une centrifugeuse qui conserve le plasma et retourne au donneur les
autres composants du sang (globules rouges, globules blancs et plaquettes) Le don dure environ 60 minutes.
[27] PERBAL B. Pour une liberté surveillée des tests génétiques LPA 179-180 8-9 septembre 2015 ; PERBAL B. La
nécessaire requalification juridique des données et informations génétiques LPA 6 mai 2019, n° 144f4, p. 15.
[28] Loi n°52-854 du 21 juillet 1952 sur l’utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés.
[29] Créé par la Loi N°98-535 du 1er juillet 1998 (article 18) l’Établissement français du sang s’est substitué, à
compter de sa création, aux établissements de transfusion sanguine, aux personnes publiques membres des
groupements d’intérêt public et à l’Agence française du sang dans tous leurs droits et obligations d’employeur. Il
regroupe aujourd’hui 13 établissements de transfusion sanguine, plus de 115 sites de prélèvement et 5 plateformes
de production de médicaments de thérapie innovante.
[31] http://solidarites-sante.gouv.fr/IM...].
[32] « Le LFB ne dispose toujours pas d’Ig sous cutanée alors même que ses concurrents se partagent ce marché, en
pleine expansion, du fait de la simplicité de cette forme galénique, et de sa meilleure administration au domicile du
malade. Enfin, le LFB ne dispose d’aucun produit recombinant, qui représente pour certaines formes d’hémophilies
85% du marché. L’absence de produit recombinant exclut, à terme, le LFB du marché des facteurs de coagulation »
[33] En application de la Directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 relative à la
conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins.
[34] Celles-ci peuvent prendre la forme de collations froides ou chaudes, de marques de reconnaissance, de journées
de récupération, d’examen médicaux gratuits, ou de remboursement des frais occasionnés par le donneur pour venir
sur le site de collecte. On note parmi les difficultés pratiques mises en avant, le fait que les États n’ont pas tous la
même appréciation de la limite qui différencie la compensation de la rémunération et l’évaluation des différences de
dépenses et de dérangement que peuvent occasionner un don du sang et un don de plasma qui requiert plus de
temps.
[35] Aujourd’hui, seuls 62 pays assurent près de 100% de leur approvisionnement en sang au moyen des dons
volontaires et non rémunérés, alors que 34 pays dépendent encore des donneurs familiaux ou même de donneurs
rémunérés pour plus de 75% de leur approvisionnement en sang. Les donneurs réguliers, volontaires et non
rémunérés sont le fondement de l’approvisionnement en sang sécurisé, car on leur associe un faible niveau
d’infections pouvant être transmises par le sang.
[36] JO Sénat CR 20 janv. 1994, p. 381 ; JO rapp. AN no 1062, 1994‐1995 ; JO rapp. Sénat no 398, 1994‐1995). Cité
dans Le Lamy Droit des personnes et de la famille - Expert Partie 2 Les personnes physiques La personne humaine
Étude 212 Le statut du corps humain.
[38] Dans son film reportage « Blood » Alina Rudnitskaya, rapporte les conditions très rudes dans lesquelles se font
les collectes de sang en Russie https://www.idfa.nl/en/film/3006019... ; Voir aussi S. ROY, Le Figaro Edition du 22
février 2017, au sujet du reportage de ARTE intitulé « Le business du sang » https://www.youtube.com/watch?
v=XDY....
[39] E. Arie « Don du sang : la France bascule dans la mondialisation » Marianne Edition du 3 février 2015.
[40] https://www.ccomptes.fr/system/file....
[41] Peu de pays qui rémunèrent le don du sang maintiennent les normes élevées de dépistage nécessaires à la
sécurité des patients. Même si des trousses de test sont disponibles et utilisées, la préparation des dérivés du sang
ouvre la porte à des pressions commerciales : les donneurs ne sont pas toujours honnêtes en ce qui concerne leurs
facteurs de risque, les entreprises ferment les yeux et veulent faire des économies. Si vous êtes engagé sur une
mauvaise pente et que vous consommez de la drogue, le don de plasma est un bon moyen de payer votre prochaine
dose et les entreprises désireuses de répondre à la demande mondiale ne vérifient pas scrupuleusement l’honnêteté
des donneurs potentiels et ne les filtrent pas . J. Harvey Blood money : is it wrong to pay donors ?
[42] Même si l’amélioration de la sensibilité des techniques de détection d’agents infectieux ou de produits toxiques
dans les plasmas commerciaux permettra une sécurisation accrue des prélèvements, les volumes nécessaires à la
fabrication de médicaments universellement utilisés pour combattre les maladies de la coagulation sanguine, les
maladies auto-immunes, et les infections graves pour ne citer que ces quelques exemples, dépasseront les capacités
des donations volontaires gratuites
[43] R. M. Titmuss « The Gift Relationship : from human blood to social policy » (1970) Allen & Unwin London.
[44] P. Rodriguez Del Pozo « Paying donors and the ethics of blood supply » Journal of Medical Ethics (1994) 20:31-
35.
[45] L’augmentation constante des besoins en médicaments dérivés du plasma résulte de plusieurs facteurs socio-
économiques et médicaux, au titre desquels on peut relever, une population vieillissante dont l’âge moyen est en
accroissement régulier, les progrès de la recherche médicale qui créent de nouvelles voies thérapeutiques et l’accès
plus large des individus à des traitements sophistiqués
[46] R. C. Neville « I would not want to be the one to tell the family of a person who died for the lack of plasma that
the blood was available for purchase but that buying it would have been immoral » The Hasting Center Report Case
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35627 6/7
08/09/2020 Imprimer: Le don du sang et le marché du plasma humains : Dr. Jekyll et M. Hyde. Par Bernard Perbal, Professeur.
N° 140 Blood Money : Should a Rich Nation Buy Plasma from the Poor ? » (1972) 2 :8-10
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35627 7/7
20/01/2020 Le juge peut refuser le transfert à l’étranger des gamètes d’un homme décédé - Éditions Francis Lefebvre
La CEDH déclare irrecevable la demande d’une mère de transférer à l’étranger les gamètes de son fils
décédé en vue d’une insémination artificielle : devenir parent est un droit intransférable, de plus la
Convention EDH ne garantit pas le droit de devenir grands-parents.
À l’annonce de son cancer, un homme procède au dépôt de gamètes dans un hôpital. À son décès, sa mère
demande le transfert des gamètes vers un établissement de santé en Israël en vue de procéder à une procréation
médicalement assistée (PMA). Sa demande est rejetée par le Conseil d’État. Elle porte l’affaire devant la Cour
européenne des droits de l’Homme.
La Cour de Strasbourg confirme la position des juridictions françaises. Le droit de décider de quelle manière et à
quel moment un individu souhaite devenir parent est un droit intransférable. Par ailleurs, la Convention européenne
des droits de l’homme ne garantit pas le droit à une descendance pour des grands-parents (Conv. EDH art. 8).
A noter : Solution inédite mais sans surprise. La Cour européenne avait déjà rappelé que la Convention ne
garantissait pas le droit de fonder une famille (CEDH 22-1-2008 n° 43546/02 E. B. c/ France).
Olivier DESUMEUR
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit de la Famille n° 27285
A LIRE AUSSI
L’HEBDO des sources institutionnelles
Le 20/01/2020
Nos documentalistes recensent pour vous chaque semaine l'essentiel de l'actualité repérée sur les sites institutionnels
et transmis à nos Rédactions.
https://www.efl.fr/actualites/patrimoine/mineurs-ou-majeurs-proteges/details.html?ref=fa56b2942-2e60-4a50-bcc3-52fee5185951 1/2
20/01/2020 Le juge peut refuser le transfert à l’étranger des gamètes d’un homme décédé - Éditions Francis Lefebvre
https://www.efl.fr/actualites/patrimoine/mineurs-ou-majeurs-proteges/details.html?ref=fa56b2942-2e60-4a50-bcc3-52fee5185951 2/2
DROIT DE
VISITE
07/09/2020 (Jur) C’est au juge qui a décidé du droit de visite en présence d’un tiers d’en fixer les modalités | La base Lextenso
Il résulte de la combinaison de l’article 375-7, alinéa 4, du Code civil et de l’article 1199-3 du Code de procédure civile que,
lorsque le juge des enfants décide que le droit de visite du ou des parents de l’enfant confié à une personne ou un établissement ne
peut être exercé qu’en présence d’un tiers, il en fixe la fréquence dans sa décision, sauf à ce que, sous son contrôle, les conditions
d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou
l’établissement à qui l’enfant est confié.
Un juge des enfants ayant ordonné le placement à l’aide sociale à l’enfance de trois enfants, la cour d’appel de Paris accorde à
chacun des parents un droit de visite médiatisé qui s’exercera sous le contrôle du service gardien, sauf à en référer au juge en cas
de difficultés.
Ainsi, alors qu’il incombe au juge de définir la périodicité du droit de visite accordé, ou de s’en remettre, sous son contrôle, à une
détermination conjointe des conditions d’exercice de ce droit entre les parents et le service à qui les enfants étaient confiés, la cour
d’appel méconnaît l’étendue de ses pouvoirs et viole les textes susvisés.
SOURCE
https://www.labase-lextenso.fr/jur-cest-au-juge-qui-decide-du-droit-de-visite-en-presence-dun-tiers-den-fixer-les-modalites 1/1
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
La Cour de cassation, appliquant pour la première fois l’article 1199-3 du code de la procédure
civile, s’est prononcée sur la répartition des rôles entre le juge des enfants et le gardien de l’enfant
quant aux modalités d’organisation d’un droit de visite médiatisé sur un enfant placé au titre de
l’assistance éducative.
Les arrêts rendus le 15 janvier 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation, l’un de
rejet sur ce point (arrêt n° 27, n° 18-25.313), l’autre de cassation (arrêt n° 28, n° 18-25.894),
mettent en œuvre, pour la première fois à notre connaissance, l’article 1199-3 du code de
procédure civile, issu du décret n° 2017-1572 du 15 novembre 2017 (sur lequel, L. Gebler,
Encadrement du droit de visite des parents de l’enfant placé, AJ fam. 2017. 614 ; A. Denizot,
L’organisation insouciante des visites en présence d’un tiers, RTD civ. 2018. 230 ). À cette
occasion, les juges de la Haute Cour, combinant l’article précité avec l’article 375-7 du code civil, se
prononcent sur l’office du juge des enfants dans le domaine sensible du droit de visite médiatisé
des parents dont l’enfant fait l’objet d’une mesure de placement au titre de l’assistance éducative.
La question de la fixation des modalités d’exercice du droit de visite des parents à l’égard d’un
enfant placé – et donc retiré à ses parents – en raison du danger qu’il court est une question
hautement sensible (en ce sens, T. Fossier, Les droits des parents en cas de placement éducatif, AJ
fam. 2007. 60 ). Ce droit de visite traduit en effet à la fois symboliquement et concrètement le
maintien des attributs de l’autorité parentale qui continue d’être exercée par les parents (C. civ.,
art. 375-7, al. 1er : « Les père et mère de l’enfant bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative
continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec
cette mesure ») et on sait que le législateur accorde une grande importance au maintien des liens
entre l’enfant placé et sa famille (en ce sens, not., F. Terré, C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, Droit
de la famille, Dalloz, coll. « Précis », 9e éd., Dalloz 2018, spéc. § 1047 ; S. Bernigaud in P. Murat
(dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. §§ 242-263).
Ce maintien repose essentiellement sur l’article 375-7 du code civil. Depuis la loi de 2016 relative à
la protection de l’enfant (Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 ; sur laquelle, v. A. Denizot, Définition
de l’inceste : peut mieux faire !, RTD civ. 2016. 462 ), cet article dispose dans son alinéa 4 que «
S’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents
conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe
les modalités […]. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de
visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant
est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est
confié. Les modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers sont précisées par décret en
Conseil d’État ». Le code civil renvoie ainsi indirectement à l’article 1199-3 du code de procédure
civile créé en application dudit décret et qui dispose : « La fréquence du droit de visite en présence
d’un tiers est fixée dans la décision judiciaire sauf à ce que, sous le contrôle du juge, les conditions
d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la
personne, le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié » (que nous désignerons ci-après,
pour plus de commodité, sous les termes de « gardien de l’enfant »).
La question est donc celle de l’articulation du principe selon lequel le juge des enfants « fixe les
modalités » du droit de visite accordé aux parents d’un enfant placé et les dispositions spéciales
prévues lorsqu’un tel droit de visite doit être exercé en présence d’un tiers.
Le principe selon lequel le juge fixe les modalités du droit de visite des parents lorsque l’enfant est
placé est ancien. Toutefois, certains juges ont été tentés de déléguer au gardien de l’enfant
l’organisation du droit de visite, souvent dans le but de donner souplesse et adaptabilité à la
solution à mettre en place en même temps que cela limitait les allers-retours devant le juge (sur
ces pratiques, v. J. Hauser, obs. sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 98-05.008, RTD civ. 1999. 75 ; M.
Huyette, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, D. 1999. 123 ; J. Massip, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998,
Defrénois 1999. 309). La Cour de cassation a donc dû affirmer qu’une telle délégation n’était pas
acceptable car le juge méconnaissait ainsi l’étendue de ses pouvoirs (v. not., Civ. 1re, 13 oct. 1998,
no 98-05.008, Defrénois 1999. 309, obs. Massip ; Dr. fam. 1998, no 168, note Murat). Pour autant, le
contentieux ne s’est pas tari. Du reste, dans le premier arrêt (arrêt n° 27, préc.), la Cour de
cassation a encore été obligée de rappeler que le juge ne pouvait pas fixer, en faveur de la mère,
un « droit de visite libre », « dont les modalités seront fixées en concertation entre celle-ci et le
service auquel les enfants sont confiés ». Sur ce point, elle casse donc l’arrêt d’appel pour violation
de l’article 375-7, alinéas 4 et 5 au motif qu’il incombait au juge de définir la périodicité du droit de
visite simple et qu’en prévoyant un droit de visite « libre », la cour d’appel avait méconnu l’étendue
de ses pouvoirs. La solution, classique donc, n’appelle pas de plus amples développements à ce
stade. Elle permet en revanche de mettre en perspective la différence avec l’hypothèse de la mise
en place d’un droit de visite médiatisé qui était au cœur des deux arrêts.
L’intérêt des arrêts sous examen réside en effet dans le contrôle effectué par la Cour de cassation
sur la répartition des pouvoirs entre le juge des enfants et le gardien de l’enfant quant aux
modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers.
Il semble résulter de l’article 1199-3 du code de procédure civile précité que, lorsque le droit de
visite est prévu en présence d’un tiers, le principe est que le juge fixe la fréquence de ces visites à
moins qu’il ne délègue (même si le mot peut fâcher) l’ensemble des modalités de l’organisation de
ce droit au gardien de l’enfant en collaboration avec le parent concerné et sous son contrôle. On
pourrait y voir une hiérarchie, une préférence du législateur pour la fixation de la fréquence des
visites par le juge. La mise en œuvre de l’article par la Cour de cassation semble plutôt faire état
d’une simple alternative. Revenons sur les deux branches de celle-ci.
En ce qui concerne la fixation de la fréquence des visites par le juge, les commentateurs du décret
ont pu souligner qu’elle semblait n’être qu’une modalité minimale qui n’excluait pas que le juge
puisse fixer d’autres éléments (en ce sens, L. Gebler, Encadrement du droit de visite des parents de
l’enfant placé, AJ fam. 2017. 614 ). Sur cet aspect, les arrêts sous examen ne nous éclairent guère.
En effet, dans les deux cas, les juges du fond avaient opté pour une délégation totale de la fixation
des modalités de la visite, sous le contrôle du juge des enfants. Il faudra attendre d’autres décisions
pour en savoir un peu plus.
En ce qui concerne l’autre branche de l’alternative posée par le texte, qui prévoit donc que, « sous
le contrôle du juge, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination
conjointe entre le ou les parents » et le gardien de l’enfant, les arrêts sont plus intéressants.
Dans le premier arrêt (arrêt n° 27, préc.), le juge des enfants avait décidé d’un « droit de visite
médiatisé dont les modalités seront fixées en concertation entre le service auquel les enfants sont
confiés et la mère ». Or, pour critiquer l’arrêt d’appel, cette dernière fondait clairement son pourvoi
sur la jurisprudence constante rappelée plus haut et rendue sur le fondement de l’article 375-7 du
code civil. Elle soutenait en effet que la cour d’appel avait méconnu l’étendue de ses pouvoirs au
regard de cet article en ne déterminant pas elle-même la nature et la fréquence du droit visite
médiatisé qu’elle avait ordonné. Or, la Cour de cassation, après avoir rappelé les textes des articles
375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile, estime que le moyen n’est pas
fondé au motif qu’en accordant à Mme C. « un droit de visite médiatisé, dont ils ont prévu que les
modalités, notamment la périodicité, seraient déterminées selon l’accord des parties, et dit qu’il en
serait référé au juge en cas de difficulté, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes
susvisés ».
Il en ressort clairement que, selon la Cour de cassation et conformément aux articles visés, deux
situations doivent être distinguées. Soit le droit de visite s’exerce sans la présence d’un tiers et le
juge doit en fixer les modalités d’exercice (C. civ., art. 375-7, al. 4) ou à tout le moins la nature et la
fréquence (C. civ., art. 375-7, al. 5) : c’est ce qui vaut à l’arrêt d’appel la cassation concernant le
droit de visite simple qui ne saurait être « libre » (v. supra). Soit le droit de visite est médiatisé et le
juge peut déléguer, sous son contrôle, son entier pouvoir d’organisation des visites au gardien de
l’enfant… sous réserve toutefois d’un accord entre ce dernier et le parent bénéficiaire du droit de
visite. C’est là l’apport du second arrêt.
En effet, dans le second arrêt (arrêt n° 28, préc.), le juge des enfants avait accordé aux deux
parents « un droit de visite médiatisé qui s’exercera sous le contrôle du service gardien, sauf à en
référer au juge en cas de difficultés ». Ici, non seulement le juge des enfants n’avait pas fixé la
périodicité du droit de visite mais il avait confié la fixation de ces modalités, certes sous son
contrôle, au seul gardien de l’enfant sans la subordonner à un accord entre ce dernier et les
parents bénéficiaires. Aucune des branches de l’alternative posée par l’article 1199-3 du code de
procédure civile n’était ainsi remplie. La cassation était donc inévitable. Au visa, là encore, des
articles 375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile, la Cour de cassation
affirme « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombait au juge de définir la périodicité du droit de
visite accordé, ou de s’en remettre, sous son contrôle, à une détermination conjointe des conditions
d’exercice de ce droit entre les parents et le service à qui les enfants étaient confiés, la cour
d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ».
Ainsi, on peut conclure que ces arrêts font une stricte application des textes et notamment de
l’article 1199-3 du code de procédure civile. Il est du reste heureux que la Cour de cassation veille à
ce que le juge ne se dessaisisse de son pouvoir/devoir de fixer les modalités du droit de visite
médiatisé qu’il ordonne, uniquement dans l’hypothèse où le gardien de l’enfant et les parents
bénéficiaires parviennent à se mettre d’accord, ce qui laisse espérer une solution souple et adaptée
aux besoins de l’enfant et aux contraintes de chacun. La large diffusion (FS-P+B+I) promise à ces
deux arrêts démontre sans doute la volonté pédagogique de la Cour de cassation qui entend bien
faire respecter une exacte répartition des rôles dans ce domaine si sensible.
Lorsque le juge des enfants décide que le droit de visite du ou des parents de
l’enfant confié à une personne ou un établissement ne peut être exercé qu’en
présence d’un tiers, il en fixe la fréquence dans sa décision, sauf à ce que, sous
son contrôle, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une
détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou
l’établissement à qui l’enfant est confié.
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/civil/personnes-et-famille-patrimoine/25577/office-du-juge-et-modalites-du-droit-de-visite-rappels 1/1
DROIT
FUNERAIRE
23/01/2020 En cas de désaccord sur le sort des cendres, l’enfant le plus proche du défunt a le dernier mot - Éditions Francis Lefebvre
| ACTUALITÉS | PATRIMOINE
En l’absence de volonté exprimée par le défunt, les modalités de ses funérailles sont fixées par la personne
la mieux à même d'interpréter ses souhaits, à savoir la personne dont il était le plus proche au moment du
décès.
Malade depuis plusieurs années, une femme appelle à son chevet ses deux enfants avant de subir une intervention
chirurgicale. Elle décède juste avant l’arrivée de son fils, tandis que sa fille accomplit une retraite bouddhiste sans
intention de se déplacer. La famille décide d’incinérer la défunte et se met d’accord pour déposer l’urne dans le
caveau de la famille de son père. En attendant, les cendres sont laissées au domicile de la défunte. Mais un
désaccord survient entre les enfants au sujet de la succession et la fille, mécontente, change d’avis quant au sort
des cendres de sa mère : évoquant les propos de cette dernière auprès d’un ami quinze années plus tôt, elle
demande leur dispersion dans les montagnes ariègeoises.
Les juges saisis du différend constatent que les dernières volontés de la défunte sont inconnues, et cherchent à
déterminer la personne la mieux qualifiée pour décider des modalités des funérailles. Ils relèvent que seul son fils
s’apprêtait à se déplacer au chevet de sa mère. De surcroît, sa fille s’est opposée à son frère pour des
considérations liées au règlement de la succession, sans que son comportement soit révélateur d’une proximité
particulière avec sa mère. Ils en déduisent que le fils de la défunte doit décider du sort des cendres. La Cour de
cassation confirme.
A noter : Cet arrêt illustre parfaitement les difficultés rencontrées par le juge lorsque le défunt n’a pas laissé de
dernières volontés. Priorité est souvent donnée à l'avis du conjoint ou concubin. A défaut, il faut rechercher quelle est
la personne la plus proche du défunt au moment du décès, parents, enfants, frères et sœurs ou amis. L’attitude des
enfants dans les jours précédant le décès a été en l’espèce révélatrice de la force du lien les unissant à leur mère.
Brigitte BROM
Pour en savoir plus sur l'organisation des funérailles : voir Mémento Droit de la famille n° 78475.
https://www.efl.fr/actualites/patrimoine/details.html?ref=f7b6e6af2-115d-4276-a818-ccf3a2f19bde&eflNetwaveEmail=ltandonnet.avocat@gmail.co… 1/2
23/01/2020 En cas de désaccord sur le sort des cendres, l’enfant le plus proche du défunt a le dernier mot - Éditions Francis Lefebvre
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08/09/2020 Imprimer: La liberté de disposer des produits de son corps et le don du lait maternel. Par Bernard Perbal, Professeur.
La liberté de disposer des produits de son corps et le don du lait maternel. Par
Bernard Perbal, Professeur.
Parution : mardi 26 mai 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/liberte-disposer-des-produits-son-corps-don-lait-maternel,35470.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.
La liberté pour l’individu de disposer des produits de son corps est une notion qui n’a pas su progresser à
l’épreuve de l’évolution des sociétés et de la demande croissante de liberté individuelle réclamée au titre
des droits fondamentaux de l’Homme.
Alors que certains produits du corps sont considérés comme des « matières » commerciales, d’autres
sont bannis de toute démarche visant à une utilisation altruiste pour aider son prochain.
Nous examinerons à ce titre les conséquences des restrictions légales imposées au don du lait maternel
dont l’importance est souvent ignorée du public.
1. Introduction.
Personne ne peut nier que les mesures de confinement, ainsi que les décisions gouvernementales qualifiées en France
de liberticides, appliquées dans de nombreux pays en réponse à la pandémie de Covid-19, ont remis à l’ordre du jour
la question de la liberté individuelle, mais aussi celle de la libre disposition de soi. Une « résurgence » d’un courant
libertarien qui s’est manifestée de différentes manières. La paternité du concept de « propriété de soi » est attribuée à
Richard Overton, un Leveller [1] qui adressa en 1646 de la cellule où il était emprisonné pour ses positions politiques,
un appel véhément dirigé contre les membres de la Chambre des Lords dans lequel il écrivait : « A chaque individu est
attribuée une propriété individuelle par nature, que personne ni quoi que ce soit n’a le droit d’usurper ; car chacun est
soi et a donc une propriété personnelle. Dans le cas contraire il ne peut être lui-même. De ce fait, personne ne saurait
prétendre l’en priver, sans violation manifeste et affront aux principes mêmes de la nature et des règles d’équité et de
justice qui prévalent entre les hommes. Le "mien" et le "tien" ne peuvent exister autrement qu’ainsi. Aucun homme
n’a de pouvoir sur mes droits et mes libertés, et je n’en ai aucun sur les droits et liberté d’autrui ».
Quelques années plus tard, le philosophe anglais John Locke qui s’imposa comme un des champions du concept de
« self ownership », écrivait dans son Traité du Gouvernement Civil « Bien que la terre et toutes les créatures
inférieures appartiennent à tous les hommes, chacun a un droit de propriété sur sa propre personne que nul autre ne
peut revendiquer ». Pour Locke, l’homme est pourvu des droits naturels fondamentaux que sont la vie, la liberté et la
propriété, qui ne sont pas le fait de législateurs, et que personne ne peut outrepasser. Les législations doivent être des
expressions du droit qu’elles servent.
Cependant, cette propriété du soi et la liberté d’en disposer ne doit pas entraver celle de nos concitoyens.
Nous retiendrons l’application erronée de ce principe qui oppose aujourd’hui les individus considérant que le port du
masque imposé par les autorités, interfère avec leur liberté fondamentale, à ceux qui estiment que ce choix les
mettant potentiellement en danger est une atteinte à leur liberté fondamentale individuelle de ne pas souhaiter courir
le risque d’être contaminé ou de devenir un vecteur silencieux.
Si le débat contradictoire est un pilier essentiel du droit, il est souvent muselé par un pouvoir de plus en plus
autocratique qui règne en édictant des règles discrétionnaires auxquelles tous les individus sont censés se plier en
faisant fi de leur individualité.
De quel droit, aujourd’hui en France, la volonté d’un individu de connaître ses racines génétiques peut-elle être
soumise à la censure aveugle d’une caste de politiciens englués dans leurs références moralisatrices d’un autre âge ?
Dans la continuation de l’étude entamée avec l’analyse du de l’individu à connaître et disposer comme il le souhaite de
ses données génétiques [2], il nous a semblé important d’aborder le problème, trop souvent ignoré d’individus
éthérisés par les discours gouvernementaux, de la liberté de disposer de leur corps et de ses produits au titre
desquels figurent la production de lait maternel dont les législateurs ont négligé l’importance en même temps qu’ils
combattaient la reconnaissance de la femme en tant qu’acteur fondamental de la société moderne.
Le lait maternel humain est un aliment complet dont la composition couvre tous les besoins nutritionnels du bébé
pendant les premières phases de son développement. La qualité exceptionnelle du lait maternel n’est égalée par
aucune autre source animale ou commerciale. L’effet bénéfique du lait pour la santé du nourrisson, largement reconnu
dans les pays où les conditions économiques et d’hygiène demeurent précaires, est également prouvé dans les pays
industrialisés [3]. De très nombreuses études, qui dépassent largement le cadre de ce manuscrit, ont établi depuis
des décennies les bienfaits du lait maternel non seulement en ce qui concerne la croissance des nouveaux nés, leur
résistance aux agents infectieux et leur métabolisme, mais également sur leur développement cognitif à des stades
plus tardifs [4].
Un peu d’histoire.
Le recours à des nourrices se substituant à la mère biologique pour allaiter l’enfant nouveau-né, puis dans les
premières phases du développement des nourrissons, est une très vieille pratique déjà mentionnée dans le Code de
Hammurabi [5], dans la mythologie grecque et dans l’histoire de la Rome ancienne avec le mythe des jumeaux Remus
et Romulus allaités par la louve Lupa [6].
Alors que les nourrices étaient communément requises pour l’allaitement de nouveau-nés aux XVII et XVIIIe siècles
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08/09/2020 Imprimer: La liberté de disposer des produits de son corps et le don du lait maternel. Par Bernard Perbal, Professeur.
en France et en Angleterre, l’allaitement maternel n’a gagné ses lettres de noblesse en France que très tardivement,
bien qu’à Lyon, dès le début du XXe siècle, « plus de la moitié des bébés sont envoyés en nourrice et ce pour deux ou
trois ans » [7]. C’est ainsi que s’installèrent les prémices d’un véritable « commerce étagé » du lait. Une femme
gagnant de quoi améliorer sa vie en vendant son lait pouvait à son tour payer une autre femme pour s’occuper de son
propre petit.
Les connaissances scientifiques apportées par la recherche sur l’allaitement dans les années 1970, jetteront les bases
d’une reconnaissance internationale de l’importance du lait maternel pour la santé des enfants.
Avec le temps, le grand public a bien compris l’importance de cette source nutritionnelle unique pour les prématurés
et les dons de lait étaient collectés dans divers établissements qui en assuraient la distribution après avoir effectué
des contrôles d’hygiène sanitaire [8].
En 1991, l’UNICEF et l’OMS ont lancé un projet commun [9], ayant pour objectif « de faire en sorte que toutes les
maternités, qu’elles soient indépendantes ou situées dans un hôpital, deviennent des centres de soutien à
l’allaitement maternel ».
Les cadres normatifs concernant le don du lait en France sont une illustration des interdictions absolues et restrictions
excessives imposées sous des prétextes de sécurité sanitaire et pour juguler les potentielles dérives auxquelles
conduirait une liberté non contrôlée de disposer des produits de son corps [10].
Les problèmes soulevés à l’occasion de l’affaire du sang contaminé ont conduit à une évaluation critique des
conditions dans lesquelles le lait maternel fourni par les mères bénévoles, désireuses d’effectuer un geste généreux de
solidarité, pouvait être utilisé pour les nouveau-nés prématurés et autres bébés ayant des besoins spécifiques en lait
maternel.
Un arrêté du 18 août 1983 [11] fixe les conditions d’installation et de fonctionnement des lactariums, établissements
publics ou privés, qui ont pour objet « la collecte du lait de femme, le contrôle de son authenticité et de sa qualité,
son traitement, son stockage et sa distribution sur prescription médicale ».
Les recueils de dons directs de lait, pratiqués par certains établissements en dépit de cet arrêté, ont été interdits par
la circulaire DGS/2A/2B N° 223 du 20 mars 1987 pour éviter les infections bactériennes et les risques éventuels de
transmission de virus par le lait maternel.
Les conditions techniques de fonctionnement des lactariums précisées par l’arrêté du 10 février 1995, rendent
obligatoires, pour la donneuse, des tests de dépistage de maladies virales transmissibles, indépendamment de ceux
qui ont pu être effectués pendant la grossesse. Pratiqués lors du premier don, ces tests sont renouvelés tous les trois
mois pendant la durée du don de lait. Les règles de bonnes pratiques annexées à cet arrêté ont été révisées par
décision du 3 décembre 2007.
Si le don de lait d’une mère à son propre enfant n’est pas réglementé, celui d’une mère à son enfant hospitalisé est
réglementé par les circulaires DGS/SP 2 du 13 novembre 1996 et du 16 décembre 1997.
Les articles du Code de la santé publique L2323-1 à L2323-3 [12] et D2323-1 à D2323-15 [13] encadrent les missions
et autorisations données aux lactariums, ainsi que les conditions techniques de leur organisation et fonctionnement.
Le lait recueilli et traité par les lactariums peut être cédé « dans les conditions fixées par arrêté des ministres chargés
de la santé et de la sécurité sociale » (article 2323-10).
B. Réglementation européenne.
Au niveau européen, aucun texte n’encadre précisément les conditions de collecte et distribution du lait maternel.
Seules les conditions de commercialisation de préparations pour nourrissons avaient fait l’objet de la directive
91/321/CEE, abrogée à partir du 1er janvier 2008 et remplacée par la directive 2006/141/CE concernant les
préparations pour nourrissons.
4) « L’or blanc ».
Plusieurs campagnes d’incitation à l’allaitement des nouveaux nés ont été diffusées au niveau international, aussi bien
dans les pays à faible revenu moyen que dans les pays les plus développés. Leur impact n’est pas homogène.
L’importance de l’allaitement maternel dans les pays développés qui n’est malheureusement pas toujours apprécié à
sa juste valeur est contrebalancée par des aspects sociétaux complexes, tenant à la fois aux pressions des lobbies
industriels et aux « modèles standards » assénés à la population féminine dans la presse spécialisée.
La promotion de la poursuite pendant plusieurs mois d’un allaitement maternel bénéfique à l’enfant est quasiment
inexistante en France, y compris au sein des maternités. Plusieurs sondages indiquent que l’allaitement au sein est
ressenti comme une contrainte qui interfère avec la vie libre que semble souhaiter la femme Française d’aujourd’hui.
L’association des Lactariums de France (ADLF) lance régulièrement des appels pour solliciter le don de lait maternel
vital pour les grands prématurés et pour les bébés qui souffrent d’allergies ne leur permettant pas d’ingérer de lait de
substitution [14].
C’est avec le développement et les progrès des méthodes de réfrigération assurant une qualité sanitaire satisfaisante
que la collecte et la conservation du lait se sont développées au sein de « banques de lait » [15].
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Créée en 1985, la « Human Milk Banking Association of North America » (Hmbana) est une association à but non
lucratif, constituée aujourd’hui par un réseau de 29 banques de laits accréditées (26 aux USA, 3 au Canada).
L’association ne rétribue pas les donneuses. Son fonctionnement est comparable à celui des lactariums en France.
Parallèlement à ces banques, des firmes spécialisées dans la vente et la distribution de lait maternel ont vu le jour.
Parmi elles, Prolacta Bioscience et Medolac ont participé de manière innovante à un meilleur traitement des
prématurés aux USA [17].
Le lait « fortifiant » vendu par Prolacta est considéré comme un produit pharmaceutique aux propriétés nutritives
exceptionnelles. Il permet de diminuer le risque d’entérocolite nécrosante (ECN) fréquente chez les nourrissons
nourris au lait de vache concentré [18].
De son côté Medolac a mis au point le premier lait maternel pouvant être conservé stérilement à température
ambiante, dans des flacons fermés pour une durée pouvant aller jusqu’à trois ans.
Pour certains, les méthodes d’achat, de vente et de distribution du lait maternel, gérées par les firmes commerciales
qui ont pris une grande importance au cours de la dernière décennie, ont ébranlé par leur orientation lucrative, le
concept du don généreux altruiste de lait maternel.
C’est dans un contexte social où la liberté de disposer des produits de son corps occupe une place croissante et dans
lequel la position socioéconomique de la femme s’est affirmée que sont apparus, des sites internet proposant la
fourniture gratuite et la vente directes de lait maternel [19].
L’essor foudroyant des réseaux sociaux a facilité la mise en place de plateformes de fourniture gratuite ou de vente
directe de lait maternel qui, en donnant l’apparence de communautés idéales d’entraide désintéressée, ont créé des
circuits de distribution dont certains échappent totalement aux contrôles sanitaires les plus élémentaires.
Les dangers associés à l’utilisation de lait maternel acheté sur internet sont régulièrement soulevés dans de
nombreuses publications, aussi bien en France par l’ADLF qu’aux USA dans des articles destinés au grand public ou
des revues spécialisées.
Plusieurs exemples de fraudes et de contaminations résultant du non-respect de recommandations basiques ont été
révélées par l’analyse d’échantillons achetés en ligne [20].
Ces considérations importantes doivent absolument être prises en compte très sérieusement par les autorités
sanitaires et légales concernées, surtout à une époque où la consommation de produits en tout genre achetés sur
internet est en croissance exponentielle.
Cependant il ne faut pas négliger les dangers associés à l’utilisation de lait infantile d’origine industrielle comme le
montrent des scandales sanitaires récurrents, concernant la vente de laits et autres produits de nutrition infantile par
les Groupes Lactalis, Solidac, et Nestlé [21].
Les mesures prises en ce qui concerne les vérifications des qualités biologiques et sanitaires des produits laitiers
destinés aux nourrissons n’abordent pas les problèmes spécifiques à la collecte, la conservation et la distribution du
lait maternel frais.
Paradoxalement, dans un contexte, où l’on fait la promotion des avantages de l’allaitement et du lait maternel pour les
bébés, la femme se trouve reléguée au statut de « productrice » d’une denrée précieuse qui fait les « choux gras »
d’investisseurs initiés. Le lait maternel est considéré comme un investissement financier sûr pour le futur [22].
Le manque de régulation dans ce secteur ne peut qu’accroître une exploitation des mères dont les premières touchées
appartiennent aux couches défavorisées des sociétés.
Comment ne pas se joindre à celles et ceux qui qualifient « d’hypocrite et fallacieuse » la position des gouvernements
qui, d’une part font la promotion de l’allaitement et d’autre part autorisent les industriels à vendre du lait maternel
sans renforcer pour autant les droits des femmes à allaiter et à partager ou vendre leur propre lait [23].
Dans le système américain où le don du lait peut être rémunéré, il est également surprenant que les sites d’échange
favorisant des annonces de vente en ligne n’aient mis aucun type de recours légal au service des consommateurs,
alors que l’encadrement du fonctionnement des banques de lait accréditées est assez strict.
La FDA s’est limitée, à diffuser une liste des précautions à considérer lorsqu’un recours à du lait maternel provenant
de donations est envisagé et une mise en garde concernant les risques de contamination et autres dangers sanitaires
associés à l’achat de lait sur internet. Le consommateur qui a choisi ce mode d’approvisionnement en lait maternel est
un « laissé‑pour‑compte » des autorités de régulation.
Sur un plan légal, la situation est rendue complexe par plusieurs facteurs.
Par exemple, les fournisseurs indélicats qui vendent du lait « maternel » dilué avec du lait d’origine bovine ou avec de
l’eau, pourraient être poursuivis par les juridictions au titre de leur responsabilité civile ou pour abus de confiance et
violation contractuelle si le produit ne correspond pas à la description qui en a été faite. Cependant, il est bien difficile
pour le consommateur qui ne dispose pas des moyens d’analyses nécessaires, d’évaluer les caractéristiques physiques
et chimiques du lait qu’il reçoit.
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Aucune aide n’est proposée par les sites d’échange au consommateur « abusé » souhaitant obtenir des éléments
suffisamment solides qui pourraient justifier une action en justice.
Un autre aspect d’ordre juridique est posé par le développement tentaculaire des réseaux sociaux d’échange de lait
maternel, qui en mettant en contact des internautes de toutes nationalités et en permettant à quiconque de devenir
un fournisseur commercial informel de produits du corps humain les invitent à s’engager dans des activités qui ne sont
pas toujours légales.
Vouloir interdire la libre disposition des produits du corps au nom d’une « dignité bafouée » ne nous semble pas être
une solution satisfaisante.
Dans des sociétés où l’abus de règles imposées par des pouvoirs politiques autocratiques ou héritées de traditions
ancestrales aujourd’hui désuètes, l’interdiction est la solution avancée pour résoudre tous les problèmes et conflits.
Les interdictions, utilisées comme armes du pouvoir sont souvent ressenties au sein des sociétés démocratiques
comme une entrave au progrès et un frein aux relations humaines. Dans le cadre qui nous intéresse ici, braver
l’interdit peut alors renforcer le sentiment de vouloir agir selon ses propres choix et de réclamer aujourd’hui une plus
grande liberté de disposer de son corps, du soi propre à chacun.
Le principe de non patrimonialité introduit par l’article 16-5 du Code civil qui rend nulle toute convention commerciale
du corps humain, de ses éléments ou de ses produits, n’interdit pas le don ou l’échange gratuit librement consenti de
lait maternel sur internet tel qu’il est clairement stipulé sur le site HM4HB, ou le don de lait à un lactarium en France,
mais il n’en n’autorise pas pour autant la vente.
L’article 16-6 du Code civil dispose « Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une
expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci ».
Pour les tenants de « l’indisponibilité du corps et de ses produits » cet article interdit à la mère de vendre son propre
lait.
Cependant une analyse exégétique de cet article ouvre la porte à une interprétation plus permissive.
Il semble que le législateur ait envisagé les situations dans lesquelles les éléments et produits sont prélevés ou
collectés par une tierce personne. Par le choix du terme « se prête » il n’a pas considéré les cas où le prélèvement
et/ou la collecte était effectué (e) par l’individu concerné.
Dans la langue française, « Se prêter » signifie « consentir, accepter, condescendre, convenir, céder, se plier,
s’adapter, s’accommoder acquiescer, accéder, s’abaisser, seoir, souscrire ». Autant de significations qui ne traduisent
pas le fait « d’effectuer », ou de « procéder à ».
La femme qui tire son lait « procède elle-même au prélèvement » de son fluide biologique. Il semble qu’il n’y ait donc
pas de raison d’appliquer le contenu de l’article 1211-4 du code de la santé publique [24] à cette situation et que la
femme pourrait par conséquent disposer de son lait maternel et le vendre.
En ce qui concerne le lait maternel, il semble selon J-R Binet [25] qu’existe à son sujet, une réglementation spécifique
et que la collecte et l’utilisation du lait échappent aux dispositions exposées dans le chapitre des « principes généraux
posés par le Livre II de la première partie du Code de la santé publique ».
Pourquoi ne pas remettre en cause, dans des cas particuliers le principe de la gratuité en reconnaissant à l’individu un
véritable droit sur sa personne ?
Une véritable réflexion concernant la place de la femme dans le commerce du lait maternel, pourrait ouvrir la porte à
un assouplissement de la législation.
La reconnaissance publique des mères désireuses de faire don de leur lait les dédiaboliserait aux yeux de ceux qui
considèrent que la vente de produits du corps n’est pas éthique et porte atteinte à la dignité humaine alors que la
vente de cheveux, dents, ongles, ou poils est très largement acceptée.
Est-ce à dire que ceux qui associent la libre disposition des produits de leur corps à leur propriété corporelle et à leur
liberté individuelle n’ont aucun sens de l’éthique leur permettant d’agir conformément à leurs valeurs et principes
moraux ?
Recevoir une compensation financière lorsqu’elle marque la reconnaissance de la société à celui qui fait la démarche
de vouloir aider son prochain n’a rien à nos yeux, de la « marchandisation » dont certains la qualifie, tant qu’elle ne
s’ancre pas sous forme de marché.
Contrairement à ce que certains médias et une fraction importante de la Doctrine affirment, autoriser une
compensation pécuniaire des dons de produits du corps n’est pas une renonciation au concept de dignité humaine.
Bien au contraire « Ce qui fait la dignité de la personne est son autonomie, c’est à dire sa capacité de juger par elle-
même de ce qu’elle doit faire, de le faire volontairement, d’en assumer la responsabilité » [26].
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08/09/2020 Imprimer: La liberté de disposer des produits de son corps et le don du lait maternel. Par Bernard Perbal, Professeur.
Bernard Perbal, Professeur, Dr. es Science et Dr. en Droit
[1] Mouvement politique qui au moment de la guerre civile en Angleterre (1642-1646) prônait en particulier la
souveraineté populaire et l’égalité devant la loi. Marc Gozlan Pandémie : histoire d’un mot et d’un concept Réalités
biomédicales - Le monde17 mars 2020.
[2] B. Perbal 2015 « Tests génétiques en accès libre : danger ou opportunité ? », Le Petit Juriste, Juillet-Août pp 26-
27 ; B. Perbal 2014 « Communication is the key. : Part 2 : Direct to consumer genetics in our future daily life ? » J
Cell Commun Signal. 8:275-287.
[3] « Allaitement maternel. Les bénéfices pour la santé de l’enfant et de sa mère ». Programme National Nutrition
Santé, Ministère des solidarités de la Santé et de la Famille.
[4] C. G. Victora, et al. Lancet Breastfeeding Series Group « Breastfeeding in the 21st century : epidemiology,
mechanisms, and lifelong effect ». The Lancet (2016) 387:475-90. Selon cette étude, la généralisation, au niveau
mondial, de l’allaitement maternel pourrait permettre d’éviter la mort d’environ 820 000 enfants de moins de 5 ans et
de 20 000 morts dus au cancer du sein.
[5] Considéré comme le plus ancien et complet texte juridique de la Mésopotamie antique, le Code de Hammurabi est
constitué pour sa majeure partie de décisions de justice. C’est ainsi qu’on peut lire au § 194 du Code : « Si un homme
a donné son enfant a une nourrice et si cet enfant est mort entre les mains de cette nourrice, si la nourrice nourrit un
autre enfant, sans (la permission de) ses père et mère, on la fera comparaître, et pour avoir nourri un autre enfant,
sans (la permission de) ses père et mère, on lui coupera les seins ». V. Scheil « La loi de Hammourabi » vers 2000 av
J-C deuxième édition Ernest Leroux Éditeur Paris. Traduction et numérisation par Marc Szwajcer.
[7] M. THirion « Histoire de l’allaitement » 2010 In La Naissance, cultures et pratiques d’aujourd’hui. p232-242 Dir.
Scientifique R. Frydman, et M. Szejer, Albin Michel, Paris.
[8] Dans les années 1970, les mamans qui avaient une production de lait abondante après avoir mis au monde le
bébé qu’elles allaitaient pouvaient recevoir le matériel nécessaire à la collecte de leur lait par aspiration sous vide
partiel. Le lait collecté dans les bouteilles stériles était alors envoyé à un établissement agréé pour analyse et
utilisation dans les services de bébés prématurés. La donatrice bénévole percevait une petite compensation financière
dont le montant représentait plus un encouragement symbolique qu’une rémunération. Le lait maternel collecté
pouvait être transporté à l’École de Puériculture du Boulevard Brune à Paris pour être analysé avant son utilisation.
[10] Cette conception de la « démocratie » n’est pas sans rappeler les situations ubuesques générée par l’interdiction
faite aux français d’avoir accès à leurs données génétiques. Voir à ce sujet B. Perbal Données et Informations
Génétiques : un flou sémantique et scientifique préjudiciable à leur protection juridique. Août 2019 Village de la
Justice.
[14] Les substituts du lait maternel sont définis par l’OMS comme « tout aliment commercialisé ou présenté de toute
autre manière comme produit de remplacement partiel ou total du lait maternel, qu’il convienne ou non à cet usage »
et les étiquettes des préparations pour nourrissons « devraient être conçues de manière à fournir les renseignements
nécessaires pour une utilisation appropriée du produit, et à ne pas décourager l’allaitement au sein (article 9.1) ».
L’étiquetage ne doit pas mentionner les termes « humanisé » ou « maternisé » (article 9.2) Code
International de commercialisation des substituts du lait maternel.
[15] La première banque de lait humain a ouvert ses portes à Vienne, en Autriche, en 1909. En Amérique du Nord, les
banques de lait ont vu le jour en 1919 à Boston, aux États-Unis. Elles ont continué d’exister jusque dans les années
1980, lorsque de nombreuses banques ont dû fermer par crainte de la transmission du VIH.
[16] Le lait collecté et traité par l’Hmbana est distribué en priorité aux prématurés et bébés malades hospitalisés dans
les services de néonatalogie, puis aux nourrissons qui ont des besoins médicaux pour du lait maternel et enfin aux
bébés en bonne santé.
[17] Dans les deux cas, un soin particulier est apporté à la sélection des donneuses, afin de s’assurer qu’elles ne
donnent pas leur lait au détriment de leur propre bébé qu’elles nourriraient alors avec des laits infantiles
commerciaux.
[18] L’entérocolite nécrosante du nourrisson est l’urgence médico chirurgicale digestive la plus commune chez le
nouveau-né. Elle s’accompagne de perte de tissus de la muqueuse intestinale avec ulcération et nécrose de l’iléon et
du colon.
[19] Voir « Only the Breast » créé en 2009 (https://www.onlythebreast.com/), « Eats on Feet » créé en 2010
(http://www.eatsonfeets.org/), et le réseau mondial de partage de lait maternel « Human Milk 4 Human Babies »
(http://hm4hb.net).
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35470 5/6
08/09/2020 Imprimer: La liberté de disposer des produits de son corps et le don du lait maternel. Par Bernard Perbal, Professeur.
[20] Des analyses bactériologiques, virologiques, toxicologiques et biochimiques effectuées sur ces échantillons ont
établi que 1) la grande majorité d’entre eux (74%) étaient contaminés par des bactéries pathogènes susceptibles de
mettre en danger la vie des nourrissons et en particulier des bébés prématurés, 21% des échantillons étaient positifs
pour la présence de cytomégalovirus contre 5% pour les échantillons contrôles (S. A. Keim et al. « Microbial
Contamination of Human Milk Purchased Via the Internet » Pediatrics (2013) 132:1227-1235), 2) 11 échantillons
contenaient au moins 10% de lait de vache, qui ne pouvait avoir été ajouté que sciemment par les donneuses (S. A.
Keim et al., Pediatrics (2015) 135:1157-1162), 3) si aucun des échantillons n’étaient positifs pour la présence de 13
classes de drogues communes (S. A. Keim « Drugs of Abuse in Human Milk Purchased via the Internet » Breastfeed
Med (2015) 10 : 416-418), 58% d’entre eux contenaient des quantités détectables de nicotine ou cotonine (alcaloïde
trouvé dans le tabac, métabolite biomarqueur de la nicotine), dont 4% attestaient une consommation active, et 4)
97% des échantillons contenaient de la caféine (S. R. Geraghty et al. « Tobacco Metabolites and Caffeine in Human
Milk Purchased via the Internet » Breastfeed Med (2015) 10 : 419-424. Un mélange détonnant pour les prématurés, à
n’en point douter !
[21] En 2017, Lactalis retire de la vente des boîtes de lait 1er âge contaminées par Salmonella agona. Au mois d’août,
35 nourrissons avaient été contaminés par des lots produits par le groupe. Puis Nestlé a rappelé 38 boîtes de lait
Guigoz,14 juillet 2018, pour suspicion de contamination du lait par des entérobactéries et le 24 janvier 2019, la
société Solidac rappelle, pour contaminations avérées par Salmonella poona des produits de nutrition infantile (lait,
desserts) à base de protéines de riz fabriqués dans le nord de l’Espagne, et distribués exclusivement en pharmacies,
via des associations caritatives (Restos du cœur, Médecins sans frontières) et des sites de vente en ligne, dont
Amazon.
[22] K. Hansen « Breastfeeding : a smart investment in people and in economics » The Lancet (2016) 387 : 416.
[23] S. Julie « Without better regulation, the global market for breast milk will exploit mothers » (2017) The
Conversation Edition du 9 juillet 2017 http://theconversation.com/without-better-regulation-the-global-market-for-
breast-milk-will-exploit-mothers-79846
[24] « Aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, ne peut être alloué à celui qui se prête au prélèvement d’éléments
de son corps ou à la collecte de ses produits ».
[25] J-R Binet « Protection de la personne - Le corps humain » 02/03/2014 JCl. Civil Code.
[26] A. Fagot-Largeault « Respect du patrimoine génétique et respect de la personne » Revue Esprit (1991) 191 : 40-
53.
Comentaires:
Lait maternel ou de substitution , CHAUVET , 27 mai 2020
Merci pour cet article complet sur un sujet assez peu connu qui met en lumière de nouvelles difficultés quant
au don du lait maternel au regard de dangers liés da la vente en ligne et ainsi passer outre une réglementation
finalement encadrées
l’allaitement est mal perçu dans les pays industrialisés malgré ses bienfaits inégalés, réduisant la mère à un
rôle de « productrice » dévalorisant dans une vision féministe
Bref cet article incite à d’autres réflexions notamment éthique
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=35470 6/6
FILIATION
07/09/2020 (Jur) Contestation de filiation établie par possession d’état conforme au titre | La base Lextenso
En premier lieu, selon l’article 333, alinéa 2, du Code civil, nul, à l’exception du ministère public, ne peut contester la filiation
lorsque la possession d’état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite
ultérieurement.
Selon l’article 2234 du même code, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir
par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Le premier de ces textes édicte un délai de forclusion (Cass. 1re civ., 1er févr. 2017, n° 15-27245), qui n’est pas susceptible de
suspension en application du second, lequel ne vise que les délais de prescription. Il résulte en effet de l’article 2220 du Code civil
que les délais de forclusion ne sont pas régis par le titre XXe du livre III du Code civil sur la prescription extinctive, sauf
dispositions légales contraires.
La cour d’appel de Paris, qui fait application de l’article 333, alinéa 2, n’est donc pas tenue de s’interroger sur une éventuelle
impossibilité d’agir de la demanderesse en contestation de maternité, par suite d’un empêchement.
En second lieu, la cour d’appel estime souverainement qu’il résulte de l’ensemble des éléments soumis à son examen que
l’intéressée a traité les défendeurs comme ses enfants et qu’ils s’e sont comportés comme tels, qu’elle a pourvu à leur éducation et
à leur entretien, qu’ils étaient reconnus par la société et par la famille comme ses enfants, qu’ils étaient considérés comme tels par
l’autorité publique, caractérisant ainsi une possession d’état publique, paisible et non équivoque, conforme à leurs titres, d’une
durée d’au moins cinq ans et en déduit que la demanderesse est irrecevable en son action en contestation.
SOURCE
https://www.labase-lextenso.fr/jur-contestation-de-filiation-etablie-par-possession-detat-conforme-au-titre 1/1
07/09/2020 De La Recevabilité De L’action En Contestation De Filiation | Actualités Du Droit | Wolters Kluwer France
De la recevabilité de l’action en
contestation de filiation
21 JANVIER 2020
2 min de lecture
En l’espèce, une femme assigne en justice deux personnes devant le tribunal de grande instance pour
voir juger qu’elle n’est pas leur mère et, avant dire droit, ordonner une expertise biologique afin d’établir
l’absence de lien de filiation. Pour déclarer irrecevable son action, les juges du fond ont retenu d’une part,
que le délai de cinq ans prévu par l’article 333 du Code civil était expiré et, d’autre part, que les
défenseurs justifiaient d’une possession d’état conforme aux actes de naissance qu’ils avaient produit. La
demanderesse se pourvoit alors en cassation.
Cette décision est ainsi l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que selon l’article 333, alinéa 2
du Code civil, nul, à l’exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession
d’état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été
faite ultérieurement.
En outre, selon l’article 2234 du même code, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui
qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la
force majeure.
La Haute cour indique alors que « le premier de ces textes édicte un délai de forclusion qui n’est pas
susceptible de suspension en application du second, lequel ne vise que les délais de prescription. Il
résulte en effet de l’article 2220 du Code civil que les délais de forclusion ne sont pas régis par le titre
XXe du livre III du Code civil sur la prescription extinctive, sauf dispositions légales contraires ». De sorte
que la cour d’appel, qui a fait application de l’article 333, alinéa 2 n’était pas tenue de s’interroger sur une
éventuelle impossibilité d’agir de la requérante par suite d’un empêchement.
Par ailleurs, cette dernière ne rapportant pas la preuve que le jugement de divorce était faux, les juges
ont pu souverainement estimer, qu’il résultait de l’ensemble des éléments soumis à leur examen que
l’intéressée avait traité les défenseurs « comme ses enfants et qu’ils s’étaient comportés comme tels,
qu’elle avait pourvu à leur éducation et à leur entretien, qu’ils étaient reconnus par la société et par la
famille comme ses enfants, qu’ils étaient considérés comme tels par l’autorité publique, caractérisant
ainsi une possession d’état publique, paisible et non équivoque, conforme à leurs titres, d’une durée d’au
moins cinq ans ». La cour d’appel en a ainsi exactement déduit que la récurrente était irrecevable en son
action en contestation de maternité. La Cour de cassation rejette son pourvoi.
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/civil/personnes-et-famille-patrimoine/25583/de-la-recevabilite-de-l-action-en-contestation-de-filiation 1/1
07/09/2020 DALLOZ Etudiant - Actualité: Fille au père, un état qui se possède
DROIT DE LA FAMILLE
Fille au père, un état qui se possède
En cas de possession d’état conforme au titre, la filiation devient incontestable si la possession d’état a duré au moins
cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance de l’enfant.
Le père d’une adolescente assigna celle-ci, alors âgée de 21 ans, en annulation de la reconnaissance de paternité qu’il avait
effectuée quelques jours après sa naissance ; depuis sa séparation avec la mère de l’enfant, intervenue très peu de temps après
la naissance, les relations entretenues avec sa fille s’étaient, selon lui, progressivement détériorées, notamment en raison des
entraves à son droit de visite et d’hébergement causées par le conflit l’opposant à son ex-femme et l’éloignement de leurs
résidences respectives.
La cour d’appel déclara sa demande irrecevable comme prescrite : sa filiation établie par reconnaissance étant corroborée par une
possession d’état, celle-ci avait dépassé la durée quinquennale légale à compter de laquelle la filiation devient incontestable.
Devant la Cour de cassation, le père contesta l’existence d’une possession d’état à l’appui de faits censés la contredire : sa fille
l’appelait par son prénom et réservait le qualificatif « papa » au mari de sa mère avec lequel elle vivait depuis l’âge de quatre mois
et sous le seul nom duquel l’entourage de l’adolescente la connait, la considérant d’ailleurs comme l’un des enfants biologiques de
celui qui n’est pourtant que son beau-père. La Cour de cassation confirme néanmoins l’analyse des juges du fond, ayant constaté
que les difficultés rencontrées pour l’exercice de l’autorité parentale ne sont que la conséquence de la séparation des parents, peu
après la naissance de l’enfant, et de leur éloignement géographique, et relevé que la place de père du demandeur n’a cessé d’être
revendiquée par celui-ci depuis la reconnaissance de sa fille jusqu’à une période récente sans avoir jamais, auparavant, été
remise en cause, ni par la présence d’un beau-père ni par la majorité, souvent cause d’éloignement entre parents et enfants,
atteinte par sa fille depuis déjà trois ans sans que leur lien, depuis toujours maintenu, n’ait, de ce fait, été rompu ni même distendu.
La cour d’appel n’ayant pu déduire de l’ensemble de ces considérations que l’existence d’une possession d’état conforme au titre
de naissance, elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d’irrecevabilité, l’action étant prescrite.
L’article 310-3 du Code civil permet de contester la filiation par tous moyens, étant précisé qu’un lien de filiation ne peut être remis
en cause qu’au moyen d’une action judiciaire en contestation. Aussi, l’article 332, alinéa 2 du même code dispose que « la
paternité peut être contestée en rapportant la preuve que (…) l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père ». L’article suivant
fait alors dépendre les conditions de la contestation de l’existence ou non d’une possession d’état.
Il convient de préciser qu’en vertu de l’article 311-1 du Code civil, « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits
qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ». Il convient en
particulier de tenir compte des relations mutuelles du prétendu parent et de l’enfant (tractatus), du nom que ce dernier porte
(nomen) et de l’opinion de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de la filiation (fama). Il n’est cependant pas indispensable
que tous ces éléments soient réunis pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une possession d’état. Pour que celle-ci puisse
produire ses effets, il faut en revanche impérativement qu’elle revête certaines qualités : en vertu de l’article 311-2, « elle doit être
continue, paisible, publique et non équivoque ».
En l’absence de possession d’état conforme au titre (acte de naissance ou de reconnaissance), la filiation peut être contestée
pendant dix ans par tout intéressé (V. C. civ., art. 321 et 334). Au contraire, lorsque la filiation établie est corroborée par une
possession d’état, seuls peuvent agir « l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable » ; la filiation ne
peut alors être remise en cause que dans les cinq ans qui suivent la cessation de la possession d’état ou le décès du parent dont
le lien de filiation est contesté, et la filiation devient incontestable, sauf par le ministère public, si la possession d’état a duré au
moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance si celle-ci a été faite ultérieurement (C.civ., art. 333).
En l’espèce, il allait de soi que le demandeur n’était plus, au moment d’engager son action en contestation, attaché à sa fille. Cela
étant, il l’avait traité comme telle depuis sa naissance jusqu’à ce qu’elle cesse, tardivement, quelques mois seulement avant
l’engagement de la procédure. En outre, il a toujours été considéré par l’entourage social et familial de sa fille, qui porte son nom,
comme étant son père. Il convient d’ajouter qu’avant qu’il ne conteste, cette possession d’état, soutenue par une correspondance
aussi régulière qu’affectueuse, même après la majorité de l’enfant, était certainement continue et paisible, en plus d’être publique
et non équivoque. Enfin, elle a incontestablement duré plus de cinq ans, dès lors qu’elle a commencé à courir du jour de la
reconnaissance, intervenue cinq jours seulement après la naissance ; le délai pour agir avait donc déjà expiré depuis longtemps
lorsque le demandeur a introduit son action. Sa filiation étant devenue incontestable, son action en contestation devait donc être
jugée irrecevable, rendant ainsi inutile l’examen de son bien-fondé.
Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.657
Référence
■ Fiches d’orientation Dalloz : Possession d’état
https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/fille-au-pere-un-etat-qui-se-possede/h/8bc64a75a7ed8f4ff2336d1890f14ecc.html 1/1
08/09/2020 Dépêches JurisClasseur | LexisNexis en France
Europeen 23-06-2020
Le droit de connaître la vérité sur son identité prime la prescription de l’action en reconnaissance de
paternité
La Cour européenne des droits de l’homme condamne la Serbie pour violation du droit au respect de la vie
privée et familiale d’un ressortissant privé de la faculté d’ouvrir à nouveau une procédure en reconnaissance de
paternité.
Les juridictions déboutent le fils de sa demande au motif de la prescription de l’action. Après épuisement des
voies de recours internes, il saisit les juges strasbourgeois sur le fondement de l’article 8 de la Convention EDH
relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.
Si la Cour considère que le délai de prescription imparti dans le pays est un facteur de sécurité juridique en ce
qu’il vise à « protéger les intérêts des pères présumés contre les revendications tardives », elle juge qu’il n’est
pas un motif suffisant pour « priver le requérant du droit de connaître la vérité sur un aspect important de son
identité personnelle ».
https://web.lexisnexis.fr/depeches-jurisclasseur/depeche/23-06-2020/01 1/1
| ACTUALITÉS | PATRIMOINE | MINEURS OU MAJE…
Est conforme à la Constitution la règle selon laquelle le placement à l’adoption d’un enfant né sous X fait
échec à la reconnaissance de paternité, et ce même si celle-ci intervient avant le prononcé de l’adoption.
Une enfant naît sous X. Trois mois après son recueil en foyer, elle est placée à l’adoption. Suite à des démarches
auprès du procureur pour retrouver l’enfant, le père biologique la reconnaît quelques mois après le placement mais
avant le prononcé de l’adoption. Sa reconnaissance de paternité est toutefois refusée, tout lien de filiation entre
l’enfant et sa famille d’origine ne pouvant plus être établi dès lors que l’enfant né sous X a été placé à l’adoption à
l’expiration d’un délai de deux mois suivant son recueil (C. civ. art. 351, al. 2 et 352, al. 1). Le père conteste alors la
constitutionnalité de ces règles au regard du droit de mener une vie familiale normale, de l’intérêt supérieur de
l’enfant et du principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel les déclare conformes à la Constitution pour les raisons suivantes. Tout d’abord, en
prévoyant qu’un enfant sans filiation ne peut être placé en vue de son adoption qu’à l’issue d’un délai de deux mois à
compter de son recueil, le législateur a entendu concilier l’intérêt des parents de naissance à disposer d’un délai
raisonnable pour reconnaître l'enfant et en obtenir la restitution et celui de l’enfant dépourvu de filiation à ce que son
adoption intervienne dans un délai qui ne soit pas de nature à compromettre son développement : le droit de mener
une vie normale n’est donc pas compromis.
Ensuite, en interdisant qu’une telle reconnaissance intervienne après son placement en vue de l’adoption, le
législateur a entendu garantir à l’enfant, déjà remis aux futurs adoptants, un environnement familial stable : l’intérêt
supérieur de l’enfant est ainsi préservé.
Enfin, si, dans le cas d’un accouchement secret, le père et la mère se trouvent dans une situation différente pour
reconnaitre l’enfant, les dispositions contestées qui se bornent à prévoir le délai dans lequel peut intervenir le
placement et les conséquences de ce placement sur la possibilité d’actions en reconnaissance, n’instituent pas de
différence de traitement entre eux. Elle n’institue pas davantage de différence de traitement entre les parents de
naissance et les futurs adoptants. Le principe d’égalité devant la loi est ainsi respecté
A noter : En cas d’accouchement anonyme, le père biologique ignore souvent la date et le lieu de naissance, ce qui
empêche la transcription de sa reconnaissance. Il peut alors, comme en l’espèce, en informer le procureur de la
République qui procédera à la recherche des date et lieu d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant (C. civ.
art. 62-1). Le père biologique a intérêt à agir vite : la reconnaissance doit être transcrite avant le placement de
l'enfant en vue d'une adoption, faute de quoi, elle ne produira aucun effet.
Plusieurs solutions ont été proposées pour mieux protéger les droits du père biologique. Un auteur a ainsi
préconisé d'imposer au procureur de la République, saisi sur le fondement de l'article 62-1 du Code civil, d'informer
les services de l'aide sociale à l'enfance afin que ceux-ci retardent le placement de l'enfant (en ce sens : C. Bernard-
Xemar, note sous TGI Nancy 16-5-2003 : LPA 3-3-2004 p. 9). Un autre a proposé que la reconnaissance souscrite
par le père biologique produise ses effets dès lors que l'enfant est identifié avant le prononcé de l'adoption par le juge
(en ce sens, J. Revel, Une nouvelle famille unilinéaire : l’enfant né sous X et son père : D. 2006 p. 1707 n° 9).
Mais ces solutions fragiliseraient le placement et, plus généralement, le processus de l'adoption. En déclarant
conformes à la Constitution les règles des articles 351 alinéa 2 et 352 alinéa 1 du Code civil, le Conseil
constitutionnel entend préserver voire renforcer le processus d’adoption existant. Les propositions de changement de
certaines règles en faveur des droits du père biologique resteront lettre morte.
Florence GALL-KIESMANN
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit de la Famille n°s 29510 s.
A LIRE AUSSI
Conditions de récupération des aides sociales facultatives versées par les départements
Le 11/03/2020
Le département ne peut exercer un recours en récupération sur les aides sociales facultatives qu’il octroie que si les
dispositions régissant ces aides au moment de leur versement et celles applicables à la date du décès le prévoient.
Indemnité au mandataire judiciaire : le juge des tutelles reste compétent après le décès du
majeur
Le 10/03/2020
La compétence du juge des tutelles pour allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs une indemnité
complémentaire au titre de certains actes requis par la mesure de protection ne s’éteint pas au décès de la personne
protégée.
Anne-Lise Lonné-Clément
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/civil/personnes-et-famille-patrimoine/24520/maintien-des-relations-entre-l-enfant-et-le-parent-d-intention-n… 1/1
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
La Cour de cassation dit n’y avoir lieu de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une question
prioritaire de constitutionnalité concernant l’article 319 du code civil, dans sa rédaction issue de la
loi du 3 janvier 1972.
La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 14 mai 2020, une décision qui
mérite de retenir l’attention, même si sa rédaction est très élliptique du point de vue des faits et du
contexte juridique.
Une personne de nationalité étrangère a, il y a plus de vingt ans, tenté d’obtenir la nationalité
française en se prévalant du fait que sa mère était française. À l’époque, l’article 18 du code civil
disposait en effet qu’était « français l’enfant, légitime ou naturel, dont l’un des parents au moins
est français ». Pour être complet, notons que dans sa rédaction actuelle, l’article 18 se borne à
énoncer qu’« est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français » et qu’il ne fait
évidemment plus référence à la distinction des filiations légitime et naturelle qui a été supprimée
par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.
Une décision, prononcée en 2002, a alors constaté l’extranéité de cette personne, au motif que le
lien de filiation avec sa mère avait été établi postérieurement à sa majorité. Il est en effet de
principe que « la filiation de l’enfant n’a d’effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie
durant sa minorité » (C. civ., art. 20-1).
En 2018, les enfants mineurs de cette personne ont formé une tierce opposition, qui a été rejetée.
À l’occasion d’un pourvoi, il a été demandé à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 319 du code civil qui,
dans sa rédaction issue de la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972, dispose que « la filiation des enfants
légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur les registres de l’état civil ».
Cette question conduisait, en substance, à se demander si cet article 319, dans cette version qui a
ensuite été abrogée par l’ordonnance du 4 juillet 2005, méconnaît ou non le principe d’égalité, en
ce qu’il vise la seule filiation des enfants légitimes.
Rappelons que l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique
sur le Conseil constitutionnel dispose qu’il est procédé à la transmission au Conseil d’une question
prioritaire de constitutionnalité si les conditions suivantes sont remplies : 1° la disposition
législative contestée est applicable au litige ou à la procédure ; 2° elle n’a pas déjà été déclarée
conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel,
sauf changement des circonstances ; 3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
La première chambre civile retient qu’il n’y a pas lieu de renvoyer cette question au Conseil, car
deux de ces conditions ne sont pas réunies.
En premier lieu, elle relève que l’article 319 n’est pas applicable au litige, qui est relatif aux effets
sur la nationalité d’une filiation établie hors mariage.
En second lieu, elle s’arrête ensuite sur l’autre texte invoqué par les plaideurs, à savoir le 6° du
paragraphe II de l’article 20 de l’ordonnance du 4 juillet 2005, qui dispose (dans sa rédaction issue
de l’art. 91 de la loi n° 2006-911 du 24 juill. 2006 relative à l’immigration et à l’intégration) que «
les dispositions de la présente ordonnance n’ont pas d’effet sur la nationalité des personnes
majeures à la date de son entrée en vigueur ». Or, elle relève que que ce principe, « dont il résulte
que les enfants nés hors mariage et ayant atteint l’âge de la majorité avant le 2 juillet 2006 ne
peuvent se prévaloir de la seule désignation de leur mère, de nationalité française, dans leur acte
de naissance, pour obtenir la nationalité française, a été déclaré conforme à la Constitution par la
décision n° 2011-186/187/188/189 rendue par le Conseil constitutionnel le 21 octobre 2011 ».
Cette décision de la Cour de cassation appelle deux observations, qui nous conduisent à inverser,
dans un but de clarté de notre propos, l’ordre de présentation retenu par la Cour.
a) Il est certain, en ce qui concerne son second aspect, que la position de la Cour de cassation
s’impose compte tenu de l’existence de cette décision antérieure du Conseil (sur cette décision, Dr.
fam. 2011. Comm. 178, obs. C. Neirinck ; E. Mulon, Nationalité. Etablissement de la filiation
maternelle par l’acte de naissance : le Conseil constitutionnel valide à l’exclusion du bénéfice de
l’article 311-25 du code civil pour les personnes majeures au 1er juillet 2006, Gaz. Pal. 18-19 nov.
2011, n° 323, p. 33-34).
b) Concernant le premier aspect, la Cour retient que l’article 319 n’est pas applicable au litige et on
ne peut que se fier à son appréciation, faute de connaître précisément les circonstances de
l’espèce et la teneur de l’arrêt d’appel.
En débordant du cadre de sa décision, on peut toutefois noter qu’il serait intéressant que la Cour de
cassation se prononce, un jour, sur la conformité à la Constitution de cet article 319, sous l’angle du
principe d’égalité. La question est en effet délicate et des arguments peuvent être invoqués en
faveur et en défaveur de cette conformité.
Il est vrai que la porté du principe d’égalité a été délimitée par le Conseil constitutionnel, qui retient
que « si le principe d’égalité devant la loi implique qu’à situations semblables il soit fait application
de solutions semblables, il n’en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l’objet
de solutions différentes » (Décis. n° 79-107 du 12 juill. 1979 ; L. Favoreu, Revue du droit public et
de la science politique en France et à l’étranger, janv.-févr. 1979, p. 1691 ; P. Avril et J. Gicquel,
Pouvoirs, nov. 1979, n° 11, p. 186). Or, la situation litigieuse conduit précisément à distinguer les
filiations dans le mariage et hors mariage.
Cependant, la distinction de ces filiations justifie-t-elle qu’en application de l’article 319, dans sa
rédaction issue de la loi du 3 janvier 1972, la filiation d’un enfant légitime puisse être prouvée par
l’indication de la mère dans l’acte de naissance, alors que la détermination de la filiation d’un
enfant naturel suppose quant à elle un acte de reconnaissance de la mère (ou la possession d’état),
même si le nom de la mère est mentionné dans l’acte de naissance ?
Le contexte social et juridique de l’époque pouvait certes expliquer cette distinction, même si on a
pu noter que l’absence de connaissance de cette règle par la plupart des citoyens pouvait conduire
à des surprises en matière successorale, lorsque la mère n’avait pas pris la précaution de procéder
à une reconnaissance de l’enfant né hors mariage (A. Bénabent, Droit de la famille, 4e éd., LGDJ,
2018, n° 506). Il n’est toutefois pas certain que cette distinction soit, dans la perspective issue de
l’ordonnance du 4 juillet 2005 ayant supprimé la distinction des filiations légitime et naturelle,
encore admissible, alors que l’article 311-25 du code civil dispose désormais, sans distinction
évidemment, que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans
l’acte de naissance de l’enfant ».
Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les articles 351 et 352 di code civil, relatifs au placement en
vue de l'adoption d'un enfant né d'un accouchement sous le secret.
Le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité à la Constitution
du deuxième alinéa de l'article 351 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à
l'adoption, et du premier alinéa de l'article 352 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant
réforme de l'adoption.
Selon l'article 351 du code civil, lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, le placement en vue de l'adoption ne peut pas
intervenir avant l'expiration du délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant au terme duquel il est admis en qualité de pupille
de l'Etat.
L'article 352 du code civil prévoit que le placement en vue de l'adoption fait échec à toute reconnaissance.
Le requérant soutient que ces dispositions, qui s'opposent à toute reconnaissance d'un enfant à compter de son placement en vue
de l'adoption, méconnaîtraient, dans le cas d'un enfant né d'un accouchement secret, le droit de mener une vie familiale normale.
En effet, dès lors que le placement de l'enfant peut intervenir dès l'expiration d'un délai de deux mois après son recueil par le
service de l'aide sociale à l'enfance, le père de naissance, lorsqu'il ignore les date et lieu de naissance de l'enfant, serait dans
l'impossibilité de le reconnaître avant son placement en vue de l'adoption et donc d'en solliciter la restitution.
Par ailleurs, en s'opposant à toute reconnaissance de l'enfant dès son placement en vue de l'adoption, ces dispositions
privilégieraient la filiation adoptive au détriment de la filiation biologique en méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant et d'un
principe fondamental selon lequel "la filiation biologique est première et l'adoption seulement subsidiaire".
Enfin, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi. D'une part, elles soumettent aux mêmes délais et
procédure le père et la mère de naissance alors que seule cette dernière est informée des conséquences de l'accouchement
secret. D'autre part, elles institueraient une différence de traitement entre le père de naissance et les futurs adoptants en
empêchant le premier d'établir sa filiation après le placement en vue de l'adoption quand les seconds bénéficieraient, dès cet
instant, de la garantie de l'établissement d'un lien de filiation.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et du droit de
mener une vie familiale normale :
D'une part, en prévoyant qu'un enfant sans filiation ne peut être placé en vue de son adoption qu'à l'issue d'un délai de deux mois à
compter de son recueil, le législateur a entendu concilier l'intérêt des parents de naissance à disposer d'un délai raisonnable
pour reconnaître l'enfant et en obtenir la restitution et celui de l'enfant dépourvu de filiation à ce que son adoption intervienne
dans un délai qui ne soit pas de nature à compromettre son développement.
D'autre part, la reconnaissance d'un enfant pourrait faire obstacle à la conduite de sa procédure d'adoption. En interdisant
qu'une telle reconnaissance intervienne postérieurement à son placement en vue de son adoption, le législateur a entendu garantir
à l'enfant, déjà remis aux futurs adoptants, un environnement familial stable.
Le père de naissance peut reconnaître l'enfant avant sa naissance et jusqu'à son éventuel placement en vue de l'adoption.
Dans le cas d'un enfant né d'un accouchement secret, l'article 62-1 du code civil prévoit que, si la transcription de la
reconnaissance paternelle s'avère impossible, le père peut en informer le procureur de la République, qui doit procéder à la
recherche des date et lieu d'établissement de l'acte de naissance de l'enfant.
De plus, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la reconnaissance d'un enfant avant son placement en vue
de l'adoption fait échec à son adoption même lorsque l'enfant n'est précisément identifié qu'après son placement.
Le Conseil constitutionnel précise qu'il ne lui n'appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la conciliation
qu'il y a lieu d'opérer, dans l'intérêt supérieur de l'enfant remis au service de l'aide sociale à l'enfance, entre le droit des parents de
naissance de mener une vie familiale normale et l'objectif de favoriser l'adoption de cet enfant, dès lors que cette conciliation n'est
pas manifestement déséquilibrée.
Ainsi, les griefs tirés de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale et de l'exigence constitutionnelle de
protection de l'intérêt supérieur de l'enfant doivent être écartés.
Si, dans le cas d'un accouchement secret, le père et la mère de naissance se trouvent dans une situation différente pour
reconnaître l'enfant, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir le délai dans lequel peut intervenir le placement de
l'enfant en vue de son adoption et les conséquences de ce placement sur la possibilité d'actions en reconnaissance, n'instituent en
tout état de cause pas de différence de traitement entre eux.
Elles n'instituent pas davantage de différence de traitement entre les parents de naissance et les futurs adoptants.
Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
Dans une décision du 7 février 2020, le Conseil constitutionnel conclut que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent
aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Sources
Conseil constitutionnel, 7 février 2020 - www.conseil-constitutionnel.fr
Mots clés
19-15921 - Droit civil - Droit de la famille - Enfant né d'un accouchement anonyme - Enfant né sous X -
Droit du père - Droit de mener une vie familiale normale - Intérêt supérieur de l'enfant - Respect de la
vie privée - Principe d'égalité devant la loi - Caractère sérieux - Enfant né d'un accouchement anonyme
- Enfant né sous X - Droit constitutionnel - Question prioritaire de constitutionnalité - QPC
Pays : France.
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Deux semaines après avoir transmis au Conseil constitutionnel une QPC formulée par un homme
qui revendiquait sa paternité à tout prix (Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 19-15.921, D. 2019. 2300 ; AJ
fam. 2019. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse ), la Cour de cassation refuse de renvoyer celle d’un
homme qui, au contraire, réclame le droit… de ne surtout pas l’assumer !
L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 4 décembre 2019 intervient
en matière d’action en recherche de paternité, action en justice qui vise l’établissement forcé du
lien de filiation d’un père biologique à l’égard de son enfant. Or certains géniteurs n’arrivent pas à
s’y résoudre… C’est le cas de M. G., assigné en recherche de paternité par Mme T. au nom de son
enfant né quelques semaines plus tôt. M. G., dont la filiation à l’égard de l’enfant a été prononcée
par la cour d’appel, a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a formulé la QPC sur
laquelle se prononce l’arrêt sous examen.
Rappelons que le mécanisme de la QPC est désormais connu. Pour que la Cour de cassation décide
de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative
critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des
poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil
constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Comme le
relève la Cour de cassation, en l’espèce, les deux premières conditions étaient indubitablement
réunies. C’est sur le dernier critère que les juges fondent leur refus. Après avoir affirmé que la
question n’était pas nouvelle, ils ont conclu à l’absence de sérieux de celle-ci.
Avant de revenir sur les arguments retenus pour écarter le caractère sérieux, précisons
immédiatement que la question n’était pas nouvelle, non seulement au sens auquel ce critère
s’entend pour la transmission d’une QPC (question ne portant pas sur l’interprétation d’une
disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de
faire application) mais encore parce qu’elle avait déjà été posée à la Cour de cassation ! En effet, la
Haute juridiction a refusé par trois fois au moins de transmettre une QPC relative à cet article (Civ.
1re, 28 mars 2013, n° 13-40.001, D. 2013. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2013. 361,
obs. J. Hauser ; JPC 2013. Doct. 819, obs. Y. Favier ; RJPF-2013-6/23, note M.-C. Le Boursicot ; Civ.
1re, 11 mai 2016, n° 15-18.312, D. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; Gaz. Pal. 2016, p.70,
note M. Courmont-Jamet ; Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-20.547, D. 2017. 729, obs. F.
Granet-Lambrechts ; RJPF-2017-2/31, obs. T. Garé). Cet élément de contexte précisé, revenons sur
les motifs avancés pour ce nouveau refus des juges.
La QPC examinée était ainsi formulée : « L’article 327 du code civil instituant l’action en recherche
judiciaire de paternité hors mariage, en ce qu’il empêche tout homme géniteur de se soustraire à
l’établissement d’une filiation non désirée, est-il contraire aux principes d’égalité et de liberté
constitutionnellement garantis ? ». Comme nous allons le voir, la Cour de cassation dénie tout
caractère sérieux à cette question tant au regard du principe d’égalité qu’au regard de celui de
liberté.
En ce qui concerne le principe d’égalité, il est analysé par la Cour de cassation sous deux angles
différents : le premier est lié à l’égalité hommes/femmes, le second a trait à l’égalité entre tous les
enfants qu’ils soient nés en mariage ou non (v. sur ce double aspect, déjà : Civ. 1re, 2 déc. 2015,
préc. ; 9 nov. 2016, préc.).
Pour ce qui est de l’égalité hommes/femmes, l’argument reposait sur la différence de traitement
entre la femme enceinte, qui a la possibilité d’accoucher sous X, et l’homme… qui ne le peut pas !
Le débat est ancien. Face au fait de la naissance d’un enfant hors mariage, le droit a varié dans sa
façon de forcer ses géniteurs à établir leur lien de filiation (pour le détail de cette évolution, M.-C.
Le Boursicot, Tant qu’il y aura des hommes… et des femmes, il y aura des pères et des mères,
RJPF-2013-6/23 ; v. égal., F. Granet-Lambrechts in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action,
2016, spéc. § 214.70). Pendant longtemps, c’est la mère biologique qui n’a pu échapper à
l’établissement de son lien. Outre le fait que la grossesse et l’accouchement la désignaient
naturellement, le code civil prévoyait la recherche de maternité alors que le père biologique «
naturel » ne pouvait en aucun cas être forcé à établir son lien de filiation. Puis la recherche de
paternité a été admise (loi du 16 nov. 1912), uniquement dans certaines circonstances, alors même
que s’organisait l’accouchement de la mère dans le secret. Le renversement du paradigme a été
opéré par la loi de 1993 (loi n°93-22 du 8 janv. 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la
famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales) qui a non seulement
institutionnalisé le secret absolu de l’accouchement en inscrivant dans code civil l’accouchement
sous X et en interdisant dans ce cas toute recherche de maternité mais a ouvert plus largement la
recherche de paternité. La génitrice pouvait alors totalement échapper à l’établissement de son lien
de filiation alors que le géniteur n’avait quasiment aucune chance (en ce sens, F.
Granet-Lambrechts, obs. sous Civ. 1re, 20 févr. 2008, n° 07-13.642, D. 2008. 1371 ). Enfin,
l’ordonnance de 2005 (ordonnance n°2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation),
telle que ratifiée par la loi de 2009 (loi n° 2009-61 du 16 janv. 2009 ratifiant l’ord. n° 2005-759 du 4
juill. 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à
la filiation), a supprimé la fin de non-recevoir liée à l’accouchement sous X et a ouvert totalement la
recherche de paternité qui ne dépend plus que de la preuve biologique.
Sur le papier (du code civil), il n’y a donc désormais aucune différence entre la génitrice et le
géniteur hors mariage qui peuvent tous deux essayer d’échapper à l’établissement de leur lien de
filiation mais sont pareillement exposés à une action en recherche de maternité ou de paternité.
C’est d’ailleurs le sens de la réponse de la Cour de cassation : « la maternité hors mariage est
susceptible d’être judiciairement déclarée, comme la paternité hors mariage et dans les mêmes
conditions procédurales, y compris en cas d’accouchement dans le secret, lequel ne constitue plus
une fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité ». L’argument, juridiquement
imparable, a du reste été employé dans les trois arrêts ayant précédemment rejeté les QPC
relatives à l’article 327 du code civil (v. supra). Voilà pour la théorie.
Dans les faits, on sait bien que la situation est toute autre (sur cette différence entre le théorique et
la pratique, J. Hauser, obs. sous Civ. 1re, 28 mars 2013, RTD civ. 2013. 361 ). Les raisons sont
multiples. Tout d’abord, lorsque la femme a accouché dans l’anonymat, elle est très difficile à
retrouver pour l’enfant qui voudrait intenter une action en recherche de maternité. Surtout, dans
cette hypothèse, l’enfant est généralement rapidement adopté, ce qui fait obstacle à toute action
en recherche de maternité. À l’opposé, dans l’immense majorité des cas, la mère de l’enfant
connaît l’identité du père. C’est même le plus souvent elle qui engage l’action en recherche contre
le géniteur de son enfant au nom de celui-ci. Sauf circonstances particulières (par ex., le viol par un
inconnu), il n’y donc pas « d’anonymat » possible pour le géniteur : il dépend le plus souvent de la
volonté de la mère de taire ou non son identité.
Ainsi, en réalité, la femme qui accouche sous X a encore aujourd’hui toutes les chances d’échapper
définitivement à sa maternité alors que le père biologique n’a aucune chance de fuir sa paternité si
la mère (qui n’agit qu’au nom de l’enfant mais dont il est évident qu’elle décide elle-même à la
place de son enfant mineur, particulièrement lorsqu’il est en bas-âge) ou l’enfant, une fois majeur,
souhaite le forcer à établir le lien.
Pour ce qui est de l’égalité entre les enfants selon qu’ils sont nés en mariage ou non, la Cour de
cassation relève « que ni la question elle-même ni le mémoire qui la soutient n’exposent pour quels
motifs d’intérêt général une différence de traitement devrait être instaurée entre les enfants nés en
mariage et ceux nés hors mariage pour priver ces derniers du droit d’établir leur filiation paternelle
en cas de refus de leur père de les reconnaître ». La Cour de cassation souligne ici le fait que
permettre au père biologique « naturel » de ne pas établir son lien de filiation s’il ne le souhaite pas
créerait une rupture d’égalité entre les enfants issus d’un couple marié – qui peuvent utiliser le
rétablissement judiciaire de la présomption de paternité pour forcer le mari ou l’ex-mari de leur
mère à établir le lien de filiation (C. civ., art. 329) – et les enfants nés hors mariage qui ne le
pourraient plus. Or la Cour de cassation reproche à M. G. de n’avoir pas expliqué en quoi une telle
différence de traitement se justifierait.
Sans entrer dans une réflexion que ce format ne permet pas, on peut relever que le mariage vaut
traditionnellement acceptation anticipée de la part du mari des enfants à venir de son épouse, ce
qui est l’essence même, selon certains auteurs, de la présomption de paternité (en ce sens, F.
Granet-Lambrechts, Droit de la famille, op. cit., spéc. § 212.21). Cet engagement pris lors du
mariage pourrait donc expliquer la possibilité d’un rétablissement judiciaire de la présomption de
paternité lorsque celle-ci correspond à la réalité biologique (en effet, l’art. 329 du code civil
subordonne ce rétablissement à la preuve de la paternité du mari ou de l’ex-mari). Or lorsque
l’enfant naît hors mariage, l’homme n’a pris aucun engagement juridique en amont. On pourrait
donc y voir un début de justification à une différence de traitement. Néanmoins, il convient de
relever immédiatement qu’une telle différence de traitement d’une part, serait plus dictée par
l’intérêt du géniteur que par des motifs d’intérêt général et, d’autre part, irait à rebours de
l’évolution du droit de la filiation rappelé plus haut et dont l’objectif déclaré était d’uniformiser le
sort des enfants quel que soit le statut du couple parental. Une telle solution serait ainsi sans doute
considérée comme contraire à l’intérêt – supérieur faut-il le rappeler – de l’enfant (en ce sens, H.
Fulchiron, note sous Civ. 1re, 22 mars 2017, Dr. fam. 2017. Comm. 126).
Finalement, l’intérêt de cet arrêt, qui en justifierait la large publication (F-P+B+I), réside peut-être
dans le fait que l’auteur de la QPC invoquait pour la première fois explicitement une atteinte au
principe de liberté. Certes, dans l’arrêt précité de la première chambre civile du 28 mars 2013 (n°
13-40.001, préc.), l’auteur de la QPC invoquait une violation de la l’article 4 de la Déclaration des
droits de l’homme qui pouvait lui aussi faire référence au principe de liberté. Toutefois, l’auteur ne
développait pas son grief et, faute d’argumentaire au soutien de ce moyen, la Cour de cassation
avait évacué l’argument sans y répondre au fond. C’est donc la première fois que la Cour de
cassation devait se prononcer sur une atteinte au principe de liberté qui résulterait de l’article 327
du code civil.
D’une part, il saute aux yeux que l’argument pourrait pleinement s’appliquer à la femme enceinte.
Aussi, même si l’on n’ignore pas les autres arguments qui ont amené le législateur à consacrer
l’accouchement dans l’anonymat et le droit à l’avortement, on pourrait faire remarquer que le droit
a manifestement plus d’égard envers la liberté de la femme qu’envers celle de l’homme en matière
de procréation.
D’autre part, on pourrait discuter de cette vision très catégorique de la maîtrise de la procréation.
La société se fait depuis quelques années l’écho de situations dans lesquelles certains hommes ont
été « piégés » par des femmes en mal d’enfants (M. Plard, Paternités imposées, un sujet tabou, éd.
Les Liens qui libèrent, janv. 2013 ; A. Bonzon, Pères malgré eux, publié le 22 déc. 2015). On trouve
aussi des illustrations en jurisprudence (v. par ex., Bordeaux, 29 janv. 2008, Juris-Data n°
2008-355095 : le père prétendu soutenait que la naissance de l’enfant était survenue à la suite de
manœuvres dolosives de sa partenaire qui aurait toujours argué de sa stérilité). Mais au-delà de la
question de la conscience qu’avait ou pas l’homme de « risquer » la paternité, des voix s’élèvent
pour soulever la question de l’opportunité d’imposer une paternité non désirée (C. Lassalas, La
paternité ne peut plus être imposée, question de responsabilité…, LPA 16 juin 2016, p. 6 ; M. Lacub,
Géniteur sous X, Libération, Tribune, 25 janv. 2005), y compris du point de vue de l’enfant (Droits
de l’enfant : Chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 2, LPA 7 mai 2007).
D’aucuns diront que la solution s’impose au regard de la montée en puissance du droit de connaître
ses origines (sur la difficulté d’articuler droit au respect de la vie privée du père biologique,
accouchement sous X et droit de connaître ses origines : Droits de l’enfant : Chronique d’actualité
législative et jurisprudentielle n° 7, LPA 30 mai 2011 ; v. égal., P. Rémy-Corlay, obs. sous Civ. 1re, 7
avr. 2006, RTD civ. 2006. 273 et J. Hauser, obs. sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, RTD civ. 2006. 292 ).
On objectera tout de même que ce droit n’impose pas celui d’établir un lien de filiation avec son
géniteur qui n’en veut pas. Il en ainsi à l’égard du père comme de la mère biologique d’ailleurs
(pour une réflexion plus globale sur la distinction entre géniteur et parent, G. Kessler, La distinction
du parent et du géniteur : propositions pour une nouvelle approche de la filiation, RTD civ. 2019.
519 ).
Aussi, que l’on approuve ou non la solution dégagée, il convient d’admettre qu’aucun des
arguments avancés par la Cour de cassation n’est aussi indiscutable qu’il n’y paraît au regard des
principes garantis. Cela nous inspire un léger détournement de notre devise nationale : liberté
(mais responsabilité), égalité (sur le papier) et surtout… paternité !
En présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger d’un enfant, qui
n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que
l’enfant soit né d’une assistance médicale à la procréation ni celle que cet acte désigne la mère
ayant accouché et une autre femme en qualité de mère ou de parent ne constituent un obstacle à
sa transcription sur les registres français de l’état civil, lorsque l’acte est probant au sens de
l’article 47 du code civil.
Une ressortissante australienne, mariée à une ressortissante française, a recours à une assistance
médicale à la procréation au Royaume-Uni. Suite à la naissance de l’enfant, un acte de naissance
est dressé dans ce pays mais le consulat de France à Londres refuse de le transcrire sur les
registres de l’état civil consulaire, au motif que la filiation n’état pas établie à l’égard de l’épouse de
la mère.
Au visa de l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits
de l’enfant, de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et de l’article 47 du code civil, la première chambre civile énonce, sans surprise, le
principe reproduit en tête de ces observations.
Ce faisant, elle ne fait que reprendre, dans les mêmes termes, la solution qu’elle a déjà retenue par
un arrêt du 18 décembre 2019 (n° 18-14.751). Il s’agit donc d’une simple confirmation de la
jurisprudence. Si cette évolution jurisprudentielle a donné lieu à des appréciations diverses, il est
suffisant de renvoyer, ici, aux commentaires qui ont été élaborés à propos de ce précédent arrêt
(Dalloz actualité, 20 déc. 2019, obs. T. Coustet ; Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-14.751, D. 2020. 426
, note S. Paricard ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2020. 133, obs. J. Houssier ; ibid.
9, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer ).
Il est néanmoins utile de noter que cette orientation nouvelle, qui concerne au premier abord
uniquement une difficulté de transcription d’un acte d’état civil, s’inscrit en réalité dans un débat
plus large, en droit interne, relatif à la délimitation des personnes pouvant bénéficier d’une
assistance médicale à la procréation (pour une présentation des conditions actuelles à remplir pour
en bénéficier et des évolutions prévisibles, V. Egéa, Droit de la famille, 3e éd., LexisNexis, 2020, nos
867 s.). C’est ainsi que l’état du droit français pourrait prochainement évoluer en ce domaine, si le
projet de loi relatif à la bioéthique actuellement en discussion devait être adopté devant le
Parlement, suite au vote du projet par l’Assemblée Nationale en première lecture et aux
modifications opérées par le Sénat. Il est en effet question d’introduire dans le code de la santé
publique un nouvel article L 2141-2-1, selon lequel tout couple formé de deux femmes ou toute
femme non mariée répondant à certaines conditions aurait accès à l’assistance médicale à la
procréation. Dans cette hypothèse, de nouvelles dispositions seraient introduites dans le code civil
pour prévoir les incidences d’une telle évolution en matière de filiation (nouv. art. 342-9 s.). Or, il
est évident que l’élargissement des conditions d’accès à cette assistance à la procréation dans le
cadre interne modifie l’appréhension des situations juridiques constituées à l’étranger.
Il résulte de ce qui précède qu’en l’espèce, s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans,
en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une
atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des enfants, consacré par l’article 8 de la Conv.
EDH, et alors qu’il y a lieu de mettre fin à cette atteinte, la transcription sur les registres de l’état civil de
Nantes des actes de naissance établis à l’étranger ne saurait être annulée.
NOTE : Si, en droit français, les conventions de GPA sont encore interdites, une GPA réalisée à l’étranger ne
peut faire, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention
sans porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant, au regard de son intérêt
supérieur.
Certes, en droit français, la filiation peut être établie de différentes manières. Reste que dans le cas d’une GPA
réalisée à l’étranger, le lien avec la mère d’intention doit être établi en privilégiant un mode de reconnaissance
qui permette au juge français de contrôler la validité de l’acte ou du jugement étranger et d’examiner les
circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant. C’est l’adoption qui répond le mieux à ces
exigences mais, dans cette affaire qui s’étend sur plus de quinze ans (les enfants sont nées en 2000 en
Californie), une procédure d’adoption porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée des enfants. La
possession d’état, quant à elle, à supposer que les conditions légales en soient réunies, n’offrirait pas une
sécurité juridique suffisante. C’est pourquoi la Cour de réexamen des décisions civiles décide cette fois que la
transcription en France des actes de naissance désignant la mère d’intention, avec laquelle le lien est depuis
longtemps largement concrétisé, ne doit pas être annulée.
https://www.gazette-du-palais.fr/actualites-juridiques/jur-gpa-apres-larret-de-la-cedh-la-cour-de-cassation-accepte-la-transcription-des-actes-de-n… 2/2
07/09/2020 Liberté, Libertés chéries: GPA : le parent d'intention sur le registre d'état civil, enfin
Des années auront été nécessaires pour que la Cour de cassation renonce à sa
conception traditionnelle, toujours attachée à la primauté du lien biologique.
Dans deux arrêts du 13 septembre 2013, cette même 1ère Chambre civile appliquait
ainsi l'adage Fraus omnia corrumpit, considérant que la nullité initiale de la
convention de GPA, au regard du droit français, entrainait celle de tous les actes
juridiques liés à la naissance de l'enfant. A l'époque, elle refusait donc à la fois la
transcription de l'acte de naissance sur les registres de l'état civil français et la
reconnaissance de paternité considérée comme frauduleuse.
A partir de cette date, les réticences de la Cour de cassation se sont déplacées sur un
autre terrain, celui de la transcription à l'état civil du lien avec le parent d'intention,
celui qui n'a pas donné ses gamètes. Dans quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour
reconnaissait que la transcription pouvait être effectuée pour le parent biologique.
En revanche, le parent d'intention devait passer par une procédure d'adoption de
l'enfant de son conjoint. La Cour s'appuyait sur l'article 47 du code civil qui affirme
libertescheries.blogspot.com/2020/01/gpa-le-parent-dintention-sur-lacte-de.html 1/3
07/09/2020 Liberté, Libertés chéries: GPA : le parent d'intention sur le registre d'état civil, enfin
que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et
rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces
détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même
établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est
irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la
réalité". Pour la Cour, statuant alors sur le cas d'un couple hétérosexuel, la mère
d'intention n'ayant pas accouché ne peut être considérée comme la mère de
l'enfant. L'acte d'état civil produit à l'étranger ne "correspond pas à la réalité". La
CEDH, sollicitée pour avis par l'Assemblée plénière, a décidé, le 10 avril 2019, de
laisser les Etats choisir le mode d'établissement de la filiation du parent d'intention,
entre la transcription directe dans les registres d'état civil français ou l'adoption.
Le problème est que cette solution n'est pas satisfaisante. D'une part, l'adoption
simple ne coupe pas nécessairement tout lien avec la mère porteuse, et ne donne au
parent d'intention que des droits "de basse intensité" par rapport à l'adoption
plénière. D'autre part, il est conduit, au moins à ses yeux, à adopter son propre
enfant.
libertescheries.blogspot.com/2020/01/gpa-le-parent-dintention-sur-lacte-de.html 2/3
07/09/2020 Liberté, Libertés chéries: GPA : le parent d'intention sur le registre d'état civil, enfin
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07/09/2020 GPA : pas de condamnation de la France pour refus de transcription intégrale de l’acte de naissance - Éditions Francis Lefebvre
Le refus des autorités françaises de transcrire l’acte de naissance étranger d’un enfant né de GPA sur les
registres de l’état civil français pour autant qu’il désigne la mère d’intention comme étant sa mère n’est pas
disproportionné par rapport aux buts poursuivis.
La Cour européenne était saisie de deux requêtes contre la France émanant chacune d’un couple marié ayant eu
recours à une GPA à l’étranger avec les gamètes de l’époux et une tierce donneuse : aux États-Unis dans le
premier cas, avec la naissance d’un enfant, au Ghana dans le second cas, avec la naissance de triplés. Pour chaque
enfant, l’acte de naissance étranger mentionne le père biologique comme « père » et son épouse, mère d’intention,
comme « mère ». Les parents ayant sollicité la transcription des actes de naissance sur les registres consulaires
français, la justice s’y est opposée à chaque fois s’agissant de la filiation maternelle.
- invoquant l’article 8 de la Convention, ils dénoncent une violation du droit au respect de la vie privée des enfants
résultant du refus des autorités françaises de transcrire l’intégralité de leurs actes de naissance ;
- invoquant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, ils dénoncent une atteinte discriminatoire au droit au
respect de la vie privée des enfants fondée sur la naissance.
Sur le premier point, la Cour rappelle les termes de son avis du 10 avril 2019 selon lequel le droit au respect
de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de
filiation entre cet enfant et la mère d’intention (CEDH avis 10-4-2019 n° P16-2018-001 : voir La Quotidienne
du 9 mai 2019). Cette reconnaissance ne passe pas nécessairement par la transcription de l’acte de naissance ;
elle peut se faire par une autre voie, telle l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les
modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément
à l’intérêt supérieur de l’enfant.
La Cour relève que le droit français offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation par la voie de
l’adoption de l’enfant du conjoint. Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis
plusieurs arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2017 (Cass. 1e civ. 5-7-2017 nos 15-28.597 FS-PBRI, 16-
16.901 FS-PBRI et 16-16.455 FS-PBRI), alors que l’enfant né aux États-Unis avait 7 ans et les triplés nés au
Ghana 3 ans, soit selon toute vraisemblance bien après la concrétisation du lien entre eux et leur mère
d’intention. Or, la Cour a précisé dans son avis précité qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance
https://www.efl.fr/actualites/patrimoine/droit-international-prive/details.html?ref=f733c7bb3-6856-4e14-b906-fbf28091b9d6 1/3
07/09/2020 GPA : pas de condamnation de la France pour refus de transcription intégrale de l’acte de naissance - Éditions Francis Lefebvre
d’un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon
l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé. La
Cour estime toutefois que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer aux enfants concernés un
fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent maintenant une procédure d’adoption à cette fin.
Elle observe notamment qu’il résulte des éléments produits par le Gouvernement français que la durée moyenne
d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière et de 4,7 mois en cas d’adoption
simple.
La Cour en conclut que le refus de transcription intégrale des autorités françaises n’est pas disproportionné aux
buts poursuivis.
Sur le second point, la Cour précise que la différence entre « les autres enfants nés à l’étranger » et « les
enfants nés d’une GPA à l’étranger » consiste uniquement en ce que les enfants nés d’une GPA ne peuvent
obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et doivent passer par la voie de l’adoption. Elle
note qu’il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités
d’établissement du lien maternel de filiation permet, en ce qu’il induit un contrôle juridictionnel, de s’assurer au
regard des circonstances particulières de chaque cas qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une GPA
qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention. Elle rappelle aussi qu’elle a indiqué dans son avis que le
choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombait
dans la marge d’appréciation des États et que l’article 8 de la Convention ne mettait pas à leur charge une
obligation générale de reconnaître dès le début un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention.
Par conséquent, la différence de traitement dénoncée repose sur une justification objective et raisonnable.
À noter : S’agissant d’un contentieux qui perdurait depuis plus de 15 ans, et en l’absence d’autre voie permettant de
reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de
la vie privée des enfants, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence dans la célèbre affaire Menesson
en validant la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger (Cass. ass. plén. 4-10-2019 n° 10-19.053
PBRI : voir La Quotidienne du 25 octobre 2019). Pour dégager cette solution, les Hauts Magistrats ont retenu le
raisonnement suivant. Certes, les conventions de GPA sont interdites en droit français. Toutefois, au regard de
l’intérêt supérieur de l’enfant (Conv. New York du 20-11-1989 sur les droits de l’enfant art. 3 § 1) et pour ne pas porter
une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée (Conv. EDH art. 8), une GPA réalisée à l’étranger ne peut
faire, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention. Cette
reconnaissance doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l'enfant et la mère d'intention s'est concrétisé.
La Cour de cassation vient par ailleurs de préciser dans deux nouveaux arrêts rendus dans d’autres affaires que le
raisonnement n’a pas lieu d’être différent lorsque c’est un homme qui est désigné dans l’acte de naissance
étranger comme « parent d’intention ». Et d’ajouter qu’il convient de faire évoluer la jurisprudence. Ainsi, en
présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action
en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une
convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième
homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil. À une
condition toutefois : l’acte de naissance étranger doit être probant au sens de l’article 47 du Code civil, c’est-à-dire
régulier, exempt de fraude et conforme au droit de l’État dans lequel il a été établi (Cass. 1e civ. 18-12-2019 nos 18-
11.815 FS-PBRI et 18-12.327 FS-PBRI).
Emmanuel DE LOTH
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Le 07/09/2020
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INTERET
SUPERIEUR DE
L’ENFANT
07/09/2020 Application en droit français de la convention de New York sur les droits de l’enfant : une révolution lente, mais inexorable, conduis…
Par un arrêt important, le Conseil d’Etat a posé que les stipulations de l’article 20 de la convention signée à
New York le 28 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant produisent des effets directs en droit interne.
Cet arrêt, nous l’avions commenté (CE, 5 février 2020, UNICEF France et autres – Conseil national des
barreaux, n°s 428478 428826, B.), voir :
Mais son application en l’espèce aux mineurs isolés, non accompagnés (MNA), restait limitée, même si le «
mode d’emploi » donné à l’Etat et, surtout, aux départements en ce domaine, était d’importance.
Cela dit, les domaines où l’applicabilité de la convention de New York est débattue en droit public français
sont nombreux.
https://blog.landot-avocats.net/2020/02/17/application-en-droit-francais-de-la-convention-de-new-york-sur-les-droits-de-lenfant-une-revolution-lent… 1/3
07/09/2020 Application en droit français de la convention de New York sur les droits de l’enfant : une révolution lente, mais inexorable, conduis…
de supprimer un repas différent pour raisons religieuses en restauration scolaire ? La question s’est posée
devant un TA (qui avait censuré au nom de cette convention une décision municipale, essentiellement
politique, de suppression d’un tel type de repas)… avant qu’une CAA ne censure cette même décision
municipale pour d’autres motifs (et pour cause, les parties requérantes n’ayant pas soulevé ce moyen !).
Voir :
La CAA de Lyon confirme l’annulation de la décision du maire de Chalon-sur-Saône supprimant les
menus de substitution en restauration scolaire (avec un autre raisonnement juridique qu’en première
instance)
d’appliquer le droit français des expulsions locatives ou, comme l’a cru un maire (censuré sur ce point par
un TA) il y a-t-il en ce domaine matière à arrêté de police municipale ? Voir :
Les arrêtés anti-expulsions locatives restent bien illégaux. Mais un TA vient d’entrouvrir une porte.
Une petite porte…
Le Conseil d’Etat vient de poser qu’était d’applicabilité directe en France le 1 de l’article 20 de cette
convention, lequel prévoit que :
« Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui, dans son
propre intérêt, ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat
».
Mais le juge administratif impose la même applicabilité directe au fameux et ô combien essentiel article 3-1.
Citons un arrêt récent en ce domaine :
« Aux termes de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant signée à New
York le 26 janvier 1990, publiée par décret le 8 octobre 1990 : » Dans toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale,
des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant
doit être une considération primordiale « . Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement
invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, que, dans l’exercice de son pouvoir
d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur
des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions
qui ont pour objet de régler la situation personnelle d’enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour
effet d’affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation. »
(CAA Bordeaux, 17 décembre 2019, n° 19BX01772).
Voir aussi CAA Nancy, 14 juin 2018 (n° 17NC02497) et 18 mai 2018 (n° 17NC02554-17NC02555). Voir
surtout CE, 26 juillet 2011, n° 335752 et CE, 27 octobre 2004, n° 252970.
En matière de vie locale, la vague de fond commence à se lever. Nous constatons des recours plus fréquents à
cette argumentation pour tel ou tel aspect des décisions des collectivités territoriales, là où c’est surtout au titre
du droit des étrangers que se posaient ces questions.
https://blog.landot-avocats.net/2020/02/17/application-en-droit-francais-de-la-convention-de-new-york-sur-les-droits-de-lenfant-une-revolution-lent… 2/3
07/09/2020 Application en droit français de la convention de New York sur les droits de l’enfant : une révolution lente, mais inexorable, conduis…
Dans tous ces domaines, quels seront les arbitrages du juge entre prise en compte de l’intérêt de l’enfant et
contraintes publiques ?
Nous sommes en ce domaine au début, si ce n’est d’une révolution, au minimum d’un rééquilibrage à venir.
Ce paramètre sera à intégrer au nombre de ceux qui forgeront, demain, les décisions publiques en matière
d’enfance, d’école inclusive, de handicap au sein des services de petite enfance ou de périscolaire, d’aide et de
suivi des adolescents, de sanctions disciplinaires les concernant, de harcèlement scolaire, d’aide sociale à
l’enfance (ASE), de suivi des MNA, de plans de protection de l’enfance, etc.
https://blog.landot-avocats.net/2020/02/17/application-en-droit-francais-de-la-convention-de-new-york-sur-les-droits-de-lenfant-une-revolution-lent… 3/3
08/09/2020 Kafala et visa long séjour – Comment apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant ? | par Me Allison BISHOP
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Comment apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Où se situe l’intérêt supérieur de l’enfant qui a été confié par acte de kafala? Ou plus précisément son
intérêt est-il toujours de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des
effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale ?
Une décision récente de la Cour administrative d’appel de Nantes nous apporte des précisions sur
l’intérêt supérieur de l’enfant et son contenu.
L’article 3 1° de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant prévoit que toute décision
concernant un enfant doit tenir pleinement compte de l’intérêt supérieur de celui-ci.
Il en découle, selon une jurisprudence constante, que l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès
de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est
titulaire à son égard de l'autorité parentale.
Une présomption est ainsi posée. L’intérêt de l’enfant est en principe de vivre aux côtés de la personne à
qui l’enfant a été confié par acte de kafala rendu exécutoire et un visa long séjour lui sera délivré pour
qu’il puisse venir vivre en France aux côtés de cette personne.
C’est ce qui a été récemment rappelé par la Cour administrative d’appel de Nantes.
Toutefois, la Cour précise que cette présomption peut être renversée en cas d’atteinte à l’ordre public ou
lorsque les conditions d’accueil de l’enfant, compte tenu notamment des ressources et des conditions de
logement du titulaire de l'autorité parentale, sont contraires à son intérêt.
Les autorités consulaires devront aussi vérifier que cette décision de refus de délivrance de visa ne porte
pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale.
https://consultation.avocat.fr/blog/allison-bishop/article-33530-kafala-et-visa-long-sejour--comment-apprecier-l-interet-superieur-de-l-enfant.html 1/2
08/09/2020 Kafala et visa long séjour – Comment apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant ? | par Me Allison BISHOP
En l’occurrence, il s’agissait d’apprécier l’intérêt d’un enfant, de nationalité algérienne, né en 2002, confié
à sa tante, elle-même de nationalité algérienne, par acte de kafala rendu exécutoire en France.
La Cour prend ici en compte des éléments très factuels : (i) la personne titulaire de l’autorité parentale
exerce la profession d'agent d'hygiène, (ii) elle a à sa charge trois enfants et sa mère qui perçoit une
allocation de solidarité aux personnes âgées, (iii) elle ne justifie pas à la date de la décision attaquée de
ressources suffisantes, composées pour l’essentiel de prestations sociales et (iv) elle ne justifie pas que
ses enfants participent aux charges communes.
La Cour en déduit que le titulaire de l’autorité parentale ne dispose pas de ressources et de conditions de
logement suffisantes pour lui permettre de prendre en charge une personne supplémentaire.
La Cour prend aussi en compte la vie familiale de cet enfant et sa scolarité en Algérie.
La Cour considère ainsi que c'est sans erreur d'appréciation que, dans les circonstances de l'espèce, la
commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu refuser de délivrer
le visa sollicité en prenant en compte l'intérêt supérieur de l'enfant.
Notre conseil : Au moment du dépôt d’un dossier de demande de visa long séjour, même en cas
de kafala judiciaire rendu exécutoire en France, il est recommandé de produire l’ensemble des
justificatifs relatifs à ses ressources et son logement en France. Vous produirez également tout
document permettant d’établir l’absence d’attache familiale ou les difficultés liées à la
scolarisation de l’enfant dans son pays d’origine.
Référence :
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https://consultation.avocat.fr/blog/allison-bishop/article-33530-kafala-et-visa-long-sejour--comment-apprecier-l-interet-superieur-de-l-enfant.html 2/2
07/09/2020 Liberté, Libertés chéries: La mère, la mère toujours recommencée
libertescheries.blogspot.com/2020/01/la-mere-la-mere-toujours-recommencee.html 1/3
07/09/2020 Liberté, Libertés chéries: La mère, la mère toujours recommencée
Dans ses deux décisions, la Cour s'appuie sur sa jurisprudence Strand Lobben et
autres c. Norvège du 30 novembre 2017 qui affirme que ces mesures de placement
en famille d'accueil ont d'abord pour but de rétablir, à terme, les liens familiaux. S'il
est démontré que c'est impossible, l'adoption pourra alors être envisagée. Dans
cette affaire, les juges s'étaient penchés sur la procédure suivie, et notamment sur
l'écoute des arguments de la mère. Précisément, dans les deux décisions du 17
décembre 2019, les autorités norvégiennes, administratives comme judiciaires, ont
fait preuve sur ce point d'une légèreté fautive.
Dans l'affaire A.S. c. Norvège, la Cour observe que la situation a été figée dès
l'origine, car les juges du fond ont précisé, dès le premier recours déposé par la
mère, que le placement de l'enfant serait "de longue durée", les visites étant
extrêmement limitées. Le jugement de 2015 s'appuyait des expertises réalisés en
2012, et les rapports pris en compte sur le développement de l'enfant étaient ceux
remis par la famille d'accueil. Cette même famille a invoqué les réactions négatives
de l'enfant lors des visites de la mère, sans que ce point ait été sérieusement vérifié.
La CEDH déduit donc que la mère n'a pas été entendue et que ses intérêts n'ont pas
été sérieusement pris en considération.
Ces deux décisions ne sont finalement surprenantes que par leur existence même.
On découvre en effet que la Norvège, pays présenté comme un modèle social et
comme un exemple dans le domaine des droits des femmes, n'hésite pas à arracher
des enfants à leur mère, sans trop se préoccuper des droits de la défense. L'enfant
est perçu comme l'objet d'une politique publique autoritaire, politique qui justifie la
rupture du lien familial, surtout lorsque la mère est polonaise ou somalienne. Nous
voilà bien loin du "modèle" norvégien.
libertescheries.blogspot.com/2020/01/la-mere-la-mere-toujours-recommencee.html 2/3
07/09/2020 Liberté, Libertés chéries: La mère, la mère toujours recommencée
libertescheries.blogspot.com/2020/01/la-mere-la-mere-toujours-recommencee.html 3/3
08/09/2020 Si l’intérêt supérieur de l’enfant le commande, l’administration doit faire bénéficier le mineur d’un document de circulation, même si …
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elle aboutit la Cour Administrative d’Appel de Marseille dans son arrêt en date du 21 novembre 2019
(CAA Marseille, 21 novembre 2019, n° 19MA00342).
La primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant est énoncée à l’article 3-1 de la Convention relative aux
droits de l’enfant de 1989 rédigé de la façon suivante :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs,
l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »
Pour la Cour Administrative d’Appel de Marseille, l’intérêt supérieur de l’enfant prime notamment sur les
conditions légales posées à la délivrance d’un DCEM, document de circulation pour étranger mineur.
Si un étranger mineur n’a pas besoin de posséder un titre de séjour pour pouvoir résider sur le territoire
français, il devra cependant faire la demande d’un DCEM pour pouvoir se rendre hors du territoire et
surtout y revenir, sans que lui soit opposée la condition de détention d’un visa.
Le DCEM est délivré notamment à l’enfant étranger dont l’un au moins des parents possède un titre de
séjour, qu’il s’agisse d’une carte temporaire, pluriannuelle ou de la carte de résident.
Cette délivrance concerne également l’enfant étranger d’un ressortissant français ou encore l’enfant
confié à l’ASE.
Outre ces conditions de droit commun, certaines conventions bilatérales prévoient des conditions
supplémentaires pour la délivrance d’un tel document.
https://consultation.avocat.fr/blog/gregoire-hervet/article-33591-si-l-interet-superieur-de-l-enfant-le-commande-l-administration-doit-faire-beneficie… 1/2
08/09/2020 Si l’intérêt supérieur de l’enfant le commande, l’administration doit faire bénéficier le mineur d’un document de circulation, même si …
Il en est ainsi de l’article 7 ter de de l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988, qui énonce, en plus de la
condition de régularité de séjour d’un des parents de l’enfant, celle que l’enfant soit entré en France au
titre du regroupement familial.
Mais, par-delà ces conditions légales, juge la Cour Administrative d’Appel de Marseille l’autorité
administrative doit tenir compte de l’intérêt que pourrait avoir l’enfant « à se rendre hors de France et à
pouvoir y retourner sans l’obligation de présenter un visa ».
Le juge d’appel valide le refus de délivrance du DCEM, ce qui démontre que la primauté de l’intérêt
supérieur de l’enfant sur les conditions légales de délivrance du document doit être interprétée de
manière restrictive.
Ainsi, la Cour valide l’analyse des juges du fond en estimant notamment que la requérante :
Celle-ci apparait notamment dans sa décision en date du 2 septembre 2019 (Défenseur des droits, 2
sept. 2019, n° 2019-188).
Le défenseur des droits a estimé en l’espèce que l’existence de dispositions spécifiques concernant les
mineurs de nationalité algérienne, contenues dans l’accord franco-algérien, n’interdisait pas au préfet
d’appliquer au mineur le dispositif de droit commun, si celui-ci se révèle plus favorable.
Et cela est d’autant plus vrai lorsque l’application stricte des dispositions légales conduirait à rendre la
décision préfectorale contraire aux dispositions d’une convention internationale, comme celles contenues
à l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant.
Il convient d’ajouter qu’en l’espèce, outre l’intérêt supérieur de l’enfant, le défenseur des droits fait
référence aux articles 8 de la CEDH et 2-2 du protocole n°4 de la CEDH qui énoncent respectivement le
principe du droit de mener une vie privée et familiale normale ainsi que celui de quitter n’importe quel
pays, y compris le sien.
Ainsi, pour le Défenseur des Droits, lorsque l’autorité préfectorale est saisie d’une demande de délivrance
d’un DCEM à un enfant mineur n’en remplissant pas conditions légales, elle doit alors se poser la
question de la conformité d’un éventuel refus de sa part, aux trois principes internationalement reconnus.
Si le principe est affirmé, l’interprétation restrictive qu’en fournit la Cour Administrative d’Appel de
Marseille dans sa décision du 21 novembre 2019, jette un sérieux doute sur son effectivité.
https://consultation.avocat.fr/blog/gregoire-hervet/article-33591-si-l-interet-superieur-de-l-enfant-le-commande-l-administration-doit-faire-beneficie… 2/2
DROIT DE LA
SANTE
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Par un communiqué de presse du 23 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a
annoncé avoir reçu, pour la première fois, une demande d’avis consultatif soumise par le Comité de
bioéthique du Conseil de l’Europe, en vertu de l’article 29 de la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine (dite Convention d’Oviedo).
Cette Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE n° 164) ouverte à la signature le
4 avril 1997 à Oviedo (en Espagne) et entrée en vigueur en France le 1er avril 2012 (v. not.
A. Mirkovic, La ratification (enfin !) de la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la
biomédecine, D. 2012. 110 ; D. Thierry, La France enfin liée par la Convention d’Oviedo sur les
droits de l’homme et la biomédecine, RDSS 2012. 839 ) est aujourd’hui le seul instrument juridique
contraignant international pour la protection des droits de l’homme dans le domaine biomédical. Ce
texte concerne plus particulièrement la protection de la dignité, des droits et des libertés de l’être
humain contre toute application abusive des progrès biologiques et médicaux et part du postulat
que l’intérêt de l’être humain doit prévaloir sur l’intérêt de la science ou de la société.
La Convention d’Oviedo prévoit également que le comité directeur pour la bioéthique (CDBI), ou
tout autre comité désigné par le comité des ministres, ainsi que les parties à la convention, peuvent
saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’avis consultatifs sur des questions
juridiques concernant son interprétation (art. 29). Le comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de
l’Europe a ainsi usé de cette possibilité en saisissant la CEDH en décembre 2019.
Cette question sera examinée par la grande chambre de la CEDH en application du chapitre IX de
règlement de la Cour qui concerne les avis consultatifs au titre des articles 47, 48 et 49 de la
Convention européenne des droits de l’homme.
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publié une décision révélant que certaines personnes âgées en EHPAD ont subi des "atteintes à leurs
droits fondamentaux en raison de leur perte d'autonomie et ont subi des agissements ayant pour
effet de porter atteinte à leur dignité et de créant un environnement hostile, dégradant et humiliant,
caractérisant l'existence d'une discrimination".
La réclamation émanait de la fille d’une résidente dénonçant les conditions de prise en charge de sa
mère, au sein d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Quels étaient les faits visés par l’enquête par le Défenseur des droits ?
Les agents du Défenseur des droits ont donc procédé à des auditions (Direction régionale de l’EHPAD,
médecin coordonnateur, infirmier, médecin traitant ..).
https://consultation.avocat.fr/blog/claudia-canini/article-34429-ehpad-atteinte-a-la-dignite-environnement-hostile-degradant-et-humiliant.html 1/4
08/09/2020 EHPAD : atteinte à la dignité, environnement hostile, dégradant et humiliant | par Me Claudia CANINI
À cette occasion, une photographie leur a été remise montrant la porte de chambre d'un résident bloquée
de l'extérieur par un drap noué autour de la poignée, empêchant ainsi le résident de sortir.
Le résultat - avant même les ravages du Covid-19 au sein des EHPAD - est accablant.
« Les gestes involontaires ou inconscients - actes commis ou situations qui s'installent par l'effet
de l'ignorance, de l'incompétence, de l'impuissance et de l'épuisement du personnel - peuvent
être constitutifs de faits de maltraitance, tout comme les actes résultant de la carence
d'organisation et du manque de moyens de l'établissement, signes d'une maltraitance
institutionnelle » (V. l'avis du Défenseur des droits n° 18-24 sur la maltraitance des enfants et la
maltraitance institutionnelle à l'égard des personnes dépendantes, 11 octobre 2018.) .
Ainsi, "les actes de maltraitance commis à l'égard de personnes en perte d'autonomie accueillies en
EPHAD, ayant eu pour effet de porter atteinte à leur dignité et de créer à leur égard un
environnement hostile, dégradant et humiliant, sont constitutifs d'une discrimination au sens de
l'article 1er alinéa 3 de la loi du 27 mai 2008".
Le Défenseur des droits a estimé que l'EHPAD n'avait pas respecté la procédure de conclusion du contrat
de séjour, telle qu'établie par la loi. Or, c'est précisément cette pratique qui protège la personne accueillie,
avec des dispositifs propres à garantir le respect de ses droits fondamentaux. La personne en perte
d'autonomie demeure titulaire de ses droits et une attention particulière est nécessaire pour garantir
l'exercice effectif de ses droits fondamentaux.
Au vu de ces éléments, le Défenseur des droits a relevé qu'en n'ayant pas recherché le consentement de
la résidente lors de son accueil au sein de l'établissement, la direction de l'EHPAD a porté atteinte à
ses droits fondamentaux en raison de sa perte d'autonomie, ce qui est constitutif d'une
discrimination.
Sur le plan financier, ajoutons que le défaut de signature est susceptible d’entrainer le prononcé de la
nullité par le tribunal judiciaire et de ce fait l’annulation des frais de séjour réclamés par l’EHPAD.
b) Sur les graves négligences relatives à la prise en charge médicale, paramédicale et hôtelière
Elle a également relaté que le personnel n'était pas disponible pour faire déjeuner les résidents
incapables de se nourrir seuls et que certains résidents faisaient des fausses routes alimentaires de
façon régulière.
L'instruction du Défenseur des droits a confirmé que la prise en charge des résidents, affectée par
de graves négligences professionnelles, ne se déroulait pas dans le respect de la personne et de ses
droits tels que consacrés par l'article L. 311-3 du CASF et la Charte des droits et libertés de la personne
accueillie.
Ainsi, les résidents ne bénéficiaient pas de soins et d'un accompagnement adapté à leurs
besoins, que cela soit en matière d'hydratation, d'alimentation ou de toilette.
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08/09/2020 EHPAD : atteinte à la dignité, environnement hostile, dégradant et humiliant | par Me Claudia CANINI
Selon les parents de résidents entendus, il existait un nombre important de vacataires, lesquels étaient
moins formés et moins investis dans leurs missions. Ils ont par ailleurs indiqué que, lors des visites, les
résidents se plaignaient systématiquement d'avoir soif ; à de nombreuses reprises, les résidents n'avaient
pas de verre ou de gobelet à leur disposition, le personnel n'ayant pas le temps de le leur fournir.
Sous réserve d’un éventuel recours devant la Cour d’appel, il a été jugé par le tribunal judiciaire :
« que la société Z n'a pas mis en œuvre les moyens humains et matériels adéquats [permettant à
la résidente] de bénéficier des soins attentifs et irréprochables que son état exigeait» et que «le
manque d'attention et l'insuffisance d'accompagnement, le défaut de surveillance et la carence
dans l'administration de soins d'hygiène corporels et médicaux, appropriés à l'état de handicap
de Madame Y, lui ont nécessairement occasionné des souffrances d'ordre psychologique et
physique ».
Le Défenseur des droits rappelle qu’une prise en charge de qualité et un accompagnement individualisé,
qui tiennent compte de l'état physique et psychologique de la personne accueillie, s'inscrivent dans la
recherche de son bien-être.
À l'inverse, le non-respect de tels droits fondamentaux crée des situations de maltraitance ; les
négligences dans l'aide à la vie quotidienne des résidents ont pour effet de porter atteinte à leur dignité et
de créer à leur égard des conditions d'accueil défavorables.
Le Défenseur des droits en a conclu que "cette atteinte aux droits fondamentaux et, par
conséquent, à la dignité des résidents de l'EHPAD est de nature à créer, au sein de la structure
mise en cause, un environnement hostile, dégradant et humiliant à leur encontre".
Selon le Défenseur des droits tous ces faits ont été facilités ou rendus possibles par la vulnérabilité liée à
la perte d'autonomie des personnes accueillies. En effet, les détresses physiques et/ou psychiques
rapportées sont nées des relations d'accompagnement des résidents, leur situation de dépendance les
rendant d'autant plus vulnérables.
Au sujet de la photographie montrant la porte d'une chambre d’un résident, bloquée de l'extérieur par un
drap noué autour de la poignée, l’enquête a permis de déterminer qu’elle avait été prise au sein de l'unité
protégée de l'EHPAD.
Le Défenseur des droits a considéré que de tels agissements, constitutifs d'une atteinte à la liberté
d'aller et venir des personnes accueillies, subis par un résident de l'unité protégée dédiée à
l'accueil des malades Alzheimer ou apparentés, présentant de ce fait une particulière
fragilité, étaient de nature à compromettre sa santé, sa sécurité ainsi que son bien-être physique
ou moral.
Autant de manquements susceptibles d'engager la responsabilité civile des sociétés exploitant les
établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD).
- prendre les mesures appropriées afin de garantir le respect des droits et libertés fondamentaux
des résidents accueillis dans ses structures ;
- saisir son Conseil scientifique et éthique sur la thématique « Respect de la liberté d'aller et venir en
EHPAD et procédures de contention » et de faire part au Défenseur des droits des résultats de ses
travaux ;
- engager des actions d'amélioration au sein des EHPAD du groupe concernant, d'une part, la formation
de l'ensemble du personnel à l'identification et à la gestion des situations à risque de maltraitance et,
d'autre part, à la clarification des rôles et des responsabilités de chacun s'agissant du signalement, de la
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08/09/2020 EHPAD : atteinte à la dignité, environnement hostile, dégradant et humiliant | par Me Claudia CANINI
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Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Le monopole des médecins en matière d’épilation à la lumière pulsée est remis en cause. La Cour
de cassation par son arrêt du 31 mars 2020, faisant suite au Conseil d’État, s’est prononcée sur la
conformité aux articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) de
l’interdiction de la pratique de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des
médecins.
Elles sont déclarées coupables en première instance et en appel pour complicité d’exercice illégal
de la médecine et condamnées respectivement à 6 000 et 3 000 € d’amende.
La cour d’appel de Paris fonde sa condamnation sur les dispositions de l’arrêté du 6 janvier 1962
prévoyant en son article 2, 5°, que tout mode d’épilation autre que les épilations à la pince ou à la
cire ne peut être pratiqué que par les docteurs en médecine. Ainsi, la pratique habituelle, par des
personnes autres que des médecins, d’épilations au laser ou à la lumière pulsée, qualifiées de «
traitements » au sens de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique, est constitutive du délit
d’exercice illégal de la médecine.
Les deux sociétés se pourvoient en cassation au moyen pris de la violation des articles 101 et 102
du TFUE et 49 TCE, 591 et 593 du code de procédure pénale.
Elles soulèvent notamment la contrariété de l’arrêté du 6 janvier 1962 avec le principe de libre
concurrence et de liberté d’établissement. Elles estiment que l’interdiction faite aux personnes
autres que des médecins de pratiquer les épilations à la lumière pulsée n’est pas proportionnée au
but de protection de la santé publique. Elles invoquent à ce titre le règlement (UE) 2017/45 du 5
avril 2017 excluant les appareils à lumière pulsée de la liste des dispositifs médicaux et les rapports
de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) de 2016 excluant tout risque sérieux pour la
santé.
Par un arrêt du 31 mars 2020, la Cour de cassation vient affirmer que le monopole des médecins en
matière d’épilation à la lumière pulsée méconnaît la liberté d’établissement et la libre prestation de
services.
La chambre criminelle rappelle que les articles 49 et 56 du TFUE réservent aux États la possibilité
d’apporter des restrictions au principe de liberté d’établissement et de libre prestation à condition
que ces restrictions soient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, que ces mesures
s’appliquent de manière non discriminatoire et soient propres à garantir de façon cohérente la
réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent sans aller au delà de ce qui est nécessaire pour
l’atteindre.
Elle rappelle ensuite qu’en application des principes de primauté et d’effet direct du droit
communautaire, le juge national peut laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au
droit communautaire.
Selon son ancienne jurisprudence l’épilation à la lumière pulsée constitue un exercice illégal, quand
bien même cette technique n’existait pas lors de la rédaction du décret de 1962 réservant aux
non-médecins la seule technique d’épilation à la cire ou à la pince (Crim. 29 janv. 2019, n°
16-85.746, Dr. pénal 2019, n° 5, comm. Robert).
Selon le Conseil d’État, l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par les esthéticiens
méconnaît, en tant qu’elle réserve ces modes d’épilation aux seuls docteurs en médecine, la liberté
d’établissement et la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du TFUE (CE 8
nov. 2019, n° 424954 ; Lebon ; AJDA 2020. 713 ).
La chambre criminelle adopte la position du Conseil d’État et revient sur sa jurisprudence au regard
de trois arguments :
elle considère que l’interdiction n’est pas justifiée dès lors que les appareils utilisés peuvent
être acquis et utilisés par de simples particuliers et que leur usage est autorisé aux
esthéticiens pour les soins de photorajeunissement qui présentent des risques identiques à
ceux concernant l’épilation ;
elle signale que selon le rapport et l’avis de l’ANSES d’octobre et décembre 2016, si l’épilation
à la lumière pulsée est susceptible d’avoir des effets indésirables légers et d’être soumise à
des restrictions pour des motifs d’intérêt général, il n’en résulte pas que ces actes d’épilation
ne puissent être effectués que par un médecin ;
elle constate enfin que le gouvernement français a notifié à la Commission européenne un
projet de décret ouvrant la pratique de l’épilation à la lumière pulsée aux esthéticiens sous
certaines conditions de formation.
Ainsi la Cour de cassation se fonde sur des données juridiques, techniques et scientifiques acquises
au jour où elle statue pour faire évoluer sa position. Il en résulte que les sociétés ne peuvent être
légalement condamnées pour complicité d’exercice illégal de la médecine.
La portée de cette décision est plus vaste, les personnes autres que les médecins pratiquant des
épilations à la lumière pulsée ne peuvent plus être légalement condamnées pour exercice illégal de
la médecine. Le texte conférant à cette pratique la qualification de « traitement » étant regardé
comme contraire au droit communautaire, il devra être systématiquement écarté par le juge
national au regard du principe de primauté et d’effet direct du droit communautaire.
La précision des faits de l’espèce n’évoquant que l’utilisation de dispositifs d’épilation à la lumière
pulsée peut expliquer cette restriction. Toutefois, il existe également une différence entre
l’épilation à la lumière pulsée et l’épilation au laser pouvant conduire à interpréter le silence de la
Cour de cassation sur l’épilation au laser comme une divergence de position entre les méthodes.
L’épilation au laser émet des rayons beaucoup plus puissants que la lumière pulsée et les appareils
utilisés ne sont pas commercialisés pour les particuliers.
Ainsi, il semble également pouvoir se déduire de la jurisprudence de la Cour de cassation que seule
l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins soit
contraire aux articles 49 et 56 du TFUE et que le monopole des médecins quant aux épilations laser
soit encore de rigueur.
Les évolutions textuelles et la jurisprudence future devront venir clarifier ce point afin de savoir si
les épilations au laser échappent également au monopole médical.
Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la requête de trois associations qui demandaient au
Conseil d’État de suspendre un arrêté du ministre de la Santé adaptant pendant l’état d’urgence
sanitaire les modalités d’interruption volontaire de grossesse (IVG) par voie médicamenteuse
pratiquée en dehors d’un établissement de santé.
CE, ord., 22 mai 2020, Association Alliance Vita et l’association Juristes pour l’enfance,
Association Pharmac’éthique, req. n° 440216, 440317
L’arrêté en litige permet la réalisation d’une IVG au-delà du délai de cinq semaines de grossesse
prévu à l’article R. 2212-10 du code de la santé publique ainsi que la prescription par
téléconsultation des médicaments nécessaires à la réalisation d’une IVG médicamenteuse.
Le juge des référés du Conseil d’État a relevé que le protocole validé par la Haute Autorité de santé
permettant pour les IVG par voie médicamenteuse pratiquées jusqu’à la septième semaine de
grossesse « est conforme aux principales recommandations nationales et internationales émises
par les sociétés savantes de gynécologues et d’obstétriciens et qu’elles sont dans plusieurs pays
mises en œuvre en dehors d’un établissement de santé ». Par ailleurs, les dispositions contestées,
en ce qu’« elles permettent le recours à des téléconsultations en matière d’interruption volontaire
de grossesse par voie médicamenteuse, sont de nature à contribuer à la diminution de la circulation
du covid-19 et, dès lors, à ce que la catastrophe sanitaire prenne fin ».
Les associations requérantes soutenaient également que les dispositions contestées exposent les
femmes à des risques pour leur santé alors qu’elles ne sont pas prises en charge pour leur
interruption volontaire de grossesse dans un établissement de santé. Cet argument est également
écarté par le juge des référés qui relève que le médecin ou la sage-femme prescrivant une IVG par
voie médicamenteuse « doit informer la femme sur les mesures à prendre en cas de survenance
d’effets secondaires, lui prescrire un traitement analgésique approprié et l’informer de ce qu’en cas
de toute difficulté, elle peut se rendre à tout moment dans un établissement de santé conventionné
dont il lui remet les coordonnées ».
L’évolution des techniques médicales n’a pas permis de ralentir le nombre d’erreur ou de faute du corps
médicale.
Au-delà de la relation contractuelle entre le médecin et son patient, c’est d’avantage dans le respect du
devoir d’humanisme médical que le droit médical des patients tend à évoluer.
La responsabilité médicale vise l’obligation pour un professionnel de santé ou un établissement de soins de réparer les
dommages qu’un patient a subis du fait de la mauvaise exécution d’un contrat de soins.
En ce sens, il y a donc bien un contrat conclu entre un médecin et son patient, et ce depuis le célèbre arrêt
Mercier rendu par la Cour de cassation le 20 mai 1936. La Cour a ainsi considéré qu’il se forme entre le médecin et
son client un véritable contrat comportant plusieurs engagements pour le praticien, à commencer par celui de guérir
le malade. Le médecin est également tenu de donner à son client des soins consciencieux, attentifs et conformes aux
données acquises de la science.
De ce fait, en plus de l’existence d’une faute, la responsabilité médicale suppose la présence d’un préjudice et d’un
lien de causalité.
Les préjudices admis peuvent être de toutes sortes. Ainsi, bien que les dommages soient le plus souvent de nature
corporelle, ils peuvent également être de type économique, ou même purement moral [1].
Le préjudice en responsabilité médicale s’apparente à tout autre situation de responsabilité. Certaines spécificités sont
cependant à mettre en exergue, comme la problématique de l’état préexistant de la victime. Il arrive ainsi que celle-ci
soit affectée d’une invalidité inhérente à l’affection faisant l’objet du traitement. Dans ce cas, il peut ne pas être aisé
de déterminer dans quelle mesure les soins administrés ont causé au patient un préjudice réel et objectif. D’autant
que le préjudice hypothétique ne peut donner lieu à réparation [2].
En revanche, la perte de chance de guérison ou de survie induite par la faute du médecin peut constituer un
préjudice indépendant de celui relatif à l’invalidité ou au décès de la personne. Cette perte de chance peut ainsi
donner lieu à réparation, et le patient devra alors indiquer le montant qu’elle estime correspondre à son préjudice. Le
juge estimera ensuite souverainement si, et à quelle échelle, ce préjudice pourra justifier d’une indemnisation [3].
Certains éléments sont explicitement exclus du champ des préjudices indemnisables, comme la naissance L’article
114-4 du code de l’action sociale et des familles, dispose ainsi que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul
fait de sa naissance ». Seule une personne née avec un handicap résultant d’une faute médicale peut faire valoir ce
handicap comme un préjudice indemnisable lorsque celui-ci résulte directement d’une faute médicale.
En plus du préjudice, l’existence d’une causalité apparaît comme un élément nécessaire afin de pouvoir retenir la
responsabilité du médecin ou de l’établissement de soins. Il est ainsi impératif d’identifier un lien de causalité entre
l’activité médicale constitutive d’une faute et le préjudice subi par le patient.
De manière générale, la responsabilité du professionnel de santé est une responsabilité pour faute, notamment
depuis une loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner.
La responsabilité médicale du médecin ou de l’établissement de santé est susceptible d’être retenue lorsque le
médecin commet une faute technique, celle-ci pouvant être caractérisée dès lors que le praticien a commis une erreur
résultant de la méconnaissance des usages et règles scientifiques gouvernant la profession.
En pratique, la faute ou erreur technique [4] est le plus souvent le fait d’une inattention ou d’une imprudence du
praticien dans le cadre du traitement. La faute peut également avoir eu lieu pendant le délai concernant la
surveillance du patient, après que le traitement lui ait été administré.
La Cour de cassation considère explicitement que la maladresse du médecin peut engager sa responsabilité [5], et
qu’elle est par la même exclusive de la notion de risque inhérent à un risque médical [6].
L’erreur de diagnostic du médecin [7] peut aussi constituer une faute, par exemple dans une situation où le manque
de discernement du professionnel a fait perdre au malade la chance d’obtenir une amélioration de son état de santé
ou d’échapper à une infirmité [8].
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=36014 1/3
08/09/2020 Imprimer: La responsabilité médicale et le respect du devoir d’humanisme médical. Par Patrice Humbert, Avocat.
La faute découlant d’une erreur de diagnostic du médecin a pu être caractérisée dans d’autres circonstances,
notamment pour deux échographistes qui avaient affirmé dans leurs comptes-rendus que les membres de l’enfant à
naître étaient bien présents alors que cet enfant est finalement né atteint d’une agénésie de l’avant-bras droit [9].
De manière générale, le code de la santé publique (CSP) indique que les actes de prévention, d’investigation ou de
traitements et de soins prodigués par un médecin à son patient ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales,
faire courir à ce dernier de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté [10].
En ce sens, le praticien peut parfois porter des atteintes à son patient dans le cadre de leur relation contractuelle,
mais ces atteintes ne doivent pas excéder celles qui sont nécessaires pour la bonne intervention du traitement. Seule
l’atteinte inévitable eu égard à la présence d’une anomalie préalablement présente chez le patient peut exclure la
faute du médecin [11].
De manière générale, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Dans ce cadre, le médecin peut
toujours décider de refuser de prodiguer ses soins à un patient pour des raisons professionnelles ou personnelles,
mais seulement en-dehors des cas d’urgence et des circonstances dans lesquelles il manquerait à ses devoirs
d’humanité [12].
En ce sens, le médecin ne peut refuser d’appliquer ses soins à un patient que dans la mesure où cela n’empêche pas à
la personne malade de bénéficier du traitement dont elle a besoin, et que la continuité des soins est assurée.
Lorsqu’aucune raison légitime ne peut être invoquée par un médecin pour justifier son refus de soigner une personne
en péril, la situation relèvera des dispositions de l’article 223-6 du code pénal, lequel puni de cinq ans
d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en
péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en
provoquant un secours.
De la même manière, le fait pour un médecin de refuser de faire appel à un spécialiste est constitutif d’une faute, de
même que le refus de prendre en considération l’avis de ce spécialiste.
En outre, le médecin a aussi un devoir d’information vis-à-vis de son patient. Le code de la santé publique précise, en
son article L1111-2, que toute « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé ». L’information doit
porter sur les différentes investigations menées sur l’état de santé de l’individu concerné, ainsi que sur leur utilité leur
urgence éventuelle, leurs conséquences, leurs risques fréquents ou graves normalement prévisibles. Il en va de même
pour les traitements ou actions de prévention qui sont proposés à la personne.
L’information est transmise au patient durant un entretien individuel et ne peut faire l’objet d’une dispense qu’en cas
d’urgence, d’impossibilité ou de volonté de l’individu.
En cas de litige, la charge de la preuve que cette information a bien été délivrée dans les conditions prévues par cet
article pèsera sur le médecin ou sur l’établissement de santé. La preuve pourra alors être rapportée par tous moyens.
Une obligation de résultat peut parfois être imposée, notamment pour les établissements de santé en ce qui
concerne les infections nosocomiales, c’est-à-dire les infections contractées par un patient pendant son séjour dans
l’établissement. Depuis la loi du 4 mars 2002, cette responsabilité est inscrite dans le code de la santé publique.
L’article L1142-1 de ce code dispose ainsi que les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés
des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections
nosocomiales. Ils peuvent toutefois s’exonérer de cette responsabilité en rapportant la preuve d’une cause étrangère.
La responsabilité civile du praticien impose à ce dernier de procéder à la réparation à partir de son patrimoine
personnel.
Néanmoins, le code de la santé publique impose aux professionnels de santé exerçant à titre libéral, aux
établissements de santé et à toute autre personne morale, autre que l’Etat, exerçant des activités de prévention, de
diagnostic ou de soins ainsi qu’aux producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santé de souscrire une
assurance afin de les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative [13].
Les établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages
dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance peuvent se voir accorder une
dérogation à l’obligation d’assurance par arrêté du ministre chargé de la santé.
La prescription des actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des
établissements de santé publics ou privés dans le cadre d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins est de dix
ans à compter de la consolidation du dommage [14]. La date d’établissement de cette consolidation est toutefois
relativement floue.
En ce qui concerne la charge de la preuve, elle pèse sur le patient dans les cas où le médecin est tenu d’une obligation
de moyens. La victime doit non seulement rapporter la preuve de la faute du médecin, mais également celle du
préjudice qu’elle a subi et du lien de causalité.
Eu égard aux connaissances techniques qu’implique l’appréciation de la preuve, le juge fait souvent appel à un expert,
dont l’indépendance et la liberté d’expression doit être garantie.
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=36014 2/3
08/09/2020 Imprimer: La responsabilité médicale et le respect du devoir d’humanisme médical. Par Patrice Humbert, Avocat.
B. La réparation au titre de la solidarité nationale.
Certaines circonstances imposent à un médecin ou à un établissement de santé de prodiguer des soins à un malade
en-dehors du cadre de son activité habituelle, notamment en cas d’urgence. Dans cette hypothèse, l’assurance ne
prend pas en charge la réparation du préjudice de la victime.
La réparation peut alors s’effectuer au titre de la solidarité nationale lorsque le préjudice résulte d’une affection
iatrogène ou d’une infection nosocomiale [15].
Pour ce qui est des affections iatrogènes, elles peuvent permettre la réparation au titre de la solidarité nationale dès
lors qu’elles ne mettent pas en cause la responsabilité du professionnel ou de l’établissement, qu’elles sont
directement imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’elles ont eu pour le patient des
conséquences anormales au regard de son état de santé. Il faut aussi que les affections présentent un caractère de
gravité qui dépasse un certain seuil déterminé par un critère objectif et plusieurs critères subjectifs.
La réparation des affections iatrogènes [16] au titre de la solidarité nationale suppose donc la réunion de l’imputabilité
de l’acte au professionnel de soins, de conséquences anormales et du dépassement d’un seuil de gravité.
En ce qui concerne les préjudices résultant d’infections nosocomiales, ils peuvent faire l’objet d’une réparation au titre
de la solidarité nationale lorsque ces infections ont été contractées dans les établissements, services ou organismes de
santé qui présentent un taux d’atteinte permanent à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 24% [17].
Cette réparation est assurée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et
des infections nosocomiales (ONIAM) institué par la loi du 4 mars 2002.
En pratique, la procédure de réparation au titre de la solidarité nationale comprend l’intervention d’une commission
régionale de conciliation et d’indemnisation qui émet un avis afin de déterminer si l’indemnisation doit provenir de
l’ONIAM ou de l’assurance du professionnel de santé.
LEXVOX AVOCATS Droit des victimes de la route et de la réparation des préjudices corporels Droit de la responsabilité
médicale et des contentieux liés à l’indemnisation https://www.lexvox-avocat.fr/
[1] Médecine : réparation des conséquences des risques sanitaires - Conditions de la responsabilité médicale -Jean
Penneau, Décembre 2013, actualisation en décembre 2019.
[4] https://medical.lexvox-avocat.fr/erreur-technique/
[5] https://www.avocat-lexvox.com/erreur-medicale.php
[7] https://www.avocat-lexvox.com/victime-d---une-erreur-medicale-par-l-assistance-publique-des-hopitaux-de-
marseille-aphm_ad122.html
[16] https://medical.lexvox-avocat.fr/erreur-medicale/comment-saisir-loniam-et-etre-indemnise-2/
[17] Décret du 21 mai 2003 relatif aux dispositions réglementaires des parties I, II et III du code de la santé
publique, article D1142-1.
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=36014 3/3
16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, lors du colloque organisé, le 5 mars 2012,
par l’Institut du droit de la santé de l’Université Paris Descartes, la Chaire Santé de Sciences Po, l’EHESP et le
LIRAES sur le thème : "Le droit des malades, 10 ans après. La loi du 4 mars 2002 dans la jurisprudence du
Conseil d’État".
< ID du contenu 1841 > Lien à reprendre : > Télécharger l'intervention au format pdf</a>
***
l’EHESP et le LIRAES
***
Monsieur le doyen,
Mesdames, Messieurs,
https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-des-malades-10-ans-apres 1/17
16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a consacré une
évolution majeure du droit de la santé. Elle est intervenue dans un contexte d’incertitudes sur les questions de
responsabilité médicale et de défiance des patients vis-à-vis des médecins et du système de santé. Son histoire
est ancrée dans celle de drames dont chacun a gardé la mémoire.
Son élaboration a représenté un défi pour le législateur : il s’agissait non seulement de rétablir la confiance,
mais également de garantir une meilleure qualité du système de santé, de jeter les bases de la démocratie
sanitaire, d’affirmer les droits des malades, de concevoir et consacrer un nouvel équilibre entre responsabilité et
solidarité. Dix années plus tard, la loi du 4 mars 2002 reste une loi emblématique et marquante, une loi faite
pour durer, non pas en restant figée, mais en constituant un socle pour des réformes à venir. Elle fait partie de
ces lois auxquelles s’attache aux yeux du public le nom d’un ministre, pour le pire dans certains cas, pour le
meilleur ici. Elle est connue hors du cercle des spécialistes, et c’est là sans doute le meilleur indicateur de son
importance dans l’histoire de notre système de santé.
Cette loi a marqué les esprits lors de son adoption. Après dix années d’application, elle laisse une empreinte
profonde dans le monde médical et hospitalier comme dans la vie sociale, empreinte que n’épuisent pas les
sujets qu’elle a traités. Dès lors fleurissent, en ce dixième anniversaire, des demandes d’approfondissement ou
d’adaptation pour une meilleure mise en œuvre de l’« esprit » de la loi. Cette empreinte se retrouve dans la
jurisprudence administrative : le juge a analysé la loi, il en a soupesé les conditions de mise en œuvre et mesuré,
parfois, les contradictions. Bref, il l’a interprétée et appliquée. Si la loi du 4 mars 2002 a remis en cause
certaines jurisprudences, elle en a confirmé d’autres.
La place qu’occupe le Conseil d’État dans notre vie publique l’a conduit à concourir d’abord à la « confection »
de la loi du 4 mars 2002, puis à sa complète application (I). Il a ainsi contribué à la réalisation des deux grands
objectifs de ce texte : la mise en œuvre de la démocratie sanitaire (II) et la refonte des régimes de réparation
des préjudices consécutifs à l’activité médicale (III).
1. Aux termes de l’article L.112-1 du code de justice administrative, le Conseil d’État « participe à la confection
des lois et ordonnances ». A ce titre, il a rendu en assemblée générale, le 31 août 2001, un avis sur le projet de
loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Cette saisine avait été précédée par pas
moins de quinze réunions interministérielles d’arbitrage à Matignon, sans compter les très nombreuses
réunions et concertations informelles. Certaines dispositions introduites en cours de discussion parlementaire
n’ont bien sûr pas été examinées par le Conseil : il en va ainsi, en particulier, du symbolique titre Ier de la loi,
que le Sénat a introduit en tête de la loi, en reprenant une proposition de loi votée en première lecture par
l’Assemblée nationale.
https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-des-malades-10-ans-apres 2/17
16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
Le projet devenu loi du 4 mars 2002 était dès l’origine très long et réellement novateur. Il présentait également
sur certains points une grande complexité, ce que n’a pas manqué de souligner le Conseil d’État. Après les
travaux de la section sociale, la discussion en assemblée générale s’est donc prolongée assez tard dans la soirée
du 31 août 2001 et il se peut que mon collègue Didier Tabuteau, alors directeur du cabinet du ministre délégué
à la santé, garde un souvenir mitigé de cette éprouvante séance : l’ampleur de la réforme, comme la brièveté du
délai imparti au Conseil d’État pour statuer et la période de son examen – le mois d’août – n’ont pas facilité les
choses.
2. La lecture des débats d’assemblée générale frappe par la différence de conception entre le Conseil d’État,
selon lequel la loi doit être pleinement normative, et le Gouvernement, pour qui la loi est un instrument
juridique de mise en œuvre d’une politique. Or la politique procède aussi par affirmation, voire proclamation
de principes, et même, dans certains cas, par répétition de principes dispersés dans des normes déontologiques
ou inscrits dans le code civil. Le Conseil d’État a ainsi critiqué l’affirmation, dans ce qui est par la suite devenu
le titre II de la loi, de droits déjà présents dans l’arsenal législatif ou normatif, dont la formulation différait peu
de celle des dispositions existantes. Malgré ces critiques, il n’a de manière générale proposé que des
amendements rédactionnels ou ne modifiant pas substantiellement le projet : quelques modifications ou
disjonctions exprimant son expertise légistique et juridique[2] ont ici et là été insérées. S’agissant des symboles,
l’expression de « démocratie sanitaire » a été écartée, à mes yeux à bon droit, mais elle a conquis
postérieurement une si grande notoriété et une telle légitimité que je n’hésiterai pas à m’en servir dans cet
exposé.
En ce qui concerne les autres titres du projet de loi, les modifications les plus substantielles proposées par le
Conseil d’État n’ont finalement pas été retenues par le gouvernement et le législateur. Elles traitaient
notamment de la procédure disciplinaire, en particulier de la possibilité pour l’usager de faire appel de la
décision de première instance, ainsi que des dispositions relatives à l’accès à l’assurance contre les risques
d’invalidité ou de décès.
C’est en définitive à des adaptations plus qu’à des modifications structurelles majeures qu’a procédé le Conseil
d’État. L’avis donné était favorable, tout en comportant certaines réserves. Le Conseil a toutefois vivement
regretté de n’avoir pas disposé du temps suffisant pour approfondir certaines questions ou proposer de
nouvelles rédactions.
Postérieurement à l’adoption de la loi, le Conseil d’État s’est encore prononcé sur le projet d’ordonnance
étendant ses dispositions aux collectivités d’outre-mer[3].
Le Conseil d’État a ainsi joué un rôle actif dans la préparation de la loi. Il n’en a pas sous-estimé l’originalité ou
la portée, comme le montre son investissement estival sur ce texte. Il s’est aussi pleinement investi dans
l’application de ce texte.
1. Sauf dans des domaines limités, comme le droit pénal ou civil, les lois, pour entrer en vigueur, exigent le plus
souvent des textes réglementaires d’application. Il en va ainsi en particulier en matière sociale, les principes
fixés par le législateur impliquant le plus souvent pour s'appliquer des mesures réglementaires. Pour le dire
autrement, les dispositions législatives sont, en ce domaine et compte tenu du partage opéré par la Constitution
https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-des-malades-10-ans-apres 3/17
16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
entre la loi et le règlement, rarement assez claires et précises, pour que les autorités compétentes puissent
prendre immédiatement les mesures matérielles ou individuelles d’application de la loi sans qu’aucun décret ne
soit intervenu[4].
En ce qui concerne la loi du 4 mars 2002, huit décrets d’application ont été pris dans les deux mois suivant son
adoption, notamment le décret relatif aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des
accidents médicaux ou celui portant sur l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels
et les établissements de santé. Certaines de ces dispositions, parmi les plus importantes de la loi, sont donc
rapidement entrées en vigueur.
Le Gouvernement a toutefois fait preuve de moins de célérité en ce qui concerne d’autres dispositions de la loi
et le juge administratif a dû constater leur absence d’entrée en vigueur et en tirer toutes les conséquences. Il l’a
encore fait très récemment à propos de l’article L.4113-14 du code de la santé publique, introduit par
l’article 45 de la loi, aux termes duquel le professionnel de santé « dont le droit d'exercer a été suspendu […]
peut exercer un recours contre la décision du représentant de l'Etat dans le département devant le tribunal
administratif, qui statue en référé dans un délai de quarante-huit heures ». L’avant-dernier alinéa de l’article
prévoit l’intervention d’un décret en Conseil d’État pour en préciser les modalités d’application. Les
dispositions législatives étant imprécises, le Conseil d’État a jugé qu’en l’absence d’un tel décret, elles n’avaient
pu entrer en vigueur[5] et le recours spécifique que le législateur entendait créer est donc à ce jour resté lettre
morte.
Le juge administratif ne s’en tient pas toujours au simple constat d’une impossible application. Compte tenu de
son office, il est parfois conduit à condamner l’inaction de l’administration. En effet, l’exercice du pouvoir
réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les
mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi[6]. C’est ainsi que faute de traduction réglementaire
de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002, issu d’un amendement parlementaire se rapportant aux activités
d’ostéopathe et de chiropracteur, le Conseil d’État a condamné, respectivement quatre et six années après le
vote de la loi, la carence de l’administration à assurer la pleine application de cet article et il lui a adjoint de
prendre le décret d’application dans un délai déterminé[7]. Une action en exécution de la seconde décision,
relative aux chiropracteurs, a même prospéré neuf années après le vote de la loi, car malgré l’intervention d’un
décret, certaines mesures réglementaires relatives à la formation n’avaient toujours pas été édictées[8].
2. Le Conseil d’État, qui veille ainsi à ce que les mesures réglementaires d’application de la loi soient prises
dans un délai raisonnable, participe également, en tant que juge, à la détermination du champ d’application de
la loi. Ratione temporis, le juge administratif a dû se poser la question de l’entrée en vigueur de plusieurs
dispositions, notamment de celles relatives à l’indemnisation[9] ou à la prescription décennale[10]. Ratione
materiae, il a précisé le lien entretenu par les dispositions de la loi du 4 mars 2002 avec d’autres régimes, tels que
celui des vaccinations obligatoires[11] ou encore celui des pensions militaires d’invalidité[12].
Ce qu’il convient de souligner à cet égard, c’est que le juge administratif n’exerce pas cette mission de façon
solitaire : il le fait dans le respect de la loi, bien sûr, mais aussi en dialogue constant avec d’autres acteurs. Avec
le juge judiciaire : cette question sera évoquée dans la suite de la table ronde. Mais également avec le Conseil
constitutionnel, en particulier par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour européenne
des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. J’en donnerai deux exemples.
https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-des-malades-10-ans-apres 4/17
16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
a- Le premier est relatif à la date d’entrée en vigueur de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002. A la suite de deux
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme[13], le Conseil d’État est revenu sur sa position initiale,
selon laquelle l’application aux instances en cours du nouveau régime de responsabilité prévu par cet article,
sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, n’était pas contraire à l’article 1er du premier
protocole[14]. Le Conseil constitutionnel s’est, par sa décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, à son tour
prononcé dans un sens négatif sur la conformité à la Constitution du dispositif transitoire résultant de la loi du
11 février 2005[15]. Il ressort des motifs de cette décision qu’il n’existe pas d’intérêt général suffisant pour
justifier la remise en cause des droits des personnes ayant, avant le 7 mars 2002, date d’entrée en vigueur de
l’article, engagé une procédure juridictionnelle en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice. En revanche, est
justifiée l’application des règles nouvelles à des instances engagées après le 7 mars 2002 au titre de situations
juridiques nées avant cette date. La question s’est alors posée, devant le Conseil d’État, de la portée de la
décision du Conseil constitutionnel du 11 juin 2010. S’appuyant non seulement sur son dispositif, qui déclare la
disposition critiquée non conforme à la Constitution, mais aussi sur ses motifs, le Conseil d’État a jugé le
13 mai 2011 que cette décision du Conseil constitutionnel n’emportait abrogation du dispositif transitoire
qu’en tant que celui-ci rendait les règles dites « anti-Perruche » applicables aux instances en cours à la date de
leur entrée en vigueur, et non en tant qu’il s’appliquait à la réparation de dommages dont le fait générateur était
antérieur à cette entrée en vigueur mais qui n’avaient pas donné lieu avant cette date à l’engagement d’une
procédure juridictionnelle[16]. La Cour de cassation, dans une très récente décision du 15 décembre 2011, a
pris le parti inverse : des mêmes prémisses, à savoir l’autorité tant des motifs que du dispositif de la décision du
Conseil constitutionnel, elle a déduit que ces motifs ne sont pas le support du dispositif et que, « faute de
mention d’une quelconque limitation du champ de cette abrogation, soit dans le dispositif, soit dans des motifs
clairs et précis qui en seraient indissociables, il ne peut être affirmé qu’une telle déclaration
d’inconstitutionnalité n’aurait effet que dans une mesure limitée »[17]. Les deux positions du Conseil d’État et
de la Cour de Cassation reposent sur des arguments juridiques solides. Il est cependant fâcheux qu’une
nouvelle divergence de jurisprudence ait vu le jour, précisément en ce qui concerne une disposition législative
visant à résorber de tels écarts, alors que les motifs et le dispositif de la décision QPC n° 2010-2 étaient, du
moins selon moi, conciliables.
b- Le second exemple est relatif à l’articulation entre le régime de responsabilité objective du producteur issu
du droit de l’Union européenne et le régime jurisprudentiel de responsabilité sans faute des établissements de
santé du fait des dommages causés par des produits défectueux. Cette question a justifié un renvoi préjudiciel à
la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a, en grande chambre, très récemment souligné que dans la
mesure où la responsabilité du producteur utilisant des appareils ou des produits défectueux n’entre pas dans le
champ d’application de la directive 85/374/CEE, cette dernière ne s’oppose pas à l’institution d’un tel régime
de responsabilité, sous réserve que la victime puisse également mettre en jeu, lorsque les conditions en sont
remplies, le régime de responsabilité issu de la directive[18].
Dans un dialogue constant avec les autres interprètes de la loi, le Conseil d’État a donc veillé, dans les limites
de son office, à la complète application de la loi après avoir contribué à son élaboration. Il s’est aussi et surtout
inscrit dans le mouvement engagé par le Gouvernement et le législateur en ce qui concerne deux piliers de la
loi : la refonte des régimes d’indemnisation ainsi que l’émergence d’une démocratie sanitaire.
II. Le Conseil d’État a accompagné et précisé le mouvement engagé par le législateur pour
« démocratiser » le droit de la santé et affirmer et même proclamer les droits des patients
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Un titre de la loi du 4 mars 2002, le titre II, a été expressément consacré à la « démocratie sanitaire ». Si cet
intitulé a pu surprendre et même être critiqué, il traduit, selon Didier Tabuteau, l’objectif poursuivi par la loi de
« susciter le débat sur les questions de santé pour renforcer la participation de tous aux choix collectifs »[19]. Il
se réfère donc à une démarche globale et collective (A). Mais le titre II de la loi comporte également des
dispositions relatives aux droits des malades, des droits individuels, que je traiterai donc dans un second temps
(B).
Cet objectif s’exprime dans la loi sous différentes formes : le renforcement du rôle des associations, la mise en
place de nouvelles structures de gouvernance, la prévention des conflits d’intérêts ou encore, puisque cela peut
être compris comme se rattachant aux idées de qualité des soins et de démocratie sanitaire, l’évolution des
procédures disciplinaires. J’insisterai plus particulièrement sur trois points.
1. Le premier concerne une innovation importante : la représentation collective des usagers du système de
santé, qu’institue la loi du 4 mars 2002, et en particulier le rôle privilégié conféré aux associations ayant une
activité dans les domaines de la santé et de la prise en charge des malades. Ces associations représentent les
usagers dans de nombreuses instances : le conseil de surveillance des établissements publics de santé[20], en
premier lieu, mais également les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation[21], l’Office
national d’indemnisation des accidents médicaux[22] ou encore les agences régionales de santé[23]. Seules les
associations agréées, qui répondent aux critères définis par le code de la santé publique, peuvent toutefois
exercer ces droits. L’agrément national est délivré par le ministre chargé de la santé ; l’agrément régional par le
préfet de région[24].
A la différence d’autres procédures d’agrément, le contentieux de l’agrément prévu par la loi du 4 mars 2002
est presque inexistant. Seuls certains tribunaux administratifs ont eu à se prononcer sur de telles contestations
et à apprécier le critère de l’activité effective et publique en vue de la défense des droits des personnes malades
et des usagers du système de santé[25] ou encore celui de représentativité de l’association[26].
En revanche, le Conseil d’État a eu récemment à se prononcer, dans le cadre de son activité consultative, sur
un projet de décret fixant les règles de procédure applicables en matière d’indemnisation des victimes du
« benfluorex ». De nombreuses associations risquant de ne pouvoir être agréées compte tenu de leur création
récente, le projet de texte contenait des dispositions assouplissant la condition d’ancienneté. Le Conseil d’État
a considéré que ces dispositions, proportionnées au but recherché, ne portaient pas atteinte au principe
d’égalité[27].
La jurisprudence administrative sur l’agrément des associations constituant, comme en toutes matières, le
révélateur des problèmes rencontrés, il faut déduire de la quasi-absence de contentieux dans ce domaine que
les dispositions en cause posent peu de difficultés ou que celles-ci se résolvent hors de l’enceinte des
tribunaux[28].
2. Le second point sur lequel je souhaite insister, du fait de la densité en la matière de la jurisprudence du
Conseil d’État, concerne les procédures disciplinaires.
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Le Conseil d’État a d’abord été conduit à apprécier la portée de l’obligation de conciliation préalablement à
l’introduction d’une plainte[29]. Une telle conciliation est essentielle pour favoriser le règlement des litiges et
limiter le contentieux. En son absence, la juridiction disciplinaire ne peut être regardée comme régulièrement
saisie[30], sauf à ce que la plainte émane d’une instance ordinale[31]. Toutefois, si le conseil départemental
s’abstient d’organiser cette conciliation et si, dans ce cas, le plaignant demande au président du conseil national
de transmettre lui-même la plainte, la saisine de la juridiction disciplinaire doit être regardée comme
régulière[32].
Le juge administratif s’est également attaché à préciser les garanties offertes aux parties en cas de procédure
disciplinaire. Aux termes de la loi du 4 mars 2002, dès lors que la saisine de l’organe disciplinaire émane d’un
représentant de l’Etat, les représentants de l’Etat au sein de cet organe ne doivent pas siéger, conformément au
principe d’impartialité. Le Conseil d’État a précisé que ces représentants doivent s’abstenir de siéger, même s’ils
n’ont qu’une voix consultative[33]. Il a également étendu cette exigence aux décisions par lesquelles les
conseils régionaux ou nationaux compétents de l’ordre professionnel transmettent ou refusent de transmettre
les plaintes à la juridiction disciplinaire[34]. Ont aussi été précisées les conditions de représentation des
patients devant la juridiction disciplinaire[35] ou celles de la demande de récusation[36].
3. Enfin, la loi du 4 mars 2002 a instauré plusieurs mesures destinées à prévenir les conflits d’intérêts :
déclaration d’intérêts pour les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la
santé et de la sécurité sociale[37], obligation de faire connaître au public les liens que le professionnel de santé
entretient avec des entreprises produisant des produits de santé lors des interventions dans la presse des
membres des professions médicales[38] ou encore interdiction de recevoir des présents[39]. Sur la base de
dispositions postérieures relatives à la Haute autorité de santé, mais relevant de la même inspiration, le juge
administratif a récemment renforcé la garantie qui s’attache à ces dispositions, en sanctionnant par une
déclaration d’illégalité l’impossibilité dans laquelle il est placé de contrôler l’existence ou non de conflits
d’intérêts. En l’occurrence, cette autorité n’avait pas été en mesure de communiquer au juge l’intégralité les
déclarations d’intérêts dont l’accomplissement était pourtant obligatoire ou, en l’absence de telles déclarations,
des éléments qui auraient permis au juge de s’assurer de l’existence ou l’absence de tels liens d’intérêts et
d’apprécier, le cas échéant, s’ils étaient de nature à révéler des conflits d’intérêts[40]. Par conséquent, la
recommandation de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé a été jugée illégale, comme ayant été
élaborée dans des conditions irrégulières.
De telles dispositions sont essentielles pour fonder la confiance des patients et, plus largement, des citoyens
dans le système de santé. La loi du 4 mars 2002 innovait sur ces questions et, dix années plus tard, il convient
certainement d’aller plus loin en la matière, la demande sociale ne s’étant pas réduite.
Ces quelques exemples montrent que le Conseil d’État s’est approprié les enjeux de la démocratie sanitaire et
qu’il a contribué à son approfondissement, ce qui était l’un des objectifs principaux de la loi du 4 mars 2002.
Le Conseil d’État a aussi participé à l’affirmation des droits des malades.
La démocratie sanitaire repose aussi sur la reconnaissance et la mise en œuvre des droits fondamentaux de la
personne malade et, plus largement, des usagers du système de santé. Ceux-ci sont multiformes : il s’agit du
droit à la protection de la santé, de l’égal accès aux soins, du respect de la dignité du malade, du libre choix du
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
praticien, mais aussi du droit à l’information sur l’état de santé, du droit de prendre avec le professionnel de
santé les décisions concernant sa santé – la codécision –, du droit à consentir aux traitements et actes
médicaux, du droit d’accès, y compris direct, aux informations concernant la santé.
1. On notera à cet égard que la loi du 4 mars 2002 a redéfini le champ respectif de la loi et des normes
déontologiques[41]. Auparavant en effet, la régulation des rapports professionnels relevait pour l’essentiel de la
compétence des ordres, sous le contrôle du juge. Il existait donc, dès avant l’intervention de la loi, une
jurisprudence fournie sur les droits fondamentaux des malades. Le Conseil d’État avait par exemple affirmé, je
n’ose dire dès 1957 compte tenu de l’arrêt Watelet de la Cour de cassation en date de 1885[42], que le secret
médical est un droit du malade[43]. De même, dans une décision Milhaud de 1993, le Conseil d’État a jugé que
les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s'imposent au
médecin dans ses rapports avec son patient, ne cessent pas de s'appliquer avec la mort de celui-ci[44]. En
affirmant ces droits, la loi du 4 mars 2002 n’a donc pas constitué une rupture, sauf en ce qui concerne l’accès
direct au dossier médical par exemple, mais bien un prolongement et un approfondissement ; elle a aussi
affermi ces droits, en les élevant au niveau législatif.
2. Le Conseil d’État a promu de manière générale une approche raisonnée des droits des malades qu’il concilie
avec d’autres exigences. J’en donnerai trois exemples. Le premier est relatif au droit du malade de consentir aux
soins et aux limites de ce droit. Le médecin doit permettre au patient de donner un consentement libre et
éclairé à l’acte de soins. Mais il n’est pas porté une atteinte disproportionnée à ce droit, qui revêt d’ailleurs le
caractère d’une liberté fondamentale, lorsque le médecin accomplit un acte indispensable à la survie et
proportionné à l’état du patient[45].
Le deuxième exemple porte sur la conciliation du droit au secret médical avec d’autres exigences. Ainsi, la
section sociale du Conseil d’État a précisé qu’un juste équilibre doit être trouvé entre le droit des mineurs,
consacré à l’article L.1111-5 du code de la santé publique, de garder le secret sur leur état de santé et la
nécessité pour les parents responsables de la protection de la santé de l’enfant de disposer des informations
leur permettant d’accomplir les obligations qui leur incombent[46].
Le dernier exemple concerne l’accès par les ayants droit aux informations relatives à une personne décédée. Le
secret médical ne fait pas obstacle à ce que de telles informations soient délivrées à ces ayants droit, dans la
seule mesure où elles leur sont nécessaires pour connaître les causes de la mort, défendre la mémoire du défunt
ou faire valoir leurs droits[47]. Les recommandations de bonnes pratiques de l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation des établissements de santé (ANAES), qui constituent des dispositions
impératives et qui font par conséquent grief, ont par suite été annulées, car elles prévoyaient l’accès à
l’ensemble du dossier médical et non aux seules informations nécessaires à la poursuite de ces objectifs[48].
3. De nombreux exemples pourraient encore illustrer la façon dont le Conseil d’État concilie les droits des
malades avec d’autres exigences ou motifs d’intérêt général. Je souhaite toutefois préciser que des zones
d’incertitude partielle subsistent nécessairement. Je pense, par exemple, au droit du patient à disposer des
« soins les plus appropriés » ou, ce qui est proche de cette notion sans la recouper exactement, des soins
« fondés sur les données acquises de la science », selon la terminologie du code de déontologie médicale. Il
n’est évidemment pas aisé de tracer de manière sûre, exacte et donc sans un discernement propre à chaque
situation particulière, la frontière entre la notion de « soins les plus appropriés » et celle « d’obstination
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
déraisonnable » consacrée par la loi du 22 avril 2005 à l’article L.1110-5 du code de la santé publique[49]. Les
opérations de réanimation menées sur un nourrisson risquant de conduire à des séquelles graves et
permanentes qui ne peuvent être ignorées des médecins constituent-elles des soins appropriés ou une
obstination déraisonnable[50] ? Le tribunal administratif de Nîmes a en 2009 répondu dans le sens de la
seconde branche de cette alternative.
Sur ce point comme sur d’autres, de nombreuses questions continueront donc d’être posées à la juridiction
administrative. Elles lui permettront de développer son rôle dans l’affermissement de la démocratie sanitaire et
des droits et responsabilités des malades et des professionnels de santé. Un second objectif essentiel était
poursuivi par la loi : la refonte des régimes de responsabilité médicale.
III. La loi du 4 mars 2002 a permis une indemnisation plus efficace des préjudices consécutifs à
l’activité médicale
Cette question étant traitée de manière approfondie dans d’autres interventions lors de ce colloque, je me
limiterai à une présentation générale[51]. La loi a permis un nouvel équilibre entre solidarité et responsabilité
(A) et elle assure une meilleure sécurité juridique (B).
La loi du 4 mars 2002 a promu, en ce qui concerne les préjudices liés à l’activité médicale, un nouvel équilibre
caractérisé par l’essor de l’indemnisation par le biais de la solidarité nationale et le recentrage des régimes de
responsabilité autour de la faute.
1. Cette loi, telle qu’elle a été complétée notamment par la loi du 30 décembre 2002[52], a consacré, dans les
cas les plus graves, l’essor de la solidarité nationale en ce qui concerne les conséquences dommageables, d’une
part, les accidents médicaux non fautifs et, d’autre part, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales. Elle a ainsi permis de faire converger les tendances jurisprudentielles dégagées en matière
d’indemnisation des dommages causés par les infections nosocomiales[53] et de mettre fin, de manière
opportune, à la divergence qui existait entre les deux ordres de juridiction quant à la réparation des
conséquences de l’aléa thérapeutique admise par le Conseil d’État et écartée par la Cour de cassation[54].
D’autres avancées majeures résultent de la loi, comme l’unification des régimes de prescription : il n’était pas
acceptable que s’applique ici la prescription trentenaire, alors que là la prescription quadriennale pouvait être
opposée. L’instauration d’un régime unique de prescription décennale répondait à une exigence de clarté et
d’équité. Enfin, la loi « innove radicalement »[55] en instituant un mécanisme spécifique de réparation des
dommages par le biais d’une procédure efficace de conciliation et de règlement amiable.
2. La solidarité, malgré son essor, ne constitue toutefois pas une garantie générale contre le risque médical. En
contrepartie de l’extension de la solidarité, la loi du 4 mars 2002 a affirmé, à l’article L.1142-1 du code de la
santé publique, la faute comme fondement principal de la responsabilité médicale. Cette faute est, de manière
générale, une faute simple à la suite de l’abandon du critère de la faute lourde à partir de l’arrêt du Conseil
d’État Epoux V. de 1992[56]. Le législateur a toutefois posé la condition d’une faute caractérisée en matière de
handicap dû à une faute médicale[57]. Enfin, dans certains cas circonscrits, la faute peut être présumée ou
révélée, ainsi que le montre la jurisprudence, notamment pour les actes de soins courants[58].
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
3. Le Conseil d’État participe donc pleinement à l’élaboration du nouvel équilibre instauré par la loi entre
solidarité et responsabilité. Le juge administratif a par exemple pu choisir de dissocier, dans certaines espèces,
la causalité juridique et la causalité scientifique, afin de permettre la reconnaissance de l’imputabilité d’un
préjudice, alors même que le lien de causalité scientifique n’était pas directement établi et ne pouvait l’être.
Cette approche est ainsi retenue par le Conseil d’État, comme par la Cour de cassation, lorsqu’une affection
démyélinisante – par exemple, une sclérose en plaques – survient à la suite d’une vaccination contre
l’hépatite B[59].
L’existence de nouveaux droits reconnus aux malades conduit également, en cas de défaillance, à renforcer leur
protection par l’engagement de la responsabilité des professionnels de santé à leur égard. C’est ainsi que les
manquements à l’obligation d’information, qui se sont d’abord traduits par une réparation intégrale du
préjudice corporel subi, ont été indemnisés à partir de 1990 pour la Cour de cassation et de 2000 pour le
Conseil d’État[60] sur le fondement de la perte de chance. Il a été précisé, en outre, qu’une telle réparation
n’est pas exclusive d’une indemnisation consécutive à une faute technique ou à un accident médical[61].
La loi du 4 mars 2002, telle qu’elle a été interprétée par les juridictions suprêmes, a donc permis de mieux
indemniser les préjudices médicaux en redéfinissant la ligne de partage entre ce qui relève respectivement de la
solidarité et de la responsabilité. Elle a aussi jeté les bases d’une plus grande sécurité juridique.
La loi du 4 mars 2002 a initié un processus de redéfinition des modalités de l’indemnisation, ce qui, in fine,
renforce les droits des victimes et sert la sécurité juridique des acteurs en charge de la réparation, même si des
débats et des interrogations subsistent. Ce faisant, je serai conduit à m’éloigner quelque peu de la loi de 2002
pour parler de ses prolongements législatifs.
1. En premier lieu, il était nécessaire d’assurer une pleine réparation des préjudices à caractère personnel. A
cette fin, la loi n° 2006-1140 du 21 décembre 2006 a fait, pour tous les accidents dans lesquels intervient un
tiers payeur, de la notion de poste de préjudice une notion déterminante[62]. L’article L.376-1 du code de la
sécurité sociale dispose désormais que « les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste
par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des
préjudices à caractère personnel ». Une telle approche, par poste et non plus globale, avait déjà été retenue par
le groupe de travail dirigé par le président Dintilhac, qui avait reçu pour mission « l’établissement d’une
nomenclature des chefs de préjudice corporel cohérente, reposant sur une distinction claire entre les préjudices
économiques et non économiques, notamment en ce qui concerne l’incapacité permanente partielle »[63].
Cette nomenclature comportant 29 chefs de préjudice différents a spontanément été adoptée par les
juridictions de l’ordre judiciaire[64].
Le Conseil d’État n’a pas adopté exactement la même approche et il a préféré, par la voie prétorienne[65],
retenir une démarche à la fois non exhaustive et plus globalisante. Les mérites respectifs de ces deux approches
peuvent être discutés au regard des critères suivants : la meilleure protection des droits des victimes ; la
simplicité et la lisibilité de la réparation ; l’harmonisation de celle-ci entre juridictions du même ordre ou des
deux ordres, judiciaire et administratif ; et enfin l’exercice du contrôle des décisions juridictionnelles par les
juges d’appel et de cassation. Il convient sans doute qu’après le temps de la jurisprudence et celui de son
évaluation, les réformes envisagées sur le sujet aboutissent. A cet égard, je n’en mentionnerai qu’une :
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
l’article 56 de la loi du 10 août 2011, qui a été censuré pour un vice de procédure, proposait que les dommages
corporels pour lesquels la victime peut prétendre à indemnisation soient déterminés suivant une nomenclature
non limitative de postes de préjudice, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, fixée par décret en Conseil
d’État[66].
Quoi qu’il en soit, les différents préjudices indemnisables ont été affinés et sont désormais analysés par poste,
ce qui ouvre la voie à une complète réparation des préjudices à caractère personnel. Même si des divergences
subsistent entre les deux ordres de juridiction, cette évolution constitue une clarification bienvenue pour les
victimes. Elle s’est accompagnée d’une modification des modalités de répartition de l’indemnité entre les
victimes et les tiers payeurs.
2. La loi déjà mentionnée du 21 décembre 2006 a aussi conduit à un changement fondamental en posant un
principe de priorité de la victime par rapport au tiers payeur, qui a eu d’importantes conséquences sur les
modalités de la réparation. Si la situation antérieure à 2006 était favorable aux tiers payeurs, celle postérieure à
2006 a inversé le mécanisme au profit des victimes[67]. La méthode dégagée par le Conseil d’État dans son
avis Lagier de 2007 consiste à accorder d’abord à la victime, dans le cadre de chaque poste d’indemnisation et
dans la limite de l’indemnité mise à la charge du débiteur de la réparation, la somme correspondant à la part
des dommages non réparés, puis, le cas échéant, à faire bénéficier le ou les tiers payeurs du solde de
l’indemnité[68]. La Cour de cassation adopte sur ce point une démarche concordante[69], contribuant ainsi à
une meilleure protection des victimes et à une plus grande sécurité juridique des acteurs de la réparation.
L’assiette de la réparation pose en revanche des problèmes qui devront certainement être approfondis et
résolus.Se pose en effet la question délicate de la prise en compte, ou non, de certaines prestations légales au
titre de la réparation des préjudices patrimoniaux ou des préjudices extrapatrimoniaux, voire des uns et des
autres. La jurisprudence du Conseil d’État du 5 mars 2008[70] et celle de la Cour de cassation, par plusieurs
arrêts rendus en 2009[71], ne concordent pas sur ce point, la première étant plus favorable à la victime et la
seconde garantissant que la victime ne puisse recevoir une réparation susceptible d’excéder le montant du
préjudice. Cette divergence peut donner lieu à un approfondissement de la réflexion des juges concernés. Mais
elle peut aussi appeler une intervention législative, non pas seulement pour régler une différence de
jurisprudences, mais pour trancher une question de principe pouvant mériter une prise de position de la
Représentation nationale. Certaines lois ont dans le passé tiré, de manière moins justifiée, les conséquences
pour l’avenir, ou même rétroactivement, de l’issue de certaines procédures juridictionnelles.
***
Nous célébrons le 10ème anniversaire de la loi du 4 mars 2002. Cet anniversaire, célébré avec un certain éclat
dans la presse, dans les milieux professionnels et associatifs comme dans la communauté scientifique, est
heureux, car il démontre que cette loi a atteint beaucoup d’objectifs qu’elle s’assignait. Elle a pris acte de
mutations importantes dans la relation entre les patients et le système de santé et elle a ouvert la voie à des
évolutions majeures de nos institutions sanitaires. La loi a parfois confirmé et parfois contredit ou rendu sans
objet la jurisprudence antérieure du Conseil d’État. Elle a également constitué le point de départ de nouvelles
jurisprudences. Mais ce n’est pas cela qui importe : elle a en effet, dans tous les cas, consacré de nouveaux
droits pour les patients et jeté les bases de nouveaux rapports, moins paternalistes, plus mûrs, plus éclairés
entre malades et médecins.
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
Le juge, quant à lui, est le serviteur de la loi. Sa mission est de l’interpréter, de l’appliquer de manière pleine et
entière, de la faire vivre. Le juge administratif s’est donc attaché à veiller en permanence à la mise en œuvre de
la lettre et de l’esprit de la loi du 4 mars 2002. Dans le droit fil de cette loi, il s’est par la suite en permanence
interrogé sur les meilleurs équilibres à atteindre entre les droits des personnes malades et les devoirs des
professionnels de santé consignés dans la loi ou les règles de déontologie, entre les droits des personnes
malades, qui doivent parfois être conciliés entre eux, et des impératifs forts d’intérêt général ou encore entre les
exigences de la responsabilité et celles de la solidarité.
Des questions demeurent certes et des avancées vers une plus grande démocratie sanitaire et une meilleure
réparation des préjudices sont, à juste titre, attendues, tout comme il faut certainement progresser vers un égal
accès aux soins. Mais, dix années après sa naissance, on peut sans se tromper affirmer que la loi du 4 mars 2002
a été et reste une grande loi. On peut même soutenir que la conscience de son importance est plus vive, plus
forte aujourd’hui qu’à la date de sa promulgation. Car elle a tiré les conséquences, dans notre société telle
qu’elle est, avec ses exigences et ses impatiences, des formidables progrès accomplis ces dernières décennies
par la médecine. Ces progrès scientifiques et techniques, ces progrès médicaux, devaient aller de pair avec la
prise en compte de l’autonomie, je n’ose dire de l’émancipation, des personnes. La médecine, comme du reste
la justice, ne peut vivre, aussi performante soit-elle, adossée au seul principe d’autorité. Des principes de
responsabilité, plus souples et non stigmatisants, devaient être consacrés, tout comme devait être promue la
démocratie sanitaire, avec une représentation collective des patients et la prise en compte des droits des
personnes malades.
La loi du 4 mars 2002 est donc, on le voit, une grande loi de société. Elle a tiré les conséquences d’évolutions
profondes, amorcé de nouveaux rapports entre système de santé et patients et enclenché une dynamique. Ses
termes peuvent être pour partie dépassés ou devraient être complétés. Son importance demeure.
J’attends par conséquent avec curiosité et confiance la célébration des anniversaires ultérieurs de cette loi, en
formant le vœu qu’au bout du compte les malades, infiniment mieux soignés et pris en considération que jadis
ou naguère, soient au final plus heureux que ne l’étaient leurs prédécesseurs, comme les patients du Charles
Bovary de Flaubert au XIXème siècle ! En l’absence de statistiques sur le bonheur national brut, je ne peux
l’affirmer scientifiquement. Mais j’ai de bonnes raisons d’espérer qu’il en soit ainsi.
[1]Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour
administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
[2]Le Conseil d’État a par exemple proposé la suppression d’une disposition reprenant des droits déjà énoncés
dans la loi et qui aurait pu amener à traiter de façon détournée la question de l’euthanasie, alors que telle n’était
pas la volonté du Gouvernement. Cette disposition n’a pas été reprise par la suite.
[3]Voir Conseil d’État, Rapport public 2004, Paris, La Documentation Française, p. 111-112.
[4]De manière générale, une loi entre en vigueur dès sa publication, sauf si elle en dispose autrement, sans qu’il
soit nécessaire d’attendre l’édiction de décrets d’application dès lors que les dispositions législatives nouvelles
sont suffisamment claires et précises. Voir par exemple CE, ass., 10 mars 1961, Union départementale des
associations familiales de la Haute Savoie, n° 4594, Rec. p. 172.
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
[7]Voir respectivement CE, 19 mai 2006, Syndicat national des ostéopathes de France, n° 287514, Rec. p. 706 et CE,
7 mars 2008, Gruny, n° 299240.
[9]Voir infra.
[10]CE, 19 mars 2003, Haddad et CPAM de Tourcoing, n° 251980, Rec. p. 133 ; CE, 1er mars 2006, Centre
Hospitalier de Saulieu, n° 263117, Rec. p. 800.
[12]Par sa décision Dorchies (CE, 2 novembre 2005, n° 267857, Rec. p. 470), le Conseil d’État juge que les
dispositions de l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 sont applicables au contentieux des pensions militaires
d’invalidité.
[13]CEDH, gr. ch., 6 octobre 2005, Maurice c/ France et Draon c/ France, n°11810/03 et 1513/03 ; CE,
24 février 2006, Mme et M. Levenez, n° 250704, Rec. p. 84. Dans son arrêt, la Cour relève que « dans la mesure
où la loi contestée concerne les instances engagées avant le 7 mars 2002 et pendantes à cette date, telles que
celle des requérants, cette ingérence s’analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du
premier alinéa de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention » et qu’une « atteinte aussi radicale aux droits
des intéressés a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et,
d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens ».
[14]Telle qu’exprimée dans CE, avis, ass., 6 décembre 2002, Epoux Draon, n° 250167, Rec. p. 423.
[16]CE, 13 mai 2011, Mme Lazare, n° 329290, à paraître au Recueil ; CE, 13 mai 2011, Delannoy et Verzele,
n° 317808, à paraître au Recueil.
[18]CE, 4 octobre 2010, CHU de Besançon, n° 327449, à paraître aux tables du Recueil ; CJUE, 21 décembre
2011, CHU de Besançon c/ Dutreux, aff. C-495/10.
[19]D. Tabuteau, « La loi du 4 mars 2002, aboutissement ou commencement ? », in D. Tabuteau (dir.), Le droit
des malades et des usagers du système de santé, une législature plus tard, Paris, Ed. de santé / Presses de Sciences Po,
2007, p. 14.
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
[25]Critère énoncé à l’article R.1114-1 du code de la santé publique. Voir par exemple TA Paris, 21 janvier
2010, Association Alliance pour les droits de la vie, n° 0614746 ; TA Paris, 2 juillet 2010, Association Notre Village,
n° 0805870.
[26]Critère énoncé à l’article R.1114-3 du code de la santé publique. Voir par exemple TA Paris, 7 avril 2011,
Association française de lutte anti-rhumatismale, n° 0901792 ; TA Marseille, 22 novembre 2011, Association Sou de poche
de l’hôpital Louis Pasteur, n°1003031.
[27]Section sociale, n°385550, à paraître dans le Rapport d’activité 2012 du Conseil d’État.
[28]Voir à cet égard le point de vue exprimé par A.-M. Ceretti, L. Albertini, Bilan et propositions de réformes de la
loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, rapport remis au ministre du travail,
de l’emploi et de la santé le 24 février 2011, disponible sur
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Bilan_et_propositions_de_refor-
mes_de_la_loi_du_4_mars_2002_relative_aux_droits_des_malades_et_a_la_qualite_du_systeme_de_sante.pdf,
sp. p. 181-185.
[33]CE, 17 décembre 2004, Teboul, n° 256363, Rec. p. 862. ; CE, 20 décembre 2006, Derhy, n° 268428.
[34]CE, 21 mars 2008, Ministre de la santé et des solidarités c. Mme Bensaïd, n° 296417, Rec. p. 894.
[37]Ces dispositions, présentes aux articles 24 et suivants de la loi du 4 mars 2002, ont été pour la plupart
d’entre elles modifiées par l’adoption de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de
la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
[39]La loi du 4 mars 2002 a ainsi renforcé les exigences, qui existaient déjà, de l’article L.4163-2 du code de la
santé publique.
[40]CE, 27 avril 2011, Association pour une formation médicale indépendante, n° 334396, à paraître au Recueil.
[41]J. Moret-Bailly, « Les rapports entre la loi et les déontologies des professions de santé après le 4 mars
2002 », RDSS, 2003, p. 581.
[43]L’arrêt Sieur Dévé du 12 février 1957 (CE, Rec. p. 266) fut précédé de deux avis de la section sociale du
Conseil d’État des 6 février 1951 et 2 juin 1953. Voir G. Nicolas, « Le secret médical devant le juge
administratif », in A. Leca (dir.), La déontologie médicale, PUAM, 2007, p. 191. Le Conseil d’État affirma également
que « c’est du malade seul que dépend le sort des secrets qu’il a confiés à un médecin » (CE, 11 février 1972,
Sieur Crochette, n° 76799, Rec. p. 138).
[45]CE, 16 août 2002, Consorts Feuillatey, n° 249552, Rec. p. 309. Cette position doit être rapprochée de celle
prise par la Haute juridiction en 2001 selon laquelle l’intervention du médecin, qui est indispensable à la survie
du patient mais qui est réalisée en méconnaissance de la volonté du malade, fondée sur des convictions
religieuses, ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité du service public (CE, ass.,
26 octobre 2001, Mme Senanayake, n° 198546, Rec. p. 514).
[47]Article L.1110-4 du code de la santé publique, inspiré de la jurisprudence dite Beau de Loménie (CE,
22 janvier 1982, Administration générale de l'Assistance publique à Paris, n° 26296), elle-même inspirée de la
jurisprudence judiciaire (notamment Cass. Civ., 1ère ch., 12 juin 1958, JCP 1959.II.10940).
[48]CE, 26 septembre 2005, Conseil national de l’ordre des médecins, n°270234, Rec. p. 395.
[49]Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Nous disposons
toutefois de quelques indications. Il a par exemple été jugé que l’acte suivant les recommandations de bonnes
pratiques de l’ANAES peut être regardé comme un tel soin (CE, 12 janvier 2005, Kerkerian, n° 256001, Rec.
p. 20).
[50]Le tribunal administratif de Nîmes a, dans une décision d’espèce, considéré que de tels faits pouvaient
constituer une « obstination déraisonnable » (TA Nîmes, 2 juin 2009, Pellet, n° 062251).
[51]On pourra utilement se reporter aux actes du colloque Santé et justice. Quelles responsabilités ? Dix ans après la
loi du 4 mars 2002, organisé conjointement par le Conseil d’État et la Cour de cassation les 20 et 21 octobre
2011, dont les actes seront publiés dans la collection Droits et débats du Conseil d’État.
https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-des-malades-10-ans-apres 15/17
16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
[53]Le Conseil d’État a ainsi jugé qu’une infection nosocomiale révèle une faute dans l’organisation et le
fonctionnement du service (CE, 9 décembre 1988, Cohen, n° 65087, Lebon p. 431), tandis que la Cour de
cassation a dégagé à partir de 1999, une présomption de responsabilité (Cass., 1re civ., 29 juin 1999, n° 97-
14254).
[54]Si le Conseil d’État estimait, de manière extrêmement stricte il est vrai, que l’aléa thérapeutique peut
engager la responsabilité de l’établissement (CE, ass., 9 avril 1993, Bianchi, n° 69336, Lebon p. 127), il n’en allait
pas de même pour la Cour de cassation (Cass., 1re civ., 8 novembre 2000, n° 99-11735, Bull. n° 287). De même,
le Conseil d’État a par exemple abandonné la possibilité de retenir, en matière d’indemnisation des dommages
causés par les infections nosocomiales, la cause d’exonération tirée de l’origine exogène de l’infection. Le
régime de responsabilité construit de manière prétorienne par le Conseil d’État antérieurement à la loi du
4 mars 2002 conduisait à écarter la présomption de faute, dès lors que l’origine endogène de l’infection
nosocomiale était certaine (CE, 27 septembre 2002, Mme Neveu, n° 211370, Lebon p. 315 et CE, 2 février 2011,
Leverne, n° 320052, à paraître aux tables du Lebon). Cette distinction est abandonnée, car en soulignant que «
les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant
d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère » (article L.1142-1 du code de la
santé publique), la loi fait « peser sur l’établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales,
qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’une cause étrangère ne soit apportée » (CE,
10 octobre 2011, Centre hospitalier universitaire d’Angers, n° 328500, à paraître au Lebon).
[55]D. Truchet (« Responsabilité des services hospitaliers », Dalloz Responsabilité de la puissance publique, §9).
[56]CE, ass., 10 avril 1992, Epoux V., n° 79027, Lebon p. 171. Voir également, en matière d’intervention
médicale en urgence : CE, sect., 20 juin 1997, Theux, n° 139495, Lebon p. 253.
[57]Constitue par exemple une telle faute l’inversion de résultats d’amniocentèse avec une autre patiente (CE,
19 février 2003, AP-HP c/ Marzouk, n° 247908, p. 530).
[58]Voir encore récemment, refusant de qualifier une anesthésie générale de geste courant à caractère bénin
dont les conséquences dommageables, lorsqu’elles sont sans rapport avec l’état initial du patient, permettraient
de révéler une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service : CE, 21 octobre 2009, Mme Altet-
Caubissens, n° 314759, tables du Lebon p. 942.
[59]CE, 9 mars 2007, Mme Schwartz, n° 267635, Lebon p. 118 ; Cass., 1ère civ., 25 juin 2009, pourvoi n° 08-
12781, Bull. n° 141.
[60]Cass., 1ère civ., 7 février 1990, n° 97-14797, Bull. n° 220 et CE, sect., 5 janvier 2000, Consorts Telle,
n° 181899, Lebon p. 5.
[61]Cass, 1ère civ., 28 janvier 2010, n° 09-10992, Bull. n° 20 ; CE, 30 mars 2011, ONIAM c/ Hautreux,
n° 327669, à paraître au Lebon.
[63]J.-P. Dintilhac, Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, 2005,
disponible sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000217/0000.pdf.
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16/12/2019 Le droit des malades, 10 ans après
[66]Voir la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant
réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, telle qu’adoptée le 13 juillet 2011 par
l’Assemblée nationale, ainsi que la décision n° 2011-640 DC du 4 août 2011 du Conseil constitutionnel.
[70]CE, 5 mars 2008, Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, n° 272447, Lebon p. 926
[71]Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-86050, Bull. n° 95 ; Cass, 2ème civ., 11 juin 2009, n° 08-16089, Bull. n°154 ;
Cass., 2e civ., 22 octobre 2009, n° 07-20419, Bull. n° 260 et n° 08-18755, Bull. n° 260.
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Obligation d'information d'une femme enceinte sur les
risques de malformations et responsabilité de l'hôpital
Article juridique - Droit de la santé
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e 2019, le Conseil d’Etat considère qu'un centre hospitalier engage sa responsabilité à défaut
d’information d’une femme enceinte, au cours d’une consultation publique et à un stade avancé de sa
grossesse, sur les risques de malformations du fœtus et des examens permettant d’évaluer ces
risques[1].
La circonstance que la patiente ait fait l’objet d’un suivi en début de grossesse dans le secteur privé de
même que l’intervention de plusieurs praticiens dans son suivi ne sont pas de nature à exonérer le
praticien.
Les faits
Dans le cadre du suivi de sa grossesse, une patiente âgée de 40 ans a bénéficié de trois échographies :
La première réalisée le 24 avril 2008 à 16 semaines et demie d’aménorrhée dans le cadre d’une
consultation libérale au centre hospitalier ;
La seconde réalisée le 4 juin 2008, dans un cabinet de radiologie privé ;
La troisième réalisée le 21 août 2008, à 34 semaines d'aménorrhée, dans le cadre d’une
consultation publique à l’hôpital, suite à une consultation du 8 juillet 2008.
Le 1er octobre 2008, la patiente donne naissance à un enfant atteint de trisomie 21 et souffrant d'une
malformation cardiaque.
Les époux ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier à leur verser
la somme globale de 550 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du
suivi de la grossesse de la patiente et de la naissance de l’enfant handicapé.
Successivement, le tribunal administratif de Pau, ainsi que la cour administrative d’appel de Bordeaux
rejettent la demande indemnitaire.
Le problème
Le praticien a-t-il commis une faute dans le cadre du suivi de la grossesse de la patiente, susceptible
d’engager la responsabilité du centre hospitalier ?
Solution
Dans le cadre du pourvoi, le Conseil d’Etat apprécie la responsabilité du centre hospitalier en deux
temps, dans la mesure où le début de grossesse a été suivi dans le cadre de consultations libérales.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat écarte la responsabilité du centre hospitalier au titre de la
première consultation.
Pour se faire, la Haute juridiction relève que la consultation n’a pas été exécutée dans le cadre du service
public hospitalier mais revêtait un caractère libéral.
Il relève en outre que la cour pouvait se fonder sur l'attestation de paiement éditée qui mentionne
le "détail du paiement libéral" de la consultation.
Enfin, il relève que l'absence d'information ou de consentement de la patiente quant au caractère libéral
de la consultation était sans incidence sur ce caractère libéral.
Il en conclut que la Cour n’a commis aucune erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui
étaient soumis.
En revanche, le Conseil d’Etat considère que la Cour a commis une erreur de droit en estimant
que le centre hospitalier n’avais pas commis de faute au titre de la troisième consultation.
Cette condamnation intervient au visa des articles L.2131-1 et R.2131-2 du code de la santé
publique qui consacrent une obligation d’information spécifique délivrée à la femme enceinte.
Aux termes de l'article L. 2213-1 du code de la santé publique : " L'interruption volontaire d'une grossesse
peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire attestent,
après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril
grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une
affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ".
Par ailleurs, aux termes du II de l'article L. 2131-1 du code de la santé publique : " Toute femme enceinte
reçoit, lors d'une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la
possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d'imagerie permettant
d'évaluer le risque que l'embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le
déroulement ou le suivi de sa grossesse ".
Aux termes du I de l'article R. 2131-2 du même code : " Lors du premier examen médical mentionné au
second alinéa de l'article R. 2122-1 ou, à défaut, au cours d'une autre consultation médicale, toute femme
enceinte est informée par le médecin ou la sage-femme de la possibilité d'effectuer, à sa demande, un ou
plusieurs des examens mentionnés au I de l'article R. 2131-1. / Sauf opposition de la femme enceinte,
celle-ci reçoit une information claire, adaptée à sa situation personnelle, qui porte sur les objectifs des
examens, les résultats susceptibles d'être obtenus, leurs modalités, leurs éventuelles contraintes,
risques, limites et leur caractère non obligatoire ".
Le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions que « lorsqu'un praticien d'un centre hospitalier reçoit en
consultation une femme enceinte ayant auparavant été suivie dans un autre cadre, il lui appartient
de vérifier que l'intéressée a, antérieurement, effectivement reçu l'information prévue à l'article L.
2131-1 du code de la santé publique et, à défaut, de lui donner cette information, y compris
jusqu'aux derniers moments de la grossesse ».
Par conséquent, le Conseil d’Etat estime que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en estimant
que le centre hospitalier n’avait commis aucune faute :
« Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter toute responsabilité du centre hospitalier
de Bigorre au titre du suivi de la grossesse de Mme D..., la cour administrative d'appel a retenu, par
adoption des motifs du jugement du tribunal administratif, que le centre hospitalier de Bigorre n'avait pas
commis de faute de nature à engager sa responsabilité en n'informant pas l'intéressée du risque que son
enfant soit atteint de trisomie 21 ou de l'intérêt de pratiquer des examens afin de détecter d'éventuelles
affections du foetus, notamment une amniocentèse qu'il est possible de réaliser à tout moment de la
grossesse même si elle est habituellement programmée entre 15 et 17 semaines d'aménorrhée.
7. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait au centre hospitalier de Bigorre, ainsi qu'il a été dit au
point 5, de donner à Mme D..., même à un stade avancé de sa grossesse où il est d'ailleurs encore
possible de pratiquer une amniocentèse et, le cas échéant, une interruption médicale de
grossesse, l'information prévue aux articles L. 2131-1 et R. 3121-2 du code de la santé publique
qu'elle n'avait pas reçue auparavant, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ».
Portée de l'arrêt
Cet arrêt rappelle que l’information du patient prévue à l’article L.2131-1 du CSP, tout comme
l'information générale du patient, incombe à chaque professionnel de santé, y compris dans le cas d’une
prise en charge par plusieurs praticiens et est due à tous les stades de la prise en charge [2].
Bien que les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé mettent l’accent sur la
nécessité d’une information orale et adaptée du patient, au cours d’un entretien individuel, les praticiens
ont tout intérêt à compléter cette information orale par des écrits spécifiques (à l’instar des remises
effectuées en cas d’admission d’un patient ou pour la réalisation de certains actes spécifiques comme en
matière d’Assistance Médicale à la Procréation) et à tracer l’exécution de cette obligation dans le dossier
médical de la patiente.
NOTES
[2] En ce sens, l’article L.111-2 du code de la santé publique qui précise que « l’information incombe à
tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles
professionnelles qui lui sont applicables ».
L’article 4127-64 du code de la santé publique rappelle ainsi que « chacun des praticiens assume ses
responsabilités personnelles et veille à l'information du malade ».
08/09/2020 Dépêches JurisClasseur | LexisNexis en France
Social 18-02-2020
Professionnels de santé : une feuille de soins envoyée hors délai peut être considérée comme un indu
Lorsque le professionnel de santé a transmis, hors délai, les ordonnances correspondant aux feuilles de soins
électroniques, l’organisme d’assurance maladie peut exiger de ce dernier la restitution de tout ou partie des
prestations servies à l’assuré.
Le paiement des soins dispensés par un infirmier exerçant à titre libéral est subordonné à la transmission par ce
dernier des pièces justificatives dans les délais fixés par les articles R. 161-47 et R. 161-48 du Code de la
sécurité sociale. En cas de transmission par voie électronique, le professionnel ayant effectué des actes ou servi
des prestations remboursables par l’assurance maladie doit transmettre les feuilles de soins électroniques dans
un délai fixé à : 3 jours ouvrés en cas de paiement direct de l’assuré ; 8 jours ouvrés lorsque l’assuré bénéficie
d’une dispense d’avance de frais. Quels risques encourt le professionnel de santé en cas de dépassement de
ces délais ? Réponse de la Cour de cassation : l’organisme d’assurance maladie peut exiger de ce dernier la
restitution de tout ou partie des prestations servies à l’assuré.
Partant, on ne peut que conseiller aux infirmiers d’être très rigoureux dans le suivi de leurs soins et de faire un
pointage et une télétransmission des soins effectués tous les jours ou toutes les semaines au grand maximum.
S’asseoir à son bureau et faire ses papiers une fois par mois ou même une fois tous les 15 jours semblent à
l’inverse de plus en plus risqué…
https://web.lexisnexis.fr/depeches-jurisclasseur/depeche/18-02-2020/01 1/1
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
La Cour de cassation réaffirme la responsabilité de plein droit du producteur d’un produit de santé
dès lors qu’est caractérisé la défectuosité de ce dernier et la nécessité d’établir la faute du
praticien qui a fait usage de ce produit sur le patient.
Tant le producteur que la victime de la chute forment un pourvoi en cassation. Le premier soutient
qu’aucun défaut inhérent à la prothèse n’a été démontré. La victime, quant à elle, fait grief à l’arrêt
de ne pas avoir retenu la responsabilité du praticien, alors que celle-ci serait « encourue de plein
droit en raison du défaut d’un produit de santé qu’il implante à son patient ». Enfin, dans un second
moyen, la victime sollicite, dans l’hypothèse où la cassation serait encourue sur le chef de dispositif
qui a condamné le producteur à l’indemniser, la cassation par voie de conséquence, du chef du
dispositif par lequel les juges du fond l’ont débouté de son action en responsabilité contre le
chirurgien, alors même que celui-ci a commis des fautes dans la conservation de l’explant.
Deux questions distinctes se posaient ainsi devant la Cour de cassation. Tout d’abord, il s’agissait
de caractériser la défectuosité d’une prothèse de hanche s’étant rompue prématurément. Ensuite,
il était question de la possibilité d’engager la responsabilité sans faute du praticien ayant implanté
la prothèse.
La Cour de cassation rejette les pourvois principal et incident, considérant, d’une part que les juges
du fond, souverains dans leur appréciation, ont pu déduire « que la rupture prématurée de la
prothèse était due à sa défectuosité, de sorte que se trouve engagée la responsabilité de droit du
producteur » et, d’autre part, que la responsabilité du chirurgien ne pouvait être engagée qu’en
présence d’une faute de celui-ci. Elle ajoute également que la cassation par voie de conséquence
soulevée par le second moyen du pourvoi incident est sans portée dès lors que les moyens du
pourvoi principal contestant la responsabilité du producteur ont été rejetés.
Les juges de cassation réaffirment ainsi, à la fois la responsabilité de plein droit du producteur d’un
produit de santé dès lors qu’est caractérisé la défectuosité de ce dernier, et la nécessité d’établir,
en revanche, la faute du praticien qui a fait usage de ce produit sur le patient.
légitimes des patients, lesquelles sont particulières en raison de la vulnérabilité de ces victimes,
blessées par ce qui devait les guérir, mais également certains éléments comme les antécédents
médicaux ou encore la prédisposition au dommage. En outre, souvent appliqué aux médicaments,
ce régime de responsabilité doit également prendre en compte la balance thérapeutique de ces
produits aux fins de caractériser leur défectuosité. La spécificité de cette appréciation a d’ailleurs
également été mise en avant, concernant des dispositifs médicaux, par la Cour de justice de l’Union
européenne dans un arrêt du 5 mars 2015, qui a indiqué, concernant des stimulateurs cardiaques
et des défibrillateurs automatiques implantés que « le défaut potentiel de sécurité, qui engage la
responsabilité du producteur, réside, s’agissant de ces produits, dans la potentialité anormale de
dommage que ceux-ci sont susceptibles de causer à la personne » (CJUE 5 mars 2015, Boston
Scientific Medizintechnik (Sté) c/ AOK Sachsen-Anhalt - Die Gesundheitskasse, aff. jtes n° C-503/13
et C-504/13, D. 2015. 1247 , note J.-S. Borghetti ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer
et S. Porchy-Simon ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2015. 406, obs. P. Jourdain
; JCP 2015. 543, note L. Grynbaum ; ibid. 1409, obs. M. Bacache ; Europe 2015, n° 203, obs. F.
Rigaux).
L’arrêt du 26 février 2020 vient ainsi préciser, une nouvelle fois, les modalités de détermination de
la défectuosité d’un produit de santé en présence d’un dispositif médical. Celle-ci relève de
l’appréciation souveraine des juges du fond, ainsi que le rappelle la Cour de cassation, lesquels
peuvent se fonder sur des présomptions graves, précises et concordantes (V. not. Civ. 1re, 18 oct.
2017, n° 15-20.791, D. 2018. 490 , note J.-S. Borghetti ; ibid. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C.
Quézel-Ambrunaz ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; RDSS 2017. 1140, obs. J.
Peigné ; RTD civ. 2018. 140, obs. P. Jourdain ; JCP 2017. 1220, note G. Viney). Dans cette affaire,
la cour d’appel a procédé par voie d’élimination eu égard aux conclusions de l’expertise qui
indiquaient : « les fractures d’une prothèse totale de hanche sont rares, en dehors d’un défaut
majeur de conception, et sont estimées en littérature à 0,23 %. L’obésité est une cause de
surcharge de la prothèse, néanmoins n’a été constatée aucune augmentation du taux de fracture
d’implant proportionnelle à la progression du nombre de patients obèses implantés ». La difficulté
tenait notamment au fait que le chirurgien avait commis des fautes dans la conservation de
l’explant en renseignant, de manière erronée, les références de la tige fémorale fracturée dans le
cadre des démarches de matériovigilance (V. l’art. R. 665-48 du CSP qui énonce que « la
matériovigilance a pour objet la surveillance des incidents ou des risques d’incidents résultant de
l’utilisation des dispositifs médicaux ») de sorte que la trace de l’explant avait été perdue. Les juges
du fond ne pouvaient donc s’appuyer que sur les dires de l’expert, lequel excluait tout lien de
causalité entre le surpoids du patient et la rupture de la prothèse et relevait l’absence de faute
dans son choix et dans sa pose. Aussi, dès lors qu’a été constaté que « le point de facture se situe à
la base, dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche », la cour d’appel a pu déduire de la
rupture prématurée de la prothèse sa défectuosité. En effet, si tout produit de santé, en raison de
sa complexité, peut présenter des dangers sans que ceux-ci ne suffisent, en soi, à caractériser leur
défectuosité, il en va toutefois différemment lorsque l’aléa attaché au produit se réalise
anormalement (V. not. sur la notion de dangerosité anormale, P. Brun, Responsabilité civile
extracontractuelle, LexisNexis, coll. « Manuel », 5e éd., 2018, n° 751 ; G. Viney et P. Jourdain, Les
conditions de la responsabilité, LGDJ, coll. « Traités », 4e éd., 2013, n° 774-1). En l’espèce, c’est
bien la prématurité de la réalisation du risque de fracture de la prothèse qui a permis de déterminer
l’existence d’un défaut, le patient à qui a été implanté une prothèse de hanche étant légitime à
attendre du produit que celui-ci ne cède pas moins de trois ans après sa pose.
de l’article L. 1142-1, alinéa 1er, du code de la santé publique, issues de la loi n° 2002-303 du 4
mars 2002, la Cour de cassation se prononce explicitement sur l’articulation de ces textes : « la
responsabilité de plein droit d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé, sur le
fondement [de l’article 1245-6 du code civil], ne peut être engagée que dans le cas où le
producteur n’a pu être identifié et où le professionnel de santé ou l’établissement de santé n’a pas
désigné son propre fournisseur ou le producteur dans le délai imparti ». Est ainsi confirmée la
jurisprudence judiciaire antérieure (V. les arrêts cités par la décision, Civ. 1re, 12 juill. 2012, n°
11-17.510, D. 2012. 2277 , note M. Bacache ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ.
2012. 737, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2013. 292-36, obs. N. Rias ; JCP 2012, n° 40, 1036, note P.
Sargos ; ibid. 2013. 484, obs. C. Bloch ; 14 nov. 2018, n° 17-28.529, Dalloz actualité, 11 déc. 2018,
obs. A. Hacene et M. Kebir ; RCA 2019, n° 2, p. 51, note S. Hocquet-Berg) selon laquelle la
responsabilité des professionnels de santé et des établissements de santé privés ne peut être
engagée, hormis le cas prévu par l’article 1245-6 du code civil, que pour faute.
La Haute juridiction n’hésite pas, en outre, à exposer les éléments entrant en dissonance avec la
solution retenue. Elle cite ainsi l’arrêt de la CJUE du 21 décembre 2011 qui répondait à la question
préjudicielle soulevée par le Conseil d’État (CE 12 mars 2012, n° 327449, Centre hospitalier
universitaire de Besançon, Lebon ; AJDA 2012. 575 ; ibid. 1665, étude H. Belrhali ; D. 2013. 40,
obs. P. Brun et O. Gout ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F.
Martucci ; RDSS 2012. 716, note J. Peigné ; RTD eur. 2012. 925, obs. D. Ritleng ) relativement à
la compatibilité de sa jurisprudence Marzouk (CE 9 juill. 2003, n° 220437, Lebon ; AJDA 2003. 1946
, note M. Deguergue ; D. 2003. 2341 ) avec la directive du 19 mai 1988. Cette décision semble
appuyer, de prime abord, la solution retenue par la Cour de cassation en ce qu’elle a indiqué que «
la responsabilité d’un prestataire de services qui utilise dans le cadre d’une prestation de services,
telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il
n’est pas le producteur […] et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation, ne
relève pas du champ d’application de la directive ». Toutefois, elle poursuit en précisant que cette
directive ne s’oppose pas à la mise en œuvre d’un régime de responsabilité, même sans faute, à
l’encontre du prestataire à condition que soit sauvegardée la faculté de mettre en cause la
responsabilité du fait des produits défectueux du producteur. Cette décision avait ainsi permis au
Conseil d’État, dans une affaire également relative à une prothèse défectueuse, de retenir la
responsabilité sans faute du service hospitalier (CE 25 juill. 2013, n° 339922, Falempin, Lebon ;
AJDA 2013. 1597 ; ibid. 1972 , chron. X. Domino et A. Bretonneau ; D. 2013. 2438 , note M.
Bacache ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; RDSS 2013. 881,
note J. Peigné ; RTD civ. 2014. 134, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2014. 952-24, obs. A. Bouveresse
; et v. déjà en ce sens, CE 12 mars 2012, n° 327449, Centre hospitalier universitaire de Besançon,
Lebon ; AJDA 2012. 575 ; ibid. 1665, étude H. Belrhali ; D. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ;
RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RDSS 2012. 716,
note J. Peigné ; RTD eur. 2012. 925, obs. D. Ritleng ), au contraire de la Cour de cassation qui
imposait le recours à un régime de responsabilité subjective (Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510,
préc. et 14 nov. 2018, n° 17-28.529, préc.). Le rappel de l’ensemble de ces éléments s’apparente à
un véritable cours de droit, mais la Cour va également plus loin et explicite, en paragraphe 14, les
raisons du maintien de sa jurisprudence antérieure malgré la dissension manifeste avec la
jurisprudence administrative. Plusieurs éléments soutiennent ainsi sa solution : tout d’abord, des
raisons juridiques, tenant à l’articulation entre le régime de responsabilité des produits défectueux
et le régime d’indemnisation prévu par l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique. Ensuite,
la solution repose, et c’est là surtout l’intérêt de la décision, sur des considérations pragmatiques, à
savoir : « le fait que les professionnels de santé ou les établissements de santé privés peuvent ne
pas être en mesure d’appréhender la défectuosité d’un produit, dans les mêmes conditions que le
producteur » et le fait que le choix d’une responsabilité sans faute à l’égard de ces professionnels «
serait, en outre, plus sévère que celle applicable au producteur, lequel, bien que soumis à une
responsabilité de droit, peut bénéficier de causes exonératoires de responsabilité ».
F. Vialla, La nouvelle lecture de l’article L. 1142-1, I, du code de la santé publique à la lumière des
évolutions jurisprudentielles relatives aux produits défectueux, D. 2012. 1558 ).
Dans les médias, on entend des politiques ou des familles ne pas comprendre que les personnes
résidantes en établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou dans des
établissements médico-sociaux, suspectées d’être atteintes par le coronavirus1, ne soient pas
prises en charge à l’hôpital ou en clinique et décèdent dans leur EHPAD, c’est-à-dire leur domicile.
Rapidement, il a été mis en évidence des populations plus vulnérables à l’épidémie de covid-19 :
les personnes en situation d’obésité, les personnes âgées avec des comorbidités et/ou en perte
d’autonomie, les sujets très âgés. Selon le ministère des solidarités et de la santé, plus de 47 % des
patients infectés entrant en réanimation sont en situation d’obésité, l’obésité augmentant
significativement le risque d’être placé sous respiration mécanique invasive2. Les formes graves et
sévères du covid-19 touchent tout particulièrement ces populations.
Débattre du « tri des malades » choque l’opinion publique de prime abord. Le phénomène n’est pas
nouveau pour les médecins, mais il est médiatisé, depuis mars 2020, et probablement majoré avec
la crise sanitaire actuelle. Cela ne choque pas les médecins habitués à évaluer la balance
bénéfices/risques avant toute décision médicale.
Déjà en temps « ordinaire », c’est-à-dire hors crise sanitaire, chaque médecin fait des choix
thérapeutiques, ce qui revient à effectuer un tri. Le terme « tri » peut avoir un aspect choquant. Il
conviendrait plutôt d’employer le terme de « choix ». On vise à un choix raisonné et raisonnable du
médecin, que ce soit pour les actes de prévention, de diagnostic ou de soins.
C’est bien ce qui est fait en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) pour déterminer la
meilleure prise en charge des patients atteints de cancer3. Le médecin fait le choix du traitement
qu’il pense le mieux adapté à son patient. C’est ce que font les réanimateurs qui décident
d’intuber, de réanimer, d’hospitaliser ou non en réanimation…
Il y a également un choix opéré lorsque le chirurgien retient ou non une indication opératoire selon
la pathologie, la gravité du cas, mais aussi l’âge de la personne, les comorbidités… et surtout ses
chances de récupération. Le tabagisme est un facteur de risque majeur de la survenue d’infections
ou de complications postopératoires, de même que l’obésité. Il est fréquemment exigé du patient
demandeur d’une chirurgie programmée d’arrêter de fumer ou de maigrir avant d’être opéré. Ce
conditionnement de l’indication opératoire à un effort du patient constitue également un tri des
meilleurs candidats à la chirurgie.
traitement aux possibilités matérielles, financières, sociales dont dispose son patient fait partie de
la prise en charge personnalisée.
Ainsi, des choix sont faits tous les jours par les médecins, chacun à son niveau, et cela bien avant la
crise sanitaire actuelle liée au coronavirus. Le généraliste à l’EHPAD peut décider d’adresser son
patient aux urgences ou non. S’il fait appel au SAMU (service d’aide médicale urgente) pour le
transport, un choix est effectué par le médecin régulateur qui peut décider d’envoyer une
ambulance, les pompiers, le véhicule médicalisé de SMUR (service mobile d’urgence et de
réanimation) ou simplement donner des conseils à l’appelant. Il en est de même au domicile mais
en sachant que le patient (ou son entourage) peut décider de se présenter aux urgences par ses
propres moyens. L’urgentiste a le choix d’hospitaliser ou non son patient. Une fois hospitalisé dans
un service de médecine, le médecin devra, en cas d’aggravation, décider de solliciter ou non une
place en réanimation… Plusieurs médecins vont intervenir et prendre chacun des décisions avec
une gradation possible dans la prise en charge. Chacun ne pourra procéder à une procédure
collégiale formelle, mais les échanges, au moins téléphoniques, entre professionnels doivent être
l’occasion d’une concertation et non une simple demande de place.
C’est au médecin de choisir la prise en charge la plus adaptée, en concertation avec son patient
tant qu’il peut s’exprimer. C’est en combinant trois critères que le médecin pourra prendre une
décision5 :
Le recueil de la volonté du patient est essentiel tant qu’il lui est encore possible de l’exprimer.
La personne démente peut avoir des intervalles de lucidité où il est possible de la questionner sur
ses volontés. « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des
informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé »6.
Si la personne ne peut plus exprimer, il convient de pouvoir respecter les volontés et les valeurs du
patient, exprimées indirectement par ses directives anticipées, ou rapportées par sa personne de
confiance ou ses proches.
D’ailleurs, l’interdiction de visite dans les établissements de santé s’applique à tous patients, qu’ils
soient infectés par le coronavirus ou non, y compris après un accouchement, de même que
l’interdiction des soins de conservation, quelle que soit la cause du décès, jusqu’au 30 avril 2020, à
ce jour11.
2. La gravité de la pathologie
Il s’agit là d’une évaluation médicale en sachant qu’avec le covid, les soignants font face à un virus
inconnu il y a encore quelques mois. Bien que les publications scientifiques soient quotidiennes sur
ce sujet, et largement commentées dans les médias grand public, ce qui est inédit, on reste encore
ignorant, faute de recul suffisant, notamment sur le devenir des patients « guéris ». Quel sera le
Pour évaluer l’état de santé et l’autonomie préalable, il est proposé d’utiliser différents outils, par
exemple un score de fragilité clinique ou l’indice de performance OMS ou l’échelle d’autonomie de
Katz12. Il sera utile d’étudier les comorbidités, donc les antécédents, de la personne, son état
cognitif (en particulier en cas de démence), son état nutritionnel. En pratique, en dehors de
l’entourage, c’est le médecin traitant du patient qui est le plus à même de donner des informations
à ce sujet, aux professionnels des établissements de santé.
Le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a publié une prise de position sur les «
Décisions médicales dans un contexte de crise sanitaire et d’exception » le 6 avril 2020. Pour
l’ordre, la question de la priorisation entre les patients « ne saurait être retenue qu’en l’absence
avérée de toute autre possibilité et s’il est constaté qu’aucune autre alternative ne se présente au
terme d’une appréciation collégiale tracée dans le dossier, fondée sur l’état du patient, prenant en
compte notamment ses comorbidités. L’âge du patient, sa situation sociale, son origine, une
maladie mentale, un handicap ou tout autre facteur discriminant ne peuvent être l’élément à
retenir ». Pourtant, la maladie mentale ou le handicap font partie des comorbidités. Il ne serait pas
réaliste de ne pas tenir compte d’une démence ou d’un handicap moteur important dans la prise de
décision.
Il ne doit pas exister d’âge limite pour entrer en réanimation, même si l’on entend
malheureusement parfois des médecins dire « pas de réanimation au-delà de 80 ans ». Selon une
enquête publiée en 2008, l’âge ne semble pas être un critère rédhibitoire de prise en charge en
réanimation, mais plutôt pousser à une évaluation plus approfondie du patient13. L’âge ne doit pas
être le seul critère déterminant pour être admis en réanimation mais doit être pondéré en fonction
de l’état général, de son degré d’indépendance et d’une évaluation de la qualité de vie future.
« L’âge ne doit pas être un prétexte au refus d’un patient en réanimation. »14 L’effet de seuil ne
saurait être argumenté ni compris par l’entourage. « Alors hier, il aurait été pris en réanimation et
pas aujourd’hui, le jour de ses 80 ans ? » Les deux écueils sont, d’un côté, admettre tous les
patients en réanimation, quel que soit leur âge, et courir le risque d’une obstination déraisonnable.
À l’opposé, le refus d’admission sur le seul critère de l’âge va hâter le décès ou faire renoncer à
traiter des pathologies aiguës curables dont la guérison pourrait améliorer la qualité de vie de la
personne âgée.
Nier le critère d’âge et l’état neurocognitif serait faire peser sur les épaules des médecins,
intervenant au domicile ou en EHPAD, une lourde responsabilité. Ces médecins sont en première
ligne et ils se heurtent à des refus de prise en charge de leurs patients âgés ou lourdement
handicapés. Soyons clairs, l’appel au 15 pour un résidant d’EHPAD de 98 ans, atteint d’une maladie
d’Alzheimer, suspect de covid, aboutira exceptionnellement à une hospitalisation.
Il n’est pas choquant de trier les malades à condition que ce soit dans le cadre d’une réflexion
bénéfices/risques de chaque décision et dans la mesure du possible, en respectant une procédure
collégiale. La loi du 22 avril 200515 a prévu une procédure collégiale16 qui permet au médecin de
décider en dernier ressort mais pas isolément. La décision est prise par le médecin en charge du
patient après concertation avec l’équipe de soins, sur l’avis motivé d’au moins un médecin appelé
en qualité de « consultant », dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après
avoir recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des
proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient17.
La loi exige l’absence « de lien de nature hiérarchique » entre le médecin en charge du patient et le
médecin consultant sans avoir défini ce lien. Contrairement à ce que l’on entend souvent, il ne
s’agit pas forcément d’un médecin extérieur au service, ni d’un médecin qui n’a pas pris en charge
le patient auparavant, ni un médecin d’un autre établissement. Le consultant peut être un médecin
du même service, mais a priori pas le chef de service ou le chef de pôle du médecin en charge du
patient. De plus, « l’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un
d’eux l’estime utile »18.
La loi du 22 avril 2005 a été complétée par la loi du 2 février 201619 et laisse une large possibilité
de choix au médecin en charge du patient.
« Les actes de traitements et de soins ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils
résultent d’une obstination déraisonnable. »20 L’obstination déraisonnable, c’est lorsque des soins
ou des examens apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie.
C’est le médecin qui, après avoir respecté les critères de la procédure collégiale, prend la décision
de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives (LATA) ou de sédation profonde et continue
jusqu’au décès. C’est le médecin qui choisit de respecter ou non les directives anticipées. En effet,
les directives ne sont pas impératives dans le cadre de l’urgence ou si le médecin estime qu’elles
ne sont pas appropriées. « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision
d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps
nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées
apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale »21. Sur ce
point, la loi est ambiguë : le verbe « s’imposer » semble donner aux directives anticipées un
caractère impératif qui est très vite atténué par les deux situations au demeurant courantes, qui
permettent de passer outre.
L’accompagnement des patients en situation de fin de vie et de leurs proches doit rester une
« priorité des équipes soignantes », au mieux avec le soutien d’une équipe de soins palliatifs. Le
recours argumenté à une analgésie proportionnée, à une sédation proportionnée ou profonde et
continue maintenue jusqu’au décès doit être garanti23. À cette fin, « l’anticipation d’ouverture
d’unités de soins palliatifs devant assurer cette mission doit être encouragée, dans le même temps
que l’ouverture des capacitaires de soins critiques »24.
1. la décision doit être « notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la
volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile ».
2. le recours doit « pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux
fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée ».
Le médecin demeure ainsi soumis au contrôle du juge pour toute décision de limitation ou d’arrêt
de traitement fondée sur le refus d’une obstination déraisonnable.
Le Conseil constitutionnel n’a pas précisé de durée du délai minimum, qui dépend évidemment du
contexte. Dans le cadre de l’arrêt d’une hémodialyse, d’une antibiothérapie, d’une nutrition, il est
possible de se donner quelques jours entre le moment où la décision est prise et l’arrêt effectif et
donc annoncer à une famille une décision de LATA quelques jours avant sa mise en œuvre. Pour un
patient atteint de cancer, la décision de ne pas poursuivre la chimiothérapie peut attendre quelques
semaines. Ne pas poursuivre une ventilation en réanimation peut être reporté de quelques heures à
quelques jours, même si cela est compliqué de garder un patient intubé ventilé alors qu’on a décidé
d’arrêter.
Pour ces décisions, le médecin en charge du patient peut décider du moment de la mise en œuvre.
C’est encore plus compliqué lorsque la décision de LATA concerne une conduite à tenir en cas de
survenue d’événement indésirable. Par exemple, il peut être décidé de ne pas réanimer un patient
ni de le transférer en réanimation en cas de détresse respiratoire. On ne sait pas à quel moment
surviendra cette complication ni même si elle surviendra mais la décision peut être anticipée. Pour
les patients âgés ou polypathologiques atteints de covid, hospitalisés, cette situation est
fréquemment rencontrée. En effet, pour certains, la prise en charge sera d’emblée palliative. À
l’opposé pour d’autres, tout sera mis en œuvre jusqu’aux techniques pointues de réanimation
comme l’ECMO28. Mais de nombreux patients sont dans l’entre-deux, et on espère leur faire passer
le cap aigu avec une oxygénothérapie sans savoir à l’avance si on pourra les guérir, tout en ayant
décidé de ne pas les réanimer. Ce sont sans doute les situations les plus complexes et les plus
difficiles pour les familles.
À titre d’exemple, dans un arrêt du Conseil d’État29, des médecins du CHU de Nancy ont pris une
décision de LATA le 5 juillet 2018, pour un patient hospitalisé en chirurgie avec des lésions
encéphaliques graves. Il avait été décidé de ne pas faire appel à l’équipe de réanimation en cas de
détresse vitale et de ne pas le transférer en réanimation afin d’éviter toute obstination
déraisonnable. Les médecins ont suspendu l’exécution de la décision de LATA, comme prévu par le
Conseil constitutionnel, le temps nécessaire à l’exercice d’un recours éventuel au tribunal
administratif (TA). La famille du patient a saisi le 8 août 2018 le juge des référés30 qui a rejeté leur
demande, puis ont saisi le Conseil d’État. Le 28 novembre 2018, le Conseil d’État a ordonné la
suspension de l’exécution de la décision de LATA. Pour le Conseil d’État, il fallait subordonner
l’exécution de la décision de LATA à l’absence d’évolution favorable de la situation et en limiter le
champ d’application dans le temps en retenant une durée ne pouvant excéder trois mois. Le
formalisme exigé ici paraît contraire à l’usage médical car il est évident que la décision de LATA
devait être rediscutée régulièrement en fonction de l’évolution de l’état du patient. Il est important
de tracer les grandes lignes de la procédure collégiale dans le dossier médical sans que cela
devienne un « contrat », rédigé en termes juridiques où chaque mot devrait être discuté dans
l’éventualité d’un litige. Pendant ce temps, du 5 juillet 2018 au 28 novembre 2018, la décision de
LATA ne pouvait pas être appliquée, ce qui semble bien long, et encore, dans ce dossier, le juge
administratif n’a pas sollicité d’expertise qui rallonge les délais.
Dans la situation actuelle, où des décisions d’admission en réanimation se prennent aux urgences
en quelques minutes, avec une procédure collégiale parfois très limitée, il paraît encore plus
difficile de respecter les réserves du Conseil constitutionnel si une famille s’oppose à une limitation
des thérapeutiques.
Dans la prise de position de l’ordre du 6 avril 2020, on peut lire : « Tous les patients atteints du
covid-19, dont ceux résidant en EHPAD et autres établissements d’accueil de personnes
vulnérables, doivent bénéficier du même accès aux soins et de la même qualité de prise en charge
que les autres patients. S’ils présentent des formes sévères ou graves, leur prise en charge dans
les établissements de santé adaptés doit être assurée même dans un contexte marqué par la
limitation des ressources ».
Les critères de choix sont des critères médicaux et non des critères financiers. Les médecins
raisonnent en fonction de la balance bénéfices/risques et feront tout pour trouver un lit de
réanimation pour leur patient s’ils estiment la réanimation justifiée, quitte à passer une heure au
téléphone et/ou à transférer leur patient, quel que soit le moyen (hélicoptère, TGV médicalisé, etc.),
y compris à l’étranger ! Cependant, la crise actuelle rend la confrontation plus directe avec les
ressources disponibles. Il ne s’agit pas d’un problème d’argent mais d’un principe de réalité et de
répartition des moyens disponibles, lorsqu’il manque de médicaments, par exemple le Midazolam,
ou en l’absence de lit de réanimation. Il convient de répartir les moyens disponibles : « si j’envoie
une équipe SMUR auprès d’un patient dément en EHPAD, suspect de covid, je n’aurai plus d’équipe
disponible pour la prochaine urgence, par exemple un infarctus chez un patient de 40 ans ». Tout
en sachant qu’en cas de nécessité, il sera possible de faire appel au SAMU d’un autre département,
mais c’est contraignant.
Les médecins reçoivent des injonctions paradoxales. Citons par exemple un message d’alerte
rapide sanitaire (MARS) du 23 mars 2020 du ministère des solidarités et de la santé, concernant les
produits sanguins labiles. Il est rappelé aux médecins de respecter les recommandations
professionnelles émises par la Haute Autorité de santé (HAS), tout en leur demandant « de
restreindre les indications des transfusions de produits sanguins labiles ». En quoi ce message
peut-il modifier les pratiques ? Cela voudrait dire qu’habituellement, on prescrit en dehors des
recommandations ? Soit le médecin estime qu’une transfusion est nécessaire et il va la prescrire
sans se poser la question du coût ni des réserves. Soit elle n’est pas recommandée et alors le
médecin ne devrait pas la prescrire, crise sanitaire ou pas. La seule possibilité de limiter les
transfusions est de déprogrammer les chirurgies à risque et non urgentes, ce qui est a été décidé
par les autorités depuis la mi-mars 2020.
Ces injonctions paradoxales peuvent entraîner un sentiment d’impuissance pour le médecin qui, sur
le terrain, est confronté à ces demandes de « gestion de la pénurie » et qui doit faire face aux
familles revendiquant tel traitement vanté à la télévision… (« on va porter plainte contre vous si
vous ne prescrivez pas de la chloroquine ; si vous n’hospitalisez pas mon parent en réanimation »).
Ces menaces sont rares mais existent et minent le moral des soignants.
Les prescriptions doivent être fondées sur l’Evidence-based-medecine (EBM), tout en assurant une
approche au cas par cas. L’EBM s’appuie sur les résultats prouvés et validés par des études
scientifiques bien menées et publiées. L’EBM, c’est le principe de précaution : « tant que je n’ai pas
la preuve de son efficacité, je ne prescris pas tel médicament ». C’est ne mettre en œuvre un
traitement qu’une fois les risques et les bénéfices établis. À l’inverse, des médecins voudront tout
tenter : « si j’ai le moindre espoir, je dois essayer et, au pire, ça ne marchera pas ». D’où les
oppositions dans le cadre du traitement par l’hydroxychloroquine dans le covid-19. D’un côté, les
médecins qui attendent des publications leur démontrant l’intérêt du médicament pour le prescrire
et, de l’autre côté, des médecins prêts à l’utiliser « à titre compassionnel » ou pour ne pas faire
perdre de chance à leurs patients. Le risque est qu’en cas d’effet secondaire grave, ces médecins
se verront peut-être reprocher une prise de risque injustifiée. S’ajouteront également des
questionnements concernant des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) ou
sur le consentement du patient dans le cadre d’essais cliniques.
Les divers traitements présentés comme efficaces et largement débattus dans les médias font
rapidement l’objet de craintes quant à leur disponibilité ; ce qui amène les autorités à devoir
prendre des mesures de contrôle en urgence. Le gouvernement, agissant par la voie de décrets en
Conseil d’État, est autorisé à restreindre la prescription et la délivrance de certains médicaments,
« dans l’intérêt de la santé publique »31. Par exemple, par deux décrets des 25 et 26 mars 202032,
le premier ministre a limité l’administration de l’hydroxychloroquine33 pour soigner les patients
atteints du covid-19 à des conditions très strictes34. De même, un arrêté a limité jusqu’au 11 mai
2020 la dispensation par les pharmacies d’officine de spécialités contenant de la nicotine,
substance présentée comme possiblement protectrice contre le coronavirus35.
L’ordre des médecins a alerté les médecins par un communiqué du 23 avril 2020 en rappelant la
prudence nécessaire avant de faire des communications tonitruantes. Lorsque le médecin participe
à une action d’information du public, « il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve
de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public »36. « Les médecins
ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de
traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui
s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical »37. L’ordre se
dit vigilant sur les prescriptions hors AMM, des possibles défauts de consentement lors de protocole
de recherche et brandit la menace de procédure disciplinaire, voire de saisine du directeur général
de l’ARS, qui a le pouvoir de suspendre immédiatement l’activité du médecin38.
Il est noté dans la publication de l’ordre des médecins du 6 avril 2020 : « Nous l’affirmons, aucune
contrainte politique, administrative, organisationnelle ne peut imposer à un médecin des critères de
prise en charge prédéterminés par d’autres acteurs ».
Cependant, dans les établissements de santé, la liberté de prescription39 est dépendante des choix
et des marchés décidés par les pharmaciens. Parfois, le médecin prescrit du Doliprane® et le
patient recevra du Dafalgan®, une autre forme commerciale du même médicament, le
paracétamol. Avec la crise sanitaire, les pratiques changent. Par exemple, les commandes de
médicaments d’anesthésie et de réanimation (2 hypnotiques, soit midazolam et propofol, et 3
curares) sont désormais gérées au niveau national et non plus par la pharmacie à usage intérieur
(PUI) de chaque établissement40. L’État achètera, seul, ces médicaments, et non plus les
établissements de santé, à compter du 27 avril 2020 et décidera des approvisionnements des
établissements en lien avec les ARS (agences régionales de santé)41.
Le médecin n’exerce pas dans une bulle coupée du monde extérieur. La pandémie mondiale de
covid-19 entraîne des situations où l’équilibre habituel entre les besoins médicaux et les ressources
disponibles est rompu. Les médecins peuvent être amenés à faire des choix difficiles et des
priorisations dans l’urgence. Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, le médecin doit concilier
l’éthique collective (le juste soin au moindre coût, la rationalisation et la préservation des moyens
disponibles) et une éthique individuelle (le meilleur soin pour mon patient). Les politiques peuvent
donner des directives, faciliter les approvisionnements, réquisitionner du matériel, octroyer des
moyens financiers supplémentaires… mais ne seront jamais face au patient au moment du choix
thérapeutique.
Cette crise inédite oblige chacun à être imaginatif et à trouver des solutions alternatives afin de
pallier le manque de masques, de solutions hydroalcooliques, de respirateurs, de médicaments
anesthésiques, mais aussi le manque de personnel qualifié. Autant le personnel paramédical
(infirmiers, aide-soignants) peut être redéployé dans les services de prise en charge des patients
covid, autant c’est beaucoup plus compliqué pour les médecins. Beaucoup de médecins et de
chirurgiens sont aujourd’hui en sous-activité, contraints de n’assurer que les urgences de leur
spécialité, alors que notamment les généralistes, les urgentistes, les infectiologues, les
anesthésistes et réanimateurs et les virologues sont en première ligne. Selon des chiffres
communiqués par l’assurance maladie, au cours de la dernière semaine du mois de mars 2020,
l’activité des généralistes a baissé de 40 %, celle des spécialistes de 70 %.
Et l’intérêt du patient ?
L’ordre nous demande d’avoir pour seul objectif « l’intérêt du patient ». Effectivement, mais tout
dépend ce que l’on entend par « intérêt » : s’agit-il de lui prolonger la vie à tout prix ou
d’accompagner au mieux une fin de vie en évitant toute obstination déraisonnable ?
Aujourd’hui, les patients très âgés, dépendants et/ou déments ne sont pas hospitalisés même s’ils
sont atteints par le coronavirus. L’absence d’hospitalisation ne veut pas dire absence de soins, ce
qui est malheureusement ressenti ainsi par des familles. Au contraire, rester dans son cadre de vie
habituel, bénéficier de soins de confort ou de nursing, être accompagné sera plus confortable.
Majoritairement, les personnes âgées expriment une préférence pour une fin de vie en EHPAD
plutôt que de « mourir sur un brancard aux urgences » ou dans l’anonymat d’une chambre
d’hôpital, éloigné de leur entourage. Le patient hospitalisé pour covid sera entouré de soignants
tous identiques, habillés « comme des cosmonautes », qui ne le touchent que pour des gestes
techniques et avec des gants et dont il ne voit même pas le sourire sous leur masque ! Dans un
EHPAD, l’environnement sera moins médicalisé et moins angoissant, les visites étant de nouveau
possibles sous conditions strictes. Lors d’une conférence de presse, le ministre de la santé,
monsieur Olivier Véran, a annoncé, le 19 avril 2020, le rétablissement dès le 20 avril 2020 d’un
« droit de visite pour les familles » dans les EHPAD, dans des conditions « extrêmement limitées »42
répondant à une demande des familles et des établissements, d’assouplissement du confinement43.
Il est évident que l’entrée en réanimation d’un patient dément, résident en EHPAD, de plus de
90 ans est plus que discutable car les chances de s’en remettre sont minimes. Il en est de même
pour un patient plus jeune mais polyhandicapé et dépendant. Il faut avoir le courage de l’expliquer
aux familles qui, le plus souvent, le comprennent parfaitement bien. Communiquer avec
l’entourage afin que les proches puissent donner du sens à ce qui leur fait peur. La transparence
vis-à-vis des familles est capitale pour eux-mêmes mais aussi pour éviter des procédures
ultérieures et doit absolument être tracée dans le dossier médical.
L’ordre des médecins rappelle à juste titre qu’il convient de déterminer, parmi ses patients, « non
pas une personne, non pas un âge, mais celui d’entre eux qui a le plus de chances de survivre ». Le
critère essentiel est de savoir quelles sont les chances de sortir vivant de la réanimation sans
séquelle majeure, que l’on soit en pleine période de crise sanitaire ou non !
En EHPAD ou en ville, les médecins généralistes sont confrontés à des patients qui refusent d’aller à
l’hôpital de peur « d’attraper le virus ». Ce refus de soins doit être entendu et respecté. Bien sûr se
posera la question de l’accompagnement des derniers moments, si une détresse respiratoire
survient ou lors d’une longue agonie douloureuse. Tout cela devrait s’anticiper avec une prise en
charge palliative dans la mesure du possible, pour éviter une hospitalisation sur les dernières
heures de vie qui sera toujours vécue comme un échec. L’idéal est d’anticiper un éventuel recours
à l’hospitalisation dès l’évaluation clinique initiale et le réévaluer régulièrement. Dans tous les cas,
toute décision, d’hospitalisation ou pas, doit être tracée dans le dossier médical. Nous n’insisterons
jamais assez sur la traçabilité de la démarche et de la décision collégiale amenant au choix de telle
ou telle prise en charge palliative ou curative. On ne devrait pas lire dans les dossiers des
laconiques « NTBR », pour « not to be resuscitated » (ne pas réanimer) alors qu’une synthèse des
démarches entreprises dans le cadre de la procédure collégiale doit être tracée.
qu’elles soient compatibles avec la réalité du terrain hors établissement de santé et une écoute,
que ce soit par un médecin régulateur du SAMU, une unité mobile gériatrique ou une équipe mobile
de soins palliatifs, un réseau d’entraide médicale éthique pour pouvoir échanger sur la prise en
charge, mais aussi les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et les services d’aide et
d’accompagnement à domicile (SAAD).
Au final, c’est le médecin en charge du patient qui prendra une décision, guidé par les autres
soignants (autres médecins spécialistes, paramédicaux) et à condition d’en discuter avec le patient
et/ou son entourage.
L’indépendance du médecin est de pouvoir s’écarter des recommandations de bonne pratique dans
le cas précis de tel patient, à condition d’argumenter et de tracer, dans le dossier médical, ses
choix. Mais les médecins ont besoin de ces recommandations et référentiels… même si la médecine
ne peut pas être entièrement standardisée, et heureusement. À l’heure de l’intelligence artificielle,
un robot aura encore des difficultés à analyser une impression clinique, le ton d’une conversation,
l’ordre de présentation des plaintes, le langage corporel et l’attitude du patient… La crise sanitaire
actuelle aura permis un développement majeur de la télémédecine mais également des télésoins45,
y compris par les kinésithérapeutes46, mais ne remplacera pas le contact humain direct et restera
une modalité pratique mais moins performante.
« L’ordre est là pour guider les médecins dans l’intérêt des patients et sera à leurs côtés pour les
accompagner ». Certes, mais l’ordre est également en charge du contentieux disciplinaire devant la
chambre disciplinaire de première instance au niveau régional puis la chambre disciplinaire
nationale (Conseil national de l’ordre). La procédure ordinale pouvant aller jusqu’au Conseil d’État,
quel que soit le statut du médecin, salarié du privé ou du public ou libéral.
La crise sanitaire que nous vivons peut nous faire craindre de nombreuses procédures à venir y
compris devant les instances ordinales pour « discrimination » dans l’accès aux soins, non-respect
de la vie et de la dignité des personnes et défaut d’accompagnement du patient en fin de vie… À
notre avis, la prise de position très prudente du 6 avril 2020 du Conseil national de l’ordre n’aidera
pas les soignants confrontés à des mises en cause par des familles de patients devant l’instance
ordinale. Et, malheureusement, on peut prévoir des procédures ordinales à venir. Le nombre de
procédures contre les ministres liés au covid est déjà important, que ce soit devant le tribunal
administratif ou au pénal, devant la cour de justice de la République (CJR)47. Dans le cadre de
l’épidémie de covid-19, la CJR a d’ailleurs déjà reçu au moins six plaintes, tandis qu’une plateforme
en ligne, plaintecovid.fr, a été mise en place par un réseau d’avocats et de militants. Une manière
de faciliter et multiplier les plaintes contre X, via le remplissage numérique d’un formulaire.
Il faut accompagner les médecins dans leurs choix difficiles. Il s’agit d’éviter une obstination
déraisonnable alors que le bénéfice attendu est (quasi) inexistant. Tirer bénéfice d’une réanimation,
c’est ne pas y mourir quasi obligatoirement ou en sortir avec des séquelles gravissimes. Comme
l’écrit Frédérique Leichter-Flack, « le tri médical n’a pas vocation à choisir qui aura ou non droit à la
vie, mais à sauver le plus de vies possible »48.
Conclusion
Choqués par la notion de tri, certains citent le serment d’Hippocrate rappelant le devoir
d’assistance à tous les malades. En effet, la loi mais aussi la déontologie médicale nous imposent
d’accorder des soins à tous sans discrimination49.
« Le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et
fondés sur les données de la science. »50
Le serment d’Hippocrate, réactualisé par l’Ordre national des médecins en 201251, fait dire à
chaque médecin la phrase suivante : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai
pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Cela correspond à la
loi actuelle qui permet de soulager les souffrances et d’accompagner le patient en limitant ou en
arrêtant un traitement jugé déraisonnable mais sans injection de médicaments dont le seul but
serait le décès du patient.
Le tri n’est pas effectué sur des critères de religion, d’orientation sexuelle du patient ou de la
couleur de sa peau… Une telle pratique serait inadmissible. Notre devoir d’assistance n’impose pas
de mettre en œuvre des thérapeutiques comportant plus de risques que de bénéfices pour le
patient dans l’unique objectif de prolonger sa vie coûte que coûte. Notre déontologie de médecin
nous impose aussi d’éviter toute obstination raisonnable.
Au final, le problème n’est donc pas de savoir s’il faut « trier » ou plutôt « choisir » selon des
critères médicaux les patients qui seront hospitalisés ou admis en réanimation, car c’est ce qui se
fait déjà et bien avant la crise sanitaire actuelle. Il faut se soucier du devenir de ceux qui n’ont pas
été admis et qui vont être pris en charge par des équipes qui doivent être absolument soutenues
car elles seront confrontées à des fins de vie difficiles alors même que, souvent, les patients ne
pourront pas être entourés par leurs proches.
Le soutien aux équipes est donc primordial face à cet afflux de patients qui n’est pas ponctuel,
comme dans le cas d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un accident, mais qui va durer
malheureusement plusieurs mois. Des soignants qui n’en avaient pas l’habitude sont confrontés à
des décès de patients atteints de covid, notamment en pathologie infectieuse, où les plus anciens
se remémorent la période des décès du SIDA.
Il est aussi important en ces temps d’épidémie, pour chaque personne majeure, de désigner sa
personne de confiance et lui confier ses directives anticipées. Ce sera une aide précieuse pour le
médecin à l’heure de faire des choix, si le patient n’est plus en état de s’exprimer.
Il est certes difficile d’anticiper sa fin de vie, y compris pour les soignants, mais en ces temps
d’épidémie, c’est le moment de désigner sa personne de confiance, d’écrire ses directives
anticipées et de le mentionner dans son dossier médical partagé (DMP).
Notes
1. Maladie liée à une infection par le coronavirus SARS-CoV-2 (covid-19 est l’acronyme anglais de
coronavirus infectious disease 2019).
3. La RCP est une obligation pour les patients atteints de cancer, définie à l’art. D. 6124-131 CSP,
depuis le décr. n° 2007-389, 21 mars 2007.
4. Haut Conseil de la santé publique, avis relatif à la prise en charge des cas confirmés d’infection
au virus SARS-CoV-19, 5 mars 2010.
7. Selon les enquêtes, on est au mieux à 15 % des Français qui ont rédigé leurs directives
anticipées.
8. Arrêté du 28 mars 2020 modifiant l’arrêté du 12 juill. 2017 fixant les listes des infections
transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à
9. Décr. n° 2020-384, 1er avr. 2020 complétant le décr. n° 2020-293, 23 mars 2020, prescrivant les
mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état
d’urgence sanitaire. Il s’agit de mesures transitoires en vigueur jusqu’au 30 avr. 2020.
10. Décr. n° 2020-352, 27 mars 2020, portant adaptation des règles funéraires en raison des
circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de covid-19.
12. 16 mars 2020 : RPMO Enjeux éthiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins
critiques en contexte de pandémie covid-19, préc.
13. M. Borel, B. Veber, F. Robillard, J.-P. Rigaud, B. Dureuil et C. Hervé, L’admission du sujet âgé en
réanimation : l’âge influence-t-il l’accès aux soins ?, Annales françaises d’anesthésie et de
réanimation (AFAR), 2008, vol. 27, n° 6, p. 472-480.
14. S. Beloucif, Comment lutter contre les refus d’admission des personnes âgées en réanimation ?,
AFAR 2008, 27(6), p. 470-471.
15. L. n° 2005-370, 22 avr. 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie.
19. L. n° 2016-87, 2 févr. 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes
en fin de vie.
22. La notion de soins de support est retrouvée dans la circ. DHOS/SDO/2005/101 du 22 févr. 2005
relative à l’organisation des soins en cancérologie mais pas dans le CSP.
24. Covid-19 : réanimation ou soins critiques, comment trier les patients ? L’ARS Île-de-France
propose un soutien éthique Dr Irène Drogou, publié le 24 mars 2020.
25. CE 6 déc. 2017, n° 403944, Dalloz actualité, 12 déc. 2017, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ;
AJDA 2018. 578 , note X. Bioy ; ibid. 2017. 2439 ; AJ fam. 2018. 6, obs. A. Dionisi-Peyrusse .
26. Cons. const. 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC, Dalloz actualité, 9 juin 2017, obs. M.-C. de
Montecler ; AJDA 2017. 1143 ; ibid. 1908 , note X. Bioy ; D. 2017. 1194, obs. F. Vialla ; ibid.
1307, point de vue A. Batteur ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1344,
obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2017. 379, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2017. 1035,
note D. Thouvenin ; Constitutions 2017. 342, Décision .
27. Il ne s’agit pas d’une jurisprudence qui reflète l’avis des juges sur des cas d’espèce mais d’une
QPC où le Conseil constitutionnel nous fournit des indications sur l’interprétation de la loi, ce qui a
plus de valeur que la jurisprudence et s’applique que l’on soit dans un établissement de santé
public ou privé (en droit privé et en droit administratif).
29. CE 28 nov. 2018, n° 424135, Dalloz actualité, 9 juin 2017, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ;
AJDA 2019. 1168 , note X. Bioy ; ibid. 2018. 2365 ; D. 2018. 2419, obs. F. Vialla ; AJ fam. 2019.
5, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2019. 164, obs. A. Minet-Leleu .
34. Aux formes les plus graves du coronavirus et dans les établissements hospitaliers.
35. Arr. du 23 avr. 2020 complétant l’arr. du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation
et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19
dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire NOR : SSAZ2010368A.
38. CSP, art. L. 4113-14 : en cas d’urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin
expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS)
dont relève le lieu d’exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d’exercer
pour une durée maximale de cinq mois. Il entend l’intéressé au plus tard dans un délai de trois
jours suivant la décision de suspension.
40. Décr. n° 2020-466, 23 avr. 2020, complétant le décr. n° 2020-293, 23 mars 2020, prescrivant
les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état
d’urgence sanitaire.
41. Message d’alerte rapide sanitaire (MARS) du ministère des solidarités et de la santé du 20 avril
2020 (réf. : mars N°2020_37) concernant l’approvisionnement des établissements de santé pour
certains médicaments prioritaires.
42. Le protocole relatif aux consignes applicables sur le confinement dans les ESSMS
(établissements et services sociaux ou médico-sociaux hébergeant des personnes âgées et des
personnes en situation de handicap) et unités de soins de longue durée (USLD) a été rendu public le
20 avril 2020.
43. Covid19 : analyses et propositions de la CNDEPAH présidée par Emmanuel Sys. La CNDEPAH
(conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et personnes
handicapées) a transmis, le 17 avril, des propositions à monsieur Olivier Véran, ministre des
solidarités et de la santé.
44. · 10 février 2020 : Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) : Outils et
ressources soins palliatifs et covid-19. Antalgie des douleurs rebelles et pratiques sédatives chez
l’adulte : prise en charge médicamenteuse en situations palliatives jusqu’en fin de vie.
Recommandation de bonne pratique.
· 13 mars 2020 : Covid-19 : Contribution du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) : Enjeux
46. Les kinésithérapeutes sont autorités à pratiquer des actes de télésoin à la suite de l’arrêté du
16 avr. 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de
fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le
cadre de l’état d’urgence sanitaire.
47. La Cour de justice de la République, juridiction d’exception apte à juger les membres du
gouvernement, pourrait être supprimée selon le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau
de la vie démocratique présenté en conseil des ministres le 28 août 2019. Les ministres seraient
jugés par la cour d’appel de Paris.
par Cécile Manaouil, médecin légiste, professeur de médecine légale et docteur en droit
Civil 21-02-2020
Dans le cas où un droit qu’une personne tire de la Convention est confronté à un droit qu’une autre personne tire
également de cette Convention, une marge d’appréciation importante droit être reconnue au bénéfice de l’État.
C’est au regard de cette marge d’appréciation que la Cour européenne des droits de l’homme estime que la
société Sanofi a bénéficié d’un procès équitable lorsqu’elle a été condamnée à indemniser une jeune fille atteinte
de sclérose en plaques à la suite de l’injection d’un vaccin contre l’hépatite B.
Dans cette espèce, une élève infirmière, assujettie en raison de son métier à certaines obligations de vaccination,
subit une vaccination contre l’hépatite B entre 1992 et 1994, le vaccin étant fabriqué par Sanofi. Elle présente dès
1993 une sclérose en plaques, suivie de plusieurs autres affections, qu’elle impute au vaccin. Elle engage
plusieurs procédures, rappelées par la CEDH.
Tant devant l’ordre administratif, saisi sur le fondement de la responsabilité de l’État, que devant les juridictions
de l’ordre judiciaire, saisies en raison de l’aggravation de son état, la jeune femme obtient gain de cause :
condamnation de l’État français d’une part, condamnation de la société Sanofi, fabricant du vaccin, d’autre part.
La société Sanofi soutenait que les modalités de fixation du point de départ du délai de prescription de l’action en
réparation dirigée contre elle avaient, de fait, rendu cette action imprescriptible.
En principe, la prescription d’une action en responsabilité en droit français est de 10 ans à compter de la date de
la consolidation. Or dans cette espèce, aucune date de consolidation n’avait été retenue par les juges du fond, et
ce, en raison de l’évolution constante de l’état de la victime, rendant ainsi quasiment imprescriptible, selon
Sanofi, l’action en réparation.
Devant la Cour européenne, la société Sanofi soutient que « si le demandeur en réparation doit pouvoir agir en
justice dans un délai suffisant », « celui dont la responsabilité est recherchée doit se voir reconnaître le droit à un
point de départ effectif de la prescription afin de ne pas être indéfiniment exposé à un recours ». Elle fait
également valoir que « la proximité entre l’acte vaccinal et l’apparition des premiers symptômes étant l’un des
éléments retenus par les juridictions pour établir un lien de causalité entre l’un et l’autre », la demanderesse
avait, finalement, connaissance de son dommage avant que dix ans se soient écoulés.
Le gouvernement français soutenait quant à lui que retenir la date de consolidation permet aux personnes
atteintes de pathologies évolutives d’avoir un accès effectif à un tribunal. Accès dont elles seraient privées si la
date de vente du vaccin était retenue comme point de départ de la prescription.
Retenir la date de d’apparition des symptômes aurait par ailleurs pour conséquence d’obliger la victime à
multiplier les recours, et donc mettrait à sa charge un formalisme excessif.
La CEDH rappelle les différentes positions précédemment adoptées dans des circonstances où se trouvaient en
cause ce type de principe - restrictions légitimes du droit d’accès à un tribunal, principe de sécurité juridique - et
constate que cette décision est donc rendue dans « une situation où un droit qu’une personne tire de la
Convention se trouve confronté à un droit qu’une autre personne tire également de la Convention : le droit à la
sécurité juridique de la requérante (Sanofi) d’un côté ; le droit à un tribunal de X (la victime), de l’autre ».
Ainsi, « dans un tel cas de figure, la mise en balance des intérêts contradictoires des uns et des autres est
difficile à faire, ce qui plaide en faveur de la reconnaissance d’une marge d’appréciation importante au bénéfice
de l’État ».
Eu égard à cette marge d’appréciation, la Cour « n’entend donc pas s’immiscer dans les choix opérés par les
États pour parvenir à cet équilibre ». C’est donc au prisme de cette règle que la CEDH examine les différents
mécanismes mis en place par l’État français et estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la
Convention à raison des modalités de fixation de l’action en réparation dirigée contre la société requérante.
Examinant l’état du droit français en matière de prescription de l’action en responsabilité civile extracontractuelle,
la CEDH se refuse à remettre en cause les choix ainsi opérés.
« S’agissant en particulier de la balance à faire dans le contexte de la prescription de l’action en réparation entre
le droit d’accès à la justice de la victime et le droit à la sécurité juridique du défendeur, en appliquant les règles de
procédure pertinentes, les juridictions internes devaient éviter à la fois un excès de formalisme, qui porterait
atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive, qui aboutirait à supprimer les conditions de
procédure établies par les lois ».
C’est donc à l’unanimité que la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 à ce titre.
Elle conclut également, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1 à raison du défaut de motivation du rejet de la
demande de renvoi préjudiciel à la CJUE.
JCl. Responsabilité civile et Assurances, Synthèse 230 : Lien de causalité ; JCl. Responsabilité civile et
Assurances, Synthèse 800 : Charge de la preuve et admissibilité des modes de preuve ; JCl. Administratif,
Synthèse 320 : Responsabilité ; JCP E 2014, 1419 ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 60
La Cour de cassation rappelle, encore une fois, la distinction de droit judiciaire privé bien connue
entre défense au fond et exception de procédure. En précisant que l’absence de transmission d’un
avis médical au greffe de la cour d’appel est une défense au fond, ce moyen peut être invoqué en
tout état de cause. Encourt donc la cassation pour violation de la loi, l’ordonnance du premier
président de la cour d’appel écartant ce moyen car non invoqué in limine litis. Le croisement entre
procédure civile et majeur vulnérable appelle plusieurs observations sur cet arrêt promis à
publication.
La défense au fond et l’exception de procédure présentent des similitudes, certes, mais leur
distinction est fondamentale en procédure civile (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer,
Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 283, n° 363). On connaît que trop bien
l’intérêt de bien les séparer dans le régime juridique de chaque qualification : la défense au fond
est invocable « en tout état de cause » et l’exception de procédure l’est seulement in limine litis,
soit avant toute défense au fond. À l’instar du moyen tiré de la nullité du certificat médical (Civ. 1re,
19 déc. 2019, n° 19-22.946, préc.), l’absence de transmission de l’avis du médecin au greffe de la
cour d’appel interpelle sur l’hésitation dans la qualification du moyen la relevant. Si le résultat
balance du côté de la défense au fond, c’est à notre sens pour deux raisons majeures. D’une part,
une raison procédurale. L’absence de transmission de cette pièce intéresse le fond du dossier et
non seulement une question de procédure. L’avis médical permet d’éclairer sur la poursuite de la
mesure que le premier président peut ou non prononcer. En l’espèce, l’avis était indispensable
puisque le JLD avait refusé le prolongement de la mesure alors que le premier président l’ordonnait
in fine. Ainsi, on retrouve bien ce qui constitue le point commun de toutes les défenses au fond :
attaquer de front la prétention adverse (v. Rép. pr. civ., v° Défenses, exceptions, fins de
non-recevoir, par I. Pétel-Teyssié, n° 10). Distinguer les deux notions reste toutefois très délicat. La
porosité entre les concepts invite à une prudence importante en la matière. D’autre part, la Cour de
cassation tend à mieux délimiter la temporalité des moyens dans cette procédure particulière et
assez rapide étant donnée la privation de liberté qu’elle emporte sans le consentement de la
personne. Cette chronologie reste bien dessinée à l’aide de cette distinction procédurale puisque la
défense au fond peut être invoquée à toute étape du procès ; ce qui la distingue singulièrement de
l’exception de procédure. On reconnaît alors l’utilité d’avoir soulevé d’office le moyen car les
parties n’invoquaient pas cette distinction en se concentrant sur une argumentation – peut-être non
vaine – portant sur le moment de la présentation du moyen valablement in limine litis pour l’avocat
de l’intéressée.
Bien évidemment, la solution rappelle des souvenirs sur la solution de décembre 2019. En préférant
la qualification de défense au fond à celle d’exception de procédure, la Haute juridiction facilite
encore plus la défense de l’intéressée. En résulte une grande souplesse dans les qualifications
juridiques. Cette souplesse peut être contestée. Mais ici, la procédure civile a pour rôle de rétablir
le juste curseur entre les droits de l’intéressé et la protection de l’ordre public (sur ce point, v. M.
Primevert, Le contrôle du juge sur les soins psychiatriques sans consentement, JCP 2013. 625).
Solution conforme à l’esprit de la réforme des mesures d’hospitalisation, il faudra toutefois
probablement éviter encore de détricoter la notion d’exception de procédure. La confirmation de la
décision du 19 décembre 2019 invite à se demander qu’est-ce qui constitue réellement une telle
exception au profit de la défense au fond ; toute puissante dans ce contentieux très particulier.
La nullité tirée du certificat médical servant de fondement à une mesure d’hospitalisation forcée
doit être analysée comme une défense au fond, invocable en tout état de cause. Encourt donc la
cassation l’ordonnance du premier président de la cour d’appel qui l’analyse comme une exception
de procédure invocable seulement in limine litis.
La Cour de cassation continue de préciser le régime juridique des soins psychiatriques sans
consentement que nous avons déjà évoqué dernièrement dans ces colonnes (v. Civ. 1re, 4 déc.
2019, n° 18-50.073 ; 5 déc. 2019, n° 19-22.930 et n° 19-21.127, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, obs.
N. Peterka ; ibid., 9 janv. 2019, obs. C. Hélaine). Là encore, l’arrêt se place sur le terrain procédural
en jouant notamment sur la distinction entre défense au fond et exception de procédure en
préférant la première sur la seconde. On sait que cette qualification précise emporte des
conséquences importantes parce qu’elle peut être présentée « en tout état de cause » ; ce qui n’est
pas le cas de l’exception de procédure laquelle doit être invoquée in limine litis. À titre incident,
rappelons également que le pourvoi dirigé contre le directeur de l’établissement est rejeté. Ce
dernier reste avisé de la procédure mais il n’est pas partie à celle-ci. La Cour de cassation rejette
donc logiquement le pourvoi en relevant d’office ce moyen sur le fondement de l’article 1015 du
code de procédure civile. Ceci ne constitue certainement pas le point névralgique de la solution
mais la précision reste utile pour la pratique. L’apport essentiel de l’arrêt réside dans la nullité tirée
du certificat médical servant de fondement à la mesure.
Les faits sont, une nouvelle fois, très classiques dans le contentieux de l’hospitalisation forcée. En
l’espèce, une personne placée en garde à vue le 1er août 2019 est examinée par un médecin
psychiatre. Le rapport d’expertise décrit des troubles psychiatriques sévères qui sont susceptibles
de porter atteinte de façon grave à l’ordre public (décompensation d’une structure sensitive, type
paranoïa de Kretschmer). L’individu est donc admis en soins psychiatriques sans consentement.
Accueilli dans un établissement de soins après l’arrêté d’admission, l’intéressé saisit le juge de la
liberté et des détentions (JLD) aux fins de mainlevée de la mesure d’hospitalisation. Le préfet saisit
également le JLD aux fins de continuation de cette mesure. Devant le premier président de la cour
d’appel d’Aix-en-Provence, l’individu admis en soins psychiatriques argue toutefois un moyen inédit
en invoquant l’irrégularité du certificat médical. Celui-ci serait nul car dressé par un médecin de
l’établissement d’accueil contrairement à ce que prévoit l’article L. 3213-1 du code de la santé
publique. Le psychiatre doit, en effet, exercer dans un autre établissement. Le premier président
déclare irrecevable le moyen car la nullité tirée du certificat serait une exception de procédure,
laquelle devrait être donc invoquée in limine litis. C’est précisément sur ce point que la Cour de
cassation prononce la cassation pour violation de la loi. Pour elle, la nullité du certificat médical ne
peut être qu’une défense au fond invocable « en tout état de cause » et non une exception de
procédure devant être soulevée in limine litis. Voici une solution intéressante tant du point de vue
de la procédure civile que du droit des personnes.
L’article L. 3213-1 du code de la santé publique exige, certes, de dresser un certificat médical mais
la condition d’extériorité doit être respectée. Le médecin psychiatre ne doit pas faire partie de
l’établissement d’accueil où sera placé l’intéressé. Or ce dernier fonde précisément la nullité dudit
certificat sur ce hiatus : le document nécessaire a bel et bien été dressé mais par un des médecins
de l’hôpital psychiatrique dans lequel le placement intervient. Or la condition d’extériorité permet
d’assurer l’absence d’arbitraire dans la procédure de placement sans consentement (sur ce point,
v. Civ. 1re, 5 déc. 2019, n° 19-22.930, préc.). En préférant la qualification de défense au fond à celle
d’exception de procédure, la haute juridiction invite à une défense plus aisée. On comprend alors
une certaine souplesse dans les qualifications juridiques, notamment ici de procédure civile, pour
rétablir le curseur entre les droits de l’intéressé et la protection de l’ordre public (sur ce point, v.
M. Primevert, Le contrôle du juge sur les soins psychiatriques sans consentement, JCP G 2013. 625).
Certes, la condition d’extériorité aurait pu être arguée directement devant le juge des libertés et de
la détention mais la présentation du moyen devant le premier président de la cour d’appel ne doit
pas être mise en défaut par son seul caractère inédit. La procédure civile sert ici les droits de
l’individu sujet de la mesure qui doit pouvoir utiliser cette nullité. Solution heureuse et
bienveillante, il faudra toutefois probablement éviter un dévoiement de ces moyens de défense,
lesquels ne peuvent pas se résumer aux seules défenses au fond.
La Cour de cassation précise à nouveau le régime des soins psychiatriques sans consentement à
travers, cette fois-ci, la comparution du requérant. Le directeur d’établissement qui sollicite la
prolongation de la mesure n’a pas à être présent physiquement pour que le juge de la liberté et des
détentions ou le premier président de la cour d’appel puisse statuer. C’est une solution conforme à
la lettre de l’article R. 3211-15 du code de la santé publique ainsi qu’à la ligne jurisprudentielle
impulsée par la haute juridiction.
Le contentieux de l’hospitalisation d’office porté devant la Cour de cassation est décidément assez
riche ces derniers mois. Après d’utiles précisions sur le certificat médical (v. Civ. 1re, 5 déc. 2019,
n° 19-22.930, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, obs. N. Peterka) ; ou sur les moyens de défense (Civ. 1
re
, 15 janv. 2020, n° 19-12.348, Dalloz actualité, 31 janv. 2020, obs. C. Hélaine), la haute juridiction
continue de dessiner les contours procéduraux de la matière. Dans cet arrêt, c’est la question de la
comparution effective du directeur d’établissement qui était au cœur de la discussion. Faut-il que le
requérant soit ainsi présent à l’audience ou peut-on se passer de sa comparution ? La réponse
paraît plutôt facile à deviner mais la précision reste toutefois utile dans ce contentieux particulier
où les droits fondamentaux d’un individu sont patents. Les faits sont classiques, encore une fois, en
matière d’hospitalisation sans consentement. Un majeur présente des troubles du comportement
avec agressivité et syndrome de persécution. Sa mère demande donc son hospitalisation en
urgence. L’homme est interné sans consentement par décision du directeur d’établissement sur le
fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique. Le directeur de l’hôpital saisit le juge
des libertés et de la détention (JLD) pour poursuivre la mesure. L’ordonnance rendue par le JLD
prolonge l’hospitalisation en raison des éléments établis dans le certificat médical faisant état de
diverses pathologies conjuguées à un apragmatisme ancien, un trouble du jugement et une
désorganisation de la pensée notamment. Devant la haute juridiction, le majeur axe son
argumentation sur un point procédural encore inédit devant la Cour de cassation à nos yeux : faut-il
que le requérant – bien souvent le directeur d’établissement – soit présent ou représenté pour que
l’ordonnance soit rendue ? La Cour de cassation répond par la négative en précisant que cette
comparution est facultative ; le juge pouvant toujours ordonner le contraire. Voici donc une
précision procédurale d’une faible difficulté théorique mais tout de même intéressante sur le fond
pour éviter la paralysie des mesures d’hospitalisation sans consentement. On devine aisément que
ce moyen soulevé par le majeur hospitalisé était une stratégie de dernier recours mais il s’agit
d’une stratégie qui aurait pu produire ses fruits.
Sur le plan de la procédure, la ratio decidendi découle en réalité de la lettre de l’article R. 3211-15
du code de la santé publique, lequel précise : « les personnes convoquées ou avisées peuvent faire
parvenir leurs observations par écrit, auquel cas il en est donné connaissance aux parties présentes
à l’audience. Le juge peut toujours ordonner la comparution des parties ». Le verbe pouvoir, qui
n’est pas synonyme ici de devoir, implique que l’argumentation du demandeur au pourvoi était
vouée à l’échec. Le premier président de la cour d’appel n’avait pas d’autre choix que de répondre
à la demande de poursuite de la mesure. La solution présente deux avantages majeurs. D’une part,
d’un point de vue de l’application de la procédure et de son efficacité, la réponse de la Cour de
cassation parvient à convaincre sans problème. Le directeur d’établissement n’a pas, en effet,
forcément la possibilité de se rendre à une audience de prolongation de mesure pour toutes les
personnes hospitalisées sans consentement. Le texte utilisé comme soutien à la motivation ne
permet d’ailleurs guère d’hésitation tant il ne prévoit l’audition du requérant qu’à titre facultatif par
le verbe utilisé dans sa lettre. Le but reste d’éclairer le juge en cas de nécessité et non d’exiger
dans toutes les procédures une telle audition. D’autre part, la solution est temporisée par la
possibilité offerte au directeur de l’établissement de faire parvenir par écrit ses observations ou de
se faire représenter. En cas de difficulté, le juge peut de toute manière ordonner sa comparution.
Cette possibilité est importante mais, en l’espèce, elle n’a pas été utilisée. La procédure était donc
tout à fait irréprochable sur ce point de vue.
L’arrêt permet également de bien mesurer l’importance du curseur entre le droit des personnes
placées sous une mesure d’hospitalisation sans consentement et l’ordre public. Ici, c’est la
protection du second qui l’emporte sur le premier. En évitant que la prolongation soit reportée à
une date ultérieure, la Cour de cassation invite à la prudence. Elle sauvegarde la prolongation et
son éventuelle urgence pour la protection de l’ordre public. L’absence du requérant ne permet donc
pas de remettre en cause une ordonnance de prolongation. Il faut accueillir cette solution avec
bienveillance tant elle ménage les intérêts en présence. La comparaison avec les autres solutions
rendues ces dernières semaines confirme ce constat. Les droits de l’intéressé sont strictement
contrôlés mais il ne faut pas voir des brèches procédurales partout pour sauvegarder l’efficacité de
ces mesures.
La défaillance de l’outil informatique doit être analysée comme une « circonstance exceptionnelle »
au sens de l’article L. 3211-12-1, IV°, du code de la santé publique. Ainsi, quand un tel
dysfonctionnement a empêché la saisine du juge des libertés et de la détention, la mainlevée
automatique de la mesure n’est pas retenue. Ce faisant, il faut revenir à un débat sur le fond au
sujet de la nécessité du maintien dans l’établissement.
1. Pétrone et Jean de La Fontaine l’avaient bien vu : la rareté donne du prix à la chose. L’arrêt
rendu par la première chambre civile en date du 5 juin 2020 est ainsi tout aussi rare que précieux
pour la compréhension du régime procédural de l’hospitalisation complète. Il s’agit, à notre
connaissance, de l’un des seuls arrêts de la Haute juridiction portant sur « les circonstances
exceptionnelles » évoquées par l’article L. 3211-12-1, IV°, du code de la santé publique. Rappelons
le contexte : cette disposition évoque les modalités de poursuite d’une hospitalisation complète
sans consentement ou à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale. Pour ce faire, le juge des
libertés et de la détention (JLD) doit être saisi par le directeur d’établissement ou par le
représentant de l’État (en pratique, le Préfet). La mesure ne peut pas être renouvelée si le JLD ne
statue pas sur la mesure dans un jeu de différents délais selon les circonstances factuelles (1°, 2°
et 3° dudit article). Quelle réaction adopter en l’absence de saisine dans ce jeu de délais assez
brefs mais variés (entre 12 jours et 6 mois) ? Le IV° du texte prévoit alors un couperet procédural :
la mainlevée de la mesure est alors acquise pour l’intéressé ; mainlevée constatée même « sans
débat » (sur ce point précis, Civ. 1re, 24 mai 2018, n° 17-21.056, Dalloz actualité, 6 juin 2018, note
N. Peterka). Mais, et c’est là le point essentiel qui nous préoccupe aujourd’hui, il peut être fait
échec à cette mesure par le jeu d’une « circonstance exceptionnelle ». Une telle qualification
appelle à une certaine prudence, l’exception ne devant pas devenir le principe. Cet arrêt rendu
récemment vient ainsi apporter un exemple de ce qu’il faut entendre par cette expression ;
exemple qui pourrait ne pas être si exceptionnel compte tenu de la situation actuelle.
2. Les faits de cette décision sont assez classiques dans le cadre de l’hospitalisation complète d’un
patient nécessitant des soins psychiatriques. En l’espèce, une personne est déclarée pénalement
irresponsable car un trouble psychique ou neuropsychique a aboli son discernement ou le contrôle
de ses actes au moment des faits. Son hospitalisation complète est ainsi ordonnée sur le fondement
de l’article 706-135 du code de procédure pénale. Il est hospitalisé le 27 mars 2019. Le 19
septembre de la même année, le Préfet saisit le JLD aux fins de renouvellement de la mesure. Mais
l’intéressé argue que le délai pour saisir le juge n’est pas respecté. En la matière, l’article L.
3211-12-1, I, 3°, impose une saisine au moins quinze jours avant l’expiration du délai de six mois.
Le début de l’hospitalisation étant fixée au 27 mars 2019, les six mois sont alors portés au 27
septembre 2019 et la saisine ne doit donc pas intervenir après le 12 septembre (quinze jours avant
l’expiration). Or, le logiciel utilisé pour le calcul du délai indiquait le 19 septembre et non le 12,
capture d’écran à l’appui. En appel, le premier président de la Cour d’appel de Besançon y voit une
circonstance exceptionnelle nécessitant de ne pas ordonner la mainlevée de la mesure. L’intéressé
se pourvoit en cassation défendant l’idée selon laquelle le délai pouvait être compté sans logiciel,
ce qui aurait évité cette circonstance en somme peut-être moins exceptionnelle qu’il n’y paraît. La
Haute juridiction rejette le pourvoi en précisant que le premier président de la cour d’appel de
Besançon a pu déduire qu’il s’agissait bien d’une telle circonstance de l’article L. 3211-12-1, IV°, du
code de la santé publique. L’arrêt intéresse évidemment les soins psychiatriques et plus
particulièrement leurs contours procéduraux mais également le rapport entre droit et intelligence
artificielle dans un contexte troublé.
3. L’arrêt n’intriguera que peu les commentateurs réguliers des soins psychiatriques sans
consentement. Malgré la rareté de la solution, la position doit être accueillie avec bienveillance.
Certes, le caractère exceptionnel des circonstances impose une interprétation stricte et c’est sur ce
point – bien que non explicité – que le demandeur au pourvoi s’appuyait. L’argumentation reposait
notamment sur la possibilité de ne pas recourir au logiciel pour compter le délai. Certes, le logiciel
ne fait qu’aider ou de suppléer du moins cette tâche mais une telle délégation se comprend
aisément quand on connaît le nombre de dossiers concernés et les attributions plurielles de l’auteur
de la saisine. D’un point de vue procédural, la solution ne surprend donc pas : elle rappelle le
constant balancement entre droits de l’intéressé et protection de l’ordre public. La personne
hospitalisée l’était à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale sur le fondement de l’article
706-135 du code de procédure pénale et la poursuite de la mesure pouvait donc parfaitement
s’imposer si les conditions le permettaient. On aurait mal compris qu’une erreur informatique
puisse faire échec à la nécessité d’un renouvellement. Autrement dit, la mainlevée automatique
prévue par le texte aurait déséquilibré ce jeu délicat entre ordre public et droits de la personne
hospitalisée. Notons que la prorogation de la mesure n’est alors pas automatique mais « soumise
aux droits de la défense » comme le souligne l’arrêt. Plusieurs questions restent en suspens.
Citons-en une : la défaillance de l’outil informatique est-elle isolée ? Si ce n’est pas le cas, plusieurs
autres dossiers ont peut-être été concernés par une telle erreur dans le compte du délai. Cet arrêt
trouve d’ailleurs un certain écho dans l’ordonnance n° 2020-595 commentée dernièrement (Ord. n°
2020-595 du 20 mai 2020, Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. C. Hélaine). L’intéressé peut toujours
demander à ce que le juge puisse examiner ses prétentions, malgré la crise sanitaire que nous
traversons. Certes, il faudra recourir probablement à la visioconférence mais le but du texte reste
de permettre un accès au juge préservé. Ces dispositions devraient rapidement disparaître compte
tenu de la décision récente de ne pas maintenir l’état d’urgence sanitaire au-delà du 10 juillet
2020.
4. Que nous apprend cet arrêt en termes d’erreur de l’intelligence artificielle ? Peu de choses
explicitement, plus implicitement. On sait le sujet d’actualité (V. not., S. Mérabet, Vers un droit de
l’intelligence artificielle, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèse », Vol. 197, 2020, préf. H.
Barbier). Ici, l’erreur du logiciel constaté par une capture d’écran aurait pu conduire à ne pas
examiner la nécessité de la prolongation de la mesure. L’argumentation du demandeur au pourvoi
se retourne alors contre lui. Le cadre procédural des mesures d’hospitalisation complète ne peut
pas se satisfaire d’une simple erreur d’un algorithme. En faisant intégrer les « défaillances de l’outil
informatique » à la catégorie des « circonstances exceptionnelles », le couperet procédural de la
mainlevée de la mesure est certes régulé mais ne l’est-il pas dangereusement ? On sait qu’un
logiciel n’est pas forcément exempt de bugs réguliers et même si des mises à jour peuvent régler
un pan de l’algorithme défectueux, d’autres erreurs peuvent naître notamment par conflits de
mises à jour entre l’explorateur et le logiciel. Or, ces erreurs peuvent se répercuter sur la fonction
du logiciel, ici compter le délai pour saisir le JLD. Il faudra donc veiller à ce que cette circonstance
reste « exceptionnelle » comme le prévoit l’article L. 3211-12-1, IV°, du code de la santé publique.
En somme, toutes les erreurs informatiques ne peuvent pas rejoindre cette catégorie. Par exemple,
une erreur commise par le logiciel en raison d’une défaillance humaine (par exemple une date mal
renseignée dans les champs à remplir) ne devrait pas s’analyser en une circonstance
exceptionnelle. Sans cette appréhension assez stricte du jeu de ces exceptions, les droits de
l’intéressé seraient alors mis à mal. L’équilibre passe alors par un jeu subtil mais néanmoins
essentiel de nuances factuelles.
La Cour de cassation rappelle que, malgré la fuite de la personne placée sous un régime
d’hospitalisation contrainte, la mainlevée de la mesure ne peut intervenir qu’après expertise par
deux psychiatres. Elle rappelle également la différence entre un moyen et une prétention dans ce
cadre original : ainsi, une exception de nullité de la procédure d’hospitalisation forcée peut être
examinée pour la première fois en appel, ici devant le premier président de la cour d’appel.
La haute juridiction continue de construire un régime équilibré des soins psychiatriques contraints
(v. sur ce point Civ. 1re, 5 déc. 2019, n° 19-22.930, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, obs. N. Peterka ;
D. 2019. 2419 ). Pour ce faire, elle n’hésite pas à osciller entre protection des droits de l’intéressé –
par exemple en permettant d’invoquer une exception de nullité en appel – et protection de l’ordre
public – en régulant la terminaison de la mesure. Ce n’est pas qu’un jeu subtil de nuances, le but
reste de préserver les intérêts en présence (JCP Adm. 2019. 2199, spéc. n° 1, obs. M.-L.
Moquet-Anger). Rappelons l’originalité des mesures d’hospitalisation forcée : elles peuvent être
ordonnées par l’autorité judiciaire comme par l’autorité administrative (Rép. civ., v° Troubles
psychiques – Malades mentaux, par E. Bonis, n° 152). Les deux arrêts étudiés présentent toutefois
des différences factuelles importantes. Malgré ceci, elles permettent des interrogations
transversales que nous tenterons au moins d’évoquer. À titre préliminaire, rappelons que ces deux
arrêts s’inscrivent dans la nouvelle rédaction des décisions de la Cour de cassation, sans attendu et
divisés clairement entre faits et solutions.
Dans la première affaire (pourvoi n° 18-50.073), l’hospitalisation forcée se conjuguait avec la fuite
de l’intéressé. Un tribunal correctionnel admet, le 29 avril 2015, l’irresponsabilité pénale d’une
personne physique alors qu’elle était poursuivie du chef d’agression sexuelle. Le tribunal ordonne
également son admission en soins psychiatriques sans consentement par application combinée des
articles 122-1 du code pénal et 706-135 du même code. En juin 2015, l’intéressé est en fuite. Le
préfet demande la prolongation de la mesure. Le juge des libertés et de la détention la prolonge, à
plusieurs reprises, par application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Mais alors
que le préfet demande à nouveau une prolongation, le juge ordonne la fin de la mesure en 2018.
Pour justifier le rejet de la prolongation, l’ordonnance retient « qu’aucun renseignement n’a été
fourni par l’administration sur sa situation actuelle, au point que l’on ignore si le patient se trouve
toujours sur le territoire français, est encore en vie, s’il est possible de présumer que sa dangerosité
n’a pas disparu ou, au contraire, que plus rien dans son état de santé ne justifie un enfermement,
de sorte qu’il n’est ni possible ni souhaitable de laisser perdurer durant des années cette
situation ».
La Cour de cassation casse et annule sèchement cette solution. La violation de la loi est
consommée dès lors que le juge des libertés et de la détention constate l’absence des deux
expertises requises légalement pour établir la dangerosité du patient. Voici une solution très
intéressante sous l’angle de la procédure des mesures d’hospitalisation forcée. Toutefois, l’arrêt
demeure une application littérale des textes visés : sans expertise, la mesure ne peut pas prendre
fin. Il n’en reste pas moins que le raisonnement peut interroger. La position du premier président de
la cour d’appel de Paris était compréhensible sur le plan factuel. Le principal intéressé étant en
fuite, les expertises demandées par l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique paraissaient
délicates à réunir. Mais une telle difficulté ne doit pas permettre automatiquement une mainlevée
de la mesure. Au contraire, elle encourage une sorte de continuité de l’hospitalisation forcée,
jusqu’à ce que la preuve de l’absence de la dangerosité de la personne soit rapportée par les deux
psychiatres. L’arrêt apporte donc, avec cette solution, une nouvelle précision au régime de
l’admission en soins psychiatriques (v. ainsi, pour une simple mise en examen, Crim. 29 nov. 2017,
n° 16-85.490, Dalloz actualité, 4 janv. 2018, obs. V. Morgante ; D. 2017. 2479 ; AJ pénal 2018. 87,
obs. J.-B. Thierry ). La Cour de cassation imprime ainsi une sorte d’automatisme de la reconduction
de la mesure dans ces situations où l’intéressé n’est pas trouvable. Sur ce point, on peut
comprendre une certaine réticence des juges à permettre la levée de la mesure : la fuite ne peut
pas permettre d’évacuer l’exigence légale des expertises. Le but reste de pouvoir appliquer
l’hospitalisation forcée une fois la personne retrouvée. L’argumentation de l’ordonnance du premier
président de la cour d’appel se fondait surtout sur l’écoulement du temps. La mesure ayant été
ordonnée en 2015, la mainlevée de 2018 prenait comme point de départ l’étiolement probable mais
non prouvé de la dangerosité de l’intéressé. La solution était aussi axée sur les intérêts de la
personne devant être hospitalisée. Mais, dans le rapport de force entre droits de celui objet de la
mesure et ordre public, la Cour de cassation fait ici primer le second sur le premier. Ainsi, la haute
juridiction préserve l’utilité de l’hospitalisation contrainte.
Dans la seconde affaire (pourvoi n° 19-21.127), la réponse donnée est à la confluence entre
procédure civile et droit des personnes. Une personne est admise en soins psychiatriques sans
consentement le 21 octobre 2018. Le préfet saisit le juge des libertés et de la détention pour
prolonger cette mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Le
premier président de la cour d’appel de Paris refuse dans son ordonnance de prolongation
d’examiner des exceptions de nullité soulevées par l’intéressé seulement en cause d’appel. Ces
exceptions étaient pourtant solidement argumentées par un problème de motivation de
l’ordonnance et un incident dans la notification de l’arrêté d’admission en soins psychiatriques.
L’ordonnance indique, pourtant, que ces moyens devaient avoir été soutenus devant le juge des
libertés et de la détention pour être examinés en appel. Là encore, la cassation pour violation de la
loi intervient. Se fondant à la fois sur le code de procédure civile et sur le code de la santé publique,
la haute juridiction précise que le premier président devait analyser l’exception de nullité même si
elle n’était présentée qu’en cause d’appel pour la première fois. Ce vocabulaire bien connu des
spécialistes de procédure civile rappelle toutefois que les différences entre prétention, moyen et
argument peuvent être « assez tenues » (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer,
Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 936, spéc. n° 1331). La seule exception à
ce régime de l’exception de nullité repose sur une éventuelle décision définitive statuant sur les
irrégularités soulevées. Or la Cour de cassation précise qu’il n’y en avait aucune en l’espèce. La
solution vient, là encore, probablement assurer un équilibre entre les droits de la personne objet de
la mesure et l’ordre public. L’examen de l’ensemble des moyens nouveaux paraît de toute manière
imparable comme en témoigne l’article 563 du code de procédure civile (v. Rép. pr. civ., v° Appel,
par F. Ferrand, n° 1072). La Cour de cassation refuse ainsi la justification du premier président de la
cour d’appel qui pensait voir dans le contrôle systématique du juge des libertés et de la détention
une « purge de toutes les irrégularités de la procédure de soins psychiatriques sans
consentement ». L’argumentation de ratio legis s’évapore toujours devant la lettre du texte, ici de
l’article 563 du code de procédure civile (sur la confrontation de la ratio legis, v. J.-L. Bergel, Théorie
générale du droit, 5e éd., Dalloz, 2012, p. 280, spéc. n° 221). Sous l’angle de la technique juridique,
l’admission de l’examen des exceptions de nullité de la procédure paraît donc tout à fait pertinente.
Elle permet, en réalité, d’arriver à l’objectif que le premier président évoque : purger toutes les
irrégularités de procédure dans le contexte particulier de l’absence de consentement.
• quant au début de la procédure, celle-ci doit être purgée de toute irrégularité. Mais, à ce niveau,
le juge des libertés et de la détention comme le premier président de la cour d’appel sont
compétents pour examiner des exceptions de nullité ;
Gageons que la Cour de cassation continue son méticuleux travail de précision, lequel demeure le
garant d’une procédure d’hospitalisation forcée respectueuse des intérêts en présence.
Voici un renvoi devant le Conseil constitutionnel bien singulier mais attendu. La transmission de
cette question prioritaire de constitutionnalité fait écho à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 sur
les mesures d’hospitalisation sans consentement. La situation présente beaucoup d’intérêt pour la
matière car si le texte est déclaré inconstitutionnel, une réforme s’imposera dans une matière très
délicate tant l’ordre public et sa protection doivent être constamment balancées avec le maintien
fondamental des droits des personnes internées sans consentement. L’affaire présentait peu
d’originalité comme dans chaque cas porté devant la Cour de cassation à ce sujet. En l’espèce, une
personne est admise dans un établissement hospitalier sans consentement avec internement
complet à la demande d’un tiers sur le fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé
publique. La semaine suivante, le directeur de l’établissement accueillant la personne concernée
demande le prolongement de la mesure. Il saisit donc le juge des libertés et de la détention (JLD) à
cette fin. L’intéressé soulève une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de l’article
L. 3222-5-2 du code de la santé publique que le JLD transmet alors à la Cour de cassation. Cet
article prévoit dans son alinéa 2 : « Un registre est tenu dans chaque établissement de santé
autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour
assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour
chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant
décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant
surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur
demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des
lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires ». Devant la Haute juridiction,
on retrouve alors une précision utile : c’est notamment l’interprétation jurisprudentielle de l’article
qui pose des difficultés. Dans un arrêt remarqué (Civ. 1re, 21 nov. 2019, n° 19-20.513, Dalloz
actualité, 16 déc. 2019, obs. V.-O. Dervieux), la Cour de cassation avait précisé que « [qu’]aucun
texte n’impose la production devant le juge des libertés et de la détention du registre prévu à
l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique consignant les mesures d’isolement et de
contention, lesquelles constituent des modalités de soins ». Une distinction subtile entre mesure de
soins et procédure d’hospitalisation sans consentement justifiait la solution. C’est de cette absence
du contrôle systématique du juge qui peut interférer avec l’article 66 de la Constitution du 4
octobre 1958.
Comme le note la doctrine (Rép. pr. civ., v° QPC, par G. Deharo, n° 70), trois conditions doivent être
réunies pour transmettre une QPC au Conseil constitutionnel. D’abord, la disposition contestée doit
être applicable au litige ou servir de fondement aux poursuites. C’est bien le cas ici de l’intéressée
puisque le litige intéresse la poursuite d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement à
l’égard d’une personne placée à l’isolement. Ainsi, l’article L. 3222-5-2 du code de la santé publique
est au cœur de l’affaire qui a introduit la QPC. Ensuite, la disposition ne doit pas avoir été déjà
déclarée conforme par le Conseil constitutionnel. On sait que le processus de réforme a été long et
la décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 était muette sur la conformité de l’article L.
3222-5-2 du code de la santé publique. Le Conseil peut l’analyser a posteriori car la décision de
contrôle ne portait pas sur cette partie du texte. Enfin, il faut que la question présente un caractère
sérieux. C’est ici le point crucial : en rejetant un contrôle systématique du juge des registres de
l’article L. 3222-5-2 du code de la santé publique, la disposition pourrait heurter l’article 66 de la
Constitution du 4 octobre 1958. L’autorité judiciaire est garante des libertés individuelles et cette
mesure pourrait nécessiter un contrôle systématique du juge. Or, dans sa décision du 21 novembre
2019, la Cour de cassation précise que « les mesures d’isolement et de contention constituent des
modalités de soins ne relevant pas de l’office du juge des libertés et de la détention, qui s’attache à
la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le
bien-fondé. En conséquence, est inopérant le grief tenant au défaut de production devant le JLD de
copies du registre consignant ces mesures en application de l’article L. 3222-5-1 du code de la
santé publique ». Il en résulte que le contrôle du juge échappe aux mesures d’isolement et de
contention car elles sont analysées comme des mesures de soins et non comme une partie de la
procédure.
Dix millions d’euros par semestre de retard, l’astreinte la plus élevée qu’aura à payer l’État pour le
contraindre à exécuter une décision de 2017 en matière d’environnement. Ce faisant, lie Conseil
d’État crée un mécanisme novateur d’affectation de l’astreinte.
CE, ass., 10 juill. 2020, Association les Amis de la terre France et autres, n° 428409
Le Conseil d’État avait enjoint en juillet 2017 au Premier ministre et au ministre de l’environnement
de prendre les mesures nécessaires pour que soient élaborés, dans treize zones du pays, des plans
relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en
particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de
l’environnement (CE 12 juill. 2017, n° 394254, Association Les Amis de la Terre France, Lebon ;
AJDA 2018. 167 , note A. Perrin et M. Deffairi ; ibid. 2017. 1426 ; D. 2017. 1474, et les obs. ;
RFDA 2017. 1135, note A. Van Lang ; RTD eur. 2018. 392, obs. A. Bouveresse ). Après quatre
année d’inertie, l’Association Les amis de la Terre obtient la plus importante condamnation de l’État
: « une astreinte est prononcée à l’encontre de l’État, s’il ne justifie pas avoir, dans les six mois
suivant la notification de la présente décision, exécuté la décision du Conseil d’État du 12 juillet
2017, pour chacune des zones énumérées au point 11 des motifs de la présente décision, et jusqu’à
la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 10 millions d’euros par semestre, à
compter de l’expiration du délai de six mois suivant la notification de la présente décision. »
54 000 € par jour de retard, un montant record mais que l’État pourrait ne pas payer. L’assemblée
du contentieux lui laisse six mois pour exécuter la décision de 2017. Preuve d’une contrainte
importante et embarrassante, la nouvelle ministre de la transition écologique n’a pas réagi tout de
suite car des moyens ont été mis en place mais ils sont insuffisants. Le Conseil d’État relève que le
plan élaboré en 2019 pour la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) comporte des mesures précises,
détaillées et crédibles pour réduire la pollution de l’air et assure un respect des valeurs limites d’ici
2022. En revanche, les « feuilles de route » élaborées par le gouvernement pour les autres zones
ne comportent ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les
délais de réalisation de ces objectifs. Enfin, s’agissant de l’Île-de-France, le Conseil d’État relève
que si le plan élaboré en 2018 comporte un ensemble de mesures crédibles, la date de 2025 qu’il
retient pour assurer le respect des valeurs limites est, eu égard aux justifications apportées par le
gouvernement, trop éloignée dans le temps pour pouvoir être regardée comme assurant une
correcte exécution de la décision de 2017.
Hormis pour la vallée de l’Arve, il en résulte « que pour les [zones administratives de surveillance]
Grenoble et Lyon, pour la région Auvergne – Rhône-Alpes, Strasbourg et Reims, pour la région
Grand-Est, Marseille-Aix, pour la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulouse, pour la région
Occitanie et Paris, pour la région Île-de-France, s’agissant des taux de concentration en dioxyde
d’azote, et pour les ZAS Paris et Fort-de-France, s’agissant des taux de concentration en PM10, à la
date de la présente décision, l’État ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes
propres à assurer l’exécution complète de cette décision. L’État n’a pas pris des mesures
suffisantes dans les 8 zones encore en dépassement pour que sa décision de juillet 2017 puisse
être regardée comme pleinement exécutée. »
En l’espèce, la demande d’astreinte est irrecevable en ce qui concerne les associations qui ne
peuvent être regardées comme des parties intéressées au sens de l’article R. 931-2 du code de
justice administrative parce que leur champ d’action territorial ne couvre aucune des zones
concernées par l’injonction prononcée par la décision dont l’exécution est demandée, d’une part,
ou eu égard à leur objet social, d’autre part.
En revanche, au prix d’une novation majeure en la matière, l’assemblée du contentieux précise que
« la juridiction a la faculté de décider, afin d’éviter un enrichissement indu, qu’une fraction de
l’astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, […] cette fraction est alors affectée au budget
de l’État. » Or, l’État étant débiteur de l’astreinte en cause, l’assemblée du contentieux estime que
« lorsque cela apparaît nécessaire à l’exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction
peut, même d’office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou
des personnes morales concernées, décider d’affecter cette fraction à une personne morale de droit
public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport
avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant,
conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet. »
Habituellement, ce sont les requérants qui bénéficient du montant total des amendes. Mais le
Conseil d’État a estimé que cette somme était trop élevée pour qu’elle revienne aux seules
associations requérantes. Il prévoit donc la possibilité de la reverser à des personnes publiques en
charge de la qualité de l’air. Lors de l’audience, le rapporteur public avait proposé qu’elle le
versement auprès de l’Ademe (Agence de la transition écologique).
Dans un arrêt du 25 juin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) donne une
interprétation large de la notion de plans et programmes qui doivent être soumis à évaluation
environnementale en application de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001.
Cette obligation peut concerner une circulaire fixant des règles pour la construction d’éoliennes. La
Cour limite strictement la possibilité pour une juridiction nationale de maintenir les effets d’un
permis de construire attribué en application d’actes contraires au droit de l’Union pour défaut
d’évaluation environnementale.
La CJUE était saisie par le Conseil du contentieux des permis, juridiction spécialisée belge, d’une
série de questions préjudicielles dans le cadre d’un litige portant sur la construction d’un parc
éolien. Le permis d’urbanisme de ce parc avait été délivré en application d’un arrêté du 1er juillet
1995 (dit Vlarem II) et d’une circulaire de 2006 du gouvernement flamand, réglementant
l’implantation des éoliennes. Des riverains du projet contestaient le permis en invoquant le fait que
ni l’arrêté ni la circulaire n’avaient été soumis à évaluation environnementale.
La Cour confirme sa jurisprudence aux termes de laquelle doivent être soumis à évaluation non
seulement les plans et programmes dont l’édiction est obligatoire mais aussi ceux « dont l’adoption
est encadrée par des dispositions législatives ou réglementaires nationales, lesquelles déterminent
les autorités compétentes pour les adopter et leur procédure d’élaboration ». Par la circulaire de
2006 – qui semble poser des règles extrêmement précises – les autorités flamandes ont fait le choix
« de limiter leur propre pouvoir d’appréciation, en s’obligeant à suivre les règles qu’elles se fixent
de cette manière ». Dès lors, tout en laissant une marge d’appréciation à la juridiction de renvoi, la
CJUE considère que cette circulaire « peut être considérée » comme devant être soumise à
évaluation. Il en va de même du Vlarem II.
Le Conseil du contentieux des permis voulait savoir s’il pourrait, dans le cadre strict fixé par la
jurisprudence France nature environnement (CJUE 28 juill. 2016, aff. C-379/15, France nature
environnement [Assoc.] c. Premier ministre et ministre de l’écologie, du développement durable et
de l’énergie, Dalloz actualité, 29 juill. 2009, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2016. 1541 ; ibid. 2226
; ibid. 2209, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser , note Olga Mamoudy ; D. 2016.
1701 ; RTD eur. 2017. 297, obs. P. Thieffry ; ibid. 400, obs. L. Coutron ; Rev. UE 2016. 449,
édito. F. Chaltiel ), maintenir les effets du permis. La Cour répond que, « lorsqu’il apparaît qu’une
évaluation environnementale, au sens de la directive 2001/42, aurait dû être réalisée avant
l’adoption de l’arrêté et de la circulaire sur lesquels est fondé un permis relatif à l’implantation et à
l’exploitation d’éoliennes contesté devant une juridiction nationale, de sorte que ces actes et ce
permis seraient non conformes au droit de l’Union, cette juridiction ne peut maintenir les effets
desdits actes et de ce permis que si le droit interne le lui permet dans le cadre du litige dont elle
est saisie, et dans l’hypothèse où l’annulation dudit permis serait susceptible d’avoir des retombées
significatives sur l’approvisionnement en électricité de l’ensemble de l’État membre concerné et
uniquement pendant le temps strictement nécessaire pour remédier à cette illégalité ».
Cons. const. 31 janv. 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 QPC
Commentaire de la décision
Introduite par la loi EGALIM (art. 83, L. n° 2018-938, 30 oct. 2018, pour l’équilibre des relations
commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et
accessible à tous, qui ajoute un paragraphe à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche
maritime), l’interdiction de la production, du stockage et de la circulation de produits
phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à
la protection de la santé humaine ou animale ou la protection de l’environnement vient mettre un
terme à la possibilité pour des entreprises de produire en France, exclusivement pour l’exportation,
des pesticides contenant des substances dangereuses non autorisées dans l’Union européenne.
Dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir (CE 7 nov. 2019, n° 433460 [décision de renvoi]
contre une circulaire relative à l’entrée en vigueur de la disposition contestée [circ. relative à
l’entrée en vigueur de l’interdiction portant sur certains produits phytopharmaceutiques pour des
raisons de protection de la santé et de l’environnement, en application de la modification de
l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime]), l’Union des industries de la protection des
plantes soutenue par l’Union française des semenciers, directement touchée par cette interdiction,
a sollicité la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au motif que cette
interdiction porterait atteinte à la liberté d’entreprendre, garantie par l’article 4 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’association professionnelle requérante soutenait
que cette restriction à la liberté d’entreprendre n’était pas justifiée par un objectif de protection de
l’environnement et de la santé, dans la mesure où cette interdiction n’empêche pas des pays
étrangers autorisant les pesticides en question à en fabriquer ou à en importer auprès de
concurrents localisés hors de France.
Cette consécration d’un OVC de protection de l’environnement est une nouvelle étape s’inscrivant
dans le prolongement de la reconnaissance de la protection de l’environnement en tant que « but
d’intérêt général », consacré en 2013 dans une QPC relative à l’interdiction de recourir à des
forages suivis de la fracturation hydraulique de la roche pour rechercher ou exploiter des
hydrocarbures sur le territoire national (Cons. const. 11 oct. 2013, n° 2013-346 QPC, Société
Schuepbach Energy LLC, Dalloz actualité, 16 oct. 2013, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2013. 2005
; D. 2013. 2344 ; ibid. 2586, point de vue F. Laffaille ; ibid. 2014. 104, obs. F. G. Trébulle ; ibid.
1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ), puis en tant qu’« objectif d’intérêt général » en
2016 dans une décision relative à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques
contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et des semences
traitées avec ces produits (Cons. const. 4 août 2016, n° 2016-737 DC, Loi pour la reconquête de la
biodiversité, de la nature et des paysages, Dalloz actualité, 29 août 2016, obs. J.-M. Pastor ; AJDA
2016. 1605 ; Constitutions 2016. 487, chron. K. Foucher ).
Cette combinaison des objectifs de protection de l’environnement et de la santé conduit les juges à
valider la constitutionnalité de la nouvelle disposition législative, en soulignant que « le législateur
est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à
l’environnement à l’étranger ». En considérant que l’interdiction d’exportation contestée est
justifiée par les OVC de protection de la santé et de l’environnement, la prise en compte des
atteintes à l’environnement et à la santé ne s’arrête plus aux frontières. En cela, le Conseil
Enfin, le Conseil constitutionnel considère qu’en laissant un délai d’un peu plus de trois ans aux
fabricants pour adapter leur activité, « le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas
manifestement déséquilibrée entre la liberté d’entreprendre et les objectifs de valeur
constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé ». Par conséquent, la disposition
contestée est bien conforme à la Constitution.
Peut être citée à cet égard la décision du Conseil constitutionnel du 17 septembre 2015 relative à la
suspension de la fabrication et de l’exportation de conditionnements, contenants ou ustensiles
comportant du bisphénol A et destinés à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires,
dans laquelle il avait été jugé que la suspension de la fabrication et de l’exportation de ces produits
sur le territoire de la République ou à partir de ce territoire étant sans effet sur la commercialisation
de ces produits dans les pays étrangers, une telle limitation à la liberté d’entreprendre n’était pas
en lien avec l’objectif de protection de la santé (Cons. const. 17 sept. 2015, n° 2015-480 QPC,
Association Plastics Europe, D. 2015. 1844 ; ibid. 2016. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano
; Constitutions 2015. 602, chron. K. Foucher ).
À l’époque, la protection de l’environnement n’avait pas été invoquée et, en l’absence de motif
d’intérêt général ou de principe constitutionnel imposant la prise en compte des potentiels effets
extranationaux sur la santé des consommateurs étrangers, le Conseil constitutionnel avait jugé que
la limitation à la liberté d’entreprendre en cause n’était pas justifiée.
Le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020, qui fixe la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE),
définit les priorités d’action pour la gestion des formes d’énergie pour la période 2019-2028. Pour
atteindre la neutralité carbone, le gouvernement veut tourner le dos aux énergies fossiles et
diversifier le mix énergétique. Les objectifs de réduction fossile par rapport à 2012 sont : pour le
gaz naturel, - 10 % en 2023 et - 22 % en 2028 ; pour le pétrole, - 19 % en 2023 et - 34 % en 2028 ;
pour le charbon, - 66 % en 2023 et - 80 % en 2028. En contrepartie, la PPE fixe pour 2028 l’objectif
d’une accélération significative du rythme de développement des énergies renouvelables. L’accent
est mis sur les objectifs de développement de la production d’électricité d’origine renouvelable, en
particulier s’agissant de l’éolien terrestre et l’énergie radiative du soleil. Pour contribuer à atteindre
ces objectifs, le décret fixe un calendrier indicatif de lancement des procédures de mise en
concurrence pour les énergies renouvelables électriques jusqu’en 2024 : deux appels d’offres par
an à hauteur de 925 MW par période, à compter du second semestre de 2020 pour l’éolien terrestre
; deux appels d’offres par an à hauteur de 1 GW par période, à compter du second semestre de
2019 pour le photovoltaïque au sol ; trois appels d’offres par an à hauteur de 300 MW par période
pour le photovoltaïque sur bâtiment ; 1 appel d’offres de 35 MW par an pour l’hydroélectricité.
La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz
à effet de serre. Adoptée pour la première fois en 2015, la SNBC a été révisée en 2018-2019, en
visant d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 fixe des
objectifs à court et moyen termes : les budgets carbone. Ils fixent des plafonds d’émissions de gaz
à effet de serre à ne pas dépasser au niveau national sur des périodes de cinq ans. Les trois
prochains budgets carbone sont fixés dans le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 aux horizons
2019-2023, 2024 à 28 et 2029 à 33. Le bilan provisoire du solde du premier budget carbone
2015-2018 indique un dépassement de 3,7 %. Le gouvernement a donc révisé la SNBC. De manière
sectorielle, elle prévoit par exemple d’inscrire les politiques d’urbanisme et d’aménagement dans
une trajectoire de zéro artificialisation nette en veillant aux impacts sur les projets de territoires et
les coûts du logement et de l’immobilier. Dans le secteur des transports, premier émetteur de gaz a
effet de serre, la stratégie vise une réduction de 28% des émissions en 2030 par rapport à 2015 et
une décarbonation complète des transports à l’horizon 2050.
Dans un arrêt du 11 mars 2020, le Conseil d’État précise l’office du juge du fond et celui du juge de
cassation en matière de régularisation des autorisations environnementales.
La faculté ouverte par ces dispositions, juge le Conseil d’État, « relève de l’exercice d’un pouvoir
propre du juge, qui n’est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu’il
n’est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en œuvre cette faculté,
mais il n’y est pas tenu, son choix relevant d’une appréciation qui échappe au contrôle du juge de
cassation. En revanche, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en
œuvre les pouvoirs qu’il tient du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement si les
vices qu’il retient apparaissent, au vu de l’instruction, régularisables ».
Le vice qui, dans l’affaire soumise au Conseil d’État, avait conduit la cour administrative d’appel de
Bordeaux à annuler l’autorisation, délivrée le 6 décembre 2010 par le préfet de Charente-Maritime,
au titre de la législation pour les installations classées, pour exploiter une unité de production de
ciment, portait sur la composition du dossier de demande d’autorisation. À l’époque, ce dossier
devait mentionner les « capacités techniques et financières de l’exploitant ». En l’espèce, la société
pétitionnaire s’était bornée, sur le plan financier, à indiquer son capital social et le fait qu’elle était
une filiale à 100 % de la société Holcim France, dont elle avait précisé le chiffre d’affaires et le
résultat net sur les trois dernières années. C’est sans erreur de droit que la cour administrative
d’appel a pu juger qu’« en indiquant que la société Ciments de La Rochelle était une filiale de la
société Holcim France, sans préciser s’il existait un engagement financier de la mère à l’égard de
sa fille, le dossier de demande ne pouvait être regardé comme suffisamment précis et étayé sur les
capacités dont la société Ciments de La Rochelle était effectivement en mesure de disposer et que
cette insuffisance avait été de nature à nuire à l’information complète du public ».
Par un arrêt du 28 janvier 2020, la Cour de cassation vient détacher le prononcé des mesures
conservatoires en matière de droit de l’environnement de la caractérisation d’une faute pénale.
La chambre criminelle n’est pas de cet avis. Après avoir rappelé, au visa de l’article L. 216-13 du
code de l’environnement que « l’alinéa premier de cet article donne compétence au juge des
libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, dans le cadre d’une enquête
pénale diligentée pour non-respect des prescriptions imposées au titre des articles L. 181-12, L.
211-2, L. 211-3 et L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement, pour ordonner aux personnes
concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en
infraction à la loi pénale », elle casse la décision en précisant que l’article L. 216-13 du code de
l’environnement ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de
nature à engager sa responsabilité pénale le prononcé par le juge des libertés et de la détention,
lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires destinées à mettre un terme à une pollution
ou à en limiter les effets dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire.
La Cour procède à une application littérale de l’article L. 216-13 du code de l’environnement qui
vise « les personnes physiques ou morales concernées » et non « responsables ». Cette lecture
s’accorde avec la nature des mesures conservatoires qui ont vocation, non à sanctionner une faute,
mais à préserver l’environnement et assurer la sécurité sanitaire et qui de plus sont prononcées au
stade de l’enquête, donc potentiellement avant que la lumière sur les éventuelles responsabilités
soit faite.
Le réchauffement climatique est souvent présenté comme le défi de notre siècle. A juste titre, des actions
en justice se développent partout dans le monde ainsi qu’en France. Ce nouveau contentieux soulève
plusieurs questions juridique et politique. On espère qu’il apportera également des solutions.
Introduction.
Depuis 2018, on assiste en France aux premières actions effectives en matière de justice climatique. Dans le sillon de
l’affaire Urgenda, intentée contre l’Etat des Pays-Bas en 2015 et gagnée en appel en octobre 2018, l’association
« Notre affaire à tous » poursuit l’État en justice pour inaction climatique.
D’abord lancée sous la forme d’une pétition appelant l’État à prendre des mesures à la hauteur de ses engagements
climatique, « L’affaire du siècle » dépassait les 2,1 millions de signatures en moins d’une semaine. Ne recevant pas de
réponse satisfaisante, l’association entama la phase contentieuse. Le mercredi 19 juin, le géant Total était mis en
demeure de s’aligner aux obligations issues de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 2°C par
rapport à l’ère préindustrielle.
Définition.
La justice climatique n’est pas une notion arrêtée, au contraire cette notion récente est l’objet de nombreuses
réflexions. Les définitions proposées se veulent plus ou moins large.
Cet article retiendra la définition retenue lors du colloque à Paris I sur “Les contentieux climatiques : dynamique en
France et dans le monde” soit : l’ensemble des recours juridiques sur les problématiques du climat, plus précisément
l’ensemble des recours portés devant les juridictions administratives ou judiciaires soulevant des questions de droit ou
de fait concernant le changement climatique et les efforts visant à atténuer ses effets ou pour s’y adapter.
Il y est question de « changement climatique », de « réchauffement planétaire », « réduction des émissions de gaz à
effet de serre », « élévation de niveau des mers ».
Ces actions peuvent être dirigée contre les acteurs publics comme l’État mais aussi contre des acteurs privés, souvent
des entreprises.
La justice climatique dépasse les frontières du droit de l’environnement (que l’on trouve dans le Code de
l’environnement). En tant que nouveau type de recours, ses contours ne sont pas clairement délimités.
Par exemple, la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction des gaz à effets de serre entre dans son
champ d’application, mais la réponse est moins tranchée concernant la lutte contre les pesticides. A ce titre, on peut
citer l’emblématique tribunal symbolique « Monsanto ». Ce faux tribunal avait pour mission de rendre un avis sur les
impacts négatifs de Monsanto en se basant sur le droit positif et de se prononcer sur l’opportunité de reconnaître le
crime d’écocide. Cette notion reflète justement la difficulté d’établir une frontière étanche entre justice climatique et
justice environnementale.
L’environnement, au sens large, recouvre deux aspects : le climat et la biodiversité. Or le réchauffement climatique
est largement causé par les émissions de gaz à effet de serre, combustion fossiles et autres activités industrielles.
Dès lors la lutte contre le réchauffement climatique par la justice environnementale supposerait de reconnaître des
droits et des devoirs à la nature. Or, ni la nature ni les êtres vivants non-humain n’ont de personnalité juridique, ce
qui signifie qu’aucun droit subjectif ne peut leur être attaché. Le versant climat a donc été privilégié par le droit pour
faire face à l’urgence (régulièrement rappelée par la communauté scientifique, et notamment le GIEC) et est,
parallèlement, utilisé pour protéger l’environnement dans son ensemble.
En 2015, avec l’Accord de Paris, les États se sont légalement engagés à limiter le réchauffement climatique global à
2°C par rapport à l’ère préindustrielle.
C’est le premier accord universel contraignant sur le climat. Si certains États avaient commencé à légiférer à l’échelle
nationale en la matière, cet accord met à leur charge des obligations internationales contraignantes les enjoignant à
prendre des mesures suffisantes.
Concrètement, chaque Etat s’est fixé un objectif propre en terme de réduction des gaz à effet de serre sur son
territoire par l’intermédiaire de ce qu’on appelle les « contributions déterminées au niveau national » (ou NDCs,
nationally determined contributions). Leur mise en œuvre passe nécessairement par le renforcement de l’arsenal légal
pour lutter contre le réchauffement climatique -voire par sa création dans les États où il est inexistant...
L’Accord de Paris et les normes qui en découlent représentent ainsi autant de sources légales supplémentaires
invocables à l’encontre des Etats.
Enjeux.
Il y a une responsabilité de l’humanité, ainsi que des Etats, à l’égard du réchauffement climatique. Une responsabilité
individuelle qui entraine un devoir de réparation des dommages causés et une responsabilité collective c’est-à-dire des
obligations positives à la charge des Etats de limiter le réchauffement climatique, lequel s’exprime par leur dispositif
légal.
La justice climatique est un nouvel outil dans la lutte contre le réchauffement climatique.
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=33738 1/2
08/09/2020 Imprimer: Tour d'horizon de la justice climatique en France. Par Olivia Macri, Juriste.
Parce que cette nouvelle matière s’inscrit dans un environnement juridique préexistant, sa mise en oeuvre soulève
plusieurs difficultés. D’abord concernant l’échelle géographique et temporelle à retenir. Aucune des approches globale,
individuelle ou étatique (prise isolément), ne semble dégager une réponse satisfaisante.
Au contraire, il apparaît nécessaire d’agir de façon coordonnée à chacune de ces échelles. Or, le fractionnement du
monde oblige à tenir compte des frontières et souverainetés étatiques alors que le réchauffement climatique ne
connaît justement pas de frontière.
Les modes d’action légaux préexistants, de même que les théories juridiques, n’ont pas été conçues pour répondre à
la question du réchauffement climatique. Dès lors, le droit tel qu’il a été pensé se révèle inadéquat et peu efficace
pour y faire face efficacement et rapidement. En effet, outre la complexité du domaine visé, le facteur temporel joue
un rôle primordial dans cette réflexion.
Ensuite, la justice climatique s’avère extrêmement complexe. Elle soulève des enjeux interdisciplinaires : scientifiques,
économiques, sociaux, sanitaires, vise plusieurs responsables (Etats, entreprises, individus), met en jeu plusieurs
types d’obligations juridiques de différentes natures (internationale, nationale, privée, publiques, contractuelle,
délictuelle, civile, pénale etc.), ce qui a nécessairement une incidence sur la juridiction à saisir. La finalité des recours
est également riche, variée et audacieuse. A titre d’exemple, les requérants demandent au juge de reconnaitre que la
responsabilité civile puisse être engagée pour seulement avoir contribuer à l’aggravation du dérèglement climatique,
que l’Etat puisse être reconnu responsable pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir la dite
aggravation, ne pas y avoir remédier ou ne pas l’avoir réparer. La finalité des recours devient plus politique. Plus
qu’une réparation du dommage allégué, les requérants exigent une plus grande cohérence entre les activités et les
engagements étatiques en terme de réduction d’émission de gaz à effet de serre, un changement des politiques
publiques. Mais le juge a-t-il ce pouvoir ? Dans ce contexte il est important de bien comprendre l’outil que représente
le droit dans la lutte contre le réchauffement climatique, ses limites et ses perspectives.
Cet article vise à exposer le contexte juridique dans lequel s’implante la justice climatique à la lumière de quelques
expériences à l’étranger et comment le droit peut être saisi pour lutter contre le réchauffement climatique (I) de façon
utile et efficace (II).
Dans cette analyse, accessible dans son intégralité dans le document ci-après, seront abordés
notamment les points suivants :
I. Le droit applicable à la justice climatique en France.
II. Les enjeux de la justice climatique.
https://www.village-justice.com/articles/spip.php?page=imprimer&id_article=33738 2/2
Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
La loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, tirant les conséquences des critiques du
Conseil d’État sur le défaut de séparation fonctionnelle (CE 6 déc. 2017, req. n° 400559, Association
France Nature Environnement, Dalloz actualité, 13 déc. 2017, obs. J.-M. Pastor ; Lebon ; AJDA
2017. 2437 ), a prévu que l’autorité désignée pour assurer l’examen au cas par cas des projets doit
également disposer d’une autonomie fonctionnelle par rapport à l’autorité compétente pour
autoriser le projet. Le décret du 3 juillet 2020 confie au préfet de région la compétence pour mener
l’examen au cas par cas des projets ; la compétence d’autorité environnementale relevant, sur ces
mêmes projets, des missions régionales d’autorité environnementale (MRAE) du Conseil général de
l’environnement et du développement durable (CGEDD). Pour les projets relevant d’un examen au
cas par cas, le maître d’ouvrage décrit les caractéristiques de l’ensemble du projet, y compris les
éventuels travaux de démolition, les incidences notables que son projet est susceptible d’avoir sur
l’environnement et la santé humaine ainsi que, le cas échéant, les mesures et les caractéristiques
du projet destinées à éviter ou réduire ses probables effets négatifs notables.
Le décret du 3 juillet 2020 précise que l’autorité chargée de l’examen au cas par cas et l’autorité
environnementale doivent prévenir ou faire cesser immédiatement les situations de conflit
d’intérêts. Il précise ainsi que constitue, notamment, un conflit d’intérêts, le fait, pour ces autorités,
d’assurer la maîtrise d’ouvrage d’un projet, d’avoir participé directement à son élaboration ou
d’exercer la tutelle sur un service ou un établissement public assurant de telles fonctions.
Lorsque l’autorité chargée de l’examen au cas par cas estime se trouver dans une situation de
conflit d’intérêts, elle doit confier cet examen à la mission régionale d’autorité environnementale du
CGEDD de la région sur laquelle le projet doit être réalisé ou, si le projet est situé sur plusieurs
régions, à la formation d’autorité environnementale du CGEDD.
Lorsque l’autorité environnementale se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, elle confie,
sans délai, ce dossier à la formation d’autorité environnementale du CGEDD.
CEDH, 5e sect., 2 juill. 2020, N.H. et autres c. France, nos 28820/13, 75547/13 et 13114/15
La CEDH s’est prononcée, le 2 juillet 2020, sur une requête portée par cinq demandeurs d’asile
majeurs et isolés, qui invoquaient la violation de l’article 3 de la Convention européenne par la
France, alléguant ne pas avoir pu bénéficier d’une prise en charge matérielle et financière pourtant
prévue par le droit national, et ayant été contraints de dormir dans la rue, privés de ressource
financière pendant plusieurs mois.
L’un d’eux n’ayant pas maintenu sa requête devant la Cour, il n’en sera pas fait mention.
En l’espèce, trois des quatre requérants dont le recours a été examiné par la CEDH rencontraient
des situations analogues. Après être entrés sur le territoire français, ils avaient dû attendre
respectivement 95, 131 et 90 jours entre le dépôt de leur demande d’asile auprès de la préfecture
de police et leur enregistrement, délais durant lesquels ils n’avaient pu justifier de leur qualité de
demandeurs d’asile, les conduisant à ressentir un sentiment de « peur d’être arrêtés et expulsés
vers leur pays d’origine ». Le dernier d’entre eux avait toutefois obtenu un récépissé constatant le
dépôt de sa demande d’asile vingt-huit jours après son premier rendez-vous à la préfecture. Par
ailleurs, ils avaient tous formé un recours devant le juge des référés, les deux premiers afin
d’enjoindre l’État à examiner leurs demandes d’asile, les deux autres afin d’obtenir un logement en
cette qualité, tous ayant été rejetés. Ils vécurent ainsi respectivement 262 jours, 9 mois et 170
jours dans la rue, dont 262 jours, 185 jours et 133 jours sans qu’aucune ressource financière leur
soit versée. Le quatrième requérant vécut également 9 mois dans la rue, et perçut l’allocation
temporaire d’attente 63 jours après sa première présentation en préfecture. Enfin, le premier
d’entre eux a finalement obtenu de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
une protection subsidiaire en raison du contexte de violence dans sa province d’origine, 229 jours
après son entrée sur le territoire. Le second et le quatrième virent leurs demandes auprès de
l’OFPRA rejetées après respectivement 472 et 448 jours, le troisième ayant pu bénéficier du statut
de réfugié 188 jours après sa convocation à la préfecture de police.
Dupré de Boulois et L. Milano ; Constitutions 2011. 334, obs. A. Levade ; RTD eur. 2012. 393, obs.
F. Benoît-Rohmer ) du fait de leur parcours migratoire et de leurs expériences traumatiques (CEDH
21 nov. 2019, Ilias et Ahmed c. Hongrie, n° 47287/15, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen
; RTD civ. 2020. 329, obs. J.-P. Marguénaud ). En est l’illustration typique le fait qu’elle refuse
d’imposer aux États parties de « fournir un logement à toute personne relevant de leur juridiction »
(CEDH 18 janv. 2001, Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, AJDA 2001. 1060, chron. J.-F. Flauss
; D. 2002. 2758 , note D. Fiorina ; RTD civ. 2001. 448, obs. J.-P. Marguénaud ), mais qu’elle les
contraint à fournir « un hébergement ou des conditions matérielles décentes aux demandeurs
d’asile démunis » (v. § 161 du présent arrêt). Néanmoins, bien que la reconnaissance de leurs droits
à l’échelle européenne soit en pleine construction, la Cour refuse de consacrer un droit général à
l’asile politique (CEDH, 3e sect., 13 févr. 2020, N.D. et N.T. c. Espagne, nos 3599/18, AJDA 2020. 921
; D. 2020. 1348 , note C. Collin ) et de contraindre les États parties à la Convention à fournir une
assistance financière aux réfugiés pour assurer le maintien d’un certain niveau de vie (CEDH 28 oct.
1999, Pancenko c. Lettonie, n° 40772/98, AJDA 2000. 526, chron. J.-F. Flauss ; CEDH, 4e sect., 26
avr. 2005, Müslim c. Turquie, n° 53566/99).
Par ailleurs, à plusieurs reprises, la Cour a été confrontée aux contentieux liés aux conditions
matérielles d’existence insatisfaisantes de certains demandeurs d’asile et estime à ce titre que
« les facteurs liés à un afflux croissant de migrants ne peuvent pas exonérer les États contractants
de leurs obligations » (CEDH 15 déc. 2016, Khlaifia et autres c. Italie, n° 16483/12, Dalloz actualité,
14 févr. 2017, obs. E. Autier ; D. 2017. 261, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N.
Joubert et K. Parrot ; Rev. crit. DIP 2017. 389, note Anselm Zölls ). Celles-ci sont notamment
issues des directives « Accueil » 2003/9 du 27 janvier 2003 et 2013/33/UE du 26 juin 2013 qui
consacrent l’obligation, en outre, de prendre en charge matériellement et financièrement les
demandeurs d’asile (CEDH, 5e sect., 28 févr. 2019, Khan c. France, n° 12267/16, Dalloz actualité, 5
mars 2019, obs. D. Goetz ; AJDA 2019. 489 ; D. 2019. 1092, et les obs. , note A.-B. Caire ; ibid.
1096, entretien K. Parrot ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2019. 111 et les
obs. ; AJCT 2019. 292, obs. E. Aubin ). Ces affirmations se confirment d’ailleurs en l’espèce. Les
requérants, qui se trouvaient dans l’incapacité légale de travailler, étaient assujettis à l’assistance
que l’État français était chargé de leur apporter, eu égard aux formalités qu’ils avaient entreprises
et à leurs déclarations administratives. Or, en l’absence d’assistance matérielle et financière
apportée par l’État, du fait d’un délai de réponse prolongé ou du rejet de leurs différentes
demandes d’accès à des prestations sociales et d’hébergement, les quatre requérants avaient vécu
« dans la rue », « sous les ponts » ou « dans une tente » (§ 176).
En second lieu, c’est l’intensité de ce dénuement qui permet de caractériser le degré minimal de
gravité propre à constater une violation de l’article 3 de la Convention. En l’espèce, elle se
matérialise par les délais excessifs durant lesquels, face à l’inaction du gouvernement français, les
requérants ont été soumis à ce traitement.
D’une part, plus que les conditions matérielles d’existence, c’est l’absence de ressource financière
qui permet d’apprécier le degré de gravité. Alors que les trois premiers requérants se sont vus
D’autre part, la CEDH, se plaçant du point de vue de l’État français, rapporte qu’il a été alerté à
maintes reprises de l’impossibilité des requérants de jouir en pratique de leurs droits et donc de
pourvoir à leurs besoins essentiels (§ 184). Bien qu’il ne soit pas resté totalement indifférent de leur
situation (§ 182), il ne leur a pas fourni une « réponse adéquate ». En balayant l’argument selon
lequel les requérants n’avaient pas suffisamment sollicité le dispositif « 115 » visant à l’attribution
d’un hébergement d’urgence, la Cour étend ici son champ de protection en considérant que les
États ne peuvent se contenter d’user de mécanismes en pratique inopérants (du fait de leur
saturation et du profil des demandeurs en l’espèce) pour satisfaire aux obligations qui leur
incombent.
Par ailleurs, pour apprécier le caractère déraisonnable du délai d’action des autorités étatiques, la
Cour se fonde sur la durée pratique d’attente d’une réponse (trois à cinq mois à l’époque des faits).
Elle distingue le cas des premiers requérants, ayant obtenu l’enregistrement de leur demande
d’asile 95 et 131 jours après leur dépôt, alors que le quatrième d’entre eux en a reçu un récépissé
28 jours après son premier rendez-vous à la préfecture (§ 169).
Ainsi, la combinaison des conditions matérielles d’existence dans lesquelles ont été placés les trois
premiers requérants avec l’absence de réponse adéquate de l’État français dans un délai
raisonnable suffit à atteindre le degré de gravité requis pour conclure à une violation de l’article 3
de la Convention (CEDH, 4e sect., 28 juin 2011, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07
et 11449/07 ; 1re sect., 31 juill. 2014, F.H. c. Grèce, n° 78456/11). À l’inverse, le quatrième
requérant a certes été confronté à une situation matérielle « difficile », mais il a bénéficié in fine de
ressources financières lui permettant de subvenir à ses besoins élémentaires, et a pu se prévaloir
de sa qualité de demandeur d’asile dans un délai raisonnable. Par conséquent, il ne peut pas
invoquer avoir subi un traitement semblable aux trois autres requérants.
Bien que cette nouvelle décision n’apporte pas de retentissement flagrant aux droits accordés aux
demandeurs d’asile, elle a le mérite d’inviter à quelques rappels salutaires. D’une part, en pareil
cas, la capacité des requérants à subvenir à leurs besoins essentiels demeure le critère principal
qui conditionne l’applicabilité de l’article 3 de la Convention (CEDH, 1re sect., 4 févr. 2016, Amadou
c. Grèce, req. n° 37991/11, D. 2017. 261, obs. O. Boskovic ). D’autre part, la Cour élargit à petits
pas le champ de protection de l’article 3 de la Convention et condamne un État membre pour des
traitements inhumains ou dégradants, même si ce dernier n’a pas été indifférent à la situation des
requérants, mais dès lors que la réponse qu’il a apportée ne permettait pas de satisfaire leurs
besoins élémentaires.
Information des personnes. La CNIL ne précise pas en quoi l’information des personnes prévue
aux articles 12, 13 et 14 du RGPD ne serait pas respectée, hormis que l’information doit
particulièrement porter sur « la source des données ». En effet, la réutilisation des données à des
fins de démarchage est considérée comme une collecte indirecte de données régie par l’article 14
du RGPD, qui précise en son point 2, f) que la personne est informée de « la source d’où
proviennent les données à caractère personnel et, le cas échéant, une mention indiquant qu’elles
sont issues ou non de sources accessibles au public ». La CNIL précise enfin que cette information
doit être fournie « au plus tard au moment de la première communication avec les personnes dont
les données sont traitées ».
manière centralisée au sein de sa structure qu’auprès de ses sous-traitants en charge des centres
d’appel. Reste à déterminer si cette obligation pèsera également tant sur les éditeurs des outils de
collecte que sur les clients qui les utilisent à des fins de démarchage.
Bonnes pratiques. Après avoir déterminé les mesures sur lesquelles les utilisateurs d’outils
d’extraction automatique de données à des fins de démarchage doivent porter leur attention, la
CNIL fournit quelques indications quant aux bons réflexes à adopter, qu’il convient de reproduire :
Le Conseil d’État définit les modalités d’appréciation du préjudice subi par un demandeur d’asile
qui n’a pas bénéficié de conditions d’accueil légales en raison de la carence de l’État.
Une ressortissante nigériane, enceinte et mère d’un jeune enfant, a présenté en mai 2014 une
demande d’asile et s’est vu délivrer un titre de séjour provisoire. Elle a demandé, sans l’obtenir, un
accueil en centre d’hébergement et a été admise au centre hospitalier de Nantes, entre le 25 juin
et le 7 juillet 2014, pour la naissance de son second enfant. Elle a recherché la responsabilité de
l’État en saisissant le tribunal administratif de Nantes du fait de son absence d’hébergement entre
le 15 mai et le 25 juin 2014. Sa demande a été rejetée et la cour administrative d’appel a transmis
au Conseil d’État le pourvoi.
Ce dernier précise que l’État doit assurer au demandeur d’asile, selon ses besoins et ses
ressources, des conditions d’accueil comprenant l’hébergement, la nourriture et l’habillement. « La
carence fautive de l’État à remplir ses obligations engage sa responsabilité à l’égard du demandeur
d’asile, au titre des troubles dans les conditions d’existence. Ces troubles doivent être appréciés en
tenant compte, non seulement du montant de la prise en charge dont le demandeur d’asile a été
privé du fait de cette carence, mais aussi, notamment, des conditions d’hébergement, de nourriture
et d’habillement qui ont perduré du fait de la carence de l’État et du nombre de personnes dont le
demandeur d’asile a la charge pendant la période de responsabilité de l’État. » En l’espèce, la
contrainte imposée à la requérante, enceinte de huit mois, de s’abriter avec son enfant dans le hall
d’un établissement de santé puis dans une église devait engager la responsabilité de l’État au titre
des troubles dans ses conditions d’existence.
L’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui transpose la directive UE 2015/2436 du 16 décembre 2015 («
Paquet Marques ») supprime l'exigence de représentation graphique pour déposer un signe à titre de marque. Il suffit
désormais que le signe puisse être représenté « de manière à permettre à toute personne de déterminer
précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire » (CPI art. L 711-1 modifié ; Ord. 2019-
1169 art. 3).
La marque devra être représentée dans le registre national des marques « sous une forme appropriée au moyen de
la technologie communément disponible, sous réserve de pouvoir être représentée dans ce registre de façon
claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective » (CPI art. R 711-1 nouveau ; Décret
2019-1316 du 9-12-2019 art. 3).
La possibilité d’enregistrer des signes qualifiés de « non traditionnels » (comme des marques sonores, qui pourront
être représentées sur des fichiers audio, ou encore des marques multimédias ou de mouvement) s’ouvre donc.
Le directeur général de l’Inpi a précisé les modalités de représentation des principaux types de marque (Décision
2019-157 du 11-12-2019).
Le guide du portail Marques, en ligne sur le site de l’Inpi, donne des précisions sur les différents formats de fichiers
acceptés et attire l’attention des déposants sur le fait que « les marques françaises déposées au format MP3/MP4 ne
peuvent pas faire l’objet d’une extension internationale conformément au règlement d’exécution de l’OMPI ».
Marque de couleur
Une marque de couleur consiste en la représentation exclusive d’une couleur sans contour ou d’une combinaison
de couleurs sans contour.
Si elle est constituée d’une couleur unique sans contour, elle devra être représentée par une reproduction de la
couleur et une indication de cette couleur par référence à un code d’identification généralement reconnu, comme le
« code Pantone » ; pour une combinaison de couleurs sans contour la marque devra être représentée par une
reproduction montrant l’agencement systématique de la combinaison de couleurs de façon uniforme et
prédéterminée, ainsi qu’une indication de ces couleurs par référence à un code d’identification généralement reconnu
(une description précisant l’agencement systématique des couleurs pourra accompagner la représentation).
Si les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs peuvent constituer des marques, il n’en reste pas moins qu’elles
doivent former un signe distinctif, c'est-à-dire permettant à un consommateur d'identifier l'origine commerciale des produits
ou services qui en sont couverts par rapport à ceux des concurrents. Ce caractère distinctif ne sera reconnu, s’agissant
d’une marque de couleur, que de manière restrictive. L’Inpi recommande sur son formulaire de dépôt de fournir des
preuves d’usage justifiant que le signe sera perçu par le consommateur comme étant une marque.
Marque sonore
La marque sonore est une marque composée entièrement d’un son ou d’une combinaison de sons.
Elle devra être représentée par un fichier audio représentant le son (le format accepté par le formulaire de dépôt de
l’Inpi est actuellement le MP3) ou par une représentation fiable du son en notation musicale (par exemple, une portée
musicale).
Marque de mouvement
Une marque de mouvement est une marque qui consiste en un mouvement ou un changement de position des
éléments de la marque ou s’étendant à ceux-ci.
Ce signe devra être représenté par un fichier vidéo sans son (le format accepté sur le formulaire de dépôt de l’Inpi
est le MP4) ou par une série d’images fixes séquentielles montrant le mouvement ou le changement de position qui
pourront être numérotées ou accompagnées d’une description expliquant la séquence (le format accepté par le
formulaire de l’Inpi est le JPEG).
Devant l’EUIPO, un déposant a ainsi pu joindre un « flipbook » (c’est-à-dire un livre avec une série d’images qui varient
progressivement d’une page à l’autre, de sorte que les images semblent animées lorsque les pages sont tournées
rapidement), ou une représentation type « bande dessinée ».
Marque multimédia
La marque multimédia, consistant en une combinaison d’image et de son ou s’étendant à celle-ci, devra être
représentée par un fichier audiovisuel contenant la combinaison de l’image et du son (le format accepté par le site
de l’Inpi est le MP4).
Marque hologramme
L’hologramme est un visuel en relief obtenu par un procédé holographique.
La marque composée d’éléments ayant des caractéristiques holographiques devra être représentée par un fichier
vidéo ou une reproduction graphique ou photographique contenant les vues nécessaires pour l’identification
suffisante de l’effet holographique complet. Lorsque la représentation est réalisée sous la forme graphique ou
photographique, celle-ci doit porter sur les séries des éléments holographiés, à l’exclusion de l’hologramme lui-
même. Les fichiers acceptés par l’Inpi sont actuellement le MP4 et le JPEG.
Marque de position
La marque de position se caractérise par la façon spécifique dont elle est placée ou apposée sur le produit.
Elle doit être représentée par une reproduction (format JPEG, d’après le formulaire de l’Inpi) identifiant dûment la
position de la marque et sa taille ou proportion par rapport aux produits concernés, les éléments ne faisant pas l’objet
de l’enregistrement étant visuellement ignorés (par exemple, et de préférence, par la présence de lignes discontinues
ou pointillées). La représentation peut être accompagnée d’une description précisant la façon dont le signe est
apposé sur les produits.
Marque de motif
La marque de motif se caractérise par la répétition régulière d’un ensemble d’éléments.
La marque doit être représentée par une reproduction (format JPEG, d’après le formulaire de l’Inpi) montrant la
répétition du motif. Là encore, la représentation peut être accompagnée d’une description précisant la façon dont le
motif se répète de façon régulière.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial n° 32413 à 32422
© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne
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Revisionnez toutes les vidéos du mois
Le 05/02/2020
Vous avez manqué nos vidéos sur la Loi de finances 2020 (domiciliation des dirigeants, charges financières, fusions)
et les obligations à respecter pour le dépôt et la lecture des cookies ? Retrouvez-les dans ce dossier qui rassemble
toutes les vidéos que nous avons publiées sur notre site au mois de janvier.
Le locataire n'est pas présumé responsable d'un incendie né hors des locaux
Le 05/02/2020
La présomption de responsabilité qui pèse sur le locataire en cas de dommages causés au bien par un incendie ne
s’applique pas lorsque l’incendie a pris naissance, non dans le bâtiment dans lequel le bien était situé, mais à
proximité.
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s entiers d’activité ne peuvent pas répondre à la demande faute de candidats sur le marché de
l’emploi, le risque de débauchage par la concurrence ajoute à la tension. L’intérêt premier pour le
nouvel employeur consiste évidemment à pourvoir le poste vacant et ainsi répondre à ses
commandes en attente. Mais il peut également résider dans l’accès aux données confidentielles
de son concurrent, précédent employeur de sa nouvelle recrue.
Employeur propriétaire des données et ex salarié détenteur d’une copie, quels sont vos droits ?
La question du départ (quelle que soit la forme : licenciement, démission, rupture conventionnelle) d’un
salarié qui emporte avec lui des données de son employeur appelle une double réponse : sur le plan
matériel, cela fait des années que l’usage des technologies désormais basiques rend illusoire en pratique
toute interdiction : une simple clé USB ou un fichier cloud permet à n’importe quel collaborateur de se
constituer un accès aux données de son ancien employeur. Fichier client, tarifs, process de fabrication …
le spectre est aussi profond que les serveurs qui stockent les fichiers.
En revanche, sur le plan juridique, la situation est plus complexe : en effet, les données en question
appartiennent à l’entreprise, personne morale, et pas au salarié personne physique, fût-il à l’origine de la
création des fichiers qu’il souhaite emporter avec lui. Je reçois régulièrement des salariés qui pensent –
de bonne foi – pouvoir exploiter ces données puisque ce sont eux qui les ont rassemblées ; il s’agit donc
du fruit de leur travail. Ils oublient simplement que ce travail faisait précisément l’objet d’un contrat avec
l’employeur et que le temps consacré à cette tâche, qu’il se compte en semaines ou en années et quelle
que soit la position hiérarchique de l’intéressé (cadre supérieur ou technicien, peu importe), était du
« temps de travail » qui a donné lieu à rémunération. Dès lors, les données ne peuvent pas être
« emportées » par le salarié, puisqu’elles ne lui appartiennent pas. Une telle action constitue un délit (vol
ou abus de confiance). En revanche, la clientèle n’appartient à personne, étant libre de s’adresser au
prestataire de son choix et le salarié reste toujours détenteur de son propre savoir-faire, qu’il peut utiliser
pour son compte ou celui d’un tiers.
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08/09/2020 Un salarié peut-il partir à la concurrence avec le fichier clients ? | par Me Pierre ROBILLARD
d’un côté le propriétaire des données (l’ex employeur), se rendra compte de leur copie (car la
simple détention des données, si elle n’est pas exploitée ultérieurement par le salarié, peut rester
totalement invisible) et quels sont alors ses moyens d’actions ?
de l’autre côté, le détenteur de la copie - certes illicite (l’ancien salarié), qui entend bénéficier de
l’expérience ainsi accumulée, peut-il les « vendre » à la concurrence ou en profiter pour créer sa
propre affaire ?
Rappelons avant tout que, comme tout contrat, celui liant un employeur et un salarié doit être exécuté de
bonne foi (article L. 1222-1 du code du travail). Cela implique pour le salarié d’accomplir la mission
confiée avec un minimum de discrétion, même si le contrat ne le mentionne pas expressément puisqu’il
s’agit d’une obligation légale. La loi (art. L. 1227-1) prévoit également que tout salarié est tenu au secret
de fabrique, sous peine d'une amende de 30 000 € et d'un emprisonnement de 2 ans (C. trav. art. L 1227-
1).
Au-delà de ces dispositions impératives, le contrat peut comporter des clauses spécifiques modulant le
risque de concurrence, pour le prévenir ou le traiter une fois déclaré. Faisons un tour (non exhaustif) des
outils juridiques à la disposition des parties.
Dès l’origine de la relation professionnelle et la signature du contrat de travail, tout employeur peut se
prémunir contre une utilisation abusive de ses données.
Il prévoira ainsi, à partir du moment où le poste occupé permet d’accéder à des données sensibles (ce
seuil étant variable d’une entreprise à une autre, mais il peut commencer très bas), une clause de
confidentialité qui vise à protéger le savoir-faire de l'entreprise en imposant au salarié de ne pas divulguer
des informations obtenues lors de l'exécution du contrat. Cette clause ne donne pas lieu à contrepartie
financière (Cass. soc. 15-10-2014 n° 13-11-524 FS-PB ; 3-5-2018 n° 16-25.067 FS-PB ) et en cas de
non-respect, le salarié peut être condamné à verser des dommages-intérêts à son ancien employeur
(Cass. soc. 19-3-2008 n° 06-45.322 F-D). Elle est assez proche de l’obligation générale de loyauté, de
sorte qu’elle correspond souvent à une redite de la loi (… que nul n’est censé ignorer bien entendu).
La confidentialité peut être assortie de l’exclusivité, qui oblige le salarié à consacrer l'exclusivité de son
activité à l'employeur et donc à ne pas exercer d’autre fonction ailleurs, le cas échéant même à titre
bénévole. Dans la mesure où elle porte atteinte à la liberté du travail, elle n'est toutefois valable que si
elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, justifiée par la nature de la
tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Cass. soc. 11-7-2000 n° 98-40.143 FS-PF : RJS
11/00 n° 1155). Cette clause est à manier avec encore plus de précaution dans un contrat à temps partiel,
car ses effets sont alors encore plus pénalisants pour le salarié.
Au risque de s’éloigner un peu de notre sujet, quoi de pire pour un employeur que de voir un salarié
formé à ses frais quitter l’entreprise une fois ladite formation achevée ? En effet, c’est un concurrent qui
va profiter de l’investissement humain ainsi financé. Une clause de dédit formation doit pouvoir palier ce
risque, en prévoyant que le salarié démissionnant avant un certain délai (modulé selon la durée de la
formation en question) devra rembourser les frais exposés. L’indemnité doit toutefois correspondre à un
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08/09/2020 Un salarié peut-il partir à la concurrence avec le fichier clients ? | par Me Pierre ROBILLARD
financement de l'employeur qui excède les dépenses imposées par la loi ou la convention collective et ne
doit pas être exorbitante, ce qui reviendrait priver le salarié de la faculté de démissionner (Cass. soc. 5-6-
2002 n° 00-44.327 F-P ). La clause sera conclue avant le début de la formation, afin que chacun
connaisse les termes de son engagement – le salarié n’étant pas obligé de la signer, quitte à laisser
planer le doute sur son niveau d’implication à terme.
Cette position clé s’explique par l’application temporelle de la clause : en effet, elle n’a vocation à
s’appliquer qu’une fois le contrat rompu. Pendant l’exécution du contrat, nul besoin de clause spécifique :
l’obligation légale de loyauté, citée plus haut, suffit à interdire la concurrence.
De plus, elle revêt un aspect dissuasif : le salarié dont le contrat en contient une sait qu’il ne pourra pas
aller à la concurrence avant un certain délai ; quel intérêt dès lors de copier des données de l’employeur
actuel ?
On reviendra ici uniquement pour mémoire sur les conditions de validité de la clause de non concurrence,
qui réunissent le critère temporel (un délai maximal d’interdiction), le critère géographique (un périmètre
précis d’interdiction) et la contrepartie pécuniaire (fréquemment un pourcentage de la rémunération
perçue pendant le contrat de travail, payable chaque mois d’exécution pendant la durée d’interdiction).
Certaines conventions collectives en précisent les modalités ; à défaut, la jurisprudence y répond au cas
par cas.
Il convient en revanche d’insister sur la nécessité pour l’employeur de démontrer que cette atteinte à la
liberté du travail est indispensable à la protection de ses intérêts légitimes. En effet, tous les postes ne
peuvent pas être concernés, le terrain de prédilection de cette clause concerne les collaborateurs en
contact avec la clientèle et/ou affectés à des postes à haute responsabilité.
Enfin, l’employeur bien avisé assortira la clause de non concurrence d’une faculté de renonciation en sa
faveur, ce qui constitue là aussi un outil de dissuasion puisque le salarié qui souhaite changer d’air
professionnel sera contraint d’orienter ses recherches dans un autre domaine avant de partir.
Néanmoins, en matière contractuelle, toute clause peut faire l’objet d’une négociation et la levée de
l’interdiction est donc discutable entre les parties. Chacun mesure son risque : l’employeur estime-t-il que
ce salarié constitue un potentiel danger concurrentiel, auquel cas la contrepartie pécuniaire reste un bon
investissement ; le salarié veut-il se réorienter de toute façon dans un autre domaine professionnel,
auquel cas il aura intérêt à laisser la clause s’appliquer puisqu’il percevra la contrepartie en supplément
de sa rémunération future.
Une clause de non concurrence valable constitue l’arme absolue : elle permet non seulement d’obtenir
auprès du salarié le remboursement de la contrepartie déjà encaissée le cas échéant, des dommages
intérêts en réparation de sa violation (dont une partie fixable forfaitairement dans le contrat), mais
également contre le nouvel employeur s’il connaissait l’existence de la clause (Cass. com. 19-10-1999 n°
97-15.795 D ; 15-11-1994 n° 92-21.597 D).
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08/09/2020 Un salarié peut-il partir à la concurrence avec le fichier clients ? | par Me Pierre ROBILLARD
Le principe de liberté du travail et de libre établissement permet à tout salarié qui n'est pas lié par une
clause de non-concurrence d'occuper un emploi dans une entreprise concurrente ou de créer lui-même
une telle entreprise après l'expiration de son contrat de travail.
De la même façon, une clause de non concurrence qui ne reprendrait pas les trois conditions cumulatives
(temporelle, géographique, pécuniaire) serait nulle : le salarié serait alors libre de s’engager chez un
concurrent direct.
Mais cela n’empêcherait pas l’ex employeur d’agir sur un autre terrain, aussi bien contre le salarié (Cass.
soc. 28-1-2005 n° 02-47.527 F-PB : RJS 4/05 n° 382 ; 3-11-2010 n° 09-42.572 FS-D) que contre le
nouvel employeur en cas de concurrence déloyale (action fondée sur l’obligation générale de loyauté que
nous avons évoquée plus haut).
Toujours est il que dans ce cas, il lui faudra démontrer en quoi cette concurrence est déloyale. La
question de la preuve est alors centrale et bien souvent difficile à apporter : comment le principe de
liberté a été abusivement exercé par l’ancien salarié ? Même si ce dernier a emporté des données issues
de la base de son désormais ex employeur, il peut s’en servir de façon suffisamment subtile pour ne pas
s’exposer à une contre-attaque et ainsi forger une rampe de lancement utile à sa nouvelle activité. Il
connait les clients, les produits, les tarifs, soit de mémoire soit parce qu’il les a enregistrés sur un support
informatique. Dans ce dernier cas, il est certes passé du côté illicite mais l’employeur dépouillé sera bien
en peine de le démontrer. L’ex salarié devenu nouveau concurrent peut proposer des produits similaires à
une clientèle identique, pour un tarif inférieur … Cela s’appelle du détournement de clientèle. La
déloyauté peut aussi concerner les anciens collègues du nouveau concurrent : il s’agit alors de
débauchage.
Mais là encore, le droit vient au secours de l’ex employeur qui dispose d’un outil puissant avec
l’ordonnance sur requête (articles 493 et suivants du code de procédure civile), qui permet une sorte de
« perquisition privée » sous le contrôle du juge. Grace à l’intervention d’un expert informatique et d’un
huissier, sous la houlette d’un avocat, cette action aboutit souvent à rassembler les preuves de la
déloyauté et ouvre la voie à l’action indemnitaire.
Pour finir, on retiendra que chaque situation doit être appréciée de façon pragmatique : les faits
aboutissent à tracer une frontière ténue entre l’usage de sa liberté et l’abus.
Ainsi, la jurisprudence n’a pas retenu la déloyauté pour des salariés en cours de préavis se regroupant
pour former une société concurrente sans que cette dernière n'ait d'activité pendant la période où les
contrats de travail étaient encore en vigueur (CA Paris 23-3-1982 n° 6992, 4e ch. A, Sté CAP Sogeti
logiciel c/ Sté Itrec) mais l’a caractérisée pour des salariés démissionnant simultanément et utilisant le
préavis pour retarder les commandes et les reporter ensuite au profit de la société qu'ils avaient
créée (Cass. com. 2-3-1982 n° 80-12.232, Sté Paneurotrans c/ Sté Serres et Pilaire : Bull. civ. IV n° 80).
Il n’y a en revanche jamais de concurrence déloyale pour un salarié qui organise pendant l'exécution de
son contrat la création d'une entreprise dont l'activité n'a commencé à s'exercer qu'après son
licenciement (voir par exemple CA Versailles 13-1-1995 n° 93-10035, 15e ch., S. c/ Sté CIM).
Pas d’infraction non plus lorsqu’une société démarche la clientèle de l'ancien employeur d'une de ses
salariées sans que soit établi le caractère confidentiel des informations qui auraient été détenues par la
salariée et qui auraient relevé d'un savoir-faire propre à l'employeur qu'elle avait quitté (Cass. com. 11-2-
2003 n° 00-15.149 (n° 278 FS-P), Sté Tourisme international Ferret c/ Sté Sodetour international , Bull.
civ. IV n° 17).
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08/09/2020 Un salarié peut-il partir à la concurrence avec le fichier clients ? | par Me Pierre ROBILLARD
De la même façon, en dépit de la démission de 10 des 29 salariés d'une entreprise sur une période de 18
mois pour une société concurrente nouvellement créée par un ancien salarié, la concurrence déloyale n’a
pas été constituée faute de désorganisation chez l'ancien employeur et alors que les sollicitations de la
clientèle du secteur avaient été réalisées par des moyens non répréhensibles (CA Paris 8-9-1995 n° 94-
11120, 25e ch. B, Sté Aster c/ Sté Objectif 21).
Dernière illustration dans le domaine du show business, car le droit est décidemment partout : une
ancienne salariée de la société Endemol, productrice de la célèbre émission de télé réalité « Secret
Story », a décidé d’en partir pour fonder sa propre société. Non liée par une clause de non concurrence,
elle pouvait donc exercer librement dans le même domaine. Malheureusement, elle a choisi de
développer un programme (trop) proche (intitulé « Dilemme ») qui a conduit Endemol à lui intenter un
procès en concurrence déloyale.
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07/09/2020 (Jur) Déséquilibre significatif, opérations de banque et notion de partenaire commercial | La base Lextenso
Plusieurs clients dénoncent les pratiques commerciales d’une société qui proposait à des clients professionnels de créer, pour leur
entreprise, un site Internet et de le mettre à leur disposition pour une durée de quarante-huit mois, tacitement renouvelable pour un
an, en leur faisant signer un contrat dit d'abonnement de sites Internet et un contrat de licence d'exploitation, lequel était ensuite
cédé à un loueur financier, qui devenait alors créancier des sommes dues périodiquement par le client.
Le ministre de l'économie assigne cette société pour violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, à l'effet d'obtenir
la cessation des pratiques incriminées, l'annulation des clauses contractuelles qui, par leur articulation, étaient de nature à créer un
déséquilibre significatif au détriment des clients et le paiement d'une amende civile.
Après avoir qualifié les contrats de mise à disposition de site Internet conclus entre la société et ses clients de contrats de location,
la cour d’appel de Paris relève que l’une des sociétés cessionnaires des contrats est une société de financement agréée auprès de
l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, habilitée en conséquence à réaliser à titre habituel des opérations de crédit et
opérations connexes, constitutives de services bancaires et financiers, dans les conditions et limites définies dans son agrément.
La cour d’appel qui constate que l'article L. 511-4 du Code monétaire et financier prévoit seulement que les articles L. 420-1 à
L. 420-4 du Code de commerce sur les pratiques anticoncurrentielles s'appliquent aux établissements de crédit et aux sociétés de
financement pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du même code, en déduit
justement que, pour ces opérations, le législateur n'a pas étendu aux établissements de crédit et sociétés de financement
l'application des textes relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, de sorte que les activités exercées par cette société
cessionnaire des contrats dans le cadre des opérations de location financière litigieuses ne relèvent pas du Code de commerce mais
des dispositions spécifiques du Code monétaire et financier.
Mais selon l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359
du 24 avril 2019, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout producteur,
commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou tenter de soumettre un partenaire
commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Au sens de ce texte, le partenaire commercial est la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une
relation commerciale.
La cour d’appel, pour rejeter la demande du ministre de l'économie dirigée contre la société qui mettait à disposition les sites,
après avoir relevé que les deux alinéas de ce texte mentionnent la notion de « partenaire commercial » et énoncé qu'un partenaire
se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une
activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans des
activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d'agent économique ou plus étroite de
cocontractant, retient que les contrats de mise à disposition de site Internet conclus entre la société et ses clients sont des contrats
de location ayant pour objet des opérations ponctuelles à objet et durée limités, de cinq ans, ne générant aucun courant d'affaires
stable et continu et n'impliquant aucune volonté commune et réciproque d'effectuer, de concert, des actes ensemble dans des
activités de production, de distribution ou de services.
Ainsi, la cour d'appel ajoute à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, violant ainsi le texte susvisé.
SOURCE
https://www.labase-lextenso.fr/jur-desequilibre-significatif-operations-de-banque-et-notion-de-partenaire-commercial 1/2
Mai 2020 version 1
Une loi fiscale complexe n’est pas constitutionnelle
car contraire à la déclaration des Droits
de l’homme et du citoyen du 26 aout 1789
patrickmichaud@orange.fr
- qu'il en irait de même si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de
la capacité de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée.
La complexité inutile de la loi ou, au sens qui vient d'être défini, sa complexité excessive,
restreint l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration, en
vertu duquel cet exercice n'a de bornes que celles qui sont déterminées par la loi, que
par son article 5, aux termes duquel :
" Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché,
et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ".
" Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants,
la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et
d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ".
Il en est d'autant plus ainsi lorsque la loi fiscale appelle le contribuable à opérer des
1
arbitrages et conditionne la charge finale de l'impôt aux choix éclairé de l'intéressé.
Il a donc censuré l’article 78 de la loi de finances pour 2006 insérant un article 200-0 A
« Plafonnement de certains avantages fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu », dans le
CGI
Guide dit de Légistic pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires ( 2017 )en
htlm
En pdf
LE PRINCIPE
tant par l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de bornes que
celles qui sont déterminées par la loi,
que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n'est pas 21 défendu par la loi ne
peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » ;
78. Considérant qu’en matière fiscale, la loi, lorsqu’elle atteint un niveau de complexité
tel qu’elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l’article 14 de la
Déclaration de 1789, aux termes duquel :
« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs
représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir
librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le
recouvrement et la durée » ;
79. Considérant qu’il en est particulièrement ainsi lorsque la loi fiscale invite le
contribuable, comme en l’espèce, à opérer des arbitrages et qu’elle conditionne la charge
finale de l’impôt aux choix éclairés de l’intéressé ;
Toutefois, des motifs d'intérêt général suffisants peuvent justifier la complexité de la loi
(par exemple : n° 2004-494 DC du 29 avril 2004. cons. 14).
81. Considérant que c’est au regard des principes ci-dessus énoncés que doit être
appréciée la conformité à la Constitution de l’article 78 de la loi de finances pour 2006 ;
82. Considérant, en premier lieu, que les destinataires des dispositions en cause ne sont
pas seulement l’administration fiscale, mais aussi les contribuable s, appelés à calculer
par avance le montant de leur impôt afin d’évaluer l’incidence sur leurs choix des
nouvelles règles de plafonnement ;
84. Considérant que la complexité de ces règles se traduit notamment par la longueur de
l’article 78, par le caractère imbriqué, incompréhensible pour le contribuable, et parfois
ambigu pour le professionnel, de ses dispositions, ainsi que par les très nombreux
renvois qu’il comporte à d’autres dispositions elles-mêmes imbriquées ; que les
incertitudes qui en résulteraient seraient source d’insécurité juridique, notamment de
malentendus, de réclamations et de contentieux ;
85. Considérant que la complexité du dispositif organisé par l’article 78 pourrait mettre
une partie des contribuables concernés hors d’état d’opérer les arbitrages auxquels les
invite le législateur ; que, faute pour la loi de garantir la rationalité de ces arbitrages,
serait altérée la justification de chacun des avantages fiscaux correspondants du point de
vue de l’égalité devant l’impôt ;
86. Considérant, dans ces conditions, que la complexité de l’article 78 est, au regard des
exigences constitutionnelles ci-dessus rappelées, excessive ;
87. Considérant, en second lieu, que le gain attendu, pour le budget de l’Etat, du
dispositif de plafonnement des avantages fiscaux organisé par l’article 78 de la loi
déférée est sans commune mesure avec la perte de recettes résultant des dispositions de
ses articles 74, 75 et 76 ;
88. Considérant, dès lors, que la complexité nouvelle imposée aux contribuables ne
trouve sa contrepartie dans aucun motif d’intérêt général véritable ; 89. Considérant
qu’il résulte de tout ce qui précède que la complexité de l’article 78 de la loi de finances
pour 2006 est à la fois excessive et non justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ;
3
qu’il y a lieu en conséquence, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs de la
saisine, de déclarer cet article contraire à la Constitution ;
4
DROIT A
L’OUBLI
25/10/2019 DALLOZ Etudiant - Actualité: « Droit à l’oubli » sur les moteurs de recherche : état des lieux
À la une
LIBERTÉS FONDAMENTALES - DROITS DE L'HOMME [ 22 octobre 2019 ]
« Droit à l’oubli » sur les moteurs de recherche : état des lieux
Chaque individu dispose d’un « droit à l’oubli » ; droit qui consiste à décider si ses données personnelles doivent ou non être
effacées lorsque leur conservation constitue une violation de ses intérêts ou libertés et droits fondamentaux. Les moteurs de
recherche, incontournables, participent à l’essor de l’exercice de ce droit. Quelles sont, dès lors, les règles concrètes en la
matière ?
Le « droit à l’oubli » est une notion qui souffrait jusqu’à récemment d’un manque de considération juridique, l’expression regroupant en
réalité deux droits : le droit à l’effacement et le droit d’opposition. C’est par ailleurs la raison pour laquelle le Règlement général sur la
protection des données (RGPD) n’omet jamais d’insérer des guillemets dès lors qu’il évoque ce droit. Il existait ainsi dès l’adoption de la
directive du 24 octobre 1995, et, plus récemment depuis l’adoption du RGPD, la possibilité pour une personne de s’opposer au
traitement de ses données personnelles, ou d’en demander l’effacement (Dir. 95/46/CE, art. 12 ; Règl. 2016/679/UE, art. 17 et 21).
Imaginons un instant Monsieur X, entrepreneur et sorti d’une longue période de surendettement, se voyant systématiquement refuser
un prêt pour développer son affaire. En entrant son nom sur son moteur de recherche préféré, il s’aperçoit qu’un obscur article publié
par un journal local il y a de cela dix ans ferait état de son insolvabilité. Sans l’existence du moteur de recherche, aucune banque
n’aurait jamais pensé à consulter le journal, et Monsieur X entend faire valoir ses droits. Le problème étant que la personne doit en
principe exercer ses droits auprès du responsable de traitement, qui est la personne déterminant les finalités et les moyens du
traitement des données personnelles. Ce responsable de traitement serait donc a priori le journal local, puisque c’est lui qui est à
l’origine de l’article, et non le moteur de recherche.
Depuis la célèbre affaire « Google Spain », la CJUE estime qu’un moteur de recherche est un responsable de traitement, puisqu’il
stocke les données, les indexe, et les met à disposition des utilisateurs sous un ordre donné (CJUE, gr. ch., 13 mai 2014, n° C-131/12).
Au vu de l’activité limitée du moteur de recherche, l’exercice du droit à l’oubli doit se restreindre à une demande de déréférencement.
Ainsi, Monsieur X pourrait demander au moteur de recherche à ce que le résultat de la recherche liée à son nom ne mentionne pas le
site web litigieux.
Or, l’exercice du « droit à l’oubli » peut être limité par d’autres intérêts, dont notamment l’exercice du droit à la liberté d’expression et
d’information, ou encore des motifs d’intérêts publics (RGPD, art. 17, § 2). Le juge doit donc procéder à un contrôle de proportionnalité
entre les droits fondamentaux de la personne concernée et les motifs listés par le RGPD.
Récemment, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la portée du droit au déréférencement imposé à
l’exploitant d’un moteur de recherche, par deux arrêts rendus le 24 septembre 2019.
La première affaire s’intéresse à la question des données sensibles, particulièrement protégées, qui révèlent par exemple
l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, ou les convictions religieuses ou philosophiques (Dir. 95/46/CE, art. 8 ;
RGPD, art. 9). En principe, expose la CJUE, le moteur de recherche doit automatiquement faire droit aux demandes de
déréférencement de sites web contenant des données sensibles. Cependant, ajoute la Cour, le moteur de recherche peut refuser la
demande :
- soit lorsque toutes les conditions de licéité du traitement ont été respectées et que la personne concernée n’a pas exercé son
droit d’opposition ;
- soit après contrôle de proportionnalité, lorsque la conservation du lien litigieux dans la liste des résultats est « strictement
nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au
moyen d’une telle recherche », ou, pour les données relatives aux infractions et aux condamnations pénales, lorsque « ces
informations se rapportent à une étape antérieure de la procédure judiciaire en cause et ne correspondent plus, compte tenu
du déroulement de celle-ci, à la situation actuelle ».
La seconde affaire s’intéresse à la question de savoir si le juge peut étendre la demande de déréférencement à toutes les
extensions des noms de domaine du moteur de recherche. C’est la question du blocage géographique, dit géoblocage, qui
permet de bloquer le site web litigieux dans un territoire délimité. Sur ce point, la CJUE rappelle que le législateur européen entendait
seulement harmoniser les règles sur le territoire de l’Union européenne, non dans le monde entier. Ainsi, en principe, l’exercice du droit
au déréférencement devrait se limiter sur les territoires de l’Union. Toutefois, le législateur européen n’a pas non plus expressément
interdit d’étendre le déréférencement au monde entier. De fait, selon la Cour, et à la suite d’un contrôle de proportionnalité, une autorité
de contrôle ou une autorité judiciaire pourrait « enjoindre, le cas échéant, à l’exploitant [d’un] moteur de recherche de procéder à un
déréférencement portant sur [les versions du monde entier] dudit moteur ».
CJUE, gr. ch., 24 septembre 2019, GC, AF, BH, ED c/ CNIL, n° C-136/17
CJUE, gr. ch., 24 septembre 2019, Google c/ CNIL, n° C-507/17
Références :
■ Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la
directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données)
Article 9 Traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel. 1. Le traitement des données à
caractère personnel qui révèle l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou
l'appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une
personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation
sexuelle d'une personne physique sont interdits.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas si l'une des conditions suivantes est remplie:
a) la personne concernée a donné son consentement explicite au traitement de ces données à caractère personnel pour une ou
plusieurs finalités spécifiques, sauf lorsque le droit de l'Union ou le droit de l'État membre prévoit que l'interdiction visée au
paragraphe 1 ne peut pas être levée par la personne concernée;
b) le traitement est nécessaire aux fins de l'exécution des obligations et de l'exercice des droits propres au responsable du traitement
ou à la personne concernée en matière de droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale, dans la mesure où ce
traitement est autorisé par le droit de l'Union, par le droit d'un État membre ou par une convention collective conclue en vertu du droit
d'un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits fondamentaux et les intérêts de la personne concernée;
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25/10/2019 DALLOZ Etudiant - Actualité: « Droit à l’oubli » sur les moteurs de recherche : état des lieux
c) le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne physique, dans
le cas où la personne concernée se trouve dans l'incapacité physique ou juridique de donner son consentement;
d) le traitement est effectué, dans le cadre de leurs activités légitimes et moyennant les garanties appropriées, par une fondation, une
association ou tout autre organisme à but non lucratif et poursuivant une finalité politique, philosophique, religieuse ou syndicale, à
condition que ledit traitement se rapporte exclusivement aux membres ou aux anciens membres dudit organisme ou aux personnes
entretenant avec celui-ci des contacts réguliers en liaison avec ses finalités et que les données à caractère personnel ne soient pas
communiquées en dehors de cet organisme sans le consentement des personnes concernées;
e) le traitement porte sur des données à caractère personnel qui sont manifestement rendues publiques par la personne concernée;
f) le traitement est nécessaire à la constatation, à l'exercice ou à la défense d'un droit en justice ou chaque fois que des juridictions
agissent dans le cadre de leur fonction juridictionnelle;
g) le traitement est nécessaire pour des motifs d'intérêt public important, sur la base du droit de l'Union ou du droit d'un 'État membre
qui doit être proportionné à l'objectif poursuivi, respecter l'essence du droit à la protection des données et prévoir des mesures
appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts de la personne concernée;
h) le traitement est nécessaire aux fins de la médecine préventive ou de la médecine du travail, de l'appréciation de la capacité de
travail du travailleur, de diagnostics médicaux, de la prise en charge sanitaire ou sociale, ou de la gestion des systèmes et des
services de soins de santé ou de protection sociale sur la base du droit de l'Union, du droit d'un État membre ou en vertu d'un contrat
conclu avec un professionnel de la santé et soumis aux conditions et garanties visées au paragraphe 3;
i) le traitement est nécessaire pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique, tels que la protection contre les
menaces transfrontalières graves pesant sur la santé, ou aux fins de garantir des normes élevées de qualité et de sécurité des soins
de santé et des médicaments ou des dispositifs médicaux, sur la base du droit de l'Union ou du droit de l'État membre qui prévoit des
mesures appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits et libertés de la personne concernée, notamment le secret
professionnel;
j) le traitement est nécessaire à des fins archivistiques dans l'intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des
fins statistiques, conformément à l'article 89, paragraphe 1, sur la base du droit de l'Union ou du droit d'un État membre qui doit être
proportionné à l'objectif poursuivi, respecter l'essence du droit à la protection des données et prévoir des mesures appropriées et
spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts de la personne concernée.
3. Les données à caractère personnel visées au paragraphe 1 peuvent faire l'objet d'un traitement aux fins prévues au paragraphe 2,
point h), si ces données sont traitées par un professionnel de la santé soumis à une obligation de secret professionnel conformément
au droit de l'Union, au droit d'un État membre ou aux règles arrêtées par les organismes nationaux compétents, ou sous sa
responsabilité, ou par une autre personne également soumise à une obligation de secret conformément au droit de l'Union ou au droit
d'un État membre ou aux règles arrêtées par les organismes nationaux compétents.
4. Les États membres peuvent maintenir ou introduire des conditions supplémentaires, y compris des limitations, en ce qui concerne
le traitement des données génétiques, des données biométriques ou des données concernant la santé. »
Article 17 « Droit à l'effacement («droit à l'oubli») 1. La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement
l'effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l'obligation
d'effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l'un des motifs suivants s'applique:
a) les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou
traitées d'une autre manière;
b) la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement, conformément à l'article 6, paragraphe 1,
point a), ou à l'article 9, paragraphe 2, point a), et il n'existe pas d'autre fondement juridique au traitement;
c) la personne concernée s'oppose au traitement en vertu de l'article 21, paragraphe 1, et il n'existe pas de motif légitime
impérieux pour le traitement, ou la personne concernée s'oppose au traitement en vertu de l'article 21, paragraphe 2;
d) les données à caractère personnel ont fait l'objet d'un traitement illicite;
e) les données à caractère personnel doivent être effacées pour respecter une obligation légale qui est prévue par le droit de
l'Union ou par le droit de l'État membre auquel le responsable du traitement est soumis;
f) les données à caractère personnel ont été collectées dans le cadre de l'offre de services de la société de l'information visée à
l'article 8, paragraphe 1.
2. Lorsqu'il a rendu publiques les données à caractère personnel et qu'il est tenu de les effacer en vertu du paragraphe 1, le
responsable du traitement, compte tenu des technologies disponibles et des coûts de mise en œuvre, prend des mesures
raisonnables, y compris d'ordre technique, pour informer les responsables du traitement qui traitent ces données à caractère
personnel que la personne concernée a demandé l'effacement par ces responsables du traitement de tout lien vers ces données à
caractère personnel, ou de toute copie ou reproduction de celles-ci.
3. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire:
a) à l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information;
b) pour respecter une obligation légale qui requiert le traitement prévue par le droit de l'Union ou par le droit de l'État membre auquel
le responsable du traitement est soumis, ou pour exécuter une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique
dont est investi le responsable du traitement;
c) pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique, conformément à l'article 9, paragraphe 2, points h) et i), ainsi
qu'à l'article 9, paragraphe 3;
d) à des fins archivistiques dans l'intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques
conformément à l'article 89, paragraphe 1, dans la mesure où le droit visé au paragraphe 1 est susceptible de rendre impossible ou de
compromettre gravement la réalisation des objectifs dudit traitement; ou
e) à la constatation, à l'exercice ou à la défense de droits en justice. »
■ CNIL, communiqué de presse, « Droit au déréférencement : la CJUE a rendu ses arrêts », 24 sept. 2019
■ CJUE, gr. ch., 13 mai 2014, Google Spain, n° C-131/12 : Dalloz Actu Étudiant, 21 mai 2014 ; AJDA 2014. 1147, chron. M.
Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1476, note V.-L. Benabou et J. Rochfeld ; ibid. 1481, note N. Martial-Braz et J.
Rochfeld ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJCT 2014. 502, obs. O. Tambou ; Légipresse 2014. 330 et les obs. ;
JAC 2014, n° 15, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; Constitutions 2014. 218, chron. D. de Bellescize ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P.
Jacqué ; ibid. 879, étude B. Hardy ; ibid. 2016. 249, étude O. Tambou ; Rev. UE 2016. 597, étude R. Perray
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25/10/2019 DALLOZ Etudiant - Actualité: « Droit à l’oubli » sur les moteurs de recherche : état des lieux
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Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)
Le Conseil d’État a confirmé l’ensemble des griefs formulés par la CNIL à l’encontre de la
multinationale, envoyant ainsi un signal fort d’une relative fin d’impunité au GAFAM et autres
géants de la tech.
Visée par deux plaintes d’associations très actives en matière de défense des droits des
consommateurs (None Of Your Business [NYOB] et La Quadrature Du Net [LQDN]), la société
Google, en charge d’Android, système d’exploitation leader du marché, avait été condamnée le
21 janvier 2019 à une sanction pécuniaire inédite de 50 millions d’euros par la CNIL (v. Dalloz
actualité, 28 janv. 2019, obs. N. Maximin). Un an et demi plus tard, le 19 juin 2020, le Conseil d’État
clôt définitivement cette procédure, confirmant l’ensemble des griefs formulés à l’encontre de la
multinationale et jugeant le montant de la condamnation proportionné aux manquements
constatés.
Google promeut à destination des entreprises et des internautes une large palette de services,
parmi lesquels Android, dominant le marché en France loin devant son principal concurrent iOS
(Apple), et une régie publicitaire pour afficher de la publicité contextualisée. Ces deux services
avaient précisément fait l’objet du recours formé par NYOB et LQDN devant la CNIL, aux motifs,
d’une part, d’une absence de transparence et d’exhaustivité des informations communiquées aux
utilisateurs d’Android lors de leur inscription au service et, d’autre part, d’une qualité insuffisante
du consentement requis pour fonder les traitements de données personnelles. Loin de modérer
l’ardeur de l’autorité de régulation, le Conseil d’État, dans sa décision du 19 juin 2020, valide en
tous points son analyse et envoie par là même un signal fort (uniquement juridique ou également
politique ?) d’une relative fin d’impunité aux GAFAM et autres géants de la tech.
Ce point procédural revêt une importance cruciale pour les géants américains, dont la constitution
du siège social en Europe répond, en partie du moins, à des stratégies de forum shopping,
cherchant la compétence de la juridiction a priori la plus favorable à ses intérêts. En appliquant
l’article 55, le Conseil d’État s’attache à décrypter la réalité opérationnelle de ce géant du
numérique et concourt à l’effectivité de l’application du RGPD évitant les débats procéduraux
relatifs à l’autorité chef de file.
Google reprochait à la CNIL de n’avoir eu le temps de préparer utilement sa défense au cours des
deux mois et demi (dont une extension de quinze jours par rapport aux délais classiques) de
procédure et de ne pas bénéficier d’extension de délais en raison de sa domiciliation en dehors de
la France métropolitaine.
Ces deux prétentions ont été rejetées par le Conseil d’État, estimant la société « à même de
préparer et de présenter utilement sa défense », les conclusions écrites de celles-ci ayant été
complétées par des observations orales lors de la séance de la formation restreinte.
Les délais accordés dans ce contexte sont effectivement très brefs, notamment par rapport à ceux
en vigueur devant les juridictions judiciaires, et permettent aux interventions de la CNIL visant à
sanctionner des manquements au RGPD d’être particulièrement rapides ; cette brièveté impose, il
est vrai, une diligence très significative des acteurs devant organiser leur défense.
Aux fins d’éclairer les utilisateurs d’Android sur les modalités de mise en œuvre des traitements
portant sur leurs données personnelles, et à la lumière du volume d’informations à communiquer
en vertu de l’article 13 du RGPD, Google propose lors de la création du compte une architecture en
escalier « à partir d’une approche à plusieurs niveaux », conformément aux préconisations du CEPD
(Lignes directrices WP260 sur la transparence, version révisée du 11 avr. 2018) : un niveau
d’information basique présentant les finalités de manière générale est complété par des liens
hypertextes plus exhaustifs et des modalités de paramétrage de la confidentialité du compte.
Dans le sillage de la CNIL, le Conseil d’État sanctionne ici une pratique courante des grands acteurs
en ligne, consistant à disséminer les informations de manière à ce que leur recoupage par la
personne concernée soit rendu (quasiment) impossible, a fortiori pour un néophyte. Ainsi, il ne suffit
pas aux informations d’être mises à disposition par le responsable de traitement, elles doivent
l’être sous une forme et selon des modalités en permettant une prise de connaissance effective.
sur laquelle une majorité de services en ligne fonde leur business model, n’en finit plus de
provoquer des remous, à l’image des normes récemment édictées par la CNIL en matière
d’acceptation des cookies et partiellement censurées par le Conseil d’État dans une décision
également rendue le 19 juin 2020 (CE 19 juin 2020, req. n° 434684, Dalloz actualité, 25 juin 2020,
obs. M.-C. de Montecler).
Le Conseil d’État rappelle ainsi l’exigence de caractériser « une manifestation de volonté libre,
spécifique, éclairée et univoque » conformément aux dispositions de l’article 4.11 du RGPD
(laquelle est, contrairement aux allégations de Google, définie de manière identique, quelle que soit
la typologie de données concernées, sensibles ou non). N’est donc pas considéré comme valable le
consentement de l’utilisateur Android à la personnalisation des annonces, dès lors que :
• d’une part, les informations communiquées au regard de cette finalité sont trop peu spécifiques
et diluées parmi d’autres finalités fondées sur une autre base légale (en lien avec le défaut
d’information évoqué ci-avant) ;
• et, d’autre part, l’utilisateur doit accéder au second niveau d’information pour être en mesure
d’exprimer son consentement, par ailleurs au