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VOTRE PSAUME : AVEC OU SANS DAVID ?
Didier Luciani, André Wenin
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Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses »

2016/4 Tome 91 | pages 607 à 616


ISSN 0014-2239
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-4-page-607.htm
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Pour citer cet article :


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Didier Luciani, André Wenin, « Votre psaume : avec ou sans David ? », Études
théologiques et religieuses 2016/4 (Tome 91), p. 607-616.
DOI 10.3917/etr.0914.0607
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ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES


91e année – 2016/4 – P. 607 à 616

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Votre psaume  : avec ou sans David  ?
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Treize psaumes sont précédés par une notice biographique, plus ou moins
développée, qui les met non seulement en rapport avec le roi David, mais plus
précisément avec un épisode de sa vie. Le psaume 3 est le premier d’entre eux.
Didier LUCIANI et André WÉNIN* cherchent à répondre à une question simple :
l’attribution à David change-t-elle la compréhension et l’interprétation du
psaume, et si oui, que modifie-t-elle ?

Certains boivent leur whisky on the rocks autrement dit avec des glaçons,
tandis que les puristes le préfèrent sec. Il y a ceux qui dégustent les fraises avec
de la chantilly et ceux qui ne les apprécient que nature. La liturgie et la plupart
des commentaires exégétiques nous ont habitués, pour diverses raisons, à lire
les psaumes sans les titres qui les introduisent et, plus particulièrement, sans les
notices biographiques qui attribuent soixante-treize d’entre eux à David1. Ce
bref article se propose simplement d’examiner, à partir d’un exemple concret,

*
Didier LUCIANI et André WÉNIN sont professeurs d’Ancien Testament à la Faculté de théologie de
l’Université catholique de Louvain et membres de l’Institut de recherche Religions, Spiritualités,
Cultures, Sociétés.
1
Sur ces titres des Psaumes, voir Jean-Marie AUWERS, La composition littéraire du Psautier. Un
état de la question, Paris, Gabalda, coll. « Cahiers de la Revue Biblique 46 », 2000, surtout les p. 135-159,
ainsi que la bibliographie, p. 196-197. Plus récemment, voir encore Gilles DORIVAL, « Titres hébreux et
titres grecs des psaumes », in Christian-Bernard Amphoux et al. (éd.), Recherches textuelles sur les
Psaumes et les Évangiles : actes du colloque de Tbilisi, 19-20 septembre 2007, Leyde, Brill, coll.
« Supplements to Novum Testamentum 142 », 2012, p. 3-18 ; ID., « Les titres des psaumes en hébreu
et en grec : les écarts quantitatifs », in Dieter Böhler et al. (éd.), L’Écrit et l’Esprit. Études d’histoire
du texte et de théologie biblique en hommage à Adrian Schenker, Fribourg/Göttingen, Academic
Press/Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Orbis biblicus et orientalis 214 », 2005, p. 58-70 ; ID., « Neuf
propositions pour l’étude des titres des psaumes », in Wolfgang Kraus et al. (éd.), La Septante en
Allemagne et en France. Textes de la Septante à traduction double ou à traduction très littérale,
Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Orbis biblicus et orientalis 238 »,
2009, p. 149-165 ; Olivier MUNNICH, « L’étude des titres des Psaumes : question de méthode », Vetus
Testamentum 61 (2011), p. 371-373. Le caractère éditorial, non historique et tardif de ces titres explique
le désintérêt dont ils ont été longtemps victimes. Le changement de paradigme dans l’étude du Psautier
fait qu’ils sont considérés désormais comme une clé herméneutique à ne plus négliger.

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DIDIER LUCIANI – ANDRÉ WÉNIN ETR

ce que cela change de lire un psaume – en l’occurrence, le psaume 3, premier


du Psautier à porter un titre – avec ou sans David, c’est-à-dire en tenant compte

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ou non de sa superscription.
Ce psaume étant assez concis, nous pouvons nous permettre de commencer
par en donner une traduction. Celle-ci essaie, autant que faire se peut, de respec-
ter l’ordre des mots et de mettre en évidence les correspondances lexicales du
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texte hébreu :
1
Psaume de David quand il fuyait de devant Absalom son fils.
2
YHWH, qu’ils sont nombreux mes adversaires, nombreux ceux qui se lèvent
contre moi,
3
Nombreux ceux qui me disent « pas de salut pour lui en Dieu » [sèlah].
4
Mais toi YHWH, [tu es] un bouclier pour moi, ma gloire, et tu rehausses ma tête.
5
Ma voix vers YHWH, je crie et il me répond de sa montagne sainte [sèlah].
6
Moi, je me suis couché et je me suis endormi ; je me suis éveillé, oui YHWH me
soutient.
7
Je ne crains pas les très nombreux2 du peuple qui autour sont postés contre moi.
8
Lève-toi YHWH, sauve-moi mon Dieu ; oui, tu as frappé tous mes ennemis à la
joue, les dents des méchants, tu as brisé.
9
À YHWH le salut, sur ton peuple ta bénédiction [sèlah].

SANS DAVID

Il ne s’agit pas ici de proposer une nouvelle interprétation du psaume, mais


plutôt, en se basant sur l’analyse du texte et sur les études existantes, de repérer
le mouvement global de cette prière et, partant, d’en dégager la signification3.
Pour ce faire, plusieurs pistes peuvent être suivies.

2
« Très nombreux » traduit le mot hébreu revâvôt (« myriades »), de la même racine que
« nombreux » (râvav, v. 2-3).
3
Outre les grands commentaires sur les Psaumes (L.C. Allen, P.C. Craigie, M. Dahood, M. Girard,
L. Jacquet, R. Michaud, K. Schaefer, M.E. Tate, S. Terrien, J.-L. Vesco, etc.), on peut se reporter plus
spécifiquement aux articles suivants : Pierre AUFFRET, « Sur ton peuple ta bénédiction ! Étude structu-
relle du Psaume 3 », Science et Esprit 50 (1998), p. 315-334 ; Robert ALTHANN, « Atonement and
Reconciliation in Psalms 3, 6 and 83 », Journal of Northwest Semitic Languages 25 (1999), p. 75-82 ;
Christoph O. SCHROEDER, « Psalm 3 und das Traumorakel des von Feinden bedrängten Beters », Biblica
81 (2000), p. 243-251 ; Ruth FIDLER, « A Touch of Support: Ps 3,6 and the Psalmist’s Experience »,
Biblica 86 (2005), p. 192-212 ; Roberto TADIELLO, « Studio sintattico del Salmo 3 », Bibbia e Oriente
48 (2006), p. 193-203 ; Thérèse GLARDON, « Le Psaume 3 ou quand la réalité cesse d’être menaçante »,
Hokhma 94 (2008), p. 15-24 ; Phil J. BOTHA, Beat WEBER, « “Killing Them Softly with this Song…”:
The Literary Structure of Psalm 3 and Its Psalmic and Davidic Contexts. I. An Intertextual Interpretation
of Psalm 3 ; II. A Contextual and Intertextual Interpretation of Psalm 3 », Old Testament Essays 21
(2008), p. 18-37 et p. 273-297 ; John T. WILLIS, « Assurance for a Threatened Community: A Rhetorical
Reading of Psalm 3 », Bibbia e Oriente 53 (2011), p. 3-18.

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2016/ 4 VoTRE psaumE  : AVEC ou SANS DaViD  ?

Tout d’abord, l’examen du vocabulaire et des formes pronominales permet


de relever un certain nombre de correspondances entre le début (v. 2-3) et la fin

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(v. 7-9) du psaume et d’isoler ainsi une section centrale (v. 4-6). La réécriture
suivante suffit à mettre en évidence ces phénomènes :

YHWH, qu’ils sont nombreux MES ADVERSAIRES, nombreux […]


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se lèvent contre moi,


3
Nombreux […] « pas de salut pour lui en Dieu ».

4
Mais toi YHWH, un bouclier pour moi, ma gloire, et tu rehausses ma tête.
5
Ma voix vers YHWH, je crie et il me répond […]
6
Moi, je me suis couché et je me suis endormi ; je me suis éveillé,
oui YHWH me soutient.

Je ne crains pas les très nombreux […] postés contre moi.


7

Lève-toi YHWH, sauve-moi mon Dieu ; oui tu as frappé tous MES ENNEMIS […]
8

9
À YHWH le salut, sur ton peuple ta bénédiction.

D’un exposé de sa situation dramatique (v. 2-3 : les nombreux adversaires),


l’orant passe donc à une prière confiante en attente d’être exaucée (v. 7-8 : « je
ne crains pas […] sauve-moi »), conclue par une acclamation liturgique qui
ouvre et généralise son propos (v. 9). Les motifs de la confiance sont exposés
au centre : YHWH protège (v. 4), soutient (v. 6) et surtout répond à la prière
depuis son Temple (v. 5, pivot de la section centrale et de tout le psaume).
L’expression de cette confiance est très nette, même s’il reste difficile de saisir
la nature exacte (personnelle ou ritualo-institutionnelle) de l’expérience du
psalmiste sur laquelle elle se fonde.
Tout en déplaçant un peu les transitions, l’intervention des acteurs du drame
(le psalmiste, les adversaires et YHWH) et les jeux d’énonciation confirment
cette organisation.

v. Acteurs Énonciation v.
2-3 adversaires / moi
le psalmiste s’adresse à YHWH (tu) 2-5
4-6 YHWH / moi
le psalmiste parle de YHWH (il) 6
7 moi / adversaires le psalmiste se parle à lui-même 7
ou parle à YHWH (?)
8a YHWH / moi
le psalmiste s’adresse à YHWH (tu) 8
8b YHWH / adversaires
le psalmiste parle de (9a : il) et à
9 YHWH / ton peuple (nous) 9
YHWH (9b : tu)

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Dans sa supplication confiante, le psalmiste « ne parle que de Dieu ou avec


Dieu4 ». Il ne s’adresse jamais directement à ses adversaires, d’ailleurs non

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identifiés5. Face à eux qui « se lèvent » (v. 2), il implore Dieu de faire de même
(v. 8 : « Lève-toi »), tandis que lui peut « se coucher » en paix (v. 6). À leur
dénégation du salut (v. 3), il répond par un « sauve-moi » adressé (v. 8). À leurs
intimidations, il oppose sa foi en YHWH et en sa capacité de délivrer, dont
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témoigne tout particulièrement le v. 8. Ce verset, en effet, avec ses deux verbes


à l’accompli (« tu as frappé, tu as brisé »)6 peut exprimer la certitude que la
demande est par avance exaucée, et peut renvoyer en même temps à un salut
déjà expérimenté par le passé.

AVEC DAVID

Reprenons maintenant la lecture de notre psaume à la lumière du titre du


premier verset : « 1Psaume de DAVID quand il fuyait de devant Absalom son fils. »

Cette notice biographique renvoie clairement à l’épisode qui débute en


2 S 15,13, comme le prouvent les éléments mis en évidence de part et d’autre :

Un informateur vint dire à DAVID : « Le cœur des hommes d’Israël suit


13

Absalom ». 14DAVID dit à tous ses serviteurs qui étaient avec lui à Jérusalem :
« Levez-vous et fuyons, car nous n’aurons pas d’échappatoire de devant
Absalom7. Hâtez-vous d’aller, de peur qu’il ne se hâte et ne nous atteigne, qu’il
n’amène sur nous le malheur et ne frappe8 la ville au fil de l’épée ».

Mais le contexte global auquel il est fait allusion peut être étendu de 2 S 15,10,
où résonne le signal du début de la révolte, jusqu’à 2 S 17,29 quand Absalom
franchit le Jourdain à la poursuite de son père, ou même jusqu’à 2 S 18,32 quand

4
La même chose est dite de Dominique de Guzman (1170-1221), fondateur de l’ordre des dominicains.
5
Le psaume présente toutefois quelques accents militaires à travers le vocabulaire employé :
« adversaire » (v. 2) et « ennemi » (v. 8) ; « sauver / salut » (termes connotant le secours, voire la victoire,
v. 3.8.9) ; « bouclier » (v. 4) ; « frapper » (v. 8). Voir, par exemple, Gianfranco RAVASI, Il libro dei Salmi.
Commento e attualizzazione, vol. I, Bologne, Dehoniane, coll. « Lettura pastorale della Bibbia 12 »,
1981, p. 117-118.
6
Noter, en outre, la structure chiastique de ce verset (abc / c’b’a’ : tu as frappé / tous mes ennemis
/ à la joue // les dents / des méchants / tu as brisé) avec un bel effet d’intensification : de « la joue » aux
« dents » et de « frapper » à « briser », pour cette bouche qui a osé proférer « pas de salut pour lui en
Dieu » (v. 3).
7
On trouve encore une expression proche en 2 S 19,10 : « Le roi […] a dû fuir du pays à cause
d’Absalom ».
8
Le même verbe « frapper », avec Dieu pour sujet, apparaît aussi dans le psaume (v. 8 : « tu as
frappé tous mes ennemis »).

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2016/ 4 VoTRE psaumE  : AVEC ou SANS DaViD  ?

on vient annoncer au roi la mort de son fils. Si l’on considère ce contexte large
(2 S 15,10-18,32), le relevé des points de contact lexicaux entre le Ps 3 et le

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récit de 2 S donne le résultat suivant :

Vocabulaire Ps 3 2 S 15,10-18,32
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15,12.13.14.22.30.31.32.33.37 ;
Dawid DAVID 1 16,1.5.6.10.11.13.16.23 ;
17,1.16.17.21.22.24.27.29 ; 18,1.2.7.9.24
bârah fuir 1 15,14

mippenéy de devant 1 15,14


15,10.11.12.13.14.31.34.37 ;
16,8.15.16.17.18.20.21.22. 23 ;
’Avshâlôm ABSALOM 1
17,1.4.5.6.7.9.14.15.18.20.24.25.26 ;
18,5.9.10.12.14.15.17.18.29.32
15,27.36 ; 16,3.5.8.9.10.11.19 ;
bén fils 1
17,10.25.27 ; 18,2.12.18. 19.20.22.27
15,21.25.31 ; 16,8.10.11.12.18 ; 17,14 ;
Yhwh YHWH 2.4.5.6.8.9
18,19.28.31
rav nombreux 2 15,12 ; 17,11

qoûm se lever 2.8 15,14 ; 17,1.21.22.23 ; 18,31.32

nèfèsh âme 3 16,11.14 ; 17,8 ; 18,13

’èlôhîm Dieu 3.8 15,24.25.29.32 ; 16,23 ; 18,28

rôsh tête 4 15,30.32 ; 16,1.9

qôl voix 5 15,10.23

qârâ’ appeler 5 15,11 ; 17,5 ; 18,18.25.26.28

‘ânâh répondre 5 15,21

har mont 5 16,13


15,12.17.23.24.30 ; 16,6.14.15.18 ;
‘am peuple 7.9
17,2.3.8.9.16.22.29 ; 18,1.2.3.4.5.6.7.8.16
sâvav entourer 7 18,15.30

nâkâh frapper 8 15,14 ; 17,2 ; 18,11.15

‘ôyév ennemi 8 18,19.32

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Bien sûr, toutes les occurrences de cette liste ne sont pas identiquement
pertinentes pour opérer des rapprochements, mais certaines permettent toute-

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fois d’établir des liens solides et suggestifs entre le contenu de chacun des deux
passages. Comme cela a déjà été signalé, le rapport le plus immédiat s’établit
entre le titre du Psaume (v. 1) et 2 S 15,13-14 (voir ci-dessus). Mais d’autres
parallèles éclairants peuvent être repérés et plusieurs ont d’ailleurs déjà été
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signalés par différents auteurs9. Nous reprenons l’ensemble de ces parallèles


dans le tableau ci-après :

Ps 3 2S

À propos d’Absalom et de ses


partisans :
1. Ceux qui se lèvent contre moi (2b). YHWH t’a rendu justice […] en te tirant
de la main de tous ceux qui s’étaient
levés contre toi (18,31 ; cf. 18,19).
Que soient comme ce jeune homme
les ennemis […] du roi et tous ceux
qui se lèvent contre toi pour le mal
(18,32).
2. Les adversaires nombreux (2.3.7). Le peuple se rallie de plus en plus
nombreux à Absalom (15,12-13 ;
17,11 ; voir aussi 15,6 ; 17,1).

À propos de David :
3. Tous mes ennemis (8). YHWH lui a rendu justice en le tirant
de la main de ses ennemis (voir
18,32)10.
4. Pas de salut pour lui en Dieu (3). Voir la malédiction de Shiméï sur
David en train de fuir (16,8)11.
Comme le psalmiste, David répond à
cette malédiction par la confiance
(16,9-12).

9
Voir, par exemple, J.-M. AUWERS, La composition littéraire du Psautier, op. cit., p. 138.
10
Voir aussi un peu plus loin, 2 S 22,1 à propos du cantique de David : « David dit à YHWH les
paroles de ce chant (shîr) le jour où YHWH le sauva de la main de tous ses ennemis ».
11
Ici, cependant, le rapprochement est thématique et ne se fonde pas sur un lexique commun.

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5. Tu rehausses ma tête (4). Cf., à l’opposé, David qui gravit le


mont des Oliviers en pleurant, la tête

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couverte et les pieds nus (15,30).
6. Je me suis couché et je me suis Voir la fatigue du roi fugitif et son
endormi ; je me suis éveillé, repos (16,14 ; cf. 17,2).
oui YHWH me soutient (6). Voir l’importance de la nuit dans la
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stratégie à adopter (conseil d’Ahitophel


vs conseil de Hushaï : 17,1-16).
7. Les ennemis qui m’entourent (7). Voir, à l’opposé, les dix écuyers de
Joab qui entourent Absalom et le
mettent à mort (18,15).

À partir de toutes les observations précédentes, nous pouvons tirer les


conclusions suivantes :
- les deux textes décrivent la situation désespérée d’un homme dont la vie
est gravement menacée par une multitude d’ennemis puissants et arrogants ;
- face à cette situation, cet homme exprime sa plainte par des mots (Ps 3,2 :
« combien nombreux [sont] mes adversaires ») et des pleurs (2 S 15,23.30) ;
- mais surtout, il s’en remet à Dieu, avec foi et confiance dans le Psaume
(v. 4-7), avec tout autant d’abandon, mais moins de certitude dans le récit (2 S 16,11-
12 : « Laissez-le maudire puisque YHWH le lui a dit. Peut-être YHWH verra-t-il ma
misère et YHWH me rendra-t-il un bien au lieu de sa malédiction d’aujourd’hui ? ») ;
- il croit, en effet, de foi certaine que YHWH peut lui procurer le salut12 et le
venger de ses ennemis (Ps 3,3.8.9 ; 2 S 18,19.28.31.32) et il sait, en outre, par
expérience que cela s’est déjà produit dans le passé (Ps 3,8) comme le chante
le cantique de David en 2 S 22,1-51. Ce cantique dans lequel il récapitule toute
son expérience, depuis le temps où YHWH le délivrait de la griffe du lion
(1 S 17,37) jusqu’au moment de son énonciation peu avant sa mort (voir 2 S
23,1), en passant par tout le conflit avec Saül, reprend d’ailleurs le Ps 18 et
présente de nombreux points de contact directs avec le Ps 313 ;

12
Même si ce salut n’est pas exprimé en 2 S 15-18 par la racine yš‘ (špt en 2 S 18,19.31).
13
Outre sa thématique globale (Dieu sauve son fidèle et se venge de ses ennemis), les points de
contacts de ce cantique avec le Ps 3 sont nombreux : les substantifs « ennemis » (Ps 3,8 ; 2 S
22,1.4.18.38.41.49) et « bouclier » (Ps 3,4 ; 2 S 22,3.31.36) ; les mots dérivés de la racine du « salut »
(Ps 3,3.8.9 ; 2 S 22,3.4.28.36.42.51 ; cf. aussi plt en 2 S 22,2.44) ; le fait de « crier vers YHWH » et d’être
entendu depuis son sanctuaire (Ps 3,5 ; 2 S 22,4.7) ; les idées d’encerclement hostile (Ps 3,7 ; 2 S 22,6),
d’exaltation (Ps 3,4 ; 2 S 22,49), de soutien divin (Ps 3,6 ; 2 S 22,19, avec deux mots différents toutefois) ;
la forme même du cantique (mizmôr en Ps 3,1 ; zmr en 2 S 22,50) ; etc. Noter aussi que dans le psaume
les adversaires disent « pas de salut pour lui en Dieu », et pourtant YHWH répond au cri de l’orant
(v. 3.5), alors que dans le cantique de David la situation s’inverse : les ennemis « crient et pas de sauveur,
vers YHWH, mais pas de réponse » (v. 42).

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DIDIER LUCIANI – ANDRÉ WÉNIN ETR

- de fait, le renversement de situation et le salut obtenu au détriment des


adversaires – même si, dans le psaume, contrairement au récit14, l’issue de la

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prière n’est pas formellement connue – permettent au psalmiste et à David
d’invoquer la bénédiction divine et de confesser sa victoire. À nouveau, il est
intéressant, de ce point de vue, de comparer la finale du psaume (v. 9) – avec
sa mention de « ton peuple » qui devient moins surprenante si l’on en fait une
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déclaration royale15 – et deux des tout derniers versets du cantique :

Ps 3,9 : À YHWH le salut, sur ton peuple ta bénédiction.


2 S 22,47-48 : Vive YHWH et béni soit mon rocher, exalté le
Dieu rocher de mon salut !
O Dieu qui m’accorde la vengeance et qui abaisse
des peuples au-dessous de moi.

Aucune incompatibilité ne semble donc opposer Ps 3 et 2 S 15-18. Si le


psaume peut se lire aisément sans son titre, ce dernier n’usurpe pourtant ni sa
place ni sa fonction. Le récit raconte plus ou moins objectivement les tenants
et les aboutissants d’une action dans laquelle plusieurs libertés humaines se
rencontrent, collaborent, s’opposent ou s’entrechoquent. Le poème, quant à lui,
introduit à l’intimité et à la perception subjective d’un seul de ces individus
qui vit et prie ces événements en présence de son Dieu. Ce faisant, par cet effet
de loupe, il déforme sans doute un peu la réalité (« je suis seul contre tous » ;
cf. Élie en 1 R 19,9), mais il ajoute en même temps au récit une épaisseur
psychologique et spirituelle, une dimension d’humanité que celui-ci peut diffi-
cilement atteindre dans la mesure où il est volontairement réservé quand il
s’agit de dévoiler l’intériorité des personnages. À l’inverse, le récit permet de
contextualiser un poème évoquant une expérience assez générique qui, sans
traits vraiment particuliers, peut refléter n’importe quelle situation de détresse
devant l’agression. En évoquant des faits concrets dont le caractère dramatique
est évident pour David et pour son peuple, le titre donne de la chair à cette
prière, une profondeur humaine qu’il n’a pas en lui-même. En même temps, il
inscrit l’expérience personnelle dont procède cette prière dans l’action collec-
tive et dans la trame de l’histoire.
Certains auteurs se risquent à être plus précis et proposent d’inscrire la
récitation du psaume à un moment précis de la fuite de David, en 2 S 15,32, « au

14
2 S 18,1-18 : une bataille se déroule dans la forêt d’Éphraïm (v. 6), l’armée d’Israël est battue par
la garde de David (v. 7) et Absalom meurt, tué par Joab (v. 9-17).
15
Hormis cette unique mention de « ton peuple », tout le psaume rapporte la prière d’un individu
(« moi/je »). La présence inattendue et in extremis d’une dimension collective s’explique mieux si
l’orant exerce une fonction politique de représentation.

614
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2016/ 4 VoTRE psaumE  : AVEC ou SANS DaViD  ?

sommet [du mont des Oliviers], là où l’on se prosterne devant Dieu16 ». Deux
arguments favorisent ce choix : la mention d’un lieu où l’on rend un culte à

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Dieu et le fait que cette mention est tout juste précédée par la seule prière que
le long récit de la révolte d’Absalom met sur les lèvres de David (2 S 15,31 :
« Daigne, YHWH, rendre stupides les conseils d’Ahitophel »). Recomposant le
récit biblique dans ses Mémoires du roi David17, Carlo Coccioli préfère dissé-
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miner les versets du psaume entre le moment où David quitte son palais et celui
où Sadoq rejoint le roi avec l’arche d’alliance :

Nous quittâmes le palais, mais dix femmes, mes concubines, y restèrent pour
le garder ; nous quittâmes la ville, à pied, le roi avec son peuple, en gémissant.
Je pleurais, en psalmodiant : « Éternel, que mes adversaires sont nombreux,
nombreux ceux qui se dressent contre moi, nombreux ceux qui disent de moi :
Pas de salut pour lui en Dieu ! » [Ps 3,2-3]. Mais je fermais les yeux et Te voyais,
ô Éternel, dans tes Palais d’absolu, avec cette arme brandie et une irrépressible
douceur m’envahissait : une sorte, le croiras-Tu ?, de joie. Et comme on se
souvient d’un rêve, je me souviens que le paysage était très beau. Des arbres, des
fleurs, l’odeur de la terre, des nuages légers, et des papillons voletaient : le matin
morne s’était converti en lumière. Comme c’était beau ! « Mais – disais-je en
chantonnant – Tu es bouclier pour moi, Éternel, ma gloire, celui qui relève ma
tête ! » [Ps 3,4]. Peut-être ma confiance était-elle feinte : une manœuvre pour
T’obliger à… pour T’obliger à quoi ? Ah, je n’ai pas de certitudes quant au
David de ces abîmes ! […] Quelqu’un cria : « Maudit soit Absalom : que mon
seigneur le roi maudisse Absalom ! ». Moi, maudire Absalom, moi maudire
le… ? Incapable de parler, je secouai la tête. Non, je ne maudirai pas Absalom :
je n’étais pas, moi, le juge du bien et du mal. Je réussis à parler : « Éternel, lève-
toi, sauve-moi, mon Dieu… » [Ps 3,8], chantais-je en sanglotant […]. Moi, le
maudire ? Ce n’étaient pas nos jeux : c’étaient les jeux de Dieu. L’hymne jaillis-
sait de ma bouche : « … car tu frappes à la joue tous mes ennemis, Tu brises les
dents des méchants ! » [Ps 3,8]. Et mon âme invoquait : Ne frappe pas trop,
Éternel, ne brise pas trop les dents de mon fils Absalom ! Une fraction de temps,
il y eut un silence. Le chant d’un oiseau, prodigieux, l’occupa. Il faisait très
chaud, la lumière aveuglait. « Le salut appartient à l’Éternel ! – criai-je – Ta
bénédiction soit sur Ton peuple ! » [Ps 3,9].

16
Voir notamment Viviane L. JOHNSON, David in Distress: His Portrait Through the Historical
Psalms, Londres, T. & T. Clark, coll. « Library of Hebrew Bible, Old Testament Studies 505 », 2009,
p. 14-27 et 145 ; Amos HAKHAM, Séfèr Téhîlîm, Jérusalem, Mossad ha-Rav Kook, 1983, p. 10-13 [en
hébreu]. Notons que, dans la LXX, David est le sujet du verbe « se prosterner » : « Et David était en
train d’arriver au Ros où il se prosterna devant Dieu ».
17
Carlo COCCIOLI, Mémoires du roi David, Paris, Le Livre de Poche, 1979 (p. 506-511 pour le
passage cité). Dans cette « autobiographie » de David, l’auteur s’efforce de réinsérer chacun des psaumes
dans la trame du récit.

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DIDIER LUCIANI – ANDRÉ WÉNIN ETR

Quoi qu’il en soit de ces reconstructions, elles prouvent la fécondité d’un


processus amorcé dès l’édition du Psautier. Si, en effet, comme le dit

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J.-M. Auwers, « les titres biographiques […] représentent l’exégèse la plus
anciennement attestée de certains psaumes, une exégèse dont nous sommes au
moins assurés qu’elle a existé dès l’Ancien Testament18 », il ne paraît pas
illégitime de voir ce processus herméneutique se prolonger dans l’histoire de
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la réception du texte. Alors, vous reprendrez bien un deuxième psaume ? Avec


ou sans David19 ?

Didier LUCIANI – André WÉNIN

18
J.-M. AUWERS, La composition littéraire du Psautier, op. cit., p. 149.
19
De fait, notre atelier de lecture – dont nous remercions chacun des participants – nous a permis
de tester notre hypothèse sur un deuxième psaume (le Ps 52 : « Du maître de chant [?] Poème. De David.
Quand Doëg l’Édomite vint avertir Saül en lui disant : “David est entré dans la maison d’Ahimélek” » ;
cf. 1 S 22) avec autant de plaisir et de découvertes.

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