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sais-je.
LA DIDACTIQUE
DES LANGUES ÉTRANGÈRES
Pierre Martinez
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QUE SAIS-JE ?
La didactique
des langues étrangères
PIERRE MARTINEZ
et D,„frr0feS-er,rémérite d e rUniv«™« de Paris VIII
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INTRODUCTION
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- une manière d'être, des comportements culturels, moyens d'enseignement. Cette relation n'est toutefois
souvent indissociables de la langue, car inscrits dans pas sans incidence sur la qualité des acquisitions, mais
la langue même : par exemple, dans toutes les lan- elle peut avoir d'autresfinalités.Il ne s'agit plus seule-
gues, la ritualisation des échanges emprunte des ment de l'appropriation d'éléments linguistiques et du
traits linguistiques spécifiques (demande, paroles développement de compétences, mais aussi de la cons-
apparemment inutiles, forme de politesse), corres- truction de l'individu, par exemple comme adulte ou
pondant à des valeurs. comme citoyen.
Comme le terme « éducation » d'ailleurs, « péda-
Dans cet ouvrage, le terme « apprenant » se ren- gogie » évoque, étymologiquement, un parcours
contre là où on attendrait « élève ». Ce n'est pas par (grec : agogein, conduire) qu'on fait faire à un enfant
goût du jargon. Le substantif « enseignant » étant de- (pais, paidos) et certains auteurs parlent d'andragogie
venu d'un usage courant, on prendra d'ailleurs facile- (grec : aner, andros, homme) pour désigner la forma-
ment l'habitude de ne pas parler d'élève, individu ins- tion des adultes.
crit administrativement, mais d'apprenant, placé dans On verra que la pédagogie, et d'autres sciences ou
une certaine situation, dans une posture d'apprentis- domaines scientifiques tels que la linguistique, la psy-
sage. Quant au mot « enseigné », venant en contre- chologie, la sociologie, les sciences cognitives, la tech-
point d'enseignant, il ne correspondrait en rien, avec nologie, etc., éclairent le champ de la didactique des
sa valeur passive, aux processus dont l'apprenant est langues étrangères : elles contribuent à la fonder
l'acteur. comme discipline théorique. Elles nous font aussi com-
C'est donc dans l'espace social existant que se déve- prendre que les nouvelles interrogations ne peuvent se
loppe, entre l'enseignant et celui qu'on appellera dé- satisfaire de réponses étriquées. Ainsi les débats
sormais l'apprenant, un « enseignement/apprentis- contemporains ont-ils mis en lumière que la question
sage » de l'objet en circulation : une langue étrangère. « Qu'est-ce qu'apprendre une langue ? » présuppose
Une idée simple, mais fondamentale, est qu'il existe une question « Qu'est-ce que savoir une langue ? ». Et
une inégalité de compétence entre les partenaires du c'est de la définition de ce « savoir » que vont dépendre
processus, l'enseignant sachant beaucoup et l'appre- les objectifs de l'apprentissage et les moyens de sa réus-
nant sachant moins. Mais l'enseignant n'est jamais site. Il s'agit donc d'amener l'acte d'enseignement à
qu'un « facilitateur » de Y appropriation, du processus échapper au hasard et au contingent.
qui vise à assimiler un objet linguistique en l'adaptant La didactique ne peut par conséquent se concevoir
à ce qu'on veut en faire. Ce travail ne peut être effec- qu'à travers un ensemble d'hypothèses et de principes
tué que par l'apprenant et l'enseignant n'est en aucun qui permettent à l'enseignant d'optimiser les processus
cas le centre du processus d'appropriation, quelle que d'apprentissage de la langue étrangère. On appellera
soit la méthodologie de l'enseignement adoptée. méthode d'enseignement cette démarche raisonnée qui
Par ailleurs, la didactique se distinguera de la péda- découle d'hypothèses et de principes :
gogie, activité impliquant une relation entre l'ensei- - hypothèses, par exemple, relatives au mode de tra-
gnant et l'apprenant, qui met l'accent sur les aspects vail proposé ou imposé. De la sorte : apprendre par
psychoaffectifs et non sur la mise en œuvre des cœur est bénéfique, mais ne suffit pas ; un enseigne-
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L e s mots clés de la didactique Chapitre I
des langues étrangères
LA PROBLÉMATIQUE
Que sauriez-vous en dire ? DE L'ENSEIGNEMENT
20 21
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Kenya, Afrique du Sud, Afrique francophone (Col- mière et seconde : alors que la Ll est celle à travers la-
loque OIF de Libreville, 2003) - qui avaient choisi ou quelle se construit la fonction de représentation du rée
s'étaient vu imposer des langues d'enseignement : ils appelée aussi fonction symbolique, la langue apprise
entendent maintenant donner une place à leurs parlers en second (sauf dans le cas d'un apprentissage pré-
nationaux dans de nouvelles formes de « partenariat » coce) se borne souvent à permettre la communication.
entre langues dans l'éducation. Mais l'on sait toutefois que l'apprentissage d'une nou-
Enfin, on entendra parler de langue seconde pour velle langue est à l'origine d'une recomposition du
qualifier le statut des langues adoptées par de nou- monde et, entre autres, d'une reconstruction de
veaux arrivants dans un milieu allophone (étudiants, l'image que l'on se fait de sa propre langue. On a aisé-
immigrants...) et cette question, si importante à ment le sentiment que l'enseignement/apprentissage
l'heure actuelle, devra être posée en termes de gestion d'un nouveau système exerce un effet de loupe sur des
sociale du plurilinguisme, comme nous le ferons plus problèmes phonétiques, lexicaux, sémantiques que
loin. l'on ne percevait pas. Et bien entendu ce nouvel ap-
En résumé, ce qui distinguera donc une langue prentissage retentit - chacun d'entre nous en a plus ou
étrangère, c'est son caractère de langue apprise après moins l'expérience - sur toute une vision du monde, du
la première et sans qu'un contexte de pratique sociale fonctionnement des hommes, des idées et des choses
quotidienne ou fréquente en accompagne l'apprentis- qu'on croyait familiers.
sage. Pour s'en tenir à un exemple, un Algérien peut L'approche didactique y contribue : l'enseigne-
avoir dans son « répertoire verbal » le berbère comme ment/apprentissage de langue étrangère semble com-
langue première et vernaculaire, l'arabe dialectal, mencer là où celui de langue première se termine,
l'arabe littéral et le français comme langues secondes, comme s'il y avait eu « représentation a priori du fonc-
l'anglais ou l'espagnol, appris au lycée comme langues tionnement de la langue ». Et finalement, en langue
étrangères proprement dites. Par commodité, nous di- étrangère, la manière très exploratoire avec laquelle est
rons désormais « seconde » ou « étrangère », sauf abordé le nouveau système, souvent étayée de métho-
mention contraire. Et bien entendu on comprendra dologies plus inductives, permet de montrer que la no-
que la langue seconde peut être la troisième ou la tion de langue est toujours à (re)construire (Filiolet,
quatrième apprise en réalité. Porquier, 1978). L'apprentissage d'une nouvelle langue
Le statut social d'une langue nouvelle et l'imagi- étrangère est donc aussi, pour le cerveau humain, l'oc-
naire qui s'y attache influent sur l'apprentissage, casion de se débarrasser des routines - sans nuance pé-
même si celui-ci est un processus très individualisé. jorative - intellectuelles et culturelles préexistantes.
Comme l'écrit Uriel Weinreich dès 1951 : « L'endroit Bien entendu, la tendance initiale des pédagogues a
où les langues entrent en contact n'est pas un lieu géo- été de considérer la Ll comme une source d'erreurs
graphique mais bien l'individu bilingue. » lors de l'appropriation de nouveaux systèmes. Nous
C'est que le cadre de tout apprentissage linguistique verrons que deux notions, celles de crible et d'interfé-
est d'abord celui du bilinguisme (Hamers, Blanc, rence, viennent à l'appui de cette position. Des listes
1984 ; Baker, Prys Jones, 1998). Plusieurs auteurs in- ont été fabriquées à l'usage des enseignants, réperto-
sistent sur une différence essentielle entre langues pre- riant les erreurs ou, terme plus culpabilisant et bien
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installé en français, les fautes les plus communes à fois en lui et hors de lui, un processus intrapsychique
chaque groupe linguistique (sinophone, francophone, et interactionnel à la fois, propre à l'individu en qui se
arabophone...) : mots difficiles à prononcer, erreur sur détermine plus ou moins consciemment leur gestion
le genre du nom ou le temps du verbe, problèmes mor- (choix, organisation, rétention, etc.). Le recours à la
phosyntaxiques (inversion et rejet du verbe en alle- langue première aide sans doute l'apprenant à structu-
mand, discours rapporté, usage de l'article), etc. Un rer ses deux systèmes et se révèle de nature à faire
référentiel de certification portant sur la compétence naître des hypothèses sur la L2 (Giacobbe, 1990). Il
en langue (ministère de l'Éducation, France, 1995) al- s'en faut néanmoins de beaucoup que tout le proces-
lait jusqu'à indiquer : « Plus la tâche accomplie est sus ne doive être examiné qu'en référence au système
complexe, plus le degré d'opérationnalité en langue de la langue première.
acquise est élevé et moins les traces de langue
maternelle sont perceptibles. »
On sait en réalité maintenant qu'un contact de lan- V. - Linguistique et didactique
gues ne se résume pas à la rencontre de deux systèmes La didactique a mis longtemps à se dégager de la
linguistiques, mais qu'il met en jeu un traitement indi- discipline de référence primordiale qu'a constituée pour
viduel complexe (Castellotti, 2001). C'est pourquoi le elle, sans partage et pendant des décennies, la linguis-
point de vue actuel est plus nuancé : la construction tique. Examinons comme un exemple significatif cette
d'un système approché de la langue seconde se fait par « vue panoramique de la didactique des langues étran-
l'intermédiaire d'hypothèses sur le fonctionnement de gères » que Robert Galisson propose en France, vers
celle-ci et par un ensemble de processus mentaux so- lafindes années 1970.
phistiqués. On s'accorde pour distinguer des processus Dans les grandes lignes, indique à l'époque Galis-
plus ou moins larges, les uns inscrits dans une stratégie son, la didactique se construit d'une part sur la métho-
immédiate, les autres dans une conduite permanente, dologie des langues étrangères, de l'autre sur la linguis-
certains visant à l'acquisition ou à la communication, tique appliquée à l'enseignement des langues étrangères.
automatisés ou permettant un contrôle, etc. La méthodologie est alimentée par « la sociologie, la
L'apprenant se fait aussi une représentation de la psychologie, les sciences de l'éducation, l'idéologie, la
spécificité des langues en présence, et il établit une dis- politique, la technologie de l'éducation, la pragma-
tance entre elles. Le cas des langues proches, les lan- tique (c'est-à-dire l'usage fait effectivement du lan-
gues romanes, par exemple, fait actuellement l'objet gage, dans renonciation), la kinésique et la proxé-
de recherches en nombre croissant (Projets Galatea, mique (la prise en compte de la gestuelle et de
Galanet, Eurom4, actions de l'Union latine...), de l'espace), la docimologie (l'évaluation), l'iconologie
même que le rôle joué sur l'apprenant par l'image (l'étude de l'image), etc. ». Quant à la « linguistique
d'une langue : image reçue (la réputation d'étrangeté appliquée à l'enseignement des langues étrangères »,
langagière) et produite (le discours des apprenants sur elle est irriguée par la phonétique, la grammaire, la
leurs difficultés). lexicologie, la sémantique, la stylistique, etc.
Disons en conclusion que le mode de traitement des La place encore remarquable accordée à la linguis-
données par l'apprenant est une affaire qui se joue à la tique masque difficilement que l'on est passé, en quel-
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ques années, d'une étroite relation, voire d'une subor- partir du moment où elle se voit « infléchie par ses
dination (comme s'il y avait entre la théorie scienti- nouvelles orientations (...) très attentive au procès
fique et les pratiques d'enseignement une situation d'énonciation, à la dimension sociopsychologique du
« coloniale »), à un schéma beaucoup plus intégratif. langage » (Galisson, 1980).
L'horizon s'est élargi, une théorie de la langue devient En d'autres termes, où son statut épistémologique
une condition nécessaire, mais non suffisante à son la fait passer d'une « monoculture » (la linguistique,
enseignement. Nous osons à peine, au passage, rappe- étude des langues naturelles) à celle de sciences du lan-
ler l'idée, hélas encore reçue dans quelques milieux gage, largement ouverte à d'autres domaines, parce
peu éclairés, selon laquelle il suffirait même de savoir que son objet, la langue, ne se conçoit que dans des
une langue pour être en mesure de l'enseigner. rapports à l'individu et à la société. Et la linguistique
Sans entrer dans un débat qui dure depuis des an- dont a besoin l'enseignement des langues est lus que
nées et n'est sûrement pas encore arrivé à son terme, jamais mise en demeure d'échapper à de vieilles criti-
disons que la didactique des langues et la linguistique ques. Elle a sans doute négligé bien des aspects consti-
ne sont plus dans la même étroite dépendance. Elles tutifs de la communication : sa dimension actionnelle
ne sont pas même en relation de complémentarité, si (son activité effective, son influence), interactionnelle
l'on reconnaît, à la suite de R. Galisson, qu'elles « ne (toute communication est dialogue, adaptation), so-
sauraient viser le même objectif, parce qu'elles n'œu- ciale (par exemple comme moyen de distinction), réfé-
vrent pas sur le même plan. La didactique travaille en rentielle (or la linguistique s'est, depuis ses origines,
amont sur quelque chose de complètement instable et coupée de l'extralinguistique) ou encore variationnelle
inachevé, la langue en voie de construction, et le sujet (la langue se négocie et se reconstruit en permanence
apprenant est au centre de ses préoccupations. On voit dans l'échange - De Pietro, 1990).
bien que d'une discipline à l'autre, il y a déplacement Quelques grandes théories linguistiques ont dominé
du centre de gravité : de l'objet (la langue) vers le sujet les quarante dernières années : structuralisme européen
(et du sujet parlant vers le sujet apprenant, qui ne sont et distributionnalisme américain ; fonctionnalisme de
pas des sujets à confondre) » (Galisson, 1989). Martinet et ses élèves ; perspective énonciative de
Il reste clair que l'objet à enseigner est bien une Jakobson, de Benveniste ; grammaires génératives avec
langue, et comme c'est l'objet même de la description Chomsky ; linguistique textuelle, pragmatique qui ma-
linguistique, le didacticien a tout à gagner à ce travail nifestent le langage comme activité discursive, etc.
conduit à côté du sien. Mais qu'est-il alors advenu de (Bronckart, 1985). C'est dans ce foisonnement que la
l'apport de la linguistique appliquée, Cendrillon didactique a cherché les moyens de sa triple activité de
ou bonne fée de la didactique selon les uns ou les recherche, d'expérimentation, de production d'outils.
autres ? Ces rapports entre linguistique et didactique ont été
En fait, la linguistique, vouée naguère à des tâches compliqués par plusieurs facteurs : le statut scientifique
très immédiates, posée comme un préalable à la pré- inégalitaire de chaque domaine (la didactique, prise
sentation de la langue (découpage lexical des manuels, entre pédagogie et recueil de « recettes » pour la classe,
étude contrastive des systèmes phonétiques, exerci- trouvait dans la linguistique un surcroît de légitimité),
ces, etc.), prend désormais une autre importance, à les besoins des enseignants, le coût de l'innovation, la
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difficulté des transferts, etc. Après les grandes noces de raie d'un système où jouent des contrastes et des op-
l'applicationnisme, dans les années 1950-1960, les di- positions ; une dualité langue et parole, avec ses impli-
dacticiens ont marqué leur réticence pour des travaux cations individuelles et collectives, où le système
de linguistique formelle qu'ils jugeaient bien ésotéri- s'oppose à l'usage, le code au message, le langage au
ques ou reflétant une vision étroite de la communica- comportement verbal, les formes aux fonctions.
tion. S'éloignant elle-même d'une conception universa- Quand Allen et Harley publient l'ouvrage pos-
liste de l'apprenant, la didactique a cru trouver dans thume de Stern Issues and Options in Language Tea-
une linguistique plus soucieuse de l'individu, plus an- ching, où « issues » signifie à la fois résultats et ques-
thropologique, des réponses à ses nouvelles questions. tions en débat, c'est une autre vision du domaine qui
Ainsi s'est amorcé un rééquilibrage, sinon une réhabili- se fait jour (Stern, 1992). On sent bien alors que la dé-
tation de leur relation [Beacco, Chevalier in Lehmann centration par rapport au linguistique est achevée.
(éd.), 1988, et Chiss, 1995]. Après avoir souligné l'importance de facteurs exté-
Il va de soi, en effet, qu'une bonne description de la rieurs liés à la prise de décision et à la définition d'ob-
langue comme système, sous l'angle de ses composan- jectifs d'enseignement, il s'agit de partir de la notion de
tes (phonétique, morphologie, lexique, syntaxe, sé- contenus pour construire l'architecture d'un enseigne-
mantique), ne peut qu'aider le didacticien. Mais la ment. Les choix relatifs à ces contenus touchent à
question est de savoir ce qu'est une bonne description. l'oral, à la grammaire, à l'analyse fonctionnelle
Widdowson (1981) fait remarquer que la validité (nourrie de pragmatique, d'analyse du discours, de sé-
d'une description théorique se juge par rapport à un mantique, mais aussi d'ethnographie de la communica-
modèle, et une description pédagogique par rapport à tion et de sociolinguistique), aux activités communica-
son efficacité, « c'est-à-dire son incidence sur les pro- tives, à la civilisation et à des formes d'éducation plus
cédures de présentation de la langue dans la classe ». générale visant l'approche de la langue (apprendre à
Il faut même distinguer, a-t-on ajouté, langue usitée apprendre, s'autonomiser, etc.). Étant posée cette ar-
dans la communication sociale, langue décrite comme chitecture, on peut désormais s'appliquer à tout ce qui
système, langue enseignée et langue apprise. La aidera l'enseignant à développer des stratégies, c'est-à-
coexistence, parfois difficile, de ces images de la dire des actions intentionnelles et d'envergure, en
langue caractérise la parole produite dans la classe synergie avec celles que développe l'apprenant.
avec, en toile de fond, bien sûr, une difficile transposi- Sans doute n'y a-t-il pas de raison de s'en tenir ici à
tion didactique, un passage du savoir savant au savoir un seul modèle, qui donnerait à voir idéalement les
enseigné (Chevallard, 1985). facteurs en jeu dans une telle problématique. En tout
H. H. Stern (1983) nous rappelle ce qu'est une vi- cas, l'évolution est claire : elle se manifeste dans l'ar-
sion de la langue dans la linguistique moderne : rivée de nouveaux termes, l'ouverture à d'autres ap-
d'abord une absence de jugement sur la langue, et par ports et la complexification du champ. Des polarités
exemple sur le statut social de l'oral et de l'écrit qui autres que le couple linguistique/méthodologie sont
sont dans certains cas si dissemblables (cas de l'arabe apparues, d'où l'idée renforcée que la notion de choix
ou du français) ; la prise en compte, par conséquent, est centrale en didactique. La dynamique du système,
des variétés sociales et régionales ; une vision structu- l'interactivité de plus en plus évidente entre les fac-
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teurs, contredisent ainsi la conception d'un champ de tion de H. H. Stern (1983, reprise dans Stern, 1992).
la didactique trop souvent perçu comme stable, voire Trois niveaux d'appréhension sont retenus :
statique, par des observateurs profanes ou blasés. On - celui des « fondations » : histoire de l'enseignement
peut se demander, d'ailleurs, si la didactique actuelle des langues, linguistique, sociologie, sociolinguis-
ne souffrirait pas plutôt d'un trop-plein théorique. tique et anthropologie psychologie et psycholinguis-
Dans toutes les hypothèses de travail, on admettra tique, théorie de l'éducation ;
que plusieurs approches, qui s'imposent sans exclusive, - un niveau intermédiaire, celui des concepts de base
devraient être mises en relation. En résumé : de l'enseignement des langues qui sont relatifs à
- l'étude de la communication dans toutes ses compo- la langue, à l'apprentissage, à l'enseignement, au
santes, organisationnelles, linguistiques, anthropo- contexte social. Il associe étroitement théorie et
logiques, etc. (voir notre modèle panoptique ci-des- pratique ;
sus), avec la volonté d'y instituer des repères et d'y - un troisième niveau, enfin, celui de la pratique et des
établir des oppositions, donc des valeurs (approche « praticiens » (enseignants, mais aussi conseillers,
contrastive ou comparative) ; administratifs, voire hommes politiques) concerne
- les données sociolinguistiques (représentations et directement la méthodologie (contenus et objectifs,
facteurs sociaux et institutionnels qui jouent sur stratégies, ressources, évaluation des résultats) et
l'acquisition, la pratique, la place des langues res- l'organisation (planification et administration, dans
pectives chez les locuteurs) ; tous types et à tous degrés de formation).
- les données de la psychologie du langage et de
la psycholinguistique (traitement spécifique de Le modèle de Stern, pris ici comme un exemple ma-
« l'exposition » à la langue seconde, image indivi- jeur parmi d'autres, tend à répondre à plusieurs critè-
duelle de l'acquisition, attitude et motivation, res : sa globalité ; le fait que les éléments inclus y sont
construction des règles en langue seconde, par interactifs ; la multiplicité des facteurs en jeu ; une ap-
exemple) ; proche multidisciplinaire. Mais il est aussi, à l'évidence,
- l'instauration d'une interaction entre ces différents le reflet d'une conception du système où, désormais, les
éléments, dans la courte durée, mais aussi dans la éléments donnent l'impression de s'équilibrer.
longue, ce qui dépasse de beaucoup, on le compren- Que se passe-t-il concrètement, dans la classe ?
dra, ce qui est observable dans la communication, L'enseignant issu d'une culture et d'un système de for-
en classe comme à l'extérieur. mation déterminés enseigne une langue qui peut avoir
un statut (seconde ou étrangère) et une valeur d'usage
différents selon les apprenants. Elle est par ailleurs
VI. - U n cadre de référence
proposée ou imposée par un pouvoir qui met en
œuvre sa politique linguistique, avec des programmes
La conclusion de ce tour d'horizon est, naturelle- et des moyens définis en dehors de l'école. C'est pour-
ment, que la didactique doit être située dans l'ensemble tant dans ce champ que les apprenants, avec leurs spé-
des domaines de référence. De nombreux auteurs s'y cificités, vont avoir à construire leur acquisition.
sont essayé et, entre autres, on mentionnera la proposi- Donnons quelques exemples.
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Dans un pays africain où le français est langue offi- entre vous, comme sujet ne sachant pas nager et vous,
cielle, l'instituteur doit parfois travailler dans une ayant acquis une certaine capacité à flotter et à vous
langue qui n'est, ni pour lui, ni pour ses élèves, la déplacer sur l'eau, c'est que vous ne vous noyez pas si
langue première. Dans les pays d'Europe de l'Est, on vous jette à l'eau. Le résultat d'une acquisition est
l'ouverture des frontières a suscité un changement de une conduite adaptative évaluable.
statut radical pour le russe, naguère obligatoire et Mais apprendre relève aussi d'une conduite volon-
d'ailleurs indispensable, provoquant une baisse de son taire et durable. Une attitude positive face à la L2 dé-
« cours » sur le marché linguistique et un bouleverse- termine le processus dès la motivation initiale, même
ment de son enseignement inimaginable à ce jour. Il si le choix n'en est pas vraiment un : c'est le cas lors-
en va du dispositif d'enseignement/apprentissage qu'il est opéré par la famille de l'élève ou n'appartient
d'une langue comme du jeu d'échecs : une pièce bouge qu'aux autorités politiques et éducatives. La famille
et tout est modifié. d'un apprenant, le pouvoir politique et la société pla-
Certains ont pu, dans ces conditions, évoquer des quent sur les langues et les cultures étrangères des
apprentissages qui réussissent sans et même contre la images, des représentations, des désirs. Ils ont face à
méthode et l'enseignant. On souscrira en tout cas faci- elles des attitudes, mais l'apprenant a aussi un projet
lement à l'idée émise par W. von Humboldt, au de vie qui n'appartient qu'à lui et une motivation
xix e siècle, selon laquelle une langue s'acquiert plus (Nuttin, 1980). Il doit trouver les mobiles et les impul-
qu'elle ne s'apprend. On verra, dans un historique des sions nécessaires à ses efforts dans l'espace qui unit
pratiques d'enseignement examinées plus loin, que la son moi et le monde social.
didactique est conviée en effet à quelque modestie. On a voulu distinguer une motivation instrumen-
Mais n'y a-t-il pas lieu de craindre, alors, que la di- tale à l'apprentissage d'une langue, liée à des besoins
dactique devienne un attrape-tout ou qu'elle ne se de type relationnel, technique ou professionnel, et une
dilue dans les apports des sciences ou domaines qu'elle motivation symbolique, par exemple intégrative : le
met à contribution ? Ce que l'on observe, en réalité, désir de faire partie d'une communauté en maîtrisant
c'est que les postulats ou principes sur lesquels elle se sa langue. On a aussi distingué des motivations liées à
construit lui sont toujours venus d'ailleurs et qu'elle la contrainte, à l'ambition de réussir, au goût de sa-
nourrit avec eux des échanges. Et s'il est vrai que le voir et au plaisir... Il n'est pas sûr que les choses soient
transfert de concepts ou d'outils d'un domaine à dissociables. Les enquêtes sur les attitudes (Gardner,
l'autre ne va pas sans danger, nous voyons assez bien, Lambert, dès 1972), sur les représentations, ne
même tardivement, que les choses évoluent par recom- permettent guère de généraliser, ni de prendre en
positions successives, malgré des effets de circularité. compte sur tous ces aspects les variations entre indi-
vidus ou chez un même individu avant, pendant,
après l'apprentissage. On sait tout au plus qu'il y
VII. - Enseigner et apprendre a des dispositifs didactiques plus favorables que
Il faut rappeler qu'une acquisition est une modifica- d'autres.
tion de la conduite du sujet manifestant l'adaptation à C'est une question complexe que de savoir com-
une forme de besoin. Très simplement, la différence ment un dispositif d'apprentissage peut contribuer à
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établir ou permettre d'ancrer de nouvelles capacités quatre tâches de l'apprenant, que seul l'exposé nous
ou compétences, c'est-à-dire des règles de fonctionne- oblige à dissocier ici, seraient les suivantes :
ment intériorisées par le sujet. Dans le domaine des - analyser la langue (segmenter la chaîne sonore en
langues étrangères, l'acquisition non guidée se caracté- unités significatives, par exemple) ;
rise par le fait qu'elle se produit dans la communica- - construire l'énoncé (combiner des mots ensemble,
tion quotidienne - on peut dire : un milieu social autre en particulier pour produire de la parole) ;
que l'école - et qu'il n'y a pas d'efforts intentionnels - mettre en contexte (intégrer le message à un
systématiques pour guider le processus. contexte interprété en fonction d'informations
Les différences avec une situation « guidée » sont parallèles) ;
alors sensibles : par exemple, la tâche de celui qui - comparer sa langue avec celle de son entourage so-
parle en langue étrangère lui apparaît comme réussie cial (établir des contrastes, des différences).
s'il arrive à se faire comprendre, les moyens important
peu ; si un moyen linguistique n'est pas assuré, le pro- Une telle présentation est intéressante. Elle donne le
blème sera contourné ou évité par le locuteur en état sentiment que l'apprenant cherche ses moyens dans
d'insécurité. Autrement dit, ce qui compte ce n'est pas une sorte de centre de ressources, celui des acquis et
de faire des progrès en langue, mais de se servir de la des compétences dont il dispose à un moment déter-
langue ; dans ce cas, on peut supposer que l'attention miné, pour élaborer son propre système d'expression
aux règles de fonctionnement du code (et donc aux transitoire. Celui-ci apparaît à la fois comme spéci-
écarts par rapport à la norme) sera plus marginale fique à l'apprenant et révélateur du processus d'ap-
(Klein, 1989). propriation. Il s'agit bien d'un système évolutif, avec
On appellera stratégies de résolution de problème ces sa logique propre, qui est en perpétuelle recomposi-
opérations intentionnelles visant à réduire l'écart entre tion au fur et mesure que l'apprenant avance dans ses
le problème rencontré et les moyens dont dispose le expériences langagières et en fonction d'une intériori-
locuteur non natif. Ces stratégies peuvent d'ailleurs sation, consciente et inconsciente à la fois, des règles
amener le locuteur non natif à abandonner les buts de de la langue seconde.
la communication, soit en se taisant, soit en se réfu- W. Klein a mis en valeur un point important
giant dans des domaines plus à sa portée. Il peut aussi de cette activité : « L'apprenant considère certaines
en venir à substituer à ceux de L2 des moyens non caractéristiques linguistiques de l'énoncé comme
prévus, comme le recours à sa propre langue ou une critiques (de même que l'on parle de moment
gestuelle. Dans le meilleur des cas, il se résout à préle- critique) et tente de s'y consacrer, alors qu'il en lais-
ver dans ses compétences incertaines de quoi pour- sera d'autres de côté, soit parce qu'il estime que ce
suivre l'échange ou élargit son discours, en générali- sont des problèmes qu'il a résolus, soit parce qu'il ne
sant ses hypothèses sur le fonctionnement de la les perçoit pas. » Et surtout, l'auteur inscrit son ob-
langue, en imaginant des analogies entre sa langue et servation relative à l'acquisition dans la réalité de
la langue nouvelle, etc. l'échange : « Le facteur principal qui rend une
Nous emprunterons encore à W. Klein une repré- règle critique est l'échec communicatif » (Klein,
sentation du travail effectué par l'apprenant. Les 1989).
34 35
Si le système transitoire peut paraître erratique ou implications possibles au regard des pratiques de
instable, c'est sans doute qu'il est le résultat d'un en- classe. Tout partenaire de la conversation peut contri-
codage immédiat, effectué sous la pression d'un be- buer à Yétayage des compétences d'un locuteur non
soin de la communication. Mais ce système présente natif. Il peut manifester sa coopération, sa complicité,
toutefois des régularités dont la construction relève sous des formes diverses, et par exemple celle d'une
pour partie du système-source comme on l'a suggéré manière adaptée de parler à un étranger, foreigner talk
plus haut, et aussi du traitement personnel qui est fait ou « xénolecte ». L'enseignant est là précisément pour
des données saisies, de leur rétention et de leur organi- aider à créer cet étayage.
sation en vue d'énoncés futurs. L'énoncé laisse appa- En tout état de cause, celui qui parle avec un locu-
raître des interférences, des emprunts momentanés et teur natif dans une langue seconde effectue un double
involontaires d'une forme du système-source (un an- travail : il concentre doublement son attention (on
glophone : « sur la rue » pour « dans la rue », un créo- parle de « bifocalisation »), à la fois sur le déroule-
lophone : « je suis parti » pour « je m'en vais ») ou ment de la communication et, dans une certaine
création d'une forme mixte originale. Par exemple, la mesure, sur le code employé qu'il doit maintenir en
surgénéralisation de la variation verbale en français permanence sous contrôle. Et si l'on avait une idée
appelle une conjugaison de « aller » sur le type « chan- précise des conditions dans lesquelles se développe au
ter » qui peut amener à des énoncés comme « j'alle » mieux l'acquisition, on a pensé qu'on pourrait égale-
(présent) ou «j'allerai» (futur), jusqu'à ce qu'un tel ment mieux créer les situations didactiques qui
énoncé soit invalidé par l'interlocuteur de L2 sous rendent effectives ces conditions.
forme de reprise, de correction ou de réprobation (sur- C'est en partant de cette idée qu'on a cherché à dé-
prise, rire...). Que les règles intériorisées soient légiti- crire ce qu'on appelle des séquences potentiellement ac-
mes ou non, on observe que le système peut tendre à quisitionnelles. Le désir de coopération du natif et du
se « fossiliser » et les contacts exolingues, à terme, ne non-natif (ici, dans la conversation orientée entre en-
le font plus guère évoluer. Le phénomène peut d'ail- seignant et apprenant), leur accord sur l'activité (sa fi-
leurs fort bien ne pas révéler une incapacité, mais la nalité métalinguistique) et sur le rôle de chacun autori-
volonté consciente ou non de préserver une marque sent une série d'opérations : à l'initiale, pour le moins,
identitaire telle qu'un accent dont on peut tirer une une production hésitante ou incorrecte de l'apprenant,
certaine fierté. à laquelle l'enseignant répond par une irruption dans le
Ce système transitoire que nous venons de décrire a discours de celui-ci ; à cette réaction « hétérostructu-
reçu plusieurs noms : interlangue (Selinker, 1972), sys- rante » (correction, demande d'éclaircissement ou
tème approché ou approximatif, etc. En anglais, on d'amendement) succède une reprise « autostructu-
parle de learner variety, en allemand de Lernervarietât, rante » (autocorrection, effort tâtonnant) de l'appre-
et en français, c'est un terme bien compliqué, « lecte nant qui manifeste ainsi une saisie nouvelle. Ce sont
d'apprenant », qu'on rencontre assez souvent. Encore même de véritables dispositifs d'aide à l'acquisition de
une fois, la connaissance des spécificités de l'inter- la langue seconde que les chercheurs évoquent, avec
langue, l'attention portée à des réalisations qu'on ap- des « formats » ritualisés d'interaction et des méthodes
pellerait fautives dans certaines pédagogies, ont des pour organiser les échanges, comparables à celles que
36 37
les ethnographes et les psychologues ont pu employer tance, et non la forme du message, à la différence de
pour décrire les relations entre mère et enfant (De Pie- ce qui se passe en L2, en particulier dans les contextes
tro, Matthey, Py, 1989). scolaires. D'où l'idée qu'une « approche naturelle » de
La recherche s'oriente encore dans plusieurs autres l'acquisition de L2 serait bienvenue, avec des activités
directions : y a-t-il un continuum entre les apprentis- impliquant l'affect et les ressources propres de l'appre-
sages en Ll et en L2 ? Peut-on les décrire comme simi- nant dans sa totalité d'être humain. Mais cette propo-
laires, voire identiques, à ceux de la langue première ? sition, on le craint, semblera peut-être irréaliste dans
Des travaux anglo-saxons ont montré une identité des les contextes sociaux et institutionnels que nous
appropriations en langue source et langue cible (cette connaissons (Véronique, 1994).
dernière expression n'est pas forcément heureuse), par D'autres tentatives sont faites pour examiner le
exemple pour ce qui est de l'ordre dans lequel des élé- processus d'acquisition à la lumière de celui de la for-
ments sont acquis. Mais d'abord, ces observations mation des pidgins et des créoles, qui sont des langues
portent sur des points limités (phonèmes, lexique, en formation, des systèmes naissant dans des situa-
structure de la phrase), et surtout rien ne prouve que, tions d'échanges commerciaux (pidgins) ou liés à la
au-delà des productions observées, les procédures colonisation et à l'esclavage (créoles). On se souvient
sous-jacentes soient identiques et recouvrent les d'un mot de Claude Hagège (1985) évoquant les créo-
mêmes opérations cognitives profondes. les comme des « laboratoires » des langues en gesta-
Voici quelques années, une théorie marqua la re- tion et il est tentant de rapprocher les processus indi-
cherche sur l'acquisition et souleva bien des contro- viduel et collectif d'apparition des moyens de
verses. Selon S. Krashen, le processus d'acquisition communication. On sait aussi combien s'est long-
d'une langue seconde est très semblable à celui qui ca- temps attachée aux langues naissantes la qualification
ractérise l'acquisition de la première langue : on doit parfois péjorative de baby talk (langage enfantin).
se représenter que l'essentiel n'y est pas la forme des Plusieurs questions soulevées dans le cas des créoles
productions, mais la poursuite d'une communication semblent donc intéresser la recherche sur l'acquisi-
« naturelle » dans une interaction où prime la signifi- tion :
cation. L'apprentissage conscient n'est là que pour ré- - le rôle des facteurs sociohistoriques au sein desquels
guler (monitoring) et affiner les productions qui sont se produit la création ou la reproduction linguis-
initiées et permises par les acquisitions. Bien entendu, tique ;
la compétence des locuteurs n'égale pas généralement - la place et le statut de la langue cible ;
celle des locuteurs d'une Ll, mais Krashen émet l'hy- - le rôle des phénomènes d'interférence avec la langue
pothèse que c'est à cause d'un véritable « filtre » affec- source ;
tif, émotionnel, qui bloque les acquisitions en L2. Si ce
filtre n'existe pas lors de l'acquisition de la première - l'articulation entre systèmes lexicaux et systèmes
langue, c'est que la communication en Ll réfère pour grammaticaux dans le processus.
l'essentiel à un environnement immédiat et qu'elle est De premières conclusions font état des « obstacles
facilitée par des éléments non verbaux importants ; en méthodologiques et théoriques (qui) rendent hasar-
outre, la signification y est de toute première impor- deux et problématique le rapprochement entre le pro-
I
38 39
ces d'apprentissage des langues étrangères, voire d'ac- - avec quels moyens: l'oral, l'écrit, le silence, un
quisition de la langue première, et celui de la geste, un schéma... ?
créolisation » (Véronique, ibid). La mise en relation - dans quels moments de l'interaction on voit appa
des phénomènes de créolisation et d'acquisition reste, raître ces moyens : présentation, évaluation, expli-
à l'heure actuelle, une question ouverte. cation, commentaire... ?
En conclusion, les hypothèses et les pistes de re- - quels contenus sont l'objet de l'intervention : lin-
cherche que nous avons évoquées offrent des orienta- guistiques (grammaticaux, littéraires...), personnels,
tions, mais il n'est pas évident qu'elles donnent aux sociaux, administratifs, etc. ?
enseignants les assurances théoriques qu'ils réclament,
à tort ou à raison. Mais il serait erroné de croire que tout est quanti-
Le cloisonnement de disciplines telles que psycho- fiable (le rôle d'un participant ne se juge pas au nombre
logie, linguistique, sciences de l'éducation, socio- et à la durée de ses interventions). Nous essaierons de
logie, etc., ou la sectorisation de la recherche et de la donner une idée de la complexité et de la spécificité de
formation des enseignants sont, en France (mais aussi la scène didactique, en nous limitant à quelques points.
ailleurs), souvent dénoncés en premier lieu par les in- D'abord, chez l'apprenant, le processus est, bien
téressés eux-mêmes... Sans doute les chercheurs ont-ils sûr, pour partie seulement observable. Il s'agit de la
à se rapprocher des praticiens de la langue, si, du mise en œuvre de stratégies visant à l'apprentissage et
moins, ils croient en l'intérêt de leur activité, comme on peut donner un aperçu de ces stratégies, que
on peut l'imaginer. R. Oxford (1989) classe ainsi :
- stratégies directes : touchant à la mémoire (par
exemple, faire des associations mentales, des sché-
VIII. - La scène mas, utiliser des gestes ou des sensations pour
de la communication didactique mieux retenir ou évoquer un souvenir) ; cognitives
(manipuler ou transformer la L2, par exemple répé-
Pour donner un cadrage plus serré de la scène di- ter, faire une analyse contrastive de Ll et L2, dé-
dactique, divers dispositifs d'observation ou inventai- duire, prendre des notes, souligner) ; de compensa-
res des faits à observer ont été proposés par les cher- tion (demander de l'aide, recourir à la Ll, éviter,
cheurs (Moskowitz, 1971 ; Fanselow, 1977 ; Sinclair et inventer, paraphraser) ;
Coulthard, 1975 ; Allen, Frôhlich et Spada, 1984 ; - stratégies indirectes : métacognitives (organiser son
Germain, 1990, etc.). apprentissage, chercher à pratiquer la L2, s'éva-
Nous ferons état d'un questionnement qui reprend luer) ; affectives (essayer de se détendre, s'auto-en-
plus ou moins ces grilles d'observation : courager, verbaliser ses difficultés) ; sociales (poser
- qui est à la source de l'interaction : enseignant, étu- des questions, coopérer dans la tâche, développer sa
diants) volontaire(s), désigné(s), groupe, classe ? compréhension d'autrui, de la culture de L2).
- pourquoi il y a intervention : pour structurer, solli- Ainsi l'activité de l'apprenant semble-t-elle ren-
citer, répondre... ? voyer à son système neurophysiologique et à ses capa-
41) 41
cités cognitives. Mais elle implique aussi son système vaudrait mieux réfléchir à une redéfinition du méta-
de valeurs et son désir d'avoir un rôle social, ce que langage (ou métalangue) dans les termes où Jakobson
manifestent, entre autres, ses attitudes, son accord (1963) envisageait sa fonction, « lorsque l'émetteur du
éventuel pour négocier sa place dans le groupe et par- message cherche à rendre ce dernier plus accessible au
ticiper à la tâche. L'ensemble de ces variables a per- décodeur ». Il faut indiquer deux cas intéressants : ce-
mis, comme on l'a déjà dit, de parler de styles d'ap- lui d'actes régulatifs comme « je n'ai pas bien compris,
prentissage, voire de profils d'apprenants dans pouvez-vous répéter ? » étrangement absents des
l'interaction. C'est pourquoi, dans la classe, le disposi- manuels (mais non des méthodes de langues en géné-
tif didactique devrait représenter « en creux >i ce que ral) et, justement, celui des exemples donnés par l'en-
nous savons de l'apprentissage. Les deux problémati- seignant dans son cours.
ques, liées, appellent à se demander à la fois ce qu'est Lorsqu'on se demande, comme P. Bange, en quoi la
« un bon apprenant » et un « bon enseignant ». classe de langue est le lieu d'apprentissage par excel-
\Jenseignant est d'abord celui à qui incombe la ges- lence, on doit rappeler qu'elle « permet d'échapper
tion du groupe, même si le dispositif fait la part belle à aux difficultés et aux hasards » et qu'elle « garantit
l'initiative et à l'autonomie de l'apprenant, comme l'apprentissage selon un horaire réduit et un rythme
dans l'approche communicative. D. Nunan (1991) contraint ». Dans l'activité d'enseignement définie,
donne de très nombreux exemples de manières de par- ainsi que nous l'avons dit, comme une facilitation du
ler (teacher talk) et d'agir dans la classe. Il analyse le processus d'acquisition, Bange distingue deux types de
questionnement de l'enseignant, et constate qu'un stratégies d'enseignement :
schéma canonique domine encore largement : a) solli- - stratégies de soutien, dans la modulation du dis-
citation de l'enseignant, b) réponse de l'élève, c) réac- cours de l'enseignant (analogue à un « parentage »)
tion évaluative de l'enseignant. Nous pourrions insister et dans ses réponses aux stratégies positives de
sur le fait que la réponse est, en général, préconstruite l'apprenant ;
dans l'esprit de l'enseignant, dont la sollicitation vise - stratégies d'optimisation des processus d'acquisi-
au fond à faire retrouver des vérités qu'il détient déjà. tion : une « manipulation de la communication »
Sans céder au pessimisme, Nunan tend à conclure avec doit mettre l'élève en position de « candidat-appre-
bien d'autres chercheurs que les questions et même les nant », lui donner des buts de communication qu'il
discussions ressemblent, dans beaucoup de classes, à désire réaliser, l'inciter à déployer des stratégies
des séances de psittacisme, où se succèdent questions et innovantes.
réponses, sans que les apprenants voient la logique de
l'activité qui leur est demandée. On constate, en conséquence, que la classe est un
A notre avis, cette conclusion devrait être confortée milieu fortement ritualisé, loin d'être naturel (L. Da-
par une mise en question de l'activité métalinguistique bène et al., 1990). Son organisation, sa dynamique, ses
et de sa place dans la classe de langue. Nous ne nous « discours », objet de nombreuses analyses, font res-
attarderons pas sur les excès du discours conduit au- sortir justement l'importance des rôles respectifs et des
tour de la langue et en particulier pour ce qui est de la schémas et routines mis en œuvre par l'enseignant :
grammaire dans les méthodologies traditionnelles. Il questionnement, évaluation, reformulation, rappel à
42 43
une centration prioritaire sur le code, etc. Cette ritua- d'un modèle élaboré, sans opérer un retournement qui
lisation vise à conceptualiser, voire à maîtriser le fonc- la conduise du « ce qui se passe » à « comment le
tionnement du modèle de communication que nous concevoir ». Sans une conception globale des processus
avons proposé ci-dessus (I, 1). La tendance interac- d'enseignement et d'apprentissage appréhendés dans
tionniste, c'est-à-dire celle qui met l'accent sur le déve- leur dialectique, la didactique se retrouve en face à
loppement des processus interpersonnels dans la face avec elle-même. Elle court alors le risque de se ré-
classe, a donné lieu à des dispositifs didactiques et pé- duire à une technologie, c'est-à-dire un ensemble de
dagogiques intéressants, visant à créer un climat pro- procédés constituant des techniques, elles-mêmes
pice au travail, à développer le travail en groupe, etc. prenant forme dans des méthodes.
(C. Kramsch, 1991). La notion de didactique doit englober aussi la cons-
Bien entendu, le classique triangle didactique (ap- truction des savoirs enseignés, d'une part, et la prise
prenant, enseignant, contenus) est incapable de rendre en compte de l'interaction entre enseignement et ap-
compte de la réalité de l'enseignement des langues en prentissage, de l'autre. Le travail didactique ne se ré-
général et du fonctionnement interactif de la classe en sume donc pas à une transformation d'objets (une
particulier. Ce triangle demande à être inscrit dans un langue usitée en langue enseignée, puis en langue ap-
ensemble de processus cognitifs, sociaux, institution- prise, un acte d'enseignement converti en acte d'ap-
nels et idéologiques qui sont la trame de l'apprentis- prentissage), ni à une connaissance cumulative, mais
sage. Nous rejoignons donc Allwright et Bailey (1991) recouvre une transformation des acteurs eux-mêmes :
lorsqu'ils encouragent les enseignants à devenir eux- l'apprenant, l'enseignant aussi, dans une trame
mêmes observateurs de leurs classes, à associer à leur culturelle, sociale, historique.
pratique une réflexion constante sur celle-ci (explora- Une définition minimaliste de la didactique comme
tory teaching). ensemble de moyens mis en œuvre au service de l'ap-
Il faut noter à cet égard l'intérêt de techniques au- prentissage apparaît, par conséquent, définitivement
jourd'hui bien connues, telles que le journal de bord trop limitée. Et ce ne sont donc pas que des outils di-
(ou d'apprentissage) et la vidéoscopie. La première dactiques qu'il faut interroger à présent, mais les mé-
exige de l'apprenant une observation guidée du cours thodologies sous-jacentes, c'est-à-dire les principes di-
qu'il suit et établit une prise de distance, une réinter- recteurs de ces démarches raisonnées, appuyées sur
prétation, voire un dialogue entre partenaires de l'in- des informations et des échanges, bref, sur tout un
teraction. La seconde technique, utilisée déjà en for- monde extérieur.
mation d'enseignants et pour la préparation des
sportifs (technique du geste, jeu collectif...), nous
semble, avec toute la réflexion indispensable, un outil
très utile et sous-employé.
IX. - Conclusion
La didactique ne saurait se constituer à partir de
pratiques observables dans la classe, fût-ce au moyen
44 45
socialement et culturellement le monde représenté
dans le manuel, avec ses rapports humains, ses
Chapitre II stéréotypes, etc.) ;
- tests et évaluation (tests, schémas ou guides doci-
mologiques).
LES MÉTHODOLOGIES
Notons d'abord que, malgré ses évidentes qualités,
ce type d'analyse fait courir un risque. En visant à
I. - Analyse/élaboration de manuels
l'exhaustivité, on donne à penser à l'utilisateur que la
et méthodes meilleure méthode est celle qui intègre le plus possible
Nous ferons état d'une recherche que nous avons des éléments énumérés : sa vocation (affichée) pour
menée pendant plusieurs années à partir de l'examen tous les publics, par exemple, qui rejoint bien entendu
de manuels et méthodes d'enseignement. Constituant le souci commercial ; ou bien, la présence d'images en
un vaste échantillon venu d'époques et de lieux les grand nombre, comme bandes dessinées, vignettes,
plus divers, le corpus a été réuni par des étudiants, photos, dessins, montages, publicités, etc. ; ou encore
français ou étrangers, qui se consacrent au total à plus des textes diversifiés, contes, romans, théâtre, poèmes,
de 80 langues du monde entier. Plusieurs grilles d'ana- chansons, etc.
lyse que nous utilisons pour l'étudier (Mackey, 1972 ; En réalité, la question fondamentale est celle de
Bertoletti et Dahlet, 1984; Dochot, 1989; Germain, la cohérence pédagogique, c'est-à-dire de la compa-
1993, etc.) mériteraient d'être décrites, mais nous ne tibilité, et mieux, de la convergence des outils, techni-
voulons que donner ici une idée du travail entrepris et ques et procédés mis en œuvre dans une même mé-
de quelques résultats. thode, elle-même cohérente avec une didactique
Prenons donc comme exemple un classement métho- d'ensemble.
dologique qui propose cinq grilles d'analyses partielles, Un corpus étendu devrait permettre de déceler
avec, pour chacune, description factuelle et apprécia- quelques constantes dans les titres mêmes des outils.
tion que l'on peut porter sur le matériel : Cela dépasse de loin l'intérêt anecdotique et il faut
évaluer l'écart entre titre et contenu réel de l'outil,
- présentation matérielle de l'outil (fiche signalétique, faire la part des modes et de la contrainte commer-
matériel complémentaire, préface ou livre du pro- ciale, regarder de près les titres métaphoriques, repérer
fesseur, structure du manuel) ; une histoire du titre motivant, du type Le grec sans
- supports et documents (type, présentation, origine, peine, Le français facile, etc.
appréciation, pour l'essentiel, de la variété et d Si l'on prend plutôt comme repère le déroulement
l'adéquation aux objectifs) ; d'une leçon, on obtient des schémas méthodologiques
contenus linguistiques (lexique, phonétique, gram- tels que
maire, exercices sous l'angle de l'opération requise
(contenu) et de l'accompagnement pédagogique) ; - texte, traduction, vocabulaire, grammaire, exercices
- contenus notionnels/thématiques (thèmes, notions de compréhension, de traduction ou de grammaire
et fonctions langagières étudiés, qui caractérisent (néerlandais) ;
46 47
- dialogue, traduction, grammaire et exercices, sup- proposée explicitement et la leçon s'intitule « Le-
plément culturel, vocabulaire et exercices (indoné- çon 15 », à charge pour l'apprenant d'en saisir la
sien) ; cohérence.
- question de grammaire et règles, vocabulaire, exer- La Ll est d'une aide précieuse pour la grammaire
cices (auto-apprentissage, swahili) ; (et évidemment la traduction), mais le « tout en L2 »
- texte avec dessins, vocabulaire, exercices sur le est fréquent, peut-être sous l'effet de contraintes édito-
texte, autre texte, grammaire, exercices de pronon- riales. Peu de méthodes esquivent la métalangue en
ciation, de manipulation, de traduction, écriture, ci- général, ce qui implique un apprentissage spécifique
vilisation (chinois, Pékin) ; (« verbe », « sujet », etc.), dont nous verrons plus loin
- dialogue, vocabulaire par classes de mots, lecture et quels problèmes il pose.
écriture de sinogrammes, grammaire avec explica- Certaines méthodes font le détour par une langue
tion et exercices structuraux, civilisation (chinois, véhiculaire telle que l'anglais ; l'approche contrastive,
Paris) ; avec des mises en garde et des exercices spécifiques
- tableau grammatical, exercices, dialogue avec expli- adressés à tel ou tel groupe linguistique, est finalement
cations et exercices, chanson, écriture, lecture, ta- très rare.
bleau récapitulatif du lexique avec traduction Une question ouverte reste celle de la langue en-
(français, Berlin) ; seignée (peut-on dire que telle langue s'enseigne plutôt
- dialogue en situation, structures et exercices, expres- de telle manière ?). On pressent aussi l'importance de
sions orale et écrite à partir de documents, structu- traditions pédagogiques et des représentations plus ou
ration des acquis, réemploi libre, textes littéraires moins conscientes (certaines langues sont dites sans
(espagnol, Madrid). grammaire par ceux qui les parlent...).
D'autre part, la démarche est rarement justifiée par
On conclut d'emblée à une grande diversité des ap- les auteurs, de sorte que les choix faits ne renvoient
proches adoptées, avec des variables qui sont parfois le pas ouvertement à des données caractéristiques de
pays d'origine, et, moins souvent qu'on imagine, la l'apprentissage tels que les objectifs, un mode de tra-
date de naissance de la méthode. vail en auto-apprentissage ou le rythme du cours.
Toutefois, on observe que la démarche d'exposition Cette absence peut être considérée comme volontaire,
des contenus est plus souvent déductive (règle, puis permettant le libre usage, ou au contraire passer pour
applications) qu'inductive (dégagement d'une règle à une carence de conception. On verra qu'une tendance
partir d'un nombre n de cas rencontrés). contemporaine fait de la « modularité » des matériels
Ce qui donne son unité à une leçon peut être aussi son point fort : l'apprenant (ou le professeur, à sa
bien être un thème ( « Gaston Longet à Paris... Notre place) est invité à sélectionner dans une sorte de boîte
salle de lecture... Une famille de mineurs... » ) qu'un à outils ce qui est jugé nécessaire, pour construire un
point grammatical ( « Leçon 15 : l'imparfait » ), par- parcours propre d'activités (cas d'une méthode d'an-
fois une modalisation ( « Je voudrais un stylo... » ) ou glais, 1994, présentant un tronc commun, trois itiné-
tout autre élément fédérateur, le titre pouvant n'être raires possibles et des « self-services » grammaticaux,
qu'un prétexte. Parfois encore, aucune unité n'est culturels, etc.).
48 49
Enfin, les conditions dans lesquelles sont utilisés qu'il n'a pas toujours à répondre aux nécessités géné-
ces matériels correspondent très peu aux prévisions rales de la société, mais à celles des groupes ou des in-
d'origine : absence de support oral tel que cassettes, dividus utilisateurs des langues de l'étranger, soit pour
durée du cours, possibilité réelle de réemploi, environ- aller à sa rencontre (c'est Marco Polo en Chine), soit
nement social et culturel de l'apprenant, motivation, parce que l'étranger s'impose et qu'on lui emprunte sa
utilisation parallèle d'autres moyens, etc. Il y aurait langue. L'on veut alors collaborer avec lui, ou le com-
beaucoup de naïveté à juger des pratiques pédagogi- battre, en écrivain ou en soldat (c'est Kateb Yacine,
ques dans leur ensemble par le seul examen des « le poète comme un boxeur »).
matériels mis en circulation. Au risque de simplifier beaucoup, disons que les
Pour apporter quelques lumières dans cette diver- méthodologies traditionnelle, directe, audio-orale, au-
sité, voire cette confusion des démarches, et dans ces diovisuelle, communicative dominent le panorama.
options fort contrastées, il nous faut brosser, à pré- Mais les dispositifs didactiques ne présentent pas la
sent, un tableau des méthodologies que nous voyons à successivité chronologique qu'on pourrait imaginer. Il
l'œuvre, inscrites dans les outils. Et un tel classement y a continuité, retour en arrière, prise en compte de ce
ne peut se faire sans retour sur le passé. qui se fait ailleurs pour s'en inspirer ou au contraire
pour le rejeter, et adaptations à de nouveaux environ-
II. - Préalables à un tableau panoramique nements idéologiques et technologiques. Le change-
des méthodologies ment en didactique ne se décrète guère, même à tra-
vers des instructions ministérielles, des préfaces de
La méthodologie de l'enseignement des langues manuels ou des cours de formation et stages pour
étrangères puise ses racines dans l'histoire des besoins professeurs.
de la communication sociale. Nul doute que le mar- Les termes méthodologie et approche, voire encore
chand phénicien, l'hoplite grec emporté par les expédi- démarche, se rencontrent et, parfois, de manière assez
tions d'Alexandre au bout du monde connu, le cava- indifférenciée. Ils manifestent une évolution vers plus
lier arabe qui atteint Gibraltar font naître les formes d'ouverture, non tant de la didactique que de l'idée
du multilinguisme et de sa propagation. D'une part, qu'on s'en fait.
ce sont des mixtes de langues, des créoles tels que le
gallo-roman (on a pu dire que le français est un créole
qui a réussi). De l'autre, c'est la mise en place de III. - Les méthodologies dites traditionnelles
moyens d'apprentissage contraints quand une langue Elles existent depuis l'Antiquité et perdurent jus-
l'emporte sur une autre, ou même provoque sa dispa- qu'à nos jours. Elles sont fondées sur une relation pé-
rition (l'arabe est enseigné, le berbère ne l'est pas ou dagogique forte : le rôle du maître y est central. Il
l'est peu, comme on le constate au Maghreb et au constitue un modèle de compétence linguistique à imi-
Sahara). ter. Savoir une langue, c'est plus ou moins connaître le
Bien entendu, l'enseignement des langues, s'il est système à l'égal du maître. Mais le véritable modèle
souvent décrit et évalué en rapport avec l'histoire de reste celui qu'incarnent les bons auteurs. Le système
l'éducation, n'en garde pas moins sa spécificité. C'est linguistique est en fait celui qui est dégagé par l'imita-
50
51
tion des textes littéraires. Et, en gros, pour une langue duction, exercices et finalement thème, qui constitue
telle que le latin, c'est Cicéron, et non le Bas-Empire ; un retour à la langue apprise et donne parfois lieu à
pour l'allemand, c'est Thomas Mann, et non Heinrich un réinvestissement où l'on s'essaie à rédiger sur un
Bôll. Comme l'approche vise la maîtrise du code, c'est sujet proche, et c'est le « thème d'imitation ».
le vocabulaire et la grammaire qui représentent les ob- On est donc bien dans une pédagogie du modèle, où
jectifs immédiats : liste de mots, avec d'éventuels re- lecture, version, thème se font sous la direction atten-
groupements thématiques, règles de grammaire pres- tive de l'enseignant. En aucun cas une telle conception
criptives insistant sur une norme ( « Dites - ne dites ne permet de développer une réelle compétence de com-
pas » ). Peu ou prou, du xvif siècle au xix e siècle, en munication, même écrite, qui d'ailleurs, sauf exception
Europe, l'étude du latin classique, avec sa grammaire (le latin comme véhiculaire de la religion catholique),
et sa rhétorique, constitue le moule de toutes les mé- ne constitue pas unefinalitéde l'apprentissage. Les mé-
thodologies d'enseignement des langues en milieu ins- rites de l'approche traditionnelle sont évidents dans un
titutionnel. Une filiation directe entre didactiques des contexte adéquat, où le recours à la métalangue, en
langues mortes et des langues vivantes étrangères est langue première, bien entendu, paraît souhaitable.
perceptible avec la théorisation qui en est faite, au mi- Mais les évolutions qui jalonnent l'enseignement
lieu du xix e siècle, surtout dans le monde germanique des langues s'inscrivent dans le cours de l'Histoire.
et anglo-saxon, sous les termes de méthode grammaire- Ainsi, le latin voit-il son statut et son importance bou-
traduction. Les objectifs fondamentaux tiennent à leversés ; des langues comme le français ou l'allemand
faire connaître une langue écrite de culture et d'élar- se dotent de formes stables, donc mieux utilisables, et
gissement intellectuel et les contenus de civilisation y accèdent à de nouvelles fonctions ; l'école change dans
sont étroitement attachés. La présence de « la belle son ensemble et la représentation de l'enfant, de
langue » va souvent de pair avec les méthodologies l'apprenant tout autant.
traditionnelles, quand il ne s'agit pas tout simplement Un grand pédagogue tchèque, Comenius, vers 1650,
de langues de haute tradition : pali des textes boud- ouvre plusieurs pistes prometteuses. Il voit quelle est,
dhiques, sanskrit dans lequel sont rédigés les pour l'apprentissage, l'importance de la perception
grands livres de l'hindouisme (Véda, épopées), latin sensible à côté de ce qu'apportent les capacités intellec-
classique, grec dans sa variété haute. Puisque l'écrit tuelles, il dessine une thématique motivante pour
y tient une telle place, il est bien naturel que les l'élève, envisage le recours à l'image comme auxiliaire
langues dites mortes relèvent de telles méthodologies didactique. Certains continueront après lui à appeler
d'enseignement. une remise sur pied d'un enseignement perçu parfois
L'approche est très analytique et les outils privilé- comme absurde et, déjà, dépassé.
giés seront les manuels ou recueils de textes, voire les Au milieu du xix e siècle, en Angleterre, Prendergast
œuvres entières, la grammaire et le dictionnaire bi- insiste sur l'intérêt de mémoriser des « routines », des
lingue. La démarche didactique est, dans ses grandes phrases de base réutilisables dans des situations
lignes, la suivante : un texte littéraire, suivi des expli- originales.
cations de vocabulaire et de grammaire, généralement En France, Claude Marcel fait le parallèle entre
avec recours à la langue source de l'apprenant ; tra- langue de l'enfant et langue enseignée, veut « suivre
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pas à pas la marche de la nature », comme si le terme l'écrit, et une grande attention à une bonne pronon-
de « méthode naturelle », qui séduira périodiquement ciation. Il n'y a d'énoncés que signifiants, c'est-à-dire
la pédagogie, pouvait aller de soi. François Gouin inscrits dans une situation imaginable. La préoccupa
{L'art d'enseigner et d'étudier les langues, 1880) tion métalinguistique, enfin, existe, mais dans un
cherche à comprendre les mécanismes de l'activité co- deuxième temps : c'est de l'observation réfléchie des
gnitive, luttant pour la primauté de l'oral, persuadé récurrences que se dégagent des règles de fonction-
que l'apprentissage d'une langue sera meilleur si l'on nement de la langue.
s'en sert pour réaliser des suites ou « séries » d'actions Sans doute aura-t-on à recourir à des auxiliaires
cohérentes entre elles. pour montrer directement de quoi l'on traite, livres,
C'est enfin un phonéticien de Marburg, Wilhelm tous objets et accessoires utiles d'abord à la compré-
Vietôr, qui appelle, à lafindu siècle, à changer hension. Il y aura à imaginer des dispositifs faisant un
de fond en comble l'enseignement des langues. L'ins- large usage de l'oral et avec un vocabulaire volontai-
titution scolaire est loin d'être toujours prête à rement limité. La gestuelle, le mime, la verbalisation
accepter de bon gré ces propositions (C. Germain, par l'enseignant seront les adjuvants de cette didac-
1993). tique. On amène l'apprenant à répéter, assimiler peu à
peu des éléments linguistiques en situation, de manière
IV. - L'approche directe
à le faire penser dès que possible dans la langue
seconde.
L'approche directe va tenter de résoudre certaines Mais cette méthodologie, dont on voit qu'elle est à
des questions sur lesquelles l'enseignement piétinait en certains égards complémentaire de la première, ren-
vain ou qu'il voulait ignorer. Pas moins ancienne que contre pourtant ses limites, elle aussi. S'il est aisé de
celle qu'on vient d'évoquer, elle la précède même de travailler sur le thème du tabac dans la classe et
peu, oserait-on dire, puisqu'elle résulte du besoin im- d'introduire des mots comme cigarette, fumer, allu-
médiat : si dans telle situation, tel mot semble provo- mer, etc., qu'en est-il pour des concepts comme intoxi-
quer telle réaction (comme un « bonjour ! » suscite cation ou risque cardio-vasculaire ?
son équivalent), si tel énoncé semble correspondre à En fait, la méthodologie directe trouve sa cohé-
tel besoin, alors enseignons ce mot, cet énoncé dans rence dans son organisation interne. Nous en
un environnement qui nous apparaît analogue sans emprunterons une figuration à l'étude la plus com-
passer ni par la traduction, ni par l'explicitation lexi- plète dont on dispose (Puren, 1988). Le noyau dur
cale ou grammaticale. Bref, essayons de « faire parler est constitué par les éléments suivants, empruntés aux
la langue et non parler de la langue ». C'est ce que fait approches ou méthodes :
le jeune aristocrate romain qui apprend le grec de son - directes : sans recours à la traduction ;
esclave, ce que fait, peut-être, le marchand gaulois qui - orales : ou plutôt audio-orales (le rôle de la percep-
enseigne à son fils comment traiter à son tour avec le tion est aussi grand que celui de l'audition) et, au
centurion romain. début du moins, l'écrit est écarté ;
Les méthodologies de type direct donnent la prio- - actives : on apprend à parler en parlant et en
rité à l'oral, avec une écoute des énoncés sans l'aide de agissant.
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La présence de ces éléments amène à mettre en matique de faits linguistiques dont les principes d'or-
œuvre d'autres méthodes (le mot a le sens d'ensemble ganisation n'étaient pas clairs, tout cela appelait un
de procédés et techniques organisés et orientés) : surcroît de réflexion.
- méthode interrogative (jeu question-réponse) ; De nouvelles conceptions viennent alors donner à
- méthode intuitive (il s'agit de deviner pour com- l'apprenant un rôle plus important, en milieu scolaire
prendre) ; en particulier, et redéfinir les éléments à enseigner
- méthode imitative (l'apprenant apprend en imitant prioritairement à l'oral. Cette méthodologie active,
l'enseignant ; le travail de production des phonèmes riche de sa diversité, trouve son origine en plusieurs
est un bon exemple) ; lieux dans la première moitié de ce siècle.
- méthode répétitive (la rétention d'information se a) En Suisse, en Allemagne, des tentatives sont fai-
fait par répétition, par imprégnation jusqu'à « l'as- tes pour tirer bénéfice de la didactique nouvelle tout
similation »). en préservant si possible des acquis (c'est, en particu-
lier, le cas de la grammaire).
La méthodologie directe remporte particulièrement b) En France, avec ce qu'on appelle « méthode ac-
des succès en Europe et aux États-Unis, à lafindu tive » se développe toute une série de compromis entre
xix e siècle et au début du XXe, dans un monde qui méthodologies traditionnelle et directe. Parallèlement
connaît le train et les grandes lignes maritimes. C'est à l'extension du système national d'enseignement se-
sans doute parce qu'elle est liée au voyage que la fi- condaire, on trouve la trace de ce processus tout au
gure emblématique en reste Maximilian Berlitz et ses long des instructions données pour l'enseignement of-
centres de langues, même s'il n'employait pas le terme ficiel des langues étrangères, en gros entre 1908
de méthodologie directe. Elle pénètre aussi l'institu- et 1969, ce qui est dire l'insistance de l'action publique
tion scolaire et la réalité des classes, du moins quand et la pérennité du besoin.
les textes officiels qui marquent, entre autres, l'ins- On parle alors de méthodologie éclectique ou mixte,
truction publique française sont appliqués : des pro- de synthèse ou de conciliation et on voit encore une
fesseurs souvent traditionalistes et manquant de for- fois, dans les réformes engagées, rupture et conti-
mation n'en seront pas toujours les meilleurs nuité : le texte et les exercices écrits reprennent leur
propagandistes. place à côté de l'oral, et non à sa suite. Le vocabulaire
Elle a suscité des progrès par ses présupposés, son peut être enseigné avec l'aide de la langue première, et
approche globaliste de l'apprentissage et son caractère un apprentissage « raisonné » de la grammaire prend
dynamique. Peut-être aussi a-t-elle sauvé des appre- le pas sur l'approche « mécanique », c'est-à-dire répé-
nants - et des enseignants - de la léthargie trop sou- titive, des méthodes directes. Mais, en un mot facile,
vent notée auparavant. Mais enfin le manque de soli- on insiste sur le fait que « la classe de langue vivante
dité de ses bases théoriques apparaissait : au fond, doit être vivante », que les élèves sont là pour y
quel découpage linguistique ? quelle progression ? quel prendre la parole, pour dialoguer, analyser et
écrit ? comment imaginer un niveau « avancé » ? Son commenter.
aspect artificiel (l'identification à des besoins de com- Les conditions dans lesquelles se fait cette évolution
munication ne va pas de soi), la mise en scène systé- montrent une volonté d'intégrer l'enseignement des
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langues étrangères dans le fonctionnement général de celle de structure linguistique (qui conduit à un modèle
l'éducation, pour ce qui est de la didactique comme reproductible et assimilable par l'apprenant). Les acti-
des finalités, à la fois instrumentales et culturelles, de vités d'écoute et de répétition, exercices de manipula-
l'apprentissage ; un certain pragmatisme face à l'échec tion ou drills, s'inscrivent dans une conception de l'ap-
des méthodes directes, et aussi, selon nous, tout prentissage où l'impression laissée par le contenu
simplement leur inadéquation à la problématique rencontré doit pouvoir permettre le réemploi libre ul-
scolaire. térieur. Il se trouve que l'enseignement de l'anglais
langue étrangère vivra au XXe siècle une considérable
V. - L'approche audio-orale
expansion et que cette méthodologie sera le vecteur
« officiel » de sa diffusion pendant des décennies,
L'approche orale ( Oral Approach) est encore ap- alors que d'autres horizons didactiques se sont déjà
pelée Situational Language Teaching. Elle prend son ouverts.
origine dans divers travaux de linguistique appliquée Aux États-Unis, la Seconde Guerre mondiale sus-
visant à donner des bases plus scientifiques à un ensei- cite en effet un considérable effort dans l'enseigne-
gnement des langues centré sur l'oral et la mise en si- ment des langues, comme dans d'autres domaines de
tuation des contenus lors de l'apprentissage. Il s'agit l'éducation et de la recherche. Cinquante-cinq univer-
donc à la fois de sélectionner des éléments linguisti- sités s'associent, dans ce qui prend le nom de Army
ques, lexicaux par exemple (Palmer et West, 1936), et Specialized Training Program (ASTP), pour former les
d'examiner dans quels contextes on peut les faire ap- personnels à utiliser des langues étrangères lors des
paraître : trouver des principes d'organisation des opérations militaires extérieures, en Asie, dans le
contenus et des moyens de les faire pratiquer. En Pacifique et en Europe surtout.
d'autres termes il faut concevoir une sélection, une Pour être bref, tout semble alors à inventer en ma-
gradation, un dispositif de présentation. tière de didactique. On fait appel à des linguistes
Richards et Rodgers (1986) résument la méthodo- comme Bloomfield, spécialiste des langues amérin-
logie qui découlera de ces prémisses, entre 1930 diennes. Des recueils de textes sont bâtis à la hâte avec
et 1960 environ, en insistant sur la priorité accordée à l'aide d'informateurs qui continueront à travailler en-
l'oral, sur l'usage exclusif de la langue cible en classe, suite avec le professeur et les étudiants, dix heures par
sur le fait que les nouveaux éléments introduits le sont jour, six jours par semaine, durant deux ou trois
toujours dans des situations. La place du vocabulaire périodes de six semaines...
et de la grammaire n'est en rien laissée au hasard, lec- Le succès apparent d'une telle méthode, à base
ture et écriture interviennent dès que les moyens d'oral et d'exposition forte à la langue, donne, après
linguistiques en sont assurés. la guerre, des idées à une Amérique désormais ouverte
Dans les méthodes britanniques de cette époque, on sur le monde et sûre de son pouvoir. Elle enseigne
constate que deux notions prennent une importance l'anglais - ou l'anglo-américain - partout, à l'étranger
comparable à celle de la priorité à l'oral : la notion de comme chez elle à ses immigrants, et sait aussi
« situation » (qui donne sa signification à la forme lin- apprendre d'autres langues, parfois dans l'urgence, au
guistique, manifestant une intention du locuteur) et gré de l'histoire contemporaine.
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Il semble que l'apport de la linguistique appliquée à tion réelle, un vocabulaire soigneusement restreint aux
l'enseignement des langues se manifeste d'abord par besoins immédiats de la leçon. Elle est cohérente, mais
l'intérêt pour une approche différentielle ou contras- voit s'élever contre elle des critiques, dès lafindes
tive. On prend acte du fait que les erreurs observées années 1950 :
chez les apprenants peuvent provenir de différences - D'abord les objections de ceux qu'on va appeler les
entre langues première et seconde, et donc de trans- « mentalistes » et qui, comme Chomsky, refusent de
ferts erronés dans l'encodage comme dans le déco- voir dans le fonctionnement humain une simple
dage. Pour le reste, la méthode audio-orale américaine suite causale, mais soulignent la créativité illimitée
(Audiolingual Method, ici MAO) est fondée solidement de l'homme doué de langage. Leur influence ira
sur deux bases, linguistique structurale et psychologie grandissante, tout comme celle des « cognitivistes »
du comportement. qui montreront bientôt la complexité réelle des opé-
a) D'abord une linguistique structurale, c'est-à-dire rations en jeu dans le processus de l'acquisition et
où la valeur d'un terme se définit par opposition aux du développement langagier.
autres termes du système (Saussure, 1916). Cette lin- - Mais aussi le rejet par les apprenants eux-mêmes,
guistique de type « distributionnel » (Bloomfield, Har- lassés d'exercices fastidieux, peu motivants et cou-
ris, Fries) met en évidence les deux axes de la langue, pés de la réalité. On peut suivre l'idée selon laquelle,
axe paradigmatique, celui de la distribution des élé- dans la MAO, « la superposition parfaite entre le ni-
ments dans l'énoncé, et axe syntagmatique, celui de la veau de la théorie et celui des matériels (...) a provo-
transformation. qué un appauvrissement radical des problématiques
À l'énoncé « Elle est belle » peut se substituer « Tu prises en compte et des pratiques d'enseignement »
es belle », puis « Tu es riche », « Es-tu riche ? », etc. (Puren, 1994).
Différents procédés, qui n'étaient pas totalement nou-
veaux, d'ailleurs, « tables » ou « boîtes », permettent Sans doute aussi les conditions de mise en œuvre,
une présentation, puis une sélection des éléments que avec I'ASTP, avaient-elles été exceptionnelles. Il faut
la didactique retiendra. En d'autres termes, une des- toutefois se garder de hâtifs jugements de valeur. La
cription de la langue est à l'origine d'un dispositif méthodologie audio-orale a marqué d'une forte em-
d'appropriation régulière de cette langue. preinte celles qui la suivent, même si elles s'en
b) Ensuite une théorie comportementale empruntée défendent souvent.
à la psychologie et en particulier au modèle béhavio-
riste (Skinner, 1957), que nous avons déjà évoquée. VI. - Les méthodologies audiovisuelles
Le schéma stimulus/réponse/renforcement a pour
objectif la réapparition d'un comportement acquis et Les travaux qui avaient amené les didacticiens amé-
désormais automatisé. ricains et britanniques à une approche audio-orale, si-
Cette méthodologie se caractérise par une approche tuationnelle, trouvent leur répondant en Europe après
contrastive et une priorité à l'oral, avec l'aide du ma- la guerre. Le terrain y est désormais beaucoup mieux
gnétophone et bientôt du laboratoire de langue, des préparé sur le plan scientifique pour une évolution des
exercices structuraux intensifs et hors de toute situa- pratiques d'enseignement. Par ailleurs, les technologies
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de reproduction de l'image et du son (magnétophone, disponibilité (l'importance pour un thème particulier)
film et couleur...) sont arrivées à un niveau de fiabilité de formes de base du français. Le corpus se limitait à
et de coût qui permet d'envisager leur entrée dans la l'oral et, pour le « niveau 1 », incluait 1 445 mots dont
classe. Il semble à peu près établi maintenant que les 1 176 lexèmes et 269 mots grammaticaux. Les plus fré-
méthodes audiovisuelles (MAV), élaborées entre 1950 quents étaient, pour fixer les idées et dans l'ordre
et 1970 environ, auront été le résultat de deux courants décroissant : être ; avoir ; de ; je ; il(s). Une deuxième
de recherche qui ne se confondent pas, l'un aux États- liste apparaissait bientôt avec 1 800 mots supplémen-
Unis, l'autre en Europe, et particulièrement en France. taires environ et allait constituer le Français fonda-
a) Il ne suffit pas, pour caractériser une MAV, de mental deuxième niveau.
parler d'association de l'oral et de l'image. A ce Les travaux menés conjointement à lafindes
compte, beaucoup d'outils où interviennent des auxi- années 1950 en France, avec P. Rivenc au Centre de
liaires visuels tels que schéma, carte, tableau, vi- recherche et d'étude pour la diffusion du français
gnette... pourraient être ainsi répertoriés, depuis long- (CREDIF), et à Zagreb en Yougoslavie, par l'équipe de
temps. On qualifiera de méthode audiovisuelle celle P. Guberina, ont pour résultat l'élaboration d'une mé-
qui, ne s'en tenant pas seulement à associer l'image et thodologie dite structuro-globale-audiovisuelle (SGAV).
le son à des fins didactiques, les unit étroitement, de Les fondements en sont :
sorte que c'est autour de cette association que se - une théorie linguistique explicitement structurale
construisent les activités. (inspirée de la linguistique de la parole de C. Bally,
Certaines des méthodes audiovisuelles vont prendre et non au sens de Saussure ou des linguistes améri-
pour bases théoriques la linguistique structurale et la cains) pour les contenus et la progression ;
psychologie béhavioriste. Les contenus linguistiques une primauté résolue à l'oral (comme le montre le
structurés, mis dans une relation propre à faire appa- français fondamental) ;
raître leur valeur, sont présentés selon une certaine - une forte intégration des moyens audiovisuels ;
progression. Cette notion renvoie à une organisation - une théorie de l'apprentissage fondée sur une
des éléments retenus pour être intégrés au programme « structuration mobile des stimuli optimaux » (où
de travail par l'enseignant ou le concepteur de la mé- certains comprendront exercices béhavioristes ;
thode : on n'enseigne pas n'importe quoi dans n'im- - une conception globale de la communication ou-
porte quel ordre. verte in fine sur la pratique sociale.
b) Mais revenons sur la description de la langue. Si
des travaux lexicologiques britanniques avaient donné c) Examinons comment, avec toute leur diversité,
naissance à un Basic English d'une « conception lo- les méthodologies audiovisuelles se traduisent en ces
gique et universaliste » (P. Rivenc), du côté français, outils qu'on appelle couramment des « méthodes ».
un élément aussi déterminant dans la mise au point Des « situations » créées de toutes pièces donnent l'oc-
des méthodes audiovisuelles aura été l'apparition du casion d'y rencontrer les éléments linguistiques présen-
Français fondamental (1959) : un recueil lexical et tés. Ces situations tournent autour d'un thème et, en
grammatical, établi sur la fréquence d'apparition, sur général, d'une petite histoire,fixéesurfilmfixeou
la répartition dans un corpus oral enregistré et sur la bande dessinée, associée à un enregistrement magnéto-
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phonique : « C'est bien le train pour Orléans, n'est-ce - Explication, terme indiquant clairement que l'on
pas ? A quelle heure est-ce qu'il part ? » Les contextes se place du côté de l'enseignant, dont le travail vise en
de cette situation visualisée sont supposés suffisam- fait à faciliter ce qui sera l'accès au sens ou la compré-
ment motivants pour faciliter les différentes opéra- hension. Cette compréhension est d'abord globale,
tions proposées à l'apprenant. puis se fait progressivement plus analytique. Il s'agit
Désignée aufildes années et des tendances comme de déterminer ce qui se passe à l'aide d'indices : rappel
chapitre, thème, module d'enseignement didactique, de la connaissance qu'on a des personnages, de leur
dossier et surtout « unité didactique », la leçon de rôle, évocation de ce qui est possible ou plausible, va-
langue est constituée de différents moments ou phases riation des situations et des contextes, paraphrase et,
de durée variable, sachant que les vents de la mode bien sûr, rôle de l'image...
poussent très fort la terminologie... À l'oral, une hypothèse classique est que le maté-
Le déroulement de la leçon est donc analysable et les riau sonore, la chaîne parlée que l'on entend, est perçu
phases en sont justifiées dans leur nature et leur orga- à travers ce qu'on désigne comme un véritable crible
nisation : dans leur nature, parce que l'examen montre phonologique. Les sons, ou plutôt les phonèmes de la
qu'il est difficile, parfois inconcevable d'ignorer telle langue, sont reçus et traités en fonction des habitudes
ou telle phase (par exemple réemployer un élément qui sensorielles initiales. Que l'on pense aux tons du viet-
n'a pas été mémorisé) ; dans leur organisation, c'est-à- namien ou du chinois, où la variation affecte le sens
dire leur place ou leur manière de s'enchaîner dans la du mot (chinois yu : selon le ton, poisson ou
suite des opérations. langue, etc.). Au premier abord, le découpage de
Mais comme la justification de cette structuration l'énoncé est rendu difficile, voire impossible et, pour
reste le souci d'une efficacité maximale dans des un hispanophone, « Ils ont mangé » et « ils sont
conditions déterminées d'apprentissage, elle est donc mangés » se confondent.
discutable, sans aucun doute. Elle sera sujette à modi- Les catégories grammaticales différentes de langue
fication, surtout dans la dernière génération des MAV. à langue suscitent des difficultés. Par exemple, en
Pourtant, il ne nous semble pas que cette organisation russe, un impératif perfectif marque la politesse, un
soit jamais vraiment bousculée à travers telle ou telle imperfectif, la rudesse d'un ordre. On évoque encore
de ces méthodes. On y observe, au plus, variation, souvent la richesse lexicale de telle langue qui dispose
fractionnement, déplacement, report, dans des activi- de nuances pour marquer la couleur des arbres, de la
tés dont le bien-fondé n'est, finalement et pour l'essen- neige ou... de la robe d'un vin, ce qui fait parfois dire
tiel, pas remis en question. qu'il y a impossibilité à traduire. On a des séries de dé-
On observe, en général, une séquence du type rivation lexicale incomplètes : contrairement à l'arabe
suivant : présentation, explication, répétition, mémori- (khobz, pain), le français crée boulangerie (makhbaza)
sation et correction, exploitation, transposition. sur une autre racine. L'extension du pronom est mise
- Présentation du contenu nouveau, sous forme vi- en cause : « tu » vaut pour masculin ou féminin
vante, dans une situation de communication et avec en français, pas en arabe (anta/anti) ; « nous »
des supports variés où texte, image, son se trouvent peut inclure l'auditeur : (je + tu + il)(s), ou l'exclure
associés. (je + il)(s), comme en tagalog (Philippines) ; on
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connaît la subtilité du jeu entre tutoiement et vouvoie- donc l'observation et l'automatisation, sinon la prise
ment, même entre langues de l'Europe. On pourrait de conscience ou conceptualisation des faits rencon-
multiplier les exemples qui font problème pour le lo- trés, qui engendreront une compétence, une règle que
cuteur non natif : la marque du verbe (qui ne se l'apprenant s'appropriera, au sens précis du terme.
conjugue pas en chinois), la déclinaison du nom, l'ab- - Répétition et mémorisation avec correction p
sence de distinction nom/verbe (créoles, tahitien), tique. Le travail consiste à fixer, puis à retenir, dans
l'ordre des mots dans la phrase. Sujet-verbe-objet des formes acceptables au regard de la norme - d'où
(sov) représente 39 % des langues, mais svo 36 %, vso la correction -, les éléments présentés et expliqués, de
15 % et même vos 5 % (dont le malgache). façon qu'ils puissent être évoqués, c'est-à-dire revenir
La compréhension sera, ensuite, plus fine. Le dé- pour une utilisation effective. On distinguera entre
coupage du matériau sonore de l'énoncé amène à une compétence passive et active d'un élément : sa recon-
série d'hypothèses sur la communication, en fonction naissance, son décodage à l'écoute, n'autorise pas
de l'échange entre les interlocuteurs. La démarche est forcément son utilisation lors d'une production
très intuitive et l'explication met en relief des varia- personnelle.
tions phonétiques, morphologiques, lexicales, syntaxi- On est dans une approche universaliste, où il n'est
ques qui engendrent la signification, c'est-à-dire la pas question d'exercices fondés sur une description
prise de sens dans un environnement particulier. contrastive des langues. Mais très vite beaucoup de
On a vu que divers procédés aident à accéder à une méthodes contextualisées, c'est-à-dire adaptées à t
première signification. Ils sont directs : Yimage situa- ou tel groupe linguistique, s'affranchiront de cette
tionnelle ou de transcodage (un point d'exclamation contrainte.
marque une surprise), le geste, la mise en relation avec La répétition reste l'un des moyens de parvenir à la
l'environnement local du cours. Ils peuvent être indi- fixation, par des procédés divers : apprentissage par
rects : la paraphrase ou la définition, la mise en rap- cœur, seul, en groupe, dans la classe ou à la maison,
port de l'élément nouveau avec des éléments connus, avec l'aide du magnétophone, du laboratoire de lan-
contraires ou identiques. En général, la traduction est gues, autonome ou non, par la dramatisation ou le jeu
exclue dans la méthodologie audiovisuelle pure, le sys- de rôle, etc. On voit que diverses possibilités de répéti-
tème source de l'apprenant étant censé - pour des rai- tion et de correction peuvent se combiner. Certaines
sons d'apprentissage - être évacué du champ de d'entre elles (mais non celles du courant SGAV, qui re-
l'enseignement. court à la méthode verbo-tonale, privilégiant l'audi-
L'énoncé est alors susceptible d'être appréhendé tion globale et les contextes « optimaux ») auront plus
dans sa complexité et, pour commencer, peut être seg- ou moins pour théorie de référence l'automatisation
menté. Pour donner un contre-exemple, c'est ce que ne des comportements empruntée à la psychologie
peut faire l'enfant qui dit « un avion / le navion » et, béhavioriste.
encore, ce à quoi on n'est pas arrivé en français, avec - Exploitation qui vise à l'appropriation des élé-
le mot loriot (latin : Me, aureatus) ou avec le mot ments nouveaux par leur systématisation, leur mani-
d'origine arabe « luth » (al oud), quand on affecte ces pulation et leur réemploi dans des situations plus ou
noms d'un article redondant : le loriot, le luth. C'est moins proches de celles de la leçon. Inscrire un élé-
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ment dans un système, c'est, par exemple, afficher un 1974). Nul doute que des malentendus soient nés, dès
paradigme, comme une conjugaison aux différentes le début des mav, sur les fins comme sur les moyens
personnes, une déclinaison, un micro-système (en qui devaient être les leurs. Il est aussi très vite apparu
français, cheval-chevaux, journal-journaux), un mode que le déroulement décrit ci-dessus était adapté au ni-
de repérage du genre des noms, etc. veau des débutants, mais on observe au niveau plus
La manipulation va se faire à travers des exercices avancé, souvent appelé niveau 2 :
intensifs et variés : - une certaine dissociation de l'image et des autres
- répétition d'éléments simples, avec éventuelle ex- éléments dans la pratique de classe, ou une moins
pansion (il mange, il mange, il mange du pain) ; grande rigueur dans l'intégration des supports
- substitution ou corrélation (il joue avec son frère, il (image/magnétophone, etc.) ;
joue avec sa sœur, nous jouons avec.) ; - une place plus importante accordée à l'écrit,
- transformation (regarde les oiseaux, regarde-les). alors que la méthodologie audiovisuelle s'était fait
une réputation d'intransigeance sur la priorité à
Ces opérations systématiques peuvent porter sur le l'oral ;
lexique (du nom au verbe et vice versa), la mor- - un accès à une parole plus proche de la réalité so-
phologie (mise au passé), la syntaxe (réécriture au ciale que dans les énoncés stéréotypés des premières
style indirect, résumé, narration transformée en dia- leçons. Cet accès sera facilité par l'emploi de ce
logue), etc. Elles ont donné lieu à une abondante litté- hqu'on appellera plus tard documents authentiques,
rature prescriptive : les exercices sont des techniques, ou « matériaux sociaux » (Galisson), c'est-à-dire
qui doivent être gradués, dosés, simples et adaptés, documents à visée initialement non didactique (ima-
motivés, actifs, construits sur une analyse linguistique, ges et textes : carte, formulaires, photos, tableaux,
progressifs, naturels, centrés sur un même thème, publicités...) ;
courts, variés, rapides... - une autonomie plus grande laissée à l'apprenant et
- Transposition ou réemploi de plus en plus libre à sa créativité personnelle ;
dans des situations originales, nées souvent des ha- - une remise en question des objectifs et des procédu-
sards de la classe et consistant en jeux de langue. Cer- res d'apprentissage, qui déplace le centre de gravité
taines préfaces de méthodes parlent de « création et de la méthode : d'une compétence linguistique, on
re-création ». Il est possible enfin qu'une évaluation envisage de plus en plus de passer à une compétence
soit effectuée au terme de l'unité didactique, mais on le mot est dit - communicative.
observe, en fait, qu'elle peut être facultative ou que sa
périodicité varie, avec des contrôles intermédiaires ou Ce qui est notable, en effet, c'est une évolution des
au contraire situés au terme de plusieurs unités. méthodes audiovisuelles à partir des années 1970 dans
d) W faut, bien sûr, distinguer une « méthodologie le sens que nous venons d'indiquer pour le seul ni-
d'élaboration », celle des concepteurs, et une autre veau 2. La langue se fait plus variée, plus riche : elle
« d'application », ce qui est induit effectivement dans correspond mieux à ce qu'on peut entendre effective-
les pratiques de classe. Il y a souvent loin de l'une à ment dans la société et elle prend en compte les regis-
l'autre, comme l'observation le montre (Porquier, tres propres à certains sociolectes ou variétés régiona-
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les. Avec la même souplesse, on tend à développer présence du « visuel », par exemple, convient particu-
davantage les possibilités de réinvestissement des ac- lièrement à certains apprenants, et un enseignement
quis et on a pu parler de « désystématisation » (Boyer, tout « auditif » se prive absurdement des moyens de
1979), pour désigner le processus par lequel on veut réussir, comme le confirme la psychopédagogie
amener à un transfert autonome, qui semble aller de moderne.
soi dans un apprentissage. Enfin, le déroulement de la leçon audiovisuelle dé-
Une partie de l'évolution vise à rendre compatibles crit ci-dessus (Besse, 1975) ne renvoie-t-il pas à un
certains principes des méthodes audiovisuelles avec les schéma antérieur à elle, qui lui survit aussi, et dont
contextes scolaires. Mais les transferts dans une véri- quelques traits se retrouvent dans toute démarche
table communication sociale restent en pratique diffi- d'enseignement ? Le changement didactique balance
ciles - ce point touche aux objectifs et à la théorie de entre rupture et continuité, mais il faut admettre que
l'apprentissage sous-jacente - et la cohérence des ob- « chaque méthodologie est un produit non biodégra-
jectifs est loin d'être assurée. D'autre part, la théma- dable qui laisse toujours des traces » (Galisson, 1980).
tique culturelle ne manifestera que rarement (et tou-
jours avec timidité) l'histoire de l'époque et les
transformations sociales.
VII. - Conclusion
90 91
Cependant, comme les termes de programme, plan - syllabus activités communicatives ;
d'études, cursus paraissent limitatifs et restrictifs, c'est - syllabus culturel ;
autour de la notion de syllabus et de curriculum que - syllabus éducation langagière générale.
des modèles se sont développés. Ils manifestent une
tendance intégrative, des tentatives de conciliation au Des stratégies d'enseignement seront à la suite défi-
moins qui laissent bien loin des anciennes conceptions nies. Il faut bien sûr souligner la forte intégration, au-
à base lexicale, où le découpage se faisait en priorité tour de la composante « communicative/expérien-
sur une thématique lexicale ou sur les actes de parole tielle », de ce schéma mis en œuvre sur une large
de l'échange communicatif. échelle au Canada. Un autre point est à remarquer :
Il faut ainsi, selon Richards et Rodgers (1986), en- l'importance accordée à l'acquisition de stratégies lan-
visager le développement d'un curriculum comme un gagières efficaces comme une composante de la for-
système dynamique. La phase initiale est l'évaluation mation. Une « unité zéro » du programme canadien
des besoins, qui doit prendre en compte nombre de vise même à conscientiser l'élève à la nouvelle
considérations extérieures : administratives, éducati- approche.
ves, psychosociales et logistiques. C'est à partir de Au terme de son histoire récente, peut-on dire avec
cette mise au jour des besoins que va se faire la défini- R. K. Johnson (1989) que « le développement du cur-
tion d'objectifs d'apprentissage. Enfin intervient véri- riculum (...) inclut toutes les démarches adéquates de
tablement l'élaboration d'un programme où entrent prise de décision par tous les participants » ? Enfinde
en jeu, pour résumer, méthodologie, méthodes, compte, il ne faudrait pas oublier que la mise en
moyens et évaluation. Un tel schéma de travail peut œuvre didactique dépend de tous les partenaires et
paraître rationnel, mais aussi excessivement rigide. non du seul concepteur. Il existe un « curriculum ca-
Attentifs à ne pas tomber du systémique dans le systé- ché », qui relève de l'apprenant, et la construction
matique et conscients de la nécessaire adaptabilité des « de haut en bas » (Nunan, 1988) d'un curriculum est
solutions retenues face à des besoins complexes, peut-être, au fond, une pure possibilité théorique.
Richards et Rodgers n'excluent pas un « éclectisme Sauf à évoquer, comme on commence à le faire, la
informé », c'est-à-dire une ouverture faite avec discer- pluralité de scénarios curriculaires diversifiés, elle ré-
nement sur d'autres méthodes. sout difficilement les problèmes qui ont présidé à son
Le curriculum multidimensionnel proposé par Stern émergence car elle relève d'une vision littéralement po-
(1983, puis 1992) aborde d'une manière intéressante le litique de l'enseignement (cf. le CECRL et le projet d'un
problème. Les objectifs sont classés sous quatre rubri- plurilinguisme européen).
ques : objectifs de compétence, objectifs cognitifs, Une réévaluation effective des besoins et des résul-
objectifs affectifs, objectifs de transfert. Les contenus tats obtenus pourrait bien remettre en question la vali-
figurent dans quatre composantes, complétées ultérieu- dité des choix opérés : les apprenants ne restent pas
rement par l'évaluation : identiques à eux-mêmes et les paramètres institution-
nels évoluent. Une méthode validée sur un échantillon
- syllabus langue : prononciation, grammaire, analyse limité échoue dans un contexte plus étendu (c'est bien
fonctionnelle ; le problème de la massification de l'enseignement) ou
92 93
quand on l'emploie sans formation adéquate. Or, il - On insiste sur la « perméabilité » des deux codes,
n'est pas si général qu'un changement de méthode soit oral et écrit, et leur nécessaire complémentarité plus
accompagné d'une action de formation des utilisateurs que sur leurs différences.
(Springer, 1996). - La créativité de l'apprenant, sa capacité à pro-
duire des énoncés personnels, intervient dès les débuts
II. - O r a l de l'apprentissage. Les exercices au laboratoire de lan-
gues, où l'enseignant peut éventuellement entamer un
Nous avons vu plus haut que la langue orale a oc- dialogue avec l'apprenant au travail, semblent dès lors
cupé une place importante dans les méthodologies retrouver une certaine faveur, après une période de
modernes et constitué souvent le point de départ de lassitude due à la recherche, parfois excessive, de sys-
l'apprentissage. La description de l'oral fait l'objet de tématisation. On peut en repérer plusieurs raisons :
nombreux travaux et cette description a pris le pas sur a) les attentes de l'apprenant, son désir de structurer
l'attitude prescriptive des études antérieures. Celles-ci ses acquisitions, avec une perspective qui n'est
visaient plutôt à manifester des marques d'écart par donc plus celle du béhaviorisme ;
rapport à la norme (absence de « ne » dans « ne... b) la miniaturisation et la facilité d'emploi des maté-
pas », ruptures syntaxiques, etc.) et on voyait donc se riels actuels ;
renforcer, dans l'enseignement des langues et surtout c) la recherche d'outils favorisant l'auto-appren-
dans la classe, une attitude de dévalorisation d'un oral tissage.
authentique.
La variété des documents et des registres de langue Dans de nombreux pays, le travail d'apprentissage
va, par conséquent, s'en trouver désormais aug- des phonèmes reste un préalable à une approche de
mentée. Ceci n'est pas sans poser problème, bien sûr : la L2, en dehors de toutefinalitédiscursive et de tout
comment intégrer dans les paramètres d'un cours la intérêt communicatif.
norme sociale ou les variétés de la langue présentée Il faudrait probablement associer prise de cons-
par l'enseignant sans donner une image déformée de cience de l'importance de l'oral (phonétique, schéma
la société ? Rien de plus insaisissable, entre autres intonatif, relation avec la mimique et la gestuelle,
exemples, que le « parler jeune », les « registres de rythme de la phrase, chanson, etc.) et activités de remé-
langue » (vulgaire, familier, standard, soutenu...) ou diation plus ou moins systématiques en fonction des
les variétés régionales. objectifs recherchés et des difficultés communicatives
Néanmoins, on voit se diversifier les pratiques de éprouvées.
classe, tant du côté de la compréhension que de la
production : entretiens, jeux de rôles et simulations III. - G r a m m a i r e
impliquant résolution de problème ou décision à
prendre, émissions de radio, courtes informations Le rôle joué par la grammaire dans la didactique des
( « flashes » ), bulletin météorologique, récit, consi- langues est des plus controversés. Une raison tient sans
gnes de travail, etc. Quelques grandes orientations doute au flou de sa définition, qui recouvre la descrip-
peuvent être admises : tion des règles de fonctionnement général d'une
94 95
langue, ou un ensemble de prescriptions imposées à nant. Un bon exemple est fourni par une « grammaire
ceux qui parlent, ou encore le système des règles de L2 distante », comme celle du hongrois : il n'y a qu'un
intériorisées par l'apprenant (Galisson, Coste, 1996). seul temps du passé, mais plusieurs aspects marqués
L'emploi de la métalangue, du commentaire expli- par un « préverbe » (Kiss, 1989). En tahitien, une
cite sur la langue apprise, est bien entendu un héritage marque énonciative « mai » permet d'indiquer qui as-
de la méthodologie classique « grammaire-traduc- sume le discours : « C'est joli (mai) à elle » = « Elle est
tion ». Les descriptions que nous offrent les grammai- jolie et c'est moi qui le dis » (Fève, 1992). Besse et
res traditionnelles sont tournées vers les grands textes, Porquier (1984) ont rappelé que des catégories préten-
elles négligent l'oral ; On imagine qu'elles conviennent dument absentes en français existent en réalité (cas des
mal aux pédagogues et aux élèves. classificateurs : « un pied de salade, une noix de
Il faut toutefois rappeler que l'analyse de la langue beurre », etc., Cao Deming, 1983).
n'occupe pas la même place dans tous les pays. « De La grammaire explicite paraissant présenter des dif-
quelle quantité de grammaire l'être humain a-t-il be- ficultés démesurées par rapport à son intérêt, certaines
soin ? », se demandait plaisamment un spécialiste alle- méthodologies directes et audiovisuelles systémati-
mand. Si l'acquisition implicite de la grammaire en L2 saient l'apprentissage à travers le découpage linguis-
(comme en Ll d'ailleurs) domine la tradition dans cer- tique et l'exercice structural, où réflexe n'est pas
taines cultures, anglo-saxonnes par exemple, son ap- réflexion.
prentissage comme partie du curriculum en caractérise Pendant les premières années du communicatif, on
d'autres (en France, dans les pays de l'Est). Les ima- trouve très souvent, dans les manuels, des règles expo-
ges de la norme prescriptive s'inscrivent sans doute sées sous forme d'encadrés ou de tableaux récapitula-
encore dans des schèmes culturels et scientifiques plus tifs, comme aide-mémoire. Et si le modèle grammati-
larges : H. Besse (1989) évoque une « (pré)conception cal dominant cède du terrain, comme l'a montré
juridique forte » chez des enseignants arabophones. R. Vives (1989), les raisons ne manquent pas :
On doit d'ailleurs faire remarquer que la recherche
empirique n'a guère montré, à ce jour, une supériorité - les besoins de l'apprenant déterminent les contenus
d'un système d'appropriation sur l'autre. d'enseignement, et il n'apparaît pas souvent que la
D'autre part, la métalangue peut amener à recourir grammaire soit prioritaire ;
à la traduction interlinguale (les consignes des exerci- - la notion d'interlangue conduit à regarder de près le
ces seront en Ll) ou donner lieu à un apprentissage processus de construction des règles (les termes de
spécifique. Il faudra donc d'abord apprendre à dé- « grammaire d'apprenant » et de « grammaire péda-
nommer les catégories grammaticales et c'est en L2 gogique » sont en vogue) et non un système figé et
qu'il faudra peut-être comprendre la consigne d'un normatif. On pourrait aussi faire valoir qu'une
exercice. Dans ce cas, une part de l'activité est dé- grammaire « intériorisée » par l'apprenant n'est ja-
tournée vers des tâches linguistiques au détriment mais la grammaire décrite par les linguistes ;
d'autres objectifs ; d'un autre côté, les catégories - la correction des fautes ou des erreurs, loin d'être
grammaticales, en Ll et L2, peuvent fort bien ne pas vécue comme un échec, contribue à une pédagogie
correspondre à la « grammaire mentale » de l'appre- du progrès.
96 97
L'approche communicative invitait en fait à cons- digmatique » (J.-C. Beacco), la réduction des descrip-
truire une grammaire sémantique, dont J. Courtillon tions grammaticales à des listes de formes à ap-
(1989, ibid.) indique les traits : L'apprenant devrait prendre, n'a sûrement pas cessé de planer sur la classe
pouvoir choisir « la forme qui convient pour véhiculer de langue.
sa pensée sans avoir à faire appel à une règle ap-
prise ». Dans une logique pragmatique, les formes IV. - Écrit
sont classées en séries communicatives et non linguis-
tiques, l'insertion est situationnelle, la gradation va du Acquérir une double compétence lire/écrire paraît
simple au complexe. La démarche d'acquisition fait être une urgence dès les débuts de l'apprentissage. Les
se succéder : découverte par observation d'énoncés, fonctions de l'écrit sont en effet si larges (Stern, 1983)
intercorrection du groupe, conceptualisation, c'est-à- qu'il trouve sa place dans tous les domaines, dans l'ac-
dire formulation par l'apprenant (H. Besse) et syn- tion (lettre commerciale ou lettre d'amour, publicité,
thèse. On voit qu'il y a là une position, dans le consignes de travail), l'information (enseignement,
meilleur des cas, réflexive, mais il n'en reste pas moins presse), comme dans le divertissement (jeu, littérature).
qu'un apprenant n'est « a priori ni linguiste ni gram- Les travaux dont on dispose dès les années 1970
mairien » (R. Porquier) et que son activité vise pour les langues maternelles mettent en lumière une
d'abord à produire du sens. nouvelle façon de définir la lecture : un processus qui
On peut imaginer que la conception d'une gram- ne se résume pas au décodage de signes graphiques,
maire toute faite a reculé, et que le constructivisme est mais manifeste une construction de sens à partir d'opé-
désormais mieux accepté. Il nous semble pourtant que rations physiques et cognitives complexes (prélèvement
l'évolution est fragile. En cas de difficulté, pour se sé- d'indices identifiés, mémorisation à court et long
curiser, on redemande de la grammaire « précons- terme, anticipation, hypothèses sur l'intention énoncia-
truite ». Ainsi, des enquêtes (par exemple, Hayne et tive, vérification, etc.).
Yorio, au Canada, 1982) montrent qu'un apprenant Lire n'est pas un acte mécanique, mais implique,
peut souhaiter simultanément développer ses compé- outre une connaissance du code, une expérience anté-
tences communicatives et bénéficier d'un apprentis- rieure, des intuitions et des attentes. Enfin, la lecture
sage grammatical traditionnel. La question semble oralisée (à voix haute) ne constitue plus unefinen
bien aujourd'hui ne pas être « faut-il ou ne faut-il pas soi : on commence à admettre la prééminence du sens
faire de la grammaire explicite ? », mais « dans quelles sur le simple transcodage du graphique au sonore (lec-
conditions est-il possible de la mener à bien ? » (Besse ture ânonnée en chœur...). En tant qu'activité sociale,
et Porquier, 1984). lire se fait d'ailleurs en silence plus souvent qu'à haute
Même lesfinalitésde la grammaire, qui ne sont pas voix.
seulement instrumentales, mais aussi éducatives et (in- Si les pratiques de lecture n'avaient jamais vraiment
ter)culturelles (H. Besse) font que des exigences réap- été absentes, même avec les méthodologies audiovi-
paraissent, naguère plus discrètes. Il y a peut-être des suelles, c'est que différentes variétés d'écrit restaient
progrès à attendre, du côté de l'outil informatique ou un passage obligé, à travers le manuel comme dans les
des auto-apprentissages, mais la « malédiction para- documents d'accompagnement. Le « tournant métho-
98 99
dologique des années 1970 » (D. Lehmann, in Coste, traitement qui est fait en classe de ce texte : analyse,
1994) amorce de nouvelles approches, plus globales, critique, discussion, dramatisation...
en prise sur des besoins fonctionnels mieux analysés. Parmi les pistes empruntées par la didactique, au-
Le communicatif multiplie les documents sociaux di- cune ne lui est spécifique (J. L. Adam, in Coste,
versifiés et la didactique de l'écrit amène à concevoir 1994) : stylistique, sémiotique littéraire, où l'œuvre est
comment : un système de signes fonctionnant comme une langue
et s'inscrivant dans la dimension historique et sociale,
- Développer chez l'apprenant des compétences géné- polyphonie du texte (Bakhtine), rhétorique, etc. Mais
rales en lecture. Les exercices proposés font perdre jamais l'enseignement de la littérature en classe de
à celle-ci son caractère linéaire, avec des opérations langue étrangère n'est resté en dehors des grands dé-
variées (chercher, comparer, prélever...), étant en- bats. On évoque (J. Verrier, in Coste, 1994) trois va-
tendu que lire en L2 impose une réorganisation des gues successives : le consensus idéologique (le texte est
schèmes acquis pour la lecture de Ll. Citons, par un prétexte à transmission d'un savoir) ; le rêve d'une
exemple, le sens de la lecture, selon qu'il a été science de la littérature nourrie de sciences humaines
d'abord de gauche à droite ou le contraire (cas de et dont l'objet est le fonctionnement du texte lui-
l'arabe, de l'hébreu) ou de haut en bas (mongol), même ; enfin, la réception des textes par le lecteur, ce
le système d'écriture (alphabet, idéogrammes...), qui devrait nous intéresser vivement, dans la
l'absence de voyelles écrites (arabe), etc. perspective d'une pédagogie interculturelle.
- Donner des stratégies de lecture sur des types de Il semble que, du côté de la production d'écrit, en
textes (publicitaires, journalistiques, etc.) avec des revanche, la parenthèse méthodologique ait été
outils tels que des grilles lexicales, permettant le re- longue : « De toutes les compétences visées par l'ensei-
pérage de marques de renonciation, les marques du gnement des langues étrangères, l'expression écrite est
discours (le point de vue inscrit dans le texte), la certainement celle qui a connu, ces dernières années, le
cohérence textuelle. plus faible développement », écrivait-on naguère
Le texte est, en effet, un tissu de formes signifiantes, (G. Kahn, 1993). Les choses n'ont-elles pour autant
et la lecture est une activité d'interprétation motivéeIl bougé
pas
est
?
vrai que de nombreux exercices classiques de
(Moirand, 1982) qui suscite une réaction chez le lec- production (description, narration, dissertation) ou de
teur : la lecture doit participer alors d'un acte utile, transcription (dictée), en L2 comme en Ll, ne sont en
mais aussi susceptible d'engendrer le plaisir. Et la rien des réponses directes aux futurs besoins langa-
littérature retrouve toute sa place dans une telle giers de l'apprenant et il n'est pas sûr qu'ils donnent
conception. au moins des outils conceptuels réutilisables ailleurs.
Stern (1992) fait remarquer combien le texte litté- Dans une approche notionnelle-fonctionnelle, ap-
raire est adapté à une activité communicative : il met prendre à produire des textes diversifiés, liés à de nou-
en contact avec un locuteur natif qui a quelque chose veaux besoins, devient donc un objectif explicite. La
à dire ; il crée un milieu original et stimulant ; il est classe est désormais censée donner la primauté à des
l'exemple d'une langue authentique qui véhicule un activités portant sur des documents authentiques et
message chargé de sens. Tout dépend en réalité du
100 101
associant plusieurs supports : dessins à légender, Nous insisterons donc, pour conclure, sur l'évolu-
transcription ou reformulation d'une écoute, commen- tion relative des idées. M. Dabène (1990) note que
taire d'un tableau, mise à l'écrit de la règle d'un jeu, l'on ne confond plus guère écrit et modèle normatif,
correspondance scolaire, etc. qu'on prend acte de la diversité des écrits. Ce qui
Les pratiques de classe font place à la créativité de préoccupe désormais, c'est le processus de production
l'apprenant, à sa capacité de penser autrement. La langagière et, d'autre part, les représentations sociales
« pensée divergente » est celle qui associe, dissocie, en- qui sont attachées aux types d'écrit. On est encore
richit, se révèle originale. En est-il meilleur exemple que loin, pourtant, d'un continuum scriptural entre des
l'activité poétique ? Produire relève alors d'un plaisir et pratiques ordinaires de l'écrit (l'utilitaire) et des prati-
d'une technique : des « matrices de texte » sont propo- ques d'exception (le littéraire). Le mot « lire » signifie
sées, à l'instar de la morphologie du conte (Vladimir toujours, pour la plupart, lire des livres, et seulement
Propp), des nouvelles d'Italo Calvino, des romans de des livres. Mais la classe serait-elle vouée à reproduire
Georges Perec, des poèmes d'Apollinaire ( « Il y les comportements sociaux ?
a... » ). Des jeux de société, des débats, des dramatisa-
tions, des simulations ( « Vous partez sur une île... » ) V. - Evaluation
associent l'oral et l'écrit.
On peut souligner plusieurs points importants : Évaluer, c'est donner une valeur, noter, apprécier.
Le terme recouvre toute recherche visant à rendre ob-
- L'apprentissage doit tenir compte du rapport à jectifs les jugements de valeur portés sur l'apprenant.
l'écrit antérieur en Ll (S. Moirand), de ses aspects La docimologie, approche scientifique de l'évalua-
proprioceptifs (entraînement à la graphie, alphabet, tion, opère une distinction entre différentes formes
motricité, sens de l'écriture avec des difficultés va- d'intervention :
riables selon les langues) tout autant que du traite- - sommative (ou certificative) dont la finalité est
ment du thème dans son organisation discursive. d'établir la somme des acquisitions et, éventuelle-
- On ne doit pas oublier que l'écriture permet ment, d'établir un classement dans une population
d'échapper à l'instantané et au contexte, qu'elle sti- évaluée, ce qui implique réussite ou échec aux exi-
mule l'abstraction et l'esprit critique (G. Vigner), gences de l'évaluation ;
qu'elle est processus cognitif autant qu'interactif. - normative, qui compare les performances d'un indi-
- Comme il n'est pas possible de dissocier oral et vidu aux objectifs assignés au début de l'apprentis-
écrit, on ne peut non plus dissocier lire et écrire. sage et vise donc, le cas échéant, à une remédiation
Une didactique de l'écrit doit être intégrative. au cours du processus de formation. Les tests de
- Il y a lieu d'être attentif aux spécificités de publics de diagnostic ou de progrès mesurent ces acquisitions.
cultures et de traditions orales (travailleurs migrants, Des tests pronostics ou de niveau peuvent permettre
par exemple, auxquels nos exigences d'écrit posent de sélectionner ou d'orienter.
de grandes difficultés) ou, au contraire, de tradition
écrite forte aux yeux desquels tout apprenant de Le testing (un test est une épreuve standardisée) ne
langue est d'abord un « lettré » (cas du chinois). permet pas de vérifier l'existence d'une compétence à
102 103
proprement parler, mais seulement les traits constitu- mes d'intervention : observation de l'interaction dans
tifs de cette compétence, c'est-à-dire les effets qu'elle le groupe, évaluation collective, négociation.
produit. Seul un outil d'évaluation valide (propre à On ne saurait plus, en tout cas, réduire l'évaluation
mesurer un objet) et fidèle (c'est-à-dire constant au ni- à un contrôle des connaissances. Mais surtout, l'idée
veau de la construction, de la passation et de la cor- dominante est de considérer les facteurs humains - la
rection, indépendamment des conditions du testing) qualité de l'interaction communicative, par exemple -
peut donner des garanties de faible distorsion entre et de ne pas se limiter à une procédure formelle. Bref,
performance observée et compétence réelle. On fait il faut voir d'abord en l'évaluation un outil de régula-
généralement porter l'évaluation sur les quatre tion et d'optimisation de l'enseignement (Porcher,
habiletés, compréhension et expression à l'oral et à 1994). Par ailleurs, nous aurons à revenir sur l'impor-
l'écrit. tance nouvelle qui est attachée à sa fonction de sélec-
Les défauts de l'évaluation classique sont aussi tion sociale (entrée à l'université, mobilité profession-
connus : les attentes sont souvent mal explicitées (cas nelle, migration) telle qu'elle se dessine, notamment au
de la version, où il n'y a aucun modèle idéal), les critè- regard des références internationales, par exemple du
res mal établis (en expression écrite, la forme et le Cadre européen commun de référence pour les
fond), la notation inégale (l'interrogation orale), la langues (C. Tagliante, 2005).
motivation faible (en dictée, zéro pour cinq ou trente
« fautes »), etc. Les procédures d'évaluation héritées
du structuralisme et du béhaviorisme (Lado, 1961) ont VI. - Civilisation
apporté quelques progrès : testing de l'oral, caractère
moins normatif, consignes plus simples, par exemple L'enseignement des civilisations étrangères recouvre
avec le questionnaire à choix multiple ( « QCM » ). un domaine mal délimité. Il y a pourtant une de-
Mais, là encore, les critiques ne manquent pas et si des mande pour que l'enseignement des langues soit da-
tests tels que le TOEFL ( « Test of English as a Foreign vantage culturalisé (C. Kramsch, 1991). Mais, partant
Language » ) sont toujours employés, c'est qu'il de théories et de définitions contradictoires, la didac-
semble y avoir une bonne corrélation entre les résul- tique des langues serait bien en peine de proposer des
tats des épreuves fermées (oui/non) et ceux que donne- pratiques unitaires en cette matière.
raient des épreuves de production plus libre. La ques- On observe en effet des clivages profonds. La civili-
tion se pose de manière différente à partir des sation peut recouvrir :
méthodologies communicatives. - la culture cultivée (art, littérature, histoire...), dont
On a aussi cherché à varier les outils d'évaluation l'enseignement a souvent été marqué d'ethnocen-
pour diversifier l'observation et on en a multiplié les trisme, une culture prétendant incarner l'universa-
supports (se déplacer avec une carte routière, télépho- lité de la culture ;
ner, gérer son agenda). Il semble, d'autre part, judi- - la culture quotidienne où l'on retrouve la conception
cieux de développer le sens de l'auto-évaluation et de anthropologique d'un ensemble de valeurs parta-
l'autocorrection chez l'apprenant, de l'aider à objecti- gées (Herskovits) et qui s'étend aux modes de vie,
ver ses repères. Apparaissent donc de nouvelles for- vêtements, alimentation, loisirs, etc. ;
104 105
- la culture comme ensemble de contenus transmissi- lettre-vidéo ou le théâtre, favoriseraient ainsi la sociali-
bles (cela recouvrirait les deux domaines ci-dessus) sation du sujet, sa construction sociale. Il est patent
ou au contraire définie comme structures, modes de que la découverte de l'altérité, la perception de
penser et d'agir, règles constitutives permettant une « l'autre » et de « l'étranger », donne à tout individu
approche de l'homme dans sa diversité. l'occasion d'élaborer et de développer sa propre iden-
tité. C'est par ailleurs un des thèmes importants de la
Les questions ne manquent donc pas. Nous en évo- « pédagogie interculturelle » et de l'enseignement d'une
querons trois : les stéréotypes, la compétence, l'articu- culture étrangère conçu comme processus interactif.
lation langue/culture. c) Comment articuler langue et culture dans l'ap-
a) Dans la plupart des manuels et des méthodes, on prentissage ? (G. Zarate, 1986) On se demande si la
observe un écrasement des faits culturels et la résur- progression doit être parallèle ou si l'on peut imaginer
gence perpétuelle des mêmes stéréotypes : la famille un curriculum dissocié. Dans le premier cas, M. By-
monocellulaire, avec deux enfants, des activités pro- ram (1992) a proposé qu'une partie du temps de tra-
fessionnelles uniformes, presque jamais de chômage, vail soit réservée à la prise de conscience de la langue
de maladie, de délinquance... À quand des méthodes et de la culture. On créerait une dissociation, effective-
de langue étrangère qui intégreront la présence de la ment, si on adoptait un dispositif global d'enseigne-
mort, de ses causes, des rites auxquels elle donne lieu ? ment des langues étrangères tel que chacune d'elles
Deux directions de travail sont possibles : com- soit affectée d'objectifs différents : par exemple, LE1
battre les stéréotypes ou se servir d'eux pour recons- serait apprise avec unefinalitécommunicative ; LE2
truire une image plus objective des faits culturels. La comme langue de culture et accessoirement véhicu-
tâche est ardue. laire ; LE3 comme discipline formatrice favorisant une
On a même pu parler d'un « malaise dans l'ensei- réflexion sur la notion de code linguistique. Les didac-
gnement de la civilisation ». Les pistes sont pourtant tiques des langues actuellement proposées à l'école
déjà défrichées : il s'agit d'enseigner une grammaire reflètent déjà plus ou moins, d'ailleurs, dans leur
des comportements culturels, de donner des clefs, des esprit cette différenciation.
repères, non des produits, mais des « procès de sociali- L'élaboration d'un enseignement pluriel (G. Lùdi
sation » sur la famille, l'école, l'économie de marché, et al, in Coste, 1994) s'impose donc. Mais il devra
les médias, la publicité, etc. s'intégrer à la méthodologie générale et savoir conci-
b) A été appelée compétence transculturelle la capa- lier les exigences si diverses que nous avons évoquées :
cité à communiquer et à agir dans une langue étran- - La culture quotidienne, qui correspond aux be-
gère. Il s'agit de créer une « mobilité » physique et in- soins des apprenants, doit être celle de notre époque.
tellectuelle « active » à travers l'acquisition d'une C'est dire qu'elle est fort périssable. Doit-on lui sacri-
langue étrangère, qui s'opposerait certainement aux fier toute la culture héritée ? Celle-ci, la « civilisa-
formes contemporaines de la mobilité (le déracinement tion », comme on dit aussi, n'est-elle pas aussi de-
par l'école, le tourisme). De nouveaux modes d'éduca- mandée par de fort nombreux publics ?
tion et de formation, en particulier par les échanges - Les compétences langagières et interactionnelles
scolaires, mais aussi la correspondance scolaire, la (Liidi et al, ibid.) sont nécessaires à une construction
106 107
des schémas culturels, car on n'imagine plus trans- - approche naturelle (Natural Approach) (Krashen,
mettre simplement la culture. Comment former les en- Terrell, 1983) ;
seignants à cette tâche ? De nouvelles technologies y - méthode silencieuse (Silent Way) (Gattegno, 1(>76) ;
contribuent déjà, et des programmes de simulation - réponse physique totale (Total Physical Response,
multimédia invitent les utilisateurs, hommes d'affaires Asher, 1986) ou « Méthode par le mouvement »
ou ingénieurs, à « découvrir le système de valeurs de - suggestopédie (Lozanov, 1978) ;
(leurs) partenaires étrangers, en comprendre l'impact -pratiques pédagogiques d'ensemble: Freincl,
sur leurs comportements relationnels et profession- Freire, Oury, Rogers, etc. ;
nels ». L'école ne pourra sans doute plus très long- - pédagogie ou démarche de projet associant au di-
temps faire l'économie d'une réflexion sur les savoir- dactique des objectifs relationnels ou sociopoliti-
faire culturels et leur acquisition (D. Coste, D. Moore, ques (Boutinet, 1993) ;
G. Zarate, 1998). - dramatisation (Boal, 1977), Psycho-dramaturgie
VII. - Dispositifs innovants
linguistique (Moreno, 1965) ;
et technologies modernes
- apprentissage en tandem, etc.
Les chantiers de la didactiquee s'arrêtent pas. Ils Et même s'il est impossible d'être exhaustif face à la
tentent de répondre à l'usure des mots et des modes et créativité des pédagogues, on peut dire que les mots
au changement des besoins. Il est difficile de dire si les clés qui caractérisent leur démarche sont les suivants :
réponses, qui sont innovantes, mais sont loin, pour - une absence fréquente de préoccupation purement
certaines, d'être récentes, bouleverseront jamais l'en- linguistique, ces approches ne dérivant pas, pour la
seignement des langues. Nous en distinguerons deux plupart, de la recherche des linguistes ;
grandes catégories : les approches alternatives centrées - le travail sur le processus d'apprentissage (prise de
sur l'homme et le groupe humain, et celles qui s'ap- conscience du processus ou création d'un climat
puient sur les technologies modernes de l'information favorable) ;
et de la communication. - la perspective de formation de l'individu comme su-
a) Ces approches représentent pour certaines seule- jet social - notable apport de l'enseignement anglo-
ment des méthodologies constituées, d'autres sont une saxon et non seulement comme apprenant ;
véritable philosophie de l'esprit ou des rapports hu- - une approche globale, où l'on se refuse à dissocier
mains. On ne saurait en donner une image honnête en théorie et pratique, où se manifestent les enjeux vi-
quelques phrases. On les mentionnera donc à la suite, taux de l'individu et non simplement des besoins
avec quelques repères, et on se bornera à dégager des d'apprentissage, comme on dirait dans un cours de
lignes de force : langue.
- apprentissage communautaire des langues (Com- On doit être nuancé si l'on veut faire un bilan des
munity Language Learning, C. A. Curran, 1976) ; approches alternatives. R. Duda (Crapel, 1993) con-
- apprentissage autodirigé (CRAPEL, Université de clut à propos de quelques-unes d'entre elles citées ici
Nancy) ; plus haut qu'elles présentent des lacunes pour ce qui
108 109
est de la compréhension orale et de la formation à tivités qui appellent un traitement automatique des
l'apprentissage, surtout quand elles sont centrées sur langues naturelles. De façon plus ou moins directe, les
l'enseignant. En revanche, elles lui semblent d'un techniques d'accès à l'information, la traduction auto-
grand intérêt pour la dynamique de groupe, ou encore matique, la dictionnairique, la terminologie, la bu-
sur le plan de principes tels que le droit de rester silen- reautique (un traitement de texte inclut un correcteur
cieux ou l'emploi de la langue maternelle. orthographique) intéresseront la didactique.
Leur transposition à des situations didactiques sco- Mais une utilisation plus systématique peut être
laires - pour autant qu'elle soit envisagée - paraît en faite des outils modernes de la communication. Les
tout cas difficile, car les publics et la taille des groupes supports et outils employés sont désormais bien
d'apprentissage, par exemple, y sont très différents. connus ou en passe de l'être : radio et télévision, bien
Les accepter ne va d'ailleurs pas de soi dans tous les sûr, vidéo (magnétoscope et caméscope), CD-Rom, CDI
contextes culturels. Certaines apporteraient un chan- (disque compact interactif), ordinateur (EAO, ensei-
gement violent, peut-être une acculturation jugée into- gnement assisté par ordinateur), courrier électronique
lérable, comme nous l'avons vu dans le cas de métho- (e-mail, texto, blogs, forums... ). Il s'agit en bref de
dologies bien moins audacieuses. Les approches tout ce qu'on appelle « multimédia » et que peuvent
innovantes n'en sont pas moins positivement « déran- regrouper les centres de ressources linguistiques, mé-
geantes » (B. Grandcolas), et si elles remettent en diathèques et « maisons des langues », en nombre sans
question nos systèmes, elles provoquent une réflexion cesse croissant.
indispensable. Quant aux méthodologies élaborées autour de ces
Pleines et Scherfer (1983) ont pu, tout en reconnais- outils, elles associent presque toujours plusieurs dispo-
sant leur valeur, s'interroger sur le fait que, souvent, sitifs ou techniques, qui sont garants de manière indis-
elles « grossissent jusqu'à l'erreur un aspect partiel de sociable de leurs résultats. Un cours d'anglais par télé-
l'apprentissage » et peuvent donner lieu à des dévia- phone, c'est d'abord un cours particulier, un journal
tions. C'est pourquoi ils rappellent trois principes di- de classe envoyé par Internet, c'est d'abord un projet
recteurs du travail didactique : « Partir d'une analyse commun qui a réussi, etc.
fondée des paramètres politiques, sociaux et institu- Pour l'instant, l'évaluation des expériences menées
tionnels du processus didactique ; ne pas négliger la ici et là est en outre rendue très difficile par le carac-
réflexion sur les conditions de la communication ver- tère souvent limité et déformant, du terrain choisi
bale et la nature de la langue enseignée ; respecter (monde des affaires, université). Il serait dommage
l'apprenant comme un être humain qui apprend que ces techniques (plutôt que « méthodes ») se révè-
consciemment et qui est en mesure de penser et d'agir lent décevantes, une fois passé le premier engouement,
librement. » et faute de bases théoriques solides et originales.
b) Les moyens techniques et les technologies nouvel- La question est d'abord méthodologique : on ne
les nous ouvrent des perspectives qu'on ne fait guère pourra se contenter d'adapter des outils déjà exis-
que pressentir en ce tournant du siècle. tants, édités parfois sous le même nom ; de transférer
On sait que le terme « industries de la langue » (De- sur écran des « exercices à trous » faits jadis sur le
grémont, 1982) désigne les produits, techniques et ac- papier ; de visualiser la parole grâce à un procédé de
110 m
reconnaissance vocale (ce qui permet l'évaluation de On glisserait vers l'autoformation dirigée ou les
performances), sans proposer aucune remédiation auto-apprentissages, et vers un changement du rôle de
phonétique, sinon de recommencer la tâche à l'infini ; l'enseignant dont « la mort » a souvent été annoncée :
de parler comme on le fait d'interactivité, alors que ce rôle devrait en toute hypothèse évoluer, mais non
les contraintes techniques (la mémoire nécessaire, par disparaître, si, du moins, une certaine logique com-
exemple) imposent de limiter la quantité et la diver- merciale ne devient pas le seul credo.
sité des réponses possibles, bref la richesse du Au cas où un changement des mentalités scolaires
dialogue. surviendrait, on verrait sans doute une dévalorisation
Il faudrait enfin évoquer la qualité des pratiques so- des outils traditionnels, et le fossé entre la didactique
ciales ou l'appauvrissement inévitable des représenta- institutionnelle et les attentes des apprenants pourrait
tions culturelles, et rappeler qu'il existe un rapport encore se creuser.
entre coût et efficacité. L'exemple de l'enseignement Sauf à ne s'intéresser qu'à des publics assez riches,
de langues à distance, avec la radio et la télévision et, motivés, sachant apprendre et en mesure de réinvestir
aujourd'hui, par la visioconférence, est éclairant : le leurs acquis, la didactique doit résolument s'atteler à
cas de la classe de langues doit être radicalement dis- une tâche scientifique. Celle-ci porte sur la spécificité
socié de celui de la conférence ou du cours magistral. et les attributs des outils, sur les contenus, les maté-
L'emploi des technologies modernes dans l'appren- riaux, les situations pédagogiques.
tissage des langues - comme élément de base d'une di- Elle se double d'une obligation éthique : réfléchir à
dactique, évidemment, et non comme support ou une juste gestion des moyens consacrés à l'enseigne-
moyen auxiliaire - appelle donc des progrès techni- ment, évaluer l'impact sur le milieu ambiant avant
ques, des efforts pédagogiques et un surcroît de ré- toute extension.
flexion. « Et si un certain penchant de l'enseignement
des langues consistait, en période de crise, à se laisser VIII. - Didactique et gestion linguistique
aller aux illusions technologiques, hier informatiques,
aujourd'hui à nouveau médiatiques ? », écrivait un À l'opposé de la gestion de l'apprentissage qui tend
spécialiste, Charles de Margerie. à s'individualiser, la gestion du patrimoine linguistique,
Il faut, par ailleurs, relativiser l'impact effectif à at- la place et le statut des langues d'une communauté
tendre dans les classes, au vu des réalités matérielles et sont une affaire collective (J.-L. Calvet, 1996). Ensei-
peut-être de la lenteur que met souvent une évolution gner des langues fait partie de ce dispositif et les prises
à se faire, l'incantation au changement ne valant rien de position du pouvoir politique, son intervention-
sans formation pédagogique à une réelle pratique. nisme ou non en la matière, sont déterminants, même
Mais il n'est pas exclu d'envisager pour l'avenir une par défaut.
tendance à une déscolarisation partielle de l'enseigne- C'est l'action interne ou externe sur les langues que
ment des langues, que manifestent déjà l'importance l'on appelle « politique linguistique » : action interne,
des échanges linguistiques (souvent extrascolaires) et sur l'équipement linguistique (néologismes, termino-
l'abondance de matériels consacrés à la diffusion des logie, écriture), action externe, sur l'environnement
langues (jeux vidéo, outils parascolaires). (statut officiel, lois, diffusion par l'école, promotion
112 113
d'une langue à l'étranger). Examinons quelques adaptée à ces pays : définition d'une « école de base »,
questions importantes. prise en compte des cultures nationales, pédagogie des
a) Les dispositifs d'action de diffusion à l'étranger grands groupes, enseignement à distance par satellite,
oscillent, par exemple, entre le linguistique pur, le cul- formation professionnelle « pédagogie convergente des
turel associé au linguistique, le culturel pur. L'image langues (Maurer, 2008), dans des situations souvent
des langues et la détermination que les élèves ont à les difficiles ». L'adéquation avec les attitudes sociales,
apprendre relèvent, en fait, du portrait qu'en donne celles des parents d'élèves en particulier, est une condi-
l'école, du travail des associations d'enseignants, de re- tion absolue de la réussite d'une didactique.
présentations identitaires ou d'aspirations person- La demande de scolarisation en français ou anglais
nelles. Les décisions prises ensuite pour promouvoir est donc forte, mais enseigner des sciences dans une
telle ou telle didactique, comme c'est le cas pour la co- langue seconde signifie que celle-ci se voit investie
opération et la diffusion linguistique et culturelle fran- d'une double et redoutable mission : véhiculer des
çaises, allemandes, anglaises, japonaises, doivent inté- contenus et contribuer en outre à la formation de l'es-
grer des contraintes budgétaires et les paramètres du prit scientifique lui-même. La question n'est pas ré-
marché : l'espace, l'évaluation des besoins réels et non servée au contexte dont nous parlons, mais elle est
celle des attentes des pays demandeurs, le temps, la particulièrement bien étudiée pour le français : on a
sous-traitance possible par les institutions locales. Il est pu parler d'un véritable « tournant de la francophonie
donc clair que la didactique, même à l'extérieur, existe scientifique », et la réussite de l'entreprise dépendra
en interdépendance et ne saurait se définir in vitro. pour beaucoup des didactiques mises en œuvre.
b) Les situations sociolinguistiques que nous avons On ne manquera pas de signaler l'expérience fort
mentionnées au chapitre I (langue seconde, au sens col- riche que nous apporte l'enseignement de certaines
lectif) mettent en contact des langues nationales ou lo- matières en langue seconde, par exemple dans les sec-
cales vernaculaires et des langues d'enseignement telles tions internationales des établissements français et
que l'anglais ou le français. En Afrique (Samassékou, dans les « programmes d'immersion » menés au Ca-
ACALAN, passim), aux Antilles, dans l'océan Indien, la nada ou en Allemagne (L. Gajo, 2001).
notion de français ou anglais, langue seconde, amène à c) En Europe, la question du plurilinguisme se pose
analyser les « fonctions, contenus, méthodes réservées avec acuité pour les institutions (Parlement, Con-
dans le système éducatif (...) aux différentes langues » seil...), l'enseignement secondaire et supérieur, la mo-
(C. Oliviéri). La spécificité de ces différents terrains bilité intra-européenne des étudiants et des profession-
commence à être bien connue sous l'aspect social et ins- nels. Là encore, comme dans le monde entier
titutionnel, après différents travaux (Martinez, 2008). (G. Zarante et coll., 2008) il faut constater l'accroisse-
Les études relatives aux problèmes didactiques pour- ment de la demande de formation linguistique dans le
raient être encore largement développées. Le débat domaine scientifique, commercial et technique, et le
touche à l'emploi des langues nationales - on note que recul relatif du littéraire, ce qui aura des répercussions
certains pays, comme la Guinée ou Madagascar, sont sur les institutions, les savoirs et savoir-faire des ensei-
revenus à un enseignement en français ou sont prêts à gnants, la didactique. Loin de se cantonner à la pres-
passer à l'anglais - et à l'émergence d'une méthodologie cription d'objectifs, de méthodes et de moyens d'éva-
114 115
luation, un enseignement des langues qui corresponde intervenants. Une réflexion de fond porte à la fois sur
aux ambitions de l'Union européenne doit être situé les méthodologies d'enseignement en langue seconde
dans un modèle général d'action politique, linguis- et sur les conditions socioculturelles de l'intégration.
tique et axiologique. Le document fondamental - déjà Mais de graves problèmes de formation spécifique tics
évoqué sous ses aspects méthodologiques pour ce qui enseignants subsistent, et les classes manquent encore
est de la perspective actionnelle intitulé « Cadre euro- des outils adaptés (Migrants-Formation, CNDP).
péen commun de référence pour les langues » trace les d) Enfin, la mise en place d'un enseignement précoce
grandes lignes, définit les domaines et détermine les des langues étrangères à l'école, en Europe, est une idée
projets de l'Union confrontée à une diversité qui avance, mais souffre d'hésitations sur les objectifs
grandissante de son plurilinguisme historique. exacts de l'apprentissage. On ne sait pas toujours (ou
Le programme de travail du Conseil de l'Europe toujours pas) s'il s'agit de sensibiliser pour un choix fu-
(voir sitographie) balise presque un certain avenir de la tur, d'initier réellement, de susciter une ouverture cul-
didactique, au moins pour une partie du monde : redé- turelle. On se demande qui doit enseigner et comment
finition d'objectifs, choix des technologies et usage des préparer les formateurs, comment articuler aussi la di-
médias, éducation bilingue, échanges, techniques pour dactique employée avec celle qui suivra. Bref, les ques-
apprendre, évaluation des niveaux de compétences per- tions non résolues restent nombreuses, d'autant plus
mettant la comparaison et la mobilité. Il ne faut pas que l'on note un écart selon les pays entre les ambitions
oublier que les langues entrent, dans chaque système et les moyens affectés à des projets d'un intérêt pour-
scolaire, en concurrence, qu'elles « cultivent » leur tant considérable (Groux, Porcher, 1998).
image ou cherchent à en changer, et on peut se deman- Dans tous les cas, on observe que la difficulté, pour
der un instant quelles sont celles de l'allemand, de une institution nationale, est de parvenir à une
l'arabe, du russe ou du japonais en France. Les didac- conception claire et acceptée des finalités d'un disposi-
tiques s'en ressentent, qui sont plus « grammaticales », tif. L'architecture du plan d'action, la didactique d'ac-
plus « communicatives », plus « culturelles », selon les compagnement doivent répondre à des contraintes qui
cas. La question du choix de la première langue étran- ne convergent pas toujours : besoins sociaux des ap-
gère et la place des langues minoritaires (grec, prenants et représentations qu'ils se font de leur ave-
danois...) restent préoccupantes (D. Moore, 2006). nir ; capacités et développement intellectuel, culturel
Quant aux politiques à destination des migrants, el- et affectif de ces apprenants ; finalités et moyens assi-
les révèlent une action mal connue du reste de la po- gnés par l'école et la société à l'apprentissage de telle
pulation, souvent sur la marge, parfois dénuée de ou telle langue.
continuité. Il est vrai que la demande est fluctuante et
réclame des réponses rapides, souvent au rythme des IX. - Enjeux actuels, recherche
conflits et des exodes. Au Québec, on appelle depuis et formation
longtemps à « la formulation d'une politique globale
et claire » (Germain, 1993). En France les dispositifs Nous avons vu que la didactique constituait :
d'accueil pour enfants ou adultes non francophones a) Un domaine à la recherche de sa scientificité.
survivent dans la précarité, malgré le dévouement des Parler de « la didactique », c'est faire comprendre
116 117
l'unicité du champ, mais mettre le mot au pluriel, c'est pourrait bien être confondue « avec un ensemble de
suggérer l'ouverture et la nécessaire diversité des pro- discours ordonnés en fonction de six pôles : la produc-
blématiques et de la réflexion. La didactique n'est ni tion de savoirs, la vulgarisation de connaissances, le
une science, ni une technologie, mais une praxéologie, "comment faire" en classe, la commercialisation d'ou-
c'est-à-dire une recherche sur les moyens et les fins, les tils d'enseignement, la mise en œuvre d'une politique
principes d'action, les décisions. Sa tâche est linguistique, le dogme d'un courant méthodologique
complexe : élaboration de savoirs qui sont transposés ou d'une chapelle pédagogique... ».
de savoirs savants en savoirs enseignés ; appropriation Pour l'heure, on veut faire plus vite et mieux, car la
de ces savoirs ; intervention didactique proprement diversification des besoins et les enjeux économiques
dite. et sociaux pèsent de tout leur poids sur la majorité des
Ce domaine n'a, pour l'heure, qu'à peine ébauché systèmes de formation.
sa transversalité : doit-il y avoir une didactique géné- La réussite de l'apprentissage en langue seconde des
rale et, étant donné le caractère original de la langue publics issus de l'immigration, par exemple, condi-
comme objet à enseigner, des didactiques spécifiques ? tionne leur réussite dans presque tous les apprentissa-
Doit-il même y avoir une didactique pour chaque ges. Elle constitue un pari vital, en termes de formation
langue, en vertu encore des spécificités propres de professionnelle et d'intégration, pour les intéressés et
celle-ci ? La question a trouvé jusqu'ici de timides ré- les sociétés où ils ont leur place. Alors, sauf peut-être
ponses théoriques (Lehmann, éd., 1988), mais, à de dans les universités du temps libre et quand vient la re-
notables exceptions près, ni la didactique de terrain, ni traite, apprendra-t-on encore une langue par pur plai-
les formations à l'enseignement ne semblent pressées sir ? Les critères d'efficacité et de rentabilité sociales
de faire cause commune, non bien sûr pour déterminer imprègnent de plus en plus les choix didactiques.
une position universaliste, mais pour travailler c) Examinons les conséquences de cette situation
ensemble à comparer des différences et à y réfléchir. sur les institutions et sur la formation des enseignants,
b) C'est aussi un champ, avec des enjeux et des en nous limitant à quelques exemples.
conflits, où règne une certaine instabilité (le partage La durée et le rythme de travail scolaire sont des
des compétences entre didactique et pédagogie, etc.) et contraintes dont on ne voit pas pourquoi elles seraient
des effets de mode pour masquer l'absence, parfois, de immuables. Peut-on apprendre profitablement le russe
réelle formation (J.-P. Narcy, 1991). Les contradic- ou l'arabe trois heures par semaine pendant des an-
tions y suscitent une tension et aussi une aspiration à nées et en acceptant comme un postulat qu'il n'y a pas
la compatibilité, même si l'on observe un certain dé- besoin de motivation réelle en milieu « captif » ? Le
couragement et la tentation de l'éclectisme radical. cas échéant, ne faudrait-il pas songer à réorganiser le
Des distorsions se font jour entre la méthodologie cir- « montage » pédagogique et didactique ?
culante, celles des classes, et les méthodologies Un autre exemple touche aux compétences et au
constituées au-dehors. statut de l'enseignant : que reste-t-il du professeur de
De même, il y a un discours de la didactique et un lettres (étrangères) dans ses fonctions d'enseignant de
discours sur la didactique qui ne se recouvrent pas. langue ? Et, corollairement, où la formation didac-
D. Coste (1986) va jusqu'à écrire que la didactique tique, initiale et continue, prend-elle place dans le par-
us 119
cours des enseignants ? Les choix didactiques recou- pratiques, associations professionnelles de cher-
vrent en fait des déterminations institutionnelles et cheurs et praticiens, centres de recherche sur l'édu-
idéologiques fortes, mais souvent non explicites. cation comparée, revues, colloques et expositions
La globalité de son intervention, les aspects com- (comme à Londres, Genève ou Paris avec Expolan-
plémentaires de son travail imposent à l'enseignant : gues). Une approche comparative, à l'échelle mon-
- de connaître, bien sûr, de manière satisfaisante la diale, s'impose.
langue et la culture étrangères ; C'est le bien-fondé et l'efficacité des systèmes de
- d'apprendre à l'élève à communiquer ; formation qui sont en jeu, on le sent bien. Sans doute,
- de contribuer largement à une éducation générale, aussi, l'instrument privilégié d'une évolution positive
en proposant des outils pour « apprendre à ap- sera-t-il la multiplication de « recherches-actions », in-
prendre » et une ouverture trans- ou interculturelle. cluant innovation, description de pratiques, validation
Selon le très beau mot d'un universitaire, Jean Pey- d'une pédagogie.
tard, « enseigner à l'autre, c'est altérer une parole (...) À coup sûr, les voies d'accès sont nombreuses vers
L'enseignant propose, en l'altérant, une thématique une didactique générale, que l'on imagine forte de son
originelle, et de cette parole altérée, il fait autre la histoire, de son questionnement scientifique et de son
sienne, qui transformera à son tour celle d'autres ». éthique sociale.
L'enseignant ne saurait remplir une fonction « substi-
tutive » (on n'apprend pas à la place de l'apprenant),
mais il participe à cette construction qui définit
l'acquisition de L2.
Il s'agit d'abord de donner les moyens d'élaborer
des connaissances à partir de schèmes cognitifs per-
sonnels et dans des dispositifs adaptés à ces schèmes.
Cela signifie que l'apprenant doit être reconnu dans sa
spécificité et que les dispositifs didactiques doivent
être diversifiés et adaptés. Cette conclusion amène à
ouvrir un double débat sur :
- une pédagogie différenciée en fonction des appre-
nants, qui doit sans cesse éviter l'écueil de l'idéa-
lisme et celui de l'impuissance : idéalisme de la réus-
site permanente, impuissance née des conditions
matérielles qui sont souvent celles de l'enseignement
des langues ;
- des lieux de recherche et de formation à l'enseigne-
ment qui ne séparent pas, comme trop souvent au-
jourd'hui, universités, instituts pédagogiques, stages
120 121
forme et une recherche- du faisable Mais l< di (•••>••
ment de solutions techniques ne saurai! l'uni mihlii i
CONCLUSION les finalités profondes de l'action, qui prend pi" i dan
un environnement physique, matériel cl suiloiil lui
main toujours unique. Les enseignants de langlU lOnl
Il en va de la didactique comme de notre monde : la des éducateurs et doivent à tout prix restei dei
situation en est contrastée. « C'est le temps de l'imagi- passeurs de cultures et d'idées.
nation et du bonheur pédagogiques », écrivait un di- Quand, en 1669, Louis XIV fondait à Paris l'École
dacticien suisse. Mais aussi, juste à côté : « Ici, on des langues orientales, alors appelée « École des jeunes
crève d'opulence ; là, on crève de faim. Tout est, évi- de langues », il rêvait de grande diplomatie. Le Roi-
demment, toujours plus complexe. » Une réflexion di- Soleil s'était donné l'ambition de former ainsi des
dactique est, selon nous, de plus en plus envisageable, « truchements », appelés à l'époque « drogman » (en
une didactique prescriptive et monopoliste de moins arabe : turjuman, traducteur, interprète). Les défis ac-
en moins acceptable. tuels ne sont pas de moindre envergure.
Le tour d'horizon que nous venons de faire, si diffi- Les langues représentent les moyens de la paix
cile soit-il, n'impose en effet aucun dogmatisme. Rap- comme de la guerre et la gestion que nous ferons du
pelons simplement que la course vers de nouvelles mé- plurilinguisme de notre monde conditionne aussi l'a-
thodologies a souvent pris l'allure d'un abandon venir de celui-ci. Or, la répartition inégale des ressour-
irrationnel à la mode. De notre traversée au long ces disponibles pour l'éducation en général posera à
cours de la didactique, nous retenons ces mots d'un certains pays des problèmes insurmontables, s'ils s'en-
inspecteur de l'éducation africain, dont le discours gagent - ou si on les incite à s'engager - dans des sys-
n'était pourtant pas celui de l'immobilisme : « Heu- tèmes d'enseignement coûteux et inadaptés.
reusement, nous n'avons pas les moyens d'acheter vos D'autre part, les progrès technologiques qui recons-
dernières méthodes. Vous les considérez déjà comme truisent l'espace didactique ont un impact culturel
périmées. C'est un moindre mal si nous passons direc- déjà perceptible : une homogénéisation des procédures
tement aux suivantes, qui d'ailleurs font retour sur d'intervention qu'on peut aussi appeler un nivellement
celles du passé. » des différences. Il ne nous apparaît pas clairement que
C'est pourquoi la réflexion ne saurait être close. En quiconque ait le droit d'imposer la mondialisation de
attendant les prochaines évolutions qui se dessinent ce processus. L'innovation ne doit sans doute pas être
déjà, l'enseignant de langues est engagé dans un pro- refusée, mais elle doit être choisie et contrôlée. Et la
cessus continu de remise en question. La recherche de question trouve sa place, pour commencer, dans la
scientificité à laquelle tend la didactique implique l'ex- réflexion de l'enseignant et dans la classe de langue.
tension des ressources offertes et le développement de
l'esprit critique. Tout passera donc par la formation et
l'information.
La didactique est bien une tentative de réponse à
l'insatisfaction née de l'aléatoire, un essai de mise en
122 123
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Hagège C , L'homme de paroles, Paris, Fayard, 1985. gues (trad. K. G. Blamont), Paris, CREDIF-Hatier, « LAL », 1981.
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Hawkins E. (éd.), Thirty Years of Language Teaching, Londres, CILT, 1996. dier-CREDIF, 1993.
Hymes Dell H., Vers la compétence de communication (trad. F. Mugler), Pa- Zarate G., Lévy D. et Kramsch K. (dir.), Précis du plurilinguisme et du pluri-
ris, CREDIF-Hatier, « LAL », 1984. culturalisme, Paris, Éd. Archives contemporaines, 2008.
124 125
REVUES
EUT Journal, Oxford UP.
International Journal of Applied Linguistics, AILA, Oslo, Novus Forlag.
Revue AILE (Acquisition et interaction en langue étrangère), PU Paris VIII.
Revue Langages, Paris, Larousse.
Revue Etudes de linguistique appliquée (ELA), Paris, Didier Érudition.
TABLE DES MATIÈRES
Revue Language Teaching, Cambridge UP.
Revue Le français dans le Monde (LFDM), avec numéros spéciaux « Recher-
ches et applications », et Francophonies du Sud, Paris, CLE International.
Revue Les langues modernes, Paris, APLV (Association des professeurs de Introduction (
langues vivantes).
TESOL (Teachers of English to Speakers of other Languages) Quarterly,
Washington, Georgetown UP. Chapitre I La problématique de l'enseignement 9
The Modem Language Journal (MU), Madison, University of Wisconsin I. Le champ de la communication, 9 - II. Représen-
Press. tations de la langue et processus d'acquisition, 16 -
SITES III. Les théories du langage et leurs implications, 17
ACALAN (Académie africaine des langues) : www.acalan.org
- IV. L'ancrage social des langues, 20 - V. Linguis-
CILT : Centre for International Language Teaching, Londres, tique et didactique, 25 - VI. Un cadre de réfé-
www.cilt.org.uk rence, 30 - VII. Enseigner et apprendre, 32 -
FIPLV ; Fédération internationale des professeurs de langues vivantes, VIII. La scène de la communication didactique, 40 -
www.fiplv.org IX. Conclusion, 44.
Conseil de l'Europe : http://www.coe.int/lang et www.linguanet-europa.org
SIL Ethnologue : Languages of the World, www.ethnologue.com
Chapitre II Les méthodologies 46
Union européenne : http://www.europa.eu.int/comm/education/policies I. Analyse/élaboration de manuels et méthodes, 46 -
II. Préalables à un tableau panoramique des métho-
dologies, 50 - III. Les méthodologies dites tradition-
nelles, 51 - IV. L'approche directe, 54 - V. L'ap-
proche audio-orale, 58 - VI. Les méthodologies
audiovisuelles, 61 - VII. Conclusion, 70.
Chapitre III - L'approche communicative 72
I. Les origines, 72 - II. L'originalité des inventai-
res, 73 - III. Les priorités, 76 - IV. Quelques lignes
de force, 77 - V. Apprendre dans une approche
communicative, 78 - VI. La didactique au jour le
jour, 81 - VII. Un bilan critique, 82 - VIII. Le
Cadre européen commun de référence pour les lan-
gues, 85 - IX. Conclusion, 86.
Chapitre IV - Questions et perspectives 89
I. Organisation d'un enseignement, 90 - II. Oral, 94
- III. Grammaire, 95 - IV. Écrit, 99 - V. Évalua-
tion, 103 - VI. Civilisation, 105 - VII. Dispositifs
innovants et technologies modernes, 108 -
VIII. Didactique et gestion linguistique, 113 -
IX. Enjeux actuels, recherche et formation, 117.
Conclusion 122
Bibliographie 124
126 127
Imprimé en France
par JOUVE
1, rue du Docteur Sauvé, 53100 Mayenne
octobre 2012 - N° 2013784H
LA DIDACTIQUE
DES LANGUES ÉTRANGÈRES
Les besoins de communication entre Pierre M a r t i n e z
personnes qui ne parlent pas la même Pierre Martinez est
langue n'ont jamais été aussi grands. professeur émérite à
C'est le cas, par exemple, avec les pro- l'Université Paris 8 et
professeur à la Faculté
grès de l'Union européenne et l'ouverture d'éducation de l'Univ
des frontières à l'est du continent, avec nationale de Séoul (Cor
les échanges touristiques et commer- du Sud).
ciaux ou les migrations de population. Le
recours à une langue commune est loin
de faire l'unanimité. Alors, parce qu'il est
difficile d'apprendre une langue étran-
gère, il semble nécessaire et naturel de se
demander comment en améliorer l'ensei-
gnement. La didactique est l'ensemble
des méthodes, hypothèses et principes,
qui permettent à l'enseignant d'optimi-
ser les processus d'apprentissage de la
langue étrangère. Ce volume en dresse
l'état des lieux. A lire également
en Que sais-je ?...
La linguistique
de Jean Perrot
• La philosophie du langage