archéologique, historique et
philologique de la France
méridionale
Fournier Patrick. Introduction. Pour une histoire de l’aménagement des espaces ruraux. In: Annales du Midi : revue
archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 122, N°272, 2010. Aménager les espaces
ruraux dans la France méridionale (époques moderne et contemporaine) pp. 469-476;
https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_2010_num_122_272_7336
Patrick FOURNIER
INTRODUCTION.
POUR UNE HISTOIRE
DE L’AMÉNAGEMENT
DES ESPACES RURAUX
1. MASSARD-GUILBAUD (G.), « Quelle histoire pour l’environnement ? », Annales des Mines, 48,
octobre 2007, p. 30-36 ; LOCHER (F.), QUENET (G.), « L’histoire environnementale : origines,
enjeux et perspectives d’un nouveau chantier », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56-4,
octobre-décembre 2009, p. 7-38.
2. DESCOLA (P.), Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
ANN. 272 Int. xp 12/01/11 12:13 Page 470
6. BERTRAND (G.), « Le paysage entre nature et société », Revue de géographie des Pyrénées et
du Sud-Ouest, 1978, n° 2, p. 239-258.
7. PITTE (J.-R.), Histoire du paysage français, Paris, Tallandier, 1983, 2 vol.
8. BERTRAND (G.) et BERTRAND (C.), « Pour une histoire écologique de la France rurale.
L’impossible tableau géographique », dans DUBY (G.), WALLON (A.) dir., Histoire de la France
rurale, Paris, Seuil, 1975, t. I, p. 39-118.
9. Une approche globale et synthétique de cette méthode est fournie dans LE ROY LADURIE (É.),
« Dérive, reconstitution et crise de l’écosystème (1600-1660) », Histoire des paysans français. De
la peste noire à la Révolution, Paris, Seuil, 2002, p. 315-422. Ce texte fut publié originellement
dans L’histoire économique et sociale de la France en 1970. On cherche en vain dans ce gros
chapitre un écosystème au sens écologique du terme : c’est un système économique qu’analyse Le
Roy Ladurie selon un modèle parfaitement maîtrisé mais occultant les données spatiales et
environnementales.
10. RONCAYOLO (M.), « L’aménagement du territoire, XVIIIe-XXe siècle », Paris, Seuil, 1989,
rééd. coll. « Points Histoire », 2000, p. 365-554.
ANN. 272 Int. xp 12/01/11 12:13 Page 472
que soit étudié l’impact de ces aménagements sur les espaces ruraux. Et
lorsque l’histoire de l’aménagement émane des ingénieurs spécialisés dans ce
domaine, notamment ceux du corps des Ponts et Chaussées, la vision est la
même11, ce qui ne va pourtant pas de soi tant l’intervention des ingénieurs sur
les espaces ruraux fut historiquement forte, y compris dans le domaine
agricole. Cette lacune s’explique cependant aisément : pour le géographe de la
ville comme pour l’ingénieur contemporain, il s’agit d’expliquer le fonctionne-
ment du territoire de son époque en se fondant sur les processus historiques qui
se sont progressivement imposés au détriment de ceux qui, sans totalement
disparaître, ont été marginalisés. Or cela renvoie à une vision bien précise et
historiquement datée de l’aménagement, celle qui a été mise en place après la
Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la planification et qui entend
achever le lent processus d’intégration du territoire national au profit du
développement économique censé dynamiser l’ensemble des territoires. C’est
donc à une planification rigoureuse conçue globalement par une superstructure
étatique que renvoie l’aménagement ainsi présenté, avec des antécédents qui
plongent dans l’économie politique des Lumières et surtout dans le saint-
simonisme du XIXe siècle.
Il est donc facilement compréhensible que les historiens du monde rural aient
continué à user d’une grande prudence dans le maniement des concepts.
L’archéologie a contribué au débat en replaçant le paysage au cœur de ses
approches, avec une attention très précise à l’histoire des formes : Gérard
Chouquer plaide ainsi pour une morphologie qualitative et dynamique12 ; Aline
Durand étudie les modalités de l’anthropisation dans le Languedoc médiéval à
travers la co-évolution du peuplement et de la végétation 13. Le concept
d’aménagement est réintroduit à travers le débat sur l’auto-organisation des
paysages et des structures agraires qui oppose notamment les tenants de
l’archéogéographie – dont Gérard Chouquer – aux historiens qui revendiquent
une prise en compte plus nette de la place des pouvoirs et de la société dans
l’organisation des territoires14.
Ce débat qui porte essentiellement sur les périodes antique et médiévale,
lorsque les textes paraissent insuffisants pour éclairer seuls les transformations
paysagères, conserve un grand intérêt pour les périodes plus récentes car il
attire l’attention sur le caractère hybride de l’aménagement : l’acte d’aménager
11. DESPORTES (M.), PICON (A.), De l’espace au territoire. L’aménagement en France, XVIe-XXe
siècle, Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, 1997.
12. CHOUQUER (G.), L’étude des paysages. Essai sur leurs formes et leur histoire, Paris, Errance,
2000 ; Quels scénarios pour l’histoire du paysage ? Orientations de recherche pour l’archéo-
géographie, Coimbra-Porto, CEAUCP, 2007.
13. DURAND (A.), Les paysages médiévaux du Languedoc (Xe-XIIe siècle), Toulouse, Presses
universitaires du Mirail, 1998.
14. CURSENTE (B.) et MOUSNIER (M.) dir., Les territoires du médiéviste, Rennes, PUR, 2005.
ANN. 272 Int. xp 12/01/11 12:13 Page 473
18. AUBRIOT (S.), JOLLY (G.), coord., Histoires d’une eau partagée. Irrigation et droits d’eau du
Moyen Âge à nos jours, Provence, Alpes, Pyrénées, Aix-en-Provence, Publications de l’université
de Provence, 2002.
ANN. 272 Int. xp 12/01/11 12:13 Page 475
elle est placée dans une situation de dépendance croissante par rapport à cette
expertise globalisante.
Alors que s’affirme au XIXe siècle un discours rationaliste et techniciste,
dans un État nettement plus centralisé dont le dispositif législatif de gestion de
l’espace s’est étoffé et qui accorde aux ingénieurs un rôle croissant, l’affronte-
ment entre l’expertise globalisante de ces derniers et les usages des « paysans »
semble s’inscrire dans la continuité de conflits anciens. Cependant, l’exemple
des forêts ardéchoises étudié par Pierre Cornu entre 1860 et 1910 rend compte
au contraire d’une rupture. En effet, de la confrontation entre des principes
universels de gestion forestière et les formes de résistance locale à leur mise en
œuvre – résistance liée à la fois à la difficile définition de la forêt ardéchoise et
aux refus des populations de se plier à des changements brutaux de leurs
pratiques de l’espace – naît un nouveau savoir qui est celui des ingénieurs de
terrain ou plutôt sur le terrain.
La leçon de cette longue genèse de l’aménagement de l’espace et de l’exper-
tise technique ramène donc à l’environnement. Aménager concrètement
l’espace, c’est immanquablement faire naître de nouveaux savoirs, de
nouvelles formes de rationalité qui doivent tenir compte de la complexité des
usages locaux et de l’organisation sociale. Et ces nouveaux savoirs contribuent
à leur tour à la transformation des usages de l’espace par les compromis qu’ils
obligent tous les acteurs sociaux à élaborer. Il est légitime de considérer que
ces questions environnementales ont toujours existé car il fallut constamment
gérer l’utilisation et le partage des ressources. Cependant, le développement
d’une pensée concertée de l’aménagement, qui ne définit plus seulement des
droits sur l’espace, mais des modalités jugées pertinentes de sa transformation,
fait apparaître progressivement un nouveau regard qui porte en germe le
concept d’environnement. Bien avant que celui-ci ne soit formulé et assumé
dans le dernier tiers du XXe siècle – s’y opposaient auparavant la parcellisation
des domaines du savoir et la difficulté de l’État à assumer ses propres limites –,
les discours et les pratiques de l’expertise avaient commencé à prendre en
charge la nécessaire requalification sociale et culturelle des savoirs techniques
à l’œuvre dans les opérations d’aménagement ou de régulation de l’espace.