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Anatole Baboukhian
Je tiens par ailleurs à exprimer toute ma gratitude envers le Dr. Tatiana Flessas, de
la London School Of Economics, et le Dr. Hye-Kyung Lee, du King’s College Of
London, qui m’ont si gentiment autorisé à suivre leur enseignement.
Mes remerciements vont enfin à ma famille et mes amis pour leur soutien infaillible,
et tout particulièrement à Sébastien Justum pour ses conseils avisés et sa très
précieuse relecture.
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION....................................................................................................... 5
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................. 111
3
4
« Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les
choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a
vu qu’elles sont en effet »
Jacques-Bénigne Bossuet1
Jeremy Bentham2
INTRODUCTION
Toute étude juridique portant sur l’existence d’un « droit à quelque chose »
nécessite quelques précautions liminaires. Le défi à relever est d’étudier des
phénomènes et de tirer des conclusions sur les rapports qui existent entre eux, tout en
évitant l’écueil de la revendication idéologique. Or, comme nous allons le voir tout au
long de cette étude avec certaines argumentations avancées par une partie
significative de la doctrine, dès lors qu’il s’agit d’étudier l’existence d’une norme qui
obligerait un organe créateur de normes d’intervenir dans un domaine déterminé, la
tentation idéologique et revendicatrice devient très forte. En dépit de l’intérêt certain
que peut avoir une étude politique et/ou sociologique sur l’accès à la culture,
l’approche adoptée sera ici concentrée strictement sur le rapport de normes juridiques
qui le garantissent et l’organisent.
1
Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, Libraire de L. Hachette et Cie, 1863 (1741), p.36
2
Theory of Legislation, éd. Trübner & Co., 1864, p. 85
5
Définition du concept de culture
3
Ludwig WITTGENSTEIN, Tractatus Logico-Philosophicus, 1922, clause 6.4321
6
« mode de vie » - desquels celles-ci et toutes les manifestations
sociales se mettent en œuvre » 4
Les travaux du sociologue Raymond Williams sont souvent cités à cet égard5,
celui-ci a dégagé deux sens du concept de culture : le « sens commun » et le « sens
artistique ». Le sens commun du concept serait le « mode de vie global »6, alors que le
sens artistique serait l’ensemble « des procédés spéciaux de découvertes et d’efforts
créatifs »7. Au regard de cette deuxième proposition, la culture pourrait être définie,
en d’autres termes, par l’exercice ritualisé de représentations fictionnelles d’une
société déterminée. Une telle définition n’est certainement pas exempte de lacunes, la
signification d’un « exercice ritualisé » laissant toujours une place conséquente à
l’indétermination.
Contexte
4
Roger O’KEEFE, « The "right to take part in cultural life" under Article 15 of the ICESCR »,
International & Comparative Law Quaterly, 1998, 47(4), p. 905
5
Raymond WILLIAMS, « Moving from High Culture to Ordinary Culture »,
originally published in N. McKenzie (ed.), Convictions, 1958
6
« the whole way of life »
7
« the special processes of discovery and creative effort »
7
certainement cette opposition qui distingue ab initio les systèmes français et
britanniques sur le plan économico-politique.
8
Adam SMITH, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre IV, chap. IX
9
Sur le concept de holisme ontologique, voir notamment Christian GODIN, Dictionnaire de
philosophie, ed. Fayard, 2004, p. 570-1
10
William BEVERIDGE, Social insurance and allied services, London, HMSO, 1942
8
importante sur le système britannique, et qui s’est développée autour du principe
selon lequel « toute action, quelle qu’elle soit, doit être approuvée ou désavouée en
fonction de sa tendance à augmenter ou à réduire le bonheur des parties affectées par
l’action »11. Cette doctrine, que l’on peut ainsi qualifier d’eudémoniste, détermine dès
lors l’action des gouvernements selon le calcul des conséquences d’un acte sur le
« bien-être » du plus grand nombre. Pour autant, cette approche souffre d’une lacune
importante dans la mesure où le « bien être » est un énoncé cognitivement
indéterminable. Ainsi, à partir d’un raisonnement logique tout à fait élémentaire, on
peut se rendre compte que la doctrine utilitariste repose sur la tautologie suivante :
« Que veulent les gens ? Le bonheur. Qu’est-ce que le bonheur ? Ce que veulent les
gens »12.
11
Jeremy BENTHAM, Introduction to the Principles of Morals and Legislation, ed. Kitchener, 2000
(1781), p.14
12
Voir sur ce point : Cora DIAMOND, The realistic spirit: Wittgenstein, philosophy, and the mind,
MIT Press, 1995 ; Matthew OSTROW, Wittgenstein’s Tactatus: A Dialectical Interpretation,
Cambridge University Press, 2002
13
Comme le suggère l’œuvre de Rousseau : Jean-Jacques ROUSSEAU, Du Contrat social, 1762
9
Méthodologie
14
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, 12e ed., Précis Dalloz, p. 61
15
Hans KELSEN, Reine Rechtslehre, 1ère éd., 1936 (trad. par Henri Thévenaz, Théorie pure du droit,
ème
2 éd., Editions de la Baconnière, 1988, p. 26)
16
Hans KELSEN, Reine Rechtslehre (trad. par Charles Eisenmann : Théorie pure du droit, LGDJ, 2e
ed., 1999, p. 135)
10
De cette façon, nous serons amenés à distinguer une norme d’un objectif, dans
la mesure où ces objectifs imposent à l’organe créateur de normes « l’obligation de
poursuivre certains buts sans l’obligation d’attribuer à l’ensemble des destinataires
(ou aux classes les plus générales de destinataires) du système des permissions
correspondantes d’agir »17. Cette distinction revient à séparer droit et politique, ou
plus généralement droit et morale, dans la mesure où l’on a d’un côté des obligations
juridiques et d’un autre côté des obligations politiques, qui peuvent être également des
obligations morales. Nous verrons néanmoins que l’objet de cette étude rendra parfois
cette opposition difficile à identifier clairement. Nous tenterons d’ailleurs de
répondre, à l’issue de cette recherche, à la question qui est de savoir selon les cas si
l’accès à la culture relève davantage d’un droit que d’un objectif.
17
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, éd. Dalloz 2000, p.
123 : à propos de la distinction entre droits fondamentaux et objectifs constitutionnels.
11
chaque ordre juridique, en tant que « système de normes globalement efficace et
sanctionné »18, est organisé autour du concept de hiérarchie des normes. À cet égard,
selon le Professeur Pfersmann, ce concept se présente sous deux aspects « différents
et complémentaires »19 : le rapport de production normative et la force dérogatoire. Le
rapport de production établit les conditions de validité d’une norme. Ainsi, une norme
est valide parce qu’elle est prévue par une autre norme hiérarchiquement supérieure.
La question qui se pose alors est de savoir comment établir la validité de la norme
fondamentale. Pour le Professeur Pfersmann, la validité de cette norme repose
nécessairement sur « une supposition »20, en d’autres termes la structure d’un ordre
juridique repose sur une norme suprême dont la validité est admise, non pas
empiriquement, mais hypothétiquement21. Ainsi, autant la validité de la Constitution
française de la 1958 que le principe de souveraineté parlementaire au Royaume-Uni
reposent sur une supposition. Par ailleurs, la force obligatoire concerne les
« conditions de destruction » d’une norme. Dès lors qu’une nouvelle norme est créée,
qu’advient-t-il d’une norme de même valeur, certes valide, mais contradictoire ? Il
existe deux solutions : soit par la production d’une nouvelle norme par le même
organe qui abroge explicitement l’ancienne norme, soit par l’intervention a posteriori
d’un autre organe qui tranchera le conflit.
Par ailleurs, compte tenu du fait que la présente étude envisagera l’étude du
niveau de protection d’un droit, le droit d’accès à la culture en l’occurrence, il
convient ainsi de définir les différents concepts de permissions d’agir. On distinguera
à cet égard droits fondamentaux et libertés publiques. Les droits fondamentaux sont
des rapports normatifs soumis à quatre conditions22 :
18
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 60
19
Ibid, p. 62
20
Ibid, p. 64
21
Certains auteurs de l’école « réaliste » considèrent à cet égard que le critère de la validité repose sur
un raisonnement jusnaturaliste, car il se fonde sur une supposition ou sur ce que Kelsen appelait « la
pensée juridique », ce qui serait, notamment selon Alf Ross, une notion « saturée de concepts
idéologiques, correspondant peut-être à des expériences affectives, mais tout à fait inadéquats pour
décrire la réalité, ce qui est pourtant la tâche de la science du droit ». Alf ROSS, « Validity and the
conflict between Legal Positivism and Natural Law », Revista Juridica de Buenos Aires, IV(46 s.), p.
78
22
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, op cit., p. 90
12
(2) ces permissions ont un statut constitutionnel ou conventionnel qui permet
la sanction des actes législatifs ou infralégislatifs qui, « dans une mesure
allant au-delà d’un certain minimum déterminée par la compréhension
habituelle du comportement », iraient à l’encontre de ces permissions ;
(3) il faut par ailleurs un organe juridictionnel de contrôle habilité à annuler
ces normes législatives et infralégislatives fautives ; enfin
(4) une possibilité de saisir ledit organe juridictionnel doit être possible, soit
directement par les bénéficiaires (système d’union des fonctions), soit
indirectement par des organes habilités, les titulaires (système de
séparation des fonctions).
23
Ibid, p. 91
13
Le Royaume-Uni repose quant à lui sur une conception matérialiste du droit
constitutionnel, au sens où il s’agit d’un « ensemble des normes de production de
normes générales et abstraites »24 fondé sur une norme fondamentale informelle : le
principe de souveraineté parlementaire. Ce principe, qui selon Dicey est « la
caractéristique dominante des institutions politiques [britanniques] »25, se situe au
sommet de la hiérarchie des normes dans l’ordre de leur production. À partir de
l’approche « dicéenne » de la constitution britannique, la souveraineté est ainsi
assimilée à l’ « autorité suprême de l’Etat »26. Il s’agit d’un principe doté d’une
dimension incontestablement positive, et par là nous entendons distincte de la morale,
selon laquelle le législateur peut à tout moment modifier ou supprimer n’importe quel
type de normes, peu importe leur contenu ou leur « importance ». Cet aspect essentiel
du système britannique ressort très clairement des propos de Lord Reid, lorsque celui-
ci indique qu’« il est souvent dit qu’il serait inconstitutionnel pour le Royaume-Uni de
faire certaines choses à l’encontre de la morale (…) [ou] d’autres raisons (…), qui
seraient si fortes, que la plupart des gens considéraient comme hautement inconvenant
que le Parlement fasse de telles choses », néanmoins si « le Parlement choisi de faire
une de ces choses, les tribunaux ne pourraient pas qualifier la loi (…) d’invalide »27.
24
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 74
25
Albert Venn DICEY, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10th ed., E.C.S. Wade,
1959 (1885), p. 39
26
Hilaire BARNETT, Constitutional and Administrative Law, 3ème ed., Routledge Cavendish, 2000, p.
209
27
In Madzimbamuto v. Lardner-Burke [1969] 1 A.C. 645, 723 (P.C. 1968) (appeal taken from S.
Rhodesia)
28
Ibid
14
Act de 1998 (ci-après nommé « HRA 1998 »), l’existence de droits garantis au-dessus
de la compétence du législateur est une hypothèse devenue possible en droit positif
britannique. Cette loi du Parlement a rendu juridiquement sanctionnable par le juge
national les droits inscrits dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme
(CEDH). En somme, le HRA a permis l’existence dans une certaine mesure de droits
fondamentaux au Royaume-Uni.
Néanmoins, une telle affirmation est confrontée à une tautologie : la loi permet
des droits que le législateur est tenu de respecter, mais rien n’empêche le législateur,
étant « souverain », de supprimer cette loi. Dès lors, quelle est la véritable valeur
juridique de ces droits ? Une partie significative de la doctrine britannique considère à
cet égard qu’il y aurait une hiérarchie de valeurs entre les lois du Parlement29.
Certaines d’entre elles ne seraient pas soumises à la procédure d’implied repeal, selon
laquelle la loi ancienne est automatiquement abrogée et remplacée par la nouvelle
loi30, car elles bénéficieraient d’un « statut constitutionnel »31. Pourtant une telle
doctrine ne repose que sur des arguments intuitifs, et rien dans le système
constitutionnel britannique ne pourrait actuellement empêcher le Parlement d’abroger
la Magna Carta 1215, le Bill of Rights 1689 ou encore le HRA 1998, aussi
inconcevable le serait-ce politiquement.
Par ailleurs, une question peut être soulevée compte tenu du système
constitutionnel britannique : qu’advient-t-il lorsque la loi s’avère non conforme à
l’exercice d’un droit fondamental conventionnel ? Le HRA a introduit la possibilité
pour le juge de « déclarer incompatible » une disposition législative contraire aux
29
Voir notamment Hilaire BARNETT, op. cit. ; J.A.G. GRIFFITH, « The Common Law and the
Political Constitution », Law Quaterly Review, vol. 117, 2001 p. 42 et s.; Douglas W. VICK, « The
Human Rights Act and the British Constitution », Texas International Law Journal, vol. 37, 2002, pp.
329-378
30
Cette procédure est l’une des concrétisations dans le système constitutionnel britannique du concept
de force dérogatoire explicité antérieurement.
31
Lord Justice Laws dans la décision Thoburn v Sunderland City Council [2002] EWHC 195
(Admin) explique très clairement cette doctrine : « In the present state of its maturity the common law
has come to recognise that there exist rights which should properly be classified as constitutional or
fundamental. (...) And from this a further insight follows. We should recognise a hierarchy of Acts of
Parliament: as it were "ordinary" statutes and "constitutional" statutes. The two categories must be
distinguished on a principled basis. In my opinion a constitutional statute is one which (a) conditions
the legal relationship between citizen and State in some general, overarching manner, or (b) enlarges or
diminishes the scope of what we would now regard as fundamental constitutional rights. (a) and (b) are
of necessity closely related: it is difficult to think of an instance of (a) that is not also an instance of (b).
The special status of constitutional statutes follows the special status of constitutional rights. Examples
are the Magna Carta, the Bill of Rights 1689, the Act of Union, the Reform Acts which distributed and
enlarged the franchise, the HRA, the Scotland Act 1998 and the Government of Wales Act 1998 ».
15
droits garantis par la CEDH32. Or, ce mécanisme n’a aucun effet contraignant (sauf
symbolique) sur le législateur, il ne s’agit que d’un acte déclaratoire33, même s’il
habilite en parallèle le gouvernement à prendre les mesures, qu’il estime
« nécessaires », en vue d’amender les dispositions législatives déclarées
incompatibles34.
La « compétence culturelle »
Il est à présent important de présenter quels sont les différents organes qui
détiennent une compétence générale de produire des normes en matière culturelle
dans les deux systèmes étudiés, ce qui désigne en langage courant la « politique
culturelle » ou « cultural policy ». Concernant la France, cette compétence relève
directement de l’organe infra-legislatif chargé de l’application des normes générales,
le gouvernement. Ainsi, a été créé en 1959 le « Ministère chargé des affaires
culturelles ». Le décret n° 59-889 du 24 juillet 1959 définit les compétences de cet
organe de la manière suivante (article 1er):
32
Section 4 du HRA 1998
33
Section 4(6) du HRA 1998
34
Section 10(2) du HRA 1998. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.
16
Par ailleurs, le décret dispose que la compétence de cet organe est une
compétence générale d’attribution, dans la mesure où il prévoit, au titre de son article
3, « le transfert (…) des services ayant pour missions dans les divers départements
ministériels de promouvoir une action culturelle ou artistique » au Ministre chargé des
affaires culturelles. La plupart des auteurs considèrent que la répartition des
compétences dans le système français en matière de culture repose sur un modèle
centralisé que certains qualifient d’« unitaire »35, alors que d’autres vont même
jusqu’à parler d’« Etat culturel »36. Ce constat a évolué avec les différentes lois de
décentralisation qui ont attribué des compétences en matière de culture aux
collectivités locales37.
35
Bernard GOURNAY, « Les exemples étrangers », AJDA, numéro spécial « Culture et service
public », 20 septembre 2000, p. 35
36
Pierre-Alain COLLOT, « La décentralisation culturelle », RDP, 2008, p. 335
37
Nous reviendrons abondamment sur ce point dans la Partie II Chapitre 1
38
Bernard GOURNAY, op. cit
17
Etat de la recherche et justification du sujet
L’autre intérêt majeur de cette étude est que ce domaine de recherche a été
relativement peu étudié par une approche véritablement juridique et scientifique. On
peut relever que la doctrine française reconnaît très aisément un « droit à la culture »
sans pour autant argumenter cette affirmation de manière satisfaisant. À cet égard, le
Professeur Pontier déclare par exemple que « avec le <droit à la culture>, la majesté
du pouvoir de l'Etat de conférer une qualité à une activité devient un devoir : la
puissance publique reconnaît que les citoyens disposent d'un droit à se cultiver,
comme ils disposent d'un droit à l'instruction, à la santé, etc. » Ce qui lui permet dès
lors de conclure que « le droit implique des obligations à la charge de l'Etat pour que
ce droit puisse s'exercer effectivement »42 sans apporter de preuve juridique à cette
affirmation, à savoir une possibilité de sanctionner cette obligation. L’utilisation
d’une telle argumentation jusnaturaliste est très fréquente dans les travaux doctrinaux,
notamment par le fait que historiquement « l’intervention de l’État dans le domaine
39
Otto PFERSMANN, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », RIDC, n°
2, 2001, pp. 275-288
40
Jean LADRIERE, “ Concept ”, in Encyclopædia Universalis, Paris, 2002, vol. 6
41
Jean-Philippe DEROSIER, « La limite au pouvoir de révision constitutionnelle, du concept à la
notion », Revue française de droit constitutionnel, n° 76, 2008(4), p. 230
42
Jean-Marie PONTIER, « Le service public culturel existe-t-il ? », AJDA, numéro spécial « Culture et
service public », 2000, p. 12
18
culturel était très largement acceptée, voire souvent sollicitée. Elle paraissait aller de
soi et s’inscrire dans une évolution naturelle. »43
43
Jean-Marie PONTIER, Jean-Claude RICCI, Jacques BOURDON, Droit de la culture, Dalloz, 2ème
ed., 1996
44
Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association
45
Décision n°73-51 DC du 27 décembre 1973, Taxation d’office
46
Décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse
47
Sophie MONNIER, Elsa FOREY, Droit de la culture, ed. Gualino, 2009, pp. 17-18
48
Ronald DWORKIN, « Un État libéral peut-il subventionner la culture ? » in A Matter of Principle,
1985 (trad. par Aurélie Guillain, Une question de principe, PUF, 1996, Chapitre 11, p. 275)
49
Voir notamment sur ce point Nigel ABERCOMBIE, La politique culturelle au Royaume-Uni,
UNESCO, 1983.
19
le cas français, embrasse un succès non négligeable au Royaume-Uni, comme nous le
montrerons au cours de cette étude.
50
Jean-Marie PONTIER, « Le service public culturel existe-t-il ? », op. cit., p. 8
51
Voir notamment John S. HARRIS, “Government Patronage of the Arts in Great-Britain”, The
University Press of Chicago Press, 1970
52
Il s’agirait des questions qui s’intéressent à la balance des intérêts concurrents : Ronald DWORKIN,
Taking Rights Seriously, 1977, pp. 82-84
20
Problème et annonce du plan
53
Voir notamment sur l’abus du mot droit Paul ROUBIER, « Le rôle de la volonté dans la création des
droits et des devoirs », in Le rôle de la volonté dans le droit, ed. Sirey, 1957, pp. 1-70 : l’auteur
souligne la confusion entre « les droits proprement dits qui sont acceptés par l’ordre juridique, avec de
multiples prétentions qu’on désirerait élever au rang de droits ».
21
PARTIE I - L’IDENTIFICATION DU
CONCEPT : LE NIVEAU DE PROTECTION
DU DROIT D’ACCES LA CULTURE
22
l’existence de droits sociaux fondamentaux. Notre tâche sera dès lors de déterminer si
ces propositions sont valides juridiquement ou si elles représentent un abus de
langage.
Une question qui porte sur la « possibilité » d’un droit se réfère à ce qu’un
ordre juridique, au sens générique du terme, peut admettre ou non. Il est important de
noter que l’existence de droits fondamentaux n’est pas une donnée impérativement
inhérente à l’existence de tout ordre juridique fondé sur une idéologie
« démocratique » et « libérale » commune57. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’un tel
système juridique ne connaisse pas de droits fondamentaux, comme nous allons le
voir. Or, leur évocation est très fréquente aussi bien dans la doctrine française que
britannique. Ainsi, notre tâche sera de déterminer dans quelle mesure le concept de
droit social fondamental peut être considéré comme un concept juridiquement
possible (Section 1). Par ailleurs, nous tenterons d’identifier l’existence effective d’un
tel droit concernant l’accès à la culture dans les systèmes juridiques étudiés (Section
2).
57
Nous ne préciserons pas davantage le sens de cette idéologie, n’étant pas notre propos ici. Sur ce
point, nous tenons toutefois à indiquer qu’il s’agit, non pas d’une omission tendant à induire que le
sens admis ici est un sens acquis et incontestable, mais d’une action délibérée de notre afin de limiter le
champ de notre présente étude.
23
Section 1 – Le rapport entre droit social fondamental
et ordre juridique
Il paraît approprié de préciser à titre liminaire ce que l’on entend par concept
de droit social fondamental dès lors qu’il s’agit d’une étude qui portera, en partie, sur
l’identification de l’un d’eux. Ainsi, nous tenterons en premier lieu de définir ce
concept (Paragraphe 1), et de cette précaution, nous pourrons à ce titre observer
l’usage parfois impropre de la notion (Paragraphe 2).
Pour des raisons historiques et politiques, les droits fondamentaux, tels que
nous les avons précédemment définis, ne représenteraient pas une catégorie
homogène de droits. Nous pourrions dès lors distinguer diverses générations de
droits : les droits politiques, les droits individuels et les droits sociaux, économiques,
culturels et écologiques. Cette classification repose notamment sur la théorie des
« droits subjectifs publics » développée par le juriste allemand Georg Jellinek58. Il y a
aurait ainsi en premier lieu un droit pour le destinataire de participer à la production
normative, ce qui correspondrait aux droits politiques fondamentaux ; puis en
deuxième lieu, un droit pour le destinataire de se protéger contre certaines
interventions étatiques, ce qui correspondrait aux droits individuels fondamentaux ; et
en dernier lieu, un droit de demander à l’État d’agir dans un domaine déterminé, ce
qui correspondrait donc aux droits économiques et sociaux fondamentaux.
Néanmoins, cette théorie, aussi appréciée est-elle parmi la doctrine, n’est pas
exempte de critiques. D’après le Professeur Pfersmann, la classification proposée par
Georg Jellinek repose sur une confusion sur les modalités constitutives d’une norme.
Il faut à ce titre clairement distinguer entre « la modalité sous laquelle est placée
l’action du bénéficiaire » de la permission d’agir et celle « sous laquelle est placée
58
Georg JELLINEK, System der Subjektiven öffentlichen Rechte, 1905
24
l’action du bénéficiaire de l’obligation »59. L’autre confusion soulevée par l’auteur est
que « les obligations des uns sont strictement corrélatives des permissions des
autres »60. Cette idée reprend sur ce point le concept de droit-réflexe développé par
Hans Kelsen qui impliquerait l’existence systématique d’une obligation
correspondante à certaines permissions d’agir61. Par exemple, si d’un côté il existe un
droit pour un bénéficiaire d’exercer un droit d’accès gratuit au musée national, cela
revient à dire que les organes créateurs de normes ont notamment l’obligation de créer
des normes qui empêchent au musée d’exiger le paiement de droits d’entrée. Or, la
théorie des droits publics subjectifs ne prévoit pas cette corrélation. Enfin, la dernière
limite que l’on peut noter est qu’il s’agit d’une théorie de droits publics subjectifs
législatifs, au sens où ceux-ci bénéficieraient d’un niveau de protection de rang
législatif. Il s’agit dès lors d’une conception propre aux libertés publiques, telles que
nous les avons précédemment défini, ce qui ne nous permet donc pas de l’utiliser pour
définir le concept de droit social fondamental constitutionnellement ou
conventionnellement garanti.
La théorie sociale des droits fondamentaux, développée par des auteurs tels
que Lorenz von Stein62 au XIXème siècle ou encore William Böckenförde63 au
XXème siècle a par ailleurs trouvé un grand écho dans la littérature juridique. Elle
permettrait de fournir une justification théorique à la classification historique évoquée
précédemment. Pour Böckenförde, cette théorie implique deux aspects : « d’une part
l’obligation pesant sur l’État et fondée sur un droit fondamental particulier imposant
de créer les conditions sociales nécessaires à la réalisation de la liberté garantie –
sorte de position de garant de la transposition de la liberté dans la réalité
constitutionnelle -, d’autre part, l’établissement de prétentions constitutionnellement
fondées à des prestations étatiques ou à l’accès à des institutions étatiques, ou créées
par l’État, et qui contribuent à la réalisation de la liberté reconnue par les droits
fondamentaux »64. Il ressort de cette définition qu’un droit social fondamental serait
dès lors composé à la fois d’une obligation à la charge de l’organe « État » de créer
59
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, op cit, p 125
60
Idem
61
Op cit., p. 135
62
Lorenz von STEIN, Geschichte der sozialen Bewegung in Frankreich, 1ère éd., Leipzig, 1850
63
William BÖCKENFÖRDE, Reicht, Staat, Freiheit. Studien zur Rechtphilosophie, Staatstheorie und
Verfassungsgeschichte, 1ère éd., 1991 (trad. par Olivier Joujouan, Le droit, l’État et la constitution
démocratique, LGDJ, collection « La pensée juridique », 2000, p. 270 et s.)
64
Ibid, p. 271
25
les « conditions nécessaires » à la liberté proclamée, mais aussi d’une « prétention »
constitutionnellement garantie à des « prestations » ou à l’ « accès à des institutions ».
65
Charles FRIED, Right And Wrong, Harvard University Press, 1978, p. 110
66
L’auteur parle de « scarcity limitation »
67
Idem
26
tandis que d’autres droits sont positifs en ce qu’ils prévoient des devoirs positifs
d’aider et de fournir »68. Pour David Feldman, les « droits sociaux et économiques
positifs » sont corrélés avec des devoirs, non pas de s’abstenir, mais d’apporter « une
assistance active, ce que la société exige de décharger à travers le médium de
l’État »69. Par conséquent, ces droits exigent une intervention de l’État en créant « un
pont entre la valeur de liberté et les différentes valeurs d’égalité et de justice
sociale »70.
68
Cécile FABRE, « Constitutionalising Social Rights », The Journal of Political Philosophy, vol. 6,
n°3, 1998, pp. 263-264
69
David FELDMAN, Human Rights and Civil Liberties, Clarendon Press, Oxford, 1993, p. 11
70
Idem
71
Sandra FREDMAN, « New horizons: incorporating socio-economic rights in a British Bill of
Rights”, Public Law, 2010, p. 301 : « Not all socio-economic rights give rise to positive duties. The
right to housing includes the negative duty not to evict unlawfully, and the right to education includes
the duty not to interfere with parents' rights to ensure such education is in conformity with their own
religions and philosophical convictions. »
72
Voir notamment l’article de Cécile FABRE, op. cit.
27
correspondre à une obligation, qui pourrait correspondre au « devoir positif », ou à
une interdiction, qui pourrait être rattachée au « devoir négatif ». En outre, on voit que
cette conception n’envisage guère la modalité de la permission. Par conséquent, il est
difficile d’utiliser le concept de devoir dans notre définition des droits sociaux
fondamentaux, celui-ci étant davantage un concept politique, ou même moral comme
le montre la position du Professeur Feldman, que proprement juridique.
Pour résumer l’apport de toutes ces théories, on peut dire qu’un ordre
juridique admet dès lors des rapports de normes entre, d’une part, les obligations et
les interdictions de l’organe État et, d’autre part, les permissions des individus qui
font partie du système organisé par cet organe. De plus, certaines obligations pesant
sur l’État exigeraient une « intervention », une « action positive », ou plus
précisément la fourniture de biens. À cet égard, certains privilégient l’appellation de
« droits-créances », en ce sens que le droit d’exiger un accès à la culture revient à
admettre corrélativement une obligation de fournir cet accès pesant sur les organes
créateurs de normes, considérés ainsi comme « débiteurs » de cette obligation. Il est
néanmoins important de préciser la qualité de cet organe dans l’ordre de production
normative pour pouvoir parler de droits fondamentaux, au sens où nous les avons
précédemment définis. En effet, si cette obligation ne pèse pas sur législateur, il est
vain de qualifier la permission correspondante à cette obligation de droit fondamental.
Nous définirons donc le concept de droits sociaux fondamentaux comme l’ensemble
des permissions d’agir d’une catégorie générale de personne, garanties
constitutionnellement ou conventionnellement, prévoyant corrélativement des
obligations à autre catégorie de personne, dont le législateur, et sanctionnables par
un organe juridictionnel, dont la saisine serait ouverte aux bénéficiaires de ces
permissions.
28
une certaine conception admise de la démocratie libérale73, un « socle idéologique
commun »74, qui « légitimerait » le soutien que l’État devrait fournir à certaines
activités telles que la santé, l’éducation ou encore la culture. Or, si l’on veut étudier la
possibilité d’un concept juridique, il faut souvent bien le distinguer de la
dénomination employée dans les différents systèmes juridiques y afférant. Ainsi,
l’utilisation de la « notion » de droits sociaux fondamentaux peut parfois porter à
confusion, laissant transparaître des occurrences impossibles, confuses, voire même
idéologiques. Dans une certaine mesure, on peut reprendre à ce titre les propos du
Professeur Pfersmann pour clairement souligner cette problématique : « le langage de
formulation des normes est utilisé pour produire des utopies et plus généralement des
idéologies d’État. »75
73
En son sens philosophique
74
Odile CAMUS, « La norme d’internalité, un concept de psychologie sociale libérale ? », Cahier de
Psychologie politique, [En ligne], numéro 1, Janvier 2002.
http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1662
75
Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, op cit, p 128
76
Il est à noter que cette interprétation repose sur un consensus très peu contesté dans la doctrine
français, alors qu’elle est contestable, comme nous allons le voir ultérieurement.
77
Laurence GAY, Les droits-créances constitutionnels, Thèses Aix-en-Provence, 2001, p. 16
29
Prétot distingue « les libertés individuelles et collectives », d’une part, et « les droits-
créances », d’autre part, dans la mesure où pour les premiers « la compétence du
législateur [aurait été] étroitement liée » et pour les seconds « un large pouvoir
d’appréciation [aurait été reconnu] au Parlement et au Gouvernement dans l’exercice
de leurs compétences respectives »78. Cette argumentation repose sur l’interprétation
du Conseil constitutionnel des dispositions de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946, que celui-ci a
développé depuis sa décision de 1971 « Liberté d’association ». Or, s’il l’on se tient à
la lecture de ces textes, il paraît peu aisé de parvenir à une telle conclusion par une
interprétation rigoureuse et non-téléologique79. De ce constat, les considérations
idéologiques de l’analyse avancée par l’auteur sont clairement observables.
78
Xavier PRÉTOT, « La Constitution devant le progrès économique et social », Les Petites Affiches,
n°155, 1991, pp. 194-195
79
Nous y reviendrons dans la section 2.
80
Rights and Responsibilities: Developing our Constitutional Framework. Green Paper, Cm 7577
(March 2009), p. 47
81
Ibid, p. 48
30
illustre assez bien la confusion, délibérée ou non, qu’il peut exister au Royaume-Uni à
propos de la frontière entre politique et droit. Il ainsi proposé que les droits sociaux et
économiques soient incorporés dans le « cadre constitutionnel » britannique, sans
qu’ils puissent faire toutefois l’objet d’une sanction correspondante ; autrement dit
sans qu’ils aient d’effets juridiques.
Nous avons pu ainsi établir que le concept de droit social fondamental est une
occurrence possible dans un ordre juridique. Or, il convient à présent de s’interroger
sur sa représentation effective dans les systèmes juridiques étudiés, au sens où la
condition d’existence d’une norme est, certes sa validité, mais aussi son efficacité83.
Ainsi, nous tenterons de déterminer dans quelle mesure les droits sociaux
82
A. MANDEL, « A Brief History of the New Constitutionalism », Israel Law Review, vol. 32, 1998,
p. 290. Voir aussi sur ce point : Keith D. EWING, « Social Rights and Constitutional Law », Public
Law, 1998, pp. 12-13
83
Sur la question du rapport validité-efficacité, en tant que propriétés constitutives d’une norme, il faut
se référer aux débats au sein de l’école du positivisme juridique entre la théorie « normativiste » et la
« réaliste ». Pour ceux qui considèrent que la question de l’efficacité est distincte de la question de la
validité, voir notamment Hans KELSEN, General Theory of Law and State, 1945 (trad. par A.
Wedberg, Harvard University Press, 1949, pp. 118-119) : « [L’efficacité] est une condition sine qua
non mais non une conditio per quam ». Pour ceux qui considèrent que la question de la validité dépend
de l’efficacité, voir notamment Alf ROSS, On Law and Justice, éd. Stevens & Sons, 1958, pp. 34-38.
31
fondamentaux sont globalement efficaces. En d’autres termes, il s’agira d’apporter
des réponses à la question controversée de la « justiciabilité »84 de ces droits
(Paragraphe 1). De cette réflexion, il conviendra alors d’étendre notre analyse du
droit positif au concept de droit fondamental d’accès à la culture et d’en tirer les
conclusions nécessaires sur son (in)existence effective (Paragraphe 2).
Au Royaume-Uni, il est important de noter avant tout que les droits sociaux
fondamentaux ne repose sur aucune une source de droit constitutionnel. Le principe
de souveraineté parlementaire, qui est la seule norme constitutionnelle efficace du
système britannique, rend logiquement impossible toutes formes d’obligations
juridiques pesant sur le législateur. Pour Dicey, ce principe n’est autre que la
compétence du Parlement de faire et de défaire toute loi quelle qu’elle soit85. Ainsi,
comment une personne X pourrait-elle être logiquement liée à une obligation, à
84
Sur ce point voir notamment Evangelia GEORGITSI, « De l’ <impossible justiciabilité> des droits
sociaux fondamentaux », in : Association Internationale de Droit Constitutionnel (éditeur scientifique),
National and International Perspectives on Social Rights – Perspectives nationale et internationales
des droits sociaux, Bruylant, pp. 29-71
85
A. V. DICEY, op. cit.
32
laquelle, d’une part, elle s’est engagée unilatéralement et, d’autre part, dont elle peut
se libérer à tout moment ?
86
David A. O EDWARD, William ROBISON, Aileen McCOLGAN, op. cit., p. 707
87
[2002] EWHC 195
88
Comme nous l’avons déjà évoqué, rien n’empêcherait, juridiquement, que le législateur britannique
d’abroger ou de modifier la Magna Carta qui date de 1215 et qui va donc bientôt fêter son 800ème
anniversaire.
89
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturelles (PIDESC), les Conventions de l’Organisation international du
travail (les Conventions OMC),, le chapitre social de l’UE u encore la Charte sociale européenne.
33
déclaratoire. Tout au plus peuvent-ils servir d’ « outil d’interprétation » des
dispositions législatives ambiguës pour le juge90, sans être pour autant invocables91.
Ainsi, aussi séduisants peuvent-ils être d’un point de vue idéologique pour les
partisans de la matérialisation de tels droits dans l’ordre juridique, il est important de
souligner que l’impact juridique de ces actes est pour le moins inexistant dans la
protection efficace des droits sociaux fondamentaux92.
Certains commentateurs ont par ailleurs soulevé l’idée que les lois ou les
réglementations ayant pour objet la protection des droits sociaux et qui résulteraient
de la transposition de directives communautaires auraient un « statut supra-
législatif »93. Cette « supralegislativité » reposerait sur le fait que depuis la décision
Factortame94, le principe de primauté du droit communautaire est reconnu. Cette
affirmation repose sur plusieurs confusions. La première est qu’il s’agit de lois et de
réglementations, or comme nous l’avons pu le remarquer, le législateur britannique
est libre d’abroger la primary législation autant que la secondary. Ces lois n’ont donc
pas de statut supérieur aux autres lois. La deuxième confusion repose sur
l’impossibilité systémique de la supralegislativité dans l’ordre juridique britannique
car aucune norme ne peut se placer au-dessus du Parlement en vertu du principe de
souveraineté parlementaire. Enfin, le principe de « primauté communautaire » ne vaut
que sur le plan du droit international communautaire, le Royaume-Uni étant un État
dualiste, en ce sens que « les conventions ou les traités internationaux, signés et
ratifiés par l’État, ne font parties du droit national que s’ils sont transposés par une loi
adoptée au Parlement. »95 Ainsi, il est tout à fait envisageable que les individus soient
privés de droits que leur État a pourtant reconnus sur le plan international96, comme
ce fut le cas avec la CEDH avant 1998.
90
L’un des seuls cas où le Privy Council a examiné une question de droit en se référant explicitement à
l’article 6 du PIDESC : Stefan v General Medical Council (No. 1) [1999] 1 WLR 1239, PC ;
91
Aurélie DUFFY, op. cit., p. 145
92
Voir sur ce point l’analyse d’Aurélie DUFFY, op. cit., pp. 145-147 ; également celle de Sandra
FREDMAN, «Social Economic and Cultural Rights », in D. FELDMAN et P. BIRKS (dir.), English
Public Law, Oxford University Press, 2004, p. 545 et s.
93
Aurélie DUFFY, op. cit., p. 148
94
Factortame Ltd. v Secretary of State for Transport (No.2) [1991] 1 AC 603, [1991]1 All ER 70
95
David A. O EDWARD, William ROBISON, Aileen McCOLGAN, op. cit., p. 709
96
Par exemple, le Traité de Rome n’avait aucun effet dans l’ordre juridique interne britannique avec
l’entrée en vigueur du European Communities Act 1972, comme Lord DENNING MR l’indiquait
d’ailleurs dans la décision McWhirter/Attorney-General [1972] CMLR 882, p. 886 : « (A)lors même
que le traité de Rome a été signé, il est sans effet, à l’égard des juridictions de céans, avant d’avoir fait
34
Le HRA 1998 a quant à lui permis la reconnaissance de certains droits
fondamentaux d’origine conventionnelle au Royaume-Uni, permettant au juge de
déclarer une disposition législative incompatible avec les dispositions de la
Convention. La valeur de ce contrôle est lui aussi déclaratoire ab initio , la
souveraineté du Parlement ne pouvant être outrepassée par la compétence judiciaire.
Néanmoins, si l’on analyse le contenu des droits garantis par la CESDH, il est
possible d’avoir des doutes sur la présence de droits sociaux fondamentaux.
l’objet d’une loi adoptée par le Parlement. Une fois qu’il sera transposé par une loi adoptée par le
Parlement, les juridictions de céans devront agir en vertu de celle-ci ».
97
Voir notamment Frédéric SUDRE, « La protection des droits sociaux par la Convention Européenne
des droits de l’homme » in : Les nouveaux droits de l’homme en Europe, XIème Congrès de l’Union
des avocats européens, Bryulant, 1999, pp. 103-126
98
Article 11 de la Convention – « Liberté de réunion et d’association :
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit
de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi,
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale,
ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions
légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou
de l'administration de l'Etat.
99
Article 1er du premier Protocole – « Protection de la propriété :
1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa
propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international.
2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en
vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l’intérêt
général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
35
fournir une instruction dans la mesure où il s’agit d’une obligation de ne pas
restreindre l’accès à l’instruction pesant sur l’État, en d’autres termes une obligation
négative.
100
Voir notamment Keith D. EWING, « The Unbalanced Constitution », in : T. CAMPBELL, K. D
EWING et A. TOMKINS (dir.), Sceptical Essays on Human Rights, Oxford University Press, 200, pp.
103-117 ; D. OLIVER, Constitutional Reform in the United Kingdom, Oxford University Press, p. 424
et s.
101
Géraldine VAN BUEREN, « Including the excluded: the case for an economic, social and cultural
Human Rights Act », Public Law, 2002, p. 456
102
Aurélie DUFFY, op. cit., p. 155
103
Sophie MONNIER, Droit de la culture, éd. Lextenso, Gualino, 2009, p. 17
36
Cette position repose sur l’interprétation de la Constitution (Préambule
inclus), produite par l’organe juridictionnel chargé du contrôle abstrait et a posteriori
de la constitutionnalité des lois - le Conseil constitutionnel -, et qui aurait permis de
« construire » le fondement de la protection des droits fondamentaux dans le système
français. La phrase du Professeur Luchaire, ancien membre du Conseil
constitutionnel, confirme cette position : « la Constitution de 1958 organise l’État et
en répartit les pouvoirs beaucoup qu’elle ne définit les droits et libertés de la personne
humaine ; mais ses articles imposent aux organes de l’État des responsabilités et des
devoirs qui, ou bien supposent ces droits et libertés, ou bien au contraire conduisent à
les limiter (…) »104. Cette formule représente l’interprétation de la Constitution qui est
très généralement admise dans la doctrine française.
37
une compétence propre de consacrer des normes constitutionnelles, cela revient à
admettre que l’ordre juridique français repose sur une norme fondamentale
partiellement indéterminée. En conséquence, une telle conclusion se reposant sur un
tel argument d’autorité, délaisse le travail d’identification de l’objet étudié.
Enfin, une telle proposition de droit de la doctrine est critiquable si l’on adopte
une méthode d’interprétation originaire, en replaçant la norme à interpréter dans son
contexte. Si on reprend alors les travaux préparatoires de la rédaction du Préambule, il
apparaît que, d’une part, la question de sa valeur juridique ne fut pas l’objet principal
des discussions, et que, d’autre part, lorsque ce fut le cas, les avis étaient relativement
convergents. En effet, il apparaissait clair que ce texte était dénué de force juridique,
107
Voir notamment, Alf ROSS, op. cit. ; Michel TROPER, La théorie du droit, le droit, l’État, PUF
(collection Léviathan), 2001, « Réplique à Otto Pfersmann », RFDC, n° 50, 2002 p. 335-353
108
Didier BLANC, « Les changements de l’État de droit : illustration française des quatre saisons du
contrôle de constitutionnalité des lois », Currentul Juridic, Târgu Mureş, 2010(2), p. 19. Voir aussi sur
ce point l’analyse plus politique Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit constitution : un démo-
despotisme, Harmattan, 2008. Pour analyse ontologique de cette question, voir notamment Otto
PFERSMANN, « Contre le néo-réalisme juridique. Pour un débat sur l’interprétation », RFDC, n°50,
2002(2), pp. 279 à 334.
38
comme le montre notamment cette allocution du député et conseiller d’État Lionel de
Tinguy du Pouet prononcé durant ces travaux : « (a)u lieu d’un Déclaration des droits
ayant force obligatoire, d’une Déclaration enserrant l’activité du législateur sous le
contrôle du peuple, il y aura seulement une sorte de chapeau rappelant les règles
générales de notre cité. (…) On peut condenser sa pensée, on peut chercher une
expression plus serrée puisqu’il ne s’agit pas d’une expression juridique en forme
qu’un jour un juge serait en mesure d’appliquer. »109
109
Comptes rendus analytiques de la commission de la deuxième Assemblée nationale, 1946
110
On notera simplement qu’elles ont été introduites dans l’ordre juridique français par une procédure
de production normative non prévue par la Constitution
111
Sur ce point voir Otto PFERSMANN, « Arguments ontologiques et argumentation juridique », in :
Pierre LIVET (dir.), L’argumentation. Droit, philosophie et sciences sociales, Les Presses de
l’Université de Laval, L’Harmattan, collection Dikè, 2000, p. 109 : « Un système normatif est
globalement efficace lorsque les normes qui le composent sont, globalement, respectées au delà d’un
certain seuil de pertinence, si les obligations qu’elles imposent sont en général plutôt respectées que
non respectées quel que soit le respect concret dont bénéficie telle ou telle norme en particulier ».
39
Paragraphe 2: L’impossible matérialité d’un droit
fondamental d’accès à la culture
Un droit fondamental d’accès à la culture signifierait dès lors que les organes
créateurs de normes, y compris le législateur, auraient certaines obligations de fournir
les moyens nécessaires pour garantir un accès à la culture. De cette affirmation, une
difficulté pratique se pose à nous : qu’est-ce qu’un droit fondamental à la culture
impliquerait concrètement ? Un jugement de valeur a priori nous amènerait
éventuellement à douter que le droit d’accès à la culture puisse bénéficier d’un même
niveau de protection qu’un droit à la présomption d’innocence ou un droit à la liberté
d’expression par exemple. Mais, outre ce raisonnement purement intuitif, on peut
remarquer qu’une difficulté majeure à la concrétisation de ce droit réside souvent
dans le caractère descriptif des énoncés y afférents, notamment dû aux caractères par
essence très généraux des droits fondamentaux et du concept de culture.
Pour Hans Kelsen, « un énoncé sur une norme, qui est une proposition qui
énonce l’existence d’une norme, la validité d’une norme, doit nécessairement être une
proposition normative, et non pas une proposition d’existence, c’est-à-dire qu’elle ne
peut pas être une proposition qui énonce l’existence d’un fait »112. Analysons alors à
la lumière de ces précisions le contenu113 de l’alinéa 13 du Préambule de 1946, qui
selon certains « consacrerait expressément »114 un droit fondamental d’accès à la
culture115 :
112
Hans KELSEN, Allgemeine Theorie der Normen, 1979 (trad. Olivier Beaud et Fabrice Malkani,
Théorie générale des normes, PUF, coll. Léviathan, 1996, p. 199)
113
Notons ici qu’il s’agit d’une « analyse contenu » du Préambule, que nous intéresserons pas ici aux
deux autres types d’analyse dégagés par le Professeur Chevallier, à savoir l’ « analyse politique » et
l’ « analyse généalogique », qui selon nous s’écartent du domaine de recherche des sciences juridiques.
Jacques CHEVALLIER, « Essai d’analyse structurale du Préambule » in : Geneviève KOUBI (dir.), Le
Préambule de la Constitution de 1946. Antinomies juridiques et contradictions politiques, PUF, 1996.
pp. 13-36
114
Sophie MONNIER, Elsa FOREY, op. cit, p. 18
115
Claude Patriat parle quant à lui de « consécration d’un droit de l’Homme fondamental » : Claude
PATRIAT, « Utopique politique culturelle : l’intervention publique dans la culture, entre incantation et
métaphore », in : Bruno CHATON (dir.), Utopies : Entre Droit Et Politique - Études en hommage à
Claude Courvoisier, Éditions de l’Université de Dijon, 2005, pp. 413-424
40
Le sens de cet énoncé nous paraît fortement indéterminable pour plusieurs
raisons :
2) Par ailleurs, un doute subvient sur les actions prescrites. D’un côté, l’organe
« Nation » garantit et d’un autre l’organe « État » doit. Ainsi, il s’agit
d’abord d’un énoncé qui porte sur l’existence d’un fait : l’organe N fait une
chose X ; tandis que la deuxième phrase dispose que l’organe E a le devoir
de faire une chose Y. Ainsi, seule la deuxième occurrence constitue un
énoncé prescriptif, la première étant uniquement descriptive.
41
d’énoncé dans les normes ayant pour objet d’établir une égalité de droit
entre les hommes et les femmes116.
116
Notons néanmoins ici, à titre purement accessoire, que l’inégalité de fait entre les hommes et les
femmes est prima facie plus objectivement déterminable, ou du moins délimitable, que l’inégalité de
fait entre les enfants et les adultes.
117
A noter que le Conseil constitutionnel l’a uniquement fait à propos du droit à l’éducation dans sa
décision n° 2003-471 DC du 24 avril 2003, Assistants d’éducation (JO 2 mai 2003, p. 7641). Toutefois,
certains auteurs ont même émis quelques réserves sur la question de savoir si le Conseil constitutionnel
avait effectivement reconnu l’existence d’un droit fondamental à l’éducation, voir notamment Philippe
RAIMBAULT, « Des ambigüités de la constitutionnalisation du droit de l’éducation », Revue française
de droit constitutionnel, 2003(4), n° 56, pp. 764-772
42
davantage d’une volonté idéologique de le voir exister que d’un raisonnement
scientifique et empirique118.
Une même observation peut être faite à l’égard des textes qui pourraient
hypothétiquement servir de fondement à un droit fondamental d’accès à la culture
dans le système britannique. Dans l’hypothèse où la protection des droits sociaux
fondamentaux serait possible au Royaume-Uni, au sens où une catégorie d’obligations
juridiques pourrait peser sur le législateur, quels seraient les actes sur lesquels le droit
fondamental d’accès à la culture reposerait ? La seule possibilité serait que le Pacte
International des Droits Economiques, Sociaux et Culturels de 1966 (PIDESC), ratifié
le 20 mai 1976, fasse l’objet d’une loi de transposition dans l’ordre juridique
britannique, ce qui n’est actuellement pas le cas en droit positif. L’article 15 .2 de cet
acte dispose :
118
Sur l’exigence de la distinction entre ce qui est (« Is » ou « Sein ») et ce qui doit être (« Ought to
Be » ou « Sollen ») propre à tout travail de connaissance, voir les travaux de David Hume ou la loi dite
« loi de Hume » : David HUME, Traité de la nature humaine, livre III : La morale (trad. Ph. Saltel,
Paris, Flammarion, 1993, p. 65). Pour une analyse des implications de cette « loi » sur la
« scientificité » du travail de la doctrine juridique, voir notamment Roland RICCI, « Le statut
épistémologique des théories juridiques : essai de définition d’une pratique scientifique juridique »,
Droit et Société, 2002(1), n°50, pp. 151-184
119
Le droit de chacun à participer à la vie culturelle énoncé à l’article 15.1 du Pacte
43
Outre les raisons extra-juridiques qui expliqueraient sa non transposition au
Royaume-Uni, comme la manque de « volonté politique » par exemple120, l’analyse
sémantique de ce texte indique font émerger plusieurs éléments en défaveur de la
matérialité du concept de droit fondamental d’accès à la culture. Il s’agit d’abord
d’une disposition relative au « droit de chacun à participer à la vie culturelle », et non
au « droit de chacun (une catégorie générale de personnes) d’accéder à la culture ».
La différence réside précisément dans la détermination de l’objet, la participation
étant d’une part une notion plus subjective que la notion d’accès, et d’autre part, pour
participer à une activité, il faut d’abord pouvoir y accéder. Ainsi, le champ de cet
énoncé est plus large que celui du concept de droit d’accès à la culture.
L’autre élément majeur qui ne nous permet pas de parler d’un droit
fondamental d’accès à la culture est la modalité normative prévue dans cet énoncé. Il
ne s’agit nullement d’une obligation pure de l’État de fournir des biens, à savoir
l’accès à la culture, mais d’une obligation conditionnelle. En effet, ce texte prévoit la
fourniture de certains biens (le maintien, le développement et la diffusion de la
culture), à condition que l’État prenne les mesures pour assurer le plein exercice du
droit de participation, car l’occurrence « les mesures que prendront l’État » ne signifie
pas « l’État doit prendre les mesures ». En d’autres termes, l’énoncé « l’obligation O
pesant sur la personne E existe à condition que E le décide » n’équivaut certainement
pas à l’énoncé « la personne E doit respecter l’obligation O ». Il est par conséquent
difficile d’envisager, d’un point de vue logique, la matérialité du droit d’accès à la
culture sur cette base textuelle, hormis le fait bien sûr qu’il ne s’agisse pas d’une
norme de droit positif britannique.
Nous pouvons dès lors constater que le concept de droit fondamental d’accès à
la culture, s’il n’est pas impossible à envisager in abstracto, un problème de
matérialité survient systématiquement. Si certains énoncés semblent y faire référence,
il n’existe ni dans le système français ni dans le système britannique d’exemples de
concrétisation de ce droit fondamental. Les raisons sont multiples comme nous avons
pu le voir. Il peut s’agir tant d’une impossibilité structurelle comme c’est le cas au
Royaume-Uni qu’une impossibilité de concrétisation en France, si bien qu’il ne nous
120
Voir notamment Roger O’KEEFE, « The "right to take part in cultural life" under Article 15 of the
ICESCR », op. cit.
44
est actuellement pas permis d’identifier un droit fondamental d’accès à la culture dans
les systèmes étudiés.
Il nous faut alors renoncer à identifier un tel droit fondamental, en tant qu’une
permission valide et effective, de rang constitutionnel ou conventionnel, destinée à
une catégorie générale de personnes, et impliquant un ensemble d’obligations à la
charge des organes créateurs de normes, y compris le législateur national, de fournir
des biens déterminés en vue de garantir l’accès à la culture. On peut alors s’interroger
à présent sur les autres niveaux de protection de ce droit - les niveaux inférieurs dans
l’ordre de production normative -, afin d’identifier un droit effectif d’accès à la
culture.
45
Section 1 – Les garanties législatives d’un droit
général d’accès à la culture : tentative d’identification
d’une liberté publique
121
Sur ce point voir la définition d’Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit des libertés
fondamentales, éd. Dalloz 2000, pp. 86-87. Contra, voir Patrick AUVRET et Josiane AVRET-FINCK,
« La complémentarité des systèmes juridictionnels de protection des libertés publiques » in :
Gouverner, administrer, juger. Liber Amicorum Jean Waline, Dalloz, 2002, pp. 403-429
122
Otto PFERSMANN, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », op. cit.,
p. 286
123
Sur ce point voir notamment la thèse de Vanessa BARBÉ, Le rôle du Parlement dans la protection
des droits fondamentaux. Étude comparative : Allemagne, France, Royaume-Uni, LGDJ, 2007
46
constater ainsi que dans le système français, la formulation des normes est à la fois
explicite et très générale, ce qui laisse planer certaines ambiguïtés sur leur existence
effective (Paragraphe 1). Même si le système britannique ne connaît pas de norme
ayant pour objet attitré la « proclamation » d’un droit d’accès à la culture, la doctrine
du public duties admet pourtant l’existence de telles « obligations » pesant sur les
organes infralégislatifs (Paragraphe 2).
Une norme législative est une norme générale et abstraite prise sur le
fondement d’une norme supérieure, à savoir les articles 34 et 38 de la Constitution de
1958 en France, ou le principe de souveraineté parlementaire au Royaume-Uni. Sa
création peut être répartie à deux niveaux comme l’indique Hans Kelsen, soit « en
principe » par un organe désigné comme « un parlement élu par le peuple », soit, « en
cas de circonstances exceptionnelles », par « une autorité administrative »124. Dans le
premier cas, on parle de « loi », dans le deuxième d’ « ordonnance »125, mais dans les
deux cas, il s’agit de norme de rang législatif, donc de même valeur. Le concept
d’ordonnance dans le système britannique est dénommé « secondary legislation », ou
« subordinate legislation » dont le cadre est délimité par le Statutory Instruments Act
1946. En France, on trouve la dénomination d’ « ordonnance » au sens donné par
l’article 38 de la Constitution française de 1958. Dans les deux systèmes, on peut
noter une similarité quant au régime applicable à ces ordonnances, elles doivent dans
tous les cas être autorisées par le Parlement. À cet égard, le terme de « compétence
législative déléguée » nous semble plus adapté que celui d’ « ordonnance », par
conséquent c’est celui que nous privilégierons pour caractériser le concept défini par
Kelsen.
124
Hans KELSEN, Reine Rechtslehre, 2nd ed, 1960 (trad. par Max Knight, Pure theory of law,
University of California Press, 1978, p. 229)
125
Idem
47
En France, hormis l’alinéa 13 du Préambule de 1946, il y a un autre texte qui
mentionne un droit général relatif à l’accès à la culture : la loi n°98-657 du 29 juillet
1998 dite « loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ». Ainsi, l’article
140 de cette norme dispose en son premier paragraphe :
Il convient alors d’analyser le champ dans lequel s’inscrit ce droit d’égal accès
à la culture au regard de l’article 140. Au même titre que, respectivement, la
48
« pratique sportive », les « vacances » et les « loisirs », ce droit serait un « objectif
national » et serait garant de « l’exercice effectif de la citoyenneté ». L’analyse
sémantique de ce seul énoncé est quelque peu sibylline. En effet, dans quelle mesure
peut-on envisager de déterminer objectivement le sens de la notion de « citoyenneté »
ou encore celle d’« objectif national » ? La lecture du paragraphe suivant, du même
article, apporte du moins quelques éléments de réponse sur la signification du premier
paragraphe :
Le mécanisme prévu par ladite disposition pour « lutter contre les exclusions »
tend à réduire les inégalités de fait126 via la production de normes inégalitaires par les
organes administratifs, selon des critères socio-économiques et géographiques non
précisés ici qui constituent la notion de « zone défavorisée ». Ainsi, les activités
culturelles seront développées en priorité dans ces zones afin de poursuivre un
objectif global de réduction des inégalités. La question de la conformité de cette
disposition peut se poser à l’égard du principe d’égalité reconnu par l’article 13 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui dispose que la
répartition des deniers publics doit être égale, en tenant compte toutefois des
« facultés » des citoyens. Certains auteurs interprètent cette disposition comme
admettant la possibilité d’un mécanisme qui mettrait en œuvre une inégalité de droits
pour réduire des inégalités de fait en droit positif français, souvent appelé
« discrimination positive »127. Cette position repose sur l’interprétation produite par le
Conseil constitutionnel de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
126
Il est assez difficile ici d’entrevoir que la conception du principe d’égalité soit celle de l’égalité de
droit dans la mesure où l’objet même de la loi est la réduction des inégalités de fait. Pour une analyse
conceptuelle du principe d’égalité, voir notamment Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la
Constitution », Revue de droit public, 1928, p. 51. Pour une analyse de la conception du principe
d’égalité en droit constitutionnel français, voir notamment François LUCHAIRE, « Un Janus
constitutionnel : l’égalité », Revue du droit public, 1986, pp. 1229-1274 ; Ferdinand MÉLIN-
SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
Economica Presses Universitaires d’Aix-Marseille, coll. « Droit public positif », 1999
127
Sur ce point voir Anne LEVADE, « Discrimination positive et principe d’égalité en droit français »,
Pouvoirs, 2004(4), n°111, pp. 55-71 ; Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, « La conception français
des discriminations positives et ses répercussions sur les droits sociaux fondamentaux », in : J.
ILIOPOULIS-STRANGAS et T. ROUX (dir.), Perspectives nationales et internationales des droits
sociaux, ANT.N. Sakkoulas et Bruylant, 2008
49
notamment celle produite à l’occasion du contrôle de la loi de 1998 que nous étudions
ici128, mais aussi sur de considérations purement naturalistes.129
128
CC 98-403 DC, 29 juillet 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, cons. 8 :
« Considérant que l’égalité devant la loi est une exigence de valeur constitutionnelle ; en particulier,
aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Pour l’entretien de
la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable.
Elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés » ; que, cependant, le
principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et
l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui
l’établit : que, si le principe énoncé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
n’interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges
particulières, en vue notamment d’améliorer les conditions de vie d’autres catégories de personnes, il
ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques »
129
Voir notamment Anne LEVADE, op. cit., pp. 69-70 : « (L)e principe d’égalité, initialement conçu
comme une donnée inhérente à la nature humaine, s’est insensiblement transformé en un modèle à
conforter et, dans certains cas, en un objet de conquête ».
50
« L’État, les collectivités territoriales, les organismes
de protection sociale, les entreprises et les associations
contribuent à la réalisation de cet objectif. Ils peuvent
mettre en œuvre des programmes d’action concertés
pour l’accès aux pratiques artistiques et culturelles.
En somme, si le droit à l’égal accès aux activités culturelles possède l’une des
propriétés constitutives d’une liberté publique, à savoir la protection de rang législatif
de cette permission d’agir, il demeure que quelques doutes subsistent, au terme de
l’analyse de la loi n°98-657, sur l’existence d’obligations juridiques à la charge des
organes créateurs de normes, et par conséquent sur la question de la « justiciabilité »
130
Néanmoins ce type relation a une portée juridique relativement indéterminée, s’agit-il d’une relation
contractuelle ou d’un simple gentlemen agreement ? Sur des « contrats de plan » en droit français, voir
notamment les doutes exprimés sur leur nature juridique dans la doctrine administrativiste : Jean-David
DREYFUS, « Actualité des contrats entre personnes publiques », AJDA, 2000, p. 575 et s.; Jean
WALINE, « Les contrats entre personnes publiques », AJDA, 2006, p. 229 et s.
131
Nous reviendrions sur la question de la juridicité des « objectifs », et en particulier des « objectifs à
valeur constitutionnel » en droit français. On peut néanmoins mentionner dès à présent l’analyse sur ce
point de Thomas DUBUT, « Le juge constitutionnel et les concepts. Réflexions à propos des
« exigences constitutionnelles », RFDC, 2009(4), n°80, pp. 749-764
51
de cette liberté publique apparente. À cet égard, on peut dès lors s’accorder sur ce
point avec les conclusions tirées par le Professeur Frier de sa propre analyse des
normes générales et abstraites relatives au droit d’accès à la culture lato sensu : « Les
compétences obligatoires de l’État semblent en nombre assez réduit. Comme on l’a
vu, la disposition du Préambule n’a que peu d’incidences positives, et il n’y pas
d’obligation pour l’État de mener une politique de grands équipements culturels, de
développement de formations prestigieuses de théâtre ou de musique, de conduire une
politique de soutien au cinéma, ou de façon générale de lancer des actions précises de
diffusion culturelle »132.
132
Pierre-Laurent FRIER, « La répartition actuelle des compétences entre l’État et le pouvoir local »,
AJDA, numéro spécial « Culture et service public », 20 septembre 2000, p.60
133
Andrew J. HARDING, Public duties and Public Law, Clarendon Press, Oxford, 1989, p. 5
134
Ibid, pp. 50-63
52
résiduelle135. Par conséquent, la reconnaissance par les statutes d’un droit qui
garantirait un accès généralisé aux activités culturelles est une tâche qui s’avère ardue,
voire chimérique.
Parmi les partisans de cette thèse, le Professeur Macklem indique selon lui la
distinction traditionnelle entre « devoirs positif » (positive duties) et « devoirs
négatif » (négative duties) est « peut être vraie en pratique mais certainement pas en
principe »137, car la réalisation de certains droits négatifs implique pas uniquement des
devoirs négatifs mais aussi des devoirs positifs, c’est-à-dire la fourniture d’un bien. Il
prend à cet égard l’exemple de la liberté d’expression, « qui est certainement la plus
fondamentale de nos libertés publiques »138 dit-il. Selon lui, cette liberté implique
certes un devoir pour les organes créateurs de normes de ne pas utiliser la censure,
mais également le devoir de fournir des bibliothèques et d’autres sources
d’informations, ce devoir étant aussi « nécessaire en vue d’assurer le plein exercice de
cette liberté »139.
Le problème d’une telle conception est qu’elle repose sur une argumentation
non scientifique et a fortiori sur des considérations naturalistes. En effet, l’auteur ne
135
Pour une analyse de cette structure, voir notamment Steve FOSTER, Human Rights & Civil
Liberties, ed. Pearson Education, 2008, p. 11 et s.
136
CEDH, 24 juin 1993, affaire Schuler-Zgraggen c. Suisse, Série A 263
137
Timothy MACKLEM, « Entrenching bill of rights », Oxford Journal of Legal Studies, vol. 26(1),
2006, p. 116
138
Idem
139
Idem
53
fournit aucune preuve empirique dans son article lorsqu’il déclare que certains récents
bills of rights, contenant des droits économiques, sociaux et culturels « sont compris
comme faisant émerger des devoirs positifs à ceux qu’ils lient. »140 Par ailleurs, une
telle position ne peut pas se justifier par une analyse stricte du droit positif : aucune
loi portant sur la reconnaissance de libertés publiques exige explicitement, en
contrepartie, la fourniture d’un bien par les organes étatiques ou décentralisés. En
somme, la thèse selon laquelle certains droits civils et politiques de rang législatif au
Royaume-Uni impliqueraient l’existence de droits économiques, sociaux et culturels
est empiriquement invérifiable, et donc sans pertinence pour l’identification d’une
liberté publique propre à l’accès à la culture. Il s’agit en l’occurrence d’une utilisation
inappropriée de la doctrine des public duties.
54
représentations théâtrales ou musicales. Toutefois, l’exemple le plus concret de
libertés publiques culturelles sectorielles, est celui des normes législatives qui
garantissent l’accès gratuit à une catégorie déterminée de musées que l’on peut
identifier dans les deux systèmes étudiés.
De cet énoncé, on peut ainsi identifier une liberté publique relative au droit
d’accès à la culture, dans la mesure où les organes créateurs de normes
infralégislatives (les « organes administratifs ») chargés de la gestion des musées ont
142
Le contenu de ces collections variant d’un organe à un autre aux termes de la loi.
55
une obligation juridique de garantir, d’une part, l’accès général du « public » aux
œuvres, et, d’autre part, un accès spécifique aux chercheurs et aux étudiants. Dès lors,
une personne appartenant à la catégorie générale du « public » ou à la catégorie
spécifique des chercheurs et des étudiants peut faire valoir son droit d’accès aux
musées mentionnés.
Cette liberté publique a été renforcée par des normes législatives qui ont
permis aux organes infralégislatifs d’imposer la gratuité d’accès aux musées
nationaux, ou plus exactement aux musées nationaux subventionnés, à partir de 2001.
Historiquement, la gratuité est toutefois plus ancienne. Le roi George V mis en place
en 1929 une Commission Royale présidée par le Vicomte D’Abernon à l’issue de
laquelle fut proposée l’abolition des droits d’entrées dès que possible dans les
musées143. Cependant cette proposition ne fit pas l’objet d’une transcription
normative. Ainsi la gratuité ne reposait guère sur des normes législatives, mais plutôt
sur des normes produites par les organes administratifs de direction de la plupart des
musées nationaux. Dans les années 1980, le gouvernement britannique incitait même
ces institutions à établir une entrée payante144. Après quelques étapes vers une gratuité
absolue145146, celle-ci fut finalement mise en place par une disposition législative : le
Finance Act 2001 (c. 9).
143
« Museums and Galleries Royal Commission 1927-1930 », Office Holders in Modern Britain :
Volume 10 : Officials of Oryals Commissions of Inquiry 1870-1939 (1995), pp. 69-79
144
Pour un bref résumé historique de la gratuité, voir notamment dans le mémorandum du Department
for Culture, Media and Sport, « Free access to DCMS-Sponsorised museums and galleries », 23
October 2002 in : National Museums and Galleries : Funding And Free Admission, House of
Commons, Culturel, Media and Sport Committee, First Report of Session 2002-03, HC 85, ev. 30-31
145
Gratuité pour les enfants à partir du 1er avril 1999. Sur ce point, voir la liste de ces décisions dans le
rapport ministériel du Department of Culture, Media and Sport, A New Cultural Framework, 24 juillet
1998 : www.culture.gov.uk/images/puvlications/dept_spending_review.pdf
146
Gratuité pour les personnes âgées de plus de soixante années à partir du 1er avril 2000.
147
Department for Culture, Media and Sport, « Free access to DCMS-Sponsorised museums and
galleries », op. cit., ev. 31
56
gratuit »148. Par conséquent, la loi certes ne prévoit pas explicitement la gratuité
absolue dans tous les musées nationaux subventionnés britanniques, mais en permet
directement la mise en place en modifiant une norme qui la rendait contraignante. On
peut dès lors identifier une telle protection du droit d’accès gratuit à ces musées à
partir du raisonnement suivant :
148
L’énoncé original : « The amount to be refunded on a claim by the body Under this section shall be
such amount as remains after deducing VAT related to the claim such proportion of that VAT as
appears to the Commissioner to be attribuable otherwise than to free admissions »
149
À l’exception du Victoria and Albert Hall qui devait appliquer cette mesure à compter du 22
novembre 2001.
57
Mais un doute demeure sur le titulaire effectif de cette norme. En effet, dans
l’hypothèse où le gouvernement déciderait de retirer un musée de la liste des musées
bénéficiant du recouvrement de la TVA en amont prévu par la loi de 2001, sur quel
fondement une personne relevant de la catégorie du « public » pourrait réclamer
l’annulation de cette norme ? La réponse en pratique ne s’est pas encore posée devant
les tribunaux britanniques, mais nous pouvons stipuler que n’existant pas de droit
général d’accès à la culture garanti par le législateur, le juge ne pourra pas admettre la
recevabilité de cette requête, le requérant n’étant pas directement concerné par la
disposition législative visée. Ainsi, il serait davantage envisageable que le juge
admette la recevabilité de la requête qui serait formée par le musée lui-même, étant
directement visé par cette mesure d’éviction prise par le gouvernement. La seule
solution qui pourrait, en dernier lieu, permettre l’annulation de la norme
infralégislative litigieuse serait l’utilisation de la doctrine de « legitimate
expections »150 ou bien celle de « Wednesbury unreasonableness »151, par le juge, si
celui-ci estimait que le requérant avait un « intérêt » dans le maintien de cette
permission issue d’une « pratique suffisamment longue » ou que cette interdiction ne
résistait pas au « test of irrationality ». Il est pourtant difficile de dégager sur cette
seule spéculation que le public d’un musée au Royaume-Uni est titulaire du droit
garanti par le Finance Act 2001.
Par conséquent, il est possible d’établir que les seuls titulaires des droits
accordés par cette loi sont logiquement les musées Des doutes demeurent sur ce point
à propos de leur public. L’idée même que cette dernière catégorie de personnes serait
véritablement bénéficiaire de cette norme - la permission pour les musés nationaux de
demander le recouvrement de la TVA, conformément prévu à la section 33 du VAT
Act 1994 -, tout en ayant supprimer leurs droits d’entrée n’a pas de sens logique en
soi. En effet, lorsqu’une norme N prescrit à une catégorie de personnes M (musées)
une permission d’agir, elle ne prescrit pas cette permission d’agir à une catégorie de
personnes P (public), même si l’action de M permise par N permet à P de bénéficier
d’une permission de fait (l’accès gratuit aux musées). La section 98 du Finance Act ne
vise donc que les musées, et non leur public. Nous ne sommes donc pas en mesure
150
Voir notamment la décision R v North East Devon Health Authority, ex parte Coughlan [2000] All
ER 850
151
Voir Associated Provincial Picture Houses v Wednesbury Corporation [1948] 1 KB 223 ; voir aussi
Council of Civil Service Unions v Minister for the Civil Service [1985] AC 374
58
d’établir qu’il s’agit ici d’une liberté publique, dans la mesure où cette norme, certes
de rang législatif, n’est pas destinée à une catégorie suffisamment large de personnes.
En revanche, il s’agit bien d’une permission au profit des organes de direction des
musées qui s’impose aux organes infralégislatifs.
Dans le système français, l’accès gratuit aux musées est plus récent152, en dépit
de nombreux textes qui semblent « proclamer » l’accès généralisé à la culture, comme
nous avons pu le voir précédemment. Avant d’examiner la question de la gratuité qui
soulève certaines difficultés (notamment pratiques), il convient de préciser quelle est
la définition de l’institution muséale en droit positif français.
152
Ce n’est pas tout à fait exact d’un point de vue historique, car un principe de gratuité générale des
musées fut posé sous la Révolution, puis retiré en 1922. Pour une analyse historique de la gratuité dans
les musées français, voir notamment Anne GOMBAULT, « La gratuité dans les musées », in : Les
institutions culturelles au plus près du public, Musée du Louvre, la Documentation française, 2002, p.
63 et s.
59
d) Contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche
ainsi qu’à leur diffusion. »
Mais un tel constat est démenti par une analyse rigoureuse des dispositions
relatives à l’exonération totale ou partielle des droits d’entrée des musées nationaux.
La première forme de droit d’accès gratuit aux musées nationaux fut introduite en
2002. L’article 7 de la loi n°2002-5 relative aux « musées de France » dispose ainsi
que :
« (l)es droits d’entrée des musées de France sont fixés
de manière à favoriser l’accès de ces musées au public
le plus large. Dans les musées de France relevant de
l’État, les mineurs de dix-huit ans sont exonérés du
droit d’entrée donnant accès aux espaces de
présentation des collections permanentes. »
Il est dès lors possible de relever à nouveau ici une reconnaissance solennelle
d’un droit général d’accès aux musées, outre la formulation « maladroite » de la
153
Section 2 du Museums and Galleries Act 1992
60
deuxième phrase154. Pourtant, cette disposition a été ultérieurement modifiée par
l’ordonnance n°2004-178 du 20 février 2004 portant codification du Code du
patrimoine. Cette disposition a ainsi exclue la deuxième phrase de l’article 7 de la loi
de 2002 garantissant la gratuité pour « les mineurs de dix-huit ans » (sic) de la partie
législative du Code du patrimoine. Par conséquent, la gratuité d’accès aux musées
nationaux ne fut garantie par une norme de rang législatif que pendant deux ans. La
deuxième phrase fut, à compter de la publication de l’ordonnance de 2004, rattachée à
la partie réglementaire du Code du patrimoine155, qui n’a à ce titre toujours pas été
élaboré et codifié à ce jour, comme a pu le déplorer la Commission supérieure de
codification dans de codification dans son rapport annuel de l’année 2007156.
Cette politique d’exonération des droits d’entrée aux musées nationaux pour
une catégorie large de personnes s’est poursuivie dans les années qui ont suivies.
Dans les faits, la gratuité totale pour les personnes physiques âgées de moins de vingt-
cinq ans a été mise en place à compter du 4 avril 2009. Pourtant, nous avons été
forcés de constater lors de nos recherches que ces « mesures »157 n’avaient à ce jour
point fait l’objet d’aucune norme publiée au Journal Officiel de la République
française158. Se pose ainsi la question élémentaire à toute étude normative de
l’existence même de ces « mesures » au sein du système juridique français. À défauts
d’informations, nous n’intégrerons donc pas ici ces éléments au sein de notre travail
d’identification des normes relatives à l’accès à la culture, bien que la gratuité pour
cette catégorie de personnes ait été mise en œuvre en pratique par les musées
nationaux.
154
En effet, la gratuité concernerait « les mineurs de dix-huit ans ». Or le sens de cette occurrence est
obscur, dans la mesure où elle s’adresse aux mineurs âgés de dix-huit ans, or en France l’âge de la
majorité est fixé à 18 ans. De plus, cela signifierait que seuls les mineurs de ce âge soit exonérés du
droit d’entrée, ainsi un personne (véritablement !) mineure, âgée de 16 ans ne bénéficierait de cette
exonération. Il est probable qu’il s’agisse là d’une faute dactylographique, et que la formulation
originalement souhaitée eût été « les mineurs de moins de dix-huit ans », même s’il aurait suffit
d’indiquer seulement « les mineurs » dans la mesure où l’âge de la majorité peut être une donnée
amenée à être modifier. Cette digression est toutefois purement hypothétique.
155
Article 8-I-11°-c) de l’ordonnance n°2004-178 du 20 février 2004
156
Dix-huitième rapport annuel, La Documentation Française, 2007, ISBN 978-2-076389-1, p. 8
157
C’est le terme employé dans le communiqué de presse du Ministère de la Culture et de la
Communication du 1er avril 2009
158
Nos recherches sur ce point auprès du site officiel de publication des documents juridiques français
(www.legifrance.gouv.fr), mais également auprès du service de la documentation du Ministère de la
Culture et de la Communication se sont avérées infructueuses.
61
Pour résumer, le droit spécifique d’accès aux musées bénéficie d’une
protection législative mitigée dans les deux systèmes étudiés. Au Royaume-Uni
comme en France, il est possible d’établir que le droit d’accès aux musées nationaux
est une liberté publique. En revanche, concernant la gratuité, cette mesure - aussi
symbolique soit-elle - ne bénéficie pas d’une protection législative dans le système
britannique, car la loi a certes indirectement permis une gratuité de fait, il revient à la
compétence du gouvernement de fixer la liste des musées concernés par cette
permission. En France, l’exonération des droits d’entrée aux musées nationaux est
quant à elle inexistante dans l’ordre juridique159.
Conclusion de la partie I
159
En raison de l’absence de toute forme textuelle publiée que nous avons pu constater.
62
du système juridique français admet l’existence de droits fondamentaux. Celle des
droits sociaux fondamentaux en particulier est peu concevable par analyse strictement
positiviste. Ainsi, le droit fondamental d’accès à la culture n’existe pas, dans la
mesure où les normes y afférents (l’alinéa 13 du Préambule de 1946) ne repose pas
sur une norme juridique, une analyse « normativiste » nous amenant à conclure que
cette norme est invalide, alors qu‘une analyse « réaliste » de l’alinéa 13 démontre
pour sa part que le critère d’efficacité fait défaut.
Notre étude s’est donc intéressée au niveau de protection inférieur dans l’ordre
de production normative : le rang législatif. La tâche était donc d’identifier la
transcription effective du concept de liberté publique d’accès à la culture dans les
deux systèmes. Cette fois-ci, une certaine convergence des systèmes a pu être
observée sur deux points : il n’existe pas de droit général d’accès à la culture garanti
par de normes législatives, en revanche une liberté publique d’accéder aux musées
dits « nationaux » a pu être identifiée. De ce dernier constat, nous avons dès lors tenté
de discerner les contours de cette liberté, et particulièrement à l’aune des mesures de
gratuité des musées nationaux instaurées en France et au Royaume-Uni. Ces
« mesures » aussi bénéfiques ont-elles être pu décrites d’un point de vue sociologique,
se sont avérées être, sur la plan juridique, d’un faible niveau de protection dans le
système britannique, voire même inexistante dans le système français. Par
conséquent, nul ne peut invoquer un droit d’accès gratuit dans ces musées à l’encontre
d’une norme infralégislatives le restreignant ou le supprimant.
63
de normes générales, ou au contraire exige l’exécution d’une série d’obligations
juridiques pesant sur ces organes.
PARTIE II – LA SIGNIFICATION DU
CONCEPT : LA REPARTITION DES
COMPETENCES EN MATIERE D’ACCES A
LA CULTURE
Gustave Courbet160
160
Correspondance de Courbet, éd Flammarion, Paris 1992
64
Pontier161. Nous discuterons ici de ces propos, mais d’un point de vue strictement
juridique. Il ne relèvera ainsi pas de notre tâche d’évaluer la « légitimité » de l’action
des organes, au sens où cette action devrait être justifiée, une justification « étant un
jugement de valeur, qui a toujours un caractère subjectif et relève de l’éthique et de la
politique. »162 En revanche, nous tenterons de dégager quelles sont les obligations
juridiques relatives à cette action politique. Autrement dit, nous tacherons de savoir
s’il existe des obligations d’organiser l’accès à la culture d’une certaine façon, ou
alors s’agit-il de simples objectifs de politique générale sans valeur juridique.
Il sera donc nécessaire d’étudier une telle structuration d’un point de vue
organique, au sens où l’ « action de l’État » sera entendue ici comme la création et
l’application des normes par des organes. On peut à cet égard distinguer deux aspects
de cette structure de répartition des compétences : la structure verticale d’une part, et
la structure horizontale d’autre part. Par conséquent, il conviendra d’abord d’analyser
les obligations d’organiser l’accès à la culture selon une organisation centralisée ou
localisée des compétences (Chapitre 1). Une telle analyse sera ensuite complétée par
celle de la répartition permise des obligations de mettre en œuvre cet accès entre les
organes créateurs de normes « traditionnels » et les personnes privées, dotées de
compétences normatives déléguées (Chapitre 2).
161
Jean-Marie PONTIER, « Le service public culturel existe-t-il ? », op. cit., p. 20
162
Hans KELSEN, Théorie pure du droit, (trad. par Henri Thévenaz), op. cit., p. 176
163
Sur cette distinction : Ibid, pp. 169-176
65
Chapitre 1 – Les obligations relatives à la
répartition verticale des compétences : la question de
la décentralisation en matière d’accès à la culture
Notre analyse sera fondée sur la prémisse selon laquelle tout ordre juridique
est plus ou moins (dé)centralisé. Ce qui veut dire qu’il existe des organes centraux,
mais aussi des organes spécialisés, ou localisés, chargés de la création et de
l’application de normes juridiques. En ce sens, on peut à nouveau joindre le
fondement de notre raisonnement à la théorie pure du droit proposée par Kelsen pour
qui une « centralisation ne saurait être complète, car dans certains domaines la
création et l’application du droit resteront toujours décentralisées »164, ainsi un ordre
juridique est toujours « relativement centralisé ».
164
Ibid, p. 172
66
Dabin, la décentralisation n’est qu’une forme « d’aménagement du pouvoir
politique » constituée de « zones distinctes d’interventions, dont la charge serait
abandonnée à des autorités distinctes, revêtues d’un caractère public, quoique toujours
subordonnées à la puissance publique. »165 Cette définition du concept de
décentralisation ne peut être celle que nous allons adopter pour effectuer notre
comparaison, étant trop imprécise. Si l’idée qu’il y a un transfert de compétences d’un
organe supérieur à organe inférieur subordonné peut être déduite de ces propos, les
termes employés ne peuvent convenir compte tenu de la difficulté de déterminer leur
signification. En effet, le terme d’« autorité publique», et surtout celui de « puissance
publique » possède certainement une signification intuitive pour un juriste français ou
allemand, mais à l’aune d’une analyse comparative, ils sont trop spécifiquement
connotés à un système juridique déterminé, et par conséquent inappropriés. Nous
utiliserons donc le concept d’organe doté de compétence normative, et nous nous ne
parlerons guère de « zone distinctes d’interventions » mais de niveaux d’entités
inférieures ou supérieures dans un ordre juridique hiérarchisé.
165
Jean DABIN, Doctrine générale de l’État. Éléments de philosophie politique, éd. Bruylant, 1939, p.
303
166
Sur ce point, voir l’analyse de Jean-Philippe DEROSIER, « Dialectique
centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité »,
Revue internationale de droit comparé (RIDC), 2007(1), pp. 107-140, et tout spécialement pp. 109-110
167
Idem
168
Sur ce point, voir notamment Charles EISENMANN, Centralisation et décentralisation : esquisse
d’une théorie générale, LGDJ, 1948 ; Otto PFERSMANN, « Hans Kelsen et la théorie de la
centralisation et de la décentralisation : le cas de la supranationalité », Revue d’Allemagne et des pays
de langue allemande, 1996, p. 178 et s.
67
De cette prémisse, il faut enfin distinguer les différentes catégories de
compétences. On reconnaît généralement d’abord une distinction entre la compétence
générale et la compétence d’attributions, puis, au sein de cette dernière compétence,
une sous-distinction entre compétences exclusives et compétences partagées. Nous
dénommerons pour les besoins de cette étude l’entité supérieure par « gouvernement
central » ou « organe central », et les entités inférieures par « collectivités locales » ou
« organes décentralisées ».
68
distinguer ces deux notions, si l’on recherche à définir quelles sont les obligations de
fournir certains biens en matière d’accès à la culture ? C’est une question que cette loi
aborde brièvement en tranchant : les compétences d’organisation des « musées » et
des « galeries » seront partagées entre le county et le district.
Outre cette question d’interprétation, il est à noter que cette loi a reconnu dans
un même temps l’application du principe de subsidiarité pour la détermination des
compétences des collectivités locales. Ainsi, la section 111 du Local Government Act
1972 dispose que ces entités ont « le pouvoir de faire toute chose (impliquant ou non
des dépenses, des emprunts ou des prêts d'argent ou l'acquisition ou la cession de
biens ou de droits) en vue de faciliter (…) l'accomplissement de l'un de leurs
fonctions », sous réserve bien sûr de respecter les différentes délimitations définies
par cette loi ou tout autre norme législative172. On voit que cette disposition accorde
donc une compétence très large aux collectivités locales, que certains ont même été
amenés à qualifier d’ « élastique »173.
172
Limitation systématiquement exigée par le juge, ce qui délimite assez clairement la détermination de
la signification concrète de cette diposition. Voir notamment sur Regina v Richmond Upon Thames
Borough Council, ex p. McCarthy & Stone (Developments) Ltd [1992] 2 AC 48 ; [1989] UKHL 4 : « A
Local Authority was not able to impose charge for inquiries as to speculative develoments and similar
proposals, or for consultations, and pre-planning advice. There was no statutory authority for such a
charge, and it was therefore unlawful and ultra vires » (Lord Lowry).
173
Barry HOUGHT, « Local authorities as guardians of the public interest », Public Law, 1992, pp.
141
174
William BOGDANOR, Devolution in the United Kingdom, Oxford University Press, 2001, pp. 2-3
175
Ibid, p. 1
69
l’organisation fédérale des pouvoirs en ce sens qu’elle ne divise pas les compétences,
mais les délèguent simplement176.
176
Ibid, p. 3
177
Government of Wales Act 1998 (c.38)
178
Scotland Act 1998 (c.46)
179
Northern Irland Act 1998 (c.48)
180
Section 28 du Scotland Act 1998
181
Elles sont énumérées à la section 29(1).
182
Section 5(6) du Northern Irland Act 1998
183
Anthony W. BRADLEY, Kevin D. EWING, Constitutional and Administrative Law, 12ème éd.,
Longman, 1997, p. 715
70
juridictionnel (judicial review)184. On peut dès lors identifier et hiérarchiser
quantitativement les degrés de compétences du système britannique :
- les « gouvernements locaux », à savoir les counties, les districts et les parishes
qui possèdent des compétences infralégislatives d’attributions exclusives ou
partagées selon les domaines ;
- le Pays de Galles qui possède un organe élu doté d’une compétence
d’attributions exclusives de produire des normes infralégislatives dans certains
domaines définis par la loi. Il s’agit dès lors d’un organe de concrétisation des
normes législatives du Parlement britannique ;
- L’Écosse qui possède un organe élu doté d’une compétence de produire des
normes législatives sous réserve des limitations définies par la loi. Il s’agit
d’une compétence d’attributions exclusives, même si certains prétendent le
contraire en affirmant qu’il s’agit pourtant d’une compétence législative
générale qui conférerait une « importance constitutionnelle manifeste » au
Scotland Act 1998185 ;
- L’Irlande du Nord, enfin, qui possède un organe élu doté d’une compétence
d’attributions exclusives de produire des normes législatives sous réserve des
limitations définies par la loi. Il s’agit du degré de décentralisation le plus
avancée dans la mesure où l’organe peut modifier une loi du législateur
britannique.
Cette répartition nous montre dès lors que l’exercice des compétences
normatives est relativement décentralisé au Royaume-Uni, dans la mesure où au nom
du principe de souveraineté parlementaire, le législateur peut à tout moment
supprimer les compétences des différentes collectivités locales, ce qui a d’ailleurs
amené certains commentateurs à qualifier ces dernières comme de simples « créateurs
de la loi »186. On peut donc dire que certes les obligations d’organisation de l’accès à
la culture peuvent ne pas relever exclusivement de la compétence du gouvernement
central. Toutefois, une décentralisation des compétences dans le domaine de la culture
184
Voir notamment la décision Hazell v Hammersmith and Fulham London Borough Council [1992] 2
AC 1
185
Paul CRAIG, « The courts, devolution and judicial review », Public Law, 1999, p. 289
186
CLRAE (Congress of Local and Regional Authorities in Europe), Recommendation 49 on the
situation of local and regional democracy in the United Kingdom, Council of Europe Publishing, 1998,
section 30.
71
est tout à fait envisageable dans le système britannique actuel, mais sous la réserve
inévitable de la volonté du parlement.
187
Voir notamment Bénédicte FLAMAND-LÉVY, « Nouvelle décentralisation et forme unitaire de
l’État », RFDA, 2004, p. 59 et s.
188
Jean-Marie PONTIER, « L'administration territoriale, le crépuscule de l'uniformité », Revue
administrative, 2001, n° 330, p. 634 et s.
72
certainement pas à dire que la loi doit s’appliquer uniformément, mais plutôt que tous
les citoyens ont les mêmes droits garantis par la loi.
Par ailleurs, une telle analyse confond la question de l’application des normes
à leurs destinataires et la question de la répartition des compétences. Lorsque la
Constitution dispose que l’organisation de la République est décentralisée, elle fixe
une obligation pour le législateur de décentraliser l’ordre juridique. Ainsi, les deux
principes ne peuvent s’opposer, ne portant pas sur la même chose.
73
précise »189. C’est donc au législateur qu’il est revenu de définir quelles étaient les
compétences transférées. On parle souvent des deux « actes »190 de la décentralisation
pour désigner les deux mouvements de lois produites en 1982-1985 et en 2003-2004
qui ont eu pour objet ce transfert de compétences des entités supérieures aux entités
inférieures de l’ordre juridique. À ce titre, la loi du 13 août 2004 opère une nouvelle
répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, notamment
concernant le développement économique, les infrastructures et les réseaux,
l'éducation et la formation professionnelle, la santé et le social, le logement, mais
aussi la culture et le patrimoine comme nous allons le voir.
189
Jean-Louis DUBOUIS, AJDA, 1982, p. 184
190
L’emploi de cette métaphore nous semble toutefois inapproprié, conférant à ces normes un caractère
théâtral, ce qui est un jugement de valeur qui n’a pas sa place dans un étude scientifique. Nous
rejoignons sur ce point le Professeur Marcou : Gérard MARCOU, « Le bilan en demi-teinte de l'Acte
II. Décentraliser plus ou décentraliser mieux ? », RFDA, 2008, p. 295 et s.
74
juridico-institutionnelle, (…) la répartition des attributions entre les différents niveaux
d'administration du territoire en ce domaine »191, et, « dans un sens plus fonctionnel »
elle serait « synonyme de démocratisation dans l'accès à la culture, de participation
active des citoyens à l'élaboration même de la culture »192. Sans aller jusqu’à nous
intéresser au « sens fonctionnel », l’on peut reprendre néanmoins la premier sens
établi pour définir le concept de décentralisation culturelle comme étant l’ensemble
des compétences en matière culturelle transférées par l’entité supérieure (les organes
centraux) à des entités inférieures (les organes locaux).
191
Pierre-Laurent FRIER, op. cit., p. 61
192
Patrick Baleynaud, « La culture, l’oubliée de la décentralisation », RDP, 1991, p. 155
75
Hormis ce point certes déterminant, on retrouve là un indice affirmant la place, même
symbolique, du droit d’accès à la culture en matière de répartition des compétences. Il
est par ailleurs possible d’estimer que cette disposition a été précisée par le décret
n°2002-898 du 15 mai 2002 relatif « aux attributions du ministre de la culture et de la
communication », même si cet acte ne se réfère pas expressément à l’ancien. Voici la
formulation des trois premiers alinéas de son article 1er :
Outre le premier alinéa qui reprend mot à mot une partie du décret de 1959,
celui-ci est suivi de précisions qui éclaircissent la signification de la notion de
« mission » employée. Il est alors davantage concevable d’identifier à ce titre des
permissions d’agir, autrement dit la formulation de compétences générales. Par
conséquent, le domaine du patrimoine culturel ; le domaine de la création artistique et
intellectuelle ; le domaine des enseignements artistiques relèvent des compétences
l’organe infralegislatif central spécialisé. Il est à noter par ailleurs que le troisième
aliéna de cette disposition semble porter spécifiquement sur les rapports entre les
organes centraux et les organes locaux en matière de compétences culturelles.
Néanmoins le sens de cet énoncé en terme d’effets juridiques est assez limité, les
actions prescrites étant « d’encourager les initiatives », de « développer des liens » et
76
« participer à la définition et à la mise en œuvre » des normes de décentralisation. Par
conséquent, l’objet spécifique juridiquement indentifiable de cet énoncé est la simple
reconnaissance d’un partage de compétences en matière de « politiques culturelles »
entre l’État et les collectivités territoriales. Néanmoins, cette carence est palliée par
l’article 6 du même décret qui dispose que « (p)our l'exercice de ses attributions
définies à l'article 1er, le ministre de la culture et de la communication a autorité
[notamment] sur la direction de l'administration générale (…), la direction des
musées de France, la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des
spectacles, la délégation aux arts plastiques, la délégation au développement et à
l'action territoriale, l'inspection générale de l'administration ainsi que (…) sur
l'inspection de la création et des enseignements artistiques ». C’est donc par cette
disposition que l’on peut constater précisément quelles sont les compétences
effectives du ministre en matière d’accès à la culture.
77
attendu la décentralisation pour intervenir dans ce secteur »193. Les compétences
partagées entre ces différentes entités inférieures s’articulent ainsi, au titre la loi
n°2004-809 du 13 août 2004 relative « aux libertés et responsabilités locales », autour
de deux aspects principaux : le patrimoine et les enseignements artistiques.
193
Stephane BRACONNIER, « Politiques culturelles locales françaises et principe communautaire de
libre-concurrence », Revue trimestrielle de droit européen, 1995, p. 771 et s., note 21
194
Article 97
195
Olivia BUI-XUAN, « La décentralisation culturelle. Bilan et perspectives », AJDA, 2007, p. 564
78
Les musées des collectivités territoriales ou de leurs
groupements sont (…) soumis au contrôle scientifique et
technique de l’État (…) »
196
Rappelons que la définition des « musées de France » est contenue à l’article L. 411-1 du Code du
patrimoine, ainsi que leurs missions à l’article suivant.
197
Article L. 442-11 du Code du patrimoine
198
Les missions sont, au titre de l’article L. 441-2 du Code du patrimoine : « Conserver, restaurer,
étudier et enrichir leurs collections ; Rendre leurs collections accessibles au public le plus large ;
Concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de
tous à la culture ; Contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur
diffusion. »
199
Olivia BUI-XUAN, op. cit., p. 564
79
catégories correspondant à leurs missions et à leur rayonnement régional,
départemental, intercommunal ou communal »200.
200
Article L. 216-2 du Code de l’éducation
201
On peut définir, sur le plan matériel, l’« arrêté » en droit français par une norme infralégislative
spécifique et concrète, ce qui le distingue du « décret » qui une norme infralégislative relativement plus
générale et abstraite.
202
Article 1er dudit décret
203
Article 102 de la loi n°2004-809
204
Jean-Marie PONTIER, « La décentralisation culturelle et la loi du 13 août 2004 », RFDA, 2005, p.
702
80
l’entité « région » en matière culturelle l’illustre assez clairement. L’article L. 4433-1
du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que l’organe de
direction de cette entité, à savoir le « conseil régional », « a compétence pour
promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de
la région et l’aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son
identité, dans la respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des
départements et des communes ». Sans analyser de manière détaillée ce catalogue des
domaines de compétences de la région, il est possible de remarquer certaines
spécificités propres à l’organisation des compétences culturelles des régions découlant
de cette disposition aux effets larges. Le législateur a dès lors autorisé les régions à
utiliser deux types de moyens pour mettre en œuvre cette compétence « quasi »
générale conférée par le CGCT. Il y a d’abord le système déjà ancien du
subventionnement des activités culturelles de certaines personnes privées, telles que
des associations. Ce système est toujours permis par la loi, mais il est davantage
limité en raison de diverses dérives de gestion de fait qui ont pu avoir eu lieu en
pratique, mais aussi et surtout, avec les importantes exigences normatives de droit
communautaire relative au respect de la concurrence qui ont pu émerger dès lors205.
Par ailleurs, le décret n° 91-1215 du 28 novembre 1991 a autorisé la constitution de
« groupements d’intérêt public », pouvant réunir tout type de personnes allant des
organes étatiques jusqu’aux personnes privées. Ces groupements permettent,
constitués par convention et pour une durée déterminée, pour créer et gérer des
équipements ou des services en matière culturels.
205
Sur ce point, voir l’article du Professeur Braconnier, op. cit.
206
Stéphane BRACONNIER, op. cit., p. 772
81
Au Royaume-Uni, la structure de répartition des compétences en matière
d’accès à la culture est réputée reposer sur une organisation décentralisée. Jennie Lee,
Baronness Lee of Asheridge, première Minister of the Arts déclarait à ce titre en
1965 : « Le gouvernement espère voir une forte augmentation de l'activité locale et
régionale, tout en maintenant le développement des institutions nationales. Ils sont
convaincus que les intérêts de l'ensemble du pays seront mieux servis de cette
manière »207. Cette structure repose sur un socle idéologique fort selon lequel la
culture doit être séparée de la volonté des organes normatifs quant à son contenu.
L’économiste John Maynard Keynes, premier président de l’Arts Council, remarquait
avec précaution que « (l)a tâche d’un organe officiel n’est pas de donner des leçons ou
de censurer, mais de donner du courage, de la confiance et des opportunités. »208
Or, au-delà de cette idéologie, la réalité juridique est moins sibylline. L’organe
central doté de la compétence infralégislative générale, le Department for Culture,
Media and Sports (DCMS) dispose de compétences comparables à celle du ministre
de la culture français. Cependant, les normes qui créent et définissent les compétences
de cet organe ne comportent pas de dispositions établissant ses « missions »
générales, comme on a pu le relever à maintes reprises dans le système français. Elles
se contentent ainsi d’énumérer objectivement les secteurs dans lesquels ce
207
Cmnd. 2601, A Policy for the Arts: The First Steps, 1965
208
« Art and the State », The Listener, 26 août 1936, p. 31
209
C’est ce que nous avons pour notre part pu constater à l’issue de nos recherches.
82
département intervient. On pourra les synthétiser de la manière suivante : les activités
artistiques, les activités relatives au patrimoine culturel, et notamment des musées210,
mais aussi des activités comme le tourisme ou le sport211.
On peut dès lors observer cette fois-ci une certaine similitude avec les
« missions » générales du ministre de la culture en France, incluant notamment un
210
Voir notamment le Transfer of Functions (Arts, Libraries and National Heritage) Order 1986 (no.
600) (non disponible en version numérique à notre connaissance) et le Transfer of Functions (National
Heritage) Order 1992 (no. 1311)
211
The Secretary of State for Culture, Media and Sport Order 1997 (no. 1744)
212
Voir notamment John S. HARRIS, « Government Patronage of the Arts in Great-Britain »,
University of Chicago Press, 1970, pp. 12-36; Hellmut Wollmann, « Reforming local government and
governance in (seven) European countries. Between convergence and divergence », Local Government
Studies, 2001, pp. 23
213
John S. HARRIS, op cit., p. 319
214
Royal Charter of 1946 (version révisée de 1967)
83
objectif en relation explicite avec l’accès à la culture. Observons à cet égard qu’il
existe aujourd’hui un Arts Council pour l’Angleterre, un pour l’Écosse, un pour le
Pays de Galles et un pour l’Irlande du Nord. On voit ainsi qu’il existe une
dissémination certaine de l’action de ces organes, mais ils restent sous la tutelle du
département ministériel DCMS qui nomme leurs membres et accorde leurs crédits
financiers.
Mais outre cet organe déconcentré, il faut à présent analyser les compétences
des collectivités locales britanniques en matière d’accès à la culture. La première loi
mettant un mécanisme de décentralisation des compétences en la matière est le Local
Gouvernment Act 1948, qui constitue la « pierre fondatrice »215 de l’intervention
locale dans la culture. Néanmoins, cette loi a été presque entièrement amendée par la
suite. À cet égard, le Local Government Act 1972 a permis, comme nous avons le
remarquer précédemment, l’exercice de compétences reposant sur principe de
subsidiarité. Pour Lord Radcliffe-Maud, la section 111 de cette loi qui garantie ce
principe a révélé la « volonté délibérée » du parlement d’ « accroître la liberté
d’action des collectivités territoriales »216. En effet, selon lui, le législateur serait
« malavisé de prescrire comment les councils devrait organiser eux-mêmes le contenu
des arts, même si en temps voulu il convertit les permissions [powers] en obligations
[duties] », le principe de subsidiarité des compétences est donc pour lui « le bon
principe à suivre dans le champ des arts, dans lequel la définition du sujet n’est pas et
où aucun modèle d’administration conviendra à tous les councils »217.
215
John S. HARRIS, op. cit., p. 114
216
Lord REDCLIFFE-MAUD, Support for the Arts in England and Wales, éd. Calouste Gulbenkian
Foundation, 1976, p. 45
217
Ibid, p. 46
218
Op. cit., p. 110 et s.
84
(b) L’association locale constituée pour promouvoir les arts dans ou
autour d’une grande ville or dans une zone d’une taille limitée qui
forme une entité géographique. Il peut s’agir des arts councils de
chaque ville ;
(c) L’association régional à but général organisée pour encourager et
assister les « clubs artistiques » et les associations non directement
financées par les collectivités locales (par exemple le South
Western Arts Association) ; et enfin
(d) L’association régionale à but général couvrant une « zone
géographique substantielle » et supportée financièrement par les
collectivités locales qui la composent, ainsi que les industries et les
autres organes concernés par les arts comme les « local societies ».
C’est notamment la forme de regroupement du Greater London
Arts Association.
219
Section du Local Government Act 2000 (c.22)
220
Voir notamment Pedgrift v Oxfordshire County Council [1991] 63 P&CR 246 : « It is unattractive
for the Council to rely on its own unlawful act in imposing a planning condition in excess of irs
powers » (LJ Staughton).
85
pour mesurer l’action des différentes collectivités locales221. Par conséquent, ces
critères prennent notamment en compte le nombre d’élèves ayant visités des musées
et des galeries en sortie scolaire ; l’adoption par l’autorité d’une stratégie culturelle
locale ; ou encore les dépenses par habitants en matière d’installations et activités
culturelles et de loisirs222.
221
Voir The Local Government (Best Value) Performance Indicators Order 2000 (No. 896)
222
La liste est fournie à l’annexe 11 (Schedule 11) de l’acte.
223
Ikka HEISKANEN, « Decentralisation: trends in European cultural policies », Policy Note No. 9,
Council of Europe Publishing, 2001, p. 37
86
degré de décentralisation de ces compétences entre ces deux systèmes. Il semblerait
en effet que les compétences des collectivités locales bénéficient dans les deux
systèmes d’une protection législative formelle, alors que les organes centraux, et
particulièrement les organes déconcentrés, ne reposent que sur des normes
infralégislatives, comme c’est le cas des DRAC en France ou des Arts Council au
Royaume-Uni. En revanche, le point saillant de divergence se situerait alors dans
l’étendue des compétences dites « culturelles ». Le champ de la notion de « culture »
est effectivement plus restreint dans le système britannique, elle est ainsi concentrée
essentiellement sur les activités artistiques ainsi que sur les librairies ou les archives.
En revanche, les compétences culturelles semblent entendues plus extensivement,
dans la mesure où elles englobent des domaines tels que la promotion du « bien-être »
ou encore celle de la « langue française ».
Nous sommes ainsi amenés à nous interroger sur la nature des organes qui
organisent l’accès à la culture, afin d’établir si ce domaine doit relever exclusivement
de la compétence de l’État ou au contraire peut-il faire l’objet d’un partage de
87
compétences. Il convient de préciser d’abord ce que l’on entend avec l’utilisation de
la forme impérative « doit ». L’objectif de cette étude est de décrire ce que le droit
positif permet, interdit ou ordonne de faire en matière d’organisation de cet accès à la
culture, c'est-à-dire ce qui « doit être » au regard des normes composant l’ordre
juridique étudié. Il n’agit donc nullement de déclamer ce qu’il « doit être » ou ce qui
« devrait être » sur un autre plan que celui du droit positif, excluant ainsi de notre
analyse toutes propositions de droit que la morale ou l’idéologie exigeraient.
Cette précision liminaire est fondamentale s’il l’on veut aborder la question
des compétences exclusives de l’État224 qui est fréquemment soulevée pour des
raisons extérieures au droit, comme le contexte économique de réduction des déficits
financiers des organes étatiques dans lequel se trouve notamment les deux systèmes.
Ce concept de compétences exclusives désigne dès lors l’ensemble des obligations
d’agir des organes normatifs originaires qui ne peuvent être, selon la norme
fondamentale de l’ordre juridique, transférées à des organes normatifs délégués. Il
s’oppose ainsi au concept de compétences partagées de l’État. On entend ici par
« originaire » ce qui a été établit par l’ordre juridique lors de sa formation. Le
législateur et les organes infralégislatifs dits « traditionnels » font partie de cette
catégorie de personne. Les organes normatifs délégués désignent quant à eux les
personnes, morales ou physiques, qui se sont vues attribuer des compétences
normatives par les organes normatifs originaires.
224
On entend ici par État, la définition précédemment choisi qui désigne l
225
Le terme de régalien provient du mot latin rex, régis qui signifie ce qui est en rapport avec
souverain. L’usage de ce terme par la doctrine français a pour but de designer les missions qui touchent
donc à la souveraineté. Le concept de souveraineté étant selon nous une donnée délicate à manier pour
un juriste, nous n’utiliserons pas la notion de « missions régaliennes » ou de « compétences
régaliennes » au cours de cette étude.
88
Section 1 – Le concept des compétences exclusives de
l’ « État » et l’accès à la culture
En dépit de ces divergences, il n’est pas rare de relever dans les travaux de la
doctrine juridique française et britannique de nombreuses références à ce concept,
même si les dénominations diffèrent, comme nous l’avons relevé dans l’introduction
de ce chapitre. Intuitivement, il apparaît peu évident qu’une compétence en matière de
culturel nécessite un exercice exclusive des organes originaires, contrairement
(toujours sur le plan de l’intuition) aux compétences en matière de défense ou
d’exercice juridictionnel. Néanmoins, certains auteurs ont pu affirmer, ou tout au
moins se demander, qu’une telle exclusivité était exigée concernant patrimoine
culturel national. En effet, seul l’État pourrait être propriétaire de ces biens car il
serait le seul à même de garantir l’accès à la culture. Il convient alors de réfléchir à
présent sur la possibilité d’une compétence exclusive de l’État d’assurer l’accès à la
culture à une catégorie générale de personne. A cette fin, il s’agira de cerner d’abord
la concrétisation du concept de compétences exclusives dans les systèmes juridiques
étudiés afin de savoir s’il s’agit d’une intuition ou d’une donnée juridiquement
observable (paragraphe 1). Nous pourrons dès lors déterminer s’il est a fortiori
226
William BOGDANOR, op. cit., p. 1
89
approprié ou non de parler de compétences exclusives en matière d’accès à la culture
(paragraphe 2).
Relevons que la question des compétences exclusives repose avant tout sur
une opposition originaire entre droit public et droit privé. Il est néanmoins nécessaire
de prendre certaines précautions avec cette distinction. Celle-ci repose sur l’idée qu’il
y aurait d’un côté l’État et de l’autre le droit, dans la mesure où la « puissance
publique » ne serait pas ou partiellement sujet de droit. Or ce n’est pas tout à fait
exact, il s’agit en réalité d’une distinction fondée sur les modes de formation de
normes juridiques. Ainsi, « la valeur supérieure de l’État par rapport à ses sujets
réside dans le fait que l’ordre juridique confère aux individus ayant la qualité
d’organes de l’État (…) le pouvoir d’imposer des obligations par des déclarations
unilatérales de volonté », tandis que le droit privé se définit par « des contrats, soit des
normes individuelles par lesquelles les parties contractantes s’obligent
réciproquement à une conduite déterminée »227. Par conséquent, nous prendrons donc
soin de nous détacher expressément de l’idéologie jusnaturaliste selon laquelle cette
opposition justifierait la liberté de l’action de l’État et donc son caractère
« exorbitant »228. Il nous faut dès lors aborder la problématique des compétences
exclusives et partagées compte tenu du caractère « purement relatif et
intrasystémique »229 de cette opposition.
La littérature juridique française est abondante sur cette question. Pour autant
l’argumentation est souvent assez peu satisfaisante, étant d’ordre purement naturaliste
la plupart du temps. Il est ainsi courant de trouver des formules telles que « on ne peut
envisager » ou encore « on ne conçoit pas » que ces compétences soit exercées par
227
Hans KELSEN, Théorie pure du droit, (trad. Henri Thévenaz), op. cit., p. 164
228
Voir notamment Olivier BEAUD, « La distinction entre droit public et droit privée : un dualisme
qui résiste aux critiques », in : Jean-Bernard AUBY, Mark R. FREEDLAND (dir.), La distinction droit
public/droit privé : regards français et britanniques. The Public Law/Private Law Divide : une entente
assez cordiale ?, éd. Panthéon-Assas, Colloques, 2004, pp. 29-46
229
Hans KELSEN, op. cit, p. 165
90
d’autres personnes que l’État, sans apporter la moindre preuve juridique à cette
position230. Dans ce même ordre d’idée, pour certains auteurs, l’État ne serait pas
souverain sans la gestion de la police et de la justice, car l’on est en présence de
« fonctions régaliennes classiques de tout État »231. Ainsi, une liste intuitive est
fréquemment fournie par la doctrine regroupant : la sûreté et ordre public, dont
découle justice, police ; les services garants de la souveraineté externe comme la
diplomatie; et ceux garants de la souveraineté économique et financière comme le
recouvrement de l’impôt et la monnaie. Aucun fondement juridique n’est pourtant
apporté à l’appui de telles affirmations.
230
Voir notamment Claude BLUMANN, op. cit.,1974, p. 242. Il ajoute par ailleurs, sans précisions
supplémentaires, que « ces activités ne sont pas ordinaires, elles sont le soubassement de la personne
juridique État. (…). La renonciation à l’une de ces activités signifierait disparition de l’État lui-même »
(p. 243).
231
Pierre ESPUGLAS, « Les apports du Conseil constitutionnel au service public », in : Colloque
CEDECE, Service public et construction européenne : entre l’intérêt général et le marché, La
Documentation française, 1998, tome 2, pp. 39-47.
232
Par exemple, en ce qui concerne « le service public par nature » de la diffusion des bases de données
juridiques : CE, 17 décembre 1997, Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris, AJDA 1998, p. 362,
concl. J-D Combrexelle, note B. Nouel.
233
Décision n°86-207 DC, 25-26 juin 1986, Privatisations
234
Ramu de BELLESCIZE, Les services publics constitutionnels, LGDJ, 2005
235
Décision n° 2002-461 DC, 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice
91
l’exemple de la fonction juridictionnelle : l’article 64 de la Constitution de 1958
établit que « (l)e Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité
judiciaire », on pourrait déduire, comme l’a fait le Professeur Chevallier, que « la
justice est sans aucun doute une partie intégrante de l’État »236 . Mais rien à la lecture
de cette disposition n’indique que l’exercice de la fonction juridictionnelle soit
exclusivement à la charge de l’État. À ce titre, le Conseil constitutionnel a toutefois
précisé que les services publics constitutionnels pouvait être décomposés en fonctions
de base (core functions) et fonctions annexes, purement techniques, susceptibles,
elles, d’être confiées à des personnes privées. De même, le Conseil a observé que
l’externalisation de l’administration fiscale n’était pas contraire à la Constitution car
« aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République ne lui impose un
mode particulier de recouvrement »237. On voit donc que le critère d’exclusivité des
missions de souveraineté est très difficilement cernable à la lumière de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel français, en dépit des certitudes d’une partie
de la doctrine française238.
236
Jacques CHEVALLIER, Science administrative, 3è ed., PUF 2000, p. 85
237
Décision n° 90-285 DC, 28 décembre 1990, Loi relative à la CSG
238
Vor notamment Louis FAVOREU, « Service public et Constitution », AJDA, 1997, p. 16 et s.
239
Mark R. FREEDLAND, « Public law and private finance – placing the Private Finance in a public
frame », Public Law, 1998, p. 292 ; voir aussi du même auteur « Government by contract and public
law », Public Law, 1994, pp. 86-104
240
Nicolas THIRION, « Existe-t-il des limites juridiques à la privatisation des entreprises publiques ?»,
Revue internationale de droit économique, 2002, p. 627-654
241
Colin TURPIN, Government Contracts, éd. Penguin, 1972, p. 19
242
Per Rowlatt J. in The Amphrite [1921] 3 K.B. 500, 523
92
« compétences exécutives », mais n’indique pas quelles sont précisément ces
compétences ni aucun moyen de le déterminer d’une part, et ne résout le problème du
caractère fondamental de l’obligation d’exercer exclusivement certaines compétences
d’autre part.
243
Voir le Tribunal and Enforcement Act 2007
93
des compétences juridictionnelles que ne serait pas autorisée - même implicitement244
- par le législateur.
244
Rappelons à ce titre que les compétences des juridictions britanniques dites « traditionnelles » n’ont
pas toutes fait l’objet d’une reconnaissance explicite dans un statute.
94
de compétences indélégables dans la mesure où le législateur peut à tout moment
abroger une loi ? Pour certains auteurs, cette loi est une concrétisation du concept de
compétences exclusives étudié ici, car le législateur anglais donnerait pour la
première fois ici « une définition du noyau dur de l'activité gouvernementale »245.
Cette proposition ne peut être véridique, au sens du concept de compétences
exclusives tels que nous l’avons défini antérieurement, que si l’on considère le
Deregulation and Contracting-Out Act 1994 comme une norme fondamental. Bien
qu’une certaine partie significative de la littérature juridique britannique estime qu’il
y aurait une hiérarchie parmi les lois du parlement, et que certaines d’entres elles
auraient une valeur « constitutionnelle » compte tenu de leur « importance », nous
avons toutefois déjà été amené à démontrer qu’une telle proposition était
inconcevable d’un point de vue positiviste à maintes reprises dans cette étude. Faut-il
d’ailleurs rappeler que le législateur a par ailleurs prévu dans cette même loi que le
gouvernement puisse suspendre l’effet de cette loi dans « certaines circonstances ».
Cet élément de fait renforce par conséquent notre affirmation selon laquelle les
compétences non externalisables définies par cette loi, si elles peuvent certes révéler
une certaine idéologie d’État, ne correspondent en revanche pas au concept de
compétences exclusives.
On se souvient alors que dans l’introduction de cette étude, l’on avait observer
que pour l’économiste Adam Smith le souverain devait remplir trois « devoirs » :
assurer la défense du territoire ; rendre la justice ; et le « devoir d’ériger ou
d’entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l’intérêt privé d’un
particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à
entretenir, parce que jamais le profit n’en rembourserait la dépense à un particulier ou
à quelques particuliers, quoique à l’égard d’une grande société ce profit fasse plus que
rembourser les dépenses »246. Il est néanmoins impossible d’identifier en droit positif
ces devoirs du souverain dans aucun des deux systèmes.
245
Op. cit., p. 130
246
Adam SMITH, op. cit.,(supra note 7)
95
Même si l’on suit la liste proposée par la doctrine française de ces
compétences exclusives247, qui semble être certes non-exhaustive248, il est aisé de
remarquer qu’aucune d’entre elles ne font références, même implicitement, au
domaine culturel. Par ailleurs, on a pu conclure dans le paragraphe précédent
qu’aucun des deux systèmes ne fournissait d’éléments positifs permettant d’identifier
ces compétences. Ainsi, nous pourrions logiquement arrêter notre analyse ici et
conclure que les compétences n’étant pas une occurrence observable en droit positif,
l’accès à la culture en serait a fortiori exclu.
247
Supra p. 88
248
Notons ici, à titre accessoire, que l’idée même de non-exhaustivité nous semble peu adaptée à celle
d’exclusivité.
249
Pierre-Laurent FRIER, op. cit., p. 60
250
Idem
251
Op cit., note 13
252
S’il l’on admet que le juge constitutionnel français est habilité à créer des droits.
96
« historique » étant d’ailleurs sans valeur dans la mesure où certaines lois antérieures
ont même autoriser la vente de certains « éléments essentiels du patrimoine
national », comme ce fut le cas de la loi du 10 décembre 1886 relative à la vente des
bijoux de la Couronne de France. Sans surprise, rien en droit positif ne peut soutenir
l’idée que la fourniture d’une prestation de conservation du patrimoine culturel
français constituerait une obligation juridique de niveau constitutionnel pesant sur le
législateur.
253
Section 32 à section 38 de ladite loi
254
Article L. 621-1 dudit code
97
Section 2 – L’accès à la culture, une compétence partagée :
la question de l’encadrement du processus de contractualisation
Il s’agit donc ici d’appuyer notre affirmation selon laquelle le concept d’accès
à la culture trouverait une signification concrète par l’exercice de certaines
compétences, peu important la nature de l’organe qui les exerce. Dès lors, notre
objectif n’est pas de dresser un bilan complet de toutes les compétences partagées
existantes ou même envisageables en matière d’accès à la culture, mais simplement de
présenter succinctement certaines d’entre elles afin d’appuyer notre affirmation. À cet
égard, tant le système britannique que le système français présentent une multiplicité
de possibilités d’organisation de cet accès. La plus représentative de ces permissions
est sans doute le cadre juridique propre à la formation de rapports contractuels en vue
de déléguer certaines compétences d’organisation ou de « gestion ».
255
Peter VINCENT-JONES, « The régulation of contractualisation in quasi-markets for public
services », Public Law, 1999, pp.304-327, p. 304
98
Ce type de relation normative est également désigné par la notion de « contrats
d’externalisation » ou de « contracting out » que le Professeur Auby définit comme
« les contrats par lesquels les autorités publiques confient à des partenaires privés
certaines de ces obligations [duties] pour lesquelles elles sont juridiquement
responsables »256. Selon lui, l’encadrement de ce type de norme, autant dans le
système britannique que français, soulève deux questions majeures : la détermination
des compétences transférables – question à laquelle nous avons déjà répondu – et la
détermination « des principes et des valeurs »257 juridiques applicables à ce transfert.
Sur ce dernier point, nous pouvons concentrer notre analyse plutôt sur les normes
applicables à ces transferts de compétences, non pas unilatéralement, mais par voie
contractuelle. En d’autres termes, il s’agit de déterminer dans quelle mesure les
organes publics peuvent contrôler l’exercice des compétences déléguées aux organes
privés.
256
Jean-Bernard AUBY, « Comparative approaches to the rise of contract in the public sphere »,
Public Law, 2007, pp. 40-57, p. 43
257
Ibid, p. 53 et s.
258
Sandra FREDMAN, Gilian MORRIS, « The Costs of Exclusivity: Public and Private Re-
examined », Public Law, 1994, p. 69
259
Voir notamment Michael TAGGART (dir.), The Province of Administrative Law, Hart Publishing,
1999
260
Par exemple, les décision des tribunals n’étaient pas susceptible de judicial review : R. v Criminal
Injuries Compensation Board, ex parte Lain [1967] 2 QB 864
261
R (Datafin Plc) v Planel for Takeovers and Mergers [1987] QB 815
262
Ibid, 824, per Sir John Donaldson M. R.
99
jurisprudence » de l’approche dicéenne à celle basée sur « la nature des fonctions
effectivement exercées »263.
Sans davantage approfondir notre analyse dans les méandres et les subtilités
de la jurisprudence britannique, il convient de constater que ces observations révèlent
une certaine limitation en pratique de l’encadrement des compétences déléguées par
voie contractuelle. Néanmoins, est-on en mesure d’affirmer objectivement que cette
carence ne soit pas compensée par l’application des normes applicables aux personnes
privées ? En d’autres termes, la question de la « supervision »267 de l’exercice des
263
Ibid, 825
264
Paul CRAIG, « Public Law and Control Over Private Power », in M. TAGGART (dir.), op. cit., pp.
196-216
265
R v Jockey Club, ex p Aga Khan [1993] 1 WLR 909, particulièrement l’opinion du Law Judge
Hoffmann
266
R. V Football Association Limited, ex parte Football League Ltd [1993] 2 All ER 833
267
Jean-Bernard AUBY, op. cit., p. 53
100
compétences transférées doit-elle se résumer au seul contrôle de l’organe
hiérarchiquement supérieur dans l’ordre de production normative ? Il nous paraît que
ceci demeure une question ouverte, dans la mesure où toutes réponses exigeraient un
jugement de valeurs relatif à la légitimité et l’efficacité d’un contrôle vis-à-vis d’un
autre.
101
déterminé. Cet acte peut ainsi regrouper le financement d’investissements
immatériels, d’ouvrages ou d’équipements nécessaires au service public ; la
construction et la transformation des ouvrages ou équipements ; leur entretien, leur
maintenance, leur exploitation ou leur gestion ; et le cas échéant, à « d’autres
prestations de service concourant à l’exercice par la personne publique de la « mission
de service public dont elle est chargée »268. Il s’agit ainsi, avec certaines disparités
incontestables au regard du régime juridique qui en découle269, d’un procédé très
proche du PFI.
268
Article 1er de ladite ordonnance
269
Voir pour analyse comparative des deux systèmes en la matière : Patrick BIRKINSHAW,
Emmanuel BREEN, « Contrats publics et contractualisation de l'action publique : un point de vue
anglais », RFDA, 2006, p. 1015 et s.
102
théâtre de Perpignan. Nous prendrons appui sur ces deux exemples pour tenter de
dégager les compétences de chacune des parties qui ressortent de cette relation
contractuelle. Pour la construction du MuCEM, l’évaluation du projet a été faite
auprès du ministère de l’économie et des finances par l’avis n°2006-9. Sans prétendre
à une analyse des détails techniques du contrôle, on peut toutefois noter qu’il
s’attache notamment à dégager et vérifier les compétences déléguées. Dès lors,
l’expertise révèle que les compétences aux activités scientifiques du musée
(conservation, restauration, communication) ne seront nullement déléguées et
reviendront à la charge de l’organe spécifique central d’organisation des musées
français, la Direction des Musées de France. Par ailleurs, l’organisme ministériel
d’évaluation écarte une proposition de montage contractuel entre la personne privée
(« AOT-LOA »270) car « il ne permet pas de regrouper dans un seul contrat
l’ensemble des prestations que la personne publique souhaite confier au partenaire
privé »271. Cet avis illustre ainsi assez clairement quelles sont les exigences en matière
de répartition des compétences dans le cadre de partenariat « culturel » : d’un côté, les
compétences scientifiques doivent rester à la charge des organes centraux, de l’autre,
il est exigé un certain niveau de « prestation » à la personne privée, qui ne sera pas
uniquement une source de financement externe du projet.
270
Autorisation d’Occupation Temporaire - Location avec Option d’Achat
271
Page 4 dudit avis
272
TA de Montpellier, 26 février 2010
103
« Qu’eu égard à la complexité technique de sa
réalisation est à l’importance de l’esthétique du projet,
imposant des contraintes spécifiques de maintenance, la
commune de Perpignan n’était pas objectivement en mesure de
définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant
répondre à ses besoins »273.
Ces deux exemples illustrent ainsi relativement bien dans quelle mesure le
partage des compétences en matière culturel peut s’articuler. À cet égard, le
Professeur Braconnier doutait en 1995 de la clarté des rapports entre la culture et
l’économie, se demandant notamment s’il n’était pas « inconvenant, pour ne pas dire
choquant, d’enserrer ou brider le développement des politiques culturelles (…) dans
des prescriptions d’ordre économique, au nom des préceptes du libéralisme ? »274.
Encore une fois, il serait fort peu pertinent de discuter du caractère scientifique de
l’argumentation développée ici (qui s’apparente d’ailleurs davantage à un jugement
de valeur), néanmoins elle soulève, dans une certaine mesure, la question de la nature
des rapports entre les organes normatifs originaires et les investisseurs privés en
matière de « politiques culturelles ».
Nous pouvons dès lors apporter une esquisse de réponse à cette question, tant
pour le système britannique que français, aux termes de notre analyse succincte du
droit positif : la répartition horizontale des compétences en matière d’action culturelle
repose sur un modèle non exclusif. En revanche, notre analyse n’est pas parvenue à
déterminer quelles étaient les limites fondamentales de ce partage. Certains estiment à
cet égard qu’ils y auraient des domaines de cette intervention qui devraient être
exclusivement réservés aux organes publics, nos observations ont pourtant montré
qu’en matière culturel toutes les activités, y compris le patrimoine national, pouvaient
être déléguées par une norme législative.
273
Ibid
274
Stéphane BRACONNIER, op. cit., p. 773
104
Conclusion de la Partie II
105
L’objet de cette partie était donc d’identifier quelles pouvaient être les
obligations qui pesaient sur les différents organes en matière d’organisation de l’accès
à la culture. Si l’analyse du droit positif a pu certes faire démentir l’illustre Gustave
Courbet qui refusait à l’ « État » la compétence en matière d’art, néanmoins cette
partie nous a une nouvelle fois prouvé que la frontière était fine entre le droit d’accès
à la culture (impliquant une série d’obligations juridiques déterminées) et le simple
objectif (impliquant une permission du législateur d’organiser cet accès à sa guise).
106
CONCLUSION FINALE
275
Sur ce concept d’objectif constitutionnel, voir les analyses d’Anne LEVADE, « L’objectif de valeur
constitutionnelle, 20 après. Réflexion sur une catégorie juridique introuvable », Mélanges Pactet,
Dalloz, 2003 ; Pierre de MONTALIVET, Les objectifs de valeur constitutionnelle, Dalloz-Sirey, 2007
107
seuls certains droits sectoriels, tels que le droit d’accès aux musées, bénéficiaient de
garanties législatives.
276
Jean-Marie PONTIER, « Le service public culturel existe-t-il ? », op. cit., p. 54
108
L’analyse comparative de ce concept a révélé par ailleurs que le droit d’accès
à la culture était un champ d’étude qui intéressait inégalement la doctrine juridique.
En effet, s’il fut relativement aisé de déceler en France une littérature abondante sur
cette question, il n’en fut très certainement pas de même à propos de la doctrine
britannique. Les raisons sociologiques et politiques qui expliquent ce clivage sont
nombreuses et il ne nous appartient pas de les énumérer ici. Toutefois, une
observation globale, et très certainement caricaturale, pourrait être suggérée au terme
de cette présente recherche. La formulation des normes, que nous avons été amenés à
analyser ici, révèle une tendance dans le système français à une reconnaissance
générale et proclamatoire du droit d’accès à la culture sans pour autant le rendre
véritablement opérationnel, tandis qu’au Royaume-Uni cette « consécration » est
inexistante, ce qui peut expliquer à cet égard le recours occasionnel à des
interprétations téléologiques d’énoncés implicites en vue d’identifier un tel droit. En
somme, l’évocation d’un droit d’accès à la culture s’agit dans bien des cas d’un abus
de langage.
109
110
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