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Universitaires ? 1
Pour rappel.
Au stade de l’école primaire, mon père voyait en moi un futur technicien, perspective désapprouvée par
Edgard Erroyaux, instituteur en cinquième, parce que métier salissant. En troisième moyenne, Léon
Fourneaux m’orientait plutôt vers un régendat en mathématiques. L’année suivante, au vu de mes résultats
scolaires, le docteur Amand Fonder me propulsait à l’Université.
Dernier trimestre 44, il est grand temps de se décider.
Suite aux bombardements de Pâques, le programme scolaire avait été bouleversé et nécessairement
tronqué. En conséquence, tout à leur honneur, les professeurs de sciences mathématiques et physiques ont
estimé devoir combler les lacunes essentielles, à l’intention des candidats à l’aventure universitaire et plus
particulièrement de ceux appelés à présenter l’examen d’entrée en Polytechnique.
A horaire convenu, des cours spéciaux seront dispensés dans les locaux de l’Athénée, rue du Collège.
Pour pouvoir accéder aux études d’ingénieur commercial, le camarade Piret était dans l’obligation de
présenter et de réussir cet examen à défaut de disposer d’un certificat d’études homologué, conséquence
de trois années passées dans un réseau non reconnu. L’ami Richard avait donc tout intérêt à suivre ces
cours préparatoires.
Mes intentions d’avenir n’étant toujours pas précisées, je décide néanmoins de l’accompagner, sans
conviction particulière. Aux jours et heures convenus, nous sommes à pied d’œuvre. Nous y retrouvons
des camarades de classe, notamment Léon Michaux, Emile Richard (+) et Charles Gérard, lesquels ne sont
plus à l’heure du choix : d’abord réussir l’examen d’entrée et poursuivre des études d’ingénieur civil.
Voilà qui me conforte dans cette option, d’autant plus que, profitant de leur documentation, j’apprends
que la matière des deux premières candidatures est essentiellement constituée de mathématiques, de
physique et de chimie. Voilà qui me convient et met un terme à mes atermoiements. Je présenterai donc
l’examen d’entrée.
Mais où ? Bruxelles, Liège, Louvain ou Mons ? La réussite de l’examen dans un de ces établissements
n’impliquait pas l’obligation d’y prolonger le cycle des cinq années d’études. Le sésame étant acquis, le
choix de l’alma mater restait ouvert.
Point de la situation.
L’Université de Bruxelles avait fermé ses portes le 25 novembre 1941, par refus de se soumettre aux
ukases de l’occupant. Qu’en était-il en octobre 44 ?
Pour les premières informations, Liége était momentanément plus accessible via le trafic américain, en
ce sens que les chauffeurs de camions se prêtaient volontiers à l’auto-stop.
Avec Richard, nous voilà donc en expédition exploratoire à Liége, place du XX août. Tout était affiché :
programme de seconde session, de rentrées des cours et date du fameux examen d’entrée. Mission
accomplie, nous avions tous les renseignements, mais il y avait un hic, pour moi très important « les
« robots ».
Kekséksa ?
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Les petits plaisantins écrivaient "unis vers Cythère".( Cythère, île grecque célèbre par le sanctuaire d'Aphrodite, déesse de
l'amour)
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Bref rappel : pour conforter le moral de la population et des troupes en repli sur tous les fronts ; la
« Propaganda Abteilung » annonçait la victoire finale inéluctable grâce aux armes nouvelles, lesquelles
sont effectivement apparues à la mi-44. D’abord les V1, appelés aussi « avions sans pilote » ou encore
« bombes volantes ».En fait, il s’agissait d’un engin mu par un moteur à réaction (nouveauté),
essentiellement constitué d’une charge explosive de forte capacité et d’un réservoir rempli de carburant. Il
était mis à feu à partir d’une rampe de lancement. Sa distance d’impact était conditionnée par le rapport
carburant- consommation. Quand le réservoir était à sec, le moteur s’arrêtait, l’engin s’abattait et explosait
au sol. Au départ du Pas-de-Calais ces engins pouvaient atteindre l’agglomération londonienne.
Par la suite, sont apparus les V2, véritables fusées, à plus longue portée, mais à précision tout aussi
aléatoire.
Quoi qu’il en soit, après le débarquement et la reconquête du territoire, ces armes nouvelles ne
concernaient plus l’Angleterre, mais bien nos régions, celle de Liége en particulier.
Très sensibilisé par cet aspect de la question, l’opportunité principautaire se trouvait d’office hors jeu.
Louvain ne me convenait pas, Mons me paraissait difficile d’accès, restait Bruxelles. Allons voir comment
s’organise la réouverture.
L’examen d’entrée était programmé fin novembre et la rentrée académique en janvier, pour toutes les
facultés.
Voilà qui donnait un peu plus d’air.
Ce sera donc l’ULB pour l’examen et pour la suite en ce qui me concerne. Pas pour Richard, la
réputation philosophique de l’Université ne convenait pas à ses parents. Je n’étais pas informé de cet
aspect de la question, qui me laissait indifférent, mes parents aussi, d’ailleurs, les considérations
budgétaires nous préoccupaient bien davantage.
Nous étions nombreux à présenter l’examen d’entrée, une centaine au moins.
Richard et moi avons réussi assez facilement. Nous y étions parfaitement préparés. Encore grand merci à
nos professeurs Marcel Molle, Marcel Tinsy et Paul Simon. Néanmoins, je pense, à la vérité, à en juger
par le nombre de lauréats, que le jury a logiquement tenu compte de l’effet perturbateur des faits de guerre
sur les enseignements de dernière année d’humanités, ce qui l’a vraisemblablement rendu plus tolérant.
Intendance et logistique.
La porte de la « Faculté des Sciences Appliquées » est ouverte. Je sais maintenant que les études
d’ingénieur civil s’étalent sur cinq ans et que chaque année académique comporte trente semaines..
Voilà pour la consistance, mais comment et à quel prix ?
Le minerval : pas piqué des vers.
Le logement : impensable de rentrer tous les jours à la maison.
Quid pour les étudiants sans arrières pourvoyeurs de fonds ? On me conseille de voir le Service Social.
Déjà heureux que semblable service existe, mais…
- « Dans l’immédiat, vous comprendrez, notre service, à peine reconstitué ne dispose pas de moyens
financiers. Nous pouvons toutefois vous aider à trouver un logement chez des particuliers qui proposent
des « kots » pour étudiants, à titre onéreux, bien entendu.
- Vous ne faites pas état de la « Cité Estudiantine ? ».
- Effectivement. La cité comporte un certain nombre de chambres réparties sur quatre niveaux. Le bloc
est partagé en deux : côtés filles et garçons. Les chambres sont conçues pour deux pensionnaires. Chaque
étage est équipé d’une petite cuisine (deux réchauds) et d’une douche communes, je crois cependant
savoir que le côté garçons est déjà saturé en réservations. Voyez la directrice, Madame Baudet, à ce sujet.
Le restaurant du rez-de-chaussée est commun et accessible à tous, à menu unique, mais à prix modeste .Si
vous réunissez les conditions, je pourrais vous obtenir un tarif spécial.
- Je suis certain de réunir les conditions sociales en question. En pareil cas, n’existe-t-il pas un fonds des
bourses auquel je pourrais émarger ?
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- En effet, la Fondation Universitaire, rue d’Egmont, distribuait des bourses, encore fallait-il les mériter,
vous pouvez toujours vous y inscrire, mais elle ne sera pas à nouveau opérationnelle avant deux ans, au
minimum.
- Dès lors, à défaut de bourse, n’est-il pas possible de contracter un prêt ?
- Peut-être que l’Union des Anciens Etudiants, en restructuration elle aussi, pourrait vous aider dans ce
sens. Si vous le souhaitez, je constituerai un dossier et l’introduirai à votre nom.
- Oui, madame, j’en aurai bien besoin ».
Et combien et comment ! En fonction des éléments recueillis, j’avais rapidement évalué l’ensemble des
coûts : minerval, logement, repas, transports, fournitures, faux frais. Impossible à supporter à partir des
maigres ressources familiales, même en y ajoutant les appoints à résulter de mes prestations musicales, à
caractère aléatoire. L’offre réitérée par mon père : « dj’ai co des brès » (j’ai encore des bras) ne pouvait
en aucun cas être prise en considération.
En conséquence, restait à modérer mes ambitions d’avenir, sauf à espérer une solution miracle.
Qui cherche trouve.
En creusant, on se souvient de l’épouse divorcée du cousin Georges, concierge à Bruxelles à ce qu’on
sait. En fouinant, je parviens à trouver ses coordonnées : 22, rue de l’Association. Je l’avais bien connue la
cousine Delphine, mais, en fait, elle ne faisait plus partie de la famille des Dubois. Qu’à cela ne tienne, je
vais quand-même lui rendre visite, cela ne coûte que le train et le tram.
Pas attendu, mais bien reçu. Encouragé par la chaleur de l’accueil, je lui expose mon problème sans
ambages et lui pose clairement la question :
-« Pourrais-tu me loger, au moins la première année ? Par après, je compte disposer de bourses ou de
prêts qui devraient me permettre une certaine autonomie ».
Je réalise de suite que ma requête bénéficie d’un préjugé favorable, avec certaine réserve cependant, en
rapport avec son statut. Elle dépend évidemment de la compagnie d’assurances qui l’emploie, la loge et la
paie. La question sera donc posée au chef de bureau.
Accord de principe. Décision officielle remise à huitaine.
La semaine suivante, plein d’espoir, j’étais de retour. Feu vert. Youpi ! L’Université me devenait
accessible.
J’ai seulement compris, bien plus tard, la générosité de la « cousine », que je n’ai jamais suffisamment
remerciée.
Elle avait un fils de 14 ans et ne disposait que d’une chambre à deux lits. M’héberger, c’était me céder le
lit de son fils, lequel devrait donc partager le lit de sa mère, ce qui ne devait pas l’amuser non plus.
Servitude parmi bien d’autres. Je ne me rendais pas compte.
De plus, elle a dû convaincre le chef de bureau (j’ai compris pourquoi par après) qui voyait d’un
mauvais œil l’installation d’un jeune mâle de 18 ans, dans la chambre à coucher de sa …concierge.
J’ai séjourné deux ans chez la cousine Delphine.
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sentais bien seul et désemparé, quand Léon Michaux et Charles Gérard apparaissent providentiellement.
S’ils sont deux, je serai le troisième. Plus d’hésitation.
L’année académique 44 commencera en janvier 45.
Séance solennelle de rentrée bourrée de discours particulièrement étoffés, vu la prise de position du
pouvoir organisateur sous l’occupation, avec rappel judicieux de la citation de Henri Poincaré : « La
pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à une idée préconçue,
ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que pour elle, se soumettre ce serait cesser
d’exister ». On retrouvera ce texte dans tous les couloirs de l’Université.
Après les discours, place aux cours.
Les horaires sont affichés aux valves (panneaux d’affichage), ainsi que les numéros des salles de cours
appelées auditoires, mais pas le moindre plan permettant de les situer.
Cherche et tu trouveras.
D’abord le bâtiment (il y en a plusieurs sur le site).
Dans le hall d’entrée est suspendue une énorme sphère dont je ne vois pas l’usage. J’apprendrai par la
suite, que c’est dans cette nacelle pressurisée, que le professeur Picard et son adjoint Kipfer ont atteint 16
000 m d’altitude pour des raisons scientifiques, aujourd’hui oubliées, en ce qui me concerne.
Dépassons le hall et cherchons l’auditoire en question. On trouve enfin et on découvre un véritable
amphithéâtre d’une capacité de 150 places au moins, Nous étions 120 si je me souviens bien. Plus rien à
voir avec les traditionnelles classes d’athénée. Où convient-il de prendre place dans cet espace inattendu ?
Plus haut, plus bas ? Peu importe dans l’immédiat. Plus tard, on avisera des opportunités. Il s’est
rapidement avéré que les premiers rangs garantissent une meilleure perception visuelle et auditive. Par
contre, ceux qui s’y installent sont péjorativement qualifiés de « manchabals » soucieux de se faire
remarquer par le professeur, dans l’espoir d’un préjugé favorable à l’heure de l’examen. Le « pigeonnier »
offre, au contraire, les conditions idoines pour rêver et somnoler en paix, ou, à l’inverse, pour organiser le
chahut, ce qui n’est quand-même pas le but poursuivi. Comme en toute chose, le bon choix se situe au
milieu.
En attendant, à quelque niveau que ce soit, on ne dispose que d’une tablette pour y disposer le matériel
indispensable, le reste à déposer par terre. Pas très confortable la présence au cours.
Je me souviens tout particulièrement de l’accueil liminaire du professeur Chargois, ancien militaire,
officier supérieur, titulaire de la chaire de géométrie descriptive : « Je souhaite la bienvenue aux jeunes
filles ainsi qu’aux étudiants handicapés; quant aux autres, le devoir les appelle au service de la patrie, la
guerre n’est pas finie, leur place n’est pas ici ! »
Rafraîchissant comme entrée en matière ! …Mais cas d’exception sans conséquence.
Les autorités académiques se félicitaient au contraire du retour des émigrés forcés de 1941 et du volume
des inscriptions en première candidature.
Organisation du cursus en Polytechnique.
Léger aperçu d’un lourd programme impliquant des activités sur le campus de 8 à 18h00, du lundi au
samedi inclus.
Les cours magistraux seront dispensés le matin ; les après-midi seront consacrés aux travaux pratiques
sous la guidance du personnel assistant.
Temps libre de 12 à 14 h 00.
Le décor est planté. A l’œuvre !
A part le cours de « Mécanique Analytique » édité par le pro recteur Vandendungen, il n’existe pas
d’ouvrages de référence relatifs aux autres matières. La présence au cours s’impose en conséquence ; la
prise de notes s’avère indispensable.
Considérée comme assujettissante par certains, j’estime, à l’expérience, que cette contrainte est
bénéfique.
Pour les besoins de la cause, je me suis doté de fardes à tringle et de feuilles (2e choix) « empruntées » à
la Compagnie d’Assurances, à l’intervention de la cousine Delphine (option économique).
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Au cours, je prends mes notes en style télégraphique (à défaut de sténo) sur une seule face. Le soir, je
rajuste mon gribouillis et intègre les feuilles dans la farde. En plus, j’en fais un résumé clair sur la page de
gauche (verso de la précédente). Cette technique mise au point au fil du temps, m’a prodigieusement aidé
au moment des révisions de fin d’année.
C’est pourquoi, je me permets d’insister à l’intention des futurs potaches, qui ne me liront probablement
pas, en leur recommandant :
- présence active au cours et prise de notes, même si le syllabus existe ;
- réactivation le soir, avec l’aide du syllabus, s’il échet ;
- mise à jour régulière du document appelé à faciliter la révision de fin d’année ;
- last but not least, saisie des points forts du cours, où le professeur a insisté ou s’est
particulièrement étendu, car c’est là que se trouveront les questions d’examen.
Après cette digression inutile, revenons en au programme de la journée.
De 12h00 à 14h00 : temps libre
La plupart des bruxellois rentrent chez eux.
Je prends mes repas sur le site, au restaurant de la cité. Self-service. On fait la file, comme dans toute
cantine bien ordonnée et on cherche une place pour poser son plateau et déguster la tambouille du jour.
Les tables sont prévues pour quatre personnes, de telle sorte qu’il y a toujours du voisinage et matière à
causer, ce qui n’est pas dépourvu d’intérêt.
La clientèle est essentiellement provinciale ou d’origine étrangère.
La grande et belle égyptienne, dont la cheville est ornée d’un anneau en bois, est particulièrement
remarquée. Les deux sœurs syriennes ne passent pas inaperçues non plus. Quand la place est libre, on
apprécie de venir s’installer à leur table et, réciproquement, on est tout fier quand elles prennent place à la
vôtre. Indépendamment de ces considérations à connotation lubrique, la conversation qui s’engage porte
principalement sur les caractéristiques de l’interlocuteur, ses études antérieures, sa province, son pays, les
effets de la guerre, la faculté choisie, ses espérances d’avenir… Echanges qui élargissent les horizons de la
pensée. Brassage d’idées et de cultures qui génère une autre ouverture d’esprit.
Bref, enrichissants ces contacts, …mais à 14h00, on reprend le collier pour les travaux pratiques.
Participation indispensable, car ils sont « cotés ».
Vivement 18h00, on est fatigué.
L’encadrement universitaire
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Chaque Faculté a son cercle d’étudiants, avec comité et président élus.
Le Cercle Polytechnique 2 (CP en abrégé) dispose d’un local pour l’organisation de services en faveur
des étudiants ; en réalité, bien peu de choses : vente de syllabus quand il en existe3, désignation de
l’établissement agréé pour la vente de la « penne » (casquette d’étudiant) officielle, organisation de visites
sérieuses, et d’autres qui le sont moins, affichage aux valves (panneaux d’affichages) d’informations en
tous genres (l’autorité académique est très permissive à cet égard), relais entre le corps professoral et les
étudiants,… .
Pour accéder à ces menus services, il fallait d’abord signer son adhésion au principe du Libre Examen,
ce qui faisait tiquer Charles, qui sortait du cours de religion mais qui avait néanmoins conclu : « on peut
toujours signer cela ne nous engage à rien ». Quelques semaines plus tard, il manifestait, poing levé, dans
les rangs des étudiants communistes !
Le CP organisait aussi l’accueil et le baptême des bleus.
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Annoncés aux valves : la date et le lieu, un établissement en ville.
Premier enseignement : le vocabulaire idoine : les néophytes sont les bleus (on savait déjà), « bleuettes »
pour les filles, rares en Polytech. Les anciens sont les « poils » au masculin et les « plumes » au féminin.
Les braves gens bien propres et bien habillés, pratiquant les bons usages et les belles manières sont les
infâmes bourgeois, « plus ça devient vieux, plus ça devient bête », air connu, ultérieurement repris par
Jacques Brel.
La bière coule à flots, car il faut d’abord apprendre à boire en fonction du principe : « il vaut mieux
boire et dégueuler que de ne pas boire et de s’emmerder ». Les concours d’« à fond » se succèdent. A ce
jeu, le bleu Gooskens battait régulièrement les anciens. Il pouvait bloquer sa glotte et verser directement
dans l’estomac, sans avaler. Effet secondaire : dégagement de gaz carbonique à l’intérieur du système
digestif et régurgitation sous forme de rots puissants, d’autant plus appréciés qu’ils sont nombreux et
sonores ! Pour couronner ce genre d’exercice, le président annonce solennellement : « le moment est venu
de procéder à la cérémonie de l’à fond ». Encore ! On se regroupe en cercle, verres à nouveau remplis,
face à l’ordonnateur. Le verre sera porté à différents niveaux selon ses injonctions :
-« A la hauteur de la petite gargouillette ;
- A la hauteur de la moyenne gargouillette ;
- A la hauteur de la grande gargouillette ;
- Humons la guindaille ;
- Poussons un rugissement de satisfaction ;
- (en chœur) rrrrh ;
- à fond. »
Le parrainage ne m’a pas apporté grand-chose, sauf à savoir que « le premier devoir du bleu est de payer
à boire à son parrain ». Mal tombé l’ancien ! Avec mes maigres moyens… .
L’apprentissage des chansons paillardes est aussi au programme. Les thèmes, croustillants et saugrenus,
sont repris dans un document de référence : « Les Fleurs du Mâle ». Plus agréable à assimiler que
l’équation de « Riccati »!
Le « cri du CP »
Chaque Faculté possède son « cri » en rapport avec sa discipline. Au CP, il est composé de vocables se
rapportant essentiellement aux sections des mines et d’électromécanique, ce qui donne : « Henry, Volt,
Ampère (bis), châssis à molettes (bis). Qu’est-ce que le CP ? Crac. Boum. C’est une chose énhaûrme. 4
Bof !
Le baptême.
Que n’a-t-on dit ou écrit à ce sujet. Par voie d’humiliation et pour la plus grande joie de l’assistance
exclusivement composée de mâles baptisés, les bleus, à poil, subiront les épreuves les plus cocasses
prévues ou improvisées par le comité de baptême. Certains en conserveront des séquelles pendant
quelques jours, notamment s’ils ont été partiellement tondus ou barbouillés au bleu de méthylène.
Au nom de la liberté qui caractérise l’institution, le baptême n’est pas obligatoire. Les non baptisés ne
sont pas rejetés pour autant ; ils se sentiraient néanmoins fort mal à l’aise lors des guindailles, mais
comme ils n’y participent de toute façon pas… .
Dans toutes les facultés, les comités de cercles veillent à ce que les séances de baptêmes soient
terminées avant le 20 novembre, date de la Saint-Verhaegen
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Analogie vraisemblable avec le cri des étudiants de l'Université de Liège : "ass' veyou l'torè ? Il a des couilles énhaûrmes"
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Après les cérémonies officielles commémoratives ponctuées par un vibrant « Semeur » (voir ci-après),
les étudiants rejoindront leurs chars facultaires savamment décorés et défileront bruyamment, en cortége,
dans les rues de la ville, au grand dam des bourgeois aigris, n’appréciant guère le chahut et encore moins
l’incongruité des calicots.
Pour la circonstance, bon nombre d’anciens étudiants ressortiront leur penne, se joindront au cortège et
participeront à la guindaille qui s’en suivra.
La revue.
Ensemble de sketches conçus et interprétés par les étudiants de la Faculté.
L’occasion de caricaturer les professeurs en fonction de leur langage, leurs tics, leur présentation et
autres caractéristiques… On reconnaît Vandeperre par son accent bruxellois et ses jurons, Van Epoel par
son emphase, le professeur de cristallographie par sa petite taille et sa cravate… La revue est truffée de
chansons, airs connus mais paroles adaptées. Beaucoup d’imagination, d’esprit et d’humour.
On ne s’ennuie pas à la revue. Elle attire d’ailleurs la foule : étudiants, ingénieurs, bourgeois évolués et
professeurs, qui désirent savoir à quelle sauce ils vont être présentés. Paradoxalement, certains auraient été
vexés de ne pas « être de la revue ».
« Le Semeur ».
Chant à thème, extrêmement sérieux, propre aux seuls étudiants (ou anciens) de l’ULB.
Ne peut être chanté qu’à l’issue de séances solennelles inspirées des valeurs fondamentales de
l’Université, jamais dans le cadre des guindailles.
En voici d’ailleurs les paroles :
« Semeurs vaillants du rêve,
Du travail, du plaisir,
C’est pour nous que se lève
La moisson d’avenir.
Ami de la science,
Léger, insouciant,
Et fou d’indépendance,
Tel est l’étudiant.
Refrain
Frère, lève ton verre
Et chante la gaieté,
La femme qui t’est chère
Et la fraternité.
A d’autres la sagesse,
Nous t’aimons vérité,
Mais la seule maîtresse,
Ah c’est toi liberté.
Refrain
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Y mettre le holà,
Liberté pour défendre
Tes droits, nous serions là.
Refrain
Des cercles inter-facultaires regroupent les étudiants motivés par des objectifs plus spécifiques dans leur
globalité.
Soit politique :
- le cercle libéral (le plus important) ;
- le cercle socialiste ;
- le cercle des « étudiants socialistes unifiés » (pour ne pas dire communistes) ;
- un cercle catholique clandestin regrouperait des étudiants, bruxellois pour la plupart, soucieux
d’obtenir un diplôme au minimum de frais, tout en ne partageant pas l’idéologie.
Soit linguistique :
- le cercle flamand « Geen taal, geen vrijheid » (textuellement « Pas de langue, pas de liberté »).
La « Vrije Universiteit te Brussel » (Université Libre de Bruxelles) ne sera créée qu’en 1968.
Soit professionnel :
- le cercle colonial ;
Soit sportif:
- ASUB (Association Sportive de l’Université) ;
- SNUB (Sport Nautique Universitaire Bruxelles) ;
J’étais fortement sollicité par le SNUB, qui exerçait ses activités sur le canal, non pas pour mes
potentialités athlétiques, mais pour mon poids plume : intéressant comme barreur d’un huit de
pointe lors des régates.
Soit philosophique :
- le « Librex », le plus en vue.
Dans le cadre de son cycle de conférences, il avait notamment invité le Révérend Père Riquet,
personnalité marquante sous l’occupation, prisonnier politique, ambassadeur patenté de la pensée
chrétienne. Il avait choisi comme sujet : « De la nécessité d’une Eglise ». Sujet provocateur s’il en
est.
Contre toute attente, son entrée courageuse et souriante, dans un auditoire hostile archicomble, lui
valut un tonnerre d’applaudissements.
D’entrée de jeu, il annonce qu’on dénombre autant de centaines de millions de chrétiens de par le
monde, en se basant sur les registres de baptême, et, malicieusement, il ajoute : « à ce compte-là,
vous en êtes tous ». Rires, détente de l’atmosphère.
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Lors du débat, la « Sainte Inquisition » fut bien entendu évoquée. La question était prévue, la
réponse aussi : « la parole divine est portée par des hommes et, comme chacun sait, errare
humanum est ». A d’autres rappels historiques du rôle pernicieux de l’Eglise, il s’en est tiré
intelligemment par d’autres pirouettes du même acabit. A défaut de convaincre, il fut néanmoins
applaudi pour son courage et sa dialectique, ce qui confirme bien le postulat : « en dehors de
l’église, point de chahut ».
La chorale de l’ULB.
J’ai eu l’avantage d’assister à la renaissance de la chorale, sous la direction de son créateur, Robert
Ledent, compositeur, chef d’orchestre à la Monnaie.
Née en 1935, c’est la seule chorale universitaire à chanter des œuvres harmonisées à 4 voix, gageure
réussie par Robert Ledent à partir d’étudiants ne connaissant pas la musique pour la plupart.
Le répertoire est tiré des « Fleurs du Mâle ». Les arrangements sont adaptés aux paroles avec une
originalité surprenante.
Je retiens notamment « les variations sur un thème connu » et l’annonce des différents mouvements.
« Exposition du thème ».
« Tempo di valse ». Les basses donnent le ton et le rythme à partir de trois syllabes : calotin-calotin… .
« Tempo di habanera ». Le changement de rythme impose une adaptation des syllabes: la- calotte la-
calotte la-calotte la-…
Le « religioso » était sublime.
Les basses créaient un substrat s’apparentant aux grandes orgues d’église, propice à l’accueil des voix
célestes : « A bas la calotte … »
Bravo Ledent.
La matière universitaire.
La physique et la chimie surtout prennent une autre dimension par rapport à nos connaissances.
Par contre, l’analyse mathématique reprend les acquis de l’athénée ; soit que nos professeurs avaient
outrepassé le programme, soit que le chargé de cours révisait, au profit de ceux dont la fin de cycle avait
été perturbée par les bombardements.
Subséquemment, je peux comprendre la décision du titulaire, de procéder à une première évaluation du
niveau potentiel de cette assemblée disparate.
La question principale consistait à déterminer la limite d’une fonction complexe, quand la variable tend
vers 0. Semblables problèmes avaient été largement traités dans le cadre des cours spéciaux préparatoires
à l’examen d’entrée. La question impliquait cependant une astuce, à savoir que la variable peut tendre vers
0 par valeurs positives ou négatives, ce qui détermine le signe de la réponse. Cette alternative, ne m’ayant
pas échappé, me voilà gratifié d’un 17/20 alors que les autres plafonnaient à 12.
Du fait, je suis invité à me lever et à me situer.
- « De quel athénée provenez-vous ?
- Châtelet.
- Ah oui, Charleroi.
- Non, Châtelet » (inconnu jusqu’alors, semble-t-il).
Les inconvénients d’une performance.
Dans l’immédiat : être repéré par l’auditoire et considéré comme un surdoué, alors que ce résultat est
simplement le fruit du travail de mes professeurs d’athénée, qu’il m’a suffi de récolter.
A terme, lors de l’examen de fin d’année : le titulaire du cours, Georges Boulanger, consulte ses notes et
s’exclame : « Ah, voilà le jeune prodige (ça commençait bien mal), nous allons lui donner ne question à sa
mesure afin de lui attribuer une cote d’exception ». Aïe !… et j’hérite du « paraboloïde de révolution ».
L’ellipsoïde et l’hyperboloïde ne posaient pas de problème majeur, ils se différenciaient par une simple
question de signe, par contre, le paraboloïde présentait une spécificité que ma mémoire se refuse de
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restituer en cours d’exposé. Par manque d’aide, impossible de poursuivre. Du fait, il me donne une autre
question « afin de savoir » dit-il, « si je cote 12 ou moins ». La question était simple, voire élémentaire,
mais, dans mon désarroi, je foire à nouveau. Toute réflexion faite, vu mon résultat antérieur, il m’a quand-
même attribué 12. Ouf !
L’équilibre budgétaire.
De la précarité à la consolidation.
Actif de départ : le pécule résultant de mes prestations musicales et les 500 F5, solennellement remis par
mon père la veille de mon départ pour la grande aventure. Avec ce potentiel initial, je suis parvenu à
boucler les cinq années du cycle, sans autre appoint familial, financier du moins.
Comme il n’y a pas de miracle, en l’occurrence, les dépenses inéluctables auraient rapidement épuisé le
capital initial, si elles n’avaient été compensées par diverses recettes.
A savoir :
- l’aide du service social ;
- le prêt de l’Union des Anciens, et, plus tard, la bourse de la Fondation Universitaire;
- le rapport des activités musicales (aléatoire) ;
- le trafic d’alcool ;
- les travaux photographiques ;
- la représentation médicale.
Ces trois derniers points appellent explication.
Le trafic d’alcool.
Les entreprises et activités commerciales n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant-guerre dès le lendemain
de la libération. Le réapprovisionnement en matières de base a pris un certain temps. Priorité aux armées,
cela va de soi.
De fait, les spiritueux de qualité, en particulier, ne se trouvaient pas facilement et restaient toujours
soumis à la loi Vandervelde.
Au hasard de la conversation, j’apprends que la cousine Delphine entretient des relations d’amitié avec
une personne qui dispose d’un petit stock de boissons alcoolisées, qu’elle serait discrètement disposée à
négocier. Tilt ! Un commerce illicite est toujours lucratif, je sors d’en prendre. En conséquence, je
rapporte une bouteille de « cognac » que je propose au bistrot du coin, face à l’église du Faubourg.
Dégustation appréciée, marché conclu et commande de deux bouteilles pour la semaine suivante. Beau
petit bénéfice hebdomadaire, sans avenir, mais toujours bon à prendre dans l’immédiat.
5
L'analyse des données statistiques relatives à l'inflation de 1945 à 2005 conduit à un coefficient multiplicateur de 6,4.
En d'autres termes : 500 F de 1945 correspondraient à 3 200F d'aujourd'hui, ou 80 €.
10
- 5 g de phénidone ; … « .
Le brave droguiste était au bord de la crise d’apoplexie.
-« Combien vous dois-je ?
- 20 F et que je ne vous revoie plus jamais ! »
Après l’approvisionnement, les travaux opératoires sous l’éclairage d’une faible lampe rouge, trompeuse
quant à l’appréciation du résultat. Mais, qualité oblige, recommencer s’impose s’il échet, et gaspillage
consécutif. Et ce n’est pas fini : séchage et glaçage des photos sur panneau de verre soigneusement
nettoyé, avant saupoudrage de talc, avec l’espoir qu’elles se décolleront naturellement, sauf quoi, les
récalcitrantes devront être rééditées.
A chacun son métier, j’ai rapidement abandonné ce genre d’activité laborieuse, aux résultats médiocres
et de rapport quasi nul.
11
Néanmoins, je me suis encore imposé une expédition programmée de deux jours dans le Luxembourg,
avec logement à Neufchâteau, chez un condisciple d’Université. Maigre butin par rapport aux distances
parcourues à 40 Km/h, à la consommation, aux risques et sujétions.
Non, j’abandonne définitivement.
Comme déjà exprimé ci avant, le réapprovisionnement du pays ne s’est pas réalisé du jour au lendemain
de la libération. Tout particulièrement en matière de dérivés du pétrole (essence, gasoil), essentiellement
réservés pour les besoins militaires, les colonnes blindées étant extrêmement gourmandes.
Néanmoins, en tant qu’entrepreneur de travaux publics, d’intérêt général, le père Michaux bénéficiait de
licences pour son matériel de génie civil et voiture de service, une Ford V8, si je me souviens bien. Les
déplacements devaient être programmés dès le départ: origine, destination,... et consignés dans un livret ad
hoc.
Tout naturellement, le père Michaux profitait de cet avantage pour véhiculer son fils le lundi matin et le
samedi soir. Plus exactement, il accompagnait; un membre du personnel conduisait la voiture. Il était sur
le velours l’ami Léon, par rapport à mes contraintes: tram, train, tram, la valise et les frais.
Mais, j’y pense: j’habite à 300 m du siège de l’entreprise, je me rends au même endroit, à la même
heure. Il reste de la place dans le véhicule. Pourquoi ne pas solliciter un siège ?
Le père Michaux, figure mieux connue à Châtelet sous le nom de « chicorée », résultant des activités
antérieures de ses ascendants, était une personnalité hors du commun: assez petit, rondouillard, il se
distinguait par son franc-parler, en wallon pas toujours expurgé mais accepté, sa malice, son bon sens… .
J’aurai l’occasion d’illustrer mon appréciation en temps voulu.
En attendant, j’en suis toujours à naviguer dans les transports en commun, inhibé par cette timidité
absurde qui me paralyse quand il s’agit de demander.
Enfin, raison aidant, je franchis le pas, j’y vais et suis immédiatement agréé, comme si c’était une
évidence.
A l’heure convenue, le lundi matin, au coin de la rue du dépôt, je n’avais plus qu’à attendre le « lift ».
Bénéficiant du même privilège, Charles Gérard embarquait à hauteur de la rue du collège.
Merci Monsieur Michaux.
Première anecdote, lors d’un premier voyage.
L’itinéraire initial passait par Châtelineau, Gilly, Bon Air, Genappe, Waterloo, Forêt de Soignes,
Avenue Roosevelt.
Un lundi matin, bien avant le lever du jour : contrôle de gendarmerie à Châtelineau.
-« Excusez-nous Monsieur Michaux, on n’avait pas reconnu votre voiture. Bonne route et bonne
journée. »
L’avantage d’être (bien) connu.
Nouveau contrôle à Genappe.
Le père Michaux baisse sa vitre, un gendarme s’approche, salue et enjoint :
-« Papiers de bord, livret de courses, s’il vous plaît. »
Le chauffeur rassemble les documents tandis que le père Michaux s’exprime :
-« Ti n’ès né co lèvé qu’t’emmerd’ dèdja les dgins, tis aût’s » (vous n’êtes pas encore levés que vous
emmerdez déjà les gens vous autres).
Le pandore ne moufte pas. Pendant qu’il examine les documents, son collègue procède à un contrôle
technique: feux de route, de croisement, stop, essuie-glaces, indicateurs de direction. En remettant les
papiers, presque à regret :
-« Vous avez de la chance d’être en ordre, vous pouvez aller. »
Et on repart.
-« N.d.D., si m’avait d’mandé m’cârt’ d’identité, dji n’l’avais né » (s’il m’avait demandé ma carte
d’identité, je ne l’avais pas).
12
Anecdote que j’ai souvent racontée (avec l’accent), il y en aura d’autres qui viendront en temps voulu.
Pour tout le monde, cette première année académique fut abominablement épuisante.
Par démarche des dirigeants du Cercle Polytechnique auprès des autorités facultaires, l’horaire
démentiel de cette première année fut considérablement allégé.
Certaines matières considérées, à juste titre, comme désuètes ou non indispensables à la formation des
candidats ingénieurs ont été retirées du programme ou maintenues comme cours à option.
De la sorte, les mercredi et samedi devenaient entièrement libres.
6
Auteur wallon gerpinnois bien connu pour la qualité de ses œuvres, essentiellement des comédies. Plusieurs fois titulaire de la
coupe du Roi Albert.
13
Merci, les gars. Bien au-delà des visites chez Wielemans et Vandenheuvel7, à votre intervention, le CP a
bien justifié son qualificatif : « c’est un chose « enhaûrme ».
Dans un tout autre registre, le Service Social m’apporte quelques bonnes nouvelles :
- dès la rentrée d’octobre, je pourrai bénéficier d’une petite allocation mensuelle;
- l’Union des Anciens Etudiants a décidé de m’octroyer un prêt sans intérêt;
- la Fondation Universitaire est de nouveau opérationnelle; pour accéder à la bourse, il faudra
nécessairement pouvoir justifier d’un grade (distinction) obtenu lors de la session précédente; 8 le
Conseil d’Administration décidera du montant à accorder en fonction de ses moyens et à partir du
dossier social.
- « Merci Madame ».
Enfin, des vacances qui s’annoncent sereines et reposantes. J’en ai bien besoin.
Pour la « distinction », je prendrai les dispositions adéquates dès la rentrée.
En attendant : farniente.
Les vacances.
7
À l'époque, deux importantes brasseries de la région bruxelloise.
8
Aujourd'hui, la Fondation accorde même des bourses aux étudiants doubleurs.
14
l’éternité ! Nous avions 16 ans. Problèmes de jalousie aidant, notre idylle tournait court à la fin des
humanités. La dure voix de la sagesse m’invitait à reprendre indépendance et liberté.
Libre et indépendant, à 20 ans, ce serait quand même dommage de ne pas profiter d’une jeunesse qui ne
reviendra plus. Il suffit de ne pas s’attacher. J’y serai attentif, mais la jeune femme de 23 ans (j’ai fini par
le savoir), pense-t-elle de la même façon ? J’en doute, dès lors?
J’aviserai plus tard. Dans l’immédiat, le nouveau camarade Benoît (Benito) est un joyeux drille.
Profitons des derniers week-ends, bientôt la rentrée.
Rentrée d’octobre.
Retour à l’essentiel.
La reprise des cours. Les retrouvailles, sauf les manquants, les moflés (recalés) de la première année.
Que sont-ils devenus ? Les Bruxellois sont les mieux informés : untel recommence, un autre bifurque vers
une école technique, pour le reste certains abandonnent ou trouvent refuge en « Sciences Po ». La Faculté
des Sciences Politiques recueillait essentiellement des étudiants largués en première année, en plus des
néophytes attirés par des études réputées plus faciles, mais permettant néanmoins accès à un diplôme
universitaire. On y trouvait également pas mal de jeunes filles, en quête de soupirants susceptibles de leur
proposer le « mariage intelligent ».
Premier cours.
Première constatation : nous sommes encore bien quatre-vingts.
En application des bonnes résolutions, je m’installe au 3e ou 4e rang et je prends note, même si le
syllabus existe et si cela fait sourire mon voisinage. Léon et moi sommes généralement voisins. Charles a
tendance à s’égailler dans l’auditoire afin d’élargir le cercle de ses connaissances. Il en va de même pour
le repas de midi au restaurant universitaire, et, comme Léon déjeune ailleurs, je m’y sens un peu esseulé.
Pas pour longtemps, car je retrouve les deux syriennes de l’an passé. Nous déjeunons à la même table et
nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain. Le premier arrivé, moi généralement, réservera les
places. A table la conversation tourne bientôt au dialogue entre Siham et moi, au point qu’un jour Siham
arrive seule, et le lendemain aussi. Ce n’est pas par hasard. Les prétextes futiles ne font que confirmer ce
que je devine : Siham « a un bountje pour moi »9. Voilà qui me flatte et engendre un sentiment réciproque,
d’autant plus qu’elle correspond à mes critères de sélection: jolie, mince, de ma taille, toutes conditions
réunies. Ajoutons y la fierté du mâle, car la relation naissante n’échappe à personne, mais me plonge
nénmoins dans un cruel embarras, car le week-end j’ai rendez-vous avec Ada.
Choisir, c’est renoncer. La syrienne ou l’italienne, l’orientale ou la méridionale, la musulmane ou la
catholique, l’exotique ou la régionale… et pour quel avenir ?
9
Expression bruxelloise : "bountje" signifie penchant, sentiment particulier.
15
L’avenir, il est encore lointain, pourquoi choisir maintenant ? On dit que le temps arrange bien les
choses. Pas évident. Le risque de s’attacher est grand. D’autre part, Ada a déjà 23 ans, la laisser espérer
pendant quatre ans pour lui signifier son congé ensuite, une honte que je ne pourrais supporter.
Sans l’avoir vraiment voulu, je me trouvais dans une situation cornélienne.
Et les circonstances allaient encore me réserver d’autres surprises.
Léon n’avait pas ces problèmes, il était déjà attaché à Gisèle.
En tant que directeur des Ponts et Chaussées, Monsieur Remacle et son épouse rendaient assez
fréquemment visite aux entreprises Michaux. Au contraire de son mari, Madame Remacle, enseignante au
lycée de Charleroi était extrêmement dynamique et proche des jeunes. Les Remacle habitaient Bruxelles;
ils avaient une fille Colette, qui terminait ses humanités, mais qui parait-il, présentait quelques faiblesses
en mathématiques, d’où l’opportunité de lui prêter assistance en la matière.
Sollicité dans ce sens, Léon était « obligé » de décliner, mais il savait que je serais intéressé par le
caractère lucratif de la proposition. Marché conclu. Et me voilà à pied d’œuvre, un mercredi après-midi.
Présentations et installation à la table de travail. Les boissons et les biscuits sont prévus, mais point de
livres, ni cahiers. On parle, on parle de tout, sauf de mathématiques. Comme j’aborde la question, Colette
plonge enfin dans sa mallette, tandis que Madame Remacle enfile son manteau et disparaît pour nous
laisser travailler en toute quiétude. Colette m’ouvre un cahier au hasard et me montre un exercice… déjà
résolu. Il s’agissait d’une analyse de fonction.
« - Où est le problème ?
- Je ne comprends pas très bien. »
En conséquence, je refais un exposé complet : les zéros de la fonction, les asymptotes, les dérivées,
concavités, points d’inflexion… J’ai l’impression de parler dans le vide, Colette va et vient, m’offre un
biscuit, me propose un verre d’eau ou autre chose. Elle m’appelle « son petit coco »! Les questions qu’elle
me pose n’ont rien à voir avec mon soliloque: « Comment ça se passe à l’université? Les horaires? Les
facultés? Les locaux? … »
Deux heures ont passé. Madame Remacle rentre toute guillerette.
« - Alors mes enfants, vous avez bien travaillé ? » « Très bien », répond Colette. La dame me paie,
rendez-vous est pris pour mercredi prochain, même heure.
Moi, je veux bien, même si l’analyse de fonction n’a pas progressé d’un iota.
Deuxième leçon.
Même scénario; quand madame rentre, très diserte comme à l’accoutumée, j’apprends que Colette est
invitée à un bal huppé, un de ces prochains samedis, mais il lui manque un cavalier. Je pourrais être celui-
là, tous frais payés, bien entendu. Je commençais enfin à comprendre. Colette était bien de sa personne, la
proposition était alléchante, mais ce n’était vraiment pas le moment d’en rajouter. Ayant décliné pour
raisons impératives, j’ai refilé l’affaire à un autre étudiant et… terminé pour les leçons particulières.
Quand la cousine Delphine s’en mêle aussi.
Je la tenais au courant de mes petits secrets, ce qui lui plaisait de toute évidence.
Un jour, en l’absence de Jean, elle me confie le résultat de ses réflexions à propos de mes problèmes. En
bref, la Syrienne est une entreprise à gros risques et l’Italienne ne sera pas à la mesure des milieux que je
serai appelé à fréquenter. Et d’enchaîner: Une de ses amies faisant partie de la saine bourgeoisie
bruxelloise a une fille à marier dans des bonnes conditions. Le futur ingénieur que je représente pourrait
faire l’affaire. Et de me proposer une rencontre à l’occasion d’un bal populaire, ce que je ne pouvais
refuser à la cousine.
Bien de sa personne, sympathique au demeurant, elle me donnait l’impression d’être mise en pâture et
d’en être consciente. Je l’ai invitée à danser, c’était la moindre des politesses et on en est resté là.
Pour clôturer ce chapitre que j’aurais pu intituler l’année de la femme, je rapporterai simplement la
réflexion de Jean. Il avait constaté que les visites de Zoé, la concierge voisine, augmentaient en fréquence
quand j’étais présent, et que, assez curieusement, elle avait toujours des choses confidentielles à me
communiquer.
16
Et voilà déjà la fin de l’année académique.
Chronologie conforme aux usages : mois de « bloque », suivi des examens répartis sur une quinzaine de
jours. Chaque examen est coté sur 20, mais chaque branche est affectée d’un coefficient d’importance. La
somme de ces coefficients est égale à 100, de telle sorte que le total des points obtenus; dûment valorisés,
est rapporté à 2000.
1200 : réussite avec « satisfaction », sauf insuffisance notoire dans une ou deux branches, auquel cas
c’est l’échec avec obligation de représenter toutes les matières en seconde session.
1400 : réussite avec « distinction » et « grande distinction » à partir de 1500.
En délibération, le jury peut cependant « apprécier » en s’écartant quelque peu de ces chiffres pilotes.
Quoi qu’il en soit, j’étais bien à l’aise pour être gratifié de la distinction, qui me permettait de postuler la
bourse de la Fondation Universitaire.
Au terme de cette nouvelle session d’examens, je constate et tire des enseignements subséquents.
Confrontés à l’obligation d’interroger 80 élèves, les professeurs établissent leur propre programme qui
sera affiché aux valves. De toute façon, les examens s’étaleront sur une quinzaine de jours avec une
moyenne d’un examen tous les deux jours. L’appariteur (secrétaire de la Faculté) veille à cette répartition
équilibrée et constitue des séries en fonction du rythme prévu par chacun des professeurs.
Pour chaque matière, les étudiants ayant passé la première épreuve sont détenteurs d’informations
d’intérêt majeur: façon d’interroger, questions posées… D’où l’intérêt de rechercher le contact. Les
pensionnaires de la cité sont avantagés, ils se croisent régulièrement, au contraire de ceux qui rentrent
directement chez eux (comme moi).
A l’analyse, on constate en plus la fréquence de certaines questions, les « tuyaux », raison de plus pour
communiquer et loger à la cité, ce que j’envisagerai pour l’année prochaine.
Interrogée à ce propos, la brave dame du Service Social m’y encourage et me garantit même un subside
substantiel vu mon résultat.
Madame Baudet prend acte de ma candidature et ma garantit même l’agrément : des chambres sont
libérées, je suis un des premiers inscrits, je bénéficie de l’appui du Service Social et de la recommandation
de l’Union des Anciens, qui m’accorde déjà un prêt (sans intérêt).
Reste l’annonce à la cousine Delphine.
Quelle sera son appréciation ? Rupture ou bon débarras ? Une approche délicate s’impose.
Les circonstances se présentent plutôt favorablement. La cousine m’avait fait remarquer que la maigre
allocation hebdomadaire, que je lui octroyais, ne couvrait même pas mes frais de subsistance alimentaire,
et qu’elle ne pourrait plus continuer à m’entretenir dans les mêmes conditions. Remarque inspirée par
d’autres ou non, je profite de l’occasion pour lui annoncer la prochaine perspective. Plutôt déçue la
cousine, elle aurait préféré que je reste, avec un petite majoration, pour la forme.
Elle comprend néanmoins l’argumentation, et, accessoirement, la fin de l’assujettissement au tram 16.
En octobre, je prendrai donc mes quartiers à la Cité Universitaire, 22, Avenue Paul Héger, directement sur
le campus.
Un autre choix s’impose encore. La candidature confère déjà un grade universitaire: « candidat
ingénieur », bon pour une carte de visite sans intérêt, sauf à permettre l’accès aux trois spécialisations
possibles à Bruxelles: mines, constructions civiles et électromécanique, d’une durée de trois chacune et
conférant le grade d’ingénieur civil.
Je ne pose guère de questions. Le choix de Léon sera le mien, afin de bénéficier du même horaire et des
mêmes possibilités de transport. Ce sera donc les « constructions civiles ».
Heureuse inconscience, qui va conditionner mon existence.
Charles, moi et d’autres rendions de temps en temps visite chez Léon. Le père Michaux était toujours
heureux de nous voir et on y rencontrait souvent Madame Remacle, toujours intéressée par nos projets,
17
nos passions, nos amourettes. En semblable circonstance, Charles, qui connaît mes affinités pour Ada,
annonce qu’il pourra me la chiper quand il voudra. Voilà qui intéresse prodigieusement Madame Remacle,
Léon et Albert. Les paris sont engagés.
Ce n’était pas la première fois que Charles s’intéressait à mes petites amies. Auparavant, il avait déjà
tenté de me « barboter » Siham, en vain d’ailleurs.
Quoi qu’il en soit, Charles entreprend ses premières approches, sans savoir qu’Ada me tient au courant.
En ce temps-là, les garçons ne pouvaient « voir les filles » qu’au delà de la barrière ou sur le seuil de la
porte au mieux, car l’« entrée » devait faire l’objet d’une demande officielle, ce qui signifiait déjà un
engagement sérieux, en attendant les fiançailles, étape suivante.
On n’en était pas là.
Ada habitait au lieu dit « la Drève », à la limite de Châtelet et Presles. Un samedi, Ada m’informe que
Charles l’a invitée à une petite promenade, sur le chemin du bois de Châtelet, à proximité de son domicile,
tel jour, à 17h. Insidieusement, elle me propose de lui couper l’herbe sous le pied, en venant la chercher à
16h30.
Ce jour-là, par beau temps, vers 17h30, nous étions confortablement installés sur un talus accueillant du
chemin du bois, quand Léon passe en voiture, accompagné de Madame Remacle, arborant tous deux de
larges sourires. J’avais compris.
Après avoir reconduit Ada, je repasse chez les Michaux. Madame Remacle, toute amusée, regorgeait de
qualificatifs. Charles était aussi repassé; tout penaud, reconnaissant son échec. Le lendemain, il remontait
cependant à la charge pour une vaine revanche.
Conséquence d’un jeu apparemment anodin : mes sentiments s’étaient sensiblement étoffés pour la fille
qui m’avait prouvé les siens.
Incidence collatérale : le lendemain, j’entamais l’étude de l’italien par la méthode « Assimil »!
10
A l'époque, l'autoroute A54 n'existait pas. On n'en était qu'au contournement de Genappe par l'ancienne route.
18
Dans l’immédiat, il suffit de noter que le service militaire était obligatoire à l’époque, sauf rares
dispenses, pour raisons sociales ou physiques. Les étudiants pouvaient cependant bénéficier de sursis d’un
an, renouvelables, afin de ne pas devoir interrompre leurs études. J’étais de ceux-là. Je n’avais cependant
pas introduit ma dernière demande, présumant d’un heureux résultat lors de l’ultime session d’examens.
J’aurai l’occasion d’en reparler.
Les finances.
D’abord, le fameux « canon à oranges » destiné à révolutionner le carnaval de Binche, comme disaient
ses concepteurs, dont l’ami Charles : l’attraction du char de Polytech lors d’une certaine Saint-Verhaegen.
Sa structure : un tube métallique de forte épaisseur, de 6 à 7 cm de diamètre, correspondant à celui d’une
orange moyenne, de 40 à 50 cm de longueur, obturé à la base et percé juste au-dessus d’un petit trou de 2
à 3 mm d’ouverture.
Technique opératoire : alimentation par la gueule d’une dose de carbure de calcium et insertion à serrage
d’une orange qui servira à la fois de bourre et de projectile.
Injection d’eau par l’orifice prévu à cet effet, la réaction sous pression engendre un mélange détonnant,
qui ne demande qu’à exploser en présence de la flamme d’une allumette, ce qui propulse l’orange à une…
dizaine de mètres au mieux. Pas très performant ce canon révolutionnaire.
Conciliabule : il est évident que le mélange est trop pauvre en oxygène, mais, j’y pense, si on injectait de
l’eau oxygénée. Premier essai, l’orange est propulsée à une cinquantaine de mètres, dans une rangée de
badauds qui ne s’attendaient pas à recevoir semblable projectile heureusement mou, mais éclaboussant.
Les oranges, en état assez avancé, étaient achetées à vil prix par cageots entiers.
Après notre passage, les pharmacies étaient vidées du précieux comburant. L’honneur de la Polytech
était sauf et j’étais assez fier d’y avoir contribué in extremis.
Les représentations extra muros.
Les poils, nantis de trois étoiles11 au moins, pouvaient faire partie de la délégation invitée par les
organisations de la correspondance.
11
Années d'ancienneté à la Faculté (réussies ou non)
19
C’est ainsi que, à l’issue d’une guindaille mémorable je me suis retrouvé avec Jean, aux petites heures,
devant les portes fermées de la gare de Gembloux. En désespoir de cause, nous avons tâté les voitures en
stationnement de nuit, pour en trouver une qui voulait bien s’ouvrir à notre requête. Nous y avons passé le
reste de la nuit sans être dérangés, mais néanmoins inquiets. Au lever du jour, nous étions dans le premier
train, afin de ne pas rater la première heure de cours. Présents mais somnolents.
Inutile de continuer à ramer. Rejoignons directement notre pieu, cela ira mieux demain.
L’expédition montoise était mieux organisée.
L’ami André Dumont, un ancien de l’athénée de Châtelet, poil de la Faculté montoise, m’avait garanti le
gîte et le breuvage, la prise en charge complète. Beaucoup trop : le punch servi à la grosse louche et la
bière coulaient à flots dans le cortège, au départ des chars équipés en conséquence. Particulièrement
soigné et à défaut d’entraînement, je ne tardais pas à appeler du secours, je ne tenais plus la route.
Empoigné par quatre solides gaillards, dirigés par l’ami André, je fus transporté à la cale (synonyme de
kot) promise.
L’expression « prise en charge » prenait tout son sens.
Tambourinage à la porte. De mauvaise humeur, la « basin »12 ouvre en râlant et mes porteurs me basculent
dans un lit, puis s’en vont gaîment prolonger la guindaille, André y compris.
Mes vagues souvenirs s'estompent, je m’endors profondément.
Quand j’ouvre les yeux, il fait grand jour. Un inconnu est dans la pièce, il fait sa toilette, s’habille et se
tire, comme si je n’existais pas. Je rêve. Non, je suis bien éveillé, mais encore dans les brumes de la veille.
Mystère. Où suis-je ? Je me passe la tête sous le robinet et je m’habille, ce qui signifie que je m’étais donc
déshabillé la veille! Devenu amnésique? Sortons.
A l’adresse du premier passant : « Où suis-je, monsieur? » Question insolite semble-t-il à en juger par la
réponse : « Sur le trottoir, monsieur. » Mais encore, en fait, j’étais à Hyon. Rejoindre la gare et le
Solbosch, encore une journée de perdue et plus de nouvelles de l’ami André.
Vingt ans après.
J’étais ingénieur en chef-directeur du Service de la Sambre. Membre du Rotary, à ce titre, il m’arrivait
de côtoyer, entre autres Gaston Stassin, directeur de la Fabrique de Fer, lequel m’annonce un jour la
prochaine visite d’un de ses adjoints pour un problème de rejet d’eaux usées à réaliser selon les normes
imposées. Effectivement, je reçois la visite d’un certain Karl Choquet (devenu par la suite directeur de la
Fafer). Présentation du projet, mise au point de quelques détails. Entretien terminé, je reconduis poliment
mon visiteur jusqu’à la porte de mon bureau. Au moment de le saluer, il m’annonce tout de go:
-« Je vous connais, vous savez.
-?
- Nous avons couché ensemble.
-??? »
La blague d’André Dumont, lequel était coutumier du fait. A l’époque, il m’avait fourgué dans le pieu
de son copain Karl sans l’en avertir. En rentrant, Karl, voyant un type dans son lit avait compris. Il s’en est
accommodé en me repoussant pour se faire de la place. Le matin, il a eu tout le temps de m’observer alors
que moi, j’étais toujours dans les « vaps »(les brumes de la veille).
Il s’imposait d’arroser ces retrouvailles inattendues, je l’ai fait rentrer. Nous avons siroté l’apéritif en
reparlant de certains souvenirs truculents de nos vertes années, illustration parfaite de la chanson de
Marie-José Neuville:
« Nous nous retrouverons, enfin devenus sages,
Bouffis de préjugés, bourgeois à notre tour,
Et nous saurons comme eux, nous imposer l’usage
De regretter l’école, nos printemps nos beaux jours ».
12
dérivé féminin de "baes" patron en néerlandais.
20
Retour à juillet 1949.
Dernière délibération et proclamation solennelle suivie d’un vibrant « Semeur », assemblée debout,
professeurs et étudiants confondus. Cérémonie d’autant plus émouvante qu’on le tient ce fameux diplôme
: nous sommes proclamés « ingénieurs civils des constructions »!
Premier : Henry Maréchal (+) : grande distinction.
Deuxième : Léon Michaux : grande distinction. Bravo et félicitations Léon!
Destiné à s’intégrer et assurer la pérennité de l’entreprise familiale, prospère au demeurant, le grade
d’ingénieur civil ne lui était pas nécessaire, sauf, éventuellement, à imposer un certain respect intellectuel
à ses interlocuteurs potentiels en matière de dialectique professionnelle.
Entreprendre et réussir aussi brillamment pour la gloire: chapeau Monsieur Michaux !
Troisième : Vincent Dubois : distinction. La grande m’échappait d’un fifrelin. Un peu râlant, mais
insignifiant par rapport à l’importance du parchemin, garantie d’un avenir de qualité.
Après la proclamation le professeur Willems (+), demande aux néo-ingénieurs civils des constructions
de se retirer dans un local voisin, en vue d’une importante communication. En fait, sa fonction principale
était Directeur Général des Voies Hydrauliques (Ministère des Travaux Publics) et, accessoirement chargé
du cours de voies navigables écluses, et barrages, ce qui lui valait le titre de professeur « extraordinaire ».
Il nous annonce que le Ministère des Travaux Publics recrute à titre temporaire, selon une procédure
accélérée, tant est grande la carence en ingénieurs des Ponts et Chaussées, alors qu’en cette période de
reconstruction les besoins sont énormes.
Le traitement annuel de base s’élève à 113 000 F, augmentation de 7 200 F la deuxième année et
ultérieurement, augmentations biennales du même import. Le service militaire est pris en compte pour
l’ancienneté. Voilà qui est alléchant quand on n’a rien en vue et un service militaire à tirer.
Les inscriptions seront reçues par Monsieur Burette (+), Directeur du Personnel; dûment prévenu, il
nous accueillera cet après-midi. Déjà ! La plupart des douze rescapés sont preneurs, sauf Léon, exempté
du service militaire pour raisons de santé (!) et de toute façon destiné à l’entreprise familiale. Soit, mais
d’abord fêter l’événement comme il se doit.
En fin d’après-midi, légèrement euphoriques, on se présente chez Monsieur Burette qui, effectivement,
nous attendait avec un petit sourire entendu. Nous avons été inscrits sur simple présentation de notre carte
d’identité; il est vraisemblable que le Directeur Général avait communiqué la liste des lauréats. Nous nous
sommes alors quittés en nous souhaitant mutuellement bonne chance.
Ainsi se termine la période universitaire et commence une autre histoire, qui s’étalera sur beaucoup plus
de cinq ans.
Rétroactes.
Vocables, us et coutumes d'époque.
En 1945, je "riais" avec Ada …et Siham (pour mémoire).
L'année suivante, je "sortais" avec Ada, ce qui était beaucoup plus significatif. Le week-end, on se
donnait rendez-vous là où il y avait animation: ducasses, bals, ou, tout simplement, au cinéma. En plus,
nous convenions d'un jour et d'une heure de la semaine pour nous voir. Où ça ? Le père Faini n'autorisait
les sorties que le samedi ou le dimanche. Qu'à cela ne tienne. Je monterai à "la Drève" à motorette; quand
Ada entendra la pétarade de l'engin, elle sortira et nous pourrons "fréquenter"13 un moment sur le pas de la
porte.
13
"Fréquenter", dans cette acception du terme, se dit "fare l'amore" en italien (traduction littérale déconseillée)
21
Car, pour franchir le seuil, autrement dit "faire son entrée", il aurait fallu que je demande l'autorisation
du chef de famille, formalité simplifiée par comparaison au cérémonial bourgeois impliquant les parents:
les uns devaient demander aux autres la main de leur fille au profit de leur fils. Même simplifiée, la
démarche me paraissait assujettissante, d'autant plus délicate que le père Faini m'était décrit comme
hypocondriaque aux humeurs variables.
Attendons l'occasion favorable, laquelle s'est présentée sous forme d'une averse providentielle.
Considérant que, par ce temps-là, on ne laisserait pas un chien dehors, la mère Malvina nous a invités à
rentrer. Le père était absent, ce qui arrangeait bien les choses. Compte tenu de mes impératifs, il est
convenu que je pourrai venir passer la soirée le mardi et le vendredi, par dérogation aux usages, selon
lesquels le "galant", qui avait demandé et obtenu "l'entrée", venait "voir les filles" le jeudi, le vendredi
étant le jour des veuves, disait-on.
Et quid du père Faini ?
Il sera prévenu de mes prochaines visites; je n'aurai plus qu'à le saluer poliment.
Et, de mieux en mieux, par analogie, nous serons deux.
Lors de nos sorties du week-end, Ada était régulièrement accompagnée de sa sœur Davida (+) et de son
jeune frère Benoît (+), un joyeux drille. Se joignaient régulièrement à nous des candidats aux faveurs de la
grande sœur. En âge de se marier, après une ou deux déceptions, elle était à l'heure du choix, et ce fut
Lucien (+) même âge que moi, jour pour jour.
Et c'est ainsi que le jour J, nous étions deux.
Premier contact sans problème; sauf à comprendre le sabir du père Faini. Il parlait une espèce d'italien
francisé qui appelait souvent traduction. Il était passionné de jeux de cartes. Aussi, le soir, lors de nos
visites, nous nous retrouvions dans la seule pièce du rez-de-chaussée, bientôt rejoints par des voisins qui
passaient directement à table pour la partie de cartes journalière.
Atmosphère guère propice au roucoulement des amoureux.
Vers 20h30, les voisins se retiraient, le père montait se coucher et la bienséance nous invitait à prendre
congé. Bien tristes soirées, à part les quelques bécots échangés sur le pas de la porte au moment du départ.
Un certain soir, ma mère me demande de déposer un message au domicile d'un voyageur de commerce,
qui habitait rue de Namur, donc sur mon chemin. Je savais qu'il était en instance de divorce, en rapport
avec les infidélités de son épouse. Celle-ci, très jolie d'ailleurs, m'accueille avec un plaisir évident et me
présente à son amie, tout aussi aguichante. Toutes deux de joyeuse humeur, ce qui s'explique par la
présence sur la table d'une bouteille de mousseux largement entamée et deux verres vides, elles m'invitent
à m'associer à leurs libations, considérant que je suis un "envoyé de la providence". J'accepte un verre par
politesse et annonce mon départ.
"- Déjà ? Où vas-tu qui soit si urgent ? Tu ne te plais pas en notre compagnie ?
- Si, mais ce soir, je vais voir ma bonne amie.
- Où ça ?
- A la Drève, à Presles.
- Ah! Tu vas voir la "lumeroche".14
- Ben… oui.
- Tu ne crois pas qu'une soirée avec nous serait plus agréable ?
- Peut-être, mais… Ada m'attend.
- Va, tu ne sais pas ce que tu perds. Notre bonjour à la "lumeroche". "
Les GSM n'existaient pas à l'époque. Pas la moindre possibilité d'annoncer une panne de moto
diplomatique. Je ne saurai donc jamais ce que les deux coquines me réservaient. N'y pensons plus.
Il s'avère néanmoins que les soirées à la "Drève" sont plus ennuyeuses qu'amoureuses. Frustrant. Nous
ne sommes quand même plus des enfants de chœur et le cœur a ses raisons …qui excitent l'imagination.
Si on tentait de forcer les prolongations après le couvre-feu familial ? Bonne idée. Il ne coûte que
d'essayer.
14
Lumeroche : animal folklorique semblable au dragon montois, qu'on sortait chaque année lors de la fête de Presles.
22
Après la retraite des visiteurs et du père Faini, cette fois nous ne prenons pas congé, ce qui intrigue, bien
entendu la mère Malvina. Afin de se faire comprendre sans mot dire, geste classique, elle remonte le
réveil. Sans effet. On le sait qu'il est 9 heures. Debout, elle nous observe, Lucien et moi, comprend notre
passivité concertée, en prend son parti, nous souhaite le bonsoir et monte se coucher. Pari gagné.
Enfin seuls. Ces fins de soirée nous permettaient dès lors l'intimité que recherchent les amoureux. Pas
question cependant de "franchir le Rubicon", par respect pour la sacro-sainte virginité qu'il y a lieu de
sauvegarder jusqu'au mariage, d'autant plus que… .
Ce que je ne savais pas.
Depuis pas mal de temps, de " braves gens bien intentionnés " avaient prévenu Ada et sa famille que
notre idylle ne la conduirait nulle part, qu’elle serait larguée aussitôt mes études terminées et qu’elle avait
bien tort d’éconduire des prétendants sérieux, qui lui proposaient le mariage à bref délai.
Ces propos laissaient planer un doute dans la famille. Sans le savoir, j’étais suspect. Et pourtant, mon
intention était pure, mais, à l’époque, il n’était pas question de fonder un foyer sans être en mesure de
pouvoir subvenir à ses besoins. Or, je n’avais encore qu’un diplôme en perspective et un service militaire
à accomplir, avec solde de 10 F par jour. Assez léger.
Par contre, une information diffusée peu avant la dernière session d’examens annonçait une prochaine
majoration de la solde des miliciens mariés. Voilà qui donne matière à réflexion.
Il est quasi certain que je serai diplômé sous peu et que, les douze mois de service militaire me
donneront la possibilité de choisir un emploi. En effet, les entreprises de génie civil recrutent des
ingénieurs. Les offres abondent dans les journaux.
En conséquence, ne serait-ce pas l’occasion de précipiter les événements ? Se marier avant le service et
profiter de l’hypothétique majoration d’allocation.
Pas très convaincant le raisonnement, mais néanmoins accepté par mes parents. Ils proposent même de
nous héberger pendant les permissions. Entre-temps, Ada pourra rester chez elle, si elle le souhaite.
Excellent programme que je m'empresse de lui proposer.
Je m'attendais bien à un effet de surprise, mais pas dans de telles proportions; elle croyait rêver. Elle
réalisait à la fois la consécration anticipée de ses espoirs légitimes, mais aussi et surtout, la fin de
l'abominable hantise qui la minait à mon insu.
Quand les "braves gens bien intentionnés" apprendront la nouvelle, ils en déduiront qu'il s'agit sans
aucun doute d'une obligation éthique, qu'on aura l'occasion d'apprécier dans quelques mois. Ils seront bien
déçus.
Décision est donc prise de célébrer le mariage avant l'appel sous les drapeaux, mais après la
proclamation du 20 juillet. Ce sera donc le 23, ce qui appelle des formalités administratives préalables,
tant civiles que religieuses, car pour satisfaire la famille italienne, il faudra bien passer par l'église.
Soit, mais en période de "bloque"15 et d'examens, je ne pourrai m'en occuper. Qu'à cela ne tienne, Ada
démarchera avec joie.
Je ne pouvais cependant échapper à une corvée: confession et communion préalables à la bénédiction.
Or, l'office aura lieu à Presles, je devrai donc passer d'abord par le curé du Faubourg, aux fins d'obtenir le
"certificat de conformité", à présenter à son collègue de Presles, avant la bénédiction nuptiale. Mais le
brave officier du culte ne l'entend pas comme une simple formalité. Il estime qu'un sacrement aussi
important nécessite une instruction préalable. Je suis donc convoqué à la cure à cet effet.
A l'heure du rendez-vous, je me présente sans souci de toilette: tenue relaxe et pas rasé (gain de temps).
"Si son bagage se rapporte à son plumage"aura pensé le saint homme, qui entreprend un remake de mon
éducation religieuse, pour en arriver à la procréation, condition sine qua non du mariage, en français sans
quoi non, c'est-à-dire… . Constatant mon ennui, voire mon impatience, il s'enquiert de mon métier.
"- Etudiant, dernière année, ingénieur civil;
- Où ça ?
- ULB. "
15
Révision intense des matières à présenter.
23
Voilà qui précipite la fin de l'entretien. On se reverra à l'église, le jour des noces au petit matin pour la
confession, la communion … et l'attestation.
C'est ainsi que, en cette fin juillet 1949, j'ai eu droit à cette décade exceptionnelle :
le 20 : proclamé ingénieur civil ;
le 23 : marié ;
le 27 : affecté et entrant au Service de la Sambre (Ministère des Travaux Publics) à Charleroi ;
le 1er août : appelé au service militaire.
Le Service militaire
________________
A la Force Aérienne.
Affectation aussi bienvenue qu'inattendue: garantie de ne pas rejoindre les forces terrestres d'occupation
en Allemagne et espoir de permissions hebdomadaires, essentielles pour un jeune marié.
Centre d'instruction de Melsbroek, 10 h00. L'aventure commence.
Les mesures anthropométriques : je mesure officiellement 1, 595 m, je pèse 57,2 kg et ma capacité
pulmonaire atteint 4,1 litres. Bon pour le service.
L'équipement et la terminologie anlo-saxonne:
le battle dress (équipement de combat), tenue militaire normale;
la tenue de P.T (prononcer pî tî) initiales de Physical Training (Education Physique);
le cap, traduction du calot (sans floche);
le kit bag, sac fourre-tout, dans lequel on range son équipement lors des mutations. Il se présente
alors sous forme d'un cylindre de 80 cm de long et 40 cm de diamètre, que l'on porte sur l'épaule.
L'installation dans la chambrée (nous sommes une petite trentaine) et les premières instructions:
démonstrations de la façon réglementaire de faire son lit, de plier ses vêtements et de les présenter
lors de l'inspection (astuce: le soir, placer son pantalon sous le matelas, le lendemain, il sera repassé);
désignation d'un chef de chambrée qui sera responsable de l'entretien et de la propreté;
l'horaire: 6h00 réveil, 6h15 appel au lit, 6h30 salut au drapeau…;
les différents grades et leur identification… ;
le salut militaire….
On appendra par la suite la signification du piquet, 5 ou 6 hommes, désignés selon un rôle préétabli,
disponibles à tout moment; sur simple appel de la sirène, ils doivent se présenter dans les 3 minutes,
alignés au corps de garde, prêts au service qui leur sera demandé. Les retardataires et les absents seront
mis au rapport du commandant qui déterminera les peines.
Bien entendu, les hommes de piquet, soumis à des gardes et corvées sont exempts de loisirs, pour autant
qu'il y en ait.
Le service se termine à 18 heures, avec droit de sortie, pour aller où ? Melsbroek n'est pas
nécessairement un lieu de villégiature et Bruxelles n'est pas tout contre, or, il faut être rentré pour l'appel
au lit à 22h00. Dès lors, reste la cantine ou tout simplement la chambre, on en profite pour lire, astiquer le
matériel ou encore dormir, car les journées sont épuisantes.
Elles sont essentiellement consacrées aux exercices physiques et au "drill". En rangs par trois,
l'instructeur nous fait marcher au pas, en cadence, balancement des bras, tête gauche, tête droite, une deux,
gauche droite,…escadrille, halte, une, deux. Car, bien que "rampants", notre peloton porte le nom
d'"escadrille"!
24
De même, nous apprendrons que les diverses unités de la Force Aérienne se nomment "Wings":
héritage de la guerre et de la glorieuse Royal Air Force. J'aurai l'occasion d'en reparler.
Le régime disciplinaire.
Les infractions graves sont sanctionnées par le chef de corps : arrêt de chambre, salle de police, cachot.
Les corvées sont laissées à l'appréciation des petits chefs, en fonction de leur humour, du genre : "Y a-t-
il des cyclistes parmi vous ?" Des mains se lèvent. "Vous êtes donc qualifiés pour ramasser les petits
papiers dans la cour !"
Plus méchantes les brimades du samedi, avant la permission hebdomadaire, de midi jusqu'au dimanche
minuit.
Programme du matin : un cross sévère. Les petits malins, qui demandaient le rapport du médecin pour
raisons d'ampoules au pied, étaient effectivement exemptés de chaussures, mais pour deux jours, et donc
exempts de week-end !
Autre style, le sadisme de l'officier instructeur. A 11h, prêts pour le départ, tombe l'annonce:
dépaquetage (déballage et présentation de l'équipement) ou encore; inspection des fusils.
Une fibre de tabac trouvée dans une poche devenait un paquet entier; une légère adhérence sur une dent
de la fourchette prenait la dimension d'une pomme de terre et une poussière dans le canon du fusil
assimilée à un nid d'araignée , avec la douloureuse sanction tant redoutée: "consigné".
Frustration différemment "appréciée" selon les tempéraments: le pleurnicheur qui ne pourra rejoindre les
jupes de sa mère, le caïd qui rêve de crever les pneus du capitaine et ceux qui râlent en mordant sur leur
chique.
Une véritable coupe transversale de la société, ce centre d'instruction. Tous les spécimens y sont
représentés: depuis les manuels primaires jusqu'aux intellectuels prétentieux en passant par la gamme
intermédiaire: les émotifs, les durs, les instables, les poltrons,…et les cas spécifiques, voire maladifs.
Je pense à ce gars, d'apparence saine et normale, mais surexcité à l'exercice, au point d'en perdre ses
moyens et le contrôle de ses mouvements. Au drill notamment: "En avant marche, gauche…" et il partait
du pied droit. "Balancez les bras" oui, mais à contresens. Considérant qu'il s'agissait d'un "cas",
l'instructeur le fait sortir des rangs pour une leçon particulière. Sous le regard des autres, sa pathologie
neurologique évidente ne pouvait que s'accentuer: "A gauche, gauche"… et il part à droite. Au stand de tir,
c'était le paroxysme: les premières détonations, accentuées par des effets de résonance, le rendaient fou, il
courait dans tous les sens, les mains sur les oreilles, cherchant à s'enfuir. Sur avis médical, il fut exempté
de drill et de tir. Heureusement !
L'Université apporte des connaissances. Le service militaire apporte des enseignements d'un autre ordre
: la débrouille, la discipline, la connaissance des autres, leurs valeurs, leurs faiblesses, leurs
préoccupations… et aussi savoir souffrir une injustice.
Contrairement à l'opinion publique répandue à l'époque, pour un candidat cadre, une année passée dans
ce laboratoire sociologique apporte un éclairage humain inattendu, de nature à tempérer la rigueur
scientifique des futurs chefs.
Le matin, lors de l'appel aux lits, le sergent de semaine s'enquiert réglementairement des demandes
d'audience chez le commandant ou chez le médecin. Rapport du commandant généralement sollicité pour
dénoncer une injustice (peine perdue) ou pour obtenir une faveur justifiée, sauf à y être convoqué d'office,
à l'intervention d'un petit chef, pour raisons d'indiscipline, comportements déplacés,… étant entendu que
l'officier commandant est le seul juge d'application des peines. Dans ce cas, le "prévenu" était prévenu.
Mais moi, je ne l'étais pas quand je fus convoqué. Qu'est-ce qui m'arrive ?
En fait, en dépouillant les fiches remplies le jour de notre arrivée au centre, le commandant avait
constaté que le néo-ingénieur Dubois n'était candidat ni sous-officier, ni officier de réserve. Et pour cause,
cela impliquait 13 ou 15 mois de service au lieu de 12.
Ce qui me donne droit à la harangue.
25
"- Vous êtes ingénieur, l'armée manque de cadres de votre niveau de formation. Par devoir civique,
vous devriez vous porter candidat !
- Mais je suis marié depuis trois semaines, mon commandant et 12 mois, c'est déjà fort long.
- Taratata, ce que vous perdez en quantité sera largement compensé en qualité, niveau intellectuel,
social, accès au mess des officiers, sans parler du statut en cas de mobilisation et de guerre… . (Brrr)
- J'entends bien, mon commandant, j'en conférerai avec mon épouse."
La jeune épouse, en manque de mari, se familiarisait avec sa nouvelle famille : mes parents, bien sûr,
mais aussi mes grands-parents; il lui arrivait de séjourner à Pont-de-Loup, ce qui lui permettait de faire
connaissance avec les "gens de la rue", qui la trouvaient sympathique. Bien accueillie, partout, le
"veuvage" ne lui pesait pas outre mesure, d'autant plus que, comme l'avait fait remarquer un cycliste à son
coéquipier, de passage, le jour de notre mariage : "Ệ v'la co yèn' qu'a s'pension faît'"(encore une qui a sa
pension garantie).
Va donc pour les trois mois supplémentaires, "si ça peut te faciliter la vie". Et je fus donc candidat
officier, à l'école de Nivelles.
A Nivelles.
26
quand je me compare aux autres. J'évoque mes prestations antérieures. A l'athénée notamment, mes
sélections à l'occasion de démonstrations publiques. Je réclame la possibilité de prouver mes dires devant
ces messieurs.
Echange de petits sourires en coin, mais requête néanmoins acceptée: cet après-midi à 14h00.
Effectivement, les chefs sont présents dans la salle de gymnastique à l'effet d'apprécier mon pseudo
savoir faire. Je fais placer le "bock" et le "plint" à bonne hauteur et me livre à une série de sauts: droits,
plongés, roulés, latéraux. Je passe ensuite à la "bôme": suspendu en "pronation", à la force des bras, je
monte en appui tendu, idem en "supination" suivi de basculement et renversement. Je passe ensuite aux
cordes: nouveaux renversements, déplacement latéraux avec balancements rythmés. Quelque peu
essoufflé et…énervé, je déclare que je défie n'importe quel élève de ma promotion d'en faire autant. Et, sur
ma lancée, j'ajoute: "je défie même le sergent PT de reproduire le numéro que je vais exécuter":
performance particulièrement délicate, que j'avais apprise à l'athénée et que j'entretenais régulièrement,
afin de pouvoir la reproduire à tout moment. Partant de la position accroupie, il s'agissait de se mettre en
équilibre sur les mains, les genoux prenant appui sur les coudes et, ensuite, monter "en poirier" en
conservant l'équilibre. Le sergent PT n'a pas eu l'occasion de réagir, sauvé par le départ précipité des
officiers qui ne riaient plus.
Le soir-même, un instructeur m'avisait que j'étais "repêché".
Je me suis posé bien des questions à ce sujet, car certains de mes collègues étaient absolument nuls en
PT. J'en ai déduit que la seule explication était ma petite taille, que le sergent considérait comme
incompatible avec le prestige de l'officier, ce qui n'était pas de sa compétence. J'en ai conçu une soif de
vengeance, me promettant bien d'être particulièrement performant lors du deuxième cycle, toutes
disciplines confondues.
De l'insolite à l'agréable.
Nous sommes rejoints par une dizaine d'officiers, pilotes de surcroît. Recyclage ? Non, régularisation à
la belge, tout simplement.
Ces officiers, formés par la Royal Air Force, avaient combattu et y obtenu leurs promotions. Transférés
à la Force Aérienne, après la guerre, avec grades et qualités, ils devaient néanmoins régulariser leur
situation administrative, impliquant la réussite d'un examen, d'où leur présence à l'école d'officiers …de
réserve. Simple formalité "bidon".
De fait, les officiers n'étaient astreints qu'aux cours théoriques, qu'ils suivaient en dilettantes. Le
mercredi, si la météo était favorable, "il y avait vol": ils rejoignaient leurs unités respectives et pouvaient
s'adonner à leurs ébats aériens. Ils ne manquaient pas de venir nous saluer par quelques passages sur la
base, qui se terminaient par un balancement d'ailes en guise d'au revoir.
Bien sympathiques ces pilotes, autre mentalité, probablement héritée de la guerre: profiter du temps
présent devant l'incertitude du lendemain.
Le soir, on les retrouvait au mess des officiers, nous y étions admis ; ils nous initiaient à leur jeu favori
le "pitches'bac"(orthographe non garantie), qui n'est pas le 421, qui s'assimile davantage au "poker d'as": 5
dés aux faces reprenant les 6 majeures du jeu de carte, de l'as au neuf. La gradation des séquences
correspond au jeu de poker, depuis la simple paire, jusqu'au "quinquet" (5 faces les mêmes), avec des
règles implicites, qu'on apprend à ses dépens et qui sont aussi impératives qu'un règlement militaire.
J'aurai l'occasion d'en reparler.
Et passe le temps, la dernière instruction du grade, les examens et la proclamation. Mon objectif vengeur
est atteint: je suis premier de la promotion, ce qui engendre la réflexion d'un officier instructeur: "Et dire
qu'on a failli l'éliminer au premier tour", que j'ai eu la satisfaction d'entendre.
Comme prévu, les officiers pilotes ont tous réussi, hors classement.
Encore quelques jours de détente à Nivelles en attendant notre macaron d'adjudant (préalable à celui de
sous-lieutenant) et notre affectation pour la période restante: 7 mois.
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Entre-temps, pour les levées suivant la mienne, la durée de service militaire ordinaire avait bien évolué.
Du fait de la guerre froide et de la guerre de Corée, de 12 mois, elle était passée à 15, puis 18, 22 et même
25 mois. Je l'avais échappé belle.
L'"accueil".
16
Caserne située boulevard Général Jacques, face à la plaine des manœuvres, aujourd'hui devenue campus de la VUB.
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Les "opérateurs", volontaires de carrière, ont la responsabilité du matériel mis à disposition, les seuls
autorisés à s'en servir s'il échet, et, en dehors de l'outil, point de service. Ainsi donc, si l'usage de la dame
sauteuse est requis, l'opérateur qualifié sortira de sa léthargie pour effectuer le travail, sauf à constater que
le matériel est en panne, auquel cas… .
Telle est l'organisation militaire que j'apprends à connaître.
Néanmoins, les travaux avancent bon train, grâce à la diligence de certains miliciens avertis et
courageux.
Nonobstant son éloignement, il arrivait que je fréquente le mess des officiers, notamment quand j'avais
l'occasion de m'y faire véhiculer. Au mess, protocole oblige: d'abord se présenter aux officiers que l'on ne
connaît pas, passer à table à l'heure précise et ne s'asseoir que sur invitation du chef de corps.
Le soir, l'atmosphère est beaucoup moins guindée, et donc, plus sympathique. D'abord, on est moins
nombreux; la plupart des militaires de carrière attachés à la base sont des "living out": ils prennent leur
service à 8h00 et disparaissent à 17h00. Ceux qui restent sont des célibataires ou des officiers en mission
momentanée au XVe Wing, en "subsistance" selon l'expression consacrée, essentiellement des pilotes en
stage de conversion (d'avions légers aux avions de transport).
Indépendamment ou pendant les parties de "pitches'bac", on cause, on m'interroge, depuis celui qui me
demande comment éviter que les odeurs de WC ne se répandent dans son living, jusqu'au pilote qui
souhaiterait une amélioration du balisage de piste à Schaffen.
C'est ainsi que, à tire d'aile, je me suis retrouvé en mission d'un jour sur plusieurs aérodromes militaires,
en tant qu'expert, alors que j'avais tout à apprendre en ce domaine!
Mythes et réalités.
Pendant la guerre de mouvement, l'efficacité de l'aviation de chasse et de combat était limitée en rayon
d'action, vu leur faible autonomie de vol, d'où la nécessité d'aménager sommairement et rapidement des
aérodromes de campagne, permettant l'avitaillement en carburant. Selon la nature du terrain, les pistes
étaient consolidées en surface par des éléments métalliques préfabriqués, soit du "square mash" (treillis à
larges mailles) ou des plaques de "PSP" (tôles trouées à bords recourbés permettant l'emboîtement).
Cette technique efficace, rapide, économique, mais sans ambition de durée, a peut-être exalté
l'imagination de nos ingénieurs militaires.
Il est certain que nos aérodromes n'étaient plus compatibles avec le développement de la flotte aérienne,
d'où la nécessité de renforcer et d'allonger les pistes, si possible, et/ou de créer de nouvelles bases. Dans ce
dernier cas, l'implantation en terrain sablonneux a paru tout indiquée pour des raisons économiques
évidentes: la construction des pistes ne nécessite (apparemment) qu'une "simple" stabilisation du sol, par
incorporation de ciment et d'eau, dans des proportions à définir en laboratoire. Le WEC dispose du
matériel spécifique adéquat, dont j'ignorais même l'existence : rouleaux à disques (pour le malaxage), à
pieds de mouton (pour le compactage), rouleaux lisses (pour la finition) … .
Oui, mais…
Au hasard des conversations, j'apprends qu'une piste expérimentale est en cours de réalisation à Coxyde
(ou à Lombardsijde). Effectivement, le sable des dunes est plus pur, mais en contrepartie, il est plus fin et
est exclu dans la confection des bétons traditionnels. Autre écueil: la quantité de ciment à prévoir, en
rapport avec la garantie d'un malaxage parfait. Il est certain que les conditions de travail au laboratoire ne
sont pas transférables au chantier. Homogénéité incertaine et quid de l'hydratation ? La prise du ciment
nécessite un environnement aqueux de 2 à 3 heures, or l'eau déversée percole en milieu perméable. Dès
lors ?
Quelques semaines plus tard.
La piste expérimentale est en service.
29
Les "Tiger Moth" et "SV4" 17 s'en accommodent fort bien, par contre, le premier "spitfire" qui s'y est
posé a failli crasher, la stabilisation n'ayant pas résisté à l'impact de l'atterrissage.
Amené officieusement sur place par le personnel navigant du XVe Wing, je ne pouvais que constater les
dégâts et conclure à l'inadéquation du procédé.
A Beauvechain. Ier Wing de chasse.
En mission, cette fois. J'y retrouve des officiers que j'avais connus à Nivelles.
Avant toute chose, je dois savoir qu'en dehors des pistes principales, il existe un "taxi-track" qui y donne
accès et un "perimeter track", sur lequel sont greffés des aires de stationnement (standing area), à
construire. Si j'ai bien compris, en pré alerte, les "météores" (qui ont remplacé les "spits"), viennent
prendre position sur les aires en question, prêts au décollage, via le "perimeter track".
Le problème. La moindre fuite de carburant provoque une dilution du liant du tarmac, entraînant le
déchaussement des pierrailles, aspiration par les réacteurs et dégâts concomitants.
La solution: réaliser des aires en béton.
" - Oui, mais le béton est très visible.
- Qu'à cela ne tienne, il suffira d'y incorporer du noir de fumée et vous aurez toutes les nuances de
gris, à moins que vous ne souhaitiez un bariolage de couleurs champêtres.
- Excellente idée."
Mon gag était pris au sérieux et avec insistance : "chouette idée".
Comme fut dit fut fait, après recherche des pigments idoines et essais de dosage en laboratoire.
Probablement un cas unique en Belgique. D'en haut, je n'ai jamais eu l'occasion d'apprécier le résultat.
En mission à Zellik
.
Le colonel m'appelle et me tient à peu près ce langage : « Le lieutenant Kelder est en subsistance au
DMA (Dépôt Matériel Approvisionnements) avec une quinzaine d"hommes, il a pour mission de monter
deux hangars préfabriqués. Après un an, il en est seulement à entamer le deuxième. Un renfort lui serait
bien nécessaire. Je compte sur toi pour diligenter les opérations avec autant d'efficacité que ce que tu as
démontré ici. »
Merci pour l'appréciation flatteuse, mais cela implique encore un déménagement pour une mission assez
vague, en tant qu'adjoint à un officier inconnu et sans garantie de résultat.
A pied d'œuvre, mes inquiétudes se dissipent.
Informations administratives: en subsistance, nous ne dépendons pas du commandement de la base. Le
lieutenant est le seul chef de l'équipe mise à sa disposition (essentiellement des flamands).
Information technique: le montage du deuxième hangar implique l'implantation des points d'appui et le
bétonnage des socles, sans se tromper, comme ce fut le cas pour le hangar précédent. Ensuite, ce n'est plus
qu'un jeu de mécano, mais on est tributaire de l'aptitude et de la bonne volonté des miliciens.
Compris, pour le lieutenant, c'est la bonne planque; par contre, le colonel compte sur moi pour accélérer
le mouvement. Antinomie? On verra; le lieutenant me paraît bien bon et sympathique, c'est l'essentiel.
Installation assez confortable, repas au mess des officiers, un peu seul le soir, car Kelder est assez
souvent de sortie.
Au travail. A défaut de géomètre, il m'incombera de vérifier l'implantation des supports et d'établir des
repères de niveau, afin de permettre les terrassements et le bétonnage des blocs de fondation.
Vient ensuite le montage de la charpente, ce qui implique la mise en place et le déplacement
d'échafaudages… .
Constatation indéniable: ça n'avance pas et les miliciens flamands n'apprécient pas d'être commandés par
un francophone.
Je profite d'un congé de Kelder pour tenter une expérience. J'avais noté la progression moyenne du
groupe sur une semaine. Le lundi, je leur propose le double de la prestation hebdomadaire habituelle, avec
17
Biplans légers.
30
promesse de permission aussitôt le travail accompli. Le mercredi midi, programme réalisé. J'étais bien
embarrassé; ils avaient travaillé d'arrache-pied, même le soir après le service, mais je ne pouvais pas, en
l'absence du lieutenant, en plus, déroger de façon aussi substantielle au règlement, que je ne connaissais
pas très bien d'ailleurs. Je leur ai expliqué mon embarras en leur promettant que je signerais leur titre de
congé jeudi soir.
La semaine suivante, plus prudent, je triple la dose hebdomadaire, en leur précisant que, au meilleur des
cas, je ne pourrais les mettre en permission que le vendredi midi.
Performance nénmoins accomplie et promesse tenue.
Le lundi suivant, Kelder était de retour,…et convoqué chez le chef de corps du DMA.
Motif: avoir accordé des permissions abusives à son personnel, circonstance ayant engendré la réaction
justifiée des autres miliciens de la base.
Bon, on ne le fera plus.
En attendant, le montage du hangar était pratiquement terminé.
Les travaux étaient achevés lorsqu'on fut rappelé à Evere. En cause…
La question royale
.
Rappel historique.
- 10 mai 40. L'Allemagne envahit la Belgique.
- 25 mai. Le Roi refuse la subordination constitutionnelle. Il ne suit pas le gouvernement en exil. La
rupture est consommée.
- 28 mai. Le Roi capitule.
- juillet 40. Hitler interdit toute faveur aux Wallons, alors que la plupart des prisonniers flamands sont
libérés. Eveil d'une conscience wallonne.
- 19 novembre 40. Le Roi rend visite à Hitler à Berchtesgaden.
- 1941. Il épouse Liliane Baels, qui devient Princesse de Réthy.
- 7 juin 44. Le Roi est transféré en Allemagne, puis en Autriche.
- mai 45. Le Roi est libéré par les Américains.
- 20 septembre 44. Le Prince Charles est élu Régent du Royaume.
-19 juillet 45. Le gouvernement est divisé; le retour du Roi est subordonné à une proclamation des
chambres constatant la fin de l'impossibilité de régner.
La question royale domine la politique belge pendant 5 ans.
-12 mars 50.Consultation populaire qui révèle un clivage Nord-Sud.
58 % en faveur du retour du Roi (72 % au Nord, 42 % au Sud).
- 20 juillet. Les chambres réunies constatent la fin de l'impossibilité de régner.
- 22 juillet. Le Roi rentre à Laeken.
Déclenchement d'un mouvement d'opposition émaillé de grèves et d'affrontements violents.
- 1er août 50. Marche sur Bruxelles au lendemain du drame de Grâce-Berleur; la gendarmerie a ouvert le
feu sur les grévistes: 4 morts et des dizaines de blessés.
Dans la nuit du 31 au 1er, le Roi cède ses pouvoirs au Prince Baudouin.
- 16 juillet 51. Abdication officielle.
- 17 juillet 51 Prestation de serment du Roi Baudouin.
Evere, 31 juillet.
Veille de la marche sur Bruxelles, à risque insurrectionnel, d'autant plus qu'elle est interdite.
En cas de recours à l'armée, l'autorité a estimé que les "bleus" de la Force Aérienne seraient mieux
"tolérés" que les paras commandos.
Néanmoins, s'il faut y aller, ce ne sera pas en touristes.
Le matériel roulant est chargé d'armes, de munitions et même de "field rations" (vivres de réserve),
comme si on devait soutenir un siège, des équipements de combat sont distribués.
31
Brrr! Que je n'aime pas cela. Je ne me vois pas commander le tir sur des manifestants dont je partage
l'opinion… et quid du comportement de la troupe en pareille occurrence ?
Au mess des officiers plus garni que d'habitude, on n'échappe pas au sujet de conversation, les
consciences divergentes s'expriment:
- Nous avons juré fidélité au Roi.
- Et obéissance à la constitution.
- Le Roi est chef de l'Etat et de l'Armée.
- Dans le respect de la constitution.
- Sous le contrôle du gouvernement… .
Les avis sont politiquement partagés, mais la discipline militaire semble l'emporter sur les convictions
personnelles.
Plongé dans mes inquiétudes et cogitations d'hypothèses, je suis sauvé par l'annonce d'une corvée
providentielle: je suis officier de garde à la base, pour les prochaines 24 heures.
Dès lors, en toute décontraction, et même avec désinvolture, je revêts mon harnachement de combat :
ceinturon relâché, pistolet à droite, képi négligemment rejeté en arrière. Ainsi affublé, je me présente sur
le seuil, juste comme passait le colonel.
" - Tu te prends pour un cow-boy ? Quelle est ton affectation ?
- Officier de garde à la base.
- Annulé. Puisque le Far West t'inspire, tu accompagneras Kelder en intervention."
Comme quoi, si l'armée est un grand cirque, les clowns n'y sont pas appréciés.
En attendant, retour à la case départ, avec circonstance aggravante, en cas d'intervention, je suis certain
du rôle d'officier adjoint, qui me sera dévolu en cas d'affrontements. Joyeuse perspective.
32
Premier et unique rappel.
Deux ans plus tard, je reçois effectivement un avis m'invitant à prester un rappel statutaire d'un mois,
date à convenir et possibilité de fragmenter selon mes obligations professionnelles. En accord, avec mon
chef de service, nous convenons de deux fois quinze jours.
Première quinzaine.
A la date convenue, je me présente aux ordres de mon chef de corps, qui est toujours le colonel
Jaumotte.
"Ah! Te revoilà. Tu tombes bien, l'équipe de Chièvres n'arrive pas à bout d'un petit travail qui ne devait
exiger que deux ou trois semaines au plus. Comme je me souviens de ta performance de Zellik, il ne te
faudra pas 15 jours pour en terminer."
Et me voilà, en subsistance, à Chièvres (VIIe Wing de chasse) qui n'est pas la porte à côté.
L'objectif concerne l'imperméabilisation des fondations de la tour de contrôle, ce qui n'est pas
nécessairement ma spécialité. Les travaux sont en cours, à l'intervention de quelques miliciens, sous la
direction d'un sous-officier, en congé de maladie. La technique utilisée ne me paraît pas conforme au code
de bonne pratique et je doute de l'efficacité du résultat. En parelle circonstance, je n'ai pas le cœur à
l'ouvrage, d'autant plus que la tour se trouve à deux km du cantonnement et que le "jeep stop" n'est pas
toujours apprécié par certains officiers, qui considèrent que ce mode de transport leur est exclusivement
réservé.
N'insistons pas, même si je m'ennuie, la quinzaine sera encore vite passée.
Par contre, la quinzaine suivante, changement d'atmosphère et de rythme. C'est "manœuvre". Les pilotes
et autres officiers "living out" sont consignés à la base. Au VIIe Wing, vient s'ajouter le Xe Wing en
formation, destiné à émigrer à Kleine Brogel. A 19h00, fin du service, il y a du monde au mess.
Et si pilotes il y a, ambiance il y aura.
Je retrouve les "joyeux" de Nivelles, qui m'associent d'office à leurs activités ludiques, le "pitches'bac"
par excellence, et ses règles implicites, que le néophyte apprend à ses dépens, et qui risquent de lui porter
préjudice s'il ne s'y soumet pas.
"Coup parti". Nous sommes une quinzaine de participants. A chaque tour, le détenteur du meilleur score
est sortant jusqu'au moment où il n'en reste plus qu'un, qui aura le douloureux plaisir de régler la tournée,
à moins que… . Le premier sorti, tout heureux, est le néo-commandant adjoint du major Dumonceau, chef
de corps du Xe Wing ; "living out", il ne connaît pas les règles implicites. Quand on lui annonce que le
premier sorti doit commander les verres, sous peine de devoir les payer, il se rebiffe, considérant
que,…que… . Très échauffé, le major intervient: "Je paie la note du commandant et j'offre une tournée
supplémentaire pour effacer la mauvaise impression laissée par un officier de mon unité. Le jeu continue,
"coup parti", et il relance les dés. Confus, le brave commandant manifeste l'intention de se retirer. "Pas
question, aucun joueur n'a le droit de se retirer s'il ne l'a déclaré avant la partie précédente !"
Le lendemain, le commandant était muté, viré du Xe Wing !
33
La carrière
___________
A l'Administration.
Lors de mon apparition le 23 juillet 49, le directeur était absent et l'ingénieur principal en congé régulier.
Le troisième, qui habitait la région liégeoise, en profitait pour se permettre quelques libertés.
Par contre, le 3 novembre, la situation est plus claire: le directeur, que je n'ai fait qu'apercevoir, est
chargé de fonctions supérieures à Bruxelles et l'ingénieur principal fait fonction de directeur à Charleroi..
Mise au courant.
D'abord, un peu d'histoire, sans remonter pour autant à Marie-Thérèse ou à Louis XIV.
A quelques améliorations près, la Sambre est toujours dans l'état d'aménagement réalisé sous la période
hollandaise, avant 1830 : barrages à poutrelles doublés d'écluses permettant le passage de bateaux de 300
tonnes (spits).
Par sa configuration et son rôle économique, un distingue la Haute Sambre "rurale" et la Basse Sambre
"urbaine" et industrielle. La limite conventionnelle se situe à hauteur de la centrale électrique de "Jambe
de Bois", à Monceau.
La Basse Sambre souffre des affaissements miniers et des inondations endémiques qui en sont la
conséquence.
Chef de service, à l'époque, un illustre prédécesseur, Armand Caulier, initie un programme complet
d'aménagement de la rivière, après la crue exceptionnelle de 1926. Priorité à la Basse Sambre qui en a le
plus souffert.
Le programme comprend le remplacement des barrages vétustes par des ouvrages modernes de grande
capacité d'évacuation, la rectification du tracé, des approfondissements et élargissements, de façon à
garantir l'évacuation des plus grands débits sans débordements.
Les normes ainsi définies permettront la navigation aisée de convois remorqués, comprenant des unités
de 600 tonnes; nouvelles écluses à dimensionner en conséquence. 19
A défaut d'expérience de terrain, mais imbu de théories, il m'incombe de calculer et dimensionner les
nouveaux ouvrages d'art que le programme implique: vannes de barrages, portes d'écluses, nouveaux
ponts de plus grande portée.
19
Antérieurement, la navigation était limitée aux bateaux de 300 T sur la Haute Sambre et 350 T sur la Basse Sambre. En 1953,
la loi dite des 1350 T a incorporé la Basse Sambre dans le réseau. La longueur des bateaux à admettre passait de 38 m à 80 m et
la largeur de 5 m à 9,50 m. Ecluses à dimensionner en conséquence.
34
Travail accompli, fier du résultat de mes cogitations, j'en présente la quintessence au chef. Il veut bien
reconnaître la valeur de l'approche, mais estime qu'il y a encore moyen d'affiner et de gagner du poids,
donc de réduire le coût. Au troisième essai, j'ai compris, il fallait bien m'occuper en attendant les
réalisations toujours retardées faute de crédits.
Pas découragé pour autant, je m'attelle à une nouvelle conception plus pragmatique des portes d'écluses
appuyées sur trois côtés, en me basant sur une distribution des efforts non conventionnelle, mais beaucoup
plus proche de la réalité et débouchant sur une structure originale nettement plus économique.
Cette analyse a d'ailleurs été publiée dans les "Annales des Travaux Publics", et, plus tard, les portes
d'écluses de Mornimont, de Floriffoux et de Roselies ont été réalisées selon ce nouveau concept.
De même j'ai calculé et conçu le pont de Soye (près de Floreffe) conformément à une logique non
traditionnelle.
Fort bien, mais, en attendant, me faire calculer et recalculer, question de m'occuper, sans perspective de
réalisation, je rechigne et commence à lorgner sérieusement vers le secteur privé.
Des collègues de promotion m'annoncent leurs revenus plantureux dans leurs entreprises de génie civil.
C'est tentant. J'envisage de bifurquer, je réponds à quelques offres, j'irai même jusqu'à postuler une chaire
à l'Université d'Elisabethville en gestation !
Entre-temps, la situation évolue aux Travaux Publics. Depuis la guerre, il n'y a plus jamais eu de
concours des Ponts et Chaussées, de nature à régulariser les nombreux temporaires que nous sommes.
Court historique
.
Avant-guerre, un concours des Ponts et Chaussées était organisé tous les ans. N'étaient retenus que les
lauréats, premiers classés, en fonction des places disponibles; les autres étaient invités à présenter la
session suivante, étant entendu que les nouvelles promotions d'ingénieurs étaient susceptibles de révéler
des valeurs supérieures.
Tel était l'élitisme de l'époque..
Vu leur ancienneté de 4 ou 5 ans, les temporaires revendiquent leur nomination sans examen. Le
Ministre n'accepte pas mais se décide à organiser un concours.
Les durs refusent de s'y inscrire, considérant que l'Université les a déjà consacrés.
Les prudents, dont je suis, se méfient des plus jeunes recrues, qui s'inscriront et qui nous précéderaient
au tableau de préséance, en cas de réussite.
Pour rappel, en ce temps-là, les lauréats du concours des Ponts et Chaussées étaient classés selon leur
résultat et les promotions au grade de directeur étaient attribuées en fonction du classement.
En conclusion de cette analyse, nous sommes une quinzaine de "dissidents" décidés à nous inscrire.
35
directeur général des Voies Hydrauliques, professeur extraordinaire à l'ULB et très proche du cabinet du
Ministre libéral des Travaux Publics, compétent en matière de nominations. Danger. Si le premier et le
troisième sont nommés, je reste sur le carreau pour quelques années encore.
Je demande audience au directeur général, mon ancien professeur, et me fais reconnaître, sans difficulté.
Je lui fais part de mes inquiétudes, qui me paraissent bien justifiées, car il me demande si je connais
Octave Pinkers, bourgmestre libéral de Charleroi et me suggère d'obtenir une recommandation de sa part.
Voilà qui devient clair, mais me laisse perplexe, en tant qu'affilié au parti socialiste de Châtelet.
Qu'à cela ne tienne. Qui ne risque rien… .
Sans difficulté, je suis reçu par le bourgmestre Pinkers.
J'appréhendais les questions embarrassantes …qui n'ont pas été posées.
Après avoir discrédité mon chef, qu'il qualifiait de "négatif", tout en rédigeant, il me demande si je crois
aux recommandations "dites politiques". Néophyte dans l'art, je me borne à répondre que c'est un souhait
du Directeur Général.
Grand bien vous fasse, dit-il, en me remettant le document.
Vœu exaucé. Quelques semaines plus tard, j'étais promu ingénieur en chef directeur à l'Administration
des Routes à Bruxelles. Normal, j'étais en ordre utile. Par contre, comme l'avait pressenti mon collègue
administratif, le troisième bénéficiait d'une promotion similaire, au détriment du premier, qui restait sur le
carreau, en dérogation à l'ordre établi.
Une première qui sera suivie de bien d'autres.
En attendant, je me retrouvais ingénieur en chef directeur des Ponts et Chaussées, à 33 ans, le plus jeune
de Belgique et …nommé par un Ministre libéral.
Fiesta.
Déception, par contre, pour mon chef, qui, dans le foulée, postulait une promotion au grade d'inspecteur
général.
Par réaction et pour des raisons de convenances personnelles, il me propose une permutation, qui
m'arrange au plus haut point: il prend ma fonction à Bruxelles et je m'installe dans son bureau à Charleroi.
Un rêve qui se réalise.
Résultante d'un tempérament spécial: ma façon de concevoir la vie ne laisse pas de place aux temps
morts : je travaille, je m'amuse ou je dors.
36
Et quelques mois plus tard, le cours d'Ouvrages d'Art, en promotion sociale (niveau B1), à raison de 3
heures/semaine.
Je postule et obtiens les deux charges après examen.
A savoir que les 5 heures (de 50 minutes) de prestation nécessitent le double du temps en préparation, au
début du moins. Du fait, j'abandonne Châtelet, mais je me porte candidat répétiteur de leçons de
mathématiques, par voie de presse, et je récolte 2 ou 3 élèves, que je reçois à domicile à raison d'une heure
par semaine, chacun.
Et ce n'est pas encore assez.. Mes beaux-frères sont entrepreneurs dans le bâtiment. Ils se limitent à la
construction de maisons unifamiliales, qu'ils pourraient réaliser sur simples indications du maître
d'ouvrage. Cependant le permis de bâtir est conditionné par la fourniture d'un plan, que je pourrais
produire, à titre onéreux, bien entendu. Oui, mais l'Ordre des Architectes vient d'être créé et les plans
doivent être signés par un homme de l'art. Or, en tant qu'ingénieur civil indépendant, Léon Michaux
(encore lui) s'est inscrit à l'Ordre, à tout hasard, comme il en avait le droit.
Du fait, je pouvais dresser les plans et les faire signer par l'ami Léon, que je ne pourrai jamais remercier
à due concurrence.
Dans la foulée, un entrepreneur de gros bâtiments, chargé accessoirement de menus travaux pour le
Service de la Sambre, me demande de calculer l'ossature en béton armé d'un immeuble à étages. Travail
d'envergure, mené à bonne fin au terme de quelques week-ends. L'ouvrage résiste toujours, il s'agit du
"Charlemagne", boulevard Tirou, à Charleroi.
En dépit d'un emploi du temps déjà bien chargé, auquel il faut ajouter les prestations musicales, je me
crée encore d'autres activités.
A caractère philanthropique.
L'Association des Anciens de l'Athénée de Châtelet ne sort pas de la léthargie lui imposée sous
l'occupation. Avant-guerre, l'Association s'occupait essentiellement du prêt des manuels scolaires et aidait
les élèves en difficulté pécuniaire. Constat de carence, j'alerte quelques "nouveaux" anciens, qui acceptent
de reconstituer un comité, à condition que j'en prenne la présidence, fonction que j'assumerai pendant
quelques années.
Des manifestations de prestige et de rapport seront organisées: thés dansants, bals ("Nuits des Anciens"),
rallyes touristiques…, afin de reconstituer un fonds social d'entre aide et de mise en valeur de
l'enseignement officiel.
En 1960, l'ami Léon, membre fondateur du Rotary Club de Charleroi, sollicite ma candidature, j'accepte
et suis admis au sein de l'organisation, que j'aurai à présider quelques années plus tard. A mon actif, un
cycle de conférences consacré aux problèmes économiques et sociaux: les transports, les services, les
entreprises vues par le syndicat et le patronat… . J'ai également initié la première "opération carrières"
destinée aux élèves de terminales de l'enseignement secondaire, tous réseaux confondus, tout en restant
dans les limites de la circonscription, bien entendu. Quatre-vingts informateurs, de professions différentes,
étaient à disposition pour répondre à leurs questions et leur permettre une orientation en connaissance de
cause: grandeurs et servitudes de la profession.
A caractère philosophique
.
L'Extension de l'ULB.
Comme son nom l'indique, cette organisation vise la promotion de l'Université, en province
principalement. A cet effet, elle réunit un noyau de professeurs de disciplines différentes disposés à
développer des sujets d'actualité ressortissant à leur compétence : la Cybernétique (G. Boulanger), les
Mathématiques modernes (G.Papy), une autre Histoire de Belgique (J. Stengers)… . Exposés de
vulgarisation, de haut niveau intellectuel, mais fortement snobés par d'autres affiches de prestige, qui
37
attiraient davantage la clientèle bourgeoise: l'Exploration du Monde, Les Amitiés Françaises, et, nec plus
ultra, les Galas Karsenty, parade des smokings, des robes de soirée et compétition des bijoux.
Gênant de devoir présenter une sommité universitaire devant une dizaine de personnes. Le président, le
juge Liard, propose un élargissement du comité avec l'objectif d'accroître les moyens médiatiques et toute
initiative propre à améliore la consistance des auditoires. Quelques anciens accepteront l'invitation. Je
deviendrai le secrétaire du comité élargi, ce qui me vaudra probablement d'être aspiré dans un monde plus
vaste, animé de tolérance, de fraternité, attaché au perfectionnement de l'humanité, à la recherche de la
Vérité par la Science.
Et que restait-il pour les loisirs ? Quelques heures le dimanche matin, que je consacrais à… .
Un peu par hasard, un petit groupe d'amateurs s'était constitué autour des artistes peintres Hector
Chavepeyer et Henri Poppe. Jules Van Daele, propriétaire du café, situé juste en face du "monument",
place Franco-belge, avait mis un local plus ou moins confortable à disposition. Dans une atmosphère "bon
enfant", on y apprenait les rudiments du dessin artistique, la perspective de l'artiste, basée sur
l'observation,…certains s'essayaient à la couleur. C'était le cercle "Entre-nous", qui a engendré, par la
suite, le cercle photographique. Bref, il y avait de quoi s'occuper chez Van Daele, d'autant plus qu'en
repassant par le café, je ne manquais pas de me faire accrocher par l'un ou l'autre joueur de belote. Je
n'échappais pas aux sollicitations "pittoresques" du truculent avocat Lahaye et, quand je rentrais, l'heure
du midi étant largement entamée, j'avais droit aux vertes "considérations" de mon père, le maître de céans.
Les vacances.
Les vacances scolaires permettaient déjà un répit appréciable dans les activités secondaires.
Par contre, l'Administration n'octroyait que huit jours ouvrables à prendre "au choix, selon les nécessités
du service".
Pour pouvoir en profiter au maximum, une petite voiture serait la bienvenue.
Après trois mois de prestations rémunérées, un peu court pour en envisager l'acquisition, d'autant plus
que j'aurai des emprunts d'études à rembourser.
A moins que d'intéresser mes grands-parents (ma grand-mère) à la question.
J'avais eu l'occasion d'essayer la nouvelle Renault 4 CV (le meilleur marché).
Je ma suis avisé d'aller leur raconter, sans plus, les performances d'une aussi petite voiture, néanmoins
confortable et tout le blabla, interrompu par mon grand-père, à l'adresse de la matrone :
- ass' (as-tu) compris ?
La question intelligente qu'il fallait poser.
- Combien ça coûte ?
- 40 000 F. Je pourrais allonger un acompte de 10 000 F et contracter un emprunt bancaire à
rembourser en deux ans, mais à taux d'intérêt élevé.
Résultat de ma démarche "anodine": je bénéficierai d'un prêt de 30 000 F, à rembourser à ma
convenance et sans intérêt.
Youpi ! C'était gagné. Et ce qui ne gâche rien, c'est que ce prêt se transformera rapidement en don.
"Enfin j'ai une auto", chanson en vogue à l'époque.
Voilà qui nous permettait d'envisager les vacances sous des horizons plus lointains.
Des amis avaient acquis presque simultanément une voiture semblable, qu'ils souhaitaient faire bénir à
Lourdes. Et de nous proposer le voyage de conserve.
A mots couverts, j'ai compris que mon père serait tenté par un "pèlerinage" à la ville "sainte". Atteint
d'une maladie irréversible, il ne pouvait plus espérer qu'un miracle.
Et nous fûmes donc à Lourdes, en voyage inaugural.
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Affligeant spectacle que ce rassemblement de personnes handicapées, à des degrés divers, implorant la
Vierge Marie en commun : prières à haute voix, cantiques… .
Non croyant, non pratiquant, mon père participait aux offices et ne manquait pas la procession du soir.
Les larmes aux yeux, je le voyais chanter l'Ave Maria avec ferveur et la foi du condamné, qui espère
encore un miracle qui ne viendra pas.
Il me rappelait son frère, mon parrain Auguste, cavalcadour impie, s'il en fut, également rongé par la
silicose. Lui aussi avait espéré le miracle et avait participé au pèlerinage dans le cadre d'un voyage
organisé. Il en était revenu dévot, il invitait son épouse à réciter le chapelet en communion avec lui,
plusieurs fois par jour, ce qui n'a pas empêché la sinistre maladie d'achever son œuvre.
Au départ de Lourdes, nous n'avons quand même pas manqué les excursions traditionnelles : cirque de
Gavarnie, pont d'Espagne, col d'Aspin, Peyresourde et le retour par les Cévennes, gorges du Tarn… qui
nous ont laissé de bien meilleurs souvenirs. Heureusement
Pour mon père, ce fut le dernier beau voyage.
Pour nos amis, c'était le désir de rééditer semblable expédition, lors des prochaines vacances, vers
d'autres destinations bien entendu, le Midi, la Provence… en profitant de l'expérience acquise.
D'abord choisir la période idoine.
En premier, valoriser au mieux nos huit jours de congé. La période Ascension - Pentecôte permettait
d'en tirer treize jours20, au printemps de surcroît.
Et profiter de l'expérience acquise. Rien ne sert de réserver des hôtels. Des auberges accueillantes se
trouvent le long des routes; on y mange bien: plats locaux en abondance, vin à volonté et le gîte est
correct. Pas de luxe, mais après le voyage, la ripaille, le prix importe plus que le décor. On avait constaté
un rapport constant entre les différents tarifs: 400 FF (d'époque) pour la nuitée, 400 FF pour le repas du
soir (tout compris) et …40 FF pour le pastis, de telle sorte que le pastis était devenu l'indice de référence,
préféré au guide Michelin.
Le midi, pas question de restaurant; pique-nique au bord de la route, matériel de camping et victuailles
du terroir.
Ah! Les jolies vacances sur les routes de France et d'ailleurs. 21
Modèle que n'aurait jamais pu partager mon directeur, qui ne connaissait que le chemin de fer et la
"superbe" organisation suisse.
D'ailleurs, il nous appelait "les Romanichels"!
C'était le bon temps. Et le temps passe.
20
A l'époque, le samedi matin était presté et postulait donc un demi-jour de congé.
21
La formule était moins séduisante en Allemagne, en Autriche, même en Italie, mais surtout en Suisse.
39
1991. Ma mère s'effondre, à Hymiée à l'âge de 87 ans.
Retour à 1959.
Maintenant fixé dans l'espace et dans le temps, probablement jusqu'à la fin de ma carrière (65 ans), ne
serait-ce pas le moment de fonder mon propre foyer ?
Considération fondamentale : logé et chauffé gratuitement, depuis neuf ans déjà, je dispose d'économies
à investir judicieusement, "dans des briques", selon la logique de mes ascendants.
Considérations occasionnelles : dégradation progressive du climat familial. Mon père, aigri par la
maladie qui le ronge, fait sentir l'autorité du maître à bord. Le gosse donne matière à discordes, mon
épouse subit des invectives, sans se plaindre il est vrai. Ma "way of life" (façon de vivre) est contestée
parce que dérangeante, jugée trop dispendieuse (!) et néfaste à la santé.
Conclusion : mise en application du vieil adage : "mariage demande ménage".
Considérations optionnelles: maison ou appartement ? L'appartement élimine les soucis d'entretiens
extérieurs, condition déterminante du choix.
Localisation: en toute logique: il s'indique de rechercher une opportunité à proximité du bureau et de
l'Athénée de Charleroi (ce qui ne fait pas l'unanimité, mon épouse aurait préféré rester à Châtelet).
Ma prospection s'arrête au droit d'un immeuble en construction, au coin de la rue Saint Charles et 't
Serclaes de Tilly: "14 appartements à vendre, s'adresser à la Société Koeckelberg et fils".
Marché conclu.
Les travaux seront terminés en 1961. L'heure du déchirement est arrivée.
Restait encore le secret espoir que le fiston achèverait ses humanités à l'Athénée de Châtelet et
continuerait à habiter chez mes parents.
Pas question, puisque contraire à la logique du choix.
En septembre, la mort dans l'âme et les larmes aux yeux, Maurice rentrait à l'Athénée de Charleroi, dont
l'architecture austère lui rappelait furieusement une prison. En très peu de temps il devait s'adapter et
même se faire "apprécier" pour ses espiègleries.
De son côté, Ada liait rapidement connaissance avec la voisine de palier.
Bref, mutation globalement réussie, sauf pour mes parents qui ne regrettaient pas tellement notre départ,
mais celui de leur dieu.
Le personnel se félicite de ma promotion à la tête du Service, et, par la même occasion, du départ de
mon prédécesseur.
René D. était un travailleur honnête, rigoureux, mais asociable, négatif, comme le qualifiait le
bourgmestre Pinkers, du genre chef d'école. Le 2 janvier, à l'issue du laïus spirituel du chef de bureau, il
daignait accorder congé l'après-midi, "bien que non réglementaire". Ste Barbe, St Nicolas, connaît pas. Il
n'acceptait pas de transistor dans les bureaux, même à l'occasion du Tour de France et des exploits d'un
certain Eddy Merckx.
Bref, bon débarras; le copain devient le chef. Bravo.
Oui, mais pour le nouveau chef, ce n'est pas tout avantage d'avoir d'abord été copain. Il faudra beaucoup
de psychologie et de patience pour faire admettre la hiérarchie qu'impose la fonction.
Vu de l'extérieur, le préjugé n'est pas favorable.
Selon les principes de Peter, le Service a perdu deux éléments de valeur: un directeur chevronné et un
bon ingénieur (paraît-il) qui devient directeur à 33 ans. Certains se réjouissent déjà d'assister à la
déglingue du Service, (mon prédécesseur notamment), d'autant plus que, dans le même mouvement, mon
40
collègue chevronné rejoint un Service liégeois à sa demande, de telle sorte que je me retrouve seulement
assisté de deux jeunes ingénieurs fraîchement émoulus de l'Université. 22
Comme je le fis dans les mêmes conditions pour le pont de Soye, Raymond Grosjean sera le concepteur
et le réalisateur du pont de Ham/Sambre, au départ du bureau de dessin du Service, sans la moindre
assistance extérieure.
Châtelet est de nouveau sous eau, ainsi que des quartiers de Farciennes, Aiseau… .
Le Roi est de nouveau annoncé et attendu par les Ministres des Travaux Publics, des Affaires Sociales,
les chefs de cabinet, les directeurs généraux… assemblés à l'Hôtel de Ville, où sont provisoirement
hébergés les sinistrés habituels.
Le gag, en attendant la visite royale. Le père Michaux, en tant qu'échevin de la ville est évidemment
présent. Il apostrophe le professeur Willems, Directeur Général des Voies Hydrauliques et chef de cabinet
du Ministre Van Audenhove:
" - Et votre fils, il a bien réussi ?"
Passablement agacé, il répond: oui, oui.
" - E tè la mettu à l'Administrâtion, d'abôrd (et tu l'as mis à l'Administration)
- Non, Non il est aux ACEC
- E poukwè né à l'Administrâtion ? (et pourquoi pas à l'Administration)
- (silence)
- Pasqui ti n'lè pay' né assé ! " (parce que tu ne les payes pas assez).
En tant que Directeur Général des Ponts et Chaussées, Gustave Willems défendait volontiers le statut
de ses ingénieurs et cette remarque incongrue venait bien à propos.
Ce n'était pas la première fois que le Roi venait constater l'ampleur du désastre et le désarroi de la
population.
En d'autre occurrence, le Gouverneur Cornez m'avait demandé de diriger le Roi, là où sa présence serait
la plus indiquée. J'avais notamment proposé la rue de Bouffioulx, inondée la veille par la Biesme. Le Roi
ne se bornait pas à constater les dégâts, il souhaitait réconforter les sinistrés. Le bourgmestre Van
Mechelen propose de rendre une visite royale au vieux communiste du coin, un indécrottable. Son épouse
procédait au nettoyage de circonstance.
Le Roi s'exprime :
" - Dans votre malheur, vous avez encore la chance d'avoir une femme alerte.
- Oyi, alert', alert', mé el' ni vout pu fé l'amour." (alerte, oui, mais elle ne veut plus faire l'amour)
Le Roi a ri.
En face, une dame alitée aurait souhaité la visite du Souverain. Je lui en ai fait part et il s'est rendu à son
chevet.
Ce n'était pas la première fois que les circonstances me mettaient en présence du Roi. Je crois que les
renseignements personnels, qu'il détenait à mon sujet, ne devaient guère lui convenir. Ce jour-là, au
moment de prendre congé, il me toisa et laissa tomber, glacial: "je vous remercie pour ce que vous faites".
A la suite de ces inondations du 31 janvier, les événements allaient se précipiter.
22
Par probité intellectuelle, compte tenu des valeurs, et surtout des non valeurs, je ne mentionnerai pas les Universités d'origine.
23
• Augmentation de 25 % des cotisations de pension à la charge des agents des services publics. Pour ces mêmes agents, la loi
unique prévoit le recul de l'âge de la retraite de 60 à 65 ans.
• Enfin, la loi unique remet en cause tout le système d'assurance maladie-invalidité, et celui de l'assurance chômage, en
permettant de priver de secours certaines catégories de chômeurs au bout de quelques mois, et en établissant un système
d'inquisition à l'égard des chômeurs, soumis à de multiple mesures vexatoires et à des visites domiciliaires. » (brochure de la
SPEL sur la grève générale belge).
Comme quoi, l'histoire est un éternel recommencement
41
Appelé à la Direction Générale, je suis invité à produire un programme des travaux s'inscrivant dans le
cadre de la lutte contre les inondations.
" - Mais, Messieurs, ce programme existe;
- Et où sont les projets ?
- Dans les cartons pour la plupart;
- Et pourquoi ne sont-ils pas présentés ?
- Parce que mon prédécesseur ne l'estimait pas utile, à défaut de crédits budgétisés.
- Et pourquoi prévoir des budgets s'il n'y a pas de projets ? "
Tel était le cercle vicieux que je ne pouvais soupçonner, car mon chef évitait jalousement les contacts
entre ses adjoints et l'Administration Centrale.
Dès lors, à partir de 1962, les vannes budgétaires s'ouvraient largement et les travaux pouvaient être
menés tambour battant.
42
vue de l'entrepreneur, auquel cas, je faisais jurisprudence: "Ca, même au Service de la Sambre, on
l'admet"!
Le personnel du Service s'accommodait tant bien que mal de l'accroissement du volume de travail.
L'huissier était particulièrement concerné par le volume du courrier. Il habitait Oret et prenait son bus à
la gare de Charleroi Sud. Du fait, il était chargé de déposer le courrier à la poste de Charleroi X. sa
préoccupation majeure était d'arriver suffisamment tôt (17h15 au moins), pour pouvoir bénéficier d'une
place assise, vu la distance et son âge, d'où son inquiétude quand j'étais en mission à l'extérieur. Si j'étais
attardé, le courrier urgent était signé par l'ingénieur délégué, sur décision du chef de bureau.
Scénario subséquent (ultérieurement rapporté par le sous-chef de bureau) :
16h15. Monsieur le Directeur n'est pas encore rentré.
16h20. Il n'est pas encore là.
16h25. I nè né co là, m'n hom'.(il n'est pas encore là, celui-là).
16h30. Li p'ti mè c…n'è né co rintré, mi dj'm'erva. (le petit mes c… n'est pas encore rentré, moi je m'en
retourne).
Fin 1976, restait le dernier obstacle à faire sauter, l'écluse de Moignelée, à l'occasion d'une interruption
de navigation
Malheureusement une grande crue survint au plus mauvais moment, et Châtelet dut encore en pâtir, mais
ce fut la dernière fois.
La fonction portuaire.
Fin des "Golden Sixties", la fermeture des charbonnages annonçait l'agonie de l'industrie lourde. Sans
minerai et sans charbon, la sidérurgie n'a plus d'avenir. Les économistes et les politiques prêchent la
reconversion, le redéploiement industriel à partir d'infrastructures nouvelles: autoroutes, voies navigables
ouvertes au gabarit1350 T.
A défaut d'instructions, je prends initiative.
Les normes européennes relatives aux voies navigables prévoient 28 m de largeur utile pour assurer le
croisement des unités de 1350 T, les zones de stationnement étant à prévoir en surlargeur.
En fonction des terrains disponibles, des plateformes à vocation industrielle sont réalisées en bordure de
la Sambre normalisée.
Encore faudra-t-il les gérer intelligemment, afin qu'elles n'échappent pas à leur destination. L'idée de
créer un organisme autonome de gestion m'est suggérée par M. Driessen (+), directeur général du port de
Liège.
Avec l'aide d'un adjoint administratif, je procède à l'analyse des différents systèmes de gestion portuaire.
Liège, Strasbourg, Düsseldorf, Dortmund, Anvers, Bordeaux, Lille, Dunkerke, Londres… passent au
crible.
Il en ressort une proposition d'administration portuaire, qui sera soumise à l'ADEC (Association de
Développement Economique de la région de Charleroi) et recevra son agrément. Le Port Autonome de
Charleroi sera créé par la loi du 16/01/1971 et j'en serai le premier directeur; la présidence, compétence
exclusive du Ministre des Travaux Publics (Alfred Califice), sera confiée à "l'une des personnalités les
plus représentatives de l'agglomération de Charleroi". Ce sera Robert Langrand. , pour un premier mandat
de six ans.
Ce nouveau "machin", hors normes, par rapport aux intercommunales traditionnelles, faisait sourire les
sceptiques. Et pourtant, ce moyen complémentaire de développement et de mise en valeur du territoire
allait connaître un essor, dont, moi-même je n'aurais imaginé l'ampleur.
43
L'attrait résultait essentiellement d'une politique immobilière nouvelle, imposée par les circonstances;
mais génératrice de conséquences imprévues, mais appréciées : le domaine portuaire, propriété de l'Etat,
remis au Port Autonome pour gestion, ne pouvait donc être vendu, mais simplement amodié, c'est-à-dire,
concédé à long terme. Ce qui paraissait un obstacle au candidat investisseur devenait un avantage, grâce à
un tarif de location nettement plus avantageux, comparé aux charges financières d'une acquisition
traditionnelle dans un zoning industriel
Exemple significatif et probant.
Albert Frère, grand patron d'Hainaut-Sambre, à l'époque, recherchait, un terrain voisin de ses
installations, susceptible de recevoir un laminoir moderne (Carlam), destiné à la production de tôles
enroulées (coils).
Modeste Cotton (+), liquidateur des charbonnages du Mambourg et Cie, lui proposait le terrain adéquat,
mais à un prix de vente, largement supérieur à sa valeur vénale, considérant que son interlocuteur n'avait
pas d'autre choix. C'était ignorer le hasard de circonstances, qui devait me permettre d'offrir à Albert Frère
un emplacement plus intéressant, au lieu dit la Praye24, agrémenté de conditions financières nettement
plus avantageuses.
Il en résultera une reconnaissance durable de l'homme d'affaires à mon égard, alors que je n'avais fait
qu'honorer la tâche qui m'avait été confiée.
Premier succès d'envergure, qui décontenançait ceux qui ne croyaient pas à l'utilité de ce nouveau
"machin".
Mieux, l'occupation du domine portuaire, en progression croissante, allait justifier son extension. Des
sites industriels désaffectés ont été acquis par l'Etat et assainis à l'intervention du Port.
Actions prolongées et considérablement amplifiées par mon dynamique successeur Dirk De Smet,
assisté de Michel Stryczek, permanent superactif du Port depuis sa création.
Le domaine est maintenant équipé d'une plateforme trimodale permettant les transferts route-rail-eau, 25
offrant notamment un moyen économique de décongestionner le trafic routier.
Frais de fonctionnement et état des finances.
Au départ, les conditions de gestion étaient extrêmement favorables :
- l'Etat finançait à 100 % les travaux d'infrastructure et à 60 % les travaux de superstructure;
- l'Etat mettait à disposition ses services d'exécution26 pour l'étude, élaboration des documents
d'adjudication, surveillance d'exécution, états de paiement,…jusqu'à la réception définitive ;
- En tant qu'organisme d'Etat en phase de démarrage, le PAC disposait d'une faveur substantielle du
Gouvernement : mise à disposition gratuite et "provisoire" d'une cellule de gestion.
Recettes :
Redevances des concessionnaires ;
Dépenses :
- Frais inhérents au Conseil d'Administration : rémunérations (modestes) du Président et du
Directeur), jetons de présence des administrateurs ;
- Location d'une partie du 23e étage du Centre Albert ;
- Frais de représentation limités ;
- Intervention nulle dans les travaux d'infrastructure, car intégrés dans l'aménagement général de la
Voie Navigable.
Dans ces conditions, l'actif disponible ne pouvait que s'accroître, jusqu'à atteindre 300 millions BEF en
1989, date de changements substantiels :
- Expiration de mandat du Président Eddy Stein (libéral). Il sollicite mon intervention politique aux
fins d'être reconduit …et c'est moi qui suis nommé par le Ministre Baudson (+) !
24
En 1976, viendra s'y ajouter Carinox, (production d'acier inoxydable)
25
via containers ou matériel approprié.
26
Direction des Routes de Charleroi, Services de la Sambre et des Canaux Houillers, Administration de l'Electricité et de
l'Electromécanique et, éventuellement, la Direction du Contentieux.
44
- L'actif plantureux de 300 millions énerve de plus en plus la Cour des Comptes. Anormal que l'Etat
emprunte à taux élevé, pour financer les investissements du PAC, alors que celui-ci place ses
liquidités plantureuses à un taux d'intérêt inférieur.
Logique qui fait réagir le Ministre Grafé :
- Remboursement des rémunérations du personnel mis à disposition ;
- Suppression des subsides d'investissement ;
- Elaboration et exécution d'urgence d'un plan d'investissement, à concurrence des 300 millions, sauf
quoi, plane la menace d'une confiscation du trésor de guerre régulièrement acquis.
A la demande du PAC, IGRETEC imaginera, à la sauvette, un programme d'investissements assez
farfelus, de nature à calmer provisoirement les esprits. Mon successeur s'engagera dans une perspective
plus réaliste et plus ambitieuse, profitant aussi largement que possible des subsides du FEDER (Objectif
1) et prenant judicieusement les risques y afférents, il permettra les réalisations dont question ci-avant.
Le tonnage manipulé dans les installations du PAC est un indicateur éclatant de l'opportunité d'une
initiative, mise en doute à l'époque. Encore, fallait-il la mener à bien, à l'intervention d'une équipe qui y a
cru..
De 500 000 T, en 1971, année de la création, le tonnage est passé à 3 400 000 T, en 1989, (quand je
deviens président, et, par ailleurs, bourgmestre de Gerpinnes), pour atteindre 7 000 000 T en 2006, soit
17% de plus que l'année précédente.
Au vu de ces chiffres, je me demande si je n'aurais pas dû m'effacer plus tôt.
Mon mandat de président s'achevait en 1995.
Dernier Conseil, discours de circonstance et remise du cadeau traditionnel, totalement inattendu: un
VTT, introduit dans la salle du conseil par Mireille et le personnel du Port, sous les acclamations des
administrateurs amusés, qui réclamaient un tour d'honneur.
J'ai pratiqué le VTT pendant 10 ans, hiver comme été. J'ai dû abandonner, à regret, à l'âge de 80 ans, par
sage précaution. Rangé, dans la cave, il me rappelle, au passage, la glorieuse épopée du Port Autonome de
Charleroi, qui n'a pas terminé de croître en force et efficacité.
"Port Autonome de Charleroi, j'y crois".
Considérations connexes.
Dans le même souci de faire de la Sambre un vecteur économique de développement, quelques quais
avaient été réalisés, notamment à Auvelais, Floreffe, Franière… . L'exploitation de ces équipements situés
en province de Namur, échappait cependant à la compétence du PAC. D'où, l'intérêt de créer une
organisation similaire à Namur, d'autant plus que certains terrains judicieusement situés en bordure de
Sambre à Malonne pourraient s'ajouter au domaine portuaire, indépendamment du port public de Seilles
(sur Meuse), déjà propriété de l'Etat.
Les autorités namuroises en ont décidé l'opportunité et en ont confié le parrainage à la petite cellule de
Charleroi. Le Port Autonome de Namur sera créé en 1978, l'ancien Ministre Namèche, bourgmestre de
Namur, en sera le premier président et la cellule de Charleroi gérera provisoirement jusqu'à ma mise à la
retraite.
Anecdote récréative.
En dehors des domaines portuaires, les entreprises traditionnelles disposent bien entendu d'installations
propres à leur activité, et libre à de nouveaux investisseurs d'en faire autant, moyennant certaines
autorisations de principe.
Dans cet esprit, je reçois M. Thibaut de Maisières, directeur général ou administrateur délégué des
"Laiteries de l'Entre Sambre et Meuse", qui me présente son projet de construction de silos, à Floreffe, en
bordure de Sambre, ce qui n'appelle pas de remarques particulières.
Toutefois, par courtoisie et information personnelle, j'interroge quant à l'opportunité de semblable
investissement, largement bénéficiaire de crédits européens.
A la fois simple et simpliste.
45
" - Quand la production laitière est supérieure à la consommation, la "Communauté" rachète les
excédents, de façon à ne pas laisser chuter les prix, et les transforme en poudre, à ensiler et à vendre plus
tard en période de sous-production.
- En totalité ?
- Non, il subsiste toujours un reliquat que l'on dénature.
- Et qu'en fait-on ?
- Des aliments pour bétail. "
Et le cycle est bouclé !
"Rien ne se crée, rien ne se perd". On ne pourra quand-même pas reprocher à la Communauté
européenne d'avoir perdu de vue ce vieux principe de Lavoisier.
1960. Le canal Charleroi Bruxelles et le pan incliné de Ronquières sont en voie d'achèvement.
Monsieur Bodson, directeur de Solvay Couillet attire mon attention, sur l'usage abusif qui pourrait être
fait d'une centrale hydro-électrique de 2000 Kw équipant le plan incliné. Effectivement le canal est
alimenté par pompage dans la Sambre, au détriment de son débit. Indépendamment de la centrale qui ne
fonctionnera qu'en cas de panne de réseau, mon attention est attirée sur le sérieux de l'inquiétude.
Situé en aval de l'agglomération industrielle, Solvay reçoit, pour ses besoins, des eaux fortement
polluées par les usages d'amont ; la remarque est pertinente. En période d'étiage (sécheresse), le débit à
Monceau tombe à 1 m³/sec. Tenant compte des différentes autorisations de prises d'eau: refroidissement,
nettoyage et usages divers avant rejet, j'ai calculé que le même m³ pourrait avoir servi 18 fois avant
d'arriver à Couillet, ce qui donne une idée du degré de pollution par altération considérable de la qualité
physico-chimique de l'eau.
Je subodore qu'il s'imposera de compenser les prélèvements supplémentaires prévus pour les besoins du
canal et d'en profiter pour étoffer le débit d'étiage de la Sambre, afin d'en améliorer la qualité, par dilution
de la pollution. Les sites propres à emmagasiner des eaux de surface à cet effet devront donc
nécessairement être recherchés dans le bassin hydrographique, en amont de Charleroi.
Les prospections.
En France, les deux Helpe (majeure et mineure) offrent des capacités intéressantes, mais les pourparlers
n'aboutissent pas.
En Belgique, seul le versant Sud est susceptible d'intérêt, mais les potentialités sont dérisoires: 10
millions de m³ sur la Thure; 7 millions sur la Hantes; rien sur la Biesmelle. Reste l'Eau d'Heure, mais sa
vallée est sillonnée par la ligne de chemin de fer 132, ce qui, par contre, me donne un excellent moyen de
la prospecter. En effet, j'ai tout le loisir de repérer les resserrements intéressants, mais les bassins
concernés sont fortement bâtis et les expropriations impensables.
J'ai vu, il me reste à regagner Charleroi.
Le garde train n'a évidemment rien compris
" - Vous êtes à Walcourt, Monsieur;
- Je sais;
- C'est le terminus;
- Je sais;
- Dans 15 minutes, nous repartons à Charleroi;
- Je sais. "
Il n'insiste plus, jugeant le cas désespéré.
46
A condition de déplacer (ou d'abandonner) la voie ferrée, une possibilité existe entre Silenrieux et
Cerfontaine. Elle permettrait une retenue de 25 millions de m³, soit l'équivalent du réservoir de la Vesdre à
Eupen.
Le site sera retenu comme point d'alimentation d'un réservoir plus important à constituer dans la vallée
de la Plate Taille, capable d'un volume utile de 47 millions de m³, garantie d'un débit de 4 m³/sec en
période d'étiage de la Sambre.
Le barrage de Silenrieux engendrait ainsi le "complexe des barrages de l'Eau d'Heure": barrage de la
Plate Taille et sa centrale hydro-électrique, le prébarrage et le viaduc du Ry Jaune, les prébarrages de
Falemprise et de Féronval.
Le Service de la Sambre héritera de 1800 Ha d'expropriations, des ouvrages du Ry Jaune, de Falemprise
et de 100 km de voirie.
Je me demande encore comment tous ces travaux et prestations ont pu être menés à bien, en un temps
minimum, avec un personnel de cadre un peu chaotique, tout en étant considéré comme le Service le plus
rigoureux de Belgique.
Zèle motivé par les "primes au béton" peut-être ?
J'ouvre une parenthèse pour couper les ailes à un canard, qui fait encore recette dans certains esprits
contaminés.
47
Je referme la parenthèse.
De nos jours, les travaux projetés sont largement connus de la population, de par les analyses
comparatives qu'ils engendrent, les études d'incidence, inscription au plan de secteur, enquêtes
publiques…Exemple, la E420.
En ce temps-là, le pouvoir politique décidait des objectifs. L'Administration élaborait les projets
techniquement et économiquement les plus adéquats, dressait les documents d'adjudication, proposait
l'attribution du marché et régissait l'entreprise jusqu'à son terme.
Procédure rapide efficace privilégiant l'intérêt public.
L'intérêt privé n'était pas brimé pour autant. En cas de préjudice sérieux, autre que sentimental, une juste
(et généreuse) indemnité était accordée et pouvait d'ailleurs être renégociée en justice, le cas échéant, ce
qui n'empêchait pas l'Etat d'être envoyé en possession des biens expropriés, au terme d'une procédure
d'extrême urgence.
Si les atermoiements d'aujourd'hui, "dans le souci de rapprocher le pouvoir du citoyen", avaient été
d'application à l'époque, le site de l'Eau d'Heure attendrait encore sa mise en eau et Châtelet en aurait
toujours de trop.
Un choix de société paralysant, que chacun appréciera selon sa perception de l'intérêt public.
La différence, par rapport à l'efficacité d'antan, c'est que, aujourd'hui, les gens sont bien au courant des
projets qui ne se réalisent pas, alors que, avant, ils constataient l'exécution de travaux à leur porte sans en
connaître l'objet. Pas normal non plus, que le bourgmestre de Franière, par exemple, doive me demander
audience, après sa journée, aux fins de savoir ce qui se prépare sur sa commune.
Le droit à l'information est indéniable, mais le service ad hoc n'était pas organisé à cet égard.
En conséquence, j'étais l'objet de multiples sollicitations, notamment de la presse.
A l'époque, les fonctionnaires étaient tenus au "devoir de réserve". Pour pouvoir s'exprimer
publiquement, ils devaient préalablement soumettre leur texte au cabinet du Ministre, pour censure
éventuelle.
Or, je rédigeais beaucoup, le soir et le week-end:
- Des articles purement techniques destinés à des revues spécialisées (les Annales des Travaux
Publics, l'Ossature Métallique, la Revue de la Navigation Française et Rhénane, der
Binnenschiffahrt…) références toujours bonnes à présenter lors d'une candidature à une promotion
éventuelle. Inondé de cet afflux de littérature, le Cabinet fit rapidement savoir que ce genre de
communication ne nécessitait pas de visa préalable.
- Des communications à incidence plus politique, se rapportant aux travaux en cours: le rôle
économique des voies d'eau, la normalisation de la Sambre, la justification d'une administration portuaire
à Charleroi (document rédigés lors d'un séjour en observation, à l'Hôpital Civil de Charleroi) .
Les visites guidées devaient également être autorisées.
Débordé par cette avalanche de demandes confortant en fait la politique du Ministre (puisque j'en étais
l'initiateur pour l'essentiel), le cabinet m'octroyait liberté d'expression et d'initiative.
Aujourd'hui, les chefs de service ne sont plus confrontés à ce genre de problème; ils n'osent plus
s'exprimer, le Ministre non plus d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire.
Revenons-en à la mienne.
Je fus donc abondamment sollicité par la presse d'information (objective à l'époque) et par diverses
organisations appelant nombre de causeries et visites guidées.
Le Roi Baudouin me fit d'ailleurs l'honneur d'une visite particulièrement "encadrée" à l'Eau d'Heure et
d'un passage éclair au pont de Ham//Sambre.
48
A l'Eau d'Heure.
La principale obstruction est venue de l'Administration des Eaux et Forêts, défendant, de façon assez
inattendue et suspecte, les intérêts des grands propriétaires fonciers. Dans l'espoir de me faire abandonner
le projet, sans doute, le chef de service régional est venu me déclarer, avec agressivité non dissimulée,
qu'il coterait les expropriations au maximum de leur valeur, au point de faire planter de jeunes essences,
"pour pouvoir les estimer à valeur d'avenir". A part ce couac préjudiciable à la probité de cette
Administration moyenâgeuse, les agriculteurs furent satisfaits des conditions d'expropriation.
Et les municipalités globalement comblées.
Elles y perdaient une voie de chemin de fer, largement compensée par une voie rapide de substitution,
une restructuration des voiries communales dégradées par les charrois d'entreprises et des appendices
divers appelés parkings, qui avaient curieusement la forme de terrains de football, d'aires de jeu de balle,
de courts de tennis… Preuve de satisfaction : le conseil communal de Cerfontaine décidait de me décerner
la qualité de citoyen d'honneur, une première dans l'histoire de la cité.
Diplôme qui me sera remis dans le cadre d'une manifestation aussi prestigieuse qu'inattendue, à laquelle
était conviée ma mère et mon épouse. Accueil à la maison communale et départ en cortège jusqu'à la salle
des fêtes, sous les flonflons de la fanfare locale, encadrés par la chorale en uniforme et survolés par les
avions et planeurs de l'aérodrome de Froidchapelle. La salle des fêtes est garnie de nombreux invités,
discours élogieux du bourgmestre, remise de cadeaux, récital de la chorale, "la ballade des gens heureux",
applaudissements …et je suis invité à prendre la parole. Impossible.
Le secrétaire communal, qui avait tout organisé, m'avait annoncé une cérémonie toute simple dans le cadre
d'une séance ordinaire du conseil communal. Pris au dépourvu, j'étais sans voix, dans cette même salle,
où, quelques années auparavant, j'avais tenu la harangue durant plus d'une heure, sans la moindre note,
devant 300 personnes. Etranglé par l'émotion et les larmes aux yeux, j'ai juste pu articuler "merci".
A Châtelet-Châtelineau.
Le "Lion Rouge".
Etablissement, aujourd'hui disparu, suite à l'élargissement de la rue de l'Ecluse, à Charleroi.
A proximité du bureau, il constituait un point de passage intéressant à l'heure de l'apéritif.
Joyeux habitués, patron folklorique, bière impeccablement servie… et particularité inhabituelle dans nos
régions: chacun paie sa (ou ses) consommation, sans obligation de s'attarder.
Salut, les copains, à demain
49
Chez "Sarto"(face à l'église, à la droite de l'hôtel de ville de Châtelet).
Le rendez-vous de la messe d'onze heures, le dimanche.
Point de repassage habituel d'après conférences de l' "Extension de l'ULB".
50
Mission et congrès.
Ma promotion au grade d'ingénieur en chef-directeur des Ponts et Chaussées me donnait accès à un large
éventail d'informations, que mon prédécesseur conservait jalousement par devers lui, bien que n'en
profitant pas.
J'apprends, dès lors, qu'il existe une Association Internationale Permanente des Congrès de Navigation
(AIPCN), présidée par notre Secrétaire Général. Et aussi un Congrès International des Grands Barrages
(CIGB)27, dont la Belgique est membre.
Au-delà de ces organisations internationales, la Belgique a conclu des accords de coopération avec des
pays en voie de développement.
C'est ainsi que je peux prendre connaissance d'une circulaire appelant des candidatures pour une mission
en Bolivie, à savoir :"reconnaître le cours d'une rivière, afin de juger de l'opportunité de constituer une
mission plus importante…", laquelle devrait fournir un rapport détaillé, quant aux moyens à mettre en
œuvre avec estimation du coût et justification économique.
Reconnaître une rivière, aux seules fins de remettre un avis, voilà qui m'incite à introduire ma
candidature. Une expédition en Amérique du Sud, aux frais de l'Etat, justifie bien certains risques
inhérents aux pays tropicaux. Mais il ne suffit pas de postuler, encore faut-il être désigné.
Ce fut le cas. J'étais au pied du mur.
Mission en Bolivie.
La mission est prévue en 1975, ce qui me donne le temps de m'instruire auprès d'anciens "explorateurs",
tant sur le plan technique que sanitaire…et surtout d'apprendre l'espagnol. Par ailleurs, il serait opportun
que je me documente sur la situation géo-politico-économique de cet immense pays.
Il est composé de deux régions totalement différentes. D'une part la montagne et les hauts plateaux
(zone andine et altiplano), où se situent l'industrie extractive (étain) et de transformation, les activités
commerciales et, subséquemment, les grandes villes; en gros, les 2/5 du territoire occupés par les ¾ de la
population. D'autre part, la plaine amazonienne plafonnant à 150 m d'altitude, périodiquement inondée par
les masses d'eau dévalant de la Cordillère, particulièrement dévastatrices. Les moyens de transport
terrestre sont régulièrement emportés et les rivières changent de tracé. Le Rio Mamore est la principale
rivière, qui prend naissance au pied de la Cordillère et se jette dans l'Amazone, via le Rio Madeira, d'où
l'intérêt de la domestiquer en tant que vecteur de transport : permettre l'approvisionnement des
exploitations agricoles de plaine, en produits pétroliers, et, inversement, favoriser l'acheminement de la
production et du cheptel vers les centres de consommation. Tel est objet de la mission : donner un avis
préalable, quant à l'intérêt d'une étude ultérieure de"faisabilité". Compris et… faisable.
En avril 75, je partais pour l'aventure.
Mon carnet de route renseigne jour par pour, sinon heure par heure les multiples péripéties de cette
expédition dans l'inconnu. Je n'en retiendrai que les "curiosités" essentielles.
Bruxelles - la Paz, via New York, Miami, Panama et Lima, soit 26 heures de vols et d'escales
techniques. Le ton est donné.
De Lima, en bordure du Pacifique, le Boeing décolle d'abord vers la mer, pour longer ensuite la côte,
afin de s'élever à 14 000 m avant de franchir la Cordillère des Andes. Le spectacle est féerique.
A 3 700 m d'altitude, La Paz est la plus haute capitale du monde28.
Conséquences inéluctables: réductions de la pression atmosphérique et de la température. 29
27
Sont considérés comme grands barrages, les ouvrages de retenue de plus de 15 m de hauteur.
28
Capitale administrative s'entend, en tant que siège du gouvernement. Sucre est la capitale constitutionnelle.
29
Définitions internationales de référence:
pression au niveau de la mer: 1 013 hPa (hecto pascal);
51
Les emballages hermétiques sont gonflés comme des ballons et tout mouvement précipité engendre
essoufflement et sensation de "tête vide", due à une insuffisance d'oxygénation.
J'étais prévenu et je m'adapte d'ailleurs rapidement à ce nouvel environnement.
Un attaché d'ambassade m'a réservé une chambre dans un hôtel convenable.
A peine arrivé, je suis invité à une réception organisée, à l'occasion d'une remise de décoration . Le
"pisco"30 fait partie de l'éventail des drinks offerts pour la circonstance (ne pas abuser).
J'entends que le pays est gouverné par une junte militaire et que la Force Navale (alors que le pays n'a
pas d'accès à la mer) mettra un bateau à ma disposition pour descendre la rivière jusqu'à Trinidad. La
reconnaissance de l'aval jusque la frontière brésilienne sera poursuivie en avion léger (avionetta).
En attendant les prochaines instructions, temps libre consacré à la découverte de la ville et de ses
singularités..
Les femmes indiennes portent toutes des chapeaux boules bruns.
Indépendamment des bus surchargés, l'auto-stop fonctionne apparemment à merveille. Sur un simple
signe, un conducteur complaisant s'arrête et embarque le ou les passagers d'occasion. Je suis quand-même
intrigué par cette sollicitude généralisée, voire systématique, sauf rares exceptions. Renseignements pris,
retour à la réalité. Il s'agit, en fait, de taxis banalisés, qui sillonnent la ville. Ils embarquent et déposent à la
demande, moyennant modeste rétribution. Quand ils ne s'arrêtent pas, c'est qu'ils sont complets…ou que
ce ne sont pas des taxis.
Autre curiosité, astronomique celle-là, le soleil tourne à l'envers. S'il se lève toujours à l'Est et se couche
à l'Ouest, à midi, il plafonne plein Nord. Bien sûr, je suis dans l'hémisphère Sud, ce qui explique son
parcours lévogyre.
Etape suivante: Cochabamba, 2 500 m d'altitude, conditions déjà plus agréables.
La mode change, les indiennes portent des chapeaux blancs, mais elles sont toujours aussi allergiques à
l'approche des "gringos" et de leur cameras. Sur le marché, monnaie en main, ostensiblement visible, j'ai
pu aborder une indienne qui préparait et vendait des espèces de "tapas". Téméraire, j'en ai mangé, sans
être ultérieurement dérangé, et j'ai eu droit à son sourire.
Terminé le tourisme. Retour à la mission.
Un attaché d'ambassade et un jeune "ingénieur" brésilien m'assisteront et veilleront au bon déroulement
de l'expédition.
Départ pour Puerto Villaroel par la route, ou plutôt la piste: 200 km dans un véhicule utilitaire. On y
arrive en fin de matinée. Je suis fourbu. A travers la boue et en évitant les flaques d'eau, nous sommes
dirigés vers le poste militaire, où, bien entendu, nous n'étions pas attendus, mais néanmoins accueillis et
restaurés.
Pour des raisons assez contradictoires, le bateau confortable de la Force Navale, ne pourra être mis à
disposition avant plusieurs jours, d'où recherche d'une solution de substitution, suivant les directives de la
Paz. En attendant, nous logerons à l'"hôtel " du coin. Une auberge du genre "ancien Far West", en pire. On
nous prépare une chambre à trois lits, sans autre mobilier, sans électricité, mais avec moustiquaires.
L'après-midi, visite du "port" ou, plutôt, le lieu d'accostage le long de la rive.
A défaut d'engins de manutention, les échanges de marchandises se font à dos d'hommes, lesquels
doivent faire la navette, monter et descendre le talus.
Le déchargement du bétail. Pire que le marché de Cureghem. A coups de pieds et de piques, les animaux
doivent grimper le talus savonneux. S'ils n'y arrivent pas, on les attache par les cornes et un camion
tracteur les hissera sur le flanc jusqu'au haut de la berge. Atroce.
Après le repas du soir, l'aubergiste accède à notre demande.
Eclairé par sa torche électrique, il nous conduit à notre lit.
Naïvement, je l'interroge quant aux installations sanitaires.
"Suivez-moi".
52
Via passerelles improvisées, de simples poutrelles, pour franchir les flaques d'eau, il m'amène au pied
d'un monticule: le WC local. Genre de volcan en miniature.
Mode d'emploi: aller se percher à la crête, en cas de "besoin". Très peu pour moi.
Le comble : après m'avoir montré l'impossible, il repart…avec la torche électrique !
Le lendemain matin, après ablutions de fortune, embarquement sur un rafiot de substitution: 14 m de
long, 4,10 m de largeur, une cabine à 3 lits et une autre à 2 lits. Bien sûr, nous serons servis les premiers,
mais quid de l'équipage et des 4 passagers (dont une femme) avec bagages? Ils devront passer la nuit sur le
pont ? Ce n'est pas mon problème.
Je note soigneusement mes observations et prend de nombreuses photos destinées à illustrer mon rapport
de mission, que je n'évoquerai pas ici, tant le comte rendu de Philippe Dewez, en date du 13 novembre
1986, publié dans la revue "Confluent" (n° 148 de janvier 87) est toujours conforme, 10 ans après mon
passage. (Annexe 3).
La vie à bord.
L'équipage s'occupe de préparer les repas, essentiellement à base de riz et de viande séchée, conservée
sous moustiquaire. Le café est préparé au départ de l'eau de la rivière; j'ose espérer que l'ébullition aura eu
raison des amibes.
Les toilettes. Un petit cagibi multifonctions (WC, douche, soins corporels et dentaires…) fermé par deux
tentures flottantes.
L'armement du bateau est sommaire et vétuste. C'est ainsi que le câble de commande du gouvernail s'est
rompu, engendrant un tête-à-queue aussi spectaculaire qu'inattendu.
Il arrive qu'on prenne en charge un "bateau stoppeur", qui se rend à Trinidad, terminus de notre
croisière, atteint au petit matin de la deuxième nuit passée à bord, dans des conditions inquiétantes:
navigation de nuit alors que le projecteur ne fonctionne que par flashes intermittents, pour cause de
batteries défaillantes, alors que, de jour déjà, une observation attentive s'impose afin d'éviter les "palos"
(arbres déracinés et emportés par les crues, qui se plantent verticalement dans la rivière lors de la décrue)
sur lesquels on risque de s'empaler.
Trinidad.
Le programme prévoit un avion léger (avionnetta) pour la suite de la reconnaissance jusque
Guyaramerin, ville frontière. En aval la rivière change totalement de régime par suite de modification
fondamentale de la structure géologique. La plaine alluvionnaire est refermée par un seuil rocheux que la
rivière a érodé. De plus la modification du relief, se traduisant par une brusque différence de niveau,
engendre chutes et rapides. La rivière n'est plus navigable. Anciennement, cette section avait été doublée
d'une voie ferrée pour permettre l'acheminement du caoutchouc jusque Manaus, port intérieur sur
l'Amazone, accessible aux bateaux de mer, à 1500 km de l'océan. Hors programme, il serait intéressant de
pouvoir survoler les chutes. En insistant un peu, avec intéressement, nous parvenons à "convaincre" le
pilote. Rien de commun avec le grand canon du Colorado, mais spectaculaire à souhait, surtout au retour,
lorsque le pilote s'amuse à nous effrayer en slalomant au fond de la gorge, au ras de la rivière.
De retour à Guyaramerin, mes "assistants" manifestent leur vif souhait de visiter le côté brésilien et la
ville qui porte d'ailleurs le même nom. A défaut de pont, de petites embarcations motorisées, d'une
capacité de 7 ou 8 personnes, assurent le passage d'une rive à l'autre (1500 m), à titre onéreux, bien sûr.
Tout change, côté Brésil, l'habitat, les commerces, les moyens de communication (les taxis ont quatre
roues au Brésil)… . Mes compagnons de route se régalent dans les magasins, tandis que je flâne en rue. A
cette latitude et en plein midi, le soleil darde ses rayons à la verticale. Pas moyen de trouver de l'ombre. A
défaut de chapeau, j'ai dû me coiffer de mon mouchoir noué aux quatre coins. Pour la première fois, je
suis incommodé par la chaleur.
D'autres émotions allaient émailler la traversée de retour
Au moment même où je me posais la question,…, le moteur s'arrête et nous dérivons au gré du courant,
plus rapide que je ne l'aurais cru.
Les deux passagères s'affolent: "las cachuelas, las cachuelas" (les chutes, les chutes).
Je n'en menais pas large non plus, la reconnaissance aérienne du matin me fixait sur la nature du risque.
53
Seul élément apaisant: le calme du pilote. Sans se presser, il extrait une clé de sa boîte à outils, dévisse
les deux bougies de son moteur (pourquoi deux ?) et les replace, après en avoir brossé énergiquement les
électrodes.
Premier essai de relance (à la façon d'une tondeuse à gazon), deuxième essai aussi infructueux, au
troisième, toussotement et remise en marche. Soulagement général… de courte durée cependant, car, cap
à l'amont et moteur à pleine puissance, on continue à dériver plus lentement, mais sûrement, ce qui laisse
le pilote impavide. Il semble concentré sur son gouvernail. Quel intérêt ?
Tout en dérivant, je constate qu'on se rapproche de la berge. Dans l'espoir d'accoster en catastrophe ? A
quelques dizaines de mètres de la rive, le mouvement s'inverse, enfin, on remonte le courant.
Réminiscence du cours d'hydraulique appliquée: la vitesse du courant diminue considérablement quand
on se rapproche des berges. Lui, le savait, tandis que moi, je ne faisais que l'enseigner.
Après cette journée des émotions, retour à Trinidad.
Mes compagnons de route rejoignent directement la Paz, alors que j'ai pris un rendez-vous à
Cochabamba. Très instructif au demeurant.
A la Paz, je suis convoqué par le Ministre des Transports. Les trois militaires délégués désirent connaître
mon appréciation première, comme si mon rapport allait engager la Belgique dans ne entreprise dont je ne
mesure même pas les dimensions. Telle n'était d'ailleurs pas ma mission.
Je m'en tire par une pirouette, prétextant une maîtrise insuffisante de la langue.
Et maintenant, mission terminée, place au tourisme.
Dés le départ, j'avais décidé de profiter de cette expédition pour rejoindre Lima et rendre visite à l'ami
Augusto Bedoya et à son épouse Martha. J'ai eu l'occasion de connaître Augusto, lorsqu'il complétait sa
formation par une année de spécialisation en géotechnique à l'ULB. Je ferai cependant le voyage, par voie
terrestre afin de profiter du paysage et des curiosités andines, mais dans le cadre d'un programme et d'une
organisation d'agence, que je n"aurai pas à regretter.
De la Paz au lac Titicaca par la route, déjeuner à Copacabana, qui signifie dans le langage inca: "lac
toujours bleu". Les Brésiliens se sont emparés de ce vocable pour baptiser leur célèbre plage de Rio de
Janeiro.
Le spectacle prévu à l'intention des touristes m'a particulièrement marqué, tant l'analogie des costumes
avec l'équipement de nos gilles était frappante. Si on y ajoute les plumes, je rejoins volontiers la théorie
selon laquelle Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, les aurait exhibés lors des fêtes données en
l'honneur de son frère Charles-Quint et son neveu Philippe II en 1549. Si cette version n'est pas correcte,
c'est que, inversement, les gilles ont exporté leur costumes au pays des Incas.
Le voyage se poursuit par la route longeant le lac, jusqu'à Puno, ville frontière brésilienne et ensuite par
chemin de fer jusqu'à Cuzco, ancienne capitale inca. Pour ce faire, on emprunte un col à 4 317 m
d'altitude. Les lamas et troupeaux d'alpagas animent un paysage grandiose.
A Cuzco, on peut admirer les constructions incas et se poser quelques questions relatives à leur
technique de construction. Des pierres, d'un volume correspondant à une table de cuisine, taillées en
parallélépipèdes parfaits sont mises en œuvre jointivement. La précision est telle qu'il serait impossible de
glisser une feuille de cigarette dans les interstices. Impressionnant.
A l'hôtel, la documentation touristique m'apprend l'existence de Machu Picchu, "un des monuments
archéologiques et architecturaux les plus importants de la plante" (dont je n'avais jamais entendu parler),
découvert en 1911 seulement, à 2 400 m d'altitude. Le site de Machu Picchu, "cité sacrée des Incas", se
trouve entre des montagnes escarpées dont les cimes dépassent les 5 500 m, à une centaine de km de
Cuzco. On y accède par chemin de fer.
A ne pas manquer. Je m'inscris pour l'excursion du lendemain.
A 7h00, conformément au programme, je suis prêt, dans le hall, équipé (encombré) de mon appareil
photographique et de la caméra (empruntée à Marcel Moratti +). Deux autres clients de l'hôtel semblent
attendre le même lift que moi, qui doit nous amener à la gare de départ.
Un chauffeur se présente et appelle les deux compères, sauf moi. Bizarre.
54
A 7h30 je commence à désespérer, mais, dans ce désordre apparent, mon absence n'a pas échappé au
pointeur de service. Finalement récupéré, j'embarque et le train peut démarrer, avec une demi-heure de
retard.
Ligne à voie unique, essentiellement créée à des fins touristiques, elle longe une rivière à caractère
torrentiel, au fond d'une gorge profonde. Le risque d'éboulements est patent. En prévision, le personnel et
du matériel sont embarqués pour dégager la voie, le cas échéant. Au terminus, les passagers sont pris en
charge par des cars, qui enfileront une série impressionnante de lacets serrés pour accéder enfin au site.
Spectacle grandiose, tant par sa localisation, que sa conception fonctionnelle, urbanistique, paysagère et le
mystère qui plane sur cette réalisation insolite à pareille altitude.
Une abondante documentation est consacrée à ce site prestigieux. Un simple parcours sur le Net est déjà
édifiant. Je ne mentionnerai que ce qui peut paraître un détail: la dépense d'énergie humaine consentie,
rien que pour amener, à pied d'œuvre, à dos d'hommes (ou de femmes), à partir de la vallée, la terre arable
nécessaire à la réalisation des jardins agrémentant l'ensemble.
Les civilisations antérieures nous ont laissé bon nombre réalisations, qui nous laissent toujours perplexes
et rêveurs… .
Mon voyage n'est pas terminé pour autant. En route pour Lima, ou, plutôt, en avion.
Accueil chaleureux. Martha me fait visiter la ville. Augusto m'invite à une tenue du club privé qu'il
préside. Sympathique, bien que je n'aie pas compris grand-chose. Avec quelques amis à lui, on achève la
soirée et on s'attarde apparemment sans raison. A minuit, j'ai compris, c'était le 24 avril, veille de mon
anniversaire, ils attendaient minuit pour me congratuler et me remettre un cadeau symbolique. Généreuse
attention.
Le lendemain, réception et déjeuner à l'ambassade avant le départ pour Miami.
Miami Airport. Emotion à la douane. Déjà atteint de tremblements en station debout, l'affaire se
complique quand le douanier me demande d'ouvrir une valise. Constatant ma "fébrilité" et ma provenance
des pays de la drogue, il en déduit certaines présomptions, ce qui me donne droit à un déballage complet et
détaillé, aussi dérangeant qu'inutile.
Miami Beach. A peine installé dans un tout grand hôtel recommandé par l'ambassade, je consulte, selon
mon habitude, l'abondante documentation mise à disposition de la clientèle.
Miami et Miami Beach sont deux villes essentiellement différentes. Miami Beach, en bordure de la côte,
est essentiellement axée sur le tourisme, tandis que Miami, plus à l'intérieur, est une très belle ville
cosmopolite, que j'ai pu apprécier, dès le lendemain matin, dans le cadre d'une visite organisée au départ
de l'hôtel: architecture de bon goût, urbanisme "aéré", des parcs, des parterres, de l'espace. Des centaines
de milliers d'immigrants hispaniques de Cuba, d'Amérique centrale et du Sud se sont installés à Miami. On
y parle aussi bien l'espagnol que l'anglais.
L'après-midi, détente à la plage.
Bizarre. La piscine de l'hôtel semble plus attractive. Autant la clientèle s'entasse aux abords de la pièce
d'eau, autant la plage est quasi déserte et pas de baigneurs. Qu'à cela ne tienne, s'il n'y en a qu'un, je serai
celui-là. La température de l'eau est idéale, le soleil est de la partie… .
Petit inconvénient: les varechs (genre fucus) que la marée ramène vers la plage et qu'on est amené à
piétiner en sortant de l'eau.
Gros inconvénient: les varechs sont englués d'hydrocarbures provenant probablement du dégazage des
pétroliers. Conséquence inéluctable: pieds et chevilles jusqu'aux mollets sont enduits de la même crasse
nauséabonde.
J'ai maintenant compris la désaffection de la clientèle pour la plage. Honteux et confus, j'ai rejoint ma
chambre en rasant les murs et je me suis nettoyé au détergent pendant près d'une heure, jurant, mais un
peu tard, qu'on ne m'y prendrait plus.
Miami offre une grande variété d'attractions.
Le "Seaquarium" (aquarium marin): parc sillonné de canaux artificiels et pièces d'eau où évoluent
différentes espèces de squales et cétacés. Touts les heures: démonstrations de dauphins et d'otaries dressés
pour le plaisir des visiteurs.
55
La "Parrot Jungje" (jungle des perroquets) avec, également, son "cirque" de perroquets savants, faisant
du vélo, de la trottinette et bien d'autres pirouettes aussi comiques qu'inattendues.
Pour terminer, je me suis offert une expédition à "Disney World", parc d'attractions, désormais mieux
connu, depuis réalisation de sa réplique à proximité de Paris.
Les Congrès.
Une circulaire ministérielle, la première dont j'ai l'occasion de prendre connaissance, concerne l'AIPCN
31
. Les congrès, de périodicité quadriennale, sont chaque fois organisés dans un pays différent. La
prochaine session se tiendra à Ottawa; les sujets sont annoncés et un calendrier est établi, notamment pour
31
Association Internationale Permanente des Congrès de Navigation
56
l'introduction des rapports à publier et à diffuser avant l'ouverture du congrès. Chaque session est toujours
précédée ou suivie de visites techniques. Les comités organisateurs profitent évidemment de ces
rencontres internationales pour mettre en valeur leur patrimoine culturel, les sites exceptionnels, et, bien
entendu le savoir-faire de leurs ingénieurs.
Occasion rêvée de découvrir l'Amérique32, aux frais du département. Je pose ma candidature et pour
augmenter mes chances d'être retenu, je m'impose la rédaction de deux rapports techniques s'inscrivant
dans le programme du congrès:
- L'assujettissement à la rive des pontons flottants sur des plans d'eau sujets à fortes variations de
niveau;
- La création, les moyens et les objectifs du Port Autonome de Charleroi.
A Ottawa.
Cette contribution m'a probablement valu l'honneur de faire partie de la délégation belge. Si l'on excepte
le personnel affecté à la présidence, nous ne sommes que quatre. Par contre, si on associe les représentants
des entreprises de génie civil, nous formons un groupe important.
Beaucoup de monde à la séance académique d'ouverture, en présence des autorités locales. Beaucoup
moins aux séances de travail, généralement fastidieuses d'ailleurs. Les spécialistes, soucieux de se mettre
en valeur, montent à la tribune pour apporter des compléments à l'étude déjà publiée, ou encore, pour
interpeller un congressiste à propos de son rapport. J'ai d'ailleurs été interrogé par le Directeur du Port de
Paris sur les conditions tarifaires du Port de Charleroi : question piège. Honneur d'avoir été remarqué,
mais panique de devoir monter à la tribune devant un panel aussi prestigieux. Je m'en suis tiré par une
pirouette, qui eut l'heur d'amuser la docte assemblée.
L'organisation du congrès prévoit que, le soir même, un groupe de travail résume les interventions du
jour, de telle sorte que la synthèse puisse être mise à disposition des congressistes le lendemain matin, à
l'ouverture des travaux.
La "tournante" veut que je sois désigné, à cet effet, ainsi qu'un collègue français et deux homologues
anglo-saxons, arbitrés par un canadien. Les langues officielles de Congrès sont le français et l'anglais ;
cependant les intervenants sont autorisés à s'exprimer dans leur langue maternelle, traduite simultanément.
Nous avons notamment à résumer l'intervention d'un collègue allemand. Les anglophones en ont terminé
en un rien de temps, alors que le délégué français et moi pinaillont sur des nuances et le choix des termes
correspondants. Enfin d'accord, nous remettons notre texte peaufiné au coordinateur, pour l'adaptation
anglaise et discussion éventuelle. Le canadien prend connaissance et…lève directement la séance à notre
grande surprise.
"-Mais, quid de la traduction correspondant à notre texte amendé ?
- Oh! En anglais, c'est la même chose"!
Cela valait bien la peine.
Les congressistes.
Je comprenais la présence intéressée et les interventions savantes des professeurs d'Université, des
auteurs de projets, soucieux de mettre leur bureau d'études en valeur, et pas seulement pour faire
progresser la science de l'art. Mais je m'interrogeais quant à la participation des représentants des grosses
entreprises de génie civil, accompagnés de leur épouse, alors qu'ils n'assistaient même pas aux séances.
Répondant à une première invitation dans un luxueux établissement de la ville : dîner d'apparat, tenue de
soirée souhaitée (dont je ne disposais pas), homard, champagne à discrétion,… j'ai compris. Donner
l'occasion aux dames de revêtir leurs plus beaux atours, veiller à ce que les fonctionnaires ne s'ennuient
pas…. Bref, encadrement d'opportunité, à charge du budget "relations publiques" des entreprises. Très
agréable au demeurant. Occasion de faire connaissance, autrement que par le travail. Autant j'étais redouté
32
C'était avant la mission en Bolivie.
57
dans l'exercice de mes fonctions, autant j'étais apprécié, en pareille circonstance, pour mon savoir faire
(rire) et mon aptitude à faire danser les dames.
La bonne humeur est communicative. D'abord distants, les collègues flamands sont rapidement devenus
des amis. Au point qu'il y avait unanimité pour réclamer ma présence aux prochains congrès. Même les
délégués étrangers, que j'étais appelé à côtoyer lors des excursions et visites techniques manifestaient leur
souhait de me revoir aux sessions suivantes.
"Recommandé" d'une façon générale, je suis rapidement devenu délégué permanent de la section belge,
et de l'AIPCN et de la CIGB.33
La périodicité des congrès est de quatre ans pour l'AIPCN et de trois ans pour la CIGB.
Entre-temps, les commissions administratives se réunissent tous les ans et les délégués permanents y
sont bien entendu conviés, ce qui implique de (trop) nombreuses prestations à l'étranger. Déjà fort absorbé
par les activités de mon service, j'ai dû renoncer à bon nombre de déplacements.
Il serait fastidieux de relater par le menu chacune des missions qui m'ont amené en URSS, au Japon, au
Brésil, en Inde, en Norvège, en Indonésie, en Californie et… à Nice, sur invitation.
Je me limiterai à quelques considérations d'intérêt pratique, politique, social, philosophique ou purement
anecdotique.
A commencer par les transports aériens: il n'y a pas lieu de s'affoler lorsque la speakerine de service
annonce, après deux heures de vol, qu'on rentre à la base pour cause d'incidents techniques; cela m'est
arrivé quatre fois, sans autre conséquence que le retard correspondant.
Autre enseignement: selon les pays visités, le taux de change officiel n'est pas nécessairement le plus
judicieux. Il n'y a pas d'intérêt à se précipiter sur le premier guichet aperçu à l'aérogare. Les chauffeurs de
taxi sont généralement bien informés à ce sujet.
Par prudence, il est toujours utile de signaler sa présence à l'ambassade. Sage précaution dans les pays à
stabilité précaire ou à environnement douteux.
A Ottawa, ma visite à l'ambassade n'avait d'autre objectif que d'annoncer la naissance du Port Autonome
de Charleroi. Bien inutilement d'ailleurs, le chargé des affaires économiques belges pour l'Amérique du
Nord siège à New York. J'irai donc à New York.
A l'heure convenue, j'attendais dans le hall d'accueil du 23e étage d'un immeuble de standing. A voir
l'importante documentation mise à disposition et concernant notamment les ports de Gand et d'Anvers, je
me rendais compte de la vanité, voire de la naïveté de ma démarche. Néanmoins bien reçu et aussitôt
invité dans un luxueux restaurant en bordure de Central Park. Très agréable soirée et bien peu de Port
Autonome. Le lendemain, réveil vaseux. Après un tour de Manhattan en bateau et une visite rapide de la
ville en taxi, je me suis senti bien seul, écrasé par le gigantisme des constructions, et… pas le moindre
bistrot. Pris de nostalgie, je me suis véritablement enfui vers l'aéroport, où on prend l'avion, comme on
prendrait le bus ici. A Montréal, deuxième ville francophone du monde, paraît-il (où l'on ne parle
pratiquement que l'anglais), j'étais rasséréné.
Comme à l'aller, le voyage de retour passait par Montréal. Départ le soir, repas à bord, comme
d'habitude. Mon voisin Ortega (+) avait commandé un pousse café. A peine servis, l'hôtesse annonce le
retour à la base pour raisons techniques (la première fois que cela m'arrivait); pas démonté pour autant,
mon voisin lève son verre et porte un toast : "morituri te salutant"!
33
Commission Internationale des Grands Barrages. Sont considérés comme tels, les ouvrages de plus de 15 m de hauteur
(Vesdre, Gileppe, Plate Taille). En France, la Direction Générale des Voies Navigables est concernée par la seule AIPCN,
tandis que la CIGB relève du domaine de l'EDF (Electricité de France). En Belgique (petit pays), l'Administration des Voies
Hydrauliques couvre les deux secteurs.
58
La documentation reçue annonce notamment les taux de change: 1 rouble = 1 dollar, alors que, sur
commande, les banques belges offrent 10 roubles pour un dollar. Je profite évidemment de cette
opportunité, à concurrence d'une centaine de roubles en petites coupures.
Helsinki: salle de transit. Les congressistes sont pratiquement les mêmes qu'à Ottawa.
Dernier salon où l'on cause, avant le saut dans l'inconnu soviétique. Les propos échangés ne sont guère
rassurants, à commencer par l'interdiction d'importer des roubles, la surveillance permanente, dont nous
serons l'objet, les caméras cachées, même dans les chambres d'hôtel…
La panique s'installe. J'envisage de liquider mon paquet de roubles dans les WC. Au moment de passer à
l'acte, je me ravise et prends le risque de le dissimuler dans mon slip, malgré le caractère anormal de la
protubérance qui en résultera.
Appel à l'embarquement: Un Iliouchine 18 de l'Aéroflot soviétique. A l'atterrissage, l'angoisse s'amplifie
quand je constate que nous sommes attendus à notre descente d'avion par un groupe de civils, tout de noirs
vêtus. Apparemment sans complexe, le professeur Willems, Président permanent de l'AIPCN s'avance
serre des mains. Courbettes, salutations, souhaits de bienvenue... . Il s'agissait du comité d'accueil délégué
par le Ministre Kouchkine!
Un car nous attend à même le tarmac et nous amène directement à notre hôtel, où se tiendra d'ailleurs le
congrès. Sur place, nous recevons les documents à remplir à l'aise, et, comme prévu, une somme
correspondant à l'équivalent repas, reprise dans les frais d'inscription.
Après-midi libre. Georges Valkeneers (+) de la Société Pieux Franki, mon compagnon de voyage, me
propose une visite du propriétaire, avec arrêt au bar. Grand hôtel polyvalent de style américain, en moins
luxueux. Installés dans une grande salle de restaurant, à compartiments multiples, nous attendons le
préposé, qui nous fait d'ailleurs changer de place, on se demande bien pourquoi, nous étions les seuls
clients, à cette heure insolite. Dans mon meilleur anglais, je commande une bouteille de vin banc. Avec un
sourire entendu, le garçon s'éclipse et nous apporte… un grand bol de caviar, pain et beurre.
Pas plus mal, dit Valkeneers, qu'on y ajoute la bouteille! Avec gestes cette fois, l'objectif est atteint. Un
régal. Comme Valkeneers se préparait à payer, je m'y oppose par souci d'évacuer mes roubles frauduleux
aussitôt que possible.
J'en avais pour 500 FB!
Le lendemain, je propose une visite du métro et un déjeuner dans un restaurant populaire.
Excellente initiative. A 100 m de profondeur, le métro impressionne déjà; si on y ajoute une conception
différente des accès au bénéfice de la sécurité des usagers, on apprécie; et quand on constate la richesse
culturelle des stations: peintures, mosaïques, sculptures, fond musical…, que côtoient des milliers de
personnes, l'art au profit du peuple, on revoit ses préjugés.
Au restaurant populaire, cela se complique. Le personnel ne parle ni l'anglais, ni le français. La carte est
exclusivement présentée en caractères cyrilliques. Nous avons pointé au hasard et avons reçu chacun un
double service pantagruélique non identifiable, arrosé d'une bouteille d'un vin quelconque, qui, seule a été
achevée.
J'ai de nouveau insisté pour payer, au grand étonnement de Valkeneers :
" - C'est bien la première fois qu'un fonctionnaire m'offre le déjeuner".
- Qu'à cela ne tienne, nous nous retrouverons ce soir au dernier étage (réservé aux étrangers)." .
Quatre "Tuborg" à payer en dollars, lui ont coûté davantage que les deux repas du midi, acquittés en
roubles d'importation.
Le post-congrès passait par Moscou (même appréciation en ce qui concerne le métro) et se prolongeait
par une croisière de trois jours sur la Volga, jusqu'à Volgograd. 34
Je ne m'étendrai pas sur les quelques anecdotes croustillantes qui ont émaillé cette croisière (qui
s'amuse).
Par contre, je m'attarderai sur le détail d'une conversation, leçon de philosophie sociale.
A Va rna, cité balnéaire bulgare, au bord de la Mer Noire, rencontre inopinée avec un jeune autochtone.
34
Anciennement Stalingrad débaptisée en 1961, lors de la "déstalinisation" de Kroutchev . Le parc du souvenir, garni de
monuments gigantesques est encore plus impressionnant que la sérénité du cimetière de Léningrad.
59
" -Quel âge avez-vous?
- 18 ans.
- Vous parlez bien le français.
- J'ai fait mes études au lycée français.
- Obligation ?
- Non, un choix. Il existe aussi un lycée anglais. Les cours principaux sont donnés dans la langue
choisie.
- Et le russe ?
- Déjà enseigné à l'école primaire.
- Qu'allez-vous faire maintenant ?
- La médecine à l'Université.
- Quelle est la rémunération journalière d'un ouvrier ?
- 30 levas.
- Et d'un médecin ?
- 30 levas ?
- Mais alors, quel intérêt de poursuivre des études ?
- Votre question correspond bien à ce qu'on nous a enseigné. Dans les pays capitalistes, seul le profit est
pris en considération. Chez nous, chaque individu constitue un maillon utile et nécessaire d'une société
solidaire. Le costaud met son physique à disposition, l'intellectuel apporte son savoir. Nous avons besoin
les uns des autres, nous sommes complémentaires.
- Bravo. Et q'arrive-t-il en cas de maladie ?
- Les hôpitaux sont faits pour cela.
- Les malades sont donc exclusivement soignés à l'hôpital. Pas de médecin de famille ?
- Sans objet. Chaque citoyen est reconnu dans un dossier médical qui lui est propre et qui reprend ses
antécédents.
- Le patient n'est donc qu'un numéro ?
- Oui, avec l'avantage d'être examiné par des médecins différents.
- Par opposition au médecin de famille qui connaît bien son patient ?
- …Et qui risque de se tromper de diagnostic de façon permanente.
- Vos médecins seraient-ils plus performants ?
- Ils sont tenus de se recycler périodiquement.. Les spécialistes participent aux congrès internationaux et
sont tenus de faire rapport détaillé devant le corps médical, en présence des délégués du parti.
- Vous êtes inscrit au parti ? Non, pas si simple. Il faut d'abord faire preuve de militantisme et de
qualifications diverses pou pouvoir être admis, car ce sont les membres du parti qu constituent les cadres,
lesquels établissent les normes de production et en assument le contrôle.
- Chômeurs ?
- Il n'y en a pas. "
Inutile de continuer, tout est à l'avenant.
Endoctrinement, certes, mais qui s'inscrit dans une logique sociale implacable, qui satisfait la nouvelle
génération.
Pour preuve, la jeune réceptionniste de l'hôtel, brandissant un exemplaire de "Sélection du Reader's
Digest". "Vous avez lu cet article scandaleux sur la Bulgarie. On veut vous faire croire que nous sommes
malheureux. Vous pouvez maintenant juger qu'il n'en est rien et le faire savoir".
A méditer.
Mais cela nous écarte des préoccupations du congrès, lequel s'achève après la visite des écluses du
Donetz et du grand barrage hydro-électrique de Kouïbychev.
Tokyo (1978).
60
Surprise d'un changement de fuseau horaire sans transition: de fin de journée, on se retrouve dans la
matinée… du même jour (10 heures de décalage), ce qui corrobore le slogan: "Avec Sabena, vous y seriez
déjà".
Ainsi donc, arrivée au Japon au terme d'une journée sans fin.
Etapes intermédiaires à Nara et Kyoto, question de nous faire apprécier les richesses de ces anciennes
capitales, et surtout l'occasion de nous faire emprunter le TGV (à cette époque, le train le plus rapide du
monde, dépassant les 200 km/heure) et retour par la Thaïlande.
Mon épouse m'accompagnait pour la première fois.
Plus possible de lui dissimuler que les congrès sont toujours assortis de programmas culturels et
récréatifs pour personnes accompagnantes, reste à savoir que les frais y afférents ne seront pas pris en
charge par l'Etat.
A pied d'œuvre, certains congressistes semblent heureux de me retrouver: le directeur général de la CNT
(Compagnie Nationale du Rhône), les délégués du Portugal, du Maroc…, indépendamment des collègues
belges, non pas que je les aie impressionnés par mes interventions à la tribune du congrès, mais
probablement en souvenir de mes "prestations" dans l'orchestre de la Volga ou autres gaudrioles du même
acabit. Par contre, en Thaïlande, Monsieur Abecasis, le Portugais, toujours cravaté en complet veston,
n'appréciait pas ma chemise bariolée, couleur locale. Outré était-il lorsque j'ai accepté qu'un bateleur me
passe un python autour du cou, au point de refuser de me photographier.
Mise au point, à propos du "massage thaïlandais",
Selon la médecine traditionnelle locale.
"Le stress est devenu partenaire indésirable de la population active. Plutôt que de vous gaver de
médicaments, retrouvez votre équilibre en libérant vos tensions, grâce à une technique naturelle et
efficace: le massage thaï. Par une technique appropriée, le massage thaï permet de rétablir l'équilibre et la
dynamique du corps, avec pour effets:
- l'évacuation du stress
- la libération des tensions et raideurs musculaires
- le traitement de plus de 50 maladies (des céphalées au tennis elbow…) "
Lors de la guerre du Vietnam, les militaires américains prenaient leurs permissions à Bangkok, drainant
avec eux tout ce qui fait l'attrait du soldat en goguette. Dans certains salons particuliers, les masseuses
thaïlandaises ont mêlé le massage traditionnel à des pratiques sexuelles savamment élaborées, au point
que, sous couvert du massage thaïlandais, c'est une véritable industrie du sexe qui s'est développée.
J'ai voulu pousser la porte d'un de ces établissements "spécialisés". Avec prudence, cela s'entend.
A l'hôtel, j'interroge d'abord le garçon de piscine. Probablement déformé par les questions posées par les
touristes, il commence par me proposer une dame de compagnie pour la durée de man séjour. Après
rectification linguistique, il me renseigne un établissement, à proximité immédiate de l'hôtel. Curieux,
mais pas téméraire pour autant, je lui propose de m'accompagner, moyennant pourboire, bien entendu.
Suivons le guide. La porte s'ouvre sur un long et large couloir sombre. On y devine quelques visiteurs. A
droite, une tribune à gradins parfaitement éclairée, séparée du hall par une grande glace sans tain, ce qui
explique le contraste d'éclairage. Les gradins sont garnis d'une trentaine de jeunes femmes, qui papotent
entre elles. Chacune d'elles porte un numéro bien visible. Quand le client se décide, il annonce son choix
au portier.
Par micro interposé, l'information passe dans la tribune. La fille concernée se lève, se dirige vers
l'extrémité de la tribune, où elle rejoindra son client, après qu'il soit passé par la caisse, au bout du couloir.
La suite, on peut la deviner j'en avais vu assez. Je me suis retiré avec le garçon de l'hôtel, sous prétexte
d'insuffisance monétaire. En réalité, par mesure de précaution, je n'avais même pas un cent en poche.
Curiosité malsaine satisfaite; les palais, les temples, les coloris, le marché flottant… nous laisseront un
souvenir bien plus enchanteur que cette sinistre exploitation sexuelle.
61
New Delhi (1979)
De Katmandou à Bénarès.
De l'Himalaya au delta du Gange.
A la découverte d'une autre culture.
Le comité organisateur nous avait propulsé au Népal avec, comme attraction majeure, le survol de
l'Everest en hélicoptère. Programme alléchant. A pied d'œuvre cependant, des circonstances 'imprévues"
lui avaient substitué une promenade en car dans les contreforts de l'Himalaya. Moins spectaculaire, certes,
mais plus rassurant, par rapport aux conditions d'insécurité observées lors d'un transfert aérien sur une
ligne locale.
De Katmandou à Bénarès, l'itinéraire est jalonné de temples prestigieux aux décorations sculpturales
parfois surprenantes.
En principe, les temples sont érigés à la gloire des divinités dont se réclament les religions.
Or, l'hindouisme se caractérise davantage comme un mode de vie plutôt qu'une religion, sans fondateur
précis, sans dogmes particuliers, si ce n'est le respect des règles morales. Encore qu'un des principes de
l'hindouisme présente l'amour sexuel comme une "forme d'énergie" à exploiter. Le Kama-sutra, "ce traité
religieux daté du VIe siècle, qui conjugue sexualité et spiritualité, vous guidera jusqu'au nirvâna… .
L'extase amoureuse devient une expérience mystique permettant de se rapprocher du divin."
Ce qui explique les sculptures érotiques garnissant les temples, dont le but était de "renforcer le
penchant naturel vers le sexe et servir, en fait, d'éducation sexuelle" …et physique.
L'hindouisme a donné naissance à deux religions dérivées, le bouddhisme et le jaïnisme, ainsi qu'à des
divinités telles que Krishna, Vishnu, Shiva…. Ce qui me dépasse. .
Un oeuvre d'exception à tous points de vue: le Taj Mahal.
Immense monument funéraire, de marbre blanc, édifié à Agra, au XVIIe siècle, sur ordre d'un empereur
mongol pour perpétuer le souvenir de son épouse favorite.
Joyau le plus parfait de l'art musulman en Inde, un des principaux chefs-d'œuvre du patrimoine de
l'humanité, classé par l'UNESCO.
Bénarès, aux ruelles étroites, regorge de temples, lieux saints ornés d'icônes, de pèlerins, de touristes…et
de vaches, qu'il y a lieu de contourner respectueusement, par égard à la culture locale.
D'une façon générale, en Inde, règne une odeur de bois de santal, dans les hôtels, les restaurants
(particulièrement désagréable)… A Bénarès, des bâtons d'encens dégagent des nuages de fumée odorante,
qui se superposent généreusement au santal. Question de détail.
Bénarès, c'est bien plus que Rome, la Mecque, Jérusalem,…, car elle bénéficie d'un Gange purificateur
vénéré comme une déesse.
L'organisation du Congrès avait prévu une petite attraction nautique. On embarquait déjà avant l'aube.
Le spectacle en valait la peine.
Sur plus de deux cents mètres, les berges sont aménagées en escaliers. Une foule de dévots descendent
et entrent dans le fleuve, tout habillés, afin d'être purifiés.
Sur un plan spirituel, cela s'entend.
Car on ne s'y baignerait pas, dans cette eau trouble, brunâtre, charriant des déchets flottants et récoltant
vraisemblablement les égouts de la ville.
La plupart d'entre eux apportent au fleuve sacré une espèce de bougie sur support flottant ou encore des
fleurs, qui dériveront vers l'aval au gré du courant.
Le rituel funéraire m'a particulièrement rappelé le symbolisme de certains éléments naturels:
- Exposition prolongée du corps sur le bûcher, en bordure du fleuve. purification par l'air.
- Mise à feu et incinération. purification par le feu.
- Immersion des cendres dans le fleuve sacré. purification par l'eau.
62
Naples, Oslo (pour mémoire)
Avant-veille du départ.
Joyeux repassage chez des amis communs, à l'issue d'une manifestation culturelle.
Le vin portugais parfume agréablement l'atmosphère. Un jeune guitariste35, au teint basané, interprète
des mélodies de son pays natal, le Cap Vert (dépendance portugaise).
Au hasard de la conversation, j'annonce mon prochain séjour à Rio, Hôtel Intercontinental, siège du
congrès.
Coïncidence rarissime: son propre cousin y exerce justement en tant que chef caissier.
Voilà qui m'a valu un accueil privilégié, un guide privé, motorisé de surcroît, qui m'a fait découvrir une
autre ville que celle proposée aux touristes, notamment les restaurants typiques: viandes ou poissons. Dans
les "churrascarias", des pièces de viandes diverses (bœuf, porc, agneau, saucisses, poulet,…) sont
embrochées sur des espèces d'épées, maintenues au feu dans un âtre ouvert. Les garçons passent
régulièrement de table en table servent et resservent au choix et à satiété.
Le gag du congrès.
Nécessité d'un préambule. Au XVIIe siècle, la culture française, très appréciée, s'exportait
généreusement dans les salons à l'étranger. Certains vocables ont même été incorporés à la langue, mais
ont perdu leur signification d'origine ou sont tombés en désuétude. C'est ainsi que dans la documentation,
en langue française, remise à la réception, il était recommandé aux congressistes et aux personnes
accompagnantes de toujours porter leur "crachat"! Ce terme désignait anciennement la "plaque qui
distingue les grades supérieurs dans les ordres de chevalerie". Aujourd'hui, le "badge" a remplacé le
"crachat".
Pour le reste, l'organisation du congrès se devait, à juste titre, de nous amener au barrage d'Itaipu, aux
chutes d'Iguaçu, à Brasilia et à Manaus.
Le barrage d'Itaipu est érigé sur la rivière Paranà, aux confins du Brésil et du Paraguay. Cet ouvrage
majestueux est flanqué de la plus grande centrale hydroélectrique du monde: 12 600 mégawatts36. Elle
produit 25% de l'énergie électrique consommée au Brésil et 90% des besoins du Paraguay. Une des
merveilles du monde moderne.
A proximité, les chutes d'Iguaçu.
L'Iguaçu est un affluent du Paranà, qui marque la frontière avec l'Argentine. Nettement moins connues
que les chutes du Niagara ou les chutes Victoria sur le Zambèze, celles d'Iguaçu sont considérées comme
les plus impressionnantes du monde: 257 cataractes, plongeant d'une falaise de 80 mètres et qui s'étalent
sur 3 km; des "montagnes" d'eau qui surgissent de la jungle pour se jeter violemment dans un gouffre
spectaculaire de 4 km de largeur. De là, l'Iguaçu s'écoule vers le Paranà. Pour le détail, les chutes
principales atteignent des hauteurs de 55 à 73 mètres. A titre de comparaison, "la" chute du Niagara
n'atteint "que" 56 mètres.
Le barrage d'Itaipu est considéré comme une merveille du monde moderne, tandis que les chutes
d'Iguaçu sont classées parmi les merveilles naturelles de la planète.
Brasilia, capitale fédérale, artificielle et futuriste fut inaugurée en 1960. Située au cœur du Brésil, dans
une zone anciennement couverte par la forêt tropicale, elle est réputée pour son urbanisme et son
architecture moderne ; plus personne ne conteste aujourd'hui son rôle de capitale, centre nerveux de toutes
les décisions administratives et politiques, alors que Sao Paulo reste le centre des affaires et Rio de
Janeiro, la ville la plus agréable et la plus prestigieuse, notamment les plages de Copacabana et Ipanema.
Un bistrot se trouve plus facilement à Rio qu'à Brasilia, ville qui n'a pas été pensée pour les piétons
déshydratés.
35
Adrien Montero (+), médecin, devenu rotarien par la suite.
36
Pour comparaison, la puissance cumulée des centrales thermonucléaires de Tihange est inférieure à 3 000 MW.
63
Une excursion mémorable en forêt amazonienne inondée.
Au départ de Manaus, ancienne métropole du caoutchouc 37, le comité organisateur avait prévu une mini
croisière d'un jour sur l'Amazone, avec visite de la flore et de la faune tropicale à partir de pirogues, le
bassin amazonien étant inondé à cette époque de l'année.
A midi, sous un soleil de plomb, les pirogues sont mises à l'eau et les passagers sont transférés, à
l'intervention du personnel de service.
Midi dix, les pirogues batifolent dans la forêt en quête des curiosités naturelles annoncées.
Midi quart, c'est le ciel qui s'est brusquement plombé. Une pluie diluvienne chaude nous arrose
copieusement. Panique, les pirogues prennent l'eau et regagnent précipitamment le paquebot. J'avais
emporté mon matériel photographique, très encombrant à l'époque. Heureusement, un passager,
probablement averti des caprices tropicaux, avait emporté un parapluie, me donnant ainsi la possibilité de
protéger mes appareils. Par contre, mon dos recevait la trombe d'eau dégoulinant du parapluie, j'étais
trempé, de la tête aux pieds.
Le repas était prévu à bord du bateau. Entre-temps, le soleil était réapparu. Bonne affaire, comme je
n'avais pas faim, j'évite le repas et en profite pour gagner le pont supérieur et faire sécher mes vêtements.
Douce illusion. Une heure après, ils étaient toujours dans le même état. J'aurais dû me souvenir d'une loi
élémentaire de la physique classique : quand l'atmosphère est saturée d'humidité (ce qui était le cas) l'eau
ne s'évapore plus, soleil ou non.
Ce qui n'empêche pas le bateau de respecter son programme, vers l'aval de Manaus, pour l'observation
d'une nouvelle curiosité.
L'Amazone et la plupart de ses affluents naissent dans la Cordillère des Andes. La fonte des neiges et les
pluies saisonnières alimentent de nombreux torrents, qui ravinent les flancs de la montagne et charrient
des sédiments, qui seront rejetés dans les confluents et transportés vers l'océan via le fleuve, au terme d'un
parcours de plus de 6 000 km.; le débit solide du fleuve explique son aspect trouble, voire boueux, de
teinte ocrée. Par contre, le Rio Negro, qui prend sa source plus au Nord, dans la forêt équatoriale, est d'une
parfaite limpidité, légèrement acidifié et teinté par l'humus de la forêt, ce qui lui vaut son nom. Il rejoint
l'Amazone à Manaus, mais ne s'y jette pas. Les caractéristiques des deux effluents sont telles que sur une
cinquantaine de kilomètres, ils restent bien distincts l'un de l'autre, dernière curiosité qu'il nous a été donné
d'observer.
Le soir, repas de clôture du post-congrès, offert par la section brésilienne, et remerciements d'usage dans
les deux langues officielles du congrès, l'anglais et le français.
En fonction de considérations assez nébuleuses de protocole, de préséance, de possibles susceptibilités,
il m'a été demandé de remercier au nom des participants francophones. Moi qui ai horreur de cela. Mis au
pied du mur, je me suis isolé pendant une heure, afin de charpenter un laïus qui sorte des banales civilités
de circonstance.
J'ai évoqué :
la chaleur de l'accueil, lors de notre arrivée à Rio. Le soir-même, veille de la cérémonie d'ouverture,
nous étions invités, par petits groupes, répartis selon l'option linguistique, à passer la soirée dans des
familles brésiliennes. Première découverte de taille : le "caipirinha", cocktail à base de citron vert et de
sucre de canne ;
la sélectivité et la ponctualité de l'organisation, sur l'Amazone notamment, "empirogués" à midi, trempés
à midi et quart;
pour terminer par une démonstration insolite, qu'il nous a été permis d'observer, à savoir qu'il est
possible de partager le même lit, sans se mélanger pour autant.
Le lendemain, dans le car qui nous amenait à l'aéroport du retour, les Français ont bien voulu me
congratuler pour mon humour, qu'ils avaient "apprécié".
Fait suffisamment rare que pour être rapporté.
37
Cfr page 52
64
Djakarta (1986)
Anciennement Batavia.
La langue officielle des "Indes néerlandaises" était bien entendu le néerlandais.
Aussi les anciens étaient-ils tout heureux de pouvoir converser avec un Belge, supposé connaître la
langue. La grande illusion. Déjà en difficulté devant un Flamand, tout à fait imperméable au discours d'un
Hollandais. De grâce, parlez anglais. La conversation est beaucoup plus aisée avec un étranger, dont
l'anglais n'est pas la langue maternelle: vocabulaire plus limité, moins d'expressions idiomatiques,
prononciation plus soignée, débit moins rapide… Par contre, il y a intérêt à éviter le dialogue avec un
américain, bien que j'en aie tâté en 1944. Si vous le faites répéter, il vous redira la même chose de la
même façon, et à la troisième fois, il vous enverra promener.
Néanmoins, à l'occasion d'une randonnée de plusieurs centaines de kilomètres organisée dans le cadre du
post congrès, j'avais choisi le car des anglophones, préférant le dépaysement linguistique à l'étouffement
dans la délégation française. C'était d'ailleurs le car choisi par les indonésiens, parmi lesquels je comptais
déjà des connaissances.
Compte tenu de la longueur du parcours, des arrêts étaient prévus, avec démonstrations de groupes
folkloriques entre autres, et, par ailleurs, une animatrice avait la charge de nous commenter le paysage, de
nous servir à boire et de nous divertir, lorsqu'il n'y avait rien à voir.
A l'occasion d'un "temps mort", elle nous invite à participer à un concours de chants, avec cadeaux
prévus pour les premiers classés. Genre d'épreuve qui n'excite pas particulièrement les congressistes, qui,
ès qualités, ne sont pas venus de si loin, pour faire du show dans un car. Néanmoins, sur l'insistance de la
brave dame, qui m'avait déjà servi deux ou trois bières, j'accepte de leur raconter une histoire, illustrée de
chansons, sur le thème ci-après.
Durant la guerre, nous étions occupés par les armées allemandes, la chanson à la mode était "Lily
Marleen", que je chante en version originale. Puis, nous fûmes libérés par les Américains et j'ai connu une
jeune fille à qui j'ai chanté "Daisy, daisy", mais elle me fit remarquer qu'elle était italienne, ce qui lui a
donné droit à "Ramona" dans sa langue. Par applaudissements, j'ai obtenu le premier prix et la sympathie
générale, encombrante à la limite, des occupants du car. Ils me considéraient comme parfait polyglotte,
interlocuteur de choix. Ils ne se doutaient de rien. Heureusement, le post congrès touchait à sa fin.
Des visites traditionnelles: ouvrages d'art, curiosités naturelles (volcans), temples, même de Bali, je ne
conserverai pas un souvenir impérissable, par rapport à la Thaïlande, par exemple. Evidemment, quand on
voyage beaucoup… .
Comme originalité spécifique je retiendrai :
Le "nasi goreng" de Bali, plat local à base de riz, d'huile, d'échalotes, d'ail, de poulet, de crevettes, de
choux blanc, de sambal, de piments… .
Le "batik" javanais, technique d'impression de tissu, consistant à masquer certaines zones avec de la
cire, pour empêcher leur imprégnation par la teinture; après séchage, on fait fondre la cire et le procédé
peut continuer avec une autre couleur.
… Mais tel n'était pas l'objet du congrès.
Sur le chemin du retour, j'ai beaucoup apprécié Singapour.
Pourquoi Singapour ?
D'abord pour la possibilité de rejoindre une ligne Sabena, tout en ayant le loisir d'y flâner trois jours,
ailleurs qu'à Djakarta. Explication : assez curieusement, le prix du vol sur l'Asie était sensiblement réduit,
si le séjour atteignait quinze jours, d'où l'intérêt de m'offrir deux nuitées supplémentaires.
Par ailleurs, je pouvais y bénéficier d'un relais de la Cie Pieux Franki, qui terminait la réalisation du
métro, en association momentanée avec d'autres entreprises.
Un ingénieur de la firme m'a fait visiter la ville, ses parcs luxuriants, les reliquats de la colonisation
anglaise et… les magasins. A ce sujet, la veille du départ (il rentrait également en Belgique), il m'annonce
65
son intention de procéder à quelques achats. Probablement indiscret, je m'invite à l'accompagner, malgré
une certaine réserve, dont je n'ai pas tardé à connaître la raison.
Bien connu du boutiquier, il avait passé commande et venait en prendre livraison. Accueil chaleureux,
rafraîchissements offerts. Des montres Cartier et autres marques de prestige me sont proposées à des prix
ridicules, alors que je n'avais rien demandé. Toujours prudent en pareille circonstance, je me suis limité à
l'achat de deux jupes portefeuilles à l'intention de ma belle-fille, alors que mon compère emportait deux
volumineux ballots, contenant plusieurs dizaines de chemises… "Lacoste". J'avais compris, mais je n'en ai
pas profité, ce que j'ai regretté à mon retour.
38
Chapelles pour mariages instantanés.
66
Encastrée entre deux chaînes de montagnes, à 80 m sous le niveau de la mer, Death Valley récolte les
eaux chargées de minéraux provenant des montagnes avoisinantes, lesquelles s'évaporent au seuil de l'été
et abandonnent de brillantes surfaces de sel blanc.
160 km de découvertes naturelles, de montagnes aux flancs multicolores, de décors prestigieux, et dire
qu'il y avait mieux encore.
Le "Yosemite Park", au cœur de la Sierra Nevada, nous réservait encore bien d'autres curiosités
naturelles: des parois abruptes de 1 000 m de hauteur, se dressant de part et d'autre de la vallée, donnant
naissance à des cascades de plusieurs centaines de mètres de chute. Ajoutons-y une impressionnante forêt
de séquoias géants. L'intérêt était tel que nous y avons dépassé nos prévisions d'une journée.
Avant d'aborder l'agglomération de San Francisco, on traverse un immense parc d'éoliennes. Il est vrai
que nous sommes en bordure de la côte Pacifique, vraisemblablement exposée à de grands vents.
La ville "aux sept collines" est connue pour ses rues aux pentes abruptes. Le règlement urbain prévoit
d'ailleurs que les véhicules, en stationnement dans le sens de la descente, doivent obligatoirement braquer
leurs roues avant vers la bordure.
Ce qui explique également les fameux "cable cars" (tramways à câble), conçus à la fin du XIXe siècle,
car le tramway, de conception classique, n'aurait pu vaincre des déclivités de 20%. Les voitures circulent
sur des rails, dans l'axe de la chaussée, mais sont tractées par un câble sans fin mu par de puissantes
machines. Le câble toujours en mouvement est logé dans une gaine encastrée dans la chaussée et ouverte à
sa partie supérieure. Un système d'embrayage permet au conducteur de s'accrocher au câble et de s'en
désolidariser de façon progressive. D'exploitation coûteuse et manquant de souplesse, ce mode de
transport ingénieux fut progressivement remplacé par un service de bus. Toutefois, trois lignes ont été
conservées, classées en tant que "Patrimoine national historique", protégé par l'Etat fédéral.
Mais tel n'était évidemment pas le sujet du congrès, dont les travaux ont repris avec force et vigueur,
nous offrant cependant une journée de détente: la visite des vignobles californiens, couronnée par une
mémorable réception de plein air, à Napa Valley. Ce jour-là, la terre avait tremblé sans qu'on ne s'en
aperçoive.
La Californie est coupée en deux par la faille de San Andreas, ligne de glissement entre deux plaques
tectoniques majeures. Les tremblements de terre sont quotidiens, mais souvent imperceptibles, sauf quand
l'ajustement des plaques se manifeste de façon brutale, comme en 1906: glissement de six mètres en
quelques heures, magnitude de 8,3 sur l'échelle de Richter, destruction de la ville de San Francisco… Les
normes de reconstruction ont tenu compte de la reproduction inéluctable de semblable phénomène, à
échéance indéterminée, ce qui ne semble guère traumatiser les esprits.
Quant au post congrès, il devait immanquablement nous conduire aux barrages du Colorado, dans les
Montagnes Rocheuses, lesquels permettent des retenues d'eau considérables aux effets et ressources
bénéfiques : régularisation du cours d'eau par absorption des crues saisonnières, irrigation des zones
désertiques, alimentation des villes en eau potable, production d'énergie hydro-électrique et
développement du tourisme.
Avec ses 225 m de hauteur, le Hoover dam, construit avant-guerre, constituait déjà un record mondial.
Le barrage du Glenn Canyon est mieux connu par le Lake Powell qu'il génère. Le lac développe 3 300 km
de rives, soit plus que la façade Pacifique des Etats-Unis, dans un décor riche en relief et en couleur. Mais
le plus spectaculaire était encore à venir : le Grand Canyon du Colorado, aux perspectives vertigineuses.
Un hélicoptère posé sur le fond du canyon n'est plus qu'une tête d'épingle bien difficile à distinguer.
Les sportifs entreprennent la descente jusqu'aux bords du torrent en suivant des sentiers balisés, ce qui
demande deux journées… et trois, pour remonter. De plus intrépides descendent le torrent en radeaux
pneumatiques, maîtrisés par des