• Document 1 : Image du film Les Temps modernes (1936), réalisé et interprété par Charlie
Chaplin.
• Document 2 : Extrait de : Marcel Pagnol, Le Schpountz, 1938
• Document 3 : Extrait de : François Rabelais, Gargantua, « Prologue », 1534
• Document 4 : Extrait de : Jean-Robert Probst, Chicky, une vie de clown, légende vivante
du cirque, éd. Cabédita (Suisse, 2008)
▪ Document 1 : image du film Les Temps modernes (1936), réalisé et interprété par
Charlie Chaplin.
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Document 2 : Extrait de : Marcel Pagnol, Le Schpountz, 1938
Irénée, un provincial naïf qui rêve de devenir acteur tragique, a été engagé dans un film pour
incarner à son insu un personnage comique. Le jour de la sortie, son amie Françoise lui rend
compte des réactions du public et lui apprend qu’il a fait rire, en particulier dans la grande
scène d’amour. Irénée comprend alors qu’on s’est joué de lui et qu’il n’est en fait qu’un
« Schpountz ».
IRÉNÉE — Faire rire ! Devenir un roi du rire ! C’est moins effrayant que d’être guillotiné,
mais c’est aussi infamant.
FRANÇOISE — Pourquoi ?
IRÉNÉE — Des gens vont dîner, avec leur femme ou leur maîtresse. Et vers les neuf heures
du soir, ils se disent : « Ah, maintenant qu’on est bien repu, et qu’on a fait les choses sérieuses
de la journée, où allons-nous trouver un spectacle qui ne nous fera pas penser, qui ne posera
aucun problème et qui nous secouera un peu les boyaux, afin de nous faciliter la digestion ? »
FRANÇOISE — Mais vous exagérez tout !
IRÉNÉE — Oh non, c’est même encore pire : ce qu’ils viennent chercher, quand ils viennent
voir un comique, c’est un homme qui leur permette de s’estimer davantage. Alors pour faire
un comique, le maquilleur approfondira une ride, il augmentera un petit défaut. Au lieu de
corriger mon visage, au lieu d’essayer d’en faire un type d’homme supérieur, il le dégradera
de son mieux, avec tout son art. Et si alors j’ai un grand succès de comique, cela voudra dire
que dans toute la France, il ne se trouvera pas un homme qui ne puisse pas se dire : « ce soir je
suis content, parce que j’ai vu – et j’ai montré à ma femme – quelqu’un de plus bête et de plus
laid que moi. » (Un temps, il réfléchit.) Il y a cependant une espèce de gens auprès de qui je
n’aurai aucun succès : les gens instruits, les professeurs, les médecins, les prêtres. Ceux-là, je
ne les ferai pas rire, parce qu’ils ont l’âme assez haute pour être émus de pitié. Allez,
Françoise, celui qui rit d’un autre homme, c’est qu’il se sent supérieur à lui. Celui qui fait rire
tout le monde, c’est qu’il se montre inférieur à tous.
FRANÇOISE — Il se montre, peut-être, mais il ne l’est pas.
IRÉNÉE — Pourquoi ?
FRANÇOISE — Parce que l’acteur n’est pas l’homme. Vous avez déjà vu sur l’écran Charlot
recevoir des coups de pied au derrière. Croyez-vous que dans la vie, M. Chaplin accepterait
seulement une gifle ? Mais il en donnerait plutôt… C’est un grand chef dans la vie, M.
Chaplin.
IRÉNÉE — Alors, pourquoi s’abaisse-t-il à faire rire ?
FRANÇOISE — Ceux qui font rire sur la scène ou sur l’écran ne s’abaissent pas, bien au
contraire. Faire rire ceux qui rentrent des champs, avec leurs si mains tellement dures qu’ils
ne peuvent plus les fermer ; ceux qui sortent des bureaux avec leurs petites poitrines étroites
qui ne savent plus le goût de l’air. Ceux qui reviennent de l’usine, la tête basse, les ongles
cassés, avec de l’huile noire dans les coupures de leurs doigts… Faire rire ceux qui mourront,
ceux qui ont perdu leur mère, ou qui la perdront…
IRÉNÉE — Mais qui c’est ceux-là ?
FRANÇOISE — Tous… Ceux qui n’ont pas encore perdu la Mère, la perdront un jour…
Celui qui leur fait oublier un instant les petites misères… la fatigue, l’inquiétude et la mort ;
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celui qui fait rire des êtres qui ont tant des raisons de pleurer, celui-là leur donne la force de
vivre, et on l’aime comme un bienfaiteur…
IRÉNÉE — Même si pour les faire rire il s’avilit devant leurs yeux ?
FRANÇOISE — Mais s’il faut qu’il s’avilisse, et s’il y consent, le mérite est encore plus
grand, puisqu’il sacrifie son orgueil pour alléger nos souffrances… On devrait dire saint
Molière, on pourrait dire saint Charlot…
IRÉNÉE — Mais le rire, le rire… C’est une espèce de convulsion absurde et vulgaire…
FRANÇOISE — Oh! non, ne dites pas de mal du rire. Il n’existe pas dans la nature ; les bêtes
ne rient pas, les arbres ne rient pas, les montagnes n’ont jamais ri… Les hommes seuls, les
hommes et même les tout petits enfants, ceux qui ne savent pas encore parler… Le rire est une
chose humaine, qui n’appartient qu’aux hommes ; et c’est une chose que Dieu leur a peut-être
donnée pour les consoler d’être intelligents…
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▪ Document 3, Extrait de : François Rabelais, Gargantua, « Prologue », 1534
Buveurs très illustres, et vous Vérolés très précieux (c’est à vous, à personne d’autre que
sont dédiés mes écrits), dans le dialogue de Platon intitulé Le Banquet, Alcibiade faisant
l’éloge de son précepteur Socrate, sans conteste prince des philosophes, le déclare, entre
autres propos, semblable aux Silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boîtes comme on en
voit à présent dans les boutiques des apothicaires ; au-dessus étaient peintes des figures
amusantes et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, boucs
volants, cerfs attelés et autres semblables figures imaginaires, arbitrairement inventées pour
inciter les gens à rire, à l’instar de Silène, maître du bon Bacchus. Mais à l’intérieur, on
conservait les fines drogues comme le baume, l’ambre gris, l’amome, le musc, la civette, les
pierreries et autres produits de grande valeur. Alcibiade disait que tel était Socrate, parce que,
ne voyant que son physique et le jugeant sur son aspect extérieur, vous n’en auriez pas donné
une pelure d’oignon tant il était laid de corps et ridicule en son maintien : le nez pointu, le
regard d’un taureau, le visage d’un fol, ingénu dans ses mœurs, rustique en son vêtement,
infortuné au regard de l’argent, malheureux en amour, inapte à tous les offices de la vie
publique ; toujours riant, toujours prêt à trinquer avec chacun, toujours se moquant, toujours
dissimulant son divin savoir. Mais en ouvrant une telle boîte, vous auriez trouvé au-dedans un
céleste et inappréciable ingrédient : une intelligence plus qu’humaine, une force d’âme
prodigieuse, un invincible courage, une sobriété sans égale, une incontestable sérénité, une
parfaite fermeté, un incroyable détachement envers tout ce pour quoi les humains s’appliquent
tant à veiller, courir, travailler, naviguer et guerroyer.
À quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d’essai ? C’est que vous, mes bons disciples,
et quelques autres fous oisifs, en lisant les joyeux titres de quelques livres de notre invention,
comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La Dignité des braguettes, Des pois au lard avec
commentaire, etc., vous pensez trop facilement qu’on n’y traite que de moqueries, folâtreries
et joyeux mensonges, puisque l’enseigne extérieure (c’est le titre) est sans chercher plus loin,
habituellement reçue comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si
légèrement les œuvres des hommes. Car vous-mêmes vous dites que l’habit ne fait pas le
moine, et tel est vêtu d’un froc qui au-dedans n’est rien moins que moine, et tel est vêtu d’une
cape espagnole qui, dans son courage, n’a rien à voir avec l’Espagne. C’est pourquoi il faut
ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est traité. Alors vous reconnaitrez que la
drogue qui y est contenue est d’une tout autre valeur que ne le promettait la boite : c’est-à-dire
que les matières ici traitées ne sont pas si folâtres que le titre le prétendait. Et en admettant
que le sens littéral vous procure des matières assez joyeuses et correspondant bien au titre, il
ne faut pourtant pas s’y arrêter, comme au chant des sirènes, mais interpréter à plus haut sens
ce que le hasard vous croyiez dit de gaieté de cœur.
Avez-vous jamais crocheté une bouteille ? Canaille ! Souvenez-vous de la contenance que
vous aviez. Mais n’avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? C’est,
comme dit Platon au livre II de la République, la bête la plus philosophe du monde. Si vous
l’avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il guette son os, avec quel soin il le garde,
avec quelle ferveur il le tient, avec quelle prudence il entame, avec quelle passion il le brise,
avec quel zèle il le suce. Qui le pousse à faire cela ? Quel est l’espoir de sa recherche ? Quel
bien en attend-il ? Rien de plus qu’un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux
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que le beaucoup d’autres produits, parce que la moelle et un aliment élaboré selon ce que la
nature a de plus parfait, comme le dit Galien au livre III Des Facultés naturelles et au
deuxième de L’Usage des parties du corps.
À son exemple, il vous faut être sages pour humer, sentir et estimer ces beaux livres de
haute graisse, légers à la poursuite et hardis à l’attaque. Puis, par une lecture attentive et une
méditation assidue, rompre l’os et sucer la substantifique moelle, c’est-à-dire —ce que je
signifie par ces symboles pythagoriciens— avec l’espoir assuré de devenir avisés et vaillants à
cette lecture. Car vous y trouverez une bien autre saveur et une doctrine plus profonde, qui
vous révèlera de très hauts sacrements et mystères horrifiques, tant sur notre religion que sur
l’état de la cité et la gestion des affaires.
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▪ Document 4, Extrait de : Jean-Robert Probst, Chicky, une vie de clown, légende
vivante du cirque, éd. Cabédita (Suisse, 2008),
Au cours de leur carrière, les Dubsky jouèrent un certain nombre d’entrées classiques, parmi
lesquelles celle du taxi en folie, qui rencontre toujours un énorme succès. Très simple, la
trame tient en quelques lignes. Une famille, qui veut partir en vacances, commande un taxi.
Mais la voiture se montre plutôt récalcitrante. Elle perd ses portières, le toit se déchire, les
phares tombent sur le capot et finalement le moteur explose, pour la plus grande joie des
enfants. Et aussi de leurs parents. Qui n’a jamais été confronté à des ennuis causés par sa
propre voiture ? […].
Chaque membre de la troupe avait son rôle à jouer, et il devait faire preuve d’une précision
extrême, pour que les effets tombent au bon moment. Souvent, on compare les entrées
clownesques à un mouvement d’horlogerie. Il est vrai que le timing s’avère très important.
Une demi-seconde d’hésitation et le gag tombe à plat. Ce n’est pas étonnant si l’on compare le
célèbre clown Grock à un horloger. Alors que son numéro paraissait tenir de l’improvisation,
chaque geste était parfaitement synchronisé et tombait pile au bon moment. […].
Parce qu’il n’avait pas les moyens de se faire couper un costume de clown sur mesure, Chicky
avait emprunté un vêtement à un parent genevois. Comme ce dernier était de forte
constitution, le costume flottait passablement. C’est exactement l’effet qui était recherché. Il
compléta l’habillement en dénichant des chaussures de taille énorme, qu’il bourra de papier
pour qu’elles tiennent aux pieds. Et il enfila une perruque à cheveux orange, qu’il avait
achetée au cours de ses pérégrinations à un coiffeur de théâtre. Un nez rouge, quelques
touches de maquillage et le personnage était prêt à entrer en piste.
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