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Cristina Campo

Poésies

Le tigre absence

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PASSO D'ADDIO PAS D'ADIEU

For last year's words belong to last year's language For last year's words belong to last year's language
and next year's words await another voice. and next year's words await another voice.
Si ripiegano i bianchi abiti estivi
On replie les blanches robes d'été,
e tu discendi sulla meridiana,
et toi, tu descends sur le méridien,
dolce Ottobre, et sui nidi.
doux Octobre, et sur les nids.
Trema l'ultimo canto nelle altane
Le dernier chant tremble sur les terrasses
dove sole era l'ombra ed ombra il sole,
où l'ombre était soleil et ombre le soleil,
tra gli affanni sopiti.
parmi les angoisses apaisées
E mentre indugia tiepida la rosa
Tandis que tiède s'attarde la rose
l'amara bacca già stilla il sapore
déjà l'amère baie distille la saveur
dei sorridenti addii.
des souriants adieux.

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Moriremo lontani. Sarà molto Nous mourrons éloignés. Et ce sera déjà beaucoup
se poserà la guancia nel tuo palmo si je pose ma joue dans ta paume
a Capodanno; se nel mio la traccia au jour de l'an; et si dans la mienne tu contemples
contemplerai di un'altra migrazione. la trace d'une autre migration.
Dell'anima ben poco De l'âme nous savons
sappiamo. Berrà forse dai bacini bien peu. Elle boira, peut-être, aux bassins
delle concave notti senza passi, des nuits creuses, sans pas,
poserà sotto aeree piantagioni ou reposera sous d'aériennes plantations
germinate dai sassi... germées parmi les pierres...
0 signore e fratello ! ma di noi Ô seigneur et frère ! Mais de nous
sopra una sola teca di cristallo sur une seule châsse de cristal
popoli studiosi scriveranno des peuples studieux écriront,
forse, tra mille inverni: peut-être, dans mille hivers:
«nessun vincolo univa questi morti «aucun lien n'unissait ces morts
nella necropoli deserta». dans la nécropole déserte».

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Ora che capovolta è la clessidra, Maintenant que la clepsydre est retournée,
che l'avvenire, questo caldo sole, que l'avenir, ce chaud soleil,
già mi sorge alle spalle, con gli uccelli déjà monte derrière moi, avec les oiseaux
ritornerà senza dolore je reviendrai sans douleur
a Bellosguardo: là posai la gola à Bellosguardo: là, j'ai posé ma gorge
su verdi ghigliottine di cancelli sur les vertes guillotines des grilles,
e di un eterno rosa et d'un rose éternel
vibravano le mani, denudate di fiori. vibraient mes mains, privées de fleurs.
Oscillante tra il fuoco degli uliveti, Oscillant dans le feu des oliviers,
brillava Ottobre antico, nuovo amore. brillait Octobre ancien, nouvel amour.
Muta, affilavo il cuore Muette, j'aiguisais mon c ur
al taglio di impensabili aquiloni au fil d'impensables aquilons
(già prossimi, già nostri, già lontani): (déjà proches, déjà nôtres, déjà lointains):
aeree bare, tumuli nevosi cercueils aériens, tumuli neigeux
del mio domani giovane, del sole. de mon jeune lendemain, du soleil.

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È rimasta laggiù, calda, la vita, Elle est restée là-bas, chaude, la vie,
l'aria colore dei miei occhi, il tempo l'air couleur de mes yeux, le temps
che bruciavano in fondo ad ogni vento que brûlaient au fond de chaque vent
mani vive, cercandomi... des mains vivantes, me cherchant...
Rimasta è la carezza che non trovo Restée là-bas la caresse que je ne trouve plus
più se non tra due sonni, l'infinita qu'entre deux sommeils, en miettes
mia sapienza in frantumi. E tu, parola mon infinie sagesse. Et toi, parole
che tramutavi il sangue in lacrime. qui changeait le sang en larmes.
Nemmeno porto un viso Je n'emporte pas même avec moi
con me, già trapassato in altro viso un visage, passé déjà dans un autre visage
come spera nel vino e consumato comme sphère dans le vin et consumé
negli accesi silenzi... dans les brûlants silences...
Tomo sola Seule je reviens
tra due sonni laggiù, vedo l'ulivo là-bas entre deux sommeils, je vois l'olivier
roseo sugli orci colmi d'acqua e luna rose sur les jarres pleines d'eau et de lune
del lungo invemo. Torno a te che geli du long hiver. Je reviens vers toi qui gèles
nella mia lieve tunica di fuoco. dans ma légère tunique de feu.

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à m. c. à m. c.

A volte dico: tentiamo d'esser gioiosi, Parfois je dis: tentons d'être joyeux
e mi appare discrezione la mia, et ceci me semble modestie
tanto scavata è ormai la deserta misura tant est creusée désormais la déserte mesure
cui fu promesso il grano. à laquelle fut promis le grain.
A volte dico: tentiamo d'essere gravi, Et parfois je pense: tentons d'être graves,
non sia mai detto che zampilli per me qu'il ne soit jamais dit que jaillisse pour moi
sangue di vitello grasso: le sang du veau gras;
ed ancora mi appare discrezione la mia. et cela encore me semble modestie.
Ma senza fallo a chi cosi ricolma Mais assurément, à qui comble ainsi
d'ipotesi il deserto, d'hypothèses le désert,
d'immagini l' oscura notte, anima mia, d'images l'obscure nuit, mon âme,
a costui sarà detto: avesti la tua mercede. à celui-là il sera dit: tu as reçu ta récompense.

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Ora non resta che vegliare sola Maintenant il ne me reste plus qu’à veiller seule
col salmista, coi vecchi di Colono; avec le psalmiste, avec les vieux de Colone;
il mento in mano alla tavola nuda le menton dans la main sur la table nue,
vegliare sola: come da bambina veiller seule: comme dans mon enfance,
col califfo e il visir per le vie di Bassora. avec le calife et le vizir, dans les rues de Bassorah.
Non resta che protendere la mano Il ne me reste qu'à tendre la main
tutta quanta la notte; e divezzare tout au long de la nuit; puis à sevrer l'attente
l'attesa dalla sua consolazione, de sa consolation,
seno antico che non ha più latte. sein flétri qui ne donne plus de lait.
Vivere finalmente quelle vie Vivre enfin ces voies
— dedalo di falà, spezie, sospiri — dédale de fanaux, d'épices, de soupirs,
da manti di smeraldo ventilato — ventilé de robes d'émeraude —
col mendicante livido, acquattato avec le blême mendiant, blotti
tra gli orli di una ferita. entre les lèvres d'une blessure.

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La neve era sospesa tra la notte e le strade La neige était suspendue entre la nuit et les rues
come il destino tra la mano e il fiore. comme le destin entre la fleur et la main.
In un suono soave Dans un doux son
di campane diletto sei venuto... de cloches, tu es venu, mon aimé...
Come une verga è fiorita la vecchiezza di queste Comme un rameau a refleuri la vieillesse de ces
scale. marches.
0 tenera tempesta Ô tendre tempête
notturna, volto umano ! nocturne, visage humain !
(Ora tutta la vita è nel mio sguardo, (Maintenant toute la vie est en mon regard,
stella su te, sul mondo che il tuo passo richiude). étoile sur toi, sur le monde que délimite ton pas).

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Maintenant tu passes au loin, au long des croix du
Ora tu passi lontano, lungo le croci del labirinto, labyrinthe,
lungo le notti piovose che io m'accendo au long des nuits pluvieuses que j'allume pour moi
nel buio delle pupille, dans le noir des pupilles,
tu, senza più fanciulla che disperda le voci... toi, sans plus de jeune fille qui disperse les voix...
Strade che l'innocenza vuole ignorare e brucia Routes que l'innocence veut ignorer et brûle
di offrire, chiusa e nuda, senza palpebre o labbra! d'offrir, close et nue, sans paupières ni lèvres !
Poiché dove tu passi è Samarcanda, Puisque là où tu passes est Samarcande,
e sciolgono i silenzi tappeti di respiri, que les silences déroulent des tapis de souffles,
consumano i grani dell'ansia — et se consument les grains de l'angoisse —
e attento: fra pietra e pietra corre un filo di sangue, attention: entre pierre et pierre court un filet de
là dove giunge il tuo piede. sang,
là où ton pied arrive.

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Amore, oggi il tuo nome Amour, aujourd'hui ton nom
al mio labbro è sfuggito a échappé à mes lèvres
come al piede l'ultimo gradino... comme à mon pied la dernière marche...
Ora è sparsa l'acqua della vita L'eau de la vie est maintenant répandue
e tutta la lunga scala et le long escalier
è da ricominciare. tout à recommencer.
T'ho barattato, amore, con parole. Je t'ai troqué, amour, contre des mots.
Buio miele che odori Miel noir qui embaumes
dentro i diafani vasi dans les vases diaphanes
sotto mille e seicento anni di lava — sous mille six cents ans de lave —
ti riconoscerè dall'immortale je te reconnaîtrai dans l'immortel
silenzio. silence.

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Maintenant je veux blanches à nouveau toutes mes
Ora rivoglio bianche tutte le mie lettere,
lettres
inaudito il mio nome, la mia grazia richiusa;
inouï mon nom, ma grâce reployée:
ch'io mi distenda sul quadrante dei giorni,
que je m'étende sur le cadran des jours,
riconduca la vita a mezzanotte.
reconduise la vie à minuit.
E la mia valle rosata dagli uliveti
Et ma vallée rose d'oliviers,
e la città intricata dei miei amori
et la ville enchevêtrée de mes amours,
siano richiuse come breve palmo,
qu'elles soient reployées comme une frêle paume,
il mio palmo segnato da tutte le mie morti.
ma paume où sont marquées toutes mes morts.
0 Medio Oriente disteso dalla sua voce,
Ô Moyen Orient élargi par sa voix,
voglio destarrni sulla via di Damasco —
je veux m'éveiller sur le chemin de Damas —
né mai lo sguardo aver levato a un cielo
et n'avoir jamais levé les yeux vers un ciel
altro dal suo, da tanta gioia in croce.
autre que le sien, que tant de joie en croix.

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Devota come ramo Pieuse comme la branche
curvato da molte nevi ployée par tant de neiges
allegra come falà joyeuse comme un bûcher
per colline d'oblio, sur des collines d'oubli,
su acutissime làmine sur des lames acérées
in bianca maglia d'ortiche, en blanche tunique d'orties
ti insegnerà, mia anima, je t'apprendrai, mon âme,
questo passo d'addio... ce pas d'adieu...

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QUADERNETTO PETIT CAHIER

Un anno... Tratteneva la sua stella Une année... Le ciel de l'Avent


il cielo dell'Avvento. Sulla bocca retenait son étoile. Sur la bouche
senza febbre o paura la mia mano sans fièvre ni peur ma main
ti disegnava, oscura, una parola. te traçait, obscure, une parole.
E la sfera dell'anima e dell' anno Et la sphère de l'âme et de l'année
vibrava in cima a uno zampillo d'oro vibrait au sommet d'une gerbe d'or
alto e sottile, il sangue. haute et légère, le sang.
Ne tremavano Les regards
sorridenti gli sguardi — all'accostarsi en tremblaient, souriants — à l'approche
buio di quel guardiano incorruttibile noire de l'incorruptible gardien
che nei giardini chiude le fontane. qui dans les jardins ferme les fontaines.
Capodanno '53-'54 Jour de l'an 1953-1954

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Biglietto di Natale a M.L.S. Carte de Noël à M.L.S.

Maria Luisa quante volte Maria Luisa combien de fois


raccoglieremo questa nostra vita recueillerons-nous notre vie
nella pietà di un verso, come i Santi dans la piété d'un vers, comme les Saints
nel loro palmo le città turrite? dans leur paume les villes tourellées?
La primavera quante volte Combien de fois le printemps
turbinerà i miei grani di tristezza fera-t-il dans les pluies tournoyer
dentro le piogge, fino alle tue orme les grains de ma tristesse, jusqu'à tes traces
sconsolate — a Saint-Cloud, sulla Giudecca? désolées — à Saint-Cloud, sur la Giudecca?
Non basterà tutto un Natale Tout un Noël ne nous suffira pas
a scambiarci le favole più miti: pour échanger les contes les plus doux:
le tuniche d'ortica, i sette mari, les tuniques d'ortie, les sept océans,
la danza sulle spade. la danse sur les épées.
«Mirabilmente il tempo si dispiega...» «Merveilleusement le temps se déplie...»
ricondurrà nel tempo questo minimo il ramènera dans le temps cet infime
corso, una donna, un àtomo di fuoco: cours, une femme, un atome de feu:
noi che viviamo senza fine. nous qui vivons sans fin.
Ognissanti '54 Toussaint 1954

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Il maestro d' arco
Le maître archer

Tu, Assente che bisogna amare...


Toi, Absent qu'il faut aimer...
termine che ci sfuggi e che c'insegui
terme qui nous échappes et nous poursuis
come ombra d'uccello sul sentiero:
comme l'ombre d'un oiseau sur le sentier:
io non ti voglio più cercare.
je ne veux plus te chercher.
Vibrerà senza quasi mirare la mia freccia,
Je vibrerai sans presque ajuster ma flèche
se la corda del cuore non sia tesa:
pourvu que soit tendue la corde de mon c ur:
il maestro d' arco zen cosi m'insegna
voilà ce que m'enseigne le maître archer zen
che da tremila anni Ti vede.
qui depuis trois mille ans Te voit.
(Giardino Bonacossi
(Jardin Bonacossi
ottobre '54, a B.B.)
octobre 1954, à B.B.)

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... Chartres, mais cette fois
... Chartres, ma questa volta
avec tes statues blessées,
con le tue statue ferite,
frappées par les froides années de nos lointains
percosse dai freddi anni dei nostri peccati lontani,
péchés,
Chartres senza campane,
Chartres sans cloches,
senza fanciulle in giubilo sotto i tigli
sans jeunes filles en jubilation sous les tilleuls
(allora io volevo, di pura gioia, morire)
(je voulais alors, rien que de joie, mourir)
Chartres incatenata di corvi e di tramontane
Chartres prisonnière des corbeaux et des vents
come una rupe nel mare,
comme un rocher dans la mer,
un solo raggio crudele a colpire
un seul rayon cruel pour frapper
la guancia in lacrime di un tuo pastore —
la joue en larmes de l'un de tes pasteurs —
piovuto è tempo e sangue su di te, cattedrale
temps et sang ont plu sur toi, cathédrale,
sulla tua pietra serena
sur ta pierre sereine
come una scorza — intriso l'Angelo-Meridiana
comme une écorce — trempé l'Ange au Cadran
e come il nero giorno ferme le grandi ruote,
et comme le jour noir immobiles les grandes roues,
le vuote mole dei tuoi archi,
les meules vides de tes arches,
sull'Eure che scorre fango...
sur l'Eure qui charrie la boue...
0 mio giacinto dalla verde foglia
Ô ma jacinthe en sa verte feuille
nella pianura fumida di pianto.
dans la plaine fumante de pleurs.
giugno '52-settembre '54
juin 1952 - septembre 1954

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Quartine brevi Brefs quatrains

I I
(a T. e L.) (à T. et L.)
Medita l'acqua, dubita fra i vetri… L'eau médite, hésite entre les croisées...
ma s'è smarrita in mezzo agli scaffali Mais parmi les rayonnages depuis hier s'est égarée
da ieri un'ape. E tra gli asciutti alari une abeille. Et entre les chenets desséchés
fragile brilla un'azalea da ieri. fragile brille depuis hier une azalée.
S. Leonardo in Arcetri S. Leonardo in Arcetri,
primo giorno di primavera 1952 premier jour du printemps 1952.

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Canzoncina interrotta Chansonnette interrompue

Là-bas début octobre


Laggiù di primo ottobre
la marée des feuilles
la marea delle foglie
de l'angélique nuit
all'angelica notte
déjà retenait le pied.
già tratteneva il piede.
Sans être vues elles tombaient
Non vedute cadevano
(là tout était furtif),
(là tutto era furtivo),
au clair de lune un figuier
lento frusciava run
lentement murmurait des runes.
al plenilunio un fico.
De ton rêve un chaton
Sfilava dal tuo sogno
égrenait ses énigmes,
un micio le sue cabale,
incomparable véranda,
veranda incomparabile,
doux Chef du Monde.
dolce Capodimondo.
Seule mon heure
Solo la veemente
véhémente lacérait
mia ora lacerava
sur la grille les roses...
sul cancello le rose...
Et une statue renversée
E riversa una statua
mordait peut-être — au tourbillon
forse mordeva — al turbine
de ce vol — l'automne,
di quel volo — l'autunno,
oreiller de mousse
origliere di muschio

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POÈMES ÉPARS

POESIE SPARSE
Emmaüs
Je te chercherai sur cette terre qui tremble,
Emmaus au long des ponts qui désormais nous supportent à
peine,
Ti cercherà per questa terra che trema sous les pommiers profus et les vignes en flammes.
lungo i ponti che appena ci sorreggono ormai Je voulais m'en aller seule au Mont Athos,
sotto i meli profusi, le viti in fiamme. je disais: Il demeure des pages comme des tours
Volevo andarmene sola al Monte Athos dans les nids haut perchés qu'une volée de cloche
dicevo: restano pagine come torri défend.
negli alti covi difesi da un rintocco. Mais à présent tu n'es plus là, tu es entre les grandes
Ma ora non sei più là, sei tra le grandi ali incerte ailes incertaines
trapassate dal vento, negli aeroporti di luce. transpercées par le vent, dans les aéroports de
lumière.
nei denti disperati degli amanti che non disserra

più il dolce fiotto, la via d'oro del figlio...
dans les dents désespérées des amants que ne
desserre
plus le doux flot, le chemin d'or du fils...

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Oltre il tempo, oltre un angolo Au delà du temps, au delà d'un lieu

What sorrow
What sorrow
beside your sadness
beside your sadness
and what beauty
and what beauty
W.C. WILLIAMS
W.C. WILLIAMS
Tes paupières ont accueilli trop de choses,
Troppe cose hanno accolto le tue palpebre
l'attention a brûlé tes cils.
l'attenzione t'ha consumato le ciglia.
Trop de chemins t'ont répétée,
Troppe vie t'hanno ripetuta,
étreinte, poursuivie.
stretta, inseguita.
La ville depuis des siècles te dévore,
La città da secoli ti divora
mais pour toi s'égare, rêve et débâcle
ma per te travede, sogno e sfacelo
de lumières et de pluies, larmes séniles
di luci e piogge, lacrime senili
sur la fille qui passe,
sulla ragazza che passa
fébrile, indomptable, au delà du temps, au delà d'un
febbrile, indomabile, oltre il tempo, oltre un angolo.
lieu.
Ritoma! Gridano i vecchi di Santa Maria del Pianto,
Reviens! crient les vieux de Santa Maria del Pianto,
la ronda della piscina di Siloè
la ronde de la piscine de Siloé
con in cani, gl'ibridi, gli spettri
avec les chiens, les hybrides, les spectres
che non si sanno e tu sai
qui ne savent pas et que toi tu sais
radicati con te
enracinés avec toi
nel glutine blu dell' asfalto
dans le gluten bleu de l'asphalte,
e credono al tuo fiore che avvampa, bianco —
et qui croient en ta fleur qui flambe, blanche —
poiché tutti viviamo di stelle spente.
puisque tous nous vivons d'étoiles éteintes.

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Sindbad Sindbad

L'aria di giorno in giorno si addensa intorno a te L'air de jour en jour s'épaissit autour de toi,
di giorno in giorno consuma le mie palpebre. de jour en jour consume mes paupières.
L'universo s'è coperto il viso L'univers s'est couvert le visage,
ombre mi dicono: è inverno. des ombres me disent: C'est l'hiver.
Tu nel vergine spazio dove si cullano Toi dans le vierge espace où se bercent
isole negligenti, io nel terrore de nonchalantes îles, moi dans la terreur
dei lillà, in una vampa di tortore, des lilas, dans une flambée de tourterelles
sulla mite, domestica strada della follia. sur la douce, familière route de la folie.
Si stivano canapa, olive S'entassent chanvre, olives,
mercati e anni... Io non chino le ciglia. marchés et années. Je ne baisse pas les yeux.
Mezzanotte verrà, il primo grido Minuit viendra, le premier cri
del silenzio, il lunghissimo ricadere du silence, la très longue retombée
del fagiano tra le sue ali. du faisan entre ses ailes.

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Eté indien
Estate indiana

Octobre, fleur de mon péril


Ottobre, fiore del mio pericolo —
printemps chaviré dans les fleuves.
primavera capovolta nei fiumi.
Parfois la mort même m'est indifférente
Un'ora m'è indifferente fino alla morte
— l'érable a interrompu son vol, les feux
— l'acero ha il volo rotto, i fuochi annebbiano —
s'obscurcissent —
un'ora il terrore di esistere mi affronta
parfois m'assaille la terreur d'exister,
raggiante, come l'astero rosso.
rayonnante, comme l'aster rouge.
Tutto è già noto, la marea prevista,
Tout est déjà connu, la marée prévue,
pure tutto si ottenebra e rischiara
pourtant tout s'enténèbre et s'éclaire
con fresca disperazione, con stupenda
d'un frais désespoir, d'une merveilleuse
fermezza...
fermeté...
La luce tra due piogge, sulla punta
La lumière entre deux pluies, sur la pointe
di fiume che mi trafigge tra corpo
de fleuve qui me transperce entre corps
e anima, è una luce di notte
et âme, est une lumière de nuit
— la notte che non vedrò —
— la nuit que je verrai pas —
chiara nelle selve.
claire dans les forêts.

43 44
Elégie de Portland Road
Elegia di Portland Road

Chose défendue, obscure, le printemps.


Cosa proibita, scura la primavera.
Des années j'ai marché au long de printemps
Per anni camminai lungo primavere plus obscurs que mon sang. Maintenant reviennent
più scure del mio sangue. Ora tornano sul Tamigi sur la Tamise
sul Tevere i bambini trafitti dai lunghi gigli sur le Tibre les enfants transpercés de grands lys
le piccole madri nei loro covi d'acacia les petites mères dans leurs nids d'acacias
l'ora eterna sulle eterne metropoli l'heure éternelle sur d'éternelles métropoles
che già si staccano, tremano come navi qui déjà se détachent, tremblent comme des navires
pronte all'addio... prêts à l'adieu.
Cosa proibita Chose défendue,
scura la primavera. obscure, le printemps.
Io vado sotto le nubi, tra ciliegi Je vais sous les nuages, parmi les cerisiers
cosi leggeri che già sono quasi assenti. si légers que presque absents déjà.
Che cosa non è quasi assente tranne me, Qu'y a-t-il qui ne soit presque absent à part moi,
da cosi poco morta, fiamma libera? morte depuis si peu, flamme libre?
(Et au c ur du buisson s'enflamment à nouveau les
(E al centro del roveto riavvampano i vivi
vivants
nel riso, nello splendore, come tu li ricordi
dans le rire, la splendeur, comme tu te les rappelles,
come tu ancora implori).
comme encore tu les implores).

45 46
Missa Romana Missa Romana

I
I
Plus démuni que le lys
Più inerme del giglio
dans le lumineux
nel luminoso
suaire
sudario
il gravit le Calvaire
sale il Calvario
théologal
teologale
pénètre le buisson
penetra nel roveto
crépitant des millénaires
crepitante dei millenni
se cache
si occulta
dans l'odorante nuée de la langue.
nell'odorosa nube della lingua.
Courbé par de terribles
Curvato da terribili
vents
venti
il baise en silence les plaies sacrées
bacia sacre piaghe in silenzio eleva e mostra
élève et montre
pure palme trapassate
les pures paumes transpercées
mendica pace
mendie la paix
tra pollice e indice tende
entre pouce et index il tend
un filo sull'abisso del Verbo.
un fil sur l'abîme du Verbe.
Dagli ossami dei martiri
Des ossements des martyrs
tritume di gaudio
débris de joie
cresce
croît
la radice du Jesse
la racine de Jessé
sboccia nel calice rovente
elle s'épanouit dans le calice ardent

47 48
et dans la lune blanche
e nella bianca luna
croisée de sang
crociata di sangue e stendardo
étendard
che sorgendo gli fiacca
qui se levant lui brise
i ginocchi.
les genoux.
Sulla pietra angolare
Sur la pierre angulaire
ci spezza la morte
il rompt la mort
la eleva all'orizzonte delle lacrim
l'élève à l'horizon des larmes
la posa
la pose
con materno terrore
avec une terreur maternelle
su stimmate di labbra
sur des stigmates de lèvres
a medicare
pour guérir
la vita.
la vie.
Intorno al pasto
Autour du repas
mortale
mortel
tra i lembi del Dio
parmi les lambeaux de Dieu
sibilano serpenti addentano il corporale
des serpents sifflent, mordent le corporal
ai quattro angoli del conopeo
aux quatre coins du conopée
si arrotolano i fogli
s'enroulent les feuilles
dei cieli
des cieux
crepe saettano nei pilastri.
des fissures éclatent dans les piliers.
Ossessi
Des possédés
alla porta
à la porte
nel profumo di peste
dans le parfum de peste
mimano e vendono con lazzi
miment et vendent en bouffonnant
agli infermi e deformi
aux infirmes et estropiés
della probatica
de la piscine
vasca
probatique
la sua soave maschera di suppliziato.
son doux masque de supplicié.

49 50
II
II
Falconiere del Cielo
Fauconnier du Ciel
sulla cui mano alzata
sur la main levée de qui
piomba l'eterno Predatore
fond l'éternel Prédateur
avido di prigione...
avide de prison...
III
III
Dove va
Où va-t-il
questo Agnello
cet Agneau
che ai vergini è dato
qu'aux vierges il est donné
seguire ovunque vada dove va
de suivre où qu'il aille, où va-t-il
questo Agnello
cet Agneau
stante diritto e ucciso
droit debout et abattu
sul libro dei segnati
sur le livre des élus
ab origine
ab origine
mundi ?
mundi ?
Non si puà nascere ma
On ne peut naître mais
si puà restare
on peut rester
innocenti.
innocent.
Dove va
Où va-t-il cet Agneau
questo Agnello
qu' à nous ses meurtriers il n'est donné
che a noi gli ucciditori non è dato
de suivre avec les élus
seguire coi segnati
ni de fuir
né fuggire
mais sanglotant doucement de concevoir
ma singhiozzando soavemente concepire
dans le sein noir de l'esprit
nel buio grembo della mente

51 52
usque ad consummationem usque ad consummationem
mundi ? mundi?
Non si puè nascere ma On ne peut naître mais
si pub morire on peut mourir
innocenti. innocent.

53 54
La Tigre Assenza
Le Tigre Absence

pro patre et matre


pro patre et matre

Hélas le Tigre,
Ahi che la Tigre,
le Tigre Absence,
la Tigre Assenza,
ô mes aimés,
o amati,
a tout dévoré
ha tutto divorato
de ce visage retourné
di questo volto rivolto
vers vous ! Seule la bouche
a voi ! La bocca sola
pure
pura
encore
prega ancora
vous prie: de prier encore
voi: di pregare ancora
pour que le Tigre,
perché la Tigre,
le Tigre Absence,
la Tigre Assenza,
ô mes aimés,
o amati,
ne dévore la bouche
non divori la bocca
et la prière...
e la preghiera...

55 56
Diario bizantino Journal byzantin

I
I
Due mondi — e io vengo dall'altro.
Deux mondes — et moi je viens de l'autre.
Dietro e dentro
Derrière et dans
le strade inzuppate
les rues trempées
dietro e dentro
derrière et dans
nebbia e lacerazione
brume et lacération
oltre caos e ragione
au delà de chaos et raison
porte minuscole e dure tende di cuoio,
portes minuscules et rudes tentes de cuir,
mondo celato al mondo, compenetrato nel mondo,
monde caché au monde, imprégnant le monde,
inenarrabilmente ignoto al mondo,
inénarrablement ignoré du monde,
dal soffio divino
par le souffle divin
un attimo suscitato,
un instant suscité,
dal soffio divino
par le souffle divin aussitôt effacé,
subito cancellato,
il attend la Lumière voilée, le Soleil enseveli,
attende il Lume coperto, il sepolto Sole,
la prodigieuse Fleur.
il portentoso Fiore.
Deux mondes — et moi je viens de l'autre.
Due mondi — e io vengo dall'altro.
Le seuil, ici, n'est pas entre monde et monde
La soglia, qui, non è tra mondo e mondo
ni entre corps et âme,
né tra anima e corpo,
c'est le tranchant vivant et efficace
è il taglio vivente ed efficace
plus aiguisé que la double lame
più affilato della duplice lama
qui creuse
che affonda

57 58
jusqu'à séparation
sino alla separazione de l'âme véhémente d'avec le délicat esprit
dell'anima veemente dallo spirito delicato — jusqu'à ce que le noyau bien détaché roule dans
— finché il nocciolo ben spiccato ruoti dentro la la chair —
polpa — et des jointures d'avec les os
e delle giunture dagli ossi et des tendons d'avec la moelle:
e dei tendini dalle midolla: la lame qui discerne du c ur
la lama che discerne del cuore les terribles intentions
le tremende intenzioni les violentes hésitations.
le rapinose esitazioni. Deux mondes — et moi je viens de l'autre.
Due mondi — e io vengo dall'altro. Ô clé qui ouvres sans fermer,
0 chiave che apri e non chiudi, fermes sans ouvrir et conduis
chiudi e non apri e conduci tendrement le vaincu hors des murs de la prison
teneramente il vinto fuor della casa del carcere et hors de l'ombre de la mort
e fuor dell'ombra della morte et le sans-logis sous les porches lumineux
e il senzatetto negli atri luminosi des mille yeux impassibles
dei mille occhi impassibili de qui a jusqu'au terme souffert
di chi ha compiutamente patito et des mains contre la nuit dressées
e delle mani contro la notte levate dans le saint idéogramme de la bénédiction —
nel santo ideogramma della benedizione — dessinées
disegnati redessinées
ridisegnati selon les huit tons qui séparent les huit cieux
secondo gli otto toni che separano gli otto cieli avec l'érotique encens et le funeste myron
con l'erotico incenso e il ferale myron, au centre de la poitrine, au centre du Soleil, là où le
al centro del petto, al centro del Sole, là dove il Nom
Nome — chrême répandu est Ton Nom! —
— myron effuso è il Tuo Nome ! — ravit en un immobile tourbillon à la vie de ce
rapisce in vortice immoto alla vita del mondo, monde
zampilla nuovi sensi dal mondo della morte. et du monde de la mort fait jaillir des sens
nouveaux.

59 60
II
Un à un sont allumés les visages
Uno a uno vengono accesi i volti aux racines millénaires
alle radici millenarie de la forêt d'icônes,
della selva d'icone, pour faire de ce jour nuit,
per fare di giorno notte, neige et étoiles,
neve e stelle, pour faire de ces ténèbres roses
per far della tenebra rose — roses plus transparentes que rosée.
— più che rugiada trasparenti rose. Et la flamme éclôt comme le baiser à l'icône
E la fiamma sboccia corne il bacio all'icona et le baiser éclôt comme la rose dans l'icône,
e il bacio sboccia come la rosa all'icona, sommets de la lymphe de la terre
culmini della linfa della terra, sommets du souffle de l'amour.
culmini del respiro dell'amore. Mais la Lune ici
ma la Luna qui éclôt dans le Soleil,
sboccia nel Sole, la Lune enfante le Soleil.
la Luna partorisce il Sole.
Alla pesante pioggia A la lourde pluie
dell'altro mondo s'intesse de l'autre monde se tisse
il soave scrosciare delle dalmatiche di questo le doux crépitement des dalmatiques de ce monde,
mondo, le vol altier des voiles de ce monde
l'altero volo dei veli di questo mondo inénarrablement ignoré du monde.
inenarrabilmente ignoto al mondo. D'extatiques alarmes et appels
Estatici allarmi ed appelli d'anges servants:
d' angeli ministranti : Les portes! Les portes!
Le porte! Le porte! que sortent les catéchumènes!
escano i catecumeni! Trois fois bienheureux l'hymne,
Tre volte beato l'inno, trois fois divine la fulguration
tre volte divina la folgore théologique des Chérubins,
teologica dei Cherubini, il ordonne de déposer, disperser oublier
ingiunge di deporre, disperdere dimenticare tout souci mondain
ogni sollecitudine mondana. Que ne demeure aucun catéchumène!
Nessun catecumeno rimanga!

61 62
Ô impériale fragrance,
0 imperiale fragranza,
huile de rose bulgare qui mystérieusement
olio di rosa bulgara che misteriosamente dischiudi
entr'ouvres
tra ciglia umettate l'occhio
entre les cils humectés l' il
della fronte, l'occhio del cuore, l'occhio del Nome
du front, l' il du c ur, l' il du Nom
myron effuso è il Tuo nome!
chrême répandu est Ton Nom!
Macerato con sessanta aromi
Macéré avec soixante arômes
su un fuoco di vecchie icone
sur un feu de vieilles icônes
estinte da baci da fiamme e da lacrime
éteintes de baisers, de flammes et de larmes,
per gli eoni degli eoni
à travers les éons des éons
ruotate tre notti
trois nuits tournées
tre giorni
trois jours
sulle spirali del Verbo,
sur les spirales du Verbe,
stilli ora luminosa intorno al trono del Basileo
tu distilles l'heure lumineuse autour du trône
morto
du Basileus mort,
dell'immortale Archiereo:
de l'immortel Pontife:
che tragicamente s'arma, aquila librata
qui tragiquement s'arme, vol suspendu de l'aigle
sopra la gnostica aquila della città inviolata
au-dessus de l'aigle gnostique de la ville inviolée
dal capo alla mano alla gamba
de la tête à la main, à la jambe,
per la terrificante operazione.
pour la terrifiante opération.
Tempo è di cominciare, Despota santo...
Il est temps de commencer, Despote saint...
Nessun catecumeno rimanga!
Que ne demeure aucun catéchumène!
Ruota
Roue
lentissima intorno e folgorante siderale e selvaggia
très lente autour et fulgurante, sidérale et sauvage,
danza d'angeli e di ghepardi...
danse d'anges et de guépards...

63 64
Pànico centrifugo
e centripeto rapimento Panique centrifuge
dei cinque sensi nel turbine incandescente: et centripète ravissement
spezzato, aperto di forza l'orecchio des cinq sens dans l'incandescent tourbillon:
dell'intendimento brisée, ouverte de force l'oreille de l'entendement
dalla ritmata percossa delle catene d'argento; par le choc rythmé des chaînes d'argent;
poi, nel cosmico manto puis, dans le manteau cosmique
dei tre fiumi e dei quattro quadranti des trois fleuves et des quatre cadrans,
dalla lenta inaudibile benedizione: par la lente, inaudible bénédiction:
poiché qui Dio non parla nel vento, car ici Dieu ne parle pas dans le vent,
Dio non parla nel mono: Dieu ne parle pas dans le tonnerre:
parla in un piccolo alito il parle en un souffle léger
e ci si vela il capo per il terrore. et de terreur on se voile la tête.

65 66
III
III
Ô despote blessé
0 despota ferito
qui de ton bistouri d'or
che col bisturi d'oro
à chaque soleil tranches dans le rond Soleil
ad ogni sole tagli nel tondo Sole
l'inguérissable Agneau,
l'Agnello immedicabile,
tranches la Lune souveraine, tranches les étoiles
tagli la Luna sovrana, tagli le Stelle fisse
fixes
e le opposte galassie
et les galaxies opposées
(cibo di salute, cibo di pace !)
(pain de salut, pain de paix !)
dei vivi sui due versanti della morte!
des vivants sur les deux versants de la mort!
Tremendo è che nei nostri sguardi affondi
Terrible que dans nos regards s'enfonce
l'impassibile sguardo
l'impassible regard
di Chi ha compiutamente patito,
de Celui qui a jusqu'au terme souffert,
di Chi con la stessa mano imparte ed è impartito,
de Celui qui de la même main donne et est donné,
e spezzando è spezzato,
en brisant est brisé,
immolando immolato,
en immolant est immolé,
mangiato e mai consumato
mangé et jamais consommé
(con desiderio ho desiderato...)
(avec désir j'ai désiré...).
Tremendo che a ciascuno
Terrible qu'à chacun
sia di nuovo irrevocabilmente assegnato
soit à nouveau irrévocablement assigné
per gli eoni degli eoni
à travers les éons des éons
come nell'Eden il suo nome e il suo cibo.
comme dans l'Eden son pain et son nom.

67 68
Face contre terre les incorporelles Légions,
Faccia a terra le incorporee Legioni,
les Archistratèges de lumière,
gli Arcistrateghi di luce,
nos dents s'enfoncent dans la chair des cieux...
i nostri denti affondano nelle carni dei cieli...
Mais nos bouches jamais sevrées,
Ma le nostre bocche mai svezzate,
à jamais ruisselantes de la pourpre
in eterno grondanti la purpurea
de la gloire aveuglément donnée,
gloria ciecamente donata
aveuglément reçue,
e ciecamente ricevuta,
s'obstinent à implorer
si ostinano a impetrare
(avec désir j'ai désiré)
(con desiderio ho desiderato)
pour toi, pour toi, seigneur
per te, per te, signore,
la paix qui est au-dessus de toute raison,
la pace che sovrasta ogni ragione,
de tout entendement, toute trahison: la paix
ogni intendimento, ogni tradimento: la pace
que nous ne pouvons te donner...
che non ti possiamo dare...
Tout au long du jour
Lungo l'intero giorno,
tout au long du chemin qui mène à ce monde
lungo l'intera via che porta a questo mondo
et efface tout chemin qui mènerait à ce monde
e cancella ogni via che porti a questo mondo,
le long de la rude tente
lungo la dura tenda
de pluie et de lacération
di pioggia e lacerazione
de chaos et de raison,
di caos e di ragione,
au long des deux fils de la double lame
lungo i due fili della duplice lama
d'intentions et d'hésitations
di intenzioni e di esitazioni
comme toi, comme toi, seigneur,
come te, come te, signore,
nous sommes livrés à cette mort
noi siamo consegnati a quella morte
qui avec plus de dents que l'amour mord et sépare la
che con più denti dell'amore morde
rose
e separa la rosa
d'avec le baiser et la flamme, et d'avec les étoiles
dal bacio e dalla fiamma e dalle stelle le nevi
les neiges et l'émotion d'avec l'intellection,
e l'emozione dall'intellezione
et recompose le monde
e il mondo ricompone
mais atrocement, mais comme à travers le feu,
ma atrocemente, ma come attraverso il fuoco,
pour celui qui, Despote pur, par le Nom pur sera
per chi, Despota puro, dal puro Nome sarà salvato
sauvé,
e dal sepolto Sole e
et par le Soleil enseveli et
dal tremendo
par le terrible
Dono
Don.

69 70
IV
IV
Dans l'or et l'azur
Nell'oro e nell'azzurro
de cet infime cosmos
di questo minimo cosmo
alvéole d'un très vieux colombier,
loculo d'antichissimo colombario,
gyrum coeli circuisti sola parole nouveau-née
gyrum coeli circuisti sola,
du kleine, waffenlose Dichterin! Une heure durant
neonata parola
dans les pavillons de ton Créateur
du kleine, waffenlose Dichterin ! Per un'ora
le cercle du ciel, gyrum coeli, en jouant t'a été rendu
nei padiglioni del tuo Creatore
l'anneau blanc de San Vitale
gyrum coeli giocando ti fu ridato
la constellation souverainement immobile,
l'anello bianco di San Vitale
souverainement ordonnée
la costellazione sovranamente immota,
autour du soleil du seigneur temporel
sovranamente ordinata
et du seigneur spirituel:
intorno al sole del temporale signore
les cent yeux des chérubins fixés non sur toi
e del signore spirituale:
mais sur les augustes déserts que tu devras traverser
i cento occhi cherubinici non fissi su di te
qui te devront traverser.
ma sugli augusti deserti che dovrai traversare
Depuis les bords infinis sur le pallium laiteux de
che ti dovranno traversare.
Maximilien jusqu'à la stola de l'enfant, couleur de
Dai cigli sconfinati
feuille, frangée de noir qui, rose
sopra il latteo pallio di Massimiliano
— rose transparente plus que neige —
alla stola color foglia del fanciullo di frange nere
laisse trembler sur le cierge la flamme tel un baiser
che, rosa
laisse trembler l' aër, neige légère,
— più che neve trasparente rosa —
et le velours pourpre sur le Calice qu'il ne nous est
lascia tremar sul cero la fiamma come un bacio,
pas donné
lascia tremar l'aër, neve leggera,
cinquante jours durant
e lo sciàmito purpureo sul Calice che non è dato
fût-ce de contempler...
durante cinquanta giorni
Ô Coupe des Mystères qui bouillonne sans
nemmeno contemplare...
déborder,
0 Coppa dei Misteri che bolle e non trabocca,
comme ton sang, miroir de ton Soleil !
come il tuo sangue, specchio del tuo Sole!
ô silence des cantiques, quand le c ur est
o tacere dei canti, polverizzato il cuore !
pulvérisé!
Cocente, celestiale,
Brûlante, céleste,
cadenzato dolore
douleur cadencée
che, neonata, giocando dinanzi al tuo Creatore,
que, nouveau-née, jouant devant ton Créateur,
circuisti sola.
circuisti sola.
71 72
Nobilissimi ierei Très nobles hiérarques

Nobilissimi ierei, Très nobles hiérarques,


grazie per il silenzio, merci pour le silence,
l'astensione, la santa l'abstention, la sainte
gnosi della distanza, gnose de la distance,
il digiuno degli occhi, il veto dei veli, le jeûne des yeux, le veto des voiles,
la nera cordicella che annoda ai cieli la noire cordelette qui noue aux cieux
con centocinquanta volte sette nodi di seta de cent cinquante fois sept nceuds de soie
ogni tremito del polso, chaque tremblement du pouls,
l'augusto cànone dell' amore incommosso, l'auguste règle de l'amour introublé,
la danza divina del riserbo: la danse divine de la réserve: impérial incendie qui
incendio imperiale che accende embrase,
come in Teofane il Greco e in Andrea Diacono, comme en Théophane le Grec et André le Diacre,
di mille Tabor l'oro delle vostre cupole, de mille Thabor l'or de vos coupoles,
apre occhi del cuore negli azzurrissimi spalti, ouvre les yeux du c ur sur les glacis d'azur,
riveste i torrioni di Sangue... et revêt de Sang les donjons...
Che prossimità spegne Que la proximité éteint
come pioggia di cenere. comme une pluie de cendres.

73 74
Mattutino del venerdi santo Matin du vendredi saint

Nella carne addormentato... Dans la chair endormi...


Dio mono, Dio immortale. Dieu mort, Dieu immortel.
Magistrale discorso Magistral discours
l'altare vuoto e spoglio l'autel nu, dépouillé
al centro di un Cespuglio Ardente au centre d'un Buisson Ardent
di bocci e braci e de fleurs en boutons et de braises et de faces
proni volti in fiamme. prosternées en flammes.
Come il tremendo foglio Comme la terrible feuille
d'agnello bianco d' agneau blanc
incorniciato di tragiche gemme encadrée de tragiques gemmes
— Dio immortale, Dio modo — — Dieu immortel, Dieu mort —
dove, grazia o condanna, sur laquelle, grâce ou condamnation,
solo intingendo nella cruenta porpora au calame de l'Autocrate il n'était donné de signer
era dato firmare al càlamo dell'Autocrate. que trempé dans la pourpre sanglante.

75 76
Moines aux icônes
Monaci alle icone

Macaire l'hypodiacre, tresses tordues sur l'innocente


Macario l'iopodiacono, trecce attorte nuque,
sull'incolpevole nuca, au pied des icônes se roule comme un chiot d'or.
si rotola a piè delle icone come un cucciolo d'oro. L'higoumène Isaac, la barbe inflexiblement
L'igùmeno Isacco, inflessibilmente orizzontale la horizontale,
barba, dépose à terre sa vie devant l'azur de la Mère.
depone a terra la vita dinanzi all'azzurra Madre. Avec trois petits signes de croix consternés, Irénée
Con tre piccoli, costernati segni di croce, Ireneo baise en tremblant trois endroits de la scène
bacia tremando tre luoghi della salvifica scena. salvatrice.
Ma il giovane Gregorio? Con mani che mai fu più Mais le jeune Grégoire? De ses mains plus pures
pura que jamais le vierge bouleau, il entoure comme le
la vergine betulla, circonda come il volto più amato, visage
più inconsolabilmente amato la Divina Veronica; le plus aimé, le plus inconsolablement aimé, le
e il lentissimo bacio a occhi chiusi, dopo il Saint Suaire;
lunghissimo sguardo, et le très long baiser, les yeux fermés, après le très
non è più bacio a un'icone non è più bacio a long regard,
un'icone. n'est plus baiser à une icône n'est plus baiser à une
icône.

77 78
Canon IV
Canone IV

Le Terrible, connaissant l'esprit


Il Tremendo, conoscendone l'animo
flexible comme le saule au vent de l'idolâtrie,
pieghevole come il salice al vento dell'idolatria,
ayant transfusé dans la divine icône
trasfuso ch'ebbe nella divina icone
son indicible regard sur les hommes,
il suo indicibile sguardo sugli uomini,
voulut un jour subtilement éprouver
volle talora sottilmente provarne
son ancien il de chair,
l'antico occhio di carne,
transfusant un éclair du suprême Masque
un lampo trasfondendo della suprema Maschera
en un visage de chair:
in un volto di carne:
centre caché dans le cercle, essence dans la
centro celato nel cerchio, essenza nella presenza,
présence,
lido inafferrabilmente coperto e riscoperto
rivage insaisissablement découvert et recouvert
della Somiglianza, fermo orizzonte dell'Immagine,
de la Ressemblance, horizon fixe de l'Image,
all'incrocio del tempo e dell'eterno,
au carrefour du temps et de l'éternel,
là dove la Bellezza,
là où la Beauté
la Bellezza a doppia lama, la delicata,
la Beauté à double lame, la délicate,
la micidiale, è posta
la meurtrière, est posée
tra l'altero dolore e la santa umiliazione,
entre l'altière douleur et la sainte humiliation,
il barbaglio salvifico e
l'éblouissement salvateur et
l'ustione,
la brûlure,
per la vivente, efficace separazione
pour la vivante, efficace séparation
di spirito e anima, di midolla e giuntura,
de l'esprit et de l'âme, de la moelle et la jointure
di passione e parola...
de la passion et la parole...

79 80
0 quanto ci sei duro Maestro e Signore !
Ô comme tu es dur pour nous
Con quanti denti il tuo amore
Maître et Seigneur! De combien de dents ton amour
ci morde ! Ciè che dal tuo temibile
nous mord ! Ce qui de ton terrible
pollice luminoso è segnato
pouce lumineux est marqué
spazio ducale tra due sopraccigli, emisferi
espace ducal entre deux sourcils, hémisphères
cristallini di tempie, sguardi senza patria quaggiù,
cristallins des tempes, regards sans patrie ici-bas,
silenzi più remoti dell'uranico vento —
silences plus lointains que le vent uranien —
ancora e ancora, scoperta e riscoperta
encore et encore, découvert et redécouvert
la tua Cifra per ogni angolo della terra, per ogni
ton Chiffre à chaque coin de la terre, à chaque coin
angolo
de l'âme est par toi jeté, par toi lancé:
dell'anima da te è gettata, da te è scagliata:
pour témoigner, pour blesser,
a testimoniare, a ferire,
pour indissolublement souder
a insolubilmente saldare
pour inguérissablement séparer.
a inguaribilmente separare.

81 82
Radonitza
Ràdonitza

(Annonce de la Pâque aux morts)


(Annuncio della Pasqua ai morti)

Vent de printemps
Vento di primavera
transparent comme l'épée:
traslucido come spada:
du sépale effilé il exile
esilia dal sépalo affilato
le bouton carminé, tremblant encore,
il boccio cremisi che ancora trema,
comme de l'âme l'esprit,
come dall'anima lo spirito,
de la veine le sang.
il sangue dalla vena.
L'hiver, tige cachée
L'inverno, occulto stelo
qui berça les intentions, incuba les mortelles
che cullè le intenzioni, incubà le mortali esitazioni,
hésitations,
falcia senza un grido;
fauche sans un cri;
le psichiche vecchiezze recide
retranche les vieillesses psychiques
dalla terribile vita.
de la terrible vie.
Pasqua d' incorruzione !
Pâque d'incorruption!
Nel vento di primavera
Dans le vent printanier
l'antica chiesa indivisa
l'antique et indivise église
annuncia ai morti che indivisa è la vita:
annonce aux morts qu'indivise est la vie:
su lapidi d'ipogei
sur des pierres d'hypogée
posa i sépali che ancora tremano
pose les sépales, tremblants encore,
e al centro, al plesso, al cuore,
et au centre, au plexus, au c ur,
là dov'è sepolto il Sole,
là où est enseveli le Soleil,
là dov'è sepolto il Dono,
là où est enseveli le Don,
il piccolo uovo cremisi del perenne tornare,
le petit uf carmin de l'éternel retour,
dell'umile, irriconoscibile
de l'humble, irreconnaissable

83 84
retour transmué.
trasmutato tornare. Pâque qui délies toute peine!
Pasqua che sciogli ogni pena!
Paradoxal désert
Paradossale deserto d'un cimetière métropolitain
di un cimitero metropolitano entre les douces ailes
tra morbidissime ali des hirondelles et les voiles: cinquième ton,
di rondini e veli: quinto tono, cri des boyards à bride abattue, l'épée nue
grida di boiardi a briglia sciolta, a spada snudata dans la Cité céleste reconquise
nella celeste Città espugnata, à laquelle s'accroche et s'enroule, huitième to
cui si intreccia ed attorce, ottavo tono, — comme à la vivifiante, vénérable Croix
come alla vivificante, venerabile Croce du Pontife la rose tremblante encore —
dell'Archiereo la rosa che ancora trema — la très tendre et funèbre complainte:
il tenerissimo compianto funebre: Pâque, mémoire éternelle!
Pasqua, memoria eterna!
Patetica, patrizia Pathétique, patricienne
morte della morte metropolitana mort de la mort métropolitaine
testimoniata da poche e immote bambole attestée par quelques poupées figées
di Corte asiatica: cremisi argento e oro. de Cour asiatique: carmin argent et or.
Palpebre scavate, Paupières creusées,
palpebre affilate, paupières effilées,
sguardi fissi, incollati, radicati regards fixes, collés, enracinés
sugli ipogei d'ogni terra, ogni memoria, ogni stirpe, aux hypogées de toute terre, toute mémoire, toute
ogni morente psiche. race,
Fazzoletti tergono furtivi toute psyché mourante.
gli angoli della bocca che riga come sangue Des mouchoirs furtivement essuient
il divino grido, le barbe riarse dall'acqua les coins de la bouche que raie comme du sang
inesauribile della notizia tremenda: le cri divin, les barbes brûlées par l'eau
Pasqua, memoria eterna! inépuisable de la terrible nouvelle:
Pâque, mémoire éternelle!

85 86
Et si les chemins qui y conduisent empruntent ceux des
Cristina Campo plus hautes valeurs humaines : justice, beauté, poésie, les
qualités requises pour les parcourir sont modestes, et sans doute
peu prisées dans notre monde hâtif et clinquant puisqu'il s'agit
avant tout de la patience et de l'attention: «Devant le réel
Cristina Campo déclarait elle-même qu'elle avait peu écrit l'imagination recule, en revanche l'attention le pénètre...
mais qu'elle eût aimé avoir encore moins écrit. Prise entre la l'attention est attente, acceptation fervente, impavide, du réel,
fascination du silence et celle de l'expression, s'interrogeant sur l'imagination est impatience, fuite dans l'arbitraire, éternel
le bien-fondé de l'écriture avant et pendant la période créative, labyrinthe sans fil d'Ariane... » Ceux qui possèdent en
elle ne pouvait proférer que des paroles exactes et rares. Si cette abondance ces dons sûrs et discrets sont le poète et le saint, tous
«trappiste de la parole» cède à la tentation du logos c'est moins deux médiateurs entre Dieu et l'homme, l'homme et la nature,
parce qu'elle ne peut se détacher de certaines choses, dit-elle l'homme et l'homme. Mais les saints que révère Cristina Campo
encore, que parce que certaines choses ne peuvent se détacher n'ont rien à voir avec les chromos sulpiciens, ils sortent tout
d'elle. Ses réticences, autant que la brièveté de sa vie, droit des enluminures sacrées. Si sa foi exigeante et austère est,
expliquent et justifient l'économie de l' uvre: quelques poèmes dans sa plus haute acceptation, «massacre et crucifixion des
dispersés dans des revues, deux petits textes en prose publiés de destins », elle n'en est pas moins colorée, concrète et joyeuse —
son vivant, puis une uvre posthume au titre énigmatique, Les puisque tout ce qui est gai est divin.
impardonnables qui rassemble des articles écrits entre 1962 et
1972. Le tout tient dans un volume de taille moyenne, mais un Le poète, lui qui était d'abord là pour nommer les choses,
volume qui peut se permettre d'être unique. semble aujourd'hui n'être présent que pour prendre congé
d'elles: c'est donc à lui de les écrire « sur de l'eau» avant
À son propos la critique italienne a parlé de «fleur qu'elles ne s'effacent. En lisant les étranges poèmes de Cristina
indéfinissable et inclassable». S'y mêlent en effet des textes que Campo, très peu nombreux, si denses, tellement clos sur eux-
l'on ne peut qualifier d'essais littéraires tant ils débordent ce mêmes qu'on les pénètre par autre chose que par la raison, on
genre pourtant souple, ni d'essais philosophiques car ils comprendra que leur auteur définisse la pure poésie, « grand
n'émettent aucune théorie, ne dispensent aucune directive : ils sphinx au visage illuminé», comme hiéroglyphe et beauté,
questionnent, suggèrent sans jamais trancher ou affirmer, ils inséparables et indépendants. On doit sentir la justesse d'un
passent en toute liberté, au gré d'une vaste culture, du conte de texte bien avant d'en avoir compris le sens. Le poète, comme le
fée au chant grégorien, des Pères du désert à Chopin, du rite saint, est aussi un peu acrobate: pour tirer de son effort passé de
byzantin à Borges... sujets courants sans doute mais pris sous nouvelles illuminations, il doit faire comme le baron de
un angle inhabituel, portés à une hauteur insolite. De même que Münchhausen qui, voulant atteindre la lune, coupait sous lui la
le tapis, symbole du destin humain, traduit clairement par sa corde pour la tendre vers l'astre. En rapprochant de cette image
surface colorée ce que les fils confusément noués préfigurent, celle, plus grave, du Chinois qui marchait à la mort en lisant,
les personnages et les thèmes apparemment indépendants, symbole de la valeur de la lecture (« chaque ligne lue est
étrangers l'un à l'autre, convergent tous vers une seule et même profit »), en rassemblant quelques préceptes tirés de la sagesse
recherche de la perfection. orientale: savoir faire des vides, savoir effacer, ne pas boire
87 88
Vittoria Guerrini, qui prendra en 1956 le pseudonyme de
Cristina Campo, est née à Bologne le 28 avril 1923.
Son père, Guido Guerrini, est chef d'orchestre. Sa mère,
Emilia Putti, est la s ur d'un chirurgien orthopédiste renommé.
C'est ainsi que Vittoria et ses parents se trouveront habiter
jusqu'en 1929 dans le parc de l'hôpital Rizzoli à Bologne,
auprès de l'éminent professeur. La fréquentation quotidienne
des infirmes qui y sont traités marquera durablement la
sensibilité de l'enfant.
sans soif et ne pas manger sans faim, chercher sans espoir Guido Guerrini étant nommé à la direction du
l'inespéré, le lecteur se trouve en face de germes de réponses, Conservatoire Cherubini de Florence, la famille quittera enfin
proposées, jamais imposées, à la vaste question que pose le l'hôpital Rizzoli pour s'établir dans cette ville et y passera les
Livre unique de Cristina Campo : « Comment prendre le années de guerre.
monde? » Souffrant d'une malformation cardiaque, Vittoria ne fera
Jeune femme au corps fragile, moitié-sainte moitié-poète, qu'une brève expérience de la scolarité. C'est directement dans
elle tente avec toute la force de son esprit d'introduire dans le les livres des poètes qu'elle apprend l'anglais et l'allemand.
concert assourdissant de notre monde le son de la flûte, sa Elle se lie d'amitié avec Anna Cavalotti avec qui elle
propre voix, que l'on peut définir, en reprenant les qualificatifs partage une même passion pour la lecture et l'écriture. Anna
qu'elle attribue elle-même à Marianne Moore, comme: Cavalotti meurt dans un bombardement en 194-3. Vittoria
« simple, rare, subtile, royale, vertigineuse, limpide, patiente, conservera le journal de son amie et en publiera quelques
rigoureuse, décidée, austère, essentielle, ferme, érudite et années plus tard des extraits dans la revue littéraire du Corriere
discrète ». dell'Adda.
Monique Baccelli En 1943-1944 paraissent ses deux premières traductions :
Conversations avec Sibelius de B. von Tôrne et Une tasse de
thé et autres nouvelles de Katherine Mansfield.
Grâce à Leone Traverso, elle entre en contact avec le
milieu des écrivains florentins, à cette époque d'une
exceptionnelle richesse. Elle découvre le travail de Mario Luzi
dont elle se sent particulièrement proche. C'est également par
Leone Traverso qu'elle découvre l' uvre de Hugo von
Hofmannsthal, qui restera durant toute sa vie l'un de ses
maîtres.

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Elle participe en 1951 à la création de la « Posta L'année suivante paraît chez Scheiwiller à Milan Passo
letteraria » du Corriere dell'Adda, où sont publiés des écrivains d'addio (Pas d'adieu), qui rassemble ses premiers poèmes. Ce
tels que Giuseppe De Robertis, Mario Luzi et Piero Bigongiari. livre est le premier qu'elle publie sous le pseudonyme de
Dans cette revue paraissent plusieurs traductions de Vittoria, Cristina Campo.
notamment consacrées à des textes de Emily Dickinson et de
Elle apporte sa collaboration à diverses revues: «La
Simone Weil.
Chimera», «Paragone», «L'Approdo letterario», «Letteratura»,
La pensée de l'auteur de La Pesanteur et la grâce «Elsinore».
exercera sur elle une influence essentielle : «Simone me rend
La rencontre avec Elemire Zolla marque le début d'une
tangible tout ce que je n'ose croire, écrira-t-elle dans une lettre
nouvelle période de sa vie. A partir de 1960 et jusqu'à sa mort,
de 1956. Ainsi devons-nous devenir l'idiot du village, devenir
c'est auprès de lui qu'elle vivra et composera son uvre.
des génies... Je pressentais confusément que l'on pouvait
devenir des génies (et non des talents), mais personne jusqu'a En 1962 paraît chez Vallecchi à Florence son premier
ce jour ne m'avait dit que c'était possible. Quel dommage de ne livre d'essais, Fiaba e mistero (Conte et mystère).
pas être né idiot du village... mais il arrive que Dieu y A partir de 1970 Cristina Campo donne aux Editions
pourvoie d'une autre manière. Ainsi pour ma part dois-je Rusconi des introductions pour plusieurs volumes consacrés à
aimer cette lame froide qui, un jour, est venue se coincer entre des textes religieux d'Orient et d'Occident: L'uomo non è solo
les gonds de mon âme pour la maintenir bien ouverte à la (l'homme n'est pas seul) de Abraham-Joshua Heschel (1970),
parole de ceux qui n'ont pas de langage...» Fidèle à l' uvre de les Récits d'un pèlerin russe (1973) et les Dits et faits des Pères
Simone Weil, elle s'occupera en 1959 du dossier consacré à du désert (1975).
celle-ci par la revue «Letteratura», terminera en 1963 la C'est chez le même éditeur que paraît en 1971 son second
traduction de Venise sauvée et publiera en 1967, dans un livre d'essais, Il flauto e il tappeto (La flûte et le tapis).
volume d'écrits de Simone Weil intitulé La Grecia e le Egalement en 1971 paraît chez Einaudi sa traduction des
intuizioni pre-cristiane, une traduction de L'Iliade ou le poème poèmes de John Donne sous le titre Poesie amorose e
de la force. teologiche.
En 1953 est annoncée chez l'éditeur romain Casini la Mais c'est dans la revue «Conoscenza religiosa », fondée
parution du Libro delle ottanta poetesse: «Un recueil des pages et dirigée par Elemire Zolla, que sont publiés ses poèmes:
les plus pures écrites par des femmes au cours des siècles ». Missa romana, La Tigre Assenza et l'extraordinaire Diario
Mais ce livre ne fut jamais publié et le manuscrit en est bizantino.
aujourd'hui perdu.
Depuis la mort de son père, en 1965, Cristina a déménagé
Son père est nommé en 1955 directeur du Conservatoire sur l'Aventin. Elle y est proche de l'abbaye bénédictine de
Sainte-Cécile à Rome et président du Collège de Musique. Elle Sant'Anselmo, où les offices restent célébrés en grégorien.
le suit dans cette ville et habite près du Collège, dans le quartier Lorsque l'abbaye adopte à son tour la liturgie postconciliaire,
du Foro Italico. Cristina Campo se tourne vers le Russicum, où se maintient le
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TRADUCTIONS FRANÇAISES

Les impardonnables (Editions Gallimard, L'Arpenteur,


Parts, 1992), traduction de Francine de Martinoir, Jean-Baptiste
rite byzantin. Para et Gérard Macé.
Elle meurt à Rome le 10 janvier 1977, quelques jours Poèmes (in La Nouvelle Revue Française, n° 470, mars
avant la parution du Diario bizantino. 1992), traduction et présentation de Monique Baccelli.
Dix ans plus tard paraît aux Editions Adelphi, sous le titre Les textes publiés dans le présent volume avec l'aimable
Gli imperdonabili (Les impardonnables), la somme de son autorisation des Editions Adelphi constituent l'intégralité des
uvre en prose (Milan, 1987). poèmes de Cristina Campo repris dans La Tigre Assenza
(Milan, 1991).
Chez le même éditeur sont publiés en 1991, sous le titre
La Tigre Assenza (Le Tigre Absence), l'ensemble de ses Le texte de Monique Baccelli publié en postface a paru
poèmes ainsi qu'un grand nombre de ses traductions largement dans La Nouvelle Revue Française (n° 470, mars 1992) pour
consacrées à des poètes de langue espagnole (au premier plan accompagner les premiers poèmes de Cristina Campo traduits
desquels saint Jean de la Croix), allemande (Hofmannsthal, en français.
Wilderlin, Môrike) et anglaise (notamment William Carlos Les éléments biographiques ici présentés sont extraits de
Williams, John Donne, Emily Dickinson, T.S. Eliot et Ezra la note établie par Margherita Pieracci Marwell pour l'édition
pound). italienne des Imperdonabili (Adelphi, Milan, 1987).
Monique Baccelli a publié aux Editions Arfuyen la
traduction de poèmes de Giuseppe Bonaviri, 0 corps soupirant
(Paris, 1994). Elle a traduit chez d'autres éditeurs des poèmes
de Buffoni, Mussapi et Pazzi, ainsi que des uvres en prose de
Alfieri, Fenoglio, Gadda, Landolfi, Malerba, Palazzeschi,
Pirandello, Solmi et Praz.

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