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et des Éléates. Après les premiers intérêts socratiques, son attention s’est pro-
gressivement concentrée sur les présocratiques et parmi eux Parménide, dans
l’intention d’amorcer « un progressivo decondizionamento dall’immagine trà-
dita degli esordi della filosofia in Grecia », comme il est dit dans la page de
présentation de Rossetti du site de Eleatica (eleatica.it).
2 De manière significative, le premier paragraphe de l’épilogue s’intitule
précisément « Verso un nuovo identikit » (II, 150). Les chiffres entre paren-
l’auteur lui-même.
4 « Stiamo dunque perdendo un “filosofo dell’essere”, ma per “acquis-
même s’il s’agit d’une donnée clairement évidente, celle-ci est cepen-
dant passée inaperçue à l’attention des spécialistes pour des raisons
que Rossetti considère comme enracinées dans une vision idéologique-
ment influencée par la sous-évaluation platonicienne du monde de la
nature. Toutefois, remarque-t-il, en ne considérant que les thèmes trai-
tés dans les extraits du Poème et dans les témoignages de la doxogra-
phie, ces enseignements concernent des sujets qui de nos jours seraient
considérés comme étant d’intérêt astronomique-cosmologique, géo-
graphique-géologique et génétique-biologique, objets d’études de psy-
chologie et de sexologie, de politique et de droit. Ils mettent en somme
en œuvre une sorte de savoir disciplinaire et encyclopédique, qui
désigne Parménide comme un intellectuel versatile et curieux, « un
eminente cultore della polumathia », dont on peut par conséquent dif-
ficilement limiter les intérêts à la seule doctrine de l’être, comme a
voulu le faire l’interprétation traditionnelle. Rossetti devient ainsi le
porte-parole influent de ce mouvement de redécouverte et de réévalua-
tion positive du savoir naturaliste parménidien qui caractérise l’époque
actuelle des études éléatiques5. Ce savoir a une valeur positive et l’on
ne peut le faire coïncider sic et simpliciter, comme dans la présentation
canonique, avec la doxa des mortels, dans laquelle on ne trouve aucune
connaissance exacte.
Au cours du livre, Rossetti évoque plusieurs fois la richesse du
savoir peri physeôs révélé par l’ensemble des fragments et des témoi-
gnages. Il en fait tout d’abord un inventaire auquel il consacre tout le
chapitre 2 (Verso un inventario degli insegnamenti « secondari »
offerti dal poema), indiquant trente-trois regroupements thématiques
qui devaient constituer le noyau fort de l’enseignement naturaliste de
Parménide. La recherche laborieuse des traces dispersées dans les
Anaximandre.
7 Rossetti se réfère au fragment B18. Rossetti pense que Parménide fait
soumet pas à l’examen. Pour ces enseignements, note-t-il, nous n’avons rien
d’autre que « sempre e solo briciole, quindi non un puzzle scomposto ma molto
peggio : punte di iceberg diventate, in certi casi, poco meno che impercetti-
bili » (I, 13).
13 J’emprunte l’expression à Rossetti même (« fantasmagorica torre
14 Aussi (I, 9) ? ou seulement, comme des phrases comme celle qui suit
(« che egli possa essersi proposto come filosofo o come il teorico dell’essere è
del tutto escluso », II, 154) nous invitent à le penser ? On mesure la distance
qui sépare ma lecture de celle de Rossetti par le choix entre ces deux options.
15 H. Diels, Parmenides Lehregedicht, Berlin, Reimer, 1897 (réimpr. Sankt
18 Non sans avoir toutefois remarqué, en passant, que « spesso accade che
dans le chapitre 2.
L’AUTRE PARMÉNIDE DE ROSSETTI 151
sée de Rossetti, à la source même d’où ont jailli les intuitions que le
livre porte à leur terme, où toutefois, contrairement à ce que l’image de
la source laisse présumer, tout n’est pas aussi limpide.
La réponse part donc de ce qui, selon le jugement du spécialiste,
est de fait une donnée éclatante. Malgré la disponibilité désormais plus
que séculaire du matériel de et sur Parménide, la ligne dominante des
interprétations n’en a pas moins privilégié de manière quasiment
exclusive les seuls fragments de la première partie, c’est-à-dire la doc-
trine de l’être (que Rossetti appelle primo logos), passant sous silence
ou négligeant les nombreuses informations qui, comme nous l’avons
vu, mènent clairement vers un savoir naturaliste ample et développé.
Sur ce dernier, qui pour l’auteur devait constituer au moins les quatre
cinquièmes de tout le poème parménidien, selon une reconstruction
possible mais qui demeure hypothétique, la culture philosophique a
laissé tomber une ferme censure, comme si une puissante hache idéo-
logique avait sectionné cette importante branche de la pensée parméni-
dienne et par conséquent bloqué à sa naissance la recherche en direc-
tion du savoir peri physeôs. Rossetti appelle d’abord Mélissos puis
Platon sur le banc des accusés, lesquels ont, pour le premier, confec-
tionné la philosophie de l’être21 et, pour le second, imposé la centralité
de l’ontologie dans la pensée de Parménide ; le rabaissement à une
simple opinion de tout le savoir naturaliste contenu dans le poème en
est la conséquence naturelle. Même les rares exceptions qui ont tenté
de réévaluer positivement la soi-disant doctrine de la doxa22 n’ont pas
su se dégager de « questa sorta di blocco mentale » (I, 14), car elles
restaient encore toutes enlisées dans le système platonicien. « Come se,
con o senza il sapere sul mondo, l’immagine di Parmenide rimanesse
inalterata », commente Rossetti (I, 16).
savoir de l’être que l’on attribue la place à l’ombre qui était précédem-
ment destinée au savoir naturaliste. En effet, on ne voit pas à quoi peut
servir un enseignement qui se présente dans toute son abstraction (il
est en fait loin du monde réel des hommes – ce n’est pas par hasard
qu’on le voit comme une occupation des êtres divins). Il est là, presque
sans raison. Et c’est seulement dans la vision (idéologique) de Platon
que l’être acquiert la fameuse centralité et est promu à l’étage noble de
la philosophie. Puis, étant donné qu’il faut ennoblir ses propres ori-
gines pour s’accréditer soi-même, cette nouvelle place a, à la fin, été
projetée également vers l’arrière, sur l’Éléate. Derrière le Parménide
théoricien de l’être, il y a en somme une opération illicite de marketing
culturel, comme nous le dirions aujourd’hui, à démasquer sans hésita-
tion. Il faut donc dire clairement que « Parmenide è “diventato” filo-
sofo solamente per iniziativa di altre persone, post mortem » (I, 94).
Ces affirmations sont puissantes. Elles dépassent amplement la
question initiale de la grande importance positive de l’enseignement
naturaliste de Parménide, à partir du moment où elles mettent en jeu
d’autres questions d’ordre plus général, comme la relation entre la phi-
losophie de l’être et la connaissance du monde ou l’identité propre de
la philosophie. Mais c’est alors que le plan du discours change. Le
niveau de généralisation de ces nouvelles problématiques fait que les
ressources de l’exégèse philosophique ne sont plus suffisantes pour en
orienter la discussion, à partir du moment où elles appellent à des
Grundfragen qui attendent des réponses philosophiques. Ce n’est donc
pas par le rappel d’un vers, comme pense le faire Rossetti, que l’on
peut donner une réponse à celles-ci.
Nous devrons alors entreprendre ce parcours, qui de l’analyse du
rapport entre savoir de l’être et savoir du monde nous porte tout droit à
la discussion sur la nature de la philosophie26 où, nous le verrons, il y a
26 Nous reviendrons plus loin sur ce que Rossetti entend par philosophie.
Se ciò che non c’è non c’è, allora ciò che c’è è e non può non essere
del tutto esente da ciò che non c’è, quindi non può avere né inizio né
fine (II, 165).
celles-ci, extrêmement improbables, d’un sophos qui parle de choses que lui-
même ne domine pas.
28 Le lecteur attentif aura remarqué la direction aristotélicienne du dis-
29 Pourquoi ante litteram ? Ici, Rossetti se trahit et laisse entrevoir son idée
33 Rossetti ne le cite pas, mais nous pensons que l’on peut bien résumer sa
pensée dans la phrase que Carnap grave dans le paragraphe conclusif de son
Überwindung der Metaphysik durch logische Analyse der Sprache : « Meta-
physiker sind Musiker ohne musikalische Fähigkeit » (R. Carnap, « Überwin-
dung der Metaphysik durch logische Analyse der Sprache », Erkenntnis 2,
1931, p. 240).
34 Nous faisons référence au fameux essai d’E. Severino, « Ritornare a Par-
Rossetti, cela ne serait qu’une provocation (ainsi qu’un coup bas de la part de
l’histoire).
36 Pour attribuer à Parménide un « rigetto del maschio-centrismo » (II,
38 Rossetti est revenu sur l’absence d’un tableau unitaire du Poème, lequel
serait composé de deux sections sans aucun rapport, dans ses Lezioni eleatiche
tenues à l’occasion de Eleatica 2017. Je n’affronte pas ici la question, que j’ai
discutée lors du débat ouvert par les Lezioni avec un essai qui résume déjà mon
opinion dans le titre, gentiment provocateur, Da un Parménide paranoico a un
Parménide schizofrenico ?. Ce travail fera partie des actes de la conférence,
dont la publication est prévue pour 2020.
162 Walter FRATTICCI
pent au rythme systématique ; mais il ne soupçonne pas que les causes puissent
être différentes de celles qu’il a envisagées. Lorsqu’il écrit sur la période de
l’aurore de la philosophie, il nie fortement que l’on puisse définir les présocra-
tiques comme des philosophes. Rossetti intitule un précédent essai, déjà men-
tionné, La filosofia non nasce con Talete. On peut tout au plus leur concéder
une philosophie virtuelle, à savoir une attention pour des thèmes qui ne trou-
veront une juste localisation que chez les philosophes professionnels (à partir
de Platon). La vraie philosophie, professionnelle, a une évolution systéma-
tique, se configure comme système, est donc une science.
43 Ou peut-être que si. En fait, la science théorique, et surtout la physique,
d’un procédé d’enquête où le savoir est garanti par la logique des liens
que la pensée a su construire45. Parménide compose un poème en
hexamètres, où la révélation de la vérité est confiée au mythos (B2, 1)
d’une immortelle, à savoir au récit garanti par l’autorité de celle qui le
propose. La chose n’est pas de moindre importance du point de vue
théorétique ni ne porte une signification purement formelle. On ne la
résout pas en invoquant l’exigence d’une imitation conformiste du
modèle homérique ou d’une rhétorique de communication46 ; c’est
traditions culturelles comme la tradition chinoise n’ont pas de mots – car elles
ne possèdent pas de concept relatif – pour exprimer l’intuition, au contraire
centrale dans la tradition occidentale, à savoir l’être (II, 159). Mais cela n’a pas
lieu, comme le pense Rossetti, parce que la question sur l’être est inutile ou
rhétorique, mais parce que la tradition chinoise porte en elle une vision du
monde différente.
L’AUTRE PARMÉNIDE DE ROSSETTI 167
pensée une position ferme, sont inflexibles (B8, 14-16 ; 26 ; 30-31). Comment
peut-on donc qualifier le logos de crédible ? Quel acte de confiance est donc
nécessaire ? La contradiction se révèle cependant apparente si seulement nous
concentrons notre attention non sur le développement du discours mais sur son
début. Il y a en effet un moment du discours, précisément au commencement,
qui reste comme à découvert, sans soutien approprié. Comme il s’agit du début
du discours et qu’il n’y a donc aucune donnée précédente à laquelle se référer,
le logos ne peut pas appliquer sa logique inflexible et garantir ainsi la nécessité
du début. Le logos découvre de cette manière sa dépendance radicale à l’égard
d’un acte de liberté qui le met, dès le moment où il l’établit, dans la bonne
direction et sur la bonne voie. Il y a donc un dire initial que le logos ne sait pas
fonder et par lequel, au contraire, il se trouve fondé ; un dire dont la force de
véridicité n’est pas assurée par l’architecture du raisonnement, mais par l’auto-
rité du sujet qui le prononce, lequel pose de cette manière les principes qui
donnent la règle et le début qui donne l’ouverture ; un dire, enfin, qui demande
attention et protection parce qu’il est bâti sur la confiance. Dans le cas de la
déesse de Parménide, ce principe est l’être. Le logos se révèle donc pistos car
il a assumé les conséquences du principe établi par la déesse dans son mythos
(W. Fratticci, Il bivio di Parmenide, Siena, Cantagalli, 2008).
Toutefois, justement parce qu’il est étranger à la notion de nécessité incon-
testable, le mythos peut aussi être refusé. Gorgias, en niant sa confiance au
mythos de la déesse, se fera guider par le logos vers des conclusions bien dif-
férentes.
53 En adoptant la même logique que Rossetti, nous pourrions soutenir, par
la forme d’un système de dogmata, mais qui n’en est pas pour autant
silencieux sur le monde ou sans influence quant à la compréhension de
la réalité. C’est en vérité un savoir capable d’orienter l’expérience du
monde, qui fournit le point d’ancrage nécessaire pour toute acquisition
cognitive ultérieure. Dire alors il est, et le dire de telle manière que
toute alternative soit exclue ; définir par conséquent la totalité du réel,
la nature54, comme to eon, comme le tout marqué par le fait primordial
d’être ; faire émerger de la condition ontologique fondamentale les
caractères essentiels que to eon doit posséder ; enfin appeler ta eonta
l’ensemble des phénomènes naturels : c’est là la grande conquête de
Parménide, qu’il nous a léguée. Et cependant, il nous est difficile de
dien, Peri physeôs. C’est la nature en tant que tout, nous dirions aujourd’hui
l’univers, qui constitue l’objet formel de la spéculation de Parménide. Et c’est
seulement une fois que l’on a fixé le regard sur le tout de la nature, que l’on a
constitué le tout comme nature, que les phénomènes individuels peuvent appa-
raître comme naturels, à savoir être des parties du tout de la nature, dont ils
gardent la prérogative fondamentale, l’être qui les constitue comme des choses
qui sont, des étants.
Dans une communication privée, Rossetti admet qu’il ne comprend pas la
nécessité de cette distinction. Cependant celle-ci est utilisée par la science,
antique et contemporaine. Quand le physicien parle de l’univers, alors qu’il en
étudie peut-être l’expansion, il ne parle pas d’une réalité différente de ce que
nous pouvons être, moi-même et mon ordinateur, que je vois cependant immo-
bile et toujours à la même distance de moi. Mon ordinateur et moi ne sommes
pas l’univers, mais seulement le procédé par lequel l’univers existe ici et main-
tenant. Nous en sommes les manifestations individuelles, qui, pour être
dûment comprises, doivent être pensées comme les parties d’un tout gouverné
par des lois certaines.
Le fait est que Rossetti oppose être et monde et ainsi n’accepte pas qu’il
puisse y avoir besoin de parler de quelque chose qui soit au-delà du monde.
Mais de cette manière, il a déjà outrepassé l’horizon parménidien, se plaçant
aisément dans une optique de transcendance métaphysique d’inspiration plato-
nicienne, dans laquelle l’ontôs on hyperouranien est une chose différente, et
même opposée aux onta du monde. Mais si nous en restons à Parménide, to
eon est exactement le monde naturel, et les eonta ses manifestations concrètes.
L’AUTRE PARMÉNIDE DE ROSSETTI 171
56 Tout au moins jusqu’à Nietzsche qui, avec son nihilisme, a apporté une
può non essere del tutto esente da ciò che non c’è, quindi non può
avere né inizio né fine » (II, 165).
Il y a dans le texte un subtil glissement lexical, presque impercep-
tible, qui peut en compromettre radicalement l’interprétation. Rossetti
parle d’être ; mais être devient tout d’abord, avec un léger fléchisse-
ment, être là ; et enfin prend les traits d’une chose qui est, l’étant, ou
mieux, d’une chose qui est là. Le discours passe de l’action, que la
forme verbale à l’infinitif illustre pleinement, au sujet formel repré-
senté par la forme du substantif, qui donne à l’action corps et opérati-
vité. Mais c’est tout d’abord le premier passage qui interpelle, où une
petite particule de valeur adverbiale, le là qui s’ajoute à être, produit
une dislocation sémantique puissante. En effet, elle introduit et en
même temps délimite l’espace où il advient d’être. Le fait d’être est
ainsi confiné dans des limites qui le déterminent et en même temps le
conditionnent. Être a alors de la valeur s’il y a un là, si cela se passe
dans un lieu ; l’être n’indique donc plus une condition de permanence
stable, mais il devient l’affirmation de la présence d’une chose dans un
lieu. La signification locative-existentielle devient alors prédominante,
à partir du moment où ce qui compte est qu’une chose ait un là et
occupe un lieu : « allora ciò che c’è è », venons-nous d’entendre dire
Rossetti57.
57 Pour être plus clair, ce qui dérange dans la lecture de Rossetti n’est pas
le fait qu’il parle d’être là, mais qu’il réduise l’être à être là. Si nous parlons de
la réalité dans son ensemble, c’est-à-dire, plus simplement, de l’univers, la
question centrale n’est pas de trouver le lieu de son être (et quel lieu pourrait-
on donner pour l’univers ?), mais d’en saisir la consistance et la régularité, à
savoir d’établir si nous pouvons ou non en parler en termes d’être. Et quand le
discours passe de l’univers aux réalités individuelles, phénomènes et événe-
ments auxquels il se donne, alors la question du lieu, dans lequel les choses
individuelles sont (car les choses sont, ici ou là), ressort avec toute sa force,
entraînant avec elle d’autres questions, comme nous le verrons bientôt.
En fait, on donne une possibilité de parler d’être là en relation avec l’uni-
vers, mais dans un autre contexte métaphysique.
Dans le contexte d’une métaphysique dualiste qui envisage quelque chose
d’autre, au-delà du monde matériel objet des sens – quelque chose comme un
174 Walter FRATTICCI
déesse n’existe pas, laquelle aurait donc seulement une réalité virtuelle, simple
« fiction » (L. Couloubaritsis, Mythe et philosophie chez Parménide,
Bruxelles, Ousia, 19902, p. 178, 189).
59 Il est fondamental de reconnaître que la révélation de la déesse part de
Parménide dans l’adverbe bebaiôs, que Parménide pose presque comme une
colonne en conclusion du vers 1 du fragment 4. Ici, Parménide établit que les
choses absentes (apeonta) restent néanmoins pour l’esprit durablement pré-
sentes (pareonta bebaiôs). En effet, to eon ne peut être divisé par soi-même. Il
représente le tout qui est, dans le passage de ses manifestations.
63 Une fois établi le lien entre les deux moments du savoir parménidien, il
178 Walter FRATTICCI
nous montre ainsi une profonde unité théorique, plus encore que thé-
matique. Il part d’une intuition unitaire qui pénètre dans « le cœur sans
tremblement de la vérité » (B1, 28) et y trouve la possibilité de mettre
de l’ordre dans les phénomènes naturels, lesquels s’avèrent tout
d’abord problématiques de par l’expérience quotidienne. De cette
manière, Parménide a marqué la route de la culture ultérieure, philoso-
phique puis scientifique ; c’est aussi la raison pour laquelle il a une
place de premier choix dans l’Olympe philosophique.
Nous déplorons que Rossetti ait voulu sous-évaluer ces raisons.
Cela déséquilibre son travail et fait apparaître un portrait monochro-
matique de Parménide. Aussi vive puisse être la couleur choisie pour le
contour, elle n’est cependant pas en mesure de rendre la complexité et
la profondeur du profil du savant d’Élée ; celui-ci apparaît ainsi dans
toute la richesse de son savoir de chercheur des phénomènes naturels,
savoir qui le rapproche de nombreux autres savants de la culture
antique grecque. Mais il perd tout à fait l’envergure de l’innovateur, du
penseur capable de tracer la route de la philosophie. Le Parménide que
Rossetti nous livre, le Parménide scientifique, est une figure qui fas-
cine les érudits du passé ; il appartient cependant inexorablement à la
préhistoire de la science. On ne lit certainement pas son Peri Physeôs
pour avoir aujourd’hui des informations scientifiques sur le monde ;
Walter FRATTICCI
Istituto Teologico Leoniano di Anagni
walter.fratticci@email.it
180 Walter FRATTICCI