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L'evolution de la notion

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par Florent Kuitche et Philippe Mankessi


Université Nice Sophia antipolis - Master II droit économique des affaires
Traductions: Original: fr Source:

Partie II : L'extension de la notion


fonctionnelle d'associé
La notion d'associé, loin d'être tombée en disgrâce du fait de la remise en cause de ses bases
conceptuelles, est plutôt utilisée de manière accrue. Ceci se manifeste principalement par l'usage
diversifié dont elle fait l'objet (Chapitre I). Cependant, la notion d'associé est-elle devenue une
« auberge Espagnole » dans laquelle on peut ranger ce qu'on veut et quand on veut ? Cette
interrogation nous conduit à se demander si le contraste entre le conceptuel et le fonctionnel ne
conduit pas la notion d'associé vers une disparité inquiétante (Chapitre II).

Chapitre I : L'usage diversifié de la notion d'associé.


Pour montrer combien actuelle et omniprésente a toujours été la notion fonctionnelle d'associé en
droit des sociétés, nous allons nous pencher d'une part sur les situations de concours pouvant
exister lors de circonstances particulières découlant de la détermination de la qualité d'associé
(section I) , et d'autre part le phénomène d'élargissement de la notion d'associé à l'investisseur
professionnel (section II).

Section I : les situations de concours observées.

Les situations de concours de façon générale font référence à l'attribution de la qualité d'associé
en cas de titres démembrés ou indivis. Seront donc évoquées ici les situations les plus générales.
Ainsi, le concours vertical, c'est-à-dire, celui qui porte sur les droits sociaux en usufruit
(paragraphe 1), est différent du concours horizontal, relatif aux droits sociaux indivis
(paragraphe II).

P1) le concours vertical : les droits sociaux démembrés.

Comme tous les autres biens, la part ou les actions peuvent être démembrées par le moyen de
l'usufruit et de la nue propriété. L'usufruit est un droit réel, par essence temporaire, dans la
majorité des cas viager, qui confère à son titulaire l'usage et la jouissance de toute sorte de biens
appartenant à autrui, mais à charge d'en conserver la substance (Code civil, article 578) ; présenté
comme un démembrement de la propriété, en tant qu'il regroupe deux attributs démembrés du
droit de propriété. Il existe Quatre types d'usufruits, l'usufruit à titre particulier portant sur un
bien corporel ou incorporel déterminé (exemple : un immeuble, un fonds de commerce, une
créance). Ensuite il y a l'usufruit à titre universel, portant sur un patrimoine ou sur une fraction
de patrimoine. Il existe également celui établi par la volonté de l'homme. Il peut être constitué
par un contrat (soit à titre onéreux, soit à titre gratuit) ou par testament. Enfin il y a l'usufruit
légal qui est celui établi par la loi. C'est le cas de l'usufruit du conjoint survivant sur les droits
d'exploitation appartenant au conjoint décédé. Quant à la nue propriété, elle est l'expression
consacrée par laquelle on désigne les prérogatives conservées par le propriétaire pendant la
période où la chose qui lui appartient fait l'objet d'un démembrement de propriété, à la suite de la
constitution d'un droit d'usufruit, d'usage ou d'habitation au profit d'un tiers74(*).

Dans ce cas, deux personnes ont des droits concurrents, mais différents sur les mêmes parts. Le
phénomène est fréquent, notamment pour des raisons successorales, mais aussi dans le cadre des
donations-partages (avec réserve d'usufruit pour le gratifiant) et des libéralités en général, ou
pour des raisons de techniques financières. L'usufruit est intéressant en ce qu'il permet d'affecter
à une personne des dividendes, et éventuellement le droit de vote, tout en conservant à une autre
les autres droits issus des parts ou des actions. Naturellement, l'usufruit représente une valeur
moindre que la pleine propriété, ce qui paraît attractif à l'égard de l'impôt de solidarité sur la
fortune.

Quand toutes les parts en usufruit sont entre les mains d'une seule personne, il semble que la
société n'ait qu'un seul associé s'il n'y a qu'un seul nu- propriétaire. L'article 18844-5 du code
civil fournit une indication en ce sens, à propos de la société devenue unipersonnelle, en
énonçant que « l'appartenance de l'usufruit de toutes les parts sociales à la même personne est
sans conséquences sur l'existence de la société ». A contrario, on peut entendre que le seul point
important, pour dire si la société est devenue unipersonnelle, consiste à savoir s'il existe un seul
nu-propriétaire.

Toutefois, l'attribution de la qualité d'associé au seul nu-propriétaire, qui semble conforme à la


jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation, est aujourd'hui contestée par
une partie de la doctrine75(*). Les critères principaux de la qualité d'associé, à savoir l'apport et la
participation à la vie sociale, l'affectio societatis, peuvent être remplis par l'usufruitier ; et
l'attribution du droit de vote n'est pas elle-même un critère décisif, puisqu'il existe des associés
qui sont privés de droit de vote. Il s'agissait de l'arrêt DE GASTE du 4 JANVIER 1994 qui a pu à
l'époque être interprété en ce sens que les statuts seraient libres de réserver l'intégralité du droit
de vote à l'usufruitier, le nu-propriétaire voyant son droit réduit à celui de participer aux
décisions collectives. Solution qui pouvait s'autoriser, sur le plan doctrinal de la théorie selon
laquelle, plutôt que le droit de vote, le critère de la notion d'associé résiderait dans le droit
d'intervention de la vie sociale » ; mais qui excluait donc que le droit de participer implique le
droit de voter. Cet arrêt reposait la question de la titularité de la qualité d'associé en cas de
démembrement de droits sociaux, une partie des auteurs, en rupture avec la doctrine classique
qui n'attribuait cette qualité qu'au nu-propriétaire, considérant aujourd'hui que l'usufruitier aussi
doit se la voir reconnaître76(*). C'est une discussion dont les enjeux sont également pratiques
puisque, par exemple, la qualité d'actionnaire ou d'associé détermine le droit de solliciter une
expertise de gestion.
Des règles particulières ont été édictées pour les sociétés anonymes et à partir d'elles pour les
autres sociétés par action (voir article L225-10 et L225-118 et suivants). Ces textes ont inspiré,
en 1978, l'article 1844-4 du code civil, pour le droit commun des sociétés. Selon ce texte, « si
une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les
décisions concernant l'affectation des bénéfices, où il est réservé à l'usufruitier. Cependant,
depuis la loi du 5 janvier 1988, les statuts des sociétés par action peuvent déroger à cette
disposition. De plus en droit commun, l'article 1844 dernier alinéa laisse la même liberté dans les
autres formes de société. Un arrêt de la troisième chambre civile en date du 2 mars 1994, en a
déduit qu'il était possible de donner dans les statuts, le droit de vote à la fois au nu-propriétaire et
à l'usufruitier des mêmes parts. Ensuite, l'arrêt CHATEAU D'YQUEM de 1999, rendu il est vrai
à propos d'autres objets de droit de vote, permet désormais de douter de la solution résultant de
l'arrêt de GASTE, en liant le droit de participer et le droit de vote ; ce qui signifierait alors que le
nu-propriétaire devrait toujours détenir le droit de vote au moins aux assemblées extraordinaires.
Ajoutons cependant que même pour un nu-propriétaire de parts, la qualité d'associé n'est pas
acquise de façon automatique, s'il hérite de parts d'une société dans laquelle il a été stipulé une
clause d'agrément à l'égard des héritiers d'un associé décédé. Selon l'avis de l'avocat Général
LAFORTUNE, l'arrêt ultérieur du 31 mars 2004 conduirait implicitement à reconnaître
désormais cette qualité à l'usufruitier.

Dans un arrêt du 22 FEVRIER 2005 non publié au bulletin, la cour de cassation a affirmé
que : « les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d'un usufruit, le
droit de vote appartient au nu-propriétaire, à condition qu'il ne soit pas dérogé aux droits du nu-
propriétaire, de participer aux décisions collectives ». Autant que par une autre décision, du 13
juillet 2005, rendue par la deuxième chambre civile, mais après avis de la chambre commerciale,
précisant que la clause statutaire selon laquelle l'usufruitier représente valablement le nu-
propriétaire pour toutes les décisions sociales quelqu'en soit l'objet, si elle permet à l'usufruitier
d'exercer seul le droit de vote, en application des dérogations autorisées sur ce point par l'article
1844, al 4 du code civil, ne peut avoir pour effet de priver le nu-propriétaire du droit de
participer aux décisions collectives telles ²qu'il est prévu à l'alinéa 1er du dit article. Toutefois
comme le soutien un auteur77(*), dans l'hypothèse où, par son vote, l'usufruitier porterait atteinte à
la substance des droits du nu- propriétaire, ce dernier devrait logiquement disposer d'une action
en responsabilité contre lui.

Enfin par un arrêt du 29 novembre 2006, la Cour de cassation se prononce pour la première fois
sur cette question âprement disputée qu'est celle d'avoir à préciser si un usufruitier de parts
sociales ou d'actions a ou non la qualité d'associé. Malheureusement, ce n'est pas la chambre
commerciale, ni la première chambre civile, formation rompue au droit des sociétés, qui ont eu
l'occasion de se prononcer sur cette question, mais la 3e chambre civile qui, apporte au débat une
contribution qui devrait faire grand bruit78(*). La haute juridiction y approuve une cour d'appel
d'avoir relevé que la constitution d'un usufruit sur des parts sociales fait perdre à l'usufruitier sa
qualité d'associé, et ce, quelque soit l'étendue du droit de vote qui lui est accordée par les statuts.
Cependant la portée de cet arrêt est limitée. Même s'il s'agit d'une décision publiée au bulletin, il
est difficile de considérer que la cour de cassation y prend une position de principe sur le point
de savoir si l'usufruitier de droits sociaux est ou non associé.
On se bornera à rappeler qu'une majorité d'auteur s'est aujourd'hui ralliée à l'idée que l'usufruitier
a la qualité d'associé ne serait-ce que parce qu'il en a tous les attributs (droits politiques de
l'associé et en particulier le droit de vote, vocation aux bénéfices sous forme de dividende),
tandis que d'autres considèrent que le nu propriétaire est seul propriétaire des droits sociaux et
partant seul associé. Dans l'impossibilité de pouvoir trancher sur la valeur que l'on doit accorder
à cette dernière décision, on pourra retenir que, quand bien même la formulation de l'arrêt
commenté invite à ne tirer de conséquences de celui-ci qu'avec prudence, et quand bien même la
Cour de cassation n'apparaît pas avoir approuvé expressément la position retenue par les juges du
fonds, on ne pourra ignorer cet arrêt qui rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui avait
clairement dénié à l'usufruitier la qualité d'associé79(*).Ainsi , jusqu'aujourd'hui la question n'est
toujours pas tranchée.

Cependant, comme tous les autres biens, les parts ou les actions peuvent également être l'objet de
titres indivis. Le débat pour l'attribution de la qualité d'associé dans ce type de concours dit
horizontal sont-ils aussi vifs que les précédents ?

* 74. Pour les définitions, V. Vocabulaire juridique, op. cit. P. 465.

* 75. J. DERRUPPE, « un associé méconnu : l'usufruitier de parts ou d'action », Petites Affiches,
13 juillet 1994, n° 83, p. 15 ; M. COZIAN, « du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la
qualité d'associé ? » JCP éd. E, 1994. I. 374.

* 76. F. X. LUCAS, note SS. Rennes, 27 mai 2003, Bull. Jolly. 1187.

* 77. Ph. MERLE, op. cit. n° 492, p. 573.

* 78. F. X. LUCAS, « Refus de la qualité d'associé à l'usufruitier de parts sociale », Droit des
sociétés, n° 2, février 2007, commentaire 25.

* 79. B. DONDERO, « du possible refus par la cour de cassation de la qualité d'associé à
l'usufruitier de droits sociaux », notes sous cour de Cassation, 3e ch. Civ. 29 novembre 2006,
revue des sociétés 2007, p.319.

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