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GENTRIFICATION ?
L'exemple de Paris intra-muros
Anne Clerval
2011/1 - n° 144-145
pages 55 à 71
ISSN 0014-0481
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époques, les trottoirs ont servi de lieux de rencontre pour les ouvriers, les
femmes, les migrants qui y vivent ou qui le visitent régulièrement. Et cela se
retrouve à Belleville à travers les siècles (Simon, 1994).
Aussi, attribuer l’originalité de cette occupation multiforme de la rue à
la présence des immigrés, en comparant classiquement les rues de la Goutte-
d’Or ou de Belleville à celles des villes d’Afrique du Nord, c’est oublier un
peu vite l’histoire du Paris populaire et les habitudes des ouvriers parisiens.
Eux-mêmes étaient venus de loin, même si la distance culturelle commençait
alors dès la Creuse. Aujourd’hui, l’observateur extérieur tend à n’interpréter
la distance sociale que comme une distance culturelle, d’autant plus que cet
usage populaire de la rue est circonscrit à quelques quartiers. Pourtant, les
raisons matérielles de cet usage n’ont pas beaucoup changé : la rue est restée
un espace prolongeant un petit logement parfois surpeuplé, elle est aussi le
principal support de la sociabilité et de la solidarité populaires, avec les cafés
et les commerces de proximité.
Or, si ces usages populaires de la rue n’existent plus que dans quelques
quartiers de la capitale française, cela est lié à son embourgeoisement régu-
lier depuis plusieurs décennies. En particulier, à un type d’embourgeoisement
qui concerne spécifiquement les quartiers populaires : la gentrification
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LA GENTRIFICATION INVISIBLE :
LES PARADOXES DES DERNIERS QUARTIERS POPULAIRES PARISIENS
Ces quartiers d’immigration sont tous marqués par le mélange des ori-
gines qui entraîne un partage complexe et régulièrement réajusté de l’es-
pace public et des commerces, comme P. Simon (1994) l’a montré à
Belleville. Dans l’habitat, la plus forte présence étrangère correspond au
profil social le plus populaire et le plus ouvrier. Comme les retraités
ouvriers et employés, les étrangers, notamment non communautaires, mar-
quent par leur localisation l’héritage populaire de ces quartiers. Selon
Michelle Guillon (1996, p. 60), « alors que les caractéristiques et la locali-
sation du logement des ouvriers français sont en train de se transformer,
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2. J’utilise ce terme comme une catégorie socialement construite qui renvoie aux différences
visibles, sans fondement biologique.
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les activités illicites autour du trafic de cannabis viennent aussi troubler l’ap-
3. De NIMBY, « not in my backyard » (« pas dans mon jardin »), acronyme désignant les
groupes de pression s’élevant contre l’intérêt général.
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proximité plus neutres comme un supermarché, une papeterie ou une cave à vin
(ce qui n’est pas neutre dans un quartier habité par une importante population
musulmane), mais projette aussi d’accueillir des architectes, des activités liées
à l’informatique et à la communication, vecteurs selon elle de mixité sociale.
Ainsi, la Mairie de Paris entretient un certain flou entre un problème de
vacance de locaux commerciaux, qui contribue à dévitaliser une rue, et
l’abondance de commerces de produits exotiques florissants, qui participent
pleinement à l’animation d’un quartier. C’est ce qu’exprime un garçon de
café sénégalais à propos du projet de déplacement des commerces exotiques :
« S’ils le font, le quartier est mort. Le jour où le marché part, le quartier est mort.
[…] Parce qu’il y a rien ici, il y a pas d’usine, il y a pas de bureau, il y a rien, il
y a que les commerces. C’est ce qui fait le charme du quartier aussi. »
Que penser de l’opposition affichée par la Mairie à la relative spéciali-
sation des commerces et à la fréquentation par une clientèle extérieure au
quartier, qui se retrouvent fréquemment ailleurs dans Paris et contribuent à
son rayonnement ? Par rapport à un quartier comme le Marais ou les alen-
tours de la place de la Bastille, c’est bien la composante exotique des com-
merces et le caractère populaire de la clientèle qui sont visés dans cette
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À la Goutte-d’Or,
les jeunes du quartier
avaient aussi leur terri-
toire : le square Léon,
situé à la jonction de la
Goutte-d’Or Sud et de
Château-Rouge, et dont
la particularité est son
ouverture permanente
pour servir de passage
entre deux rues. En
2006-2007, le square,
passablement dégradé,
a été réhabilité, équipé
Photo 5 – La normalisation d’un espace populaire de jeux pour enfants et
par la gentrification : est désormais surveillé
le gymnase Maurice-Berlemont, (photo 6). Comme le
ouvert en 2006 rue de l’Orillon (11e) montre la photo 7, l’af-
(Source : A. Clerval, 2008) fichette placée à l’en-
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Photos 6 et 7 – La normalisation
d’un espace populaire
par la gentrification :
le square Léon, réhabilité en 2007,
à la Goutte-d’Or (18e)
(Source : A. Clerval, 2008)
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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