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:
ENTRE VULNERABILITE ET RESILIENCE
Par
Dr Fati HOUSSAÏNA, Enseignante/Chercheuse,
Histoire économiques et sociales
Université de Maroua (Cameroun)
Contrôleur adjoint au Ministère des Marchés Publics
Professeur des lycées d’enseignement général
Tél. : (237) 6 76511897/ 698881370, E-mail : housfatoumar@yahoo.fr
B.P. : 755 FALSH/Département d’Histoire
Résumé : Cet article vise à mettre en exergue l’impact de la covid-19 sur la vie
économique. Les difficultés auxquelles font face les opérateurs du secteur informel ainsi que
les méthodes de contournement feront l’objet de ce travail. L’avènement de la covid-19 va
accroitre la vulnérabilité de certaines activités notamment informelles. Face à cette situation,
de nombreux camerounais vont perdre leurs activités et se retrouveront au chômage. Une
catégorie va muter d’activités et l’on va assister à la naissance d’une activité ; une autre
catégorie va trouver des moyens de contournement afin de continuer dans leurs activités,
malgré les interdictions gouvernementales. C’est donc par une méthode d’observation et de
collectes de données recueillies auprès de nombreux opérateurs du secteur informel que ce
travail a bien pu être mené. Les résultats obtenus montrent que malgré les mesures restrictives
prises par le gouvernement, les camerounais ont trouvé d’autres moyens pour survivre à cette
crise. Au-delà d’une analyse du problème de la survie en contexte de crise sanitaire, nous
proposons des solutions pouvant être capitalisées non-seulement au Cameroun, mais aussi
dans certains pays du monde. Les résultats de ce travail proviennent de l’observation, des
sources orales et écrites.
Du latin vulnus, vulneris (la blessure) et vulnerare (blesser), le vulnérable est, selon
le dictionnaire Larousse, celui « qui peut être blessé, frappé », « qui peut être facilement
atteint, qui se défend mal ». Le terme a pour synonymes « fragile » et « sensible ». La
vulnérabilité convoque, comme l’a montré Hélène Thomas, deux notions : la fêlure d’une part
(la zone sensible, fragile, par où arrivera l’atteinte) et la blessure d’autre part (qui
matérialisera l’atteinte) (Thomas, 2010 : 43). La vulnérabilité désigne ainsi « une potentialité
à être blessé » (Soulet, 2005 : 24). Les activités informelles quant à elles sont celles qui font
partie du secteur informel. On peut dire dans le cadre de ce travail qu’elles désignent un
ensemble de métiers de production, de services ou de distributions détenues soit par un
individu (entreprise individuelle), soit par des entreprises de petites tailles. Elles sont plus ou
moins reconnues par les institutions étatiques parce qu’elles réussissent parfois à se
dissimuler. En contexte de Covid 19 pourtant, ces activités deviennent plus vulnérables
qu’elles ne l’étaient déjà et ceci à cause de la précarité ou du statut non officiel qu’elles
occupent. Il est difficile d’énumérer toutes les activités vulnérables de ce secteur, juste
quelques-unes seront prises en exemple. Nous n’allons pas mettre de côté l’aspect genre dans
cette première sous-partie étant donné qu’elles font partie de la population vulnérable la plus
touchée.
L’un des secteurs les plus touchés est le transport en commun, notamment celui des
engins à deux roues communément appelé « moto taxi » et les taxis à proprement parler.
Outre les mesures restrictives d’entrée et de sortie du territoire national, des mesures limitant
les déplacements internes ont également été prises. A ce titre, un système de régulation
des flux des personnes a été instauré dans tous les établissements recevant du public, ajustant
les horaires d’ouverture et de fermeture, respectivement à 6h00 et16h00. Dans la même
veine, les usagers ont été invités à effectuer des déplacements urbains et interurbains
qu’en cas d’extrême nécessité. Les opérateurs du secteur des transports en communs
(conducteurs de bus, de taxis d’opep1 et de mototaxis) ont été appelés de manière
coercitive à éviter des surcharges dans les transports publics, sous le contrôle des Forces de
1
Au Cameroun, l’opep désigne des véhicules qui très souvent, effectuent des lignes qui sont dans les périphéries
du centre-ville ou encore, même si elles sont dans la ville, elles sont difficilement accessibles ou moins
fréquentées par des taximen.
Maintien de l’Ordre (Tene Prisca et Olinga Joseph, 2020 : 3). Cette situation a davantage mis
à mal l’activité qui était déjà précaire avant les mesures restrictives. Les acteurs de ce secteur
pour la plupart vivent au quotidien c’est-à-dire rationnent en fonction de la recette du jour 2.
Pour maximiser leurs revenus journaliers, les chauffeurs de taxi et les conducteurs de moto
préfèrent procéder par la surcharge. Ainsi, le véhicule prévu pour cinq places peut servir pour
sept places et les engins à deux roues prévus pour deux personnes peuvent alors servir pour
trois, voire quatre places. Les voitures d’opep quant à elles vont jusqu’à neuf places alors
qu’elles ont également une capacité de cinq places y compris le chauffeur. Ces pratiques qui
existaient bien avant l’arrivée du Covid-19 était une conséquence des difficultés que
rencontraient les chauffeurs de transport en commun.
Depuis le mois de mars, ces mesures ont commencé à être appliquées et les opérateurs
du secteur ont très tôt commencé à ressentir les effets des mesures prises par le gouvernement.
En effet, en exécution du plan de riposte gouvernemental, le Ministère des Transports via
son Communiqué du 23 mars 2020 a listé des mesures d’endiguement spécifiques
destinées à assurer l’observation des règles d’hygiène et de distanciation physique dans le
secteur des transports. Les mesures restrictives prévoient notamment la réduction du
nombre de places des passagers comme suit: 04 places pour les véhicules de 05 places y
compris le chauffeur et 02 places pour les engins à deux roues y compris le conducteur. Face
à cette situation, les charges familiales pesaient de plus en plus et les difficultés à pouvoir
épargner s’accentuaient davantage. Une fois qu’ils réussissaient à mettre de côté l’argent
destiné à la ration quotidienne, il leur était difficile de pouvoir épargner comme ils le faisaient
avant les mesures restrictives3. Par ailleurs, les tarifs du transport n’ont connu aucun
amendement comme l’espéraient tous les acteurs du secteur. Comme eux-mêmes le disent :
« ils disent de ne plus surcharger et ils ne baissent pas le prix du litre à la pompe, ils ne nous
aident pas »4. Ils ont espéré de la part des pouvoirs étatiques une révision des prix vu les
exigences que leur imposait le gouvernement. Les conducteurs d’opep quant à eux ont vu la
réduction de passagers du double car sur les neuf passagers, ils ne peuvent porter que quatre.
La situation précaire est alors au plus bas. Face à la non prise en compte de leurs doléances,
les chauffeurs se sont sentis davantage plus fragilisés et plus vulnérables. Mais ils ne sont pas
les seuls à subir les effets de la pandémie du corona dans la ville de Yaoundé.
2
Choukep, 59 ans, taximan, entretien du 26 février 2021 à Yaoundé
3
Hammadou, 31 ans, conducteur de moto, entretien du 26 février 2021 à Yaoundé.
4
Foupouapognigni, 43 ans, chauffeur de taxi, entretien du 1er mars 2021 à Yaoundé.
Les vendeurs à la sauvette et notamment ceux rencontrés à l’Avenue Kennedy font
partie de la population vulnérable que connait le pays. Assez nombreux dans cette avenue, les
acteurs ont eu du mal à appliquer la mesure de distanciation sociale et l’évitement des
regroupements de plus de 50 personnes. Il s’agit d’une rue où se passent plusieurs activités
formelles et informelles. Les mesures institutionnelles d’endiguement de la propagation du
Covid-19, ont prescrit d’entrée de jeu la fermeture des frontières nationales terrestres,
aériennes et maritimes. Cette mesure a eu un impact énorme sur le secteur informel.
Les femmes constituent une population vulnérable depuis toujours. Mais l’arrivée de
la pandémie a davantage mis à mal leur situation déjà précaire. Certaines mesures barrières
prises le 17 mars 2020 ont accentué les vulnérabilités, notamment dans le secteur agricole ou
encore chez les travailleuses domestiques, pour ne citer que ces deux cas. La limitation des
transports interurbains qui constitue la huitième mesure, a davantage mis à mal ces bayam-
sellam5 qui partaient des zones reculées pour venir écouler leurs produits dans la ville de
Yaoundé. Ceci pose plusieurs problèmes qui autrefois avaient trouvé des solutions dans
l’insertion économique des femmes. Il est important d’apprécier déjà en avril 2020, les
premières manifestations des effets des mesures de distanciation sociale sur l’économie
informelle. Il se trouve que dans le contexte du Cameroun, l’économie informelle est tirée par
5
Au Cameroun, le concept bayam-sallam issu de l’expression « buy and sell » est employé pour désigner ces
femmes qui produisent et vendent des produits très souvent agricoles.
des activités de commerce de détail, d’activités génératrices de revenus exercés en bonne
partie par les femmes (Nations Unies, 2020, p. 8).
En effet, ne pouvant plus livrer leurs produits vers d’autres horizons, les femmes sont
retournées à la case départ où elles dépendaient financièrement de leurs conjoints qui eux-
mêmes font face à de difficultés financières sans précédent. Désormais confinées dans leurs
villages, les femmes sont d’autant plus vulnérables que non seulement elles ne peuvent plus se
déplacer pour vaquer à leurs occupations, mais aussi elles sont obligées d’évacuer les produits
déjà récoltés ou encore ceux qui ne l’ont pas encore été et qui sont dans les champs. Cet
écoulement interne des produits agricoles est le meilleur risque qu’ont pu prendre ces
productrices afin de limiter davantage les pertes. Ainsi, on les a vues écouler leurs
marchandises à vil prix parce qu’elles ne pouvaient pas les conserver longtemps, de peur de
les laisser pourrir. En mai 2020, les activités maraichères qui étaient la principale source de
revenus des femmes ont été réduites à une agriculture de subsistance. La limitation des
transports interurbains a désorganisé et déséquilibré les chaines d’approvisionnements des
vivres. Au-delà de ces travailleuses du secteur agricole, les femmes de ménages ne sont pas en
reste dans la restriction des mesures barrières.
Très souvent en marge de l’éducation scolaire, ces déplacées sont exclues de certaines
informations. Elles sont licenciées sans un avis préalables 6 et sans qu’il ne leur soit accordée
une chance d’effectuer le test du Covid pour savoir si oui ou non elles étaient testées
positives. Elles font alors face à une double stigmatisation : auprès de l’employeur, elles sont
soupçonnées d’être un facteur de propagation parce n’ayant pas les moyens (cache-nez, gel
hydro alcoolique) d’appliquer certaines mesures barrières. Retournées dans leur village
d’origine, elles sont rejetées pour une raison selon laquelle le virus du corona se trouverait
dans la ville de Yaoundé7. N’ayant plus de place en terre d’accueil et refoulées par le village
d’origine, ces travailleuses sont victimes d’une stigmatisation associée à une vulnérabilité
accentuée.
Une autre catégorie concerne les femmes communément appelées « les braiseuses de
poissons ». Ce type d’activités est très souvent effectué dans la nuit et les mesures barrières
ont fragilisé le secteur étant donné que les activités nocturnes avaient été suspendues.
Toutefois, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces mesures prises par le
gouvernement.
6
Les échanges entretenus avec certaines de ces femmes nous font savoir que dès le 19 mars, ces travailleuses
étaient déjà licenciées et parfois de la pire des manières c’est-à-dire hors de la concession et avec une certaine
distance entre l’employeur et elles.
7
Baikwe Anne, 42 ans, dans emploi, entretien du 1er mars 2021 à 17h.
entreprises informelles, les licenciements, les arrêts temporaires dans nombre de secteurs
(boucherie, soya, la restauration, débits de boissons, etc.) en particulier parmi les très petites
entreprises, ont accru les taux de chômage et propulsé plusieurs travailleurs dans la rue ou au
quartier.
La fermeture des débits de boissons à partir de 18h au Cameroun a entrainé une baisse
importante de l’activité et des revenus. N’ayant plus de clientèle importante, certains débits
ont commencé par réduire le personnel (serveuses) et même par la suite, leur salaire. Ces
décisions ne sont pas toujours dépendantes du chef d’entreprise, mais de la conjecture
économique qui sévit depuis quelques mois. De nombreuses autres activités qui se
développaient à partir de ces débits de boissons subissent de plein fouet les incidences de la
fermeture. On a par exemple des entreprises de soya8 qui sont les plus touchés.
En effet, contrairement à certaines idées que se fait l’imagerie populaire, la création d’une
entreprise de soya tout comme de grandes entreprises modernes, nécessite une étude de
marché au préalable. Le chef d’entreprise se pose un certain nombre de questions à savoir :
l’entreprise va-t-elle fonctionner ? Est-ce l’endroit propice ? Y aura-t-il de la clientèle ? Telles
sont les différentes questions qu’un entrepreneur du secteur informel se pose. Il est important
pour ces entrepreneurs de tenir compte de la proximité avec des débits de boisson, notamment
alcoolique. La plupart des entrepreneurs désirant opérer dans la production et la distribution
du soya cherchent un emplacement stratégique qui leur permet d’avoir un maximum de
population. Plus la zone d’activité est bruyante et populeuse, plus ils ont des chances de
multiplier des revenus et mieux ils s’insèrent dans la société. Parfois, les clients ne viennent
pas au départ pour consommer de la viande, c’est la proximité de ce débit de boisson à ces
petites entreprises, qui amènent les consommateurs d’alcool à s’intéresser à la viande et
surtout à ce fameux piment assez spécial et original appelé « cancan ».
La restriction des heures et lieux de travail et de déplacement pour les biens et personnes a
produit une fragilisation voire une perte de l’emploi et des pertes partielles ou totales des
revenus, entraînant des difficultés financières et de fortes chutes du pouvoir d’achat et de la
demande de biens et services. Nombre d’entrepreneurs sont ainsi confrontés à un
risque élevé d’endettement pouvant compromettre la viabilité de leur entreprise et la relance
ultérieure de leur activité (OIT, 2020 : 10).
En réalité, l’apprentissage de la couture devient une issue de secours pour ceux qui, même
avec des diplômes, n’ont pas pu s’insérer dans des structures de l’Etat. Il en va de même pour
tous ceux qui sont en déperdition scolaire ou pour toutes ces jeunes filles qui ont connu un
échec au mariage. L’apprentissage favorise ainsi l’installation plus tard à son propre compte.
L’apprentissage rend plus probable l’accès à l’artisanat dans les services, quel que soit le
niveau d’instruction (Antoine et Diop, 1995 : 142. C’est donc l’un des moyens les plus
efficaces pour, plus tard, devenir économiquement indépendant. Depuis le mois d’avril,
nombreuses parmi ces petites entreprises informelles ont dû fermer ou arrêter leurs activités à
cause de la pandémie. Ces petites unités de production dont la cessation d’activités prive de
revenus alors qu’il s’agit de populations déjà fortement fragilisées. Une incursion au quartier
Briqueterie dans la ville de Yaoundé nous montre que ces entreprises n’étaient rien d’autres
que des domiciles privés ou encore de petites pièces exiguës où une vingtaine d’apprentis se
côtoyait au quotidien. La personne vivant en situation de vulnérabilité sociale risque
autrement dit de se retirer de la vie collective afin de se centrer sur sa survie individuelle
ou familiale. Ce faisant, elle risque l’enclenchement d’un cercle vicieux où la
responsabilité de sa situation est de plus en plus pointée vers elle et où ses incapacités
croissent et ses ressources diminuent. La vulnérabilité sociale hausse donc les
difficultés d’agir individuellement et collectivement sa vie tout en diminuant par le fait
même les capacités d’avoir du pouvoir et de donner sens et direction à sa vie (Charrette,
2017 : 10). Toutefois, les opérateurs du secteur informel ont su surmonter cette vulnérabilité à
travers plusieurs mécanismes.
Lorsque le terme résilience fut employé la première fois ce fut en 1626 en anglais par le
philosophe Francis Bacon. Le sens de ce mot en anglais est «rebondir», «se ressaisir» ou «se
redresser». En anglais cela désigne des situations qui font l’objet des préoccupations actuelles
dans le champ de la psychologie. Pour Anaut, La résilience peut se définir comme la capacité
de sortir vainqueur d’une épreuve qui aurait pu être traumatique, avec une force
renouvelée. La résilience impliquant l’adaptation face au danger, le développement normal
en dépit des risques et le ressaisissement de soi après un traumatisme (Anaut, 2003 : 7). La
résilience est un processus dynamique qui désigne la reprise de développement d’une
personne confrontée à un traumatisme, ayant nécessité dans un premier temps une
résistance à ce trauma initial impliquant alors l’inexistence d’un effondrement durable
et dans un deuxième temps l’inscription dans l’élaboration de ce trauma. La résilience
doit être comprise comme la résultante de l’interaction des ressources du sujet tant internes
(capacités, fonctionnement intrapsychique relevant de la personnalité sous-jacente)
qu’externes (environnement familial, social), cette construction débutant dès la naissance
et se poursuivant tout au long de la vie.
Pour pallier aux problèmes liés à la pandémie et surtout aux différentes mesures
restrictives qui ont fragilisé de nombreux secteurs d’activités, certaines stratégies ont été
employées.
Les stratégies mises sur pied dépendent non seulement des secteurs d’activités, mais aussi
des individus. Certains secteurs ont usé de la ruse pour continuer à exercer dans leurs
activités. Une étude empirique nous a permis de constater que des débits de boissons n’ont
pas pu tenir longtemps dans la restriction. Ils ont trouvé comme astuce de rouvrir des bars tout
en restant fermés. Ceci consiste à continuer à servir la clientèle à l’insu des pouvoirs publics
qui pendant le contrôle, attestent bien de la fermeture de ces débits de boissons alors qu’à
l’intérieur, tout se passe comme si aucune mesure n’avait été prise. L’information est
véhiculée de manière informelle et parfois même, avec la complicité des agents de police 9.
Après plus d’un mois, le gouvernement a dû lever cette mesure de fermeture des débits de
boisson le 30 avril 2020.
Les braiseuses de poissons ont procédé quasiment de la même manière mais uniquement
pour celles dont les domiciles étaient non loin des lieux de vente. La stratégie consistait à
venir se tenir au carrefour où elle effectuait autrefois son activité. Quelques rares clients
passant par-là sont informés du nouveau site (domicile) de production. De manière discrète,
les clients intègrent les domiciles privés et prennent place naturellement pour déguster leur
poisson10. Ceux des clients ne consommant pas sur place en ressortent munis d’un plastique
noir qui de par son odeur au passage, trahit le secret. Plusieurs raisons expliquent l’adoption
de ces stratégies de ruse par les acteurs de ce secteur.
En fait, les mesures restrictives n’ont pas été bénéfiques pour ces couches vulnérables qui
vivaient au jour le jour, en fonction de la recette journalière. Contrairement aux travailleurs du
secteur formel qui pouvaient travailler à distance grâce aux nouvelles technologies de
l’information et de la communication et percevoir leur salaire mensuel, ceux du secteur
informel faisaient face à plusieurs difficultés. Ils avaient même espoir que les pouvoirs
publics camerounais mettent en place les moyens pour assurer une protection aux plus
démunis et lutter contre la précarité des travailleurs de l’informel. Dans ce sens, une
protection sociale minimale prenant la forme de revenu minimum apparaît nécessaire.
D’ailleurs, certains acteurs rencontrés expriment leurs déceptions en ces termes : « le
9
Atangana martin, 58 ans, détenteur de débit de boissons, entretien du 1er mars 2021 à Yaoundé.
10
Ngo Nlend Cathérine, 44 ans, braiseuse de poissons, entretien du 27 février 2021 à Yaoundé.
gouvernement nous dit de rester à la maison on accepte. Mais le gouvernement ne sait pas
comment on fait pour nourrir nos familles restées à la maison avec nous. On ne fait rien et il
ne nous aide pas. Il ne nous donne ni argent, ni nourriture on fait comment ?11 » La crise
sanitaire a montré l’importance pour l’Etat d’assurer une protection sociale pour la
population, pour minimiser les chocs et éviter une crise sociale. Il s’agit de la rendre
permanente en la prolongeant au-delà de la période de confinement. Dans la plupart des pays
le débat est ouvert mais jusque-là au Cameroun, rien n’est fait allant dans ce sens.
Dans le domaine des transports, les conducteurs ont trouvé des mesures palliatives pour
résoudre ce problème à leur niveau. Du fait qu’aucune mesure sociale d’accompagnement
n’ait été prise pour les soutenir, ils ont décidé de prendre sur eux d’augmenter officieusement
les tarifs de transports. Cette mesure a été prise stratégiquement afin de ne pas laisser paraitre
la ruse au su du gouvernement. C’est ainsi que les distances autrefois acceptées à 100 frs se
voient doubler à 200 frs. Lorsque vous stopper un taxi, c’est à lui de vous proposer son tarif
non négociable. Le conducteur peut, pour un tarif normal, faire un rajout de 100 frs ou 200 frs
en fonction de la distance ou de la densité de la circulation du quartier. Le client étant pressé
ou fatigué accepte ce contrat tacite. C’est le seul moyen pour les opérateurs de ce secteur de
pouvoir s’en sortir face aux mesures restrictives.
Du coté des micro-entreprises, rien n’a été prévu comme actions pour lever les contraintes
qu’elles vivent, et qui s’inscrivent dans la perspective du nouveau modèle de développement.
La trajectoire de certains pays pourrait inspirer. Au Sénégal par exemple, il a été mis en place
un Fonds de riposte et de solidarité, traduit dans un programme de résilience économique et
sociale malheureusement restreint aux entreprises et travailleurs formels. Pour les
informels, en l’absence de dispositif de ciblage efficace, le gouvernement a opté pour
des mesures sociales larges (distribution de vivres, gratuités eau et électricité).
Cependant, ces mesures ponctuelles ne sont pas à même d’appuyer les UPI dans leur
relance et leur résilience à moyen et long terme, et de nombreux ménages ayant subi
le choc de la pandémie mais ne faisant pas partie des ménages vulnérables identifiés
dans le Registre national unique (RNU) n’en ont pas bénéficié. Des failles ont
également été constatées dans la distribution des vivres (transport, qualité, etc.). Les
mécanismes pour soutenir l’économie informelle sont donc encore à créer (OIT, 2020 : 13).
11
Kamdem désiré, 50 ans, commerçant, entretien du 27 février 2021 à Yaoundé.
Les normes édictées par le gouvernement n’ont pas été suivies par des mesures
d’accompagnement d’où le mécontentement et les frustrations des acteurs qui ont multiplié
des stratégies de résilience. Outre la ruse, certains acteurs ont changé d’activités. On voit se
développer la production et la commercialisation du cache-nez dans les différents coins.
Cette nouvelle activité nait du fait d’une demande élevée et de la cherté des cache-nez
jetables. Pour résoudre ce problème, certains acteurs comme les couturiers et même leurs
apprentis qui avaient été fragilisés par les mesures barrières ont pensé produire des cache-nez
en fonction du niveau de vie des camerounais. Une fois confectionnés, certains jeunes qui
autrefois exerçaient comme brouettiers ou pousseurs, se rabattent auprès de ces couturiers
pour acheter à vil prix, soit 250 frs. Dès lors, ils vont bonder les rues de Yaoundé et cibler des
lieux stratégiques où le port du masque reste obligatoire comme les alentours des banques,
pour facilement écouler leurs marchandises. La production des masques en tissu vient
résoudre le problème manque de moyens financiers pour l’achat quotidien du cache-nez.
Les stratégies de résilience ont permis à certains acteurs du secteur informel d’entrer dans
le secteur formel. C’est une ironie du sort, la crise sanitaire a mis en évidence un besoin en
effectif dans le domaine de la santé. Ainsi, les métiers d’infirmier et d’aide-soignant dans
les formations sanitaires publiques comme privées sont abondamment sollicités tout au
long de la pandémie (Gérard Tchouassi et al., 2020 : 242). Il faut tout de même rappeler que
de nombreux opérateurs du secteur informel sont nantis de diplômes mais, faute de pouvoir
s’intégrer à la fonction publique, ils se sont retrouvés dans des activités informelles où ils ont
réussi jusque-là à s’en sortir. L’ironie est due au fait que l’avènement de la pandémie est une
aubaine pour ceux-là qui ont réussi leur intégration. On voit alors les anciens bayam-sallam,
les chefs des micro-entreprises, les chauffeurs de taxi, se reconvertir en infirmiers ou aide-
soignant. D’aucuns qui n’avaient aucune formation dans le domaine se sont également
rabattus de ce côté où le besoin en main d’œuvre se faisait ressentir au quotidien.
CONCLUSION
Au terme de ce travail, il était question de voir comment le Covid-19 a impacté sur les
activités informelles en les rendant plus vulnérables et quelles sont les stratégies de résilience
des acteurs de ce secteur. Il est important de retenir que ces activités ont davantage été
fragilisées avec l’avènement de la pandémie Covid-19 et notamment avec les mesures
restrictives prises par le gouvernement camerounais. Ces décisions n’ont pas tenu compte de
certains paramètres tels que les conditions de vie précaires des acteurs de ce secteur. La
pandémie est donc venue remettre sur la table la nécessité d’encadrer ce secteur. L’enquête
exploratoire a permis de constater que la crise de la Covid-19 a renforcé les
vulnérabilités préexistantes des entrepreneurs et des travailleurs de l’économie informelle.
Elle a également mis en évidence les avantages associés à la formalisation. Les mesures mises
en place par le gouvernement afin d’atténuer les répercussions de la crise ont eu un
impact très limité sur les acteurs de l’économie informelle et c’est la raison pour laquelle
les acteurs ont développé des stratégies de résilience multiformes. En tenant compte de la
réalité, l’Etat a pris une mesure le 30 avril 2020 consistant à rouvrir les débits de boisson.
Mais, ce n’est pas suffisant et cela ne résout pas le problème du secteur informel notamment
en période de crise. Le défi reste de trouver les mécanismes adaptés pour permettre aux
acteurs du secteur de vaquer à leurs occupations tout en respectant les mesures barrières. Le
résultat des enquêtes montrent qu’il est difficile pour un pays comme le Cameroun de
respecter les mesures édictées par le gouvernement. Cette réticence est due aux pouvoirs
d’achat de la population et la précarité dans laquelle elle se trouve. Par ailleurs, l’Etat n’a pas
initié une aide (financière ou en nature) aux populations vulnérables. Dans ce sens, une
protection sociale minimale prenant la forme de revenu minimum apparaît nécessaire. La crise
sanitaire a montré l’importance pour l’Etat d’assurer une protection sociale pour la
population, pour minimiser les chocs et éviter une crise sociale. La pandémie a sans doute
augmenté le taux de chômage au Cameroun. Ceci pourrait avoir pour conséquence une
remontée exponentielle de la délinquance juvénile et même sénile. Les mesures prises par les
pouvoirs publics doivent refléter le niveau réel du train de vie des camerounais qui pour la
plupart vivent au jour le jour. Ces mesures doivent s’appuyer sur une stratégie
multidimensionnelle combinant à la fois des actions conjoncturelles et structurelles. Certaines
mesures doivent être revues afin de cadrer avec la réalité du pays. L’Etat serait plus réaliste
s’il laissait les acteurs du secteur informel vaquer à leurs occupations normalement mais en
exigeant le respect strict des mesures d’hygiènes. Ceci devrait même être une condition sine
qua none dans tous les espaces publics et les marchés.
BIBLIOGRAPHIE
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