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LES COURANTS À HAUTE-FRÉQUENCE APPRIVOISÉS À TRAVERS LA

DARSONVALISATION ET LES SPECTACLES PUBLICS (1890-1930)

Paolo Brenni

Victoires éditions | « Annales historiques de l’électricité »

2010/1 N° 8 | pages 53 à 71
ISSN 1762-3227
ISBN 9782351130803
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les courants à haute-fréquence
apprivoisés
à travers la darsonvalisation et les spectacles
publics (1890-1930)

Paolo Brenni
Chercheur, CNR, Instituto e Museo di Storia della Scienza, Fondazione Scienza
e Tecnica, Firenze
et président de la Scientific Instrument Commission de l’International Union
of History and Philosophy of Science

One of the earliest observations I made with these new machines was that electrical
oscillations of an extremely high rate act in an extraordinary manner upon the human
organism1.
Nikola Tesla (1900)

Résumé

À la fin du XIXe siècle, Nikola Tesla étudie les courants à haute fréquence et à haute
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tension et présente une série d’expériences étonnantes. Le physicien et physiologiste
Arsène d'Arsonval utilise ces courants pour un nouveau type d’électrothérapie, qui sera
largement utilisé jusque dans les années 1930. Mais les phénomènes de l’électricité à
haute fréquence sont également exploités dans les théâtres et les music-halls, en parti-
culier aux États-Unis et en Grande-Bretagne, pour des spectacles qui associent science
et magie. Cet article retrace quelques aspects des utilisations de ces courants.

Abstract

At the end of the 19th Century, Nikola Tesla studied high frequency currents of
high voltage and presented a series of extraordinary experiments. The physicist and
physiologist Arsène d’Arsonval exploited these currents for a new type of electrothe-
rapy, which was widely used up to the 1930s. But the phenomena produced by high
frequency currents became also very popular on stage, especially in United-States and
Great-Britain. Clever showmen and quacks equipped with Tesla’s apparatus amazed
the public by performing “scientific magic”. Here, I will retrace the most important
steps in the applications of these currents.

1. Nikola Tesla, « The Problem of Increasing Human Energy », The Century Magazine, vol. XXXVIII, 1900,
pp.175-211.
Le corps humain et l’électricité

Depuis le XVIIIe siècle, les phénomè- fois également électrothérapeutes, dans


nes électriques ont intéressé et intrigué des spectacles associant science, mystère,
médecins et physiciens qui ont systéma- effets spéciaux et amusement. Malgré son
tiquement essayé de les appliquer à la importance historique, la darsonvalisation
thérapie et au diagnostic médical 2. Au a été peu étudiée par les historiens des
XIXe siècle, tous les progrès en électri- sciences qui se sont davantage intéressés
cité furent immédiatement suivis par des à l’électricité médicale du XVIIIe siècle
applications médicales : la franklinisation et du début du XIXe siècle. Cet article
avec l’électrostatique, la galvanisation vise à combler partiellement cette lacune,
avec les courants continus, la faradisation sans prétendre évaluer rétrospectivement
avec les courants variables produits par l’efficacité thérapeutique de la darsonva-
des machines magnéto et dynamoélectri- lisation, et à aborder le développement
ques, puis par des bobines d’induction. d’une technologie, de ses machines et de
Ces thérapeutiques furent toutes accom- quelques-unes de ses applications dans
pagnées de controverses dans lesquelles le domaine médical, mais aussi dans le
s’affrontèrent des positions très diverses domaine du spectacle.
à l’intérieur du monde médical. Elles
furent souvent discréditées car également Les débuts des courants à haute
utilisées par des praticiens ayant très peu
de connaissances médicales, voire par des
fréquence et haute tension
thérapeutes improvisés qui soumettaient Si les premières machines magnéto et
leurs patients aux traitements les plus dynamoélectriques, mises au point dès les
fantaisistes en exploitant leur crédulité années 1830, restent pendant des décen-
et leur détresse. nies des appareils de laboratoire en ce qui
Dans cet article, je vais évoquer une concerne la production de courant élec-
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thérapie née à la fin du XIXe siècle et qui a trique, elles ont trouvé des applications
suscité un grand enthousiasme populaire immédiates en médecine3. De petites
jusqu’aux années 1920. Issue des recher- machines portables, comportant un cou-
ches sur les courants à haute fréquence ple de bobines tournant face aux pôles
et à haute tension, la darsonvalisation fut d’un aimant en fer à cheval, se répandent
ainsi nommée en l’honneur du médecin aussi bien chez les médecins que chez les
et physicien Arsène d’Arsonval qui en fut particuliers. Les constructeurs proposent
l’inventeur et l’un des plus ardents pro- d’innombrables modèles destinés à la
pagateurs. Si les effets spectaculaires et faradisation et susceptibles de soigner une
étonnants des courants à haute tension longue liste de pathologies. À partir des
et à haute fréquence contribuèrent proba- années 1840, l’introduction d’un interrup-
blement au succès de la darsonvalisation teur automatique dans les bobines d’in-
auprès des patients, ces courants furent duction permet de créer des impulsions
également exploités par des showmen, par- de courants. Mais jusqu’aux années 1890,

2. Pour une histoire des applications médicales de l’électricité voir : Margaret Rowbottom, Charles Suss-
kind, Electricity and Medicine. History of their Interaction, San Francisco, San Francisco Press, 1984 et
Sidney Licht, « History of Electrotherapy » in Therapeutic Electricity and Ultraviolet Radiation, Baltimore,
Waverly Press Incorporated, 1959, p. 1-69 (cet article comporte une liste bibliographique de près de 1 000
titres consacrés à l’électrothérapie, publiés entre le milieu du XVIIIe siècle et les années 1960).
3. Voir par exemple : Brian Bowers, A History of Electric Light and Power, Stevenage (UK), Peter Pere-
grinus, Science Museum, 1982.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 54


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

les fréquences des courants produits par que, sont exploités industriellement par
toutes ces machines à induction restent la firme Westinghouse qui se trouve ainsi
inférieures à une centaine de Hertz. au centre de la fameuse « bataille des
Il était cependant possible de produire courants » entre les partisans du courant
des courants de fréquence plus élevée alternatif et ceux du courant continu.
d’une autre manière, avec la décharge Au tournant du siècle, Tesla est devenu
d’une bouteille de Leyde, le premier une vedette scientifique, aussi célèbre que
type de condensateur. Cette décharge du Thomas Edison, le magicien de Menlo
condensateur fut étudiée par Hermann Park. Prototype du savant excentrique,
von Helmholtz en 1847, sa fréquence coqueluche de la haute société new-yor-
calculée par William Thomson en kaise, ami de personnalités comme l’écri-
1853, et enfin son caractère oscillatoire vain Mark Twain, ses recherches font la
mis en évidence expérimentalement en une des journaux. Pionnier de la tech-
1858 par le physicien allemand Behrend nologie des courants alternatifs à haute
W. ­Feddersen 4. Les courants à haute fréquence à haute tension, d’ailleurs
fréquence créés par la décharge d’un souvent appelés « courants de Tesla », il
condensateur allaient se révéler fonda- dépose un grand nombre de brevets, pour
mentaux dans plusieurs domaines de la l’électricité industrielle ou pour la TSF.
physique et de l’électricité. Ainsi les expé- Son rêve demeure de pouvoir transmet-
riences de Hertz, montrant l’existence tre sans fil non seulement des signaux,
des ondes électromagnétiques en 1888, mais encore de l’énergie électrique. Les
stimulèrent un très grand nombre de reportages abondamment illustrés de ses
recherches qui aboutirent à la réalisation expériences spectaculaires de 1899, dans
de la télégraphie sans fil5. son laboratoire de Colorado Springs où il
La saga des courants à haute fréquence produit des foudres artificielles grâce à ses
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et à haute tension s’ouvre de façon très gigantesques oscillateurs, contribuent à sa
théâtrale grâce à une série de conférences renommée de génie visionnaire6.
présentées aux États-Unis, en Angleterre Afin d’augmenter la fréquence des
et en France par l’ingénieur électricien courants alternatifs, Tesla construit vers
et inventeur d’origine serbe Nikola Tesla. 1890 des alternateurs à grande vitesse
Après avoir étudié à Graz et à Prague, capables de créer des courants d’environ
travaillé à Budapest et à Paris, il émigre 15 000 Hz. Pour atteindre des fréquen-
aux États-Unis en 1884. Il y invente un ces encore plus élevées, il réalise ensuite
moteur à champ magnétique tournant un oscillateur-transformateur qui porte
et conçoit le premier système à courants aujourd’hui son nom. L’appareil se com-
polyphasés. Ses brevets dans ce domaine, pose d’un condensateur relié à un écla-
qui constituent une étape fondamentale teur et à une bobine (le primaire). Cette
dans l’histoire de la production, la distri- bobine primaire est entourée par une
bution et l’utilisation de l’énergie électri- bobine coaxiale d’un très grand nom-

4. Dans sa forme plus simple, un circuit oscillant comprend une résistance, une capacité (condensateur) et
une impédance (bobine). La décharge d’un tel circuit est oscillante si la résistance n’est pas trop grande.
5. Voir par exemple Hugh G.J. Aitken, Syntony and Spark. The Origins of Radio, Princeton, Princeton
University Press, 1985.
6. La plupart des biographies de Tesla sont peu précises et remplies de légendes. On peut consulter John
O‘Neill, Prodigal Genius. The life of Nikola Tesla, New York, Ives Washburn Inc., 1944 et Margaret Cheney,
Tesla Man Out of Time, New York, Laurel Book, 1983.

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Le corps humain et l’électricité

Fig. 1 : Tesla présente ses expériences avec les oscillatoire de la bobine primaire, il peut
courants à haute fréquence en 1892 à Paris. allumer des lampes à incandescence en
passant à travers l’expérimentateur sans
que celui-ci ne ressente rien8.
En mai 1891, Tesla présente ses éton-
nantes expériences à New York, et en
février 1892 il les répète à Londres, puis
à Paris lors d’une séance conjointe de
la Société française de physique et de la
Société des ingénieurs électriciens (Fig. 1).
L’auditoire est très impressionné par cette
performance décrite les jours suivants dans
les journaux et les revues scientifiques avec
(La Nature, 1892, I, p. 209.) abondance de détails. Un éditorialiste
enthousiaste de La lumière électrique écrit
bre de spires (le secondaire). Lorsque le à propos de la conférence : « L’événement
condensateur se décharge dans la bobine est d’importance ; il s’agit de la révélation
primaire, un courant alternatif amorti et expérimentale devant les physiciens et
à haute fréquence parcourt le primaire et les électriciens d’un nouveau domaine à
crée dans la bobine secondaire un courant explorer. » Il prend des accents lyriques :
induit de même fréquence mais de très « Les tubes raréfiés, de plus d’un mètre de
haute tension7. Les effets de ces courants longueur, tenus à la main par Tesla dans
induits, encore mal compris, sont parti- le champ, s’illuminent dans toute leur lon-
culièrement spectaculaires. Les pôles de gueur d’une lueur intense […]. On dirait
la bobine secondaire créent de puissantes un glaive lumineux tenu dans la main d’un
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étincelles et des aigrettes lumineuses. Des archange justicier. »9 Les expériences de
tubes à vide s’allument à distance de la Tesla produisent une impression forte et
bobine et, chose encore plus étonnante, le durable : non seulement elles sont insérées
courant alternatif ne produit pas les effets dans les cours de physique mais, comme
physiologiques classiques des courants de nous verrons plus loin, elles seront exploi-
basse fréquence (contractions, secousses, tées dans des performances théâtrales. À
etc.). Étincelles et aigrettes électriques de la même époque, le brillant ingénieur
plusieurs dizaines de milliers de volts peu- électricien américain Elihu Thomson
vent frapper le corps en causant seulement expérimente également sur les effets des
quelques picotements. Quant au courant courants à haute fréquence avec des appa-

7. Dans un appareil de Tesla, les fréquences sont de l’ordre de 104-106 Hz, tandis que les tensions peuvent
atteindre plus de 106 volts. Ce qu’on appelait vers 1900 « hautes fréquences » rentre aujourd’hui dans le
domaine des LF (low frequency 30-300 KHz) et des MF (medium frequency 300 Khz-3 MHz). Aujourd’hui on
appelle hautes fréquences (HF) la partie du spectre électromagnétique comprise entre 3 MHz et 30 MHz.
8. Les appareils et expériences de Tesla sont décrits en détail dans : Thomas C. Martin (ed.), The inventions,
Researches and Writings of Nikola Tesla, New York, The Electrical Engineers, 1894 (réedité par Barnes &
Noble, New York, 1992) et aussi dans Nikola Tesla, Lectures Patents Articles, Zagreb, Nikola Tesla Museum,
1956. Les articles, les conférences et le journal scientifique de Colorado Spring ont été publiés en 1999 par
Zavod za Udžbenike i Nastavna Sredstva à Belgrade.
9. E. Raverot, « Les expériences de M. Tesla », La lumière électrique, vol. 43, 27 avril 1892, p. 402-409. Voir
aussi : « E. Hospitalier, Expériences de Tesla sur les courants alternatifs de grande fréquence », La Nature,
15 août 1991, p. 162-167 et 5 mars 1892, p. 209-211.

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Les courants à haute-fréquence apprivoisés

reils semblables. Mais si ses travaux sont a certainement été le médecin, physiolo-
régulièrement décrits par La lumière élec- giste et physicien Arsène d’Arsonval, un
trique, l’absence de démonstration publi- des savants français les plus influents,
que ne lui permet pas d’atteindre la même de la fin du XIXe siècle aux premières
célébrité que Tesla10. décennies du XXe siècle12. D’abord assis-
À plusieurs reprises, Tesla observe les tant de Claude Bernard puis de Charles
effets des courants à haute fréquence sur le Brown-Séquard au Collège de France, il
corps humain et il en espère un éventuel y devient lui-même professeur de méde-
effet thérapeutique. En 1891 déjà, il avait cine expérimentale en 1894. D’Arsonval
écrit un article dans l’Electrical Engineer où aborde les questions physiologiques et
il mentionnait l’augmentation de la tem- médicales avec les outils de la physique :
pérature sous l’influence de ces courants recherches calorimétriques sur les ani-
(il suggérait même qu’une personne nue maux, puis recherches sur l’électrophy-
au pôle Nord pourrait se chauffer par ce siologie et l’électrothérapie. Mais son
type de courant !). Mais Tesla, qui n’était intérêt pour l’électricité ne se limite pas
pas médecin, ajoutait : « I trust that the pre- au domaine biologique et médical. Il a
sent brief communication will not be inter- ainsi contribué au développement du
preted as an effort on my part to put myself microphone et du téléphone qu’il uti-
on record as a “patent medicine” man, for lise pour détecter des courants nerveux
a serious worker cannot despise anything et musculaires. Avec l’ingénieur Marcel
more than the misuse and abuse of elec- Deprez, vers 1880, il invente un galvano-
tricity which we have frequent occasion to mètre à cadre mobile qui allait devenir
witness. […] No wonder then that progres- un instrument classique dans tous les
sive physicians also should expect to find in laboratoires. En 1881, il est parmi les
it a powerful tool and help in new curative organisateurs de la première Exposition
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processes. »11 Tesla ne s’aventura pas davan- internationale d’électricité à Paris et du
tage dans le domaine de l’électrothérapie Congrès international des électriciens
et il se contenta d’améliorer et breveter des qui lui est associé.
oscillateurs et transformateurs à haute fré- D’Arsonval s’intéresse à l’électrophysio-
quence qui furent utilisés par les construc- logie dès 1876 avec Claude Bernard et
teurs d’appareils électro-médicaux. il mène de longues recherches concer-
nant les effets des courants électriques sur
La darsonvalisation l’organisme. Au début des années 1890,
il décrit les effets sur la sensibilité neu-
Parmi les « progressive physicians » romusculaire de courants sinusoïdaux
attendus par Tesla, celui qui s’est engagé créés par une machine dynamoélectrique
le plus dans la thérapie à haute fréquence dont il augmente la vitesse de rotation

10. Elihu Thomson, « Induction produite par les décharges à haute tension », La lumière électrique, vol.
43, 12 mars 1892, p. 540-543 et 583-585 ; Id., « Sur l’induction aux tensions et aux fréquences très élevées »,
La lumière électrique, vol. 44, 30 avril 1892, p. 240-243 ; Id., Electricity at high pressures, New York, 1899.
11. Nikola Tesla, « Massage with currents of high frequency », The Electrical Engineer, 23 décembre 1891
reproduit dans Thomas C. Martin (ed.), The inventions, op. cit., p. 394-395 et dans La lumière électrique,
16 janvier 1892, p. 127.
12. Pour la biographie de D’Arsonval voir : Louis Chauvois, D‘Arsonval. Soixante-cinq ans à travers la
Science, Paris, J. Olivien, 1937 et Pierre Vayre, Jacques Arsène d‘Arsonval. Un médecin limousin à Paris,
Paris, Glyphe Éditions, 2006.

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Le corps humain et l’électricité

– et donc la fréquence des courants – ainsi Fig. 2. Un patient darsonvalisé


que la force électromotrice13. Il remarque dans le solénoïde d’autoconduction.
qu’à partir d’environ 5 000 Hz les contrac-
tions musculaires produites par ces cou-
rants deviennent de plus en plus faibles,
et il cherche à étendre ces observations
avec des fréquences plus élevées. Mais
la machine dynamoélectrique fournit
des courants d’une fréquence maximale
d’environ 10 000 Hz.
Pour dépasser cette limite, d’Arsonval
utilise d’abord un oscillateur de Hertz
modifié d’une fréquence d’environ
1 Mhz. Mais cet oscillateur ne fournit pas
des courants assez intenses. D’Arsonval, (La Science et la Vie, juillet 1913, p.10.)
qui connaît bien les expériences de Tesla
et de Thomson, décrites dans La lumière
électrique dont il est un des éditeurs, les nerfs moteurs. Le physicien Alfred
adopte un oscillateur à haute fréquence Cornu qui, avec Étienne-Jules Marey,
qui dérive de leurs appareils14. L’appa- a assisté aux expériences de d’Arsonval
reil final décrit par d’Arsonval en 1893 commente cette observation avec étonne-
se compose de deux bouteilles de Leyde ment : « Nous avons été particulièrement
dont les armatures internes sont reliées frappés de l’expérience dans laquelle six
à une grosse bobine de Ruhmkorff (ou lampes (125 volts-0,8 ampère) ont été por-
un transformateur) et un éclateur, tandis tées à l’incandescence dans le circuit formé
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que les armatures externes sont reliées à de nos bras [...]. Nous n’avons pas éprouvé
un solénoïde d’une dizaine de spires en la moindre impression par le passage du
gros fil de cuivre. En outre pour produire flux électrique auquel nous étions sou-
de longues étincelles, d’Arsonval insère mis. »16 D’Arsonval note en outre que ces
dans le solénoïde, comme l’avait déjà fait courants ont un effet analgésique, qu’ils
Tesla, une bobine avec un grand nombre produisent une dilatation vasculaire avec
de spires de fil fin15. une chute de pression sanguine et une
Le puissant courant à haute fréquence augmentation de la combustion organi-
qui, à chaque décharge de l’éclateur, tra- que avec « déperdition du calorique à la
verse le solénoïde n’a aucune action sur périphérie ». Mais comment expliquer

13. Arsène d’Arsonval, « Sur les effets physiologiques des courants alternatifs à variation sinusoïdale »,
Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences, t. 114, 1892, p. 1534-1536 : Henry Bordier, Précis
d’électrothérapie, Paris, Baillière et fils, 1897, p. 102-106.
14. Arsène d’Arsonval, « Influence de la fréquence sur les effets physiologiques des courants alterna-
tifs », Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. 116, 1893, p. 630-633 ; Id., « Action physiologique des
courants alternatifs à grande fréquence », Archives de physiologie normale et pathologique, série 5, t. 5,
1893, p. 401-408.
15. Le circuit de d’Arsonval était plus sûr que celui de Tesla pour le patient, car ce dernier n’était pas
directement relié au transformateur à haute tension dont les courants à basse fréquence pouvaient être
très dangereux.
16. Arsène d’Arsonval, « L’autoconduction ou nouvelle méthode d’électrisation des êtres vivants », Comptes
rendus de l’Académie des sciences, t. 117, 1893, p. 34-37. 

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Les courants à haute-fréquence apprivoisés

l’absence d’excitabilité par les courants et améliore ses éclateurs et ses circuits19.
à haute fréquence ? Pour d’Arsonval, ce D’autres médecins suivent d’Arsonval.
phénomène est physiologique et il rejette Vers 1892, le docteur Paul Oudin propose
l’explication fournie par les physiciens à un appareil à une seule bobine, son solé-
« l’effet de peau » – le fait que les courants noïde fonctionnant comme auto transfor-
à haute fréquence circulent à la surface mateur20. Quelques spires de ce solénoïde
des conducteurs – en soulignant que le font partie du circuit primaire comprenant
corps humain n’est pas un bon conduc- le condensateur et l’éclateur, les autres
teur. spires, faisant fonction de circuit secon-
D’Arsonval propose trois modes d’ac- daire résonnant, produisent les très hautes
tion thérapeutique des courants à haute tensions (Fig.3). Le résonateur à haute
fréquence : l’application directe, l’auto- fréquence de Oudin se révéla particuliè-
conduction et le lit condensateur. Dans rement adapté à la production de longues
le premier cas, le patient est directement
relié aux bornes de l’appareil par des élec- Fig. 3. L’effluviation d’un patient avec
trodes. Dans l’autoconduction, dite aussi un résonateur de Oudin.
faradisation induite, il est plongé à l’inté-
rieur d’un grand solénoïde qui fait partie
du circuit oscillant17 (Fig.2). Le patient
n’est alors pas directement en communi-
cation avec l’appareil, mais des courants
induits circulent à l’intérieur de son corps.
Enfin dans la troisième méthode le sujet,
qui tient dans les mains une électrode
reliée à une borne du solénoïde, consti-
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tue une armature d’un condensateur dont
le matelas isolant sert de diélectrique. Le
lit métallique, en communication avec
l’autre borne du solénoïde, constitue la
seconde armature du condensateur18.
D’Arsonval perfectionne ses appareils
en collaboration avec le constructeur
­Adolphe Gaiffe : il propose un nouveau
type de galvanomètre à fil chaud capable (Louis Chauvois, d‘Arsonval. Soixante-cinq ans à
de mesurer les courants à haute fréquence travers la Science, Paris, 1937, p. 270.)

17. Ibidem.
18. Arsène d’Arsonval, « Effets thérapeutiques des courants à haute fréquence », Comptes rendus de
l’Académie des sciences, t. 123, 1896, p. 23-29 et Id., « Action physiologique et thérapeutique des courants à
haute fréquence », Revue internationale d’électrothérapie et de radiothérapie, avril-mai 1897, p. 241-265.
19. Ibidem ; Arsène d’Arsonval, « Nouveau dispositif électrique permettant de souffler l’arc de haute
fréquence », Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. 138, 1904, p. 323-324 et Id., « Dispositifs de
protection pour sources électriques alimentant les générateurs de haute fréquence », Comptes rendus de
l’Académie des Sciences, t. 138, 1904, p. 325-326.
20. Paul Oudin, « Sur le résonateur et sur l’effluve de résonance », Comptes rendus de l’Académie des
sciences, t. 126, 1898, p. 1632-1634 ; « Sur le nouveau dispositif du résonateur de Oudin et de M. Radiguet »,
Archives d’électricité médicale, t. VI, 1898, p. 331-333 ; « Nouveau mode de transformations des courants de
haute fréquence », L’électricien. Revue internationale d’électricité, série 2, t. VI, 1896, p. 86-91.

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Le corps humain et l’électricité

étincelles (pour la fulguration) et d’aigrettes Il n’est donc pas téméraire de dire que
(pour l’effluviation) utilisées dans le traite- les courants à haute fréquence ouvrent
ment des maladies et cancers de la peau, une voie nouvelle à la thérapeutique »22.
ainsi qu’en gynécologie, ou encore pour ­D’Arsonval qui ne pratique pas lui-même
l’extraction des dents grâce au pouvoir la médecine, mais suit de près les travaux
anesthésiant des étincelles. Ce résonateur de ses collaborateurs, précise : « En fai-
fut en outre utilisé dans les émetteurs des sant connaître ces faits aux médecins, en
appareils de télégraphie sans fil21. les dotant du matériel qui permet de les
Pendant les mêmes années, Arsène obtenir, mon rôle de physiologiste est ter-
d’Arsonval, ses collaborateurs et ses dis- miné. C’est à eux maintenant d’en tirer
ciples, mènent une série de recherches partie en thérapeutique. »23
pour étudier les effets thérapeutiques Dans les années 1890, l’intérêt pour
des hautes fréquences. Georges Apostoli cette nouvelle thérapie gagne rapidement
et Augustin Joseph Berlioz étudient 75 d’autres pays, suscitant un nombre
patients soumis à l’autoconduction. À croissant d’articles et de traités spécialisés,
l’Hôtel-Dieu, le docteur Albert Charrin faisant de plus en plus d’adeptes dans le
teste, sous la direction de d’Arsonval, la corps médical en Europe et aux États-
méthode de l’application directe sur les Unis24. En 1898 le médecin anglais S.
patients de l’hôpital. D’autres expérien- Hedley partageant l’enthousiasme de
ces sont menées par Oudin, Jean-Alban nombre de ses collègues, écrit : « Plus
Bergonié et Léonard Bordier, ce dernier récemment encore, le médecin dirige
devenant un des experts de la thérapie son attention vers les courants de haute
à haute fréquence. Les résultats théra- fréquence et de haut potentiel, ce qui
peutiques paraissent très prometteurs : ouvre un nouveau champ aux recherches
« Comme ces courants peuvent traverser physiologiques et donne des moyens
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impunément l’homme vivant, il est inutile thérapeutiques illimités. » 25 On traite
d’insister auprès de vous sur les espéran- les pathologies les plus diverses26. Grâce
ces que fait naître une pareille méthode. à la diffusion des réseaux électriques

21. Un des traités les plus complets sur l’appareillage à haute fréquence : A. Charbonneau, Les courants
alternatifs de haute fréquence. Théorie, production, application, Paris, Librairie des sciences et de l‘industrie,
1911. Voir aussi G. Geiger, Manuel pratique d’électricité médicale. Électrologie & Instrumentation, Rayons
X et courants à haute fréquence, Paris, H. Deforge, 1907 ; A. Turpain, « La production des courants à haute
fréquence », Le Radium, 14 septembre 1904, p. 65-70.
22. Arsène d’Arsonval, « Action physiologique et thérapeutique des courants à haute fréquence », art.
cit., p. 264.
23. Arsène d’Arsonval, « Note à propos de la communication précédente », Comptes rendus de l’Académie
des Sciences, t. 145, 1907, p. 528-529.
24. Je me bornerai ici à donner quelques titres importants, pour une bibliographie développée voir Sidney
Licht, « History of Electrotherapy », art. cit. ; Burton Baker Grover, High frequency practice for practitioners and
students, Kansas City, Electron press, 1925, 4e éd. ; Evelyn Crook, High frequency currents, London, Baillière,
Tindall & Cox, 1909, 2e éd. ; G. Betton Massey, Practical Eletrotherapeutics and diathermy, London, J.&A.
Churchill, 1924 ; S.H. Monell, High frequency electric currents in medicine and dentistry, New York, W.R. Jen-
kins company, 1910 ; H. Guilleminot, Électrologie et Radiologie, Paris, Masson & Cie, 1922, 3e éd. ; A. Zimmern,
S.Turchini, Les courants de haute fréquence et la D’Arsonvalisation, Paris, J.B. Baillière et fils, 1910.
25. S. Hedeley, « Les progrès faits par l’électrothérapie depuis vingt-cinq ans », Revue internationale
d’électrothérapie et de radiothérapie, février 1898, p. 193-201.
26. Pour une liste de témoignages sur les bienfaits des hautes fréquences dans les pathologies les plus
diverses, voir S.H. Monell, High frequency electric currents in medicine and dentistry, op. cit.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 60


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

urbains, un nombre croissant d’hôpitaux Fig. 4. Une publicité américaine pour


et de cabinets médicaux s’équipent les violet rays (1925 environ).
d’appareils à haute fréquence. En 1899,
le neurologue autrichien Morizt Benedikt
suggère de nommer ce nouveau type de
thérapie électrique « darsonvalisation »
en l’honneur de celui qui, le premier,
prôna les courants à haute fréquence en
médecine.
Cependant, comme la plupart des
thérapies électriques, la darsonvalisation
fut également utilisée, en dehors du
milieu médical, par de prétendus
thérapeutes qui sans être nécessairement
des « charlatans », ét aient souvent
dépourvus des connaissances médicales
et techniques nécessaires à cette pratique.
Les médecins défendent la nécessité de
ces connaissances, ainsi l’électrothé-
rapeute américain Burton B. Grover :
« To be successful in the use of high fre-
quency currents one must possess not only
knowledge of a successful physician but
the knowledge of what currents will do,
their indications for use and the technic
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of application. »27 Les usages parallèles
contribuent à attirer sur cette nouvelle croire qu’elle est à la fois moindre et plus
thérapie les critiques d’une partie de la limitée comme indications que celle de
communauté académique. l’électricité statique. »28
De nombreux médecins considèrent Les physiciens ne sont pas en reste.
que les effets de la darsonvalisation ne Un des critiques les plus féroces de la
sont que le fruit de la suggestion et, darsonvalisation est le physicien Henri
comme Romain Vigouroux, spécialiste de Bouasse qui, en 1921, dans son traité sur
l’usage de l’électrostatique en médecine, les oscillations électriques commente sa
mettent en garde contre un optimisme présentation des transformateurs à haute
excessif : « En définitive, malgré le grand fréquence avec ses habituels sarcasmes :
intérêt que présentent sous d’autres « … Enfin toutes ces belles aigrettes font
rapports les courants à haute fréquence, la joie des médecins et de leurs gogos de
ou courants de Tesla, on n’est pas fondé de patients, qui se croient guéris parce qu’on
dire qu’ils sont venus combler une lacune leur tire, sans douleur, des étincelles du bout
thérapeutique […]. Quant à leur efficacité, du nez et des écus du porte-monnaie […].
le peu qu’on en sait actuellement porte à Nos bons médecins ont inventé le grand

27. voir Burton Baker Grover, High frequency practice, p. 4.


28. r. vigouroux, « sur l’emploi thérapeutique des courants à haute fréquence (courants de tesla) », Revue
internationale d’électrothérapie, octobre-novembre 1896, p. 78-87.

61 annaLes historiQues De L’éLectricité - n° 8 - DécemBre 2010


Le corps humain et l’électricité

solénoïde. Enroulé sur une carcasse et les névralgies furent soignées avec
d’osier de 130 cm de hauteur, de 80 cm succès. Des tumeurs superficielles furent
de diamètre, contenant une vingtaine de éliminées par l’action des décharges. Les
spires, il descend majestueusement du effets bénéfiques de ce type de traitement
plafond autour du patient plein d’horreur furent beaucoup plus controversés dans
sacrée. Celui-ci qui n’éprouve absolument le cas de maladies comme la goutte, le
rien, a la joie de constater qu’une lampe diabète et l’obésité. Les courants à haute
fermant un collier de cuivre mis autour de fréquence furent aussi utilisés avec un
son cou, s’illumine au blanc. Il conclut certain succès pour des anesthésies locales,
qu’un travail puissant d’intégration (style par exemple pour l’extraction des dents.
médical) se produit dans son organisme, Cette nouvelle thérapie fit en outre naître
alors que du diable si personne peut l’espoir de vaincre la tuberculose : des
dire où pénètrent ces fameux courants, annonces tonitruantes parurent dans les
dans le noyau mal défini que le patient journaux, à la suite de plusieurs travaux,
constitue pour le grand solénoïde. Il existe mais les résultats restèrent très discutés30.
des lits solénoïdes pour ceux qui préfèrent De fait toutes les recherches relatives à
la station couchée. Après cela, blaguez l’action sur les bactéries et les toxines
Cagliostro et l’oracle d’Épidaure. »29 furent controversées, même si d’Arsonval
Malgré ces critiques, la darsonvalisation avait lui-même affirmé la réduction de
fut très pratiquée jusqu’aux années 1930 leur virulence sous l’action des courants
et si elle disparaît, ce n’est pas suite à à haute fréquence.
des jugements médicaux d’inefficacité. L’hérit age le plus direct de la
Elle fut peu à peu supplantée par darsonvalisation fut la diathermie qui
d’autres thérapeutiques, en particulier vise spécifiquement l’échauffement des
pharmaceutiques. Aujourd’hui le tissus par l’utilisation d’ondes sinusoïdales
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bilan que les historiens font des effets non amorties, d’intensité et de fréquences
thérapeutiques de la darsonvalisation plus élevées. Cette technique, mise au
montre des succès, mais aussi des attentes point par le médecin allemand Karl
non confirmées. Les courants à haute Franz Nagelschmidt qui conçoit le
fréquence échauffent les tissus, agissent premier appareil de diathermie en 1906,
sur la circulation et la respiration mais les inaugurait de nouvelles applications de
effets bénéfiques, comme la stimulation l’électricité en médecine et en chirurgie
du métabolisme ou l’impression de bien- encore utilisées aujourd’hui31.
être, étaient naturellement plus difficiles Il faut enfin ajouter la thérapie par les
à évaluer. Plusieurs maladies de peau « rayons violets » ou violet wand qui
comme le lupus, ainsi que l’atrophie rencontra un grand succès, mais fut
musculaire, les arthrites, les rhumatismes, finalement considérée comme

29. Henri Bouasse, Oscillations électriques, Paris, Librairie Delagrave, 1924, p. 45.
30. Voir par exemple L. Castagné, Action des courants de haute fréquence sur la tuberculose, Montpellier,
Impr. de Hamelin frères, 1901.
31. Pour une histoire des applications des hautes fréquences après la darsonvalisation, et en particu-
lier de la diathermie, voir Richard Kovács, Electrotherapy and Light Therapy, Philadelphia, Lea & Ferbiger,
1945 ; Arthur W. Guy, History of Biological Effects and Medical Applications of Microwave Energy, IEEE
Transactions on Microwave Theory and Techniques, vol. 32, september 1984, p. 1182 -1200 ; Arthur W. Guy,
Medical application at Sub-Microwave frequencies, 2009 in http://www.ieeeghn.org/wiki/index.php/Biolo-
gical_Effects_of_Electromagnetic_Radiation.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 62


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

inefficace32. Dérivé de l’effluviation et de Un nouveau marché


la fulguration, ce traitement utilise des pour les constructeurs
tubes de verre remplis d’un gaz raréfié qui
s’illuminent d’une lumière violette Le développement de la darsonvalisa-
lorsqu’ils sont traversés par un courant à tion fait intervenir de nombreux acteurs,
haute fréquence33. Appliqué sur la peau, le physiciens, médecins, ingénieurs électri-
tube produit des effluves d’étincelles ciens, inventeurs et constructeurs d’ins-
microscopiques accompagnées d’un léger truments. Leur collaboration est parfois
picotement. De tels tubes furent couram- étroite, leurs compétences sont hybrides
ment utilisés par les médecins en cabinet et leurs champs d’action se superpo-
ou à l’hôpital puis, avec le développement sent souvent. Les constructeurs jouent
de l’électrification des villes, par le public un rôle fondamental dans la naissance
avec de petites mallettes contenant tout et l’affirmation de cette discipline en
l’appareillage nécessaire et se branchant sur fabriquant de nouveaux appareils et en
le secteur. Des tubes de formes différentes réalisant des démonstrations publiques.
et interchangeables s’adaptaient à toutes les À partir de 1900, le développement du
parties et orifices du corps. D’illustres réseau électrique de distribution permet
médecins comme Frederik F. Strong à un nombre croissant d’hôpitaux et de
recommandèrent les rayons violets, suivis cabinets médicaux d’installer des appareils
par un grand nombre de fabricants d’appa- à haute fréquence, utilisés également
reils, pour soigner une foule de pathologies, pour les rayons X, et d’abandonner leurs
pour des traitements de beauté, pour stimu- encombrantes et désagréables batteries de
ler les fonctions vitales, combattre la fatigue piles ou leurs groupes électrogènes. Les
sexuelle, etc. Il est difficile d’estimer com- médecins transforment leurs cabinets en
bien d’appareils à violet ray furent vendus véritables laboratoires d’électricité.
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par les dizaines de constructeurs améri- La darsonvalisation ouvre un nouveau
cains et européens, mais certainement des marché aux constructeurs et leur
centaines de milliers34. D’après Strong, en permet d’augmenter la diffusion d’autres
1917, « Even the barber-shops have their appareils électriques déjà commercialisés.
small “Violet Ray” outfits »35. Inutile mais En effet les appareils de darsonvalisation
sans danger, cette thérapie resta en vogue assemblent des composants connus,
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale avant bouteilles de Leyde, bobines de
d’être prohibée en médecine par la Food Ruhmkorff, transformateurs, éclateurs
and Drug Administration et reléguée à des et solénoïdes. Les constructeurs déjà
usages marginaux36. spécialisés dans la production de matériel

32. Noble M. Eberhart, A working manual of high frequency currents, Chicago, New medicine Publishing,
1919, 5e éd. et Bob MacCoy, Quack ! Tales of Medical Fraud from the Museum of Questionable Devices, Santa
Monica Press, Santa Monica, 2000, p. 122-130.
33. La couleur plus ou moins violette des rayons dépendait de la pression de l’air dans le tube. Certains
tubes contenant du néon s’illuminaient d’une couleur rouge vif.
34. On peut se rendre compte de l’incroyable succès de la thérapie à rayons violets en observant la quantité
d’appareils de la première moitié du XXe siècle que l’on trouve encore aujourd’hui chez les brocanteurs ou
en vente sur le Web.
35. Frederick F. Strong, « Electricity and Life », The Electrical Experimenter, March 1917, p. 798 et 831 ; May
1917, 24, 59, 60-61 ; June 1917, p. 104-105 et 152 ; December 1917, p. 530-531.
36. Ces appareils sont encore utilisés aujourd’hui comme détecteur de fuite dans les conduites sous vide,
ainsi que dans les salons de beauté et dans certaines pratiques sexuelles.

63 ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010


Le corps humain et l’électricité

électrique et d’appareils d’électrothérapie mallette portable pour le traitement aux


prennent le devant. Il faut souligner que rayons violets au meuble monumental et
trois technologies électriques fondées sur décoratif dans lequel sont renfermés tous
le même type d’appareils se développent les composants nécessaires à la production
simultanément à l’extrême fin du siècle : des courants à haute fréquence, de rayons
la radiologie, la TSF et la haute fréquence X ou d’ozone.
médicale. Ces trois techniques recourent Plusieurs constructeurs en France
en effet à des transformateurs de type Tesla et à l’étranger se spécialisent dans la
ou Oudin pour produire des hautes ten- construction de ces appareils souvent en
sions et des hautes fréquences. En outre, étroite collaboration avec des médecins
la production d’ozone à usage médical et des physiciens. En France, outre
et pour le traitement des eaux potables, Gaiffe (devenu Gaiffe, Gallot et Pilon),
recourait au même type d’appareils. que nous avons déjà mentionné pour sa
Moyennant quelques modifications, les collaboration avec d’Arsonval, on peut
appareils peuvent ainsi servir à des usages citer Radiguet et Massiot, et Eugène
différents, ce qui en facilite la production. Ducretet, un des pionniers de la TSF,
De leur côté les médecins, qui peuvent en Allemagne, Reiniger, Gebbert und
mener des expérimentations individuelles, Schall, et, en Italie, Balzarini à Milan.
suggèrent aux constructeurs de nouveaux Aux États-Unis, des dizaines de construc-
instruments et de nouveaux accessoires teurs soutiennent l’image de gigantisme
qui enrichissent leurs catalogues : chaises, technologique avec des appareils toujours
lits, tabourets et coussins condensateurs, plus imposants, toujours plus puissants
solénoïdes pour envelopper le corps ou et vendus sous des noms grandiloquents
un des membres du patient, spirales tels Hercules high frequency Apparatus,
de Guilleminot fixées à des fauteuils Cyclone Coil ou Hogan Super Power
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spéciaux ou suspendues sur la tête des Apparatus37.
patients, ceintures et casques munis
d’ampoules pour les patients soignés Des applications inattendues
par autoconduction. Des électrodes en
verre ou en métal, arrondies, pointues, Les courants à haute fréquence sont
à olives, à peignes, à brosse métallique, utilisés dans d’autres domaines que la
à éclateur, etc., sont prévues pour traiter médecine. On essaie ainsi de les appli-
toutes les parties du corps. Les appareils quer aux plantes pour en stimuler la crois-
proposés par les constructeurs vont de la sance. Cela n’est pas une idée nouvelle :

37. Parmi les plus importantes collections d’instruments et de documents concernant l’histoire de la
médecine (en particulier de l’électrothérapie), il faut mentionner la Wellcome Collection conservée au
Science Museum de Londres, qui présente en particulier la reconstruction du cabinet du médecin écossais
équipé d’un grand appareil à haute fréquence de Gaiffe. Voir : http://www.sciencemuseum.org.uk/about_us/
about_the_museum/collections/about_the_collections/collections_snapshot/wellcome_collection.aspx
http://library.wellcome.ac.uk/ et http://www.bium.univ-paris5.fr/aspad/expo18.htm.
The Bakken Museum de Minneapolis, consacré aux relations entre l‘électricité et le vivant, possède une
collection très riche : http://www.thebakken.org/. Enfin le musée privé The Turn Of The Century Electrothe-
rapy Museum de West Palm Beach (Florida) possède une extraordinaire collection de machines, appareils
et documents relatifs aux thérapies à haute fréquence. Le site Web de ce musée, particulièrement riche
et bien articulé, comporte un grand nombre de traités, catalogues et documents consultables en ligne. Je
remercie Jeff Behary, propriétaire de ce musée, pour les informations qu‘il m’a fournies pour la rédaction
de cet article.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 64


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

au XVIIIe siècle, l’abbé Nollet et l’abbé Fig. 5. Un grand appareil pour la production
Bertholon avaient expérimenté les effets des courants à haute fréquence d’Isenthal.
de l’électricité statique sur la croissance
des végétaux38. Au début du XXe siècle en
Europe et en Amérique, on électrifie des
potagers ou des vergers à l’aide de câbles,
cages ou solénoïdes parcourus par des cou-
rants à haute fréquence. En France, dans
les années 1920, une série d’expériences
de ce type sont réalisées à ­Bellevue par la
Direction des recherches scientifiques et
industrielles39. Mais, même si quelques
résultats sont encourageants, ils ne suffi-
sent pas à introduire l’électroculture dans
la pratique agricole.
Plus originale, et plus inquiétante,
est l’expérience réalisée en 1912 par
le physicien et chimiste suédois Svante
Arrhenius, prix Nobel de chimie 1903,
et décrite dans plusieurs revues améri-
caines40. Arrhenius choisit deux groupes
d’écoliers du même âge et de caracté-
ristiques semblables qu’il place dans
deux salles de classe voisines, l’une (Frederick F. Strong, High-Frequency Currents,
des deux salles étant équipée de fils London, 1908, p. 81.)
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parcourus par un courant à haute fré-
quence. Selon la presse, au bout de six courants à haute fréquence. Avec une
mois, on a observé que la croissance prudence plutôt rare pour l’époque, il
moyenne des enfants « électrifiés » a ajoute à propos de l’électricité : « How
été plus importante (51 mm au lieu de careful should we be in employing this
31 mm), et que leurs résultats scolai- force, the essential nature of which we
res étaient bien meilleurs ! L’auteur de comprehend hardly at all, not much bet-
l’article du Scientific American décri- ter to-day than did Volta and Galvani.
vant l’expérience, le médecin John B. In their day it was imagined the secret
Huber, se montre très sceptique sur les of the origin of life had been found and
résultats de l’expérience, la considérant men spoke of the vital principle and the
comme une perversion et met en garde spark of life. But these terms were after
contre les possibles effets négatifs des all really explanatory of nothing. »41

38. Voir par exemple Louis-Nicolas Grandeau, Cours d‘agriculture de l‘École forestière. Chimie et physio-
logie appliquées à l‘agriculture et à la sylviculture, Paris, Berger-Levrault, 1879, p. 279-344.
39. Voir (anonyme) « Expériences d’électroculture effectuées à Bellevue en 1920-1921 », Bulletin officiel
de la Direction des recherches scientifiques et industrielles et des inventions, 32, 1922, p. 361-382.
40. John H. Huber, « Arrhenius and His Electrified Children. A new use for High-frequency Currents »,
Scientific American, 13 April 1912, p. 334.
41. Ibidem.

65 ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010


Le corps humain et l’électricité

Expériences publiques, des médecins officiels, particulièrement


démonstrations dans les territoires de l’Ouest récemment
et démonstrateurs conquis. La communauté médicale amé-
ricaine, probablement plus hétérogène
Les étonnants effets lumineux des et moins encadrée académiquement
courants à haute fréquence se prêtent que les communautés médicales euro-
particulièrement bien à des démonstra- péennes, se montre plus perméable aux
tions spectaculaires. À partir du début dérives professionnelles. Enfin le goût
du XX e siècle les appareils de Tesla, prononcé du public américain pour les
d’Arsonval et Oudin, légèrement modi- attractions foraines – dont l’entrepreneur
fiés par les constructeurs pour un usage de spectacle Phineas T. Barnum devient
pédagogique, entrent dans toutes les col- l’emblème – comme pour les performan-
lections d’instruments des grands établis- ces bizarres, contribua au succès de ces
sements d’enseignement supérieur. Les « shows électriques ».
expériences correspondantes suscitent Ainsi le médecin américain Frederick
l’intérêt des électriciens, des physiciens F. Strong déjà cité, pionnier et propagan-
et des médecins, mais elles excitent éga- diste de l’usage des hautes fréquences en
lement la curiosité du public. En France, électrothérapie, est-il à la fois instructor
les appareils de haute fréquence sont le in electro-therapeutics au Tufts College
plus souvent expliqués au public dans de Boston et démonstrateur itinérant.
le cadre de manifestations à caractère Auteur d’un traité de référence, Strong est
scientifique. Ainsi sont-ils montrés dans convaincu que les courants de Tesla sont
les expositions annuelles de la Société liés à l’essence même de la vie : « The high
française de physique qui se tiennent frequency currents are electrical vibrations
dans les salles de la Société d’encoura- artificially produced, which bear a certain
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gement pour l’industrie nationale. Lors relation to the currents which traverse the
du centenaire du Conservatoire des arts nerves in the maintenance of life of the
et métiers, le constructeur d’instrument human body. » Et encore : « It is theore-
Radiguet fait une série d’expériences tically possible to produce electrical forces
louées dans la presse42. similar to those which maintain health
Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, and vital activity in the normal human
les démonstrations deviennent de vérita- body. »44 Et dans un article en 1915 :
bles spectacles électriques, donnés dans « The high frequency currents act as
les théâtres et dans les vaudevilles shows vitality boosters no other form of electri-
par des personnages hybrides, inventeurs, city will do. Galvanism, Faradism, Static
électrothérapeutes, vulgarisateurs, show- electricity are all valuable agents in the
men, magiciens, hypnotiseurs et spirites43. hands of Electro-therapeutic specialists,
Aux États-Unis, de nombreux thérapeu- but they have little direct action in pro-
tes marginaux, les quacks, exercent à côté moting cell vitality and growth, as do the

42. J. Laffargue, « Appareil à grande tension et à haute fréquence. Production d’effluves », La Nature,
16 juillet 1898, p. 103-106.
43. Sur les shows électriques, voir aussi Fred Nadis, Wonder Shows Performing science, magic and religion
in America, New Brunswick, New Jersey and London, Rutgers University Press, 2005. Des photographies et
un extrait de film du spectacle électrique des années 1920, Professor Sparks and Thelmina, sont visibles à
cette adresse : http://www.voltini.com/id45.htm.
44. Frederick F. Strong, High-Frequency Currents, London, Rebman Ldt., 1908.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 66


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

Fig. 6. Frederick F. Strong et sa femme devant les appareils à haute fréquence utilisés
lors des démonstrations publiques.

high-frequency currents when properly (Frederick F. Strong, The Electrical Experimenter,


applied. […] these currents, when of pro- December 1917, p. 530.)
per frequency, are sympathetic with the
flow of the mysterious Pranic force thru À la même époque sont publiés de
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which function and tissue growth are nombreux articles de vulgarisation et des
maintained. »45 manuels décrivant la construction des
Strong, et nombre d’autres médecins, appareils à haute fréquence et les expé-
considèrent l’utilisation des thérapies riences les plus diverses, s’adressant à
électriques comme la pointe du progrès un large public d’électriciens amateurs.
médical à laquelle s’opposent seulement Ainsi l’inventeur et entrepreneur ­Thomas
les médecins les plus conservateurs, atta- S. Curtis décrit-il dans son traité High
chés à l’usage empirique des médica- Frequency Apparatus à la fois les appa-
ments. Strong exerce en tant que médecin reils conçus pour la scène et, dans son
électrothérapeute et perfectionne toute chapitre Hints for the electrical enter-
une série d’appareils à usage médical, tainer, des instructions théâtrales et des
avec lesquels il propose même un traite- conseils pratiques pour le showman qui
ment domestique de la tuberculose. Mais, voudra utiliser ces appareils sur scène.
avec l’aide de sa femme, il organise égale- Parmi ces conseils : « A clever touch of
ment des spectacles itinérants pour popu- comedy is of almost inestimable value ;
lariser les bienfaits des courants à haute for the theatre audience it should be of
tension avec des expériences savamment the slapstick variety, while for the lecture
construites pour étonner le public. assembly it should be genteel or even subtle

45. Frederick F. Strong, « Electricity and Life », The Electrical Experimenter, March 1917, p. 798 et 831 ; May
1917, 24, 59 et 60-61 ; June 1917, p. 104-105 et 152 ; December 1917, p. 530-531.

67 ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010


Le corps humain et l’électricité

in nature. »46 Curtis consacre par ailleurs corps, il reproduit le baiser électrique du


deux chapitres de son ouvrage à l’appli- XVIIIe siècle et, profitant de l’impression
cation des courants à haute fréquence causée dans le public par la première
pour stimuler la croissance des plantes, électrocution en 1890 d’un condamné à
illustrant les installations nécessaires pour mort, il offre sur scène la simulation d’une
électrifier un potager. électrocution par la chaise électrique. Non
Un autre célèbre démonstrateur, Henry content d’hypnotiser et d’électrifier des
Transtrom, qui, à la différence de Strong, volontaires, Bodie, qui par ailleurs vend
n’était pas médecin, met au point des per- des Electric Life Pills, prétend également
formances dans lesquelles il fait traverser soigner. Il voit dans la journée les malades
son propre corps par des courants de plu- qu’il soumet pendant le spectacle du soir
sieurs ampères. Appelé The Lightning aux effets de l’électricité et d’une force
Man, Transtrom perfectionne les appa- particulière, la Bodic force, qu’il prétend
reils de scène pour lesquels il dépose un avoir découverte : « I employ electricity to
brevet. Mais il prétend également donner awake my patients’ vital forces ; hypnotism
« a lucid explanation of some apparently to allay their pain ; but it is by mental sug-
inexplicable effects of high pressure and gestion that I direct nature to the cure. »49
high frequency currents »47. Les performances de Bodie sont copiées
Une des figures les plus complexes par de nombreux imitateurs et inspirent
de cette galerie de personnages est le jeune inconnu Charlie Chaplin qui, en
certainement l’Écossais Samuel Murphy 1906, parodie le soi-disant docteur en mon-
Bodie 48. Intéressé par l’électricité, il tant sur scène avec une paire de fausses
travaille dans une compagnie téléphonique moustaches pointues et un haut-de-forme
et, parallèlement, se forme à la magie et qui rappellent inévitablement Bodie. Mais
au ventriloquisme. Sa carrière théâtrale le succès de Bodie lui attire plusieurs pro-
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commence à la fin du XIXe siècle sous le cès pour méthodes frauduleuses ainsi que
nom de « Doctor Walford Bodie M.D. ». la colère des étudiants en médecine qui,
Habillé de façon extravagante, muni d’une exaspérés par l’utilisation abusive du titre
incroyable paire de moustaches en pointes, de docteur, le forcèrent à quitter la scène
Bodie mélange dans ses performances du Colosseum de Glasgow sous une pluie
hypnotisme, science et magie, et utilise de projectiles improvisés. Bodie, génie de
tout l’arsenal de la production des l’autopromotion, sut cependant encore
hautes tensions (bobines de Ruhmkorff, profiter de cette contre-publicité, son nom
transformateurs de Tesla et de Oudin, apparaissant dans les journaux. Malgré
bouteilles de Leyde, etc.). Il en démontre des hauts et des bas, il continua sa carrière
les effets sur sa personne ainsi que sur jusqu’à sa mort en 1939.
des volontaires choisis dans le public. Il La liste est longue des showmen qui,
allume des ampoules grâce au courant aux États-Unis et en Grande-Bretagne,
à haute fréquence passant à travers son présentent des spectacles électriques à

46. Thomas S. Curtis, High Frequency Apparatus Its Construction and Practical Application, New York,
Evryday Mechanics Co, 1916, p. 222.
47. Herry L. Tarnstrom, Electricity at high pressure and high frequencies, Chicago, Joseph G. Branch, 1921,
2e éd ; Brevet US002277187 (1938) « Corona discharge protective device ».
48. Ricky Jay, Learned Pigs and Fireproof Women, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1986, p. 127-146
et Fred Nadis, Wonder Shows Performing science, op. cit.
49. Voir Ricky Jay, Learned Pigs, op. cit., p. 136.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 68


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

l’aide d’appareils de Tesla et de Oudin. Aujourd’hui encore, des showmen et


On trouve leurs noms dans les revues de des magiciens proposent des spectacles
l’époque : Doctor Resisto, the Human fondés sur l’utilisation des courants à
Battery, Dr. Sparks, The Electric Wizard, haute fréquence avec des expériences
etc. Accompagnés, comme les prestidigi- très proches de celles réalisées depuis les
tateurs, de partenaires féminines (Miss années 189052. Et, comme dans le passé,
Alice Marconi, Mystica Marie, la Belle ces performances qui mélangent de façon
Electra, Tinavelma, etc.), ils présentent souvent ambiguë vulgarisation scientifique,
des spectacles aux titres évocateurs Tricks curiosité morbide et goût pour la magie
with High Frequency Electric Currents, et l’insolite, ne manquent pas d’attirer le
Many New Devices at Electrical Show, public53. Ils prolongent la tradition qui
ou Electric current of 500 000 volts fails remonte au XIXe siècle, décrite par Sophie
to kill. Ce dernier titre annonçait en 1905 Lachapelle : « Magicians exploited scientific
une démonstration par Elihu Thomson, context and technological developement
ingénieur de la General Electric Company, to create illusions and provoke a sense of
au Commercial Club de Boston50. wonder. »54
La popularité des shows électriques
atteint son apogée pendant les premières Les raisons
décennies du XX e siècle, mais cet art
n’a jamais disparu. Ainsi, la compagnie
d’une telle fascination ?
General Electric présente-t-elle en 1893 La fascination exercée auprès des
dans son pavillon House of Magic à savants et du public par les courants à
l’exposition universelle de Chicago, des haute fréquence s’explique en partie
spectacles scientifiques dans lesquels les seulement par leurs supposées vertus
transformateurs de Tesla sont amplement thérapeutiques. Au début du XXe siècle,
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utilisés. À partir des années 1940, l’électricité symbolise la modernité et
l’évangélisateur Irwin Moon propose le progrès. L’industrie électrique, qui se
des Sermons from Science avec des développe rapidement à partir des années
spectacles de phénomènes électriques 1880, constitue un moteur essentiel de
destinés à témoigner des merveilles la deuxième révolution industrielle. On
du dessein divin. Dans une de ses plus construit de grandes centrales hydrauli-
fameuses performances, The million ques ou à charbon, avec des dynamos et
volt man, répétée ensuite pendant des des alternateurs de plus en plus puissants,
décennies par ses successeurs comme on étend les réseaux de distribution. La
George Speake ou Dean Ortner, il force électrique transforme les industries
apparaît sur scène entouré d’aigrettes et les modes de production. ­Berlin, siège
électriques, avec de longues étincelles des plus grandes compagnies d’électricité,
sortant de ses doigts51. devient l’emblème de la ville moderne,

50. Voir le journal Popular Mechanics, vol. 8, August 1905, p. 832.


51. Voir Fred Nadis, Wonder Shows Performing science, op. cit. et aussi http://www.wondersofscience.
org/sfs/MILLION.HTM
52. Parmi les plus connus, on peut citer Voltini (http://www.voltini.com/) et le Dr. MegaVolt (http://www.
drmegavolt.com/)
53. Des centaines de sites internet sont consacrées à ces expériences.
54. Sophie Lachapelle, « Science on stage: Amusing physics and scientific wonder at the Nineteenth-
Century French Theatre », History of Science, vol. XLVII, 2009, p. 297-315.

69 ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010


Le corps humain et l’électricité

Elektropolis, et plus seulement Metropo- des interrupteurs complexes, des conden-


lis. L’électricité règne dans les expositions sateurs, des éclateurs, des solénoïdes,
universelles. En 1900, la fée électricité ainsi que toute une série d’électrodes et
émerveille les visiteurs de l’Exposition accessoires pour appliquer les courants
Universelle de Paris avec son Palais aux patients. Les photos du début du
de l’Électricité illuminé de milliers XXe siècle nous montrent les cabinets
d’ampoules et lampes à arc. D’Arsonval médicaux ou les salles d’hôpitaux dans
avait imaginé un très puissant appareil à lesquels on pratique la darsonvalisation
haute fréquence qui aurait dû faire éclater comme de véritables laboratoires d’élec-
des étincelles de plus d’un mètre de long tricité. Ces équipements impressionnants,
entre les mains de la statue représentant aux manifestations lumineuses (longues
Le triomphe de l’électricité qui surmontait étincelles violettes, aigrettes et effluves),
ledit palais55. Même si le système ne fut sonores (le bourdonnement des transfor-
finalement pas installé, des appareils de mateurs, le bruit des interrupteurs, les
ce type fonctionnaient parmi les curiosités craquements des éclateurs) et olfactives
scientifiques du Palais de l’Optique. Au (l’odeur pénétrante de l’ozone produit par
début du XXe siècle l’électricité dynami- les décharges) ont un fort impact sur les
que, puissante, foudroyante, a conquis patients qui, emprisonnés dans les solé-
les futuristes : Filippo Marinetti affirme noïdes pour l’autoconduction, ou trans-
prier tous les soirs son ampoule électri- formés en diélectriques vivants sur les lits-
que tandis que Giacomo Balla fait d’une condensateurs, deviennent eux-mêmes
étincelante lampe à arc le sujet d’un de parties intégrantes de l’appareillage.
ses tableaux. La thérapie présente en outre l’avantage
La darsonvalisation qui naît dans cette majeur d’être indolore. En effet, malgré
époque d’électromania, constitue le nec les étincelles de plusieurs décimètres,
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plus ultra de la technologie moderne malgré des courants induits suffisants
appliquée à la médecine. À la différence pour allumer une ampoule à incandes-
de la faradisation ou de la galvanisation cence fixée au corps sur une ceinture
qui peuvent être réalisées avec de petits ou sur une espèce de casque, malgré les
appareils alimentés par des piles, et de la centaines de milliers de volts produits
franklinisation dont les racines s’ancrent par les transformateurs, ces traitements
dans le XVIIIe siècle, la darsonvalisation ne sont pas douloureux. Le patient peut
est fille de l’industrie électrique et sœur confortablement s’allonger dans son lit-
de la TSF, une autre étoile naissante de condensateur et bénéficier du traitement
la technologie de fin de siècle. sans devoir abandonner sa redingote ou
Les installations pour la production son corset. Les mots de Bouasse compor-
de courants à haute fréquence, souvent tent certainement un fond de vérité.
également utilisées pour alimenter les Enfin les aspects surprenants et encore
tubes à rayons X, sont les armes lourdes mal compris des phénomènes découverts
et sophistiquées de l’électrothérapie. Ces par Tesla et d’Arsonval contribuent à
installations professionnelles, alimentées alimenter l’espoir de pouvoir soigner un
par le réseau, demandent des transforma- très grand nombre de pathologies. Les
teurs ou de grosses bobines d’induction, médecins sont intrigués par les effets

55. Arsène d’Arsonval, « Exploseur rotatif et dispositifs divers pour la production de puissants courants
à haute fréquence », L’électricien, 488, 5 mai 1900, p. 273-275.

ANNALES HISTORIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ - N° 8 - DÉCEMBRE 2010 70


Les courants à haute-fréquence apprivoisés

des hautes fréquences et ce domaine écrit à la fin de son gros traité sur les
d’expérimentation leur semble très courants haute fréquence, après avoir
prometteur. Les courants à haute résumé leur utilité dans les domaines
fréquence paraissent liés aux forces de l’électrothérapie, de la TSF, de la
ultimes et fondamentales de la nature. production de l’ozone et de l’éclairage
Pour beaucoup, les vibrations électriques sans fil : « Demain verra des usines géné-
qui ont pu être attribuées à l’éther, aux ratrices de courants de haute fréquence,
atomes ou aux molécules, semblent transmettant la lumière, la force à dis-
être à la base de phénomènes physiques tance sans fil, car on aura trouvé le moyen
fondamentaux et être génératrices de de concentrer les ondes et alors l’industrie
force vitale. Les hautes fréquences sont entrera dans une phase nouvelle, et les
souvent perçues comme intimement liées choses sociales seront profondément modi-
à la source de vie (quoi que cette expres- fiées. »57 Les hautes fréquences alimen-
sion pût signifier), comme le fluide galva- tent l’utopie technologique et l’imaginaire
nique l’avait été au début du XIXe siècle. social du début du XXe siècle : l’électricité
Ce n’est pas un hasard si le docteur Victor comme moteur non seulement du progrès
Frankenstein, du roman de Mary Shelley technique, mais aussi comme catalyseur
a appris les secrets de l’électricité galva- d’un profond changement social.
nique, tandis que le monstre cinémato- Il est encore intéressant de souligner
graphique naît dans un laboratoire truffé que, même si cette technologie était
de transformateurs de Tesla et Oudin et issue du progrès scientifique, ses effets
que les savants fous de la filmographie des sensationnels restaient toujours, au moins
années 1920-1950 utilisent très souvent pour le public, entourés d’un halo de
les mêmes appareils pour parvenir à leurs mystère. Les courants à haute fréquence
fins maléfiques56. permettent de reproduire à volonté la
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En dehors de la médecine, les courants foudre, manifestation puissante, spec-
à haute fréquence semblent promis à taculaire, mais encore mystérieuse, des
un avenir radieux et leurs applications forces de la nature. Les longues étincel-
possibles alimentent les projets les plus les des grandes machines électrostatiques
optimistes. Vers 1900, Tesla est persuadé avaient émerveillé la polite society des
de pouvoir réaliser son World System Lumières et les décharges des puissantes
avec la transmission d’énergie électrique bobines d’induction avaient constitué
à distance et sans fil grâce aux oscillations une attraction majeure des conférences
électriques à haute fréquence. Dans ce scientifiques victoriennes : les phénomè-
but, il fait construire près de New York nes obtenus avec les appareils de Tesla,
une grande tour pour émettre des ondes d’Arsonval et Oudin ont suscité la même
électriques avec ses transformateurs. En curiosité et la même fascination au début
1911, l’ingénieur Albert Charbonneau du XXe siècle.

56. Au cinéma, avant les effets spéciaux numériques, la foudre était simulée par des décharges de transfor-
mateurs de Tesla et de Oudin. Voir la biographie de K. Stickfaden, le plus célèbre spécialiste d’effets spéciaux
électriques d’Hollywood : Harry Goldman, Kenneth Strickfaden, Dr. Frankenstein’s Electrician, Jefferson (NC)
and London, McFarland & Company, 2005.
57. Albert Charbonneau, Les courants alternatifs de haute fréquence, op. cit.

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