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Chapitre 4 - communication et gestion de l’espace

Proxémie = l’étude de la perception et l’usage de l’espace par les individus. Elle comprend mais ne
se limite pas à l’étude de la façon dont on se situe dans l’espace (la distance entre nous et notre
interlocuteur) quand on communique. La gestion de l’espace par les individus est parfois
considérée comme un canal de la communication non verbale à part entière (DeVito et al., 2014).

1. Edward T. Hall

Hall a étudié les différences culturelles dans les processus de communication et la proxémie. Il a
été formateur pour expatriés américains: il facilitait leur acclimatation dans le pays d’accueil. Or,
certains avaient des soucis de communication avec les locaux au niveau de la gestion de l’espace
et de la gestion du temps. Les autochtones leur parlaient soit de trop près, soit de trop loin. Ils
avaient du mal à trouver la « bonne » distance dans leur nouvel environnement culturel. Au
Moyen-Orient, les ménagères américaines se plaignaient du gaspillage d’espace dans les maisons
traditionnelles. En Angleterre, les expatriés trouvaient leurs voisins distants. Pour Hall, ces
difficultés étaient le fruit de chocs culturels, d’incompatibilités entre les règles communicationnelles
des expatriés et celles du pays d’accueil. Il a alors développé une réflexion sur ce qu’est la culture,
sur le lien entre culture et communication et, plus précisément, sur les aspects non-verbaux à
travers les cultures.

Selon Hall (1963), la culture = processus de communication, une série de codes décomposables
et analysables. Or, un code doit être transmis et respecté. Donc, culture et communication sont
indissociables: elles sont les deux faces (l'une dynamique, l'autre statique) d'un même
phénomène. Sans culture, la communication ne serait pas possible mais, sans communication, la
culture n’existerait pas. Voici une analogie de Hall (1990): la culture comme un ordinateur, géant,
complexe et subtil, qui guiderait les actions des êtres humains dans tous les domaines de leur vie.
Que pouvons-nous en déduire?
• Les individus sont programmés par leur culture d’appartenance à agir selon certaines règles (ils
font corps avec).
• La culture est toute puissante car elle régit chacune de nos actions. On retrouve ici l’influence
du déterminisme linguistique de Sapir et Whorf, influence que Hall revendique d’ailleurs pour
reprendre à son compte que des membres de cultures différentes vivent dans des mondes
perceptuels différents dans la mesure où les règles communicationnelles varient entre cultures
et que ces règles peuvent privilégier certains sens (odorat, vue), au détriment d’autres1.
• Nos actions reflètent le code avec lequel nous sommes programmés (elles en sont une
manifestation ou le résultat) et le reproduisent.

1 Cette position questionne le fait que des personnes di érentes soumises à la même situation en auraient la même
interprétation. On retrouve ce postulat dans des expériences. En psycho et en sciences de la communication: on s’est
intéressés aux e ets de la violence dans les médias. On répartit souvent aléatoirement les sujets dans les conditions.
On ne fait varier qu’une seule variable (degré de violence de la vidéo), de sorte que si l’on observe des di érences, on
les attribue à la V manipulée. Les travaux de Hall devraient nous pousser à s’intéresser à l’interprétation de la situation
expérimentale par les participants. Or, cette interprétation peut changer les résultats et modérer les e ets attendus
(Potter et Tomasello, 2003).
1
ff

ff
ff

ff

Les travaux de Hall portent sur des aspects non-verbaux de la culture qui fonctionnent selon un
code secret et complexe qui n'est écrit nulle part, connu de personne, mais compris de tous. La
façon dont l’espace est géré est une forme de communication qui échappe à la conscience et
qu’on a du mal à verbaliser (Hall, 1968). A l’instar de Birdwhistell, Hall dit que ces aspects sont,
malgré leur « indicibilité » (on ne peut pas les exprimer), régis par des règles internes: la gestion
de l’espace dispose de sa propre « syntaxe » et sa propre « grammaire », d’une structure et de
régularités. Contrairement aux des règles qui régissent le langage verbal qui sont explicites et
peuvent faire l’objet d’un enseignement délibéré. Les règles qui régissent les comportements non-
verbaux sont implicites et ne peuvent pas être enseignées. Mais elles peuvent être apprises par
mimétisme. Hall fait une analogie: « On peut comparer la culture à la musique. On ne peut décrire
la musique à quelqu'un qui n'en a jamais entendu. Avant l'apparition des partitions, la musique se
transmettait de manière informelle, par imitation. L'homme ne put exploiter le potentiel de la
musique que lorsqu'il commença à la traduire en signes. Il faut faire la même chose en ce qui
concerne la culture » (1959).

L’analogie entre le langage silencieux de la culture et la musique permet à Hall de proposer un


nouveau programme de recherche pour déchiffrer ce langage en le codant. Il voulait faire de la
proxémie une branche de la linguistique. Mais ce qui l’intéressait n’était pas le contenu ou la
signification des signes ou codes que ce programme génèrerait, mais leur structure. Hall utilise
une analogie: le tableau périodique. De la même façon qu’un chimiste dévoile la configuration
électronique des éléments en les en leurs propriétés (nombre de protons), le chercheur en
proxémie doit identifier les différents éléments qui structurent la façon dont on gère l’espace lors
d’interactions. Analogie du prof: les couleurs. On s’intéresserait à leurs caractéristiques physiques
(longueurs d’onde, fréquences) mais pas aux couleurs elles-mêmes et encore moins au sens
qu’elles peuvent avoir dans un contexte culturel donné (rouge associé à l’amour >< associé à la
violence). Donc Hall était un structuraliste.

A. Concepts et mesures

Hall (1968) dit que chaque culture organise différemment son espace à partir d’un substrat animal
identique qui est le territoire. Ce substrat que nous aurions en commun avec les animaux constitue
la base infra-culturelle de toute société et comprend toutes les manifestations comportementales
qui précèdent la culture. L’humain serait doté d’une dimension supplémentaire: la culturelle, qui lui
permet d’élargir son héritage biologique. A partir de cette analogie animale (le concept de
territoire), il propose que tout être vivant a une enveloppe physique (des barrières invisibles). Ces
barrières invisibles ou bulles spatiales commencent à la limite de l’enveloppe physique et
progressent vers l’extérieur. Envahir le territoire d’un animal peut générer de très fortes réactions
(fuite, attaque). Les humains réagiraient de même quand quelqu’un envahit leur bulle personnelle,
à la différence que les bulles font rarement référence à une zone géographique précise chez
l’humain.
Selon Hall (1963), la bulle spatiale de chaque personne se dilate et se contracte. Sa taille dépend :
- Du type de relation (des proches peuvent se tenir plus près que des étrangers).
- De l’état émotionnel (si l'on est triste ou énervé, on sera moins enclin à être envahi).

- Du type d’activité dans lequel on est engagé (être


dans un match de basket ou de lire un livre).
- Du contexte culturel. A propos du contexte culturel,
Hall (1959, 1963) propose une distinction:
➡ Cultures du contact (Espagne, Italie, Grèce,
France). Les bulles spatiales sont de plus petite
taille: les gens interagissent en se tenant plus
près les unes et il faudrait se rapprocher plus
d’eux pour qu’ils ressentent que leur bulle a été
envahie.
➡ Cultures de l’évitement (Europe du Nord,
Allemagne ou pays scandinaves). Les bulles sont plus grandes: les gens se tiennent plus
loin quand ils interagissent et se sentent plus vite envahis quand on s’approche d’eux.

Donc, Hall prédit des différences à la fois entre les individus (des membres de cultures différentes
auront des bulles spatiales de tailles différentes) et à l’intérieur des individus (la taille de la bulle
spatiale d’un même individu peut varier en fonction de ses émotions etc).

Hall a distingué 3 types d’espaces:

L’espace informel = régit les relations interpersonnelles.

L’espace à organisation semi-fixe = regroupe des objets pouvant être bougés (mobilier). Ce
qui appartient à l’espace à organisation semi-fixe dans une culture peut appartenir à l’espace à
organisation fixe pour une autre
➡ en Chine, il est mal vu de déplacer soi-même une chaise pour mieux s’installer si l'on est un invité. Au
Japon, les murs des maisons sont mobiles. Les frontières sont un espace à organisation semi-fixe
pour les peuples nomades (bédouins).
Ce qui intéresse Hall dans cet espace, c’est comment on va gérer l’espace à travers l’ utilisation
des objets.
L’espace à organisation fixe = regroupe des objets ne pouvant être déplacés (immobilier). Ce
qui intéresse Hall, c’est la façon dont cet espace façonne l’individu mais aussi et surtout comme
l’individu façonne son environnement spatial pour satisfaire des motivations sociales de base.

I. L’espace informel

Dans l’étude de ce type d’espace, Hall a observé des Blancs-Américains


Posture Regard
blancs de la classe moyenne interagir. Il a utilisé une grille de codage avec
Orientation
Température 8 éléments : ce sont les propriétés qui structurent la gestion de l’espace
du corps
lors d’interactions sociales. C’est à travers leur combinaison que se
Toucher Olfaction
manifesteraient les règles proxémiques. Toute interaction pourrait dès lors
Facteurs Intensité être située le long de ces éléments, recevoir une note pour chacun d’eux
kinesthésiques vocale
et ainsi être codée.

3


Sur base du codage de toute une série d’interactions,


Hall a déterminé 4 zones d’interaction qui correspondent
aux distances moyennes que les personnes tentent
d’établir entre elles en fonction de la situation

✤ Distance intime (0 à 45cm). Zone du rire, du combat et du flirt. Au niveau des sens (donc des
éléments proxémiques), la vue est brouillée, on est proche pour parler donc on chuchote, on
perçoit la chaleur corporelle et les odeurs de l’autre et il est possible de le toucher. Sauf cas
particulier (ascenseur bondé) ou cause de force majeure, c’est une zone que l’on réserve aux
interactions avec son partenaire.

✤ La distance personnelle (45 à 120cm). La vision est claire, les vocalisations sont possibles car
il y a une distance suffisante, on ne perçoit ni la chaleur corporelle ni les odeurs mais l'autre est
encore à portée de main. Zone réservée aux conversations informelles entre 2 ou 3 lors d’une
soirée, aux interactions avec des proches mais aussi dans des contextes plus formels (files
d’attente).

✤ La distance sociale (120cm à 4m). Pour les interactions ou transactions impersonnelles


(relations d’affaire ou discussions avec des inconnus). La vue et l’audition sont claires mais il n'est
plus possible de toucher l'autre.

✤ La distance publique (4m jusqu’à la portée de la voix). Rarement utilisée car c’est la zone des
discours publics (cours en auditoire, messe, discours politique). La vue est claire mais on ne sait
plus interpréter les nuances d’expressions faciales et on voit le corps entier.

Hall savait que les dimensions des zones d’interaction varient. Elles étaient donc valables pour les
Blancs-Américains mais pas forcément pour d’autres groupes culturels. En revenant à son intérêt
pour la proxémie (ses expériences en tant que formateur pour expatriés), il estime que la variation
dans les dimensions des zones d’interaction d’une culture à l’autre peut être à l’origine de
malentendus interculturels, quand la zone personnelle des unes correspond à la zone intime des
autres ; et vice-versa.

Dans son texte (1963), il donne des exemples de malentendus ou de chocs culturels relatifs à
l’utilisation de l’espace : « Si seulement il pouvait arrêter de me souffler son haleine dans la figure.
C'est quelque chose que je ne peux pas supporter » ou « Avez-vous remarqué comme elle n'arrête
pas de vous toucher ? A croire qu'elle ne peut garder ses mains en poche ! ».

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II. L’espace à organisation semi-fixe

Hall (1968) reprend une distinction de Osmond (1957) qui s’applique aussi bien à l’espace à
organisation semi-fixe qu’à l’espace à organisation fixe:
• Espace sociofuge = maintenir le cloisonnement entre les individus (salle d’attente d’une gare)
• Espace sociopète = encourager la communication et à provoquer le contact (terrasse de café)

Pour illustrer cette distinction, il utilise l’étude de Sommer et Ross (1958). Osmond leur avait
demandé de redessiner l’intérieur d’un centre gériatrique. Suite aux travaux, on a observé une
diminution des contacts et du bien-être chez les résidents.
Sommer et Ross ont fait un lien entre mobilier et
conversations, en observant les interactions des résidents
à la cafétéria. Il y avait des tables rectangles pour 6
personnes créant 6 types de distance et d’orientation
possibles.

Les conversations en FA sont 2x + fréquentes qu’en CB,


et celles en CB sont 3x + fréquentes qu’en CD. Par contre, aucune conversation n’était observée
entre les autres positions. Ainsi, la position FA est la plus sociopète.
Or, dans le service pour femmes âgées, les malades occupaient souvent les positions CD ou CB,
ce qui élevait la distance interpersonnelle et diminuait le nombre de conversation. Sommer et Ross
ont alors mis des tables carrées avec des chaises disposées autour. Passé une période de
résistance, le nombre de conversations a doublé, ce qui s’est accompagné d’une amélioration du
bien-être des résidentes.

III. L’espace à organisation fixe

Les bâtiments et l’architecture constituent les principaux éléments structurant cet espace. En
fonction des cultures, les bâtiments offrent des modes de regroupement et de dispositions
spatiales différents.
➡ Hall avait un collègue allemand qui se plaignait du bruit dans son environnement professionnel
dont il n’arrivait pas s’isoler suffisamment à son goût. Garder la porte ouverte dominante aux USA
ne lui convenait pas.
➡ En Occident, l’organisation fixe de l’espace à l’intérieur des maisons est relativement récente.
Jusqu’au XVIIIème siècle, les pièces n’avaient pas de fonction fixe. Les individus n'avaient donc
pas d’espace pour s’isoler. D’après Ervin Goffman, c’était psychologiquement fatigant car les
individus devaient faire un travail constant de maintien de la face: ils devaient sans cesse se
préoccuper de leur image. Les changements architecturaux qui ont été apportés aux maisons
occidentales depuis permettent de se décharger régulièrement de ce fardeau.

D’un côté, l’espace à organisation fixe façonne l’individu à travers les interactions sociales. Sur le
plan de l’urbanisme, Hall compare le plan en échiquier (typique aux USA) et le plan radiocentrique
(typique en France): le premier serait + sociofuge et le second serait + sociopète car dans le plan
radiocentrique, les rues convergent vers des places où sont implantés des lieux de rencontre
comme des églises et des cafés.

D’un autre côté, nous façonnons l’espace autour de nous à notre image. Winston Churchill avait
souligné la relation dialectique entre êtres humains et espace: « nous donnons des formes à nos
constructions, et, à leur tour, elles nous forment » (1963). Exemples pour illustrer cette phrase:

Dans les maisons traditionnelles arabes (riads), les terrasses ont un rôle dans la socialisation des femmes.
Historiquement exclues de la sphère publique, elles y trouvaient un lieu pour garder un contact l’extérieur
car elles pouvaient y converser avec les voisines. À Marrakech, le développement touristique a été très
rapide: les riads ont été achetés par des étrangers et ont souvent été reconvertis en hôtels avec des
piscines sur les terrasses. Par conséquent, sur les terrasses, les autochtones ont vu apparaître des
touristes (les femmes ont donc déserté les terrasses). C’est un exemple où l’espace à organisation fixe a
d’abord été façonné pour répondre à un besoin ancré dans la culture locale, puis à été réorganisé pour
correspondre à des mœurs occidentales.

Le moucharabieh est un élément architectural des maisons arabes qui permet de regarder dehors sans
être vu. Dans sa roman Impasse des deux palais (1956/1989), Naguib Mahfouz raconte la vie d’une
famille. Pour la mère, le moucharabieh constitue le moyen de rester en contact avec l’extérieur. Vivant
sous la tutelle de son mari et lui étant soumise, c’est dans le moucharabieh qu’elle guette son retour
lorsqu’il rentre tard de ses soirées arrosées entre amis.

Extrait 1 pg 74. Cet extrait nous permet d’envisager le moucharabieh comme une cage qui enferme et qui
marque l’exclusion des femmes de la sphère publique, leur cantonnement à la sphère privée.

Extrait 2 page 74-75. Le moucharabieh ramène les femmes à leur condition de femmes enfermées dans
un rôle traditionnel. Il les expose à la reconnaissance sociale dont les hommes jouissent mais dont elles-
mêmes ne pourront jamais jouir parce qu’elles ne disposent pas du même droit d’accès à la sphère
publique que les hommes.

En somme, dans le livre, le moucharabieh est un signe de l’oppression des femmes.


Kenzari et Elsheshtawi (2003) ont un avis divergent que celui de Mahfouz. Ils proposent que le
moucharabieh serait une tentative de façonner l’espace pour y cristalliser l’aspiration de transparence que
l’on trouve dans la culture islamique. Il aurait pour vocation de dévoiler la réalité à la personne qui regarde
à travers: on aurait accès à des comportements authentiques qui ne seraient pas biaisés par la désirabilité
sociale (vouloir donner une image positive de soi). Bien entendu, les 2 points de vue ne sont pas
mutuellement exclusifs: c’est possible que l’intention ait bien été d’organiser l’espace pour un besoin de
communication visuel et que l’effet ait été l’assujettissement des femmes.

Cet exemple permet d’envisager que nos efforts pour façonner l’espace peut avoir des effets inattendus,
voire opposés à ceux qui étaient recherchés.

Parallèlement à sa typologie des types d’espace, Hall distingue 2 contextes de communication :

Le contexte riche ou fort Le contexte faible ou pauvre

Le message contient peu d'info, l'essentiel étant déjà en Les individus sont insérés dans des réseaux
possession des personnes en train de communiquer. informels et ils sont peu informés les uns sur
C'est le cas des cultures japonaise, arabe et les autres. Le message contient donc souvent
méditerranéenne. Dans ces groupes culturels, les plus d'info. Selon Hall, les cultures américaine,
réseaux d'info sont étendus et les individus font souvent allemande, suisse et scandinave sont des
partie d'un maillage relationnel étroit dans lequel ces info exemples typiques.
circulent.

Enfin, Hall établit une différence entre une perception du temps monochronique ou polychronique:

Le temps monochronique Le temps polychronique


Il suppose de faire une chose à la fois. Le temps est La notion du temps est beaucoup plus fluctuante.
divisé en unités. La perception du temps est Plusieurs événements peuvent être réalisés en
linéaire: les tâches s'enchaînent à la suite les unes même temps. Les cultures fonctionnant sur le
des autres, du temps étant prévu pour chacune. modèle méditerranéen auraient davantage tendance
Hall associe cette perception du temps aux cultures à fonctionner avec cette perception du temps.
nord-européennes.

Les dimensions décrites sont souvent interconnectées. Par exemple, il est fréquent que les
cultures individualistes, présentant un contexte faible de communication, présentent aussi un
rapport au temps de type monochronique et une conception de l'espace qui permet le
cloisonnement des aspects de la vie quotidienne.

B. Méthodes et innovations

Hall avait des innovations méthodologiques ou une utilisation originale de méthodes existantes. La
nécessité d’innover s’est imposée à lui dans la mesure où il partait du postulat que les gens
n’avaient pas un accès conscient aux phénomènes qui l’intéressaient. Il fallait donc trouver des
méthodes où on ne se base pas sur la parole des sujets pour étudier la façon dont ils géraient
l’espace dans leurs interactions. En plus de la grille élaborée qu’il a créée pour coder la gestion de
l’espace par les individus, il y avait trois autres innovations:

1. L’observation. Hall a demandé à un groupe de ses étudiants de photographier les interactions


d’Afro-américains. Lors de l’analyse, les étudiants ainsi que les personnes photographiées ne
savaient pas dire ce qui se passait sur les photos. Ils ont donc demandé aux Afro-Américains de
photographier leurs interactions sociales: ils savaient expliquer ce qui se passait, car ils se sont
focalisés sur le mouvement des mains. Ce dernier est un élément qui structure les interactions
entre les Afro-Américains pris en photo. Pour comprendre ce qui se passaient lors des interactions,
il était donc indispensable de prendre les mouvements des mains en photo et de demander aux
premiers intéressés le sens que ces mouvements avaient dans l’interaction analysée.
Cette méthode qui consiste à demander aux personnes dont on étudie le vécu de collecter elles-
mêmes les données est depuis communément utilisée. Elle permet de ne pas imposer ses propres
catégories de pensée sur le vécu des individus, du moins au niveau de la collecte des données.
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2. Les entretiens. Cela peut sembler curieux vu l’insistance de Hall sur l’indicibilité des règles
proxémiques: il utilise les réactions de ses informateurs car elles lui enseignent plus de choses sur
ses propres apriori ou biais culturels que sur les règles proxémiques de la culture d’appartenance
de ses informateurs.
➡ Des informateurs de culture arabe ne comprenaient pas que Hall puisse leur demander où ils
allaient pour être seul. Cette question n’avait aucun sens dans leur contexte culturel et
suscitaient parfois de l’agacement ou de la colère : « Pourquoi ne me demandez-vous pas où je
vais pour être fou, tant que vous y êtes ?! », « Le paradis sans les autres, c’est l’enfer! ».

3. Des situations abstraites. Hall présentait des pièces ou des crayons à ses sujets et ils leur
demandait de les disposer loin ou proches les uns des autres ou encore les unes à côté des
autres. Cette méthode lui a permis de mettre en évidence que ses participants de culture arabe
avaient beaucoup de mal à décider si 2 objets étaient proches l’un de l’autre si le contexte n’était
pas précisé. Hall en a déduit que ces personnes voyaient les objets en contexte là où les Nord-
Américains voyaient les objets en relation les uns avec les autres.

C. Limites

La pensée de Hall a été abondamment critiquée, y compris par ses contemporains. Nous
retiendrons ici quatre critiques:

1. Sur sa conceptualisation de la culture, de la communication et de leur lien


Selon lui, culture et communication sont équivalente. Pour Birdwhistell (1968), cette
conceptualisation manque de nuance: l’organisation sociale (ou la culture) et la communication
sont des réponses adaptatives des collectivités humaines à leur environnement. Il faut donc
prendre en compte cet environnement. 2 éléments du contexte semblent avoir un impact sur
l’organisation sociale et la communication dans une collectivité : le degré de spécialisation de ses
membres et leur degré d’interdépendance. Entre les Temnes, qui vivent de l’agriculture (solidarité
et assez de spécialisation), et les Inuits, qui vivent de la chasse (autonomie et peu de
spécialisation), on ne retrouve pas le même type d’organisation sociale et de communication. On
peut ajouter un autre élément du contexte: degré auquel une culture a des contacts avec d’autres.
En effet, les récits des anthropologues (Lévi-Strauss, 1948) parlent de tribus vivant en relative
autarcie et avec peu de changements culturels. Dans ces contextes, la communication joue un rôle
de reproduction de la culture là où, dans des sociétés multi- ou interculturelles, elle joue plus un
rôle de remise en question de la culture (et donc de l’organisation sociale, pour reprendre les
termes de Birdwhistell). Ces quelques considérations permettent des liens plus nombreux et
nuancés entre culture et communication que ceux de Hall. Elles permettent aussi d’envisager que
si, culture et communication sont interdépendantes (la communication étant ce qui permet de
dynamiser la culture), elles ne sont pas pour autant une seule et même entité mais deux entités
séparées.

2. Sur la pauvreté de son approche de la communication


Elle s’est limitée à l’étude de quelques modalités, non-verbales, de la communication (proxémie et
chronémie), en négligeant les interactions possibles avec les autres modalités (kinésique ou
langage verbal). Parce que les différentes modalités de la communication sont généralement
considérées comme interdépendantes, l’approche de la communication de Hall a été jugée par
certains comme partielle (Diebold, 1968).

3. Sur le caractère a-théorique de la proxémie (critique la plus centrale)


Hall s’est principalement intéressé au comment plutôt qu’au pourquoi, à la manière dont on gère
l’espace lors d’interactions plutôt qu’aux raisons pour lesquelles on le fait d’une certaine façon.
Ceci a amené Birdwhistell (1968) à dire que la proxémie était une accumulation de données qui
manque de cohérence et qui obscurcit l’analyse des phénomènes de communication.

4. Sur le manque de validation empirique


Hall a mené peu d’études confirmatoires. Il s’est laissé guider par ses intuitions et ses expériences
personnelles, bien qu’il ait mené de nombreuses recherches (entretiens de recherche et
observations systématique)s. Son travail était essentiellement exploratoire. Des travaux ultérieurs
ont permis de confirmer certaines de ses propositions. Watson et Graves (1966) ont partiellement
retrouvé sa distinction entre cultures du contact et cultures de l’évitement. Ils ont observé des
étudiants américains qui étaient ou non issus de pays arabes et constaté que ceux issus de pays
arabes 1) faisaient plus souvent face, 2) s’asseyaient plus près, 3) touchaient plus souvent 4)
parlaient plus fort que les autres (blancs-américains). Ils ont aussi pu vérifier que les sujets étaient
incapables de verbaliser ces « règles ».

Les deux théories suivantes s’inscrivent dans la lignée des travaux de Hall et ont répondu à
certaines de ces critiques.

2. La théorie de l’équilibre de Michael Argyle et Janet Dean

Cette théorie est une tentative de formalisation des connaissances accumulées sur les règles de
communication, y compris les règles proxémiques. Toute relation humaine peut être située en
fonction du degré d’intimité: quand on interagit, on a une représentation du niveau d’intimité que
l’on a ou que l’on souhaite avoir et on se comporte dans un rapport d’approche ou d’évitement.
Relation intime => tendance à se rapprocher. Relation superficielle/impersonnelle => tendance à
rester distant. Nous ajustons nos comportements non-verbaux (mais aussi verbaux) afin de
maintenir ce degré d’intimité antérieur ou souhaité. Argyle et Dean ont vu que la distance physique
et le contact visuel ont tendance à se compenser mutuellement.
➡ Le prof a tendance à + regarder les étudiants qui sont au fond de l’auditoires que ceux devant
rangées pour compenser la distance qui les sépare.
➡ Quand on est dans un ascenseur, on dirait que les gens évitent de regarder les autres dans les
yeux surtout. L’inconfort est palpable quand l’ascenseur est bondé. On essaye alors de réduire
l’inconfort et se donner une contenance : regarder son smartphone, les étages qui défilent sur le
panneau d’indication ou ses pieds.

➡ D’autres modalités de compensation existent. On peut, au téléphone, aborder des sujets + intimes
(angoisses personnelles) avec quelqu’un qui est physiquement très distant (autre pays). De même,
le sourire peut être utilisé pour se rapprocher psychologiquement.

En somme, selon la théorie de l’équilibre, les individus auraient tendance ou seraient motivés à
maintenir la relation à la « bonne température ».

Pour étayer leur théorie, Argyle et Dean (1965) ont mené une expérience.

Les sujets (un groupe d’enfants et un d’adultes) devaient regarder un objet et s’installer aussi près que
possible a n de le voir confortablement. Ils étaient ensuite répartis aléatoirement dans une des
conditions:

- Condition Photo: l’objet était une photo d’une personne.

- Condition Personne: yeux fermés où l’objet était une personne dont les yeux étaient ouverts.

- Condition Personne: yeux ouverts où l’objet était une personne dont les yeux étaient clos.

1) Effet principal de l’âge : en général, les enfants se


tiennent + proches des objets quels qu’ils soient que
les adultes.
2) Effet principal du type d’objet : en général, tous les
sujets se tiennent à une distance + importante quand
l'objet est une personne dont les yeux sont ouverts.

Ces résultats tendent à confirmer la théorie de l’équilibre mais celle-ci semble s’appliquer à une
partie des interactions humaines. Souvent, nous souhaitons changer la nature de la relation pour
augmenter ou diminuer le degré d’intimité. Nous pouvons souhaiter nous rapprocher de quelqu’un
parce que cela peut nous permettre d’atteindre un objectif (lui vendre ou obtenir quelque chose de
lui) ou parce qu’on a développé des sentiments qui nous poussent à nous rapprocher (en faire un
partenaire amoureux). Dans ce genre de situation, les individus ont tendance à transgresser les
règles proxémiques: ils n’ont pas envie de maintenir la relation à la bonne température. Ce genre
de situation semble échapper au champ d’application de la théorie de l’équilibre.

Pour comprendre quand et pourquoi les gens transgressent les règles de la communication
(particulièrement les règles proxémiques), mais aussi pour comprendre quand et pourquoi leur
transgression est accueillie ou rejetée, il faut voir la théorie de la transgression des attentes.

3. La théorie de la transgression des attentes de Judee Burgoon

Les individus veulent pas toujours maintenir le degré d’intimité d’une relation. Or, pour la faire
évoluer, il faut enfreindre les règles proxémiques. On constate qu’il y a un parallèle entre distance
physique et degré d’intimité dans certaines expressions: « faire le premier pas » pour aller de
l’avant afin de réduire la distance avec quelqu’un. Mais comment est-ce que ce geste risque d’être
accueilli ? Et quand (sous quelles conditions), pouvons-nous espérer que ce geste soit réciproqué
plutôt que rejeté ?

10
fi


Selon Burgoon (1988), il existe des attentes communicationnelles: avant même que nous
interagissions, nous avons des attentes au sujet de la façon dont cette interaction va se passer, y
compris au niveau proxémique. Ces attentes sont des modèles de comportements verbaux et non-
verbaux qui sont anticipés en fonction de:
Comme Hall (1963), il dit que les règles communicationnelles varient entre les
Contexte cultures. Pour la proxémie, dans certains contextes culturels, le contact physique
sera encouragé alors que, dans d’autres, il sera évité.
Les règles communicationnelles pour une relation professionnelle ne sont pas les
Type de relation
mêmes pour une relation amicale.

Caractéristiques de âge, sexe, apparence, style de communication


l’interlocuteur

On est libre de se conformer à ces attentes ou pas. La théorie s’intéresse aux conséquences d’un
non-respect d’une attente communicationnelles. Selon Burgoon, une transgression peut être
bénéfique (atteindre des objectifs) mais cela dépend de 3 facteurs :

Si la transgression est si minime qu’elle n’est pas perçue par l’autre, elle n’aura pas
d’e et. Si la transgression est trop forte (pour vous rapprocher psychologiquement de
L’amplitude
votre prof, vous décidez, d’un coup de lui faire la bise), la tentative de rapprochement
échouera selon toute vraisemblance.

Selon que la transgression consiste en un rapprochement (valence positive) ou en un


La valence
éloignement ou un retrait (valence négative).

Cette variable est habituellement opérationnalisé de 2 façons:

- soit elle fait référence à la sympathie ou antipathie ressentie à l’égard de l’o enseur
(sa sociabilité)

- soit elle fait référence au degré auquel l’o enseur peut vous donner accès à une
La valence du
ressource convoitée (son utilité).

pouvoir du
transgresseur ou
Dans les 2 cas voici ce qui peut se passer :

de l’o enseur
‣ Si l’o ensé perçoit l’o enseur comme étant peu attrayant ou comme ayant peu à
o rir, la réaction sera négative.

‣Si l’o ensé perçoit l’o enseur comme étant attrayant ou comme ayant beaucoup à
o rir, la réaction serra positive.

Transgression modérée + consiste en un rapprochement + offenseur perçu comme sociable et/ou


utile => l’offensé réagira positivement. Typiquement, l’offensé aura tendance à se rapprocher
également. De la même façon: transgression modérée + consiste en un retrait + offenseur perçu
comme antipathique et/ou peu utile => l’offensé réagira positivement. Par contre ici, l’offensé,
plutôt que de réciproquer le retrait (s’éloigner également), ne va pas réagir.

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Étude de Burgoon, Olney et Coker (1987) pour tester ces prédictions:

L’étude se fait en 5 étapes. Les 120 participants devaient former des paires et à simuler un
entretien d’embauche.

Chaque participant, à tour de rôle et pendant 5 minutes, prend le rôle de l’interviewer et de


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l’interviewé.

Les participants sont séparés pour répondre à un questionnaire dans lequel on leur demande
2 d’évaluer leur partenaire d’après plusieurs dimensions (compétences, attractivité, désirabilité). Cette
évaluation = la mesure de la valence perçue de l’o enseur.

De façon aléatoire, l’un des 2 membres de chaque paire est désigné pour devenir le comparse de
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l’expérimentateur tandis que l’autre e gardait son rôle de participant « naïf ».

Les participants sont ensuite aléatoirement répartis dans l’une des conditions qui constituent les 2
modalités de la 2e VI:

- Le comparse reçoit la consigne de + s’impliquer dans l’entretien. Aucune info précise sur la façon
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dont il doit augmenter son niveau d’implication.

- Le comparse reçoit la consigne de - s’impliquer dans l’entretien. Aucune info précise sur la façon
dont il doit réduire son niveau d’implication.

Les interactions sont en n lmées puis montrées à des observateurs ou juges indépendants qui
doivent classer les réactions des participants naïfs dans 3 catégories :

5 • Réciprocité (le participant « naïf » adopte le même comportement que le comparse).

• Aucune réaction.

• Compensation (le participant « naïf » adopte un comportement opposé à celui du comparse).

✓ Premier résultat: les participants ont


tendance à + réagir au comportement du
comparse qui était évalué positivement. Ce
résultat va dans le sens de la théorie de la
transgression mais confirme un aspect
somme tout assez périphérique.

✓ Second résultat: les participants ont tendance à réciproquer le comportement de retrait et à


compenser le comportement d’approche du comparse perçu positivement. Ces résultats infirment
les prédictions dérivées de la théorie. De plus, cette falsification porte sur un aspect plus central de
la théorie. Pourtant, les auteurs accordent très peu d’attention à ces résultats (l’étude était
complexe2). Ils mettent plutôt en avant des considérations d’ordre méthodologiques (manque de
comparses évalués négativement et effet plafond: le niveau d’implication des sujets étant d’emblée
très élevé, ne permettant plus d’observer des augmentations lors des phases ultérieures de
l’étude).

2Dans cette étude, le genre des participants était pris en compte en tant que VI. Des hypothèses d’e et principal du
genre et d’interaction entre le genre et la valence de la transgression ont été faites mais ne sont pas reprises ici.
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✓ Si ces considérations sont pertinentes, l’impression du prof est que les études fournissent en
général des résultats mitigés. Dans presque chaque étude, des résultats confirment des aspects
de la théorie, tandis que d’autres résultats en infirment d’autres, sans qu’aucune régularité ne se
dégage concernant les aspects confirmés ou infirmés. Par ailleurs, il n’y a pas une méta-analyse
qui permettrait d’évaluer la robustesse des effets prédits par la théorie.

✓ Autre limite de l’étude (pas mentionnée par les auteurs): dans un article ultérieur, Burgoon
(1993) dit que la valence d’une transgression dépend de la valence du pouvoir de l’offenseur : une
même transgression peut être perçue différemment (+ ou - positivement) en fonction de la
personne qui la réalise (de son degré de sociabilité et/ou d’utilité). Or, dans l’étude, les 2 variables
ont été opérationnalisées de façon orthogonale, comme si elles étaient indépendantes l’une de
l’autre, et pas dans leur interaction.

Tout ceci ne remet pas en question l’utilité de la théorie: elle continue d’être utilisée, surtout par
ceux qui s’intéressent à la communication électronique (médias sociaux).
➡ Par exemple, en se basant sur la théorie, Rui et Stefanone (2018) ont montré que les attaques
personnelles sur Facebook (peuvent être considérées comme des transgressions
communicationnelles, surtout quand c’est par des personnes qu’on connaît), étaient
particulièrement mal reçues par les personnes qui ont comme trait de caractère de rechercher
l’approbation des autres, quand l’attaque était publique (sur le mur Facebook par opposition à un
message) et quand elle portait sur leur moralité.

Pour résumer le chapitre

Avec les travaux de Hall (1968), l’espace occupe une place importante dans les interactions
sociales et que la perception de l’espace par l’individu est une synthèse de plusieurs éléments
sensoriels (visuel, olfactif).

Chacun de ces éléments reçoit un poids différent dans des cultures différentes: des membres de
cultures différentes évolueraient dans des mondes perceptifs différents sans qu’ils en aient
conscience. Par conséquent, quand 2 personnes de cultures différentes interagissent, chacune
utilise potentiellement des critères différents pour interpréter le comportement de l’autre, ce qui
peut créer des malentendus, tensions et conflits.

La proxémie ou la gestion de l’espace par l’individu est un marqueur identitaire qui informe sur le
groupe culturel d’appartenance et sur le statut dans l’interaction (en + d'informer sur la distance
psychologique). « Dis-moi à quelle distance tu te places d’un ami et quelles modalités
corporelles tu utilises lors de l’interaction (odorat, orientation du corps) et je te dirais qui tu es ».

Enfin, si notre environnement spatial nous façonne (détermine en partie nos expérience
sensorielles), nous le façonnons en retour à notre image afin qu’il soit porteur de valeurs
considérées comme important dans un groupe culturel donné.

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