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Remerciements
Merci à Caroline pour son soutien sans faille et sa patience.
Merci à Laurent Jacquet pour ses relectures efficaces et pertinentes.
Merci à Patrick Lagadec et Bertrand Robert
pour m’avoir inoculé le virus de la gestion de crise.

© 2005, ESF éditeur


© 2017, ESF Sciences humaines

Cognitia SAS
20, rue d’Athènes
75009 Paris

4e édition 2018

www.esf-scienceshumaines.fr

ISBN 978-2-7101-3410-7
ISSN 0768-2026

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a), d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées
à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but
d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette

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représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Comment tirer le meilleur parti de cet ouvrage?
Cet ouvrage a pour vocation de vous accompagner dans votre développement
personnel et professionnel.

Pour remplir au mieux ces missions, il est constitué de 3 parties :

1 – La première partie, « Comprendre les enjeux », vous apporte les


éclairages indispensables pour :
✓ acquérir une vue d’ensemble de la thématique ;
✓ maîtriser la méthodologie ;
✓ et découvrir les outils appropriés.

2 – La deuxième partie, « Mettre en pratique », vous permet de vous


entraîner et, grâce aux exercices proposés, d’approfondir et d’assimiler la
thématique développée tout au long de l’ouvrage. Les corrigés, quant à eux,
permettent de faire le point sur la progression engagée et d’entamer un travail
de réflexion personnelle.

3 – La dernière partie, « Pour aller plus loin », vous propose :


✓ un programme de session de formation pour les professionnels
qui souhaiteraient monter un stage de formation ;
✓ un lexique ;
✓ une bibliographie ;
✓ un index.

Pour profiter au mieux des ressources de cet ouvrage, l’auteur a conçu un


plan d’autoformation personnalisé qui vous conduira, étape par étape, à la
maîtrise du sujet traité. Ce plan d’autoformation se trouve page suivante.

Bien entendu, vous pouvez également choisir de découvrir cet ouvrage de


façon habituelle, en vous appuyant sur la table des matières que vous
trouverez en page 5.

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N ous espérons que cet ouvrage vous rendra les meilleurs services dans vos activités professionnelles
et personnelles. N’hésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos remarques, critiques
et suggestions :
ESF Sciences humaines
Service Lecteurs
20, rue d'Athènes
75009 Paris

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Plan d’autoformation
Pour profiter pleinement de cet ouvrage, l’auteur a réalisé pour vous un
parcours d’autoformation qui favorise l’assimilation des concepts développés
et la mise en pratique dans votre quotidien.

Parce que l’on comprend mieux ce que l’on a déjà expérimenté, laissez-vous
guider.

1 Faire les exercices 1 et 2 (pages 161 et 163).

2 Lire le 1er chapitre (page 13) puis réenvisager les réponses en fonction de cette lecture.

3 Faire l’exercice 3 (page 165).

4 Après avoir lu le contexte général, faire l’exercice 4 (page 169).

5 Lire le chapitre 2 (page 49).

6 Réaliser en groupe les exercices 5 et 6 (pages 171 et 175).

7 Lire le chapitre 3 (page 91).

8 Faire les exercices 7 et 8 (pages 179 et 181).

9 Lire le chapitre 4 (page 129).

10 Pour finir, faire l’exercice 9 (page 183).

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Table des matières
Comment tirer le meilleur parti de cet ouvrage?
Plan d’autoformation

1re partie – Comprendre les enjeux


Introduction Changer les mentalités pour conduire les situations dégradées
Chapitre 1. Changer les mentalités pour anticiper les risques et les crises
1. Clarifier la notion de risque(s)
2. Clarifier la notion de crise
3. Changer les mentalités
4. Anticiper les risques
Chapitre 2. S’organiser pour maîtriser l’incertitude
1. Constitution de l’équipe de crise
2. Faire fonctionner l’équipe
3. Mettre en place des procédures adaptées
4. La logistique de crise
5. Les risques de dysfonctionnements
Chapitre 3. La phase opérationnelle de conduite de la crise
1. La montée en puissance
2. La réaction face à la crise
3. La communication de crise

Chapitre 4. La phase de capitalisation et d’apprentissage


1. Les attitudes face aux crises passées
2. Les débriefings
3. Les sources d’apprentissage
4. Les facteurs d’un apprentissage efficace
5. Se préparer pour l’avenir
Conclusion

2e partie – Mettre en pratique


Exercice 1. La notion de risque
Exercice 2. La notion de crise
Exercice 3. Êtes-vous prêt?

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Contexte général pour les exercices de 4 à 9
Exercice 4. La cartographie des risques
Exercice 5. Partager l’information
Exercice 6. S’organiser et identifier les rôles
Exercice 7. Communiquer par temps de crise
Exercice 8. La presse en a parlé
Exercice 9. Vous êtes la crise !
Corrigés des exercices

3e partie – Pour aller plus loin


Programme d’un stage de formation
Objectifs
Programme
Bibliographie

9
Première partie

COMPRENDRE LES ENJEUX

10
Introduction
Changer les mentalités pour conduire les situations
dégradées

L a crise est partout : télé, radio, débats, discussions de comptoir. Pas une
journée sans que la notion de crise ne soit mise à toutes les sauces :
crise(s) de la dette, éruption volcanique aux effets incontrôlables, tsunami
meurtrier, attaques informatiques ciblant un ministère stratégique,
contamination d’un concombre faisant s’effondrer le chiffre d’affaires des
producteurs, autant de situations chaotiques qui caractérisent une décade sous
le signe de la crise. C’est à se demander comment ceux qui sont nés avant le
début de ce nouveau millénaire sont parvenus à survivre jusque-là, dans leur
vie personnelle comme dans leur vie professionnelle! La conscience des
risques encourus semblait alors moins prégnante : chacun buvait l’eau du
robinet, vivait dans des maisons peintes avec des peintures au plomb, isolées
à l’amiante, roulait dans des voitures sans airbags ni GPS. Se lancer à corps
perdu dans l’aventure de la création d’entreprise, innover, inventer semblait
moins insurmontable. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les dernières
décennies du XXe siècle ont vu tant d’innovations et d’idées nouvelles
révolutionner l’environnement. Le risque n’était pas un frein, il était
simplement la juste contrepartie de la réussite et du succès. Alors, qu’est-ce
qui a changé? Pourquoi, aujourd’hui, le risque est-il perçu comme un frein et
non plus comme un facteur de motivation et la contrepartie incontournable du
succès?
Les menaces d’aujourd’hui sont sans cesse plus nombreuses,

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polymorphes et sans pitié. Il suffit de regarder l’actualité, de lire des
magazines d’information, de surfer sur les sites des agences de presse pour
réaliser la dimension transversale des menaces qui pèsent sur
l’environnement en général et sur le monde de l’entreprise en particulier :
OPA agressives, guerres concurrentielles, atteintes volontaires ou fortuites à
l’image, réglementations de plus en plus draconiennes, crises sociales,
terrorisme, fanatisme. Plus rien n’est épargné au monde du business, et faire
un tour d’horizon de tout ce qui menace un projet en gestation peut faire
frémir même les plus téméraires.
Les menaces ne sont plus isolées et uniques, mais elles sont entremêlées
et interactives : un incident mineur, un problème anodin dans l’une des
branches d’activité d’une organisation peut déstabiliser l’ensemble du
système. Et par effet de contagion, ce risque s’étend également aux systèmes
environnants. Le scandale Enron n’a pas seulement affecté la société qui en a
été à l’origine, mais tout le secteur de cette société et l’ensemble du monde
des affaires. Une entreprise peut donc être largement impactée par un incident
dont elle n’est pas à l’origine et dans lequel elle n’est absolument pas partie
prenante.
Certaines évolutions récentes constituent elles-mêmes un terrain
particulièrement fertile pour transformer un incident anodin en crise : rapidité
de l’information et donc de la « désinformation », réduction des délais de
prise de décision, complexité des systèmes de conduite de projets,
multiplicité des intervenants, effet accélérateur des médias – tous ces
éléments sont autant de facteurs aggravants qui n’attendent que l’occasion de
s’entre-mêler et de s’auto-entretenir pour faire disjoncter le système.
Aujourd’hui, les entreprises confrontées à un environnement de plus en
plus complexe et instable cherchent à formaliser une politique d’anticipation
des risques et de gestion de leurs conséquences en cas de crise. C’est déjà un
premier pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant. La difficulté
de l’anticipation des risques, c’est que toutes les menaces ne sont pas
identifiables. Déjà, en 1921, F. H. Knight parlait de ce risque différent du
risque « probabilisable » et le nommait incertitude1. Et cette notion
d’incertitude se heurte à des mentalités figées et des idées rassurantes mais
qui s’avèrent le plus souvent stériles et contreproductives quand il s’agit de
penser l’impensable ou de se préparer à gérer la surprise.

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Alexis Ledermann s’interrogeait, dans un article intitulé La Recherche
d’un cadre de gestion des risques2, sur le fait que la tâche d’un risk manager
est peut-être redondante avec celle des titulaires des autres fonctions de
l’entreprise. Nous savons tous que quiconque se lance dans une entreprise se
trouve confronté à la gestion des risques et, par voie de conséquence, à la
gestion des crises. Nous sommes donc tous les risk managers de nos propres
projets, ceux qui seront responsables en cas de dysfonctionnements et devront
assumer les décisions prises quand il faudra solutionner un incident. La
notion de transversalité fait donc son chemin dans le domaine de la
prévention des risques. Nous ne sommes plus de simples consommateurs de
sécurité, mais nous en devenons tous des acteurs puisque chacun participe à
l’anticipation des risques concernant les projets dont il a la responsabilité.
Incertitude, risques, crises, responsabilités, décisions sont autant de
notions qui s’entremêlent dans les domaines complexes de l’anticipation et de
la conduite des situations de crise. Mais au-delà des méthodes, plans,
processus, classifications des risques, se pose le problème fondamental de
l’attitude que nous avons (ou que nous devrions avoir) face aux situations
incertaines et difficilement gérables. Car la conduite des crises est avant tout
affaire de mentalité et d’état d’esprit. Combien de fois n’a-t-on pas entendu
cette phrase lors de débriefings de situations réelles : « Nous n’étions pas
prêts ». Plutôt que de se plaindre de ce manque d’anticipation,
demandonsnous pourquoi nous n’étions pas prêts, et comment sortir de notre
culture de gestion de l’événement à chaud pour passer à celle de
l’anticipation adaptée et adaptable.
Le chantier qui s’annonce n’est pas simple : « travailler » sur la mentalité
et sur les attitudes « habituelles » des managers face aux risques et à leurs
conséquences relève d’un véritable travail de fond et de longue haleine.
Réfléchir sur ses modes de fonctionnements, c’est avant tout travailler sur
soi. Et travailler efficacement sur soi, c’est avant tout identifier ses failles et
ses travers pour les combler ou les corriger quand il faut décider vite. Or, la
prise de conscience de cette nécessité de travailler sur soi est déjà en elle-
même une difficulté. Mais elle est le premier pas indispensable pour
progresser dans l’anticipation des risques et la conduite des crises.
Le danger, mais également le plaisir de l’anticipation des risques et de la
conduite des risques, c’est qu’il existe peu de règles préétablies et applicables

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de façon universelle, et que tout est à construire et à imaginer. En la matière,
la situation ou les événements constituent souvent des exceptions qui mettent
la règle à l’épreuve. En situation dégradée, l’exception devient souvent la
règle.
Cet ouvrage se veut simple et concis, clair et pragmatique. L’objectif
n’est pas de disserter sur les malheurs de l’incertitude et la difficulté à gérer
l’impensable, mais plutôt de clarifier quelques notions fondamentales. Il a
pour seule ambition de donner des pistes de réflexion et de proposer aux
dirigeants – chefs d’entreprise, responsables des ressources humaines,
responsables de projet, bref tous ceux qui auront un jour ou l’autre, dans leur
carrière ou dans leur vie personnelle, des risques à anticiper et des crises à
gérer – quelques outils pour le changement des mentalités.

◗ Note de l’auteur
Certains exemples de crises évoqués dans cet ouvrage ne font pas état du
nom de l’organisation ou de la société en cause. Ils sont ici volontairement
gommés pour ne pas porter atteinte à leur image ni mettre en cause les
personnes qui auraient commis des erreurs dans la gestion des situations
évoquées.

1. F. H. Knight, Risk, Uncertainty and Profit, A. M. Kelley, 1971.


2. Alexis Ledermann, La Recherche d’un cadre de gestion des risques, article, thèse de doctorat,
2004.

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1
CHAPITRE

Changer les mentalités pour


anticiper les risques et les crises
« Est dirigeant celui qui accepte de prendre les risques que les dirigés ne veulent pas
prendre. »
Jean Jaurès

C elui qui se lance dans la réalisation d’un projet, qui prend la


responsabilité d’une entreprise, qui s’engage dans une aventure
commerciale ou managériale, s’expose naturellement à des risques. Seul celui
qui ne fait rien ne court aucun danger. L’actualité montre cependant que cette
dernière affirmation n’est plus absolument certaine. Aujourd’hui, instabilités,
changements et complexités rendent le monde environnant extrêmement
mouvant. Les crises fortement médiatisées qui ont marqué ces dernières
années démontrent à quel point il peut être difficile de gérer des situations
instables et complexes, dont les enjeux ne se révèlent qu’au fil du temps et
des décisions prises, et dont les conséquences sont parfois catastrophiques.
Pour certains, le risque est un puissant inhibiteur qui pousse à la prudence
plutôt qu’à l’action : il est alors urgent d’attendre avant de prendre la moindre
décision, même anodine. Décider, c’est prendre le risque de se tromper, et
nombreux sont ceux qui préfèrent attendre que les événements décident pour
eux, plutôt que de choisir d’influer sur ce qui leur arrive au risque d’engager
leur responsabilité.
Pour d’autres, au contraire, c’est cette prise de risque qui donne du relief
à la vie, qui les pousse à agir, parfois trop vite, quelquefois au détriment de la

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plus élémentaire des réserves ou des prudences. Ainsi donc, chacun perçoit le
risque à sa façon : selon son éducation, ses expériences, son état physique ou
psychique au moment où il doit faire ses choix. La subjectivité tient alors une
place importante dans un domaine d’où elle devrait être bannie. Avant de se
lancer plus avant dans la présentation des quelques méthodes qui semblent
indispensables pour anticiper les risques et piloter les crises quand elles se
déclenchent, il convient de clarifier la notion de risque, et par voie de
conséquence, la notion de crise à laquelle le risque est indubitablement lié.

1. Clarifier la notion de risque(s)


Comme l’évoquent les lignes qui précèdent, chacun a sa propre
perception de ce qu’est un risque. Chacun se positionne de façon différente
face aux menaces qu’il peut être amené à rencontrer dans sa vie personnelle
et professionnelle et met en œuvre sa propre « échelle de risque ». Les
expériences personnelles, les réussites et les échecs professionnels,
l’ensemble des activités forgent un environnement personnel du risque. Dans
La Réalité de la réalité 1, Paul Watzlawick rappelle que chacun a sa propre
image du monde. Chaque individu se crée une représentation de son
environnement et de toutes les notions qui animent sa vie : la liberté, la
passion, le savoir, la peur n’ont pas la même définition d’une personne à une
autre. Il en va de même pour le risque. Et ces définitions ne sont pas
seulement propres aux individus, elles sont aussi le fait de groupes ou
d’entités sociales. Sans clarification mutuelle, comment s’assurer que l’on
parle de la même chose?
Ainsi, cette expérience marquante quant à l’appréciation du risque : une société
spécialisée en informatique a décidé de réfléchir sur la notion de risque liée aux projets
qu’elle menait avec ses clients. Il existait une réelle dissonance entre l’idée que se faisait
du risque la société d’informatique et l’idée que s’en faisaient ses clients. Pour les
ingénieurs de la société prestataire, le risque principal était le retard dans la réalisation du
projet et la remise du logiciel au client ; tous les efforts des équipes techniques étaient
concentrés sur la réduction de ce retard. Pour le client, en revanche, le risque principal
tenait au dysfonctionnement du logiciel lors de sa mise en exploitation. En fait, le retard
dans la remise du logiciel était perçu par le client comme quasiment inéluctable, et était
donc intégré dans la stratégie de mise en exploitation. Le retard n’était pas un risque pour
le client. Quand le risque de dysfonctionnement du logiciel a été signalé aux ingénieurs de
la société prestataire, ils ont affirmé que ce risque était extrêmement faible et qu’en cas
d’occurrence, les délais de remise en route étaient très courts et ne pouvaient pas être de
nature à déstabiliser l’activité du client. En clarifiant la notion de risque chez les deux
protagonistes, en identifiant les priorités des uns et des autres, la société d’informatique et

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ses clients ont pu mieux identifier les risques en fonction des intérêts de chacun, et ainsi
fournir des réponses appropriées à tous. Tout le monde s’en est trouvé rassuré, simplement
parce que cette réflexion avait contribué à « dégonfler » les inquiétudes de chacun.

Savoir prendre des risques, c’est donc avant tout commencer par un
travail sur soi. Connaître ses limites, ses objectifs, ses contraintes, c’est
l’étape incontournable à toute entreprise de quelque ordre qu’elle soit.
Combien de personnes se sont-elles lancées dans l’aventure de la création
d’entreprise sans savoir quels étaient leurs atouts et surtout leurs défauts
personnels? Combien ont entrepris sans vraiment savoir quels objectifs ils
souhaitaient atteindre?
De nombreuses techniques sont utilisées aujourd’hui pour réaliser ce
travail d’introspection et d’identification de notre cadre de référence. Sans
pour autant aller solliciter un psychanalyste avant de se lancer dans
l’aventure, savoir qui l’on est vraiment est primordial. Nous sommes notre
premier ennemi face au risque, et nos « dysfonctionnements » personnels
face au stress, à l’urgence, à la prise de décision, à la gestion des équipes sont
les principales causes des mauvaises gestions des crises que nous
rencontrons.
Afin de réaliser une première approche de cette notion complexe, il est
intéressant de concevoir un questionnaire simple et rapide2, que chacun
pourra remplir en fonction de son expérience et de son vécu professionnel et
personnel. Chacun pourra s’apercevoir que cette notion reste très subjective
et que la perception que l’on en a est en général modifiée par des paramètres
totalement personnels et parfois difficilement explicables de manière
rationnelle.

1.1 Définitions
On trouve de nombreuses approches de la notion de risque dans toutes les
littératures : risque naturel, risque technologique, risque assurance, indice de
risque… Il est vrai que ce mot est tellement riche de sens, selon qu’il est pris
dans tel contexte plutôt que dans tel autre, que l’enfermer dans une seule
définition semble illusoire et inefficace. Cependant, certaines d’entre elles
sont intéressantes et méritent de figurer dans cet ouvrage.

◗ Définitions à retenir

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Sur le site de la Direction régionale de l’environnement de Lorraine
(DIREN)3, une définition intéressante du risque est donnée dans la rubrique «
risques naturels » : « Le risque résulte de la superposition d’un aléa avec un
enjeu. On entend par aléa la manifestation d’un phénomène naturel
(débordements de rivières, glissements de terrains, séismes, ou encore
avalanches, cyclones, éruptions volcaniques). Un aléa est caractérisé par sa
probabilité d’occurrence (décennale, centennale), et l’intensité de sa
manifestation (hauteur et vitesse de l’eau pour les crues, magnitude pour les
séismes, largeur de bande pour les glissements de terrain). Les enjeux : ce
sont les dommages directs comptabilisables dès la fin de l’événement
exceptionnel sur les habitations, les infrastructures, les bâtiments
commerciaux ou industriels, les cultures ou le cheptel, et, dans les cas les
plus dramatiques, les vies humaines. Ce sont aussi les perturbations
économiques et sociales qui résident essentiellement dans les pertes
d’exploitation dues à la destruction de l’outil de travail ou des récoltes ou
l’interruption des communications, mais aussi les atteintes à l’environnement
».
Le risque est positionné dans cette définition comme la superposition
d’un aléa et d’un enjeu. Pour le chef d’entreprise, le manager ou le chef de
projet, le risque est la superposition d’un enjeu (la réalisation du projet,
les résultats escomptés, le maintien d’une situation existante), avec un ou
des aléas (les impondérables techniques, commerciaux, l’action de la
concurrence, les malveillances…). Dans le cadre d’une gestion de projet, ce
sont les enjeux qui motivent ceux qui s’engagent. Dans la vie des entreprises,
ce sont les enjeux qui poussent à l’action et qui incitent à se lancer dans de
nouvelles aventures. Et c’est parce qu’il existe des aléas dans toute entreprise
que tout un chacun n’est pas entrepreneur. Dans toute élaboration de projet,
ce qu’il convient d’analyser, c’est avant tout ce que l’on peut gagner plutôt
que ce qu’on risque de perdre. C’est la base de ce que certains appellent «
l’esprit commando » et qui fait souvent défaut dans les entreprises
aujourd’hui (voir p. 34).
Lors d’un séminaire4 organisé par le réseau Analyse du risque industriel
(ARI) sous le patronage de l’INRS, de l’INERIS, de l’INSTN et du CEA,
Ivan Boissières a proposé pour le risque la définition suivante : « Le risque
concerne tout événement, tout dysfonctionnement susceptible de provoquer
un écart significatif entre un objectif assigné à l’organisation et la réponse

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effectivement mise en œuvre par celle-ci. »
Le risque est ici associé à un dysfonctionnement qui empêche une
organisation d’atteindre un objectif qu’elle s’est fixée ou qui lui a été assigné.
Cette notion de dysfonctionnement rappelle une nouvelle fois le caractère
imprévisible de ce « grain de sable » qui grippe la machine. La capacité
d’anticipation des risques (voir p. 35), même si elle ne permet pas d’identifier
de façon exhaustive tous les dangers, permet au moins de diminuer l’effet de
surprise face à un dysfonctionnement imprévu.
Dans son ouvrage L’Homme face au risque technique 5, Denis Duclos
présente le concept de risque comme « une notion à géométrie variable ». Il
se rattache à la notion de catastrophe, de par l’importance des conséquences
en cas d’occurrence du risque. Il se rattache également à la notion de
confiance dans la fiabilité du système : l’organisation est-elle assez
compétente et professionnelle pour faire face au risque et en atténuer les
conséquences? La notion de conflit entre les parties contribuant à la gestion
du projet est également présente. Bon nombre d’équipes se fissurent ou
laissent paraître leurs divergences dès lors que les difficultés semblent
insurmontables. Le stress, les pressions internes et externes, le sentiment
d’impuissance s’attaquent au bon fonctionnement de l’organisation pour
laisser émerger les instincts primaires, les réactions de survie psychologique,
qui ont pour seul objectif de protéger chacun du sentiment de
disqualification. Car la disqualification est également l’un des visages de
cette notion de risque polymorphe : disqualification des procédures de
gestion des risques, des « agents » censés éviter les dysfonctionnements,
perte de confiance des groupes. Par expérience, on s’aperçoit qu’on qualifie
souvent de crise des situations qui font courir un risque de disqualification
alors qu’il ne s’agit que d’un incident somme toute mineur, qu’on a déjà géré
maintes et maintes fois. Mais la qualification de crise permet de justifier un
échec s’il devait survenir. Cette justification de la décision a priori est l’un
des aspects de la prise de décision qui sera abordé plus loin dans cet ouvrage.

◗ Une définition du risque retenue par l’auteur


Il est difficile de ne vouloir donner qu’une seule définition à une notion
aussi complexe que celle du risque. Plus simplement, Le Petit Larousse
illustré définit le risque comme un « danger, un inconvénient plus ou moins
probable auquel on est exposé ». Car cette notion de probabilité est aussi un

19
facteur incontournable à prendre en compte. S’il existe toujours des risques
dès lors que l’on entreprend, certains ont une probabilité d’occurrence
beaucoup plus faible que d’autres, et la classification des menaces en fonction
de cette probabilité joue un rôle important dans la politique de prévention et
de conduite des crises.

Le risque, entre objectif et résultat

Le risque mêle à la fois les notions d’objectif à atteindre, d’enjeux, d’aléas plus ou moins
probables et de conséquences. On pourrait dès lors tenter de définir le risque, dans le cadre d’une
gestion de projet notamment, comme « la probabilité d’occurrence d’un aléa dans la recherche
d’objectifs, qui aurait pour conséquences un retard ou un empêchement dans la réalisation des
objectifs assignés ».

Il semble indispensable de lier la notion de risque à celle d’objectif, car


leur interaction ramène sans cesse à la notion d’enjeu, substantifique intérêt
de l’entrepreneur et du « risqueur » : si sans enjeux, il n’y a aucun intérêt à
entreprendre, quand ils sont élevés, le risque « en vaut la chandelle ».

1.2 Interprétations du risque


Définir le risque est une chose, et même si seuls quelques aspects de la
notion ont été éclairés, des éléments de définitions ont été dégagés pour
permettre de circonscrire le sujet. Mais l’un des facteurs importants qui
entrent en ligne de compte dans l’idée même de risque, c’est justement
l’interprétation personnelle que chacun s’en fait.
La prise de risque a une dimension psychosociale évidente. La
confrontation avec des enjeux importants, la prise de décision face aux
situations de danger sont des composantes fondamentales de l’affirmation de
soi. Certains « risqueurs » n’agiraient uniquement que pour l’amour et le goût
du risque, en quelque sorte pour montrer aux autres qu’ils sont capables de
faire des choses que ces derniers n’osent pas faire. Notons que cette attitude
de risque-tout, si elle conduit souvent au dépassement de soi, pousse parfois
certains chefs d’entreprises à des pratiques « suicidaires » : Il faut savoir
renoncer quand le risque est trop élevé. En bref, la prise de risque ne doit pas
être une fin en soi.
La prise de risque et la remise en cause d’enjeux, quels qu’ils soient, sont

20
également une légitimation de l’existence de l’individu, donnant quasiment
un sens à sa vie, où « le jeu symbolique avec la mort ajoute à l’exaltation
d’être en vie, un sentiment d’être garanti. Il se forge ainsi son image par ses
limites et jalonne son existence de ses repères. À défaut de limites de sens
que la société ne lui donne plus, il recherche autour de lui des limites de faits,
tangibles… le côtoiement de la mort est générateur de sens et le goût du
risque émerge du fond d’une société crispée sur une volonté de sécurité6 ».

◗ Médiatisation et surinformation
Il est quasiment impossible aujourd’hui de se lancer dans un quelconque
projet sans que les « oiseaux de mauvais augure » ne viennent vous mettre en
garde face aux pires dangers. La plupart du temps, leur intention n’est pas de
vous prévenir pour que vous puissiez vous préparer à leur occurrence mais
plutôt pour vous dissuader de tenter toute entreprise. Et leurs ultimes conseils
prennent parfois des allures de menaces : « On vous aura prévenu ». La
description de cette attitude est peut-être exagérée, mais les « prudents », les
hypocondriaques du risque, trouvent parfois des stratagèmes beaucoup plus
discrets et insidieux pour rappeler que chacun agit à ses risques et périls et
qu’il faudra assumer seuls les conséquences d’un dérapage ou d’une crise. Il
est pourtant indéniable que la surmédiatisation des plus récentes crises n’est
pas de nature à apaiser les craintes des plus prudents ou réticents. Cet excès
d’information, sous prétexte de donner tous les renseignements nécessaires,
est beaucoup plus inhibant que propice à une préparation efficace. Il est alors
facile de perdre un peu plus cette objectivité qui devrait être la première arme
face aux événements.
L’accès à l’information et le sentiment de surpuissance qu’il génère
changent profondément la notion de risque. Qui aurait imaginé que les
révélations d’informations classifiées sur Wikileaks auraient pu engendrer
une crise de la diplomatie internationale? Il y a encore quelques années, la
gestion efficace des informations était un des facteurs clés de l’efficacité en
gestion de crise. Aujourd’hui, c’est également une menace croissante qu’il
convient de prendre en compte dès le début d’une gestion de crise.

◗ Aborder la problématique de façon objective


Pour examiner la notion de risque de façon objective, il convient donc de
bien avoir pris conscience de sa propre « image du monde » et de la

21
définition donnée par chacun de la notion de risque. Le premier « risque »
encouru dans une analyse de situation objective est le fait des préjugés et des
interprétations. Il est toujours surprenant de demander à plusieurs personnes
de lister les événements ou les situations qu’ils considèrent comme présentant
un risque : chacun fera des analyses et des appréciations différentes. Cette
diversité doit être prise en compte car elle est susceptible de tronquer une
analyse ou de privilégier un domaine considéré plus à risque qu’un autre.
28 janvier 1986 : la navette spatiale américaine Challenger explose quelques secondes
après son lancement. La commission Rodgers chargée de l’enquête établira que les joints
des réacteurs d’appoint, rendus défectueux à cause d’une température trop basse dans les
nuits précédant le décollage, sont à l’origine de l’explosion. Mais la commission Rodgers
a également établi que les grilles d’évaluation des risques utilisées par les techniciens
n’étaient pas les mêmes que celles utilisées par les décideurs. En effet, certains ingénieurs
avaient classé le risque de défectuosité des joints à cause du gel comme très probable,
alors que les décideurs avaient qualifié ce risque de négligeable.

1.3 Appréciations du risque


L’appréciation du risque reste un élément fondamental d’une politique de
prévention efficace et mesurée. Des outils d’appréciation, plus ou moins
compliqués et efficaces, ont été élaborés pour permettre une mesure et une
quantification adaptées.

◗ Quantifier le risque
Des méthodes de quantification du risque sont proposées dans de
nombreux ouvrages. Elles ont le mérite de fournir un outil d’évaluation plus
ou moins fiable et utile. Citons notamment la formule la plus classique et la
plus répandue :
Risque = gravité × probabilité d’occurrence
Dans cette formule, la gravité équivaut à la perte engendrée par la
survenue du risque : coût de l’interruption d’une chaîne de production, coût
de la perte d’un homme clé ou d’une information stratégique, frais de mise en
conformité suite à une évolution de la législation, etc. La probabilité
d’occurrence désigne, quant à elle, les possibilités de survenue du risque,
probabilité elle-même sujette à anticipation et quantification.
Il est certes très rassurant de mettre en « équation » la notion de risque
pour aboutir à une mesure ou une disposition sur une « échelle de risque »,

22
mais cette rationalisation ne contribue-t-elle pas à faire perdre de vue le côté
très subjectif de l’appréciation du risque? Peut-on mettre en formule
quasiment mathématique des notions aussi difficiles à cerner que la gravité et
la probabilité d’occurrence ?
Prenons un exemple concret : une entreprise décide de lancer un nouveau
produit particulièrement innovant sur un marché très concurrentiel. Comment
évaluer la gravité d’une attaque concurrentielle et se faire une idée sur sa
probabilité d’occurrence ?
Il convient tout d’abord de dresser un état des lieux de la concurrence sur
le marché : qui est en face de nous, qui allons-nous concurrencer avec notre
produit, quelles sont les conséquences de notre produit sur leur chiffre
d’affaires ? Il faudrait ensuite évaluer en fonction des expériences passées les
modes d’action susceptibles d’être utilisés contre nous : campagne de
publicité concurrente, riposte technique avec un produit encore plus innovant,
utilisation de moyens déloyaux (atteinte à l’image du nouveau produit, à la
réputation de la société, à l’intégrité de ses dirigeants…). Il faudrait
également estimer la perte engendrée par l’utilisation des moyens évoqués ci-
dessus, et finalement envisager les possibilités d’occurrence de chacun. Pour
en arriver à la conclusion suivante : si nous présentons un produit innovant
sur un marché très concurrentiel, la probabilité d’être la cible d’attaques
concurrentielles est très grande. Ce n’est pas la mise en formule de ce risque
qui va nous permettre de nous en prémunir. Et si, par extraordinaire, cette
probabilité contribuait à classer le risque comme impro-bable, cela nous
autoriserait-il à ne pas nous préparer à sa survenue ?
Les méthodes de mesure ou de quantification du risque ont très
certainement un intérêt, notamment pour tout ce qui concerne l’assurance de
ces risques ; toutefois elles ont le côté pervers de nous amener parfois à
négliger des risques très improbables, mais dont la gravité en cas
d’occurrence pourrait être fatale à l’organisation.
Le risque de voir deux avions de ligne s’écraser quasi simultanément sur les tours du
World Trade Center était quasiment nul en termes de probabilité. Et la gravité de cette
éventualité était telle qu’elle n’a jamais été véritablement abordée avec sérieux, ce qui
explique l’état de cataplexie qui a saisi les autorités américaines le 11 septembre 2001.

◗ Quantifier les enjeux

23
Prendre des décisions, c’est le propre de l’entrepreneur. Pour les prendre,
il faut pouvoir mettre en balance ce que l’on risque et ce que l’on peut
gagner. Là encore, chacun évalue ses enjeux en fonction des objectifs qu’il
désire atteindre et des moyens qu’il est prêt à mettre en œuvre pour les
atteindre.
À chacun d’établir sa propre échelle d’enjeux, et de savoir jusqu’où il est
prêt à aller pour les atteindre.

2. Clarifier la notion de crise


« Il ne peut pas y avoir de crise la semaine prochaine.
Mon agenda est déjà plein. »
Henry A. Kissinger

La notion de crise s’est profondément rapprochée ces dernières années de


la notion d’univers chaotique. Un système dynamique est dit chaotique si une
portion significative de son espace présente simultanément deux
caractéristiques : une forte sensibilité aux conditions initiales et une
grande récurrence. La notion de « sensibilité aux conditions initiales » est
intéressante dans le contexte de la gestion des crises, car elle explique en
partie la fin de l’approche linéaire de la notion de crise. Dans un système
dit chaotique, une modification, même infime, des conditions initiales peut
entraîner des résultats imprévisibles sur le long terme : c’est « l’effet papillon
». Cette notion de la crise, système chaotique en perpétuel changement,
mérite d’être définie pour mieux la cerner.

2.1 Définition
La crise peut tout d’abord être définie en étudiant ses causes et ses
origines : c’est souvent ce que l’on fait quand on analyse une crise passée.
Comment est-elle survenue, quels en ont été les signes annonciateurs, aurait-
on pu les prévoir, pourquoi ne les a-t-on pas vus ?
On peut également définir la crise en envisageant son issue et ses
conséquences : si cela se produit, que va-t-il se passer et comment gérer les
conséquences de l’incident ?
Ces « saucissonnages » ne conviennent plus à la mise en œuvre de
politiques d’anticipation et de gestion des crises. Les auteurs les plus récents

24
ont envisagé la crise comme un processus global, au cours duquel les causes
et les conséquences s’entremêlent pour générer une situation instable et
particulièrement difficile à piloter.

◗ Définitions d’auteurs
Depuis une bonne trentaine d’années, une littérature spécifique s’est
développée autour de la crise et du risque. Quelques définitions, même
anciennes, permettent de mieux cerner cette notion fluctuante et, là encore,
subjective. Si aucune ne fournit la définition idéale, elles permettent de
susciter la réflexion et la discussion pour en tracer les contours.
En 1963, Charles Herman définit la crise comme « un événement
surprenant les individus et restreignant leur temps de réponse, et menaçant
leurs objectifs prioritaires7 ». Il lie donc à la crise les notions de surprise, de
décision dans l’urgence et d’atteinte aux objectifs fixés.
J. E. Dutton, en 1986, voit la crise comme « une situation ambiguë où les
causes et les effets sont inconnus ». Il est indéniable que la crise est toujours
ambiguë, au sens notamment où elle contient dans sa dynamique à la fois
tous les ingrédients de la réussite et de l’échec. Cependant, si les effets de la
crise sont souvent inconnus à son commencement, il est risqué de penser que
ses causes le sont aussi. Ce serait peut-être avoir une vision trop fataliste, car
des causes inconnues semblent par essence difficiles à anticiper.
Dans une définition de 1988, Ian Mitroff introduit clairement la notion de
probabilité d’occurrence en identifiant la crise comme « un événement à
faible probabilité et à fort impact », impact dû peut-être à sa faible
anticipation induite par sa faible probabilité.
Une autre définition intéressante a été élaborée par l’Institut des hautes
études en sécurité intérieure8 : « La crise est une déstructuration rapide de
tous les repères, une dérégulation des mécanismes et des réactions
habituelles. C’est une dynamique qui s’auto-alimente par un effet boule de
neige provoquant une incapacité grandissante à maîtriser l’incertitude ».

◗ La crise : un triple défi


S’il est un auteur qui a notablement défriché la notion de crise et a permis
une large prise de conscience de la nécessité d’anticiper pour conduire ces

25
situations, c’est indéniablement Patrick Lagadec, directeur de recherche à
l’École polytechnique et auteur de nombreux ouvrages sur ce sujet9.
Pour Patrick Lagadec, « nous sommes entrés dans une ère d’événements
d’un genre nouveau caractérisés par leur vitesse de propagation, leur
hypercomplexité, leur dimension mondiale, l’ignorance dans laquelle ils
placent les acteurs concernés et le caractère impensable de leur nature10 ».
Cette notion d’hypercomplexité est particulièrement intéressante car elle
intègre à la notion de crise une notion qui lui est indissociable, celle
d’incertitude. On ne peut pas tout prévoir, et les modèles d’anticipation et de
prévision ont montré leurs limites. Il va falloir désormais accepter cette zone
de flou qui enveloppera les crises de demain.

◗ Une définition de la crise


Au vu de ces diverses approches et visions des auteurs, il est complexe de
vouloir donner une définition unique. Mais elle pourrait peut-être être celle-ci
: « La crise se caractérise par une situation sortant du cadre habituel des
incidents connus, avec la nécessité de prendre en urgence des décisions
stratégiques et d’organisation. Les enjeux apparaissent comme exorbitants,
multiples, et pour la plupart ne se révèlent qu’au fil du temps. »

2.2 Interprétations
Définir la crise est difficile, mais trouver une définition qui satisfasse tout
le monde l’est encore plus. Les expériences sont aussi nombreuses que
variées, et chacun aura de la crise sa propre perception.

◗ La crise perçue
En situation dégradée, quand les événements se bousculent et que
l’urgence à prendre une décision se fait encore plus prégnante, l’objectivité
devient subjectivité et la perception de chacun prend le pas sur le sens
commun.
Christophe Roux-Dufort11 voit dans la crise « un concept
fondamentalement lié à la perception que peuvent en avoir les acteurs. Une
même situation peut être perçue par certains comme une crise et par d’autres
comme une simple perturbation inhérente à la vie des affaires. L’ambiguïté

26
du concept, abusivement employé pour décrire toutes sortes de situations
dont les causes et les effets se révèlent ambigus, a contribué à vider la notion
de son sens. Elle pose aussi le problème de définition des situations que les
dirigeants ont à gérer ». En bref, il semble évident que chacun voit la crise à
sa porte. À chacun donc d’en définir les concepts et les contours pour pouvoir
l’identifier au plus tôt.
Il est également intéressant de noter l’appréciation de A. Bolzinger12 dans
le Bulletin de psychologie. Il caractérise la crise vécue par quatre mots clés :
◆ Soudaineté : la crise est ressentie comme un événement foudroyant
qui fait irruption dans la vie du sujet, même lorsqu’elle est progressive et
s’installe en quelques jours.
◆ Incoercibilité : la crise s’impose jusque dans l’intimité du sujet avec
une actualité pressante et inéluctable.
◆ Incompréhensibilité : la crise est perçue comme un étrange concours
de circonstances ; même si le sujet adhère à la logique de la situation qui le
saisit, il conserve néanmoins un fond de surprise et de bouleversement
mystérieux.
◆ Facticité : la crise est, pour le sujet, comme une parenthèse
brusquement détachée du déroulement habituel de son existence, un moment
paroxystique qui est vécu comme une réalité objective mais séparé de la
réalité objective.

◗ Le stress, modificateur de la perception


Le stress, s’il peut être un allié quand il focalise l’attention et incite à
l’action, sait aussi être un adversaire en modifiant la perception objective.
Cela explique parfois pourquoi certaines personnes se « noient dans un verre
d’eau » ou ne perçoivent que « l’arbre qui cache la forêt »13.

3. Changer les mentalités


Les années de crise que les individus et les entreprises ont eu à subir
depuis 2008 ont manifestement modifié les mentalités de chacun. Si au début
des années 2000, rares étaient ceux qui pensaient avoir un jour à faire face à

27
une crise, aujourd’hui, tout le monde a pris conscience que la crise est
devenue une réalité quasipermanente.
Dans un tel environnement, les organisations et ceux qui les composent
doivent désormais intégrer deux notions fondamentales : complication versus
complexité. Un système compliqué est un système qui est régi pas une
multitude de paramètres, que l’on peut identifier et dont on connaît l’impact
les uns sur les autres. Un tel système permet d’être dans une logique de
modélisation, et donc de procédures dans lesquelles tout est prévu, identifié,
et qui sont remplies de réponses à des problèmes prévisibles. Par contre, un
système complexe est un système dans lequel, parmi une multitude de
paramètres prévisibles, se trouve au moins un paramètre aléatoire, ou
imperceptible, ou inacceptable dans le cadre de référence de celui qui
l’observe. Et quand plusieurs dizaines de paramètres sont devenus aléatoires,
imperceptibles ou inacceptables, la complexité s’installe pour longtemps.
Le management de crise est devenu le management de la complexité : des
situations où l’aléatoire est devenu systématique et où l’incertitude est un
paramètre permanent. Face à cette incertitude croissante, constituant
désormais une constante incontournable, un changement des mentalités est
nécessaire. La complexité, si elle nous fait passer d’une logique de
modélisation à une logique de l’aléatoire, permet aussi quand elle est
acceptée d’utiliser les crises comme des opportunités de changement, de
mutation et de perfectionnement.
Il faut donc arriver à cette conclusion peu rassurante : le monde est
incertitude, et il faudra vivre avec ce sentiment de malaise que tout le monde
cherche à se cacher et dont chacun se protège en confortant ses certitudes,
même fausses. Raymond Vaillancourt décrit bien ce mécanisme de défense :
« Cette incertitude récurrente provoque une insécurité personnelle qui
cherche à se résorber par une vaine tentative de soumettre la réalité aux
solutions ayant déjà donné des résultats. Devant l’échec, cela renforce
l’impression d’une généralisation de l’incertitude. L’insécurité demeure du
domaine personnel et sera principalement résorbée en fonction de la façon
avec laquelle nous aborderons l’incertitude. Quant à cette dernière, il est
possible de la gérer en l’intégrant comme une donnée de base de la situation
actuelle et un élément incontournable du futur14 ».
Les dernières années nous ont démontré les failles colossales que

28
génèrent les fausses certitudes : les attentats du 11 septembre 2001 en sont un
exemple douloureux.

Les auteurs des détournements d’avion du 11 septembre ont fondé leur action sur trois
fausses certitudes majeures, qui ont rendu illisibles tous les signaux annonciateurs d’une
telle tragédie. La première faille dans le système fut le fort sentiment d’invulnérabilité du
territoire américain. En effet, la dernière action de guerre sur le territoire des États-Unis fut
le bombardement de la flotte dans le port de Pearl Harbor par l’aviation japonaise en
décembre 1942. Depuis cette date, les USA ont mené de multiples opérations militaires
(Corée, Vietnam, Panama, Irak) mais jamais sur leur propre territoire. Il était dès lors
impossible de réellement prendre en compte le fait qu’un pays capable de porter en
quelques heures la guerre en n’importe quel point de la planète puisse être attaqué sur son
propre territoire. Depuis la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du Pacte de Varsovie,
aucune armée au monde n’aurait pu mener à bien une telle action.
La seconde certitude qui a rendu les USA vulnérables fut l’illusion que toutes les
informations ou les renseignements disponibles sur les menaces éventuelles étaient traités
de façon efficace. Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que l’information indiquant
qu’un groupe de personnes potentiellement suspectes, originaires du Moyen-Orient,
prenait des cours de pilotage dans diverses écoles des États-Unis était connue de certains
membres du FBI. Mais cette information, noyée parmi les millions d’autres captées chaque
jour par les systèmes d’écoute ou de renseignement américains, n’a pas été appréciée à sa
juste valeur.
La dernière certitude, enfin, fut de croire que les services de sécurité et les multiples
agences américaines travaillaient main dans la main et en parfaite coordination.
Prises une à une, ces fausses croyances auraient pu être assimilées à des
dysfonctionnements du système. Pourtant, leur tragique conjugaison a fait que
l’organisation la plus avancée en matière de sécurité d’un territoire a été mise en défaut par
une vingtaine de terroristes armés de cutters.

S’il n’existe pas de bonne certitude, il en est une fondamentale : rien n’est
certain, mais l’instable peut malgré tout se gérer.

3.1 Les mauvaises certitudes


face au risque
S’il n’existe pas de bonne certitude, il semble évident que les mauvaises
pratiques sont légion : en la matière, tout est malheureusement possible. Le
schéma ci-après récapitule les principales «mauvaises certitudes » que l’on
peut constater en gestion des risques et des crises.

29
Les bonnes et mauvaises certitudes face aux risques

Si l’on observe le découpage en quatre parties de ce schéma, on constate


en haut à gauche le carré des « Inquiets pas prêts » : la conscience du risque
est présente, parfois trop exacerbée, mais la préparation à gérer ce risque
possible est inexistante et souvent considérée comme inutile.
En bas à gauche, le carré des « Pas inquiets donc pas prêts » : il n’existe
aucune conscience du risque, et si par hasard il en existait une, on ferait tout
ce qu’il faut pour la dissimuler ; il n’y a donc aucun intérêt à se préparer. Le
carré en haut à droite regroupe les « Prévenus préparés » : c’est la conscience
efficace du risque encouru et la mise en œuvre des moyens adéquats pour le
prévenir. Cette dernière attitude, que d’aucuns qualifient parfois d’« esprit
commando » de l’entreprise, est malheureusement trop rare chez les
managers ou les chefs de projets.

◗ L’insouciance :
« Le risque ? À quoi ça sert ? »

On pourrait se dire que les insouciants sont les managers les plus

30
audacieux et les plus entreprenants car ils ne sont pas limités par ce frein
inhibiteur qu’est l’appréhension face aux risques et aux aléas. Il n’en est rien :
si la peur n’efface pas le danger, elle est malgré tout un bon indicateur du
moment où il faut se poser la question du risque et de ses conséquences pour
faire le point sur ce qui a été prévu au cas où cela se passerait mal. Or, celui
qui n’a peur de rien est dangereux, pour lui et pour les autres, a fortiori dans
le cadre d’une gestion de projet « à risques ».
Quand la crise se déclenche, l’impression d’incrédulité fige les esprits,
pousse les décideurs dans une impasse imaginaire qui laisse à la crise le
champ libre pour proliférer et contaminer le reste de l’organisation. Après
cette première impression d’irréalité, ce sont généralement les sentiments
d’impuissance et d’injustice qui s’installent. Ces émotions, très légitimes
mais malheureusement particulièrement déstabilisantes, ne sont pas plus
efficaces car elles donnent l’impression que tout est perdu ou elles poussent à
réagir avec impulsivité sans prendre le recul nécessaire à une bonne
adaptation à la situation.

◗ La politique de l’autruche :
« Rien ne peut nous arriver. Pas à nous… »

La « politique de l’autruche » est une mauvaise certitude, moins appuyée


que l’insouciance, mais elle est cependant tout aussi génératrice de
dysfonctionnements. Sans qu’il puisse l’expliquer clairement, celui qui est
persuadé que rien ne peut lui arriver à lui va développer un argumentaire pour
justifier son attitude.
Il y a quelques années, un célèbre producteur de Vins et Spiritueux a refusé de mettre en
œuvre une politique de prévention du risque concurrentiel sous prétexte « qu’il est
impensable que quiconque puisse oser s’en prendre à une marque comme nous! » Il
soutenait mordicus, statistiques à l’appui, que le risque de voir des boissons de la marque
contrefaites inonder le marché était tellement improbable qu’il valait mieux en rire. Et les
attaques similaires dirigées contre d’autres produits de luxe, y compris de grande marque,
n’y ont rien changé. Le rire n’a été que de courte durée : dans les mois qui suivirent, les
marchés émergents de ce groupe étaient inondés de spiritueux contrefaits à des prix
défiant toute concurrence. Il est fort probable que la prise en compte de ce risque n’aurait
pas empêché sa survenue, mais la détection en amont des réseaux de contrefaçon, la
coordination avec les services officiels de lutte contre ces pratiques, une politique de
communication offensive et ciblée en direction des distributeurs auraient pu limiter les
conséquences de cette crise.

On constate actuellement cette attitude en matière de protection de

31
l’information stratégique. Le formidable développement de l’intelligence
économique fait de l’information économique et concurrentielle une cible
privilégiée pour les concurrents, qu’ils soient privés ou publics. Ce risque,
qui n’est pas nouveau mais dont la prise de conscience collective reste très
récente, n’est toujours pas systématiquement inclus dans les plans de crise
des entreprises.
Dernièrement, le dirigeant d’une PME travaillant sur une niche technologique liée à
l’aéronautique indiquait dans la presse que son activité était « marginale » pour les grands
groupes du secteur (ses clients pour la plupart) et que son activité ne saurait susciter un
quelconque intérêt de la part des « chercheurs d’informations » gravitant dans les
domaines de la haute technologie. Ce qui revenait à affirmer que « le risque existe, mais il
ne s’applique pas à moi ». Bien mal en a pris à ce dirigeant car à quelques jours de
déposer un brevet capital pour la continuité de son activité, un de ces concurrents
étrangers lui a damé le pion et a déposé la même innovation technologique auprès des
instances officielles. Malgré les recours engagés, il lui a été impossible de prouver que
l’idée avait été subtilisée par son concurrent même si la très grande proximité de la
conception laissait à penser que c’était effectivement le cas. Aujourd’hui, le dirigeant
malheureux a pris des mesures de protection de son information stratégique. Il n’est
jamais trop tard pour bien faire…

Cette idée que « ça n’arrive qu’aux autres » peut parfois empêcher la


prise en compte de signes annonciateurs flagrants. Ce sentiment va
construire, de façon irrationnelle, un mur autour de la personne, et les
éléments extérieurs, les signaux d’alarme qui pourraient mettre en garde sur
l’imminence d’une crise vont être tout simplement «mis sous cloche » pour
ne pas venir déstabiliser une croyance rassurante mais totalement stérile.

◗ L’esprit de forteresse :
« Rassurez-vous, tout est prévu et sous contrôle! »

Quand une entreprise développe un véritable esprit de forteresse et un fort


sentiment que tout est prêt en interne pour affronter les turbulences, il existe
déjà une forte conscience des risques. La moitié du chemin est donc déjà faite
dans l’anticipation et la prise en compte des dangers environnants. Mais le
dysfonctionnement naît de l’impression que la cohésion des équipes et que la
bonne volonté de tous suffiront à gérer l’événement s’il se produit. On sait
qu’on va devoir jouer un match, mais on pense qu’il est inutile de s’entraîner
parce que l’équipe est naturellement efficace. Malheureusement, ce n’est pas
parce qu’une équipe peut mener à bien un projet difficile dans son domaine
d’activité qu’elle saura, de la même façon, gérer une crise qui, par nature,

32
projette l’organisation hors de son domaine classique d’action.
En général, les organisations développant l’esprit de forteresse ont une
ébauche d’organisation de crise. Elles en ont peut-être aussi affronté, souvent
avec succès, et ont donc l’impression qu’elles peuvent « gagner » à tous les
coups. Cette certitude que « tout est sous contrôle » pousse à négliger le fait
que les menaces d’aujourd’hui sont polymorphes, mouvantes et transversales.
Cette illusion d’être bien préparé va produire un effet d’accélération
dévastateur dans le cas où la situation s’avère beaucoup plus difficile à
maîtriser que prévu. Dès lors que l’organisation, sûre de son indéfectible
fiabilité, va constater les premières disqualifications dues à l’instabilité de la
situation ou à la complexité de l’incident, tout le système va se désagréger.
C’est la perte de l’illusion d’« omni-efficience » qui va être l’élément le plus
dévastateur de la crise. C’est en général à ce moment-là que chacun ou que
chaque entité de l’organisation va rejeter la responsabilité de l’incident sur les
autres. Dès lors, c’en est fini de la cohésion et de l’unité. La confiance perdue
sera difficile à retrouver.

◗ Excès de confiance et manque d’humilité :


« Nous sommes naturellement prêts à affronter tout imprévu »

L’excès de confiance est une fausse certitude qui reste proche de l’esprit
de forteresse mais qui diffère par le fait que la conscience du risque est en
général bien moins présente et la préparation faible. Pourquoi se préparer
puisque nous sommes naturellement bons ? Ce manque d’humilité et le
sentiment d’invulnérabilité qui en découle donnent l’illusion que même si
notre environnement n’est pas totalement sous contrôle, nous pourrons
affronter les turbulences sans problème.
Ce dysfonctionnement génère souvent une tendance à la prise de risque
irraisonnée tant que tout se passe bien. Le retour de bâton est alors d’autant
plus violent le jour où l’imprévu se produit et lorsqu’on s’aperçoit que
l’organisation est incapable d’y faire face, généralement submergée par
l’ampleur de la tâche à accomplir et l’énormité des enjeux et des
conséquences de la crise.

◗ L’excès de prudence :
« Surtout, ne faites pas bouger le bateau! »

33
Les adeptes de l’excès de prudence ont en général une conscience
exacerbée des risques. Cette conscience est telle qu’elle les plonge dans une
sorte d’inertie. Cette attitude paralyse les plus courageux et décourage les
plus entreprenants. Plutôt ne rien faire que de faire courir un risque à un
système certes ronronnant mais tellement plus rassurant par sa stabilité
bonhomme.
Dès que la crise se déclenche, les premières réactions sont plutôt dans la
recherche des responsabilités que dans la prise en main efficace de la
conduite de l’incident. Tout ce qui convient pour entraver un peu plus le
retour à la confiance et la motivation par l’initiative.

3.2 Créer un état d’esprit


Il n’existe pas de profil type de bon conducteur de crise. Il n’existe pas
non plus un état d’esprit idéal qui, une fois qu’il aurait été adopté et compris,
permettrait d’affronter toutes les situations et de résorber toutes les situations
à risque. Mais il semble évident que sans un certain état d’esprit, qui sera
décrit plus bas, les chances de réussite sont sérieusement compromises.

◗ Accepter la notion d’incertitude


« Il s’agit moins d’imaginer l’inimaginable
que de s’entraîner à lui faire face. »
Janek Rayek

L’incertitude génère une désagréable sensation car elle met en doute les
capacités des organisations à tout anticiper et à tout prévoir. Rien de plus
rassurant que d’épaisses procédures dans lesquelles tous les problèmes et
toutes les solutions ont été envisagés, pensés et consolidés. Or, cette « zone
de danger » ne peut être acceptée et appréhendée que si l’incertitude est
acceptée comme un paramètre incontournable de la gestion des crises.
Le premier pas vers un état d’esprit adapté à l’anticipation des risques et à
la conduite de crise, c’est avant tout accepter la part d’incertitude inhérente
à toute activité. Cette zone « grise » des situations imprévisibles ne sera de
toute façon jamais sous le contrôle des managers ou des dirigeants. Dès lors,
il faut la considérer comme partie intégrante du « jeu » et l’accepter quand
elle vient entraver le bon déroulement d’un projet ou d’une stratégie.
Si l’incertitude fait partie du jeu, il faut donc apprendre à gérer la

34
surprise. Bertrand Robert et Catherine Weber15 mènent depuis quelques
années des réflexions particulièrement intéressantes et innovantes sur la
notion de surprise dans la gestion des crises. Ils ont envisagé la surprise selon
deux angles opposés : la surprise comme adversaire, mais également la
surprise comme outil de gestion des situations à risque. Apprivoiser la
surprise, apprendre à l’affronter sans qu’elle ne suscite un excès de stress ou
de panique, voilà une attitude constructive pour se forger un état d’esprit
gagnant. Cet apprentissage passe notamment par la conduite d’exercices «
non conventionnels », sortant du cadre habituel des simulations et mettant les
participants face à des situations impensables et hors du commun. Ces mises
en situations participeront à l’émergence de cette capacité d’adaptation et de
créativité qui transforme la surprise en alliée.

◗ Humilité face aux situations


Quand on s’interroge sur les qualités essentielles que devrait avoir le bon
gestionnaire de crise, on a rapidement tendance à dresser un inventaire à la
Prévert qui reprend les qualités du dirigeant : leadership, capacité à travailler
en équipe, motivation ; les personnes qui l’évoquent le font souvent du bout
des lèvres. Or, l’humilité est une qualité essentielle dans la conduite des
crises. Dans ce domaine, il n’existe pas de champion du monde. En gestion
de crise, le moment le plus risqué est celui où l’on pense avoir réussi à
juguler la situation. C’est en général la phase au cours de laquelle il faudra
être le plus attentif.
Le culte de l’erreur n’existe malheureusement pas encore assez chez les
managers ou les dirigeants. La terrible phrase « Nous n’avons pas le droit à
l’erreur » exprime à elle seule la difficulté à faire passer un message essentiel
: progresser, c’est changer d’erreur. Tout le monde a le droit à l’erreur, et on
pourrait rajouter « fort heureusement ». Ce qui est interdit, c’est de faire deux
fois la même erreur. C’est à ce moment que l’erreur devient une faute et
engage pleinement la responsabilité de celui qui la commet.
La remise en cause personnelle est un gage de progression et d’efficacité.
Personne ne détenant LA vérité, il est normal d’apprendre chaque jour de ses
actions, qu’elles soient positives ou négatives. Encore faut-il accepter
d’identifier les erreurs commises, et ne pas considérer celles-ci comme des
marques de faiblesse. Cette aptitude, qui s’exprime notamment à l’occasion

35
de débriefings efficaces16, nécessite une certaine confiance au sein de
l’équipe de crise, ainsi qu’une véritable maturité.
Dernier élément renforçant l’idée que l’humilité est primordiale : il n’y a
pas de « petite crise ». Bon nombre de dirigeants ne daignent pas se pencher
sur des situations qu’ils n’évaluent pas comme des crises « dignes de leur
rang ». Or, bon nombre de situations dégradées portent en elles les germes de
catastrophes d’ampleur incommensurable. Il ne faut pas considérer que
certains risques ne méritent pas l’attention ; tous doivent être examinés avec
sérieux pour éviter qu’ils ne se transforment en événement disqualifiant.

◗ La capacité à s’adapter
La capacité d’adaptation est un corollaire naturel de l’acceptation de la
notion d’incertitude et de l’humilité face aux situations. Cette capacité est
l’aptitude à remettre en question, à « chaud » et dans la tourmente, ses
certitudes et ses préjugés pour pouvoir faire face au problème de la manière
la plus efficace qui soit. Savoir réajuster son jugement, ses choix, ses
décisions est une aptitude qui n’est pas forcément naturelle et qui se travaille
au jour le jour. Loin d’être une marque d’instabilité, cette aptitude à modifier
son comportement est une force du dirigeant. Pour André Gide, «
l’intelligence, c’est la faculté d’adaptation ».
La capacité d’adaptation est également étroitement liée à la créativité que
chacun peut développer face aux problèmes. S’adapter, c’est parfois trouver
une solution innovante ou inédite à un problème donné, sortir du cadre et des
habitudes. Un problème particulier qui se transforme en crise, c’est parfois un
problème auquel on a appliqué des solutions anciennes qui n’ont pas
fonctionné.

◗ La prise de risque
« Who dares win »
Devise du SAS17

Est-il possible d’imaginer être réellement efficace, innovant et offensif,


notamment dans le monde des affaires, sans jamais prendre de risques ? Peut-
on réellement imaginer vivre sans jamais prendre aucun risque ?
Heureusement, il n’est pas nécessaire de se poser la question à chaque
instant. La prise de risque personnelle est relativement bien acceptée par tous,

36
justement parce qu’elle est personnelle. Alors, comment expliquer qu’il soit
si difficile de la faire accepter dans le monde de l’entreprise et dans la gestion
de crise ?
Beaucoup de dirigeants évoquent le manque d’« esprit commando » dans
leurs équipes, le manque de prise d’initiative et une certaine inhibition à
prendre des décisions sensibles, même lorsqu’elles relèvent clairement de la
fiche de tâche du manager en question. Mais les dirigeants parfois si critiques
font-ils ce qu’il faut pour valoriser la prise de risque de leurs collaborateurs ?
Ne poussent-ils pas parfois à la centralisation de la prise de décision pour
pouvoir « tout contrôler » ?
Gérer une crise, c’est décider, et donc prendre des risques. C’est là que
l’expérience entre en jeu et apporte à ceux qui savent la valoriser cette
aptitude à connaître leur propre capacité à « risquer ». C’est aussi cet effet
d’apprentissage qui permet de voir que plus les risques encourus sont grands,
plus les bénéfices obtenus par l’action sont élevés. Mais cet effet
d’apprentissage a un effet pervers, car il suffit parfois de se tromper dans une
prise de risque, et donc peut-être de perdre beaucoup, pour inhiber le
décideur pour longtemps.
Développer la capacité à prendre des risques (mesurés) est avant tout
une responsabilité de l’organisation. Elle seule peut parvenir à vaincre
ses propres blocages, et un seul individu ne peut pas bouleverser des modes
de fonctionnement « validés » par le système au sein duquel il se trouve.
L’entraînement et la pratique de l’équipe de crise sont des facteurs favorisant
cette aptitude à prendre des risques. Le management des situations instables
doit se situer entre audace et prudence.

3.3 La conscience efficace


La conscience efficace face aux crises, du fait de l’état d’incertitude
permanent de ces dernières années, commence à se développer dans les
organisations. On la trouve au sein des EHVA18, les Équipes à haute valeur
ajoutée, qui sont constituées face aux événements inattendus et dans des
environnements complexes. Ces équipes sont également animées par ce que
l’on appelle « l’esprit commando ».

37
Qu’est-ce que l’esprit commando ?

– Une conscience réaliste des risques encourus.


– Une évaluation objective de son propre niveau de préparation.
– Une adaptation des processus d’action et de réponse en cas de survenue d’un incident.
– Une prise de risque raisonnée dans la prise de décision.
– Une auto-évaluation de la conduite des actions et un réajustement si nécessaire.

Ce ne sont encore une fois que des règles de bon sens, mais qui sont
souvent plus faciles à énumérer qu’à appliquer efficacement. Tout revient une
nouvelle fois à cette incontournable nécessité de faire évoluer les mentalités.

4. Anticiper les risques


« Ne pas prévoir, c’est déjà gémir. »
Léonard de Vinci

Après les développements ci-dessus, il semble désormais acquis qu’il est


impossible de tout prévoir. Mais ne pas pouvoir tout prévoir ne veut pas dire
attendre patiemment l’imprévu sans ne rien y faire. Il convient malgré tout
d’essayer d’anticiper les risques, du moins les plus évidents ou les plus
probables. Cette gymnastique intellectuelle, sans rendre les chefs de projet
paranoïaques, permettrait d’être moins surpris quand la crise arrive. Cela
pourrait même devenir un véritable jeu d’échecs au cours duquel la crise «
jouerait avec les blancs19 ».
Bertrand Robert20 a une approche très intéressante de l’anticipation : «
anticiper » vient du latin « Ante » et « Capere », c’est-à-dire prendre avant
d’être pris. Cet auteur fait le lien avec les termes de « proie », d’«
appréhender », ainsi qu’avec le verbe « surprendre ». Il met en avant cette «
partie de chasse aux germes de surprise et freins à l’anticipation que sont
l’orgueil, le cloisonnement des services et de l’information, la focalisation
des énergies sur un seul impératif, l’essoufflement des équipes et des moyens,
un déficit de confiance, un manque de curiosité et des carences en matière de
veille ».

En pratique

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Anticiper les risques, c’est avant tout :
– dresser un état des lieux de ce qui pourrait arriver, de tous les événements qui pourraient «
impacter » un projet ou une activité ;
– classer les risques par probabilité d’occurrence ;
– identifier les principaux signes annonciateurs qui pourraient être détectés en amont pour les
risques les plus probables ;
– garder constamment à l’esprit la notion d’incertitude.

4.1 Des qualités primordiales et indispensables


« Il y a deux types de chef d’orchestre :
celui qui a la partition dans la tête,
et celui qui a la tête dans la partition. »
Toscanini

Il existe une multitude de méthodes d’évaluation des risques, chacune


ayant ses défauts et ses qualités, selon l’objectif recherché. Encore une fois, il
semble que, pour être efficace, la phase d’anticipation du risque requiert une
tournure d’esprit appropriée, un état mental adéquat, forgé à la fois par les
expériences personnelles et la culture de l’organisation au sein de laquelle
elle se met en place.
L’anticipation du risque, qui n’est rien d’autre qu’un état des lieux et un
point de situation à un moment donné, requiert deux qualités essentielles :
l’honnêteté de l’analyse et la confiance au sein de l’équipe.

◗ Honnêteté de l’analyse
Construire efficacement sur un mensonge est impossible et impensable.
Dans l’anticipation des risques, il convient d’être particulièrement honnête et
objectif pour réduire l’incertitude. Certains pourraient parfois être tentés de
sélectionner, dans les informations et les analyses diverses faites autour d’un
projet, uniquement celles qui vont dans un certain sens. Parfois, après avoir
pris une décision qui s’est avérée être mauvaise, on s’aperçoit que seules
certaines informations ont été intégrées dans l’analyse, alors que celles qui
infirmaient la décision envisagée ont été oubliées. Quand cette sélection se
fait de façon consciente, elle confine à la malhonnêteté. Mais il peut
également s’agir d’un fonctionnement psychologique inconscient, appelé
scotomisation.
En ophtalmologie, le scotome est une anomalie passagère ou durable de la vision, qui peut
revêtir de nombreuses formes et « amputer » une partie plus ou moins grande du champ

39
visuel du patient ou, dans certains cas, l’empêcher de percevoir globalement la réalité. En
psychiatrie, la scotomisation est le fait pour un sujet d’évacuer de sa conscience un
événement pénible, un souvenir traumatisant. Les psychiatres ont utilisé ce terme
d’ophtalmologie, car il traduit bien le fait d’obscurcir une partie de ses souvenirs, comme
un scotome qui ampute le champ visuel. Sigmund Freud parlait de « déni de la réalité » en
décrivant ce type de défense contre une perception douloureuse. En ce qui concerne la
sélection des informations destinées à l’analyse de situation, ce dysfonctionnement pousse
à ne prendre en compte que les renseignements qui vont dans le sens du décideur au
détriment des autres. C’est en quelque sorte un filtre inconscient dont l’objectif est en fait
de ne conserver que les analyses qui permettront de justifier une solution envisagée à
l’avance.

◗ Confiance au sein de l’équipe


La confiance est un atout majeur à entretenir au sein des équipes qui
participent à l’anticipation des risques. Mais personne ne peut décréter la
confiance. C’est un édifice long et difficile à bâtir, et qui peut se démolir
facilement, en un rien de temps.
La confiance entre les membres de l’équipe permet à chacun de
s’exprimer en son âme et conscience, et de livrer son point de vue sans
risquer d’être rabroué par les autres. Il est parfois dommage de constater
qu’en réunion plénière, chacun reste très mesuré dans ses analyses, dans ses
choix, mais que les langues se délient et que les bonnes idées émergent
autour de la machine à café pendant la pause. La diversité de profils des
membres de l’équipe21 vise justement à développer une multitude
d’approches du risque pour enrichir la réflexion et l’analyse.
La confiance doit également exister entre l’équipe chargée du travail
d’analyse et l’instance de décision devant faire des choix de stratégie ou de
modes opératoires. Le dirigeant qui ne suit pas les recommandations ou qui
ne tient pas compte des risques envisagés se coupe du bénéfice immense de
l’anticipation. A contrario, des analystes qui savent que la confiance de leur
hiérarchie est réservée quant à leur travail ne seront pas très motivés pour le
faire en profondeur.

4.2 Identifier les familles de risques


Il est impossible de dresser une liste exhaustive de tous les risques liés à
un projet : cela tient à la notion d’incertitude déjà abordée dans cet ouvrage.
Il faut être sûr de soi, sans tomber dans l’excès de confiance, mais il faut
également savoir être prudent, sans tomber dans l’excès de prudence. Encore

40
une fois, la conscience efficace reste l’attitude qu’il convient d’adopter face
aux risques.
Pour permettre une approche méthodologique de l’identification des
risques, il est possible d’appliquer la technique de l’entonnoir. Elle consiste à
définir les grandes « familles » de risques, puis à décliner chaque famille
pour en identifier les risques les plus apparents, et enfin lister les signes
précurseurs qui pourraient annoncer leur survenue. Dès que ce travail aura été
réalisé, on pourra centraliser tous les risques identifiés dans une cartographie
globale.

◗ Le risque métier
Le risque métier est celui qui est directement lié à l’activité principale, au
cœur de métier de l’organisation.
Lorsqu’un laboratoire privé américain diffuse par inadvertance, à travers
son réseau de laboratoires partenaires, une souche du virus de la fièvre de
1957 pour lequel aucun vaccin n’est plus disponible, il s’agit d’un incident lié
au risque métier. Outre l’incidence qu’un risque métier a sur la production, il
met généralement en jeu l’image de sérieux et de compétence de
l’organisation en cause.

• L’affaire des régulateurs de vitesse n’en finit pas de rebondir. Sans que la responsabilité
des constructeurs automobiles ne soit réellement pleinement engagée, le nombre
d’incidents liés à l’utilisation des régulateurs de vitesse ne cesse de croître : impossibilité
de reprendre le contrôle de la vitesse du véhicule sur une autoroute, dysfonctionnements
généraux des modules de conduite. Même si rien ne prouve aujourd’hui qu’il s’agit d’un
défaut de conception, ces affaires à répétition mettent à mal la crédibilité technique du
système et constituent un incident lié au métier des constructeurs automobiles.
• En septembre 1999, la marque de bière Budweiser ordonne un rappel de ses bouteilles
en raison d’un risque d’ébrèchement du verre lors de l’ouverture.
• En septembre 2000, Firestone retire plus de 60000 pneus du marché après plusieurs
accidents mortels.

Les principaux risques métiers

Incident technique – Incident technique avec répercussions sur la production


– Incident dans la chaîne d’approvisionnement
Incident produit – Incident dans la conception du produit

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– Incident dans la chaîne de distribution
– Incident « perte projet »
– Perte d’une ressource humaine « clé »
– Perte d’information stratégique

◗ Risque concurrentiel
Le risque concurrentiel est le risque lié à l’activité des entités
concurrentes à l’organisation. On peut identifier dans cette famille deux types
de risques :
– ceux relevant de la concurrence « blanche », c’est-à-dire ayant recours
à des actions entrant dans le cadre d’une concurrence dite normale ;
– ceux liés à la concurrence « noire », c’est-à-dire ayant recours à des
actions clairement déloyales ou illégales.
Si les actes de concurrence blanche sont des démarches normales dans le
cadre d’une économie de marché, les actes de concurrence noire sont très
déstabilisants, souvent imprévisibles et en général difficiles à prouver pour
intenter une action en justice.

• Dans les années 1990, une société américaine a installé dans le sud de la France un
bureau de recrutement. L’objectif de ce bureau, par le biais de dizaines de faux entretiens
d’embauche, était d’obtenir des informations sur les sociétés liées à l’aéronautique
installées dans la région, réaliser une cartographie des sociétés travaillant dans le secteur et
débaucher les profils les plus intéressants.
• En mai 2005, la société Valéo se dit victime d’un acte d’espionnage économique. Une
stagiaire chinoise aurait profité de son activité pour pirater le système informatique de
l’équipementier automobile afin de se procurer les plans de systèmes et de produits non
encore mis sur le marché.

Les principaux risques concurrentiels

La concurrence « – Concurrence directe sur un produit ou sur un projet


blanche »
– Captation de clientèle
– Captation de partenaire
– Captation de ressources humaines
– Vol d’information
– Détournement de clientèle
La concurrence « noire » – Débauchage ciblé ou massif
– Campagne de désinformation concurrentielle

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◗ Risque financier
Le risque financier est lié à tous les aspects relatifs à la comptabilité et/ou
aux investissements des organisations. Il peut être du fait d’un partenaire, qui
décide de se retirer d’un projet par exemple, ou du fait d’un concurrent qui
lance une OPA hostile à un moment où la société cible est en difficulté. Il
regroupe également l’ensemble des crises liées aux fraudes et aux
malversations.
En décembre 2000, le groupe Enron est mis en cause dans une affaire de falsification de
documents comptables, entraînant ainsi la chute d’Andersen et une vaste vague de
défiance dans ce secteur d’activité.

Les principaux risques financiers

Le risque « partenaire » – Retrait d’investisseurs


– Fraudes financières de partenaires
– Fraudes financières internes
Le risque « concurrent » – OPA hostile
– Effet de contagion des fraudes financières d’un concurrent

◗ Risque légal
Le risque légal est le risque lié à l’environnement juridique et
réglementaire du projet ou de l’activité. On peut notamment identifier dans
cette famille de risques les mises en causes judiciaires de la société ou de ses
dirigeants.

• En décembre 2002, la mise en cause des dirigeants de la société Buffalo Grill dans le
cadre des enquêtes sur la mise en vente de viande britannique, malgré l’embargo lié à la
crise de la vache folle, a été une épreuve difficile à gérer pour cette société. Les
expressions « garde à vue » et « mise en examen » sont lourdes de sens pour le public des
médias, même si elles ne signifient en rien la culpabilité de ceux qui sont soumis à ces
mesures judiciaires.
• En novembre 1999, la célèbre agence de mannequin Élite est mise en cause pour
harcèlement sexuel dans un reportage diffusé par la chaîne de télévision britannique BBC.
De multiples plaintes seront déposées par d’anciens mannequins.
• En septembre 2000, le premier groupe laitier italien Lactalis est mis en cause dans le
cadre d’une affaire de falsification portant sur plus de 65 % de sa production. De
nombreux producteurs locaux seront gravement impactés par cette affaire.

On peut également identifier dans cette famille toutes les modifications

43
de l’environnement légal qui peuvent porter atteinte au bon fonctionnement
de l’organisation, ainsi que les jurisprudences des tribunaux qui clarifient des
points de législation.

• Le 15 octobre 1992, le ministère des Finances français décide de mettre fin à la pratique
des comptes courants rémunérés, entraînant par là même une crise au sein de certaines
banques spécialisées, comme la banque Cortal, qui s’étaient développées sur ce produit. Il
est à noter que le ministère des Finances est revenu sur cette décision en 2005.
• En juin 1993, le Groupe Yves Saint-Laurent lance un nouveau parfum baptisé «
Champagne ». Après des plaintes de producteurs de Champagne, le nom du parfum sera
interdit par la cour d’appel de Paris le 15 décembre 1993 car utilisant une appellation
d’origine contrôlée.

Les principaux risques légaux

Mises en cause – Procès intentés contre l’organisation : harcèlements,


judiciaires
infractions à la législation du travail,
– Mise en cause de la responsabilité pénale du dirigeant
Changement de – Modification des lois et règlements
l’environnement légal – Apparition de jurisprudences « disqualifiantes »

◗ Risque social
Le risque social est constitué des actions, mouvements ou actes
revendicatifs qui, justifiés ou non, sont susceptibles de modifier la bonne
marche de l’activité de l’organisation. Les grèves des chauffeurs routiers de
la fin des années 1990 ont largement pesé sur l’ensemble de l’activité
économique nationale, bien au-delà semble-t-il des attentes des grévistes.
En 1998, à la veille de la Coupe du monde de football, les pilotes de la compagnie
aérienne Air France affiliés au Syndicat national des pilotes de lignes déclenchent un
mouvement de grève. Le gouvernement menace d’utiliser l’armée pour mettre fin au
conflit.

On constate également, depuis quelques années, l’occurrence de


mouvements revendicatifs particulièrement innovants et « crisogènes »,
organisant notamment des rétentions de dirigeants ou des opérations «
commando ».
En 2000, des salariés d’une usine de l’est de la France se sont retranchés dans leur site de
production à la suite de plans sociaux successifs. Afin d’imposer un rapport de force dans

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les négociations, ils ont menacé de déverser les produits chimiques destinés à la
production dans une rivière voisine, au risque de polluer l’environnement de façon
importante.

Les principaux risques sociaux

Mouvements de clientèle – Boycottage


– « Détournement » de produit ou de publicité
– Campagne diffamatoire
Actions de groupes de – Liés à l’environnement
pression – Liés à des mouvements politiques ou religieux
Mouvements sociaux – Tensions sociales indirectes
– Tensions sociales ciblées
– Occupation des locaux
Actes portant atteinte à – Occupation des locaux avec menaces graves
la sécurité ou à la sûreté – Rétentions de personnels

◗ Risque image
Le risque image est celui dont l’occurrence peut nuire gravement à la
notoriété ou la réputation de l’organisation. Cette atteinte peut être directe
quand elle vise l’entité en question.

• Le 22 juin 1983, le Canard Enchaîné révèle une vaste escroquerie financière liée au
projet des avions renifleurs, mettant en cause plusieurs personnalités politiques et des
cadres de sociétés d’aéronautique.
• En juin 2004, le film de Morgan Spurlock intitulé Supersize me met en cause la chaîne
Mc Donald dans le phénomène de l’obésité aux États-Unis.

L’atteinte peut également être indirecte quand elle touche un partenaire ou un concurrent
travaillant dans le même secteur d’activité.
En janvier 1996, le scandale de l’ARC éclate : la Cour des comptes publie un rapport
accablant qui met en cause certains dirigeants pour une série de malversations financières
dont l’association ne se relèvera que difficilement. Les autres associations du même
secteur seront indirectement touchées par cette affaire et verront leurs donations diminuer
de façon importante alors qu’elles ne sont nullement impliquées dans l’affaire.

Les principaux risques liés à l’image

Atteintes indirectes – Atteinte à l’image d’une société « partenaire » ou travaillant dans


le même secteur d’activité

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– Atteinte à l’image d’un produit au sens large
Atteintes ciblées – Rumeurs concernant la société
– Campagne de désinformation ciblée

◗ Risque(s) environnement et sanitaire


Les risques liés à l’environnement regroupent l’ensemble des risques
naturels (tremblements de terre, incendies majeurs, glissements de terrain)
ainsi que les incidents ou événements qui pourraient gravement dégrader
l’environnement.
Les risques sanitaires sont les événements, de quelque nature qu’ils
soient, risquant de porter atteinte à la santé publique. En la matière,
l’ensemble du vocabulaire spécifique (alerte, crise, retrait, rappel) est défini
par la DGCCRF22. Les dispositions réglementaires prévues dans ce domaine
imposent aux entreprises de veiller à la sécurité de leurs produits et donc de
mettre en place un dispositif efficace de contrôle de ceux-ci.
Si certains risques peuvent être envisageables, d’autres sont beaucoup
plus surprenants. Les organisateurs du Teknival organisé en avril 2005 à
Marigny-le-Grand se seraient-ils douté qu’une chenille processionnaire,
Euproctis Chrysorrhoea ou bombyx à cul brun, viendrait entraver leurs
projets ? Réveillées par les dizaines de milliers de participants à cette
rencontre de la musique techno, ces chenilles urticantes ont largement gâché
la fête, entraînant notamment un arrêté préfectoral annulant l’événement pour
des raisons sanitaires.

• Le 1er novembre 1986, à la suite d’un incendie dans une usine chimique Sandoz près de
Bâle, du mercure est déversé dans le Rhin, provoquant une crise écologique hors du
commun.
• En janvier 2003, la neige bloque l’autoroute A 10, gérée par la société Cofiroute, et
bloque pendant plusieurs heures 15000 véhicules.
• En août 2003, une canicule sans précédent s’abat sur la France. 12000 décès lui sont
imputés, obligeant le ministre de la Santé à démissionner. Les principaux risques liés à
l’environnement

Catastrophes naturelles – Destruction des moyens de production


– Destruction des produits
Catastrophes humaines – Risques de pollution de l’environnement
– Pollution de l’environnement

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Crise sanitaire – Contamination de produit de consommation par un élément
pathogène

◗ Risque sûreté-sécurité
Le risque Sécurité regroupe les situations liées au domaine « hygiène et
sécurité ». Force est de constater que ce type de risque est largement pris en
compte, notamment du fait des obligations légales qui pèsent sur l’employeur
et des actions efficaces de la plupart des CHSCT23.
Le risque sûreté regroupe quant à lui les atteintes volontaires aux
personnes et aux biens, sous toutes leurs formes.

Les principaux risques sécurité

Sécurité du travail – Accident du travail


– Destruction accidentelle des biens de production
Sûreté du travail – Destruction volontaire des biens de production
– Vols de marchandises ou d’outils de production
– Contrefaçon
– Agressions sur le lieu de travail
– Extorsion, chantage, menace « produit »
– Kidnapping
– Terrorisme

Fin 2003, une entreprise française travaillant dans un pays africain est confrontée à une
crise de sûreté : deux de ses ingénieurs, un Belge et un Français, sont kidnappés. La
panique gagne le reste des personnels expatriés dans ce pays ; ceux-ci menacent d’exercer
leur droit de retrait et demandent à rentrer en France. Cette société ne peut se permettre
d’arrêter son exploitation, au vu notamment des colossales pénalités établies
contractuellement avec son donneur d’ordre. Après avoir sollicité le soutien d’une société
spécialisée dans la sécurisation du développement international, les deux ingénieurs seront
récupérés rapidement et les autres personnels sécurisés dans la durée.

4.3 Identifier les risques par famille


L’identification par famille permet de structurer la phase d’anticipation et
d’organiser le travail par thème. Avant de réaliser la mise en commun de
cette phase dans le cadre de la cartographie des risques, la mission
d’identification va être confiée à chaque département ou direction en fonction
de la « famille » de risques qui le concerne. Le service de communication
déclinera ainsi le risque image, en déterminant les situations envisageables

47
dans cette matière, le service de sécurité-sûreté se chargera de son domaine,
et ainsi de suite. Chacun agissant dans son secteur d’activité ou d’expertise, il
sera plus aisé de déterminer les signes annonciateurs des risques ainsi que
leur probabilité d’occurrence.

◗ La classification des risques et sa dynamique


Toute situation est en perpétuelle évolution : c’est la notion de dynamique
du système. Cela signifie que la classification des risques qui auront été
anticipés doit faire l’objet d’un réajustement, d’une mise à jour constante. En
effet, chaque risque a une probabilité d’occurrence propre. Mais cette
probabilité d’occurrence varie avec l’avancée du projet et le travail réalisé au
départ ne suffit pas : il faut régulièrement réévaluer les risques, notamment
par l’observation des éventuels signes annonciateurs.
Chaque risque peut être classé dans une des trois catégories suivantes, en
fonction d’arguments objectifs : le risque improbable, le risque possible et le
risque attendu.

◗ Le risque improbable
Le risque improbable a une faible probabilité d’occurrence. Sa survenue
est souvent liée à un déclenchement quasi-volontaire ou à une décision
absurde24. Dans le cadre de l’implantation d’une entreprise de haute
technologie innovante au Luxembourg, le risque de crise politique pouvant
déstabiliser l’activité de celle-ci dans ce pays paisible est hautement
improbable.

◗ Le risque possible
Le risque possible a une probabilité d’occurrence moyenne. Bien qu’il ne
constitue pas une menace avérée, il reste toujours envisageable de façon
raisonnablement sérieuse. Une société de haute technologie, si elle développe
un produit très innovant dans un domaine très concurrentiel, peut envisager
comme possible le risque de vol d’informations ou de débauchage d’un
personnel clé.
L’identification des signes précurseurs liés à ces risques possibles est
indispensable pour détecter le problème et le traiter avec un temps d’avance
s’il se produit.

48
◗ Le risque attendu
Le risque attendu a une forte probabilité d’occurrence. Son identification
constitue une bonne occasion de réduire l’incertitude, et de transformer la
crise en opportunité.
La société de haute technologie qui développe un produit innovant
pourrait identifier certains risques, notamment des « risques-métiers »
pouvant être considérés comme attendus : un retard dans la mise en œuvre du
produit, des défauts de fonctionnements inévitables dans ces domaines
d’activité… Identifier un risque et le classer comme attendu permet entre
autres de dédramatiser sa survenue, et également de préparer les autres parties
pouvant être impactées : les partenaires, les clients, les actionnaires…

4.4 Repérer les signes annonciateurs


Il serait trop facile de dire que toutes les crises sont détectables bien avant
leur émergence. Mais il est indéniable que la plupart le sont. Cependant, il est
difficile de détecter quoi que ce soit quand on ne sait pas ce que l’on cherche.

◗ Sensibiliser à la veille
La veille est devenue un outil indispensable des entreprises. Avec l’avè-
nement de l’Intelligence économique, les organisations ont pris conscience
que l’information et son identification précoce sont des facteurs de succès
incontournables. En matière de gestion de crise, la détection de signaux
précoces et leur qualification comme des annonciateurs d’instabilité doivent
être systématisées et développées à tous les niveaux.
Un grand groupe international travaille depuis de nombreuses années en Afrique. Habitués
aux bouleversements de toutes sortes, les expatriés salariés de ce groupe savent que les
pays dans lesquels ils évoluent peuvent basculer du jour au lendemain dans la crise
économique, sociale ou politique. Aveuglés par la fausse certitude qu’ils détiennent toutes
les informations et que rien ne peut leur échapper, personne n’a vu venir des tensions
interethniques de grande envergure, pourtant largement prévisibles. C’est ainsi que les
expatriés de cette société ont passé plusieurs jours terrés dans des cachettes de fortune en
attendant un retour au calme. Personne n’a voulu voir les tensions quotidiennes dans la
capitale, les mises en garde des diplomaties étrangères, les informations (il est vrai,
parfois contradictoires) provenant des autres expatriés.

Le premier travail à mener pour percevoir les signes annonciateurs


est la sensibilisation de tous à la veille de ces signes. Chaque entité, chaque

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groupe, chaque collaborateur de l’organisation doit devenir à son niveau un
véritable acteur de la gestion de crise, un maillon de la chaîne de
retransmission de l’information, un « guetteur ». Plus personne ne peut rester
aujourd’hui un simple « consommateur » des mesures de sécurité et de
prévention.
Cette politique de sensibilisation, menée en direction de tous, doit
répondre à certaines contraintes : la forme est aussi importante que le fond.
En effet, communiquer maladroitement sur le fait que l’organisation réfléchit
à gérer des crises pourrait être interprété par certains comme la
reconnaissance que des crises couvent et qu’elles ne vont pas tarder à
émerger. Ensuite, il faut susciter l’intérêt de tous à rester attentif à un
environnement potentiellement « crisogène ». Enfin, il faut expliquer à
chacun, quel que soit son niveau hiérarchique ou sa fonction dans
l’organisation, l’intérêt de faire remonter les informations, les analyses, les
idées, même les plus saugrenues. Si on ne dit pas à quoi sert la collecte
d’informations, il y a de grandes chances de voir la source rapidement se
tarir.

◗ Outils d’identification et de suivi des signes annonciateurs


Chaque organisation a la charge de mettre en place des outils
d’identification et de suivi des signes annonciateurs. Mais on peut déterminer
quelques passages obligés.
La cartographie reprend l’ensemble des risques identifiés par famille et
centralise les anticipations réalisées dans un document unique. L’intérêt de
cette cartographie est de fournir aux dirigeants un aperçu relativement
synthétique des crises potentielles. Ce travail de centralisation, généralement
confié au responsable de l’équipe de crise, permet également de sensibiliser
les personnels et de réaliser des scénarios et mises en situation adaptés aux
risques les plus probables.
Quand la cartographie des risques a été établie et que les risques les plus
probables ou attendus ont été identifiés, on peut déterminer quelques-uns des
signes annonciateurs liés à chaque risque. Cette nouvelle cartographie «
secondaire » va permettre d’être plus attentif aux signaux faibles qui
permettront d’avoir un peu d’avance sur l’incident.
La veille va s’organiser à deux niveaux : le siège et les sites. Pour le

50
siège, une communication régulière auprès des responsables de projet et des
chefs de Business Unit participera à la politique de veille.
Pour les sites locaux, y compris à l’étranger, le travail de sensibilisation
est plus compliqué. Les implantations locales sont souvent les mieux placées
pour identifier une crise naissante, mais la conscience du risque est souvent
moins présente. C’est encore une fois un travail quasi culturel qu’il convient
de réaliser pour mettre au point un système performant d’anticipation des
risques et de conduite des crises.

1. Paul Watzlawick, La Réalité de la réalité, Le Seuil, 1984.


2. Voir l’exercice 1 de la partie « Mettre en pratique », p. 153.
3. Voir le site Internet : www. lorraine. environnement. gouv. fr
4. Séminaire Gestion scientifique du risque : sciences du danger, concepts, enseignements et
applications, 1999.
5. Denis Duclos, L’Homme face au risque technique, L’Harmattan, 1991.
6. David Le Breton, La Passion du risque, Métaillié, 1991.
7. Charles F. Herman, « Some consequences of crisis which limit the viability of organizations »,
Administrative Science Quarterly, vol. 8, 1963.
8. IHESI, séminaire sur les risques majeurs et la gestion des crises, 1992.
9. Patrick Lagadec, La Gestion des crises, Édiscience International, 1991.
10. Stratégies Magazine, n° 1555.
11. Christophe Roux-Dufort, Gérer et décider en situation de crise, Dunod, 2000.
12. André Bolzinger, « Le concept clinique de crise », Bulletin de psychologie, 1982, repris par
Lagadec.
13. Voir chapitre 2, p. 47.
14. Raymond Vaillancourt, Le Temps de l’incertitude, site Internet Tripod.
15. Bertrand Robert, Catherine Weber, cabinet Argillos, spécialisé en gestion de crise.
16. Voir chapitre 4, p. 126.
17. « Qui ose gagne », Special Air Service, forces spéciales britanniques.
18. Laurent Combalbert, Constituer une équipe efficace, ESF éditeurs, 2011.
19. Au jeu d’échecs, jouer avec les blancs signifie avoir l’initiative du match.
20. Bertrand Robert, Naviguer au cap confiance, Argillos, 2004.
21. Voir chapitre 2, p. 47.
22. Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes.
23. Commission hygiène sécurité et conditions de travail au sein des entreprises.
24. Voir chapitre 3, p. 87.

51
2
CHAPITRE

S’organiser pour maîtriser


l’incertitude
« Le courage est une chose qui s’organise. »
André Malraux

D e même qu’il est impossible et illusoire de vouloir lister tous les


dangers auxquels s’expose un entrepreneur ou un chef de projet, il est
impossible de réaliser une check-list des comportements à observer pour
maîtriser l’incertitude des situations.
Cependant, il existe quelques principes d’organisation et de
fonctionnement auxquels tous ceux qui sont en charge d’une organisation ou
d’un projet devraient penser : constituer une équipe de crise, la faire
fonctionner efficacement, élaborer une logistique dédiée font partie de ces
principes.
Il convient de décortiquer le mythe de LA cellule de crise. Beaucoup de
dirigeants sont rassurés d’apprendre que leur entreprise (ou leur groupe) s’est
dotée d’une cellule de crise, sans vraiment savoir ce qu’il y a derrière. Un
dispositif de gestion de crise, c’est avant tout une équipe dédiée, une
logistique appropriée, des procédures mises en place et une préparation
acharnée.

1. Constitution de l’équipe de crise

52
Savoir s’entourer est une qualité primordiale pour le dirigeant ou le chef
de projet. En situation de crise, la notion d’équipe est encore plus
fondamentale que par temps calme : on ne peut pas gérer une situation
exceptionnelle tout seul. La multitude des intervenants extérieurs, le
déferlement des difficultés et des décisions à prendre, la visibilité réduite
pour piloter l’incident obligent à travailler main dans la main avec tous ceux
qui pourraient être concernés par les conséquences de la crise.
Toutefois, il convient de désamorcer deux idées reçues en ce qui
concerne la cellule de crise :
◆ Première idée reçue : la cellule de crise suffit à se préparer à
gérer une crise. Loin d’être une solution en soi, la cellule de crise n’est
qu’un moyen, un outil mis à la disposition du décideur pour l’aider dans la
résolution d’une situation ambiguë.
◆ Seconde idée reçue : la cellule de crise est composée de personnes
prédéterminées. Selon le type de crise qu’il faudra affronter, les personnes
qui composeront l’équipe pourront varier. La cellule de crise regroupe avant
tout des fonctions recouvrant des tâches et des missions différentes. Chacune
de ces fonctions peut ensuite être remplie par une personne ou par une
équipe, selon l’importance de la crise et l’ampleur de chaque tâche.
Une certitude cependant : l’équipe de crise doit être constituée bien avant
que ne se déclenche l’incident. Un sélectionneur qui devrait recruter des
joueurs pour participer à un championnat du monde n’attendrait pas le coup
d’envoi du premier match pour détecter, entraîner et « souder » ces joueurs.
Pour affronter l’incertitude, la nécessité reste la même : on n’est pas certain
de devoir jouer un match contre la crise, mais dans l’éventualité où cette «
rencontre » serait inévitable, il faut que l’équipe soit prête à entrer sur le
terrain.

1.1 Les caractéristiques d’une équipe de crise efficace


Pour qu’elle soit efficace, l’équipe de crise doit être R.E.A.C. : Réactive,
Efficiente, Adaptable et Cohésive.

◗ Réactivité
L’équipe doit pouvoir être activée très rapidement, dans les 30 minutes

53
qui suivent le déclenchement de l’incident ou la détection des premiers signes
précurseurs. On a coutume de dire que pour éteindre un feu qui démarre, il
faut un verre d’eau dans la première minute, un seau au bout de cinq minutes
et un camion de pompier après un quart d’heure. C’est pourquoi il est
important de mettre en place un système de veille des signes précurseurs ainsi
qu’un dispositif de pré-alerte pour sensibiliser l’équipe à une montée en
puissance imminente.
Cette réactivité ne peut s’obtenir que si les membres de l’équipe adhèrent
à l’idée qu’une crise se gère d’autant mieux qu’elle est conduite et traitée
rapidement. Cette prise de conscience est en général issue de la pratique,
réelle ou simulée, de gestion d’incidents plus ou moins graves.

◗ Efficience
L’équipe, pour fonctionner au mieux, doit être préparée et entraînée
régulièrement. L’efficience est la capacité à atteindre le niveau d’efficacité le
plus élevé avec le minimum de moyens. Or, toutes les crises gérées dans le
passé ont systématiquement démontré qu’il faut savoir faire au mieux en
conditions dégradées, avec des moyens réduits et des marges de manœuvres
très limitées.
Il est courant d’entendre, lors de débriefings de gestion de crise ou
d’exercices de simulation, que la conduite de la cellule de crise ne s’est pas
passée au mieux du fait de l’absence de moyens adéquats ou de la mise à
disposition de moyens largement dégradés. C’est malheureusement une des
caractéristiques de la crise : la pression du temps empêche l’utilisation
optimale de la logistique et impose souvent des moyens d’intervention
dégradés. Inutile dès lors de justifier une mauvaise gestion de la situation du
fait de l’absence de ressources : ce manque de moyens fait « partie du jeu »,
tout l’art de la gestion de crise étant de la régler quelles que soient les
conditions.
L’efficience des équipes passe essentiellement par la préparation et
l’entraînement. C’est par temps calme que l’esprit d’équipe se crée, que les
procédures se rodent et que la confiance ancre ses fondations.

◗ Adaptabilité
La capacité d’adaptation est une qualité incontournable pour une équipe

54
de gestion de crise. Acquise par un changement des mentalités généralement
rencontrées et par l’édification d’un état d’esprit que l’on pourrait qualifier
d’esprit « commando », cette aptitude permet à tout un chacun de faire
face aux situations, même les plus imprévues et les plus saugrenues.
Pour être adaptable, l’équipe doit pouvoir modifier de façon permanente
son attitude et sa stratégie face aux problèmes à résoudre. Toute situation de
crise connaît une dynamique difficile à appréhender ; il est donc primordial
de savoir réévaluer constamment notre action pour la restructurer ou la
réadapter au mieux.
Sans cette intelligence des situations, il est impossible de vouloir
affronter l’incertain et donc la crise. En effet, comment adapter sa stratégie et
ses tactiques à l’inimaginable si l’équipe est engluée dans ses certitudes et
fonde son action sur des références à un passé qui est de toute façon
définitivement révolu ? On imagine un joueur de tennis qui, attendant un
service de son adversaire sur son côté droit, ne bougerait pas d’un pouce pour
se placer sur sa gauche alors même que son adversaire se mettrait en position
de jouer de ce côté. Cette attention aux moindres détails, cette observation
des signaux faibles qui permettent de réajuster sa position pour affronter au
mieux les événements, c’est cette capacité d’adaptation que nous devons
développer au sein des équipes de pilotage de la crise. La constitution d’une
équipe avec des profils variés est un facteur d’adaptabilité important.

Savoir conjuguer rigueur et souplesse

Certaines méthodes de gestion des crises reposent sur la rédaction de processus et de procédures
ad hoc parfois très complets, peut-être trop. Si ces cadres de fonctionnement sont nécessaires et
indispensables, il ne faut pourtant pas en faire un « livre saint » dont on ne pourrait sortir.
Les procédures doivent être suffisamment directives pour cadrer l’action des équipes de gestion
de l’incident, tout en permettant une autonomie et une capacité d’adaptation à ceux qui sont aux
commandes.

Rester dans des processus sans vouloir en sortir permet de ne pas


mettre en jeu sa responsabilité : « J’ai mal fait, mais j’ai respecté la
procédure. » Ce que l’on attend d’un décideur ou d’un chef de projet, c’est
justement de savoir prendre ses responsabilités et d’adapter les processus
pour permettre une réponse juste et efficace en cas de problème.

55
◗ Cohésion
Pour affronter le déferlement des événements, l’équipe doit être cohésive
et soudée par la confiance. Face à des situations difficiles, chacun a tendance
à se retrancher derrière son secteur d’activité ; ainsi il n’est pas rare de voir
l’équipe exploser au moment de prendre des responsabilités. La cohésion et
la confiance qu’elle suppose forment le socle d’un bon fonctionnement en
situation dégradée.
Comment acquérir la confiance et souder les équipes ? Tout d’abord par
la pratique, encore et toujours. Et la pratique efficace ne se trouve que dans la
gestion de situations réelles ou la simulation autour d’exercices réalistes et
dûment « débriefés ». S’exercer est parfois perçu comme une perte de temps,
et peu d’entreprises se consacrent aujourd’hui suffisamment aux simulations.
Et les fausses certitudes comme « l’esprit de forteresse » ou « l’excès de
confiance1 » sont très propices à ce rejet d’une pratique simulée et d’un
entraînement efficace.
Le fait que l’entraînement soit inscrit au programme de prévention d’une
entreprise caractérise également l’importance accordée par les instances de
direction à la gestion des crises. Or, il est difficile de demander aux membres
de l’équipe d’avoir confiance en eux et en leur capacité à gérer la crise si leur
hiérarchie ne leur accorde pas cette confiance.
La cohésion et la confiance au sein des équipes permettent également de
garantir un fonctionnement efficace. Partager les informations, faire partager
son avis sans être jugé, accepter l’avis des autres, accepter les décisions du
responsable de la cellule de crise ne sont malheureusement pas des choses
naturelles, a fortiori lorsque la situation dérape et que l’instabilité s’installe.

1.2 Identification des rôles


La première difficulté dans la mise en place d’un dispositif d’anticipation
des risques et de gestion des crises, c’est l’identification des tâches et la
répartition des rôles. Car si le dirigeant ou le chef de projet doit savoir
s’entourer, il ne peut pas imaginer une équipe pléthorique dotée de toutes les
expertises de la gestion de crise et capable de trouver en son sein le
spécialiste incontournable du domaine concerné. L’expérience nous démontre
malheureusement qu’en cas de coup dur, les effectifs sur lesquels on peut

56
réellement compter fondent comme neige au soleil. Il faut donc, dans un
premier temps, déterminer clairement les rôles qui devront être remplis par
l’équipe de gestion de crise, puis identifier les personnes ou les groupes de
personnes qui seront les plus à même de remplir ces rôles en situation
dégradée.
Organisation et fonctions de la cellule de crise

S’il n’existe pas de composition type d’une équipe de gestion de crise,


l’expérience permet cependant d’en esquisser les contours. Les lignes qui
suivent vont tenter d’éclaircir les rôles fondamentaux et incontournables qui
devront structurer toute organisation de crise.

1.3 Le responsable de cellule


Le responsable de la cellule ou de l’équipe de crise est la clé de voûte du
dispositif de gestion des risques. Il est la première personne à identifier, car
son implication et sa motivation seront des éléments fondamentaux pour la
construction de l’équipe et pour la dynamique de la politique d’anticipation
des risques.

57
Il doit pouvoir allier leadership et capacité à susciter la cohésion de son
équipe. Le mode de fonctionnement top to down, où le chef décide et les
autres exécutent sans interférer dans la prise de décision, est un modèle qui a
du mal à trouver sa place en matière de gestion de crises.
Au-delà de ce principe autoritaire, le responsable de la cellule doit
pouvoir baser son rôle de leader sur sa capacité à :
– encourager la créativité de ses collaborateurs,
– les associer aux décisions qu’il prend ou qu’il propose,
– les soutenir dans les moments de doutes ou dans les difficultés.
Être un leader ne se décrète pas, cela s’acquiert avec le temps et
l’expérience.
Son aptitude à gérer les conflits va également jouer un rôle primordial. La
crise a cette faculté pernicieuse d’exacerber les tensions entre les personnes :
le stress, la nécessité d’agir dans l’urgence, l’engagement de sa responsabilité
font surgir les vieilles rancunes ou les conflits larvés. Or, face à la
déstabilisation due à une situation dégradée, la cohésion est fondamentale. La
crise est l’heure de se « serrer les coudes », non de se « crêper le chignon ».
C’est en grande partie au responsable de l’équipe que revient le rôle
d’anticiper et de juguler ces tensions dévastatrices, et de susciter adhésion et
cohésion entre les membres de la cellule de crise2.

◗ Le profil
Le responsable de la cellule est un professionnel multidisciplinaire.
Professionnel, car il doit connaître le métier où les risques doivent être
anticipés et/ou la crise va surgir. Multidisciplinaire, car il doit être capable
d’avoir une vision transversale sur tous les aspects de la gestion de l’incident,
et pouvoir embrasser toutes les composantes de l’analyse et de la décision.
Le responsable de cellule qui a été un spécialiste dans son métier doit
toutefois se garder de vouloir « remettre les mains dans le cambouis » : il a
certes une compétence technique, mais sa mission de coordinateur et de
directeur de l’équipe l’empêche de vouloir jouer le rôle des techniciens en
poste. La tentation sera certainement forte mais tomber dans ce piège peut
être très fâcheux : en s’attachant à remplir un rôle de technicien, le
responsable de l’équipe va se trouver coupé des autres composantes de la

58
gestion du risque, et perdre sa vision transversale. Il risque également
d’entrer en conflit avec les véritables techniciens opérationnels qui verront
certainement d’un mauvais œil que l’on vienne marcher sur leurs plates-
bandes. L’objectif d’une identification efficace des rôles est certes de trouver
tous les profils nécessaires à l’équipe de crise, mais également de définir les
rôles de chacun pour éviter les conflits « opérationnels ».
Le responsable de l’équipe de crise doit faire preuve de capacités
d’analyse et de synthèse certaines. La crise est une situation très fertile en
informations, en bonnes ou mauvaises nouvelles. Contrairement à ce que
beaucoup de personnes peuvent croire, la difficulté en situation de crise n’est
pas de trouver de l’information, c’est essentiellement de faire le tri dans le
flot incessant de nouvelles diverses et variées qui inondent la cellule de crise.
Le phénomène est le même dans l’anticipation des risques : l’absence d’anticipation des
attentats du 11 septembre 2001 n’a pas été due à un manque d’information, mais à un
manque d’analyse de celles-ci. Les capacités de captation des informations mises en
œuvre par les services spécialisés américains étaient tellement extraordinaires que la
masse de renseignements ne pouvait être traitée à temps pour être exploitée. A posteriori,
toutes les composantes des attentats contre les Twin Towers ont pu être identifiées dans
les millions de messages interceptés par le FBI3, la CIA4 ou la NSA5.

◗ Rôle et missions
La première mission du responsable de la cellule est la direction de son
équipe, aussi bien dans la phase de réflexion et de préparation que dans la
phase de conduite de la crise. Cette mission de direction revêt plusieurs
aspects selon qu’elle se déroule par temps « calme » ou par temps de « crise
».
En période calme, le responsable doit veiller à ce que son équipe reste
motivée et cohésive dans sa phase de préparation (voir p. 67). Continuer à se
préparer à gérer une crise qui, si l’anticipation s’est bien déroulée, ne se
produira jamais n’est pas chose facile. Garder la foi dans le système de
conduite de l’incident et continuer à s’améliorer sans cesse sont les objectifs
de la cellule en phase de préparation.
En période de crise, le responsable de l’équipe va assurer la conduite de
l’ensemble du dispositif et permettre à chacun de remplir sa mission
sereinement et en coordination avec tous.

59
◗ Le Décideur ne fait pas partie de l’équipe de crise
Prendre des décisions – si possible les bonnes – en situation de crise
demande d’avoir suffisamment de recul par rapport à la tourmente et d’être
protégé du stress ambiant qui incite à décider vite, parfois trop vite. Cette
contrainte de recul et de calme qui pèse sur le décideur l’empêche d’être celui
qui va conduire la cellule de crise.
Le responsable de l’équipe n’est pas le décideur ultime mais seulement
son « homme-orchestre ». C’est également une garantie supplémentaire
d’objectivité pour l’analyse de la situation et des alternatives applicables.
Détaché de toute contrainte de choix et de responsabilité, le responsable de
l’équipe de crise peut fournir des analyses de situation complètement
objectives : il n’est pas tenu par une vision éventuellement partiale ou
orientée de la situation.
S’il n’assume pas la charge de prendre les décisions finales dans la
conduite de l’incident, le responsable de l’équipe doit tout de même avoir une
certaine latitude de choix et une marge de manœuvre suffisante. Il doit
pouvoir prendre des décisions relevant de son niveau de compétence dans la
gestion de l’événement, notamment en termes d’organisation des moyens et
des hommes. Le décideur ultime ne devra être mis en avant dans le dispositif
qu’au moment de faire les choix stratégiques, après avoir été informé de tous
les paramètres analysés par l’équipe de crise et lui permettant de prendre ses
décisions en connaissance de cause.

1.4 La fonction logistique


La fonction logistique de la cellule de crise est de la responsabilité de
celui que l’on peut désigner sous l’appellation de logisticien. Le logisticien et
ses éventuels adjoints constituent la mémoire et le fil rouge de la gestion de la
crise et de la conduite des diverses étapes du règlement de la situation.
Indissociable du responsable de la cellule, il se charge de tous les aspects
organisationnels et logistiques inhérents à la préparation et à la conduite de
l’événement.

◗ Le profil du logisticien
Ayant pour tâche de gérer l’environnement immédiat de l’équipe de crise,

60
le logisticien doit faire preuve d’un sens certain de l’organisation et d’une
approche très « rationnelle » de l’ergonomie. Son aptitude à gérer l’espace et
les interconnexions entre les différents « ateliers » va grandement faciliter le
fonctionnement de la cellule de crise et dégager les autres membres de
l’équipe de toutes les contingences matérielles.
Le logisticien doit être très rigoureux dans son mode d’organisation : dès
les premiers instants, il doit pouvoir être en mesure de fournir à tous les
conditions optimales à l’accomplissement de leurs missions, tout en
fonctionnant dans l’urgence et en gérant le stress des uns et des autres. Il est
très facile, lorsque les conditions de conduite de la crise se dégradent, de «
charger » la logistique en expliquant que les bonnes conditions ne sont pas
remplies. Cette réaction de transfert de responsabilité vers les aspects
matériels de l’organisation, courante sous l’effet du stress, ne doit pas
pouvoir justifier un dysfonctionnement de l’équipe. Le logisticien devra donc
également faire preuve d’un certain détachement face aux critiques et aux
remarques qu’on pourra lui faire en situation dégradée.
Un esprit de synthèse efficace sera également un atout pour le logisticien,
notamment dans la gestion des flux d’informations entrants et sortants qu’il
devra réguler en collaboration avec la fonction Information-Analyse. Il devra
également réaliser la mise en forme et la rédaction de la « mémoire » de la
crise, ainsi que l’archivage de tous les renseignements afin qu’ils puissent
être retrouvés et éventuellement réutilisés en temps utile. C’est un facteur
important pour pouvoir assurer un débriefing utile à l’apprentissage6.
Enfin, le logisticien doit faire preuve d’une réelle capacité à gérer
l’espace et le temps. Si le responsable d’équipe dirige les hommes, le
logisticien dirige les moyens. Ces moyens sont à la fois les ressources
matérielles disponibles et les « crédits-temps » à disposition. C’est grâce à
ces qualités et par cette approche qu’il est indissociable du responsable de la
conduite de la cellule.

◗ Rôle et missions de la fonction logistique


◆ La première mission des logisticiens est l’organisation matérielle
de la salle de crise. Il doit vérifier la disponibilité et l’opérationnalité des
équipements dédiés : salles de repli, moyens de communication interne et
externe, documents et procédures… Il doit également anticiper les besoins

61
matériels de son équipe, jusqu’à la prévision des repas : organisation des
rotations, commandes de plateaux-repas, fourniture de bouteilles d’eau…
◆ La seconde mission de la fonction Logistique est de faire le point
sur l’état des moyens disponibles pour la conduite opérationnelle :
moyens propres de l’organisation, moyens requis disponibles, prévisions des
besoins à court et moyen termes.
◆ La dernière mission des logisticiens est la mise en œuvre pratique
des décisions prises par le décideur. En fonction des moyens dont
l’organisation dispose, des ressources humaines et techniques, des réseaux de
transmission de l’information, la fonction logistique fait appliquer la stratégie
choisie et organise le flux des feedbacks qui permettront un réajustement
constant de l’action menée.

1.5 La fonction Information-Analyse


La prise de décision ou l’aide à la décision stratégique auxquelles va
contribuer l’équipe de conduite de la crise repose sur une analyse pertinente
et objective de la situation, notamment par le traitement des informations
qu’elle génère. Cette analyse est confiée à un groupe dédié, dont les membres
sont identifiés et choisis à cet effet.
La notion de groupe a une importance fondamentale dans cette mission
de collecte de renseignements et d’analyses. Cette tâche ne peut pas reposer
sur les épaules d’une seule personne, au risque de se heurter aux écueils
d’une approche issue d’un seul point de vue, d’une seule expérience, d’une
seule vision du monde. La constitution d’un « sous-groupe » au sein de
l’équipe de crise est motivée par cette nécessité d’une analyse
multidisciplinaire et multiprofil, une analyse au cours de laquelle chacun
pourra apporter sa part à la mission. Il n’est d’ailleurs pas rare que ce soit le «
profane » du groupe qui ait la vision stratégique la plus efficace, a fortiori
lorsque les éléments se déchaînent et que l’instabilité s’installe. Sa vision,
détachée des contingences techniques ou partisanes, constitue un œil neuf et
une analyse objective par nature.

◗ Le profil des membres du groupe Information-Analyse


Il n’existe pas de profil type des membres du groupe Analyse. C’est

62
justement parce qu’il n’y a pas d’analyste idéal qu’un groupe de ce type peut
se composer d’une variété de profils, offrant un examen multi-facettes du
problème. Mais la variété n’implique pas forcément la fantaisie, et quelques
traits de caractères essentiels vont toutefois être recherchés pour les membres
de l’atelier Analyse.
On recherchera chez les analystes un esprit plutôt rigoureux, plutôt bien
organisé, ainsi qu’une importante capacité de synthèse. Ils devront être
àmême :
– de faire le tri parmi les informations à leur disposition pour définir un
ordre de priorité des analyses à réaliser ;
– et d’en tirer l’essentiel pouvant être utilisé par l’équipe afin de
conduire au mieux l’événement en cours.
Les membres du groupe d’analyse devront également être capables de
développer la créativité au sein de leur équipe. Cette qualité leur permettra
d’avoir une certaine capacité à détecter les signaux porteurs de sens,
d’anticiper sur les événements, d’être aussi « créatifs » que peut l’être la
crise.

◗ Les missions du groupe Information-Analyse


La première mission du groupe Information-Analyse est de collecter
l’ensemble des informations internes et externes utiles à l’analyse et à la prise
de décision.
Les sources d’informations sont en général nombreuses :
– renseignements et expertises internes ;
– expertises externes ;
– informations micro et macroéconomiques ;
– retours du terrain ou du site mis en cause ;
– retours des médias ;
– témoins…
Cette multitude et cette variété des sources, si elles sont primordiales
dans la phase d’analyse, peuvent rapidement se révéler des facteurs
aggravants de la situation : les informations qui remontent jusqu’à l’équipe de
crise sont parfois contradictoires, interprétées à la base par des
correspondants qui peuvent être émotionnellement trop impliqués, voire
complètement erronées ou obsolètes. Le groupe chargé de la fonction

63
Information-Analyse devra faire face à ce travers et assurer une validation
des données avant de les intégrer et de les traiter.
Christophe Roux-Dufort7 identifie l’un des dysfonctionnements lié à la
surabondance d’information comme « un accroissement de la rigidité
cognitive » : plus le stress se fait pressant, plus la tolérance à la complexité
des situations diminue. « Le champs d’attention des décideurs se restreint
considérablement lorsque le volume d’informations augmente. Cette
surcharge accroît encore la tension et le stress. Une stratégie consiste à filtrer
au maximum ces informations. Mais le risque est grand de faire reposer leurs
décisions sur des analyses incomplètes ». Cette dernière mise en garde de
Roux-Dufort confirme le caractère incontournable et sensible de la mission
du groupe Information-Analyse, et sa nécessaire sensibilisation aux risques
de dysfonctionnements psychologiques.
La seconde mission de la fonction Information-Analyse est la gestion du
renseignement. Le groupe va devoir mettre en ordre et en forme l’ensemble
des informations entrant et sortant de la cellule afin de les rendre utilisables
par tous. Ce travail se réalisera en étroite collaboration avec le logisticien, qui
réceptionne notamment les résultats du travail de renseignement pour
information et archivage.
Pour collecter les informations, le groupe doit pouvoir compter sur un
système de captation et de remontée des données, en provenance du terrain
notamment. Cette action de collecte de renseignements s’articule autour de
trois maîtres mots repris dans l’acronyme DI. VA. C : DIsponibilité,
VAlidité, Clarté8. Le système de centralisation, puis de redistribution de
l’information doit reposer sur une organisation dédiée et autonome, avec des
réseaux spécifiques à la fois techniques et humains.
La troisième mission, qui découle naturellement des deux premières, est
la conduite de l’analyse constante de la situation et la proposition de
stratégies adaptées. Les analystes vont soumettre au responsable de l’équipe,
et par son intermédiaire au décideur, une vision claire des probabilités
d’évolution de la situation, ainsi qu’une vision d’ensemble des stratégies
applicables pour endiguer, contrôler et résorber la crise.
Cette mission permettra d’assurer notamment :
– le suivi des signaux et des paramètres d’évaluation ;

64
– l’anticipation des évolutions successives ;
– la préparation des alternatives et des stratégies applicables, renforçant
la réactivité de l’équipe face aux événements et aux éventuelles
« surprises ».

1.6 La fonction Communication


Aucun des aspects de la conduite d’un incident n’est à privilégier par
rapport à un autre, la gestion des crises devant former un tout cohérent pour
être efficace. La communication doit être traitée à l’égal des autres fonctions,
car elle est un élément important du dispositif : elle constitue le lien entre
l’entité en charge de résoudre le problème et le monde extérieur à
l’organisation.
Une bonne gestion de crise accompagnée d’une mauvaise communication
peut être beaucoup plus désastreuse en termes d’image qu’une crise mal
gérée accompagnée d’une bonne communication. S’il ne faut pas
communiquer pour communiquer, il faut cependant tenir compte de la place
incontournable des médias internes et externes dans la conduite d’un
événement.

◗ Le profil des membres du groupe Communication


Les membres du groupe Communication doivent bien évidemment avoir
des profils adaptés à la mission : directeurs de la communication, attachés de
presse, responsables de publications internes, etc. Ils doivent avant tout très
bien connaître l’entreprise en interne : ses métiers, ses activités, ses savoir-
faire, ses valeurs. Ils doivent également être bien au fait des structures
internes : les entités de l’organisation, les réseaux informels qui se
superposent aux organigrammes officiels, les relais d’opinion… Les
personnes en charge de cette fonction devront aussi savoir quels sont les
conflits d’intérêt qui pourraient exister entre les personnes ou les entités et
qui ne manqueront pas de resurgir par « gros temps ».
Les « communicants » doivent également connaître les réseaux de médias
externes : presse écrite, radio, télévision, autorités locales et nationales,
instances syndicales, leaders d’opinion. Ce seront vraisemblablement leurs
vecteurs de retransmission d’informations entrantes et sortantes.

65
Pour accomplir leur mission, les membres de la fonction Communication
doivent faire preuve d’un véritable esprit d’analyse et de synthèse, afin de
capter les attentes des publics internes et externes et de fournir des
informations fiables et efficaces dans la gestion de la crise. Ils doivent aussi
faire preuve d’une réelle capacité à rédiger des communiqués et des notes
d’informations claires, concises et objectives.
Pour cette mission très particulière, on peut imaginer de recourir à un
consultant externe qui, au-delà des expertises internes mobilisables
ponctuellement, pourrait rejoindre la fonction communication dès l’activation
de la cellule de crise.

◗ Les missions du groupe Communication


◆ La première mission du groupe est une fonction de veille. Il doit
être à l’écoute de toutes les sources d’information disponibles, qu’elles soient
internes et externes : presse, rumeurs, instances de représentation du
personnel, autorités officielles. Grâce à cette écoute, le groupe va pouvoir
sentir dès les premières informations perçues vers quelles orientations va se
diriger la problématique de communication : relation factuelle de
l’événement, accusations à l’encontre de l’organisation, mise en cause des
autorités de tutelle…
En mai 2005, afin de permettre une action des pompiers dans la région PACA, la décision
est prise de couper l’unique ligne à très haute tension qui dessert la région. Plusieurs
centaines de milliers de personnes seront privées d’électricité pendant presque une
journée. Contrairement à ce que l’on aurait pu anticiper, la polémique ne va pas porter sur
la nécessité de couper ou non l’électricité, ni sur le fait que personne n’a été prévenu avant
la coupure, au point que certaines personnes sont restées coincées dans des ascenseurs.
Elle portait en fait sur la mise en cause des autorités qui permettent qu’une région de
l’ampleur de la région PACA soit tributaire pour son alimentation électrique d’une seule
ligne à très haute tension, visiblement très vulnérable.

◆ Conséquence de cette activité de veille et de centralisation des


informations, la seconde mission du groupe Communication sera
d’anticiper les questionnements et les polémiques à venir. Cette
anticipation va permettre soit d’étouffer les rumeurs ou les mises en cause, en
fournissant des informations infirmant ces thèses, soit de préparer les
justifications futures face aux polémiques qui ne manqueront pas de surgir.
◆ La troisième mission du groupe sera de proposer des stratégies de
communication au reste de l’équipe et au décideur. Comme les stratégies

66
de conduite de la crise9, elles devront prévoir les coûts et les conséquences de
chaque réponse proposée à court, moyen et long termes.
Enfin, en fonction de la stratégie décidée par les instances dirigeantes, le
groupe devra appliquer le plan de communication de crise préétabli et rédiger
les communiqués de presse et les notes d’information internes qui seront
diffusés aux médias appropriés.

1.7 Le « profane »
La présence dans l’équipe d’un « profane » qui n’est pas spécialisé dans
une fonction particulière peut enrichir par un regard « décalé » par rapport à
celui de l’ensemble du groupe. Un tel regard peut permettre d’identifier des
failles éventuelles ou des erreurs tellement énormes qu’elles ne sont pas
perçues par les autres, absorbés à conduire leur tâche.
Dans une cellule de crise, il est important d’avoir une personne qui n’est
pas « spécialiste » ni en charge d’une fonction particulière. Ce « profane » est
donc à même de sortir du cadre plus facilement et de jouer le rôle de
l’observateur décalé. Grâce à cette vision, la cellule de crise peut avoir
quelqu’un qui rappelle le bon sens et les fondamentaux.

1.8 Recrutement de l’équipe


Comme cela a déjà été évoqué, une équipe de crise n’est pas un
regroupement de personnes mais un regroupement de fonctions. Il faut donc
mobiliser les ressources adéquates en personnel pour remplir ces fonctions au
regard notamment du type de situation à conduire.
Le « recrutement » et la sensibilisation de ces personnels doivent être
réalisés avec l’appui et l’adhésion de toute la hiérarchie de la société. Ce n’est
pas un projet que l’on peut mener seul dans son coin : il faut mobiliser les
énergies jusqu’au plus haut niveau de l’organigramme. La constitution d’une
équipe de crise est une œuvre collective.
Cette action de recrutement est placée sous la responsabilité du
responsable de la cellule. Grâce au soutien de sa hiérarchie, il peut mettre en
œuvre des actions de communication interne, aux niveaux les plus appropriés
de l’organigramme, pour sensibiliser et mobiliser les bonnes volontés.

67
Il convient de noter que pour constituer une équipe efficace, il faut
souvent privilégier l’autorité de compétence plutôt que l’autorité
hiérarchique, ce qui n’est pas toujours facile à gérer. Il faut savoir refroidir
les ardeurs inappropriées sans pour autant blesser les susceptibilités ou
générer du ressentiment contre le projet.

1.9 Les ressources internes


Pour être R.E.A.C., l’équipe de crise est composée d’un nombre restreint
de personnes obéissant à des règles de mise en œuvre et d’action bien
précises. Il est donc impossible et illusoire de vouloir regrouper au sein d’une
même équipe toutes les compétences de l’organisation. Or, personne ne peut
savoir dans quel domaine se déroulera la prochaine situation dégradée que
l’on devra conduire ; il faut donc pouvoir mobiliser des ressources internes
adaptées aux besoins imposés par la situation.
Les ressources internes vont renforcer le processus organisé autour du
groupe de crise. Elles viendront renforcer de leur expertise ou de leur vision
particulière le reste des membres de l’équipe. Afin d’identifier les profils et
les compétences, on va se baser sur l’étude des divers scénarios envisagés.
Ceux-ci permettront de cerner les compétences qui pourraient faire défaut et
qu’il faudra mobiliser le temps venu.
À l’instar des membres permanents de l’équipe, les ressources internes
doivent être impliquées dans le processus de préparation et d’entraînement
organisé pour la cellule de crise. En fonction des scénarios d’exercices
utilisés, ils seront activés afin de bien comprendre le fonctionnement de
l’ensemble des procédures. Cette implication est également primordiale dans
la motivation et l’adhésion de ces ressources internes, qui ne devront pas
percevoir cette sollicitation comme une contrainte mais plutôt comme la
participation à un effort collectif valorisant.
La liste des ressources internes est vaste. Il est possible cependant d’en
identifier les principales dans une liste non exhaustive :
◆ Les services des ressources humaines : connaissance de
l’organisation en général et des personnels en particulier, notamment si
certains sont victimes.
◆ Le service juridique : avis et conseil sur les implications juridiques

68
et légales de l’incident et des actions menées dans la phase de conduite.
◆ La direction des assurances : maîtrise de la problématique de
couverture des risques et des implications financières d’une situation de crise.
◆ Les services techniques : expertises techniques spécifiques liées au
domaine impacté par la crise.
◆ Les personnes en charge du développement durable : appui dans
les situations liées à des problèmes sur l’environnement.
◆ Les psychologues d’entreprise : gestion du stress et des facteurs
humains au sein de l’organisation, pendant et après la crise.

La gestion des « bonnes volontés »

Il est un phénomène perturbateur, parfois déstabilisant et pourtant incontournable quand on parle


de ressources internes : c’est la gestion des « bonnes volontés ». Cette expression, qui pourrait
presque paraître ironique, désigne l’ensemble de ceux qui surgissent dès lors qu’une situation
instable s’amorce et qui viennent proposer leurs services.
On retrouve pêle-mêle celui qui se croit indispensable et qui ne comprend pas qu’on n’ait pas
encore fait appel à lui, l’opportuniste qui cherche à briller en profitant de la situation, celui qui
ne sait pas trop ce qu’il peut apporter mais qui veut absolument faire quelque chose…
Ces bonnes volontés sont souvent utiles, notamment lors de crises majeures qui nécessitent
l’emploi de nombreuses personnes, mais elles doivent être cadrées et canalisées. Plutôt que
renvoyer tout le monde dans ses foyers, il convient :
– de discerner parmi tous ces volontaires les compétences disponibles ;
– de noter leurs coordonnées afin de les solliciter en cas de besoin ;
– de leur expliquer les règles du jeu : il est inutile de rester devant la porte de la cellule de crise
ou d’appeler les lignes de téléphone dédiées ; ils ont été recensés et il sera fait appel à eux en cas
de nécessité ; il est donc inutile de solliciter toutes les quinze minutes un système qui va déjà
fonctionner sous la pression du temps.

1.10 Les ressources externes


Au-delà des savoirs, organisations et compétences qu’elle devra et pourra
mobiliser en interne, l’entité en charge de la conduite de la crise va devoir
inévitablement avoir recours à des ressources externes : expertises extérieures
garantes de neutralité et d’objectivité, compétence absente au sein de
l’entreprise, spécialité « rare » qu’il est difficile – et inutile – de mobiliser à
temps plein.

69
La constitution du réseau des ressources externes et leur implication dans
les procédures de crise vont aller de paire avec l’anticipation des risques.
Pour chaque famille de risques, pour chaque domaine, puis pour chaque
risque particulier, il convient d’identifier les compétences qu’il faudra
mobiliser. Elles seront ensuite incluses dans le plan de crise, avec mention de
leurs spécialités et des moyens de les joindre rapidement. Cette identification
préalable permettra également de les intégrer dans les exercices de simulation
(voir chapitre 4, p. 140).

◗ Expertises et experts
Le mot « expert » est un de ceux qui arrivent le plus vite dans la bouche
d’un dirigeant ou d’un décideur qui se retrouve face à une situation
inextricable ou complexe. Parce qu’il est impossible de tout savoir ni tout
maîtriser (fort heureusement) : il faut donc avoir recours à des personnes
spécialistes du domaine concerné.
Leur apport, au sein de l’équipe de crise, peut être celui d’un superviseur
qui pourra assister l’organisation dans la conduite de la crise sans pour autant
s’immiscer dans les décisions stratégiques prises par les décideurs. Le rôle de
l’expert en gestion de crise est un peu celui du coach sportif qui aide l’équipe
à bien fonctionner mais qui ne joue pas à sa place.
Il est primordial d’identifier à l’avance les experts que l’on va solliciter
en cas de problème. Tout d’abord parce qu’il va falloir s’assurer de leur
fiabilité en cas de crise, de leur compétence dans leur domaine d’action, et de
leur crédibilité vis-à-vis des professionnels et des médias.

◗ Les limites de l’expertise


Dès lors qu’il sera fait appel à un expert ou un spécialiste, il conviendra
de se garder de quelques risques inhérents à ce recours. On peut parfois
devoir faire appel à un « sachant », expert dans son domaine, mais pas
forcément habitué à travailler sous pression et dans l’urgence. Dès lors, ces
facteurs peuvent l’amener à modifier son comportement, voire à
dysfonctionner.
Dans une ville moyenne de Californie, un homme retient en otage le nouveau fiancé de
son ex-petite amie. Le preneur d’otage est armé, passablement énervé et a déjà frappé à
plusieurs reprises la personne qu’il retient. La police locale, qui ne dispose pas de

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négociateurs spécialisés, fait appel à un psychiatre local pour tenter d’établir un profil de
l’individu et une stratégie de contact. Cet expert, d’un certain âge, arrive rapidement sur
les lieux. Après qu’on lui a donné quelques éléments d’information sur la situation, le
psychiatre en déduit qu’aucune négociation n’est possible et qu’il faut absolument donner
l’assaut. Le chef de la police locale n’est pas de cet avis et indique qu’il va discuter
malgré tout avec le preneur d’otage. Le psychiatre entre alors dans une colère noire,
vilipendant le policier qui refuse de se ranger à son expertise et criant à qui veut l’entendre
que le chef de la police aura bientôt des morts sur la conscience. Malgré tout, une
négociation est entamée et, après quelques heures, le preneur d’otage finit par libérer son
malheureux otage et par se rendre. Lors du débriefing, le psychiatre ne parvient pas à
expliquer son attitude, pour le moins incohérente et inefficace, autrement que par le stress
de la situation auquel il n’était visiblement pas préparé.

Pour se prémunir des risques de dysfonctionnements, il convient


d’encadrer parfaitement le travail de l’expert :
– fixer l’étendue et les limites de sa mission par un briefing à chaud ;
– l’encadrer tout au long de la mission par un accompagnement pour
éviter qu’il sorte du cadre de la mission qui lui a été fixée.
Le fait de le connaître antérieurement à la crise et de l’avoir intégré dans
les exercices de simulation permet de prévenir ces comportements inadaptés.
Il arrive également que le décideur mette une lourde pression sur les
épaules des spécialistes, faisant quasiment reposer toute la suite des
événements sur l’avis de l’expert. Dès lors, celui-ci peut pleinement se
prendre au jeu et s’imaginer être finalement le décideur ultime avec tous les
inconvénients que cela comporte. Il peut également être terriblement inhibé
par la pression et émettre des avis tellement mesurés qu’ils en perdent toute
valeur et toute crédibilité.

2. Faire fonctionner l’équipe


Une fois que l’organisation de crise se met en place et que les rôles sont
définis et bien répartis, beaucoup s’imaginent que la partie est gagnée et
qu’ils n’ont plus qu’à attendre la crise de pied ferme. Bien loin d’être une fin,
la mise en place de l’équipe n’est que le début d’un long processus
d’apprentissage et de développement d’une aptitude et d’une confiance
collective. Tous les ingrédients sont identifiés, choisis, mais la sauce n’est
pas encore prête à être servie.
L’esprit d’équipe qui doit présider au fonctionnement d’une cellule de
crise n’est pas une chose qui se décrète. Les exercices de simulation, les

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débriefings des véritables situations de crise vécues sont autant de facteurs de
création de la confiance qu’il faut privilégier. L’esprit d’équipe s’installe
durablement quand chaque membre de l’équipe a conscience d’être plus
efficace dans sa mission propre parce qu’il travaille avec les autres. Le
partage de l’OBLiC participe10 à cet esprit d’équipe.

2.1 Créer la cohésion


En matière de cohésion des équipes, il convient de faire une constatation
d’importance : la cohésion d’une équipe se prépare et se crée par temps
calme. Si la crise, a fortiori lorsqu’elle est bien gérée, permet de concrétiser
la cohésion de la cellule et de la solidifier dans le temps, les éléments
fondamentaux de l’osmose du groupe ne peuvent se développer efficacement
qu’en période de relative sérénité.
Ces éléments sont multiples, mais on peut en désigner trois
particulièrement importants :
– la capacité à se connaître mutuellement ;
– l’aptitude à travailler ensemble de façon transversale ;
– la confiance nécessaire permettant à chacun de pouvoir compter sur le
soutien et l’assistance des autres dans la réalisation de sa tâche.

◗ Se connaître mutuellement : regarder vers les autres


En situation de crise, chacun a tendance à s’enfermer sur lui-même, sur
son rôle et sa tâche, en évitant de regarder ce que font les autres, bien trop
absorbés dans leur propre secteur d’activité : les experts s’enferment dans
leur expertise, les spécialistes jargonnent plus que de raison, chacun se replie
sur soi. Or, c’est en regardant vers les autres qu’on trouve le moyen de
partager et de collaborer, de connaître les limites et les contraintes de
chacun.

Lors d’une prise d’otage au cours de laquelle un individu retient sa compagne enfermée,
un groupe de négociateurs de police tente de ramener l’homme à la raison. Dès le premier
contact, le ton est donné : l’individu est particulièrement déterminé, froid, calme et posé. Il
énonce clairement et fermement ses revendications et indique qu’il est prêt à aller jusqu’au
bout.
Après avoir raccroché, les négociateurs font le point sur les informations en leur
possession et en arrivent à la conclusion que le preneur d’otage affiche une solide
détermination, signe d’un véritable risque de passage à l’acte.

72
Or, un des tireurs d’élite en position aux abords du lieu de crise signale qu’il observe
l’homme dans sa lunette et qu’il remarque une attitude singulière : lorsque le preneur
d’otage parle aux négociateurs, il affiche un calme apparent mais lorsqu’il raccroche, il est
beaucoup plus nerveux, tourne en rond, manifeste des gestes d’humeur contradictoires.
Cette information n’a aucune importance pour le tireur d’élite. Cependant, il connaît le
rôle et la tâche des négociateurs, c’est pourquoi il a regardé au-delà de sa propre mission.
Cette information, inutile pour lui, est capitale pour les négociateurs car elle montre que le
preneur d’otage joue le rôle de quelqu’un de déterminé et calme, alors qu’il est visiblement
beaucoup plus nerveux et inquiet dès qu’il cesse le contact.
En réajustant leur analyse et leur stratégie au vu de cet élément nouveau, les négociateurs
sont parvenus à obtenir la libération de l’otage puis la reddition de l’individu. Sans cet
échange inattendu, une information capitale à la gestion de la crise aurait certainement été
perdue.

◗ Bonnes pratiques
Il faut faire un effort pour se préoccuper des autres quand on a déjà tant à
faire de son côté. Un travail intéressant pour toucher du doigt les contraintes
de chacun consiste à échanger les rôles des membres de l’équipe dans le
cadre d’un exercice. Chacun va ainsi pouvoir connaître la véritable teneur de
la mission des autres, et peut-être s’apercevoir qu’il détient dans le cadre de
sa tâche initiale des informations ou des moyens pouvant être utiles aux
autres membres de l’équipe ou aux autres « ateliers » de crise.

Au cours d’un exercice réalisé au sein d’une entreprise qui possédait déjà une cellule de
crise plutôt expérimentée, l’objectif était de faire pratiquer les membres de l’équipe sur la
notion de transversalité. Chacun s’attendait à un scénario particulier, adapté au travail sur
le partage et la connaissance mutuelle. Or, le scénario de l’exercice était des plus
classiques. Mais la consigne principale l’était moins : chacun allait pour cette fois
abandonner son rôle habituel dans la cellule de crise pour endosser celui d’un autre. Le
président de la société, décideur ultime en cas de crise, fut chargé de l’organisation
logistique. Le chef de la sécurité fut intronisé Directeur de la communication, ce dernier
étant lui-même nommé responsable de l’analyse et de la recherche d’informations. Le
directeur des assurances, plutôt habitué à un rôle d’expert interne, dut prendre la
responsabilité de directeur de la cellule de crise, etc.
Après quelques minutes de surprise et quelques sourires amusés, chacun prit sa tâche très
au sérieux. Ainsi, tous purent mesurer les difficultés et les contraintes de la mission des
autres. Au cours du débriefing, tous furent surpris d’avoir finalement découvert le travail
des autres fonctions. Ce petit jeu d’équipes tournantes a permis de renforcer la
connaissance du rôle des uns et des autres et la transversalité des tâches au sein de la
cellule de crise.

73
◗ Savoir collaborer en équipe : humilité et tolérance
La qualité qu’il convient de privilégier et de développer pour devenir plus
efficace en gestion de crise, c’est l’humilité. Humilité face à la crise, face à
soi-même et face aux autres ; la capacité à garder les pieds sur terre face aux
situations est souvent salvatrice.
L’humilité se développe notamment par la pratique et les retours
d’expérience bien menés. Toutes les réussites contiennent dans leur
dynamique les ingrédients des échecs, c’est simplement l’alchimie qui
change. Et rien n’est plus efficace pour développer l’humilité des membres de
l’équipe que de mettre le doigt là où cela fait mal, c’est-à-dire les
dysfonctionnements. Il ne faut pas oublier que progresser, c’est changer
d’erreur.
La tolérance à l’égard des autres est également un véritable atout des
équipes de gestion de crise. Au-delà des discours bien appris et politiquement
corrects de bon nombre de managers et de dirigeants, la tolérance à l’égard
des autres n’est pas naturelle dans la gestion des hommes et des situations. En
situation instable et dégradée, la tolérance n’est pas seulement importante
parce que c’est un concept humaniste, mais surtout parce que c’est un facteur
d’efficacité. Écouter les avis divergents, c’est s’ouvrir des opportunités et
élargir le champ du possible. Comme le dit Yvan Gavriloff11, expert en
créativité : « Si un bruit te dérange, écoute-le. »

Les 7 règles du brainstorming

Dans leur ouvrage sur la négociation12, Alain Pekar Lempereur et Aurélien Colson expliquent
quelles sont les sept règles du brainstorming. Elles incarnent assez bien cette nécessité
d’humilité et de tolérance :
– tous les membres de l’équipe doivent y participer ;
– la discussion est libre et laisse place à toutes les idées, y compris les plus folles ;
– les propositions de solution ne seront ni critiquées ni évaluées ;
– les idées appartiennent à l’ensemble du groupe, et non pas à celui qui les a exprimées ;
– avancer une proposition ne signifie pas s’engager personnellement à la mettre en œuvre ;
– ce n’est qu’après le brainstorming qu’interviennent l’évaluation des différentes idées et la
décision de n’en retenir que quelques-unes ;
– un facilitateur doit veiller au bon fonctionnement du brainstorming et au respect des six
règles précédentes.

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Cette capacité à promouvoir humilité et tolérance nécessite, pour pouvoir
coexister et se développer efficacement, de susciter une autre qualité
incontournable : la confiance.

◗ Compter sur les autres : l’OBLiC


L’OBLiC est un acronyme qui permet aux membres de l’équipe de mieux
connaître la mission des autres : Objectifs, Besoins, Limites, Contraintes.
Quand la cellule de crise s’organise, chaque membre exprime tout d’abord
aux autres son objectif : quelle est sa tâche, sa mission, ce qu’il doit atteindre.
Il exprime ensuite ses besoins pour remplir sa mission : le timing nécessaire,
les informations indispensables, etc. Les limites sont ensuite indiquées aux
autres membres de l’équipe de crise : ce que l’expert ne sait pas faire, les
frontières de son intervention… Enfin, il identifie les contraintes que la
mission va lui imposer : tout ce qui peut potentiellement lui poser des
difficultés.
Quand tous les membres de la cellule de crise ont exposé leur OBLiC,
chaque participant voit comment il peut aider les autres à améliorer leur
performance individuelle, et donc leur efficience collective. Le partage des
OBLiC est un facteur primordial de construction de la confiance de
l’équipe.

2.2 Créer l’adhésion


Faire partie d’une équipe ne signifie pas seulement avoir son nom inscrit
sur une liste et croiser les doigts pour qu’elle n’ait jamais à se réunir. Faire
partie d’une équipe, c’est adhérer à ses objectifs et participer à sa
construction et à son rayonnement, en alliant fierté d’appartenance et
motivation face aux épreuves.

◗ Le sentiment d’appartenance
Constituer une équipe dont la mission principale sera de gérer des
situations, au mieux instables, au pire catastrophiques, n’est pas chose facile.
Il n’est pas rare d’avoir du mal à motiver les troupes et à susciter des
vocations. Les membres de l’équipe de crise, souvent désignés d’office ou du
fait de leur fonction, voient dans cette implication forcée une contrainte, qui,
au mieux, va leur faire perdre leur temps. Difficile dès lors d’organiser des

75
réflexions en commun quand on se retrouve à deux autour d’une table. Ce
phénomène est souvent identifiable par le nombre considérable de « Je n’ai
pas le temps, on verra bien si cela arrive ».

Le responsable des Risques et Assurances d’une société de la grande distribution décide,


au vu des crises qui affectent régulièrement la concurrence, de lancer au sein de son
comité de direction une vaste réflexion sur la gestion des crises. Les premières annonces
de ce projet créent un certain engouement, jusqu’au moment où on sollicite chacun pour
intégrer le groupe de réflexion : l’engouement s’effondre et les volontaires se comptent sur
deux doigts.
Sans baisser les bras, le responsable des Risques et Assurances travaille à une cartographie
des crises possibles et établit des procédures adaptées. Dans les mois suivants, la société
va affronter coup sur coup deux crises liées à son cœur de métier. Grâce au travail de
réflexion réalisé en amont par les deux personnes de l’équipe, les crises seront gérées
efficacement.
Dans les jours qui suivirent, tous les membres du comité de direction revendiquaient la
paternité de l’équipe de crise. Au lieu de tirer la couverture à lui, le responsable des
Risques et Assurances a alors valorisé les membres du comité de direction. Voyant la
reconnaissance qu’ils pouvaient en tirer, les collaborateurs – y compris les plus réticents –
ont afflué pour rejoindre le dispositif de crise.

Le sentiment d’appartenir à groupe privilégié quand on rejoint une équipe


de gestion de crise relève d’un état d’esprit particulier : « l’esprit commando
». Cette fierté devrait constituer un effet d’attraction et une satisfaction
d’appartenance à un groupe qui gère les situations pour lesquelles les
structures classiques ne peuvent plus rien. Un fonctionnement en dehors des
normes et de l’habitude, une certaine latitude de réflexion et d’action, la
satisfaction de gérer l’exceptionnel : tous les ingrédients d’un sentiment
d’appartenance valorisant.

◗ La motivation
La motivation de l’équipe se forge avant la crise, par temps calme. Elle
consiste essentiellement à mobiliser les effectifs de l’équipe pour atteindre
un objectif déterminé : être prêt en cas de problème.
Abraham Maslow13 a travaillé sur la motivation et sur les besoins des
êtres humains dans la construction de leur identité et de leur satisfaction
personnelle. Ses travaux nous permettent de classer ces besoins humains, par
ordre croissant d’importance, en cinq niveaux. La satisfaction de l’un des
niveaux ouvre la voie à la satisfaction du besoin suivant. Par conséquent, un

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besoin « supérieur » ne peut pas être satisfait si le besoin immédiatement «
inférieur » ne l’est pas.

La pyramide de Maslow

◆ Les besoins physiologiques sont des besoins essentiels à la survie


de l’être humain : manger, dormir, se loger. Ces nécessités fondamentales,
nous cherchons à les satisfaire en priorité.
◆ Le besoin de sécurité provient de l’aspiration de chacun d’entre
nous à être protégé physiquement et moralement. Ce sont des besoins qui
recouvrent une part de subjectivité non négligeable car principalement liée à
nos peurs et nos inquiétudes personnelles.
◆ Le besoin d’appartenance est lié au besoin de chacun de
s’inscrire dans des relations sociales et d’être « aimé » par les autres
membres de son groupe. C’est un besoin social, qui est satisfait quand
l’individu appartient à un groupe au sein duquel il est apprécié et au sein
duquel il se reconnaît.
◆ Le besoin d’estime est le besoin de reconnaissance de la part du
groupe d’appartenance ou de la part de ceux dont on souhaite être aimé. Ce
besoin se mesure à l’aune des gratifications, compliments et marques de

77
satisfaction de toute sorte.
◆ Le besoin d’auto-accomplissement est le besoin de se réaliser,
d’exprimer pleinement son potentiel dans l’exercice de son travail et de sa vie
personnelle.
Chacun de nous a donc besoin d’un certain nombre de conditions pour se
réaliser pleinement et, finalement, entrevoir son intérêt à évoluer et à
travailler au sein de son équipe. Il est à noter que l’objectif d’un groupe de
gestion de crise est particulièrement gratifiant (même si l’exercice est
difficile) et propice à la réalisation de soi. Mais si l’on s’en tient aux travaux
de Maslow, il faudra d’abord satisfaire le besoin d’appartenance des membres
de l’équipe avant de vouloir leur démontrer la reconnaissance de
l’organisation. Et cette reconnaissance, si elle s’exprime naturellement quand
l’équipe a géré efficacement une situation de crise, est moins facile à
démontrer si l’équipe n’a jamais l’occasion de faire preuve de ses talents.
L’importance de la pratique, notamment par le biais d’exercices et de
simulations, est donc de participer à la motivation des membres du groupe
autant que de les préparer à gérer la crise.

2.3 Assurer un fonctionnement efficace


Le fonctionnement efficace au sein d’un groupe est lié à une multitude de
facteurs différents. Il est pourtant intéressant d’en dégager deux en
particulier, qui découlent des qualités intrinsèques que l’équipe doit pouvoir
développer dans sa phase de maturation et de construction.

◗ Honnêteté
L’honnêteté vis-à-vis des autres mais aussi vis-à-vis de soi, c’est avant
tout la capacité à se remettre réellement en cause, d’accepter de se poser
les bonnes questions et d’avoir la franchise d’apporter des réponses qui ne
vont pas forcément dans le sens qu’on espérerait.
L’honnêteté, c’est également la maîtrise de la concurrence interne.
Dans tous les groupes, dans toutes les organisations, il existe entre les
membres une compétition, une course à la compétence ou à la reconnaissance
: c’est ce que l’on appelle plus pudiquement une « saine émulation ». Cette
concurrence participe à la recherche de l’excellence et au perfectionnement

78
personnel des membres du groupe. Mais elle ne doit pas entraver le bon
fonctionnement de l’équipe, notamment dans des situations ayant des enjeux
capitaux. En d’autres termes, on ne se met pas des bâtons dans les roues
dans le cadre d’une gestion de crise. C’est d’ailleurs une règle
préalablement annoncée et acceptée par tous les membres de l’équipe.

Dans la gestion d’une crise liée à un risque métier, une organisation travaillant dans le
domaine des technologies de l’information est en proie à une situation particulièrement
dégradée : remise en cause de sa compétence professionnelle et de son intégrité, réaction
d’un groupe de pression profitant de l’occasion pour affirmer des idées contraires aux
objectifs de cette société, attitude ambiguë des médias…
Plusieurs filiales de cette organisation sont en cause, et une cellule de crise improvisée est
réunie pour coordonner l’ensemble. Un communiqué de presse est préparé puis proposé au
comité de direction. À la grande surprise de tous, plusieurs journalistes viennent poser des
questions taillant en pièces les éléments proposés dans le communiqué de presse. Or, le
communiqué de presse n’a pas encore été diffusé. Pire, ces mêmes journalistes
commencent à lancer des polémiques démontrant qu’ils détiennent des informations
confidentielles qui, bien qu’elles soient en partie fausses et incomplètes, ne peuvent
provenir que d’une source interne très bien informée.
Après plusieurs heures d’interrogations stupéfaites des membres du comité de direction,
on s’aperçoit qu’un des cadres dirigeants d’une des filiales en cause diffuse des
renseignements très précis aux journalistes si bien informés. Après quelques jours
d’instabilité et un apaisement de la situation, le cadre fautif est sommé de s’expliquer sur
son attitude. En fait, il diffusait des informations pour nuire à son supérieur direct et ainsi
démontrer à tous sa compétence professionnelle, jamais réellement reconnue d’après lui. Il
semble ne pas s’être aperçu des effets nuisibles de son attitude sur la gestion de l’incident.

◗ Préparation mentale
Comme les sportifs de haut niveau qui se préparent mentalement avant
chaque compétition ou rendez-vous importants, les membres de l’équipe de
crise vont se préparer mentalement à gérer des situations potentiellement à
risque. L’objectif de cette préparation est d’amortir les chocs émotionnels qui
pourraient survenir dans des situations d’urgence et d’instabilité et de «
réactiver » les aptitudes et comportements efficaces.
En termes d’obligation, les membres de l’équipe de crise ont
techniquement une obligation de moyens : ils vont mettre en œuvre les
moyens à leur disposition pour réduire l’incident, mais il ne pourra pas leur
être reproché de n’avoir pas atteint leur objectif, notamment en cas de crise
particulièrement grave ou de moyens insuffisants ou inadaptés.

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Cependant, les membres de l’équipe ont moralement une obligation de
résultats face à la crise. Leur détermination sera primordiale dans une
résolution favorable des événements, et elle participera à la motivation de
tous. Dès lors qu’ils vont entrer en cellule de crise, ils devront garder à
l’esprit cette nécessité d’une détermination sans faille, qui, loin d’être une
qualité anecdotique, constitue une qualité fondamentale de l’équipe.
La préparation mentale va permettre aux membres de la cellule de se
mettre dans un mode de fonctionnement particulier que l’on pourrait qualifier
de « mode crise » : les compétences et aptitudes nécessaires en gestion de
crise, évoquées précédemment, ne sont pas un mode de fonctionnement
permanent pour la plupart des gens. Il faut en quelque sorte les « réactiver »
pour les utiliser et les mettre en œuvre.
Guy Missoum14, cité par Lionel Bellenger15, a recensé treize stratégies
mentales susceptibles d’être associées à la préparation des sportifs. Certaines
de ces stratégies sont intéressantes pour être intégrées dans un processus de
préparation d’une cellule de crise. Les stratégies identifiées par Missoum sont
les suivantes :
– la définition précise des objectifs à atteindre ;
– la visualisation mentale de ces objectifs ;
– la gestion des situations, notamment par l’apprentissage issu des
échecs.
– le « switch », permettant de « basculer » dans un mode de pensée
particulier ;
– la confrontation, en imaginant « l’adversaire » en situation d’infériorité
;
– la mise en avant du relationnel et de la relation interpersonnelle
efficace ;
– la méta-attitude, prise de recul sur la situation ;
– l’attitude du déjà-vu, en se mettant mentalement dans un contexte
familier ;
– l’attitude de la première fois, en prenant la situation comme une
nouvelle épreuve ;
– le bon départ, anticipation de la mise en œuvre de la stratégie ;
– le bien finir, pour garder la concentration efficace jusqu’au bout ;
– la préparation au duel, par l’élaboration d’un combat mental et des
stratégies applicables ;

80
– l’attitude d’encouragement, suscitant cohésion et unité de l’équipe.
Ces stratégies, comme la plupart des techniques de préparation mentale
utilisées notamment dans le sport de haut niveau, visent à pousser les
membres de l’équipe à se dépasser et à se connaître pour affronter des
épreuves « hors du commun » en puisant en eux-mêmes toutes les ressources
disponibles.

3. Mettre en place des procédures adaptées


Les procédures sont utiles, importantes et même indispensables en
matière de gestion de crise. Mais elles comportent un risque dont il faut se
prémunir : celui de se laisser enfermer dans des plans trop rigides. Il importe
au contraire de garder toujours à l’esprit les notions d’adaptabilité et de
créativité.
L’absence de procédure est certainement beaucoup plus traumatisante
pour ceux qui doivent assumer la conduite de l’événement que l’existence de
procédures trop pesantes ou mal conçues. Le plan de crise est un outil
indispensable, qui va fixer des modes de fonctionnement et permettre à
tous de se concentrer sur la tâche à accomplir. En cas d’absence de
procédures établies à l’avance, le temps gaspillé à élaborer un « système » de
secours est du temps perdu pour la gestion de la crise.

3.1 Le plan de crise


Il n’y a pas de contenu type pour un plan de crise. Comme Patrick
Lagadec16 l’explique fort justement, son « épaisseur et le degré affiché de
confidentialité ne sont pas des garanties de pertinence ». Il ajoute également
que « le plan doit être un véritable outil opérationnel et non une référence
dont le seul objet est de rassurer en temps de paix ». Il n’y a rien de plus
disqualifiant pour un dispositif de crise que de s’apercevoir en pleine action
qu’on ne peut pas compter sur les procédures prévues. Toutefois, tout plan de
crise doit comporter certains éléments indispensables.

◗ Le contenu du plan de crise


Un plan de crise efficace et utile devrait contenir :

81
◆ Une liste des membres de l’équipe de crise et de leurs suppléants,
reprenant leurs coordonnées complètes (adresses, téléphones fixes, mobiles,
moyens de liaison).
◆ Une cartographie de l’ensemble des situations de crise envisagées
lors des phases d’anticipation des risques. Cet état, bien évidemment non
exhaustif, doit pouvoir permettre à ceux qui l’utilisent d’accéder à
l’information en fonction du type de crise ou de risque qu’ils ont à conduire.
◆ Une description détaillée des plans de réponse et des modes
opératoires attribués en fonction des situations précédemment envisagées.
◆ Une description éventuelle du plan de continuité des activités, ou
du moins la procédure de mise en œuvre de celui-ci.
◆ Une description de la cellule de crise et de son fonctionnement :
organisation de la salle de crise, matériels dédiés, mode d’utilisation et de
fonctionnement, répartition des moyens de communication, numéros de
téléphone entrants et sortants…
◆ Un annuaire des ressources disponibles en interne et en externe.
Cet annuaire, régulièrement actualisé et remis à jour, doit permettre de
joindre immédiatement et à n’importe quelle heure du jour et de la nuit les
ressources identifiées.

Conseil pratique

Il est intéressant de bien différencier plan de crise et plan de continuité des activités (PCA). Le
premier sert à gérer un événement ponctuel et grave, le second permet une poursuite de l’activité
dans un contexte dégradé par la crise. Le fait d’avoir un PCA ne supprime en rien la nécessité de
rédiger un plan de crise.

Chaque organisation doit être en mesure de réaliser ce plan de crise en


fonction de sa culture, de ses habitudes, de son expérience des situations
dégradées. Il n’y a pas de modèle type, et chacun pourra le construire « à sa
main ». L’objectif est d’en faire un outil efficace, et qui sera réellement
utilisé en cas de problème.

Dans le cadre d’un exercice de simulation destiné à auditer un dispositif de crise, un

82
message d’alerte est envoyé au permanent d’une société qui cherche à tester sa capacité de
réaction en cas de problème. Personne n’a été prévenu de la mise en œuvre de l’exercice,
hormis le DRH et le directeur général.
Rapidement, et avec une efficacité qui surprend presque tout le monde, la cellule de crise
est réunie et les personnes devant s’y rejoindre commencent à arriver. Mais les
observateurs extérieurs chargés d’analyser le fonctionnement du groupe s’aperçoivent
qu’aucune des procédures logistiques préétablies n’est respectée. Cela n’entrave pas le
début de la gestion de l’incident, mais cela surprend suffisamment le DRH pour qu’il aille
s’enquérir auprès du responsable de l’équipe de crise de ce changement inopiné. La
réponse est cinglante : « Le plan de crise, on n’y comprend rien, alors on a décidé de faire
simple ».
Après lecture dudit plan, il apparaît qu’il est incompréhensible, touffu et parfois même
contradictoire. Il est certes bien écrit, dans de beaux classeurs au sigle de la société, mais il
n’y a aucun intercalaire pour en séparer les différentes parties. De nombreux points
importants sont à peine abordés alors que des futilités sont expliquées avec maints détails.
À l’issue du débriefing, il est apparu que le plan de crise avait été rédigé par une seule
personne, qui ne faisait même pas partie de l’équipe de crise. Elle avait conçu ce plan
comme un véritable mémoire universitaire mais en aucun cas comme un outil
opérationnel.

◗ Rédaction et mise à disposition


En matière de plan de crise et de procédures, la forme a autant
d’importance que le fond. Dans l’urgence et dans l’agitation qui accompagne
les situations dégradées, il faut faire simple et efficace. Là encore, il n’y a pas
de forme type et chaque modèle est pertinent s’il est bien adapté aux besoins
de l’organisation.
L’établissement de fiches pratiques reste une méthode efficace : chaque
risque, incident ou situation de crise fait l’objet d’un document spécifique,
qui reprend les premières mesures à appliquer et tous les renseignements
dédiés utiles à la cellule de crise.
Le plan de crise doit être à disposition de ceux qui ont à le connaître et à
l’utiliser. Il doit être réalisé en plusieurs exemplaires et disposé à plusieurs
endroits distincts.
Un magasin d’une chaîne de la grande distribution vient de faire l’objet d’un vol à main
armé, juste avant l’heure de fermeture. Il n’y a pas eu de victimes, mais le permanent en
charge de la direction du magasin décide d’appliquer les procédures prévues en la matière
par son enseigne. Les procédures, récapitulant les mesures d’urgence à prendre ainsi que
les numéros de téléphone utiles, sont contenues dans le plan de crise. Deux exemplaires de
celui-ci se trouvent dans chaque magasin : un dans l’armoire forte du directeur, l’autre
dans le bureau du responsable sécurité. Or, le directeur en titre est en vacances, et le

83
permanent n’a pas la clé de l’armoire forte. Le responsable sécurité est quant à lui en arrêt
maladie, et le plan de crise de son bureau est introuvable. Bien qu’il soit parfaitement
réalisé, complet, simple à utiliser, le plan de crise de ce magasin est inutile car
inaccessible.

La forme papier est à privilégier car elle permet une accessibilité


immédiate. Elle peut être doublée d’un support numérique, permettant un
stockage de données plus important pour un encombrement quasi-nul. Sous
forme de cd-rom ou de clé numérique, le plan peut être emmené partout par
ceux qui doivent le détenir. Cela peut leur permettre d’avoir accès à
l’information utile directement depuis leur domicile en cas de déclenchement
des procédures durant la nuit ou le week-end.
Le document peut également être stocké sur le site Intranet de
l’organisation. Cela permet à tous d’effectuer des mises à jour en direct, ou
d’imprimer et d’importer des documents actualisés en temps réel, tout en
limitant l’accès aux personnes dûment accréditées.

◗ À qui donner un exemplaire du plan de crise ?


Le plan de crise doit être distribué avec parcimonie : ce n’est pas un
document qui doit circuler largement, car il risque de tomber dans les mains
d’individus malveillants ou mal intentionnés. Il doit cependant être diffusé au
moins aux personnes suivantes :
– les membres de l’équipe de crise ;
– les dirigeants de l’organisation, chargés de la décision dans la conduite
des événements mais qui ne font pas partie de l’équipe de crise ;
– les responsables de secteurs, Business Unit ou secteurs géographiques,
qui peuvent être amenés à déclencher les procédures dédiées.
Les détenteurs de plan de secours seront recensés et identifiés clairement
: il faudra pouvoir leur envoyer les mises à jour et les adaptations
régulièrement.

3.2 La mise à jour du plan de crise


Pour être efficace dans la durée, le plan de crise doit être conçu pour être
mis à jour, agrémenté, voire modifié aisément.

◗ Des documents adaptables

84
L’utilisation de fiches détachables permet de modifier l’une d’elles sans
pour autant modifier l’ensemble du plan ou de son organisation. Clairement
identifiée dans le document par la mention «mis à jour le… », la mise à jour
est facilitée.

◗ Organiser la mise à jour


Les mises à jour du document « original » et la diffusion des
modifications doivent être confiées à un ou plusieurs membres de la cellule
de crise. C’est en général au responsable de l’équipe et au logisticien que
cette mission est dévolue.
Pour s’assurer que l’ensemble des plans de secours a été uniformément
modifié, il faut organiser un remplacement des fiches ou chapitres mis à jour
en les identifiant clairement dès la conception du document. Au-delà d’un
simple numéro de page, chaque fiche doit être identifiée par thème, chapitre
et page, du type « Risques métier/Incidents techniques/Perte d’un outil
essentiel à la production/Date ».
À chaque modification, un message clair de diffusion des mises à jour
sera envoyé à tous les détenteurs de plans de crise, dûment répertoriés. Il
comportera impérativement les références des parties à remplacer, avec une
indication du type « Y annule et remplace X ». On s’assurera de la
modification par un système d’accusé de réception adapté.

4. La logistique de crise
L’équipe de crise, si elle est amenée à évoluer dans une situation instable
et mouvante, doit néanmoins bénéficier d’une logistique optimale qui se
pense et se prépare à l’avance. L’environnement de l’équipe peut être un
facteur de stabilisation, d’apaisement de tensions et de performance.
Cette logistique comporte notamment une salle de conduite, généralement
appelée salle de crise, une salle de repli, et des moyens techniques dédiés.

4.1 La salle de conduite


La salle de conduite est le centre nerveux de la gestion de la crise. Lieu
identifié et équipé spécifiquement, il est le point central autour duquel va
s’articuler l’ensemble des composantes de la conduite. Ce n’est pas

85
forcément un lieu dédié uniquement à la crise mais une pièce qu’on peut
aisément transformer en salle adaptée.
C’est à la salle de conduite que vont remonter l’ensemble des
informations en provenance du terrain, les analyses des experts, des autorités
compétentes. C’est là que tout sera traité pour être ensuite redistribué à qui de
droit. C’est également dans cette salle que vont se conduire les analyses de
situation, à partir desquelles seront élaborées les stratégies et les instructions
de mise en œuvre.

◗ La configuration de la salle de conduite


Avant toute chose, l’environnement de travail de l’équipe de crise ne doit
pas ajouter de stress à la conduite de la situation. Un lieu inapproprié, mal
pensé et mal préparé peut contribuer aux dysfonctionnements de la cellule.
Négliger cet aspect de l’organisation se paye forcément dans l’action, parfois
cher.
◆ La salle de conduite doit être suffisamment grande pour pouvoir
permettre l’animation de tous les « ateliers » liés à chaque fonction. Les
fonctions Information-Analyse et Communication sont notamment
gourmandes en place : il y a souvent plusieurs personnes chargées de remplir
ces tâches, elles ont la nécessité de stocker beaucoup d’informations, souvent
sous format papier, il leur faut parfois s’isoler pour réfléchir dans le calme…
Il faut donc prévoir une salle d’une taille adéquate, tout en gardant à l’esprit
que chaque fonction et chaque personne de l’équipe doivent pouvoir
communiquer avec les autres sans entraves. Le juste équilibre entre un «
cloisonnement » nécessaire aux travaux de chacun et un partage de
l’information entre tous n’est pas toujours facile à trouver. L’idéal serait de
penser à l’amé-nagement de la salle de conduite au moment de la
construction ou du réaménagement du bâtiment.
◆ La salle de conduite doit aussi disposer de plusieurs autres lieux à
proximité, plus petits, pouvant servir de salles de réunion ou d’annexes
propres à certaines fonctions, la communication notamment.
◆ La salle de conduite doit être un lieu protégé. Elle doit être
préservée des « interférences » extérieures qui pourraient nuire à sa sérénité.
L’accès à la salle de conduite ne devrait d’ailleurs être autorisé qu’aux
personnes dûment habilitées, et éventuellement dotées d’un badge d’accès

86
spécifique et filtrées par un agent de sécurité.
Une cellule de crise en pleine action, avec de nombreuses personnes gravitant dans la salle
de conduite, a eu un jour une surprise de taille : chacun étant pris dans sa mission,
personne ne s’est étonné de la présence d’un individu qui prenait des notes et que
personne ne connaissait. C’est le responsable de l’équipe qui, après presque une heure de
présence, est allé demander à cette personne qui elle était. Il s’agissait d’un journaliste qui,
en toute bonne foi, s’était introduit dans la salle et assistait aux opérations « de l’intérieur
», selon son expression.

◗ Un environnement organisé
La salle de conduite doit être organisée à l’avance. Pour un
fonctionnement efficace, il faut que chacun reste à sa place. Et pour que
chacun reste à sa place, il doit y avoir une place pour chacun. En fonction de
la salle choisie, l’organisation des lieux sera différente mais un espace « vital
» sera réservé à chaque fonction.
Pour faire face à une crise liée à un incident-produit, une société de distribution
alimentaire déclenche sa procédure de crise et réunit son équipe dédiée. Placées dans une
salle totalement inadaptée aux besoins, toutes les fonctions vont se « marcher sur les pieds
», à tel point que certaines trouveront refuge dans des bureaux à proximité. Mais aucune
procédure d’échange de l’information n’est alors établie, et chacun va travailler dans son
coin sans échanger avec les autres. Au bout de quelques heures, c’est la fonction
Communication qui, par nécessité, a rappelé tout le monde à l’ordre pour rétablir la
transversalité des missions. La salle de conduite, pourtant identifiée à l’avance, n’était
absolument pas organisée et préparée.

4.2 La salle de repli


La salle de repli est une salle de conduite « bis », que l’on peut activer en
cas d’indisponibilité de la salle principale. Il peut y avoir de multiples raisons
qui empêchent d’avoir accès au lieu initialement choisi : accident à proximité
du local, incendie au siège si la salle s’y trouve, envahissement par des
salariés, prise d’otage… Et ces causes peuvent être des plus tragiques : la
salle de crise de la ville de New York se trouvait… dans les tours du World
Trade Center.
La crue de la Seine est aujourd’hui une véritable préoccupation pour les organisations
situées à Paris : bon nombre de sièges sociaux ou de sites stratégiques d’entreprises ou de
services publics se situent dans la zone inondable. Les capacités de prévision d’un tel
événement étant de quarante-huit heures, il est à souhaiter que toutes ces entités aient déjà
anticipé un tel événement. Dans ces conditions, une crue même minime pourrait empêcher
tout accès à un bâtiment. Il est donc primordial d’avoir une salle de repli pour la conduite
d’une crise (d’une évacuation, en l’occurrence) dans le cas où la salle principale se

87
trouverait au siège, potentiellement inaccessible.

◗ Une salle de crise « bis »


La salle de repli doit pouvoir permettre de pallier l’absence de la salle
principale. Elle doit être organisée et pré-équipée à l’identique. Elle doit
également faire l’objet d’activations simulées, pour vérifier sa bonne
ergonomie et son bon fonctionnement.

◗ Un espace de secours
Si elle est une réplique de la salle principale, la salle de repli reste
cependant un espace de secours. Équipée à l’identique, elle est malgré tout
faite pour fonctionner en conditions dégradées et quand elle est utilisée, on
acceptera de ne pas avoir la même logistique ni les mêmes moyens que l’on
aurait pu trouver dans la salle principale.

4.3 Les moyens techniques


La salle de conduite doit être dotée d’un certain nombre de moyens
techniques, soit dédiés à la bonne marche de la cellule de crise, soit destinés à
la communication entre les composantes de la conduite.

◗ Les moyens d’organisation


Les moyens d’organisation sont essentiellement des moyens de recherche
de l’information et du renseignement. Ce sont notamment l’ensemble des
dossiers « Crise », qui seront archivés dans la salle de crise, sous format
papier et/ou sous format numérique :
– dossiers techniques des sites de l’organisation ;
– plans des différents lieux d’implantation ;
– plans des villes ou des pays ;
– informations logistiques et moyens de projection…
Parmi les moyens d’organisation, il faut disposer des outils élémentaires
mais tellement indispensables que leur absence est très pénalisante :
– des paperboards en nombre suffisant accompagnés de leurs feutres
traditionnels ;
– un ou plusieurs vidéo-projecteurs permettant de diffuser à un atelier-
fonction en particulier, ou à l’ensemble de l’équipe, un document sur

88
support numérique : plans, procédures…
L’utilisation des supports numériques permet une transmission rapide de
l’information, une distribution ciblée et une mise à jour quasi-instantanée.

◗ Les moyens de communication


Des moyens de communication efficaces constituent le système nerveux
d’une cellule de crise. Ils doivent pouvoir être opérationnels quelle que soit la
situation de crise, et permettre une rapidité de transmission optimale.
◆ Le réseau de communication interne est le premier élément de ce
système : l’équipe de crise doit avoir à sa disposition tous les annuaires
internes à jour, indiquant les numéros de téléphones fixes, mobiles, les fax et
les adresses e-mails de leurs correspondants. Il est à noter que l’utilisation du
fax nécessite de s’autoréguler et de synthétiser les informations transmises
car un nombre de pages trop important peut saturer l’appareil et empêcher
toute transmission ultérieure.
◆ Les moyens de communication externes doivent aussi faire l’objet
d’une attention particulière : le système externe doit prévoir des moyens de
liaison avec tous les sites de l’organisation, en envisageant une redondance :
un système doit pouvoir pallier l’absence d’un autre. L’utilisation des réseaux
GSM est très pratique, mais en cas de crise grave, les réseaux des opérateurs
de téléphonie sont souvent saturés et donc inutilisables. Lors des attentats de
Madrid en 2004, tous les réseaux de téléphonie mobile étaient hors service.
Parmi les moyens de communication, on doit également penser aux
moyens de veille notamment sur les médias :
– postes de télévisions branchés sur les chaînes d’information continue
nationales et internationales ;
– ordinateurs connectés aux sites d’information ou sur les agences de
presse…

5. Les risques de dysfonctionnements


Progresser, c’est changer d’erreur. C’est donc dans l’étude des erreurs et
des mauvais fonctionnements qu’il est possible de trouver des voies
d’amélioration et de perfectionnement. Dans cette analyse, on peut clairement

89
distinguer, entre autres, deux aspects susceptibles d’être abordés : les
dysfonctionnements liés aux facteurs humains des membres des équipes de
crise, et les dysfonctionnements liés aux facteurs organisationnels de la
structure ou de l’entreprise.

5.1 Les facteurs humains


Les spécialistes de la gestion des risques et de la conduite des crises sont
des observateurs privilégiés du fonctionnement (et du dysfonctionnement)
des individus en situation de stress. La plupart des bons comportements et des
bonnes pratiques sont essentiellement des règles de bons sens. Alors,
pourquoi ne sont-elles pas appliquées en situations dégradées ? Comment
expliquer que des équipes de direction, des chefs de projets aguerris, des
managers rodés aux situations difficiles puissent « dysfonctionner » dans
leurs analyses et leurs prises de décision en situation de crise ? Le stress et
l’imprévisibilité des facteurs humains apportent quelques réponses à ces
questions.

◗ Les dysfonctionnements liés au stress


Il existe une grande inégalité des personnes face au stress. Personne ne
peut dire qu’il est à l’abri des dysfonctionnements que peut engendrer ce
phénomène ou qu’il sait parfaitement comment il réagira face à une situation
de danger.

X est moniteur de parachutisme sportif. Chaque année, il enseigne à des dizaines d’élèves
les rudiments de la chute libre, et notamment les conduites à tenir en cas d’incident. Parmi
ces incidents, il en est un appelé « poignée dure » : au moment de tirer sur la poignée qui
sert à ouvrir le parachute principal, celle-ci résiste. La procédure normale à appliquer dans
ce cas est de reprendre la position à plat, face vers le sol, puis de retenter une traction de la
poignée. En cas de nouvelle résistance, la procédure indique qu’il faut faire une procédure
de secours (ouverture du parachute de secours).
Ce jour-là, X effectue un saut d’accompagnement d’un élève en progression. L’élève ayant
ouvert son parachute principal normalement, X décide d’ouvrir le sien et se heurte à une «
poignée dure ». Il applique la procédure, reprend la position à plat face vers le sol, puis
retente une traction. La poignée étant dure, il reprend la position… puis tente une nouvelle
traction. Puis encore une autre. Et une autre… Enfin, la poignée quitte son logement et la
voile se déploie.
En dépit de la procédure applicable en la matière, X n’a pas effectué de procédure de
secours et a réalisé six tentatives avant d’ouvrir son parachute. Arrivé au sol, il ne réalise
pas ce dysfonctionnement dans ses procédures, et ne réalise même pas qu’il a ouvert à 400

90
mètres d’altitude, alors que la hauteur réglementaire est de 850 mètres au minimum. Sous
l’effet du stress, X a oublié les règles fondamentales de son sport alors même qu’il
enseigne aux autres les procédures à appliquer en cas d’incident. Ce n’est qu’en examinant
la vidéo filmée par la caméra qu’il porte sur son casque que X prendra conscience du
nombre répété de tentatives infructueuses. Même bien préparé, nul ne peut dire comment il
réagira face à une situation de danger.

Le mot « stress » est un terme de physique utilisé pour caractériser les


contraintes appliquées à un matériau jusqu’à son point de rupture. C’est le
docteur Hans Selye17 qui l’a utilisé dès 1956 pour dénommer la « réponse
physiologique de l’organisme face à une stimulation extérieure considérée
comme une agression ». Il est intéressant de noter que comme dans le cadre
de la définition du risque ou de la crise, le stress est étroitement lié à la
perception que les gens en ont. Une situation donnée sera perçue comme
stressante par certains et pas par d’autres.
Le stress positif
Face à une situation perçue comme un danger imminent ou une agression,
le stress peut être un élément positif : il va mobiliser l’énergie de celui qui
subit le danger et multiplier ses capacités à faire face à la situation pour
s’adapter. Le syndrome du stress, ou syndrome général d’adaptation, évolue
selon trois phases successives :
◆ La phase d’alerte : dès que le danger est perçu, les capacités
générales de la personne sont mobilisées pour y faire face.
◆ La phase de résistance : la personne va mettre en œuvre un
processus d’adaptation pour affronter le danger. Ce processus peut durer plus
ou moins longtemps selon la persistance de la menace.
◆ La phase d’épuisement : la mobilisation de l’énergie et de
l’attention de la personne va causer, plus ou moins rapidement, une sensation
d’épuisement physique et psychique.
Le stress négatif
Le stress peut aussi avoir des conséquences négatives. Ainsi, lorsqu’une
personne soumise à un stress important est dépassée par cette pression, elle la
perçoit comme une menace vitale et hors du commun. On dit alors qu’elle est
en stress dépassé. Les réactions face à un stress dépassé peuvent être variées

91
selon les individus, mais on peut les classer en trois catégories principales :
l’immobilité stuporeuse, l’agitation stérile et l’adaptation au danger.
◆ L’immobilité stuporeuse, ou cataplexie de Preyer : Wilhelm
Preyer18 décrit dès 1878 ces réactions en étudiant notamment l’attitude des
animaux face à un danger. Cette immobilité est une « dissolution brutale du
tonus de posture et une inhibition complète de la motilité volontaire
responsable de chutes brusques, et ce en l’absence de tout trouble de la
conscience. Elle survient en plein éveil et dure de quelques secondes à
quelques minutes ; elle peut être déclenchée par un facteur émotionnel ».
Une personne réagissant ainsi se trouve en quelque sorte paralysée par le
stress, de quelques secondes à plusieurs minutes, tout en ayant parfaitement
conscience de ce qui se passe. Cette immobilité peut empêcher une réaction
adaptée à la situation ; l’effet est d’autant plus traumatisant que la personne
est parfaitement consciente de ce qui se passe mais qu’elle ne peut agir sur
l’événement.
◆ L’agitation stérile. Cette fois, le stress dépassé incite la personne à
agir même si son action est stérile face au danger : elle aura l’impression de
répondre efficacement à la situation, bien que sa réponse soit complètement
inadaptée et donc improductive.
◆ L’adaptation. Malgré le stress dépassé, la personne réussit à adopter
un comportement d’adaptation face au danger et avoir une attitude efficace.
Il est impossible de se prémunir avec certitude des effets négatifs d’un
stress dépassé. On peut cependant s’y préparer et garder à l’esprit que malgré
une perception exacerbée du danger, c’est par le contrôle de ses émotions
qu’on pourra surmonter la situation.

◗ Les dysfonctionnements liés au groupe


Les dysfonctionnements les plus fréquents rencontrés en situation de crise
sont liés à la difficulté à faire fonctionner une cellule constituée de personnes
qui n’ont peut-être jamais travaillé ensemble. On est parfois face à des
cultures différentes, à des appréhensions opposées de la notion d’urgence.
Ces différences peuvent être perçues comme des facteurs de danger par les
protagonistes, et constituer des freins puissants à un bon fonctionnement du
système. Une préparation efficace et un entraînement régulier peuvent

92
remédier à ce dysfonctionnement.

◗ La pensée de groupe
Le phénomène de la pensée de groupe a été décrit par Irving Janis19 en
1982 et repris par Patrick Lagadec20 en 1992. Surpris par le nombre de
décisions inefficaces prises par des hommes pourtant brillants mais réunis
dans des groupes soumis à une pression importante, Janis a identifié un mode
de fonctionnement intéressant : des « individus qui, profondément impliqués
dans un groupe fortement marqué par la cohésion, déploient bien plus
d’efforts pour assurer l’unanimité du groupe que pour parvenir à un examen
réaliste des lignes d’action envisageables. Le terme renvoie à une
détérioration de l’efficacité mentale, de la capacité à tester la réalité, de
l’aptitude au jugement moral – détériorations résultant des pressions internes
au groupe ».
Les symptômes caractéristiques du Groupthink, repris par Lagadec, se
classent dans trois grandes familles de dysfonctionnements :
◆ La survalorisation du groupe. Le groupe s’inscrit dans une illusion
d’invulnérabilité, qui pousse parfois à la prise de risque inconsidérée. Le
groupe développe également une foi absolue dans sa propre éthique, allant
jusqu’à ignorer l’aspect moral de ses choix et de ses décisions.
◆ La fermeture de la pensée. Le groupe tombe dans le piège de la
scotomisation21, et élimine de son champ d’analyse les informations qui
pourraient l’amener à reconsidérer ses choix. Il considère également que son
« adversaire » est trop faible et/ou trop stupide pour obliger une réaction
réellement adaptée.
◆ La pression de conformité. Les membres du groupe qui pourraient
avoir des idées allant à l’encontre de l’unanimité générale s’autocensurent.
Des gardiens de la pensée émergent et se chargent de protéger cette illusion
d’efficacité du groupe.

5.2 Les facteurs organisationnels


L’organisation elle-même peut constituer un facteur de désordre et de
mauvais fonctionnement. Entre pas assez de préparation et trop de contrôle,
l’équilibre est délicat à trouver pour que chacun puisse remplir sa fonction

93
avec efficience.

◗ Pas assez d’organisation


Le manque d’organisation est évidemment un facteur de
dysfonctionnement. Les situations d’instabilité sont propices à la remise en
cause de la légitimité des responsables ou des décideurs. Dès lors que la
structure est floue et que les rôles ne sont pas répartis efficacement, certains
vont être amenés à prendre pied sur la mission des autres, et les querelles
personnelles vont resurgir instantanément, anéantissant du même coup tout le
travail de construction de la confiance établi auparavant. La crise a horreur du
flou, et les structures informelles ont tôt fait de prendre la place des
organisations officielles dès lors qu’il existe un vide ou un manque
d’organisation.
Le rôle de leader de l’équipe est aussi primordial. En cas d’absence de
celui-ci, physique ou psychologique, un leader émergeant prendra forcément
sa place sans pour autant être le plus adapté à la situation.

◗ Trop d’organisation
Si l’absence d’organisation est un vrai problème, trop d’organisation est
également un handicap. L’utilisation de fiche carcans, de guidelines trop
contraignants, constitue un frein puissant à l’efficacité. Si l’organisation doit
être présente, elle doit cependant laisser une certaine marge de manœuvre à
chacun dès lors que la confiance existe : la créativité est un des paramètres
d’une gestion de crise efficiente.
Le poids de la hiérarchie, quand il est trop pesant, peut générer des
dysfonctionnements également déstabilisants : face à un décideur
omniprésent, à un contrôle pesant de tout ce qui est entrepris, l’impression
d’une absence de confiance, voire d’une véritable défiance, constitue un
élément fort de démotivation des acteurs de la gestion de la crise. Ces
derniers auront tôt fait de ne plus prendre aucune initiative sans l’aval du
décideur ultime, lequel se trouvera du même coup saturé d’actions à
superviser et perdra l’appui que peut lui apporter son équipe.

1. Voir chapitre 1.

94
2. Voir infra.
3. Federal Bureau of Investigation.
4. Central Intelligence Agency.
5. National Security Agency.
6. Voir chapitre 4.
7. Christophe Roux-Dufort, Gérer et décider en situation de crise, op. cit.
8. Voir chapitre 3.
9. Voir chapitre 3.
10. Voir supra.
11. Ivan Gavriloff, repris par Bertrand Robert, Naviguer au cap confiance, op. cit.
12. Alain Pekar Lempereur et Aurélien Colson, Méthode de Négociation, Dunod, 2004.
13. Abraham Maslow, Vers une psychologie de l’Être, Fayard, 1972.
14. Guy Missoum, Guide du training mental, Retz, 1991.
15. Lionel Bellenger, Comment managent les grands coachs sportifs, ESF éditeur, 2003.
16. Patrick Lagadec, La Gestion des crises, op. cit.
17. Hans Selye, Stress without distress, Hodder, 1978.
18. Wilhelm Preyer, Éléments de physiologie générale, Alcan, 1884.
19. Irving Janis, Groupthink-Psychological studies of policy decisions and fiascoes, Hougthon Mifflin
Company, 1982.
20. Patrick Lagadec, La Gestion des crises, op. cit.
21. Voir chapitre 1.

95
3
CHAPITRE

La phase opérationnelle de conduite


de la crise
« Il faut d’abord savoir ce que l’on veut,
il faut ensuite avoir le courage de le dire,
il faut enfin l’énergie de le faire. »
Georges Clemenceau

L e passage d’une situation d’expectative, plutôt passive, à la conduite


opérationnelle d’un incident survenu ou en devenir n’est pas une chose
aisée. Car au-delà de la « simple » activation d’une procédure dédiée, le
déclenchement de la phase opérationnelle implique la reconnaissance qu’une
crise existe ou du moins que tous les facteurs d’une crise sont réunis. Dès
lors, on commence à penser aux notions de responsabilité et donc de mise en
accusation.
Cette pression est souvent à l’origine de deux dysfonctionnements
opposés :
◆ Le premier consiste à ne surtout pas utiliser le plan de gestion de
crise, car nous ne sommes pas en crise…, du moins le croit-on. Or, tout
comme elle est inutile dans la phase d’anticipation1, la politique de l’autruche
n’a jamais sauvé personne.
◆ Le second consiste à passer en phase de conduite d’une crise à
tout bout de champ, sans nécessité réelle. S’il ne faut pas renoncer à
s’entraîner sur des crises même avec des enjeux réduits pour souder l’équipe

96
et valider les procédures, il ne faut pas non plus démotiver tout le monde en
appelant une caserne de pompiers pour éteindre un feu de poubelles.
Il faut trouver un équilibre entre l’excès de prudence et le
dilettantisme en recherchant la conscience efficace.
La vitesse de réaction et de mise en œuvre est un gage d’efficacité
indéniable. Prendre rapidement les premières mesures face à la crise, c’est se
donner la chance d’endiguer la situation avant que les conséquences ne
dépassent un seuil critique au-delà duquel les bouleversements causés par la
crise seront irréversibles.
Un autre facteur à prendre en compte dans le basculement en phase
opérationnelle de la conduite d’une crise est le coût interne du déclenchement
d’une telle procédure :
◆ Le premier de ces coûts est la peur qu’on risque de générer chez
les collaborateurs : activer une procédure de crise, déclencher la réunion de
l’équipe dédiée, ouvrir la salle de conduite, c’est d’abord aux yeux de tous
reconnaître qu’on est en crise. Il y a fort à parier que ce coût pourrait
facilement inhiber bon nombre de responsables de cellule de crise peu
sensibilisés.
◆ Un autre coût à prendre en compte est le coût financier de la
mobilisation générale. Pour peu que l’incident se déclenche une nuit ou un
week-end, qu’il mobilise des ressources extérieures (expertises de
consultants, activation d’une agence de presse, mesures de confinement d’un
siège, évacuation d’expatriés dans un pays à risque, etc.), les coûts imaginés
par le responsable de la cellule de crise ou la direction peuvent paraître tels
que rien ne sera mis en œuvre.
La montée en puissance de la conduite de la crise doit se faire
progressivement et par paliers. On peut décider d’activer les procédures de
manière peut-être allégée au départ, en attendant d’y voir plus clair sur la
nature de l’événement mais en se gardant la possibilité de mobiliser très
rapidement le reste du dispositif ad hoc.

1. La montée en puissance

97
La décision d’activer le dispositif de crise dépend de divers éléments
propres à chaque organisation ou à chaque entreprise. D’une activité à une
autre, d’une expérience à une autre, les critères de qualification peuvent
varier de façon significative.
Les éléments permettant de qualifier une situation en crise sont de divers
ordres :
◆ On peut tout d’abord qualifier une situation en fonction de son
point d’origine : une émeute dans un pays, une épidémie, une catastrophe
naturelle, un accident industriel, la découverte d’un défaut technique sur un
produit.
◆ On peut également qualifier une situation en fonction des moyens
qu’on devra mettre en œuvre pour la résoudre : un incident objectivement
minime en son point d’origine peut nécessiter, pour être endigué, la mise en
œuvre de moyens exorbitants et fort coûteux.
◆ Une situation peut être également qualifiée en fonction des enjeux
et des menaces : images, nombre de personnes menacées, enjeux
financiers…
◆ La crise peut enfin être également qualifiée du fait de la pression
du temps et de l’urgence qu’elle fait peser sur la prise de décision. Cette
notion d’urgence est d’ailleurs intéressante à examiner : de nombreuses
organisations, quand elles ont à faire face à une situation qu’elles qualifient
d’urgente, acceptent que les modes de fonctionnement habituels ou les
procédures préétablies ne soient pas appliquées. Elles acceptent également
que le résultat obtenu ne soit pas optimal du fait justement qu’il a été obtenu
dans l’urgence. Or, quand on analyse ces situations, on s’aperçoit que
l’urgence fait partie de leur métier. Dès lors, ce n’est plus de l’urgence mais
un mode de fonctionnement à part entière pour lequel il faut penser des
procédures adaptées. Comme disait le Maréchal Liautey : « On fait ou on ne
fait pas mais si on fait, on fait bien! » Il est tentant d’ajouter : « Y compris
dans l’urgence! ».
La procédure de qualification de crise est donc propre à chaque
organisation, à la perception qu’elle a de l’incident, à son ordre de priorité
dans les enjeux qu’elle souhaite défendre. Ce qui est malheureusement
commun à tous, et à toutes les organisations, ce sont quelques mécanismes de

98
défense que l’on constate et qui peuvent facilement devenir des entraves à
l’action. Les deux mécanismes de défense les plus courants face à une
situation perçue comme à risque ou dangereuse sont le déni et la dénégation.
◆ Le déni est un mécanisme de défense psychologique qui se traduit
par le refus d’une réalité perçue comme potentiellement dangereuse.
Pour se protéger de cette réalité angoissante, le sujet ou le groupe qui en est
victime rejette complètement ce qui se passe, au point de nier l’évidence. Ce
dysfonctionnement est souvent très déstabilisant pour l’entourage ou les
conseillers de celui qui le met en œuvre car il se situe au-delà du rationnel et
de l’explicable. Il se différencie de la politique de l’autruche adoptée lorsque
le sujet a conscience des risques mais qu’il refuse consciemment de les
prendre en considération.
◆ La dénégation est également un mécanisme de défense
psychologique qui peut limiter la capacité de prise de décision ou de
réaction d’un individu ou d’un groupe, notamment si celui qui en est
victime joue un rôle central dans le groupe. La dénégation est en quelque
sorte un déni partiel de la réalité, la négation d’une partie des éléments
d’information factuels.
La phase d’alerte revêt une importance capitale dans la phase de conduite
de l’incident. Elle est le fruit d’une remontée d’informations qui peut être soit
active, soit passive.
◆ La réception passive de l’information se caractérise par une veille
réactive : on réagit à un renseignement qu’on n’a pas forcément cherché
mais qui parvient aux décideurs chargés d’activer le processus. Ce mode de
fonctionnement est efficace, même s’il reste malgré tout passif dans la
recherche des signaux faibles. Cette relative passivité peut faire perdre du
temps de réaction, d’autant plus que l’information reçue ou observée « à la
volée » est souvent brute et nécessite validation et confirmation.
◆ La recherche active de l’information implique quant à elle une
veille proactive, qui garde la main sur l’initiative. On va chercher les
renseignements et les signaux faibles avant qu’ils ne nous arrivent
naturellement. Cette méthode de veille ne nécessite pas forcément des
moyens colossaux mais passe généralement par une sensibilisation de tous à
ce principe et par une motivation transversale de tous ceux qui pourraient

99
faire remonter l’information quand elle n’est pas encore forcément visible.
La veille des signes annonciateurs peut se faire à deux niveaux : au
niveau de l’environnement propre de l’organisation, et au niveau de
l’environnement partenarial et concurrentiel.

1.1 La détection des signes annonciateurs dans l’environnement propre


L’environnement propre de l’organisation est bien évidemment le terrain
privilégié d’observation des signaux faibles permettant d’identifier un
événement suffisamment considérable pour impacter tout le système. Cela
semble simple, évident et frappé du sceau du bon sens. Pourtant, combien de
sociétés aujourd’hui mettent en œuvre une veille proactive dans leur
environnement professionnel ? Cette absence d’observation peut être le fait
de plusieurs attitudes : le manque de temps est une de ces motivations, qui
place cette recherche de signes annonciateurs au bas des échelles de priorités
: la conscience est présente, mais elle n’est pas une priorité. Le manque
d’intérêt en est un autre. Il n’est pas rare qu’aucune importance ne soit
accordée à l’observation de ce qui se passe autour de nous : on s’imagine que
s’il y a quelque chose d’anormal, cela sera bien évidemment perçu puisqu’il
s’agit de notre environnement de proximité. Or, ce n’est pas parce que l’on
est près que l’on voit mieux. Au contraire, le fait d’avoir « le nez dans le
guidon » peut empêcher de voir ce qui crève les yeux.

100
Identification du signal précurseur et qualification « Crise »

La détection des signes annonciateurs nécessite une organisation bien


spécifique, bien expliquée et bien comprise par tous. Elle s’articule surtout
autour d’un bon maillage du terrain, ainsi que sur des procédures de remontée
d’informations efficaces.

◗ Maillage et sensibilisation
Le maillage du terrain est avant tout la sensibilisation et la formation
spécifique des « capteurs » appartenant à l’organisation. On s’aperçoit dans la
plupart des situations de crise que des signaux faibles avaient été perçus, ou
qu’ils auraient pu l’être facilement, mais qu’ils n’avaient pas été pris en
compte. Les trois principales raisons à cet état de fait sont les suivantes : les
renseignements ne remontent pas jusqu’aux instances de décision, les
décideurs ne les prennent pas au sérieux, ou les « capteurs » de l’information
la conservent volontairement.
Premier cas de figure : les renseignements ne remontent pas aux

101
instances de prise de décision
Ceux qui pourraient observer et identifier le signal faible ne le font pas
parce qu’ils n’en voient pas l’intérêt, ou parce qu’ils estiment que ce n’est pas
de leur compétence et que si eux le perçoivent, la direction doit l’avoir perçu
depuis longtemps.

Un voyageur d’affaires, appartenant à un groupe international, descend dans un hôtel d’un


pays d’Asie centrale pour réaliser un audit. Ce pays n’est pas particulièrement à risque,
mais l’hôtel fait l’objet de mesures de protection : fouille des bagages, portique de
détection à l’entrée, screening des salariés… Cet hôtel est d’ailleurs référencé par la
société en question comme un hôtel sécurisé. Mais le voyageur d’affaires est victime d’une
agression dans l’enceinte de l’hôtel : plusieurs individus cognent à la porte de sa chambre,
le frappent et l’obligent à donner sa carte bancaire et son code. Pendant qu’un complice
procède au retrait, les autres « gardent » le voyageur d’affaires en attendant que l’argent
soit en sécurité.
Dès son retour, la victime rend compte à son chef de service de l’incident et s’étonne que
sa société lui ait réservé une chambre dans un tel coupe-gorge. L’information remonte au
DRH, qui signale l’incident à la direction de la sûreté. L’hôtel est pourtant identifié
comme un endroit sécurisé dans la zone. Alors, les informations commencent à remonter :
depuis plusieurs mois, les voyageurs et missionnaires successifs de la société ont pu voir
les dysfonctionnements de l’hôtel : il n’y a plus de filtrage à l’entrée, le détecteur de
métaux ne fonctionne plus, n’importe qui se promène dans l’hôtel. Pourquoi l’hôtel est-il
toujours classé « endroit sécurisé » ? Parce que personne n’a fait parvenir l’information de
tous ces dysfonctionnements à la DRH ou à la Direction de la Sûreté. Les uns parce qu’ils
n’imaginaient pas que cela pouvait avoir de l’importance, les autres parce qu’ils pensaient
que la direction ne pouvait pas ne pas être informée.

Deuxième cas de figure : les renseignements ne sont pas pris au


sérieux par les instances de décision
L’information remonte, mais elle est soit écartée car jugée inutile, soit
oubliée dans une pile d’autres informations sans que son caractère de signal
précurseur ne soit identifié.
Dans les quelques mois précédant les attentats du 11 septembre 2001, des agents d’un
bureau local du FBI avaient identifié plusieurs individus potentiellement suspects qui
prenaient des cours de pilotage. Un rapport d’information avait même été envoyé en
priorité au siège du FBI à Washington. Ce renseignement est resté lettre morte. On se
souvient de la polémique qui a suivi la révélation de ce manquement après les attentats du
World Trade Center.

Troisième cas de figure : les renseignements ne remontent pas


jusqu’aux instances de décision car les « capteurs » qui les possèdent

102
les conservent volontairement
Ce dysfonctionnement est souvent dû au fait que les signes annonciateurs
d’une crise peuvent être perçus comme une marque d’incompétence du
collaborateur, du manager ou du dirigeant qui en est à l’origine. Dès lors,
plutôt ne rien dire que prendre le risque d’être montré du doigt : « surtout pas
de vagues… ». Ce comportement est d’autant plus dévastateur que la crise est
forte et qu’on pourra démontrer que l’information était connue et qu’elle
aurait pu empêcher une catastrophe. La sinistre affaire du sang contaminé en
est peut-être une illustration.
La mobilisation et la sensibilisation de réseaux de « capteurs » internes
sont les pierres angulaires d’un système de veille proactive efficace. Mails il
en est une autre, parfois négligée, et qui pourtant revêt son importance. C’est
le recours à des observateurs extérieurs ou des réseaux partenaires :
séminaires, cercles de réflexion, réseaux d’échanges sur les bonnes pratiques
des métiers sont autant de caisses de résonance qui peuvent permettre de «
sonder » les expériences de chacun et de détecter dans la pratique des autres
des similitudes ou des points de convergence intéressants pouvant constituer
autant de sonnettes d’alarme.

◗ La remontée d’informations
En matière d’anticipation des risques et de gestion des crises, il n’y a pas
de « petites » informations. Dès lors qu’un fait ou un événement sort de
l’ordinaire et pourrait avoir des conséquences sur le bon fonctionnement de
l’organisation, il devrait faire l’objet d’un « rapport d’étonnement ». Cette «
alerte », même succincte, permet de ne pas passer à côté d’une information
importante.
Le « capteur » doit savoir à qui s’adresser. Lorsqu’il souhaite faire
remonter une information, il doit avoir à sa disposition un canal privilégié,
avec plusieurs destinataires clairement identifiés (l’un assurant ce rôle quand
l’autre est absent), pouvant permettre la remontée du message. Rien n’est pire
que d’avoir une idée, une conviction ou un renseignement et de ne pas savoir
à qui le transmettre. Tomber sur le mauvais interlocuteur peut générer un
mauvais traitement de l’information (notamment si elle est mal comprise ou
mal interprétée), une déperdition de l’essentiel du message, voire même un «
classement » directement… dans la poubelle.

103
Il doit également savoir sous quelle forme faire parvenir son information.
L’écrit est évidemment à privilégier, du fait de sa traçabilité, même s’il ne
vient qu’en complément d’un message transmis oralement pour plus de
rapidité.
La transmission par fax reste intéressante car elle permet de laisser
immédiatement une trace comportant une date et une heure d’envoi.

E-mails, mode d’emploi

Il convient de noter le caractère pervers du courrier électronique, pourtant très utilisé : il est très
facile d’envoyer des e-mails à une multitude de destinataires pour les informer ou leur faire
remonter la perception d’un renseignement intéressant. Mais l’expéditeur a trop souvent
tendance à penser que dès que son message sera envoyé, il sera lu et traité par son interlocuteur.
Or, au vu de la masse de courriels reçus par tout un chacun chaque jour, il est facile de laisser
passer une information qui n’aurait pas forcément été mise en valeur par son expéditeur.
Un feedback ou un contre-appel pour valider le fait que le renseignement a été reçu est
important, au-delà de la confirmation de lecture souvent demandée lors d’envoi d’e-mails.

Rappelons simplement que les vecteurs de remontées de l’information


doivent rester simples : un système trop compliqué, qui ne sera pas utilisé
en situation dégradée, n’a aucun intérêt, si ce n’est flatter l’ego de celui qui
l’a imaginé.

◗ La qualité de transmission de l’information


La qualité de la transmission du message est également une composante
importante de la mise en œuvre de la conduite de la crise. Cette qualité est
autant liée à la forme qu’au fond, qui doivent chacun faire l’objet d’une
attention particulière car parfaitement complémentaires et indispensables l’un
à l’autre.
La forme du message
La forme du message, outre le vecteur qui a été choisi pour faire remonter
l’information, dépend notamment de l’état de celui qui le retransmet. Sous
l’effet du stress, sous la pression du temps, les effets pervers de la déperdition
des messages se font sentir cruellement, comme le montre le tableau ci-
dessous. On sait parfaitement que le contenu du message que l’on veut
transmettre ne sera pas le même que celui qui sera perçu par le destinataire

104
final, du fait notamment de son niveau de stress lié à la situation, de son
niveau de compétence technique, de sa capacité personnelle à synthétiser
l’information et à ne pas se noyer dans les détails.

Les risques de déperdition de l’information

Ce que je veux exprimer de façon objective. 100 %


Ce que je pense à exprimer, notamment sous l’effet du stress. 90 %
Ce que je peux exprimer, en fonction de mes compétences ou de mon stock verbal. 80 %
Ce que j’exprime effectivement. 70 %
Ce que l’interlocuteur entend. 60 %
Ce qu’il écoute vraiment. 50 %
Ce qu’il comprend effectivement, en fonction de ses compétences ou de son stock 40 %
verbal.
Ce qu’il admet dans ce qu’il comprend. 30 %
Ce qu’il retient. 20 %
Ce qu’il peut répéter et diffuser. 10 %

Les régulateurs des sapeurs-pompiers, des SAMU, les responsables des


SICT2 de la police sont formés et entraînés à gérer des appels de personnes
stressées et qui n’ont parfois pas toujours la pertinence nécessaire dans la
retransmission des messages d’alerte.
Le fond du message
Le fond du message, s’il est primordial pour assurer une transmission
efficace de l’information, a cet avantage qu’il est formatable à l’avance. On
peut établir une « fiche » de transmission des messages qui reprend
l’ensemble des informations nécessaires à l’analyse initiale d’une situation,
qu’il s’agisse d’un signal faible identifié ou d’une crise avérée.
Cette « fiche » doit contenir les informations objectives les plus
importantes :
– nature des faits constatés ;
– victimes avérées ou potentielles ;
– menaces immédiates ou à venir ;
– possibilités de dispersion ou de contagion de la crise ;
– premières mesures prises, préconisations immédiates…
Cette liste n’est évidemment pas exhaustive ni classée par ordre de

105
priorité, et il revient à chaque organisation d’établir son propre canevas.
Un message « type » pourrait être divisé en trois parties :
◆ Le rédacteur : qualité, coordonnées pour un contre-appel, lieu de
l’incident ou du fait déclenchant, date et heure de l’événement.
◆ Les faits : éléments objectifs observés, causes visibles, conséquences
identifiables, victimes éventuelles.
◆ Les mesures prises : actions entreprises et effets sur l’incident,
secours et autorités alertées, présence de secours sur place.
Définir le caractère d’urgence d’une situation
Un des aspects importants de la transmission de l’information est la
qualification de l’urgence de la situation. En fonction de cette urgence
(perçue sur le terrain, avec toutes les nuances et les réserves qu’il convient de
prendre en compte), le message sera transmis par le dispositif normal de
compte rendu ou empruntera une voie plus rapide au vu de la nécessité
immédiate de prendre une décision quant à l’événement.
Parler de « remontée » de l’information, ce n’est pas pour autant oublier
la redistribution de l’information. Créer un réseau de capteurs, c’est bien.
Mais pour garder la motivation de tous, il est important de faire circuler
l’information et de démontrer à quoi peuvent servir les renseignements ou les
rapports d’étonnement transmis.
Le directeur commercial d’une société de service a réussi à sensibiliser l’ensemble de ses
collaborateurs, notamment dans les filiales de province, à l’intérêt de faire remonter de
l’information sur les sociétés concurrentes agissant dans le même domaine. Rapidement,
son fichier « concurrents » s’est étoffé et lui a permis de modifier sa stratégie de
développement. Au bout de quelques mois, la source d’informations se tarit, d’abord
insensiblement, puis presque complètement. Alors qu’il appelle un de ses agents
commerciaux, et qu’il le sollicite pour avoir de plus amples renseignements, celui-ci lui
livre la raison de ce tarissement : « Nous avons déjà du mal à faire notre job normal, si en
plus on doit te faire remonter des informations dont on ne sait pas à quoi elles servent… ».
Jamais le directeur commercial n’avait informé ses « capteurs » des suites données à leurs
transmissions de renseignements, notamment son réajustement de stratégie de
développement. Comment motiver les « capteurs » s’ils ne savent pas à quoi servent les
informations qu’ils transmettent ?

◗ Validation

106
L’information qui est retransmise du terrain ou des sites en cause doit
forcément être validée. Il n’est pas ici question de mettre en doute les
renseignements donnés par des capteurs locaux, mais simplement de
s’assurer de leur pertinence et de leur ampleur.
La subjectivité et l’objectivité étant deux notions qui s’entremêlent et
s’entrechoquent en temps d’instabilité, il est important de prévoir un
processus de validation de l’information. Sous la pression de l’urgence, face à
des événements exorbitants et hors du commun, il est facile de grossir le trait
ou de tomber dans le piège de la dénégation. Il faudra donc prévoir un moyen
de contacter d’autres sources d’information et de valider ou de pondérer les
premiers renseignements obtenus en fonction desquels on va décider ou non
d’armer le dispositif de crise.

1.2 Dans l’environnement partenarial et concurrentiel


L’observation de l’environnement partenarial et concurrentiel revêt une
importance qui va au-delà de la simple veille concurrentielle. On pourrait
imaginer l’adage suivant : « Les crises de mes amis pourraient être mes
crises. »

◗ Maillage
Un partenaire, a fortiori quand il est un rouage essentiel dans un projet ou
dans un mode de fonctionnement, peut être facteur de crise s’il est lui-même
victime d’une situation déstabilisante. La prise en compte de ce risque dans
une cartographie de risques, et l’observation de signes annonciateurs (de
façon moins directe que dans l’environnement propre) font partie d’une
anticipation efficace. Un impact indirect peut être plus dévastateur qu’un
impact frontal, d’autant plus qu’il a été moins objectivement ou moins
franchement perçu.
L’environnement concurrentiel est aussi un bon point d’observation des
crises potentielles. Ce que vivent les concurrents, ou ceux que subissent les
organisations qui évoluent dans le même environnement sont des situations
potentiellement contagieuses ou répétitives. Autant les observer et les
anticiper pour rester efficace.
Le 17 novembre 2004, la société de téléphonie mobile Bouygues Télécom a subi une
panne informatique majeure : son réseau a été paralysé pendant plusieurs heures, rendant

107
tout appel de la part de ses abonnés impossible. En cause, deux serveurs « jumeaux »,
censés se substituer l’un à l’autre en cas de problème, et qui sont tombés en panne
quasiment en même temps. Le retour à la normale ne s’est fait progressivement que le
lendemain. L’affaire a largement embarrassé l’opérateur et mécontenté ses millions
d’abonnés. France Télécom avait connu quelques semaines plus tôt un incident similaire,
rendant impossible toute communication dans plusieurs départements français.
Informations prises, les serveurs en cause dans la crise de Bouygues Télécom étaient du
même type que ceux utilisés par les autres opérateurs de téléphonie. Il aurait donc été
intéressant pour eux de bien étudier et débriefer l’incident afin d’en tirer les
enseignements et d’éviter que cela ne se reproduise.

◗ Échanges d’informations avec les partenaires et les concurrents


L’échange reste encore une fois la clé d’un retour d’expérience efficace et
de cette capacité à savoir capitaliser sur les crises passées3. Au-delà de toute
concurrence, ce partage devrait être une pratique systématique dans n’importe
quelle organisation de prévention des crises. C’est malheureusement rarement
le cas. D’abord parce que s’il est difficile d’identifier ses propres erreurs, il
est encore plus difficile de les exposer à des personnes ou des organisations
extérieures au système. Ensuite, parce que l’échange d’informations entre
concurrents reste culturellement quasi impossible. Pourtant, en matière de
gestion des risques, il ne devrait pas y avoir de concurrence.
Il est possible de proposer plusieurs types de débriefings dans
l’environnement concurrentiel et partenarial.
◆ La première pratique, la plus classique, consiste à décortiquer « à
froid » l’événement. Basée sur une nécessaire confiance réciproque, cette
méthode a l’avantage de permettre à l’organisation qui n’a pas été victime du
problème de poser directement les questions qu’elle souhaite sans attendre les
informations qui paraissent dans la presse. De même, cette pratique permet à
l’organisation qui a géré la crise de démontrer sa capacité d’échange tout en
coupant court aux rumeurs et aux bruits de couloirs.
◆ Une autre pratique d’échange d’informations peut s’organiser «
à chaud ». Bertrand Robert4 recommande la pratique de cette méthode qu’on
pourrait désigner sous l’expression de « crise à l’heure du thé ». Pourquoi ne
pas faire partager les compétences de plusieurs entités, même concurrentes,
dans la gestion d’un incident qui ne touche que l’une d’elles ? On peut
imaginer que tous les jours, en fin d’après-midi (à l’heure du thé), des
membres de cellules de crise d’organisations extérieures viennent participer à
une rencontre avec la cellule de crise qui gère la situation. Ces échanges « à

108
chaud », au-delà d’un évident intérêt d’apprentissage, peuvent s’avérer être
précieux dans la gestion de l’incident en cours, du fait notamment des
expertises extérieures apportant une vision plus distanciée de la situation.
Cette pratique demande une grande maturité de la part des organisations en
présence, et soude durablement des relations de confiance, même dans le
cadre d’entités clairement concurrentes sur un plan commercial.

1.3 Activation de la cellule de crise


La cellule de crise est prête, l’équipe de crise formée, la logistique de
crise au point, les procédures connues de tous : la crise est attendue de pied
ferme. L’équipe est prête pour le match, on n’attend plus que le coup d’envoi
pour commencer la partie. Encore faut-il pouvoir entrer sur le terrain à temps
et dans de bonnes conditions.

Un groupe travaillant à l’international suit avec attention l’actualité quotidienne d’un pays
africain au sein duquel il possède des intérêts. La situation est relativement stable par
rapport aux autres pays de la zone, mais un événement imprévu va tout changer : le vieux
président de ce pays décède, et quelques éléments de l’armée en profitent pour tenter un
coup d’État. Très rapidement, l’unique aéroport est fermé par les autorités et les
ressortissants étrangers se retrouvent dans l’impossibilité de quitter le pays par voie
aérienne.
Prévoyant, le groupe en question a fait appel à des consultants en sécurité pour mettre en
place une procédure d’exfiltration : des sociétés locales ont été identifiées pour transporter
les ressortissants, leur qualité a été contrôlée en continu, des plans ont été établis avec des
points de rassemblement pour les expatriés, plusieurs itinéraires sont envisagés… Tout est
sous contrôle.
C’est en fait un grain de sable qui va déstabiliser toute cette mécanique bien huilée.
L’activation de la cellule de crise du groupe est décidée rapidement par le président. On
contacte le responsable de l’équipe de crise qui se trouve dans sa maison de campagne :
son téléphone portable ne passe pas. On décide de le contacter sur un téléphone fixe, mais
aucune réponse n’est obtenue. Il est donc fait appel à un suppléant pour se rendre au siège
et activer la cellule de crise. Le suppléant se rend rapidement sur place, et tente de
rejoindre la salle dédiée à la gestion de crise au sein de laquelle se trouvent tous les
matériels utiles : téléphones ad hoc, classeurs de crise, annuaires dédiés et toutes les
références utiles. Mais il lui est impossible d’accéder à l’étage du bâtiment en question :
nous sommes samedi, et l’ascenseur n’accède pas à l’étage de la direction. Il faut une clé
spécifique que le suppléant ne possède pas. Il décide alors d’accéder par l’escalier de
secours, mais s’aperçoit que les portes palières coupe-feu sont fermées à clé le week-end,
et ne peuvent s’ouvrir que de l’intérieur. Impossible pour lui de se rendre dans la salle de
crise, au moment même où les expatriés sur place commencent à appeler pour savoir où en
est la procédure d’exfiltration et demander des consignes. Sans céder à la panique, le
suppléant rappelle le président et le directeur général du groupe pour leur exposer son
problème de clés. Ni l’un ni l’autre ne sont à proximité du siège, et il leur faut au moins

109
deux heures pour revenir de leurs lieux de week-end à condition que la circulation soit
fluide. Les autres détenteurs de clés ne répondent pas au téléphone, le responsable en titre
de la cellule de crise reste injoignable, et la situation commence à devenir très
déstabilisante. Après presque une heure, on parvient à débloquer l’ascenseur grâce à
l’intervention du concierge qui possède une clé bien que les consignes ne le prévoient pas.
Le suppléant, devenu par la force des choses responsable de l’équipe de crise, ouvre la
salle dédiée. Il va enfin pouvoir utiliser les téléphones satellites, les annuaires de crise, les
plans longuement préparés et parfaitement opérationnels. Le seul problème, c’est que tout
ce matériel se trouve dans une armoire forte, et que le suppléant possède une clé mais pas
la combinaison à quatre chiffres qui lui permettrait d’ouvrir la porte. Au bord de la crise de
nerfs, il a la présence d’esprit de contacter la hotline de la société de sécurité qui a mis au
point les plans d’exfiltration : une cellule de crise de secours est activée au siège de celle-
ci, et la mise en sécurité des expatriés est réalisée quelques heures plus tard. Une crise qui
finit bien mais qui aurait pu être catastrophique uniquement parce que la procédure de
mise en alerte de l’équipe de crise a été négligée.

◗ Le point d’entrée
Pour activer la cellule de crise et lancer le dispositif de conduite, il faut
avant tout identifier un point d’entrée, qui pourrait être également désigné
comme le « permanent » de crise.
La mission de ce permanent est de recevoir les appels pouvant être
déclencheurs et provenant de multiples horizons : un responsable local d’un
site particulier, un expatrié dans un pays instable, le président ou un dirigeant
du groupe ayant autorité pour activer le dispositif… Dès qu’il estime que la
situation qu’on lui présente pourrait empirer, ou dès qu’il en reçoit
l’instruction par un dirigeant, le permanent lance le processus d’activation du
plan de gestion de crise et tout ce que cela implique.
Le choix du point d’entrée n’est pas simple. S’il apparaît naturel que ce
rôle soit dévolu au responsable de l’équipe de crise, la mise en œuvre de cette
option est complexe. Comment demander à une seule personne d’être
disponible 24 heures par jour et 365 jours par an ? C’est courir le risque de
l’épuiser physiquement et nerveusement et de perdre un élément de valeur
dans le dispositif.
Il arrive souvent que le responsable d’équipe ou le chef de projet « crise »
se désigne lui-même comme le point d’entrée unique. Cela ne peut pas exister
dans la durée, et la mise en place d’une procédure de permanence
tournante est indispensable. On peut envisager d’intégrer tous les membres
de l’équipe de crise dans ce dispositif de permanence, avec une astreinte

110
hebdomadaire.
Il faut cependant veiller à ce que celui qui est en charge de cette veille ait
à sa disposition tous les moyens pour remplir sa tâche. Il doit notamment :
– pouvoir être joint avec certitude, y compris dans des endroits peu
accessibles ;
– disposer de tous les moyens pour accéder à la salle de crise, à toute
heure du jour et de la nuit ;
– pouvoir être assisté d’un suppléant de permanence, disposant des
mêmes moyens, pour pallier tout incident ou toute indisponibilité.

◗ La pré-alerte ou alerte passive


La procédure de pré-alerte, ou alerte passive, est un mode de
fonctionnement emprunté aux groupes d’intervention et qui a fait ses preuves.
Mobiliser la cellule de crise chaque fois qu’on détecte un risque pourrait à la
longue se montrer contre-productif : à force d’être activés pour rien ou
presque, les membres de l’équipe risquent de se démotiver et d’être moins
réactifs le jour où ils devront affronter une véritable crise. À force de crier «
au loup », plus personne n’y croit le jour où il le faudrait vraiment.
La pré-alerte est en fait une procédure de sensibilisation au fait qu’il est
en train de se passer quelque chose et que la cellule de crise pourrait être
amenée à se mobiliser. Cette information a plusieurs avantages :
– elle permet à ceux qui sont loin du siège ou de l’implantation de la
salle de crise de se rapprocher physiquement (notamment quand un
incident se produit le week-end) ;
– elle motive les membres de l’équipe qui pourraient parfois s’imaginer
qu’on ne les sollicite jamais.
Il est bien entendu que pour pouvoir pré-alerter les membres de l’équipe
de crise, la situation ne doit pas nécessiter une activation d’urgence de la
cellule de crise, auquel cas il faut basculer immédiatement sur la procédure
d’alerte.

◗ L’alerte ou alerte active


La procédure d’alerte mobilise définitivement le plan de gestion de la
crise. La situation, au vu des renseignements obtenus et des premières
analyses, est qualifiée comme étant une crise suffisamment grave pour

111
nécessiter le déclenchement du processus dédié :
◆ La mobilisation des membres de l’équipe. La première mission du
permanent va être de contacter toutes les personnes constituant la cellule de
crise pour les inviter à se réunir dans les plus brefs délais.
◆ L’ouverture de la salle de conduite. L’installation physique de
l’équipe et la mise en œuvre du matériel (téléphones, moyens de liaison) est
la seconde étape de la montée en puissance. Le déclenchement de cette
logistique de crise implique également l’ouverture du livre de crise sur lequel
seront consignés tous les éléments de la conduite de l’incident.
Le logisticien, dès son arrivée dans la salle de conduite, doit s’assurer de
la bonne mise en œuvre de la logistique ainsi que de la disponibilité de la
salle de repli en cas de problème.
◆ La mise en œuvre des mesures de sûreté immédiates.
L’application des premières mesures, selon le type de situation à gérer et les
préconisations contenues dans les procédures, est la troisième étape de la
montée en puissance. Elle consiste en fait à traiter les « hémorragies » avec
des mesures qui ne sont peut-être pas celles qui vont permettre de mettre fin à
la crise mais qui vont tout du moins l’endiguer et la contenir. Elle peut aussi
consister à éliminer des dangers immédiats pour les victimes potentielles ou
pour les intervenants.
◆ La mise en place des « ateliers » de crise. La dernière phase de la
montée en puissance est l’activation des « ateliers », en fonction de l’arrivée
des personnes qui les composent. La rapidité d’activation est un véritable
facteur de succès, chacun étant disponible pour accomplir sa tâche.

◗ L’ouverture des documents de crise


La constitution d’un document ayant pour vocation à laisser une trace
écrite de la conduite de l’événement est primordiale. Loin d’être une tâche
secondaire, l’ouverture des documents de crise est un moyen de réaliser une
action cohérente dans la durée. De plus, s’astreindre à écrire est une saine
discipline car cela oblige à synthétiser et à faire le tri entre l’essentiel et
l’accessoire.
La mémoire de ce qui a été fait, entrepris, des difficultés rencontrées est

112
un outil pour l’équipe en charge de la conduite mais également pour les
équipes montantes qui vont venir relever le groupe en cas de crise prolongée.
Cette trace est également indispensable pour les débriefings dont on pourra
tirer des enseignements précieux.
Le document principal est une main courante qui sera ouverte dès
que possible par le responsable de la fonction logistique. Ce document
permettra à tous de reconstituer rapidement les premiers instants de la
situation, notamment pour bien comprendre les mécanismes mis en œuvre
dans les premières heures.

Pourquoi garder des traces écrites de l’action menée ?

On peut parfois penser qu’établir des documents de crise est une tache subalterne, sans vraiment
d’intérêt. Ce serait une erreur grave que de négliger cette partie de la réaction face à la crise.
Après quelques heures de conduite de la situation, si personne n’a pris le soin de mentionner
exactement les mesures prises, il est quasiment impossible de pouvoir reconstituer qui a fait
quoi. Chacun va en avoir sa propre perception, et ces différences seront certainement sources de
confusion. Si l’équipe de crise doit justifier les premières mesures prises, il est important de
pouvoir fournir une information objective, détachée de toute confusion, qui pourra laisser croire
à une absence de maîtrise de l’événement.

2. La réaction face à la crise


La phase d’analyse de la situation va pouvoir commencer. Elle va tourner
autour de cinq questions, cinq grands axes fondamentaux que l’on trouve de
façon naturelle dans toute situation de résolution de problème : Que s’est-il
passé ? Pourquoi ? Comment faire pour endiguer le problème ? Quelle
décision prendre ? Comment la faire appliquer avec efficacité ?
◆ Que s’est-il vraiment passé ? C’est la phase de collecte de
l’information. Il s’agit de rechercher les renseignements utiles à l’examen de
la situation. Elle va permettre de valider plus finement les premières données
obtenues, et de rechercher de l’information de manière plus proactive afin
d’en savoir plus sur l’événement.
◆ Pourquoi cela s’est-il passé et que peut-il se passer maintenant ?
C’est la phase d’identification des causes et de l’évolution, qui au-delà de la
simple compréhension du problème va chercher à anticiper sur le cours

113
envisageable des événements.
◆ Que pouvons-nous faire pour endiguer la crise ? C’est la phase de
construction des différentes stratégies applicables. Face aux diverses
anticipations sur les évolutions de la crise, on va imaginer les réponses
envisageables ainsi que les conséquences de chacune d’elles.
◆ Quelle décision prendre ? C’est la phase du choix, celle qui va
engager les responsabilités et déterminer l’impact de l’action de l’équipe de
crise sur la situation.
◆ Comment faire appliquer la décision ? C’est la phase de la mise en
œuvre des choix stratégiques. Dès lors que la décision d’agir dans un sens ou
dans un autre est prise, il faut faire en sorte que la stratégie choisie soit
appliquée efficacement et pleinement sur le terrain, et que des feedbacks
réguliers soient retransmis pour éventuellement réajuster la réponse.

2.1 La collecte de l’information


La collecte de l’information dans la phase de conduite de la crise a
essentiellement deux objectifs : confirmer et valider les informations
détenues, obtenir les renseignements nécessaires à la conduite de l’incident et
à l’élaboration des choix.
L’information utilisable en conduite de crise doit tourner autour des trois
maîtres mots repris dans l’acronyme DI. VA. C : DIsponibilité, VAlidité,
Clarté.

114
✍ Centralisation
✍ Organisation
✍ Mise à disposition après validation
✍ Tri des mots utiles
✍ Classement par priorité
✍ Vérification croisée
✍ Validation
✍ Compréhensible
✍ Accessible aux non-spécialistes

L’information DI. VA. C

◗ Disponibilité
Si l’information a une valeur stratégique dans le monde des affaires
notamment, elle est encore plus importante en situation de crise. Piloter la
gestion d’un incident depuis une salle de crise, c’est un peu comme conduire
une voiture avec les yeux bandés. Quand on a les bonnes informations sur la
direction à prendre, sur les éventuels obstacles que l’on peut rencontrer, sur
les changements brusques à opérer pour rester sur la route, on peut tenter sa
chance. Mais si ces informations ne sont pas disponibles, si elles ne sont pas
centralisées, l’entreprise est nécessairement vouée à l’échec.
L’organisation d’un réseau de remontée de l’information jusqu’à la

115
cellule de crise est indispensable. Rien n’est plus insupportable, lors du
débriefing d’une gestion de crise, que de s’apercevoir qu’une information
primordiale était à disposition dans le dispositif mais qu’elle n’est jamais
remontée jusqu’en haut de la chaîne d’analyse et de décision.
Pour organiser ce réseau, il faut avant tout pouvoir répondre aux
questions suivantes :
– Qu’est-ce que je cherche ?
– Où le chercher ?
– À qui le demander ?
Dès lors que l’on a pu répondre à ces questions, on peut organiser la
circulation du renseignement, en offrant notamment la possibilité à ceux qui
en ont besoin de consulter les informations.

◗ Validité
Avoir de l’information est une chose, et il n’est finalement pas vraiment
difficile d’en obtenir. La crise génère même un flux incessant de données, ce
qui ajoute au stress ambiant car on ne sait plus à quel renseignement se fier.
Dès lors qu’elle est centralisée, l’information doit être triée puis classée pour
être enfin vérifiée. Certaines statistiques évoquent que plus de la moitié des
informations disponibles en début d’incident sont fausses, obsolètes ou
inutilisables.
Pour pouvoir proposer des stratégies fiables aux instances de décision, il
faut valider l’information avant de l’intégrer dans le processus d’analyse.
Pour ce faire, on peut :
– croiser les sources pour une même information ;
– solliciter une ou plusieurs personnes de la fonction Information-
Analyse pour valider des renseignements particulièrement importants
pour la décision.

◗ Clarté
L’information, disponible et valide, doit être également compréhensible
par tous, y compris par des non-spécialistes. En situation d’instabilité, les
experts ont souvent tendance à se replier sur leur « savoir » et leur « science »
au moment où, au contraire, ils devraient simplifier leurs analyses et les
rendre accessibles à tous. Il est facile de « jargonner » pour essayer de donner

116
du corps à une information dont on n’est finalement pas sûr.
Un renseignement touffu, mal expliqué, retransmis dans des termes trop
techniques a de fortes chances d’être mis de côté si l’équipe de crise ou les
décideurs ne sont pas des spécialistes et s’ils ne peuvent pas percevoir son
intérêt opérationnel.

2.2 L’analyse de la situation


Lorsque les éléments déclencheurs de la situation sont connus, que les
causes de la crise sont clairement identifiées et que l’on commence à
comprendre pourquoi tout le monde doit se mobiliser, la phase d’analyse est
déjà grandement avancée. Mais c’est malheureusement rarement le cas : les
renseignements qui remontent jusqu’à l’équipe de crise sont presque toujours
incomplets, souvent contradictoires, parfois incohérents. C’est là que la phase
de collecte et de traitement de l’information prend tout son sens.

◗ Le contenu de l’analyse
Le groupe Information-Analyse va devoir fournir un point précis sur :
– l’état de la situation à un moment donné, en anticipant et en justifiant
son évaluation avec des renseignements validés ;
– les possibles évolutions de la crise dans le temps, avec leurs
conséquences ;
– les probabilités d’occurrence des scénarios envisagés pour en déduire
des stratégies applicables avec un ordre de priorité.
Il va cependant devoir se garder de quelques dysfonctionnements que
l’on pourrait qualifier de « filtres à la bonne analyse ».
J.-C. Abric5 identifie quelques-uns de ces filtres liés notamment aux
mécanismes de défense, dont certains ont déjà été évoqués dans la phase
d’identification des signes annonciateurs et dans la perception de la situation
de crise :
◆ La scotomisation : ce dysfonctionnement consiste à éliminer de son
champ d’analyse une information que l’on juge gênante (voir chapitre 1, p.
36).
◆ La mémorisation sélective : proche de la scotomisation, ce

117
dysfonctionnement provoque l’oubli immédiat de toute information qui serait
jugée problématique ou qui remettrait en question toute une analyse déjà faite
et/ou communiquée aux instances de décision.
◆ L’interprétation défensive : l’information entrant dans le processus
d’analyse n’est pas lue avec objectivité mais réinterprétée différemment afin
de se conformer à une position déjà prise.
◆ La négation de l’autorité de la source : plutôt que de nier une
donnée évidente aux yeux de tous, on va dévaloriser l’autorité ou la source à
l’origine de l’information, en invoquant notamment son manque d’objectivité
ou son manque de compétence en la matière.
Le groupe et la multiplicité des profils constituant la fonction
Information-Analyse ont notamment pour objectif de contrer les effets de ces
filtres et de ces dysfonctionnements.

◗ Les scénarios envisageables


Dans le cadre de sa mission, le groupe Information-Analyse va se prêter
au jeu des scénarios et tenter d’envisager les différents développements
possibles de la situation, ainsi que leurs conséquences.
Chaque évolution possible peut être décortiquée afin d’en identifier les
points de passage ; ceux-ci pourront eux-mêmes être observés, permettant
ainsi de valider une hypothèse plutôt qu’une autre.
Les conséquences des évolutions de la crise devront être envisagées à
court, moyen et long termes pour donner une plus grande visibilité aux
décideurs.
Fonctionnement et dysfonctionnements d’une analyse de situation

118
2.3 Stratégies applicables
« Celui qui ne sait pas où il va n’est pas près d’arriver. »
Proverbe chinois

En fonction de tous les éléments identifiés (informations) et anticipés


(analyses), l’équipe de crise va déterminer les stratégies applicables à la
situation ainsi qu’aux diverses évolutions possibles.

◗ Les objectifs stratégiques


◆ L’objectif principal d’une conduite de crise est de mettre fin au
problème ou d’en limiter les conséquences. Tous les autres objectifs sont

119
secondaires et doivent donc, tout en étant pris en compte, être traités comme
tels. Une difficulté que l’on rencontre parfois est justement le défaut
d’objectif. On va traiter quelques symptômes de la situation sans pour autant
s’attaquer à sa cause réelle, ce qui ne résout en rien le problème.
◆ Deuxième objectif stratégique : endiguer les conséquences
immédiates et « post-immédiates » de l’incident. Trop se concentrer sur la
cause originelle du problème peut faire oublier le déroulement actuel des
événements, qui mal pris en compte pourraient générer une crise secondaire.
Lors de l’examen des stratégies applicables, il s’agira :
– d’une part d’anticiper les conséquences de l’application des différentes
alternatives possibles, évaluer en quelque sorte le « rapport qualité prix »
de chacune d’elles ;
– d’autre part de classer ces stratégies par ordre de priorité en ce qui
concerne leur possibilité de mise en œuvre, avec à l’appui un
argumentaire détaillé permettant au décideur de faire son choix en toute
connaissance de cause.

◗ Les risques liés à la stratégie


L’élaboration de la stratégie comporte quelques risques liés encore une
fois à des dysfonctionnements fort heureusement prévisibles. Les trois
principaux sont le recours aux modèles du passé, la justification a priori de la
décision, et la recherche de la « décision magique ».
◆ Le recours aux modèles du passé : l’analogisme. Thomas Milburn6
évoque ce recours parfois dangereux : « La situation de crise tend à favoriser
la construction d’ensemble de croyances et représentations qui vont diminuer
la possibilité d’aboutir à des solutions adaptatives ; une trop grande part faite
à l’expérience passée conduit précisément à ce type d’enfermement. Il faut
donc se montrer sceptique à propos des solutions transférées à partir de
situations autres, pour la seule raison que ces solutions auraient donné
satisfaction dans ces autres cas. On observera donc la plus grande prudence
envers les faits qui semblent suggérer que la solution passée était exactement
semblable à la présente ». À l’instar de Milburn, il convient de rappeler qu’il
n’y a pas de solutions magiques ou « sur catalogue » pour la conduite des
situations d’instabilité ou dégradées. La conduite se mène au cas par cas, et
chaque gestion de crise est unique.

120
◆ Autre risque dans la phase d’identification des stratégies
applicables : la justification de la solution a priori. Dans ce cas, on accorde
plus d’importance à justifier la décision que l’on va prendre en termes de
moyens plutôt qu’à choisir la solution la plus adaptée. Le risque pour les
décideurs d’être mis en cause en cas d’échec n’arrange rien : aujourd’hui, il
semble plus important de pouvoir se justifier a posteriori que de faire le bon
choix.
◆ La recherche de la « décision magique » : ce dysfonctionnement
relève du mythe selon lequel il existerait, dans la multitude des stratégies
envisageables, une bonne réponse, unique et universelle, qui permettrait de
résoudre d’un seul coup tous les problèmes liés à la crise. Or, cette solution
miracle n’existe pas. Passer tout son temps à la chercher, c’est au mieux
perdre du temps dans la conduite de la situation, au pire tomber dans des
pièges beaucoup plus paralysants comme, notamment, la pensée de groupe
identifiée par Janis7.

2.4 La prise de décision


« Pour prendre une décision, il faut toujours être un nombre impair et jamais plus de
deux. »
Anatole France

La décision est un acte clé du processus de direction des entreprises et des


organisations. C’est la marque du pouvoir, l’apanage du chef. Aujourd’hui,
on constate que la décision prend de plus en plus un caractère collectif, et on
a tendance à préférer les décisions de consensus même si elles sont moins
efficaces.
Conduire une crise, c’est avant tout faire des choix entre plusieurs
alternatives, et les faire appliquer par ceux qui sont chargés de les mettre en
œuvre. Mais décider, c’est surtout endosser une responsabilité liée au choix.
Prendre une décision, c’est aussi mettre fin à l’ambiguïté qui, pour Patrick
Lagadec, est « le fardeau le plus lourd en crise ».
Le processus de prise de décision répond à des règles simples, qui ont
déjà été maintes fois évoquées par une multitude d’auteurs. Il est cependant
surprenant de voir à quel point, sous l’effet du stress, sous la pression du
temps et de facteurs extérieurs, on peut être amené à prendre des raccourcis
dans ce processus, le rendant parfois inopérant ou contre-productif.

121
Le processus de décision

Le processus de décision, tel qu’il pourrait être appliqué en situation de conduite de crise, se
décompose comme suit :
– Identification de toutes les alternatives applicables ;
– Point sur les analyses attachées à chaque alternative ;
– Détermination des objectifs prioritaires de la décision ;
– Estimation de la faisabilité des alternatives, sorte d’évaluation du « rapport qualité/prix » ;
– Classement des alternatives en fonction des analyses précédemment évoquées ;
– Réévaluation constante de l’analyse avec les nouvelles informations entrantes et les
feedbacks ;
– Préparation de la mise en œuvre dans le détail de l’alternative choisie ;
– Décision : choix définitif de l’alternative ;
– Application sans faille de la décision.

◗ Les dysfonctionnements liés à la décision


La prise de décision est soumise à des dysfonctionnements ou à des
risques plus ou moins forts et contraignants selon la gravité de la situation à
gérer.
◆ Le premier de ces risques est une attente forte de la part de
l’organisation et une pression harassante : chacun attend la décision du
chef. Et de cette décision dépendra toute la poursuite des événements, ce que
l’on ne manque pas de faire sentir à celui qui doit faire son choix. Cette
pression est d’autant plus étonnante qu’elle est souvent réalisée de façon
inconsciente. Cela peut être très perturbant ou très inhibant pour le décideur,
même le plus aguerri. Cette attente forte peut conduire à une prise de décision
trop rapide sans s’être donné tout le temps de la réflexion. Il ne faut surtout
pas confondre urgence et précipitation, au risque de se prendre « les pieds
dans le tapis ».
◆ Le second risque est lié à la multitude des informations qui
parviennent directement ou indirectement au décideur. Variées,
nombreuses, ces informations sont souvent incomplètes et parfois
contradictoires. Il est impossible de couper le décideur de tous les circuits de
remontée de l’information. C’est justement pour le protéger de cette
surexposition que l’équipe de crise va lui «mâcher » le travail et lui permettre
de prendre du recul sur la situation. Un décideur qui ne serait pas sensibilisé à
ce problème pourrait tomber dans le piège du : « c’est le dernier qui a parlé

122
qui a raison », avec le risque de changer de décision dès lors qu’est émis un
avis contraire à celle-ci. La multiplication des intervenants, des analyses et
des contraintes est un élément accélérateur perturbant qui amplifie encore ce
phénomène.
◆ Autre risque lié à la décision : la décision absurde. C’est Christian
Morel8 qui a le mieux expliqué ce phénomène. Il identifie les facteurs de
prise de décision absurde, notamment les erreurs de raisonnement, les
mécanismes collectifs et la perte de sens.

Cet auteur illustre les erreurs de raisonnement en évoquant l’exemple de cette


incompréhension entre un pilote et un copilote sur un avion de ligne. Suite à une
interprétation erronée et à un quiproquo désastreux, les deux hommes ont tenté de résoudre
un incident lié à la panne d’un réacteur… en coupant le réacteur qui fonctionnait
parfaitement! On peut imaginer que si le pilote avait été le seul à décider, il aurait sans nul
doute vérifié plus avant l’analyse de la situation.
Il illustre également la notion de perte de sens en citant le cas de ce colonel anglais
prisonnier des Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale. Chargé de construire un pont
au-dessus de la rivière Kwaï, il a totalement oublié que cet ouvrage allait servir à ses
ennemis et s’est efforcé de faire le plus beau pont qui soit. Il avait perdu le sens originel de
son action.

◗ La délégation
« Vous ne jouerez jamais aussi bien que le meilleur de vos musiciens ;
l’important, pour le chef d’orchestre, c’est de savoir ce qu’il lui est possible d’exiger. »
Herbert von Karajan

La délégation est aujourd’hui une constante quasiment obligatoire dans le


management de n’importe quel projet ou organisation : une seule personne ou
une seule tête ne peuvent porter la responsabilité de l’ensemble des choix et
des décisions. Si on ne peut pas déléguer les décisions stratégiques, on
peut cependant confier à des personnes de confiance des décisions
secondaires, à condition de respecter des règles simples mais
incontournables.

Les règles de la délégation

Elles sont au nombre de trois :


– Établir une fiche de tâche : fixer clairement le contenu de la mission attendue, en formulant
les objectifs, les moyens à disposition ainsi que les limites à ne pas dépasser. C’est en quelque

123
sorte établir la marge de manœuvre du délégataire ;
– Choisir le bon délégataire : il convient de trouver la personne la plus adaptée à la mission. Ce
choix est guidé par la complexité de la mission, le niveau de compétence du délégataire, sa
légitimité vis-à-vis de son environnement…
– Établir une obligation de rendre compte : fixer les règles du retour d’informations, aussi bien
en termes de temps que de contenu. Ce compte rendu permettra au décideur de valider les
actions menées par le délégataire et éventuellement de réajuster la fiche de tâche.

2.5 L’exécution des décisions


Faire le bon choix et opter pour une bonne décision est une chose. Faire
appliquer exactement et efficacement cette décision en est une autre. Si cela
est déjà difficile en conditions optimales, imaginons ce que cela peut donner
en conditions dégradées et sous l’effet du stress.
La conduite d’un événement critique met en jeu des entités très
différentes, et parfois très nombreuses. Toutes ces entités n’ont pas forcément
la même notion de l’urgence ou du danger. Toutes n’ont pas non plus la
même motivation pour appliquer les décisions émanant de structures qui ne
sont peut-être pas leurs structures normales de tutelle. Tous ces facteurs
peuvent ralentir la bonne exécution d’une stratégie ou l’inexécution d’une
décision.

◗ La bonne exécution
◆ Le premier facteur d’une bonne exécution est la clarté des
instructions données. Plus l’ordre est explicite et détaillé, moins les erreurs
d’interprétations ou d’appréciation sont possibles.
◆ Le second facteur d’une bonne exécution est l’adhésion à
l’objectif des exécutants. S’ils ont une bonne compréhension de la situation
et de l’intérêt de la décision à mettre en application, ils auront d’autant plus
de motivation pour bien faire.
◆ Le troisième facteur est la capacité d’adaptation des équipes
d’exécutants : les feedbacks sur la mise en application de la stratégie vont
éventuellement permettre de revoir la réponse apportée et d’effectuer les
réajustements nécessaires.

◗ Les facteurs de mauvaise exécution

124
◆ La première source de mauvaise exécution est l’incompréhension
des instructions données. Plus les instructions sont claires, plus ce défaut
sera minimisé. Mais l’incompréhension peut également provenir d’une
mauvaise évaluation du niveau de compétence des exécutants, qui ne
disposent pas de la technicité ou du savoir nécessaire à une bonne mise en
œuvre.
◆ L’erreur de mise en œuvre est également un facteur de mauvaise
exécution. Les instructions sont bien comprises, mais leur application est
erronée. Si les feedbacks sont efficaces, on peut remédier alors à une erreur
commise. Cependant, en temps de crise, les erreurs même minimes peuvent
avoir des conséquences dramatiques du fait notamment de la pression du
temps. L’urgence diminue le temps accordé à la vérification et raccourcit les
délais de prise de décision, notamment pour effectuer des réajustements.
La mauvaise application de la stratégie peut être aussi une marque de
défiance des exécutants vis-à-vis des instances de décision. La décision est
visiblement adaptée à la situation, l’instruction est bien comprise, mais elle
n’est pas appliquée ou incomplètement appliquée par la volonté des
exécutants : c’est une sorte de sabotage.

3. La communication de crise
Dès lors qu’une entreprise ou une organisation se trouve impliquée dans
une situation dégradée, qui pourrait peut-être glisser vers une situation de
crise, la tourmente médiatique ne tarde pas à s’abattre sur elle. Les
informations affluent de toutes parts, vraies ou fausses, et reprendre la main
n’est pas chose facile. Si l’organisation à une notoriété importante, si la crise
touche un domaine particulièrement sensible comme la santé publique,
l’alimentation, le nucléaire, ou bien si les victimes potentielles sont
nombreuses ou vulnérables, la communication va devenir l’un des pivots de
la gestion des conséquences de l’événement. Dès lors que les médias
s’emparent de l’information, parfois le surdimensionnement, l’effet
accélérateur sur la crise elle-même est foudroyant. Et si on nous vend de
l’extraordinaire, c’est certainement parce que nous avons besoin de «
fantasmer ». C’est notamment ce que nous explique Lionel Bellenger9
lorsqu’il nous invite à essayer de retrouver notre libre arbitre face à
l’événement et face à la « déferlante » de l’information.

125
Il est toujours difficile de devoir affronter la presse et les caméras. On
peut imaginer aisément l’état psychologique d’un dirigeant ou d’une équipe
de projet qui voient débarquer les « investigateurs » qui forcent les portes et
révèlent tous les secrets. Il est important pour appréhender tous les
paramètres de la communication avec les médias de bien comprendre
comment fonctionne la presse. En situation d’instabilité, il est préférable
d’envisager la presse comme un partenaire et non pas comme un
adversaire.
La règle est simple : il faut que les médias aient des choses à dire. Et les
alternatives ne sont pas nombreuses :
– les informations leur sont fournies à la source par l’organisation en
crise elle-même avec la validité et le contrôle nécessaire ;
– soit les journalistes vont trouver eux-mêmes ce qui les intéresse, au
risque de ne voir qu’un pan des événements décrits et abordés ;
– soit ils vont interpréter des silences ou d’autres renseignements
obtenus par des voies indirectes ou détournées.
Beaucoup de dirigeants ou de chefs de projet ont tendance à réduire la
conduite d’une situation de crise à la communication. Or, si la
communication est un des éléments les plus visibles (et pour cause) de la
gestion d’un incident, elle n’en reste pas moins un outil au service de
l’organisation et ne doit pas devenir une fin en soi.
Christophe Roux-Dufort10 parle du « danger de la surestimation de la
communication dans la stratégie de gestion des crises ». Pour lui, ce défaut de
perception pourrait faire courir le risque au décideur de se tromper sur les
objectifs de la communication. « Il ne s’agit pas de communiquer pour
communiquer et tenter coûte que coûte de restaurer son image, mais de servir
et relayer les efforts de gestion effectifs mis en place par l’entreprise afin de
circonscrire les événements et de répondre aux demandes et préoccupations
des différentes parties prenantes ».
On constate depuis quelques années une nouvelle défiance de la part des
« consommateurs » de communication et des citoyens : l’accident de
Tchernobyl en 1986, dont les dernières révélations n’ont rien arrangé, a
contribué à donner l’impression qu’en temps de crise, la vérité était
dissimulée et les analyses tronquées. Pour garantir l’efficacité de la
communication de crise, celle-ci doit obéir à trois maîtres mots : Honnêteté,

126
Cohérence et Confiance11.

3.1 Le contenu de la communication de crise


La communication en temps de crise reste un outil de la conduite de
l’événement. Comme tous les outils, elle remplit un ensemble de fonctions
bien précises.

◗ Clarifier les faits


L’objectif premier de la fonction communication est la reconnaissance de
l’événement : au travers de l’énumération des éléments factuels de l’incident,
l’organisation peut clarifier les premières informations diffusées et les
expliquer afin d’éviter notamment les interprétations faites par le public. On
constate parfois des effets de panique irrationnels, autoalimentés par les
rumeurs qui ne tardent pas à surgir dans un environnement instable.
Le deuxième objectif, dès lors que des actions de communication sont
lancées par l’organisation, est de fournir très régulièrement de l’information
aussi bien en interne qu’en externe. Il s’agit en fait d’occuper le terrain. La
nature ayant horreur du vide, si ce n’est pas l’organisation qui donne des
renseignements, des réseaux parallèles ne tarderont pas à se créer sans qu’on
ne puisse garder le contrôle sur les informations diffusées : intervention
devant les médias d’un salarié impliqué, d’un collaborateur mécontent, d’un
« expert » trop heureux de faire sa publicité sur le dos de l’entité en crise…

Ne pas confondre urgence et précipitation

En matière de délivrance d’informations, il est important de ne pas confondre urgence et


précipitation. Sous prétexte de vouloir occuper le terrain, il ne faut pas donner trop
d’informations trop vite. Si l’on donne tout de suite la totalité de ce que l’on a, on risque d’avoir
du mal à maintenir le flux. Et en voulant donner trop vite, on peut parfois délivrer des données
qui vont s’avérer fausses par la suite et qui donneront l’impression d’un manque de contrôle sur
les événements.

◗ Reprendre la main sur la situation


L’autre objectif de la communication en temps de crise est de reprendre
la main sur la situation et de démontrer que tout est fait pour maîtriser

127
l’événement.
Dès lors que les faits ont été clarifiés, on peut livrer des éléments
concernant les dispositifs déployés, les actions mises en œuvre ou les
ressources humaines et financières mobilisées. On peut également indiquer
les mesures prises pour prendre soin des victimes avérées ou potentielles :
soins, soutiens psychologiques, actions de prévention…
Cette phase de la communication permet également à l’organisation de
démontrer qu’elle entend assumer pleinement ses responsabilités. Cette
attitude a pour objectif de couper l’herbe sous le pied de ceux qui
chercheraient à mettre en cause le système puisque le système pointe lui-
même le doigt sur ses propres responsabilités.

◗ Anticiper et préparer l’avenir


La communication en temps de crise a également pour vocation
d’anticiper sur les questions à venir. Par ce biais, l’organisation garde le
contrôle sur la recherche des causes réelles de la crise et éventuellement des
responsabilités à mettre en cause.

◗ Regagner la confiance
En agissant de la sorte, en démontrant une attitude responsable, on peut
commencer à renforcer ou reconstruire la confiance éventuellement perdue.

3.2 Les maîtres mots


La communication en temps de crise, qu’elle soit interne ou externe, doit
répondre à trois grandes règles incontournables : Honnêteté, Cohérence,
Confiance.

◗ Honnêteté
L’honnêteté dans le contenu et la forme du discours est le meilleur
facteur d’efficacité de la communication de crise. Certains ont parfois
l’impression qu’un bon communicant peut « faire avaler » n’importe quoi à
n’importe qui. Or, l’objectif n’est pas ici de masquer la vérité mais plutôt
de dire ce qui doit l’être en temps et en heure.
L’honnêteté réduit l’incompréhension du public, qu’il soit interne ou

128
externe, et surtout évite toute disqualification ultérieure, car la vérité est
toujours connue à un moment ou à un autre. L’exemple de la catastrophe de
Tchernobyl le rappelle avec force : les interviews rétrospectives des
responsables de la sûreté nucléaire affirmant que les nuages chargés
d’éléments radioactifs n’avaient pas franchi nos frontières renforcent encore
la méfiance des spectateurs du monde.
Cette nécessité implique également que les informations délivrées
devront être vérifiées et validées : personne ne croira, même si c’est vrai,
qu’une information plus favorable à l’organisation mise en cause a été
délivrée simplement par erreur ou parce que l’on manquait de temps pour la
vérifier. Tout le monde criera à la manipulation et au mensonge, et on passera
dès lors plus de temps à corriger le faux pas qu’à communiquer de façon
proactive.

◗ Cohérence
En situation de crise, il y a une nécessité absolue de cohérence entre
toutes les informations émanant des différentes entités de l’organisation :
siège, filiales, porte-parole de la direction, représentants du personnel doivent
parler le même langage et délivrer les mêmes informations. La phrase de
Bertrand Robert prend ici tout son sens : « La confiance ne supporte pas les
dissonances ». En matière de communication, toute incohérence entre deux
informations jette le doute sur chacune d’elles.
Il doit également y avoir cohérence entre ce qui est dit et ce qui est
observable : c’est la congruence. En matière de communication
interpersonnelle, la congruence est l’adéquation entre les canaux verbaux,
paraverbaux et non-verbaux.
En communication de crise, les actes et actions réalisés par l’organisation
en charge de la conduite de l’incident doivent être en adéquation avec les
discours et communiqués. On imagine mal le porte-parole d’un site Sevezo
en proie à une crise affirmer à la presse que tout est sous contrôle, alors que
derrière lui tout le monde est occupé à évacuer les lieux dans l’urgence et
l’affolement. Cette nécessité de congruence implique que les organes de
conduite de crise puissent avoir sinon le contrôle total, du moins les comptes
rendus immédiats de toutes les actions menées sur le terrain par les équipes
d’exécution.

129
◗ Confiance
La stratégie de communication de crise doit être également motivée par la
volonté de reconstruire la confiance. Il conviendra donc d’éviter tous les
filtres à la confiance : jargons, contradictions, manque de clarté perçu comme
une ruse.
L’utilisation de jargon technique, ou pseudo professionnel, dans les
communiqués de presse ne sert qu’à donner l’impression que l’on cherche à
embrouiller l’esprit du public. Pourtant, c’est une pratique qui reste répandue
: on a l’impression qu’en utilisant des termes très techniques, on va
démontrer compétence et professionnalisme au public.
Les contradictions dans la communication des organisations sont tout
aussi déstabilisantes : elles démontrent soit un manque de professionnalisme
ou de contrôle, soit une volonté de cacher la vérité. Dans les deux cas,
communiquer est plus désastreux encore que se taire.

3.3 Les communications interne et externe


La communication en temps de crise se mène sur les deux fronts interne
et externe. Aucun n’est à privilégier ni à négliger par rapport à l’autre, ils sont
entremêlés irrémédiablement et s’influencent mutuellement.

◗ La communication interne
La communication interne vise le public lié à l’organisation. On identifie
dans cette population les collaborateurs directs et les collaborateurs indirects.
◆ Les collaborateurs directs sont les employés et les cadres de
l’organisation. Loin d’être un public à négliger, il faut l’informer
immédiatement et régulièrement de l’avancée de la situation. Il n’y a rien de
plus déstabilisant et irritant que d’apprendre par la presse les difficultés
qu’affronte sa propre entreprise. Les collaborateurs directs sont également
primordiaux dans le maintien ou la reconstruction de la confiance après la
crise.
◆ Les collaborateurs indirects sont notamment les fournisseurs, les
partenaires techniques, financiers, essentiels eux aussi pour préparer la
reconstruction de la confiance et la continuité de l’activité pendant et après la

130
gestion de la crise.
Les moyens à mettre en œuvre en interne sont généralement de deux
ordres :
◆ Les moyens techniques : on peut utiliser les réseaux internes de
communication pour s’adresser aux collaborateurs directs. Le réseau intranet,
le courrier électronique, les notes d’informations diffusées par entités ou
Business Units sont de bons vecteurs de l’information interne.
Les collaborateurs indirects peuvent quant à eux être informés par
l’utilisation du courrier électronique ou par les relais habituels qui sont leurs
contacts dans les conditions normales de relation avec l’entreprise.
◆ Les moyens humains : il convient de ne pas les négliger. Il faut se
servir des responsables de services, de B.U., de filiale comme des caisses de
résonance du message de la direction. Il conviendra donc de les sensibiliser à
ce rôle de relais et d’explicitation des faits et de la stratégie choisie. Les
représentants du personnel, les leaders d’opinion sont aussi à impliquer dans
ce système de transmission de l’information interne.

◗ La communication externe
La communication externe s’adresse à tous les publics autres que les
collaborateurs au sens large de l’organisation : consommateurs, usagers des
services publics au sens large.
Les moyens de communication externe sont essentiellement ceux mis en
œuvre par la presse et les médias : interviews, communiqués de presse,
articles d’experts…
En matière de communication, on ne néglige ni ne méprise personne :
tous les moyens de diffuser des informations sont utilisés, et on réserve à tous
une attention appuyée : presse quotidienne locale, régionale, médias
nationaux. Les groupes d’opinion sont eux aussi importants et doivent faire
l’objet d’une attention particulière.
La stratégie de communication externe s’appuie sur deux axes, la
communication réactive et la communication proactive :
◆ Dans la phase réactive, on répond aux sollicitations et aux

131
interrogations exprimées par le public et les médias. On tente de mettre fin
aux polémiques naissantes ou de clarifier des renseignements déjà diffusés.
◆ Dans la phase proactive, on répond aux attentes avant qu’elles ne
soient exprimées. On va être « offensif » sur les questionnements et fournir
les renseignements avant même que les journalistes n’aient l’idée d’aller les
chercher. La communication externe proactive va aussi permettre de préparer
le public aux conséquences attendues de la gestion de la crise.
Lors du Grand Prix d’Indianapolis de juin 2005, la sortie de route d’un concurrent lors des
essais qualificatifs a révélé un problème de fiabilité des pneumatiques Michelin. Prenant
les devants, la société française a clairement indiqué que ses pneus étaient « inaptes » pour
le Grand prix en question et a suggéré aux écuries utilisant ces pneumatiques de s’abstenir
de courir. Cette reconnaissance d’un problème exposé au monde entier et la gestion
proactive de la communication ont permis de juguler une éventuelle polémique.

3.4 Le plan de communication


À l’instar du plan de crise, le plan de communication est une anticipation
des procédures à mettre en œuvre en cas de déclenchement. On va identifier,
par temps calme, les éléments fondamentaux de la stratégie de
communication : Qui ? Quoi ? Quand ? Comment ? Pour qui ?

◗ Qui ?
L’interlocuteur ou le porte-parole de l’organisation ou de la société
doivent être désignés à l’avance. On n’a ainsi pas besoin de se poser la
question dans l’urgence, et l’interlocuteur peut être formé à cet exercice
toujours déstabilisant même pour les plus aguerris.
L’interlocuteur doit avoir une légitimité et une compétence incontestable
auprès des relais et des médias. La presse réclame souvent le dirigeant ou le
responsable en charge de la décision pour s’exprimer. Il convient d’être
prudent : le dirigeant peut être un excellent manager mais peut ne pas être un
bon orateur ni un bon communicant. Il faut aussi le préserver de la pression
que peuvent faire peser sur lui les médias et l’environnement, et lui permettre
de décider en toute sérénité.
La question se pose du choix d’un seul ou de plusieurs interlocuteurs, qui
pourraient éventuellement intervenir ensemble : lors de la seconde guerre du
Golfe, les porte-parole américains qui menaient les conférences de presse

132
quotidiennes étaient toujours deux, un « généraliste » qui représentait l’armée
et un spécialiste des missions réalisées dans la journée pour répondre à toutes
les questions des journalistes.
Il arrive que malgré tout, journalistes et relais d’opinion refusent de parler
au porte-parole chargé de la communication et demandent à s’adresser au
décideur, dont ils connaissent généralement l’identité et parfois le numéro de
téléphone direct. L’interlocuteur désigné doit donc s’imposer comme celui
qui maîtrise le sujet en répondant efficacement à toutes les questions et
sollicitations. La phase de préparation par temps calme est primordiale pour
cela.

◗ Quoi ?
La phase suivante du plan de communication concerne le contenu des
communiqués de presse et des interventions réalisés pendant la crise. Grâce à
la cartographie des risques et aux scénarios de crises envisageables, il est
possible d’établir le canevas d’un communiqué type adapté à chacune des
situations possibles, en identifiant notamment les types de renseignements
qui intéresseront la presse et qu’il faudra fournir en priorité.

◗ Quand ?
Le temps est une composante importante de la communication. Il faut
savoir prendre en main la situation sans pour autant tomber dans la
précipitation. Le moment de la première prise de contact est primordial car il
confère un contexte à tout ce qui sera dit. Une prise de contact trop tardive
laisse le champ libre à la communication parallèle, mais un communiqué trop
hâtif introduit des informations partielles ou invalides.

◗ Comment ?
La réflexion sur les moyens de communiquer doit mettre en synergie les
travaux de l’équipe de crise avec le service Communication et Relations
Extérieures. Cette entité, qui n’existe malheureusement pas dans toutes les
organisations, connaît le mode de fonctionnement des médias et a des
connexions privilégiées avec les journalistes. Il ne faut pas hésiter à les
mettre à profit.
Le recours à une expertise extérieure en communication de crise peut être

133
important en cas de défaut de département spécialisé. Il pourra apporter une
vision objective dans la préparation du plan de communication et expliquer,
loin de toutes interprétations, le fonctionnement et les mentalités observables
au sein des médias.

◗ Pour qui ?
La phase ultime du plan de communication consiste à identifier les
différents publics à qui l’on souhaite transmettre des informations, pour
ensuite adapter les communiqués à leurs attentes et identifier le degré de
priorité entre les publics.

3.5 Les erreurs en communication de crise


Il est très facile de commettre une erreur dans le cadre d’une
communication de crise. Et même si, là encore, tout le monde a le droit à
l’erreur, dans ce cadre elle apparaît immédiatement et peut avoir des
conséquences désastreuses à très court terme.

◗ Erreurs liées à l’interlocuteur


◆ Le premier dysfonctionnement lié à l’interlocuteur est parfois le
fait de ne pas en avoir, personne n’étant expressément désigné pour
intervenir devant les médias ou pour communiquer. Dans l’urgence, cette
tâche est confiée à quelqu’un qui n’est pas prêt à cela ou qui n’en a pas les
aptitudes.
◆ Le second est de désigner un interlocuteur sans pour autant le
former ou le sensibiliser à la matière. Avoir du « bagou » ou une certaine
aisance verbale ne suffit pas face à des médias rapides, bien informés et en
recherche de renseignements précis.
◆ Autre dysfonctionnement courant : l’interlocuteur change tout le
temps. Ce turnover incessant est toujours le signe d’une impréparation et
d’une absence de maîtrise de la situation, a fortiori s’il n’y a pas de reporting
entre eux et que le suivant ne sait pas ce qu’a dit le précédent.
La désignation du décideur comme unique interlocuteur ne doit pas non
plus être la règle. Faire intervenir immédiatement le sommet de la hiérarchie
donne l’image que la situation est réellement très grave, et soumet le décideur

134
à une pression dont il faudrait plutôt le préserver. Cependant, c’est aussi un
signe fort d’une implication totale de l’organisation dans la recherche de
normalisation. S’il est désigné comme l’interlocuteur des journalistes, le
dirigeant doit être sensibilisé en amont et préparé avant chaque interview :
contenu du discours, limites et points sensibles…

◗ Erreurs liées au contenu


Les erreurs quant au contenu de la communication sont aussi très
déstabilisantes. La première est liée à un excès de précipitation : pour occuper
le terrain de la communication, on parle trop vite et on délivre des
informations qui ne sont pas vérifiées. Si elles s’avèrent fausses ou biaisées,
il sera très difficile de démontrer qu’il s’agit d’une simple erreur et non pas
d’une tentative de désinformation ou de manipulation.
Par extension, une autre erreur consiste à délivrer volontairement des
informations fausses. Cette pratique est suicidaire, car la vérité finit toujours
par être connue, et les conséquences de tels mensonges, extrêmement
disqualifiantes, relèvent parfois du Code pénal.

◗ Erreurs liées à la stratégie


Il n’y a pas de stratégie idéale de communication en temps de crise. Les
deux erreurs les plus classiques sont deux réactions opposées : le refus pur et
simple de s’exprimer et le « tout est sous contrôle ».
◆ Le refus de s’exprimer ou de répondre aux questions des médias
ne saurait être une stratégie de communication. Ne rien dire, c’est tout
d’abord laisser croire que l’on a des choses à cacher et qu’on préfère les taire.
C’est ensuite laisser le terrain libre à une communication parallèle et non
contrôlée : experts extérieurs, concurrents, partenaires non sensibilisés…
◆ Le « tout est sous contrôle » est aussi une illusion : l’illusion que le
public et les médias sont prêts à croire que l’organisation qui communique est
à même de contrôler une situation qui est par essence instable, polymorphe,
et dont les conséquences réelles ne sont souvent perçues qu’après sa
résorption. Si tout est effectivement « sous contrôle », il est maladroit de
l’affirmer de façon péremptoire car on risque à tout moment le grain de sable
disqualifiant. Si rien n’est sous contrôle, affirmer le contraire pourrait laisser
croire, notamment en interne, que tout est réglé au moment où l’on a besoin

135
de la mobilisation de tous.
Affirmer que l’on met tout en œuvre pour reprendre ou garder le
contrôle est plus judicieux et foncièrement plus efficace.

1. Voir chapitre 1, p. 34.


2. Salle d’information et de commandement, gérant notamment les appels au 17.
3. Voir chapitre 4, p. 136.
4. Bertrand Robert, Naviguer au cap confiance, op. cit.
5. Jean-Claude Abric, Psychologie de la communication : théories et méthodes, Armand Colin,
2003.
6. Thomas Milburn, The Management of Crisis, C.F. Hermann éd., 1972.
7. Voir chapitre 2, p. 84.
8. Christian Morel, Les Décisions absurdes, Gallimard, 2002.
9. Lionel Bellenger, Du bon usage des médias, éditions Stratégies, 2000.
10. Christophe Roux-Dufort, Gérer et décider en situation de crise, op. cit.
11. Voir p. 116.

136
4
CHAPITRE

La phase de capitalisation et
d’apprentissage
« L’expérience, nom dont les hommes baptisent leurs erreurs. »
Oscar Wilde

U ne fois la crise passée, la salle de crise est rangée, chacun retrouve son
son mode de fonctionnement normal et sort du « mode crise » comme
si de rien n’était. Pourtant, tout n’est pas encore complètement terminé. Une
phase importante de la gestion de la crise ne s’est pas encore jouée : la phase
de capitalisation et d’apprentissage de la situation vécue. Ce serait pourtant si
facile de tout remettre dans les cartons et de croiser les doigts en souhaitant
que rien ne vienne plus déranger le fonctionnement normal. Mais ce serait
rater l’opportunité de faire progresser le système et de l’enrichir pour les
crises futures. Patrick Lagadec traduit parfaitement ce passage de l’attentisme
à la prise de conscience : « Après le temps du refus, voici celui de
l’apprentissage ». Alors, place à l’apprentissage.

1. Les attitudes face aux crises passées


Le mot « crise » vient du grec krisis, dérivé de krino qui signifie séparer,
trier. On a par la suite étendu son sens à l’action de choisir, de décider.
L’historien grec Thucydide a d’ailleurs utilisé ce mot pour désigner les
décisions des chefs ou des assemblées publiques pendant la guerre du
Péloponnèse. Les crises sont donc des moments de choix et par extension des

137
moments de transformation. Les crises sont des ruptures, des opportunités de
changement et d’amélioration. Encore faut-il qu’elles soient perçues et
acceptées comme telles.
Là encore, il est surprenant de voir que si les attitudes face aux risques
sont multiples et souvent sources de dysfonctionnements, les attitudes face
aux crises passées sont aussi variées et tout aussi déstabilisantes. S’il faut
changer les mentalités pour faire face aux risques, il faut également les
changer pour apprendre des crises que l’on a vécues. Beaucoup de managers
ou de dirigeants se disent prêts à apprendre de leurs erreurs passées, mais
bien peu passent effectivement de la parole à l’action. Christophe Roux-
Dufort1 définit la crise, dans le cadre d’un apprentissage pour l’avenir,
comme « une sorte de montagne à deux versants. D’un côté, on sombre dans
le chaos, de l’autre, on retrouve un ordre et les fondements d’un nouveau
départ. Il faut alors être suffisamment courageux pour gravir la montagne
jusqu’à son sommet et découvrir le versant de la transformation ».
On peut identifier quelques attitudes remarquables face aux situations
vécues, avec des motifs et des conséquences différentes sur l’apprentissage.

1.1 « Ce n’était pas une crise »


La première attitude inadaptée que l’on peut constater face à une crise
vécue est le déni : « Ce n’était pas une crise, juste un incident passager.
Désormais, tout est rentré dans l’ordre ». Cette réaction est souvent le fruit
d’une volonté de ne pas voir ce qui s’est passé, de ne pas vouloir accepter que
l’on a vécu une situation de crise. La crise étant le révélateur de possibles
dysfonctionnements, il est beaucoup plus simple de décider que l’événement
vécu n’en était pas une.
Cette rationalisation des faits et des évidences pousse ceux qui les ont
vécus à faire coïncider, parfois au prix de détours et de « manipulations »
hallucinantes, les critères de la crise dans les typologies de modes de
fonctionnement habituels. Ce faisant, il devient plus simple d’argumenter et
de démontrer que l’événement vécu n’était pas une crise puisqu’il correspond
aux schémas « classiques » évoqués dans les procédures.
Dans un site industriel situé au nord de l’Europe, une entreprise spécialisée dans la
fabrication de transformateurs électriques a déversé accidentellement plusieurs tonnes
d’huile dans une rivière voisine. Avertis avec beaucoup de retard, les services de secours

138
n’ont pu contenir la nappe d’huile qui a largement pollué le cours d’eau, détruit
entièrement une pisciculture et dégradé durablement l’écosystème de la zone. Lors de la
polémique qui a suivi, le responsable du site n’a eu de cesse de répondre aux journalistes
qu’il ne s’agissait pas d’une crise mais seulement d’un incident technique : la fuite d’un
réservoir d’huile faisait partie des cas prévus dans les procédures d’incident « classiques
». La pollution du site avait également été envisagée dans une procédure ad hoc, et des
moyens (jamais utilisés dans la situation en question) étaient disponibles. La situation
vécue ne pouvait donc pas être une crise, puisque des procédures lui étaient applicables!

1.2 « Ça ne peut plus nous arriver »


Une autre réaction inadaptée est intéressante à étudier : « Ça ne peut plus
nous arriver! » L’organisation a conscience d’avoir vécu une situation de
crise, mais l’événement était tellement exceptionnel qu’il n’y a aucune raison
de se préparer à en gérer un autre de la même ampleur.
Cette attitude cherche à préserver les mythes et les croyances de
l’organisation. Ce faisant, elle renforce une attitude inadaptée face au risque
et expose l’ensemble du système à une réplique dévastatrice d’autant plus
amplifiée par cette illusion de future invulnérabilité. C’est un frein puissant à
l’apprentissage, car tout débriefing d’une situation éventuellement mal gérée
pourrait remettre en cause les mythes faussement « protecteurs ».
Dans le cadre de cette réaction, on a souvent tendance à expliquer que ce
sont des circonstances particulières qui ont conduit à l’incident, mais que
dans des conditions normales et habituelles d’exercice de l’activité, rien ne se
serait produit. C’est justement le fait qu’elle se déroule dans des
circonstances particulières qui fait qu’une situation habituelle se transforme
en crise.

Dans le cadre de son activité en Amérique latine, une entreprise européenne se trouve
confrontée à une crise grave : le décès d’un cadre expatrié dans des circonstances
inexpliquées. L’homme est retrouvé assassiné dans sa voiture, sans aucun motif apparent.
L’événement est géré tant bien que mal, et des rumeurs soigneusement orientées laissent
entendre que la vie « dissolue » de la personne en question ne serait pas étrangère à cette
mort violente. Aucune mesure de protection particulière n’est prise, les dirigeants de cette
société estimant que cela ne pourra plus se reproduire car on veillera désormais à la «
bonne moralité des expatriés ».
Quelques mois plus tard, le remplaçant du cadre assassiné est victime d’une tentative
d’extorsion. Devant son refus de céder, il fait l’objet dans les heures qui suivent d’une
fusillade et échappe de peu aux coups de feu des tueurs. Après enquête, il s’avère que la
première victime décédée avait également fait l’objet d’un racket. Ayant décidé de gérer
l’affaire seul et devant son refus de céder, il a été assassiné. Reconnaître que le premier

139
décès n’était pas un événement isolé lié à des circonstances particulières n’aurait
certainement pas mis fin à l’extorsion, mais cela aurait certainement permis de prendre des
mesures adaptées et d’éviter de faire courir un risque à son remplaçant.

1.3 « Finalement, ça s’est bien passé »


Autre attitude improductive : le sentiment que, finalement, l’équipe a été
performante dans la gestion de la crise. Deux alternatives sont envisageables :
– soit c’est effectivement le cas, mais il convient tout de même de
débriefer et de tirer des enseignements inévitables ;
– soit on n’a pas été performant et croire qu’on l’a été est
particulièrement improductif et dangereux. C’est malheureusement une
attitude très répandue, qui confine à l’excès de confiance. Certes, il faut
savoir identifier les points positifs dans la conduite de la situation, mais
ce sont surtout les erreurs commises qui identifieront les domaines
susceptibles d’être améliorés.

Au milieu des années 1990, afin de se préparer à affronter des crises liées aux
problématiques de sécurité alimentaire et aux risques de contamination, une chaîne de
restauration collective organise un exercice de mise en situation. Le résultat est
catastrophique : les procédures sont visiblement inadaptées, aucune n’est à jour, la cellule
de crise n’existe que sur le papier, le stress et l’affolement balayent les bonnes volontés.
Le débriefing de la mise en situation est organisé quelques jours plus tard : les premiers
mots d’un des membres du comité de direction donnent le ton : « Finalement, tout s’est
bien passé, non ? » Qui aurait pu désormais dire le contraire, au risque de contredire cette
personne très sûre de son fait ? Par chance, le responsable des ressources humaines,
appuyé par le chargé de la sécurité, a pu « finement » limiter les effets de cette attitude,
notamment en pointant du doigt leurs propres erreurs et manquements, incitant du même
coup certains à faire de même.

1.4 « La prochaine fois, on sera meilleurs »


Une attitude efficace et productive face à une crise vécue : « la prochaine
fois, nous ferons en sorte d’être meilleurs ». Cette attitude, qui implique à la
fois la conscience d’avoir traversé une situation difficile et la nécessité
évidente de s’améliorer, est un véritable facteur d’apprentissage et de
progression de l’organisation en général et de l’équipe de crise en particulier.
Cette attitude, corollaire de l’« esprit commando2 », est la marque d’une
humilité efficace et le signe d’un certain niveau de maturité et de confiance

140
du groupe.

2. Les débriefings
« L’échec est le fondement de la réussite. »
Lao-Tseu

Le temps des débriefings qui se menaient devant la machine à café ou au


bistrot d’en face est terminé. Désormais, parce qu’il est indéniable que c’est
une pratique efficace pour les hommes et pour les organisations, les
débriefings et retours d’expérience sont au programme. Mais leur inscription
dans un emploi du temps ou dans le planning d’un ComEx ne suffit pas : on a
trop souvent tendance à bâcler cette phase pourtant si importante, et un peu
d’organisation et de préparation suffisent à la rendre attrayante et terriblement
pertinente.
Le débriefing pourrait se définir comme une rencontre, une réunion
suivant une action particulière au cours de laquelle les participants à cette
action rendent compte de ce qu’ils ont fait, vu, ressenti afin d’identifier les
bonnes pratiques et les dysfonctionnements et améliorer le fonctionnement
général de l’organisation et des personnels en son sein.

Une notion clé : le retour d’expérience

Les retours d’expérience, ou REX, se sont institutionnalisés depuis plusieurs années dans les
organisations. Tout d’abord mises en œuvre par les militaires, ces phases de partage du savoir et
du vécu se sont développées dans d’autres organisations publiques ou parapubliques pour
finalement être aujourd’hui utilisées dans les entreprises privées désireuses de progresser. Car
rappelons que la finalité des débriefings, c’est avant tout le partage d’expérience afin que tous
puissent apprendre du vécu des autres.

Le débriefing de fin de crise est l’occasion de clôturer le plan de crise et


de faire le point sur l’ensemble des choses qui se sont passées, qu’elles se
soient bien déroulées ou qu’elles aient été des échecs. La crise est en général
un bon révélateur des dysfonctionnements de l’organisation, souvent ignorés
ou passés sous silence par temps calme. Il faut cependant rappeler un des
fondements du système de capitalisation des expériences : le débriefing ne
doit en aucun cas être l’occasion de « régler ses comptes » ou de lancer
une quelconque « chasse aux sorcières ». Il doit être clairement établi que

141
la parole doit y être libre pour permettre à tous de s’exprimer, tout en gardant
à l’esprit la vocation constructive d’une telle action.
Un modérateur doit être chargé de coordonner les modalités du débriefing
et d’animer les différentes rencontres pour en tirer le meilleur sans glisser
vers un renvoi mutuel de responsabilité ni tomber dans le piège de la langue
de bois. Il peut être intéressant que le modérateur n’ait pas été directement
impliqué dans la conduite de la crise, qu’il ait un regard neuf sur l’affaire
détaché de toute partialité, même inconsciente.

2.1 Organiser un débriefing


La mise en œuvre d’un débriefing dépasse la simple réunion des
personnes concernées autour d’une table. Cela nécessite une organisation et
une préparation particulières pour garantir un minimum d’efficacité. Le
débriefing n’est pas une chose qui s’improvise.

Les 6 règles du débriefing

Le débriefing est organisé en plusieurs étapes successives :


– remontée de toutes les informations relatives à l’incident, même les plus anodines ;
– description du processus global de la gestion de la crise, en s’appuyant notamment sur les
documents de crise ;
– identification des pratiques efficaces ;
– identification et analyse de la dynamique des erreurs ;
– capitalisation pour l’avenir ;
– validation de la prise en compte par mise en pratique.

◗ Compilation de l’ensemble des informations


Quand on souhaite faire un point global et précis sur une situation vécue,
il convient d’organiser un rassemblement de toutes les informations relatives
à l’événement. Cette nécessité oblige à recenser l’ensemble des sources
d’informations susceptibles de fournir des éléments intéressant le débriefing,
y compris les sources externes à l’organisation. Elles fournissent souvent des
renseignements précieux du fait notamment de leur approche décalée par
rapport aux objectifs de la société, et de leur vraisemblable impartialité.
Les sources d’informations sont notamment les suivantes :

142
– les acteurs directs de la gestion de la crise au siège : membres de la
cellule de crise, équipe de direction, organes de décision, etc. ;
– les acteurs directs locaux : responsables de sites, d’organisations
déportées, etc. ;
– les acteurs indirects internes : autres sites non impliqués, organisations
représentatives du personnel, etc. ;
– les acteurs indirects externes : groupements sociaux ou associatifs,
associations de victimes, association de consommateurs, etc. ;
– les autorités publiques : acteurs nationaux ou locaux ;
– les organisations partenaires : sociétés associées, fournisseurs, etc.
Cette liste, non exhaustive, regroupe des acteurs qui auront tous des
perceptions et visions différentes de la crise vécue. Cette disparité et cette
diversité sont les facteurs d’une analyse efficace de la situation, notamment
en acceptant de prendre en compte des considérations détachées des
contingences de l’organisation en cause.
Pour uniformiser les informations attendues, on peut établir un
questionnaire de débriefing relativement formalisé visant à centraliser un
minimum d’informations communes :
– rappel des faits précis sur lesquels porte le débriefing ;
– identification du « rapporteur » ;
– nature, heure, lieu de l’élément déclencheur pour le rapporteur ;
– premières mesures prises directement ou indirectement ;
– premières mesures constatées ;
– effets des premières mesures sur les sources de l’événement ;
– chronologie des actions réalisées, avec mention des effets et
conséquences ;
– chronologie des faits observés ;
– appréciation générale sur la conduite de l’incident ;
– identification des « bonnes pratiques » ;
– identification des erreurs commises ou observées ;
– remarques générales.
Cette fiche de débriefing, non exhaustive, pourra être formalisée par
l’équipe de crise et/ou le modérateur et être envoyée pour être remplie aux
diverses sources d’information identifiées. Le contenu pourra varier de l’une
à l’autre, en fonction de la proximité avec l’organisation en cause ou du degré

143
de renseignement recherché.

◗ Description du processus global de la gestion de la crise


Le processus global de la gestion de la crise est la remise en ordre
chronologique de l’ensemble des informations, actions, événements,
problèmes rencontrés dans la conduite de l’incident. Ce travail s’effectue
notamment grâce à l’étude des documents de crise rédigés au « fil de l’eau ».
Ces documents, outre leur vocation d’information entre équipes montantes et
descendantes, ont une importance capitale dans le débriefing et
l’apprentissage qui pourra en résulter.
La formalisation du processus peut prendre l’aspect d’une chronologie
linéaire, retraçant jour par jour et heure par heure l’ensemble des faits. Une
fois ce travail achevé, on peut ensuite réaliser plusieurs chronologies linéaires
par thèmes, exposées en parallèle, et reprenant les domaines de la gestion de
la crise : information, actions logistiques, communication, décisions… Ce
découpage permet d’examiner toutes les actions menées ou faits constatés
phase par phase, et de détecter notamment les manques de coordination ou de
cohérence.
L’utilisation de chronologie ne doit pas cependant faire oublier que
l’analyse d’une action, d’un effet ou d’une conséquence doit s’effectuer de
façon globale, en tenant compte de ce qui s’est passé avant et après. Il ne faut
pas tomber dans le piège de la fragmentation3, c’est-à-dire l’analyse d’un
problème en le découpant en phases étudiées séparément et indépendamment
les unes des autres.

◗ Identification des pratiques efficaces


Parmi la chronologie établie, les pratiques efficaces vont être identifiées
et mises en exergue : ce sont les décisions et les actions qui ont eu une
influence favorable sur la conduite de l’événement. Il est intéressant de voir à
quel niveau les décisions ont été prises, sur quelles bases et en fonction de
quelles informations. On constate parfois que, lors de la gestion efficace de
certaines crises, ce ne sont pas les décisions prises qui ont résolu le problème
mais plutôt un ensemble de circonstances favorables indépendantes de la
volonté de l’équipe de crise. C’est alors l’occasion de faire le point sur ce qui
relève vraiment des choix stratégiques ou sur ce qui reste d’heureuses

144
coïncidences.

◗ Identification et analyse de la dynamique des erreurs


Tout comme les pratiques efficaces ont été identifiées, il s’agira de
repérer dans la chronologie des événements les erreurs commises, qui ont été
des facteurs aggravants ou déstabilisants. Il conviendra d’analyser la
dynamique et essayer de comprendre comment on a pu en arriver là.
L’objectif est d’en décortiquer les causes pour éviter de les reproduire dans
les prochaines gestions de crise.

◗ Capitalisation pour l’avenir


À l’issue de ce travail d’analyse, seront déterminés les facteurs
d’amélioration sur lesquels l’organisation va devoir travailler pour renforcer
son système : facteurs humains, organisation structurelle, moyens de
communication… Tout débriefing devrait être suivi d’une remise à jour
des Procédures, même minime.

◗ Validation de la prise en compte par mise en pratique


Les facteurs d’amélioration seront intégrés dans les procédures et les
plans de crise puis mis en pratique dans le cadre d’un exercice de validation
dédié.

2.2 Les freins au débriefing efficace


Même si les débriefings deviennent des pratiques de plus en plus
répandues, les freins et réticences restent nombreux et difficiles à éradiquer.
Il est possible d’en identifier plusieurs.

◗ Le manque d’intérêt pour les retours d’expérience


Un des freins les plus puissants dans l’organisation de retours
d’expérience est le manque d’intérêt fréquent que l’on peut constater chez de
nombreuses personnes qui devraient pourtant se montrer intéressées. « La
crise est gérée, c’est terminé. Cela suffit, il faut passer à autre chose »…
Combien de fois n’entend-on pas cette phrase qui ferme la porte à toute
possibilité d’apprentissage ?

145
On considère, à tort, que passer quelques heures à décortiquer une crise
passée est une perte de temps. On a déjà tellement à faire pour gérer le
quotidien, alors pourquoi consacrer de précieuses minutes à préparer une
éventuelle crise dont on n’est même pas sûr qu’elle aura lieu un jour ?
Susciter l’intérêt n’est pas simple et requiert beaucoup de talents et de
diplomatie. On ne peut pas imposer aux gens qu’ils prêtent attention aux
retours d’expérience. Tout comme dans la création d’un esprit d’équipe, il
faut que les personnes impliquées puissent percevoir toute la valeur d’un
débriefing bien fait et se rendent compte de l’apport réalisé dans leur réponse
opérationnelle à la crise.
Une méthode particulièrement efficace pour susciter l’intérêt est la
présentation du débriefing d’une situation complètement « décalée » par
rapport à l’activité de l’organisation : le retour d’expérience d’une crise
connue, médiatique ou particulièrement marquante peut permettre de
démontrer que, même dans le cas d’une situation qui s’est bien terminée, on
peut toujours trouver des éléments d’apprentissage ou identifier des erreurs et
des dysfonctionnements. Le fait que le débriefing présenté porte sur une
situation « extérieure » n’implique pas directement les participants mais
suscite leur curiosité, a fortiori si la crise présentée est passionnante du fait
de son contexte.

◗ Le refus d’identifier ses erreurs


Une autre attitude contre-productive est le refus systématique d’identifier
les erreurs éventuellement commises. On reconnaît que la crise aurait pu être
mieux gérée, mais hors de question de dire que des erreurs ou des
dysfonctionnements en ont été la cause.
À ce stade, il n’est pas rare de constater un rejet des responsabilités sur
les absents à la réunion de débriefing. C’est parce que tel service ou telle
personne n’a pas fait son travail que la résolution de l’incident s’est mal
passée. Si par hasard il n’y a pas d’absents, ou si les absents sont
incontestablement irréprochables, on « charge » les services ou les autorités
extérieures. Et si par extraordinaire, les entités extérieures sont au-dessus de
tout soupçon, on accuse alors l’environnement ou le mauvais sort. Mais en
aucun cas les erreurs ne seront recherchées en interne. C’est encore une fois
oublier que progresser, c’est changer d’erreur.

146
La mauvaise foi n’a jamais été un mode de fonctionnement constructif,
mais elle peut être dévastatrice en gestion de crise. Cette attitude est souvent
liée à la peur que les gens ont de révéler des erreurs qui pourraient passer
pour des marques de faiblesse dans des organisations qui ne sont pas faites
pour ça.
Contrer cet effet est possible, en mettant notamment l’accent sur l’intérêt
que l’on a à apprendre de ces erreurs. C’est la différence entre l’erreur et la
faute : on peut faire l’erreur une fois, mais refaire la même erreur constitue
une faute qui devrait être sanctionnée.
Pour arriver à ce que chacun accepte de dévoiler ses propres
dysfonctionnements, il faut que la confiance existe entre les participants au
débriefing. Les retours d’expérience bien faits sont un excellent facteur de
construction de la confiance et de la cohésion entre les personnes qui ont
participé à la conduite de la situation.

◗ Le refus de remettre en cause les procédures


Un autre dysfonctionnement consiste à refuser de mettre en cause les
procédures en particulier, et le système en général. Le processus
d’anticipation ou de conduite n’a pas été efficace, il mériterait d’être modifié,
mais ceux qui pourraient avoir l’opportunité (responsable de l’équipe de
crise, managers concernés par des projets à risque, etc.) hésitent à en émettre
l’idée car les lourdeurs du système risquent de bloquer toute velléité
d’amélioration.
Cette attitude peut également être observée lorsque l’équipe ne souhaite
pas remettre en cause celui qui a conçu les procédures, a fortiori s’il fait
partie du top management. Plutôt continuer tant bien que mal que prendre le
risque de se mettre en porte-à-faux avec sa hiérarchie.

◗ L’autocritique « pour le plaisir »


Il convient de garder à l’esprit que l’objectif du débriefing est de
construire l’avenir et de faire progresser l’organisation. Si l’autocritique est
indispensable, elle ne doit pas être une fin en soi. On peut facilement tomber
dans ce jeu trouble de la flagellation intellectuelle, sous prétexte que
reconnaître ses erreurs est une marque de courage. Cette reconnaissance
doit déboucher sur des avancées et des éléments concrets et directement

147
exploitables dans l’amélioration des procédures en cours.

2.3 Le débriefing psychologique


Le débriefing psychologique pourrait être défini comme une « méthode
thérapeutique qui s’adresse à des groupes ou des individus confrontés à des
situations exceptionnelles4 ». Destiné à permettre aux personnes en cause de
s’exprimer, de « ventiler » leurs émotions, le débriefing psychologique a
comme objectif principal de prévenir ou de détecter les atteintes
psychologiques dues à un événement grave, notamment le traumatisme
psychique.
Tout comme le stress est une perception purement personnelle, la notion
d’événement grave fluctue largement d’un individu à un autre : il n’y a pas de
critères objectifs et universels pour déterminer ce qui est traumatisant et ce
qui ne l’est pas. La conduite d’une situation à risque, quand elle est perçue
comme vitale par celui qui la gère et quand elle engage lourdement les
responsabilités, peut être un événement traumatisant même s’il se déroule
dans une salle de conduite loin du danger physique.

Les 3 phases du débriefing psychologique

– La dédramatisation de l’événement, sans pour autant le banaliser, et la normalisation des


réponses initiales au stress traumatique.
– La prévention ou l’atténuation des troubles post-traumatiques en expliquant leurs fréquences
et la « normalité » de leur apparition.
– La proposition d’une possibilité d’une prise en charge thérapeutique et d’un accompagnement
ultérieur si nécessaire.

Beaucoup s’imaginent qu’accepter de faire un débriefing psychologique,


c’est reconnaître que l’on est «malade ». Il n’en est rien : le débriefing
psychologique est un véritable outil de prévention et doit être appréhendé
comme tel. En identifiant les signes d’un éventuel traumatisme, en proposant
des méthodes et des stratégies de gestion des troubles associés, les
psychologues qui organisent ces entretiens thérapeutiques participent à la
préparation aux situations d’instabilité futures.

3. Les sources d’apprentissage

148
Les sources d’apprentissage pour organiser des actions de débriefing sont
très proches des sources d’observation5 des signes annonciateurs de crise.

3.1 Analyser ses propres crises


On trouve dans les crises vécues par l’organisation un terreau
extraordinaire à l’apprentissage. Tout d’abord parce que ces situations, gérées
en interne, constituent une vaste source d’information. Issues des structures
de l’organisation, rassemblées et collectées par l’équipe de crise, elles vont
permettre un véritable tour d’horizon de la situation.
Ces crises ont aussi un avantage important dans une optique
d’apprentissage : si elles ont déjà impacté la société, rien n’empêche que cela
recommence. Il y a donc une légitimité à les étudier, et cet état de fait justifie
que l’on attire l’intérêt des collaborateurs sur cette étude.
Les retours d’expériences sur des crises «maison » permettent également
de détecter des problèmes de fond inhérents à la société. Et pour gérer des
crises à long terme, il ne faut pas se limiter à des victoires sur les symptômes
en ignorant les problématiques de fond.

3.2 Analyser les crises des partenaires


et des concurrents
Tout comme on peut anticiper ses propres crises en observant celles de
son environnement direct, on peut aussi apprendre des erreurs des autres.
Les débriefings des crises « externes » peuvent se faire soit en solitaire,
soit en équipe avec les organisations concernées :
◆ En solitaire, ils ont l’avantage de pouvoir être menés rapidement
après les faits. En revanche, on ne dispose pas de toute l’information
nécessaire ni de la certitude qu’elle soit validée.
◆ En équipe, c’est-à-dire en collaboration avec l’organisation,
l’inconvénient est qu’il faut attendre la disponibilité des acteurs principaux.
Ce type de pratique est particulièrement intéressant en termes d’apprentissage
car il constitue un vrai partage d’une expérience encore fraîche dans la
mémoire de ceux qui l’ont vécue. Ce mode de débriefing nécessite qu’un
climat de confiance ait été établi entre les deux organisations, et que la

149
confidentialité sur les informations obtenues soit une règle absolue et
incontournable.
◆ On peut également imaginer l’analyse de crises « externes » dans
le cadre de groupes de travail et de réflexion au sein desquels chacun expose
les situations dégradées qu’il a dû conduire, les bons réflexes qui l’ont aidé
ainsi que les problèmes qu’il a rencontrés. Outre la qualité de l’apprentissage
et la pertinence des cas évoqués, le principe des groupes de travail permet de
fédérer la communauté des responsables de dispositif de gestion de crise ou
les personnes amenées à les conduire. C’est un réseau qu’il ne faut pas
négliger, notamment pour obtenir aides et conseils sur des situations réelles.
À la fin des années 1990, la communauté des négociateurs de crise a créé un groupe de
travail international visant à mettre en commun les recherches menées par ces spécialistes
de la gestion des prises d’otage, forcenés, kidnapping… L’I.N.W.G.6, créé notamment à
l’initiative de la Crisis Negociation Unit du FBI, a pour vocation d’organiser des
débriefings et des retours d’expérience au profit de tous les négociateurs des services de
police ou de forces spéciales autour du monde. En favorisant les échanges sur les bonnes
pratiques, en décortiquant les erreurs ou les dysfonctionnements observés, cette réunion
internationale constitue une source de progression hors du commun et un réseau
opérationnel particulièrement efficace.

4. Les facteurs d’un apprentissage efficace


Décider d’apprendre est une chose, mais réaliser un apprentissage
efficace et fructueux pour l’organisation en est une autre. Il faut un certain
nombre de facteurs incontournables, dont le premier reste l’engagement et la
motivation des personnels.

4.1 L’engagement des personnels


On ne peut pas faire changer les gens malgré eux, et rien n’est plus
difficile que d’essayer de convaincre quelqu’un qui est déjà convaincu du
contraire. La première étape d’une capitalisation des expériences passées,
c’est l’acceptation par les participants qu’il y a un véritable intérêt à cet
échange et à cet apprentissage. Celui qui pense tout savoir n’est pas prêt à
apprendre.
Tous les échelons de la hiérarchie et de l’organigramme de la structure
doivent être, à leur niveau, impliqués dans le processus d’amélioration.

150
L’apprentissage en gestion de crise a ceci de complexe que ses effets ne sont
pas perceptibles immédiatement, et les améliorations apportées à
l’organisation d’un processus global ne pourront être perçues que lors de la
prochaine simulation ou de la prochaine crise.

◗ L’engagement des dirigeants et décideurs


Les hauts dirigeants et les instances de décision de l’organisation doivent
être les premiers impliqués dans un processus d’apprentissage à la gestion des
crises. Ils doivent en quelque sorte «montrer l’exemple » en la matière. C’est
malheureusement rarement le cas. On entend souvent invoquer les emplois du
temps surchargés ou des réunions de dernière minute pour ne pas assister aux
séances de sensibilisation ou aux débriefings sur la crise. On va même parfois
jusqu’à envoyer un assistant ou un collaborateur en remplacement.
Malheureusement, par temps de crise, ce sera au manager ou au décideur
d’occuper sa place, et pas à son assistant. Ce jour-là, les regrets ne seront
d’aucune utilité.
À leur décharge, l’implication n’est pas simple dans le cadre d’un
débriefing, notamment quand il s’agit d’une situation vécue par la société
elle-même. La mise à jour des erreurs, des dysfonctionnements, des
éventuelles absences ou incohérences dans la prise de décision peut être de
nature à remettre en cause, même indirectement, leurs aptitudes et/ou leurs
compétences à gérer une situation dégradée.

Mémento

Rappeler que les débriefings sont des espaces de construction et non de jugement est un
préalable important de l’engagement des instances de décision.

◗ La confiance au sein de l’équipe de crise


Pour débriefer efficacement, il faut pouvoir tout se dire. Se dire ce qui a
bien fonctionné n’est pas très difficile, mais identifier les dysfonctionnements
est déjà plus complexe car souvent perçu comme une mise en jeu des
responsabilités.
Il y a généralement deux façons de procéder dans la création d’un tableau

151
des erreurs commises :
– soit l’ensemble des erreurs commises est identifié par le responsable de
l’équipe de crise ou celui qui dirige le débriefing, mais dans ce cas, ceux
qui sont fautifs peuvent se sentir culpabilisés ou en porte-à-faux ;
– soit il est demandé à chacun d’identifier ses propres erreurs et
dysfonctionnements et d’envisager la façon d’y remédier.
Quoi qu’il en soit, il est indispensable que la confiance existe au sein de
l’équipe et plus largement au sein de l’organisation qui débriefe pour en
retirer tous les avantages. Et la confiance se construit avec le temps et
notamment grâce à des retours d’expérience efficaces.

4.2 Une « organisation apprenante »


Le concept d’organisation apprenante est une notion relativement récente.
Son émergence est liée à la critique des formes classiques et traditionnelles de
l’organisation du travail : rigidité des modes habituels de fonctionnement,
complexité des méthodes, déresponsabilisation des personnels, absence de
capacité à se remettre en question.
L’idée qu’une organisation peut être capable d’apprendre en tant
qu’entité est parfois difficile à faire admettre. La capacité opérationnelle
d’une organisation n’est pas la somme des talents et compétences qu’elle
renferme, mais l’alchimie avec laquelle toutes ces aptitudes vont se combiner
pour se décupler.

◗ Qu’est-ce qu’une organisation apprenante ?


Peter Senge7, spécialiste de l’approche systémique, décrit les
organisations apprenantes comme « celles dont les membres peuvent sans
cesse développer leurs capacités à atteindre les résultats qu’ils recherchent,
où des nouveaux modes de pensée sont mis au point, où les aspirations
collectives ne sont pas freinées, où les gens apprennent en permanence
comment apprendre ensemble ».
Si les définitions des organisations apprenantes varient selon les auteurs,
elles possèdent toutefois un certain nombre de caractéristiques communes :
– la capacité à développer des apprentissages collectifs, au-delà de
l’agglomération d’apprentissages individuels ;

152
– une aptitude à accepter les changements structurels et culturels, même
les plus fondamentaux ;
– l’implication de l’ensemble des personnels de l’organisation dans cette
démarche d’apprentissage.
Guy Pelletier et Claude Solar8, professeurs en administration de
l’éducation et formation pour adultes, considèrent que « le concept
d’organisation apprenante s’appuie donc sur deux dimensions clés :
l’apprentissage collectif (ou l’apprentissage des groupes de travail) et
l’organisation en tant que système intelligent. Ce système, comme l’ont
montré les travaux en cybernétique, doit être capable de s’autoréguler grâce à
l’apprentissage et à la communication ».

◗ Les freins à l’organisation apprenante


Peter Senge attribue les problèmes d’apprentissage dans les organisations
à trois modes de fonctionnement parasites : la fragmentation, la compétition
et la réaction.
◆ La fragmentation. Beaucoup ont pour habitude d’affronter la
complexité des systèmes en les décomposant en parties et en étudiant ces
parties isolément. Dans les organisations, cet esprit d’analyse a conduit au
cloisonnement des directions, qui luttent les unes contre les autres plutôt que
d’unir leurs efforts vers un objectif commun. Dans ces modes de
fonctionnement, la tendance habituelle est de rejeter les responsabilités des
échecs sur les autres groupes sans vouloir regarder ses propres
dysfonctionnements.
Il est alors très complexe de lutter contre cet esprit de « cloisonnement »
sans un véritable changement des mentalités.
◆ La compétition. La compétition, quand elle en reste à une « saine
émulation », peut être un bon facteur de progression. Mais elle peut
également être le pire ennemi de l’apprentissage. Pour apprendre, il faut être
prêt à identifier ce qu’il faudrait améliorer, et accepter que d’autres puissent
être des facteurs d’amélioration. Senge estime que « dans la plupart des
organisations, faire un aveu d’ignorance est un signe de faiblesse ; notre
valeur dépend de ce que nous savons et non pas de ce que nous apprenons ».
Le culte de la compétition confine aussi parfois à l’obsession du résultat à

153
court terme. Les stratégies mises en œuvre cherchent alors à obtenir un
résultat immédiatement mesurable. Les autres objectifs, à plus long terme,
sont jugés moins prioritaires et donc parfois négligés.
◆ La réaction. Certaines organisations sont plutôt enclines à attendre
que les problèmes se posent pour les résoudre, plutôt qu’envisager des
stratégies d’anticipation. Peter Senge illustre ce phénomène par la métaphore
de la « grenouille ébouillantée ». Si on plonge une grenouille dans l’eau
bouillante, elle va tenter de bondir hors du récipient et pourra peut-être avoir
la vie sauve. Par contre, si on la plonge dans un récipient dont l’eau est à la
température ambiante, et si l’on réchauffe progressivement l’eau, la
grenouille restera dans le récipient jusqu’à être ébouillantée.

5. Se préparer pour l’avenir


Les crises de demain se gèrent dès aujourd’hui. Cette affirmation semble
être une lapalissade. Pourtant, combien d’entreprises ou d’organisations
mettent réellement en œuvre une politique d’anticipation incluant tous les
collaborateurs ? Encore une fois, l’objectivité doit être la règle : il ne faut pas
s’en tenir à ce que l’on croit qu’il existe, ou bien à ce que l’on souhaiterait
qu’il existe, mais bel et bien a ce qui existe vraiment. Avoir jeté quelques
noms sur une liste en affirmant qu’il s’agit d’une cellule de crise ne suffit pas.
Un dispositif « anti-crise » prêt à affronter l’avenir, ce sont des collaborateurs
formés, des procédures en place et une « mise en pratique » organisée.

5.1 Sensibiliser et former les collaborateurs


La première phase de la préparation de l’avenir, c’est la sensibilisation de
l’ensemble des membres de l’entreprise à l’anticipation des risques et des
crises. Il est intéressant de constater que cette sensibilisation fonctionne très
bien dans le domaine de la sécurité du travail et de la prévention des
accidents professionnels, alors qu’elle ne fait que naître en matière de
prévention des crises plus larges.

◗ Tous des acteurs de l’anticipation des risques et de la gestion de crise


La gestion de crise est un domaine qui relève de la responsabilité de
chacun, quel que soit son niveau de responsabilité dans l’entreprise. Ce serait

154
une erreur de croire que seuls quelques-uns doivent être sensibilisés, les
autres se contentant d’attendre qu’on leur donne des instructions le jour venu.
Or, tous les collaborateurs de l’organisation doivent être des acteurs de
l’anticipation des risques et des crises : c’est ce que l’on pourrait appeler la «
culture de crise ».
La « culture de crise » peut apparaître comme délicate à développer. Il
faut sensibiliser chacun au fait que la société, l’entreprise, l’organisation au
sein de laquelle il exerce est la cible de menaces floues, et est potentiellement
vulnérable à des situations particulièrement instables et disqualifiantes : rien
de bien rassurant. Pourtant, c’est un fait avéré.
C’est un peu comme les procédures de sécurité en avion : les personnels navigants de
toutes les compagnies aériennes expliquent à leurs passagers qu’un gilet de sauvetage se
trouve sous leur siège, et font une démonstration précise de la manière de le porter et de le
gonfler en cas d’amerrissage forcé de l’appareil. Cela implique que le risque
d’amerrissage existe puisque la démonstration est faite à chaque vol quelle que soit la
destination finale (y compris quand on ne survole aucune mer ou zone humide!). Or, il n’y
a aucune panique ni aucune interrogation de la part des passagers quand l’hôtesse fait la
démonstration : cette procédure objectivement peu rassurante est devenue parfaitement
naturelle au point que plus personne ne l’écoute vraiment. Mais il y a fort à parier qu’en
cas d’amerrissage, la plupart des passagers sauront comment enfiler leur gilet de
sauvetage et l’utiliser efficacement.

La sensibilisation à la gestion des crises devrait être perçue de la même


façon : expliquer à tous comment agir et réagir en situation dégradée
n’implique pas que cela va se produire mais permet juste de connaître les
principaux réflexes à mettre en œuvre dans l’éventualité d’une crise.
Cette implication de tous relève d’un véritable changement des
mentalités, à tous les niveaux de l’organigramme. Le niveau de
sensibilisation ne sera bien sûr pas le même pour tous, mais tous auront à un
moment ou à un autre reçu une information sur les mesures prévues en cas
d’incident majeur. Il n’est pas utile de révéler à chacun le détail des plans de
crise, mais simplement d’indiquer qu’ils existent et que le jour venu, leur
activation demandera l’implication de tous.

◗ Valoriser la ou les personnes en charge


Mettre en œuvre une telle politique n’est pas une chose facile : ceux qui
en auront la tâche – le responsable de l’équipe de crise notamment – devront
savoir entretenir leur motivation et celle de leurs collaborateurs tout au long

155
du processus. Comme cela a déjà été évoqué, se préparer à gérer une situation
en souhaitant qu’elle n’arrive jamais n’est pas naturel. Pour éviter de tomber
dans le syndrome du « désert des Tartares », qui consiste à attendre sans fin
une situation qui ne se produira jamais, il faut susciter l’éveil de chacun : les
simulations, basées sur des cas réels issus notamment de la veille de
l’environnement partenarial et concurrentiel, sont un bon moyen d’entretenir
« la flamme ».
La conservation de la motivation initiale demande là encore une véritable
implication de l’ensemble de la hiérarchie : les membres de l’équipe de crise
doivent se sentir valorisés par une telle mission, valorisation qui participera à
la création d’une indispensable fierté d’appartenance9.
Il est important de préciser que la tâche de constituer ou d’améliorer un
processus global de gestion des crises n’est pas une mission secondaire. C’est
un véritable travail demandant du temps et des moyens. Les décideurs
doivent avoir conscience que cet investissement n’est pas fait à fonds perdus.
Il arrive parfois que soient opposées des logiques budgétaires à la mise en
œuvre d’une préparation efficace à la gestion de crise. Il est alors intéressant
de demander à l’interlocuteur « économe » à combien il estime le coût d’une
crise si elle est mal gérée.
Cette tâche de construction et de préparation ne doit pas non plus être
attribuée « par défaut ». On ne peut pas forcer quelqu’un à remplir cette
mission s’il n’y adhère pas complètement.

Anticiper le turnover

Il convient aussi d’anticiper un paramètre important des organisations : le turnover.


L’inconvénient de préparer l’avenir, c’est qu’il s’agit d’une action sur du long terme. Or, chacun
a la vocation légitime d’évoluer dans sa structure et/ou de changer d’orientation en fonction des
opportunités qui se présentent à lui. Il n’est pas concevable qu’une entreprise se retrouve sans «
homme-orchestre » de la gestion de crise sous prétexte d’une mutation ou une démission. Encore
une fois, le terme d’équipe n’est pas un vain mot : la mission de préparation doit être confiée à
un groupe de personnes, et il faut anticiper les départs pour ne pas déstabiliser le processus.

5.2 Mettre en place les procédures pour demain


La préparation de l’avenir implique également l’élaboration et la mise en

156
place de procédures adaptées à la veille, l’anticipation et la conduite des
incidents imprévus ou inéluctables. Cette phase de la préparation est
généralement le fruit de la constatation d’un manque ou de la perception
d’une nécessaire remise à niveau de l’existant.
Cette prise de conscience est rarement spontanée. Elle est souvent
générée par un « électrochoc », comme un incident mineur qui prend des
proportions insoupçonnées ou une crise de large envergure qui impacte tout
un secteur. Il est rare de constater une volonté proactive de créer des
procédures de gestion d’incidents majeurs. On attend en général le problème
pour prendre conscience du besoin de s’y préparer. Encore un intérêt majeur
du débriefing de situations vécues : se faire « prendre » une fois par la crise
peut arriver à tout le monde, se faire « surprendre » une seconde fois n’est
pas acceptable.

◗ Audit de préparation
En matière de prévention des risques, on part rarement de zéro. Même si
elles ne sont pas efficaces ou utilisables, il y a toujours quelques règles
parfois écrites applicables en cas de problème. Plutôt que faire table rase des
travaux passés, il faut s’appuyer sur l’existant pour construire l’avenir.
Déclarer que tout ce qui a été fait jusqu’à présent est nul et non avenu
n’est pas une attitude managériale efficace : ce serait au mieux laisser à
penser que l’organisation a été jusqu’à présent incapable de se protéger des
situations à risque, au pire discréditer ceux qui ont tant bien que mal élaboré
une ébauche de procédure. Ni l’une ni l’autre de ces attitudes n’auront des
effets susceptibles d’encourager l’engagement et la motivation des équipes à
venir. Il conviendrait plutôt de s’appuyer sur les procédures existantes, même
si c’est pour les modifier en profondeur : cela permettra d’inscrire l’action de
réajustement ou de remise à niveau dans la durée, favorisant ainsi le
sentiment qu’une culture de gestion de crise existe et qu’elle a juste besoin
d’être « réactivée ».
◆ L’audit initial a pour objectif d’évaluer le niveau actuel de
préparation de l’organisation à un moment donné. Il est bien évident que
cette phase nécessite la plus grande honnêteté et la plus grande objectivité : il
faut évaluer le niveau réel de préparation, et non pas le niveau que l’on
imagine avoir atteint ni celui que l’on espère avoir.

157
◆ L’audit de préparation fait le point sur l’ensemble des
procédures élaborées : souvent dispersées, parfois à l’état d’ébauche, elles
doivent être centralisées pour établir leur pertinence et leur cohérence entre
elles. Il est souvent surprenant, dans le cadre de cette phase, de s’apercevoir
qu’il existe parfois des procédures redondantes, faisant double emploi ou
s’invalidant l’une l’autre.

Dans les mois qui ont suivi la tragédie du 11 septembre 2001, l’envoi de lettres suspectes
susceptibles d’être porteuses d’anthrax a semé la panique à travers le monde. Pour
anticiper ce type d’événement, un grand groupe de messagerie a décidé de se pencher sur
les procédures appliquées en son sein pour faire face à ces crises liées à une contamination
par un produit dangereux. Pour tester in vivo le niveau de préparation à un risque qui a
déjà été envisagé par le groupe, il est décidé de simuler la situation en prévenant un
minimum de personnes, et d’observer comment sont mises en œuvre les procédures en
vigueur.
Quelle ne fut pas la surprise des responsables de cette société de voir qu’une partie du
personnel rentrait chez elle immédiatement dès l’annonce de la présence d’un courrier
contenant une poudre suspecte, alors que l’autre partie se calfeutrait dans son bureau
quasiment en retenant son souffle. Pire, il ne fallut que quelques minutes pour que des
journalistes appellent le site en question pour avoir l’autorisation de venir filmer les
enveloppes!
Lors du débriefing, les responsables se sont aperçus que plusieurs procédures étaient en
vigueur selon les services, et qu’elles étaient contradictoires. L’une concernait les colis
suspects, mais envisagés plutôt comme une alerte à la bombe, et préconisait l’évacuation
des lieux avec retour au domicile. L’autre concernait le transport de matériel pouvant
disperser du gaz (réchaud ou autre) et préconisait le confinement. Dans les deux cas, les
procédures étaient inadaptées et, de plus, semaient la confusion dans l’esprit des salariés.

◗ Formation des structures dédiées


La formation et/ou le renforcement des structures de crise est l’étape
suivante de la phase de préparation de l’avenir. Fort de l’audit de préparation
et du point de situation sur l’existant, le responsable de l’équipe de crise ou
les managers en charge du dossier pourront remettre à niveau le dispositif
dédié, et améliorer les procédures pour lesquelles on aura identifié des failles
ou des lacunes.

5.3 L’importance de la pratique


« On ne peut pas être bon au match si on n’est pas bon à l’entraînement. »
Bertrand Robert

158
La mise en situation et la pratique d’exercices spécifiques doivent être le
point d’orgue d’une politique d’anticipation des crises. Elle est la véritable
validation de tout ce qui a été réalisé. Elle participe à mettre en confiance
tous ceux qui seront amenés à agir dans la gestion de l’incertitude.

◗ Pourquoi pratiquer ?
À ce stade de la réflexion menée sur l’anticipation des risques et la
conduite des crises, les éléments fondateurs d’une équipe efficace ont été
abordés. L’équipe se structure, chacun commence à voir quels seront sa
fonction et son rôle. « L’entraîneur » (le responsable de l’équipe de crise) a
expliqué sa vision du jeu, chacun a pu débattre des stratégies applicables en
fonction des situations à affronter, il ne reste plus qu’à attendre le match. Or,
en gestion de crise, il n’y a pas un match toutes les semaines, fort
heureusement. Il est donc important de pratiquer : la constitution et la mise en
place de procédures adaptées ne dispensent surtout pas de s’entraîner, pour
tester et valider lesdites procédures et vérifier que tout le dispositif est apte à
fonctionner efficacement.
L’objectif de la pratique est, outre la validation d’un système, d’apporter
sérénité et professionnalisme à l’équipe. Sérénité en donnant à tous, au moins
une fois, l’occasion de pratiquer dans sa fonction et dans son rôle même s’il
s’agit d’un exercice. Professionnalisme en instaurant le fonctionnement en
mode dégradé comme une des pratiques du métier, même si c’est
inconfortable. La pratique et les simulations permettent de faire acquérir et de
conserver les réflexes efficaces en situation de crise.
Les apports de la pratique de scénarios de crise et des mises en situation
sont multiples :
– elle permet de mobiliser l’équipe dans sa mission de conduite ;
– elle renforce la cohésion entre les membres ;
– elle sensibilise à la complexité des situations de crise ainsi qu’à la
combinaison aléatoire des facteurs qui la déclenchent et qui l’animent ;
– elle habitue l’équipe à affronter des scénarios non conventionnels,
même très improbables.

◗ Comment pratiquer ?
Il existe deux façons de s’entraîner à la gestion des crises : la constitution

159
de scénarios issus de crises débriefées, et la création de scénarios atypiques
issus de l’imagination de leur concepteur.
◆ Comme cela a été évoqué précédemment, le débriefing de crises
qui se sont réellement passées est une façon constructive d’apprendre des
erreurs ou des succès des autres. Pour constituer le « scénario » de la
situation, l’équipe va devoir décortiquer en profondeur l’événement. Elle
pourra donc se mettre « à la place » de la crise et en tirer les leçons
appropriées. De plus, le recours à des scénarios issus de la réalité crédibilise
la simulation, et permet aux participants à l’exercice de comparer heure par
heure leur stratégie par rapport à celle utilisée lors de la véritable conduite de
l’incident.
◆ La création de scénarios issus de l’imagination de leur auteur est
une autre façon intéressante de pratiquer. Elle permet de définir
précisément le type d’exercice que l’on recherche, en insistant sur des aspects
particuliers d’une conduite de crise que l’on souhaite faire opérer par
l’équipe. Cet aspect de la pratique permet de faire « jouer » des scénarios dits
non conventionnels, hautement improbable mais qui par leur côté « décalé »
permettent de sensibiliser les participants aux facteurs déclencheurs et
accélérateurs d’une crise.

Mémento

Que le scénario mis au point soit imaginé ou basé sur des faits passés, il doit avant tout être
réaliste : il doit être assez original pour susciter l’intérêt des participants, tout en restant plausible
et relativement proche du domaine d’activité de l’organisation.

◗ Générer des scénarios pour mettre l’équipe en situation


Les scénarios ne doivent pas être des carcans trop rigides qui paralysent
l’action de l’organisation ou l’envie de se mettre en situation de la part des
membres de l’équipe de crise. C’est d’ailleurs là toute la difficulté du «
scénariste » : monter un exercice suffisamment complet et structuré pour
motiver les participants et favoriser l’apprentissage, tout en se gardant d’une
trop grande rigidité qui dicterait les réponses ou qui empêcherait toute
créativité.

160
Première étape : le choix du thème de l’exercice
La première phase de la génération du scénario est le choix du thème de
l’exercice. Cette sélection peut être le fait d’une volonté des instances de
direction : le risque d’avoir à gérer une situation très déstabilisante, même si
elle est peu probable, peut orienter le choix vers un type de crise plutôt que
vers un autre. On peut ainsi travailler sur une crise liée à une atteinte à
l’image ou à l’intégrité des dirigeants plutôt que sur une situation liée à un
risque métier.
Cette sélection peut aussi être laissée à l’appréciation du responsable de
la gestion de crise, qui va choisir un thème spécifique qu’il souhaite faire
travailler à l’équipe.
Enfin, la sélection du thème de l’exercice peut être simplement issue de la
cartographie des risques : les mises en situations reprennent des sujets
identifiés comme probables ou attendus lors de la phase d’anticipation.
Deuxième étape : le choix du sujet
Il peut s’agir d’un sujet conventionnel, c’est-à-dire qui a été clairement
identifié comme une crise potentielle : par exemple la rupture
d’approvisionnement d’un composant essentiel dans la chaîne de production.
Cela peut aussi être un sujet dit non conventionnel, choisi complètement
hors des sujets identifiés et forçant l’équipe à sortir des « sentiers battus » :
par exemple la dispersion dans le système d’aération du siège de la société
d’un vecteur chimique ou biologique avec une revendication terroriste ou
fanatique.
Troisième étape : établir la chronologie
Il s’agit ensuite de rédiger la chronologie du scénario. En partant du fait
déclencheur, qu’il soit tout d’abord un signe annonciateur ou dès le début un
signal très explicite, il faut imaginer les étapes que pourrait suivre la crise et
en déterminer les points forts.
Les points de passage d’une chronologie peuvent être de plusieurs sortes :
– des compléments d’information pour valider ou invalider les premiers
renseignements fournis dans le fait déclencheur ;
– des interventions extérieures : existence de victimes, implication de

161
partenaires, appels de journalistes ;
– des événements nécessitant des prises de décision immédiates ;
– des événements nécessitant une organisation et une répartition des
rôles spécifiques ;
– l’apparition de nouveaux éléments apaisants ou déstabilisants ;
– des « pièges » susceptibles d’induire l’équipe en erreur ou de susciter
des dysfonctionnements dans son action.
La liste des éléments de scénario n’est pas exhaustive, et chacun est libre
de l’agrémenter en fonction de son expérience ou du style d’exercice qu’il
souhaite constituer. Ces éléments peuvent également se combiner entre eux,
pour constituer encore une autre chronologie.

Mémento

Le conducteur du scénario doit garder à l’esprit que les participants vont s’emparer de sa
création et la jouer à leur manière. Même s’il convient de « guider » la conduite de l’exercice en
« injectant » les éléments du scénario, il faut cependant sans cesse être prêt à réajuster la
chronologie pour répondre à la conduite mise en œuvre et aux éventuelles décisions imprévues
ou créatives.

◗ Débriefer les exercices


Il n’existe pas de bonne décision ni de solution universelle face à une
crise. Il est donc hasardeux de vouloir donner un corrigé type puisqu’une
situation peut être résolue ou résorbée par plusieurs stratégies différentes et
pourtant efficaces10.
Au cours de l’exercice, une ou plusieurs personnes vont être chargées
d’observer la conduite mise en œuvre par l’équipe. Au-delà de la simple issue
de la simulation de crise, il convient d’observer différents éléments pour
permettre l’apprentissage. Ces éléments sont notamment :
– la prise en compte et le traitement des informations fournies au début
de la simulation ;
– la définition des actions prioritaires à réaliser ;
– l’identification des objectifs pour l’équipe de crise ;
– la répartition efficace des rôles et des missions ;
– l’analyse objective et complète des stratégies applicables ;

162
– l’aptitude à la prise de décision dans chacune des missions ;
– la mise en œuvre des décisions prises par les instances dirigeantes.
Les observateurs pourront utiliser une grille d’observation commune,
réalisée en même temps que le scénario, et qui mettra en avant les points
particuliers que l’on cherche à observer.
Exemples de fiches de débriefing par éléments

163
À la fin de la simulation, on pourra commencer le débriefing par une
autoévaluation des participants portant sur leur vision de la situation et sur
leur appréciation de leur action. Après un tour de table au cours duquel le ou
les observateurs noteront chaque sujet ou avis abordé par les participants, une
restitution des observations sera faite, permettant à tous de prendre
conscience :
– de leurs modes de fonctionnement ;
– de leurs éventuels dysfonctionnements ;
– de la façon très différente dont ils ont perçu l’action des uns et des
autres durant la crise.
Comme dans le cas de gestion de crises réelles, le débriefing des mises en
situation est un véritable facteur d’apprentissage et de progrès. Il n’est donc
pas à prendre à la légère et nécessite l’implication de tous les participants,
quel que soit le niveau de la hiérarchie auquel ils se situent.

1. Christophe Roux-Dufort, Gérer et décider en situation de crise, op. cit.


2. Voir chapitre 1, p. 34.
3. Voir p. 138.
4. www.humanitarian-psy.org
5. Voir chapitre 3, p. 87.
6. International Negociation Working Group.
7. Peter Senge, La Cinquième Discipline, Éditions First, 1991.
8. Guy Pelletier et Claude Solar, article sur le site : www.cite-sciences.fr
9. Voir chapitre 2, p. 68.

164
10. Voir chapitre 3, p. 107.

165
Conclusion

A rrivés à la conclusion de cet ouvrage, il faut bien se rendre à


l’évidence : l’évidence : on ne peut pas mettre la crise en équation. Il
n’y aura jamais de guidelines universels desquels sortiront les règles
magiques de gestion des situations d’instabilité. Pourtant, quelques outils
existent pour cerner les notions en présence, identifier les signaux faibles,
s’organiser pour maîtriser l’incertitude et conduire l’événement jusqu’au
retour à la normale. À chacun désormais de se les approprier, de les adapter à
son organisation et de les mettre en œuvre pour se préparer à gérer
l’instabilité.
La gestion des crises n’est surtout pas une science, mais ce pourrait être
un art. Et comme tous les arts, la gestion de crise s’apprend patiemment, avec
le temps. Elle nécessite de la pratique, de l’expérience. Elle attend que nos
erreurs nous servent et nous permettent de progresser. Il est rare qu’un artiste
réalise un chef d’œuvre du premier coup : il va utiliser ses instruments et ses
ingrédients en recherchant une perfection qu’il sait pourtant impossible à
atteindre. Le moindre coup de pinceau maladroit, le plus petit coup de burin
mal dosé, et c’est toute son œuvre qui est gâchée. Pourtant, quelle satisfaction
devant la réalisation achevée.
La gestion des crises n’est surtout pas une science, mais ce pourrait être
un sport. Un sport dans lequel l’équipe s’entraîne sans relâche en espérant
finalement ne jamais avoir à jouer le match. Dans cette relation, l’expert en
gestion de crise est en quelque sorte un coach qui va aider l’équipe à se
constituer et à se structurer. Il va l’aider à définir des stratégies de « jeu »
applicables en fonction des actions de « l’adversaire ». Il est important de
préciser que, comme le coach d’une équipe de sport, il ne peut pas être sur le
terrain à la place des joueurs.

166
On peut donc se préparer à gérer les crises. C’est même la phase la plus
importante d’un processus d’anticipation et de conduite efficace. Négliger ce
travail, dont beaucoup ne perçoivent pas la nécessité ou considèrent comme
une perte de temps, se paye au comptant dans la tourmente. Comme le disait
Abraham Lincoln : « Si j’avais huit heures pour abattre un arbre, j’en
passerais six à affûter ma hache ». Espérons que cet ouvrage permettra à
chacun d’affûter sa hache…

167
Deuxième partie

METTRE EN PRATIQUE

168
EXERCICE 1
La notion de risque

Objectif de l’exercice : définir la notion de risque et déterminer des


éléments de qualification d’un risque.
Procédure : faire deux sous-groupes et demander à chacun, au moyen du
questionnaire ci-dessous, de définir ce qu’est un risque.
Les participants devront baser leur réponse sur leur appréciation
personnelle du risque, puis sur leurs expériences personnelle et
professionnelle.

Qu’est-ce que le risque ?


– Dans votre activité professionnelle.
– Dans votre vie privée.
– Dans la vie de la société en général : quels risques court aujourd’hui
notre environnement au sens large ?
Après avoir défini la notion de risque, indiquez à présent quelles sont les
caractéristiques du risque.

Avez-vous déjà pris des risques ?


– Quel type de risque ?
– Pourquoi avez-vous pris ce(s) risque(s) ?

169
– Quelle en a été l’issue ?
– Êtes-vous prêt à recommencer ?

Corrigé p. 177

170
EXERCICE 2
La notion de crise

Objectif de l’exercice : définir la notion de crise et déterminer des


éléments de qualification de la crise.
Procédure : faire deux sous-groupes et demander à chacun, au moyen du
questionnaire ci-dessous, de définir ce qu’est une crise.
Les participants devront baser leur réponse sur leur appréciation
personnelle de la crise, puis sur leurs expériences personnelle et
professionnelle.

Qu’est-ce que la crise ?


– Dans votre activité professionnelle à titre personnel.
– Dans votre vie privée.
– Dans la vie de la société en général : recensez les dernières crises
relatées par la presse et les médias.
Dans un deuxième temps, vous indiquerez quelles sont les
caractéristiques de la crise.

Avez-vous déjà connu des crises ?


– Quel type de crise ?
– Pourquoi avez-vous subi ces crises ?

171
– Quelles en ont été les conséquences ?
– Cela a-t-il changé votre vision de la crise ?

Corrigé p. 177

172
EXERCICE 3
Êtes-vous prêt ?

Objectif de l’exercice : faire un « audit » de l’état de prise de conscience


et de préparation face aux crises dans une organisation.
Procédure : chaque participant répond aux questions qui suivent en
fonction de son état de préparation ou de celui de son entreprise ou de son
organisation.
L’objectivité et l’honnêteté des réponses sont primordiales pour
l’efficacité de l’exercice. On ne cherche pas à savoir ce que souhaiterait faire
le participant mais ce qu’il a vraiment fait en matière de préparation face aux
crises.

Anticipation des risques et des crises


– Avez-vous déjà imaginé que votre organisation puisse vivre une crise
d’une gravité telle qu’elle puisse être détruite ?
– Avez-vous déjà réalisé une cartographie des risques qui pourraient
impacter votre organisation ? Si oui, quels risques avez-vous identifiés ?
– Si vous réalisez une cartographie au moyen de la technique « par
famille » évoquée dans le 1er chapitre, détectez-vous des risques que vous
n’aviez pas identifiés auparavant ?

Organisation et procédures de crise

173
– En cas d’incident, combien de collaborateurs « clés » pouvez-vous
joindre 24 heures/24 ?
– Vos collaborateurs « clés » savent-ils où vous joindre 24 heures/24 ?
– Avez-vous des procédures de crise préétablies ? Si oui, vous
semblentelles pertinentes ?
– Sont-elles disponibles pour tous ceux qui pourraient en avoir besoin ?
– Ont-ils été sensibilisés à leur utilisation, voire même à leur existence ?

La veille des signes annonciateurs


– Vos collaborateurs vous font-ils remonter les informations
inhabituelles ou incongrues ?
– Ont-ils une certaine aptitude à prendre des décisions adaptées aux
situations dans l’urgence ?
– Avez-vous une organisation de veille et d’anticipation observant votre
secteur d’activité et/ou vos concurrents ?

La préparation
– Faites-vous régulièrement des exercices de simulation ?
– De quand date votre dernière mise en situation ?
– Vous sentez-vous capable de créer et d’animer un scénario de gestion
de crise ?
– Faites-vous un débriefing de toutes les situations difficiles que vous
avez affrontées ?
– Quels sont les enseignements que vous en avez tirés ?
– Si vous pouviez améliorer vos procédures d’anticipation et de conduite
des situations de crise, quelles mesures prendriez-vous ?

Corrigé p. 178

174
Contexte général pour les exercices
de 4 à 9

Le contexte général qui suit constitue le fil rouge des exercices de 4 à 9.


Chaque exercice va permettre de mettre en œuvre une partie de cet
ouvrage tout en restant lié au même contexte général.
Les participants aux exercices joueront, selon les exercices, une ou
plusieurs filiales de Pharmatech International qui devront anticiper,
appréhender ou gérer des situations potentiellement instables.

Pharmatech International
Le groupe Pharmatech International est un ensemble de sociétés
travaillant dans le domaine médical, pharmaceutique et dans la recherche liée
à ces secteurs. Second acteur du secteur au niveau européen, le groupe est le
leader français du marché.
Pharmatech International a été fondé en 1976, à l’initiative de la famille
Monville. Créé à l’origine pour fédérer les actions de plusieurs sociétés
familiales du secteur de la recherche pharmaceutique, PI est devenu
rapidement un acteur clé dans le domaine.
Pharmatech s’est diversifié en développant sont activité, notamment dans
la recherche sur les virus et dans le matériel de pointe.
À la demande du gouvernement et en collaboration avec le ministère de
la Défense, PI s’est également lancé dans la recherche sur les armes
chimiques et biologiques.
Pharmatech International est composé de plusieurs sociétés filiales,

175
détenues à 100%. Parmi ces filiales, notons les sociétés suivantes :

Pharmatériels
Société de fourniture de matériel médical auprès des hôpitaux, maisons
de retraite, centres de soins, Pharmatériels jouit d’une image de sérieux et de
grande qualité auprès de ses clients.
Les équipes de recherche de la société sont particulièrement en pointe et
mènent de nombreuses actions de prospective. Les innovations sont
nombreuses et les sociétés concurrentes, françaises ou étrangères, ont du mal
à suivre.
Pharmatériels met en œuvre depuis quelques mois une politique de
développement agressive et ses réseaux commerciaux chassent les clients
tous azimuts.
L’effectif global de la société est de 758. Le chiffre d’affaires de l’année
dernière était de 701 millions €.

Virtech
Virtech est une société spécialisée dans la recherche sur les virus et les
maladies infectieuses.
Les laboratoires de Virtech effectuent des recherches de vaccins et de
traitements, en étroite collaboration avec le ministère de la Santé.
L’effectif global de la société est de 56 personnes, essentiellement des
chercheurs.
Le chiffre d’affaires de l’année dernière : 26 millions €.

Deftech
Deftech est une société spécialisée dans la recherche sur les armes
chimiques et biologiques. Deftech est une filiale très discrète, travaillant en
étroite collaboration avec le ministère de la Défense et contrôlée
régulièrement par les services de contre-espionnage.
Une grande partie des salariés de cette société sont des ingénieurs et des

176
chercheurs, dont la plupart ont travaillé auparavant pour les services de
l’armée.
Officiellement, Deftech ne travaille que sur des produits de lutte contre
les armes chimiques et biologiques.
L’effectif global de la société est de 48 personnes, toutes habilitées
Confidentiel Défense.
Le chiffre d’affaires de l’année dernière : 35 millions €.

177
EXERCICE 4
La cartographie des risques

Objectif de l’exercice : établir une cartographie des risques liés à la mise


en œuvre d’un projet.
Procédure : faire deux sous-groupes pour comparer les évaluations de
chacun, et demander aux participants d’établir une cartographie des risques
liés au projet ci-dessous en utilisant notamment la répartition par famille.
Quand les risques auront été envisagés, ils seront classés par probabilité
d’occurrence : improbable, possible, attendu.
On tentera également d’identifier quels pourraient être les signaux
annonciateurs de la réalisation de chacun des risques classés comme
probables.
Mise en situation :
Vous êtes une équipe de gestion de projet de la société Pharmatériels. Le
département Recherche et Développement vient de mettre au point un
nouveau dispositif révolutionnaire de suivi de malade à domicile, le VISIOR.
Grâce à un appareillage simple, qui sera installé chez le patient, celui-ci peut
effectuer très rapidement des mesures médicales (tension artérielle,
température, lecture du rythme cardiaque, etc.) et les transmettre via la ligne
de téléphone à un service médical ou hospitalier de son choix pour suivi.
Grâce à ce dispositif, révolutionnaire par rapport aux autres produits du
même type, de nombreux malades vont pouvoir éviter de fastidieux
déplacements pour aller consulter leur médecin ou leur spécialiste et vous

178
allez pouvoir contribuer au désengorgement des services spécialisés.
Le dispositif, peu encombrant, fait appel à une technologie de pointe.
Vous collaborez pour l’occasion avec une société sud-coréenne qui vous
fournit des microprocesseurs intégrant le système.
Les travaux de recherche de votre département R & D sont quasiment
terminés, et l’ingénieur qui est le principal artisan du projet a bon espoir de
finaliser le produit d’ici à deux mois.
Plusieurs de vos concurrents mènent des recherches similaires, mais sont
moins bien avancés que vous. Ce produit sera certainement très lucratif (achat
ou location du dispositif, maintenance, logiciels de traitement de
l’information dans les hôpitaux), et vous attendez le référencement par la
Caisse nationale d’assurance-maladie pour une prise en charge totale de votre
dispositif. Vous savez que les sociétés concurrentes ne vous feront aucun
cadeau.
Vous envisagez de produire le dispositif électronique de Visior dans une
usine spécialisée du nord de la France. Ce site de production, localisé dans
une zone d’emploi plutôt sinistrée du fait de l’effondrement de l’industrie
textile, est proche du site de distribution général de Pharmatériels.
Avec votre équipe, réalisez une cartographie des risques qui pourraient
impacter ce projet, puis identifiez ceux qui vous semblent probables et
attendus.

Corrigé p. 179

179
EXERCICE 5
Partager l’information

Objectif de l’exercice : démontrer aux participants l’importance de


partager l’information et de construire une relation de confiance dans le cadre
de la gestion d’une situation dégradée.
Procédure : Les participants vont être divisés en trois groupes et répartis
comme suit :
– Groupe A : 2/5 des participants se voient remettre la feuille de
consigne « Virtech » ;
– Groupe B : 2/5 des participants reçoivent la feuille de consigne «
Deftech » ;
– Groupe C : 1/5 des participants reçoivent la fiche « Tran dang ».
Chaque équipe a 15 minutes pour prendre connaissance de la consigne,
identifier ses objectifs et s’organiser. Après ce laps de temps consacré à la
préparation, les équipes A et B seront divisées en 2 sous-groupes : A1/A2 et
B1/B2.
Durant 20 minutes, A1 et B1 mèneront une première rencontre entre
elles, selon les fiches de consignes, pour tenter de s’entendre ou se dissuader
mutuellement d’empêcher l’autre d’accomplir son objectif.
Pendant le même temps, A2 et B2 mèneront à tour de rôle une première
rencontre avec l’équipe C pour chercher des informations sur la vente : 10
minutes pour A2/C, puis 10 minutes pour B2/C.
Durant 20 minutes, les équipes A, B et C se retrouvent entre elles pour

180
échanger leurs informations et établir une stratégie vis-à-vis des autres.
Durant les 20 minutes suivantes, les équipes A1 et B1 se rencontrent une
nouvelle fois pour essayer de trouver un accord entre elles. A2 et B2
rencontrent une nouvelle fois C, mais dans l’ordre inverse de la première fois,
à savoir B2 puis A2.
Après ces 20 minutes, une rencontre finale est organisée entre A, B et C
pour aboutir à un accord entre tous.

Virtech
Vous êtes l’équipe du Dr Pierre Morsang, chercheur au sein de Virtech
et vous avez mis au point récemment un produit chimique de synthèse pour
soigner la maladie de Chelmann, contractée par les femmes enceintes. Si
cette maladie n’est pas soignée au cours des six premières semaines de
grossesse, elle peut causer de sérieux dommages oculaires au fœtus, voire
même la cécité.
Le ministère de la Santé a donné son agrément à l’utilisation de votre
produit comme traitement de cette maladie, votre laboratoire a déposé le
brevet de fabrication et s’attend à ce que ce médicament soit éminemment
rentable.
Il y a eu récemment une épidémie inattendue de Chelmann et plusieurs
centaines de femmes enceintes ont contracté la maladie. Malheureusement,
les expériences que vous avez dû réaliser pour obtenir l’agrément ont épuisé
vos stocks de sérum qui sont élaborés à partir du jus d’un fruit exotique très
rare, le jansong. La saison dernière, la production n’a pas dépassé 4 000
jansongs et il n’y en aura plus avant la prochaine saison, ce qui sera trop tard
pour vacciner les victimes actuelles de la maladie.
Vous avez été informés de source sûre que M. Tran Dang, un exportateur
de fruits cambodgien, dispose d’un lot de 3 000 jansongs parfaitement
stockés. Si vous pouviez vous procurer le jus de ces 3 000 fruits, vous
pourriez vacciner non seulement les victimes actuelles, mais également
reconstituer vos stocks pour faire face à une nouvelle épidémie.
Vous avez entendu dire qu’un Dr John Parker recherche activement à se

181
procurer des jansongs et qu’il est au courant des réserves disponibles de M.
Tran Dang.
L’équipe du Dr Parker, qui travaille pour la société Deftech, également en
contrat avec le gouvernement, fait de la recherche depuis plusieurs années sur
les armes biologiques. Bien que vous apparteniez au même groupe
pharmaceutique, Pharmatech International, vous êtes très méfiants vis-à-vis
de Deftech.
Votre entreprise vous a autorisés à prendre contact avec M. Tran Dang
pour lui acheter les 3 000 derniers jansongs qu’il possède. Il vous a précisé
qu’il les vendrait au plus offrant. Vous êtes autorisés à monter jusqu’à 250
000 €.
Vous venez de recevoir un appel téléphonique du Dr Parker qui souhaite
vous rencontrer avec plusieurs de ses collègues. Vous avez accepté la
confrontation.
Votre mission consiste à trouver, avec votre équipe, un accord avec la
partie adverse puis à vous procurer 3 000 jansongs.

Deftech
Vous êtes l’équipe du Dr John Parker, ingénieur biologiste. Vous faites
de la recherche dans le service R & D de la société Deftech qui est sous
contrat avec le gouvernement. Votre mission consiste à mettre au point des
produits permettant de contrer les effets des armes biologiques et chimiques.
Avec l’ensemble de vos spécialistes, vous avez mis au point une vapeur
synthétique, le DisComtam.
Récemment, des bombes renfermant du gaz neuroplégique ont été
trouvées dans un dépôt situé près d’une grande zone urbaine européenne de
plusieurs millions d’habitants.
Lors d’une tentative de transfert, plusieurs dizaines de ces bombes ont
laissé apparaître des fissures. Ces fissures ont été colmatées pour le moment,
mais les experts sont convaincus que le gaz mortel va s’échapper et traverser
l’enveloppe de protection d’ici deux semaines. Si c’est le cas, il n’existe
aujourd’hui aucun moyen d’empêcher le gaz de se répandre dans

182
l’atmosphère et de tuer des milliers de personnes ou d’infliger des dégâts
neurologiques irréversibles.
Votre vapeur synthétique, le DisContam, neutralisera ce gaz
neuroplégique si elle est injectée dans les containers de stockage des bombes
avant qu’il ne s’échappe. Le DisContam est fabriqué avec l’écorce du
jansong, un fruit exotique très rare. Malheureusement, la production
saisonnière totale de 4 000 jansongs a été entièrement utilisée.
Vous avez appris, de source sûre, qu’un M. Tran Dang, exportateur de
fruits cambodgien, dispose encore d’un lot de 3 000 jansongs, en bonne
condition. Le produit chimique dont vous avez besoin, fabriqué à partir de
l’écorce de ces fruits, serait juste suffisant pour neutraliser le gaz
neuroplégique dangereux.
Vous avez également appris que l’équipe du Dr Pierre Morsang cherche
désespérément à se procurer ces jansongs et qu’il est aussi au courant du lot
de jansongs dont dispose M. Tran Dang.
Pierre Morsang travaille pour la société Virtech, également en contrat
avec le gouvernement, et a mis au point un médicament pour enrayer la
maladie de Chelmann, une maladie qui touche les femmes enceintes. Bien
que vous apparteniez au même groupe pharmaceutique, Pharmatech
International, vous êtes très méfiants vis-à-vis de Deftech.
Le gouvernement a demandé de l’aide technique à votre entreprise et vos
dirigeants vous ont autorisés à prendre contact avec M. Tran Dang pour lui
acheter les 3 000 jansongs dont il dispose. On vous a informés qu’il les
vendrait au plus offrant. Vous êtes autorisés à monter jusqu’à 250 000 €.
Avant de prendre contact avec M. Tran Dang, vous avez décidé de
rencontrer l’équipe de Morsang afin de le convaincre de ne pas vous
empêcher d’acheter ce lot de jansongs. Vous lui avez téléphoné et il est
d’accord pour vous rencontrer.
Votre mission consiste à trouver, avec votre équipe, un accord avec la
partie adverse et à vous procurer 3 000 jansongs.

Tran Dang

183
Vous êtes l’équipe de M. Tran Dang, exportateur de fruits cambodgien.
Parmi les fruits exotiques que vous exportez figure le jansong, fruit très rare
et très convoité. Vous en exportez 5 000 pièces chaque saison.
Vous réservez systématiquement ce lot au marché chinois : les vertus
aphrodisiaques de ce fruit en font un produit très cher et très recherché.
Vous avez vendu le dernier lot de 5 000 jansongs 75 000 € et comme la
demande a plus que triplé en peu de temps, vous avez réussi à faire venir une
cargaison exceptionnelle supplémentaire de 3 000 jansongs, car il n’est pas
possible d’en obtenir d’autres avant la saison prochaine.
La demande étant nettement plus forte que l’offre, vous espérez en tirer
environ 125 000 €.
Vous avez été contactés par deux laboratoires pharmaceutiques,
visiblement concurrents, qui souhaitent chacun se procurer l’intégralité de
votre dernier stock de jansongs.

Corrigé p. 181

184
EXERCICE 6
S’organiser et identifier les rôles

Objectif de l’exercice : montrer la complexité que peut générer une


situation imprévue ainsi que l’intérêt de bien identifier et répartir les rôles
pour endiguer la situation. L’exercice va obliger les participants à prendre
très vite des décisions et à s’organiser pour être efficaces.
Procédure : les participants sont réunis en un seul groupe. En cas d’un
nombre trop élevé, certains seront désignés pour observer le fonctionnement
du jeu et participer au débriefing.
Le scénario qui suit n’est qu’une base. Le formateur est libre d’ajouter
des paramètres et des événements « accélérateurs » : appel de la presse, des
familles…
Mise en situation :
Vous êtes l’équipe de direction du laboratoire d’expérimentation de la
société Virtech. Créé à l’initiative de Pharmatech International, du ministère
de la Recherche et du Ministère de la Santé, le laboratoire travaille sur les
virus sous toutes leurs formes : recherche fondamentale, élaboration de
vaccins, tests de vaccins mis au point par les laboratoires concurrents…
Vous êtes spécialement habilités à travailler sur des virus de tous types
allant jusqu’au type 4, comme le virus ébola ou d’autres virus dits « à fièvre
hémorragique ». Les virus de type 4 n’ont pas de vaccins connus.
Le laboratoire Virtech est à la pointe de la technologie : enceinte

185
sécurisée, Forces de Sécurité et de Protection autonomes, toutes commodités
pour les chercheurs et leurs familles (restauration, cinéma, école et garderie)
et équipements de recherche ultramodernes.
Il est considéré comme un fleuron de la recherche française, et le
ministère de la Recherche voudrait bien en faire le fer de lance de sa politique
de promotion à travers le monde.
139 personnes vivent dans le centre, et se répartissent comme suit :
– 25 chercheurs avec leurs femmes (25) et leurs enfants (18) ;
– 15 membres des forces de sécurité et de protection et leur famille
vivant sur site (19) ;
– 18 personnels administratifs et techniques et leurs familles vivant sur
site (14) ;
– 5 prestataires extérieurs (sans famille, logent à l’extérieur).
Les personnels du laboratoire Virtech et leurs familles vivent en bonne
intelligence même si parfois certains regrettent de vivre un peu en autarcie et
coupés du reste des populations de la région.

Partie 1
Après que les participants ont pris connaissance des consignes relatives
à leur environnement, le formateur leur remet la fiche de leur mission :
Vous venez d’apprendre que le ministère de la Recherche, votre principal
bailleur de fonds, désire faire visiter votre centre de recherche à une
délégation d’un pays du Moyen-Orient. L’objectif est de vendre le concept, et
vous êtes chargés de bâtir le programme et le contenu de la visite.
Votre correspondant au ministère de la Recherche a souligné le caractère
primordial de cette visite dans le cadre d’un projet de grande envergure avec
le pays en question. On vous a fait comprendre que vous n’aviez pas le droit
à l’erreur. La presse a été convoquée officiellement et les journalistes seront
nombreux.
Organisez-vous au mieux afin de préparer la visite ministérielle qui doit
se dérouler le lendemain matin.

186
Partie 2
Au bout dun laps de temps plus ou moins long, le formateur va initier la
seconde partie de lexercice. Il convient de donner les informations suivantes
de façon régulière, en laissant passer un certain temps entre chaque phase
pour laisser à léquipe de crise les moyens de sorganiser et de prendre les
décisions.

Le jour de la visite,
07 h 45
Alors que vous attendez la délégation pour 11 h 00 ce matin, on vient de
vous informer que le responsable du laboratoire P4, le Pr. Pierre Clément, ne
s’est pas présenté pour prendre son service.
Celui qui a donné l’alerte est la dernière personne qui l’a vu hier soir. Il
se souvient qu’il a travaillé tard en zone de confinement, puis qu’il est rentré
directement dans son appartement en résidence 2.
Divorcé, il vit seul et n’hésite pas à rester au laboratoire une partie de la
nuit.

Le jour de la visite,
08 h 35
Les forces de sécurité viennent de faire ouvrir l’appartement de Pierre
Clément. Ils l’ont retrouvé allongé sur le sol, sans vie.
Aucune blessure n’est apparente, et le corps ne présente aucune trace ni
aucun aspect suspect.
Vous devez décider de la suite à donner à cet incident et vous organiser
en conséquence.

Le jour de la visite,
09 h 00

187
Le médecin du site vient d’examiner le corps de la victime. Des analyses
vont être faites, mais les résultats ne seront pas connus avant le soir.
Les forces de sécurité vous annoncent que les premiers journalistes
arrivent et se présentent à l’entrée du site.
Un véhicule de police se présente au poste de sécurité : quelques agents
précurseurs chargés de la protection des autorités désirent vous rencontrer
immédiatement.
Le maire du village voisin vous appelle pour vous demander si son
conseil municipal et lui-même peuvent venir assister à cette rencontre dont la
presse a parlé.

188
Plan du site du laboratoire expérimental Virtech

189
Corrigé p. 183

190
EXERCICE 7
Communiquer par temps de crise

Objectif de l’exercice : montrer la complexité et la difficulté de


communiquer dans une situation potentiellement à risque, avec des
informations parfois contradictoires ou incomplètes.
Procédure : les participants doivent, au vu de la fiche de contexte,
préparer un communiqué de presse pour leur instance de direction.
Le temps laissé aux participants est variable en fonction de leur
sensibilisation aux contraintes de la communication par temps de crise.
Mise en situation :
Vous êtes la cellule de crise de la société Virtech. Votre société vient de
sortir un nouveau médicament, le BioChelNax, pour soigner la maladie de
Chelmann qui touche les femmes enceintes. Si cette maladie n’est pas
soignée au cours des six premières semaines de grossesse, elle peut causer de
sérieux dommages oculaires au fœtus, allant même jusqu’à la cécité.
Ce médicament a été largement diffusé sur le marché européen,
notamment les anciens pays de l’Est qui sont votre axe de développement
privilégié. Votre réseau en Bulgarie vous a permis d’obtenir une autorisation
de mise sur le marché rapidement, et voilà plus de deux mois que le
BioChelNax est prescrit par les médecins bulgares, d’autant plus qu’une
épidémie de maladie de Chelmann sévit dans ce pays. Ce projet est un
véritable succès commercial, et participe grandement à l’image de votre
société dans les pays d’Europe centrale.

191
Vous avez appris hier que trois femmes enceintes étaient décédées à Sofia
cette semaine. Elles étaient toutes traitées au BioChelNax et les médecins de
l’Hôpital Central ont clairement mis en cause votre produit.
Vous avez appris de sources officieuses qu’une interaction avec d’autres
médicaments pourrait être la cause de ces décès.
Vos experts internes ne peuvent en l’état confirmer ou infirmer
l’implication du BioChelNax dans ces morts suspectes. Vous savez
également que le Professeur Dragan Hasmanov, éminent chercheur bulgare,
tire à boulet rouge sur votre médicament. Vous savez de source sûre qu’il est
également conseiller technique pour un laboratoire concurrent de Virtech.
Vous êtes mis en cause par la presse locale, et la rumeur s’étend aux pays
voisins : l’affolement gagne.
Vos réseaux sur place vous ont informés que votre médicament faisait
certainement l’objet de contrefaçons, et il serait possible que l’on ait
administré une copie du BioChelNax aux innocentes victimes.
Votre président, sollicité par les journalistes, souhaite parler à la presse et
vous demande de lui préparer un projet de communiqué.

Corrigé p. 184

192
EXERCICE 8
La presse en a parlé

Objectif de l’exercice : démontrer que les informations diffusées par les


médias, lorsqu’ils relatent une situation instable ou une crise, sont souvent
altérées par des interprétations ou des relations partielles, notamment en
début de crise.
Procédure : l’exercice se mène sur une durée plus ou moins longue, en
sous-groupe ou de façon individuelle. Il consiste à identifier, dans la masse
d’informations diffusées en situation de crise par la presse et les médias, les
mentions purement factuelles et objectives et les interprétations, conjectures
et suppositions fruits de la subjectivité.
Les sources d’information peuvent être très diverses : archives de presse,
moteurs de recherche sur Internet, revues ou lettres professionnelles
spécialisées…
Trouver dans les archives et coupures de presse des faits relatant des
situations de crise de tous types : sanitaire, sécuritaire, politique. Dès qu’une
situation de crise passée aura été choisie, en fonction notamment du nombre
d’articles ou de communiqués trouvés, identifier les faits purement objectifs
relatés par la presse et les faits subjectifs interprétés ou relatés sans
vérification.

Corrigé p. 185

193
EXERCICE 9
Vous êtes la crise !

Objectif de l’exercice : se mettre « à la place » de la crise et imaginer un


scénario pour faire pratiquer une cellule de crise et activer des procédures
adaptées.
Procédure : les participants sont répartis en deux sous-groupes en
s’inspirant du contexte de l’exercice 5 (partager l’information). Un sous-
groupe représente la société Virtech, l’autre représente la société Deftech.
Chaque équipe a connaissance de la fiche de consigne de l’autre.
Pendant une durée déterminée par le formateur, chaque équipe va
imaginer une crise qui pourrait impacter l’activité de l’autre.
Le scénario doit être construit pour faire jouer une situation dynamique.
On pourra prévoir un contexte général de crise, et des « rebondissements »
réguliers pour susciter la capacité d’adaptation de l’équipe de crise.
Vous connaissez le contexte dans lequel évolue la société que vous allez
mettre à l’épreuve.
Vous devez identifier et choisir un type de situation de crise que vous
souhaitez faire jouer à l’autre sous-groupe, puis déterminer un scénario précis
servant de simulation.
Votre scénario doit être suffisamment original pour mettre le sous-groupe
en difficulté tout en restant plausible et vraisemblable. À l’issue de l’exercice
simulé, vous organiserez le débriefing.

194
Virtech
Vous êtes l’équipe du Dr Pierre Morsang, chercheur au sein de Virtech
et vous avez mis au point récemment un médicament, le BioChelNax, pour
soigner et guérir la maladie de Chelmann contractée par les femmes
enceintes. Si cette maladie n’est pas soignée au cours des six premières
semaines de grossesse, elle peut causer de sérieux dommages oculaires au
fœtus, voir même la cécité.
Le ministère de la Santé a donné son agrément à l’utilisation de votre
sérum comme traitement de cette maladie, votre laboratoire a déposé le
brevet de fabrication.
Vous avez prévu de sortir un article dans la presse spécialisée pour
informer le monde médical de toutes les opportunités qu’offre le
BioChelNax.
Votre fournisseur cambodgien de jansongs, fruit exotique à base duquel
vous créez votre produit, vous garantit une permanence de
l’approvisionnement.
Vous vous attendez à ce que le BioChelNax soit particulièrement
rentable.

Deftech
Vous êtes l’équipe du Dr John Parker, ingénieur biologiste et directeur
de recherche au sein de Deftech. Avec l’ensemble de vos spécialistes, vous
avez mis au point une vapeur synthétique, le DisComtam, qui peut neutraliser
la plupart des gaz neurotoxiques équipant les obus chimiques en service dans
le monde.
Le ministère de la Défense vous apporte son entier soutien dans vos
actions de recherche et a d’ors et déjà donné son agrément pour l’exportation
de DisContam. Vous avez été contactés par plusieurs gouvernements
étrangers qui cherchent à se débarrasser de stocks de bombes chimiques
plutôt « encombrants ».
Votre fournisseur cambodgien de jansongs, fruit exotique à base duquel

195
vous créez votre produit, vous garantit une permanence de
l’approvisionnement.
Vous vous attendez à ce que le DisContam soit particulièrement rentable.

Corrigé p. 185

196
CORRIGÉS
Corrigé de l’exercice 1
Comme cela a été évoqué dans le 1er chapitre, il n’y a pas de définition
précise de ce qu’est un risque. On peut cependant lister un certain nombre de
caractères communs qui pourront éclairer la notion.
Au moyen des réponses et des appréciations données par les participants,
il sera intéressant d’identifier les caractéristiques récurrentes du risque ou des
notions qui s’entrecroisent :
– occurrence d’un événement donné ;
– événement imprévu ou surprenant ;
– obstacle dans la réalisation d’un objectif ;
– aléas ;
– enjeux ;
– probabilité d’occurrence…
Il sera également intéressant de faire noter aux participants les multiples
différences de définition qui existent entre tous, démontrant une nouvelle fois
que la notion de risque est étroitement liée à la perception de chacun.
Lorsqu’on abordera la notion de probabilité d’occurrence, il conviendra
de montrer que chaque risque, même quand il est unanimement défini par
tous, n’est pas classé dans la même case « improbable », « possible » ou «
attendu ». Encore une fois, la perception et l’expérience de chacun modifient
la vision du risque.

Corrigé de l’exercice 2
Comme cela a été évoqué dans le 1er chapitre, il est difficile de ne retenir

197
qu’une seule définition du mot crise. On peut cependant lister un certain
nombre de caractères communs qui pourront en éclairer la notion.
Au moyen des réponses et des appréciations données par les participants,
il sera intéressant d’identifier les caractéristiques récurrentes de la crise :
– soudaineté ;
– nécessité de prendre des décisions ;
– urgence et pression du temps ;
– conséquences graves ;
– incertitude…
Il sera également intéressant de faire noter aux participants les multiples
différences de définition qui existent entre tous, démontrant une nouvelle fois
que la notion de crise est étroitement liée à la perception de chacun.
Lorsqu’on abordera la notion d’incertitude, il conviendra de rappeler le
caractère imprévisible de certains événements, qui par cet effet de surprise,
deviennent des crises. On ne peut pas mettre la crise en équation, on ne peut
donc pas tout prévoir.

Corrigé de l’exercice 3
En fonction des réponses aux questions suggérées, on pourra définir le
niveau de préparation des participants aux situations de crise. On pourra
également identifier les aspects de l’anticipation des risques qui pourraient
être améliorés. Enfin, en comparant les réponses entre les participants, on
pourra montrer les différences qui existent entre les organisations ou les
entreprises.

Anticipation des risques et des crises


Les réponses fournies dans cette partie vont permettre de voir s’il existe
une prise de conscience des risques qui pèsent sur les organisations, et
notamment la conscience qu’une crise peut être dévastatrice, polymorphe et
difficile à saisir.
La comparaison entre une éventuelle cartographie existante et une
cartographie « par famille » peut démontrer que naturellement, on peut ne
percevoir que quelques risques et en oublier de nombreux autres. Cela ne

198
veut pas dire que tous les risques « oubliés » seront des crises probables, mais
leur anticipation permettra sinon de les empêcher, du moins de ne pas être
surpris au cas où ils se produiraient.

Organisation et procédures de crises


L’objectif de cette partie du questionnaire est d’identifier l’état de
préparation « opérationnelle » de l’organisation. Les réponses aux questions
doivent être les plus objectives possibles : le but n’est pas d’espérer par
exemple que tous les collaborateurs « clés » soient joignables mais de savoir
s’ils le sont vraiment.
La rédaction des procédures est déjà un premier pas, mais la
sensibilisation de ceux qui pourraient les mettre en œuvre est tout aussi
importante.
Concernant la pertinence des plans de secours déjà élaborés si c’est le
cas, il n’est pas question de porter un jugement sur ce qui a été fait mais
objectivement de se poser la question de la réelle efficacité des plans. On a pu
voir dans le chapitre 2 que la rédaction de plans et procédures adaptés ne
suffit pas à leur pertinence.

La veille des signes annonciateurs


Les réponses aux questions sur la veille vont démontrer la conscience
qu’une crise peut se détecter avant même qu’elle ne se déclenche. Cela
nécessite l’implication de tous, à tous les niveaux de la hiérarchie.
L’observation de son propre environnement ainsi que de l’environnement
partenarial et concurrentiel ne sont pas des pratiques courantes alors qu’elles
constituent de vrais outils de veille et de prévention qu’il faudrait encourager.

La préparation
Le niveau de préparation va découler normalement de diverses
perceptions évoquées ci-dessus. S’il y a une bonne anticipation des risques,
une organisation adéquate et une veille des signaux précurseurs, la
préparation est le dernier volet d’un dispositif anti-crise pertinent.

199
Corrigé de l’exercice 4
Tous les risques ne sont pas identifiables, et la part d’incertitude fait
partie du jeu. Cependant, il est possible d’identifier assez facilement un
certain nombre de risques en reprenant les grandes familles évoquées dans le
1er chapitre.
On peut établir un tableau d’anticipation comme suit :
Tableau des risques liés au projet VISIOR

Risque métier Retard dans la mise sur le marché.


Défaut de conception de Visior.
Défaut de livraison des puces sud-coréennes.
Risque concurrentiel Mise sur le marché d’un produit concurrent.
Captation d’une information technique.
Débauchage d’un responsable clé.
Risque financier Perte d’un partenaire clé.
Risque légal Législation interdisant la transmission de données liées à la
santé par voie téléphonique non sécurisée.
Refus du référencement par la CNAM.
Risque social Mouvement social sur le site de production.
Risque image Atteinte à l’image liée à un défaut technique portant atteinte à la
santé des utilisateurs.
Campagne de désinformation sur les capacités de Visior.
Risque environnement Destruction du site de production.
Risque sécurité-sûreté Vol de composantes essentielles.

Les risques identifiés seront classés en fonction de la probabilité qu’on


leur prête. À ce stade de l’exercice, il est intéressant de constater qu’en
fonction du profil, de l’expérience et du domaine d’activité des participants,
la classification sera différente. D’un participant à l’autre, la classification en
risque improbable/possible/attendu va varier grandement, indiquant une
nouvelle fois que la perception que chacun a du risque reste très personnelle.
Le tableau ci-dessous est donné à titre d’exemple.
Classification des risques selon leur probabilité

200
Chaque risque qui aura été classé dans la catégorie « possible » fera
ensuite l’objet d’une évaluation quant aux signes annonciateurs qui
pourraient les précéder.

Corrigé de l’exercice 5
L’objectif des équipes A et B est d’acheter le stock de jansongs de M.
Tran Dang, et ce au meilleur prix. L’objectif de l’équipe C (Tran Dang) est de
vendre son stock de jansongs au prix le plus élevé.
L’intérêt de A et B est d’identifier que leur objectif d’acquisition n’est
pas concurrent mais complémentaire : l’équipe A a besoin de jus de jansong

201
pour réaliser le BioChelNax contre la maladie de Chelmann, l'équipe B à
quant à elle a besoin de l’écorce de jansong pour synthétiser le Discontam
contre les gaz de combat.
Le contexte de l’exercice est volontairement ambigu : Virtech et Deftech
sont des filiales du même groupe, Pharmatech International. Pourtant, il est
indiqué que ces filiales sont clairement méfiantes l’une vis-à-vis de l’autre.
L’objectif de l’exercice est de montrer qu’un minimum de confiance entre
deux entités d’une organisation, même quand elles se croient concurrentes,
est source de coopération et de collaboration.

Phase de prise de connaissance des feuilles de consigne


Durant cette phase, chaque équipe doit faire le point sur les informations
contenues dans sa fiche, puis les classer par priorités :
Équipes A et B :
– nécessité absolue de se procurer 3 000 jansongs ;
– présence d’une autre partie ayant le même objectif ;
– utilisation du jus/de l’écorce du fruit ;
– budget limité à 250 000 € ;
– volonté de l’autre partie de se rencontrer avant la négociation.
Équipe C :
– attrait des acheteurs pour le jansong ;
– détention du seul lot disponible sur le marché ;
– présence de deux acheteurs potentiellement concurrents ;
– volonté d’obtenir 125 000 € de cette vente.
Chaque équipe doit ensuite s’organiser pour préparer les diverses prises
de contact : division en 2 sous-groupes pour A et B, répartition des rôles entre
chacun des membres des sous-groupes, ébauche d’une stratégie.

Phase de première rencontre A1/B1


Soit les équipes restent sur leurs approches concurrentes (induites par le
contexte) et se confrontent, soient elles identifient leur intérêt commun
notamment l’utilisation complémentaire du fruit et peuvent envisager une
collaboration notamment dans la fixation d’un prix bas.

202
Phase de rencontre A2/C puis B2/C
L’objectif de cette phase est d’obtenir des informations de la part des
acheteurs et du vendeur, et d’envisager le contexte de la négociation finale.

Phase de débriefing des équipes entre les rencontres


Revenues ensembles, les équipes A et B font le point sur les informations
obtenues de leur « concurrent » ainsi que du vendeur.

Phase de seconde rencontre


entre A1 et B1
Si les sous-groupes A1 et B1 ont identifié dès leur première rencontre
leur intérêt complémentaire, ils peuvent approfondir leur collaboration en
révélant leurs budgets maximums pour établir une stratégie de prix bas.
Si les sous-groupes A1 et B1 n’ont pas identifié cet intérêt lors de la
première rencontre, ils peuvent tenter de le faire lors de cette nouvelle
discussion mais en ayant moins de temps pour prévoir une stratégie de
négociation finale.

Phase de seconde rencontre


A2/C puis B2/C
Durant cette phase, chaque partie en présence (A2, B2 et C) valide les
informations obtenues lors de la première rencontre.
Si les sous-groupes A1 et B1 ont identifié dès leur première rencontre
leur intérêt complémentaire, les sous-groupes A2 et B2 peuvent tenter de
poser des bases à la négociation finale. Si l’intérêt complémentaire n’a pas
été identifié, chaque sous-groupe joue pour son équipe.

Phase de négociation finale


En fonction des informations échangées entre A et B (utilisation du jus/de
l’écorce, budget d’achat), la phase de négociation finale est une collaboration
ou une confrontation. Selon le type de négociation, chaque partie trouve un
intérêt plus ou moins fort.

203
Corrigé de l’exercice 6
L’exercice ne comprend aucune difficulté si ce n’est d’imposer aux
participants la pression du temps et des enjeux forts. Leur objectif est de
prendre des décisions et de s’organiser en fonction des décisions prises.
Les informations données dans la feuille de consigne servent
essentiellement à saturer les participants plutôt qu’à fournir des indications
utiles à l’exercice.

Partie 1
Durant cette partie, les participants vont organiser une visite très
particulière et stressante, notamment au vu des enjeux. Les membres de
l’équipe de direction devront faire une rapide cartographie des risques qui
pourraient impacter la visite et s’organiser en conséquence :
– sûreté des autorités sur place ;
– incident technique ;
– risque de contamination ;
– manifestations sociales…
L’objectif principal dans cette phase est de s’organiser, en identifiant les
fonctions à remplir et de se répartir les missions :
– la direction du site en général ;
– la direction de la visite ;
– l’accueil des autorités ;
– l’information interne des personnels avant la visite ;
– la gestion de la presse ;
– les mesures de sûreté générales…

Partie 2
Durant la première phase de cette partie, les participants doivent
envisager les diverses causes de la disparition de Pierre Clément et réfléchir
aux éventuelles alternatives adaptées à chacune.
Dans la seconde phase, il s’agit d’une mort suspecte. En l’absence
d’explications précises, et vu le délai nécessaire à une enquête sur les causes
de la mort, une décision primordiale doit être prise : annuler ou maintenir la

204
visite. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, tout dépendra des mesures
adoptées en fonction. Cependant, en vertu du principe de précaution, on
pourrait imaginer de reporter la présentation aux autorités à une date
ultérieure.
Dans la troisième phase de cette partie, des éléments perturbateurs
extérieurs (notamment la presse) viennent rajouter des contraintes. Soit elles
ont été anticipées et peuvent être gérées efficacement, soit elles surprennent
l’équipe de crise et peuvent déstabiliser tout le monde. Le formateur est libre
de créer d’autres effets accélérateurs.
Le débriefing final doit montrer la capacité que l’équipe a eu à identifier
les priorités, à s’organiser et à prendre les décisions en conséquence.

Corrigé de l’exercice 7
La première étape de la rédaction du communiqué consiste à repérer dans
la fiche de contexte les éléments d’information :
– 3 décès de femmes enceintes à l’hôpital de Sofia ;
– les victimes étaient toutes traitées au BioChelNax ;
– les décès sont peut-être dus à une interaction entre médicaments ;
– aucune mise en cause avérée du BioChelNax ;
– la vérification ne peut pas être faite immédiatement ;
– un expert, peut-être impartial, met en cause votre médicament de façon
virulente ;
– la presse relaye l’affaire et l’amplifie dans toute la zone géographique ;
– il existe des contrefaçons de médicaments en Bulgarie, et le
BioChelnax est certainement déjà copié.
La seconde étape : faire le tri entre ce qui est vérifié et ce qui ne l’est pas.
On peut être certain des informations suivantes :
– il y a trois décès de femmes enceintes soignées au BioChelNax ;
– le BioChelNax est mis en cause par la presse et par un expert réputé ;
– la presse s’est emparée de l’affaire.
Toutes les autres informations ne sont pas forcément fausses mais elles ne
sont pas vérifiées pour l’instant : les interactions avec d’autres médicaments,
la partialité de l’expert Hasmanov, les probabilités de contrefaçon. Il ne faut
donc pas y faire allusion sous peine de donner l’impression que Virtech

205
cherche à se défausser ou à se soustraire à ses responsabilités.
La troisième étape consiste à énumérer les éléments qui doivent figurer
dans le communiqué :
– la constatation des faits pour reprendre la main ;
– le retrait du produit s’il est décidé par les instances de direction de
Virtech ;
– l’attachement de Virtech au principe de précaution et à la sécurité des
patients ;
– les pensées pour les victimes.

Extrait d’un communiqué de presse :


« Suite au décès de trois patientes, toutes trois soignées à l’Hôpital de Sofia, nous avons décidé
de retirer temporairement le BioChelNax de la circulation en attendant les conclusions des
expertises qui seront menées par les autorités bulgares.
La société Virtech a toujours été soucieuse du respect du principe de précaution, et nous
apporterons tout notre concours aux instances sanitaires bulgares dans leur travail.
Nos pensées se tournent en ce moment vers les familles des victimes, à qui nous adressons toute
notre compassion et tout notre soutien dans cette épreuve. »

Corrigé de l’exercice 8
Le but de cet exercice n’est pas d’incriminer la presse ou les médias, mais
simplement de démontrer que les informations diffusées sont souvent altérées
par des interprétations ou des relations partielles. La crise étant une
dynamique qui se joue dans le temps, les informations sont souvent
incomplètes dans les premières heures : elles sont donc souvent déclinées en
alternatives ou en éventualités en fonction notamment des interprétations de
chaque rapporteur. Chacune de ces déclinaisons peut avoir une influence sur
la conduite de la situation par une équipe de crise, notamment quand elle est
relayée dans le grand public.
La communication de crise a pour première fonction de clarifier les faits.
C’est parce qu’il est courant et habituel d’interpréter ou de « compléter » ce
dont on n’est pas sûr ou ce qui est partiel qu’il convient de prendre
rapidement la main sur cet aspect de la gestion des crises.

Corrigé de l’exercice 9

206
Chaque équipe va devoir se mettre « à la place » de la crise pour mettre
au point un scénario original et vraisemblable. Le scénario doit comprendre
au minimum :
– un signal déclenchant le processus de qualification en « crise »,
– des informations permettant de déterminer un niveau de gravité,
– des informations de contexte sur l’événement,
– des implications « accélératrices » : presse, victimes, autorités…
Les fiches de contextes sont suffisamment courtes pour ne pas induire
elles-mêmes des crises trop facilement.

207
Troisième partie

POUR ALLER PLUS LOIN

208
Programme d’un stage de formation

▶ Stage de 3 jours :
Anticiper les risques et conduire les crises

Objectifs
L’objectif du séminaire est de permettre aux participants d’appréhender le
processus global de l’anticipation des risques et de la conduite des crises. Le
programme qui suit est décliné sous trois jours, mais peut être allongé en
fonction des attentes des participants.
Le formateur développera consécutivement les thèmes suivants :
– clarifier les notions de risque et de crise ;
– réaliser une cartographie des risques pouvant impacter une
organisation ;
– organiser un dispositif de gestion des crises ;
– préparer et entraîner une équipe efficace.

209
Programme
◗ Jour 1
9 h 00 – 9 h 30 Introduction du séminaire et présentation des participants
9 h 30 – 10 h 30 Clarifier la notion de risque : définitions et appréciations
Faire l’exercice 1
10 h 30 – 11 h 00 Pause
11 h 00 – 12 h 00 Clarifier la notion de crise : définitions et appréciations
Faire l’exercice 2
12 h 00 – 12 h 30 Élaboration de définitions communes du risque et de la crise
14 h 00 – 15 h 30 Les attitudes face aux risques : la prise en compte des menaces et la
nécessité de s’y préparer
La conscience efficace : développer une attitude opérationnelle
Faire l’exercice 3
15 h 30 – 16 h 00 Pause
16 h 00 – 17 h 30 Anticiper les grandes familles de risques
Identifier les risques par famille
Faire l’exercice 4

◗ Jour 2
9 h 00 – 10 h 30 Constituer une équipe de crise : organiser les fonctions de la cellule de
crise
Faire l’exercice 6
10 h 30 – 11 h 00 Pause
11 h 00 – 12 h 30 Faire fonctionner l’équipe : principes fondateurs d’une équipe efficace
Faire l’exercice 5
14 h 00 – 15 h 00 Les risques de dysfonctionnements : la gestion du stress et des modes
de fonctionnement psychologique
15 h 00 – 15 h 30 Pause
15 h 30 – 17 h 30 Procédures et logistique de crise : organiser les modes opératoires face
à l’instabilité et l’urgence

◗ Jour 3
9 h 00 – 10 h 30 Les réactions face à la crise : des premiers instants à la conduite de
l’incident.
10 h 30 – 11 h 00 Pause
11 h 00 – 12 h 30 La communication en temps de crise : gérer les relations internes et
externes
Faire les exercices 7 et 8
14 h 00 – 15 h 00 Débriefings : apprendre du passé pour préparer l’avenir

210
15 h 00 – 15 h 30 Pause
15 h 30 – 17 h 00 Préparer l’équipe de crise : organiser la pratique et générer des
scénarios
Faire l’exercice 9
17 h 00 – 17 h 30 Clôture du séminaire

211
Bibliographie

ABRIC J.-C., Psychologie de la communication : théories et méthodes, Armand Colin, 2008 (3e
édition).
ADLER A., J’ai vu finir le monde ancien, Grasset, 2002.
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212
MILBURN T., The Management of Crisis, C. F. Hermann Ed., 1972.
MISSOUM G., Guide du training mental, Retz, 1991.

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MOREL C., Les Décisions absurdes : sociologie des erreurs radicales et persistantes, Gallimard, 2004.

PEKAR LEMPEREUR A. et COLSON A., Méthode de négociation, Dunod, 2010 (2e édition).
PREYER W., Éléments de physiologie générale (1884), Kessinger Publishing, 2010.
ROBERT B., Naviguer au cap confiance, fascicule du cabinet Argillos, 2004.
ROUX-DUFORT C., Gérer et décider en situation de crise, Dunod, 2003.
SABELLI F., Les Risques de l’économie et l’économie des risques : le point de vue d’un
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WATZLAWICK P., La Réalité de la réalité, Le Seuil, 1984.

213
OUVRAGES PUBLIÉS
DANS LA COLLECTION FORMATION PERMANENTE

ROGER MUCCHIELLI
L’analyse de contenu (n° 16).
Les complexes personnels (n° 11).
La conduite des réunions (n° 3).
La dynamique des groupes (n° 4).
L’entretien de face à face (n° 1).
L’interview de groupe (n° 6).
La méthode des cas (n° 5).
Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes (n° 13).
Observation psychologique et psychosociologique (n° 17).
Opinions et changements d’opinion (n° 9).
Psychologie de la relation d’autorité (n° 19).
Le questionnaire dans l’enquête psychosociale (n° 2).
Le travail en équipe (n° 18).

JOSEPH AOUN
Manager une équipe multiculturelle (n° 161).

ALI ARMAND
Confiance et leadership (n° 218).

BRUNO BARJOU
Manager par projet (n° 128).
Savoir transmettre son expertise et son savoir-faire (n° 109).
Vendre ses idées et ses projets (n° 141).

214
BRUNO BARJOU, ANNICK COHEN, JACQUES ISORÉ, JEAN-PIERRE TESTA
Réussir dans ses nouvelles responsabilités (n° 118).

JÉRÔME BARRAND, JOCELYNE DEGLAINE


Développer l’agilité dans l’entreprise (n° 208)

GUY BARRIER
La communication non verbale (n° 117).
Internet, clefs pour la lisibilité (n° 140).

JEAN-MICHEL BAZIN ET ROGER BAZIN


Comment raisonner pour décider (n° 129).

ROGER BAZIN
Développement personnel et entraînement mental (n° 29).
Organiser les sessions de formation (n° 30).

THIERRY BEAUFORT
40 exercices ludopédagogiques pour la formation (n° 185).
Surprendre en formation (n° 191).

LIONEL BELLENGER
À chacun sa résilience (n° 200).
Agir en stratège (n° 168).
Comment managent les grands coachs sportifs (n° 156).
L’autorité responsabilisante (n° 211).
La boîte à outils du négociateur (n° 164).
La confiance en soi (n° 100).
La force de persuasion (n° 37).
Les fondamentaux de la négociation (n° 163).
Les outils du négociateur (n° 90).
Les techniques d’argumentation les plus sûres (n° 205).
L’excellence à l’oral (n° 149).
Libérez votre créativité (n° 166).
Des prises de parole captivantes (n° 214).

215
Piloter une équipe projet (n° 158).
Rire et faire rire (Hors série).
La vérité sur le charisme (n° 215).

LIONEL BELLENGER, MARIE-JOSÉE COUCHAERE


Les techniques de questionnement (n° 143).
Plus efficace et moins stressé (n° 159).
L’écoute (n° 182).

LIONEL BELLENGER, PHILIPPE PIGALLET


Dictionnaire de la formation et du développement personnel (n° 113).
100 exercices et études de cas pour la formation (n° 154).

LIONEL BELLENGER, PHILIPPE PIGALLET, REHBIA COUILLET,


MARIE-JOSÉE COUCHAERE, BRUNO BARJOU
C’est moi d’abord (n° 150).

LIONEL BELLENGER ET PHILIPPE TRAMOND


Comment manager demain (n° 210).

MICHAEL CAMARDESE ET CHRISTELLE VANDRILLE


Libérer la parole dans les entreprises (n° 216).

PIERRE CAUVIN
La cohésion des équipes (n° 119).

PIERRE CAUVIN ET GENEVIÈVE CAILLOUX


Les types de personnalité (n° 102).

RAMEZ CAYATTE
Motiver. Oui mais comment ? (n° 190).
Manager un projet… Oui mais comment ? (n° 195).

DOMINIQUE CHALVIN
L’affirmation de soi (n° 41).
Cerveau gauche, cerveau droit (n° 209)

216
Du bon usage de la manipulation (n° 148).
Faire face aux stress de la vie quotidienne (n° 48).
Formation : méthodes et outils (n° 116).
Histoire des courants pédagogiques (n° 115).
Le manager flexible (n° 197).
Les nouveaux outils de l’analyse transactionnelle (n° 64).
Les outils de base de l’analyse transactionnelle (n° 63).
Tensions et conflits dans les relations personnelles (n° 136).

JACQUES CHAUMIER
Travail et méthodes du documentaliste (n° 39).

CORINNE CHAUVIN
Concevoir un stage de formation (n° 173).

LAURENT COMBALBERT
Le management des situations de crise (n° 171).
Négociation en situations complexes (n° 179).

VIRGINIE CORNET, PHILIPPE AURIOL


Le parler-vrai (n° 108).

MARIE-JOSÉE COUCHAERE
70 exercices pour développer vos soft skills (n° 213).
Le développement de la mémoire (n° 147).
Favoriser le travail en équipe par la coopération (n° 194).

REBIHA COUILLET
Être soi (n° 124).

SOPHIE COURAU
Le blended learning (n° 217).
Les outils de base du formateur (n° 97).
Les outils d’excellence du formateur (n° 99).
Jeux et jeux de rôle en formation (n° 175).

217
ÉLIZABETH COUZON ET FRANÇOISE DORN
Les émotions (n° 181).

DENIS CRISTOL
Les communautés d’apprentissage (Hors série).
Former, se former et apprendre à l’ère numérique (Hors série).
Management et communication : 100 exercices (n° 196).
Innover en formation (n° 201).
50 conseils pour développer l’envie d’apprendre (n° 203).
Management et innovation : 60 nouveaux exercices (n° 206).

DENIS CRISTOL ET CÉCILE JOLY


Management et intelligence collective : 60 méthodes et exercices.

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