L’imitation appropriative est au centre des hypothèses de R.Girard.
L’imitation n’est pas conformisme et répétition, elle est aussi tentative d’appropriation, capture, afin d’être encore plus conforme à l’autre. Dans les sociétés animales et dès leurs jeune $âge, les animaux vivent en groupe acceptent des rôles de dominant et de dominé. La force physique du dominant assure alors la stabilité du groupe. La violence ne peut provoquer la destruction de la société animale et se reporte, tout entière, à l’extérieur du groupe. Chez l’homme, la croissance du cerveau ne permet plus la stabilité du groupe. L’intelligence atteint un niveau suffisant pour contrebalancer la force physique, et va sans doute de pair avec le développement d’un imaginaire … L’imitation appropriative peut alors entrainer des folies meurtrières, des crises mimétiques. Ou bien, les premières sociétés humaines trouvaient les moyens de détourner et de canaliser la violence originelle, ou bien elles disparaissaient ! Elles ne prouvaient plus être régulées par la simple reconnaissance de la force physique du dominant. La victime émissaire a été la première manière de ressouder le groupe. Le sacré, ses rituels et ses interdits perpétuaient ensuite la fonction pacificatrice de la victime émissaire, imposant notamment les interdits qui éviteront le retour de la violence. La monarchie et, dans sa foulée le pouvoir politique, ont la même origine et la même fonction. Divinité et royauté constituent deux solutions au même problème. Mais si le divin tend à conjurer la violence par le sacrifice et le rituel, la royauté a le pouvoir de la prévenir en punissant ceux qui violent la règle. Les échanges rituels, les guerres rituelles avec enlèvement de prisonniers en nombre souvent bien déterminé et qui seront par la suite sacrifiés, participent eux aussi au même endiguement de la violence. L’ordre marchand et la monnaie qui lui est étroitement liée ont aussi la même origine. Le meurtre et la violence sont d’abord déportés vers les objets appartenant à l’autre. Le vol est déjà, par rapport au meurtre de sang, une maîtrise de la violence. Mais la capture de ce possède l’autre est difficilement contrôlable par le rite. Alors apparait la monnaie. Elle joue dans l’ordre marchand le rôle de la victime émissaire. Elle va être cette chose, mise à part, que personne ne consomme (qui n’a de valeur d’usage pour personne) et que tout le monde va poursuivre, chercher à accumuler. « Une société capable de détourner le désir sur l’accaparement des objets, de maintenir une distance entre « la valeur d’usage » que l’on convoite et la personne du rival qui la possède, peut supporter une violence beaucoup plus grande qu’une société dans laquelle les objets sont les symboles représentatifs des personnes vivantes ou mortes. » Nous sommes loin de la fable du troc primitif et de l’invention rationnelle de la monnaie. Les trois institutions que sont le sacré, le pouvoir politique et la monnaie ont toutes les trois même fonction, et des rapports ambigus avec la violence. La chasse et l’élevage, et leur venue dans le domaine économique, n’ont plus une origine utilitaire. Les deux activités n’ont pas eu d’abord un objectif alimentaire. Pour comprendre la chasse, l’organisation et les rites qu’elle suscite, il faut la ramener à l’activité sacrificielle. « Le gibier est perçu comme un remplaçant de la victime originaire, monstrueuse et sacrée. » La domestication des animaux a la même fonction. L’explication économique de la domestication est invraisemblable. Il a fallu, le plus souvent, des centaines d’années pour parvenir à des races domestiques. Il aurait donc fallu que les premiers hommes se disent : »Traitons les vaches et les chevaux comme s’ils étaient domestiqués, et nos descendants, dans un avenir indéterminé, jouiront des avantages de l’élevage. » En fait, les rituels du sacrifice ont fourni le motif de la domestication future ; la victime émissaire est devenue le bouc émissaire. Dans le même mouvement d’enfouissement de la violence, l’origine réelle de nos institutions et de notre pensée a été, peu à peu, engloutie par des explications plus apaisantes. Les recherches tâtonnantes des causes, à partir desquelles s’est développée la pensée, participe aussi à cet apaisement de la violence originelle. Elle rejette la cause hors du groupe ; elle objectivise l’origine de la peur et du mal. La causalité a, elle aussi, un fondement subjectif et entretient des liens étroits avec la violence. Nous ne trouvons plus que des traces de la violence fondatrice. Toute l’histoire de l’humanité tend à effacer ce fondement pour essayer d’extraire de son sein la violence qui risque toujours, à tout moment, de la détruire.