Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Siwek Paul. Le libre arbitre d'après Spinoza. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 45, n°8, 1947. pp.
339-354;
doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1947.4113
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1947_num_45_8_4113
Cl L'âme et le corps d'après Spinoza, Pans, Alcan, Coll Histor des Grands
Philos , 1930, Spinoza et le panthéisme religieux, Paris, Desclée de Brouwer,
Bibliothèque Franc de Philos , 1937
<2> Pnnc Philos , P III, éd. C Gebh , t I, p 227, Cog Met , P I, c 6. t I,
p 247, Pnnc Philos , P I, pp 14 et 15, t 1, pp 171-176, Epist XXXVII, t IV
pp. 187-189, Epist II, p 8; Tract Theol. Polit, c 5 et 6, pp 69-96
<•> Eth. II, 48, Schol, pp 129-130
340 Paul Siwek
<4> Eth II, 48, Schol, t. II, p. 129; Eptst. II, t IV, pp 8-9; Eth. II, 40,
Schol , pp. 120-121
<5> Eth II, 49, Schol, pp 131-136
<•> Eptst II, t IV, p 9.
«'> Eth II, 48, Schol, p. 129.
(•> Epist II, p. 9.
Le libre arbitre d'après Spinoza 341
'*' La volonté dont traite la psychologie n'appartient pas plutôt à Pierre qu'à
Paul. C'est une volonté conçue à l'état d'universalité.
<10> Eth II, 49, pp 130-131
(") Ibid.
342 Paul Siwek
<12> Princ Philos, Pars I, n 32, 34, ed Ad et Tann., t. VIII, p. 17; Lettre
347, t IV, p 113
(ls) Nou* avons tâché d'expliquer la nature de ce jugement dans notre ouvrage
La psychophysique d'après Aristote, chap. IV et VI.
Le libre arbitre d'après Spinoza 343
pour réfuter cet argument (27), il faut franchement avouer que celui-ci
était bien faible. Aussi ne trouvait- il nulle sympathie chez les
partisans les plus illustres du libre arbitre. La volonté — disaient-ils —
suit l'intelligence. Elle ne peut donc s'exercer que sur les objets
présentés par l'intelligence : nihil volitum nisi praecognitum. On ne
peut vouloir sans vouloir quelque chose ; et cette chose doit être
connue d'avance par l'intelligence. Lorsqu'ils appelaient la volonté
« puissance la plus universelle » (potentia universalissima), ils
voulaient dire par-là seulement qu'il n'y a, dans la nature, rien qui ne
puisse être objet de la volonté. Car il n'y a rien qui ne puisse être
considéré de quelque façon comme « bien ». Or la volonté s'étend
à tout « bien ».
5. Spinoza passe à la discussion d'un autre argument par lequel
certains voulaient prouver le libre arbitre.
Mettons devant l'homme divers aliments, de même nature et à
égale distance de lui. Il est sûr qu'il ne mourra point de faim,
contrairement à ce qui arriva, dit-on, à l'ânesse de Buridan. C'est donc
en lui-même, dans son propre fond, que l'homme puise le motif
d'agir, sa détermination à l'action. 11 est donc libre <a8).
Cet argument que Spinoza avait défendu dans ses Cogit. Me-
taph. <29) est critiqué dans son Ethique (30) de la manière suivante :
s'il était vraiment possible à l'homme de « n'apercevoir que sa faim
et sa soif, l'aliment et la boisson à égale distance de lui », je prétends
qu'il mourrait réellement de faim et de soif. Il s'agit seulement de
savoir si cette hypothèse n'est pas absurde. Or il me paraît qu'il en
est vraiment ainsi. Car un tel homme serait un véritable âne au sens
fort du mot. L'équilibre dont parle l'anecdote est chimérique.
La réponse de Spinoza nous paraît raisonnable. Mais elle manque
de nuances.
Il est faux tout d'abord qu'un animal puisse jamais mourir de
faim dans les conditions mentionnées plus haut. C'est que l'animal
est incapable de la perplexité dont parle l'anecdote. En effet, la
perplexité en question est supposée prendre naissance dans la per-
La première chose qu'il est bon de noter ici c'est que les animaux
commettent aussi des erreurs. L'expérience journalière en fait foi.
Or ils ne sont pas libres. Donc les erreurs comme telles ne sont pas
encore une preuve péremptoire du libre arbitre. Les animaux
jugent <39) d'après les données de leurs sens. Or ces données peuvent
être modifiées de différentes façons par l'ambiance et par l'état du
sujet : distance, éclairage, association d'images, faiblesse de la
mémoire etc.
Mais pour nous limiter à l'homme, pourquoi l'erreur devrait-
elle venir, chez lui, uniquement de l'abus de sa liberté, pourquoi
serait-elle incompatible avec l'intelligence ? Certes, l'intelligence ne
peut pas être indifférente à la vérité et à l'erreur. Sinon elle porterait,
dans sa nature, un désordre, elle démentirait sa destinée. Car, ainsi
que la vue est pour l'exercice de la vision, l'intelligence est pour
connaître. Aussi ne peut-elle pas indifféremment produire la
connaissance vraie ou erronée. Mais notre problème n'est pas là. Il
s'agit de savoir si l'intelligence, tout en poursuivant la vérité, ne
peut parfois (per accidens) glisser dans l'erreur sans que nous ayons
besoin d'en appeler au libre arbitre, à son abus. Voilà le problème.
Et nous croyons devoir le résoudre par l'affirmative. On sait, en
effet, combien nos jugements sont influencés par nos désirs, par nos
tendances, par nos sentiments. La tyrannie de la « logique
passionnelle » est trop bien connue pour que nous ayons à y insister. On
sait combien nos jugements sont souvent faussés par nos passions
tout en gardant les apparences de la vérité.
Certes, lorsque nous sommes en face d'une vérité immédiatement
évidente, nous ne pouvons pas commettre une erreur. Hélas, ces
vérités-là sont plutôt rares. Le plus souvent nous avons affaire aux
vérités dont l'évidence est seulement médiate. Les jugements que
nous formons alors peuvent être entachés d'erreur.
Voilà comment l'intelligence, infaillible en soi, commet des
erreurs « par accident ». Elle le fait en joignant ensemble, dans un
jugement, deux idées qui ne s'appartiennent pas en réalité. Et la
vraie cause de l'erreur doit être cherchée dans différentes influences
qui s'exercent sur l'intelligence. Nous en avons cité quelques-unes.
Or que nous puissions toujours, en présence de ces influences,
suspendre à temps notre jugement et éviter ainsi l'erreur, c'est là une
(*°) Qu'on veuille bien se rappeler que nous considérons ici l'aspect logique
de 1* erreur.
Le libre arbitre d'après Spinoza 349
<"> Princ Philos I, 39-41 (t VIII, p 20); Méditât IV, n. 7, n. 66 (t. VIII,
p 57), Respons ad Obiect Tert , n 64 {ibid , p 171).
<42> Eth II, 49, Schol, t. II, p 134
<") Ibid.
(44) Ibid — Le mot « fatalement » ne s'y trouve pas Mais la chose y est
clairement exprimée. Spinoza donne souvent au mot « fatum » une signification
plus large Voir par exemple Epiât LVJII (ad Schuller), t. IV, p 267: « Nescio,
quia tpai dixent, non posse ex jatali necessitate... fieri, ut firmato et constanti simus
ammo » — Epi st. LXXV, p 312: la nécessité fatale est confondue ici avec la
nécessité de coaction.
(*5) Cf notre travail La conscience du libre arbitre, « Gregonanum »,
vol XVI, 1935, pp 52-73.
(") Eth. II, 49, Schol, t. II, p. 134
350 Paul Siwek
<"') Voir Eth. III, 9, t. II, pp 147-148; IV, 8, pp. 215-216; H, 22. pP 109-110.
352 Paul Siwek