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LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN DE LA PSYCHANALYSE, LA

PSYCHANALYSE SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA.


Affinités et altérités entre systèmes de pensée

Patrick Saurin

L’Esprit du temps | « Topique »

2007/4 n° 101 | pages 87 à 108


ISSN 0040-9375
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ISBN 9782847951172
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La pensée nahua sur le divan de la psychanalyse,


la psychanalyse sur la natte de la pensée nahua.
Affinités et altérités entre systèmes de pensée

Patrick Saurin
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Des particules de notre moi passé ou futur errent dans la nature
où des lois universelles très précises travaillent à les rassembler.
Et il est juste que nous cherchions des répliques, des répliques actives,
nerveuses, fluides même, dans tous ces éléments désagrégés.
(Antonin ARTAUD, Messages révolutionnaires)

Nous avons souhaité engager ici un travail d’une nature particulière puis-
que nous nous proposons de confronter une société disparue il y a bientôt cinq
siècles, la société de Mexico-Tenochtitlan antérieure à la Conquête espagnole,
à un savoir qui lui est extérieur et étranger : la psychanalyse. Mais dans le même
temps, nous avons voulu également questionner la psychanalyse à partir d’une
autre architecture de l’esprit que celle qui lui a donné naissance. Au terme de
ces allers et retours comparatifs, nous essaierons de tirer quelques enseigne-
ments quant aux ressemblances et différences mises au jour en plus des
interrogations que cet exercice n’aura pas manqué de susciter1.
Même si notre espace de recherche est circonscrit dans ce que les spécialis-
tes appellent l’ethnohistoire, notre démarche s’inscrit dans un mouvement,
essentiel à nos yeux, qui s’attache à construire un dialogue entre anthropologie

1. En préalable, nous souhaitons remercier Sophie de Mijolla-Mellor qui nous a donné l’oc-
casion de présenter cette communication dans le cadre de son séminaire de l’École doctorale
lundi 12 décembre 2005 à l’Hôpital Sainte-Anne, et dire notre gratitude à Bernard Juillerat et
Patrice Bidou qui ont eu la gentillesse de lire ce travail et de nous faire part de remarques dont
nous avons tenu compte lors de sa mise au net.

Topique, 2008, 101, 87-108.


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et psychanalyse 2. L’étude des mythes et des rites des anciens Mexicains3 nous
a depuis longtemps convaincu de la nécessité d’examiner les productions maté-
rielles et intellectuelles de cette société depuis le point de vue de la psychanalyse.
Pourtant, nous observons que jusqu’à cette date, la plupart des chercheurs méso-
américanistes sont restés avares en investigations utilisant le savoir
psychanalytique4. Quant à l’apport de la pensée méso-américaine à notre pro-
pre système de pensée, il est tout aussi insignifiant. Notre approche, qui se veut
une contribution prudente et modeste aux échanges entre anthropologie et psy-
chanalyse, se limitera à examiner deux questions.
En premier lieu, nous nous attacherons à rechercher si des réalités ou les
concepts qui les désignent dans le champ de réflexion psychanalytique se retrou-
vent dans la pensée et le vocabulaire nahuas, à « tenter la mise en miroir de
certains concepts analytiques et d’éventuels équivalents indigènes », pour repren-
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dre les propos de Bidou, Galinier et Juillerat5. Notre réflexion partira des trois
concepts clés que sont le ça, le moi et le surmoi, mais nous aurons également
à cœur, en retour, de questionner cette trilogie à partir d’autres concepts issus
de la pensée nahua. Nous essaierons également de vérifier si les trois points de
vue pris en considération par la métapsychologie freudienne, à savoir les points
de vue dynamique, topique et économique, sont susceptibles de quelque appli-
cation dans le système de pensée nahua.
Ensuite, à partir de la définition traditionnellement donnée de la psychana-
lyse, à savoir un procédé d’investigation de processus psychiques inconscients,
une méthode de traitement de troubles névrotiques fondée sur cette investiga-
tion, enfin un ensemble de théories et de systèmes participant à la construction
d’une discipline ou d’un savoir original, nous nous attacherons à rechercher s’il
existait dans l’ancienne société mexica une démarche susceptible de partager
quelques présupposés ou quelques jalons avec la discipline psychanalytique.

2. Voir notamment le numéro de la revue L’Homme consacré à cette question (L’Homme,


« Anthropologie Psychanalyse », 1999, n° 149) et celui de la revue freudienne Topique (Topique,
« Mythes et Anthropologie », 2003, n° 84).
3. Pour des raisons de simplicité, nous utiliserons indifféremment dans ce travail les termes
de Nahua, Mexica, Aztèques et anciens Mexicains. Sans entrer dans des détails hors de propos
ici, retenons que le nom azteca désigne les membres d’une tribu partis d’un lieu appelé Aztlan
pour aller fonder Mexico-Tenochtitlan en 1325, près de deux siècles plus tard. Cette population
parlait la langue nahuatl. Pour une introduction à la pensée de cette société, se reporter à Patrick
Saurin (Teocuicatl. Chants sacrés des anciens Mexicains, Paris, Mémoires de l’Institut d’ethno-
logie, Muséum national d’histoire naturelle, 1999, et In xochitl in cuicatl. La fleur, le chant. La
poésie au temps des Aztèques, Grenoble, Jérôme Millon, 2003).
4. Il existe malgré tout quelques chercheurs méso-américanistes ouverts à la psychanalyse,
tels Jacques Galinier (La moitié du monde. Le corps et le cosmos dans le rituel des Indiens otomi,
Paris, P.U.F., 1997) ou Michel Boccara (La part animale de l’homme. Esquisse d’une théorie du
mythe et du chamanisme, Paris, Anthropos, 2002).
5. Patrice Bidou, Jacques Galinier et Bernard Juillerat, « Arguments », L’Homme, op. cit.,
1999, p. 21.
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DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

Ces mises en regard successives nous donneront l’occasion de lever le voile sur
des savoirs propres à la pensée nahua, d’interroger leur spécificité et d’identi-
fier ce qui en eux est irréductible à l’approche psychanalytique.
Avant de développer notre propos, il est nécessaire d’insister sur les limites
d’une telle réflexion. À la différence de ses collègues ethnologues et psycha-
nalystes, l’ethnohistorien travaille sur des données parcellaires sans espoir
d’accéder un jour à l’exhaustivité car la société qui constitue la matière de son
travail a disparu à jamais. Conscient de ces limites, nous nous attacherons uni-
quement ici à poser les premiers jalons d’une réflexion, à avancer des pistes, à
susciter des interrogations. Cette étude doit se lire comme une invitation à la
discussion adressée à nos collègues méso-américanistes, anthropologues et psy-
chanalystes.
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TOPIQUE FREUDIENNE ET TOPIQUE NAHUA

Dans sa deuxième théorie de l’appareil psychique, Freud distingue trois ins-


tances : le ça, le moi et le surmoi. Le ça représente le pôle pulsionnel de l’individu.
C’est le domaine des passions. Il n’est pas séparé de manière tranchée des deux
autres instances mais se trouve au contraire investi par celles-ci. Il est égale-
ment en relation avec le côté somatique. « Ses contenus, expressions psychiques
des pulsions, sont inconscients, pour une part héréditaires et innés, pour l’au-
tre refoulés et acquis. »6 Pour Freud, le ça est un chaos, « il s’emplit d’une énergie
venant des pulsions, mais il n’a pas d’organisation, il ne promeut aucune volonté
générale. »7 Le moi, considéré comme le pôle défensif de la personnalité, joue
le rôle d’un médiateur entre la libido du ça, la rigueur du surmoi et les exigen-
ces de la réalité du monde extérieur. On lui attribue des fonctions concernant
la perception et la raison. Son lien avec le corps permet de « définir l’instance
du moi comme fondée sur une opération psychique réelle consistant en une « pro-
jection » de l’organisme dans le psychisme. »8 Le surmoi a un rôle de critique,
de juge, de censeur du moi. La conscience morale, l’auto-observation, la for-
mation d’interdits et d’idéaux sont autant de ses fonctions. Le surmoi « se
constitue par intériorisation des exigences et des interdits parentaux. »9 Ainsi
que le soulignent Laplanche et Pontalis, « Freud a insisté sur l’idée que le sur-
moi comporte essentiellement des représentations de mots et que ses contenus
proviennent des perceptions auditives, des préceptes, de la lecture. »10

6. Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F.,


1998, p. 56.
7. Cité par Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, ibid., p. 57.
8. Ibid., p. 253.
9. Ibid., p. 471.
10. Ibid., p. 473.
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Curieusement, les anciens Nahua distinguaient également trois instances


essentielles présentes en chaque individu. Les américanistes les nomment « enti-
tés animiques »11. La pensée occidentale éprouve de grandes difficultés à saisir
ces réalités et à leur reconnaître un équivalent dans son propre univers12. Comme
l’écrit Alfredo López Austin, « parler d’âmes, d’esprits ou de psychés, ne pré-
cise pas grand chose. »13 Dans son livre, Cuerpo humano e ideología, le chercheur
mexicain a développé une réflexion solide et intelligente en vue de définir ces
entités et d’en comprendre leur fonctionnement. Il s’est attaché tout d’abord à
rechercher les centres animiques. Selon lui,

« Un centre animique peut se définir comme la partie de l’organisme


humain dans laquelle on suppose qu’il existe une concentration de for-
ces animiques, de substances vitales, et dans laquelle se produisent les
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impulsions basiques commandant les processus qui donnent vie et mou-
vement à l’organisme et permettent la réalisation des fonctions
psychiques. »14

Pour López Austin, ces forces animiques représentent de l’énergie :

« L’énergie animique que l’on suppose résider dans les centres animi-
ques est fréquemment conçue comme une unité structurée avec une
capacité d’indépendance, à certaines conditions, à l’égard du siège orga-
nique à laquelle elle est reliée. »15

Alfredo López Austin reconnaît trois centres animiques principaux, à savoir


le sommet de la tête, le cœur et le foie, dans lesquels sont concentrées les fonc-
tions animiques les plus importantes. À chaque centre est attachée une entité
animique particulière : au sommet de la tête le tonalli, au cœur le teyolia, et au
foie l’ihiyotl. Chacune de ces entités recouvre des fonctions psychiques dont la
répartition n’est pas sans évoquer celle des trois instances freudiennes16. Ainsi,

11. Voir notamment Alfredo López Austin, Cuerpo humano e ideología, I, México, UNAM,
1980, pp.197-262.
12. Pour Philippe Descola, l’animisme est un des modes d’identification structurant l’expé-
rience collective « dans lequel les humains imputent aux non-humains une intériorité identique
à la leur, tout en leur reconnaissant une physicalité différente » (Anthropologie de la nature in
Annuaire du Collège de France 2001-2002, Résumé des cours et travaux, 102ème année, Paris,
Collège de France, 2002, p. 628).
13. Ibid., p. 197.
14. Ibid.
15. Ibid.
16. Ouvrons une parenthèse pour relever ici une correspondance lexicologique entre la ter-
minologie freudienne et celle des chercheurs méso-américanistes. Dans les premières lignes de
Psychanalyse et théorie de la libido, Freud définit la psychanalyse comme : « un procédé pour
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SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

à l’instar du ça, l’ihiyotl est le siège des passions et des sentiments tels que le
désir, l’envie, la cupidité et la colère. L’ihiyotl était transmis au nouveau-né sous
la forme d’un souffle adressé par les divinités Citlalicue, Citlallatonac et les
ilhuicac chaneque, les « habitants du ciel ». Molina traduit ihiyotl par « souf-
- o-tl
fle », « haleine »17, et selon Karttunen ihıy - semble être en relation avec eheca-tl
-
18
« vent » . On se représentait l’ihiyotl sous la forme d’un gaz lumineux. Ce souf-
fle pouvait tout à la fois communiquer une force bienfaisante ou des maux.
Aujourd’hui, on le rencontre encore dans certaines communautés sous l’appel-
lation de « aire de noche » ou yuhualecatl. Un passage du dernier chapitre du
livre VI du Codex de Florence de Sahagún mentionne l’expression in yohualli
in ehecatl, in nahualli in totecuyo, littéralement, « La nuit, le vent, le nahualli
(id est le devin), notre seigneur », utilisée pour désigner les dieux Tezcatlipoca
ou Huitzilopochtli. À côté de ce pôle pulsionnel et passionnel, le teyolia et le
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tonalli forment un autre pôle régissant les processus des sentiments, de la réflexion
et de la raison. Le teyolia est le siège des fonctions psychiques les plus impor-
tantes et des pensées les plus élevées. Selon López Austin, le mot teyolia est
construit sur la racine yol utilisée pour former le substantif yollotl, le « cœur »,
et le verbe yoli, « vivre »19. López Austin suppose que le teyolia était transmis
à l’enfant dès son entrée dans le ventre de sa mère par les dieux patrons du cal-
pulli, du quartier. Ces dieux protecteurs étaient appelés altepeyollotl, « cœurs
de la cité ». Le tonalli quant à lui évoque à la fois la chaleur, le feu et la lumière.
Ce substantif est formé à partir du verbe tona qui signifie « irradier », « faire
chaud » ou « faire soleil ». Le tonalli désignait également le signe de naissance
d’un individu. Le calendrier divinatoire comptait 260 jours combinant vingt
signes avec des chiffres allant de un à treize. Le signe de jour déterminait le
destin de l’individu mais celui-ci pouvait malgré tout, par sa volonté, corriger
un destin a priori néfaste. Le tonalli était insufflé à l’enfant encore dans le ven-
tre de sa mère par les divinités suprêmes depuis les cieux supérieurs de
l’Omeyocan, « l’endroit de la dualité », mais ce n’est qu’au cours du bain rituel
suivant sa naissance que lui étaient attribués son tonalli définitif et son nom.

l’investigation des processus animiques [c’est nous qui soulignons], qui sont à peine accessibles
autrement ; … une méthode de traitement des troubles névrotiques, qui se fonde sur cette inves-
tigation ; … une série de vues psychologiques acquises par cette voie, qui croissent progressi-
vement pour se fondre en une discipline scientifique nouvelle » (Sigmund Freud, Psychanalyse
et théorie de la libido, in Œuvres complètes, t. XVI, Paris, P.U.F., 2003, p. 183 [211]).
17. Fray Alonso de Molina, Vocabulario en Lengua Castellana y Mexicana y Mexicana y
Castellana, México, Porrúa, 1977, fol. 36 v°.
18. Frances Karttunen, An Analytical Dictionary of Nahuatl, Norman, University of Oklahoma
Press, 1992, p. 98.
19. Miguel León-Portilla pense pour sa part que yollotl est dérivé de ollin, « mouvement »,
et signifierait sous sa forme abstraite y-oll-otl, « sa mobilité ou la raison de son mouvement »
(sous-entendu : du vivant) » (La pensée aztèque, Paris, le Seuil, 1985, p. 292).
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À défaut d’apporter la preuve que les Nahua considéraient les trois entités
animiques constitutives d’un tout – car nous n’avons pas retrouvé de terme dans
leur langue susceptible de désigner ce tout, ni de témoignages dans lesquels
l’ihiyotl, le tonalli et le teyolia sont présentés conjointement hormis une illus-
tration d’un codex20 – nous pouvons soutenir que ces trois entités étaient
indispensables à la constitution d’un individu21. L’action combinée et harmo-
nieuse de ces forces, de ces énergies associées au sein d’un même corps matériel
était la condition de la production « d’un individu sain, équilibré mentalement
et de bonne moralité » ainsi que le précise López Austin22. Si les instances freu-
diennes sont toutes trois nécessaires à la constitution de l’appareil psychique et
donc du sujet lui-même, il faut souligner que ces instances entretiennent des
relations conflictuelles, à la différence des entités animiques des Nahua. Est-
ce à dire que le conflit est absent de la conception mexica ? Nous ne le pensons
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pas, car les entités animiques vont se retrouver confrontées à d’autres forces, à
d’autres puissances extérieures à l’individu et susceptibles de l’investir. Chez
les Nahua, ce qui constituait le plus intime et le plus essentiel d’un être humain
était le souffle, la chaleur et le mouvement, ce que nous qualifions d’immaté-
riel. Ouvrons une parenthèse ici pour essayer d’imaginer ce qu’a pu être l’histoire
d’une aussi riche et fine conception, hélas, inaccessible à tout jamais. La réflexion
développée par les Présocratiques autour du concept de phusis et leur recher-
che de la substance primordiale nous en donne peut-être une idée. En effet, la
référence au souffle, à la chaleur et au mouvement rappelle à notre esprit les
questionnements philosophiques d’Anaximandre, d’Anaximène et d’Héraclite,
sauf que chez les Nahua ces forces et ces principes sont constitutifs de l’indi-
vidu et de quelques entités alors que chez les anciens Grecs ils sont évoqués
dans le cadre d’une recherche sur l’origine et la cause de toutes choses.
Ce regard en arrière vers les anciens Grecs, curieusement, n’est pas sans
nous ramener aux origines étymologiques de la première racine du terme « psy-
chanalyse ». Selon le Dictionnaire historique de la langue française, « psych-,

20. Il s’agit de la planche 27 du Codex Laud. (Graz, Akademische Druck-und


Verlagsanstalt, 1966).
21. Si les entités animiques sont constitutives d’une dimension de la personne, elles n’en sont
pas les seules composantes dans la conception nahua. Retenons avec Françoise Michel-Jones que
« notre notion de la personne n’est pas une réalité sui generis» (« La notion de personne », in La
construction du monde. Religion/Représentations/Idéologie, sous la direction de Marc Augé, Paris,
François Maspéro, 1974, p. 38). Mentionnons également les fécondes réflexions de Daniel
Dubuisson sur cette question, notamment lorsqu’il commente les analyses d’Ernesto de Martino
pour qui « ce ne sont pas seulement les idées ou les croyances des sujets percevant le monde qui
diffèrent dans tel univers et dans tel autre, mais, si l’on veut, l’être intérieur de l’homme lui-
même » (Les sagesses de l’homme. Bouddhisme – paganisme – spiritualité chrétienne, Villeneuve
d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004 : 55), à savoir que « l’organisation mentale,
les structures de la conscience et de la personnalité de l’homme ne s’apparenteraient pas à un dis-
positif inné, ou donné, défini et établi une fois pour toute » (ibid., p.58).
22. Alfredo López Austin, op. cit., 1980, I : 262.
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psycho- est un élément formant tiré du grec psukh(o)-, lui-même de psukhê « souf-
fle, respiration, haleine », qui s’est dit de la force vitale et de la vie, sentie comme
un souffle, de l’âme de l’être vivant, siège de ses pensées, de ses émotions et
de ses désirs, et qui désigne par métonymie cet être lui-même, l’individualité
personnelle, et toute créature vivante douée d’une «âme » (incluant les escla-
ves et les animaux) ; il désigne spécialement la partie immatérielle et immortelle
de l’être, s’appliquant à l’âme séparée d’un mort, au souffle plus ou moins maté-
riel séjournant dans l’Hadès… Psukhê se rattache à la racine indoeuropéenne
«bhes- « souffler »…»23 Ainsi, nous retrouvons dans le mot psukhê le souffle
associé à l’ihiyotl des Nahua. Par ailleurs, il est intéressant de relever que cer-
tains philosophes grecs divisaient la psukhê en trois parties. C’est le cas
notamment de Pythagore, Platon, Aristote et Plotin. Pythagore pour sa part consi-
dérait trois facultés : l’intelligence (noûs), le cœur (thumos) et la sensibilité
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(épithumia). Platon, dans la République, divise l’âme en trois parties : le prin-
cipe raisonnable (logos) et le principe déraisonnable (alogon) qui se dédouble
en la passion (thymos) et la sensibilité (épithumia), chacune de ces parties étant
associée à une classe sociale : l’intelligence aux gouvernants, la passion et la
force aux guerriers, enfin la sensibilité aux gens du peuple24. Il y a quelques
années, Tim Knab a mis en évidence chez des populations nahuas de la Sierra
Norte de Puebla des correspondances entre les trois entités animiques, les trois
plans de l’univers et trois éléments, recouvrant les observations de López Austin
chez les anciens Nahua. En effet, selon López Austin, le tonalli est associé au
ciel supérieur, au soleil et au père, le teyolia à la terre, à l’eau et aux enfants,
enfin l’ihiyotl à l’inframonde, à l’obscurité et à la mère25.

SUR LES TRACES D’UNE MÉTAPSYCHOLOGIE NAHUA ?

Peut-on avancer que les anciens Nahua disposaient d’un authentique savoir
se traduisant dans la construction d’une réalité suprasensible? Même si l’on se
trouve en présence d’une pensée fortement imprégnée de mythes, force est de
reconnaître présentes dans les processus psychiques de cette pensée les dimen-
sions dynamique, économique et topique à la base de la métapsychologie
freudienne. Nous avons mis en évidence précédemment la réalité de la dimen-
sion topique avec les centres animiques. Nous avons relevé également dans ces
centres animiques la présence de forces représentant de l’énergie de nature à

23. Le Robert. Dictionnaire historique de langue française, sous la direction d’Alain Rey,
Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, vol. 2, p.1663.
24. Sur la question de la tri-fonctionnalité, se reporter à l’article de Luc Brisson : « La tri-
fonctionnalité indo-européenne chez Platon », Philosophie comparée. Grèce, Inde, Chine, 2005,
pp. 121-142.
25. Alfredo López Austin, op. cit., 1980, I, p.398.
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rendre compte du point de vue dynamique. Enfin, la dernière dimension, la dimen-


sion économique qui met l’accent sur la quantification des énergies, leur niveau
d’intensité et les mouvements qui les animent, apparaît bien présente dans le
jeu subtil des entités animiques. Il n’est pas inutile ici de revenir quelques ins-
tants sur les trois « points de vue » de la métapsychologie freudienne. Le
dynamique veut voir les phénomènes psychiques comme la résultante d’un conflit
et du jeu de forces d’origine pulsionnelle. L’économique s’attache à cette éner-
gie psychique d’origine pulsionnelle, plus particulièrement à sa circulation et
à ce qui peut recouvrir une quantification. Enfin, le topique distingue différen-
tes instances ou systèmes au sein de l’appareil psychique. Selon Paul-Laurent
Assoun, la pulsion est le « concept fondamental » de la métapsychologie26. Tant
la pulsion que les trois « points de vue » se rattachent à un sujet particulier et se
rapportent à son intériorité. Avec la métapsychologie, Freud ambitionne d’al-
ler « de l’autre côté de la conscience », ainsi qu’il l’écrit à Flies27, mais cet autre
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côté, par principe, se situe toujours à l’intérieur de l’individu.
Il en va tout autrement chez les Nahua où les forces animant les individus
et les entités animiques qui en sont à la fois les générateurs, les destinataires et
les vecteurs ne sont pas exclusives et circonscrites à un individu particulier. Des
maux étaient susceptibles d’affecter le tonalli, le teyolia et l’ihiyotl. Le tonalli
pouvait être menacé par des puissances divines ou affaiblies suite à des excès
sexuels. Dans certaines circonstances, notamment l’interruption brutale du coït
ou du rêve, il était capable de quitter le corps de l’individu. De même, le teyo-
lia pouvait également subir des altérations consécutives à la conduite immorale
du sujet, à certaines maladies ou à l’action malfaisante de certains sorciers appe-
lés teyollocuanime et teyollopachoanime, littéralement les « dévoreurs de cœurs »
et les « oppresseurs des cœurs ». Enfin, l’ihiyotl pouvait tout à la fois contribuer
à la guérison de certains troubles et à la survenue d’autres. Comme le souligne
López Austin, une des caractéristiques de l’ihiyotl « était qu’il devait être
revitalisé en permanence par les forces de la nature. »28 Nous l’avons dit précé-
demment, le conflit n’intervient pas entre les entités animiques mais entre
différents sujets dotés de ces entités animiques en perpétuels mouvement et inter-
action au sein d’une sphère qui n’est rien d’autre que le cosmos dans sa totalité29.
Dans la conception freudienne, les pulsions et les trois points de vue se ratta-
chent à un sujet particulier, plus précisément à l’intériorité de celui-ci.

26. Paul-Laurent Assoun, « la « doctrine pulsionnelle »», in Alain de Mijolla et Sophie de


Mijolla, Psychanalyse, Paris, P.U.F., 2003, p.169.
27. Lettre du 10 mars 1898.
28. Alfredo López Austin, op. cit., 1980, I, p. 261.
29. Quel meilleur exemple pour illustrer la plasticité de cette conception qu’une des déno-
minations de la divinité suprême, du principe créateur : Tloque Nahuaque, « le Maître du proche
et de l’entour », divinité invisible et impalpable précisaient les informateurs indiens des religieux
espagnols.
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PATRICK SAURIN – LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN 95


DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

PSYCHANALYSE ET SYSTÈME DE PENSÉE NAHUA

Avant d’avancer une réponse à la seconde question que nous posions quant
à l’existence au sein de l’ancienne société mexica d’une démarche susceptible
de partager quelques présupposés ou quelques jalons avec la discipline psycha-
nalytique, il importe, au préalable, de rappeler en quelques mots la définition
de la psychanalyse à partir de laquelle nous allons développer notre réflexion.
Laplanche et Pontalis distinguent trois niveaux dans la psychanalyse :
« A) Une méthode d’investigation consistant essentiellement dans la mise
en évidence de la signification inconsciente des paroles, des actions, des pro-
ductions imaginaires (rêves, fantasmes, délires) d’un sujet…
B) Une méthode psychothérapique fondée sur cette investigation…
C) Un ensemble de théories psychologiques et psychopathologiques…»30
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De fait, la pensée nahua ne dispose pas d’une discipline équivalente point
pour point à la psychanalyse, mais nous croyons déceler dans cette société une
démarche ayant pour objet la compréhension et l’explication d’états pathologi-
ques ou d’événements inhabituels affectant un sujet, la mise en œuvre de soins
en vue de remédier à ces affections en cas de besoin, autant de pratiques contri-
buant à l’élaboration d’un savoir participant tout à la fois de la sagesse et de la
médecine. Préalablement à l’examen de chacun de ces trois niveaux à la lumière
des corpus en langue nahuatl et des témoignages en espagnol recueillis dans les
années qui ont suivi la conquête, une question se pose, celle de l’inconscient
ou pour reprendre la formulation de Jacques Galinier : « comment identifier…
des conceptions locales de l’« inconscient » ? »31 Pour cet auteur, une telle notion
pourrait trouver une réalité dans certains concepts indigènes et des interroga-
tions sur des thèmes tels que l’obscur, l’invisible, le secret, etc.32 C’est dans un
même état d’esprit que Bernard Juillerat, à propos de la société Yafar, a insisté
sur la nécessité de « parler des conceptions non théoriques que certaines socié-
tés se sont faites, au travers de leurs cosmologies, de quelque chose que l’on
peut définir comme un inconscient non spécifiquement freudien, la représenta-
tion d’un refoulé local, singulier, mais construit à partir de ce que l’homme
universel enfouit en lui. »33 Donner du sens à l’obscur, à l’invisible, au secret,
au refoulé, soigner, édifier un savoir, sont autant d’activités que nous retrou-
vons chez les Nahua. Or il nous semble que les points de prédilection autour
desquels gravitent et s’articulent cet obscur, cet invisible, ce secret et ce refoulé

30. Ibid., pp. 350-351.


31. Jacques Galinier, La moitié du monde. Le corps et le cosmos dans le rituel des Indiens
otomi, Paris, P.U.F., 1997, p. 15.
32. Ibid.
33. Bernard Juillerat, Penser l’imaginaire. Essai d’anthropologie psychanalytique, Lausanne,
Payot, 2001, p. 32.
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96 TOPIQUE

ne sont autres que le tonalli, le teyolia et l’ihiyotl. Par ailleurs, l’étroite relation
de ces entités animiques avec la vie, la sexualité, la mort et l’animalité n’est pas
sans nous renvoyer à la théorie des pulsions de Freud34. On connaît la célèbre
formule de Freud : « La théorie des pulsions est, pour ainsi dire, notre mytho-
logie. Les pulsions sont des entités mythiques, sublimes dans leur indéfinité. »35
En paraphrasant Freud, on pourrait prêter aux Nahua ce propos : les entités ani-
miques sont notre mythologie. Naturellement, les pulsions ne recouvrent pas
point pour point les entités animiques, mais le rapport de celles-ci à l’énergie,
au corps, au mouvement, au cycle de la vie et de la mort, enfin la part de mys-
tère qu’elles conservent nous apparaissent comme autant d’affinités essentielles36.

DONNER DU SENS AU NON-EXPLICITE


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Chez les anciens Mexicains, s’il n’existe pas à proprement parler de tech-
niques d’analyse des manifestations inconscientes au sens où l’entendait Freud,
on relève toutefois des préoccupations fort proches de celles qui sous-tendent
la démarche psychanalytique. À l’instar de cette dernière, la pensée nahua n’a
de cesse de donner du sens à l’obscur, au non-explicite. À travers le déploie-
ment d’un jeu subtil de chaînes de causalités et de correspondances, il s’agit
pour elle de trouver un sens à un événement inquiétant ou à une situation déli-
cate susceptibles de générer un sentiment d’angoisse. À l’instar de Freud aux
prises avec les mystères de l’inconscient, le sage nahua était lui aussi confronté
à des mystères non pas localisés dans les strates profondes de la pensée, mais
curieusement disséminés dans une dimension associant à la fois intériorité et
extériorité dans laquelle se produisent des phénomènes qui semblent précisé-
ment ne pas participer de l’inconscient défini au sens strict et consistant en un
ensemble hétéroclite de manifestations mettant en jeu des hommes, des ani-
maux, des plantes, des phénomènes atmosphériques et même des dieux. Pourtant,
cette dimension cachée ne manque pas de renvoyer à l’inconscient, même si
celui-ci n’est pas nommé chez les anciens Mexicains. Pour accéder à ces mon-
des inconnus, les deux systèmes de pensée ont recours à des moyens fort proches.
Outre la pensée symbolique, la parole rituelle, les rêves et la référence aux mythes
constituent des vecteurs particulièrement prisés tant des psychanalystes que des

34. Sur cette question, se reporter à la réflexion de Michel Boccara dans son livre La part
animale de l’homme. Esquisse d’une théorie du chamanisme, op. cit., 2002, p. 84-97.
35. Cité par Jean-Paul Valabrega dans son livre Phantasme, mythe, corps et sens. Une théo-
rie psychanalytique de la connaissance, Paris, Payot, Paris, 1992, p. 71.
36. Il ne faut pas omettre de souligner le lien qui unit les entités animiques aux divinités, ce
qui corroborerait l’idée de Valabrega selon laquelle « les dieux et démons du polythéisme sont
des représentants-représentations des pulsions » (Les mythes, conteurs de l’Inconscient, Paris,
Payot & Rivages, 2001, p. 36).
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PATRICK SAURIN – LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN 97


DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

spécialistes chargés de l’investigation de l’obscur, du non-explicite dans l’an-


cien Mexique.
Nombre de sources nous renseignent sur l’obsession des Nahua à donner sens
à tout événement de leur vie personnelle, et plus généralement à toute situation
problématique ou surprenante affectant l’ensemble de la collectivité, qu’il s’agisse
d’une défaite à la guerre, du succès d’une expédition commerciale ou d’une séche-
resse détruisant les récoltes. Leur préoccupation visait tout à la fois à compren-
dre et à influencer le cours des événements. Les associations symboliques per-
mettaient de projeter une explication, une causalité, voire même un destin. Ainsi,
chaque enfant qui naissait se voyait affecter un signe particulier propre au jour
de sa naissance selon le calendrier divinatoire. Ce signe ou tonalli déterminait
son destin. Par exemple, celle ou celui qui naissait un jour « Deux-Lapin » devait
devenir ivrogne. Mais il était possible de corriger ce destin peu engageant en dif-
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férant de quelques jours le baptême de l’enfant. Les cris d’animaux entendus à
certains moments de la nuit ou de la journée, la rencontre inopinée de certains
d’entre eux, une galette mal cuite, tout était prétexte à reconnaître un signe du
destin. À la différence de l’approche freudienne, un sens, une intentionnalité étaient
déduits de l’observation non du seul comportement des êtres humains, mais éga-
lement de celui des animaux ou des phénomènes naturels. Le sujet nahua s’éten-
dait à tout ce qui manifestait de la vie et du mouvement. Une telle dilution rend
d’ailleurs délicat ici, pour ne pas dire impropre, l’utilisation du concept de sujet
tant la réalité mexicaine qu’il recouvre est éloignée de celle propre au sujet freu-
dien. Des rituels devaient permettre de faire face à des situations délicates cen-
sées provenir de la volonté des dieux. Il s’agissait alors de comprendre le mes-
sage adressé par ces derniers en vue, le cas échéant, de pouvoir influencer leur
décision. Parmi les événements susceptibles de donner lieu à de savantes inves-
tigations, il n’est pas surprenant de rencontrer les rêves. Comme dans la démar-
che psychanalytique, l’analyse des rêves jouait un rôle de premier plan chez les
anciens Mexicains. L’étude du vocabulaire apporte ici un éclairage fort instruc-
tif. En effet, nous avons relevé dans la langue nahuatl des associations et une
chaîne de relations entre la mort, le sommeil et le rêve qui nous ont remémoré
l’« ontologie combinatoire binaire et ternarisée, dynamique et triadique » repé-
rée par Jean-Paul Valabrega dans la mythologie grecque à l’occasion de ses inves-
tigations affairant à la trilogie Hypnos, Thanatos et Oneiron-Morphée37. En nahuatl,
cochi signifie « dormir », cochiztli ou cochiliztli, « rêve, sommeil », et cochitleualli,
« songe, rêve ». Miqui se traduit par « mourir » et miquiztli ou miquiliztli par
« mort ». Or chez les Nahua, le rêve représente un point de jonction lexicale entre
le sommeil et la mort. Si cochiliztli nous venons de le voir peut désigner à la fois
le sommeil et le rêve, le mot temiqui, signifiant « rêver » et ses dérivés temictli
et temiquiztli, « rêve », sont construits sur la racine miqui. Selon Siméon, le verbe

37. Jean-Paul Valabrega, op. cit., 2001, p. 81-99.


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98 TOPIQUE

temiqui est formé à partir des racines te(ntli): « lèvres, bouche, bord, extrémité »
et miqui: « mourir, s’évanouir »38.Ainsi, le rêve prend place entre sommeil et mort.
Un autre élément à souligner tient au fait que le mot cochitleualli est construit
sur deux racines : cochi, « dormir » et eua désignant l’action de se lever, de par-
tir, ce qui rattache le rêve à un mouvement, une activité, un dynamisme et non à
une attitude de passivité. Si l’on en croit les sources, peu de temps avant l’arri-
vée des Espagnols, alors qu’il se trouvait en proie à un grand trouble devant la
survenance d’événements surprenants, le souverain aztèque Motecuhzoma fit
convoquer dans son palais tous les chefs des quartiers de Mexico, les anciennes
et les anciens, les prêtres, les sorciers et autres enchanteurs pour qu’ils lui racon-
tent leurs rêves afin de lui permettre de comprendre la nouvelle situation à laquelle
il était confronté 39. Même si malheureusement nous ne disposons pas de témoi-
gnages conséquents relatifs à l’oniromancie nahua, il faut préciser que l’inter-
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prétation des rêves n’était qu’une dimension d’un savoir plus vaste, une manti-
que intégrant l’interprétation des augures, des présages ainsi que des visions,
l’observation de la course des astres ainsi que d’autres pratiques comme le lan-
cer de grains de maïs, la manipulation de cordes comportant des nœuds, ou encore
l’observation des reflets apparaissant à la surface d’un miroir ou de l’eau d’un
récipient. Selon Noemí Quesada, « les Mexica reconnaissaient l’inconscient qui
se révélait lors du déroulement du rêve comme l’aspect occulte de la personna-
lité. »40 Pour Inga Clendinnen, « les rêves apparaissaient aux Mexica non pas comme
des voyages solitaires à l’intérieur d’une intériorité individuelle, mais plutôt comme
des messages dans un langage plus ou moins clair, provenant du monde du sacré
habituellement caché. »41 Le rêve était en effet un moyen de communiquer avec
les divinités ou les ancêtres. Cette tradition d’analyser les rêves a encore cours
dans de nombreuses communautés du Mexique actuel. C’est notamment le cas
chez les Wixaritari résidant sur un territoire situé à l’est de Mexico étudiés par
Mariana Fresán Jiménez. Selon elle, « lorsqu’on parle des rêves, on doit consi-
dérer qu’il existe une séparation – non une opposition – entre la réalité que nous
vivons à l’état de veille et celle que nous vivons lorsque nous dormons. Rêver
est comme avoir une autre vie dans laquelle apparaissent des personnes et des
choses du monde ordinaire, mais agissant selon une logique différente, la diffé-
rence tient au fait que dans les rêves il n’y a pas de continuité lorsque l’on recom-
mence à dormir et à rêver, nous ne poursuivons pas l’histoire de la nuit passée. »42

38. Rémi Siméon, op. cit., 1963, p. 421.


39. Voir notamment Fray Diego Durán, Historia de las Indias de Nueva España e islas de la
tierra firme, México, Porrúa, 1967, t. 2, p. 499-503.
40. Noemí Quesada, Amor y magia amorosa entre los Aztecas. Supervivencia en el México
colonial, México, UNAM IIA, 1975, p. 75.
41. Inga Clendinnen, Aztecs, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 185.
42. Mariana Fresán Jiménez, Nierika. Una ventana al mundo de los antepasados, México,
Conaculta - Fonca, 2002, p. 91.
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PATRICK SAURIN – LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN 99


DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

SOIGNER

La psychanalyse, nous l’avons dit, recouvre tout à la fois une méthode d’in-
vestigation face à des troubles, un savoir fruit d’expériences concrètes, enfin
une thérapie. Cette thérapie, la cure, relève de la compétence d’un corps de spé-
cialistes : les psychanalystes. Chez les anciens Nahua, où n’existe pas comme
en Occident la distinction corps et esprit, il est difficile de reconnaître des thé-
rapies spécifiques aux troubles de l’esprit et aux maux du corps. Les maladies
affectant le corps étaient supposées avoir rapport avec les entités animiques ou
étaient vues comme l’influence néfaste de forces exogènes à l’individu. Lorsqu’un
événement mettait en péril l’équilibre ou la vie d’un individu, un traitement lui
était prescrit et des soins lui étaient apportés par un spécialiste. Dans un pre-
mier temps, il importait d’identifier la source du mal, ensuite on pouvait tenter
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d’y porter remède. Les maux les plus redoutés étaient ceux mettant directement
en danger les entités animiques, en particulier l’affection qui provoquait la perte
du tonalli. De la Serna nous décrit le rituel accompli et les invocations pronon-
cées par le « médecin » pour restituer à un enfant le tonalli qu’il avait perdu43.
La perte de l’âme, pour reprendre l’expression de Jacinto de la Serna, était une
crainte permanente. Les entités animiques étaient particulièrement convoitées
par les sorciers malfaisants. Parmi ces derniers, le Moyoalitoatzin, littéralement
« celui qui se propose pour faire la chose la nuit », était réputé posséder le pou-
voir d’endormir ses victimes pour les violer44. Faisant allusion au pouvoir de
transformation du nahualli, susceptible de se métamorphoser en chien, renard,
jaguar, crocodile ou chauve-souris, de la Serna s’empresse de préciser que c’est
en vue d’emporter l’âme de leur victime.
Deux des trois entités animiques, le tonalli et l’ihiyotl, étaient susceptibles
de quitter momentanément le corps sans provoquer la mort du sujet. Ces deux
entités sont respectivement associées aux cieux et à l’inframonde. L’entité qui
ne pouvait se séparer du corps sans entraîner la mort est le teyolia qui est lié au
cœur, au mouvement et à la terre. Il est à noter qu’en dehors des hommes, tout
être animé ou considéré comme tel (animal, plante, montagne, etc.) était censé
posséder un teyolia45. À la volatilité du souffle et de la chaleur susceptibles d’al-
tération, de déplacement, s’oppose la fixation nécessitée par le mouvement pour
se mettre en branle. Mais que vienne à se rompre le lien l’attachant au centre

43. Jacinto de la Serna, Tratado de las idolatrías, supersticiones, dioses, ritos, hechicerías
y otras costumbres gentílicas de las razas aborígenes, México, Ediciones Fuente Cultural,
1892, p. 254-256.
44. Sur cette question, se reporter à l’article d’Alfredo López Austin « Los Temacpalitotique.
Brujos, profanadores, ladrones y violadores », Estudios de Cultura Náhuatl, 1966, vol. VI, p. 108-
110.
45. C’est probablement au teyolia que se réfère de la Serna lorsqu’il écrit que « les indiens
attribuaient une âme rationnelle [sic !] aux arbres… en plus de celle végétative que Dieu leur
avait donnée » (op. cit., 1892, p. 231).
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100 TOPIQUE

et c’est la désagrégation, la mort. Quelle meilleure illustration que le sacrifice


par cardiectomie pour signifier, à travers l’arrachement du cœur de la cage tho-
racique, le détachement du teyolia synonyme de mort.

ÉDIFIER UN SAVOIR

À Mexico, ces thérapies étaient dispensées par un corps de professionnels


différenciés selon leurs spécialités. Les connaissances de ces savants faisaient
l’objet d’un apprentissage méthodique et approfondi. Certains de ces savoirs
étaient contenus dans des livres tel le tonalamatl, le « livre des jours » ou « livre
des destins ». Motolinía nous informe que les anciens Mexicains « possédaient…
des livres des rêves et de la signification qu’ils avaient, le tout représenté par
des dessins et des signes, et il y avait des sages pour les interpréter. »46 Dans les
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Primeros Memoriales de Sahagún, on trouve quelques informations relatives à
ces sages :
In tonalpouhque quitemelaviliaya in temictli ypa- quittaya in tonallamatl :
ypa- tlanavatiaya ynic nextlavaloz : yoan quitlatiaya in nextlavalli, auh
in nextlavalli catca amatl,nextlavaloz : yoan quitlatiaya in nextlavalli,
auh in nextlavalli catca amatl, copalli, olli.47
« Les savants ayant la science des jours expliquaient les rêves aux gens
en consultant le livre des jours et ils demandaient que l’on paye sa dette48
pour cela. Alors ils brûlaient l’offrande, et le paiement, c’était du papier,
du copal ou du caoutchouc. »
Lorsqu’en 1524, douze frères franciscains viennent intimer à des sages mexi-
cas d’abjurer leurs croyances, ceux-ci manifestent leur stupéfaction et leur
effarement à l’idée d’abandonner la tradition de leurs ancêtres et de rejeter le
savoir des prêtres, in qujpouhticate, in qujtlatlazticate in amoxtlj, in tlilli, in tla-
palli, in tlacujlolli quitqujticate49, « ceux qui ont la charge du compte (des jours),

46. Fray Toribio de Motolinía, Historia de los Indios de la Nueva España, Madrid, Clásicos
Castalia, 1985, p. 257-258.
47. Fray Bernardino de Sahagún, Primeros Memoriales, Madrid, phototypie de Hauser et
Menet, 1905, p. fol. 85 v°.
48. La notion de paiement est une question récurrente de la pratique psychanalytique. Selon
Jean-Paul Valabrega, « L’argent, c’est le pur sortant de l’impur, et y faisant retour, puisque, issu
de l’excrément, il abouti à l’or. » (Jean-Paul Valabrega, op. cit., 1992, p. 225). Dans notre exem-
ple, il faut souligner la dimension de purification associée au fait de jeter dans le feu du papier,
du copal ou du caoutchouc. Enfin, permettons-nous ce clin d’œil en direction de Valabrega en lui
faisant remarquer que dans la langue nahuatl l’or se disait teocuitlatl, littéralement « merde divine ».
49. Fray Bernardino de Sahagún, Coloquios y doctrina cristiana, con que los doce frailes de
San Francisco, enviados por el papa Adriano VI y por el emperador Carlos V, convirtieron a los
indios de Nueva España. En lengua mexicana y española. Los diálogos de 1524, dispuestos por
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PATRICK SAURIN – LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN 101


DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

ceux qui connaissent les livres, l’encre noire, l’encre rouge, ceux qui ont la charge
des livres. » La transmission de ce savoir comptait parmi les enseignements essen-
tiels dispensés aux jeunes par les prêtres dans les calmecac, les collèges religieux.
Comme le précise Sahagún, « ils leur enseignaient l’astrologie indienne, l’in-
terprétation des rêves et le compte des années. »50 Les sages mexicains étaient
désignés sous de multiples appellations : nahualli, tonalpouhque, tlamatini, ticitl,
pour n’en citer que quelques unes, chacun de ces termes mettant l’accent sur
l’une de leurs multiples activités51, ce qui explique que les Espagnols aient été
décontenancés au moment traduire ces noms dans leur langue et leur système
de pensée. De la Serna est un exemple particulièrement révélateur de cet état
d’esprit lorsqu’il écrit notamment :
« Ce nom de Titzilt [ticitl] est réputé et correspond à celui qui s’appelle
« Médecin » dans notre castillan courant, mais chez les indiens il pos-
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sède plus de significations, car il veut dire selon leur propre acception
« Devin, sage et sorcier » et qui a un pacte avec le Démon. »52

RESSEMBLANCES, DIFFÉRENCES ET AUTRES CHOSES FORT SUR-


PRENANTES

Au terme de nos investigations, quel regard pouvons-nous porter sur la société


mexica ? Les premières observations mettent en évidence d’indéniables diffé-
rences entre ce monde et le nôtre. Contrairement à la pensée psychanalytique,
la conception nahua de l’individu renvoie à une entité non close sur elle-même
mais ouverte. Elle ne considère pas la distinction occidentale entre le corps et
l’esprit. L’individu apparaît comme un réceptacle à l’intérieur duquel se com-
binent des forces endogènes et allogènes53. L’être humain apparaît associé, ou
du moins susceptible de l’être, à tout ce qui lui est extérieur : dieux, phénomè-

fray Bernardino de Sahagún y sus colaboradores, édition fac-similé, introduction, paléographie,


version et notes de Miguel León-Portilla, México, UNAM IIH, Fundación de Investigaciones
Sociales, 1986, fol. 34 v°.
50. Fray Bernardino de Sahagún, Historia General de las cosas de la Nueva España, México,
Conaculta, 2002, t. 1, p. 340.
51. Alfredo López Austin a relevé les noms d’une quarantaine de « mages » qu’il répartit en
six groupes : les Tlatlacatecolo, les hommes dotés d’une personnalité surnaturelle (le Nahualli
et les Teutlipan moquetzani), ceux qui ont la maîtrise des phénomènes atmosphériques, les
Tlaciuhque, les Titici, enfin les mages non professionnels (« Cuarenta clases de magos del mundo
náhuatl », Estudios de Cultura Náhuatl, 1967, vol. VII, pp. 87-117).
52. Jacinto de la Serna, op. cit., 1892, p. 101.
53. Nous rejoignons ici les observations faites par Mc Keever-Furst pour qui « les âmes ne
sont pas singulières, indivisibles ni ne proviennent d’une quelconque substance, mais forment un
continuum d’un phénomène interne vers un phénomène externe » (The Natural History of Soul
in Ancient Mexico. New Haven and London, Yale University Press, 1995, p. 182).
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102 TOPIQUE

nes naturels, animaux, autres êtres humains ou bien encore objets inanimés. En
outre, les constituants les plus intimes de celui-ci, à savoir ses entités animi-
ques, sont susceptibles de déserter son corps à tout moment54. L’homme représente
un microcosme particulier assurant la synthèse d’un équilibre cosmique en un
lieu précis et un moment donné. Nous sommes fort proche ici des analyses de
Galinier sur les Otomi et de Boccara sur les Maya. Pour Galinier, chez les Otomi,
l’individu n’est « qu’un élément à l’intérieur d’un réseau où circulent des flux
énergétiques contrôlés par des puissances surnaturelles, et en particulier les ins-
tances ancestrales. »55 Réfléchissant à la question de la définition des « parties »
du psychisme chez les Maya, Boccara met lui aussi en avant les notions d’éner-
gie, de déplacement et d’accès à un « autre monde », c’est-à-dire le monde
mythique, un espace « hors du temps ». Selon lui,
« C’est dans le déplacement, ou l’enlèvement de certaines « parties »
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ou « instances » de la psyché, que se réalise le contact avec l’autre monde
par l’intermédiaire des « esprits » ou des « dieux » qui utilisent le corps
humain pour se manifester. »56
Dans l’ancien Mexique, l’individu n’est pas la clef de voûte d’un système
de pensée, il n’est qu’une composante d’un ensemble dans lequel les dieux et
les ancêtres tiennent une place essentielle. Dans la pensée de Freud, les dieux
et les ancêtres sont absents, remplacés par des figures non moins mystérieuses
et impénétrables : les « entités mythiques » que sont les pulsions. Ici, nous avons
affaire à un sujet animé par ses pulsions qui le renvoient à son intériorité dans
un mouvement centripète, là à un sujet aux prises avec les forces centrifuges
des dieux et des puissances non-humaines. Ainsi, à la différence de la concep-
tion freudienne de la seconde topique du ça, du moi et du surmoi, certains éléments
structurant le sujet nahua peuvent être situés à l’extérieur de la structure phy-
sique de sa personne. L’individu est la résultante de la rencontre de flux à
l’intérieur de son corps, circulant à l’intérieur de celui-ci, de l’intérieur de celui-
ci vers l’extérieur, enfin de l’extérieur vers l’intérieur de ce corps. Une telle
conception a perduré en Méso-Amérique bien après la conquête, puisque Jacques
Galinier relevait récemment que « pour les Otomi, la personne (khâi) est un
puzzle composé d’éléments dont certains bénéficient d’un statut d’« extra-

54. Nous retrouvons des observations fort proches chez Marie-Noëlle Chamoux qui se
réfère à une conception nahua « d’un monde non-humain qui prolonge le monde des hommes »
(« La notion nahua d’individu : un aspect du tonalli dans la region de Huauchinango, Puebla »,
in Enquêtes sur l’Amérique Moyenne. Mélanges offerts à Guy Stresser-Péan, coord. Dominique
Michelet. México, INAH, CNCA et CEMCA, 1989 : 305) et pour qui « le tonalli apparaît
comme une entité à la fois intérieure et extérieure de la personne » (ibid. : 310)
55. Jacques Galinier, op. cit., 1997, 272.
56. Michel Boccara, « L’enlèvement au cœur du mythe », in Markos Zafiropoulos et Michel
Boccara, Le mythe : pratiques, récits, théories. Volume 4: Anthropologie et psychanalyse, Paris,
Economica Anthropos, 2004, 182.
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PATRICK SAURIN – LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN 103


DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

territorialité », comme l’« ombre » ou l’âme, et sont localisés dans le milieu natu-
rel. »57 Le moindre accent mis sur la séparation dans la conception nahua induit
la constitution d’un sujet poreux. Une des différences essentielles entre la pen-
sée freudienne et la pensée nahua tient, selon nous, à l’image que chacune de
ces conceptions se fait de la réalité suprasensible, en d’autres termes de la fron-
tière séparant intériorité et extériorité. Pour Freud, « une grande partie de la
conception mythologique du monde qui s’étend jusqu’aux religions les plus
modernes, n’est rien d’autre que psychologie projetée dans le monde extérieur. »58
La tâche que s’était assignée le savant autrichien était de transformer par la science
en psychologie de l’inconscient cette réalité suprasensible correspondant à une
conception mythologique du monde. Cette question est au cœur de la réflexion
de Sophie de Mijolla-Mellor qui voit dans le système animiste

« une extériorisation, une projection de la propre organisation psychique


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de l’homme. Autrement dit, la construction animique ou mythologique
tiendrait sa valeur de ne laisser subsister aucun espace qui soit extérieur
à la psyché de celui qui le conçoit. »59

Pour les Nahua, loin d’être une projection de l’esprit, l’univers mythique
existe bel et bien. Qui plus est, certains éléments de cet univers, notamment des
divinités, sont susceptibles, à des moments particuliers, d’investir leur propre
personne. Chez les anciens Mexicains, monde des hommes et monde des dieux
affichant une multiplicité d’aspects et de facettes se rencontrent au sein d’une
dimension particulière, l’espace mythique consubstantiel à leur conception du
monde. Le langage est particulièrement révélateur de cette façon de voir le monde.
Ainsi, le mot tonalli désigne-t-il tout à la fois l’irradiation solaire, la chaleur du
soleil, l’été, le jour, un signe de jour, une influence divine, le destin de la per-
sonne du fait de son jour de naissance, une entité animique, une chose qui est
destinée ou qui est la propriété d’une personne déterminée60.
Des ressemblances peuvent être également relevées entre les deux pen-
sées même si des spécificités demeurent. Ainsi, la théorie freudienne du ça,
du moi et du surmoi, et la conception mexicaine des trois entités animiques
des anciens mexicains partagent toutes les deux la référence à une topique.
Chez Freud, il s’agit d’une « différentiation spatiale fictionnée », pour repren-
dre les termes de Paul-Laurent Assoun61. Par ailleurs, comme le relèvent
Laplanche et Pontalis,

57. Jacques Galinier, « Une pensée qui échoue. La théorie otomi de l’inconscient »,
L’Homme, op. cit., 1999, p. 54.
58. Freud, cité par Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, op. cit., 1993, p. 239.
59. Sophie de Mijolla-Mellor, Le besoin de savoir, Paris, Dunod, 2002, p. 109.
60. Voir López Austin, op. cit., 1980, I, p. 299.
61. Paul-Laurent Assoun, Le vocabulaire de Freud, Paris, Ellipses, 2002, p. 67.
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104 TOPIQUE

« Freud suggère l’idée d’un certain arrangement, d’une disposition interne,


mais il fait plus que rattacher différentes fonctions à des « lieux psychi-
ques » spécifiques ; il assigne à ceux-ci un ordre donné qui entraîne une
succession temporelle déterminée. »62
La pensée nahua fait référence à une topique, mais elle procède différem-
ment. Tout d’abord, les lieux « animiques » ne sont pas des lieux fictifs puisqu’ils
se présentent sous la forme de centres situés respectivement au sommet de la
tête, dans le cœur et à l’intérieur du foie. Ensuite, à la différence de ce que l’on
observe dans l’appareil psychique freudien, nous n’observons pas d’interrela-
tions, d’interférences et surtout de conflits entre les différentes entités animiques,
chacune d’entre elles semblant fonctionner indépendamment des deux autres.
Les trois entités sont en relation non entre elles, mais avec ce tout énergétique
constitué par la pensée, la volition, l’action, et surtout les forces émanant des
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divinités. Les trois instances freudiennes, à travers leurs relations conflictuel-
les, rendent compte avant tout d’un équilibre ou d’un déséquilibre interne au
sujet. De leur côté, les trois entités animiques participent davantage à l’instau-
ration d’un équilibre ou d’un déséquilibre chez le sujet dans sa relation aux
mondes dans lesquels il inscrit ses pratiques, d’un côté le monde des hommes,
de l’autre le monde des dieux et des ancêtres. Pensée freudienne et pensée nahua
s’expriment en termes d’énergie. Pour Laplanche et Pontalis, « la fonction de
l’appareil psychique est de maintenir le plus bas possible l’énergie interne d’un
organisme… Sa différenciation en substructures [id. est les trois instances] aide
à concevoir les transformations de l’énergie…»63 Les entités animiques quant
à elles rendent compte de la circulation de l’énergie et du souci permanent des
hommes pour assurer leur équilibre. Enfin, la parole, le rituel, les mythes et les
rêves tiennent une place importante dans la thérapie.
Si l’on veut retenir comme point de rencontre entre la psychanalyse et le
dispositif conceptuel nahua affairant aux entités animiques la même volonté
indéfectible de comprendre l’obscur, l’invisible, le secret, et la même attitude
de placer au cœur de leur questionnement la vie, la sexualité et la mort, alors la
différence essentielle entre ces deux pensées tiendrait au fait que la première
s’attache à porter son regard au plus profond d’elle-même alors que le second
se déploie dans une extériorité associant le monde des hommes et le monde des
dieux, des ancêtres et celui des animaux. On ne peut pas manquer de penser ici
à « l’Ouvert » évoqué par Rilke dans sa Huitième élégie64, mais la conception
nahua ne recouvre pas, selon nous, celle de l’auteur des Élégies de Duino.
« L’Ouvert », tel que Rilke l’entend, et qui est comme le souligne justement Henri

62. Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, op. cit., 1993, 32.


63. Ibid., p. 32.
64. « À plein regards, la créature voit dans l’Ouvert. » Ainsi commence la Huitième Élégie
de Rilke (Rainer Maria Rilke, Les Élégies de Duino. Les Sonnets à Orphée, Seuil Points Essais,
1974, p. 75).
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PATRICK SAURIN – LA PENSÉE NAHUA SUR LE DIVAN 105


DE LA PSYCHANALYSE, LA PSYCHANALYSE
SUR LA NATTE DE LA PENSÉE NAHUA...

Maldiney une résurgence de « l’Ouvert » de Hölderlin65, nous dit la nostalgie de


l’animalité perdue. Aux yeux de Rilke, comme l’écrit Heiddeger, « la plante et
l’animal sont insérés dans l’ouvert. Ils sont « dans le monde ». »66 À l’inverse,
« l’homme est « devant le monde ». Il n’est pas inséré dans l’ouvert. L’homme
se tient en face du monde. »67 « L’Ouvert nahua » est un « Ouvert » où cohabi-
tent avec l’homme mortel, des divinités, des ancêtres, des animaux avec certains
desquels il entretient une relation (son double animal, son nahual par exemple),
un espace traversé de forces bénéfiques ou maléfiques, animé du mouvement
du vivant et des entités animiques, une dimension faisant osciller différents mon-
des. C’est un « Ouvert » ambivalent fait tout à la fois de distance, de stupéfaction
et d’oubli. Antonin Artaud a su ressentir la palpitation de la vie qui parcourt cet
« Ouvert » et nous en livrer une part de secret :
« Nous participons à toutes les formes possibles de vie. Sur notre
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Inconscient d’homme pèse un atavisme millénaire. Et il est absurde de
limiter la vie. Un peu de ce que nous avons été et surtout de ce que nous
devons être gît obstinément dans les pierres, les plantes, les animaux, les
paysages et les bois. »68

Patrick SAURIN
48 boulevard de Picpus
75012 Paris

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66. Martin Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Tel Gallimard, 2004, p. 344.
67. Ibid.
68. Antonin Artaud, Messages révolutionnaires. Paris, idées/Gallimard, 1979, p. 120.
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introduction, paléographie, version et notes de Miguel León-Portilla. México, UNAM
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Patrick Saurin – La pensée nahua sur le divan de la psychanalyse, la psychanalyse sur la


natte de la pensée nahua. Affinités et altérités entre systèmes de pensée

Résumé : Cet article propose de nouer un dialogue entre la pensée de la société de


Mexico-Tenochtitlan d’avant la Conquête espagnole et un savoir qui lui est extérieur et
étranger : la psychanalyse. Après avoir mis en regard d’un côté les outils conceptuels de la
psychanalyse, en particulier les trois concepts clés de la seconde topique freudienne que
sont le ça, le moi et le surmoi, les trois points de vue pris en considération par la métap-
sychologie, à savoir les points de vue dynamique, topique et économique, et de l’autre les
trois entités animiques nahuas : le tonalli, l’ihiyotl et le teyolia, nous avons essayé de déga-
ger, à travers les affinités et les altérités entre ces deux systèmes de pensée, les enjeux et
Topique 101 int. bat 22/02/08 13:56 Page 108

108 TOPIQUE

les logiques sous-tendant leurs définitions respectives de l’intériorité de l’homme.

Mots-clés : Nahuatl – Ancien Mexique – Psychanalyse – Inconscient – Entités animi-


ques.

Patrick Saurin – Nahua Thought on the Analyst’s Couch, Analysis on the Rush Mat of
Nahua Thought. Similarities and Differences Between Thought Systems

Summary : This article establishes a meaningful dialogue between the philosophy of


the Mexican-Tenochtitlan societies prior to the Spanish conquest and a form of knowledge
that was extraneous to this society – psychoanalysis. After first examining the conceptual
tools of psychoanalysis and, in particular, the three key concepts of Freud’s second topic,
the Ego, the Id and the Superego we shall examine these from the standpoint of metapsy-
chology, in the light of their dynamic, topical and economic dimensions and compare them
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© L?Esprit du temps | Téléchargé le 28/06/2021 sur www.cairn.info par Gino Piero Carrion Nunez (IP: 89.159.250.147)
with three animic entities from the Nahua world – the Iheotl, Yolia and Tonalli. The simi-
larities and differences between the two thought systems under consideration thus become
clear, as does the logic underlying the respective definitions of human interiority at work
within each system.
Key-words : Nahuatl – Ancient Mexico – Psychoanalysis – Unconscious – Animic
Entities.

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