« LITTÉRATIE»
16D462/3
Année 2015/2016
Jean-Baptiste GOUSSARD
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(L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de
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16D462 : LITTÉRATIE
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16 décembre 2015
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16D462 : Jean-Baptiste GOUSSARD – Littératie (M1)
Dans cette troisième partie de notre cours, je voudrais aborder un point de vue
comparatif très large entre les sociétés et les cultures qui possèdent la technologie
écrite, et que nous appelons donc sociétés littéraciques, et les sociétés non-
littéraciques, c’est-à-dire de tradition orale. L’historique des technologies écrites que
nous avons mené au précédent chapitre nous a, en effet, révélé des
bouleversements socio-culturels importants qui ont provoqué la nécessité de l’écrit
mais aussi que l’écrit a induits. Il nous faut donc commencer par établir les
caractéristiques des sociétés non littéraciques (1) pour montrer ensuite les
modifications progressives que la littératie apporte (2). Ce sera l’occasion d’aborder
plus en détail l’apport de la littératie à la pensée et la culture grecques de l’Antiquité
(3) 1. Certaines théories habituelles tentent de saisir la pensée grecque à travers
l’impact cognitif que l’usage de l’écrit aurait eu sur les individus, nous aborderons ce
point de vue (4) avant de dresser un bilan plus mitigé sur ce point (5) tout en faisant,
malgré tout le bilan de l’apport de l’écrit (5 également) ; ce qui nous conduira enfin,
en guise de conclusion à cette partie du cours et à la précédente, à établir avec
Olson les principes de l’ « esprit scribal » (6).
La question que nous devons examiner est celle qui consiste à savoir comment se
transmet la culture dans les sociétés orales, ainsi nous pourrons saisir l’apport que
constitue l’usage de la technologie écrite. Bien sûr, dans les sociétés orales, le savoir
se transmet, toutefois il emprunte des voies différentes que celles auxquelles nous
sommes habitués dans nos sociétés profondément littéraciques. Or, cette différence
qualitative du mode de transmission influe sur le contenu culturel lui-même.
Lorsqu’une génération transmet son héritage culturel à la suivante, trois types
d’éléments peuvent être transmis. Elle transmet, premièrement, les ressources
naturelles et les moyens de production. Deuxièmement, elle transmet des types de
comportement standardisés, qui relèvent de la coutume. Leur transmission n’est que
partiellement verbale, par exemple, les manières de faire la cuisine ou d’élever les
enfants sont transmis de manière largement imitative et ne relèvent que peu de la
verbalisation. Troisièmement, elle transmet tous les autres éléments de la culture qui
passent par la verbalisation, il s’agit de tous les signifiés et tous les comportements
associés, dans une société donnée, aux symboles verbaux que celle-ci utilise. Il
s’agit de la « vision du monde » partagée par toute une société, sa façon, par
1
L’essentiel des informations contenues dans ces trois premières parties du cours proviennent
des travaux de Jack Goody, en particulier de « Les Conséquences de la littératie » publié par Goody
et Watt, dont on trouve une traduction dans la revue Pratiques, n° 131/132, décembre 2006.
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2
Le terme signifie « qui se maintient malgré des conditions externes variables ».
53
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en étroite association avec l’expérience vécue par la communauté et […] est apprise
par l’individu dans un contact en face à face avec les autres membres de la
communauté 3. » Ce qui a une pertinence sociale est stocké en mémoire, le reste
tombe dans l’oubli. Ce mécanisme de maintien de soi de la culture par elle-même
(homéostase) est produit dans la communication orale.
Il convient bien sûr de ménager deux nuances importantes dans cette vue des
sociétés orales. D’une part, des changements sociaux se produisent ; d’autre part,
existent des procédés mnémoniques, une mémoire à long terme comme celle que
procurera l’écrit est parfois à l’œuvre sous la forme de ces techniques mnémoniques,
comme des modèles formalisés de discours, des récitations, l’usage de supports
sonores, comme des instruments de musique, et qui exercent une forte pression sur
les transformations demandées par le présent. Malgré ces nuances, il n’en reste pas
moins que les sociétés non-littéraciques peuvent être caractérisées
d’homéostasiques sur le plan de la transmission de leur tradition culturelle, car elle
sert à leur maintien dans le présent.
On peut en donner un exemple, avec la manière dont certaines de ces sociétés
considèrent leur passé tribal en fonction des orientations du présent. Les Tiv du
Nigéria, par exemple, ont l’habitude de conserver en mémoire – orale – une longue
liste d’ancêtres, renvoyant, comme ces listes de rois dans le Bible, à un passé
mythique. Ces généalogies étaient très souvent utilisées au cours de procès, pour
indiquer les droits et les devoirs des individus les uns envers les autres. Les premiers
administrateurs britanniques, comprenant l’importance de ces tables généalogiques,
prirent soin de les noter. Or, il est remarquable que, pourtant fixés, ces arbres
généalogiques devinrent peu à peu, pour les Tiv, sujets à caution, ceux-ci prétendant
qu’ils n’étaient plus exacts. De cet exemple, il faut comprendre que cette tradition
culturelle est en fait toujours modifiée par le présent pour s’adapter à lui, confirmant
son caractère homéostasique 4. Ces généalogies, en réalité, plus que conserver le
passé comme des documents d’archive, servent de charte régissant les institutions
sociales du présent. La dimension orale de la mémoire permet, dans de telles
sociétés orales, des mutations et des changements, dans la mesure où elle est
tournée vers le présent. « L’un des résultats les plus importants de cette tendance à
l’homéostasie est que l’individu n’a du passé qu’une perception filtrée par le présent.
Par contre, les annales d’une société qui dispose de l’écriture imposent
obligatoirement une prise de conscience plus objective de la distinction entre ce qui
était et ce qui est 5. » Plus généralement, on peut dire que les sociétés non-
littéraciques conçoivent le passé sur le modèle de ce que l’on vient de décrire – il
n’en ira évidemment pas de même pour les sociétés littéraciques. Il n’y a ainsi, dans
ces sociétés, que peu de différences entre le mythe et l’histoire. Sans archive, dans
ce passé transformé pour être conforme aux besoins du présent, les éléments
constitutifs de l’héritage culturel qui ne sont plus pertinents pour le présent sont
3
Goody et Watt, op. cit., p. 34.
4
Goody et Watt analysent avec plus de détails cet exemple, montrant notamment comment
comprendre ces changements dans la généalogie. Op. cit., p. 36-37.
5
Idem, p. 37.
54
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6
Dans leur article Goody et Watt donnent l’exemple suivant : « On peut éventuellement voir dans le
signe chinois signifiant “homme” une référence sémantique à la masculinité [extension de sens]. Il
sera plus difficile de voir que l’image conventionnelle combinant “homme” et “balai” correspond au
signe pour “femme”. C’est sans aucun doute une idée plutôt amusante, mais un vecteur de
communication pas très évident jusqu’à ce qu’on l’ait appris en tant que nouveau caractère, comme
55
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un signe en soi renvoyant à un mot en soi, un logogramme. En chinois, il faut avoir appris à écrire au
moins 3OOO caractères avant de pouvoir se considérer comme ayant atteint un niveau correct de
littératie. », p. 39.
7
Parfois, d’ailleurs ces domaines sont liés, comme en Egypte, où les prêtres géraient aussi des
ressources économiques céréalières pour leur temple. Pour des précisions sur ces questions, on se
reportera à Goody, La Logique de l’écriture. Aux origines des sociétés humaines, Paris, Armand Colin,
1986.
8
Op., cit., p. 40
56
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9
Goody et Watt, op. cit., p. 42-43.
57
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10
Je m’appuie pour cela sur l’article de Jack Goody, « La Technologie de l’intellect », traduit dans
Pratiques, n°131-132, décembre 2006.
11
Des grands royaumes, tels Ashanti ou le Dahomey, ont pratiqué la collecte d’impôt et le
recensement avec efficacité sans écriture, mais il est indéniable qu’elle rend ces opérations beaucoup
plus simples et efficaces.
12
« La Technologie de l’intellect », op. cit., p. 9
58
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Si c’est avec la Grèce que nous pouvons parler de littéracie étendue, c’est là
qu’il convient d’envisager les conséquences de la littératie qui nous permettrons de
comprendre son impact socio-culturel et de comparer cultures littéraciques et non-
littéraciques. Goody et Watt ont été les premiers à étudier l’impact de la littératie
dans la culture grecque. Olson résume ainsi leur démarche : « Goody et Watt ont
noté que l’étude de la logique et de la grammaire a toujours suivi l’invention d’un
système d’écriture. Ils expliquent que l’écriture permet de confronter des textes, de
remarquer ce qui fait leur identité ou ce qui les unit les uns aux autres. Appliquée aux
récits de l’ancien temps, cette nouvelle ressource devait permettre de distinguer
mythe et histoire ; appliquée à une argumentation, elle identifierait ce qui relève de la
rhétorique et ce qui appartient à la logique, tandis qu’appliquée à la nature, elle
devrait permettre de faire la différence entre science et magie. Ces auteurs
soulignent que l’écriture préserve les énoncés, les offrant ainsi à l’analyse critique. Ils
concluent que nous devrions nous intéresser à ce qui s’est passé dans la Grèce
classique après l’invention de l’écriture alphabétique, à peu près en 750 avant J.-
C. 13 » C’est le contenu de cette affirmation que je voudrais expliquer dans cette
partie du cours, en me fondant sur les auteurs en question. En effet, leur analyse est
particulièrement intéressante pour comprendre l’ampleur des modifications apportées
par la littératie dans une société, modifications dont nous sommes encore aujourd’hui
les héritiers. Certes, comme nous le verrons dans le point V, certaines des
conclusions de Goody et Watt doivent être nuancées, infléchies (ce que Goody fera,
du reste, lui-même), notamment en ce qui concerne le détour par la cognition
humaine. Je choisis de vous présenter cette analyse telle quelle dans une premier
temps, parce qu’elle reste globalement valide et qu’elle montre un certain nombre de
choses ; je m’attarderai sur la dimension cognitive dans le point suivant, avant de
nuancer, comme Goody, Olson et d’autres, ce point de vue pour le réajuster (point
V).
Il convient d’abord d’expliquer le choix de la Grèce. Il s’agit d’un exemple de
passage à une société véritablement littéracienne. Les exemples plus tardifs, comme
celui de Rome, consistent en une importation du système d’écriture et donc des
éléments culturels que celui-ci véhiculait. En Grèce, on reprend un alphabet existant
mais il est profondément adapté, notamment avec l’utilisation de voyelles. Il s’agit
donc pour la Grèce d’une véritable innovation, elle constitue un exemple unique de
passage d’une société orale (je pense à la Grèce archaïque, dont on peut dater la fin
avant l’arrivée des pré-socratiques) à une société littéracienne, ainsi offre-t-elle un
exemple parfait à qui veut comprendre les effets de la littératie alphabétique sur la
culture. Toutefois, les preuves directes de cette mutation dont disposent les
chercheurs sont fragmentaires et ambiguës, ils sont donc prudents dans leurs
conclusions. Le travail de Goody et Watt cherche à « dessiner les relations possibles
13
David R. Olson, L’Univers de l’écrit, Paris, Retz, 1998, p. 52-53.
59
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14
Goody et Watt, op. cit., p. 45.
15
Idem, p. 46.
60
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poèmes homériques, en Ionie d’abord puis dans le reste de la Grèce, des auteurs et
des maîtres d’école se regroupent pour constater ces incohérences ; de même les
logographes chargés de noter des généalogies, les chronologies et les cosmogonies
transmises oralement constatent des problèmes et leur tâche les amène
naturellement à développer leur sens critique.
Sans doute, une telle approche critique due à l’écriture s’est-elle développée
dans d’autres cultures littéraciennes anciennes, comme en Egypte ou à Babylone,
mais avec une diffusion bien moindre, dans la mesure où l’écriture n’y était l’apanage
que des clercs ou de l’administration. Dans la Grèce du VIe siècle, cette critique de
l’orthodoxie culturelle a pu connaître une portée plus large en raison du fait que les
compétences en littératie n’étaient pas réservées à un domaine social en particulier.
Vers la fin de ce siècle, Hécate écrit par exemple : « Ce que j’écris est un état que je
crois être vrai. En effet, les histoires que les grecs racontent sont nombreuses et,
selon moi, ridicules. » C’est chez les pré-socratiques que l’on trouve de nombreuses
preuves de l’attitude critique envers les idées anciennes et la promotion de
nouvelles, soit dans le domaine cosmogonique (critique de Hésiode) soit dans le
domaine de la connaissance. On peut citer ici Héraclite qui est l’un des tout premiers
penseurs de la connaissance et qui cherche à fournir un système explicatif du monde
(fondé sur la coïncidence des contraires et le logos), tout en tournant en ridicule le
caractère anthropomorphe et idolâtre de la religion olympienne. Ce type de posture
critique et de scepticisme se sont perpétués peu à peu et ont gagné divers
domaines, comme celui de la poésie.
Le domaine historique est typique de cette évolution. Celle-ci ne s’est pas
effectuée d’un seul coup, on ne passe pas du mythe ou de la légende à l’histoire d’un
seul coup, mais presque… Il s’agira au départ d’élargir le point de vue de quelques
« historiens » qui ne travaillaient qu’à envisager le passé (plus ou moins mythique)
de leur unique cité. L’un des premiers à élargir le champ est Hérodote, peu après le
milieu du Ve siècle, qui incorpore des pans de l’histoire d’Athènes à un travail qui
vise à expliquer le rôle qu’avait pu jouer la cité dans le grand conflit entre l’orient et
l’occident, entre Europe et Asie. Il cherche à comprendre les raisons de la guerre qui
oppose de longue date les Grecs et les Perses. Il affirme sa méthode, l’historia, c’est-
à-dire une forme d’enquête personnelle ou de recherches (et non plus une méthode
se fiant d’emblée à ce que rapporte le mythe ou la légende, mais une attitude
d’enquête 16, à la fois scientifique et critique, pourrions-nous dire avec les précautions
qui s’imposent) appliquée aux versions habituelles les plus probables telles que les
sources usuelles les présentent. En ce sens, les travaux d’Hérodote contiennent
encore, par ce biais, de nombreux éléments d’ordre mythologique, mais la démarche
s’est radicalement transformée, sous l’effet de l’attitude critique qui naît grâce à
l’écriture. Son travail fait appel à une chronologie qui doit organiser la matière selon
une mesure objective du temps, et non plus dans le flou d’un passé légendaire.
L’histoire, en tant que relation documentée et analyse systématique du passé et
du présent de la société mise sous forme écrite et donc pérenne, commence avec
16
Le terme historia signifie, en grec, « enquête ».
61
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17
Op. cit., p. 50.
62
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18
Dans la Septième lettre, Platon donne clairement le modèle de ce type de transmission : « après
qu’un guide aura apporté [à l’élève] une aide personnelle dans les études, après que [l’élève] aura
vécu pendant un certain temps avec ce guide, il y aura un éclair de compréhension, provoqué pour
ainsi dire par une étincelle qui traverse l’esprit. Une fois généré au plus profond de l’âme, [ce savoir]
commence à se nourrir de lui-même. » 341 c-d.
63
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65
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25
On pourra s’en remettre, pour l’examen de la question à l’ouvrage cité, où il explore avec plus de
précision cette question.
26
Entre l’oralité et l’écriture, op. cit., p. 262, pour les deux citations.
27
Idem, p. 284.
66
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Pour passionnants que soient les travaux de Goody et Watt, dejà un peu
anciens, ils méritent d’être nuancés quelque peu, en particulier sur le plan de l’impact
de la littératie sur la cognition. Toutefois, ils ne sauraient être remis totalement en
cause, ils ont apporté des résultats très importants concernant l’impact de la littératie
dans les cultures. Je voudrais malgré tout apporter cet éclairage qui nuance ces
travaux, afin que nous soyons dans une vision plus précise et plus actuelle des
choses. Olson – qui dédie son livre 28 à Jack Goody – rappelle que « les théories
actuelles oscillent entre deux pôles : d’un côté ceux qui pensent que “l’alphabétisme
est de la plus haute importance pour la pensée” (Baker, Barzum et Richards, The
written word) ; à l’opposé, d’autres affirment que le fait de “noter quelque chose par
écrit ne change fondamentalement rien à la représentation mentale que nous en
avons”. » (p. 27). On le voit les oppositions sont relatives non à l’impact de la littératie
dans la culture mais à la seule dimension cognitive de cet impact ; et Olson est
parfaitement clair sur ce point : « il est facile de montrer qu’il est nécessaire de
maîtriser la lecture et l’écriture pour que puissent se développer certaines fonctions
utilitaires, comme la naissance d’ “une tradition de recherche savante, fondée sur les
textes écrits” (Eisenstein) ou la comparaison et la critique des différentes versions
d’un même événement (Goody). Mais aucun argument logique ou empirique ne
permet aujourd’hui d’établir un lien causal direct entre écriture et pensée. Peut-être
est-ce dû […] au fait que nous ne disposons pas d’une définition très claire de ce
que sont la maîtrise de l’écrit et la pensée. Certains travaux récents tendent par
exemple à prouver que des processus cognitifs que nous pensions liés à l’écrit ont
en fait été élaborés pour le discours oral. C’est ce que montre Carruthers à propos
de la mémorisation, de l’étude et de la composition de textes, ou Lloyd à propos de
la pensée scientifique 29. » Si l’impact de la littératie sur la cognition ne sembla pas
être établi, les travaux sur les cultures orales, amènent à nuancer les conséquences
de la littératie sur ce qu’on a pu appeler « le génie grec ». Toutefois, il ne faudrait pas
28
L’Univers de l’écrit, op. cit.
29
Idem, p. 32.
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se servir de ces travaux plus récents pour nier les conséquences essentielles de la
littératie sur les cultures et les sociétés. C’est donc cette position plus éclairée et
mesurée que nous tiendrons avec Olson : « Personne ne doute cependant que
l’invention et l’usage des systèmes écrits ont participé à la formation des sociétés
bureaucratiques modernes, dont ils sont un élément essentiel. On ne peut le tenir
pour assuré, mais il est au moins probable que la pratique de l’écrit a contribué,
d’une manière ou d’une autre, à l’émergence de modes de pensée distincts, transmis
aux générations suivantes par le biais d’une éducation systématique. S’il faut
avancer dans ce sens, ce doit être d’une démarche infiniment prudente, où l’on
distinguera implications sociales et implications psychologiques de l’écriture 30 ».
Olson, on le voit, reconnaît l’impact de la littératie sur les cultures et les sociétés, il
parle même des modes de pensée, mais refuse le lien en capacités cognitives et
littératie. C’est en ce sens qu’il recommande la prudence, en ce sens que les
implications psychologiques sont d’une part difficiles à prouver, et ne le sont pour
l’heure pas, et d’autre part le fait de déterminer ce qui relève de ces aptitudes est
difficile à définir.
Il convient, du reste, de rendre à Goody ce qui est à Goody : lui-même, dans un
article postérieur31 à celui qu’il a publié avec Watt, revient sur les premières
conclusions qu’ils faisaient à propos des Grecs : « la discussion sur le rôle de la
littératie en Grèce doit beaucoup à E. A. Havelock et, à la lumière de ses travaux
plus récents, il apparaît opportun de nuancer les commentaires que nous avions
faits. » Il reprend à cet effet ses conclusions sur « les conséquences de la littératie »
en Grèce, rappelant que la connaissance que nous avons des premiers penseurs
grecs provient de sources déjà influencée par Aristote. Il attire également l’attention
sur le fait que les Pré-socratiques vivaient à une époque qui n’était pas encore
adaptée à la littératie généralisée et qu’ils écrivaient en suivant un modèle
conventionnel caractéristique de la composition orale. Ce n’est que plus tard, à
l’époque de Platon, que la technologie écrite est utilisée en elle-même. Goody
rappelle qu’ils cherchaient dans leur article à montrer les effets libérateurs de la
littératie et que « l’étude du comportement n’implique que très peu de “causes
suffisantes” (pour ne pas dire aucune). » Les nuances qu’il apporte consistent à dire
que leurs conclusions envisageaient les potentialités de l’apport de la littératie, mais
que d’autres causes pouvaient être à l’œuvre, il s’attardent davantage sur les
conditions sociales dans lesquelles l’écrit est utilisé. Il revient aussi sur la littératie
restreinte, de même qu’il minore un peu la merveille de l’écriture alphabétique pour
dire que c’est l’écriture en général, et non seulement l’alphabétique, qui a permis des
évolutions dans les sociétés, ce qui l’oblige à réexaminer d’autres sociétés,
antérieures à la Grèce. Il faut donc nuancer les points de vue que l’on pouvait avoir
sur la Grèce et reconnaître que partout la littéracie à des implications qui ont été
déterminantes dans les sociétés concernées.
30
Idem, p. 32.
31
« La Technologie de l’intellect », Pratiques, n° 131/132, décembre 2006.
68
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32
Olson, op. cit., p. 31.
33
Donné par Olson, op. cit., p. 56.
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n’existaient que par un support illustratif, celui des épopées et des mythes, ils
devinrent ensuite des concepts, sous l’effet de l’écrit qui en fit des mots. Encore une
fois pourtant, cette thèse a été rejetée par des développements plus récents. Ces
critiques se fondent surtout sur le caractère cognitif de ce changement mais on peut
toujours proposer avec Olson qu’un tel passage reste possible, non en ce que l’écrit
modifie la cognition mais en ce qu’il offre un modèle à l’oral. Ainsi, il permet que l’oral
soit analysé, de façon grammaticale. Les mots deviennent alors des objets à part
entière et peuvent servir alors de support à la réflexion grammaticale, être conçus
comme des mots et donc, par le fait de l’activité de définition, devenir des objets de
réflexion philosophique, des concepts.
Les derniers travaux de Lloyd confinent, eux aussi, à la prudence, à la fois sur
la portée de la « révolution culturelle grecque » et sur le rôle que l’écrit y a joué.
Lloyd pense qu’un changement a effectivement eu lieu dans les modes
d’entendement, provenant bien des techniques de preuve et d’un recours plus
important aux données empiriques. Toutefois, cet essor est davantage à mettre au
compte d’un contexte juridique et politique particulier qu’à celui de l’existence de
l’alphabet ou de l’écriture. C’est en effet ce contexte particulier qui fait que le doute et
la preuve deviennent essentiels dans les modes de réflexion. Il s’exprime à cet égard
en ces termes : « [Les Grecs] n’ont certainement pas été les premiers à développer
des mathématiques complexes, mais seulement les premiers à utiliser le concept de
démonstration mathématique rigoureuse, et à en donner alors une analyse formelle.
Ils n’ont pas été les seuls à mener des observations précises en astronomie ou en
médecine, mais ils ont été les premiers – en fin de compte – à développer la notion
de recherche empirique et à débattre de son rôle dans la science naturelle. Ils n’ont
pas été les premiers à diagnostiquer et à traiter certains cas médicaux sans faire
référence à l’intervention que l’on postulait jusque-là de dieux ou de démons, mais ils
ont été les premiers à identifier une catégorie, celle du “magique”, et à tenter de
l’écarter de la médecine 34. » Il faut comprendre dans ces propos nuancés de Lloyd
que ce que les Grecs ont inventé, ce n’est en réalité pas la discussion elle-même,
comme le pensaient Goody et Watt, mais les conceptions de l’argumentation qui
permettent la discussion, « non pas tant un savoir [dit Olson] qu’une épistémologie
mettant en jeu un ensemble de catégories ou de concepts pour “représenter” des
formes de discussion, les concepts de logique, de preuve, de recherche ou de
magie 35. » C’est l’invention de ces concepts qui permet d’accéder à une
différenciation du logos et du mythos. La révolution, si révolution il y a, le
changement, tient donc non pas tant dans le fait qu’il y ait eu recherche que dans le
fait qu’un ensemble de concepts ait été produit, dans lequel certains furent opposés
à d’autres et que ces distinctions puisent devenir objets du discours (savoir ce qu’est
une preuve, la recherche, le savoir…). On comprend bien la position nuancée qui est
celle de Lloyd : il pense que l’écriture a effectivement généralisé l’accès à certains
modes d’argumentation et qu’elle a permis de constituer des archives, mais il ne
34
Cité par Olson, op. cit., p. 67.
35
Idem.
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pense pas comme Goody que l’écriture est une cause possible de la révolution de la
pensée intervenue en Grèce. Ce que Lloyd reconnaît en revanche à l’écriture, c’est
qu’elle a permis une élaboration plus rigoureuse de l’argumentation, mais pas qu’elle
puisse avoir modifié fondamentalement sa forme – au contraire de Goody pour qui,
certes les notions de témoignage et de preuve existaient dans les sociétés orales,
mais que l’écriture les formalise parce qu’elle met en œuvre un mode de
communication spécifique.
On ne cesse de le voir la question de la révolution de la pensée et de la culture
grecques ne cesse de provoquer des recherches et des interprétations
contradictoires ; interprétations cruciales pour comprendre l’impact de la littératie –
voire de l’écriture alphabétique - dans la culture de l’humanité. En ce sens
l’interprétation de Olson semble ouvrir une perspective séduisante, nous permettant
de sortir de l’impasse. Pour lui, « l’écriture et le développement de la culture écrite
ont indéniablement été, comme [Goody] l’a dit, des instruments d’une tradition
sceptique, scientifique. Mais les raisons doivent en être cherchées, non pas tant
dans les progrès d’un enregistrement que dans la manière de lire des textes, et dans
une nouvelle attitude vis-à-vis du langage, encouragée par la lecture, l’interprétation
et la rédaction de ces textes 36. » Cette manière d’aborder le problème est
profondément littéracique, si l’on peut dire. En effet, pour lui, c’est à travers la lecture
que cette question de l’impact de l’écrit dans la culture grecque se résout et non par
l’écriture elle-même. Cela ne surprendra pas, dans la mesure où déjà son
interprétation de l’évolution des systèmes d’écriture reposait davantage sur la lecture
que sur des questions d’encodage (voir chapitre précédent). C’est bien l’articulation
proprement littéracique de la lecture et de l’écriture qui modifie la culture et la
société.
36
Ibidem, p. 70.
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Dans ces sociétés, la frontière entre ceux qui possèdent la littératie et ceux qui ne la
possèdent pas est clairement marquée. Les modes d’écriture alphabétiques, par leur
plus grande simplicité ont permis une démocratisation de la littératie. Ce faisant, ils
ont aboli cette frontière, mais cette abolition a conduit à une multiplication de
différences plus ténues, fondées sur ce que les gens avaient lu. La démocratisation
de la littératie peut être vue comme l’une des causes les plus importantes de la
différenciation sociale dans les sociétés modernes. Il est ici question des groupes
sociaux, mais également des individus. La combinaison de trois facteurs que sont le
système alphabétique, l’imprimerie (qui facilite la diffusion en grand nombre) et
l’enseignement obligatoire a certes permis une diffusion de la littératie sans
précédent, mais le mode de communication écrit ne s’impose pas chez tous avec la
même force et de manière aussi uniforme que la transmission dans les cultures
orales. « Dans les sociétés non-littératiennes, toute situation sociale met
systématiquement l’individu en contact avec les modes de pensée, de ressenti et
d’action propres à son groupe et il n’y a que deux options possibles dans le choix à
faire : soit la tradition culturelle, soit… l’isolement. Dans une société littératienne, et
indépendamment des difficultés liées à l’ampleur et à la complexité de la “noble”
tradition littératienne, le simple fait que la lecture et l’écriture soient des activités
normalement solitaires a pour corollaire le fait que, aussi longtemps que la tradition
culturelle dominante sera la tradition littératienne, il sera très facile de contourner
cette dernière 37. » Les effets de la culture littératienne peuvent donc rester
superficiels.
37
Op. cit., p. 60.
38
Op. cit., p. 287-300.
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− « une fois qu’un écrit a été assimilé, qu’il représente un modèle, il est
extrêmement difficile de s’en “distancier” et d’imaginer comment celui qui ne le
partage pas peut percevoir le langage. »
− « les pouvoirs expressif et réflexif de la parole et de l’écriture sont plus
complémentaires que similaires. »
− « la tentative de compenser ce qui est perdu dans l’acte de retranscription est
la source de l’une des conséquences les plus importantes de la maîtrise de
l’écrit. »
− « une fois que les textes sont lus autrement, la nature est “lue” en empruntant
la même voie. »
− « une fois la valeur d’illocution d’un texte reconnue comme expression d’une
intentionnalité personnelle, les concepts qui servent à représenter la manière
dont un texte doit être compris sont précisément ceux dont nous avons besoin
pour représenter l’esprit. »
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L’une des conséquences de cela est que l’histoire de l’écriture fait nécessairement
partie de la compréhension des implications conceptuelles de l’écriture, car des
systèmes différents font accéder à la conscience de différents aspects du langage.
Par exemple, les premiers systèmes d’écriture complets font apparaître le caractère
syntaxique de l’écriture et du langage, en ce qu’ils vont transcrire non les référents
mais la parole ; les écritures syllabiques font prendre conscience de la matière
phonologique du langage. Selon ce premier principe, l’écriture fournit un ensemble
de catégories pour penser le langage. Olson précise bien que « cela ne veut pas dire
qu’il ne peut y avoir conscience du langage qu’au travers de l’écrit, mais plutôt qu’en
apprenant à écrire et à lire, on pense la parole au travers d’entités constituées dans
le système de représentation 39. » Ceci expliquerait pourquoi l’invention de l’écriture
s’accompagne de l’émergence des activités métalinguistiques, comme la rédaction
de dictionnaires, grammaires, l’élaboration de la rhétorique, de la logique. Et une fois
formulées, les lois grammaticales et logiques permettent la construction
intentionnelle de phrases ou d’arguments. Par exemple, une fois qu’on a conçu qu’un
argument est en fait une structure déductive, on peut chercher à formuler des
prémisses. Une fois identifiée une forme grammaticale, on peut rejeter certaines
phrases.
2. « aucun système d’écriture, pas plus l’alphabet que les autres, n’est capable
de restituer tous les aspects de ce qui a été dit. »
C’est le problème de la dimension illocutoire, que l’écrit ne parvient
qu’imparfaitement à transcrire. On transcrit ce qui a été dit – un contenu brut – mais
pas comment cela a été dit, ce qui est pourtant une grande part du sens. La
conséquence de ce principe est qu’il ne faut pas penser que la conscience
métalinguistique est un phénomène homogène : tous les systèmes linguistiques
n’ont pas le même effet sur notre conscience du langage. Le système d’écriture
adopté est un modèle illustrant certaines propriétés de la langue, mais pas toutes. En
outre, il ne les révèle que de manière schématique. Un locuteur-scripteur utilisant un
alphabet n’aura peut-être pas conscience que l’alphabet n’est en réalité qu’un
modèle grossier de la phonologie.
39
Idem, p. 288.
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théorique pour les systèmes d’écritures de même que d’un point de vue plus
fonctionnel et didactique, une difficulté dans les activités de lecture et d’écriture.
4. « une fois qu’un écrit a été assimilé, qu’il représente un modèle, il est
extrêmement difficile de s’en “distancier” et d’imaginer comment celui qui ne le
partage pas peut percevoir le langage. »
Le modèle systémique auquel un scripteur-lecteur est habitué lui apparaît
comme évident et complet, dès lors, puisque c’est ce modèle qui lui fournit une
image de ce qu’est le langage, il a du mal à penser le langage autrement. Par
exemple, ceux qui utilisent un système alphabétique ont beaucoup de mal à
comprendre que quelqu’un puisse ne pas entendre les constituants alphabétiques de
leur discours. Les lecteurs modernes habitués à la distinction entre le sens littéral et
le sens métaphorique ne parviennent pas à concevoir que pour d’autres cette
différence n’existe pas (comme c’est le cas chez les Nuer ou les Huichol, pour qui
« le maïs est un cerf »). Le modèle écrit n’est qu’un modèle parmi d’autres, or nous
avons tendance, pris dans le système auquel nous sommes habitués, à considérer
ce modèle comme un ensemble de faits objectifs. En apprenant à détecter les
relations entre les sons et les lettres, un enfant n’apprend pas seulement à détecter
deux choses connues, mais il acquiert en réalité un modèle. Or, être conscient de
cela peut avoir des implications didactico-pédagogiques : ces questions nourrissent
le débat sur l’apprentissage de la lecture, il permet de s’interroger sur l’attitude qu’il
convient d’avoir envers les enfants. Partir de l’idée que les systèmes d’écriture ne
sont pas premièrement l’expression d’un savoir phonologique mais en réalité un
modèle de compréhension, change les orientations didactiques ou pédagogiques.
Ceci est valable pour l’apprentissage mais aussi d’un point de vue théorique. Le
premier point de vue suppose que l’on dispose des phonèmes dans notre
conscience et qu’écrire consisterait à les transcrire dans un nouveau medium. Le
second revient à penser que c’est par l’écrit qu’ils ont été portés à la conscience.
Selon ce point de vue, l’écrit n’exprime pas un savoir linguistique mais constitue un
modèle pour ce savoir. Dans ce cas, cela signifierait que l’écriture est importante
pour parler ; « elle fait de nous des utilisateurs d’une langue, et non plus de simples
locuteurs 40. »
Pour clore ces quatre premiers principes issus de la théorie que l’écrit est une
modélisation de la parole, Olson conclut que le problème de l’écriture est celui de la
transcription de la valeur illocutoire des énoncés et que l’histoire de la lecture – il a
montré que l’histoire de l’écriture n’est pas pertinente mais l’angle de la lecture est
plus juste, nous l’avons mentionné au chapitre précédent – et de l’écriture est en
grande partie une recherche des moyens de compenser ce que l’écrit ne parvient
pas à modéliser, c’est-à-dire la manière dont on doit comprendre les expressions.
40
Idem, p. 292.
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41
Ibidem, p. 294.
42
Ibidem, p. 296.
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7. « une fois que les textes sont lus autrement, la nature est “lue” en empruntant
la même voie. »
Les catégories qui se sont développées pour la lecture, celle des textes sacrés
en particulier, ces procédures dont nous venons de parler avec le sixième principe,
ont été adaptées à la lecture du livre de la nature. L’épistémologie est née dans une
sorte d’application de la démarche herméneutique à la nature. Elle a consisté en la
mise en œuvre de moyens systématiques pour déterminer comment comprendre non
plus les textes (suppositions, hypothèses, déductions, expressions métaphoriques ou
littérales) mais les signes naturels, étudiés comme des données susceptibles
d’établir la validité des croyances.
8. « une fois la valeur d’illocution d’un texte reconnue comme expression d’une
intentionnalité personnelle, les concepts qui servent à représenter la manière dont un
texte doit être compris sont précisément ceux dont nous avons besoin pour
représenter l’esprit. »
Selon Olson, la théorie de l’esprit est l’ensemble des concepts mentaux qui
correspondent à la valeur d’illocution des énoncés. Les états mentaux sont les
conditions de sincérité des actes de discours, (Searle) donc si l’on rend compte de la
manière de dire les choses, on rendra compte de la manière de les penser.
Ces huit principes sont fondamentaux dans la théorie de la littératie, ils sont
profondément au cœur de ses problématiques, en ce qu’ils mettent en rapport la
compréhension et l’usage des divers écrits avec la compréhension du langage, du
monde environnant et de l’esprit ; ce sont les aspects d’une théorie reliant la culture
écrite et la pensée. On reconnaît assez facilement dans ces principes, les éléments
constitutifs de la définition de la littératie telle que donnée par l’OCDE. Bien sûr la
visée est différente, fonctionnelle ici, là théorique et élargie, mais c’est bien aussi
cela étudier la littératie.
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