1
SOMMAIRE
Conclusion
Bibliographie
2
I - Médiatiser la guerre : la révolution de Lattre
L’essor du SPI et du SCA1 en Indochine
F 51-82 R17
Répondant aux questions des journalistes et
cerné de photographes lors du 14 juillet 1951 à
Hanoï, le général de Lattre maîtrise à la
perfection son image et les « médias » de
l’époque.
14 juillet 1951, photographe SPI
1
SPI : Service presse information ; SCA : Service cinématographique des armées. Ce chapitre est rédigé d’après les travaux
universitaires de Pascal Pinoteau (voir bibliographie).
3
Le véritable essor du SPI est dû à l’arrivée du général de Lattre de Tassigny, le 17 décembre 1950, aux
fonctions de commandant en chef et de haut-commissaire de France en Indochine, dans un contexte
d’internationalisation de la guerre.
De Lattre envisage l’Indochine sous sa dimension stratégique, militaire et médiatique. Il comprend que les
enjeux du conflit sont d’une part, de rallier les populations indochinoises et, d’autre part, de mobiliser
l’opinion métropolitaine et internationale pour obtenir une augmentation des moyens2.
Dès son arrivée, le général de Lattre réorganise les services d’information. Il opère une véritable purge
parmi le personnel et rapproche les services civils et militaires d’information. Mis en commun sous la
direction de Jean-Pierre Dannaud, directeur du SFI (Service français d’information), les services civils et
militaires d’Information - le SFI et le SPI – vont collaborer. Michel Frois, un ancien du SMI, obtient carte
blanche pour reconstruire le SPI. L’entente des deux hommes permet alors aux services d’information
civils et militaires d’œuvrer de manière très étroite et efficace. Jean-Pierre Dannaud se charge de la
presse écrite tandis que Michel Frois dirige la partie audiovisuelle. Ainsi, le SPI participe à la rédaction du
magazine du SFI, Indochine Sud-Est asiatique alors que le SFI dispose d’un droit de regard sur le journal
Caravelle. Disposant au départ d’effectifs et de moyens restreints, Michel Frois met en place son service
avec les photographes du SPI et du SFI, auxquels s’ajoute la section Indochine du SCA. Le général de
Lattre donne la priorité à la photographie dont il supervise la diffusion3. Tous les soirs, les photographes
rentraient d’opération vers 22h. Développées, les photos étaient sélectionnées et légendées par le
capitaine Frois, qui, vers minuit-une heure, les soumettait au choix définitif du général de Lattre4.
Après des années marquées par une politique de fermeture en termes d’information et de
communication, le général de Lattre impulse une politique d’ouverture qui se trouve néanmoins tout à
fait contrôlée.
Outre la réforme interne du SPI, le général de Lattre entreprend de jouer le jeu de la confiance et
entreprend une véritable « opération de séduction » à destination des correspondants de presse.
2 La décolonisation française au prisme du cinéma militaire 1945-1962, Pascal Pinoteau, Mémoire de DEA, Université François
Rabelais, 2000, p.257
3 L’avantage donné à la photographie par rapport au cinéma dépend de questions matérielles (effectifs, circuits de diffusion
simplifiés), mais est surtout lié aux infrastructures de diffusion en métropole. La demande de la presse était supérieure à celle
des maisons d’actualité filmée.
4 Ibidem p.71
4
Il les convoque quasi quotidiennement, organise des conférences de presse, autorise certains journalistes
à l’accompagner lors de ses déplacements. Son ambition n’est pas de faire sa propre publicité mais
plutôt que les journalistes donnent une répercussion et intéressent enfin la métropole, la population et le
monde entier à la guerre d’Indochine. Qu’ils lui donnent les moyens de gagner cette guerre. D’aucuns
critiqueront son autoritarisme, son goût de la mise en scène, sa mégalomanie : qu’importe, ces aspects
de sa personnalité servent sa cause.
.
S 51-29 R1
Le général de Lattre recevant M. Lucien Bodard,
correspondant de presse.
1951, photographe SPI
TONK 51-218 L2
Lors d’une visite, Graham Greene discute avec des parachutistes lors de combats dans le secteur de Phat Diem.
Auteur dramatique, journaliste et romancier anglais, Graham Greene collabora au Times comme correspondant de
guerre sur de nombreux fronts.
Décembre 1951, Marcel Georges
5
La mise en place d’un service audiovisuel compétant en 1951 se reflète dans le fonds Indochine de
l’ECPAD sur le plan quantitatif et qualitatif.
En effet, la production photographique du SPI explose en 1951. 742 reportages sont produits en 1951 en
Indochine, alors que l’année 1950 n’en comptait que 299. Ce record de production pour l’année 1951
sera inégalé sur toute la durée de la guerre. Parmi ces reportages, 84 sont consacrés à l’action du général
de Lattre (reportages où il apparaît en personne).
La section Indochine du SCA augmente parallèlement sa production de films ; son accroissement est
toutefois moins spectaculaire que celui de la production photographique.
300
250
200
Reportage
1950
150
1951
100
50
0
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Série
Cette évolution de la production s’accompagne d’un changement de nature des images produites
(photographies et films). La conception « moderne » de l’information envisagée par le général de Lattre
et ses conseillers a un impact sur les thèmes représentés à l’image. Alors qu’on s’évertuait jusqu’alors à
montrer principalement les actions de pacification et les évènements protocolaires (arrivée, départ
d’autorités militaires, remises de décoration, cérémonies militaires), le sujet de l’image se recentre sur la
stature du chef, sur les « opérations » militaires et sur l’action des soldats. Il s’agit de magnifier l’action
des troupes françaises sous l’autorité du général ce Lattre.
Pour ce faire, les nouveaux reporters sont formés. Prenant pour modèle les reporters-photographes de
magazines tels que Life, et exerçant plus près des troupes et des combats, les reporters appréhendent
une nouvelle forme de guerre et produisent des images fortes, qui font appel à la sensibilité du public, à
l’ « émotivité de l’image ».
Dans sa biographie, L’impériale de Van Su, comment je suis entré dans le cinéma en dégustant une soupe
chinoise, Raoul Coutard témoigne de son expérience comme photographe pour le SPI. Effectuant son
deuxième séjour en Indochine fin septembre 1950, il couvre l’arrivée du général de Lattre à Saïgon avec
le caméraman Georges Kowal. « Jusqu’à présent, les opérations militaires étaient photographiées et
filmées en reconstitution. Les photographes et cinéastes étaient convoqués dans une unité - pas
forcément celle dont il était question - et on mettait pour eux quelques phases de l’engagement. De
Lattre, lui, voulait du réel. Il a décidé que les reporters iraient en opération avec, bien-sûr, le contrôle de
la censure. »5. « On nous demandait que les soldats soient beaux », rappelle-t-il dans un témoignage.6
6
Les reporters se trouvent donc dorénavant là où l’action se situe. Le graphique ci-dessous atteste de cette
nouvelle tendance : le nombre de reportages réalisés au Tonkin est le plus important. C’est en effet la
région clé de l’année 1951, où se déroulent nombre de batailles que le Corps expéditionnaire remporte.
Annam
3% Cambodge
6% 5% 6%
1% Cochinchine
12%
PA (Prises d'armes)
Saigon
34% Tonkin
11%
PO (Portrait officiel)
22% PER (Personnalité)
Laos
La « mise en scène » de l’action politique et militaire du général de Lattre est une véritable stratégie : il
souhaite toucher l’opinion française qui se désintéresse de la guerre d’Indochine ainsi que l’opinion
internationale, en particulier les États-Unis, afin d’obtenir des moyens (matériels et humains) qui font
cruellement défaut au Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient depuis le début de la guerre.
Tonk 51-4 G1
Visite du général de Lattre de Tassigny au Fort chinois, poste situé au nord de Hanoï, au Tonkin.
Janvier 1951, photographe SPI
7
Raoul Coutard
Né en 1924 à Paris, Raoul Coutard interrompt ses études d’ingénieur chimiste pour
s’engager en Indochine en 1945. Lors d’un deuxième séjour, il est nommé reporter
photographe pour le SPI de 1950 à 1954. À partir de 1953, il devient chef de la
section photo du magazine Indochine Sud-Est asiatique, et correspondant de presse
pour Life ou Match.
Ses photographies préfigurent le grand opérateur de cinéma qu’il deviendra. La
composition du cadre, la maîtrise de la lumière et la vivacité de ses clichés, lorsqu’il
saisit une scène de combat ou brosse le portrait de minorités ethniques dans les
Hauts-Plateaux, témoignent d’un véritable souci artistique et humain.
Sa rencontre avec Pierre Schœndœrffer en Indochine, alors caméraman au SCA, est
PERS 337 déterminante. De retour en métropole, il entame une longue collaboration avec ce
Raoul Coutard posant dernier et signe la photographie de La passe du diable, Ramuntcho, La 317e section,
avec son Leica en Le crabe-tambour. Sa collaboration avec Jean-Luc Godard et François Truffaut fait
Indochine. de lui le chef opérateur de la Nouvelle vague. Il témoigne de la guerre d’Indochine
Date inconnue, dans le film Hoa Binh, qu’il réalise en 1970.
photographe SPI L’ECPAD conserve 138 reportages photographiques qu’il effectue en Annam, en
Cochinchine et au Laos, des rushes qu’il réalise pendant la guerre d’Indochine ainsi
que des films qu’il réalise ultérieurement (Le défilé du 14 juillet 1977, La légion
saute sur Kolwezi, Assistance militaire technique).
8
II - Les opérations militaires de l’année 1951 au Tonkin
L’arrivée du général de Lattre de Tassigny, qui cumule les plus hautes fonctions civiles et militaires, est un
véritable électrochoc pour les troupes françaises et pour la métropole. Celui qui succède au général
Carpentier et à Léon Pignon fait une entrée fulgurante à Saïgon le 17 décembre 1950 et s’attache à
frapper les esprits. Il met très vite en place les directives gouvernementales qui lui laissent toutefois un
grande liberté d’action. Première priorité : redresser la situation militaire chaotique et relever le moral
des troupes qui est au plus bas depuis le désastre de Cao Bang8, qui a laissé de nombreux traumatismes
et séquelles chez les militaires.
Sur le terrain, il décide de porter toute son action sur le Tonkin, contrairement à certaines directives du
gouvernement qui donnaient la priorité à la Cochinchine et prônaient l’évacuation des postes du Tonkin.
Il décide que les troupes se battront au Tonkin, ne cèderont pas le terrain, et par ce fait barreront la route
à l’expansion du communisme chinois. Évacuer le Tonkin aurait été faire preuve de résignation et aurait
préfiguré l’abandon de toute l’Indochine.
Pour ce faire, le général de Lattre est arrivé avec ses officiers, qui vont remplacer ceux qu’il renvoie en
métropole : des anciens de la 1e armée, comme le général Salan à qui il confie le commandement des
FTNV (Forces terrestres du Nord Vietnam) et qui possède une grande connaissance des affaires
indochinoises. Il réussit à galvaniser les troupes en s’adressant aux officiers et sous-officiers en ces
termes : « C’est pour vous, les lieutenants et les capitaines, que je suis venu, vous qui supportez le poids
de cette guerre et y jouez un rôle si important ». […] « Je vous garantis, messieurs les militaires et
messieurs les civils, que désormais vous serez commandés ».
L’année 1951 est marquée par plusieurs batailles que remportent les troupes françaises, face à un corps
de bataille Viêt-minh qui se renforce et qui expérimente les techniques de bataille « classique ».
7 Carte extraite de l’Atlas des guerres d’Indochine 1940-1990, Hugues Tertrais, Collection Atlas/Mémoires, Editions autrement,
p.27
8 Voir le dossier documentaire consacré à l’année 1950 en Indochine sur le site internet de l’ECPAD.
9
1. La bataille de Vinh Yen : 14 - 17 Janvier 1951
Après la défaite cuisante des troupes françaises lors des combats de la RC4 (Route coloniale n° 4) face au
corps de bataille Viêt-minh, le général Giap, grisé, avait promis à ses troupes d’entrer dans Hanoï, le
bastion du Tonkin, avant le Têt9 et ainsi briser la défense française du delta du Tonkin.
Vinh Yen est une des premières batailles à laquelle le général de Lattre de Tassigny doit faire face. Il s’agit
par ailleurs de la première offensive « classique » pour le Viêt-minh, qui menait jusqu’alors une guerre de
guérilla, basée sur une attitude défensive. Pour certains, il s’agit du début de la contre-offensive générale
menée par le général Giap.
Deux divisions Viêt-minh (les divisions 308 et 312) attaquent Vinh Yen, situé à une cinquantaine de
kilomètres au nord-ouest de Hanoï, du 13 au 18 janvier 1951. Le général de Lattre de Tassigny riposte en
mobilisant tous les moyens disponibles et en surprenant l’ennemi par des bombardements au napalm,
nouveau produit incendiaire très puissant remis par les Américains. La « 308 sera clouée au sol par ces
bombardements nouveaux, terrifiants et efficaces10 ».
- 14 janvier : l’offensive Viêt-minh se déclenche dans la nuit à 1h30 combinant attaque frontale des
postes Bao Chuc (à 11 km au nord-ouest de Vinh Yen), bousculant le GM3 (Groupement mobile
n° 3) du lieutenant-colonel Vanuxem qui se replie sur Vinh Yen.
- 15-16 janvier : Contre-attaque du général de Lattre qui prélève le GM2 (lieutenant-colonel de
Castries) de Luc Nam et demande au colonel Allard de faire acheminer le plus de moyens
possibles en les prenant en Cochinchine et en Annam. Il ordonne à l’armée de l’air d’utiliser pour
la première fois le napalm.
- Nuit du 16 au 17 janvier : Deuxième attaque violente du Viêt-minh contre les bataillons installés
sur les hauteurs.
- Au bout de trois jours les divisions Viêt-minh refluent dans la montagne du Tam Dao.
er er
9 Fête du nouvel an vietnamien, le Têt se déroule le 1 jour du 1 mois du calendrier lunaire (fin janvier/début février).
10 Après la surprise à Vinh Yen, les troupes du Viêt-minh sauront réagir face au napalm. Chaque homme creusera un trou étroit
et profond recouvert d’un couvercle de branchages, lui permettant de se mettre à l’abri. Si la chaleur n’était pas trop intense, les
hommes pouvaient survivre. C’est ainsi qu’on verra des combattants sortir après d’intenses bombardements au napalm et
repartir à l’assaut des positions françaises.
10
TONK 51-11 R17
Blessés muongs appartenant au GM3 du
lieutenant-colonel Vanuxem transportés et
soignés par les troupes françaises dans la
région de Vinh Yen.
15-16 janvier 1951, Guy Defives
Les pertes du Viêt-minh sont lourdes : environ 1 500 tués, 480 prisonniers et des milliers de blessés.
Du côté français, on compte environ 700 hommes tués, disparus ou blessés.
Sur le terrain de Vinh Yen, l’armée française avait retrouvé son avantage grâce à sa puissance matérielle
et sa logistique.
11
2. La bataille de Mao Khé : 29 - 31 mars 1951
Début mars, le Viêt-minh reprend son offensive. Des renseignements attestent que les deux divisions
308 et 312 et deux régiments de la 316 se trouvent concentrés dans le massif de Dong Trieu. Dans la
nuit du 29 mars, les troupes du Viêt-minh, en formations massives, montent à l'assaut du poste de
Mao Khé-mines, situé 2 km de Mao Khé-village, défendu par une compagnie de partisans thôs sous
les ordres du lieutenant Nghiem Xuan Toan. Au matin du 30 mars, la compagnie de partisans thôs
tient toujours. En début d'après-midi, le 6e BPC (Bataillon de parachutistes coloniaux) arrive de Sept
Pagodes en renfort, en avant-garde du groupement Sizaire. Le lieutenant Toan fait évacuer le poste
et se replie dans le village de Mao Khé sur lequel le Viêt-minh reporte son effort. À 2 heures du
matin, Giap lâche sur Mao Khé ses deux meilleurs régiments, les TD 36 et 209. Les parachutistes du 6e
BPC résistent. À l'aube, le groupement Sizaire lance ses deux bataillons à la contre-attaque en
débordant Mao Khé par le nord. Les troupes du Viêt-minh se replient dans la jungle, laissant derrière
eux 400 cadavres.
12
TONK 51-38K R4
Mao Khé après les combats.
29-31 mars 1951, photographe SPI
D96-455
A Mao Khé le 31 mars1951, après la bataille.
31 mars 1951, Don Henri Mauchamp
Cette photographie est entrée dans les fonds de l’ECPAD par donation de M. Henri Mauchamp. Infirmier
dans les parachutistes coloniaux, ce dernier prend cette photographie alors qu’il sert au sein du 6e
BCCP (Bataillon colonial de commandos parachutistes) qui vient porter renfort au poste de Mao Khé.
Après les combats qui ont fait rage toute la nuit, lui et ses camarades découvrent de toute part des auto-
mitrailleuses détruites, des douilles de canons de 57 sans recul jonchant le sol, des blessés et des morts.
Féru de photographie, Henri Mauchamp empoigne son appareil photographique Dehel et immortalise ce
moment macabre avant même que les reporters du SPI ne soient sur place.
13
3. La bataille du Day : 29 mai - 7 juin 1951
La bataille du Day est la troisième offensive de Giap pour conquérir le cœur du Tonkin. Elle se déroule à
l’opposé des régions montagneuses, dans la partie inondée du delta, sur le Song Day11. Le plan d’attaque
du Viêt-minh consiste à occuper les postes de Phu Ly et Ninh Binh pour ensuite porter ses efforts sur
l’évêché catholique de Phat Diem afin d’anéantir le pouvoir catholique de ces secteurs. Un autre objectif
est de s’emparer de la récolte du riz cultivé dans le delta et nécessaire à son économie et au
ravitaillement de ses troupes.
L’attaque débute par surprise dans la nuit du 28 au 29 mai par un assaut frontal de la division 308 sur les
postes de Ninh Binh et des postes de milices catholiques. Depuis Hanoï, le haut-commandement réagit
rapidement. Les routes vers le sud étant coupées, on achemine des renforts par voie fluviale et aérienne :
3 Groupements mobiles (GM1 du colonel Edon, GM4 du colonel Erulin, Groupement Jèze), un sous-
groupement blindé, 4 groupes d’artillerie, 2 bataillons parachutistes, les 7e BPC et 2e BPC et la Dinassaut 3
qui transporte le Bataillon de marche du 1er régiment de chasseurs et deux commandos de marine.
Débarquées, les troupes prennent position sur les calcaires qui dominent le Day. Les combats font rage
dans la nuit du 29 au 30 mai. Les troupes du Viêt-minh se retirent finalement vers les calcaires en
abandonnant une centaine de morts et autant de prisonniers.
11
Le Day est une rivière (Song) au sud du delta tonkinois. C’est un défluent du fleuve Rouge.
14
TONK 51-71 L16
Tir d'un blindé M4 Sherman sur un objectif proche du rocher de Ninh Binh.
29 mai 1951, photographe SPI
Lors de l'offensive du Day, les troupes de Giap attaquent seulement la nuit et se camouflent le jour : c’est
une bataille moins classique que Vinh Yen. Cette tentative de Giap est un échec. Ce dernier doit faire son
autocritique et concéder que l'offensive générale décisive n'est pas pour l'immédiat : dans le delta, les
Français proches de leurs bases peuvent faire jouer à plein la supériorité de leurs moyens matériels
(notamment les chars et l'aviation). C’est au cours de cette bataille que le fils du général de Lattre,
15
Bernard de Lattre, meurt au combat. Le général de Lattre ramène le corps de son fils en France, laissant
au général de Linarès le soin d’assurer la victoire.
TONK 51-73 L7
er
Près du poste de Ninh Binh, des hommes du 1 régiment de chasseurs procèdent à l'enlèvement des corps.
30 mai 1951, Gérard Py
Après une accalmie de quelques jours, les combats reprennent le 4 juin, visant les évêchés. La division
308 attaque la ceinture des postes de Phat Diem en portant son effort sur Yen Cu Ha, fortin en briques et
ciment tenu par le commando Romany qui résiste avec acharnement aux assauts dans la nuit du 4 au 5
juin, avant d’être dégagés au matin par la Dinassaut 3 et le 7e BPC. Les assauts du Viêt-minh reprennent
dans la nuit du 6 et 7, atteignant leur paroxysme. Les troupes se replient finalement, laissant une
centaine de morts aux abords du poste.
16
4. La bataille de Nghia Lo : 2 - 6 octobre 1951
Ces trois revers successifs prouvent au Viêt-minh la difficulté d’obtenir un succès décisif par de grandes
batailles menées en une zone où les troupes françaises, proches de leurs bases, peuvent faire jouer la
suprématie des moyens matériels. À l’automne, le Viêt-minh décide d’orienter ses efforts sur le nord-
ouest du Tonkin en pays thaï afin d’y attirer les réserves mobiles des FTNV (Forces terrestres du Nord
Vietnam). Dans cette région montagneuse dépourvue de routes, le Viêt-minh souhaite limiter les
mouvements des groupements mobiles et le déploiement de logistique.
Informé des préparatifs des mouvements de l’adversaire, le général Salan décide de défendre Nghia Lo. Il
laisse les régiments Viêt-minh s’installer autour du poste et le 2 octobre fait parachuter le 8e BPC
(Bataillon de parachutistes coloniaux) sur Gia Hoï (à 20 km au nord-ouest de Nghia Lo) afin de prendre à
revers la division 312. Le Viêt-minh déclenche une attaque contre Nghia Lo dans la nuit du 2 au 3 octobre
et met le 8e BPC en position critique. Dès lors, le général Salan engage le 2e BEP (Bataillon étranger de
parachutistes) qui arrive à Gia Hoï le 4 octobre aux côtés du 8e BPC, aggravant la menace sur la division
312. Le général Giap qui veut anéantir Nghia Lo coûte que coûte, lance à nouveau le régiment 141 dans la
nuit du 4 au 5, qui subit de lourdes pertes. Un troisième bataillon de parachutistes, le 10e BPCP, vient
renforcer Nghia Lo, consolidant la victoire côté français.
Le fonds Indochine ne dispose pas de reportage photographique consacré à la bataille proprement dite.
Des paramètres logistiques, techniques ou politiques peuvent expliquer l’absence d’images sur de
nombreux combats. En effet, les reporters étaient parfois absents du lieu où se déroulait la bataille, le
commandement ne les ayant pas dépêchés sur place, ou trop tardivement, ou bien ayant sous-estimé
l’évènement. Une bataille survenant par surprise, par manque de renseignements de l’état-major n’était
souvent pas couverte. Parfois, les conditions techniques empêchaient la prise de vue, la nuit par exemple.
Un reportage consacré à la progression du 8e BPC et 2e BEP dans la région de Nghia Lo replace le contexte
de la bataille de Nghia Lo. De plus, ce reportage est emblématique de l’évolution du SPI et de
l’avènement du reporter de guerre en Indochine.
Photographiant les parachutistes et légionnaires dans une nature à la fois hostile et grandiose, le
photographe magnifie son sujet. Supprimant toute distance, il immortalise la geste du soldat dans son
quotidien, dans ses souffrances, exprimant une dimension humaine et tragique. Cette évolution
17
artistique des photographes en Indochine fait écho aux réformes du SPI initiées par le général de Lattre.
Ce reportage sous forme d’hommage aux parachutistes et légionnaires - troupes d’élite - semble aussi
vouloir répondre aux critiques essuyées par les troupes du CEFEO, notamment envers les légionnaires,
composés de nombreux Allemands, en réhabilitant leur image.
18
5. Hoah Binh : novembre - décembre 1951
À la mi-novembre, rompant avec l’attitude défensive qui avait caractérisé les précédentes batailles de
l’année 1951, le général de Lattre décide de provoquer le corps de bataille Viêt-minh chez lui, en pays
muong. Après la bataille de Nghia Lo, tout semblait montrer que le Viêt-minh était décidé à mener une
guerre de mouvement en haute région au cours de l’hiver. Le général de Lattre décide donc de prendre
les devants. Du point de vue politique, il a besoin d’une victoire rapide et spectaculaire : en effet, le
parlement doit voter le budget consacré à l’Indochine fin décembre. De plus, cela permettrait
d’encourager l’aide financière et matérielle des États-Unis.
Le général de Lattre planifie donc de couper la zone Viêt-minh en réoccupant Hoa Binh, position
charnière et nœud de communications fluviales (rivière Noire) et terrestres (RC6)12 entre le Thanh Hoa et
le pays thaï. Bien que cette région offre un champ de bataille difficile, couvert de jungle et parsemé de
calcaires, elle a l’avantage d’être située près du delta, offre des voies de communication et se trouve à
courte-portée des interventions de l’aviation (Hanoï est à 60 km).
L’occupation du pays muong ne pose pas de difficulté particulière puisque le territoire est tenu par
quelques éléments régionaux Viêt-minh dispersés. En outre, l’ethnie muong peuplant ce pays est
favorable aux Français.
12
Route coloniale n° 6.
19
TONK 51-175 R167
Légionnaires observant un parachutage sur Hoa
Binh.
14-19 novembre 1951, attribué à Guy Defives ou
Francis Jauréguy
Montée par les généraux Salan et de Linarès, la manœuvre comprend deux phases :
- l’opération « Tulipe », destinée à occuper la trouée de Cho Ben, principal point de passage des
unités Viêt-minh pour infiltrer le delta. Elle est menée le 10 novembre mettant en œuvre une
douzaine de bataillons et 5 groupes d’artillerie.
- L’opération « Lotus » vise à occuper Hoa Binh en mettant en œuvre 16 bataillons, 8 groupes
d’artillerie, 2 bataillons du génie, 2 escadrons de chars, une dinassaut et d’importants moyens
aériens.
des éléments de DCA et du génie et lance l’offensive dès le 9 décembre sur les positions françaises, avec
pour objectif les voies de communication (RC6, rivière Noire). Des combats très durs se déroulent
pendant un mois, notamment au Mont Bavi, à Tu Vu, au Rocher Notre-Dame avec des pertes françaises
sérieuses.
Après le décès du général de Lattre le 11 janvier 1952, le général Salan, nommé commandant en chef,
décidera d’abandonner Hoa Binh mais les affrontements continueront sur la RC 6 en janvier 1952 sous la
forme d’une guerre d’usure. Fin février, les hommes engagés à Hoa Binh se replieront dans le delta, à
nouveau menacé.
20
TONK 52-21 R18
Le poste de Tu Vu après l'assaut du 10 décembre 1951.
12-15 décembre 1951, attribué à Guy Defives ou
Raymond Varoqui
21
III - Consacrer l’indépendance du Vietnam
PA 51-28 R25
La foule assistant au défilé du 14 juillet 1951 à Saïgon.
Photographe SPI
Ministre chargé des relations avec les États associés (Cambodge, Laos, Vietnam), investi en novembre
1950 d’une délégation des pouvoirs du président du Conseil, Jean Letourneau est responsable de la
politique indochinoise et remet ses directives au général de Lattre, chargé de les mettre en œuvre. Ainsi,
le 27 décembre 1950, il déclare : « Toute votre action, sera fondée sur le principe : rendre l’indépendance
des États associés aussi effective que possible, sans rien négliger de ce qui pourra être nécessaire à la
conduite d’une guerre difficile »13. L’action du général de Lattre doit donc permettre de sortir les États
associés de leur « attentisme » en leur donnant la volonté et les moyens de lutter contre le Viêt-minh. Les
gouvernements des États associés14 doivent réellement gouverner et s’engager dans la guerre qui doit
devenir leur guerre, la tâche prioritaire étant la mise en place d’armées nationales15 : une Armée
nationale vietnamienne (ANV), la plus importante, une Armée laotienne et une Armée cambodgienne.
13
Histoire de la Guerre d’Indochine, Yves Gras, Editions Denoël, 1992, p. 371
14
En 1949, les États du Vietnam, du Cambodge et du Laos sont reconnus États indépendants dans le cadre de l’Union française.
Cette indépendance affirmée est toutefois limitée par le cadre de l’Union française, par l’existence de services communs à toute
l’Indochine et par la situation de guerre. Ces États, taxés de fantoches par les opposants politiques, vont toutefois s’employer à
développer leur souveraineté.
15
L’armée française souffre du manque d’effectifs pendant toute la guerre d’Indochine. Le « jaunissement » des troupes, puis la
mise en place d’armées nationales doit aussi permettre de résorber les effectifs français engagés en Indochine.
22
Le général de Lattre veut alors jouer le jeu de l’indépendance en s’appuyant sur le chef de l’Etat du
Vietnam Bao Daï et son gouvernement, à qui le maximum de souveraineté devra être transféré,
conformément aux conclusions de la conférence de Pau16. L’affaire n’est pas simple puisque Bao Daï se
montre très réticent à collaborer et à s’engager dans la voie de la vietnamisation aux côtés du général de
Lattre. « Je ne serai pas le toutou du général » 17 aurait déclaré le chef de l’état vietnamien.
Le haut-commissaire fait face à une crise lors de la recomposition du gouvernement vietnamien en début
d’année. Pour revigorer le Cabinet Tran Van Huu, chef du gouvernement, et dans l’optique du front
tonkinois, le général de Lattre propose d’introduire Nguyen Huu Tri, le gouverneur du Nord-Vietnam.
Après de nombreuses manœuvres et intrigues, la tentative de rapprochement entre le cochinchinois Tran
Van Huu et le tonkinois Nguyen Huu Tri se solde par un échec. Le 3 mars, Bao Daï préside à Saïgon la
cérémonie officielle d’investiture du « premier gouvernement de l’indépendance » dont les changements
espérés pour réaliser une union véritable sont absents.
Après la bataille de Vinh Yen, le général de Lattre et le gouvernement vietnamien se rendent à Vinh Yen
trois mois après la bataille. À l’issue du repas, le général de Lattre prononce un discours politique où il
consacre l’indépendance du Vietnam, proclame la loyauté de la France et affirme son engagement aux
côtés de la nation nouvelle : "La protection de nos armes n'a de sens que parce qu'elle donne au
Vietnam, qui grandit dans l'indépendance, le temps et les moyens pour se sauver lui-même, pour
rassembler ses énergies... Je suis venu ici pour accomplir votre indépendance, non pour la limiter." En
réponse, il obtient du président du conseil Tran Van Huu la déclaration de guerre totale au Viêt-minh,
désigné pour la première fois comme l'ennemi18.
16
Consécutif à la déclaration d’indépendance des Etats associés en 1949, s’ouvre en juin 1950 une conférence inter-États à Pau,
afin de régler les questions juridiques et techniques en suspens dans la réalisation des transferts de souveraineté.
17
D’après Lucien Bodard, L’aventure (la guerre d’Indochine IV).
18 Histoire de la Guerre d’Indochine, Yves Gras, Editions Denoël, 1992, p.405
23
Souhaitant faire entériner par le chef du gouvernement cette
politique de lutte commune contre le Viêt-minh annoncée par
Tran Van Huu, le général de Lattre rencontre Bao Daï les 5 et 7
mai en baie de Nha Trang. À l’issue des discussions, ils affirment
leur « parfait accord sur la nécessité d’activer la mise sur pied
de l’armée vietnamienne ».
Le général de Lattre rétablit la situation au Tonkin et redonne confiance. Cependant, il a été impressionné
par la volonté acharnée et l’intérêt secondaire porté aux pertes humaines par le commandement
adverse. Il en conclut qu’il est impossible dans l’état actuel de ses moyens, d’emporter la décision. Son
plan d’action repose donc sur la vietnamisation et sur l’édification d’un système dit de « béton » au
Tonkin, là où se joue, selon lui, le sort de l’Indochine. Il fait construire une ligne fortifiée autour du delta
tonkinois (la « ligne de Lattre ») qui devrait compter environ 900 ouvrages pour parer aux futurs assauts.
Mais cette ceinture fortifiée n’aurait d’utilité que si l’intérieur était assaini, ce qui demandait des renforts
en hommes, en attendant que l’armée vietnamienne ne s’en charge. Le général de Lattre décide de se
rendre à Paris pour y plaider la cause du renforcement du Corps expéditionnaire par l’envoi de renforts19.
Attendant la résolution de crises gouvernementales20, il prépare le terrain en donnant à sa victoire de
Vinh Yen un retentissement mondial par le biais des reporters de guerre et des correspondants de presse.
Il peut se rendre à Paris en mars mais fait face à de nombreuses réticences, voire à de l’indifférence. En
effet, l’Indochine passe au second plan, la priorité étant donnée à la défense et au réarmement de
l’Europe. Après avoir plaidé devant le Comité de défense nationale, le général de Lattre se voit accorder
15 000 hommes à prélever en Afrique du Nord (sur les 20 000 demandés), à condition qu’ils soient
rapatriés avant le 1er juillet 1952.
En décembre 1951, les forces terrestres en Extrême-Orient atteindront leur effectif maximum avec
129.034 soldats, autochtones non compris.
S 51-13 R5
Le général de Lattre de Tassigny quitte Saïgon pour Paris
avec son épouse.
14 mars 1951, photographe SPI
19
La problématique des effectifs est récurrente pendant toute la guerre d’Indochine et on assiste à une course entre les moyens
souhaités, les moyens demandés et les moyens accordés.
20
Crise du gouvernement vietnamien et crise du gouvernement français : après la démission de Pleven, il n’y a plus de
gouvernement à Paris à partir du 28 février. Il faut attendre dix jours pour que Queille n’en reforme un.
24
Cet effort de vietnamisation s’accompagne d’une demande d’assistance faite aux États-Unis pour équiper
l’armée vietnamienne et une partie du Corps expéditionnaire.
La conférence de Singapour, du 15 au 18 mai 1951, donne à de Lattre la possibilité d’exposer ses vues aux
Anglais et aux Américains en matière de coopération militaire et sur la nécessité de conserver à tout prix
le Tonkin, « verrou du Sud-Est asiatique ».
En septembre, le général se rend aux États-Unis pour plaider la cause d’un Vietnam libre et indépendant,
rempart contre l’expansion du communisme en Extrême-Orient, et qui, à ce titre, a besoin du soutien des
États-Unis. Il est reçu par le président Truman et le secrétaire d’État Dean Acheson, et accorde de
nombreuses interviews pour gagner l’opinion et vendre sa guerre. Sa stratégie se révèle payante car les
Américains décident de poursuivre et d’intensifier leur aide matérielle au CEFEO et aux États associés.
25
2. La mise en place d’une armée vietnamienne
Aux côtés des forces régulières du Corps expéditionnaire, de nombreux autochtones nommés
« partisans » ou « supplétifs » combattent depuis le début de la guerre. Ces hommes qui pouvaient être
recrutés facilement (et licenciés sans préavis), de gestion plus simple et d’un coût moindre qu’un régulier,
permettent au commandement de suppléer en partie le manque d’effectifs et pallient les pertes du Corps
expéditionnaire. Leur connaissance du terrain, des mœurs, de la langue, des méthodes vietnamiennes,
permet aux troupes françaises une meilleure adaptation au terrain. Parmi ces autochtones, on distingue
les auxiliaires (volontaires ou non, employés comme main d’œuvre, interprètes, gardes) des supplétifs.
Ces derniers acceptent de participer au maintien ou au rétablissement de l’ordre dans leur région
d’origine et ne sont utilisés que dans leur région de levée.
Ces auxiliaires ou supplétifs sont recrutés parmi les minorités ethniques (les Hmonh, Méo, Thaï, Nung,
Thô, Man…) hostiles au Viêt-minh et qui ont établi des liens étroits avec l’administration coloniale
française. L’armée française recrute également parmi les groupes religieux (milices catholiques) et
politiques, les sectes (les forces armées Hoa Hao, caodaïstes et Binh Xuyen en Cochinchine), les PIM
(Prisonniers internés militaires) ralliés ou plus simplement les vietnamiens hostiles au Viêt-minh.
Par ailleurs, le commandement décide d’intégrer aux bataillons, des engagés réguliers recrutés
localement : il s’agit du « jaunissement » du Corps expéditionnaire. Les réguliers, recrutés pour des
raisons similaires que les supplétifs, sont en revanche soumis à des règles plus strictes (engagement,
instruction militaire, armement…) qui doivent permettre une plus grande efficacité. Facilitant une
meilleure adaptation au terrain, l’emploi de réguliers et le jaunissement des troupes modifient
considérablement la vie interne des unités sur le plan de la valeur, du matériel et des relations
humaines.21
Les unités jaunies vont constituer l’ossature de la future ANV. Elles conservent un encadrement européen
en attendant que les cadres vietnamiens ne soient formés.
Dans le cadre de la « vietnamisation » de la guerre d’Indochine, la mise sur pied d’une armée
vietnamienne devient une priorité politique et militaire. Le général de Lattre lui donne un véritable essor :
sa constitution permettrait de gagner la bataille des effectifs mais démontrerait aussi que le Vietnam
prend en charge la défense de sa liberté. À terme, l’armée vietnamienne est destinée à relever les TFEO
(Troupes françaises d’Extrême-Orient) du territoire.
Au 1er janvier 1951, l’armée vietnamienne ne se composait « que » de 11 bataillons d’infanterie, intégrés
au Corps expéditionnaire dans le cadre du jaunissement de ce dernier, ce qui avait conduit à l’adoption
21
La France et ses soldats 1945-1954, Michel Bodin, L’Harmattan, 1996.
26
d’un programme accéléré à Dalat, le 5 mars 1951 ; le général de Lattre mettait ainsi sur pied 25 bataillons
d’infanterie, 4 escadrons blindés et 8 batteries d’artillerie ainsi que diverses unités de commandement et
de soutien : l’ANV allait passer dans l’année de 70.000 hommes à 134.000. Le général Spillman, à la tête
d’une mission militaire, et le chef du gouvernement Tran Van Huu allaient se charger de cette mission.
PER 51-12
Le général Spillman, chef de la mission militaire française auprès des États associés.
1951, photographe SPI
Le décret de mobilisation générale (« conscription ») est prononcé le 15 juillet par Bao Daï, avec
l’incorporation de cadres et de techniciens. Parallèlement, des cadres français sont détachés pour
l’encadrement et la formation et, la métropole octroie des crédits supplémentaires.
Lors d’une distribution des prix au lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon le 11 juillet 1951, le général de
Lattre prononce un vibrant appel à la jeunesse vietnamienne et précise sans équivoque la position
française :
S 51-56 R44
Distribution des prix au lycée Chasseloup Laubat de Saïgon.
11 juillet 1951, Raoul Coutard
27
Le gouvernement vietnamien quant à lui, s’engage à consacrer 40% de son budget à la défense nationale.
Simultanément, une démarche est entreprise auprès des États-Unis pour obtenir armement et
équipements. Le voyage du général de Lattre aux États-Unis finit de convaincre les Américains qui
accélèrent les livraisons et qui, malgré leur engagement dans la guerre de Corée, se montrent favorables
à la formation d’une ANV, rempart contre l’expansion du communisme en Extrême-Orient.
Lors du défilé du 14 juillet suivant, les premiers bataillons vietnamiens de l'armée vietnamienne défilent
et sont acclamés. Cette cérémonie grandiose marque certainement l'apogée du général de Lattre qui
parvient à réunir autour de lui dans une même ferveur ses troupes victorieuses et l'armée vietnamienne
naissante.
En une année, les effectifs de l’armée vietnamienne doublent : fin 1951, elle compte 128 000 hommes
répartis entre 54 000 réguliers, 59 000 supplétifs et 15 000 appelés, s’articulant en 35 bataillons.
L’armée de terre de l’ANV est organisée en unités d’artillerie, d’infanterie, du génie, du train, des
transmissions et de cavalerie blindée.
L’aviation vietnamienne est créée par une ordonnance du 25 juin 1951. Une école de l’air est créée à
Nha-Trang (Annam).
Un effort est porté sur l’encadrement et la formation des cadres vietnamiens car le manque de formation
est l’un des principaux freins au développement de l’ANV. Des écoles de cadres ouvrent leurs portes :
l’Ecole militaire interarmes de Dalat (EMIAD) forme les officiers d’active sur le modèle des écoles
françaises avec enseignement en français (on la surnomme le « Coëtquidan vietnamien »). Les écoles de
Huê, Nha Trang, Nam Dinh, Thu Duc forment les officiers de réserve. En 1951, 800 officiers vietnamiens
rejoignent l’ANV.
28
COC 51-84 R63
Instruction des élèves sur mortier à l’école des cadres de Biên Hoa.
Octobre 1951, photographe SPI
TONK 51-67 R9
Un élève dans la salle de cours de l’école des cadres du
e e
21 RIC (Régiment d'infanterie coloniale), 3 bataillon, au
poste de Luc Nam.
Mai 1951, Jacques Oxenar
ANN 51-37 R2
Baptême de promotion à l'école des cadres de Dalat.
2 décembre 1951, Robert Bouvet
29
Conclusion
Epuisé par son combat, affecté par la mort de son fils Bernard et miné par un cancer qui le fait souffrir, le
général de Lattre quitte l’Indochine à la fin de l’année 1951 et décède le 11 janvier 1952. En une année,
l’action du général de Lattre, placée sous le signe de l’autorité et du rayonnement, parvient à relancer la
guerre d’Indochine en lui donnant un sens. La guerre d’Indochine sort définitivement du carcan colonial
en prenant une dimension internationale de conflit est/ouest et de « lutte pour un monde libre ». Il
réussit à impliquer des acteurs indispensables, tentant de sortir Bao Daï de sa réserve pour la défense
d’un Vietnam libre et indépendant et, en s’assurant du soutien américain qui ne fera que croître pendant
les années qui suivent. En 1952, les États-Unis supportent la moitié des dépenses de guerre et leur
présence augmente sur le territoire indochinois. Aspirant à une indépendance totale, les États associés se
rapprochent des Américains, préfigurant l’éviction française et son remplacement par les États-Unis dans
une nouvelle guerre.
Le général Salan, qui a secondé le général de Lattre jusqu’alors, prend les fonctions de commandant en
chef et Jean Letourneau celles de haut-commissaire. Reprenant les directives du général de Lattre, Salan
remporte des succès militaires. Mais l’élan qu’avait suscité de Lattre est brisé et réapparaissent bientôt
les incertitudes et contradictions du gouvernement français quant à la politique à mener. En métropole et
à l’international, l’opinion publique commence elle aussi à se manifester contre la guerre, tandis que les
armées du Viêt-minh se renforcent, avec le soutien croissant de la Chine.
Bibliographie
- Dictionnaire de la guerre d’Indochine, Jacques Dalloz, Armand Colin, 2006
- Historical dictionary of the Indochina war, Christopher E. Goscha, Nias Press, 2011
- Histoire de la Guerre d’Indochine, Yves Gras, Editions Denoël, 1992
- La guerre d’Indochine, Les dossiers Historia, Editions Tallandier, 1999
- Une guerre de trente-cinq ans, Indochine-Vietnam, Raymond Toinet, Editions Lavauzelle, 1998
- La guerre d’Indochine en photos, EPA Editions, 1989
- La France et ses soldats, Indochine 1945-1954, Michel Bodin, Editions L’Harmattan, 1996
- L’impériale de Van Su, Raoul Coutard, Editions Ramsay, 2007
- Cinéma d’une armée en guerre, Indochine 1945-1954, Pascal Pinoteau, Mémoire de maîtrise, Université
François Rabelais, 1986-1987
- La décolonisation française au prisme du cinéma militaire 1945-1962, Pascal Pinoteau, Mémoire de DEA,
Université François Rabelais, 2000
Sur internet :
- L’armée nationale vietnamienne et le recours aux formations supplétives, Cahier de la recherche
doctrinale, juillet 2009
http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/cahiers_drex/les_cahiers_recherche.htm
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