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Quinze ans après Par-delà nature et culture, le grand anthropologue français, élève de
Claude Lévi-Strauss, fait paraître Les Formes du visible, un essai fondamental qui
éclaire d’une lumière nouvelle toutes les « images » produites par les humains, depuis
les grottes de Lascaux jusqu’aux masques des Indiens d’Amazonie, en passant par l’art
occidental.
Bien qu’écrit dans un style élégant et agréable à lire, Les Formes du visible n’est pas un
ouvrage de vulgarisation, et quelques notions préalables aideront à sa prise en main.
D’abord, cette entreprise intellectuelle est une expérimentation menée à partir de ce qui
avait été proposé dans Par--delà nature et culture, c’est-à-dire un classement des
cultures humaines en quatre grandes familles ou « ontologies » (types de rapport à
l’être) fondamentales. L’ontologie naturaliste – celle de la civilisation occidentale –
considère que les humains et les non-humains sont identiques par leur corps, par leur
physicalité (les humains comme les chiens ou les cochons ont des yeux, ils ont des
cellules comme tous les vivants), mais qu’ils diffèrent par leur intériorité – les humains
seuls étant dotés d’une âme ou d’une conscience. L’ontologie animiste, elle, part des
présupposés inverses : humains et non--humains sont identiques dans la mesure où ils
ont tous une âme – le chasseur comme le jaguar ou le pécari –, mais celles-ci sont
enveloppées dans des corps différents. De leur côté, les cultures totémiques estiment
qu’humains et non--humains sont comparables à la fois par le corps et l’intériorité.
Enfin, les cultures analogiques tiennent que les humains et les non-humains diffèrent à
la fois par le corps et l’intériorité. Dans Les Formes du visible, Philippe Descola
s’appuie sur cette classification pour s’intéresser à toutes les « images » au sens le plus
large du terme – masques, tatouages, peintures, sculptures… – produites par ces quatre
types de cultures sur tous les continents.
L’autre point important est que Philippe Descola part d’une proposition émise par
l’anthropologue américain Alfred Gell, auteur de L’Art et ses agents (1998 ; trad. fr.
Fabula, 2009) : plutôt que de considérer que les images sont de simples représentations
des objets du monde, Gell invite à les regarder comme « des agents autonomes » qui
« interviennent dans la vie sociale et affective des humains ». Donc la question
philosophique que pose une image n’est nullement de savoir ce qu’elle représente, ni si
elle est ressemblante, mais quelle est sa puissance d’agir.
Avec ces clés, on peut se lancer ! Et prendre un réel plaisir à suivre Philippe Descola
dans une enquête qui devrait révolutionner notre rapport au visible.
Philippe Descola : J’ai envie de dire : les deux ! Les psychologues du développement
ont montré que, vers l’âge de 2 ans, les enfants identifient assez clairement les référents
des images qu’ils regardent, tout en étant capables de faire la différence entre l’image et
le référent – ils sont conscients que le dessin du chat n’est pas le chat. Si cette capacité
cognitive semble universelle, les modalités de mise en image des référents dépendent
des contextes culturels particuliers. Selon la culture dans laquelle vous avez été élevé,
certaines images resteront presque invisibles pour vous. Les Chinois ont ainsi été
troublés lorsque des jésuites italiens leur ont montré des images construites selon la
perspective linéaire européenne. Ils étaient perplexes devant cette représentation de
l’espace qui, à première vue, ne paraît pourtant pas différer beaucoup des techniques
picturales...