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DOCTINE ET THÉORIE EN PSYCHOSOMATIQUE
Christophe Dejours

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychosomatique »


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1995/1 n˚ 7 | pages 59 à 80
ISSN 1164-4796
ISBN 9782130469315
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychosomatique-1995-1-page-59.htm
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CHRISTOPHE DEJOURS

Doctrine et théorie en psychosomatique


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INTRODUCTION

Est-il bien utile de poursuivre encore des recherches théoriques en


psychosomatique? La question se pose pour certains auteurs et pour
certains praticiens, parce qu’ils sont en quelque sorte satisfaits des ser-
vices rendus par l’une ou l’autre des théories existantes qui ne laisse-
raient pas ou fort peu de restes hors de leur pouvoir explicatif. Pour ma
part, la question théorique n’est pas close en psychosomatique en raison
d’échecs analytiques qui sont autant d’occasions de remettre en discus-
sion la pertinence de la théorie. Face à des symptômes qui ne cèdent
pas, face à l’aggravation inattendue d’une maladie ou à l’apparition d’une
nouvelle pathologie au cours d’une cure, l’analyste est déstabilisé. Plu-
sieurs réponses sont possibles dans ces conjonctures:
— La première consiste à considérer que ni la technique ni la théo-
rie ne sont en cause dans l’échec, et qu’il s’agit seulement d’un cas excep-
tionnel, d’un cas particulier comme on le dit à propos des règles de
grammaire. Cette exception serait typique du monde humain et loin de
« remettre en cause » la règle (c’est-à-dire la théorie) elle « confirmerait »
la règle selon l’aphorisme bien connu.
— La seconde consiste à admettre que la théorie reste juste ou vraie,
et que les difficultés rencontrées résultent d’une erreur technique ou d’un
manque d’expérience du praticien.
— La troisième consiste à conclure qu’il y a une erreur théorique,
à l’origine d’un choix technique inapproprié au cas.
— Enfin la quatrième consiste à reconnaître et la validité de la théo-
rie et la rigueur de la technique. L’échec, d’une autre nature, serait ana-
Rev. franç. Psychosom., 7/1995
60 Christophe Dejours

logue à ce qui se produit parfois au cours d’une action rationnelle : en


dépit d’une délibération qui convient et d’une décision rationnelle, l’action
s’achève par un échec, un malheur ou une totale absence d’effet, qui

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ressortit à la complexité du monde dans lequel se déploie l’action. C’est
le cas lorsque n existe pas de solution satisfaisante aux questions soule-
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vées par la situation. De ce type de situation, le drame, au sens corné-


lien du terme, est une des formes typiques.
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La première réaction me semble assez faible, même si c’est la plus


fréquemment adoptée dans la pratique ordinaire, que ce soit par confort
ou par résignation. A supposer que par certains artifices on soit en mesure
d’écarter légitimement la seconde réponse, il reste évidemment à faire
un choix entre les deux dernières qui n’ont pas du tout la même signifi-
cation. Dans le cas de la troisième, la reprise du travail théorique s’impose.
Personnellement je ne me range pas souvent à cette troisième position,
car je ne crois pas à l’adéquétion parfaite du rapport entre théorie et
technique, pas plus qu’entre science et technique d’une façon plus géné-
rale. La technique en psychanalyse, et vraisemblablement dans toute acti-
vité technique (Dejours, 1993), n’est pas une application. Elle suppose
toujours une activité déontique qui produit des règles instituées échap-
pant aux lois de la nature et qui relève en propre de la sagesse pratique
(phronésis chez Aristote). De ce fait, en première intention, j’aborde le
travail théorique sans enthousiasme. Il reste donc la quatrième posture.
Face à l’échec d’une « action » ou d’un « travail » analytique en psycho-
somatique, qu’est-ce qui me permet de ne pas renoncer à la théorie ni
à la technique auxquelles je me réfère habituellement ?
C’est d’abord l’élucidation des données qui révèle la situation comme
un drame sans solution. Mais qui se prête à cet exercice d’élucidation
éprouve tôt ou tard un malaise. Ai-je vraiment fait le tour de la ques-
tion? N’ai-je pas cédé à une vulgaire rationalisation qui préserverait
mon confort?
Lorsque le doute théorique s’insinue, tout ne bascule pas inévitable-
ment dans le néant, si toutefois la doctrine résiste. La doctrine ! Qu’est-
ce à dire ? La doctrine c’est un « ensemble de notions qu’on tient pour
vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits,
orienter ou diriger l’action » (Le Robert). La doctrine a donc partie liée
avec les croyances : « notion qu’on tient pour vraie ». Ce ne sont ni des
postulats ni des axiomes, mais des croyances. Autre caractéristique de
la doctrine, elle rassemble des notions : toujours selon Le Robert une
notion c’est:
1 - une connaissance élémentaire ;
Doctrine et théorie en psychosomatique 61

2 - une connaissance intuitive, synthétique, assez imprécise (que Von


a d’une chose);
3 - objet abstrait de connaissance ; concept.

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Dans la définition du terme de doctrine, le terme de notion doit être
entendu dans le sens numéro deux (c’est dans un second temps seule-
ment qu’éventuellement, grâce à un travail théorique, la notion peut acqué-
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rir un statut de concept. Mais, même dans ce cas, ce travail qui anoblit
la notion ne solde pas l’équivoque de son rapport au réel et n’élimine
pas ses dimensions intuitive et synthétique, mais seulement son carac-
tère imprécis). Tout le travail théorique en psychosomatique n’a de prix
que pour ceux qui acceptent la doctrine. Et les controverses entre théo-
riciens de la psychosomatique ne sont possibles qu’entre ceux qui parta-
gent un même corpus doctrinal.
En quoi consiste la doctrine qui sous-tend la perspective psychoso-
matique ? Il me semble qu’elle s’appuie, dans l’Ecole psychosomatique
de Paris, sur les notions suivantes : la psychogenèse des maladies soma-
tiques ; la causalité endogène ; la structure hiérarchisée des fonctions ;
le principe de prédictibilité.

La psychogenèse des maladies somatiques

Pour les psychosomaticiens, non seulement névroses et psychoses res-


sortissent à une causalité psychique, mais il existe aussi une psychoge-
nèse des maladies somatiques. Cette intuition très fortement présente au
départ de la psychosomatique sera reprise et amplifiée dans les autres
éléments de la doctrine.
Une manière différente de formuler cette intuition se condense dans
le concept de somatisation, c’est-à-dire dans le processus par le truche-
ment duquel des phénomènes psychiques passent la frontière esprit/corps.
Ce processus fait l’objet d’une théorisation ultérieure approfondie (dua-
lisme psyché/soma).
Au processus de somatisation est opposé point par point le processus
de mentalisation (A ces processus correspondent respectivement les
conceptualisations métapsychologiques en termes de pulsion de vie et
de pulsion de mort ; ces dernières fonctionnent sur un même axe mais
en sens contraire: monisme pulsionnel).
62 Christophe Dejours

La causalité endogène

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Dans l’apparition d’une pathologie somatique le « terrain » joue un
rôle déterminant, ou encore, entre terrain et événement dans l’analyse
de la causalité, c’est le terrain qui l’emporte. Le terrain constitue la cause
dernière des maladies somatiques. Le terrain est avant tout psychique.
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Cette intuition doctrinale est commune à la théorie psychanalytique des


psychonévroses. Elle est conceptualisée dans la théorie du traumatisme,
en vertu de laquelle l’événement est contingent.

La structure hiérarchisée des fonctions

La première intuition doctrinale portait sur l’étiologie, la seconde sur


la causalité, la troisième concerne le modèle du fonctionnement humain.
Selon cette dernière, l’organisation du vivant répond au niveau de cha-
que individu au principe évolutionniste. La loi de Haeckel invoquée par
Freud se concrétise dans la doctrine psychosomatique sous la forme d’une
organisation hiérarchisée des fonctions psychiques et somatiques. La hié-
rarchie du bas vers le haut va du plus biologique au plus mentalisé. Ce
n’est pas seulement une hiérarchie, c’est surtout le résultat d’un proces-
sus de hiérarchisation identifié à l’ontogenèse, dont l’état d’achèvement
caractérise la structure de personnalité.
Le processus de somatisation est compris comme une désorganisa-
tion régrédiente ou contre-évolutive, c’est-à-dire comme une déhiérar-
chisation (qui aboutira dans la théorie au concept de désorgani-
sation progressive, tempérée par les arrêts sur des points de fixation-
régression).

Le principe de prédictibilité

Le quatrième pilier doctrinal concerne cette fois le statut épistémolo-


gique du concept de somatisation. L’intuition c’est que non seulement
la causalité est structurale (deuxième intuition) mais que la structure men-
tale a une valeur prédictive sur les événements somatiques et psychopa-
thologiques. Cette intuition se concrétise, dans la théorie, par la mise
en œuvre d’une « classification psychosomatique », certaines organisa-
tions mentales étant particulièrement vulnérables, voire inévitablement
Doctrine et théorie en psychosomatique 63

promises à des somatisations (névroses de comportement) cependant que


d’autres seraient totalement protégées (psychonévroses mentales).

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Accorder une valeur prédictive à l’organisation mentale c’est formu-
ler du même coup le primat de l’mÆmsubjectivité (sur Y intersvb]ectivité).
C’est aussi affirmer que des lois naturelles et universelles relient le fonc-
tionnement psychique aux maladies somatiques. En d’autres termes, Marty
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rattache la psychosomatique et l’analyse du fonctionnement psychique


à l’ordre épistémologique des sciences de la nature.
J’ai autrefois souscrit à l’intégralité de cette doctrine implicite dans
l’œuvre de Marty, avec un réel enthousiasme, et j’ai publié des articles
qui étaient autant de plaidoiries en faveur de cette doctrine. Mais pour
les raisons énoncées en introduction sur les obstacles rencontrés dans
ma pratique clinique et à mon avis dans celle de nombre de nos collè-
gues, j’ai dû faire marche arrière. Je vais tenter d’éclaircir ce qui, « je
crois », constitue les principales intuitions doctrinales que je retiens
aujourd’hui. Il s’agit du primat du sens et de la souffrance ; de la réha-
bilitation de l’événement ; du primat de Fintersubjectivité sur la struc-
ture; du principe constructiviste.

Le primat de la souffrance et du sens

Pour ma part, je ne peux plus défendre l’idée d’une relation de cause


à effet entre événement mental et maladie somatique. Je ne crois plus
à la somatisation (d’un « problème psychique »). Mon « intuition » consiste
plutôt à affirmer une croyance dans l’universalité ou l’ubiquité du sens
en vertu de laquelle tout événement dans le monde humain aurait un
sens. Dans cette perspective doctrinale, le sens d’un symptôme n’est pas
sa cause, le sens n’est pas non plus l’origine du trouble. Je serais tenté
de renoncer à élucider l’énigme de la cause des symptômes et de leur
guérison et d’admettre que la cause est inconnaissable par la psycha-
nalyse. Ce qui ne revient pas à dire par une pirouette que je crois quand
même à la cause psychique des symptômes somatiques, et que je renon-
cerais seulement à l’élucider. L’intuition c’est plutôt qu’il n’y a pas de
causalité psychique. Peut-être y a-t-il une causalité dans le monde objectif
mais pas dans le monde subjectif ni dans le monde social. C’est dire
que je ne crois pas à la prédictibilité en psychanalyse ni en psychoso-
matique.
La souffrance est une dimension existentielle de la condition humaine
et elle préexiste à toute maladie, qui peut cependant en infléchir la forme.
64 Christophe Dejours

Il n’est pas possible d’éliminer la souffrance. Seul le destin de cette souf-


france est susceptible de transformations. Dans cette conception, le plai-

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sir lui-même ne serait jamais direct, il serait acquis par une subversion
de la souffrance (et pas forcément par érotisation de cette dernière, comme
dans la masochisme). L’amour et la sublimation sont aussi des destins
heureux de la souffrance, mais ils sont en quelque sorte le résultat d’une
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transformation, d’une subversion de la souffrance. Pour l’heure, mon


objet n’est pas de faire une théorie de la souffrance mais du rapport entre
les destins de la souffrance et le sens de cette souffrance. Toutefois, avant
de revenir à la question du sens, faut-il souligner que cette notion de
souffrance, ou mieux d’universalité de la souffrance dans la théorie du
sujet, est, avec celle de l’universalité du sens des phénomènes dans le
monde humain, la plus importante du corpus doctrinal. Si la question
de la cause ne peut être abordée frontalement en psychanalyse et en
psychosomatique, la question de la souffrance, quant à elle, ne peut pas
être traitée indépendamment de celle du sens de la situation pour le
sujet; parce que le sens assigné à la souffrance peut changer la souf-
france elle-même. Du point de vue doctrinal donc, je proposerais d’aban-
donner la causalité psychique et de poser la psychosomatique dans un
champ se déployant entre souffrance et sens et non entre cause et mala-
die (ou guérison). Le domaine ouvert à l’investigation et surtout à « l’action
de l’interprétation psychosomatique » serait donc avant tout celui de la
souffrance, qui constituerait son seul domaine de responsabilité (et non
son domaine d’« expertise » comme on dit aujourd’hui).
Cela étant, mettre l’accent sur le sens au détriment de la cause du
symptôme conduit à mettre cette dernière en suspens, mais pas à la rejeter
en dehors de l’horizon de la cure. Sinon la question du sens deviendrait
elle-même purement spéculative, voire gratuite, et bientôt frappée d’absur-
dité. Absurdité du sens, non-sens du sens!
Nous sommes donc renvoyés à cette question du rapport entre souf-
france et sens. De mon point de vue la souffrance est un vécu psychique
qui est toujours aussi corporel. La souffrance est un vécu pas un affect.
Elle est vécue dans la chair, comme le plaisir. Il n’y a pas de souffrance
sans corps, il n’y a pas de souffrance purement morale. Le corps est
toujours engagé dans l’agir expressif de la souffrance, autant que dans
le pâtir de la souffrance. Tout événement affectant le sens s’accompa-
gne d’un événement affectant le corps (monisme psychosomatique). Mais
il n’y a pas de loi stable d’équivalence entre événement mental et événe-
ment somatique (monisme anomal de Davidson, 1970). Le destin de la
souffrance, dans cette perspective est fondamentalement captif de son
Doctrine et théorie en psychosomatique 65

sens. Pourquoi je souffre, pour qui je souffre, et surtout de quoi je souf-


fre ? C’est cette dernière question qui est la plus énigmatique : en quoi

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consiste la souffrance subjective du sujet atteint de maladie somatique ?
Cette souffrance n’est jamais réductible à ce qui se passe dans le corps
biologique. C’est évidemment là que réside le point le plus complexe
de cette conception, qui est aussi le fait clinique le plus frappant. On
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ne souffre pas d’une cause ou d’un objet mais d’une situation et cette
situation n’est jamais celle de la seule maladie mais celle d’un sujet pris
dans une histoire et dans des rapports intersubjectifs que la maladie vient
perturber et qui vont aussitôt, dans la cure, s’organiser autour de la dyna-
mique intersubjective transfert/contre-transfertl.

1. Du point de vue théorique, dans un temps qui n’est plus doctrinal, surgit l’exigence d’expli-
quer comment des bouleversements survenant sur l’axe souffrance-sens dans le monde subjectif
peuvent affecter l’axe cause-effet dans le monde biologique, alors que l’approche psychosomati-
que ne donne accès à aucune intelligibilité de cet axe cause-effet et qu’en outre nous sommes
dubitatifs à l’égard de l’existence même de liens de causalité dans le monde subjectif. Cette ques-
tion n’est pas d’ordre doctrinal. Elle est d’abord théorique et ensuite épistémologique. Elle ren-
voie à la question connue sous le nom de monisme ou dualisme. Je ne reprendrai pas cette question
ici, à la fois parce que je l’ai exposée ailleurs en détail (Dejours, 1994b) et parce qu’elle est sans
enjeu direct pour la discussion théorique avec l’œuvre de Marty et les collègues de l’Ecole de
Paris qui se sont par ailleurs peu engagés sur cette question.
En substance, ma position sur le problème monisme-dualisme consiste à récuser l’hypothèse
d’une articulation entre psyché et soma. L’articulation n’est jamais réussie et les rapports entre
les deux sont au mieux du type de la subversion (subversion libidinale de l’ordre biologique),
c’est-à-dire de l’ordre d’un détournement partiel d’une fonction de son destin biologique origi-
naire (en faveur de l’homéostasie) pour l’orienter vers une fonction expressive (l’agir expressif),
au service de l’ordre érotique. Cette conception est issue de la théorie de l’étayage de Freud et
du commentaire de Laplanche (Laplanche, 1970). De même que nous sommes un corps biologi-
que, de même nous habitons dans un deuxième corps, le corps érogène, siège de la corporéité.
De ce fait, tout événement biologique n’atteint jamais un corps animal seulement, mais atteint
aussi le corps habité, le corps expressif. Ce qui confère à cet événement, biologique au départ,
une forme singularisée et humanisée. Dans cette perspective, dès lors qu’il pénètre dans un corps
humanisé, l’événement biologique n’est plus seulement biologique, il inaugure en même temps
des processus psychiques qui relancent éventuellement la dynamique de subversion du fonction-
nement biologique. Autrement dit, le corps humanisé n’est jamais uniquement la cible passive
des événements biologiques. Il réagit toujours et physiquement et psychiquement. Ces réactions
dans le domaine du corps érogène dépendent, pour une part, de l’organisation mentale préexis-
tante, de sorte que le même événement biologique engendre une dynamique dans le corps éro-
gène dont les caractéristiques sont aussi différentes entre deux êtres qu’entre deux personnalités
différentes. Il faut renoncer à tout parallélisme entre un type de maladie somatique et un type
de structure mentale (c’est-à-dire au monisme paralléliste, ou au monisme nomologique dans la
terminologie de Davidson). Dans ma conception, la prédisposition psychique à une maladie soma-
tique particulière est une hypothèse inutile. Le diabète par exemple ne serait incompatible avec
aucun type de structure mentale, contrairement à ce que d’autres et moi-même affirmions autre-
fois, à tort me semble-t-il aujourd’hui. Le processus de subversion libidinale des événements bio-
logiques est compatible avec la thèse soutenue par le logicien et épistémologue Donald Davidson :
Théorie du monisme anomal (1970). Dans cette perspective toujours, il n’y a plus d’incohérence
entre déterminisme dans le monde de la nature et liberté dans le monde humain, le rapport entre
66 Christophe Dejours

Réhabilitation de Vévénement

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De plus je suis conduit à réhabiliter Y événement susceptible de bou-
leverser l’organisation et l’ordre établis, c’est-à-dire l’événement impré-
visible et potentiellement mutatif. Cette puissance mutative de l’événement
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ne relèverait peut-être pas que du traumatisme.


Il ne s’agit pas ici de réfuter la théorie du traumatisme mais de ne
pas lui accorder la place dominante qu’elle a dans la doctrine de Marty.
Que la structure soit « fragile ou solide », elle ne suffît pas, de mon point
de vue, pour rendre compte des crises. Pour que survienne une crise
ou une décompensation, il faut bel et bien un événement, et pas n’importe
lequel, qui mette le sujet dans une impasse vis-à-vis de la signification
(= expression du sens adressé à autrui) de sa souffrance. La forme et
le contenu de l’événement ne sont donc pas contingents. C’est le sens
de cet événement qui est décisif au regard de la décompensation. L’actuel
a donc un rôle effecteur dans toutes les crises, qu’elles soient ou non
associées à des manifestations viscérales pathologiques.
Dans cette perspective, tout sujet pourrait subir une mutation sous
l’effet d’un événement psychique, même s’il ne présente aucune prédis-
position à type d’inorganisation mentale. Parmi les événements, ceux qui
sont dotés de la plus grande puissance mutative sont liés à la rencontre
avec autrui. Ce sont les événements intersubjectifs qui sont les plus puis-
sants pour le meilleur comme pour le pire, ce qui nous conduira à faire
une place particulière à une autre dimension de l’événement, à savoir
le primat de l’intersubjectivité sur la structure.

Le primat de l’intersubjectivité sur la structure

Cette intuition consiste à dire que tout événement est intersubjectif,


même lorsqu’à première vue il affecte le monde des choses ou des états
de choses. Et ceci parce qu’il n’existe pas d’événement si n’est pas posée

,
(Suite de la note 1 page 65).
événement physique et événement mental étant de type anomal. Il s’agit là d’un monisme non
paralléliste et non matérialiste. Et l’on comprend grâce à cette interprétation aussi comment un
événement psychique portant la marque de la liberté et du sens peut affecter l’ordre biologique
fondamentalement soumis au déterminisme. Je n’entrerai donc pas plus avant dans cette question
de la façon dont les événements survenant dans l’axe souffrance-sens affectent l’axe cause-effet
dans le registre du soma, qui est traitée ailleurs.
Doctrine et théorie en psychosomatique 67

la question de son sens. Un événement sans sens ne fait pas événement.


C’est en d’autres termes la construction du sens qui donne à l’événe-

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ment son statut d’événement proprement objectif. Dans certains cas
c’est l’impossibilité de construire le sens qui fait événement. Mais la
question du sens est préalable, pour que puisse advenir l’événement du
non-sens, ce qui est très différent d’un événement objectif non soumis
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à la question du sens, car dans ce dernier cas il passe inaperçu dans


le monde psychique, il n’atteint pas le sujet de l’inconscient, il est hors jeu.
Le primat accordé à l’intersubjectivité sur la structure de la person-
nalité ou sur l’organisation mentale préexistante n’implique pas qu’on
puisse se passer d’une théorie de la personnalité. Ce qui est remis en
cause c’est l’attribution causale affectée à l’organisation mentale dans
le survenue des crises somatiques. Je ne crois pas à la valeur prédictive
de la structure au regard des maladies du corps. Beaucoup de névroses
de caractère et de névroses de comportement résistent aux maladies soma-
tiques pendant une longue partie de leur vie, aussi longtemps me semble-
t-il que des névroses ou des psychoses. Ou, ce qui revient au même,
je ne crois pas qu’il y ait même une seule structure mentale qui protège
efficacement contre les maladies somatiques.
Si l’on ne peut pas se passer d’une théorie de la personnalité, c’est-
à-dire des invariants psychiques, il me semble nécessaire de faire une
place importante à la précarité de toute personnalité, ce que je propose
de thématiser en reprenant le concept d’identité, cette dernière n’étant
jamais définitivement acquise et exigeant constamment d’être reconduite
ou réitérée. La personnalité renvoie à la dimension diachronique, c’est-
à-dire à ce qui a sédimenté de l’histoire singulière, notamment de l’his-
toire infantile, cependant que Y identité renvoie à la dimension synchro-
nique foncièrement enracinée dans Y intersubjectivité et captive du regard
de l’autre.
Comment alors comprendre les rapports entre intrasubjectivité (ou
structure) et intersubjectivité ? Je crois que l’intersubjectivité est un pré-
donné de l’ordre humain et que l’intrasubjectivité est une construction
secondaire à l’intersubjectivité. Et je crois que cette intersubjectivité est
fondamentalement enracinée dans la corporéité. « Nous ne saurions
oublier pourtant la fonction individualisante que notre corps assure. Par
le corps, je m’affiche et m’affirme en face des autres comme celui qui
est distinct de chacun d’entre eux. Et comme le relève Sartre, cette expé-
rience est particulièrement troublante puisque je donne à voir par mon
corps ce que moi-même je ne vois pas. Ainsi, ce qui serait le plus pro-
prement moi-même je ne le vois pas. Ainsi, ce qui serait le plus propre-
68 Christophe Dejours

ment moi-même me serait interdit; au point d’en vouloir à autrui de


savoir de moi ce que je ne saurai jamais. Le corps se dévoile alors dans

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sa vocation d’intersubjectivité1 : c’est le lien par lequel nous pouvons
nous reconnaître les uns les autres et échanger entre nous. C’est par
l’entremise du corps que s’effectue la grande expérience de l’humanité,
celle de l’amour; c’est à le contempler, à l’éprouver, à le subir que
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nous saisissons les âges de la vie ; il est le médiateur privilégié de nos


passions, de nos joies comme de nos souffrances. Il s’impose désormais
comme le point de passage de toutes nos expériences et non plus comme
l’impasse d’une expérience qui dévaluerait toutes les autres. La philoso-
phie nous conduit, en dévoilant le corps, à penser finalement le moyen
de toutes nos découvertes » (Huisman B., Ribes F., 1992).
Dans cette perspective, l’autisme primaire, qui manifeste très préco-
cement la défaillance de l’intersubjectivité, se poursuit par une ontoge-
nèse profondément altérée de l’intrasubjectivité et du développement du
fonctionnement psychique. Il s’agit là d’une anomalie dont les consé-
quences sur l’humanisation et les interactions symboliques sont très gra-
ves. Et je ne crois pas non plus que l’autisme primaire soit une phase
habituelle sur laquelle s’édifierait dans un temps second l’accès à l’inter-
subjectivité. Toutefois, la mobilisation du potentiel intersubjectif chez le
nouveau-né et l’enfant n’exclut pas sa mise en échec ultérieure au cours
du développement, comme le montre l’apparition plus tardive d’autisme
secondaire. Enfin, même si le primat de l’intersubjectivité par rapport
au poids croissant de la sédimentation intrasubjective s’atténue au long
de la vie, il ne s’efface jamais.

Le principe constructiviste en psychosomatique

De mon point de vue il n’y a pas de prédictibilité dans le monde sub-


jectif ni dans le monde social et je ne crois pas à l’évolutionnisme psychique
pas plus qu’au darwinisme social. L’intelligibilité des événements et des
situations est toujours dans l’après-coup. Je défends donc un privilège
sans partage accordé à la doctrine de l’après-coup dans le domaine du
sens. Ce qui croise la thèse constructiviste de Viderman en psychanalyse
(Viderman, 1970).
Dans cette perspective l’interprétation pertinente fait advenir un sens
qui n’était pas tout à fait là avant elle. L’interprétation peut être mutative
sur la souffrance, c’est-à-dire qu’elle peut être efficace. En d’autres ter-

1. C’est moi qui souligne.


Doctrine et théorie en psychosomatique 69

mes l’interprétation peut avoir le statut d’événement (au sens précisé dans
le point 2) générant une crise, évoluant dans le sens d’un remaniement

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structural (favorable ou défavorable = une interprétation peut résoudre
un conflit intrapsychique, mais elle peut aussi tuer).
L’interprétation a donc statut d’action. Ainsi pourrait-on caractériser
cette position sous le terme de « radicalisme herméneutique » ou comme
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« croyance dans l’efficacité de l’interprétation ».

REMARQUES INTERMÉDIAIRES

D’où vient cette doctrine?

Elle n’est pas originale. Elle résulte d’un travail à rebours qui, parti
de la conception de Marty et Fain, puis soumis à la pratique clinique
pendant vingt ans, a nécessité, a posteriori, une réévaluation. Mais la seule
réévaluation n’aurait pas suffi. Les choix doctrinaux résultent aussi de
la confrontation aux philosophes, aux épistémologues et aux théoriciens
des autres sciences humaines, notamment de la théorie sociale. Ces choix
sont fortement inspirés par la théorie éthique d’Aristote et par les débats
contemporains sur la théorie de l’action, par la phénoménologie et l’her-
méneutique, conduisant à une démarche qui croise celle de Viderman,
sans s’y identifier toutefois.
L’inspiration de la discusion doctrinale est donc pour une part philo-
sophique. Si je crois utile ici de faire un détour philosophique, c’est pour
ne pas être dupe de ce qui, dans toute théorie, ressortit inévitablement
à la croyance. La réflexion philosophique toutefois n’annule pas ce que
chaque auteur doit à la croyance. Elle aide seulement à en assumer cons-
ciemment les conséquences. « Elucider la doctrine pour éviter d’être doc-
trinaire »1.
La discussion doctrinale avec Marty et les collègues de l’Ecole psycho-
somatique de Paris peut être abordée à partir de différentes questions
théoriques et cliniques. Il me semble que ce qui permet d’en voir au
mieux les enjeux, c’est de reprendre la question du sens des événements
survenant dans la vie mentale, parmi lesquels il faut compter les événe-
ments somatiques. Or on sait que dans la doctrine de Marty et de Fain

1. Belle formule que je dois au professeur Bernard Brusset.


70 Christophe Dejours

les symptômes somatiques n’ont pas de sens primaire. C’est à partir de


la remise en cause du sens des symptômes somatiques que Marty, en

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collaboration avec de M’Uzan et David (1963), a proposé de faire bas-
culer la doctrine psychanalytique. Ce n’est qu’après avoir opéré ce retour-
nement doctrinal que Marty a pu construire toute sa théorie (cf. « Le cas
Dora et le point de vue psychosomatique », Marty et alii, 1968).
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Je voudrais revenir sur cette intuition du non-sens des maladies soma-


tiques qui ne me satisfait pas, bien que j’y aie souscrit dans un premier
temps. C’est donc autour d’une théorie psychanalytique du symptôme
somatique que j’organiserai mon propos afin de voir davantage dans le
détail les incidences des points de vue doctrinaux respectifs.
Comment concilier l’hypothèse du sens des symptômes somatiques
que je soutiens avec la théorie psychosomatique, sans revenir pour autant
à une conception qui rabattrait le symptôme somatique sur le symptôme
hystérique et ferait faire du même coup soit une régression théorique
de 40 ans à l’avant-psychosomatique, soit un repli sur la théorie de Vala-
brega qui demeure la plus intéressante des alternatives (1980), ou sur
une conception groddeckienne ? Nous allons voir que, sur la base de la
doctrine qui vient d’être esquissée, on peut arriver à une théorie du
symptôme qui ne soit superposable ni à celle de Fain et de Marty ni à
celle des théoriciens plaidant pour le « cousinage » entre symptôme soma-
tique et conversion.
Avant de formuler mes hypothèses sur le sens des symptômes soma-
tiques je dois prendre quelques précautions dont je demande au lecteur
de m’excuser.
La première consiste en ceci qu’une théorie n’a de crédibilité à mes
yeux que si elle est constamment étayée par la clinique. Or dans le cadre
de cet article il m’est impossible de donner le développement suffisant
et je dois donc faire appel à l’expérience clinique du lecteur en espérant
qu’elle ait sur certains points suffisamment de ressemblance avec la
mienne. La deuxième c’est qu’une théorie pour être acceptable doit non
seulement être plausible mais aussi formuler ses articulations internes
de manière explicite et cohérente. Or je ne peux pas donner tous les
chaînons intermédiaires de la discussion dans un seul article, de sorte
que je laisserai pendantes certaines de ces contradictions sans les trai-
ter. La troisième, c’est qu’on m’opposera sans doute que ma position
serait plus crédible si d’autres articles pouvaient éventuellement être cités
en référence, dans lesquels seraient explicités l’un ou l’autre des chaî-
nons intermédiaires que je ne donnerai pas ici. Malheureusement, et c’est
ma troisième « précaution », ces articles n’existent pas. C’est que j’ai ren-
Doctrine et théorie en psychosomatique 71

contré dans ce travail des difficultés considérables : face aux échecs cli-
niques d’une part et face à mes « intuitions » doctrinales d’autre part,
je me suis heurté à des obstacles si nombreux et si résistants que j’ai

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été souvent découragé et tenté d’abandonner la recherche. N’étant par-
venu à aucune conception d’ensemble cohérente, mes résultats me parais-
saient trop misérables pour être publiés. Je n’ai donc presque rien écrit
depuis 6 ou 7 ans et la forme article n’est sûrement pas la plus adéquate
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pour présenter mes hypothèses aujourd’hui. Cela étant, ce numéro de


la Revue française de psychosomatique représente une circonstance rare,
dans la communauté psychanalytique, d’ouverture du débat avec la pensée
des collègues dont je me suis inspiré depuis si longtemps. C’est pour
témoigner de mon soutien à cette initiative des directeurs de la revue
et des auteurs que je m’engage dans le débat, dans des formes qui ne
sont pas tout à fait idoines, et je leur suis reconnaissant de bien vouloir
publier cet article, malgré ses imperfections.
Je serai laconique et je ne donnerai que les résultats de mon travail
sans les commenter, faute de place, ce qui risque d’irriter le lecteur qui
pourrait y voir une forme d’exposé insupportablement assertorique.

LE SYMPTÔME SOMATIQUE ET SON SENS

Le symptôme somatique est intentionnel

Par cette expression je cherche à suggérer que le symptôme somati-


que est vectorisé par une intentionnalité, c’est-à-dire par un mouvement
prenant son point de départ dans l’inconscient du sujet mais dont le résultat
concrétisé par le symptôme ne correspond pas, en général, à un projet
conscient du sujet ni nécessairement à un fantasme représenté psychi-
quement (dans le préconscient). Bien que la nature du symptôme puisse
être très éloignée de ce que le sujet peut imaginer, il n’en est pas moins
estampillé du sceau de sa subjectivité singulière. Le caractère « inten-
tionnel » du symptôme somatique ne renvoie pas à une intention, c’est-
à-dire à quelque chose de prémédité dans sa forme achevée, mais à Yinten-
tionnalité, c’est-à-dire à une disposition psychologique qualifiant l’orien-
tation du sujet vers une action ou un devenir. Il s’agit donc ici de
l’intentionnalité au sens phénoménologique du concept1.
1. L’intentionnalité n’est pas un concept psychanalytique. Et je sais que son emploi choque.
Je vais donc essayer de me justifier en explicitant comment je comprends les relations entre ce
72 Christophe Dejours

Le symptôme somatique est intersubjectif et adressé à autrui

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Ce point est essentiel. Le sens du symptôme ne peut pas être envi-
sagé dans une approche solipsiste, c’est-à-dire dans une approche qui
admettrait que la seule réalité de référence pour un sujet serait lui-même.
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La théorie du symptôme somatique, rattachée à un déterminisme struc-


tural (comme le propose la « classification psychosomatique » de Pierre
Marty), fait de la théorie de Marty une théorie solipsiste. De mon point
de vue le sens du symptôme n’est ni dans la structure de personnalité
du patient ni dans la matérialité des événements ou des choses qui pour-
raient être en interaction avec le sujet souffrant d’un symptôme somati-
que, mais dans les transactions intersubjectives entre le sujet et un autre
sujet. Le sens du symptôme est fondamentalement captif de l’autre auquel
le symptôme est adressé (intentionnalité du symptôme). Cette seconde
proposition a des incidences sur la conduite de la cure et sur l’analyse
et l’interprétation des poussées évolutives des maladies somatiques sur-
venant en cours de traitement. On retrouve dans cette proposition des

(Suite de la note 1, page 71).


terme et certains concepts psychanalytiques. Quel rapport entre intentionnalité et pulsion ? Ce
ne sont pas deux termes synonymes. D’abord parce que la pulsion est un concept économique,
ce qui n’est pas le cas de l’intentionnalité, qui de mon point de vue a un statut métapsychologique
relevant du niveau dynamique, n’ayant aucune connotation quantitative, c’est-à-dire qu’elle est
purement qualitative. L’intentionnalité n’est pas l’intention. L’intention renverrait plutôt à la pul-
sion, mais l’intention est en partie consciente, la pulsion ne l’est pas. L’intentionnalité renvoie
quant à elle à la « pulsionnalité », mais ce terme n’existe pas et ne serait pas clair. Elle contient
en outre la dimension du « but » pulsionnel, et aussi celle de « l’objet », mais elle peut être définie
sans exigence de précision quant à sa « source ».
De plus l’intentionnalité permet de dépasser la difficulté redoutable de la référence aux deux
concepts de représentation et d’affect. En ce sens d’abord que ces deux concepts conduisant iné-
vitablement à mettre la représentation du côté psychique et l’affect du côté du corps, il est très
difficile alors de ne pas se situer dans une position dualiste. L’intentionnalité contient à la fois
la représentation et l’affect (comme d’ailleurs les contient aussi la notion d’« agir expressif » dont
je parlerai un peu plus loin). En outre l’intentionnalité ne préjuge pas de l’existence d’une repré-
sentation, c’est-à-dire que le terme peut être employé même lorsqu’une représentation n’est pas
encore advenue. En d’autres termes l’intentionnalité peut être convoquée pour rendre compte
de mouvements psychiques non représentés, notamment ceux auxquels nous confronte la psycho-
pathologie des somatisations et des psychoses.
Enfin, au plan topique l’intentionnalité, même si elle prend son origine dans l’inconscient, ne
préjuge pas de sa situation dans les divers systèmes : inconscient (primaire ou refoulé), précons-
cient, ou perception-conscience. L’intentionnalité peut bénéficier de contributions des trois systèmes.
En somme, la notion d’intentionnalité ne se substitue à aucun des concepts de la métapsy-
chologie, et à mon sens elle pourrait être adoptée sans déficit pour ces derniers, lorsqu’on veut
récapituler les « ingrédients » de la qualité d’une motion dans le registre psychodynamique.
L’usage que je fais de cette notion d’intentionnalité est inspiré par les travaux de Merleau-
Ponty (1945).
Doctrine et théorie en psychosomatique 73

thèses défendues par H. Searles (1965) ou par R. Langs (1988) à pro-


pos d’autres configurations psychopathologiques.

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Le symptôme somatique est inachevé
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Cette proposition est probablement la plus difficile à comprendre et


à assumer. Le symptôme somatique serait, à l’instar de l’inachèvement
inhérent à l’intentionnalité, en attente de son accomplissement ; c’est-
à-dire de son achèvement par l’élaboration de son sens. Il en serait du
symptôme somatique comme de l’action dans le champ politique. Le sens
subjectif de l’action n’est révélé que par l’action elle-même. Ce sens n’est
pas encore tout à fait là tant que l’action n’a pas eu lieu. Ou encore c’est
l’action elle-même qui, pour une part encore indéterminée, fait advenir
le sujet de l’action que le sujet n’était pas encore avant l’action. Ce thème
a été beaucoup traité par les phénoménologues, en particulier par Sar-
tre, par Schütz, par des écrivains comme Genet et plus tard par les théo-
riciens de l’action.

Le symptôme somatique a une dimension incidentelle

Non seulement le symptôme somatique est inaccompli, inachevé, mais


il surgit comme un incident de parcours. C’est de mon expérience clini-
que que je tire cette proposition. Le sujet engagé dans une visée inten-
tionnelle se découvre soudain malade sans l’avoir prévu, sans l’avoir vu
venir. Tout se passe comme dans une activité technique, par exemple
dans une recherche menée par un chimiste. Bien que correctement menée,
suivant un protocole convenable, l’expérimentation fait soudain appa-
raître dans la préparation une floculation, une précipitation, une colora-
tion ou une explosion inattendue et insolite dont pourtant le sujet, par
son action, est bien l’auteur et le responsable.

Le symptôme somatique na pas de cause mais une raison

La raison du symptôme somatique est dans la diachronie de l’inter-


subjectivité. C’est en quelque sorte la dynamique de la relation intersub-
jective entre le sujet et l’objet qui préside au surgissement du symptôme.
C’est un incident dans la dialogique intersubjective. Dans cette dialogi-
74 Christophe Dejours

que, il faut accorder une place capitale, décisive même, à ce que je pro-
pose de définir sous le nom d’« agir expressif ». L’agir expressif désigne

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dans l’acte de parole du sujet adressé à l’autre l’ensemble constitué par
l’énoncé et par l’énonciation, avec tout ce que l’énonciation implique
de l’engagement du corps (mimiques, gestique, motricité, prosodie, voix,
timbre, rythme, modifications viscérales et neuro-végétatives, etc.). L’agir
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expressif est un terme pour désigner l’indissociabilité de la coporéité enga-


gée dans l’expression d’avec l’interaction symbolique médiatisée par le
langage. C’est une notion permettant de dire que l’on parle avec des mots,
avec le langage, avec les concepts du sens commun, mais aussi avec le
corps érotique, le deuxième corps dérivé du corps physiologique. L’agir
expressif porte en outre la dimension intersubjective du dialogue des corps
dans les échanges ordinaires1.
L’idée centrale est la suivante : l’agir expressif mobilise dans le
corps érotique, dans le corps engagé par la relation à l’autre, hic et nunc,
certaines fonctions biologiques. En particulier celles qui ont bénéficié
de la subversion libidinale au profit de l’agir expressif. Dire l’indigna-
tion, la colère ou le désir implique la mobilisation de certaines fonctions
biologiques et d’organes au profit de l’intelligibilité de la parole proférée
(Dejours, 1994).
Cette notion d’agir expressif qui enracine toute relation à l’autre dans
un engagement charnel n’est pas originale. Elle est largement traitée par
les pragmaticiens américains (Peirce, James), certains linguistes, des socio-
logues et certains psychanalystes (Reich), mais elle est d’un maniement
assez délicat dans la théorie psychanalytique. Si je fais référence à l’agir
expressif ici c’est parce que je fais l’hypothèse que le symptôme somati-
que constitue en quelque sorte un incident dans le dynamique de l’agir
expressif adressé à l’autre. C’était dans l’intention d’exprimer quelque
chose à l’autre que le sujet a été surpris par l’incident somatique.

U origine du symptôme est dans la forclusion de la fonction


hors de la subversion libidinale

Il ne s’agit pas ici non plus de cause du symptôme mais de ce qui


constitue en quelque sorte la préparation du point du corps qui sera con-
voqué par le symptôme. Je ne reprends pas ici cette conception qui a

1. L’agir expressif est une notion relevant de l’ordre clinique, il est saisissable empirique-
ment par la clinique et dans la vie ordinaire. L’intentionnalité est le concept qui permet de traiter
la dimension métapsychologique de l’agir expressif.
Doctrine et théorie en psychosomatique 75

été exposée dans plusieurs ouvrages passés et qui me conduit à formuler


la proposition selon laquelle, dans les maladies somatiques, la localisa-
tion des symptômes ne relève pas du « choix de l’organe », mais du « choix

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de la fonction » (Dejours, 1989). Le symptôme atteindrait un organe impli-
qué dans une fonction qui a échappé à la subversion libidinale (ou à
l’étayage) dans la construction du corps érogène.
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Le symptôme somatique relève de Véconomie de la violence

L’échec dans la réalisation de l’agir expressif ferait surgir la violence


contre l’autre. Deux solutions: le passage à l’acte compulsif ou la
répression (Unterdrückung). Dans cette dernière, la violence se solde par
une paralysie de la pensée. Alors peut survenir une crise somatique. Mais
pas toujours. Cela ne dépend pas que du sujet, mais de l’autre auquel
était destiné l’agir expressif. L’autre peut être ému par l’état mental du
sujet et venir à sa rencontre. Mais il peut éventuellement en jouir... et
laisser le sujet dans son impasse et son désarroi. L’autre, ce peut être
l’objet, mais ce peut être aussi l’analyste, d’où les importantes discus-
sions sur la technique en psychosomatique.

Le sens du symptôme somatique n’est pas antérieur au symptôme


mais dans l’après-coup

Le sens du symptôme est contingent en ce sens qu’il peut ne jamais


arriver à maturité. Tant qu’il n’a pas été élaboré et construit, ce sens
n’existe pas encore tout à fait. En d’autres termes le symptôme est invi-
tation au travail, il n’est pas entièrement déjà là, caché et à dévoiler.
Il en est du sens du symptôme somatique comme d’un texte. Certes dans
une œuvre, un texte ou un article, il y a bien une intention de l’auteur.
Mais le sens de l’œuvre n’apparaît pas entièrement à l’auteur, il est pro-
gressivement construit, interprété, élaboré, révélé par la carrière que par-
courra cette œuvre après sa publication et après les commentaires qui
en seront faits (Gadamer, 1960). En d’autres termes, je risquerai l’idée
que la signification, c’est-à-dire l’acte de signifier, est dans une certaine
mesure antérieure au sens.
76 Christophe Dejours

L accomplissement du symptôme somatique dépend d autrui


9 9

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Cette proposition a été en partie abordée à propos de l’après-coup.
Elle consiste à prendre au sérieux la réception, l’interprétation, le tra-
vail psychique déclenchés chez l’analyste par le symptôme somatique
du sujet. Au maximum on pourrait illustrer cela avec une métaphore :
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celle des « bêtises de Cambrai ». Comme on sait, tous les ingrédients


étaient au rendez-vous chez ce confiseur expérimenté au cours d’une
préparation culinaire routinière. Mais cette fois le résultat est insolite et
le confiseur obtient une matière de consistance dure inhabituelle. Le résul-
tat de cette production peut être considéré comme une erreur ou comme
une absurdité. Quelles transactions a-t-il fallu entre l’auteur et ses parte-
naires pour que la bêtise prenne le sens d’une nouveauté voire d’une
création ? Que la bêtise devienne une spécialité du nord de la France
ne dépend assurément pas que de son auteur, mais aussi des clients.
Il en serait de même pour le symptôme somatique — incident ou bêtise
— en quête d’accomplissement de son sens par l’interprétation de l’autre.
L’inaccomplissement du symptôme et de son sens en psychosomatique
est seulement la conséquence d’une conception non solipsiste conférant
à la rencontre intersubjective un pouvoir mutatif sur le sujet (comme je
l’avais indiqué dans mon corpus doctrinal).
Il m’arrive de ne pas savoir ce que je veux dire exactement, mais
j’éprouve tout de même le désir de parler pour le dire. Il arrive aussi
que je croie vouloir dire une chose précise, et qu’en parlant je dise autre
chose. De ce décalage entre mon intention d’une part, le sens effectif
de ma parole d’autre part, je suis averti essentiellement par la réaction
de l’autre à mon agir expressif et cela me permet de réorienter ma recher-
che du sens.
Bien entendu les conséquences de cette proposition sur la dynami-
que de la relation transfert-contre-transfert en psychosomatique sont très
importantes. Je ne pourrai pas les aborder dans le cadre de cet article
(C. Dejours, 1993a). La contradiction majeure qu’il faut traiter au plan
théorique consiste en ceci qu’on ne peut pas élaborer une théorie du
sens, même dans une doctrine de l’universalité du sens dans les phéno-
mènes humains, qui ne traite aussi du statut du non-sens dans le monde
humain. Traiter de cette question difficile exigerait un chapitre supplé-
mentaire consacré au paradoxe des maladies somatiques « accidentel-
les ». Je ne crois pas en effet que toutes les maladies somatiques résultent
de la dynamique que je viens d’esquisser. Je pense, comme tout un cha-
Doctrine et théorie en psychosomatique 77

cun, que certaines affections somatiques font suite à des agressions contre
l’organisme qui dépassent ses possibilités biologiques, naturelles et acqui-
ses de défense. En zone d’endémie par exemple toute la population est

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frappée par le paludisme ; face à la poussière de silice tous les mineurs
de charbon, un jour ou l’autre, sont atteints de pneumoconiose ; des
enfants porteurs du gène de la mucoviscidose déclenchent tous un jour
ou l’autre des troubles respiratoires et digestifs, etc.
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Pour autant tous ces cas ne sont pas inabordables par la psychoso-
matique. C’est là que gît le paradoxe.
A cette question redoutable existe, me semble-t-il, une réponse accep-
table, mais il est impossible de l’exposer dans le cadre de cet article.

CONCLUSION

Cette conception du symptôme est bâtie, on l’aura compris, sur la


base d’un dialogue avec la théorie de Marty et Fain. Elle serait incom-
préhensible et elle serait même impensable sans référence à cette théo-
rie. Elle reprend d’ailleurs de nombreux acquis de cette théorie, j’ajouterai
même qu’elle est inspirée par cette théorie, mais elle conduit pourtant
à remanier jusqu’à sa base doctrinale. Cette théorie que je propose en
effet ne doit rien à Y évolutionnisme ; bien au contraire, elle s’inscrit dans
un paradigme constructiviste. Si j’affirme ici l’ubiquité du sens des évé-
nements humains, je dois préciser que le sens lui non plus n’est pas donné.
L’avènement du sens est même la chose la plus extraordinaire qui soit
dans la mesure où le sens est toujours le résultat d’une élaboration inter-
subjective. Ce qui revient à dire que le sens passe nécessairement par
Y intercompréhension. Or les quiproquos, les malentendus, les impasses
du sens, les misunderstanding, voire le non-sens sont plus facilement le
résultat des interactions humaines que l’avènement du sens. Pourquoi
alors conférer au sens une place aussi importante ? Parce que précisé-
ment il n’y a pas dans le monde psychique et somatique de neutralité.
Le non-sens, l’absurde, l’insensé sont redoutablement délétères, destruc-
teurs voire mortels. De sorte que le sens est dans le monde humain une
possibilité, mais aussi une presque obligation, dans la mesure où elle
est une condition de la réappropriation, de l’émancipation, de la liberté
et au-delà de la santé mentale et somatique et qu’en son absence, la mala-
die ou la mort nous guettent. Mais les difficultés de l’avènement du sens
78 Christophe Dejours

sont telles qu’on ne peut que s’émerveiller lorsque l’intercompréhension


l’emporte sur l’insensé, ce qui somme toute est tout de même possible,
et même fréquent, mais est frappé d’un certain caractère tragique dans

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la mesure où cette lutte pour le sens est incontournable.
La théorie du symptôme somatique ici présentée ne constitue pas un
retour à la théorie psychanalytique antérieure à Marty. Quels sont ses
rapports avec la théorie du symptôme hystérique? Cette question ne
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peut pas être ici développée mais il me semble qu’elle pourrait à son
tour conduire à un autre regard sur le symptôme névrotique.
Enfin, il est certain que souscrire à la conception du symptôme soma-
tique présentée ici ne peut avoir que des incidences importantes sur la
technique de la cure analytique. A moins qu’il ne faille envisager les choses
en sens inverse et penser que les modifications techniques ont précédé
la conception proposée dans cet article. Cette perspective a ma préfé-
rence. J’ai présenté il y a une dizaine d’années quelques éléments de
discussion sur la technique et plus récemment dans deux articles (1993
a et b). Mais je n’ai pas exposé globalement les questions techniques
que j’ai rencontrées en psychosomatique ni les débats qui ont été enga-
gés depuis plusieurs années avec les collègues. Je n’ignore pas cepen-
dant que cette discussion est capitale pour instruire le dossier de la théorie
du symptôme.
Pour l’heure, ce n’est pas l’objet de cet article. L’objectif était sur-
tout de m’appuyer sur une conception possible du symptôme somatique
pour pouvoir soulever une question généralement laissée dans l’ombre,
celle des positions doctrinales qui sont au fondement de toute démarche
en psychosomatique.

CHRISTOPHE DEJOURS
26 rue Bourgon
75013 Paris

P.S. : Peu après avoir remis mon texte au comité de rédaction, j’ai pris connaissance d’un
article de Christian David (datant de 1984 !) qui me semble-t-il, développe un point de vue très
proche, sinon superposable à ce que je défends dans ces pages. A la différence près que C. David
ne le donne pas pour un corpus doctrinal. Est-ce seulement un détail ?
Étant donnée la place de Christian David dans la naissance de la psychosomatique, le contenu
de cet article me semble une pièce importante à verser au dossier de la controverse théorique.
Je remercie le Docteur Marie-Pierre Guiho-Bailly de m’avoir communiqué ce document :
David C. (1984) : Un rien qui bouge et tout est changé (A propos de la rencontre). Nouvelle Revue
de psychanalyse. 30 : 199-213.
Doctrine et théorie en psychosomatique 79

Bibliographie

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RÉSUMÉ — Dans cet article est esquissée une théorie du symptôme somatique. La théo-
rie de P. Marty stipule que le symptôme somatique n’a pas de sens. Partant de l’hypo-
thèse inverse, c’est-à-dire de l’existence d’un sens porté par le symptôme somatique,
on ne revient pas nécessairement à la théorie de la conversion. Il semble bien qu’on
ne puisse en rester à des réaménagements segmentaires de la théorie de P. Marty, mais
qu’il faille procéder à un remaniement de fond.
Qu’est-ce qu’une doctrine ? Quelles sont les caractéristiques de la doctrine de
P. Marty ? Y a-t-il d’autres positions doctrinales possibles ? C’est à partir de l’explici-
tation d’un corpus doctrinal différent de celui de P. Marty qu’est ensuite argumentée
une théorie « alternative » du symptôme somatique. Alternative ou subséquente ? La
question mérite d’être soulevée car la théorie proposée ici serait inintelligible sans réfé-
rence à celle de P. Marty.

MOTS CLÉS — Psychosomatique. Intentionnalité. Doctrine. Souffrance. Sens. Intersub-


jectivité.
80 Christophe Dejours

SUMMARY — In this article the author advances a theory of the somatic symptom.
P. Marty’s theory stipulâtes that the somatic symptom does not hâve a meaning. Using
the opposite hypothesis as a starting point, namely that the somatic symptom does in-

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deed carry a meaning, one does not necessarily arrive at the theory of conversion. It
seems that segmentary révisions of Marty’s theory will not do, but that fundamental ré-
visions will hâve to be undertaken.
What is a doctrine ? Which are the caracteristics of P. Marty’s doctrine ? Are there
other possible doctrinal positions ? The author arguments an « alternative » theory of
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the somatic symptom expliciting a doctrinal corpus different from Marty’s. Altermative
or subséquent ? The question deserves to be raised, since the theory proposed by the
author would not be intelligible without reference to Marty’s theory.

KEY-WORDS — Psychosomatics. Intentionality. Doctrine. Suffering. Meaning. Intersub-


jectivity.

ZUSAMMENFASSUNG — In diesem Artikel wird eine Théorie des somatischen Symptoms


skizziert. Die Théorie Martys hait fest, dass das somatische Symptom Keinen Sinn hat.
Wenn man von der umgekehrten These ausgeht, d. h. von der Existenz eines Sinnes,
den das somatische Symptom ausdrückt, kommt man nicht unbedingt auf die Konver-
sionstheorie zurück. Es sieht so aus, als kônne man es nicht bei einigen Verânderungen
der Théorie Martys belassen, sondern als sei eine tiefgreifende Umwàlzung notwendig.
Was ist eine Doktrin? Was charakteriert die Doktrin Martys? Gibt es andere
môgliche Doktrinen? Ausgehend von der Erklârung eines von Marty verschiedenen
doktrinalen Korpus wird schliesslich eine « alternative » Théorie des somatischen Symp-
toms formuliert. Eine alternative oder eine nachfolgende Théorie ? Die Frage muss ge-
stellt werden, denn die hier vorgestellte Théorie wâre ohne Bezug auf Marty nicht
formulierbar.

STICHWÔRTER — Psychosomatik. Intentionalitat. Doktrin. Leiden. Sinn. Intersubjektivitat.

RESUMEN — En este articulo se esboza una theorîa del sintoma somâtico. La teorla de
P. Marty estipula que el sintoma somâtico no tiene sentido. Partiendo de la hipôtesis
inversa, es decir de la existencia de un sentido en el sintoma somâtico, no recaaemos
forzosamente en la teorîa de la conversion. Creemos que no se pueden hacer cambios
segmentarios en la teorla de Marty, sino que hay que procéder a un cambiod de fondo.
Que es una doctrina ? I Hay otras posiciones doctrinales posibles ? Solo a partir
de la explicacion de un cuerpo doctrinal diferente del de Marty se puede argumentar
una « teorla alternativa » del sintoma somâtico. i alternativa o subsecuente ? Es impor-
tante destacar la cuestion ya que la teorla que se propone aqul séria ininteligible sin
referencia a la de Marty.

PALABRAS CLAVES — Psicosomâtica. Intencionalidad. Doctrina. Sufrimiento. Sentido. In-


tersubjetividad.

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