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Revue théologique de Louvain

L'œcuménisme obligé de la Réforme


Max Thurian

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Thurian Max. L'œcuménisme obligé de la Réforme. In: Revue théologique de Louvain, 10ᵉ année, fasc. 3, 1979. pp. 324-334;

doi : https://doi.org/10.3406/thlou.1979.1713

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1979_num_10_3_1713

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L'œcuménisme obligé

de la Réforme

vrai
II pour
convient
toutes
tout
lesd'abord
traditions
de chrétiennes,
préciser le lieu
car d'où
toutesl'on
ontparle.
un passé
Ceciplus
est

ou moins normatif, des périodes de grande spiritualité et des périodes


de fléchissement théologique. Il convient donc de savoir à quel stade
de l'évolution d'une tradition on se situe. Concernant la communion
réformée, marquée par la tradition calviniste, on peut discerner cinq
stades ou lieux possibles d'où l'on puisse parler. Tout d'abord la
tradition réformée des 16e et 17e siècles, qui est en continuité avec les
grandes Confessions réformées et la pensée de Calvin lui-même.
Deuxièmement, la période que j'appellerais du réveil piétiste du 19e siècle,
où s'opère une critique de la théologie dogmatique au profit d'un
renouveau de la piété et des œuvres qui en découlent. Troisièmement,
la période du libéralisme théologique de la fin du 19e et du début du
20e siècle, qui sera battue en brèche par la théologie barthienne.
Quatrièmement, l'école néo-calviniste et le mouvement œcuménique
qui lui est lié, étape que l'on peut situer entre 1 920 et nos jours : cette
tendance de la tradition réformée aboutit à des dialogues, en particulier
avec l'Église catholique, où s'élaborent des accords doctrinaux
œcuméniques, par exemple ceux réalisés entre l'Alliance réformée mondiale
et le Secrétariat pour l'unité de l'Église catholique. Enfin, cinqième-
ment, ce que j'appellerais le protestantisme officiel des institutions
ecclésiastiques : c'est une sorte de résumé de toutes les étapes ou
tendances indiquées précédemment. On y remarque une certaine
ouverture œcuménique pratique alliée à des tendances théologiques
résistantes au catholicisme et en général favorable aux recherches modernes,
en particulier concernant les nouvelles lectures de la Bible. Parmi ces
cinq stades de l'histoire qui correspondent à cinq lieux, d'où l'on peut
parler, je me place dans le premier et dans le quatrième qui en est
comme une reprise pour aujourd'hui. En effet, il me semble que la
tradition réformée des 16e et 17e siècles et le néo-calvinisme qui a ouvert
l'Église réformée à l'œcuménisme sont les voies les plus sûres pour
redécouvrir une communion ecclésiale avec les autres Églises. C'est là
seulement que je discerne un véritable espoir d'unité pour l'avenir.
ŒCUMÉNISME OBLIGÉ DE LA RÉFORME 325

II convient également de préciser le critère utilisé pour juger de ce


qui est central et de ce qui est périférique dans la foi. On peut tout
d'abord utiliser le schéma classique des catéchismes réformés. Si l'on
prend le catéchisme de Calvin, qui a eu une influence très grande
dans les diverses Églises réformées, le schéma en est simple. Il
comprend quatre grandes parties : tout d'abord la partie sur la foi, qui
est une exégèse du symbole des apôtres, puis la partie sur la loi,
explication des dix commandements, ensuite la partie sur la prière,
réflexion sur les demandes du Notre Père, enfin la quatrième, qui
aborde les thèmes de la Parole de Dieu, des sacrements et du ministère.
On peut dire que dans ce plan du catéchisme de Calvin on trouve
tous les éléments qui constituent l'essentiel de la foi réformée. Déjà en
1536, Calvin avait jugé nécessaire d'élaborer un bref traité accessible à
tous en tenant lieu de catéchisme. Pendant l'hiver 1536-1537, il avait
rédigé en français la «Brève instruction chrétienne», qui était une sorte
de résumé de la première «Institution chrétienne» publiée au mois de
mars 1536. Dans ce premier texte catéchétique, l'ordre de la foi et de
la loi était inversé, mais nous retrouvons tous les thèmes majeurs de
la doctrine réformée exposés très clairement et très simplement pour
le peuple croyant. Plus que les grandes confessions de foi du 16e siècle,
ces deux textes de la «Brève instruction chrétienne» (1536) et du
«Catéchisme de Genève» (1542) représentent un résumé authentique
de ce que la tradition réformée considère comme central pour la foi.
Ces textes catéchétiques ont comme intention de résumer le message
de l'Évangile tel qu'il a été reçu par l'Église primitive et par les Pères
de l'Église, dont on reconnaît l'autorité comme interprètes de l'unique
Parole de Dieu contenue dans la Sainte Écriture. Faut-il rappeler ici
que, pour la tradition réformée, les quatre premiers conciles
œcuméniques font autorité en matière dogmatique, en tant qu'ils sont
reconnus comme les fidèles interprètes de la vérité concernant Dieu-
Trinité et le Christ, vrai Dieu et vrai homme. Les trois conciles
suivants ne sont pas mis en question dans la mesure où ils ne font
que répéter le témoignage des quatre premiers. On peut donc dire que
dans ces textes catéchétiques la tradition réformée se veut en droite
ligne avec la tradition de l'Église ancienne recevant et interprétant la
Parole de Dieu.
Cependant, s'il était clair de partir du critère catéchétique pour juger
de ce qui est central et de ce qui est périphérique, on peut se demander
si souvent dans la tradition réformée ce ne sont pas d'autres critères
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qui ont joué un rôle décisif. Voici ces cinq points majeurs de la
sensibilité théologique réformée, indiqués par des formules latines ou
lapidaires : Soli Deo Gloria, Sola Fide, Sola Scriptura, Ecclesia semper
reformanda, l'Église invisible. Ces cinq thèmes définissent une certaine
ambiance spirituelle qui souvent a commandé les attitudes
théologiques de la tradition réformée. On pourrait dire que l'essentiel de ces
slogans théologiques consiste à opposer un «Solus» au «Et» ou au
«Una cum» de la tradition catholique. Il y a une espèce de volonté de
purisme dans les affirmations théologiques réformées. A Dieu seul la
gloire et rien à l'homme. Seule la foi sauve, les œuvres ne servent de
rien. Seule l'Écriture est une autorité en matière de foi, la tradition
n'en est qu'une explication approximative. L'Église elle-même ne peut
pas s'ajouter à la Parole de Dieu, elle n'est qu'un fruit de cette Parole,
et donc elle doit constamment passer par une réforme à la lumière de
l'Écriture. Enfin, ce qui est décisif dans la constitution de l'Église,
ce n'est pas ce qui en est visible dans les institutions, mais c'est la
communion des saints que Dieu seul connaît. Il faut reconnaître que
même dans la vie de l'Église actuelle ces slogans théologiques jouent
parfois un plus grand rôle, bien qu'un rôle occulte, dans certaines
attitudes du peuple chrétien et même des autorités ecclésiatiques. On
peut dire, en effet, que bien souvent dans les Églises réformées les
attitudes décisives sont commandées par des réactions anti-catholiques
plus que par les affirmations majeures de la tradition telles qu'elles
s'expriment dans les documents confessionels ou catéchétiques du 16e
siècle.

En décembre 1978, les évêques français ont voulu exprimer une


profession de foi pour le peuple chrétien. Ils ont basé leurs réflexions
sur la quatrième prière eucharistique du missel romain après le Concile
du Vatican II. Ce texte est paru sous le titre : «II est grand le mystère
de la foi, prière et foi de l'Église catholique». Ce texte tout à fait
remarquable essaie d'exprimer en peu de mots mais avec grande clarté
tout l'essentiel de la foi catholique. L'étude approfondie de ce texte
révèle combien le dialogue œcuménique à travers le Concile du Vatican II
a influencé non pas tant la foi fondamentale de l'Église catholique que
la manière de l'exprimer dans le monde d'aujourd'hui. On peut dire
que les cinquante premières pages de cette profession de foi résument
très exactement la foi fondamentale tenue par tous les chrétiens. Je
ne pense pas qu'un réformé puisse trouver à y redire, dans la mesure
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où il est fidèle à sa propre tradition doctrinale. Ce sont vraiment les


mêmes réalités centrales qui sont exposées là comme l'essentiel de la
foi; les thèmes abordés constituent non seulement l'essentiel de la foi
catholique, mais aussi l'essentiel de la foi réformée. Il est bon d'ailleurs,
et bien conforme à la tradition réformée, de lire les thèmes centraux
de la foi chrétienne dans un document catholique tel que la profession
de foi des évêques français. En effet, la tradition réformée ne peut pas
exister pour elle-même, comme si elle constituait une Église à part.
Même si les faits de l'histoire ont situé les Églises réformées comme
des institutions particulières, la véritable vocation de la tradition
réformée c'est d'exister en fonction de la Catholica, en fonction de
l'Église dans son œcuménicité, comme une sorte de correctif ou un
appel à la réforme de l'Église. La tradition réformée ne peut donc
exister qu'en relation avec les autres Églises, et en particulier l'Église
catholique.
Les thèmes centraux de la foi chrétienne, tels que les développe le
document de l'épiscopat français, correspondent aux thèmes centraux
des catéchismes et des confessions de foi de la tradition réformée.
Essayons de les parcourir rapidement. Nous aurons ainsi ce qui fait
l'essentiel de la foi réformée comme de la foi catholique. Nous verrons
ensuite quels sont les éléments de cette profession de foi des évêques
français qui résistent à la réaction de la tradition réformée. Là nous
rencontrerons les thèmes sur lesquels il convient que s'applique notre
dialogue œcuménique, si nous voulons un jour parvenir à l'unité
visible.
Le premier chapitre de la foi fondamentale concerne évidemment
la personne de Dieu le Père comme Dieu unique, Dieu d'amour et de
sainteté, créateur et Père de tous les hommes qui en lui se retrouvent
frères. Le deuxième chapitre concerne la création et le devoir de
l'homme de servir le créateur et de régner sur la création. S'il y a une
création visible, il existe aussi des créatures invisibles. Le troisième
chapitre concerne l'homme, sa nature, le péché originel, l'alliance que
Dieu veut établir avec lui, et en particulier avec le peuple d'Israël. Le
quatrième chapitre concerne Jésus, conçu de l'Esprit Saint et né de la
Vierge Marie, son message, son mystère comme Fils de Dieu et Fils
de l'homme, l'incarnation. Au cinquième chapitre il est question de
l'obéissance du Fils jusqu'à la mort, de la rédemption et de la
résurrection. Le sixième chapitre aborde le mystère de la troisième personne
divine, l'Esprit Saint donné à l'Église à la Pentecôte, l'œuvre de
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l'Esprit dans l'Église, les signes de l'Esprit, l'action de l'Esprit dans le


monde, le discernement de cette action de l'Esprit. Dans ces six
premiers chapitres qui concernent le mystère de Dieu-Trinité, nous avons
tout l'essentiel de la foi, tout ce qui est nécessaire pour le salut de
l'homme et sa libération actuelle dans ce monde. Jusque là, la foi
réformée se trouve pleinement à l'aise dans le texte des évêques
français, qui résument pour le peuple de Dieu les thèmes fondamentaux
de la foi catholique.
Les chapitres 7, 8 et 9 concernent respectivement l'eucharistie,
l'Église et l'attente eschatologique comprenant les thèmes de la
communion des saints et de la mariologie. C'est évidemment à partir de
ces chapitres que la foi réformée traditionnelle aura quelques questions
à poser.
Remarquons en passant que ces trois derniers chapitres occupent
les vingt-cinq dernières pages du petit volume des évêques, que
plusieurs de ces pages pourraient être signées également par des
réformés, et donc que sur plus des deux tiers de cette profession de
foi, catholiques et réformés ont vraiment la même position. Nous
allons donc maintenant aborder les problèmes de la foi posés par les
thèmes de l'eucharistie et du ministère. Il est intéressant de noter que
ces points sont exactement ceux qui sont considérés par le dialogue
œcuménique comme les lieux décisifs de notre unité future. Si nous
parvenions à nous entendre dans la foi à propos de ces thèmes, l'unité
visible pourrait être réalisée. Ils font l'objet des travaux de Foi et
Constitution, et en particulier de l'élaboration des accords doctrinaux
entre Églises membres du Conseil Œcuménique. Il est donc utile
d'aborder ces thèmes, non pas seulement pour l'intérêt qu'ils
représentent en eux-mêmes, du point de vue théologique, mais en tant
qu'ils sont des tests qui nous renvoient à notre foi fondamentale et à
notre manière de comprendre notre communion avec Dieu en Jésus-
Christ par l'Esprit Saint.

L 'eucharistie

A propos de l'eucharistie, selon la foi réformée il convient d'aborder


quatre points essentiels : le rôle de l'Esprit Saint dans la célébration
eucharistique, l'eucharistie comme repas, le sacrifice de louange et
d'action de grâce, la présence réelle comme mystère.
Le rôle de l'Esprit Saint dans la sainte cène est un thème primordial
dans toute la tradition réformée. Lorsque nous lisons Calvin (Insti-
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tut ion chrétienne, livre 4, chapitre 17, n° 12), nous sommes rendus
attentifs au rôle de l'Esprit par rapport à la présence du Christ. Il
parle de notre communion au corps et au sang du Christ, et il dit :
«Le lien de cette conjonction est donc le Saint Esprit, par lequel nous
sommes unis ensemble, et il est comme le canal ou conduit, par lequel
tout ce que le Christ est et possède, descend jusqu'à nous. Car si
nous apercevons à l'oeil que le soleil luisant sur la terre envoie par ses
rayons quelque chose de sa substance pour engendrer, nourrir et
végéter les fruits de cette terre, pourquoi la lueur et irradation de l'Esprit
de Jésus-Christ serait-elle moindre, pour nous apporter la
communication de sa chair et de son sang?» On a souvent mal compris cette
relation entre l'Esprit et la sainte cène qu'affirme la foi réformée. Il
ne s'agit en aucune manière de spiritualiser la présence réelle du
Christ en son corps et en son sang. Il s'agit simplement de noter le
rôle de l'Esprit dans le sacrement pour affirmer que l'Église ne
possède jamais le pouvoir sacramentel, mais qu'en tout sacrement et même
dans l'eucharistie elle est totalement dépendante de la volonté et du
pouvoir de Dieu. Cette affirmation de l'entière dépendance de l'Église
par rapport à l'Esprit Saint est un des points importants de la doctrine
eucharistique dans la tradition réformée.
Le deuxième point qui est souligné dans la doctrine eucharistique,
c'est le caractère de repas de la sainte cène. L'eucharistie n'est pas
d'abord un sacrifice, mais un repas en vue de la communion du
peuple de Dieu avec le Christ, dans la consommation du pain et du
vin. L'eucharistie est essentiellement une communion au cours d'un
repas. Cela signifie que la tradition réformée sera toujours hésitante
par rapport au culte des éléments consacrés dans l'eucharistie. Certes,
il y a eu au cours de la tradition réformée certaines négligences par
rapport au pain et au vin consacrés, et cela doit être corrigé. Le texte
de Foi et Constitution sur l'eucharistie, à la suite du groupe des
Dombes, demande aux Églises d'être conséquentes avec la consécration
qu'elle font du pain et du vin à l'eucharistie. Cela est très juste.
Cependant, il n'est pas demandé à des Églises qui ne connaissent pas
la réserve eucharistique de la pratiquer; au plus peut-on leur demander
de la respecter dans les Églises où elle se pratique (voir le document
luthéro-catholique «Le Repas du Seigneur»).
Le troisième point qu'il faut souligner concernant l'eucharistie, c'est
son aspect sacrificiel. La théologie réformée affirme sans difficulté que
l'eucharistie est une offrande de louange et d'action de grâce au Père
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pour toutes les merveilles accomplies dans la création et la rédemption.


Il y a une résistance à confesser le sacrifice propitiatoire pour les
vivants et pour les morts, tel que le Concile de Trente l'a défini. Il est
certain que dans les dialogues œcuméniques récents on a fait des
progrès en essayant de comprendre le caractère sacrificiel de
l'eucharistie à travers la notion de mémorial prise à l'Ancien et au Nouveau
Testament. Le texte d'accord de Foi et Constitution a apporté sur ce
point des lumières nouvelles. Voici le texte d'un commentaire que j'ai
proposé pour la révision du document de Foi et Constitution
concernant le caractère sacrificiel de l'eucharistie : «Le mémorial de
l'eucharistie a une double signification. Il est d'abord le sacrement du
sacrifice de la croix et de toute l'œuvre rédemptrice du Christ, sa présence
vivante, actuelle et efficace. Mais il est aussi un acte d'intercession,
où l'Église présente au Père l'unique sacrifice du Christ comme sa
prière la plus instante et la plus efficace en faveur de tous les hommes.
C'est à la lumière de cette seconde signification du mémorial biblique
qu'on peut résoudre le problème de ce que la théologie catholique
appelle «sacrifice eucharistique propitiatoire». Il n'y a qu'une propi-
tiation, celle du sacrifice unique de la croix et de l'œuvre rédemptrice,
rendue présente dans l'eucharistie et présentée au Père comme
l'intercession du Christ et de l'Église pour toute l'humanité.» On voit, à la
lumière de ce texte, combien les difficultés à propos du sacrifice
eucharistique peuvent être aujourd'hui surmontées.
Le dernier point concerne la présence réelle. On n'a pas
suffisamment affirmé, au cours de la tradition réformée, la certitude que l'on
peut trouver dans les textes de Calvin, en particulier dans le «Traité
de la sainte cène». Si Calvin a eu quelques hésitations dans les débuts,
au niveau de l'expression de sa pensée, le «Traité de la sainte cène»
de 1541, qui se situe dans la polémique entre Luther et Zwingli, ne
permet pas d'hésiter quant à la certitude de la présence réelle dans
l'eucharistie. Calvin affirme : «La substance intérieure du sacrement
est conjointe avec les signes visibles : et comme le pain nous est
distribué dans la main, aussi le corps du Christ nous est communiqué afin
que nous en soyons faits participants. ... Jésus-Christ nous donne en
la cène la propre substance de son corps et de son sang afin que nous
le possédions pleinement, et, le possédant, ayons compagnie à tous
ses biens». Comme pour prévenir l'accusation de spiritualisme, Calvin
disait également : « II n'est pas seulement question que nous soyons
participants en son Esprit : mais il nous faut aussi participer à son
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humanité... Ce n'est pas une figure nue, mais conjointe avec sa vérité
et sa substance. C'est donc à bon droit que le pain est nommé corps,
puisque non seulement il nous le représente, mais aussi nous le
présente». La foi réformée se trouve tout à fait à l'aise dans le texte du
commentaire qui va être proposé au document de Foi et Constitution
sur baptême, eucharistie et ministère. Concernant la présence réelle,
ce commentaire est le suivant : «Le Christ accomplit de multiples
façons sa promesse d'être avec les siens pour toujours jusqu'à la fin
du monde. Il est présent quand deux ou trois sont réunis en son nom.
Il est présent dans la lecture et la proclamation de la Parole de Dieu;
il est présent dans le baptême; il est présent dans les pauvres et ceux
qui souffrent ... Mais la présence réelle du Christ dans l'eucharistie
est unique, elle est irréductible à toute autre forme de présence. Jésus
a dit sur le pain et le vin de l'eucharistie : 'Ceci est mon corps... ceci
est mon sang'. L'Église a toujours compris ces paroles dans un sens
réaliste : ce que le Christ a dit est la vérité et s'accomplit chaque fois
que l'eucharistie est célébrée. Par les paroles mêmes de Jésus, et par
la puissance de l'Esprit Saint, le pain et le vin de l'eucharistie
deviennent le sacrement du corps et du sang du Christ ressuscité, c'est-
à-dire du Christ vivant, présent en toute sa personne. Sous les signes
extérieurs du pain et du vin, la réalité profonde est l'être total du
Christ, qui entre en contact corporel avec l'homme pour le nourrir
et le transformer dans tout son être. L'Église confesse la présence
réelle, vivante et agissante du Christ dans l'eucharistie. Le
discernement du corps et du sang du Christ requiert la foi. Cependant, la
présence réelle du Christ dans l'eucharistie ne dépend pas de la foi
de chacun, car c'est le Christ qui se lie lui-même, par ses paroles et la
puissance de l'Esprit Saint, aux éléments eucharistiques, signes de sa
présence donnée».
La foi dans la présence réelle du Christ ne fait donc aucun doute
pour la tradition réformée, mais il y a une sorte de refus de
l'explication de type philosophique; on préfère affirmer le mystère de cette
présence en même temps que la certitude, sans vouloir chercher à
comprendre le mode selon lequel le Christ se rend présent de manière
unique lors du repas de la sainte cène.

Le ministère
Ce thème du ministère est étroitement lié à celui de l'eucharistie.
Citons tout d'abord le texte de la «Brève instruction chrétienne» de 1 536
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que nous avons déjà mentionnée auparavant. Dans la sixième partie,


qui concerne l'ordre dans l'Église et dans la cité, le premier chapitre
parle des pasteurs de l'Église et de leur autorité. Calvin écrit ceci :
«Puisque le Seigneur a voulu que sa parole comme ses sacrements
nous fussent dispensés par le ministère des hommes, il est nécessaire
qu'il y ait des pasteurs ordonnés dans les Églises, pour enseigner au
peuple, en public et en privé, la pure doctrine, pour admistrer les
sacrements, et pour donner à tous le bon exemple d'une vie pure et
sainte. ... Ce que le Seigneur a une fois attesté n'est pas de petite
importance. C'est que, quand les pasteurs qu'il envoie sont reçus, c'est
lui-même qui est reçu ; et pareillement que c'est lui qui est rejeté, quand
ils sont rejetés. Et, pour que leur ministère soit incontesté, les
pasteurs ont reçu le commandement remarquable de lier et de délier,
avec la promesse conjointe : 'Tout ce que vous lierez sur la terre sera
lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans
le ciel.' ... Souvenons-nous cependant que l'autorité que l'Écriture
attribue aux pasteurs est toute contenue dans les limites du ministère
de la Parole; car le Christ, à vrai dire, n'a pas donné cette autorité
aux hommes, mais à la Parole dont il a fait de ces hommes les
serviteurs». Dans la cinquante-cinquième section du catéchisme, Calvin
affirme que «prêcher la Parole et distribuer les sacrements sont des
choses jointes ensemble». Puis il ajoute : «Quant à la cène, il commande
que nous la célébrions à son exemple. Or il avait fait l'office de ministre,
en la donnant aux autres». Cette simple réponse du catéchisme montre
que pour la tradition réformée la présidence de la sainte cène par les
pasteurs est le signe de la présidence invisible du Christ.
Un théologien réformé français du 17e siècle, Jean Daillé (1594-1670),
dont les «Sermons sur le catéchisme des Églises Réformées» furent
publiés après sa mort (en 1701 à Genève), affirme avec force le lien
entre le ministère pastoral et la célébration de l'eucharistie: «Les
Sacrements sont les sceaux de Dieu, le coin de sa monnaie et la
marque de sa maison. Certainement il n'appartient donc qu'à ses vrais
et légitimes Officiers de les administrer, et si quelqu'un l'entreprend,
sans avoir reçu de lui ce Ministère et cette Commission, il se rend
évidemment coupable de sacrilège et ce qu'il fait n'est de nulle valeur,
comme une chose de néant, faite sans droit ni autorité» (tome III,
section LV, p. 646).
Il est certain que la tradition réformée a beaucoup insisté sur le
sacerdoce universel de tous les fidèles. Mais, contrairement à ce que
ŒCUMÉNISME OBLIGÉ DE LA RÉFORME 333

l'on pense souvent, la tradition réformée n'a jamais mêlé cette certitude
du sacerdoce universel et l'autre certitude que Dieu a donné des
ministères pour édifier l'Église en un sacerdoce royal et prophétique.
En général, dans la tradition réformée, on n'a pas utilisé le terme
de «prêtre» {hiereus) pour désigner les ministres de la parole et des
sacrements. Il y a des exceptions comme, par exemple, dans le texte
où Calvin reconnaît valeur sacramentelle à l'ordination : «Quant à
l'imposition des mains, qui se fait pour introduire les vrais prêtres et
ministres de l'Église en leur état, je ne m'oppose pas à ce qu'on la
reçoive pour sacrement...» {Institution chrétienne, IV, XIX, 28). La
tradition réformée est très attentive à la différence qu'il y a entre le
prêtre attaché au sacrifice dans l'Ancien Testament et le pasteur de
la Nouvelle Alliance, qui est un serviteur de la Parole, des sacrements
et de l'unité. Depuis le Concile Vatican II, la position théologique
catholique s'est beaucoup éclairée à ce sujet et il semble que l'unité
doctrinale puisse se faire quant à la conception du presbytérat ou du
pastorat entre l'Église catholique et les Églises issues de la Réforme.
Un autre point très important dans la doctrine du ministère, c'est
l'égalité des ministères. Même si la tradition réformée reconnaît que
pour des raisons d'organisation il peut y avoir différents ministères, et
que ces ministères sont ordonnés les uns par rapport aux autres, et
que tel peut avoir une fonction d'épiscopè, il y a toujours insistance
sur le fait que, quant à l'ordination proprement dite, il y a égalité de
pouvoir entre tous les ministres. La tradition réformée aura toujours
beaucoup de peine à faire la distinction entre un évêque et un pres-
bytre, du point de vue de l'ordination. Et c'est un problème que l'on
rencontre fréquemment maintenant dans le dialogue œcuménique.
Insistance aussi sur la collégialité des ministres dans l'édification de
l'Église. Il est frappant que lors de l'ordination de nouveaux ministres,
c'est en général un collège de presbytres présidé qui impose les mains,
pour signifier ce caractère collégial du ministère.
Un troisième point concernant la doctrine du ministère est la
nécessité qu'il soit ordonné par l'imposition des mains et l'invocation de
l'Esprit Saint. La question de la succession apostolique, au sens
catholique, ne joue pas de rôle important dans la tradition réformée. Même
si les réformés peuvent admettre, en vue de l'unité visible, que le
ministère épiscopal doit être restauré pleinement, ils auront toujours
de la peine à croire que, pour la validité de ce ministère, il soit
nécessaire de l'insérer dans une succession historique. Les pasteurs réformés
334 M. THURIAN

revendiquent toujours la pleine valeur ecclésiale de leur ministère : c'est


la raison pour laquelle ils ne peuvent pas comprendre les réticences de
certaines Églises concernant l'hospitalité eucharistique ou la
célébration commune de la sainte cène. En effet, ils sont certains d'avoir reçu
le ministère apostolique par l'imposition des mains du collège des
presbytres et l'invocation de l'Esprit Saint, selon la pratique
néotestamentaire.

Conclusion
L'essentiel de la foi, pour le réformé, c'est l'essentiel de la foi
catholique telle qu'elle s'exprime dans le Credo (le symbole de Nicée-
Constantinople et le symbole des apôtres), dans la tradition primitive
des Pères de l'Église, dans les premiers conciles œcuméniques. Mais
cet essentiel de la foi, la tradition réformée le reçoit en soulignant
quelques aspects théologiques qui lui paraissent fondamentaux pour
sauvegarder la pureté de cette foi catholique. Tout d'abord, la tradition
réformée recherche toujours dans la confession de la foi ce qui peut
être une action de grâce rendue à Dieu seul. La tradition réformée
souligne très fortement dans la confession de la foi le fait que tout ce
que nous avons reçu et que nous recevons de bien ne peut venir que
de la seule grâce de Dieu par le seul acte de foi d'un cœur transfiguré
par lui. La tradition réformée s'attache très fortement à l'unique
témoignage de l'Écriture sainte; il ne s'agit pas de nier que cette
Écriture ne puisse être vraiment comprise que dans la lecture œcuménique
de toute l'Église à travers l'histoire; mais toutes ces lectures de la
tradition doivent être et peuvent être constamment remises en question
par une relecture actuelle de la Parole de Dieu. La tradition réformée
affirme que l'Église doit toujours être restaurée et renouvelée par
l'Esprit Saint; qu'elle n'est jamais acquise dans son unité, dans sa
sainteté, dans sa catholicité et dans son apostolicité; l'Église doit
sans cesse se repentir et revenir au modèle de l'Église apostolique.
Enfin, la tradition réformée insiste sur le fait que l'Église est d'abord
Église invisible, corps mystique du Christ, dont Dieu seul connaît
tous les membres; cette conception de l'Église universelle invisible
donne à la tradition réformée une vision large de l'unité des chrétiens
et du dialogue de l'Église avec les religions et avec tous les hommes;
en effet, l'unité que nous ne voyons pas encore, Dieu la connaît, et
les chrétiens que nous ne reconnaissons pas encore, Dieu les connaît
déjà.
F - 71250 Taizé - Communauté Fr. Max Thurian

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