2007
proposés dans le cadre du contrôle continu, des examens ou
des concours.
Complément nécessaire du manuel et des cours oraux dispensés,
Les Annales sont un outil de révision indispensable pour préparer
avec succès les épreuves écrites.
DROIT CIVIL
DES OBLIGATIONS sous la direction de
2007 ANNICK BATTEUR
www.dalloz.fr Prix : 10 €
ANNALES
DROIT CIVIL
DES OBLIGATIONS
2007
ANNALES
YVES JEGOUZO
professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
2007
MÉTHODOLOGIE
&
SUJETS CORRIGÉS
sous la direction de
ANNICK BATTEUR
professeur à l’Université de Caen–Basse-Normandie
Conception graphique
Catherine Krausz édito EURL
4, allée des Tanneurs
93390 Clichy-sous-Bois
Avant-propos .............................................................................. IX
Méthodologie
Introduction.................................................................................................. 3
A. Le travail personnel.................................................................................. 3
1. Travailler avant et après les séances de travaux dirigés .......................... 3
2. Apprendre à utiliser correctement le Code civil ........................................ 4
3. Faire des fiches d’arrêt ................................................................................ 5
B. La préparation à l’examen...................................................................... 7
1. Respecter le programme de révision .......................................................... 7
2. Apprendre à gérer votre temps .................................................................. 8
3. Apprendre à rédiger .................................................................................... 9
I. L’étude de cas ou la consultation .................................................. 10
Nature de l’épreuve ...................................................................................... 10
A. Comment aborder le sujet ? (la prise de contact avec le sujet).. 11
1. Comment aborder et poser les problèmes de fait ? .................................. 11
2. Comment identifier les problèmes juridiques ? .......................................... 14
B. Comment exposer le raisonnement et les solutions ?
(la résolution des problèmes posés) ...................................................... 15
Droit civil des obligations
VI
La recherche documentaire
Annales du droit
Mode d’emploi
des Annales du droit
Conçues et dirigées par l’auteur qui a accepté de prendre la responsabilité
d’un des cinq ouvrages consacrés aux disciplines de base, les Annales du
droit, publiées par les éditions Dalloz pour la seizième année consécutive,
sont tout d’abord des ouvrages de méthodologie.
L’auteur de l’ouvrage présente les différentes méthodes qui sont utilisées
dans l’enseignement du droit en accompagnant cette présentation de
conseils pour les trois principaux types d’exercice qui sont demandés aux
juristes, que ce soit dans le cadre du contrôle continu, des examens ou des
concours :
– l’étude de cas consistant à appliquer à une question pratique les
connaissances acquises, à replacer la question posée dans son environne-
ment juridique et à rechercher la solution d’un litige ;
– le commentaire qui peut porter sur un texte de droit international ou
de droit communautaire, une loi, un règlement, une décision de jurispru-
dence et qui doit permettre de comprendre le sens du texte, d’en mesurer
la portée, les apports, de l’évaluer ;
– le commentaire dirigé, qui consiste à présenter et expliquer un arrêt
en répondant à des questions posées par l’auteur du sujet ;
– la dissertation, exposé systématique d’une question avec ses exigen-
ces de présentation et d’analyse du sujet, de plan, d’organisation des idées.
La collecte de l’information disponible et actualisée étant l’un des préa-
lables à tout travail juridique, les Annales comportent également l’exposé
des méthodes de recherche bibliographiques et des outils informatiques
disponibles.
Les conseils méthodologiques sont illustrés par une vingtaine de sujets
corrigés choisis parmi ceux qui ont été donnés dans les universités fran-
çaises lors des dernières sessions d’examen. À cet effet, les enseignants res-
ponsables des enseignements de la discipline à laquelle est consacrée
chacune des cinq Annales ont accepté de présenter les sujets qu’ils ont
retenus et d’en faire le corrigé. Les Annales du droit illustrent ainsi la diver-
sité des analyses qui sont le propre de la méthode universitaire.
Avant-propos
XI
L e droit des obligations est l’étude des rapports de droit entre deux per-
sonnes, rapport unissant un créancier à un débiteur et en vertu duquel
le second est tenu de l’accomplissement d’une prestation envers le premier,
lequel est en droit d’exiger l’accomplissement de cette prestation. Il déter-
mine les sources du rapport d’obligation, ses effets, les modalités qui peuvent
l’affecter, sa transmission et les différentes façons par lesquelles il cesse
d’exister. Le droit des obligations est de ce fait une matière fondamentale
au cours des études de droit, pour ne pas dire la matière fondamentale. Il
domine l’ensemble du droit, et plus spécialement du droit civil. Il est d’ail-
leurs impossible d’étudier non seulement la plupart des branches du droit
civil, mais aussi le droit des affaires dans son ensemble, sans se référer au
droit des obligations puisqu’il permet l’organisation juridique des relations
économiques.
Sa place au sein des études de droit est aux yeux de tous essentielle. La
matière forme les juristes au raisonnement juridique. Les étudiants appren-
nent la théorie générale de l’obligation contractuelle et celle du droit de la
responsabilité délictuelle. Mais ils apprennent aussi et surtout à compren-
dre les subtilités de certains mécanismes juridiques, le rôle majeur de la
qualification, l’ambiguïté du fondement ou de la nature juridique de certai-
nes règles, la finesse de l’analyse jurisprudentielle…
L’évolution du droit des contrats comme celle de la responsabilité civile
est en effet surtout l’affaire de la jurisprudence, ce qui complique bien sûr
la prise de contact avec cette matière pour un jeune juriste, mais aussi la
rend passionnante. Généralement les étudiants perçoivent vite que, pour
Droit civil des obligations
2
Introduction
A. Le travail personnel
1. Travailler avant et après
les séances de travaux dirigés
Il ne nous appartient pas de vous rappeler que vous devez travailler de
manière régulière : c’est une évidence. Nous souhaitons insister sur l’impor-
tance du travail effectué au niveau des travaux dirigés. Vous devez absolu-
ment, tout au long de l’année, préparer vos travaux dirigés en les rédigeant
Droit civil des obligations
4
B. La préparation à l’examen
1. Respecter
le programme de révision
Attention : la semestrialisation conduit les enseignements à une division
du programme. Il n’en reste pas moins que le cours forme un tout. Au
deuxième semestre, vous pouvez avoir besoin d’éléments acquis lors du pre-
mier. Certaines connaissances sont jugées nécessairement acquises. Par
exemple, la responsabilité contractuelle (programme du second semestre) est mise
en œuvre en cas d’inexécution d’un contrat ; cela implique, par hypothèse, que
vous sachiez ce qu’est un contrat et qui a la qualité de partie contractante (pro-
Droit civil des obligations
8
3. Apprendre à rédiger
Une remarque préliminaire s’impose : n’utilisez pas de couleurs ! Sachez
que tout signe distinctif est cause d’annulation d’une copie : or, la couleur
peut être un signe distinctif… Prenez l’habitude de respecter cette
contrainte, car dans les années futures, vous passerez peut-être des épreuves
d’examen ou de concours au cours desquelles la règle sera appliquée avec
rigueur.
Il est indispensable d’apporter tous vos soins à la rédaction de votre
devoir. Votre orthographe doit être bonne. Sachez que tous les ans, des étu-
diants sont sanctionnés en raison de leur orthographe défectueuse. Si vous
avez conscience d’avoir quelques lacunes de ce côté-là, mettez-vous au tra-
vail tout de suite… Nous attirons simplement votre attention sur un point :
pendant les cours, vous avez pris l’habitude de prendre des notes en faisant
des abréviations. Le vocabulaire juridique étant spécifique, il est normal
que vous n’ayez pas eu l’occasion de l’utiliser pendant vos études secondai-
res. De ce fait-là, vous n’en avez pas la maîtrise. Vérifiez donc que vous
savez parfaitement écrire les mots que vous avez malencontreusement pris
l’habitude d’écrire en abrégé… Il est très irritant pour un enseignant de
constater qu’un étudiant répète la même faute d’orthographe tout au long
de son devoir…
En ce qui concerne la forme, le plus simple est d’exposer votre raison-
nement, vos arguments de façon impersonnelle. La personne qui vous
Droit civil des obligations
10
consulte est une personne que vous ne connaissez pas. Ne vous adressez pas
particulièrement à elle. Évitez d’exprimer une opinion personnelle. La tra-
dition veut que l’on n’utilise pas le « je ».
N’employez pas le verbe « stipuler » à toutes les sauces. Un contrat sti-
pule telle ou telle chose mais la loi ne stipule pas : un texte prévoit, dispose,
énonce, déclare, etc.
Citez les textes en faisant attention de varier les formules : d’après l’ar-
ticle… ; selon l’article… ; il résulte de tel texte que… Pour cela, regardez
comment s’y prennent les spécialistes (référez-vous aux notes sous les grands
arrêts).
I. L’étude de cas
ou la consultation
Nature de l’épreuve
L’épreuve de cas pratique est souvent considérée par les étudiants comme la
plus facile, celle qui nécessite le moins de techniques pures. Il est vrai que
construite par les enseignants, soit à partir d’hypothèses d’école, soit à par-
tir de faits réels qui ont, un jour, donné lieu à une action en justice, la
consultation a un aspect pratique et un abord qui est assez séduisant pour
un jeune juriste. Pourtant, prenez garde : on s’aperçoit rapidement si les
étudiants sont capables de raisonner correctement et ont des connaissances
solides. La technique même n’est pas difficile. Pourtant, certains étudiants
ne parviennent pas à appliquer une méthode rigoureuse. Quelques conseils
devraient permettre d’éviter certains écueils et d’améliorer la façon de trai-
ter les cas pratiques.
La règle de base est toujours la même. Il s’agit de définir les problèmes
juridiques puis, après les avoir ordonnés, de les résoudre en énonçant les
règles de droit applicables.
En effet, le cas pratique a pour objet de résoudre une difficulté pratique
par application des règles qui vous ont été enseignées. Vous devez proposer
une solution juridique à un problème concret qui vous est posé. Il ne s’agit
pas de donner une opinion partiale, encore moins de prendre une position
sur les faits exposés, mais de motiver en droit une solution (même si elle
Méthodologie
11
vous paraît injuste : peu importe). Si un procès avait lieu, comment telle
affaire serait-elle abordée ? Quelles seraient les chances de succès d’une
action en justice ?
Il faut à ce stade bien comprendre que les développements techniques,
abstraits, sur le contenu de la règle de droit, sont le plus important. C’est à
travers votre exposé des règles que l’on vérifiera vos qualités de raisonne-
ment. Par conséquent, ne perdez pas de temps en luxe de détails sur l’appli-
cation concrète. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’exposer la petite
histoire qui vous est proposée en la délayant, mais de découvrir quels
seraient les raisonnements juridiques les plus appropriés pour résoudre une
affaire et de les exposer intelligemment.
dit est en général utile. C’est d’ailleurs pourquoi la plupart des enseignants
vous proposent de résoudre directement la consultation, sans avoir à résu-
mer les faits, car ils partent du postulat que les indications figurant dans
l’énoncé même du sujet sont toutes suffisamment importantes pour n’avoir
pas à être présentées succinctement. Lorsque vous rédigerez, il suffira alors
sommairement d’une phase pour introduire directement le sujet (ex : M. X
nous consulte à la suite d’un accident dont il a récemment été victime). Une
phrase ou deux indiquant le domaine, le secteur concerné suffira (ex : cas
relatif à la responsabilité délictuelle).
Si vous n’avez pas à résumer les faits dans votre introduction, vous serez
en revanche amené à en faire état au fur et à mesure de votre consultation.
Il faut donc les avoir parfaitement en tête pour les exploiter utilement, au
bon moment et de façon la plus judicieuse possible.
Il peut arriver qu’un enseignant souhaite cependant vérifier que vous
savez percevoir l’essentiel des faits. En d’autres termes, de nombreux élé-
ments vous sont donnés et l’on attend de vous une rapide synthèse des faits.
Il vous est donc demandé d’éliminer les faits secondaires, pour exposer suc-
cinctement et seulement les éléments essentiels. Sont des faits secondaires
les renseignements qui ont été donnés et que vous n’utiliserez pas dans le
corps du devoir, ou les détails sans grand intérêt qui sont développés plu-
sieurs fois de suite pour vous faire comprendre le contexte des événements,
leur atmosphère générale. Par hypothèse, puisque vous disposez d’un temps
limité, votre interrogateur n’aura pas multiplié ce genre de renseignements.
La présentation succincte des faits pourra être assez aisée à opérer. Cette pré-
sentation sera faite dans l’introduction. Il vous appartient alors d’être bref
et de ne mettre l’accent que sur les éléments fondamentaux qui ont condi-
tionné la demande du consultant et qui vont s’avérer très importants pour
résoudre la consultation. Dans ce cas, évitez donc de vous précipiter pour
résumer les faits. Attendez calmement d’avoir maîtrisé la problématique
juridique. Si les circonstances de fait exposées dans l’énoncé sont com-
plexes, que des détails de faible importance sont donnés, vous ferez le tri. Le
résumé que vous établirez a pour seul objet de retracer chronologiquement
les principaux événements. L’objectif est d’en donner un aperçu rapide, et
surtout pas de recopier des phrases entières de la consultation. Si vous avez
bien compris ce qui vient d’être dit, vous constaterez que même dans ce cas,
vous n’utiliserez pas tous les faits qui vous sont proposés. Là encore, vous
serez amené à exploiter certains éléments au fur et à mesure de vos dévelop-
Méthodologie
13
pements. Vous devez donc également parfaitement assimiler les faits qui
vous sont soumis pour les exploiter de manière opportune au cours de la
résolution du cas pratique.
Parfois, certains éléments de fait vous semblent manquer ; d’autres vous
paraissent curieux et vous vous demandez comment réagir. Partez du prin-
cipe qu’il ne s’agit pas d’une erreur de celui qui a rédigé le cas. Certes, cela
peut arriver ; il n’est pas illégitime de poser une question à ce sujet pendant
une surveillance d’examen, à titre tout à fait exceptionnel, lorsque vous
êtes certain que s’est glissée une erreur matérielle. Mais s’il vous manque des
informations utiles, c’est que l’on attend de vous que vous imaginiez diffé-
rentes hypothèses et que vous raisonniez ensuite sur chacune d’elles. En
aucun cas, il ne vous appartient de ne retenir qu’une seule hypothèse, au
motif qu’elle serait plus probable qu’une autre. Attention : cela ne veut pas
dire que vous avez le droit d’imaginer des faits fantaisistes. Méfiez-vous de
ne pas encourir le reproche d’inventer des faits. Vous devez vous contenter
des hypothèses de départ. Prenons un exemple. Vous êtes interrogé sur une
question relative au lien de causalité. Partant de votre hypothèse de travail
vous remontez aux sources des difficultés et pour justifiez la survenance des
événements, vous échafaudez des hypothèses. Le problème est que vous ris-
quez de remonter loin, en allant de supposition en supposition… Limitez-
vous à ce qui est dit, sans inventer.
Par conséquent, à la question fréquemment posée par des étudiants
« faut-il ou non résumer les faits ? », nous répondrons avec nuances. Géné-
ralement, l’enseignant qui vous pose le cas pratique n’attend rien à ce
niveau, si ce n’est une phrase introductive. Vous utiliserez alors les faits
exposés au fur et à mesure de la consultation. Plus rarement, il est souhaité
par l’enseignant une synthèse des faits : une quantité de détails est donnée ;
vous devez faire le tri dans les faits pour retenir ceux qui sont les plus inté-
ressants et faire une synthèse des autres. En conséquence, certains faits
seront nécessairement passés sous silence. Lorsque vous traiterez votre
consultation, vous devrez penser à faire état de ces éléments que vous aviez
volontairement négligés ; vous rappellerez les autres au cours de la résolu-
tion du cas pratique.
Droit civil des obligations
14
2. Comment identifier
les problèmes juridiques ?
Seules vos connaissances vous permettront de savoir que lorsque telle ou
telle catégorie de faits survient, alors tel problème juridique se pose. Pour
trouver les bons problèmes, il faut avoir de bons réflexes. C’est pourquoi le
travail préalable de lecture d’arrêts et d’élaboration de fiches d’arrêts est un
outil de préparation irremplaçable.
La plupart des interrogateurs veillent à poser des questions très vagues
(quels sont les droits de X ? que peut faire M. Untel ?). Il est assez exception-
nel, surtout en droit des obligations, que l’on précise directement les pro-
blèmes par une suite d’interrogations. Si cela vous arrivait, il faudrait bien
sûr répondre dans l’ordre aux questions posées mais en appliquant, pour
chaque catégorie de problèmes, les méthodes qui vont suivre.
Si la formulation est vague, vous allez devoir formuler vous-même les
problèmes posés en termes généraux, puis délimiter ensuite de façon précise
ces problèmes.
Faites la liste des problèmes juridiques qui vous viennent spontanément
à l’esprit. Si vous maîtrisez bien votre cours, cette intuition doit a priori être
exacte. Il faudra ensuite approfondir et vérifier votre intuition. N’oubliez pas
en cours d’élaboration de votre cas pratique de jeter un coup d’œil sur la liste
provisoire de problèmes que vous avez élaborée. Il est toujours regrettable
d’avoir pensé à un problème, puis de l’avoir oublié… Tous les textes, toute
la jurisprudence que vous évoquent les événements relatés doivent être
notés, même sommairement. Puis, prenez un long temps de réflexion.
Méfiez-vous un peu de vos idées de départ : elles peuvent être incomplètes.
Passez intérieurement en revue toutes les voies qui ont pu servir à traiter le
problème : vos connaissances, si elles sont approfondies, doivent vous per-
mettre de recenser les règles applicables à la résolution du cas.
Vous passerez ensuite à la phase la plus délicate, celle de la formulation
juridique.
Lorsque la formulation des questions est vague, il vous appartient de
découvrir toutes les pistes intéressantes. Lorsque la question est formulée en
termes juridiques précis (ex : M. X. peut-il demander l’annulation du contrat
pour cause d’erreur ?), on vous facilite la tâche en vous mettant sur la voie,
de façon à vous éviter de sortir du sujet. Cela dit, il n’est pas hors sujet de
Méthodologie
15
B. Comment exposer
le raisonnement et les solutions ?
(la résolution
des problèmes posés)
1. La délimitation des problèmes
et leur formulation juridique
Il s’agit ici de traduire en termes juridiques, techniques, les problèmes posés.
On vous a, par exemple, raconté l’histoire d’une personne qui a acheté
une voiture dont le compteur a été « trafiqué » et qui veut la rendre à son
revendeur ou obtenir de l’argent. En termes juridiques, le problème posé
est celui de la nullité du contrat et plus accessoirement celui de la respon-
sabilité d’un vendeur. Il ne s’agit pas d’un problème de résolution du contrat
ou d’exécution forcée.
Il va falloir trier les problèmes, ne retenir que les plus importants.
Quels sont les problèmes à écarter ? Comment procéder à l’élimination ?
Vous constatez dès le départ qu’il ne saurait s’agir d’un problème de résolu-
tion du contrat. En effet, dans votre cours, vous avez appris la différence entre
la nullité d’un contrat et la résolution. La nullité sanctionne l’absence d’une
condition de formation du contrat ; la résolution est la sanction de l’inexécution
d’un contrat valable. Voilà exactement le type même du problème que vous pou-
vez éliminer : expliquez que l’acheteur ne peut pas demander la résolution du
contrat ; justifiez cette remarque préliminaire en rappelant précisément la défini-
tion de l’annulation et celle de la résolution. Le contrat a été exécuté ; le deman-
deur ne prétend pas être victime d’une inexécution. Tout se joue au niveau de la
formation du contrat, seule en cause.
Droit civil des obligations
16
Lorsque vous éliminez une piste, cela ne veut pas dire que vous passerez
totalement sous silence cet aspect des choses. Il est plus intéressant d’élimi-
ner ce type de problème par une justification théorique attestant de la
finesse de vos connaissances. Encore faut-il que votre remarque soit judi-
cieuse. Par exemple, il serait sans intérêt d’écrire : nous ne traiterons pas des pro-
blèmes d’incapacité car rien dans le cas pratique ne nous permet de supposer que
l’une des deux parties était incapable. Ce type de problème doit être écarté
d’office sans même une allusion dans la copie (cela d’autant plus que le
droit des incapacités ne fait pas partie de votre programme).
Comment savoir s’il faut retenir telle règle ou non ? L’idée qui doit vous
animer est d’éliminer d’office ce qui est hors programme ; de retenir les pis-
tes qui sont peu susceptibles de donner satisfaction au consultant, mais en
donnant alors une explication succincte des raisons juridiques qui en justi-
fient l’échec ; de retenir et d’approfondir ce qui risque d’aboutir à un résul-
tat mais pour lequel il y a une difficulté en se concentrant sur cette
difficulté ; d’approfondir entièrement tout ce qui est susceptible effective-
ment de permettre à votre consultant de gagner un éventuel procès.
Une fois que vous avez fermé certaines pistes, reste à savoir ce qu’il faut
faire de celles qui mènent à la résolution des problèmes posés.
céderez comme nous l’avons indiqué plus haut, mais en le précisant (ex. :
« faute d’indication, nous supposerons que les deux parties au contrat étaient
bien présentes sur les lieux au moment de la conclusion du contrat » ou bien à
défaut de précision : « nous partirons de l’hypothèse, fort probable, que le prix
de vente a été versé », etc.).
Si le problème n’est effectivement pas intéressant, vous devez l’écarter,
en mettant en avant les raisons fondamentales pour lesquelles vous ne pour-
suivez pas d’avantage l’analyse. Par exemple, vous pouvez écrire, s’agissant
d’un problème de nullité du contrat : l’objet du contrat ne posant visiblement
aucun problème particulier, nous écartons la nullité pour absence d’objet. Dans
le cas cité, vous pouvez à la limite le faire car l’objet pose un problème sous
un angle particulier, celui de sa valeur. Soulignez en revanche que la valeur
de l’objet est, elle, problématique puisqu’en raison du trafic de compteur, la
voiture a été vendue au-delà de sa valeur réelle. En revanche, nous consta-
tons que le bien a été vendu au-delà de sa valeur réelle. Nous examinerons donc
la question de la valeur de l’objet, ce qui juridiquement pose deux problèmes dif-
férents : l’absence partielle de cause ; la lésion…
Assez souvent, nous constatons dans les copies que les étudiants perdent
du temps à passer en revue un certain nombre de problèmes pour les élimi-
ner, mais en se fondant sur de considérations très générales, souvent de fait.
Retenez donc cette règle : ce n’est pas la peine de passer en revue une
dizaine de pistes pour en définitive ne pas les traiter. Ce travail doit être fait,
c’est vrai, mais au stade de la préparation du devoir. Vous pouvez dans le
devoir même écarter un problème ou deux, en soulignant l’absence de dif-
ficulté spécifique, pour mieux centrer votre devoir sur ce qui vous paraît
vraiment problématique. En aucun cas vous ne devez dresser une longue
liste des pistes que vous avez décidé de ne pas explorer.
2. La résolution individuelle
de chaque problème
Nous venons de voir qu’il faut traiter problème par problème, en quelque
sorte résoudre l’un après l’autre les « mini-cas pratiques », en donnant des
justifications au fur et à mesure.
Vous allez explorer chaque piste, l’une après l’autre.
Comment traiter un problème juridique ? Vous avez formulé la question
(ex : la nullité de contrat pour erreur sur les qualités substantielles). À ce pro-
blème de droit, la règle juridique est, d’une part, la loi, d’autre part, la juris-
prudence. Cette règle pose des conditions d’application qui sont réunies ou
non en l’espèce.
Si votre consultation est orientée en faveur d’une personne précise, vous
songerez bien sûr aux arguments qui pourraient être invoqués par son adver-
saire. Par exemple, dans une question sur la responsabilité, si vous concluez
que les conditions de la responsabilité sont remplies, il faut étudier la riposte
de l’adversaire et envisager les moyens d’exonération qu’il pourrait invo-
quer.
Méthodologie
19
Pour chaque règle, on trouve des conditions que vous devez exposer
avec méthode. Vous aboutissez alors à la présentation d’une solution en
droit. Vous devez vérifier ensuite que cette solution juridique est effective-
ment applicable aux faits.
a. La solution juridique
La solution juridique s’infère du droit écrit (les textes de loi, au sens large)
et du droit appliqué (la jurisprudence), beaucoup plus rarement de la doc-
trine. C’est pourquoi vous devez explorer chaque mécanisme intéressant
en énonçant pour chacun d’eux le texte qui permettrait de résoudre le pro-
blème posé. Ensuite, vous exposerez la jurisprudence nécessaire qui justifie
en l’espèce la solution. Enfin, vous ferez état de la doctrine dans la mesure
où elle vous permet d’affiner la solution jurisprudentielle.
Le texte
Vous devez toujours rechercher si un texte donne une solution au pro-
blème posé et le citer.
Les étudiants se demandent parfois s’il faut recopier le contenu du texte.
La réponse est à nuancer. Parfois, le texte est clair et précis et vous permet
immédiatement de régler le problème en cause. Dans ce cas, vous pouvez
soit en donner la substance, soit le recopier. Assez souvent, le texte est trop
général pour être recopié dans son intégralité. Pour régler le problème, c’est
la jurisprudence qui est éclairante : elle précise le contenu de la règle géné-
rale et découvre une interprétation conforme à la loi qui apporte directe-
ment la solution. Ceci est particulièrement vrai pour la responsabilité civile.
Vous ne recopierez donc pas le texte. Il n’en reste pas moins que le numéro
de l’article de loi — et éventuellement celui de son alinéa — sur lequel
vous fondez votre raisonnement doit toujours être indiqué. Si l’exposé de
cette jurisprudence est plus important que le contenu du texte, on attend
avant toute chose que vous expliquiez ce que vous savez de cette jurispru-
dence. Le renvoi au texte doit donc être rapide. Mais il est une étape fon-
damentale. Ex : l’article 1110 prévoit la nullité du contrat pour cause d’erreur.
La jurisprudence a précisé les conditions requises pour cette annulation.
La jurisprudence
Ensuite, vous exploiterez le contenu du texte à travers l’exposé de la
jurisprudence. Ex : la première condition requise est qu’il y ait une erreur sur une
qualité substantielle. En effet, alors que le texte vise l’erreur sur la substance, la
Droit civil des obligations
20
jurisprudence a élargi cette notion. Vous exposez ici ce que vous savez de cette
première condition.
Mais vous devez le faire sans oublier qu’ensuite vous appliquerez le texte
dans le cas d’espèce. Il ne s’agit pas de faire un exposé théorique, mais bien
de traiter un cas pratique. Bien sûr, l’exposé de la règle de droit dépend du
niveau de vos connaissances. Suivant les enseignants, l’exposé qui vous a
été fait de telle ou telle règle est plus ou moins complet. Ainsi, pour en
revenir à notre exemple, tous les étudiants de deuxième année ont néces-
sairement appris que la jurisprudence ne se contente pas de retenir une
définition objective de la substance, mais annule aussi le contrat en cas
d’erreur sur une qualité jugée déterminante pour la partie contractante
(conception subjective de l’erreur). Ensuite, ce qui vous a été enseigné
varie, non pas au niveau de son contenu (les règles de droit sont bien sûr
toutes les mêmes !), mais au niveau des détails donnés. Il est donc impor-
tant pour vous d’avoir pris des notes complètes dans l’année pendant les
cours, car elles seules peuvent vous faire découvrir l’importance attachée
aux divers aspects de la règle de droit par votre enseignant, et par consé-
quent ce qu’il attend de vous.
Citez la jurisprudence selon la méthode qui vous a été indiquée dans les
conseils d’ordre général.
Par le biais d’un cas pratique, on cherche souvent à tester votre capacité
à faire des rapprochements avec des affaires qui ont donné lieu à un arrêt
de la Cour de cassation. Il faut d’abord indiquer la date de l’arrêt, soit pré-
cisément, soit généralement. Grâce aux Codes civils et à leur présentation
succincte de la jurisprudence, vous pouvez le plus souvent retrouver les
dates. À défaut de connaissance précise, il peut être judicieux de donner au
minimum quelques indications (ex : un arrêt récent…, selon une jurispru-
dence ancienne…).
L’attendu de principe, comme celui qui est indiqué dans les notes juris-
prudentielles dans votre code n’est généralement pas suffisant. Il faut rap-
peler comment le problème fut traité dans l’affaire, et vérifier que le
problème qui fut réglé par la jurisprudence (et qui, par hypothèse, est en lien
avec celui que vous traitez) est absolument identique au cas qui vous est sou-
mis.
Il n’est pas toujours facile de vérifier que l’on peut transposer une règle
jurisprudentielle. Votre examinateur prend souvent plaisir à modifier un
Méthodologie
21
événement n’est pas signalé, c’est qu’il n’a pas eu lieu. Si effectivement le
renseignement est manquant alors émettez des hypothèses et traitez-les suc-
cessivement.
S’il y a un doute sur la transposition de la règle de droit, poursuivez le
raisonnement, ou expliquez clairement qu’il y a un doute.
Le choix de la règle applicable — texte seul, texte et jurisprudence,
jurisprudence seule — et son application au fait vous conduira parfois à
une interrogation : si l’on donne tel sens à tel texte, ou à tel arrêt, la solu-
tion au cas d’espèce est telle solution ; si l’on donne un sens différent, on
arrive à telle autre solution. Vous ne devez pas alors trancher entre les deux
conceptions de la règle de droit, en ce sens qu’il ne vous appartient pas de
dire quelle est la bonne interprétation. En revanche, vous n’hésiterez pas à
signaler que telle interprétation est plus favorable à votre consultant que
telle autre : la règle de droit considérée sous tel angle permet d’atteindre tel
résultat intéressant dans l’affaire. Dites-le. Mais n’éliminez pas pour autant
l’autre, au seul prétexte qu’elle ne l’est pas ! Vous signalerez qu’il existe un
doute. Faire un cas pratique consiste précisément à répertorier les règles
juridiques susceptibles, de façon certaine ou douteuse, de parvenir à un
résultat souhaité.
L’idée générale est qu’une discussion doit être approfondie si vous
constatez que selon l’interprétation adoptée, les conditions d’application de
la règle aboutiraient, dans l’espèce, à des solutions différentes.
Vous pouvez rencontrer une hésitation soit au niveau même de l’inter-
prétation de la règle de droit (ex : l’interprétation de tel arrêt reste controver-
sée), soit au niveau des faits.
Lorsque vous appliquez la règle de droit à la situation de fait, il y a par-
fois un doute. Par exemple, vous ignorez si les manœuvres du contractant
ont été ou non suffisantes pour déterminer le consentement. N’entrez pas
alors dans le débat, dès lors que vous auriez à faire une appréciation subjec-
tive des choses. Il arrive qu’un étudiant fasse état de ses sentiments person-
nels. Il a tort. La seule possibilité est de se référer à la jurisprudence qui,
éventuellement, dans des affaires analogues, a considéré quel tel événe-
ment, tel fait, entre bien dans telle hypothèse visée par les textes. Ne per-
dez pas de temps à tenter de justifier tel ou tel choix. Soit vous doutez
vraiment, et vous traitez les deux cas de figure, soit vous estimez plus vrai-
semblable que tel fait aboutisse à telle qualification. Vous donnez votre
Méthodologie
23
position en émettant une petite réserve (ex : il est fort probable que les juges
déclarent cet élément déterminant. Notons cependant que, dans l’hypothèse
inverse, la nullité ne pourrait être obtenue).
En résumé, les étapes à respecter sont les suivantes :
– examen des circonstances de l’espèce de façon approfondie et décou-
verte des éléments essentiels relatifs aux faits ;
– formulation des problèmes juridiques qui seront successivement exa-
minés. Recherches des pistes envisageables pour résoudre chaque problème :
autrement dit, vous procédez à la qualification des mécanismes juridiques
utiles à la résolution du cas pratique ;
– vous passez alors au premier problème dégagé, piste par piste. Vous
expliquez les règles applicables en exposant la règle de droit telle qu’elle est
énoncée dans les textes, puis telle qu’elle est appliquée par la jurisprudence
(éventuellement vous faites une rapide allusion à la doctrine). Pour l’appli-
cation de ces règles, vous devez toujours veiller à faire un exposé méthodi-
que de la jurisprudence lorsque vous passez en revue les conditions
d’application ;
– application de la règle proposée au cas d’espèce. On recherche ce à
quoi conduira la règle juridique dans l’espèce précise. S’il le faut, on pour-
suit le raisonnement à partir d’hypothèses différentes : l’analyse des cir-
constances de fait rendant hypothétique l’application de la règle, on
constate que deux, voire plusieurs hypothèses peuvent être déduites. D’au-
tres règles peuvent être envisagées. Pensez aux arguments que pourrait invo-
quer l’adversaire.
C. Comment rédiger ?
(conseils spécifiques
de rédaction)
Reportez-vous aux conseils d’ordre général annoncés. Nous signalons sim-
plement quelques points spécifiques à la consultation.
Dans votre introduction, vous devez situer globalement le domaine
concerné par le cas pratique, puis, conformément à ce qui a été dit, vous
introduisez les faits.
D’abord, vous replacez le sujet dans un contexte plus général, par une
phrase d’attaque : M. X nous consulte au sujet d’un contrat de vente qu’il vient
de conclure et qu’il veut mettre en cause. Ou bien : Les problèmes soulevés dans
cette consultation ont trait à l’annulation d’un contrat… Ou bien : Nous som-
mes amenés, dans cette affaire qui nous est soumise, à traiter de questions rela-
tives au droit des contrats…, etc. Une seule phrase d’annonce suffit.
Puis vous faites éventuellement un résumé des faits. Vous mettez en
ordre la succession des événements et présentez l’essentiel des faits. Rappe-
lons que, le plus souvent, vous vous abstiendrez de présenter les faits. Vous
devez alors expliquer que vous faites un renvoi à l’intitulé du sujet (ex : les
éléments de fait qui nous ont été exposés sont suffisamment détaillés pour que nous
puissions nous contenter de nous y référer au fur et à mesure…).
Vous pouvez aussi vous contenter d’une présentation sommaire (ex : au
vu des éléments exposés, il résulte que M. X a conclu un contrat de vente d’achat
d’un véhicule après avoir été trompé par son vendeur sur certains points).
Méthodologie
25
D. Exemple de résolution
d’un cas pratique
Remarques préliminaires
Les développements qui vont suivre sont destinés à illustrer de manière
concrète la méthode de résolution d’un cas pratique avec les différentes
étapes qui la compose. En italiques figurent les développements qui doivent
apparaître sur votre copie. Les développements qui ne sont pas en italiques
constituent le rappel des différentes règles et conseils méthodologiques qui
vous ont été présentés dans les développements précédents. Vous observe-
rez comment s’organise la progression de votre raisonnement et, notam-
ment, la façon dont, petit à petit, les pistes de réflexion envisageables
peuvent être amenées.
L’énoncé de l’exercice
Venant d’hériter il y a trois mois d’une petite propriété dans la Manche et
désireux de la restaurer pour en faire un gîte, M. Fauguerne a décidé de se
Droit civil des obligations
26
contrat peut être obtenu par l’annulation de ce dernier, ou par sa résolution. L’an-
nulation d’un contrat consiste en la sanction du non-respect des conditions de for-
mation du contrat. La résolution consiste, quant à elle, en la sanction de
l’inexécution des obligations nées du contrat.
La recherche et l’annonce
des pistes exploitables
pour obtenir l’annulation du contrat
En vertu de l’article 1108 du Code civil, quatre conditions de formation du
contrat doivent être respectées pour que celui-ci soit valable : le consentement de
la partie qui s’oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la
matière de l’engagement, une cause licite dans l’obligation (citation du texte
juridique applicable et de son contenu).
Au regard des faits qui nous sont soumis, les conditions relatives à la capacité
des cocontractants et à l’objet du contrat des obligations ne semblent pas faire
défaut. En ce qui concerne la cause, il est également difficilement envisageable
d’admettre son inexistence. La cause dans les contrats synallagmatiques se défi-
nit comme la contrepartie escomptée. Or, ici, en contrepartie de la vente des
estampes, M. Fauguerne a obtenu 30 euros. Pour conduire à l’annulation, il
faudrait que soit prise en compte l’absence partielle de cause. Or la jurisprudence
ne l’admet pas (des développements plus importants seront naturellement
faits si ce point a été développé en cours ou en travaux dirigés). Aussi
exclurons-nous ces différentes pistes pour nous intéresser au seul consentement
donné par M. Fauguerne à la vente conclue. L’on doit préciser auparavant qu’au-
cune rescision pour lésion ne pourrait être obtenue en l’espèce puisque le bien
Droit civil des obligations
28
L’erreur en matière de dol est admise beaucoup plus largement qu’en matière
d’erreur vice du consentement. Ainsi, une simple erreur sur la valeur de la chose
suffit pour que cette condition soit remplie. En l’espèce, une telle erreur existe bien
puisque les estampes valent cent fois le prix pour lequel elles ont été vendues, et
se double d’ailleurs d’une erreur sur leur qualité substantielle, à savoir leur authen-
ticité. Cette condition est donc remplie (examen de la première condition avec
application en l’espèce).
Toutefois, cette erreur a-t-elle été provoquée par des manœuvres frauduleu-
ses émanant du cocontractant de M. Fauguerne ? (examen de la deuxième
condition requise par la règle).
En matière de dol, les manœuvres provoquant l’erreur peuvent être positives
(mise en scène, déguisement, etc.), mais peuvent également consister en un men-
songe, voire en un silence (on parle alors de réticence dolosive).
En l’espèce, ce que l’on pourrait reprocher à l’acheteur c’est d’avoir tu le fait
que Babouc était un peintre célèbre et que ses estampes valaient beaucoup plus,
dans la mesure où il semble pouvoir être fortement présumé que l’acheteur, étant
un collectionneur averti des œuvres de cette artiste, connaissait cette réalité au jour
de la vente. Se pose donc la question de savoir si le silence gardé par l’acheteur sur
ces éléments pourrait constituer une réticence dolosive.
La réponse à cette question nous est fournie par la jurisprudence et plus par-
ticulièrement un arrêt de la première chambre civile du 3 mai 2000 portant sur
une affaire similaire. Dans celle-ci un vendeur avait demandé l’annulation pour
dol d’une vente de 85 photographies de Baldus pour un prix unitaire de
1 000 francs, après avoir appris la grande notoriété dont jouissait en réalité ce pho-
tographe et les répercussions qui en découlaient sur la valeur réelle des clichés
(environ vingt fois supérieure !). Dans cette affaire, il résultait des circonstances
de la cause que l’acheteur, bien que taisant à son vendeur la notoriété de Baldus,
savait pertinemment qu’il contractait pour un prix dérisoire. Aussi, la cour d’ap-
pel n’avait-elle pas hésité à annuler le contrat pour réticence dolosive. Un pour-
voi fut formé contre cette décision. Le problème de droit posé à la Cour de
cassation était identique à celui que pose notre affaire : l’acheteur qui n’informe
pas le vendeur de la valeur réelle de la chose objet du contrat commet-il un dol par
réticence susceptible d’entraîner l’annulation du contrat ? À cette question la
Cour de cassation répondit par la négative, cassant ainsi l’arrêt de la cour d’ap-
pel pour violation de l’article 1116 du Code civil, au motif qu’aucune obligation
d’information ne pesait sur l’acheteur (exemple type de la citation d’une solu-
tion jurisprudentielle nécessaire à la résolution de la piste envisagée. Remar-
Droit civil des obligations
32
Récapitulatif général
Au final donc, seule l’invocation d’une erreur sur la qualité substantielle des
estampes, tenant à la notoriété de leur auteur, pourrait permettre à M. Fau-
guerne d’obtenir l’annulation du contrat et leur restitution par voie de consé-
quence.
A. Comment se préparer
au commentaire avant l’examen ?
Vous devez apprendre à lire un arrêt. Pour cela, vous veillerez à maîtriser
rapidement le vocabulaire et à comprendre comment est structuré un arrêt.
Accessoirement, vous vous aiderez de lectures.
1. La maîtrise du vocabulaire
et de la structure des arrêts
a. Le vocabulaire technique
Vous serez amené à lire et à comprendre un texte, le plus souvent relative-
ment court, dans lequel figurent des mots et des expressions techniques.
Du fait de l’effort de simplification de la langue juridique, les arrêts récents
sont plus accessibles que les décisions anciennes. Il n’en reste pas moins que
la clarification opérée reste limitée pour un étudiant de deuxième année. Il
vous faudra vous-même utiliser certains termes techniques et ce à bon
Droit civil des obligations
34
escient. Vous devez être rigoureux dans l’utilisation des termes juridiques
que vous employez. On attend de tout étudiant de deuxième année qu’il
connaisse exactement le sens des mots qu’il utilise.
Il y a bien sûr des termes dont le sens ne vous échappe plus (Cour de cas-
sation, chambre, cour d’appel, assemblée plénière, chambre mixte, rejet,
grief, attendu, branche, moyen…). Mais il y en a d’autres auxquels vous
n’avez peut-être pas fait attention.
Lisez la liste qui suit. Soyez particulièrement attentifs. Lorsque le sujet
vous sera donné, vous aurez à faire face à une difficulté d’analyse de la déci-
sion rendue. Nous vous proposons donc, en tout premier lieu, de vérifier,
bien avant votre examen, que vous connaissez parfaitement le sens de cer-
tains termes. Si ce n’est pas le cas, où si vous avez des hésitations, même
après avoir lu les explications qui suivront, vous devrez éclaircir ce point
grâce à des manuels ou en ayant un échange avec votre chargé de travaux
dirigés. Partez de l’idée que vous devrez passer votre examen en maniant
avec aisance les termes qui suivent.
– Arrêt confirmatif : Se dit d’un arrêt de cour d’appel lorsque la Cour
approuve la décision des juges du premier degré. Dans le cas inverse, l’arrêt
est dit arrêt infirmatif.
– Cassation totale : La Cour de cassation annule entièrement l’arrêt de
la cour d’appel. La Cour de cassation peut aussi approuver cette décision sur
certains points, et décider de l’annuler sur d’autres : il y a alors cassation
partielle.
– Cas d’ouverture : Vous savez que pour faire un pourvoi, il faut se
trouver dans un cas d’ouverture. Cela implique que lorsque la Cour de cas-
sation casse un arrêt, elle peut le faire pour différentes raisons — que vous
devez toujours rechercher — et que l’auteur du pourvoi reproche toujours
certaines choses à la cour d’appel. Connaissez-vous les principaux cas d’ou-
verture à cassation ?
La Cour de cassation peut considérer que les textes — ou les principes
généraux du droit — ont été mal appliqués, mal interprétés ou mal choisis
par la cour d’appel. Il y a violation de la loi. La portée de l’arrêt est alors
considérable. Plus subtilement, il peut être reproché à la cour d’appel d’avoir
appliqué le bon texte, de l’avoir bien interprété, mais cela en prenant appui
sur des faits insuffisants : on parle alors de manque de base légale. Pour
apprécier la portée de l’arrêt, il faut donc faire état du texte qui a été choisi
Méthodologie
35
situe dans le cadre d’un examen, ne doit bien sûr pas être confondu avec les
notes d’arrêt que vous pouvez trouver dans les recueils de jurisprudence.
Ces notes, également appelées observations, sont élaborées par des profes-
sionnels, des spécialistes et sont destinées à d’autres spécialistes de la ques-
tion à propos de laquelle a été rendue la décision de justice. L’auteur d’une
note fait état de réflexions qui lui sont inspirées par tel ou tel aspect de la
solution qui a été donnée dans l’affaire. Ces réflexions sont, bien sûr, en par-
tie « techniques » en ce sens que l’arrêtiste « décortique » l’arrêt pour en
faire ressortir tel ou tel aspect. Mais elles sont aussi personnelles : l’arrêt est
souvent l’occasion pour l’annotateur d’exposer ses propres idées sur la façon
dont l’affaire aurait pu être traitée.
Lorsque vous lisez des notes, vous devez donc partir des idées suivantes :
d’une part, l’annotateur n’est pas, comme vous, limité par l’obligation d’ana-
lyser tous les éléments de la décision rendue. Dans certains cas, des ques-
tions, jugées sans intérêt par un arrêtiste, le sont pour un étudiant de
deuxième année. On attendrait de vous que vous en fassiez le commen-
taire. D’autre part et surtout, l’annotateur, dans le commentaire qu’il effec-
tue, a un niveau juridique qui est loin d’être le vôtre et pousse son analyse
au maximum. Cela n’est donc pas le même type de travail qui vous est
demandé.
Les notes sont une aide en ce sens qu’elles vous forment au raisonne-
ment juridique. Elles participent à l’accroissement de vos connaissances
acquises grâce aux cours et travaux dirigés. Prenez-les comme un outil de
travail ; ne cherchez pas à faire la même chose, ce serait hors de votre por-
tée…
Droit civil des obligations
40
B. Comment appréhender
le sujet et le traiter ?
1. Lecture et recensement
des éléments importants
contenus dans l’arrêt
La phase de préparation se fait sur brouillon. Votre perspective doit être de
ne rien négliger en recensant toutes les informations contenues dans le
texte même de l’arrêt.
Le temps qui vous est imparti pour rédiger votre devoir est bref (géné-
ralement 3 heures). Vous devez donc apprendre à bien le gérer. Il est hors
de question de faire un brouillon avec des phrases. Il va falloir lire la déci-
sion de façon détaillée ; construire le commentaire. Vous rédigerez, correc-
tement et directement sur votre copie d’examen, votre commentaire.
Une proposition pour une épreuve de trois heures : lecture = 15-20 minu-
tes ; construction du commentaire = 1 heure ; rédaction = 1 h 30 ; relecture
= 10 minutes. Ne sacrifiez jamais la phase de relecture. Vous devez vous fixer
comme impératif de faire un devoir sans fautes d’orthographe.
La lecture approfondie est évidemment le travail de base. Plusieurs lec-
tures sont bien sûr indispensables. S’il y a quelque chose que vous ne com-
prenez pas au départ, n’occultez pas ce problème, au contraire. C’est
probablement là que se situe un des points sur lequel un commentaire est
attendu.
Vous serez toujours attentif à la date de la décision : c’est un élément
déterminant pour apprécier correctement sa portée exacte. Vous regarderez
aussi la chambre de la Cour de cassation ou la formation particulière dont
émane la décision. En principe les arrêts de droit des obligations émanent
des chambres civiles. Si vous avez un arrêt de la chambre sociale ou de la
chambre commerciale, il y a là une particularité à signaler.
Vous serez bien sûr alerté par le fait d’avoir à commenter un arrêt de l’as-
semblée plénière. Vous savez qu’il s’agit d’un arrêt dont la portée est consi-
dérable. À vous d’exposer cette portée.
Au niveau de l’analyse de la décision, vous serez particulièrement vigi-
lant, sur votre brouillon, à dégager d’abord le ou les problèmes de droit qui
Méthodologie
41
se posent, puis, par rapport aux problèmes de droit, les deux thèses opposées.
Si vous avez un arrêt de rejet, vous aurez d’un côté la position de la cour
d’appel, de l’autre celle de l’auteur du pourvoi, que la Cour de cassation
n’approuve pas. La Cour de cassation justifie le rejet du pourvoi et explique
pourquoi l’arrêt de la cour d’appel mérite d’être retenu. Repérez clairement
le cas d’ouverture à cassation qui était soulevé et que la Cour de cassation
refuse de retenir. Pour chaque moyen, ce cas peut être spécifique. Si la Cour
de cassation se retranche derrière le pouvoir souverain des juges du fond,
c’est qu’elle refuse de considérer qu’il s’agit d’un problème de droit. Il s’agit
d’un élément de fait, qui échappe à son contrôle.
Si vous avez un arrêt de cassation, la décision oppose deux argumenta-
tions, celle développée par la cour d’appel et celle de la Cour de cassation
qui l’emporte et justifie l’annulation de l’arrêt déféré. Les arguments de l’au-
teur du pourvoi n’apparaissent pas car ils ont convaincu la Cour de cassa-
tion de censurer la cour d’appel. Repérez pourquoi la Cour de cassation
casse l’arrêt (violation de la loi ? manque de base légale ? défaut de réponse
à conclusion ?).
Sur votre brouillon, faites figurer les argumentations côte à côte : à cha-
que aspect de la décision de la cour d’appel, y a-t-il un argument en sens
opposé ? Méfiez-vous bien sûr lorsque la décision de la cour d’appel vous est
relatée à travers le pourvoi qui a peut-être déformé la décision de la cour
d’appel. Quant aux arguments de l’auteur du pourvoi, ils sont plus ou moins
valables. N’oubliez pas que pour « gagner » son procès, l’auteur du pourvoi
met en avant des arguments qui peuvent être de valeurs très inégales ! S’il
s’agit d’un arrêt de cassation, les thèses en présence sont celles de la Cour
de cassation et de la cour d’appel. À vous de bien rechercher systématique-
ment si, face à chaque motif de la cour d’appel correspond un motif de la
Cour de cassation. Alors même qu’il y a cassation totale, il peut arriver que
la Cour de cassation ne s’intéresse qu’à un seul aspect de la décision de la
cour d’appel.
Il vous appartient de comprendre l’arrêt de façon à dégager les argu-
mentations qui s’opposent et se répondent. Que l’arrêt soit de rejet ou de
cassation, le classement des informations contenues doit faire apparaître :
– les arguments qui se « répondent » : la cour d’appel dit ceci ; la Cour
de cassation répond à cette argumentation. En d’autres termes, la cour d’ap-
pel a dit blanc ; la Cour de cassation répond qu’elle n’est pas d’accord pour
le blanc : il fallait dire noir ;
Droit civil des obligations
42
2. Compréhension de l’arrêt
et de son intérêt (recherche du sens,
de la valeur et de portée)
Pour faire un bon commentaire, il faut avoir quelque chose d’intéressant à
dire. Il va donc falloir chercher les éléments qui vous fournissent la matière
de votre commentaire. À travers les faits, les prétentions, et les arguments,
vous allez retrouver la qualification juridique du contentieux et son intérêt.
Votre réflexion ira dans trois directions : vous donnerez le sens de la déci-
sion, vous l’expliquerez par rapport à la règle de droit visée, puis vous essaye-
rez de réfléchir aux conséquences de la décision qui vous est soumise. À
partir de là vous construirez le plan de votre commentaire.
Il est classique d’expliquer aux étudiants que trois aspects de la décision
peuvent contribuer à les aider dans leur démarche : le sens, la valeur et la
portée de l’arrêt doivent être dégagés. Cette division est commode. Elle est
un peu arbitraire. Ne vous inquiétez pas si vous ne parvenez pas toujours à
séparer les trois étapes. Prenez les explications qui suivent comme un outil
Méthodologie
43
a. Sens de la décision
Dégager le sens d’un arrêt est le travail essentiel. Votre examinateur doit
s’assurer que vous avez parfaitement compris la solution qui a été donnée à
la question de droit qui était posée au départ.
Donner le sens d’une décision, c’est, de façon simple, pouvoir dire : X…
a dit ceci, a prétendu cela. Y… a répondu ceci, a prétendu cela. La cour
d’appel a estimé telle chose, la Cour de cassation, telle autre.
A priori, c’est un exercice qui devrait être évident. Il est pourtant diffi-
cile pour un jeune étudiant de bien comprendre une décision. Le style judi-
ciaire et la structure grammaticale d’une décision obéissent à des règles
traditionnelles spécifiques. En d’autres termes, la méthode qui est utilisée
par les techniciens que sont les magistrats doit être connue par les étudiants
de façon suffisamment sûre pour que le sens même de la décision puisse
être donné. On attend de vous que vous expliquiez les faits comme le rai-
sonnement juridique.
Il est possible que le problème soumis soit parfaitement formulé en ter-
mes juridiques. Mais l’inverse se rencontre souvent. Il va falloir reconstituer
tous les raisonnements qui ont été menés, montrer s’il existe des points qui
restent obscurs.
Expliquer la décision, c’est bien sûr expliquer ce qui est arrivé, d’où est
né le conflit. Mais ceci est finalement assez anecdotique et bien sûr, vous
n’aurez pas à vous attarder sur cet aspect des choses. C’est surtout expliquer
le raisonnement qui a été suivi : les faits exposés ont été qualifiés. Comment
l’ont-ils été ? Quelles sont les règles juridiques auxquelles on a fait appel ?
Quelle règle a donné lieu à une difficulté d’interprétation ? Quel sens a été
retenu ?
Il va falloir trouver un équilibre, éviter la paraphrase, sans verser dans
l’exposé théorique. Ce sont les deux écueils extrêmes.
Les étudiants ont tendance à considérer que ce qui est écrit par la Cour
de cassation est forcément bien et que tout ce qui est dit épuise le sujet. Le
commentaire se réduit alors à de la paraphrase : on reprend les formules de
l’arrêt en changeant la place d’une virgule ou d’un mot. On ne fait que
Droit civil des obligations
44
b. Valeur de la décision
Une fois que vous avez bien compris la décision, vous allez devoir retrou-
ver le texte et l’interprétation qui en a été donnée, puis porter une appré-
ciation.
Recherchez le texte en cause. Que savez-vous à ce sujet ? Qu’apporte la
décision ?
Une appréciation doit être donnée. Dans le cadre d’un examen, c’est
une appréciation juridique qui est attendue. Le juge a appliqué telle règle.
Il a proposé telle interprétation ; il a comblé telle ou telle lacune.
Que savez-vous de cette règle ? Son application dans l’affaire est-elle
correcte ? Vous avez appris certaines choses au sujet de la règle. Que penser
de ce qui a été décidé par rapport à ce que l’on vous a enseigné ?
Vous devez être à même de dire si l’interprétation des lois est admissi-
ble au regard de ce que vous connaissez des textes et de la jurisprudence.
Vous avez des connaissances sur le sujet et vous allez donc les exposer dans
un objectif précis : dire si la solution de l’arrêt est correcte en comparaison
de ce que vous savez sur la question. Vous aurez besoin d’avoir des connais-
sances générales, puisqu’il faudra replacer l’arrêt dans son contexte, et spé-
Méthodologie
45
c. Portée de la décision
Lorsqu’on est étudiant, apprécier une décision de justice, c’est surtout en
dégager la valeur. Mais peut-être parviendrez-vous à atteindre un stade sup-
plémentaire, celui de l’appréciation de la portée de la règle, c’est-à-dire de
l’incidence de la position adoptée sur d’autres règles de droit.
Généralement, les arrêts de rejet n’ont pas une grande portée. Lisez bien
l’attendu : si vous avez les formules « la cour d’appel a dit que… » ou « a pu
dire que » ou « a pu décider que », la portée est faible. Réfléchissez : pour-
quoi cette décision à commenter ? Quel est son intérêt ? S’il est faible car la
Cour ne fait que répéter une solution maintes fois retenue, à vous de le
dire. Inversement, si vous avez un arrêt de cassation pour violation de la loi,
l’arrêt a une portée certainement très importante. Si vous avez la formule
« substitution de motifs », la portée est aussi certainement intéressante à
dégager.
Pour comprendre ce qu’est la portée d’un arrêt, vous pouvez prendre
l’image d’un château de cartes. Chaque décision de justice est, symbolique-
ment, une carte. Parfois, la décision que vous avez à commenter est la pre-
mière carte du château : elle est à la base de la construction de tout un
système juridique. Il va falloir alors imaginer toutes les autres cartes que les
juges seront amenés à poser. Cette hypothèse concerne surtout de nou-
veaux textes qui donnent lieu à interprétation : le législateur vient d’adop-
ter une loi nouvelle ; le juge interprète un des articles de cette loi. Quelles
sont les répercussions de cette interprétation sur les autres textes ? En droit
des obligations, cette hypothèse se rencontre assez rarement.
On peut, en revanche, vous donner à commenter un arrêt déjà ancien,
qui a été précisément à la base d’une construction jurisprudentielle. En
quelque sorte, le château existe déjà et c’est d’ailleurs lui dont la construc-
tion vous a été expliquée en cours. On vous donne une des cartes de base
qui ont permis que toutes les autres cartes soient posées. De telles décisions
sont des décisions « classiques », des « grands arrêts ». Leur portée est grande
puisqu’elles ont entraîné ultérieurement d’autres constructions, soit juris-
prudentielles, soit législatives. Il va falloir expliquer comment, à partir de
la décision commentée, s’est construit le château. Par exemple, en droit de la
responsabilité délictuelle, si l’on vous donne l’arrêt Desmares à commenter, vous
devriez bien sûr expliquer l’arrêt en lui-même, l’état de la jurisprudence avant cet
Méthodologie
47
arrêt et, enfin et surtout, que cet arrêt a conduit à l’adoption d’une loi sur l’in-
demnisation des victimes d’accident de la circulation…
En résumant, disons que vous exposez ce qu’il y avait avant l’arrêt lui-
même et ce qu’il y a eu après.
On peut vous proposer de commenter une décision qui, à l’époque où
elle a été rendue était susceptible d’anéantir une jurisprudence (de renver-
ser le château de cartes). En faisant le bilan de l’ensemble de la jurispru-
dence au jour où vous vous placez, vous expliquez si les prévisions se sont
réalisées. Ainsi, si vous devez aujourd’hui commenter l’arrêt Bertrand, vous
aurez à expliquer comment cette décision qui « objective » la responsabilité des
père et mère a été suivie d’autres décisions qui sont toutes allées dans le même
sens.
Parfois, le juge a simplement posé une carte au-dessus du château. Rien
ne bouge, l’édifice est solide. À vous de le démontrer. Dans d’autres cas, la
carte posée fait tomber une partie du château, voire le château tout entier.
La façon dont la règle juridique a été interprétée est nouvelle ou contraire
au sens habituellement donné. De ce fait, d’autres règles sont remises en
cause. La décision commentée va donc contribuer à faire évoluer le droit ou
à le modifier.
Dégager la portée d’un arrêt est un exercice difficile pour un étudiant de
deuxième année : pour pouvoir dire que telle décision entraîne tel change-
ment, il faut bien connaître l’état actuel du droit positif. Il est pourtant
possible que vous soyez à même de faire cette sorte d’appréciation.
Les arrêtistes qui font des notes d’arrêt sont eux parfaitement rodés à
cette technique. C’est pourquoi il est intéressant de lire des notes car c’est
l’occasion que vous avez de découvrir cet aspect particulier du commentaire.
Il est un cas où l’on attend précisément de vous l’étude de la portée, c’est
lorsque l’on vous donne à commenter une décision récente qui constitue un
revirement de jurisprudence. Vous devrez alors comparer la décision rendue
par rapport au droit antérieur, mais aussi réfléchir à toutes les répercussions
possibles de l’arrêt.
Insistons cependant sur l’idée que la plupart des arrêts qui sont soumis
à des étudiants de deuxième année sont des décisions s’insérant dans un
contexte juridique sans le modifier en profondeur. Pour poursuivre la com-
paraison, on pose une carte, le château ne tombe pas. Mais que pouvez-
vous dire des cartes qui sont autour ? De celle qui vient d’être posée ? Vous
Droit civil des obligations
48
avez là l’occasion de démontrer que vous savez réfléchir, mais aussi que vous
savez beaucoup de choses…
3. Construction du commentaire
Après une introduction dans laquelle figure l’analyse, vous commentez l’ar-
rêt grâce à un développement présenté dans un plan en deux parties si pos-
sible, elles-mêmes divisées en deux sous-parties. Vous n’avez pas besoin de
faire de conclusion générale.
Il n’y a pas de plan type pour chaque décision. Le plan se construit à par-
tir des résultats de la recherche des problèmes juridiques posés. On ne peut
pas proposer de plan standard, pour la raison simple que le plan dépend du
fond de l’affaire. Un commentaire doit être lié au contenu même de l’ar-
rêt : les divisions ne doivent pas être superficielles. Le plan en deux par-
ties divisées en deux sous-parties est assez souvent facile à respecter dans un
commentaire d’arrêt. Cela dit, si vraiment vous estimez qu’un plan en trois
parties favorise la clarté de l’exposé, vous pouvez déroger à l’usage du plan
en deux parties. L’essentiel n’est en effet pas de se plier à une coutume, mais
bien de faire la démonstration que vous avez compris l’arrêt, que vous par-
venez à mettre en évidence son sens et sa valeur. Ne cherchez pas à être ori-
ginal. Trouvez un ordre logique.
Pour résoudre le litige, des arguments ont été mis en avant. Il faut trou-
ver ces arguments et dégager les réponses apportées par les magistrats. Vous
devez formuler en termes juridiques la ou les questions soulevées dans l’ar-
rêt. Si l’arrêt commenté est un arrêt de cassation, le visa utilisé ainsi que le
chapeau éventuel sont, bien sûr, des éléments précieux pour « découvrir »
le problème et en débattre. Dans les arrêts de rejet, on ne trouve pas géné-
ralement de référence aux textes appliqués. À vous donc de reconstituer le
raisonnement juridique à travers les réponses qui sont données.
On trouve ici la même démarche intellectuelle que celle qui est faite
lorsque le sujet d’examen est une consultation : il s’agit de faire état de la
manière dont ce problème est réglé, par les textes et par la jurisprudence.
Mais ce qui est spécifique, c’est que précisément, vous êtes confronté à la
jurisprudence.
Une affaire a été soumise à des juges. Vous allez poser le problème non
seulement dans l’espèce, mais de façon très générale. Identifier les règles
auxquelles on a fait appel soit de manière expresse, soit de façon implicite
Méthodologie
49
est décisif. Vous devez rappeler les bases du raisonnement : indiquez le texte
concerné ou le principe général, puis les solutions traditionnelles.
Comparez-les avec l’arrêt. Pour cela, reportez-vous aux textes concernés.
Faites fonctionner votre mémoire : avez-vous connaissance d’arrêts rendus
qui ont traité ce type de problème ? Ont-ils donné une solution identique ?
Le rapprochement avec d’autres espèces est évidemment indispensable pour
enrichir votre commentaire. Pour chaque question de droit, vous devez
recenser les divers éléments de la discussion en elle-même, et régulière-
ment « revenir » à l’arrêt en expliquant les implications qui découlent des
exposés théoriques sur l’arrêt lui-même. C’est à partir de tout cet ensemble
que vous construirez votre plan.
Le plan va être élaboré en respectant les objectifs mêmes de tout com-
mentaire : on doit retrouver, par rapport aux problèmes dégagés, le sens, la
valeur et éventuellement la portée de l’arrêt.
Selon que le sens, la valeur, voire aussi la portée de l’arrêt prêtent à dis-
cussion, on subdivisera ce qui pose problème. L’essentiel du commentaire
doit être articulé par le plan. Tout ne doit pas être dit à la fin de la première
partie ; la seconde n’aurait alors aucun intérêt.
Ne cherchez pas désespérément un plan original. Aidez-vous de l’arrêt,
tout simplement. S’il y a deux moyens dans l’arrêt, et que les deux points
sont intéressants, chaque partie du commentaire sera construite autour d’un
moyen.
Le plan détaillé doit bien sûr précéder le choix de vos intitulés et la
confection de votre introduction.
Pour « trouver » chacune de vos deux parties et vos sous-parties, partez
toujours des thèses en présence. Pour chaque problème, vous avez deux thè-
ses (au minimum), ce qui fait que généralement il n’y a pas de problème
pour trouver les sous-parties. Évitez absolument d’utiliser l’intitulé suivant :
I. La position de la cour d’appel II. La position de la Cour de cassation. Il faut
« habiller » les intitulés.
Imaginons par exemple que la Cour de cassation, dans une affaire quelcon-
que, soit favorable à une indemnisation, contrairement à la cour d’appel, et que
ce soit là le cœur de l’un des problèmes posés par l’arrêt. Vous avez décidé d’ap-
peler votre première partie : I. L’indemnisation.
Vos deux sous-parties peuvent de manière très simple s’intituler : A. Le prin-
cipe d’indemnisation ; B. Le refus d’indemnisation.
Droit civil des obligations
50
C. Comment rédiger ?
(conseils spécifiques
de rédaction)
Reportez-vous aux conseils généraux. Nous faisons ici état de ce qui est
spécifique aux commentaires d’arrêts. Un commentaire est composé d’une
introduction dans laquelle figurent l’analyse de l’arrêt, le ou les problèmes
juridiques posés et l’annonce du plan. Ce plan est en lui-même très struc-
turé. Il se divise en deux parties divisées en deux sous-parties.
a. Faits et procédure
L’exposé des faits puis de ce qui a donné lieu à un litige, doit être présenté
par ordre chronologique.
Attention : seuls les faits pertinents doivent être relatés. Toute la diffi-
culté est évidemment de savoir ce qui est essentiel ou non… Prenons un
exemple. Vous avez un arrêt qui traite d’un problème de vente de voiture. Savoir
qu’il s’agit d’une voiture est important ; savoir que la voiture est rouge ne l’est
pas… sauf si le rouge a été érigé en une qualité substantielle de la chose entrée dans
le champ contractuel, car alors ce point sera nécessaire à la suite de vos dévelop-
pements.
L’identification des parties, ainsi que l’objet de la ou des demandes, leur
fondement sera relevé pour chaque étape de la procédure.
Remarquons que si le sujet est bien un arrêt de la Cour de cassation,
vous n’aurez que rarement des détails sur la procédure en première instance.
Même si vous en avez, ne vous attardez pas. Vous êtes désormais en deuxième
année. On n’attend pas de vous une analyse détaillée de plusieurs pages. Par
exemple, vous avez repéré la formule « Par arrêt confirmatif » sans trouver d’al-
lusion à la décision de première instance. Inutile d’écrire dans votre analyse :
« nous ignorons la décision des premiers juges, nous savons simplement que les
juges d’appel ont confirmé la décision ». Contentez-vous de dire que la cour d’ap-
pel a confirmé le jugement de première instance : votre correcteur part du prin-
cipe que vous savez ce que cela veut dire. L’opposition entre les juridictions,
l’accord entre les juges du premier degré et ceux de la cour d’appel seront
éventuellement signalés davantage dans le corps du commentaire.
On englobe dans cette partie tout ce qui a trait au litige : identification
des parties, objet de la demande (ce qui est réclamé), fondement de la
demande (la règle invoquée au soutien de cette demande) et ce aux diffé-
rents stades.
Vous devez être spécialement vigilants sur la recherche du fondement
juridique de la demande. Assez souvent, le fondement est textuel : il s’agira
presque toujours d’un article du Code civil. Le fondement peut être plus
théorique, une règle ou un principe général du droit tel que fraus omnia cor-
rumpit. Mais il peut n’y avoir aucun texte : la règle de droit invoquée doit
alors être désignée par vous. Si vous hésitez, car il semble y avoir ambiguïté
sur ce point dans l’arrêt, alors dites qu’on peut hésiter. Autrement dit, la
recherche du fondement juridique de la demande devient un élément du
Droit civil des obligations
52
b. Exposé de la décision
des premiers juges et de la solution
de la Cour de cassation
Vous pouvez considérer que le déroulement de la procédure et les décisions
intervenues avant que ne soit saisie la Cour de cassation sont des éléments
de faits ou bien décider que les faits s’arrêtent au premier procès. Peu
importe votre choix : l’essentiel est que les prétentions et les arguments des
parties soient clairement exposés.
À ce stade, la difficulté la plus courante consiste à définir ce qui doit être
exposé et ce qui ne doit pas l’être.
S’il s’agit d’un arrêt de rejet : selon le même principe, exposez briève-
ment la décision de la cour d’appel, et seulement ensuite les arguments du
pourvoi. Une phrase suffira pour expliquer qu’il y a eu rejet. Si votre déci-
sion est brève, le plus simple est de présenter d’abord la décision de la cour
d’appel — chaque motif de l’arrêt d’appel sera résumé —, puis chaque
moyen du pourvoi de façon synthétique.
S’il s’agit d’un arrêt de cassation : exposez la décision de la cour d’appel
puis les raisons de la cassation. Attention : vous devez impérativement faire
état du visa. Citez les textes qui sont visés. S’il y a un chapeau, vous avez
deux solutions : soit le chapeau est court et vous le recopiez intégralement,
sans oublier un mot et en le mettant entre guillemets ; soit le chapeau est
long, vous ne le recopiez pas ; vous ne le résumez pas, car chaque mot
compte dans la formulation retenue. Vous expliquez que la Cour de cassa-
tion rend un arrêt de principe dans lequel figure un chapeau qui fera l’ob-
jet précisément de votre commentaire.
Méthodologie
53
Si la décision est plus longue, il n’est pas question de faire deux pages
d’analyse. C’est à vous de procéder, avec le plus de soin possible à une pré-
sentation résumée. Dans ce cas, rappelez-vous que tout ce qui n’a pas été
présenté dans cette analyse succincte devra l’être dans le corps du devoir.
Lorsqu’on vous explique que vous ne devez pas « oublier » l’arrêt, il s’agit
spécialement de cela.
c. L’annonce
des problèmes juridiques posés
et du plan
Après l’exposé de la décision, vous dégagerez le problème de droit posé, ou
les problèmes. Vous devez retrouver la qualification juridique du conten-
tieux. Puis vous annoncerez votre plan. Distinguez clairement ces deux éta-
pes.
Faites attention à vos intitulés : ils doivent être suffisamment indicatifs
pour couvrir l’ensemble des points que vous abordez. Évitez de faire des
phrases. Rappelez-vous que le vocabulaire juridique est précis. Mettez en
évidence les intitulés retenus par des chiffres pour les parties (I, II) et par
des lettres pour les sous-parties (A, B).
Exemple : vous devez commenter l’arrêt Perruche. Le problème juridique est
le suivant : un enfant peut-il être indemnisé lorsqu’en raison des fautes commi-
ses par des médecins pendant la grossesse, sa mère, non informée des risques
d’avoir un enfant atteint d’une maladie particulièrement grave, n’a pu procéder
à une interruption de grossesse ? Le plan est alors variable. Tout dépend du niveau
attendu, lequel est fonction du contenu du cours et des travaux dirigés.
Exemples de plan :
I. Le lien de causalité ; II. Le préjudice subi par l’enfant
I. La nature délictuelle de l’action de la victime ; II. Les conditions de l’indem-
nisation
I. Le principe de la réparation ; II. L’enjeu (ou : les critiques), etc.
I. L’indemnisation par la Cour de cassation ; II. La jurisprudence combattue
par la loi
Droit civil des obligations
54
à démontrer que des interrogations subsistent. Il arrive que l’arrêt soit lim-
pide sur un point, mais pas sur d’autres. Si le raisonnement repose sur dif-
férents points, expliquez ce qui semble avoir été déterminant.
Attention : il pourrait arriver que l’arrêt ne porte que sur un point (ex :
la faute) alors que si un deuxième point avait été étudié (ex : le lien de cau-
salité), le litige aurait présenté une tournure différente. Ce cas de figure,
qui concerne l’hypothèse où des aspects juridiques ne sont pas abordés dans
une affaire se traite de manière particulière. Il s’agit de faire état du « non-
dit » par la décision. C’est en reconstruisant tout le raisonnement que vous
mettez en lumière ce non-dit, pourtant déterminant dans l’affaire. Il faut
donc y consacrer un développement. On peut à la limite faire une sous-
partie, ou envisager le problème dans la conclusion. Il est parfois admis de
faire une partie sur le non-dit lorsque le devoir est construit avec un plan
en trois parties.
Reportez-vous à ce que nous avons dit sur « le petit bonus de la bonne
copie », en matière de consultation : c’est exactement le même type de
problème.
arrêt. Vous n’avez pas non plus à vous préoccuper de bâtir un plan, ni à
vous préoccuper de faire, de ce fait, des chapeaux introductifs ou des tran-
sitions à vos développements.
Mais, cela ne signifie pas pour autant que l’exercice soit facile. Il recèle
en effet certains pièges et nécessitera forcément de vous que vous sachiez lire
et comprendre un arrêt. De ce fait, tous les conseils donnés pour la prépa-
ration au commentaire d’arrêt devront avoir été assimilés. Votre travail
étant guidé, cette facilité qui vous est « offerte » rejaillit sur la qualité atten-
due de vos réponses. À questions claires et précises, il vous faudra apporter
des réponses claires, précises et… justes.
celle qui introduit le commentaire d’arrêt classique. Sur ce point, nous vous
renvoyons à la méthode qui concerne ce type d’épreuve.
Ensuite, viennent les questions qui ont été inspirées par l’arrêt. Il ne
s’agit pas de faire des développements purement théoriques, en récitant
votre cours. Certes, vous devrez exposer des connaissances solides, mais il
vous faudra en plus revenir à l’arrêt pour illustrer et justifier vos réponses.
Certaines questions concernent directement le sens même de l’arrêt. Il
est assez facile d’y répondre, si vous avez bien compris la décision et que vous
connaissez la partie de cours afférente au problème posé. Imaginons par exem-
ple que vous ayez à commenter un arrêt relatif à l’annulation d’un contrat de
vente pour erreur. Il vous est demandé « Quelles sont les caractéristiques de l’er-
reur commise par l’acquéreur ». Pour répondre à cette question, il vous fau-
dra partir des indications de l’arrêt pour décrire cette erreur et pour pouvoir
ensuite la qualifier (par exemple : S’agit-il d’une erreur sur la substance ? Sur
les qualités substantielles ? Sur la valeur ? Sur les motifs ? etc.).
D’autres questions peuvent en revanche être d’ordre purement théori-
que. Par exemple : Qu’est-ce que le forçage d’un contrat ? Dans ce cas, il vous
faudra répondre d’une manière générale et abstraite, puis vous efforcer d’il-
lustrer, le cas échéant, vos développements par des références à la décision
qui vous est soumise. À travers ce type de questions est abordé ce qui, dans
un commentaire d’arrêt classique, relève de la portée de l’arrêt. En quelque
sorte, l’examinateur vous guide et vous expose les différents axes de
réflexion que doit susciter l’arrêt.
IV. La dissertation
Nature de l’épreuve
L’objet de la dissertation est d’exposer des règles de droit relatives à une
question en les explicitant et en discutant tant de leur contenu que de leur
évolution passée et à venir.
La dissertation obéit à une logique tout à fait particulière car elle se
coule dans un moule très figé : une introduction conséquente ; deux parties ;
elles-mêmes subdivisées chacune en deux sous-parties. Il n’y a, en revanche,
pas de conclusion.
Droit civil des obligations
58
A. L’objectif poursuivi :
faire une démonstration
Pour être à même de rédiger une dissertation, vous devez en comprendre la
technique aussi bien au niveau de la forme que du fond. Notez que la plu-
part des remarques qui vont suivre sont suffisamment générales pour valoir
également pour les autres épreuves. Vous lirez donc attentivement ce qui
suit, même si le sujet annoncé n’est pas théorique mais pratique.
1. La forme
Votre premier objectif, au niveau de la forme, est de vous faire comprendre.
Pour cela, vous utiliserez non seulement un style clair et précis, mais vous
ordonnerez les développements de votre devoir selon un plan structuré. La
structure préétablie de la dissertation juridique ne laisse pas de place à l’ima-
ginaire. On est éloigné de la dissertation littéraire sur le modèle que vous
avez pratiqué au lycée. Il vous est demandé de distinguer différents aspects
d’une question en construisant votre dissertation d’une façon rationnelle,
en coordonnant les différents ensembles. Tout doit s’enchaîner de manière
logique, sans qu’il soit nécessaire de faire des marches arrière ou des antici-
pations maladroites qui renvoient à des études ultérieures. Bref, la construc-
tion même du devoir est fondamentale. C’est sur sa qualité que vous serez
jugé en premier lieu. Quel que soit le contenu du devoir, cette construction
élaborée doit respecter la structure suivante :
Introduction
1re partie : I. …; deux sous-parties : A. …; B. …
2e partie : II. …; deux sous-parties : A. …; B. …
Les parties sont matériellement indiquées par les chiffres « I » et « II »
et les sous-parties par les lettres « A » et « B ». Elles reçoivent un titre, qui
est mentionné de façon à le détacher du corps du texte. L’idée même d’un
plan en deux parties divisées en deux sous-parties vous paraîtra peut-être
très ou trop rigoureuse. Prenez la règle comme un soutien de méthode qui
vous permet d’approfondir vos idées en les regroupant à partir d’un plan qui
devrait, grâce à une division fort simple, être clair et facile à comprendre.
Suivez l’usage. Il a démontré son efficacité. Ne vous en écartez que si la
division en deux parties ne s’impose vraiment pas à l’évidence et serait très
Méthodologie
59
2. L’objet de la discussion
Si un plan rigoureux est exigé, c’est parce que toute dissertation a pour
objet une démonstration. Le plan est un soutien, il permet de suivre un fil
conducteur. Vous allez vous confronter à une question déterminée, en expo-
sant les règles applicables ou en discutant d’un problème juridique. L’objet
de la discussion peut être très vaste.
Imaginons par exemple que vous ayez comme sujet : « L’objectivation de la
responsabilité civile ». La substance même de votre devoir est très étendue. La res-
ponsabilité civile se divise en responsabilité contractuelle et responsabilité délic-
tuelle ; la responsabilité contractuelle renvoie à la distinction obligation de
moyen/obligation de résultat ; la responsabilité délictuelle renvoie elle aussi à des
divisions : responsabilité du fait personnel, responsabilité du fait d’autrui (ce der-
nier type de responsabilité se subdivisant lui-même…).
Mais la substance même peut être fort réduite. Ex : le dol ; la responsabi-
lité du commettant…, ce qui peut, de prime abord, vous inquiéter (que vais-je
pouvoir dire ? comment traiter un sujet qui ne correspond qu’à une toute petite
partie du cours ?). Pourtant, que les règles de base soient très nombreuses ou
se réduisent à quelques textes, la manière de procéder doit rester la même.
Il va falloir que vous les exposiez au mieux en respectant la règle du plan en
deux parties. Pour pouvoir expliquer le contenu des règles de droit, fort
générales, vous aurez besoin de la jurisprudence. Il est important d’intégrer
dans votre devoir l’essentiel de ce qui vous a été enseigné en cours comme
en travaux dirigés : les arrêts étudiés doivent être « exploités » dans votre
dissertation. En proposant des exemples concrets, vous expliquez comment
les principes juridiques exposés sont utilisés dans la pratique, s’ils permet-
tent parfaitement de résoudre les difficultés… Vous montrez par là même
que vous savez raisonner et que vous avez bien compris les enjeux de telle
Droit civil des obligations
60
B. Comment appréhender
le sujet théorique ?
Puisqu’il faut diviser votre sujet en deux parties, vous aurez deux possibili-
tés pour votre démonstration :
– soit votre sujet est entièrement susceptible d’être mis en valeur à tra-
vers deux idées qui se complètent ou s’opposent ;
Droit civil des obligations
62
– soit votre sujet est dominé par une idée unique. La démonstration en
est faite en examinant dans le détail deux aspects du droit positif qui tradui-
sent cette idée.
À vous de découvrir si le sujet qui vous est proposé rentre dans la pre-
mière ou la deuxième catégorie.
Selon la difficulté du sujet et l’objectif poursuivi par l’examinateur, le
sujet théorique s’étend de la question de cours au sujet comparatif en pas-
sant par le sujet de synthèse.
1. De la question de cours
au sujet de synthèse
a. La question correspondant exactement
à un point du cours
La question posée par le sujet théorique peut correspondre à une partie de
votre cours (ex : Les vices du consentement ; La responsabilité civile des père et
mère…). Il ne s’agit pas alors de réciter par cœur la partie du cours que vous
avez apprise. Vous risqueriez d’être déçu par la note. Bien sûr, tout ce que
vous savez ou presque devra figurer dans le devoir ; mais il faut d’autres cho-
ses en plus.
Partez de l’idée que sur un sujet assez pointu, qui a été entièrement traité
en cours, il est fondamental de replacer la question posée dans son contexte.
Il arrivera d’ailleurs que ce contexte général soit déjà précisé, en partie,
dans l’intitulé même du sujet. Exemple : l’erreur sur la substance. Le sujet
indique qu’il faut parler de l’erreur mais au sein de cette question, seule
l’erreur sur la substance doit être traitée. La question est donc sélectionnée
de manière précise, mais vous savez déjà qu’il faudra replacer cette question
dans le cadre plus général de l’erreur. Avant d’envisager le thème en lui-
même, il faut faire le lien avec des théories plus vastes : les vices du consen-
tement, le consentement lui-même, les conditions de formation du contrat
etc., bref sur tous les éléments qui constituent des références indispensables
pour bien traiter le sujet.
Ne vous étendez pas sur ce point.
Voyez ensuite si ces éléments doivent simplement être examinés et, ce,
brièvement, dans l’introduction ou au cours de votre démonstration, s’il
Méthodologie
63
vous paraît plus judicieux de les exploiter. Ce serait le cas par exemple si,
en cours ou en travaux dirigés, vous aviez traité du particularisme de l’erreur
sur substance par rapport aux autres vices du consentement…
L’exemple donné introduit d’ailleurs l’idée que les points très généraux
trouvent presque toujours leur place dans l’introduction. Il ne faut pas les
développer, car vous feriez du « hors-sujet ».
Ainsi, un sujet comme celui de la responsabilité civile des père et mère a
comme intérêt majeur actuellement de vous permettre de parler de l’évolution de
la jurisprudence vers l’objectivation de la responsabilité. Il faut donc construire
votre devoir en faisant des rapprochements avec d’autres domaines qui ont connu
ou connaissent de nos jours des évolutions analogues (ou inversement, très diffé-
rentes). Il faudra en conséquence faire un lien avec les évolutions de la respon-
sabilité du fait des préposés, mais aussi avec l’évolution de l’article 1384, alinéa 1
(responsabilité du fait des personnes que l’on a sous sa garde…), voire même avec
les obligations de résultat dans le domaine contractuel.
Vous devez donc être très vigilants lorsque vous construisez votre devoir.
Pour éviter de réciter votre cours par cœur, élaborez votre plan de façon à
ce qu’il incorpore tous ces éléments. Une des deux parties ou une sous-partie
de la deuxième partie peut, par exemple, être bâtie autour de l’idée que l’évolu-
tion de la responsabilité des père et mère s’inscrit dans un courant plus général
d’objectivation de la responsabilité, ce qui vous permettra de faire un rapproche-
ment avec d’autres cas de responsabilité. Ou bien, au contraire, vous pouvez
souligner l’originalité de la responsabilité des père et mère.
Dans l’un ou l’autre cas, vous voyez que nous avons une idée unique, qui
va pouvoir être démontrée en examinant en détail la traduction en droit
positif de cette idée. Le plan est simple, puisqu’il est construit à partir des
conditions de mise en jeu de la responsabilité des père et mère et de l’exo-
nération (ex. de plan : I. La responsabilité des père et mère et la responsabilité
personnelle de l’enfant ; II. L’exonération de la responsabilité des père ou mère).
Attention : il ne s’agit pas de faire une partie ou une sous-partie sur les
autres cas de responsabilité, mais bien de faire un rapprochement, ce qui
n’est pas la même chose. Par exemple, si vous faites une partie intitulée : la res-
ponsabilité personnelle de l’enfant, condition de la responsabilité des père et mère ?
Il s’agit ici de faire état de la jurisprudence Levert (cf. Civ. 2e, 10 mai 2001). Il
est intéressant de faire une comparaison avec la responsabilité des commettants :
en ce domaine, il est exigé que le préposé engage sa responsabilité personnelle
Droit civil des obligations
64
pour que le commettant soit responsable. Il faut aussi faire un rapprochement avec
la responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre : la question de l’exi-
gence de la responsabilité de l’auteur du dommage reste ambiguë. Naturelle-
ment, le développement sur le premier point (l’arrêt Levert) sera plus
conséquent que le reste.
Prenez le temps de bien mettre en valeur tous les aspects de la question
en ayant une vision large du sujet. Cela dit, vous n’aurez peut-être rien
d’autre à rajouter que ce que vous avez retenu du cours. S’il n’y a rien à ajou-
ter ni à supprimer, le plus simple est, effectivement, de partir exclusive-
ment de la partie du cours que vous connaissez. Inutile d’inventer des
choses. Réfléchissez à ce que vous pourriez essayer de démontrer. Faites un
effort de pédagogie en expliquant clairement ce que vous avez retenu.
b. Le sujet correspondant
à une notion transversale du cours
L’intitulé du sujet théorique peut désigner aussi une notion transversale de
votre cours, une notion qui a plusieurs significations et qui est dotée de plu-
sieurs régimes juridiques. Exemple : le dol. Pour le seul droit des obligations, le
dol a deux sens. Dans la formation du contrat, il désigne l’erreur provoquée, cas
d’ouverture de l’annulation du contrat fondée sur l’article 1116 du Code civil.
Dans l’exécution du contrat, le dol traduit le refus d’exécuter ses obligations et son
établissement se répercute sur le régime de la responsabilité contractuelle.
Certaines notions sont encore plus ambiguës. Exemple : La cause. Cette
notion intervient au stade de la formation du contrat. Elle a une double significa-
tion comme condition de validité du contrat (cause objective et cause subjective).
Mais elle justifie aussi certains mécanismes au stade de l’exécution du contrat
(exception d’inexécution, résolution…). La cause apparaît aussi implicitement
dans le droit de la responsabilité sous la qualification de lien de causalité entre la
faute et le dommage. Dans ce cas, alors, le programme de révision vous per-
mettra peut-être d’exclure tel ou tel domaine de réflexion. Vous souhaite-
rez peut-être, vous-même, d’office exclure tel ou tel point (ainsi, il est
raisonnable d’exclure le lien de causalité). Vous devez justifier dans l’introduction
pourquoi vous avez exclu le droit de la responsabilité. On vous le reprochera
moins que si vous l’avez passé sous silence (ex. de plan : I. La cause au stade
de la formation du contrat ; II. La cause au stade de l’exécution du contrat. Autre
plan possible : I. La consécration directe de la cause, A. L’existence de la cause,
Méthodologie
65
2. Du sujet de cours
au sujet comparatif
a. Le sujet divisé
en deux questions de cours
Certains sujets proposés ont pour but de vous faire comparer deux règles de
droit, deux mécanismes juridiques ou deux institutions. Ex : Le dol ; la bonne
foi. Ces notions ont chacune un sens et un régime juridiques différents
selon qu’on les rencontre au moment de la formation du contrat ou au
moment de son exécution. Dans la mesure où c’est à vous de rechercher le
Méthodologie
67
large domaine d’application de ces notions, l’accent n’est pas mis sur la
comparaison, même si elle peut apparaître au cours de votre développe-
ment. Vous pouvez les traiter successivement, en insistant sur le rôle spéci-
fique de chacune des institutions. Partez de l’idée que ce type de sujet est
rare, car cela revient à traiter deux sujets ; le plan est donc préétabli.
b. Le sujet comparatif
Lorsque le sujet oppose clairement deux mécanismes, tout le devoir doit être
construit sur cette opposition. La comparaison est l’articulation du devoir.
Exemple : Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. Ce type de
sujet vous fera réfléchir sur ce qui rapproche les mécanismes et sur ce qui les
oppose. C’est à vous de mettre en valeur les convergences et les divergences de leur
régime. Il est exclu, bien sûr, de traiter les mécanismes l’un après l’autre. Exem-
ple de plan interdit : Responsabilité contractuelle (I) et Responsabilité
délictuelle (II). Parfois, ce sont les points communs qui vont l’emporter ; les dif-
férences seront faibles au point de devoir être seulement signalées dans l’introduc-
tion. À vous d’articuler tout le devoir sur une idée de base. S’il n’existe pas de
différence majeure entre les deux types de responsabilité, votre démonstration
peut être : les deux responsabilités sont soumises à des règles quasi identiques. la
question est : comment le démontrer ? La réponse peut être : la responsabilité
pour faute (I) et la responsabilité pour risque (II)…
Gardez à l’esprit que la difficulté de ce genre de sujet théorique le rap-
proche du sujet pratique : il fait appel à votre capacité d’analyse et requiert
que vous le traitiez en résolvant la problématique qu’il pose.
Une variété du sujet comparatif est la dissertation sur l’évolution d’un
point de droit. Il est évident que le plan chronologique — avant tel arrêt
(I) ; après tel arrêt (II) ; avant telle loi (I) ; après telle loi (II) — encourt le
même reproche que celui que nos évoquions, à savoir de séparer les institu-
tions. La seule solution consiste à faire une comparaison en dégageant des
thèmes. Thème par thème, vous établissez un parallèle entre les règles anté-
rieures et les règles postérieures.
Droit civil des obligations
68
C. Comment construire
la dissertation ?
Vous retiendrez que l’articulation du plan en deux parties à partir d’une
idée unique ou de deux idées est une règle quasi impérative. À l’intérieur de
chaque partie, vous devez subdiviser. Le plan que vous avez choisi a pour
objet de vous permettre de démontrer quelque chose, d’examiner les diffé-
rents aspects du problème que vous avez à traiter.
La matière même que vous traitez sera divisée et regroupée en deux thè-
mes principaux, qui vont donc soit s’opposer, soit se compléter, soit servir
à la démonstration d’une idée unique. Si vous choisissez de faire un devoir
construit autour de deux idées qui s’opposent, vous n’hésiterez pas à utili-
ser la méthode classique thèse/antithèse. Pensez alors à bien préciser les
différents points que comporte chaque partie. Peut-être sera-t-il nécessaire,
au sein de chaque sous-partie, de faire plusieurs sous-divisions. Dans ce cas
ne les annoncez pas.
Faites un plan simple, clair qui vous permet de distinguer les deux thè-
mes. Surtout, veillez à ce que le contenu de chaque partie coïncide avec le
titre donné. Il est fréquent de constater que le titre est très éloigné du
contenu… Essayez d’équilibrer vos deux parties : chacune des deux parties
doit correspondre à un développement important du sujet. Faites attention
à ne pas traiter en dernier un aspect fondamental du sujet et à toujours
avoir quelque chose d’intéressant à dire dans chaque partie. Équilibrez dans
la mesure du possible les deux parties. Veillez à ce que le contenu de cha-
cune d’elle corresponde à son intitulé : vérifiez-le une dernière fois au
moment de la relecture.
Ne cherchez pas désespérément des intitulés ou des démonstrations ori-
ginales. Au contraire : restez « classiques ». N’hésitez pas à reprendre des
intitulés de votre cours ou ceux que vous avez eu l’occasion d’utiliser en fai-
sant un commentaire d’arrêt.
Bien sûr, il existe des plans « bateaux » que l’on peut utiliser dans un cer-
tain nombre de cas. On citera à cet égard :
– principes (I) ; exceptions (II) ;
– conditions (I) ; effets (II) ;
– nature (I) ; régime (II) ;
– fond (I) ; forme (II).
Méthodologie
69
I. Sources de documentation
N ous avons dit à plusieurs reprises que votre cours et les documents de
travaux dirigés constituent la base de votre travail. Cette documen-
tation de base est irremplaçable. Vous pouvez la compléter par des manuels
ou traités, ou en consultant les principales revues.
B. Les revues
Il est rare que les étudiants de deuxième année de licence se familiarisent
avec les revues. Il est fréquent d’attendre la troisième année ou le master.
Prenez tout de même l’habitude de fréquenter les bibliothèques et de décou-
vrir les revues les plus couramment utilisées par les juristes. À ce titre, vous
devez connaître :
– le Recueil Le Dalloz, revue hebdomadaire. Sa présentation a varié au
fil des années. Il est de ce fait judicieux d’apprendre à retrouver un arrêt
commenté dans cette revue, qui est indiquée dans les références sous le
sigle D. ;
– la revue Juris-Classeur, revue connue sous le sigle JCP ;
– la Revue trimestrielle de droit civil (RTD civ.). À remarquer que les arrêts
qui y sont commentés ne figurent pas dans la revue.
L’importance du droit des obligations conduit à ce que tous les arrêts
marquants soient régulièrement présentés dans ces revues. Mais d’autres
domaines du droit sont aussi concernés. Il existe des revues spécifiques au
droit des obligations (Revue des contrats par exemple), mais elles ne portent
que sur une partie seulement du programme et sont réservées aux spécialis-
tes de la matière.
La consultation des trois principales revues juridiques peut donc être
assez rapide. Familiarisez-vous à leur lecture ; apprenez à utiliser les tables,
à faire des recherches rapides et efficaces.
Avec l’utilisation régulière d’un ou de deux manuels, complétée le cas
échéant par des extraits des principales revues — mais seulement sur les
points qui concernent le programme du droit des obligations — votre base
documentaire sera largement suffisante.
II. La documentation
informatisée
La documentation figurant sous une forme informatisée a connu ces derniè-
res années un essor important. Vous devez ordinairement trouver dans la
documentation traditionnelle sur support papier les informations qui vous
Recherche documentaire
73
Étude de cas :
La foire « Brocante et jambons » (authentique !) s’est tenue à Grenoble le
dimanche 24 novembre 2005. Mme Laberthe ne manque jamais cette manifesta-
tion. Dès 8 heures du matin, elle circule au milieu des stands cherchant la
« bonne affaire » qui semble se présenter au stand tenu par M. Nicolas, sous la
forme d’un projecteur de cinéma au format rare 9,5 mm.
Les problèmes suivants vont vous être soumis :
I. M. Nicolas vend le projecteur au prix de 200 euros.
Mme Laberthe déclare acheter l’appareil mais elle n’a que 100 euros en liquide
qu’elle verse de la main à la main (M. Nicolas ne veut que du « liquide ») et elle
Droit civil des obligations
78
Corrigé
d’un contrat de vente dont l’article 1583
C e cas pratique en droit du contrat,
s’il est fort simple et classique, a
pour lui de mettre en évidence des ques-
du Code civil nous apprend qu’il est par-
fait dès lors qu’un accord sur la chose et
tions fondamentales sur lesquelles les sur le prix est intervenu, encore que le
étudiants buttent souvent (questions que prix n’ait pas été payé ni la chose livrée.
l’on peut considérer comme devant être
Ici, les étudiants doivent éviter cette faute
nécessairement acquises en licence 2 ou
classique consistant à dire que, puisque rien
quelle que soit l’année où le contrat est
étudié). n’a été signé, aucun contrat n’a été conclu.
Le principe, en droit français, est celui du
consensualisme : le simple échange des
.I volontés, sauf exceptions, suffit. Ce prin-
cipe s’applique en matière de vente, contrat
Il y a eu, entre Mme Laberthe et M. Nico- qui présente, en outre, la particularité
las, un accord de volontés de nature remarquable d’opérer, par lui-même (c’est
contractuelle ; plus précisément, il s’agit un effet de la vente et non pas une obligation
Annales
79
qui pèserait sur le vendeur), transfert de pro- Ici, les étudiants doivent prendre garde de
priété ; c’est le principe du transfert solo ne pas confondre les conditions de validité
consensu de la propriété qui s’applique lors- du contrat (toutes réunies en l’espèce) et les
que la chose achetée est parfaitement identi- conditions d’efficacité ou d’opposabilité aux-
fiée : corps certain ou chose de genre d’ores quelles appartiennent les règles de preuve :
et déjà individualisée. ce n’est pas parce qu’un contrat ne peut pas
Appliquées à notre cas pratique, ces être prouvé, le cas échéant, que sa validité
règles conduisent à dire : est remise en cause.
– qu’un contrat a été conclu entre Aux termes de l’article 1341 du Code
me
M Laberthe et M. Nicolas ; civil, la preuve de « toutes choses excé-
dant » 1 500 euros (la somme résulte du
– qu’il s’agit d’un contrat de vente
décret du 20 août 2004) doit être rappor-
(Mme Laberthe a d’ores et déjà com- tée par écrit.
mencé à exécuter son obligation de
payer le prix, prévue à l’article 1650 du Cette somme étant loin d’être atteinte
Code civil) ; dans le cas soumis, Mme Laberthe peut
rapporter la preuve du contrat et du paie-
– que le transfert de propriété a eu lieu ment, notamment par témoignage ou
immédiatement au profit de Mme Laber- autre moyen de preuve.
the, rien ne permettant de penser qu’un
retard de ce transfert ait été stipulé. Dès lors deux hypothèses se présen-
tent :
Il est vrai que, le temps d’aller cher-
cher de l’argent liquide au distributeur le – ou bien ces preuves ne sont pas rap-
plus proche, Mme Laberthe a laissé l’appa- portées et Mme Laberthe est alors sans
reil acheté entre les mains de M. Nico- moyen à l’encontre de M. Nicolas ;
las ; cette circonstance ne change rien – ou bien ces preuves sont rapportées
aux réponses données ci-dessus (des étu- (imaginons que des témoins puissent être
diants ont pourtant estimé que cela trouvés). Dans ce cas, il convient de dis-
retardait ipso facto le transfert de pro- tinguer les questions liées au contrat du
priété, voire la conclusion même du paiement de l’acompte de 100 euros (il
contrat !). La nature de cet « accord » s’agit bien d’un acompte, d’une partie du
aurait mérité qualification, en licence 3 prix, puisque, ainsi qu’il a été dit, le
ou en maîtrise 1 (ceci n’étant pas au pro- contrat de vente a été valablement
gramme de licence 2) : s’agit-il d’un gage conclu).
(le propriétaire, Mme Laberthe, se Par effet de la vente, Mme Laberthe est
« dépossédant » de son bien, le temps devenue immédiatement propriétaire du
d’avoir l’argent nécessaire au paiement) ? projecteur ; la vente entre M. Nicolas et
Mme Laberthe est donc devenue M. Lavigne est donc une vente de chose
immédiatement propriétaire du projec- d’autrui.
teur dont une partie du prix a été Aux termes de l’article 1599 du Code
payée… sans aucune espèce de preuve, civil, une telle vente est nulle mais, selon
écrite du moins. la jurisprudence, la nullité est une nullité
Droit civil des obligations
80
Commentaire :
Commentez l’arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 4 juil-
let 1973 :
tance de la chose ; – Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’en avoir ainsi
décidé, alors, selon le pourvoi, que l’erreur sur la substance doit s’entendre non
seulement de l’erreur sur la substance proprement dite, mais aussi de celle portant
sur des qualités substantielles de la chose que les parties contractantes ont eu
spécialement en vue, qu’en l’espèce, ainsi que le soulignaient les conclusions
d’appel de la société « Karim », restées sans réponse, l’erreur alléguée ne consis-
tait pas dans le fait que le tissu ne devait pas être apprécié in abstracto, en rete-
nant que le tissu était conçu pour l’ameublement, mais in concreto, en considérant
qu’il devait servir à la confection de pantalons, ce que savait parfaitement le
vendeur et que ce tissu devait en conséquence présenter les qualités de solidité
requises pour cet usage ; – Mais attendu que l’arrêt confirmatif retient que la mar-
chandise livrée par la société « Ten Cate France » a été vendue comme tissu
d’ameublement et non comme tissu d’habillement à la société « Karim » ; que
cette société, professionnelle de la confection et prévenue, de surcroît, de la des-
tination normale du tissu commandé, a, en connaissance de cause, utilisé cette
marchandise, à ses risques et périls, pour fabriquer des pantalons ; que la cour
d’appel, qui a répondu aux conclusions d’appel de la société « Karim » prétendu-
ment délaissées, a souverainement fait ressortir que cette société n’a été victime
d’aucune erreur ; d’où il suit que le moyen est dépourvu de fondement ;
PAR CES MOTIFS, REJETTE.
Du 4 juill. 1973. – Ch. com. – MM. Monguilan, pr. – Balmary, rap. – Robin,
av. gén. – Nicolas et Choucroy. av.
Durée : 3 heures.
L’usage du Code civil est autorisé.
Corrigé
C’est ce dont témoigne le présent arrêt
L ’erreur, disait Pothier, est « le plus
grand vice des conventions ». On
sent bien intuitivement, cependant, que
soumis à notre commentaire.
let 1969, à la société Ten Cate France, risques et périls, pour fabriquer des pan-
pour fabriquer des pantalons, un tissu talons et que, en réalité, ainsi que l’avait
d’ameublement en velours. Celui-ci souverainement fait ressortir la cour
s’était révélé impropre à l’usage envisagé. d’appel, la société Karim n’avait été vic-
La société Karim avait été condamnée time d’aucune erreur.
au paiement du prix qu’elle se refusait de Aucune erreur ? Sans doute est-ce, si
payer et déboutée de sa demande en nul- l’on peut se permettre, « aller un peu vite
lité de la convention pour erreur sur la en besogne », car enfin si, à l’origine, la
substance de la chose. Devant la Cour de société Karim a acheté du tissu, c’est, on
cassation, dans son pourvoi, la société l’imagine bien, en vue de l’utiliser. Si ce
Karim prétendait (ce qui est d’ailleurs tissu se révèle impropre à l’usage par elle
incontestable) que l’erreur sur la subs- envisagé, qu’il ne lui est donc d’aucune
tance doit s’entendre, non seulement de utilité (de fait, elle refusera d’en payer le
l’erreur sur la substance proprement dite, prix), on ne peut guère qu’en conclure
mais également de celle portant sur des qu’en s’engageant, elle s’est trompée sur
qualités substantielles de la chose que les quelque chose. Sinon, son acquisition
parties ont eues spécialement en vue. n’a aucun sens. Ainsi et contrairement à
Ainsi, selon elle, l’erreur qu’elle préten- ce que retient l’arrêt, il y a bien eu
dait avoir commise ne devait pas être « erreur », mais cette erreur devait
appréciée in abstracto, en retenant que le demeurer indifférente, portant, non sur
tissu était conçu pour l’ameublement, la substance de la chose, mais sur les rai-
mais in concreto, en considérant qu’il sons personnelles qui avaient déterminé
devait servir à la confection de panta- la société acheteuse (I).
lons, ce que savait le vendeur, et que ce D’un autre côté, poussant plus loin le
tissu devait en conséquence présenter les raisonnement, nous nous demanderons
qualités de solidité requises pour cet si cette erreur n’était pas le résultat d’une
usage. faute (II).
Le reproche adressé à la cour d’appel
ne convaincra pas la Cour de cassation
qui rejettera le pourvoi. I. Erreur substantielle
Pour notre Haute Juridiction, qui et mobile
reprend à son compte l’opinion des juges
du second degré, la marchandise livrée Afin de tenter de faire annuler le contrat
par la société Ten Cate France avait été qui la liait à son fournisseur, la société
vendue comme tissu d’ameublement et Karim prétendait qu’elle avait été vic-
non comme tissu d’habillement à la time d’une erreur substantielle. L’apti-
société Karim. Elle en déduit que cette tude à la fabrication de pantalons aurait
dernière, professionnelle de la confec- ainsi été une qualité substantielle du
tion, prévenue de la destination normale tissu d’ameublement qu’elle avait
du tissu acheté, avait, en connaissance acheté, dans la mesure où son vendeur
de cause, utilisé cette marchandise à ses était prévenu de cette destination (A).
Droit civil des obligations
88
Son erreur portait, en réalité, sur les contrat est un principe qui n’est guère
mobiles. contestable. Pothier, déjà, en donnait
pour exemple l’erreur commise par celui
qui achète des chevaux parce qu’il croit
B. Mobiles que les siens sont morts. Bien entendu, il
ne peut prétendre faire annuler son
Parmi les raisons qui déterminent un
acquisition par le tribunal s’il s’avère que
contractant à s’engager figure, évidem-
la nouvelle qu’il avait eue de la mort de
ment, la considération des qualités
ses chevaux était fausse.
— plus généralement, des attributs — de
la chose ou de la prestation que, dans le La raison que l’on peut en donner est
cas général, il entend recevoir en contre- simple. L’erreur doit porter sur l’objet,
partie de sa propre obligation. Parmi ces plus précisément sur ses qualités substan-
qualités, on l’a dit, certaines sont si tielles. Or, il est évident que les mobiles
importantes et si « naturelles » (chacun de l’errans, même déterminants pour lui,
s’attend, par exemple, à les trouver dans sont extérieurs à cet objet. Ainsi fut-il
l’objet acheté) qu’on les dit, justement, jugé par la chambre civile de la Cour de
« substantielles ». Ce sont ces qualités cassation, le 3 août 1942 : « Les motifs
qui, bien souvent, autoriseront seules vrais ou erronés qui peuvent inciter une
l’aptitude de la chose à l’usage prévu. partie à conclure une opération à titre
onéreux avec une autre personne
Cependant, la décision de contracter
exempte de dol sont sans influence sur
peut être dictée par des raisons diverses,
la validité de l’opération, à moins que les
personnelles à l’errans, sans rapport
parties aient été d’accord pour en faire
nécessaire avec l’objet lui-même et dont,
une condition de leur traité. »
surtout, le cocontractant n’aura pas for-
cément connaissance. Si cette raison se On cite parfois, dans cet esprit, l’hy-
révèle erronée, doit-on autoriser alors pothèse des acheteurs de tableaux de
celui qui s’est mépris à demander la nul- maîtres, parfaitement authentiques, qui
lité de son engagement ? Bien évidem- prétendaient s’être trompés, l’un sur
ment, non. C’est le principe, solidement l’identité du personnage représenté, l’au-
assis, de l’indifférence de l’erreur sur le tre sur la présence du tableau dans la
mobile (1). La solution demeure la chambre de l’artiste.
même lorsque, comme on l’espère, le La jurisprudence contemporaine a eu
cocontractant a eu connaissance de ce plusieurs fois l’occasion de rappeler ce
mobile (2). principe, notamment dans des hypothè-
ses où le demandeur en nullité n’avait pu
1. Indifférence de l’erreur atteindre le but de « défiscalisation »
sur le mobile qu’il se proposait par son acquisition. La
réponse de la Cour de cassation est très
Que l’erreur portant sur les mobiles (ou franche : « L’erreur sur un motif du
les motifs) de l’errans doive demeurer contrat, extérieur à l’objet de celui-ci,
sans conséquence sur la validité du n’est pas une cause de nullité de la
Droit civil des obligations
90
Commentaire dirigé :
Après lecture de l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cas-
sation du 21 février 2001 (Bull. civ. III, n° 20, p. 17) ci-dessous reproduit,
répondez aux questions :
Corrigé
.I La cour d’appel d’Aix (20 mai 1998)
l’a débouté de ces deux demandes en
retenant, d’une part, le caractère inex-
P ar accord du 26 mai 1989, un
immeuble à usage d’hôtel et le fonds
de commerce exploité dans cet immeu-
cusable de l’erreur et, d’autre part, l’ab-
sence d’incidence de l’intervention du
ble ont été vendus respectivement par notaire sur la conclusion des cessions,
une société civile immobilière et une devenue définitive dès l’accord du
autre société à M. Plessis. Ces cessions 26 mai 1989.
ont été reçues devant notaire le 6 juillet L’acquéreur a formé un pourvoi en cas-
1989. sation. Dans son arrêt du 21 février 2001,
En première instance et en appel, l’ac- la troisième chambre civile de la Cour
quéreur a demandé l’annulation des ces- de cassation a cassé l’arrêt d’appel pour
sions pour dol et a, par ailleurs, recherché double violation de la loi. Au visa de l’ar-
la responsabilité du notaire. ticle 1116 du Code civil, la Haute Juri-
Droit civil des obligations
98
sous Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, JCP nomie de la volonté ; on peut y voir une
2002, II, 10027). montée en puissance du solidarisme
En l’espèce, les vendeurs ont commis contractuel. Elle opère un déplacement
un dol en n’informant pas l’acquéreur du du point d’équilibre entre, d’un côté, les
défaut d’autorisation d’ouverture de impératifs de protection du consente-
l’établissement cédé et du défaut de ment et, de l’autre, l’impératif de sécu-
conformité de l’hôtel aux normes de rité juridique.
sécurité.
.V
. IV
L’erreur substantielle de l’article 1110 du
Tout d’abord, l’assimilation de la réti- Code civil peut permettre l’annulation
cence au dol emporte un amoindrisse- du contrat lorsque le dol ne peut permet-
ment de l’élément matériel du dol, au tre d’y conduire, c’est-à-dire lorsque l’er-
profit de son élément intentionnel, c’est- reur est provoquée par un tiers à la
à-dire de l’intention de tromper, qui doit convention (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996,
être prouvée par la victime. Bull. civ. I, n° 288). Mais, le plus sou-
vent, il est permis de relever la « supério-
Ensuite, plutôt que la sanction d’une
rité du dol sur l’erreur » (B. Starck,
faute morale, d’une déloyauté, le dol
H. Roland et L. Boyer, Les obligations,
devient la sanction d’une obligation
t. II : Contrat, 2e éd., Litec, 1998, n° 544).
précontractuelle d’information. L’assi-
En effet, à divers égards, l’erreur provo-
milation de la réticence au dol remet en
quée paraît plus avantageuse pour la vic-
cause l’obligation de se renseigner, même
time que l’erreur spontanée.
lorsque l’opération litigieuse est profes-
sionnelle, comme en l’espèce, et consa- En premier lieu, le dol peut être
cre, à l’inverse, l’obligation d’informa- prouvé plus facilement, à tout le moins
tion. C’est au cocontractant de délivrer lorsqu’il prend la forme de manœuvres,
certaines informations, dès lors qu’elles voire de mensonges, car il en existe alors
sont déterminantes. des manifestations extérieures, propres à
faciliter la preuve de l’erreur.
Avec cette assimilation, on est très
loin des principes contractuels fonda- En deuxième lieu, le dol peut être
mentaux ayant dominé le XIXe siècle, à sanctionné, non seulement par la nullité
savoir l’égalité entre les parties, la liberté relative du contrat, mais aussi par la
contractuelle, l’autonomie de la volonté. condamnation de son auteur à verser des
Au contraire, cette jurisprudence illus- dommages et intérêts, car il s’agit d’un
tre les nouveaux principes directeurs du délit civil.
contrat : l’équilibre, la solidarité, voire En troisième lieu, lorsqu’elle est pro-
la fraternité, entre les parties. Cette assi- voquée, l’erreur peut être sanctionnée,
milation constitue, ce faisant, une nou- même lorsque ne sont pas remplies les
velle manifestation du déclin de l’auto- conditions exigées dans le cadre de l’er-
Droit civil des obligations
100
effets » (L. Aynès, obs. sous Cass. 3e civ., n’engendre pas une telle injustice, il
21 févr. 2001, D. 2001, p. 3236). C’est conviendrait de redonner une certaine
pourquoi l’avenir de l’erreur inexcusable vigueur à l’erreur inexcusable. À cette
semble compromis. Il l’est d’autant plus fin, il suffirait que la Cour de cassation
que la règle énoncée joue quels que abandonne le caractère systématique de
soient les rapports contractuels concer- sa solution (que traduit l’utilisation de
nés et, plus particulièrement, même dans l’adverbe « toujours »), en décidant que
des rapports équilibrés entre profession- la réticence dolosive rend, sauf excep-
nels. tion, excusable l’erreur provoquée. En
Comme l’erreur inexcusable traduit redorant de la sorte le blason de l’erreur
une obligation de s’informer et la réti- inexcusable, la Haute Juridiction pour-
cence dolosive une obligation d’infor- rait donc éviter que « la lutte contre la
mer, et que le dol rend toujours excusable feinte n’engendre une mauvaise foi qui
l’erreur, la Cour de cassation réduit à sa prendrait le visage de la bêtise » (Ch.
plus simple expression, non seulement Caron et O. Tournafond, ibid., p. 928).
l’erreur inexcusable, mais aussi l’obliga-
tion de se renseigner. Cette primauté de
l’obligation d’information sur le devoir
. VII
de se renseigner entre parfaitement dans
le cadre du mouvement actuel de Le « forçage du contrat » est l’expression
« consumérisation » du droit commun et qu’emploie la doctrine pour décrire la
compromet un peu plus encore la réalisa- découverte par les juges d’obligations
tion des attentes du cocontractant, qui a contractuelles non stipulées par les par-
pu légitimement croire qu’il traitait avec ties elles-mêmes, sur le fondement des
un partenaire prudent et diligent. En articles 1134, alinéa 3, du Code civil ou
acceptant l’annulation du contrat pour 1135, en vue de rééquilibrer les rapports
dol, même lorsque l’erreur provoquée est entre les parties. Ce courant jurispruden-
plus que grossière, la Cour de cassation tiel s’est développé à partir du début du
porte donc atteinte à la stabilité contrac- XXe siècle, avec la découverte de l’obli-
tuelle, pour faire respecter la bonne foi gation de sécurité dans le contrat de
au stade de la formation du contrat. Le transport. Il s’est ensuite développé avec
déclin de l’erreur inexcusable et l’impé- l’obligation d’information et de conseil,
rialisme corrélatif du dol, s’ils peuvent se et ce dans tous les types de contrats. Le
justifier au regard de l’impératif de « forçage du contrat » concrétise le soli-
loyauté contractuelle, n’en risquent pas darisme contractuel au niveau judiciaire,
moins de produire des effets pervers. En tout comme la détermination d’obliga-
effet, un acquéreur malhonnête pourrait tions impératives en constitue l’expres-
aisément feindre la bêtise pour ensuite se sion au niveau légal.
délier d’un lien contractuel qui ne lui Dans le cas d’espèce, la cour d’appel
apporte plus satisfaction. Pour que la avait refusé de faire supporter au notaire
moralisation des relations contractuelles une obligation particulière d’informa-
Droit civil des obligations
102
tion ou de conseil, en relevant que son tions découvertes par les juges (il est
intervention était postérieure à la ainsi permis de douter de la prévisibilité
conclusion définitive des actes de ces- de l’obligation de sécurité mise à la
sion. Autrement dit, l’échange des charge des teinturiers !).
consentements ayant déjà eu lieu, l’offi-
cier ministériel devait se contenter de
recevoir l’accord de volonté, sans être . VIII
tenu de conseiller les parties sur l’oppor-
tunité de celui-ci. La Cour de cassation censure la cour
Au contraire, la Cour de cassation d’appel pour violation de l’article 1382
décide que le devoir de conseil est dû en du Code civil. Ce visa peut surprendre,
tout état de cause. Dès que le notaire par- au premier abord, puisque le manque-
ticipe à la rédaction d’actes, il doit guider ment reproché au notaire se rapportant à
les parties, même si ces dernières se sont une obligation contractuelle, on aurait
déjà mises d’accord dans un acte préala- pu s’attendre à ce que la Haute Juridic-
ble. Ce devoir de conseil mis à la charge tion vise, soit l’article 1137 du Code
de l’officier public est découvert par les civil si le devoir de conseil du notaire
juges. Il ne figure pas dans le contrat liant constituait une obligation de moyens,
le notaire aux parties. En cela, ce devoir soit l’article 1147 du même code s’il
procède d’un « forçage du contrat ». constituait plutôt une obligation de
Mais, dans le cadre de cette convention, résultat.
ce rééquilibrage judiciaire paraît moins Le visa de l’article 1382 du Code civil
attentatoire à la volonté des parties et au peut cependant se comprendre dans la
principe d’intangibilité du contrat de mesure où la responsabilité des officiers
l’article 1134 du Code civil que certai- ministériels, qu’il s’agisse de notaires ou
nes autres découvertes jurisprudentielles. d’huissiers (cf. Cass. 1re civ., 2 mars
En effet, il entre indubitablement dans 1966), constitue une responsabilité pro-
la mission du notaire de conseiller les fessionnelle, qui trouve son fondement,
contractants qui s’adressent à lui. Le non pas dans le contrat les liant à leurs
devoir de conseil est certes implicite, clients, mais dans les dispositions de la
puisqu’il n’est pas expressément stipulé loi elle-même. Le visa de l’article 1382
dans le contrat, mais il est prévisible, ce du Code civil est dès lors justifié.
qui n’est pas le cas de toutes les obliga-
Conditions de formation du contrat
Commentaire :
Commenter l’arrêt de la Cour de cassation, assemblée plénière, 29 octo-
bre 2004 :
Moyen produit par la SCP Boutet, avocat aux Conseils pour Mme Y…
MOYEN ANNEXE à l’arrêt n° 519.p (assemblée plénière)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué
D’AVOIR prononcé la nullité du legs universel consenti par M. Jean X… a
Mlle Y… dans son testament reçu en la forme authentique le 15 janvier 1991, par
maître Depondt, notaire à Paris ;
AUX MOTIFS QUE M. Jean X…, né en 1895, était âgé de 95 ans lors de son der-
nier testament, un an avant son décès ; qu’il a vécu jusqu’à celui-ci avec son
épouse, Mme Simone Z…, décédée au cours de la présente procédure, avec
laquelle il s’était marié sans contrat en 1922 ;
que Mlle Y… était de 64 ans sa cadette, qu’a été produite aux débats une let-
tre du 7 novembre 1986 sur papier à en-tête de M. Jean X…, dactylographiée,
signé de Jean, précédée de la mention manuscrite « bien à vous », portant en
place du destinataire « M. et Mme Y… Paris » ; qu’en termes simples et directs,
l’auteur de cette lettre mentionne, outre des difficultés sérieuses, explicitées plus
avant comme étant de nature financière : « Muriel… m’a déclaré sur la côte et
devant sa maman : “pas d’argent, pas d’amour” et que “depuis environ six mois,
et probablement un peu plus, j’ai plus souvent des discussions sur le même motif
que des déclarations d’amour”, ajoutant que cela évoquait pour lui le dicton
“quant il n’y a plus de foin au râtelier, les chevaux se battent…” » ; qu’il poursuit
par des explications sur sa situation financière délicate, en relation notamment
Annales
105
à une période d’hospitalisation au cours de laquelle son cabinet avait été géré par
sa fille et son ex-gendre, puis indique : « c’est ainsi que, soucieux de préserver les
intérêts de votre fille, j’ai accepté de vendre ma voiture (19M) et je dois main-
tenant en acheter une autre… et je lui ai remis la totalité de cette somme » et
enfin : « il reste cependant en suspens le salaire NO (non officiel, mention rajou-
tée en marge de la main de l’auteur de la lettre) qui est de même importance et
pour lequel je dois être en retard de deux mensualités, peut-être trois… Je n’ai pu
donner lundi dernier que 10 000 francs de plus à Muriel mais je lui ai promis de
faire tout mon possible au plus tard le 15 janvier… Je n’ai plus de nouvelles
d’elle… » ;
que si les époux Y… ont attesté en 1995, soit huit ans après, n’avoir pas reçu
cette lettre, étant domiciliés au reste au 138 et non au 148 avenue, la conserva-
tion par son auteur d’un écrit, fût-il un double et même signé, n’est pas anormale
chez une personne de grand âge soucieuse de ses affaires ; que le style exprime la
spontanéité des sentiments et du vécu ; qu’enfin, la signature et la mention
manuscrite précédant sont attribuées par l’expert A… à M. Jean X…, la signa-
ture par le seul prénom étant suffisante pour des personnes qu’il connaissait depuis
plusieurs années et avec lesquelles il entretenait des relations amicales ; que l’ana-
lyse de ce document conduit, non seulement à y voir la preuve que Mlle Y… était
la maîtresse de M. Jean X…, mais encore de l’attitude exclusivement intéressée
de Mlle Y… à la rémunération de ses faveurs ; que ce document doit être rappro-
ché des lettres des 19 et 21 août 1987 fixant les « nouvelles attributions » de
Mlle Y… auprès de M. Jean X… : « B) en outre de vos occupations de VRP, vous
continuerez à m’accompagner dans tous mes déplacements à titre d’accompa-
gnatrice, sans limite d’heure, de présence, de délai, ni de distance… dans toute
la France… et éventuellement à l’étranger » ; que le salaire de Mlle Y… était sti-
pulé calculé en fonction de l’ensemble de sa disponibilité ; que M. Jean X… s’en-
gageait à rémunérer, outre l’assistance professionnelle de son amie dans son
activité de VRP, l’accompagnement et la présence de celle-ci sans limite, impli-
quant des relations d’ordre privé ; qu’en l’état de ses difficultés de trésorerie,
M. Jean X… n’avait donc plus les moyens de payer à Mlle Y… les sommes qu’il
s’était engagé à lui verser ; que quoique la libéralité par testament soit suscepti-
ble jusqu’au décès d’être modifiée, sa connaissance par le gratifié l’entretient dans
l’espérance de percevoir une partie des biens du patrimoine de son concubin et
ne contredit pas le caractère rémunératoire ; que la libéralité testamentaire, qui
n’avait vocation qu’à rémunérer les faveurs de Mlle Y…, est contraire aux bonnes
mœurs et doit être annulée ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
ALORS, D’UNE PART, QUE n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la
libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec
le bénéficiaire ; que la cour d’appel a décidé que le testament du 4 octobre 1990
Droit civil des obligations
106
de M. Jean X…, instituant Mlle Y… légataire universelle, était nul pour contra-
riété aux bonnes mœurs puisque, par ce testament, M. Jean X… entendait seu-
lement rémunérer Mlle Y… de ses faveurs ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a
violé les articles 1131 et 1133 du Code civil ;
ALORS, D’AUTRE PART, QUE la cause immorale s’apprécie au jour de l’acte ;
que l’arrêt est fondé sur une lettre de M. Jean X… du 7 novembre 1986, dont il
n’est pas établi qu’il l’ait envoyée aux parents de Mlle Y…, dans laquelle il se
plaignait de l’absence de « déclarations d’amour », tout en indiquant qu’il s’en-
gageait à prendre dans l’immédiat des mesures pour venir en aide financièrement
à Mlle Y… ; que sur le fondement de cette lettre, sans nulle autre constatation cir-
constanciée, sans tenir compte de la durée de près de quinze ans de la relation qui
s’était établie entre Mlle Y… et M. Jean X… et sans se placer à la date de l’éta-
blissement du testament litigieux, la cour d’appel ne pouvait affirmer que le tes-
tament du 4 octobre 1990 (c’est-à-dire intervenu quatre ans après cette lettre)
était seulement destiné à rémunérer les faveurs de Mlle Y…, sans priver sa déci-
sion de base légale au regard des articles 1131 et 1133 du Code civil.
Corrigé
conçu par l’homme et pour l’homme.
D ans son célèbre discours prélimi-
naire, Portalis avait parfaitement
mis en lumière les rôles respectifs de la loi
Pour autant, le droit ne se réduit pas à
cela. Il est aussi une ligne de conduite, il
— qui ne peut et ne doit pas tout pré- dicte à l’homme son comportement plus
voir — et de la jurisprudence qui, au qu’il ne s’y soumet.
contraire, peut et doit, autant que néces-
En consacrant l’absolue validité des
saire, descendre dans les détails. Ainsi,
au fil de ses interprétations, le juge per- libéralités adultères, l’arrêt rendu le
met-il au droit, selon l’expression du 29 octobre 2004 par l’assemblée plénière
doyen Carbonnier, de ne pas « préten- de la Cour de cassation ignore superbe-
dre à l’absolu de la ligne droite », mais ment cette deuxième facette du droit, au
de s’adapter aux évolutions des mœurs : nom de la sacro-sainte et donc dange-
là est son humanité, puisque le droit est reuse adaptation du droit aux faits.
Annales
107
Faits croustillants s’il en est, comme le Mme Y fit valoir principalement que
détaille le pourvoi… M. Jean X, quasi « n’est pas contraire aux bonnes mœurs
centenaire, entretenait une relation la cause de la libéralité dont l’auteur
adultère avec sa secrétaire, Mme Y, de entend maintenir la relation adultère
soixante-quatre ans sa cadette. Outre les
qu’il entretient avec le bénéficiaire »
nombreuses sommes d’argent qu’il lui
avait versées de son vivant (son salaire (rappel de Cass. 1re civ., 3 févr. 1999), de
dépendant notamment des faveurs sorte que la cour d’appel aurait violé les
qu’elle lui accordait), il l’institua léga- articles 1131 et 1133 du Code civil.
taire universelle par testament authen- Ainsi l’assemblée plénière devait-elle
tique du 4 octobre 1990, et l’en informa. répondre à la question suivante : la libé-
Suite au décès de M. Jean X (le 15 jan-
ralité (ici un legs) consentie à l’occasion
vier 1991), la famille refusa de délivrer le
d’une relation adultère est-elle ou non
legs, par une compréhensible absence de
docilité. Mme Y introduisit une action en nulle comme ayant une cause contraire
délivrance de legs, à laquelle la veuve et aux bonnes mœurs ?
la fille de M. X répliquèrent en sollici- L’assemblée plénière de la Cour de cas-
tant reconventionnellement la nullité sation, au visa des articles 900, 1131
de la libéralité. La première cour d’appel et 1333 du Code civil, répond par la
saisie prononça la nullité du legs, don-
négative dans un attendu de principe :
nant ainsi toute satisfaction à la famille
du testateur, mais l’arrêt fut cassé, le « Attendu que n’est pas nulle comme
25 janvier 2000, par la première chambre ayant une cause contraire aux bonnes
civile de la Cour de cassation, dans le mœurs la libéralité consentie à l’occa-
droit fil d’une jurisprudence amorcée par sion d’une relation adultère. » Ainsi la
elle dans une très retentissante et très cri- cassation de l’arrêt de la cour d’appel de
tiquée décision du 3 février 1999. La cour Paris est-elle prononcée, l’affaire étant
de Paris résista puisque, appelée à statuer renvoyée devant la cour d’appel de Ver-
sur renvoi, elle refusa de se conformer à
sailles.
la solution de la Haute Cour, prononçant
à nouveau la nullité du legs par arrêt en Par cette solution choquante, l’assem-
date du 9 janvier 2002. Pour prononcer blée plénière conforte un revirement de
la nullité du legs, l’arrêt se fonda sur la jurisprudence amorcé en 1999 par la pre-
contrariété du legs aux bonnes mœurs, mière chambre civile de la Cour de cassa-
ce dernier n’ayant vocation qu’à rému- tion. Cet arrêt illustre donc particulière-
nérer les faveurs de la légataire Mme Y… ment bien l’évolution de la notion de
Cette dernière, décidément très moti-
bonnes mœurs. Afin de l’étudier, il s’agira
vée, se pourvut en cassation, et l’affaire
fut alors, comme la loi l’impose, portée de montrer que la cause de la libéralité
devant la plus prestigieuse des forma- est considérée comme conforme aux bon-
tions de la Cour de cassation : l’assem- nes mœurs (I) afin de déterminer les
blée plénière. Devant cette assemblée, conséquences de cette analyse (II).
Droit civil des obligations
108
les raisons lointaines qui motivent les étaient au contraire annulées lorsqu’elles
contractants (ici le testateur), la causa avaient pour cause « soit la formation, la
remotae ou cause subjective, laquelle ne continuation ou la reprise des rapports
s’extériorise pas nécessairement. Sans immoraux, soit leur rémunération » (en
doute cette observation permet-elle de ce sens, v. not. Cass. 1re civ., 2 déc. 1981,
mieux comprendre l’exhumation judi- D. 1982, inf. rap. p. 474, obs. D. Martin ;
ciaire des différents courriers intimes du Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, Procédures
testateur. En second lieu, parce que la 1997, comm. n° 56, note R. Perrot),
notion de bonnes mœurs est un standard c’est-à-dire quand elles étaient le prix des
juridique, une notion évolutive sans faveurs (pretium stupri).
contenu précis, comme en atteste le pré- La jurisprudence se basait donc géné-
sent arrêt, puisqu’il consacre précisément
ralement sur la théorie de la cause immo-
sur ce point un revirement de jurispru-
rale pour annuler les libéralités entre
dence.
concubins, l’appréciation du motif
impulsif et déterminant de la libéralité
B. La consécration relevant du pouvoir souverain des juges
d’un revirement du fond. Parmi les éléments retenus le
plus souvent en faveur de la validité de la
jurisprudentiel libéralité, figuraient la durée de la liai-
son et la présence d’un enfant (Cass.
Selon une jurisprudence traditionnelle,
1re civ., 19 mars 1975, Bull. civ. I,
et qui s’est maintenue jusqu’au revire-
n° 119), le fait que, dès le prononcé de
ment opéré par la Cour de cassation le
son divorce, le donateur avait épousé le
3 février 1999, les libéralités entre
donataire (Cass. 1re civ., 11 févr. 1986,
concubins pouvaient être annulées par
JCP éd. G, 1986, IV, 109) ou que la libé-
application des articles 1131 et 1133 du
ralité ne devait prendre effet qu’à son
Code civil, pour cause illicite ou immo-
décès (Cass. 1re civ., 10 déc. 1969, Bull.
rale (P. Ascensio, « L’annulation des
civ. I, n° 386). Il arrivait qu’une dona-
donations immorales entre concubins »,
tion au profit de la concubine fût annu-
RTD civ. 1975, p. 248 et s.). Une juris-
lée, alors que le testament fait en sa
prudence plus que centenaire (v. Cass.
req., 2 févr. 1853, DP 1853, 1, p. 57 ; faveur était regardé comme valide (Cass.
Cass. req., 31 juill. 1860, S. 1860, p. 834) 1re civ., 16 janv. 1973, D. 1973, inf. rap.
opérait en effet, entre ces libéralités, une p. 36).
distinction moralisatrice fondée sur leur Cette jurisprudence byzantine fit l’ob-
« cause impulsive et déterminante », jet de nombreuses critiques. On pouvait
c’est-à-dire sur le but poursuivi par le dis- en effet lui reprocher de reposer sur une
posant. Valables lorsqu’elles tendaient à analyse a posteriori des intentions du dis-
favoriser ou à faciliter la rupture et (ou) posant, qui risquait fort d’être divinatoire
à satisfaire un devoir de conscience (par et d’être influencée par les conceptions
exemple à réparer le préjudice causé à la personnelles des magistrats. Le recours à
concubine ou à assurer son avenir), elles la cause immorale était en outre devenu
Droit civil des obligations
110
anachronique à une époque où les demeurant fort bien suivie par les juges
enfants adultérins peuvent être reconnus du fond (CA Toulouse, 29 mars 2000,
et où la Cour de cassation accorde répa- Dr. famille 2000, comm. 100, note B. Bei-
ration à la concubine en cas de décès gnier ; CA Bordeaux, 12 oct. 2000, Dr.
accidentel de son concubin sans s’embar- famille 2000, comm. 61), sauf bien sûr
rasser de l’immoralité du concubinage. dans l’affaire qui ici nous intéresse…
Un revirement de jurisprudence pou- On aura en effet reconnu, parmi les
vait avoir lieu, d’autant que quelques arrêts cités, celui du 29 janvier 2002,
mois plus tard, le concubinage venait rendu dans la même affaire que celle qui
prendre place dans le Code civil avec la ici retient toute notre attention. Face à
loi n° 99-944 du 15 novembre 1999, à la résistance de la cour d’appel de renvoi,
l’article 515-8, presque deux siècles après qui maintint la nullité du legs adultère
en avoir été fermement écarté par les malgré la cassation du premier arrêt d’ap-
rédacteurs du Code.
pel, l’assemblée plénière tranche sans
Ce revirement fut l’œuvre d’un très ambiguïté en faveur de la position défen-
célèbre arrêt de principe, rendu le due par la première chambre civile. Rap-
3 février 1999 (sous le visa des arti- pelons l’attendu de principe rendu par
cles 1131 et 1132 du Code civil), dans l’assemblée plénière : « Attendu que
lequel la première chambre civile de la n’est pas nulle comme ayant une cause
Cour de cassation décida que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la libéralité
contraire aux bonnes mœurs la cause de consentie à l’occasion d’une relation
la libéralité dont l’auteur entend mainte-
adultère. » La formule n’est pas très éloi-
nir la relation adultère qu’il entretient
gnée de celle de la première chambre
avec le bénéficiaire » (Cass. 1re civ.,
civile, pour qui, on l’a dit, « n’est pas
3 févr. 1999, Bull. civ. I, n° 43 ; Defrénois
contraire aux bonnes mœurs la cause de
1999, art. 37017, obs. G. Champenois).
la libéralité dont l’auteur entend mainte-
Comme on le constate, cet arrêt propulse
nir la relation adultère qu’il entretient
le droit d’un extrême à l’autre, puisqu’il
ne fait pas que valider les libéralités entre avec le bénéficiaire ». On remarquera
concubins en général, il valide égale- cependant que dans l’arrêt de 1999 (et
ment celles consenties entre concubins les arrêts suivants), la libéralité visait
adultères, c’est-à-dire au mépris des obli- (selon l’expression même de la Cour de
gations du mariage. Malgré des critiques cassation) à « maintenir » la relation. On
fort nombreuses, la première chambre pouvait donc penser que la libéralité
civile a réitéré sa doctrine en la matière serait nulle si elle avait pour but non pas
(Cass. 1re civ., 16 mai 2000, Defrénois de maintenir une relation, mais de
2000, p. 1049, obs. G. Massip ; Dr. famille l’amorcer ou de la reprendre. L’arrêt du
2000, comm. 102, note B. Beignier ; 29 octobre 2004 déçoit cet espoir, par
Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, Defrénois l’emploi d’une formule on ne peut plus
2002, p. 681, obs. G. Massip ; Dr. famille générale : « […] à l’occasion d’une rela-
2002, comm. 64, note H. Lécuyer), au tion adultère… ».
Annales
111
Résumons : depuis l’arrêt du 29 octo- viagra aidant, irriguer toutes les classes
bre, il est indéniable que toute libéralité d’âge » (Les grands arrêts de la jurispru-
adultère est licite, sans aucune restric- dence civile, 11e éd., Dalloz, 2000, p. 149,
tion. S’ensuivent de multiples consé- note sous Cass. 1re civ., 3 févr. 1999). La
quences, qu’il nous faut maintenant étu- puissance de l’argent en ressort renfor-
dier. cée. Ensuite, sans basculer dans le misé-
rabilisme, on soulignera, parce qu’il
mérite toute considération, le désarroi
II. Les conséquences d’une famille, et tout spécialement d’une
de la licéité de la cause veuve, confrontée coup sur coup à la
perte d’un être cher, à la révélation d’un
de la libéralité adultère (ce dernier pouvant certes être
connu du vivant de l’époux infidèle) et à
La licéité absolue des libéralités adultère l’annonce d’une exhérédation. N’est-ce
nous paraît avoir des conséquences pas trop pour un seul être ? À cela, on
néfastes (A), qui très certainement pourra objecter que la travailleuse du
seront durables (B). sexe (pardon… la concubine) mérite
après tout, elle aussi, considération. Mais
A. Des conséquences si cela doit s’opérer au détriment de la
néfastes famille légitime, peut-on le tolérer ?
Assurément non.
En décidant de valider les libéralités Mais c’est aborder ici le second aspect
adultères, la Cour de cassation consacre de la critique que suscite l’arrêt rendu.
une solution très choquante et contraire Inopportun, l’arrêt du 29 octobre 2004
au droit. En somme, l’opportunité et la nous semble surtout illégal. Mais qui cas-
légalité sont ici contrariées. sera la Cour de cassation ? En effet, l’ar-
Une telle solution n’est pas oppor- ticle 1133 du Code civil renvoie aux
tune. D’abord parce qu’elle tend à légali- bonnes mœurs, mais également à l’ordre
ser la prostitution. En l’espèce, la public. Que la prostitution soit considé-
« concubine » ne pratiquait pas autre rée comme conforme aux bonnes
chose puisque, en somme, elle mon- mœurs, de même que l’adultère, et que
nayait ses charmes. Que cette dernière le tout ne contrarie pas davantage cette
mérite rémunération peut se discuter notion semble déjà difficile à admettre.
(après tout, ne dit-on pas que tout tra- Mais au nom de la modernité et de la
vail mérite salaire), mais admettons aussi tolérance, que ne ferait-on pas ! Beau-
que cela puisse choquer. Comme a pu coup plus discutable est en revanche la
l’écrire le professeur Yves Lequette, en superbe ignorance par la Cour de cassa-
faisant sauter le verrou juridique de la tion de l’article 212 du Code civil. Cet
nullité des libéralités immorales, la Cour article, lu à tous les futurs mari et femme
de cassation montre que « la morale du par l’officier d’état civil, dispose que « les
bonheur et de la liberté sexuelle doit, époux se doivent mutuellement fidélité,
Droit civil des obligations
112
secours, assistance ». Au premier rang (dans notre affaire, l’avocat général avait
des devoirs des conjoints figure donc… conclu au rejet du pourvoi, et donc à
la fidélité. Inutile de rappeler ici que cet l’annulation du legs adultère), elle risque
article est d’ordre public et ne peut donc désormais d’être réduite au silence. Ainsi
être éludé, même par les plus libertins des un arrêt rendu le 25 janvier 2005 par la
couples : tolérance d’un jour n’est pas première chambre civile de la Cour de
tolérance pour toujours… La fidélité cassation est-il venu réitérer la jurispru-
s’impose donc aux époux, y compris et dence ici commentée (Cass. 1re civ.,
surtout à ceux qui la portent comme un 25 janv. 2005, D. 2005, p. 458). Par effet
fardeau. Que dire alors de la libéralité qui de percussion, les nombreux arrêts ren-
incite à la violation, par un époux, de son dus coup sur coup dans le sens de la vali-
devoir de fidélité et, pire, la consacre ? La dation des libéralités adultères viennent
réponse ne fait pas de doute : une telle banaliser la solution et paralyser la capa-
libéralité a, d’évidence, une cause illicite cité d’indignation de chacun. Quant aux
et devrait en tant que telle être annulée. juges du fond, s’ils pouvaient hier entrer
Ainsi l’arrêt du 29 octobre 2004 sonne- en dissidence contre une chambre de la
t-il en définitive une charge phénomé- Cour de cassation, il leur faudra davan-
nale contre l’institution du mariage, qu’il tage de témérité pour oser contrer l’as-
tend à désacraliser. Telle n’est visible- semblée plénière.
ment pas la conception de la Cour de Hier campée dans une position
cassation. On peut le regretter, d’autant confortable, avec pour bouclier l’oppor-
que la solution adoptée par les hauts tunité et la légalité, la Cour de cassation
magistrats semble devoir perdurer. a adopté une jurisprudence sur laquelle il
lui sera difficile de revenir, sauf à mani-
B. Des conséquences fester un courage exemplaire. Car le
retour, non pas à l’ordre moral, mais au
durables Code civil, encourra le qualificatif de
rétrograde. Mais qu’importe d’être dans
Choquante, contraire au bon sens, à la
le vent : c’est le destin des feuilles mortes.
morale et au droit, la solution consacrée
Les petits accommodements font parfois
par l’arrêt du 29 octobre 2004 risque
les grandes défaites : lorsque l’essentiel
pourtant de ne pas changer de sitôt.
est en jeu, il faut savoir ne rien concé-
En premier lieu, même si, au sein de la der.
Cour de cassation, la dissidence existe
2. Nullité du contrat
Dissertation :
Peut-on, en matière contractuelle, perdre le droit d’invoquer une cause
de nullité ?
Corrigé
sont réunies, le droit de critique est est faite par voie d’action ou par voie
acquis. Il appartient simplement à son d’exception.
titulaire de le défendre dans le respect
des règles de droit. Ces règles sont inté- A. Les vertus
ressantes : de procédure ou de quasi-
procédure, elles permettent de vérifier
de l’action en nullité
que le droit n’existe que s’il est défendu.
Si l’on agit dans les délais, l’action peut
S’il ne l’est pas, il se perd. Et s’il l’est, prospérer ; il appartiendra au juge saisi de
encore faut-il que son titulaire mérite ce vérifier si les conditions de la nullité sont
qu’il recherche ; à défaut, il n’est pas illo- ou non réunies (cf. les développements
gique de lui retirer le bénéfice de son du cours sur l’office du juge dans la théo-
action : c’est encore de perte qu’il s’agit ; rie des nullités).
– à la réflexion, c’est bien ce que l’on Quant aux délais d’action, il suffit de
constate, car le titulaire du droit de criti- rappeler qu’ils sont de cinq ans, s’agissant
que perd ses droits lorsqu’il laisse passer d’une nullité relative et de dix (matière
le temps (I). Il les perd encore lorsqu’il commerciale) ou trente ans (matière
commet une faute (II). La perte du droit civile), s’agissant d’une nullité absolue.
d’agir vient donc sanctionner aussi bien Il n’y a là, une fois encore, que des
l’insouciant que le fautif. points de cours qu’il appartient aux étu-
diants de retranscrire.
I. La perte du droit
B. Les limites
d’agir, sanction de l’exception de nullité
de l’insouciance
Rien ne s’oppose à ce que la nullité soit
Tout le monde comprend que le droit opposée par voie d’exception. On
doit être défendu pour exister, mais que répond à une demande en paiement, en
soulevant la nullité du contrat. En elle-
cette défense doit se faire conformément
même, cette exception n’est enfermée
aux exigences de la loi. La première de
dans aucun délai : elle est, dit-on, perpé-
ces exigences est certainement de res-
tuelle, ce qui se comprend, car, à défaut,
pecter les délais requis. À défaut, l’action
il suffirait au cocontractant peu scrupu-
est prescrite : elle est perdue. L’insouciant leux d’attendre l’expiration du délai de
n’a pas voulu se défendre dans les délais prescription pour agir en paiement et
qui lui sont impartis : tant pis pour lui ; échapper ainsi à toute sanction. De plus,
c’est sans doute que la situation n’était la règle rejoint l’un des fondements de la
pas si dramatique. Il faut donc pour prescription qui est de faire coïncider le
s’épargner cet effet du temps, se défen- droit et la réalité : si rien n’a été fait pen-
dre. Mais le problème ne se pose pas dans dant un certain temps, il faut entériner
les mêmes termes selon que cette défense cet état de fait et ne plus le remettre en
Droit civil des obligations
116
cause (quieta non movere). Et précisé- En tout cas, voilà de quoi rester vigi-
ment, si une demande en exécution lant, car la sanction peut être brutale, et
vient, au-delà du délai de prescription, parfois non méritée. Ce qui n’est pas le
agiter ce sur quoi on a toujours fermé les cas lorsque le titulaire de l’action a com-
yeux, l’exception de nullité est là pour mis une faute.
s’opposer à cette remise en cause.
Mais bien évidemment, ces explica-
tions supposent que le contrat en ques-
II. La perte du droit
tion n’ait pas été encore exécuté. d’agir, sanction
Comme l’a reconnu, à plusieurs reprises, de la faute
la Cour de cassation, « l’exception de
nullité peut seulement jouer pour faire
échec à la demande d’exécution d’un L’idée de réparation n’est pas absente du
acte juridique qui n’a pas encore été exé- droit des nullités. Ce droit n’est pas seu-
cuté ». Cette jurisprudence a été analy- lement mécanique, même s’il est souvent
sée en cours et dans le cadre des travaux présenté comme tel. Aussi bien, le titu-
dirigés. Il appartient aux étudiants de laire du droit de critique ne peut toujours
s’en souvenir et d’en faire état. compter sur son bon droit. Ce n’est pas
parce que les conditions de l’annulation
Si le contrat a déjà été exécuté, il n’y sont réunies qu’il obtiendra nécessaire-
a plus de raison de libérer l’exception de ment satisfaction. Encore faut-il qu’il
nullité de toute contrainte de temps, mérite ce qu’il recherche. C’est bien ce
d’autant qu’elle ne se traduit plus, sur le que disent les textes et la jurisprudence.
plan procédural, par une simple défense,
une simple contestation de ce qui est
demandé ; elle contient une prétention A. La sanction prévue
et exprime, à son tour, une demande. Les par la loi
exigences de délais reprennent alors logi-
quement leur empire. Mais les difficultés Il suffit de citer ici l’article 1310 du Code
techniques apparaissent aussitôt : si l’ex- civil qui dispose que le mineur « n’est
ception est toujours recevable lorsque le point restituable contre les obligations
contrat n’a jamais été exécuté, elle ne résultant de son délit ou de son quasi-
l’est plus nécessairement lorsque le délit ».
contrat a été pleinement exécuté ou Le texte concerne la situation du
encore, et plus vraisemblablement, mineur qui se fait passer pour majeur,
lorsqu’il ne l’a été que partiellement. conclut un contrat qu’il sait irrégulier et
Comment comprendre l’exécution en demande l’annulation parce que
partielle ? Comment la définir ? La ques- l’opération a tourné à son désavantage.
tion est difficile, dès l’instant que le Sans doute ne peut-il être question de
contrat est complexe. Prendre des exem- mettre à la charge de l’incapable la répa-
ples : le contrat de crédit-bail en fournit ration du préjudice qu’il cause pour le
un excellent. seul motif qu’il a invoqué la nullité pour
Annales
117
T Université de Bretagne-Sud
JE Premier semestre 2002-2003
U
S
Commentaire :
Commentez l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation
du 13 juin 2001 :
Viole les articles 1109 et 1234 du Code civil la cour d’appel qui retient qu’un
bail étant à exécution successive, son annulation pour erreur ne peut intervenir
qu’à compter de la date de sa dénonciation, sans qu’elle puisse être rétroactive.
Référence : Cass. 3e civ., 13 juin 2001, n° 908 FS-D, Sté Impression c/Sté Tou-
louse réseau parc, Juris-Data n° 2001-010202.
Sur le moyen unique du pourvoi n° E99-20.19 :
Droit civil des obligations
120
• Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Toulouse, 8 juin 1999), que la société
Toulouse réseau parc, venant aux droits de la société Jean Rodier, a par acte sous
seing privé du 8 octobre 1992, donné à bail à la société Impression des locaux à
usage commercial : que, par acte du 21 mai 1997, elle l’a assignée pour lui deman-
der paiement d’une certaine somme au titre des charges ;
• Attendu que la société Toulouse réseau parc fait grief à l’arrêt de dire que
le bail est entaché de nullité pour erreur et dol, alors, selon le moyen […]
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° V99-18-676 :
• Vu l’article 1109 du Code civil, ensemble l’article 1234 du même code ;
• Attendu qu’il n’y a point de consentement valable si le consentement a été
donné par erreur ;
• Attendu que, pour dire que le bail est résilié à compter du 1er novembre
1998, l’arrêt retient que ce contrat étant à exécution successive, son annulation
ne peut intervenir qu’à compter de la date de sa dénonciation sans qu’elle puisse
être rétroactive ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a vicié les textes susvisés ;
• Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu’il a dit que le bail
du 8 octobre 1992 a été résilié le 1er novembre 1998, l’arrêt rendu le 8 juin 1999
entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse.
Corrigé
cause. Elles ont chacune leur nature et
C omme les journalistes ne se sou-
cient guère des trains qui arrivent à
l’heure, le droit (au moins le droit
leur régime propres, et le juriste rigou-
reux ne doit jamais les confondre, même
contentieux) ne se soucie pas des en croyant bien faire. C’est une telle
contrats valablement formés et correcte- confusion que la troisième chambre
ment exécutés. Mais que survienne un civile de la Cour de cassation a entendu
vice dans la formation de la convention, sanctionner, dans un arrêt du 13 juin
ou une inexécution de celle-ci, et le droit 2001.
fulmine alors diverses sanctions. Les faits sont simples : par acte sous
Plusieurs sanctions existent en droit seing privé, la société Toulouse Réseau a
des contrats, selon le type de situation en donné à bail à la société Impression des
Annales
121
locaux à usage commercial. Quelque regard de ses effets (B). Ce qu’a manifes-
temps plus tard, le bailleur a assigné le tement méconnu la cour d’appel.
locataire en paiement d’une certaine
somme au titre des charges. En réponse,
A. La spécificité de la cause
la société Impression a invoqué la nul-
lité du bail pour erreur et pour dol. La de cette sanction
cour d’appel de Toulouse a alors jugé que
le bail constituant un contrat à exécu- 1. Énoncé du principe
tion successive, son annulation ne peut
La nullité constitue la sanction spécifi-
intervenir qu’à compter de la date de sa que des conditions de formation des
dénonciation, sans qu’elle puisse être contrats. Est nul le contrat qui n’est pas
rétroactive. Elle a donc résilié le bail valablement formé.
pour l’avenir, sans le remettre en cause
pour le passé. La Cour suprême casse cet C’est essentiellement la doctrine qui
arrêt, au visa des articles 1109 et 1234 du a permis l’élaboration d’une théorie
Code civil, mais seulement en ce qu’il a générale des nullités. Mais celle-ci reste
prononcé une résiliation au lieu d’une complexe sur bien des points, en raison
annulation rétroactive. notamment de l’éclatement et la disper-
sion des textes traitant de cette sanction.
La solution posée par la Cour régula- Il n’existe pas dans le Code civil de titre
trice doit être totalement approuvée. En ou de chapitre régissant spécifiquement
sanctionnant le vice du consentement et de manière homogène la nullité des
affectant le bail, par application d’une contrats (il y a certes une section VII, du
sanction non rétroactive, afin d’éviter les Chapitre V, du Titre III du Livre III du
difficultés que pose la nullité en matière Code civil — art. 1304 et s. — qui traite
de contrat à exécution successive (II), la « de l’action en nullité ou en rescision
cour d’appel a en effet méconnu le carac- des conventions », mais celle-ci ne com-
tère spécifique de cette sanction que porte que quelques articles surtout rela-
constitue la nullité (I). tifs à la lésion). Tout au contraire, les dis-
positions relatives à cette sanction sont
disséminées dans le Code civil (et ail-
I. Les spécificités leurs). Ainsi, le Code civil prévoit-il, par
de la nullité, au regard exemple, expressément ou implicite-
des autres modes ment, la nullité des contrats en matière
d’incapacité (par ex. C. civ., art. 1125-1
d’anéantissement ou 1596), pour lésion (par ex. C. civ.,
ou d’inefficacité art. 887 ou 1674), pour défaut, indéter-
mination ou illicéité de l’objet (par ex.
des contrats C. civ.,. art. 1128, 1129 ou 1601 pour la
vente), pour défaut ou illicéité de la
La nullité est une sanction spécifique cause (par ex. C. civ., art. 1131, 1133),
tant au regard de ses causes (A), qu’au toutes choses considérées par la loi
Droit civil des obligations
122
contrat. En dépit des termes parfois revenir à l’état antérieur. En effet, et cela
employés pour cette figure juridique, de est fondamental, une condition de vali-
« nullité conventionnelle », les parties dité faisant défaut ab initio, c’est néces-
— le voudraient-elles — ne peuvent pas sairement ab initio que l’acte doit être
totalement faire comme s’il n’avait privé d’effets.
jamais existé. Si elles peuvent organiser Mais, si le retour au statu quo ante est
une forme de rétroactivité de l’anéantis- aisé lorsque la convention n’a pas encore
sement, elles ne peuvent empêcher que été exécutée, il en va différemment dans
les tiers (les créanciers, le fisc) puissent le cas contraire. La rétroactivité de la
invoquer les effets juridiques du contrat nullité postule alors que les prestations
initial. exécutées soient restituées. La restitution
Mais la nullité se distingue surtout, s’effectue normalement en nature. Mais
pour cette même raison, de la résolution. il se peut cependant qu’elle soit totale-
Alors que la nullité sanctionne une irré- ment ou partiellement impossible : la
gularité commise au moment de la for- chose a péri, a été détériorée ou aliénée
mation du contrat, la résolution frappe sans qu’aucune action soit possible
un contrat valablement conclu, en rai- contre le tiers acquéreur (par exemple,
son de la survenance postérieurement à lorsqu’il est protégé par les règles relati-
sa formation de certains faits (inexécu- ves à la possession des meubles, C. civ.,
tion de ses obligations par une partie, art. 2279) ; elle a été consommée ou
survenance d’une condition résolutoire). incorporée à d’autres biens. Dans ces
Toutefois, cette distinction nette s’es- hypothèses, une restitution par équiva-
tompe si l’on considère les effets respec- lent monétaire (restitution en valeur)
tifs de ces deux sanctions. En effet, doit être ordonnée. Il faut noter toute-
comme la nullité, la résolution d’un fois que le possesseur de bonne foi
contrat entraîne son anéantissement conserve les fruits produits par la chose à
rétroactif. restituer (C. civ., art. 549), que les inca-
pables ne sont tenus de restituer que si
B. La spécificité « ce qui a été payé a tourné à leur profit »
(C. civ., art. 1312) et que lorsqu’une par-
des effets de cette sanction
tie est au courant du caractère immoral
La nullité a pour caractéristique essen- de la convention, elle ne peut obtenir
tielle d’anéantir rétroactivement le restitution de sa prestation (nemo audi-
contrat, ce dont ne rend qu’imparfaite- tur…).
ment compte l’adage quod nullum est, Nous avons dit que la distinction
nullum producit effectum (ce qui est nul entre la nullité et la résolution s’estompe
ne produit aucun effet), qui ne paraît si l’on considère les effets respectifs de
insister que sur l’un des effets de la nul- ces deux sanctions. C’est qu’en effet, il
lité, à savoir l’inefficacité du contrat pour est de principe que les effets de la résolu-
l’avenir. Or, il faut considérer que le tion — ou de sa rétroactivité — sont les
contrat n’est jamais intervenu, et donc mêmes que ceux de la nullité, à l’excep-
Droit civil des obligations
124
tion bien sûr des règles relatives aux bilité de remise en l’état caractérise par-
incapables et de l’exception d’indignité, ticulièrement les contrats successifs,
qui ne concernent que la nullité. Même c’est-à-dire ceux qui comportent des
si les notions de résolution et de nullité prestations périodiques, échelonnées
ne peuvent en aucun cas être confon- dans le temps : contrat de travail, cer-
dues, il est clair que l’existence de règles tains contrats d’entreprise, contrat de
qui leur sont communes peut entraîner société… Si un tel contrat est annulé
une certaine confusion, et pas seulement après un certain temps d’exécution, on
dans l’esprit des étudiants… En l’espèce, ne peut effacer le passé : l’employeur ne
la confusion a été manifestement faite peut rendre au salarié le travail fourni…
par les juges du fond. Il est vrai que les Telle était bien la situation en l’espèce,
difficultés que pose la nullité en matière puisque la convention annulée était un
de contrat à exécution successive les y bail. Si le bailleur peut restituer les loyers
incitaient. perçus, on ne peut pas considérer que
l’occupation du local n’a pas eu lieu.
II. Les difficultés Cette difficulté étant liée à la rétroac-
tivité de l’anéantissement, elle n’est pas
de la nullité, propre à la nullité mais concerne égale-
en matière de contrat ment la résolution. Or, l’on constate que
la jurisprudence — y compris la Cour de
à exécution successive
cassation — s’efforce d’éviter les difficul-
tés de la rétroactivité en prononçant fré-
La rétroactivité de la nullité pose un cer-
quemment (mais pas toujours, ainsi lors-
tain nombre de problèmes, relatifs
que le contrat forme un tout indivisible)
notamment aux restitutions dans les
une résiliation (qui anéantit le contrat
contrats à exécution successive (A).
seulement pour l’avenir) plutôt qu’une
Pour éviter ces difficultés, la cour d’appel
résolution.
de Toulouse a sanctionné le vice du
consentement affectant le bail, par appli- La tentation est naturellement
cation d’une sanction non rétroactive, grande, pour certains juges, de transposer
ce qui lui a valu les foudres de la Cour de cette solution à la matière des nullités.
cassation (B). Elle est d’autant plus grande que la loi
elle-même, parfois, prévoit que la nullité
s’opérera sans rétroactivité (ainsi en
A. La problématique matière de nullité de société, C. civ.,
rétroactivité des contrats art. 1844-15 ou en matière de mariage,
à exécution successive théorie du mariage putatif, C. civ.,
art. 201). En l’espèce, la cour d’appel de
Certaines prestations non monétaires ne Toulouse n’a pas su résister à cette tenta-
peuvent, en raison de leur nature, don- tion, ce que lui reproche la Cour de cas-
ner lieu à restitution. Une telle impossi- sation.
Annales
125
T Université de Poitiers
JE Second semestre 2001-2002
U
S
Commentaire :
Commentez l’arrêt suivant de la première chambre civile de la Cour de
cassation, 13 avril 1999, Bull. civ. I, n° 131 (Code civil autorisé) :
Sarcelles, au titre du lot n° 54, exploité à usage de cinémas, l’arrêt attaqué, rendu
sur renvoi après cassation retient que l’accord du 13 mars 1981, faisant la loi des
parties, selon lequel la société CIRP, aux droits de laquelle la CICF, s’est engagée
à supporter ces charges aux lieu et place de l’UGC, tant que le nombre d’entrées
annuelles des cinémas resterait inférieur ou égal à 380 000, comporte un terme et
non une condition, dès lors qu’il a été considéré comme de réalisation certaine
par les parties ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’événement étant incertain
non seulement dans sa date, mais aussi quant à sa réalisation, il s’agissait d’une
condition et non d’un terme, la cour d’appel a violé le texte susvisé par fausse
application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du
moyen du pourvoi incident, ni sur ceux du pourvoi principal de la société Com-
pagnie immobilière et commerciale francilienne CICF :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 12 juin 1996,
entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la
cause et les parties en l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être
fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.
Corrigé
Sur nouveau pourvoi, alors que la cour
U ne société (UGC) qui s’installe
dans un ensemble commercial
convient avec une autre société (CIRP
de Versailles n’a vraisemblablement pas
repris les mêmes fondements que la pre-
devenue CICF) que cette dernière paiera mière cour d’appel, sinon il y aurait eu
les charges dues à la société exploitante assemblée plénière, la première chambre
de l’ensemble (AFUC des Flanades), civile de la Cour de cassation casse la
tant que le nombre d’entrées annuelles décision de la cour de Versailles.
des cinémas resterait inférieur ou égal à Le problème juridique qui est posé est
380 000. de savoir si les parties sont libres de don-
L’arrêt ne permet pas de décrire la pro- ner à l’événement dont dépend l’obliga-
cédure depuis le début, ce que l’on peut tion la qualification de terme ou de
dire, c’est que la cour de Versailles sta- condition, selon leur choix.
tuant sur renvoi après une première cas- Pour apporter solution à cette ques-
sation déboute l’UGC de sa demande. tion, la Cour de cassation, dans l’arrêt
Annales
129
de terme, s’il est incertain, il sera qualifié nement : les parties sont-elles totalement
de condition. libres de la qualification ? Le juge peut-il
intervenir ?
1. La certitude est totale
dans le terme A. Qualification
Le terme ne peut exister que si l’événe- par les parties
ment auquel il est fait référence se pro-
duira de manière inéluctable. La surve- 1. Le fondement possible
nance de cet événement peut se faire à de la qualification
une date déterminée (contrat à durée par les parties
déterminée) ou à une date indéterminée
mais certaine (décès d’une personne). C’est tout simplement l’article 1134 du
La cour d’appel de Versailles a estimé Code civil puisque le contrat est la loi
que le remplissage des salles de cinémas entre les parties il est loisible aux parties
à 380 000 places annuelles était un évé- de définir si l’événement est un terme ou
nement certain. La Cour de cassation a une condition, donc si elles ont une cer-
estimé l’inverse. titude de réalisation de l’événement ou
non.
2. L’incertitude est la règle On est là dans une appréciation sub-
jective de la certitude. Il est vraisembla-
pour la condition
ble que dans l’espèce, les études de mar-
Ce qui résume la condition, c’est la ché, les statistiques devaient permettre
conjonction « si ». aux parties d’acquérir cette certitude.
Il y a donc un doute par rapport à la C’est la position de la cour d’appel de
survenance de l’événement, sinon, le Versailles.
contrat ne serait pas soumis à un aléa,
mais il serait formé immédiatement. 2. Critique
Ici, la Cour de cassation estime que le de cette qualification
nombre d’entrées dans les salles ne pré- conventionnelle
sentait aucun caractère de certitude.
L’article 1134 n’envisage que les conven-
tions légalement formées. À partir du
II. Détermination moment où la qualification donnée par
les parties est en opposition avec une
de la qualification définition légale, la liberté des conven-
de l’événement tions disparaît.
Ici, dire que le remplissage est un évé-
À partir de ces éléments de définition, se nement certain paraît relever de l’utopie
pose la question de savoir qui dispose du car nul ne peut être certain par avance
pouvoir de dire la qualification de l’évé- du comportement des spectateurs. Et les
Annales
131
Commentaire :
Commentez l’arrêt suivant de la Cour de cassation, première chambre
civile, 12 juin 1979 :
Corrigé
avec la victime, et l’inexécution d’une
L e droit français connaît deux régi-
mes de responsabilité civile : celle-ci obligation née de ce contrat qui déter-
mine l’application de la responsabilité
est tantôt délictuelle, tantôt contrac-
contractuelle. En réalité, l’hésitation est
tuelle. Le critère de répartition entre l’un parfois permise, notamment lorsque,
et l’autre paraît simple. C’est évidem- comme en l’espèce, il s’agit d’un accident
ment l’existence d’un contrat conclu causé par une chose. Et l’on ajoutera
Annales
135
Dès lors, cependant, qu’est reconnue Cela étant, les obligations contrac-
par le juge l’existence d’un contrat, on tuelles n’ont pas toutes la même inten-
doit se demander à quelle obligation, née sité, ce qui a des conséquences détermi-
de ce contrat, et par hypothèse inexécu- nantes quant à la charge de la preuve.
tée, rattacher la réparation du dommage
causé. Puisqu’il s’agit de vente de chose
présentant, pour le moins, un défaut, on
B. Obligations de moyens
pourrait songer à la garantie des vices et obligations de résultat
cachés. Mais la question est perçue sous
un angle plus général. La cour d’appel Nous abordons ici le cœur même de la
avait retenu une « obligation de sécu- décision commentée. Supposé que l’on
rité », garantissant l’intégrité corporelle ait reconnu l’existence d’un contrat, fai-
du cocontractant. Nous rappellerons sant bénéficier le client d’une « obliga-
simplement ici que cette obligation a été tion de sécurité », la responsabilité de
« découverte » par la jurisprudence, il y l’exploitant du magasin n’est-elle enga-
a près d’un siècle, dans le contrat de gée qu’en cas de faute prouvée ? Ou bien
transport (affaire dite des barriques (solution de la cour d’appel, approuvée
d’huile) et depuis reconnue d’une façon par la Cour de cassation), cette responsa-
générale. Sans doute y a-t-il une part bilité doit-elle être retenue de plein
d’artifice dans ce procédé qui consiste, droit, sauf à ce que cet exploitant s’en
pour le juge à « forcer le contrat », afin décharge en démontrant que l’accident
d’y inclure, sous couvert de l’interpréta- trouve son origine dans une cause étran-
tion, des obligations auxquelles les par- gère qui ne lui est pas imputable ?
ties n’ont généralement pas songé. Il C’est, en d’autres termes, se demander
reste qu’il tombe sous le sens que celui si cette obligation de sécurité est « de
qui emprunte un moyen de transport moyens » ou « de résultat ». Après que
entend bien arriver sain et sauf à destina- nous aurons présenté cette distinc-
tion, sans être blessé (ou tué) au cours du tion (1), nous justifierons le choix, a
trajet. On peut donc considérer qu’il priori surprenant, opéré dans cette espèce
avait implicitement stipulé sa sécurité en faveur du second terme de l’alterna-
personnelle. Le même raisonnement tive (2).
peut être suivi à propos de tout autre
contrat, comme, dans notre espèce, la 1. Analyse et critère
vente. Le client d’un magasin entend, lui de la distinction
aussi, en ressortir sain et sauf, ses courses
faites ! On remarquera cependant que la Le Code civil est ambigu. D’un côté,
Cour de cassation ne se réfère pas à une lorsqu’il s’agit de l’obligation de veiller à
« obligation de sécurité », mais s’attache la conservation de la chose, l’article 1137
à l’obligation de ne mettre à la disposi- précise que celui qui en est chargé doit
tion des clients que des produits ne pré- « y apporter tous les soins d’un bon père
sentant pas de danger, de risques anor- de famille ». On en conclut naturelle-
maux. ment que la responsabilité du débiteur
Droit civil des obligations
138
ne saurait être engagée que si une faute nous évoquions plus haut, illustrera la
de sa part est démontrée, la faute consis- seconde.
tant précisément à ne pas s’être com- Cette distinction est générale, suscep-
porté comme le modèle de référence. tible de s’appliquer à tout contrat. Quel
C’est ainsi sur le créancier que pèse la critère retenir, qui permette de détermi-
charge de la preuve. ner avec certitude si l’obligation inexé-
De l’autre, et d’une façon générale, cutée était de moyens ou de résultat, avec
l’article 1147 prévoit qu’en cas d’inexé- les conséquences que l’on connaît quant
cution de l’obligation, ou de retard, le à la charge de la preuve ? On admet géné-
débiteur est, s’il y a lieu, condamné au ralement que l’obligation est « de
paiement de dommages et intérêts, s’il moyens », soit lorsqu’il existe un aléa
ne justifie pas que l’inexécution « pro- dans l’exécution, soit lorsque le créancier
vient d’une cause étrangère qui ne peut participe, d’une manière ou d’une autre, à
lui être imputée… » Il est clair qu’alors, cette exécution. Nous ne pouvons que
la réparation du préjudice est due dès citer ici, a contrario, le célèbre arrêt Cirque
l’instant que l’inexécution est avérée. de Gavarnie, déjà ancien : l’obligation de
C’est donc, alors, sur le débiteur que pèse l’ânier était une obligation de résultat
la charge de la preuve, s’il veut se libérer. parce que la Veuve Charles ne participait
Sa faute est peut-on dire, présumée. aucunement à la conduite de l’âne sur
Comment sortir de cette contradiction ? lequel elle était montée et qu’il n’y avait
S’inspirant de la doctrine italienne, par ailleurs, aucun aléa dans ce « contrat
René Demogue a montré, dans l’entre- de transport ». Ces caractéristiques se
deux guerres, qu’il ne s’agissait pas tant retrouvent-elles dans le cas des accidents
survenant dans un magasin en libre-
d’une question de charge de la preuve
service et, plus précisément, dans l’hypo-
que de contenu de l’obligation, d’inten-
thèse de notre arrêt ?
sité peut-on dire. Certaines obligent le
débiteur à apporter toute sa diligence à
l’exécution de l’obligation, sans l’enga- 2. Accidents de magasins
ger à obtenir un résultat : ce sont les obli- Cette décision appartient à une série
gations « de moyens ». D’autres, au minoritaire à un double titre. D’une part,
contraire, l’obligent à atteindre une fin parce que la responsabilité retenue est
déterminée : ce sont les obligations « de contractuelle, d’autre part, parce que
résultat ». l’obligation inexécutée, à l’origine du
De la première catégorie, on donnera préjudice subi par la dame Huguet, y est
l’exemple le plus classique : l’obligation présentée en tant qu’obligation de résul-
du médecin envers son patient. Le prati- tat. Généralement, en effet, dans le cas
cien ne peut promettre la guérison, mais des accidents survenant dans un maga-
il doit soigner consciencieusement, selon sin, lorsque la responsabilité contrac-
les données acquises de la science. L’obli- tuelle est retenue, les juges ne mettent à
gation du transporteur de faire parvenir la charge de l’exploitant qu’une simple
le voyageur sain et sauf à destination, que obligation de moyens.
Annales
139
lité du fait des produits défectueux. La boisson gazeuse lors de son achat, nous
directive du 25 juillet 1985 a été intro- avons relevé que l’existence d’un contrat
duite dans le droit français, avec un cer- et, conséquemment, la mise en œuvre de
tain retard, par la loi du 19 mai 1998. Il la responsabilité contractuelle, retenue
s’agit aujourd’hui des articles 1386-1 à par notre arrêt, ne faisait pas l’unanimité.
1386-18 du Code civil, formant le nou- Et que dire si une tierce personne — une
veau titre IV bis du Livre III. Leur applica- autre cliente — avait été blessée ?
tion n’est (encore) que facultative, ce Aurait-on distingué ? Voilà donc une dis-
que l’on peut regretter. position qui devrait mettre un terme à
Notre commentaire ne serait pas com- toutes nos hésitations et, parfois, nos
plet si nous n’évoquions brièvement, incohérences. Nous signalerons simple-
dans une inhabituelle IIIe partie, ces ment, que la Cour de cassation a récem-
principes, qui pourraient donc trouver, ment éludé cette distinction en interpré-
éventuellement, à s’appliquer désormais. tant les articles 1147 et 1384, alinéa 1er,
Le plus caractéristique est la disparition du Code civil « à la lumière de la direc-
de la distinction entre responsabilité tive du 24 juillet 1985 ».
contractuelle et responsabilité délic-
tuelle (A). La question de la sécurité que B. Sécurité des produits
doit présenter un produit nous ramène,
au contraire, sur un terrain connu (B). Le producteur est responsable du dom-
mage causé par ses produits défectueux.
A. Nouvelle responsabilité Aux termes de l’article 1386-3, est
défectueux un produit qui « n’offre pas
Le nouvel article 1386-1 du Code civil la sécurité à laquelle on peut légitime-
prévoit que « Le producteur est responsa- ment s’attendre »… compte tenu « de
ble du dommage causé par un défaut de toutes les circonstances et, notamment
son produit, qu’il soit ou non lié par un de la présentation du produit, de l’usage
contrat avec la victime. » Cette disposi- qui peut en être raisonnablement
tion fondamentale (la première du nou- attendu et du moment de sa mise en cir-
veau titre IV bis) entend unifier le régime culation ».
de la responsabilité en faisant disparaî- On ne pourra manquer d’être frappé
tre la distinction entre responsabilité par la proximité de cette formule avec
délictuelle et responsabilité contrac- celle retenue par la Cour de cassation
tuelle. Il n’était guère logique, en effet, dans notre décision. En effet, la « sécu-
que selon la qualité de la victime (l’ache- rité à laquelle on peut légitimement s’at-
teur du produit, ou un ami, en visite, qui tendre » se rapproche fortement de la
l’utilise…) le régime de la responsabilité sécurité qui résulte de ce que les articles
soit différent, et malgré le rapproche- mis à la disposition des clients « ne pré-
ment des deux ordres de responsabilité. sentent pas de dangers autres que ceux
Dans notre hypothèse — margi- pouvant résulter normalement de leur
nale — d’explosion d’une bouteille de nature ».
Annales
143
Qu’une bouteille de limonade n’ex- vera, pour finir, que la délicate distinc-
plose pas lorsqu’on la saisit afin de la tion de la structure et du comportement
mettre dans le chariot est manifestement s’est évanouie et que la responsabilité est
une « sécurité » minimale, attendue légi- attribuée au seul producteur (s’il est
timement d’un acheteur ! Et l’on obser- connu, évidemment).
Inexécution du contrat
Thème principal Responsabilité contractuelle
Autres thèmes Liberté contractuelle
Mots clés obligations du professionnel, exécution
du contrat, conditions de fond de la formation
des contrats, erreur, dol, objet du contrat, effets
de l’annulation du contrat, responsabilité
du garagiste, contrôle technique, prix,
modification unilatérale
Étude de cas :
I. M. Lebrun, entrepreneur de travaux publics, connaît des difficultés finan-
cières. Afin de faire quelques économies, il procède lui-même aux réparations
nécessaires sur les engins de chantier. Toutefois, par manque de temps, il confie
l’un des engins à un garagiste, en lui indiquant clairement la mission à accomplir
à moindre coût et en lui remettant même les pièces détachées nécessaires. Hélas,
trois semaines plus tard, l’engin tombe à nouveau en panne et, sous l’effet de la
surchauffe, explose en blessant un client.
M. Lebrun, considérant que le garagiste a mal effectué son travail, l’assigne
en justice aux fins d’obtenir réparation. Le garagiste réplique en affirmant qu’il a
exécuté la mission stricte qui lui était confiée, qu’il a procédé à la dépose et à la
repose après réparation du moteur, qu’il a remis le moteur en route et que ce der-
Droit civil des obligations
146
II. Mme Lebrun loue, depuis dix ans, deux chambres fortes auprès de la ban-
que Prétatout. Les contrats prévoient que le prix du loyer est fixé annuellement
par la banque, et que les contrats sont résiliables à tout moment par chacune des
parties moyennant le respect d’un préavis d’un mois.
Le 3 mars 2005, elle a reçu une lettre de la banque lui indiquant qu’à comp-
ter du 3 octobre 2005, date anniversaire des contrats, le prix de location passera
de 10 000 à 25 000 euros, compte tenu de l’évolution des charges des installations
de chambres fortes et compte tenu du prix exceptionnellement bas antérieure-
ment pratiqué. Face aux protestations de Mme Lebrun, la banque a accepté de fixer
un prix forfaitaire de 40 000 euros pour le coût de location des deux chambres.
Tout en renouvelant les contrats avec réserves, Mme Lebrun décide d’assigner
la banque en dommages-intérêts.
Vous indiquerez le ou les fondements juridiques que peut invoquer
Mme Lebrun pour obtenir satisfaction et vous préciserez quel raisonne-
ment ont pu tenir les juges qui ont rejeté sa demande. Vous indiquerez
quelle serait la solution retenue si les contrats ne comportaient pas de
clause de révision du prix. (6 points)
M. Lebrun, qui avait clairement indiqué au vendeur qu’il achetait dans le but
de réaliser des économies fiscales, souhaite obtenir l’annulation de la vente, la
revente à un tiers des lots de copropriété même en partie rénovés ne présentant
pas un intérêt financier suffisant.
Vous indiquerez à M. Lebrun si les conditions pour obtenir l’annulation
du contrat de vente sont réunies, et vous lui préciserez quelles seraient les
conséquences civiles d’une éventuelle annulation. (6 points)
Approfondissements Question n° 2
– Cass. 1re civ., 30 juin 2004, D. 2004, AJ,
2150, note V. Avena-Robardet ; D. 2005,
Question n° 1 p. 1828, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2004,
p. 749, obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2005,
– Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, Legoy c/Soc.
p. 126, obs. P. Jourdain.
Trabisco, Resp. civ. et assur. 2005, comm. 22, obs.
S. Hocquet-Berg ; RTD civ. 2005, p. 406, obs. Question n° 3
P. Jourdain. – Cass. 3e civ., 24 avr. 2003, Dr. et patri-
– Cass. 1re civ., 19 oct. 2004, Giraud Sau- moine, sept. 2003, n° 118, p. 116, note P. Chau-
veur c/Ropartz, D. 2005, p. 1974, note vel ; Rev. contrats 2003, p. 44, obs. D. Mazeaud ;
H. Causse ; Resp. civ. et assur. 2004, comm.373, RTD civ. 2003, p. 699, obs. J. Mestre, B. Fages.
obs. S. Hocquet-Berg ; RTD civ. 2005, p. 136, – Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, RTD civ.
obs. P. Jourdain. 2001, p. 352, obs. J. Mestre, B. Fages.
blème juridique (voir infra pour chacune Chaque partie est, en principe, subdi-
des questions). visée en deux sous-parties. Il est fréquent
Dans la mesure où chacune des ques- dans un cas pratique que la subdivision
tions posées aborde un point précis, un reprenne le schéma conditions/effets.
Par exemple, dans la troisième question,
intitulé juridique doit annoncer chaque
la première sous-partie permettra de
partie. La lecture du cas pratique permet
dégager quelle est la condition de forma-
de situer le problème posé : s’agit-il d’un
tion du contrat qui fait défaut, tandis que
problème de formation, d’exécution ou
la seconde permettra de préciser les effets
de disparition du contrat ? Le premier cas de l’annulation du contrat (et l’éven-
porte à l’évidence sur la recherche de res- tuelle satisfaction du demandeur). Dans
ponsabilité du garagiste (ou plus large- le premier cas, les directives données
ment du professionnel). L’intitulé doit dans le sujet conduisent normalement
être suffisamment précis. Il faut cepen- l’étudiant à scinder son travail en trois
dant bannir les intitulés reprenant le sous-parties (il était possible au prix d’un
nom des protagonistes. Ces derniers doi- déséquilibre entre A et B d’étudier la res-
vent être qualifiés juridiquement, le ponsabilité du garagiste en A et celle du
contractant, le vendeur, le profession- centre de contrôle technique automobile
nel… en B).
Corrigé
I. La responsabilité ponsabilité d’une personne ne peut être
retenue que si certaines conditions sont
du garagiste remplies : un contrat, un manquement
pour manquement contractuel (défaut d’exécution d’une
obligation), un préjudice, et un lien de
à ses obligations causalité entre le manquement contrac-
tuel (faute) et le préjudice. En l’occur-
Une introduction permet d’exposer les rence, le problème juridique porte sur la
faits afin de dégager le problème juridi- nature et l’étendue des obligations aux-
que. quelles est tenu le garagiste. Quelles sont
Le client du garagiste souhaite obtenir les obligations pesant sur le garagiste et
réparation, c’est-à-dire indemnisation quelle en est l’étendue ? Quelle est l’inci-
pour le préjudice subi. Il doit engager la dence de l’immixtion du client dans
responsabilité du garagiste, lequel est l’exécution des obligations pesant sur le
contractuellement lié à son client, même garagiste ? L’analyse sera-t-elle identique
si ce contrat est souvent verbal. La res- si la responsabilité recherchée est celle
Annales
149
client non profane était intervenu pour ces conditions ou au moins attirer son
délimiter sa mission à exécuter à moin- attention sur les risques encourus ? Sur
dre coût (c’est-à-dire pour préciser ce point encore, le garagiste est exonéré
l’étendue de son obligation de réparer), de sa responsabilité du fait de la qualité et
et qu’il lui avait fourni les pièces à utili- des connaissances du client qui ne peut
ser. L’obligation de réparer pesant sur le pas être assimilé à un profane. L’obliga-
garagiste devient une obligation de tion de conseil est relative et dépend de
moyens. L’étudiant doit définir cette la qualité de professionnel ou de non
notion (C. civ., art. 1137) et indiquer en professionnel du partenaire du presta-
quoi le garagiste a intérêt à invoquer taire de service (NB : cette jurisprudence
cette qualification. se distingue de celle concernant la res-
La Cour de cassation dans l’arrêt du ponsabilité des notaires et des autres pro-
30 novembre 2004 (préc.) admet que fessionnels du droit, dont le devoir de
l’obligation pesant sur le garagiste peut, conseil n’est pas affaibli par la compé-
dans certaines conditions, être une obli- tence juridique du client).
gation de moyens. Il convient de repren-
dre l’argumentation de la Cour en l’ap- C. L’obligation pesant
pliquant aux faits exposés dans le cas
pratique. Le client ne doit pas être un sur le centre de contrôle
profane en mécanique, ce qui transparaît technique automobile
à travers les réparations préalables et
habituelles auxquelles il se livre sur les L’intérêt de la comparaison entre la
véhicules. Il doit avoir clairement déli- situation du garagiste et celle du centre
mité la mission du garagiste en lui don- de contrôle technique tient à la diffé-
nant des directives pour l’exécution de rence entre les obligations pesant sur
son obligation. La compétence du client chacun d’eux. Le centre de contrôle
justifie la pertinence des ordres qu’il technique a vu sa mission définie régle-
donne au garagiste : effectuer une répara- mentairement (décret du 15 avril 1991).
tion à moindre coût en utilisant les piè- Il n’est pas tenu d’une obligation de répa-
ces fournies. Le client a tacitement rer, mais d’une obligation de vérifier cer-
accepté les risques d’une réparation tains points de contrôle technique sans
superficielle. Seule une faute commise opérer de démontage du véhicule. Le
dans la mission restreinte confiée au contrôle n’est donc pas complet.
garagiste peut justifier l’engagement de Il en résulte que l’étendue de l’obliga-
sa responsabilité. tion du contrôleur est strictement déli-
NB : l’étudiant devait trouver des argu- mitée. Sa responsabilité ne peut être
ments dans les deux sens en A et B. engagée que dans ce cadre (Cass. 1re civ.,
Néanmoins, le garagiste demeure tenu 19 oct. 2004).
de son obligation de conseil. N’aurait-il En dehors de cette mission restreinte,
pas dû avertir le client de l’impossibilité la responsabilité (contractuelle ou délic-
d’effectuer une réparation correcte dans tuelle ?) du contrôleur ne peut être rete-
Annales
151
nue qu’en cas de négligence susceptible devait s’interroger sur la solution à rete-
de mettre en cause la sécurité du véhi- nir en l’absence de clause de révision du
cule. Le contrôleur est tenu, alors, de prix dans les contrats. Aucun terme au
signaler des signes apparents de défail- contrat n’était indiqué. D’ailleurs, si
lance qu’il constate dans le cadre de cette hypothèse devait être retenue, le
l’exécution de sa mission (sans démon- cas pratique ne présenterait aucun inté-
tage du véhicule). rêt, le pollicitant étant libre du contenu
de son offre, et le destinataire de l’offre
II. La libre modification étant tout aussi libre de refuser la conclu-
sion d’un nouveau contrat. De multiples
unilatérale du prix indices devaient conduire l’étudiant à en
dans le contrat déduire que la relation était à durée indé-
terminée avec faculté unilatérale de
de location de coffre-fort modification du prix au profit de la ban-
que et avec faculté unilatérale de résilia-
Ce deuxième cas, qui concernait l’exé- tion par chacun des contractants.
cution d’un contrat de longue durée, a
été mal abordé par les étudiants qui n’ont D’autres étudiants n’ont pas su invo-
généralement pas perçu le problème juri- quer le moindre fondement juridique à
dique. Pourtant, il était indiqué dans le leurs développements.
sujet que Mme Lebrun sollicitait des tribu- Pourtant, la question de la fixation du
naux des dommages-intérêts, ce qui prix dans le cadre de relations contrac-
conduisait à réfléchir en termes de tuelles de longue durée avait été déve-
recherche de responsabilité d’un éven- loppée en cours et en travaux dirigés à
tuel « fautif », la banque. Il convenait à travers les célèbres arrêts de l’assemblée
nouveau de s’interroger sur le manque- plénière de la Cour de cassation du
ment par la banque à l’une de ses obliga- 1er décembre 1995 relatifs à l’abus dans la
tions justifiant la mise en jeu de sa res-
fixation du prix dans les contrats-cadre.
ponsabilité.
Après un rappel des faits pertinents, le
Certains étudiants se sont égarés dans
problème juridique pouvait être posé de
les conditions de formation du contrat
la façon suivante. À l’occasion du renou-
en considérant qu’il s’agissait d’une suc-
cession de contrats à durée déterminée, vellement d’un contrat à durée indéter-
et qu’une nouvelle offre de contracter minée de location de coffre-fort, le bail-
était faite à Mme Lebrun. Cependant, le leur a-t-il le pouvoir d’augmenter le prix,
cas était suffisamment détaillé quant aux et ce pouvoir est-il enserré dans certaines
conditions de renouvellement (recon- limites ? (NB : il était inutile de s’interroger
duction) du contrat (fixation du prix), sur la qualification exacte du contrat de mise
et quant à la faculté de résiliation unila- à disposition de coffre-fort, cette question
térale sous condition de respect d’un n’étant pas au programme de deuxième
préavis d’un mois. En outre, l’étudiant année).
Droit civil des obligations
152
tinction entre erreur sur les motifs, erreur entraîner l’annulation. Le motif est exté-
sur la cause ou absence de cause est délicate rieur à l’objet du contrat, à savoir à la
dans le cas d’espèce, voir Cass. 1re civ., substance de la chose. Telle est la posi-
13 févr. 2001, JCP éd. G, 2001, I, 330, tion généralement adoptée par la Cour
obs. J. Rochfeld). de cassation dans des opérations ratées
Certains étudiants ont considéré qu’il y de défiscalisation. Le contrat ne pouvait
avait dol alors qu’il était sans doute difficile donc pas être annulé.
de démontrer l’intention du vendeur de
tromper son acheteur. Quoi qu’il en soit B. Les effets
l’examen de chacun de ces deux vices doit
s’effectuer en donnant la définition de cha-
de l’éventuelle annulation :
cun d’eux ainsi qu’en exposant les caractè- les restitutions
res (conditions) de mise en œuvre du vice. Il
faut parallèlement vérifier que les règles de Dans la mesure où l’énoncé du sujet invi-
droit (jurisprudentielles) ainsi dégagées s’ap- tait à exposer les conséquences de l’an-
pliquent au cas d’espèce, c’est-à-dire qu’il nulation, il fallait développer ce point,
convient d’appliquer le droit aux faits expo- et ceci même s’il avait été préalablement
sés dans le cas pratique. La démonstration conclu à l’absence de vice du consente-
étant relativement simple, les exigences du ment.
correcteur sont plus grandes. L’étudiant doit Le retour au statu quo ante entraîne la
procéder par étapes en reprenant la défini- restitution des appartements et du prix
tion donnée en cours et en dégageant les d’acquisition. Cependant, il faut tenir
caractères de l’erreur (l’erreur doit être compte de la rénovation des apparte-
déterminante, excusable et connue de l’au- ments effectuée aux frais de l’acquéreur
tre partie). Si l’étudiant conclut qu’il y a qui ouvre droit à indemnisation, de la
erreur ou dol, sa démonstration doit être perception des loyers par ce dernier
complète, et il ne doit négliger aucun élé- (loyers qui doivent être restitués à comp-
ment de la définition ou aucune condition. ter de la date de l’assignation, en prin-
L’exposé rigoureux de la définition de cipe). L’occupation d’un logement par
l’erreur (C. civ., art. 1110) aurait conduit l’acquéreur pendant plusieurs mois ou
l’étudiant à découvrir qu’il ne s’agissait années n’ouvre pas droit à indemnisa-
pas d’une erreur portant sur une qualité tion.
substantielle de l’objet. L’erreur portait En l’absence de faute du vendeur,
plutôt sur les mobiles, sur les raisons per- aucuns dommages-intérêts ne sont dus. Il
sonnelles ayant animé l’acquéreur. Or, la en va différemment si l’étudiant a conclu
jurisprudence considère que l’erreur sur à l’existence d’un dol (responsabilité
les motifs, même si ces motifs sont civile délictuelle).
connus du cocontractant, ne peut pas
Inexécution du contrat
T Université de Caen–Basse-Normandie
JE Second semestre 2005-2006
U
S
Commentaire :
Commentaire de Cour de cassation, première chambre civile, 2 novem-
bre 2005 :
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches, du pourvoi principal de la société
Eggo conseils :
Attendu que la société Eggo conseils fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir
déclarée responsable du préjudice subi du fait des agissements frauduleux de
M. Y…, alors, selon le moyen :
1° que l’obligation de moyens à laquelle est tenu un cabinet de recrutement
consiste à présenter à son client un salarié sélectionné en fonction de sa compé-
tence et de son expérience au regard du poste à pourvoir ; qu’en ne tirant pas les
conséquences légales de ses constatations suivant lesquelles le candidat présenté
avait été embauché, confirmé dans son poste à l’issue de la période d’essai et était
resté au service de la société Gaillard dix-huit mois avant de démissionner, d’où
il résultait que le candidat convenait parfaitement et que le cabinet avait rempli
son obligation, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
2° qu’en reprochant à la société Eggo de ne pas suffisamment prouver les
diligences accomplies, alors que c’est au créancier d’une obligation de moyens de
prouver que son débiteur n’a pas déployé la diligence nécessaire à l’objet de son
obligation, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315
du Code civil ;
3° qu’en se fondant sur les circonstances que le cabinet de recrutement ne
prouvait pas les diligences accomplies et n’avait pas opéré certaines vérifications,
inopérantes pour établir un manquement à ses obligations, dès lors que l’embau-
che du salarié à l’issue de sa période d’essai établissait qu’il convenait à l’em-
ployeur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de
l’article 1147 du Code civil ;
4° qu’en ne répondant pas aux conclusions de la société Eggo qui faisaient
valoir qu’en tout état de cause, la modification des fonctions de M. Y… et de leurs
conditions d’exercice du fait de la société Gaillard postérieurement à l’embauche
excluait toute responsabilité de sa part, la cour d’appel a violé l’article 455 du
nouveau Code de procédure civile ;
5° qu’en retenant que le fait de ne pas demander au candidat à un poste de
comptable non cadre, devant exercer sa mission sous la surveillance et le contrôle
de son supérieur, un extrait du casier judiciaire, constituait une faute du cabinet
de recrutement, la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d’appel, après avoir exactement retenu que si, par
principe, le conseil en recrutement n’était pas responsable des agissements ulté-
rieurs du salarié embauché grâce à son entremise, il devait néanmoins répondre
des conséquences dommageables de l’inexécution des obligations qui lui incom-
baient en vertu du contrat conclu avec son client, a relevé que, sur la recherche
de la société Gaillard d’un comptable confirmé, expérimenté en comptabilité
Annales
157
d’essai, était étrangère au litige ; qu’en ses deux branches, le moyen n’est pas
davantage fondé ; […]
Durée : 3 heures.
Document autorisé : Code civil.
Corrigé
l’obligation de la société de conseil. Par société était tenue de faire de son mieux
référence à la distinction doctrinale mais il était admis que le résultat recher-
consacrée par la jurisprudence des obli- ché puisse ne pas être atteint.
gations de moyens et de résultat, celle-ci Dès lors que le candidat présenté avait
ne saurait être une obligation de résultat été embauché, la société de conseil pré-
dans la mesure où elle ne peut être cer- tendait avoir satisfait à son obligation, le
taine de parvenir à proposer à son client candidat convenant parfaitement. Les
un candidat qui remplisse pleinement ses détournements ayant été réalisés posté-
attentes. Le nécessaire agrément de la rieurement à l’embauche, elle prétendait
candidature proposée implique d’exclure que sa responsabilité ne pouvait être
la qualification d’obligation de résultat mise en cause. Ainsi que cela a déjà été
pour ce qui est du recrutement effectif. souligné, le fait est que, « par principe, le
En revanche, on peut souligner qu’il conseil en recrutement n’est pas respon-
serait envisageable qu’une telle société sable des agissements ultérieurs du salarié
s’oblige à un résultat donné qui ne serait embauché grâce à son entremise ». Pour
pas le recrutement mais, par exemple, la autant, les obligations de la société ne
présentation d’un certain nombre de sauraient être limitées à la présentation
candidats susceptibles de remplir les cri- d’un candidat retenu et il y a lieu de rele-
tères définis par le contrat ; les parties ver qu’elle devait apporter à sa mission
ayant toujours la possibilité de convenir « tous les soins et diligences dans la sélec-
entre elles qu’une obligation usuelle- tion des candidats pour l’emploi en
ment regardée comme de moyens sera, cause ». C’est sur la base de cette affirma-
dans le cadre de leur relation contrac- tion que devait être portée l’analyse des
tuelle, considérée comme de résultat. contrôles et des vérifications mis en
œuvre par la société. Or, sur ce terrain, il
En l’espèce, ainsi que le relevait la pre-
apparaît que la société n’avait pas cor-
mière branche du premier moyen, l’obli-
rectement exécuté ses obligations.
gation était certainement de moyens et
consistait à « présenter à son client un
salarié sélectionné en fonction de sa B. L’inexécution par l’agence
compétence et de son expérience au de son obligation
regard du poste à pourvoir ». Cette qua-
lification n’était pas en débat et il est éta- La chambre sociale a considéré que l’em-
bli que la société de conseil « s’était obli- ployeur qui embauche un directeur
gée à apporter tous les soins et diligences « sans procéder à des investigations qui
dans la sélection des candidats pour l’em- lui auraient permis de découvrir que,
ploi en cause ». On est là en présence de président-directeur général d’une
la définition la plus classique de l’obliga- société, il venait de déposer le bilan de
tion de moyens par laquelle le débiteur cette société aussitôt mise en liquidation
s’engage « à faire tout son possible », « à de biens » (Cass. soc., 3 juill. 1990, Bull.
mettre toute son activité, tout son n° 329), commet une erreur inexcusable.
savoir-faire », au service du créancier. La La solution retenue dans le présent arrêt
Annales
161
est très cohérente avec cette analyse incombe, ainsi que le relevait le pourvoi,
dans la mesure où, par le contrat en d’établir la faute du débiteur. Toutefois,
cause, la société de recrutement accep- c’est bien au débiteur lui-même d’établir
tait d’assumer une partie de la tâche nor- qu’il a exécuté son obligation, qu’il a, ici,
malement assumée par l’employeur lui-
procédé à une vérification qui, par hypo-
même.
thèse, ne lui aurait pas permis de déjouer
C’est exactement ce qui ressort de l’ar- la malice de l’escroc, ou qu’il a averti son
rêt de la première chambre civile qui
cocontractant du fait qu’il n’avait pas
confirme, eu égard au poste en cause
(« comptable confirmé »), que la société effectué ladite vérification. En l’espèce, le
avait l’obligation de vérifier les informa- débiteur — la société de conseil — ne
tions portées sur le curriculum vitae du semble avoir fourni aucun élément per-
candidat quant aux diplômes et emplois mettant d’établir l’une ou l’autre des
déclarés. Il ressort toutefois de l’arrêt que options qui lui étaient ouvertes; contrai-
la société avait la possibilité de ne pas rement à ce qui était soutenu dans la troi-
opérer ces vérifications sans être fautive sième branche du premier moyen, le
si elle avait attiré l’attention de son recrutement réalisé ne permettait pas
client « sur cette absence de vérification
d’apprécier si l’obligation de vérification
et sur les risques d’une embauche dans de
telles conditions ». De la sorte, une cer- avait été exécutée. Par voie de consé-
taine souplesse est maintenue, permet- quence, on comprend que la Cour ait
tant de tenir compte de la prestation retenu que c’était sans inverser la charge
ayant fait l’objet des stipulations. Il est de la preuve que la cour d’appel, n’ayant
possible, notamment pour des raisons de aucun élément lui permettant d’établir
coût, que la société n’opère pas absolu- l’exécution de l’obligation de vérification,
ment toutes les vérifications, cependant a pu constater qu’il y avait une inexécu-
elle devra, à tout le moins, avertir son tion injustifiée et, partant, fautive.
client afin que celui-ci les opère par lui-
même ou la charge de le faire, moyen- La solution aurait certainement été
nant — le cas échéant — une augmenta- différente si la société avait opéré certai-
tion du coût lié au recrutement. nes vérifications ; il aurait alors appar-
Dès lors que l’obligation identifiée tenu à son cocontractant d’établir que
conduisait la société soit à effectuer les les vérifications n’avaient pas été confor-
vérifications soit à avertir son client qu’el- mes à ce qu’il était en droit d’attendre
les n’avaient pas été menées, c’est l’ali- d’un « bon professionnel ».
néa 2 de l’article 1315 du Code civil qui
Dès lors que l’inexécution fautive était
s’applique : « Celui qui se prétend libéré
doit justifier […] le fait qui a produit l’exé- établie, il fallait encore, pour que la res-
cution de son obligation. » L’inexécution ponsabilité de la société puisse être rete-
d’une obligation de moyens peut ne pas nue, que soit précisé le préjudice dont il
être fautive, et c’est au créancier qu’il était demandé réparation.
Droit civil des obligations
162
pourvoi, qu’il n’y avait pas de corrélation ment du temps, il apparaît bien que les
entre son comportement et le manque- détournements n’auraient pas été réalisés
ment de la société de conseil. si les vérifications avaient été opérées car
Pourtant il n’est pas accueilli et ce elles auraient probablement révélé le
rejet se comprend dans la mesure où il passé du débiteur. Là encore, la première
existe une étroite corrélation entre le chambre civile approuve la cour d’appel
manquement de la société à son obliga- d’avoir apprécié la situation au regard des
tion de vérification et les faits à l’origine faits de l’espèce. En présence d’une
du préjudice. L’obligation de moyens de « entreprise de gestion particulièrement
vérification identifiée par la Cour a pré- sensible », l’obligation de vérification,
cisément pour objet d’évincer des candi- bien que toujours de moyens, est particu-
datures de personnes pouvant présenter lièrement dense. Si l’on voulait raison-
des facteurs de dangerosité ; l’obligation ner par analogie avec l’exemple de
alternative d’avertissement sur l’absence Pothier, on pourrait dire que les détour-
de vérification permet au créancier d’ap- nements sont du niveau de la contami-
profondir ses investigations ou de faire nation des bêtes saines par la bête
son affaire de l’incertitude maintenue. malade : c’est là une suite directe du fait
que, en raison du manquement du débi-
Dans ces circonstances, le risque de teur à son obligation de vérification ou
malversations, sans être systématique, d’avertissement, il n’a pas été possible
existait bien dès la conclusion du contrat d’analyser les antécédents professionnels
de conseil et l’on comprend son lien avec et pénaux du salarié. En revanche, serait
l’inexécution de son obligation par la indirect le préjudice résultant du fait que,
société. Le cas échéant, il appartient aux privé de moyens par l’effet des détourne-
juges du fond, dans la détermination du ments, l’employeur n’a pas pu payer cer-
quantum de la responsabilité de la société tains fournisseurs…
dans la réalisation du préjudice, de ne pas
lui imputer la totalité de celui-ci.
Par ailleurs, il faut, en application de
B. Un préjudice réparé
l’article 1151 du Code civil, que le préju- conformément
dice soit « une suite immédiate et au droit commun
directe de l’inexécution de la conven-
tion », ce qui est directement issu de Il y a lieu d’envisager la responsabilité
l’analyse présentée par Pothier (cas de la contractuelle à la lumière du Code civil,
vache malade qui contamine le trou- mais aussi en tenant compte de toutes les
peau) et a été exprimé par le doyen Car- stipulations du contrat qui peuvent avoir
bonnier dans sa formule selon laquelle prévu des aménagements dans le sens de
« le droit s’épuiserait à vouloir suivre à l’allégement (clauses limitatives ou exo-
l’infini la cascade des malheurs ». Là nératoires) ou de la prévision (clause
encore, l’argument tiré du caractère pré- pénale) du montant des dommages et
tendument indirect ne pouvait prospé- intérêts éventuellement dus en cas de
rer dans la mesure où, malgré l’écoule- défaillance. À la condition de ne pas pri-
Droit civil des obligations
164
T Université de Caen–Basse-Normandie
JE Second semestre 2004-2005
U
S
Commentaire :
Veuillez commenter l’arrêt de la Cour de cassation, chambre mixte,
22 avril 2005 :
Durée : 3 heures.
Document autorisé : Code civil.
Annales
167
Corrigé
parition ultérieure serait sans effet sur la arrêt, tient aux conséquences attachées à
validité du contrat. l’invalidité de la clause.
Dans le cadre du premier arrêt Chrono-
post, la chambre commerciale a retenu B. La conséquence
qu’une clause limitative, sensiblement
identique à celle présente dans l’arrêt de l’invalidité de la clause
rapporté a retenu qu’elle privait de cause
En règle générale on considère que l’exis-
l’engagement de l’expéditeur qui enten-
dait que son pli soit livré en temps et en tence de la cause est une condition fon-
heure. Cette analyse adoptée par la Cour damentale de validité du contrat, et qu’il
de cassation (à nouveau le 17 juillet résulte de l’article 1131 du Code civil
2001) impose une analyse concrète de la que l’obligation sans cause est une obli-
situation afin de contrôler l’utilité et gation privée d’effet : elle est nulle de
l’équilibre des obligations souscrites. nullité absolue et sa nullité rejaillit sur
tout le contrat. Toutefois, si l’absence de
Dans l’espèce soumise à la chambre
contrepartie n’est que partielle, le
mixte, il ne fait pas de doutes que la
contrat ne sera pas annulé mais unique-
clause limitative de responsabilité doit
ment réduit.
être regardée comme ayant le même
effet. Ceci s’impose dans la mesure où La chambre commerciale dans l’arrêt
l’existence de la clause équivaut quasi- Chronopost II du 9 juillet 2002, et ici, la
ment à une clause exonératoire de res- chambre mixte, développant une illus-
ponsabilité en ce qu’elle retire tout tration moderne de la théorie des nulli-
caractère contraignant à l’exécution du tés, retient pourtant que la sanction de la
contrat […], fait perdre toute portée et privation de cause induite par la clause
toute valeur à l’obligation essentielle […] ne doit pas conduire à la nullité du
anéantissant par là même la cause de contrat mais uniquement porter sur la
l’engagement de l’expéditeur (formule clause elle-même dès lors que l’économie
de Chronopost I). générale du contrat autorise sa survi-
En effet, ce qui caractérise l’obligation vance s’il est amputé de la stipulation
essentielle d’un contrat de transport litigieuse. Cette solution est affirmée
rapide, c’est bien la rapidité du transport sans ambiguïté dans l’arrêt commenté :
et, par voie de conséquence, une stipula- « une clause limitant le montant de la
tion qui permet au transporteur de ne pas réparation est réputée non écrite en cas
exécuter cette obligation, prive le cocon- de manquement du transporteur à une
tractant de contrepartie. Celui-ci ne s’est obligation essentielle du contrat ».
pas engagé en contrepartie d’un trans- On peut relever qu’il y a là un point
port mais bien en contrepartie d’un sur lequel le droit commun et le droit de
transport rapide du pli, dans des condi- la consommation se retrouvent parfaite-
tions qui doivent être garanties. ment. Bien sûr, le droit de la consomma-
L’originalité de la jurisprudence Chro- tion ne pouvait s’appliquer ici dans la
nopost, présente également dans cet mesure où l’expéditeur était incontesta-
Droit civil des obligations
170
moyen développé, une corrélation entre livraison. Dès lors que l’expéditeur n’éta-
l’inexécution d’une obligation essen- blissait aucun fait de nature à établir
tielle et la faute lourde. À vrai dire, son l’existence des éléments de cette défini-
argumentation pouvait être séduisante tion, le plafond devait être maintenu et il
dans la mesure où le fait, pour un trans- ne pouvait obtenir que le remboursement
porteur rapide, de ne pas respecter le du coût du transport.
délai impératif sur lequel il communique Ce résultat est incontestablement
et s’engage pouvait être regardé comme cohérent au regard des textes applica-
caractérisant un manquement intoléra- bles, il apparaît toutefois extrêmement
ble à un engagement explicite (v. : Cass. critiquable dans ses effets.
1re civ., 18 janv. 1984, Bull. civ. I, n° 27,
JCP 1985 II 20372, note J. Mouly et
RTD civ. 1984, p. 727, note J. Huet ; B. Une responsabilité
Cass. com., 9 mai 1990, Bull. civ. IV, en trompe-l’œil
n° 142 ; RTD civ. 1990, p. 666, observ.,
p. Jourdain ; Cass. 1re civ., 23 févr. 1994, La solution retenue peut être discutée
Bull. civ. I, n° 76). La réponse à la ques- pour diverses raisons.
tion de l’existence d’une faute lourde En premier lieu, il est possible de sou-
dépendait donc largement du caractère ligner la difficulté que rencontrera l’ex-
essentiel ou non reconnu à la rapidité de péditeur pour rapporter la preuve d’une
l’acheminement du contrat en cause. faute lourde telle qu’elle est retenue :
Toutefois, ici, et contrairement à ce dans la mesure où il n’a pas accès aux
que la jurisprudence a parfois retenu, la documents internes à son cocontractant
chambre mixte maintient la référence à et où la charge de la preuve pèse sur lui
une formule extrêmement restrictive par seul, on peine à identifier les situations
laquelle la faute lourde est « caractérisée dans lesquelles il pourra effectivement
par une négligence d’une extrême gravité rapporter la preuve qui lui incombe. Le
confinant au dol et dénotant l’inaptitude seul élément en sa possession est le retard
du débiteur de l’obligation à l’accomplis- mais il a été vu qu’il est à lui seul impuis-
sement de sa mission contractuelle » sant à permettre l’identification de la
(v. Cass. 1re civ., 26 juin 1986, Bull. civ. I, faute lourde.
n° 82 ; Cass. com., 3 avr. 1990, Bull. En second lieu, on remarquera que la
civ. IV, n° 108; 13 nov. 1990, Bull. civ. IV, solution pratique à laquelle aboutit cet
n° 271; 28 mai 1991, Bull. civ. IV, n° 193; arrêt conduit à un paradoxe. Alors que la
11 juill. 1995, Bull. civ. IV, n° 215 ; limitation de responsabilité est regardée
19 déc. 2000, arrêt n° 2124 ; 3 avr. 2001, comme tellement importante qu’elle est
Bull. civ. IV, n° 70 ; JCP éd. G, 2001 IV de nature à remettre en cause l’existence
2037 ; 26 juin 2001, arrêt n° 1291) ; elle de la cause de l’engagement de l’expédi-
approuve l’analyse de la cour d’appel qui teur, on applique toutefois un régime
a retenu « à bon droit » que la faute supplétif qui se traduit par l’imposition
lourde ne peut résulter du seul retard de de cette limitation. On peut se demander
Droit civil des obligations
172
Commentaire :
Commenter l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de
cassation le 20 février 2001, M. Fanara c/Société Europe expertise (l’usage
du Code civil est autorisé) :
Attendu que la société Europe expertise (la société) a confié, pour une
période de trois ans à compter du 25 septembre 1995, à M. Fanara, expert en
automobiles, la réalisation d’expertises préalables à la reprise par le constructeur
de tous véhicules sur lesquels avait été consentie une vente avec faculté de rachat
à un loueur professionnnel ; que la société a résilié leur convention le 25 octobre
1995 ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. Fanara en indemnisation des
conséquences de la rupture unilatérale du contrat par la société, l’arrêt attaqué
retient par motifs propres et adoptés que le manquement par M. Fanara à ses
obligations contractuelles pouvait entraîner la rupture prématurée des relations
contractuelles ;
Attendu qu’en statuant ainsi sans rechercher si le comportement de
M. Fanara revêtait une gravité suffisante pour justifier cette rupture, la cour d’ap-
pel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 8 mars 1999,
entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause
et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier.
Corrigé
T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE Second semestre 2005-2006
U
S
Dissertation :
Le fait causal.
Droit civil des obligations
182
Corrigé
Introduction est possible de se référer à l’article 1370
du Code civil qui vise les engagements
L’introduction devait nécessairement qui résultent de l’autorité seule de la loi
comporter trois éléments : la définition et ceux qui naissent d’un fait personnel.
du sujet (d’abord les termes du sujet puis Ici, ce sont les faits personnels qui nous
du sujet dans son ensemble), son intérêt intéressent. Ces faits personnels ont un
et l’idée générale justifiant le plan. rôle à jouer aussi bien dans les quasi-
contrats que dans le droit commun de la
Définition des termes du sujet responsabilité et dans les régimes d’in-
Seule une bonne définition des termes demnisation (en cela le sujet était de
du sujet permet une réelle compréhen- nature transversale et nécessitait un
sion du sujet lui-même. esprit de synthèse).
Il convient de distinguer tout d’abord La causalité induit un rapport de cause
les notions de fait et d’acte juridique. Il à effet entre un fait et un dommage.
Annales
183
Le fait causal est donc un fait person- jouer, il est aussi un moyen de se libérer
nel quelconque qui génère un dommage d’une obligation.
et fait naître un rapport d’obligation
entre deux ou plusieurs personnes. Idée générale
Définition du sujet lui-même Le sujet pose donc la question du rôle du
fait causal. Ces deux fonctions de la
Classiquement, on distinguait les faits notion de fait causal (source et défense)
personnels licites (quasi-contrats) ou illi- n’ont toutefois pas la même importance.
cites (délits et quasi-délits). En dehors de Afin de privilégier la créance de la per-
l’hypothèse des quasi-contrats, seul le fait sonne qui a subi une atteinte à son patri-
personnel fautif est traditionnellement moine, ce fait causal est le plus souvent
source d’obligations. En réalité, le fait source d’obligations et plus rarement un
non fautif peut aussi être source d’obliga- moyen d’échapper à une obligation.
tions. L’auteur du fait a participé (de Le rôle du fait causal est donc dual, il
façon plus ou moins causale, mais tout apparaît comme une source extensive
au moins matériellement) à la réalisation d’obligations (I) alors qu’il est en revan-
d’un dommage ou, plus généralement, à che une source limitée de libération (II).
l’appauvrissement d’un patrimoine (son
propre patrimoine dans les hypothèses
de quasi-contrats et le patrimoine d’au- I. Le fait causal,
trui dans les autres hypothèses). source extensive
Intérêt du sujet d’obligations
La notion de fait causal oblige à s’intéres- La neutralité de la notion de fait causal
ser davantage à la causalité et moins au facilite la création d’obligations. L’utili-
comportement de l’auteur du fait (dès sation du fait causal comme source
lors que le fait est quelconque). La d’obligations ne s’impose pourtant pas
notion permet ainsi d’englober les quasi- dans toutes les hypothèses, ce qui en fait
contrats, le régime de responsabilité de autant une source controversée (A)
droit commun et les régimes d’indemni- qu’une source admise (B).
sation en se départissant de la distinction
classique des faits juridiques fautifs et
non fautifs. Cela témoigne du caractère A. Le fait causal,
obsolète de la distinction opérée par le source controversée
Code civil entre faits juridiques licites et d’obligations
illicites.
Une approche trop rapide du sujet La controverse n’est pas la même selon
conduirait à n’envisager le fait causal que que l’on s’intéresse au fait causal dans la
sous l’angle des sources d’obligation. En responsabilité du fait personnel (1) ou
réalité, le fait causal a un autre rôle à dans la responsabilité du fait d’autrui (2).
Droit civil des obligations
184
causal) qui conditionne le recours aux constitue en revanche une source limitée
quasi-contrats. de libération pour le débiteur de l’indem-
Qu’il s’agisse de la répétition de l’indu, nisation.
de la gestion d’affaires ou de l’enrichisse-
ment sans cause, la faute de l’appauvri
prive ce dernier de son droit de créance. II. Le fait causal,
source limitée
2. Une source inévitable
dans la responsabilité de libération
du fait des choses
L’intervention d’un fait causal dans la
Dans le droit commun, le fait causal de la réalisation du dommage permet diffici-
chose est un élément nécessaire et suffi- lement de libérer la personne désignée
sant pour les choses en mouvement en
comme débitrice de l’indemnisation.
cas de contact avec le siège du dommage.
Dans l’hypothèse d’un fait causal exté-
Les circonstances de fait permettent de
présumer la causalité. rieur à cette personne (fait causal de la
victime, d’un tiers, événement quelcon-
En l’absence de mouvement et de
contact, en revanche, il convient de que), la libération ne sera qu’exception-
prouver l’anormalité et donc le fait cau- nelle au stade de l’obligation à la
sal de la chose. De même, pour certaines dette (A). Alors que le fait causal du
choses (bâtiments en ruine, art. 1386 débiteur de l’indemnisation peut être
C. civ. ; produits défectueux, art. 1386-1 une source plus circonstancielle de libé-
et s.) le simple fait causal de la chose est ration au stade de la contribution à la
insuffisant, il faut établir l’existence dette (B).
d’une condition supplémentaire (défaut
d’entretien ou vice de construction pour
un bâtiment en ruine et défauts pour les A. Le fait causal,
produits défectueux). source exceptionnelle
Dans le droit de l’indemnisation et
de libération
plus particulièrement dans l’indemnisa-
tion des victimes d’accident de la circu-
Au stade de la seule obligation à la dette,
lation, la notion de fait causal est dépas-
le fait causal peut être invoqué comme
sée par celle d’implication du véhicule
dans l’accident. Toutefois la rupture n’est moyen de défense au fond sans que ce
pas totale car la victime doit toujours moyen soit réellement admis comme
démontrer que son dommage a pour ori- source de libération (1). Ce n’est que si le
gine l’accident de la circulation. fait causal présente les caractères de la
Si le fait causal apparaît donc comme force majeure qu’il peut constituer une
une source extensive d’obligations, il cause d’exonération (2).
Droit civil des obligations
186
dre la solution du simple fait causal au du Code civil. Le solvens est subrogé dans
principe général. les droits de la victime. La jurisprudence
Or, quelques semaines plus tard, la a précisé que le solvens disposait égale-
deuxième chambre de la Cour de cassa- ment d’une action propre dont le fonde-
tion va se démarquer et subordonner la ment doit sans doute s’analyser comme
responsabilité d’un club sportif mise en une hypothèse de répétition de l’indu ou
cause sur le fondement de l’article 1er à la d’action de in rem verso.
preuve « d’une faute caractérisée par une Les modalités de la contribution
violation des règles du jeu » (Cass. dépendent de la nature des faits généra-
2e civ., 20 nov. 2003). teurs en concours.
Cette solution a, par la suite, été éten- Si les coauteurs n’ont commis que des
due à l’alinéa 5, c’est-à-dire hypothèse faits causaux, alors généralement la
du club sportif commettant (Cass. 2e civ., contribution est déterminée par parts
8 avr. 2004) et reprise le 13 mai 2004 et viriles. Si plusieurs fautes sont en
le 21 octobre 2004 toujours par la concours, la gravité des fautes est généra-
deuxième chambre civile à propos d’une lement prise en compte. Par exemple,
association sportive mais cette fois sur le celui qui a commis une faute intention-
fondement de l’alinéa 1er. nelle n’aura pas de recours contre celui
qui a commis une faute de négligence. Si
2. Source certains sont fautifs et d’autres non, l’au-
d’une action récursoire teur d’un simple causal a un recours inté-
gral contre les fautifs et inversement les
Il s’agit d’un recours récursoire fondé sur fautifs solvens n’ont pas de recours contre
la subrogation légale de l’article 1251, 3°, les auteurs d’un simple fait causal.
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Dommage incertain
Mots clés fait juridique, quasi-contrat,
responsabilité civile délictuelle,
régimes spécifiques d’indemnisation
T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE (département d’études juridiques d’Agen)
U
S Second semestre 2002-2003
Dissertation :
Le dommage incertain.
Droit civil des obligations
190
Corrigé
à savoir si un dommage futur peut néan-
L ’introduction devait comporter trois
éléments indispensables : la défini- moins être certain.
tion du sujet, son intérêt et l’idée géné- Intérêt du sujet. S’interroger sur le
rale justifiant le plan. dommage incertain c’est a priori s’inter-
Définition. Le dommage est l’atteinte roger sur le dommage qui n’est pas répa-
rable et donc sur les limites de la respon-
que subit une victime et que les règles de
sabilité civile. Or, il est devenu banal de
la responsabilité civile permettent de
souligner que les limites de la responsabi-
réparer. Ce dommage peut être matériel
lité civile reculent chaque jour davan-
ou moral mais, dans tous les cas, il est tage et que de plus en plus de dommages
exigé qu’il présente certains caractères sont réparés. Il faut donc se demander si
pour être réparable sur le fondement de la définition du dommage incertain ne
la responsabilité civile. Le dommage doit change pas avec les limites de la respon-
ainsi être certain, direct et légitime. La sabilité civile.
certitude du dommage peut paraître une Idée générale. L’étude de la jurispru-
évidence tant on ne saurait réparer des dence montre justement que les magis-
dommages dont l’existence même n’est trats ont utilisé plusieurs techniques pour
pas certaine. Pourtant cette notion peut permettre la réparation de dommages qui
poser des difficultés, notamment quant apparaissaient de prime abord incertains.
Annales
191
Les juges arrivent ainsi à prendre en dommage moral de faits connus (blessu-
compte des dommages incertains dans res physiques ou lien avec la victime
leur existence actuelle (dommage actuel immédiate).
incertain) mais aussi des dommages
incertains dans leur réalisation (dom-
B. La réparation
mage futur incertain).
Plan envisageable et idées à dévelop-
du dommage objectif
per :
Le problème de la réparation du dom-
mage des victimes inconscientes (coma,
I. La prise en compte etc.) a posé une difficulté particulière. Il
est impossible de savoir en effet si cette
du dommage incertain victime inconsciente éprouve une souf-
dans son existence france. Le dommage moral de ces victi-
mes est donc incertain. Pourtant la juris-
Certains dommages actuels, c’est-à-dire prudence a accepté de réparer tous les
déjà réalisés, ne peuvent pas être établis chefs de préjudices des victimes incons-
avec certitude. Pourtant le juge civil cientes considérant que leurs dommages
répare certains de ces dommages consi- pouvaient être objectivement constatés
dérant qu’ils peuvent être soit présu- (Cass. crim., 5 janv. 1994, Bull. crim.
més (A), soit constatés objective- n° 5). Autrement dit, peu importe la per-
ment (B). ception qu’a la victime de son propre
dommage, ce qui compte est que le dom-
mage puisse être objectivement perçu
A. La réparation par des tiers. Constatant que ces victi-
du dommage présumé mes sont inconscientes, on ne peut que
constater qu’elles sont privées, par exem-
Le dommage moral ne peut être prouvé ple, des joies de l’existence (ce qui
avec certitude puisqu’il consiste en une constitue un préjudice d’agrément).
souffrance. On ne peut donc que présu- Ce même raisonnement peut égale-
mer qu’une victime souffre dans son ment être utilisé pour expliquer la solu-
corps ou dans son âme. La souffrance tion rendue dans la tristement célèbre
physique sera présumée à partir des bles- affaire Perruche (ass. plén., 17 nov. 2000,
sures physiques constatées. Bull. civ. n° 9). Sans doute est-il douteux
Il est plus difficile en revanche de pré- de considérer que, pour l’enfant Perru-
sumer la souffrance purement psycholo- che, le fait de naître handicapé consti-
gique résultant notamment de la perte tue un préjudice puisque l’on sait qu’à
d’un être cher. Cette souffrance sera pré- défaut de naître handicapé il ne serait pas
sumée en cas de lien familial ou affectif né du tout. En revanche, il est possible de
établi. Ces systèmes de présomption considérer que son handicap se constate
amènent donc à déduire l’existence d’un objectivement par des tiers et constitue
Droit civil des obligations
192
donc un préjudice certain qui peut être chance perdue et non à partir du dom-
réparé. mage éventuel.
De même, la jurisprudence crée par-
fois des préjudices particuliers qui lui per-
II. La prise en compte mettent d’accorder réparation à des vic-
du dommage incertain times qui invoquaient un dommage futur
dans sa réalisation éventuel. Ce fut le cas des victimes d’une
contamination du VIH. Dans un nom-
bre infime de cas, en effet, les personnes
Parmi les dommages futurs, des préjudi-
contaminées ne développent pas un
ces apparaissent comme certains et vont
SIDA déclaré. La réalisation de ce dom-
donc être réparés sans difficulté. Ainsi
mage (SIDA) est donc incertaine lors de
en est-il par exemple des pertes de salai-
la seule contamination par le VIH. Le
res futurs dues à l’incapacité de travail de
juge civil répare néanmoins le préjudice
la victime. Mais d’autres dommages
dit « spécifique de contamination »
futurs ne sont qu’éventuels parce qu’in-
constitué par la seule contamination par
certains dans leur réalisation future et ne
le virus sans attendre que la maladie ne
peuvent donc, faute de certitude, faire
se déclare. Là encore, le dommage réparé
l’objet d’une réparation. Pourtant, là
est certain (le seul fait de la contamina-
encore, la jurisprudence a développé des
tion constitue un dommage compte tenu
solutions qui permettent la prise en
de la situation angoissante et contami-
compte de ces dommages incertains dans
nante de la victime) mais il permet d’ac-
leur réalisation, qu’il s’agisse de les pren-
corder indirectement réparation pour un
dre en compte indirectement (A) ou de
préjudice qui n’est encore qu’éventuel :
prendre en compte l’évolution éven-
la maladie déclarée. Dans cette dernière
tuelle du dommage réalisé (B).
situation, si le SIDA se déclare effective-
ment, on peut toutefois considérer qu’il
A. La réparation indirecte s’agit là d’un préjudice nouveau qui
de dommages éventuels mérite une autre indemnisation. Mais
c’est déjà poser le problème de l’évolu-
Cette solution est permise par la répara- tion (toujours incertaine) du dommage.
tion de la perte de chance. La perte de
chance doit bien évidemment être cer- B. La prise en compte
taine pour justifier une réparation sur le
fondement de la responsabilité civile. des éventuelles évolutions
Mais il faut observer que la réparation de du dommage
cette perte certaine de chance permet de
réparer indirectement un dommage futur Au jour où le juge statue pour accorder
éventuel. La réparation n’est qu’indi- réparation, il ne peut tenir compte que
recte parce que le montant de la répara- des dommages certains. Il lui est en
tion est estimé à partir de la valeur de la revanche impossible de chiffrer par
Annales
193
T Université de Caen–Basse-Normandie
JE Second semestre 2005-2006
U
S
Commentaire :
Veuillez commenter l’arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre
civile, 23 janvier 2003 :
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l’arrêt relève que le détona-
teur, qui avait été transmis à Mme A… avec la propriété de l’immeuble par son
père, appartenait à celle-ci ; qu’elle a reconnu que son père, ancien employé de
la Manufacture d’armes de Tulle en 1936, utilisait, selon une pratique locale alors
répandue, des détonateurs pour extraire des pierres de construction ; que Mme Z…
ne démontrait pas que la garde de cet objet avait été transférée à l’entreprise, dès
lors qu’il se trouvait dans les gravats entreposés dans la cour de son immeuble et
provenant de la démolition récente d’un mur de la maison ; qu’enfin, l’expert
ayant admis qu’un jet de carreau sur les gravats avait pu suffire au déclenchement
de l’explosion, Mme Z… ne démontrait pas que M. X… eût commis une faute,
alors que, s’agissant d’un matériel spécifique de type ancien, cet ouvrier, qui tra-
vaillait dans des conditions normales ne pouvait imaginer qu’il pût s’agir d’un
détonateur dangereux ;
Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, procédant d’une apprécia-
tion souveraine des éléments de preuve, la cour d’appel a pu retenir que la seule
présence du détonateur, quelle qu’en fût l’origine, sur la propriété de Mme Z… la
constituait gardienne de cette chose, et a pu décider que le transfert de la garde
du détonateur à l’entreprise de carrelage n’était pas établi et que la victime n’avait
pas commis de faute ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pour-
voi ; […]
Durée : 3 heures.
Document autorisé : Code civil.
Corrigé
Introduction personne qui ignore avoir la propriété
d’une chose peut-elle en être gardienne
et comment peut-elle s’exonérer de la
P ar cet arrêt de la deuxième chambre
civile du 23 janvier 2003, la Cour
de cassation a eu à se prononcer sur la
responsabilité liée au fait de cette chose ?
Rappel des faits :
force de la présomption qui lie les quali- – transmission de l’immeuble et, vrai-
tés de propriétaire et de gardien : une semblablement, du détonateur ;
Droit civil des obligations
198
mesure où celui-ci étant salarié il ne peut trouvait sur un tas de gravats provenant
acquérir, dans le cadre de son activité, la de la démolition récente d’un mur de la
qualité de gardien car, ainsi que le relève maison, or le contrat ne portait que sur le
une jurisprudence constante, les qualités carrelage de l’entrée et de la cuisine ;
de gardien et de préposé sont incompati- – on peut souligner le caractère parti-
bles (pour mémoire, Cass. 2e civ., 15 mars culier du détonateur, chose dangereuse
2001 3 approuvant une cour d’appel dont le transfert est subordonné à l’in-
d’avoir retenu que « lorsque le préposé formation du prétendu gardien substitué
fait un usage normal de la chose dans sur les risques de préjudice liés à la chose
l’exercice de ses fonctions, pour le et sur les moyens de le prévenir. (Cass.
compte du commettant, il n’en a pas la 1re civ., 9 juin 1993, «sauf l’effet d’une
direction, la préposition constituant un convention contraire valable entre les
lien de subordination et de dépendance parties, le propriétaire de la chose, bien
qui est incompatible avec la qualité de que la confiant à un tiers, ne cesse d’en
gardien parce qu’elle rend impossible la être responsable que s’il est établi que ce
pleine maîtrise de la chose qu’impliquent tiers a reçu corrélativement toute possi-
les pouvoirs du gardien, notamment de bilité de prévenir lui-même le préjudice
direction et de contrôle »). qu’elle peut causer ») ;
Le pourvoi ne prétendait pas qu’un – on peut également penser que la
transfert de garde ait pu intervenir vis- garde de chantier n’est adéquate que
à-vis du salarié, mais bien vis-à-vis de son lorsque le dommage est causé par le
employeur, l’entreprise chargée de réali- chantier dans son ensemble, dans son
ser les travaux. Pour ce faire, il est fait existence factuelle (cas des nuisances
référence à la « garde du chantier », sonores ou des troubles liés à l’opération
expression parfois employée en matière, de construction) et non lorsqu’il résulte
notamment, de troubles du voisinage. Le du fait d’une chose particulière dont, au
pourvoi reposait sur l’idée selon laquelle demeurant, la présence était ignorée des
l’entreprise s’étant vu transférer la garde parties.
du chantier, la propriétaire n’avait plus la C’est probablement sur ce dernier élé-
qualité de gardienne du détonateur. ment qu’il convient d’insister avec un
La cour d’appel, comme la Cour de soin tout particulier : si le propriétaire est
cassation ne se prononcent pas sur la le gardien « naturel » de ses biens car il a
question de la garde du chantier mais sur eux les prérogatives les plus étendues,
articulent leur réponse sur la garde de la il n’en va pas de même des tiers.
chose, instrument du dommage. Plu- Pour que le transfert puisse être effec-
sieurs analyses de cette exclusion peu- tif, il est nécessaire que le gardien substi-
vent être menées : tué ait au moins connaissance de l’exis-
– on peut relever que le détonateur tence de la chose et de ses caractères
n’était pas directement
placé dans le domaine du
contrat envisagé : il se 3. RCA 2001, comm. 183.
Annales
203
lement de la responsabilité édictée par envisagés, mais dans le fait qu’elle invi-
l’article 1384, alinéa 1er 4 ». tait les magistrats à sanctionner la vic-
Il est possible également que, sans time de l’explosion en suggérant que le
revêtir les caractères de la force majeure, fait de jeter un carreau sur un détonateur
la faute de la victime ait tout simplement dont tout le monde — semble-t-il —
concouru à la production du dommage ignorait l’existence, ne constituait pas
avec le celui d’un tiers. une faute.
Dans cette situation on considère que Il est évidemment utile, pour répon-
la faute de la victime va constituer un cas dre à cet argument, de revenir sur les
d’exonération partielle de l’auteur du fait conditions même de la faute, telles qu’on
dommageable. En effet, on va retenir les connaît dans le cadre de l’article 1382
dans cette situation, et seulement dans du Code civil. En l’espèce, l’ouvrier n’a
cette situation, le principe de la causa- méconnu aucune règle impérative et n’a
lité partielle qui va se traduire par l’ap- été ni imprudent ni négligent dans la
préciation de la proportion qu’a prise la mesure où, ainsi que l’arrêt l’indique, il
faute de chacun dans la réalisation du s’agissait d’un matériel spécifique de
dommage. De la sorte, la victime ne sera type ancien dont la victime ne pouvait
que partiellement indemnisée par l’autre imaginer qu’il pût s’agir d’un détona-
auteur. Les tribunaux répartissent ainsi, teur dangereux.
entre les deux auteurs (victime et tiers), On relèvera, avec l’arrêt, que c’est
la charge de la responsabilité inhérente bien sûr à celui qui invoque la faute d’en
au dommage. établir l’existence ; en l’espèce Mme Z ne
C’est toutefois toujours au gardien de le fait pas et le rejet de cet ultime argu-
la chose, instrument du dommage, qu’il ment s’imposait.
appartiendra d’établir la faute invoquée On pourra juste, pour évoquer une
et, le cas échéant, son caractère de force piste qui ne semble pas avoir été suivie,
majeure pour parvenir à s’exonérer. indiquer que l’imprudence aurait peut-
Contrairement à ce qui était retenu être pu être envisagée en utilisant mieux
jusqu’au mouvement initié par l’arrêt que ce ne fut fait le constat, présent dans
Desmares du 21 juillet 1982, depuis 1987, l’arrêt, de l’existence d’une « pratique
la Cour de cassation considère que le fait locale alors répandue », d’employer « des
non fautif de la victime n’exonère pas le détonateurs pour extraire des pierres de
gardien de sa responsabilité du fait de la construction ». Si elle avait pu établir la
chose qu’il a sous sa garde. connaissance de cette pratique par la vic-
time, la gardienne du détonateur aurait
En l’espèce, le pourvoi invoquait bien pu mieux fonder son argumentation sur
la faute de la victime. On relèvera que la faute d’imprudence de celle-ci… mais
l’argumentation développée pouvait c’est là une discussion de fait.
apparaître très contestable, non dans son
fondement juridique qui
procède d’une analyse
rigoureuse des enjeux 4. Cass. 2e civ., 11 juill. 2002, Dr. et patrimoine 11/2002 p. 102.
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Responsabilité du fait d’autrui
Autres thèmes Responsabilité du fait des choses,
responsabilité contractuelle,
enrichissement sans cause
Mots clés responsabilité des père et mère, responsabilité
du commettant, cause d’exonération, préjudice,
lien de causalité, victime par ricochet, garde
T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE Second semestre 2004-2005
U
S
Étude de cas :
I. À la suite d’une opération bénigne M. A… a été placé sous la surveillance
de M. C…, médecin salarié de la clinique « Les Chênes » et d’une infirmière pla-
cée sous ses ordres. Il a alors été victime d’une hémorragie puis d’une hémiplé-
gie, malgré l’intervention à temps du médecin. L’enquête a toutefois démontré
que l’infirmière, malgré des instructions précises, n’avait pu préparer le matériel
nécessaire à une intervention rapide, le matériel prévu étant hors d’usage. M. C…
vous demande de le conseiller sur une action éventuelle et sur ses effets.
II. Le jeune Z…, âgé de 12 ans, a l’habitude de jouer dans l’ascenseur de son
immeuble malgré les nombreux rappels à l’ordre du propriétaire aux parents.
Alors qu’il a volontairement immobilisé cet ascenseur entre les 13e et 14e étages
et déverrouillé la porte palière en utilisant le système de sécurité il fait une chute
Droit civil des obligations
206
Corrigé
M. A., après une opération bénigne a depuis l’arrêt Costedoat au médecin sala-
été placé sous la surveillance de M. C., rié : « Le médecin salarié, qui agit sans
médecin salarié de la clinique « Les Chê- excéder les limites de la mission qui lui
nes » et d’une infirmière placée sous ses est impartie par l’établissement de santé
ordres. Au cours de cette surveillance, privé, n’engage pas sa responsabilité à
M. A. a été victime d’une hémorragie l’égard du patient ».
rendant nécessaire une nouvelle inter-
Ce revirement de jurisprudence peut
vention à la suite de laquelle il s’est
conduire à admettre la responsabilité de
retrouvé hémiplégique.
la clinique à titre de commettant du
M. C. demande conseil sur une éven- commettant ; la responsabilité de la cli-
tuelle action et sur ses effets. nique serait substituée à celle du chef
M. C est salarié de la clinique, mais d’équipe salarié.
dans sa mission de surveillance du Ainsi la clinique répond à la fois des
patient il a sous ses ordres une infirmière. dommages causés au patient par ses pré-
Le cas proposé invite à s’interroger sur posés, le médecin salarié et l’infirmière,
l’identité du responsable lorsque le prati-
sur le fondement de l’article 1384, ali-
cien chef d’équipe et commettant occa-
néa 5, du Code civil.
sionnel est lui-même salarié de la clini-
que.
A. Identification B. La responsabilité
du responsable de la clinique
M. C. pourrait être considéré comme le 1. La responsabilité
commettant de l’infirmière et à ce titre du fait d’autrui
répondre personnellement des domma-
ges causés au patient par l’infirmière sur La clinique serait donc responsable mais
le fondement de l’article 1384, alinéa 5, faut-il établir la faute du préposé ?
du Code civil. Traditionnellement la jurisprudence
Toutefois, avec la nouvelle jurispru- considère que la responsabilité du com-
dence on peut douter de la théorie du mettant suppose que le préposé ait com-
commettant occasionnel s’il est salarié mis un fait illicite de nature à engager sa
de l’établissement. responsabilité. Avec la jurisprudence de
En effet, le 9 novembre 2004, la pre- l’assemblée plénière de l’arrêt Costedoat
mière chambre civile de la Cour de cas- du 25 fév. 2000 2 des auteurs ont pu en
sation 1 sous le visa des déduire que le maintien de cette condi-
articles 1382 et 1384, ali-
néa 5, du Code civil étend
1. D. 2005, 253, note F. Chabas.
le bénéfice de l’immunité
2. JCP 2000 II 10295, concl. Kessous, note Billiau ; RTD civ.
reconnue au préposé 2000, 582, obs. Jourdain.
Droit civil des obligations
208
tion n’est plus aussi certain. Pour d’au- encourue par la clinique, refuse au méde-
tres, au contraire, si cette jurisprudence cin salarié le bénéfice de l’immunité.
consacre un principe d’irresponsabilité Jurisprudence qui n’est pas remise en
des préposés, on ne peut affirmer qu’elle cause et qui permet au juge de retenir la
admet que le fait simplement causal du responsabilité délictuelle du fait person-
préposé suffise à l’application de l’arti- nel du médecin. Mais rien n’indique que
cle 1384, alinéa 5, à l’image de la respon- la Cour de cassation ne fasse pas bénéfi-
sabilité des parents du fait de leur enfant cier le médecin salarié de l’immunité
mineur. dans ce cas, d’autant que la loi du 4 mars
2002 (relative au droit des patients et la
a. Y a-t-il faute de M.C. ?
qualité du système de santé) lui trace la
Le médecin est tenu d’une obligation de voie.
moyens à l’égard de son patient qui doit
Le nouvel article L.1142-2 du Code la
donc prouver la faute du praticien. Or,
en l’espèce, M.C. est intervenu à temps. santé publique instituant une assurance
Cependant, pour les opérations béni- obligatoire du risque médical dispose
gnes, on peut se demander si l’obligation que : « l’assurance des établissements de
ne serait pas de résultat auquel cas, la santé… couvre leurs salariés agissant
faute du médecin serait constatée. dans la limite de la mission qui leur a été
impartie, même si ceux-ci disposent
Par l’application de l’arrêt précité
d’une indépendance dans l’exercice
(Cass. 1re civ., 9 nov. 2004) M.C. n’en-
médical. » Le maintien d’une action
gage pas sa responsabilité à l’égard du
délictuelle contre le personnel médical
patient puisque, si faute il y a, elle s’est
n’a plus aucune raison d’être puisque
réalisée dans le cadre de la mission et
seule l’assurance de la clinique prend
qu’aucune infraction commise inten-
désormais en charge les dommages et
tionnellement ne peut lui être reprochée
intérêts alloués à la victime.
(arrêt Cousin, ass. plén., 14 déc. 2001) 3.
La clinique est seule responsable sur le b. La situation de l’infirmière
fondement de l’article 1384, alinéa 5, et La situation de l’infirmière ne semble pas
ne pourra pas appeler en la cause M.C. ni poser de difficulté particulière. Elle n’a
exercer d’action récursoire à son encon- pas pu appliquer les indications claires
tre. fournies par le médecin pour la prépara-
Toutefois, subsiste un risque pour tion du matériel nécessaire à une inter-
M.C. si le patient engage la responsabi- vention rapide car le matériel prévu était
lité de la clinique sur le fondement de hors d’usage. Le préposé ne peut avoir la
l’article 1147 du Code civil. En effet, le qualité de gardien et il y a une faute
9 avril 2002, la première chambre de la directe de la clinique.
Cour de cassation 4 se
référant uniquement à
3. D. 2002, Somm. 1317, obs. D. Mazeaud ; JCP 2002, II,
la nature contractuelle
10026, note Billiau.
de la responsabilité 4. JCP 2002, I, 186, obs. G. Viney.
Annales
209
A. Le décès de Z.
. II
Les parents peuvent agir contre le pro-
priétaire de l’ascenseur sur le fondement
On dénombre chaque année des acci-
dents d’ascenseur dont certains aux de la responsabilité du fait des choses. (Il
conséquences dramatiques. Se pose alors est à noter que la responsabilité contrac-
la question de l’identification du respon- tuelle s’appliquerait si des relations
sable. bailleur-locataire existaient, le bailleur
étant tenu à une obligation de sécurité
Le mineur Z a bloqué l’ascenseur de
son immeuble entre le 13e et le 14e étage de résultat concernant le fonctionne-
puis a déverrouillé la porte palière en uti- ment de l’ascenseur.)
lisant le système de sécurité et a fait une Selon l’article 1384, alinéa 1er, du
chute mortelle dans la cage. L’accident a Code civil le gardien est responsable des
provoqué durant plusieurs heures l’im- dommages causés par le fait de la chose
mobilisation de l’ascenseur, obligeant les qu’il a sous sa garde. Le terme de chose
services d’urgence à utiliser les escaliers est interprété largement et un ascenseur
pour évacuer M. L. habitant au 26e étage, peut être considéré comme une chose.
victime d’une attaque cardiaque. M.L. Pour que la responsabilité du gardien soit
décède au cours de cette évacuation. engagée, il faut que le dommage subi par
Les victimes directes
étant décédées, ce sont les
5. D. 1977, 185, note Contamine-Raynaud.
Droit civil des obligations
210
la victime ait été causé par la chose sur Cass. ass. plén., 19 mai 1984) 7, il semble
laquelle il exerce ses pouvoirs. difficile d’admettre le transfert de l’as-
censeur sans une véritable détention.
1. Le fait de la chose La distinction de la garde de la struc-
La chose doit avoir joué un rôle actif ture et du comportement ne semble
dans la production du dommage. Dans guère appropriée à l’espèce, cette théorie
l’hypothèse d’une chose inerte, il étant d’application limitée et réservée
convient de démontrer le lien causal en aux choses « dotées d’un dynamisme pro-
prouvant l’anormalité de la chose. L’as- pre et dangereuses ou encore, dotées d’un
censeur arrêté entre deux étages se dynamisme interne et affectées d’un vice
trouve dans une position anormale. On interne » (Cass. 2e civ., 20 nov. 2003).
peut déduire également la situation Mais, le propriétaire de l’immeuble
anormale de l’ascenseur du fait que les peut s’exonérer de sa responsabilité s’il
portes peuvent s’ouvrir sans que l’utili- démontre la faute de la victime ayant
sateur soit en face d’un étage. Cette contribué à la réalisation de son dom-
anormalité de l’ascenseur a été reconnue
mage.
par la Cour de cassation dans une espèce
similaire (Cass. 2e civ., 18 mars 2004) 6.
3. Faute de la victime,
Le rôle actif de l’ascenseur dans la sur-
venance du dommage subi par l’enfant
moyens d’exonération
étant démontré, il faut maintenant du gardien responsable
rechercher qui en était le gardien au
a. Absence d’exonération totale
moment de l’accident.
C’est parce que le jeune Z. a bloqué l’as-
2. Qualité de gardien censeur entre deux étages et a déver-
rouillé la porte palière en utilisant le sys-
Le gardien de la chose est celui qui en a tème de sécurité qu’il a fait une chute
l’usage, le contrôle et la direction (arrêt mortelle dans la cage de l’ascenseur. L’as-
Franck, Ch. réunies, 2 déc. 1941). censeur ne présentant aucune anomalie,
La jurisprudence présume que le pro- le comportement dangereux de l’enfant
priétaire est le gardien. pourrait être jugé comme la cause exclu-
Le propriétaire de l’immeuble et des sive de son accident et ainsi exonérer
équipements serait donc le gardien de totalement le gardien.
l’ascenseur à moins qu’il n’apporte la Mais la deuxième chambre civile de la
preuve du transfert de garde à la victime Cour de cassation, dans l’arrêt précité du
au moment de l’accident. 18 mars 2004, exige pour l’exonération
Si la minorité du totale du gardien de sa responsabilité que
jeune Z. n’est pas un
obstacle à la qualité de
6. D. 2005, 125, note Isabelle Corpart.
gardien (arrêt Gabillet,
7. D. 1984, 525, concl. Cabannes, note Chabas.
Annales
211
la maison de retraite trouve sa cause dans L’action directe qui permet au créan-
le contrat d’hébergement conclu avec sa cier d’agir en son propre nom contre le
pensionnaire. débiteur de son débiteur, est reconnue
La Cour de cassation dans l’arrêt pré- aux établissements publics de santé (arti-
cle L. 6145-11 C. santé publique). Néan-
cité vient d’adopter une solution claire
moins, la Cour de cassation s’oppose à
mettant un terme à ces controverses doc-
étendre son application en droit privé
trinales : « Le contrat justifiait l’appau-
(Cass. 1re civ., 5 mai 1993) confirmé dans
vrissement de la fondation dans sa rela-
l’arrêt du 25 février 2003. « Les Charmil-
tion avec le couple hébergé mais non
les » étant une maison de retraite privée,
l’enrichissement corrélatif de leur débi- le directeur ne dispose pas de la voie
teur alimentaire pris en cette seule qua- directe.
lité et à l’égard desquels elle n’entrete-
L’action oblique (art. 1166 C. civ.)
nait aucun rapport… »
permet au créancier d’agir au nom et
Peu importe que l’appauvrissement pour le compte de son débiteur. Si les
soit causé, ce qui importe pour la rece- conditions d’exercice tenant au créan-
vabilité de l’action c’est l’absence de cier et au débiteur sont réunies, encore
cause de l’enrichissement. faut-il qu’elle ne s’exerce pas sur les
Il faut également s’assurer du caractère droits exclusivement attachés à la per-
subsidiaire de l’action de in rem verso : sonne. Or, pour la jurisprudence, les
créances alimentaires font partie de cette
– dans le cas d’enrichissement indi-
catégorie. Solution que l’on peut discuter
rect, la maison de retraite ne peut agir
dans le cas proposé dans la mesure où
contre l’enrichi qu’après avoir cherché à l’action oblique ne tendrait pas à créer, à
obtenir paiement auprès de sa débitrice supprimer ou à réviser la pension alimen-
immédiate, Mme veuve F. Cette dernière taire mais simplement à obtenir son exé-
n’a pas de ressources, elle n’est pas en cution.
mesure d’honorer ses frais d’héberge-
La Cour de cassation dans l’arrêt du
ment. L’action existe mais elle est ineffi-
25 février 2003 relève que la maison de
cace car elle se heurte, à l’insolvabilité
retraite ne dispose d’aucune voie de droit
du débiteur principal. L’action de in rem oblique.
verso est bien ici subsidiaire ;
Ce qui conduit à étudier
– de plus, l’action de in rem verso ne
peut être admise quand elle est intro-
duite pour suppléer une action en faveur
de l’appauvri. Il convient de se demander B. Les effets de l’action
si la maison de retraite ne pourrait pas de in rem verso
bénéficier d’actions ouvertes pour la pro-
tection du créancier en cas de négligence On peut penser que la maison de retraite
du débiteur, à savoir l’action directe ou pourra obtenir le remboursement des
l’action oblique. frais de séjour non payés. L’indemnité
Annales
215
ques parce que le tremplin était placé à Le tremplin, dans l’utilisation nor-
un endroit où l’eau était peu profonde. male, ne présente aucun caractère de
Le tremplin a donc joué un rôle causal dangerosité ; c’est l’enfant qui en a
dans la réalisation de l’accident ; par sa détourné sciemment l’usage prévu et qui
position il a été l’instrument du dom- est l’unique responsable de son dom-
mage (jurisprudence des baies vitrées, mage.
boîte aux lettres ou plot en ciment).
Il est à noter, que dans une espèce
Enfin, à supposer que la faute de l’en- similaire, la Cour de cassation (Cass.
fant soit retenue pour n’avoir pas res-
2e civ., 24 fév. 2005) 12 semble abandon-
pecté les indications du panneau sur
l’utilisation du tremplin, mesure insuffi- ner la jurisprudence qui réduisait la par-
sante compte tenu de la dangerosité de ticipation causale de la chose à sa seule
l’appareil, elle ne pourrait en aucun cas participation matérielle et qui suffisait à
exonérer le club gardien, sauf à ce der- retenir la responsabilité du gardien. Cet
nier à démontrer son caractère imprévi- arrêt consacre un retour à l’anormalité.
sible et irrésistible. En l’absence d’anormalité, elle
approuve la cour d’appel d’avoir exacte-
ment déduit que le tremplin n’avait pas
2. L’action du club été l’instrument du dommage. Consta-
tant également que la victime avait
Le club des loisirs « les dauphins » ne volontairement détourné l’utilisation du
conteste pas sa qualité de propriétaire
tremplin, la Cour de cassation approuve
gardien du tremplin. Pour qu’il puisse
la cour d’appel qui écarte la faute du club
être responsable il faut un lien de causa-
puisqu’elle retient la faute de la victime
lité entre le dommage subi par l’enfant
et le fait de la chose. Or, le tremplin a eu comme cause exclusive du dommage,
un rôle passif dans la production du dom- rendant inutile la recherche d’imprévisi-
mage du jeune T. La présence tout bilité et d’irrésistibilité.
comme la position de l’appareil étaient Un frein est ainsi apporté à la jurispru-
normales. dence du rejet de l’anormalité qui dans
Il n’est pas anormal qu’un tremplin se certaines circonstances pouvait se révé-
trouve sur une plage dans un lieu d’ani- ler lourde de conséquence pour la res-
mations sportives. Il avait une position ponsabilité des gardiens.
normale compte tenu de l’utilisation pré- Notamment, dans le cas proposé, le
vue et signalée. risque assuré par le club devait être l’ac-
Il ne servait pas de plongeoir mais était tivité tremplin/VTT et certainement pas
réservé aux amateurs de VTT pour qu’ils l’utilisation tremplin/plongeoir.
puissent prendre leur élan et retomber
dans l’eau à une dis-
tance éloignée.
12. D. 2005, 1395, note Nicole Damas.
Annales
217
Le fait de l’enfant est-il la cause directe dice matériel (par exemple : intempéries
de la perte d’argent importante, invo- pendant cette même période) ?
quée par le club ? Ainsi les parents verseront une
Certes le club a été fermé pendant indemnité de réparation au club si ce
trois jours à la suite de l’accident de l’en- dernier peut fournir la preuve par tous
fant mais d’autres événements n’ont-ils moyens de la réalité du préjudice invo-
pas participé à la réalisation de ce préju- qué.
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Dommage réparable, pluralité d’auteurs
Autre thème Quasi-contrat
Mots clés dommage certain, accident de la circulation,
fait juridique, fait générateur, causalité,
exonération, responsabilité du gardien,
responsabilité du préposé, indemnisation
T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE Second semestre 2005-2006
U
S
Étude de cas :
Rolland R. est heureux. Il a récemment reçu un courrier d’une chaîne de
télévision lui annonçant qu’il avait gagné, au jeu « Tout est possible dans votre
vie », une soirée en tête à tête avec Carla B. Impatient de connaître la date de
l’événement et effrayé à l’idée de ne pouvoir s’y rendre, il décide de ne pas par-
tir en week-end à la montagne avec ses amis Paulo et Sam. Pendant ce temps,
Paulo et Sam, le cœur léger à l’idée du bonheur de leur ami Rolland se livrent aux
joies de l’alpinisme. Mais alors que les deux amis se sont encordés pour franchir
un passage difficile, Paulo qui monte le premier, dérape sur une pierre qui se déta-
che de la paroi et vient heurter Sam, le blessant grièvement. Non loin de là, le
docteur P. a assisté à la scène et se précipite vers les lieux du drame. Il propose son
concours malgré ses faibles compétences, limitées à l’allergologie. Son interven-
Droit civil des obligations
220
responsabilité (par exemple) étaient réu- tion jurisprudentielle sans discuter, le cas
nies. Là encore pour certains, un temps pratique devenait alors un prétexte pour
précieux a été perdu à discuter des condi- réciter le cours. D’autres n’ont pas su
tions d’une action alors que le dommage prendre parti pour une véritable solu-
n’était pas réparable. Certains dévelop- tion, renvoyant de façon peu courageuse
pements étaient trop succincts les étu- à l’appréciation du juge.
diants se contentant de donner une solu-
Corrigé
I. Le cas de Rolland R. 1. Un engagement unilatéral ?
(3 points) Pour retenir un engagement unilatéral
de la chaîne, il faut démontrer sa volonté
Suite au courrier adressé par une chaîne claire et non équivoque (Cass. 1re civ.,
de télévision, Rolland R. pensait avoir 28 mars 2005 ; Cass. 1re civ., 19 oct.
gagné un dîner en tête-à-tête avec 1999). Or ici c’est l’imagination de Rol-
Carla B. alors qu’en réalité il a gagné un land qui a généré une confusion sur
dîner avec une inconnue du nom de l’identité de Carla B.
Carla Brun qui a participé au même jeu
que Rolland. 2. Un contrat ?
Si Rolland décide d’agir contre la La Cour de cassation a pu considérer
chaîne de télévision, il devra faire face à qu’un contrat s’était formé en raison de
deux difficultés : trouver un fondement à la rencontre des volontés émises par une
son action et démontrer la réalité de son entreprise et un consommateur (Cass.
préjudice. 2e civ., 11 févr. 1988 ; Cass. 1re civ.,
12 juin 2001). Il faut que le courrier
A. Le fondement de l’action puisse être valablement analysé comme
une offre de contracter. Le refus d’offrir le
contre la chaîne lot promis est alors analysé comme
de télévision l’inexécution d’un contrat.
Pour Rolland la difficulté est la même,
À supposer que l’on puisse raisonner par
il faut démontrer une volonté claire et
analogie avec les solutions jurispruden-
univoque.
tielles propres aux loteries publicitaires,
la jurisprudence est hésitante sur le fon-
dement pour sanctionner les sociétés.
Droit civil des obligations
222
dent. Il faut ensuite s’interroger pour mage corporel, aucun dommage aux
savoir contre qui les victimes pouvaient biens n’étant envisageable).
agir avant d’étudier la possibilité de limi- Les passagers ont ici la qualité de vic-
ter ou d’exclure leur droit à indemnisa- times non conductrices. En outre il
tion. s’agissait pour certains de victimes privi-
légiées (moins de 16 ans) pour d’autres
A. Le débiteur de victimes ordinaires (plus de 16 ans
sauf s’ils étaient handicapés avec un taux
de l’indemnisation d’incapacité permanent ou d’invalidité
au moins égal à 80 %). Les passagers vic-
Pouvait-on agir contre le conducteur du times n’avaient pas attaché leur ceinture.
véhicule impliqué ou contre son gardien Peut-on leur opposer cette faute ?
(l’association) ? Le préposé devrait pou-
Pour les victimes ordinaires (art. 3,
voir être tenu d’indemniser parce qu’il al. 1, de la loi de 1985), seule la faute
est conducteur. Pourtant la deuxième inexcusable, cause exclusive de l’acci-
chambre civile de la Cour de cassation, dent peut leur être opposée. Or en l’es-
dans un arrêt du 11 avril 2002, a estimé pèce, le fait de ne pas avoir attaché sa
que le commettant propriétaire du véhi- ceinture n’est ni inexcusable (il ne s’agit
cule impliqué n’ayant pas rapporté la pas d’une « faute volontaire, d’une
preuve d’un transfert de garde au pré- exceptionnelle gravité, exposant sans
posé, en conséquence, ce dernier en sa raison valable son auteur à un danger
qualité de conducteur du véhicule impli- dont il aurait dû avoir conscience » :
qué ne devait pas réparation. Il conve- Cass. 2e civ., 20 juill. 1987), ni cause
nait dès lors de discuter sur le transfert exclusive de l’accident dès lors que le
de la garde au préposé conducteur et sur conducteur a donné un coup de volant.
le caractère contestable de cette jurispru- Les passagers pouvant être qualifiées de
dence. victimes ordinaires ne pourront donc
perdre leur droit à indemnisation ou voir
celui-ci réduit.
B. La limitation
A fortiori, il en sera de même pour les
ou l’exclusion du droit passagers qui entreraient dans la catégo-
à indemnisation rie des victimes privilégiées. Ces victi-
mes ne peuvent perdre leur droit à
En tout état de cause, la force majeure indemnisation que si elles ont volontai-
ou le fait d’un tiers (de Monica par exem- rement recherché le dommage (art. 3,
ple) ne peuvent être opposés à la victime al. 2, de la loi de 1985) ce qui ne saurait
pour limiter ou exclure son droit à être admis en l’espèce.
indemnisation (art. 2 de la loi de 1985). Aucune précision n’était donnée à
Seule sa faute peut être opposée à la vic- propos d’un éventuel préjudice du
time mais tout dépend de la qualité de la conducteur du véhicule, mais le conduc-
victime (on raisonne ici sur le seul dom- teur avait subi un dommage, il serait en
Droit civil des obligations
228
mesure de demander l’indemnisation des faute) ou de l’article 1384, alinéa 1er (res-
dommages qu’il a subis au gardien sauf ponsabilité du fait des choses), sans que
s’il a commis une faute ayant contribué à la faculté de discernement constitue une
la réalisation de son préjudice. condition de la responsabilité. En l’es-
pèce les deux fondements peuvent être
utilisés : il y a bien faute et il y a bien fait
VI. Le véhicule de la chose dont Ken est devenu gardien
de l’association en s’en emparant (possibilité toutefois de
discuter cette condition), il peut être
La Rédemption tenu pour responsable des dommages
(1 point) causés aux voitures.
T Université de Besançon
JE Second semestre 2002-2003
U
S
Commentaire :
Commentez l’arrêt suivant :
Attendu que le premier des textes susvisés visant spécialement la ruine d’un
bâtiment, laquelle doit s’entendre non seulement de sa destruction totale, mais
encore de la dégradation partielle de toute partie de la construction ou de tout
élément mobilier ou immobilier qui y est incorporé de façon indissoluble, pour
imposer sans distinction au propriétaire la responsabilité de ce fait et la subordon-
ner à la preuve d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction, exclut l’ap-
plication de la disposition générale de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil
relative à la responsabilité du fait de toute chose, mobilière ou immobilière, que
l’on a sous sa garde ;
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que Marie X…, âgée de 8 ans, a
été blessée par la chute de la poutre de la cheminée sur laquelle elle s’était
appuyée dans la maison appartenant aux époux Y… ; que les époux X…, agissant
tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille
mineure, ont assigné les époux Y… et leur assureur, la compagnie UAP, devenue
AXA Assurances IARD, en réparation de leur préjudice ;
Attendu que pour déclarer les époux Y… entièrement responsables des pré-
judices causés par la chute de la poutre et les condamner in solidum avec leur
assureur à indemniser les victimes, l’arrêt retient que la circonstance selon
laquelle une fillette de 8 ans s’étant suspendue par jeu à une poutre placée en hau-
teur a fait chuter celle-ci, démontre que son assise ou son scellement n’étaient pas
suffisants pour présenter les garanties de stabilité que l’on attend normalement
de l’ensemble des composants du bâti d’une cheminée et que le rôle actif de la
chose, qui s’est dissociée de l’immeuble et qui s’est trouvée à l’origine du dom-
mage, étant ainsi établi, c’est à bon droit que le premier juge a estimé que les
époux Y… ne s’exonéraient pas de la présomption de responsabilité édictée par
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme cela était demandé par les
conclusions des époux Y… qui invoquaient les dispositions de l’article 1386 du
Code civil, si la poutre de la cheminée ne constituait pas un élément incorporé
au bâtiment et si la preuve d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien
n’était pas rapportée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 septembre
2000, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence,
la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour
être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges […]
Corrigé
Faits. Une fillette, 8 ans, se suspend, applicables (I) ; mais le texte spécial pré-
par jeu, à la poutre de la cheminée de la vaut sur le texte général (II).
maison des époux Y. La poutre, proba-
blement mal scellée, tombe sur la fillette
et la blesse. I. Applicabilité
Procédure, moyens et motifs. Les potentielle
parents de la fillette agissent, en leur des articles 1384 et 1386
nom personnel et au nom de leur fille,
en responsabilité contre les époux Y, pro-
du Code civil
bablement sur le fondement de l’arti-
cle 1384, alinéa 1er, du Code civil. Le A. Applicabilité
premier juge condamne les époux Y. Un de l’article 1384
appel est interjeté devant la cour d’appel
(responsabilité générale
de Bordeaux. Le 19 septembre 2000 cette
juridiction confirme la première décision du fait des choses)
et retient la responsabilité des époux Y,
L’article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
sur le fondement de l’article 1384, ali-
dispose que l’« on est responsable non
néa 1er. S’appuyant sur l’article 1386, les
seulement du dommage que l’on cause
époux Y forment un pourvoi devant la
par son propre fait, mais encore de celui
Cour de cassation. La deuxième cham- qui est causé par le fait des personnes
bre civile rend l’arrêt à commenter le dont on doit répondre ou des choses que
23 janvier 2003 par lequel elle casse, l’on a sous sa garde ». Trois conditions
pour défaut de base légale, la décision sont nécessaires pour mettre en jeu la res-
bordelaise ; l’affaire est renvoyée devant ponsabilité générale du fait des choses :
la cour d’appel de Limoges. une chose, un fait de cette chose et la
Question de droit. Le propriétaire de garde de la chose par le responsable.
la chose ayant causé le dommage engage-
t-il sa responsabilité par application de 1. Chose
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
Il n’y a pas, a priori, à distinguer entre les
lorsque l’on se situe dans le champ d’ap-
choses. Les meubles comme les immeu-
plication de l’article 1386 ? (on peut,
bles, les choses solides, liquides ou les gaz,
bien sûr, poser la question autrement, par etc., sont visés. Une poutre peut donc
exemple en partant du rôle du juge). permettre l’application de l’article 1384,
Annonce du plan. Les articles 1384 alinéa 1er. Dans un premier temps, on
et 1386 sont, en apparence, tous deux avait cru que les immeubles devraient
Droit civil des obligations
234
dommage. En l’espèce, les époux Y, pro- cour d’appel. Cette dernière s’était trop
priétaires de la cheminée, étaient donc attachée au fait que, lors de l’impact, la
présumés gardiens de la poutre. La pré- poutre étant descellée, elle aurait
somption ne pouvait pas être renversée retrouvé une nature mobilière, empê-
car une fillette qui se pend à une poutre chant sa qualification de « bâtiment ». Si
en a peut-être l’usage mais n’en a ni la ce raisonnement est logique en droit des
direction ni le contrôle. C’est, en tout biens, il convient de procéder autrement
cas, ce qu’a jugé la cour d’appel dans la en droit de la responsabilité car les « élé-
présente affaire (évoquant la « présomp- ments » des bâtiments sont plus souvent
tion de responsabilité » des époux Y ; cf. à l’origine des dommages que les bâti-
3e attendu). ments eux-mêmes. Par ailleurs, le raison-
L’article 1384, alinéa 1er, semblait nement des juges d’appel méconnaissait
donc applicable à l’espèce. Qu’en est-il la jurisprudence de la Cour de cassation
de l’article 1386 ? relative aux dommages causés par des
tuiles.
Pour que l’article 1386 soit applicable,
B. Applicabilité
il faut aussi vérifier que le dommage a été
de l’article 1386 causé par la « ruine » du bâtiment (ou de
(responsabilité spéciale l’élément incorporé), sachant, en outre,
du fait des bâtiments) que la ruine doit être due à un « défaut
d’entretien » ou à un « vice de construc-
L’article 1386 énonce : « Le propriétaire tion ». En fait, la jurisprudence retient
d’un bâtiment est responsable du dom- qu’il peut s’agir d’une « ruine partielle »
mage causé par sa ruine, lorsqu’elle est ou de la « dégradation partielle de toute
arrivée par suite du défaut d’entretien ou partie de la construction ». Par exemple,
par le vice de sa construction. » Le mot la chute d’un élément de construction
« bâtiment » est entendu plus largement suffit (Cass. 2e civ., 4 mai 2000 : Respon-
en droit de la responsabilité que dans le sabilité civile et assurance 2000, comm.
langage courant. Il désigne tout édifice 218, note Groutel, pour la chute d’une
incorporé au sol ou à un autre immeuble tuile). C’est précisément ce que rappelle
par nature. Sont exclus les constructions le présent arrêt dans son chapeau intro-
provisoires et les immeubles non ductif (« la ruine […] doit s’entendre
construits par l’homme (arbre, rocher). non seulement de sa destruction totale,
En revanche, de simples tuiles ont déjà mais encore de la dégradation partielle
permis l’application de l’article 1386. En de toute partie de la construction ou de
l’espèce, la poutre de la cheminée consti- tout élément mobilier ou immobilier qui
tuait un élément incorporé à un immeu- y est incorporé… »).
ble ; elle était donc susceptible de per- Toutes les conditions requises sem-
mettre l’application de l’article 1386. On blaient pouvoir être réunies en l’espèce.
trouve là l’un des reproches adressés par L’applicabilité de l’article 1386 ne rele-
la Cour de cassation à la décision de la vait donc pas de l’hypothèse d’école.
Droit civil des obligations
236
de cassation le laisse entendre, que les ticle 1384 dans le champ d’application
époux Y. aient « invoqué » les disposi- de l’article 1386 (Cass., civ., 4 août
tions de l’article 1386 ? ; qu’ils aient 1942, DC 1943, 1, note Ripert : bâti-
« demandé » de « rechercher » « si la ment dont la ruine n’était due ni à un
poutre de la cheminée ne constituait pas vice de construction ni à un défaut d’en-
un élément incorporé au bâtiment » ? ; et tretien [chute des éléments d’une toiture
« si la preuve d’un vice de construction lors du passage d’un cyclone]). La doc-
n’était pas rapportée » ? Si tel est le cas, trine a globalement approuvé l’exclu-
de telles conclusions étonnent de la part sion. Les auteurs ont remarqué que l’arti-
des époux Y. car elles tendent vers leur cle 1386 servirait à bien peu de chose si
condamnation sur le fondement de l’ar- l’article 1384 était applicable quand l’ar-
ticle 1386 au lieu et place de l’arti- ticle 1386 ne l’est pas. Entre autres,
cle 1384. Or, en pratique, qu’ils soient R. Houin a justifié l’exclusion par le fait
condamnés au visa d’un texte ou d’un qu’une autre solution conférerait un rôle
autre ne doit pas changer grand-chose subsidiaire à l’article 1386, ce que les
pour eux. À moins que les époux Y. aient rédacteurs du Code n’avaient pas voulu
pensé que le simple fait d’être dans le (S. 1943, I, 89). De même, H. et
champ d’application de l’article 1386 L. Mazeaud ont expliqué que le refus de
rendait hors-jeu l’article 1384. Ils consacrer l’exclusion de l’article 1384
auraient alors tenté de démontrer que risquerait de faire tomber l’article 1386
l’article 1386 pouvait potentiellement en désuétude (RTD civ. 1943, 38, n° 7),
s’appliquer, ce qui, dans un premier ce qu’il convenait d’éviter. Pourtant, en
temps, aurait eu pour effet d’exclure défi- sens inverse, G. Ripert (DC 1943, 1) a
nitivement l’article 1384 du débat et, prétendu que les deux textes conserve-
dans un second temps, leur aurait permis raient, en toutes hypothèses, une utilité
de démontrer que l’article 1386 était lui- puisque l’un vise le « gardien » tandis que
même inapplicable parce que certaines l’autre concerne le « propriétaire » ; or,
de ses conditions faisaient défaut (pas de parce qu’il est souvent plus facile de
vice, pas de ruine, etc.). démontrer la propriété que la garde, il
Qu’en penser ? Quand l’une des condi- existe un intérêt à agir sur le fondement
tions d’application de l’article 1386 vient de l’article 1386.
à manquer (la chose est un bâtiment Aujourd’hui, la doctrine est restée
mais il n’y a ni vice de construction ni — semble-t-il — globalement favorable
défaut d’entretien), l’article 1384 ne à l’effet exclusif de l’article 1386. Ainsi,
peut-il pas fonder une responsabilité ? MM. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette
On pourrait le soutenir. Il suffirait d’ad- écrivent que « s’il est établi que le dom-
mettre que le texte général (re)devient mage résulte de la ruine d’un bâtiment,
applicable quand le texte spécial ne l’est mais sans qu’il soit possible de prouver
plus. l’existence d’un défaut d’entretien ou
En 1942, la Cour de cassation a rejeté d’un vice de la construction, la victime
la possibilité de faire application de l’ar- ne peut, faute de pouvoir invoquer utile-
Droit civil des obligations
238
ment l’article 1386, se replier sur l’arti- institué afin de mettre les victimes de
cle 1384, alinéa 1er. Là se marque à quel bâtiments dans une situation plus favora-
point l’article 1386, initialement conçu ble par rapport aux victimes d’autres
en faveur des victimes, s’est retourné choses. L’évolution jurisprudentielle
contre elles… » (Les obligations, 8e éd., aboutit donc aujourd’hui à donner aux
Dalloz, 2002, n° 782). Toutefois, sur le textes un effet rigoureusement contraire
même point, on notera que J.-L. Aubert à celui que le législateur de 1804 avait
et E. Savaux ont une approche quelque voulu qu’ils produisent. C’est d’ailleurs
peu différente puisque, selon eux : pourquoi, dans son rapport pour l’an
« … Dès lors qu’un dommage est causé 2000, la Cour de cassation avait souhaité
par la ruine d’un bâtiment, seul l’arti- que l’article 1386 fût abrogé (Rapport
cle 1386 a vocation à s’appliquer au pro- 2000, p. 13 et p. 400).
priétaire. Et les exigences particulières En raison de l’incertitude doctrinale
de ce texte font que parfois la victime a entourant le maintien de la jurispru-
intérêt à ce que l’immeuble dommagea- dence de 1942, on regrettera tout de
ble ne soit pas considéré comme un bâti- même que la Cour de cassation n’ait pas
ment ou, s’il en est un, à ce que le dom- profité de cette affaire pour indiquer si,
mage n’ait pas été causé par sa ruine. devant la juridiction de renvoi, il serait
Alors l’article 1384, alinéa 1er, s’appli- possible d’appliquer l’article 1384, ali-
quera et la victime sera dispensée de néa 1er, au cas où l’une des conditions de
prouver le vice de construction ou le mise en jeu de l’article 1386 ferait défaut.
défaut d’entretien » (Le fait juridique, Il est vrai que rien ne l’y obligeait.
Armand Colin, 2001, n° 297).
*
L’arrêt à commenter s’avère fondé au
B. Portée regard tant de la théorie générale du
droit ou des principes généraux d’inter-
Les conditions d’application de l’arti- prétation (Speciala generalibus derogant)
cle 1386, rappelées ci-dessus (notam- que de la jurisprudence antérieure. L’on
ment défaut d’entretien, vice de peut toutefois s’étonner de la défaveur
construction, ruine), sont à prouver par contemporaine de la jurisprudence à
la victime. Du coup, il est important de l’égard des victimes de bâtiments alors
noter que les victimes de dommages cau- que le Code napoléon en avait fait une
sés par la ruine de bâtiments sont moins catégorie particulièrement protégée.
bien traitées que les victimes d’autres Cependant, ce n’est pas la responsabilité
choses. Leur preuve est plus lourde des propriétaires de bâtiments qui a
(défaut d’entretien, vice de construction, régressé. C’est la responsabilité générale
ruine) que celle des victimes agissant sur du fait des choses qui a progressé. Après
l’article 1384, alinéa 1er, lesquelles jouis- avoir rattrapé les régimes spéciaux de res-
sent d’un certain nombre de présomp- ponsabilité, elle les dépasse désormais.
tions très avantageuses (cf. I, A). Pour-
tant, en 1804, l’article 1386 avait été
Régimes spéciaux de responsabilité
Thème principal Accidents de la circulation
Mots clés Responsabilité personnelle, responsabilité du fait
des choses, responsabilité des père et mère,
responsabilité contractuelle, responsabilité
du fait des produits défectueux, garantie des vices
cachés, véhicule terrestre à moteur, implication,
faute de la victime, victime mineure, action
en responsabilité
Étude de cas :
M. et Mme Aubalcon ont fait, ce 23 avril, un voyage éclair à Paris, en TGV.
Leur fils Noël, âgé de 6 ans, est allé, comme d’habitude, à l’école et, à 16 h 30,
a été recueilli par des voisins qui l’ont gardé, ainsi qu’il avait été décidé avec les
parents de l’enfant, jusqu’à 20 h 30.
M. et Mme Aubalcon devaient être de retour chez eux, dans leur village de la
région grenobloise, vers 20 h 45, c’est pourquoi Noël qui ne pouvait pas rester chez
les voisins (ceux-ci étant pris ailleurs), a été autorisé, après avoir été reconduit
chez lui par les voisins, à regarder un dessin animé à la télévision, en attendant
ses parents qui seraient de retour avant la fin du film…
Droit civil des obligations
240
Vous répondrez aux questions que pose ce cas pratique dans l’ordre sui-
vant :
Corrigé
tique, dans ce genre de situations, on
L ’auteur du présent cas pratique a
imaginé cette histoire quelque peu
rocambolesque après avoir constaté, fré-
commence par une action qui déclenche
des recours ou d’autres actions.
quemment au cours des années, des
erreurs récurrentes commises par les étu-
diants, notamment dans le domaine qui .I
nous retient, celui de la responsabilité
civile, de nature contractuelle ou extra- L’affaire débute par la demande en répa-
contractuelle. ration du dommage subi, formulée par
L’auteur a principalement constaté le cycliste victime, M. Pack.
que les étudiants ne savent pas toujours Nous sommes ici en présence d’un
faire la différence entre une action en accident de la circulation, tel que régi
responsabilité ou en réparation — et par la loi du 5 juillet 1985.
donc la demande en justice à l’appui de L’article 1er de cette loi en pose les
cette action — et les recours. conditions d’application que nous nous
Lorsqu’une victime demande réparation, proposons de vérifier ici et que l’on peut
pour ces étudiants, elle exerce un résumer comme suit : la loi s’applique
recours ! (ne nous attardons pas sur la lorsqu’un véhicule terrestre à moteur est
formule absurde, fréquemment rencon- impliqué dans un accident de la circula-
trée, selon laquelle la victime « va enga- tion dont est victime un tiers.
ger la responsabilité » de l’auteur du Nul doute que l’automobile de
dommage contre lequel elle agit en répa- M. Autizon est bien un véhicule terres-
ration !). tre à moteur qui était dans une fonction
Les questions posées et l’ordre des de circulation, puisque M. Autizon
réponses attendues permettent de clari- conduisait ce véhicule (les étudiants doi-
fier ces points et de montrer que, en pra- vent comprendre qu’il est inutile de dis-
Droit civil des obligations
242
sion en véhicule terrestre à moteur, était les parents sont responsables dès lors que
impliqué, il n’en est évidemment pas l’enfant a eu un comportement cause
question !). directe du dommage, ce comportement
Depuis les arrêts fondamentaux ren- fût-il parfaitement correct (les étudiants
dus par l’assemblée plénière de la Cour doivent comprendre que les parents peu-
de cassation, le 9 mai 1984, est appliqué vent être responsables du dommage
le principe selon lequel la faute ne sup- causé par l’enfant dans des situations où
pose pas le discernement, ce qui conduit la responsabilité de l’enfant ne peut pas
à dire qu’un enfant, même tout petit, être retenue — l’enfant n’a commis
aucune faute, par exemple — et où leur
peut être l’auteur d’une faute d’impru-
propre responsabilité ne pourrait pas
dence (V° réf. in Code civil Dalloz, 2005,
l’être, s’ils étaient auteurs du dommage).
sous art. 1382 et 1383, note 21).
(V° notre étude « Les parents, les enfants
Face à cette situation, le praticien ne et la Cour de cassation » in Dr. Famille,
réagira pas comme l’étudiant… Même si 2003, n° 13).
la situation de l’enfant qui courait au
C’est dire que la responsabilité des
milieu de la route pose manifestement de
parents peut être engagée lorsque le prin-
« belles questions », le praticien agira
cipe de la responsabilité de l’enfant peut
tout d’abord contre les parents (le peu de
être retenu, que l’enfant soit gardien d’un
jurisprudence sur la responsabilité per- animal ou d’une chose ou qu’il soit
sonnelle de l’enfant tout petit témoigne reconnu fautif.
de cette attitude).
Mais la responsabilité des parents peut
La responsabilité des parents du fait également être engagée alors même que
des enfants mineurs trouve son siège à celle de l’enfant ne peut pas l’être : il suf-
l’article 1384, alinéa 4, du Code civil qui fit que le comportement de l’enfant soit
dispose : « Le père et la mère en tant la cause directe du dommage ; les arrêts
qu’ils exercent l’autorité parentale sont qui ont suivi l’arrêt Fuellenwarth, et
solidairement responsables du dommage notamment l’arrêt Levert, l’ont claire-
causé par leurs enfants mineurs habitant ment énoncé : (Cass. 2e civ., 10 mai
avec eux. » 2001, JCP 2001, II, 10613, note Mouly ;
Si la rédaction du texte n’a que très Ibid 2002, I, n° 124, obs. G. Viney ;
peu changé (seules les lois du 4 juin 1970 D. 2001, p. 2851, rapport Guerder, note
et du 4 mars 2002 sont intervenues), l’in- Tournafond ; ibid, somm. p. 1315, obs.
terprétation qui en est faite par la juris- D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. 2001,
prudence ne ressemble que de fort loin à chron. n° 18, Groutel et n° 20, Leduc ;
celle qui était retenue naguère. RTD civ. 2001, p. 601, obs. Jourdain).
Depuis l’arrêt Fuellenwarth (Ass. Plén. Les conditions de cette responsabilité
9 mai 1984 (2e espèce), D. 1984, p. 525, sont les suivantes :
conclusions Cabannes, note Chabas ; – la cohabitation, entendue aujour-
JCP 1984, II, 20255, obs. Dejean de la d’hui comme constituée par la résidence
Bâtie ; RTD civ. 1984, p. 508, obs. Huet), habituelle de l’enfant chez ses parents ou,
Annales
245
mieux, comme le droit des parents de D. 1997,p. 265, note Jourdain ; somm.
diriger et contrôler la vie de l’enfant à 290, obs. D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur.,
titre permanent (notre étude citée). chron. n° 9, Leduc ; Gaz. Pal. 1997, II,
Lorsque l’on sait que la cohabitation ne p. 572, note Chabas ; Dr famille 1997,
cesse pas alors que l’enfant est en pen- n° 83, note Murat (1re esp.). ; D. 1997,
sion, en colonies de vacances, on admet- chron. 279, Radé), nous savons que seule
tra qu’elle n’a certainement pas cessé la force majeure ou la faute de la victime
pendant le voyage des parents, pour la est susceptible d’écarter ou de réduire la
journée, à Paris (V° : Cass 2e civ., responsabilité des parents.
20 janv. 2000, JCP 2000, II, 10374, note Il n’est pas question ici de force
A. Gouttenoire-Cornut, I, 241, n° 20, majeure mais l’automobiliste a-t-il fait
obs. G.Viney ; D. 2000, Somm.p.469, une faute ? Il semble que non : un
obs. D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. homme droit et avisé (plus exactement,
2000, n° 146, obs. Groutel ; RTD civ. car nous sommes dans un domaine qui
2000, p. 340, obs. Jourdain. Cass. 2e civ., suppose un apprentissage, « le bon
15 mars 2001, Resp. civ. et assur. 2001, conducteur ») qui, soudainement, voit
n° 178. Contra : Cass. 2e civ., 24 avr. un enfant courir, la nuit, au milieu de la
1989, D. 1990, p. 519, note Dagorne- chaussée, donne naturellement, nous
Labbé. Cass. 2e civ., 29 mars 2001, Resp. semble-t-il, un coup de volant pour évi-
civ. et assur. 2001, n° 177. Contra : Cass. ter l’enfant. Si les juges devaient en déci-
1re civ., 2 juillet 1991, RTD civ. 1991, der autrement, cela poserait alors une
p. 759, obs. Jourdain. Cette collection, autre question que nous aborderons plus
Annales 2005, p. 226, doc. 8, « La consé- loin. Les conditions de la responsabilité
cration de la cohabitation juridique », des parents Aubalcon sont réunies et ils
par L. Mauger-Vielpeau et D. 2003, devront donc indemniser M. Autizon du
2112) ; dommage subi.
– le comportement de l’enfant : le Si la force majeure n’apparaît pas dans
point de savoir si, dans notre histoire, ce l’accident dont il a été question, elle
comportement est fautif ou non, nous mérite attention si l’on considère que les
retiendra plus loin; pour l’instant la seule parents ont été retardés par un événe-
question est de savoir si ce comporte- ment présentant les caractères de la force
ment est la cause directe du dommage majeure. C’est là une question très diffi-
subi par l’automobiliste. La réponse ne cile, sur laquelle la jurisprudence n’est
semble faire aucun doute : le fait de Noël pas d’une clarté parfaite.
qui, de nuit court au milieu de la route et La difficulté principale tient au point
surprend l’automobiliste est bien la cause de savoir si la force majeure s’est manifes-
directe du dommage subi. tée au moment de l’action de l’enfant
Restent les possibilités d’exonération dont on doit répondre ou si elle concerne
des parents : depuis l’arrêt Bertrand (Ass. les parents.
Plén., 19 févr. 1997, JCP 1997, II, 22848, Redisons-le : la responsabilité des
conclusions Kessous, note G. Viney ; parents ne suppose pas nécessairement
Droit civil des obligations
246
que la responsabilité de l’enfant soit qu’elle semble être conçue dans l’arrêt
reconnue. Bertrand : elle ne remet en rien en cause
Raisonnons sur deux hypothèses ce droit — et cette obligation — des
(V° notre étude précitée) : parents (que les étudiants lecteurs, quel-
que peu effrayés par la difficulté traitée se
– l’enfant a participé à la production rassurent, cette question avait évidem-
d’un dommage en tant que gardien d’une ment été abordée en cours !).
chose ; s’il est établi qu’un événement de
force majeure est intervenu, cela conduit Quant à la faute de la victime,
à constater que la chose n’a été l’instru- M. Autizon : il ne nous semble pas qu’il
soit l’auteur d’une faute (le bon conduc-
ment du dommage que sous l’effet de la
teur dont il a été question se serait com-
force majeure (la responsabilité du gar-
porté de la même manière) ; il recevra
dien suppose que la chose ait été l’instru-
donc une indemnisation intégrale (si
ment du dommage sous l’effet de sa
seul le dommage patrimonial, matériel a
défectuosité) mais elle a été, malgré tout,
été évoqué, il n’est pas exclu qu’il sou-
l’instrument du dommage. Dans ces cir-
haite obtenir réparation d’un certain
constances, le comportement de l’enfant
dommage extra patrimonial, moral : la
(et de la chose) est bien la cause directe
frayeur ?).
du dommage ;
Si, par extraordinaire, une faute était
– la question se situe sur le terrain de la constatée à son encontre, l’exonération
faute : si l’on constate que la faute de partielle des parents, dans le cas où la res-
l’enfant est causale, la « force majeure » ponsabilité pour faute de l’enfant vien-
n’a plus aucun rôle à jouer. Si la faute de drait à être retenue (infra), se ferait par la
l’enfant n’est pas causale, les conditions comparaison de la gravité des fautes de
de sa responsabilité ne sont pas remplies l’enfant et de l’automobiliste. Il est, en
et il ne convient pas de raisonner au- effet, clair ici que la faute de la victime
delà. est concomitante au comportement de
Nous en concluons que, dans des cir- l’enfant.
constances qui relèvent de la première Dans le cas où l’enfant n’a commis
hypothèse, les parents voient leur res- aucune faute mais a eu un comportement
ponsabilité retenue. correct cause directe du dommage, l’exo-
C’est donc du côté des parents qu’il nération partielle des parents, en raison
faut se tourner : la force majeure serait de la faute de l’automobiliste victime, ne
un événement venant rompre la cohabi- pourra être opérée qu’en comparant l’ef-
tation… mais si l’on considère, avec ficacité causale des deux comporte-
notre analyse, que la cohabitation est ments.
devenue le droit d’organiser et de contrô- La responsabilité personnelle de l’en-
ler la vie de l’enfant à titre permanent, fant doit maintenant être abordée : c’est
on voit mal en quoi l’alerte à la bombe sur le fondement de l’article 1382 du
qui a provoqué le retard du train pour- Code civil que l’action va se situer. (V°
rait être assimilée à la force majeure, telle les nombreuses références sous art. 1382,
Annales
247
1383 in Code civil Dalloz, 2005, note demandé réparation du dommage subi
21). Peut-on considérer que Noël est par M. Autizon.
l’auteur d’une faute ? Il est certain que si action en justice il
L’appréciation de la faute se fait in abs- devait y avoir, Noël, incapable, serait
tracto, par référence à la conduite suppo- représenté par ses parents (rien, au
sée de l’homme droit et avisé, avatar du contraire, ne permet de penser qu’ils
bon père de famille ou de l’homme rai- n’exercent pas l’autorité parentale) ;
sonnable du Common Law. quant à l’indemnisation, ce sont les
Mais peut-on décemment comparer la parents es qualité d’administrateurs
conduite d’un enfant de 6 ans à celle de légaux qui devront l’assurer (si leur pro-
ce standard ? pre argent a été utilisé, iront-ils jusqu’à
demander le remboursement à Noël, plus
Ce que les étudiants ne comprennent
tard ?)
pas toujours est que le discernement a
changé de rôle depuis 1984 : certes, il
permet toujours de distinguer les mineurs . III
des infantes — les premiers ayant le dis-
cernement, les seconds ne l’ayant pas —
Les parents (en leur nom et, le cas
mais il conduit surtout à tracer la ligne de
échéant, au nom de l’enfant) vont à
démarcation entre le raisonnable et le
leur tour agir.
non raisonnable. L’homme droit et avisé
est le minimum acceptable par le droit Nous exclurons, tout d’abord, une
et non pas une espèce d’idéal vers lequel quelconque action contre les voisins
il faudrait tendre : ne pas être raisonna- puisque leur comportement était connu
ble, c’est être en faute ! Ne pas compren- des parents et c’est même cette obliga-
dre ce que tout le monde doit compren- tion qu’ils avaient de partir qui a conduit
dre est une faute. à l’accord mentionné dans l’énoncé.
Si l’on estime qu’à 6 ans, Noël est doté Une action contre la SNCF est-elle
du discernement, il entre dans la catégo- envisageable ? Indiscutablement, oui
rie des mineurs… mais il est plus intéres- mais peut-elle prospérer ?
sant de considérer qu’il est toujours un La relation entre les Aubalcon et le
infans. transporteur sont de nature contrac-
Il n’est évidemment pas possible de tuelle. L’obligation de la SNCF, que ce
comparer la conduite de l’infans à celle soit l’obligation de sécurité — dont il
d’un infans droit et avisé ! C’est donc n’est pas question ici — ou l’obligation
l’homme droit et avisé qui doit servir de de ponctualité, est une obligation de
référence et la question est : un homme résultat.
droit et avisé aurait-il eu le comporte- Le simple retard (à condition qu’il en
ment de Noël ? D’évidence non… donc résulte un dommage dont la victime doit
Noël a fait une faute au sens de l’arti- rapporter la preuve, ce qui, dans notre
cle 1382 du Code civil et il peut lui être cas pratique, ne soulève pas de difficul-
Droit civil des obligations
248
2007
proposés dans le cadre du contrôle continu, des examens ou
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