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Droit civil.

qxp 17/08/2006 18:13 Page 2

Destinées aux étudiants suivant un enseignement juridique (Licence en


droit, IEP, etc.), Les Annales de droit civil des obligations 2007 regroupent
en un seul ouvrage :
 des sujets d’examen donnés dans une vingtaine d’Universités françaises
ANNALES
corrigés par les enseignants responsables de la matière et traitant de
manière systématique les principaux thèmes de droit civil des obligations;
DROIT CIVIL DES OBLIGATIONS
2007
 des conseils méthodologiques : exposé des techniques de la dissertation,

du commentaire d’arrêt, de l’étude de cas et de la recherche


documentaire permettant de réussir les différents types d’exercices

2007
proposés dans le cadre du contrôle continu, des examens ou
des concours.
Complément nécessaire du manuel et des cours oraux dispensés,
Les Annales sont un outil de révision indispensable pour préparer
avec succès les épreuves écrites.

CIVIL DES OBLIGATIONS


Ouvrage sous la direction d’Annick Batteur, professeur à
l’Université de Caen-Basse-Normandie.
Ont collaboré à cet ouvrage :
Christophe Alleaume, Annick Bernard, Laurent
MÉTHODOLOGIE
Bloch, Manuella Bourassin, Patrick Chauvel,
Alexis Constantin, Philippe Delebecque,
Jean Hauser, Christophe Lachièze, Xavier &
ANNALES DROIT
Lagarde, Marie Lamarche, Hervé Lécuyer,
Valérie Malabat, Jean-Claude Montanier, SUJETS CORRIGÉS
Renaud Mortier, Guy Raymond, Cécile
ANNALES Robin, François Guy Trébulle.

DROIT CIVIL
DES OBLIGATIONS sous la direction de
2007 ANNICK BATTEUR

www.dalloz.fr Prix : 10 €
ANNALES
DROIT CIVIL
DES OBLIGATIONS

2007
ANNALES

collection dirigée par

YVES JEGOUZO
professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

INTRODUCTION AU DROIT ET DROIT CIVIL


DROIT CIVIL DES OBLIGATIONS
DROIT CONSTITUTIONNEL
DROIT ADMINISTRATIF
DROIT DES AFFAIRES ET DROIT COMMERCIAL
ANNALES
DROIT CIVIL
DES OBLIGATIONS

2007

MÉTHODOLOGIE
&
SUJETS CORRIGÉS

sous la direction de

ANNICK BATTEUR
professeur à l’Université de Caen–Basse-Normandie
Conception graphique
Catherine Krausz édito EURL
4, allée des Tanneurs
93390 Clichy-sous-Bois

Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication.


DANGER Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente
LE pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine de
PHOTOCOPILLAGE
TUE LE LIVRE l’édition technique et universitaire, le développement massif
du photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 inter-
dit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or,
cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une
baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs
de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est
interdite sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploitation du
droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

31-35, rue Froidevaux, 75685 Paris CEDEX 14

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a),


d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans
un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle
faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art.
L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

© ÉDITIONS DALLOZ – 2006


Sommaire

Avant-propos .............................................................................. IX

Introduction au droit civil


des obligtions ............................................................................ 1

Méthodologie

Introduction.................................................................................................. 3
A. Le travail personnel.................................................................................. 3
1. Travailler avant et après les séances de travaux dirigés .......................... 3
2. Apprendre à utiliser correctement le Code civil ........................................ 4
3. Faire des fiches d’arrêt ................................................................................ 5
B. La préparation à l’examen...................................................................... 7
1. Respecter le programme de révision .......................................................... 7
2. Apprendre à gérer votre temps .................................................................. 8
3. Apprendre à rédiger .................................................................................... 9
I. L’étude de cas ou la consultation .................................................. 10
Nature de l’épreuve ...................................................................................... 10
A. Comment aborder le sujet ? (la prise de contact avec le sujet).. 11
1. Comment aborder et poser les problèmes de fait ? .................................. 11
2. Comment identifier les problèmes juridiques ? .......................................... 14
B. Comment exposer le raisonnement et les solutions ?
(la résolution des problèmes posés) ...................................................... 15
Droit civil des obligations
VI

1. La délimitation des problèmes et leur formulation juridique .................... 15


2. La résolution individuelle de chaque problème.......................................... 18
C. Comment rédiger ? (conseils spécifiques de rédaction).............. 24
D. Exemple de résolution d’un cas pratique .......................................... 25
II. Le commentaire de texte.................................................................. 32
Nature de l’épreuve ...................................................................................... 32
A. Comment se préparer au commentaire avant l’examen ? ............ 33
1. La maîtrise du vocabulaire et de la structure des arrêts .......................... 33
2. L’aide par les lectures .................................................................................. 38
B. Comment appréhender le sujet et le traiter ? .................................. 40
1. Lecture et recensement des éléments importants contenus
dans l’arrêt ........................................................................................................ 40
2. Compréhension de l’arrêt et de son intérêt (recherche du sens,
de la valeur et de la portée) ............................................................................ 42
3. Construction du commentaire .................................................................... 48
C. Comment rédiger ? (conseils spécifiques de rédaction).............. 50
1. Conseils pour l’exposé introductif (analyse de la décision ; annonce
du plan) .................................................................................................................................................................... 50
2. Conseils pour la rédaction du devoir .......................................................... 54
III. Le commentaire dirigé .................................................................... 55
Nature de l’épreuve ...................................................................................... 55
Comment aborder l’épreuve ? .................................................................. 56
IV. La dissertation...................................................................................... 57
Nature de l’épreuve ...................................................................................... 57
A. L’objectif poursuivi : faire une démonstration .................................. 58
1. La forme ........................................................................................................ 58
2. L’objet de la discussion ................................................................................ 59
B. Comment appréhender le sujet théorique ? .................................... 61
1. De la question de cours au sujet de synthèse .......................................... 62
2. Du sujet de cours au sujet comparatif........................................................ 66
C. Comment construire la dissertation ? ................................................ 68
Sommaire
VII

La recherche documentaire

I. Sources de documentation .............................................................. 71


A. Les manuels et traités ............................................................................ 71
B. Les revues.................................................................................................. 72
II. La documentation informatisée.................................................... 72
A. Les cédéroms de droit .......................................................................... 73
B. Les sites juridiques sur Internet .......................................................... 74

Annales du droit

1. Conditions de formation du contrat


• Jean-Claude Montanier, professeur, Université Pierre-Mendès-France
(Grenoble II),
étude de cas .................................................................................................... 77
• Patrick Chauvel, professeur, Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I),
commentaire .................................................................................................... 85
• Xavier Lagarde, professeur, Université Paris X-Nanterre, corrigé établi
avec le concours de Manuella Bourassin, attachée temporaire
d’enseignement et de recherche,
commentaire dirigé .......................................................................................... 95
• Renaud Mortier, professeur, Université de Bretagne occidentale,
commentaire .................................................................................................... 103
2. Nullité du contrat
• Philippe Delebecque, professeur, Université Panthéon-Sorbonne
(Paris I),
dissertation ........................................................................................................ 113
• Alexis Constantin, professeur, Université de Bretagne-Sud,
commentaire .................................................................................................... 119
3. Modalités du contrat
• Guy Raymond, professeur, Université de Poitiers,
commentaire .................................................................................................... 127
4. Inexécution du contrat
• Patrick Chauvel, professeur, Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I),
commentaire .................................................................................................... 133
Droit civil des obligations
VIII

• Cécile Robin, maître de conférences, Université de Haute-Alsace


(Mulhouse),
étude de cas .................................................................................................... 145
• François Guy Trébulle, professeur, Université de Caen–Basse-
Normandie,
commentaire .................................................................................................... 155
• François Guy Trébulle, professeur, Université de Caen–Basse-
Normandie,
commentaire .................................................................................................... 165
• Christophe Lachièze, maître de conférences, Université du Maine
(Le Mans),
commentaire .................................................................................................... 173
5. Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
• Laurent Bloch et Marie Lamarche, maîtres de conférences, Université
Montesquieu-Bordeaux IV,
dissertation ........................................................................................................ 181
• Valérie Malabat, professeur, Université Montesquieu-Bordeaux IV,
dissertation ........................................................................................................ 189
• François Guy Trébulle, professeur, Université de Caen–Basse-
Normandie,
commentaire .................................................................................................... 195
• Jean Hauser, professeur, Université Montesquieu-Bordeaux IV, corrigé
établi avec le concours de Annick Bernard, maître de conférences,
étude de cas .................................................................................................... 205
• Laurent Bloch et Marie Lamarche, maîtres de conférences, Université
Montesquieu-Bordeaux IV,
étude de cas .................................................................................................... 219
• Hervé Lécuyer, professeur, Université Panthéon-Assas (Paris II),
Dissertation ...................................................................................................... 189
6. Régimes spéciaux de responsabilité
• Christophe Alleaume, professeur, Université de Besançon,
commentaire .................................................................................................... 231
• Jean-Claude Montanier, professeur, Université Pierre-Mendès-France
(Grenoble II),
étude de cas .................................................................................................... 239
Index ........................................................................................................ 249
Avant-propos

L a collection des Annales du droit a comme ambition de fournir un


nouvel outil de travail aux étudiants du DEUG et de la licence en droit
mais aussi à tous ceux qui suivent des enseignements juridiques dans le
cadre des instituts d’études politiques, des filières d’administration écono-
mique et sociale ou des préparations aux concours administratifs.
Dans la conception retenue depuis 2005, les Annales du droit se présen-
tent comme le complément nécessaire du manuel ou du cours oral dans
les disciplines fondamentales du droit que sont l’introduction au droit et le
droit des personnes et des biens, le droit constitutionnel, le droit civil des
obligations, le droit administratif et le droit des affaires.
L’analyse systématique des institutions, des procédures et des relations
juridiques qui est faite de manière didactique dans les manuels et les cours
est le premier versant de la formation juridique. Le second versant est la
mise en œuvre et l’application de ces notions, la présentation organisée
d’une question juridique, l’analyse des sources du droit, la résolution d’une
question pratique. C’est ce second versant que doivent permettre de gravir
les Annales du droit en exposant la méthodologie des exercices demandés
à tout juriste et l’illustrant par la présentation des sujets corrigés qui ont été
donnés dans un échantillon représentatif d’universités françaises.
Droit civil des obligations
X

Mode d’emploi
des Annales du droit
Conçues et dirigées par l’auteur qui a accepté de prendre la responsabilité
d’un des cinq ouvrages consacrés aux disciplines de base, les Annales du
droit, publiées par les éditions Dalloz pour la seizième année consécutive,
sont tout d’abord des ouvrages de méthodologie.
L’auteur de l’ouvrage présente les différentes méthodes qui sont utilisées
dans l’enseignement du droit en accompagnant cette présentation de
conseils pour les trois principaux types d’exercice qui sont demandés aux
juristes, que ce soit dans le cadre du contrôle continu, des examens ou des
concours :
– l’étude de cas consistant à appliquer à une question pratique les
connaissances acquises, à replacer la question posée dans son environne-
ment juridique et à rechercher la solution d’un litige ;
– le commentaire qui peut porter sur un texte de droit international ou
de droit communautaire, une loi, un règlement, une décision de jurispru-
dence et qui doit permettre de comprendre le sens du texte, d’en mesurer
la portée, les apports, de l’évaluer ;
– le commentaire dirigé, qui consiste à présenter et expliquer un arrêt
en répondant à des questions posées par l’auteur du sujet ;
– la dissertation, exposé systématique d’une question avec ses exigen-
ces de présentation et d’analyse du sujet, de plan, d’organisation des idées.
La collecte de l’information disponible et actualisée étant l’un des préa-
lables à tout travail juridique, les Annales comportent également l’exposé
des méthodes de recherche bibliographiques et des outils informatiques
disponibles.
Les conseils méthodologiques sont illustrés par une vingtaine de sujets
corrigés choisis parmi ceux qui ont été donnés dans les universités fran-
çaises lors des dernières sessions d’examen. À cet effet, les enseignants res-
ponsables des enseignements de la discipline à laquelle est consacrée
chacune des cinq Annales ont accepté de présenter les sujets qu’ils ont
retenus et d’en faire le corrigé. Les Annales du droit illustrent ainsi la diver-
sité des analyses qui sont le propre de la méthode universitaire.
Avant-propos
XI

Les Annales du droit sont conçues comme devant être l’accompagne-


ment nécessaire des cours et des manuels. À cette fin, les sujets retenus
sont présentés en suivant le plan habituel des cours consacrés à la
matière : ils en illustrent et complètent les grandes parties.
Pour chaque sujet est indiqué le thème principal qui en est l’objet. Cer-
tains sujets — les études de cas notamment — pouvant aborder plusieurs
thèmes, les autres thèmes traités sont signalés dans la page de présentation
du sujet.
Les mots clés, enfin, recensent les principaux points de droit abordés
dans chaque sujet corrigé. L’index thématique qui figure en fin d’ouvrage
permet de retrouver aisément les thèmes et les points de droit que le lecteur
souhaite étudier.
Yves JEGOUZO
Introduction
au droit civil
des obligations

L e droit des obligations est l’étude des rapports de droit entre deux per-
sonnes, rapport unissant un créancier à un débiteur et en vertu duquel
le second est tenu de l’accomplissement d’une prestation envers le premier,
lequel est en droit d’exiger l’accomplissement de cette prestation. Il déter-
mine les sources du rapport d’obligation, ses effets, les modalités qui peuvent
l’affecter, sa transmission et les différentes façons par lesquelles il cesse
d’exister. Le droit des obligations est de ce fait une matière fondamentale
au cours des études de droit, pour ne pas dire la matière fondamentale. Il
domine l’ensemble du droit, et plus spécialement du droit civil. Il est d’ail-
leurs impossible d’étudier non seulement la plupart des branches du droit
civil, mais aussi le droit des affaires dans son ensemble, sans se référer au
droit des obligations puisqu’il permet l’organisation juridique des relations
économiques.
Sa place au sein des études de droit est aux yeux de tous essentielle. La
matière forme les juristes au raisonnement juridique. Les étudiants appren-
nent la théorie générale de l’obligation contractuelle et celle du droit de la
responsabilité délictuelle. Mais ils apprennent aussi et surtout à compren-
dre les subtilités de certains mécanismes juridiques, le rôle majeur de la
qualification, l’ambiguïté du fondement ou de la nature juridique de certai-
nes règles, la finesse de l’analyse jurisprudentielle…
L’évolution du droit des contrats comme celle de la responsabilité civile
est en effet surtout l’affaire de la jurisprudence, ce qui complique bien sûr
la prise de contact avec cette matière pour un jeune juriste, mais aussi la
rend passionnante. Généralement les étudiants perçoivent vite que, pour
Droit civil des obligations
2

devenir un bon généraliste du droit, il faut se plonger totalement dans le


droit des obligations. Pour ce faire, il leur faudra rapidement dégager des
méthodes de travail personnelles.
Certaines techniques peuvent être de la plus grande utilité, et l’ensem-
ble des conseils qui vont suivre a pour objectif de proposer des outils de
travail. Ils doivent favoriser la mise en œuvre des connaissances acquises
pour réussir aux examens. En ce sens nous avons jugé utile de donner quel-
ques conseils d’ordre général (il s’agit de récapituler certains aspects du tra-
vail à fournir avant les examens eux-mêmes), avant d’exposer la
méthodologie du cas pratique, du commentaire d’arrêt, « classique » ou
dirigé et de la consultation.
Les étudiants savent que pour acquérir des connaissances, il leur faut
connaître le cours dispensé sur les bancs de la faculté. Ils comprennent éga-
lement que la maîtrise de l’enseignement dispensé dans le cadre des travaux
dirigés est utile.
L’influence prépondérante du droit des obligations doit conduire les étu-
diants de deuxième année à faire de l’acquisition de cette matière une prio-
rité dans le déroulement de leurs études. Espérons que ce manuel leur
permettra de réaliser ce projet.
Méthodologie

Introduction

C ette partie de l’ouvrage a été conçue et réalisée grâce à la collabora-


tion de certains membres de l’équipe de travaux dirigés que j’animais.
Qu’ils soient remerciés pour la qualité de leur travail, leurs encouragements
et leur amitié :
Armelle Gorand, maître de conférences, plus spécialement pour la par-
tie relative au commentaire d’arrêt ;
Gilles Raoul-Cormeil, maître de conférences, pour la partie relative à
la dissertation ;
Karim Salhi, maître de conférences, pour la partie relative à la consul-
tation.

A. Le travail personnel
1. Travailler avant et après
les séances de travaux dirigés
Il ne nous appartient pas de vous rappeler que vous devez travailler de
manière régulière : c’est une évidence. Nous souhaitons insister sur l’impor-
tance du travail effectué au niveau des travaux dirigés. Vous devez absolu-
ment, tout au long de l’année, préparer vos travaux dirigés en les rédigeant
Droit civil des obligations
4

et faire des exercices d’entraînement pour chaque type d’épreuve. Après


chaque séance, vous devez faire un bilan de ce qui vous a été enseigné.
Recopiez vos notes au propre ; reprenez les arrêts étudiés ou les consulta-
tions. Refaites-les ; entraînez-vous à restituer les raisonnements tenus. Vos
travaux dirigés sont au moins aussi importants que vos cours.
Si l’enseignement qui vous est dispensé est transcrit dans un document
que vous apprenez, vous améliorerez votre niveau juridique. Cette démar-
che sera un gain de temps au moment des révisions. Elle permet surtout de
vous former au raisonnement juridique.
Le recours à la documentation est exclu dans le cadre des examens. Seul
le Code civil est éventuellement autorisé. S’il est inefficace d’apprendre
sans comprendre, il est vrai aussi qu’il ne suffit pas de comprendre les cho-
ses pour les mémoriser. Vous devez donc apprendre par cœur votre cours et
certains éléments vus en travaux dirigés. Au fur et à mesure de l’acquisition
de vos connaissances, assurez-vous, naturellement, que vous avez bien com-
pris ce qui vous a été enseigné. Vous devez acquérir une vision d’ensemble,
en plus, bien sûr, du contenu concret de chaque élément de l’ensemble.
N’oubliez pas en ce sens de maîtriser parfaitement le plan de cours qui per-
met d’avoir une vision globale et, par là, vous assure la possibilité d’établir
des rapprochements nécessaires, d’éviter des confusions et des oublis.
Lisez les arrêts qui sont évoqués en cours ; préparez le commentaire de
ceux qui vous sont proposés dans cet objectif. Retenez cette règle : les chro-
niques dont on vous parle en cours et les notes sont souvent des grands
arrêts rendus dans les années antérieures et qui ont constitué une étape
décisive pour la jurisprudence, ou des arrêts de l’année. Gardez confiance si
la lecture vous paraît difficile. Ne vous attachez pas à ce qui n’est pas acces-
sible pour vous ; ne perdez pas de temps à trop les approfondir et à les assi-
miler. L’objectif doit être simple : se familiariser avec le style spécifique à la
littérature juridique et comprendre ce qui a été jugé comme l’apport essen-
tiel d’un arrêt.

2. Apprendre à utiliser correctement


le Code civil
Vous devez savoir manier le Code civil, en lien complet avec le contenu de
vos enseignements. Il est inutile d’avoir l’espoir de trouver dans le code la
solution au problème posé. Les renseignements que vous y trouverez doivent
Méthodologie
5

simplement être un moyen de réveiller utilement votre mémoire sur des


points accessoires. Prenez donc l’habitude, lorsque vous apprenez un point
de votre cours, de vous référer aux textes cités. Vous serez très prudents
dans l’utilisation des notes qui figurent sous les articles. Il s’agit générale-
ment d’une présentation très ramassée, souvent réduite à un attendu de
principe, destinée aux praticiens qui sont à même, à la seule lecture d’un
attendu, d’en comprendre la portée. Outre la présentation résumée de l’ar-
rêt, suivent ensuite les références de l’arrêt.
Vous devez apprendre à retrouver dans le code les arrêts sur lesquels
vous avez travaillé (parce que vous les avez commentés en travaux dirigés
ou parce qu’il vous a été demandé de les lire). Vous n’utiliserez pas les pré-
sentations des décisions que vous ne connaissez pas, car vous risqueriez de
vous tromper sur le sens d’un attendu. Seules les références à des arrêts étu-
diés, et que vous maîtrisez, seront exploitées. Lorsque vous citez un attendu
de principe que vous avez retrouvé dans le Code civil — mais que vous
connaissiez auparavant — n’hésitez pas à mettre l’attendu entre guillemets,
après avoir rappelé la nature de la juridiction qui a rendu la décision ainsi
que sa date. On ne fait pas état des références.

3. Faire des fiches d’arrêt


On vous donne régulièrement à lire des arrêts et à en préparer le commen-
taire. Votre chargé de travaux dirigés vous forme, au fur et à mesure des
séances, à la méthode même du commentaire. Vous devez, nous l’avons dit,
après chaque séance de travail, prendre le temps de récapituler l’enseigne-
ment qui vous a été donné. Certains aspects sont destinés à vous préparer
à l’analyse même. Tenez à jour un cahier spécifique dans lequel vous note-
rez tous les détails techniques sur la structure des arrêts. D’autres aspects
concernent le thème même de la séance. Vous devez impérativement faire
une fiche dans laquelle les renseignements les plus élémentaires seront don-
nés. Cette fiche sera utilisée lors de vos révisions ; elle vous évitera de tout
relire. Outre, bien sûr, les renseignements sur la juridiction qui a rendu la
décision et sa date, on y trouvera grossièrement : les faits ; le problème de
droit ; la réponse apportée par la Cour de cassation.

Voici un exemple de fiche :


Fiche de l’arrêt Civ. 1re, 3 mai 2000 (arrêt relatif au dol par réticence) :
Droit civil des obligations
6

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :


Vu l’article 1116 du Code civil ;
Attendu qu’en 1986, Mme Boucher a vendu aux enchères publiques cinquante
photographies de Baldus au prix de 1 000 francs chacune ; qu’en 1989, elle a retrouvé
l’acquéreur, M. Clin, et lui a vendu successivement trente-cinq photographies, puis
cinquante autres photographies de Baldus, au même prix qu’elle avait fixé ; que l’in-
formation pénale du chef d’escroquerie, ouverte sur la plainte avec constitution de
partie civile de Mme Boucher, qui avait appris que M. Baldus était un photographe
de très grande notoriété, a été close par une ordonnance de non-lieu ; que Mme Bou-
cher a alors assigné son acheteur en nullité des ventes pour dol ;
Attendu que pour condamner M. Clin à payer à Mme Boucher la somme de
1 915 000 francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues
lors des ventes de gré à gré de 1989, après déduction du prix de vente de
85 000 francs encaissé par Mme Boucher, l’arrêt attaqué, après avoir relevé qu’avant
de conclure avec Mme Boucher les ventes de 1989, M. Clin avait déjà vendu des pho-
tographies de Baldus qu’il avait achetées aux enchères publiques à des prix sans rap-
port avec leur prix d’achat, retient qu’il savait donc qu’en achetant de nouvelles
photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par
rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art, manquant ainsi à l’obligation
de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant et que, par sa réticence à
lui faire connaître la valeur exacte des photographies, M. Clin a incité Mme Boucher
à conclure une vente qu’elle n’aurait pas envisagée dans ces conditions ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune obligation d’information ne pesait
sur l’acheteur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre
1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la
cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.
Les faits :
En 1986, lors d’une vente aux enchères publiques, cinquante photogra-
phies de Baldus ont été vendues au prix de 1 000 francs l’unité. En 1989, le
vendeur desdites photographies reprend contact avec son acquéreur et lui
vend, successivement, quatre-vingt-cinq autres photographies de Baldus
pour un prix identique. Apprenant par la suite que Baldus était un photo-
graphe d’une grande notoriété, le vendeur porte plainte, devant les juridic-
tions pénales, contre son cocontractant pour escroquerie. L’information
pénale ouverte se termine cependant par une ordonnance de non-lieu. Le
Méthodologie
7

vendeur assigne alors l’acheteur en annulation des ventes conclues en 1989


pour dol.
La cour d’appel saisie de l’affaire en seconde instance fait droit à sa
demande en annulant les ventes conclues en 1989 pour dol et en condam-
nant l’acheteur à restituer au vendeur la somme représentant la valeur réelle
des clichés vendus. Motif : la cour d’appel considère que l’acheteur a man-
qué à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant
en achetant les clichés pour un prix qu’il savait manifestement dérisoire par
rapport à leur valeur réelle (plus de vingt fois supérieure au prix de vente !).
Par sa réticence à faire connaître au vendeur cette valeur réelle, l’acheteur
l’a donc incité à conclure une vente qu’il n’aurait pas envisagée à ces condi-
tions.
Pourvoi est formé contre cette décision.
Le problème de droit posé par l’affaire :
L’acheteur qui n’informe pas son vendeur du prix réel du bien objet de
la vente commet-il un dol par réticence susceptible d’entraîner l’annulation
du contrat ainsi conclu ?
La solution donnée par la Cour de cassation :
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel pour violation de
l’article 1116 du Code civil. Selon elle, le contrat ne pouvait être annulé
pour dol puisque, se contente-t-elle d’affirmer, aucune obligation d’infor-
mation ne pesait sur l’acheteur.

B. La préparation à l’examen
1. Respecter
le programme de révision
Attention : la semestrialisation conduit les enseignements à une division
du programme. Il n’en reste pas moins que le cours forme un tout. Au
deuxième semestre, vous pouvez avoir besoin d’éléments acquis lors du pre-
mier. Certaines connaissances sont jugées nécessairement acquises. Par
exemple, la responsabilité contractuelle (programme du second semestre) est mise
en œuvre en cas d’inexécution d’un contrat ; cela implique, par hypothèse, que
vous sachiez ce qu’est un contrat et qui a la qualité de partie contractante (pro-
Droit civil des obligations
8

gramme du premier semestre). Si vous raisonnez, dans un sujet donné au


second semestre, en termes de responsabilité délictuelle là où vous auriez dû
poser des questions en termes de responsabilité contractuelle, et cela uni-
quement parce que vous ne vous rappelez même pas ce qu’est un contrat —
ce qui relève du programme de révision du premier semestre —, vous com-
mettez bien sûr une erreur fondamentale qui sera jugée impardonnable.
Cela dit, ne vous inquiétez pas outre mesure. En arrivant en deuxième
année, vous avez dû ressentir à plusieurs reprises que les connaissances
acquises en première année étaient fort utiles, et, sans même parfois vous en
rendre compte, vous les avez souvent utilisées. Il en est de même ici. Si
vous connaissez parfaitement ce qui a été enseigné au premier semestre, la
séparation des programmes ne vous posera pas de difficultés.
Si vous devez connaître tout le programme de deuxième année, vous
n’avez pas à connaître celui de troisième année de licence ou de première
année de master…
Il vous arrivera peut-être d’être tenté d’aller chercher des règles spécifi-
ques à un contrat. Par exemple, s’agissant d’un contrat de vente, vous avez
peut-être entendu parler de la garantie des vices cachés (à moins que vous
n’ayez découvert l’existence de la règle en feuilletant le Code civil). Inutile
de chercher à exploiter cette règle. La garantie des vices cachés ne fait pas
partie du programme de droit des obligations. Les règles spécifiques à la
vente sont enseignées en troisième année de licence ou en première année
de master. Elles sont complexes. Tout ce que vous pourriez dire à ce sujet,
découvert à travers vos lectures, peut être inexact ou faux. En utilisant des
règles que vous n’avez jamais approfondies, vous prenez le risque d’un
contresens. Vous indisposez votre lecteur qui n’apprécie pas que vous per-
diez du temps à faire référence à des règles qui ne vous ont pas été ensei-
gnées. Bref, vous ne devez pas faire des incursions dans le droit des contrats
spéciaux, sauf, bien sûr, si pendant l’année, votre enseignant a jugé utile de
faire état de telle ou telle règle. De façon plus générale, vous devez vous
limiter à votre programme de droit des obligations. Il est déjà suffisamment
vaste. Inutile d’explorer, le jour d’un examen, des terres inconnues…

2. Apprendre à gérer votre temps


Il vous appartient lors de l’examen de dégager les problèmes qui se posent,
en étant méthodique. Vous vous ménagerez bien sûr un temps de prépara-
Méthodologie
9

tion. Concrètement, nous constatons à chaque examen, que le temps que


certains étudiants consacrent à cette préparation est trop long car ils rédi-
gent trop de choses sur leur brouillon. Vous devez apprendre très vite à pré-
senter vos développements de façon propre, intelligible et cohérente en les
écrivant directement sur votre copie. Les phases de réflexion et de prépa-
ration sur brouillon ne doivent pas dépasser la moitié du temps qui vous est
imparti pour composer. Le temps de l’écriture est important : il ne faut
jamais le sous-estimer. Le temps de l’écriture est aussi un temps de réflexion.
Commencez alors à rédiger assez tôt, dès que vous êtes certain d’avoir com-
pris le sujet et d’avoir déterminé les grandes lignes dans lesquelles vous allez
le traiter. De surcroît, puisqu’il est inadmissible pour un correcteur de trou-
ver un devoir truffé de fautes d’orthographe ou de style, il est essentiel que
vous vous aménagiez un temps de relecture.

3. Apprendre à rédiger
Une remarque préliminaire s’impose : n’utilisez pas de couleurs ! Sachez
que tout signe distinctif est cause d’annulation d’une copie : or, la couleur
peut être un signe distinctif… Prenez l’habitude de respecter cette
contrainte, car dans les années futures, vous passerez peut-être des épreuves
d’examen ou de concours au cours desquelles la règle sera appliquée avec
rigueur.
Il est indispensable d’apporter tous vos soins à la rédaction de votre
devoir. Votre orthographe doit être bonne. Sachez que tous les ans, des étu-
diants sont sanctionnés en raison de leur orthographe défectueuse. Si vous
avez conscience d’avoir quelques lacunes de ce côté-là, mettez-vous au tra-
vail tout de suite… Nous attirons simplement votre attention sur un point :
pendant les cours, vous avez pris l’habitude de prendre des notes en faisant
des abréviations. Le vocabulaire juridique étant spécifique, il est normal
que vous n’ayez pas eu l’occasion de l’utiliser pendant vos études secondai-
res. De ce fait-là, vous n’en avez pas la maîtrise. Vérifiez donc que vous
savez parfaitement écrire les mots que vous avez malencontreusement pris
l’habitude d’écrire en abrégé… Il est très irritant pour un enseignant de
constater qu’un étudiant répète la même faute d’orthographe tout au long
de son devoir…
En ce qui concerne la forme, le plus simple est d’exposer votre raison-
nement, vos arguments de façon impersonnelle. La personne qui vous
Droit civil des obligations
10

consulte est une personne que vous ne connaissez pas. Ne vous adressez pas
particulièrement à elle. Évitez d’exprimer une opinion personnelle. La tra-
dition veut que l’on n’utilise pas le « je ».
N’employez pas le verbe « stipuler » à toutes les sauces. Un contrat sti-
pule telle ou telle chose mais la loi ne stipule pas : un texte prévoit, dispose,
énonce, déclare, etc.
Citez les textes en faisant attention de varier les formules : d’après l’ar-
ticle… ; selon l’article… ; il résulte de tel texte que… Pour cela, regardez
comment s’y prennent les spécialistes (référez-vous aux notes sous les grands
arrêts).

I. L’étude de cas
ou la consultation
Nature de l’épreuve
L’épreuve de cas pratique est souvent considérée par les étudiants comme la
plus facile, celle qui nécessite le moins de techniques pures. Il est vrai que
construite par les enseignants, soit à partir d’hypothèses d’école, soit à par-
tir de faits réels qui ont, un jour, donné lieu à une action en justice, la
consultation a un aspect pratique et un abord qui est assez séduisant pour
un jeune juriste. Pourtant, prenez garde : on s’aperçoit rapidement si les
étudiants sont capables de raisonner correctement et ont des connaissances
solides. La technique même n’est pas difficile. Pourtant, certains étudiants
ne parviennent pas à appliquer une méthode rigoureuse. Quelques conseils
devraient permettre d’éviter certains écueils et d’améliorer la façon de trai-
ter les cas pratiques.
La règle de base est toujours la même. Il s’agit de définir les problèmes
juridiques puis, après les avoir ordonnés, de les résoudre en énonçant les
règles de droit applicables.
En effet, le cas pratique a pour objet de résoudre une difficulté pratique
par application des règles qui vous ont été enseignées. Vous devez proposer
une solution juridique à un problème concret qui vous est posé. Il ne s’agit
pas de donner une opinion partiale, encore moins de prendre une position
sur les faits exposés, mais de motiver en droit une solution (même si elle
Méthodologie
11

vous paraît injuste : peu importe). Si un procès avait lieu, comment telle
affaire serait-elle abordée ? Quelles seraient les chances de succès d’une
action en justice ?
Il faut à ce stade bien comprendre que les développements techniques,
abstraits, sur le contenu de la règle de droit, sont le plus important. C’est à
travers votre exposé des règles que l’on vérifiera vos qualités de raisonne-
ment. Par conséquent, ne perdez pas de temps en luxe de détails sur l’appli-
cation concrète. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’exposer la petite
histoire qui vous est proposée en la délayant, mais de découvrir quels
seraient les raisonnements juridiques les plus appropriés pour résoudre une
affaire et de les exposer intelligemment.

A. Comment aborder le sujet ?


(la prise de contact avec le sujet)
Plusieurs phases doivent être distinguées dans l’élaboration d’un cas prati-
que. Vous consacrerez environ la moitié de votre temps à la construction
même de votre consultation.
Vous allez devoir appréhender le sujet à un double niveau : celui des
faits ; celui des problèmes posés. Ce n’est que lorsque vous aurez totalement
maîtrisé ces deux aspects que vous pourrez passer au second stade, celui de
la résolution des problèmes posés.

1. Comment aborder et poser


les problèmes de faits ?
Bien saisir le sujet, c’est identifier les problèmes qu’il pose. Pour résoudre le
cas pratique, un certain nombre de faits vous sont donnés. Vous devez lire
et relire avec insistance le texte de la consultation, de façon à vous en
imprégner complètement. Lisez calmement, sans panique, la totalité du cas
pratique. L’énoncé de votre sujet vous fait découvrir un ensemble d’événe-
ments, plus ou moins ordonnés, qu’il va falloir reconstituer dans l’ordre
chronologique.
L’enseignant qui a bâti le cas pratique a choisi un certain nombre d’élé-
ments d’information jugés indispensables pour régler le cas. Tout ce qui est
Droit civil des obligations
12

dit est en général utile. C’est d’ailleurs pourquoi la plupart des enseignants
vous proposent de résoudre directement la consultation, sans avoir à résu-
mer les faits, car ils partent du postulat que les indications figurant dans
l’énoncé même du sujet sont toutes suffisamment importantes pour n’avoir
pas à être présentées succinctement. Lorsque vous rédigerez, il suffira alors
sommairement d’une phase pour introduire directement le sujet (ex : M. X
nous consulte à la suite d’un accident dont il a récemment été victime). Une
phrase ou deux indiquant le domaine, le secteur concerné suffira (ex : cas
relatif à la responsabilité délictuelle).
Si vous n’avez pas à résumer les faits dans votre introduction, vous serez
en revanche amené à en faire état au fur et à mesure de votre consultation.
Il faut donc les avoir parfaitement en tête pour les exploiter utilement, au
bon moment et de façon la plus judicieuse possible.
Il peut arriver qu’un enseignant souhaite cependant vérifier que vous
savez percevoir l’essentiel des faits. En d’autres termes, de nombreux élé-
ments vous sont donnés et l’on attend de vous une rapide synthèse des faits.
Il vous est donc demandé d’éliminer les faits secondaires, pour exposer suc-
cinctement et seulement les éléments essentiels. Sont des faits secondaires
les renseignements qui ont été donnés et que vous n’utiliserez pas dans le
corps du devoir, ou les détails sans grand intérêt qui sont développés plu-
sieurs fois de suite pour vous faire comprendre le contexte des événements,
leur atmosphère générale. Par hypothèse, puisque vous disposez d’un temps
limité, votre interrogateur n’aura pas multiplié ce genre de renseignements.
La présentation succincte des faits pourra être assez aisée à opérer. Cette pré-
sentation sera faite dans l’introduction. Il vous appartient alors d’être bref
et de ne mettre l’accent que sur les éléments fondamentaux qui ont condi-
tionné la demande du consultant et qui vont s’avérer très importants pour
résoudre la consultation. Dans ce cas, évitez donc de vous précipiter pour
résumer les faits. Attendez calmement d’avoir maîtrisé la problématique
juridique. Si les circonstances de fait exposées dans l’énoncé sont com-
plexes, que des détails de faible importance sont donnés, vous ferez le tri. Le
résumé que vous établirez a pour seul objet de retracer chronologiquement
les principaux événements. L’objectif est d’en donner un aperçu rapide, et
surtout pas de recopier des phrases entières de la consultation. Si vous avez
bien compris ce qui vient d’être dit, vous constaterez que même dans ce cas,
vous n’utiliserez pas tous les faits qui vous sont proposés. Là encore, vous
serez amené à exploiter certains éléments au fur et à mesure de vos dévelop-
Méthodologie
13

pements. Vous devez donc également parfaitement assimiler les faits qui
vous sont soumis pour les exploiter de manière opportune au cours de la
résolution du cas pratique.
Parfois, certains éléments de fait vous semblent manquer ; d’autres vous
paraissent curieux et vous vous demandez comment réagir. Partez du prin-
cipe qu’il ne s’agit pas d’une erreur de celui qui a rédigé le cas. Certes, cela
peut arriver ; il n’est pas illégitime de poser une question à ce sujet pendant
une surveillance d’examen, à titre tout à fait exceptionnel, lorsque vous
êtes certain que s’est glissée une erreur matérielle. Mais s’il vous manque des
informations utiles, c’est que l’on attend de vous que vous imaginiez diffé-
rentes hypothèses et que vous raisonniez ensuite sur chacune d’elles. En
aucun cas, il ne vous appartient de ne retenir qu’une seule hypothèse, au
motif qu’elle serait plus probable qu’une autre. Attention : cela ne veut pas
dire que vous avez le droit d’imaginer des faits fantaisistes. Méfiez-vous de
ne pas encourir le reproche d’inventer des faits. Vous devez vous contenter
des hypothèses de départ. Prenons un exemple. Vous êtes interrogé sur une
question relative au lien de causalité. Partant de votre hypothèse de travail
vous remontez aux sources des difficultés et pour justifiez la survenance des
événements, vous échafaudez des hypothèses. Le problème est que vous ris-
quez de remonter loin, en allant de supposition en supposition… Limitez-
vous à ce qui est dit, sans inventer.
Par conséquent, à la question fréquemment posée par des étudiants
« faut-il ou non résumer les faits ? », nous répondrons avec nuances. Géné-
ralement, l’enseignant qui vous pose le cas pratique n’attend rien à ce
niveau, si ce n’est une phrase introductive. Vous utiliserez alors les faits
exposés au fur et à mesure de la consultation. Plus rarement, il est souhaité
par l’enseignant une synthèse des faits : une quantité de détails est donnée ;
vous devez faire le tri dans les faits pour retenir ceux qui sont les plus inté-
ressants et faire une synthèse des autres. En conséquence, certains faits
seront nécessairement passés sous silence. Lorsque vous traiterez votre
consultation, vous devrez penser à faire état de ces éléments que vous aviez
volontairement négligés ; vous rappellerez les autres au cours de la résolu-
tion du cas pratique.
Droit civil des obligations
14

2. Comment identifier
les problèmes juridiques ?
Seules vos connaissances vous permettront de savoir que lorsque telle ou
telle catégorie de faits survient, alors tel problème juridique se pose. Pour
trouver les bons problèmes, il faut avoir de bons réflexes. C’est pourquoi le
travail préalable de lecture d’arrêts et d’élaboration de fiches d’arrêts est un
outil de préparation irremplaçable.
La plupart des interrogateurs veillent à poser des questions très vagues
(quels sont les droits de X ? que peut faire M. Untel ?). Il est assez exception-
nel, surtout en droit des obligations, que l’on précise directement les pro-
blèmes par une suite d’interrogations. Si cela vous arrivait, il faudrait bien
sûr répondre dans l’ordre aux questions posées mais en appliquant, pour
chaque catégorie de problèmes, les méthodes qui vont suivre.
Si la formulation est vague, vous allez devoir formuler vous-même les
problèmes posés en termes généraux, puis délimiter ensuite de façon précise
ces problèmes.
Faites la liste des problèmes juridiques qui vous viennent spontanément
à l’esprit. Si vous maîtrisez bien votre cours, cette intuition doit a priori être
exacte. Il faudra ensuite approfondir et vérifier votre intuition. N’oubliez pas
en cours d’élaboration de votre cas pratique de jeter un coup d’œil sur la liste
provisoire de problèmes que vous avez élaborée. Il est toujours regrettable
d’avoir pensé à un problème, puis de l’avoir oublié… Tous les textes, toute
la jurisprudence que vous évoquent les événements relatés doivent être
notés, même sommairement. Puis, prenez un long temps de réflexion.
Méfiez-vous un peu de vos idées de départ : elles peuvent être incomplètes.
Passez intérieurement en revue toutes les voies qui ont pu servir à traiter le
problème : vos connaissances, si elles sont approfondies, doivent vous per-
mettre de recenser les règles applicables à la résolution du cas.
Vous passerez ensuite à la phase la plus délicate, celle de la formulation
juridique.
Lorsque la formulation des questions est vague, il vous appartient de
découvrir toutes les pistes intéressantes. Lorsque la question est formulée en
termes juridiques précis (ex : M. X. peut-il demander l’annulation du contrat
pour cause d’erreur ?), on vous facilite la tâche en vous mettant sur la voie,
de façon à vous éviter de sortir du sujet. Cela dit, il n’est pas hors sujet de
Méthodologie
15

reformuler les questions. Au contraire, la question dissimule les différentes


causes d’annulation du contrat pour erreur.
Quelle que soit la formulation de la question, vous devez donc réfléchir
et trouver les règles de droit dont l’application conduira à un résultat jugé
souhaitable soit parce qu’on vous précise une demande (ex : l’annulation
d’un contrat), soit parce que vous-même allez la préciser.

B. Comment exposer
le raisonnement et les solutions ?
(la résolution
des problèmes posés)
1. La délimitation des problèmes
et leur formulation juridique
Il s’agit ici de traduire en termes juridiques, techniques, les problèmes posés.
On vous a, par exemple, raconté l’histoire d’une personne qui a acheté
une voiture dont le compteur a été « trafiqué » et qui veut la rendre à son
revendeur ou obtenir de l’argent. En termes juridiques, le problème posé
est celui de la nullité du contrat et plus accessoirement celui de la respon-
sabilité d’un vendeur. Il ne s’agit pas d’un problème de résolution du contrat
ou d’exécution forcée.
Il va falloir trier les problèmes, ne retenir que les plus importants.
Quels sont les problèmes à écarter ? Comment procéder à l’élimination ?
Vous constatez dès le départ qu’il ne saurait s’agir d’un problème de résolu-
tion du contrat. En effet, dans votre cours, vous avez appris la différence entre
la nullité d’un contrat et la résolution. La nullité sanctionne l’absence d’une
condition de formation du contrat ; la résolution est la sanction de l’inexécution
d’un contrat valable. Voilà exactement le type même du problème que vous pou-
vez éliminer : expliquez que l’acheteur ne peut pas demander la résolution du
contrat ; justifiez cette remarque préliminaire en rappelant précisément la défini-
tion de l’annulation et celle de la résolution. Le contrat a été exécuté ; le deman-
deur ne prétend pas être victime d’une inexécution. Tout se joue au niveau de la
formation du contrat, seule en cause.
Droit civil des obligations
16

Lorsque vous éliminez une piste, cela ne veut pas dire que vous passerez
totalement sous silence cet aspect des choses. Il est plus intéressant d’élimi-
ner ce type de problème par une justification théorique attestant de la
finesse de vos connaissances. Encore faut-il que votre remarque soit judi-
cieuse. Par exemple, il serait sans intérêt d’écrire : nous ne traiterons pas des pro-
blèmes d’incapacité car rien dans le cas pratique ne nous permet de supposer que
l’une des deux parties était incapable. Ce type de problème doit être écarté
d’office sans même une allusion dans la copie (cela d’autant plus que le
droit des incapacités ne fait pas partie de votre programme).
Comment savoir s’il faut retenir telle règle ou non ? L’idée qui doit vous
animer est d’éliminer d’office ce qui est hors programme ; de retenir les pis-
tes qui sont peu susceptibles de donner satisfaction au consultant, mais en
donnant alors une explication succincte des raisons juridiques qui en justi-
fient l’échec ; de retenir et d’approfondir ce qui risque d’aboutir à un résul-
tat mais pour lequel il y a une difficulté en se concentrant sur cette
difficulté ; d’approfondir entièrement tout ce qui est susceptible effective-
ment de permettre à votre consultant de gagner un éventuel procès.
Une fois que vous avez fermé certaines pistes, reste à savoir ce qu’il faut
faire de celles qui mènent à la résolution des problèmes posés.

a. Que faut-il exclure et comment ?


Il va falloir délimiter les pistes envisageables, approcher les problèmes a
priori intéressants pour en mesurer l’importance respective. Chacun de ces
problèmes se subdivise. À l’intérieur du cas pratique, il y a plusieurs cas pra-
tiques. Ces cas pratiques peuvent être de nature différente, ou avoir des
liens entre eux. Il va falloir mesurer là encore ce qui est important et ce qui
pourrait être écarté sans grand développement.
Dans notre exemple, que constatons-nous ? Les causes de nullité d’un contrat
sont diverses ; et dans un cas comme celui envisagé, on peut se demander si le
contrat peut être annulé pour erreur, pour dol, absence partielle de cause, lésion…
Sur le terrain de la responsabilité civile, on se posera la question de la responsa-
bilité précontractuelle, de la responsabilité consécutive à l’annulation d’un
contrat, etc.
Vous devez à nouveau identifier et classer les problèmes juridiques ; cer-
taines pistes peuvent être intéressantes et nécessiteront un développement
conséquent, d’autres beaucoup moins et d’autres pas du tout. Quand rien
dans les faits ne semble permettre d’envisager telle ou telle piste, vous pro-
Méthodologie
17

céderez comme nous l’avons indiqué plus haut, mais en le précisant (ex. :
« faute d’indication, nous supposerons que les deux parties au contrat étaient
bien présentes sur les lieux au moment de la conclusion du contrat » ou bien à
défaut de précision : « nous partirons de l’hypothèse, fort probable, que le prix
de vente a été versé », etc.).
Si le problème n’est effectivement pas intéressant, vous devez l’écarter,
en mettant en avant les raisons fondamentales pour lesquelles vous ne pour-
suivez pas d’avantage l’analyse. Par exemple, vous pouvez écrire, s’agissant
d’un problème de nullité du contrat : l’objet du contrat ne posant visiblement
aucun problème particulier, nous écartons la nullité pour absence d’objet. Dans
le cas cité, vous pouvez à la limite le faire car l’objet pose un problème sous
un angle particulier, celui de sa valeur. Soulignez en revanche que la valeur
de l’objet est, elle, problématique puisqu’en raison du trafic de compteur, la
voiture a été vendue au-delà de sa valeur réelle. En revanche, nous consta-
tons que le bien a été vendu au-delà de sa valeur réelle. Nous examinerons donc
la question de la valeur de l’objet, ce qui juridiquement pose deux problèmes dif-
férents : l’absence partielle de cause ; la lésion…
Assez souvent, nous constatons dans les copies que les étudiants perdent
du temps à passer en revue un certain nombre de problèmes pour les élimi-
ner, mais en se fondant sur de considérations très générales, souvent de fait.
Retenez donc cette règle : ce n’est pas la peine de passer en revue une
dizaine de pistes pour en définitive ne pas les traiter. Ce travail doit être fait,
c’est vrai, mais au stade de la préparation du devoir. Vous pouvez dans le
devoir même écarter un problème ou deux, en soulignant l’absence de dif-
ficulté spécifique, pour mieux centrer votre devoir sur ce qui vous paraît
vraiment problématique. En aucun cas vous ne devez dresser une longue
liste des pistes que vous avez décidé de ne pas explorer.

b. Ce qu’il faut traiter


Une fois que vous aurez déterminé les aspects juridiques dignes d’être trai-
tés, il va falloir définir l’ordre logique. Par exemple, il faut traiter de l’erreur
avant le dol, pour la raison simple que le dol est une erreur provoquée. Il faut
aussi analyser la responsabilité après la nullité, car celle-ci peut éventuelle-
ment conditionner les conditions de mise en jeu de la responsabilité…
Essayez d’ordonner vos questions de façon logique, en partant de l’idée que
vous traiterez rapidement les mécanismes peu intéressants et tous ceux qui
ne parviennent pas au résultat escompté.
Droit civil des obligations
18

Certains problèmes peuvent être en effet examinés rapidement. Il arri-


vera que la règle envisagée soit défavorable à votre « client ». Par exemple,
s’agissant de la lésion, vous savez dès le départ qu’elle n’est pas une cause
d’annulation du contrat de vente de meubles. Pourtant, il ne faut pas éli-
miner d’office la question de la lésion. Vous devez la faire figurer sur votre
liste. Il en est de même de l’erreur sur la valeur qui n’est jamais, en soi, une
cause d’annulation, mais qui l’est à travers d’autres règles juridiques. Lors-
que vous vous apercevez que les conditions d’application de la règle ne sont
pas remplies, il suffit de le justifier, sans vous engager davantage dans le rai-
sonnement juridique.
Ex : la question se pose de savoir si M. X peut demander l’annulation du
contrat pour erreur sur la valeur. En droit français, l’erreur sur la valeur n’est pas
une cause d’annulation, sauf lorsqu’elle s’analyse en une lésion et sauf lorsqu’elle
provient de manœuvres dolosives. Mais la lésion elle-même n’est une cause d’an-
nulation en matière de vente que lorsque l’acheteur a acquis un immeuble. Ce
n’est pas le cas en l’espèce. Nous éliminons donc la possibilité d’annuler la vente
sur ce fondement.

2. La résolution individuelle
de chaque problème
Nous venons de voir qu’il faut traiter problème par problème, en quelque
sorte résoudre l’un après l’autre les « mini-cas pratiques », en donnant des
justifications au fur et à mesure.
Vous allez explorer chaque piste, l’une après l’autre.
Comment traiter un problème juridique ? Vous avez formulé la question
(ex : la nullité de contrat pour erreur sur les qualités substantielles). À ce pro-
blème de droit, la règle juridique est, d’une part, la loi, d’autre part, la juris-
prudence. Cette règle pose des conditions d’application qui sont réunies ou
non en l’espèce.
Si votre consultation est orientée en faveur d’une personne précise, vous
songerez bien sûr aux arguments qui pourraient être invoqués par son adver-
saire. Par exemple, dans une question sur la responsabilité, si vous concluez
que les conditions de la responsabilité sont remplies, il faut étudier la riposte
de l’adversaire et envisager les moyens d’exonération qu’il pourrait invo-
quer.
Méthodologie
19

Pour chaque règle, on trouve des conditions que vous devez exposer
avec méthode. Vous aboutissez alors à la présentation d’une solution en
droit. Vous devez vérifier ensuite que cette solution juridique est effective-
ment applicable aux faits.

a. La solution juridique
La solution juridique s’infère du droit écrit (les textes de loi, au sens large)
et du droit appliqué (la jurisprudence), beaucoup plus rarement de la doc-
trine. C’est pourquoi vous devez explorer chaque mécanisme intéressant
en énonçant pour chacun d’eux le texte qui permettrait de résoudre le pro-
blème posé. Ensuite, vous exposerez la jurisprudence nécessaire qui justifie
en l’espèce la solution. Enfin, vous ferez état de la doctrine dans la mesure
où elle vous permet d’affiner la solution jurisprudentielle.
Le texte
Vous devez toujours rechercher si un texte donne une solution au pro-
blème posé et le citer.
Les étudiants se demandent parfois s’il faut recopier le contenu du texte.
La réponse est à nuancer. Parfois, le texte est clair et précis et vous permet
immédiatement de régler le problème en cause. Dans ce cas, vous pouvez
soit en donner la substance, soit le recopier. Assez souvent, le texte est trop
général pour être recopié dans son intégralité. Pour régler le problème, c’est
la jurisprudence qui est éclairante : elle précise le contenu de la règle géné-
rale et découvre une interprétation conforme à la loi qui apporte directe-
ment la solution. Ceci est particulièrement vrai pour la responsabilité civile.
Vous ne recopierez donc pas le texte. Il n’en reste pas moins que le numéro
de l’article de loi — et éventuellement celui de son alinéa — sur lequel
vous fondez votre raisonnement doit toujours être indiqué. Si l’exposé de
cette jurisprudence est plus important que le contenu du texte, on attend
avant toute chose que vous expliquiez ce que vous savez de cette jurispru-
dence. Le renvoi au texte doit donc être rapide. Mais il est une étape fon-
damentale. Ex : l’article 1110 prévoit la nullité du contrat pour cause d’erreur.
La jurisprudence a précisé les conditions requises pour cette annulation.
La jurisprudence
Ensuite, vous exploiterez le contenu du texte à travers l’exposé de la
jurisprudence. Ex : la première condition requise est qu’il y ait une erreur sur une
qualité substantielle. En effet, alors que le texte vise l’erreur sur la substance, la
Droit civil des obligations
20

jurisprudence a élargi cette notion. Vous exposez ici ce que vous savez de cette
première condition.
Mais vous devez le faire sans oublier qu’ensuite vous appliquerez le texte
dans le cas d’espèce. Il ne s’agit pas de faire un exposé théorique, mais bien
de traiter un cas pratique. Bien sûr, l’exposé de la règle de droit dépend du
niveau de vos connaissances. Suivant les enseignants, l’exposé qui vous a
été fait de telle ou telle règle est plus ou moins complet. Ainsi, pour en
revenir à notre exemple, tous les étudiants de deuxième année ont néces-
sairement appris que la jurisprudence ne se contente pas de retenir une
définition objective de la substance, mais annule aussi le contrat en cas
d’erreur sur une qualité jugée déterminante pour la partie contractante
(conception subjective de l’erreur). Ensuite, ce qui vous a été enseigné
varie, non pas au niveau de son contenu (les règles de droit sont bien sûr
toutes les mêmes !), mais au niveau des détails donnés. Il est donc impor-
tant pour vous d’avoir pris des notes complètes dans l’année pendant les
cours, car elles seules peuvent vous faire découvrir l’importance attachée
aux divers aspects de la règle de droit par votre enseignant, et par consé-
quent ce qu’il attend de vous.
Citez la jurisprudence selon la méthode qui vous a été indiquée dans les
conseils d’ordre général.
Par le biais d’un cas pratique, on cherche souvent à tester votre capacité
à faire des rapprochements avec des affaires qui ont donné lieu à un arrêt
de la Cour de cassation. Il faut d’abord indiquer la date de l’arrêt, soit pré-
cisément, soit généralement. Grâce aux Codes civils et à leur présentation
succincte de la jurisprudence, vous pouvez le plus souvent retrouver les
dates. À défaut de connaissance précise, il peut être judicieux de donner au
minimum quelques indications (ex : un arrêt récent…, selon une jurispru-
dence ancienne…).
L’attendu de principe, comme celui qui est indiqué dans les notes juris-
prudentielles dans votre code n’est généralement pas suffisant. Il faut rap-
peler comment le problème fut traité dans l’affaire, et vérifier que le
problème qui fut réglé par la jurisprudence (et qui, par hypothèse, est en lien
avec celui que vous traitez) est absolument identique au cas qui vous est sou-
mis.
Il n’est pas toujours facile de vérifier que l’on peut transposer une règle
jurisprudentielle. Votre examinateur prend souvent plaisir à modifier un
Méthodologie
21

élément pour vérifier votre aptitude au raisonnement… Soyez vigilants !


Tous les détails comptent… Vous devez découvrir si les circonstances de fait
examinées présentent les mêmes traits caractéristiques.
Après avoir rappelé sommairement le problème qui fut posé aux tribu-
naux, et la solution qui lui fut donnée, vous vérifiez donc que le cas que vous
traitez est identique. Sinon, il faudra débattre et nuancer les solutions.
La doctrine
Il peut arriver que telle ou telle règle de droit n’ait pas donné lieu à
interprétation, ou que l’interprétation qui a été donnée par la Cour de cas-
sation soit discutée. Vous devrez alors faire état de la doctrine. Soyez très
bref. Évitez de faire un exposé théorique. À votre niveau, n’attachez pas trop
d’importance à la doctrine. N’oubliez pas qu’il n’existe qu’un seul droit posi-
tif des obligations, issu des articles du Code civil et de la jurisprudence,
alors que nombreux sont les exposés doctrinaux sur ce thème : traités,
manuels, cours. Ne citez alors la doctrine que dans la mesure où elle éclaire
le droit positif.

b. L’application au cas d’espèce


Après avoir exposé la première condition, il est simple de vérifier que cette
condition est remplie. Par exemple : dans l’espèce, le kilométrage d’un véhicule
peut être considéré comme une qualité substantielle, etc., et ainsi de suite. Véri-
fier qu’une condition est remplie, c’est appliquer la règle au cas d’espèce.
Lorsque, pour appliquer une règle de droit, plusieurs conditions sont
requises, il est souvent intéressant de passer à l’application du cas d’espèce
au fur et à mesure. Vous pouvez aussi exposer globalement toutes les condi-
tions, puis passer en revue les faits. Mais souvent, le devoir perd de sa clarté.
Suivant les situations, l’application sera aisée ou non. Si vous êtes
amené à constater que toutes les conditions d’application du texte sont
remplies, n’oubliez pas d’en tirer la conclusion finale.
Normalement, lorsque vous confrontez les conditions d’application de
la règle juridique à la situation de fait, vous devez toujours pouvoir conclure
sur les conséquences de cette application sans avoir à « inventer » des faits.
Si vous avez le sentiment qu’il manque une indication, vérifiez d’abord que
l’élément qui manque ne peut tout simplement pas être reconstitué à par-
tir d’éléments fournis. Vérifiez également que l’élément manquant est, effec-
tivement, important à connaître. Partez de l’hypothèse suivante : si tel
Droit civil des obligations
22

événement n’est pas signalé, c’est qu’il n’a pas eu lieu. Si effectivement le
renseignement est manquant alors émettez des hypothèses et traitez-les suc-
cessivement.
S’il y a un doute sur la transposition de la règle de droit, poursuivez le
raisonnement, ou expliquez clairement qu’il y a un doute.
Le choix de la règle applicable — texte seul, texte et jurisprudence,
jurisprudence seule — et son application au fait vous conduira parfois à
une interrogation : si l’on donne tel sens à tel texte, ou à tel arrêt, la solu-
tion au cas d’espèce est telle solution ; si l’on donne un sens différent, on
arrive à telle autre solution. Vous ne devez pas alors trancher entre les deux
conceptions de la règle de droit, en ce sens qu’il ne vous appartient pas de
dire quelle est la bonne interprétation. En revanche, vous n’hésiterez pas à
signaler que telle interprétation est plus favorable à votre consultant que
telle autre : la règle de droit considérée sous tel angle permet d’atteindre tel
résultat intéressant dans l’affaire. Dites-le. Mais n’éliminez pas pour autant
l’autre, au seul prétexte qu’elle ne l’est pas ! Vous signalerez qu’il existe un
doute. Faire un cas pratique consiste précisément à répertorier les règles
juridiques susceptibles, de façon certaine ou douteuse, de parvenir à un
résultat souhaité.
L’idée générale est qu’une discussion doit être approfondie si vous
constatez que selon l’interprétation adoptée, les conditions d’application de
la règle aboutiraient, dans l’espèce, à des solutions différentes.
Vous pouvez rencontrer une hésitation soit au niveau même de l’inter-
prétation de la règle de droit (ex : l’interprétation de tel arrêt reste controver-
sée), soit au niveau des faits.
Lorsque vous appliquez la règle de droit à la situation de fait, il y a par-
fois un doute. Par exemple, vous ignorez si les manœuvres du contractant
ont été ou non suffisantes pour déterminer le consentement. N’entrez pas
alors dans le débat, dès lors que vous auriez à faire une appréciation subjec-
tive des choses. Il arrive qu’un étudiant fasse état de ses sentiments person-
nels. Il a tort. La seule possibilité est de se référer à la jurisprudence qui,
éventuellement, dans des affaires analogues, a considéré quel tel événe-
ment, tel fait, entre bien dans telle hypothèse visée par les textes. Ne per-
dez pas de temps à tenter de justifier tel ou tel choix. Soit vous doutez
vraiment, et vous traitez les deux cas de figure, soit vous estimez plus vrai-
semblable que tel fait aboutisse à telle qualification. Vous donnez votre
Méthodologie
23

position en émettant une petite réserve (ex : il est fort probable que les juges
déclarent cet élément déterminant. Notons cependant que, dans l’hypothèse
inverse, la nullité ne pourrait être obtenue).
En résumé, les étapes à respecter sont les suivantes :
– examen des circonstances de l’espèce de façon approfondie et décou-
verte des éléments essentiels relatifs aux faits ;
– formulation des problèmes juridiques qui seront successivement exa-
minés. Recherches des pistes envisageables pour résoudre chaque problème :
autrement dit, vous procédez à la qualification des mécanismes juridiques
utiles à la résolution du cas pratique ;
– vous passez alors au premier problème dégagé, piste par piste. Vous
expliquez les règles applicables en exposant la règle de droit telle qu’elle est
énoncée dans les textes, puis telle qu’elle est appliquée par la jurisprudence
(éventuellement vous faites une rapide allusion à la doctrine). Pour l’appli-
cation de ces règles, vous devez toujours veiller à faire un exposé méthodi-
que de la jurisprudence lorsque vous passez en revue les conditions
d’application ;
– application de la règle proposée au cas d’espèce. On recherche ce à
quoi conduira la règle juridique dans l’espèce précise. S’il le faut, on pour-
suit le raisonnement à partir d’hypothèses différentes : l’analyse des cir-
constances de fait rendant hypothétique l’application de la règle, on
constate que deux, voire plusieurs hypothèses peuvent être déduites. D’au-
tres règles peuvent être envisagées. Pensez aux arguments que pourrait invo-
quer l’adversaire.

Conclusion : les problèmes annexes


(« le petit bonus de la bonne copie »)
Il peut arriver que l’application des règles envisagées ne conduise à aucun
résultat. Par exemple, vous constatez, au vu des faits que l’annulation du
contrat n’a pas été obtenue. Or votre examinateur vous a posé une question
précise : M. X peut-il obtenir l’annulation de son contrat ? Le résultat recher-
ché ne peut pas être atteint, mais on pourrait tout de même donner indirec-
tement satisfaction au consultant. Ex. : M. X. ne peut obtenir l’annulation de
son contrat. Mais on pourrait envisager une action en responsabilité délictuelle
pour faute commise pendant les pourparlers, ce qui lui permettrait d’obtenir des
dommages-intérêts.
Droit civil des obligations
24

Vous devez examiner ce type de problème lorsqu’aucune « piste » ne


s’est avérée favorable pour votre consultant. Il ne faut le faire, bien sûr,
qu’en fin de devoir et seulement si l’objectif de départ s’est avéré ineffi-
cace. C’est l’ouverture, en guise de conclusion, vers d’autres pistes que la for-
mulation du problème posé par l’auteur du sujet n’induisait pas mais que les
faits pourraient révéler. Attention : il arrive qu’à tort, un étudiant ait l’in-
tuition d’un problème annexe en toute fin de devoir, alors qu’il n’a plus le
temps et que ce soit en réalité une question essentielle… c’est regrettable :
ceci atteste qu’il ne maîtrise ni la méthode, ni les connaissances…

C. Comment rédiger ?
(conseils spécifiques
de rédaction)
Reportez-vous aux conseils d’ordre général annoncés. Nous signalons sim-
plement quelques points spécifiques à la consultation.
Dans votre introduction, vous devez situer globalement le domaine
concerné par le cas pratique, puis, conformément à ce qui a été dit, vous
introduisez les faits.
D’abord, vous replacez le sujet dans un contexte plus général, par une
phrase d’attaque : M. X nous consulte au sujet d’un contrat de vente qu’il vient
de conclure et qu’il veut mettre en cause. Ou bien : Les problèmes soulevés dans
cette consultation ont trait à l’annulation d’un contrat… Ou bien : Nous som-
mes amenés, dans cette affaire qui nous est soumise, à traiter de questions rela-
tives au droit des contrats…, etc. Une seule phrase d’annonce suffit.
Puis vous faites éventuellement un résumé des faits. Vous mettez en
ordre la succession des événements et présentez l’essentiel des faits. Rappe-
lons que, le plus souvent, vous vous abstiendrez de présenter les faits. Vous
devez alors expliquer que vous faites un renvoi à l’intitulé du sujet (ex : les
éléments de fait qui nous ont été exposés sont suffisamment détaillés pour que nous
puissions nous contenter de nous y référer au fur et à mesure…).
Vous pouvez aussi vous contenter d’une présentation sommaire (ex : au
vu des éléments exposés, il résulte que M. X a conclu un contrat de vente d’achat
d’un véhicule après avoir été trompé par son vendeur sur certains points).
Méthodologie
25

Bref, votre introduction se réduit à quelques lignes. Vous la concluez en


annonçant les problèmes que vous allez traiter au fur et à mesure. En d’au-
tres termes, vous annoncez l’articulation de vos raisonnements. Dans une
consultation, le « plan » se réduit à une annonce des problèmes juridiques
qui vont être traités par « grand secteur » (ex : nous traiterons d’abord la
question de l’annulation du contrat [I], puis celle des dommages-intérêts [II]).
Attention : il ne s’agit pas d’un « vrai » plan comme dans les dissertations.
Vous n’êtes pas lié par la règle du plan en deux parties, elles-mêmes divisées
en deux sous-parties. Le « plan » est fourni soit par les problèmes qui vous
ont été directement posés, soit par les problèmes que vous avez vous-même
dégagés après les avoir regroupés. Il peut y en avoir 2, 3, 4, 5, ou plus…
Avant d’aborder la première question, exposez les pistes que vous avez
jugées utiles d’écarter avec la justification sommaire que vous avez décidé
de mettre en valeur.
Certains enseignants exigeront peut-être que vous rendiez compte de
votre réflexion par des propos récapitulatifs. Dans ce cas, vous rappellerez
en quelques lignes les conclusions auxquelles vous aboutissez.

D. Exemple de résolution
d’un cas pratique
Remarques préliminaires
Les développements qui vont suivre sont destinés à illustrer de manière
concrète la méthode de résolution d’un cas pratique avec les différentes
étapes qui la compose. En italiques figurent les développements qui doivent
apparaître sur votre copie. Les développements qui ne sont pas en italiques
constituent le rappel des différentes règles et conseils méthodologiques qui
vous ont été présentés dans les développements précédents. Vous observe-
rez comment s’organise la progression de votre raisonnement et, notam-
ment, la façon dont, petit à petit, les pistes de réflexion envisageables
peuvent être amenées.

L’énoncé de l’exercice
Venant d’hériter il y a trois mois d’une petite propriété dans la Manche et
désireux de la restaurer pour en faire un gîte, M. Fauguerne a décidé de se
Droit civil des obligations
26

débarrasser de toutes les vieilleries qui encombraient le grenier. Aussi s’est-


il installé, il y a un mois de cela, sur la place de son village afin d’y vendre
tous ces bibelots lors de la brocante annuelle. Au cours de cette journée par-
ticulièrement ensoleillée, M. Fauguerne a notamment vendu un lot de dix
estampes signées de Babouc pour un prix de 30 euros l’unité. Content de
cette opération, d’autant que ces estampes lui paraissaient d’un fort mauvais
goût pictural et peintes par un artiste du dimanche, M. Fauguerne a pour-
tant vite déchanté. En effet, quelle ne fut pas sa stupéfaction de découvrir
hier, dans le journal, que son cocontractant, collectionneur averti des
œuvres de Babouc, venait de prêter à un musée, pour une courte exposition,
lesdites estampes dont la valeur réelle est estimée à 3 000 euros pièce en rai-
son de la notoriété de leur auteur 1. M. Fauguerne vous consulte aujourd’hui
pour savoir comme il pourrait récupérer les estampes et se sortir ainsi de
cette mauvaise affaire qu’il a conclue.

L’appréhension des faits (première étape)


M. Fauguerne a vendu un lot de dix estampes signées de Babouc pour un prix de
30 euros l’unité. Quelque temps plus tard, M. Fauguerne a découvert que ces
estampes étaient d’une valeur cent fois supérieure au prix auquel il les avait ven-
dues en raison de la notoriété de leur auteur. Par ailleurs, il nous est précisé que
son cocontractant est un collectionneur notoire des œuvres de Babouc.
Ce passage illustre la nécessité de résumer les faits utiles à la résolution
de l’exercice, eu égard aux nombreuses informations, parfois sans intérêt, qui
apparaissent dans l’énoncé. Ce résumé doit donc, pour cette raison, appa-
raître dans l’introduction de votre devoir dont il va constituer le point de
départ.

L’appréhension du problème posé


et sa formulation en termes juridiques
(seconde étape)
M. Fauguerne souhaite récupérer ces estampes et nous consulte à cette fin. Pour
parvenir à ce résultat, une seule possibilité se dessine : obtenir l’anéantissement
rétroactif du contrat. Comment obtenir cet anéantissement rétroactif du contrat de
vente qu’il a conclu ? Pour répondre à cette question, il faut envisager les causes
possibles de cet anéan-
tissement. L’anéantis-
sement rétroactif d’un 1. Le nom du peintre, ainsi que sa notoriété sont, naturelle-
ment, purement imaginaires.
Méthodologie
27

contrat peut être obtenu par l’annulation de ce dernier, ou par sa résolution. L’an-
nulation d’un contrat consiste en la sanction du non-respect des conditions de for-
mation du contrat. La résolution consiste, quant à elle, en la sanction de
l’inexécution des obligations nées du contrat.

Première orientation de la réflexion


En l’espèce, il semble que le contrat ait été parfaitement exécuté. M. Fauguerne
a bien remis les estampes à l’acheteur, lequel lui a versé le prix de vente (du
moins, on le suppose fortement, faute d’indication contraire). Aussi, la résolu-
tion du contrat semble inenvisageable en l’espèce. Reste à s’interroger sur sa pos-
sible annulation.
À ce stade, le problème général de l’exercice est déterminé, une pre-
mière exclusion ayant eu lieu, celle de la résolution du contrat. Il faut main-
tenant annoncer, au regard de la problématique de l’annulation du contrat,
les pistes exploitables, d’une part, et celles qui paraissent absolument inen-
visageables eu égard aux faits qui vous sont soumis, d’autre part.

La recherche et l’annonce
des pistes exploitables
pour obtenir l’annulation du contrat
En vertu de l’article 1108 du Code civil, quatre conditions de formation du
contrat doivent être respectées pour que celui-ci soit valable : le consentement de
la partie qui s’oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la
matière de l’engagement, une cause licite dans l’obligation (citation du texte
juridique applicable et de son contenu).
Au regard des faits qui nous sont soumis, les conditions relatives à la capacité
des cocontractants et à l’objet du contrat des obligations ne semblent pas faire
défaut. En ce qui concerne la cause, il est également difficilement envisageable
d’admettre son inexistence. La cause dans les contrats synallagmatiques se défi-
nit comme la contrepartie escomptée. Or, ici, en contrepartie de la vente des
estampes, M. Fauguerne a obtenu 30 euros. Pour conduire à l’annulation, il
faudrait que soit prise en compte l’absence partielle de cause. Or la jurisprudence
ne l’admet pas (des développements plus importants seront naturellement
faits si ce point a été développé en cours ou en travaux dirigés). Aussi
exclurons-nous ces différentes pistes pour nous intéresser au seul consentement
donné par M. Fauguerne à la vente conclue. L’on doit préciser auparavant qu’au-
cune rescision pour lésion ne pourrait être obtenue en l’espèce puisque le bien
Droit civil des obligations
28

objet de la vente est meuble (première exclusion de certaines pistes inenvisa-


geables avec sa justification rapide).
Pour qu’un contrat soit valable, il faut que le consentement de chaque cocon-
tractant existe et qu’il ne soit pas vicié. En l’espèce, M. Fauguerne a bien donné
son consentement à la vente, mais l’on peut se demander s’il n’est pas vicié.
L’article 1109 du Code civil, prévoit trois vices du consentement : l’erreur, la
violence et le dol. Là encore, au regard des faits qui nous sont soumis, il ne sem-
ble pas possible d’affirmer que le consentement a été extorqué par violence,
M. Fauguerne n’ayant fait l’objet d’aucune menace de la part de son acheteur
(nouvelle exclusion, progressive, d’une piste qui se révèle inenvisageable en
raison des faits, avec justification de cette exclusion. Observez comment la
réflexion s’organise et s’affine au fur et à mesure). En revanche, on peut se
demander successivement si le contrat n’est pas annulable pour erreur (I) ou dol
(II) (annonce des différentes pistes vers lesquelles la réflexion semble pou-
voir s’orienter et qui vont constituer alors l’articulation du devoir).
I. Le contrat conclu est-il annulable pour erreur vice du consentement ?
L’erreur peut être définie comme une conviction erronée du contractant, un
décalage entre sa croyance et la réalité au jour de la conclusion du contrat (défi-
nition de la notion juridique utilisée). L’article 1110 du Code civil (citation
du texte juridique applicable) envisage deux types d’erreur vice du consente-
ment : l’erreur sur la substance de la chose, que la jurisprudence n’a pas hésité à
élargir à l’erreur sur les qualités substantielles de la chose, et l’erreur sur les qua-
lités essentielles du cocontractant en cas de contrat conclu intuitu personae. En
l’espèce, seule l’erreur sur les qualités substantielles de la chose peut être envisa-
gée (là encore, nouvelle exclusion rapide d’une piste inenvisageable : celle
de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne).
Pour qu’un contrat soit annulé pour erreur sur les qualités substantielles de
la chose, plusieurs conditions doivent être réunies : il faut que l’erreur porte sur
une qualité substantielle entrée dans le champ contractuel, que l’erreur ait été
déterminante du consentement et, enfin, qu’elle soit excusable (exposé métho-
dique des différentes conditions d’application de la règle juridique envisa-
gée). Ces conditions sont-elles réunies en l’espèce ?
La qualité substantielle d’une chose peut être présentée comme la qualité qui
en est attendue et recherchée par une partie au contrat (là encore, nouveau tra-
vail de définition). Elle doit être entrée dans le champ contractuel, c’est-à-dire
avoir été connue de l’autre contractant. En l’espèce, est-on en présence d’une
Méthodologie
29

erreur sur les qualités substantielles des estampes ? (examen de la première


condition requise par la règle envisagée, avec application en l’espèce).
On serait tenté d’affirmer rapidement qu’il existe bien une erreur sur la valeur
des estampes, puisque M. Fauguerne croyait que ces dernières ne valaient que
30 euros pièce alors qu’elles valaient, en réalité, 3 000 euros chaque. Cepen-
dant, ce raisonnement ne saurait conduire à l’annulation du contrat sur le fon-
dement de l’article 1110 du Code civil, car la jurisprudence n’a jamais admis
que l’erreur sur la valeur puisse constituer, à elle seule, une erreur sur les quali-
tés substantielles de la chose. Il faut donc rechercher une autre qualité substan-
tielle des estampes sur laquelle on pourrait affirmer que M. Fauguerne s’est
trompé (encore une fois, mise à l’écart d’une piste de réflexion illustrant
une bonne maîtrise du cours).
En l’espèce, on pourrait songer à affirmer que la qualité substantielle sur
laquelle s’est trompé M. Fauguerne concerne l’authenticité des estampes et la
notoriété de leur auteur. En effet, M. Fauguerne croyait bien, au jour de la
conclusion du contrat, que les estampes provenaient d’un peintre sans aucune
renommée, alors qu’il s’avère, en réalité, que Babouc est un peintre d’une grande
notoriété. Il y a donc bien une erreur en l’espèce sur l’authenticité des estampes.
Ce raisonnement pourrait-il prospérer ?
En matière d’œuvres d’art, la jurisprudence a toujours admis que l’authenti-
cité d’une œuvre en constitue une qualité substantielle, qualité d’ailleurs considé-
rée comme objective, c’est-à-dire recherchée par tout contractant, et donc
présumée être entrée dans le champ contractuel, c’est-à-dire présumée être connue
de l’autre. De plus, toujours selon la jurisprudence, l’erreur peut tout à fait pro-
venir du vendeur et porter sur sa propre prestation ainsi que l’illustre l’arrêt Pous-
sin rendu par la première chambre civile le 22 avril 1997 (exemple de citation
d’une solution jurisprudentielle apportant un éclairage sur les conditions
d’application de la règle de droit étudiée). Aussi, M. Fauguerne pourrait-il
invoquer son erreur sur la notoriété de Babouc pour obtenir l’annulation du
contrat sur le fondement de l’article 1110 du Code civil. Toutefois, pour que
l’annulation de la vente soit prononcée, il faudra que M. Fauguerne prouve que
cette erreur a été déterminante de son consentement, c’est-à-dire prouve que sans
cette erreur, il n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions diffé-
rentes. En l’espèce, une telle preuve sera facilement rapportée dans la mesure où
la valeur réelle des estampes est cent fois supérieure au prix de vente… (examen
de la deuxième condition requise par la règle étudiée avec application en
l’espèce).
Droit civil des obligations
30

Jusqu’à présent les conditions de l’erreur vice du consentement semblent réu-


nies en l’espèce. Cependant, l’acheteur pourrait songer à soulever le caractère
inexcusable de l’erreur commise par M. Fauguerne pour bloquer toute annulation
du contrat sur ce fondement (examen de la dernière condition requise pour
l’application de la règle). L’erreur inexcusable est définie par la jurisprudence
comme une erreur qui aurait pu facilement être évitée par un minimum de recher-
che de la part de l’errans pour établir la réalité. Le caractère excusable ou non de
l’erreur s’apprécie in concreto, par rapport aux circonstances de la cause, l’âge
de l’errans, ses connaissances et sa profession, etc. En l’espèce, aucun élément
concret ne nous permet de dire si l’erreur de M. Fauguerne aurait pu facilement
être évitée. Aussi, les juges du fond devront-ils apprécier, le cas échéant, le carac-
tère excusable ou non de cette erreur. S’ils considèrent l’erreur excusable, alors
le contrat sera annulé, donc rétroactivement anéanti. Par conséquence, le contrat
ayant été exécuté, les parties devront procéder à des restitutions puisque la vente
sera considérée comme n’ayant jamais existé. Ainsi, M. Fauguerne devra resti-
tuer à l’acheteur le prix de vente qu’il a reçu contre restitution corrélative des
estampes. En revanche, si les juges du fond considèrent l’erreur de M. Fauguerne
inexcusable, la demande en annulation sera rejetée (illustration de la nécessité
d’envisager les différentes solutions possibles au regard de l’imprécision des
faits qui vous sont soumis).
L’examen de l’annulation du contrat pour erreur vice du consentement étant
terminé, on peut explorer maintenant une autre piste, celle de l’annulation du
contrat pour dol (exemple de transition avec annonce du problème que vous
allez maintenant traiter suivant l’articulation du devoir que vous avez rete-
nue).
II. Le contrat conclu est-il annulable pour dol vice du consentement ?
Le dol vice du consentement se définit comme une erreur provoquée par des
manœuvres frauduleuses émanant du cocontractant. Il est visé à l’article 1116 du
Code civil (citation du texte contenant la règle dont l’application est envi-
sagée).
Les conditions de l’annulation d’un contrat pour dol sont les suivantes : il faut
en premier lieu une erreur. Cette erreur doit avoir été provoquée par des manœu-
vres frauduleuses, c’est-à-dire destinée à nuire, émanant du cocontractant. Cette
erreur doit enfin avoir été déterminante de son consentement (exposé méthodi-
que des différentes conditions d’application de la règle envisagée). Ces
conditions sont-elles réunies en l’espèce ?
Méthodologie
31

L’erreur en matière de dol est admise beaucoup plus largement qu’en matière
d’erreur vice du consentement. Ainsi, une simple erreur sur la valeur de la chose
suffit pour que cette condition soit remplie. En l’espèce, une telle erreur existe bien
puisque les estampes valent cent fois le prix pour lequel elles ont été vendues, et
se double d’ailleurs d’une erreur sur leur qualité substantielle, à savoir leur authen-
ticité. Cette condition est donc remplie (examen de la première condition avec
application en l’espèce).
Toutefois, cette erreur a-t-elle été provoquée par des manœuvres frauduleu-
ses émanant du cocontractant de M. Fauguerne ? (examen de la deuxième
condition requise par la règle).
En matière de dol, les manœuvres provoquant l’erreur peuvent être positives
(mise en scène, déguisement, etc.), mais peuvent également consister en un men-
songe, voire en un silence (on parle alors de réticence dolosive).
En l’espèce, ce que l’on pourrait reprocher à l’acheteur c’est d’avoir tu le fait
que Babouc était un peintre célèbre et que ses estampes valaient beaucoup plus,
dans la mesure où il semble pouvoir être fortement présumé que l’acheteur, étant
un collectionneur averti des œuvres de cette artiste, connaissait cette réalité au jour
de la vente. Se pose donc la question de savoir si le silence gardé par l’acheteur sur
ces éléments pourrait constituer une réticence dolosive.
La réponse à cette question nous est fournie par la jurisprudence et plus par-
ticulièrement un arrêt de la première chambre civile du 3 mai 2000 portant sur
une affaire similaire. Dans celle-ci un vendeur avait demandé l’annulation pour
dol d’une vente de 85 photographies de Baldus pour un prix unitaire de
1 000 francs, après avoir appris la grande notoriété dont jouissait en réalité ce pho-
tographe et les répercussions qui en découlaient sur la valeur réelle des clichés
(environ vingt fois supérieure !). Dans cette affaire, il résultait des circonstances
de la cause que l’acheteur, bien que taisant à son vendeur la notoriété de Baldus,
savait pertinemment qu’il contractait pour un prix dérisoire. Aussi, la cour d’ap-
pel n’avait-elle pas hésité à annuler le contrat pour réticence dolosive. Un pour-
voi fut formé contre cette décision. Le problème de droit posé à la Cour de
cassation était identique à celui que pose notre affaire : l’acheteur qui n’informe
pas le vendeur de la valeur réelle de la chose objet du contrat commet-il un dol par
réticence susceptible d’entraîner l’annulation du contrat ? À cette question la
Cour de cassation répondit par la négative, cassant ainsi l’arrêt de la cour d’ap-
pel pour violation de l’article 1116 du Code civil, au motif qu’aucune obligation
d’information ne pesait sur l’acheteur (exemple type de la citation d’une solu-
tion jurisprudentielle nécessaire à la résolution de la piste envisagée. Remar-
Droit civil des obligations
32

que : reportez-vous à la fiche d’arrêt reproduite supra pour comprendre à


quel point les fiches d’arrêt que vous aurez élaborées tout au long de l’an-
née peuvent se révéler utiles le jour de l’examen !).
Au regard de cette solution jurisprudentielle, et en raison de la similitude des
faits qui ont conduit à son adoption par rapport à ceux qui nous sont soumis, il
semblerait que le silence gardé par l’acheteur de M. Fauguerne sur la notoriété de
Babouc et la valeur réelle des estampes ne constitue pas une réticence dolosive per-
mettant d’obtenir l’annulation du contrat. Cette piste s’avère donc inopérante
(application de cette solution jurisprudentielle au cas qui vous est soumis en
raison de la similitude des faits).

Récapitulatif général
Au final donc, seule l’invocation d’une erreur sur la qualité substantielle des
estampes, tenant à la notoriété de leur auteur, pourrait permettre à M. Fau-
guerne d’obtenir l’annulation du contrat et leur restitution par voie de consé-
quence.

II. Le commentaire de texte


Nature de l’épreuve
Qu’est-ce que commenter un arrêt ?
Commenter un arrêt, c’est expliquer le problème de droit qui a été sou-
mis à une juridiction, la réponse qui lui a été apportée, et porter une appré-
ciation sur le raisonnement juridique qui a été tenu. Le commentaire repose
sur une analyse méthodique et minutieuse de la décision, notamment des
motifs de la Cour de cassation, et sur une comparaison des résultats de l’ana-
lyse avec les connaissances théoriques acquises préalablement.
Exercice souvent préféré des enseignants, en raison des exigences de
qualité de rigueur, de logique et de finesse d’analyse qu’il requiert, le com-
mentaire d’arrêt est redouté par la plupart des étudiants. Il est vrai qu’il
permet de vérifier le niveau des connaissances, mais aussi et surtout l’apti-
tude au raisonnement juridique.
Parmi l’ensemble des décisions de justice, émanant des juridictions d’or-
dre judiciaire, les arrêts de la Cour de cassation se prêtent parfaitement au
Méthodologie
33

commentaire. Il est rare que soit donné à un examen le commentaire d’une


décision de justice émanant d’une autre juridiction, cour d’appel ou juridic-
tion du premier degré. Nous partirons donc du postulat que vous aurez à
commenter un arrêt émanant de la Cour de cassation.
Dans les mois qui précédent votre examen, vous devez commencer à
savoir « lire » un arrêt de la Cour de cassation. Vous devez connaître le
sens du vocabulaire juridique utilisé, la portée de certaines expressions.
L’objectif essentiel de votre commentaire est en effet d’expliquer et d’appré-
cier l’arrêt qui vous est soumis, et cela en utilisant les connaissances que
vous avez acquises grâce aux cours qui vous ont été dispensés et aux séan-
ces de travaux dirigés.
Vous devez donner le sens de la décision et porter une appréciation.
L’explication que l’on attend de vous est que vous montriez de quelle
façon les juges ont qualifié les faits qui leur étaient soumis, quelles sont les
règles qu’ils ont choisi d’appliquer, quelles sont celles qu’ils ont écartées,
quelles difficultés ils ont éventuellement rencontrées dans l’application de
ces règles.

A. Comment se préparer
au commentaire avant l’examen ?
Vous devez apprendre à lire un arrêt. Pour cela, vous veillerez à maîtriser
rapidement le vocabulaire et à comprendre comment est structuré un arrêt.
Accessoirement, vous vous aiderez de lectures.

1. La maîtrise du vocabulaire
et de la structure des arrêts
a. Le vocabulaire technique
Vous serez amené à lire et à comprendre un texte, le plus souvent relative-
ment court, dans lequel figurent des mots et des expressions techniques.
Du fait de l’effort de simplification de la langue juridique, les arrêts récents
sont plus accessibles que les décisions anciennes. Il n’en reste pas moins que
la clarification opérée reste limitée pour un étudiant de deuxième année. Il
vous faudra vous-même utiliser certains termes techniques et ce à bon
Droit civil des obligations
34

escient. Vous devez être rigoureux dans l’utilisation des termes juridiques
que vous employez. On attend de tout étudiant de deuxième année qu’il
connaisse exactement le sens des mots qu’il utilise.
Il y a bien sûr des termes dont le sens ne vous échappe plus (Cour de cas-
sation, chambre, cour d’appel, assemblée plénière, chambre mixte, rejet,
grief, attendu, branche, moyen…). Mais il y en a d’autres auxquels vous
n’avez peut-être pas fait attention.
Lisez la liste qui suit. Soyez particulièrement attentifs. Lorsque le sujet
vous sera donné, vous aurez à faire face à une difficulté d’analyse de la déci-
sion rendue. Nous vous proposons donc, en tout premier lieu, de vérifier,
bien avant votre examen, que vous connaissez parfaitement le sens de cer-
tains termes. Si ce n’est pas le cas, où si vous avez des hésitations, même
après avoir lu les explications qui suivront, vous devrez éclaircir ce point
grâce à des manuels ou en ayant un échange avec votre chargé de travaux
dirigés. Partez de l’idée que vous devrez passer votre examen en maniant
avec aisance les termes qui suivent.
– Arrêt confirmatif : Se dit d’un arrêt de cour d’appel lorsque la Cour
approuve la décision des juges du premier degré. Dans le cas inverse, l’arrêt
est dit arrêt infirmatif.
– Cassation totale : La Cour de cassation annule entièrement l’arrêt de
la cour d’appel. La Cour de cassation peut aussi approuver cette décision sur
certains points, et décider de l’annuler sur d’autres : il y a alors cassation
partielle.
– Cas d’ouverture : Vous savez que pour faire un pourvoi, il faut se
trouver dans un cas d’ouverture. Cela implique que lorsque la Cour de cas-
sation casse un arrêt, elle peut le faire pour différentes raisons — que vous
devez toujours rechercher — et que l’auteur du pourvoi reproche toujours
certaines choses à la cour d’appel. Connaissez-vous les principaux cas d’ou-
verture à cassation ?
La Cour de cassation peut considérer que les textes — ou les principes
généraux du droit — ont été mal appliqués, mal interprétés ou mal choisis
par la cour d’appel. Il y a violation de la loi. La portée de l’arrêt est alors
considérable. Plus subtilement, il peut être reproché à la cour d’appel d’avoir
appliqué le bon texte, de l’avoir bien interprété, mais cela en prenant appui
sur des faits insuffisants : on parle alors de manque de base légale. Pour
apprécier la portée de l’arrêt, il faut donc faire état du texte qui a été choisi
Méthodologie
35

— et partir du principe qu’il a été bien choisi — puis comprendre quelles


sont les conditions d’application du texte qui dans l’affaire n’ont pas été suf-
fisamment respectées. Le défaut de réponse à conclusion correspond à l’hy-
pothèse suivante : un plaideur invoquait certains points devant la cour
d’appel. Ces points sont peut-être bons, peut-être pas. En tous les cas, la cour
d’appel n’y a pas répondu. Or elle est obligée de répondre à tous les argu-
ments mis en avant dans les conclusions. À défaut de réponse, il y aura
censure de la Cour de cassation, qui ne dit pas pour autant si l’argument est
bon ou mauvais. On ne peut de ce fait apprécier la portée d’un tel arrêt. La
Cour de cassation peut également considérer que le problème ne la regarde
pas : il s’agit d’une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine
des juges du fond. À vous de bien mettre en valeur ce refus de contrôle.
– À bon droit : La Cour de cassation approuve le raisonnement de la
cour d’appel et fait savoir que le motif retenu est parfaitement bien fondé.
Elle corrobore l’interprétation retenue. Généralement, on analyse cette for-
mule comme révélant un arrêt de principe.
– Substitution de motifs : La Cour de cassation rejette le pourvoi, mais
elle n’approuve pas les motifs retenus par la cour d’appel. Elle justifie la
décision attaquée en substituant à un motif inexact un motif de droit qui
n’avait pas été explicitement invoqué par les parties.
– Demande reconventionnelle : Le défendeur au procès initial ne se
contente pas de présenter ses moyens de défense ; il est devenu à son tour
demandeur.
– Demande initiale : Une prétention est soumise au juge ; elle déclen-
che l’instance. Elle s’oppose à la demande incidente qui se greffe sur une
procédure déjà commencée.
*
Savez-vous que l’on doit dire :
– que quelqu’un forme un pourvoi ?
– qu’on interjette appel ?
– qu’on assigne en justice ?
Savez-vous que l’on ne doit jamais dire d’un arrêt de la Cour de cassa-
tion qu’il confirme un arrêt d’appel (la Cour de cassation rejette un pour-
voi) ?
Droit civil des obligations
36

b. La structure d’un arrêt


Nous n’insisterons pas sur la structure grammaticale, que vous maîtrisez
normalement dès la fin de la première année. Vous connaissez la présenta-
tion traditionnelle de l’argumentation des juges rédigée dans la forme tra-
ditionnelle des « attendu que… » et « considérant que… ». Vous savez que
la construction adoptée permet de distinguer les motifs du dispositif.
– Exemple pour un arrêt de rejet :
Motifs : La Cour ; — sur les deux moyens réunis : — Attendu que… ;
que… ; Mais attendu que… ; que… ;
Dispositif : Par ces motifs : — rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu
le… par la cour d’appel de…
– Exemple pour un arrêt de cassation :
Motifs : Vu… la Cour ; — attendu que…, que… ; — attendu que ;
Dispositif : Par ces motifs – casse l’arrêt…
Familiarisez-vous avec la structure logique. Vous devez impérativement
avoir compris les caractéristiques de la structure traditionnelle d’un arrêt de
la Cour de cassation avant l’examen. Il ne saurait être question, ici, bien sûr,
de vous l’enseigner.
À vous de vérifier que vous savez parfaitement analyser l’ensemble des
propositions qui constituent les motifs d’une décision. Savez-vous bien
découvrir la partie de la décision relatant les faits de la cause ? le déroule-
ment de la procédure ? les prétentions et les moyens des parties ? les motifs
de la cour d’appel ? ceux de la Cour de cassation ?
Nous ne rappelons ici que ce qui est strictement nécessaire pour que
vous puissiez tester votre niveau de connaissances. Si ce qui est écrit est pour
vous évident, totalement compréhensible, c’est que vous savez lire un arrêt.
Si ce n’est pas le cas, c’est que vous n’êtes pas prêt à affronter l’épreuve de
commentaire. Il convient donc de vous entraîner d’avantage à l’analyse
d’une décision de justice. Rappelez-vous qu’un contresens est inaccepta-
ble. Lorsqu’un étudiant attribue une affirmation à la Cour de cassation,
alors qu’il s’agit d’un moyen du pourvoi (ou tout autre cas de figure), il peut
être sûr que cette erreur sera gravement sanctionnée.
On appelle moyen le soutien nécessaire de la demande et de la défense.
De façon simplifiée, on peut dire qu’un moyen est l’argument utilisé par une
Méthodologie
37

partie. Cet argument peut se subdiviser en plusieurs parties : on parle alors


de branches.
*
Un arrêt de la Cour de cassation présente des particularités. Savez-vous
ce qu’est un visa ? Un attendu de principe ? Un chapeau ?
Le visa est l’indication, dans une décision de justice, de la règle de droit
à laquelle elle se réfère. Ex : Vu l’article 1347 du Code civil… Tous les arrêts
de cassation ont nécessairement un visa.
Tous les arrêts importants de la Cour de cassation ont un attendu de
principe, car la Cour de cassation juge la conformité de la décision déférée
à la loi : il faut donc rappeler la loi avant de sanctionner son application ou
de maintenir la décision des juges du fond. Cet attendu a pour objet d’énon-
cer, de manière abstraite et concise, la règle de droit qui a pu être violée
(arrêt de cassation) ou respectée (arrêt de rejet) par la décision attaquée.
L’attendu est alors rédigé en termes généraux et abstraits ; la Cour de cas-
sation fait état du principe qu’elle va désormais appliquer.
Selon les arrêts, cet attendu de principe est placé en tête (d’où le nom
de « chapeau ») ou au sein de l’arrêt rendu par la Cour de cassation. Les
arrêts de cassation ne contiennent pas nécessairement d’attendu de prin-
cipe.
Attention : les étudiants ont souvent tendance à oublier l’existence
du visa et ne songent à faire état des attendus de principe que lorsqu’ils sont
dans le corps de l’arrêt. Vous devez absolument exploiter l’existence du visa
et du chapeau. Il faut en parler dans l’introduction, bien sûr, mais surtout
dans le corps même du devoir.
Exemple de visa suivi d’un attendu de principe :
« Vu l’article 1371 du Code civil ; attendu que les quasi-contrats sont les
faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque
envers un tiers… »
La Cour de cassation, dans un attendu de principe, ne reproduit que
rarement le texte visé ; le plus souvent, elle donne une interprétation du
texte. Il est donc essentiel à la fois de se référer au texte visé et à la règle
déduite de ce texte par la Cour de cassation.
*
Dans un arrêt de rejet, on trouve :
Droit civil des obligations
38

– la décision de la cour d’appel (la cour d’appel a décidé telle chose


pour telle raison) ;
– les arguments de l’auteur du pourvoi ;
– le rejet du pourvoi, avec éventuellement, mais rarement, un motif,
notamment lorsqu’il y a une substitution de motifs.
Schéma d’un arrêt de rejet :
– La Cour ; — Attendu que… ; Mais attendu que… ;
– Par ces motifs : — Rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de… rendu le…
L’attendu qui énonce le rejet débute par la formule « mais attendu
que… ». Vous trouvez après la réfutation, par la Cour de cassation, des argu-
ments du pourvoi.
Dans un arrêt de cassation, on trouve :
– la décision de la cour d’appel ainsi que les raisons de sa décision
– la décision de cassation ; les raisons de la cassation. Attention à bien
repérer le visa et le chapeau éventuel.
Mais on ne trouve pas les moyens du pourvoi.
Schéma d’un arrêt de cassation :
– La Cour ; — Attendu que… ; Attendu que… ;
– Par ces motifs : — Casse et annule l’arrêt rendu par… le…, et renvoie
devant la cour d’appel de…

2. L’aide par les lectures


Rappelons une évidence : vous devez avant toute chose apprendre vos cours
et vos travaux dirigés. Les connaissances théoriques sont indispensables
pour réaliser des exercices pratiques. Les manuels peuvent vous aider au
stade de la préparation des travaux dirigés, pour approfondir un point de
droit et pour avoir une vision générale. Que penser de la lecture de notes
ou d’observations faites à propos d’arrêt ?
Le commentaire d’arrêt a pour objet d’expliquer et d’apprécier la solu-
tion donnée par une juridiction à un problème juridique qui lui a été sou-
mis. Il se rapproche donc de la note d’arrêt dans laquelle un professeur ou
un praticien, spécialiste d’une question, va éclairer les juristes sur le sens, la
valeur, la portée d’une décision. Le commentaire d’arrêt, surtout lorsqu’il se
Méthodologie
39

situe dans le cadre d’un examen, ne doit bien sûr pas être confondu avec les
notes d’arrêt que vous pouvez trouver dans les recueils de jurisprudence.
Ces notes, également appelées observations, sont élaborées par des profes-
sionnels, des spécialistes et sont destinées à d’autres spécialistes de la ques-
tion à propos de laquelle a été rendue la décision de justice. L’auteur d’une
note fait état de réflexions qui lui sont inspirées par tel ou tel aspect de la
solution qui a été donnée dans l’affaire. Ces réflexions sont, bien sûr, en par-
tie « techniques » en ce sens que l’arrêtiste « décortique » l’arrêt pour en
faire ressortir tel ou tel aspect. Mais elles sont aussi personnelles : l’arrêt est
souvent l’occasion pour l’annotateur d’exposer ses propres idées sur la façon
dont l’affaire aurait pu être traitée.
Lorsque vous lisez des notes, vous devez donc partir des idées suivantes :
d’une part, l’annotateur n’est pas, comme vous, limité par l’obligation d’ana-
lyser tous les éléments de la décision rendue. Dans certains cas, des ques-
tions, jugées sans intérêt par un arrêtiste, le sont pour un étudiant de
deuxième année. On attendrait de vous que vous en fassiez le commen-
taire. D’autre part et surtout, l’annotateur, dans le commentaire qu’il effec-
tue, a un niveau juridique qui est loin d’être le vôtre et pousse son analyse
au maximum. Cela n’est donc pas le même type de travail qui vous est
demandé.
Les notes sont une aide en ce sens qu’elles vous forment au raisonne-
ment juridique. Elles participent à l’accroissement de vos connaissances
acquises grâce aux cours et travaux dirigés. Prenez-les comme un outil de
travail ; ne cherchez pas à faire la même chose, ce serait hors de votre por-
tée…
Droit civil des obligations
40

B. Comment appréhender
le sujet et le traiter ?
1. Lecture et recensement
des éléments importants
contenus dans l’arrêt
La phase de préparation se fait sur brouillon. Votre perspective doit être de
ne rien négliger en recensant toutes les informations contenues dans le
texte même de l’arrêt.
Le temps qui vous est imparti pour rédiger votre devoir est bref (géné-
ralement 3 heures). Vous devez donc apprendre à bien le gérer. Il est hors
de question de faire un brouillon avec des phrases. Il va falloir lire la déci-
sion de façon détaillée ; construire le commentaire. Vous rédigerez, correc-
tement et directement sur votre copie d’examen, votre commentaire.
Une proposition pour une épreuve de trois heures : lecture = 15-20 minu-
tes ; construction du commentaire = 1 heure ; rédaction = 1 h 30 ; relecture
= 10 minutes. Ne sacrifiez jamais la phase de relecture. Vous devez vous fixer
comme impératif de faire un devoir sans fautes d’orthographe.
La lecture approfondie est évidemment le travail de base. Plusieurs lec-
tures sont bien sûr indispensables. S’il y a quelque chose que vous ne com-
prenez pas au départ, n’occultez pas ce problème, au contraire. C’est
probablement là que se situe un des points sur lequel un commentaire est
attendu.
Vous serez toujours attentif à la date de la décision : c’est un élément
déterminant pour apprécier correctement sa portée exacte. Vous regarderez
aussi la chambre de la Cour de cassation ou la formation particulière dont
émane la décision. En principe les arrêts de droit des obligations émanent
des chambres civiles. Si vous avez un arrêt de la chambre sociale ou de la
chambre commerciale, il y a là une particularité à signaler.
Vous serez bien sûr alerté par le fait d’avoir à commenter un arrêt de l’as-
semblée plénière. Vous savez qu’il s’agit d’un arrêt dont la portée est consi-
dérable. À vous d’exposer cette portée.
Au niveau de l’analyse de la décision, vous serez particulièrement vigi-
lant, sur votre brouillon, à dégager d’abord le ou les problèmes de droit qui
Méthodologie
41

se posent, puis, par rapport aux problèmes de droit, les deux thèses opposées.
Si vous avez un arrêt de rejet, vous aurez d’un côté la position de la cour
d’appel, de l’autre celle de l’auteur du pourvoi, que la Cour de cassation
n’approuve pas. La Cour de cassation justifie le rejet du pourvoi et explique
pourquoi l’arrêt de la cour d’appel mérite d’être retenu. Repérez clairement
le cas d’ouverture à cassation qui était soulevé et que la Cour de cassation
refuse de retenir. Pour chaque moyen, ce cas peut être spécifique. Si la Cour
de cassation se retranche derrière le pouvoir souverain des juges du fond,
c’est qu’elle refuse de considérer qu’il s’agit d’un problème de droit. Il s’agit
d’un élément de fait, qui échappe à son contrôle.
Si vous avez un arrêt de cassation, la décision oppose deux argumenta-
tions, celle développée par la cour d’appel et celle de la Cour de cassation
qui l’emporte et justifie l’annulation de l’arrêt déféré. Les arguments de l’au-
teur du pourvoi n’apparaissent pas car ils ont convaincu la Cour de cassa-
tion de censurer la cour d’appel. Repérez pourquoi la Cour de cassation
casse l’arrêt (violation de la loi ? manque de base légale ? défaut de réponse
à conclusion ?).
Sur votre brouillon, faites figurer les argumentations côte à côte : à cha-
que aspect de la décision de la cour d’appel, y a-t-il un argument en sens
opposé ? Méfiez-vous bien sûr lorsque la décision de la cour d’appel vous est
relatée à travers le pourvoi qui a peut-être déformé la décision de la cour
d’appel. Quant aux arguments de l’auteur du pourvoi, ils sont plus ou moins
valables. N’oubliez pas que pour « gagner » son procès, l’auteur du pourvoi
met en avant des arguments qui peuvent être de valeurs très inégales ! S’il
s’agit d’un arrêt de cassation, les thèses en présence sont celles de la Cour
de cassation et de la cour d’appel. À vous de bien rechercher systématique-
ment si, face à chaque motif de la cour d’appel correspond un motif de la
Cour de cassation. Alors même qu’il y a cassation totale, il peut arriver que
la Cour de cassation ne s’intéresse qu’à un seul aspect de la décision de la
cour d’appel.
Il vous appartient de comprendre l’arrêt de façon à dégager les argu-
mentations qui s’opposent et se répondent. Que l’arrêt soit de rejet ou de
cassation, le classement des informations contenues doit faire apparaître :
– les arguments qui se « répondent » : la cour d’appel dit ceci ; la Cour
de cassation répond à cette argumentation. En d’autres termes, la cour d’ap-
pel a dit blanc ; la Cour de cassation répond qu’elle n’est pas d’accord pour
le blanc : il fallait dire noir ;
Droit civil des obligations
42

– les arguments qui ne se répondent pas. Par exemple : la cour d’appel


a utilisé un motif et on ne sait pas du tout ce qu’en pense la Cour de cassa-
tion. La cour d’appel a dit blanc ; on ignore si la cassation implique que la
Cour de cassation estime, sur ce point, qu’il fallait dire noir.
Groupez les arguments relatifs à chaque demande. Faites bien apparaî-
tre ceux qui se répondent ; ceux qui ne se répondent pas ; pensez à bien
noter l’origine des thèses (argument avancé par une partie ; argument
avancé par une partie mais repris à son compte par la cour d’appel ; motif de
la Cour de cassation). N’oubliez surtout pas le visa.
L’analyse est importante : elle prépare et structure votre commentaire.
Tout votre devoir va reposer sur ce travail de départ. Écrivez cependant le
strict minimum. Mettez essentiellement des repères qui vous permettent
d’identifier les arguments. Ne recopiez pas des phrases de l’arrêt. L’objectif
est d’alléger la rédaction de vos notes de brouillon et à travers des mots
clés, de préparer avec clarté la construction de votre devoir.
À partir des notes sommaires, vous allez devoir rechercher les éléments
qui vont vous permettre de fournir la substance à votre commentaire. Pour
cela, vous allez dégager les problèmes juridiques et faire un plan détaillé.

2. Compréhension de l’arrêt
et de son intérêt (recherche du sens,
de la valeur et de portée)
Pour faire un bon commentaire, il faut avoir quelque chose d’intéressant à
dire. Il va donc falloir chercher les éléments qui vous fournissent la matière
de votre commentaire. À travers les faits, les prétentions, et les arguments,
vous allez retrouver la qualification juridique du contentieux et son intérêt.
Votre réflexion ira dans trois directions : vous donnerez le sens de la déci-
sion, vous l’expliquerez par rapport à la règle de droit visée, puis vous essaye-
rez de réfléchir aux conséquences de la décision qui vous est soumise. À
partir de là vous construirez le plan de votre commentaire.
Il est classique d’expliquer aux étudiants que trois aspects de la décision
peuvent contribuer à les aider dans leur démarche : le sens, la valeur et la
portée de l’arrêt doivent être dégagés. Cette division est commode. Elle est
un peu arbitraire. Ne vous inquiétez pas si vous ne parvenez pas toujours à
séparer les trois étapes. Prenez les explications qui suivent comme un outil
Méthodologie
43

de travail, sans chercher à atteindre la perfection. La lecture de notes vous


révélera d’ailleurs que les praticiens eux-mêmes et les enseignants aiment
mêler ces trois aspects lorsqu’ils commentent un arrêt.

a. Sens de la décision
Dégager le sens d’un arrêt est le travail essentiel. Votre examinateur doit
s’assurer que vous avez parfaitement compris la solution qui a été donnée à
la question de droit qui était posée au départ.
Donner le sens d’une décision, c’est, de façon simple, pouvoir dire : X…
a dit ceci, a prétendu cela. Y… a répondu ceci, a prétendu cela. La cour
d’appel a estimé telle chose, la Cour de cassation, telle autre.
A priori, c’est un exercice qui devrait être évident. Il est pourtant diffi-
cile pour un jeune étudiant de bien comprendre une décision. Le style judi-
ciaire et la structure grammaticale d’une décision obéissent à des règles
traditionnelles spécifiques. En d’autres termes, la méthode qui est utilisée
par les techniciens que sont les magistrats doit être connue par les étudiants
de façon suffisamment sûre pour que le sens même de la décision puisse
être donné. On attend de vous que vous expliquiez les faits comme le rai-
sonnement juridique.
Il est possible que le problème soumis soit parfaitement formulé en ter-
mes juridiques. Mais l’inverse se rencontre souvent. Il va falloir reconstituer
tous les raisonnements qui ont été menés, montrer s’il existe des points qui
restent obscurs.
Expliquer la décision, c’est bien sûr expliquer ce qui est arrivé, d’où est
né le conflit. Mais ceci est finalement assez anecdotique et bien sûr, vous
n’aurez pas à vous attarder sur cet aspect des choses. C’est surtout expliquer
le raisonnement qui a été suivi : les faits exposés ont été qualifiés. Comment
l’ont-ils été ? Quelles sont les règles juridiques auxquelles on a fait appel ?
Quelle règle a donné lieu à une difficulté d’interprétation ? Quel sens a été
retenu ?
Il va falloir trouver un équilibre, éviter la paraphrase, sans verser dans
l’exposé théorique. Ce sont les deux écueils extrêmes.
Les étudiants ont tendance à considérer que ce qui est écrit par la Cour
de cassation est forcément bien et que tout ce qui est dit épuise le sujet. Le
commentaire se réduit alors à de la paraphrase : on reprend les formules de
l’arrêt en changeant la place d’une virgule ou d’un mot. On ne fait que
Droit civil des obligations
44

répéter ce qu’exprime, de façon plus concise et brillante, la Cour de cassa-


tion elle-même ou l’auteur du pourvoi ou la cour d’appel. Si un étudiant fait
de la paraphrase, c’est parfois par manque de confiance ou excès d’humilité
devant la décision.
Il ne lui vient pas à l’idée que tout ce qui est écrit dans une décision de
justice n’est pas forcément correct. Pour éviter la paraphrase, il vous faut
donc vous débarrasser de ce travers et avoir suffisamment confiance en vous
pour critiquer utilement le raisonnement qui a été tenu, en démontrer les
points forts et les faiblesses. Partez toujours de l’idée que, si le sujet a été
choisi, ce n’est pas bien sûr par hasard, mais parce qu’il présente un intérêt
réel pour tester votre niveau.
Posez-vous la question : pourquoi ce sujet m’a-t-il été donné ? Qu’ai-je
appris en cours et en travaux dirigés qui en rend l’étude particulièrement
intéressante au titre d’un examen ? Une fois que vous aurez admis que vous
êtes apte à critiquer, au bon sens du terme, une décision, il ne vous reste plus
qu’à bien prendre de la distance pour donner des explications cohérentes et
judicieuses : c’est exposer la valeur de l’arrêt.

b. Valeur de la décision
Une fois que vous avez bien compris la décision, vous allez devoir retrou-
ver le texte et l’interprétation qui en a été donnée, puis porter une appré-
ciation.
Recherchez le texte en cause. Que savez-vous à ce sujet ? Qu’apporte la
décision ?
Une appréciation doit être donnée. Dans le cadre d’un examen, c’est
une appréciation juridique qui est attendue. Le juge a appliqué telle règle.
Il a proposé telle interprétation ; il a comblé telle ou telle lacune.
Que savez-vous de cette règle ? Son application dans l’affaire est-elle
correcte ? Vous avez appris certaines choses au sujet de la règle. Que penser
de ce qui a été décidé par rapport à ce que l’on vous a enseigné ?
Vous devez être à même de dire si l’interprétation des lois est admissi-
ble au regard de ce que vous connaissez des textes et de la jurisprudence.
Vous avez des connaissances sur le sujet et vous allez donc les exposer dans
un objectif précis : dire si la solution de l’arrêt est correcte en comparaison
de ce que vous savez sur la question. Vous aurez besoin d’avoir des connais-
sances générales, puisqu’il faudra replacer l’arrêt dans son contexte, et spé-
Méthodologie
45

ciales, techniques, parfois même pointues, pour pouvoir apprécier la valeur


de la décision.
Vous allez utiliser vos connaissances. Recherchez le droit positif. Que
savez-vous de la loi ? De la jurisprudence ? Des idées doctrinales ? L’interpré-
tation retenue est-elle conforme à la lettre du texte ou à l’esprit du texte tel
que la jurisprudence l’a dégagé ?
Si vous avez déjà étudié un arrêt qui posait un problème similaire,
estimez-vous que la solution apportée dans l’affaire qui vous est soumise est
identique ?
Pensez pour établir une comparaison juste à utiliser les faits. Étaient-ils
similaires, ou au contraire y a-t-il une différence ? S’il y a effectivement des
différences de faits, cela justifie-t-il des raisonnements différents ?
S’il y a application à une situation nouvelle, l’extension qui est réalisée
vous paraît-elle fondée ? Autrement dit, cette extension consacre-t-elle des
opinions préconisées par la doctrine ?
S’il y a refus d’application à une situation nouvelle, que penser de ce
refus ?
Des raisonnements sont peut-être particulièrement étranges, ou trop
concis ; d’autres n’ont pas été faits. Il va falloir dire ce que vous en pensez.
La règle de droit peut avoir été mal choisie. À vous de le dire et de propo-
ser d’autres fondements. En apportant quelque chose de plus à ce qu’une
simple lecture apporte, vous montrez que vous maîtrisez la lecture de la
jurisprudence, le dit et le non-dit de la Cour de cassation. Vous valorisez
votre commentaire en mettant à profit les connaissances que vous avez assi-
milées au cours de vos enseignements et de vos lectures. En résumé, le tra-
vail à faire est le suivant : on part des thèses en présence, on vérifie les
thèses par rapport au droit positif, on les confronte aux règles connues.
Ce n’est que très accessoirement et éventuellement, que vous aurez à
dire si la décision vous semble fondée sur le plan de l’équité. La décision est-
elle juste sur le terrain extrajuridique : moral ou religieux ? Évitez de déve-
lopper cet aspect des choses. Bien sûr, réfléchir à l’aboutissement concret des
choses est essentiel. Vous avez voulu devenir juriste parce que vous avez un
certain idéal de la justice. Mais dans le cadre d’un examen, ce que l’on
attend de vous, c’est avant tout que vous puissiez démontrer que vous avez
des connaissances techniques.
Droit civil des obligations
46

c. Portée de la décision
Lorsqu’on est étudiant, apprécier une décision de justice, c’est surtout en
dégager la valeur. Mais peut-être parviendrez-vous à atteindre un stade sup-
plémentaire, celui de l’appréciation de la portée de la règle, c’est-à-dire de
l’incidence de la position adoptée sur d’autres règles de droit.
Généralement, les arrêts de rejet n’ont pas une grande portée. Lisez bien
l’attendu : si vous avez les formules « la cour d’appel a dit que… » ou « a pu
dire que » ou « a pu décider que », la portée est faible. Réfléchissez : pour-
quoi cette décision à commenter ? Quel est son intérêt ? S’il est faible car la
Cour ne fait que répéter une solution maintes fois retenue, à vous de le
dire. Inversement, si vous avez un arrêt de cassation pour violation de la loi,
l’arrêt a une portée certainement très importante. Si vous avez la formule
« substitution de motifs », la portée est aussi certainement intéressante à
dégager.
Pour comprendre ce qu’est la portée d’un arrêt, vous pouvez prendre
l’image d’un château de cartes. Chaque décision de justice est, symbolique-
ment, une carte. Parfois, la décision que vous avez à commenter est la pre-
mière carte du château : elle est à la base de la construction de tout un
système juridique. Il va falloir alors imaginer toutes les autres cartes que les
juges seront amenés à poser. Cette hypothèse concerne surtout de nou-
veaux textes qui donnent lieu à interprétation : le législateur vient d’adop-
ter une loi nouvelle ; le juge interprète un des articles de cette loi. Quelles
sont les répercussions de cette interprétation sur les autres textes ? En droit
des obligations, cette hypothèse se rencontre assez rarement.
On peut, en revanche, vous donner à commenter un arrêt déjà ancien,
qui a été précisément à la base d’une construction jurisprudentielle. En
quelque sorte, le château existe déjà et c’est d’ailleurs lui dont la construc-
tion vous a été expliquée en cours. On vous donne une des cartes de base
qui ont permis que toutes les autres cartes soient posées. De telles décisions
sont des décisions « classiques », des « grands arrêts ». Leur portée est grande
puisqu’elles ont entraîné ultérieurement d’autres constructions, soit juris-
prudentielles, soit législatives. Il va falloir expliquer comment, à partir de
la décision commentée, s’est construit le château. Par exemple, en droit de la
responsabilité délictuelle, si l’on vous donne l’arrêt Desmares à commenter, vous
devriez bien sûr expliquer l’arrêt en lui-même, l’état de la jurisprudence avant cet
Méthodologie
47

arrêt et, enfin et surtout, que cet arrêt a conduit à l’adoption d’une loi sur l’in-
demnisation des victimes d’accident de la circulation…
En résumant, disons que vous exposez ce qu’il y avait avant l’arrêt lui-
même et ce qu’il y a eu après.
On peut vous proposer de commenter une décision qui, à l’époque où
elle a été rendue était susceptible d’anéantir une jurisprudence (de renver-
ser le château de cartes). En faisant le bilan de l’ensemble de la jurispru-
dence au jour où vous vous placez, vous expliquez si les prévisions se sont
réalisées. Ainsi, si vous devez aujourd’hui commenter l’arrêt Bertrand, vous
aurez à expliquer comment cette décision qui « objective » la responsabilité des
père et mère a été suivie d’autres décisions qui sont toutes allées dans le même
sens.
Parfois, le juge a simplement posé une carte au-dessus du château. Rien
ne bouge, l’édifice est solide. À vous de le démontrer. Dans d’autres cas, la
carte posée fait tomber une partie du château, voire le château tout entier.
La façon dont la règle juridique a été interprétée est nouvelle ou contraire
au sens habituellement donné. De ce fait, d’autres règles sont remises en
cause. La décision commentée va donc contribuer à faire évoluer le droit ou
à le modifier.
Dégager la portée d’un arrêt est un exercice difficile pour un étudiant de
deuxième année : pour pouvoir dire que telle décision entraîne tel change-
ment, il faut bien connaître l’état actuel du droit positif. Il est pourtant
possible que vous soyez à même de faire cette sorte d’appréciation.
Les arrêtistes qui font des notes d’arrêt sont eux parfaitement rodés à
cette technique. C’est pourquoi il est intéressant de lire des notes car c’est
l’occasion que vous avez de découvrir cet aspect particulier du commentaire.
Il est un cas où l’on attend précisément de vous l’étude de la portée, c’est
lorsque l’on vous donne à commenter une décision récente qui constitue un
revirement de jurisprudence. Vous devrez alors comparer la décision rendue
par rapport au droit antérieur, mais aussi réfléchir à toutes les répercussions
possibles de l’arrêt.
Insistons cependant sur l’idée que la plupart des arrêts qui sont soumis
à des étudiants de deuxième année sont des décisions s’insérant dans un
contexte juridique sans le modifier en profondeur. Pour poursuivre la com-
paraison, on pose une carte, le château ne tombe pas. Mais que pouvez-
vous dire des cartes qui sont autour ? De celle qui vient d’être posée ? Vous
Droit civil des obligations
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avez là l’occasion de démontrer que vous savez réfléchir, mais aussi que vous
savez beaucoup de choses…

3. Construction du commentaire
Après une introduction dans laquelle figure l’analyse, vous commentez l’ar-
rêt grâce à un développement présenté dans un plan en deux parties si pos-
sible, elles-mêmes divisées en deux sous-parties. Vous n’avez pas besoin de
faire de conclusion générale.
Il n’y a pas de plan type pour chaque décision. Le plan se construit à par-
tir des résultats de la recherche des problèmes juridiques posés. On ne peut
pas proposer de plan standard, pour la raison simple que le plan dépend du
fond de l’affaire. Un commentaire doit être lié au contenu même de l’ar-
rêt : les divisions ne doivent pas être superficielles. Le plan en deux par-
ties divisées en deux sous-parties est assez souvent facile à respecter dans un
commentaire d’arrêt. Cela dit, si vraiment vous estimez qu’un plan en trois
parties favorise la clarté de l’exposé, vous pouvez déroger à l’usage du plan
en deux parties. L’essentiel n’est en effet pas de se plier à une coutume, mais
bien de faire la démonstration que vous avez compris l’arrêt, que vous par-
venez à mettre en évidence son sens et sa valeur. Ne cherchez pas à être ori-
ginal. Trouvez un ordre logique.
Pour résoudre le litige, des arguments ont été mis en avant. Il faut trou-
ver ces arguments et dégager les réponses apportées par les magistrats. Vous
devez formuler en termes juridiques la ou les questions soulevées dans l’ar-
rêt. Si l’arrêt commenté est un arrêt de cassation, le visa utilisé ainsi que le
chapeau éventuel sont, bien sûr, des éléments précieux pour « découvrir »
le problème et en débattre. Dans les arrêts de rejet, on ne trouve pas géné-
ralement de référence aux textes appliqués. À vous donc de reconstituer le
raisonnement juridique à travers les réponses qui sont données.
On trouve ici la même démarche intellectuelle que celle qui est faite
lorsque le sujet d’examen est une consultation : il s’agit de faire état de la
manière dont ce problème est réglé, par les textes et par la jurisprudence.
Mais ce qui est spécifique, c’est que précisément, vous êtes confronté à la
jurisprudence.
Une affaire a été soumise à des juges. Vous allez poser le problème non
seulement dans l’espèce, mais de façon très générale. Identifier les règles
auxquelles on a fait appel soit de manière expresse, soit de façon implicite
Méthodologie
49

est décisif. Vous devez rappeler les bases du raisonnement : indiquez le texte
concerné ou le principe général, puis les solutions traditionnelles.
Comparez-les avec l’arrêt. Pour cela, reportez-vous aux textes concernés.
Faites fonctionner votre mémoire : avez-vous connaissance d’arrêts rendus
qui ont traité ce type de problème ? Ont-ils donné une solution identique ?
Le rapprochement avec d’autres espèces est évidemment indispensable pour
enrichir votre commentaire. Pour chaque question de droit, vous devez
recenser les divers éléments de la discussion en elle-même, et régulière-
ment « revenir » à l’arrêt en expliquant les implications qui découlent des
exposés théoriques sur l’arrêt lui-même. C’est à partir de tout cet ensemble
que vous construirez votre plan.
Le plan va être élaboré en respectant les objectifs mêmes de tout com-
mentaire : on doit retrouver, par rapport aux problèmes dégagés, le sens, la
valeur et éventuellement la portée de l’arrêt.
Selon que le sens, la valeur, voire aussi la portée de l’arrêt prêtent à dis-
cussion, on subdivisera ce qui pose problème. L’essentiel du commentaire
doit être articulé par le plan. Tout ne doit pas être dit à la fin de la première
partie ; la seconde n’aurait alors aucun intérêt.
Ne cherchez pas désespérément un plan original. Aidez-vous de l’arrêt,
tout simplement. S’il y a deux moyens dans l’arrêt, et que les deux points
sont intéressants, chaque partie du commentaire sera construite autour d’un
moyen.
Le plan détaillé doit bien sûr précéder le choix de vos intitulés et la
confection de votre introduction.
Pour « trouver » chacune de vos deux parties et vos sous-parties, partez
toujours des thèses en présence. Pour chaque problème, vous avez deux thè-
ses (au minimum), ce qui fait que généralement il n’y a pas de problème
pour trouver les sous-parties. Évitez absolument d’utiliser l’intitulé suivant :
I. La position de la cour d’appel II. La position de la Cour de cassation. Il faut
« habiller » les intitulés.
Imaginons par exemple que la Cour de cassation, dans une affaire quelcon-
que, soit favorable à une indemnisation, contrairement à la cour d’appel, et que
ce soit là le cœur de l’un des problèmes posés par l’arrêt. Vous avez décidé d’ap-
peler votre première partie : I. L’indemnisation.
Vos deux sous-parties peuvent de manière très simple s’intituler : A. Le prin-
cipe d’indemnisation ; B. Le refus d’indemnisation.
Droit civil des obligations
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C. Comment rédiger ?
(conseils spécifiques
de rédaction)
Reportez-vous aux conseils généraux. Nous faisons ici état de ce qui est
spécifique aux commentaires d’arrêts. Un commentaire est composé d’une
introduction dans laquelle figurent l’analyse de l’arrêt, le ou les problèmes
juridiques posés et l’annonce du plan. Ce plan est en lui-même très struc-
turé. Il se divise en deux parties divisées en deux sous-parties.

1. Conseils pour l’exposé introductif


(analyse de la décision ;
annonce du plan)
Une remarque accessoire : même si la répétition des mots « Cour de cassa-
tion » peut vous paraître lassante, évitez les expressions synonymes telles
« Haute Juridiction », « Cour régulatrice du droit », « hauts magistrats ».
Ces termes, utilisés par les professeurs et les praticiens, sont un peu pré-
cieux dans une simple copie d’étudiant. Prohibez l’expression « Cour
suprême » qui a un sens spécifique.
Vous devrez, dans votre introduction, exposer succinctement l’analyse
de la décision. Des conseils vous auront été donnés pendant le semestre
par vos chargés de travaux dirigés, que vous devez respecter. Il va falloir,
dans cette analyse succincte extraire de la décision l’essentiel. On retrouve
naturellement les rubriques classiques.
Après une phrase introductive générale, ou dans la même phrase vous
faites état des renseignements relatifs à la juridiction qui a rendu la décision,
ainsi que sa date. Ne cherchez pas l’originalité.
Exemple : Le présent arrêt traite d’un problème relatif à la responsabilité des
père et mère… Ou La Cour de cassation, dans cet arrêt en date du…, a rendu
un arrêt particulièrement novateur en ce qui concerne la responsabilité des père
et mère…
Aussitôt après, vous présentez l’analyse de l’arrêt, vous posez le ou les
problèmes juridiques, puis vous annoncez votre plan.
Méthodologie
51

a. Faits et procédure
L’exposé des faits puis de ce qui a donné lieu à un litige, doit être présenté
par ordre chronologique.
Attention : seuls les faits pertinents doivent être relatés. Toute la diffi-
culté est évidemment de savoir ce qui est essentiel ou non… Prenons un
exemple. Vous avez un arrêt qui traite d’un problème de vente de voiture. Savoir
qu’il s’agit d’une voiture est important ; savoir que la voiture est rouge ne l’est
pas… sauf si le rouge a été érigé en une qualité substantielle de la chose entrée dans
le champ contractuel, car alors ce point sera nécessaire à la suite de vos dévelop-
pements.
L’identification des parties, ainsi que l’objet de la ou des demandes, leur
fondement sera relevé pour chaque étape de la procédure.
Remarquons que si le sujet est bien un arrêt de la Cour de cassation,
vous n’aurez que rarement des détails sur la procédure en première instance.
Même si vous en avez, ne vous attardez pas. Vous êtes désormais en deuxième
année. On n’attend pas de vous une analyse détaillée de plusieurs pages. Par
exemple, vous avez repéré la formule « Par arrêt confirmatif » sans trouver d’al-
lusion à la décision de première instance. Inutile d’écrire dans votre analyse :
« nous ignorons la décision des premiers juges, nous savons simplement que les
juges d’appel ont confirmé la décision ». Contentez-vous de dire que la cour d’ap-
pel a confirmé le jugement de première instance : votre correcteur part du prin-
cipe que vous savez ce que cela veut dire. L’opposition entre les juridictions,
l’accord entre les juges du premier degré et ceux de la cour d’appel seront
éventuellement signalés davantage dans le corps du commentaire.
On englobe dans cette partie tout ce qui a trait au litige : identification
des parties, objet de la demande (ce qui est réclamé), fondement de la
demande (la règle invoquée au soutien de cette demande) et ce aux diffé-
rents stades.
Vous devez être spécialement vigilants sur la recherche du fondement
juridique de la demande. Assez souvent, le fondement est textuel : il s’agira
presque toujours d’un article du Code civil. Le fondement peut être plus
théorique, une règle ou un principe général du droit tel que fraus omnia cor-
rumpit. Mais il peut n’y avoir aucun texte : la règle de droit invoquée doit
alors être désignée par vous. Si vous hésitez, car il semble y avoir ambiguïté
sur ce point dans l’arrêt, alors dites qu’on peut hésiter. Autrement dit, la
recherche du fondement juridique de la demande devient un élément du
Droit civil des obligations
52

commentaire, et cela car il existe un doute sur la question. Ne traitez pas ce


point dans l’analyse, mais dans le commentaire proprement dit. Contentez-
vous dans l’introduction de préciser que l’on ignore le fondement de la
demande. Vous savez, à lire l’arrêt, qu’en cour d’appel M. X a demandé l’an-
nulation du contrat litigieux et des dommages-intérêts. La cour d’appel a fait droit
à la demande d’annulation. Vous avez beau lire et relire l’arrêt, vous ne savez pas
quel a pu être le fondement (erreur ? lésion ? etc.). Dans l’analyse, dites claire-
ment : « On ignore le fondement de la demande. » Dans le commentaire, vous
aurez à exploiter cet élément en émettant des hypothèses sur le fondement proba-
ble de l’annulation.

b. Exposé de la décision
des premiers juges et de la solution
de la Cour de cassation
Vous pouvez considérer que le déroulement de la procédure et les décisions
intervenues avant que ne soit saisie la Cour de cassation sont des éléments
de faits ou bien décider que les faits s’arrêtent au premier procès. Peu
importe votre choix : l’essentiel est que les prétentions et les arguments des
parties soient clairement exposés.
À ce stade, la difficulté la plus courante consiste à définir ce qui doit être
exposé et ce qui ne doit pas l’être.
S’il s’agit d’un arrêt de rejet : selon le même principe, exposez briève-
ment la décision de la cour d’appel, et seulement ensuite les arguments du
pourvoi. Une phrase suffira pour expliquer qu’il y a eu rejet. Si votre déci-
sion est brève, le plus simple est de présenter d’abord la décision de la cour
d’appel — chaque motif de l’arrêt d’appel sera résumé —, puis chaque
moyen du pourvoi de façon synthétique.
S’il s’agit d’un arrêt de cassation : exposez la décision de la cour d’appel
puis les raisons de la cassation. Attention : vous devez impérativement faire
état du visa. Citez les textes qui sont visés. S’il y a un chapeau, vous avez
deux solutions : soit le chapeau est court et vous le recopiez intégralement,
sans oublier un mot et en le mettant entre guillemets ; soit le chapeau est
long, vous ne le recopiez pas ; vous ne le résumez pas, car chaque mot
compte dans la formulation retenue. Vous expliquez que la Cour de cassa-
tion rend un arrêt de principe dans lequel figure un chapeau qui fera l’ob-
jet précisément de votre commentaire.
Méthodologie
53

Si la décision est plus longue, il n’est pas question de faire deux pages
d’analyse. C’est à vous de procéder, avec le plus de soin possible à une pré-
sentation résumée. Dans ce cas, rappelez-vous que tout ce qui n’a pas été
présenté dans cette analyse succincte devra l’être dans le corps du devoir.
Lorsqu’on vous explique que vous ne devez pas « oublier » l’arrêt, il s’agit
spécialement de cela.

c. L’annonce
des problèmes juridiques posés
et du plan
Après l’exposé de la décision, vous dégagerez le problème de droit posé, ou
les problèmes. Vous devez retrouver la qualification juridique du conten-
tieux. Puis vous annoncerez votre plan. Distinguez clairement ces deux éta-
pes.
Faites attention à vos intitulés : ils doivent être suffisamment indicatifs
pour couvrir l’ensemble des points que vous abordez. Évitez de faire des
phrases. Rappelez-vous que le vocabulaire juridique est précis. Mettez en
évidence les intitulés retenus par des chiffres pour les parties (I, II) et par
des lettres pour les sous-parties (A, B).
Exemple : vous devez commenter l’arrêt Perruche. Le problème juridique est
le suivant : un enfant peut-il être indemnisé lorsqu’en raison des fautes commi-
ses par des médecins pendant la grossesse, sa mère, non informée des risques
d’avoir un enfant atteint d’une maladie particulièrement grave, n’a pu procéder
à une interruption de grossesse ? Le plan est alors variable. Tout dépend du niveau
attendu, lequel est fonction du contenu du cours et des travaux dirigés.
Exemples de plan :
I. Le lien de causalité ; II. Le préjudice subi par l’enfant
I. La nature délictuelle de l’action de la victime ; II. Les conditions de l’indem-
nisation
I. Le principe de la réparation ; II. L’enjeu (ou : les critiques), etc.
I. L’indemnisation par la Cour de cassation ; II. La jurisprudence combattue
par la loi
Droit civil des obligations
54

2. Conseils pour la rédaction


du devoir
Vous devez procéder à une alternance entre l’exposé des connaissances
théoriques et l’explication du contenu de la décision.
Il va falloir trouver un équilibre, éviter de faire un exposé théorique. On
attend de vous que vous utilisiez intelligemment vos connaissances théori-
ques. Mais vous n’avez pas à réciter totalement votre cours. Imaginons par
exemple que vous ayez à commenter un arrêt qui porte sur une des trois
conditions d’application de l’article 1382 (faute, lien de causalité, dom-
mage). Un exposé théorique consisterait à étudier la totalité des trois condi-
tions, alors que deux d’entre elles n’ont aucun intérêt par rapport à l’arrêt.
Seule la condition qui est discutée dans l’affaire doit l’être, et ce de façon
complète ; les autres conditions ne devront être traitées que de façon suc-
cincte, essentiellement pour vérifier qu’effectivement l’arrêt que vous com-
mentez ne les concerne pas. Vous devez donc isoler les problèmes envisagés
par la décision et seulement cela.
Une fois ciblé le problème qui est au cœur de l’arrêt (ex : la faute) il va
falloir être habile en « collant » à l’arrêt : il ne faut pas réciter pendant plu-
sieurs pages tout ce que vous savez sur la notion de faute. Vous ne devez
jamais perdre de vue votre arrêt et, de façon régulière, passer de l’exposé
théorique à la décision et réciproquement. Aidez-vous de l’espèce ; si vous
ne l’évoquez pas régulièrement, c’est que vous glissez vers l’exposé théori-
que.
Une des façons de bien revenir régulièrement à l’arrêt, est de vérifier sys-
tématiquement la position retenue dans l’affaire pour chaque aspect de la
règle de droit. Si vous avez bien compris ce que nous avons dit, vous devez
reconstituer le raisonnement juridique. Signalez à chaque fois ce qu’il en est
dans l’arrêt. Autrement dit, vous n’avez pas dans l’arrêt tous les éléments de
façon systématique. C’est à vous précisément d’exposer les étapes qui ont été
suivies. L’argumentation qui est retenue par la Cour de cassation est d’im-
portance capitale : vous ferez bien attention à préciser à chaque fois sa posi-
tion. Elle est l’instrument qui vous permet de mesurer la portée qu’il faut
attribuer à la décision.
La réponse apportée est peut-être très claire. Elle est peut-être obscure.
Dites s’il y a plusieurs sens possibles. N’hésitez pas à poser des hypothèses,
Méthodologie
55

à démontrer que des interrogations subsistent. Il arrive que l’arrêt soit lim-
pide sur un point, mais pas sur d’autres. Si le raisonnement repose sur dif-
férents points, expliquez ce qui semble avoir été déterminant.
Attention : il pourrait arriver que l’arrêt ne porte que sur un point (ex :
la faute) alors que si un deuxième point avait été étudié (ex : le lien de cau-
salité), le litige aurait présenté une tournure différente. Ce cas de figure,
qui concerne l’hypothèse où des aspects juridiques ne sont pas abordés dans
une affaire se traite de manière particulière. Il s’agit de faire état du « non-
dit » par la décision. C’est en reconstruisant tout le raisonnement que vous
mettez en lumière ce non-dit, pourtant déterminant dans l’affaire. Il faut
donc y consacrer un développement. On peut à la limite faire une sous-
partie, ou envisager le problème dans la conclusion. Il est parfois admis de
faire une partie sur le non-dit lorsque le devoir est construit avec un plan
en trois parties.
Reportez-vous à ce que nous avons dit sur « le petit bonus de la bonne
copie », en matière de consultation : c’est exactement le même type de
problème.

III. Le commentaire dirigé


Nature de l’épreuve
Le commentaire dirigé consiste à présenter et expliquer un arrêt en répon-
dant à plusieurs questions relatives à cet arrêt et qui vous sont posées par
l’auteur du sujet. C’est un exercice de type pratique qui tend à se dévelop-
per depuis quelques années.
L’objectif de cet exercice est de vérifier vos connaissances, votre capa-
cité à comprendre un arrêt, les notions et mécanismes juridiques auxquels
il fait référence, votre capacité de réflexion, et enfin votre capacité de syn-
thèse, tout en vous guidant dans l’interprétation de la décision.
C’est un exercice moins difficile que le commentaire d’arrêt « libre »
(c’est-à-dire le commentaire d’arrêt classique). Vous êtes en effet guidés
dans votre travail. Vous ne risquez donc guère de faire du hors sujet, ou des
contresens. Il vous faut en effet répondre aux questions sans avoir à trouver
les problèmes qui ont été soulevés dans l’affaire ou qui sont suscités par cet
Droit civil des obligations
56

arrêt. Vous n’avez pas non plus à vous préoccuper de bâtir un plan, ni à
vous préoccuper de faire, de ce fait, des chapeaux introductifs ou des tran-
sitions à vos développements.
Mais, cela ne signifie pas pour autant que l’exercice soit facile. Il recèle
en effet certains pièges et nécessitera forcément de vous que vous sachiez lire
et comprendre un arrêt. De ce fait, tous les conseils donnés pour la prépa-
ration au commentaire d’arrêt devront avoir été assimilés. Votre travail
étant guidé, cette facilité qui vous est « offerte » rejaillit sur la qualité atten-
due de vos réponses. À questions claires et précises, il vous faudra apporter
des réponses claires, précises et… justes.

Comment aborder l’épreuve ?


Il faut répondre à chaque question dans l’ordre indiqué dans l’énoncé. Vous
traiterez tout ce qui est demandé, mais rien que ce qui est demandé. Aussi,
il vous faudra bien lire l’énoncé de chaque question et le respecter.
Les réponses aux questions devront être détaillées, approfondies, justi-
fiées, claires, et illustrées éventuellement.
Vous constaterez que pratiquement toujours, le commentaire dirigé
implique que vous ayez exposé les faits, la procédure suivie, le problème
juridique posé à la Cour de cassation et la solution qu’elle lui apporte. Vous
comprendrez donc que dans les réponses que vous apporterez ensuite aux
autres questions, il est essentiel de vous référer continuellement à l’arrêt
(sauf indication contraire expressément formulée dans l’énoncé d’une ques-
tion).
Très souvent, le commentaire dirigé débute par une première question :
celle de savoir quels ont été les faits de l’affaire, la procédure suivie, et le sens
de l’arrêt. Il s’agit là simplement pour vous de procéder à une analyse clas-
sique de la décision : votre examinateur s’assure que vous savez lire un arrêt,
que vous avez parfaitement compris la solution qui a été donnée, dans l’af-
faire, à la question de droit qui a été posée au départ. Rappelons que don-
ner le sens d’une décision, c’est, de façon simple, pouvoir dire : X… a dit
ceci, a prétendu cela. Y… a répondu ceci, a prétendu cela. La cour d’appel
a estimé telle chose, la Cour de cassation telle autre. Il n’est pas question à
ce stade de vous plonger dans une analyse exhaustive et approfondie de la
décision. Il s’agit simplement de procéder à une analyse du même type que
Méthodologie
57

celle qui introduit le commentaire d’arrêt classique. Sur ce point, nous vous
renvoyons à la méthode qui concerne ce type d’épreuve.
Ensuite, viennent les questions qui ont été inspirées par l’arrêt. Il ne
s’agit pas de faire des développements purement théoriques, en récitant
votre cours. Certes, vous devrez exposer des connaissances solides, mais il
vous faudra en plus revenir à l’arrêt pour illustrer et justifier vos réponses.
Certaines questions concernent directement le sens même de l’arrêt. Il
est assez facile d’y répondre, si vous avez bien compris la décision et que vous
connaissez la partie de cours afférente au problème posé. Imaginons par exem-
ple que vous ayez à commenter un arrêt relatif à l’annulation d’un contrat de
vente pour erreur. Il vous est demandé « Quelles sont les caractéristiques de l’er-
reur commise par l’acquéreur ». Pour répondre à cette question, il vous fau-
dra partir des indications de l’arrêt pour décrire cette erreur et pour pouvoir
ensuite la qualifier (par exemple : S’agit-il d’une erreur sur la substance ? Sur
les qualités substantielles ? Sur la valeur ? Sur les motifs ? etc.).
D’autres questions peuvent en revanche être d’ordre purement théori-
que. Par exemple : Qu’est-ce que le forçage d’un contrat ? Dans ce cas, il vous
faudra répondre d’une manière générale et abstraite, puis vous efforcer d’il-
lustrer, le cas échéant, vos développements par des références à la décision
qui vous est soumise. À travers ce type de questions est abordé ce qui, dans
un commentaire d’arrêt classique, relève de la portée de l’arrêt. En quelque
sorte, l’examinateur vous guide et vous expose les différents axes de
réflexion que doit susciter l’arrêt.

IV. La dissertation
Nature de l’épreuve
L’objet de la dissertation est d’exposer des règles de droit relatives à une
question en les explicitant et en discutant tant de leur contenu que de leur
évolution passée et à venir.
La dissertation obéit à une logique tout à fait particulière car elle se
coule dans un moule très figé : une introduction conséquente ; deux parties ;
elles-mêmes subdivisées chacune en deux sous-parties. Il n’y a, en revanche,
pas de conclusion.
Droit civil des obligations
58

A. L’objectif poursuivi :
faire une démonstration
Pour être à même de rédiger une dissertation, vous devez en comprendre la
technique aussi bien au niveau de la forme que du fond. Notez que la plu-
part des remarques qui vont suivre sont suffisamment générales pour valoir
également pour les autres épreuves. Vous lirez donc attentivement ce qui
suit, même si le sujet annoncé n’est pas théorique mais pratique.

1. La forme
Votre premier objectif, au niveau de la forme, est de vous faire comprendre.
Pour cela, vous utiliserez non seulement un style clair et précis, mais vous
ordonnerez les développements de votre devoir selon un plan structuré. La
structure préétablie de la dissertation juridique ne laisse pas de place à l’ima-
ginaire. On est éloigné de la dissertation littéraire sur le modèle que vous
avez pratiqué au lycée. Il vous est demandé de distinguer différents aspects
d’une question en construisant votre dissertation d’une façon rationnelle,
en coordonnant les différents ensembles. Tout doit s’enchaîner de manière
logique, sans qu’il soit nécessaire de faire des marches arrière ou des antici-
pations maladroites qui renvoient à des études ultérieures. Bref, la construc-
tion même du devoir est fondamentale. C’est sur sa qualité que vous serez
jugé en premier lieu. Quel que soit le contenu du devoir, cette construction
élaborée doit respecter la structure suivante :
Introduction
1re partie : I. …; deux sous-parties : A. …; B. …
2e partie : II. …; deux sous-parties : A. …; B. …
Les parties sont matériellement indiquées par les chiffres « I » et « II »
et les sous-parties par les lettres « A » et « B ». Elles reçoivent un titre, qui
est mentionné de façon à le détacher du corps du texte. L’idée même d’un
plan en deux parties divisées en deux sous-parties vous paraîtra peut-être
très ou trop rigoureuse. Prenez la règle comme un soutien de méthode qui
vous permet d’approfondir vos idées en les regroupant à partir d’un plan qui
devrait, grâce à une division fort simple, être clair et facile à comprendre.
Suivez l’usage. Il a démontré son efficacité. Ne vous en écartez que si la
division en deux parties ne s’impose vraiment pas à l’évidence et serait très
Méthodologie
59

superficielle : faites alors un plan en trois parties. Naturellement, si vous


arrivez à un plan en quatre parties, le problème est réglé : à partir de quatre
parties, on peut toujours revenir à deux parties divisées en deux sous-
parties… Il y a toujours possibilité de rassembler par groupe de deux vos
quatre parties en partant d’idées communes… En principe, il faut aussi faire
deux sous-parties. Tâchez de respecter la règle des deux sous-parties. Ceci
dit, l’existence de trois sous-parties est tolérée, même si le plan est en deux
parties.

2. L’objet de la discussion
Si un plan rigoureux est exigé, c’est parce que toute dissertation a pour
objet une démonstration. Le plan est un soutien, il permet de suivre un fil
conducteur. Vous allez vous confronter à une question déterminée, en expo-
sant les règles applicables ou en discutant d’un problème juridique. L’objet
de la discussion peut être très vaste.
Imaginons par exemple que vous ayez comme sujet : « L’objectivation de la
responsabilité civile ». La substance même de votre devoir est très étendue. La res-
ponsabilité civile se divise en responsabilité contractuelle et responsabilité délic-
tuelle ; la responsabilité contractuelle renvoie à la distinction obligation de
moyen/obligation de résultat ; la responsabilité délictuelle renvoie elle aussi à des
divisions : responsabilité du fait personnel, responsabilité du fait d’autrui (ce der-
nier type de responsabilité se subdivisant lui-même…).
Mais la substance même peut être fort réduite. Ex : le dol ; la responsabi-
lité du commettant…, ce qui peut, de prime abord, vous inquiéter (que vais-je
pouvoir dire ? comment traiter un sujet qui ne correspond qu’à une toute petite
partie du cours ?). Pourtant, que les règles de base soient très nombreuses ou
se réduisent à quelques textes, la manière de procéder doit rester la même.
Il va falloir que vous les exposiez au mieux en respectant la règle du plan en
deux parties. Pour pouvoir expliquer le contenu des règles de droit, fort
générales, vous aurez besoin de la jurisprudence. Il est important d’intégrer
dans votre devoir l’essentiel de ce qui vous a été enseigné en cours comme
en travaux dirigés : les arrêts étudiés doivent être « exploités » dans votre
dissertation. En proposant des exemples concrets, vous expliquez comment
les principes juridiques exposés sont utilisés dans la pratique, s’ils permet-
tent parfaitement de résoudre les difficultés… Vous montrez par là même
que vous savez raisonner et que vous avez bien compris les enjeux de telle
Droit civil des obligations
60

ou telle qualification, de telle ou telle interprétation d’un texte… Il ne


s’agit donc pas de réciter votre cours, mais, grâce à un plan éclairant, de faire
une démonstration intéressante. Pour qu’elle le soit, il va falloir commen-
cer par énoncer une proposition. L’objet de votre devoir sera de vérifier
cette proposition.
Par exemple, vous avez à traiter comme sujet l’objectivation de la responsa-
bilité. Vous avez décidé, par rapport à vos connaissances, que vous pouviez
démontrer que le droit de la responsabilité s’orientait de plus en plus vers l’objec-
tivation, mais qu’il restait encore des zones obscures, voire même des hypothèses
où la responsabilité était subjective. La proposition de départ est la suivante : le
droit de la responsabilité tend à devenir une responsabilité de plein droit, mais n’y
parvient pas totalement. L’idée est simple. Mais on ne vous en demande pas
plus : vous n’êtes qu’en deuxième année, et votre examinateur n’attend pas
de vous une démonstration originale et compliquée. Votre devoir va consis-
ter à démontrer cette proposition tout en la justifiant.
De ce fait, vous devez, au cours de votre préparation, dégager l’objet
même de votre démonstration. Votre problématique figurera dans l’intro-
duction qui, dès lors, est la partie la plus importante du devoir. C’est à l’in-
térieur de votre introduction que figure votre proposition. Vous y expliquez
les idées de base qui sont les vôtres, sur lesquelles vous allez appuyer votre
démonstration. L’annonce du plan doit être aisée : l’objet de vos deux par-
ties est simplement de rentrer dans le détail technique de votre démonstra-
tion. Vous allez, en deux temps, démontrer votre affirmation initiale. À
l’intérieur de chacun de vos développements, en deux temps (vos deux par-
ties), on doit retrouver la même logique : l’idée de base que sous-tend cha-
cune d’elle doit, à nouveau, faire l’objet d’une démonstration en deux temps
(vos deux sous-parties).
En principe, il n’est nul besoin de conclure : tout au plus pourriez-vous
résumer de manière maladroite ce qui a été dit. On ne fait une conclusion
que lorsqu’on a une idée originale « d’ouverture » vers une question intéres-
sante, en lien avec le sujet. En quelque sorte, un nouveau sujet se pose, qui
pourrait faire l’objet d’un autre devoir… (comparer : « le petit bonus » de la
bonne copie). Les connaissances nécessairement limitées d’un étudiant de
licence rendent difficile l’élaboration d’une telle conclusion. Le plus simple
pour vous est de partir de l’idée que vous n’aurez pas à en rédiger.
Méthodologie
61

De quoi devez-vous parler ? Vous connaissez la règle du jeu : il s’agit de


traiter la totalité du sujet mais sans faire du hors sujet : tout le sujet, mais
rien que le sujet.
Après avoir lu attentivement le sujet, vérifiez que vous en comprenez
tous les termes. Dans certains cas, la compréhension est immédiate (ex : la
responsabilité des père et mère). D’autres fois, vous aurez des difficultés (ex :
L’objectivation de la responsabilité. Qu’est-ce qu’une responsabilité objective ?
Est-ce la même chose qu’une responsabilité pour faute objective ? Est-ce synonyme
de la responsabilité de plein droit ?, etc.).
Si la définition même du sujet vous pose problème, vous avez deux pos-
sibilités :
– soit la difficulté peut être surmontée aisément. Vous expliquez dans
l’introduction ce qu’il en est. Vous prenez alors le temps d’écarter certaines
définitions pour en retenir d’autres ou une seule ;
– soit la difficulté ne peut être dépassée : la définition est le cœur même
du sujet. Votre problématique consiste alors, précisément, à expliquer que
plusieurs démarches peuvent être retenues et que le thème du sujet comme
son environnement varient suivant la conception retenue. Il est assez rare
qu’un enseignant donne une telle catégorie de sujet à de jeunes étudiants.
Ayez au démarrage une vision large du sujet : englobez le maximum de
problèmes à traiter en ayant en tête les secteurs de votre cours qui sont
concernés. Puis faites le tri, en conservant ce qui vous paraît rentrer dans
le cadre du sujet. Si vous avez un doute, prenez le temps de peser votre déci-
sion. N’hésitez pas, dans l’introduction, à justifier les raisons qui vous
conduisent à éliminer tel ou tel point.

B. Comment appréhender
le sujet théorique ?
Puisqu’il faut diviser votre sujet en deux parties, vous aurez deux possibili-
tés pour votre démonstration :
– soit votre sujet est entièrement susceptible d’être mis en valeur à tra-
vers deux idées qui se complètent ou s’opposent ;
Droit civil des obligations
62

– soit votre sujet est dominé par une idée unique. La démonstration en
est faite en examinant dans le détail deux aspects du droit positif qui tradui-
sent cette idée.
À vous de découvrir si le sujet qui vous est proposé rentre dans la pre-
mière ou la deuxième catégorie.
Selon la difficulté du sujet et l’objectif poursuivi par l’examinateur, le
sujet théorique s’étend de la question de cours au sujet comparatif en pas-
sant par le sujet de synthèse.

1. De la question de cours
au sujet de synthèse
a. La question correspondant exactement
à un point du cours
La question posée par le sujet théorique peut correspondre à une partie de
votre cours (ex : Les vices du consentement ; La responsabilité civile des père et
mère…). Il ne s’agit pas alors de réciter par cœur la partie du cours que vous
avez apprise. Vous risqueriez d’être déçu par la note. Bien sûr, tout ce que
vous savez ou presque devra figurer dans le devoir ; mais il faut d’autres cho-
ses en plus.
Partez de l’idée que sur un sujet assez pointu, qui a été entièrement traité
en cours, il est fondamental de replacer la question posée dans son contexte.
Il arrivera d’ailleurs que ce contexte général soit déjà précisé, en partie,
dans l’intitulé même du sujet. Exemple : l’erreur sur la substance. Le sujet
indique qu’il faut parler de l’erreur mais au sein de cette question, seule
l’erreur sur la substance doit être traitée. La question est donc sélectionnée
de manière précise, mais vous savez déjà qu’il faudra replacer cette question
dans le cadre plus général de l’erreur. Avant d’envisager le thème en lui-
même, il faut faire le lien avec des théories plus vastes : les vices du consen-
tement, le consentement lui-même, les conditions de formation du contrat
etc., bref sur tous les éléments qui constituent des références indispensables
pour bien traiter le sujet.
Ne vous étendez pas sur ce point.
Voyez ensuite si ces éléments doivent simplement être examinés et, ce,
brièvement, dans l’introduction ou au cours de votre démonstration, s’il
Méthodologie
63

vous paraît plus judicieux de les exploiter. Ce serait le cas par exemple si,
en cours ou en travaux dirigés, vous aviez traité du particularisme de l’erreur
sur substance par rapport aux autres vices du consentement…
L’exemple donné introduit d’ailleurs l’idée que les points très généraux
trouvent presque toujours leur place dans l’introduction. Il ne faut pas les
développer, car vous feriez du « hors-sujet ».
Ainsi, un sujet comme celui de la responsabilité civile des père et mère a
comme intérêt majeur actuellement de vous permettre de parler de l’évolution de
la jurisprudence vers l’objectivation de la responsabilité. Il faut donc construire
votre devoir en faisant des rapprochements avec d’autres domaines qui ont connu
ou connaissent de nos jours des évolutions analogues (ou inversement, très diffé-
rentes). Il faudra en conséquence faire un lien avec les évolutions de la respon-
sabilité du fait des préposés, mais aussi avec l’évolution de l’article 1384, alinéa 1
(responsabilité du fait des personnes que l’on a sous sa garde…), voire même avec
les obligations de résultat dans le domaine contractuel.
Vous devez donc être très vigilants lorsque vous construisez votre devoir.
Pour éviter de réciter votre cours par cœur, élaborez votre plan de façon à
ce qu’il incorpore tous ces éléments. Une des deux parties ou une sous-partie
de la deuxième partie peut, par exemple, être bâtie autour de l’idée que l’évolu-
tion de la responsabilité des père et mère s’inscrit dans un courant plus général
d’objectivation de la responsabilité, ce qui vous permettra de faire un rapproche-
ment avec d’autres cas de responsabilité. Ou bien, au contraire, vous pouvez
souligner l’originalité de la responsabilité des père et mère.
Dans l’un ou l’autre cas, vous voyez que nous avons une idée unique, qui
va pouvoir être démontrée en examinant en détail la traduction en droit
positif de cette idée. Le plan est simple, puisqu’il est construit à partir des
conditions de mise en jeu de la responsabilité des père et mère et de l’exo-
nération (ex. de plan : I. La responsabilité des père et mère et la responsabilité
personnelle de l’enfant ; II. L’exonération de la responsabilité des père ou mère).
Attention : il ne s’agit pas de faire une partie ou une sous-partie sur les
autres cas de responsabilité, mais bien de faire un rapprochement, ce qui
n’est pas la même chose. Par exemple, si vous faites une partie intitulée : la res-
ponsabilité personnelle de l’enfant, condition de la responsabilité des père et mère ?
Il s’agit ici de faire état de la jurisprudence Levert (cf. Civ. 2e, 10 mai 2001). Il
est intéressant de faire une comparaison avec la responsabilité des commettants :
en ce domaine, il est exigé que le préposé engage sa responsabilité personnelle
Droit civil des obligations
64

pour que le commettant soit responsable. Il faut aussi faire un rapprochement avec
la responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre : la question de l’exi-
gence de la responsabilité de l’auteur du dommage reste ambiguë. Naturelle-
ment, le développement sur le premier point (l’arrêt Levert) sera plus
conséquent que le reste.
Prenez le temps de bien mettre en valeur tous les aspects de la question
en ayant une vision large du sujet. Cela dit, vous n’aurez peut-être rien
d’autre à rajouter que ce que vous avez retenu du cours. S’il n’y a rien à ajou-
ter ni à supprimer, le plus simple est, effectivement, de partir exclusive-
ment de la partie du cours que vous connaissez. Inutile d’inventer des
choses. Réfléchissez à ce que vous pourriez essayer de démontrer. Faites un
effort de pédagogie en expliquant clairement ce que vous avez retenu.

b. Le sujet correspondant
à une notion transversale du cours
L’intitulé du sujet théorique peut désigner aussi une notion transversale de
votre cours, une notion qui a plusieurs significations et qui est dotée de plu-
sieurs régimes juridiques. Exemple : le dol. Pour le seul droit des obligations, le
dol a deux sens. Dans la formation du contrat, il désigne l’erreur provoquée, cas
d’ouverture de l’annulation du contrat fondée sur l’article 1116 du Code civil.
Dans l’exécution du contrat, le dol traduit le refus d’exécuter ses obligations et son
établissement se répercute sur le régime de la responsabilité contractuelle.
Certaines notions sont encore plus ambiguës. Exemple : La cause. Cette
notion intervient au stade de la formation du contrat. Elle a une double significa-
tion comme condition de validité du contrat (cause objective et cause subjective).
Mais elle justifie aussi certains mécanismes au stade de l’exécution du contrat
(exception d’inexécution, résolution…). La cause apparaît aussi implicitement
dans le droit de la responsabilité sous la qualification de lien de causalité entre la
faute et le dommage. Dans ce cas, alors, le programme de révision vous per-
mettra peut-être d’exclure tel ou tel domaine de réflexion. Vous souhaite-
rez peut-être, vous-même, d’office exclure tel ou tel point (ainsi, il est
raisonnable d’exclure le lien de causalité). Vous devez justifier dans l’introduction
pourquoi vous avez exclu le droit de la responsabilité. On vous le reprochera
moins que si vous l’avez passé sous silence (ex. de plan : I. La cause au stade
de la formation du contrat ; II. La cause au stade de l’exécution du contrat. Autre
plan possible : I. La consécration directe de la cause, A. L’existence de la cause,
Méthodologie
65

B. La moralité et l’illécéité de la cause ; II. La consécration indirecte de la cause,


A. L’exception d’inexécution, B. La résolution).
L’intitulé désigne donc un sujet plus ou moins vaste dans son ampleur :
certains « balayent » différentes parties du cours. Il faut alors faire une syn-
thèse des règles de droit pour en présenter l’essentiel à partir d’idées. C’est
un exercice périlleux pour un étudiant de deuxième année et qui est plus
souvent réservé aux étudiants de master. L’effort de construction de la dis-
sertation est dans ce cas fondamental. Essayez de découvrir quelques « idées-
force » qui serviront à vos développements. Le plan doit être élaboré à
partir de ces idées. Vous devrez tout à la fois analyser le droit positif en
expliquant les points les plus importants et faire une synthèse pour démon-
trer quelque chose ou faire un exposé cohérent de la question posée. Soyez
surtout attentifs à ne pas perdre de temps. Modifiez la grille de répartition
du temps : conservez les deux tiers de ce temps à la rédaction. Surtout,
n’écrivez pas le texte sur un brouillon. Le temps d’élaboration du plan
détaillé de la dissertation a pour objet de choisir les éléments de démons-
tration les plus convaincants.
En somme, ce sujet fait moins appel à votre capacité d’analyse qu’un
sujet pratique. Dites-vous que l’examinateur cherche, en donnant un sujet
théorique, à vérifier que vous avez assimilé les grands principes et les méca-
nismes principaux qui caractérisent la discipline enseignée. Vous devez
montrer que vous avez des connaissances exactes et réfléchies. Replacez
bien sûr la question dans un contexte plus général. Vous ne pouvez parve-
nir à cela que si vous avez acquis une vision globale du droit des obligations.
Nous avons dit qu’il fallait apprendre le plan de cours. Il faut aussi, à la fin
de chaque semestre, avoir réfléchi aux orientations du droit. Pour cela, les
cours et manuels qui présentent les règles de droit sont des outils précieux
car ils vous aident à comprendre de façon transversale l’évolution de certai-
nes matières.
Vous devez maîtriser l’essentiel du cours ainsi que son actualité. C’est
pourquoi vous devez intégrer la jurisprudence. Nous avons, à plusieurs repri-
ses, insisté sur le fait que vous devez savoir citer des arrêts. C’est le moment
d’utiliser cette technique ! Jetez un rapide coup d’œil aux attendus qui sont
présentés dans votre code sous les arrêts. Faites fonctionner votre mémoire
et sélectionnez judicieusement les arrêts les plus intéressants par rapport au
sujet. N’hésitez pas à sélectionner quelques arrêts que vous connaissez.
Choisissez-les en raison de leur intérêt pour votre démonstration.
Droit civil des obligations
66

Dans la présentation de votre démonstration, n’hésitez pas à faire appel


à la traditionnelle division thèse/antithèse. La première partie peut, par
exemple, être consacrée à démontrer une première idée ; au sein de cette
première partie, vous énoncez la thèse (A) puis l’antithèse (B). En d’autres
termes, vous expliquez qu’il y a une opposition entre deux conceptions des
règles juridiques ou des conceptions que l’on s’en fait.
Par exemple, vous avez comme question : l’indemnisation du préjudice de
l’enfant né handicapé en cas d’impossibilité pour la mère de procéder à une inter-
ruption de grossesse. Vous êtes amené, parce que tel a été votre choix (lequel est
fonction du contenu de l’enseignement reçu) à faire une partie sur le préjudice
indemnisable (I) et l’autre sur le lien de causalité (II). S’agissant de la deuxième
partie, la thèse consiste à démontrer que le lien de causalité existe (A. première
sous-partie) ; l’antithèse, que ce lien de causalité n’existe pas (B. deuxième sous
partie). On découvre aisément, à partir de la construction des deux sous-parties
l’intitulé possible de cette deuxième partie elle-même : II. Le débat sur le lien de
causalité. Cette deuxième partie peut être divisée ainsi : la reconnaissance du lien
de causalité (A) ; la négation du lien de causalité (B). On peut faire la même
chose pour le préjudice indemnisable, mais c’est déjà plus difficile. Bien
sûr, il est possible de bâtir la première division de votre devoir à partir de
cette proposition thèse (I) antithèse (II). On pourrait faire une partie « pour »
la solution retenue par l’arrêt Perruche et une partie « contre » l’arrêt Perruche
et la solution retenue par la loi du 4 mars 2002 : I. La consécration du droit
à indemnisation II. Le refus d’indemnisation.
La division de tout un devoir sur le thème pour/contre n’est cependant
pas évidente. Vous risquez de limiter par là votre démonstration.

2. Du sujet de cours
au sujet comparatif
a. Le sujet divisé
en deux questions de cours
Certains sujets proposés ont pour but de vous faire comparer deux règles de
droit, deux mécanismes juridiques ou deux institutions. Ex : Le dol ; la bonne
foi. Ces notions ont chacune un sens et un régime juridiques différents
selon qu’on les rencontre au moment de la formation du contrat ou au
moment de son exécution. Dans la mesure où c’est à vous de rechercher le
Méthodologie
67

large domaine d’application de ces notions, l’accent n’est pas mis sur la
comparaison, même si elle peut apparaître au cours de votre développe-
ment. Vous pouvez les traiter successivement, en insistant sur le rôle spéci-
fique de chacune des institutions. Partez de l’idée que ce type de sujet est
rare, car cela revient à traiter deux sujets ; le plan est donc préétabli.

b. Le sujet comparatif
Lorsque le sujet oppose clairement deux mécanismes, tout le devoir doit être
construit sur cette opposition. La comparaison est l’articulation du devoir.
Exemple : Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. Ce type de
sujet vous fera réfléchir sur ce qui rapproche les mécanismes et sur ce qui les
oppose. C’est à vous de mettre en valeur les convergences et les divergences de leur
régime. Il est exclu, bien sûr, de traiter les mécanismes l’un après l’autre. Exem-
ple de plan interdit : Responsabilité contractuelle (I) et Responsabilité
délictuelle (II). Parfois, ce sont les points communs qui vont l’emporter ; les dif-
férences seront faibles au point de devoir être seulement signalées dans l’introduc-
tion. À vous d’articuler tout le devoir sur une idée de base. S’il n’existe pas de
différence majeure entre les deux types de responsabilité, votre démonstration
peut être : les deux responsabilités sont soumises à des règles quasi identiques. la
question est : comment le démontrer ? La réponse peut être : la responsabilité
pour faute (I) et la responsabilité pour risque (II)…
Gardez à l’esprit que la difficulté de ce genre de sujet théorique le rap-
proche du sujet pratique : il fait appel à votre capacité d’analyse et requiert
que vous le traitiez en résolvant la problématique qu’il pose.
Une variété du sujet comparatif est la dissertation sur l’évolution d’un
point de droit. Il est évident que le plan chronologique — avant tel arrêt
(I) ; après tel arrêt (II) ; avant telle loi (I) ; après telle loi (II) — encourt le
même reproche que celui que nos évoquions, à savoir de séparer les institu-
tions. La seule solution consiste à faire une comparaison en dégageant des
thèmes. Thème par thème, vous établissez un parallèle entre les règles anté-
rieures et les règles postérieures.
Droit civil des obligations
68

C. Comment construire
la dissertation ?
Vous retiendrez que l’articulation du plan en deux parties à partir d’une
idée unique ou de deux idées est une règle quasi impérative. À l’intérieur de
chaque partie, vous devez subdiviser. Le plan que vous avez choisi a pour
objet de vous permettre de démontrer quelque chose, d’examiner les diffé-
rents aspects du problème que vous avez à traiter.
La matière même que vous traitez sera divisée et regroupée en deux thè-
mes principaux, qui vont donc soit s’opposer, soit se compléter, soit servir
à la démonstration d’une idée unique. Si vous choisissez de faire un devoir
construit autour de deux idées qui s’opposent, vous n’hésiterez pas à utili-
ser la méthode classique thèse/antithèse. Pensez alors à bien préciser les
différents points que comporte chaque partie. Peut-être sera-t-il nécessaire,
au sein de chaque sous-partie, de faire plusieurs sous-divisions. Dans ce cas
ne les annoncez pas.
Faites un plan simple, clair qui vous permet de distinguer les deux thè-
mes. Surtout, veillez à ce que le contenu de chaque partie coïncide avec le
titre donné. Il est fréquent de constater que le titre est très éloigné du
contenu… Essayez d’équilibrer vos deux parties : chacune des deux parties
doit correspondre à un développement important du sujet. Faites attention
à ne pas traiter en dernier un aspect fondamental du sujet et à toujours
avoir quelque chose d’intéressant à dire dans chaque partie. Équilibrez dans
la mesure du possible les deux parties. Veillez à ce que le contenu de cha-
cune d’elle corresponde à son intitulé : vérifiez-le une dernière fois au
moment de la relecture.
Ne cherchez pas désespérément des intitulés ou des démonstrations ori-
ginales. Au contraire : restez « classiques ». N’hésitez pas à reprendre des
intitulés de votre cours ou ceux que vous avez eu l’occasion d’utiliser en fai-
sant un commentaire d’arrêt.
Bien sûr, il existe des plans « bateaux » que l’on peut utiliser dans un cer-
tain nombre de cas. On citera à cet égard :
– principes (I) ; exceptions (II) ;
– conditions (I) ; effets (II) ;
– nature (I) ; régime (II) ;
– fond (I) ; forme (II).
Méthodologie
69

Cela dit, méfiez-vous des plans préétablis. L’essentiel est toujours de


trouver l’objet de votre démonstration : c’est elle qui conditionne le plan
que vous retenez.
Si vous optez pour une construction d’un devoir autour de deux aspects
complémentaires d’une question, n’oubliez pas de préciser, dans l’introduc-
tion, ce qui ne se rattache pas à ces deux aspects complémentaires.
Pour construire votre devoir de manière complète, faites une liste de
toutes les questions qui se rapportent à votre sujet. Délimitez-le avec pré-
cision, en éliminant tout ce qui se rattache au simple environnement juri-
dique (faites une rapide allusion à cet environnement dans votre
introduction). Distinguez les différents points que comporte la matière à
traiter. Regroupez-les autour de deux thèmes principaux. Vérifiez que vous
avez une idée parfaitement nette de votre fil conducteur, c’est-à-dire de
l’objet même de votre démonstration.
Divisez ensuite chaque thème en deux sous-parties. La structure interne
peut être descriptive. Vous penserez à faire des transitions pour éviter qu’on
ne passe pas brutalement d’un point à un autre. Au fur et à mesure de votre
rédaction, revenez régulièrement à l’objet de cette démonstration.
Vous serez particulièrement vigilant au moment de la rédaction de l’in-
troduction. Celle-ci part d’un postulat : le lecteur est censé ne rien savoir
de la question posée — il ne connaît même pas le sujet —, mais il est censé
être juriste et dès lors avoir une culture juridique suffisante pour vous com-
prendre.
L’introduction a dès lors pour but de permettre d’informer ce lecteur du
sujet qui va être traité, et de l’objet de la démonstration, qui apparaît à tra-
vers votre plan.
Le sujet :
Vous annoncez la question traitée, en la situant dans son environne-
ment. Exemple : si vous avez comme sujet l’affaire Perruche, vous expliquerez
que le sujet concerne le droit de la responsabilité. En revanche, vous ne direz pas
qu’il s’agit d’une question de responsabilité délictuelle, car la nature juridique de
la responsabilité des médecins à l’égard de l’enfant est l’une des questions qui s’est
posée dans l’affaire. Si vous souhaitez éliminer cette question, faites-le dans l’in-
troduction, mais après l’avoir traitée succinctement, et en justifiant votre choix.
Vous évoquerez la réaction du législateur, inverse de la solution jurisprudentielle.
Droit civil des obligations
70

Évitez de reproduire purement et simplement le sujet. Essayez de l’ame-


ner en douceur. Vous pouvez pour cela commencer par évoquer le secteur
concerné, puis progressivement resserrer ce domaine pour parvenir au sujet
lui-même (technique dite de « l’entonnoir »).
Définissez éventuellement ces termes. Cela dit, vous n’avez pas à défi-
nir les termes juridiques connus : de ce fait il est rare en deuxième année que
l’on attende de vous des définitions de termes techniques.
Une façon d’amener en douceur le sujet est de le faire à travers l’an-
nonce de son intérêt. Il faut en effet rechercher les raisons pratiques ou/et
théoriques pour lesquelles le sujet vous a été donné. En indiquant pourquoi
la question mérite d’être traitée, vous pouvez aussi mettre des jalons pour
l’annonce de votre démonstration. Vous profitez de cette occasion pour
suggérer les idées-force qui vont animer votre démonstration.
La démonstration :
Vous indiquez l’orientation de votre devoir. Si nécessaire, vous citerez
les textes concernés, les sources des règles de droit étudiées au soutien de la
présentation de l’objet même de votre étude, à condition néanmoins que
cela ne soit pas trop long. Dans le cas contraire, aborder cet aspect du sujet
dans le corps du devoir.
N’oubliez pas que le plan adopté doit apparaître comme découlant de
votre démonstration, comme la conséquence normale des idées que vous
avez dégagées. La démonstration étant précisée, vous annoncez les deux
parties qui constituent l’articulation de votre plan. On n’annonce pas dans
l’introduction les deux sous-parties de chaque partie. Il faut faire une
annonce spécifique après l’intitulé de chaque partie. Si au sein de chaque
partie, vous avez des sous-divisions, ne les faites pas apparaître de manière
spécifique par des lettres ou des chiffres.
Si la question posée peut être comprise de façons différentes, vous expli-
quez le choix que vous avez fait, en signalant les autres possibilités qui s’of-
fraient à vous et que vous n’avez pas souhaité retenir.
Lorsque vous passez à la rédaction, soyez spécialement attentifs à ne pas
perdre de vue votre démonstration. Vérifiez régulièrement que vos affirma-
tions coïncident avec vos idées et veillez à ce que vos idées ne changent pas
en cours de route. Nuancez vos propos si besoin afin de montrer au lecteur
que vous restez maître du développement.
La recherche
documentaire

I. Sources de documentation

N ous avons dit à plusieurs reprises que votre cours et les documents de
travaux dirigés constituent la base de votre travail. Cette documen-
tation de base est irremplaçable. Vous pouvez la compléter par des manuels
ou traités, ou en consultant les principales revues.

A. Les manuels et traités


En début d’année vous sera communiquée une bibliographie. Vous devrez
faire un choix. Au stade de la licence, un seul suffira probablement. Pour
opérer votre choix, il est évident que les recommandations de l’enseignant
chargé du cours constituent un élément important. L’approche personnelle
qu’il fait du droit des obligations lui paraît plus ou moins compatible avec
tel ou tel manuel. Il est rare cependant que l’enseignant ne vous propose
qu’un seul manuel. Prenez donc le temps d’en consulter plusieurs, avant de
prendre l’habitude de travailler régulièrement dans l’un d’eux.
Les besoins sont variables d’un étudiant à l’autre : ouvrage élémentaire
utile pour faire des révisions rapides, ouvrage approfondi pour préparer les
travaux dirigés… Le style est évidemment propre à chaque auteur et vous
apprécierez peut-être tel type de rédaction et moins tel autre. Lisez des
extraits, repérez celui qui vous paraît le plus compréhensible (sans vous
attacher au nombre de pages). Prenez bien sûr un ouvrage mis à jour.
Droit civil des obligations
72

B. Les revues
Il est rare que les étudiants de deuxième année de licence se familiarisent
avec les revues. Il est fréquent d’attendre la troisième année ou le master.
Prenez tout de même l’habitude de fréquenter les bibliothèques et de décou-
vrir les revues les plus couramment utilisées par les juristes. À ce titre, vous
devez connaître :
– le Recueil Le Dalloz, revue hebdomadaire. Sa présentation a varié au
fil des années. Il est de ce fait judicieux d’apprendre à retrouver un arrêt
commenté dans cette revue, qui est indiquée dans les références sous le
sigle D. ;
– la revue Juris-Classeur, revue connue sous le sigle JCP ;
– la Revue trimestrielle de droit civil (RTD civ.). À remarquer que les arrêts
qui y sont commentés ne figurent pas dans la revue.
L’importance du droit des obligations conduit à ce que tous les arrêts
marquants soient régulièrement présentés dans ces revues. Mais d’autres
domaines du droit sont aussi concernés. Il existe des revues spécifiques au
droit des obligations (Revue des contrats par exemple), mais elles ne portent
que sur une partie seulement du programme et sont réservées aux spécialis-
tes de la matière.
La consultation des trois principales revues juridiques peut donc être
assez rapide. Familiarisez-vous à leur lecture ; apprenez à utiliser les tables,
à faire des recherches rapides et efficaces.
Avec l’utilisation régulière d’un ou de deux manuels, complétée le cas
échéant par des extraits des principales revues — mais seulement sur les
points qui concernent le programme du droit des obligations — votre base
documentaire sera largement suffisante.

II. La documentation
informatisée
La documentation figurant sous une forme informatisée a connu ces derniè-
res années un essor important. Vous devez ordinairement trouver dans la
documentation traditionnelle sur support papier les informations qui vous
Recherche documentaire
73

sont nécessaires pour votre formation universitaire : ne vous perdez pas de


ce fait dans des recherches inutiles. L’intérêt de la documentation informa-
tisée pour vous consiste à vous familiariser assez vite avec un outil dont
vous aurez peut-être et même sûrement besoin dans votre vie profession-
nelle, voire peut-être lors d’études universitaires plus approfondies
(mémoire de troisième cycle et bien sûr thèse de doctorat), l’ampleur des
recherches à effectuer conduisant naturellement l’étudiant à privilégier
l’usage des cédéroms ou des sites Internet, ce qui lui permettra d’économi-
ser ses efforts (manipulation d’ouvrages volumineux, passages répétés par la
photocopieuse…) et de gagner un temps précieux.
Une petite information des moyens disponibles accessibles à un jeune
étudiant doit vous permettre d’évaluer ce que cette nouvelle forme de docu-
mentation peut vous apporter. Nous distinguerons les cédéroms de droit et
les sites Internet consacrés à des informations juridiques.

A. Les cédéroms de droit


La capacité de stockage d’informations qu’offre le cédérom explique le suc-
cès considérable qu’a obtenu en quelques années ce type de source docu-
mentaire.
Plusieurs centaines de cédéroms contenant de la documentation juridi-
que sont aujourd’hui disponibles et il est hors de propos, dans le cadre de cet
ouvrage, de tenter d’en dresser un catalogue : des publications spécialisées
y sont désormais consacrées.
Dans une perspective méthodologique, il est toutefois possible de pré-
senter les grandes catégories de supports existant et quelques conseils pour
optimiser leur utilisation.
Dans leur très grande majorité, les cédéroms proposent l’accès à des
documents disponibles déjà sur support papier. Il s’agit notamment des
codes (et textes en général) que les éditeurs publient sous les deux types de
support (ex. la collection Codes Plus CD-ROM Dalloz) ; certaines éditions
intègrent également de la jurisprudence ou d’autres textes en lien avec le
code concerné (ex. Multicodes Dalloz). Leur mise à jour est souvent plus
fréquente (deux fois par an) que pour les éditions « papier ».
Le niveau d’information obtenu est le même que si vous consultez les
codes traditionnels, lesquels comportent également nous l’avons dit des
Droit civil des obligations
74

annotations jurisprudentielles, fort utiles pour votre formation, mais déli-


cates à manier. Ne vous compliquez pas la tâche ; utilisez une fois ces ins-
truments pour le plaisir de les découvrir ; concentrez vos efforts sur l’usage
des codes « papier ».
Désormais, la plupart des revues juridiques proposent également des
cédéroms regroupant plusieurs années de parution (ex. Recueil Dalloz, Revue
trimestrielle droit civil, etc.). La remarque faite ci-dessus pour les codes s’im-
pose également ici : vous devez consacrer votre temps de travail essentiel-
lement au support papier. Plus tard, vous découvrirez que l’information
disponible est la même que celle figurant dans la revue papier, et que les
arguments de commodité et de rapidité d’accès à l’information recherchée
jouent en faveur du cédérom.
D’autres cédéroms thématiques proposent une combinaison intéressante
de plusieurs catégories d’informations (textes, jurisprudence, commentaires,
formules d’actes…). Ils sont destinés à des professionnels du droit, et notam-
ment du droit des affaires. Ces supports pourront un jour (qui n’est peut-être
pas lointain) vous être utiles puisque vous pourrez trouver ainsi, sur une
question donnée, l’ensemble des éléments formant l’état du droit (à titre
d’exemple, V. Navis Droit des affaires, Navis Fiscal aux éditions Francis
Lefebvre ; CD-Rom permanent Droit des affaires aux éditions Législatives).
Cette catégorie de cédérom est pour un jeune étudiant difficile d’accès car
son contenu est établi pour un utilisateur déjà familier de la matière. Vous
en mesurerez plus tard l’intérêt lorsque vous devrez effectuer une recherche
un peu approfondie.

B. Les sites juridiques sur Internet


Les sites accessibles par le réseau Internet et consacrés en tout ou partie à
des informations de nature juridique sont à la fois très nombreux (et en
réalité innombrables si on y ajoute les sites sur les droits nationaux étran-
gers) et extrêmement diversifiés.
Pour en tirer un réel profit, vous devrez vous astreindre à une expérimen-
tation personnelle, grande consommatrice d’heures : autant dire que nous
ne sommes guère convaincus de l’intérêt d’une telle expérimentation pour
un jeune juriste. Votre temps de travail sera souvent bien mieux employé à
étudier sérieusement la matière dans un bon manuel. Mais, comme pour les
Recherche documentaire
75

cédéroms il est judicieux de commencer un tout petit peu à s’initier à cette


source documentaire. Il est probable qu’elle sera un bon instrument de tra-
vail lors de votre future activité professionnelle.
Il serait déraisonnable de prétendre donner autre chose que quelques très
grandes orientations de repérage.
Certains sites sont mis en place par des autorités publiques et présentent
donc l’avantage de permettre un accès gratuit aux informations qu’ils
contiennent. Dans cette catégorie le site www.legifrance.gouv.fr peut servir
de référence, et peut être particulièrement recommandé aux étudiants,
puisqu’il permet d’accéder à un très grand nombre de textes, codifiés ou
non. La consultation de ce site permet donc de vérifier rapidement, et dans
son dernier état, un article de code ou de loi dans un domaine pour lequel
on ne dispose pas d’une version papier. En outre, ce site permet d’accéder à
de la jurisprudence émanant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.
Il permet également de consulter le Journal officiel de la République française,
les bulletins officiels émanant des ministères et les décisions des autorités
administratives indépendantes. Ce site ouvre ensuite l’accès à des sites juri-
diques sélectionnés permettant d’obtenir des informations complémentai-
res fort intéressantes. Il en est ainsi pour les sites de l’Assemblée nationale
et du Sénat et surtout pour les sites diffusant de la documentation juridique
émanant de l’Union européenne. Compte tenu de l’importance prise par les
règles de source européenne, cette facilité d’accès est un réel avantage dans
la recherche documentaire, par comparaison avec une recherche classique
sur support papier. Dans une même perspective généraliste, on peut égale-
ment signaler le site www.jurifrance.com (payant) qui, outre des informa-
tions similaires à celles figurant sur le site Legifrance, permet l’accès à un
fond de décisions de justice tout à fait considérable, non seulement de la
Cour de cassation mais également des cours d’appel, ce qui constitue une
ressource documentaire de premier plan.
D’autres sites ont été créés par les éditeurs juridiques et proposent le
plus souvent d’accéder à certaines de leurs publications (existant déjà en
support papier et/ou cédéroms) et ajoutent des informations liées à l’actua-
lité législative ou jurisprudentielle (correspondent à ce type par exemple
www.juris-classeur.com). Leur consultation régulière permet à un profes-
sionnel du droit de suivre efficacement cette actualité et de repérer les nou-
veautés qui concernent son domaine de compétence.
Droit civil des obligations
76

On peut dans cette catégorie signaler par exemple le site www.omni-


droit.fr qui a été mis en place conjointement par Dalloz, les éditions Fran-
cis Lefebvre et les éditions Législatives.
Des sites spécifiques, dédiés principalement au droit des affaires, sont
également accessibles mais bien sûr supposent un paiement (par abonne-
ment ou à la consultation). Parmi un très grand nombre de sites, on peut par
exemple retenir www.droit21.com ou bien www.legalnews.fr. Une partie des
informations proposées est accessible gratuitement et les documents dans
leur version développée ainsi que les commentaires doctrinaux supposent
un paiement.
*
Ces supports informatiques (cédéroms ou sites) sont en pleine évolution.
Certains produits ou sites peuvent apparaître, disparaître ou changer de
propriétaire au gré des mouvements qui affectent ce secteur d’activité, aussi
sensible que l’ensemble du domaine de l’édition. L’étudiant ne pourra pas,
en toute hypothèse, invoquer l’impossibilité d’accéder à l’information juri-
dique pour tenter de justifier une faiblesse dans un travail qui lui serait
demandé lors de son cursus universitaire.
Pour conclure, nous dirons qu’il est utile de vous initier à toutes ces for-
mes modernes de communication, mais que vous devez rester très circons-
pect dans leur usage.
1. Conditions de formation
du contrat

Thème principal Échange des consentements


Mots clés chaîne de contrats, responsabilité contractuelle

sujet donné et établi par :


Jean-Claude Montanier
professeur

T Université Pierre-Mendès-France (Grenoble II)


JE Premier semestre 2005-2006
U
S

Étude de cas :
La foire « Brocante et jambons » (authentique !) s’est tenue à Grenoble le
dimanche 24 novembre 2005. Mme Laberthe ne manque jamais cette manifesta-
tion. Dès 8 heures du matin, elle circule au milieu des stands cherchant la
« bonne affaire » qui semble se présenter au stand tenu par M. Nicolas, sous la
forme d’un projecteur de cinéma au format rare 9,5 mm.
Les problèmes suivants vont vous être soumis :
I. M. Nicolas vend le projecteur au prix de 200 euros.
Mme Laberthe déclare acheter l’appareil mais elle n’a que 100 euros en liquide
qu’elle verse de la main à la main (M. Nicolas ne veut que du « liquide ») et elle
Droit civil des obligations
78

doit aller jusqu’à un distributeur automatique à quelque 500 mètres de là… où il


y a la queue.
Pendant ce temps, M. Nicolas vend le projecteur à M. Lavigne… qui a
200 euros en poche et qui part avec l’appareil.
Lorsque Mme Laberthe revient, le ton monte rapidement ; elle menace
M. Nicolas d’un procès…
… et vous consulte sur ses possibilités d’action.

II. Cette question est totalement indépendante de la précédente. Considé-


rons que le projecteur a été régulièrement vendu à Mme Laberthe qui l’a offert à
son époux, qui possède de nombreux films au format 9,5 mm.
M. Nicolas a acheté le projecteur à un certain M. Luc. Celui-ci, avant de ven-
dre le projecteur, l’a fait réviser par le « Labo dauphinois ». Le travail a été mani-
festement mal effectué, puisque, dès la première mise en marche, l’appareil tombe
à nouveau en panne…
M. et Mme Laberthe aimeraient savoir quelles actions s’offrent à eux.

Corrigé
d’un contrat de vente dont l’article 1583
C e cas pratique en droit du contrat,
s’il est fort simple et classique, a
pour lui de mettre en évidence des ques-
du Code civil nous apprend qu’il est par-
fait dès lors qu’un accord sur la chose et
tions fondamentales sur lesquelles les sur le prix est intervenu, encore que le
étudiants buttent souvent (questions que prix n’ait pas été payé ni la chose livrée.
l’on peut considérer comme devant être
Ici, les étudiants doivent éviter cette faute
nécessairement acquises en licence 2 ou
classique consistant à dire que, puisque rien
quelle que soit l’année où le contrat est
étudié). n’a été signé, aucun contrat n’a été conclu.
Le principe, en droit français, est celui du
consensualisme : le simple échange des
.I volontés, sauf exceptions, suffit. Ce prin-
cipe s’applique en matière de vente, contrat
Il y a eu, entre Mme Laberthe et M. Nico- qui présente, en outre, la particularité
las, un accord de volontés de nature remarquable d’opérer, par lui-même (c’est
contractuelle ; plus précisément, il s’agit un effet de la vente et non pas une obligation
Annales
79

qui pèserait sur le vendeur), transfert de pro- Ici, les étudiants doivent prendre garde de
priété ; c’est le principe du transfert solo ne pas confondre les conditions de validité
consensu de la propriété qui s’applique lors- du contrat (toutes réunies en l’espèce) et les
que la chose achetée est parfaitement identi- conditions d’efficacité ou d’opposabilité aux-
fiée : corps certain ou chose de genre d’ores quelles appartiennent les règles de preuve :
et déjà individualisée. ce n’est pas parce qu’un contrat ne peut pas
Appliquées à notre cas pratique, ces être prouvé, le cas échéant, que sa validité
règles conduisent à dire : est remise en cause.
– qu’un contrat a été conclu entre Aux termes de l’article 1341 du Code
me
M Laberthe et M. Nicolas ; civil, la preuve de « toutes choses excé-
dant » 1 500 euros (la somme résulte du
– qu’il s’agit d’un contrat de vente
décret du 20 août 2004) doit être rappor-
(Mme Laberthe a d’ores et déjà com- tée par écrit.
mencé à exécuter son obligation de
payer le prix, prévue à l’article 1650 du Cette somme étant loin d’être atteinte
Code civil) ; dans le cas soumis, Mme Laberthe peut
rapporter la preuve du contrat et du paie-
– que le transfert de propriété a eu lieu ment, notamment par témoignage ou
immédiatement au profit de Mme Laber- autre moyen de preuve.
the, rien ne permettant de penser qu’un
retard de ce transfert ait été stipulé. Dès lors deux hypothèses se présen-
tent :
Il est vrai que, le temps d’aller cher-
cher de l’argent liquide au distributeur le – ou bien ces preuves ne sont pas rap-
plus proche, Mme Laberthe a laissé l’appa- portées et Mme Laberthe est alors sans
reil acheté entre les mains de M. Nico- moyen à l’encontre de M. Nicolas ;
las ; cette circonstance ne change rien – ou bien ces preuves sont rapportées
aux réponses données ci-dessus (des étu- (imaginons que des témoins puissent être
diants ont pourtant estimé que cela trouvés). Dans ce cas, il convient de dis-
retardait ipso facto le transfert de pro- tinguer les questions liées au contrat du
priété, voire la conclusion même du paiement de l’acompte de 100 euros (il
contrat !). La nature de cet « accord » s’agit bien d’un acompte, d’une partie du
aurait mérité qualification, en licence 3 prix, puisque, ainsi qu’il a été dit, le
ou en maîtrise 1 (ceci n’étant pas au pro- contrat de vente a été valablement
gramme de licence 2) : s’agit-il d’un gage conclu).
(le propriétaire, Mme Laberthe, se Par effet de la vente, Mme Laberthe est
« dépossédant » de son bien, le temps devenue immédiatement propriétaire du
d’avoir l’argent nécessaire au paiement) ? projecteur ; la vente entre M. Nicolas et
Mme Laberthe est donc devenue M. Lavigne est donc une vente de chose
immédiatement propriétaire du projec- d’autrui.
teur dont une partie du prix a été Aux termes de l’article 1599 du Code
payée… sans aucune espèce de preuve, civil, une telle vente est nulle mais, selon
écrite du moins. la jurisprudence, la nullité est une nullité
Droit civil des obligations
80

relative que seul l’acheteur peut invo- en revendication de propriété pendant


quer (v. par ex. note 3 sous art. 1599, in trente ans, sous réserve qu’elle prouve sa
Code civil Dalloz). Bien évidemment, si propriété sur le projecteur.
M. Lavigne devait invoquer cette nul- Mais, si nous restons sur le terrain du
lité, les choses s’arrêteraient là :
contrat de vente entre M. Nicolas et
Mme Laberthe obtiendrait le projecteur
M. Lavigne, la mauvaise foi de celui-ci
et M. Lavigne, à condition qu’il ait été de
(dont nous tenons pour acquis qu’il n’in-
bonne foi au moment du contrat (il igno-
voque pas la nullité de l’article 1599 vue
rait l’existence du contrat entre
M. Nicolas et Mme Laberthe), pourrait plus haut), contrairement à ce qui était
agir contre M. Nicolas en garantie décidé jadis, n’entraîne pas la nullité de
contre l’éviction (art. 1626, C. civ.). Ces ce contrat.
questions n’étant pas au programme, L’acquéreur de mauvaise foi verra
nous n’insisterons pas. cependant sa responsabilité délictuelle
Si M. Lavigne souhaite garder le pro- retenue (art. 1382, C. civ.) et devra ver-
jecteur, Mme Laberthe ne peut rien ser des dommages-intérêts (sans aucun
contre lui (nous excluons l’hypothèse doute peu élevés) à Mme Laberthe.
d’une ratification de la vente par cette M. Nicolas, vendeur de la chose d’au-
dernière). trui, verra sa responsabilité contractuelle
Certes, une action en revendication retenue au profit du propriétaire du pro-
de propriété est théoriquement ouverte à jecteur, Mme Laberthe.
Mme Laberthe mais M. Lavigne pourrait Quant à la restitution de l’acompte,
alors invoquer la disposition de l’arti- elle devrait se faire sans difficulté.
cle 2279, alinéa 1er, du Code civil, per-
mettant à la personne qui est entrée en À noter ici que les étudiants, au cours du
possession d’un meuble de bonne foi d’en premier semestre de licence 2, ont certes
acquérir la propriété, si elle le souhaite. entendu parler de la responsabilité civile,
sont capables de dire, dans le cas soumis, si
Les conditions sont ici réunies :
la responsabilité est contractuelle ou délic-
– la dépossession volontaire du vrai tuelle, sans plus de précision.
propriétaire que nous trouvons dans l’at-
titude de Mme Laberthe qui doit laisser le
meuble acquis entre les mains du ven- . II
deur ;
– une aliénation a non domino ; La question abordée ici est fort célèbre
– la bonne foi (présumée) de l’acqué- et elle mérite cette célébrité car elle est
reur. sans doute l’une des plus passionnantes
L’éventuelle mauvaise foi de M. Lavi- et des plus importantes que la jurispru-
gne aurait pour effet d’empêcher le jeu dence ait eues à connaître au cours du
de l’article 2279, alinéa 1er, et permet- XXe siècle ; c’est la question des groupes
trait à Mme Laberthe d’exercer une action ou des chaînes de contrats.
Annales
81

Le schéma qui se présente ici est le L’assemblée plénière de la Cour de cas-


schéma entreprise-vente-vente-dona- sation prit position par deux arrêts en
tion. date du 7 février 1986 : « Le maître de
Le contrat d’entreprise a été conclu l’ouvrage comme le sous-acquéreur jouit
entre M. Luc et le « Labo dauphinois ». de tous les droits et actions attachés à la
La première vente s’est conclue entre chose qui appartenait à son auteur. » Le
M. Luc et M. Nicolas ; la seconde entre créancier dispose d’une action contrac-
M. Nicolas et Mme Laberthe. Enfin la tuelle directe contre le fabricant, action
donation a été faite par Mme Laberthe à fondée sur la non-conformité de la chose
livrée.
son époux.
Ainsi, l’acquéreur qui a reçu une chose
La question qui se pose en l’occur-
présentant un vice, le maître de l’ou-
rence est celle de la transmission des
vrage a qui a été fourni un produit défec-
actions en garantie attachées à la chose
tueux, s’il peut toujours agir contre son
vendue ou donnée.
cocontractant, le vendeur ou l’entrepre-
Il ne s’agit pas, dans un cas pratique, de neur, va pouvoir agir directement contre
refaire l’historique de la question mais il le fabricant ou le vendeur d’origine, son
n’est pas inutile, non plus, de retracer les action étant de nature nécessairement
grandes étapes de l’évolution. contractuelle.
En 1979, la première chambre civile La première chambre civile a, par la
de la Cour de cassation, dans les « chaî- suite, entendu « contractualiser » les rap-
nes homogènes » de contrats, consti- ports dans tous les groupes de contrats.
tuées par des contrats de même nature Notamment, l’action d’un maître d’ou-
— des ventes successives, par exem- vrage contre un sous-traitant a été égale-
ple —, décida que l’action du sous- ment dite « nécessairement » contrac-
acquéreur contre le fabricant ou le ven- tuelle.
deur d’origine (débiteur de la garantie) L’assemblée plénière a stoppé l’évolu-
était une action « nécessairement » tion par un arrêt du 12 juillet 1991 (le
contractuelle. Cette solution fut ensuite fameux arrêt Besse). Il s’agissait d’une
étendue aux chaînes non homogènes, affaire opposant un maître d’ouvrage à
constituées par une vente suivie d’un un sous-traitant. « … Le sous-traitant
contrat d’entreprise ou inversement. (n’étant) pas contractuellement lié au
La troisième chambre civile rejetait maître de l’ouvrage… », la Haute Juri-
cette solution car le sous-acquéreur était, diction décida que l’action était de
à ses yeux, un tiers par rapport au contrat nature délictuelle (arrêt rendu au visa de
d’origine ; sa lecture stricte de l’arti- l’article 1165 du Code civil).
cle 1165, au moins dans les chaînes non La lecture des arrêts qui se sont ainsi
homogènes, conduisait à décider que succédé semble faire apparaître les critè-
l’action du sous-acquéreur contre le ven- res suivants, s’agissant de la transmission
deur d’origine ou le fabricant était de ou de la non-transmission des actions en
nature délictuelle. garantie :
Droit civil des obligations
82

– ou bien la propriété d’une chose a La seconde affaire est particulièrement


été transmise au long de la chaîne de intéressante : le propriétaire d’un
contrats et les droits et actions de nature manège avait fait effectuer un contrôle
contractuelle attachés à cette chose se technique avant de vendre la chose. Ce
trouvent également transmis, en tant contrôle ayant été manifestement mal
qu’accessoires. effectué par le technicien, l’acquéreur
insatisfait exerça une action contre ce
Dans ce cas, l’action des époux Laber-
dernier. La Cour de cassation décida que
the (en réalité M. Laberthe, nous préci-
les droits et actions attachés (la garantie
serons ce point plus loin) contre le
due par l’entrepreneur) à la chose étaient
« Labo dauphinois », dont nous considé-
transmis en même temps que celle-ci et
rons bien entendu qu’il a fourni ne serait-
que l’acquéreur exerçait dès lors, contre
ce qu’une pièce, est une action nécessai-
le technicien, une action de nature
rement contractuelle en garantie contre
contractuelle, bien qu’apparemment
les vices cachés ou en responsabilité aucune « chose », aucune pièce n’ait été
contractuelle classique (à ce stade de leurs fournie.
études les étudiants de licence 2 ne pou-
Ces arrêts nous semblent très nova-
vaient pas être plus précis).
teurs : il en résulte, selon nous, que « la
Les demandeurs pourraient choisir chose » au centre de toute cette jurispru-
d’actionner leur cocontractant, M. Nico- dence, à laquelle des droits et actions de
las, et lui seul, en tant que débiteur de la nature contractuelle sont attachés, est la
garantie, lequel devrait ensuite exercer chose principale vendue (le projecteur
un recours contre le débiteur originel. Ils dans le cas qui nous retient).
pourraient aussi agir contre les différents
Autrement dit, que le réparateur ait
débiteurs en même temps ; fourni une pièce ou non lors de son inter-
– ou bien c’est seulement une presta- vention, il doit au maître de l’ouvrage (le
tion qui a été fournie par le « Labo dau- contrat est un contrat d’entreprise)
phinois ». Dans cette hypothèse, l’action garantie de son intervention.
des époux Laberthe contre cet entrepre- Appliquée à notre cas pratique, cette
neur sera non contractuelle (très certai- solution parfaitement convaincante (si
nement, une action en responsabilité l’un d’entre nous fait réviser son automo-
pour faute, fondée sur l’article 1382 du bile avant de la vendre, il est certain que
Code civil). la garantie due par le garagiste est trans-
À vrai dire, certains arrêts rendus plus mise à l’acquéreur) conduit aux répon-
récemment par la Cour de cassation ses suivantes.
conduisent à une autre interprétation L’action des époux Laberthe contre
(Cass. 1re civ., 26 mai 1999, Contrats, l’entrepreneur est une action en garantie
conc., consom. 1999, n° 153, note Leve- contractuelle; ceux-ci pourraient, comme
neur ; 21 janv. 2003, D. 2003. 2993, note précédemment, préférer agir contre
Bazin-Beust). M. Nicolas seulement, ou contre les diffé-
Annales
83

rentes personnes intervenues dans la lité du fait de produits défectueux fournit


chaîne contractuelle. une réponse (NB : contrairement à ce
Une précision s’impose pour termi- qu’ont pu penser certains étudiants, il n’était
ner : l’appareil acquis par Mme Laberthe a pas question, ici, d’aborder cette responsa-
été l’objet d’une donation au bénéfice de bilité ; le projecteur était certes défectueux
M. Laberthe. La chaîne de contrats est mais il ne mettait nullement en danger la
en l’occurrence : entreprise-vente- santé ou la sécurité des personnes). Une
vente-donation. Les étudiants (qui ne personne ayant été blessée par une car-
devaient pas être ignorants en la touche défectueuse qui lui avait été don-
matière) ont pu se demander si la dona- née a été reçue dans son action contrac-
tion finale faisait bien du donataire un tuelle contre le fabricant (Cass. 1re civ.,
« sous-acquéreur » au sens des arrêts ; 27 janv. 1993, D. 1994, somm. 238, obs.
sans aucun doute, oui. Certes, la stricte Tournafond, RTD civ. 1993, p. 592, obs.
question des groupes ou chaînes de Jourdain).
contrats ne semble pas avoir donné lieu C’est donc M. Laberthe qui est
à une décision intéressant un donataire demandeur aux actions qui ont été préci-
mais le domaine voisin de la responsabi- sées.
Conditions de formation du contrat

Thème principal Erreur sur les mobiles


Mots clés faute, erreur inexcusable, qualité substantielle,
obligation de conseil

sujet donné et établi par :


Patrick Chauvel
professeur

T Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I)


JE Premier semestre 2005-2006
U
S

Commentaire :
Commentez l’arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 4 juil-
let 1973 :

LA COUR : Sur le moyen unique : – Attendu qu’il résulte des énonciations de


l’arrêt attaqué (Paris, 17 févr. 1972), que la société « Karim », qui exploite une
entreprise de confection de vêtements féminins, a commandé, en juillet 1969, à
la société « Ten Cate France », pour fabriquer des pantalons, un tissu d’ameuble-
ment en velours, qui s’est révélé impropre à cet usage ; que la société Karim a été
condamnée au paiement du prix qu’elle se refusait de payer et déboutée de sa
demande reconventionnelle en nullité de la convention pour erreur sur la subs-
Droit civil des obligations
86

tance de la chose ; – Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’en avoir ainsi
décidé, alors, selon le pourvoi, que l’erreur sur la substance doit s’entendre non
seulement de l’erreur sur la substance proprement dite, mais aussi de celle portant
sur des qualités substantielles de la chose que les parties contractantes ont eu
spécialement en vue, qu’en l’espèce, ainsi que le soulignaient les conclusions
d’appel de la société « Karim », restées sans réponse, l’erreur alléguée ne consis-
tait pas dans le fait que le tissu ne devait pas être apprécié in abstracto, en rete-
nant que le tissu était conçu pour l’ameublement, mais in concreto, en considérant
qu’il devait servir à la confection de pantalons, ce que savait parfaitement le
vendeur et que ce tissu devait en conséquence présenter les qualités de solidité
requises pour cet usage ; – Mais attendu que l’arrêt confirmatif retient que la mar-
chandise livrée par la société « Ten Cate France » a été vendue comme tissu
d’ameublement et non comme tissu d’habillement à la société « Karim » ; que
cette société, professionnelle de la confection et prévenue, de surcroît, de la des-
tination normale du tissu commandé, a, en connaissance de cause, utilisé cette
marchandise, à ses risques et périls, pour fabriquer des pantalons ; que la cour
d’appel, qui a répondu aux conclusions d’appel de la société « Karim » prétendu-
ment délaissées, a souverainement fait ressortir que cette société n’a été victime
d’aucune erreur ; d’où il suit que le moyen est dépourvu de fondement ;
PAR CES MOTIFS, REJETTE.
Du 4 juill. 1973. – Ch. com. – MM. Monguilan, pr. – Balmary, rap. – Robin,
av. gén. – Nicolas et Choucroy. av.

Durée : 3 heures.
L’usage du Code civil est autorisé.

Corrigé
C’est ce dont témoigne le présent arrêt
L ’erreur, disait Pothier, est « le plus
grand vice des conventions ». On
sent bien intuitivement, cependant, que
soumis à notre commentaire.

le droit ne saurait tenir compte de toute Quels étaient les faits ?


erreur, ce serait, on l’imagine, compro-
mettre gravement la stabilité des La société Karim, qui exploitait une
conventions. En ce sens, certaines entreprise de confection de vêtements
erreurs doivent demeurer indifférentes. féminins, avait commandé, en juil-
Annales
87

let 1969, à la société Ten Cate France, risques et périls, pour fabriquer des pan-
pour fabriquer des pantalons, un tissu talons et que, en réalité, ainsi que l’avait
d’ameublement en velours. Celui-ci souverainement fait ressortir la cour
s’était révélé impropre à l’usage envisagé. d’appel, la société Karim n’avait été vic-
La société Karim avait été condamnée time d’aucune erreur.
au paiement du prix qu’elle se refusait de Aucune erreur ? Sans doute est-ce, si
payer et déboutée de sa demande en nul- l’on peut se permettre, « aller un peu vite
lité de la convention pour erreur sur la en besogne », car enfin si, à l’origine, la
substance de la chose. Devant la Cour de société Karim a acheté du tissu, c’est, on
cassation, dans son pourvoi, la société l’imagine bien, en vue de l’utiliser. Si ce
Karim prétendait (ce qui est d’ailleurs tissu se révèle impropre à l’usage par elle
incontestable) que l’erreur sur la subs- envisagé, qu’il ne lui est donc d’aucune
tance doit s’entendre, non seulement de utilité (de fait, elle refusera d’en payer le
l’erreur sur la substance proprement dite, prix), on ne peut guère qu’en conclure
mais également de celle portant sur des qu’en s’engageant, elle s’est trompée sur
qualités substantielles de la chose que les quelque chose. Sinon, son acquisition
parties ont eues spécialement en vue. n’a aucun sens. Ainsi et contrairement à
Ainsi, selon elle, l’erreur qu’elle préten- ce que retient l’arrêt, il y a bien eu
dait avoir commise ne devait pas être « erreur », mais cette erreur devait
appréciée in abstracto, en retenant que le demeurer indifférente, portant, non sur
tissu était conçu pour l’ameublement, la substance de la chose, mais sur les rai-
mais in concreto, en considérant qu’il sons personnelles qui avaient déterminé
devait servir à la confection de panta- la société acheteuse (I).
lons, ce que savait le vendeur, et que ce D’un autre côté, poussant plus loin le
tissu devait en conséquence présenter les raisonnement, nous nous demanderons
qualités de solidité requises pour cet si cette erreur n’était pas le résultat d’une
usage. faute (II).
Le reproche adressé à la cour d’appel
ne convaincra pas la Cour de cassation
qui rejettera le pourvoi. I. Erreur substantielle
Pour notre Haute Juridiction, qui et mobile
reprend à son compte l’opinion des juges
du second degré, la marchandise livrée Afin de tenter de faire annuler le contrat
par la société Ten Cate France avait été qui la liait à son fournisseur, la société
vendue comme tissu d’ameublement et Karim prétendait qu’elle avait été vic-
non comme tissu d’habillement à la time d’une erreur substantielle. L’apti-
société Karim. Elle en déduit que cette tude à la fabrication de pantalons aurait
dernière, professionnelle de la confec- ainsi été une qualité substantielle du
tion, prévenue de la destination normale tissu d’ameublement qu’elle avait
du tissu acheté, avait, en connaissance acheté, dans la mesure où son vendeur
de cause, utilisé cette marchandise à ses était prévenu de cette destination (A).
Droit civil des obligations
88

En réalité l’erreur qu’elle avait commise ou se référera-t-on à l’idée qu’en avait


lui était personnelle et portait sur ses pro- l’errans (appréciation in concreto) ?
pres mobiles (B). Le choix entre ces deux modes d’ap-
préciation entraîne d’importantes consé-
A. Qualité substantielle quences. C’est très précisément ce
qu’avançait le pourvoi formé par la
Pour qu’une convention soit valable- société Karim, reprochant à la cour d’ap-
ment formée, le consentement doit être pel de s’être référée à un tissu conçu pour
intègre, c’est-à-dire éclairé et libre. l’ameublement (ne devant, in abstracto,
présenter d’autres qualités que celles
Le Code civil, dans le premier alinéa
autorisant cet usage) et non à un tissu
de l’article 1110, précise que l’erreur
destiné à la confection de pantalons et
n’est une cause de nullité que lorsqu’elle
devant en conséquence présenter les
porte sur « la substance même de la
qualités de solidité requises pour cette
chose » qui est l’objet de la convention. utilisation.
Du mot « substance », il y eut, on le sait,
successivement deux interprétations. D’une manière générale, la doctrine et
la jurisprudence (le présent arrêt en
On a pensé tout d’abord, au début du témoigne) retiennent plutôt l’apprécia-
XIXe siècle, que la substance devait s’iden-
tion in abstracto… à condition, naturel-
tifier à la matière dont la chose est com- lement que l’errans rapporte la preuve
posée. L’exemple venait de Pothier : on que sa volonté a véritablement été
achète des chandeliers de bronze argenté viciée, ce que l’on appelle parfois la
alors qu’on les croyait en argent. Cette « causalité du vice », laquelle est appré-
conception objective, beaucoup trop ciée, au contraire, évidemment, in
étroite, fut très vite abandonnée comme concreto.
telle.
Parmi les exemples les plus usuels, on
La doctrine se tourna alors vers la considère ainsi qu’est une qualité subs-
conception que l’on dit « subjective » (et tantielle l’authenticité d’un tableau ou
qui, d’ailleurs, figure déjà également chez l’ancienneté d’une antiquité. Mais l’idée
Pothier). Pour définir la substance, il faut de substantialité a vocation à s’appliquer
rechercher quelles sont les qualités que à chaque chose. En ce sens, la qualité
l’on a eues principalement en vue en substantielle est celle que l’on recherche
contractant. Ces qualités sont dites, habituellement. Elle n’est, disait-on
alors, « substantielles ». Par ailleurs, autrefois, « susceptible ni de plus ni de
cependant, on sait que cette idée est sus- moins ».
ceptible de deux variations selon le Il tombe, dès lors, sous le sens, dans la
mode d’interprétation retenu. présente affaire, que l’aptitude à la
Dira-t-on qu’une qualité est substan- confection de pantalons ne peut être la
tielle lorsqu’un individu moyen, un qualité substantielle d’un tissu d’ameu-
« bon père de famille », l’eut considérée blement, vendu comme tel. L’acheteur,
comme telle (appréciation in abstracto) pourtant, s’était manifestement trompé.
Annales
89

Son erreur portait, en réalité, sur les contrat est un principe qui n’est guère
mobiles. contestable. Pothier, déjà, en donnait
pour exemple l’erreur commise par celui
qui achète des chevaux parce qu’il croit
B. Mobiles que les siens sont morts. Bien entendu, il
ne peut prétendre faire annuler son
Parmi les raisons qui déterminent un
acquisition par le tribunal s’il s’avère que
contractant à s’engager figure, évidem-
la nouvelle qu’il avait eue de la mort de
ment, la considération des qualités
ses chevaux était fausse.
— plus généralement, des attributs — de
la chose ou de la prestation que, dans le La raison que l’on peut en donner est
cas général, il entend recevoir en contre- simple. L’erreur doit porter sur l’objet,
partie de sa propre obligation. Parmi ces plus précisément sur ses qualités substan-
qualités, on l’a dit, certaines sont si tielles. Or, il est évident que les mobiles
importantes et si « naturelles » (chacun de l’errans, même déterminants pour lui,
s’attend, par exemple, à les trouver dans sont extérieurs à cet objet. Ainsi fut-il
l’objet acheté) qu’on les dit, justement, jugé par la chambre civile de la Cour de
« substantielles ». Ce sont ces qualités cassation, le 3 août 1942 : « Les motifs
qui, bien souvent, autoriseront seules vrais ou erronés qui peuvent inciter une
l’aptitude de la chose à l’usage prévu. partie à conclure une opération à titre
onéreux avec une autre personne
Cependant, la décision de contracter
exempte de dol sont sans influence sur
peut être dictée par des raisons diverses,
la validité de l’opération, à moins que les
personnelles à l’errans, sans rapport
parties aient été d’accord pour en faire
nécessaire avec l’objet lui-même et dont,
une condition de leur traité. »
surtout, le cocontractant n’aura pas for-
cément connaissance. Si cette raison se On cite parfois, dans cet esprit, l’hy-
révèle erronée, doit-on autoriser alors pothèse des acheteurs de tableaux de
celui qui s’est mépris à demander la nul- maîtres, parfaitement authentiques, qui
lité de son engagement ? Bien évidem- prétendaient s’être trompés, l’un sur
ment, non. C’est le principe, solidement l’identité du personnage représenté, l’au-
assis, de l’indifférence de l’erreur sur le tre sur la présence du tableau dans la
mobile (1). La solution demeure la chambre de l’artiste.
même lorsque, comme on l’espère, le La jurisprudence contemporaine a eu
cocontractant a eu connaissance de ce plusieurs fois l’occasion de rappeler ce
mobile (2). principe, notamment dans des hypothè-
ses où le demandeur en nullité n’avait pu
1. Indifférence de l’erreur atteindre le but de « défiscalisation »
sur le mobile qu’il se proposait par son acquisition. La
réponse de la Cour de cassation est très
Que l’erreur portant sur les mobiles (ou franche : « L’erreur sur un motif du
les motifs) de l’errans doive demeurer contrat, extérieur à l’objet de celui-ci,
sans conséquence sur la validité du n’est pas une cause de nullité de la
Droit civil des obligations
90

convention, quand bien même ce motif les qualités substantielles de la chose ne


aurait été déterminant » (Cass. 1re civ., sont nullement en cause.
13 févr. 2001 ; voir également Cass.
3e civ., 24 avr. 2003, arrêts qui, comme 2. Connaissance
celui du 3 août 1942, précité, figurent du cocontractant
dans les notes de notre Code civil Dalloz,
sous l’article 1110). L’une des raisons que l’on avance, pour
justifier l’indifférence de l’erreur sur le
À la vérité, les choses seront souvent
mobile est que, généralement, le cocon-
moins simples que dans l’exemple donné
tractant n’aura pas eu connaissance de
par Pothier, que nous avons rappelé en
ce pour quoi le demandeur en nullité
commençant. La question de savoir si les
s’était engagé. Par hypothèse, il s’agira
chevaux de l’acheteur sont morts ou
soit de motifs tout à fait personnels, tota-
vivants est absolument étrangère aux
lement étrangers à l’objet — ainsi, la
qualités des chevaux achetés. Au
croyance erronée que mes chevaux sont
contraire, dans nombre des hypothèses
morts — soit de qualités ou d’attributs de
que nous rencontrons, le demandeur
la chose, spéciaux, qu’il n’est pas dans
poursuivait une fin particulière, person-
l’usage de rechercher. On dit, alors, qu’il
nelle, qu’il n’a pu atteindre en raison de serait injuste de priver le cocontractant
la défaillance de ce qu’il faut bien appe- du bénéfice du contrat pour une cause
ler une « qualité » ou un « attribut » qui était pour lui parfaitement imprévisi-
secondaire, spécial, de la chose. Ce peut ble : la nullité ne se justifie pas (contrai-
être le régime fiscal de faveur auquel sera rement, bien sûr, au cas où, s’agissant
soumise la chose : ainsi le bénéfice de la d’une qualité substantielle, celle-ci est
« loi Malraux », réservé à certaines normalement recherchée par un
acquisitions immobilières. Ce peut être, contractant moyen : son attente est donc
plus simplement, et c’était le cas de l’es- prévisible).
pèce, une qualité intrinsèque, mais
Il arrivera pourtant que le demandeur
secondaire de la chose : il s’agissait ici de
en nullité ait fait part de ses préoccupa-
la solidité particulière du tissu, autorisant
tions à son cocontractant. C’était le cas
la confection de pantalons.
de l’espèce commentée : l’acheteur avait
Cependant le problème n’est pas fon- bien indiqué à son vendeur (la société
damentalement changé car le but que se Ten Cate France) qu’il recherchait du
propose l’acheteur lui est personnel, tissu pour fabriquer des pantalons. Cette
étranger à la destination normale de la connaissance du mobile déterminant
chose. Dans l’opinion commune, un doit-elle modifier la solution de prin-
immeuble est destiné à être habité, loué cipe ? En d’autres termes, le fait que ce
ou, éventuellement, revendu ; un tissu mobile (l’aptitude à un usage spécial) ait
d’ameublement doit pouvoir servir à pénétré dans le « cercle contractuel »,
couvrir des fauteuils et des canapés, non peut-il permettre de prononcer la nullité
à fabriquer des pantalons. C’est dire que pour erreur ? À lire la décision, cette
Annales
91

connaissance est indifférente. Un tissu II. Erreur et faute


vendu comme « tissu d’ameublement »
n’a pas à présenter la solidité nécessaire à Dans la présente affaire, la cour d’appel
la confection de pantalons ! Peu importe puis, après elle, la Cour de cassation
que le vendeur ait connu l’utilisation avaient nié que la société Karim eut été
anormale que comptait en faire l’ache- victime d’une erreur. En réalité, nous
teur. Il y a toujours, dans ces cas de avons vu que ladite société s’était bien
détournement de l’usage normal, habi- méprise sur un point : l’aptitude du tissu
tuel, d’une chose, une part d’aléa que le d’ameublement acheté à la confection
vendeur n’a pas à supporter. Dans des de pantalons, mobile qui l’avait détermi-
motifs, qui seront repris par la Cour de née. La nullité a été, fort justement, refu-
cassation, les juges du second degré sée. Dans cette deuxième partie, nous
avaient bien retenu que la société Karim voudrions prolonger nos analyses dans
une direction différente. Il s’agit du com-
avait, en connaissance de cause, utilisé
portement des parties et, plus précisé-
le tissu d’ameublement « à ses risques et
ment, des fautes éventuellement commi-
périls » pour fabriquer des pantalons.
ses. Sans doute nous éloignons-nous de
Le fait que le cocontractant ait connu l’article 1110 du Code civil, mais la
le mobile de celui qui prétend s’être démarche, que l’on peut trouver surpre-
trompé est ainsi sans conséquence. La nante au regard du texte lui-même, ne
solution est constante. Dans les décisions nous paraît pas inutile.
précitées relatives aux acquisitions Naturellement, c’est vers l’errans que
immobilières effectuées dans un but de nous devons nous tourner tout d’abord.
défiscalisation, le vendeur connaissait, Sa déception n’est-elle pas, au fond, la
évidemment, le but poursuivi par son simple conséquence de sa faute et ne
acheteur. Mais il n’avait rien promis. peut-on pas dire que son erreur était
« inexcusable » (A) ? D’un autre côté,
La promesse, l’engagement auprès du
n’aurait-on pu reprocher au vendeur un
cocontractant renverse, naturellement, manquement à son obligation de rensei-
les termes du problème. Alors, la qualité gnement et de conseil (B) ?
particulière, l’aptitude à un usage spécial
intègrent véritablement le cercle
contractuel, devenant pour les parties, A. Erreur inexcusable
selon la formule de l’arrêt de 1942, « une
Quoique le texte de l’article 1110 du
condition de leur traité ». Sans doute
Code civil ne fasse aucune allusion à
pourrait-on voir là une « qualité conve- cette idée, il est communément admis
nue » et admettre alors, en cas de défail- aujourd’hui, tant en doctrine qu’en juris-
lance, la possibilité d’une annulation prudence, que l’erreur cesse d’être une
pour erreur, mais il vaudrait mieux, cause de nullité lorsqu’elle est inexcusa-
pensons-nous, raisonner, simplement, en ble. Il s’agit de ce que l’on a appelé, par-
termes de résolution pour inexécution. fois, une « donnée morale » de l’erreur :
Droit civil des obligations
92

l’errans doit mériter la protection de la La sévérité de la jurisprudence à


loi. Par ailleurs, on avance que celui qui l’égard de celui qui invoque une erreur
s’est trompé à la suite d’une faute gros- grossière, qu’il lui était facile d’éviter, se
sière de sa part ne doit pas pouvoir, par le manifeste particulièrement à l’égard des
jeu de l’annulation, priver son cocon- « professionnels ». Dans la présente
tractant du bénéfice que ce dernier affaire, la société Karim appartenait évi-
attendait de l’exécution du contrat. demment à cette catégorie et tant les
Refuser la nullité, en ce cas, évite la nais- juges du second degré que la Cour de cas-
sance même de ce préjudice. sation n’avaient pas manqué de le rele-
Sans doute fait-on observer, parfois, ver. Un professionnel de la confection
que si l’erreur commise relève bien de doit savoir quel est le degré de solidité
l’article 1110 et se trouve « cause de nul- exigé d’un tissu qu’il destine à la fabrica-
lité », le cocontractant n’a aucun droit tion de pantalons. S’il y a un doute
acquis à l’exécution. Et l’on ajoute que, (ainsi, parce que, comme en l’espèce, il a
en bonne logique, le préjudice qui résul- acheté un tissu destiné à un autre usage)
terait pour lui de l’annulation se limite à une prudence élémentaire commande de
l’intérêt qu’il aurait eu à ne pas contrac- procéder à quelques essais !
ter : les frais engagés, devenus inutiles, le Aussi bien, il eût été parfaitement jus-
temps perdu, l’éventuelle perte de tifié d’avancer que, en la circonstance,
chance de conclure un contrat valable l’erreur commise par l’acheteur était
avec un tiers. C’est ce que l’on appelle inexcusable et qu’il ne pouvait donc
l’« intérêt négatif », bien différent de demander la nullité du contrat. Mais, on
l’intérêt positif qui résulte pour lui de l’imagine bien, la notion d’erreur inexcu-
l’exécution. Ainsi, la justification avan- sable n’a d’intérêt qu’en présence d’une
cée, principalement, à l’appui du refus de véritable « erreur substantielle ». Dès
la nullité en ce cas, se trouverait privée l’instant que l’erreur commise est, en
de fondement. elle-même, insusceptible d’entraîner la
Nous l’avons dit, cependant, la notion nullité du contrat, la notion d’erreur
d’« erreur inexcusable » appartient inexcusable n’a pas à être invoquée.
incontestablement au droit positif. Elle a C’est le cas, ici, de l’erreur sur le mobile ;
été consacrée par la Cour de cassation, ce pourrait être celui d’une erreur por-
notamment dans un arrêt de la chambre tant sur la simple valeur. La société
sociale du 3 juillet 1990 : est inexcusable Karim était manifestement fautive,
l’erreur d’un employeur qui engage un « inexcusable », mais les raisons de
directeur dont il était facile de savoir repousser sa demande étaient ailleurs. De
qu’il venait de déposer le bilan de la son côté, la société Ten Cate France
société qu’il dirigeait précédemment. Par était-elle à l’abri de tout reproche ?
ailleurs, cette notion a été retenue par
les projets contemporains de réforme du
droit des obligations, dont le projet
Lando.
Annales
93

B. Obligation tes techniques » de la chose vendue, de


son aptitude à atteindre le but recherché.
de renseignement En ce sens, l’obligation de conseil est
et de conseil souvent une « obligation de déconseil-
ler » ! Ne pourrait-on pas dire, dès lors,
Poser la question de savoir si le vendeur, que la société Ten Cate France avait été
la société Ten Cate France avait, dans trop elliptique sur l’inaptitude de son
cette affaire, commis elle-même une tissu à la confection ? Voire qu’elle avait
faute peut paraître relever du paradoxe. été « réticente » (ce qui éluderait, bien
Rien, dans la décision commentée ne sûr, la question de la substantialité de
permet de penser que les juges lui aient l’erreur et même de son caractère « excu-
adressé le moindre reproche. Tout en sable ») ?
sachant que l’acheteur le destinait à la
Malgré la « tendance » que nous avons
confection, elle avait vendu, comme tel,
évoquée, nous ne saurions aller trop loin
du tissu d’ameublement que ledit ache-
dans cette direction. Lorsque l’acheteur
teur avait utilisé « à ses risques et périls »
est lui-même un professionnel, le ven-
à un autre usage.
deur n’a d’obligation « que dans la
Notre arrêt, cependant, est relative- mesure où la compétence de cet ache-
ment ancien (1973) et l’on peut se teur ne lui donne pas les moyens d’ap-
demander si l’attitude des juges serait la précier la portée exacte des caractéristi-
même aujourd’hui. Nous savons, en ques techniques des biens qui lui sont
effet, que la jurisprudence contempo- livrés » (Cass. 1re civ., 3 juin 1998). Or,
raine a, dans un souci de protection de dans cette affaire, il faut bien admettre
l’acheteur, considérablement développé qu’un fabricant de pantalons doit
les obligations de « renseignement » et connaître la qualité du tissu qui lui est
de « conseil », à la charge, naturelle- nécessaire et qu’il se trouve, en tout cas,
ment, du vendeur. Ce dernier, dit-on mieux placé pour ce faire qu’un fabricant
parfois, doit s’enquérir du besoin de de tissu d’ameublement !
l’acheteur et l’informer des « contrain-
Conditions de formation du contrat

Thème principal Dol


Autre thème Responsabilité professionnelle
Mots clés annulation du contrat, réticence,
erreur inexcusable de la victime, responsabilité
du notaire, obligation de conseil

sujet donné et établi par :


Xavier Lagarde
professeur
avec le concours de :
Manuella Bourassin,
attachée temporaire d’enseignement et de recherche

T Université Paris X-Nanterre (UPX)


JE Premier semestre 2003-2004
U
S

Commentaire dirigé :
Après lecture de l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cas-
sation du 21 février 2001 (Bull. civ. III, n° 20, p. 17) ci-dessous reproduit,
répondez aux questions :

Sur le premier moyen :


Vu l’article 1116 du Code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix, 20 mai 1998), que, suivant deux actes,
reçus par M. Gas, notaire, les 26 mai et 6 juillet 1989, la société civile immobi-
lière Errera (SCI) a vendu un immeuble à usage d’hôtel à M. Plessis et la société
Hôtel Le Gallieni (société) le fonds de commerce exploité dans cet immeuble au
Droit civil des obligations
96

même acquéreur ; que M. Plessis a assigné la SCI et la société en annulation des


ventes pour dol ; qu’il a également demandé la condamnation de M. Gas à lui
payer des dommages-intérêts ; qu’en appel M. Plessis a maintenu ses prétentions ;
Attendu que pour débouter M. Plessis de sa demande en annulation pour
dol, l’arrêt retient que les conditions d’une telle annulation ne sont pas réunies
quant aux griefs avancés par M. Plessis en raison du caractère inexcusable de
l’erreur dont il soutient avoir été victime, l’ignorance de l’exploitation sans auto-
risation d’ouverture et en non-conformité aux règles de sécurité n’étant pas
admissible de sa part alors qu’il avait une obligation particulière de se renseigner
compte tenu du caractère professionnel de l’opération et que des vérifications élé-
mentaires auprès des cédants lui auraient révélé l’exacte situation administrative
de l’établissement ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas d’exclure l’exis-
tence d’une réticence dolosive et alors qu’une telle réticence dolosive, à la sup-
poser établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée, la cour d’appel a violé
le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen :
Vu l’article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour débouter M. Plessis de sa demande dirigée contre le
notaire, l’arrêt relève que M. Gas n’est intervenu qu’après la conclusion des ces-
sions qui liaient de manière définitive les parties par la signature d’un accord du
26 mai 1989 et que la convention du 6 juillet 1989, rédigée par M. Gas, n’a eu
aucune incidence sur la conclusion des cessions déjà définitives ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le notaire qui participe à la rédaction d’actes
de vente est tenu d’un devoir de conseil destiné à assurer la validité et l’efficacité
des actes auxquels il a apporté son concours, la cour d’appel a violé le texte sus-
visé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu le 20 mai 1998, entre les parties, par la cour
d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les
parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit,
les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes.

I. Exposez les faits, la procédure et le sens de cet arrêt.


Questions relatives au premier moyen de cassation :
II. Quelles sont les caractéristiques de l’erreur commise par l’acquéreur ?
Annales
97

III. Qu’est-ce qu’une réticence dolosive ? Illustrez votre réponse en réfé-


rence aux circonstances de l’espèce.
IV. Au regard des principes gouvernant la théorie générale du contrat,
que pensez-vous de l’assimilation de la réticence au dol ? Illustrez votre réponse
en considération de l’arrêt commenté.
V. Quel est l’intérêt pour la victime d’une erreur d’invoquer le fait qu’elle
est la conséquence d’un dol ? La solution rendue par la Cour de cassation
constitue-t-elle une innovation ?
VI. La notion d’erreur inexcusable a-t-elle encore un avenir ?
Questions relatives au troisième moyen :
VII. Qu’appelle-t-on le « forçage du contrat » ? Illustrez votre réponse au
regard de la solution retenue.
VIII. Que pensez-vous de l’exactitude du visa ?

Document autorisé : Code civil.


Durée de l’épreuve : 3 heures.

Corrigé
.I La cour d’appel d’Aix (20 mai 1998)
l’a débouté de ces deux demandes en
retenant, d’une part, le caractère inex-
P ar accord du 26 mai 1989, un
immeuble à usage d’hôtel et le fonds
de commerce exploité dans cet immeu-
cusable de l’erreur et, d’autre part, l’ab-
sence d’incidence de l’intervention du
ble ont été vendus respectivement par notaire sur la conclusion des cessions,
une société civile immobilière et une devenue définitive dès l’accord du
autre société à M. Plessis. Ces cessions 26 mai 1989.
ont été reçues devant notaire le 6 juillet L’acquéreur a formé un pourvoi en cas-
1989. sation. Dans son arrêt du 21 février 2001,
En première instance et en appel, l’ac- la troisième chambre civile de la Cour
quéreur a demandé l’annulation des ces- de cassation a cassé l’arrêt d’appel pour
sions pour dol et a, par ailleurs, recherché double violation de la loi. Au visa de l’ar-
la responsabilité du notaire. ticle 1116 du Code civil, la Haute Juri-
Droit civil des obligations
98

diction a d’abord décidé que la « réti- La Cour de cassation ne remet pas en


cence dolosive, à la supposer établie, cause le manque de diligence de l’acqué-
rend toujours excusable l’erreur provo- reur et, donc, le caractère grossier de sa
quée ». Sur le fondement de l’arti- méprise mais considère que le dol rend
cle 1382 du Code civil, elle a ensuite l’erreur excusable.
jugé que « le notaire qui participe à la
rédaction d’actes de vente est tenu d’un
devoir de conseil destiné à assurer la vali- . III
dité et l’efficacité des actes auxquels il a
apporté son concours ». La réticence dolosive est l’une des trois
formes que peut revêtir le dol. Le dol
. II consiste dans la tromperie de l’une des
parties, qui entraîne une erreur chez le
cocontractant. Il s’agit tout à la fois d’un
L’acquéreur prétend s’être trompé sur les
délit civil et d’un vice du consentement
conditions d’exploitation de l’hôtel
(les deux autres vices du consentement
acheté. Plus précisément, il invoque son
étant l’erreur spontanée de l’article 1110
ignorance quant au défaut d’autorisation
d’ouverture dudit hôtel et quant à la du Code civil et la violence régie par les
non-conformité de celui-ci aux règles de articles 1111 à 1115). Le dol peut se
sécurité. concrétiser par des manœuvres, un men-
songe, ou encore un silence.
Il s’agit d’une erreur à la fois de droit
et de fait, portant sur une qualité subs- La réticence dolosive est le silence
tantielle des choses vendues, et présen- gardé, en connaissance de cause, par un
tant un caractère déterminant du contractant sur un élément déterminant
consentement de l’acquéreur. du consentement de son partenaire
Cette erreur n’est pas spontanée, mais (dans un arrêt du 15 janvier 1971, Bull.
provoquée par les cocontractants. civ. III, n° 38, la troisième chambre civile
de la Cour de cassation a défini la réti-
Selon la cour d’appel, la méprise revêt
cence dolosive comme étant « le silence
un caractère inexcusable car, « compte
d’une partie dissimulant à son cocontrac-
tenu du caractère professionnel de l’opé-
ration », l’acquéreur avait « une obliga- tant un fait qui, s’il avait été connu de
tion particulière de se renseigner » et des lui, l’aurait empêché de contracter »). Le
vérifications élémentaires auprès des fait de se taire ne peut être fautif que si
vendeurs lui auraient permis de connaî- une information était détenue et devait
tre l’exacte situation administrative de être transmise au futur cocontractant. La
l’établissement. En quelque sorte, « la réticence dolosive constitue ainsi « le
bêtise du contractant chasse le dol » corollaire de l’obligation précontrac-
(Ch. Caron et O. Tournafond, obs. sous tuelle d’information » et, plus précisé-
Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, D. 2002, ment, la violation intentionnelle de
somm. p. 927). celle-ci (en ce sens, cf. Ch. Jamin, note
Annales
99

sous Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, JCP nomie de la volonté ; on peut y voir une
2002, II, 10027). montée en puissance du solidarisme
En l’espèce, les vendeurs ont commis contractuel. Elle opère un déplacement
un dol en n’informant pas l’acquéreur du du point d’équilibre entre, d’un côté, les
défaut d’autorisation d’ouverture de impératifs de protection du consente-
l’établissement cédé et du défaut de ment et, de l’autre, l’impératif de sécu-
conformité de l’hôtel aux normes de rité juridique.
sécurité.
.V
. IV
L’erreur substantielle de l’article 1110 du
Tout d’abord, l’assimilation de la réti- Code civil peut permettre l’annulation
cence au dol emporte un amoindrisse- du contrat lorsque le dol ne peut permet-
ment de l’élément matériel du dol, au tre d’y conduire, c’est-à-dire lorsque l’er-
profit de son élément intentionnel, c’est- reur est provoquée par un tiers à la
à-dire de l’intention de tromper, qui doit convention (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996,
être prouvée par la victime. Bull. civ. I, n° 288). Mais, le plus sou-
vent, il est permis de relever la « supério-
Ensuite, plutôt que la sanction d’une
rité du dol sur l’erreur » (B. Starck,
faute morale, d’une déloyauté, le dol
H. Roland et L. Boyer, Les obligations,
devient la sanction d’une obligation
t. II : Contrat, 2e éd., Litec, 1998, n° 544).
précontractuelle d’information. L’assi-
En effet, à divers égards, l’erreur provo-
milation de la réticence au dol remet en
quée paraît plus avantageuse pour la vic-
cause l’obligation de se renseigner, même
time que l’erreur spontanée.
lorsque l’opération litigieuse est profes-
sionnelle, comme en l’espèce, et consa- En premier lieu, le dol peut être
cre, à l’inverse, l’obligation d’informa- prouvé plus facilement, à tout le moins
tion. C’est au cocontractant de délivrer lorsqu’il prend la forme de manœuvres,
certaines informations, dès lors qu’elles voire de mensonges, car il en existe alors
sont déterminantes. des manifestations extérieures, propres à
faciliter la preuve de l’erreur.
Avec cette assimilation, on est très
loin des principes contractuels fonda- En deuxième lieu, le dol peut être
mentaux ayant dominé le XIXe siècle, à sanctionné, non seulement par la nullité
savoir l’égalité entre les parties, la liberté relative du contrat, mais aussi par la
contractuelle, l’autonomie de la volonté. condamnation de son auteur à verser des
Au contraire, cette jurisprudence illus- dommages et intérêts, car il s’agit d’un
tre les nouveaux principes directeurs du délit civil.
contrat : l’équilibre, la solidarité, voire En troisième lieu, lorsqu’elle est pro-
la fraternité, entre les parties. Cette assi- voquée, l’erreur peut être sanctionnée,
milation constitue, ce faisant, une nou- même lorsque ne sont pas remplies les
velle manifestation du déclin de l’auto- conditions exigées dans le cadre de l’er-
Droit civil des obligations
100

reur spontanée. Le dol entraîne un élar- . VI


gissement du champ de l’erreur. Ainsi,
lorsqu’elle provient des agissements du La notion d’erreur inexcusable a encore
cocontractant, l’erreur ne doit pas néces- un avenir dans le cadre de l’article 1110
sairement porter sur une qualité substan- du Code civil, mais, dans celui de l’arti-
tielle (l’annulation est ainsi encourue cle 1116, son rôle fond comme neige au
lorsque le dol entraîne une erreur sur les soleil.
motifs ou encore sur la valeur). Par ail- Lorsque l’erreur est spontanée, son
caractère inexcusable continue à jouer
leurs, comme l’a décidé la Cour de cassa-
un rôle important, c’est-à-dire continue
tion dans l’arrêt étudié, l’erreur résultant
à empêcher l’annulation de la conven-
d’un dol peut être inexcusable. tion (en ce sens, cf. notamment Cass.
Si cette dernière solution n’est pas iné- soc., 3 juill. 1990 : « L’erreur n’est cause
dite, la décision commentée n’en fait pas de nullité que dans la mesure où elle est
moins figure d’arrêt de principe. La pre- inexcusable »). Cette solution mérite
l’approbation (contra, cf. D. Mazeaud,
mière chambre civile de la Cour de cas-
note sous Cass. 3e civ., 21 févr. 2001,
sation avait certes décidé, le 23 mai 1977 D. 2001, p. 2702 et s.), car la sécurité
(Bull. civ. I, n° 244), qu’une erreur pré- juridique serait par trop menacée et la
sentait un caractère excusable dès lors mauvaise foi serait, au contraire, par trop
qu’elle était provoquée par le silence du encouragée, si l’errans pouvait se préva-
mandataire des vendeurs, qui revêtait un loir de sa propre erreur grossière pour
caractère dolosif. Mais il s’agissait d’un remettre en cause rétroactivement le
contrat conclu. De non vigilantibus non
arrêt de rejet, n’ayant pas reçu de confir-
curat praetor.
mation par la suite, et ayant donné lieu à
Lorsque l’erreur est provoquée, son
de vives discussions doctrinales. La por-
caractère inexcusable ne devrait plus
tée de l’arrêt du 21 février 2001 semble jouer un rôle aussi important.
plus importante, puisqu’une cassation
Selon la Cour de cassation, s’il appa-
pour violation de la loi y est prononcée. raît que l’erreur résulte d’un partage des
Ce cas d’ouverture à cassation est celui torts entre les parties (la légèreté de la
qui a la portée normative la plus accu- victime de l’erreur coexistant avec une
sée. En outre, les motifs de la Cour de dissimulation dolosive du cocontrac-
cassation sont formulés en termes très tant), le dol de l’un va purger l’erreur de
l’autre de tous ses défauts et notamment
généraux, sans référence au cas d’espèce.
de son caractère inexcusable (« une telle
L’application de la solution à d’autres cir-
réticence dolosive, à la supposer établie,
constances de fait s’impose d’autant plus rend toujours excusable l’erreur provo-
que la Cour emploie l’adverbe « tou- quée »). Le dol est alors « sanctionné à
jours ». raison de son origine, plutôt que de ses
Annales
101

effets » (L. Aynès, obs. sous Cass. 3e civ., n’engendre pas une telle injustice, il
21 févr. 2001, D. 2001, p. 3236). C’est conviendrait de redonner une certaine
pourquoi l’avenir de l’erreur inexcusable vigueur à l’erreur inexcusable. À cette
semble compromis. Il l’est d’autant plus fin, il suffirait que la Cour de cassation
que la règle énoncée joue quels que abandonne le caractère systématique de
soient les rapports contractuels concer- sa solution (que traduit l’utilisation de
nés et, plus particulièrement, même dans l’adverbe « toujours »), en décidant que
des rapports équilibrés entre profession- la réticence dolosive rend, sauf excep-
nels. tion, excusable l’erreur provoquée. En
Comme l’erreur inexcusable traduit redorant de la sorte le blason de l’erreur
une obligation de s’informer et la réti- inexcusable, la Haute Juridiction pour-
cence dolosive une obligation d’infor- rait donc éviter que « la lutte contre la
mer, et que le dol rend toujours excusable feinte n’engendre une mauvaise foi qui
l’erreur, la Cour de cassation réduit à sa prendrait le visage de la bêtise » (Ch.
plus simple expression, non seulement Caron et O. Tournafond, ibid., p. 928).
l’erreur inexcusable, mais aussi l’obliga-
tion de se renseigner. Cette primauté de
l’obligation d’information sur le devoir
. VII
de se renseigner entre parfaitement dans
le cadre du mouvement actuel de Le « forçage du contrat » est l’expression
« consumérisation » du droit commun et qu’emploie la doctrine pour décrire la
compromet un peu plus encore la réalisa- découverte par les juges d’obligations
tion des attentes du cocontractant, qui a contractuelles non stipulées par les par-
pu légitimement croire qu’il traitait avec ties elles-mêmes, sur le fondement des
un partenaire prudent et diligent. En articles 1134, alinéa 3, du Code civil ou
acceptant l’annulation du contrat pour 1135, en vue de rééquilibrer les rapports
dol, même lorsque l’erreur provoquée est entre les parties. Ce courant jurispruden-
plus que grossière, la Cour de cassation tiel s’est développé à partir du début du
porte donc atteinte à la stabilité contrac- XXe siècle, avec la découverte de l’obli-

tuelle, pour faire respecter la bonne foi gation de sécurité dans le contrat de
au stade de la formation du contrat. Le transport. Il s’est ensuite développé avec
déclin de l’erreur inexcusable et l’impé- l’obligation d’information et de conseil,
rialisme corrélatif du dol, s’ils peuvent se et ce dans tous les types de contrats. Le
justifier au regard de l’impératif de « forçage du contrat » concrétise le soli-
loyauté contractuelle, n’en risquent pas darisme contractuel au niveau judiciaire,
moins de produire des effets pervers. En tout comme la détermination d’obliga-
effet, un acquéreur malhonnête pourrait tions impératives en constitue l’expres-
aisément feindre la bêtise pour ensuite se sion au niveau légal.
délier d’un lien contractuel qui ne lui Dans le cas d’espèce, la cour d’appel
apporte plus satisfaction. Pour que la avait refusé de faire supporter au notaire
moralisation des relations contractuelles une obligation particulière d’informa-
Droit civil des obligations
102

tion ou de conseil, en relevant que son tions découvertes par les juges (il est
intervention était postérieure à la ainsi permis de douter de la prévisibilité
conclusion définitive des actes de ces- de l’obligation de sécurité mise à la
sion. Autrement dit, l’échange des charge des teinturiers !).
consentements ayant déjà eu lieu, l’offi-
cier ministériel devait se contenter de
recevoir l’accord de volonté, sans être . VIII
tenu de conseiller les parties sur l’oppor-
tunité de celui-ci. La Cour de cassation censure la cour
Au contraire, la Cour de cassation d’appel pour violation de l’article 1382
décide que le devoir de conseil est dû en du Code civil. Ce visa peut surprendre,
tout état de cause. Dès que le notaire par- au premier abord, puisque le manque-
ticipe à la rédaction d’actes, il doit guider ment reproché au notaire se rapportant à
les parties, même si ces dernières se sont une obligation contractuelle, on aurait
déjà mises d’accord dans un acte préala- pu s’attendre à ce que la Haute Juridic-
ble. Ce devoir de conseil mis à la charge tion vise, soit l’article 1137 du Code
de l’officier public est découvert par les civil si le devoir de conseil du notaire
juges. Il ne figure pas dans le contrat liant constituait une obligation de moyens,
le notaire aux parties. En cela, ce devoir soit l’article 1147 du même code s’il
procède d’un « forçage du contrat ». constituait plutôt une obligation de
Mais, dans le cadre de cette convention, résultat.
ce rééquilibrage judiciaire paraît moins Le visa de l’article 1382 du Code civil
attentatoire à la volonté des parties et au peut cependant se comprendre dans la
principe d’intangibilité du contrat de mesure où la responsabilité des officiers
l’article 1134 du Code civil que certai- ministériels, qu’il s’agisse de notaires ou
nes autres découvertes jurisprudentielles. d’huissiers (cf. Cass. 1re civ., 2 mars
En effet, il entre indubitablement dans 1966), constitue une responsabilité pro-
la mission du notaire de conseiller les fessionnelle, qui trouve son fondement,
contractants qui s’adressent à lui. Le non pas dans le contrat les liant à leurs
devoir de conseil est certes implicite, clients, mais dans les dispositions de la
puisqu’il n’est pas expressément stipulé loi elle-même. Le visa de l’article 1382
dans le contrat, mais il est prévisible, ce du Code civil est dès lors justifié.
qui n’est pas le cas de toutes les obliga-
Conditions de formation du contrat

Thème principal Cause immorale ou illicite


Mots clés cause, bonnes mœurs, legs, libéralité, adultère

sujet donné et établi par :


Renaud Mortier
professeur

T Université de Bretagne occidentale


JE Premier semestre 2005-2006
U
S

Commentaire :
Commenter l’arrêt de la Cour de cassation, assemblée plénière, 29 octo-
bre 2004 :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :


Vu les articles 900, 1131 et 1133 du Code civil ;
Attendu que n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes
mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (première
chambre civile, 25 janvier 2000, pourvoi n° D 97-19.458), que Jean X… est
décédé le 15 janvier 1991 après avoir institué Mme Y… légataire universelle par
Droit civil des obligations
104

testament authentique du 4 octobre 1990 ; que Mme Y… ayant introduit une


action en délivrance du legs, la veuve du testateur et sa fille, Mme Micheline X…,
ont sollicité reconventionnellement l’annulation de ce legs ;
Attendu que, pour prononcer la nullité du legs universel, l’arrêt retient que
celui-ci, qui n’avait « vocation » qu’à rémunérer les faveurs de Mme Y…, est ainsi
contraire aux bonnes mœurs ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du
moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 9 janvier 2002,
entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trou-
vaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel
de Versailles ;
Condamne Mme Micheline X… aux dépens ; […]

Moyen produit par la SCP Boutet, avocat aux Conseils pour Mme Y…
MOYEN ANNEXE à l’arrêt n° 519.p (assemblée plénière)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué
D’AVOIR prononcé la nullité du legs universel consenti par M. Jean X… a
Mlle Y… dans son testament reçu en la forme authentique le 15 janvier 1991, par
maître Depondt, notaire à Paris ;
AUX MOTIFS QUE M. Jean X…, né en 1895, était âgé de 95 ans lors de son der-
nier testament, un an avant son décès ; qu’il a vécu jusqu’à celui-ci avec son
épouse, Mme Simone Z…, décédée au cours de la présente procédure, avec
laquelle il s’était marié sans contrat en 1922 ;
que Mlle Y… était de 64 ans sa cadette, qu’a été produite aux débats une let-
tre du 7 novembre 1986 sur papier à en-tête de M. Jean X…, dactylographiée,
signé de Jean, précédée de la mention manuscrite « bien à vous », portant en
place du destinataire « M. et Mme Y… Paris » ; qu’en termes simples et directs,
l’auteur de cette lettre mentionne, outre des difficultés sérieuses, explicitées plus
avant comme étant de nature financière : « Muriel… m’a déclaré sur la côte et
devant sa maman : “pas d’argent, pas d’amour” et que “depuis environ six mois,
et probablement un peu plus, j’ai plus souvent des discussions sur le même motif
que des déclarations d’amour”, ajoutant que cela évoquait pour lui le dicton
“quant il n’y a plus de foin au râtelier, les chevaux se battent…” » ; qu’il poursuit
par des explications sur sa situation financière délicate, en relation notamment
Annales
105

à une période d’hospitalisation au cours de laquelle son cabinet avait été géré par
sa fille et son ex-gendre, puis indique : « c’est ainsi que, soucieux de préserver les
intérêts de votre fille, j’ai accepté de vendre ma voiture (19M) et je dois main-
tenant en acheter une autre… et je lui ai remis la totalité de cette somme » et
enfin : « il reste cependant en suspens le salaire NO (non officiel, mention rajou-
tée en marge de la main de l’auteur de la lettre) qui est de même importance et
pour lequel je dois être en retard de deux mensualités, peut-être trois… Je n’ai pu
donner lundi dernier que 10 000 francs de plus à Muriel mais je lui ai promis de
faire tout mon possible au plus tard le 15 janvier… Je n’ai plus de nouvelles
d’elle… » ;
que si les époux Y… ont attesté en 1995, soit huit ans après, n’avoir pas reçu
cette lettre, étant domiciliés au reste au 138 et non au 148 avenue, la conserva-
tion par son auteur d’un écrit, fût-il un double et même signé, n’est pas anormale
chez une personne de grand âge soucieuse de ses affaires ; que le style exprime la
spontanéité des sentiments et du vécu ; qu’enfin, la signature et la mention
manuscrite précédant sont attribuées par l’expert A… à M. Jean X…, la signa-
ture par le seul prénom étant suffisante pour des personnes qu’il connaissait depuis
plusieurs années et avec lesquelles il entretenait des relations amicales ; que l’ana-
lyse de ce document conduit, non seulement à y voir la preuve que Mlle Y… était
la maîtresse de M. Jean X…, mais encore de l’attitude exclusivement intéressée
de Mlle Y… à la rémunération de ses faveurs ; que ce document doit être rappro-
ché des lettres des 19 et 21 août 1987 fixant les « nouvelles attributions » de
Mlle Y… auprès de M. Jean X… : « B) en outre de vos occupations de VRP, vous
continuerez à m’accompagner dans tous mes déplacements à titre d’accompa-
gnatrice, sans limite d’heure, de présence, de délai, ni de distance… dans toute
la France… et éventuellement à l’étranger » ; que le salaire de Mlle Y… était sti-
pulé calculé en fonction de l’ensemble de sa disponibilité ; que M. Jean X… s’en-
gageait à rémunérer, outre l’assistance professionnelle de son amie dans son
activité de VRP, l’accompagnement et la présence de celle-ci sans limite, impli-
quant des relations d’ordre privé ; qu’en l’état de ses difficultés de trésorerie,
M. Jean X… n’avait donc plus les moyens de payer à Mlle Y… les sommes qu’il
s’était engagé à lui verser ; que quoique la libéralité par testament soit suscepti-
ble jusqu’au décès d’être modifiée, sa connaissance par le gratifié l’entretient dans
l’espérance de percevoir une partie des biens du patrimoine de son concubin et
ne contredit pas le caractère rémunératoire ; que la libéralité testamentaire, qui
n’avait vocation qu’à rémunérer les faveurs de Mlle Y…, est contraire aux bonnes
mœurs et doit être annulée ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
ALORS, D’UNE PART, QUE n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la
libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec
le bénéficiaire ; que la cour d’appel a décidé que le testament du 4 octobre 1990
Droit civil des obligations
106

de M. Jean X…, instituant Mlle Y… légataire universelle, était nul pour contra-
riété aux bonnes mœurs puisque, par ce testament, M. Jean X… entendait seu-
lement rémunérer Mlle Y… de ses faveurs ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a
violé les articles 1131 et 1133 du Code civil ;
ALORS, D’AUTRE PART, QUE la cause immorale s’apprécie au jour de l’acte ;
que l’arrêt est fondé sur une lettre de M. Jean X… du 7 novembre 1986, dont il
n’est pas établi qu’il l’ait envoyée aux parents de Mlle Y…, dans laquelle il se
plaignait de l’absence de « déclarations d’amour », tout en indiquant qu’il s’en-
gageait à prendre dans l’immédiat des mesures pour venir en aide financièrement
à Mlle Y… ; que sur le fondement de cette lettre, sans nulle autre constatation cir-
constanciée, sans tenir compte de la durée de près de quinze ans de la relation qui
s’était établie entre Mlle Y… et M. Jean X… et sans se placer à la date de l’éta-
blissement du testament litigieux, la cour d’appel ne pouvait affirmer que le tes-
tament du 4 octobre 1990 (c’est-à-dire intervenu quatre ans après cette lettre)
était seulement destiné à rémunérer les faveurs de Mlle Y…, sans priver sa déci-
sion de base légale au regard des articles 1131 et 1133 du Code civil.

Approfondissements – Cass. ass. plén., 29 oct. 2004, Defrénois


2004, art. 38073, obs. R. Libchaber.
– Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurispru-
– J. Voulet, « L’interprétation des arrêts de dence civile, 11e éd., Dalloz, 2000, p. 149, note
la Cour de cassation », JCP 1970, I, 2305. sous Cass. 1re civ., 3 févr. 1999.

Corrigé
conçu par l’homme et pour l’homme.
D ans son célèbre discours prélimi-
naire, Portalis avait parfaitement
mis en lumière les rôles respectifs de la loi
Pour autant, le droit ne se réduit pas à
cela. Il est aussi une ligne de conduite, il
— qui ne peut et ne doit pas tout pré- dicte à l’homme son comportement plus
voir — et de la jurisprudence qui, au qu’il ne s’y soumet.
contraire, peut et doit, autant que néces-
En consacrant l’absolue validité des
saire, descendre dans les détails. Ainsi,
au fil de ses interprétations, le juge per- libéralités adultères, l’arrêt rendu le
met-il au droit, selon l’expression du 29 octobre 2004 par l’assemblée plénière
doyen Carbonnier, de ne pas « préten- de la Cour de cassation ignore superbe-
dre à l’absolu de la ligne droite », mais ment cette deuxième facette du droit, au
de s’adapter aux évolutions des mœurs : nom de la sacro-sainte et donc dange-
là est son humanité, puisque le droit est reuse adaptation du droit aux faits.
Annales
107

Faits croustillants s’il en est, comme le Mme Y fit valoir principalement que
détaille le pourvoi… M. Jean X, quasi « n’est pas contraire aux bonnes mœurs
centenaire, entretenait une relation la cause de la libéralité dont l’auteur
adultère avec sa secrétaire, Mme Y, de entend maintenir la relation adultère
soixante-quatre ans sa cadette. Outre les
qu’il entretient avec le bénéficiaire »
nombreuses sommes d’argent qu’il lui
avait versées de son vivant (son salaire (rappel de Cass. 1re civ., 3 févr. 1999), de
dépendant notamment des faveurs sorte que la cour d’appel aurait violé les
qu’elle lui accordait), il l’institua léga- articles 1131 et 1133 du Code civil.
taire universelle par testament authen- Ainsi l’assemblée plénière devait-elle
tique du 4 octobre 1990, et l’en informa. répondre à la question suivante : la libé-
Suite au décès de M. Jean X (le 15 jan-
ralité (ici un legs) consentie à l’occasion
vier 1991), la famille refusa de délivrer le
d’une relation adultère est-elle ou non
legs, par une compréhensible absence de
docilité. Mme Y introduisit une action en nulle comme ayant une cause contraire
délivrance de legs, à laquelle la veuve et aux bonnes mœurs ?
la fille de M. X répliquèrent en sollici- L’assemblée plénière de la Cour de cas-
tant reconventionnellement la nullité sation, au visa des articles 900, 1131
de la libéralité. La première cour d’appel et 1333 du Code civil, répond par la
saisie prononça la nullité du legs, don-
négative dans un attendu de principe :
nant ainsi toute satisfaction à la famille
du testateur, mais l’arrêt fut cassé, le « Attendu que n’est pas nulle comme
25 janvier 2000, par la première chambre ayant une cause contraire aux bonnes
civile de la Cour de cassation, dans le mœurs la libéralité consentie à l’occa-
droit fil d’une jurisprudence amorcée par sion d’une relation adultère. » Ainsi la
elle dans une très retentissante et très cri- cassation de l’arrêt de la cour d’appel de
tiquée décision du 3 février 1999. La cour Paris est-elle prononcée, l’affaire étant
de Paris résista puisque, appelée à statuer renvoyée devant la cour d’appel de Ver-
sur renvoi, elle refusa de se conformer à
sailles.
la solution de la Haute Cour, prononçant
à nouveau la nullité du legs par arrêt en Par cette solution choquante, l’assem-
date du 9 janvier 2002. Pour prononcer blée plénière conforte un revirement de
la nullité du legs, l’arrêt se fonda sur la jurisprudence amorcé en 1999 par la pre-
contrariété du legs aux bonnes mœurs, mière chambre civile de la Cour de cassa-
ce dernier n’ayant vocation qu’à rému- tion. Cet arrêt illustre donc particulière-
nérer les faveurs de la légataire Mme Y… ment bien l’évolution de la notion de
Cette dernière, décidément très moti-
bonnes mœurs. Afin de l’étudier, il s’agira
vée, se pourvut en cassation, et l’affaire
fut alors, comme la loi l’impose, portée de montrer que la cause de la libéralité
devant la plus prestigieuse des forma- est considérée comme conforme aux bon-
tions de la Cour de cassation : l’assem- nes mœurs (I) afin de déterminer les
blée plénière. Devant cette assemblée, conséquences de cette analyse (II).
Droit civil des obligations
108

I. La conformité mœurs, comme un rappel de l’article 6


du même Code, qui dispose de manière
aux bonnes mœurs générale : « On ne peut déroger, par des
de la cause conventions particulières, aux lois qui
intéressent l’ordre public et les bonnes
de la libéralité mœurs. »
Quant aux articles 1131 et 1133 du
Dans un but de protection de la société,
Code civil, rappelons d’emblée qu’ils
les juges procèdent à un contrôle de la
figurent dans un chapitre du Code civil
licéité de la cause (A). En validant la
intitulé « Des conditions essentielles
libéralité après un tel contrôle, l’assem-
pour la validité des conventions ». Le
blée plénière consacre un revirement de
testament n’est pas une convention,
jurisprudence déjà amorcé (B).
mais un acte juridique unilatéral. Pour
autant, on sait que la jurisprudence lui
A. Le contrôle de la licéité applique pour une grande part le régime
de la cause des conventions, de sorte que cette
considération ne doit pas nous embarras-
On sait que la cause d’un contrat doit ser pour la suite des développements : on
être licite, à peine de nullité. On a pré- raisonnera exactement comme en
sent à l’esprit, notamment, ce célèbre matière de conventions. L’article 1131,
jugement du tribunal de grande instance pleinement applicable, donc, au testa-
de Paris en date du 3 juin 1969, qui a ment, dispose que « l’obligation sans
déclaré nul pour cause illicite un contrat cause, ou sur une fausse cause, ou sur une
conclu entre le producteur d’un film et cause illicite, ne peut avoir aucun effet ».
une mineure tendant à obtenir qu’elle Pour être licite, toute convention (et par
pose nue dans un film et se soumette à un extension tout testament) doit donc
tatouage. avoir une cause licite. Qu’entendre par
cause illicite ? L’article 1133 nous le pré-
L’arrêt du 29 octobre 2004 ne se réduit cise : « La cause est illicite, quand elle
pourtant pas à l’une de ces nombreuses est prohibée par la loi, quand elle est
décisions qui alimentent la curiosité des contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre
lecteurs de notes de bas de pages. public. » Réapparaît ici à nouveau la
Son visa impressionnant alerte d’em- notion phare de l’arrêt ici rendu : les
blée : articles 900, 1131, et 1133 du Code bonnes mœurs. Autrement dit, pour être
civil. valable, une convention doit avoir une
L’article 900 dispose : « Dans toutes cause licite et, donc, une cause conforme
dispositions entre vifs ou testamentaires, aux bonnes mœurs.
les conditions impossibles, celles qui Apprécier la conformité de la cause
seront contraires aux lois ou aux mœurs, d’une convention aux bonnes mœurs est
seront réputées non écrites. » Apparaît doublement délicat. En premier lieu,
ici d’ores et déjà la notion de bonnes parce que ce contrôle implique de sonder
Annales
109

les raisons lointaines qui motivent les étaient au contraire annulées lorsqu’elles
contractants (ici le testateur), la causa avaient pour cause « soit la formation, la
remotae ou cause subjective, laquelle ne continuation ou la reprise des rapports
s’extériorise pas nécessairement. Sans immoraux, soit leur rémunération » (en
doute cette observation permet-elle de ce sens, v. not. Cass. 1re civ., 2 déc. 1981,
mieux comprendre l’exhumation judi- D. 1982, inf. rap. p. 474, obs. D. Martin ;
ciaire des différents courriers intimes du Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, Procédures
testateur. En second lieu, parce que la 1997, comm. n° 56, note R. Perrot),
notion de bonnes mœurs est un standard c’est-à-dire quand elles étaient le prix des
juridique, une notion évolutive sans faveurs (pretium stupri).
contenu précis, comme en atteste le pré- La jurisprudence se basait donc géné-
sent arrêt, puisqu’il consacre précisément
ralement sur la théorie de la cause immo-
sur ce point un revirement de jurispru-
rale pour annuler les libéralités entre
dence.
concubins, l’appréciation du motif
impulsif et déterminant de la libéralité
B. La consécration relevant du pouvoir souverain des juges
d’un revirement du fond. Parmi les éléments retenus le
plus souvent en faveur de la validité de la
jurisprudentiel libéralité, figuraient la durée de la liai-
son et la présence d’un enfant (Cass.
Selon une jurisprudence traditionnelle,
1re civ., 19 mars 1975, Bull. civ. I,
et qui s’est maintenue jusqu’au revire-
n° 119), le fait que, dès le prononcé de
ment opéré par la Cour de cassation le
son divorce, le donateur avait épousé le
3 février 1999, les libéralités entre
donataire (Cass. 1re civ., 11 févr. 1986,
concubins pouvaient être annulées par
JCP éd. G, 1986, IV, 109) ou que la libé-
application des articles 1131 et 1133 du
ralité ne devait prendre effet qu’à son
Code civil, pour cause illicite ou immo-
décès (Cass. 1re civ., 10 déc. 1969, Bull.
rale (P. Ascensio, « L’annulation des
civ. I, n° 386). Il arrivait qu’une dona-
donations immorales entre concubins »,
tion au profit de la concubine fût annu-
RTD civ. 1975, p. 248 et s.). Une juris-
lée, alors que le testament fait en sa
prudence plus que centenaire (v. Cass.
req., 2 févr. 1853, DP 1853, 1, p. 57 ; faveur était regardé comme valide (Cass.
Cass. req., 31 juill. 1860, S. 1860, p. 834) 1re civ., 16 janv. 1973, D. 1973, inf. rap.
opérait en effet, entre ces libéralités, une p. 36).
distinction moralisatrice fondée sur leur Cette jurisprudence byzantine fit l’ob-
« cause impulsive et déterminante », jet de nombreuses critiques. On pouvait
c’est-à-dire sur le but poursuivi par le dis- en effet lui reprocher de reposer sur une
posant. Valables lorsqu’elles tendaient à analyse a posteriori des intentions du dis-
favoriser ou à faciliter la rupture et (ou) posant, qui risquait fort d’être divinatoire
à satisfaire un devoir de conscience (par et d’être influencée par les conceptions
exemple à réparer le préjudice causé à la personnelles des magistrats. Le recours à
concubine ou à assurer son avenir), elles la cause immorale était en outre devenu
Droit civil des obligations
110

anachronique à une époque où les demeurant fort bien suivie par les juges
enfants adultérins peuvent être reconnus du fond (CA Toulouse, 29 mars 2000,
et où la Cour de cassation accorde répa- Dr. famille 2000, comm. 100, note B. Bei-
ration à la concubine en cas de décès gnier ; CA Bordeaux, 12 oct. 2000, Dr.
accidentel de son concubin sans s’embar- famille 2000, comm. 61), sauf bien sûr
rasser de l’immoralité du concubinage. dans l’affaire qui ici nous intéresse…
Un revirement de jurisprudence pou- On aura en effet reconnu, parmi les
vait avoir lieu, d’autant que quelques arrêts cités, celui du 29 janvier 2002,
mois plus tard, le concubinage venait rendu dans la même affaire que celle qui
prendre place dans le Code civil avec la ici retient toute notre attention. Face à
loi n° 99-944 du 15 novembre 1999, à la résistance de la cour d’appel de renvoi,
l’article 515-8, presque deux siècles après qui maintint la nullité du legs adultère
en avoir été fermement écarté par les malgré la cassation du premier arrêt d’ap-
rédacteurs du Code.
pel, l’assemblée plénière tranche sans
Ce revirement fut l’œuvre d’un très ambiguïté en faveur de la position défen-
célèbre arrêt de principe, rendu le due par la première chambre civile. Rap-
3 février 1999 (sous le visa des arti- pelons l’attendu de principe rendu par
cles 1131 et 1132 du Code civil), dans l’assemblée plénière : « Attendu que
lequel la première chambre civile de la n’est pas nulle comme ayant une cause
Cour de cassation décida que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la libéralité
contraire aux bonnes mœurs la cause de consentie à l’occasion d’une relation
la libéralité dont l’auteur entend mainte-
adultère. » La formule n’est pas très éloi-
nir la relation adultère qu’il entretient
gnée de celle de la première chambre
avec le bénéficiaire » (Cass. 1re civ.,
civile, pour qui, on l’a dit, « n’est pas
3 févr. 1999, Bull. civ. I, n° 43 ; Defrénois
contraire aux bonnes mœurs la cause de
1999, art. 37017, obs. G. Champenois).
la libéralité dont l’auteur entend mainte-
Comme on le constate, cet arrêt propulse
nir la relation adultère qu’il entretient
le droit d’un extrême à l’autre, puisqu’il
ne fait pas que valider les libéralités entre avec le bénéficiaire ». On remarquera
concubins en général, il valide égale- cependant que dans l’arrêt de 1999 (et
ment celles consenties entre concubins les arrêts suivants), la libéralité visait
adultères, c’est-à-dire au mépris des obli- (selon l’expression même de la Cour de
gations du mariage. Malgré des critiques cassation) à « maintenir » la relation. On
fort nombreuses, la première chambre pouvait donc penser que la libéralité
civile a réitéré sa doctrine en la matière serait nulle si elle avait pour but non pas
(Cass. 1re civ., 16 mai 2000, Defrénois de maintenir une relation, mais de
2000, p. 1049, obs. G. Massip ; Dr. famille l’amorcer ou de la reprendre. L’arrêt du
2000, comm. 102, note B. Beignier ; 29 octobre 2004 déçoit cet espoir, par
Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, Defrénois l’emploi d’une formule on ne peut plus
2002, p. 681, obs. G. Massip ; Dr. famille générale : « […] à l’occasion d’une rela-
2002, comm. 64, note H. Lécuyer), au tion adultère… ».
Annales
111

Résumons : depuis l’arrêt du 29 octo- viagra aidant, irriguer toutes les classes
bre, il est indéniable que toute libéralité d’âge » (Les grands arrêts de la jurispru-
adultère est licite, sans aucune restric- dence civile, 11e éd., Dalloz, 2000, p. 149,
tion. S’ensuivent de multiples consé- note sous Cass. 1re civ., 3 févr. 1999). La
quences, qu’il nous faut maintenant étu- puissance de l’argent en ressort renfor-
dier. cée. Ensuite, sans basculer dans le misé-
rabilisme, on soulignera, parce qu’il
mérite toute considération, le désarroi
II. Les conséquences d’une famille, et tout spécialement d’une
de la licéité de la cause veuve, confrontée coup sur coup à la
perte d’un être cher, à la révélation d’un
de la libéralité adultère (ce dernier pouvant certes être
connu du vivant de l’époux infidèle) et à
La licéité absolue des libéralités adultère l’annonce d’une exhérédation. N’est-ce
nous paraît avoir des conséquences pas trop pour un seul être ? À cela, on
néfastes (A), qui très certainement pourra objecter que la travailleuse du
seront durables (B). sexe (pardon… la concubine) mérite
après tout, elle aussi, considération. Mais
A. Des conséquences si cela doit s’opérer au détriment de la
néfastes famille légitime, peut-on le tolérer ?
Assurément non.
En décidant de valider les libéralités Mais c’est aborder ici le second aspect
adultères, la Cour de cassation consacre de la critique que suscite l’arrêt rendu.
une solution très choquante et contraire Inopportun, l’arrêt du 29 octobre 2004
au droit. En somme, l’opportunité et la nous semble surtout illégal. Mais qui cas-
légalité sont ici contrariées. sera la Cour de cassation ? En effet, l’ar-
Une telle solution n’est pas oppor- ticle 1133 du Code civil renvoie aux
tune. D’abord parce qu’elle tend à légali- bonnes mœurs, mais également à l’ordre
ser la prostitution. En l’espèce, la public. Que la prostitution soit considé-
« concubine » ne pratiquait pas autre rée comme conforme aux bonnes
chose puisque, en somme, elle mon- mœurs, de même que l’adultère, et que
nayait ses charmes. Que cette dernière le tout ne contrarie pas davantage cette
mérite rémunération peut se discuter notion semble déjà difficile à admettre.
(après tout, ne dit-on pas que tout tra- Mais au nom de la modernité et de la
vail mérite salaire), mais admettons aussi tolérance, que ne ferait-on pas ! Beau-
que cela puisse choquer. Comme a pu coup plus discutable est en revanche la
l’écrire le professeur Yves Lequette, en superbe ignorance par la Cour de cassa-
faisant sauter le verrou juridique de la tion de l’article 212 du Code civil. Cet
nullité des libéralités immorales, la Cour article, lu à tous les futurs mari et femme
de cassation montre que « la morale du par l’officier d’état civil, dispose que « les
bonheur et de la liberté sexuelle doit, époux se doivent mutuellement fidélité,
Droit civil des obligations
112

secours, assistance ». Au premier rang (dans notre affaire, l’avocat général avait
des devoirs des conjoints figure donc… conclu au rejet du pourvoi, et donc à
la fidélité. Inutile de rappeler ici que cet l’annulation du legs adultère), elle risque
article est d’ordre public et ne peut donc désormais d’être réduite au silence. Ainsi
être éludé, même par les plus libertins des un arrêt rendu le 25 janvier 2005 par la
couples : tolérance d’un jour n’est pas première chambre civile de la Cour de
tolérance pour toujours… La fidélité cassation est-il venu réitérer la jurispru-
s’impose donc aux époux, y compris et dence ici commentée (Cass. 1re civ.,
surtout à ceux qui la portent comme un 25 janv. 2005, D. 2005, p. 458). Par effet
fardeau. Que dire alors de la libéralité qui de percussion, les nombreux arrêts ren-
incite à la violation, par un époux, de son dus coup sur coup dans le sens de la vali-
devoir de fidélité et, pire, la consacre ? La dation des libéralités adultères viennent
réponse ne fait pas de doute : une telle banaliser la solution et paralyser la capa-
libéralité a, d’évidence, une cause illicite cité d’indignation de chacun. Quant aux
et devrait en tant que telle être annulée. juges du fond, s’ils pouvaient hier entrer
Ainsi l’arrêt du 29 octobre 2004 sonne- en dissidence contre une chambre de la
t-il en définitive une charge phénomé- Cour de cassation, il leur faudra davan-
nale contre l’institution du mariage, qu’il tage de témérité pour oser contrer l’as-
tend à désacraliser. Telle n’est visible- semblée plénière.
ment pas la conception de la Cour de Hier campée dans une position
cassation. On peut le regretter, d’autant confortable, avec pour bouclier l’oppor-
que la solution adoptée par les hauts tunité et la légalité, la Cour de cassation
magistrats semble devoir perdurer. a adopté une jurisprudence sur laquelle il
lui sera difficile de revenir, sauf à mani-
B. Des conséquences fester un courage exemplaire. Car le
retour, non pas à l’ordre moral, mais au
durables Code civil, encourra le qualificatif de
rétrograde. Mais qu’importe d’être dans
Choquante, contraire au bon sens, à la
le vent : c’est le destin des feuilles mortes.
morale et au droit, la solution consacrée
Les petits accommodements font parfois
par l’arrêt du 29 octobre 2004 risque
les grandes défaites : lorsque l’essentiel
pourtant de ne pas changer de sitôt.
est en jeu, il faut savoir ne rien concé-
En premier lieu, même si, au sein de la der.
Cour de cassation, la dissidence existe
2. Nullité du contrat

Thème principal Action en nullité


Mots clés nullité absolue, nullité relative, exception
de nullité, sanction

sujet donné et établi par :


Philippe Delebecque
professeur

T Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)


JE Premier semestre 2002-2003
U
S

Dissertation :
Peut-on, en matière contractuelle, perdre le droit d’invoquer une cause
de nullité ?

L’usage du Code civil est autorisé.


Droit civil des obligations
114

Corrigé

C omme toujours, les étudiants doi-


vent définir tous les termes du
sujet :
– la question est ici de savoir quand
l’action en annulation est susceptible
d’être perdue. Cette action, rappelons-
– en « matière contractuelle » : le sujet le, se traduit, lorsqu’elle est accueillie,
est un sujet de droit civil et porte sur un par des restitutions réciproques. Celles-ci
thème de droit des contrats. Il faut sup- ne sont pas toujours admises et spéciale-
poser ici qu’un contrat de droit privé, ment en est-il lorsque le demandeur a
quel qu’il soit, a été conclu entre deux quelque chose à se reprocher. C’est le jeu
ou plusieurs personnes et que ce contrat de la maxime nemo auditur…. Cette
est affecté d’une cause de nullité. La question n’entre cependant pas dans
matière est contractuelle lorsqu’un enga- notre sujet, car nemo auditur… ne s’op-
gement a été librement accepté entre pose pas à une demande en annulation
deux ou plusieurs personnes. C’est une du contrat : la maxime bloque simple-
notion qui été définie en cours et que les ment le jeu des restitutions ;
étudiants doivent rappeler ; – il faut également préciser qu’il est
– le contrat peut être valablement difficile de parler de « perte » d’une
conclu ; il peut ne pas l’être, tel étant le action, lorsque l’on y renonce. Au
cas lorsque les conditions qui président à demeurant, rien ne s’oppose à ce que l’on
sa validité n’ont pas été respectées. Les renonce à demander que soit prononcée
hypothèses sont connues : vice du la nullité d’un contrat, du moins lorsque
consentement, défaut d’objet, absence la cause de cette nullité est avérée.
de cause, caractère illicite, inobservation Renoncer par avance à une telle action
de telle ou telle formalité substantielle… n’est, semble-t-il, pas concevable, même
Étant précisé que ces situations sont si le point peut se discuter. La renoncia-
généralement sanctionnées par une tion a posteriori s’analyse, le plus souvent,
action tendant à faire prononcer la nul- en une confirmation que le Code civil
lité du contrat ; consacre (art. 1338). Rien ne s’oppose
– cette action est en réalité un droit aussi à ce que les parties acceptent d’un
de critique contre le contrat vicié ; ce commun accord d’annuler leur opéra-
droit est ouvert à tout intéressé lorsque la tion, soit pour se délier définitivement,
règle méconnue a un caractère d’intérêt soit pour repartir sur de nouvelles bases
général, mais, dans le cas inverse, ne peut (hypothèse de réfection convention-
être mise en œuvre que par celui que la nelle). Pour autant, il ne s’agit toujours
loi entend protéger. C’est tout l’intérêt pas d’une perte du droit de critique ;
de la fameuse distinction entre la nullité – on n’imagine pas que cette perte
absolue et la nullité relative ; puisse être fortuite, car si ses conditions
Annales
115

sont réunies, le droit de critique est est faite par voie d’action ou par voie
acquis. Il appartient simplement à son d’exception.
titulaire de le défendre dans le respect
des règles de droit. Ces règles sont inté- A. Les vertus
ressantes : de procédure ou de quasi-
procédure, elles permettent de vérifier
de l’action en nullité
que le droit n’existe que s’il est défendu.
Si l’on agit dans les délais, l’action peut
S’il ne l’est pas, il se perd. Et s’il l’est, prospérer ; il appartiendra au juge saisi de
encore faut-il que son titulaire mérite ce vérifier si les conditions de la nullité sont
qu’il recherche ; à défaut, il n’est pas illo- ou non réunies (cf. les développements
gique de lui retirer le bénéfice de son du cours sur l’office du juge dans la théo-
action : c’est encore de perte qu’il s’agit ; rie des nullités).
– à la réflexion, c’est bien ce que l’on Quant aux délais d’action, il suffit de
constate, car le titulaire du droit de criti- rappeler qu’ils sont de cinq ans, s’agissant
que perd ses droits lorsqu’il laisse passer d’une nullité relative et de dix (matière
le temps (I). Il les perd encore lorsqu’il commerciale) ou trente ans (matière
commet une faute (II). La perte du droit civile), s’agissant d’une nullité absolue.
d’agir vient donc sanctionner aussi bien Il n’y a là, une fois encore, que des
l’insouciant que le fautif. points de cours qu’il appartient aux étu-
diants de retranscrire.

I. La perte du droit
B. Les limites
d’agir, sanction de l’exception de nullité
de l’insouciance
Rien ne s’oppose à ce que la nullité soit
Tout le monde comprend que le droit opposée par voie d’exception. On
doit être défendu pour exister, mais que répond à une demande en paiement, en
soulevant la nullité du contrat. En elle-
cette défense doit se faire conformément
même, cette exception n’est enfermée
aux exigences de la loi. La première de
dans aucun délai : elle est, dit-on, perpé-
ces exigences est certainement de res-
tuelle, ce qui se comprend, car, à défaut,
pecter les délais requis. À défaut, l’action
il suffirait au cocontractant peu scrupu-
est prescrite : elle est perdue. L’insouciant leux d’attendre l’expiration du délai de
n’a pas voulu se défendre dans les délais prescription pour agir en paiement et
qui lui sont impartis : tant pis pour lui ; échapper ainsi à toute sanction. De plus,
c’est sans doute que la situation n’était la règle rejoint l’un des fondements de la
pas si dramatique. Il faut donc pour prescription qui est de faire coïncider le
s’épargner cet effet du temps, se défen- droit et la réalité : si rien n’a été fait pen-
dre. Mais le problème ne se pose pas dans dant un certain temps, il faut entériner
les mêmes termes selon que cette défense cet état de fait et ne plus le remettre en
Droit civil des obligations
116

cause (quieta non movere). Et précisé- En tout cas, voilà de quoi rester vigi-
ment, si une demande en exécution lant, car la sanction peut être brutale, et
vient, au-delà du délai de prescription, parfois non méritée. Ce qui n’est pas le
agiter ce sur quoi on a toujours fermé les cas lorsque le titulaire de l’action a com-
yeux, l’exception de nullité est là pour mis une faute.
s’opposer à cette remise en cause.
Mais bien évidemment, ces explica-
tions supposent que le contrat en ques-
II. La perte du droit
tion n’ait pas été encore exécuté. d’agir, sanction
Comme l’a reconnu, à plusieurs reprises, de la faute
la Cour de cassation, « l’exception de
nullité peut seulement jouer pour faire
échec à la demande d’exécution d’un L’idée de réparation n’est pas absente du
acte juridique qui n’a pas encore été exé- droit des nullités. Ce droit n’est pas seu-
cuté ». Cette jurisprudence a été analy- lement mécanique, même s’il est souvent
sée en cours et dans le cadre des travaux présenté comme tel. Aussi bien, le titu-
dirigés. Il appartient aux étudiants de laire du droit de critique ne peut toujours
s’en souvenir et d’en faire état. compter sur son bon droit. Ce n’est pas
parce que les conditions de l’annulation
Si le contrat a déjà été exécuté, il n’y sont réunies qu’il obtiendra nécessaire-
a plus de raison de libérer l’exception de ment satisfaction. Encore faut-il qu’il
nullité de toute contrainte de temps, mérite ce qu’il recherche. C’est bien ce
d’autant qu’elle ne se traduit plus, sur le que disent les textes et la jurisprudence.
plan procédural, par une simple défense,
une simple contestation de ce qui est
demandé ; elle contient une prétention A. La sanction prévue
et exprime, à son tour, une demande. Les par la loi
exigences de délais reprennent alors logi-
quement leur empire. Mais les difficultés Il suffit de citer ici l’article 1310 du Code
techniques apparaissent aussitôt : si l’ex- civil qui dispose que le mineur « n’est
ception est toujours recevable lorsque le point restituable contre les obligations
contrat n’a jamais été exécuté, elle ne résultant de son délit ou de son quasi-
l’est plus nécessairement lorsque le délit ».
contrat a été pleinement exécuté ou Le texte concerne la situation du
encore, et plus vraisemblablement, mineur qui se fait passer pour majeur,
lorsqu’il ne l’a été que partiellement. conclut un contrat qu’il sait irrégulier et
Comment comprendre l’exécution en demande l’annulation parce que
partielle ? Comment la définir ? La ques- l’opération a tourné à son désavantage.
tion est difficile, dès l’instant que le Sans doute ne peut-il être question de
contrat est complexe. Prendre des exem- mettre à la charge de l’incapable la répa-
ples : le contrat de crédit-bail en fournit ration du préjudice qu’il cause pour le
un excellent. seul motif qu’il a invoqué la nullité pour
Annales
117

incapacité : on ne saurait le priver de la certaine, mais il serait injuste de lui don-


protection que la loi lui accorde. Autre- ner totalement satisfaction en lui per-
ment dit, il ne peut y avoir lieu à respon- mettant d’obtenir l’annulation du
sabilité et donc à sanction que dans la contrat conclu, compte tenu de sa faute.
mesure où l’incapable a commis une Il ne mérite pas ce qu’il recherche : son
faute en dissimulant sa véritable condi- erreur est inexcusable et il doit donc en
tion. Ce qui suppose que l’incapable se subir les conséquences.
soit rendu coupable de dol. La jurispru- Cette jurisprudence est dans le fond
dence est ici exigeante : elle ne se très morale : elle corrige les effets trop
contente pas d’une réticence : elle mécaniques de la théorie des nullités.
requiert des manœuvres. Elle reçoit de nombreuses applications.
Si ces manœuvres sont établies, l’in- Les étudiants sont invités à rappeler cel-
capable engage sa responsabilité et s’ex- les dont ils se souviennent.
pose normalement à indemniser le préju- On peut ajouter que la Cour de cassa-
dice causé à sa victime. Le plus souvent, tion a récemment rappelé qu’une réti-
cependant, celle-ci opposera à l’incapa- cence dolosive rendait toujours excusa-
ble l’exception de dol et si cette excep- ble l’erreur provoquée (Cass. 3e civ., 21
tion est accueillie, l’incapable perdra le févr. 2001). Dans ce cas, les fautes exis-
bénéfice de son action. La jurisprudence tent de part et d’autre : les deux cocon-
raisonne de la même manière lorsqu’elle tractants ont quelque chose à se repro-
prive l’auteur d’une faute inexcusable de cher, mais celle de l’auteur du dol est plus
son droit d’agir en annulation pour vice marquée et justifie que la victime de l’er-
du consentement. reur, fût-elle coupable, conserve son
droit d’agir.
B. La sanction résultant *
de la jurisprudence Pour conclure, on voudrait rappeler aux
étudiants que la dissertation n’est pas un
Il est de jurisprudence que le promoteur prétexte de récitation de connaissances :
immobilier ne peut agir en annulation elle est un exercice de réflexion et de
du terrain dont il vient de se rendre logique. Quelques principes bien assimi-
acquéreur et dont il constate l’incons- lés sont sans doute nécessaires pour en
tructibilité, à raison de la faute qu’il est nourrir les développements. Mais un
possible de lui imputer : ne devait-il pas esprit clair et curieux suffit pour la
se renseigner ? Son erreur est sans doute conduire.
Nullité du contrat

Thème principal Nullité du contrat et résiliation


Mots clés bail, exécution successive, nullité absolue,
nullité relative, rétroactivité

sujet donné et établi par :


Alexis Constantin
professeur

T Université de Bretagne-Sud
JE Premier semestre 2002-2003
U
S

Commentaire :
Commentez l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation
du 13 juin 2001 :

Viole les articles 1109 et 1234 du Code civil la cour d’appel qui retient qu’un
bail étant à exécution successive, son annulation pour erreur ne peut intervenir
qu’à compter de la date de sa dénonciation, sans qu’elle puisse être rétroactive.
Référence : Cass. 3e civ., 13 juin 2001, n° 908 FS-D, Sté Impression c/Sté Tou-
louse réseau parc, Juris-Data n° 2001-010202.
Sur le moyen unique du pourvoi n° E99-20.19 :
Droit civil des obligations
120

• Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Toulouse, 8 juin 1999), que la société
Toulouse réseau parc, venant aux droits de la société Jean Rodier, a par acte sous
seing privé du 8 octobre 1992, donné à bail à la société Impression des locaux à
usage commercial : que, par acte du 21 mai 1997, elle l’a assignée pour lui deman-
der paiement d’une certaine somme au titre des charges ;
• Attendu que la société Toulouse réseau parc fait grief à l’arrêt de dire que
le bail est entaché de nullité pour erreur et dol, alors, selon le moyen […]
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° V99-18-676 :
• Vu l’article 1109 du Code civil, ensemble l’article 1234 du même code ;
• Attendu qu’il n’y a point de consentement valable si le consentement a été
donné par erreur ;
• Attendu que, pour dire que le bail est résilié à compter du 1er novembre
1998, l’arrêt retient que ce contrat étant à exécution successive, son annulation
ne peut intervenir qu’à compter de la date de sa dénonciation sans qu’elle puisse
être rétroactive ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a vicié les textes susvisés ;
• Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu’il a dit que le bail
du 8 octobre 1992 a été résilié le 1er novembre 1998, l’arrêt rendu le 8 juin 1999
entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse.

Code civil autorisé.

Corrigé
cause. Elles ont chacune leur nature et
C omme les journalistes ne se sou-
cient guère des trains qui arrivent à
l’heure, le droit (au moins le droit
leur régime propres, et le juriste rigou-
reux ne doit jamais les confondre, même
contentieux) ne se soucie pas des en croyant bien faire. C’est une telle
contrats valablement formés et correcte- confusion que la troisième chambre
ment exécutés. Mais que survienne un civile de la Cour de cassation a entendu
vice dans la formation de la convention, sanctionner, dans un arrêt du 13 juin
ou une inexécution de celle-ci, et le droit 2001.
fulmine alors diverses sanctions. Les faits sont simples : par acte sous
Plusieurs sanctions existent en droit seing privé, la société Toulouse Réseau a
des contrats, selon le type de situation en donné à bail à la société Impression des
Annales
121

locaux à usage commercial. Quelque regard de ses effets (B). Ce qu’a manifes-
temps plus tard, le bailleur a assigné le tement méconnu la cour d’appel.
locataire en paiement d’une certaine
somme au titre des charges. En réponse,
A. La spécificité de la cause
la société Impression a invoqué la nul-
lité du bail pour erreur et pour dol. La de cette sanction
cour d’appel de Toulouse a alors jugé que
le bail constituant un contrat à exécu- 1. Énoncé du principe
tion successive, son annulation ne peut
La nullité constitue la sanction spécifi-
intervenir qu’à compter de la date de sa que des conditions de formation des
dénonciation, sans qu’elle puisse être contrats. Est nul le contrat qui n’est pas
rétroactive. Elle a donc résilié le bail valablement formé.
pour l’avenir, sans le remettre en cause
pour le passé. La Cour suprême casse cet C’est essentiellement la doctrine qui
arrêt, au visa des articles 1109 et 1234 du a permis l’élaboration d’une théorie
Code civil, mais seulement en ce qu’il a générale des nullités. Mais celle-ci reste
prononcé une résiliation au lieu d’une complexe sur bien des points, en raison
annulation rétroactive. notamment de l’éclatement et la disper-
sion des textes traitant de cette sanction.
La solution posée par la Cour régula- Il n’existe pas dans le Code civil de titre
trice doit être totalement approuvée. En ou de chapitre régissant spécifiquement
sanctionnant le vice du consentement et de manière homogène la nullité des
affectant le bail, par application d’une contrats (il y a certes une section VII, du
sanction non rétroactive, afin d’éviter les Chapitre V, du Titre III du Livre III du
difficultés que pose la nullité en matière Code civil — art. 1304 et s. — qui traite
de contrat à exécution successive (II), la « de l’action en nullité ou en rescision
cour d’appel a en effet méconnu le carac- des conventions », mais celle-ci ne com-
tère spécifique de cette sanction que porte que quelques articles surtout rela-
constitue la nullité (I). tifs à la lésion). Tout au contraire, les dis-
positions relatives à cette sanction sont
disséminées dans le Code civil (et ail-
I. Les spécificités leurs). Ainsi, le Code civil prévoit-il, par
de la nullité, au regard exemple, expressément ou implicite-
des autres modes ment, la nullité des contrats en matière
d’incapacité (par ex. C. civ., art. 1125-1
d’anéantissement ou 1596), pour lésion (par ex. C. civ.,
ou d’inefficacité art. 887 ou 1674), pour défaut, indéter-
mination ou illicéité de l’objet (par ex.
des contrats C. civ.,. art. 1128, 1129 ou 1601 pour la
vente), pour défaut ou illicéité de la
La nullité est une sanction spécifique cause (par ex. C. civ., art. 1131, 1133),
tant au regard de ses causes (A), qu’au toutes choses considérées par la loi
Droit civil des obligations
122

comme des conditions essentielles de 2. Effets du principe :


validité des conventions (C. civ., la distinction de la nullité
art. 1108). et des situations voisines
Mais l’une des causes de nullité les plus
connues, et les plus fréquentes en prati- Le fait que la nullité constitue la sanc-
tion de principe des conditions de for-
que, est incontestablement celle résul-
mation des contrats, permet de la distin-
tant de l’existence d’un vice du consen-
guer d’autres situations voisines,
tement. Le consentement de la partie qui
susceptibles également d’entraîner l’inef-
s’oblige est en effet également érigé par ficacité ou l’anéantissement des conven-
l’article 1108 du Code civil en condition tions.
essentielle pour la validité d’une conven-
La nullité se distingue pour cette rai-
tion, et les articles 1109 et suivants son, tout d’abord, de la caducité, laquelle
posent les cas constituant un vice du frappe un acte régulièrement formé, mais
consentement et prévoient la nullité qui perd, postérieurement à sa conclu-
corrélative des conventions (C. civ., sion, un élément essentiel à sa validité
art. 1111 et 1113 pour la violence, ou à sa perfection. En règle générale,
art. 1116 pour le dol). Dans l’affaire rap- puisque la cause de la caducité est posté-
portée, la nullité retenue par les seconds rieure à la formation du contrat, celui-ci
juges, et sur laquelle ne revient pas la cesse seulement au jour de sa caducité.
Cour de cassation, reposait sur une erreur La nullité se distingue également, tou-
commise par la société Impression lors jours pour cette raison, de l’inopposabi-
de la conclusion d’un bail avec la société lité du contrat aux tiers, laquelle
Toulouse Réseau, dont elle était locataire concerne une convention valablement
(sans que l’on sache exactement en quoi formée entre les parties, mais qui viole
consistait cette erreur ; par ailleurs, la une règle destinée à protéger les tiers
cour d’appel avait également retenu un (fraude paulienne, défaut de publication,
dol, mais la Cour de cassation ne se défaut de date certaine de l’acte…). Le
contrat est alors d’une efficacité limitée,
fonde pas sur ce vice). À cet égard, il est
mais il n’est pas « nul », car il garde en
incontestable que la seule sanction pos-
principe son caractère obligatoire entre
sible d’une erreur sur la substance, ou les les parties. Ses effets juridiques ne peu-
qualités substantielles, de l’objet du vent simplement pas être opposés aux
contrat, est la nullité, comme le prévoit tiers, qui sont autorisés à faire comme s’il
expressément l’article 1110 du Code n’existait pas.
civil, l’article 1117 précisant que « la La nullité se distingue également, tou-
convention contractée par erreur… n’est jours pour cette raison, de l’abrogation
point nulle de plein droit : elle donne ou résolution amiable. Il s’agit de
seulement lieu à une action en nullité ou l’anéantissement d’un contrat valable-
en rescision, dans les cas et de la manière ment formé à l’origine, par un nouvel
expliqués » aux articles 1134 et suivants. accord des parties qui renoncent à leur
Annales
123

contrat. En dépit des termes parfois revenir à l’état antérieur. En effet, et cela
employés pour cette figure juridique, de est fondamental, une condition de vali-
« nullité conventionnelle », les parties dité faisant défaut ab initio, c’est néces-
— le voudraient-elles — ne peuvent pas sairement ab initio que l’acte doit être
totalement faire comme s’il n’avait privé d’effets.
jamais existé. Si elles peuvent organiser Mais, si le retour au statu quo ante est
une forme de rétroactivité de l’anéantis- aisé lorsque la convention n’a pas encore
sement, elles ne peuvent empêcher que été exécutée, il en va différemment dans
les tiers (les créanciers, le fisc) puissent le cas contraire. La rétroactivité de la
invoquer les effets juridiques du contrat nullité postule alors que les prestations
initial. exécutées soient restituées. La restitution
Mais la nullité se distingue surtout, s’effectue normalement en nature. Mais
pour cette même raison, de la résolution. il se peut cependant qu’elle soit totale-
Alors que la nullité sanctionne une irré- ment ou partiellement impossible : la
gularité commise au moment de la for- chose a péri, a été détériorée ou aliénée
mation du contrat, la résolution frappe sans qu’aucune action soit possible
un contrat valablement conclu, en rai- contre le tiers acquéreur (par exemple,
son de la survenance postérieurement à lorsqu’il est protégé par les règles relati-
sa formation de certains faits (inexécu- ves à la possession des meubles, C. civ.,
tion de ses obligations par une partie, art. 2279) ; elle a été consommée ou
survenance d’une condition résolutoire). incorporée à d’autres biens. Dans ces
Toutefois, cette distinction nette s’es- hypothèses, une restitution par équiva-
tompe si l’on considère les effets respec- lent monétaire (restitution en valeur)
tifs de ces deux sanctions. En effet, doit être ordonnée. Il faut noter toute-
comme la nullité, la résolution d’un fois que le possesseur de bonne foi
contrat entraîne son anéantissement conserve les fruits produits par la chose à
rétroactif. restituer (C. civ., art. 549), que les inca-
pables ne sont tenus de restituer que si
B. La spécificité « ce qui a été payé a tourné à leur profit »
(C. civ., art. 1312) et que lorsqu’une par-
des effets de cette sanction
tie est au courant du caractère immoral
La nullité a pour caractéristique essen- de la convention, elle ne peut obtenir
tielle d’anéantir rétroactivement le restitution de sa prestation (nemo audi-
contrat, ce dont ne rend qu’imparfaite- tur…).
ment compte l’adage quod nullum est, Nous avons dit que la distinction
nullum producit effectum (ce qui est nul entre la nullité et la résolution s’estompe
ne produit aucun effet), qui ne paraît si l’on considère les effets respectifs de
insister que sur l’un des effets de la nul- ces deux sanctions. C’est qu’en effet, il
lité, à savoir l’inefficacité du contrat pour est de principe que les effets de la résolu-
l’avenir. Or, il faut considérer que le tion — ou de sa rétroactivité — sont les
contrat n’est jamais intervenu, et donc mêmes que ceux de la nullité, à l’excep-
Droit civil des obligations
124

tion bien sûr des règles relatives aux bilité de remise en l’état caractérise par-
incapables et de l’exception d’indignité, ticulièrement les contrats successifs,
qui ne concernent que la nullité. Même c’est-à-dire ceux qui comportent des
si les notions de résolution et de nullité prestations périodiques, échelonnées
ne peuvent en aucun cas être confon- dans le temps : contrat de travail, cer-
dues, il est clair que l’existence de règles tains contrats d’entreprise, contrat de
qui leur sont communes peut entraîner société… Si un tel contrat est annulé
une certaine confusion, et pas seulement après un certain temps d’exécution, on
dans l’esprit des étudiants… En l’espèce, ne peut effacer le passé : l’employeur ne
la confusion a été manifestement faite peut rendre au salarié le travail fourni…
par les juges du fond. Il est vrai que les Telle était bien la situation en l’espèce,
difficultés que pose la nullité en matière puisque la convention annulée était un
de contrat à exécution successive les y bail. Si le bailleur peut restituer les loyers
incitaient. perçus, on ne peut pas considérer que
l’occupation du local n’a pas eu lieu.
II. Les difficultés Cette difficulté étant liée à la rétroac-
tivité de l’anéantissement, elle n’est pas
de la nullité, propre à la nullité mais concerne égale-
en matière de contrat ment la résolution. Or, l’on constate que
la jurisprudence — y compris la Cour de
à exécution successive
cassation — s’efforce d’éviter les difficul-
tés de la rétroactivité en prononçant fré-
La rétroactivité de la nullité pose un cer-
quemment (mais pas toujours, ainsi lors-
tain nombre de problèmes, relatifs
que le contrat forme un tout indivisible)
notamment aux restitutions dans les
une résiliation (qui anéantit le contrat
contrats à exécution successive (A).
seulement pour l’avenir) plutôt qu’une
Pour éviter ces difficultés, la cour d’appel
résolution.
de Toulouse a sanctionné le vice du
consentement affectant le bail, par appli- La tentation est naturellement
cation d’une sanction non rétroactive, grande, pour certains juges, de transposer
ce qui lui a valu les foudres de la Cour de cette solution à la matière des nullités.
cassation (B). Elle est d’autant plus grande que la loi
elle-même, parfois, prévoit que la nullité
s’opérera sans rétroactivité (ainsi en
A. La problématique matière de nullité de société, C. civ.,
rétroactivité des contrats art. 1844-15 ou en matière de mariage,
à exécution successive théorie du mariage putatif, C. civ.,
art. 201). En l’espèce, la cour d’appel de
Certaines prestations non monétaires ne Toulouse n’a pas su résister à cette tenta-
peuvent, en raison de leur nature, don- tion, ce que lui reproche la Cour de cas-
ner lieu à restitution. Une telle impossi- sation.
Annales
125

B. L’application erronée qui est restituable en nature (le salaire


pour l’ouvrier, le loyer pour le bailleur),
de la résiliation à titre en prenant simplement acte de l’impos-
de sanction d’un vice sibilité de la restitution de la prestation
du consentement réciproque, car pareille solution procu-
rerait un enrichissement injustifié à l’un
Les seconds juges ont considéré que le au détriment de l’autre. C’est pourquoi,
contrat de bail étant à exécution succes- en cas de nullité (comme en cas de réso-
sive, son annulation pour erreur ne peut lution rétroactive d’ailleurs) une indem-
intervenir qu’à compter de la date de sa nité compensatrice est due à celui qui a
dénonciation, sans qu’elle puisse être fourni la prestation non restituable.
rétroactive. Ils prononcent donc ni plus Certes, cette indemnité sera souvent
ni moins la résiliation du bail. Leur arrêt égale à la contrepartie que le contrat
est cassé par la Cour régulatrice, ce que annulé prévoyait (montant du loyer par
l’on ne peut qu’approuver sans réserve. exemple). La nullité semble produire
En effet, si l’on peut souvent éviter la alors effectivement le même effet non
rétroactivité de la résolution, en résiliant rétroactif qu’une résiliation. Mais en réa-
le contrat, c’est parce que son anéantis- lité cela ne peut conduire à soi seul à assi-
sement se fonde non sur un vice affec- miler les deux types d’anéantissement.
tant sa formation mais sur un incident Car l’indemnité compensatrice ne peut
d’exécution. Puisque les effets réalisés être de nature contractuelle dans le cadre
antérieurement à cet incident se sont de la nullité, puisque le contrat est nul.
produits par hypothèse de manière vala- C’est pourquoi elle n’est pas toujours et
ble, il n’y aucune raison de revenir des- nécessairement du montant que le
sus, d’autant que cela risque en pratique contrat nul prévoyait : le juge apprécie
de nuire aux parties, voire aux tiers. souverainement ce montant, souvent en
En revanche, hors les cas où la loi elle- équité, sans être lié par les stipulations
même a prévu l’absence d’effet rétroactif du contrat. Par ailleurs, la rétroactivité
(cas des sociétés par exemple), la nullité de la nullité permet d’écarter toutes les
doit nécessairement avoir un effet rétro- stipulations du contrat, éventuellement
actif, pour cette raison évidente que c’est défavorables à la partie dont le consente-
dès l’origine qu’il se trouve vicié et non ment a été vicié, ce que ne permettrait
valable. Imaginerait-on de laisser se pro- pas une résiliation. Enfin la nullité per-
duire efficacement les effets passés (c’est- met l’application des règles protectrices
à-dire antérieurs à la demande en nul- des incapables, et de l’exception d’indi-
lité) d’une convention conclue sous la gnité, ce que ne permet pas non plus la
violence ? résiliation.
Bien entendu, il ne saurait être ques-
tion de n’exiger la restitution que de ce
3. Modalités du contrat

Thème principal Terme et condition du contrat


Mots clés événement futur, qualification, pouvoirs du juge

sujet donné et établi par :


Guy Raymond
professeur

T Université de Poitiers
JE Second semestre 2001-2002
U
S

Commentaire :
Commentez l’arrêt suivant de la première chambre civile de la Cour de
cassation, 13 avril 1999, Bull. civ. I, n° 131 (Code civil autorisé) :

Vu l’article 1185 du Code civil ;


Attendu que le terme est un événement futur et certain auquel est subordon-
née l’exigibilité ou l’extinction d’une obligation ;
Attendu que, pour débouter la société Union générale cinématographique,
de son appel en garantie tendant à voir dire que la société Compagnie immobi-
lière et commerciale francilienne (CICF) devrait supporter les charges dues à
l’Association foncière urbaine du centre commercial principal des Flanades, à
Droit civil des obligations
128

Sarcelles, au titre du lot n° 54, exploité à usage de cinémas, l’arrêt attaqué, rendu
sur renvoi après cassation retient que l’accord du 13 mars 1981, faisant la loi des
parties, selon lequel la société CIRP, aux droits de laquelle la CICF, s’est engagée
à supporter ces charges aux lieu et place de l’UGC, tant que le nombre d’entrées
annuelles des cinémas resterait inférieur ou égal à 380 000, comporte un terme et
non une condition, dès lors qu’il a été considéré comme de réalisation certaine
par les parties ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’événement étant incertain
non seulement dans sa date, mais aussi quant à sa réalisation, il s’agissait d’une
condition et non d’un terme, la cour d’appel a violé le texte susvisé par fausse
application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du
moyen du pourvoi incident, ni sur ceux du pourvoi principal de la société Com-
pagnie immobilière et commerciale francilienne CICF :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 12 juin 1996,
entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la
cause et les parties en l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être
fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.

Corrigé
Sur nouveau pourvoi, alors que la cour
U ne société (UGC) qui s’installe
dans un ensemble commercial
convient avec une autre société (CIRP
de Versailles n’a vraisemblablement pas
repris les mêmes fondements que la pre-
devenue CICF) que cette dernière paiera mière cour d’appel, sinon il y aurait eu
les charges dues à la société exploitante assemblée plénière, la première chambre
de l’ensemble (AFUC des Flanades), civile de la Cour de cassation casse la
tant que le nombre d’entrées annuelles décision de la cour de Versailles.
des cinémas resterait inférieur ou égal à Le problème juridique qui est posé est
380 000. de savoir si les parties sont libres de don-
L’arrêt ne permet pas de décrire la pro- ner à l’événement dont dépend l’obliga-
cédure depuis le début, ce que l’on peut tion la qualification de terme ou de
dire, c’est que la cour de Versailles sta- condition, selon leur choix.
tuant sur renvoi après une première cas- Pour apporter solution à cette ques-
sation déboute l’UGC de sa demande. tion, la Cour de cassation, dans l’arrêt
Annales
129

proposé, rappelle d’abord la distinction La loi peut aussi donner pouvoir au


entre le terme et la condition puis juge de fixer un terme (terme de grâce
ensuite se prononce sur la qualification par exemple) mais pas une condition, ce
de l’événement. qui ajouterait au contrat.
Ici, il n’est pas question de déterminer
I. Distinction l’événement futur par la loi ou l’autorité
judiciaire, mais seulement de qualifier
entre terme l’événement choisi par les parties.
et condition
2. Le choix de l’événement
Visant l’article 1185, la Cour de cassa- par les parties
tion donne une définition du terme, puis
reprenant la définition légale de la Qu’il s’agisse du terme ou de la condi-
condition elle considère que l’événe- tion, les parties sont libres de déterminer
ment en référence dans le contrat est une l’événement futur auquel elles font réfé-
condition et non un terme. Pour ce faire, rence. Ce que la loi demande c’est qu’il
elle considère dans un premier temps que soit déterminé ou déterminable et qu’il
les deux modalités de l’obligation repo- soit possible.
sent sur un événement futur, mais que la En l’espèce, les parties ont choisi de
certitude n’est pas la même dans l’un et faire référence à un nombre annuel d’oc-
l’autre cas. cupation des places de cinémas. C’est un
événement qui se produira dans l’avenir,
A. Les deux modalités c’est un événement sur la possibilité
duquel on peut s’interroger (est-il possi-
reposent ble de réaliser ce nombre d’entrées dans
sur des événements futurs les salles ?), mais la question n’a pas été
soulevée dans l’arrêt.
Dans le terme aussi bien que dans la
condition, les deux modalités visent des
événements qui ne sont pas encore réa- B. La certitude
lisés. Ce renvoi dans le temps peut se de survenance
faire de manière volontaire ou de
manière légale.
de l’événement
n’est pas identique
1. Le choix
Puisque le caractère futur de l’événe-
de l’événement futur par la loi
ment pris en référence ne fait aucun
La loi peut déterminer l’événement qui doute, la discussion ne peut porter que
sera support de la condition ou du terme, sur le caractère de certitude pour déter-
c’est le cas de la rente viagère, de la vente miner la qualification de l’événement. Si
à réméré. l’événement est certain, il sera qualifié
Droit civil des obligations
130

de terme, s’il est incertain, il sera qualifié nement : les parties sont-elles totalement
de condition. libres de la qualification ? Le juge peut-il
intervenir ?
1. La certitude est totale
dans le terme A. Qualification
Le terme ne peut exister que si l’événe- par les parties
ment auquel il est fait référence se pro-
duira de manière inéluctable. La surve- 1. Le fondement possible
nance de cet événement peut se faire à de la qualification
une date déterminée (contrat à durée par les parties
déterminée) ou à une date indéterminée
mais certaine (décès d’une personne). C’est tout simplement l’article 1134 du
La cour d’appel de Versailles a estimé Code civil puisque le contrat est la loi
que le remplissage des salles de cinémas entre les parties il est loisible aux parties
à 380 000 places annuelles était un évé- de définir si l’événement est un terme ou
nement certain. La Cour de cassation a une condition, donc si elles ont une cer-
estimé l’inverse. titude de réalisation de l’événement ou
non.
2. L’incertitude est la règle On est là dans une appréciation sub-
jective de la certitude. Il est vraisembla-
pour la condition
ble que dans l’espèce, les études de mar-
Ce qui résume la condition, c’est la ché, les statistiques devaient permettre
conjonction « si ». aux parties d’acquérir cette certitude.
Il y a donc un doute par rapport à la C’est la position de la cour d’appel de
survenance de l’événement, sinon, le Versailles.
contrat ne serait pas soumis à un aléa,
mais il serait formé immédiatement. 2. Critique
Ici, la Cour de cassation estime que le de cette qualification
nombre d’entrées dans les salles ne pré- conventionnelle
sentait aucun caractère de certitude.
L’article 1134 n’envisage que les conven-
tions légalement formées. À partir du
II. Détermination moment où la qualification donnée par
les parties est en opposition avec une
de la qualification définition légale, la liberté des conven-
de l’événement tions disparaît.
Ici, dire que le remplissage est un évé-
À partir de ces éléments de définition, se nement certain paraît relever de l’utopie
pose la question de savoir qui dispose du car nul ne peut être certain par avance
pouvoir de dire la qualification de l’évé- du comportement des spectateurs. Et les
Annales
131

études de marché et statistiques ne sont Elle a donc choisi une appréciation


pas une science exacte. Il y a donc, purement objective de la qualification,
semble-t-il, une large part d’incertitude alors que la cour de Versailles avait choisi
c’est ce qui conduit la Cour de cassation une appréciation subjective.
à qualifier l’événement de condition et
non de terme. 2. Fondement de ce choix
Outre la référence à l’article 1134 envi-
B. Les pouvoirs du juge sagée ci-dessus, il est de jurisprudence
en matière de qualification constante que le juge a le pouvoir de
redonner au contrat sa véritable qualifi-
La liberté des parties de conclure des cation au vu des éléments contenus dans
conventions laisse cependant au juge le contrat (Cass. crim., 26 juill. 1965,
saisi d’un litige entre les parties le pou- Gaz. Pal. 1965, 2, 281 ; pour une lettre
voir de rétablir la qualification juridique. d’intention, v. Cass. com., 21 déc. 1987,
JCP 1988, éd. G, II, 21113).
1. Appréciation objective Par ailleurs, le juge a le pouvoir d’in-
de la qualification terpréter les clauses peu claires ou ambi-
par la Cour de cassation guës (Cass. civ., 15 avr. 1872, D. 1872, I,
176). Or, ici, il y avait difficulté d’inter-
La Cour de cassation renvoie à une prétation sur le « tant que le nombre
appréciation légale de la qualification de d’entrées annuelles des cinémas resterait
l’événement. Elle rappelle la définition inférieur ou égal à 380 000 ».
du terme, celle de la condition pour La loi et la jurisprudence constante
confronter l’événement choisi par les vont donc dans ce sens ce qui explique la
parties à la définition légale. Elle en cassation de l’arrêt de la cour d’appel de
déduit à juste titre que l’événement ne Versailles.
peut être qu’une condition. Sans d’ail-
leurs la qualifier, au-delà, de condition
casuelle potestative ou mixte.
4. Inexécution du contrat
Thème principal Responsabilité contractuelle
Autres thèmes Formation du contrat,
responsabilité du fait des choses
Mots clés obligation de sécurité, responsabilité du fait
des produits défectueux, garde de la chose,
obligation de moyens, obligation de résultat,
sécurité des produits, accident de magasin

sujet donné et établi par :


Patrick Chauvel
professeur

T Université d’Auvergne (Clermont-Ferrrand I)


JE Second semestre 2004-2005 (1re session)
U
S

Commentaire :
Commentez l’arrêt suivant de la Cour de cassation, première chambre
civile, 12 juin 1979 :

LA COUR ; – Sur le moyen unique : – Attendu que, selon l’arrêt confirmatif


attaqué, Mme Huguet effectuait des achats dans un supermarché appartenant à la
société L’Aquitaine, lorsqu’une bouteille de limonade qu’elle venait de prendre
dans un rayon en vue de la mettre dans un chariot a éclaté et l’a blessée à la
jambe ; que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde a assigné, en
remboursement des prestations versées à la suite de cet accident, la société
L’Aquitaine, la Caisse industrielle d’assurances mutuelles, assureur de celle-ci,
Droit civil des obligations
134

ainsi que la Société européenne de brasserie, fournisseur de la bouteille, et son


assureur, l’Union des assurances de Paris ; que l’agent judiciaire du Trésor public
est intervenu pour réclamer le remboursement du traitement versé à Mme Huguet
pendant son interruption de travail et que celle-ci a, de son côté, réclamé la
réparation du dommage qu’elle avait subi ; que la cour d’appel a déclaré la société
L’Aquitaine seule responsable de l’accident ; – Attendu qu’il est reproché aux
juges du second degré d’avoir ainsi statué, au motif que la société L’Aquitaine
était tenue d’une obligation de sécurité dont elle ne pouvait s’exonérer qu’en jus-
tifiant d’un cas de force majeure, alors que la responsabilité contractuelle de l’ex-
ploitant de magasin, qui n’est tenu vis-à-vis de sa clientèle, que d’une obligation
de moyens ne peut être envisagée que si la preuve qu’il a commis une faute est
rapportée et qu’à défaut d’avoir relevé l’existence d’une telle faute, l’arrêt atta-
qué ne serait pas légalement justifié ; – Mais attendu que la société L’Aquitaine
avait l’obligation de ne mettre à la disposition de ses clients que des articles ne
présentant pas de danger autres que ceux pouvant résulter normalement de leur
nature et que dès lors, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu la responsa-
bilité de cette société en relevant qu’elle avait, en l’espèce, manqué à cette obli-
gation sans justifier de l’existence d’une cause étrangère qui ne lui soit pas
imputable ; qu’ainsi elle a légalement justifié sa décision ; Qu’il s’ensuit que le
moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS : – Rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 5 janvier
1978 par la cour d’appel de Bordeaux ;
MM. Charliac, prés. ; Devismes, rapp. ; Gulphe, av. gén. ; Mes de Ségogne,
Coulet, Odent et Sourdillat, av.

L’usage du Code civil est autorisé.

Corrigé
avec la victime, et l’inexécution d’une
L e droit français connaît deux régi-
mes de responsabilité civile : celle-ci obligation née de ce contrat qui déter-
mine l’application de la responsabilité
est tantôt délictuelle, tantôt contrac-
contractuelle. En réalité, l’hésitation est
tuelle. Le critère de répartition entre l’un parfois permise, notamment lorsque,
et l’autre paraît simple. C’est évidem- comme en l’espèce, il s’agit d’un accident
ment l’existence d’un contrat conclu causé par une chose. Et l’on ajoutera
Annales
135

qu’aujourd’hui, si la chose en question mesure où la responsabilité contractuelle


est un produit défectueux, la victime de l’exploitant d’un magasin, qui n’est
pourra invoquer les règles spécifiques, tenu vis-à-vis de sa clientèle que d’une
d’origine européenne, introduites dans obligation de moyens ne peut être enga-
le Code civil, par la loi du 19 mai 1998. gée que si la preuve qu’il a commis une
L’arrêt soumis cette année à notre faute est rapportée, ce qui n’était pas le
commentaire, dans une hypothèse que cas.
l’on n’ose appeler un « classique du La Cour de cassation rejettera le pour-
genre », retient la responsabilité contrac- voi. En des termes prémonitoires, notre
tuelle. Dans cette affaire, la dame Haute Juridiction retiendra que « la
Huguet, qui effectuait des achats dans un société l’Aquitaine avait l’obligation de
« super-marché » appartenant à la ne mettre à la disposition de ses clients
société d’Aquitaine, avait été blessée à que des articles ne présentant pas de dan-
la jambe par l’éclatement d’une bouteille gers autres que ceux pouvant résulter
de limonade qu’elle venait de prendre normalement de leur nature et que dès
dans un rayon afin de la mettre dans son lors c’est à bon droit que la cour d’appel
chariot. La caisse primaire d’assurance a retenu la responsabilité de cette société
maladie de la Gironde avait assigné, en en relevant qu’elle avait, en l’espèce,
remboursement des prestations versées à manqué à cette obligation sans justifier
la suite de l’accident, la société d’Aqui- de l’existence d’une cause étrangère qui
taine, la Caisse industrielle d’assurances ne lui soit pas imputable », et qu’elle
mutuelles, assureur de cette dernière, avait ainsi « légalement justifié sa déci-
ainsi que la société européenne de bras- sion ».
serie, fournisseur de la bouteille et son Ainsi qu’on l’aura remarqué, la ques-
assureur, l’UAP. L’agent judiciaire du tion de la nature de la responsabilité
Trésor public était intervenu pour récla- encourue n’avait aucunement été évo-
mer le remboursement du traitement quée devant la cour d’appel : le problème
versé à la dame Huguet pendant son avait été posé dans les seuls termes de la
interruption de travail. Celle-ci avait, de responsabilité contractuelle. La critique
son côté, réclamé la réparation du dom- du pourvoi portait précisément sur l’in-
mage qu’elle avait subi. tensité de l’obligation de sécurité
La cour d’appel avait déclaré la société « découverte » dans un contrat dont
d’Aquitaine seule responsable de l’acci- l’existence n’était pas contestée. La
dent, sur le fondement de la responsabi- réponse de la Cour de cassation est, sur
lité contractuelle, retenant que ladite ce point, on l’a vu, très franche. L’obliga-
société était tenue d’une obligation de tion de sécurité est « de résultat » (I).
sécurité dont elle ne pouvait s’exonérer Aurait-on pu, à l’origine, choisir une
qu’en justifiant d’un cas de force autre voie, en engageant la responsabi-
majeure. Le pourvoi reprochait aux juges lité délictuelle de la société d’Aquitaine,
du second degré de n’avoir pas légale- en qualité de gardienne de la bouteille
ment justifié leur décision, dans la de limonade ? Très certainement, et c’est
Droit civil des obligations
136

souvent, d’ailleurs la solution adoptée de la personne que la question se trouve


dans ce type d’hypothèse, même si, sur posée.
ce terrain des difficultés spéciales peu- Lorsqu’une cliente se saisit d’un pro-
vent se présenter (II). Enfin, aujourd’hui, duit quelconque dans un magasin en
il conviendra de confronter ces analyses libre service pour le mettre dans son cha-
avec le nouveau régime de responsabi- riot (son « caddie »), un contrat se
lité des produits défectueux (III).
forme-t-il dès cet instant entre cette
ménagère et la société exploitante ? On
I. Ce qui a été jugé sait que la conclusion d’un contrat est
subordonnée à la rencontre de l’offre et
de l’acceptation. Qu’il y ait ici une offre
Ainsi que nous venons de le voir, la Cour
ferme de la part de l’exploitant ne fait
de cassation a approuvé sans nuance (« à
bon droit ») la cour d’appel d’avoir aucun doute. Les produits sont précisé-
retenu la responsabilité contractuelle de ment disposés en vue de la vente au
la société l’Aquitaine. En d’autres ter- consommateur. En revanche, l’accepta-
mes, notre Haute Juridiction a reconnu tion pose un problème. Celle-ci doit être
qu’il existait un contrat entre la dame pure et simple. Or, dans ces hypothèses,
Huguet et cette société, d’une part, et la volonté de l’acheteur est ambiguë. Elle
que d’autre part, le préjudice qu’elle avait peut, en effet, n’être pas définitive. Le
subi (sa blessure à la jambe) résultait de client pourra, jusqu’à son « passage à la
l’inexécution d’une obligation née de ce caisse », changer d’avis et reposer le pro-
contrat. duit sur le rayon. Serait-ce dire, alors que
La reconnaissance de l’existence d’un seul le paiement (à la caisse) traduira
contrat, dans ces circonstances, entre la cette volonté d’acheter et que jusqu’à ce
cliente d’un magasin en libre service et la moment, il n’y aurait aucun contrat ? La
société exploitante ne va pas de soi (A). proposition est difficile à admettre : en
Mais dès lors, qu’aux yeux des juges, ce droit commun, les contrats se forment
contrat existe, que l’on peut y découvrir solo consensu par le seul accord des volon-
une obligation relative à la sécurité de la tés et, notamment, le paiement du prix
personne, le débat qui s’instaure oppose n’est pas une condition de formation de
les obligations de moyens et les obliga- la vente.
tions de résultat (B). Il règne donc, en la matière, une cer-
taine incertitude. Aussi bien, la jurispru-
A. Existence d’un contrat dence est-elle partagée. La tendance
générale, surtout ces dernières années,
Les faits ayant donné lieu à la présente est de dénier l’existence d’un contrat et
espèce sont simples et l’hypothèse est d’éluder en conséquence le recours à la
classique. La jurisprudence en offre plu- responsabilité contractuelle. Notre arrêt
sieurs exemples et c’est, naturellement, appartient ainsi à la série (très) minori-
toujours à propos de la sécurité physique taire.
Annales
137

Dès lors, cependant, qu’est reconnue Cela étant, les obligations contrac-
par le juge l’existence d’un contrat, on tuelles n’ont pas toutes la même inten-
doit se demander à quelle obligation, née sité, ce qui a des conséquences détermi-
de ce contrat, et par hypothèse inexécu- nantes quant à la charge de la preuve.
tée, rattacher la réparation du dommage
causé. Puisqu’il s’agit de vente de chose
présentant, pour le moins, un défaut, on
B. Obligations de moyens
pourrait songer à la garantie des vices et obligations de résultat
cachés. Mais la question est perçue sous
un angle plus général. La cour d’appel Nous abordons ici le cœur même de la
avait retenu une « obligation de sécu- décision commentée. Supposé que l’on
rité », garantissant l’intégrité corporelle ait reconnu l’existence d’un contrat, fai-
du cocontractant. Nous rappellerons sant bénéficier le client d’une « obliga-
simplement ici que cette obligation a été tion de sécurité », la responsabilité de
« découverte » par la jurisprudence, il y l’exploitant du magasin n’est-elle enga-
a près d’un siècle, dans le contrat de gée qu’en cas de faute prouvée ? Ou bien
transport (affaire dite des barriques (solution de la cour d’appel, approuvée
d’huile) et depuis reconnue d’une façon par la Cour de cassation), cette responsa-
générale. Sans doute y a-t-il une part bilité doit-elle être retenue de plein
d’artifice dans ce procédé qui consiste, droit, sauf à ce que cet exploitant s’en
pour le juge à « forcer le contrat », afin décharge en démontrant que l’accident
d’y inclure, sous couvert de l’interpréta- trouve son origine dans une cause étran-
tion, des obligations auxquelles les par- gère qui ne lui est pas imputable ?
ties n’ont généralement pas songé. Il C’est, en d’autres termes, se demander
reste qu’il tombe sous le sens que celui si cette obligation de sécurité est « de
qui emprunte un moyen de transport moyens » ou « de résultat ». Après que
entend bien arriver sain et sauf à destina- nous aurons présenté cette distinc-
tion, sans être blessé (ou tué) au cours du tion (1), nous justifierons le choix, a
trajet. On peut donc considérer qu’il priori surprenant, opéré dans cette espèce
avait implicitement stipulé sa sécurité en faveur du second terme de l’alterna-
personnelle. Le même raisonnement tive (2).
peut être suivi à propos de tout autre
contrat, comme, dans notre espèce, la 1. Analyse et critère
vente. Le client d’un magasin entend, lui de la distinction
aussi, en ressortir sain et sauf, ses courses
faites ! On remarquera cependant que la Le Code civil est ambigu. D’un côté,
Cour de cassation ne se réfère pas à une lorsqu’il s’agit de l’obligation de veiller à
« obligation de sécurité », mais s’attache la conservation de la chose, l’article 1137
à l’obligation de ne mettre à la disposi- précise que celui qui en est chargé doit
tion des clients que des produits ne pré- « y apporter tous les soins d’un bon père
sentant pas de danger, de risques anor- de famille ». On en conclut naturelle-
maux. ment que la responsabilité du débiteur
Droit civil des obligations
138

ne saurait être engagée que si une faute nous évoquions plus haut, illustrera la
de sa part est démontrée, la faute consis- seconde.
tant précisément à ne pas s’être com- Cette distinction est générale, suscep-
porté comme le modèle de référence. tible de s’appliquer à tout contrat. Quel
C’est ainsi sur le créancier que pèse la critère retenir, qui permette de détermi-
charge de la preuve. ner avec certitude si l’obligation inexé-
De l’autre, et d’une façon générale, cutée était de moyens ou de résultat, avec
l’article 1147 prévoit qu’en cas d’inexé- les conséquences que l’on connaît quant
cution de l’obligation, ou de retard, le à la charge de la preuve ? On admet géné-
débiteur est, s’il y a lieu, condamné au ralement que l’obligation est « de
paiement de dommages et intérêts, s’il moyens », soit lorsqu’il existe un aléa
ne justifie pas que l’inexécution « pro- dans l’exécution, soit lorsque le créancier
vient d’une cause étrangère qui ne peut participe, d’une manière ou d’une autre, à
lui être imputée… » Il est clair qu’alors, cette exécution. Nous ne pouvons que
la réparation du préjudice est due dès citer ici, a contrario, le célèbre arrêt Cirque
l’instant que l’inexécution est avérée. de Gavarnie, déjà ancien : l’obligation de
C’est donc, alors, sur le débiteur que pèse l’ânier était une obligation de résultat
la charge de la preuve, s’il veut se libérer. parce que la Veuve Charles ne participait
Sa faute est peut-on dire, présumée. aucunement à la conduite de l’âne sur
Comment sortir de cette contradiction ? lequel elle était montée et qu’il n’y avait
S’inspirant de la doctrine italienne, par ailleurs, aucun aléa dans ce « contrat
René Demogue a montré, dans l’entre- de transport ». Ces caractéristiques se
deux guerres, qu’il ne s’agissait pas tant retrouvent-elles dans le cas des accidents
survenant dans un magasin en libre-
d’une question de charge de la preuve
service et, plus précisément, dans l’hypo-
que de contenu de l’obligation, d’inten-
thèse de notre arrêt ?
sité peut-on dire. Certaines obligent le
débiteur à apporter toute sa diligence à
l’exécution de l’obligation, sans l’enga- 2. Accidents de magasins
ger à obtenir un résultat : ce sont les obli- Cette décision appartient à une série
gations « de moyens ». D’autres, au minoritaire à un double titre. D’une part,
contraire, l’obligent à atteindre une fin parce que la responsabilité retenue est
déterminée : ce sont les obligations « de contractuelle, d’autre part, parce que
résultat ». l’obligation inexécutée, à l’origine du
De la première catégorie, on donnera préjudice subi par la dame Huguet, y est
l’exemple le plus classique : l’obligation présentée en tant qu’obligation de résul-
du médecin envers son patient. Le prati- tat. Généralement, en effet, dans le cas
cien ne peut promettre la guérison, mais des accidents survenant dans un maga-
il doit soigner consciencieusement, selon sin, lorsque la responsabilité contrac-
les données acquises de la science. L’obli- tuelle est retenue, les juges ne mettent à
gation du transporteur de faire parvenir la charge de l’exploitant qu’une simple
le voyageur sain et sauf à destination, que obligation de moyens.
Annales
139

En d’autres termes, le client qui a été considéré comme naturellement dange-


blessé doit prouver que ledit exploitant reux, comme un objet à ne saisir qu’avec
avait commis une faute. Ce sera le cas, précaution…
par exemple, du tenancier d’une laverie
automatique qui laisse déborder ses Il y a, dans tout ceci, à l’évidence, une
machines, de sorte qu’un client glisse sur logique certaine. On se demande, cepen-
l’eau savonneuse répandue. Il n’y aurait dant, si une autre voie (plus simple ?)
eu nulle faute si le sol avait été sec, non n’aurait pas pu être suivie. La proposi-
glissant. C’est précisément à cette juris- tion nous amène à écarter l’existence
prudence que le pourvoi faisait allusion : d’un contrat.
la victime devait démontrer que son
cocontractant n’avais pas mis en œuvre
tous les moyens propres à éviter le dom- II. Ce qui aurait pu
mage.
Dans notre arrêt, au contraire, « l’obli- être jugé
gation de ne mettre à la disposition des
clients que des articles ne présentant pas Le plus souvent, le recours à la responsa-
de dangers autres que ceux pouvant bilité contractuelle, avec les difficultés
résulter normalement de leur nature » est que présente la distinction des obliga-
délibérément conçue comme une obli-
tions de moyens et de résultat, que nous
gation de résultat. La faute de l’exploi-
venons d’examiner, est écarté par la juris-
tant est en quelque sorte présumée : à lui
de démontrer la cause étrangère qui ne prudence. La raison avancée est qu’il
lui est pas imputable. n’existe pas, ou pas encore, de contrat
Pourquoi cette différence ? On peut entre celui qui se trouve à l’intérieur du
avancer que, dans notre cas la bouteille magasin en libre-service et l’exploitant,
de limonade qui a explosé lorsque la ou encore, si l’on reconnaît qu’il existe
cliente l’a saisie était l’objet même de un contrat, que celui-ci ne fait naître
l’obligation née du contrat. Il n’y a nulle aucune obligation de sécurité.
incohérence à voir, dans la défaillance
manifeste de cet objet, l’inexécution La victime invoquera alors les règles
d’une obligation de résultat. Dans des de la responsabilité délictuelle et, plus
conditions normales d’utilisation, on ne précisément, celles de la responsabilité
peut accepter aucun aléa dans le manie- du fait des choses. Ce n’est pas dire, pour-
ment d’une bouteille de verre contenant tant, que la question sera nécessairement
une boisson gazeuse, et la participation
simplifiée. Est alors, en effet, responsa-
du client (prendre une bouteille afin de
ble, le gardien de la chose, mais dans des
la placer dans le chariot) est limitée,
conforme à cette forme de vente : tout hypothèses semblables à la nôtre, on
risque doit être exclu. Au contraire, un hésite souvent entre la garde de la struc-
couteau, par exemple, pourrait être ture et celle du comportement.
Droit civil des obligations
140

A. Le gardien de la chose déterminer qui en était propriétaire. En


d’autres termes, la société l’Aquitaine a
On sait qu’à partir de la fin du XIXe siècle, pu en conserver la garde quoique l’on
désireuse d’alléger le fardeau de la preuve puisse imaginer qu’un hypothétique
imposé aux victimes d’accidents, la Cour contrat de vente en avait transféré la
de cassation a découvert dans l’arti- propriété à la dame Huguet.
cle 1384, alinéa 1er, du Code civil, un Mais il y a plus. Sans que le droit de
nouveau principe de responsabilité, propriété soit en cause, la garde peut, en
objective, « sans faute ». Lorsque (cas, effet, faire l’objet d’un transfert. Ainsi
évidemment, le plus usuel), le dommage l’emprunteur d’une chose en devient-il,
est causé par l’intervention d’une chose, en principe, le gardien, et l’on a vu le cas
doit être déclaré responsable de plein du vol. Ici encore, il s’agit d’une question
droit, celui qui avait la chose « sous sa de fait. Dès lors, on peut se demander si
garde ». Ce « gardien » ne peut alors se l’appréhension de la bouteille par la
décharger en démontrant qu’il n’a pas dame Huguet était de nature à lui en
commis de faute… mais seulement, ce transférer la garde et, ainsi, à en déchar-
qui est beaucoup plus difficile, en rappor- ger corrélativement la société l’Aqui-
tant la preuve que le dommage est dû à taine. Certainement non. Le pouvoir
une cause qui ne lui est pas imputable, qu’acquiert un client dans ces circons-
un cas de force majeure. tances est limité par son objet même.
Comment définir le gardien ? Écartant Transporter une marchandise, dans un
la théorie de la garde juridique, liant « caddie », jusqu’à la caisse n’est pas véri-
garde et propriété, l’assemblée plénière tablement en « user », et l’on chercherait
de la Cour de cassation a, dans le célèbre une réelle indépendance.
arrêt Franck (en 1930), donné une défi- Aussi bien, un arrêt de la Cour de cas-
nition qui demeure pertinente. La garde sation, postérieur à notre décision, qui
est indépendante de la propriété ; elle est figure dans les notes de jurisprudence de
liée au pouvoir, parce que pouvoir et res- notre Code civil Dalloz, a-t-il décidé que
ponsabilité vont de pair. Ainsi la garde « la manipulation par un client d’un
doit elle être reconnue à celui qui a objet offert à la vente ne suffit pas à lui en
« l’usage, le contrôle et la direction » de transférer la garde » (Cass. 2e civ., 28 fév.
la chose. Peu importe qu’il n’en soit pas 1996, sous art. 1147). Nous relèverons
propriétaire. La garde est un « pouvoir simplement qu’une solution différente a
de fait » ; indépendant, unique. Ainsi été donnée pour les chariots mis à la libre
celui à qui a été volé une chose (une disposition des clients (Cass. 2e civ.,
automobile, dans l’affaire Franck) en 14 janv. 1999).
perd-il la garde : le voleur devient gar- Ainsi, l’exploitant du magasin aurait
dien. Cela signifie, évidemment, que certainement pu être considéré comme
dans notre cas, la question de savoir qui le gardien (et, donc, le responsable) de la
était gardien de la bouteille de limonade bouteille, abstraction faite de tout
est absolument différente de celle de recours à l’idée d’obligation contrac-
Annales
141

tuelle « de résultat ». On doit voir là une teille remplie de boisson gazeuse


manifestation de la tendance au rappro- — donc, sous pression — a manifeste-
chement des deux régimes de responsabi- ment un dynamisme propre, capable de
lité. S’agissant de la responsabilité liée à se manifester dangereusement.
la garde, on se demande cependant, par- Si nous retenons la pertinence de
fois, s’il n’y a pas lieu de distinguer entre cette analyse, nous ne pouvons que faire
la garde de la structure et celle du com- observer qu’il est douteux que, supposé
portement. le litige tranché sur le fondement de la
responsabilité du fait des choses, la
B. Garde de la structure société l’Aquitaine eût été jugée « gar-
dienne ». La garde n’aurait-elle pas dû
et garde du comportement être attribuée à la Société européenne de
Attribuer la responsabilité du dommage brasserie qui avait fourni la bouteille ?
causé par une chose à son gardien sup- On accordera que cette dernière, mieux
pose que ce dernier avait, avons-nous dit, que le simple distributeur, était à même
un pouvoir sur cette chose. Or, il est des d’en déceler un éventuel défaut. En ce
cas où l’on peut douter de l’effectivité de sens, nous pouvons citer un arrêt de la
ce pouvoir. Lorsque la chose est dotée Cour de cassation, un peu antérieur au
d’un dynamisme propre, contenant en nôtre, qui a estimé que la société qui
elle-même une force susceptible de cau- avait fabriqué la boisson, et mise en bou-
ser un dommage, la question s’est posée teille, en avait conservé la garde (Cass.
de savoir s’il ne convenait pas, plutôt, de 1re civ., 12 nov. 1975, en note sous l’arti-
désigner comme gardien celui qui avait cle 1384 du Code civil Dalloz). Ainsi,
un réel pouvoir de prévenir ce dommage. malgré les ventes successives, la garde de
Ainsi est née, sous l’impulsion de la structure avait-elle été conservée par
M. Berthold Goldman, la distinction de le fabricant, seule faisant l’objet d’un
la garde de la structure et de la garde du transfert la garde du comportement.
comportement.
La Cour de cassation a plusieurs fois III. Ce qui pourrait
consacré ces principes, notamment dans
la célèbre affaire de l’« oxygène liquide », être jugé
il y a près de cinquante ans. A été jugé
responsable, en tant que gardien, de la Les analyses précédentes ont montré
structure, non le transporteur de la bou- qu’il subsistait dans notre matière, beau-
teille de gaz comprimé, qui l’avait mani- coup d’incertitudes, alors que la sécurité
pulée, mais le fabricant qui, l’ayant rem- que doit présenter un produit de
plie, pouvait en contrôler l’état, vérifier consommation est un thème essentiel et,
par exemple que l’acier ne présentait malheureusement, récurrent. Les parte-
aucune « paille ». Depuis lors, les appli- naires européens ont décidé, il y a déjà
cations de ces idées ont été multiples, longtemps, d’élaborer des règles régis-
notamment dans notre cas : une bou- sant, d’une façon générale, la responsabi-
Droit civil des obligations
142

lité du fait des produits défectueux. La boisson gazeuse lors de son achat, nous
directive du 25 juillet 1985 a été intro- avons relevé que l’existence d’un contrat
duite dans le droit français, avec un cer- et, conséquemment, la mise en œuvre de
tain retard, par la loi du 19 mai 1998. Il la responsabilité contractuelle, retenue
s’agit aujourd’hui des articles 1386-1 à par notre arrêt, ne faisait pas l’unanimité.
1386-18 du Code civil, formant le nou- Et que dire si une tierce personne — une
veau titre IV bis du Livre III. Leur applica- autre cliente — avait été blessée ?
tion n’est (encore) que facultative, ce Aurait-on distingué ? Voilà donc une dis-
que l’on peut regretter. position qui devrait mettre un terme à
Notre commentaire ne serait pas com- toutes nos hésitations et, parfois, nos
plet si nous n’évoquions brièvement, incohérences. Nous signalerons simple-
dans une inhabituelle IIIe partie, ces ment, que la Cour de cassation a récem-
principes, qui pourraient donc trouver, ment éludé cette distinction en interpré-
éventuellement, à s’appliquer désormais. tant les articles 1147 et 1384, alinéa 1er,
Le plus caractéristique est la disparition du Code civil « à la lumière de la direc-
de la distinction entre responsabilité tive du 24 juillet 1985 ».
contractuelle et responsabilité délic-
tuelle (A). La question de la sécurité que B. Sécurité des produits
doit présenter un produit nous ramène,
au contraire, sur un terrain connu (B). Le producteur est responsable du dom-
mage causé par ses produits défectueux.
A. Nouvelle responsabilité Aux termes de l’article 1386-3, est
défectueux un produit qui « n’offre pas
Le nouvel article 1386-1 du Code civil la sécurité à laquelle on peut légitime-
prévoit que « Le producteur est responsa- ment s’attendre »… compte tenu « de
ble du dommage causé par un défaut de toutes les circonstances et, notamment
son produit, qu’il soit ou non lié par un de la présentation du produit, de l’usage
contrat avec la victime. » Cette disposi- qui peut en être raisonnablement
tion fondamentale (la première du nou- attendu et du moment de sa mise en cir-
veau titre IV bis) entend unifier le régime culation ».
de la responsabilité en faisant disparaî- On ne pourra manquer d’être frappé
tre la distinction entre responsabilité par la proximité de cette formule avec
délictuelle et responsabilité contrac- celle retenue par la Cour de cassation
tuelle. Il n’était guère logique, en effet, dans notre décision. En effet, la « sécu-
que selon la qualité de la victime (l’ache- rité à laquelle on peut légitimement s’at-
teur du produit, ou un ami, en visite, qui tendre » se rapproche fortement de la
l’utilise…) le régime de la responsabilité sécurité qui résulte de ce que les articles
soit différent, et malgré le rapproche- mis à la disposition des clients « ne pré-
ment des deux ordres de responsabilité. sentent pas de dangers autres que ceux
Dans notre hypothèse — margi- pouvant résulter normalement de leur
nale — d’explosion d’une bouteille de nature ».
Annales
143

Qu’une bouteille de limonade n’ex- vera, pour finir, que la délicate distinc-
plose pas lorsqu’on la saisit afin de la tion de la structure et du comportement
mettre dans le chariot est manifestement s’est évanouie et que la responsabilité est
une « sécurité » minimale, attendue légi- attribuée au seul producteur (s’il est
timement d’un acheteur ! Et l’on obser- connu, évidemment).
Inexécution du contrat
Thème principal Responsabilité contractuelle
Autres thèmes Liberté contractuelle
Mots clés obligations du professionnel, exécution
du contrat, conditions de fond de la formation
des contrats, erreur, dol, objet du contrat, effets
de l’annulation du contrat, responsabilité
du garagiste, contrôle technique, prix,
modification unilatérale

sujet donné et établi par :


Cécile Robin
maître de conférences

T Université de Haute-Alsace (Mulhouse)


JE Premier semestre 2005-2006
U
S

Étude de cas :
I. M. Lebrun, entrepreneur de travaux publics, connaît des difficultés finan-
cières. Afin de faire quelques économies, il procède lui-même aux réparations
nécessaires sur les engins de chantier. Toutefois, par manque de temps, il confie
l’un des engins à un garagiste, en lui indiquant clairement la mission à accomplir
à moindre coût et en lui remettant même les pièces détachées nécessaires. Hélas,
trois semaines plus tard, l’engin tombe à nouveau en panne et, sous l’effet de la
surchauffe, explose en blessant un client.
M. Lebrun, considérant que le garagiste a mal effectué son travail, l’assigne
en justice aux fins d’obtenir réparation. Le garagiste réplique en affirmant qu’il a
exécuté la mission stricte qui lui était confiée, qu’il a procédé à la dépose et à la
repose après réparation du moteur, qu’il a remis le moteur en route et que ce der-
Droit civil des obligations
146

nier a fonctionné. Il explique la nouvelle panne par les réparations antérieures


effectuées par M. Lebrun lui-même.
Vous indiquerez quels sont les arguments juridiques que peut soulever
chacune des parties et quelle sera la solution vraisemblablement retenue
par les juges.
Vous comparerez cette situation avec celle dans laquelle sont placés le
client et le centre de contrôle technique des véhicules. Quelle serait
l’analyse jurisprudentielle si un incident identique se produisait à propos
d’un véhicule automobile qui a subi le contrôle technique obligatoire ?
(8 points)

II. Mme Lebrun loue, depuis dix ans, deux chambres fortes auprès de la ban-
que Prétatout. Les contrats prévoient que le prix du loyer est fixé annuellement
par la banque, et que les contrats sont résiliables à tout moment par chacune des
parties moyennant le respect d’un préavis d’un mois.
Le 3 mars 2005, elle a reçu une lettre de la banque lui indiquant qu’à comp-
ter du 3 octobre 2005, date anniversaire des contrats, le prix de location passera
de 10 000 à 25 000 euros, compte tenu de l’évolution des charges des installations
de chambres fortes et compte tenu du prix exceptionnellement bas antérieure-
ment pratiqué. Face aux protestations de Mme Lebrun, la banque a accepté de fixer
un prix forfaitaire de 40 000 euros pour le coût de location des deux chambres.
Tout en renouvelant les contrats avec réserves, Mme Lebrun décide d’assigner
la banque en dommages-intérêts.
Vous indiquerez le ou les fondements juridiques que peut invoquer
Mme Lebrun pour obtenir satisfaction et vous préciserez quel raisonne-
ment ont pu tenir les juges qui ont rejeté sa demande. Vous indiquerez
quelle serait la solution retenue si les contrats ne comportaient pas de
clause de révision du prix. (6 points)

III. Afin de réaliser une opération de défiscalisation en bénéficiant de nou-


velles dispositions légales, M. Lebrun a effectué, il y a deux ans, l’achat de plu-
sieurs lots d’un immeuble en copropriété à rénover auprès de la société anonyme
de gestion de patrimoines. Il a procédé à la rénovation de deux appartements qu’il
a donnés en location, et il en habite un occasionnellement depuis un an.
M. Lebrun vient de recevoir la visite d’un inspecteur des impôts qui lui a indiqué
que la loi de défiscalisation n’était pas applicable à ce type d’opérations immobi-
lières, et qu’il devait s’attendre à un redressement fiscal.
Annales
147

M. Lebrun, qui avait clairement indiqué au vendeur qu’il achetait dans le but
de réaliser des économies fiscales, souhaite obtenir l’annulation de la vente, la
revente à un tiers des lots de copropriété même en partie rénovés ne présentant
pas un intérêt financier suffisant.
Vous indiquerez à M. Lebrun si les conditions pour obtenir l’annulation
du contrat de vente sont réunies, et vous lui préciserez quelles seraient les
conséquences civiles d’une éventuelle annulation. (6 points)

Durée de l’épreuve : 3 heures. L’usage du Code civil est autorisé.

Approfondissements Question n° 2
– Cass. 1re civ., 30 juin 2004, D. 2004, AJ,
2150, note V. Avena-Robardet ; D. 2005,
Question n° 1 p. 1828, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2004,
p. 749, obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2005,
– Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, Legoy c/Soc.
p. 126, obs. P. Jourdain.
Trabisco, Resp. civ. et assur. 2005, comm. 22, obs.
S. Hocquet-Berg ; RTD civ. 2005, p. 406, obs. Question n° 3
P. Jourdain. – Cass. 3e civ., 24 avr. 2003, Dr. et patri-
– Cass. 1re civ., 19 oct. 2004, Giraud Sau- moine, sept. 2003, n° 118, p. 116, note P. Chau-
veur c/Ropartz, D. 2005, p. 1974, note vel ; Rev. contrats 2003, p. 44, obs. D. Mazeaud ;
H. Causse ; Resp. civ. et assur. 2004, comm.373, RTD civ. 2003, p. 699, obs. J. Mestre, B. Fages.
obs. S. Hocquet-Berg ; RTD civ. 2005, p. 136, – Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, RTD civ.
obs. P. Jourdain. 2001, p. 352, obs. J. Mestre, B. Fages.

Conseils inutile. Aucun point commun ne peut


être découvert entre les trois questions…
à part, le droit des obligations. Une
L e cas pratique comporte trois situa-
tions distinctes abordant chacune
un problème juridique différent. Il
introduction générale aboutirait inéluc-
tablement à un recopiage du sujet et
ferait perdre du temps à l’étudiant. Il
convient ainsi de traiter séparément cha- semble préférable de construire une
que question et d’élaborer un plan en introduction pour chacune des trois
deux parties (si cela est possible) pour situations. L’introduction reprend les
chaque situation. faits pertinents, la question posée par le
Pour ce genre de cas pratique, la rédac- « client » et la formulation juridique de
tion d’une introduction générale paraît cette interrogation sous la forme du pro-
Droit civil des obligations
148

blème juridique (voir infra pour chacune Chaque partie est, en principe, subdi-
des questions). visée en deux sous-parties. Il est fréquent
Dans la mesure où chacune des ques- dans un cas pratique que la subdivision
tions posées aborde un point précis, un reprenne le schéma conditions/effets.
Par exemple, dans la troisième question,
intitulé juridique doit annoncer chaque
la première sous-partie permettra de
partie. La lecture du cas pratique permet
dégager quelle est la condition de forma-
de situer le problème posé : s’agit-il d’un
tion du contrat qui fait défaut, tandis que
problème de formation, d’exécution ou
la seconde permettra de préciser les effets
de disparition du contrat ? Le premier cas de l’annulation du contrat (et l’éven-
porte à l’évidence sur la recherche de res- tuelle satisfaction du demandeur). Dans
ponsabilité du garagiste (ou plus large- le premier cas, les directives données
ment du professionnel). L’intitulé doit dans le sujet conduisent normalement
être suffisamment précis. Il faut cepen- l’étudiant à scinder son travail en trois
dant bannir les intitulés reprenant le sous-parties (il était possible au prix d’un
nom des protagonistes. Ces derniers doi- déséquilibre entre A et B d’étudier la res-
vent être qualifiés juridiquement, le ponsabilité du garagiste en A et celle du
contractant, le vendeur, le profession- centre de contrôle technique automobile
nel… en B).

Corrigé
I. La responsabilité ponsabilité d’une personne ne peut être
retenue que si certaines conditions sont
du garagiste remplies : un contrat, un manquement
pour manquement contractuel (défaut d’exécution d’une
obligation), un préjudice, et un lien de
à ses obligations causalité entre le manquement contrac-
tuel (faute) et le préjudice. En l’occur-
Une introduction permet d’exposer les rence, le problème juridique porte sur la
faits afin de dégager le problème juridi- nature et l’étendue des obligations aux-
que. quelles est tenu le garagiste. Quelles sont
Le client du garagiste souhaite obtenir les obligations pesant sur le garagiste et
réparation, c’est-à-dire indemnisation quelle en est l’étendue ? Quelle est l’inci-
pour le préjudice subi. Il doit engager la dence de l’immixtion du client dans
responsabilité du garagiste, lequel est l’exécution des obligations pesant sur le
contractuellement lié à son client, même garagiste ? L’analyse sera-t-elle identique
si ce contrat est souvent verbal. La res- si la responsabilité recherchée est celle
Annales
149

du centre de contrôle technique. Quelles à-dire de ne pas porter atteinte à la vie et


sont la nature et l’étendue des obliga- à la santé d’autrui par des réparations
tions pesant sur le centre de contrôle défectueuses ou incomplètes. Dans le cas
technique ? soumis aux étudiants, un tiers avait été
Des directives étaient données à l’étudiant blessé par l’explosion du véhicule. Le
afin de traiter le sujet. Il est, bien entendu, tiers réclamera réparation à M. Lebrun
possible de s’en affranchir dès lors que tous et non au garagiste avec lequel il n’est
les points sont traités. pas lié contractuellement.
Les exigences du correcteur concernant Les deux premières obligations méri-
ce premier cas étaient grandes, dans la tent un examen attentif. Elles sont, d’ail-
mesure où les arrêts de la Cour de cassation leurs, visées par la Cour de cassation dans
relatifs à ces questions étaient insérés dans son arrêt du 30 novembre 2004 (préc.).
une fiche de travaux dirigés. Le client peut, pour obtenir une
indemnisation, invoquer le fait que le
garagiste est tenu d’une obligation de
A. L’obligation du garagiste résultat de réparer le véhicule. La juris-
d’atteindre un résultat prudence se montre généralement sévère
avec le professionnel qu’est le garagiste.
L’étudiant devait nécessairement rappeler les L’étudiant doit définir ce qu’est une obli-
conditions à réunir pour engager la respon- gation de résultat (C. civ., 1147) et pré-
sabilité contractuelle d’une personne ciser pourquoi le client a intérêt à s’abri-
(contrat, faute, préjudice et lien de causalité ter derrière cette jurisprudence
entre la faute et le préjudice). défavorable pour le garagiste (difficulté
Ces observations préalables condui- d’exonération de responsabilité).
sent à s’interroger sur la nature des obli- Il peut, dans le même sens, soulever
gations pesant sur le garagiste. Il fallait l’inexécution de l’obligation de conseil
alors exposer clairement ces différentes du garagiste qui aurait dû lui indiquer que
obligations. les réparations effectuées étaient insuffi-
En premier lieu, le garagiste est tenu santes pour assurer le fonctionnement en
d’une obligation de réparer le véhicule toute sécurité de l’engin.
suivant les règles de l’art. Il s’agit de son
obligation essentielle. B. L’allégement
En deuxième lieu, le garagiste est tenu de l’obligation du garagiste
d’une obligation de conseil. En sa qua-
lité de professionnel, il doit conseiller le confronté à un client
client sur les réparations à effectuer et non profane et acceptant
attirer son attention sur les défaillances les risques
du véhicule.
Enfin, la jurisprudence fait peser sur Le garagiste pouvait, afin d’échapper à sa
lui une obligation de sécurité, c’est- responsabilité, invoquer le fait que le
Droit civil des obligations
150

client non profane était intervenu pour ces conditions ou au moins attirer son
délimiter sa mission à exécuter à moin- attention sur les risques encourus ? Sur
dre coût (c’est-à-dire pour préciser ce point encore, le garagiste est exonéré
l’étendue de son obligation de réparer), de sa responsabilité du fait de la qualité et
et qu’il lui avait fourni les pièces à utili- des connaissances du client qui ne peut
ser. L’obligation de réparer pesant sur le pas être assimilé à un profane. L’obliga-
garagiste devient une obligation de tion de conseil est relative et dépend de
moyens. L’étudiant doit définir cette la qualité de professionnel ou de non
notion (C. civ., art. 1137) et indiquer en professionnel du partenaire du presta-
quoi le garagiste a intérêt à invoquer taire de service (NB : cette jurisprudence
cette qualification. se distingue de celle concernant la res-
La Cour de cassation dans l’arrêt du ponsabilité des notaires et des autres pro-
30 novembre 2004 (préc.) admet que fessionnels du droit, dont le devoir de
l’obligation pesant sur le garagiste peut, conseil n’est pas affaibli par la compé-
dans certaines conditions, être une obli- tence juridique du client).
gation de moyens. Il convient de repren-
dre l’argumentation de la Cour en l’ap- C. L’obligation pesant
pliquant aux faits exposés dans le cas
pratique. Le client ne doit pas être un sur le centre de contrôle
profane en mécanique, ce qui transparaît technique automobile
à travers les réparations préalables et
habituelles auxquelles il se livre sur les L’intérêt de la comparaison entre la
véhicules. Il doit avoir clairement déli- situation du garagiste et celle du centre
mité la mission du garagiste en lui don- de contrôle technique tient à la diffé-
nant des directives pour l’exécution de rence entre les obligations pesant sur
son obligation. La compétence du client chacun d’eux. Le centre de contrôle
justifie la pertinence des ordres qu’il technique a vu sa mission définie régle-
donne au garagiste : effectuer une répara- mentairement (décret du 15 avril 1991).
tion à moindre coût en utilisant les piè- Il n’est pas tenu d’une obligation de répa-
ces fournies. Le client a tacitement rer, mais d’une obligation de vérifier cer-
accepté les risques d’une réparation tains points de contrôle technique sans
superficielle. Seule une faute commise opérer de démontage du véhicule. Le
dans la mission restreinte confiée au contrôle n’est donc pas complet.
garagiste peut justifier l’engagement de Il en résulte que l’étendue de l’obliga-
sa responsabilité. tion du contrôleur est strictement déli-
NB : l’étudiant devait trouver des argu- mitée. Sa responsabilité ne peut être
ments dans les deux sens en A et B. engagée que dans ce cadre (Cass. 1re civ.,
Néanmoins, le garagiste demeure tenu 19 oct. 2004).
de son obligation de conseil. N’aurait-il En dehors de cette mission restreinte,
pas dû avertir le client de l’impossibilité la responsabilité (contractuelle ou délic-
d’effectuer une réparation correcte dans tuelle ?) du contrôleur ne peut être rete-
Annales
151

nue qu’en cas de négligence susceptible devait s’interroger sur la solution à rete-
de mettre en cause la sécurité du véhi- nir en l’absence de clause de révision du
cule. Le contrôleur est tenu, alors, de prix dans les contrats. Aucun terme au
signaler des signes apparents de défail- contrat n’était indiqué. D’ailleurs, si
lance qu’il constate dans le cadre de cette hypothèse devait être retenue, le
l’exécution de sa mission (sans démon- cas pratique ne présenterait aucun inté-
tage du véhicule). rêt, le pollicitant étant libre du contenu
de son offre, et le destinataire de l’offre
II. La libre modification étant tout aussi libre de refuser la conclu-
sion d’un nouveau contrat. De multiples
unilatérale du prix indices devaient conduire l’étudiant à en
dans le contrat déduire que la relation était à durée indé-
terminée avec faculté unilatérale de
de location de coffre-fort modification du prix au profit de la ban-
que et avec faculté unilatérale de résilia-
Ce deuxième cas, qui concernait l’exé- tion par chacun des contractants.
cution d’un contrat de longue durée, a
été mal abordé par les étudiants qui n’ont D’autres étudiants n’ont pas su invo-
généralement pas perçu le problème juri- quer le moindre fondement juridique à
dique. Pourtant, il était indiqué dans le leurs développements.
sujet que Mme Lebrun sollicitait des tribu- Pourtant, la question de la fixation du
naux des dommages-intérêts, ce qui prix dans le cadre de relations contrac-
conduisait à réfléchir en termes de tuelles de longue durée avait été déve-
recherche de responsabilité d’un éven- loppée en cours et en travaux dirigés à
tuel « fautif », la banque. Il convenait à travers les célèbres arrêts de l’assemblée
nouveau de s’interroger sur le manque- plénière de la Cour de cassation du
ment par la banque à l’une de ses obliga- 1er décembre 1995 relatifs à l’abus dans la
tions justifiant la mise en jeu de sa res-
fixation du prix dans les contrats-cadre.
ponsabilité.
Après un rappel des faits pertinents, le
Certains étudiants se sont égarés dans
problème juridique pouvait être posé de
les conditions de formation du contrat
la façon suivante. À l’occasion du renou-
en considérant qu’il s’agissait d’une suc-
cession de contrats à durée déterminée, vellement d’un contrat à durée indéter-
et qu’une nouvelle offre de contracter minée de location de coffre-fort, le bail-
était faite à Mme Lebrun. Cependant, le leur a-t-il le pouvoir d’augmenter le prix,
cas était suffisamment détaillé quant aux et ce pouvoir est-il enserré dans certaines
conditions de renouvellement (recon- limites ? (NB : il était inutile de s’interroger
duction) du contrat (fixation du prix), sur la qualification exacte du contrat de mise
et quant à la faculté de résiliation unila- à disposition de coffre-fort, cette question
térale sous condition de respect d’un n’étant pas au programme de deuxième
préavis d’un mois. En outre, l’étudiant année).
Droit civil des obligations
152

A. Le pouvoir limité Il convient alors de rappeler le raison-


nement suivi par l’assemblée plénière de
du bailleur de modifier
la Cour de cassation dans les arrêts du
le prix dans un contrat 1er décembre 1995. La Cour ne raisonne
de location de coffre-fort plus en termes de formation mais d’exé-
cution du contrat. Et elle admet que le
Le prix constitue, au même titre que la contractant qui fixe le prix peut abuser
chose, l’objet du contrat. La question de son droit. Son partenaire peut alors
consiste à déterminer si le prix peut évo-
demander la résiliation du contrat ou sol-
luer en cours d’exécution d’un contrat.
liciter une indemnisation, ce que
Ce problème se pose dans les contrats à
exécution successive de longue durée, demande, en l’occurrence, Mme Lebrun.
comme en l’espèce. En l’occurrence, le Bien qu’il ne s’agisse pas dans le cas pra-
contrat prévoit que le prix du loyer est tique de contrats-cadre, le même raison-
fixé annuellement par la banque. Il s’agit nement peut être tenu (il l’a d’ailleurs
d’une clause de modification ou de révi- été par la cour d’appel de Paris dans l’ar-
sion unilatérale du prix, modification rêt du 24 octobre 2000 cassé par la Cour
intervenant à chaque date anniversaire de cassation dans sa décision du 30 juin
du contrat. Le bailleur a donc contrac- 2004, préc.). Mme Lebrun peut, en effet,
tuellement le pouvoir d’opérer cette demander à la banque de justifier de
modification du prix. l’augmentation des charges pesant sur ses
L’étudiant pouvait indiquer à ce installations. À défaut de justifications
niveau (afin de répondre à la question des motifs invoqués par la banque (aug-
posée) que, en l’absence de clause de mentation des charges, prix antérieurs
révision du prix, la théorie de l’absence extrêmement bas), la banque aura abusé
de révision du prix pour imprévision de son droit de modification du prix en
s’applique (au moins en droit civil). Il procédant à une hausse de 150 % du prix
fallait alors citer l’arrêt fondateur rendu
de location.
dans l’affaire dite du Canal de Craponne
(Civ., 6 mars 1876) et expliquer cette Cette analyse fait peser sur la banque
analyse jurisprudentielle. L’insertion de une obligation d’exécuter le contrat de
clauses de révision du prix par les parties bonne foi (C. civ., art. 1134), obligation
dans leur contrat est justement destinée qui « impose à chaque partie d’adopter
à pallier les inconvénients de l’applica- un comportement raisonnable et
tion de la théorie de l’imprévision. modéré, sans agir dans son intérêt exclu-
En présence d’une clause de révision sif ni nuire de manière injustifiée à son
du prix, le bailleur est-il libre de modifier partenaire » (CA Paris, 24 oct. 2000,
le prix et, notamment, de le rehausser préc.). Ce sont les principes de la solida-
fortement ? Son droit est-il limité ? rité, de l’équité (C. civ., art. 1135), de
Mme Lebrun considère que la hausse loyauté contractuelle qui constituent le
des prix de location est trop importante. fondement de cette analyse.
Annales
153

B. La liberté contractuelle III. L’impossible


de modification du prix annulation d’un contrat
dans un contrat de location de vente pour erreur
de coffre-fort sur les motifs
À l’inverse, il est possible d’argumenter Ce troisième cas porte sur un point clas-
afin de rejeter la demande en dommages- siquement soumis à la sagacité des étu-
intérêts de Mme Lebrun, ce qu’a fait la diants. Un contractant demande l’annu-
Cour de cassation dans l’arrêt du 30 juin lation d’un contrat qu’il a conclu. La
2004. première difficulté consiste à dégager
quelles causes d’annulation peuvent être
Les étudiants pouvaient relever l’exis-
invoquées. Il convient ensuite de préci-
tence d’un principe de liberté contrac-
ser les effets de l’annulation, afin de
tuelle, qui laisse libre chaque partenaire démontrer que l’objectif initialement
de contracter ou, en l’espèce, de résilier poursuivi par le contractant mécontent
le contrat. Mme Lebrun a été informée est atteint. La construction d’un plan ne
suffisamment tôt (huit mois avant la date posait ainsi aucune difficulté, elle était,
d’échéance) de l’augmentation du prix. d’ailleurs, suggérée par l’énoncé du sujet.
Elle était donc libre de résilier le contrat Le contractant qui achète un bien
en respectant le préavis d’un mois dans le but de profiter d’un avantage fis-
contractuellement imposé. Elle était cal peut-il obtenir l’annulation du
libre de s’adresser à la concurrence. contrat de vente lorsqu’il apprend que
Aucune clause d’exclusivité ne liait les l’opération de défiscalisation envisagée
est juridiquement exclue ? Ce vice
parties, Mme Lebrun pouvait s’adresser à
justifie-t-il une annulation du contrat ?
un autre établissement de crédit. Elle
La simple qualification de vice dans
n’était pas contrainte de renouveler le l’énoncé du problème juridique laisse la
contrat. Il n’y a pas abus de la part de la possibilité d’invoquer plusieurs causes
banque, Mme Lebrun, prévenue suffisam- d’annulation.
ment tôt, n’étant pas dans une situation
de dépendance économique et pouvant
A. Les conditions
s’adresser à un concurrent.
d’annulation du contrat
L’abus dans la fixation du prix ne
résulte pas uniquement d’une augmen-
de vente
tation démesurée des tarifs, mais elle doit Les vices à envisager étaient les deux
être appréciée en fonction du comporte- vices du consentement que sont l’erreur
ment du créancier et des modalités du et le dol (NB : l’étudiant qui raisonnait en
contrat (absence de clause d’exclusivité termes de cause ne pouvait pas être lourde-
et droit de résilier le contrat). ment sanctionné, dans la mesure où la dis-
Droit civil des obligations
154

tinction entre erreur sur les motifs, erreur entraîner l’annulation. Le motif est exté-
sur la cause ou absence de cause est délicate rieur à l’objet du contrat, à savoir à la
dans le cas d’espèce, voir Cass. 1re civ., substance de la chose. Telle est la posi-
13 févr. 2001, JCP éd. G, 2001, I, 330, tion généralement adoptée par la Cour
obs. J. Rochfeld). de cassation dans des opérations ratées
Certains étudiants ont considéré qu’il y de défiscalisation. Le contrat ne pouvait
avait dol alors qu’il était sans doute difficile donc pas être annulé.
de démontrer l’intention du vendeur de
tromper son acheteur. Quoi qu’il en soit B. Les effets
l’examen de chacun de ces deux vices doit
s’effectuer en donnant la définition de cha-
de l’éventuelle annulation :
cun d’eux ainsi qu’en exposant les caractè- les restitutions
res (conditions) de mise en œuvre du vice. Il
faut parallèlement vérifier que les règles de Dans la mesure où l’énoncé du sujet invi-
droit (jurisprudentielles) ainsi dégagées s’ap- tait à exposer les conséquences de l’an-
pliquent au cas d’espèce, c’est-à-dire qu’il nulation, il fallait développer ce point,
convient d’appliquer le droit aux faits expo- et ceci même s’il avait été préalablement
sés dans le cas pratique. La démonstration conclu à l’absence de vice du consente-
étant relativement simple, les exigences du ment.
correcteur sont plus grandes. L’étudiant doit Le retour au statu quo ante entraîne la
procéder par étapes en reprenant la défini- restitution des appartements et du prix
tion donnée en cours et en dégageant les d’acquisition. Cependant, il faut tenir
caractères de l’erreur (l’erreur doit être compte de la rénovation des apparte-
déterminante, excusable et connue de l’au- ments effectuée aux frais de l’acquéreur
tre partie). Si l’étudiant conclut qu’il y a qui ouvre droit à indemnisation, de la
erreur ou dol, sa démonstration doit être perception des loyers par ce dernier
complète, et il ne doit négliger aucun élé- (loyers qui doivent être restitués à comp-
ment de la définition ou aucune condition. ter de la date de l’assignation, en prin-
L’exposé rigoureux de la définition de cipe). L’occupation d’un logement par
l’erreur (C. civ., art. 1110) aurait conduit l’acquéreur pendant plusieurs mois ou
l’étudiant à découvrir qu’il ne s’agissait années n’ouvre pas droit à indemnisa-
pas d’une erreur portant sur une qualité tion.
substantielle de l’objet. L’erreur portait En l’absence de faute du vendeur,
plutôt sur les mobiles, sur les raisons per- aucuns dommages-intérêts ne sont dus. Il
sonnelles ayant animé l’acquéreur. Or, la en va différemment si l’étudiant a conclu
jurisprudence considère que l’erreur sur à l’existence d’un dol (responsabilité
les motifs, même si ces motifs sont civile délictuelle).
connus du cocontractant, ne peut pas
Inexécution du contrat

Thème principal Responsabilité contractuelle


Mots clés obligation de conseil, obligation de moyen,
faute du salarié présenté par une société
de conseil, clause relative à la responsabilité,
préjudice direct, préjudice prévisible

sujet donné et établi par :


François Guy Trébulle
professeur

T Université de Caen–Basse-Normandie
JE Second semestre 2005-2006
U
S

Commentaire :
Commentaire de Cour de cassation, première chambre civile, 2 novem-
bre 2005 :

Attendu qu’ayant découvert, après la démission de M. Y…, comptable,


qu’elle avait recruté par l’intermédiaire de la société Eggo conseils, que celui-là
avait, avec des complices, détourné à son préjudice une centaine de chèques
émis sous la signature contrefaite de son gérant, M. Z…, la société Gaillard, aux
droits de laquelle agit la société ATM, a, après dépôt d’une plainte ayant notam-
ment abouti à la condamnation pénale du comptable indélicat, recherché, avec
M. Z…, la responsabilité de la société Eggo conseils… ;
Droit civil des obligations
156

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches, du pourvoi principal de la société
Eggo conseils :
Attendu que la société Eggo conseils fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir
déclarée responsable du préjudice subi du fait des agissements frauduleux de
M. Y…, alors, selon le moyen :
1° que l’obligation de moyens à laquelle est tenu un cabinet de recrutement
consiste à présenter à son client un salarié sélectionné en fonction de sa compé-
tence et de son expérience au regard du poste à pourvoir ; qu’en ne tirant pas les
conséquences légales de ses constatations suivant lesquelles le candidat présenté
avait été embauché, confirmé dans son poste à l’issue de la période d’essai et était
resté au service de la société Gaillard dix-huit mois avant de démissionner, d’où
il résultait que le candidat convenait parfaitement et que le cabinet avait rempli
son obligation, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
2° qu’en reprochant à la société Eggo de ne pas suffisamment prouver les
diligences accomplies, alors que c’est au créancier d’une obligation de moyens de
prouver que son débiteur n’a pas déployé la diligence nécessaire à l’objet de son
obligation, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315
du Code civil ;
3° qu’en se fondant sur les circonstances que le cabinet de recrutement ne
prouvait pas les diligences accomplies et n’avait pas opéré certaines vérifications,
inopérantes pour établir un manquement à ses obligations, dès lors que l’embau-
che du salarié à l’issue de sa période d’essai établissait qu’il convenait à l’em-
ployeur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de
l’article 1147 du Code civil ;
4° qu’en ne répondant pas aux conclusions de la société Eggo qui faisaient
valoir qu’en tout état de cause, la modification des fonctions de M. Y… et de leurs
conditions d’exercice du fait de la société Gaillard postérieurement à l’embauche
excluait toute responsabilité de sa part, la cour d’appel a violé l’article 455 du
nouveau Code de procédure civile ;
5° qu’en retenant que le fait de ne pas demander au candidat à un poste de
comptable non cadre, devant exercer sa mission sous la surveillance et le contrôle
de son supérieur, un extrait du casier judiciaire, constituait une faute du cabinet
de recrutement, la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d’appel, après avoir exactement retenu que si, par
principe, le conseil en recrutement n’était pas responsable des agissements ulté-
rieurs du salarié embauché grâce à son entremise, il devait néanmoins répondre
des conséquences dommageables de l’inexécution des obligations qui lui incom-
baient en vertu du contrat conclu avec son client, a relevé que, sur la recherche
de la société Gaillard d’un comptable confirmé, expérimenté en comptabilité
Annales
157

des copropriétés et disposant de connaissances en informatique, la société Eggo


conseils s’était obligée à apporter tous les soins et diligences dans la sélection des
candidats pour l’emploi en cause ; qu’ayant constaté, sans inverser la charge de la
preuve, que cette société n’avait opéré aucune vérification des informations por-
tées sur le curriculum vitae de M. Y…, tant en ce qui concerne les diplômes invo-
qués que les emplois déclarés, ni même attiré l’attention de la société Gaillard sur
cette absence de vérification et sur les risques d’une embauche dans de telles
conditions, la cour d’appel a pu décider que la société Eggo conseils avait com-
mis une faute dans l’exécution des obligations qu’elle avait souscrites et devait par
conséquent répondre de ses manquements ; que, par ailleurs, la cour d’appel
n’avait pas à répondre à l’allégation, dépourvue d’offre de preuve, selon laquelle
la société Gaillard avait modifié les attributions de M. Y… ; qu’inopérant en sa
dernière branche qui critique un motif surabondant, le moyen est mal fondé en
ses autres griefs ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches, du même pourvoi :
Attendu que la société Eggo conseils fait encore grief à l’arrêt de l’avoir
condamné à réparation, alors, selon le moyen :
1° que les détournements de fonds commis par un salarié plusieurs mois après
son embauche par l’employeur, de surcroît à la suite d’une période d’essai, ne
constituent pas un dommage prévisible ni une suite immédiate et directe de
l’inexécution de la convention conclue avec le conseil en recrutement qui avait
présenté le candidat ; qu’en condamnant la société Eggo conseil à réparer un tel
préjudice, la cour d’appel a violé les articles 1150 et 1151 du Code civil ;
2° que la clause du contrat de recrutement prévoyant qu’en cas d’échec de la
mission de recrutement concrétisée par la non-titularisation à l’issue de la période
d’essai, le conseil s’engage à procéder à une nouvelle mission de recrutement
implique sans la moindre ambiguïté que le conseil en recrutement n’encourt
aucune responsabilité une fois que le salarié a été titularisé ; que, faute d’avoir
appliqué cette clause claire et précise, la cour d’appel a violé l’article 1134 du
Code civil ;
Mais attendu, d’une part, que, faisant ressortir le caractère prévisible du dom-
mage qu’elle réparait, la cour d’appel a retenu, par motifs adoptés, que l’opération
de recrutement litigieuse avait été réalisée pour le compte d’une entreprise de ges-
tion particulièrement sensible et que le conseil en recrutement devait alerter sa
cocontractante sur l’impossibilité où il s’était trouvé de lui fournir une informa-
tion quelconque sur les antécédents professionnels et pénaux de M. Y… ; que,
d’autre part, c’est à bon droit que la cour d’appel a considéré que la clause invo-
quée, applicable seulement en cas de non-titularisation à l’issue de la période
Droit civil des obligations
158

d’essai, était étrangère au litige ; qu’en ses deux branches, le moyen n’est pas
davantage fondé ; […]

Durée : 3 heures.
Document autorisé : Code civil.

Corrigé

P ar cet arrêt de rejet, la première


chambre civile avait à connaître de
la mise en jeu de la responsabilité d’une
quelque temps après que la chambre
sociale ait fait preuve d’une particulière
mansuétude avec les curriculum vitae
société de conseil en recrutement en rai- inexacts, refusant, par un arrêt du
son de malversations réalisées par la per- 16 février 1999, de considérer comme
sonne présentée par elle à l’un de ses une manœuvre frauduleuse l’intégration
clients. La présente espèce intervient au d’une mention dans un curriculum vitae.
terme d’un contentieux mené devant les Pour autant, il convient de conserver
juridictions civiles et pénales, et ayant à l’esprit la sévérité de plus en plus
donné lieu à la condamnation pénale du grande avec laquelle la Cour de cassation
comptable indélicat. Sur le terrain de la envisage les manquements des contrac-
responsabilité contractuelle, la société de tants débiteurs d’une obligation de
conseil a été condamnée à réparer le pré- conseil dans le cadre de l’exécution du
judice subi par son client. Contestant contrat. À cet égard, l’appréciation de la
cette condamnation, la société de recru- situation de la société de conseil en
tement entendait discuter tant l’exis- recrutement peut être utilement rappro-
tence d’une faute contractuelle que le chée de celle des autres professionnels
caractère prévisible et direct du dom- spécialisés qui interviennent pour assis-
mage subi du fait des détournements réa- ter des profanes dans leur secteur d’acti-
lisés par le salarié. vité ; et ce, même si le contrat en cause
Par cet arrêt de rejet, la première avait un rapport direct avec l’activité
chambre civile admet qu’est caractérisée professionnelle du client. La bienveil-
la faute de la société qui n’a pas opéré de lance de la chambre sociale vis-à-vis des
vérifications du curriculum vitae du can- candidats à l’embauche rend encore plus
didat retenu et considère comme prévisi- justifiée la sévérité de la première cham-
ble le dommage résultant de détourne- bre civile qui impose, au titre des obliga-
ments réalisés par lui. Il intervient tions nées du contrat de recherche de
Annales
159

salariés, à la société de conseil de vérifier Ainsi que cela ressort de la formula-


les mentions du curriculum vitae et l’ho- tion de la Cour de cassation, on ne se
norabilité du candidat. trouve en aucun cas en présence d’un cas
La solution retenue, après la cour d’ap- de responsabilité contractuelle du fait
pel, par la Cour de cassation, peut se d’autrui, la société de conseil est, à l’évi-
comprendre pour plusieurs raisons de dence, étrangère aux agissements en
fait. D’une part, dans la mesure où le cause. Pourtant, ce qui détermine la solu-
tion retenue c’est que les détournements
recours aux services d’un professionnel
ont été rendus possibles par son propre
du recrutement implique une attente
manquement à son obligation de
légitime que celui-ci réalise les vérifica-
contrôle de la situation du candidat.
tions inhérentes à l’examen des candida-
tures ; d’autre part, eu égard au type du Suivant en cela les moyens présentés
poste à pourvoir, les comptables devant au soutien du pourvoi, on s’intéressera à
— par hypothèse — être des personnes la faute de la société de conseil, avant
de confiance dans la mesure où ils ont un d’envisager le dommage subi par son
accès privilégié à des moyens facilitant client.
les malversations.
Sur un plan plus strictement juridique, I. La faute de l’agence
on relèvera que, parmi les difficultés pré-
sentées par l’espèce, le fait que le salarié
de recrutement
ait finalement été titularisé au terme de
sa période d’essai n’était pas indifférent. Pour apprécier la faute éventuelle d’un
La société de conseil prétendait en tirer débiteur au contrat, il est nécessaire de
un élément établissant qu’elle avait exé- déterminer la nature de son obligation.
cuté son obligation à la satisfaction de Singulièrement, sera décisif le fait de
son créancier. Pourtant, dans le cadre de savoir s’il est tenu d’une obligation de
moyens ou de résultat. Par ailleurs, une
l’appréciation des conditions de l’exécu-
fois cette question résolue, il faut mesu-
tion contractuelle, le manquement
rer si l’on est, ou non, en présence d’une
retenu se rattachait bien au contrat passé
inexécution pouvant être regardée
entre la société de conseil et son client,
comme fautive.
et l’intervention du recrutement n’était
pas de nature à faire naître une présomp-
tion d’exécution par la société de toutes A. La nature de l’obligation
ses obligations. La duplicité de l’escroc de l’agence
plaçait en effet l’employeur dans une
situation dans laquelle son attention Si les obligations nées du contrat ne sont
pouvait légitimement avoir été abusée pas exécutées, celui qui est à l’origine de
par les manœuvres visant, une fois dans l’inexécution commet une faute qui
la place, à se faire titulariser pour pou- engage sa responsabilité. Mais encore
voir sereinement accomplir ses forfaits. faut-il identifier la nature exacte de
Droit civil des obligations
160

l’obligation de la société de conseil. Par société était tenue de faire de son mieux
référence à la distinction doctrinale mais il était admis que le résultat recher-
consacrée par la jurisprudence des obli- ché puisse ne pas être atteint.
gations de moyens et de résultat, celle-ci Dès lors que le candidat présenté avait
ne saurait être une obligation de résultat été embauché, la société de conseil pré-
dans la mesure où elle ne peut être cer- tendait avoir satisfait à son obligation, le
taine de parvenir à proposer à son client candidat convenant parfaitement. Les
un candidat qui remplisse pleinement ses détournements ayant été réalisés posté-
attentes. Le nécessaire agrément de la rieurement à l’embauche, elle prétendait
candidature proposée implique d’exclure que sa responsabilité ne pouvait être
la qualification d’obligation de résultat mise en cause. Ainsi que cela a déjà été
pour ce qui est du recrutement effectif. souligné, le fait est que, « par principe, le
En revanche, on peut souligner qu’il conseil en recrutement n’est pas respon-
serait envisageable qu’une telle société sable des agissements ultérieurs du salarié
s’oblige à un résultat donné qui ne serait embauché grâce à son entremise ». Pour
pas le recrutement mais, par exemple, la autant, les obligations de la société ne
présentation d’un certain nombre de sauraient être limitées à la présentation
candidats susceptibles de remplir les cri- d’un candidat retenu et il y a lieu de rele-
tères définis par le contrat ; les parties ver qu’elle devait apporter à sa mission
ayant toujours la possibilité de convenir « tous les soins et diligences dans la sélec-
entre elles qu’une obligation usuelle- tion des candidats pour l’emploi en
ment regardée comme de moyens sera, cause ». C’est sur la base de cette affirma-
dans le cadre de leur relation contrac- tion que devait être portée l’analyse des
tuelle, considérée comme de résultat. contrôles et des vérifications mis en
œuvre par la société. Or, sur ce terrain, il
En l’espèce, ainsi que le relevait la pre-
apparaît que la société n’avait pas cor-
mière branche du premier moyen, l’obli-
rectement exécuté ses obligations.
gation était certainement de moyens et
consistait à « présenter à son client un
salarié sélectionné en fonction de sa B. L’inexécution par l’agence
compétence et de son expérience au de son obligation
regard du poste à pourvoir ». Cette qua-
lification n’était pas en débat et il est éta- La chambre sociale a considéré que l’em-
bli que la société de conseil « s’était obli- ployeur qui embauche un directeur
gée à apporter tous les soins et diligences « sans procéder à des investigations qui
dans la sélection des candidats pour l’em- lui auraient permis de découvrir que,
ploi en cause ». On est là en présence de président-directeur général d’une
la définition la plus classique de l’obliga- société, il venait de déposer le bilan de
tion de moyens par laquelle le débiteur cette société aussitôt mise en liquidation
s’engage « à faire tout son possible », « à de biens » (Cass. soc., 3 juill. 1990, Bull.
mettre toute son activité, tout son n° 329), commet une erreur inexcusable.
savoir-faire », au service du créancier. La La solution retenue dans le présent arrêt
Annales
161

est très cohérente avec cette analyse incombe, ainsi que le relevait le pourvoi,
dans la mesure où, par le contrat en d’établir la faute du débiteur. Toutefois,
cause, la société de recrutement accep- c’est bien au débiteur lui-même d’établir
tait d’assumer une partie de la tâche nor- qu’il a exécuté son obligation, qu’il a, ici,
malement assumée par l’employeur lui-
procédé à une vérification qui, par hypo-
même.
thèse, ne lui aurait pas permis de déjouer
C’est exactement ce qui ressort de l’ar- la malice de l’escroc, ou qu’il a averti son
rêt de la première chambre civile qui
cocontractant du fait qu’il n’avait pas
confirme, eu égard au poste en cause
(« comptable confirmé »), que la société effectué ladite vérification. En l’espèce, le
avait l’obligation de vérifier les informa- débiteur — la société de conseil — ne
tions portées sur le curriculum vitae du semble avoir fourni aucun élément per-
candidat quant aux diplômes et emplois mettant d’établir l’une ou l’autre des
déclarés. Il ressort toutefois de l’arrêt que options qui lui étaient ouvertes; contrai-
la société avait la possibilité de ne pas rement à ce qui était soutenu dans la troi-
opérer ces vérifications sans être fautive sième branche du premier moyen, le
si elle avait attiré l’attention de son recrutement réalisé ne permettait pas
client « sur cette absence de vérification
d’apprécier si l’obligation de vérification
et sur les risques d’une embauche dans de
telles conditions ». De la sorte, une cer- avait été exécutée. Par voie de consé-
taine souplesse est maintenue, permet- quence, on comprend que la Cour ait
tant de tenir compte de la prestation retenu que c’était sans inverser la charge
ayant fait l’objet des stipulations. Il est de la preuve que la cour d’appel, n’ayant
possible, notamment pour des raisons de aucun élément lui permettant d’établir
coût, que la société n’opère pas absolu- l’exécution de l’obligation de vérification,
ment toutes les vérifications, cependant a pu constater qu’il y avait une inexécu-
elle devra, à tout le moins, avertir son tion injustifiée et, partant, fautive.
client afin que celui-ci les opère par lui-
même ou la charge de le faire, moyen- La solution aurait certainement été
nant — le cas échéant — une augmenta- différente si la société avait opéré certai-
tion du coût lié au recrutement. nes vérifications ; il aurait alors appar-
Dès lors que l’obligation identifiée tenu à son cocontractant d’établir que
conduisait la société soit à effectuer les les vérifications n’avaient pas été confor-
vérifications soit à avertir son client qu’el- mes à ce qu’il était en droit d’attendre
les n’avaient pas été menées, c’est l’ali- d’un « bon professionnel ».
néa 2 de l’article 1315 du Code civil qui
Dès lors que l’inexécution fautive était
s’applique : « Celui qui se prétend libéré
doit justifier […] le fait qui a produit l’exé- établie, il fallait encore, pour que la res-
cution de son obligation. » L’inexécution ponsabilité de la société puisse être rete-
d’une obligation de moyens peut ne pas nue, que soit précisé le préjudice dont il
être fautive, et c’est au créancier qu’il était demandé réparation.
Droit civil des obligations
162

II. Le préjudice guère citer, à l’appui de la théorie déta-


chant la responsabilité contractuelle du
subi par le client préjudice, que la position de la chambre
sociale qui a retenu en 2002 que « les
C’est une chose de relever que le débi- dommages-intérêts sont une modalité
teur d’une obligation n’a pas correcte- d’exécution par équivalent de l’obliga-
ment exécuté son obligation, c’en est tion demeurée impayée ». Ces éléments
une autre de déterminer s’il devra ou non n’étaient pas directement en débat dans
des dommages-intérêts du fait de son l’arrêt mais permettent de parfaire l’ana-
inexécution. lyse du préjudice dans la responsabilité
On sait que la jurisprudence récente a contractuelle qui doit être, comme le rap-
été marquée par une interrogation por- pelle l’arrêt, prévisible et direct, et ne pas
tant sur l’exigence d’existence du dom- avoir été visé par une clause aménageant
mage. La troisième chambre civile a paru la responsabilité du débiteur.
marquer une certaine hésitation par un
arrêt du 30 janvier 2002 par lequel elle a
retenu qu’un bailleur pouvait agir contre A. Un préjudice prévisible
le preneur dans le cadre d’un bail com- et direct
mercial au titre des réparations locatives,
alors même que son préjudice, lié à l’ab- L’exigence du caractère prévisible du
sence de ces réparations, n’était pas éta- dommage est formulée à l’article 1150 du
bli, ce qui accréditait l’idée, exprimée par Code civil qui dispose : « Le débiteur
une certaine doctrine, selon laquelle la n’est tenu que des dommages et intérêts
responsabilité contractuelle ne serait pas qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir
réellement une responsabilité mais cor- lors du contrat, lorsque ce n’est point par
respondrait davantage à une exécution son dol que l’obligation n’est point exé-
par équivalent, à un substitut de l’exécu- cutée. »
tion, « un mode d’exécution du contrat ».
La prévisibilité va nécessairement
La première chambre civile manifestant
s’apprécier in abstracto, sans égard pour
son attachement à l’existence du dom-
la personnalité du débiteur mais en se
mage a rappelé, dans un arrêt du
référant à une personne normalement
13 novembre 2002, que la violation
raisonnable et diligente.
d’une obligation ne peut être sanction-
née qu’autant qu’il en résulte un préju- En l’espèce, la première branche du
dice dont l’existence est souverainement deuxième moyen soutenait que le dom-
constatée par les juges du fond. La troi- mage n’était pas prévisible dans la
sième chambre civile s’est rangée à cette mesure où les détournements avaient été
opinion le 3 décembre 2003 : « Des dom- commis plusieurs mois après son embau-
mages-intérêts ne peuvent être alloués che. Le moyen était habile dans la
que si le juge, au moment où il statue, mesure où le conseil en recrutement ne
constate qu’il est résulté un préjudice de répondant pas des fautes accomplies par
la faute contractuelle. » On ne peut plus le salarié, on pouvait considérer, avec le
Annales
163

pourvoi, qu’il n’y avait pas de corrélation ment du temps, il apparaît bien que les
entre son comportement et le manque- détournements n’auraient pas été réalisés
ment de la société de conseil. si les vérifications avaient été opérées car
Pourtant il n’est pas accueilli et ce elles auraient probablement révélé le
rejet se comprend dans la mesure où il passé du débiteur. Là encore, la première
existe une étroite corrélation entre le chambre civile approuve la cour d’appel
manquement de la société à son obliga- d’avoir apprécié la situation au regard des
tion de vérification et les faits à l’origine faits de l’espèce. En présence d’une
du préjudice. L’obligation de moyens de « entreprise de gestion particulièrement
vérification identifiée par la Cour a pré- sensible », l’obligation de vérification,
cisément pour objet d’évincer des candi- bien que toujours de moyens, est particu-
datures de personnes pouvant présenter lièrement dense. Si l’on voulait raison-
des facteurs de dangerosité ; l’obligation ner par analogie avec l’exemple de
alternative d’avertissement sur l’absence Pothier, on pourrait dire que les détour-
de vérification permet au créancier d’ap- nements sont du niveau de la contami-
profondir ses investigations ou de faire nation des bêtes saines par la bête
son affaire de l’incertitude maintenue. malade : c’est là une suite directe du fait
que, en raison du manquement du débi-
Dans ces circonstances, le risque de teur à son obligation de vérification ou
malversations, sans être systématique, d’avertissement, il n’a pas été possible
existait bien dès la conclusion du contrat d’analyser les antécédents professionnels
de conseil et l’on comprend son lien avec et pénaux du salarié. En revanche, serait
l’inexécution de son obligation par la indirect le préjudice résultant du fait que,
société. Le cas échéant, il appartient aux privé de moyens par l’effet des détourne-
juges du fond, dans la détermination du ments, l’employeur n’a pas pu payer cer-
quantum de la responsabilité de la société tains fournisseurs…
dans la réalisation du préjudice, de ne pas
lui imputer la totalité de celui-ci.
Par ailleurs, il faut, en application de
B. Un préjudice réparé
l’article 1151 du Code civil, que le préju- conformément
dice soit « une suite immédiate et au droit commun
directe de l’inexécution de la conven-
tion », ce qui est directement issu de Il y a lieu d’envisager la responsabilité
l’analyse présentée par Pothier (cas de la contractuelle à la lumière du Code civil,
vache malade qui contamine le trou- mais aussi en tenant compte de toutes les
peau) et a été exprimé par le doyen Car- stipulations du contrat qui peuvent avoir
bonnier dans sa formule selon laquelle prévu des aménagements dans le sens de
« le droit s’épuiserait à vouloir suivre à l’allégement (clauses limitatives ou exo-
l’infini la cascade des malheurs ». Là nératoires) ou de la prévision (clause
encore, l’argument tiré du caractère pré- pénale) du montant des dommages et
tendument indirect ne pouvait prospé- intérêts éventuellement dus en cas de
rer dans la mesure où, malgré l’écoule- défaillance. À la condition de ne pas pri-
Droit civil des obligations
164

ver de tout caractère contraignant pour tion rendant inapplicable la clause


l’une des parties une obligation essen- excluait sans la moindre ambiguïté
tielle, les professionnels — comme ici — toute mise en cause de la responsabilité
ont parfaitement la possibilité de stipuler de la société en cas de titularisation.
valablement de telles clauses. Les juges devaient s’efforcer de recher-
En l’espèce, le contrat unissant la cher quelle avait été la commune inten-
société de conseil à son client comportait tion des parties (art. 1156 C. civ.) et la
une clause sur les termes de laquelle la première chambre civile retient que c’est
société entendait jouer. La stipulation à bon droit que la cour d’appel s’est arrê-
prévoyait que, « en cas d’échec de la mis- tée à l’hypothèse expressément envisa-
sion de recrutement concrétisée par la gée : celle de la non-titularisation à l’is-
non-titularisation à l’issue de la période sue de la période d’essai. La clause était
d’essai, le conseil s’engage à procéder à effectivement claire et dépourvue d’am-
une nouvelle mission de recrutement ». biguïté mais elle ne visait aucunement la
Très clairement, cette clause vient can- situation rencontrée au litige : elle ne
tonner la responsabilité de la société privait pas le client de la possibilité d’en-
lorsque la titularisation n’intervient pas, gager la responsabilité de son débiteur en
le client ne peut poursuivre son débiteur cas de titularisation. Cette analyse forte-
et ne peut exiger que la réalisation d’une ment posée est cohérente au regard du
nouvelle mission, par hypothèse gratuite. caractère nécessairement restrictif des
Le contentieux ne portait pas sur ce clauses qui cantonnent la responsabilité
point mais sur celui de savoir si, ainsi que contractuelle. Il aurait été possible à la
le prétendait la deuxième branche du société de prévoir une stipulation l’exo-
deuxième moyen, il en résultait qu’elle nérant de toute responsabilité en cas de
limitait la possible mise en cause de sa titularisation ; pour ne l’avoir pas fait,
responsabilité (ainsi plafonnée) à la elle doit répondre de ce qui demeure
situation dans laquelle le salarié présenté bien une conséquence immédiate et
n’est pas titularisé. Le raisonnement sou- directe de son inexécution contractuelle.
tenu entendait établir que la titularisa-
Inexécution du contrat

Thème principal Clause limitative


de responsabilité contractuelle
Mots clés responsabilité, faute lourde, obligation essentielle

sujet donné et établi par :


François Guy Trébulle
professeur

T Université de Caen–Basse-Normandie
JE Second semestre 2004-2005
U
S

Commentaire :
Veuillez commenter l’arrêt de la Cour de cassation, chambre mixte,
22 avril 2005 :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 févr. 2003), que le 31 décembre


1998, la société Dubosc et Landowski (société Dubosc) a confié à la société Chro-
nopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candida-
ture à un concours d’architectes ; que le dossier qui aurait dû parvenir au jury
avant le 4 janvier 1999, a été livré le lendemain ; que la société Dubosc, dont la
candidature n’a pu de ce fait être examinée, a assigné la société Chronopost en
Droit civil des obligations
166

réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative


d’indemnité pour retard figurant au contrat type annexé au décret du 4 mai 1988 ;
Attendu que la société Dubosc fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société
Chronopost à lui payer seulement la somme de 22,11 euros, alors, selon le moyen,
“que l’arrêt relève que l’obligation de célérité, ainsi que l’obligation de fiabilité,
qui en est le complément nécessaire, s’analysent en des obligations essentielles
résultant de la convention conclue entre la société Dubosc et la société Chrono-
post ; que l’inexécution d’une obligation essentielle par le débiteur suffit à consti-
tuer la faute lourde et à priver d’effet la clause limitative de responsabilité dont
le débiteur fautif ne peut se prévaloir pour s’exonérer de la réparation du préju-
dice qui en résulte pour le créancier ; qu’en décidant que faute d’établir des faits
précis caractérisant la faute lourde du débiteur, le créancier ne peut prétendre qu’à
l’indemnisation du prix du transport, la cour d’appel a violé les articles 1131,
1134, 1147 et 1315 du Code civil, 8, alinéa 2, de la loi du 30 décembre 1982, 1
et 15 du contrat messagerie établi par le décret du 4 mai 1988 » ;
Mais attendu qu’il résulte de l’article 1150 du Code civil et du décret du
4 mai 1988 portant approbation du contrat type pour le transport public terres-
tre de marchandises applicable aux envois de moins de trois tonnes pour lesquels
il n’existe pas de contrat type spécifique que, si une clause limitant le montant
de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à
une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une
négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du
débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut
mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat type établi
annexé au décret ;
Qu’ayant énoncé à bon droit que la clause limitant la responsabilité de la
société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement
pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la
cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant
de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost,
une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison, la cour d’appel en
a exactement déduit qu’il convenait de limiter l’indemnisation de la société
Dubosc au coût du transport ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi ;

Durée : 3 heures.
Document autorisé : Code civil.
Annales
167

Corrigé

P ar cet arrêt la chambre mixte de la


Cour de cassation a à connaître, à
nouveau, de la question des conséquen-
causalité soient établis. Aucune diffi-
culté ne se posait en l’espèce dès lors que
la perte de chance de voir sa candidature
ces de la nullité d’une clause limitative examinée découlait effectivement du
de responsabilité. En l’espèce une société retard imputable à la société Chrono-
souhaitant présenter un dossier de candi- post : le rappel des faits précise bien que
dature dans le cadre d’un appel d’offres la candidature n’a pu de ce fait être exa-
avait confié un pli à la société Chrono- minée.
post. Celle-ci s’était contractuellement Il n’est pas contestable que le principe
engagée à le livrer rapidement mais, à la de l’obligation à la dette du transporteur
suite d’un retard inexpliqué dans l’arrêt, était acquis, pour ce qui est du montant
le pli n’est parvenu à son destinataire que de son obligation, en revanche, deux
le lendemain de la clôture des envois et possibilités existaient. Si rien n’avait été
n’a donc pu être examiné. prévu au contrat, il aurait fallu apprécier
Ayant perdu une chance de présenter le préjudice comme une somme corres-
son dossier du fait du manquement pondant au montant de la chance per-
contractuel du transporteur, l’expéditeur, due affectée négativement par l’aléa
son cocontractant, entendit agir en res- inhérent à ce type de préjudice. Si une
ponsabilité afin d’obtenir réparation de clause limitative avait été stipulée, ce qui
son préjudice (+ 1 HB sur développe- était le cas en l’espèce, il fallait envisager
ments de la perte d’une chance). tout d’abord la validité de la clause et, si
L’action de l’expéditeur devait néces- celle-ci n’était pas valable, le régime
sairement être placée sur le terrain auquel se trouvait soumise l’obligation
contractuel dans la mesure où les parties en cause.
étaient liées par un contrat ayant défini Comme la cour d’appel de Versailles,
entre elles le cadre de leurs relations et la chambre mixte de la Cour de cassa-
où la faute invoquée (le retard) était tion, réaffirmant les solutions retenues
étroitement corrélée au manquement du dans les précédents arrêts Chronopost,
transporteur. Ceci est une application relève que la clause limitative doit être
logique de la règle dite du non-cumul des déclarée non écrite mais que le contrat
responsabilités contractuelles et délic- demeure soumis à des règles qui indui-
tuelles. sent une limitation ne pouvant tomber
Bien entendu pour que la responsabi- que devant la preuve de la faute lourde
lité contractuelle du transporteur soit du transporteur. À nouveau, avec cet
retenue, il est nécessaire que la défail- arrêt, la situation de l’expéditeur appa-
lance (faute), le préjudice et le lien de raît singulièrement défavorable.
Droit civil des obligations
168

I. La nullité qu’il convient de se placer pour analyser


la validité de ce type de clauses et, le cas
de la clause limitative échéant, les regarder non écrites.
de responsabilité
A. L’analyse causaliste
Pour apprécier la validité de la clause
limitative de responsabilité, il y a lieu
de la clause limitative
d’observer qu’une telle clause est envisa-
L’exigence d’une cause licite dans l’obli-
gée avec une certaine défaveur, accrue
gation est posée par l’article 1108 du
lorsque, comme ici, la limite est telle
Code civil. Cette disposition est complé-
qu’elle se traduit, en fait, par une quasi-
tée par l’article 1131 du Code civil qui
exonération de responsabilité contrac-
dispose que l’obligation sans cause ou sur
tuelle.
une fausse cause, ou sur une cause illi-
Indépendamment de la question du cite, ne peut avoir aucun effet.
caractère abusif de la clause, qui n’avait
Traditionnellement, on distingue
pas lieu d’être ici dans la mesure où il
n’apparaît pas contestable que le contrat l’analyse de la cause en opposant une
avait été conclu entre professionnels analyse objective permettant d’identifier
agissant dans le cadre de leurs activités, son existence, d’une analyse subjective
les clauses limitatives sont valables. conduisant à apprécier sa licéité.
Il s’agit de clauses par lesquelles les La première se rapporte à l’existence
parties fixent un maximum à la responsa- d’une contrepartie. En ce sens, est causée
bilité contractuelle pouvant être invo- une obligation ayant une contrepartie.
quée en cas d’inexécution. L’autonomie Ladite contrepartie, explique l’existence
de la volonté conduit à les regarder de l’obligation analysée. Cette approche
comme valables. est particulièrement utile dans le cadre
des contrats synallagmatiques dans les-
La jurisprudence accorde cependant
quels la contrepartie de l’obligation de
une grande importance à la limite fixée
délivrance du vendeur se trouve dans le
par la clause. Pour que cette clause soit
prix versé, l’obligation de paiement étant
valable, il est nécessaire que la limite ne
elle même causée par le transfert du bien.
soit pas trop faible ce qui aurait pour effet
de se traduire par une exonération pure En revanche, dans le cadre des obliga-
et simple de responsabilité. tions nées d’actes à titre gratuit, ou pour
Dans cette affaire, la chambre mixte ce qui est de la licéité, on s’attache à la
réaffirme l’analyse qui a été posée dans cause subjective, à ce que celui qui s’est
une autre affaire Chronopost par la cham- engagé avait en vue lorsqu’il a exprimé
bre commerciale, le 22 octobre 1996. Par son consentement.
cet arrêt, qui a marqué le renouveau de Dans tous les cas c’est au moment de
l’analyse concrète de la cause, la Cour a l’expression des consentements que l’on
retenu que c’est sur le terrain de la cause se place pour apprécier la cause et sa dis-
Annales
169

parition ultérieure serait sans effet sur la arrêt, tient aux conséquences attachées à
validité du contrat. l’invalidité de la clause.
Dans le cadre du premier arrêt Chrono-
post, la chambre commerciale a retenu B. La conséquence
qu’une clause limitative, sensiblement
identique à celle présente dans l’arrêt de l’invalidité de la clause
rapporté a retenu qu’elle privait de cause
En règle générale on considère que l’exis-
l’engagement de l’expéditeur qui enten-
dait que son pli soit livré en temps et en tence de la cause est une condition fon-
heure. Cette analyse adoptée par la Cour damentale de validité du contrat, et qu’il
de cassation (à nouveau le 17 juillet résulte de l’article 1131 du Code civil
2001) impose une analyse concrète de la que l’obligation sans cause est une obli-
situation afin de contrôler l’utilité et gation privée d’effet : elle est nulle de
l’équilibre des obligations souscrites. nullité absolue et sa nullité rejaillit sur
tout le contrat. Toutefois, si l’absence de
Dans l’espèce soumise à la chambre
contrepartie n’est que partielle, le
mixte, il ne fait pas de doutes que la
contrat ne sera pas annulé mais unique-
clause limitative de responsabilité doit
ment réduit.
être regardée comme ayant le même
effet. Ceci s’impose dans la mesure où La chambre commerciale dans l’arrêt
l’existence de la clause équivaut quasi- Chronopost II du 9 juillet 2002, et ici, la
ment à une clause exonératoire de res- chambre mixte, développant une illus-
ponsabilité en ce qu’elle retire tout tration moderne de la théorie des nulli-
caractère contraignant à l’exécution du tés, retient pourtant que la sanction de la
contrat […], fait perdre toute portée et privation de cause induite par la clause
toute valeur à l’obligation essentielle […] ne doit pas conduire à la nullité du
anéantissant par là même la cause de contrat mais uniquement porter sur la
l’engagement de l’expéditeur (formule clause elle-même dès lors que l’économie
de Chronopost I). générale du contrat autorise sa survi-
En effet, ce qui caractérise l’obligation vance s’il est amputé de la stipulation
essentielle d’un contrat de transport litigieuse. Cette solution est affirmée
rapide, c’est bien la rapidité du transport sans ambiguïté dans l’arrêt commenté :
et, par voie de conséquence, une stipula- « une clause limitant le montant de la
tion qui permet au transporteur de ne pas réparation est réputée non écrite en cas
exécuter cette obligation, prive le cocon- de manquement du transporteur à une
tractant de contrepartie. Celui-ci ne s’est obligation essentielle du contrat ».
pas engagé en contrepartie d’un trans- On peut relever qu’il y a là un point
port mais bien en contrepartie d’un sur lequel le droit commun et le droit de
transport rapide du pli, dans des condi- la consommation se retrouvent parfaite-
tions qui doivent être garanties. ment. Bien sûr, le droit de la consomma-
L’originalité de la jurisprudence Chro- tion ne pouvait s’appliquer ici dans la
nopost, présente également dans cet mesure où l’expéditeur était incontesta-
Droit civil des obligations
170

blement un professionnel contractant II. Le régime du contrat


pour les besoins de sa profession. Toute-
fois le parallèle doit être fait dans la amputé de la clause
mesure où l’article L. 132-1, alinéa 6, du
Code de la consommation prévoit que L’application du régime supplétif induit
« les clauses abusives sont réputées non que la réparation du préjudice causé par
écrites » ; et (al. 8) que « Le contrat res- l’inexécution contractuelle est plafon-
tera applicable dans toutes ses disposi- née au prix du contrat, à moins que ne
tions autres que celles jugées abusives s’il soit rapportée la preuve d’une faute
peut subsister sans lesdites clauses ». Par lourde du transporteur. La chambre
l’application de l’analyse causaliste mixte, approuve la cour d’appel d’avoir
comme par celle du droit de la consom- retenu que le plafonnement devait être
mation le contrat est maintenu et il maintenu en l’espèce, mais le résultat
convient de poursuivre l’analyse de la pratique de cette solution est extrême-
situation, et donc la réparation du préju- ment contestable.
dice, sans tenir compte de la stipulation
réputée non écrite. Deux voies s’offrent A. Un déplafonnement
alors. Il est d’une part, possible de se réfé-
rer au seul droit commun, et par voie de
subordonné à la preuve
conséquence, de réparer l’entier préju- d’une faute lourde
dice prévisible né de l’inexécution du
contrat. Ici, une telle approche, qui avait L’exigence d’une faute lourde est assez
été retenue par la cour d’appel de Caen rare en droit français qui retient, en règle
sur renvoi après le premier arrêt Chrono- générale, que tout manquement contrac-
post, conduira à indemniser l’expéditeur tuel est susceptible d’engager la responsa-
pour la chance perdue. bilité du contractant qui n’exécute pas
son obligation de manière satisfaisante.
Mais il est, d’autre part, possible que
des dispositions supplétives trouvent à La faute lourde se rapproche du dol
s’appliquer dès lors que la clause dispa- dans l’exécution du contrat, défini
raît. En matière de transport terrestre, comme la faute intentionnelle d’un
c’est précisément le cas et l’arrêt de la cocontractant, sa mauvaise foi caracté-
cour d’appel de Caen a, précisément, été risée par le fait qu’il cherche volontaire-
censuré le 9 juillet 2002. Le caractère ment à échapper à l’exécution de son
non écrit de la clause conduit à appliquer obligation. Toutefois, à la différence du
les dispositions issues de la loi du dol, la faute lourde n’est pas intention-
30 décembre 1982 et formalisées dans les nelle, il n’y a pas de volonté de nuire au
contrats types qui prévoient une indem- créancier. Elle s’apparente plutôt à une
nisation limitée au prix du transport ce négligence, une incurie extrême de son
qui équivaut pratiquement au plafond auteur et s’apprécie in abstracto.
fixé par la clause limitative réputée non L’expéditeur, sur lequel pèse la charge
écrite. de la preuve, entendait établir, dans le
Annales
171

moyen développé, une corrélation entre livraison. Dès lors que l’expéditeur n’éta-
l’inexécution d’une obligation essen- blissait aucun fait de nature à établir
tielle et la faute lourde. À vrai dire, son l’existence des éléments de cette défini-
argumentation pouvait être séduisante tion, le plafond devait être maintenu et il
dans la mesure où le fait, pour un trans- ne pouvait obtenir que le remboursement
porteur rapide, de ne pas respecter le du coût du transport.
délai impératif sur lequel il communique Ce résultat est incontestablement
et s’engage pouvait être regardé comme cohérent au regard des textes applica-
caractérisant un manquement intoléra- bles, il apparaît toutefois extrêmement
ble à un engagement explicite (v. : Cass. critiquable dans ses effets.
1re civ., 18 janv. 1984, Bull. civ. I, n° 27,
JCP 1985 II 20372, note J. Mouly et
RTD civ. 1984, p. 727, note J. Huet ; B. Une responsabilité
Cass. com., 9 mai 1990, Bull. civ. IV, en trompe-l’œil
n° 142 ; RTD civ. 1990, p. 666, observ.,
p. Jourdain ; Cass. 1re civ., 23 févr. 1994, La solution retenue peut être discutée
Bull. civ. I, n° 76). La réponse à la ques- pour diverses raisons.
tion de l’existence d’une faute lourde En premier lieu, il est possible de sou-
dépendait donc largement du caractère ligner la difficulté que rencontrera l’ex-
essentiel ou non reconnu à la rapidité de péditeur pour rapporter la preuve d’une
l’acheminement du contrat en cause. faute lourde telle qu’elle est retenue :
Toutefois, ici, et contrairement à ce dans la mesure où il n’a pas accès aux
que la jurisprudence a parfois retenu, la documents internes à son cocontractant
chambre mixte maintient la référence à et où la charge de la preuve pèse sur lui
une formule extrêmement restrictive par seul, on peine à identifier les situations
laquelle la faute lourde est « caractérisée dans lesquelles il pourra effectivement
par une négligence d’une extrême gravité rapporter la preuve qui lui incombe. Le
confinant au dol et dénotant l’inaptitude seul élément en sa possession est le retard
du débiteur de l’obligation à l’accomplis- mais il a été vu qu’il est à lui seul impuis-
sement de sa mission contractuelle » sant à permettre l’identification de la
(v. Cass. 1re civ., 26 juin 1986, Bull. civ. I, faute lourde.
n° 82 ; Cass. com., 3 avr. 1990, Bull. En second lieu, on remarquera que la
civ. IV, n° 108; 13 nov. 1990, Bull. civ. IV, solution pratique à laquelle aboutit cet
n° 271; 28 mai 1991, Bull. civ. IV, n° 193; arrêt conduit à un paradoxe. Alors que la
11 juill. 1995, Bull. civ. IV, n° 215 ; limitation de responsabilité est regardée
19 déc. 2000, arrêt n° 2124 ; 3 avr. 2001, comme tellement importante qu’elle est
Bull. civ. IV, n° 70 ; JCP éd. G, 2001 IV de nature à remettre en cause l’existence
2037 ; 26 juin 2001, arrêt n° 1291) ; elle de la cause de l’engagement de l’expédi-
approuve l’analyse de la cour d’appel qui teur, on applique toutefois un régime
a retenu « à bon droit » que la faute supplétif qui se traduit par l’imposition
lourde ne peut résulter du seul retard de de cette limitation. On peut se demander
Droit civil des obligations
172

dans quelle mesure la solution retenue contrat de transport rapide ; contraire-


ne revient pas à maintenir un contrat ment à ce qu’ont estimés certains
qui, structurellement, serait dépourvu de auteurs, il est possible de conclure, à la
cause dans la mesure où il prive l’une des lumière de cet arrêt, qu’il n’existe pas
parties de tout pouvoir contraignant vis- indépendamment du contrat de trans-
à-vis de l’autre. La question ne peut trou- port classique. Ceci n’est pas satisfaisant
ver de réponse satisfaisante que dans une dans la mesure où les spécialistes du
analyse critique du régime résultant de transport rapide le savent, en profitent,
l’existence du contrat type mais il n’ap- mais communiquent exactement sur le
partient pas au juge de corriger une situa- contraire de ce constat, les expéditeurs
tion qui résulte de l’application de dis- n’adoptent la formule « rapide » qu’en
positions légales. raison de cet argument dont on mesure à
À la lumière de cet arrêt conduit on quel point il se retrouve dépourvu d’ef-
peut s’interroger sur l’existence même du fectivité…
Inexécution du contrat

Thème principal Résolution du contrat


Mots clés contrat, inexécution, faute grave, pouvoirs
du juge, résolution unilatérale

sujet donné et établi par :


Christophe Lachièze
maître de conférences

T Université du Maine (Le Mans)


JE Premier semestre 2002-2003
U
S

Commentaire :
Commenter l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de
cassation le 20 février 2001, M. Fanara c/Société Europe expertise (l’usage
du Code civil est autorisé) :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :


Vu les articles 1134 et 1184 du Code civil ;
Attendu que la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut jus-
tifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu
important que le contrat soit à durée déterminée ou non ;
Droit civil des obligations
174

Attendu que la société Europe expertise (la société) a confié, pour une
période de trois ans à compter du 25 septembre 1995, à M. Fanara, expert en
automobiles, la réalisation d’expertises préalables à la reprise par le constructeur
de tous véhicules sur lesquels avait été consentie une vente avec faculté de rachat
à un loueur professionnnel ; que la société a résilié leur convention le 25 octobre
1995 ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. Fanara en indemnisation des
conséquences de la rupture unilatérale du contrat par la société, l’arrêt attaqué
retient par motifs propres et adoptés que le manquement par M. Fanara à ses
obligations contractuelles pouvait entraîner la rupture prématurée des relations
contractuelles ;
Attendu qu’en statuant ainsi sans rechercher si le comportement de
M. Fanara revêtait une gravité suffisante pour justifier cette rupture, la cour d’ap-
pel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 8 mars 1999,
entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause
et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier.

Conseils également nourrir le commentaire


puisqu’il précise les pouvoirs respectifs de
la Cour de cassation et des juges du fond
L a décision choisie comme sujet de
l’examen est un arrêt de cassation
qui présente la structure d’un arrêt de
dans le contrôle judiciaire de la résolu-
tion : la cassation pour manque de base
principe. légale indique que la Haute Juridiction se
satisfait d’un contrôle minimum et exige
La formule énoncée dans le premier
simplement des juges du fond qu’ils moti-
attendu devait alimenter l’essentiel du
vent suffisamment leur décision en indi-
commentaire. Dans ce premier attendu
quant les circonstances de fait qui établis-
les hauts magistrats ont posé le principe
sent que le comportement du débiteur est
de la résolution unilatérale, ont évoqué la
possibilité d’un contrôle judiciaire de suffisamment grave pour justifier la réso-
cette résolution et ont précisé qu’elle lution.
s’applique aussi bien aux contrats à durée La principale difficulté consistait à
déterminée qu’aux contrats à durée indé- mettre en relief ces différents aspects de
terminée. Le motif de la cassation devait la décision.
Annales
175

Corrigé

L ’arrêt rendu le 20 février 2001 par la


première chambre civile de la Cour
de cassation concerne les sanctions de
civile de la Cour de cassation répond par
l’affirmation mais elle subordonne l’ad-
mission de la résolution unilatérale à un
l’inexécution des contrats synallagmati- contrôle judiciaire a posteriori : « la gra-
ques, dont on sait qu’elles alimentent un vité du comportement d’une partie à un
abondant contentieux et une riche contrat peut justifier que l’autre partie y
réflexion doctrinale. mette fin de façon unilatérale à ses ris-
Les faits de l’espèce ne sont guère ques et périls, peu important que le
détaillés. On sait seulement qu’une contrat soit à durée déterminée ou non ».
société, Europe expertise, avait conclu La censure de la décision attaquée pour
avec un sieur Fanara un contrat confiant manque de base légale confirme l’atta-
à celui-ci, pour une période de trois ans à chement de la Haute Juridiction à ce
compter du 25 septembre 1995, la réali- contrôle a posteriori, les hauts magistrats
sation d’expertises sur des véhicules reprochant aux juges du fond d’avoir
automobiles. Un mois plus tard, la admis le bien-fondé de la résolution opé-
société Europe expertise a résilié unilaté- rée unilatéralement par l’une des parties
ralement le contrat, en reprochant sans avoir vérifié si le comportement de
semble-t-il à l’expert des manquements l’autre partie présentait un degré de gra-
dans l’exécution du contrat. vité suffisant pour justifier cette résolu-
tion.
La cour d’appel de Bastia a rejeté la
demande intentée par M. Fanara en L’arrêt à commenter affirme donc un
indemnisation du préjudice causé par la principe de résolution unilatérale du
rupture unilatérale du contrat, décidant contrat (I) et il prévoit la possibilité d’un
que le manquement de celui-ci à ses obli- contrôle judiciaire de cette nouvelle pré-
gations contractuelles pouvait justifier rogative reconnue au créancier (II).
que la société Europe expertise opère
unilatéralement la rupture prématurée I. L’affirmation
du contrat.
La Cour de cassation était donc une
d’un principe
nouvelle fois confrontée à la question de résolution unilatérale
suivante : le manquement de l’une des
parties à ses obligations peut-il justifier L’arrêt commenté exprime clairement la
que l’autre partie mette fin unilatérale- volonté de la première chambre civile
ment au contrat ? d’affirmer un principe de résolution uni-
Dans un attendu de principe placé au latérale du contrat. En effet, au seuil de
seuil de sa décision, la première chambre leur décision, les hauts magistrats ont
Droit civil des obligations
176

énoncé que la gravité du comportement médecin, ce qui pouvait expliquer que la


de l’une des parties justifie la résolution rupture du contrat s’impose avec une cer-
unilatérale (A) et précisé que ce principe taine urgence (en ce sens, N. Rzepecki,
s’applique à tous les contrats sans distinc- note sous Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, JCP
tion de durée (B). 1999, II, 10133).
La décision commentée ne se prête pas
A. La résolution unilatérale, à une telle interprétation restrictive.
Dans la décision attaquée, la cour d’ap-
sanction de la gravité pel avait admis la résolution judiciaire
du comportement sans se fonder sur les circonstances parti-
du cocontractant culières qui permettent classiquement de
déroger à l’article 1184 du Code civil :
Respectueuse de l’article 1184 du Code l’urgence ou l’état de nécessité. Or la
civil qui dispose que « le contrat n’est pas Haute Juridiction ne censure pas cette
résolu de plein droit » et que « la résolu- position ; bien au contraire, en reprenant
tion doit être demandée en justice », la au seuil de sa décision la formule de l’ar-
jurisprudence n’admettait pas que la gra- rêt du 13 octobre 1998, les hauts magis-
vité du comportement de l’un des trats ne laissent planer aucun doute
contractants justifie que l’autre mette fin quant à leur volonté de poser un prin-
au contrat de façon unilatérale. C’est cipe de résolution unilatérale du contrat.
seulement dans certaines circonstances Le premier attendu de l’arrêt commenté
particulières telles que l’urgence ou l’état doit donc bien être lu comme un
de nécessité que le créancier pouvait « attendu de principe » généralisant la
mettre fin au contrat sans solliciter le résolution unilatérale. Cette position
contrôle du juge. Un arrêt rendu le contra legem sera-t-elle confirmée par la
13 octobre 1998 par la première chambre chambre commerciale? On sait que cette
civile (Bull. civ. I, n° 300) 1 avait semblé question de la possibilité d’admettre une
remettre en cause le principe de la réso- résolution unilatérale sans recours au
lution judiciaire en affirmant que « la juge avait été discutée lors de l’adoption
gravité du comportement d’une partie à du Code civil. Elle se pose aujourd’hui
un contrat peut justifier que l’autre y avec d’autant plus d’acuité que de nom-
mette fin de façon unilatérale à ses ris- breux systèmes juridiques étrangers, tels
ques et périls » (en ce sens C. Jamin, que le droit allemand ou le droit anglais
D. 1999, p. 197 ; D. Mazeaud, Def. 1999, notamment, permettent la résolution
p. 374). Cependant, certains auteurs unilatérale en cas de grave manquement
doutaient de la portée de cet arrêt de aux obligations contractuelles. La
rejet et estimaient que la résolution uni- Convention de Vienne sur la vente
latérale était justifiée par les circonstan- internationale de marchandises admet
ces de fait : il s’agissait
en l’espèce d’un contrat
liant une clinique à un 1. Le correcteur indique des références qu’un étudiant n’a bien
sûr pas à faire figurer dans une copie d’examen.
Annales
177

également que le créancier prononce, indéfiniment par un contrat : il ne peut


sous sa seule responsabilité, la résiliation donc concerner que les contrats conclus
« en cas de contravention essentielle au sans limitation de durée. Au contraire la
contrat » (art. 49-1). On peut donc pen- résolution sanctionne le manquement
ser que l’arrêt commenté marque la pre- du cocontractant et, de ce point de vue,
mière étape d’un rapprochement de il n’y a pas lieu de distinguer suivant la
notre droit avec ces systèmes. L’arrêt pré- durée du contrat : on ne voit pas ce qui
cise en outre que la résolution unilaté- justifierait que la « gravité du comporte-
rale s’applique à l’ensemble des contrats, ment » du débiteur soit sanctionnée dif-
sans distinction de durée. féremment selon que le contrat est
conclu avec ou sans limitation de durée !
B. L’absence de distinction On peut alors apprécier la portée du
entre les contrats à durée nouveau principe dans ces différents
types de contrats. Dans les contrats à
indéterminée et les contrats durée indéterminée, le nouveau principe
à durée déterminée vient supprimer une incohérence sou-
vent dénoncée. En effet, le refus de la
Les hauts magistrats ont précisé dans l’at- résolution unilatérale constituait une
tendu de principe que la résolution uni- « prime à l’hypocrisie » puisque le créan-
latérale s’applique aussi bien dans les cier avait tout intérêt à opter pour la voie
contrats à durée déterminée que dans les de la résiliation même lorsque son désir
contrats à durée indéterminée. Cette de mettre fin au contrat était motivé par
précision, qui ne figurait pas dans l’arrêt les manquements de l’autre partie : il évi-
du 13 octobre 1998, est tout à fait inté- tait ainsi le recours au juge et l’obligation
ressante car la question de l’application de motiver sa décision, que suppose la
de la résolution unilatérale aux contrats résolution judiciaire (voir not. C. Jamin,
à durée déterminée aurait pu être discu- note préc.). L’admission de la résolution
tée. En effet, on sait que la résiliation unilatérale met fin à cette incohérence :
unilatérale n’est possible que dans les le créancier qui met en œuvre la résolu-
seuls contrats à durée indéterminée et tion unilatérale n’a pas à recourir au juge
qu’elle est au contraire exclue dans les ni — semble-t-il — à motiver sa déci-
contrats à durée déterminée ; cette dis- sion ; il lui suffit de signifier la résolution
tinction suivant la durée du contrat ne à son débiteur. Dans les contrats à durée
devrait-elle pas être opérée également déterminée le nouveau principe de réso-
dans le régime de la résolution ? lution unilatérale provoque un véritable
La Cour de cassation répond par la séisme en permettant au créancier de se
négative et cette position nous paraît dégager unilatéralement de son engage-
mériter entière approbation. Le droit de ment contractuel. Ce nouveau principe
résiliation unilatérale se justifie par la ne risque-t-il pas de menacer le principe
prohibition des engagements perpétuels, de la force obligatoire du contrat ?
qui interdit qu’une personne soit liée L’étude du contrôle judiciaire de la réso-
Droit civil des obligations
178

lution unilatérale permettra de confir- également mise en œuvre sans autorisa-


mer ou au contraire d’infirmer cette tion du tribunal (not. A. Bénabent, Les
crainte. obligations, n° 387 ; J. Flour, J.-L. Aubert
et E. Savaux, n° 245). Le motif de cassa-
tion apporte d’intéressantes précisions
II. La possibilité sur le contrôle judiciaire de la résolution
d’un contrôle judiciaire et plus précisément sur les pouvoirs res-
pectifs de la Cour de cassation et des
de la résolution juges du fond dans l’appréciation de la
unilatérale gravité suffisante pour justifier la résolu-
tion. Les hauts magistrats reprochent aux
La décision commentée prévoit que les juges du fond d’avoir privé leur décision
juges peuvent être appelés à apprécier le de base légale en n’indiquant pas en quoi
bien-fondé de la résolution opérée unila- le comportement du débiteur était suffi-
téralement par le créancier. Elle fournit samment grave pour autoriser la résolu-
d’intéressantes précisions concernant les tion du contrat. La Cour de cassation
modalités du contrôle judiciaire (A) mais entend donc laisser aux juges du fond la
elle suscite certaines interrogations charge d’apprécier souverainement si le
concernant l’efficacité de ce contrôle (B). manquement présente un caractère de
gravité suffisant ; elle se limite à un
contrôle minimum en exigeant des juges
A. Les précisions qu’ils motivent suffisamment leur déci-
concernant les modalités sion. La Haute Juridiction renonce ainsi
du contrôle judiciaire à définir le comportement du débiteur
propre à fonder la résolution unilatérale.
La décision commentée rappelle, dans L’appréciation du bien-fondé de la
les mêmes termes que celle rendue le résolution sera plus ou moins délicate
13 octobre 1998, que le contractant qui selon les circonstances. S’il y a eu inexé-
prend l’initiative de la résolution unila- cution totale, le contrôle du bien-fondé
térale agit « à ses risques et périls ». Cette de la résolution sera relativement sim-
formule comminatoire exprime claire- ple. En revanche, s’il y a eu exécution
ment l’idée que, si l’autre partie saisit le partielle ou tardive, l’appréciation sera
juge pour contester la résolution, l’auteur plus délicate. Dans les hypothèses d’exé-
de la résolution devra prouver que la gra- cution partielle ou tardive, on peut pen-
vité du comportement de l’autre partie ser qu’il sera plus prudent de la part du
justifiait la résolution du contrat, à créancier de suivre la voie de la résolu-
défaut de quoi il engagerait sa responsa- tion judiciaire, plutôt que de procéder à
bilité pour avoir rompu unilatéralement la résolution unilatérale : par cette pré-
le contrat. Cette formule est utilisée par caution, le créancier évitera toute sanc-
les auteurs en matière d’exception tion si le juge considère que les manque-
d’inexécution, dont on sait qu’elle est ments du débiteur ne justifient pas la
Annales
179

résolution. La voie traditionnelle de la lement suspendre l’exécution de son


résolution judiciaire offre donc une cer- obligation par la technique de l’excep-
taine sécurité au créancier ; cet atout tion d’inexécution ; il ne lui est pas pos-
sera-t-il perçu à sa juste valeur ? sible de résoudre le contrat.
Dans l’espèce ayant donné lieu à l’ar- Le système de la résolution unilatérale
rêt commenté, s’il s’avère que M. Fanara n’offre pas les mêmes garanties et il pour-
a fourni une prestation, la société Europe rait bien conduire à un affaiblissement
expertise devra prouver que celle-ci est de la force obligatoire du contrat. Du fait
gravement défectueuse, au point de jus- de l’absence de contrôle préalable du
tifier sa décision de rompre unilatérale- juge, on peut redouter qu’une partie
ment le contrat. Si elle ne parvient pas à mette fin au contrat sans raison valable.
faire cette preuve, la société Europe Or dans cette hypothèse, le juge pourra
expertise sera sanctionnée pour avoir difficilement ordonner la poursuite du
rompu sans raison valable le contrat ; contrat qui aura été rompu, de sorte que
ayant pris l’initiative de la résolution l’auteur de la rupture intempestive ne ris-
unilatérale, elle en supporte le « risque ». que pas autre chose que le versement
On peut cependant s’interroger sur l’effi- d’une indemnité. On peut alors s’interro-
cacité du contrôle judiciaire de la résolu- ger sur la valeur du nouveau dispositif : le
tion unilatérale. respect du principe de la force obliga-
toire, sur lequel repose tout l’édifice
contractuel, sera-t-il suffisamment assuré
B. Les interrogations par l’effet dissuasif des dommages et inté-
concernant l’efficacité rêts appelés à sanctionner la résolution
du contrôle judiciaire injustifiée ? Dans les droits anglo-saxons,
qui admettent le système de la résolution
Le système classique de la résolution unilatérale, le système des punitives
judiciaire assure efficacement le respect damages permet de conférer un caractère
de la force obligatoire du contrat, car le punitif aux dommages et intérêts. Mais
juge, appelé à prononcer la résolution, en droit français, le principe de répara-
dispose d’une large faculté d’apprécia- tion intégrale interdisant les dommages
tion. En plus de son pouvoir de pronon- et intérêts punitifs, on peut craindre que
cer ou non la résolution, le juge peut l’aspect comminatoire des dommages et
prendre différentes mesures qui permet- intérêts ne soit pas suffisant.
tent de sauvegarder le lien contractuel. Il Face à ces incertitudes, certains ont
peut ajourner la résolution en concédant préconisé le recours au juge des référés
un délai de grâce au débiteur (art. 1184, (v. not. C. Jamin, préc.). Celui-ci pour-
al. 3), il peut condamner le débiteur à rait, dans certaines circonstances
des dommages et intérêts ou prononcer (notamment pour éviter un dommage
une résolution partielle du contrat. Dans imminent : art. 809 NCPC), ordonner
ce système, en l’absence de contrôle le maintien du contrat à titre conserva-
préalable du juge, le créancier peut seu- toire et rendre ainsi inefficace la dénon-
Droit civil des obligations
180

ciation du contrat. Le créancier insatis- l’admission de la résolution unilatérale


fait devrait alors saisir le juge du fond s’il en droit français ne manquera pas de sou-
souhaite toujours rompre le contrat… de lever de nombreuses difficultés.
sorte que l’on revient au système de la
résolution judiciaire. On peut penser que
5. Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Causalité
Mots clés fait juridique, fait générateur, équivalence
des conditions, causalité adéquate, exonération,
moyens de défense au fond, fait personnel, fait
d’autrui, fait des choses, obligation à la dette,
contribution à la dette, présomptions,
indemnisation

sujet donné et établi par :


Laurent Bloch et Marie Lamarche
maîtres de conférences

T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE Second semestre 2005-2006
U
S

Dissertation :
Le fait causal.
Droit civil des obligations
182

Principales erreurs Pour d’autres, le sujet a été limité au


régime de responsabilité de droit com-
commises mun omettant la question des régimes
par les étudiants d’indemnisation et celle des quasi-
contrats. Par ailleurs, seul le fait causal
comme source de responsabilité a été
L es introductions étaient largement
insuffisantes. Les étudiants n’ont pas
su cerner le sujet et le définir, la notion
traité, sans se préoccuper des moyens de
défense.
de fait causal n’a pas été correctement En outre, certains étudiants se sont
perçue. Cela a conduit à deux types d’er- contentés de réciter leur cours sur les dif-
reurs : une vision trop large ou une vision férentes théories de la causalité sans
trop restrictive du sujet. apporter aucune réflexion critique par
rapport au sujet.
Pour certains, la dissertation a servi de
prétexte pour traiter de l’évolution de la Aucune véritable démonstration n’ap-
responsabilité civile et de son objectiva- paraissait dans la construction et, d’un
tion. Les étudiants ont alors proposé des point de vue formel, les intitulés étaient
plans du type : fait causal fautif/fait cau- vagues, sans idées et, le plus souvent, ne
sal non fautif. reprenaient pas les termes du sujet.

Corrigé
Introduction est possible de se référer à l’article 1370
du Code civil qui vise les engagements
L’introduction devait nécessairement qui résultent de l’autorité seule de la loi
comporter trois éléments : la définition et ceux qui naissent d’un fait personnel.
du sujet (d’abord les termes du sujet puis Ici, ce sont les faits personnels qui nous
du sujet dans son ensemble), son intérêt intéressent. Ces faits personnels ont un
et l’idée générale justifiant le plan. rôle à jouer aussi bien dans les quasi-
contrats que dans le droit commun de la
Définition des termes du sujet responsabilité et dans les régimes d’in-
Seule une bonne définition des termes demnisation (en cela le sujet était de
du sujet permet une réelle compréhen- nature transversale et nécessitait un
sion du sujet lui-même. esprit de synthèse).
Il convient de distinguer tout d’abord La causalité induit un rapport de cause
les notions de fait et d’acte juridique. Il à effet entre un fait et un dommage.
Annales
183

Le fait causal est donc un fait person- jouer, il est aussi un moyen de se libérer
nel quelconque qui génère un dommage d’une obligation.
et fait naître un rapport d’obligation
entre deux ou plusieurs personnes. Idée générale
Définition du sujet lui-même Le sujet pose donc la question du rôle du
fait causal. Ces deux fonctions de la
Classiquement, on distinguait les faits notion de fait causal (source et défense)
personnels licites (quasi-contrats) ou illi- n’ont toutefois pas la même importance.
cites (délits et quasi-délits). En dehors de Afin de privilégier la créance de la per-
l’hypothèse des quasi-contrats, seul le fait sonne qui a subi une atteinte à son patri-
personnel fautif est traditionnellement moine, ce fait causal est le plus souvent
source d’obligations. En réalité, le fait source d’obligations et plus rarement un
non fautif peut aussi être source d’obliga- moyen d’échapper à une obligation.
tions. L’auteur du fait a participé (de Le rôle du fait causal est donc dual, il
façon plus ou moins causale, mais tout apparaît comme une source extensive
au moins matériellement) à la réalisation d’obligations (I) alors qu’il est en revan-
d’un dommage ou, plus généralement, à che une source limitée de libération (II).
l’appauvrissement d’un patrimoine (son
propre patrimoine dans les hypothèses
de quasi-contrats et le patrimoine d’au- I. Le fait causal,
trui dans les autres hypothèses). source extensive
Intérêt du sujet d’obligations
La notion de fait causal oblige à s’intéres- La neutralité de la notion de fait causal
ser davantage à la causalité et moins au facilite la création d’obligations. L’utili-
comportement de l’auteur du fait (dès sation du fait causal comme source
lors que le fait est quelconque). La d’obligations ne s’impose pourtant pas
notion permet ainsi d’englober les quasi- dans toutes les hypothèses, ce qui en fait
contrats, le régime de responsabilité de autant une source controversée (A)
droit commun et les régimes d’indemni- qu’une source admise (B).
sation en se départissant de la distinction
classique des faits juridiques fautifs et
non fautifs. Cela témoigne du caractère A. Le fait causal,
obsolète de la distinction opérée par le source controversée
Code civil entre faits juridiques licites et d’obligations
illicites.
Une approche trop rapide du sujet La controverse n’est pas la même selon
conduirait à n’envisager le fait causal que que l’on s’intéresse au fait causal dans la
sous l’angle des sources d’obligation. En responsabilité du fait personnel (1) ou
réalité, le fait causal a un autre rôle à dans la responsabilité du fait d’autrui (2).
Droit civil des obligations
184

1. Une source indésirable intervention d’un préposé non identifié


dans la responsabilité dans la réalisation du dommage.
du fait personnel Pour la responsabilité du fait d’autrui
fondée sur l’article 1384, alinéa 1er, la
Le fait personnel qui oblige à réparation jurisprudence ne paraît exiger une faute
suppose l’imputabilité morale (ou sub- qu’en matière sportive (Cass. 2e civ.,
jective) du fait générateur. Les arti- 20 nov. 2003). Il est toutefois possible de
cles 1382 et 1383 du Code civil visent percevoir un fait objectivement illicite
en effet le fait fautif. Même pour les per- d’autrui dans les hypothèses de responsa-
sonnes privées de discernement, un sim- bilité du fait d’autrui retenues (Cass.
ple fait causal ne saurait suffire à engager 2e civ., 12 déc. 2002).
leur responsabilité. L’article 489-2 du
En tout état de cause, le fait causal
Code civil, qui semble abandonner l’exi-
demeure une source très controversée
gence de l’imputabilité morale pour la
d’obligations dans la responsabilité du
responsabilité des personnes atteintes de
fait d’autrui.
troubles mentaux, renvoie en réalité à un
fait objectivement illicite. De même, la
jurisprudence n’a pas renoncé à toute B. Le fait causal,
analyse subjective du comportement de source admise d’obligations
l’infans (Cass. ass. plén., 9 mai 1984).
Le fait causal apparaît dans certaines
2. Une source incertaine hypothèses une source d’obligations qui
dans la responsabilité ne prête pas à discussions. Il s’agit, d’une
du fait d’autrui part, d’une source équitable dans les
quasi-contrats (1) et, d’autre part, d’une
La jurisprudence apparaît divisée sur la source inévitable dans la responsabilité
question. Autant pour la responsabilité du fait des choses (2).
des parents du fait de leurs enfants, la
solution donnée par l’arrêt Levert (Cass. 1. Une source équitable
2e civ., 10 mai 2001) a été confirmée par
l’assemblée plénière le 13 décembre
dans les quasi-contrats
2002, autant pour les autres hypothèses Il est intéressant de noter que, dans le
de responsabilité du fait d’autrui, la cadre de la responsabilité et des régimes
réponse est moins certaine. d’indemnisation, on se détache de la
Concernant la responsabilité des com- notion de faute pour privilégier le droit à
mettants, la jurisprudence a pu exiger réparation en se contentant de plus en
une faute du préposé en matière sportive plus d’un simple fait causal. En matière
(Cass. 2e civ., 8 avr. 2004) en étant tou- de quasi-contrats, en revanche, c’est pré-
tefois moins claire (Cass. 2e civ., 24 oct. cisément la neutralité du comportement
2002) lorsqu’elle se contente de la simple de l’appauvri (c’est-à-dire son simple fait
Annales
185

causal) qui conditionne le recours aux constitue en revanche une source limitée
quasi-contrats. de libération pour le débiteur de l’indem-
Qu’il s’agisse de la répétition de l’indu, nisation.
de la gestion d’affaires ou de l’enrichisse-
ment sans cause, la faute de l’appauvri
prive ce dernier de son droit de créance. II. Le fait causal,
source limitée
2. Une source inévitable
dans la responsabilité de libération
du fait des choses
L’intervention d’un fait causal dans la
Dans le droit commun, le fait causal de la réalisation du dommage permet diffici-
chose est un élément nécessaire et suffi- lement de libérer la personne désignée
sant pour les choses en mouvement en
comme débitrice de l’indemnisation.
cas de contact avec le siège du dommage.
Dans l’hypothèse d’un fait causal exté-
Les circonstances de fait permettent de
présumer la causalité. rieur à cette personne (fait causal de la
victime, d’un tiers, événement quelcon-
En l’absence de mouvement et de
contact, en revanche, il convient de que), la libération ne sera qu’exception-
prouver l’anormalité et donc le fait cau- nelle au stade de l’obligation à la
sal de la chose. De même, pour certaines dette (A). Alors que le fait causal du
choses (bâtiments en ruine, art. 1386 débiteur de l’indemnisation peut être
C. civ. ; produits défectueux, art. 1386-1 une source plus circonstancielle de libé-
et s.) le simple fait causal de la chose est ration au stade de la contribution à la
insuffisant, il faut établir l’existence dette (B).
d’une condition supplémentaire (défaut
d’entretien ou vice de construction pour
un bâtiment en ruine et défauts pour les A. Le fait causal,
produits défectueux). source exceptionnelle
Dans le droit de l’indemnisation et
de libération
plus particulièrement dans l’indemnisa-
tion des victimes d’accident de la circu-
Au stade de la seule obligation à la dette,
lation, la notion de fait causal est dépas-
le fait causal peut être invoqué comme
sée par celle d’implication du véhicule
dans l’accident. Toutefois la rupture n’est moyen de défense au fond sans que ce
pas totale car la victime doit toujours moyen soit réellement admis comme
démontrer que son dommage a pour ori- source de libération (1). Ce n’est que si le
gine l’accident de la circulation. fait causal présente les caractères de la
Si le fait causal apparaît donc comme force majeure qu’il peut constituer une
une source extensive d’obligations, il cause d’exonération (2).
Droit civil des obligations
186

1. Défense au fond dre en invoquant le fait du tiers. Au stade


de l’obligation à la dette, il sera tenu au
Invoquer le fait causal d’autrui comme
moyen de défense au fond ne saurait en tout et la victime peut agir contre n’im-
principe libérer celui qui est désigné porte lequel des coauteurs ou choisir de
comme auteur du fait dommageable et diviser ses recours. Ce n’est là encore que
débiteur de l’indemnisation. si le fait causal du tiers apparaît comme la
La victime, tout d’abord, peut avoir cause exclusive du dommage qu’il sera
contribué par son fait à la réalisation du possible de l’invoquer comme moyen de
dommage (en réalité la victime a le plus défense au fond (encore que la jurispru-
souvent participé au moins matérielle-
dence l’admette rarement et que cette
ment à son dommage). Qu’il s’agisse
d’hypothèses de responsabilité pour possibilité soit exclue par les dispositions
faute, de régimes de responsabilité pré- propres à l’indemnisation des victimes
sumée ou bien de régime d’indemnisa- d’accident de la circulation).
tion, le fait causal de la victime est indif-
férent (seul le fait causal fautif pourrait 2. Cause d’exonération
être invoqué utilement). Le fait de la vic-
time qui constituerait la cause exclusive Le fait causal peut aussi être invoqué à
de son dommage peut toutefois libérer titre de cause d’exonération stricto sensu
celui qui a été initialement désigné
dans les régimes de responsabilité sans
comme débiteur de l’indemnisation. Il
met alors en échec l’obligation in solidum faute (mais non dans le régime d’indem-
dans son principe même, puisque, en nisation des victimes d’accident de la cir-
l’absence de fait causal, il ne saurait être culation). Les conditions de la responsa-
considéré comme un coauteur. Ce der- bilité de l’auteur du dommage réunies, ce
nier prouve alors pour se défendre que le dernier peut tenter de se libérer en invo-
dommage n’est en réalité pas de son fait
quant une cause étrangère ou un cas for-
et qu’il n’est pas causal.
tuit. Cette exonération n’est toutefois
Un tiers peut aussi être intervenu par
admise que si le fait causal présente les
son fait dans la réalisation du dommage.
En présence de cette pluralité de causes caractères de la force majeure, sachant
et donc de coauteurs, la jurisprudence a que classiquement ces caractères sont
choisi de ne pas diviser la dette de répa- l’imprévisibilité et l’irrésistibilité de
ration et de retenir une obligation in soli- l’événement, le caractère d’extériorité
dum entre les coauteurs (à distinguer de étant plus souplement envisagé. L’exo-
la solidarité qui ne se présume pas). Dans
nération sera totale (abandon de la juris-
un souci d’offrir à la victime des garanties
d’indemnisation, ce recours à l’obliga- prudence Lamoricière, Cass. com., 19 juin
tion in solidum empêche l’un des coau- 1951, qui avait permis une exonération
teurs actionné par la victime de se défen- partielle du gardien de la chose).
Annales
187

B. Le fait causal, parents (arrêt Levert du 10 mai 2001 :


« La responsabilité de plein droit des
source circonstancielle parents n’est pas subordonnée à l’exis-
de libération tence d’une faute de l’enfant »). Solu-
tion confirmée par un arrêt Minc et Pou-
Le fait causal peut protéger autrui dans let d’assemblée plénière du 13 décembre
son rapport avec la victime en lui confé- 2002.
rant une immunité si ce dernier à un
Il n’est donc plus besoin d’imputer une
répondant (1), mais le fait causal peut
faute à l’auteur direct pour que son
libérer de manière différée un des coau-
garant soit responsable et ainsi éventuel-
teurs condamnés in solidum en lui offrant
lement l’exposer à une action directe ou
un recours en contribution selon des
un recours subrogatoire. Elle aboutit
règles relativement favorables (2).
donc à octroyer de fait une quasi-
immunité à l’enfant auteur puisque,
1. Source d’immunité conformément aux articles 1382 et 1383
Un mouvement de fond bouleverse les qui constitue tout de même toujours le
responsabilités du fait d’autrui. La juris- droit commun de la responsabilité, nul
prudence les transforme en responsabi- n’est personnellement responsable de
lité directe du fait d’autrui où précisé- son simple fait causal dommageable.
ment le fait causal d’autrui semble L’onde de choc de l’arrêt Levert va
nécessaire et suffisant pour présumer la s’étendre jusqu’à la responsabilité du
responsabilité du répondant. Ce fait cau- commettant par un arrêt d’assemblée
sal, s’il devient une source de responsabi- plénière, Costedoat, du 25 février 2000.
lité pour le répondant, se mue en source En effet, désormais, le préposé bénéficie
d’immunité pour le garanti. d’une immunité dès lors qu’il agit sans
Depuis l’arrêt Fullenwarth du 9 mai excéder les limites de la mission qui lui a
1984, l’enfant peut être responsable pour été impartie par son commettant. Si
faute puisqu’il est considéré comme fau- l’immunité est certaine, la question de
tif lorsqu’il a commis un fait objective- savoir si un simple fait causal du préposé
ment illicite. L’enfant fautif est responsa- suffit à engager la responsabilité du com-
ble et ses parents sont responsables du mettant ou bien s’il faut une faute de pré-
fait de la faute objective commise par posé reste débattue.
leur enfant. Il s’agit donc d’une responsa- Quid en ce qui concerne le principe
bilité indirecte du fait d’autrui. général du fait d’autrui ?
La solution, qui était en germe dans La jurisprudence actuelle reste là
Fullenwarth, a été est clairement confir- encore confuse. Dans l’arrêt précité du
mée sans le détour de la faute objective, 13 décembre 2002 (Minc et Poulet), l’as-
le simple fait causal dommageable de semblée plénière de la Cour de cassation
l’enfant est une condition nécessaire et a en effet visé, aux côtés de l’article 1384,
suffisante, non pas à la responsabilité de alinéa 4, du Code civil, l’alinéa 1er, du
l’enfant mais à la responsabilité de ses même texte, semblant ainsi vouloir éten-
Droit civil des obligations
188

dre la solution du simple fait causal au du Code civil. Le solvens est subrogé dans
principe général. les droits de la victime. La jurisprudence
Or, quelques semaines plus tard, la a précisé que le solvens disposait égale-
deuxième chambre de la Cour de cassa- ment d’une action propre dont le fonde-
tion va se démarquer et subordonner la ment doit sans doute s’analyser comme
responsabilité d’un club sportif mise en une hypothèse de répétition de l’indu ou
cause sur le fondement de l’article 1er à la d’action de in rem verso.
preuve « d’une faute caractérisée par une Les modalités de la contribution
violation des règles du jeu » (Cass. dépendent de la nature des faits généra-
2e civ., 20 nov. 2003). teurs en concours.
Cette solution a, par la suite, été éten- Si les coauteurs n’ont commis que des
due à l’alinéa 5, c’est-à-dire hypothèse faits causaux, alors généralement la
du club sportif commettant (Cass. 2e civ., contribution est déterminée par parts
8 avr. 2004) et reprise le 13 mai 2004 et viriles. Si plusieurs fautes sont en
le 21 octobre 2004 toujours par la concours, la gravité des fautes est généra-
deuxième chambre civile à propos d’une lement prise en compte. Par exemple,
association sportive mais cette fois sur le celui qui a commis une faute intention-
fondement de l’alinéa 1er. nelle n’aura pas de recours contre celui
qui a commis une faute de négligence. Si
2. Source certains sont fautifs et d’autres non, l’au-
d’une action récursoire teur d’un simple causal a un recours inté-
gral contre les fautifs et inversement les
Il s’agit d’un recours récursoire fondé sur fautifs solvens n’ont pas de recours contre
la subrogation légale de l’article 1251, 3°, les auteurs d’un simple fait causal.
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Dommage incertain
Mots clés fait juridique, quasi-contrat,
responsabilité civile délictuelle,
régimes spécifiques d’indemnisation

sujet donné et établi par :


Valérie Malabat
professeur

T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE (département d’études juridiques d’Agen)
U
S Second semestre 2002-2003

Dissertation :
Le dommage incertain.
Droit civil des obligations
190

Conseils ger de cet ensemble la question princi-


pale que pose ce sujet. La réponse à cette
question sera l’idée générale (ou problé-
L a dissertation est un exercice redouté
des étudiants en ce qu’il exige de
savoir non seulement parfaitement déli-
matique) qui devra être démontrée par
le plan. Cette idée générale est fonda-
mentale puisqu’elle doit servir à l’élabo-
miter un sujet mais aussi de construire un ration du plan mais elle est également le
plan qui permette de démontrer une idée fil conducteur des développements. Le
générale sur ce sujet. défaut de nombreuses dissertations est en
Il est impératif de commencer le tra- effet qu’elles « glissent » vers la récita-
vail de préparation de la dissertation par tion de cours en oubliant la spécificité
définir le sujet et par sa délimitation : le du sujet à traiter.
hors sujet est en effet un écueil fatal.
Il faut ensuite rassembler ses connais-
sances sur le sujet posé et tenter de déga-

Corrigé
à savoir si un dommage futur peut néan-
L ’introduction devait comporter trois
éléments indispensables : la défini- moins être certain.
tion du sujet, son intérêt et l’idée géné- Intérêt du sujet. S’interroger sur le
rale justifiant le plan. dommage incertain c’est a priori s’inter-
Définition. Le dommage est l’atteinte roger sur le dommage qui n’est pas répa-
rable et donc sur les limites de la respon-
que subit une victime et que les règles de
sabilité civile. Or, il est devenu banal de
la responsabilité civile permettent de
souligner que les limites de la responsabi-
réparer. Ce dommage peut être matériel
lité civile reculent chaque jour davan-
ou moral mais, dans tous les cas, il est tage et que de plus en plus de dommages
exigé qu’il présente certains caractères sont réparés. Il faut donc se demander si
pour être réparable sur le fondement de la définition du dommage incertain ne
la responsabilité civile. Le dommage doit change pas avec les limites de la respon-
ainsi être certain, direct et légitime. La sabilité civile.
certitude du dommage peut paraître une Idée générale. L’étude de la jurispru-
évidence tant on ne saurait réparer des dence montre justement que les magis-
dommages dont l’existence même n’est trats ont utilisé plusieurs techniques pour
pas certaine. Pourtant cette notion peut permettre la réparation de dommages qui
poser des difficultés, notamment quant apparaissaient de prime abord incertains.
Annales
191

Les juges arrivent ainsi à prendre en dommage moral de faits connus (blessu-
compte des dommages incertains dans res physiques ou lien avec la victime
leur existence actuelle (dommage actuel immédiate).
incertain) mais aussi des dommages
incertains dans leur réalisation (dom-
B. La réparation
mage futur incertain).
Plan envisageable et idées à dévelop-
du dommage objectif
per :
Le problème de la réparation du dom-
mage des victimes inconscientes (coma,
I. La prise en compte etc.) a posé une difficulté particulière. Il
est impossible de savoir en effet si cette
du dommage incertain victime inconsciente éprouve une souf-
dans son existence france. Le dommage moral de ces victi-
mes est donc incertain. Pourtant la juris-
Certains dommages actuels, c’est-à-dire prudence a accepté de réparer tous les
déjà réalisés, ne peuvent pas être établis chefs de préjudices des victimes incons-
avec certitude. Pourtant le juge civil cientes considérant que leurs dommages
répare certains de ces dommages consi- pouvaient être objectivement constatés
dérant qu’ils peuvent être soit présu- (Cass. crim., 5 janv. 1994, Bull. crim.
més (A), soit constatés objective- n° 5). Autrement dit, peu importe la per-
ment (B). ception qu’a la victime de son propre
dommage, ce qui compte est que le dom-
mage puisse être objectivement perçu
A. La réparation par des tiers. Constatant que ces victi-
du dommage présumé mes sont inconscientes, on ne peut que
constater qu’elles sont privées, par exem-
Le dommage moral ne peut être prouvé ple, des joies de l’existence (ce qui
avec certitude puisqu’il consiste en une constitue un préjudice d’agrément).
souffrance. On ne peut donc que présu- Ce même raisonnement peut égale-
mer qu’une victime souffre dans son ment être utilisé pour expliquer la solu-
corps ou dans son âme. La souffrance tion rendue dans la tristement célèbre
physique sera présumée à partir des bles- affaire Perruche (ass. plén., 17 nov. 2000,
sures physiques constatées. Bull. civ. n° 9). Sans doute est-il douteux
Il est plus difficile en revanche de pré- de considérer que, pour l’enfant Perru-
sumer la souffrance purement psycholo- che, le fait de naître handicapé consti-
gique résultant notamment de la perte tue un préjudice puisque l’on sait qu’à
d’un être cher. Cette souffrance sera pré- défaut de naître handicapé il ne serait pas
sumée en cas de lien familial ou affectif né du tout. En revanche, il est possible de
établi. Ces systèmes de présomption considérer que son handicap se constate
amènent donc à déduire l’existence d’un objectivement par des tiers et constitue
Droit civil des obligations
192

donc un préjudice certain qui peut être chance perdue et non à partir du dom-
réparé. mage éventuel.
De même, la jurisprudence crée par-
fois des préjudices particuliers qui lui per-
II. La prise en compte mettent d’accorder réparation à des vic-
du dommage incertain times qui invoquaient un dommage futur
dans sa réalisation éventuel. Ce fut le cas des victimes d’une
contamination du VIH. Dans un nom-
bre infime de cas, en effet, les personnes
Parmi les dommages futurs, des préjudi-
contaminées ne développent pas un
ces apparaissent comme certains et vont
SIDA déclaré. La réalisation de ce dom-
donc être réparés sans difficulté. Ainsi
mage (SIDA) est donc incertaine lors de
en est-il par exemple des pertes de salai-
la seule contamination par le VIH. Le
res futurs dues à l’incapacité de travail de
juge civil répare néanmoins le préjudice
la victime. Mais d’autres dommages
dit « spécifique de contamination »
futurs ne sont qu’éventuels parce qu’in-
constitué par la seule contamination par
certains dans leur réalisation future et ne
le virus sans attendre que la maladie ne
peuvent donc, faute de certitude, faire
se déclare. Là encore, le dommage réparé
l’objet d’une réparation. Pourtant, là
est certain (le seul fait de la contamina-
encore, la jurisprudence a développé des
tion constitue un dommage compte tenu
solutions qui permettent la prise en
de la situation angoissante et contami-
compte de ces dommages incertains dans
nante de la victime) mais il permet d’ac-
leur réalisation, qu’il s’agisse de les pren-
corder indirectement réparation pour un
dre en compte indirectement (A) ou de
préjudice qui n’est encore qu’éventuel :
prendre en compte l’évolution éven-
la maladie déclarée. Dans cette dernière
tuelle du dommage réalisé (B).
situation, si le SIDA se déclare effective-
ment, on peut toutefois considérer qu’il
A. La réparation indirecte s’agit là d’un préjudice nouveau qui
de dommages éventuels mérite une autre indemnisation. Mais
c’est déjà poser le problème de l’évolu-
Cette solution est permise par la répara- tion (toujours incertaine) du dommage.
tion de la perte de chance. La perte de
chance doit bien évidemment être cer- B. La prise en compte
taine pour justifier une réparation sur le
fondement de la responsabilité civile. des éventuelles évolutions
Mais il faut observer que la réparation de du dommage
cette perte certaine de chance permet de
réparer indirectement un dommage futur Au jour où le juge statue pour accorder
éventuel. La réparation n’est qu’indi- réparation, il ne peut tenir compte que
recte parce que le montant de la répara- des dommages certains. Il lui est en
tion est estimé à partir de la valeur de la revanche impossible de chiffrer par
Annales
193

avance l’éventuelle aggravation du dom- l’évolution du dommage et de permettre


mage, cette évolution étant par hypo- une adaptation future de l’indemnisation
thèse incertaine. Certains procédés per- en fonction de l’évolution du dommage.
mettent cependant au juge de prévoir
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Responsabilité du fait des choses
Autres thèmes Transfert de la garde
Mots clés propriétaire, gardien, présomption de garde,
chose dangereuse, faute de la victime

sujet donné et établi par :


François Guy Trébulle
professeur

T Université de Caen–Basse-Normandie
JE Second semestre 2005-2006
U
S

Commentaire :
Veuillez commenter l’arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre
civile, 23 janvier 2003 :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 13 mars 2001), que


M. Gérard X…, ouvrier carreleur de l’entreprise Sagne chargé d’exécuter des tra-
vaux de carrelage dans la maison appartenant à Mme Y… épouse Z…, alors en
cours de rénovation, a été blessé par une explosion survenue après qu’il y eut
jeté une chute de carrelage dans un tas de gravats ; que la caisse primaire
d’assurance-maladie (CPAM) de la Dordogne ayant versé à la victime des indem-
nités journalières et une rente d’invalidité d’accident du travail, a assigné
Droit civil des obligations
196

Mme Z… et son assureur, le Groupama, en responsabilité et remboursement, en


présence de M. X… ; qu’une expertise a établi que l’explosion provenait d’un
détonateur de type ancien placé dans les gravats ;
Attendu que Mme Z… et son assureur font grief à l’arrêt d’avoir déclaré
Mme Z… responsable de l’accident et de l’avoir condamnée in solidum avec le
Groupama à verser des provisions à la CPAM et M. X…, alors, selon le moyen :
1° que dans leurs conclusions d’appel récapitulatives signifiées et déposées le
18 octobre 2000, Mme Z… et son assureur soutenaient qu’il était « totalement
exclu qu’il y ait un quelconque rapport entre l’activité du père de Mme Z… à la
Manufacture de Tulle et la présence de l’objet qui a explosé » ; qu’en retenant dès
lors, pour présumer Mme Z… gardienne du détonateur, que les appelants ne
contestent pas que l’engin litigieux provenait de l’immeuble dont Mme Z… était
propriétaire, parce qu’il avait appartenu à son père et lui avait été transmis avec
la propriété de l’immeuble, la cour d’appel a dénaturé ces conclusions claires et
précises et a violé l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2° que pour présumer Mme Z… gardienne du détonateur, la cour d’appel s’est
bornée à énoncer que « le détonateur litigieux provenait de l’immeuble dont
Denise Z… est propriétaire » ; qu’en se déterminant de la sorte quand il résultait
du rapport d’expertise que l’objet en cause ne pouvait en aucun cas avoir été
fabriqué à la Manufacture d’armes de Tulle (MAT) où travaillait le père de
Mme Z…, et qu’il n’était pas possible de déterminer l’origine du détonateur en
cause, la cour d’appel qui n’a pas établi les raisons de la présence du détonateur
litigieux dans la propriété Z…, a privé sa décision de base légale au regard de l’ar-
ticle 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
3° que le propriétaire n’est plus gardien lorsqu’il a transféré l’usage, la direc-
tion et le contrôle de la chose à un tiers ; que pour déclarer la propriétaire de l’im-
meuble responsable du dommage provoqué par un détonateur, la cour d’appel a
énoncé qu’elle ne démontrait pas avoir transféré la garde de cet objet à l’entre-
prise chargée d’exécuter des travaux dans l’immeuble ; qu’en statuant ainsi sans
rechercher si, en confiant à l’entreprise la charge de carreler le sol de sa cuisine
et de l’entrée de son habitation, Mme Z… ne lui avait pas transféré, au moment
du dommage, la garde du chantier et, partant, celle du détonateur qui pouvait s’y
trouver, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’arti-
cle 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
4° qu’en retenant, pour écarter la faute de M. X…, qu’il n’est pas établi qu’il
ait manipulé le détonateur, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée,
si le fait de jeter un carreau sur le détonateur ne constituait pas une faute, la cour
d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du
Code civil :
Annales
197

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l’arrêt relève que le détona-
teur, qui avait été transmis à Mme A… avec la propriété de l’immeuble par son
père, appartenait à celle-ci ; qu’elle a reconnu que son père, ancien employé de
la Manufacture d’armes de Tulle en 1936, utilisait, selon une pratique locale alors
répandue, des détonateurs pour extraire des pierres de construction ; que Mme Z…
ne démontrait pas que la garde de cet objet avait été transférée à l’entreprise, dès
lors qu’il se trouvait dans les gravats entreposés dans la cour de son immeuble et
provenant de la démolition récente d’un mur de la maison ; qu’enfin, l’expert
ayant admis qu’un jet de carreau sur les gravats avait pu suffire au déclenchement
de l’explosion, Mme Z… ne démontrait pas que M. X… eût commis une faute,
alors que, s’agissant d’un matériel spécifique de type ancien, cet ouvrier, qui tra-
vaillait dans des conditions normales ne pouvait imaginer qu’il pût s’agir d’un
détonateur dangereux ;
Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, procédant d’une apprécia-
tion souveraine des éléments de preuve, la cour d’appel a pu retenir que la seule
présence du détonateur, quelle qu’en fût l’origine, sur la propriété de Mme Z… la
constituait gardienne de cette chose, et a pu décider que le transfert de la garde
du détonateur à l’entreprise de carrelage n’était pas établi et que la victime n’avait
pas commis de faute ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pour-
voi ; […]

Durée : 3 heures.
Document autorisé : Code civil.

Corrigé
Introduction personne qui ignore avoir la propriété
d’une chose peut-elle en être gardienne
et comment peut-elle s’exonérer de la
P ar cet arrêt de la deuxième chambre
civile du 23 janvier 2003, la Cour
de cassation a eu à se prononcer sur la
responsabilité liée au fait de cette chose ?
Rappel des faits :
force de la présomption qui lie les quali- – transmission de l’immeuble et, vrai-
tés de propriétaire et de gardien : une semblablement, du détonateur ;
Droit civil des obligations
198

– intervention d’un salarié d’un entre- On pourrait discuter du caractère


preneur intervenant pour le compte de la inerte du détonateur lorsqu’il était entre-
propriétaire ; posé dans la maison (on peut penser qu’il
– accident : ouvrier blessé par l’explo- traînait et en tout cas est resté plusieurs
sion ; années sans bouger) mais cet argument
ne serait aucunement recevable dans la
– intervention de la CPAM après
mesure où sa présence était à l’évidence
avoir indemnisé la victime ;
anormale (au demeurant l’argument
– arrêt rejetant le pourvoi contre un n’avait pas été soulevé par la propriétaire
arrêt confirmatif : communauté de vue de la maison).
des différentes juridictions.
Dans la mesure où le gardien de la
Cet arrêt intervient dans une espèce chose ne peut échapper à la mise ne
dans laquelle n’était pas en cause la faute cause de sa responsabilité en établissant
de celui dont la responsabilité est recher- son absence de faute, il fallait logique-
chée. Il y avait là une situation proche ment, pour échapper à la condamnation
du modèle classique du risque qui a justi- sur le fondement de l’article 1384, ali-
fié la consécration de la responsabilité du néa 1er, du Code civil, qu’il établisse qu’il
fait des choses sur le fondement de l’arti-
n’avait pas la qualité de gardien, clef du
cle 1384, alinéa 1er. Comme dans l’arrêt
régime prétorien. C’est l’intérêt de l’arrêt
Teffaine du 16 juin 1896, la chose a pro-
que de conforter l’analyse qui présume le
voqué un dommage sans pour autant
propriétaire gardien et envisage stricte-
qu’il soit possible d’établir une faute de
ment les modalités du transfert de la
son propriétaire.
garde.
Pour que la responsabilité du fait des
choses puisse être invoquée, il est néces-
saire que soient identifiés un préjudice, I. Le propriétaire
un fait générateur et un lien de causalité
entre les deux. Le préjudice résulte de
présumé gardien
l’accident ; la démonstration du lien de de sa chose
causalité procède de la seule observation
des circonstances de réalisation du préju- La responsabilité du fait des choses
dice. repose sur l’identification du gardien de
Pour ce qui est du fait générateur, le la chose qui va devoir répondre des
détonateur est incontestablement une conséquences dommageables du fait de
chose. Le rappel des faits établi même celle-ci. L’originalité de l’espèce envisa-
qu’il s’agit d’une chose dangereuse. L’ex- gée résidait dans le fait que la personne
plosion est incontestablement un fait de propriétaire de l’immeuble ignorait avoir
cette chose, il n’est pas contestable que la propriété de celle-ci. Après avoir
le détonateur a joué un rôle effectif dans retenu que nonobstant cette ignorance
la réalisation du préjudice auquel il a par- la propriétaire de la maison l’était égale-
ticipé matériellement. ment du détonateur, la Cour de cassation
Annales
199

pose très nettement la présomption de présence d’une chose dangereuse dont


garde associée à la propriété. elle ignorait tout.
Face à ce raisonnement, la cour d’ap-
A. La qualité de propriétaire pel, dans une appréciation souveraine, a
raisonné par présomptions, en se fondant
de la chose
sur le fait que, selon toute vraisemblance,
Les deux premières branches du moyen le détonateur avait appartenu à son père.
reposaient sur la contestation, par la pro- Contrairement à ce qui était soutenu au
priétaire de la maison, de sa qualité de pourvoi, peu importaient les raisons de
propriétaire du détonateur dont le fait a la présence du détonateur. Dès lors que
causé le préjudice. La discussion portait celui-ci était présumé avoir appartenu au
sur deux éléments. Mme Z contestait père de la demanderesse au pourvoi,
l’existence de tout rapport entre le déto- c’était à elle de faire tomber la présomp-
nateur et l’activité de son auteur. Ceci tion en apportant la preuve que ce
était habile car elle entendait, de la sorte, n’était pas le cas.
contester l’existence du lien l’unissant à Or, en l’espèce, la cour d’appel a relevé
la chose. que le père de la demanderesse — ce
Dans la mesure où, selon le moyen, « il qu’elle avait reconnu — avait utilisé,
était “totalement exclu qu’il y ait un « selon une pratique locale alors répan-
quelconque rapport entre l’activité du due, des détonateurs pour extraire des
père de Mme Z… à la Manufacture de pierres de construction ». Cela étant éta-
Tulle et la présence de l’objet qui a bli, la vraisemblance étayait bien le rai-
explosé” », Mme Z pensait parvenir à sonnement retenu par la cour d’appel et
démontrer que la chose échappait au plaidait en faveur d’un rattachement de
champ d’application de l’article 1384, la chose à l’immeuble dont la propriété
alinéa 1er : res derelictae, chose abandon- avait été transférée à la personne dont la
née, la chose n’était plus ni appropriée responsabilité était recherchée.
ni gardée et ne pouvait donc, par hypo- On est ici en présence d’une applica-
thèse — à suivre le moyen — permettre tion de la règle selon laquelle les meu-
d’engager la responsabilité de quiconque. bles présents dans un immeuble sont pré-
Le même raisonnement était présent sumés appartenir au propriétaire de
dans la deuxième branche qui se fondait l’immeuble. Il n’est pas absolument exclu
sur l’origine du détonateur. que la chose ait été déposée là par un
Cette analyse n’est pas sans évoquer la tiers, mais, dans la mesure où la deman-
distinction entre la garde de la structure deresse au pourvoi n’est pas parvenue à
et la garde du comportement dans la faire tomber la présomption de propriété,
mesure où Mme Z pouvait prétendre ne il lui faut en supporter les conséquences,
pas avoir eu la garde du comportement singulièrement en termes de garde, ce
de la chose, transférée à l’entreprise, et qui était tout l’intérêt du raisonnement
ne pas voir la garde de sa structure, en en cause.
Droit civil des obligations
200

B. La présomption de garde n’avoir pas été en mesure d’exercer les


prérogatives qui lui conféraient la res-
pesant sur le propriétaire ponsabilité du fait du détonateur. Toute-
fois, la reconnaissance du caractère
Régler la question de la propriété de la
matériel de la garde n’est déterminante
chose n’apportait qu’un élément de
que dans la mesure où peut être identi-
réponse limité. Encore fallait-il, pour
fiée la perte de la garde, comme à la suite
apprécier la situation sur le terrain de la
d’un vol ou d’un transfert de la chose :
responsabilité du fait des choses, que la
dès lors qu’il ne parvient pas à établir
cour d’appel se prononçât sur la garde de
qu’il a transféré la garde de sa chose, en a
celle-ci. En effet, aux termes de l’arti-
cle 1384, alinéa 1er, on est responsable été privé 1, ou que la garde de la structure
du fait de la chose que l’on a sous sa dangereuse de la chose a été conservée
garde. par un tiers, le propriétaire est toujours
présumé être le gardien de sa chose au
La conception de la garde a été déga- sens de l’article 1384, alinéa 1er.
gée, après bien des débats, par l’arrêt
Franck, des chambres réunies, rendu le Par ailleurs, l’ignorance ne peut être
2 décembre 1941. Cet arrêt a relevé que regardée comme déterminante dans la
le propriétaire d’un véhicule qui lui avait mesure où, dans un certain nombre d’hy-
été volé était « privé de l’usage de la pothèses, le propriétaire est regardé
direction et du contrôle de la garde de sa comme gardien alors même qu’il ignore-
voiture et donc qu’il n’en avait plus la rait ou ne pourrait percevoir les caractè-
garde et n’était plus dès lors soumis à la res de la chose. On sait ainsi que pour les
présomption de responsabilité édictée aliénés, depuis l’arrêt Trichard du
par l’article 1384, alinéa 1er ». 18 décembre 1964, aux termes duquel
« celui qui a causé un dommage à autrui
La jurisprudence, à la suite de cet alors qu’il était sous l’empire d’un trouble
arrêt, définit la garde au travers des pou- mental n’en est pas moins obligé à répa-
voirs d’usage direction et contrôle, mais ration » (solution depuis consacrée par
elle a retenu une conception principale- l’article 489-2 du Code civil) et pour les
ment matérielle de la garde attachée à infans depuis l’un des arrêts d’assemblée
l’effectivité des pouvoirs en cause — sans plénière du 9 mai 1984, l’arrêt Gabillet, le
quoi le propriétaire dépossédé qui n’a pas discernement n’est pas un critère de la
perdu sa qualité de propriétaire aurait été garde : une personne peut être gardienne
regardé comme ayant conservé la garde alors même qu’elle ne perçoit pas les
de sa voiture. caractères propres de la chose et n’a pas
Dans les faits de l’arrêt du 23 janvier les moyens de prévenir le dommage. De
2003, le raisonnement pouvait être ce point de vue, l’arrêt rapporté est cer-
mobilisé en faveur d’une exonération de tainement à placer, de manière cohé-
responsabilité dans la
mesure où la propriétaire,
ignorant avoir cette qua-
lité, pouvait prétendre 1. V. Cass. 2e civ., 19 juin 2003, Dr. et patrimoine 12/2003, p. 90.
Annales
201

rente, en rapport avec cette évolution, voies d’exonérations de la responsabilité


dans une approche de la garde qui laisse du propriétaire qui pouvaient lui permet-
une place à une conception abstraite, tre d’échapper à la responsabilité du fait
juridique, de celle-ci. du détonateur. Habilement il a invoqué
Ainsi il y a lieu d’opérer une distinc- le transfert de la garde et la faute de la
tion : la garde est abstraite lorsque l’on victime mais aucune de ces voies ne pou-
s’interroge sur la situation du propriétaire vait prospérer au regard des circonstan-
(cas de l’arrêt) qui va garantir les tiers ces particulières rencontrées dans les
vis-à-vis de la victime, ou en l’absence faits de l’espèce.
de propriétaire identifié (bâton). Elle
n’est appréciée concrètement que A. L’exonération
lorsqu’il s’agira de se prononcer sur un
éventuel transfert qui ne prive pas la vic-
par le transfert de la garde
time de recours mais permet d’aiguiller
Il est patent que si le gardien est respon-
le plus justement possible la responsabi-
sable, la tendance très nette de la juris-
lité ou de tenir compte d’une impossibi-
prudence française est de retenir une
lité matérielle (cas du vol).
conception alternative et non cumula-
Ainsi se comprend l’affirmation de la tive de la garde : il n’y a, à un moment
Cour de cassation dans l’arrêt : en se fon- donné, qu’un gardien pour la chose et
dant sur son appréciation souveraine de c’est la responsabilité de celui qui dispo-
la situation de Mme Z quant à la propriété sait effectivement des pouvoirs d’usage
du détonateur, la cour d’appel ne pouvait direction et contrôle sur la chose qu’il
que constater que celle-ci en était gar- appartient de répondre du dommage
dienne, nonobstant son ignorance de causé par la chose.
l’existence de cet objet dangereux dans
De la sorte, le propriétaire peut être
sa maison. Ceci ne suffisait pourtant pas
exonéré, par exemple lorsque son bien
à permettre de trancher totalement la
étant donné à bail, il n’en a plus la jouis-
question de sa responsabilité car elle
sance, un transfert étant opéré, en prin-
pouvait être exonérée de celle-ci en éta-
cipe, au profit du preneur 2. Il est possible
blissant avoir perdu la garde ou en invo-
quant la faute de la victime. que le transfert de la garde procède,
comme cela était invoqué par le pourvoi,
d’un contrat d’entreprise unissant le pro-
II. Les voies priétaire de la chose, gardien initial, à un
entrepreneur, gardien substitué.
d’exonération
On soulignera que la garde ne pouvait,
de la responsabilité en tout état de cause, être regardée
du propriétaire comme transférée à l’ouvrier dans la

Le moyen développé par le


2. Cass. 2e civ., 12 déc. 2002, RCAss. 2003, n° 62 cité en
pourvoi a exploré les deux cours.
Droit civil des obligations
202

mesure où celui-ci étant salarié il ne peut trouvait sur un tas de gravats provenant
acquérir, dans le cadre de son activité, la de la démolition récente d’un mur de la
qualité de gardien car, ainsi que le relève maison, or le contrat ne portait que sur le
une jurisprudence constante, les qualités carrelage de l’entrée et de la cuisine ;
de gardien et de préposé sont incompati- – on peut souligner le caractère parti-
bles (pour mémoire, Cass. 2e civ., 15 mars culier du détonateur, chose dangereuse
2001 3 approuvant une cour d’appel dont le transfert est subordonné à l’in-
d’avoir retenu que « lorsque le préposé formation du prétendu gardien substitué
fait un usage normal de la chose dans sur les risques de préjudice liés à la chose
l’exercice de ses fonctions, pour le et sur les moyens de le prévenir. (Cass.
compte du commettant, il n’en a pas la 1re civ., 9 juin 1993, «sauf l’effet d’une
direction, la préposition constituant un convention contraire valable entre les
lien de subordination et de dépendance parties, le propriétaire de la chose, bien
qui est incompatible avec la qualité de que la confiant à un tiers, ne cesse d’en
gardien parce qu’elle rend impossible la être responsable que s’il est établi que ce
pleine maîtrise de la chose qu’impliquent tiers a reçu corrélativement toute possi-
les pouvoirs du gardien, notamment de bilité de prévenir lui-même le préjudice
direction et de contrôle »). qu’elle peut causer ») ;
Le pourvoi ne prétendait pas qu’un – on peut également penser que la
transfert de garde ait pu intervenir vis- garde de chantier n’est adéquate que
à-vis du salarié, mais bien vis-à-vis de son lorsque le dommage est causé par le
employeur, l’entreprise chargée de réali- chantier dans son ensemble, dans son
ser les travaux. Pour ce faire, il est fait existence factuelle (cas des nuisances
référence à la « garde du chantier », sonores ou des troubles liés à l’opération
expression parfois employée en matière, de construction) et non lorsqu’il résulte
notamment, de troubles du voisinage. Le du fait d’une chose particulière dont, au
pourvoi reposait sur l’idée selon laquelle demeurant, la présence était ignorée des
l’entreprise s’étant vu transférer la garde parties.
du chantier, la propriétaire n’avait plus la C’est probablement sur ce dernier élé-
qualité de gardienne du détonateur. ment qu’il convient d’insister avec un
La cour d’appel, comme la Cour de soin tout particulier : si le propriétaire est
cassation ne se prononcent pas sur la le gardien « naturel » de ses biens car il a
question de la garde du chantier mais sur eux les prérogatives les plus étendues,
articulent leur réponse sur la garde de la il n’en va pas de même des tiers.
chose, instrument du dommage. Plu- Pour que le transfert puisse être effec-
sieurs analyses de cette exclusion peu- tif, il est nécessaire que le gardien substi-
vent être menées : tué ait au moins connaissance de l’exis-
– on peut relever que le détonateur tence de la chose et de ses caractères
n’était pas directement
placé dans le domaine du
contrat envisagé : il se 3. RCA 2001, comm. 183.
Annales
203

principaux. C’est là une analyse qui se Toutefois ce raisonnement n’est pas


retrouve avec constance dans la jurispru- présent dans l’arrêt et ne semble pas
dence et qui correspond bien à l’idée de avoir été employé alors même qu’il aurait
transfert de responsabilité : on ne peut conduit au même résultat. On peut y voir
rendre un tiers responsable de sa chose un élément en faveur du rejet de l’argu-
par l’effet de sa seule volonté ou de sa mentation fondée sur la garde du chan-
seule ignorance. tier : dans la mesure où la garde même
La particularité de la chose ne peut du comportement n’avait pas été trans-
être ignorée et l’on soulignera que, si le mise, il était inutile de se référer à la
dommage avait été causé par un carreau théorie de la garde divisée. Le raisonne-
de carrelage détaché du sol par l’ouvrier ment aurait été différent si l’entreprise
dans le cadre de son travail, la solution avait effectivement été regardée comme
aurait probablement été différente. gardienne du tas de gravats : ayant la
En l’espèce, les juridictions ne sont pas garde de la structure, elle aurait encore
rentrées dans le détail des modalités de la pu être regardée comme non responsa-
garde d’un détonateur ancien car le ble du fait du détonateur si elle n’avait
transfert n’était pas établi par la deman- pas été informée de sa présence et de sa
deresse. Il est fondamental de souligner, dangerosité.
à ce propos, que c’est au propriétaire N’ayant, en tout état de cause, pas
d’établir que le transfert qu’il invoque a réussi à convaincre sur le terrain du
été réalisé. Ici, le rejet ne se justifie pas
transfert de la garde, la propriétaire de
par une impossibilité quelconque, mais
l’immeuble, demeurée gardienne du
uniquement parce que la propriétaire,
détonateur, avait encore la possibilité de
Mme Z, n’a pas démontré qu’il était inter-
voir sa responsabilité atténuée ou évin-
venu.
cée par la prise en compte de la faute de
On relèvera, à propos du transfert à la victime.
l’entreprise, que la question aurait pu
être envisagée sous l’angle de la distinc-
tion garde de structure/garde du compor-
tement. Les faits de l’espèce s’y prêtaient
dans la mesure où l’on se trouvait en pré-
B. L’exonération par la faute
sence d’une chose dangereuse dotée d’un
dynamisme propre, ce qui n’est pas sans de la victime
rappeler l’hypothèse de la bouteille
d’oxygène ayant permis à la Cour de cas-
sation d’accueillir la distinction dans son Il est parfaitement envisageable que la
arrêt du 5 février 1956. faute de la victime soit totalement exo-
Ici comme là, en tout état de cause, nératoire lorsqu’elle revêt les caractères
l’entreprise n’avait probablement pas le de la force majeure. C’est là la « seule
pouvoir de surveiller le détonateur et condition pour que le gardien de la chose
d’en contrôler tous les éléments. instrument du dommage s’exonère tota-
Droit civil des obligations
204

lement de la responsabilité édictée par envisagés, mais dans le fait qu’elle invi-
l’article 1384, alinéa 1er 4 ». tait les magistrats à sanctionner la vic-
Il est possible également que, sans time de l’explosion en suggérant que le
revêtir les caractères de la force majeure, fait de jeter un carreau sur un détonateur
la faute de la victime ait tout simplement dont tout le monde — semble-t-il —
concouru à la production du dommage ignorait l’existence, ne constituait pas
avec le celui d’un tiers. une faute.
Dans cette situation on considère que Il est évidemment utile, pour répon-
la faute de la victime va constituer un cas dre à cet argument, de revenir sur les
d’exonération partielle de l’auteur du fait conditions même de la faute, telles qu’on
dommageable. En effet, on va retenir les connaît dans le cadre de l’article 1382
dans cette situation, et seulement dans du Code civil. En l’espèce, l’ouvrier n’a
cette situation, le principe de la causa- méconnu aucune règle impérative et n’a
lité partielle qui va se traduire par l’ap- été ni imprudent ni négligent dans la
préciation de la proportion qu’a prise la mesure où, ainsi que l’arrêt l’indique, il
faute de chacun dans la réalisation du s’agissait d’un matériel spécifique de
dommage. De la sorte, la victime ne sera type ancien dont la victime ne pouvait
que partiellement indemnisée par l’autre imaginer qu’il pût s’agir d’un détona-
auteur. Les tribunaux répartissent ainsi, teur dangereux.
entre les deux auteurs (victime et tiers), On relèvera, avec l’arrêt, que c’est
la charge de la responsabilité inhérente bien sûr à celui qui invoque la faute d’en
au dommage. établir l’existence ; en l’espèce Mme Z ne
C’est toutefois toujours au gardien de le fait pas et le rejet de cet ultime argu-
la chose, instrument du dommage, qu’il ment s’imposait.
appartiendra d’établir la faute invoquée On pourra juste, pour évoquer une
et, le cas échéant, son caractère de force piste qui ne semble pas avoir été suivie,
majeure pour parvenir à s’exonérer. indiquer que l’imprudence aurait peut-
Contrairement à ce qui était retenu être pu être envisagée en utilisant mieux
jusqu’au mouvement initié par l’arrêt que ce ne fut fait le constat, présent dans
Desmares du 21 juillet 1982, depuis 1987, l’arrêt, de l’existence d’une « pratique
la Cour de cassation considère que le fait locale alors répandue », d’employer « des
non fautif de la victime n’exonère pas le détonateurs pour extraire des pierres de
gardien de sa responsabilité du fait de la construction ». Si elle avait pu établir la
chose qu’il a sous sa garde. connaissance de cette pratique par la vic-
time, la gardienne du détonateur aurait
En l’espèce, le pourvoi invoquait bien pu mieux fonder son argumentation sur
la faute de la victime. On relèvera que la faute d’imprudence de celle-ci… mais
l’argumentation développée pouvait c’est là une discussion de fait.
apparaître très contestable, non dans son
fondement juridique qui
procède d’une analyse
rigoureuse des enjeux 4. Cass. 2e civ., 11 juill. 2002, Dr. et patrimoine 11/2002 p. 102.
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Responsabilité du fait d’autrui
Autres thèmes Responsabilité du fait des choses,
responsabilité contractuelle,
enrichissement sans cause
Mots clés responsabilité des père et mère, responsabilité
du commettant, cause d’exonération, préjudice,
lien de causalité, victime par ricochet, garde

sujet donné et établi par :


Jean Hauser
professeur
avec le concours de :
Annick Bernard, maître de conférences

T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE Second semestre 2004-2005
U
S

Étude de cas :
I. À la suite d’une opération bénigne M. A… a été placé sous la surveillance
de M. C…, médecin salarié de la clinique « Les Chênes » et d’une infirmière pla-
cée sous ses ordres. Il a alors été victime d’une hémorragie puis d’une hémiplé-
gie, malgré l’intervention à temps du médecin. L’enquête a toutefois démontré
que l’infirmière, malgré des instructions précises, n’avait pu préparer le matériel
nécessaire à une intervention rapide, le matériel prévu étant hors d’usage. M. C…
vous demande de le conseiller sur une action éventuelle et sur ses effets.
II. Le jeune Z…, âgé de 12 ans, a l’habitude de jouer dans l’ascenseur de son
immeuble malgré les nombreux rappels à l’ordre du propriétaire aux parents.
Alors qu’il a volontairement immobilisé cet ascenseur entre les 13e et 14e étages
et déverrouillé la porte palière en utilisant le système de sécurité il fait une chute
Droit civil des obligations
206

mortelle dans la cage. L’accident ayant provoqué une interruption de plusieurs


heures du fonctionnement des ascenseurs, M. L…, qui habite au 26e étage, est vic-
time d’une attaque cardiaque et meurt pendant son évacuation par les services
d’urgence, considérablement ralentie par la nécessité d’emprunter les escaliers.
On vous demande d’envisager les réponses juridiques aux différentes actions
possibles des différentes victimes.
III. Mme veuve F…, âgée de 90 ans, est pensionnaire de la maison de retraite
privée « Les Charmilles » depuis dix ans en exécution d’un contrat passé entre
elle et l’établissement en 1995. Ses ressources étant faibles ne suffisent plus à
payer son hébergement et l’établissement présente une note d’arriérés impor-
tante. Sur les conseils du directeur de la maison de retraite, Mme F… avait déjà
fait condamner ses trois enfants à exécuter leur obligation alimentaire, chacun
ayant été astreint à payer 200 euros par mois à leur mère. Depuis trois ans, les
débiteurs n’ont jamais payé leur dette. Le directeur vous consulte sur la possi-
bilité d’agir contre eux.
IV. Le Club de loisirs « Les Dauphins » a installé sur la plage de R… un
tremplin spécialement conçu pour que les amateurs de VTT puisent prendre leur
élan et tomber dans l’étang voisin à plusieurs dizaines de mètres de la rive où l’eau
est suffisamment profonde. L’utilisation réservée du tremplin était indiquée par
une pancarte visible. Le jeune T…, plongeant à pied depuis le haut et au droit
du tremplin, se blesse grièvement du fait de l’absence de fond. L’accident provo-
que la fermeture provisoire du club pendant trois jours occasionnant ainsi une
perte de recette importante. Les parents de l’enfant et les dirigeants du club
ayant saisi le tribunal pour obtenir réparation, vous êtes chargé de faire le
rapport avant le jugement sur les deux actions.

Durée de l’épreuve : 3 heures. Tous codes autorisés sauf Mégacode.

Corrigé

cassation remodèle la responsabilité du


.I fait d’autrui en la matière médicale et
notamment celle des établissements de

P ar touches successives et revire-


ments de jurisprudence, la Cour de
santé privés pour les dommages causés
par leur personnel médical.
Annales
207

M. A., après une opération bénigne a depuis l’arrêt Costedoat au médecin sala-
été placé sous la surveillance de M. C., rié : « Le médecin salarié, qui agit sans
médecin salarié de la clinique « Les Chê- excéder les limites de la mission qui lui
nes » et d’une infirmière placée sous ses est impartie par l’établissement de santé
ordres. Au cours de cette surveillance, privé, n’engage pas sa responsabilité à
M. A. a été victime d’une hémorragie l’égard du patient ».
rendant nécessaire une nouvelle inter-
Ce revirement de jurisprudence peut
vention à la suite de laquelle il s’est
conduire à admettre la responsabilité de
retrouvé hémiplégique.
la clinique à titre de commettant du
M. C. demande conseil sur une éven- commettant ; la responsabilité de la cli-
tuelle action et sur ses effets. nique serait substituée à celle du chef
M. C est salarié de la clinique, mais d’équipe salarié.
dans sa mission de surveillance du Ainsi la clinique répond à la fois des
patient il a sous ses ordres une infirmière. dommages causés au patient par ses pré-
Le cas proposé invite à s’interroger sur posés, le médecin salarié et l’infirmière,
l’identité du responsable lorsque le prati-
sur le fondement de l’article 1384, ali-
cien chef d’équipe et commettant occa-
néa 5, du Code civil.
sionnel est lui-même salarié de la clini-
que.

A. Identification B. La responsabilité
du responsable de la clinique
M. C. pourrait être considéré comme le 1. La responsabilité
commettant de l’infirmière et à ce titre du fait d’autrui
répondre personnellement des domma-
ges causés au patient par l’infirmière sur La clinique serait donc responsable mais
le fondement de l’article 1384, alinéa 5, faut-il établir la faute du préposé ?
du Code civil. Traditionnellement la jurisprudence
Toutefois, avec la nouvelle jurispru- considère que la responsabilité du com-
dence on peut douter de la théorie du mettant suppose que le préposé ait com-
commettant occasionnel s’il est salarié mis un fait illicite de nature à engager sa
de l’établissement. responsabilité. Avec la jurisprudence de
En effet, le 9 novembre 2004, la pre- l’assemblée plénière de l’arrêt Costedoat
mière chambre civile de la Cour de cas- du 25 fév. 2000 2 des auteurs ont pu en
sation 1 sous le visa des déduire que le maintien de cette condi-
articles 1382 et 1384, ali-
néa 5, du Code civil étend
1. D. 2005, 253, note F. Chabas.
le bénéfice de l’immunité
2. JCP 2000 II 10295, concl. Kessous, note Billiau ; RTD civ.
reconnue au préposé 2000, 582, obs. Jourdain.
Droit civil des obligations
208

tion n’est plus aussi certain. Pour d’au- encourue par la clinique, refuse au méde-
tres, au contraire, si cette jurisprudence cin salarié le bénéfice de l’immunité.
consacre un principe d’irresponsabilité Jurisprudence qui n’est pas remise en
des préposés, on ne peut affirmer qu’elle cause et qui permet au juge de retenir la
admet que le fait simplement causal du responsabilité délictuelle du fait person-
préposé suffise à l’application de l’arti- nel du médecin. Mais rien n’indique que
cle 1384, alinéa 5, à l’image de la respon- la Cour de cassation ne fasse pas bénéfi-
sabilité des parents du fait de leur enfant cier le médecin salarié de l’immunité
mineur. dans ce cas, d’autant que la loi du 4 mars
2002 (relative au droit des patients et la
a. Y a-t-il faute de M.C. ?
qualité du système de santé) lui trace la
Le médecin est tenu d’une obligation de voie.
moyens à l’égard de son patient qui doit
Le nouvel article L.1142-2 du Code la
donc prouver la faute du praticien. Or,
en l’espèce, M.C. est intervenu à temps. santé publique instituant une assurance
Cependant, pour les opérations béni- obligatoire du risque médical dispose
gnes, on peut se demander si l’obligation que : « l’assurance des établissements de
ne serait pas de résultat auquel cas, la santé… couvre leurs salariés agissant
faute du médecin serait constatée. dans la limite de la mission qui leur a été
impartie, même si ceux-ci disposent
Par l’application de l’arrêt précité
d’une indépendance dans l’exercice
(Cass. 1re civ., 9 nov. 2004) M.C. n’en-
médical. » Le maintien d’une action
gage pas sa responsabilité à l’égard du
délictuelle contre le personnel médical
patient puisque, si faute il y a, elle s’est
n’a plus aucune raison d’être puisque
réalisée dans le cadre de la mission et
seule l’assurance de la clinique prend
qu’aucune infraction commise inten-
désormais en charge les dommages et
tionnellement ne peut lui être reprochée
intérêts alloués à la victime.
(arrêt Cousin, ass. plén., 14 déc. 2001) 3.
La clinique est seule responsable sur le b. La situation de l’infirmière
fondement de l’article 1384, alinéa 5, et La situation de l’infirmière ne semble pas
ne pourra pas appeler en la cause M.C. ni poser de difficulté particulière. Elle n’a
exercer d’action récursoire à son encon- pas pu appliquer les indications claires
tre. fournies par le médecin pour la prépara-
Toutefois, subsiste un risque pour tion du matériel nécessaire à une inter-
M.C. si le patient engage la responsabi- vention rapide car le matériel prévu était
lité de la clinique sur le fondement de hors d’usage. Le préposé ne peut avoir la
l’article 1147 du Code civil. En effet, le qualité de gardien et il y a une faute
9 avril 2002, la première chambre de la directe de la clinique.
Cour de cassation 4 se
référant uniquement à
3. D. 2002, Somm. 1317, obs. D. Mazeaud ; JCP 2002, II,
la nature contractuelle
10026, note Billiau.
de la responsabilité 4. JCP 2002, I, 186, obs. G. Viney.
Annales
209

2. La responsabilité ayants droit qui vont agir en responsabi-


personnelle de la clinique lité.
S’ils sont héritiers, ils peuvent récla-
Elle n’a pas mis à la disposition de son
mer des dommages et intérêts pour préju-
personnel salarié des moyens matériels
dice successoral, action admise depuis
qui leur auraient permis d’accomplir
l’arrêt de la chambre mixte de la Cour de
dans de bonnes conditions la mission
qu’elle leur avait confiée. cassation du 30 avril 1976 5 : « le droit à
réparation du dommage de la victime
Un défaut d’organisation, un manque-
ment à l’obligation de soins qualifiés à étant né dans son patrimoine se trans-
laquelle est tenue la clinique en vertu du met à ses héritiers. »
contrat d’hospitalisation et de soins la De même, les ayants droit à titre de
liant à son patient sont à l’origine des victimes par ricochet peuvent demander
préjudices de M. A. réparation de leur propre préjudice, le
En définitive, M. C. et l’infirmière ne plus souvent un préjudice d’affection.
peuvent voir engagée leur responsabilité Contre qui et sur quelles bases les vic-
personnelle à l’égard du patient. times vont-elles agir en réparation ?

A. Le décès de Z.
. II
Les parents peuvent agir contre le pro-
priétaire de l’ascenseur sur le fondement
On dénombre chaque année des acci-
dents d’ascenseur dont certains aux de la responsabilité du fait des choses. (Il
conséquences dramatiques. Se pose alors est à noter que la responsabilité contrac-
la question de l’identification du respon- tuelle s’appliquerait si des relations
sable. bailleur-locataire existaient, le bailleur
étant tenu à une obligation de sécurité
Le mineur Z a bloqué l’ascenseur de
son immeuble entre le 13e et le 14e étage de résultat concernant le fonctionne-
puis a déverrouillé la porte palière en uti- ment de l’ascenseur.)
lisant le système de sécurité et a fait une Selon l’article 1384, alinéa 1er, du
chute mortelle dans la cage. L’accident a Code civil le gardien est responsable des
provoqué durant plusieurs heures l’im- dommages causés par le fait de la chose
mobilisation de l’ascenseur, obligeant les qu’il a sous sa garde. Le terme de chose
services d’urgence à utiliser les escaliers est interprété largement et un ascenseur
pour évacuer M. L. habitant au 26e étage, peut être considéré comme une chose.
victime d’une attaque cardiaque. M.L. Pour que la responsabilité du gardien soit
décède au cours de cette évacuation. engagée, il faut que le dommage subi par
Les victimes directes
étant décédées, ce sont les
5. D. 1977, 185, note Contamine-Raynaud.
Droit civil des obligations
210

la victime ait été causé par la chose sur Cass. ass. plén., 19 mai 1984) 7, il semble
laquelle il exerce ses pouvoirs. difficile d’admettre le transfert de l’as-
censeur sans une véritable détention.
1. Le fait de la chose La distinction de la garde de la struc-
La chose doit avoir joué un rôle actif ture et du comportement ne semble
dans la production du dommage. Dans guère appropriée à l’espèce, cette théorie
l’hypothèse d’une chose inerte, il étant d’application limitée et réservée
convient de démontrer le lien causal en aux choses « dotées d’un dynamisme pro-
prouvant l’anormalité de la chose. L’as- pre et dangereuses ou encore, dotées d’un
censeur arrêté entre deux étages se dynamisme interne et affectées d’un vice
trouve dans une position anormale. On interne » (Cass. 2e civ., 20 nov. 2003).
peut déduire également la situation Mais, le propriétaire de l’immeuble
anormale de l’ascenseur du fait que les peut s’exonérer de sa responsabilité s’il
portes peuvent s’ouvrir sans que l’utili- démontre la faute de la victime ayant
sateur soit en face d’un étage. Cette contribué à la réalisation de son dom-
anormalité de l’ascenseur a été reconnue
mage.
par la Cour de cassation dans une espèce
similaire (Cass. 2e civ., 18 mars 2004) 6.
3. Faute de la victime,
Le rôle actif de l’ascenseur dans la sur-
venance du dommage subi par l’enfant
moyens d’exonération
étant démontré, il faut maintenant du gardien responsable
rechercher qui en était le gardien au
a. Absence d’exonération totale
moment de l’accident.
C’est parce que le jeune Z. a bloqué l’as-
2. Qualité de gardien censeur entre deux étages et a déver-
rouillé la porte palière en utilisant le sys-
Le gardien de la chose est celui qui en a tème de sécurité qu’il a fait une chute
l’usage, le contrôle et la direction (arrêt mortelle dans la cage de l’ascenseur. L’as-
Franck, Ch. réunies, 2 déc. 1941). censeur ne présentant aucune anomalie,
La jurisprudence présume que le pro- le comportement dangereux de l’enfant
priétaire est le gardien. pourrait être jugé comme la cause exclu-
Le propriétaire de l’immeuble et des sive de son accident et ainsi exonérer
équipements serait donc le gardien de totalement le gardien.
l’ascenseur à moins qu’il n’apporte la Mais la deuxième chambre civile de la
preuve du transfert de garde à la victime Cour de cassation, dans l’arrêt précité du
au moment de l’accident. 18 mars 2004, exige pour l’exonération
Si la minorité du totale du gardien de sa responsabilité que
jeune Z. n’est pas un
obstacle à la qualité de
6. D. 2005, 125, note Isabelle Corpart.
gardien (arrêt Gabillet,
7. D. 1984, 525, concl. Cabannes, note Chabas.
Annales
211

la faute de la victime présente les carac- b. Possibilité d’exonération partielle


tères de la force majeure. À défaut, le fait fautif de la victime qui
Parmi les trois éléments constitutifs de ne présente pas les caractères de la force
la force majeure, celui de l’irrésistibilité majeure peut-il conduire à une exonéra-
est essentiel, mais c’est surtout en tion partielle du gardien ? Après l’aban-
matière de responsabilité contractuelle, don de la politique du tout ou rien de
que la première chambre civile de la l’arrêt Desmares (Cass. 2e civ., 21 juill.
Cour de cassation réduit la force majeure 1982) 8 par l’arrêt Mettetal (Cass. 2e civ.,
à l’irrésistibilité. 6 avr. 1987) 9 une réponse positive paraît
En revanche, dans le domaine de la possible. Cependant, la jurisprudence
responsabilité délictuelle, la deuxième semble hésitante et l’adoption d’une
chambre civile reste attachée à la notion étroite de la faute de la victime
conception classique de la force majeure. exonératoire partiellement peut en fait
Le comportement de l’enfant Z, bien limiter cette exonération.
que risqué, ne semble être ni imprévisi- Mais si l’exonération partielle est rete-
ble, ni irrésistible. nue, la faute de la victime directe sera
Des accidents mortels d’ascenseur sont opposable aux parents, victimes par rico-
recensés chaque année et, de plus, le pro- chet, ce qui limitera leur droit à répara-
priétaire connaissait les habitudes du tion (Cass. ass. plén., 19 juin 1981) 10.
jeune Z (rappels à l’ordre plusieurs fois
aux parents). B. Le décès de L.
En outre, un meilleur blocage des por-
ou le lien de causalité
tes, un système de sécurité approprié
auraient pu éviter le dommage. Dans La réparation du dommage suppose la
cette recherche des éléments de la force preuve du dommage et du fait générateur
majeure, indirectement, on reproche au mais également celle du lien de causalité
propriétaire une faute : celle de ne pas entre ce dommage et le fait générateur.
avoir pris les mesures adaptées pour évi- La difficulté de cette preuve du lien de
ter un tel accident. causalité tient au fait qu’un événement
La Cour de cassation dans l’arrêt déjà accidentel est le plus souvent la résul-
précité (Cass. 2e civ., 18 mars 2004) a tante de plusieurs causes qui ont pu, à
décidé que le comportement de la vic- divers degrés, concourir à sa réalisation.
time ne présentait pas de caractère Plusieurs systèmes ont été proposés
imprévisible et irrésistible. dont essentiellement la théorie de l’équi-
Il ne peut donc y avoir exonération valence des conditions et la théorie de la
totale du gardien.

8. D. 1982, 452, note Larroumet ; JCP 1982, II, 19861, note


Chabas.
9. JCP 1987, 2e partie, 20828.
10. D. 1982, 85, concl. Cabannes, note Chabas.
Droit civil des obligations
212

causalité adéquate pour rechercher Ils peuvent par exemple demander la


parmi toutes les causes à l’origine du réparation intégrale au propriétaire de
dommage celle qui en a été la cause effi- l’immeuble.
ciente. Cependant, M. L avant son décès a été
Le système de l’équivalence des condi- victime d’un arrêt cardiaque, ce qui
tions consiste à dire que toutes les causes amène à s’interroger sur l’état antérieur
doivent être considérées comme équiva- de la victime. Avant l’accident, M.L
était-il cardiaque ? Si oui, dans quelle
lentes dans la production du dommage. Il
mesure doit-on tenir compte des prédis-
suffit que la faute ou le fait soit la cause
positions de la victime qui ont pu jouer
sine qua non du dommage.
un rôle dans le dommage final ?
Dans le système de la causalité adé- (Par ailleurs, est-il raisonnable qu’une
quate, comme dans la précédente théo- personne cardiaque réside au 26e étage
rie, il faut pour que l’antécédent soit d’un immeuble ?)
retenu comme cause qu’il soit la condi-
Avec la jurisprudence de la deuxième
tion sine qua non ; mais parmi toutes les chambre civile, il semble difficile de se
conditions nécessaires, on ne retiendra prononcer car on trouve autant d’arrêts
que celle qui est qualitativement la plus qui admettent que l’on doit déduire de
importante, celle qui devrait produire le la réparation la part revenant aux prédis-
dommage dans le cours normal des cho- positions de la victime que d’arrêts qui
ses. décident le contraire.
C’est au gré des cas d’espèce que la Selon l’appréciation souveraine des
jurisprudence applique soit la théorie de juges du fond, les ayants droit de L
l’équivalence des conditions soit celle de obtiendront une réparation intégrale ou
la causalité adéquate. Il semble toutefois réduite du propriétaire de l’immeuble qui
qu’elle utilise plus volontiers la première pourra, dans le cadre d’une responsabi-
théorie dans l’obligation à la dette lité in solidum, exercer contre les autres
(action de la victime) et la deuxième personnes des actions récursoires.
théorie dans la contribution à la dette
(recours entre chaque coauteur) . III
Avec l’application de la théorie de
l’équivalence des conditions, les ayants Le directeur d’une maison de retraite
droit de L peuvent attraire en justice le hébergeant une personne âgée désire
propriétaire de l’immeuble en tant que obtenir le remboursement des frais de
gardien de l’ascenseur, les parents de Z séjour non réglés et demande conseil sur
responsables du fait de leur enfant la possibilité d’agir contre les enfants
mineur dont l’accident a provoqué l’im- débiteurs d’aliments de sa pensionnaire.
mobilisation de l’ascenseur, les services Quelles sont les voies de recours offer-
d’urgence par la lenteur de l’évacuation. tes à la maison de retraite ?
Annales
213

La voie contractuelle est à écarter car se sont donc indirectement enrichis en


les enfants sont des tiers au contrat d’hé- s’évitant une dépense.
bergement conclu entre leur mère et la Il faut aussi qu’il existe un lien de cor-
maison de retraite. rélation entre l’appauvrissement et l’en-
Depuis trois ans, la maison de retraite richissement, c’est-à-dire qu’il y ait un
« Les Charmilles » continue à héberger transfert de valeur d’un patrimoine à un
Mme veuve F qui ne dispose pas de reve- autre. Ici ce lien n’est pas évident car on
nus suffisants alors que ses enfants, est en présence d’un enrichissement
condamnés et astreints à lui verser une indirect. Ce lien existerait si lors de la
pension alimentaire, n’ont jamais payé condamnation des enfants le jugement
leur dette. avait prévu un versement direct à la mai-
Appauvrissement pour la maison de son de retraite. En revanche, il subsiste
retraite et enrichissement de fait pour les un doute sur la réalité de ce lien dans
débiteurs d’aliments font penser à une l’hypothèse d’un versement direct à la
possible action de in rem verso. mère car rien ne permet d’affirmer que si
elle avait été payée, elle aurait utilisé l’ar-
gent pour régler l’établissement de
A. Les conditions retraite. Cependant, la Cour de cassation
de l’enrichissement (Cass. 1re civ., 25 févr. 2003) 11 dans une
sans cause espèce similaire admet le lien de corréla-
tion.
sont-elles réunies ?
1. Éléments économiques 2. Élément juridique

La maison de retraite a bien exécuté ses La condition d’absence de cause néces-


obligations mais les dépenses d’héberge- saire à la recevabilité de l’action de in rem
ment ne lui ont été que partiellement verso impose que le déplacement de
remboursées. Elle a donc éprouvé une valeur ne soit justifié par aucun titre juri-
perte appréciable en argent. Le directeur dique contractuel ou légal. La majorité
apportera très facilement la preuve de de la doctrine enseigne que cette absence
l’appauvrissement de la maison de de cause se rapporte à l’enrichissement.
retraite mais il faudra également qu’il Mais une partie de la doctrine avance
prouve l’enrichissement des enfants. que l’absence de cause concerne égale-
ment l’appauvrissement.
Les enfants, débiteurs d’une obligation
alimentaire à l’égard de leur mère Si l’on retient l’exigence de l’absence
(art. 205 C. civ.) ont été, chacun, de cause à la fois pour l’appauvrissement
condamnés à lui verser une pension ali- et l’enrichissement, l’action n’est pas
mentaire de 200 euros recevable puisque l’appauvrissement de
mensuels. Pendant trois
ans ils n’ont rien payé. Ils
11. D. 2004, 1776, note Marie-Pierre Peis ; JCP 2004, II,
10124, note Pascal Lipinski.
Droit civil des obligations
214

la maison de retraite trouve sa cause dans L’action directe qui permet au créan-
le contrat d’hébergement conclu avec sa cier d’agir en son propre nom contre le
pensionnaire. débiteur de son débiteur, est reconnue
La Cour de cassation dans l’arrêt pré- aux établissements publics de santé (arti-
cle L. 6145-11 C. santé publique). Néan-
cité vient d’adopter une solution claire
moins, la Cour de cassation s’oppose à
mettant un terme à ces controverses doc-
étendre son application en droit privé
trinales : « Le contrat justifiait l’appau-
(Cass. 1re civ., 5 mai 1993) confirmé dans
vrissement de la fondation dans sa rela-
l’arrêt du 25 février 2003. « Les Charmil-
tion avec le couple hébergé mais non
les » étant une maison de retraite privée,
l’enrichissement corrélatif de leur débi- le directeur ne dispose pas de la voie
teur alimentaire pris en cette seule qua- directe.
lité et à l’égard desquels elle n’entrete-
L’action oblique (art. 1166 C. civ.)
nait aucun rapport… »
permet au créancier d’agir au nom et
Peu importe que l’appauvrissement pour le compte de son débiteur. Si les
soit causé, ce qui importe pour la rece- conditions d’exercice tenant au créan-
vabilité de l’action c’est l’absence de cier et au débiteur sont réunies, encore
cause de l’enrichissement. faut-il qu’elle ne s’exerce pas sur les
Il faut également s’assurer du caractère droits exclusivement attachés à la per-
subsidiaire de l’action de in rem verso : sonne. Or, pour la jurisprudence, les
créances alimentaires font partie de cette
– dans le cas d’enrichissement indi-
catégorie. Solution que l’on peut discuter
rect, la maison de retraite ne peut agir
dans le cas proposé dans la mesure où
contre l’enrichi qu’après avoir cherché à l’action oblique ne tendrait pas à créer, à
obtenir paiement auprès de sa débitrice supprimer ou à réviser la pension alimen-
immédiate, Mme veuve F. Cette dernière taire mais simplement à obtenir son exé-
n’a pas de ressources, elle n’est pas en cution.
mesure d’honorer ses frais d’héberge-
La Cour de cassation dans l’arrêt du
ment. L’action existe mais elle est ineffi-
25 février 2003 relève que la maison de
cace car elle se heurte, à l’insolvabilité
retraite ne dispose d’aucune voie de droit
du débiteur principal. L’action de in rem oblique.
verso est bien ici subsidiaire ;
Ce qui conduit à étudier
– de plus, l’action de in rem verso ne
peut être admise quand elle est intro-
duite pour suppléer une action en faveur
de l’appauvri. Il convient de se demander B. Les effets de l’action
si la maison de retraite ne pourrait pas de in rem verso
bénéficier d’actions ouvertes pour la pro-
tection du créancier en cas de négligence On peut penser que la maison de retraite
du débiteur, à savoir l’action directe ou pourra obtenir le remboursement des
l’action oblique. frais de séjour non payés. L’indemnité
Annales
215

reçue sera égale à la plus faible des deux . IV


sommes représentatives de l’appauvris-
sement et de l’enrichissement.
Les parents du jeune T. victime d’un
Comment la maison de retraite va-
accident de tremplin installé sur la
t-elle recouvrer cette indemnité ? Faut-il
plage R. par les soins du club de loisirs
diviser ou non les recours ?
« Les dauphins », ont saisi le tribunal
Si les codébiteurs alimentaires sont in pour obtenir réparation.
solidum à l’égard du créancier ce dernier
L’accident ayant provoqué la ferme-
peut alors s’adresser à un seul et lui récla-
ture provisoire pendant trois jours du
mer la totalité des sommes dues. Il sem-
club, ce dernier saisit également le tribu-
ble que dans le cadre de l’action de in rem
nal pour obtenir réparation d’une perte
verso cette sûreté ne bénéficie pas à l’ap-
de recette importante.
pauvri et qu’il devra donc diviser son
recours et s’adresser à chacun des trois Quels sont les moyens que peuvent
enfants. présenter chacune des parties au soutien
de leurs prétentions ?
Ultime recours pour le recouvrement
d’une créance impayée, l’enrichissement
sans cause se révèle une procédure
contraignante pour l’appauvri en pré- A. La demande
sence de plusieurs enrichis. De plus, cette
action a une efficacité limitée lorsque la
en réparation
personne hébergée est toujours en vie. des dommages du jeune T.
La condamnation des enfants débiteurs
d’aliments dans le cadre de l’action de in 1. L’action des parents
rem verso ne garantit nullement la mai-
Ils saisissent le tribunal en tant que
son de retraite que ceux-ci s’acquitteront
représentants légaux de leur enfant
régulièrement de leur dette dans l’ave-
mineur T. pour l’indemnisation de ses
nir.
dommages (préjudice corporel, moral,
La solution serait dans la reconnais- matériel) mais aussi en tant que victimes
sance législative ou jurisprudentielle de par ricochet (préjudice d’affection et
la voie directe mais également la voie matériel) et assignent le club des loisirs
contractuelle peut offrir des garanties de sur la base de la responsabilité du fait des
paiement (caution des enfants par exem- choses (art. 1384, al. 1er, C. civ.).
ple).
L’accident de leur enfant a été provo-
qué par sa chute depuis le tremplin
appartenant au club et celui-ci en avait
conservé la garde. Le club est présumé
gardien et responsable du dommage
causé par le fait de la chose. La chute de
l’enfant a eu des conséquences dramati-
Droit civil des obligations
216

ques parce que le tremplin était placé à Le tremplin, dans l’utilisation nor-
un endroit où l’eau était peu profonde. male, ne présente aucun caractère de
Le tremplin a donc joué un rôle causal dangerosité ; c’est l’enfant qui en a
dans la réalisation de l’accident ; par sa détourné sciemment l’usage prévu et qui
position il a été l’instrument du dom- est l’unique responsable de son dom-
mage (jurisprudence des baies vitrées, mage.
boîte aux lettres ou plot en ciment).
Il est à noter, que dans une espèce
Enfin, à supposer que la faute de l’en- similaire, la Cour de cassation (Cass.
fant soit retenue pour n’avoir pas res-
2e civ., 24 fév. 2005) 12 semble abandon-
pecté les indications du panneau sur
l’utilisation du tremplin, mesure insuffi- ner la jurisprudence qui réduisait la par-
sante compte tenu de la dangerosité de ticipation causale de la chose à sa seule
l’appareil, elle ne pourrait en aucun cas participation matérielle et qui suffisait à
exonérer le club gardien, sauf à ce der- retenir la responsabilité du gardien. Cet
nier à démontrer son caractère imprévi- arrêt consacre un retour à l’anormalité.
sible et irrésistible. En l’absence d’anormalité, elle
approuve la cour d’appel d’avoir exacte-
ment déduit que le tremplin n’avait pas
2. L’action du club été l’instrument du dommage. Consta-
tant également que la victime avait
Le club des loisirs « les dauphins » ne volontairement détourné l’utilisation du
conteste pas sa qualité de propriétaire
tremplin, la Cour de cassation approuve
gardien du tremplin. Pour qu’il puisse
la cour d’appel qui écarte la faute du club
être responsable il faut un lien de causa-
puisqu’elle retient la faute de la victime
lité entre le dommage subi par l’enfant
et le fait de la chose. Or, le tremplin a eu comme cause exclusive du dommage,
un rôle passif dans la production du dom- rendant inutile la recherche d’imprévisi-
mage du jeune T. La présence tout bilité et d’irrésistibilité.
comme la position de l’appareil étaient Un frein est ainsi apporté à la jurispru-
normales. dence du rejet de l’anormalité qui dans
Il n’est pas anormal qu’un tremplin se certaines circonstances pouvait se révé-
trouve sur une plage dans un lieu d’ani- ler lourde de conséquence pour la res-
mations sportives. Il avait une position ponsabilité des gardiens.
normale compte tenu de l’utilisation pré- Notamment, dans le cas proposé, le
vue et signalée. risque assuré par le club devait être l’ac-
Il ne servait pas de plongeoir mais était tivité tremplin/VTT et certainement pas
réservé aux amateurs de VTT pour qu’ils l’utilisation tremplin/plongeoir.
puissent prendre leur élan et retomber
dans l’eau à une dis-
tance éloignée.
12. D. 2005, 1395, note Nicole Damas.
Annales
217

B. La demande mages causés par leur enfant mineur


(arrêt Bertrand).
en réparation
L’exonération par la force majeure ris-
des dommages matériels
que d’être difficile compte tenu de l’ap-
du club préciation étroite retenue par la jurispru-
dence (Cass. 2e civ., 2 déc. 1998) 17.
Selon l’article 1384, alinéa 4, du Code
civil : « le père et la mère en tant qu’ils Mais les parents ne peuvent-ils préten-
exercent l’autorité parentale sont soli- dre qu’au moment de l’accident le club
dairement responsables du dommage était devenu lui-même responsable du
causé par leur enfant mineur habitant fait d’autrui ?
avec eux ».
Le club est certainement responsable
Cette responsabilité qui était fondée des activités temporaires de loisirs qu’il
sur une faute présumée des parents dans organise sous son contrôle et exercées
la surveillance et l’éducation de l’enfant par autrui. On peut douter que cette res-
est devenue progressivement une res- ponsabilité puisse jouer lorsqu’il y a
ponsabilité de plein droit consacrée par
détournement de l’activité par autrui
la deuxième chambre civile de la Cour
(On pourrait faire une comparaison avec
de cassation dans l’arrêt Bertrand du 19
la responsabilité du commettant et l’abus
fév. 1997 13.
de fonction du préposé).
Si la faute de l’enfant était nécessaire
pour engager la responsabilité des De même, l’argument de l’absence de
parents pour faute présumée, dans le cas cohabitation, parce que l’enfant était
de responsabilité objective des parents, confié au club, est voué à l’échec compte
cette exigence ne paraissait plus néces- tenu de la jurisprudence qui a une notion
saire. Ainsi l’arrêt Levert de la Cour de très large de la cohabitation. Le fait que
cassation (Cass. 2e civ., 10 mai 2001) 14 les parents aient confié temporairement
consacre sans ambiguïté l’arrêt Fullen- l’enfant au club n’a pas fait cesser la
warth (Cour cass. A.P. 9 mai 1984) 15 et cohabitation d’autant, qu’ici, il s’agit
est confirmé par l’arrêt de l’assemblée d’une cessation de courte durée (Cass.
plénière de la Cour de cassation du 2e civ., 9 mars 2000) 18.
13 décembre 2002 16 : pour engager la Les parents devront donc réparer le
responsabilité des parents, il suffit d’un préjudice allégué par le club.
fait non fautif de l’enfant.
La force majeure ou la
faute de la victime peu- 13. D. 1997, 265, note Jourdain.
vent seules exonérer les 14. D. 2001, 2851, rapp. Guerder, note Tournafond.
15. D. 1984, 525, concl. Cabannes, note Chabas.
parents de leur responsa- 16. D. 2003, 231, note Jourdain.
bilité de plein droit 17. JCP 1999, II, 10165, note Josselin Gall ; RTD civ. 1999,
encourue du fait des dom- 410, obs. Jourdain.
18. JCP 2000, II, 10374, note Gouttenoire-Cornut.
Droit civil des obligations
218

Le fait de l’enfant est-il la cause directe dice matériel (par exemple : intempéries
de la perte d’argent importante, invo- pendant cette même période) ?
quée par le club ? Ainsi les parents verseront une
Certes le club a été fermé pendant indemnité de réparation au club si ce
trois jours à la suite de l’accident de l’en- dernier peut fournir la preuve par tous
fant mais d’autres événements n’ont-ils moyens de la réalité du préjudice invo-
pas participé à la réalisation de ce préju- qué.
Responsabilité délictuelle
et quasi délictuelle
Thème principal Dommage réparable, pluralité d’auteurs
Autre thème Quasi-contrat
Mots clés dommage certain, accident de la circulation,
fait juridique, fait générateur, causalité,
exonération, responsabilité du gardien,
responsabilité du préposé, indemnisation

sujet donné et établi par :


Laurent Bloch et Marie Lamarche
maître de conférences

T Université Montesquieu-Bordeaux IV
JE Second semestre 2005-2006
U
S

Étude de cas :
Rolland R. est heureux. Il a récemment reçu un courrier d’une chaîne de
télévision lui annonçant qu’il avait gagné, au jeu « Tout est possible dans votre
vie », une soirée en tête à tête avec Carla B. Impatient de connaître la date de
l’événement et effrayé à l’idée de ne pouvoir s’y rendre, il décide de ne pas par-
tir en week-end à la montagne avec ses amis Paulo et Sam. Pendant ce temps,
Paulo et Sam, le cœur léger à l’idée du bonheur de leur ami Rolland se livrent aux
joies de l’alpinisme. Mais alors que les deux amis se sont encordés pour franchir
un passage difficile, Paulo qui monte le premier, dérape sur une pierre qui se déta-
che de la paroi et vient heurter Sam, le blessant grièvement. Non loin de là, le
docteur P. a assisté à la scène et se précipite vers les lieux du drame. Il propose son
concours malgré ses faibles compétences, limitées à l’allergologie. Son interven-
Droit civil des obligations
220

tion ne fait qu’augmenter l’hémorragie dont souffre le malheureux Sam. Rapide-


ment transporté dans la clinique qui emploie le docteur P., Sam subit une inter-
vention chirurgicale, à la suite de laquelle il perd la vue. Paulo très touché
psychologiquement par ces mésaventures, déambule au hasard des rues en atten-
dant des nouvelles de son ami. Voulant entrer dans un café pour y noyer son
chagrin il ne voit pas la baie vitrée fermée de l’établissement et la percute vio-
lemment. Les bris de vitre lui écorchent les mains de façon assez légère mais il sai-
gne abondamment. À la vue du sang une jeune femme émotive, Monica,
s’évanouit et s’effondre sur une voiture stationnée non loin de là. Afin de l’évi-
ter, le conducteur du véhicule de l’association La rédemption, qui transportait
trois jeunes handicapés âgés de 14 à 21 ans, donne un coup de volant et va s’écra-
ser contre le mur du jardin d’en face. Aucun des passagers du véhicule n’avait
attaché sa ceinture de sécurité, tous sont éjectés hors de la voiture lors du choc.
Profitant de l’évanouissement de sa baby-sitter, le jeune Ken, âgé de cinq ans,
s’enfuit et profite de sa liberté pour endommager toutes les voitures qu’il trouve
sur son passage à l’aide du parapluie de Monica dont il s’est emparé.
Quelques jours plus tard, Rolland R. est de nouveau désespéré : il a reçu un
appel de la chaîne de télévision qui lui explique que ce n’est pas le célèbre man-
nequin avec qui il va dîner, mais une inconnue qui a gagné au même jeu que lui
Carla Brun.

Vos compétences en droit des obligations vous permettent de conseiller


les différents protagonistes.

Principales erreurs tagonistes comme cela était indiqué à la


fin du cas pratique. La seule véritable dif-
commises ficulté du sujet était de dénombrer les
par les étudiants personnes susceptibles de recevoir ces
conseils en raison soit d’un appauvrisse-
ment, soit d’un dommage. Faute d’avoir
L es copies comportaient le plus sou-
vent des introductions beaucoup
trop longues : de nombreux étudiants
méthodiquement effectué ce travail
préalable, les étudiants ont souvent omis
perdent un temps précieux à recopier la des problèmes juridiques et n’ont traité
totalité des faits. Il suffisait de distinguer qu’une partie du cas. Par ailleurs, tous les
les différents problèmes juridiques en étudiants n’ont pas pris le soin de déter-
s’attachant à déterminer ce qu’il était miner l’existence d’un dommage avant
possible de conseiller aux différents pro- de vérifier si les autres conditions de la
Annales
221

responsabilité (par exemple) étaient réu- tion jurisprudentielle sans discuter, le cas
nies. Là encore pour certains, un temps pratique devenait alors un prétexte pour
précieux a été perdu à discuter des condi- réciter le cours. D’autres n’ont pas su
tions d’une action alors que le dommage prendre parti pour une véritable solu-
n’était pas réparable. Certains dévelop- tion, renvoyant de façon peu courageuse
pements étaient trop succincts les étu- à l’appréciation du juge.
diants se contentant de donner une solu-

Corrigé
I. Le cas de Rolland R. 1. Un engagement unilatéral ?
(3 points) Pour retenir un engagement unilatéral
de la chaîne, il faut démontrer sa volonté
Suite au courrier adressé par une chaîne claire et non équivoque (Cass. 1re civ.,
de télévision, Rolland R. pensait avoir 28 mars 2005 ; Cass. 1re civ., 19 oct.
gagné un dîner en tête-à-tête avec 1999). Or ici c’est l’imagination de Rol-
Carla B. alors qu’en réalité il a gagné un land qui a généré une confusion sur
dîner avec une inconnue du nom de l’identité de Carla B.
Carla Brun qui a participé au même jeu
que Rolland. 2. Un contrat ?
Si Rolland décide d’agir contre la La Cour de cassation a pu considérer
chaîne de télévision, il devra faire face à qu’un contrat s’était formé en raison de
deux difficultés : trouver un fondement à la rencontre des volontés émises par une
son action et démontrer la réalité de son entreprise et un consommateur (Cass.
préjudice. 2e civ., 11 févr. 1988 ; Cass. 1re civ.,
12 juin 2001). Il faut que le courrier
A. Le fondement de l’action puisse être valablement analysé comme
une offre de contracter. Le refus d’offrir le
contre la chaîne lot promis est alors analysé comme
de télévision l’inexécution d’un contrat.
Pour Rolland la difficulté est la même,
À supposer que l’on puisse raisonner par
il faut démontrer une volonté claire et
analogie avec les solutions jurispruden-
univoque.
tielles propres aux loteries publicitaires,
la jurisprudence est hésitante sur le fon-
dement pour sanctionner les sociétés.
Droit civil des obligations
222

3. Une faute délictuelle ? ce cadre et il semble bien délicat de


démontrer que la chaîne a affirmé que le
La logique est alors la suivante : le cour- gagnant allait dîner avec Carla Bruni. Là
rier était trompeur et avait généré l’es- encore c’est l’imagination de Rolland qui
poir d’un gain (Cass. 2e civ., 26 oct. a pris le dessus.
2001). Il y a donc une faute à l’origine
d’un préjudice de déception.
Le problème pour Rolland ne tient
B. Le préjudice
plus cette fois dans la preuve de la
En toute hypothèse, si Rolland agit
volonté mais dans la preuve d’une faute.
contre la chaîne, il devra démontrer la
réalité de son préjudice. Si Rolland agit
4. Un quasi-contrat ? sur le fondement délictuel ce n’est pas le
Des décisions récentes (ch. mixte, 6 sept. lot promis qui sera versé mais la décep-
2002) admettent l’existence d’un quasi- tion qui est indemnisée, ce qui est le plus
contrat en l’absence de tout enrichisse- souvent un simple préjudice moral qui
ment et de tout appauvrissement. La reste bien hypothétique ici.
Cour de cassation a pu découvrir dans Concernant la suite, le plus simple est
l’article 1371 du Code civil un principe de raisonner à partir des différents dom-
général : « Viole l’article 1371 la cour mages.
d’appel qui pour condamner une société
de vente par correspondance à verser un
certain montant de dommages-intérêts II. Le cas de Sam
au destinataire d’un document publici- (7 points)
taire retient qu’en annonçant de façon
affirmative une simple éventualité, la
société a commis une faute délictuelle A. Les dommages de Sam
constituée par la création de l’illusion
d’un gain important et que le préjudice Il est possible de retenir pour Sam des
ne saurait correspondre au prix que l’in- dommages corporels, matériels, d’agré-
téressé avait cru gagner alors que l’orga- ment, esthétique, pretium doloris.
nisateur d’une loterie qui annonce un Ces différents dommages ne seront
gain à une personne dénommée sans indemnisables que s’ils sont certains,
mettre en évidence l’existence d’un aléa directs et légitimes.
s’oblige par ce fait purement volontaire à
le délivrer. »
B. Les débiteurs éventuels
Une discussion sur la possibilité de
retenir cette solution en l’espèce est pos- 1. Paulo
sible. Toutefois, ces arrêts se justifient par
des raisons d’opportunité, pour sanction- Paulo monte en premier, dérape sur une
ner la pratique des loteries publicitaires. pierre qui se détache de la paroi. Cette
Ici nous ne sommes pas exactement dans pierre blesse grièvement Sam.
Annales
223

Sam peut tout d’abord essayer de différents dommages. De quel dommage


démontrer une faute de Paulo ce qui sup- Paul est-il exactement responsable ?
pose que ce dernier soit considéré Cette difficulté peut toutefois être relati-
comme étant le chef de la cordée. Or la visée puisque la jurisprudence admet de
jurisprudence a pu considérer dans une plus en plus le recours à l’équivalence des
hypothèse proche que le premier de cor- conditions.
dée n’était pas nécessairement le chef de
la cordée (Cass. 2e civ., 24 avr. 2003 : 2. Le médecin
« M. Y… n’avait pas une compétence
d’alpiniste suffisante pour être qualifié de Sam peut démontrer que le médecin a
chef de cordée et pour endosser la res- commis une faute intentionnelle ou une
ponsabilité de la conduite de l’escalade faute d’imprudence ou de négligence sur
et qu’il ne pouvait encourir le reproche le fondement des articles 1382 et 1383
d’avoir omis, marchant en tête, d’infor- du Code civil. Ici il est permis de penser
mer ses amis du risque de chute de pier- que ce dernier a commis une faute en
res parce que tous le connaissaient par la intervenant. Il devait certes intervenir
lecture préalable du guide-topo du par- (à défaut, possible faute d’abstention)
cours et parce que la connaissance d’un mais son intervention médicale devait se
tel danger sur un parcours pierreux “tom- limiter à son domaine de compétence.
bait sous le sens commun” »). Or son intervention maladroite n’a fait
Sam peut choisir d’agir contre Paulo qu’aggraver le dommage de Sam.
en tant que gardien de la pierre sur le Mais l’on sait que, depuis la jurispru-
fondement de l’article 1384, alinéa 1er, dence Costedoat du 25 février 2000, un
du Code civil. Ici, si le fait de la chose ne préposé dispose d’une immunité dès lors
pose pas de difficulté (mouvement et qu’il agit dans les limites de sa mission.
contact), en revanche la question de la Or depuis une décision de la première
garde est plus délicate. Si certains arrêts chambre civile du 26 mai 1999, les qua-
ont admis que l’alpiniste devenait gar- lités de médecins et de préposés ne sont
dien des pierres, d’autres estiment qu’un plus antinomiques. En conséquence rien
alpiniste posant le pied sur une pierre ne s’oppose à ce qu’un médecin préposé
« ne peut raisonnablement pas diriger et bénéficie de la même immunité dès lors
contrôler cette dernière sur laquelle il qu’il agit dans les limites de sa mission.
marche aussi » et que « M. Y… n’a donc La jurisprudence a donc étendu cette
pas exercé sur cette pierre les pouvoirs immunité aux personnels médicaux pré-
d’usage, de contrôle et de direction qui posés (Cass. 1re civ., 9 nov. 2004).
caractérisent la garde d’une chose »
Si l’on estime que le médecin a agi
(Cass. 2e civ., 24 avr. 2003).
dans les limites de sa mission, seule la cli-
En tout état de cause nécessité de dis- nique pourra être tenue pour responsa-
cuter sur cette garde. ble en tant que commettant sur le fonde-
Si la garde est admise, il faut alors s’in- ment de l’article 1384, alinéa 5, du Code
terroger sur le lien de causalité avec les civil. On peut ici en discuter, est-ce que
Droit civil des obligations
224

le domaine de compétence du médecin 3. L’ONIAM


(l’allergologie) ne délimite pas sa mis-
sion ? On applique la loi du 4 mars 2002. Il suf-
fit alors que les étudiants le signalent
Si on estime que le médecin a agi au-
sans entrer dans des détails qu’ils ne sont
delà des limites de sa mission sans pour pas censés connaître.
autant commettre un abus de fonction
(reprendre les critères jurisprudentiels : En l’absence de faute du médecin mais
hors des fonctions auxquelles il était avec la certitude que le dommage est
employé, sans autorisations, et à des fins imputable à l’intervention médicale (ce
qui est loin d’être évident), Sam pourrait
étrangères à ses attributions), alors la cli-
saisir une commission régionale de
nique et le médecin seront responsables
conciliation et d’indemnisation des acci-
in solidum. L’assureur de la clinique n’aura
dents médicaux (CRCI) mise en place
en principe pas de recours contre le
par la loi du 4 mars 2002. Sous réserve
médecin (art. L. 121-12 C. assur.) sauf si
que le dommage de Sam atteigne le seuil
ce dernier est lui-même assuré.
de gravité prévu par l’article D. 1142-1
Si on estime que le médecin a commis du Code de la santé publique, une CRCI
un abus de fonction alors il sera seul res- pourra conclure à un aléa thérapeutique
ponsable (peu probable compte tenu du qui sera alors indemnisé par l’Office
caractère restrictif des critères de l’abus national d’indemnisation des victimes
de fonction). d’accidents médicaux (ONIAM).
Enfin, si on estime que le médecin a
commis une infraction pénale intention-
nelle, il perd alors le bénéfice de son III. Le cas de Paulo
immunité (arrêt Cousin, Cass. ass. plén., (1,5 point)
14 déc. 2001) ; il garde le bénéfice de son
immunité en cas d’infraction non inten- Paulo percute une baie vitrée et se blesse.
tionnelle (Cass. crim., 28 juin 2005, Gef-
Le fondement de l’action en respon-
fraud), ce qui, en cas de qualification
sabilité privilégié est l’article 1384, ali-
pénale, serait ici le cas.
néa 1er, du Code civil. La détermination
Une difficulté peut également ici être du gardien ne pose pas de difficulté (pro-
évoquée par rapport au dommage. En priétaire de l’établissement), la question
effet, le médecin a aggravé un dommage de l’intervention causale de la chose est
existant. Peut-il alors être tenu pour res- plus délicate. Il appartient en effet à
ponsable de l’intégralité du dommage ? Paulo de démontrer que la chose a été
On peut penser ici que le médecin sera l’instrument du dommage. Il s’agit ici
tenu entièrement pour responsable dès d’une chose inerte avec laquelle la vic-
lors que l’aggravation du dommage a time est entrée en contact. Cette preuve
abouti à un changement radical de sa du rôle actif de la chose inerte est rap-
nature (risque vital?). Une discussion sur portée lorsque le demandeur démontre
ce point est souhaitable. un défaut d’entretien, de signalement, ou
Annales
225

une anormalité quelconque de la chose Pour Monica se posait tout d’abord la


(Cass. 2e civ., 16 nov. 1978). La jurispru- question de la réalité de son dommage.
dence a semblé renoncer à cette exi- En effet, si le simple fait de s’évanouir ne
gence pendant un certain temps (Cass. peut raisonnablement constituer un
2e civ., 15 juin 2000 notamment) pour dommage réparable, en revanche, il est
revenir à nouveau à la preuve d’une possible qu’en tombant sur la voiture
anormalité (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005). Monica se soit blessée. Aucune indica-
Cette preuve est toutefois facilitée car la tion n’étant donnée dans le cas pratique
jurisprudence admet que le bris de la à ce sujet, la question restait en suspens.
vitre révèle son excessive fragilité et Il était donc judicieux d’envisager l’hy-
donc son anormalité (Cass. 2e civ., pothèse d’un dommage corporel, tout en
24 févr. 2005, préc.). précisant que ce n’est qu’à cette condi-
Il sera toutefois possible d’opposer à tion que Monica pouvait tenter de
Paul sa propre faute pour réduire son demander réparation, la question étant
droit à réparation (par exemple, Cass. de savoir contre qui elle pouvait diriger
2e civ., 19 févr. 2004) mais sa faute ne sa demande : soit contre Paulo, soit
pourra exclure son droit à réparation que contre le propriétaire du véhicule.
si celle-ci s’analyse comme un cas de
force majeure (Cass. 2e civ., 18 mars A. Contre Paulo
2004), ce qui est ici à exclure.
Enfin il peut être souligné qu’une 1. Pour faute ?
action en responsabilité en présence
Il convenait très rapidement d’exclure la
d’un dommage aussi modeste (mains
possibilité d’agir contre Paulo sur le fon-
écorchées) est peut-être disproportion-
dement des articles 1382 et 1383 du
née. En revanche, la recherche de la res-
Code civil. Ce dernier n’a en effet com-
ponsabilité du gardien pourrait être
mis aucune erreur de conduite que n’au-
relancée dans l’hypothèse d’un éventuel
rait pas commise le bon père de famille
recours en contribution du conducteur
placé dans les mêmes circonstances.
d’un véhicule impliqué dans l’accident
de Monica et des trois jeunes…
2. En tant que responsable
du fait des choses ?
IV. Le cas de Monica
Il était en outre très peu probable que
(1 point) l’on puisse agir contre Paulo sur le fonde-
ment de la responsabilité du fait des cho-
Monica, jeune femme émotive, s’éva- ses en tant que gardien du sang (!) en
nouit à la vue du sang sur les mains de invoquant le fait que c’était la vue du
Paulo et s’effondre sur une voiture sta- sang qui avait conduit Monica à se bles-
tionnée à proximité. ser. L’anormalité ne peut ici être établie.
Droit civil des obligations
226

B. Contre le propriétaire que titre que ce soit dans la réalisation


de l’accident. L’exigence initiale d’un
du véhicule stationné rôle perturbateur de la circulation (par
exemple par un stationnement irrégulier
Si Monica s’est blessée en s’effondrant
ou gênant) a été abandonnée par la juris-
sur le véhicule en stationnement, il est
prudence (Cass. 2e civ., 23 mars 1993).
possible d’envisager d’agir contre le pro-
Dès lors Monica aurait un droit à indem-
priétaire du véhicule. Deux fondements
nisation et le propriétaire du véhicule ne
sont envisageables.
pourrait lui opposer aucune faute pour
Sur le fondement de la loi de 1985. limiter ou exclure ce droit.
C’est contre le gardien du véhicule (le
propriétaire) qu’il serait possible d’agir si
les conditions de l’article 1er de la loi sont V. Les passagers
réunies. du véhicule
Il convient tout d’abord de s’interroger
à propos de l’existence d’un accident de
de l’association
la circulation. La notion d’accident de la La Rédemption
circulation est entendue largement par (4 points)
la jurisprudence qui n’hésite pas à l’ad-
mettre dans des circonstances très dou-
Pour éviter Monica, le conducteur d’un
teuses pour lesquelles la matérialisation
véhicule donne un coup de volant et
d’un risque automobile est très discutable
s’écrase contre le mur du jardin d’en face.
(v. par exemple Cass. 2e civ., 24 janv.
Les passagers (trois jeunes handicapés
2003, balayeuse qui projette des gravil-
âgés de 14 à 21 ans) sont éjectés. À
lons sur un trottoir, devant la porte du
condition que ces personnes soient bles-
domicile d’une personne qui se blesse en
sées (nécessité de l’existence d’un dom-
glissant sur ces gravillons, on admet que
mage), il est possible de demander répa-
le véhicule est impliqué dans un acci-
ration. Sachant qu’il est difficile
dent, alors qu’au moment de la chute, un
d’envisager une action en responsabilité
laps de temps s’était écoulé depuis le pas-
pour faute contre Monica, il semble judi-
sage de l’engin). Il convenait donc ici de cieux d’agir sur le fondement de la loi de
discuter la notion d’accident de la circu- 1985. Il convenait rapidement de véri-
lation. fier les conditions de l’article 1er de la loi
Il faut en outre que le véhicule soit de 1985. Il y a bien ici un accident de la
impliqué dans l’accident. En l’espèce, un circulation et le véhicule de l’association
contact a été établi entre Monica et le est bien impliqué dans l’accident de la
véhicule. Or, même en l’absence de circulation (aucune difficulté ici donc
mouvement, tout véhicule est impliqué pas de développements nécessaires). La
dans l’accident dès lors qu’il est entré en réunion des conditions de l’article 1er
contact avec le siège du dommage, il suf- permet d’admettre l’existence d’un droit
fit que le véhicule soit intervenu à quel- à indemnisation des victimes de l’acci-
Annales
227

dent. Il faut ensuite s’interroger pour mage corporel, aucun dommage aux
savoir contre qui les victimes pouvaient biens n’étant envisageable).
agir avant d’étudier la possibilité de limi- Les passagers ont ici la qualité de vic-
ter ou d’exclure leur droit à indemnisa- times non conductrices. En outre il
tion. s’agissait pour certains de victimes privi-
légiées (moins de 16 ans) pour d’autres
A. Le débiteur de victimes ordinaires (plus de 16 ans
sauf s’ils étaient handicapés avec un taux
de l’indemnisation d’incapacité permanent ou d’invalidité
au moins égal à 80 %). Les passagers vic-
Pouvait-on agir contre le conducteur du times n’avaient pas attaché leur ceinture.
véhicule impliqué ou contre son gardien Peut-on leur opposer cette faute ?
(l’association) ? Le préposé devrait pou-
Pour les victimes ordinaires (art. 3,
voir être tenu d’indemniser parce qu’il al. 1, de la loi de 1985), seule la faute
est conducteur. Pourtant la deuxième inexcusable, cause exclusive de l’acci-
chambre civile de la Cour de cassation, dent peut leur être opposée. Or en l’es-
dans un arrêt du 11 avril 2002, a estimé pèce, le fait de ne pas avoir attaché sa
que le commettant propriétaire du véhi- ceinture n’est ni inexcusable (il ne s’agit
cule impliqué n’ayant pas rapporté la pas d’une « faute volontaire, d’une
preuve d’un transfert de garde au pré- exceptionnelle gravité, exposant sans
posé, en conséquence, ce dernier en sa raison valable son auteur à un danger
qualité de conducteur du véhicule impli- dont il aurait dû avoir conscience » :
qué ne devait pas réparation. Il conve- Cass. 2e civ., 20 juill. 1987), ni cause
nait dès lors de discuter sur le transfert exclusive de l’accident dès lors que le
de la garde au préposé conducteur et sur conducteur a donné un coup de volant.
le caractère contestable de cette jurispru- Les passagers pouvant être qualifiées de
dence. victimes ordinaires ne pourront donc
perdre leur droit à indemnisation ou voir
celui-ci réduit.
B. La limitation
A fortiori, il en sera de même pour les
ou l’exclusion du droit passagers qui entreraient dans la catégo-
à indemnisation rie des victimes privilégiées. Ces victi-
mes ne peuvent perdre leur droit à
En tout état de cause, la force majeure indemnisation que si elles ont volontai-
ou le fait d’un tiers (de Monica par exem- rement recherché le dommage (art. 3,
ple) ne peuvent être opposés à la victime al. 2, de la loi de 1985) ce qui ne saurait
pour limiter ou exclure son droit à être admis en l’espèce.
indemnisation (art. 2 de la loi de 1985). Aucune précision n’était donnée à
Seule sa faute peut être opposée à la vic- propos d’un éventuel préjudice du
time mais tout dépend de la qualité de la conducteur du véhicule, mais le conduc-
victime (on raisonne ici sur le seul dom- teur avait subi un dommage, il serait en
Droit civil des obligations
228

mesure de demander l’indemnisation des faute) ou de l’article 1384, alinéa 1er (res-
dommages qu’il a subis au gardien sauf ponsabilité du fait des choses), sans que
s’il a commis une faute ayant contribué à la faculté de discernement constitue une
la réalisation de son préjudice. condition de la responsabilité. En l’es-
pèce les deux fondements peuvent être
utilisés : il y a bien faute et il y a bien fait
VI. Le véhicule de la chose dont Ken est devenu gardien
de l’association en s’en emparant (possibilité toutefois de
discuter cette condition), il peut être
La Rédemption tenu pour responsable des dommages
(1 point) causés aux voitures.

Dommage matériel : possibilité d’un B. Contre les parents


recours du gardien contre le conducteur, de Ken
même si le conducteur était le préposé
de la victime agissant dans l’exercice de La responsabilité des parents du fait de
ses fonctions. Ken leur enfant mineur (art. 1384, al. 4,
C. civ.) peut être engagée à condition
que les parents aient l’autorité parentale
VII. Les véhicules et que l’enfant réside habituellement
endommagés à l’aide avec eux (cohabitation au sens juridi-
du parapluie (6 points) que). Il faut en outre que l’enfant ait
causé le dommage (sans qu’il soit néces-
saire d’établir les conditions de sa res-
Le jeune Ken profite de l’évanouisse- ponsabilité personnelle selon l’arrêt
ment de sa baby-sitter pour s’enfuir. Il Levert, Cass. 2e civ., 10 mai 2001) ce qui
endommage toutes les voitures qui se est bien le cas en l’espèce. Les parents,
trouvent sur son passage à l’aide du para- absents au moment de l’accident, ne
pluie de Monica. Les propriétaires des peuvent invoquer leur absence de faute
voitures subissent donc un dommage pour s’exonérer de leur responsabilité
matériel dont ils peuvent demander (arrêt Bertrand, Cass. 2e civ., 19 févr.
réparation. Contre qui peuvent-ils agir ? 1997). Seules la force majeure (extrême-
ment difficile, voire impossible, à établir)
A. Contre Ken ou la faute de la victime peuvent leur
permettre de s’exonérer. En l’espèce, rien
Il est possible d’agir contre Ken quels que dans les faits ne permet de croire à une
soient son âge et sa faculté de discerne- telle exonération.
ment. En effet, il est admis depuis 1984
(Cass. ass. plén., 9 mai 1984, 5 arrêts)
que l’infans peut être tenu responsable
sur le fondement de l’article 1382 (pour
Annales
229

C. Contre Monica 2e civ., 12 déc. 2002, pour l’activité de


majorettes). Aucune décision n’a admis
la baby-sitter la responsabilité de la baby-sitter sur ce
fondement mais la doctrine a pu faire des
On peut imaginer d’agir contre Monica,
propositions en ce sens. Dès lors que des
la baby-sitter de Ken sur le fondement de
associations sportives, de chasse, de
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil :
scouts, de majorettes, de supporters ont
responsabilité du fait d’autrui. Discussion
été déclarées responsables on pourrait
nécessaire sur cette possibilité. En effet,
imaginer une telle solution.
s’il est admis d’agir sur ce fondement
contre une personne physique (Cass. Toutefois, il convient de rappeler qu’il
crim., 28 mars 2000 pour le tuteur d’un n’est pas possible d’envisager un cumul
mineur), il faut que la personne respon- des responsabilités du fait d’autrui. Cela
sable du fait d’autrui ait accepté d’organi- signifie que le fait d’agir contre Monica
ser, de diriger et de contrôler le mode de perd de son intérêt dans la mesure où la
vie ou l’activité de celui dont il répond responsabilité des parents de Ken peut
(arrêt Blieck, Cass. ass. plén., 29 mars être engagée.
1991, pour le mode de vie et par ex. Cass.
6. Régimes spéciaux
de responsabilité
Thème principal Responsabilité spéciale du fait
des bâtiments
Autre thème Responsabilité du fait des choses
Mots clés garde de la chose, vice de construction

sujet donné et établi par :


Christophe Alleaume
professeur

T Université de Besançon
JE Second semestre 2002-2003
U
S

Commentaire :
Commentez l’arrêt suivant :

COUR DE CASSATION (deuxième chambre civile)


Audience publique du 23 janvier 2003
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Vu les articles 1386 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure
civile ;
Droit civil des obligations
232

Attendu que le premier des textes susvisés visant spécialement la ruine d’un
bâtiment, laquelle doit s’entendre non seulement de sa destruction totale, mais
encore de la dégradation partielle de toute partie de la construction ou de tout
élément mobilier ou immobilier qui y est incorporé de façon indissoluble, pour
imposer sans distinction au propriétaire la responsabilité de ce fait et la subordon-
ner à la preuve d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction, exclut l’ap-
plication de la disposition générale de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil
relative à la responsabilité du fait de toute chose, mobilière ou immobilière, que
l’on a sous sa garde ;
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que Marie X…, âgée de 8 ans, a
été blessée par la chute de la poutre de la cheminée sur laquelle elle s’était
appuyée dans la maison appartenant aux époux Y… ; que les époux X…, agissant
tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille
mineure, ont assigné les époux Y… et leur assureur, la compagnie UAP, devenue
AXA Assurances IARD, en réparation de leur préjudice ;
Attendu que pour déclarer les époux Y… entièrement responsables des pré-
judices causés par la chute de la poutre et les condamner in solidum avec leur
assureur à indemniser les victimes, l’arrêt retient que la circonstance selon
laquelle une fillette de 8 ans s’étant suspendue par jeu à une poutre placée en hau-
teur a fait chuter celle-ci, démontre que son assise ou son scellement n’étaient pas
suffisants pour présenter les garanties de stabilité que l’on attend normalement
de l’ensemble des composants du bâti d’une cheminée et que le rôle actif de la
chose, qui s’est dissociée de l’immeuble et qui s’est trouvée à l’origine du dom-
mage, étant ainsi établi, c’est à bon droit que le premier juge a estimé que les
époux Y… ne s’exonéraient pas de la présomption de responsabilité édictée par
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme cela était demandé par les
conclusions des époux Y… qui invoquaient les dispositions de l’article 1386 du
Code civil, si la poutre de la cheminée ne constituait pas un élément incorporé
au bâtiment et si la preuve d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien
n’était pas rapportée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 septembre
2000, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence,
la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour
être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges […]

Durée de l’épreuve 3 heures.


Annales
233

Corrigé
Faits. Une fillette, 8 ans, se suspend, applicables (I) ; mais le texte spécial pré-
par jeu, à la poutre de la cheminée de la vaut sur le texte général (II).
maison des époux Y. La poutre, proba-
blement mal scellée, tombe sur la fillette
et la blesse. I. Applicabilité
Procédure, moyens et motifs. Les potentielle
parents de la fillette agissent, en leur des articles 1384 et 1386
nom personnel et au nom de leur fille,
en responsabilité contre les époux Y, pro-
du Code civil
bablement sur le fondement de l’arti-
cle 1384, alinéa 1er, du Code civil. Le A. Applicabilité
premier juge condamne les époux Y. Un de l’article 1384
appel est interjeté devant la cour d’appel
(responsabilité générale
de Bordeaux. Le 19 septembre 2000 cette
juridiction confirme la première décision du fait des choses)
et retient la responsabilité des époux Y,
L’article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
sur le fondement de l’article 1384, ali-
dispose que l’« on est responsable non
néa 1er. S’appuyant sur l’article 1386, les
seulement du dommage que l’on cause
époux Y forment un pourvoi devant la
par son propre fait, mais encore de celui
Cour de cassation. La deuxième cham- qui est causé par le fait des personnes
bre civile rend l’arrêt à commenter le dont on doit répondre ou des choses que
23 janvier 2003 par lequel elle casse, l’on a sous sa garde ». Trois conditions
pour défaut de base légale, la décision sont nécessaires pour mettre en jeu la res-
bordelaise ; l’affaire est renvoyée devant ponsabilité générale du fait des choses :
la cour d’appel de Limoges. une chose, un fait de cette chose et la
Question de droit. Le propriétaire de garde de la chose par le responsable.
la chose ayant causé le dommage engage-
t-il sa responsabilité par application de 1. Chose
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
Il n’y a pas, a priori, à distinguer entre les
lorsque l’on se situe dans le champ d’ap-
choses. Les meubles comme les immeu-
plication de l’article 1386 ? (on peut,
bles, les choses solides, liquides ou les gaz,
bien sûr, poser la question autrement, par etc., sont visés. Une poutre peut donc
exemple en partant du rôle du juge). permettre l’application de l’article 1384,
Annonce du plan. Les articles 1384 alinéa 1er. Dans un premier temps, on
et 1386 sont, en apparence, tous deux avait cru que les immeubles devraient
Droit civil des obligations
234

être exclus car l’article 1386 du Code 2. Fait de la chose


civil règle le cas particulier de la respon-
sabilité du fait des bâtiments. Mais la L’article 1384 s’applique si la chose a été
Cour de cassation est revenue sur cette « l’instrument du dommage ». Pour
position. On peut l’approuver car, quelle apprécier cette condition, on raisonne
que soit la théorie qui fonde la responsa- différemment selon qu’il y a eu contact
bilité générale du fait des choses (respon- ou pas entre la chose et le siège du dom-
sabilité pour faute, la faute consistant mage. Lorsqu’il n’y a pas eu de contact,
dans un défaut de surveillance de la c’est à la victime d’établir que la chose
chose ; ou responsabilité sans faute, le est intervenue dans le dommage. Quand
gardien de la chose étant responsable en il y a eu contact, comme en l’espèce, on
raison du risque que celle-ci fait courir à distingue selon que la chose était en
mouvement ou inerte au moment de
ceux qui s’en approchent), les raisons de
l’impact. Si la chose était en mouvement
retenir la responsabilité sont les mêmes
la causalité est en quelque sorte présu-
dans les articles 1386 et 1384 (par exem-
mée. Si la chose était inerte, comme la
ple, si l’on fonde la responsabilité sur un
poutre, le demandeur doit établir positi-
défaut de surveillance, celui-ci n’est pas
vement le fait de cette chose. Concrète-
différent que la chose soit meuble ou
ment, dans cette dernière hypothèse, qui
immeuble ; cela qui ne veut pas dire que
est celle de l’espèce, la victime doit
l’article 1386 soit inclus dans l’arti-
démontrer une anomalie affectant la
cle 1384 : infra II). La Cour de cassation
chose ou une faute de son gardien. C’est
a d’ailleurs admis l’application de l’arti-
précisément ce sur quoi s’était reposé le
cle 1384, alinéa 1er, dans des hypothèses
premier juge, puis la cour d’appel, en
où le dommage avait été causé par un
relevant que la poutre était « mal assise »
éboulement de terrain (Cass. 2e civ.,
ou « mal scellée » (anomalie) ou en évo-
17 mai 1995, Bull. n° 142) ou par des
quant son « rôle actif ».
arbres (Cass. 2e civ., 12 mai 1966,
D. 1966, 700, note Azard). En définitive,
seules les choses visées par un régime de
3. Garde de la chose
responsabilité spéciale, comme les auto- L’article 1384, alinéa 1er, rend responsa-
mobiles (loi du 5 juillet 1985), les ani- ble celui qui a la « garde de la chose ».
maux (1385), les bâtiments (1386), les Qu’est-ce que cela signifie ? L’arrêt
aéronefs, les téléphériques, les navires à Franck (Cass., ch. réunies, 2 déc.
énergie nucléaire (lois spéciales), etc., 1941, DC 1942, 25, note Ripert ;
sont exclues de l’article 1384, alinéa 1er. S. 1941, 1, 217, note Mazeaud ; JCP
Or, de prime abord, la poutre d’une che- 1942, II, 1766, note Mihura) indique que
minée ne s’assimile pas à un bâtiment. le propriétaire est simplement présumé
L’action intentée par les époux X est gardien de sa chose ; la présomption est
donc parfaitement compréhensible — de renversée s’il est démontré qu’un autre
même que la motivation successive des que lui avait l’usage, le contrôle et la
juges du fond. direction de la chose au moment du
Annales
235

dommage. En l’espèce, les époux Y, pro- cour d’appel. Cette dernière s’était trop
priétaires de la cheminée, étaient donc attachée au fait que, lors de l’impact, la
présumés gardiens de la poutre. La pré- poutre étant descellée, elle aurait
somption ne pouvait pas être renversée retrouvé une nature mobilière, empê-
car une fillette qui se pend à une poutre chant sa qualification de « bâtiment ». Si
en a peut-être l’usage mais n’en a ni la ce raisonnement est logique en droit des
direction ni le contrôle. C’est, en tout biens, il convient de procéder autrement
cas, ce qu’a jugé la cour d’appel dans la en droit de la responsabilité car les « élé-
présente affaire (évoquant la « présomp- ments » des bâtiments sont plus souvent
tion de responsabilité » des époux Y ; cf. à l’origine des dommages que les bâti-
3e attendu). ments eux-mêmes. Par ailleurs, le raison-
L’article 1384, alinéa 1er, semblait nement des juges d’appel méconnaissait
donc applicable à l’espèce. Qu’en est-il la jurisprudence de la Cour de cassation
de l’article 1386 ? relative aux dommages causés par des
tuiles.
Pour que l’article 1386 soit applicable,
B. Applicabilité
il faut aussi vérifier que le dommage a été
de l’article 1386 causé par la « ruine » du bâtiment (ou de
(responsabilité spéciale l’élément incorporé), sachant, en outre,
du fait des bâtiments) que la ruine doit être due à un « défaut
d’entretien » ou à un « vice de construc-
L’article 1386 énonce : « Le propriétaire tion ». En fait, la jurisprudence retient
d’un bâtiment est responsable du dom- qu’il peut s’agir d’une « ruine partielle »
mage causé par sa ruine, lorsqu’elle est ou de la « dégradation partielle de toute
arrivée par suite du défaut d’entretien ou partie de la construction ». Par exemple,
par le vice de sa construction. » Le mot la chute d’un élément de construction
« bâtiment » est entendu plus largement suffit (Cass. 2e civ., 4 mai 2000 : Respon-
en droit de la responsabilité que dans le sabilité civile et assurance 2000, comm.
langage courant. Il désigne tout édifice 218, note Groutel, pour la chute d’une
incorporé au sol ou à un autre immeuble tuile). C’est précisément ce que rappelle
par nature. Sont exclus les constructions le présent arrêt dans son chapeau intro-
provisoires et les immeubles non ductif (« la ruine […] doit s’entendre
construits par l’homme (arbre, rocher). non seulement de sa destruction totale,
En revanche, de simples tuiles ont déjà mais encore de la dégradation partielle
permis l’application de l’article 1386. En de toute partie de la construction ou de
l’espèce, la poutre de la cheminée consti- tout élément mobilier ou immobilier qui
tuait un élément incorporé à un immeu- y est incorporé… »).
ble ; elle était donc susceptible de per- Toutes les conditions requises sem-
mettre l’application de l’article 1386. On blaient pouvoir être réunies en l’espèce.
trouve là l’un des reproches adressés par L’applicabilité de l’article 1386 ne rele-
la Cour de cassation à la décision de la vait donc pas de l’hypothèse d’école.
Droit civil des obligations
236

* si cela suppose de démontrer qu’elle avait


Les deux textes semblaient applicables. Il la « garde » de l’élément ayant causé le
faut donc s’interroger sur les raisons qui dommage (art. 1384, al. 1er) ou qu’elle
ont poussé la Cour de cassation a donné avait commis une « faute » en l’utilisant
la préférence à l’article 1386. ou en la surveillant (1382/1383). Dans
cette perspective, l’arrêt à commenter se
comprend parfaitement car la jurispru-
II. Prévalence dence du 23 mars 2000 retient, au fond,
de la responsabilité que seul l’article 1386 a vocation à s’ap-
pliquer au propriétaire lorsqu’un dom-
spéciale du fait mage est causé par la ruine de son bâti-
des bâtiments ment. En l’espèce, agissant contre le
propriétaire, les époux X. se devaient de
sur la responsabilité fonder leur action — et celle de leur fille
générale du fait — sur l’article 1386. Ce dernier texte
envisage une responsabilité spéciale. Or,
des choses ce qui est spécial déroge à ce qui est géné-
ral.
A. Articulation On comprend alors que l’arrêt d’appel
des articles 1384, alinéa 1er, soit censuré pour défaut de base légale
et 1386 du Code civil (insuffisance des constatations de fait)
car seule une analyse plus poussée des
L’applicabilité aux mêmes faits de ces faits aurait permis de qualifier la poutre
deux textes de responsabilité civile pose « d’élément incorporé à un immeuble »
inévitablement problème. Quel texte et de vérifier si son descellement était dû
choisir? N’y a-t-il pas, en outre, un risque ou non à un vice de construction ou à un
d’empiétement, et donc de cumul, des défaut d’entretien.
articles 1386 et 1384, alinéa 1er, du Code • On regrettera, pourtant, l’ambiguïté
civil ? de la formule finale de l’arrêt de cassa-
• Lorsque le propriétaire et le gardien tion. L’arrêt d’appel est censuré au motif
du bâtiment sont deux personnes dis- qu’en statuant comme il l’a fait, sans
tinctes, la Cour de cassation refuse nette- rechercher, « comme cela était demandé
ment l’empiétement (Cass. 2e civ., par les conclusions des époux Y. qui
23 mars 2000, Bull. n° 54). Avant l’arrêt invoquaient les dispositions de l’arti-
du 23 mars 2000, la cour régulatrice n’ad- cle 1386 du Code civil, si la poutre de la
mettait pas qu’un autre que le proprié- cheminée ne constituait pas un élément
taire fût responsable lorsque ce dernier incorporé au bâtiment et si la preuve
pouvait être condamné par application d’un vice de construction ou d’un défaut
de l’article 1386. Mais, depuis cet arrêt, d’entretien n’était pas rapportée » la cour
on sait qu’il est possible d’agir contre une d’appel n’a pas donné de base légale à sa
autre personne que le propriétaire même décision. Est-il bien sûr, comme la Cour
Annales
237

de cassation le laisse entendre, que les ticle 1384 dans le champ d’application
époux Y. aient « invoqué » les disposi- de l’article 1386 (Cass., civ., 4 août
tions de l’article 1386 ? ; qu’ils aient 1942, DC 1943, 1, note Ripert : bâti-
« demandé » de « rechercher » « si la ment dont la ruine n’était due ni à un
poutre de la cheminée ne constituait pas vice de construction ni à un défaut d’en-
un élément incorporé au bâtiment » ? ; et tretien [chute des éléments d’une toiture
« si la preuve d’un vice de construction lors du passage d’un cyclone]). La doc-
n’était pas rapportée » ? Si tel est le cas, trine a globalement approuvé l’exclu-
de telles conclusions étonnent de la part sion. Les auteurs ont remarqué que l’arti-
des époux Y. car elles tendent vers leur cle 1386 servirait à bien peu de chose si
condamnation sur le fondement de l’ar- l’article 1384 était applicable quand l’ar-
ticle 1386 au lieu et place de l’arti- ticle 1386 ne l’est pas. Entre autres,
cle 1384. Or, en pratique, qu’ils soient R. Houin a justifié l’exclusion par le fait
condamnés au visa d’un texte ou d’un qu’une autre solution conférerait un rôle
autre ne doit pas changer grand-chose subsidiaire à l’article 1386, ce que les
pour eux. À moins que les époux Y. aient rédacteurs du Code n’avaient pas voulu
pensé que le simple fait d’être dans le (S. 1943, I, 89). De même, H. et
champ d’application de l’article 1386 L. Mazeaud ont expliqué que le refus de
rendait hors-jeu l’article 1384. Ils consacrer l’exclusion de l’article 1384
auraient alors tenté de démontrer que risquerait de faire tomber l’article 1386
l’article 1386 pouvait potentiellement en désuétude (RTD civ. 1943, 38, n° 7),
s’appliquer, ce qui, dans un premier ce qu’il convenait d’éviter. Pourtant, en
temps, aurait eu pour effet d’exclure défi- sens inverse, G. Ripert (DC 1943, 1) a
nitivement l’article 1384 du débat et, prétendu que les deux textes conserve-
dans un second temps, leur aurait permis raient, en toutes hypothèses, une utilité
de démontrer que l’article 1386 était lui- puisque l’un vise le « gardien » tandis que
même inapplicable parce que certaines l’autre concerne le « propriétaire » ; or,
de ses conditions faisaient défaut (pas de parce qu’il est souvent plus facile de
vice, pas de ruine, etc.). démontrer la propriété que la garde, il
Qu’en penser ? Quand l’une des condi- existe un intérêt à agir sur le fondement
tions d’application de l’article 1386 vient de l’article 1386.
à manquer (la chose est un bâtiment Aujourd’hui, la doctrine est restée
mais il n’y a ni vice de construction ni — semble-t-il — globalement favorable
défaut d’entretien), l’article 1384 ne à l’effet exclusif de l’article 1386. Ainsi,
peut-il pas fonder une responsabilité ? MM. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette
On pourrait le soutenir. Il suffirait d’ad- écrivent que « s’il est établi que le dom-
mettre que le texte général (re)devient mage résulte de la ruine d’un bâtiment,
applicable quand le texte spécial ne l’est mais sans qu’il soit possible de prouver
plus. l’existence d’un défaut d’entretien ou
En 1942, la Cour de cassation a rejeté d’un vice de la construction, la victime
la possibilité de faire application de l’ar- ne peut, faute de pouvoir invoquer utile-
Droit civil des obligations
238

ment l’article 1386, se replier sur l’arti- institué afin de mettre les victimes de
cle 1384, alinéa 1er. Là se marque à quel bâtiments dans une situation plus favora-
point l’article 1386, initialement conçu ble par rapport aux victimes d’autres
en faveur des victimes, s’est retourné choses. L’évolution jurisprudentielle
contre elles… » (Les obligations, 8e éd., aboutit donc aujourd’hui à donner aux
Dalloz, 2002, n° 782). Toutefois, sur le textes un effet rigoureusement contraire
même point, on notera que J.-L. Aubert à celui que le législateur de 1804 avait
et E. Savaux ont une approche quelque voulu qu’ils produisent. C’est d’ailleurs
peu différente puisque, selon eux : pourquoi, dans son rapport pour l’an
« … Dès lors qu’un dommage est causé 2000, la Cour de cassation avait souhaité
par la ruine d’un bâtiment, seul l’arti- que l’article 1386 fût abrogé (Rapport
cle 1386 a vocation à s’appliquer au pro- 2000, p. 13 et p. 400).
priétaire. Et les exigences particulières En raison de l’incertitude doctrinale
de ce texte font que parfois la victime a entourant le maintien de la jurispru-
intérêt à ce que l’immeuble dommagea- dence de 1942, on regrettera tout de
ble ne soit pas considéré comme un bâti- même que la Cour de cassation n’ait pas
ment ou, s’il en est un, à ce que le dom- profité de cette affaire pour indiquer si,
mage n’ait pas été causé par sa ruine. devant la juridiction de renvoi, il serait
Alors l’article 1384, alinéa 1er, s’appli- possible d’appliquer l’article 1384, ali-
quera et la victime sera dispensée de néa 1er, au cas où l’une des conditions de
prouver le vice de construction ou le mise en jeu de l’article 1386 ferait défaut.
défaut d’entretien » (Le fait juridique, Il est vrai que rien ne l’y obligeait.
Armand Colin, 2001, n° 297).
*
L’arrêt à commenter s’avère fondé au
B. Portée regard tant de la théorie générale du
droit ou des principes généraux d’inter-
Les conditions d’application de l’arti- prétation (Speciala generalibus derogant)
cle 1386, rappelées ci-dessus (notam- que de la jurisprudence antérieure. L’on
ment défaut d’entretien, vice de peut toutefois s’étonner de la défaveur
construction, ruine), sont à prouver par contemporaine de la jurisprudence à
la victime. Du coup, il est important de l’égard des victimes de bâtiments alors
noter que les victimes de dommages cau- que le Code napoléon en avait fait une
sés par la ruine de bâtiments sont moins catégorie particulièrement protégée.
bien traitées que les victimes d’autres Cependant, ce n’est pas la responsabilité
choses. Leur preuve est plus lourde des propriétaires de bâtiments qui a
(défaut d’entretien, vice de construction, régressé. C’est la responsabilité générale
ruine) que celle des victimes agissant sur du fait des choses qui a progressé. Après
l’article 1384, alinéa 1er, lesquelles jouis- avoir rattrapé les régimes spéciaux de res-
sent d’un certain nombre de présomp- ponsabilité, elle les dépasse désormais.
tions très avantageuses (cf. I, A). Pour-
tant, en 1804, l’article 1386 avait été
Régimes spéciaux de responsabilité
Thème principal Accidents de la circulation
Mots clés Responsabilité personnelle, responsabilité du fait
des choses, responsabilité des père et mère,
responsabilité contractuelle, responsabilité
du fait des produits défectueux, garantie des vices
cachés, véhicule terrestre à moteur, implication,
faute de la victime, victime mineure, action
en responsabilité

sujet donné et établi par :


Jean-Claude Montanier
professeur

T Université Pierre-Mendès-France (Grenoble II)


JE Second semestre 2004-2005 (2e session)
U
S

Étude de cas :
M. et Mme Aubalcon ont fait, ce 23 avril, un voyage éclair à Paris, en TGV.
Leur fils Noël, âgé de 6 ans, est allé, comme d’habitude, à l’école et, à 16 h 30,
a été recueilli par des voisins qui l’ont gardé, ainsi qu’il avait été décidé avec les
parents de l’enfant, jusqu’à 20 h 30.
M. et Mme Aubalcon devaient être de retour chez eux, dans leur village de la
région grenobloise, vers 20 h 45, c’est pourquoi Noël qui ne pouvait pas rester chez
les voisins (ceux-ci étant pris ailleurs), a été autorisé, après avoir été reconduit
chez lui par les voisins, à regarder un dessin animé à la télévision, en attendant
ses parents qui seraient de retour avant la fin du film…
Droit civil des obligations
240

A moins de 50 km de Grenoble, une annonce avertit les passagers du train


qu’en raison d’une alerte, le TGV doit s’arrêter. Un mystérieux groupe appelé
« Action Oblique » a informé la SNCF qu’une bombe a été placée sur les rails
entre Lyon et Grenoble et, effectivement, un colis… vide… sera trouvé par les
services compétents. Il s’agissait évidemment d’un canular dont les auteurs ne
seront pas identifiés.
Les parents de Noël, utilisant leur téléphone portable fabriqué par la Société
« Allo », tentent de joindre l’enfant ; malheureusement, chez eux, le téléphone
portable de la maison reste silencieux, en raison d’une défectuosité de l’appareil
(les deux appareils identiques ont été achetés au magasin « Muet »).
Affolés, les parents téléphonent aux deux voisins proches mais personne n’est
présent.
Ils parviennent à joindre la gendarmerie mais, lorsque les gendarmes qui ont
fait au plus vite, arrivent chez les Aubalcon, vers 21 heures, Noël n’est plus là.
Se désintéressant du film, Noël s’est mis à errer dans la maison vide où il a vite
pris peur… voyant des « monstres » partout… et c’est pourquoi il a préféré par-
tir, en pyjama, son « Nounours » sous le bras, à la rencontre de ses parents…
Sur la route mal éclairée de la gare du village, au beau milieu, dans le noir,
Noël, dans son pyjama bleu sombre, court, en pleurant… C’est alors qu’arrive
l’automobile conduite par M. Autizon. Ce dernier, surpris par la présence de l’en-
fant, donne un coup de volant à gauche mais, s’il évite effectivement l’enfant, il
percute M. Pack qui circulait, en sens inverse, à vélo et auquel on reproche
d’avoir roulé sans lumière sur sa bicyclette.
Le vélo est endommagé et M. Pack est blessé.
Quant à M. Autizon, il termine sa course dans le fossé ; s’il n’est nullement
blessé, son automobile est endommagée.
C’est cette histoire navrante que découvrent M. et Mme Aubalcon lorsqu’ils
arrivent chez eux, vers 22 h 15 (Noël est resté sous la protection de la gendarme-
rie).

Vous répondrez aux questions que pose ce cas pratique dans l’ordre sui-
vant :

I. Vous direz comment M. Autizon peut répondre à la demande en répa-


ration adressée par M. Pack.
Annales
241

II. Vous préciserez de quels recours M. Autizon dispose à la suite de l’ac-


tion exercée par M. Pack et quelles actions il peut exercer pour obtenir
réparation du dommage matériel qu’il subit.
III. Vous direz quels actions et recours s’offrent à M. et Mme Aubalcon,
tant en leur nom qu’au nom de leur enfant Noël.

Corrigé
tique, dans ce genre de situations, on
L ’auteur du présent cas pratique a
imaginé cette histoire quelque peu
rocambolesque après avoir constaté, fré-
commence par une action qui déclenche
des recours ou d’autres actions.
quemment au cours des années, des
erreurs récurrentes commises par les étu-
diants, notamment dans le domaine qui .I
nous retient, celui de la responsabilité
civile, de nature contractuelle ou extra- L’affaire débute par la demande en répa-
contractuelle. ration du dommage subi, formulée par
L’auteur a principalement constaté le cycliste victime, M. Pack.
que les étudiants ne savent pas toujours Nous sommes ici en présence d’un
faire la différence entre une action en accident de la circulation, tel que régi
responsabilité ou en réparation — et par la loi du 5 juillet 1985.
donc la demande en justice à l’appui de L’article 1er de cette loi en pose les
cette action — et les recours. conditions d’application que nous nous
Lorsqu’une victime demande réparation, proposons de vérifier ici et que l’on peut
pour ces étudiants, elle exerce un résumer comme suit : la loi s’applique
recours ! (ne nous attardons pas sur la lorsqu’un véhicule terrestre à moteur est
formule absurde, fréquemment rencon- impliqué dans un accident de la circula-
trée, selon laquelle la victime « va enga- tion dont est victime un tiers.
ger la responsabilité » de l’auteur du Nul doute que l’automobile de
dommage contre lequel elle agit en répa- M. Autizon est bien un véhicule terres-
ration !). tre à moteur qui était dans une fonction
Les questions posées et l’ordre des de circulation, puisque M. Autizon
réponses attendues permettent de clari- conduisait ce véhicule (les étudiants doi-
fier ces points et de montrer que, en pra- vent comprendre qu’il est inutile de dis-
Droit civil des obligations
242

serter longuement sur ces questions qui L’automobile de M. Autizon ayant


relèvent de l’évidence — l’automobile heurté M. Pack, ce véhicule est impliqué
de M. Autizon est-elle bien un dans un accident de la circulation, au
VTM ? —, sauf à vouloir se rassurer en sens de la loi du 5 juillet 1985.
noircissant du papier !). M. Pack va adresser sa demande en
Quid de l’implication ? La Cour de cas- réparation à l’assurance du véhicule qui
sation a, dans un premier temps, sans que devra faire une offre à la victime dans un
l’on sache vraiment pourquoi, distingué délai de 8 mois, en principe.
selon que le véhicule était en mouve- Aux termes de l’article 2 de la loi, le
ment (elle voyait alors deux situations : conducteur (ou le gardien) du véhicule
lorsque le véhicule en mouvement avait impliqué ne peut invoquer ni la force
heurté la victime ou son véhicule ou ses majeure, ni le fait d’un tiers ; donc de
biens, il était nécessairement dit impli- quelque manière que l’on regarde le
qué ; en l’absence de contact, la Haute comportement de l’enfant qui courait au
Juridiction raisonnait selon les règles de milieu de la route, ce qui a conduit
la causalité minimum : l’accident aurait- M. Autizon a donné le coup de volant
il eu lieu en l’absence du véhicule ?) ou fatidique, ce comportement ne peut pas
immobile (dans ce cas, étaient sous dis- être invoqué par M. Autizon (ou son
tinguées deux hypothèses : le véhicule à assurance) à l’encontre de M. Pack.
l’arrêt, dans une action de circulation, se
voyait appliqué le raisonnement de la La loi du 5 juillet 1985 se caractérise,
causalité minimum évoqué ci-dessus, notamment, par le sort original qu’elle
tandis que le véhicule en stationnement réserve à la faute de la victime.
devait avoir perturbé la circulation de la Aux termes de l’article 3, la victime
victime pour être dit impliqué). non conducteur bénéficie d’un traite-
Aujourd’hui, que le véhicule soit ment original.
immobile ou en mouvement, seules deux S’agissant des dommages à la per-
hypothèses sont retenues : en l’absence sonne, la faute de la victime n’est en
de contact, c’est le raisonnement fondé principe pas retenue, à moins qu’elle ne
sur la causalité minimum qui est fait, tan- soit inexcusable et cause exclusive de
dis qu’en cas de contact, le véhicule est l’accident. Si une telle faute est com-
nécessairement impliqué (les étudiants mise, elle ne sera cependant pas retenue
noteront bien que contrairement à ce si la victime a moins de 16 ans, plus de 70
qu’ils affirment souvent, il n’est pas ques- ans ou présente une incapacité de 80 %
tion ici de présomption : le véhicule n’est au moins (ces victimes sont parfois dites
pas présumé impliqué, il est impliqué : ce « super protégées »). Enfin, quelle que
sont les termes mêmes d’un arrêt fonda- soit la victime, sa faute sera retenue si
mental rendu par la Cour de cassation : elle a recherché volontairement le dom-
Cass. 2e civ., 25 janv. 1995, Gaz. Pal. mage ; nous exclurons ici cette hypo-
1995, 1, 315, obs. Chabas ; R.T.D.civ. thèse : M. Pack n’a manifestement pas
1995, 382, obs. Jourdain). eu un comportement suicidaire. En
Annales
243

outre, si M. Pack entre dans la catégorie la faute de la victime, conformément au


de victimes « super protégées », son droit commun.
éventuelle faute ne sera pas retenue et il La faute de M. Pack sera donc ici rete-
recevra une indemnisation intégrale. nue en vue d’une réduction ou d’une
Faisons de M. Pack une victime de exclusion de la réparation ; M. Autizon
plus de 16 ans, de moins de 70 ans et ne n’ayant manifestement fait aucune faute
présentant pas le handicap dont il est (cf. supra), les juges pourraient aller
question dans la loi. jusqu’à exclure la réparation des domma-
ges aux biens (la bicyclette, en l’occur-
Sa faute — rouler à bicyclette sans
rence), sinon, la répartition de la charge
éclairage — est-elle une faute inexcusa-
du dommage se fera selon l’efficacité cau-
ble ? Si oui, est-elle la cause exclusive de sale de la faute de la victime et de l’inter-
l’accident ? vention du véhicule. (Sur ces questions,
Eu égard à l’état de la jurisprudence sur V° les références in Code civil Dalloz,
ces questions, il est à penser que la faute 2005, p. 1308, 1309).
n’est pas inexcusable (on peut déduire de
la jurisprudence que la victime commet
une telle faute lorsqu’elle ne peut pas se . II
trouver là par hasard ou lorsqu’elle a dû
franchir un obstacle : v° in Code civil M. Autizon est également victime d’un
Dalloz 2005, réf. p. 1308, 1309). dommage patrimonial, matériel, son
Il est inutile, dans ces circonstances de véhicule étant endommagé (à vrai dire,
son action constitue également un
se demander si cette faute est la cause
recours, exercé plus exactement par l’as-
exclusive de l’accident (sur ce point qui,
surance de l’automobile, contre Noël
encore une fois, ne méritait pas d’être
et/ou ses parents).
abordé, des hésitations étaient possibles,
dans la mesure où le comportement de L’accident dont est victime M. Auti-
M. Autizon ne semble pas constituer une zon n’est pas un accident de la circula-
faute ; donner un coup de volant pour tion au sens de la loi du 5 juillet 1985 car
éviter un enfant relève du comporte- aucun autre véhicule terrestre à moteur
soumis à l’obligation d’assurance autre
ment du bon conducteur).
que celui de la victime n’est impliqué
Conformément au principe du « tout dans l’accident (V° références in Code
ou rien » qui règne notamment en civil Dalloz 2005, sous art. 1384, loi du
matière d’accidents de la circulation, les 5 juillet 1985, note 3, p. 1296).
dommages à la personne subis par
Cet accident de droit commun a été
M. Pack donneront lieu à réparation provoqué par la présence de l’enfant au
intégrale. milieu de la chaussée. (Même si quelques
En ce qui concerne la réparation des étudiants (trop nombreux à notre goût)
dommages aux biens, selon les termes de ont vu ici un accident de la circulation
l’article 3 de la loi, il est tenu compte de dans lequel Noël, transformé pour l’occa-
Droit civil des obligations
244

sion en véhicule terrestre à moteur, était les parents sont responsables dès lors que
impliqué, il n’en est évidemment pas l’enfant a eu un comportement cause
question !). directe du dommage, ce comportement
Depuis les arrêts fondamentaux ren- fût-il parfaitement correct (les étudiants
dus par l’assemblée plénière de la Cour doivent comprendre que les parents peu-
de cassation, le 9 mai 1984, est appliqué vent être responsables du dommage
le principe selon lequel la faute ne sup- causé par l’enfant dans des situations où
pose pas le discernement, ce qui conduit la responsabilité de l’enfant ne peut pas
à dire qu’un enfant, même tout petit, être retenue — l’enfant n’a commis
aucune faute, par exemple — et où leur
peut être l’auteur d’une faute d’impru-
propre responsabilité ne pourrait pas
dence (V° réf. in Code civil Dalloz, 2005,
l’être, s’ils étaient auteurs du dommage).
sous art. 1382 et 1383, note 21).
(V° notre étude « Les parents, les enfants
Face à cette situation, le praticien ne et la Cour de cassation » in Dr. Famille,
réagira pas comme l’étudiant… Même si 2003, n° 13).
la situation de l’enfant qui courait au
C’est dire que la responsabilité des
milieu de la route pose manifestement de
parents peut être engagée lorsque le prin-
« belles questions », le praticien agira
cipe de la responsabilité de l’enfant peut
tout d’abord contre les parents (le peu de
être retenu, que l’enfant soit gardien d’un
jurisprudence sur la responsabilité per- animal ou d’une chose ou qu’il soit
sonnelle de l’enfant tout petit témoigne reconnu fautif.
de cette attitude).
Mais la responsabilité des parents peut
La responsabilité des parents du fait également être engagée alors même que
des enfants mineurs trouve son siège à celle de l’enfant ne peut pas l’être : il suf-
l’article 1384, alinéa 4, du Code civil qui fit que le comportement de l’enfant soit
dispose : « Le père et la mère en tant la cause directe du dommage ; les arrêts
qu’ils exercent l’autorité parentale sont qui ont suivi l’arrêt Fuellenwarth, et
solidairement responsables du dommage notamment l’arrêt Levert, l’ont claire-
causé par leurs enfants mineurs habitant ment énoncé : (Cass. 2e civ., 10 mai
avec eux. » 2001, JCP 2001, II, 10613, note Mouly ;
Si la rédaction du texte n’a que très Ibid 2002, I, n° 124, obs. G. Viney ;
peu changé (seules les lois du 4 juin 1970 D. 2001, p. 2851, rapport Guerder, note
et du 4 mars 2002 sont intervenues), l’in- Tournafond ; ibid, somm. p. 1315, obs.
terprétation qui en est faite par la juris- D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. 2001,
prudence ne ressemble que de fort loin à chron. n° 18, Groutel et n° 20, Leduc ;
celle qui était retenue naguère. RTD civ. 2001, p. 601, obs. Jourdain).
Depuis l’arrêt Fuellenwarth (Ass. Plén. Les conditions de cette responsabilité
9 mai 1984 (2e espèce), D. 1984, p. 525, sont les suivantes :
conclusions Cabannes, note Chabas ; – la cohabitation, entendue aujour-
JCP 1984, II, 20255, obs. Dejean de la d’hui comme constituée par la résidence
Bâtie ; RTD civ. 1984, p. 508, obs. Huet), habituelle de l’enfant chez ses parents ou,
Annales
245

mieux, comme le droit des parents de D. 1997,p. 265, note Jourdain ; somm.
diriger et contrôler la vie de l’enfant à 290, obs. D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur.,
titre permanent (notre étude citée). chron. n° 9, Leduc ; Gaz. Pal. 1997, II,
Lorsque l’on sait que la cohabitation ne p. 572, note Chabas ; Dr famille 1997,
cesse pas alors que l’enfant est en pen- n° 83, note Murat (1re esp.). ; D. 1997,
sion, en colonies de vacances, on admet- chron. 279, Radé), nous savons que seule
tra qu’elle n’a certainement pas cessé la force majeure ou la faute de la victime
pendant le voyage des parents, pour la est susceptible d’écarter ou de réduire la
journée, à Paris (V° : Cass 2e civ., responsabilité des parents.
20 janv. 2000, JCP 2000, II, 10374, note Il n’est pas question ici de force
A. Gouttenoire-Cornut, I, 241, n° 20, majeure mais l’automobiliste a-t-il fait
obs. G.Viney ; D. 2000, Somm.p.469, une faute ? Il semble que non : un
obs. D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. homme droit et avisé (plus exactement,
2000, n° 146, obs. Groutel ; RTD civ. car nous sommes dans un domaine qui
2000, p. 340, obs. Jourdain. Cass. 2e civ., suppose un apprentissage, « le bon
15 mars 2001, Resp. civ. et assur. 2001, conducteur ») qui, soudainement, voit
n° 178. Contra : Cass. 2e civ., 24 avr. un enfant courir, la nuit, au milieu de la
1989, D. 1990, p. 519, note Dagorne- chaussée, donne naturellement, nous
Labbé. Cass. 2e civ., 29 mars 2001, Resp. semble-t-il, un coup de volant pour évi-
civ. et assur. 2001, n° 177. Contra : Cass. ter l’enfant. Si les juges devaient en déci-
1re civ., 2 juillet 1991, RTD civ. 1991, der autrement, cela poserait alors une
p. 759, obs. Jourdain. Cette collection, autre question que nous aborderons plus
Annales 2005, p. 226, doc. 8, « La consé- loin. Les conditions de la responsabilité
cration de la cohabitation juridique », des parents Aubalcon sont réunies et ils
par L. Mauger-Vielpeau et D. 2003, devront donc indemniser M. Autizon du
2112) ; dommage subi.
– le comportement de l’enfant : le Si la force majeure n’apparaît pas dans
point de savoir si, dans notre histoire, ce l’accident dont il a été question, elle
comportement est fautif ou non, nous mérite attention si l’on considère que les
retiendra plus loin; pour l’instant la seule parents ont été retardés par un événe-
question est de savoir si ce comporte- ment présentant les caractères de la force
ment est la cause directe du dommage majeure. C’est là une question très diffi-
subi par l’automobiliste. La réponse ne cile, sur laquelle la jurisprudence n’est
semble faire aucun doute : le fait de Noël pas d’une clarté parfaite.
qui, de nuit court au milieu de la route et La difficulté principale tient au point
surprend l’automobiliste est bien la cause de savoir si la force majeure s’est manifes-
directe du dommage subi. tée au moment de l’action de l’enfant
Restent les possibilités d’exonération dont on doit répondre ou si elle concerne
des parents : depuis l’arrêt Bertrand (Ass. les parents.
Plén., 19 févr. 1997, JCP 1997, II, 22848, Redisons-le : la responsabilité des
conclusions Kessous, note G. Viney ; parents ne suppose pas nécessairement
Droit civil des obligations
246

que la responsabilité de l’enfant soit qu’elle semble être conçue dans l’arrêt
reconnue. Bertrand : elle ne remet en rien en cause
Raisonnons sur deux hypothèses ce droit — et cette obligation — des
(V° notre étude précitée) : parents (que les étudiants lecteurs, quel-
que peu effrayés par la difficulté traitée se
– l’enfant a participé à la production rassurent, cette question avait évidem-
d’un dommage en tant que gardien d’une ment été abordée en cours !).
chose ; s’il est établi qu’un événement de
force majeure est intervenu, cela conduit Quant à la faute de la victime,
à constater que la chose n’a été l’instru- M. Autizon : il ne nous semble pas qu’il
soit l’auteur d’une faute (le bon conduc-
ment du dommage que sous l’effet de la
teur dont il a été question se serait com-
force majeure (la responsabilité du gar-
porté de la même manière) ; il recevra
dien suppose que la chose ait été l’instru-
donc une indemnisation intégrale (si
ment du dommage sous l’effet de sa
seul le dommage patrimonial, matériel a
défectuosité) mais elle a été, malgré tout,
été évoqué, il n’est pas exclu qu’il sou-
l’instrument du dommage. Dans ces cir-
haite obtenir réparation d’un certain
constances, le comportement de l’enfant
dommage extra patrimonial, moral : la
(et de la chose) est bien la cause directe
frayeur ?).
du dommage ;
Si, par extraordinaire, une faute était
– la question se situe sur le terrain de la constatée à son encontre, l’exonération
faute : si l’on constate que la faute de partielle des parents, dans le cas où la res-
l’enfant est causale, la « force majeure » ponsabilité pour faute de l’enfant vien-
n’a plus aucun rôle à jouer. Si la faute de drait à être retenue (infra), se ferait par la
l’enfant n’est pas causale, les conditions comparaison de la gravité des fautes de
de sa responsabilité ne sont pas remplies l’enfant et de l’automobiliste. Il est, en
et il ne convient pas de raisonner au- effet, clair ici que la faute de la victime
delà. est concomitante au comportement de
Nous en concluons que, dans des cir- l’enfant.
constances qui relèvent de la première Dans le cas où l’enfant n’a commis
hypothèse, les parents voient leur res- aucune faute mais a eu un comportement
ponsabilité retenue. correct cause directe du dommage, l’exo-
C’est donc du côté des parents qu’il nération partielle des parents, en raison
faut se tourner : la force majeure serait de la faute de l’automobiliste victime, ne
un événement venant rompre la cohabi- pourra être opérée qu’en comparant l’ef-
tation… mais si l’on considère, avec ficacité causale des deux comporte-
notre analyse, que la cohabitation est ments.
devenue le droit d’organiser et de contrô- La responsabilité personnelle de l’en-
ler la vie de l’enfant à titre permanent, fant doit maintenant être abordée : c’est
on voit mal en quoi l’alerte à la bombe sur le fondement de l’article 1382 du
qui a provoqué le retard du train pour- Code civil que l’action va se situer. (V°
rait être assimilée à la force majeure, telle les nombreuses références sous art. 1382,
Annales
247

1383 in Code civil Dalloz, 2005, note demandé réparation du dommage subi
21). Peut-on considérer que Noël est par M. Autizon.
l’auteur d’une faute ? Il est certain que si action en justice il
L’appréciation de la faute se fait in abs- devait y avoir, Noël, incapable, serait
tracto, par référence à la conduite suppo- représenté par ses parents (rien, au
sée de l’homme droit et avisé, avatar du contraire, ne permet de penser qu’ils
bon père de famille ou de l’homme rai- n’exercent pas l’autorité parentale) ;
sonnable du Common Law. quant à l’indemnisation, ce sont les
Mais peut-on décemment comparer la parents es qualité d’administrateurs
conduite d’un enfant de 6 ans à celle de légaux qui devront l’assurer (si leur pro-
ce standard ? pre argent a été utilisé, iront-ils jusqu’à
demander le remboursement à Noël, plus
Ce que les étudiants ne comprennent
tard ?)
pas toujours est que le discernement a
changé de rôle depuis 1984 : certes, il
permet toujours de distinguer les mineurs . III
des infantes — les premiers ayant le dis-
cernement, les seconds ne l’ayant pas —
Les parents (en leur nom et, le cas
mais il conduit surtout à tracer la ligne de
échéant, au nom de l’enfant) vont à
démarcation entre le raisonnable et le
leur tour agir.
non raisonnable. L’homme droit et avisé
est le minimum acceptable par le droit Nous exclurons, tout d’abord, une
et non pas une espèce d’idéal vers lequel quelconque action contre les voisins
il faudrait tendre : ne pas être raisonna- puisque leur comportement était connu
ble, c’est être en faute ! Ne pas compren- des parents et c’est même cette obliga-
dre ce que tout le monde doit compren- tion qu’ils avaient de partir qui a conduit
dre est une faute. à l’accord mentionné dans l’énoncé.
Si l’on estime qu’à 6 ans, Noël est doté Une action contre la SNCF est-elle
du discernement, il entre dans la catégo- envisageable ? Indiscutablement, oui
rie des mineurs… mais il est plus intéres- mais peut-elle prospérer ?
sant de considérer qu’il est toujours un La relation entre les Aubalcon et le
infans. transporteur sont de nature contrac-
Il n’est évidemment pas possible de tuelle. L’obligation de la SNCF, que ce
comparer la conduite de l’infans à celle soit l’obligation de sécurité — dont il
d’un infans droit et avisé ! C’est donc n’est pas question ici — ou l’obligation
l’homme droit et avisé qui doit servir de de ponctualité, est une obligation de
référence et la question est : un homme résultat.
droit et avisé aurait-il eu le comporte- Le simple retard (à condition qu’il en
ment de Noël ? D’évidence non… donc résulte un dommage dont la victime doit
Noël a fait une faute au sens de l’arti- rapporter la preuve, ce qui, dans notre
cle 1382 du Code civil et il peut lui être cas pratique, ne soulève pas de difficul-
Droit civil des obligations
248

tés), permet d’agir en responsabilité un produit défectueux mettant en dan-


contractuelle contre le transporteur, ger la santé ou la sécurité des personnes
lequel, pour se dégager de cette responsa- (les étudiants qui ont fait cette erreur
bilité peut, notamment, prouver que le n’ont souvent pas vu une autre diffi-
retard est dû à un événement présentant culté : l’impossibilité nouvelle, en
les caractères de la force majeure (sur France, d’agir contre le détaillant, sauf
l’évolution jurisprudentielle relative- cas particuliers).
ment à ces caractères : dans cette collec- C’est sur le terrain de la garantie
tion, Annales 2005, « L’imprévisibilité contre les vices cachés qu’il convient de
de la force majeure », par P. Jourdain, se placer (le lecteur notera que cette
p. 205, doc. n° 5, et RTD civ. 2003, question ne ressortit pas au programme
p. 301). de L2 mais qu’elle y est malgré tout abor-
Indiscutablement, l’alerte à la bombe dée à différentes reprises, de manière
présente bien ces caractères et, sans plus nécessairement superficielle ; les répon-
insister, on peut conclure à l’exonération ses attendues étaient, de même, néces-
de la SNCF. sairement superficielles). L’action est
Si la responsabilité contractuelle exercée contre la société Allo ou l’ex-
devait, par extraordinaire, être retenue, ploitant du magasin Muet.
elle serait limitée par la disposition de Les articles 1641 à 1648 du Code civil
l’article 1150 du Code civil : seul le dom- réglementent cette question.
mage prévisible est réparable en matière Aux termes de l’article 1648, la vic-
contractuelle et l’on peut difficilement time doit exercer son action (rédhibi-
penser que le dommage survenu ce soir- toire ou estimatoire) dans un délai de
là était prévisible (mais cela dépend, deux ans, à compter de la découverte du
bien entendu, de l’appréciation des vice (le trop fameux bref délai a en effet
juges). disparu en 2004).
Une action contre le fabricant (voire Quant à l’article 1645, il permet à l’ac-
contre le vendeur) du téléphone défec- quéreur d’obtenir réparation des domma-
tueux est possible. ges causés par le vice de la chose (et dont
La tentation est forte, surtout après il aura rapporté la preuve). À cette occa-
que l’on a suivi un cours sur la question, sion, nous noterons que le vendeur étant
de voir ici un cas de responsabilité du fait un professionnel, il connaît nécessaire-
des produits défectueux, telle que traitée ment les vices de la chose vendue et doit
aux articles 1386-1 à 1386-18 du Code donc réparation de tous les dommages
civil (V° notre ouvrage, « Les produits causés à l’acheteur (V°, par ex., Main-
défectueux », Responsabilités, Litec 2000, guy, Les contrats spéciaux, Cours, Dalloz,
avec la collaboration de P. Canin). 3e éd.).
Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici : le
téléphone ne fonctionne pas ; il n’est pas
Index *

Accident de la circulation : 219 et s., – annulation pour dol : 95 et s.


239 et s. – condition : 127 et s.
Accident de magasin : 133 et s. – effets de l’annulation : 145 et s.
Action en nullité : 113 et s. – exécution : 145 et s.
Action en responsabilité : 239 et s. – formation : 133 et s.
Adultère : 103 et s. – inexécution : 173 et s.
Annulation du contrat : 95 et s. – nullité : 119 et s.
Bail : 119 et s. – objet : 145 et s.
Bonnes mœurs : 103 et s. – résiliation : 119 et s.
Causalité : 181 et s., 219 et s. – résolution : 173 et s.
– adéquate : 181 et s. – terme : 127 et s.
Cause : 103 et s. Contribution à la dette : 181 et s.
– d’exonération : 205 et s. Contrôle technique : 145 et s.
– illicite : 103 et s. Dol : 95 et s., 145 et s.
– immorale : 103 et s. Dommage :
Chaîne de contrats : 77 et s. – certain : 219 et s.
Chose dangereuse : 195 et s. – incertain : 189 et s.
Clause limitative de la responsabilité – réparable : 219 et s.
contractuelle : 165 et s. Échange des consentements : 77 et s.
Clause relative à la responsabilité : 155 Effets de l’annulation du contrat : 145
et s. et s.
Condition du contrat : 127 et s. Enrichissement sans cause : 205 et s.
Conditions de fond de la formation des Équivalence des conditions : 181 et s.
contrats : 145 et s.
Consentement :
– échange : 77 et s. * Les chiffres en gras renvoient aux thèmes principaux ;
Contrat : 173 et s. ceux en italiques renvoient aux autres thèmes ; les autres aux
mots clés.
Droit civil des obligations
250

Erreur : 145 et s. Obligation :


– inexcusable : 85 et s. – de conseil : 85 et s., 155 et s.
– inexcusable de la victime : 95 et s. – de moyens : 133 et s., 155 et s.
Erreur sur les mobiles : 85 et s. – de résultat : 133 et s.
Événement futur : 127 et s. – de sécurité : 133 et s.
Exception de nullité : 113 et s. Obligation à la dette : 181 et s.
Exécution du contrat : 145 et s. Obligation essentielle : 165 et s.
Exécution successive : 119 et s. Obligations du professionnel : 145 et s.
Exonération : 181 et s., 219 et s. Pouvoirs du juge : 127 et s., 173 et s.
Fait d’autrui : 181 et s. Préjudice : 205 et s.
Fait des choses : 181 et s. – direct : 155 et s.
Fait générateur : 181 et s., 219 et s. – prévisible : 155 et s.
Fait juridique : 181 et s., 189 et s., 219 Présomption de garde : 195 et s.
et s. Présomptions : 181 et s.
Fait personnel : 181 et s. Prix : 145 et s.
Faute : 85 et s. Propriétaire : 195 et s.
– grave : 173 et s. Qualification : 127 et s.
– lourde : 165 et s. Qualité substantielle : 85 et s., 95 et s.
Faute du salarié présenté par une Quasi-contrat : 189 et s., 219 et s.
société de conseil : 155 et s. Régimes spécifiques d’indemnisation :
Faute de la victime : 195 et s., 239 et s. 189 et s.
Formation du contrat : 133 et s. Résiliation : 119 et s.
Garantie des vices cachés : 239 et s. Résolution du contrat : 173 et s.
Garde : 205 et s. Responsabilité :
– de la chose : 133 et s., 231 et s. – du commettant : 205 et s.
– présomption : 195 et s. – du gardien : 219 et s.
– transfert : 195 et s. – du garagiste : 145 et s.
Gardien : 195 et s. – du notaire : 95 et s.
Implication : 239 et s. – des père et mère : 205 et s., 239 et s.
Indemnisation : 181 et s., 219 et s. – du préposé : 219 et s.
Inexécution du contrat : 173 et s. Responsabilité civile délictuelle : 189
Legs : 103 et s. et s.
Libéralité : 103 et s. Responsabilité contractuelle : 77 et s.,
Liberté contractuelle : 145 et s. 133 et s., 145 et s., 155 et s., 165
Lien de causalité : 205 et s. et s., 205 et s., 239 et s.
Modification unilatérale du prix : 145 Responsabilité du fait d’autrui : 205
et s. et s.
Moyens de défense au fond : 181 et s. Responsabilité du fait des choses : 133
Nullité : et s., 195 et s., 205 et s., 231 et s.,
– absolue : 113 et s., 119 et s. 239 et s.
– relative : 113 et s., 119 et s. Responsabilité du fait des produits
Objet du contrat : 145 et s. défectueux : 133 et s., 239 et s.
Index
251

Responsabilité personnelle : 239 et s. Sécurité des produits : 133 et s.


Responsabilité professionnelle : 95 Terme du contrat : 127 et s.
et s. Transfert de la garde : 195 et s.
Responsabilité spéciale du fait des Véhicule terrestre à moteur : 239 et s.
bâtiments : 231 et s. Vice de construction : 239 et s.
Réticence : 95 et s. Victime mineure : 231 et s.
Rétroactivité : 119 et s. Victime par ricochet : 205 et s.
Sanction : 113 et s.
Coordination éditoriale & mise en pages
Catherine Krausz édito EURL
4, allée des Tanneurs – 93390 Clichy-sous-Bois
Droit civil.qxp 17/08/2006 18:13 Page 2

Destinées aux étudiants suivant un enseignement juridique (Licence en


droit, IEP, etc.), Les Annales de droit civil des obligations 2007 regroupent
en un seul ouvrage :
 des sujets d’examen donnés dans une vingtaine d’Universités françaises
ANNALES
corrigés par les enseignants responsables de la matière et traitant de
manière systématique les principaux thèmes de droit civil des obligations;
DROIT CIVIL DES OBLIGATIONS
2007
 des conseils méthodologiques : exposé des techniques de la dissertation,

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documentaire permettant de réussir les différents types d’exercices

2007
proposés dans le cadre du contrôle continu, des examens ou
des concours.
Complément nécessaire du manuel et des cours oraux dispensés,
Les Annales sont un outil de révision indispensable pour préparer
avec succès les épreuves écrites.

CIVIL DES OBLIGATIONS


Ouvrage sous la direction d’Annick Batteur, professeur à
l’Université de Caen-Basse-Normandie.
Ont collaboré à cet ouvrage :
Christophe Alleaume, Annick Bernard, Laurent
MÉTHODOLOGIE
Bloch, Manuella Bourassin, Patrick Chauvel,
Alexis Constantin, Philippe Delebecque,
Jean Hauser, Christophe Lachièze, Xavier &
ANNALES DROIT
Lagarde, Marie Lamarche, Hervé Lécuyer,
Valérie Malabat, Jean-Claude Montanier, SUJETS CORRIGÉS
Renaud Mortier, Guy Raymond, Cécile
ANNALES Robin, François Guy Trébulle.

DROIT CIVIL
DES OBLIGATIONS sous la direction de
2007 ANNICK BATTEUR

www.dalloz.fr Prix : 10 €

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