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INTRODUCTION
La littérature sur le changement organisationnel témoigne d’une très grande diversité
de points de vue. Cette situation se trouve renforcée par le fait que les travaux sur le
changement organisationnel ont épousé le vieux clivage entre processus et contenu à un point
tel qu’il est difficile sinon impossible d’intégrer les travaux sur le changement développés
depuis ces deux postures. Notre étude n’a pu se soustraire à ce débat, car en s’intéressant à
l’analyse de la conduite de la restructuration de Desjardins, elle s’inscrit dans la perspective
d’analyse du changement par les processus.
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Importance de la restructuration de Desjardins
Le secteur des coopératives d’épargne et de crédit occupe un rôle important au niveau
mondial non seulement pour son poids économique, mais également pour le support financier
des petites et moyennes entreprises. En 1998, une étude a démontré que les institutions
coopératives contrôlaient 17 % de l'actif détenu par les 1000 plus grandes banques du monde
(Desjardins, 2006). Au Canada, les coopératives d’épargne et de crédit sont présentent dans
toutes les régions que se soit au niveau des Credit Unions, des Caisses d’économie ou des
Caisses populaires. Pour la province de Québec, le Mouvement des Caisses populaires
2
Desjardins compte quelque 5,4 millions de membres, près de 40 000 employés et plus de
7 000 dirigeants élus (Desjardins, 2005). Selon le magazine The Banker (2005), Desjardins
figure parmi les 100 plus grandes institutions financières mondiales. En 2005, Desjardins
avait un actif total de 118,1 milliards de dollars canadiens et des excédents après impôts et
avant ristournes aux membres de près de 1,1 milliard de dollars canadiens.
Motifs de restructuration
La restructuration dans sa forme élémentaire correspond à l’établissement d’un nouvel
arrangement organisationnel. Différents motifs sont souvent évoqués pour justifier ces
restructurations. Le rapport final (1999) de la Commission européenne intitulé « Études de cas
sur le traitement des conséquences sociales des grandes restructurations d’entreprises »
rapporte des motifs à l’origine des restructurations de vingt entreprises européennes, dont
Renault, Fujitsu et Philips pour ne citer que celles-là. Pour nombreux qu’ils soient, ces motifs
peuvent s’agréger en trois catégories. Étant donné que la formulation de ces motifs porte en
germe d’importantes indications sur la nature des mesures qui seront entreprises, nous
croyons important de les relater ci-après :
- Une situation déficitaire de l’entreprise ou d’une division de la firme figure parmi les
motifs les plus souvent évoqués;
3
Ces motifs renvoient donc, soit à une logique de compétitivité où l’entreprise vise à se
positionner autrement par rapport à la concurrence; soit à une logique de rationalisation de
l’appareil productif aux fins d’amélioration de la performance financière le plus souvent.
Quelle qu’en soit la logique, cette réorganisation s’accompagne de suppressions planifiées de
certains postes et de certaines fonctions (De Vries et Balazs, 1996).
CADRE OPÉRATOIRE
- Pour obtenir l’engagement des acteurs, le projet doit avoir à leurs yeux un but
légitime;
- L’établissement d’un juste équilibre entre les logiques de l’inertie et du changement
afin que le changement pénètre la continuité graduellement et pour qu’en même temps
celle-ci influence le déploiement du changement. En d’autres termes, privilégier la
superposition à la substitution.
- un plan d’action pour assurer la cohérence entre l’intention stratégique et les chemins
stratégiques, il sert également d’outil de communication en faveur de la mobilisation,
la transparence et la rétroaction;
- l’encadrement qui sert à répartir les rôles de coordination entre les niveaux
stratégique, fonctionnel et opératoire d’intervention. La gestion du changement a lieu
aux interfaces entre ces trois niveaux afin de maintenir une cohérence d’action;
- le rythme qui désigne la juste cadence à laquelle le changement doit être mené. Un
changement trop rapide risque de ne pas avoir eu le temps de se bâtir une légitimité
tandis qu’un changement trop lent finit par démobiliser les acteurs. Cela implique
pour l’organisation de pouvoir distinguer les enjeux stratégiques de ceux plus
instrumentaux ainsi que de mettre en place un système de pilotage efficace;
- les cibles qui désignent les objectifs et les résultats escomptés par la transformation
doivent demeurer clairs tout au long de la démarche afin d’orienter les actions des
différents acteurs.
En plus du contexte et des acteurs, il faut créer au sein de l’organisation des conditions
propices à la production d’effets désirables. Au nombre de ces conditions, nous pouvons citer
la clarification des orientations, la sensibilisation des acteurs, l’habilitation des acteurs et
l’intégration des systèmes organisationnels.
Figure 1
Modèle de Rondeau
MÉTHODOLOGIE
Le questionnaire
À partir du modèle de Rondeau (2002) sur les facteurs déterminants d’une
transformation organisationnelle, nous avons élaboré un questionnaire en suivant une grille
d’analyse pour la cueillette des données. Le tableau 1 présente un sommaire de la grille
d’analyse de cueillette de données. Ce questionnaire comporte 22 questions couvrant chacune
des cinq dimensions du modèle de Rondeau (2002) : (1) le contenu, (2) le contexte, (3) le
processus, (4) les acteurs et (5) les effets.
Tableau 2
Sommaire de la grille d’analyse de cueillette des données
L’échantillonnage
Des entrevues semi-structurées ont été réalisées en novembre 2005 auprès de douze
acteurs. Ces acteurs sont des membres de la direction, le pilote de la restructuration, les
destinataires ayant subi le changement de même qu’un observateur externe. Le tableau 1
présente une description sommaire des types d’acteurs rencontrés. En ce qui a trait aux
destinataires, nous nous sommes limités à connaître la perception de ceux vivant dans la
région de l’Estrie qui ont connu ou subi les effets de la transformation pendant la période de
1999 à 2001.
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Tableau 1
Description de l’échantillon
Acteurs n Postes
Direction (Comité de 2 Membres de l’exécutif de la Confédération des caisses populaires Desjardins :
transition) - Président de Desjardins
- Président de la Fédération des caisses populaires Desjardins de l’Estrie
La procédure
Les entrevues ont été menées par deux personnes dont l’un s’occupait de mener
l’entrevue, l’intervieweur, tandis que l’autre prenait des notes, le scribe. Avec la permission
de ces individus, l’intégralité des entretiens a été enregistrée. Pendant le processus d’entrevue,
l’intervieweur s’assurait de poser au moins une question pour chacune des cinq dimensions.
Les entrevues avaient une durée de 30 à 60 minutes. Les notes du scribe ont été utilisées pour
présenter les résultats détaillés. Les entrevues ont été réécoutées par l’intervieweur pour
assurer la validité et confirmer les résultats. Cette approche a également permis de repérer
des citations des acteurs que l’on présentera avec les résultats. À cette fin, nous avons pour
chaque élément constitutif du modèle de Rondeau (2002) défini un indicateur. La technique
de traitement utilisé consiste à repérer au travers des réponses aux questions de l’entrevue des
énoncés ou mots-clés assimilables à l’un ou l’autre des indicateurs. La pertinence d’un
indicateur dans le processus de changement de Desjardins sera déterminée en fonction de sa
fréquence dans les énoncés des différents acteurs rencontrés.
RÉSULTATS
Au-delà de la théorie, comment cette restructuration majeure a été perçue par les
acteurs du mouvement Desjardins? C’est à cette question que nous tenterons de répondre
dans la section suivante portant sur les résultats de l’étude auprès d’individus (direction,
pilote, destinataires et observateur) ayant été concernés de près par les différentes dimensions
du changement.
10
Les données sont interprétées en fonction de leur fréquence d’apparition ce qui permet
de mieux rendre la perception générale des acteurs interrogés (Denzin, 1978). La fréquence
indique le nombre de fois que l’énoncé a été exprimé ou invoqué par un même groupe
d’acteurs. Les réponses des acteurs sont ventilées suivant les cinq dimensions de Rondeau
(2002) : le contenu, le contexte, le processus, les acteurs et les effets.
Le contenu
Sous cette rubrique nous avons cherché à connaître les perceptions des acteurs en ce
qui a trait aux éléments déclencheurs de la restructuration ainsi qu’aux enjeux de la
retructuration.
n % Éléments déclencheurs
10 83% Difficultés financières
9 75% Caisses populaires ont demandé le changement
7 58% Partage du pouvoir et modification du processus
décisionnel
5 42% Uniformiser et standardiser les services
En regroupant les énoncés de tous les acteurs, les résultats indiquent que 10 acteurs sur
12, soit 83%, invoquent les difficultés financières connues chez Desjardins pendant la période
de la fin des années 1990’s comme étant l’élément déclencheur le plus important pour la
restructuration. À ce titre, un des destinataires explique la raison comme suit :
« Desjardins en terme de rendement sur investissement était en arrière des banques,
passablement sur l’ensemble de ses avoirs et à cause de ça était menacé de décote. Il ne faut
pas oublier que c’est une coopérative. Standard & Poor’s regarde ça de la même façon qu’une
entreprise traditionnelle, il juge de la même façon sur les mêmes critères. Même si on dit
11
qu’une coopérative n’est pas là pour faire de l’argent, on ne faisait pas assez d’argent pour
soutenir notre capitalisation et soutenir notre développement. »
Quant à la demande faite par les caisses, elle entretient un certain lien avec la
problématique financière en particulier avec les économies de coûts susceptibles d’être
générées par la restructuration. Selon l’observateur : « Les caisses locales ont commencé à
faire pression pour que les coûts du sommet soient diminués. Ça donné un grand coup de
pouce à la décision de restructuration. » Un membre de la direction renchérit comme suit :
« Les caisses estimaient que si c’était bon pour elles de se fusionner pour devenir de plus
grandes entités et donner de meilleurs services, ça serait aussi vrai pour les fédérations qui
devrait aussi se fusionner.» Il ressort que l’on voulait obtenir des économies de coûts sur une
base durable. Pour y parvenir, il fallait, selon le pilote, non seulement réviser les procédures
opérationnelles des caisses ou des fédérations, mais encore et surtout modifier les processus
décisionnels.
Tableau 5
Les enjeux de la restructuration
n % Enjeux
10 83% Humain
10 83% Opérationnel
2 17% Politique
1 8% Symbolique
Selon les résultats, les acteurs s’entendent pour dire que les enjeux du changement se
trouvaient au niveau humain et opérationnel. Ce score identique entre ces deux variables
s’explique par le fait que celles-ci sont interreliées dans le cas étudié. Un des destinataires
l’explique comme suit :
« L’existence des paliers fédérations et le palier confédération impliquait qu’en revoyant les
opérations et en réorganisant les opérations on avait à faire face à un surplus de personnel
parce qu’il y avait duplication dans chaque fédération. On avait nos propres services de
ressources humaines, nos services de recherches et nos services aux caisses. »
12
Notons aussi que le facteur humain est en lien avec l’enjeu politique tel que
mentionné par un membre de la direction :
« Il y a des pertes d’emplois, c’est vrai pour toutes les régions. On passe ici en Estrie de 128
employés à peu près 28 qui vont relever d’un vice-président régional. Donc, quand on voyait la
nouvelle structure on se disait, nous ultérieurement on est autonome, on prend nos décisions.
Là, on va relever d’un premier vice-président du centre du Québec qui couvrait à ce moment-là
les quatre fédérations que l’on venait de fusionner : la Montérégie, Lanaudière, Centre du
Québec. »
Le contexte
Sous cette rubrique nous voulions voir dans quelle mesure l’organisation était en
mesure de se restructurer. Nous nous sommes donc intéressés aux conditions de la
restructuration, aux intentions par rapport à la restructuration de même qu’aux mécanismes de
soutien de la restructuration.
« Le pouvoir, c’est pas la fédération, c’est les membres avec leurs caisses populaires, c’est
eux qui prennent les décisions. La fédération, c’est notre employeur. Il n’y a plus personne
d’intermédiaire. Ils nous ont fait les CORE mais il n’y a pas de pouvoir de rattaché à cela. »
Tableau 8
Les mécanismes de soutien pour la restructuration
n % Les mécanismes
8 67% Support humain – conseils d’administration,
consultants, comités
4 33% Support technique – système de base de données pour
les postes disponibles
1 8% Support financier - cotisations
Selon le pilote, le succès du projet était tributaire de l’appui d’acteurs des différents
paliers de l’ancienne structure. : « L’appui politique majeur que ça prenait c’est que le conseil
de la Confédération dise oui, que les conseils des fédérations disent oui. » Effectivement, le
support humain était fourni par les fédérations régionales tel qu’indiqué par un destinataire :
« Il y a eu beaucoup de colloques, beaucoup d’informations qui ont circulé. Celles-ci venaient
principalement de nos fédérations de l’époque. On a eu le support nécessaire dans le but de
comprendre tout le cheminement de la fédération ».
Le processus
Au niveau des processus, nous voulions savoir comment ce changement d’envergure était
structuré. A cette fin, nous avons analysé la structuration de l’action et les objectifs de la
restructuration.
La structuration de l’action
En ce qui a trait à la structuration de l’action, nous avons adressé la question suivante :
Est-ce qu’il y avait une structure de pilotage? Si oui, qui était l’arbitre et quel était son rôle
au niveau de la communication, de l’opérationnalisation, de la représentation, de
l’orientation ou autres? Le tableau 9 illustre présente les énoncés les plus importants.
Tableau 9
La structuration de l’action
n % Structuration de l’action
12 100% Équipe de pilotage
10 83% Plan détaillé de mise en œuvre
7 58% Échéancier précis
7 58% Mécanismes de soutien
Tableau 10
Le modèle organisationnel visé par la restructuration
n % Le modèle organisationnel
9 75% Uniformisation des politiques décisionnelles et
d’autorité – centralisation décisionnelle – fusion des 2e P P
et 3e niveaux
P P
Il y avait un modèle organisationnel qui était visé et qui était articulé autour des
préoccupations suivantes : l’uniformisation et la centralisation des politiques décisionnelles,
la délégation de certains pouvoirs via le CORE, l’uniformisation des règles et procédures,
l’ajustement des politiques de ressources humaines, l’élimination des doublons et finalement
un système d’information centrale qui relie les différentes entités. Quant à l’uniformisation
des règles et procédures, un destinataire affirme :
« Tout a été ajusté. Il a fallu passer tout ce qu’il y avait comme littérature dans le
mouvement. Même le règlement de régie interne de la caisse à la base il fallait l’ajuster en
fonction par exemple de la santé générale de la fédération. Parce qu’avec l’arrivée de la
nouvelle fédération, c’était un nouveau règlement de régie interne pour la fédération. Les
politiques qui existaient avant il y a fallu les ajuster au contexte. Il est arrivé des normes qui
n’existaient pas avant qu’il fallait mettre sur pied pour s’assurer de l’uniformité au Québec
dans certains domaines. Tous les textes sans exception ont dû être ajustés. Ça été un travail
colossal. »
Les acteurs
Pour la dimension des acteurs, il s’agissait de vérifier qui était concerné par la
restructuration et dans quelle mesure. Pour ce faire, nous nous sommes intéressés aux agents
de changements, au rôle de la direction dans la restructuration et aux réactions des différents
destinataires.
17
Tableau 11
Les agents de changement
Bien que le pilote et le coordonnateur n’en fassent pas mention, ces cadres permanents
estiment avoir été les agents du changement au sens qu’ils ont eu la responsabilité et
l’influence pour mener la restructuration au niveau local. Cette idée se renforce quelque peu
par un acteur de la direction lorsqu’il a souligné l’importance de l’apport d’une personne de
confiance et crédible comme agent de changement.
Tableau 12
Le rôle de leadership par la direction dans la restructuration
n % Rôle de leadership
4 33% Oui
1 8% Non
1 8% Partagé
Tableau 13
Les réactions des destinataires par rapport à la restructuration
n % Réactions des destinataires
7 58% Positives – transparence et amélioration du réseau
7 58% Négatives – sentiment de perte du pouvoir & GRH
Selon les résultats obtenus au tableau 13, sept acteurs ont évoqué des réactions
positives et des réactions négatives. En ce qui concerne les destinataires, les raisons positives
évoquées sont en lien avec la transparence et le maintien du service à la clientèle, la synergie
avec les filiales permettant d’améliorer les offres de services financiers; ce qui se traduit par
un réseau plus fort, plus solide financièrement. Ce destinataire renchérit l’importance de la
transparence aux membres :
19
« En caisse ça a pratiquement rien changé sauf l’aspect financier, sauf l’aspect de certaines
normes et de politiques qui venaient s’uniformiser. Pour le membre ça été transparent.
Transparent au niveau de tout le mécanisme. »
Les effets
Les impacts de la restructuration au niveau personnel
La question suivante à permis de connaître les impacts de la restructuration au niveau
personnel : Est-ce que la transition a eu un effet pour vous au niveau du rôle, des
responsabilités, des rapports d’influence ou autres? Si oui, lequel? Le tableau 14 présente la
perception des acteurs en rapport avec leurs rôles, responsabilités et capacité d’influence.
Tableau 14
Les impacts de la restructuration au niveau personnel
n % Impacts de la restructuration
4 33% Dilution du pouvoir d’influence
1 8% Perte de prestige
1 8% Crédibilité rehaussée
1 8% Stress - Pression de fusionner
Ce sont les destinataires qui ont évoqué l’énoncé de la dilution du rapport d’influence.
Pour la perte de prestige, c’est un membre de la direction qui l’a soulevé en référence aux
destinataires. En effet, suite à la restructuration et l’élimination des postes décisionnels au
niveau des fédérations régionales, les cadres de direction correspondants devenaient
dorénavant des « employés » de la nouvelle fédération. Le pilote, pour sa part s’estime
satisfait du travail accompli, et ressent qu’il a rehaussé sa crédibilité au sein du mouvement.
20
Tableau 15
Les conséquences positives du changement
Les acteurs semblent être unanimes à dire que la conséquence positive prédominante
est l’uniformité des services. Un des destinataires mentionne qu’avant, deux caisses de
proximité pouvaient offrir des taux d’intérêt différents. Il y avait donc une concurrence
interne au sein du mouvement et un effet de cannibalisme et d’érosion des marges de
rentabilité. Avec la centralisation des décisions stratégiques, toutes les caisses au sein du
mouvement offrent les mêmes taux, les mêmes frais administratifs, etc. Ainsi, il y a
homogénéité de service pour les membres-clients. Le processus décisionnel devient plus
souple et le mouvement est davantage capable de s’adapter plus rapidement aux effets du
marché et à la concurrence. Voici ce qu’en disent les deux membres de la direction :
« Les caisses sont plus capables de rendre les services à la population. Aujourd’hui on rend
tous les services. »
« L’avenir a donné raison au fait que la compétition est plus féroce que jamais. Si on n’avait
pas la marge de manœuvre que l’on a actuellement, je ne sais pas où que l’on serait allé. La
dualité de Desjardins c’est d’avoir un réseau fort et une caisse forte aussi. Une caisse est
autonome encore aujourd'hui, mais si elle n’a pas son réseau elle peut rien faire. »
21
Tableau 16
Les conséquences négatives du changement
Le pilote quant à lui, évoque une perte de pouvoir décisionnel sauf pour ce qui touche
« l’implication dans le milieu ». Les destinataires quant à eux, évoquent une perte réelle du
pouvoir. Comme certains ont mentionné, le seul pouvoir réel qu’ils ont est la gestion des
dons et des commandites. Un destinataire tenait à préciser la perte du pouvoir décisionnel
qu’apporta la nouvelle structure :
« On a pas de pouvoir là, on se rencontre moins souvent qu’on se rencontrait comme
membre du conseil d’administration de la fédération de l’Estrie. On reçoit des rapports
financiers. On est consulté sur un certain nombre de sujets, mais on n’a pas de pouvoir de
décisions. Notre seul pouvoir de décisions avec cette nouvelle structure-là au niveau du
Conseil des représentants (CORE) c’est au niveau des dons et commandites. La fédération
accorde à chaque CORE une somme d’argent qu’on peut distribuer dans le milieu soit en
dons ou en commandites. Pour l’Estrie, c’est 125 000$. »
Les possibilités d’effets pervers se trouvent à deux niveaux. D’abord, depuis la fusion
des caisses, plusieurs caisses sont devenues très puissantes financièrement. Il pourrait y avoir
un danger qu’elles exigent d’être plus autonomes et modifier les normes et les services pour
mieux répondre aux spécificités de leur région et de leur clientèle. Ensuite, à cause du haut
niveau de standardisation des normes, règles, produits et services, les grandes caisses pourront
ne pas être en congruence avec les spécificités des caisses rurales.
DISCUSSION
Ce portrait nous a permis de constater que la révision des structures de 2e et 3e niveauP P P P
correspond à une restructuration majeure qui a affecté à la fois la structure, les stratégies, et
les systèmes – tel qu’indiqué à la figure 4.
En ce qui a trait aux structures, l’organisation est passée d’une structure de trois
paliers comprenant 10 fédérations régionales, une fédération des caisses d’économie et de la
confédération des caisses à un design à deux paliers comprenant les caisses et une fédération
unique. En conséquence, il a fallu redéfinir toute l’organisation du travail, procéder à un
nouveau découpage territorial qui crée des ensembles équilibrés pouvant assurer l’expression
de la vie démocratique, définir une microstructure organisationnelle afin de dresser un portrait
des besoins en personnel et de procéder efficacement à l’affectation de celui-ci, etc.
Figure 4
Ampleur des modifications
3P
3S Projet
Stratégies Pilote, plan, échéancier, ….
Ceci était commandé non seulement par le besoin de réduire les coûts opérationnels de
soutien, mais aussi le besoin d’une plus grande cohérence au niveau stratégique. Dès lors, il a
été possible de développer une offre unique de Desjardins, passer d’un mode transactionnel à
un mode conseil vis-à-vis des clients, redéfinir les processus d’affaires, établir la gestion des
risques, etc. Les systèmes ont dû aussi être adaptés, en particulier les systèmes informatiques
qui devaient alors intégrer de nouveaux services compte tenu de la modification de l’offre et
surtout la fonction conseil et certaines fonctions administratives. Mieux encore, cette
restructuration a constitué un projet qui était perçu légitime par 80% des parties prenantes à
l’organisation et c’est ce qui expliquerait que certains cadres ont volontairement collaboré au
projet tout en sachant que l’issue pourrait être l’abolition de leur poste. En plus de considérer
la dimension technique, ce projet mettait l’accent sur le besoin de réaffecter le maximum du
personnel et la nécessité de mesures d’accompagnement. Le projet a suivi tout un processus
d’orientation, d’habilitation et d’intégration pour implanter de manière radicale et irréversible
le changement.
Les changements radicaux ou de deuxième ordre ont pour origine soit une vision soit
une crise (Nutt et Backoff, 1997). Dans le cas de la refonte des structures de 2e et 3e niveau de
P P P P
Desjardins, deux déclencheurs ont joué. En effet depuis 1975, la vision de cette
restructuration est présente dans différents rapports d’étude dont celui de Drouin et Paquin
suivi du rapport Blais (Poulain et Tremblay, 2005). Cependant, cette vision ne pesait pas
assez pour induire le changement. Il a fallu donc les pressions de l’environnement
économique, en particulier les risques de décote de Desjardins, la multiplication des coûts
d’exploitation exorbitants entre autres facteurs pour sensibiliser les acteurs à la nécessité d’un
tel changement.
Il nous a été permis de comprendre que dans le cas d’une transformation majeure, il
n’est pas possible de s’enfermer dans une typologie du changement organisationnel comme
on les retrouve dans la littérature. Plusieurs aspects appartenant à différents modèles
génériques sont susceptibles de se manifester. Toute la problématique des activités
d’influence est présente tout le long de la transformation de Desjardins. Nonobstant cela, le
changement a été planifié et conduit comme tel. Pour le légitimer, il a fallu aux dirigeants de
tenir compte des représentations des nombreux acteurs afin d’aboutir à une orientation qui ait
du sens pour la majorité. D’où l’intérêt d’un modèle comme celui de Rondeau (2002) qui en
24
lieu et place de mettre un nom sur les choses indique les dimensions critiques d’une
transformation radicale.
La portée de nos résultats est à considérer avec soin, car nous n’avons pu rencontrer
qu’une douzaine de personnes, on pourrait questionner la représentativité de cet échantillon.
De plus, nous nous sommes limités qu’à une seule région, l’Estrie, pour connaître la
perception des destinataires. Il nous paraît évident que nous aurions eu des points de vue
différents des autres régions comme Montréal, Québec, Trois-Rivières, la Gaspésie ainsi que
les fédérations des provinces du Manitoba et de l’Ontario. Toutefois, nous avons pris le soin
de rencontrer trois catégories d’acteurs principaux du changement en plus d’un observateur.
Nous n’avons pu rencontrer de véritables victimes comme des gens qui auraient perdu leur
emploi sans pouvoir être réaffectées, etc. La méthodologie de codage des énoncés à partir de
mots-clés peut contenir un certain pourcentage d’erreur, car souvent les mots n’ont pas
toujours le même contenu sémantique d’un individu-chercheur à un autre.
Une des avenues de recherche pour ce travail serait une étude empirique incluant
plusieurs projets de changement organisationnel. Ceci pourrait permettre d’identifier les
dimensions du modèle de Rondeau (2002) qui sont les plus pertinentes en terme de leur
représentativité dans des projets de changement réel. On pourrait du même coup tenter
d’identifier si l’absence de certaines dimensions est corrélée aux projets de changement qui
ont échoué.
25
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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