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Traiter les données :

entre économie
de l’attention
et mycélium
de la signification
Yves Citton

Dans la surabondance de données mises à notre L’économie de l’attention


disposition par l’informatisation de nos socié- Au carrefour des sciences de l’information, du
tés, comment parvenir à filtrer les quelques marketing, de la psychologie, de la rhétorique
éléments pertinents nécessaires à nourrir nos et de l’histoire de l’art, un champ de recher-
réflexions et inventions à venir, tout en parve- che émerge autour de la notion d’économie de
nant à laisser en arrière-fond la masse écrasante l’attention. Les prémisses en sont assez sim-
de données sans pertinence ? Le problème tient ples. La reproduction de nos sociétés d’abon-
à ce que la définition même des pertinences dance est en train de se recentrer autour d’une
ne préexiste pas aux données. Elle est en par- nouvelle rareté : alors que, jusqu’ici, c’étaient
tie issue des nouvelles données elles-mêmes, ce les ressources matérielles qui faisaient l’objet
qui conduit à affoler toutes nos boussoles. La de la rareté étudiée par des économistes avi-
question centrale peut donc se formuler de la des de nous « donner » davantage de biens à
façon suivante : comment « traiter » les données consommer, c’est aujourd’hui le temps d’at-
(nouvelles) sans que ce traitement ne neutralise tention qui constitue l’objet d’appropriation
leurs virtualités émergentes ? Autrement dit : central, autour duquel font rage les principaux
comment concevoir une « multiversité » assez conflits traversant nos économies (culturelles)
ouverte et accueillante pour être « créative », saturées de données.
sans pour autant se dissoudre dans le multiple Quoique liée au temps, l’attention ne s’y
d’une diversité amorphe ? On peut aborder cette réduit nullement, puisqu’elle présente diffé-
question en esquissant trois pistes superposées. rentes formes (captive, volontaire), différentes

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intensités (flottante, concentrée), différentes et inclure dans ce qu’on sélectionne (tous) les
modalités (craintive, jouisseuse) qui en com- éléments qui apparaîtront comme les plus per-
plexifient le fonctionnement. Dans la mesure tinents. C’est le défi que les économistes met-
où les subjectivités humaines (dotées d’une tent au (mé)compte de l’internalisation des
capacité d’attention limitée) jouent un rôle « externalités ». Plus largement, c’est là tout le
central dans le développement de nos multi- défi des systèmes de plus en plus élaborés – et
versités créatives, savoir mobiliser les outils de plus en plus abracadabrants – mis en place
conceptuels, voire les outils de mesure, déve- au nom du « marché » et de « la finance » pour
loppés par la discipline émergente de l’éco- coordonner nos comportements, nos désirs et
nomie de l’attention constitue une première nos valeurs.
façon d’apprendre à « traiter les données » sans
sombrer dans leur surabondance étouffante.
La captation de l’attention figurait déjà Le paradoxe
au cœur d’une des plus anciennes discipli- de la pertinence virtuelle
nes connues : la rhétorique. Qu’on rédige des Contrairement à ce que laissent entendre éco-
slogans politiques ou publicitaires, qu’on nomistes et techniciens du marketing, l’éco-
développe de nouvelles interfaces numéri- nomie de l’attention ne touche toutefois pas
ques, qu’on imagine de nouveaux modes de au fond des questions posées par le traitement
visualisation des big data, on retrouve à cha- des big datas. Il est certes essentiel d’inventer
que fois les problèmes de base des techniques de nouvelles façons de visualiser les nouvelles
rhétoriques : comment accrocher l’écoute ou données qui informent notre monde numé-
le regard, comment simplifier, décanter, pré- risé, mais d’autres couches de problèmes sont
senter les données afin de frapper l’esprit pour à prendre en compte pour dépasser notre
qu’il reste attentif et pour que le message s’im- désarroi actuel face au double embarras de nos
prime en lui ? Vue depuis la planète Saturne et richesses informationnelles et de nos pauvre-
à la vitesse d’une décennie par seconde, l’his- tés relationnelles.
toire du dernier millénaire ressemble à une Que ce soient des subjectivités humaines
excroissance exponentielle des dispositifs mis ou des algorithmes qui entreprennent de trai-
en place pour coordonner nos collaborations ter ces données, dans tous les cas, ce sont des
intégrées de façon de plus en plus large, de plus humains qui doivent fixer les pertinences char-
en plus complexe et de plus en plus intime : les gées d’orienter les traitements en question. La
« données » sont ce par quoi nous captons l’at- notion de pertinence, telle qu’elle a été concep-
tention, l’intérêt, les désirs de nos semblables, tualisée par la linguistique structurale issue de
pour les inciter (ou les forcer) à collaborer aux Saussure, Troubetzkoy et Prieto, s’articule inti-
activités qui sustentent nos existences. mement avec le choix de certaines pratiques, et
L’économie de l’attention est donc struc- donc de certaines finalités. Linguistes et sémio-
turée par une tension contradictoire qui régit logues admettaient que la pertinence était fixée
la façon dont elle simplifie les big data et par avance en fonction d’une pratique spéci-
agence les visualisations : il faut à la fois aller fique, celle de la communication, comme l’il-
assez vite pour accrocher l’attention, frapper lustre l’exemple classique de la différence entre
assez fort pour marquer les comportements, phonétique et phonologie. Les instruments

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phonétiques permettent d’observer une qua- une pertinence à la puissance deux – une perti-
si-infinité de différences entre deux façons de nence virtuelle capable de suspendre les perti-
prononcer le mot « traiter » (hauteur de la voix, nences prédéterminées pour capter l’émergen-
nasalisation, tempo, enrouement, etc.). Parmi ce de possibilités encore insoupçonnées.
cette quasi-infinité de différences matérielles, la Cette pertinence virtuelle est forcément
phonologie ne considère comme « pertinentes » paradoxale, puisqu’elle se fixe pour finalité de
que les différences qui entraînent une altération dépasser les cadres de finalité à partir desquels
dans la conception du sens que l’émetteur essaie nous déterminons nos pertinences actuelles.
de communiquer par son acte de parole : même En réponse au dieu pascalien affirmant que
si la différence entre une même personne pro- « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais
nonçant /t/ ou /p/ est bien plus « petite » que la déjà trouvé », elle nous invite à trouver ce que
différence entre une soprano joyeuse et un bary- nous ne savions pas chercher. On mesure le
ton enroué prononçant le même mot « traiter », paradoxe : on « traite » toujours les données
la première différence sera « pertinente » parce en fonction d’une certaine finalité/pertinence
que, du point de vue du sens à transmettre, prédéterminée, laquelle est indispensable pour
/t/ communique l’idée de traiter alors que /p/ réduire ce vers quoi on dirige son attention ; on
communique l’idée de prêter. doit toutefois au contraire se rendre ici atten-
C’est le choix d’une certaine pertinence tif à ce que nos modes de traitement excluent
prédéterminée qui constitue le champ d’une de notre attention. Faire apparaître une per-
discipline (la linguistique ou la sémiologie tinence virtuelle implique donc de suspendre
ayant par exemple pour fonction d’étudier les nos façons préexistantes de traiter les données :
comportements humains en fonction du résul- on ne les traitera (de façon innovante) qu’en
tat des pratiques communicatives). Sitôt qu’on acceptant de ne pas les traiter (selon les modes
sort du cadre nécessairement étroit de telle ou de traitement disponibles).
telle discipline particulière, il devient très pro-
blématique de déterminer du point de vue de
quel résultat nous déterminerons ce qui sera Le mycélium
(ou non) considéré comme pertinent. Générer de la signification
des profits, comme le suggèrent les apôtres du Un tel paradoxe n’a rien d’inédit ni d’insur-
marché et de la finance ? Pourquoi pas, mais montable : futurologues, prospectivistes et
pour qui ? Sur quel horizon temporel ? Avec autres prophètes des technologies émergentes
quels bénéfices ou dommages collatéraux ? Face font de leur mieux pour entrevoir des perti-
à chaque ensemble de données, nous devons nences aujourd’hui virtuelles, dont ils annon-
adopter un point de vue forcément particulier, cent avec plus ou moins de succès l’actualisa-
organisé par certaines finalités prédéterminées. tion prochaine. En complément à leurs efforts
Dès lors qu’il est question d’« innovation » ou de voyance relevant de la science-fiction, on
de « création », nous savons toutefois d’expé- peut esquisser une autre approche, moins bien
rience que les résultats les plus intéressants de balisée, puisant son inspiration et ses métho-
l’innovation seront ceux qui dépasseront le des dans les humanités littéraires. La question
cadre intentionnel (forcément étroit) qui leur de la pertinence est en effet intimement liée à
aura donné naissance. Nous avons ici affaire à celle de la signification.

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Il ne peut y avoir de communication, d’in- du nom de ce réseau de filaments qui, sous la


formation ou de traitement de données qu’à surface du sol, s’étendent et se ramifient dans
propos de réalités qui nous paraissent « faire toutes les directions, avec pour résultat de
sens ». La distribution des cailloux blancs, gris générer la poussée imprédictible des champi-
ou noir dans un tas de gravier, la disposition des gnons. Ces filaments en expansion constante
étoiles dans le ciel nocturne ou l’assemblage de ébauchent le frayage des pertinences virtuel-
lettres mamakullkikamay « ne font pas sens » les. C’est sur leur fond que nos significations
pour la plupart d’entre nous. Qu’un ensem- prennent sens.
ble de cailloux blancs nous paraissent soudai- Le mycélium constitue une certaine « tex-
nement alignés pour dessiner la figure d’une ture » qui ne s’observe pas dans la « réalité
croix, que l’on reconnaisse la silhouette d’une objective » des données elles-mêmes, ni dans
casserole reliant un groupe d’astres ou que l’on les matériaux dont se composent les objets avec
parle et écrive le quechua (où mamakullkika- lesquels nous agissons, mais dans leur mode
may fait apparemment référence au « capita- d’émergence à travers nos pratiques. Le sens
lisme »), et les mêmes réalités « prennent sens ». que nous reconnaissons « dans » les données
Nous sentons que quelque chose a de la signifi- résulte des frayages de ramifications souterrai-
cation bien avant de pouvoir expliciter et com- nes – virtuelles, mycéliumniques – dont seules
muniquer à autrui en quoi consiste cette signi- quelques disciplines aujourd’hui marginalisées
fication. Cette signification n’est pas assignable (la psychanalyse, l’exégèse, les études littérai-
aux données elles-mêmes, mais plutôt à l’hori- res) cultivent encore l’exploration. J’aimerais
zon dans lequel elles s’inscrivent, au fond sur soutenir ici la thèse que c’est en s’efforçant
lequel notre perception fait émerger leur figure. d’intégrer cette couche la plus profonde, mycé-
Chaque fois qu’on sent que quelque chose « fait liumnique, de la constitution de nos données
sens » (est « important », « significatif »), même qu’on se donnera les moyens de traiter ces don-
si la signification ponctuelle nous en échappe, nées de la façon la moins insatisfaisante.
c’est qu’une pertinence s’affirme, émerge, se
fraie un chemin à travers nous (nos pratiques,
nos besoins, nos désirs, nos problèmes). La polysémie
Qu’ils soient informaticiens, statisticiens, du « traitement »
économistes, publicitaires ou artistes, tous ceux Pour illustrer par un exemple concret com-
qui travaillent explicitement au traitement des ment une sensibilité à ce mycélium sémiotique
données s’efforcent de rendre compte des tissus peut nous aider à nous frayer un chemin dans
de significations qui permettent à nos sociétés la surabondance écrasante des big data et dans
et à nos intersubjectivités de « tenir ensemble ». la forêt obscure des pertinences virtuelles, je
C’est à ce niveau que se nouent nos pertinences résumerai les trois pistes explorées ci-dessus en
– en deçà de nos modes de connaissance et de les revisitant à la lumière de la polysémie offer-
calcul prédéterminés, mais à partir d’un fond te en français par le terme traitement.
qui n’est nullement indéterminé pour autant. La ramification de filaments qui sous-tend
La façon la moins inadéquate de se représenter nos perceptions du monde se tisse en effet à la
cette dynamique de frayage des significations fois au fil de nos pratiques quotidiennes, des
est de la concevoir sur le modèle du mycélium, problèmes que nous rencontrons, des colla-

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borations que nous construisons, et des mots d’une certaine activité (en termes de salaire ou
que nous mobilisons pour rendre compte de de profit). Le mycélium sémantique du « trai-
ces pratiques, de ces problèmes et de ces colla- tement » débouche ainsi sur celui de la « trai-
borations. Ce que la linguistique structurale, à te », celle des vaches dont nous tirons notre lait
la suite de Saussure, a nommé « l’arbitraire du mais aussi celle du continent africain dont les
signe » ne doit en effet pas nous rendre aveugle Européens des siècles passés ont tiré la main
aux motivations toujours profondes qui ont d’œuvre esclave qui nous a « donné » sucre,
pu conduire certains sujets parlants à étendre tabac et coton.
l’emploi de certains mots dans des directions Se sensibiliser, grâce à une approche lit-
apparemment contradictoires entre elles. Ce téraire, au mycélium de la signification nous
mouvement d’expansion, producteur d’équi- conduit donc à restituer la présence souter-
voques et de polysémies, illustre au mieux la raine (mais bien réelle, quoique difficilement
dynamique mycéliumnique de constitution visible) des sombres ramifications du système
du sens par frayages virtuels, par ramifications esclavagiste sous les « données » superficielles
souterraines et par émergences imprévisibles. du sucre qui adoucit nos petits-déjeuners. Du
Observons donc ce que nous apprend ce fait de notre pratique de la langue française,
mycélium particulier qu’est le réseau de sens notre attention est pré-dirigée vers une asso-
tissé autour du verbe français traiter. « Traiter ciation (obscure) entre la traite des vaches et
des données », c’est bien entendu les trier, les celle de l’Afrique : cela explique que les jeux de
filtrer, en sélectionner certaines comme per- mots (basés sur l’équivoque et la polysémie)
tinentes, pour en rejeter d’autres comme sans constituent l’arme de choix de tous ceux qui,
pertinence. Un « traitement de texte » (word publicitaires ou propagandistes, s’efforcent
processor) nous permet ainsi de gérer des fonc- d’accrocher et de capturer notre attention.
tions s’appliquant à des données alphabéti- Toute cette dense texture de ramifications
ques, de les agencer comme on manage une sémantiques configure également par avance le
équipe d’employés. frayage progressif de nos pertinences virtuel-
Cette gestion implique une altération les : quelque chose, dans les couches de notre
imposée aux matériaux préexistants, de façon histoire collective passée ou dans la logique de
à obtenir des effets de productivité, de protec- nos pratiques présentes, a mis en relation des
tion, de résistance, comme lorsqu’on fait subir à réalités aussi diverses que des informations sta-
des métaux, à des plantes ou à des semences un tistiques, des matériaux physiques et des corps
« traitement chimique ». Traiter une maladie, malades – que nous avons tous besoin (pour
c’est soumettre l’organe malade à une altéra- des raisons très diverses, mais en employant à
tion qui restaure sa santé. Traiter un problème, chaque fois le même mot) de « traiter ».
c’est s’efforcer de résoudre le dysfonctionne- L’important est qu’on puisse légitimement
ment qu’il incarne ou qu’il cause. dire deux choses apparemment contradictoires
Les questions et les substances « traitées » entre elles, et pourtant également vraies. D’une
de la sorte se prêtent à une exploitation plus part, je peux affirmer que le rapport entre des
intensive des ressources qu’elles nous offrent : réalités aussi diverses et éclatées que les big data,
au plus près de l’étymon latin (tractare), le les bains chimiques, les salaires de fonctionnai-
traitement désigne ce qu’on parvient à retirer res, les vaches laitières et la colonisation escla-

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vagiste, n’existe nulle part en dehors du mycé- rologiques de nous guider dans nos réflexions
lium propre à la langue française. Un locuteur sur les défis des pertinences à venir. Les prati-
ignorant le français et ne disposant donc pas ques traditionnelles, les intuitions obscures, les
du nœud de connexions constitué par le mot prudences endémiques, les audaces surréalistes
traiter trouvera le rapprochement de ces réa- qui se sont progressivement sédimentées dans
lités hétérogènes parfaitement saugrenu, arbi- nos langues et dans nos littératures constituent
traire et immotivé. C’est le propre d’une langue – en dialogue constant avec les savoirs scien-
que de frayer des significations qui paraissent tifiques élaborés par la modernité – un réser-
s’imposer presque naturellement à nous, alors voir de significations virtuelles capables de
qu’elles résultent en réalité d’associations très nous fournir une précieuse orientation dans le
particulières et nullement universelles. champ virtuel des pertinences émergentes.
Contre un scientisme étroit qui a pu nous Ce qu’on regroupe vaguement sous le
faire croire que, de ce fait, le rapport entre ces registre des « humanités » (les lettres et les arts,
réalités hétérogènes n’existait pas du tout, je l’histoire et la philosophie) constituent une
peux toutefois affirmer simultanément que somme d’outils indispensables pour nous aider
cette ramification complexe existe bel et bien à à négocier les conséquences éminemment pro-
un double niveau, non seulement au niveau de blématiques des trois derniers siècles de moder-
la langue (française) qui médiatise nos efforts nisation. Seule une meilleure conscience du
de communication mais, plus profondément, mycélium de la signification peut permettre à
dans la réalité des pratiques, des besoins, des nos différentes cultures de se « traiter » les unes
désirs, des problèmes, bref des pertinences qui les autres d’une façon humaine. La façon dont
se tissent entre nous, au fil de nos collabora- nous traitons les données introduites dans nos
tions de plus en plus complexes et de plus en ordinateurs est intimement liée à la façon dont
plus intimement intégrées. Or, du fait de cette nous nous traitons entre nous. Qu’il s’agisse
intrication croissante, c’est précisément ce qui de rédiger des traités de citoyenneté planétaire
n’existe qu’entre nous – à l’image du frayage face aux destructions écologiques imposées à
mycéliumnique de significations partagées  – nos modes de vie, ou qu’il s’agisse d’humaniser
qui compte le plus pour la constitution de la façon dont nous nous traitons nous-mêmes,
notre monde humain. dans les deux cas, l’apport propre des humani-
tés, considérées comme les disciplines les plus
sensibles aux frayages du mycélium sémioti-
Pour un traitement que, devrait être considéré comme central pour
littéraire des nourrir les multiversités créatrices qui ont fait
multiversités créatives la richesse des cultures humaines.
Comment « traiter les données » en régime de De même que, par un retour de manivelle
surabondance (trop inégalement partagée), de typique des tensions inhérentes à la moder-
façon à cultiver des multiversités créatives plu- nisation, les fab labs nous re-sensibilisent aux
tôt que des exploitations appauvrissantes ? Les textures propres aux matériaux traditionnels
différents frayages littéraux et littéraires esquis- (tel type de bois, de pierre, de tissu), de même
sés par le mycélium du verbe « traiter » méritent le traitement numérisé des big data nous
peut-être autant que les sciences-fictions futu- conduit-il à revisiter la texture mycéliumni-

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que qui trame le monde de nos significations. tions du monde – mycélium dont, à ce jour,
C’est donc une approche en trois strates qui les études de lettres (dont le financement est
émerge de cette brève réflexion : sous les ques- actuellement en déclin) ont été les principales
tions relevant de l’économie de l’attention représentantes. Les humanités littéraires sont
(auxquelles s’attachent ceux qui travaillent plus que jamais nécessaires pour humaniser
aux nouveaux modes de visualisation des le traitement de données scientifiques, dont
données), il faut repérer les questions relevant l’exploitation désorientée menace aujourd’hui
des pertinences qui orientent notre attention. directement notre survie collective. Pour être
Ces deux strates sont toutefois elles-mêmes créatives et humainement enrichissantes, les
tramées par le mycélium de la signification multiversités à venir devront impérativement
le long duquel se frayent nos interpréta- apprendre à se littérariser.

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