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Le Parc national du Djurdjura: Une biodiversité à mieux faire connaître

Article · December 2017

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2 authors, including:

Bara Mouslim
Université de Bouira
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Première preuve de nidification du chardonneret élégant Carduelis carduelis (Fringillidae) dans la Mahouna (Guelma, Nord-Est de l’Algérie)
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dossier
Photo : Association des amis du Djurdjura

Le Parc national du Djurdjura


Une biodiversité à mieux faire connaître
Mouslim Bara*, ** et Amine Noual Khiter*
L’Algérie, de par sa grande superficie (2 741 381 km2) jouit * Faculté SNV-ST, Université de Bouira.
** Laboratoire BEE, Faculté SNV-STU,
d’une large gamme de biotopes et de bioclimats1, favorisant Université de Guelma.
l’existence d’un ensemble d’écosystèmes et la différenciation Courriel : m.bara@live.com
d’un grand nombre d’espèces animales et végétales2. Le nord
de l’Algérie renferme plusieurs écosystèmes forestiers et un
ensemble de zones humides qui entretiennent cette diversité3.
En Kabylie, le Parc national du Djurdjura, situé entre la wilaya
Les auteurs de cet article tiennent
de Bouira et celle de Tizi-Ouzou, est un majestueux site naturel
à remercier Brahim Zahi, Rachid
couvrant 18 550 ha, riche d’une grande variété de paysages
Ferradji et Meziane Bandou,
et d’espèces, certaines endémiques de la région du Djurdjura, ainsi que tous les photographes
d’autres endémiques de l’Afrique du Nord. « Amis du Djurdjura » :
amis-du-djurdjura.over-blog.com
Ces espèces endémiques jouent un rôle primordial dans
le maintien des fonctionnalités des écosystèmes, et
représentent aussi un centre d’intérêt culturel, touristique
et écologique pour les populations locales. Malheureusement,
la richesse écologique du Parc est menacée, confrontée à
plusieurs transformations de son territoire causées notamment
Photo ci-dessus : Le paysage du Parc national
par le surpâturage, les feux de forêt et un urbanisme mal du Djurdjura, un massif forestier de l’Atlas
maîtrisé qui dégradent les milieux de jour en jour. algérien.

36 le courrier de la nature n°0 °307 - novembre-decembre 2017


Une richesse climatique, Une grande biodiversité
géologique et biologique floristique…
Le Parc national du Djurdjura est un établissement public dont le La systématique proposée ici se rapproche de celle présentée
cadre administratif a été défini par le décret ministériel n° 460/83 dans un récent rapport de l’UICN6. La Kabylie-Kroumirie, où se
du 23 juillet 1983, sous la tutelle de la Direction générale des situe le Parc naturel, abrite un ensemble d’espèces végétales
forêts et du ministère de l’Agriculture4. Il forme un massif forestier caractéristiques de la région, dont quelques endémiques de rang
situé au niveau de la chaîne de montagnes de l’Atlas tellien. Ce infra-spécifique à protéger7. Citons, par exemple un agropyron
massif est fractionné en trois parties : le massif oriental (point (Roegneria marginata subsp. kabylica), une aristoloche (Aristolochia
culminant : Lalla Khedidja à 2 308 m), le massif central (point longa var. djurdjurae) et un pâturin (Poa ligulata var. djurdjurae).
culminant : Ras Timédouine à 2 305 m) et le massif occidental La végétation du Parc est structurée en strates arborescente, arbustive et
(point culminant : Haizer à 2 164 m). Le sol de ce massif, pour herbacée. Les formations sylvatiques sont des chênaies et des cédraies
partie de nature calcaire, est constitué de terrains fortement plissés pures (à cèdre de l’Atlas – Cedrus atlantica) ou des associations
et fracturés5. Gneiss, granits et grès sont également présents. La de chênaies-cédraies. Au sein du Parc, une réserve intégrale
région du Djurdjura se caractérise par des précipitations (pluie et délimitée par une clôture héberge une sous-espèce endémique et
neige) annuelles, variables selon l’altitude, pouvant atteindre les emblématique maroco-algérienne de pin noir (Pinus nigra subsp.
1 500 mm, ce qui la place parmi les régions les plus arrosées mauretanica). Les pinacées (principalement le pin d’Alep – Pinus
d’Algérie. La température peut descendre en dessous de 0 °C halepensis – et le cèdre de l’Atlas) et les fagacées (représentées
durant la période hivernale (de décembre à la fin février) mais par le chêne liège – Quercus suber –, le chêne zéen – Quercus
dépasse rarement 24 °C en été, en altitude. canariensis –, et le chêne vert – Quercus ilex) sont majoritaires, mais
Joyau du Parc, le lac Ouguelmim est un fabuleux écosystème on y observe aussi certaines familles accompagnatrices telles que
hydrique temporaire, qui culmine à une altitude de 1 600 m. les cupressacées avec le genévrier oxycèdre (Juniperus oxycedrus),
Lieu de culte et de plaisance pour les randonneurs du Parc, il les taxacées comme l’if commun (Taxus baccata), ou encore les
possède une flore et une faune particulières, adaptées aux rudes aquifoliacées représentées par le grand houx (Ilex aquifolium).
conditions du climat local. En effet, il est enneigé durant toute la La présence, unique pour l’Afrique du Nord, du genévrier sabine
période hivernale et le début de la période printanière. (Juniperus sabina) est à signaler. Parmi les plantes herbacées on
peut apercevoir plusieurs armoises dont Artemisia absinthium et
Lexique A. atlantica, ainsi que la férule (Ferula communis), plus commune.
À partir du début du mois de mars on observe sur une large partie du
Wilaya : première division administrative du système territorial
algérien, la wilaya regroupe plusieurs communes. Parc le calicotome épineux (Calicotome spinosa) en fleur.

Photo : Mouslim Bara

Le lac Ouguelmim, pièce d’eau temporaire située à 1 600 m d’altitude au sein du Parc.

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Le Parc du Djurdjura

Photo : Association des amis du Djurdjura

… et faunistique
Le Parc regorge d’animaux nocturnes et diurnes qui font sa
réputation. Les visiteurs de ce sanctuaire peuvent facilement
observer les grands rapaces qui sillonnent le ciel, entendre et
contempler les petits passereaux qui enchantent la vue. Durant
cinq mois successifs (de février à juin 2016), nos investigations,
menées chaque quinzaine sur un transect de 30 km qui rend
possible les observations sur la majeure superficie du Parc, nous
ont permis de recenser 20 espèces animales diurnes. Parmi ces
animaux, les oiseaux sont les plus représentés (50 %) dans nos
relevés, suivis par les mammifères (35 %). Les résultats de cette
étude reposent principalement sur nos observations personnelles
ou des questionnaires renseignés à l’aide de la population locale.
Photo : Mouslim Bara

Une salamandre algire (Salamandra algira), l’une des sept espèces


d’amphibiens observées au sein du Parc.

quelquefois mentionné dans la littérature, mais nous espérons


que des suivis portant spécifiquement sur les rapaces de la
région pourront avoir lieu dans un avenir proche8.

Nous avons aussi observé la présence d’une petite population


menacée par le braconnage (invoquant le besoin de protection
des troupeaux) d’hyènes rayées (Hyaena hyaena). Une grande
population de singes magot (Macaca sylvanus) colonise
La rainette méridionale (Hyla meridionalis) observée lors d’une prospection
actuellement le Djurdjura, principalement au niveau du massif
dans le Parc.
avoisinnant la cascade de Mimouna. Ce massif rocheux de
Les amphibiens sont représentés par sept espèces dont la falaises et de grottes est situé à 1 200 m d’altitude sur le versant
salamandre algire (Salamandra algira) ou nord-africaine et sud du Parc, autour d’une source d’eau localisée à 8 km de la
la rainette méridionale (Hyla meridionalis), adaptées aux ville de Haizer. Cette cascade est dominée par des formations
conditions extrêmes d’altitude. de cèdres, de chênes, d’oliviers (Olea europaea), de lentisques
Des études précédentes au sein du Parc6 recensent 145 espèces (Pistacia lentiscus). Elle est également le refuge d’une population
animales, dont 10 de mammifères considérées comme de crabes d’eau douce (Potamon fluviatile algeriense), sous-
menacées et 18 espèces de reptiles ; principalement des espèce endémique d’Afrique du Nord. Cette population de
lézards, des couleuvres et des tortues. Les principales espèces crabes semble avoir colonisé la cascade de Mimouna depuis
d’oiseaux observées sont les rapaces diurnes, tels que le vautour la zone humide de l’oued Soummam, par l’intermédiaire de
percnoptère (Neophron percnopterus), le milan noir (Milvus l’un de ses affluents.
migrans) et autres aigle botté (Aquila pennata), buse féroce
(Buteo rufinus) et épervier d’Europe (Accipiter nisus), ainsi que
quelques passereaux au niveau des forêts denses du Parc. Des menaces liées
Lors de nos observations, nous avons pu noter la présence
de quelques rapaces cités dans des rapports précédents : le à la surexploitation
vautour fauve (Gyps fulvus), l’aigle royal (Aquila chrysaetos) et le
gypaète barbu (Gypaetus barbatus). Nous n’avons toutefois pas La grande diversité faunistique et floristique observée dans le
pu confirmer la présence du vautour moine (Aegypius monachus) Parc national du Djurdjura est cependant en sursis : plusieurs

38 le courrier de la nature n°0 °307 - novembre-decembre 2017


« La grande diversité faunistique et floristique observée
dans le Parc est cependant en sursis. »

Photo : Association des amis du Djurdjura


menaces pouvant provoquer une disparition rapide de ces
paysages sont signalées. En premier lieu, la surexploitation
des ressources naturelles, due principalement au surpâturage
bovin, ovin et caprin, représente une réelle menace pour les
pelouses alpines du Parc. Cette pratique, pourtant essentielle
pour les agriculteurs locaux, a des conséquences majeures sur
l’intégrité du paysage. En effet, les pratiques de surpâturage
non réglementées sont un facteur de dégradation de la
végétation portant atteinte à la diversité locale : l’absence de
moyens de gestion favorise l’expansion du cheptel local au
détriment des espèces végétales essentielles au maintien de cet
équilibre écologique. La propagation des incendies naturels
ou provoqués est une autre forme de menace. En effet, ces
deux dernières années, plusieurs hectares de cédraie ont été
ravagés par des feux de forêt, provoquant une transformation
paysagère majeure.

Un autre paramètre joue sur l’intégrité du Parc et compromet


sa pérennité dans le temps : l’expansion des constructions. Par
endroits on voit ainsi apparaître des complexes touristiques
ou des chaînes hôtelières, avec leur lot de pollutions
(sonores, déchets…) et de dérangement de la biodiversité. La
fréquentation humaine perturbe l’équilibre entre les espèces et
change même le comportement de certaines d’entre elles. Le
fait de côtoyer chaque jour les visiteurs du Parc et de s’habituer Un vautour percnoptère (Neophron percnopterus), rapace diurne nichant
dans les falaises.
à recevoir de la nourriture de leur part (malgré une interdiction)
favorise la dépendance de certaines espèces, fragilisant leur
survie individuelle. Le singe magot, par exemple, a tendance à
Lexique
se familiariser avec les humains, perdant son instinct sauvage.
Oued : cours d’eau temporaire propre aux régions méditerranéennes
Les pratiques de reboisement par semis et les relâchés et désertiques.
d’animaux (obtenus par supportive breeding ) constituent Supportive breeding : méthode consistant à capturer des individus
un des outils de gestion permettant de limiter l’érosion sauvages, à les faire se reproduire artificiellement et à introduire
de la biodiversité locale et de préserver le Parc pour les les juvéniles de première génération dans la population donneuse
de façon à ce qu’ils se mélangent aux individus sauvages.
générations futures. Néanmoins, ces pratiques doivent être
effectuées en veillant à limiter le brassage entre populations
autochtones et populations allochtones, car cela risquerait
de poser des problèmes au niveau de la diversité génétique. Pour en savoir plus
En effet, des croisements avec des lignées génétiques
• Barbero M., Quézel P. et Loisel R. 1990. Les apports de
allochtones entraînent un risque de diminution des capacités
la phytoécologie dans l’interprétation des changements et
d’adaptation des populations aux conditions locales (voir
perturbations induits par l’homme sur les écosystèmes forestiers
l’exemple de l’abeille noire dans Le Courrier de la Nature n° 305, méditerranéens. Forêt Méditerranéenne XII 3, p. 194-215.
p. 11). Des populations de chardonneret élégant (Carduelis • Quézel P., Médail F., Loisel R. et Barbero M. 1999.
carduelis) récupérées du trafic illégal sont ainsi réintroduites Biodiversité et conservation des essences forestières du bassin
sur le site, mais il est indispensable de les contrôler (étude méditerranéen. Unasylva, FAO, Rome, n°197, p. 21-28.
des caractères génotypiques) avant cette pratique. Un autre • Quézel P. et Médail F. 2003. Écologie et biogéographie des
problème peut survenir en cas de populations de taille forêts du bassin méditerranéen. Elsevier, Paris, 573 pages.
réduite et isolées : la menace de la consanguinité, qui à • Ramade F. 1990. Conservation des écosystèmes
terme diminue la capacité de la population à se maintenir méditerranéens. Plan bleu P.N.U.E. Éditions Economica, Paris,
durablement dans son écosystème en favorisant l’apparition 144 pages.
de tares ou en diminuant la fécondité.

le courrier de la nature n°0 °307 - novembre-decembre 2017 39


Le Parc du Djurdjura

Photo : Association des amis du Djurdjura

La région du Djurdjura connaît de fortes précipitations, parfois sous forme de neige durant la période hivernale.

Conclusion Lexique
Point chaud : zone géographique extrêmement riche en espèces
La diversité en termes d’écosystèmes (forestier et montagnard animales et végétales et possédant un taux d’endémisme important.
d’un côté, littoral de l’autre) et d’espèces endémiques
(animales et végétales) fait de l’Afrique du Nord
méditerranéenne et plus précisément de la Kabylie dans le cas
Biblio
présent un point chaud régional de biodiversité, pas encore 1- Bara M. 2014. Structure et diversité des Rallidés au niveau
assez connu et cependant menacé par l’anthropisation, du complexe de Guerbes-Sanhadja (wilaya de Skikda).
comme l’ont montré plusieurs études scientifiques réalisées Thèse de doctorat, Université d’Annaba, 96 pages.
ces trente dernières années9,10.
2- Ramade F. 1996. La conservation des écosystèmes
Nous participons à plusieurs campagnes de sensibilisation méditerranéens. Aménagement et Nature, nº 121, p. 25-32.
destinées à la population locale et aux visiteurs pour
3- Samraoui B. et De Belair G. 1997. Guerbes-Sanhadja wetlands:
la protection et la valorisation des ressources naturelles
part 1, overview. Ecology 28, p. 233-250.
de ce site. Des efforts de restauration des milieux sont
ainsi entrepris. 4- DGF. 2006. Atlas des parcs nationaux algériens. Direction
La forte diversité faunistique et floristique dans cette aire Générale des Forêts, Parc National de Théniet El Had, Tissemsilt,
p. 17-26. fr.scribd.com/document/300179529/Atlas-Des-Parcs-
protégée, et surtout la présence de nombreuses espèces
Nationaux-Algerie
endémiques, lui confèrent une grande valeur patrimoniale.
Cette diversité biologique, au niveau des espèces, des 5- Flandrin J. 1952. La chaîne du Djurdjura. Monographies
écosystèmes et des paysages, peut constituer un facteur régionales. XIXème congrès géologique international, 1ère série (19),
49 pages.
positif pour le développement socio-économique, culturel et
touristique local. En effet, la production de bois, les aires 6- UICN. 2015. Renforcement des connaissances et du partenariat
de repos et de plaisance, ainsi que les sites historiques sur les zones clés pour la biodiversité en Algérie : cas du Parc
et culturels, s’ils sont bien gérés, sont au cœur d’un National du Djurdjura. Rapport technique, annexe 2, p. 102-113.
développement touristique et économique de cette région 7- Véla E. et Benhouhou S. 2007. Évaluation d'un nouveau point
alors compatible avec ses capacités d’accueil, d’adaptation chaud de biodiversité végétale dans le Bassin méditerranéen
et d’évolution, au bénéfice de la population locale. (Afrique du Nord), Comptes Rendus Biologies 330 (8), p. 589-605.
Cependant, malgré l’intérêt que revêt le Parc national du 8- Isenman P. et Moali A. 2000. Oiseaux d’Algérie. Société
Djurdjura pour la Kabylie et l’Algérie, la persistance locale et d’étude ornithologique de France, 336 pages.
l’intensification de certaines pratiques anthropiques pesant sur 9- Quézel P. 1999. Biodiversité végétale des forêts
l’intégrité et la richesse du paysage au sein du Parc risquent méditerranéennes, son évolution éventuelle d’ici trente ans.
de compromettre à long terme son statut d’aire protégée et les Forêt Méditerranéenne tome XX 1, p. 3-8.
bénéfices que la région pourrait tirer d’une bonne gestion, qui
10- Médail F. et Quézel P. 1999. Biodiversity hotspots in the
s’inscrirait dans une perspective de développement durable. Mediterranean basin: setting global conservation priorities.
M. B. et A. N.-K. Conservation Biology 13 (6), p. 1510-1513.

40 le courrier de la nature n°0 °307 - novembre-decembre 2017

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