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Département de langue et de littérature française.

CNE : 1412923023

Filière : Etudes françaises

Parcours : Linguistique

Mémoire de licence.
Construction du genre masculin : enjeux
sociolinguistiques.

Le cas de Chakib Osfour.

 Rédigé par : EL Mers Youssef.

 Sous l’encadrement de : Ziamari Karima.

 Année universitaires : 2018-2019.


Construction du genre
masculin : enjeux
sociolinguistiques.

 Cas de Chakib Ousfour.


« La domination masculine est assez assurée pour se passer de justification : elle
peut se contenter d'être et de se dire dans des pratiques et des discours qui
énoncent l'être sur le mode de l'évidence, concourant ainsi à le faire être
conformément au dire. » (Pierre Bourdieu, 1990, p : 6)
Remerciements :
Je souhaiterais, en premier lieu, rendre hommage à ma directrice de
recherche, Ziamari Karima pour m'avoir suivi, encadré et conseillé durant toute
cette année. Son investissement, sa disponibilité et ses encouragements ont
fortement contribué à l'accomplissement de ce travail. Ses conseils et critiques
constructives m’ont grandement rendu service. Je suis particulièrement
reconnaissant envers tous les professeurs qui m'ont apporté leur soutien précieux
et continu ainsi que des conseils avisés depuis ma première année de licence.
Merci à Bezzaa Malika, son cours a très largement contribué à l'élargissement de
mes techniques en recherche sans lesquelles je n'aurais pu mener à terme ce
travail. Finalement, je remercie ma famille.
Table des matières
Remerciements ……………………………………………………………………………………… …………………………6

Sommaire………………………………………………………………………………………………… ……………………… 5

Introduction générale ………………………………………………………………………………………8

Chapitre 1 : Aperçu de la situation sociolinguistique du


Maroc……………………………………………………………………………………………………………10
1. L’Amazighe : Langue des premiers
habitants…………………………………………………………………………………………………………10

2. L’Arabe marocain : Une évolution fonctionnelle


perceptible……………………………………………………………………………………………………..13

3. L’arabe standard : Langue nationale du


royaume…………………………………………………………………………………………………………14

4. Le français : Langue de
colonisateur……………………………………………………………………………………………………15

5. L’anglais et l’espagnole : Deux langues « étrangères»……………………………16

Chapitre 2 : La construction du genre : Essai de définition et contexte


de l’étude…...................................................................................................18
1. Le genre : Définition et évolution
historique……………………………………………………………………………………………………….18

1.1. Histoire d’un concept……………………………………………………………………………….18

2.1. Qu’est-ce que le genre?.........................................................................20


2. La question de « faire genre »……………………………………………………………………..21

3. Les manifestations du genre dans l’arabe


marocain…………………………………………………………………………………………………………22

1.3. Les représentations associées à la


femme……………………………………………………………………………………………………………23
2.3. Le discours féminins vs le discours
masculins………………………………………………………………………………………………………..24

Chapitre 3 : Chakib Ousfour : Une mise en scène de la


masculinité………………………………………………………………………………………26
1. Corpus & informatrice…………………………………………………………………………………26

1.1. Présentation du corpus…………………………………………………………………………..26

2.1. Informatrice : A propos de Mounia


Magueri………………………………………....................................................................27

Chapitre 4 : Identification des travestissements et des mécanismes


discursifs et gestuels participant au
transgenre……………………………………………………………………………………………………30
1. Etre une femme « virile » : C’est d’abord parler comme
eux………………………………………………………………………………………………………………….30

1-1. La voix : Elément définitoire de l’identité du


genre………………………………………………………………………………………………………………30

2-1. Le lexique………………………………………………………………………………………………..32

a- L’usage de l’impératif : Signe du pouvoir……………………………………………….32


b- L’usage d’un lexique de la rue : Allusions sexuelles……………………………….34
2- Habillement : Le code vestimentaire participe à la fabrication du
marquage sexué des corps………………………………………………………………………………35

1- Le corps : La femme « transgenre » doit libérer son


corps………………………………………………………………………………………………………………36

1.1. Corps et discours : L’un fait l’autre……………………………………………………….37


2.1. Une femme virile « mṛažžla » : De la métamorphose d’un corps
«faible»………………………………………………………………………………………………………….38

2- La femme lutte pour être un être


humain……………………………………………………………………………………………………………39

1.2. Le corps de la femme ne lui appartient pas……………………………………………39


2.2. La féminité dans le corps masculin : Une corporéité rebelle………………….40

Conclusion générale………………………………………………………………………………………..42

Bibliographie :…………………………………………………………………………………………………43
Introduction générale

Définir le terme genre n’est pas une tâche aisée. Le genre n’est pas une donnée stable, il
est déterminé par la société. C’est une construction mêlant le biologique, le social et le
psychologique. Il est loin d’être le synonyme ou l’équivalent du terme sexe, cependant, c’est un
sexe social (Zimmerman et West, 2009, p. 40). Ainsi, le genre est « un produit de faits et de
gestes sociaux d’une certaine sorte 1». Il correspond à des représentations ritualisées que produit
chaque genre à chaque fois pour mettre en œuvre une nature sexuelle. Autrement dit, les
individus ont la capacité de produire des effets du genre masculins ou féminins, comme
l’apparence (silhouette, coupe de cheveux, …etc.) le vêtement, le corps, la voix, la tonalité, le
discours, le travail, etc…

Les études du genre ont vu le jour au Maroc grâce à plusieurs chercheurs qui ont
soulevé des problématiques diversifiées. Plusieurs thématiques ont été explorées, à titre
d’exemple genre et travail, la question de la masculinité et de la féminité, langage et genre,
transgenre et la métamorphose du corps…etc. Ces études sont d’ordre sociologique,
sociolinguistique ou anthropologique selon la nature de la problématique de l’auteur.
Aujourd’hui, à cause d’une domination dite phallocratique et à cause d’un patriarcat résistant, la
question du genre, dans notre société, mérite d’être étudiée afin de cerner les raisons qui donnent
à l’homme tout le pouvoir sur la femme. Elle sert également à connaitre les enjeux et les
dynamiques sociolinguistiques, anthropologiques et sociologiques responsables de cet écart.

Ce sont justement ces rapports de genre qui nous intéressent dans une perspective
sociolinguistique. Saisir l’écart entre les genres dans un contexte marocain sera notre point de
départ dans ce travail. Comment se manifeste ce « passage » d’une identité féminine à une
identité masculine ? Comment est opérée la mise en scène du genre ? En effet, il s’agit là d’une
problématique très peu abordée en sociolinguistique en dehors de quelques travaux (Barontini &
Ziamari 2009, K. Ziamari 2015).

Afin d’étudier la mise en scène du genre et particulièrement la mise en scène de la masculinité,


nous chercherons à mettre en avant quelques éléments sociolinguistiques et culturels sur
lesquels se réfèrent certaines femmes pour emprunter une identité masculine, virile en vue de
cacher leur féminité qui implique la faiblesse dans notre société. Pour ce faire, notre étude est
fondée sur un corpus sous forme de vidéos. C’est un podcast présentant un personnage masculin
mais interprété par une actrice femme. Ce personnage, dont le nom est Chakib Ousfour, incarne
le stéréotype masculin par excellence. L’actrice interprétant ce rôle est Mounia Magueri, qui
s’intéresse aux droits des femmes au Maroc.

1
West Candace, Zimmerman Don H, « Faire le genre », Nouvelles Questions Féministes, 2009/3 (Vol. 28), p. 38

8
Chapitre 1 Pour arriver à notre questionnement sur le genre, nous allons d’abord présenter la
situation sociolinguistique du Maroc dans la mesure où le langage participe fortement dans
l’action de faire genre. Ensuite, nous allons passer en revue la notion du genre tout en montrant
comment il se distingue de sexe biologique. Par la suite, nous présenterons les représentations de
la femme dans la société marocaine. Dans la seconde partie, nous consacrerons le premier
chapitre à la description du corpus et au personnage de Chakib Osfour. En fin, nous mettrons en
avant les éléments qui entrent en jeu pour construire un genre masculin.

9
Chapitre 1 : Aperçu de la situation sociolinguistique
du Maroc

Le paysage linguistique du Maroc se caractérise par le plurilinguisme. En effet, six langues


entrent en jeu pour définir la situation linguistique marocaine. Ces langues sont : l’arabe
classique, l’arabe marocain, l’amazighe, le français, l’anglais et l’espagnol. Le Maroc est, donc,
un pays hétérogène linguistiquement. Ce qui suscite une polémique concernant la gestion de ce
marché linguistique riche aussi bien des cultures, des représentations2 que des variétés3 en
présence.

1- L’Amazighe : langue des premiers habitants.

L’amazighe est considéré comme le parler origine des pays maghrébins, et le Maroc est un
cas bel et bien où on assiste à la présence forte de la langue amazighe au niveau linguistique réel
du pays comme le décrit la Charte d’Agadir relativement à la défense des droit linguistique de
cette langue :

« La langue amazighe est la langue la plus anciennement attestée au Maghreb. Son aire
couvre près de cinq million de km², elle s'étend d'est en ouest de la frontière égypto-
libyenne aux Iles Canaries, et du nord au sud de la rive méridionale de la Méditerranée au
Niger, Mali et au Burkina Faso. La communauté la plus importante dont l’amazigh est la
langue première se trouve au Maroc. De par son antériorité, la langue amazighe constitue

2
Les représentations: sont des croyances sournoisement construites par les locuteurs d’une communauté
linguistique à propos d’une variété. Les représentations se révèlent à travers la valorisation, dévalorisation, ou
mépris (Bavoux, 2002 ; 57). Ils font référence à un ensemble commun de jugements évaluatifs, une connaissance à
l’échelle de la communauté de ce qui est bon ou mauvais. On peut dire que les représentations régissent le
fonctionnement de la société et l’action individuelle de ses locuteurs. (ibidem)

3
Variété : selon FISHMAN (Fishman, 1971, p35) la sociolinguistique recourt au terme de variété au lieu de langue
sans en donner une définition concise. Le mot langue possède une signification supérieure et surtout parce que ce
mot comporte de nombreux jugements de valeur, il manifeste une opinion, il suscite une émotion (langue
maternelle) et révèle une prise de position, il a un aspect officiel et un statut politique. Alors que la variété est
neutre. Mais une variété peut avoir le statut idéologique de la langue si l’Etat intervient pour lui donner un
caractère par exemple celui de national.

10
le mode d'expression de l'identité première des Marocains; elle représente un fondement
essentiel de leur environnement socioculturel comme elle façonne leur inconscient collectif
et marque leur personnalité de base. Elle joue présentement le rôle de creuset dans la
formation du mouvement culturel amazigh. » (Charte d’Agadir 1991)

Il existe trois principales variétés amazighes. Celle qui est parlée en Atlas central est
appelée tamazight. Au nord du Maroc, dans les montagnes de rif, la variété employée est le
tarifit. Le tachelhit est parlé dans les hautes montagnes de l’Atlas, les montagnes de l’Anti-Atlas
dans le sud et dans la vallée du Sousse :

« Au Maroc, trois grandes variétés linguistiques se partagent l’espace amazighophone : le


tarifit, le tamazight et le tachelhit. Les trois parlers se caractérisent à la fois par leur
complémentarité et leur particularisme linguistiques. Les différences entre ces trois grands
ensembles dialectaux portent sur des aspects phonétiques, morphologiques et davantage
sur le plan lexical. L’arabe dialectal est très souvent utilisé comme moyen de
communication entre les locuteurs de ces différentes zones. 4» (Abdelouahad Mabrour,
2016)

L’amazigh constitue aujourd’hui une langue officielle à côté de l’arabe (sans adjectif). Ce
statut attribué par la Constitution de 2011 est l’aboutissement de grands efforts déployés par les
militants amazighophones. En effet, la première tentative dans ce cadre fut celle de 1991, dans la
mesure où un document important a vu le jour ; c’est la Charte d’Agadir qui « a été initié par six
associations culturelles amazighes » (Jan Jaap de Ruiter & Karima Ziamari, 2014) dans le but de
défendre les droits linguistiques de l’amazigh. Ce document comporte sept objectifs dont les plus
importants sont : « la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue
amazighe à côté de langue arabe, l’intégration de la langue et de la culture amazighe dans les
divers domaines d’activités culturelles et éducatives, spécifiquement : à moyen terme, leur
insertion dans les programmes d’enseignement public et, à court terme, la création d’un
département de langue et de culture amazighes dans les universités marocaines et faire
encourager la production et la création dans les différents domaines de la connaissance et de
culture en langue amazighe … » (ibidem). Cette phase constitue si on veut le dire une
préparation à la reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale.

En effet, la consécration de l’amazigh a débuté véritablement en 1994 avec le Discours


Royal du 20 août. En effet, exclusivement le roi Hassan II a profité de ce discours pour donner le
signal pour le commencement de l’amazigh comme dialecte, dans diverses institutions de
l’éducation : « Au moment où nous engageons une réflexion nationale sur l'enseignement et les

4
Abdelouahad Mabrour, Les langues au/du Maroc : une présentation sociolinguistique
Le français à l’université, 21-01 | 2016
Mise en ligne le: 14 mars 2016, consulté le: 11 mai 2019.

11
cursus, il convient d’envisager l'introduction, dans les programmes, de l'apprentissage des
dialectes, sachant que ces dialectes ont contribué, aux côtés de l’arabe, la langue mère, celle qui a
véhiculé la parole de Dieu […] au façonnement de notre histoire et de nos gloires. »(Discours
d’Hassan II).

De même, l’année 2000 constitue une étape importante dans le processus d’officialisation
de langue amazighe. dans la mesure où un manifeste, signé par 229 personnes dont des
universitaires, écrivains, poètes, artistes, industriels et cadres, présente neuf revendications dont
l’officialisation de l’amazighe exprimée comme deuxième revendication : « le temps est venu
pour que notre langue nationale originelle, le berbère, soit reconnue langue officielle de par la loi
suprême de pays » (Jan Jaap de Ruiter & Karima Ziamari, 2014, p : 13) Il s’agit ici d’une
demande directe et décisive qui cherche à coller le statut officiel et national à la langue amazighe
et cela va, par la suite, susciter l’attention de l’Etat dans la mesure où le discours de roi
Mohammed VI de 20 août, 2001 a montré bel et bien que « l’amazighité »est le patrimoine de
tous les marocains, un partage historique qui est indispensable au système culturel et identitaire
de la nation, comme elle fait partie de son paysage linguistique vivant5. Evidemment, la
création de l’Institut Royal de la Culture amazighe par Dahir « Décret d’Ajdir » vient dans le
sens d’actualiser les objectif de ce discours et de donner le caractère linguistique a cette langue
marginalisée auparavant mais aussi de la mettre dans un cadre de recherche culturelle et
éducative par la création d’autres institutions comme le centre de recherche Didactique et des
Programmes Pédagogiques, et le Centre de la Traduction et de Documentation, de l’Edition et de
la Communication… etc.

Par la suite, l’année 2011 est marquée par l’adoption de la nouvelle Constitution de
l’Etat. Cette constitution renforce comme d’habitude la place ordinaire de l’arabe sans adjectif
comme langue nationale et officielle du pays mais ce même texte déclare l’officialisation de
l’amazighe à côté de l’arabe : « L’arabe demeure la langue officielle de l’Etat. ( …) De même
l’amazighe constitue une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les
marocains sans exception. » (Article 5 de la nouvelle Constitution) .L’officialisation de
l’amazighe selon le chercheur dans l’IRCAM6 Ahmed ASSUDE, est le résultat de mouvement
politique de 2011 qui a exercé la pression sur le pouvoir marocain et qui a eu comme résultat la
révision de la constitution.

6
L’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) est une institution créée auprès de Sa Majesté Chérifienne. Il est
régi par le Dahir Royal (n°1-01-299) portant sa création et son organisation et formant son statut général. Il est
doté de la pleine capacité juridique et de l’autonomie financière (d’après : http://www.ircam.ma, fenêtre officielle
de l’IRCAM). L’IRCAM a pour objectif de soutenir la langue amazighe dans le système éducatif et dans d’autres
domaines qui sont dominés par l’arabe standard et le français et surtout de l’introduire dans les médias,

12
2- L’Arabe marocain : une évolution fonctionnelle perceptible
L’arabe marocain ou la darija est une variété maternelle vernaculaire et véhiculaire, qui
occupe une place importante dans le paysage linguistique du Maroc. L’arabe marocain permet
« la communication entre arabophones et berbérophones » (Caubet, 2003 ; p 136).

Malgré son importance, l’arabe marocain est sans statut officiel. Néanmoins, (« la dernière
Constitution fait référence aux parlers du Maroc dans la mesure où « l’Etat ouvre à la protection
des parlers et des expressions culturelles pratiquées au Maroc » (article 5). En outre, les dernières
années, depuis 2010, une évolution de l’arabe marocain est constatée dans plusieurs domaines :
les médias, la publicité, le cinéma (doublage des films) et même le domaine politique. Cette
variété est également utilisée dans la création artistique : les chansons ; les romans.

Dernièrement, le ministère d’éducation essaie d’introduire la darija dans certains manuels


scolaires. Ceci a commencé avec la charte nationale d’éducation de 1999 où la darija constitue
une variété pour enseigner les élèves avant de céder la place à l’arabe standard : « Des activités
de préparation à l’apprentissage de la lecture et l’écriture en arabe, notamment à travers la
maitrise de l’arabe orale et en s’appuyant sur des langues maternelles » (la Charte nationale de
1999, article 31). Malgré ce texte juridique, l’enseignement de l’arabe marocain comme matière
qui se suffit à elle-même, reste encore improbable. Aujourd’hui, l’arabe marocain sert
exclusivement comme moyen pour faciliter la tâche aux élèves pour qu’ils puissent comprendre
leurs leçons.

Le passage à l’écrit rend l’arabe marocain une variété privilégiée des interactions sur des
réseaux sociaux. En effet « avec la nouvelle technologie on écrit plus facilement en darija »
(Coubet, 2004). C’est un écrit qui ne dépend d’aucune norme, autrement dit, il ne soumet pas à
des règles normatives prescrites par une institution de l’Etat ; il s’agit d’une créativité commune
ou individuelle : « Mais cette absence de norme n’empêche pas que ce passage à l’écrit a
considérablement renforcé la place de la darija dans l’espace public et lui donne une touche de
créativité très appréciée par les artistes et les publicitaires » (Montserrat Benittez et ces
collaborateurs, Evolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIe
siècles, p 38 ). Ceci lui donne un rayonnement important dans l’espace public comme : les
médias, les journaux et les programmes télévisés. De même cette variété est utilisée dans les
slogans des manifestations et surtout dans le milieu sportif. On peut citer à titre d’exemple les
chansons de Winners05, qui supporte le Wydad de Casablanca comme nhar lhamra special
(jour du rouge spécialement, ici la couleur rouge fait référence à l’équipe de Wydad)

Par la richesse de son lexique qui emprunte d’autres mots d’origine française ou
espagnole, L’arabe marocain constitue une variété exprimant l’urbanité moderne. En effet, le
« mouvement » culturel des années 2000, mouvement appelé Nadya inclut un nouveau style de
parler. C’est un style jeune, décrit comme un registre « cru », présentant des tabous, empreint de
violence verbale. C’est un style dur qui indexe l’urbanité et parlé également par certaines filles
pour adopter un style dit « hrach », « dur » :

13
« Outre l’emploi d’un registre « de la rue », évoqué ci- dessus et qui n’est pas l’apanage des
seuls garçons, mais également de certains fille pour qui le style « dur, rugueux » (harsh)
indexe l’urbanité, ce style « jeune » se caractérise par le recours très fréquent au code-
suitching et à la création lexicale […] ». 7

Et c’est le recours au style « des garçons », par certaines filles ou femmes, qui constituent le
propos de notre recherche.

Pour conclure l’arabe marocain est la variété dominante dans le paysage linguistique du
Maroc. Sa présence concurrence l’arabe standard qui est à son tour une langue importante dans
l’imaginaire collectif des Marocains. Or, au niveau des pratiques linguistiques réelles, c’est
l’arabe marocain qui envahit quasiment tous les domaines.

3-L’arabe standard : langue nationale du royaume.


D’abord l’adjectif « standard » indique la variation normalisée ou bien standardisée8 de
l’arabe c'est-à-dire elle est codifiée : « c’est la normalisation, c'est-à-dire la codification et
l’acceptation, par une communauté de locuteurs, d’un système formel des normes9 qui
définissent l’usage correct » (Fishman, 1971, p : 39)

C’est une « langue littéraire » écrite et qui « jouit de toute la reconnaissance de l’Etat en
ayant toujours été la langue officielle du pays » 10On la trouve dans tous les domaines, surtout
dans tout ce qui relève du politique et du formel : Parlement, administrations, informations,
discours politiques, et textes juridiques…. C’est la langue de l’enseignement à côté du français
dans certains cas : le bac international, à titre d’exemple. En somme, l’arabe classique domine
l’écrit, il constitue la langue de l’écriture littéraire (roman, théâtre écrit et parfois au niveau
oral…).

L’arabe standard est l’emblème de la religion au Maroc. En fait, c’est langue du Coran, et par
lequel s’effectuent les prières et tout ce qui constitue le rituel religieux marocain :

« C’est la langue de la prière, des rituels et dans sa forme écrite s’exprime toute la tradition
religieuse et ses annexes (coran, commentaires, ouvrages de grammaire, de syntaxe,

7
Benitez Fernandez, M., Miller, C., de Ruiter, J. J., &Tamer, Y. Evolution des pratiques et représentations
langagières dans le Maroc du XXIe siècle. (Volume 2). Lectures, Les livres.
8
De Ruiter, A. C. J., & Ziamari, K. (2014). Le marché sociolinguistique contemporain du Maroc.
9
Les normes c’est un « Un ensemble d’interdictions de perceptions sur des façons de dire, quelques fois
accompagnés de divers ordres ; c’est se référer à des formules comme « ne dites pas … dites (plutôt) « » ou encore
« on ne dit pas …on dit » *…+. (Henri Boyer, 1991, p : 13-14)
10
Ruiter & Ziamari, Le marché sociolinguistique contemporain du Maroc, 2015, p 22.

14
d’éloquence » (Ruiter & Ziamari, le marché sociolinguistique contemporain du Maroc, p
22).

On trouve l’arabe standard en situation diglossique avec l’arabe marocain dans la mesure
où il constitue une variété « haute » et prestigieuse alors que l’arabe marocain représente une
variété « basse » et stigmatisée. C’est généralement en considération du critère écrit, formel/
oral, informel que cette répartition fonctionnelle trouve son origine. L’arabe standard récolte tout
le prestige et aucune variété ne semble le concurrencer quant à l’imaginaire linguistique des
Marocains.

Grâce à la politique d’arabisation, l’arabe standard occupe une place privilégiée dans
différents secteurs administratifs et surtout dans le cadre de l’enseignement. Il constitue la langue
de l’enseignement dans le primaire et le secondaire. Cependant, l’enseignement supérieur est
dispensé en français; comme dans les écoles supérieures scientifiques, les facultés scientifiques.
Ce qui révèle une contradiction insurmontable puisque « cette arabisation, qui était supposée
valoriser la langue arabe dans son statut de la langue moderne compatible avec l’accès au savoir
et au progrès, ne franchit pas les portes d’enseignement supérieur de l’écrasante majorité des
cursus universitaires scientifiques, techniques et médicaux en particulier. (Abouhaider, 2012) »
11
. La constatation qu’on peut faire est que l’arabe standard reste encore incapable d’avoir le
vocabulaire qui s’adapte aux sciences exactes et techniques malgré plusieurs réformes faites par
l’Etat dans le sens d’ouvrir le chemin à cette langue nationale pour qu’elle puisse s’imposer
dans le domaine de recherche scientifique car c’est le français en revanche qui est utilisé dans
l’enseignement professionnel et scientifique du pays.

4- Le français : langue de colonisateur.


C’est un héritage de la période de colonisation (1912-1955). En effet, à cette époque, le
Maroc était colonisé par la France et le français constituait la langue officielle des institutions
coloniales. Néanmoins, cette langue reste encore vive au Maroc en dépit de l’indépendance et la
politique d’arabisation adoptée par l’Etat. Le français « est une langue à la fois « élitaire » et «
utilitaire » (Messaoudi, 2010 ; p 58)

Il s’agit d’une langue « savante » à côté de l’arabe classique. D’ailleurs, le français est
une langue de l’école, acquise comme une langue de savoir plutôt que comme une langue de
communication. Il existe aussi ce qu’on appelle le français élitaire c'est-à-dire de l’élite urbaine,
un français du bon usage. Il est utilisé dans les institutions scolaires qui suivent une norme
académique. Le français au Maroc, selon BENZKOUR, joue le rôle d’une langue de
« copropriation » et d’une langue interculturel, c’est le français mésolectal. (Benzkour, 2012)12.

11
Ibid. p. 25
12
Fouzia Benzkour, Le français au Maroc. De la blessure identitaire à la langue du multiple et de la «
copropriation »

15
Il faut souligner au même titre que le Maroc, par la présence de plusieurs institutions qui visent
la diffusion de langue française, est considéré un Etat francophone :

« Le Maroc fait officiellement partie des Etats de la Francophonie, ses centres culturels et
instituts français sont encore très fréquentés par les populations urbaines, et, de manière
générale, malgré la concurrence grandissante de l’anglophonie, la demande sociale en
faveur de l’accès à la langue française ne cesse de croître 13» (Myriam Abouzaid, 1011, p.
38)

En somme la langue française est une langue d’ouverture et de modernité. Cependant, la


maitrise de celle-ci implique la facilité de recherche scientifique et académique et la facilité de
s’intégrer dans le domaine du travail marocain.

5-L’anglais et l’espagnole : deux langues « étrangères ».

L’anglais est une langue « neutre » ; ce n’est pas une langue de colonisateur et dans ce
sens elle n’est pas associée à des jugements négatifs ou autres. Son évolution comme le indique
Buckner (2011, p. 213) est justifiée par l’ouverture du Maroc sur l’international et par sa
nécessité dans le marché d’emploi :

« Parmi les langues étrangères en présence, l’anglais bénéficie d’un statut particulier. Il ne s’agit
pas d’un héritage colonial, contrairement au français ou même à l’espagnol. Ce qui lui confère le
statut de langue étrangère « neutre » loi de toute connotation négative »

De plus cette langue est le symbole de modernité et la langue par excellence de la science et de
technologie. Elle incarne également la globalisation et l’ouverture sur le monde.

Concernant l’espagnol, on le trouve au Nord et au Sud du pays. Il fait partie des langues
enseignées au Maroc.

En guise de conclusion, les langues au Maroc se répartissent en langues « qui nous


possèdent » représentées par l’arabe marocain, l’amazighe et l’ « arabe du Coran » et les langues
« que nous possédons », manifestées par le français et l’anglais. De même, les locuteurs se
répartissent en deux catégories : ceux qui voient la langue comme un ensemble de normes et de
règles grammaticales et ceux qui la voient comme un lien qui nous attache au monde. Dans ce

13
Myriam Abouzaid. Politique linguistique éducative à l’égard de l’amazighe (berbère) au Maroc : des choix
sociolinguistiques et didactiques à leur mise en pratique. Linguistique. Université Stendhal - Grenoble III, 2011.
Français.

16
sens, la langue est considérée dans son rythme, sa prosodie et sa littérature, c’est le cas par
excellence de l’arabe marocain. C’est une langue qui exprime notre « être » et qui sert à exprimer
son identité et son genre. Quel rapport existe donc entre darija et études de genre ?

17
Chapitre 2 : La construction du genre : essai de
définition et contexte de l’étude

S’il y a un phénomène qui suscite l’intérêt des sociolinguistes, c’est bien le genre social.
En effet, la question de la construction du genre est particulièrement pertinente dans une société
en mutation comme le Maroc. Cette étude s’intéresse à la construction14 du genre dit
« masculin » par des filles et des femmes. Celles-ci essaient généralement d’imiter les
comportements « masculins » afin d’éviter « la férocité » et la « violence » des hommes et de la
société. Autrement dit, les femmes construisent socialement le genre masculin à travers
l’adoption des comportements et des façons de parler réservés aux hommes. Les femmes, elles-
mêmes, ont un genre féminin assigné par la société à cause du processus, de la socialisation15 et
de culturalisation, qui participe à la genration ; un genre faible et mineur. Ce processus trouve
ses manifestations dans le discours et dans les comportements ou les actes. Dans ce deuxième
chapitre, il sera question d’abord de présenter la notion du genre et son évolution historique.
Ensuite, il sera question d’évoquer les manifestations sexistes en arabe marocain tout en
soulignant les représentations qui sont associées aux femmes.

1- Le genre : définition et évolution historique :

1.1. Histoire d’un concept.


Le genre ou « gender » est un terme d’origine anglo-saxonne. Autrefois, il a été employé
dans le domaine médical, psychologique, sociologique, anthropologique et évidemment en
grammaire pour désigner les mots féminins et les mots masculins. A partir des années 70, le
terme a évolué et devenu un concept clé dans l’histoire des femmes. Par ailleurs, à cette époque,
l’historienne Joan W. Scott, qui a travaillé sur l’histoire des femmes suivant une approche
marxiste, investissait l’approche masculine dans l’histoire en soulignant en même temps
l’exclusion politiques des femmes : « J’ai commencé par raisonner en terme d’inégalité : entre
les ouvriers et les patrons, entre les femmes et les hommes16 ». Pour elle, le genre est une
catégorie utile pour l’analyse historique.

15
« On entend par là l’intériorisation par les individus de dispositions (à agir, sentir, penser) d’origine culturelle(ou
encore renvoyant à ce qu’on appelle parfois « l’environnement social ») et non biologique (Frédéric Lebaron, La
sociologie de A à Z. p 108)
16« History trouble : entretien avec Joan W. Scott », Vacarme 66, 11 janvier 2014, réalisé
par Gaëlle Krikorian, Philippe Mangeot, Adèle Ponticelli& Pierre Zaoui. https://vacarme.org/article2325.html

18
Nous pouvons retracer l’historique du terme en commençant par la pionnière en la
matière. Margaret Mead17 emploie le concept de « rôle sexué » pour distinguer le rôle social du
sexe biologique18. C’est à partir de cette distinction que le terme « genre » avait vu le jour pour
la première fois :

« Selon Delphy (1991, p. 91), le concept de genre est l’héritier direct du concept de rôle
sexuel. Dans « Sex and Temperament in Three Primitive Societies », (1935) Mead explique
qu’aux États-Unis, on associerait les comportements des femmes et hommes Arapesh à la
féminité, les comportements des femmes et hommes Mundungur à la masculinité, et les
comportements des femmes Tchambuli à la masculinité et ceux des hommes Tchambuli à la
féminité (Caffrey, 2009, p. 533). Bien que Mead considérait la majorité des caractéristiques
liées aux rôles sexuels comme arbitraires, «elle a également suggéré que les hommes et les
femmes aient des dons différents liés au sexe mais que les sociétés construisent souvent
comme des sociétés positives ou négatives, ou inférieures ou supérieures19(Ibid.)».

D’autre côte, dès les années 1950, aux États-Unis, la psychologue et sexologue Johen
Money utilisait l’expression « gender roles », dans l’objectif de montrer et de définir l’écart
entre le rôle social sexué et le sexe naturel. Elle mettait le genre dans une dimension normative
en soutenant que le genre est [« toute chose qu’une personne fait ou dit pour présenter le statut
de garçon ou homme, de fille ou femme » (Money, 1955)]20. D’ailleurs la première initiative qui
a tenté de séparer le sexe du genre fut celle de Rober Stoller (1968)21 : il s’agit de séparation
entre corps et identité. Pour lui, il n’existe pas une véritable correspondance entre genre et
sexe : « Pour Money et Stoller, il n’existe pas de lien de causalité entre sexe et genre. » (Arnold,
2015, p. 27). Ainsi cette même distinction va être reprise en termes de sexe et genre par le même
psychiatre en 1968, en définissant le sexe comme une composition biologique et le genre
comme une composition culturelle. De même en 1972, la sociologue britannique Ann Oakley à
partir d’une étude d’articulation entre la nature et la culture faite par Claude Lévi-Strauss, a
indiqué que « le genre n’a pas d’origine biologique et les connexions entre sexe et genre n’ont
rien de vraiment naturel » (Eric Fascin, L’empire du genre, l’histoire politique, ambiguïté d’un
outil conceptuel). On peut dire que jusqu'ici il y a tout un souci de définir ce que désigne le genre
par rapport au sexe.

17
Mead, Margaret, 1935, Sex and temperament in three primitive societies
18
« La notion de sexe, telle qu'elle est aujourd'hui communément utilisée dans nos sociétés occidentales, c'est-à-
dire renvoyant à une catégorie binaire (« homme » /« Femme ») basée uniquement sur des différences innées,
semble avoir émergé dès la fin du XVIIIème siècle » (Erwan Pépiot. Voix de femmes, voix d’hommes : différences
acoustiques, identification du genre par la voix et implications psycholinguistiques chez les locuteurs anglophones
et francophones. Linguistique. Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 2013.p : 17)
19
“she also suggested that men and women do have different gifts that are sex-linked but that are often
constructed by societies as positive or negative, or inferior or superior”
Explique Arnold dans « La voix genrée, entre idéologies et pratiques – Une étude sociophonétique. Linguistique.
Université Sorbonne Paris Cité, 2015, p: 26-27 »
20
Cite par Arnold dans ibid. p : 27
21
Stoller, R. J. (1968). Sex and Gender: The Development of Masculinity and Femininity. New York: Sciences House.
Cité par Arnold.

19
Dès les années 70, on rencontrait une autre vision de genre qui va devenir un concept majeur
dans les études féministes. En effet, ces études féministes reprochent la dimension
androcentrique des savoirs académiques. Les féministes comme Johen Money et Anke Ehrhardt
mettaient le doigt sur la nécessité de ne pas confondre sexe biologique et genre qui est le fruit
d’une construction sociale ou politique. Oakley disait à ce propos dans son livre SEXE, GENRE
et SOIETE : « sexe est un mot qui fait référence aux différences biologiques entre masculin et
féminin: la différence visible entre les organes génitaux, les différences dans la fonction de
procréation. “Le genre“ est cependant un problème de culture, il fait référence à la classification
sociale en «masculin» et "féminin".).22 Dès lors, les deux sexologues Money et Ehrherdt montre
qu’il y a déjà une différence entre le « rôle de genre » qui correspond aux comportements d’une
personne et « «l’identité du genre » qui indexe l’expérience personnelle qu’une personne peut
avoir d’elle-même. Ainsi, Scott23 liait le genre au pouvoir en disant : « le genre est un élément
constitutif de rapports sociaux fondés sur les différences perçues entre les sexes et le genre est
une façon première de signifier les rapports de pouvoir […]. Le genre est un champ premier au
sein duquel ou par le moyen duquel le pouvoir est articulé ». On peut dire donc que le genre est
caractérisé par la variation dont le facteur est l’action sociale alors que le sexe se distingue par
son caractère naturel. Par son caractère social, le genre participe ainsi à la dénaturalisation des
rapports sociaux.

2.1. Qu’est-ce que le genre ?

Le genre est une notion qui vient pour souligner la construction de différence des sexes.
Autrement dit, le genre ou le sexe social traduit les rapports sociaux des sexes. Ces rapports sont
le résultat du processus de socialisation. Cette construction peut être d’ordre social, culturel,
politique, religieux… etc. Par conséquent, il y a une classification sociale et culturelle entre le
féminin et le masculin. Dans ce sens, Simone de Beauvoir affirme qu’ « on ne nait pas femme
mais on le devient24 », c'est-à-dire c’est les systèmes de socialisation de différents types qui
déterminent ce qui est d’ordre féminin et ce qui est d’ordre masculin. Dans ce cas, ce sont des
différences systématiques qui donnent lieu à certaines attitudes et comportements de type
descriptif. Ainsi « Le genre est une notion qui fait référence à une construction politique et
sociale de la différence des sexes. Il est interactif et transversal, il opère dans toutes les sphères
de la société. Autrement dit, le genre renvoie à la classification sociale et culturelle entre
masculin et féminin »25.D’autre part, dans le cadre de l’explication de la théorie du genre, J.

22
“Sex” is a word that refers to the biological differences between male and female: the visible
difference in genitalia, the related difference in procreative function. “Gender “however is a matter of
culture: it refers to the social classification into “masculine“ and “feminine“. (Oakley, 1972, p. 16)
23
Scott, J. W. (1986). Gender: A Useful Category of Historical Analysis. The American Historical Review, 91(5),
1053–1075. Traduction française: Scott, J. (1988). Genre:
Une catégorie utile d’analyse historique. Cahiers Du GRIF, (37-38), 125–153.
24
MONNIN, Nathalie. " On ne naît pas femme, on le devient": Simone de Beauvoir. Pleins Feux, 2005.
25
http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/BSP/GENDER/PDF/L1final_01.pdf

20
Butler, en se basant sur les travaux d’Austin et de Derrida26, a mis en avant la théorie de la
performativité du genre. En effet, selon elle, tout comme un énoncé performatif qui se caractérise
par l’accomplissement de l’acte qu’il désigne, le genre à son tour constitue l’identité des
individus à travers leurs actes. Le genre, dans cette perspective, est le résultat d’un faire quel que
soit son type : langagier, gestuel, sentimental…etc. Ainsi, pour qu’un acte soit efficace, il doit
faire « échos à des actions antérieures » (Butler, 1997, p 92). Dans ce cas le genre devient une
norme. A propos de l’accomplissement du genre, Butler, dans son ouvrage « Trouble dans le
genre 27», souligne que :

« Le genre se révèle performatif – c'est-à-dire qu’il constitue l’identité qu’il censé être.
Ainsi le genre est toujours un faire, mais non le fait d’un sujet qui précéderait ce faire. Il
n’y a pas d’identité du genre cachée derrière l’expression du genre ; cette identité est
constituée sur un mode performatif par ces expressions, celles-là mêmes qui sont censées
résulter de cette identité »

En bref, en tant que résultat d’un faire, le genre ne réside pas dans notre essence biologique, mais
plutôt c’est l’image de ce qu’un individu devient aux yeux des autres (hommes) à travers ses
actes performatifs. Le genre est également perçu comme le déterminisme des rapports sociaux
des sexes. D’ailleurs, le discours et la voix constituent deux éléments performatifs qui réfèrent à
l’identité du genre.

2- la question de « faire genre ».


Le concept de la performativité inauguré par Judith Butler 28traduit un ensemble de
gestes, de comportement et surtout d’action par lesquels un individu veut révéler son identité du
genre. En effet, quotidiennement, les individus performent et construisent leurs genres à travers
une suite d’actions dites performées liées entre eux et qui vont dans le sens de faire « les
transformations de comportements et de représentations des comportements » (Josette Féral,
2013, p : 205 à 218). Josette montre que Butler fait de l’identité du genre un ensemble des
mécanismes performants articulés par l’individu :

« Prenant le contre-pied de Simone de Beauvoir, Butler affirme ainsi que l'identité du sujet
est de nature performative (« gender is an act which has been rehearsed »), entendant par-

26
« [Un énoncé performatif pourrait-il réussir si sa formulation ne répétait pas un énoncé « codé » ou
itérable, autrement dit si la formule que je prononce pour ouvrir une séance, lancer un bateau ou un
mariage, n’était pas identifiable comme conforme à un modèle itérable, si donc elle n’était pas
identifiable en quelque sorte comme « citation » ? (Derrida, 1972, p. 388; cité dans Butler, 1997) »]
(citée dans Arnold, p. 43)
27
Butler, J. (1990). Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. London/New York: Routledge.
Traduction française: Butler, J. (2005). Trouble dans le genre: Pour un féminisme de la subversion. Paris: La
Découverte
28
Le concept de performativité du genre a été développé par la philosophe Judith Butler dans son ouvrage Trouble
dans le genre, paru pour la première fois en 1990 aux États-Unis, et 15 ans plus tard dans sa version française.

21
là que le sujet se construit et se reconstruit sans cesse, se reconditionnant en prenant appui
sur ses mécanismes à lui mais aussi sur ceux de l'Autre » (Josette Féral, 2013, p : 215)

Dans la même perspective, faire genre c’est le résultat d’un processus qui se réalise dans
les actions sans cesse. On est devant une multiples d’actions qui tiennent leur légitimité du
social et du culturel ; ainsi faire genre c’est faire montrer son identité à travers des actions
socioculturellement prouvées.

« Quelque chose peut être considérée comme performance lorsque le contexte socio-
historique, les conventions, usages et traditions le confirment. […] On ne peut déterminer
ce qui « est » performance sans se référer à des circonstances sociales précises. Il n'y a rien
d'inhérent dans une action qui permette de la catégoriser comme performance ou pas.
Selon le point de vue de la théorie de la performance que je propose, toute action est
performance. Mais selon le point de vue de la pratique culturelle, certaines actions seront
considérées comme des performances et d'autres pas, et cela varie d'une culture à
l'autre 29»

Donc, il convient de dire que la construction du genre est une action performative qui doit
être identique aux normes sociales réservées à chaque genre. Il s’ensuit que ces actes ne sont pas
de même nature, mais ils ont la même impression et le même effet du genre.

3- Les manifestations du genre dans l’arabe marocain.


Ni l’infériorité ni la supériorité n’est associée à la composition biologique ou anatomique
des individus. Les deux rangs sont construits socialement, à titre d’exemple, la place
« inférieure » ou le caractère « mineur » qui accompagnent la femme dans le contexte marocain.
Selon F. Héritier, « l’inégalité n’est pas un effet de la nature. Elle été mise en place par la
symbolisation dès les temps originels du genre30 »

Dans ce sens, le système de socialisation réserve à la femme un rang inférieure aussi bien sur le
plan discursif (stéréotypes) que sur le plan symbolique. Par ailleurs, le discours des/sur les
femmes ou celui des/sur les hommes est différent dans la société marocaine. Chaque type de
discours peut avoir une interprétation et une référence particulière dans l’imagination culturelle
et symbolique des femmes et des hommes. Par conséquent, le langage devient un outil descriptif
qui manifeste la différence du genre :

« Dans ce cadre, les hommes et les femmes ayant participé dès leur enfance à des processus
de socialisation différents et différenciés n’interpréteraient pas de la même façon les
ressources linguistiques dans l’interaction et seraient destiné-e-s à un éternel malentendu
dans la conversation ». (Greco 2014 : 19)
29
Performance Studies: An Introduction, Londres-New York, Routledge, 2002, p. 30). Cité et traduit par Josette
Féral.
30
HÉRITIER, Françoise. Le Corps, le sens. Seuil, 2007, p : 16

22
Ainsi, selon Ziamari et Barontini 31(2009), le discours constitue le miroir du genre. Le
discours reflète l’image que peut avoir la femme dans l’imaginaire de l’homme et dans la
société et vice versa.

Pouvoir discuter la question du genre dans le contexte marocain n’est pas une tâche aisée.
« Au Maroc, les gender studies en sociolinguistique sont jeunes. » (Ziamari & Barontini
2018). Peu de travaux en sociolinguistique se sont penchés sur la problématique de la
construction de l’identité du genre à travers le discours en arabe marocain (Ziamari & Barontini
2009, 2016, 2018, Ziamari & Meskine 2014). Nous présenterons ci-après quelques exemples
d’études qui ont examiné, sur le plan sociolinguistique, le genre en arabe marocain.

1.3. Les représentations associées à la femme.


En fait, le langage marocain révèle une image négative du genre féminin. Ainsi Ziamari
et Barontini (2018) montrent, à partir d’un corpus qui réunit trois hommes et huit femmes, qu’il
y a une différence significative entre ce qui constitue la féminité et ce qui représente la ṛožōliyya,
c'est-à-dire la masculinité ou la virilité, qui traduit le symbole du pouvoir. Elles avancent dans le
même article que : « les stéréotypes associés aux femmes restent très négatifs et constituent une
certaine forme de violence contre elles ».

En outre, Leila Messaoudi32 montre que les représentions sociales liées aux femmes dans la
littérature orale sont discriminantes dans la mesure où les contes généralement font exprimer, à
travers des histoires imprimées dans l’imaginaire des sociétés, différentes cultures. Ces derniers
révèlent des contenus symboliques de ces cultures. Ainsi, les femmes y sont perçues comme
des : « filles, des sœurs des épouses des co-épouses, des mères et des marâtres, etc. en
dehors de ces rôles, les femmes sont réduites à être des esclaves, des suivantes, etc. ». Quant
à leurs rôles et aux fonctions qu’elles exercent, L. Messaoudi les présente comme suit :

« Ainsi les rôles féminines se définissent par les tâches domestiques qui sont effectuées dans
un espace délimités, celui de la maison et ses environs comme la fontaine pour la corvée
d’eux et la foret pour la corvée de bois. Viennent ensuite les autres « fonctions » : celles de
se marier pour exister socialement et d’enfanter un pour s’affirmer et affronter sa belle-
famille et coépouses. »

De ce fait, la femme peut être la source du mal ou du bien. « Elles sont tantôts le signe du
bien, tantôt le signe du mal », d’après L. Messaoudi. Cette dernière souligne la soumission de la
femme par rapport à l’homme dans la mesure où elle est subalterne à lui et son ultime objectif
est d’être reconnue par ce dernier (mari, frère, père,…etc.) :

31
Ziamari k, Barontini A, 2018, « De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain », in
STUDIES ON ARABIC DIALECTOLOGY AND SOCIOLINGUISTICS, Miller, Barontini, Germanos et al. (Éds).
https://books.openedition.org/iremam/4223
32
Leila Messaoudi, « Images et représentations de la femme dans les contes marocains du Nord-Ouest », Clio.
Histoire‚ femmes et sociétés *En ligne+, 9 | 1999, mis en ligne le 01 avril 2005, consulté le 19 avril. URL :
http://journals.openedition.org/clio/291 ; DOI : 10.4000/clio.291

23
« Des haines exacerbées, des trahisons infâmes, des jalousies corrosives animent ces
personnages féminins dont le seul pôle d’intérêt, le « objet de convoitise » est la place qui
leur accordée symboliquement par l’homme. Etre la préférée de l’époux, du père, du
maitre semble être leur seule préoccupation. Elles ne tirent leur raison d’être que de cette
place privilégiée et œuvrent par tous les moyens illicites et amoraux pour y parvenir.»

D’ailleurs, on a plusieurs expressions relatives à l’image négative de la femme au Maroc


on peut citer quelques-unes : hadak gha mra :( il s’agit juste d’une femme), c’est une expression
que certains utilisent pour assigner la faiblesse morale et physique à un homme. Ainsi, elmra
na9sa 3e9ale o eddin pour signifier que la femme manque de morale et de raison ; tayhder
b7al elbent ou b7al elmra, c’est à dire, il (homme) parle comme une fille, c’est une expression
qui stigmatise le parler féminin ; klema d l3yalat, pour dire la parole de la femme en s’adressant
à quelqu’un qui ne respecte pas ce qu’il dit et ne le fait pas. Cela veut dire que l’homme a la
parole contrairement à la femme. Li tbe3 jeret l3lyalat ibat bra c'est-à-dire qui suit l’opinion de
la femme (pute) va dormir dehors de sa maison ; elmra khet chitan, la femme est la sœur du
diable, pour exprimer le mal qui vient de la femme…etc.

Donc, la femme se retrouve symboliquement et discursivement avec un statut de « l’Autre »,


pour reprendre les mots de Christine Delphy33. C’est une division de la société en deux groupes ;
l’un a tout le pouvoir, l’autre est le symbole de la faiblesse et d’esclavage dont on ne parle pas
explicitement.

2.3. Le discours féminins vs le discours masculins.


Le langage dans ses manifestations réelles, c'est-à-dire sa concrétisation, montre que la
femme adopte certaines façons de parler qui ne ressemble pas à celles des hommes. De même les
sociolinguistes variationistes comme William Labov (1966) qui montre, en étudiant l’influence
de la variation sexuelle sur le langage et son usage, que le langage des femmes est connu par sa
créativité et son changement en mêlant plusieurs formes de prestiges. Elles utilisent
fréquemment un langage sensible qui se caractérise par le marquage linguistique révélant leur
statut social. En effet les femmes se caractérisent par la composition d’un discours poli face à
celui des hommes qui est agressif, en arabe marocain 7rach. Ainsi, les femmes possèdent des
caractères de la sensibilité qui les rendent sensibles aux relations sociales (Ennaji, 2009 ; 59).

L’homme marocain dit sata pour référer à son amie intime ; en revanche la femme peut dire la
même chose et d’une manière émotionnelle hbibi, c'est-à-dire amant ; et si une femme ose dire
sata, dans ce cas on lui attribue un caractère de l’homme qui à son tour perçu, d’après une
femme ou fille, une insulte morale. Dans l’imaginaire des Marocains, le langage des femmes est
considéré efféminé c'est-à-dire mebnet, alors que le langage des hommes est perçu « dure » et il
suggère la virilité « roujola » et incite les femmes et filles à le pratiquer dans la rue pour des
raisons qu’on va explorer à partir de notre corpus :

« Contrer les garçons devient cependant nécessaire quand elles sont attaquées, vannées,
pour montrer qu’elles peuvent elles aussi jouer de l’égalité. Mais cette égalité-là n’est pas

33
Delphy, C. (2008). Classer, dominer: qui sont les" autres"?. La fabrique éditions.

24
leur jeu, elles veulent plus et savent que c’est ailleurs qu’elles trouveront leur envol, dans la
réussite sociale, ancrée dans un autre parler. Si l’on a souvent dit que, dans les rapports de
diglossie, l’adoption de la norme et des parlers prestigieux était symbole d’assujettissement,
cette dernière est aussi espoir et libération hors de toute soumission masculine34. » (Claude
MOÏSE, 2002, p : 58)

Claude montre que ce recours au parler masculin est une nécessité imposé par les garçons.

En conclusion, le genre féminin au Maroc est stigmatisé et marginalisé sous prétexte de


sa structure biologique et sa faiblesse morale. Les représentations associées à la femme dans la
société marocaine sont négatives. La femme est jugée par sa condition physique et surtout pas
par ses capacités morales. On assigne souvent à la femme marocaine des adjectifs dévalorisants
comme s7ara, magicienne (au sens péjoratif du mot) et des fonctions domestiques. Dans ce
contexte stigmatisant, la femme se trouve obligée de « se masculiniser », de renoncer à son statut
et de se hisser au statut de l’homme pour avoir un peu de valeur dans cette société patriarcale où
l’homme a tout le pouvoir.

34
MOÏSE, Claudine. Pratiques langagières des banlieues: où sont les femmes. Ville-Ecole-Intégration Enjeux, 2002,
vol. 128, p. 46-60.

25
Chapitre 3 : Chakib Ousfour : Une mise en scène de
la masculinité.
L’identité des femmes au Maroc relève incontestablement d’un système de pensée
préétabli par la société. Le féminin, par un travail de classification social en fonction des
caractéristiques distinguant chaque sexe, est vu par la société comme un genre inférieur par
rapport à celui du masculin. Il s’agit d’expliciter, au moyen des oppositions binaires, les défauts
de féminité en créant simultanément un modèle masculin valorisant l’homme. L’homme
représente la classe dominante et la femme la classe dominée. Dans ce sens, le recours à la
stratégie de faire un genre masculin est fréquent chez certaines filles et femmes dans le but de
masquer cette image stigmatisée d’eux et se rassurer dans l’espace publique. Chakib Ousfour
c’est un personnage se trouvant derrière lui un type de ces femmes qui veulent avoir un statut
masculin afin d’éviter le plus possible le regard de l’homme. Chakib donne à voir également
plusieurs éléments participant à la construction du genre lesquels nous consacrerons le chapitre
suivant. Dans cette partie, nous décrirons. Et voir les dynamiques qui sont derrières de ce
passage du genre.

1- Corpus et Informatrice
1.1 Présentation du corpus d’étude
Comme la féminité et la masculinité sont des constructions sociales des sexes, il convient
d’interroger les représentations qui en découlent à travers un corpus qui les met en avant. Ces
deux notions ne sont pas perçues de la même manière. L’image stigmatisée d’une féminité,
reléguée au second degré, en comparaison d’une masculinité positive et dominante, laisse
émerger des attitudes « masculines, viriles » adoptées par des personnes, nées femmes. Certaines
femmes se trouvent obligées de construire un sexe social identique à celui des « hommes » et ce
passage se fait grâce à des stratégies corporelles : la gestuelle, l’habillement, entre autres, mais
aussi moyennant plusieurs outils : linguistiques (le discours performatif) et surtout en utilisant
l’arabe marocain.

Dans cette perspective, nous avons choisi un corpus qui s’inscrit dans un rapport homme-femme
et qui interroge le rapport de genre au Maroc. Il s’agit d’une série de vidéos diffusées sur
youtube et mettant en scène « un jeune » s’exprimant audacieusement et transgressant tous les
tabous langagiers pour transmettre des messages. Cette série a pour titre le nom de son
personnage, Chakib Ousfour35. Chakib est un personnage masculin, incarnant le rôle d’un jeune
garçon casablancais. Mais, en réalité c’est une femme qui joue ce rôle. Il s’agit de Mounia
Magueri, une actrice et militante marocaine résidant en France et y dirigeant une association
(ASIA : Accompagnement Social par l’Interprétariat et les Arts) qui présente un soutien
particulier aux migrantes qui subissent la violence sous toutes ses formes.

35
Chakib Ousfour est un podcast joué par Mounia Magueri et réalisé par Amin Smai

26
Ainsi, Chakib Ousfour est un personnage jeune charismatique, Marocain, Casablancais, qui
raconte, dans ces vidéos, ses problèmes quotidiens, ancrés dans la réalité marocaine, avec
hardiesse mais surtout avec humour. Pour exprimer ses propos, Chakib Ousfour utilise un
langage casablancais, masculin, populaire et de « la rue », des vêtements d’homme et imite une
voix masculine pour montrer ce côté viril (roujola) qu’il cherche à mettre en scène. Pour cela, ce
personnage veille à emprunter des accessoires masculins comme la moustache qui connote chez
les Marocains la virilité.

Plusieurs thèmes sont abordés dans ce corpus relatifs à la société marocaine comme la
sexualité, l’image de la femme, le pouvoir de l’homme et la critique de la virilité (roujola)…etc.
Justement, c’est cette critique mise en valeur par un discours tenu en arabe marocain qui nous
intéresse, dans la mesure où le discours reflète l’identité des locuteurs comme le souligne
Abdallah-Pretceille : « Ce n’est donc pas la langue qui témoigne des spécificités culturelles, mais
c’est le discours, c’est l’usage que les individus font de la langue qui est porteuse de sens »
(Abdallah-Pretceille, 1991 : 307).36

2.1. Informatrice : à propos de Mounia Magueri.

Figure 1 : Mounia en train de préparer son personnage (« La Revue de jour »)

« Il faut savoir tout de même que tous les personnages que j’ai joués existent vraiment37 »

36
Cité par Mgharfaoui, Kh (2017) dans « Langue et identité au Maroc », in Actes du colloque international :
Identités, mémoires et processus de reconnaissance ». Centre de la mémoire commune pour la démocratie et la
paix. Meknès 14 janvier 2017.
37
Voir Grand Portrait : Mounia Magueri, artiste, engagée dans l’humain. Ce portrait est filmé par Le Courrier de
l’Atlas, 11 Janvier 2019.

27
Le personnage narcissique de Chakib Ousfour est joué par Mounia Magueri. Elle profite
de ce personnage pour présenter l’image négative et hypocrite de rapport homme-femme : « ce
qui m’intéresse beaucoup c’est ce rapport homme-femme et Chakib était un bonne
personnage pour ça, parce que est un personnage misogyne, narcissique et bouc-émissaire
pour sortir tous ce qu’on pense sur l’homme stéréotypé »38.

Mounia Magueri justifie son choix du personnage de Chakib Ousfour par sa position à
l’égard de la situation de la femme au Maroc :

« Je ne suis pas dans un combat des femmes contre les hommes. Je suis dans le respect de
l’humain. Ce n’est pas une femme qui se fait battre par un homme. C’est un humain qui
frappe un autre. Je ne suis pas féministe. Je suis plus humaniste. Si je m’intéresse aux
femmes, c’est ce que je sais ce qu’elles ressentent. Je suis née par misogynie. Je suis une
fille adoptée, un enfant abandonné. Derrière ça, il y a une maman qui n’a pas pu élever son
enfant car c’était une femme qui avait fauté dans une société qui ne le permet pas ».39

Ainsi Chakib Ousfour exprime dès le début l’objectif de ce podcast en disant par ses mots
« masculines ».

« Ū anāya žit hənāya baš nəfid b əl-ˤilm dəyāli ū taqᾱfa dəyᾱli dərəyᾱt fəhᾱmətīnī! Ū dərᾱrī, ū
surtout, surtout dərᾱrī ah ! Fəhᾱmətī ! Anᾱya f əl-mᾱšərūˤ dəyᾱlī, f ə-lbᾱl dəyᾱlī bġīt nədiir šī
ktȧb məzyȧn ˤəla l-ḥᾱyᾱt dyᾱli anᾱya mˤa dərəyᾱt ū l-moġamāṛᾱt dəyᾱl lə-hᾱmᾱq40. »
(Épisode 1)

« Et moi, j’ai viens ici pour aider, par mon savoir et ma culture, les filles, tu me comprends ! Et
les garçons, et surtout, surtout les garçons ah ! Tu comprends ! Moi, dans mon projet, dans mon
esprit, je veux faire un livre super sur ma vie avec les filles et mes aventures de la folie. »

Il faudrait mentionner que l’usage d’un registre linguistique jeune dans cette série nous
rappelle le mouvement culturel que le Maroc avait connu à partir des années 2010 nommé
nayda. Avant et pendant cette période on a pu à distinguer un parler « jeune », employé par des
jeunes artistes, qui se caractérise par la transgression de la politesse et visant la révélation de la
marocanité, et les problèmes sociaux, surtout ceux qui sont liés à la jeunesse en se basant sur
l’humeur et la dérision :« Beaucoup de jeunes artistes utilise la darija pour s’exprimer, selon
eux, dans un [« parler vrai qui prend parfois des chemins plus directs, et donc plus crus 41»(
Caubet, 2005, p.240].

Dès lors, l’objectif de ce travail est d’essayer d’analyser le discours de ce personnage


dans le but de déterminer d’abord les outils linguistiques utilisés pour mettre en avant un genre
38
Chakib Osfour : Un(e) humoriste pas comme les autres. Portrait. 2MTV, le 31 octobre 2014
39
Voir Grand Portrait : Mounia Magueri, artiste, engagée dans l’humain. Ce portrait est filmé par Le Courrier de
l’Atlas, 11 Janvier 2019.
40
https://www.youtube.com/watch?v=Gy1eJdnNUFw&t=13s.
41
ZIAMARI, Karima ; DE RUITER, Jan Jaap. Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques
In : Le Maroc au présent : D'une époque à l'autre, une société en mutation [en ligne]. Casablanca : Centre Jacques-
Berque, 2015 (généré le 12 avril 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cjb/1068>. ISBN :
9791092046304. DOI : 10.4000/books.cjb.1068.

28
masculin. Comment les pratiques linguistiques de Chakib Osfour s’inscrivent-elles dans le
rapport de domination ? Comment cette « femme » arrive-t-elle à convaincre par la mise en
scène qu’elle fait du genre ? Quelle mise en scène du corps selon la perspective performative de
J. Butler

29
Chapitre 4 : Identification des travestissements et des
mécanismes discursifs et gestuels participant à la construction du
genre.

Le parler masculin semble se distinguer du parler féminin dans la mesure où ce dernier,


comme le rappellent Barontini et Ziamari (2009 : 164), est associé par certains linguistes
à « l’usage de diminutifs, d’euphémisme, de la politesse, d’expressions formulaires de serments
et de supplications42 ». Le discours des femmes doit toujours refléter leur féminité en
garantissant le code de la pudeur qui organise ce rapport homme- femme : « le code de la
pudeur (hchouma) encadre le comportement de la femme par rapport aux hommes et par rapport
à l’espace »43. Le parler masculin, quant à lui, constitue, pour les femmes qui l’empruntent, un
milieu de liberté langagière grâce à son lexique audacieux et à cette capacité à enfreindre les
normes établies.

Dans ce chapitre, il s’agira de décrire le parler masculin qu’adopte Chakib Osfour. Quels sont les
moyens linguistiques qui permettent d’associer masculinité/féminité à un type de discours ?

1- Etre une femme « virile » : c’est d’abord parler comme eux.


1.1. La voix : Elément définitoire de l’identité du genre.

Au niveau phonétique, la voix constitue naturellement un indice indiscutable qui permet


de différencier entre la femme et homme. Ces différences de la voix ne relèvent pas non
seulement de ce qui est physionomique et anatomique mais elles également d’ordre sociologique
dans la mesure où la voix joue un rôle fondamentale et basique dans la construction sociale de
l’identité du genre :

« Dans la littérature, on peut régulièrement trouver dans les descriptions des indications
sur leur voix et leurs manières de parler. La présence quasi-systématique de ces indications
montre, d’une part, le lien intime qui existe entre la voix et l’identité et d’autre part, quels types
de voix sont associés à la féminité et à la masculinité 44» (Arnold, 2015, p. 60)

Naturellement les voix féminines se distinguent des voix masculines, évidemment, par la
douceur et la mélodie. Dans le même sens et de point de vue acoustique, il y a deux ingrédients
essentiels qui permettent de construire une voix à des caractéristiques féminines ou à

42
F. Sadiqi (2003, pp. 152)
43
BOURQIA, Rahma. Genre et reconfiguration de la société marocaine In : Le Maroc au présent : D'une époque à
l'autre, une société en mutation [en ligne]. Casablanca : Centre Jacques-Berque, 2015 (généré le 12 avril 2019).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cjb/1041>. ISBN : 9791092046304.
44
Aron Arnold. La voix genrée, entre idéologies et pratiques – Une étude sociophonétique. Linguistique.
Université Sorbonne Paris Cité, 2015. Français. <NNT : 2015USPCA148>. <tel-01508858>.

30
caractéristiques masculines. Ces deux paramètres sont « la fréquence fondamentale » et «la
fréquence de résonance » :

« La fréquence fondamentale est le corrélat acoustique de la hauteur- c’est elle qui


détermine si une voix est perçue grave ou aiguë. La fréquence fondamentale est souvent
considérée comme étant le paramètre le plus important dans la différenciation entre voix des
femmes et voix d’hommes » 45

Plusieurs études phonétiques amenées par Traounmuller et Erikson (1995) qui ont permis
de relever une différence illustrative entre les fréquences fondamentales moyennes de locuteurs
féminins et masculin. De même Simpson voit qu’une telle différence est associée aux
comportements sociaux :

«Puisqu'il serait déraisonnable de prendre en compte des différences aussi importantes en


termes de différences anatomiques dans les populations étudiées, une partie de la différence
doit être attribuée aux comportements appris46 ». (Simpson, 2009)

Dans la même perspective Arnold montre dans sa thèse qu’ « utiliser une certaine fréquence
fondamentale plutôt qu’une autre relève donc aussi d’une pratique socioculturelle à travers
laquelle des locutrices et locuteurs, d’une part rendent intelligible leur appartenance à une
communauté linguistique et d’autre part reproduisent les normes genrées de cette
communauté47».

L’autre paramètre est celui des fréquences de résonance qui se définissent par le filtrage
qui attribue aux sons leur timbre. Notons que chaque résonance est déterminée par la forme de
conduit vocale. Bref, les fréquences de résonance sont considérées comme la mesure acoustique
du timbre. D’ailleurs Johnson48, cité par Arnold (2015) explique que les femmes et les hommes «
produisent des voix genrées différentes, et, ainsi performent leur genre de manière différente49 »
en soulignant que la fréquence de résonance est liée plus aux pratiques articulatoires qu’à
l’anatomie.

45
Ibidem.
46
Chapitre 1 Cité par Aron Arnold (2015, p. 77).
“Since it would be unreasonable to account for such large differences in terms of anatomical differences in the
populations being investigated, part of the difference must be attributed to learned behaviors. (Simpson, 2009)”
47
Arnold Aron, op, cit., p.77.
48
« [T]here is reason to believe that anatomical differences are not the exclusive source of the differences between
men and women’s vowel spaces. The evidence suggests that talkers differ from each other in other ways that can
not be predicted from vocal tract anatomy differences alone, and thus that the «coordinate system” used by
listeners in speech perception is, probably related to talker differences that extend beyond vocal tract differences.
» (Johnson, 2006)
49
Ibid., p. 107

31
De ce fait, la voix fait partie des éléments performatifs qui participent au genration binaire
puisqu’elle permet aux sujets parlants d’être considérés comme femme ou comme homme. Elle
est importante aussi dans la mesure où les identités homme et femme sont distinguées grâce à
elle. La voix d’homme représente par son caractère « herash » (viril) la virilité et la bravoure,
alors que la voix féminine doit respect le code la pudeur et par conséquent, la règle sociale ne lui
permet d’élever sa voix.

.Ainsi, par la modification de la voix Chakib Ousfour, qui est à l’origine une femme, parvient à
nous révéler une figure masculine en utilisant une intonation masculine qui se caractérise par un
volume, un timbre et mode d’articulation défèrent de ceux d’une femme.

2-1. le lexique

a- l’usage de l’impératif : signe du pouvoir.


Pour des linguistes, comme Damourette et Pichon (1930-1950), l’impératif est « un factif
verbal à caractère locutoire à travers lequel le locuteur extériorise un état psychologique qui
influence l’allocutaire.»50 De même, par son statut pragmatique, l’impératif entre en jeu afin de
réduire l’écart du pouvoir au profit de l’homme : « Purement pragmatique, la forme impérative
est en soi dépourvue de toute puissance exécutoire mais en même temps elle supprime la liberté
de l’initiative du destinataire.»51(Luce, 1995, p : 19)

De même l’usage et la prédominance de ce mode n’est pas étrange à la société marocaine car
c’est souvent l’homme en tant que « sultan » qui prend l’initiative de diriger sa femme en
particulier et sa famille en général :

« Mais indépendamment de la référence à l’institution royale comme pouvoir traditionnel


absolu, le sens étymologique du terme soltane est justement le pouvoir absolu. C’est pour
cette raison que le roi est appelé sultan. Sens étymologique et sens politique du terme
soltane sont donc associés à l’homme qui se marie, c’est-à-dire à celui qui fait preuve de
puissance sexuelle. Être homme/mari, c’est être sultan, être sultan,
c’est être homme/mari. Être homme/sultan, c’est être viril, c’est dominer
l’épouse, le pénis devenant ici l’instrument de la domination masculine. Par
conséquent, la vie conjugale est le champ par excellence où l’homme doit exercer
inconditionnellement sa domination 52 » (Abdessamad Dialmy, 2009, p.14).

Cette domination est rendue ici par des ordres absolus que Chakib donne aux filles qu’il
rencontre.

Chakib Ousfour utilise dans chaque phrase un verbe au mode impératif


notamment « madwīsh m3aaaaaya » pour insister sur la vérité « universelle » de ses idées et ses
propos et pour monopoliser la parole aussi. Par ailleurs, d’autres formes impératives comme

50
Petit Jean Luce. L'impératif dans le discours politique. In: Mots, n°43, juin 1995. Acte d'autorité, discours
autoritaires, sous la direction de Carmen Pineira et Gabriel Périès. pp. 19-32
51
Ibidem.
52
Vers une nouvelle masculinité au Maroc, Codesria, Dakar, 2009, par Abdessamad Dialmy

32
« madwix məˤᾱya nədiṛ lli bġayt ; mᾱtəbəqᾱyəš təgoli ləya mənīn ġadī omənīn žay, fīn žīti
omənīn rᾱdī(Ne me parles plus, je ferai ce que je veux ; tu ne me demande pas où je vais ou où
j’étais ?) ; təməšīy tasgīy mˤa l 10h o l 10h : 30min tᾱlgak fəd-dᾱṛ… » (Tu vas partir à 10h et tu
vas revenir chez toi à 10h : 30min….) (mentionner l’épisode et mettre le lien youtube en note)
témoignent-elles également sur la tentative de faire de son discours une source d’autorité
masculine et qui trouve ses manifestations dans la vie quotidienne de ce personnage ainsi d’un
certain nombre remarquable des Marocains.

Donc ces impératifs, qui constituent entre autres l’originalité du discours masculin, au
moins dans notre corpus, deviennent, par la répétition et l’usage régulier, des normes que doit
inconsciemment respecter chaque femme. Ce discours émaillé d’impératifs et de pronom
personnel de la première personne : « ana », c'est-à-dire le « je » et le « moi » et sa reprise sous
plusieurs formes, comme dans plusieurs énoncés de notre personnage : « Ū anᾱya », « et
moi » ; « aš tᾱnədīr līha anᾱya », « ce que je la fais-moi », vient pour construire la vérité de
sexe, notamment le sexe masculin en détriment de l’autre sexe féminin.

De même la femme, qui veut passer à la masculinité, est obligée d’utiliser dans son discours des
formes impératives dans l’objectif de montrer une personnalité forte qui prend toujours
l’initiative et qui exclut les choix de l’autre. Dans cette perspective on peut reprendre l’exemple
de notre personnage Chakib qui ordonne son amie et qui fait des choix à sa place :

« Tā ngῡl līha aš bəġītī tdīṛī, tᾱtgῡl līk « mᾱˤəṛᾱfətəš fīn bəġīt nəməšī u ašbəġīt nədīṛ » (il
baisse sa voix), tᾱtgῡl līha ana ˤᾱṛəf, yᾱk ntī mᾱˤəṛᾱfətəš anaˤᾱṛəf, yᾱḷᾱh zīdī… tᾱnəgῡl līha
xῡdī kᾱfəta u bəṛῡšīṭ, tᾱnətgῡl līk la bəzzᾱf, tᾱnəgῡl līha xῡdī kᾱfəta u bəṛῡšīṭ53.» (Épisode
6)

« Je lui dis que tu veux faire, elle dit « je ne sais pas où je veux partir et ce que je veux faire » et
je lui dis, toi tu ne sais non plus, moi je sais, aller, meus… je lui dis prends de viande hachée et
des brochettes, elle me dit non c’est trop et je lui dis prends de viande hachée et des brochettes

Ou également :

« Kᾱ tšῡf-ha žᾱṛṛa šī ṣᾱnəḍᾱla, tᾱnəgῡl līha yᾱḷᾱhi kᾱyən dᾱba ṛīkəlᾱm, xῡdi šī ṣᾱnəḍᾱla,
tᾱtəgῡl līk la ənᾱxəd ġīṛ dəyᾱl 30dh, « tᾱnətgῡl līha xῡdi dəyᾱl 100 dh » (épisode 6)

« Je la voie trainer des sandales et je lui dis on y va, il ya des soldes, prends des sandales, elle te
répond : non je vais prendre celles à 30 dh, et moi je dis non prends celles à 100dh »

Dans ce contexte on peut retenir qu’il y a une correspondance entre être un homme et le choix
qu’il fait pour s’adresser à une femme.

53
https://www.youtube.com/watch?v=TWMma3Fq6fo&t=395s

33
b. L’usage d’un lexique de la rue : allusions sexuelles.
Chakib Ousfour utilise un lexique qu’on peut qualifier de « hṛaš » et dur mais aussi qui
est expurgé de la politesse et du respect. O peut donner à titre d’exemple : « nətəwwᾱt », (je
cueille le fruit : le framboise), šī waḥəda bᾱġa lī yəkᾱš ˤəlīha (s’il y a une qui veut se
marier), gᾱˤəgᾱˤ yᾱzūbīda, (une femme très pesante) səxᾱn ləya aṣᾱhəbī, (réchauffe-toi mon
ami), tebartishe dans « məzyȧna l ət-təbaṛətiš assᾱhəbī!…etc.

Ces expressions employées par Chakib ont une valeur expressive et culturelle. Le mot
« tbartiš », qui signifie « chambre, local », suggère immédiatement un acte sexuel. Le verbe
« nətwwᾱt : draguer des filles» connote aussi un acte charnel dans la mesure où il fait référence
au plaisir sexuel. Dans ce sens, les femmes elles-mêmes, évidemment dans un contexte précis
(viril), recourent au même lexique en utilisant souvent la voix ou l’intonation masculine afin de
s’intégrer dans le monde des hommes, car le harcèlement sexuel si on veut dire passe d’abord
par un acte verbal : « Ainsi, comme le souligne S. Kiesling (2007, p. 664), la domination
associée à la masculinité peut être employée par n’importe quel locuteur en utilisant un trait
linguistique masculin. »54

En somme, c’est la domination des femmes par /dans le discours des hommes qui forme
le premier motif qui pousse les femmes à s’approprier ce parler « masculin » surtout quand elles
se trouvent dans un espace viril, comme le témoignent les informatrices de Ziamari et Barontini :
« Pour M, l’emploi d’un parler « masculin » naît d’une nécessité. C’est une forme d’adaptation
et d’accommodation pour se faire respecter dans un milieu professionnel rude et pénible. En
effet, la manière de parler « ṛižālīya » (masculine) selon la propre expression de l’informatrice
M, est liée au rapport de domination qui peut s’instaurer entre M et des collègues hommes. Plus
précisément, c’est une pratique qui, à condition de l’utiliser à bon escient, permet de renégocier
ce rapport pour le neutraliser en se faisant accepter symboliquement comme pair. » (Ziamari &
Barontini, 2009, p.159)

Donc la voix, comme un élément paralinguistique, ainsi que le lexique font partie des
mécanismes de genration et constituent deux indices forts par lesquels une femme manifeste une
identité masculine, cependant le discours lui seul ne suffit pas pour mettre en scène un genre, car
le discours a besoin de corps et de l’apparence qui l’actualisent.

54
Karima Ziamari et Barontini, op, cit. p. 105

34
2- Habillement 55: le code vestimentaire participe à la fabrication du
marquage sexué des corps

Figure 2 : Image 2 (tirée de page Facebook : 7sab saboune)

En étudiant le système de Mode, Relond Barthes 56 soutient que le vêtement constitue un


objet de communication dans la mesure où il fait partie du système langagier. Par conséquent,
l’habillement, qui comprendrait les dimensions et les gestes individuels du vêtement, devient la
parole et vise à transmettre des messages mais aussi à mettre en valeur l’apparence physique des
individus.

De même, pour Cornelia Bohn, « le vêtement constitue à l’instar de la langue ou de


l’écriture une forme de communication sociale « (Bohn, 2001, p : 191) ; au moyen de laquelle
chacun peut transmettre un message mais aussi bien qu’une identité du genre : « l’utilisation
d’un vêtement constitue un moyen ostentatoire de jouer un schéma idéal de genre bipolaire et
hétéronomé57 ». Dès lors, on comprend que le comportement vestimentaire participe à une
construction particulière du genre.

Si l’actrice Mounia Magueri a choisi des vêtements de type masculin pour son
personnage pour jouer ce rôle d’un homme stéréotypé, c’est parce que l’habillement est aussi le
moyen d’exprimer la masculinité, pour ainsi dire, le vêtement masculin traduit la liberté du corps
masculin, alors que le système vestimentaire de la femme est le révélateur de la non- liberté du
55
Voir figure 1.
56
Burgelin Olivier. Barthes et le vêtement. In: Communications, 63, 1996. Parcours de Barthes. pp. 81-100.
DOI : https://doi.org/10.3406/comm.1996.1958
www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1996_num_63_1_1958
57
Rémi Richard et Éric Dugas, « Le genre en jeu. De la construction du genre dans les interactions en tennis de table
», Sociologies [En ligne], Théories et recherches, mis en ligne le 09 mai 2012, consulté le 12 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/sociologies/3969

35
corps de la femme. D’ailleurs, Florence Gherchanoc et Valérie Huet58 soulignent que le
vêtement, en tant que fait social, est lié au corps ; il est sa mise en scène et sa mise en valeur, en
lui assignant à la fois son identité et une idéologie à travers des discours dédiés à tel ou tel type
du vêtement.

De plus, le fait que Chakib porte des vêtements masculins (une chemise et un pantalon)
révèle que les valeurs masculines dominantes se traduisent ainsi par le vêtement et montre bel et
bien que « le vêtement semble jouer un rôle fondamentale dans le processus performatif qui fait
exister le genre 59». Un autre paramètre vient en question dès qu’on fixe notre choix sur
vêtement, c’est le discours. En effet, chaque habillement déclenche un discours particulier qui
participe à la construction des stéréotypes sur le genre en valorisant un sur l’autre : « le discours
sur le vêtement cristallise du savoir refoulé sur le rapport au genre et à la sexualité 60»

Ainsi cette différence des pratiques vestimentaires entre les hommes et les femmes
engendre le découpage culturel du genre comme le souligne Coline Lett 61: « les pratiques
vestimentaires différenciées (intra et inter-genre) sont parmi les dernières manifestations
matérialisant le découpage culturel du genre, tout en soulevant les contradictions les plus
profondes.»

En définitive, le vêtement est, selon la formule célèbre maussienne62, un « fait social total »
qui constitue un marquage de la différence des sexes, et le choix des vêtements masculins par les
femmes renforce telle idée et a une fin ultime celle de supprimer les normes dominantes de la
virilité. L’image de Chakib Ousfour met en question ces actes performatifs relatifs à l’habit, et il
va de soi que l’habillement renvoie aux stéréotypes qui sont liés au corps car il participe à la
stylisation genrée du corps63.

3- Le corps : la femme « transgenre » doit libérer son corps.

58
Gherchanoc Florence, Huet Valérie, « Pratiques politiques et culturelles du vêtement. Essai historiographique»,
Revue historique, 2007/1 (n° 641), p. 3-30. DOI : 10.3917/rhis.071.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-
historique-2007-1-page-3.htm
59
Coline Lett. Le prétexte du vêtement : sociologie du genre au prisme des pratiques vestimentaires.
Sociologie. Université Grenoble Alpes, 2016. Français. <NNT: 2016GREAH003>. <tel-01372404>, p : 17
60
Ibid. p : 15
61
Ibid. p : 18
62
En reprenant la définition de Mauss qu’a donné au « fait social totale » Frédéric Godart montre que « La mode
est un fait social total puisqu’elle est simultanément artistique, économique, politique, sociologique… et qu’elle
touche à des questions d’expression de l’identité sociale. La perspective développée dans ce livre est sociologique
parce que la mode est une industrie où la construction du sens est centrale, qu’il s’agisse des styles ou des
identités des groupes et des individus » Godart, Frédéric. « Introduction / La mode, un « fait social total » ? »,
Frédéric Godart éd., Sociologie de la mode. La Découverte, 2010, pp. 3-11.
63
« L’idée que le genre est performatif a été conçue pour montrer que ce que nous voyons dans le genre comme
une essence intérieure est fabriqué à travers une série ininterrompue d’actes, que cette essence est posée en tant
que telle dans et par la stylisation genrée du corps. » BUTLER, Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la
subversion de l’identité, La découverte, Paris, 2005, p 96.

36
1.3. Corps et discours : l’un fait l’autre.
Comme la performativité désigne tout acte significatif qui peut produire un effet (dans ce
cas un effet genré), le corps devient un acte performatif matérialisé qui vise à mettre en valeur
une identité du genre et le discours remplit cette fois-ci la fonction d’ancrage ; il permet, par la
répétition et la réitération, au corps de s’imposer et de révéler son identité. Selon J. Butler : « la
répétition discursive prenant littéralement corps, le corps et l’effet de la répétition dans le temps
d’actes de discours 64 ». Dans ce cas le corps devient une production discursive.

Le discours, dans cette perspective, devient l’incarnation des normes ritualisées qui font
de sexe une matérialité performative. En assistant à un « processus par lequel des normes
régulatrices matérialisent le ‘sexe’ et réalisent cette matérialisation à travers la
réitération forcée de ces normes. 65» En fait, le corps et le langage ne sont pas
profondément indépendants dans la mesure où la présence de l’un suppose d’emblée l’existence
de l’autre. Par ailleurs, le discours actualise le genre et permet aux individus de montrer leurs
vérité sexuelle par un acte de discours cité comme norme et le discours joue un rôle
indispensable de dresser les frontières entre les corps sexués, ainsi entre les genres. Le corps à
son tour performe le langage, il lui donne son pouvoir de produit des effets, notamment, ces
effets construisent l’arrière-plan de la stylisation de corps :

« Le langage et la matérialité sont enchâssés l’un dans l’autre et


forment un chiasme dans leur interdépendance, sans toutefois s’assimiler ou se réduire tout
à fait l’un à l’autre, sans jamais non plus entièrement s’excéder l’un l’autre66 »

De même, pour mettre en avant ses qualités corporelles qui distinguent le corps masculin
du corps féminin dont la bravoure constitue la première qualité, Chakib joue ainsi sur son
discours. En effet parmi les énoncés qui vont de pair avec le corps masculin de Chakib on peut
citer :

« Ȧ wlᾱd dəṛb hənᾱya, ṛῡžῡla, dəwa məˤᾱk šī wᾱḥəd nəxlī dᾱṛ būh, dəwa məˤᾱk šī wᾱḥəd
nəžəbəd ləmᾱṭwīya dəyᾱlī nəfᾱṛətku. » (Épisode 2)

« Les jeunes du quartier que nous sommes ! C’est de la virilité, si quelqu’un cherche à te
provoquer, je l’abattrai, je vais le déchiqueter avec mon couteau »

Dans la société marocaine ou le corps féminin est perçu comme objet, la femme qui veut
lutter contre ce jugement irréel doit correspondre à son corps un discours masculin qui va
métamorphoser cette image que les hommes construisent de son corps.

64
Cité par Laetitia Biscarrat. Les représentations télévisuelles du couple homme-femme : une approche par le
genre. Sociologie. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2012. Français. <NNT :
2012BOR30021>. <tel-00747408>, voir chapitre II, p : 109.
65
Judith Butler, Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du « sexe »,
Paris, Amsterdam, 2009, p : 16
66
Judith Butler, Ces corps qui comptent, op.cit., p.80.

37
2.3. Une femme virile « mṛažžla » : de la métamorphose d’un corps « faible ».

Figure 3 : Image 3 (extraite de site web : niooz.fr)

L’image en question montre l’importance du corps dans la démarche de Chakib. Ce


dernier s’expose avec fierté67. D’autre part, ce corps est mis en valeur par le personnage en
jouant sur la posture, la morphologie et le discours. En effet, Chakib Ousfour porte une
moustache qui connote la virilité ; matérialise une identité masculine ritualisée et qui « rend la
masculinité dans sa forme la plus pure. ».

Chakib porte dans sa main une cigarette. En fait, comme l’accomplissement du genre
demande « un ensemble d’activités socialement orientées, qui ont trait au perceptuel, à
l’interactionnel et au micropolitique et qui modèlent des cours d’action particuliers en
expressions des « natures » masculine et féminine. 68 », la cigarette vient pour concrétiser la
liberté de l’homme. Par ailleurs, tenir une cigarette à la main ou même fumer n’est pas un effet
du hasard mais cela rejoint la parade du genre69 et renforce l’appartenance de Chakib Ousfour à
la catégorie des hommes. Le lien entre l’action de fumer et la masculinité est fondé sur l’article
de West et Don H. Zimmerman qui s’articule autour d’une appréhension ethnométhodologique

67
Voir figure 3
68
West Candace, Zimmerman Don H, « Faire le genre », Nouvelles Questions Féministes, 2009/3 (Vol. 28), p. 34-61.
DOI : 10.3917/nqf.283.0034. URL : https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2009-3-page-
34.htm
69
«  Si le genre peut être défini comme l’ensemble des corrélats culturellement constitués du sexe (que ceux-ci
s’ensuivent de la biologie ou de l’apprentissage, peu importe), alors la parade de genre renvoie aux interprétations
ritualisées de ces corrélats. »Goffman, Erving (1976). « Gender Display ». Studies in the Anthropology of Visual
Communication, 3, 69-77. (« Le déploiement du genre », traduit par Frédérique Beuzon et Sébastien
Sengenes, Terrain, 42, pp. 109-128, 2004).

38
informée et sociologique qui se base sur une étude faite par Garfinkel (1967) sur Agnès, on
comprend que la cigarette est une activité ritualisée qui peut construire une identité du genre ou
le déconstruire :

« Certaines femmes peuvent être jugées non féminines, mais cela ne fait pas d’elles des
« non-femmes ». Agnès était confrontée à la tâche continue d’être une femme – quelque
chose qui va au-delà du style de vêtement (une parade d’identification) ou de l’activité
ritualisée qui consiste à permettre aux hommes d’allumer sa cigarette (une parade de
genre). Son problème était de produire des configurations de comportements
reconnaissables par autrui comme étant des comportements de genre appropriés, à savoir
conformes à la catégorie de sexe à laquelle elle revendiquait appartenir. » (West &
Zimmerman 2009, p: 44)

4- La femme lutte pour être un être humain.

1.4. le corps de la femme ne lui appartient pas.


D’abord le corps féminin, dans la société musulmane marocaine, entre dans le cadre de ce
qui est interdit « ḥaṛam ». En effet, Amina Benmansour met en avant cette caractéristique du
corps féminin en relation avec l’acte de chanter :

« Or le corps féminin, dans une société musulmane comme la nôtre, est ʻawra. Voilé, soustrait
au regard masculin, ce corps doit se faire le plus discret possible, si ce n’est invisible. Tout
comportement, tout geste ostentatoire, susceptible d’attirer l’attention de l’homme, est
considérée comme un attentat à la pudeur. Perçu sous cet angle –là, chanter devient un acte
hautement prohibé et contraire aux bonnes mœurs. » 70

D’ores et déjà tout jugement sur le corps de la femme est basé sur la notion de la sexualité dans
la mesure où le corps féminin est lié au désir sexuel. Parler du corps de la femme, c’est parler de
ses qualités qui font de ce corps une convoitise sexuelle. D’ailleurs, notre personnage Chakib
Ousfour, en parlant de la femme, utilise des noms ou/et des adjectifs faisant de la femme un objet
de sexe, à cet égard on peut citer ces exemples :

« Təd-di nāṣibək fə ṣ-ṣātāt bāš tāləb-bi šāhāwāt dəyālək ū ṛāġābāt »

« Tu prendrais ta part de filles afin de satisfaire tes besoins sexuels »

« Dāk nəhāṛ təlāgit mˤa wāhd ṣātā mitālyā lətəbaṛətiš wālākin fin ?»

« Autre jour, j’ai vu une fille exemplaire pour faire l’amour mais où ? »

« m-mi xāṣək təšūfi mˤāya ši hāl hit ila bqit mˤāk hāka ya nəxətātf lik ši wəhda ya im-ma
ġānžib ši wəhda ῡ nqəṣ-ṣiha ῡ həya təfəhəm… »,

« Ma mère, tu dois me trouver une solution parce que si je reste comme ça je prétends
voler chaque fille et je la mange et elle comprend… »

70
Amina Benmansour, Paroles errantes, paroles conquérantes. La littérature orale marocaine.

39
« Sāta mūt gāˤəgāˤ yāzῡbida »

« Bonne filles !! »

« Məṛa məṛa ləwāhd xāṣ-ṣῡ idəbār 3la ši bānāna ūl-la ši wāhəda məṣika katˤəlȧk fə ləfūm »

« De temps en temps, il faut trouver une fille de bonne taille, ou une comme le
chouinegomme, »

Ces extraits du corpus (épisode 1071) dénoncent les représentations sociales à l’égard du corps
féminin. En effet, le corps de la femme traduit le désir, l’instinct, la sensation et connote la
sexualité. Il est également contrôlé par la société :

« Oui. Le corps féminin est sous contrôle de la communauté. Il n’est pas un bien individuel
qui lui appartient à elle seule. Et la virginité jusqu’au mariage est l’une de ces injonctions,
elle symbolise aussi l’honneur de sa famille, la virilité de ses membres masculins (frères,
pères…) » 72

En outre Chakib insiste sur cette idée en parlant du corps de la femme comme un objet qu’il doit
partager avec elle :« Dərəyᾱt tᾱtəbᾱn līhūm šᾱhəwᾱ mən l-qᾱṣ, tᾱtəbᾱn līhūm wᾱš nəta
šᾱhəwᾱ u ḷḷa mᾱšī šᾱhəwᾱ (…) iwa ṣᾱfī kᾱdəṛᾱb dᾱšī həya (…) u nəta kᾱtgūl dᾱkəšī dəyᾱlī,
dᾱkəšī ˤəla id-dīya u bəfəlūsī u fəhᾱmətīnī u bəfəlūsī u dəyᾱlī. Tᾱyəwlī ˤᾱndᾱk nᾱṢib f-
dᾱkəšī əlīˤᾱndəha u l-līhᾱzzᾱh » (épisode 2)

« Les filles voient le désir à partir de la nourriture, tu insinues que tu les désires ou non.
Enfin elle mange et toi tu dis maintenant cette fille est la mienne, ça c’est à moi et par mon
argent, je peux l’avoir. Tu comprends. Tu as une partie de ce qu’elle a de ses bien, de ce
qu’elle porte (de son corps) »

Chakib Ousfour joue sur le corps afin de mettre en scène un corps masculin qui s’oppose
au corps féminin. Le symbole de bravoure et de la puissance et d’autres qualités sont dédiés au
corps masculin. Pour ce faire, Chakib se présente sur scène avec une moustache, des cheveux
courts et mal coiffés (les cheveux des femmes sont en principe longs), et des vêtements
masculins pour libérer son corps. De plus, il fait des postures et des gestes corporels ressemblent
à ceux de l’homme et rappellent des normes phallocratiques développées par l’homme pour faire
de la femme un être subalterne de tous les jours.

2.2. La féminité dans le corps masculin : une corporéité rebelle.


Le stéréotype du cops masculin que veut incarner Mounia Magueri à travers le
personnage de Chakib est une construction sociale car les valeurs de la virilité se dégagent avant

71
https://www.youtube.com/watch?v=93D3Aqcw2HU&t=15s
72
Sanaa El Aji « Le corps des femmes est sous le contrôle de la société »Par Astrid Krivian

40
tout du corps. La métamorphose du corps féminin en corps masculin, dans une société où le
« phallogocentrisme » est le leader, est un effet de souffrance morale que subit la femme. La
métamorphose de Chakib constitue une rébellion, d’abord par le moyen de mots mais fortement
par la mise en scène de corps masculin.

De ce fait le personnage de Chakib Ousfour représente l’image d’une femme qui veut
dénoncer l’état d’une femme marocaine qui vit sous la tutelle des hommes.

Le passage qu’une femme à un statut viril n’est pas dû au hasard, c’est l’effet de plusieurs
dynamiques socioculturelles et sociolinguistique qui sont au profit de l’homme et rend la femme
un objet dont l’homme a besoin. L’homme excluait la femme dans le discours et dans réalité. La
femme face aux comportements des hommes manifeste une identité masculine pour éviter d’être
une esclave.

En conclusion « faire un genre » masculin, notamment par les filles dans le contexte
marocain, se situe dans une dimension langagière et corporelle socialement orientées. Ces filles
cherchent à adopter un modèle d’homme construit selon les normes de notre société : ces
normes concernent le langage, le corps et l’habillement. Magueri met en scène ces trois éléments
pour jouer le rôle de Chakib, le stéréotype masculin de la société marocain.

41
Conclusion générale.

Nous avons entrepris ce travail dans l’objectif de décrire les mécanismes du «passage »
d’une identité féminine à une identité masculine dans le cadre de « faire genre ». Nous avons
voulu comprendre également les dynamiques qui sont derrières ce passage. A cet égard, nous
avons choisi d’étudier le cas de Chakib Ousfour : un personnage masculin joué par l’actrice
Mounia Magueri.

A partir de l’étude de notre corpus nous avons vu que le passage de l’identité féminine à
l’identité masculine se réalisait par un ensemble d’actes essentiellement ritualisés. D’abord, les
femmes, qui adoptent un genre masculin, sont obligées de reconstruire un parler masculin qui se
caractérise par la hardiesse. Sociolinguistiquement, ce sont des pratiques langagières qui portent
en elles-mêmes les signes de la différence, de la domination et de stigmatisation.

Pour arriver être crédible dans sa mise en scène de la masculinité, la femme (ici Mounia
Magueri) joue sur son corps en le libérant de la pudeur et des vêtements qui symbolisent la
féminité. Le vêtement alors dévoilé le genre plus qu’il le masque. La femme travaille surtout sur
le visage car le visage présente non seulement la physionomie mais aussi produit un effet sur
l’autre. Elle fait du visage un miroir de l’identité qu’elle veut transmettre devant un groupe
masculin.

D’un autre côté, le masculin est considéré par le féminin comme un genre idéal auquel on
associe des valeurs sociales très positives, notamment le gouverneur, le sultan de la famille, doué
de bravoure, de force, de liberté…etc. Par ailleurs, la virilité devient le symbole de pouvoir.
C’est un pouvoir à deux visages car il représente pour quelque unes une nécessité et un devoir.
Cependant, faire un genre masculin est justifié évidemment par le désir de déconstruire des
pensées établies d’une manière stéréotypique sur le genre féminin et de reconfigurer celles qui
sont établies sur le genre masculin. .

Les médias jouent le rôle du support concernant la critique de la virilité aujourd’hui. Et le


podcast devient un outil pour transmettre des messages et des informations. Il constitue, en
général, un type spécifique de rivalité pour les femmes, où elles révèlent une autre identité
contraire à celle qu’on voit en réalité. Bref, le web libère la parole de la femme.

42
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