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DE L’EUROPE OF EUROPE
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes nos 22522/03, 28903/03, 28904/03, 28906/03, 28907/03,
28908/03, 28909/03 et 28910/03
présentées par BOZCAADA KİMİSİS TEODOKU RUM ORTODOKS
KİLİSESİ VAKFI
contre la Turquie
EN FAIT
La requérante, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
(Fondation de l’Eglise orthodoxe grecque Bozcaada Kimisis Teodoku), est
une fondation de droit turc située à Çanakkale. Son statut est conforme aux
dispositions du Traité de Lausanne concernant les fondations appartenant
aux minorités religieuses. Elle est représentée devant la Cour par
Me A. Sakmar, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le
Gouvernement ») est représenté par son agent.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se
résumer comme suit.
Par des plans cadastraux de 1991, 1992 et 1993, il fut établi qu’aucun
titre de propriété n’avait été inscrit au registre foncier au nom de la
requérante concernant les parcelles sises à Bozcaada-Çanakkale. La
Direction générale du registre foncier et du cadastre constata que
l’intéressée n’avait pas déposé dans les délais sa déclaration sur le
patrimoine de la fondation prévue par la loi no 2762 de 1936.
La requérante n’ayant pas fait opposition dans le délai légal de trente
jours, lesdits plans cadastraux furent publiés et devinrent définitifs.
Par une lettre du 27 novembre 2000, la Direction générale des fondations
invita la requérante à saisir les tribunaux compétents en vue de l’inscription
de ses biens immobiliers au registre foncier.
En juillet 2001, la requérante introduisit devant le tribunal cadastral de
Bozcaada, pour chaque parcelle de terrain, des recours tendant à
l’inscription des biens en question à son nom au registre foncier.
2. Détails de la procédure
Les détails de la procédure suivie devant les juridictions nationales
figurent dans le tableau ci-dessous :
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Les fondations des minorités religieuses, qu’elles soient ou non dotées de statuts,
peuvent acquérir ou posséder des biens immeubles, avec l’autorisation du Conseil des
ministres, pour faire face à leurs besoins dans les domaines religieux, de bienfaisance,
sociaux, éducatifs, sanitaires et culturels.
Si la demande est introduite dans les six mois à partir de l’entrée en vigueur de la
présente loi, les biens immeubles dont la possession, sous quelque forme que ce soit,
est établie par des registres fiscaux, des baux ou autres documents, sont inscrits au
registre foncier au nom de la fondation pour faire face aux besoins de cette dernière
dans les domaines religieux, de bienfaisance, sociaux, éducatifs, sanitaires et culturels.
Les biens qui ont été donnés ou légués à la fondation sont soumis aux dispositions de
cet article. »
Par ailleurs, l’article 3 de la loi no 4778 du 2 janvier 2003 prévoit que les
« fondations des minorités religieuses » peuvent désormais acquérir des
biens immobiliers et en disposer et ce, qu’elles soient ou non dotées de
statuts (acte de fondation).
De nombreuses modifications à la législation régissant les fondations ont
été apportées par les lois no 4771 du 9 août 2002 et no 4778 du 2 janvier
2003, ainsi que par le règlement du 24 janvier 2003 relatif à l’acquisition de
biens immeubles par les fondations des communautés.
La loi no 5737 sur les fondations, adoptée le 20 février 2008 et publiée au
Journal officiel le 27 février 2008, a abrogé la loi no 2762 sur les fondations.
Aux termes de l’article 13 de la loi sur le cadastre, un bien immobilier
non encore inscrit est inscrit au registre foncier au nom de celui qui prouve,
au moyen de documents, d’expertises ou de déclarations de témoins, l’avoir
possédé à titre de propriétaire, sans interruption et paisiblement, pendant
plus de vingt ans.
GRIEFS
La requérante soutient qu’en refusant l’inscription de ses biens
immobiliers au registre foncier, les juridictions internes ont violé son droit
au respect de ses biens. Elle prétend que la législation et son interprétation
par les juridictions nationales impliquent, pour des fondations appartenant à
des minorités religieuses non musulmanes au sens du Traité de Lausanne,
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EN DROIT
A titre préliminaire, la Cour constate que les huit requêtes sont similaires
en ce qui concerne les faits et les griefs soulevés. En conséquence, elle juge
approprié de procéder à leur jonction, en application de l’article 42 § 1 du
règlement.
La requérante, invoquant l’article 14 de la Convention et l’article 1 du
Protocole no 1, se plaint du refus de sa demande tendant à l’inscription au
registre foncier des biens immobiliers dont elle était possesseur. Par ailleurs,
invoquant l’article 9 de la Convention, elle se plaint d’une atteinte à sa
liberté de culte.
Le Gouvernement excipe pour sa part du non-respect du délai de six
mois et du non-épuisement des voies de recours internes.
La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner en l’espèce la question de
savoir si la requérante a satisfait à la condition relative à l’épuisement des
voies de recours internes ou au respect du délai de six mois, les requêtes
étant en tout état de cause irrecevables pour les motifs indiqués ci-dessous.
La requérante soutient qu’à la suite de la demande de la Direction
générale des fondations, elle avait introduit devant le tribunal compétent des
recours tendant à l’inscription de ses biens immobiliers au registre foncier à
son nom. Pour ce faire, elle s’était fondée notamment sur le critère de la
possession sans interruption. Selon elle, les preuves présentées à l’appui de
son action, en particulier les quittances des taxes foncières et les
déclarations des experts locaux, établissaient suffisamment sa qualité de
propriétaire prima facie des biens en question. En effet, elle affirme qu’elle
possédait lesdits biens depuis près d’un siècle et qu’elle pouvait ainsi
légitimement espérer obtenir gain de cause, de sorte que l’article 1 du
Protocole no 1 était bien applicable en l’affaire. Ce n’est que par une
appréciation arbitraire des preuves en présence que les tribunaux auraient
choisi de s’appuyer, au contraire, sur les expertises agricoles pour la
débouter de son action. En lui faisant ainsi porter un fardeau excessif quant
à l’administration de la preuve, les juridictions internes auraient donc porté
atteinte à son droit au respect de ses biens.
Le Gouvernement observe que la requérante, en tant que demanderesse,
n’a pas su assumer le fardeau de la preuve et démontrer son droit de
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soit-il, et une espérance légitime, qui doit être de nature plus concrète et se
fonder sur une disposition légale ou avoir une base jurisprudentielle solide
en droit interne (voir Kopecký, précité, § 52).
A cet égard, l’intéressée se plaint de l’issue des procédures introduites
contre le Trésor pour revendiquer des titres de propriété dont elle prétendait
qu’ils étaient siens. Or les procédures en question ne portaient pas sur un
« bien actuel », la requérante ne se trouvant que dans la position de simple
demanderesse (voir, mutatis mutandis, Gratzinger et Gratzingerová,
décision précitée, ainsi que Glaser c. République tchèque, no 55179/00,
§ 54, CEDH 2008-...).
Dans ses jugements, le tribunal du cadastre, après avoir ordonné des
expertises agricoles et entendu des témoins ainsi que des experts locaux et
techniques, et après avoir examiné un certain nombre de documents dont les
croquis cadastraux, les registres d’impôts et du cadastre relatifs aux biens en
question présentés par les parties ou recueillis d’office, a conclu que les
conditions d’acquisition de la propriété par voie de possession n’étaient pas
réunies. Il a en particulier relevé que la possession alléguée ne résultait
d’aucun acte concret. En effet, les champs agricoles n’avaient pas été
cultivés depuis des longues années ou n’étaient pas loués à des tierces
personnes par la requérante. L’ancien monastère en ruine était abandonné.
Par ailleurs, il n’était pas établi que l’ensemble des quittances des taxes
foncières présentées par la requérante concernaient les biens en cause. De
même, s’agissant de la parcelle no 532-43, le tribunal a ordonné son
inscription au nom d’une tierce personne, considérant que cette dernière, qui
avait acquis le bien en question et le terrain avoisinant, l’avait possédé
pendant plus de vingt ans.
La Cour relève que dans le cas d’espèce, la requérante se plaint
essentiellement de la manière dont les tribunaux nationaux ont appréhendé
la question centrale du litige, à savoir sa qualité de possesseur, et apprécié
les preuves qu’elle a produites dans la limite des moyens dont elle disposait.
La Cour estime qu’il s’agit là de questions qui relèvent a priori de
l’appréciation des juridictions nationales. Ces dernières, après avoir
examiné minutieusement les faits de la cause et les arguments des parties,
ont conclu que la requérante n’avait pas prouvé la possession des biens en
question de manière suffisamment certaine pour en obtenir la propriété par
le jeu de la prescription acquisitive. Rappelant sa compétence limitée pour
connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les
tribunaux internes, la Cour n’aperçoit aucune apparence d’arbitraire dans la
manière dont les juridictions internes ont statué sur les demandes de la
requérante.
A la lumière de ces considérations, la requérante ne peut être regardée
comme ayant montré qu’elle était titulaire d’une créance suffisamment
établie pour être exigible, et ne peut donc pas se prévaloir de l’existence de
« biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, les décisions des
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