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CONSEIL COUNCIL

DE L’EUROPE OF EUROPE

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME


EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes nos 22522/03, 28903/03, 28904/03, 28906/03, 28907/03,
28908/03, 28909/03 et 28910/03
présentées par BOZCAADA KİMİSİS TEODOKU RUM ORTODOKS
KİLİSESİ VAKFI
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant


le 9 décembre 2008 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites le 3 juin 2003 (no 22522/03
concernant la parcelle no 532/43), le 18 juin 2003 (no 22522/03 concernant
la parcelle no 474/38) et le 21 juillet 2003 (nos 28903/03, 28904/03,
28906/03, 28907/03, 28908/03, 28909/03 et 28910/03),
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles
présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
2 DÉCISION BOZCAADA KİMİSİS TEODOKU RUM
ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

EN FAIT
La requérante, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
(Fondation de l’Eglise orthodoxe grecque Bozcaada Kimisis Teodoku), est
une fondation de droit turc située à Çanakkale. Son statut est conforme aux
dispositions du Traité de Lausanne concernant les fondations appartenant
aux minorités religieuses. Elle est représentée devant la Cour par
Me A. Sakmar, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le
Gouvernement ») est représenté par son agent.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se
résumer comme suit.
Par des plans cadastraux de 1991, 1992 et 1993, il fut établi qu’aucun
titre de propriété n’avait été inscrit au registre foncier au nom de la
requérante concernant les parcelles sises à Bozcaada-Çanakkale. La
Direction générale du registre foncier et du cadastre constata que
l’intéressée n’avait pas déposé dans les délais sa déclaration sur le
patrimoine de la fondation prévue par la loi no 2762 de 1936.
La requérante n’ayant pas fait opposition dans le délai légal de trente
jours, lesdits plans cadastraux furent publiés et devinrent définitifs.
Par une lettre du 27 novembre 2000, la Direction générale des fondations
invita la requérante à saisir les tribunaux compétents en vue de l’inscription
de ses biens immobiliers au registre foncier.
En juillet 2001, la requérante introduisit devant le tribunal cadastral de
Bozcaada, pour chaque parcelle de terrain, des recours tendant à
l’inscription des biens en question à son nom au registre foncier.

1. Faits relatifs à chacune des parcelles


Les faits relatifs à chacune des parcelles peuvent se résumer comme suit :
a) Parcelles nos 474-38, 167-13, 527-38, 527-99, 186-4, 385-17, 133-28 et 107-88
(requêtes nos 22522/03, 28903/03, 28904/03, 28906/03, 28907/03, 28908/03,
28909/03 et 28910/03)
Dans le cadre de la procédure intentée devant lui, le tribunal cadastral de
Bozcaada ordonna des expertises agricoles et entendit des témoins et des
experts locaux et techniques. Il recueillit les croquis cadastraux ainsi que les
registres d’impôts et du cadastre relatifs aux biens en question.
Par des jugements rendus le 6 décembre 2001 (no 28908/03) ainsi que le
14 janvier (no 22522/03 – parcelle no 474-38 – , nos 28903/03, 28904/03,
28906/03, 28909/03 et 28910/03) et le 24 janvier 2002 (no 28907/03), le
tribunal débouta la requérante au motif qu’elle n’avait pas prouvé la
possession des biens en question de manière suffisamment certaine pour
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ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

pouvoir en obtenir la propriété par le jeu de la prescription acquisitive. Il


releva tout d’abord que la fondation, qui était dotée de la personnalité
juridique, disposait de la capacité d’acquérir des biens immobiliers.
Cependant, il observa que les biens en question n’étaient pas inscrits au
registre foncier et que la fondation n’était que simple demanderesse. A cet
égard, le tribunal souligna que la possession alléguée ne résultait d’aucun
acte concret. S’agissant des champs agricoles (parcelles nos 474-38, 167-13,
527-38, 527-99, 186-4, 385-17, 133-28 et 107-88), l’expertise agricole avait
établi qu’ils n’avaient pas été cultivés depuis de longues années. Quant à
l’ancien monastère, l’objet de la requête no 28907/03 (parcelle no 186-4), le
tribunal constata que, selon les experts locaux, ledit immeuble était en ruine
et abandonné depuis plus de dix ans.
Par ailleurs, s’agissant des parcelles nos 474-38, 385-17 et 133-28,
compte tenu de l’absence de documents ou de témoins susceptibles de
confirmer un acte de location, le tribunal n’accueillit pas la thèse selon
laquelle les biens en question se trouvaient en possession de la fondation,
qui aurait exercé son droit de propriété en les louant à des tiers. Le tribunal
conclut que, faute de possession véritable, les quittances des taxes foncières
payées par la requérante ne suffisaient pas à établir un droit de propriété sur
les biens question. En outre, s’agissant de la parcelle no 385-17, il constata
qu’il n’était pas établi que les documents produits par la requérante
concernant les quittances des taxes foncières concernaient le bien en
question et indiqua qu’il en allait de même s’agissant des parcelles
nos 167-13, 527-38 et 527-99.
Ces jugements furent confirmés par la Cour de cassation. Celle-ci précisa
également qu’en droit interne, la législation ne permettait pas aux
fondations d’acquérir la propriété par prescription acquisitive.
b) Parcelle no 532-43 (requête no 22522/03)
En ce qui concerne la parcelle no 532-43, par un jugement du 28 mars
2002, le tribunal débouta la requérante au motif que les conditions
d’acquisition de la propriété par voie de possession n’étaient pas réunies et
ordonna l’inscription du bien au nom d’H.E, partie intervenante au procès,
qui avait acquis le bien en question et le terrain contigu à titre onéreux
vingt-cinq ans auparavant et était restée en possession du bien litigieux
pendant plus de vingt ans.
Le 17 octobre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la
requérante et confirma ainsi le jugement de première instance.

2. Détails de la procédure
Les détails de la procédure suivie devant les juridictions nationales
figurent dans le tableau ci-dessous :
4 DÉCISION BOZCAADA KİMİSİS TEODOKU RUM
ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

REQUÊTES PARCELLES DATE DU DATE DE LA DATE DE DATE DE DATE DE LA


PLAN SAISINE DU L’ARRÊT DE L’ARRÊT DE LA NOTIFI-
CADASTRAL TRIBUNAL LA COUR DE COUR DE CATION
CADASTRAL CASSATION CASSATION
(rejet du (rejet de la
pourvoi) demande en
rectification de
l’arrêt)
22522/03 474 – 38 22/6/1992 30/7/2001 29/4/2002 15/11/2002 23/12/2002
22522/03 532 – 43 1/4/1993 30/7/2001 17/10/2002 ------------- 4/12/2002
28903/03 167 – 13 31/5/1991 6/7/2001 29/4/2002 27/12/2002 24/01/2003

28904/03 527 – 38 1/4/1993 30/7/2001 9/5/2002 30/12/2002 7/2/2003

28906/03 527 – 99 1/4/1993 30/7/2001 7/5/2002 30/12/2002 7/2/2003

28907/03 186 – 4 31/5/1991 30/7/2001 7/5/2002 30/12/2002 7/2/2003

28908/03 385 – 17 16/6/1992 30/7/2001 11/4/2002 30/12/2002 7/2/2003

28909/03 133 – 28 31/5/1991 6/7/2001 29/4/2002 27/12/2002 28/1/2003

28910/03 107 – 88 30/5/1991 6/7/2001 29/4/2002 30/12/2002 7/2/2003

3. Saisine des tribunaux administratifs


Entre-temps, la loi no 4771 du 9 août 2002 était entrée en vigueur et
ouvrait aux fondations la possibilité de demander l’inscription au registre
foncier des biens immeubles dont la possession était établie.
Le 13 janvier 2003, sur le fondement de l’article 4 de ladite loi, la
requérante introduisit auprès de la Direction générale des fondations une
demande visant à l’inscription des biens en question au registre foncier à
son nom. Cependant, sa demande fut rejetée le 26 mars 2006 au motif que
les biens étaient inscrits au registre foncier au nom du Trésor ou de tierces
personnes.
Par un jugement du 6 mai 2004, le tribunal administratif d’Ankara rejeta
le recours en annulation de la décision susmentionnée introduit par la
requérante. Le tribunal considéra notamment que lorsque des biens litigieux
étaient inscrits au registre foncier au nom de tierces personnes ou du Trésor
ou qu’un litige portant sur le titre de propriété demeurait pendant devant les
instances internes, l’administration ne pouvait procéder à l’inscription des
biens en cause au nom de prétendu possesseur.
Le 30 mai 2007, le Conseil d’Etat confirma le jugement de première
instance.
Le 8 novembre 2007, la requérante forma un recours en rectification de
l’arrêt du 30 mai 2007. Cette procédure est toujours pendante devant le
Conseil d’Etat.
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ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Fener


Rum Erkek Lisesi Vakfı c. Turquie (no 34478/97, §§ 23-30, CEDH 2007-...).
La législation régissant le statut des fondations subit une modification en
2002. L’article 4 de la loi no 4771 du 9 août 2002 dispose comme suit :
« A. Les alinéas ci-dessous sont ajoutés à la fin de l’article 1 de la loi no 2762 du
5 juin 1935 sur les fondations.

Les fondations des minorités religieuses, qu’elles soient ou non dotées de statuts,
peuvent acquérir ou posséder des biens immeubles, avec l’autorisation du Conseil des
ministres, pour faire face à leurs besoins dans les domaines religieux, de bienfaisance,
sociaux, éducatifs, sanitaires et culturels.

Si la demande est introduite dans les six mois à partir de l’entrée en vigueur de la
présente loi, les biens immeubles dont la possession, sous quelque forme que ce soit,
est établie par des registres fiscaux, des baux ou autres documents, sont inscrits au
registre foncier au nom de la fondation pour faire face aux besoins de cette dernière
dans les domaines religieux, de bienfaisance, sociaux, éducatifs, sanitaires et culturels.
Les biens qui ont été donnés ou légués à la fondation sont soumis aux dispositions de
cet article. »
Par ailleurs, l’article 3 de la loi no 4778 du 2 janvier 2003 prévoit que les
« fondations des minorités religieuses » peuvent désormais acquérir des
biens immobiliers et en disposer et ce, qu’elles soient ou non dotées de
statuts (acte de fondation).
De nombreuses modifications à la législation régissant les fondations ont
été apportées par les lois no 4771 du 9 août 2002 et no 4778 du 2 janvier
2003, ainsi que par le règlement du 24 janvier 2003 relatif à l’acquisition de
biens immeubles par les fondations des communautés.
La loi no 5737 sur les fondations, adoptée le 20 février 2008 et publiée au
Journal officiel le 27 février 2008, a abrogé la loi no 2762 sur les fondations.
Aux termes de l’article 13 de la loi sur le cadastre, un bien immobilier
non encore inscrit est inscrit au registre foncier au nom de celui qui prouve,
au moyen de documents, d’expertises ou de déclarations de témoins, l’avoir
possédé à titre de propriétaire, sans interruption et paisiblement, pendant
plus de vingt ans.

GRIEFS
La requérante soutient qu’en refusant l’inscription de ses biens
immobiliers au registre foncier, les juridictions internes ont violé son droit
au respect de ses biens. Elle prétend que la législation et son interprétation
par les juridictions nationales impliquent, pour des fondations appartenant à
des minorités religieuses non musulmanes au sens du Traité de Lausanne,
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ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

l’incapacité d’acquérir des biens immobiliers. Elle estime que cette


incapacité constitue une discrimination par rapport aux autres fondations.
Elle invoque à ces égards l’article 14 de la Convention et l’article 1 du
Protocole no 1.
Invoquant l’article 9 de la Convention, la requérante se plaint également
d’une atteinte à sa liberté de culte.

EN DROIT
A titre préliminaire, la Cour constate que les huit requêtes sont similaires
en ce qui concerne les faits et les griefs soulevés. En conséquence, elle juge
approprié de procéder à leur jonction, en application de l’article 42 § 1 du
règlement.
La requérante, invoquant l’article 14 de la Convention et l’article 1 du
Protocole no 1, se plaint du refus de sa demande tendant à l’inscription au
registre foncier des biens immobiliers dont elle était possesseur. Par ailleurs,
invoquant l’article 9 de la Convention, elle se plaint d’une atteinte à sa
liberté de culte.
Le Gouvernement excipe pour sa part du non-respect du délai de six
mois et du non-épuisement des voies de recours internes.
La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner en l’espèce la question de
savoir si la requérante a satisfait à la condition relative à l’épuisement des
voies de recours internes ou au respect du délai de six mois, les requêtes
étant en tout état de cause irrecevables pour les motifs indiqués ci-dessous.
La requérante soutient qu’à la suite de la demande de la Direction
générale des fondations, elle avait introduit devant le tribunal compétent des
recours tendant à l’inscription de ses biens immobiliers au registre foncier à
son nom. Pour ce faire, elle s’était fondée notamment sur le critère de la
possession sans interruption. Selon elle, les preuves présentées à l’appui de
son action, en particulier les quittances des taxes foncières et les
déclarations des experts locaux, établissaient suffisamment sa qualité de
propriétaire prima facie des biens en question. En effet, elle affirme qu’elle
possédait lesdits biens depuis près d’un siècle et qu’elle pouvait ainsi
légitimement espérer obtenir gain de cause, de sorte que l’article 1 du
Protocole no 1 était bien applicable en l’affaire. Ce n’est que par une
appréciation arbitraire des preuves en présence que les tribunaux auraient
choisi de s’appuyer, au contraire, sur les expertises agricoles pour la
débouter de son action. En lui faisant ainsi porter un fardeau excessif quant
à l’administration de la preuve, les juridictions internes auraient donc porté
atteinte à son droit au respect de ses biens.
Le Gouvernement observe que la requérante, en tant que demanderesse,
n’a pas su assumer le fardeau de la preuve et démontrer son droit de
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ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

propriété. Selon lui, les éléments de preuve présentés par la requérante ne


sauraient suffire à établir une possession ou un droit de propriété. Se
référant aux principes de la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement
soutient que les griefs de la requérante sont manifestement mal fondés,
puisque l’intéressée ne pouvait se prévaloir d’avoir disposé de « biens
actuels ». Il ajoute qu’elle n’avait pas davantage d’« espérance légitime » de
voir ses recours aboutir.
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 1 du
Protocole no 1 ne vaut que pour les biens actuels. Un attribut futur ne peut
ainsi être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il fait
l’objet d’une créance certaine. En outre, l’espoir de voir reconnaître un droit
de propriété que l’on est dans l’impossibilité d’exercer effectivement ne
peut non plus être considéré comme un « bien », et il en va de même d’une
créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non-réalisation de la
condition (voir Gratzinger et Gratzingerová c. République tchèque (déc.)
[GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII). Cependant, dans certaines
circonstances, l’« espérance légitime » d’obtenir une valeur patrimoniale
peut également bénéficier de la protection de l’article 1 du Protocole no 1.
Ainsi, lorsque l’intérêt patrimonial est de l’ordre de la créance, l’on peut
considérer que l’intéressé dispose d’une espérance légitime si un tel intérêt
présente une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est
confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux. Toutefois, on ne
peut conclure à l’existence d’une « espérance légitime » lorsqu’il y a
controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué
et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en
définitive rejetés par les juridictions nationales (voir Kopecký c. Slovaquie
[GC], no 44912/98, §§ 50 et 52, CEDH 2004-IX).
D’emblée, la Cour observe que la présente espèce se distingue de
l’affaire Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı précitée, où la controverse portait sur
l’annulation des titres de propriété des biens immobiliers appartenant à une
fondation, en application d’une jurisprudence en vertu de laquelle les
fondations ne disposent pas de la capacité d’acquérir des biens immeubles.
En l’espèce, il ne fait pas de doute que la requérante, fondation appartenant
à une minorité religieuse, est dotée de cette capacité. La question principale
que la Cour est appelée à trancher est de savoir si en refusant l’inscription
des biens immobiliers de l’intéressée au registre foncier, les juridictions
internes ont violé le droit de celle-ci au respect de ses biens.
A cet égard, la Cour relève qu’en introduisant des recours, la requérante
espérait obtenir les titres de propriété des biens en question qu’elle
prétendait posséder sans interruption depuis plus de vingt ans. Toutefois,
l’espoir que les juridictions nationales trancheraient en sa faveur ne peut pas
être considéré comme une forme d’« espérance légitime » au sens de
l’article 1 du Protocole no 1. Comme la Cour l’a énoncé à de multiples
reprises, il y a une différence entre un simple espoir, aussi compréhensible
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ORTODOKS KİLİSESİ VAKFI c. TURQUIE

soit-il, et une espérance légitime, qui doit être de nature plus concrète et se
fonder sur une disposition légale ou avoir une base jurisprudentielle solide
en droit interne (voir Kopecký, précité, § 52).
A cet égard, l’intéressée se plaint de l’issue des procédures introduites
contre le Trésor pour revendiquer des titres de propriété dont elle prétendait
qu’ils étaient siens. Or les procédures en question ne portaient pas sur un
« bien actuel », la requérante ne se trouvant que dans la position de simple
demanderesse (voir, mutatis mutandis, Gratzinger et Gratzingerová,
décision précitée, ainsi que Glaser c. République tchèque, no 55179/00,
§ 54, CEDH 2008-...).
Dans ses jugements, le tribunal du cadastre, après avoir ordonné des
expertises agricoles et entendu des témoins ainsi que des experts locaux et
techniques, et après avoir examiné un certain nombre de documents dont les
croquis cadastraux, les registres d’impôts et du cadastre relatifs aux biens en
question présentés par les parties ou recueillis d’office, a conclu que les
conditions d’acquisition de la propriété par voie de possession n’étaient pas
réunies. Il a en particulier relevé que la possession alléguée ne résultait
d’aucun acte concret. En effet, les champs agricoles n’avaient pas été
cultivés depuis des longues années ou n’étaient pas loués à des tierces
personnes par la requérante. L’ancien monastère en ruine était abandonné.
Par ailleurs, il n’était pas établi que l’ensemble des quittances des taxes
foncières présentées par la requérante concernaient les biens en cause. De
même, s’agissant de la parcelle no 532-43, le tribunal a ordonné son
inscription au nom d’une tierce personne, considérant que cette dernière, qui
avait acquis le bien en question et le terrain avoisinant, l’avait possédé
pendant plus de vingt ans.
La Cour relève que dans le cas d’espèce, la requérante se plaint
essentiellement de la manière dont les tribunaux nationaux ont appréhendé
la question centrale du litige, à savoir sa qualité de possesseur, et apprécié
les preuves qu’elle a produites dans la limite des moyens dont elle disposait.
La Cour estime qu’il s’agit là de questions qui relèvent a priori de
l’appréciation des juridictions nationales. Ces dernières, après avoir
examiné minutieusement les faits de la cause et les arguments des parties,
ont conclu que la requérante n’avait pas prouvé la possession des biens en
question de manière suffisamment certaine pour en obtenir la propriété par
le jeu de la prescription acquisitive. Rappelant sa compétence limitée pour
connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les
tribunaux internes, la Cour n’aperçoit aucune apparence d’arbitraire dans la
manière dont les juridictions internes ont statué sur les demandes de la
requérante.
A la lumière de ces considérations, la requérante ne peut être regardée
comme ayant montré qu’elle était titulaire d’une créance suffisamment
établie pour être exigible, et ne peut donc pas se prévaloir de l’existence de
« biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, les décisions des
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tribunaux nationaux rendues sur les recours concernés n’ont pu constituer


une ingérence dans la jouissance des biens de l’intéressée. Il s’ensuit que
ces griefs doivent être rejetés comme manifestement mal fondés, en
application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 14, combiné avec l’article 1
du Protocole no 1 et l’article 9 de la Convention, la Cour observe qu’ils ne
sont pas étayés par la requérante. Au surplus, elle relève qu’il ne ressort pas
du dossier que la requérante ait soulevé ces griefs, expressément ou en
substance, devant les juridictions nationales saisies. Il s’ensuit qu’au vu du
dossier et dans la mesure où les griefs ne sont pas étayés, cette partie de la
requête doit également être rejetée comme manifestement mal fondée, en
application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Sally Dollé Françoise Tulkens


Greffière Présidente

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