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Peter VERMEULEN

Comment pense
une personne
autiste ?
Préface de
Bernadette Rogé
L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en langue néerlandaise
sous le titre Dit is de titel, Over autistisch denken, Vlaaamse Dienst Autisme,
Uitgeverij EPO vzw, 1999.

Une première édition en français a été publiée en 2002


par le Centre de Communication Concrète sous le titre : Ceci est le titre.
©Peter Vermeulen/Centre de Communication Concrète.

L’éditeur remercie Madame Elaine Taveau, présidente de l’Association


Asperger Aide, pour le concours qu’elle a apporté à cet ouvrage.

Illustration de couverture : © INFINITY - Fotolia.com

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1FUFS7FSNFVMFO
Dessins originaux : Thijs Vander Meiren

Ce pictogramme mérite une explication. établissements d’enseignement supérieur,


Son objet est d’alerter le lecteur sur provoquant une baisse brutale des achats
la menace que représente pour l’avenir de livres et de revues, au point que la
de l’écrit, particulièrement dans possibilité même pour les auteurs
le domaine de l’édition tech- de créer des œuvres nouvelles et
nique et universitaire, le dévelop- de les faire éditer correctement
pement massif du photo- est aujourd’hui menacée.
copillage. Nous rappelons donc que
Le Code de la propriété toute reproduction, partielle ou
intellectuelle du 1er juillet 1992 totale, de la présente publication
interdit en effet expressément la est interdite sans autorisation du
photocopie à usage collectif Centre français d’exploitation du
sans autorisation des ayants droit. Or, droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-
cette pratique s’est généralisée dans les Augustins, 75006 Paris).

© Dunod, Paris, 2005, pour la traduction française


ISBN 978 2 10 070747 8

Toute reprŽsentation ou reproduction intŽgrale ou partielle faite sans le


consentement de lÕauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite
selon le Code de la propriŽtŽ intellectuelle (Art L 122-4) et constitue une
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dispositions des articles L 122-10 ˆ L 122-12 du mme Code, relatives ˆ la
reproduction par reprographie.
Sommaire

PRÉFACE VII

NOTES DE L’AUTEUR XI

REMERCIEMENTS XIII

1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » : sur ce livre 1

2. Originalité inattendue : sur l’humour et l’autisme 9

3. Mécanique amusante : sur l’humour et l’intelligence


artificielle 15

4. Il faut s’arrêter au feu rouge : sur l’intelligence


autistique (1) 23

5. Quand la vie est une ligne en pointillé : sur le comportement


social et l’identité 35

6. Le chevalier des fléchettes : sur la communication 53


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

7. Les frites de pommes : sur la rigidité 71

8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 : sur la résolution


des problèmes 83

9. Entre les lignes : sur l’intelligence autistique (2) 99

10. Notes finales : sur « les petits chiffres » de ce livre 123

BIBLIOGRAPHIE. SUR LA LITTÉRATURE CONSULTÉE 135

TABLE DES MATIÈRES 141


Préface

personnes peu informées, l’énigme de l’autisme réside


P OUR LES
dans l’étrangeté d’enfants qui, n’ayant pas accès aux codes
courants de la communication, affichent un visage impénétrable,
présentent des réactions incompréhensibles pour l’entourage, ou
s’isolent dans un refus d’échange avec leur entourage social.
Pour les scientifiques, l’aspect énigmatique de l’autisme est lié au
problème de l’étiologie. Les causes précises de cette affection et les
mécanismes par lesquels le développement se trouve entravé restent
en effet globalement inconnus, même si l’on est capable maintenant
de situer le déficit initial au niveau biologique. Plus les avancées sont
grandes dans la connaissance scientifique du syndrome autistique, et
plus la complexité du processus qui est à l’origine de ce désordre
du développement se fait jour. Il nous faut renoncer à la recherche
d’une cause unique et nous orienter vers une compréhension en
termes d’interactions entre différents facteurs susceptibles d’enrayer
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

le processus de développement à une période précoce.


Le foisonnement de travaux scientifiques a permis dans les der-
nières années de préciser la piste génétique. L’origine génétique, déjà
envisagée à partir des études familiales et des études de jumeaux, se
confirme maintenant au travers de la recherche de particularités sur
les chromosomes chez toutes les personnes atteintes dans une même
famille ou au travers de l’étude de gènes impliqués dans des maladies
associées à l’autisme (gènes candidats). Mais il reste à préciser
comment les gènes affectés affectent ensuite le développement du
cerveau et l’adaptation de l’enfant. Les travaux en imagerie céré-
brale viennent de confirmer récemment le déficit d’intégration du
VIII Préface

langage qui représente probablement l’un des pivots de la difficulté


de développement des comportements sociaux. Sur d’autres terrains,
ce sont les fonctions de base, comme le traitement de l’information
à des niveaux plus ou moins complexes, qui sont explorés. On a
ainsi découvert que les autistes avaient du mal à traiter l’information
liée au mouvement, ce qui permet de comprendre leur apparente
indifférence aux signaux sociaux non verbaux (gestes, mimiques
faciales). D’autres fonctions comme l’imitation sont aussi explorées,
ces études ayant permis de confirmer le fait qu’il n’y a pas de
déficit absolu dans ce domaine puisque même des personnes atteintes
d’autisme sévère sont capables d’imitation lorsqu’elles sont placées
dans un environnement propice à l’émergence du comportement
attendu. Ces différentes recherches n’ont pas toutes les mêmes appli-
cations pratiques. Si les retombées concrètes des études génétiques
au bénéfice des personnes sont encore lointaines, les progrès dans
la compréhension des mécanismes qui sous-tendent les problèmes
d’adaptation pourraient déboucher assez rapidement sur des infor-
mations utilisables dans les programmes éducatifs.
En effet, pour le moment, la meilleure manière d’apporter de
l’aide aux personnes atteintes d’autisme, c’est de comprendre leur
fonctionnement particulier. Car elles obéissent à une logique qui
n’est pas la nôtre, et éprouvent de ce fait des difficultés à comprendre
le comportement des autres et à s’y adapter.
C’est à la pensée autistique que Peter Vermeulen a décidé de
consacrer ce livre en illustrant, par de nombreuses anecdotes, le
type de logique à laquelle adhèrent les personnes avec autisme.
L’auteur compare le fonctionnement de la personne avec autisme
à celui d’un ordinateur. La logique implacable de l’ordinateur est
en effet telle, qu’elle conduit à des réponses qui correspondent à la
lettre à l’information qu’on leur a fournie. En ce sens, l’image de
l’ordinateur est vraiment appropriée pour illustrer la manière dont
la personne atteinte d’autisme est insensible aux multiples sens qui
peuvent se cacher derrière des mots ou des situations. La traduction
littérale des données aboutit, on le voit de manière explicite dans les
exemples fournis, à des décalages terribles dans la compréhension de
ce qui est dit ou fait et dans les réponses fournies aux consignes ou
remarques formulées verbalement. Peter Vermeulen nous montre en
toute simplicité comment le décalage crée des situations inattendues
et donc amusantes.
Préface IX

Ordinateur et humour ne font a priori pas partie du même monde.


Pourtant, dans cet ouvrage, Peter Vermeulen a pris le parti d’aborder
un sujet éminemment sérieux par le biais de l’humour. Il s’agit là
d’un véritable tour de force car il met ainsi en exergue le décalage des
personnes autistes lorsqu’elles appliquent une logique informatique.
Comprendre le sens littéral des mots et des situations et répondre
en fonction de ce sens littéral crée des écarts inattendus pour nous
entre ce qui a été formulé et le résultat qui en découle. Le langage et
le monde social étant remplis de sous-entendus, il est évident que ce
type de logique aboutit à des situations surréalistes et cocasses. Peter
Vermeulen illustre son propos par de nombreux exemples qui ont une
force pédagogique inouïe. Le lecteur est en effet confronté à ce que
signifie pour la personne atteinte d’autisme un monde où tout doit
se deviner et selon des règles qui sont fluctuantes. La pensée cohé-
rente qui permet de faire des choix d’informations, de les regrouper
intuitivement, de saisir les nuances, d’accepter les exceptions en
fonction du contexte est inaccessible dans le cas de l’autisme. C’est
ainsi que la personne dont la pensée reste au niveau du détail et de
la règle inflexible se conduit comme le fonctionnaire qui applique
le règlement à la lettre, fut-ce au prix d’une attitude absurde. Car
la prise de décision et la résolution de problème demandent une
sensibilité au contexte et à sa mouvance : ce qui est vrai et applicable
dans une situation et avec certaines personnes ne l’est pas forcément
en un autre lieu, dans un autre milieu humain. Vivre au milieu des
autres suppose des capacités de tri de l’information, de sélection, de
catégorisation et d’interprétation. Le monde morcelé des personnes
avec autisme se limite à une succession d’informations juxtaposées,
mises en mémoire avec parfois la capacité d’un ordinateur, mais pas
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

organisées en fonction du bon sens. Le comportement des personnes


atteintes d’autisme reflète ce fonctionnement : lenteur, difficulté à
saisir les situations, surtout lorsqu’elles ont un sens caché, ritualisa-
tion, besoin de contrôler le déroulement complet d’une action, besoin
de la reprendre pour l’exécuter intégralement lorsqu’une séquence a
été interrompue. Les personnes atteintes d’autisme « comprennent
la vie d’une autre manière » et cela est dû à ce style cognitif qui
leur est propre. Mais elles peuvent aussi comprendre la vie « de
moindre façon » car la déficience intellectuelle est souvent associée
à l’autisme. Et même chez les personnes dont l’autisme n’entame
pas une intelligence qui peut être normale ou supérieure, ce mode
X Préface

d’appréhension de la réalité est source de décalage et d’inadaptation.


C’est là que réside essentiellement le handicap de l’autisme.
Les anecdotes rapportées illustrent à merveille ce style cognitif
et ses répercussions au niveau de la compréhension et du compor-
tement. Le lecteur sourit souvent mais il ne rit pas de la personne
autiste qui est toujours traitée avec respect et tendresse. Le lecteur rit
de lui-même : lui qui parle de manière obscure et allusive et ne va pas
jusqu’au bout de sa logique, lui qui dit des choses qui ne reflètent pas
ce qu’il pense, qui pense des choses qu’il ne dit pas, lui qui fait des
remarques qui ne veulent rien dire... Somme toute, il vit la situation
de l’arroseur arrosé car au fond, la véritable énigme, ce pourrait être
le fonctionnement des « neuro-typiques » qui proposent un monde
absurde aux personnes atteintes d’autisme.
C’est vrai, le message de ce livre est entre les lignes, au sens
propre et au sens figuré, comme pour lui donner encore plus de force.
Nous qui sommes dotés d’empathie, nous pouvons comprendre ce
qu’est la pensée autistique, nous en imprégner, avoir une double
lecture du monde et tendre ainsi la main aux personnes atteintes
d’autisme...

Professeur Bernadette ROGÉ.


Université de Toulouse-Le-Mirail, UFR de Psychologie
et Centre d’Études et de Recherches en Psychopathologie (CERPP).
Notes de l’auteur

’ ÉDITION originale de ce livre a été publiée en néerlandais en


L 1996. La traduction en langue française s’est avérée ardue, tant
en raison de différences culturelles que de différences linguistiques.
Elle ne pourra probablement pas mettre en valeur toutes les subtilités
et nuances avec lesquelles l’auteur a traité dans sa langue maternelle
les domaines de la communication et du langage. La vraie valeur
de ce livre réside, comme vous le lirez plus loin, « dans » les règles
et « derrière » les mots. Si certaines expressions ou certains extraits
peuvent sembler étranges ou même heurter le lecteur francophone, il
faut considérer ce sentiment comme un avantage, celui de participer
à l’expérience des personnes atteintes d’autisme qui ont, elles aussi,
bien souvent ce même sentiment d’incompréhension de ce que nous
disons ou écrivons dans notre langue maternelle...
En utilisant le terme « autisme » nous renvoyons à tous les
troubles du spectre autistique. Ce livre parle donc aussi bien
de personnes atteintes du syndrome d’Asperger, de troubles
envahissants du développement non spécifiés ou d’autisme atypique.
Enfin, l’auteur fait don des revenus de ce livre à une initiative de
collaboration qui a pour but de fournir des services à des personnes
atteintes d’autisme et à leur entourage.
Remerciements

n’aurait pu voir le jour sans le support et la


C E LIVRE
contribution précieuse de Det Dekeukeleire, Cis Schiltmans,
Dr Prof. I. A. van Berckelaer-Onnes, ainsi que de nombreux parents
et personnes atteintes de troubles du spectre autistique.
L’auteur remercie tout particulièrement Bernadette Rogé, pro-
fesseur de psychologie à l’université de Toulouse-le-Mirail, qui a
accepté de rédiger la préface de la traduction française.
Merci également à Effy Vanspranghe et Martine Foubert pour leur
contribution à cette même traduction.
Enfin, nous remercions Mme Elaine Taveau (Association Asper-
ger Aide) qui nous a introduits chez Dunod.
1

« Décris-moi comme si
j’étais un ordinateur » :
sur ce livre

et l’autisme ont bien quelque chose en com-


L ES ORDINATEURS
mun. C’est plus qu’un hasard si les personnes intelligentes
souffrant d’autisme présentent un intérêt particulier pour les ordina-
teurs. Un certain nombre d’entre elles communique par Internet, le
réseau international informatique. De plus, les ordinateurs semblent
un moyen d’enseignement remarquable pour les enfants autistes. Leo
Kanner, pionnier de la description de l’autisme avait déjà remar-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

qué en 1943 que les enfants qu’il avait examinés avaient quelque
chose du robot. Leur comportement lui semblait quelque peu méca-
nique, manquant de sentiment humain et remarquablement rigide1 .
À l’époque de Kanner, les ordinateurs étaient encore du domaine de
la science-fiction pour la majorité des gens. Aujourd’hui, au début
du XXIe siècle, ces appareils font partie de la vie quotidienne. Tout
un chacun commence à se débrouiller avec ces machines « intelli-
gentes ». De plus en plus de personnes savent les faire fonctionner et
même les enfants parlent de « télécharger », « formater », « surfer »

1. Les notes se trouvent en fin d’ouvrage, chapitre 10, « Notes finales : sur “les
petits chiffres” de ce livre », p. 123.
2 Comment pense une personne autiste ?

comme s’il s’agissait de beurrer une tartine. Les ordinateurs ne


sont plus des instruments magiques, super-puissants et futuristes
mais d’ordinaires objets utiles dans la vie quotidienne. Certaines
personnes savent d’ailleurs mieux utiliser leur ordinateur que leur
grille-pain... Des parents d’enfants autistes qui ont l’expérience de
l’informatique comparent le comportement et la pensée de leur
enfant avec ceux d’un ordinateur et précisent à leur propos : « Si
nous ne le programmons pas, il n’y a rien à en tirer » ou « Si nous
n’appuyons pas sur la bonne touche, elle ne nous comprend pas. »
La façon qu’ont les ordinateurs de traiter les informations montre
d’étranges similitudes avec la « pensée » des personnes autistes.
La pensée autistique est le sujet de ce livre. D’une part, nous
en savons toujours plus sur la pensée informatique et d’autre part,
la connaissance scientifique de la pensée autistique a connu ces
dernières années un essor extraordinaire.
Dès le début, l’autisme a été considéré comme un trouble énigma-
tique, étrange et surprenant. Et ce n’est pas par hasard que le logo
choisi par plusieurs associations pour personnes atteintes d’autisme
est un morceau de puzzle. Après Leo Kanner et depuis plus de
cinquante ans, les parents, les professionnels de l’autisme et les
scientifiques s’évertuent à reconstituer le puzzle. Et bien que nous
soyons encore loin du but, certains éléments commencent à se mettre
en place surtout depuis que des scientifiques renommés ont entr’ou-
vert un coin du voile qui recouvre l’« étrange pensée » des personnes
autistes. Nous n’y sommes pas encore tout à fait, mais connaître
la pensée des personnes autistes est indispensable pour compléter
le puzzle, même si ce dernier ne sera peut-être jamais entièrement
reconstitué.
Ces cinquante dernières années, on a surtout observé le comporte-
ment des personnes atteintes d’autisme. Ce sont les manifestations
comportementales qui constituent les critères de classification de
l’autisme décrits dans les manuels. En effet, pour ce handicap qu’est
l’autisme, il n’a pas encore été trouvé d’indication biologique qui
permettrait aux médecins de situer ce trouble dans un cadre défini
comme c’est le cas pour le syndrome de Down (trisomie-21) pour
lequel il suffit de compter les chromosomes. Qui plus est, l’autisme
ne pourra probablement pas être placé dans un cadre défini, car il
résulterait de plusieurs causes. Or, aussi longtemps que l’autisme ne
pourra être défini médicalement, nous serons obligés de faire ce que
1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » 3

l’on appelle « un diagnostic de comportements ». Nous observons


les comportements d’une personne et, sur cette base, nous établis-
sons un diagnostic.
Un tel diagnostic de comportements connaît ses limites. L’une
d’elles provient du fait que beaucoup de « comportements autis-
tiques » se retrouvent aussi chez des personnes ne souffrant pas
d’autisme. Un comportement stéréotypé, par exemple, peut s’ob-
server chez une personne mentalement handicapée. Ce n’est donc
pas parce qu’une personne se comporte d’une manière stéréotypée
qu’elle souffre d’autisme. De plus, certains « signes autistiques »
peuvent être constatés lors d’une croissance normale2 . L’écholalie en
est un exemple d’anthologie. Celle-ci consiste à répéter ce que l’on
entend à la façon d’un perroquet. Une mère demande à son enfant :
« Veux-tu un biscuit ? » et l’enfant répond : « Veux-tu un biscuit ? »
L’écholalie est un phénomène habituel pendant l’apprentissage du
langage. Beaucoup de petits enfants traversent une période d’écho-
lalie.
On peut citer une seconde limite au fait de ne tenir compte que
des comportements. Les personnes atteintes d’autisme évoluent elles
aussi : elles apprennent, elles font des expériences. Ainsi, l’image
de leur comportement change. Nous devons donc bien connaître
l’ensemble des « comportements autistiques » pour arriver à suivre
le fil rouge de l’autisme. Ce n’est pas parce que le comportement
autistique « s’estompe » que l’autisme disparaît. Mais la plus grande
limite à l’élaboration d’un diagnostic de comportements est le fait
que l’autisme se manifeste de nombreuses manières. Il n’y a pas
de forme typique d’autisme. L’autisme est un handicap à plusieurs
visages : l’image du comportement d’une personne autiste n’est
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

jamais la même d’un individu à l’autre. Ceci a pour conséquence que


certains parents ne reconnaissent pas assez leur enfant autiste au tra-
vers des livres ou des histoires qui circulent sur l’autisme. Le trouble
sera souvent déclaré « apparenté » ; cette définition n’apportant que
peu de soulagement aux parents s’ils se réfèrent essentiellement aux
différences et non aux similitudes. Le nombre accru de diagnostics
embarrassés, les situant comme des « troubles apparentés » ou des
« tendances autistiques » est une conséquence des limites de l’ob-
servation de comportements extérieurs. Le problème avec l’autisme
est également qu’il n’y a pas de signes de reconnaissance externes
communs, comme il en existe dans le syndrome de Down. Les
4 Comment pense une personne autiste ?

personnes souffrant de ce syndrome ont toutes plus ou moins la


même physionomie, elles se ressemblent physiquement.
Ce que les personnes atteintes d’autisme partagent, ce qui diffé-
rencie l’autisme des autres handicaps se trouve à l’intérieur d’elles-
mêmes : les personnes autistes pensent différemment des personnes
sans autisme. L’essence de l’autisme ne réside pas dans les mani-
festations comportementales extérieures à l’individu, elle n’est pas
directement apparente. Il s’agit d’un problème d’attribution de signi-
fication. Ce problème se retrouve chez toutes les personnes atteintes
d’autisme et la façon dont ce problème se manifeste (dans le com-
portement) vers l’extérieur peut prendre des aspects très différents.
Qui veut mieux comprendre le phénomène de l’autisme doit se
concentrer sur son aspect interne. Nous devons nous déplacer dans
le cerveau d’une personne autiste pour essayer de saisir sa façon
de penser, de comprendre comment elle traite — d’une tout autre
façon que nous — ce qu’elle voit, entend et ressent. C’est pourquoi
la compréhension de la pensée autistique est l’élément de base pour
comprendre et aider ceux qui souffrent d’autisme.
Ce n’est que récemment, depuis les années quatre-vingt, que les
scientifiques se sont mis à étudier de façon intensive la pensée autis-
tique. Grâce à ces recherches, la connaissance de l’autisme est entrée
dans une nouvelle ère. Les idées de ces scientifiques sont d’ailleurs
confirmées par la base. Ces dernières années, des personnes autistes
écrivent et racontent elles-mêmes leur handicap, leur façon de vivre
(de se comporter dans la vie). Leurs témoignages confirment les
résultats des recherches scientifiques. Le moment est venu de tra-
duire ces découvertes scientifiques sur la pensée autistique en appli-
cations concrètes. Ce livre en est le premier pas. Je voudrais essayer
dans ces pages de résumer à la fois les récents apports scientifiques
et les témoignages de personnes atteintes d’autisme. Mais il est
impossible de décrire tous les aspects de la pensée autistique. J’en
retirerai donc — à mon sens — l’essentiel : le manque de « pen-
sée cohérente3 ». Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à
considérer le monde comme un ensemble cohérent, elles prennent
les détails pour des données isolées. Pour elles, l’arbre cache la
forêt. Actuellement, il n’est pas évident de mesurer au travers des
déclarations des personnes autistes l’importance de la découverte du
manque de pensée cohérente4 .
1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » 5

Ces nouveaux apports n’arrivent pas à reconstituer le puzzle dans


son intégralité, mais une grande partie en devient visible. Je ne pré-
senterai donc pas, dans ce livre, une théorie générale sur l’autisme.
Ce n’est pas mon objectif. Ce livre n’est ni un livre scientifique, ni
un mode d’emploi, ni un livre d’études avec tableaux et statistiques,
bien que les notes finales se réfèrent à la littérature spécialisée. Ce
livre est plutôt un carnet de bord, une prise de contact avec cet
autre monde, une sorte d’album qui décrit les méandres de la pensée
particulière aux personnes autistes. Tout comme un carnet de bord,
il est illustré d’anecdotes tirées du monde des personnes souffrant
d’autisme.
Le but de ce livre est de donner au lecteur un éclairage sur
un aspect essentiel de l’autisme : la manière singulière de traiter
les informations. Et ce, sous toutes les apparences que prend l’au-
tisme : d’un autisme sévère avec handicap mental jusqu’aux troubles
cohérents combinés à une bonne intelligence. Le paysage complet
de l’autisme : terne et capricieux à la fois. Ce livre se démarque
également d’un autre point de vue des livres classiques sur l’au-
tisme. Au lieu de proposer des exposés traditionnels et théoriques,
des descriptions de cas ou un résumé de la littérature, j’ai choisi
un autre moyen de présenter l’autisme : l’analogie. Deux choses
sont analogues lorsqu’elles ne sont pas entièrement identiques mais
qu’elles se ressemblent. J’ai choisi deux analogies : l’ordinateur et
les blagues.
« Si tu me décris moi-même comme si j’étais un ordinateur, alors
je comprendrai mieux. » C’est ce que disait un jeune autiste à son
tuteur, un professeur spécialisé en autisme de l’université de Leiden
aux Pays-Bas. Par cette expression, le jeune homme faisait com-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

prendre que l’ordinateur offrait une meilleure compréhension face


à ce handicap troublant. Cette anecdote n’est pas la seule motivation
qui m’a fait choisir l’ordinateur comme modèle pour traiter la pensée
autistique. Mon expérience personnelle m’a permis de découvrir que
travailler avec un ordinateur ressemble étrangement à travailler avec
des personnes autistes. Si un de mes collègues a un problème avec
un ordinateur, je lui dis en souriant : « Tu dois l’approcher comme
une personne atteinte d’autisme : donne-lui des instructions claires
et concrètes, et ça marchera. »
Mais il y a plus. Comme je m’intéresse depuis des années à
tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle, les similitudes entre
6 Comment pense une personne autiste ?

la logique informatique et la pensée autistique me sont apparues de


plus en plus nombreuses et évidentes5 . Quand je parcours un livre
parlant d’intelligence artificielle, j’ai souvent l’impression de tenir
en mains un livre sur l’autisme. Au fil de mes lectures, je pense très
souvent « Mais je connais ça ! » ou je me dis que : « Les ordinateurs
ont des problèmes avec l’esprit des choses : ils préfèrent prendre
tout à la lettre6 . » On dit de même pour les personnes atteintes
d’autisme. Lorsque la chaire d’autisme a été offerte au Dr Prof.
Ina van Berckelaer-Onnes, de l’université de Leiden — à laquelle le
jeune autiste avait demandé de lui expliquer ses problèmes comme
s’il était un ordinateur — elle a donné à son discours d’introduction
le titre : « Autisme, vivre au pied de la lettre7 . » Deux fois la même
idée : la littéralité. C’est cette littéralité qui est le point commun entre
la logique informatique et la pensée autistique.
La seconde analogie se situe plutôt aux antipodes de la première.
Pas de comparaison avec la pensée mécanique, mais seulement
avec ce qui constitue l’essence de l’intelligence humaine, quelque
chose de « plaisant » : l’humour8 . Les ordinateurs n’arrivent pas à
inventer de bonnes blagues et ne le sauront jamais. De même, les per-
sonnes autistes ne comprennent pas suffisamment les commentaires
et les attitudes empreintes d’humour des personnes sans autisme.
Mais, sans le savoir, leur propre comportement est parfois amusant.
Beaucoup d’anecdotes circulant sur les personnes autistes sont de
« comiques » histoires drôles. De plus, leur façon de se comporter
est souvent à l’origine de la « chute » de ces blagues. Des anecdotes
ou des plaisanteries peuvent éclairer l’autisme d’une autre manière
et ainsi le rendre plus compréhensible.
Le choix d’une analogie avec l’ordinateur et de l’humour n’est pas
aussi évident. C’est un choix controversable et j’en suis conscient.
Associer autisme à ordinateur pourrait être considéré comme déva-
lorisant pour la pensée autistique en particulier et pour les personnes
autistes dans leur ensemble. Les individus, atteints d’autisme ou non,
ont une tout autre valeur qu’un ordinateur. Pour moi les ordinateurs
ne sont que de (stupides) machines, alors que les personnes atteintes
d’autisme sont des êtres humains, avec un cœur et non un processeur
Pentium. Elles ne sont pas moins humaines, même si leur pensée se
rapproche de celle d’un ordinateur. Au contraire, la pensée autistique
témoigne d’une certaine forme de créativité et de génie dont la
plupart des personnes sans autisme pourraient rêver. Avec le temps,
1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » 7

il a été avéré que divers artistes et génies célèbres comme Satie,


Bartok, Bruckner et Kandinsky souffraient d’autisme9 . L’autisme n’a
rien de dévalorisant, c’est une autre manière d’être. Et c’est un défi
pour chacun de nous de construire une société dans laquelle cette
forme d’esprit recevra une digne place. Expliquer l’autisme par la
plaisanterie est encore plus discutable. L’autisme est un handicap
très sérieux. Les personnes atteintes d’autisme et leur proche entou-
rage, ont des difficultés à cohabiter dans notre société. Même les
spécialistes et professionnels de l’autisme restent parfois si perplexes
qu’ils ne peuvent leur venir en aide. N’est-ce pas alors déplacé de
raconter des blagues sur un sujet aussi sérieux ? En choisissant un
angle humoristique, mon objectif est double. Tout d’abord, un grand
personnage a dit un jour : « Ce qui ne peut être exprimé de façon
drôle n’est pas sérieux ». L’autisme, je suis d’accord, est un trouble
très sérieux. Mais l’autisme est plus que cela et les personnes autistes
sont plus que leur handicap. Les individus souffrant d’autisme sont
avant tout « différents ». Ils sont des hommes à leur manière et
comme tous les hommes, ils ont leurs limites et leurs possibilités. Et
à condition d’être bien accompagnés, ils sont capables de beaucoup.
Celui qui considère l’autisme trop sérieusement, qui n’en voit que
les points négatifs et non les points positifs, doit être énormément
frustré. Si nous ne pouvons pas en rire de temps en temps, c’est que
nous ne prenons pas l’autisme au sérieux.
De plus, l’autisme doit être relativisé d’une autre façon. Aussi
difficile et surprenant que soit ce handicap, pour la personne autiste
elle-même et pour son entourage, ce phénomène n’est pas si éloigné
que certains le pensent. Chacun de nous a un peu d’autisme en soi.
La comparaison avec l’ordinateur et l’humour devrait nous montrer
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

que l’autisme n’est pas aussi étrange qu’il semble à première vue.
Dans l’autisme, nous retrouvons des parcelles de nous-mêmes vues
à travers une loupe. Les blagues contenues dans ce livre sont un peu à
l’image des miroirs déformants de nos fêtes foraines. Elles montrent
l’autisme qui est en nous mais grossi, un peu plus rond, un peu plus
long.
La référence à l’ordinateur et aux plaisanteries ne dégrade pas
l’autisme. Il n’est pas question de réduire le sérieux de ce handicap.
J’ai essayé d’illustrer de cette manière la pensée autistique pour
la rendre accessible aux profanes. Le renvoi à l’ordinateur rend la
pensée autistique plus concrète, l’humour en donne un visage plus
8 Comment pense une personne autiste ?

humain. La référence aux ordinateurs rend la pensée autistique plus


concrète, les plaisanteries humanisent le tout.
De toute chose il faut savoir soit rire soit pleurer, écrivait déjà
Sénèque, ministre du sinistre empereur romain Néron, au début de
notre ère. Il ne faut pas que pleurer de l’autisme...
2

Originalité inattendue :
sur l’humour et l’autisme

qui souffrent de troubles du spectre autistique


L ES PERSONNES
manquent de sens de l’humour. J’entends et je lis souvent ce
constat qui semble être une croyance commune. Déjà dans les pre-
mières publications sur l’autisme, nous pouvons lire que l’humour
est bien loin des capacités d’un esprit autistique. Hans Asperger a
noté que les personnes autistes « n’atteignent jamais cette sagesse
particulière et la compréhension humaine, intuitive et profonde qui
sous-tendent l’humour authentique1 ».
En effet, il arrive fréquemment que les personnes autistes soient
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

elles-mêmes déroutées et étonnées par l’utilisation que font de l’hu-


mour les personnes non autistes. Ceci est bien souvent une consé-
quence des problèmes de communication impliqués dans l’autisme.
Un sens de l’humour dépend en effet de la capacité à comprendre
le jeu complexe du langage, surtout de la capacité à « lire entre
les lignes ». Dans l’humour il y a beaucoup de non-dits2 . Si vous
écoutez seulement ce qui est dit, la plupart des plaisanteries n’ont pas
de sens. Mais les difficultés que rencontrent les personnes autistes
face à l’humour résident aussi dans l’altération des aspects sociaux
de la communication, appelés « pragmatique de la communication ».
La compréhension de l’humour exige une certaine sensibilité sociale.
10 Comment pense une personne autiste ?

Sans cette sensibilité sociale, il est difficile notamment de com-


prendre l’ironie. Les remarques ironiques sont caractérisées par le
fait que ce que la personne dit ne correspond pas à ce qu’elle veut
dire. Le véritable sens d’une remarque ironique ne réside pas dans
les mots utilisés mais dans les intentions de la personne qui l’ex-
prime. Afin de comprendre l’ironie nous devons souvent entendre le
contraire de ce que nous entendons réellement. Ceci est très difficile
pour les personnes atteintes d’autisme. À leurs yeux, dire : « Il fait
encore un temps agréable aujourd’hui ! », quand c’est le septième
jour de pluie d’affilée... n’a pas de sens. À moins qu’elles n’aient
appris que les gens utilisent cette remarque pour exprimer leur
désappointement ou leur frustration, les personnes autistes ne com-
prennent pas pourquoi on peut dire de telles choses quand, en fait, le
temps est épouvantable. Dans leur logique, cela n’a rien de drôle.
C’est illogique et faux. De plus, notre humour « non autistique »
exige beaucoup d’imagination et de souplesse, deux capacités qui
leur causent bien du souci.
Pourtant, il n’est de pas vrai que les personnes atteintes d’autisme
manquent de sens de l’humour. N’importe quel familier des troubles
du spectre autistique confirmera que les personnes autistes peuvent
apprécier l’humour et qu’elles peuvent même le créer. Mais chez la
plupart d’entre elles, l’humour a tendance à être une « banana-skin
variety3 ».
Beaucoup d’enfants et d’adultes autistes aiment la comédie bur-
lesque et les plaisanteries simples, surtout si la déformation insolite
est très concrète et visuelle. Les personnes autistes, contrairement
à ce qui est généralement avancé, ont de l’imagination. Cepen-
dant, leur imagination est plus concrète que celle des individus non
autistes et leur niveau d’imagination est souvent plus faible en raison
du retard mental associé à l’autisme. Aussi longtemps que le manque
d’harmonie entre une plaisanterie et la réalité reste très visuel et
explicitement bizarre, beaucoup de personnes atteintes d’autisme
peuvent comprendre et apprécier les plaisanteries. Je me souviens
d’un garçon autiste qui s’est mis à rire de façon irrésistible quand
il m’a vu avec un parapluie. Le parapluie, associé à mon prénom,
lui a rappelé une scène du film La Panthère rose avec Peter Sellers.
Depuis lors, il m’appelle Peter Sellers et quand il le fait, il ne peut
s’empêcher de rire. L’humour le plus subtil comme les métaphores et
l’ironie est par contre pour eux nettement plus difficile parce qu’il ne
2. Originalité inattendue 11

s’ajuste pas à leur style cognitif spécifique. Cependant, les individus


autistes les plus compétents sont capables d’une compréhension plus
subtile d’un humour verbal et abstrait. Quelques enfants autistes
aiment les jeux de mots par exemple. En travaillant avec des adultes
atteints d’autisme j’adopte parfois un style autistique et donc une
vision littérale des choses. Beaucoup d’entre eux aiment quand je
procède de cette façon, surtout lorsque j’exagère pour qu’il appa-
raisse clairement que je plaisante. Les personnes autistes, surtout
les plus compétentes, sont également capables d’une gamme éten-
due de réponses amusantes4 . De plus, l’humour détient le pouvoir
considérable d’enrichir la vie des personnes autistes. Il peut arrondir
les angles de leur dure existence et de celles de leurs parents et
soignants. Il peut même être utilisé dans l’éducation des enfants
atteints d’autisme. Cultiver leur sens de l’humour peut être utile pour
accroître leur flexibilité et leur empathie sociale5 .
Asperger a noté aussi que les individus autistes ne comprennent
pas les blagues, « surtout s’ils ont l’impression qu’on se moque
d’eux6 ». Si ceci est vrai, les personnes autistes qui lisent ce livre
se sentiront gênées et peut-être offensées car il est plein d’anec-
dotes amusantes les concernant. L’humour peut être en effet une
façon astucieuse et « non autistique » de faire remarquer les défauts
d’autres personnes et est donc, dans ce cas, cause d’embarras. Ceci
n’est pas la façon dont l’humour est utilisé dans ce livre. Il est plutôt
employé comme une espiègle confrontation des différences entre un
« style autistique » et un « style non autistique » de compréhension
et de réaction.
L’humour commence quand le comportement d’un individu est
perçu comme particulier. Nous qualifions souvent le comportement
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

de personnes atteintes d’autisme de particulier ou de bizarre, alors


qu’il nous en apprend autant sur « nos » propres normes que sur
leur comportement. Ce que nous définissons comme particulier ou
différent dépend, en effet, de notre cadre de référence. Nous pour-
rions facilement changer de perspective. En d’autres termes, si nous
trouvons parfois le comportement autistique amusant, la même chose
doit être vraie du point de vue des personnes autistes. Percevant et
comprenant le monde différemment de nous, elles peuvent trouver
notre comportement non seulement compliqué et incompréhensible
mais parfois aussi bizarre et drôle. Ce pourrait être amusant si ce
livre était réécrit par une personne autiste, expliquant la pensée
12 Comment pense une personne autiste ?

« non autistique » illustrée par des anecdotes de réactions « non


autistiques » bizarres7 .
À vrai dire, plusieurs plaisanteries contenues dans ce livre pour-
raient être interprétées comme des histoires drôles du monde « non
autistique ». Par exemple, il est avancé aujourd’hui que les personnes
atteintes d’autisme souffrent de cécité mentale et manquent donc de
théorie de l’esprit8 . Cette déficience est souvent à l’origine d’anec-
dotes amusantes, comme nous le verrons plus loin. Mais avoir (trop)
de théorie de l’esprit peut l’être tout autant...
Le fils. — Père, aujourd’hui j’ai demandé à Sarah de m’épouser. Savez-vous
ce qu’elle a répondu ?
Le père. — Non.
Le fils. — Mais, comment le savez-vous ?

L’humour est souvent la conséquence de l’interprétation d’une


situation dans une perspective nouvelle, différente et inattendue.
Et tout dépend de la perspective dans laquelle on se place. Donc,
le comportement autistique peut être aussi étonnant et drôle pour
nous que notre comportement peut l’être pour les personnes autistes.
L’humour peut être utilisé comme une arme, pour ridiculiser ou
taquiner d’autres personnes. Dans ce livre, je poursuis le but opposé,
à savoir : désarmer. En effet, en relatant des anecdotes amusantes,
je veux désamorcer la vision trop souvent négative de l’autisme. Si
l’humour résulte de l’inattendu, ceci ne signifie pas nécessairement
que ce qui est différent et inattendu devrait être qualifié d’inférieur
ou de déficient. L’humour est également utilisé dans ce livre pour
souligner l’originalité de la pensée autistique qui rend souvent le
comportement des personnes autistes si déconcertant pour les per-
sonnes dites normales. L’humour peut nous aider à acquérir une
attitude plus positive envers l’autisme. Après tout, la résistance au
changement de nos idées sur l’autisme est quelquefois plus forte que
la résistance au changement constatée chez les personnes atteintes de
ce trouble. Un jeune homme autiste l’a lui-même noté et la manière
dont il le formule tend à démontrer deux faits : 1) les personnes
autistes peuvent avoir un permis de conduire et 2) les personnes
autistes ont le sens de l’humour :
« En mai 1989 j’ai conduit 1 200 miles pour assister à la 10e conférence
annuelle TEACCH, où j’ai appris que les personnes autistes ne peuvent
pas conduire9 ... »
2. Originalité inattendue 13

C’est ce genre d’originalité inattendue qui unit humour et autisme.


Mais aussi humour et ordinateurs...
3

Mécanique amusante :
sur l’humour
et l’intelligence artificielle

H UMOUR ET CONTEXTE
En 1900, le philosophe français, Henri Bergson, publiait un essai
sur l’humour : Le Rire. Bergson est devenu célèbre grâce à cette
œuvre qui développait une théorie simple : un comportement devient
comique quand l’homme se conduit comme un automate. Le rire
éclate quand le comportement mécanique prend la place du compor-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

tement humain. Quand Laurel et Hardy, dans La Légion étrangère,


continuent à marcher tout droit — comme s’ils étaient programmés
— alors que le reste du peloton tourne à gauche, nous nous mettons
à rire. Il y a naturellement beaucoup d’autres matières comiques.
Une bonne blague, un dessin animé amusant, un sketch comique.
Ils doivent leur puissance humoristique au fait qu’ils ne répondent
pas aux attentes humaines habituelles. Nous appelons cela la chute.
Une bonne plaisanterie a une bonne chute. La chute d’une blague
est comme un aiguillage. Au moment où notre esprit s’attend à une
réponse logique, une autre voie apparaît soudain et de façon abrupte.
Les bonnes blagues choquent notre attente normale. L’absurdité est
16 Comment pense une personne autiste ?

essentielle à la plaisanterie1 . Là où nous attendons une réaction


humaine prévisible survient une réaction inattendue.
Le coiffeur. — Comment Monsieur voudrait-il que je coupe ses cheveux ?
Le client. — En silence !

La réponse du client n’est pas celle que l’on attendait. La pensée


humaine commune voudrait que le « comment » de la question se
rapporte à la coupe. Or le client du salon de coiffure ne parle pas de
la coupe (logique dans ce contexte) mais du bavardage du coiffeur.
Beaucoup de plaisanteries reposent sur des significations multiples
et sur l’ambiguïté. L’humour naît au moment où on prend la liberté
de jouer avec le sens des choses. Soudain, la réaction « normale »
est remplacée par un autre élément. L’image de la situation que
nous avions construite ne correspond plus. Une autre voie a été
choisie. Cette voie peut être une moquerie, une exagération, une
relativisation, un non sens... Mais dans beaucoup de plaisanteries,
il s’agit d’une voie qui témoigne d’une pensée mécanique ou d’un
comportement automatisé. Une autre signification que celle attendue
est introduite : la relation normale et logique avec le contexte est
alors brisée. À la place surgit une association absurde. « L’absurdité
d’une blague est engendrée par la tendance qu’a le cerveau à attribuer
un sens aux choses observées2 . »
Nous prêtons spontanément un sens à nos perceptions. Ces signi-
fications prennent forme parce que nous plaçons ce que nous perce-
vons dans un ensemble : le contexte.
Chaque élément perçu est intégré dans un ensemble cohérent.
Nous sommes habitués à découvrir cette cohérence et nous nous
attendons à la rencontrer. Les situations deviennent amusantes quand
se brise la cohérence attendue et que se met en place un accord de
sens inhabituel, « non humain » et mécanique. Les événements, les
comportements, les mots sont interprétés de façon différente. Nous
les détachons de la cohésion du contexte et ils prennent alors une
tout autre signification.
Le garçon. — Comment avez-vous trouvé votre steak ?
Le client. — Oh ! Par hasard... sous une frite.

L’agent. — Savez-vous ce que veut dire ce panneau ?


Le chauffeur. — Non, mais vous pouvez toujours le demander à quelqu’un
d’autre.
3. Mécanique amusante 17

Le client. — Garçon, que fait cette mouche dans mon potage ?


Le garçon. — Elle nage sur le dos, monsieur.

L’interprétation mécanique des choses est une source d’inspiration


bienvenue pour les auteurs de blagues. À l’instar de Bergson, nous
pourrions ajouter : nous rions quand la pensée mécanique prend la
place de la pensée humaine. Lorsque des familiers de personnes
atteintes d’autisme entendent une blague faisant appel à la pensée
ou au comportement mécanique, ils se disent très souvent : « Tiens,
une personne autiste ferait ou dirait la même chose ! »
Ça fait déjà douze ans que je prends ce tram.
Et dans quelle station êtes-vous monté il y a douze ans ?

Le comportement des personnes autistes est parfois amusant parce


qu’elles ont du mal à dissocier plusieurs significations. Elles inter-
prètent très souvent les choses de façon mécanique, purement litté-
rale. C’est pourquoi leur pensée est parfois si étrange et si absurde.
L’autisme est un handicap sérieux, mais qui peut parfois être très
drôle parce que les personnes atteintes d’autisme ne perçoivent pas
le monde de la même façon que nous. Dans leur monde, il n’y a
pas cette cohérence humaine attendue. Il s’agit plutôt d’un monde
formé de détails particuliers ou de faits indépendants. Les individus
autistes ne font pas preuve de sens commun dont ils ne comprennent
pas la signification, mais plutôt de sens mécanique. Ceci se traduit
en comportements automatiques amusants que nous retrouvons chez
les automates, les robots ou les ordinateurs.

I NTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CONTEXTE


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« À en fait moins de mal à calculer la trajectoire d’un engin spatial


qu’à mener une conversation normale, non structurée... » : un extrait
d’un rapport concernant une personne atteinte d’autisme ? non. La
citation n’a rien à voir avec l’autisme. Il s’agit d’un ordinateur3 ...
Depuis des années, les chercheurs en informatique sont à la
recherche d’un ordinateur qui soit aussi intelligent que l’homme,
un ordinateur qui sache traduire, converser de façon naturelle,
prendre des décisions, évaluer les situations, etc. Ces chercheurs
essaient de créer, à côté de l’intelligence humaine, une « intelligence
artificielle » : celle de l’ordinateur. Pour estimer si un logiciel est
aussi intelligent que l’homme, on lui fait passer un test appelé test
18 Comment pense une personne autiste ?

de Turing. Il s’agit de voir si l’ordinateur est capable de converser


couramment avec une personne dans une langue commune. Il ne
doit donc pas y avoir de différence entre le langage utilisé et le
« raisonnement » de l’ordinateur et le langage et le raisonnement
de la personne. L’ordinateur doit pouvoir répondre de telle sorte
que la personne qui pose les questions (et se trouve dans une autre
pièce) ne puisse se rendre compte si elle converse avec un ordinateur
ou un autre individu. Jusqu’à présent, aucun ordinateur n’a réussi
ce test. Des ordinateurs auxquels l’homme peut s’adresser dans
une langue usuelle existent, mais avoir une véritable conversation
réelle, normale avec un ordinateur relève encore du futur. Pour le
moment, nous ne devons pas encore redouter d’être remplacés par
des robots : le cerveau humain leur est encore bien supérieur. En
effet, pour réussir le test de Turing, il ne suffit pas d’insérer un
nombre impressionnant d’informations pratiques et quotidiennes
dans un système formel (on ne met pas de moutarde sur une banane
ou dans les chaussures, les chats ne se développent pas sur les
arbres, les vêtements de pluie ne sont pas fabriqués avec de la
pluie), il convient aussi de rédiger des règles afin de nuancer le sens
des mots en fonction du contexte dans lequel ils sont utilisés. Et
c’est là que le bât blesse. L’ordinateur ne connaît que des relations
à sens unique. Chaque symbole, chaque mot, chaque instruction,
chaque impulsion ne peut prendre qu’un seul sens. Chaque chose
à sa place (et dans ce cas, à prendre de façon très littérale). C’est
là que l’ordinateur diffère de l’homme : il ne peut manier plusieurs
sens. Si diverses significations sont associées à une même réalité, il
est déboussolé, il fait « tilt ». Notre monde, celui des êtres humains,
est un monde rempli d’éléments à sens multiples. Un concept
aussi simple que celui de « feuille » peut se rapporter à diverses
réalités. Comment un robot ou un ordinateur pourrait-il interpréter
correctement l’instruction « Donne-moi une feuille » sans connaître
le contexte de la tâche à effectuer ? Le sens du mot « feuille »
dépend en effet du contexte dans lequel il est utilisé. Si le contexte
est le bureau, on parlera d’une feuille de papier. Mais se pose alors
la question suivante : quelle sorte de feuille ? En langue flamande,
la « feuille » peut aussi signifier un rouleau de cuisine et pendant la
promenade, l’instituteur parlera de la feuille du châtaignier autour
duquel les enfants sont réunis. Et cependant, nous ne parlons ici
que de « mots ». Le comportement humain est bien plus complexe
3. Mécanique amusante 19

encore ! Il nous est impossible de le comprendre si nous ne pouvons


le placer dans le contexte approprié. Que signifie une main levée ?
stop ? bonjour ? un salut ? je souhaiterais poser une question ? Le
geste de la main levée ne devient clair que si nous pouvons le placer
dans le contexte adéquat. En effet, si dans ce contexte apparaissent
un uniforme, un regard sévère et une moustache de gendarme, nous
savons qu’il ne s’agit ni d’un salut ni d’une simple question. Dans
ce contexte, nous nous arrêtons. Aussi longtemps que l’ordinateur
ne pourra comprendre ces nuances de sens, il restera plus bête que
l’homme. Et cette bêtise générera parfois des situations amusantes
pour l’homme à l’intelligence plus subtile.
Un groupe d’ingénieurs informaticiens avait inventé un logiciel de traduction
russe-anglais et anglais-russe. Ces ingénieurs ont demandé à l’ordinateur
de traduire la phrase suivante : « The spirit is willing but the flesh is weak »
(« L’esprit est docile mais la chair est faible ») d’abord en russe et puis de
nouveau en anglais. Le résultat fut : « La vodka est bonne mais la viande
est trop dure. »
L’informaticien Gilbert Bohuslav avait développé un ordinateur DEC11/70
qu’il croyait capable d’écrire une histoire de cow-boys. Il s’agissait en effet
de l’ordinateur le plus performant du collège Brazosport de Houston au
Texas. L’ordinateur avait prouvé qu’il maîtrisait parfaitement le jeu d’échecs.
Le jeune programmeur a donc introduit le vocabulaire le plus employé dans
les films de cow-boys qu’il avait eu l’occasion de voir. DEC commença son
travail et inventa l’histoire suivante : Tex Doe, le shérif de Harry City entra
dans la ville. Assis sur sa selle, il avait faim et se tenait sur ses gardes. Il
savait que son ennemi sexy, Alphonse le Kid, était là. Le kid était amoureux
du cheval texan Marion. Tout à coup, le Kid sortit du bar Au lingot d’or.
Dégaine, Tex, lui ordonna-t-il. Tex se précipita sur sa fille, mais avant qu’il
ne puisse la sortir de sa voiture, le Kid tira et Tex fut touché à son éléphant
et à la toundra. Pendant qu’il tombait, Tex sortit son propre échiquier et tira
trente-cinq fois sur le roi du Kid. Le kid tomba dans une mare de whisky.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« Aha, dit Tex, je ne voulais pas le faire mais il se tenait du mauvais côté de
la reine. » Bohuslav abandonna son expérience et s’en tint au jeu d’échecs4 .

Ce genre d’activités, comme la traduction efficace d’un texte


d’une langue dans une autre ou la création de romans, fait partie des
performances qu’un ordinateur ne peut encore accomplir. Pour cela,
il lui manque l’intelligence « réelle » que possèdent les hommes.
Cette forme d’intelligence est appelée « intelligence intégrante5 ».
Un individu possédant une telle intelligence est capable de former
un ensemble cohérent à partir de nombreux détails dont il dispose.
Il peut intégrer ces détails grâce à sa capacité de choisir leur signi-
fication correcte parmi les différents sens qui s’offrent à lui (comme
20 Comment pense une personne autiste ?

le mot « feuille », une main levée, un feu rouge) en cohérence


avec d’autres détails, dans un contexte précis. Robots et ordinateurs
peuvent être très doués, mais leur intelligence intégrante est encore
très pauvre. C’est pourquoi leur « comportement » est absurde.
Après avoir payé sa note d’hôtel, un client sur le point de partir demande au
robot : « Vite robot, va regarder dans la chambre 27 si je n’y ai pas laissé
mon pyjama et mon rasoir. Mais dépêche-toi, s’il te plaît, car mon train part
dans dix minutes. Quatre minutes plus tard, le robot revient et dit : « Oui
monsieur, vous les y avez laissés, tous les deux. »

N’est-ce pas une situation semblable à celles que l’on peut ren-
contrer auprès de personnes autistes ? L’anecdote suivante est tirée
d’un livre sur l’autisme :

Librement interprété de U. Frith (1996) 6


Dans les anecdotes concernant les personnes atteintes d’autisme,
nous retrouvons souvent ce comportement absurde et amusant des
robots et ordinateurs. Pouvons-nous donc dire qu’elles présentent
des similitudes avec les robots ? Il arrive, après la visite d’une
classe pour enfants autistes, que des gens peu informés des pro-
blèmes de l’autisme avancent cette remarque : « Mais ils en font des
robots ! » Ils pensent que le comportement mécanique des enfants
3. Mécanique amusante 21

est la conséquence de notre approche spécifique. N’est-ce pas plu-


tôt le contraire ? Si les personnes atteintes d’autisme traitent les
informations comme le font les robots et les ordinateurs, il est
alors normal que l’approche, adaptée à leur façon de penser, soit
perçue comme mécanique. Est-ce l’écriture Braille qui rend les
gens aveugles ou existe-t-elle parce que certaines personnes sont
aveugles ?
D’où vient cette comparaison entre ordinateur et autisme ? La
façon de penser des personnes atteintes d’autisme n’est évidemment
pas identique à celle des ordinateurs. Mais le cerveau « autistique »
a en commun avec le cerveau informatique le manque d’intelligence
intégrante. À propos de l’autisme on ne parlera pas d’intelligence
intégrante mais plutôt de cohérence centrale. Comme les ordinateurs,
les personnes atteintes d’autisme ont beaucoup de mal à intégrer les
détails et à leur prêter un sens à partir de la cohérence du contexte.
Tout comme les ordinateurs, elles peuvent posséder beaucoup de
connaissances et de capacités mais évaluer différentes significations
reste pour elles extrêmement difficile.
«... A, en fait, beaucoup moins de mal à effectuer, par exemple,
des multiplications compliquées, à compter le nombre de cure-dents
assemblés en un tas ou à retenir les cartes d’un jeu que de mener une
simple conversation non structurée... » : non, il ne s’agit pas d’un
ordinateur. C’est la description d’une personne souffrant d’autisme :
Rainman.
4

Il faut s’arrêter au feu rouge :


sur l’intelligence
autistique (1)

traverse la rue. À mi-chemin du passage pour pié-


U N HOMME
tons, le feu vire au rouge. Sur le feu de signalisation est écrit
« DON’T WALK » (« Stop »). L’homme, étonné, reste sur place. Il
ne fait aucun pas même lorsque les voitures démarrent. Les conduc-
teurs se mettent à klaxonner. L’homme est figé au milieu de la rue, à
mi-chemin du passage pour piétons. Un chauffeur sort de sa voiture
et se met à l’invectiver. L’homme s’embrouille...
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Cette scène est tirée du film Rain Man. L’homme qui s’arrête au
milieu du passage pour piétons s’appelle Raymond Babbit (remar-
quablement interprété par Dustin Hoffman). Raymond Babbit est
autiste. Il a beaucoup de mal à interpréter le sens approprié des
choses, d’où son comportement bizarre et absurde, parfois specta-
culaire, parfois émouvant, parfois drôle, parfois les trois à la fois.
L’autisme est source d’émotions. La scène est amusante par le sens
littéral avec lequel Rainman traite la perception des feux de signa-
lisation pour piétons « DON’T WALK ». La pensée des personnes
atteintes d’autisme, comme celle des ordinateurs, est « unirelation-
nelle ». Les nuances et la diversité de sens sont trop compliquées
24 Comment pense une personne autiste ?

pour leur fonctionnement cérébral car elles manquent d’imagination.


Pour Rainman, les choses sont ce qu’elles sont et rien d’autre.
Et pourtant, dans notre monde, les choses sont loin d’être toujours
ce qu’elles semblent être. La signification de ce que nous percevons
change continuellement. Tout dépend du contexte dans lequel nous
le percevons. Et comble de malheur pour la personne autiste, ces
contextes changent eux aussi continuellement. Notre monde, comme
le dit Théo Peeters1 , est pour les personnes atteintes d’autisme un
monde surréaliste. L’expérience que nous avons vécue devient de
l’art surréaliste. Une réflexion telle que : « Je vois tellement de
choses, mais je n’y comprends rien ! Qu’est-ce que cela peut bien
vouloir dire ? » est monnaie courante chez les personnes autistes.
Nos cellules grises traitent nos impressions (perceptions) d’une
manière qui va bien au-delà des apparences. Nous ne restons pas
attachés à la perception de détails isolés. Nous sommes capables de
nous détacher de la perception immédiate et concrète pour considérer
le contexte à un niveau supérieur. Nous avons tendance à intégrer nos
impressions pour en faire un ensemble cohérent.
Nous allons même plus loin que l’intégration de perceptions
concrètes. Nous faisons aussi appel à notre imagination et tenons
compte de ce qui n’est pas directement perceptible2 . Nous intégrons
donc ce que nous percevons et même ce que nous ne percevons pas
et nous sommes ainsi capables d’assembler des significations à un
niveau très élevé. Nous saisissons mieux les éléments isolés à partir
du moment où nous comprenons l’ensemble dans sa cohérence.
C’est alors seulement que les détails isolés, les perceptions concrètes
prennent leur sens.
Uta Frith3 , qui a introduit le thème de la cohérence centrale dans
les théories sur l’autisme, donne une explication très claire de cette
compétence. Quand on place un morceau de puzzle à côté d’un autre
il devient un morceau du puzzle. Une fois que ce fragment a pris
sa place dans un ensemble : le puzzle, il perd sa signification en
tant que détail isolé et prend un tout autre sens. Un morceau « de
couleur rose » devient subitement « l’oreille de Blanche-Neige ».
La perception littérale et concrète (rose) a fait place à un sens
« intelligible » dans un grand ensemble cohérent (une partie du corps
de Blanche-Neige).
Ci-après, vous pouvez évaluer votre propre capacité de cohérence
centrale. Regardez bien :
4. Il faut s’arrêter au feu rouge 25

Ces signes, étranges au premier coup d’œil, prennent très vite


un sens qui découle du contexte. Notre esprit essaie de faire de
notre perception un ensemble cohérent ; c’est pourquoi nous lisons
« LA HONTE ». Ces lignes bizarres reçoivent un sens sur base du
contexte. Nous lisons les lettres A et H. Nous remarquons donc
immédiatement comment, selon le contexte, un seul et même sti-
mulus (il s’agit de deux signes identiques) peut prendre deux signifi-
cations. Si au premier abord nous voyons un A, au second, le même
signe devient un H. À partir du contexte, nous créons quelque chose
de sensé.
La cohérence centrale semble être une notion difficile mais, en
pratique, nous utilisons tous très spontanément notre capacité à créer
de la cohésion et ce, sans faire trop d’efforts. Et plus encore, notre
tendance à prêter un sens sur base de la cohérence du contexte est
si fortement ancrée en nous que nous devons faire un effort pour
percevoir les détails de façon littérale. Une fois que nous aurons
reconnu le mot « LA HONTE », il nous sera très difficile de voir
dans ces signes étranges autre chose qu’un A et un H. Essayez de
lire : « LH AONTE ». Difficile, n’est-ce pas ?
Intégrer des éléments isolés dans un ensemble plus grand est la
manière habituelle de traiter des impressions et des informations.
Nous savons intuitivement qu’une perception peut avoir plusieurs
sens et que nous devons procéder à partir de la cohérence du contexte
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

pour vraiment comprendre ce que nous percevons.


Reprenons l’exemple du feu de signalisation pour piétons :
« DON’T WALK ». Que signifie « DON’T WALK » ? Et que
signifie un feu rouge pour piétons ? C’est simple. Spontanément
nous pensons : « Stop » et cela paraît évident. Mais un feu rouge
pour piétons veut-il toujours dire « stop » ? Devons-nous toujours
rester sur place quand le feu est rouge ? N’y a-t-il qu’un seul sens ?
Non, car la signification d’un feu rouge pour piétons dépend du
contexte. Plus précisément où nous nous trouvons et surtout à quelle
étape de la traversée nous sommes. Si nous sommes encore sur le
trottoir et que nous ne nous sommes pas encore engagés, le feu
26 Comment pense une personne autiste ?

rouge signifie « stop », « restez sur place », « ne bougez pas ».


Mais... si nous sommes à mi-chemin du passage et que le stimulus
du feu rouge apparaît, nous nous trouvons dans un autre contexte
et le feu rouge prend alors un autre sens. Ce signe ne veut plus
dire « stop » ou « ne bougez plus ». Au contraire, dans ce contexte,
le feu rouge nous incitera même à nous dépêcher d’avancer et
prendra la signification suivante : « Dépêchez-vous, les voitures
vont démarrer. » À ce moment-là, il n’y aura pas de cellule grise
pour nous inciter à prendre en considération la première signification
(stop) et donc à rester sur place.
Un feu rouge signifie aussi bien « stop » que « avancez ». Tout
est dans le contexte. Quand des individus non autistes voient un
feu rouge, ils tiennent compte du contexte approprié et savent s’ils
doivent s’arrêter ou se dépêcher de traverser. Et s’ils traversent mal-
gré le feu rouge, ce n’est pas qu’ils ont mal compris le sens. Ils ont
effectivement enregistré le message mais ils décident de l’ignorer.
On peut très souvent observer ce comportement. Mais rester au
milieu du passage pour piétons parce que le feu est au rouge est un
comportement absurde, étrange et fou qui ne se rencontre que dans
les films. Et parce que ce comportement semble si fou, nous en rions.
C’est amusant.
C’est aussi autistique... Les personnes atteintes d’autisme
manquent de cohérence centrale. Le traitement des perceptions
se fait différemment. Leur cerveau traite les informations d’une
autre façon, il est « programmé » autrement. Cette autre façon de
traiter les informations se caractérise par la prise en considération
de perceptions isolées et non par la recherche d’une cohésion4 .
Les personnes atteintes d’autisme manquent d’imagination pour
regarder plus loin que le petit détail (le feu rouge). Elles prêtent donc
une signification à ce seul élément, dans une relation unidirection-
nelle. Chaque détail est séparé des autres et a son propre sens. Une
impression a un seul sens. Elles ont appris que rouge est synonyme
de « stop », donc, quand elles voient un feu rouge, elles s’arrêtent.
Les individus autistes doivent trouver absurde que rouge signifie une
fois « stop » et la fois suivante « avancez » et cela leur procure un
sentiment d’insécurité. Car si l’on n’est pas ou peu capable d’intégrer
un contexte dans un sens approprié, comment savoir à quel moment
il faut s’arrêter et à quel moment il faut traverser ?
La définition de règles devrait apporter une solution.
4. Il faut s’arrêter au feu rouge 27

Règle 1 : vous êtes encore sur le trottoir et le feu rouge apparaît,


vous ne bougez pas. Règle 2 : vous êtes engagé sur le passage et le
feu rouge apparaît, vous vous dépêchez et traversez.
Mais... Ces règles suffisent-elles ? Êtes-vous en sécurité ? N’y a-
t-il donc que deux situations possibles ? La réalité est beaucoup plus
complexe. Il y a beaucoup plus de deux situations à envisager. Si
vous n’avez fait que deux ou trois pas pour traverser, que devez-
vous faire ? continuer à traverser ? rester sur place ? La décision
que vous prendrez dépendra d’autres éléments du contexte : quelle
est la largeur de la rue ? quelle est la densité de la circulation ?
pourrais-je traverser en toute sécurité ? à nouveau, nous devons voir
plus loin que l’expérience actuelle, car dans une telle situation, un
feu rouge peut vouloir dire autre chose que s’arrêter ou traverser.
Dans une rue large et encombrée, il peut signifier : « Revenez ! » Et
que se passe-t-il en cas de panne, lorsque les feux restent au rouge ?
Devez-vous rester sur place ? C’est ce qui arriva à Simon un jeune
autiste qui voulait visiter les églises de Gand. En quittant la gare,
les feux restèrent au rouge et Simon ne traversa pas. Finalement il
revint vers la gare en maugréant : « M..., aujourd’hui je ne verrai ni
la cathédrale Saint-Bavon ni les tours de Saint-Michel. »
Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à gérer les nom-
breuses nuances de sens que peut prendre chaque chose dans notre
monde. Pour elles, un feu rouge n’a qu’une seule signification :
s’arrêter. Point final. Tout le reste est déstabilisant. C’est pourquoi
elles restent à mi-chemin du passage pour piétons ou qu’elles ne
traversent pas, comme Simon, et retournent chez elles, déçues de ne
pas avoir vu les trésors artistiques de Gand.
Les règles ne sont pas d’une grande aide car il est impossible
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

d’établir des règles pour toutes les situations que peut engendrer
un feu rouge. Même si à chaque situation imaginée correspond une
règle, il faudra considérer l’exception, la situation non prévue pour
laquelle aucune règle n’aura été formulée. La règle indispensable sur
laquelle on peut se baser pour découvrir la juste signification.
Les individus ne souffrant pas d’autisme n’ont pas besoin de ces
règles parce qu’ils peuvent facilement prêter différentes significa-
tions à une perception. Ils ne s’arrêtent pas au sens littéral de leurs
impressions. Ils mettent très facilement de la cohérence dans leurs
perceptions et, à partir de là, ils leur donnent un sens. C’est le
contexte et non les règles qui donne un sens aux choses.
28 Comment pense une personne autiste ?

Ils vivent dans un univers : en raison de la cohésion des choses,


ils intègrent un élément dans un ensemble. Les personnes atteintes
d’autisme vivent, au contraire, dans un « multivers5 » : un monde fait
d’innombrables détails sans relation les uns avec les autres et n’ayant
chacun qu’un seul sens : leur sens littéral. Le monde des personnes
autistes est un monde effrité6 .
Raphaël, qui est autiste, et sa femme ont fait construire une nouvelle
maison. Comme cela coûte cher et demande du temps, ils ont décidé
d’aménager le jardin en plusieurs étapes : la première année, la partie avant
et le gazon autour de la maison, la deuxième année, la haie et le côté du
garage et ainsi de suite. Un matin, alors qu’ils vivaient depuis cinq ans dans
leur maison et que le jardin était complètement aménagé, Raphaël entra en
coup de vent dans la cuisine et dit : « Ce n’est que maintenant que je réalise
que le jardin forme un ensemble. » Pendant toute cette période, il n’avait vu
que différents petits jardins isolés. Il n’avait pas réalisé que les différentes
étapes étaient autant de phases d’aménagement d’un tout plus vaste.

R ÉPONSES « R AVIOLI » ET « L AVABO »


Dans la mesure où ils pensent autrement, les individus
atteints d’autisme se comportent aussi autrement. Parce qu’ils
ne comprennent pas les choses de la même façon que les personnes
sans autisme, ils réagissent de façon particulière : autres données,
autres réactions. C’est pourquoi les personnes autistes semblent
parfois étranges ou émettent de drôles de réponses :

Librement interprété de F. Happé (1994) 7


4. Il faut s’arrêter au feu rouge 29

Réponse étrange et absurde de ce jeune garçon ? Pour nous, êtres


cohérents, en effet, mais pour qui pense hors contexte, ce n’est pas
le cas. En effet, quand le détail est placé hors de son contexte, alors
le sens « ravioli » ne semble plus ni étrange ni absurde. Essayez
vous-même. Considérez ce détail de façon littérale et éliminez toute
la cohérence due au contexte, celle du lit de poupée. Que constatez-
vous ? Nous allons vous aider en vous donnant le détail, cette fois
sorti de son contexte :

Vu ainsi, cela pourrait bien être un morceau de ravioli, mais


dans le contexte du lit de poupée, la signification avancée est plutôt
absurde (et donc amusante).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Le test d’intelligence WISC-R comprend un sous-test qui consiste


à « classer des images dans l’ordre ». L’enfant reçoit un certain
nombre d’images qu’il doit placer dans un ordre cohérent pour en
faire une histoire logique. Une de ces histoires concerne une jeune
fille qui voyage en train. J’ai demandé à un jeune autiste d’assembler
les images de cette histoire. Il plaça la deuxième image avant la
première.

Sur cette deuxième image, le père de la jeune fille achète un billet


de train au guichet. Aux côtés de la fille et de son père se trouvent
deux autres passagers. Le dessin ci-après montre un extrait de la
deuxième image.
30 Comment pense une personne autiste ?

Tiré du WISC-R8
4. Il faut s’arrêter au feu rouge 31

Quand j’ai demandé au jeune autiste de raconter l’histoire, il a


commencé ainsi : « D’abord ils vont se laver, et puis... » De nouveau
une phrase absurde ! se laver ? au guichet ? En fait, le garçon n’avait
pas vu de guichet. Il avait considéré un seul détail de la deuxième
image : un demi-cercle et la fenêtre du guichet et il leur avait donné
le sens de lavabo (la forme ressemble en effet à celle d’un lavabo et
les lignes de la fenêtre du guichet font penser à un miroir). Dans
l’évaluation du sens, il n’avait pas suffisamment tenu compte du
contexte : l’homme tient une valise, il y a deux autres voyageurs,
l’individu derrière le guichet porte des lunettes. Cette manière de
penser autistique nous est moins inconnue que nous ne le pensons
à première vue. Des réponses « ravioli » et « lavabo » sont souvent
le fait de petits enfants. La logique enfantine présente des ressem-
blances avec la pensée autistique :
Petit Louis, quatre ans, va se promener avec sa mère. Il fait très froid. Dans
le pré il y a une vache. Petit Louis : « Regarde maman, la vache fume un
cigare ! »

Quelle est la différence entre les petits enfants et les personnes


atteintes d’autisme ? Les petits enfants ont des expressions amu-
santes parce qu’ils ne possèdent pas encore assez d’expérience des
nombreuses et diverses situations de la vie. Certaines se ressemblent
et pourtant elles sont différentes. Et il y a différents mots pour les
définir. Le souffle d’une vache dans le froid « ressemble » à la fumée
d’un cigare. L’enfant qui découvre pour la première fois le souffle
chaud d’une vache ne sait pas encore qu’il s’agit de quelque chose de
tout différent. Cependant, si sa mère le lui enseigne, l’enfant ne fera
pas deux fois la même erreur. La prochaine fois qu’il sera confronté
à la même perception, il saura spontanément, par la prise en compte
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

du contexte, s’il s’agit de fumée ou de souffle. Pour les personnes


autistes, cela n’est pas aussi évident. Elles ont surtout du mal avec les
situations dont la signification change continuellement. Les objets
gardent généralement un sens clair et permanent. Une chaise reste
une chaise, où qu’elle se trouve9 . Par contre, les êtres humains sont
des esprits plutôt dynamiques et le sens du comportement humain
dépend souvent du contexte. C’est pourquoi pour les personnes
autistes, les individus sont plus surréalistes et plus difficiles à cerner
que les objets. Le monde des objets est plus unilatéral, plus pré-
visible et plus concret. On a besoin de moins d’imagination pour
le comprendre. Léo Kanner a d’ailleurs remarqué que ses jeunes
32 Comment pense une personne autiste ?

patients autistes témoignaient de plus d’intérêt pour les objets que


pour les personnes. Pour les personnes autistes, les gens sont trop
incompréhensibles, trop imprévisibles et donc trop dangereux.
C’est dans leurs relations avec autrui que les personnes autistes
sont les plus handicapées. Les trois caractéristiques de base de
l’autisme ont donc trait à la difficulté qu’elles ressentent à s’intégrer
dans le monde des humains aux significations si changeantes et si
nuancées. Quand on a tant de problèmes pour appréhender la cohé-
rence du monde, il est bien naturel d’avoir des problèmes de relations
humaines, de communication et de souplesse d’action.
Dans les chapitres suivants, je décrirai comment la pensée autis-
tique, la façon de détailler littéralement, sont sources d’absurdités
et de difficultés dans ces trois domaines. À propos de chacun de
ces aspects, les personnes autistes se comportent différemment et
bizarrement parce qu’elles interprètent chaque situation à la lettre
et comme une entité isolée. J’y ai inclus un autre domaine, non
pas en tant que nouveau « critère » de l’autisme mais en tant que
caractéristique coordonnant tous les autres éléments : la résolution
de problèmes. Les personnes atteintes d’autisme ont de sérieuses
difficultés à résoudre des problèmes, qu’il s’agisse de problèmes
sociaux, de communication ou d’imagination. La résolution de pro-
blèmes est le domaine idéal du fonctionnement mental permettant de
démontrer le cheminement de la pensée et puisque ce livre traite de
la pensée, un chapitre sera consacré à la façon dont les ordinateurs et
les personnes atteintes d’autisme appréhendent les problèmes.
Dans le dernier chapitre, la pensée autistique sera une fois encore
abordée, mais dans un cadre plus large. En ce qui concerne la cohé-
rence centrale, il apparaîtra que les personnes atteintes d’autisme,
tout comme d’autres personnes handicapées, cherchent à compenser
leurs manques. Ces stratégies de compensation n’arrivent cependant
pas à leur permettre de participer réellement à la vie de notre société,
et ceci malgré le caractère créatif et original de la pensée autistique.
C’est la raison pour laquelle l’autisme est un handicap.
5

Quand la vie
est une ligne en pointillé :
sur le comportement social
et l’identité

U N VERRE D ’ EAU
Comprendre les situations sociales est une tâche difficile pour une
personne autiste. Le sens des objets, et surtout celui des compor-
tements humains en situation sociale, est très difficile à découvrir
quand on manque de cohérence centrale. Prenons l’exemple d’un
simple verre d’eau.
36 Comment pense une personne autiste ?

Supposons que vous ayez soif. Vous voyez un verre rempli d’eau.
Que faites-vous ? Vous le buvez ? Non, pas nécessairement. Tout
dépend du contexte dans lequel ce verre d’eau apparaît. Le prendrez-
vous et le boirez-vous s’il se trouve dans le contexte suivant ?

Dans ce contexte, vous ne prendrez certainement pas le verre


d’eau car il s’agit de celui du conférencier. C’est son verre d’eau
(« son » n’étant pas pris dans le sens de propriété mais dans le sens
objectif : ce verre est prévu pour lui — le verre d’eau appartient
en fait au propriétaire de la salle de conférence). Ce n’est donc pas
un simple verre d’eau. Il est destiné à quelqu’un. Qu’il soit réservé
à une autre personne n’est pas visible sur le verre. La perception
littérale et concrète du détail (le verre d’eau) n’en dit pas assez sur
ce que l’on doit en faire. Pour cela, le détail doit être placé dans un
contexte plus large (celui de la conférence). Un verre est toujours
le verre de quelqu’un, pour quelqu’un, rempli de quelque chose et
ainsi de suite. De, pour, avec... : ces mots expriment une relation —
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 37

la relation entre le verre et le contexte. Ces relations sont invisibles


et pourtant extrêmement importantes pour comprendre l’ensemble.
Sans relation, il ne peut y avoir d’ensemble, de cohésion.
Les personnes atteintes d’autisme ne connaissent que la percep-
tion concrète. Ce sont des individus concrets : ils prennent pour vrai
ce qui est matériel, visible et tangible. Relations et cohésion par
contre ne sont pas visibles. Elles sont abstraites. Pour les « voir »,
il faut de l’imagination ; ce qui est bien difficile pour une personne
souffrant d’autisme. Celles-ci sont aveugles d’un point de vue rela-
tionnel1 .
Imaginez que, tout comme une personne autiste, vous n’êtes pas
capable de saisir cette cohérence. La relation invisible entre le verre
et son « destinataire » n’existe donc pas pour vous. Un verre d’eau
n’a qu’un seul sens, le plus direct et le plus littéral : « boire ». Et
dans ce cas, vous vous dirigez tout naturellement vers ce verre,
vous le prenez et vous le buvez. Vous ne « volez » pas le verre de
quelqu’un d’autre puisque vous ne vous rendez pas compte que ce
verre appartient à quelqu’un d’autre. Cette situation est probable-
ment reconnaissable pour des parents d’enfant autiste. Assis avec lui
sur une terrasse, ils attendent le verre de coca qu’ils ont commandé.
Tout à coup, leur enfant se lève, va vers une autre table... et vide le
verre d’un autre consommateur. Conséquence : une hilarité générale
et des regards critiques de la part des spectateurs. Moyennant une
approche appropriée, il est possible d’enseigner à une personne
atteinte d’autisme que ce verre appartient à quelqu’un d’autre. Cette
relation peut être expliquée ou explicitée. Mais le problème réside
dans le fait que les contextes et les relations varient continuellement.
Aujourd’hui, vous pouvez boire ce verre mais demain, vous ne le
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

pourrez pas parce que ce verre sera destiné à quelqu’un d’autre. Et


le jour suivant, ce verre sera de nouveau pour vous. Il y a de quoi
être désorienté. Pour les personnes atteintes d’autisme, les situations
sociales sont des devinettes indéchiffrables parce que :
– le sens des stimuli sociaux est invisible et implicite ;
– ce sens change continuellement selon les différents contextes.
Il n’est écrit nulle part qu’un bras levé signifie « STOP ». Et
même si vous avez fait votre possible pour apprendre la signification
de ce geste, votre petit monde sera très vite bouleversé car dans
un autre contexte il semble qu’un bras levé désigne soudain autre
38 Comment pense une personne autiste ?

chose, par exemple : « HELLO ». Et de ce fait, vous vous rendez


ridicule en restant sur place au lieu de saluer. Pour autrui, vous
êtes drôle ou impoli. Pourtant, les personnes atteintes d’autisme
font beaucoup d’efforts pour comprendre les faits sociaux et elles
font de leur mieux pour avoir une attitude correcte en société. Elles
essaient de découvrir les règles qui leur apprendront à se comporter
comme il convient. Comme les ordinateurs, les personnes autistes
aiment les règles formelles et les instructions précises. Les règles
univoques sont en effet toujours prévisibles. Parfois, elles découvrent
une règle ou on leur en offre une, mais il reste que la vie sociale et
la fréquentation des autres gens ne connaissent pas de règles fixes
et ne peuvent être cataloguées. Ou comme le disait lui-même un
jeune homme autiste2 : « La vie sociale est difficile, parce qu’elle
ne semble pas suivre de ligne fixe. Quand je pense que je commence
à comprendre une certaine idée, cette dernière ne suit soudain plus
la même direction si les circonstances varient légèrement. »
Nous adaptons notre comportement social à partir de la percep-
tion que nous avons du contexte. Dans la mesure où les personnes
atteintes d’autisme n’ont pas assez d’imagination pour penser en
fonction du contexte, elles appliquent strictement et textuellement
les règles de comportement au lieu de les adapter avec souplesse au
contexte. La prise en compte littérale des règles peut prendre deux
formes :
– appliquer trop souvent et trop longtemps les règles, même dans
des situations où cela n’est pas nécessaire ; il s’agit, en termes
professionnels, de « surgénéralisation » ;
– appliquer trop peu souvent les règles vues de manière trop sélec-
tives, même dans des situations où cela semble nécessaire ; on
parle d’« hypersélectivité ».
L’hypersélectivité est très caractéristique des personnes autistes
qui ne peuvent considérer l’ensemble d’une situation et restent
accrochées à des détails. L’hypersélectivité et la surgénéralisation
sont deux faces d’une même réalité : le manque de cohérence.

Q UAND VOUS VOYEZ UNE PERSONNE


EN UNIFORME , DITES « BONJOUR »
Quand on parle de surgénéralisation, on sous-entend que la per-
sonne ne peut s’arrêter, ne peut changer de règle à temps.
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 39

Harold Senby, tailleur à la retraite, portait depuis plus de vingt ans un


appareil acoustique bien qu’il ait l’impression que l’appareil ne servait à
rien. Harold, âgé de 74 ans, découvrit pourquoi lors d’un examen de routine
à l’hôpital. On lui apprit qu’il portait l’appareil à la mauvaise oreille. On
avait fait une erreur en lui plaçant l’appareil. On l’avait placé dans l’oreille
gauche au lieu de la droite. « J’ai toujours trouvé que ça ne servait pas à
grand-chose », remarqua Harold3 ...
Les responsables d’un camp d’été pour enfants autistes voulaient prendre
une photo de groupe sous un arbre du jardin. Comme une telle initiative
n’est pas facile à réaliser, toutes sortes d’astuces furent trouvées pour
arriver à réunir pendant un court laps de temps les vingt-cinq enfants.
Pour Christophe, la solution a vite été trouvée. Il fut placé dans la rangée
du fond et pour lui faire comprendre qu’il devait rester là et le faire patienter,
on lui donna la mission de tenir une branche de l’arbre. Christophe saisit
la branche et fut récompensé : « Bien, Christophe ! » La photo fut prise
avec succès. Tout le monde quitta le jardin et partit vers la salle de jeux.
Les responsables étaient enthousiasmés par la réussite de leur entreprise.
C’était le dernier jour du camp et tout le monde était occupé à ranger et
à faire ses valises. Chacun allait et venait... mais où était Christophe ?
Christophe était encore dans le jardin, désespérément seul... et tenait
toujours la branche en main.

La surgénéralisation provient du fait que, pour les personnes


atteintes d’autisme, le comportement est indépendant du contexte.
Elles agissent d’une certaine façon parce que nous le leur demandons
ou parce que nous le leur avons appris. Mais elles ne comprennent
pas pourquoi nous leur demandons un certain comportement et quel
en est l’objectif. Christophe mène sa mission parfaitement à bien,
trop parfaitement. Il n’a pas la moindre idée du pourquoi il doit tenir
une branche en mains. Et parce qu’il ne comprend pas le but du
comportement (c’est pour la photo), il ne s’arrête pas quand ce but
est atteint (la photo est prise). Le comportement se suffit à lui-même,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

c’est une donnée isolée. Christophe ne fait pas la relation avec le


contexte. Vincent connut une aventure similaire. À leur arrivée, lors
d’une réception, ses parents lui dirent de donner la main à chacun.
Vincent fit ce qu’on lui demandait. Les gens étaient en cercle et il
commença à serrer les mains. Arrivé devant la première personne
qu’il avait saluée, il lui présenta à nouveau la main. Il entamait un
deuxième tour. Vincent exécute mais ne comprend pas pourquoi on
serre des mains. Nous le faisons pour saluer et donc une seule fois.
Vincent ne saluait pas, il serrait des mains.
À chaque fois que le facteur arrivait à la maison, Éric se postait
devant lui sans rien dire ni faire. Sa mère lui dit : « Éric, quand tu
40 Comment pense une personne autiste ?

vois le facteur, tu dois lui dire bonjour. » Éric regarda le facteur et


lui dit : « Bonjour. » Le facteur lui sourit et sa mère le récompensa :
« Très bien, Éric ! » Les semaines suivantes, sa mère lui rappela
régulièrement cette instruction et Éric retint la règle. Mais aujour-
d’hui, un autre problème se pose. Faire une promenade en ville avec
Éric est devenu un vrai chemin de croix pour ses parents. Ils sont
toujours sur le qui-vive et craignent d’avoir honte du comportement
d’Éric car... chaque fois qu’il voit une personne en uniforme, il
se dirige résolument vers elle pour lui dire bonjour. Éric applique
avec excès un comportement donné, il surgénéralise. Il a appris
à dire bonjour à une personne en uniforme. Au lieu de situer ce
comportement dans un contexte précis, il le relie à un détail concret
et extérieur : l’uniforme. Donc, Éric pense qu’il doit dire bonjour
à tous les gens en uniforme. Il ne comprend pas la raison sociale
des salutations. On ne dit pas bonjour à un uniforme, mais à une
personne. Éric a traité l’information sur ce comportement social au
niveau du détail concret et non au niveau de la cohérence invisible. Il
est aveugle face aux différences essentielles entre un uniforme dans
un certain contexte (le facteur qui vient à la maison) et un uniforme
dans un autre contexte (l’agent de police en train de verbaliser).

L ES SITUATIONS « PULL VERT »


L’hypersélectivité signifie qu’on ne peut agir quand la situation
le demande, c’est rester aveugle aux similitudes essentielles entre
les situations. Or, bon nombre de situations peuvent se ressembler
sans être exactement similaires sur le plan des détails. C’est pourquoi
nous parlons d’« essentiellement égal ». Pas semblable mais égal en
essence, cette équivalence se situant au niveau de la cohérence invi-
sible. Par contre, le fait d’être exactement semblable au niveau des
détails est concrètement perceptible. Celui qui s’attache aux détails
au lieu de se concentrer sur les similitudes essentielles invisibles fait
preuve d’hypersélectivité. Une autre situation (concrète) mène à un
autre comportement :
Pendant un enterrement, tout le monde pleurait sauf un homme. Quand
on lui demanda pourquoi, il répondit : « Mais, je ne suis pas de cette
paroisse. »

Caroline, une petite fille autiste, parlait à tort et à travers pendant


la leçon. Répondre, poser des questions, faire des remarques. Elle
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 41

faisait tout cela, mais elle ne savait pas quand elle était en droit
de le faire. Elle intervenait naturellement et il était impossible de la
freiner. Son institutrice avait trouvé la solution. Elle allait visualiser,
rendre visibles les règles de prise de parole en classe. Elle prit une
photo Polaroïd de Caroline en train de lever la main pour deman-
der la parole et plaça la photo sur son banc, avec les explications
appropriées. C’était clair : d’abord lever la main et ensuite parler. La
réussite fut totale : Caroline regardait la photo puis levait la main
pour demander la parole. L’institutrice était heureuse. Ça marchait !
Grande fut cependant sa déception quand le lendemain, Caroline se
remit à intervenir sans fin. La photo était pourtant sur son banc !
Comment était-ce possible ? Après quelque temps, elle en comprit
la raison. La veille, quand la photo avait été prise, Caroline portait
un pull vert. Le lendemain, elle portait un pull rouge. Caroline inter-
prétait la règle sociale au niveau du détail et à la lettre : elle pensait
que la règle ne valait que pour une « situation en pull vert ». Autre
apparence, autre comportement ; autre détail, autre comportement :
c’est ainsi que les personnes atteintes d’autisme réagissent. Elles
adaptent les règles sociales aux détails.
À l’occasion de son sixième anniversaire, petit Jean reçut pour la pre-
mière fois un pantalon long. Il s’admira longuement devant le miroir, puis
demanda : « Dis, Maman, maintenant je peux t’appeler Cécile comme
papa ? »

Q UAND LA VIE EST UNE LIGNE EN POINTILLÉ


Autre pantalon, autre règle. Autre pull, autre règle. Lorsqu’elle
porte un pull vert, Caroline semble donc se considérer comme une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

autre personne que lorsqu’elle porte un pull rouge. Chez un individu


qui ne perçoit pas la cohérence, quand un détail extérieur change,
le monde entier semble changer. Il n’y a pas d’ensemble, pas de
situation unique mais plusieurs entités : un grand nombre de situa-
tions différentes. Il n’y a donc pas non plus d’« unité — moi » mais
un grand nombre de « moi ». Pour la personne attachée aux détails
extérieurs sans la moindre cohérence, l’identité est une notion très
complexe. Il en va ainsi pour les personnes atteintes d’autisme. Autre
apparence, autre personne.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, un homme arrive très tard dans
une auberge. Comme il n’y a plus de chambre libre, il doit en partager une
42 Comment pense une personne autiste ?

avec un officier allemand. Il demande alors à l’aubergiste de le réveiller


très tôt pour qu’il ne rencontre pas cet officier. L’homme se déshabille
et se couche. Au point du jour, l’aubergiste le réveille. L’homme s’habille
rapidement dans le noir et sort. À sa grande surprise, il rencontre une unité
de soldats allemands qui le saluent. Dans le train, en passant devant un
miroir, il voit qu’il porte un uniforme allemand. « Que cet aubergiste est bête.
Il a réveillé la mauvaise personne ! », s’écrie-t-il.

Nous développons une identité en nous considérant nous-même


comme une entité sans tenir compte des détails extérieurs. Notre
expérience ressemble à un fil rouge qui suit notre histoire. C’est
un film dans lequel nous sommes l’acteur principal. Pour les per-
sonnes sans intelligence intégrante, il en va autrement. Celles-ci ne
ressentent pas la vie comme un ensemble cohérent dont le moteur
est leur propre personne. Les personnes atteintes d’autisme pos-
sèdent très souvent une mémoire exceptionnelle des faits objec-
tifs, leur mémoire des faits personnels est par contre très faible. Si
vous demandez à une personne atteinte d’autisme comment s’est
passé son voyage, vous obtiendrez à peu près cette réponse : « Nous
sommes partis à 8 heures 13 de Paris par le train Thalys à destination
de Bruxelles. Une rame Thalys est composée de deux motrices
encadrant huit remorques. Nous étions dans la voiture n◦ 6. Nous
nous sommes arrêtés à Lille, Bruxelles Midi, Bruxelles Central et
puis Bruxelles Nord. C’est là que nous sommes descendus et que
nous avons pris le tram 52... » (et cela peut continuer ainsi un certain
temps). Vous entendrez rarement un style personnel et coloré. Les
personnes autistes enregistrent les différentes phases de leur vie en
les photographiant dans leur mémoire. Elles les enregistrent comme
une suite d’événements sans relations les uns avec les autres et ne les
conçoivent que trop peu comme une entité cohérente : c’est comme
si elles ne comprenaient pas qu’elles sont acteur de cette situation4 .
Elles enregistrent des faits, des noms, des dates, des lieux mais sans
qu’elles puissent suffisamment les assimiler à leur propre histoire.
Lors d’un congrès du Vlaamse Vereniging Autisme (Association
flamande pour l’autisme), il a été demandé à un jeune autiste de
parler de son passé5 . Ce que Martin a raconté n’était pas une histoire
mais plutôt une accumulation de faits, d’événements, de noms et de
dates. Pour preuve, l’extrait suivant : « J’ai été à l’école de Marien-
hove pendant cinq ans, de 1972 à 1977. Il y avait cinq pavillons et
une chapelle de l’église catholique à Marienhove. Au début, j’étais
dans le pavillon 3 où le pasteur de Bie avait son bureau. Il faisait
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 43

les sermons à l’église catholique. Je ne suis resté que +/– un an au


pavillon 3 avant d’aller en première primaire (1972). Il y eut une
fête au pavillon 3 le 19 mars 1972 (jour de son anniversaire)6 avec
sept bougies sur le gâteau. Cette année-là, j’ai pu rentrer chaque
week-end à la maison au lieu de toutes les trois semaines. »
La vie des personnes atteintes d’autisme n’est pas un roman mais
un journal de bord. Les faits l’emportent sur les expériences.
Lola, une jeune fille autiste, corrigeait toujours les fautes d’un
autre élève. L’institutrice lui fit remarquer qu’elle n’était pas toujours
la meilleure et que son compagnon connaissait certaines choses
qu’elle ne savait pas. Elle lui dit : « La semaine dernière, tu as aussi
appris quelque chose grâce à lui ! » Lola répondit : « Ce n’était pas
la semaine dernière, c’était cette semaine. » La connaissance d’au-
trui que possèdent les personnes autistes est plus encyclopédique
que romantique. Cela ne concerne pas qu’elles-mêmes mais aussi
leur connaissance des autres. Lorsqu’un jeune autiste raconta qu’il
allait faire un voyage de groupe à Chypre, on lui demanda : « Un
voyage de groupe ? Amusant ! As-tu déjà fait connaissance avec tes
compagnons de voyage ? » Sa réponse fut : « Oui. Je sais avec quelle
voiture ils roulent. » Les individus autistes enregistrent les faits, ils
ne les traitent pas pour en faire un ensemble cohérent.
On pourrait définir l’identité comme la cohérence centrale per-
sonnalisée. S’identifier soi-même comme source de cohérence dans
sa propre histoire des événements. À première vue, les personnes
souffrant d’autisme ont une personnalité moins affirmée que les
individus non autistes7 . La conscience de soi est à la base de notre
existence. Nous le savons depuis Descartes : « Je pense, donc je
suis. » La conscience de soi en tant qu’élément d’un ensemble
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

cohérent plus vaste construit la personnalité. C’est cette personnalité


qui nous permet de déceler la cohérence dans le monde social. En
nous identifiant en tant que personne, nous apportons une unité dans
l’enchevêtrement de situations sociales en changement permanent,
avec leurs règles invisibles. Cependant, si nous considérons les situa-
tions sociales comme des illustrations isolées, nous entrons dans
un monde déconcertant et fragmenté. Notre ego est morcelé8 . Nous
demanderons alors, comme cet enfant autiste à sa mère : « S’il te
plaît, fais de moi un tout, parce que je suis en morceaux. »
Les personnes atteintes d’autisme vivent plus que nous dans le
présent. Leur manque de mémoire des événements personnels fait
44 Comment pense une personne autiste ?

qu’elles ont du mal à saisir l’influence qu’elles ont sur leur propre
histoire. Elles ne se rendent pas assez compte qu’elles sont acteur
principal de leur passé. Mais elles ont aussi des problèmes avec leur
avenir. Elles n’anticipent pas assez, choisissent un fait et n’en dévient
pas. Ceci a des conséquences sur leur éducation car elles ne tirent
pas assez de leçons de leurs expériences, même pour leur avenir.
C’est pourquoi elles se heurtent plusieurs fois aux mêmes difficultés
Les personnes atteintes d’autisme manquent de continuité dans leur
vie. Trop peu d’histoires comportent des scènes où l’une est la suite
logique de l’autre. Leur vie est une ligne beaucoup moins continue
que la nôtre. C’est plutôt une ligne en pointillé dans laquelle chaque
fait est un point isolé des autres. Quand un événement est achevé, il
est vraiment achevé.
Comme Gunilla, une jeune autiste suédoise. Au moment des
vacances de Pâques, ses parents l’ont confiée à ses grands-parents.
Gunilla a alors pensé qu’elle avait de nouveaux parents. Au retour
des vacances, quand ses parents sont venus la rechercher, elle a à
nouveau pensé qu’elle avait une nouvelle famille. Elle avait bien
remarqué des ressemblances notoires avec ses anciens parents mais
ne réalisait pas qu’il s’agissait des mêmes personnes. Chaque phase
(parents, grands-parents, « nouveaux parents ») était une nouvelle
phase indépendante dans sa vie, sans aucune continuité. Chaque
situation était nouvelle, unique et sans relation avec le passé9 .

I MITER ( SINGER )
Bien que certains prétendent le contraire, les personnes autistes
souhaitent participer au monde social. Beaucoup d’entre elles ont
un réel intérêt pour autrui et font de leur mieux pour comprendre
les relations sociales si difficiles. Pour cela, elles développent des
stratégies de survie. Une des façons par lesquelles elles essaient de
s’intégrer dans la société est l’imitation du comportement d’autrui.
Si nous ne savons pas comment nous comporter mais que nous
voulons être sociables, nous copions les autres. Les individus non
autistes adoptent cette même stratégie de survie sociale quand ils
sont confrontés à des situations qu’ils ne connaissent pas suite à des
différences de culture, d’habitudes et de rites, notamment à l’étran-
ger. Nous entendons alors l’époux dire à sa femme : « Observons
d’abord comment font les autres puis faisons la même chose. » Plus
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 45

la culture est méconnue, plus le comportement de ces personnes


prend une allure autistique, bien qu’elles ne soient pas atteintes
d’autisme. Le même comportement d’imitation est constaté chez des
gens qui se retrouvent dans une autre classe sociale que la leur.
Peu après son élection, le président américain Calvin Coolidge invita un
couple d’amis de sa région à la Maison Blanche pour un dîner. Comme elles
se sentaient mal à l’aise dans cet environnement surfait et qu’elles avaient
peur de mal faire, ces personnes firent tout ce que faisait Coolidge. Quand
le président versa un peu de café dans sa soucoupe, les invités firent de
même. Puis il y ajouta un peu de crème et de sucre, les invités suivirent
son exemple. À ce moment, le président déposa la soucoupe par terre à
l’intention de son chat10 ...

Ces simples paysans singent le président à la lettre sans savoir


dans quel but il agit. Ils ne comprennent pas l’intention de son com-
portement. Or l’objectif de toute action a trait à la relation invisible
entre un comportement et une intention : je peux lever mon bras dans
l’intention de saluer quelqu’un, de le faire s’arrêter, de poser une
question. Si vous ne comprenez pas mon intention — le sens de mon
bras levé, le « pourquoi » de mon geste — mais que vous remarquez
que j’obtiens une interaction avec autrui — ce que vous recherchez
vous — aussi alors —, il y a de fortes chances pour que vous imitiez
exactement mon comportement. Cette imitation à l’identique sans
compréhension du sens est souvent le fait de personnes atteintes
d’autisme11 . Elles copient, mais ne savent pas ce qu’elles copient.
Jos, un jeune autiste, avait appris qu’on pouvait faire connaissance avec des
gens en leur posant des questions. Il avait déjà observé bien des conver-
sations et entendu bien des questions. Et il imita. Quand Jos rencontrait
quelqu’un, il demandait :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« Comment vous appelez-vous ? »


« Fumez-vous ? »
« Vous savez que fumer est mauvais pour la santé ? » (Question qu’il posait
aussi aux non-fumeurs.)
« Avez-vous une voiture ? »
« De quelle marque ? » (Il s’intéressait beaucoup aux voitures et à la
mécanique.)
« Avez-vous une petite amie ? »
« Avez-vous déjà eu des relations sexuelles ? » (Adolescent, il commençait
à s’intéresser aux filles et le sujet l’intriguait.)
Jos posait toujours les mêmes questions car adapter les phrases au
contexte était pour lui trop difficile. Il copiait une formule sociale sans en
comprendre l’essence.
46 Comment pense une personne autiste ?

HELLO, HOW ARE YOU ?


Le comportement de Jos est un exemple d’une autre stratégie utili-
sée par les personnes autistes pour avoir un comportement sociable :
un comportement répétitif. Elles peuvent apprendre des routines ou
en développer elles-mêmes. Elles répètent une routine qu’elles ont
déjà appliquée avec succès dans une situation similaire. Utiliser
des routines à succès est une très bonne stratégie que nous avons
déjà tous utilisée. Mais parce que la plupart d’entre nous tiennent
compte du contexte et pas seulement du comportement littéral, nous
arrivons à les appliquer avec souplesse. Nous utilisons ces routines
au moment adéquat. Quand nous répétons, nous le faisons dans le
contexte approprié. Nous nous adaptons. Répéter littéralement n’a
de sens que si le contexte est identique. Si le contexte est différent,
la répétition n’aura que très peu de succès...
Dans le cadre d’un examen de recrutement pour la gendarmerie, deux
candidats attendent nerveusement la dernière épreuve : un entretien avec
le commandant. Le premier candidat entre.
Le commandant. — Je ne vous poserai qu’une question. Si vous y répondez
bien, vous serez reçu. Qu’est-ce qui est en cuir et que nous portons aux
pieds ?
Le candidat 1 fronce les sourcils, soupire, se gratte les cheveux, réfléchit
longuement et profondément. « Pas si évident, commandant... puis-je poser
une question ?
Le commandant. — D’accord, mais une seule et ensuite je veux entendre
votre réponse !
Le candidat 1. — Y a-t-il des lacets, commandant ?
Le commandant. — Oui. »
Le candidat 1 réfléchit, se gratte une nouvelle fois le crâne mais trouve
finalement la réponse et s’écrie, soulagé : « Des chaussures ! » Félicité par
le commandant, il sort dans le couloir et raconte son histoire. Il rassure
le deuxième candidat : « J’ai eu le droit de poser une question. Je lui ai
demandé s’il y avait des lacets et quand il a dit oui, je connaissais la
réponse... ». Sur ce, le candidat 2 entre dans le bureau.
Le commandant. — C’est accroché au mur et on peut y lire l’heure. De quoi
s’agit-il ?
Le candidat 2 soupire, se gratte le crâne, réfléchit longuement et profondé-
ment. « Pas si évident, commandant... puis-je poser une question ?
Le commandant. — D’accord, mais une seule et ensuite je veux votre
réponse !
Le candidat 2. — Y a-t-il des lacets ?
Le commandant. — Bien sûr que non !
Le candidat 2. — Ah, alors c’est facile : des pantoufles ! »
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 47

Des étudiants étrangers apportaient leur aide au secrétariat du


Vlaamse Vereniging Autisme au cours d’un « camp de construc-
tion ». Un jeune autiste, qui nous avait déjà rendu visite, était ravi de
la compagnie exotique qui se trouvait au bureau. Lors de sa première
visite, il avait remarqué qu’il avait du succès grâce à sa connaissance
de la langue anglaise. Les étudiants s’étaient adressés à lui et il avait
même pu, ici et là, avoir une petite conversation. Parler anglais était
un comportement social réussi dans cette situation. Mais... lors de sa
visite suivante, il interpella chacun en anglais. On entendait partout :
« Hello, how are you ? », alors que le camp était fini et que les
étudiants étrangers étaient rentrés chez eux.

P UIS - JE VOUS « DÉCHIFFRER » ?


Les personnes atteintes d’autisme ne ressentent pas la cohérence,
aussi, certaines essaient de la calculer. Il en est de même des ordi-
nateurs qui ne perçoivent pas le résultat des opérations qu’ils effec-
tuent. Ils ne pensent pas (à la façon de Descartes), ils calculent. Il
existe déjà des ordinateurs « intelligents » qui peuvent « apprendre »
de leurs expériences. À chaque fois qu’ils se trouvent devant un
problème, ils enregistrent toutes les données du problème et les
solutions éventuellement trouvées. À chaque nouveau problème, ils
recherchent sur leur disque dur les ressemblances avec des pro-
blèmes précédents et s’ils trouvent un problème ayant le même
énoncé, ils appliquent la solution précédente. Cette façon de résoudre
des problèmes demande beaucoup de temps : les faits enregistrés
doivent être comparés les uns après les autres avec le problème
actuel. L’ordinateur ne sélectionne pas au départ les comparaisons
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

les plus logiques parce qu’il ne ressent pas les problèmes. C’est
pourquoi, même les ordinateurs les plus « intelligents » ont besoin
de beaucoup plus de temps qu’un être humain pour résoudre certains
problèmes. Une personne sans autisme voit souvent « en un clin
d’œil » ce dont il s’agit, mais les personnes autistes ne comprennent
pas les situations sociales aussi rapidement, et comme les ordina-
teurs, elles doivent comparer et calculer.
Roger, un jeune autiste, suit une formation aux aptitudes
sociales12 . Un des objectifs de cette formation est de reconnaître
les émotions et d’apprendre à vivre avec elles. Roger apprend
à reconnaître la colère chez sa mère mais il a toujours du mal
48 Comment pense une personne autiste ?

à comprendre les émotions. Ainsi, il ne voit pas pourquoi, dans


une même situation, les gens ne réagissent pas toujours de la même
façon : parfois sa mère est fâchée parce qu’il a cassé quelque chose et
parfois pas. De même, les différences d’intensité dans les émotions
restent une pierre d’achoppement pour lui. Entre « être un peu
fâché » et « être très en colère », il y a une marge ! La différence est
souvent subtile et, pire encore, invisible. On ne voit pas si quelqu’un
est un peu fâché ou très fâché. Il faut le préciser à partir du contexte.
Pour concrétiser la gradation des émotions, l’éducateur de Roger a
introduit un accessoire : une règle graduée de 1 à 100 où 1 est un
sentiment normal et 100, la fureur. Roger demande maintenant à ses
parents quand ils sont fâchés : « Es-tu fâché à 30 ou 50 ? » Il ne
ressent pas les situations ni les émotions qui s’y rattachent, il doit
les calculer sur sa règle. Les personnes atteintes d’autisme doivent
« déchiffrer » de façon littérale les situations sociales.
C’est ainsi que Temple Grandin raconte qu’elle sauvegarde toutes
sortes de situations dans sa tête comme autant de bandes vidéo13 .
Chaque fois qu’elle se trouve confrontée à une situation face à
laquelle elle ne sait pas comment se comporter, elle cherche dans sa
tête la bande vidéo qui reproduit le mieux la situation dans laquelle
elle se trouve14 . Elle recherche un synonyme de cette situation
sociale dans sa collection de vidéocassettes. Elle procède comme
nous le faisons avec un dictionnaire quand nous ne comprenons pas
bien un mot. Et cela demande un certain temps. C’est pourquoi les
personnes atteintes d’autisme réagissent souvent lentement et font
preuve de réactions différées. Notre monde tourne trop vite pour
elles. Nous ne leur donnons pas assez de temps pour le déchiffrer.

I L N ’ Y A PAS DE PANNEAUX DE SIGNALISATION


SOCIAUX
Parce que les personnes autistes ne s’identifient que trop peu à une
unité, elles ont du mal à considérer d’autres personnes comme une
unité. Elles n’ont pas trop de mal avec l’aspect extérieur d’autrui.
Certains autistes peuvent très bien remarquer des comportements
isolés, des expressions faciales particulières, mais la relation invi-
sible entre ce qui est externe ou interne reste très souvent une énigme
pour eux. C’est la face interne des gens (leurs sentiments, idées,
désirs, aspirations) qui rend leur face externe (ce qu’ils disent et font)
compréhensible. De la même façon que le sens d’un verre ne devient
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 49

évident que par une relation invisible (à qui appartient-il ? à qui


est-il destiné ?), le comportement d’une personne ne prend tout son
sens que lorsque nous en percevons la cohérence avec la part interne
invisible de la personne : son intention. Si nous ne comprenons pas
cette intention, nous resterons « à côté de la plaque ».
Un couple d’amoureux, sur un banc.
Elle. — Si on se mariait ?
Lui. — Qui voudrait de nous ?

Une chaîne de télévision propose à un industriel multimillionnaire de par-


ticiper à un débat télévisé. Après avoir donné tous les détails sur l’émis-
sion, le journaliste demande : « Qu’en pensez-vous ? Une participation de
150 euros serait-elle suffisante ? » « Mais bien sûr, répond l’industriel, un
moment, je vais chercher mes chèques... »

Un père fait les courses avec son fils autiste. Ils s’arrêtent devant un
fleuriste.
Le père. — Si on achetait des fleurs ?
Thomas. — Pourquoi ?
Le père. — Et bien, nous fêtons notre quinzième anniversaire de mariage.
Thomas. — Et à qui vas-tu les offrir ?

Pour comprendre l’objectif du comportement d’un autre individu,


il faut savoir se mettre à sa place. Nous nous transportons en lui
parce que nous savons qu’il a, tout comme nous, une face interne
personnelle, un monde intérieur fait d’idées et de sentiments. Nous
avons acquis spontanément ce savoir qualifié par les professionnels
de theory of mind (théorie de l’esprit)15 . Les personnes atteintes
d’autisme ont beaucoup de mal à développer cette capacité.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« Ce savoir implicite, que chaque homme normal acquiert et


construit toute sa vie sur base de ses expériences et de ses contacts
avec les autres, semble en grande partie absent chez Temple. En
l’absence de ce savoir, elle doit “calculer” les buts et les états d’âme
des autres, essayer de les rendre explicites, algorithmiques, ce qui
est pour nous autres une seconde nature16 . »
Parce qu’elles ne peuvent attribuer une signification cohérente
aux situations sociales, les personnes atteintes d’autisme ont des
difficultés à entrer en contact avec les autres. Et ce sont principa-
lement les règles et les aspects invisibles de l’interaction humaine
qui constituent pour elles une énigme.
50 Comment pense une personne autiste ?

Il en est ainsi des émotions que les personnes autistes peuvent


apprendre à définir : « papa est fâché », « la dame est triste », « mon
frère est content » et à relier à des signes extérieurs. Mais on est
toujours au niveau de l’« unirelationnel ». Comprendre d’où vient ce
sentiment est beaucoup plus difficile. Comprendre les émotions est
d’un autre ordre que de les décrire17 . Pour comprendre les émotions,
il faut être capable de « sentir » le contexte. Des larmes sont des
larmes, elles ont le même aspect. Mais des larmes de tristesse ne
sont pas des larmes de joie, et on peut verser des larmes en pelant
des oignons... autre contexte. Et même si nous voyons la différence
entre ces trois sortes de larmes, une tristesse ne ressemble jamais
à une autre. Comprendre pourquoi quelqu’un est triste demande
une grande sensibilité pour le contexte. C’est ce qu’on nomme la
« prise de perspective ». Des détails extérieurs, concrets et visibles
ne suffisent pas à acquérir une prise de perspective. Si nous voulons
connaître la perspective de quelqu’un d’autre (ce qu’il ou elle voit,
sent ou pense), nous devons prendre sa place. Au figuré, nous mettre
dans sa peau (ou sa tête) et regarder le monde à travers lui. Car ce
n’est pas le monde, ce ne sont pas les choses qui nous montrent
comment quelqu’un voit ou ressent le monde.
Deux hommes trouvent un miroir dans un bois. Le premier s’y regarde et
dit : « Hé, mais, celui-là je le connais ! » Le second dit : « Montre-moi ! » Il
prend le miroir et dit : « Mais évidemment, c’est moi ! »

Au début d’un week-end de formation pour jeunes adultes autistes


était organisé un jeu de prise de connaissance entre les partici-
pants. Chacun devait indiquer sur une feuille un certain nombre
de données le concernant : ses loisirs, son âge, son domicile mais
pas son nom. Toutes les feuilles furent jetées pêle-mêle. Chacun à
son tour devait prendre une feuille au hasard et devait deviner, à la
lecture de ces informations de qui il s’agissait. La première question
était : « À quoi peux-tu me reconnaître ? ». Deux participants, dont
Steven, avaient écrit : « à mon visage ». Une réponse techniquement
correcte, mais pas particulièrement efficace en matière de prise de
perspective. Le pauvre participant qui avait tiré la feuille de Steven
possédait bien peu d’informations concrètes. Quand il énonça un
mauvais nom, Steven cria très fort : « Faux ! » Non seulement il ne
réalisa pas tout de suite qu’il s’était ainsi trahi, mais de plus, tout à
fait convaincu, il ajouta fièrement : « C’est vrai, c’est à mon visage
que tu peux me reconnaître. »
5. Quand la vie est une ligne en pointillé 51

Au contraire de la circulation automobile, les règles de la circu-


lation entre les hommes ne sont pas visibles. Il n’existe pas pour
la « circulation sociale » de panneaux rendant les règles visibles. Il
en est ainsi de la règle de réciprocité. Le comportement social est
une sorte de jeu de ping-pong pendant lequel chacun joue à tour de
rôle. Comprendre les règles de la réciprocité est une lourde tâche
pour les personnes atteintes d’autisme. Le contact avec elles est très
souvent à sens unique ; ou bien c’est toujours votre tour ou bien
c’est toujours le leur. Et même si elles essaient de découvrir par des
calculs pourquoi les gens se comportent de telle ou telle façon, elles
restent des spectateurs à distance très souvent intéressés mais encore
plus souvent étonnés. Comme un scientifique qui étudie une culture
étrangère ou, comme l’exprime Temple Grandin elle-même : comme
un anthropologue sur Mars.
6

Le chevalier des fléchettes :


sur la communication

L ES SYMBOLES FONT DU MONDE


UN MONDE PARTIEL
La communication est le domaine par excellence de la significa-
tion appropriée. Elle permet la circulation inter-humaine des signifi-
cations. Par la communication, les significations se déplacent d’une
personne à l’autre.
Si j’ai soif et que je souhaite que le garçon de café m’apporte un
verre d’eau, je dois communiquer car il ne peut voir ni ma soif, ni
ma volonté de commander. Les sentiments, les désirs et les idées
prennent sens à l’intérieur de nous et sont donc invisibles. J’ai soif
et j’imagine un verre d’eau. J’image un garçon m’apportant un verre
d’eau fraîche.
Sur le premier dessin page suivante, vous me voyez penser à un
garçon m’apportant un verre d’eau :
54 Comment pense une personne autiste ?

Voyez-vous le verre d’eau ? Voyez-vous le garçon ? Non, car ces


deux images sont en moi. D’une façon ou d’une autre, je dois donc
extérioriser mon désir et le rendre reconnaissable pour le garçon. Je
dois donner une forme à mon désir.
Je choisis la forme suivante :
6. Le chevalier des fléchettes 55

Ma soif et mon désir de commander sont maintenant devenus


perceptibles. Je les ai « exprimés », extériorisés, je leur ai donné
forme. Le garçon qui perçoit mon expression va l’intérioriser à
l’aide d’autres mots : il lui donne un sens. Il traite l’information
perçue : « Ha ! Monsieur désire un verre d’eau... » et il m’apporte
mon rafraîchissement.
C’est de la communication. Une communication très simple car
ce n’est qu’une question « d’encodage » et de « décodage », de
traduction et de re-traduction.

La communication consiste donc à donner une forme à nos pen-


sées et à découvrir ensuite la pensée d’autrui au travers de cette
formulation que nous appelons « langage ». Le langage est le moyen
par lequel nous émettons des indices significatifs et les recevons
d’autres personnes. Le langage est un sens qui a pris forme. Ce que
nous désirons signifier peut prendre différentes formes. Si nous vou-
lons de l’eau, nous pouvons utiliser différentes formes de langage.
Nous pouvons « habiller nos idées » de différentes façons :
– le langage verbal (« de l’eau, water, agua, vatten... ») ;
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

– la langue parlée est, dans notre monde, la forme la plus utilisée.


C’est aussi la plus facile car nous portons toujours sur nous l’ins-
trument qui permet la parole : notre corps, et plus particulièrement
nos cordes vocales, notre bouche et nos lèvres ;
– le langage écrit (eau, water, agua...) ;
– le langage « illustré » (par des dessins ou photos) ;
– le langage corporel ou gestuel (faire le geste de boire) ;
– le langage des objets (lever un verre vide).
Ces différentes formes de « langage » (par ce mot nous n’en-
tendons donc pas le seul langage verbal !) sont des références et
56 Comment pense une personne autiste ?

renvoient aux sens invisibles, cachés. Les références sont comme


des symboles sans lesquels il ne peut y avoir de communication,
d’interaction entre les hommes. Les symboles font de ce monde
un monde « partiel ». Nous naissons avec un incroyable talent : la
capacité à symboliser. Grâce à cela, nous pouvons « participer » au
monde : nous avons le don de jongler avec agilité avec les procé-
dés d’encodage et de décodage. Il en va autrement des personnes
atteintes d’autisme qui ont beaucoup moins de talent à manier les
symboles. La plupart des symboles humains les déconcertent.
Ils sont trop abstraits. En raison de leur manque d’imagination,
les personnes autistes se heurtent régulièrement aux procédés d’en-
codage et de décodage1 .

E RREURS DE TRADUCTION
En plus de leurs problèmes d’imagination et d’abstraction, les
personnes souffrant d’autisme ont du mal à saisir la cohérence entre
les symboles et le contexte2 . Comme pour le comportement social,
cette cohérence est invisible. Pour les individus non autistes, les
« penseurs cohérents », ce n’est pas un problème car pour eux, cette
cohérence est évidente : elle n’a pas besoin d’être exprimée. La
communication va de soi. Pour ceux qui, au contraire, ne voient pas
rapidement l’ensemble d’une situation, l’encodage et le décodage,
la traduction inter-linguale, sont une réelle épreuve. C’est la raison
pour laquelle les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme
font beaucoup d’erreurs de traduction. Quand ils traduisent, ils le
font littéralement. Et traduire de façon littérale, c’est traduire de
manière « unirelationnelle » : ils donnent un seul sens à un symbole.
Dans une traduction littérale, les symboles sont traités comme des
détails isolés, sans lien avec leur cohérence réciproque. On pour-
rait comparer ceci à l’apprentissage d’une nouvelle langue, l’espa-
gnol par exemple. Nous apprenons d’abord le sens de mots isolés :
verre = vaso ; garçon = camarero ; eau = agua ; apporter = llevar ;
pouvoir = poder ; me = me ; vous = usted ; un = un.
C’est également de cette façon que l’ordinateur « symbo-
lise » ; une touche = un sens ou une fonction : F1 = Imprimer ;
F2 = Copier ; F3 = Fermer ; etc.
Jusque-là, c’est simple. Cela se complique quand les détails seront
assemblés pour former un ensemble significatif, une phrase. Si nous
6. Le chevalier des fléchettes 57

traduisons par exemple une phrase comme « Garçon, pouvez-vous


m’apporter un verre d’eau ? » au niveau des détails (mot par mot),
nous n’arriverons pas plus loin que :

À première vue, ce n’est pas si mal. Un garçon espagnol de bonne


volonté nous comprendra et nous apportera un verre d’eau, mais il
sourira parce que ce n’est pas une expression courante et correcte.
La bonne question aurait été : « Camarero ! Podria traerme un vaso
de agua ? » Tout à fait autre chose, n’est-ce pas ?
Passer du niveau des mots isolés à celui de la construction correcte
de phrases n’est pas si simple. Ce n’est plus seulement une question
de vocabulaire. Les difficultés grammaticales interviennent aussi.
Nous devons tenir compte des règles de déclinaison et de conjugai-
son, de l’utilisation de prépositions et d’articles. N’avons-nous pas
sué sang et eau, autrefois, pendant les leçons de grammaire française
ou allemande ? Faire des phrases et en comprendre le sens est tout
un art. Est-il donc si étonnant que beaucoup de personnes atteintes
d’autisme ne communiquent qu’avec des mots isolés et non sous une
forme plus élaborée : par phrases ? À leurs yeux, nous « jonglons »
avec les mots.
Les programmes de traitement de textes les plus courants (il
existe des programmes complexes plus performants) fonctionnent
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

au niveau des mots isolés. Ainsi, ils remarqueront les mots mal
orthographiés mais pas les fautes grammaticales ni les erreurs de
sens. La combinaison de mots suivante, sans queue ni tête, semblera
tout à fait correcte à un ordinateur familial car chaque mot isolé
est parfaitement juste : « La femme aura hier posé son œuf et à des
mètres des tuyaux tisser les chevaux. »
Les personnes atteintes d’autisme, non plus, ne remarqueront
pas tout de suite de telles constructions de phrases absurdes. En
classe, quatre enfants autistes suivent une leçon dont le sujet est
« le double » et « la moitié ». L’institutrice demande à Romain de
lire la phrase : « Le double dans le contraire de la moitié. » Romain
58 Comment pense une personne autiste ?

lit ce qui est écrit. Pour lui, tout est normal. Nous avons immédia-
tement compris qu’il s’agit d’une faute de frappe : le mot « est »
doit remplacer le mot « dans » sans quoi la phrase n’a pas de sens.
Sur demande de l’institutrice, Romain relit la phrase. Quand elle
lui demande si la phrase est correcte, il la regarde tout étonné.
Il ne comprend pas. Les autres enfants autistes ne réagissent pas
non plus. Aucun de quatre ne remarque l’absurdité. Tous les mots
existent en tant que détails isolés. « Dans » est un mot qui existe,
mais placé dans cette phrase, il constitue une erreur. Les phrases
sont plus qu’une addition de mots isolés. L’ensemble est plus que
la somme des mots isolés. Pour les ordinateurs et les personnes
atteintes d’autisme, ce n’est pas le cas.

E LLE AIME LE SA EN PLIANT


J’avais rédigé un rapport sur un garçon qui s’appelait Jan. Quand
j’ai dû faire un compte rendu semblable sur Louise, j’ai repris mon
texte précédent en utilisant le traitement de texte. Pourquoi tout
réécrire quand l’ordinateur nous offre tant de possibilités ? Celui-ci
a notamment une fonction particulièrement intéressante qui est :
« remplacer ». Je peux donc, en manipulant la souris et certaines
touches, remplacer un mot d’un document par un autre. Je me suis
mis au travail. L’ancien rapport concernait un garçon, le nouveau une
fille. Je demandais donc à l’ordinateur non seulement de remplacer
« Jan » par « Louise », mais également de changer les pronoms et
adjectifs possessifs, « lui » et « il » par « elle » et « son » par « sa ».
Le résultat fut surprenant. Après le travail effectué par l’ordinateur,
on pouvait lire : « Fin Louisevier, Louise nous fut recommandée
pour réévaluer sa aptitude fonctionnelle. Pendant l’examen de sa
aptitude à se débrouiller seule, Louise montra plus d’intérêt que la
fois précédente. Sa résultat au test est également meilleur. Elle était
particulièrement intéressée par plier le linge, notamment les tissus
soyeux, qu’elle trouve ellesants et dont elle aime le sa en pliant. À
ce qu’elle semble, elle le fait aussi à la maison. Et les parents... elles
sat très satisfaits ».
L’ordinateur avait effectué deux changements incorrects. L’un
était de ma propre faute car j’avais oublié de lui signaler que seuls
les mots « complets » devaient être remplacés. À cause de cet oubli,
il chercha toutes les combinaisons littérales des détails que j’avais
6. Le chevalier des fléchettes 59

introduits, qu’il s’agisse d’un mot complet ou non3 . Ainsi « janvier »


devint « Louisevier », « luisants » devint « ellesants », et « sont »
devint « sat ». Un cas évident de surgénéralisation : l’ordinateur
avait remplacé à outrance même ce qui ne devait pas l’être. Mes
instructions n’étaient pas assez détaillées et formelles. Les ordina-
teurs et les personnes atteintes d’autisme ont besoin de consignes très
claires. Mon ordinateur avait fait une autre faute qui n’a rien à voir
avec des instructions imprécises mais bien avec un manque de pensée
cohérente. Le mot « son » n’est pas toujours un adjectif possessif
(c’est son verre d’eau) mais peut parfois être un substantif (le son de
la radio). Dans les deux cas, ce mot s’écrit de façon identique. Mais
s’il est logique de le remplacer par « sa » quand il s’agit d’un adjectif
possessif, il ne doit pas être changé quand il s’agit d’un substantif.
Pour savoir si « son » est un adjectif possessif ou un substantif, il faut
tenir compte de la cohérence de l’ensemble, de la place du mot dans
la phrase et de sa relation avec les autres mots. Pour un ordinateur,
ce raisonnement est trop difficile. C’est pourquoi la phrase « dont
elle aime le son en pliant » sera traduite par « dont elle aime le sa en
pliant ».
J’avais déjeuné en compagnie d’un jeune autiste. À la fin du
repas, le téléphone s’est mis à sonner et avant de répondre, je lui
ai demandé de tout ranger et de nettoyer. Cet appel fut suivi d’un
autre puis d’un autre... une vingtaine en tout. Une heure et demie
plus tard, je remarquais que le jeune garçon était toujours occupé
en cuisine. Il était en train de vider toutes les armoires et de les
nettoyer. Mon instruction n’était pas assez détaillée et concrète. Par
tout ranger et nettoyer, je voulais dire ranger la table et laver la petite
vaisselle de notre repas... Mais je ne l’avais pas dit « à la lettre ». Les
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personnes atteintes d’autisme font beaucoup d’erreurs de traduction


parce qu’elles ne saisissent pas la cohérence d’un mot avec les autres
mots de la phrase. Comme nous, quand nous apprenons une langue
étrangère ou comme un ordinateur, elles font des associations fixes
et singulières entre les mots et leur signification. Qu’un mot puisse
avoir plusieurs sens et que ce sens change quand la cohérence change
est incompréhensible pour elles.
Chaque fois que Pierre et ses parents vont à la mer, ses parents lui
disent : « Pierre, nous allons à la mer. » Pierre le comprend très bien.
Un dimanche soir, alors qu’ils vont rendre visite à des personnes de
la famille, la circulation est très dense sur l’autoroute à cause des
60 Comment pense une personne autiste ?

retours de week-end à la mer. La mère de Pierre fait la réflexion


suivante : « Il devait y avoir beaucoup de monde à la mer ». Pierre
réagit, paniqué. Il est troublé : il a entendu sa mère prononcer le mot
« mer » et pourtant la voiture ne roule pas en direction de la mer !
(Pierre connaît la route. En tant que « penseur en détails », il tire les
informations qui lui sont utiles de détails visibles.) Le mot « mer »
signifie pour lui « aller à la mer ». Ce mot peut prendre plusieurs
sens dans une phrase. Tout dépend du lien qui l’unit aux autres mots
de la phrase. Particulièrement les prépositions, qui en fait sont de
simples mots sans signification intrinsèque mais qui ont la propriété
de changer le sens d’une phrase : à la mer — sur mer — vers la mer
— en mer — de la mer...
Pour la plupart des personnes atteintes d’autisme, ces différences
sont trop abstraites. Elles s’appuient principalement sur des détails
visibles et concrets pour comprendre le sens d’une phrase. Les
prépositions sont des sons vagues qui ne leur disent pas grand-chose.
Avez-vous déjà rencontré « dans » ? Une voiture est plus concrète
parce que vous la voyez, vous pouvez la toucher. Vous pouvez vous y
asseoir. C’est une information plus solide pour une personne atteinte
d’autisme que ces sons sans consistance matérielle. Essayez de vous
placer dans le monde de la pensée concrète qui est le leur. Pierre
a plusieurs fois fait l’expérience du mot « mer » quand il se trouvait
dans la voiture. Et à chaque fois, sa famille se rendait à la mer. Alors,
le cerveau de Pierre a fait l’association d’idées suivante :

Or ici, Pierre se trouve dans la voiture, entend le mot « mer » et


pourtant la voiture prend une autre direction. N’est-ce pas troublant ?
Celui qui — comme Pierre — vit dans un monde d’associations
d’idées concrètes et isolées et rattache les mots à des expériences
concrètes et perceptibles au lieu de percevoir la cohésion entre eux,
se trouvera continuellement face à des expériences désagréables. Il
ira de surprise en surprise. Car : auto + « mer » ne veut pas toujours
dire « aller à la mer » !
6. Le chevalier des fléchettes 61

Mais les surprises ne sont pas toujours que pour les personnes
autistes. Nous pensons généralement que les enfants autistes com-
prennent notre langue, et pourtant, ils réagissent parfois bien bizarre-
ment. Benoît est en train de jouer dans la pièce de séjour. Le repas est
prêt et, de la cuisine, sa mère crie : « Benoît, à table ! » et Benoît va
s’installer à table. Il en est ainsi chaque jour. Apparemment, Benoît
comprend ce que lui dit sa mère. Un jour, sa mère lui crie : « Benoît,
ouvre la porte d’entrée », car quelqu’un a sonné et elle est occupée
à tourner la sauce. Benoît se met à table... Benoît ne réagit donc pas
aux sens des mots, mais tient compte d’autres informations. Qu’a-t-il
appris ?

Benoît a appris que sa maman attend quelque chose de lui quand


elle crie son nom. Donc, quand il entend son nom, voit la table
dressée et sent l’odeur de la nourriture, cela veut dire pour lui : se
mettre à table. Voir et sentir sont des informations beaucoup plus
concrètes que les paroles de maman.

L E « CHEVALIER DES FLÉCHETTES »


Pourtant, beaucoup de personnes atteintes d’autisme comprennent
et utilisent des phrases. Certaines sont même capables de lire et
écrire. Au contraire de Pierre et Benoît pour qui les mots sont vides
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de sens, elles savent combiner les mots. La cohérence des mots ne


leur pose pas problème parce qu’elle est explicite. Elle est exprimée,
aussi les différences sont faciles à remarquer et intelligibles : « à
la mer » et « de la mer » sonnent différemment. Ces expressions
expriment donc quelque chose de différent. Et pourtant, ces per-
sonnes ont elles aussi des problèmes avec le langage car le sens de
nombreux mots ne dépend pas seulement de la cohérence externe et
perceptible avec les autres mots de la phrase mais aussi et surtout de
la cohérence invisible avec le contexte4 .
Pendant un dîner de gala à l’étranger, un haut fonctionnaire doit se rendre
aux toilettes. Comme il ne sait pas où elles se trouvent, il le demande discrè-
tement à son voisin en lui murmurant dans l’oreille gauche : « Les toilettes,
62 Comment pense une personne autiste ?

s’il vous plaît ? » Le voisin : « De l’autre côté. » Sur ce, le fonctionnaire se


lève et se dirige vers l’oreille droite de son voisin pour lui murmurer la même
question.

Elle. — Chéri, si un incendie se déclarait, qui mettrais-tu en sécurité en


premier, toi ou moi ?
Lui. — Moi.

La confusion « je-tu » que Léo Kanner avait déjà mis en évidence


en 1943 et qui est particulière aux personnes atteintes d’autisme
est un problème typique dû à la cohérence invisible des mots. Le
mot « je » peut désigner n’importe qui. Quand vous parlez de vous-
même, vous dites « je » mais quand je parle de moi, je dis également
« je ». Soit votre photo, soit la mienne devrait accompagner ce mot.
Parce que les enfants autistes créent des relations fixes entre les
choses et les mots et parce que nous les abordons en disant « toi »,
certains pensent qu’ils sont « toi », que « toi » s’adresse toujours à
eux. Ils accrochent leur propre photo au mot « toi », se nomment
eux-mêmes « toi » et l’autre « je ». Que la photo de ce « je » puisse
changer, c’est-à-dire l’image de toute autre personne parlant d’elle-
même, est trop difficile à comprendre pour eux.
Le phénomène « moi-je » peut laisser croire que les personnes
atteintes d’autisme intervertissent ou confondent les personnes. Ce
n’est pas le cas. Elles n’inversent pas « toi » et « je », elles leur
donnent tout simplement un autre sens en associant chaque pronom à
une personne bien précise. Elles ne comprennent pas que la personne
concernée puisse changer pour une question de cohérence ou de
contexte. Beaucoup de mots ont plusieurs sens. Ils sont souvent
équivoques. Vous ne trouverez leur juste sens que si vous vous
référez au contexte. La perception concrète, littérale ne vous est
d’aucun secours, de même que la simple connaissance du diction-
naire. Essayez de traduire un livre en suédois avec simplement un
dictionnaire et une grammaire. Vous n’y arriverez certainement pas.
Pour une bonne traduction, vous aurez besoin d’une vision plus
globale. Vous devrez disposer d’informations de fond sur le thème
ou sur l’univers dont parle l’ouvrage. Des interprètes expérimentés,
travaillant dans le monde politique, restent bouche bée quand ils
doivent traduire un congrès sur l’autisme.
Les ordinateurs sont en difficulté quand une image apparaît dans
une phrase ou quand le sens d’un mot dépend du contexte. Ce que les
6. Le chevalier des fléchettes 63

ordinateurs sont capables de faire est parfois impressionnant, aussi


longtemps que ces tâches sont formelles et que des règles fixes et
immuables y sont appliquées (comme pour un traitement mathé-
matique ou un jeu d’échecs)5 . Les ordinateurs traduisent de façon
très rigide et très littérale. Le résultat est donc parfois absurde. En
néerlandais « Mijn arm is lam » signifie : « Mon bras est paralysé »,
mais certains de ces mots ont plusieurs sens. L’ordinateur de traduc-
tion néerlandais-français traduira : « Mon pauvre est agneau. » Ce
type de fautes se rencontre aussi chez les gens qui maîtrisent « un
peu » une langue étrangère. Ils traduisent littéralement parce qu’ils
ne saisissent pas les nuances des mots propres à cette langue.
Un politicien dont le français n’était pas la langue maternelle entreprit de
faire un discours sur sa carrière. Il débuta par ces mots : « Quand je regarde
mon derrière, je le vois divisé en deux parties. » En fait, il voulait dire :
« Quand je regarde mon passé, je le vois partagé en deux. »

Et cela ne doit pas nécessairement être une langue étrangère. Notre


propre langue maternelle fourmille de termes dont le sens exact n’est
compréhensible qu’à partir du contexte. Essayez de situer les mots
suivants en faisant une image pour ces mots : œil-de-bœuf, monte-
en-l’air, cul-de-sac, poule mouillée, baise-en-ville, fruit sec, métier
de chien, lune de miel. On peut trouver ces mots dans le dictionnaire.
Et que pensez-vous du « chevalier des fléchettes », un mot existant
en néerlandais. Quelle image avez-vous ?
64 Comment pense une personne autiste ?

Un chevalier des fléchettes pourrait ressembler à cela... du moins,


dans le contexte d’un conte de fées. Mais essayez d’adapter cette
illustration dans le contexte suivant : « Ce chevalier des fléchettes
m’a rendu nerveux. Il était si imprudent que je devais freiner sans
arrêt. Il a même dépassé sur la bande d’arrêt d’urgence et à plus de
140 à l’heure. » N’avez-vous pas l’impression de voir des raviolis
dans un lit de poupée ? un lavabo à un guichet de gare ? un chevalier
des fléchettes est un conducteur qui utilise sans arrêt ses clignotants,
zigzague entre les voitures et prend imprudemment la priorité.
Les mots à double sens et imagés sont d’inépuisables sources
de blagues. La compréhension littérale d’une langue amène des
réactions et des répliques absurdes.
Le médecin à un patient d’un certain âge : « Donc, monsieur, vous dépas-
sez bien les 70 ans ?
Le patient. — Oui docteur, mais pas si bien que ça !

— Que pensez-vous du sexe à la télé ?


— Ça fait mal !
— Comment ça, mal ?
— Ben oui, j’ai essayé une fois, mais j’en suis tombé...

Mais beaucoup d’anecdotes concernant les personnes atteintes


d’autisme sont aussi engendrées par la compréhension littérale de
la langue. À l’église, une maman voit s’approcher la personne qui
fait la quête et dit à sa fille autiste « Tu lanceras ta pièce dans le
panier. » La jeune fille se lève et dans un grand geste, elle lance
sa pièce... Pendant la leçon de gymnastique, les garçons doivent se
hisser à la barre fixe et faire des tours. Édouard se suspend mais reste
ensuite immobile. Le professeur lui dit : « Allez, Édouard, fais des
tours ! » Édouard se laisse tomber par terre et, en faisant des signes
au professeur, se met à faire des tours de salle avec un grand sourire.
Il y a cependant pour les personnes atteintes d’autisme une difficulté
bien plus grande encore, causée par « les penseurs cohérents ».

L ES SOUS - ENTENDUS
( OU CE QUI N ’ EST PAS CLAIREMENT EXPRIMÉ )
Les individus sans autisme ont l’habitude que leurs interlocu-
teurs, tout comme eux, comprennent rapidement et spontanément le
contexte dans lequel quelque chose est dit, car chacun a une « théorie
6. Le chevalier des fléchettes 65

de l’esprit », la conscience que les autres pensent différemment.


Grâce à celle-ci les intentions d’une personne, même invisibles,
deviennent évidentes. Il est tellement évident pour les « penseurs
cohérents » que les autres tirent aussi leurs informations de cette
cohérence, qu’ils vont économiser les mots pour exprimer une situa-
tion. C’est pourquoi beaucoup de choses ne sont pas dites pendant
une communication simple. Revenons à la phrase : « Garçon, un
verre d’eau ! » Que signifie cette expression ? C’est simple, me
direz-vous. Faux ! Car si vous relisez attentivement, vous constaterez
que cette phrase peut exprimer plusieurs situations. Observez ce
qui suit. Les mots qui se trouvent entre parenthèses ne sont pas
prononcés mais donnent pourtant sens à la phrase :
« Garçon, (regardez) un verre d’eau ! » (Une simple remarque)
« (Mais), garçon, (c’est) un verre d’eau ! » (alors que j’ai commandé
une bière !) (Une remarque aussi, mais d’un autre type que la précé-
dente) « Garçon, (tenez, SVP) un verre d’eau ! » (une proposition)
« Garçon, (voulez-vous) un verre d’eau ? » (une question) « Garçon,
(pourriez-vous m’apporter) un verre d’eau ? » (une autre question,
mais différente de la précédente)
La signification correcte ne deviendra claire que lorsque l’expres-
sion sera placée dans le contexte :
– l’expression du visage de la personne (interrogative, indignée...) ;
– les signes gestuels qui l’accompagnent (indiquer, lever les bras, la
main...) ;
– la situation elle-même (qui sert qui ? un verre vide est-il déjà sur
la table ?).
Les « penseurs cohérents » que sont les personnes sans autisme,
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n’ont en général aucun problème pour percevoir la signification cor-


recte ou la traduction exacte de diverses expressions. À partir de la
cohérence du contexte, ils peuvent facilement déduire la signification
de la phrase.
À ce niveau de communication, presque aucun ordinateur ne peut
suivre. Pour la machine, il est par exemple impossible d’attribuer un
sens au mot « il » dans la phrase suivante6 : « Les enfants ne veulent
pas d’esquimau glacé parce qu’il fait froid. » Notre intelligence
intégrante comprend sans problème une telle phrase. Pour nous,
« il » se réfère spontanément au temps et cela en raison du contexte
(nous sentons nous-mêmes qu’il fait froid). D’emblée, il nous paraît
66 Comment pense une personne autiste ?

évident que le mot « il » se réfère au temps et non à l’esquimau


glacé... Ou qu’une moustache n’est pas une marchandise :
La femme. — Il y a, à la porte, un homme avec une moustache.
L’homme. — Dis-lui que j’en ai déjà une.

Imaginez un ordinateur capable de créer des images à partir d’une


phrase. Quelle image inventerait-il pour : « J’ai vu un chien avec mes
jumelles. » Une mauvaise estimation du contexte génère des situa-
tions comiques et absurdes. Quand les « sous-entendus » évidents
mais non formulés sont compris de façon peu évidente ou qu’ils
apparaissent de façon inattendue, surviennent des absurdités et donc
des blagues dont voici un petit échantillon. (Analyser des blagues est
une occupation idiote car elles perdent ainsi leur effet. Mais essayez
quand même de réfléchir à la façon avec laquelle les sous-entendus
ont été construits. J’ai fait de même mais pour ne pas vous gâcher le
plaisir, le résultat de ma réflexion se trouve dans les notes finales.)
« Dumoulin, dit le juge, vous êtes ici pour débauche.
Dumoulin. — Bien. Alors, faites entrer les dames7 . »

Après avoir examiné un patient, le médecin lui dit : « Je ne peux pas encore
établir le diagnostic avec certitude, mais je pense que la boisson en est la
cause.
Le patient. — Alors, je reviendrai quand vous serez à jeun8 . »

Un homme entre dans un magasin où l’on vend des drapeaux. Après un


certain temps, le vendeur vient lui demander ce qu’il désire. « Je cherche un
drapeau français de couleur verte », dit l’homme. « Hélas, monsieur, répond
le vendeur, le drapeau n’existe qu’en bleu, blanc, rouge. » Après un moment
de réflexion, le client lui dit : « Alors, donnez-moi un bleu9 . »

La maîtresse de maison à sa servante : « Marie, j’ai acheté une brosse


pour les toilettes. Servez-vous en dorénavant ! » Après une petite heure, la
servante revient et dit à sa maîtresse : « Madame, j’ai essayé la brosse pour
les toilettes, mais elle est assez dure. Je préférerais utiliser le papier10 . »

C’est ce qui n’est pas dit qui pose aux personnes atteintes d’au-
tisme le plus grand problème de communication. Car ce qui n’est pas
dit est invisible, n’est pas concrètement perceptible. Il se trouve dans
le contexte. C’est là que se situent les informations nécessaires pour
comprendre pleinement ce qui a réellement été dit. Les personnes
autistes manquent d’informations pour créer un ensemble cohérent
parce qu’elles ne cernent pas (aussi vite que nous) la cohérence.
6. Le chevalier des fléchettes 67

Très souvent, elles ne réagissent qu’à une partie de l’ensemble. Elles


réagissent de façon littérale. La grand-mère de Didier, un jeune
autiste, apprend qu’un voyage scolaire est prévu quinze jours plus
tard. En visite chez Didier, elle lui demande « Quand pars-tu en
voyage ? » Et Didier répond : « À huit heures et quart ». À l’oc-
casion d’une formation aux aptitudes sociales, de jeunes autistes
faisaient une rédaction qui avait pour thème « Comment se faire
un ami ? ». Michel, 12 ans, écrivit : « Atomes, cellules, yeux, nez,
bouche, bras, jambes. P.-S. puis dire Bonjour11 . »

I NTENTIONS SECRÈTES
Ce qui n’est pas dit est très souvent l’intention du message. C’est
dans le contexte et non dans les mots que nous découvrons cette
intention. Elle est d’un autre ordre que les mots12 . Les spécialistes
en communication parlent de « niveau de relation » et de « niveau
de contenu ». Le contenu, ce sont les mots. Pourquoi et dans quel
but nous prononçons ces mots, concerne le niveau de la relation
entre nous et le destinataire du message13 . La plupart du temps,
nous partons du fait que la relation entre nous et le récepteur du
message est suffisamment claire ; c’est pourquoi nous n’explicitons
pas verbalement cette relation. Le faire serait compliqué et peu
sensé. Imaginez que vous soyez garçon de café et qu’un client, pour
commander un verre d’eau, vous dise : « Garçon, un verre d’eau,
s’il vous plaît ! Par cette phrase je veux dire que je suis assis ici et
que j’ai soif. Je voudrais donc avoir un verre d’eau. Étant donné que
vous êtes le garçon, je m’adresse à vous et je formule cette phrase
avec l’intention de vous demander de m’apporter un verre d’eau, ici,
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à cette table. »
La communication est une chose bien compliquée. Non seule-
ment nous devons comprendre le sens des mots et leur cohérence
commune (leur signification) mais nous devons aussi saisir la réalité
sociale dissimulée derrière les mots. « Garçon, un verre ! » : est-ce
une commande, un ordre ou une remarque ? Dans les exemples sui-
vants, l’institutrice corrige-t-elle ou donne-t-elle une information ?
L’employée donne-t-elle une réponse ou pose-t-elle une question ?
L’enfant. — Madame, j’a dormi cette nuit chez papa.
L’institutrice. — Non, on dit : j’ai dormi cette nuit chez papa.
L’enfant. — Mais madame, je ne vous y a pas vue...
68 Comment pense une personne autiste ?

Le client. — Madame, pouvez-vous me dire combien de temps dure le vol


Paris-New York ?
L’hôtesse. — Une seconde, Monsieur...
Le client. — Merci, Madame.

Les personnes atteintes d’autisme commettent les mêmes fautes


d’interprétation. Leur manque de compréhension au niveau de la
cohérence en communication (les intentions) est fortement lié aux
problèmes de cohérence sociale (contexte) qu’ils rencontrent. L’as-
pect social de la communication est la principale pierre d’achoppe-
ment pour une personne autiste. Aussi douée soit-elle, l’intention de
la communication lui échappe souvent car cette part essentielle de
la communication, l’intention, ne peut être perçue littéralement. Les
intentions sont très rarement exprimées clairement, elles sont géné-
ralement sous-entendues. Pour les personnes souffrant d’autisme les
intentions de la communication sont donc littéralement invisibles.
Il fait un vrai temps d’hiver. Frédéric, un jeune homme autiste,
est sur le point de partir au travail en vélo. L’éducatrice lui dit
d’emporter son bonnet et ses gants. Frédéric acquiesce et sort en
fermant la porte. Par la fenêtre, l’éducatrice le voit monter sur
son vélo sans bonnet et sans gants. Elle ouvre la fenêtre et lui
crie : « Mais, Frédéric, je t’avais dit de prendre ton bonnet et tes
gants ! » Frédéric se retourne et dit : « Mais je les ai ! » et sort
fièrement des poches de sa veste le bonnet et les gants. Il est bien
connu que les enfants autistes ne réagissent pas à des instructions de
groupe. L’institutrice d’une classe maternelle donne la consigne clas-
sique suivante : « Prenez votre livre. » Tout le monde réagit, sauf le
jeune autiste. Il n’a pas compris que, l’ordre, l’instruction s’adressait
aussi à lui. D’ailleurs, son nom n’a pas été littéralement mentionné,
exprimé. Mais le contraire peut aussi arriver... La maman dit à son
fils : « Prends ta veste. » Sa sœur autiste quitte précipitamment son
fauteuil et prend sa veste. Elle n’est pas capable de déduire à partir
du contexte que cet ordre ne s’adresse pas à elle mais à son frère. En
conséquence de ce manque de compréhension des intentions « non
exprimées », les personnes atteintes d’autisme, ne réagiront souvent
qu’à ce qui a été dit et non à ce qui est vraiment mais implicitement
signifié. Ce qui est aussi une forme de compréhension littérale. Le
professeur : « Benjamin, va aux toilettes ! » Benjamin se rend aux
toilettes et y reste sans rien faire. Il n’a pas compris que le professeur
lui demandait d’aller faire pipi, parce que le professeur ne l’avait
6. Le chevalier des fléchettes 69

pas clairement précisé. Comme nous le faisons avec les ordinateurs,


nous devons donner aux personnes atteintes d’autisme des consignes
exactes pour qu’elles fassent ce qu’on leur demande et qu’elles le
fassent correctement.
Les problèmes qu’ont ces personnes pour comprendre le langage
ne concernent pas seulement la langue parlée, les mots et les phrases.
Dans les autres formes de communication aussi, un bon observateur
doit avoir l’œil pour le contexte. Ceci vaut sûrement pour les gestes,
les expressions du visage, les positions du corps et tous les autres
canaux de communication « non verbaux ». Très souvent, ces formes
de langage donnent encore plus de mal aux personnes autistes. Pour
les mots, il existe en effet des dictionnaires qui en précisent le sens.
Pour les gestes, il n’existe rien. On en dit encore moins avec les
gestes qu’avec les mots. Montrer du doigt est l’un de ces gestes. À
partir du contexte, nous devons déduire vers où une autre personne
pointe le doigt pour trouver ce que cette personne veut nous indiquer.
Nous devons nous mettre à la place de celui qui montre du doigt,
« entrer » dans ses pensées, ses désirs et ses sentiments. Mais ce
n’est pas toujours une réussite pour un être socialement naïf comme
l’est une personne autiste ou comme M. Bean.
C’est la période de Noël, le temps des cadeaux de fin d’année. M. Bean
se trouve devant la vitrine d’un bijoutier en compagnie de sa fiancée. Une
superbe bague est placée sur un panneau publicitaire représentant un
couple d’amoureux. La fiancée de M. Bean la lui montre du doigt et M. Bean
hoche la tête amoureusement. Le soir de Noël, il lui offre son cadeau. Elle
l’ouvre et... trouve le panneau publicitaire.

Bien que les personnes atteintes d’autisme connaissent beaucoup


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

de mots, comment on communique, pourquoi, combien de temps


et quand restent pour eux des points d’interrogation. Une étude
récente a démontré que certaines aptitudes de communication qui
sont déjà acquises par des enfants de deux ans ne sont pas suffi-
samment développées chez les personnes autistes. Ainsi, toute forme
de communication supposant une attention partagée est un obstacle
pour elles car ces personnes ne contrôlent pas si autrui prête attention
à leur message14 . Notre façon d’adapter notre communication aux
autres et au contexte reste, pour elles, un grand mystère. Et pourtant,
les personnes autistes font de leur mieux. Mais comme pour le
comportement social, elles ne réussissent souvent qu’une imitation
maladroite.
70 Comment pense une personne autiste ?

Un jeune garçon en vacances téléphone chez lui. C’est son frère qui
décroche : « Comment va Oscar, notre chat ?
— Le chat est mort. Décédé ce matin
— Quelle catastrophe ! Tu sais pourtant combien je l’aimais ! Tu aurais pu
m’annoncer la nouvelle avec un peu plus de délicatesse !
— Comment alors ?
— Et bien, tu aurais pu dire qu’il est monté sur le toit, qu’il a glissé et que tu
as essayé de le rattraper mais que malheureusement tu n’y es pas arrivé.
C’est plus délicat que ce que tu m’as dit.
— OK, j’ai compris. Excuse-moi
— Allez, c’est oublié. Et comment va maman ?
Elle est montée sur le toit15 . »
7

Les frites de pommes :


sur la rigidité

AUT ( OMAT ) ISME


« Mes frères trouvaient que le mot autistique ressemblait à auto-
matique1 . »
L’humour apparaît quand l’être humain agit en quelque sorte à la
façon d’un automate. Quand le comportement humain s’apparente à
celui d’une machine, écrivait le philosophe français Henri Bergson
il y a un siècle. Les machines ne sont pas souples dans leur fonction-
nement, elles effectuent ce pourquoi elles ont été conçues. Ni plus,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

ni moins. Les machines n’ont pas de conscience et ne peuvent pas


contrôler ni adapter leur « comportement ». Mettez une voiture en
marche et elle roulera. Elle continuera à rouler même si un arbre
ou un autre obstacle surgit. Une voiture sans chauffeur n’est pas
capable d’adapter son « comportement » au nouveau contexte. Elle
percutera simplement l’arbre. Donnez une tâche à un ordinateur et il
l’effectuera. Demandez-lui d’imprimer et il imprimera, même si la
page est blanche et que l’imprimer n’a aucun sens. L’ordinateur ne
perçoit pas cette absurdité et il imprimera. Il ne vous dit pas qu’il
serait préférable de faire autre chose, comme par exemple prendre
une feuille vierge.
72 Comment pense une personne autiste ?

Quand l’homme se comporte comme une voiture ou un ordinateur


et n’adapte pas son comportement au contexte, il est à l’origine de
situations comiques. Si un individu se promène tête en l’air et bute
contre une pierre, nous rions. Ce n’est plus aussi drôle si nous savons
que la chute est un choix délibéré de cette personne.
Quand le globe-trotter, après des années de voyage, revint dans son pays, il
se laissa tomber par terre et embrassa le sol : « N’est-ce pas émouvant ? »
« Non, dit le voyageur, il y avait une peau de banane. »

C ELUI DE V ILLEURBANNE ÉTAIT TOUT AU FOND :


L’ ESSENCE DES CHOSES ...
La capacité de percevoir une cohérence ou la capacité de cohé-
rence centrale nous permet d’adapter notre comportement avec sou-
plesse aux situations changeantes. Les « penseurs cohérents » ne
ressentent pas leur vie comme une suite de situations indépendantes
les unes des autres, mais comme un processus continu. Non comme
un album de photos isolées mais comme un film. Ils intègrent chaque
événement, chaque expérience dans un ensemble plus vaste. Ainsi,
ils créent une base d’expériences riches et nuancées dans laquelle
ils pourront tirer des leçons pour le futur pour comprendre de nou-
velles situations et y réagir intelligemment. Il en va tout autrement
pour les personnes manquant de cohérence centrale. Les expériences
sont reliées à des situations concrètes. Il n’y a pas de notion d’un
grand ensemble mais les détails sont reliés entre eux et, à l’avenir,
ce lien sera considéré comme absolu. Chaque fois qu’un détail se
présentera, un autre surviendra de façon identique.
Que les détails prennent tant d’importance est compréhensible
quand on ne saisit pas la cohérence. Mais quand les détails
deviennent plus importants que l’ensemble, on voit se développer
un comportement semblable au fonctionnement des machines. Les
activités sont réalisées de façon rigide, sans aucune souplesse. Par
souplesse, nous entendons sensibilité pour le contexte, comme être
attentif à un obstacle, même si nous sommes en train d’accélérer. La
sensibilité pour le contexte signifie surtout être sensible à l’essence
de la situation. Savoir faire la différence entre ce qui est important
et ce qui ne l’est pas. Cette capacité n’est pas compatible avec
l’observation des détails concrets. Les détails restent en effet très
souvent de moindre importance.
7. Les frites de pommes 73

Un peloton de soldats a pour mission de saboter une gare. Après une heure,
ils sont de retour.
Le sergent. — Mission accomplie, mon commandant !
Le commandant. — Mais je n’ai pas entendu d’explosion !
Le sergent. — C’est vrai, mais nous avons fait un bon sabotage. Nous avons
confisqué tous les tickets de train.

Deux habitants de Villeurbanne ont fait une virée à Lyon et ratent le der-
nier bus. Ils décident d’en « emprunter » un. Le premier monte la garde
pendant que l’autre entre dans le dépôt. Cela dure longtemps et du dépôt
proviennent d’étranges bruits. Finalement, le second sort au volant d’un bus
tout cabossé et son compagnon lui de mande : « Dis, c’était quoi, tous ces
bruits ? — Ben, c’était pas facile, le bus à destination de Villeurbanne était
tout au fond. »

Celui qui est sensible au contexte peut situer chaque détail dans
une situation donnée. Il peut faire un tri entre les nombreux élé-
ments et les placer dans une certaine perspective (trier, relier ces
éléments, c’est mettre de la cohérence !). Ce tri se fait spontané-
ment chez les « penseurs cohérents » selon un principe établi, celui
de l’importance attribuée aux détails. Pour différencier les détails
importants des autres, nous regardons la signification ou le but de
la situation. Nous devons le « découvrir » et pour cela, nous devons
faire preuve d’imagination, plus particulièrement d’une imagination
sociale parce que les objectifs sont posés par des personnes et non
par des objets. Une fois l’objectif clairement précisé, certains détails
deviennent moins importants que d’autres. Pour qu’un train puisse
rouler, les tickets sont bien moins importants que les rails ou la
locomotive... Si vous voulez absolument partir, ce qui est écrit sur
le bus est peu important. Pourvu qu’il roule...
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Pierre est un jeune marié à la recherche d’un appartement. À l’agence


immobilière, on lui fait comprendre qu’il n’y a pas de logement disponible.
« Revenez dans un an », lui dit-on. « Très volontiers, le matin ou l’après-
midi ? »

Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à situer les événe-


ments dans leur perspective. Elles ne pressentent pas suffisamment
le but des situations, elles sont peu orientées vers leur signification
mais bien plus vers la perception littérale des détails. C’est pourquoi
chaque détail a la même valeur, est aussi important qu’un autre.
Ceci a des conséquences radicales sur le comportement des per-
sonnes autistes. Nous avons déjà évoqué ces conséquences sur le
74 Comment pense une personne autiste ?

comportement social et la communication. Mais cela va beaucoup


plus loin. L’apprentissage et l’exécution de la plupart des com-
portements et activités sont touchés par l’hypersélectivité et par le
fait que les personnes atteintes d’autisme s’attachent au sens strict
et littéral des perceptions. Beaucoup de leurs comportements sont
régis par des détails, d’où une certaine rigidité dans leur façon de
se comporter. Pour définir cette rigidité, différentes dénominations
existent : rigidité, résistance aux changements, comportements sté-
réotypés, ritualisation. Ce sont différentes expressions d’un seul et
même problème, celui de la souplesse de généralisation. En fait,
il s’agit d’un double problème car il peut y avoir manque autant
qu’excès de généralisation :
– un manque de généralisation apparaît lorsque vous n’arrivez pas à
adapter à une situation similaire un comportement ou une activité
précédemment apprise, si pour exécuter une action, vous êtes fixés
sur un détail et qu’en l’absence de ce détail vous n’entrez pas en
action bien que la situation soit « réellement » ou essentiellement
la même. Vous n’effectuez donc une certaine action que si le détail
concerné est présent ;
– si pour exécuter une action, vous vous fixez sur un détail et que ce
détail étant présent vous entrez en action bien que la situation soit
« réellement » ou essentiellement différente. Vous exécutez cette
action même si elle n’est pas nécessaire. Ici aussi, nous parlons
d’un problème de généralisation, mais d’un excès de généralisa-
tion.

D ES TOILETTES SONT POURTANT DES TOILETTES ?


Si tous les détails ont la même importance, ils ne doivent plus
changer. Car, si un détail change ou disparaît soudain, la situation
n’est plus la même. Si vous portez un pull bleu au lieu d’un vert,
ce n’est qu’une différence de détail pour les individus sans autisme.
L’élément le plus important — la personne — reste le même. Vous
avez une autre apparence, mais vous n’êtes pas différent. Pour ceux
qui sont axés sur la perception littérale de détails concrets et externes,
il n’en va pas de même.
Deux menuisiers sont en train de travailler dans une scierie. Un accident
survient et l’un d’eux perd une oreille. Son compagnon cherche et trouve
7. Les frites de pommes 75

l’oreille. Mais son collègue lui fait remarquer : « Non, ce n’est pas la mienne.
Derrière la mienne, il y avait un crayon. »

Les personnes atteintes d’autisme ne comprennent pas l’essence


des situations. Leur compréhension est plutôt analytique : chaque
situation est la somme de tous les détails. Comme pour l’ordinateur,
si je demande à un programme de traitement de textes de changer
l’abréviation V.V.A. en Vlaamse Vereniging Autisme et que je tape
VVA, le programme n’agira pas. La première fois que cela m’est
arrivé, j’étais étonné : V.V.A. est pourtant la même chose que VVA ?
Avec ou sans point, il n’y a que peu de différence. Au niveau du sens,
c’est exact mais pas pour un ordinateur qui traite les informations
de façon littérale et analytique, détail par détail. Pour lui, les points
ont autant d’importance que les lettres. Et par conséquent, V.V.A.
n’est pas la même chose que VVA. « L’aspect » est différent. Donc, il
n’effectuera pas le changement demandé. Car pour lui, chaque détail
doit être présent. VVA n’est pas la même chose que VVA, seksualité
pas la même chose que sexualité et siège de WC pas la même chose
que siège de toilettes.
Lors d’un camp pour enfants autistes, un garçon refusait d’aller
aux toilettes. Chaque fois que l’éducateur lui disait : « Marc, va aux
toilettes ! », il était effrayé, se rebellait et refusait d’y entrer. Nous
avions essayé toutes les toilettes du camp, sans résultat. On consulta
alors les parents. Marc agissait-il ainsi à la maison ? Était-il malade ?
Pourquoi refusait-il ? Nous ne trouvions pas directement de solution.
Pour les éducateurs, « aller aux toilettes » était une situation tout à
fait normale et reconnaissable : les toilettes sont des toilettes, n’est-
ce pas ? Pour des « penseurs cohérents » en effet... mais pour des
personnes comme Marc, qui ne savent pas faire la différence entre
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

les détails importants et les autres, non ! Les éducateurs cherchèrent


LE détail. Ils demandèrent alors aux parents : « À quoi ressemblent
les toilettes chez vous ? Et à l’école de Marc ? ». Après un échange
de coups de fil, pendant lesquels on discuta en détails de la couleur
et de la forme des toilettes, le mystère fut enfin éclairci. Chez Marc
comme à l’école, les sièges des toilettes sont tous blancs. Au camp,
tous les WC avaient un siège noir. Marc ne reconnaissait pas ces
toilettes comme étant des toilettes. Un siège noir ne peut être un
siège de toilettes ! Et en plus, ils m’obligent à entrer dans cette
pièce ! Pour nous, la couleur des sièges de toilettes est un détail sans
importance. Si nous « devons » y aller, nous, peu importe la couleur !
76 Comment pense une personne autiste ?

Pour nous, la propreté des toilettes est bien plus importante que la
couleur. Pour Marc, la couleur est un détail tout aussi important.
(Vous vous demandez sûrement comment ce problème a été résolu
pratiquement. Nous avions de la chance : le papier de toilettes était
blanc et non rose... Ainsi, nous avons bricolé un siège blanc en
l’entourant de papier.) Pour le mystère des toilettes, il existe un nom
dans la littérature sur l’autisme : la résistance aux changements.
Élise est bouleversée quand, un jour, la table est mise dans la salle à
manger avec les couverts aux manches bleus. Ces couverts n’avaient servi
jusqu’à présent que pour les repas pris dans la cuisine. Quand on mangeait
dans la salle à manger, on mettait toujours les couverts en argent. Élise
retire les couverts aux manches bleus, les range dans la cuisine et les
remplace par les couverts en argent.
On demande à Maxime d’aller chercher la mayonnaise dans la cuisine.
Désemparé, il reste debout, la porte du réfrigérateur ouverte. Il ne trouve
pas la mayonnaise. Pourtant le pot est devant son nez. Mais... c’est
une autre marque que celle habituellement achetée. Autre marque :
autre article. Et donc pas reconnaissable en tant que mayonnaise, car la
mayonnaise, est un pot sur lequel est écrit en lettres jaunes « Amora » et
sur lequel on peut voir un œuf et un demi-citron.

Il arrive souvent qu’une personne atteinte d’autisme puisse se


débrouiller dans une certaine situation mais pas dans une autre. C’est
compréhensible quand nous savons que son comportement dépend
de la présence ou de l’absence de détails. À la maison, Oscar joue
bien avec ses petites voitures mais chez sa grand-mère, il ne le
fait pas. Logique, puisque chez la grand-mère c’est différent de la
maison : le tapis sur lequel il joue avec ses autos à la maison n’est
pas identique à celui de grand-mère. Comme les enfants autistes sont
attachés aux détails, ils cherchent leurs points de repère dans ces
détails et non pas dans les significations (invisible). Ils reconnaissent
les situations à partir de détails et le monde devient prévisible : un
siège de toilettes blanc = faire pipi, les couverts en argent = manger
dans la salle à manger, les couverts aux manches bleus = manger
dans la cuisine. Le monde devient surréaliste, absurde et incompré-
hensible si les couverts de la cuisine sont utilisés dans la salle à
manger. Si les points de repères d’une vie sont faits de détails, alors il
est humain qu’une frustration apparaisse quand ces détails changent.
Un jeune homme est sur le point de se marier. La veille du mariage, il est
nerveux et a très peur. Son père essaye de le rassurer en lui disant : « Mon
garçon, je suis marié moi aussi et je suis extrêmement heureux. » « Oui, je
7. Les frites de pommes 77

sais, lui répondit-il, Mais toi, tu es marié à maman et moi je dois épouser
une étrangère ! »

Imaginez une bibliothèque sans système de classement : pas de


classement thématique, alphabétique ni par auteur. Chaque nouveau
livre acheté est placé au petit bonheur la chance. Dans une telle
bibliothèque, il est frustrant de chercher un livre. Vous devez vous
souvenir de la place d’un livre en retenant les détails. Ce livre de
jardinage très intéressant se trouve dans la deuxième rangée de la
quatrième étagère de gauche, entre le livre à couverture jaune et celui
des modèles de bateaux. Imaginez que le livre à couverture jaune ait
été déplacé ou prêté, ou que la quatrième étagère a changé de place.
C’est une situation très frustrante. Chaque changement, si minime
soit-il, transforme la bibliothèque en chaos. En tant que client de
la bibliothèque, vous allez vous énerver sur les personnes qui ne
mettent pas les livres à leur juste place. Et imaginez que vous en
soyez le bibliothécaire... Le monde dans lequel vivent les personnes
atteintes d’autisme ressemble à une bibliothèque sans classement.
Les détails doivent rester inchangés parce qu’il n’y a pas assez de
cohérence et d’ordre.
La fixation sur les détails a aussi ses avantages : c’est comme
un couteau à deux lames. Quand les détails extérieurs changent,
une nouvelle situation apparaît pour les personnes atteintes d’au-
tisme. Avec parfois pour conséquence qu’elles ne retombent pas
dans des routines créées par l’assemblage de comportements et de
détails concrets. Parfois, un comportement spontané qui ne s’était
jamais présenté dans une telle situation apparaît. Ce qui donne aux
parents et éducateurs l’occasion d’apprendre un nouveau compor-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

tement. Pour nous, les repas sont reconnaissables indépendamment


des détails : couleur des couverts, forme et couleur de la table, type
d’assiettes, lieu du repas. Un repas au restaurant n’est pas moins
un repas qu’un repas à la maison. Mais pour les personnes atteintes
d’autisme, parce que le restaurant a un autre aspect que la maison,
un repas au restaurant peut être tout à fait autre chose qu’un repas à
la maison. C’est ainsi qu’il arrive que des enfants mangent du potage
au restaurant alors qu’à la maison, ils l’ont toujours refusé.
78 Comment pense une personne autiste ?

F RITES DE POMMES
Une autre conséquence de l’hypersélectivité est la surgénéralisa-
tion. Les personnes atteintes d’autisme associent souvent un certain
comportement à un certain détail. Si elles perçoivent ce détail, elles
exécutent l’action s’y rattachant, que cela soit indiqué ou non dans
l’ensemble du contexte. Si elles entendent un signal de départ, elles
courent, même si la course n’a pas débuté et que le commissaire
de course essaie seulement son pistolet. Les « penseurs en détails »,
tout comme les personnes atteintes d’autisme, réagissent aux détails
externes, pas au sens ou au but de la situation. Si le détail est
identique, elles réagissent de manière identique, même si l’intention
est différente.
Elle. — Chaque fois que je te demande une nouvelle robe, tu me donnes
toujours la même réponse.
Lui. — Oui mais, tu poses toujours la même question.

Lorsque je prépare un cours sur les aptitudes sociales, j’établis un


agenda pour les participants. Comme les personnes autistes trouvent
leur compte dans la communication concrète et visuelle, j’utilise des
illustrations qui sont des supports de la langue écrite. J’ai, dans mon
ordinateur, un logiciel qui propose plus de cent illustrations, ce qui
est une aide importante. Comme je ne connais pas la dénomination
de chaque illustration, j’utilise l’outil de recherche qui est associé à
la série d’illustrations. Celui-ci sélectionne des illustrations à partir
de mots de code. Je tape le mot « HÔTEL » et les illustrations
suivantes sont sélectionnées : hôtel, complexe hôtelier, visschotel,
schotelantenne... Mon ordinateur a sélectionné trop d’illustrations :
la fonction de recherche du programme a réagi à la perception
littérale des détails et non à l’intention du mot de code. Ainsi,
mon ordinateur a proposé toutes les illustrations dans lesquelles le
mot HÔTEL apparaît, donc aussi visscHOTEL (plat de poisson) et
scHOTELantenne (antenne parabolique).
Sandrine, une jeune fille autiste, avait appris à la maison à peler
des pommes de terre et à les couper en morceaux. À l’école, on
fêtait l’anniversaire de l’un des enfants de la classe. Tous les enfants
allaient aider l’institutrice à faire de la tarte aux pommes. L’insti-
tutrice savait que Sandrine était capable d’utiliser un couteau. Elle
lui donna donc la tâche de peler et de couper les pommes. Sandrine
prit sa première pomme, la pela et la coupa en morceaux comme
7. Les frites de pommes 79

elle le faisait avec les pommes de terre. L’institutrice le remarqua


et montra à Sandrine comment elle devait couper les pommes pour
la tarte : en fines tranches. Sandrine comprit et coupa les pommes
en fines tranches. Le lendemain, la mère de Sandrine lui demanda,
comme chaque jour, de peler les pommes de terre et de les couper en
morceaux pour le dîner. À la grande surprise de sa mère, Sandrine
coupa les pommes de terre... en fines tranches.
Quand des personnes atteintes d’autisme se trouvent face à une
nouvelle situation, elles prennent comme référence des routines
connues ou des expériences bien ancrées. Associer un comporte-
ment à des détails est assez effectif dans certaines situations, c’est
pourquoi les personnes autistes peuvent encore apprendre beaucoup
de choses. Mais beaucoup de situations demandent une réaction
souple et c’est cette souplesse qui manque aux personnes atteintes
d’autisme. La souplesse provient de la perception des intentions et
non des détails. La souplesse demande de la créativité. Apprendre
des règles, donc associer un comportement à des détails (si tu vois...
alors tu fais...) peut aider les personnes autistes à progresser mais ne
peut pas les empêcher de parfois réagir avec excès.

L E COUP DE FEU DU STARTER


FAIT PARTIE DE LA COURSE
La fixation sur des détails n’a pas seulement des conséquences sur
les réactions des personnes autistes aux situations, l’apprentissage
des actions et des comportements en est aussi influencé. Quand elles
apprennent une certaine action ou activité, elles ne l’apprennent pas
comme un ensemble cohérent d’étapes mais comme une suite de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

détails aussi importants les uns que les autres. Comme elles n’ont
pas de capacité d’organisation ni de vue d’ensemble, comme elles
ne peuvent pas toujours faire la différence entre ce qui est important
et ce qui ne l’est pas, il arrive régulièrement que les personnes
atteintes d’autisme ne différencient pas une instruction ou une aide
de l’exécution même d’une action.
Quand un enfant non autiste apprend à s’habiller et que sa maman
l’aide en lui disant ce qu’il doit faire et en lui donnant un coup de
main dans le sens littéral du terme, l’enfant a compris que cette
aide ne fait pas partie de l’habillage mais que celle-ci est un apport
80 Comment pense une personne autiste ?

temporaire. L’enfant sait mettre son monde en ordre et fait claire-


ment la différence entre « l’habillage en lui-même » et « l’aide pour
s’habiller » :
– maman passe mes jambes dans le pantalon (c’est de l’aide) ;
– maman dit : « Tire le pantalon vers le haut » (c’est une instruc-
tion) ;
– je tire mon pantalon (c’est une partie de l’habillage).
Les personnes atteintes d’autisme n’arrivent pas toujours à faire
cette différence. La conséquence en est qu’aussi bien les instructions
que les étapes de l’activité sont toujours considérées comme autant
de parties de même importance. S’habiller devient :
– maman passe mes jambes dans le pantalon ;
– maman dit : « Je tire mon pantalon vers le haut » ;
– je tire mon pantalon vers le haut ;
– maman dit : « Bien ».
Et ainsi de suite... Si vous retirez un seul élément, il n’est plus
question « d’habillage ». C’est ainsi que cela fonctionne chez les
personnes atteintes d’autisme. Si maman ne dit plus rien après avoir
passé les jambes dans le pantalon, l’enfant ne sait plus ce qu’il doit
faire. La suite logique des étapes est interrompue. Il ne s’agit plus de
« s’habiller », car quand on s’habille, maman dit de tirer le pantalon
vers le haut. Tout comme les ordinateurs sont dépendants de chaque
instruction détaillée pour effectuer des tâches en plusieurs étapes, les
personnes atteintes d’autisme sont facilement dépendantes d’ordres
et d’instructions. L’enfant attend l’ordre de sa maman pour tirer son
pantalon vers le haut, car la phrase « tire ton pantalon vers le haut »
est devenue une partie essentielle de l’habillage. Les personnes
autistes n’entrent très souvent en action que lorsque le signal de
départ est donné. Le coup de feu du starter fait partie de la course...
Pour ce phénomène, il existe un concept difficile. On dit que
les personnes atteintes d’autisme sont des individus « dépendants
personnels » (quand ils ont besoin d’ordres verbaux) ou « dépen-
dants structurels » (quand ils ont besoin de photos, d’images, de
matériel). En fait, il s’agit de deux mêmes aspects, de deux formes de
dépendance aux instructions2 . Comme les ordinateurs, il leur arrive
souvent de ne pas entrer en action si les bonnes suggestions n’ont
pas été faites, si on n’a pas appuyé sur la bonne touche, s’ils n’ont
pas reçu un coup de main.
7. Les frites de pommes 81

On apprend à un jeune autiste à se brosser les dents. À l’aide


d’illustrations, sa mère lui a montré les différentes étapes du bros-
sage. Tout marchait bien, sauf pour cracher l’eau de rinçage. Après
avoir mis de l’eau en bouche, il restait devant la glace sans bouger.
Pour l’aider, sa mère lui donnait un petit coup sur la tête et disait
« Crache, Martin ! » Et Martin crachait immédiatement. Et ça a
marché un certain temps. Mais Martin n’arrivait pas à se brosser les
dents tout seul. Il restait avec son eau de rinçage dans la bouche. Il
attendait tout simplement le petit coup sur la tête. Cela faisait partie
de l’activité. Pour Martin, se brosser les dents, c’était :
– ...
– je dépose ma brosse à dents ;
– je prends mon gobelet ;
– j’avale une gorgée d’eau ;
– je reçois un petit coup sur la tête ;
– je crache l’eau ;
– etc.
Martin avait littéralement besoin de ce petit coup de main pour
entrer en action. Il n’exécutait pas l’action aussi longtemps qu’il n’y
avait pas d’ordre. Tout comme ce garçon à qui on avait donné un
chewing-gum et qui se promenait depuis des heures en le mâchant,
apparemment à contrecœur. On lui avait simplement dit : « Et sur-
tout, ne l’avale pas. »
8

Faire du café,
ce n’est pas 2 + 2 :
sur la résolution
des problèmes

une grande différence entre la connaissance théorique des


I LYA
faits et le « bon sens ». Pour la connaissance des faits, on n’a
guère besoin de pensée cohérente, on peut aller très loin avec une
bonne mémoire. Penser avec cohérence est surtout nécessaire pour
résoudre des problèmes quotidiens. Ce n’est pas parce que vous
connaissez les horaires de train par cœur que vous savez prendre
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

le train tout seul. Ce n’est pas parce que vous pouvez donner un
nom à vos ustensiles de cuisine que vous savez les utiliser. Les
personnes atteintes d’autisme peuvent posséder une connaissance
théorique très développée mais leur bon sens ne suffit parfois même
pas à aborder les petits problèmes ménagers auxquels, sans en être
vraiment conscients, nous trouvons des solutions souples et rapides.
Les personnes atteintes d’autisme se cramponnent aux règles et
aux tâches concrètes parce que d’elles-mêmes, elles ne peuvent
donner suffisamment de sens au monde. Reconnaître si une certaine
activité a du sens ou non, trouver une solution à un problème, sont
des tâches pour des personnes possédant du « bon sens ». Pour cela,
84 Comment pense une personne autiste ?

il faut avoir un sens illimité du contexte. « Avoir du bon sens ou pas »


n’a rien à voir avec des détails, des règles de logique. Par contre,
les notions de vrai ou de faux, juste ou injuste dépendent de règles
ou de la logique. Les personnes atteintes d’autisme peuvent souvent
dire si quelque chose est vrai ou faux, juste ou injuste. La justesse
et la vérité sont des notions très importantes pour elles. Mais savoir
si quelque chose a un sens ou non est beaucoup plus difficile. Le
bon et le mauvais sens résultent de la cohérence des choses et des
événements. La cohérence découle de la découverte de l’intention.
Et cette cohérence est insaisissable en termes de logique.
C’est pourquoi l’autisme n’est pas seulement un problème lié à
l’attribution de significations. C’est aussi un problème lié à l’attribu-
tion de sens. Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à donner
du sens à une situation parce qu’elles ne perçoivent pas assez leur
cohérence par rapport à leur sens1 ; parce qu’elles ne parviennent
pas suffisamment à comprendre une intention. Ainsi, les personnes
atteintes d’autisme ont du mal à résoudre les problèmes de façon
effective et efficace : elles sont « à côté de la question ».

E FFECTIVITÉ ET EFFICACITÉ
Être effectif signifie agir de façon fonctionnelle. Comment peut-
on agir de façon fonctionnelle si on ne comprend pas ou si on ne voit
même pas le but d’une action ? Les personnes atteintes d’autisme
sont beaucoup moins directes. Celui qui travaille efficacement ne
fait pas n’importe quoi. Il sélectionne en fonction du but à atteindre.
Mais comment peut-on être efficace si on ne peut pas évaluer l’action
quant à sa cohérence avec le but à atteindre ? Les personnes autistes
sont beaucoup moins conscientes. Elles ont du mal à résoudre des
problèmes, même les plus faciles, parce qu’elles sont moins directes
et moins conscientes du but à atteindre. Mais il y a plus... Celui
qui veut être effectif et efficace doit voir plus loin que les détails.
Il doit voir l’ensemble d’un problème et savoir placer les détails
avec souplesse dans un ensemble en perpétuel changement. Si le but
est d’« atteindre Chambéry », chanter des chansons montagnardes
n’a rien d’effectif. Prendre une voiture et rouler vers Chambéry est
fonctionnel, mais en soi pas efficace. Vous pouvez vous rendre à
Chambéry par différentes routes. Si votre point de départ est Saint-
Étienne et que vous passez par Grenoble, c’est peut-être effectif (il
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 85

est possible d’atteindre Chambéry en passant par Grenoble) mais pas


efficace car vous faites un détour. Passer par Lyon est plus court donc
plus efficace. Mais pas toujours... Si vous devez aller de Valence
à Chambéry, c’est la route de Grenoble qui est la plus efficace et
non celle de Lyon. Parfois, passer par Grenoble au lieu de Lyon
en partant de Saint-Étienne peut être plus efficace. Par exemple,
si le périphérique de Lyon est bouché pendant des heures à cause
d’accidents de la circulation. Efficacité et effectivité sont une ques-
tion de souplesse. Nous n’exécutons pas toujours nos actions et nos
activités de façon stricte et formelle mais en fonction du contexte.
Les règles et les tâches ne sont pas exécutées littéralement mais
en fonction du bon sens. Élizabeth apprend qu’on doit se brosser
les dents trois fois par jour. Le lendemain, elle se brosse les dents
trois fois... après le petit-déjeuner, trois fois d’affilée. Les personnes
atteintes d’autisme n’ont pas de souplesse de raisonnement. Si elles
ont appris à effectuer une activité, elles l’exécutent ensuite de façon
littérale et identique : chaque étape et chaque détail doivent être
réalisés dans l’ordre dans lequel ils ont été enseignés. Aussi long-
temps que la situation ne change pas, ceci est effectif. Mais hélas,
les situations changent (parfois, le périphérique est saturé), alors il
faut être capable d’adapter les actions apprises. Si on n’y arrive pas,
cela peut créer des situations étranges.
Un matin, du balcon de son appartement, une femme voit arriver dans la
rue deux ouvriers des jardins publics. L’un commence à creuser un trou
pendant que l’autre l’observe. Quand le premier a fini, l’autre comble le trou
puis aplatit la terre. Et ainsi toute la matinée : l’un creuse un trou, l’autre le
remplit et aplatit la terre. La femme est fascinée par ce spectacle et décide
de leur demander ce qu’ils fabriquent. Les ouvriers répondent : « C’est à
cause de Joseph ! Il est malade et c’est lui qui est chargé de placer les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

arbres. »

Un jeune homme autiste2 avait appris à l’institution comment


laver soigneusement son linge : d’abord mettre tout le linge dans
la machine puis dans le séchoir. Il faisait cela chaque semaine avant
de rentrer chez lui. Un jour, il rentre chez lui la valise remplie de
linge mouillé. Il avait exécuté la routine du linge à laver : mettre le
linge dans la machine, appuyer sur le bouton, sortir le linge à l’arrêt
de la machine et le mettre dans le séchoir, appuyer sur le bouton,
attendre le signal de fin, sortir les vêtements, les plier et les mettre
dans la valise. Hélas, cette semaine-là il y avait un problème avec
le séchoir : il était en panne et seul le signal fonctionnait. Le jeune
86 Comment pense une personne autiste ?

homme avait appris la routine, les différentes étapes, mais il n’avait


pas compris le but de l’activité (sécher le linge).
Le docteur rédige une ordonnance pour le patient : « Avec cela vous frotte-
rez votre poitrine trois fois par jour ». Le patient revient après une semaine.
Le docteur. — Alors, ça vous a aidé ?
Le patient. — Pour sûr, docteur, mais pourriez-vous m’écrire une autre
ordonnance ? De préférence un plus grand papier, parce que le précédent,
je l’avais tellement frotté qu’au bout de deux jours, il était inutilisable. »

Les personnes atteintes d’autisme continuent souvent à effectuer


certaines activités ou actions même si elles sont devenues inutiles
ou superflues parce que le contexte ou le but a changé. En d’autres
termes, quand elles ne sont plus effectives. Ceux qui pensent en
détails n’adaptent pas assez souplement leur comportement aux
contextes qui changent. Ils exécutent les actions et les routines
comme s’il s’agissait d’événements isolés, sans but ni cohérence
avec le contexte.
Le président d’un petit pays est en visite officielle en France. Sur le chemin
de l’aéroport à l’hôtel, il remarque qu’il y a des lignes blanches pointillées au
milieu de la route. Il demande au Premier ministre français à quoi servent
ces lignes. Le Premier ministre lui explique que la signalisation sur la route
permet de bien régler la circulation. Le président considère cela comme
une formidable découverte. Enfin, il a trouvé la solution au chaos routier
qui sévit dans son pays ! Et, de plus, c’est beau ! À son retour, il appelle le
ministre des Transports et lui donne mission de mettre son meilleur ouvrier
à la tâche. La route menant de la résidence présidentielle à l’aéroport doit
être réalisée en premier lieu. La peinture et les pinceaux sont prêts. Le
lendemain, l’ouvrier se met au travail. Le président va voir et constate avec
plaisir que deux kilomètres sont déjà peints. Le président en est satisfait. Le
lendemain, il constate que seulement un kilomètre a été peint et que le jour
suivant, seulement 500 mètres l’a été. Le président en demande la raison à
l’ouvrier qui lui répond : « Mais, monsieur le Président, le chemin jusqu’au
pot de peinture est de plus en plus long. »

Jonathan, un jeune homme autiste, doit faire son lit. Je l’aide parce
qu’il ne sait pas encore le faire. Je lui montre comment placer le drap
du dessous. Ensemble, nous plions les quatre coins du drap sous le
matelas pour tendre le drap. Je sors alors de la pièce en demandant
à Jonathan de finir de faire le lit. En revenant un peu plus tard, je
constate que Jonathan a parfaitement fait le lit. Mais... il a aussi plié
le drap du dessus et la couverture sous le matelas, aux quatre coins.
Jonathan ne voit pas l’ensemble de l’action « faire le lit » et reste
accroché à l’action qu’il a apprise. Il n’a pas compris que, plus tard,
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 87

il devrait entrer « dans » le lit, entre les draps, alors que c’était là le
but. Il est surpris quand je lui demande : « Et comment vas-tu entrer
dans le lit ? ». C’est seulement à ce moment qu’il se rend compte
qu’il a mal fait son lit et me fait la réflexion : « Eh bien, tu es futé,
toi ! T’as sûrement été à l’université ? »

P LUTÔT FONCTIONNAIRES QUE STRATÈGES :


LES RITUELS
À cause du manque de souplesse dans la résolution des problèmes
quotidiens, des rituels se créent chez les personnes atteintes d’au-
tisme. Ce qui était à l’origine une solution fonctionnelle et efficace
va vivre sa propre vie. L’action va être exécutée, même si elle n’a
(plus) de sens.
— Dites, patron, ces dossiers sont vraiment encombrants. On ne pourrait
pas les brûler ? — En fait, oui. Mais avant, prends-en une photocopie par
sécurité.

François a appris qu’il devait mettre ses pantoufles pour entrer


dans la salle de bains. Un jour, la famille va à la piscine. François
remarque qu’il a oublié sa brosse à cheveux. Pendant que la famille
patiente dans la voiture, il court la chercher. Il enlève ses chaus-
sures et met ses pantoufles, prend sa brosse, enlève de nouveau ses
pantoufles et remet ses chaussures. Il lui a fallu cinq minutes pour
aller chercher sa brosse et pendant ce temps, la famille attendait
dans la voiture. Les personnes atteintes d’autisme s’en tiennent à
des rituels ou automatismes (appelés stéréotypies), parce que cela
leur procure stabilité et tranquillité. C’est la seule chose qui ne
change pas, tout le reste est variable et imprévisible. Aux yeux des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« penseurs cohérents », ces actions rituelles sont dénuées de sens.


Elles n’ont aucune relation avec le but final et elles nous procurent
une dose importante de frustration. Les éducateurs et les parents
doivent souvent « attendre » une personne autiste parce qu’il ou elle
« termine » un rituel qui est superflu et qui est une perte de temps
pour les penseurs cohérents. Pourquoi doit-il encore se moucher,
juste maintenant, alors que nous devons partir ? Il s’est mouché
quand nous sommes arrivés...
Pour les personnes atteintes d’autisme, ces rituels ou stéréotypies
ne sont pas dénués de sens. Non seulement parce qu’ils offrent
une certaine stabilité mais aussi parce que ces personnes utilisent
88 Comment pense une personne autiste ?

d’autres références. Leurs actions n’entrent pas dans le cadre d’un


but précis, dans le « sens » donné aux choses, dans un ensemble.
Elles les exécutent plutôt comme une suite fixe d’actions, une suite
d’étapes indépendantes devant être suivies, une procédure absolu-
ment indispensable : « C’est comme ça. Cela doit être fait comme
ça. »
Bernadette est très soigneuse et ordonnée. À chaque fois qu’elle
sort un accessoire de sa trousse de toilettes, elle la referme immé-
diatement. Se brosser les dents et se laver les mains veut dire :
ouvrir la trousse, en sortir la brosse à dents et le dentifrice, fermer
la trousse, mettre le dentifrice sur la brosse, ouvrir la trousse, y
remettre le dentifrice, refermer la trousse et ainsi de suite. Pour qui
voit l’ensemble de l’activité, ouvrir et fermer la fermeture éclair de la
trousse est une action superflue et donc insensée. Ce n’est pas le cas
pour Bernadette. Elle ne voit pas l’ensemble. Pour elle, chaque étape
(prendre le matériel pour se brosser les dents, mettre le dentifrice sur
la brosse, se brosser les dents) est une activité indépendante. Et, après
chaque activité, elle referme sa trousse. Parce qu’elles ne perçoivent
pas l’ensemble, la cohérence, les personnes atteintes d’autisme ne
supportent pas les interruptions dans une procédure. Les individus
sans autisme voient le fil conducteur qui relie les différentes étapes
d’une activité et, après une interruption, ils reprennent tout simple-
ment le fil. Ce n’est pas le cas des personnes autistes qui ne dis-
tinguent pas l’ensemble et perdent le fil après une interruption. C’est
pourquoi elles recommencent chaque fois tout à zéro. L’une d’elles
l’exprime ainsi : « Maintenant que toute cette chaîne de décisions
a été interrompue par un élément extérieur, il est très important de
recommencer tout du début parce que tout a littéralement changé par
suite de cette hypersélectivité3 . »
Xavier, un jeune homme autiste, n’arrivait pas à sortir de son lit.
Il se sentait un peu fatigué et engourdi. Pour l’aider, on lui expliqua
qu’il devait étirer ses muscles avant de sortir du lit. Et Xavier étira
ses muscles. La solution préconisée eut des résultats. Xavier adore
en effet les exercices physiques et il aime bien paraître beau et fort.
Maintenant, il met plus de deux heures pour sortir du lit. Il n’en sort
pas avant d’avoir étiré tous ses muscles. Il doit le faire chaque jour,
même s’il n’a pas le temps et même s’il n’est pas courbaturé. Il ne
peut plus s’en passer et si on l’interrompt pendant ses exercices, il
recommence depuis le début.
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 89

Ceux qui pensent en détails résolvent les problèmes d’une façon


absurde (à nos yeux) parce qu’ils ne comprennent pas assez la cohé-
rence, l’ensemble. Leurs actions sont isolées. Bernadette, Xavier et
François ne réussissent que difficilement à combiner des actions
dans un ensemble doté de sens parce qu’ils ne comprennent pas
assez les intentions qui se cachent derrière les situations, le contexte
à partir duquel on peut combiner et grouper les actions. Et si les
actes ne sont pas placés dans un contexte doté de sens (intentionnel),
ils deviennent de vraies routines ou rituels. Les personnes atteintes
d’autisme ne sont pas de bons stratèges4 . Nous disons de quel-
qu’un qu’il est bon stratège quand il s’adapte avec souplesse aux
énoncés changeants des problèmes et qu’il y trouve des solutions
« sur mesure », en fonction du but ou du sens de la situation. Au
contraire, les procédures sont des règles établies. Étant « établies »,
elles offrent de la stabilité. Elles existent pour être appliquées. Les
routines de Bernadette, Xavier et François nous font un peu pen-
ser à l’image stéréotypée du fonctionnaire qui, lui aussi suit des
procédures sans tenir compte du contexte, au grand désarroi de la
personne qui se trouve de l’autre côté du guichet : « Vous n’avez pas
le droit d’entrer sans le formulaire B 20 bis » (même si ce n’est que
pour demander au directeur de déplacer sa voiture...). Les personnes
atteintes d’autisme ressemblent plus à des fonctionnaires qu’à des
stratèges.

« E T FAIS EXACTEMENT LA MÊME CHOSE »


Quand nous sommes confrontés à un problème, nous non plus,
« penseurs cohérents », ne trouvons pas toujours nous-mêmes la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

solution. Nous avons parfois besoin d’un plus intelligent que nous.
Nous consultons ceux qui ont déjà trouvé une solution et nous
faisons ce qu’ils font : nous les imitons. Mais même pour imiter,
nous devons ressentir l’intention et discerner le contexte5 . Ce qui
doit être imité est dégagé intuitivement du contexte. Ceux qui ne
possèdent pas cette capacité intuitive n’imitent pas ou imitent mal.
Un couple d’un certain âge veut voyager en train pour la première fois.
« Comment est-ce que je dois demander un ticket ? » demande le mari.
« Mets-toi simplement dans la file et écoute la personne devant toi », lui
conseille son épouse, « et fais exactement la même chose. » C’est bientôt
son tour. Le monsieur devant lui demande : « Un ticket pour Pierrelatte.
90 Comment pense une personne autiste ?

Aller-retour. » Et le mari ensuite : « Un ticket pour Lucien Duchamp. Aller-


retour. »

Gilles doit remplir une carte de loto. Il ne comprend pas très bien
ce qu’il doit faire. Il place les cartes les unes sur les autres. À l’aide
de petites cartes, l’institutrice lui montre comment il doit placer les
cartes. Elle invite Gilles à l’imiter. Au bout d’un certain temps, il
a compris. Il place les petites cartes sur la grande. Comme il n’a
pas encore compris qu’il doit placer non seulement les petites cartes
sur la grande carte mais aussi sur le dessin identique, l’institutrice
l’aide. Elle tape sur l’endroit précis de la grande carte où la petite
carte doit être placée. Et Gilles... tape aussi sur la grande carte. De
simples petits exercices d’imitations sont faciles pour nous parce que
nous « sentons » ce qui doit être imité d’après le contexte. Mais ils
ne sont pas aussi simples pour quelqu’un qui n’a pas cette capacité
intuitive. En effet, que feriez-vous dans la situation suivante ?

Que devez-vous faire ? Cela semble simple et pourtant il y a


plusieurs possibilités...
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 91

« FAIS CECI ! »
Si vous ne savez pas ce que la personne « veut dire » par « ceci »,
il y a de grandes chances pour que vous imitiez autre chose que ce
qui est demandé. Ne pas comprendre les intentions peut avoir de
graves conséquences. Cela engendre un comportement de résolution
de problème étrange même si d’autres vous proposent une solution.
L’homme rentre de chez le tailleur avec son nouveau costume. Sa femme
lui dit : « Tu as bien fait ce que je t’ai dit ? Tu as pris deux autres pantalons
en plus ? » Lui : « Oui, mais pour être honnête, cela me fait chaud aux
jambes. »

Pendant la leçon de multiplication par deux (notion de


« double »), l’institutrice explique l’une et l’autre chose au tableau.
Elle inscrit un chiffre à gauche de la ligne et, à droite, elle inscrit
le double de ce chiffre, puis elle trace une flèche d’un chiffre à
l’autre et écrit « x 2 ». Elle donne à cette opération le nom de
« doubler ». Après avoir fait plusieurs fois la démonstration, elle
inscrit au tableau un 4 et un 8. Elle demande alors à Marie, une
petite fille autiste : « Marie, que faut-il faire pour aller de 4 à 8 ? »
Marie répond : « Dessiner une flèche. »
Il arrive souvent que des personnes atteintes d’autisme exécutent
des actions ou des tâches sans savoir vraiment à quoi servent ces
actions, quel est leur sens. Il en est de même des ordinateurs. Sur
demande de l’utilisateur, ils exécutent des calculs mais ne « savent »
pas à quoi ces calculs peuvent servir. Les ordinateurs ne posent pas
de questions sur le pourquoi de leurs actions et il leur manque la
capacité de revenir sur leurs actions pour en comprendre le sens.
Un certain nombre d’ordinateurs très intelligents peuvent déjà dire
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

pourquoi ils effectuent certains calculs ou actions mais si vous


insistez pour en connaître la « raison », vous recevez une réponse
du style : « parce que vous m’avez donné cette mission » ou « parce
que mon programme est élaboré ainsi ». C’est comme lors d’un
dialogue entre une petite fille et un ordinateur tiré du best-seller :
Le Monde de Sophie6 . Sophie tape sur le clavier : « Qui est Hilde
Moller Knag ? — Hilde Moller Knag habite à Lillesand et a le même
âge que Sophie Amundsen. — Comment savez-vous cela ? — Je ne
sais pas comment je sais cela, c’est écrit sur mon disque dur. »
Comme les ordinateurs, si les personnes atteintes d’autisme
reçoivent des instructions précises, elles exécutent les tâches avec
92 Comment pense une personne autiste ?

exactitude mais souvent sans en comprendre le sens ou l’intention.


Elles effectuent ces tâches sans comprendre vraiment ce qu’elles
font. Les personnes autistes sont un peu comme les premiers moines
copistes. Ces moins étaient des calligraphes de première qualité —
ils étaient capables de copier des lettres parfaites et de les orner —
mais ils ne comprenaient pas ce qu’ils recopiaient car ils étaient
analphabètes.
Marianne barbouille tout pendant le dîner. Elle-même, sa chaise et
la table sont barbouillées de chocolat. À un moment, son père n’en
peut plus et lui dit : « Va manger tes tartines dans le couloir ». Quand
la maman rentre un peu plus tard et est mise au courant de l’histoire,
elle va dans le couloir et demande à Marianne : « Et pourquoi es-tu
dans le couloir ? » Marianne : « Pour manger mes tartines. — Et
pourquoi dois-tu manger tes tartines dans le couloir ? » Marianne :
« Parce que papa me l’a dit... »
Sans insister sur cette anecdote, elle montre bien à quel point
les personnes autistes ont du mal à « tirer des leçons » de leurs
expériences et combien les punitions ont peu d’effet sur des gens qui
pensent en détails. Les personnes atteintes d’autisme n’apprennent
pas assez de leurs expériences parce qu’elles ne comprennent pas
suffisamment la cohérence de leurs comportements et les consé-
quences à en tirer. Les enfants autistes, très souvent, ne comprennent
pas pourquoi ils sont punis. Ils ne voient pas la relation entre la
punition et leur propre comportement. Pour les mêmes raisons, les
personnes atteintes d’autisme supportent difficilement la critique. La
critique est pour elles comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu.
Et si elles comprennent le « pourquoi » d’une punition, elles restent
aveugles à son intention. C’est pourquoi les punitions n’amènent que
très rarement un changement de comportement.

FAIRE DU CAFÉ N ’ EST PAS 2 + 2 :


DÉCIDER EST PLUS QUE CALCULER
Les individus atteints d’autisme sont de parfaits exécutants mais
ils exécutent automatiquement (un peu comme un ordinateur),
strictement et formellement (un peu comme un fonctionnaire trop
zélé) et avec peu de souplesse. Régler les problèmes avec souplesse
demande un esprit de décision et cela n’est pas simple pour les
personnes autistes. Comment doit-on couper : en tranches ou en
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 93

morceaux ? S’agit-il de pommes de terre ou de pommes qui doivent


être coupées ? Et si ce sont des pommes de terre, doivent-elles bien
être coupées en morceaux ? Les « penseurs cohérents » ont compris
depuis longtemps en observant le contexte : ils ont vu la friteuse
et savent déjà que les pommes de terre devront être coupées non
pas en morceaux mais en bâtonnets. Il n’est même plus nécessaire
de donner une instruction littérale. De quelle grosseur doivent être
ces bâtonnets ? Nous n’évaluons pas assez le nombre de décisions
à prendre pour l’exécution d’actions journalières. Les « penseurs
cohérents » prennent des décisions intuitivement parce qu’à partir
de la cohérence du contexte, ce qui peut ou doit arriver devient clair.
En d’autres termes, nous le « sentons ». Ainsi, dans la consigne
suivante, la plupart des personnes savent quel verre doit être bu :
« Cherchez un verre plus rempli que celui que vous avez en main
et buvez-le. » Les personnes atteintes d’autisme ont des difficultés
à prendre des décisions. Certaines d’entre elles d’une intelligence
normale ou supérieure essaient de trouver des solutions en les
calculant, comme un ordinateur, mais elles se trouvent confrontées
au fait que beaucoup de problèmes humains n’ont pas de solution
mathématique : les questions esthétiques, religieuses, émotionnelles
ne peuvent faire l’objet de calculs. Un ordinateur peut parfaitement
vous donner toutes les données effectives de toutes les œuvres
d’art : où se trouve une œuvre d’art, quand elle a été créée, par
qui, quelle est sa taille, etc. Un ordinateur peut sauvegarder ces
données dans sa mémoire et même effectuer des calculs ou des
traitements. Si vous voulez connaître l’emplacement exact de tous
les bâtiments de Gaudi à Barcelone, si voulez savoir combien
d’œuvres de primitifs flamands se trouvent au Louvre, il ne faudra
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

à l’ordinateur que quelques misérables secondes pour afficher ces


renseignements. Mais si vous voulez passer un week-end à Paris
et que vous demandez à votre ordinateur quelles œuvres d’art
sont les plus « belles », il ne pourra pas vous répondre. Dans le
meilleur des cas, il vous donnera une liste de toutes les œuvres
d’art contenant dans leur titre le mot « belle », ou une liste dans
laquelle le mot « belle » est repris dans la description de l’œuvre, y
compris comme : « Les touristes s’accordent à dire que cette œuvre
est tout sauf belle. » Mais de plus, pour de petits travaux banals et
quotidiens, il est souvent difficile de raisonner et de calculer.
94 Comment pense une personne autiste ?

« Le raisonnement de déduction n’est pas applicable à la majeure


partie des situations de la vie quotidienne. Il y a trop de choses dont
on doit tenir compte en même temps pour que le raisonnement seul
suffise à régler les problèmes7 . »

Pour résoudre les petits problèmes triviaux du ménage, il faut


une autre sorte d’intelligence que celle demandée pour la résolution
de problèmes mathématiques. Faire du café est autre chose qu’une
addition 2 + 2. Ce n’est pas en multipliant ou en extrayant des
racines carrées que vous saurez que faire quand le feu sera rouge.
Pour résoudre des problèmes mathématiques, il suffit de connaître les
procédures et les règles mathématiques et de les appliquer. Une fois
que vous le savez, 2 + 2 fera toujours quatre. Où que vous soyez (en
classe, à la maison ou au café), quelle que soit la forme de l’exercice
(deux plus deux ou 2 + 2), quelle que soit la personne qui vous donne
l’exercice (le professeur, tante Irma ou la voisine), vous n’avez qu’à
adapter la règle de l’addition et le problème est résolu. Pour les
problèmes mathématiques, les procédures sont simples, univoques.
Ce sont des algorithmes qui disent : fais ceci, puis après cela, puis
ainsi et enfin de cette façon. Si vous suivez la procédure, la solution
viendra d’elle-même. Sans plus. Faire du café est un problème d’un
tout autre ordre. Pour faire du café et toute autre activité quotidienne,
il n’existe pas d’algorithmes. Il y a bien sûr un certain nombre de
règles. Ainsi, vous savez qu’il faut d’abord placer un filtre avant
de mettre le café, et qu’il est préférable que la prise soit branchée.
Mais pour un certain nombre de manipulations dans la question de la
préparation même du café, il n’y a pas de règle unique : ce n’est pas
important si vous remplissez d’abord le réservoir d’eau et ensuite le
filtre de café ou le contraire (et par là, nous n’entendons pas : café
dans le réservoir et eau dans le filtre...). De plus, faire du café peut
dépendre de la destination du café (l’un aime le café fort, l’autre non)
ou du type de cafetière utilisée (avec un appareil muni d’un système
anti-gouttes, le couvercle doit se trouver sur la cafetière, sinon ce
n’est pas nécessaire).
De plus, et c’est là la plus grande différence avec les problèmes
mathématiques, pour les problèmes quotidiens et humains il faut
tenir compte de la cohérence, des éléments extérieurs comme les
petits enfants, les carafes de vin, le verre, l’aspirateur. Ces choses
ne peuvent être calculées, elles sont ce que l’on appelle « incalcu-
lables ». Car pendant que vous faites couler le café, vous remarquez
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 95

que la réserve de café est vide. Pour prendre le paquet de café,


vous devez déplacer une carafe en verre. Elle vous tombe des mains
et se brise par terre, ce qui est dangereux pour les petits enfants.
Vous devez soigneusement ramasser le verre. Vous prenez les grands
morceaux avec les mains mais pour les petits, presque invisibles, il
est préférable d’utiliser l’aspirateur.
Pour résoudre des problèmes quotidiens, nous constatons que les
personnes atteintes d’autisme s’en tirent souvent bien aussi long-
temps qu’il y a des règles et procédures claires et à condition que
ces règles ou routines aient été apprises. Faire le café marche assez
bien jusqu’au jour où la réserve de café est vide et que la carafe
glisse des mains. Les personnes autistes savent très souvent décrire
parfaitement les règles. C’est ainsi que nous remarquons souvent
que dans une situation de test, des enfants autistes arrivent à donner
parfaitement la solution au problème donné. Si vous leur demandez
comment ils doivent faire un café, ils vous donneront une description
détaillée des différentes étapes à effectuer, mais dans la vie de tous
les jours, ce n’est pas toujours une réussite. Ce n’est pas parce qu’on
sait dessiner le plan d’une ville que l’on connaît vraiment cette
ville. Ceci est très embarrassant pour les parents mais devient plus
incompréhensible quand on sait que dans une situation de test, on
n’a pas besoin de tenir compte des petits enfants, du verre ni de
l’aspirateur.
Pour résoudre des problèmes, les personnes atteintes d’autisme
dépendent beaucoup plus que nous de règles claires. Selon leur
intelligence, elles sont capables d’apprendre, de connaître ou même
de calculer elles-mêmes un grand nombre de règles. Des situations
réglementées ne posent donc pas trop de problèmes. C’est à l’impré-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

visibilité des situations qu’elles se heurtent. Savoir manipuler avec


souplesse ces éléments imprévisibles est difficile pour les personnes
autistes.
Claire, une jeune fille autiste qui aide à l’entretien d’une petite
entreprise reçoit un jour l’ordre de nettoyer l’escalier. Pendant plu-
sieurs minutes elle se parle à haute voix. Elle n’arrive pas à décider
par quel bout elle doit commencer : le haut ou le bas de l’escalier ?
Elle formule toutes sortes d’arguments, mais ne trouve pas d’argu-
ment définitif pour un point de départ idéal. On ne peut calculer
une telle chose. Cela dépend de tant d’éléments incalculables...
Finalement, quelqu’un d’autre devra prendre la décision à la place
96 Comment pense une personne autiste ?

de Claire. Pour trouver la solution, les impressions et suppositions


entrent plus en ligne de compte que le calcul. Les personnes atteintes
d’autisme ont des difficultés à percevoir et à deviner les solutions.
Elles préfèrent des règles claires, des procédures univoques et des
critères clairs, externes et logiques aux critères vagues, internes et
intuitifs.
Lionel travaille dans un bureau comme assistant administratif. Il
aide à l’expédition du courrier, fait du travail de copie et introduit
même des données dans l’ordinateur. Il se trouve devant des déci-
sions difficiles à prendre même pour une simple tâche de photoco-
pie :
– combien de copies de ce document dois-je faire ?
– les copies doivent-elles être triées ?
– des copies recto ou recto verso ?
– en quelle couleur ? (noir ou bleu car c’est une photocopieuse
couleur ?) ;
– les exemplaires photocopiés doivent-ils être assemblés ? avec un
trombone ou une agrafe ? et où mettre cette agrafe ? en haut
à gauche ? en haut à droite ? avec quelle sorte d’agrafes ? (les
simples ou celles en cuivre ?) ;
– où mettre les copies ? (dans les boîtes à lettres, au donneur d’ordre,
dans une enveloppe, etc. ?).
Ce sont pourtant des questions dont les réponses sont simples. Si
le donneur d’ordre a été assez clair, Lionel n’aura pas de problème.
Le travail de photocopie sera réalisé sans difficultés si le donneur
d’ordre a déjà pris auparavant les décisions suivantes : « Lionel, ce
document doit être photocopié cinq fois : en noir, recto verso, trié et
assemblé par une simple agrafe en haut à gauche. Tu me remettras
les copies et l’original. » Mais il reste encore bien d’autres décisions
à prendre... De quelle clarté doivent être ces photocopies ? Si elles
sont un peu grises, est-ce que cela sera suffisant ? Si ce n’est pas
une page entière, où placer l’original : en haut de la plaque de verre,
en bas, au milieu ? Si cinq pages doivent être copiées recto-verso,
laquelle n’aura pas de verso imprimé : la première, la dernière ou une
autre ? Et que faire si l’original s’est déplacé sur le verre et que la
copie est de travers, dois-je faire une nouvelle copie ou n’est-ce pas
nécessaire ? Est-ce que ce doit être une « belle » copie ? et une belle
copie, jusqu’à quel point doit-elle être « belle » ? Il arrive que Lionel
8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 97

se trouve un long moment devant la photocopieuse à hésiter. Parfois,


il prend vingt « épreuves » pour avoir un texte bien centré sur la page
(clair, mesurable, selon des critères extérieurs) alors qu’il s’agit d’un
document interne destiné à des collaborateurs qui ne s’intéressent
qu’au contenu du document (une caractéristique interne) et non à sa
forme.

L’ EMBARRAS DU CHOIX 8
S’il doit prendre une décision pour la photocopie, Lionel a beau-
coup de difficultés à faire à l’avance une présélection des nombreuses
alternatives. Avant de prendre sa décision, il a besoin de beaucoup
de temps. Il voit tous les arguments possibles se mettre en place
et il n’est pas facile de les ordonner. Il prend en compte l’élément
écologique (trop d’épreuves, c’est du gaspillage de papier donc
mauvais pour l’environnement), comme le point de vue esthétique
(si ce n’est pas bien centré, ce ne sera pas beau) et pratique (si ce
n’est pas assez noir, ce sera illisible) si..., si... Les personnes atteintes
d’autisme ont beaucoup plus de travail que d’autres pour prendre
des décisions. Donc elles ont besoin de plus de temps. Décider
c’est sélectionner, choisir ce qui est important, sensé ou utile et ce
qui ne l’est pas. Choisir est souvent une mission effroyable pour
les personnes atteintes d’autisme qui ne présélectionnent pas les
alternatives parce qu’elles ne ressentent pas assez la cohérence. Si
elles doivent décider ou choisir, elles se verront confrontées à toutes
sortes d’options, et parmi elles, celles que les « penseurs cohérents »
auront éliminées par avance parce qu’elles n’entraient pas dans le
contexte.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Il fait très froid dehors et il neige. Vous êtes devant votre armoire
pour choisir quels vêtements vous allez mettre. Vu le contexte, les
conditions climatiques, vous éliminez d’office certains vêtements :
les shorts, les chemises légères, les chaussettes fines, les chaussures
d’été et la veste légère. C’est un choix évident. Les alternatives parmi
lesquelles vous devrez choisir portent sur les vêtements d’hiver. Pour
une personne atteinte d’autisme, ce n’est pas le cas. Si vous lui
demandez ce qu’elle va mettre aujourd’hui, elle regardera toute sa
garde-robe. Et à condition qu’elle comprenne que par une rigoureuse
journée d’hiver, on ne sort pas en short et en tee-shirt d’été, une
nouvelle décision devra être prise pour chaque vêtement, même
98 Comment pense une personne autiste ?

ceux d’été. Même une activité aussi quotidienne que le choix des
vêtements pour la journée est difficile et demande beaucoup de temps
aux personnes autistes. Et cette lenteur n’a rien à voir avec de la
paresse. Le fait de ne pouvoir effectuer ces présélections amène des
réponses du type « ravioli » ou des raisonnements « lavabo ». Les
individus sans autisme suivent les indications à partir du contexte (il
s’agit d’un lit de poupée) et vont donc éliminer un grand nombre
de réponses de certaines catégories : de la nourriture (comme des
raviolis) n’est pas à sa place dans ce contexte, tout comme des
articles de bureau (comme des timbres.) Il faut chercher dans la
catégorie des articles de literie. Sans cette présélection, toutes sortes
de catégories sont prises en compte et il est tout à fait logique que la
première ressemblance qui se présente apporte une réponse, même
si celle-ci provient d’une mauvaise catégorie.
Pour les êtres sans autisme, choisir et décider eux-mêmes est un
droit qu’ils revendiquent, la pierre angulaire de la liberté. Pour les
individus atteints d’autisme, choisir et décider sont des tâches devant
lesquelles ils sont placés. Ils ressentent beaucoup moins la liberté
comme un droit mais plutôt comme une corvée très lourde, parfois
trop difficile à supporter. Leur vie est plus simple s’il y a des règles
claires et que les autres effectuent les présélections à leur place afin
qu’ils puissent prendre des décisions.
9

Entre les lignes :


sur l’intelligence
autistique (2)

I NTELLIGENCE : PEUT- ÊTRE , PEUT- ÊTRE PAS


« Chaque événement semble s’imposer à eux de manière inévitable ;
les personnes atteintes d’autisme ne savent pas bien orienter leur
attention et c’est pourquoi elles « se noient » dans les stimuli1 . »
Les personnes autistes semblent livrées aux événements, à d’irré-
sistibles séries d’événements isolés, à un feu nourri de détails. Leur
monde est un monde morcelé, un « multivers » dans lequel elles
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

arrivent à grand-peine à mettre de la cohérence et de l’ordre. Ou


comme le disait une personne autiste elle-même : « Je comparerais
les yeux d’un autiste à ceux à facettes d’un insecte ; beaucoup
de différents détails subtils mais qui ne sont pas intégrés dans un
ensemble2 . »
La cohérence centrale, la capacité de rendre les événements cohé-
rents n’est pas quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas. C’est une
capacité que les gens peuvent détenir dans une plus ou moins grande
mesure mais qui doit être développée. Il est faux de dire que les per-
sonnes atteintes d’autisme n’ont pas du tout de cohérence centrale.
Elle n’est pas assez développée. D’ailleurs, le manque de cohérence
100 Comment pense une personne autiste ?

centrale n’est pas le même chez chaque personne autiste. Les tous
petits enfants n’ont pas encore, eux non plus, assez de cohérence
pour le monde environnant. Ils ne savent pas encore bien faire la
différence entre eux-mêmes et le monde extérieur. Ils ne ressentent
pas encore leurs expériences comme étant les leurs. Comme pour
les personnes atteintes d’autisme, les choses ne semblent pas « leur
arriver ». Ils n’ont pas encore assez d’« ego », trop peu de personna-
lité et de conscience. Il y a donc peu de différence avec l’autisme.
Mais la différence viendra car les enfants normaux naissent avec
le talent naturel de créer de la cohérence. Dans leur cerveau, ils
disposent d’une unité centrale de contrôle3 qui les rendra capables
de se construire une personnalité : ils deviennent petit à petit par-
tie intégrante d’un « individu ». Le mot individu vient du latin et
veut dire « indivisible ». Les nombreuses expériences isolées feront
place à un ensemble cohérent, à une personne capable d’intégrer les
expériences de sa vie dans un ensemble significatif et indivisible : un
« moi ».
Chez les personnes atteintes d’autisme, la cohérence centrale ne
se développe pas suffisamment. Elles traitent les informations reçues
par leur cerveau comme le font les ordinateurs, comme des données
« absolues » et non comme des données relatives. L’enregistrement
ressemble trop à celui de détails isolés (« absolu » vient du latin
absolutus qui signifie « isolé »), les informations ne sont pas suf-
fisamment traitées de façon relative, c’est-à-dire en « relation » avec
d’autres informations du contexte. Si vous tapez sur votre clavier le
mot « hôtel », l’ordinateur traitera chaque signe séparément H-O-T-
E-L. L’ordinateur ne comprend pas que cette combinaison unique
de lettres se réfère à un bâtiment où vous pouvez passer la nuit :
l’ordinateur n’y voit pas du tout un hôtel.
Les personnes atteintes d’autisme sont-elles donc aussi « stu-
pides » que les ordinateurs ? Est-ce la raison pour laquelle elles
sont souvent si drôles ? Les blagues ont souvent trait à la bêtise des
hommes... Non, disent certains. Il n’y a qu’à voir comment certaines
personnes autistes savent calculer, ou comment d’autres dessinent
formidablement, ou encore combien ont une mémoire fabuleuse.
Des êtres qui ont de telles compétences ne peuvent pas être idiots.
Pendant longtemps, trop longtemps, on a cru que les personnes
atteintes d’autisme étaient des êtres intelligents, emprisonnés dans
9. Entre les lignes 101

un carcan autistique. On croyait que les enfants autistes se démar-


quaient du monde réel par manque d’amour. À cause du mur qu’ils
s’étaient construit, ils étaient devenus inaccessibles et ne réagissaient
qu’à peine aux défis de leur environnement. Ils avaient l’air bête
mais ce n’était qu’une apparence, car l’un était un mathématicien
extraordinaire et un autre savait jouer n’importe quel morceau de
musique après l’avoir entendu une seule fois. On pensait alors que
si nous avions la possibilité de briser le mur de l’autisme, nous
découvririons un enfant intelligent, un enfant qui aurait toutes les
chances de dévoiler ses possibilités. Depuis lors, nous en savons
plus4 . Beaucoup de professionnels et de parents se sont heurtés au
mur qu’ils essayaient de briser. Essayer de guérir l’autisme est un
combat contre les moulins à vent. Et même si l’autisme se réduit,
l’intelligence attendue n’est pas aussi brillante qu’on le pensait.
L’autisme se rencontre à tous niveaux d’intelligence, mais la plu-
part des personnes atteintes d’autisme ont aussi un handicap intel-
lectuel. Elles sont doublement handicapées. Non seulement elles
comprennent la vie d’une autre manière (à cause de leur autisme)
mais elles la comprennent aussi de moindre façon (à cause de leur
handicap intellectuel). Leur monde est plus limité que celui de
personnes atteintes d’autisme sans handicap intellectuel. À côté
de ce grand groupe de personnes autistes moins talentueuses, il
en existe évidemment qui sont intelligentes et même surdouées.
Mais même ces personnes autistes surdouées connaissent des dif-
ficultés dans certains domaines. Beaucoup d’entre elles n’ont pas
l’intelligence sociale d’un enfant d’école maternelle. Elles savent
peut-être programmer un ordinateur mais sont incapables d’entamer
une petite conversation. Ce malentendu concernant l’intelligence des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

personnes atteintes d’autisme est la conséquence d’une mauvaise


compréhension de ce qu’est l’intelligence. L’intelligence est souvent
considérée à tort comme un « monolithe » : quelque chose constitué
d’une seule pièce, que l’on possède dans une plus ou moins grande
mesure. Soit nous sommes intelligents, soit nous sommes bêtes. Ce
point de vue est elle-même une idée « idiote ». Sur base de cette
fausse opinion, les individus ne peuvent être catalogués que de deux
façons : ceux qui sont intelligents et ceux qui ne le sont pas. Et
si quelqu’un (autiste) sait faire des calculs spectaculaires, malgré
toutes les autres déficiences possibles, il devra appartenir au groupe
des gens intelligents. Cette notion restrictive de l’intelligence ouvre
102 Comment pense une personne autiste ?

la porte à des discussions stériles sur oui ou non : intelligent, pas


intelligent...

A NALYSER ( LES ARBRES )


OU INTÉGRER ( LA FORÊT )
« L’intelligence » en soi n’existe pas : « L’intelligence n’a pas de
sens en elle-même ni par elle-même5 . » Vous pouvez être un as
en langues et un nul en mathématiques. Certaines personnes savent
parfaitement s’orienter dans une ville ou un bâtiment mais sont inca-
pables de comprendre le mode d’emploi d’une caméra. Il existe donc
beaucoup de formes d’intelligences différentes. En partant du point
de vue qu’il y a plusieurs sortes d’intelligences, la question de savoir
si les personnes atteintes d’autisme sont intelligentes ou bêtes est une
fausse question. La bonne question à poser est : leur fonctionnement
intellectuel diffère-t-il de celui des gens sans autisme6 ?
Chez les personnes souffrant d’autisme, c’est surtout l’intelli-
gence intégrante qui est déficitaire. Ceci ne veut pas dire qu’elles ne
peuvent pas du tout assembler des détails dans un ensemble. Parfois
elles arrivent à intégrer des aspects partiels de leur perception, mais
si elles y parviennent, elles le font d’une tout autre façon que les
personnes non autistes. Leur traitement de l’information se fait, ici
aussi, comme celui d’un ordinateur. Les ordinateurs traitent les infor-
mations étape par étape : en série. Chaque partie à enregistrer est
traitée en suivant, l’une après l’autre. Les ordinateurs ne peuvent pas
traiter deux choses en même temps, ce que le cerveau humain peut
par contre faire : il traite les informations en liaison parallèle. Les
personnes atteintes d’autisme, tout comme les ordinateurs, traitent
les informations d’une façon sérielle7 . Van Dalen, autiste, décrit cela
clairement8 : quand il voit un marteau, il doit traiter chaque partie
de sa perception séparément et ensuite tout ordonner. Il ne se rend
pas compte, d’un seul coup d’œil, qu’il s’agit d’un marteau. Il voit
d’abord un morceau de métal puis — tout proche — un morceau de
bois qui ressemble à un bâton, ensuite il voit que les deux morceaux
sont rattachés et finalement il en conclut qu’il s’agit d’un marteau.
Pas à pas, il assemble des impressions au départ partielles, sans
relation entre elles, pour en faire un ensemble. Les personnes autistes
ont du mal à s’occuper de deux choses en même temps. Elles traitent
les informations « morceau par morceau ». C’est pour cela qu’elles
ont besoin de plus de temps pour comprendre quelque chose. En
9. Entre les lignes 103

pratique, nous nous rendons souvent compte qu’elles réagissent avec


retard. Elles ont du « retard à l’allumage ». Le manque d’intelligence
des individus autistes se situe principalement au niveau du traite-
ment rapide, parallèle et intégré des informations. Dans d’autres
domaines, ils peuvent être aussi intelligents que les individus sans
autisme. Comme les ordinateurs : ils doivent reconnaître la supré-
matie des hommes sur beaucoup de terrains, ce qui ne les empêche
pas d’être plus performants pour certains calculs.
Pour des tâches où la notion du détail est plus importante que
celle de l’ensemble, les personnes atteintes d’autisme sont plus
performantes que les autres. C’est ce qu’ont démontré par leurs expé-
riences Beate Hermelin et Neil O’Connor, pionniers des recherches
sur le cheminement de la pensée des personnes autistes. Ils présen-
tèrent à des enfants, autistes et non autistes, des dessins du même
genre que ceux représentés ci-après9 .
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Le but d’une telle tâche est de retrouver le triangle de droite dans


le dessin de gauche. Pour ce genre d’exercices, les enfants autistes
obtenaient de meilleurs résultats que les autres. Les personnes sans
104 Comment pense une personne autiste ?

autisme ont besoin en effet de plus de temps pour retrouver le


triangle dans le dessin parce que leur esprit est axé sur l’ensemble :
ils voient une personne. Pour avoir une bonne note dans cet exercice,
il faut se démarquer de l’ensemble et être sensible aux détails. Il
faut, comme qui dirait, « se détacher » de la personne et considérer
le dessin comme un mélange arbitraire de lignes et de formes.
Les personnes autistes excellent dans ce genre d’exercices et dans
d’autres où les détails, surtout visuels, sont importants.
Un jeune homme autiste qui m’aidait à une certaine période dans
mes tâches administratives, pouvait corriger parfaitement toutes mes
fautes de frappe. J’étais moi-même si concentré par le contenu et
le sens de mes lettres et de mes textes, par l’ensemble, que je ne
remarquais pas mes erreurs. Lui, par contre, les voyait d’un seul
coup d’œil. Un autre jeune homme nous a étonnés lors d’une soirée
de jeux en reconnaissant les indicatifs de programmes de télévision
après avoir entendu seulement les deux premières notes. Pour iden-
tifier des chansons et des indicatifs, nous nous basons sur de plus
grands ensembles : le refrain, la mélodie. Pour lui, il n’était pas
vraiment question de mélodie, un morceau de musique était une suite
de « notes », un schéma de détails. Si vous avez enregistré un grand
nombre de modèles dans votre mémoire, vous pourrez identifier ce
modèle après deux ou trois notes et donc reconnaître la musique. Les
personnes atteintes d’autisme peuvent être de très bons analystes.
Leur intelligence analytique est plus développée en comparaison de
leur intelligence intégrante.
Le juge. — Pouvez-vous nous donner une description détaillée du cou-
pable ?
Le témoin. — Il sentait la bière.
Le juge. — Ça ne suffit pas. Plus détaillée, s’il vous plaît.
Le témoin. — Je pense que c’était de la Stella.

Jean-Baptiste, un autre jeune homme autiste qui avait souvent


participé à nos formations aux aptitudes sociales, pouvait non seule-
ment donner la date exacte des cours des huit précédentes années
mais aussi le nom de tous les participants. Quand un participant
n’était pas venu pendant un certain temps et réapparaissait soudain,
Jean-Baptiste pouvait dire : « La dernière fois que tu étais présent,
c’était pendant le week-end du 7 au 9 décembre 1992 et ça se
passait à Anvers. » Certains de nos participants peuvent parfaitement
9. Entre les lignes 105

décrire mon comportement lors d’activités passées : « Tu avais fait


cela et puis tu avais dit ceci... » Mais décrire l’ambiance et l’at-
mosphère d’activités précédentes est beaucoup plus difficile. Les
individus autistes sont de bons béhavioristes : ils peuvent décrire
parfaitement le comportement extérieur de quelqu’un et le garder
longtemps en mémoire. Les individus sans autisme ne savent pas
décrire le comportement des autres d’une manière aussi claire et
objective. Ils sont handicapés par leur sentimentalité, interprètent
et donnent trop vite un sens à un comportement. Les personnes
atteintes d’autisme comprennent bien moins les objectifs, le sens ou
le motif d’un comportement. C’est pourquoi elles ne seront jamais de
bons psychologues et encore moins de bons philosophes10 . À cause
de leur (hyper-)réalisme, les personnes autistes ont, beaucoup plus
que nous, les pieds sur terre. Il leur manque la joie mais aussi les
inconvénients de nos illusions.
Elle. — J’en ai assez. Je retourne chez ma mère. Sais-tu combien ça va te
coûter ?
Lui. — 6 euros pour le train ?

Un artiste autiste, Dan Esher, crée d’admirables œuvres vidéo. Il a


un œil exceptionnel pour les effets visuels et son attention est attirée
par des détails que des « penseurs cohérents » ne verraient même
pas. Par exemple, il filme une fontaine dont l’eau coule par-dessus
une boule en marbre. Vous y voyez se réfléchir tous les environs : les
arbres, les maisons, les nuages. Dan Esher ne prend que des zooms
sur l’eau et obtient ainsi un merveilleux jeu d’images. Il faut un
certain temps à des penseurs cohérents, avant de comprendre que
l’eau qu’ils voient sur les images du film provient d’une fontaine
parce que l’artiste a délaissé l’environnement, le contexte.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Comme Dan, beaucoup de personnes atteintes d’autisme sont


devenues célèbres grâce à leurs talents graphiques. Leurs dessins
et tableaux sont en général si bien détaillés qu’ils deviennent des
chefs-d’œuvre techniques. Vous ne verrez que rarement (ou jamais)
des représentations de personnes, presque toujours d’objets. Les
machines, trains et bâtiments sont les sujets qu’on y remarque. C’est
ainsi que Kees Momma, un jeune homme autiste néerlandais, fait
de remarquables dessins et maquettes d’églises, exécutés jusqu’au
moindre détail. Ce sont de parfaites illustrations. Kees est capable
de rendre chaque détail architectural exactement et avec précision,
mieux que n’importe quel spécialiste du bâtiment. De même, les
106 Comment pense une personne autiste ?

dessins de ce livre ont été réalisés par une personne autiste. Il est
remarquable — le garçon avait 9 ans quand il a fait ces dessins
— de voir la précision particulière des détails dans les dessins
d’animaux et de plantes. Comme pour les autres personnes atteintes
d’autisme, dessinateurs de talent, ces dessins sont des bijoux sur le
plan analytique. Mais en général, il manque une histoire derrière le
dessin. Un dessin fait par une personne autiste est plus illustration
qu’imagination.
Leur style de pensée alternative fait que les personnes atteintes
d’autisme excellent dans des domaines où les « penseurs cohérents »
sont à peine valables. Elles sont plus performantes dans certains
domaines. Elles obtiendront de meilleurs résultats dans des tâches
qui privilégient surtout les détails visuels, des tâches pour lesquelles
il est nécessaire de travailler avec exactitude, d’après certaines règles
comme les tâches de copie, de tri et de routine. Nous exécutons
moins bien ces dernières car il faut toujours répéter les mêmes gestes
et cela devient ennuyeux. Et de l’ennui naît la négligence.
L’autisme a donc aussi des points forts, positifs. Comme la pen-
sée autistique est différente de la pensée normale, elle mène par
moments à une forme particulière d’originalité. C’est pourquoi il
n’est pas si étonnant que des personnes atteintes d’autisme puissent
être des artistes.
L’autisme se différencie par le développement inégal des diffé-
rentes formes d’intelligence11 . Mis à part le handicap intellectuel de
beaucoup d’entre eux, nous pouvons donc admettre que les individus
autistes ne sont pas moins intelligents, mais qu’ils ont une autre
forme d’intelligence. Ils ont un autre style de pensée. Les êtres sans
autisme voient plutôt la forêt (l’ensemble). Les personnes souffrant
d’autisme voient plutôt les arbres (les éléments qui constituent l’en-
semble). Les personnes autistes ressentent donc la réalité autrement.
Ceci leur occasionne beaucoup de stress et de désavantages mais
dans certains domaines, elles excellent par rapport à leurs proches
non autistes.
9. Entre les lignes 107

Vous trouverez ci-dessous un aperçu des points forts des per-


sonnes autistes et non autistes.

Points forts
Points forts
des personnes
des personnes autistes
non autistes
Compréhension littérale Compréhension symbolique
Pensée analytique Pensée intégrée
Perception d’un grand
Sensibilité aux détails
ensemble
Traitement sériel de Traitement parallèle
l’information de l’information
Éléments concrets Éléments abstraits
Règles logiques, formelles Données irrationnelles
Vivre selon les règles Vivre entre les règles
Les faits Les idées
Les lois Les exceptions aux lois
Les images L’imagination
Les calculs La sensibilité intuitive
Les ressemblances Les analogies
Absolu Relatif
Objectivité Subjectivité
Détourné : humour,
Direct, droit, honnête
mensonge, tromperie
Perfectionnisme Souplesse
Monde extérieur Monde intérieur
Raisonnement déductif Raisonnement inductif
Réalisme Surréalisme
« Ceci est le titre » « Sur la pensée autistique »
108 Comment pense une personne autiste ?

L A PENSÉE AUTISTIQUE EN TANT QUE STRATÉGIE


DE SURVIE
Les personnes atteintes d’autisme essaient de compenser leurs
manques par leurs points forts, comme le font d’autres personnes
atteintes d’un autre handicap. Les personnes non voyantes, par
exemple, compensent avec l’ouïe ou l’odorat. Et les malentendantes
sont souvent très attentives aux éléments visuels. Les personnes
autistes font de même. Pour survivre, elles utilisent leurs points
forts.
Temple Grandin en témoigne. Pour mieux comprendre les situa-
tions sociales et les mots, elle enregistre dans sa tête toutes sortes
d’images vidéo. Sa grande aptitude visuelle le lui permet. Elle dit
elle-même qu’elle pense en images12 . Les images l’ont aidée à
comprendre le sens des mots : pour chaque mot, elle a dans sa
tête une illustration. Quand elle entend un mot, elle fait appel à
l’illustration voulue et peut ainsi se rendre compte de ce qu’une autre
personne veut dire. Comme Temple, beaucoup de personnes atteintes
d’autisme utilisent leur grande aptitude visuelle pour survivre. Les
personnes atteintes autistes compensent souvent aussi par leur bonne
mémoire. Pensez à l’image de la bibliothèque sans principe de
rangement. Dans une telle bibliothèque, vous ne vous y retrouverez
qu’en mémorisant tous les détails. Si vous n’arrivez pas à relier
les événements, les significations à leur cohérence (une fête d’an-
niversaire), alors vous dépendez des détails enregistrés (guirlandes
jaunes, musique, tarte aux cerises avec des bougies, cadeaux, famille,
amis, Jean, Michèle et Joseph). La formidable mémoire de certaines
personnes atteintes d’autisme n’est pas seulement un talent, c’est
aussi une compensation à leurs déficits, pour eux, c’est une stratégie
de survie indispensable.
Tout comme les personnes souffrant d’un autre handicap, les
personnes autistes évitent les situations trop difficiles. Pendant la fête
de famille, Sabine veut sans arrêt boire du Coca Cola. Elle en a déjà
bu quelques verres. Son père lui dit qu’elle en a eu assez. Un peu
plus tard, Sabine prend la bouteille de coca, ouvre la fenêtre et jette
la bouteille par la fenêtre. En jetant la bouteille de coca par la fenêtre,
elle ne la « voit » plus et ne doit donc plus résister à son envie de
boire. Aussi longtemps que la bouteille est visible, le stimulus visuel,
et donc la tentation de boire, est trop forte. En jetant la bouteille,
elle évite cette frustration. Compenser au moyen d’images visuelles,
9. Entre les lignes 109

de mémoire, de comportement d’évitement ou de n’importe quel


autre moyen, dépend essentiellement du niveau général d’intelli-
gence, c’est pourquoi les individus autistes avec une intelligence
moyenne ou supérieure ont un peu plus de possibilités de compenser
que ceux qui ont un handicap intellectuel. Dans le premier groupe,
on reconnaît moins facilement l’autisme. En effet, dans certaines
situations, ils se conduisent « normalement » ou savent comment se
tenir parce qu’ils peuvent suffisamment compenser leurs manques13 .
On surestime souvent les capacités des personnes atteintes d’autisme
d’intelligence normale.
Une stratégie de survie que j’ai plusieurs fois décrite dans ce livre
est le calcul. Les personnes atteintes d’autisme essaient de saisir
la situation par le raisonnement, le calcul, le classement, bref, de
comprendre par des règles logiques et formelles.
Le père et le fils sont au zoo, devant la cage aux lions. L’enfant est depuis
un moment en train de murmurer. Tout à coup, il demande : « Dis, Papa,
si un lion s’échappe de la cage et te mange, quel bus dois-je prendre pour
rentrer ? »

Christian, un jeune homme autiste qui a déjà fait plusieurs séjours


en psychiatrie et qui en garde de mauvais souvenirs essaie de classer
les gens et les situations. Son plus mauvais souvenir date de son
séjour à l’hôpital Saint-Nicolas. L’hôpital Saint-Nicolas est dans
la zone téléphonique 03. Il a utilisé ce détail comme base de son
classement. Tous les gens et les lieux de la zone 03 sont « mauvais »,
les autres bons (Cette façon de penser, en noir et blanc, est typique
des personnes atteintes d’autisme. Par exemple maman = mauvais,
papa = bon.) Si nous allons quelque part avec Christian, il deman-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

dera d’abord si c’est dans la zone 03. Quand un nouvel éducateur


doit s’occuper de lui pendant un cours de formation aux aptitudes
sociales, il lui demandera aussi s’il habite dans la zone téléphonique
03. Nouveaux lieux, nouvelles personnes... ce sont des choses impré-
visibles. Sur base d’une formule (03 = mauvais), Christian essaie de
mettre un peu d’ordre et de prévisibilité dans un monde imprévisible
et incalculable. Les individus sans autisme peuvent vivre plus ouver-
tement de telles situations. Ils ont une position du style : « Attendons
de voir. » Ils donnent une chance aux nouveaux éléments et peuvent
vivre jusqu’à un certain point avec insécurité et imprécision car
ils peuvent se rabattre sur leur intuition. Si vous n’avez pas cette
intuition, vous devez trouver la sécurité d’une autre manière, donc
110 Comment pense une personne autiste ?

vous devez poser des règles et des classements comme par exemple
03 = mauvais. Ceci apporte de la prévisibilité et donc des chances
de survie. Nous nous rapprochons des personnes autistes quand nous
n’édulcorons pas leurs valeurs profondes en les considérant comme
des talents mais comme des stratégies de survie. Si nous voulons les
aider, nous devons continuer à construire sur ces bases. De même,
beaucoup de comportements autistiques (comme les comportements
répétitifs ou difficiles) peuvent être de façon fonctionnelle considérés
comme des réactions de stress : ce sont des réactions à un environ-
nement trop complexe et incompréhensible.

B ON SENS
Malgré toutes les stratégies de compensation citées, les personnes
atteintes d’autisme sont et restent différentes. Une indépendance
complète et une « réelle » intégration dans le monde des « pen-
seurs cohérents » ne sont possibles que pour une petite minorité.
Elles pensent autrement, elles traitent les informations d’une autre
manière. Être différent ne veut pas obligatoirement dire que l’on
peut moins et pourtant c’est le cas pour les personnes autistes.
L’autisme n’est pas seulement un style de pensée alternatif, c’est
un handicap. Beaucoup sont handicapées parce que, outre l’autisme,
elles souffrent aussi d’un retard intellectuel généralisé. Mais les
personnes atteintes d’autisme d’intelligence normale ont aussi du
mal à survivre sans aide dans notre société. La manière de pen-
ser autistique est imparfaite quand il s’agit de survivre dans notre
monde. D’où cela peut-il provenir ? Les personnes autistes (et ici,
je ne parle pas de celles qui ont un handicap intellectuel) prêtent ou
essaient obstinément de prêter du sens aux choses, mais d’une autre
façon. Ce n’est pas le sens que la grande majorité des individus leur
donne. Et de ce point de vue, le sens que leur prêtent les personnes
atteintes d’autisme n’est pas le common sense14 . Ce terme anglais
se traduit littéralement en français par le terme « sens commun ».
Par common sense ou « sens commun », il est clairement défini
qu’il s’agit de quelque chose de « communautaire » (un sens donné
« communautairement »). Celui qui n’a pas de common sense est
un canard boiteux, se fait remarquer, sort du cocon communautaire.
Ceci se traduit ainsi pour les individus autistes : comme ils prêtent
aux choses un sens de façon « particulière » (en opposition à « com-
munautaire »), ils se font remarquer, ils ne peuvent pas vraiment faire
9. Entre les lignes 111

partie du grand groupe. Le sens qu’ils donnent aux choses n’est pas
partagé par la grande majorité des gens. C’est là leur handicap.
En français, nous parlons de « bon sens ». Aussi intelligente
qu’une personne autiste puisse être, nous devons à chaque fois
constater qu’elle a très peu de bon sens. Mais qu’est-ce que
le bon sens ? Et qu’est-ce qui manque aux personnes atteintes
d’autisme pour pouvoir utiliser ce bon sens ? Et quel rôle joue
la pensée cohérente dans ce bon sens ? Cela n’est pas facile à
expliquer. Les connaissances scientifiques permettant de savoir
comment les gens apprennent, comment ils résolvent des problèmes,
comment ils pensent, sont encore très limitées en ce début de vingt
et unième siècle. Mais il y a des progrès. Et l’inspiration vient du
monde informatique, plus précisément du monde de l’intelligence
artificielle. Si nous voulons que nos ordinateurs accomplissent des
tâches humaines, il faut d’abord savoir comment les êtres humains
résolvent les problèmes. Les difficultés que nous rencontrons pour
développer des machines intelligentes nous apprennent beaucoup
sur le cerveau humain. Ainsi, la boucle de ce livre est bouclée et
nous nous retrouvons à notre point de départ.
« Ce qui est le plus difficile pour l’intelligence artificielle, c’est
de programmer le bon sens15 . » C’est ce qu’écrivait en 1992 une
autorité dans le domaine de l’intelligence artificielle. Au grand dam
de tous les programmeurs informatiques avec leurs essais spectacu-
laires, il n’existe pas encore d’ordinateur possédant du bon sens.
Aussi intelligent que soit un ordinateur, il n’aura jamais le bon
sens de décider à quel moment il est préférable de traverser la
rue, même si le feu est rouge. L’autisme, comme dans le domaine
de l’intelligence artificielle, n’est pas simplement un problème de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

connaissance ou de savoir. Les parents d’enfants autistes (toujours


d’intelligence normale ou supérieure) le ressentent bien. Ils nous
racontent régulièrement : « Il le sait et pourtant il ne le fait pas ». Ou
encore : « Il sait très bien expliquer comment il faut se comporter
dans un magasin mais quand nous y sommes, il ne le fait pas et cela
finit toujours mal... » Cette absurdité apparente (comment peut-on
savoir quelque chose et ne pas l’appliquer ?) est une source de
frustration et surtout d’embarras pour tous ceux qui sont confrontés
à l’autisme. Cela devient moins embarrassant, donc plus clair, quand
nous faisons la différence entre deux sortes de connaissance16 : la
connaissance des faits et le savoir-faire (ou bon sens).
112 Comment pense une personne autiste ?

C ONNAISSANCE DES FAITS CONTRE BON SENS


Les personnes atteintes d’autisme enregistrent surtout la connais-
sance des faits qui consiste en données fixes et délimitées : des
définitions (un « chevalier des fléchettes » est un conducteur qui
utilise continuellement ses clignotants pour doubler les autres voi-
tures) et des règles (quand le feu est au rouge, il faut s’arrêter ; si
vous voyez un uniforme, il faut saluer). Les ordinateurs sont aussi
capables de sauvegarder cette sorte de savoir. En fonction de cette
connaissance des faits, vous pouvez identifier certaines choses (ah !
je vois une voiture aux clignotants constamment allumés, c’est un
« chevalier des fléchettes ») et même agir (je vois le feu rouge, donc
je m’arrête). Un ordinateur sauvegarde toutes ces règles et définitions
dans sa mémoire. Rien n’est perdu. Tout comme un certain nombre
de personnes atteintes d’autisme ont une mémoire incroyable et se
souviennent de détails qu’aucune autre personne n’a retenus. La
connaissance de faits et de règles semblerait donc suffisante. Et elle
l’est pour beaucoup de tâches et de problèmes comme la résolution
de calculs, la traduction de mots, l’élaboration de graphiques et
beaucoup d’autres choses encore. Mais les formules et les définitions
ne suffisent pas pour survivre dans le monde normal. La vie est plus
que des définitions.
Deux gendarmes sont arrêtés devant un feu de signalisation.
Le premier. — C’est vert.
L’autre. — Une grenouille.

Un premier problème à propos de la connaissance des faits se


situe au niveau de la mémoire17 . Les ordinateurs donnent à chaque
information, à chaque définition, à chaque règle une place unique
dans leur mémoire. En termes informatiques on appelle cela « une
adresse ». Chaque adresse a un numéro (comme les maisons). On ne
pourra retrouver cette information que par le biais de ce seul numéro,
de cette adresse unique. Comme cela a été dit précédemment, les
ordinateurs travaillent de façon uni-relationnelle. Un morceau d’in-
formation : une adresse. Un ordinateur ne peut donner l’information
si le numéro de l’adresse où cette information se trouve n’est pas
mentionné.
« Les programmes d’intelligence artificielle n’ont pas de bon sens,
peu de sensibilité aux analogies, répétitions ou modèles. Ils peuvent
percevoir certains modèles à condition d’y avoir été préparés —
9. Entre les lignes 113

et spécialement à condition d’y avoir été préparés à l’endroit où


on peut les rencontrer — mais ils ne sont pas capables de repérer
ces modèles si personne ne leur a dit de façon précise d’aller les
rechercher18 . »

Souvent, on entend les personnes atteintes d’autisme dire qu’elles


ne savent pas ce qu’elles doivent faire jusqu’à ce que quelqu’un ait
appuyé sur « le bon bouton », leur ait donné la bonne instruction.
Elles dépendent de la consigne qui leur dit où trouver la règle à
appliquer dans une situation précise. Elles traversent simplement la
rue jusqu’à ce que quelqu’un leur pose la question : « Avez-vous
regardé de quelle couleur sont les feux de signalisation ? » Elles le
savent mais ne le font pas.
Si vous n’êtes pas dépendants de faits concrets et de règles mais
que vous êtes capables de découvrir de la cohérence et de l’appliquer
au monde qui vous entoure, votre mémoire fonctionnera différem-
ment. Chaque fait de notre vie ne doit pas obligatoirement recevoir
une adresse fixe et unique dans notre mémoire pour pouvoir la res-
sortir au moment opportun. Nous n’avons pas besoin de « numéros »
pour nous rappeler des faits ou éléments de connaissance. Notre
mémoire est plutôt organisée selon un système ouvert dans lequel
nous pouvons retrouver les informations sur base de nombreuses (et
non d’une seule) descriptions. Imaginez qu’hier soir vous êtes allé
chez Stéphane pour regarder un match de football à la télévision et
qu’ensuite vous avez mangé ensemble un morceau de pizza. Pour
vous rappeler ce que vous avez mangé, il n’est pas nécessaire de
poser une seule question précise. La pizza fait partie d’un ensemble
beaucoup plus large de descriptions (hier, chez Stéphane, match
de foot...) et vous arrivez à vous souvenir de votre repas quelle
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

que soit la description. La question posée n’a pas tellement d’im-


portance (« Qu’avez-vous mangé hier soir ? » ou « Qu’avez-vous
mangé quand vous étiez chez Stéphane pour regarder le match de
foot à la télévision ? »). L’ultime cohérence est naturellement celle
de votre propre vie. Les personnes atteintes d’autisme dépendent
de la mémoire de détails parce qu’elles ne perçoivent pas assez de
cohérence. Si la bonne adresse n’est pas donnée, il n’en résultera
hélas pas grand-chose... même si tout est enregistré dans la mémoire.
C’est ici que réside une des limites fondamentales à la mise en
place de programmes d’apprentissage pour les personnes atteintes
d’autisme. Nous pouvons leur apprendre beaucoup de définitions (le
114 Comment pense une personne autiste ?

coin des lèvres vers le bas et des larmes = tristesse) et de règles (si
vous voulez dire quelque chose en classe, il faut lever le bras). Mais,
il faudra souvent appuyer d’abord « sur la bonne touche », donner
le bon « tuyau » avant qu’elles ne montrent la réaction adaptée19 .
Ce qu’elles apprennent est beaucoup moins intégré dans une libre
collection de définitions dans laquelle on peut puiser avec souplesse.
L’autisme est plus qu’un problème de mémoire. C’est beaucoup
plus qu’un problème de sauvegarde, d’enregistrement et de
recherche de connaissance. Pour participer pleinement au monde
humain, la connaissance des faits et la logique ne suffisent pas.
Nous avons aussi besoin d’une bonne part de bon sens. Ce bon
sens, la forme la plus humaine de l’intelligence, ne fonctionne pas
d’après les règles de logique : il est « chaotique et saccadé20 ». Le
bon sens, la forme d’intelligence la plus humaine est l’art de bien
deviner21 . Par deviner, nous voulons dire : jongler souplement avec
les concepts. Cette souplesse est incompatible avec les règles strictes
de la logique. Les « penseurs cohérents » n’ont pas besoin de règles
ni de définitions pour évaluer les choses. En un clin d’œil, ils se
disent : « Ah ! c’est ainsi que cela se passe... » Ils reconnaissent les
modèles et les situations sans savoir auparavant à quoi ils doivent
faire attention. Estimer une situation du premier coup d’œil ne se
fait pas sur base d’une connaissance de faits mais sur celle d’un
« savoir-faire ». Cela ne demande pas une pensée consciente mais
de l’intuition22 . C’est pourquoi le bon sens ne peut être ni enseigné
ni programmé.
Même les bébés possèdent déjà ce savoir-faire. Un bébé voit et
sent un téton. Il « sait » qu’il est là pour être tété. Il le sait instinctive-
ment, intuitivement. Il n’a pas besoin d’une règle préalable ou d’une
définition pour le chercher. D’ailleurs, il s’agit d’une connaissance
instinctive qu’ont également les animaux. Mais progressivement,
ce même bébé fera les mêmes évaluations intuitives pour d’autres
situations, plus sociales et plus complexes. Son savoir-faire ne fera
que croître. Chez les personnes autistes, la connaissance des faits
(la connaissance de règles et de définitions) augmentera au cours
de la croissance, parfois même de façon spectaculaire, mais leur
savoir-faire restera toujours faible en comparaison de celui des autres
individus. Ceci vient du fait que la connaissance des faits et le savoir-
faire se développent différemment. Quand la connaissance des faits
augmente, c’est que de nouvelles informations, de nouvelles données
9. Entre les lignes 115

ont été introduites. Le savoir-faire n’augmente pas seulement par


l’introduction de nouvelles données mais aussi par le fait que des
connaissances établies sont rendues exploitables pour de nouvelles
situations. On n’ajoute pas de nouvelles connaissances mais les
connaissances acquises sont généralisées. C’est par le biais d’ana-
logies que cette généralisation s’effectue dans le cerveau humain.
C’est là que l’intelligence humaine diffère de celle de l’ordinateur.
L’homme est capable de découvrir des analogies et par suite, d’ex-
ploiter des concepts avec nuance. Les analogies sont des accords,
vagues en surface mais forts en essence23 . Les ordinateurs et les
personnes atteintes d’autisme ont du mal à saisir les analogies. Elles
généralisent sur base de ressemblances. Pensez aux extraits de ce
livre sur la surgénéralisation et l’hypersélectivité... La littéralité des
ordinateurs et des personnes atteintes d’autisme est la conséquence
d’une organisation différente de leur connaissance, organisée sur
base de ressemblances identiques, d’accords exacts et de détails.
Les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme ont besoin de
longues descriptions détaillées. Il est nécessaire de leur décrire toutes
les situations possibles, toutes les règles concernant par exemple
les feux de signalisation. Si le feu est rouge et que vous n’êtes pas
engagé, vous restez sur place. Si le feu est rouge et que vous êtes au
milieu du passage pour piétons, vous continuez à traverser, et ainsi de
suite... Si une situation identique à l’une des situations enregistrées
ou apprises se présente, il n’y aura aucun problème.
Hélas, dans la vie de tous les jours, nous ne rencontrons pas
souvent de situations identiques. Au contraire, nous rencontrons
régulièrement des situations qui se ressemblent. Aucune gare n’est
identique à une autre, mais ce sont toutes des gares. Elles sont
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

presque semblables mais pas tout à fait. Elles sont similaires, ce qui
veut dire qu’elles appartiennent à la même catégorie bien qu’elles
soient différentes extérieurement et au niveau des détails. Nous
reconnaissons cette similitude parce que nous exploitons nos ana-
logies. Un exemple suffit. Si je dis que la Rolls Royce est la reine
des voitures, vous comprenez tout de suite ce que je veux dire. Une
personne qui pense littéralement et qui suit la logique des règles,
des définitions et des faits, trouvera ma remarque absurde, ridicule
et illogique. Un moyen de locomotion ne peut pas être une reine...
il n’y a aucune ressemblance (exacte) entre une voiture et une reine.
Celui qui a besoin de définitions exactes, comme les ordinateurs, sera
116 Comment pense une personne autiste ?

en pleine confusion face à une telle expression. Prêter attention à ce


genre d’analogie vague est la particularité de l’intelligence souple
et humaine24 . Le savoir-faire humain exploite de vagues ressem-
blances, des similitudes totalement différentes des critères formels
et littéraux de la logique (les ressemblances exactes, les règles, les
définitions) : ce sont simplement des « critères de ridicule 25 ».
Une mère écrivait dans la revue Autisme un article dans lequel elle
relativisait la distinction croissante entre les sous-groupes dans le
spectre autistique26 . Elle constatait qu’on pouvait tellement insister
sur les différences entre les enfants autistes que finalement il ne res-
terait plus qu’un seul enfant dans chaque sous-groupe. Et comme son
propre fils s’appelait Thomas — dans un souci d’exemple et d’analo-
gie — elle l’avait appelé le « syndrome de Thomas ». Quelque temps
plus tard, je reçus une lettre d’une jeune femme, Élise, qui se débat-
tait face à son propre diagnostic. Elle demandait des informations sur
les types d’autisme, notamment sur le syndrome d’Asperger. Elle
concluait sa lettre de cette façon : « Dans le même ordre d’idées,
pouvez-vous aussi me dire quelque chose sur le syndrome de Tho-
mas ? »

E NTRE LES RÈGLES


Les personnes autistes aiment les règles et les définitions claires.
Elles fonctionnent mieux dans un milieu où règnent la clarté et
l’univocité. Un monde dans lequel les voitures peuvent aussi être des
reines est trop surréaliste pour elles. Les personnes atteintes d’au-
tisme peuvent apprendre beaucoup de faits, de règles et de défini-
tions. Aussi longtemps que les situations auxquelles elles se trouvent
confrontées ou les problèmes qui se présentent à elles ressemblent à
la lettre aux règles et aux définitions, elles se débrouilleront. Si tous
les sièges de toilettes étaient identiques (blanc par exemple), Marc
n’aurait aucun problème.
Mais le monde n’est pas identique, n’est pas en noir et blanc. Notre
monde est un monde de « situations approximatives sans conclu-
sion27 ». Aucune situation de la vie quotidienne ne peut être com-
plètement traduite en définitions ou en règles. Un uniforme ne doit
pas toujours entraîner un salut. Aucune situation n’est littéralement
identique à une autre, beaucoup sont analogues. Un jour, Caroline
porte un pull vert, le lendemain un rouge. Malgré le changement de
9. Entre les lignes 117

pull, on attend d’elle qu’elle lève le bras pour demander la parole.


La ressemblance, les analogies ne se situent jamais au niveau des
détails mais toujours à un niveau abstrait, celui de la cohérence des
choses (la Rolls Royce se rapporte aux autres marques de voiture
comme la reine se rapporte aux autres citoyens d’un pays). Dans la
plupart des cas, il est impossible de mettre en place des règles à sens
unique. Et s’il existe déjà des règles, elles peuvent changer et sont
invisibles. Les pommes de terre sont coupées une fois en bâtonnets,
une autre fois en morceaux. La vie réelle ne peut être délimitée
par des critères de pensée rigides, des règles et des définitions. Les
personnes atteintes d’autisme sont handicapées parce que la vie ne se
déroule pas de façon réglée. Elles sont en difficulté face au caractère
vague de la vie : la vraie vie se déroule « entre les règles ». Pour
vivre, il ne faut pas de connaissance encyclopédique des faits ni un
raisonnement proprement intellectuel, ce pour quoi les ordinateurs
et les personnes atteintes d’autisme sont si doués, mais plutôt un
savoir-faire intuitif. C’est pourquoi les ordinateurs ne savent pas
changer une couche. La connaissance du code de la route, la carte
routière de France, et même les différentes marques d’ampoules des
feux de signalisation sur les autoroutes, ne suffisent pas à savoir se
déplacer en voiture. Conduire une voiture demande bien plus que des
connaissances géographiques, une lecture technique et l’observation
de certaines règles. Conduire demande du « feeling » et du savoir-
faire : une appréciation des distances et de la vitesse, une évaluation
du comportement de conduite des autres conducteurs, l’exécution
rapide des manœuvres. Conduire une voiture, c’est comme danser
sur la route (encore une analogie...).
Les ordinateurs et les personnes atteintes d’autisme seront
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

toujours handicapés lors de l’exécution d’activités quotidiennes.


Conduire une voiture, faire du café, mener une conversation avec
le facteur, toutes ces activités demandent autant de connaissances
banales et quelconques qu’elles ne pourront jamais les apprendre
(les bananes ne poussent pas sur les chiens ; les carafes tombent
toujours par terre et volent souvent en éclats ; en hiver, il faut porter
des vêtements chauds ; on peut méchamment se brûler avec de l’eau
chaude ; les vaches ne fument pas de cigares...).
Pour son examen final, un étudiant en obstétrique pratiquait un accouche-
ment en présence du professeur. Après l’accouchement, le professeur lui
dit : « Dumoulin, c’était parfait ! Vous avez tout fait selon les règles de l’art.
118 Comment pense une personne autiste ?

Je n’ai qu’une remarque : c’est sur les fesses du bébé qu’il faut taper et non
sur celles de la mère. »

Les situations humaines ne peuvent être calculées. Nous ne pou-


vons mesurer la colère de quelqu’un sur une échelle de 1 à 100 (voir
l’exemple plus haut). Nous ne pouvons comprendre la plupart des
situations qu’intuitivement, à partir d’analogies, car aucune situation
ne ressemble exactement à une autre jusque dans les détails. Nous
pouvons apprendre aux personnes atteintes d’autisme beaucoup de
connaissances, de règles de comportement mais finalement, ce sera
toujours « une attelle sur une jambe de bois ». L’autisme, autre façon
de penser, compréhension non intuitive de la cohérence, conservera
toujours son influence.
Charles allait souvent jouer au squash. Pendant qu’il descendait
les escaliers en direction des courts, il criait toujours de loin au
barman : « Quel court ? » Son éducatrice lui dit que cela ne se faisait
pas, qu’il était plus poli d’aller demander cela au comptoir. On ne
pose pas une question de loin. La fois suivante, Charles se présenta
au comptoir pour poser sa question. Mais... il n’y avait personne au
comptoir.
Un handicap est toujours une donnée sociale. Il est plus que le
manque ou le trouble seul. C’est le trouble en combinaison avec l’en-
vironnement social. Un trouble moteur n’est pas nécessairement en
lui-même un handicap. Il ne devient handicap que dans une société
qui suppose de la mobilité. L’autre manière de penser, si carac-
téristique des personnes atteintes d’autisme, est un vrai handicap
quand on sait que la cohabitation dans notre société demande tant de
sagesse, de bon sens, de souplesse et de capacité de généralisation. Il
y a toujours eu des personnes autistes mais ce n’est que maintenant
qu’elles sont mises sur la touche. Autrefois, lorsque la vie était moins
complexe et pressée, lorsqu’il y avait beaucoup plus de règles —
dictées et indiscutables — et lorsque l’ordre social était plus simple
(il y avait une hiérarchie évidente où chacun avait sa place), beau-
coup d’entre elles pouvaient survivre. Elles semblaient bien un peu
étranges mais elles arrivaient à survivre. Dans beaucoup de métiers,
les individus autistes étaient même des travailleurs exceptionnels, les
meilleurs possibles. Qui d’autre mieux qu’eux peut faire du travail de
classement ? Pour ce genre de travail, une sensibilité aux détails et
l’observation stricte des règles sont des conditions indispensables.
La souplesse est un défaut pour une personne qui doit effectuer
9. Entre les lignes 119

un classement. Imaginez qu’elle range selon ses impulsions... Dans


beaucoup de métiers, la précision, la logique et la rigueur de la pen-
sée informatique d’une personne autiste étaient autrefois un avan-
tage. Aujourd’hui, ces personnes n’arrivent plus aussi bien à se
placer sur le marché du travail parce que le traitement de ces infor-
mations peut être effectué par des ordinateurs qui travaillent mieux
et plus rapidement. Notre société moderne n’a plus besoin de gens
qui classent, comptent ou calculent. Penser rapidement et d’une
façon analogique, être efficace et malléable sont des qualités qui
sont beaucoup plus recherchées dans la société actuelle. Regardez
les offres d’emploi dans les journaux. Des postes demandant cette
façon de penser ne seront jamais occupés par des ordinateurs. Des
emplois de nourrice, d’assistants sociaux, de barmans sont proposés
en premier lieu. Ce sont justement ces postes qui ne conviennent
pas aux personnes atteintes d’autisme. Le fait que notre société soit
devenue plus complexe et suive moins de règles fixes fait que les
personnes atteintes d’autisme ont un double handicap.
Mais nous devons aussi relativiser tout cela. Parfois, l’intuition
ne suffit pas et alors, penser aux détails et suivre formellement
des règles et des définitions peuvent être des avantages. Imaginez
que l’on construise des ponts et des avions sur la base d’intuition
et non de calculs exacts. Imaginez que des médecins écrivent des
ordonnances en se basant seulement sur leur diagnostic sans faire
attention aux formules de dosage tenant compte du poids et de la
taille d’un enfant.
« Attention ! Il ne faut pas penser que la littéralité doit être évitée
à tout prix. Si nous nous donnions toujours pour priorité de sau-
ter d’abstraction en abstraction, nous ne ferions finalement plus la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

différence entre les situations. La description optimale de chaque


situation serait alors : il se passe quelque chose28 . »
Par ces mots, un expert relativisait la supériorité du cerveau
humain par rapport aux ordinateurs sur le plan de l’intelligence
artificielle. Et il ajoutait : « Il existe beaucoup de formes de rigidité
et une tendance rigide à l’abstraction est tout aussi stupide qu’un
refus rigide de l’abstraction ».
Au fond, les personnes atteintes d’autisme ne sont pas plus stu-
pides que les autres. Elles ont une autre forme d’intelligence par
laquelle elles traitent les stimuli d’une façon inhabituelle, ce qui
fait leur handicap. Leur rigueur, leur sensibilité aux détails, leur
120 Comment pense une personne autiste ?

confiance en des règles et définitions strictes et formelles, leur façon


concrète de penser ne correspondent pas (plus) aux exigences de la
société moderne. C’est pourquoi elles sont d’étranges spécimens :
des Sherlock Holmes archaïques et étrangers au monde ou des robots
avant la lettre. Leur façon de penser est excentrique. Mais leur
excentricité cache une forme spéciale de créativité. Une créativité
qui manque à l’homme de notre époque, mobile, capable de juge-
ment et de nuance et pensant d’une façon abstraite. C’est un défi
pour les « penseurs cohérents » que de donner une place dans notre
société à ceux qui pensent littéralement. Les personnes autistes ont
besoin de plus que de l’aide. Elles méritent d’être appréciées pour
leur particularité et, si nous le voulons, elles peuvent apporter une
contribution sensible à notre société grâce à leur spécificité. Nous ne
devons pas leur donner une place dans la société malgré leur autisme
mais avec leur autisme. Notre société tirerait profit d’un petit brin
supplémentaire d’autisme. Comme Francesca Happé suggère29 , la
cohérence centrale faible des personnes atteintes d’autisme n’est pas
seulement un défaut ; il vaut mieux la caractériser comme un style
cognitif. Leurs points forts (voir la liste plus haut) sont souvent nos
points faibles. La littéralité n’est pas seulement naïve, parfois elle
nous ramène à la réalité :
— Pourquoi es-tu toute la journée devant ton ordinateur ?
— J’écris un livre sur l’autisme.
— D’où te vient cette idée ? Tu peux acheter ça pour 20 euros.

En conclusion : ce livre est avant tout destiné à des « penseurs


cohérents ». À ceux qui peuvent saisir une idée à partir d’analogies,
à ceux qui peuvent exploiter des « critères de ridicule ». Quand je
compare la pensée des personnes autistes au traitement des informa-
tions par un ordinateur, c’est aussi une analogie, pas une identifica-
tion. Celui qui pense de façon littérale va considérer à tort l’analogie
comme une ressemblance. Mettre les personnes atteintes d’autisme
sur le même plan que les ordinateurs est absurde et ridicule. Aussi
ridicule que de penser qu’une Rolls Royce pourrait être une reine.
C’est un livre pour ceux qui savent lire avec intuition, et non selon
les règles formelles de la logique. Le message de ce livre n’est pas
dans mais entre les lignes.
10

Notes finales :
sur « les petits chiffres »
de ce livre

N OTES DU CHAPITRE 1 :
SUR CE LIVRE
1
Kanner, 1943.
2
Dans son étude (1996), Suzanne Leekam a mis en évidence
des caractéristiques autistiques chez un tiers des enfants normaux.
Celles-ci apparaissent de moins en moins fréquemment après l’âge
de cinq ans.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

3
Par « pensée cohérente », nous entendons ce qu’Uta Frith (1989)
appelle cohérence centrale : la capacité de découvrir une cohésion
parmi une multitude de stimuli.
4
Pour un aperçu des récentes théories cognitives concernant l’au-
tisme et l’importance de l’hypothèse de la « pensée cohérente »,
nous vous conseillons de consulter les études d’Anthony Bailey et
coll. (1996).
5
J’ai trouvé mon inspiration plus particulièrement dans les livres
de Douglas R. Hofstadter (1979 et surtout 1985). Le lien entre l’au-
tisme et les ordinateurs ou les robots n’est pas une étude spéciale-
ment nouvelle (voir aussi entre autres Frith, 1989).
124 Comment pense une personne autiste ?

6
Hofstadter, 1985, p. 552 de la traduction flamande.
7
Professeur Ina van Berckelaer-Onnes, 1992.
8
Les références des blagues citées dans ce livre sont beaucoup
moins évidentes que celles qui ont trait aux ordinateurs. Les blagues
font partie du domaine public et les auteurs de la plupart des plai-
santeries reprises ici me sont inconnus. Je suis certain qu’aucune
n’a été inventée par moi-même et que le plagiat est la règle en ce
domaine. Les anecdotes amusantes proviennent par contre de mon
expérience personnelle, mais surtout de l’expérience de parents. En
tant qu’« experts », ils sont les mieux placés pour ce type d’illustra-
tions.
9
Gillberg, 1990, et Vermeulen, 1998.

N OTES DU CHAPITRE 2 :
SUR L’ HUMOUR ET L’ AUTISME
1
Hans Asperger, 1944, p. 82 de la traduction anglaise par Frith,
1991.
2
Nous reviendrons sur ceci dans le chapitre 4 où le lecteur trou-
vera quelques plaisanteries agréables basées sur ce principe.
3
Newson, 2000, p. 97. Traduction littérale : humour « type peau
de banane ».
4
Ceci est la conclusion d’une étude de Mary Van Bourgondien et
Gary Mesibov (1987).
5
Voir par exemple Elisabeth Newson (2000) et Carol Gray (1998)
qui décrivent l’usage de l’humour et des bandes dessinée dans l’édu-
cation d’enfants atteints d’un syndrome d’Asperger ou autistes de
haut niveau.
6
Hans Asperger, 1944, p. 130 de la traduction française.
7
À vrai dire, il y a eu une telle proposition de la part d’une
personne autiste qui a lu la version néerlandaise de ce livre. Il
existe également un site web développé par les personnes atteintes
d’autismes sur la personnalité non autistique. Ce site web décrit
les personnes « normales » (appelées « neuro-typiques ») comme
malades. La façon pompeuse avec laquelle ce site web décrit les
gens normaux comme étant atteints d’un trouble est une parodie,
et donc une preuve que les personnes atteintes d’autisme peuvent
10. Notes finales 125

avoir de l’humour. Ce site peut être consulté à l’adresse suivante :


http://www.isnt.autistics.org
8
Ceci signifie que les personnes autistes ont des difficultés à
considérer les autres personnes comme ayant un esprit indépendant
et à comprendre le monde non seulement d’un point de vue compor-
temental et physique mais également d’un point de vue intellectuel.
Voir entre autres Simon Baron-Cohen, 1995.
9
Sinclair, 1992, p. 294.

N OTES DU CHAPITRE 3 :
SUR L’ HUMOUR ET L’ INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
1
Une condition nécessaire mais pas suffisante. Les blagues
doivent encore satisfaire à d’autres conditions. Elles ne peuvent
pas, par exemple, être trop limpides ou trop simples sinon elles
deviennent de « mauvaises » blagues.
2
Bergsma, 1994.
3
Cette citation est tirée d’un livre sur la philosophie : Johan
Allen Paulos, 1985, p. 135 de la traduction néerlandaise de 1993.
C’est aussi chez Paulos que j’ai trouvé l’anecdote de l’ordinateur
traducteur russo-anglais, plus loin dans le texte.
4
De Blundell, 1983, p. 17-18 de la traduction néerlandaise.
5
Paulos, 1985, p. 138 de la traduction néerlandaise de 1993.
6
Repris de Frith (1989, p. 121) avec l’aimable autorisation d’Uta
Frith. Le dessin original est d’Axel Scheffer.

N OTES DU CHAPITRE 4 :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

SUR L’ INTELLIGENCE AUTISTIQUE (1)


1
Gillberg, Peeters (1995), L’autisme, aspects éducatifs et médi-
caux, p. 12.
2
Car un ensemble est plus que la somme des parties. C’est le
premier axiome de la théorie des systèmes. Dans le sens que nous
prêtons aux choses, nous incluons aussi les relations (invisibles)
entre les différentes parties.
3
Dans Frith, 1989.
4
On retrouve le terme de séparation (détachement) chez Frith
(1989). Cet auteur décrit un certain nombre d’expériences d’où il
126 Comment pense une personne autiste ?

ressort que les enfants autistes, comparés à des enfants handicapés


mentaux ou des enfants normaux, réalisent de meilleures perfor-
mances quand il s’agit d’exercices demandant d’isoler, de séparer
des stimuli alors que leurs performances sont moins bonnes pour des
tâches demandant de la cohérence, dans lesquelles les stimuli doivent
être reliés.
5
Ce terme vient de William Jones (voir Sacks,1995, p. 269 de la
traduction néerlandaise).
6
Frith, 1989.
7
Repris de Happé (1994, p. 118) avec son aimable autorisation.
Le dessin original est d’Axel Scheffer.
8
Avec l’aimable autorisation des éditeurs Swets et Zeitlinger BV.
9
Toutefois, ce n’est pas toujours aussi simple. Les chaises peuvent
être si différentes et pourtant nous appelons ces différents objets des
chaises.

N OTES DU CHAPITRE 5 :
SUR LE COMPORTEMENT SOCIAL ET L’ IDENTITÉ
1
Ceci vaut spécialement pour la grande majorité des personnes
atteintes d’autisme et d’un handicap intellectuel. Les personnes
autistes ayant une intelligence normale ou supérieure savent (ont
appris ?) qu’il existe des relations invisibles. Leur problème est
alors qu’elles perçoivent toutes les relations possibles mais qu’elles
n’arrivent pas à faire une bonne présélection de celles qui, à partir
du contexte, sont les plus à portée de main, donc les plus logiques.
Les personnes autistes douées sont donc plutôt aveuglées par les
relations. Elles tiennent compte de trop de relations.
2
Richard Lansdown dans Joliffe, Lansdown et Robinson, 1992,
p. 16.
3
Blundell, 1983.
4
Voir la notion « personal episodic memory » et « sense of self »
dans Jordan et Powell (1995).
5
Congrès : L’Autisme : préparation de l’âge adulte, 16 mai 1987.
6
Martin parle de son « propre » anniversaire. À remarquer qu’il a,
dès le début de l’histoire, clairement expliqué qu’il est né un 19 mars.
7
Nous ne voulons pas dire par là que les personnes atteintes
d’autisme seraient moins des personnes à part entière que d’autres.
10. Notes finales 127

Chacune d’elle est une personne unique avec son propre caractère,
son propre tempérament etc. Par personnalité nous entendons : res-
sentir une unité personnelle. Les personnes atteintes d’autisme ne
sont pas inférieures aux autres (voir dernier chapitre).
8
On a confondu et on confond encore souvent autisme et schi-
zophrénie. La schizophrénie est un trouble de la personnalité, qui
se caractérise plus précisément par une personnalité désintégrée,
une personnalité dissociée. Dans sa forme extrême, on évoque plu-
sieurs personnalités. Dans l’autisme comme dans la schizophrénie,
on retrouve le manque d’intégration et d’unité de la personnalité. Ce
n’est donc pas par hasard qu’il y a confusion : dans les deux cas,
il n’y a pas d’unité, pas d’identité homogène. Le Journal of Autism
and Developmental Disorders actuel s’appelait d’ailleurs autrefois le
Journal of Autism and Childhood Schizophrenia. La différence entre
l’autisme et la schizophrénie tient notamment au fait qu’à l’intérieur
des différentes personnalités d’un schizophrène, il y a une certaine
cohérence alors que chez la personne autiste il y en a très peu dans
une seule et même personnalité. Les personnes atteintes d’autisme
d’intelligence normale peuvent développer une image proche de la
schizophrénie pendant ou après l’adolescence surtout si elles n’ont
pas bénéficié d’un accompagnement et d’un encadrement adaptés.
9
Gerland, 1996, p. 47.
10
Blundell (1983, p. 21).
11
Pas seulement sur le plan social. Cette forme d’imitation sans
compréhension du sens est très souvent employée par les personnes
atteintes d’autisme dans l’utilisation de la langue. Cela s’appelle
l’écholalie (voir entre autres Theo Peeters (1996). L’imitation à la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

lettre de comportements sociaux est appelée l’échopraxie).


12
Nous avons « emprunté » cet exemple très caractéristique à
Mulders, Hansen et Roosen (1996, p. 139).
13
Dans Sacks, 1995.
14
Cette façon de chercher des explications dans les films vidéo est
remarquablement mise en scène dans le film Being There. Ce film,
précurseur de Rainman, raconte l’histoire d’un jardinier (autiste ?)
qui se fait élire président des États-Unis. Il a vécu des années coupé
du monde extérieur et tout à coup il est projeté dans la vraie vie. La
seule chose à laquelle il peut se raccrocher pour donner une forme à
son comportement sont des images de télévision qu’il a vues pendant
128 Comment pense une personne autiste ?

toutes ces années. Le film est basé sur le livre du même titre de
Konsinski (1971).
15
Il existe plusieurs articles et livres sur la notion de la « théorie
de l’esprit » dans l’autisme. Pour une revue des études récentes nous
référons à Baron-Cohen, Tager-Flusberg et Cohen (2000). Dans ce
livre il y a un chapitre de Francesca Happé (2000), où elle présente
une revue de la recherche sur la « cohérence centrale » et sa relation
avec la « théorie de l’esprit ».
16
Oliver Sacks, 1995, p. 299.
17
Voir Peter Vermeulen, 1997.

N OTES DU CHAPITRE 6 :
SUR LA COMMUNICATION
1
Nous n’approfondirons pas ici les difficultés d’abstraction par
rapport à la langue. Theo Peeters, entre autres, les a déjà largement
décrits dans ses deux derniers ouvrages : Gillberg et Peeters (1995)
et Peeters (1996).
2
Nous nous référons ici aux deux niveaux les plus « élevés »
d’une langue. Le niveau le plus bas est le niveau sémantique : le
lien entre les mots et les choses (leurs « significations »). Le niveau
syntaxique est celui du lien entre les mots : la cohérence entre les
significations attribuées aux différents mots. Le niveau pragmatique,
enfin, se réfère à la cohérence entre les mots (les séries) et le
contexte. Les personnes atteintes d’autisme ont des problèmes aux
trois niveaux mais leurs problèmes augmentent avec la complexité
croissante des niveaux. C’est avec les aspects pragmatiques de la
communication qu’elles ont le plus de difficultés.
3
Tout comme une phrase est plus qu’une addition de mots, un
mot est plus que des lettres placées les unes à côté des autres.
Pour un ordinateur qui ne sait pas attribuer un sens à partir de la
cohérence, les mots ne sont rien de plus que des signes alignés les
uns à côté des autres : le mot « ils » n’est rien de plus que i-l-s, trois
lettres successives. Quand nous voyons (ou entendons) « ils », nous
pensons intuitivement à un pronom de masculin, à des individus...
4
Nous parlons ici des mots « référentiels ». Les mots référentiels
n’ont pas de sens fixes mais donnent un sens à ce à quoi ils se
réfèrent : grand (une chose est toujours grande par rapport à une
autre : une souris est grande quand on la compare à une aiguille
10. Notes finales 129

mais elle est petite par rapport à un éléphant), hier (est aujourd’hui si
on se réfère à demain et est demain par rapport à après-demain), en
dessus et au-dessus (le deuxième étage est au-dessus du premier mais
en dessous du troisième). Les études ont prouvé que les personnes
atteintes d’autisme ont du mal à comprendre les mots référentiels.
5
Paulos, 1993, p. 135.
6
Cet exemple et le suivant (celui du chien) viennent du livre
d’Arno Penzias (1990).
7
La différence entre « pour » dans le sens de « à cause de » (être
jugé pour débauche) et dans le sens de « pour » (être ici pour la
débauche).
8
« Je crois que (votre) boisson en est la cause » et non : « Je crois
que (ma) boisson en est la cause. »
9
Le drapeau n’existe qu’en « bleu-blanc-rouge » (un drapeau à
trois couleurs) et non « en bleu, blanc et rouge » (trois drapeaux de
couleurs différentes).
10
Utiliser (pour nettoyer les toilettes) opposé à : Utiliser (pour
nettoyer...)
11
Cette anecdote est tirée du livre de Twachtman (1995).
12
La structure grammaticale d’une phrase ou d’une expression
est parfois appelée « structure de surface ». Par contre, le sens d’une
phrase — pas directement visible — est sa « structure profonde ».
(Hofstadter, 1985).
13
L’objectif n’est pas d’approfondir ce sujet bien qu’il s’agisse
d’un domaine très intéressant. C’est ainsi que le « niveau de rela-
tion » prend souvent forme à partir de la communication non verbale,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

et ce sont surtout les contradictions entre ce qui est dit et la façon de


le dire qui sont inaccessibles pour les personnes atteintes d’autisme.
Au niveau de la relation, les personnes atteintes d’autisme sont
particulièrement maladroites et naïves.
14
Phillips et coll., 1995. Dans leurs appels à l’aide, les enfants
autistes développent beaucoup moins que d’autres des stratégies
dans lesquelles les adultes présents sont utilisés comme des sujets
réceptifs.
15
De Paulos, 1993.
130 Comment pense une personne autiste ?

N OTES DU CHAPITRE 7 :
SUR LA RIGIDITÉ
1
Momma, 1996, p. 101.
2
La dépendance personnelle se rencontre fréquemment chez des
personnes atteintes d’autisme qui ont une haute intelligence. Comme
ils s’orientent beaucoup vers les autres, ils se tournent — contraire-
ment aux personnes autistes qui possèdent peu de sociabilité ou qui
ont une déficience intellectuelle — vers autrui quand ils ne savent pas
trop bien ce qu’ils doivent faire : ils s’accrochent aux autres quand
leur environnement n’est pas assez clair et qu’il ne « parle » pas de
lui-même. La forme est différente mais, finalement, les personnes
atteintes d’autisme et d’une déficience intellectuelle et celles qui ont
par exemple le syndrome d’Asperger ne sont pas si différentes dans
leur dépendance aux explications et instructions. Voir Vermeulen,
1999.

N OTES DU CHAPITRE 8 :
SUR LES DIFFICULTÉS À RÉSOUDRE
DES PROBLÈMES
1
Le mot « sens » a plusieurs acceptions. Tout d’abord celle de
« signification », comme par exemple dans : « Quel est le sens de
cette expression ? » ou celle d’« intention » (de « but ») : « Quel
sens y a-t-il à aller pêcher pendant ses loisirs ? » Dans l’autisme, le
problème se pose dans les deux acceptions du terme : les personnes
atteintes d’autisme ont du mal à donner du sens aux choses mais
elles ont aussi et surtout du mal à découvrir le but des choses et des
événements.
2
L’exemple vient du livre de Charles Hart, 1989.
3
Van Dalen, 1995a, p. 14.
4
Les problèmes d’action stratégique (planifier, contrôler et éva-
luer les actions) que connaissent les personnes atteintes d’autisme
ont donné naissance à une théorie cognitive explicative de l’autisme,
dans laquelle il est admis que l’autisme est une conséquence d’un
déficit des « fonctions exécutives ». Nous renvoyons ceux qui sou-
haitent en savoir plus sur cette théorie entre autres aux travaux de
Hughes, Russell et Robbins (1994) et de Ozonoff (1995).
10. Notes finales 131

5
D’après une étude, il semble que le développement de l’imita-
tion chez les enfants normaux soit associé à la compréhension des
objectifs (Hay et coll., 1991).
6
Gaarder, 1994, p. 265.
7
Hofstadter, 1985, p. 649. En raisonnant de manière déductive,
on extrait de la règle générale des règles particulières via un raison-
nement logique. Le contraire est le raisonnement inductif. Par là, on
conclut à une règle plus générale sur base de quelques situations
similaires. Les personnes atteintes d’autisme seraient plus perfor-
mantes en raisonnement déductif. De nouvelles études devraient le
confirmer.
8
Cette expression fait allusion au fait qu’en ayant un trop grand
nombre de choix, on n’arrive plus à décider.

N OTES DU CHAPITRE 9 :
SUR L’ INTELLIGENCE AUTISTIQUE (2)
1
Vroon, 1992, p. 223.
2
Van Dalen, 1994a, p. 14.
3
Voir aussi Piet Vroon (1992) : le terme de « l’unité centrale
de contrôle » (UCC) vient de Gazzaniga (1985). La UCC n’est pas
un lieu localisé dans le cerveau bien qu’il y ait des indications
selon lesquelles la partie gauche du cortex jouerait un rôle dans
la création de ce système de traitement et de décision central. La
UCC est donc un concept hypothétique, un mécanisme, pas vraiment
un endroit précis dans le cerveau. Il est reconnu que les personnes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

atteintes d’autisme traitent surtout les informations comme le fait la


partie droite du cerveau : d’une façon holistique et non analytique.
Cette théorie sur la UCC est une indication d’une possible fondation
neurologique du problème de cohérence chez l’autiste. Vroon dit
lui-même : « Beaucoup de chercheurs pensent (par conséquent) que
les personnes atteintes d’autisme ont une UCC mal développée »
(1992, p. 223). La remarque de Vroon concernant la mauvaise direc-
tion donnée à l’attention chez les enfants autistes (voir la citation
au début de ce chapitre) est corroborée par les nombreuses études
d’Éric Courchesne sur les problèmes d’« attention shifting ». Ces
problèmes d’attention sont un important signal précoce de l’autisme.
132 Comment pense une personne autiste ?

D’après Courchesne (1996), le cervelet est responsable de la sélec-


tion des stimuli qui lui parviennent et il est le coordinateur des autres
zones du cerveau.
4
Toutefois, il y a encore et toujours des théories et des thérapies
développant l’idée que les individus atteints d’autisme sont des
intellectuels prisonniers de leur autisme. Cette idée est par exemple
à la base de la méthode de la communication facilitée (Facilitated
Communication), méthode partant du point de vue que les personnes
atteintes d’autisme sont des très intelligentes et sensibles qui ne
parviennent pas à communiquer parce qu’elles ne reçoivent pas la
« poussée » ou le « soutien » dont elles auraient besoin.
5
Weizenbaum, 1984, p. 224.
6
Voir Vermeulen, 1995a, 1995b, 1996.
7
Il existe maintenant des ordinateurs, la nouvelle génération
d’intelligence artificielle (le dénommé neural networks ou ordina-
teur PDP : Parallel Distributed Processing), qui peuvent traiter des
informations de façon parallèle. Ce qui est remarquable chez ces
ordinateurs, c’est qu’ils sont capables de travailler dans le contexte à
la différence des ordinateurs à traitement sériel (Copeland, 1993).
8
Voir Van Dalen, 1995b.
9
Beate Hermelin et Neil O’Connor (1970) n’ont pas proposé cette
illustration mais des dessins du test : Embedded Figures Test, le test
des figures cachées pour enfants.
10
Voir aussi la notion du folk psychology (« psychologie popu-
laire ») de Simon Baron-Cohen (2000).
11
L’intelligence intégrante joue un si grand rôle dans le déve-
loppement et l’apprentissage que le développement d’autres terrains
de connaissances et d’autres propriétés en dépend. C’est ainsi que
les personnes atteintes d’autisme accumulent généralement du retard
par rapport aux autres individus de leur âge dans différents domaines
de développement. On parle à raison d’un trouble du développement
insinuant et envahissant.
12
Grandin, 1996.
13
C’est ainsi qu’on a constaté qu’un assez grand nombre de per-
sonnes atteintes d’autisme à l’intelligence normale avaient réussi des
tests, comme l’expérience de Sally-Ann en relation avec la théorie
de l’esprit (theory of mind). Un examen plus poussé de ces résultats
surprenants a fait découvrir que ces personnes parvenaient à trouver
10. Notes finales 133

la bonne réponse par une tout autre stratégie que les personnes sans
autisme.
14
Voir Frith, 1996. Uta Frith n’est pas la première à soutenir
cette idée. Hans Asperger (1944) avait déjà formulé l’idée que l’in-
telligence autistique avait des qualités bien nettes et qu’elle était le
contraire de la sagesse.
15
Minsky, 1992, p. 356-358.
16
Pour les deux types de connaissances qui seront décrits plus
loin, il existerait aussi des preuves neurologiques. La partie gauche
du cerveau est celle de la logique, du raisonnement séquentiel ; la
partie droite est plutôt « holistique ». C’est dans cet hémisphère du
cerveau que se trouve la sagesse, le siège de l’intuition. C’est lui
qui élabore les métaphores et les analogies (voir Weizenbaum, 1984,
p. 234 et sqq.)
17
Pour plus de détails, voir Copeland (1993), chap. 9 : « Sommes-
nous des ordinateurs ? »
18
Hofstadter, 1988, p. 639.
19
Ici se situe l’affirmation d’une soi-disant « dépendance person-
nelle » ou d’une dépendance des personnes atteintes d’autisme aux
instructions.
20
Les termes « chaotique » et « saccadé » sont de Vroon (1992,
p. 196).
21
H.B. Barlow, The Oxford Companion to the Mind, in Penzias
(1990).
22
Éric Courchesne (1996) situe l’intuition dans le cervelet. Le
cervelet nous prépare inconsciemment à ce qui va arriver. Un cer-
velet endommagé entraîne des réactions lentes ou erronées et rend
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

nécessaire une réflexion consciente avant de pouvoir réagir. D’après


Douglas Hofstadter (1988), le bon sens est lié à la sub-cognition.
Les ordinateurs savent effectuer des activités cognitives mais il leur
manque cette sub-cognition qui est à la base du bon sens et de la
souplesse humaine.
23
Comme nous l’avions fait remarquer, dans le chapitre sur la
résolution des problèmes, on suppose fortement que les personnes
atteintes d’autisme raisonnent beaucoup mieux d’une façon déduc-
tive qu’inductive. Or le raisonnement inductif est en relation avec la
découverte des analogies.
24
Hofstadter, 1988, p. 559.
134 Comment pense une personne autiste ?

25
Weizenbaum, 1984, p. 236.
26
Declercq, 1993.
27
Jordan et Powell, 1995, p. 31.
28
Hofstadter, 1988, p. 584.
29
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une histoire de perplexité.) Cognition, Norwood N.J., Ablex.
Peter Vermeulen, pédagogue spécialisé dans le handicap et doc-
teur en sciences sociales, travaille déjà depuis longtemps avec des
enfants, des adolescents et des adultes souffrant d’autisme. Il tra-
vaille comme consultant au centre de communication concrète pour
lequel il présente aussi des conférences et ateliers. Il est également
rédacteur en chef du magazine bimensuel Autisme Centraal. Il tra-
vaille en freelance pour la faculté des sciences psychologiques et
pédagogiques et la faculté de sociologie de l’université de Louvain.
Il a déjà à son actif de nombreuses publications au sujet des troubles
du spectre de l’autisme.
Le Centre de Communication Concrète (CCC) fait partie en
Flandre d’une association nommée Autisme Centraal. Le CCC a
également une antenne en France. Ce centre de connaissance et de
soutien s’active depuis plus de dix ans à rassembler et propager
une expérience théorique et pratique au sujet de l’autisme, et ceci
dans toute l’Europe et parfois même plus loin, par exemple au
Canada. Durant cette période, nous avons réussi à traiter dans plus
de dix publications l’information complexe sur l’autisme d’une
manière compréhensible pour un public varié. Ces publications
ont été traduites ou sont actuellement en cours de traduction (du
néerlandais) en français et anglais. Le centre de communication
concrète propose des formations dans une gamme étendue de
thèmes dans le domaine des troubles du spectre de l’autisme.
Une équipe multidisciplinaire d’experts travaille d’ailleurs dans
une perspective européenne et intègre les nouvelles tendances et
pratiques de différents pays. Le centre est spécialement connu
pour traiter le thème de l’autisme d’une manière très « pratique ».
Tous les ateliers et formations mettent l’accent sur la pratique
des professionnels impliqués dans les cours. Nous avons de bons
contacts avec le monde académique et formons des associations
avec les universités de Gand, Louvain et Anvers. Des informations
sur le centre sont aussi diffusées en français et anglais par le biais
d’un journal d’information électronique.
Contactez-nous pour de plus amples informations :
Centre de Communication Concrète France
6 rue de la Tuilerie
F- 57 890 Porcelette (France)
Tél./Fax : +33 (0) 3 87 04 26 33
E-mail : info@cccfrance.com
Site Internet : www.cccfrance.com
Centre de Communication Concrète Groot Begijnhof
85 B, 9040 Gent (Belgique). Tél. : +32 (0) 9 238 18 18
E-mail : ccc@autismecentraal.com
Site Internet : www.autisme.be
Table des matières

PRÉFACE VII

NOTES DE L’AUTEUR XI

REMERCIEMENTS XIII

1. « Décris-moi comme si j’étais un ordinateur » : sur ce livre 1

2. Originalité inattendue : sur l’humour et l’autisme 9

3. Mécanique amusante : sur l’humour et l’intelligence


artificielle 15
Humour et contexte 15
Intelligence artificielle et contexte 17

4. Il faut s’arrêter au feu rouge : sur l’intelligence


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

autistique (1) 23
Réponses « Ravioli » et « Lavabo » 28

5. Quand la vie est une ligne en pointillé : sur le comportement


social et l’identité 35
Un verre d’eau 35
Quand vous voyez une personne en uniforme, dites « bonjour » 38
Les situations « pull vert » 40
Quand la vie est une ligne en pointillé 41
Imiter (singer) 44
142 Table des matières

Hello, how are you ? 46


Puis-je vous « déchiffrer » ? 47
Il n’y a pas de panneaux de signalisation sociaux 48

6. Le chevalier des fléchettes : sur la communication 53


Les symboles font du monde un monde partiel 53
Erreurs de traduction 56
Elle aime le sa en pliant 58
Le « chevalier des fléchettes » 61
Les sous-entendus (ou ce qui n’est pas clairement exprimé) 64
Intentions secrètes 67

7. Les frites de pommes : sur la rigidité 71


Aut(omat)isme 71
Celui de Villeurbanne était tout au fond : l’essence des choses... 72
Des toilettes sont pourtant des toilettes ? 74
Frites de pommes 78
Le coup de feu du starter fait partie de la course 79

8. Faire du café, ce n’est pas 2 + 2 : sur la résolution


des problèmes 83
Effectivité et efficacité 84
Plutôt fonctionnaires que stratèges : les rituels 87
« Et fais exactement la même chose » 89
« Fais ceci ! » 91
Faire du café n’est pas 2 + 2 : décider est plus que calculer 92
L’embarras du choix 97

9. Entre les lignes : sur l’intelligence autistique (2) 99


Intelligence : peut-être, peut-être pas 99
Analyser (les arbres) ou intégrer (la forêt) 102
La pensée autistique en tant que stratégie de survie 108
Bon sens 110
Connaissance des faits contre bon sens 112
Entre les règles 116
Table des matières 143

10. Notes finales : sur « les petits chiffres » de ce livre 123


Notes du chapitre 1 : sur ce livre 123
Notes du chapitre 2 : sur l’humour et l’autisme 124
Notes du chapitre 3 : sur l’humour et l’intelligence artificielle 125
Notes du chapitre 4 : sur l’intelligence autistique (1) 125
Notes du chapitre 5 : sur le comportement social et l’identité 126
Notes du chapitre 6 : sur la communication 128
Notes du chapitre 7 : sur la rigidité 130
Notes du chapitre 8 : sur les difficultés à résoudre des problèmes 130
Notes du chapitre 9 : sur l’intelligence autistique (2) 131

BIBLIOGRAPHIE. SUR LA LITTÉRATURE CONSULTÉE 135

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