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Sibelle Haïti: Un regard sur le théâtre haïtien des trente dernières années ?
Rolando Étienne: Il est très compliqué pour un artiste de prendre la posture d’un
critique ou d’un historien de l’art pour parler d’une discipline dans laquelle il évolue. De
plus, l’absence presque totale de documentation sur le théâtre haïtien au cours de cette
époque là ne permet pas à quelqu’un de la quarantaine d’examiner exhaustivement et
objectivement des événements qui se sont déroulés pendant son adolescence.
Toutefois, je vais tenter de prendre la posture de l’observateur dont j’ai toujours su faire
montre pour essayer d’apporter ma contribution dans cette tentative visant à camper
ce moment faste du théâtre haïtien.
1989/1997
Apres le séisme du 12 janvier 2010, le théâtre haïtien, comme toutes les autres
disciplines artistiques, est retombé dans ses travers. Les ravages opérés par cette
catastrophe : destructions des salles de théâtre, des centres culturels, des
bibliothèques, mort de jeunes comédiens, départs précipités de plusieurs comédiens à
l’étranger qui n’ont jamais remis les pieds en Haïti, ont tout simplement anéanti les
efforts que l’on a consentis pour développer ce secteur.
C’est donc dans ce grand chaos que l’on a pendant deux ans travaillé pour assurer
le renouveau du théâtre, en assurant la formation de plusieurs groupes de jeunes issus
des compagnies qui ont marqué la décennie écoulée. Ainsi, des jeunes metteurs en
scène ont vu le jour, une nouvelle compagnie a été créée, grâce aux supports des
étrangers. Il s’agit de la Brigade d’Intervention Théâtrale Haïtienne (BIT Haïti). Ce fut une
grande ouverture vers l’extérieur qui a beaucoup profité aux jeunes de l’époque. Il faut
quand même reconnaitre que le festival Quatre chemins a tenu ces trois éditions post-
séisme dans la grande douleur, avec des créations en demi-teinte. Avec une quasi-
absence du public dans les manifestations. D’autres festivals ont également pris
naissance dans la foulée : Kont anba tonèl et En lisant permettant aux créateurs de
mieux exprimer leurs talents.
Au final, aujourd’hui, on assiste à un renouveau du théâtre, beaucoup de
créations théâtrales sont représentées sur nos planches. J’ai personnellement assisté à
plus d’une quinzaine de représentations cette année. Ce qui, pour moi, est une
ascension fulgurante du théâtre, après la grande léthargie du début des années 2010.
R.E.: Encore une fois, toutes tes questions sont d’ordre théorique et académique.
Cela n’ouvre pas pour moi beaucoup de perspectives comme artiste pour élaborer sur
mon travail. Je dirai, pour répondre à ta question, que le meilleur serait de faire un état
des lieux de la situation théâtrale dans le pays.
D’abord au niveau de la législation. Il n’y a pas un cadre réglementaire sur la
situation des artistes et des créateurs haïtiens. Même la loi sur la fonction publique ne
reconnait pas le métier d’acteur. Les lois qui sont en souffrance au Parlement voient
dans l’artiste un musicien, qui, pis est, un musicien du compas direct. Il n’ya pas moyen
de dire ou de prouver véritablement que le comédien ou le metteur en scène, et autres
métiers découlant du théâtre que nous pratiquons, mène une activité reconnue comme
telle par la législation haïtienne.
Ensuite, sous l’angle des espaces conventionnels. Depuis le terrible séisme du 12
janvier 2010, soit 10 ans déjà, il n’existe que deux espaces de production et de
représentation théâtrales à Port-au-Prince : la petite salle FOKAL/Unesco (moins de 200
places) et la salle de Sainte Rose de Lima qui est constamment fermée. Donc pour jouer
ici, il faut s’accommoder.
Enfin, voyons l’aspect formation : aujourd’hui, à l’heure où nous parlons, il n’y a
aucune école de formation d’acteurs fonctionnelle dans le pays. L’ENARTS est fermée
depuis plusieurs mois. Le Petit Conservatoire est fermé depuis des années. Le Théâtre
national ne s’est jamais illustré en la matière. Et les rares troupes qui assumaient cette
fonction ne le font plus.
Donc, à la lumière de ces constats, l’on pourrait conclure à des lendemains
sombres pour le théâtre haïtien. Mais non, aujourd’hui comme jamais, il est plus facile
de faire du théâtre en Haïti. Malgré l’absence quasi-totale d’intervention de l’Etat dans
ce secteur. Il existe des ouvertures intéressantes sur le monde qui permettent aux
créateurs haïtiens de mieux développer leurs talents et leurs compétences. On compte
de nos jours beaucoup de jeunes qui font de la mise en scène. Les spectacles de
meilleures qualités qu’avant. L’écriture dramatique est plus riche. Il y a plus de festivals
dans le pays, offrant du coup, un meilleur éventail de spectacles. Cela donne aussi un
peu plus d’ouverture aux créateurs. On retiendra également que, de nos jours, de plus
en plus de jeunes vivent essentiellement du théâtre, ce qui fait que le théâtre prend
encore plus de place dans nos vies.
Pour ma part, le théâtre haïtien connait un pic intéressant, au cours de ces cinq
dernières années. Il appartient à nous autres, opérateurs, de consolider ces acquis pour
que vive le théâtre haïtien. Car si nous renforçons davantage les compagnonnages
internationaux, si nous exigeons et obtenons de l’Etat un meilleur encadrement, nous
parviendrons à faire rayonner le théâtre haïtien dans les temps à venir
SH: Peut-on aujourd’hui parler d’un théâtre haïtien ou d’un théâtre à l’haïtienne ?
Lien : https://sibellehaiti.com/petite-histoire-du-theatre-haitien-des-30-dernieres-
annees-par-le-comedien-et-metteur-en-scene-rolando-etienne/