Sujet : Le malheur est-il de ne pas être sans désir ?
Vous intégrerez obligatoirement les idées et les
arguments de trois des textes suivants pour mener cette réflexion.
TEXTE 1 D’ÉPICURE SUR LA HIERARCHIE DES DESIRS.
« Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont
naturels, d’autres vains, et si certains des désirs naturels sont nécessaires, d’autres ne sont que naturels. Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par son absence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir. Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. », Épicure, Lettre à Ménécée.
TEXTE 2 D’ÉPICTETE SUR LA DISCRIMINATION DES
DESIRS EN FONCTION DE NOTRE LIBERTE.
« 1. Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous,
d’autres non. De nous, dépendent la pensée, l’impulsion, le désir, l’aversion, bref, tout ce en quoi c’est nous qui agissons ; ne dépendent pas de nous le corps, l’argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n’est pas nous qui agissons. 2. Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves ; ce qui n’en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger. 3. Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t’est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l’est vraiment — et tout le reste étranger —, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route ; tu ne t’en prendras à personne, n’accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n’auras pas d’ennemi puisqu’on ne t’obligera jamais à rien qui pour toi soit mauvais. 4. A toi donc de rechercher des biens si grands, en gardant à l’esprit que, une fois lancé, il ne faut pas se disperser en œuvrant chichement et dans toutes les directions, mais te donner tout entier aux objectifs choisis et remettre le reste à plus tard. Mais si, en même temps, tu vises le pouvoir et l’argent, tu risques d’échouer pour t’être attaché à d’autres buts, alors que seul le premier peut assurer liberté et bonheur. 5. Donc, dès qu’une image viendra te troubler l’esprit, pense à te dire : « Tu n’es qu’image, et non la réalité dont tu as l’apparence. » Puis, examine-la et soumets-la à l’épreuve des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n’en dépend pas ; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire : « Cela ne me regarde pas. » », Epictète, Manuel.
TEXTE 3 DE SCHOPENHAUER QUI ASSOCIE DESIR ET
SOUFFRANCE.
Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation, livre IV,
§57 : « Entre les désirs et leurs réalisations s’écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c’est le dégoût, le vide, l’ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l’un et de l’autre, descend à son minimum ; et c’est là la plus heureuse vie. Car il est bien d’autres moments, qu’on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu’on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde ; c’est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares ; elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe ; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d’eux, en somme, des solitaires au milieu d’une foule toute différente d’eux ; ainsi se rétablit l’équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressés le dépasse ; ils sont réduits au simple vouloir. » TEXTE 4 DE BOUDDHA
« Et je fus ainsi capable de convaincre. J'enseignais à deux moines
pendant que les trois autres étaient partis pour les aumônes, et tous les six nous vivions de ce que les trois ramenaient de leur tournée d'aumônes. J'enseignais alors à trois moines pendant que deux étaient partis pour les aumônes, et tous les six nous vivions sur ce que les deux ramenaient de leur tournée d'aumônes. Alors le groupe de cinq moines -- ainsi exhorté, ainsi instruit par moi -- étant eux-mêmes sujets à la naissance, en voyant les inconvénients de la naissance, à la recherche du non-né, du repos sans pareil libéré du joug, la Libération, atteignirent le non-né, le repos sans pareil libéré du joug : la Libération. Etant eux-mêmes sujets au vieillissement... à la maladie... à la mort... au chagrin... à la souillure, en voyant les inconvénients du vieillissement... de la maladie... de la mort... du chagrin... de la souillure, à la recherche du non-vieillissement, du sans-maladie, de la non-mort, le sans-chagrin, le repos sans pareil libéré du joug, la Libération, ils atteignirent le non-vieillissement, le sans-maladie, la non-mort, le sans-chagrin, le repos sans pareil libéré du joug : la Libération. Connaissance et vision surgirent en eux : 'Non provoquée est notre libération. Voici ce qui est la dernière naissance. Il n'y a maintenant plus d'autre devenir.' "Moines, il y a ces cinq enchaînements de la sensualité. Quels cinq ? Les formes connaissables au moyen de l'œil -- agréables, plaisantes, charmantes, attrayantes, induisant le désir, attirantes. Les sons connaissables au moyen de l'oreille -- agréables, plaisants, charmants, attrayants, induisant le désir, attirants. Les arômes connaissables au moyen du nez -- agréables, plaisants, charmants, attrayants, induisant le désir, attirants. Les goûts connaissables au moyen de la langue -- agréables, plaisants, charmants, attrayants, induisant le désir, attirants. Les sensations tactiles connaissables au moyen du corps -- agréables, plaisantes, charmantes, attrayantes, induisant le désir, attirantes. Tels sont les cinq enchaînements de la sensualité. "Et tout prêtre ou contemplatif lié à ces cinq enchaînements de la sensualité -- qui en est infatué, est totalement tombé pour eux, qui le consument sans qu'il en voie les inconvénients ou qu'il en discerne le moyen d'y échapper -- il faut savoir qu'il s'est rencontré avec l'infortune, qu'il s'est rencontré avec la ruine ; Mara peut en faire ce qu'il veut. Tout comme si un daim sauvage devait être étendu, lié sur un tas de pièges : il faut savoir qu'il s'est rencontré avec l'infortune, qu'il s'est rencontré avec la ruine ; le chasseur peut en faire ce qu'il veut. Quand le chasseur arrive, l'animal ne pourra pas s'enfuir à sa guise. De la même manière, tout prêtre ou contemplatif lié à ces cinq enchaînements de la sensualité -- qui en est infatué, est totalement tombé pour eux, qui le consument sans qu'il en voie les inconvénients ou qu'il en discerne le moyen d'y échapper -- il faut savoir qu'il s'est rencontré avec l'infortune, qu'il s'est rencontré avec la ruine ; Mara peut en faire ce qu'il veut. "Mais tout prêtre ou contemplatif qui n'est pas lié à ces cinq enchaînements de la sensualité -- qui n'en est pas infatué, n'est pas totalement tombé pour eux, qui le consument cependant qu'il en voit les inconvénients et qu'il en discerne le moyen d'y échapper -- il faut savoir qu'il ne s'est pas rencontré avec l'infortune, qu'il ne s'est pas rencontré avec la ruine ; Mara ne peut pas faire avec eux ce qu'il veut. Tout comme si un daim sauvage devait s'étendre libre sur un tas de pièges : il faut savoir qu'il ne s'est pas rencontré avec l'infortune, ne s'est pas rencontré avec la ruine; le chasseur ne peut pas faire avec lui ce qu'il veut. Quand le chasseur arrive, il s'enfuira à sa guise. De la même manière, tout prêtre ou contemplatif non lié à ces cinq enchaînements de la sensualité -- non-infatué avec eux, n'étant pas totalement tombé pour eux, qui les consument en en voyant les inconvénients et y en discernant le moyen d'y échapper -- il faut savoir qu'il ne s'est pas rencontré avec l'infortune, ne s'est pas rencontré avec la ruine ; Mara ne peut pas faire avec eux ce qu'il veut. "Supposons qu'un daim sauvage vive dans une vallée sauvage. Sans souci il marche, sans souci il se tient, sans souci, il s'assied, sans souci il s'étend. Pourquoi donc ? Parce qu'il est allé au-delà de la portée du chasseur. [5] De la même manière, un moine -- tout à fait retiré des plaisirs des sens, retiré des qualités malavisées -- pénètre et demeure dans le premier jhâna: ravissement et plaisir nés de la retraite, accompagnés par la pensée dirigée et de l'évaluation. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. [6] "Alors encore le moine, avec l'apaisement de la pensée dirigée et de l'évaluation, pénètre et demeure dans le second jhâna: ravissement et plaisir nés du sang-froid, unification de la conscience exempte de la pensée dirigée et de l'évaluation -- assurance intérieure. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec l'estompement du ravissement, demeure dans l'équanimité, attentif et vigilant, est physiquement sensible au plaisir, et pénètre et demeure dans le troisième jhâna, dont les Nobles déclarent, 'Equanime et attentif, il a une situation agréable.' Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec l'abandon du plaisir et du stress -- comme avec la précédente disparition de l'euphorie et l'angoisse -- pénètre et demeure dans le quatrième jhâna : pureté de l'équanimité et de l'attention, ni-plaisir-ni-douleur. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec la complète transcendance des perceptions de la forme [physique], avec la disparition des perceptions de la résistance, et ne tenant pas compte des perceptions de diversité, de pensée, 'd'espace infini,' pénètre et demeure dans la dimension de la dimension infinie de l'espace. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec la complète transcendance de la dimension infinie de l'espace, se disant, 'conscience infinie,' pénètre et demeure dans la dimension de la dimension infinie de la conscience. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec la complète transcendance de la dimension de la dimension infinie de la conscience, se disant, 'Il n'y a rien,' pénètre et demeure dans la dimension de la vacuité. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec la complète transcendance de la dimension de la vacuité, pénètre et demeure dans la dimension de ni perception ni non-perception. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. "Alors encore le moine, avec la complète transcendance de la dimension de ni perception ni non-perception, pénètre et demeure dans la cessation de la perception et de la sensation. Et, ayant vu [que] avec le discernement, ses fermentations mentales sont complètement terminées. Ce moine est dit avoir aveuglé Mara. Ne laissant pas de trace, il a détruit la vision de Mara et est devenu invisible pour le Mauvais. Après avoir traversé, il est sans attaches dans le monde. Insouciant il marche, insouciant il se tient debout, insouciant il reste assis, insouciant il s'étend. Pourquoi donc ? Parce qu'il est allé au-delà de la portée du Mauvais." C'est là ce que dit le Béni du Ciel. Gratifiés, les moines se réjouirent des paroles du Béni du Ciel. », Majjhima Nikaya, 26, Ariyapariyesana Sutta, La noble recherche.
TEXTE 5 DE BERGSON SUR LE PLAISIR DE CONSOMMER
A DISTINGUER DE LA JOIE DE CREER.
Bergson, La conscience et la vie in L’énergie spirituelle, Puf Quadrige,
écrit p.23-25 : « Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l’artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. Vous entendrez dire que ces hommes travaillent pour la gloire et qu’ils tirent leurs joies les plus vives de l’admiration qu’ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l’éloge et aux honneurs dans l’exacte mesure où l’on n’est pas sûr d’avoir réussi. […] Vue du dehors, la nature apparaît comme une immense efflorescence d’imprévisible nouveauté ; la force qui l’anime semble créer avec amour, pour rien, pour le plaisir, la variété sans fin des espèces végétales et animales ; à chacune elle confère la valeur absolue d’une grande œuvre d’art ; on dirait qu’elle s’attache à la première venue autant qu’aux autres, autant qu’à l’homme. Mais la forme d’un vivant, une fois dessinée, se répète indéfiniment ; mais les actes de ce vivant, une fois accomplis, tendent à s’imiter eux-mêmes et à se recommencer automatiquement : automatisme et répétition, qui dominent partout ailleurs que chez l’homme, devraient nous avertir que nous sommes ici à des haltes, et que le piétinement sur place, auquel nous avons affaire, n’est pas le mouvement même de la vie. Le point de vue de l’artiste est donc important, mais non pas définitif. La richesse et l’originalité des formes marquent bien un épanouissement de la vie ; mais dans cet épanouissement, dont la beauté signifie puissance, la vie manifeste aussi bien un arrêt de son élan et une impuissance momentanée à pousser plus loin, comme l’enfant qui arrondit en volte gracieuse la fin de sa glissade. Supérieur est le point de vue du moraliste. Chez l’homme seulement, chez les meilleurs d’entre nous surtout, le mouvement vital se poursuit sans obstacle, lançant à travers cette œuvre d’art qu’est le corps humain, et qu’il a créée au passage, le courant indéfiniment créateur de la vie morale. L’homme, appelé sans cesse à s’appuyer sur la totalité de son passé pour peser d’autant plus puissamment sur l’avenir, est la grande réussite de la vie. Mais créateur par excellence est celui dont l’action, intense elle-même, est capable d’intensifier aussi l’action des autres hommes, et d’allumer, généreuse, des foyers de générosité. Les grands hommes de bien, et plus particulièrement ceux dont l’héroïsme inventif et simple a frayé à la vertu des voies nouvelles, sont révélateurs de vérité métaphysique. Ils ont beau être au point culminant de l’évolution, ils sont le plus près des origines et rendent sensible à nos yeux l’impulsion qui vient du fond. »