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COMMENT SE « FABRIQUE » LA DÉCISION STRATÉGIQUE : LE CAS

D'UNE CELLULE DE VEILLE STRATÉGIQUE

Manelle Guechtouli et Stéphane Boudrandi

ISEOR | « Recherches en Sciences de Gestion »

2012/1 N° 88 | pages 35 à 53
ISSN 2259-6372
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2012-1-page-35.htm
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revue Recherches en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de
Gestión, n° 88, p. 35 à 53

Comment se « fabrique » la décision stratégique :


le cas d’une cellule de veille stratégique

Manelle Guechtouli
Docteur en Sciences de Gestion
Enseignant-chercheur, IPAG Business School, Nice

Stéphane Boudrandi
Enseignant-chercheur
IEP d‟Aix en Provence
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Notre recherche porte sur la prise de décision stratégique en
environnement complexe. Notre article s’intéresse précisément aux
veilleurs (acteurs du système de veille stratégique) et à la manière
dont ces derniers interagissent avec les décideurs pour soutenir la
prise de décision. A travers une approche orientée « pratique de la
décision », nous cherchons à identifier les interactions entre veilleurs
et décideurs. Notre but ici est de comprendre comment les interactions
entre ces deux groupes d’individus contribuent à « fabriquer » la
décision stratégique.
Notre méthodologie inductive est basée sur l’étude d’un cas
unique d’entreprise où les acteurs d’une cellule de veille stratégique
sont observés pendant plusieurs mois.

Mots-clés : Veille stratégique, organisation, fabrique de la décision,


stratégie, concurrence.

This research is about strategic decision making in a complex


environment. In a more specific way, we focus on the actors of the
36 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

competitive intelligence system and how they interact with decision


makers in order to support decision making process. We’ll investigate
the “decision as practice” approach trying to understand the
interactions between competitive intelligence actors and decision
makers. Our aim is to figure out how the interactions between these
two specific groups contribute in “making” the decision.
Our methodology is inductive, based on a case study where CI
actors were observed for several months.

Keywords: competitive intelligence, organization, decision as


practice, strategy, competition.

Nuestro trabajo se centra en la toma de decisiones estratégicas en


entornos complejos. Él está particularmente interesado observadores
(los actores de la inteligencia de negocios) y cómo interactúan con los
responsables políticos para apoyar la toma de decisiones. A través de
un enfoque centrado en "la práctica de la decisión," que tratamos de
comprender las interacciones entre los vigilantes y encargados de
formular políticas. Nuestro objetivo es entender cómo las
interacciones entre estos dos grupos de individuos que contribuyen a
"fabricar" una decisión estratégica.
Nuestra metodología se basa en el estudio inductivo de un solo
caso de negocios donde los vigilantes se observaron durante varios
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meses.

Palabras claves: La inteligencia, la competitividad, la organización,


fabricación de decisiones, estrategia, competitiva.

Introduction

Dans la littérature, un consensus semble être établi autour du fait


que les activités de veille stratégique (ou de diagnostique stratégique
externe) s‟inscrivent dans une perspective de soutien à la prise de
décision stratégique (S. Amabile 1999, H. Lesca et al. 2005, M.
Guechtouli, 2007). Ces activités sont souvent l‟affaire d‟acteurs
organisés en unités spécialisées appelées « cellules de veille
stratégiques » ou compétitive intelligence services dont « le rôle est de
générer des représentations de l‟environnement concurrentiel et de
transférer les connaissances stratégiques ainsi créées aux décideurs »
VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 37

(C. Belmondo, 2008, p.2). Notre article s‟intéresse précisément à ces


acteurs qui semblent avoir un rôle important dans les organisations
(O.Babeau, 2007). Appelé également boundary-spanner, gatekeeper,
ou veilleur, l‟acteur du système de veille est censé sélectionner,
analyser, traiter et diffuser l‟information afin de soutenir la prise de
décision.
Notre article vise à faire le lien entre les activités des veilleurs et la
prise de décision stratégique. Nous rattachons ainsi nos travaux au
courant théorique de la fabrique de la stratégie. Notre positionnement
s‟explique par la volonté de choisir une approche intégrative qui
propose de comprendre ce que font les individus engagés dans l‟action
stratégique (R. Whittington, 2007). En effet, nous allons étudier ce
que ces veilleurs « font » (W.Orlikowski, 2002) dans le cadre de leurs
activités de veille stratégique. Notre approche est basée sur le courant
de recherche de la fabrique de décision issu de l‟ethnométhodologie
(N. Llewellyn et J. Hindmarsh, 2010).
La littérature autour de la fabrique de la stratégie propose une
approche basée sur les interactions des acteurs (O. Babeau, 2007) en
s‟intéressant à ce que font les acteurs en relation avec la stratégie et
comment cela influence ou est influencé par le contexte institutionnel
et organisationnel1 (G. Johnson et al, 2007). Il s‟agit essentiellement
de comprendre les pratiques des praticiens de la stratégie (R.
Whittington, 2006). Nous nous intéressons ici au comportement
effectif des acteurs (J.W Dean et M. Sharfman, 1996). A l‟instar de O.
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Babeau (2007, p. 44) nous cherchons à comprendre comment « se
construit en effet - et non idéalement - la stratégie ». Une approche
qui apparaît assez peu mobilisée dans la littérature (N. Llewellyn et J.
Hindmarsh, 2010). Ainsi, notre unité d‟analyse sera l‟individu et non
le groupe auquel il appartient ; notre ancrage sera son comportement.
Nous observerons donc les individus d‟une cellule de veille en
considérant essentiellement leurs interactions avec les décideurs pour
comprendre comment la décision stratégique se fabrique.

Notre étude ne va porter que sur les activités des acteurs du


système de veille de l‟entreprise en excluant le reste. Ces activités sont
analysées dans la perspective d‟isoler les activités directement en lien
avec les décideurs. Nous cherchons donc à comprendre comment les
veilleurs communiquent avec les décideurs, sous quelle forme ou quel
type d‟interactions. Ici, les décideurs sont uniquement des directeurs
(directeurs opérationnels ou direction générale) et notre intérêt porte

1. « What people do in relation to strategy and how this influenced by and influences
their organizational and institutional context », p. 7.
38 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

uniquement sur les décisions stratégiques et sur les décisions


opérationnelles majeures.
Nous allons présenter notre méthodologie dans un premier temps.
Nous expliciterons la manière dont nous avons pu recueillir et
analyser les données provenant d‟une recherche-action menée auprès
d‟une grande entreprise du secteur industriel.
Dans un second temps, nous décrirons les activités des veilleurs
sur le terrain en précisant la manière dont ces derniers interagissent
(ou pas) avec les décideurs. Nous construirons un modèle expliquant
les interactions entre les veilleurs et les décideurs tel qu‟il apparaît
dans nos observations. Un retour sur la théorie nous permettra
d‟interpréter les résultats de l‟étude mais aussi de les nuancer en
ouvrant des perspectives.

1. – Méthodologie

Notre démarche inductive nous conduit à commencer notre


recherche par une phase d‟observation et d‟analyse du terrain de
recherche. Une observation non participante puis participante qui
s‟effectuera auprès d‟une entreprise du secteur industriel que l‟on
nommera Technophony2 afin de respecter notre engagement
d‟anonymat et de confidentialité.
Considérant le niveau de complexité et de précision nécessaires
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pour répondre à notre question de recherche, nous avons choisi un
terrain unique pour investigation. Nous avons opté pour une
méthodologie de cas enchâssés (G. Musca, 2006) en deux temps :
observation non participante puis observation participante. Les
données sont analysées en utilisant un tableau de codage thématique
émergeant. Notre « catégorisation » (S. Point et C. Voynnet Fourboul,
2006, p.63) se construit chemin faisant (M-J. Avenier, 1997) au fur et
à mesure de l‟analyse.

2. Nom fictif.
VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 39

1.1. Le terrain : cellule de veille de l’entreprise Technophony3

Les cellules de veille stratégique observées appartiennent à une


grande entreprise du secteur industriel implantée dans le sud de la
France. Leader sur son marché en termes de volumes et de chiffres
d‟affaires, l‟entreprise évolue sur un marché hautement technologique
et fortement concurrentiel.

1.2. Design de la recherche

Notre approche sera celle de « la fabrique de la stratégie » ou


strategy as practice (D. Golsorkhi, 2006) dans la mesure ou cette
approche s‟intéresse aux « épisodes stratégiques, aux activités rituelles
par lesquelles les acteurs organisationnels contribuent à la fabrique de
la stratégie de leur organisation » (C. Belmondo, 2008, p 85).
L‟idée par conséquent, n‟est pas d‟étudier le système de veille en
le considérant comme un processus linéaire avec un début et une fin,
mais plutôt comme un système qui se compose de plusieurs activités
ou micro-activités générées par des acteurs en interaction.
Conformément à l'approche retenue, nous considérons l‟analyse du
terrain à un niveau micro et non macro. Ainsi, nous examinons les
actions des acteurs engagés dans des activités de veille à un niveau
local, et non l‟entreprise de manière globale avec les événements
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externes qui l‟affectent.
Précisément, nous tenterons de déterminer les interactions entre
veilleurs et décideurs (au niveau du top management notamment) pour
savoir comment la décision « se fabrique ». Rappelons qu‟ici, notre
unité d‟analyse est l‟individu et notre ancrage est son comportement à
travers ses interactions mais aussi son discours (voir recueil de
données ci-après).

1.2.1. Recueil des données

Nous avons recueilli les données chez Technophony en deux


temps. D‟abord en observation non participante ( pendant 15 mois) en
menant une série d‟entretiens semi-directifs auprès des veilleurs de
l‟entreprise et de certains des responsables liés aux activités de veille
(45 entretiens d‟une durée moyenne de deux heures avec des

3. Pour des raisons évidentes de confidentialité liées à la sensibilité des données


recueillies, nous resterons discrets quant au nom et aux informations pouvant permettre
d‟identifier l‟entreprise.
40 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

décideurs, des acteurs du système de veille formel et informel et leurs


réseaux). Notre objectif à ce moment-là était d‟identifier les acteurs de
la veille dans l‟entreprise afin de comprendre le fonctionnement du
système de veille.
Notre position était celle d‟un chercheur externe dont le but est
simplement de schématiser le système de veille pour le comprendre et
connaître les liens entre les veilleurs mais aussi entre les veilleurs et
les décideurs. Nous n‟avions aucune intention ou visée transformative
par rapport au système de veille.
Nous avons ensuite intégré l‟entreprise en observation participante
pendant quatre mois en tant que business analyste au sein de la plus
importante cellule de veille de l‟organisation. Ici, nous avions un
objectif d‟observation et de transformation car la cellule de veille en
question souhaitait un retour sur la manière dont elle pouvait
améliorer globalement son fonctionnement. Nous avons pu observer
les veilleurs au quotidien en partageant leur espace de travail4.
Nous avons répertorié les activités qui étaient directement liées à
la veille (au sens surveillance de l‟environnement externe de
l‟entreprise). Nous avons ensuite cherché à repérer les différentes
interactions entre les veilleurs au quotidien. Puis avons isolé les
interactions qui concernaient directement les décideurs (directeurs ou
direction générale). Ces interactions sont analysées pour tenter de
comprendre comment les décisions se construisent.
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1.2.2. Analyse des données

Nous avons classé les observations recueilles par thématiques et


procédé à un « codage thématique émergeant » (M.B. Miles et A.M.
Huberman, 1991), les catégories émergeant au fur et à mesure de
l‟analyse. Rappelons que notre but ici était de déterminer la manière
dont les acteurs de la veille interagissent afin de comprendre ce qu‟ils
« font » (W.Orlikowski, 2002, P. Jarzabkowski et al., 2007). Pour cela
nous avons d‟abord analysé les activités (individuelles et collectives)
de ces acteurs afin de déterminer les différentes interactions entre
veilleurs et décideurs.
Le codage des données (effectué à l‟aide du logiciel Nvivo 9 5)
nous a permis de mettre en perspective quatre catégories de veilleurs
dans l‟entreprise en considérant leurs activités de veille. Nous avons
également pu identifier deux principaux types d‟interactions avec les

4. Les acteurs travaillant en « open space » nous avons pu aisément observer leurs
activités et leurs interactions.
5. Version 1.
VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 41

décideurs selon le type d‟acteurs observé (interactions directes et


indirectes). Les décideurs furent répertoriés selon la nature de la
décision concernée (stratégique ou opérationnelle). Les résultats sont
explicités dans les paragraphes suivants.

2. – Résultats

Nos résultats sont organisés en deux parties. Dans la première,


nous exposerons les activités de veilles repérées dans l‟entreprise en
détaillant essentiellement les interactions entre les veilleurs. Dans la
seconde partie, nous essayerons de faire le lien entre les veilleurs et
les décideurs pour tenter de comprendre comment les veilleurs
peuvent soutenir la prise de décision. Nous discuterons ensuite les
résultats selon les types d‟interactions, de veilleurs et de décisions
identifiés.

2.1. La veille chez Technophony

Le système de veille chez Technophony est officiellement organisé


en trois cellules de veille principales, coordonnées par une cellule de
veille centrale (en corporate) qui fait le lien avec la Stratégie. Cette
cellule centrale doit également gérer les flux d‟informations provenant
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des veilleurs dans l‟entreprise.
La cellule centrale coordonne les équipes de veilleurs dans les trois
principales structures de l‟entreprise, à savoir les 3 BU (Business
Unit). Cette organisation, éclatée en plusieurs cellules de taille très
réduite est conforme à l‟organisation des cellules de veille identifiées
dans d‟autres recherches (N. El-Mabrouki, 2007, C.Belmondo, 2008).
Concernant les activités de veille, les veilleurs sont essentiellement
chargés d‟effectuer des activités de collecte, de traitement, d‟analyse
et de diffusion des informations jugées stratégiques. Avec ce constat,
nous rejoignons les conclusions des auteurs qui s‟inspirent du modèle
« classique » du cycle de l‟information pour modéliser les activités de
veille6.

Activités et interactions de la Cellule de Veille Centrale (CVC) : Cette


cellule dépend de la direction stratégie et se compose de 3 acteurs : un
manager, un coordinateur veille et un analyste.

6. Pour une revue de la littérature à ce sujet, voir M. Guechtouli, 2007.


42 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

PDG

Directeur stratégie

Coordinateur veille
Cellule Manager
Centrale compétition

Coordinateur Analyste

Figure1: Organigramme cellule de veille


centrale
Les salariés de la CVC font de la veille à temps plein et de
manière formelle, c'est-à-dire que les activités de veille font
officiellement partie de leur charge de travail et qu‟ils sont notamment
évalués par rapports à ces activités. Les besoins en termes de veille
sont directement déterminés par le management.
L‟analyse et traitement des informations sélectionnées se fait en
interne mais aussi avec l‟aide d‟« experts » venants des autres cellules
de veille ou d‟autres services supports dans le cadre d‟une réunion
mensuelle d‟un comité appelé « comité de veille ».
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Interactions informelles
Interactions formelles

Figure 2 : Interactions des veilleurs dans l'entreprise

Le schéma suivant (figure 2) reprend les interactions de la CVC avec


les autres cellules de veille de l‟entreprise qu‟elle est officiellement
VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 43

censée coordonner. Il fait aussi apparaître les différents veilleurs de


l‟entreprise en relation avec la cellule de veille. Ces derniers jouent le
rôle d’experts et participent au comité de veille de manière officielle.
A cette cellule de veille centrale et formelle, viennent se greffer
d‟autres acteurs. Il s‟agit des veilleurs provenant des 3 autres équipes
de veilleurs de l‟entreprise (provenant des 3 BU). Ces veilleurs ne font
pas partie de la cellule de veille centrale mais font officiellement
partie du comité de veille. Par conséquent, ils ont des obligations
implicites envers la cellule de veille centrale. La veille fait donc partie
de leurs tâches officielles mais de manière partielle, car ils ont
d‟autres responsabilités par ailleurs.
Au niveau de la diffusion, l‟information sélectionnée est
communiquée aux membres du comité, aux décideurs et au reste de
l‟entreprise selon son degré de confidentialité. Elle sera par
conséquent envoyée à un nombre plus ou moins élevé d‟acteurs.
Plusieurs possibilités : mails directs, l‟analyse annuelle (bilan),
l‟intranet (portail market intelligence), l‟e-newsletter mensuelle, les
présentations concurrentielles semestrielles (cartographie de
l‟environnement concurrentiel).

2.1.1. Les activités et interactions des cellules de veille en BU

Les activités de veille de ces cellules sont très peu formalisées.


Aucune procédure n‟est définie pour faire remonter l‟information ou
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l‟analyser. Chacun est libre d‟organiser son travail comme il le
souhaite et cela semble convenir aux acteurs.
Chaque cellule possède sont propre réseau de veilleurs. Il n‟y a pas
de lien transverse entre les cellules qui sont d‟une importance
différente dans l‟entreprise.
En effet, les cellules de veille des BU2 (CVBU27) et BU3
(CVBU3) sont moins importantes que la cellule en BU1 (CVBU1) et
ne sont composées que d‟une seule personne. Ces cellules
s‟intéressent à deux segments de marché différents, moins
concurrentiels, avec des transactions plus lentes par rapport à celles de
la première BU (les clients ici sont des institutions très bureaucratisées
ou des gouvernements).
La CVBU1 est plus importante et semble avoir des activités de
veille particulièrement développées. Cela peut s‟expliquer par le fait
que cette BU a plus de moyens que les autres car elle représente 70%
du CA global de l‟entreprise. Elle est dotée d‟une équipe de veille de
quatre salariés et un stagiaire. Cette équipe n‟a pas d‟équivalent dans

7. CVBU2 : Cellule de Veille de la Business Unit 2.


44 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

les autres structures de l‟entreprise (les autres BU). Nous avons par
conséquent décidé d‟intégrer cette équipe de veilleurs lors de notre
observation participante.
La CVBU1 dépend directement du directeur marketing avec lequel
elle interagit au quotidien. Elle est également en relation avec le
service d‟analyses stratégiques de l‟entreprise à travers la cellule de
veille centrale.

Réseau formel
Cellule de veille centrale

Analystes en régions Cellule


(correspondants) VBU1

Réseau informel

Figure 3 : Interactions cellule VBU1

En interne, les acteurs de la cellule VBU1 8 sont organisés autour


d‟un manager qui supervise toutes leurs activités y compris celles liées
à la veille. Cette équipe de veilleurs se compose de trois ingénieurs, un
stagiaire et un manager. Son rôle est d‟établir le plan stratégique
précis de l‟entreprise pour son segment de marché et de fournir des
informations et des analyses concurrentielles. Chaque ingénieur a un
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rôle prédéfini quant à la surveillance de l‟environnement
concurrentiel. Il interviendra dans le système de veille selon ses
compétences et son domaine de prédilection. Deux personnes
s‟intéressent à l‟analyse de marché et cherchent à faire des pronostics
réalistes quant à l‟évolution de ce dernier. Une personne s‟intéresse
aux produits des concurrents et doit établir une base de données
comparative à ce sujet. Une autre personne est responsable « prix »,
elle cherche, notamment, à connaître les prix pratiqués par les
concurrents ainsi que leurs marges. Enfin, le manager a pour rôle de
coordonner toutes ces activités et de faire le lien avec la cellule de
veille centrale et le management. Les membres de cette équipe ont des
activités de veille concurrentielle à temps partiel, ils ont d‟autres
responsabilités par ailleurs.
Pour sélectionner des informations « veille », chaque individu
utilise son propre réseau et outils tels que des abonnements payants à
des sites d‟information et d‟analyse et/ou des outils d‟alertes sur
Internet.

8. Veille Business Unit 1.


VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 45

Il n‟existe pas de processus formel de collecte d‟information en


interne. Les tentatives dans ce contexte furent décevantes. La dernière,
en 2002, concernait la mise en place d‟un outil pour formaliser la
collecte de l‟information. Les veilleurs de la cellule VBU1 ont
collaboré avec un « analyste processus » en interne. Cet outil était une
base de données, sous format Excel, destinée aux acteurs sur le terrain
(vendeurs, techniciens, etc.). L‟objectif de cette base était de faire
remonter des informations sur les concurrents. L‟outil n‟a pas eu le
succès escompté. En effet, il ne fut pas utilisé au quotidien et peu
d‟informations furent effectivement renseignées. L‟outil fut
rapidement abandonné car jugé trop complexe par les acteurs sur le
terrain.
L‟analyse des informations veille se fait ici de manière
individuelle. Chacun va se concentrer sur son domaine de compétence
propre en mobilisant son réseau sans pour autant interagir avec les
autres. Ici les veilleurs sont très spécialisés. Chaque BU correspond à
un segment de marché, et les segments sont très éloignés les uns des
autres.
L‟analyse sera mise en commun (analyse collective) dans un
fichier envoyé à la cellule de veille centrale et aux décideurs dans
l‟entreprise (directeurs et direction générale essentiellement). Ce
fichier est envoyé deux fois par an.
La cellule VBU1 est responsable de la communication des
informations de veille à travers deux procédés. Le premier concerne la
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newsletter hebdomadaire spécialisée. C‟est essentiellement une revue
de presse résumée et commentée à travers un éditorial.
Le second procédé consiste à effectuer une revue régionale de la
concurrence consolidée avec un réseau d‟acteurs en région (à travers
des réunions en conférence téléphonique), ainsi qu‟une cartographie
biannuelle de l‟environnement concurrentiel. Cette présentation
positionne l‟entreprise dans son marché par rapports aux concurrents,
analyse les forces et faiblesses de ces derniers, tente de déterminer
leur stratégie, etc.
Concrètement, chaque membre de l‟équipe VBU1 joue un rôle
dans la création d‟une cartographie de la concurrence selon ses
compétences et ses connaissances. Le fichier, constitué à cette
occasion, est ensuite envoyé aux correspondants de la cellule dans
chaque région à des fins de consolidations. Dans un troisième temps,
le fichier consolidé est envoyé au management et à d‟autres
responsables ciblés dans l‟organisation (directeurs responsables du
service stratégie, responsables ventes ou produits, etc.).
Chaque membre de l‟équipe VBU1 contribue à créer la partie du
fichier qui concerne ses compétences de manière quasi-indépendante.
46 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

Chaque acteur de cette équipe possède ses propres sources


d‟information et son propre réseau d‟acteurs.
Globalement, les moyens mis en place pour diffuser l‟information
veille par la BU1 sont :
- Une newsletter spécialisée envoyée en interne (mailing liste)
- Une page « concurrence » régulièrement mise à jour sur
l‟intranet
- Une présentation concurrence (tendances du marché et
positionnement de l‟entreprise et des concurrents) faite au
management 2 fois par an.

Finalement, nous pouvons résumer les différentes activités de veille


repérées sur le terrain dans le tableau ci-après. Les activités sont
considérées comme « praxis », au sens de R. Whittington (2002).
Activité Cellule
Cellules en BU
(praxis) Centrale

Base de données spécialisées


Base de données Réception de données
généralistes (abonnements)
Recherche de
payantes Réseau de correspondants en région
l’information
Cellules en BU Page intranet
Portail intranet Réseau informel
Réseau informel Création d‟outils pour le recueil
d‟information
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Réunion
Analyse et mensuelle Interprétation individuelle
traitement Interprétation Interactions avec le réseau interne ou
individuelle et externe
collective
Mise en forme
du contenu
Co-construction du contenu
Newsletter
Newsletter hebdomadaire
mensuelle
Présentations « concurrence »
Rapport annuel
Diffusion Création du fichier « concurrence »et
Interactions
de l’information mise à jour
directes (mails,
Interactions directes (mails,
téléphone)
téléphone)
Création
d‟outils pour la
diffusion
Directeur Directeur
Prise de Stratégie Marketing
décision Direction Direction
Générale Générale
Tableau 1 : les activités de veille par type de cellule
VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 47

2.1.2. Des veilleurs aux décideurs …entre formel et informel

Globalement, l‟analyse de données a permis d‟identifier 3 grandes


catégories d‟acteurs selon les activités de veille et les interactions
observées au sein de l‟entreprise (Tableau 2). Les interactions sont
directes ou indirectes entre veilleurs et décideurs selon le type de
veilleurs et suivant le type de décision concerné.

Catégorie de Détails et Description


veilleurs interactions

Ce sont les veilleurs de la cellule de veille


Les veilleurs à centrale de l‟entreprise. La veille
temps plein : correspond à 100% de leur travail. Ce
interactions sont des veilleurs formels au sens où ils
directes avec les sont reconnus comme tels par le
décideurs management et évalué sur leurs activités
Veilleurs de veille.
formels
Les acteurs font de la veille de manière
Les veilleurs à
formelle au sens où ils sont évalués par
temps partiel:
leurs supérieurs en partie sur ces
interactions
activités-là. La veille représente en
directes avec les
moyenne entre 25 et 50% de leur activité
décideurs
professionnelle.
Ces acteurs font partie du réseau de veille
informel au sens où ils font de la veille,
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Interactions sont en relation avec les veilleurs formels
Veilleurs
indirectes avec mais ne sont pas « contraints » ou
informels
les décideurs sollicités officiellement par leur
management pour participer au système
de veille.
Ce sont des acteurs qui font de la veille
Interactions
Veilleurs sans être en contact avec le système de
indirectes avec
potentiels veille formel/veilleurs formels de
les décideurs
l‟entreprise.
Tableau 2 : les catégories d‟acteurs de la veille

Il semble utile ici de rappeler la distinction faite au niveau de la


prise de décision et de séparer décision stratégique (niveau direction
générale) de décision opérationnelle (niveau direction spécifique :
marketing, stratégie, etc.) car les interactions ne semblent pas
indépendantes du type de décideur (ou de décision) concerné.
Concernant le type de veilleurs, les résultats montrent que les
veilleurs formels (à temps plein ou temps partiel) sont en interactions
directes avec les décideurs tandis que les acteurs potentiels ou
informels sont en interactions indirectes.
48 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

Cela s‟explique essentiellement par le fait que chaque type de


veilleurs respecte des règles hiérarchiques précises en termes
d‟interactions avec les décideurs. En effet, les veilleurs à temps partiel
ou temps plein sont connus et reconnus par le management comme
ayant des activités de veille. Ils sont donc directement sollicités par les
décideurs et font donc partie du système de l‟entreprise de manière
« officielle » (apparaissant sur l‟organigramme hiérarchique de
l‟entreprise). Nous avons également observé que ces acteurs ne sont
pas forcément connus ou reconnus par d‟autres veilleurs dans
l‟entreprise : les veilleurs potentiels.
Cette seconde catégorie d‟acteurs ne passe pas par le service de
veille « officiel » pour faire remonter des informations aux décideurs
qui sont essentiellement au niveau opérationnel et non stratégique.
Notre étude fait apparaître une troisième catégorie de veilleurs (les
veilleurs informels) qui collaborent régulièrement avec les veilleurs à
temps plein ou temps partiel mais jamais directement avec les
décideurs. Ici, il semble que les barrières hiérarchiques jouent un rôle
important car ces veilleurs sont souvent loin « hiérarchiquement »
parlant des preneurs de décision stratégique. Il s‟agit également d‟un
réseau qui ne souhaite pas intégrer officiellement le système de veille
et reste volontairement en retrait.

Comité de Direction
(Décisions stratégiques)
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Veilleurs
Temps plein Direction opérationnelle

Veilleurs
Informels

Veilleurs Veilleurs
Temps Partiel Potentiels

Figure 4 : interactions veilleurs / décideurs dans l‟entreprise


VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 49

2.1.3. Les interactions avec les décideurs

Notre étude montre que les acteurs de la veille interagissent


globalement avec les décideurs selon la catégorie d‟acteurs à laquelle
ils appartiennent (veilleurs temps plein, temps partiels, potentiels ou
informels). Leurs interactions sont dictées par un mode de
fonctionnement interne reposant sur des représentations propres à
chaque groupe d‟individus. Ainsi, les veilleurs temps plein et temps
partiels cherchent à interagir avec un maximum d‟acteurs dans
l‟entreprise.
Les veilleurs potentiels interagissent essentiellement avec les
décideurs opérationnels sans communiquer avec les autres veilleurs.
Quant aux veilleurs informels, ils n‟interagissent qu‟avec les
veilleurs temps plein ou temps partiels sans jamais avoir d‟interactions
avec les décideurs.
Les acteurs de la veille semblent également prendre en
considération dans leurs interactions, le paramètre « barrières
hiérarchique » dans la mesure où certains veilleurs (les veilleurs
potentiels) n‟interagissent pas avec la direction générale mais
uniquement avec les décideurs opérationnels plus « proches »
hiérarchiquement.
Les acteurs de la veille interagissent avec les décideurs également
selon le type de décision (ou de décideurs) en question. Il apparaît que
les veilleurs interagissent plus régulièrement avec les décideurs
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opérationnels qu‟avec les décideurs au niveau stratégique (direction
générale). Cela peut s‟expliquer par le fait que les informations ayant
une réelle portée stratégique sont souvent rares, fragmentaires (R.
Reix, 2006), disparates et difficiles à identifier.
De plus, notre étude montre que les activités de veille informelle
semblent très présentes au sein du système de veille (à travers les
catégories veilleurs informels et potentiels). Une question essentielle
émerge à ce niveau : Pourquoi ces acteurs font-il de la veille dans la
mesure où cela n‟est pas prescrit par le management et ne fait pas
« officiellement » partie de leurs attributions ? En d‟autres termes,
quel est leur rôle précisément? Doit-on obligatoirement les intégrer au
processus de veille formel de l‟entreprise?

2.1.4. Les veilleurs informels… indispensable soutien à la prise de


décision ?

Greffé au réseau formel, ces acteurs participent au système de


veille de l‟entreprise de manière informelle. Ils sont sollicités par les
veilleurs formels de manière ponctuelle mais récurrente pour leur
50 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

expertise, leurs expériences ou leurs connaissances par rapport à un


sujet particulier (par exemple les correspondants régionaux pour une
région, les responsables grands comptes pour un client).
Les veilleurs formels envoient des requêtes par mail ou par
téléphone et doivent parfois insister pour avoir l‟information. En effet,
les veilleurs informels n‟ont pas d‟obligation (hiérarchique ou autre)
pour répondre aux requêtes, cela ne fait pas partie de leur travail «
officiellement » et ils doivent trouver le temps de le faire en plus de
leur activité quotidienne. La participation est donc libre et volontaire,
ce qui la rend aléatoire. En fait, chaque veilleur formel possède son
propre réseau de veilleurs informels qu‟il sollicite en cas de besoin.
Ici, les relations humaines semblent jouer un rôle déterminant et les
veilleurs informels semblent parfois difficiles à mobiliser. Dans le
même temps, le fait que leur participation soit libre de toute contrainte
permet d‟éviter que les acteurs ne se retrouvent dans l‟obligation de
renseigner des informations coûte que coûte, ce qui tend à privilégier
la quantité à la qualité. Dans ce contexte informel, la communication
est facilitée et les échanges plus libres.
Les veilleurs potentiels font également de la veille de manière
informelle sans pour autant être en contact avec les veilleurs de
l‟entreprise. Ils n‟ont pas connaissance du système de veille existant et
l‟alimentent parfois sans le savoir. Ils font partie du réseau des
décideurs opérationnels. En effet, lorsqu‟un décideur recherche une
information il existe deux cas de figure : soit il s‟agit d‟une décision
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stratégique (top management) et là, le décideur est en relation directe
ave le service stratégie, et donc veille (la requête peut être relayée
directement du décideur au veilleur concerné par mail). Soit, la
décision est d‟ordre opérationnel et là, le décideur a le choix de passer
par le service de veille ou de contacter son propre réseau en interne
(les veilleurs potentiels). Ces derniers sont souvent des spécialistes
pouvant répondre à des questions d‟ordre technique que les veilleurs
formels ne maîtrisent pas. Contrairement au cas des veilleurs
informels, la relation hiérarchique est présente dans ce cas de figure.
En effet, les veilleurs potentiels sollicités par le décideur sont souvent
ses subordonnés (directs ou indirects) et de fait, se sentent obligés de
répondre à la requête rapidement. Le réseau de veilleurs potentiels
peut également être vu comme une alternative au système de veille
formel de l‟entreprise. Le décideur peut de ce fait obtenir des
informations provenant d‟une autre source que le système de veille et
ainsi, s‟assurer, confronter ou démentir les informations obtenues.
VEILLE STRATÉGIQUE, « FABRIQUE » DE LA DÉCISION 51

Conclusion et perspectives

Cet article s‟est précisément intéressé à la manière dont les


activités de veille peuvent fournir un support à la prise de décision
stratégique. Considérant que l‟élaboration de la stratégie (et la prise de
décision stratégique) passe d‟abord par une compréhension et une
analyse de sa fabrique au quotidien (D. Golsorkhi, 2006), nous avons
cherché à analyser les interactions entre les veilleurs et les décideurs
en entreprise. Notre objectif étant d‟agir sur le processus de décision
pour agir sur la qualité de la prise de décision (J.W.Dean et M.
Sharfman, 1996).
Nous avons considéré le système de veille comme étant d‟emblée
un système soutenant la prise de décision. Notre étude montre
pourtant que le lien entre veilleurs et décideurs n‟est pas toujours
direct. Cela permet de relativiser encore une fois le lien entre
information et décision déjà souligné par plusieurs auteurs dans la
littérature (H. Simon, 1957, M.S. Feldmann et G.J. March, 1991, S.
Amabile 1999, P. Vidal et al, 2005).
Notre étude souligne l‟utilité des veilleurs informels dans ce
contexte. En effet, même si les veilleurs formels semblent avoir une
place prépondérante dans le système de veille car plus « visibles » et
en relation quasi-directe avec les décideurs stratégiques, leur apport
est toujours compléter par une ressource informelle qui vient soutenir
une décision plutôt opérationnelle. Notre étude montre que ces
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activités de veille informelle, par nature difficiles à déterminer
peuvent perdre de leur richesse si l‟on cherche à les formaliser. Leur
force est justement liée à cette liberté d‟échange volontariste qui
facilite la communication. Les brider par des processus formels ou
formalisés pourrait avoir un effet contre-productif.
Ces résultats sont à nuancer. L‟étude est exploratoire et cherche à
mettre en perspectives des facteurs par émergence. Rappelons
également que l‟étude suit une méthodologie inductive qui porte sur
un cas unique et ne peut avoir prétention de généralisation. Les
facteurs émergents doivent être testés pour connaître l‟impact exact
qu‟ils peuvent avoir. Notre recherche gagnerait certainement en
précision en étant transposée à d‟autres contextes (d‟autres entreprises
ou cellules de veille)
52 Manelle GUECHTOULI & Stéphane BOUDRANDI

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