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Diabètes monogéniques
José Timsit
Service de Diabétologie, AP-HP, Hôpital Cochin Port-Royal, 123 Boulevard de Port-Royal, 75014 Paris, Université
Paris Descartes, DHU Authors, Centre de Référence des Maladies Rares PRISIS.
Mots clés : diabètes monogéniques
Des anomalies moléculaires de plus de 40 parmi les patients diabétiques ceux chez qui tous les sujets porteurs du variant patho-
gènes ont été associées à la survenue d’un un génotypage est justifié. gène. Le diagnostic de GCK-MODY peut
diabète monogénique (DMg) [1]. Des DMg donc être évoqué à tout âge chez des sujets
autoimmuns ont été décrits mais dans l’im- Epidémiologie asymptomatiques, habituellement de poids
mense majorité des cas, ce sont des formes normal, mais l’histoire familiale peut man-
non autoimmunes. Dans ce cadre, on peut Chez l’enfant et l’adulte, les DMg repré- quer du fait du caractère très modéré de l’hy-
distinguer des DMg syndromiques, par sentent 1 à 2 % de l’ensemble des diabètes perglycémie. Le pronostic de GCK-MODY
exemple ceux liés aux anomalies du génome [3, 4]. Les anomalies de 6 gènes rendent est habituellement très bon, sans risque de
mitochondrial, dont le plus fréquent est le compte de la majorité des cas : glucokinase complication vasculaire significative, bien
MIDD (Maternally Inherited Diabetes and (GCK, GCK-MODY, MODY2) ; facteurs de qu’une rétinopathie minime puisse être
Deafness) lié à la mutation A>G3243mt, et transcription HNF (hepatocyte nuclear fac- observée à long terme. Aucun traitement
le syndrome de Wolfram (lié à des muta- tor): HNF1A-MODY (MODY3), HNF4A- pharmacologique n’est habituellement né-
tions récessives de WFS1). Ces formes ne MODY (MODY1), HNF1B-MODY cessaire [6]. La grossesse est une situation
seront pas envisagées ici. (MODY5) ; ABCC8 et KCNJ11, codant habituelle de diagnostic du GCK-MODY.
Les DMg ont été initialement décrits, sous le les sous-unités SUR1 et Kir6.2, du canal Elle pose aussi la question du traitement de
terme de MODY (Maturity-Onset Diabetes potassique ATP-dépendant des cellules B l’hyperglycémie maternelle : si le fœtus a
of the Young), comme une forme de diabète pancréatiques. hérité de la mutation, son insulinosécrétion
non cétosique, non insulino-dépendant, sur- est réglée au même niveau d’hyperglycémie
venant chez des sujets jeunes et de trans- Spectre clinique des formes les plus com- que sa mère, donc sans risque de croissance
mission autosomique dominante suggérant munes excessive. En revanche si l’enfant n’a pas
l’anomalie moléculaire d’un gène unique. hérité de la mutation maternelle, le risque
Il est rapidement apparu que les MODYs GCK-MODY de macrosomie existe, justifiant de traiter
constituent un groupe hétérogène d’affec- GCK-MODY est le plus fréquent des DMg la mère. En attendant la mise au point d’un
tions résultant d’anomalies moléculaires [5]. Il est dû à des mutations perte de fonc- diagnostic antenatal non invasif, il a été pro-
de gènes impliqués, de près ou de loin, tion de GCK. Plus de 600 mutations ont été posé de guider la décision thérapeutique par
dans la différenciation du pancréas ou des décrites, pour la plupart privées, c’est-à-dire une surveillance fréquente de la croissance
cellules B, ou dans la sécrétion d’insuline. présentes dans une famille ou chez un pe- fœtale [5].
Des corrélations ont été rapportées entre le tit nombre de cas-index. La glucokinase
phénotype des patients et le gène impliqué, est le sensor du glucose dans la cellule B, HNF1A-MODY
permettant d’évoquer un diagnostic géné- l’hépatocyte et le système nerveux central, HNF1A-MODY [7] est la forme la plus
tique sur des critères cliniques [2]. Elles ont ce qui explique les anomalies métaboliques fréquemment diagnostiquée chez l’adulte.
été en partie remises en question du fait de la du GCK-MODY : déclenchement de la sé- Plus de 400 mutations ont été rapportées,
grande hétérogénéité des phénotypes obser- crétion d’insuline à un seuil glycémique dont une (p.Gly292fs) rend compte de 10 %
vés chez des patients porteurs d’anomalies plus élevé, augmentation de la production à 15 % des cas. La sécrétion d’insuline en
moléculaires du même gène, voire la même hépatique de glucose, déclenchement de réponse au glucose est sévèrement altérée
mutation (y compris au sein d’une famille). la contre-régulation hormonale pour des et se détériore avec le temps. La réponse
De plus, les techniques de séquençage de glycémies plus élevées. Le phénotype du aux sulfamides hypoglycémiants (SH)
nouvelle génération (NGS), permettant au- GCK-MODY est très homogène : hyper- reste cependant longtemps préservée.
jourd’hui de cribler en routine de nombreux glycémie à jeun modérée, de l’ordre de 7 L’expression clinique du HNF1A-MODY
gènes simultanément, conduisent à des mmol/L et HbA1c de 6,5 % (pratiquement est très variable en fonction du type de
diagnostics génétiques non prédits par les jamais supérieure à 8 %). Ces anomalies mutation (tronquante vs faux-sens), d’un
phénotypes. Désormais, pour le clinicien sont présentes dès la naissance, sont très éventuel excès de poids, de l’exposition à
la principale difficulté est donc d’identifier stables dans le temps et sont observées chez l’hyperglycémie maternelle in utero. Le dia-
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bète s’exprime classiquement à la puberté phologiques et fonctionnelles, en particulier Les patients qui ont un GCK-MODY sont
ou après (âge médian au moment du dia- une atteinte tubulaire, peut-être d’origine traités dans 20 % des cas par hypoglycé-
gnostic de l’ordre de 20 ans) et l’expressivité mitochondriale, conduisant souvent à une miants oraux ou même par insuline du fait
augmente avec l’âge pour être pratiquement insuffisance rénale terminale, une hypoma- d’un diagnostic erroné de DT2 voire, chez
complète après 50 ans. Le phénotype ini- gnésémie (qui peut être un signe d’orienta- les enfants, de DT1. Chez ces patients, l’in-
tial peut évoquer un diabète de type 1 dans tion diagnostique), une hyperuricémie et/ terruption de tout traitement n’entraine en
25 % des cas mais l’acidocétose est rare ou une goutte précoce, des anomalies du général aucune détérioration glycémique
et le diagnostic peut être évoqué sur l’ab- tractus génital, des anomalies morpholo- [6]. Ils peuvent être rassurés et leur sur-
sence d’autoanticorps associés au diabète giques et fonctionnelles du pancréas exo- veillance peut être moins étroite que dans
et l’histoire familiale. Dans la majorité des crine, des anomalies du bilan hépatique, un d’autres formes de diabète. Le dépistage
cas, il évoque un diabète de type 2 (DT2) déficit intellectuel ou des troubles du spectre familial est simple, fondé sur la constata-
de survenue précoce, mais habituellement autistique [10]. tion d’une hyperglycémie à jeun modeste. Il
sans marqueur franc d’insulinorésistance. Plus de 50 % des cas sont dus à une microdé- est utile pour diverses raisons : réassurance,
Comme dans les autres formes de diabète létion du chromosome 17 (17q12) emportant aspects administratifs et pour la prise en
les complications de micro- et de macroan- 15 à 20 gènes dont HNF1B. Dans 50 % des charge des grossesses.
giopathie sont fonction du niveau d’hyper- cas, les mutations ponctuelles ou la délé-
glycémie. Le diagnostic différentiel avec tion d’HNF1B surviennent de novo, donc Le diagnostic de HNF1A- ou HNF4A-
un diabète de type 2 est difficile du fait de en l’absence d’histoire familiale. MODY peut conduire à remplacer une in-
la survenue de cas de DT2 chez des sujets En fait, la description du phénotype sulinothérapie, même au long cours, par un
jeunes, de la fréquence de l’excès pondéral d’HNF1B-MODY dépend de biais de sélec- SH ou un glinide avec une bonne efficacité
dans la population générale et chez 30 % tion : chez l’enfant et l’adulte, le phénotype [13]. Une surveillance régulière reste néces-
des patients HNF1A-MODY et de la sur- rénal peut être au premier plan, sans diabète saire du fait de l’altération progressive de
venue du diabète après 25 ans chez 40 % patent [11]. Chez les patients vus en raison l’insulinosécrétion. Le dépistage familial est
des HNF1A-MODY. d’un diabète, l’atteinte rénale est quasi-sys- indispensable pour éviter de laisser évoluer
tématique mais les autres phénotypes sont une hyperglycémie méconnue, parce que
HNF4A-MODY extrêmement variables. peu symptomatique et non recherchée chez
HNF4A-MODY est une forme plus rare un sujet jeune, avec un risque réel de déve-
(environ 5 à 10 %) de MODY [8]. Ses Diabètes liés aux mutations des gènes co- loppement de complications vasculaires à
caractéristiques sont proches de celle du dant les sous-unités du canal potassique bas bruit, ou de grossesse non programmée
HNF1A-MODY. Cependant, 50 % des en- Les mutations d’ABCC8 de KCNJ11 ont dans des conditions métaboliques à risque.
fants porteurs d’une mutation d’HNF4A été associées à divers phénotypes. Les mu-
sont macrosomes et 15 % ont des hypog- tations gain de fonction de ces deux gènes Les apparentés asymptomatiques de
lycémies néonatales, quelquefois prolon- peuvent être responsables de la survenue patients porteurs de mutations d’HN-
gées, sensibles au diazoxide. A long terme, d’un diabète néonatal habituellement sévère F4A ou d’ABCC8/KCNJ11 doivent être
l’hyperinsulinisme disparait et ces enfants permanent, ou transitoire évoluant vers la dépistés, en particulier du fait des risques
peuvent développer un diabète. Cette sé- rémission puis rechutant dans l’enfance ou à de survenue d’un hyperinsulinisme ou d’un
quence, très évocatrice du diagnostic d’HN- l’adolescence [12]. Des apparentés porteurs diabète néonatal, même si l’anomalie mo-
F4A-MODY, peut s’observer chez des en- de la même mutation peuvent être affectés léculaire est présente dans la branche pa-
fants ayant hérité la mutation de leur père de formes beaucoup plus modérées comme ternelle. Par ailleurs, les patients ayant un
aussi bien que de leur mère [9]. Une histoire un diabète gestationnel, un diabète suggé- diabète (y compris de révélation néonatale)
personnelle ou familiale d’hypoglycémies rant un DT2, voire une simple anomalie de lié aux anomalies moléculaires d’ABCC8/
néonatales sévères est donc évocatrice de l’hyperglycémie provoquée par voie orale. KCNJ11 sont dans la grande majorité des cas
ce diagnostic. Les mécanismes d’une telle variabilité phé- très sensibles aux SH et ce même après une
notypique ne sont pas connus. insulinothérapie très prolongée [14].
HNF1B-MODY
HNF1B-MODY est également une forme De nombreux bénéfices pour les patients Les patients HNF1B-MODY doivent
rare de MODY (5 % des cas), initialement et leurs familles être explorés à la recherche d’anomalies
décrite comme l’association d’un diabète et syndromiques, en particulier rénales ou du
d’une atteinte rénale, en particulier kystes Le diagnostic de diabète monogénique a pancréas exocrine qui peuvent être modestes
rénaux (RCAD, Renal Cysts And Diabetes). de nombreuses conséquences en termes de au diagnostic du diabète mais se détériorer
Le spectre phénotypique du HNF1B- pronostic, d’indications thérapeutiques, de avec le temps.
MODY peut être très large, comportant dépistage d’affections associées et pour le Certains patients porteurs d’anomalie
outre le diabète, des anomalies rénales mor- dépistage familial. moléculaires de facteurs HNF sont ex-
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