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Décryptage.

Pourquoi tant de morts en Italie ?


Publié le 22/03/2020 - 17:04

Des camions militaires italiens emportent des cerceuils depuis la ville de Bergame vers d’autres communes, le 18 mars
2020, en Italie. PHOTO / REUTEURS / Sergio Agazzi
Le 19 mars, l’Italie est devenue le pays qui comptabilise le plus de décès liés au coronavirus dans le
monde. La Chine compte davantage de contaminés, mais dans la Péninsule, le taux de létalité est
nettement plus élevé. Comment l’expliquer ?
C’est le rendez-vous quotidien le plus attendu et le plus redouté à la fois. Depuis le début de la crise,
tous les jours, à 18 heures, un point presse officiel des autorités livre le décompte détaillé des nouveaux
contaminés et des décès supplémentaires liés au coronavirus sur le territoire italien.
Le 18 mars, 475 personnes sont mortes à cause du Covid-19 (ce jour-là le tragique “record” chinois de
décès en un jour a été battu). Le 19 mars, avec 427 décès supplémentaires, l’Italie est devenue le pays
qui compte le plus de morts à travers le monde (3 405) ; et les deux jours suivants, la situation a encore
fortement empiré avec 627 morts le 20 mars, et 793, le 21 mars.
Voilà qui a poussé le Premier ministre Giuseppe Conte à prendre des mesures encore plus drastiques
dans la soirée du samedi 21 mars. L’arrêt de toute activité autre que celles “strictement nécessaires” a
été décrété. Mais au-delà des réponses possibles face à la crise reste une question : pourquoi l’Italie a-t-
elle le taux de décès rapporté au nombre de cas répertoriés le plus élevé au monde ?
Selon les calculs de l’hebdomadaire d’investigation L’Espresso, “avec un taux de létalité de 8,5 %
contre 3,6 % en France, 3,8 % en Chine [au 21 mars] ou encore 1,1 % en Corée du Sud”, l’Italie
détient un (autre) triste record mondial. Une situation que la presse transalpine analyse à travers
plusieurs facteurs :
• La pyramide des âges : c’est l’explication qui a été la plus mise en avant dans les médias
jusqu’ici. Le Covid-19 serait beaucoup plus mortel chez les personnes âgées ; et comme le
souligne le mensuel de vulgarisation scientifique transalpin Focus : “Avec la tranche d’âge des
plus de 65 ans qui représente 22,8 % (13,8 millions) de la population totale, l’Italie a la
population la plus âgée d’Europe. L’âge moyen des personnes décédées à cause du coronavirus
dans le pays est d’ailleurs de 81 ans”.
Toutefois, cette donnée n’explique pas tout. L’Allemagne, par exemple, affirme L’Espresso, “a
un pourcentage de personnes âgées très similaire à celui de l’Italie” ; pourtant, “bien que le
pays soit le quatrième au monde par le nombre de contaminés [désormais le cinquième avec 22 
000 cas], il ne compte que 72 morts [84 au 22 mars]”. Ce qui fait moins de 1 % de mortalité.
• La “proximité familiale” : pour expliquer la différence abyssale entre les taux de létalité
allemand et italien, L’Espresso cite “les experts du Koch Institute de Berlin”, qui “signalent
qu’en Allemagne, ce sont surtout des jeunes qui sont tombés malades pour l’instant,
contrairement à l’Italie ou à l’Espagne”. Comment l’expliquer ? “Selon Bruce Aylwars –
conseiller à l’OMS – les différences entre pays pourraient dépendre des différentes structures
sociales”, relève L’Espresso. En clair, “en Allemagne, les jeunes et les anciens ont des rapports
plus distants qu’en Italie (ou encore qu’en Chine où 80 % des contaminations ont eu lieu en
famille)”, pointe l’hebdomadaire.
Une théorie reprise également par le quotidien milanais Corriere della Sera, la statistique des
30-49 ans qui vivent chez leurs parents à l’appui. Ils sont plus de 20 % en Italie, contre environ
5 % en Allemagne. Ce phénomène propre à l’Italie aurait contribué au nombre supérieur de
personnes âgées contaminées et, par conséquent, à un nombre plus important de morts.
• Un système de santé sous-pression : le mensuel Focus le rappelle : “Aujourd’hui, en Italie,
c’est un nombre de personnes sans précédent qui a besoin – dans un même moment – de soins
intensifs. Ces unités des hôpitaux sont au maximum de leur capacité [notamment dans certaines
régions du Nord] ; et dans ces conditions critiques, on donne la priorité aux patients qui ont
plus de chances d’être sauvés.”
Dans le même registre, L’Espresso souligne qu’“en Italie, au début de l’épidémie, on comptait
un peu plus de 5 000 respirateurs artificiels, trop peu. Les hôpitaux des zones les plus touchées
(Brescia, Bergame, Crémone) n’ont pas pu tenir le coup. Beaucoup de personnes âgées sont
ainsi décédées chez elles, car il n’y avait plus de respirateurs disponibles”. Là encore
l’hebdomadaire fait la comparaison avec l’Allemagne, qui “dispose de 28 000 places en soins
intensifs”. “Il est probable que même au pic de la crise le système allemand ne sera pas
saturé”, affirme L’Espresso.
• Un nombre de tests moins élevés : autre raison qui expliquerait le taux de létalité si élevé en
Italie, le nombre de tests effectués, moins important par rapport à d’autres pays fortement
touchés par le coronavirus, comme la Chine, la Corée du Sud ou encore l’Allemagne. En effet,
en Italie, après une première période pendant laquelle le gouvernement affirmait être l’un des
pays qui pratiquait le plus de tests, la stratégie de l’exécutif a changé. “Le gouvernement a
décidé de tester seulement les personnes présentant des symptômes, note le quotidien turinois
La Stampa. Si l’on testait également les personnes qui ne présentent pas de symptômes [c’est
le cas dans d’autres pays], le taux de létalité baisserait radicalement.”
• Mort “à cause” ou “avec” le coronavirus : pour l’épidémiologiste, Carlo Signorelli,
interviewé par le Corriere della Sera, le taux élevé s’explique également par la façon dont sont
recensés les morts : “En Italie, nous avons choisi de comptabiliser tous les morts infectés par le
coronavirus, comme ‘décédés à cause du coronavirus’, c’est pourquoi le pourcentage est si
haut. Mais une personne atteinte d’un cancer qui meurt ‘avec’ le coronavirus, ne serait pas
morte si elle n’avait pas eu un cancer initialement. En Espagne et en France, ils comptent
comme nous, mais en Allemagne je pense qu’on ne comptabilise les morts provoquées par le
coronavirus que si c’est la seule cause. Je ne m’explique pas un taux si bas autrement.”
Beniamino Morante

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