Vous êtes sur la page 1sur 31

L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 1

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 2

L’exil de Daniel et de ses


compagnons à Babylone
Pendant ou après le règne de Jéhoïakim ?

Par

Alexandre Salomon
© Août 2016

Tous droits réservés.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 3

Sigles et abréviations
av.n.è. : “avant notre ère”, en lieu et place de “av.J.-C.” (avant Jésus Christ).

de n.è.: “de notre ère” plutôt que “ap.J.-C.” (après Jésus Christ).

LXX : la Septante, une traduction grecque de la Bible hébraïque, produite à


partir du IIIe siècle avant notre ère par des Juifs d’Alexandrie.

Citations de textes anglais


Pour les quelques auteurs de langue anglaise que je cite dans cette étude, j’ai
directement traduit de l’anglais en français. Le lecteur pourra, sur demande,
m’envoyer une requête afin d’obtenir l’original en anglais à titre vérificatif.

Renseignements supplémentaires
Pour plus de renseignements, vous pouvez contacter l’auteur à l’adresse
suivante :

salomonlesage777@gmail.com

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 4

Introduction

G RÂCE aux nombreuses découvertes archéologiques


de ces dernières décennies, il est aujourd’hui
possible de reconstituer avec
chronologie de plusieurs événements du passé relatés dans
précision la

les Écritures. C’est le cas de Daniel 1 : 1 où nous lisons que


“dans la troisième année du règne de Jéhoïakim, roi de Juda,
Nebucadnetsar1, roi de Babylone, vint à Jérusalem et
l’assiégea.” (Darby). On peut remonter à cet événement en
consultant l’abondante information provenant des
chroniques babyloniennes (tablettes d’affaires, documents
administratifs et légaux etc.) qui ont été découvertes à partir
du XIXe siècle.
Le pourquoi de notre présent article intervient en
réaction à une chronologie erronée, croyons-nous, défendue
par un groupement religieux très prosélyte connu sous le
nom de Témoins de Jéhovah. Ayant effectué plusieurs
recherches à partir de leurs écrits, depuis quelques années
déjà, nous avons pu constater que la date (607 av.n.è.) qu’ils
1
Parfois orthographié “Nabuchodonosor” ou “Nébucadnezzar”. Dans cet essai,
vous rencontrerez différentes orthographes du même personnage.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 5

proposent pour la chute de Jérusalem devant les Babyloniens


ne cadre pas avec les données bibliques et historiques2. C’est
le même son de cloche avec la mention de “la troisième année
du règne de Jéhoïakim” de Daniel 1 : 1—qui correspond à
l’année d’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone.
Nous ne visons pas la polémique, mais estimons que la vérité
historique doit être dite.
Ceci précisé, notre présente enquête consistera à élucider
une seule et unique question : l’exil de Daniel et de ses
compagnons à Babylone se situe-t-il pendant ou après le
règne de Jéhoïakim ?

Daniel 1 : 1-2 : Perspectives historiques et herméneutiques

Le livre de Daniel a longtemps été un champ de bataille


intellectuelle entre spécialistes libéraux et conservateurs3. Le
rouleau de Daniel débute avec ces deux premiers versets dont
l’indication chronologique n’a pas échappé au feu des
critiques :

Dans la troisième année du règne de Yehoïaqim le roi de


Juda, Neboukadnetsar le roi de Babylone vint à Jérusalem et
entreprit de l’assiéger. Finalement Jéhovah livra en sa main
Yehoïaqim le roi de Juda et une partie des ustensiles de la

2
Nous renvoyons le lecteur à notre étude Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été
détruite? (2012). Disponible sur le site de Jacques Luc:
http://www.aggelia.be/livresalomon.html.

3
Voir Josh McDowell, Daniel in the Critics’ Den (San Bernardino, CA: Campus
Crusade for Christ International, 1979).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 6

maison du [vrai] Dieu, de sorte qu’il les amena au pays de


Shinéar, à la maison de son dieu ; et ces ustensiles, il les
amena à la maison du trésor de son dieu.4

Les Témoins de Jéhovah font valoir que, puisque


Yehoïaqim (Jéhoïakim) eut un règne total de onze ans (cf. 2
Chroniques 36 : 5), alors “la troisième année [de son] règne”
dont il est ici question se rapporte en réalité à sa troisième
année de vassalité à Neboukadnetsar—conformément à 2
Rois 24 : 1—soit à sa huitième année de règne. Dans le
deuxième volume de leur ouvrage encyclopédique Étude
perspicace des Écritures, on peut lire ce qui suit :

Le passage de 2 Rois 24:1 indique que Neboukadnetsar fit


pression sur le roi judéen, “et Yehoïaqim devint alors son
serviteur [ou vassal] pendant trois ans. Mais il [Yehoïaqim]
se retourna et se rebella contre lui [Neboukadnetsar]”. C’est
apparemment à cette troisième année de Yehoïaqim comme
roi vassal de Babylone que Daniel se réfère en Daniel 1:1. Il
ne pouvait s’agir de la troisième des 11 années de règne de
Yehoïaqim sur Juda, car à cette époque Yehoïaqim était le
vassal, non de Babylone, mais de Néko, pharaon d’Égypte.
Ce n’est pas avant la quatrième année du règne de
Yehoïaqim sur Juda que Neboukadnetsar brisa la
domination de l’Égypte sur la Syro-Palestine par sa victoire
à Karkémish (625 av. n. è. [apparemment après Nisan]) (Jr
46:2). Puisque la révolte de Yehoïaqim contre Babylone
provoqua sa chute après environ 11 années de règne, il faut

4
Daniel 1 : 1-2. Nos citations bibliques sont extraites de la version Traduction du
monde nouveau, éditée et publiée par les Témoins de Jéhovah. D’où le
changement d’orthographe de certains noms propres. Sauf indication contraire.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 7

faire commencer sa sujétion de trois ans à Babylone vers la


fin de sa huitième année de règne, soit vers le début de
l’année 620 av. n. è.5

Ils font remarquer par ailleurs :


Pour un Juif qui vivait à Babylone, la “troisième année” de
Yehoïaqim était donc la troisième année où ce roi était
vassal de Babylone. Daniel écrivit de cette perspective.
Jérémie, quant à lui, écrivit de la perspective des Juifs qui
habitaient à Jérusalem. Aussi fit-il débuter la royauté de
Yehoïaqim au moment où Pharaon Néko l’établit roi. […]
Dans la troisième année du règne total de Yehoïaqim, qui
régna de 628 à 618 avant notre ère, Neboukadnetsar n’était
pas encore “le roi de Babylone” ; il n’était que le prince
héritier. […] C’est donc en 618, autrement dit durant la
troisième année de la vassalité de Yehoïaqim à Babylone,
que le roi Neboukadnetsar vint à Jérusalem une deuxième
fois, pour punir ce roi qui s’était rebellé.6

On décèle plusieurs problèmes avec ce commentaire. Le


premier problème consiste à confondre ce passage avec 2
Rois 24:1 et d’en déduire que Daniel parle de “la troisième
année de la vassalité de Yehoïaqim à Babylone.” Comme le
constate Mark K. Mercer :

Cette solution est invraisemblable, car le texte de Daniel


parle de Neboukadnezzar qui assiégea Jérusalem “dans la
troisième année du règne de Jéhoïakim” (bšnt šlwš lmlkwt)

5
Étude perspicace, vol. II, p. 1188. (C’est nous qui soulignons).

6
Prêtons attention!, pp. 19, 32. (C’est nous qui soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 8

et non “dans la troisième année de servitude de Jéhoïakim”


(bšnt šlwš l‘bwdh) comme il fallait s’y attendre si la
déclaration de Daniel 1 : 1 correspondait à celle de 2 Rois
24 : 1.7

C’est là une précision pertinente. En effet, les Témoins


de Jéhovah admettent que “Daniel écrivit son livre à
Babylone, parmi les exilés juifs.”8 Pourtant, à Babylone, le
comput des années de règne d’un roi n’incluait pas son année
d’accession au trône, un fait connu par les Témoins9. En
précisant qu’il s’agit de “la troisième année du règne (‫ל ַמ ְלכוּת‬,ְ
ləmalkūt) de Yehoïaqim” et en rattachant cette expression à
“roi de Juda” (‫הוּדה‬ ֶ melek-yəhūdāh), il est évident que
ָ ְ‫מ ֶל ־י‬,
Daniel évoque ici la troisième année du règne de Yehoïaqim
en tant que roi de Juda et non en tant que roi vassal de
Babylone, comme le suggèrent à tord les Témoins.
Le deuxième problème que pose l’argumentation des
Témoins a trait à l’affirmation selon laquelle “dans la
troisième année du règne total de Yehoïaqim […]
Neboukadnetsar n’était pas encore ‘le roi de Babylone.’” Ce
raisonnement s’appuie sur le fait qu’en Jérémie 25 : 1, “la
quatrième année de Yehoïaqim” équivaut à “la première

7
M. K. Mercer, “Daniel 1: 1 and Jehoiakim’s Three Years of Servitude”, Andrews
University Seminary Studies (1989), vol. 27, no 3, p. 180. Les italiques sont de
l’auteur.

8
Prêtons attention, p. 19.

9
Étude perspicace, vol. I, p. 128.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 9

année de Neboukadretsar le roi de Babylone,” ce qui signifie


que si l’on interprète littéralement l’expression “la troisième
année du règne de Yehoïaqim” de Daniel 1 :1, cela irait en
contradiction avec le fait que Jérémie ait situé la première
année de Neboukadnetsar en tant que roi Babylone en la
quatrième plutôt que la troisième année de Yehoïaqim.
Or, il n’en est rien. Les Témoins reconnaissent qu’à la
différence de Daniel, “Jérémie, quant à lui, écrivit de la
perspective des Juifs qui habitaient à Jérusalem.” Dans le
comput des rois judéens, l’année d’accession du roi était
généralement inclut dans le comput des années de règne,
contrairement au comput babylonien10. Le Dr. Flyord Nolen
Jones fait observer ce point dans sa Chronologie de l’Ancien
Testament :

Habituellement, les rois de Juda se servaient de la datation


avec année d’accession tandis que ceux d’Israël choisissaient
le plus souvent la méthode sans année d’accession.11

On s’aperçoit par là que les deux prophètes suivent deux


computs différents : l’un (Daniel) qui se trouve à Babylone
10
En 2 Rois 18 : 9, par exemple, la 4e année du roi Hizqiya (Ézékias) correspond à
la 7e année de Hoshéa (Osée), roi d’Israël, au cours de laquelle Salmanasar le roi
d’Assyrie monta contre la Samarie. Mais le verset suivant stipule que la Samarie
fut prise “au bout de trois ans ; ce fut dans la sixième année de Hizqiya, c’est-à-
dire la neuvième année d’Hoshéa le roi d’Israël.” Normalement, on devait aboutir,
au bout des trois ans, à la 7e année d’Hizqiya (et non la 6e) et à la 10e année
d’Hoshéa (et non la 9e).

11
F. N. Jones, The Chronology of the Old Testament (2004), p. 130. (C’est nous qui
soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 10

suit le décompte babylonien ; l’autre (Jérémie) qui se trouve à


Jérusalem suit le décompte judéen12.
Par conséquent, “la quatrième année de Yehoïaqim”—tel
que le mentionne Jérémie 25 : 1—correspond exactement
dans la perspective babylonienne à “la troisième année du
règne de Yehoïaqim”—tel qu’indiqué en Daniel 1 : 1. Les
données historiques séculaires le confirment comme on le
verra par la suite ; bien qu’il fût le prince-héritier en ce
moment, c’est au cours de cette même année que
Neboukadnetsar accéda au trône de Babylone.
Qui plus est, qualifier Neboukadnetsar de “roi de
Babylone” (‫־בּ ֶבל‬ ֶ melek babel) alors qu’il n’était que le
ָ ‫מ ֶל‬,
prince-héritier n’est pas sans précédent dans les inscriptions
babyloniennes. Belshatsar, par exemple, est qualifié de
“prince-héritier” dans ces inscriptions13, tandis que le livre de
Daniel (cf. 5 : 1-30 ; 7 : 1 ; 8 : 1) le désigne comme “roi.” Les
Témoins de Jéhovah expliquent :

Mais un vice-roi peut-il être considéré comme un roi ? Une


statue exhumée dans le nord de la Syrie dans les années 70
indique qu’un chef pouvait être appelé roi alors qu’à
strictement parler il portait un titre moins prestigieux. Cette

12
Voir Edwin R. Thiele, The Mysterious Numbers of the Hebrew Kings, 3e éd.
(Grand Rapids, MI: Zondervan, 1983), p. 183; Francis D. Nichol, éd. The Seventh-
day Adventist Bible Commentary, vol. 4. (Washington, DC: Review and Herald,
1977), pp. 747-748.

13
Jean-Jacques Glassner, Chroniques mésopotamiennes (Atlanta : Société de
Littérature Biblique [2004]), pp. 202-203 ; Jack Finegan, Light from the Ancient
Past, Princeton University (éd. 1974), pp. 227-229.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 11

statue, qui est celle d’un chef de Gozân, porte une


inscription en assyrien et une autre en araméen. La
première qualifie l’homme de gouverneur de Gozân, alors
que le texte parallèle en araméen le désigne par le mot roi. Il
n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que Belshatsar, qualifié
de prince héritier dans les inscriptions officielles de
Babylone, soit également appelé roi dans le récit araméen de
Daniel.14

Ainsi, le fait que Neboukadnetsar soit désigné comme


“roi de Babylone” alors qu’il n’était encore que le prince-
héritier au moment où il entreprit d’assiéger Jérusalem ne
constitue pas un argument solide pour neutraliser le sens
littéral de “la troisième année du règne de Yehoïaqim.”

L’exil à Babylone sous le règne de Yehoïaqim

Vers le IIIe siècle av.n.è., Bérose, un prêtre babylonien,


rédigea en grec une histoire de son pays. S’appuyant sur
celle-ci, l’historien juif Flavius Josèphe (du Ier siècle de n.è.) a
brossé quelques exploits de Neboukadnetsar (appelé
“Nabocodrosor”), roi de Babylone. Josèphe écrit :
Je citerai les paroles de Bérose qui s’exprime ainsi : “Son
père Nabopolassar, apprenant la défection du satrape
chargé de gouverner l’Égypte, la Cœlé-Syrie et la Phénicie,
comme il ne pouvait plus lui-même supporter les fatigues,
mit à la tête d’une partie de son armée son fils

14
La Tour de Garde, 15 septembre 1998, p. 9 ; Étude perspicace, vol. I, p. 292.
(C’est nous qui soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 12

Nabocodrosor, qui était dans la fleur de l’âge, et l’envoya


contre le rebelle. Nabocodrosor en vint aux mains avec
celui-ci, le vainquit dans une bataille rangée et replaça le
pays sous leur domination. Il advint que son père
Nabopolassar, pendant ce temps, tomba malade à Babylone
et mourut après un règne de vingt et un ans. Informé
bientôt de la mort de son père, Nabocodrosor régla les
affaires de l’Égypte et des autres pays ; les prisonniers faits
sur les Juifs, les Phéniciens, les Syriens et les peuples de la
région égyptienne furent conduits, sur son ordre, à
Babylone par quelques-uns de ses amis avec les troupes les
plus pesamment armées et le reste du butin ; lui-même
partit avec une faible escorte et parvint à travers le désert à
Babylone. Trouvant les affaires administrées par les
Chaldéens et le trône gardé par le plus noble d’entre eux,
maître de l’empire paternel tout entier, il ordonna
d’assigner aux captifs, une fois arrivés, des terres dans les
endroits les plus fertiles de la Babylonie. Lui-même avec le
butin de guerre orna magnifiquement le temple de Bel et les
autres, restaura l’ancienne ville…”15

Ce récit évoque une bataille entre Neboukadnetsar et le


“satrape chargé de gouverner l’Égypte”, jugé de “rebelle”, à
l’issue de laquelle Neboukadnetsar “replaça le pays sous [la
domination babylonienne].” Jérémie, le prophète, confirme
cet événement en indiquant que la bataille advint “près du

15
F. Josèphe, Contre Apion livre I § 19.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 13

fleuve Euphrate, à Karkémish”, entre “Pharaon Néko16 le roi


d’Égypte” et “Neboukadretsar le roi de Babylone, dans la
quatrième année de Yehoïaqim le fils de Yoshiya [Josias], le
roi de Juda.” (cf. Jérémie 46 : 1-28).
Les indications fournies ici dans le texte biblique
corroborent les données historiques séculaires: en “la
quatrième année de Yehoïaqim”—qui, on l’a vu, correspond
à “la troisième année du règne de Yehoïaqim” du point de
vue babylonien—Neboukadnetsar, roi babylonien, vainquit
les forces égyptiennes (dirigées par Pharaon Néko) près de
l’Euphrate, à quelque 600 km de Jérusalem. Les Témoins de
Jéhovah expliquent :
Dans l’élan de sa victoire, Neboukadnetsar envahit la Syrie
et la Palestine et, du même coup, mit fin à la domination
égyptienne dans cette région. Seule la mort de son père,
Nabopolassar, interrompit temporairement sa campagne.
(…) Neboukadnetsar charge ses généraux de ramener les
captifs et le butin ; lui, rentre précipitamment pour monter
sur le trône laissé vacant par son père.17

Dans cette section rapportée par Josèphe, qu’il dit avoir


puisée chez Bérose, il est précisé que les captifs dont
Neboukadnetsar laissa à la charge de ses généraux incluaient
“les prisonniers faits sur les Juifs, les Phéniciens, les Syriens

16
Il s’agit du Pharaon Nékao II, de la XXVIe dynastie égyptienne (cf. J. M. G.
Barclay, Flavius Josephus : Against Apion [Flavius Josephus : Transation and
Commentary, 10 ; Leiden : Brill, 2006], p. 82, n°447).

17
Prêtons attention, pp. 31, 63. (C’est nous qui soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 14

et les peuples de la région égyptienne” ; et, avec le butin de


guerre, il “orna magnifiquement le temple” de ses dieux. Les
Témoins de Jéhovah contestent la mention des Juifs parmi les
captifs :
Bien que Bérose affirme que Nébucadnezzar emmena des
prisonniers juifs en exil l’année de son accession au trône,
cela n’est confirmé par aucun document cunéiforme. Plus
important encore, Jérémie 52:28-30 indique avec beaucoup
de précision que Nébucadnezzar emmena des prisonniers
juifs la 7e, la 18e et la 23e année de son règne, mais pas
l’année où il monta sur le trône. D’autre part l’historien juif
Josèphe écrit que l’année où fut livrée la bataille de
Carkémisch, Nébucadnezzar conquit toute la Syrie-
Palestine, mais “n’entra point alors dans la Judée”. Cette
affirmation contredit Bérose […]18

Le premier argument, c’est qu’aucun document


cunéiforme ne le confirme. Or, la chronique babylonienne
BM 21946 indique que l’année de son accession au trône—
correspondant à “la troisième année du règne de
Yehoïaqim”—le roi Neboukadnetsar emporta à Babylone un
lourd tribut du territoire de “Hatti” :
Dans son année d’accession, Nabuchodonosor retourna au
pays du Hatti et jusqu’au mois de Šabatu [janvier/février], il
marcha sans opposition à travers le pays du Hatti, au mois

18
Que ton royaume vienne ! (1981), Appendice chap. 14, p. 188. (C’est nous qui
soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 15

de Šabatu, il prit le lourd tribut du territoire de Hatti et


retourna à Babylone.19

À propos du terme “Hatti”, les Témoins admettent qu’il


se rapporte à la Syro-Palestine.20 Le texte de 2 Rois 24 : 7
indique qu’avec la défaite subie par l’armée égyptienne,
“jamais plus le roi d’Égypte ne sortit de son pays, car le roi de
Babylone avait pris tout ce qui appartenait au roi d’Égypte,
depuis le ouadi d’Égypte jusqu’au fleuve Euphrate.” Or, la
Judée faisait partie de ce “tout ce qui appartenait au roi
d’Égypte” (cf. 2 Rois 23 : 33-35). Alors, Neboukadnetsar
aurait-il excepté la Judée dans le paiement du tribut ?
L’affirmation de Josèphe selon laquelle Neboukadnetsar
s’empara alors “de la Syrie jusqu’à Péluse, à l’exception de la
Judée”21, qui constitue un autre argument pour écarter l’idée
d’un premier exil juif dans l’année d’accession de
Neboukadnetsar, ne contredit pas nécessairement Bérose. En
fait, quelques lignes plus loin dans le même ouvrage, Josèphe
reprend à nouveau les propos de Bérose en mentionnant la
présence de Juifs parmi les captifs22. Ainsi, en parlant de la
Judée qui fut exceptée, cela relève de la propre interprétation
19
A. K. Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles (1975), chronique ABC,
lignes 12-13, p. 188. (C’est nous qui soulignons).

20
Étude perspicace, vol. I, p. 1130; cf. Gerhard Larsson, “When Did the
Babylonian Captivity Begin?”, Journal of Theological Studies, vol. XVIII (1967), p.
420.

21
F. Josèphe, Antiquités judaïques, livre X, chap. 6 § 1.

22
Josèphe, Antiquités judaïques, livre X, chap. 11 § 1.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 16

de Josèphe23. “Toutefois, écrit le professeur Frederick F.


Bruce, ni Bérose ni la narration biblique ne suggère à Josèphe
que Juda fut exceptée ; cette affirmation découle de sa propre
reconstruction fautive des événements de cette époque.”24
Dans son Contre Apion, Josèphe déclare que le récit de
Bérose, basé sur les annales chaldéennes, “s’accorde avec nos
livres et contient la vérité.” “Quant à ces faits, les annales
chaldéennes doivent être considérées comme dignes de foi,
d’autant que les archives des Phéniciens s’accordent aussi
avec le récit de Bérose sur le roi de Babylone, attestant qu’il
soumit la Syrie et toute la Phénicie.”25 Or, Bérose n’excepte
pas la Judée, en confirmation avec Daniel 1 : 1-2.
Le dernier argument auquel recourent les Témoins de
Jéhovah est Jérémie 52:28-30. Puisque ce texte ne fait
mention d’exilés juifs que dans la septième année, la dix-
huitième année et la vingt-troisième année du roi
babylonien, alors ils en concluent qu’il n’y a eu aucun exil en

23
Certains spécialistes, comme l’assyriologue Donald J. Wiseman, sont d’avis que
Neboukadnetsar n’entra pas personnellement sur le territoire de la Judée après sa
victoire contre l’Égypte, mais que le roi judéen “se soumit volontairement à
Nébucadnezzar et quelques juifs, incluant le prophète Daniel, furent pris comme
captifs ou otages en destination pour Babylone.” — Wiseman, Chronicles of
Chaldean Kings 626-556 B.C. [1956], p. 26.

24
F. F. Bruce, “Daniel’s First Verse,” The Bible Student n° 21.2 (1950), p. 74.
(C’est nous qui soulignons). Pour les erreurs de Josèphe sur le sujet, voir A.
Salomon, Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite?, pp. 242-261.

25
F. Josèphe, Contre Apion, livre I § 20, 21.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 17

l’année d’accession de Neboukadnetsar. Est-ce vraiment le


cas ? Absolument pas.
Et pour cause : le total des exilés mentionné au verset 30
est de quatre mille six cents. Or, pour le seul exil qui advint
sous le règne de Yehoïakîn (Jojakîn), fils de Yehoïaqim, on lit
en 2 Rois 24 : 14 qu’il y eut “dix-mille [hommes] emmenés en
exil” et qu’“on avait laissé que la classe des petites gens du
peuple du pays.” Il est évident que le chiffre donné en
Jérémie 52 :30 n’inclut absolument pas toutes les personnes
déportées à Babylone, encore moins qu’il n’exclut qu’une
élite juive ait été prise en otage l’année d’accession du roi
babylonien. Comme le précise Carl Olof Jonsson :

Différentes théories ont été proposées pour expliquer cette


divergence, mais aucune ne peut être considérée autrement
que comme une hypothèse. (…) Tous sont d’accord pour
dire que Jérémie 52:28-30 ne fournit pas un nombre
complet des déportés ; ainsi, certains commentateurs
suggèrent que ce ne sont pas toutes déportations qui sont
mentionnées dans le texte.26

Qu’il y eut bel et bien un exil au cours du règne de


Yehoïaqim, cela est attesté par le scribe Ezra (Esdras) :

26
C. O. Jonsson, The Gentile Times Reconsidered, pp. 296, 297. (C’est nous qui
soulignons). Les Témoins de Jéhovah commentent : “Vu le nombre important de
captifs cité en 2 Rois 24:14, le chiffre de 3 023 donné en Jérémie 52:28 semble
désigner ceux qui occupaient un certain rang ou ceux qui étaient chefs de famille,
et ne pas inclure les milliers de femmes et d’enfants.” — Étude perspicace, vol. I, p.
403.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 18

Yehoïaqim était âgé de vingt-cinq ans quand il commença à


régner, et pendant onze ans il régna à Jérusalem ; il faisait ce
qui est mauvais aux yeux de Jéhovah son Dieu. Contre lui
monta Neboukadnetsar le roi de Babylone, afin de le lier
avec deux entraves de cuivre pour l’emmener à Babylone. Et
certains des ustensiles de la maison de Jéhovah,
Neboukadnetsar les amena à Babylone et puis les mit dans
son palais à Babylone.27

Remarquons que ce texte parle précisément de


Yehoïaqim (‫יְ הוֹיָ ִקים‬, yəhōyāqīm28) et non de son fils Yehoïakîn
(‫יְ הוֹיָ ִכין‬, yəhōyākīn29) qui est aussi simplement appelé Konia
ָ kōnyāhu30). Il est indiqué que Neboukadnetsar monta
(‫כּ ְניָ הוּ‬,
contre Yehoïaqim, “afin de le lier avec deux entraves de
cuivre pour l’emmener à Babylone.” La LXX31 et la Vulgate32
suggèrent qu’il fut effectivement emmené à Babylone. En fait,
chaque fois qu’il est question de personnes liées avec des
entraves de cuivre, il s’ensuit presque toujours une

27
2 Chroniques 36: 5-7.

28
“Ιωακιµ”, LXX.

29
“Ιεχονιας”, LXX.

30
“Ιεχονιας”, LXX. Cf. Jérémie 22: 24, 28; 37: 1.

31
Καὶ ἀνέβη ἐπʹ αὐτὸν Ναβουχοδονοσορ βασιλεὺς Βαβυλῶνος καὶ ἔδησεν αὐτὸν ἐν
χαλκαῖς πέδαις καὶ ἀπήγαγεν αὐτὸν εἰς Βαβυλῶνα.

32
Contra hunc ascendit Nabuchodonosor rex Chaldeorum et vinctum catenis
duxit in Babylonem.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 19

déportation de celles-ci33. Quoiqu’il en soit, que le roi de


Babylone ait eu la simple intention de l’y emmener après
l’avoir lié, ou qu’il l’ait effectivement fait, “on peut juger que
[Yehoïaqim] fut ensuite relâché.”34 N’empêche que, selon le
texte biblique précité, le roi de Babylone prit “certains des
ustensiles de la maison de Jéhovah” pour les emmener dans
son palais à Babylone. Il avait ainsi laissé d’autres ustensiles
dans le temple de Jérusalem.
Puis, parlant à présent de Yehoïakîn, son fils qui le
succéda au trône, Ezra poursuit :
Yehoïakîn était âgé de dix-huit ans quand il commença à
régner, et pendant trois mois il régna à Jérusalem. (…)
Durant ce temps-là les serviteurs de Neboukadnetsar le roi
de Babylone montèrent vers Jérusalem, de sorte que la ville
fut en état de siège. Alors Neboukadnetsar le roi de
Babylone vint contre la ville, tandis que ses serviteurs
l’assiégeaient. Finalement Yehoïakîn le roi de Juda sortit
vers le roi de Babylone, lui et sa mère, ainsi que ses
serviteurs, ses princes et les fonctionnaires de sa cour ; ainsi
le roi de Babylone le prit dans la huitième année de son
règne. Puis il fit sortir de là tous les trésors de la maison de
Jéhovah et les trésors de la maison du roi, et mit ensuite en
pièces tous les ustensiles d’or que Salomon le roi d’Israël
avait faits dans le temple de Jéhovah, comme Jéhovah l’avait
dit. Il emmena en exil tout Jérusalem et tous les princes et

33
Cf. Juges 16 : 21 ; 2 Rois 25 : 7 ; Jérémie 39 : 7 ; 52 :11 ; 2 Chroniques 33 : 11 ;
Psaumes 105 : 17-18.

34
M. L’abbé Sionnet, Sainte Bible expliquée et commentée, contenant le texte de la
Vulgate, tome 2e, Paris (1840), p. 403.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 20

tous les hommes forts et vaillants — c’est dix mille


[hommes] qu’il emmenait en exil — ainsi que tout artisan et
tout bâtisseur de remparts. On n’avait laissé que la classe
des petites gens du peuple du pays. Ainsi il emmena
Yehoïakîn en exil à Babylone ; la mère du roi, les femmes du
roi, les fonctionnaires de sa cour et les principaux
personnages du pays, il les emmena comme exilés de
Jérusalem à Babylone. Et tous les hommes vaillants, sept
mille, les artisans et les bâtisseurs de remparts, mille, tous
les hommes forts qui faisaient la guerre, le roi de Babylone
les amena alors comme exilés à Babylone.35

À cette nouvelle occasion, Neboukadnetsar se saisit de


“tous les trésors de la maison de Jéhovah et les trésors de la
maison du roi”, en détruisant “tous les ustensiles d’or” qu’il
avait laissés la première fois. Il est précisé qu’il “emmena en
exil tout Jérusalem et tous les princes et tous les hommes
forts et vaillants,” en ne laissant sur place que quelques
faibles gens.
Il est toutefois évident, d’après les deux textes bibliques
que nous venons de citer, qu’il y eut à deux reprises le
déplacement des ustensiles ou objets de valeur du temple de
Jérusalem en destination de Babylone : une première fois
sous le règne de Yehoïaqim (où ce ne fut que certains
ustensiles qui furent emportés) et une seconde fois sous le
règne de son fils Yehoïakîn (où tous les trésors furent
emportés).

35
2 Rois 24 : 8-17.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 21

Cela implique que sous le règne de Yehoïaqim, le roi de


Babylone a effectivement pris du butin à Jérusalem. Mais ce
butin ne se limitait-il qu’à certains ustensiles ? N’y a-t-il pas
eu de captifs? Comparons attentivement 2 Chroniques 36: 5-
7 et Daniel 1 : 1:
2 Chroniques 36: 5-7 Daniel 1 : 1

5
Yehoïaqim était âgé de vingt-cinq 1
Dans la troisième année du
ans quand il commença à régner, et règne de Yehoïaqim le roi de
pendant onze ans il régna à Juda, Neboukadnetsar le roi
Jérusalem ; il faisait ce qui est de Babylone vint à Jérusalem
mauvais aux yeux de Jéhovah son et entreprit de l’assiéger.
Dieu. 2
Finalement Jéhovah livra en
6
Contre lui monta Neboukadnetsar le sa main Yehoïaqim le roi de
roi de Babylone, afin de le lier avec Juda et une partie des
deux entraves de cuivre pour ustensiles de la maison du
l’emmener à Babylone. [vrai] Dieu, de sorte qu’il les
amena au pays de Shinéar, à la
7
Et certains des ustensiles de la
maison de son dieu ; et ces
maison de Jéhovah, Neboukadnetsar
ustensiles, il les amena à la
les amena à Babylone et puis les mit
maison du trésor de son dieu.
dans son palais à Babylone.

Dire de Neboukadnetsar qu’il ‘monta contre Yehoïaqim’,


équivaut à l’affirmation qu’il “vint à Jérusalem et entreprit de
l’assiéger.” Le fait que Neboukadnetsar l’ait lié indique que
“Jéhovah livra en sa main Yehoïaqim” puisque ce dernier
“faisait ce qui est mauvais aux yeux de Jéhovah son Dieu.”
Finalement, il est question de part et d’autre de “certains des
ustensiles de la maison de Jéhovah” et d’“une partie des
ustensiles de la maison du [vrai] Dieu” que le roi babylonien
emporta dans sa maison et celui de son dieu. Cela fait écho
aux propos de Bérose qui déclara que le roi de Babylone,

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 22

“avec le butin de guerre orna magnifiquement le temple de


[son dieu] Bel et les autres.”
On peut en déduire que les deux textes bibliques précités
relatent le même événement. Or, Daniel 1 : 3-6 a soin de
préciser que Neboukadnetsar avait aussi pris “quelques-uns
d’entre les fils d’Israël et de la descendance royale et d’entre
les nobles” et “quelques-uns des fils de Juda.”
Il y eut donc, non seulement une prise de butin (des
ustensiles sacrés) à Jérusalem, mais aussi des captifs—parmi
lesquels figurent Daniel et ses compagnons judéens—dans la
quatrième année du règne de Yehoïaqim sur Juda, c’est-à-
dire dans l’année d’accession de Neboukadnetsar. Un autre
détail vient conforter cette conclusion.

Où était passé Yehoïaqim ?

Au sujet de Daniel 1 :1-2, les Témoins de Jéhovah


écrivent:
Le récit de Daniel (1:1, 2) dit que Neboukadnetsar vint
contre Jérusalem et l’assiégea, et que Yehoïaqim, ainsi que
certains ustensiles du temple, furent livrés aux mains du roi
de Babylone. Mais le récit de 2 Rois 24:10-15, qui décrit le
siège de Jérusalem par les Babyloniens, montre que c’est
Yehoïakîn, fils de Yehoïaqim, dont le règne dura seulement
trois mois et dix jours, qui capitula et sortit vers les
Babyloniens. Il semble donc que Yehoïaqim mourut durant
le siège de la ville, peut-être au début de celui-ci. (…) On ne
sait pas exactement de quelle façon Yehoïaqim fut ‘livré
dans la main de Neboukadnetsar’. (Dn 1:2.) Peut-être est-ce
dans le sens qu’il mourut au cours du siège et que son fils

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 23

dut ensuite partir en captivité, si bien que la lignée de


Yehoïaqim perdit la royauté aux mains de Neboukadnetsar.
(…) Après le siège de Jérusalem durant la “troisième année”
de Yehoïaqim (comme roi vassal), Daniel et d’autres
Judéens, dont des nobles et des membres de la famille
royale, furent emmenés en exil à Babylone. Comme aucune
mention n’est faite d’un exil précédent à Babylone, il faut
sans doute placer cet événement dans le court règne de
Yehoïakîn, successeur de Yehoïaqim. — 2R 24:12-16 ; Jr
52:28.36

Décortiquons ce commentaire. Ils citent 2 Rois 24:10-15


pour indiquer que c’est Yehoïakîn, et non Yehoïaqim, “qui
capitula et sortit vers les Babyloniens.” Ainsi, l’affirmation de
Daniel 1 :2 selon laquelle c’est Yehoïaqim qui ‘fut livré dans
la main de Neboukadnetsar’ est interprétée par les Témoins
comme s’appliquant à son fils Yehoïakîn. Toutefois, ils
omettent de citer un autre texte parallèle (cf. 2 Chroniques
36 : 5-10) qui montre clairement qu’avant que Yehoïakîn ne
“commence à régner”, Neboukadnetsar était déjà monté
contre son père Yehoïaqim et avait emporté à Babylone
“certains des ustensiles de la maison de Jéhovah” (cf. supra).
C’est seulement plus tard—en la septième année de
Neboukadnetsar—que Yehoïakîn “capitula et sortit vers les
Babyloniens.”
Il va de soi que les Témoins avouent ne pas savoir
“exactement de quelle façon Yehoïaqim fut ‘livré dans la
main de Neboukadnetsar.’” Pourtant, ce n’est pas difficile à
36
Étude perspicace, vol. II, p. 1188. (C’est nous qui soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 24

comprendre : l’expression livrer en la main d’une personne


requiert généralement le sens d’être sous le pouvoir ou sous
la domination de celle-ci37. Yehoïaqim fut donc ‘livré en la
main’ de Neboukadnetsar ce sens qu’il devint son ‘ebed
(“serviteur” i.e. son vassal38). L’événement relaté en Daniel
1 :1-2 ne peut donc être placé “dans le court règne de
Yehoïakîn, successeur de Yehoïaqim”, mais dans le règne de
Yehoïaqim lui-même. Dans leur manuel biblique La Bible :
Parole de Dieu ou des hommes ?, les Témoins de Jéhovah font
constater ce qui suit :
(…) la Bible rapporte que sous le règne du roi Jéhoïakin les
Babyloniens mirent le siège devant Jérusalem et la prirent.
Cet événement est consigné dans la chronique
babylonienne, une tablette en cunéiforme mise au jour par
les archéologues. On y lit: “Le roi d’Akkad [Babylone] (...)
s’établit devant la ville de Yahudu (Juda) et au mois d’addar,
le deuxième jour (...) il prit la ville.” Jéhoïakin fut emmené à
Babylone et emprisonné.”39

La tablette en cunéiforme dont il est ici question est la


BM 21946. Elle déclare précisément :

37
Nombres 21 : 34 ; Deutéronome 1 : 27 ; 2 :29-30 ; 19 :12 ; Josué 8 : 18-19 ; 1
Samuel 23 : 20 ; 2 Chroniques 25 : 20 ; Néhémia (Néhémie) 9 : 23-24 ; Jérémie 20 :
4-5.

38
2 Rois 24 : 1.

39
La Bible : Parole de Dieu ou des hommes ? (1989), chap. 4, p. 48. (C’est nous qui
soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 25

La septième année, au mois de Kislev, le roi d’Akkad


rassembla ses troupes et se mit en marche vers le pays du
Hatti. Il assiégea la cité de Juda et le deuxième jour du mois
d’Adar, il s’empara de la cité et captura le roi. Il désigna là
un roi selon son cœur, reçut son lourd tribut et (les) envoya
à Babylone.40

Ces informations dignes d’intérêt méritent qu’on s’y


arrête un instant: le roi d’Akkad désigne Neboukadnetsar, roi
de Babylone ; le mois de Kislev est le neuvième du calendrier
babylonien, correspondant à novembre/décembre et Adar,
douzième mois, correspond à février/mars. Il est indiqué
qu’en sa septième année, le roi d’Akkad s’empara de la cité de
Juda et captura le roi—qui n’est autre que Yehoïakîn—et il
“désigna là un roi selon son cœur”, à savoir Tsidqiya
(Sédécias41).
Puisque Neboukadnetsar se mit en marche vers le Hatti
(Syro-Palestine) à partir du “mois de Kislev” et arriva dans le
Hatti au “mois d’Adar”, c’est qu’il fit environ trois mois de
marche. Or, au sujet de Yehoïakîn, 2 Chroniques 36 :9
déclare qu’il régna à Jérusalem précisément “pendant trois
mois et dix jours.” Ce qui implique qu’au moment où
Neboukadnetsar quitta Babylone pour le Hatti, Yehoïakîn ne
régnait que depuis seulement quelques jours, son père
Yehoïaqim étant déjà mort (cf. 2 Rois 24 : 6).

40
Wiseman, Chronicles of Chaldean Kings, p. 73; Glassner, Chroniques
mésopotamiennes, p. 200; Étude perspicace, vol. I, p. 457.

41
2 Rois 24 : 12-17 ; 2 Chroniques 36 : 9-10.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 26

Par conséquent, si l’événement relaté en Daniel 1 :1-2


doit se situer dans le court règne de Yehoïakîn—comme le
soutiennent les Témoins—alors pourquoi Daniel 1 : 2
déclare-t-il que “Jéhovah livra en sa main Yehoïaqim” (plutôt
que Yehoïakîn), alors que Yehoïaqim devait être déjà mort
depuis trois mois, avant même que Neboukadnetsar n’arrive
sur le territoire ?

La deuxième année du règne de Neboukadnetsar


Daniel 2 :1-49 nous renvoie “dans la deuxième année du
règne de Neboukadnetsar” au cours de laquelle Daniel,
connu pour être l’un des “sages de Babylone” (cf. versets 13-
18), expliqua les rêves du roi babylonien et en donna
l’interprétation. S’appuyant sur le fait que Daniel et ses
compagnons ont été formés pendant trois ans avant de
comparaître devant le roi (cf. Daniel 1 : 5, 18), certains
critiques comme Louis Hartman ont déduit que l’indication
chronologique fournie ici par Daniel n’a “aucune valeur
historique.”42 Zdravko Stefanovic fait remarquer :

Plusieurs suggestions ont été avancées en rapport avec


l’expression “deuxième année”. (1) L’une de ces suggestions
est qu’il est question de la “deuxième année” après la
destruction de Jérusalem en 587 av.n.è. Cela voudrait dire
que l’événement relaté dans ce chapitre s’est produit dans la
deuxième année de règne du roi Nébucadnezzar, mais deux

42
Louis F. Hartman & Alexander A. Di Lella, The Book of Daniel: A New
Translation with Introduction and Commentary (Garden City, NY: Doubleday,
1978), p. 143.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 27

années après la destruction de Jérusalem. (2) Une autre


suggestion est que “la deuxième année” signifie deux années
après que les Babyloniens aient mis l’Égypte en défaite. (3)
Un manuscrit provenant de la version grecque ancienne de
Daniel (MS 967) date ce chapitre, non pas dans la deuxième
mais dans la douzième année de Nébucadnezzar.43

Les Témoins de Jéhovah se font l’écho de deux de ces


hypothèses mais ils penchent en faveur de l’une d’entre elles,
à savoir que la “deuxième année du règne de
Neboukadnetsar” désigne en réalité sa deuxième année après
la destruction de Jérusalem. Ils expliquent :
Cet examen [de Daniel et de ses compagnons] qui révéla les
qualités exceptionnelles de Daniel n’a pas pu avoir lieu
avant la douzième année du règne de Nébucadnetsar. Dans
ce cas, comment faut-il comprendre Daniel 2:1, où on lit :
“La seconde année du règne de Nébucadnetsar,
Nébucadnetsar eut des songes. Il avait l’esprit agité, et ne
pouvait dormir.” Tenant compte du fait que le roi oublia le
songe et que finalement Daniel se proposa pour le lui
rappeler et l’interpréter, certains hébraïsants sont d’avis que
le texte hébreu de Daniel 2:1 devrait se lire “douzième
année” au lieu de “seconde année”. Mais l’explication la plus
logique et appropriée est qu’il s’agit de la “seconde année” à
compter d’un événement important, en l’occurrence la
destruction de Jérusalem par Nébucadnetsar en 607. En
cette année-là, le roi de Babylone devint le premier

43
Zdravko Stefanovic, Daniel: Wisdom to the Wise. Commentary on the Book of
Daniel (Nampa, ID: Pacific Press, 2007), p. 82. (C’est nous qui soulignons).

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 28

souverain à exercer la domination mondiale avec la


permission divine.44
Premièrement, rien dans le texte ne suggère que le roi
babylonien avait oublié les rêves et qu’il voulait qu’on les lui
rappelle. Son véritable souci était que si les sages de
Babylone—qui incluaient de grands astrologues—étaient
vraiment intelligents, ils devaient être en mesure de lui
relater les rêves, ce qui serait une indication de leur capacité à
en donner l’interprétation (cf. verset 9). Daniel n’a donc pas
rappelé au roi ses rêves, mais les a confirmés suite à une
révélation du Dieu du ciel (cf. versets 17-23).
Deuxièmement, l’hypothèse suggérant qu’il s’agit de la
douzième année —et non de la deuxième année— soutenue
par certains hébraïsants et un vieux manuscrit grec (le
papyrus 96745) est contredite par la LXX46 et la Vulgate47 qui
confirment la lecture du texte hébreu massorétique.

44
“Babylone la Grande est tombée !” Le Royaume de Dieu a commencé son règne !
(1971), chap. 10, p. 166. (C’est nous qui soulignons).

45
Ce manuscrit grec est daté du IIe siècle de n.è. — Ernest Lucas, Daniel
(Downers Grove, IL: Intervarsity, 2002), p. 62 ; Siegfried Kreuzer, “Papyrus 967”,
Die Septuaginta-Texte, Kontexte, Lebenswelten: Internationale Fachtagung
veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D), Wuppertal 20.-23. Juli 2006 (éd
Martin Karrer & Wolfgang Kraus; WUNT 219; Tübingen: Mohr Siebeck, 2008),
pp. 64-82.

46
τῷ δευτέρῳ τῆς βασιλείας Ναβουχοδονοσορ.

47
in anno secundo regni Nabuchodonosor.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 29

Troisièmement, l’idée d’une “seconde année à compter


d’un événement important” débute avec l’historien Flavius
Josèphe qui fait remonter la “deuxième année du règne de
Neboukadnetsar” à deux années après la dévastation de
l’Égypte48. Or, il situe cette dévastation dans “la cinquième
année qui suivit la dévastation de Jérusalem, c’est-à-dire la
vingt-troisième année du règne de Nabuchodonosor.”49
Ainsi, pour Josèphe, les rêves de Neboukadnetsar
mentionnés en Daniel 2 : 1 seraient survenus en réalité dans
sa 25e année de règne.
Toutefois, selon les Témoins, cette “deuxième année de
sa royauté—sans doute à dater de la destruction de
Jérusalem” désigne “en réalité (…) sa 20e année de règne.”50
Mais de ces relectures forcées sont difficiles à digérer et
négligent le fait que Daniel comptait les années des rois
suivant le comput babylonien51 ; et d’après ce comput, “la
deuxième année du règne de Neboukadnetsar” se rapporte à
sa domination par rapport à Babylone et non par rapport à la
destruction de Jérusalem ou de l’Égypte. Partant de ce fait, les
trois années de formation de Daniel et de ses compagnons

48
Josèphe, Antiquités judaïques, livre X, chap. 10 § 3.

49
Josèphe, ibid., chap. 9 § 7.

50
Étude perspicace, vol. II, p. 385.

51
Daniel 1 : 1, 21 ; 2 : 1 ; 7 : 1 ; 8 : 1 ; 9 : 1-2 ; 10 : 1 ; 11 :1.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 30

coïncident52 avec la “deuxième année du règne de


Neboukadnetsar” :

Année accession (Neboukadnetsar) : 1ère année de formation

1ère année du règne (Neboukadnetsar) : 2e année de formation

2e année du règne (Neboukadnetsar) : 3e année de formation

Conclusion

L’analyse des données bibliques et historiques permet de


tirer une conclusion : Daniel et ses compagnons ont été
déportés à Babylone en la “quatrième année du règne de
Yehoïaqim”, qui correspond à l’année d’accession de
Neboukadnetsar, soit en l’an 605 av.n.è.
Les hypothèses avancées par les Témoins de Jéhovah
pour décaler cette date à la huitième année de Yehoïaqim ne
résistent pas à un examen rigoureux.

52
Stephen R. Miller, Daniel (Nashville, TN: Broadman & Holman, 1994), p. 76.

Alexandre Salomon Août 2016


L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone 31

Bibliographie

Étude perspicace des Écritures (2 vols, 1997). Publié par les


Témoins de Jéhovah.

Prêtons attention à la prophétie de Daniel ! (1999). Publié par les


Témoins de Jéhovah.

Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite? Réponse aux


Témoins de Jéhovah (2012). Par Alexandre Salomon.

The Gentile Times Reconsidered: Chronology and Christ’s Return


(Commentary Press, Atlanta: 2004). Par Carl Olof Jonsson.

Alexandre Salomon Août 2016

Vous aimerez peut-être aussi